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LIVllE DES FAMILIES
JOURNAL DE M. LE CURE.
TOME PREMIER,
M
-V
Paris
-Typographic SciraEimtt et Laschakd , rue lyErlurlh, 1.
f- ^
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^-<^y/^ . vr^ ^dP : //'*-/ tr ^M^
T Arc- 2')
5
H.'STOP.y. I
PARIS,
L. GIRALDON FILS, fiDlTEUR,
9, QUAI MALAQIIAIS.
LE
LIVRE DES FAMILIES
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
W I. — r' Volume
l'''IITovembre 1S4«.
iiiiii^iii
h.
INTRODll
J'ai connu uii lion cure des environs dc Bosfiiicoii c|iii
clait bien riiomme lo plus venci'iible el le filus insli'uil, Ic
phis charilablc et le plus spirituel qu'on puissc imnfjinor.
La rtivoluliou francaisc avail frappe loute sa famillo tie
inort on de pauvrete; lui-meme avail (Hi; I'oice a I'exil, el
il avail lonf;U'nips on-e dans los jiays proleslanls sans aulre
secouis ((ue son Iravail et son courage.
De lanl dVpi-euves, il n'avail rapporte ni niurmure
centre les honimes ni ai!:;reur conlre le monde ; sa pii'lci
elait lianlc cl sa devotion aussiprofonde qu'cclairee. Force
d'habilcr rAllomagne dans un temps ct dans une province
i(ue k's mauv de la guerre desolaicnl, il avail appris la
medecine el la ebirurgic pour soulager aulant qu'il elail
en lui riiumanile dans ses plus horribles pcines, el donner
a la fois le saint de I'ame el la guerison physii[ue, on du
mnins (luelque soulagement aux malbcureux tpii couvraienl
Ics chiimps de balaille. On Ic voyail crrer dans ces plames
lollies sanglanles, ou habiler les hopitaux comme inlirniier,
nil Christ cache dans sa poilrine. ignore dans sa sublime
mission, et connu seulemenl aulanl qu'aime pour sa bonlc
inepnisable, la simplicilii de son caracterc et la gaiele de
son anie.
•jiie dc conversions il opera ainsi! (lucd'amesracheteesel'
'le bien accompli ! Cel excellenl liomme avail vii Ics deux
CTION.
mondes, elloiiglcmpsdesserviuneparoissccatlioli(|ucdelial-
timore. II lui etait resle de ses longs voyages un vif el con-
stant besoin de se lenir au courantdesprogrcsmoraux de la
cliretiente ; un dc ses parents elaiit miu-laiix Verrieres suis-
scs, cl lui ayanl laisse un clialcl el unc donzaine de millc
livres de rente, M. Eustachc Grisier, — c'etail son noni, —
les partagea dc la maiiicre suivaute : qnatre mille francs aux
inaladcs, deux niiUe aux pauvres ; qnatre millc francs en
livres et journaux de tons les pays, et deux millc francs
pour son entrelien, sans compter les emoluments dc sa
cure qui n'etaient presque rien. II savait parfaitemcnl
I'cspagnol, I'allcmand, rilalien cl I'anglais. II n'y avail pas
de belle action qui se fit sur la face dn globe qui ncAint
a sa connaissance, pas d'invention nouvcllc ipi'll ne connul
avaul loutlc monde; el il n'en faisail pas nn objel de re-
cbcrcbc egoisle ou dc curiosile value : les dimanches. il
reunissait pres de lui les enfants dc ses onailles, paysans
ct riches, cl les caplivait par cetic serie d'anecdotes lou-
jours inleressantcs que la plupart de nos livres ignorent
ou passenl sous silence, el qui avaient pour son audiloire
un cliarme incxpriinablc.
, Ce n'elaicnt point exrlusivcment dcs siijels moraiix, ni
des commentaires rehgieux. II avail coutume de dire que
la leliiion elail parlonl. et qn'il fall.iil I'indiqner el la faire
1
LES SAliNIS
sciilii' ,1 \':\\u(\ plulijl i|iu' riiii|>riiiii'r (lisleini'iil dans Ics
t'spi'ils. 11 niiMail Icsircils iiimvoau.x. k's aiiecclolos |H'U ci>n-
iiiips, iiiix ilelnils ties cxpi'iii'iiocs, ilos diTOUvorles vl dcs
voy.i;,'OS Ics pins receiils. Aiiisi il oiilrolpiiait o( salisl'aisail a
la fois la curlosile (loscsauditeurs, et conlribuail a leuriili-
lito et ii knir liicn-i"lre. 11 psI aiTive a plusd'iin joiine paysan
dc venirliiidomaudcr. le liiiuli maliii, des rcnsi'ignemenls
sur If noiiviMU prncedi' agricolc (|ue le cure avail decril la
veille. Lc temps elail employe, Ics boiis priiicipcs se gra-
valciil dans Ics Intelligences, et la religion n'y perdait ricn.
M. (Jrisicr faisait ohserver qnc saint Francois de Sales con-
seille d'eniploycr Icsromans et mcme les conies pour intro-
duire les verilcs morales ct rcligicnsesdans Ics jcunescccurs.
11 Mais le temps des faMcs est passe, disait-il avec raison ;
<i c'est an conlrairc par des verilcs amusanles, en chassanl
u I'ignorance ct faisant servir Ics immenses rcssources de
11 la science aclnelle el des communications ctablies par
» die entre les lionimcs qu'il I'ant raoraliser la jenncsse.
» C'est par cetlc inslruclion vive, variee, pleine d'attrail,
- (pic les facnites spirituelles, mises en jcii, peuvenl ecar-
11 ter les generations naissanlcs du matcrialisme grossier,
11 Ics arrarher a la brutalile, les arreler sur leur penle
.. fatale vers I'egoismc, Ics ramener aux idees superieu-
11 res, an devoui'inciil, a ralinegalion, a la religion, (ie
<i travail est ulilc. et prepare Ics voies a nnc existence mo-
11 rale, active el nligieusc. il dcfriclie lc champ ipie la
n religion ensemencera. J'ai pour moi les cxemplcs de
II saint I'Vancois d'Assises, dc saint Bonavenlnre, de saint
II Francois dc Sales, dc Fenelon. Loin dc restcr elrangers
II an mouvcmcnt des clioses liumaincs, ces grands esprlts,
II ces iimes divines le servirenl en lepuranl; ni la gaiele
u douce, ni les heureu.x apologues nc leur fiircnt I'tran-
« gers. Faisons comme cnx , si nous pouvons, ou du nioins
11 snivons-lcs de bien loin. »
(Jnc nous serious bcnrens d'imiter rexemplc du bon cure,
de joindre rutilile a ragrement, d'occuper, par une lecture
variee, cmpnmlcc a loutes les langues de I'Kuropc pi du
monde, a tonics les publications reeentes de la science, des
moments qui pourraienletre employes d'unemaniere frivole
on dangcrense I — d'eclaircr les jcniu's csprils en guidanl les
iimes, dc joindre la clialenr douce et fructueuse de la reli-
gion a la liimieresonvanl sterile ct trompcuse de la science!
d'esl sur lc modele de eel estimable pretre que ce llccueil
est enlieremcnl caique ; on serail trop beurcux d'approcher
seuliment de la variete, de I'inlerel el de la gri'icc qn'il ap-
portait dans ses riicits.
lEs mm DU MOis.
(Miaqnc iircniicr jour du niois, par excmple, il reunissnil sesjeuncs
amis dans son petil jardin, si c'ctait la belle saison, ou dans son cabinet
ambrissc de sapin, si V'ctail I'liiver, el 11 lenr racontait la legendc des
saints du niois qui allail s'ouvrir.
ci Cbacun de nous, leur disait-il, porte un nom de liaptcmc; a ce
« nom se rallachent des souvenirs touebanls el curieux, que les per-
il sonncs pienses el les erudils etudienl seuls, et qui unissent rintcrcl
11 bislorique a la plus vive emotion. Celle legendc des saints est un Iresor
11 dcleeons sublimes. Cesonl les annalcs primitives du monde modernc.
11 Mes amis, on neglige trop ces souvenirs.
II Ricn de plus inlercssanl toulcfoisqncrctte bistoire. A quelle cpnquc
II cbacun des Sainls a-t-il vecu? quelles cireoiistances onl marque leur
<i vie? (piel licroisme a signale leur mort? C'est ce que savenl a peine
II les personncs memes qui porlenl les noms les plus commuus parmi
II nous.
« Tanlol CCS souvenirs sonttcrribles el sanglanis; c'est le chevalet, la
11 jioix bouillante; ce sonllcs bourreaux armes anlour dn beros cbrelien :
11 lantut ils evo(|ucnl d'aimables images; des combats myslerieux. Tame
II qui lutte ct Iriompbe. Que d'incidenls inleressanls! que de Iccons per-
11 due-
DU MOIS. 3
SI lull iii)gligcwil lie rociicillir los ii.in-atioiis, .■iiix(|m'lli's Ui siiiguKirite tics crjiiliinii's. Ki ili!,l:iii(v ikvi tiMiips,
11 la jji-aiuli'iir iiii I'iiilerel desiluloils |iii'lPiil laiUili' cliaiiiic ! Ni' ni'i^liyiz iloiic- pas, hips rlici-s amis, ces k'l^'ciidi'ssacn'es;
11 ellcs snnt d'ailleiirs necessaires a I'liistoiri', i|ircllos ox|ilii|iiiMil c-l iiii'i'llcsiTlaiiTiil. «
.\ IVxoinpli! du Ijon cure, nous foi'iiicroiis une ijerlio des plus rouiari|ualdi's d'cnii'c elles; nous les presenlerons
nulls par niois a nos jeunes leclours, sans en allei'ei' la purole par auciin dclall romauesipio, el en repelanl naivemoul
les plus aullionliipies et les plus inlere.ssanlcs de res le^'oiidi's.
MOIS DE NOVEMBRX.
1. Vcnilredl. LaToussaint.
SI Anialile , [irilre , iiiort
vers 4"r>.
'i. Wnmeill. St Eudoxeet ses
coiiipugiious, uianjrs, vers
r.2o.
3. Ulmanche. St Marcel,
eviique de Paris, niorl au
5« sieele.
St Eustache et sa ramille,
martyrs.
Si Flour, premier evSquede
I,oileve, mort vers 400.
Si Hubert, evi^que de Mui^'S-
iriehr, nioit eii 727.
Sle Sjlvie, mere de St Grii-
goire, mort au 0<> si^cle.
i. IjUiifll. St Charles Borro-
mee,oveque, luurten 1,^84.
SI Clair, pietie, luarljr au
Vexiii, vers 275.
Sle Modeste, vierge, nmrle
vers 780.
a. Slarcli. St .Vgatlianj^e
evt^qui: li'Autun, mort eii
251.
SI Zucliarie, pOiede SI Jean
Bapliste.
Sle Uertille, abbesse de
Chelles.
SI tie, solitaire du Berry.
O. Hercretli. St Leonard.
solitaire, mort en 550.
SI Vinoc, abbe de Worm-
oulh eii Flandre.
SI lllut, abliii dans le pays
de Galles.
7. dieudl. St Ernest, ablie,
martyr eu 1148.
St Willeliiod, premier evi5-
que d'Utreclit.
St Amaranle, martyr i Alby
St Ruft'e, evi!'que de Melz.
SL Euj^elbert, arcbevi^que de
Cologne et martjr.
8 Veiidroili.StDieudonu6.
premier du nom, mort en
618.
St Godi'froy, cvfique d'A-
mieiis, mort eii 1118.
St WillibalJ, eviique de Bre-
me, et aputre de la Saxe.
SI Kebe, evfque.
St Gervade , evOque en
tcosse.
tt. Mameilt. St Maiburin ,
prOlre, mort vers 387.
SI Theodore, martyr a Ama-
.si'e, en 306.
St Valine, evc^qne de Verdun,
St Benelt, ari-lievi\|iie d'Ar-
niagli en Irlande.
10. Dimaiiche. St Lhuh le
Grand . |ia|ie , docleur ,
iiiorl vers 4()2.
SI Andre Avelliii, elerc re-
gulier thealin.
SI Tryphoii et Sle Uespice,
martyrs en Billiyuie.
Sle Nyniphe, vierge eu Si-
cile.
SlTibere ou Tiliery, Ste Flo-
rence el St Modeste, mar-
tyrs dans la Gaule iiarbon-
naise.
StJusle, arcbeveque deCau-
torbery.
St Milles, evfipie de Suse ,
St Abrossime. pri^tre, el
SI Siiia, diacre, martyrs
en Perse.
11. E.un<li. St Marliii, eve
que de Tours, iiiorlen ."!I7
Si Ueue. eveque d'Aii^er-
mort au 5« siecle.
St Meune. marlyr.
St Vrain, L*vi>que tie t^avail-
lon, mort vers 600.
St Theodore Sludile, abbe, a
Constantinople.
StEvade,vulgaireinent Voz)
ev6que du Puy.
I a. Hardl. St Martin, pape
martyr en 655.
St Nil, anaeborele, p^Te de
I'Eglise
SI Rene\ patron d'Angers.
SI Emilien, vulgalremenl Si
Milhan dela Cogolle, cine
el solitaire en Espagne.
Si Livin, palrnii de Gaud.
SI Palerne, moine de St
Pierre-Ie-Vif, martyr.
St Lebwin, patron de De
venler.
Si Macaire, 6vt\|ueen Ecosse
St Josaphat, arcbeveque de
Polozk.
13. Mcrcredl. St Gendulfe.
evi>que, martyr vers 600.
St Briee, evgque de Tours,
mort en 444.
SI Stanislas Ivuslka, mort en
1508.
St Hammebnn, marchand.
St Didace, religieux de Sl-
Frani^ois.
St Merre ou St Mitre, marlyr
a Aix en Provence.
St Abbon, abbe de Flenry.
marlyr en Ga^i ogiie
14. Jeudl. St Clementin,
martyr.
St Laurent, arcliev6que de
Dniilin.
SI Dubrice, evOque eu Au-
glelerre.
St Rul', ijremier evique d'A-
vignon.
SI Saens, alibe au pays de
Caux. en Norinandie.
15. Vendredi. St Eugene,
marlyr a Deuil, vers 200.
St Maclou, t'vOque d'Alelh,
niorl au O*^ ou 7^^ siecle.
St Leopold, marquis d'Au-
Iricbe, mort en 1130.
Sle (ierlrude, abbesse de
I'ordie deSt-Beno!l.
St Leoiiee, eviique de Bor
deaux.
St Pavin, abbe dans le
Maine.
St Diclier, vulgairenienl Si
Gery, evi>que de Cabers.
16 Samedi. St Edme, eve-
que lie (^anlorbery. mot I
en 1241.
SI Enclier. evi>que de Lyon
17. Dinianchc. S. .Vgnan
eWi^que d'Orli^ans, niorl
vers 453.
SI Gr^goire Thauinalurge
evi>que de Neoeesan^e.
St Denis, eveque d'Alexati
drie.
StGregoire.evc^qnedeTours
St Ilugues, eveque de Lin-
coln en .\ngleierre.
18. Eiundi. Sle Aiide, veuve
niorle au 6« siecle.
SI Mantle, solitaire, mortau
7" siecle.
St Alpbee, Si Zacbee, St Ro-
main, StBarulas. marlyr-
St OJon, abbe de Cluni.
Sle Hilde, abiiesse en Angle
terre.
19. Ilardi.Slelilisabelh de
llongrie , veuve, morle
en 1231.
SI Ponlien, pape, marlyr.
Sl Barlaam, in iityr.
SI Patrocle, reclus en Berry.
St Jaques, ermile en Berry.
20 Slercredl. St Edmon-
droi, marlyr en 850.
St Oclave, soldal, marlyr en
286.
Sle Maxence, vierge el mar
tyre en Beaiivoisis.
SI Sylvestre, evOque dc CliJ-
I<||ls-sur-Sa(^ln■.
Si Beniwaril , ou Bernard ,
t'viNinede Hildesbeiui, en
b.'isse Saxe.
Si Felix dc Valiiis, colligf.e
de St .lean de Malha.
31. ileiidi. SI Cidombali,
abbe, moil en (>I5.
Stlleliador. marlyr eu Pani-
pbylie au 3' siecle.
St Gelase, pape.
33. Vendredi. Sle Ceeile,
vierge et martyre a Rome
en 230.
Si Philemon et Ste Apple.
23. Namcfli. St Clement,
pape, premier du nom ,
marlyr en 100.
SI Aiiiphiloqiie, eveque d'l-
eiiiie, en Lyeaonie.
SI Troii, priilrc.
St Daniel, evi^qtie au pays
de Galles.
3'1. nfmanelie. St Severin.
moine solitaire, mort ver>
.WO.
St Clirysogone , martyr a
Aquilce eu 304.
St Juste, c^v^que de Jerusa-
lem, mort au 2« siecle.
Sle Flore el Ste Marie, vier-
ges el marlyres en 851 .
SI Jean de la Croix, premier
earnie dechausse.
St Pourcain, ablte en Anver-
gne.
35. Ijnndi. Sle (^ilberine,
vierge marlyre.
Sle llildegiinde, vierge.
St Moyse et SI Maxinie, prf-
tres et martyrs.
3C. Mardi. Sle Genevieve
des Ardents, invoquee en
1120.
Sle Delphine ou Daupbine,
vierge, morle en 1366.
SteViclorine, inarlyreenArri-
que.
St Pierre, eveque d'Alcxaii-
drie, marlyr.
St Basle, erinite en Cham-
pagne.
St Conrad, ev^iiue de Con
stance.
St Nicoii. suruomme Mela-
noile.
St Sylvestre tiuz/.olini, abbe
d'Ossimo, insliluleur de
Sylveslrins.
37. Ilerrredi. SI Lin, pape.
marlyr a Hume en 78.
ANECDOTES
Si Vilal I'l SI Ayicule, mar-
tyrs vers oOl.
Si MaNiine, ov*iiue de Riez.
St Jacques rinlcrcis, iiuirljr
eii Perse.
Si Maharsapor, martyr en
Perse-
SI Eiiske, ermile. puis abbe
de Celte en Berry.
St Acaire, evCque de Noyon.
SI Virgile, enViue de Stras-
bourg.
88. Joudl. Sle OuiiMe, fein-
niedu seiialeur llilaire.
St filienne le Jenne, martyr.
SI .lacques de la Marclie, re-
ligieux de Sl-Fran^ois.
SB. Vendredi. St Salurnin,
Itremiei' evi-ipie de T(Hi-
lonse, martyr vers 251.
Si liadbod, ev jqned'Ulreclit.
St Brandon, ahlie en Irlande.
30. Nampdi.St Andri', ap6-
tre, martyr a I'atras en
09.
St Nars^s, e\^que, et ses
eompagnons, martyrs.
Si Sapnr, (ivi^qne de Betli-
Nietor; St Isaac, (ivfique
de Carclia; St Malian^s ,
Al)ral)ani et Simeon, mar-
tyrs.
StTugdual, vulgairement St
Tugal, evSqiie de Treguier
en Hrelagne.
St Trojan, evfquedeSaintes.
I,e premier jour ile ce mois de novembre est consiicre a la fete de tons les saints, vrais herns du moiide modenie.
(. Pvllia:;ore. rialon, Socvale, dit M. de Cliateauljriand, recommandent le eulle des saints, qu'ils apjiellenl des heros.
„ _ jlonore les heros pleins de boiHe el de lumiere, dit le premier dans ses Vers Doris. Et pour qu'on ne se ine])rcnne
<i pas a ce nom de hiros, llierocles I'inlerprete cxactemonl comme le chrislianisme e.\plique le nom de sainl. u Ces
n lieros pleins de bnnte et de linniere ])ens('nl loiijours ii leur Crealeur, el soni tout eclalants de la Uimiere qui rejoillit de
« la felicile dont ils jouissent en lui. » — El phis loin : «. Heros vientd'un motp'ec qui sistnifie amour, pour marqner que,
(( ideius d'aniour pour Dieu. les herns ne chcrcliont qu'it nous aider a passer do celte vie terrestre a unc vie divine, et
(I a devenir citoyens dii ciel. » Les Peres de I'Eiflise a]ipellent a leur tour les saiuls des Ac'ros : c'est ainsi qu'ils disent
0 que le bapleme est le sacerdoce des laiques, el i|iril fait de tons les Chretiens des rois el desprelrcs de Dieu.
c< Et, sans doiile, ce sonl des lieros, ces martyrs i[ui, domplnut les passions de leurs cceurs el bravant la mechancele
i< des honimcs, out meritc par ces Iravaux de nionler an rang des puissances celestes. Sacres morlels, (|hc I'Eglise de
i( Jesus-Christ nous commande d'houorer, voiis u'eliez ni des forts ui des puissauls entre les homines ! Niis snuveul dans
II la cabaue du panvi e, vous n'avez etalc aux yeux du monde que d"humbles jours et d'obscurs malheurs. N'enlendra-l-on
.1 jamais que des blasphemes contre uuc religion qui, deifianl Tindigence, rinforlunc, la simplicite el la verlu, a failtom-
i< her a leurs pieds la richesse. le honheur, la grandeur et le vice?
11 El qu'onl done de si odieux a la poesie ces solitaires de la Thcbaidc, avec leur baton blanc et leur habit de feuilles de
0 palmier? Les oiseaux du ciel les nourrissent, les lions du ciel porlenl leurs messages ou creusent leurs tombeaux en
u commerce familier avec les anges, ils remplissent de miracles les deserts on fill Memphis. 11 u'eb el Sinai, le Carmel
u.el le Liban, le lorrcnl de Cedrou el la vallee de Josaphat rcdisenl encore la gloire de I'liabilanl de la cellule el de
ic I'anachorele du rochcr. Les Muses aimcut a rever dans ces monastcres remplis des ombres d'Antoine, de Pacome, de
« Benoil, de Basile. Les premiers apolres prcchant I'Evangile aux premiers fideles dans les catacombes ou sous les daltiers
« de Belhanie, u'ont pas paru a Miclief-Ange el a Raphael des sujels si pen favorables an genie. El que dire de ces
11 bienfaiteurs de riuimanile qui fondercut les hopilaux et se vouereul ii la pauvrele, a la peste, a I'esclavage pour
II secourir des hommes? »
A ces eloquenles paroles nous ne pouvons rien ajouler.
Dans le numeroprochain, nous reproduirous les plnstoiichaules des narrations legendaires qui .se rapporleni anx .sainls
fetes jiendanl le mois de decembre.
ANECDOTES
DU TEMPS PRESENT.
Le temps, dans sa fuite, emporle une foulc d'avenlures,
de souvenirs et de fails cui'ieux qui ne demanderaienl qii'a
etre recuciUis, el qui ]iresque tons offriraient des lecons in-
slruclives jwur la religion ou pour la conduite [iratique de
la vie.
Les journaux el Icslivres se conlcnlenl trop sonveiit de
reproduire et de rei)aiidre les crimes et lesdi'saslresqui leiir
seinblenl de nature a piqiier le jilus vivemenl la curiosite.
(Juelquefois, le crime reel manquanl, ii leur arrive d'eu
invenler d'imagiuaires. Deux dangers nous paraissent re-
suller de cette coulume : d'abord le monde se )U'esenlc
a lui-memc sous des couleurs fausses ; il se croil [dus
mediant qu'iln'cst reellement ;ensuile rimitalioii dumalest
contagicuse. Les fictions chercheut la ineme espece d'inle-
rel et veiilenl faire naitre la memc emotion ; on ne tarde pas
a s'en lasser, et le palais blase des lecteurs ne trouve plus
lie saveiii's assez vinlentes pour lui plaire. La verite chni-
sie, la realite eludiee et bien comprise, vaudraicnt niieux
pour le plaisir el pour I'instruction.
Que de fails ciirieux le mois dernier a du voir s'accom-
plir I — pendant que nos vaisscaux bomliardaienl Tanger ;
— lorsqiic I'empereur avarc Abd-er-Rhaman reccvail au
fond de son palais, garde par deux mille negres, la non-
velle de la deslruclion de sou armee; — lorsqiie le gou-
verneur de I'lnde et le vainqueur des Affghans s'embar-
quail Irislement pour I'Angleterre , oij on le forcait de
revenir se perdre dans les rangs de la vie privee !
()ue d'anecJoles curieuses se perdent et .s'effeuillent
comme les roses du buissou sur le sentier sans que personne
eu jouisse. el que d'cnseignements dans ci's fails qui se
perdent! Nous recueillerons ici les plus aulhenliipies ; nous
n'iuvenleronset n'ajouternns rien; ils prouveni que le ro-
nian de la vie huniaine a sa moraliti' comme sa realite ;
qu'il est plus varie, plus bizarre, plus inleressanl que la
fiction des plus habiles ecrivaius.
IiA FORCE SU HEPENTIR.
11 vieni demourir dans la Lithuanie suedoisc un vieillard
I)U TEMl'S I'dESENT.
"eneralemeiU estiine, qui a laisse une fmlune ti'es-consiJe-
rablo, (lonl lorigine se rallaclie a dcs circonslances assez
bizarres.
Get liomiiio. vci-s I "60, olail ouvrier raiiioncur ct dans
un dcnumuiit complel ; pousse par la mist'i-e cl par les
inauvais conseils, il commit un mcurtre, accnmpagne dc
vol sur la persoiine assassiiire par lui.et]iour cc doujjlc
crime il ful condaninc a la peine capilale.
Lorsque, scion I'usage, I'arrel do morl, avec loules les
pieces du proccs, ful soumis au feu roi Fredcric-Guillaume,
CO prince ecrivil au ministre de la justice: « On conduira
le conUamne au lieu de son supplice, el la, en face dc I'e-
chafaud, un pretre I'exhnrlera a faire un acte dc contrition ;
s'il le fait, et si son repentir parait Idcu sincere, on lui
dira <|ucjc lui fais grace de la vie. Dansce cas, on lui ad-
niiiiistrera sur-le-champ trente co\ips de lialon sur le dos,
el ensuite on le conduira dans une maison de force oil il
restera cinq annees. en recevant, a cliaque anniversairc
du jour ipii aura ele Oxe pour son execution a mort, Irente
coups de baton. Apres I'expiration de ces cinq annees, on
me rendra coniple de la eonduite qu'il aura tenue el de
son etal moral. »
Le condamne ecoula avec le plus gr.nnd recueillemenl les
exhortations do recclesiastique, el il so montra si conlril el
.si repentant, qu'on le jugoa digne d'oblenir la commula-
lion de peine que le roi lui accordail.
Tendant los cinq annees qu'il passa dans la maison do
force, il tint une eonduite irreprocliable, el sur le rapport
qui en ful fail au roi, al'txpiration de eel espace de lemps,
S. M. ordonna qu'on le transferal a une maison de simple
detention pour cinq autres annees, en prcscrivant qu'au
boul de celles-ci on lui donnerail de nouveaux renseigne-
monts sur I'individu en question.
Cot liommc persevera dans la bonne voie, son amende-
nienl devinl complel. el a la fin des cinq annees de simple
emprisonnemenl. le rni le fit non-seulement mellrc en li-
berli'. mais S. M. lui donna une somme d'argent pour le
niellre ii menie de gagner.sa vie.
II en fit un bon usage ; il alia se fixer dans la Litbuanio
prussicnue, et il comnicnca un petit negoce. Grace a un tra-
vail, .i I'ordre el a I'economie, ses affaires prosperereni ;
il parvint bientot a I'aisance, el pen a pen il amassa une trcs-
grande forUino. doiil il fit le plus noble usage.
Et maintenanl que la mort vient de metlre un lerme a
ses jours, on a vu un rare et edifiant spectacle. Le meme
Immme qui, au debut de sa carriere, avail commis des
crimes aussi atroces que laches, enqiortail dans la lombo
les regrets, reslime el les benedictions de tons ceux qui I'.a-
vaienl connu. ( Gazette de Brime. )
IE DESESFERER D E RIEN,
tnnCATlD JEFFEBV DE I'LVMOUTn.
Kdouard Jeffory, fils d'un ancien commis chez M. Col-
lier,niarchand de bois do cliarpenlea Plymouth, setrouvant
en vacanri's chez son pore, oblint un jour do lui la per-
mission de monler .a bord du schooner VEbenczcr, com-
uiauilo par lo capitaine Little, el qui faisait rogulierement
lo cnnimorro el opcrait lo tran.sporl du charbon de terre
de riynioiuh a Schields, autre point de la cote. C'etait en
juin 1857, Edouard avail seize ans. II so promeltait un vif
plaisir de celle excursion, qui dcvait le ramener chez son
pere en moins de huit jours, el qui se lermina singulie-
remenl.
En vue d'Yarmoulh, lovent commenca ,i fraichir. et le
schooner, qui elait vieux, incapaMe de rosisler au gros
temps, alia se briser surun ecueil. On n'entendit plus par-
lor ni du jouno homme, ni du capitaine. La perte du vais-
seau ful annoncee dans lous les papiers publics; la fa-
millc pril le deuil, el plusieurs effets ayanl appartonu au
capitaine Little furenl recueillis sur divers points dc la
cole, ce qui ne laissa aucun doule dans les esprits.
En effet, I'equipage entier avail peri, .1 rexcoplion d'E-
douard el d'un petit mousse qui secramponneronl a un de-
bris d'ecoutille, el ballus des (lots pendant un jour entier,
furenl enfin recueillis par un vaisseau danois (pii allait aux
Indes. L'humanile du capitaine leur donna tons les soins
necessairos ; on les mil a terre au cap do Bonnc-Esperance,
oil Joffery, qui etailen train de faire ses eluiles, se mil au ser-
vice d'un marchand de vin du Cap, donl il tint les rogistres.
Mais, commeil desirait passionnementrovoir rAnglelerre,
il proflta du peu d'argent i|u'il avail gagno pour se faire
recevoir comme mousse a bord du Dauphin, donl le ca-
pitaine elait d'un caractere severe et dur. el qui elait en
parlance pour Portsmouth. Diverses affaires ot lo mauvais
temps relinrent ce dernier vaisseau dans le havre du Cap
pondanl une quinzaine de jours, et.Ieffery, ([ui, craignant
la durele de ce nouveau capitaine, voyail avec peine la
loi inexorable a laquello il allait elre soumis, lui demanda
la permission de resilier son engagement. II I'obtint et
passa a bord de la Fleche, qui se reHdail aux iles Falkland,
ii I'autre bout du monde. La parlio de plaisir d'Eiloiiard ne
devail pas s'arrotor la. La Fleche fut prise par les glaces;
la plupart de ses homnios pcrirenl du scorbut, et Jeffery,
recueilli par quelques Esquimaux, cpousa une jeune Esqui-
maue selon les rites du pays. EUe mourul six mois apres.
Cette situation, qui lui jdaisait pen, avail dure un an et
demi, quand I'arnvee d'un equipage amcricain lui donna
I'espoir cl la liberie d'echapper a la hutte enfumeo et aux
douze couvertures de peaux do rennes sous lesquelles il
grelotlait. Le vaisseau americain etail un negrier, qui du
sejour des glaces le conduisil en Afrique, des regions po-
laires aux regions Iropicales. Mais la profession lucrative
du nouveau capitaine avail ses dangers. Aborde par une
fregate anglaiso placee en observation a remboiicbure du
Niger, le negrier ful conduit aux Ac.ores oil on le jugea ; et
Edouard, qui avail fait la traile des negros avec I'Ameri-
cain, donna la cha.sso aux negriers avec le nouveau capi-
taine. Ce dernier opera deux captures lres-im]iortanles : Jof-
fery on eul sa part ; il s'etail montre actif, brave et eco-
nome;el apres hull ans et demi de voyages involonlaires
a Iravors le monde, possesseur de quelques inille livrcs
sterling, un peu change par I'intemperie de saisons, il rc-
vint a Plymouth, el elonna fort tons ses parents.
II y trouva .sa mere veuve, el visita le lendemain de son
arrivee un fort joli conotaphe qu'elle avail fait construiro
en son honnenr dans lo cimeliere, on face de la mor. Telle
est la singuliere histoire de ces vacancos de hull amices
les phis longnes assurement el les plus oragousos donl au-
cun jeune bomme ait fait roxporience, et qui aienl succede
a I'annee studieuse d'un ecolier. ( Times.}
AA'KCnOTES
LE PRISONNIER S'DNi: BOMBS.
Au dernier siege iriine pelile villc de Circnssie, que Ics
Uusses ont jirisc, ct doiit la rniilure a vcni;c' leurs defaites
precedenles , on trouva six feninies enfennees el niorles
dans une cave, dcvanl lai|uellc les debris des forlilicalions
avnienl elevij une snrte d'inex|iugnalile rempart. Ccllc
avenlnre, pnldiee par les jonrnaus rnsscs, rappelle une
circonslance analogue revelee paries jonrnaux alleniands,
qui puUierenl. il y a pen de temps, le journal singulier-du
Pnsonnier d'linc bombc. Nous laisserons parler le lieros
lui-menie :
.1 J'etaisa Manheim . maladc de la goiilte el d'une fievrc
II reirlee, (]ui m'enlevail loule jmiissanee de la vie, pendant
« que I'armee repnldicaine investissait Manheim. Le lioni-
« bardemenl eomuR'nea. lie Inus coles, les habitants cher-
« cherent un ahri contre la redoutalile habilele des inge-
(. nieurs frnneais. Kon-senlement lenrs bombes rrevaienl
i< les ediliees, mais leurs batteries en ricochet prenaienl
« les rues en enfilades , el Ton ne pouvait trnuver de surele
1. eontre lenrs alteinles que dans les eaves des niaisons.
(I r.'est la ijne presque Ions les lialiitants elablirent lenr do-
« micilc, confiants dans rarchitecture solide des soulerrains
(( (|ui devaient resister ail choc de la bnmbe, amortie dejii
u parson passage a Iravers les elages superieurs. J'habilais
u line rue large el droile, souvent balayee par la milraille
u enneraie. C'laml le danger me pariit urgent, je fis porler
u dans la cave nn malelas on deux, avcc des aliments, de
el j y I'lablis muii du-
■ la Ininieie , (|iieb|iies livri;
1 inicile
u II y asaildeiix cavcaux pralii|ues anx deux exlremiles
c d'un passage voule. J'occnpais I'nn ; I'aulre etait iia-
I bile par deux servanles. An milieu du passage, un esca-
1 lier iDnrnaiil inuntait a la cuisine. Un jeiine domesliqne .
I nomine Ernest, age de treize a quatorze aiis, allait de
1 I'nn des cavcaux a rautre, et souvent ennuye de son ha-
c bitation sonterraine, metlait le nez dans la rue, et reve-
I nait nous dire quelle niaison la milraille achevait de de-
c molir.
« Heux semaines so passerenl ainsi. Un .jour, il nuns
1 sembla que le feu des assiegeants rednublait d'aclivile,
< et que eeluides assieges lenr repnndail.
« Aiilonr et an-dessus de moi, je senlais la lerre Irem-
ibler; il elnil evident qn'nne allaipie decisive allait avoir
(lien. Ma lievre avail redouble. Dans nn tel moment,
( c'cst une angoissc inexprimable d'etre prive de lout
I nioycn d'adinn on de defense. Tantol elendn sur le nia-
i telas, tantol soutenu par des coussins, je pretais Torcillea
I tons les bruits terribles du dehors, lorsi|ue , vers dix
;< benres du matin , Ernest , cnlr'oiivrant la porle du ca-
1 veau. medit : .le vais voir nn pen ceqnesignifie tonl ce
:i bruil-hi.
a Je lie pus liii rep'ondre ; mais n peiui^ avait-il qnillc Ic
I seuil, un fracas, nn briscment, un dechirement epou-
< vanlable , fiapperenl mon oreille , et ji^ fus tonl a coup
« entonre d'un epais nuage de fumee ct de (lonssiere. Des
« ipie ce nuage se dissipa, j'apercus la bonibi' qui I'avail
'i|*l|l
« cause , et qui cclaln dans toutes les directions , sans que
n ses fragments m'nltcignisscnt. Presque aussitol le mcine
<i bruit serepiila; loute ma porle ful obslruce de debris ct
B de materiaux confiis; c'elait une seconde bomhe qui
(c etait toinbee precisement par I'esculier. et qui avail ache-
0 vc de m'enfei'mer dons le sonterrain.
u La cnnonnadc ciinliniiail a I'exlericui' .I'l'lais ilans une
0 obscurile iirnfiuide, ct nic trainant de mon inieux vers la
,. porle, dans Tcsperance de relrouvcr un briquet, des al-
V Inmctles et des provisions, deposees dans une cavite du
u nmr, je fus arrete par une veritable muraille de ruines
(. entassees. Je me rcjelai sur mon lit, agonisant de descs-
■• pnir. Dansle lumulte d'un siege, comment csperer que
.. I'liM se snuvieiiilra do moi ' 'I'nulc I'borrenr de ma silua-
11 f TliMl'S rilliSENT.
. lion se ini'sfiUail a ma |ii'iisee, tl ,ji' MniUiis iiiuii cCL'ur
1 ilOfaillir. J(.' me rniqidai i|u'iunli'ijiis ilo piiTre u I'usilrlail
I {l('|iose sui' line plaiiche auiircs tic moii lil.Ji' lecliercliai,
I Ic Iroiivai, el jt' parviiis, en decliiraiU le dra|i lie moii 111.
I ii allumerim lioul Je chanclclk' (|ui elaila cole. Lameelic,
1 qui sc coiisumail lenlemeiil, me seiiiblail consmiier ma
1 vie ; je la suivais de I'teil, et la dcruiere iial|iilalion de sa
I llammc Iraversa moii cceur commc uiie Heche. Je |ilourais
• comme line femmc, an fond de mon caveau, invisiiile <'l
t noir , destine a i'lre ma lombe. Je sentais la faiin apiJi-ii-
( (her, el a|UTs la faim la mod. J'cnlendis de n<mvcanx
< ehonlemenls ; le canon, si eelalanl lout a I'hem-e, ne ren-
. dail I Ins (pi'un hrull sourd , connne si des mnnlai,'nes ih'
' (Icliris ensseni ele plncecs enire le monde el moi.
" Je ne coTiiplais plus les hemes ; les ininnles elaienl des
' sieeles. .Ma faims'apaisail, ou plnlolje nela seiilais plus,
' lanl le llnx el le ieDu\ des espeiances cl des Icrrein's
' m'nccupaienl el m'ahsoi'haicnt, Ji' ine mis a parcourii' dans
. Ions les sens, iigenoux, ma caverne etmon lomlieau; nia
' main, en cherelianl ainsi, renconlia deux cioules de pain
< dessechees qui elaienl lomhees presdu malelas, ct donl
' je m'emijaiai avec empressemenl. II y avail encore un
I pen d'eau dans nne cruche ; a peine osais-je huniecler
< mes levres. J'elais avare de mes ressoiirces. Je eherchai
• an loin queli|uc dehris : rien.
u 11 1'allail niourir.
" JIais , me dis-je alors, snis-je |ilus malheureux (Hic tons
• ces soldals qui lomhenl snr les remparls, on sous les
' remparls, a deux pas de moi, muliles, tortures, fonles
' aux pieds? Je mourrai dnncement, comnie celle lu-
I miere qui vlenl d'cxpirer. Elje me rejelai sur Ic ma-
. lelas.
« .Mors , j'eprouvai nne sensation de vide, comme si je
I me fusse Irouvii nial; mes yeux me faisaienl souffrir ;
II mes paupieres Iremlilaient ; relourdissement cl la lan-
' sucur se confondaienl; j'eprouvais le hesoin de dorniir.
II .Mes yeux se ferniaienl; puis, an lieu de repos, c'elail nne
« succession faulasmagorique el hizarre de visions elrani,'es
a qni s'emparerenl de mon cerveaii. Je me rappellc parl'ai-
11 lemcnl ces hallucinalions alroces. Je m'asseyais devanl
ic une lahle splendide ; des plats succulcnls elaienl devanl
I moi. J'elendais la main ; lout disparaissail , e.xceple un
:< ranlome, quicnfoncait dans ma poilrinc des ongles aigus.
K Ensuile nne ile delicieuse, couverte de fruits eclalanls
II au soleil , mc conviait a les gouler. Ma dent s'enfoin'ait
» dans Icnrs pulpes savoureuses; ce n'elait que cendre.
« Les sources coulaient el mnrmnraienl aulour de moi. Si
u I'eau linqiide louchail mes levres, ellese transfornnilen
« sanc;, el le sang etait amer.
II Tiiules les especes de tortures dechiraienl mes en-
II Iraillcs; lanlot, des pincesardenles,ou des lenaillesace-
I' rees , ou des coups de marleau repeles, ou des morsures
u envenimees , ou des douleurs sourdes et rongeanles, ou
!• des coups de lancellcs reilerecs, se succedaient .sans in-
I' lerruplion, el perdaienl enfln de leur iutensile par lenr
0 frequence meme. Je voulais vaincre la souflVance par la
" force de la volonl.r, j'y parvins nn moment- La douleur
" cessail-elle un moment, aussilol reparaissaient les visions
IC el les fantomes; mais si reels, mais tellemenl horribles,
II (|»e, parmi les evenemenls de ma vie, ancune ne m'a
II laisse de souvenir plus puissant et plus profond.
II Lean de ma cruche, i|noique versee gonlle a goulle.
" liiiil p.Tr se larir. (> fnl une phase unuvelh' ile mon asfo-
II nie : lessupplices cesserenl. Je mcsouviensparfaitement
" que la douleiu' cessa lonl a coup ; je devins faihie, tres-
II I'ailde. J'avais froid; tous mes memhres se glacerenl ; je
II frissonnais de temps en lemps : mon esprit etait plus uel;
II je ne sentais plus mon corps ; tout s'elail refugie dans le
II cerveau. Qnelqnefois, une vision effroyahle reparaissail,
11 et je la regardais, pour ainsi dire, en face : ma pensee la
11 donq)(ail. 11 me semhlait que mes enlrailles s'elaient re-
II duites, recroquevillees el comnie pelriBees. Meselourdisse-
11 menlsaugmentaient, ainsi que mes faihlesses.Jene pouvais
« plussoulever les paupieres. J'essayaisde mordre mon bras,
II maisje n'avais de force, nidaus les muscles pour le soule-
II ver, ni dans la m.ichoire pour faire penelrer la dent. Je
'I peiisais encore, mais nou avec des paroles; j'avais ouhlie
•I les nmts; je n'avais plus quedesidees, eti|uand j'essayai
II de ]nier, ce ful une ejaculation meutale , non une pi'iere.
II l]nlin, un grand repos sembla venir el m'annonea la mort ;
11 j'elais nn cadavre qui pensait. llicn ne m'inquielail ]dus;
« je n'esperais, je ne craignais rien.Comhieu ile lemps res-
II tai-je dans eel etal? Je I'iguore.
« Quandje m'eveillai, mes sonffrances furent aigues, el
II j'ai la plus grande peine ii me rappeler aujonrd'lmi ce qni
u se (lassa aulour de moi pendant deux ou trois jours ; des
II figures iuconnues se penchaicnt sur moi. Une profonde
II lassitiule m'accablait ; ma charpenle o.sseuse s'elail
11 comme affaissee sur elle-meme. Moi , qui ai pres de six
11 pieds de haul, et donl la carrure est proiiorlionnec ^
o celle hauteur, j'elais replic sur moi-meme, elje n'avais
11 jias qualrc pieds de haul; la peau s'elail collce sur ses
II jointures. (Juand il me fallait tircr de mon lit, nn enfant
II me porlait facilemcnt , lanl je pesais pcu. JIa convales-
ii cencc I'ut longue, el j'appris, enfm, que je devais mon
ii salula deux Francais.
11 Un capitaine d'arlillerie avail rencontre dans la rue le
(1 petit Ernest, cc fldelegarcon, qni lui avail appris I'cve-
11 ncinent donl j'cLais viclime, el qui I'avait suppliede ve-
il nir me delivrer : deux bombes. de Ircize pnnces de dia-
II metre chacnnc. elaienl lomhees coup sur coup |ires du
ii-ji'une homme an moment on il sorlait du caveau, el
" avaient obstrue de decombres renlrcc de mon asile. J'y
" avals passe neuf jours sans nourriture. I'lusieurs siddals
II furent employes a me dcterrer de celle lombe vivante.
II Un Francais ni'avait arrache a la mort, nn chirurgien
II fraiHjais me rendil la vie. 11 neme reste plus aujourd'hui
II de celle rude qireuve qu'un souvenir qni me fail encore
(I trembler. Quandje souffre de I'estomac, onquej'eprouve
11 lui monvement de fievre , les reves du caveau se repri'-
« scnlenl a mon esprit avec une vive et une epiiuva[ilabh;
II realite. »
IX FATSAM MAROCAIN.
II y a dans les monlagnes du .Maroc, ainsi que dans le
Maroc meme, ii Tanger ou a Tunis, beaucoup plus d'es-
ilaves blancs el chreliens qu'on ne le pense- Ce sonl pres-
que lous des malclots naufrages ou des ]]echeurs de I'ar-
chipel des Canaries. Leur sort est effroyable, el les trai-
lemenls que nos planleurs font subir a leurs negres ne
sonl rien aupres de ceux que les Chretiens caplifs endn-
renl .i l.aous et iiOuad-Nonn. Ces deux points dela roll'
soni hi'mn'liquernenl fernies aux recherehes el aux oh-
« AN'KC
sci-valionsdcsEuropeeiis. Nous dt'voiis los iloloils suivaiils
.i 1111 fnlii-ioaiildc colon (If Livi'i'iiool, qui, ayanl fail uau-
IVagc sur Ics coles dcs ilcs Canaries, ct rocucilli par la
liienfaisaucc dc (|iicl(iues |iauvres iicclicurs de ccs ilcs,
avail (Ml la inalcnconlrcusc ld('C dc s'eniban|uer ensuilc
avcc ciix cl (Ic |Kirla^cr Icur panic dc p(!>clic. Caplurc avcc
Ics p(!'cliciirs par un hriganlin l)arl)arcs(|nc, il ful coiiduil a
T(;luan, el ne parviiit (|iic par line sorle de miracle a s'e-
chappcr sous Ic noni cl le cnslume d'une vieille fcmnic
more; ils'i!'lailjaunilafi;;uiT loul cxpiTsavcc du licniK-fl ),
ct, reveiiu dans son pays, il conslilua un foods, placi? cu
ronlcs dcsliiii'cs au radial dcs caplifs anglais. Mais c'csl
<>ii vain ((ue les capilaux s'accuinulenl, pcrsonne n'a dc
rapports aclil's ct conslanls avcc les barbarcs, el les vic-
limcs rcstenl souinisesa la longiic lorlurc donlnous avons
parlij. Lesarincsfrancaiscs ct cbrt'ticnues sont n(;cessaires
pour purifier ces nids de vautours, el c'csl ici (|ue la ci-
vilisation, pour achever son ceuvre, abcsoindc la violence
pl de la guerre.
L'cmpereur, me disait ce voyageur, vole lout ce qu'il
pent : il doune rexemple a scs sujels, et si ces derniers
I'imitent el qiril le sache, il les vole a .son tour sous prii-
texle de les punir. Le vieux sultan a dcs emissaires ipii
parcourent les campagnes, et reviennent lui, apprendre
quelles sont les persnnnes i|ui possi'.dent de beaux chcvaux,
de belles amies, de beaux mcublcs. On commence parmellrc
le propriijlairc a la lorture, puis on fail une razzia g('-
neralc de ses pi'opn(il(}s. Lcsgouverneurs des villesimitenl
leur chef : lis lanconnenl le pcnple dont ils envoicnl
les di^pouilles au inaitre, cl si leur Iribul parail .sufDsant, on
Icur pcniict de prendre unc pclile part du pillage.
Un pauvi'c paysan ayant Irouvi; un pot de lene dans
sou champ remporla cliez lui et s'en servit pour ses
usages domesliqucs. Ses voisins, pcrsuadijs qu'il avail di;-
couverl un iresor, ra|iportcrenl le fait au goiiverneur, (|ui
reclama, au nom dc rcmpereur, le Iresor prelendu. Le
pauvre homme rcpondil qn'il ne savait ce que cela vou-
lait dire, l.a lorlurc, un long emprisonncmcnl ne purent
vaincie eel obslinii silence; sa femme mourut dc douleur,
la licvre le consuma. cl, quand il se vit accablc par la ma-
ladie el le dcscspoir, il dcclara que, si Ton voulail le rc-
conduire a sa cabane, illivrerail son trcsor.
(( Bien ! s'ecria le gguvcrncur. Je le savais. Que deux
« gardes se cliargent de raccompagiicr. »
Arrive ii I'entrce de sa cabane, oii les soldats n'avaient
pas le droit de pcnclrer, il y renconlrases deux petits eii-
fanls, qui se craniponncrcnl ii scs gcnoux. II les embrassa
gravemcnt, cnlra ct ressorlit armc d'uii long fusil, dont il
placa le canon dans sa bouclic.
" liounez cela au gouvcnieur ! » s'ccria-l-il en faisanl
parlir la d(!'ICMlc.
IJuand les soldals rapporlcrcnt son cadavre, le goiivci-
ncursc conlenta dedire :
u Ccl lioninie avail menli, (|u'Allali lui pardoime 1 »
L'liistoire du Maroc est un lissu de crimes lellcmcnl
epouvanlables, i|ue rinteret dramalicpie, ordinaiicmcnt at-
tache a CCS sortcs d'emolions, se perd ct s'cvanouil par
I'exces mcine dcs alrocites dont ce pays est le lh(!',ilrc dc-
puis un temps immemorial. Sur cesc6lc.< barbarcs, resser-
rt'cs ciilrc Ics in inlagiics el I'Dd'an , placccs cnlrc unc
(I) Sllbslaiir.c quo les ft'innirs nricniiili's rninluiniil ii tcimiio ril J.tllnr
Ics cils lie lours paiipi^i-cs.
DOTKS
nicrdc sable cl iiii solcil dc feu, loul est violeul cl cxlrciuc :
on ne connail dc la sensualile que I'ivrcsse, de la religimi
que le fanalismi', de la guerre ((uc le carnage, du commerce
que la rapacile. (Juand vienncnl les epoques de revolu-
tion, il .se fait coiiime une exhibition gcncrale de tonics
les furcurs du pays, et c'est alors que les teles cousues
dans dcs sac- ou donees sur les murs dc la ville, cpou-
vanlcnl par leur iiombrc ct leur liideux spectacle les par-
lisans du monarque decliu. En fail d'invcnlion de supplires
raflincs, aucuii pcuple n'a etc aussi loin : on coupe les
pieds, les mains, les seins, les oreilles; on coud dans un
niC'ine sac la mere cl le Ills, cl la iner cl les lleuves cii-
gloulissenl des centaincs de malhcurcux. (1ii les encliaini^
dos a dos ct on Ics frolic de mid el d'huili' pour que les
pii[iires dcs insectes rcndcnl Icur morl plus horrible. On
bri'ile ii pclit feu ; I'acicr deconpe les chairs |ialpilaiilcs el
souleve les |icaux sanglantcs. Ccs Africains soul accoulu-
m(!s li de Ids speclaclcs ct ii dc Idles soutfranccs ; sou-
vent le patient fume sa pipe, ciifoncc dans la terrejus-
qu'ii la tele, pendant que la garde noire de rcmpereur
fait de celtc tele menie el dc cetlc pipe le but dc son ef-
froyable adresse.
Voilii ce que le calholicisme csl prcdeslinc a dclruirc,
unc fois que nos amies auront implanle en Afriipie la
civilisation chrelienne. D'un terrain fertile ce people ne
lire aucun parli. Des coles les plus riches en vigiie, on ne
sail exiraire aucun vin ; dcces rivages maritimesqui poiir-
raicut faire I'c commerce du nionde cnlier, on n'a profili'
que pour lanr.onner de temps ii autre (piclc|ue puissance
asscz faible pour ccdcr .a la Icrrcur.
Ce sera une cpoquc lieurcuse pour la civilisation, que
cdlc oil I'Europc chrelienne penelrera en Afrique, el
corrigera, par son excmple cl par ses lois, la ferocilc,
I'avidilc, Ics passions basses et ignobles qui jusqu'ici oiil
souille Ics rives occidenlales de celtc parliedu mondc.
liicn de miciix noiumc clde plus digue dc leur nom que
le.s lilals barbarcfques. Onlcs jugerait Irop favorablemcnl,
d'apresrexem|ilcd'Alger, la plusciviliscedc ccs villcsma-
rilimes, cl qui, ccpendaut. donnetant dc peine auxmissiou-
nairesde la civilisalion europecnne. Plus on approchedcs
regions pndiibccs aux Europeens, plu< le dcspolisme. la
rapacitci, la violence se font sentir d'une maniere doiilou-
reusc, plus on geinil sur le dcslin dc riiumanilc qui ,
soumise ii la religion de Mahomet, n'a pas pu encore
expulser lanl de llcanx. Tanger, Tunis el le Maroc soul
suuniis il la lui de fer d'une tyrannic avide cl sans coii-
trole. La ferocilc des Iribus des monlagnes n'estcontenue
((ue par celle dcs empcreurs, ct la jiopiilacc dcs villes
metlrait en pieces I'empereur etses troupes, si unc armce
de negres, loujoiirs ii moilie ivrcs, ne defcndait leur propre
vie en defendant celle de rcmpereur. La facililc de la de-
fense, les dangers du dimat, rcxcdlente fortification na-
lurclle que presenli'ul, d'nn cote la mcr, d'un aulrc, les
monlagnes ; le pen dc liesoins conlractes par ces hahitanis
faroiichcs d'un sol fertile, exposes ii un soldi brulanl, out
favorisc le progres de ccs populations vers la barbaric;
dies n'oiil gucre de la civilisation (|nc deux vices, la luxiirn
cl la cupidilc. Quant ii I'avidc duplicite et ii la ruse, dies
leur soul communes avcc Ionics les races sauvages. Cepen-
danl les llomains, ii I'epoquc oii ils daienl les chefs de la
civilisaliiin, ont fail dc celtc region rcdonlable un centre
et un foyer de Ininieic. Carlbiigc chrelienne, sons leiirs
lois. iiu lieu d'clrcbriilalc cl iiiinldligcnle, prodiiisil saini
l)i: TEMl'S
Auguslin cl saiiU Cyin-ien. Cosl an clirislianisme do ciiii-
linuer, en raitrniulissnnt, roeuvro i-oniaine. L'avonir ilin
1(116 riionncur ir.ivnir fraye cede voic .i la civilisation (In
ilix-nenvicmo sieclc Pl d'avoir verse le sang de ses fits dans
re sillon ('niinemmenl rhrclien apparlienl a la Franee
f Voyages rrrents dnns le Marnr. '
LSgON COMMEHCIAI.E ,
or
IK IHM.KI! n'ETIlK Tnni' MMIM.F..
II nv a |ias six mnis (|u'une pelile liouliiine olisi'iire sc
rachail dans line dps rues Ics plus soinlires dii rpiarlier
|iauvrc de Berlin. Elle etait haliilee par un maixliand
iiomme Lewald, qui n"avait ni fenime ni enfanls, dont le
rosUime elail plus que simple, el ([ui vendait loule espcce
de ciiriwiles, de Inic-a-lirac, de Iriperies el de debris. 11
elail inslruil, avail ele eleve .1 1'universile de Wirlemijerg,
el Y avail connn un juiC dVxtractinn americaine nomine
.Vhraham Lee, qui avail exerce I'lisiire el s'elail enriclii.
De lemps en lenips. Lee venait rendre visile .i son anei.'n
camarade, el cliercliait si parmi les vieiUeries doni la Imii-
lique elail pncombn'e, ne selrouvaieni pas(|ueli|ues nlijels
precieux i|n'il ponrrait y acheter a linn marelie. Lewald le
devinail el le laissail faire. C'etail iin original qui rachail
sa vie elconnaissail les homines. Uii jour Alirahain guigna
de I'CEil, dans un coin, derriere le i oinploir line nielle
magnifique, mais noircie par le temps el legerenient alli'-
ree. Les niellcs. comme on le sail, snnl une espece de gra-
vure noire sur argent el snr or. dans laquelle exeellaienl
les orfevres llorentins du liean siecle. et qui faisaienl les
del ices des Medicis el des Rnigias. Hien de pins rare dans
le commerce el rien de plus cher que ces nielles qui s'ele-
venl quelquefois ii un priv rliimeriqne. Abraham ne don-
lail pas que le hasard n'ei'il jele ce Iresor sons la main de
son bizarre ami.
« Coinbien cc vienx gobelel. Iiii demanda-l-il; qu'esl-ie
que vous failes de cela?
— IjCla peul encore servir, repondil Lewald en prenanl
un air fin ; il suflil d'enlever avec un peu d'emeri res traces
noires el de neltoyer le gobelet Qii'est-ce que vous m'en
donnerez ?
— Jc n'cii fcrai jamais rien; mais je vous en dnnnerai
bien deux thalers.
— Cost bien bon marehe, reprit Lewald, mais enfinj'y
ronsens. El d'oii venez-vous comme cela si matin?
— J'ai deja fait de bonnes affaires, reprit Abraham en
s'cmparant dii golielel d'argent, el en cninptantles tlialers
sur la table de sou ami. J'ai mis dedans trois persoiiiies :
le petit comte liongrois Speran.ski, auquel j'ai fail signer
line traile de 3,000 fr. ; un niarchand de chevaux ; — el
vous, qui venez Ji.' me donuer une valeur de 2,000 fr. pour
deux thalers. u
LewalJ elail liaiiquillement occnpe a cssuyer un vieii.v
Mldeau, et ne leva pas la tele.
« Abraham, lui dil-il, je le savais parfaiteincnt bien, e;
je vais vous faire radcan de re lableaii-ci. qui est une eopie
de Cuip. et que vous donnerez farilemeni pour iin original .
si vous viiiilez IMC pi'oiMi'lhv lie III' jamais iiii-llr.> Ir pin!
dans ma biniliqiie.
I'UKSENT. »
Si cela vous arrive, vous me payere/. le Ciiip .".IKMI rraiirs,
entendcz-vnus! »
El il le mil a la porle par les epaiiles.
Abraham s'en alia en riant, einportanl son linlin. (Jiiinze
ans se passerenl. Abraham repariit et eiilr'ouvril la pelile
porle lie la boutique, qui elail restee absolumenl dans le
meine elat. lies que Lewald, cpii elail aiissi le meiue pi'lil
hommc sec qiraiiparavaiit. I'apert'Ut :
II I'ayez-moi 5.011!) francs, liii dil-il. \ nll^ iiiiiipcz voire
engagement
— till! r.qu-il raiiire, je snis lout a fail paiivre : je iiai
I'll quo du malhenr depuis que jc ne vous ai vii.
— Vous sorez lonjonrs panvre, lui dii le uiereier bro-
eanlenr. Cost celte malheureuse habitude de motlrp les
aiitres dedans qui voiis y a mis a la fin el qui vous y lais-
sera. Allez-voiis-en. »
A la mnrtde Lewald, arriveele-iiiaout I8'(4. eel homine,
qui avail vecu de pain eld'ean, laissail par lestament une
somme d'onvimn 14,000 louis aux diverses iustilulions
charilables de rAllemagne. 11 avail mis a jirofil .ses eoii-
naissauces arlistiques, el la rage nioderne pour les nieii-
bles de la renaissanreel du moyi n age; — faisant aclieler
dans les viens chateaux et les mannirs de Suisse et d'llalie.
Ions les di''liris precieux anvqnels les heriliers altachaienl
peu d'imporlanre. II les reveitdait avec d'enormes bene-
fices, accuiiiiilail son capital el en ciinsaerait rinteret a
faire plnsieiirs pensions .secretes a de vieilles gens qui de-
meuraient a Rerliii. Ces pensions, par son ordre, leiir fii-
renl conliiiiii'es apres sa morl. Tels soul les effets extraor-
dinaires et cerlainsde la persi'vorance. dela probile stride
et do reeonomie. i Winter Tftsclifnbttrh.)
LXS GUEUX MAGNIFIQUES,
VIVI:R n\>S I,\ Sfl.F.Miri'R S\NS .MOVERS .MipATENTS.
I.I' niiiili' Piiil.VAJ. — Le fOilllL' (11' Ul :illllli<illl — Ri'SII-WiImih. — S.i.nl
CiTiiiain. — Caslnisli'.i. — Ri'illy.
II II vient de mourir a Prague, dii un journal ilalicn ,
un homme singulier, connu sous le nom italicn de eomle
Panezza, el sur leqiiol la police autricliicnne n'a pas cossii
d'avoir I'o^il saus pouvoir jamais, ni decouvrir ses moyens
d'existence, ni lui imputer un fait conpablo ou criminel. Sa
pretention elail de posseder la jiierrc ]ihilosopliale ; il sa-
vail plusieurs langues, surtoul les laiigucs du Midi, qu'il
parlait avec la plusgrande purelii. Son liabitation ordinaire
ctail une cliaumiere fort simjilc, avec un petit jardiu, pics
de la porle orientale de Prague. Lii, les premiers nobles du
royaume venaient visiter son atelier de chinii.slo, el assis-
ter :i des experiences d'electricile et de magnetismij fort ru-
rienscs. 11 cansait agreablemenl, parlait des rois d'Eiirope
el des prinripaux jiersonnages , de lours cours, couime s'il
avail ele adiiiis dans lour inlimile , el raconlait avec esprit
les anecdotes les plus piquanlos el les plus seereles. (In no
lui counaissail ainune source de revenu, ccpcndanl il fai-
sait de grandes depenses, achelail des diamauls qu'il con-
sacrail a ses experiences , el ne contraclail aucuiie delle.
Celte pxislence niyslerieiise a la fin et opiilenle. III soup-
coniicr qiiuii but poliliijuc pouvait no pas rire (jlraugcro a
2
Id
AM'CllOiKS III IKMI'S I'UKSIiNI',
Mill si'jntir fii Itnlu'iiic , I't SI'S U'liiliuns I'miiilu'res avi'c
liliisiiMii-s iiiilili's Rcilu'iiiicns tloiiiu'rcnl iiiielc|iic' consislaiice
;i CCS si)n|K;oiis. I.ps desccnlos que lii police 111 rlicz liii plu-
siiMirs fois |>oiiilnnt In nuit iriiiiicnci'onl irniilrc ri'sullatiim'
In capliiiT il'iiii lion [irivi', ilonl il avail, comnio Van Ani-
luirg, domplo le caraclere snuvaifo el civilise la ferocilc. 11
s'occiipail lieaucoup d'optiquc el de fanlasniaijorie ; el
I'cunissail qiieliiuel'iiis les paysaiis des environs, que ses
evoealions ningiijues peisiindaicnl de sa science de sorcier
el de necronianl. II esl moil, en Janvier 1844. laissanl sa
lielile inaisnn .i son jardinier , seul doinesliqne ipi'il adiiiil
pies de liii. et deux jjros dons snr sa lalde de nuil. l.e nio-
hilierde la clianniieie, d'une ijrande niafjnilicence, el com-
pose d'crnvres d'arl Ires-precienses, la pliiparl de I'epoipie
de la renaissance, ful dislriliue par Ini an\ nobles cpiil
avail connns; elpersonne n'a pn iienelrer encore le secret
de la splendeiir el de la rorliinc caclicc de eel aldiiniisle
nioderne.
He n'esl pas la un exeniple isole. Hans les c.ipilales popu-
leuses. il n'esl pas rai'e de h'ouver de pari'ils Ik'm'os, tpi'ils
sc plaisent a cadier la source de la ridiesse, doni ils dis-
posenl , soil que I'adrcsse el la ruse fassenl tondjer enlrc
leurs mains I'argeul des liommcs credules. I'armi les plus
remarqnables personnap;es de ce ^'cnre, nous cilerous le
couile de SainKlerniain , (laglioslro, le Bean-Wilsou,
O'heilly el le comte de Gramnionl.
Cnnslammenl enloures du luxe le plus elourdissanl. vivanl
de pair avec les puissants el les riches, ils n'avaieuL ccpen-
dnnt ni rcssources avouees, ni profession connue.
On expliquerait sans Irop de jieine I'eclal dont s'envi-
ronua le couile de (!rautmonl a la eour de Charles, roi
d'AngleleiTe..loueuiinlrepide,ceeoui'l'san,liannide France,
qui vivail dans le jilus grand slyle, apparli-nail a une cxcel-
lenlc fauiille, Men posee en eour, cl Ton pourrnit supposer
que ses perles considerables au jeu elaienl reparees par les
generosites dc ses parents. Un eseniple plus remarquable
encore est celui de Beau-iVilson, qui vivait avec anlant de
splcndeur que le conite de Grammont, et qui n'avail ni nn
maravedis au soleil, ni une noble faniille pour le soulenir.
II deiiuta par la carriere des amies, on il nc brilla guere.
II sc conqmrta avec une Idle lachele, qu'il fnl oblige de
donucr sa demission, el fnl rednit ,alors a un lei etal de
pauvrele, que, ponr retourner en Angleterre, il emprunta
40 francs. Depuis eel inslanl. I'hisloire de Wilson se perd
dans un nuage, jnscpi'a I'epoipir on il reparail a Londres
conime la plus brillanle, la pins eclalanlc etnile ile la haute
fashion. Son hotel elait magniliipie, et une longne file de
laquais allcndaienl ses ordres ; ses equipages eclipsaienl
ceux des seigneurs ; les clievaux de race, les plus belles
meiiles garnissaient ses royales ecuries ; son costume eda-
lant de fraicheur el de grace, ses diners, ses reunions, exci-
laient I'admiration de Londres, el suscitaienlau plus haul
point I'ardenle euriosilc qui faisaicnt rechereher la source
d'une Idle richesse. La premiere conjeclure (|ui se prcsen-
lait a I'esprit elait (pi'il jonait ; mais Wilson ne joiiail pas. En
vain cpiail-on ses acles et ses paroles; en vain la plus mi-
iiulicuse investigation s'atlacba-t-elle a sa vie privee,\Vil.son
echappail a touteslcs recherches ; il dudail loutes les diffi-
ciilles. Rien, loulefois, ne semblait mystere dans sa con-
duile ; au coutraire, il elail franc el ouvert, elait accessible
a lout le monde et vivail au grand jour. (In ue pouvail done
riiccuser d'etre alcbimiste ou faux monnaycur, car il faul
.ijouler qu'il enl .'i se defendre conlre des gens qui ne trou-
vaieut plus d'auire supposition a iaire que celle-la. Mille
recils plus invraisemblaldes les uns que les aulres amassaienl
sur sa tete la colore du pcuple. (Jnelipies-uns prdendaienl
i|u'etanl au service, en Flandre, il avail vole a nn lloUandais
une immense valeur en diamanLs, el quoiqu'nn autre indi-
vidn cut ele execute ponr ce crime, le vulgairc adopla cetle
version; d'aulres pretendaient qu'il dail sonlrun par des
usuriers, auxcpiels il servail d'inlermediaire avee la noblesse.
Enfiu CCS bruits prirenl une telle consislance, que Wilson
crni devoir y metlre uii Icrme ; malbeureusenient cetle
resolution cut un resullal Iragiqne. ,\yant demande raison
d'une lb' ces rumenrs iiiiniieiisi's an celelire Law, cidni qui,
pins lard, lit lanl de brnit en Kiance et faillil la miner ]iar
son sysleme tie liu.'inces, il fiit Ironve niort pres dn terrain
clioisi pour II' duel. La justice conslata menie que Law Ini
avail Iraverse le corps de son epec avanl i|He Wilson cut
lire lasieiiJiedu fonrreau. Reau-Wilson (ou lenomraaitainsi
a cause de la regnlarile de ses traits) avail vecu jusqu'a son
dernier jour dans la spleudeur ; etce qui rendil pins fabu-
leux encore le myslere de son incroyable magnificence, c'esl
qu'apres sa niort on ne Ironva i|n'nne lres-]ielitc somme
d'argeiit dans son secretaire. II ne laissail pas de detles, el
le monde ignora tnujours la source oii il puisait les somnies
enormes qui ;ilinienlaieut son luxe.
Le comte de Saint-Germain, qui prelendait avoir vecu
deux mille ans. et Cagliostro, donI la fortune consislail dans
la erediilile publiipie, soul Irop coniins pour qn'il ne suffise
pas de ra|ipeler leurs noms. Mais void nn exeniple dc dale
plus recenle. En ISl.";, pendant le congres de Vienne, un
nomme Reilly atlira rallenlion par le nonibre et le luxe de
ses diners. II faul que leur magnificence ail ele extraordi-
naire pour qu'ou y fit atteulion au milieu de cetle foiile de
magnificences que creaieul anlour d'eux les rois, les prin-
ces, les nobles, rassenibles dans ee foyer unique. Personne
ne connaissail I'origine de Reilly ; fori pen distingue dans
ses nianieres, loiird etvulgaire danssa conversation, il avail
ele rencontre plnsienrs fois dans les plus hauls cercles. La
curiosile s'evcilla. Un Anglais se sonvinl de I'avoir Irouvc
a fialculla, assis a la table du gonverneur general de I'lnde ;
un autre le reconnut pour I'avoir vn a Ilambourg, puis a
Moscon, el enfiu a Paris, apres la paix d'Amiens. A celte
epoque, il disait revenir de Madrid. A Vienne, sa splcndeur
elait ecrasante ; il habilait un Injlel magnifique ipii appar-
lenail ,iu comte de Roseniberg. Point de mobilier plus riche
ni d'equipages pins edatants ; ses laquais porlaient les plus
riches livrces, son cuisinier n'avail point d'egal ; les holes i
oi'dinaires de sa table elaienl les princes heredilaires de
Bavicre, le due de Bade, le .spiritnel aniiral Sidney Smith,
plnsienrs ambassadeurs et charges d'affaires, et qudques
aulres personuesde haute disllnrlion. Houiment suffisait-il
a ces depeuses'? La curiosili' publique n'a jamais pn eire
satisfaite a cet egard ; on nc Ini connaissait ui faniille
ni fortune.
11 cut le lort de ne pas monrir a temps comme Beau-Wil-
son. On le vit reparaiire, en 1821 , a Paris, sous les haillons
de la iiiisere. Argent, voitnrcs, diamants, tonl avail disparu .
(( Un jour, dil le comte de la Garde, dans ses Mnnoircs
sur le conijri's de Vienne, il vinl chez moi (je I'avais ren-
contre a Vienne), el me dil ipi'il ne posscdait plus rien,
exceptc ce bracelet, me dit-il, ipii renferme les cbeveux
de ma pauvre femme.ll aurail suivi le reste, si je pouvais
m'en defaire pour avoir du pain. — Pourquoi, lui deman-
dai-je. nc |ias vnns adresser aux illnslrcs personnages que
I'KriiES MO HALES.
vdiis avcz si iiiai,'iiini|ucmoiit Iriiili's? — Je I'ai drjii fail,
el 1111 lip 111:1 pas ii''|iiiii(lii. »
Ti'ois aiini'i's so |iassei'ciil, an Ijoul il('si|iii'lli's on Inmva
inoi'l do faim, dans 11110 rue do I'aiis, ool liomiiio i|iii avail
eu lant d'altossos pour convives. Voila une e.vislenco plus
doiilourouse, assnroment, quo cello do I'lioiinc'le ouvrior
d'Ecossc ou du Jura, qui, pendaiil le inonio ospace do
lemps, a laboriousement oleve sa faiiiiUo, olipii n'a jamais
oonnu ni los jciuissaiices extremes do I'orgueil ol dn lii\o,
ni los extremes angoisses do la lionte etdo la faim.
{Gazellf de I'liiiiiie.)
PETITES MORALES.
i'.r qn'im auteiir spirituol nomme la I'e(i(c morale est
Ires-nlilo a noire vie et so compose d'uiio foulc di^ r. -
oomniandatians, moins importanles 11110 los lecons de la
pliilosopliie olovee, mais qui ooiitribuenl singuliereineni
an lionlicur el a la puroto, oomme au liion eirc ; ainsi Adis-
son iioinniola proprolo une demi-vetlu; ot il a rai.son, Cos
fractions do vertusnenuisent pas auxyraiidos, mais, lout au
contrairo, Ics favorisenl et les servont. Ainsi la ponctiialitc
lie somhlo pas une quallto liion sulilimo, mais ello conlri-
liiie ail Imnheiir el au plaisir d'autrui ; elle nous rend tons
lessiicces plus faciles. 11 en est de memo do la polilosso,
de la proiireto et do la lionno humour, qui,certos, no poii-
venl pas proteiidre au litre do vertiis lieroiipies, mais sans
lesque!s la vie inlime et do famille est si dosagroalde. Uii
ocrivain moderne s'esl amuse a reunir, sous une forme
ironiquc, ;i pen pros Ions les desagroments de caractere et
d'humeiir doiil line jouiio fomme pent somer son iiioiiage ;
il y a Iros-poii de feiiimes, liatnns-nous de le dire, qui roii-
iiissent I'idoal complet dos imperfections que le jciino
Claiidiii consoillo a sa jeiiiie sieur d'aoqiierir.
I-ETTRE DE CI.AUDE BRADY
-A S.V SlH:OH CLALllllNr ylU sr MlHli; ,
Miir les devoirs et Ic boiilieiii* «'il lueiiHge.
M.\ BO.XNE I'ETITE SdiUR,
Avant d'etre marioc vous laoliioz de plairo ol voiis ,ivoz
roussi, pnisi|iie vous avez epouse voire cousiii ; a la lioniio
heure. Wais vous voila grande dame. Rollooliissez qu'une
fois marioo il scrait inutile el ridicule d'agirde menie.
Desormais il s'agit do no plairo qu'a vous seiile. Parais-
sez le matin en neglige complet; quand il fait froid, o'ost
nil soin faligant de s'lialiiller; lorsqu'il fail cliaud, o'ost
une gone insupporlalde. Gardez toiijours vos pa|iillotes a
dojcuner ; et conservez voire camisole, si camisole il y a.
A moins de visile, no quitlez pas voire robe du matin de
tuulo la journee. Les maris n'existent pas ; une foniiiK
(|iii so respocte ne se gene que pour son plaisir.
Jo suis loin de prelendre d'ailleiirs que vous devioz 110-
gliger voire parure. La toilette ! mais c'osl la vie d'une
fomme. Aclieloz toutce que voustrouverez do plus bean
ol do plus piocieux. Ne regardez pas au pri\ ; 1 'osl I'af-
I'airo du inari : c'osl jiii ijiij |,,ivc Uii bnriinns nii mm cliajr
vous llatlenl-ils; failos-les appoiUr. Lno pariiro, iiii rii-
bail , iiu bijou vous sediiisenl ; aobeloz-les. Voire iiiari fora
la grimace ; vous lui tournerez le dos. II gromlora ; vous
ploiiroroz. Vous ne savez pas pleurer, et cola nreffrayc
pour vous, Claudine!
Songoz-bion, ma petite soeur, quo Ionics vos paruros ol
vos sourircs sunt pour le monde el noii pas pour lo inari.
Ilonoiiveloz voire uiobilior aussi soiivenl ipio possible ;
I'xigez une iiouvelle pondiile el iin nouvoau meublo de
salon tons les mois. Voire vioiix piano doit vous eii-
nuyer; debarrassez-vous-en. Si voire mari vous a doiino
equipage, dites que la conleur et la forme en soul passeos
de mode; s'il n'a pas le moyen de vous salisfaire en cola,
plaignez-vous. Toiites les fois que vos desirs dopassenl ses
faculles, criez, pleurez, el rappeloz-liii los excellonis ina-
riages que vous auriez pu faiie.
Jamais de souiires, jamais de bonne grace 011 de bonne
bunieur, si cc n'esl pour les aulrcs; failes senlir a voire
inari, aussi souvent que possible, qn'il n'esl pas assez ri-
(bo pour vous. Keanmoins soyez eoouome; acholoz Imii
marclic ctentassez toul ce qui sc rencontrera, el (piaiiil
voire mari vous demandera a ipioi cola serl, ropondiv. ;
(•'est une bonne affaire. Soyez malade avoc dolioos ; ayoz
dos maux de nerfs, surlout quand voire mari vous coii-
lrarie,c'est-a-dire loiNqu'll e.ssayc de raisonnor avoo vous.
Kaites bien valoir le moindro bobo, et exigez le moilecin
a la mode. C'esI Ircs-joli d'etre souffiaiite,c'esl inleressanl,
los liommes raffolent de cela ; si colic graeo vous man-
que, il faul vous la donner, une conlidenle vous est neces-
saire. (^e sera elle , ma cliere soiur , qui vous perfectiou-
nera dans le grand art de faire enrager voire mari. Les
bommes ne sont fails que pour enrager. Mellez-vous bien
dans la tele cos grands principes, ot rappelez-vous qn'uiie
foiiinie n'esl rhnnnear de son .soxe que ipiaiid ello en de-
fiMid Ions los droits, et le plus saore de tons, celni do faire
lout pour olle-iMoine el de ne rien faire pimr aiilriii.
Dlvude liu.VDV.
L'autoiir de oetle epilre plaisante s'esl plii a snivro la
jouiie Claudine dans son menage ; il a doniio le piquant
rocit d'une promenade que la jeune femme fait fairo a son
iiiiuvoau mari.
Nous verrons, dans un luimero procbain, comment cello
promenade economique vida la bourse du jiMino couple,
ot commenca la miso en pratique dos liollos theories que h'
frero a professes tout i'lrhoure. [I'muli.)
[Im suite ttu iiiiiHeid iiKirliiiin.)
FAIBLXSSE DES GRANDS E5PRITS
Deux dos bommes do ce temps, les plus distiiigues par
l.'iir sagacile el leur linesse. ont soutcmi lougtemps que
I'eclairago par lo gaz etait impossible, el raillo .iinoremeni
ooiix cpii esperaieiil employer la bonillo a rodairago do-
Tnesli(pie. l/iin d'ens eorivait, en 1808, dans un journal :
o Cos ridicules prelenlionset ces assertions absnrdes out ole
u assez soiivont rcfulecset raillees par la slorilito dos efforts
u que Ion a lentes, pour que le public sache eiiliii quo lo
'I oharbnn do lerre n'esl pas le .soleil. n Cot ecrivain vil 011-
ciMo. ol lolls b's soir- c'o^l la biMiioic o\lrailo di' l;i IniMillo
1-2
I' Kins VOVACKS
i|ui IVdiiin' (|ikiihI il siii'l do chi'Z lui Sans doiili' il t'sl di-
vemi plus moili'sle, L'diilrcini-ivdide :\ un |ilusi;niiid iiuin,
Waller Scull, u Kcl.iircr dos villos avi'C lo s,'az (■arlmniiiui',
.. disail-il on I.S09. c'csl uiio cliimoro el line illusion qui
.1 foul i-iro. )) Walloi- Sooll osl dovenu sur ses vieux jouis
(irosidonl d'uno compa^nio pour roclairaso par lo gai.
M Waller Scnll ni lord Droutfliani no provoyaioiil ji-s
eunipiolos du yaz ot t:ollos de 1.1 vapour. Un enfant olail
plus provoyant que cos grands esprits ; c'elait, Walls, qui,
a (|uinzo ans, reslail assis deux lienres on oonlonqdaiioii
devanl rurne a the ImuiUonnanle, qui lanoait, on sil'llaiil.
lejel furioux do sa vapour. Pour lui, dans ce jel, il voyait
uiie force iriTsistiblo. ot revail I'avenir doco pouvoir nou-
voau (pii dovail clianijor lo moiido physique.
PETITS VOYAGES
SUR LES RIVIEIIES DE FRANCE.
tA I.OIHE, SES BOBOS ET SES SODVEWIRS.
Une damo allomaiide do hoaucouji d'espril (I) dil quo
lous los lleuvos out lour oaracterc jiroiire ol ooninie une
physionomie sp6(-ialo qui li's dislinguc.
« Vous dirioz dos syndiolos de races el de nalioiis divor-
scs. Qui pout entendre parlor du Scaniaudro sans rover toulc
la Greco horoiipio, sans ponsor a Mars, Apollon, Venus,
Jupilcr, au vaissoau d'Achillo, a la belle lloleno? Lo Nil
ogyption, des que son noni estprononce, vous rappelle tout
nn'monde de prclres idolalres; le Tihre, ans oanx linio-
neusos el trouldos, sort de jigantesipio miroir ans gran-
deurs de Home toule-puissanle. Sur los liords du llhin s'ole-
vcnt les chateaux do la feodalilo, hrillent les grajipos mu-
rissanles otseropelent losniysteriouses legoudesdu nioyen
il^c ; c'ost le llenve feodal,'_comine le Tihre est le lleuve ro-
main. Enlin le Jourdain, fleuve sacre, nous apporlo la
niystcriouse et soleunelle voix de la revelation. Un voyage
sur chacun do cos fleuves serait le plus historiquo dos
voyages. On vorrait se derouler avec les jiaysages variijs
loutes los annates du pays ot do ses lonqis ocoules. »
Co que ilit I'oc'rivain alloniand des lleuvos nationaux,
adoptes par chaque penple, est ogalenieul applicable li tons
(!) La ftiinloisc lldlin ll.il^n, Eninuuffjcn.
Irs Oeuvos, a tontes les rivieres qui portent a Iravers to
;;lobe la focondile et la richesse. Ainsi en Franco il est im-
possible do comparer la terrible impetuosite du libone, qui
lombedos Alpesotonlraine ses rivagos jusqu'.i la nior, avcc
la briHaiile el brnsipie vivacilo de la Garonne, ou avec les
rnille detours de la Seine, ;i la fois si lorluouse ot si rianle,
d'un cours si doux et si facile, varie et progressif conimc la
civilisation nienie. Voyager sur los rivieres de France,
c'ost connaitre parfailoment bicu lout le pays; el quoi dc
plus necessairo, malheurousomentquoi dcjilus rare, que de
connaitre le pays on Ton est ne?
Suivons d'abord le conrs de cotlo belle Loire qui ti-a-
vorso la France par lo miligu, on faisanl un ooude pour
s'arri'lor dans les donees elcharrnantos plainos de la Tour-
raine. EUo a aussi son caractero particulier. Elle est niolle,
carossante, un pen capricieuse et cpielquefois porfido. Elle
a de rndos conimencomonts ; elle nail dans los monlagncs,
un pen plus loin que rAuvergue, el, dos qn'ellc le pent,
olio ecliappo ace severe climat; on dirail qu'oUe a hate de
se louruor vers les regions d(^ volupto ol de paresso qui lui
cunvionnont ct oil son Hot douxet gracioux s'enilorinira
sous lo soleil. Au lieu de descendre vers Cahors el llhodot,
|iays rudcs, composes do bouille, de for et de cuivro, la
Loire se hale dc liaverser rAuvergue, s"arrote avec com-
plaisance au milieu dos silos piltorosqiios du I'uy on Velai,
el falsant un ooude vers los laliludes plus donees de Lyon
el de Chambery, elle s'avanco du role de Sainl-Elionne et do
Tararo, EUo estonroiobifn laiblo dan- les localiles un pen
BOSSUET
sun LES IIIVIERES DE FIIANCE.
13
li'islos, el ello .1 bcsoin, iiour s'elciuliv, pour doployer li-
brenipnt la nappe caressaiile de ses eaii\ ]ieii prufoiules, de
sc Jegager des solitaires prairies du Canlal el des laves ba-
salti(|ues de Clennonl. Elle nc commence ,1 eirc vrainienl
la Loire qu'apres avoir passe Fcurs, Iloannc, Marcigny,
Digouin. Les monlagnes el les sites lerriljles ou solitaires
onl disparu. Elle coule lrani]nille dans ce bassin riant ft
pen accidente qni trace nne ligne an cceur mcme de la
France. I'Insieurs heritapics viennent I'ein-icbir; I'AUier, du
cole de Moulins; TYonne, du cote de Cliateau-Chinon;
I'Arrons, du cole d'Antun : ainsi sa fortune sc fait sans y
penser. comme il arrive aux gens licurcux qui altendent
paisiblemenl une opulence sans efforts. Elle coule lente-
ment, repandant sur un sable jaune et dore des vagtics |ia-
resseuses. A mesurc qu"elle rencontre moins d'obslacles,
elle devient moins profonde. et un fabuliste pourrait la
comparer a ceux qui perdenl en mcrile reel ce ipi'ils
gagncnl en fortune. C'esl apres I)ecizi> que .';on vrai carac-
tero aclieve de se dessiner. Voicila jolic petite ville de i\er
vers, toute riante et commercante ; la Char'ile ; Uouilly ,
celebrc par ses vins; Cosne, Lore, Chalillon-sur-Loire.
Comme si elle s'ennuyait ici de sa moUesse el qu'il lui plut
d'essayer d'une zone moins voluplueuse el moins facile,
elle forme ici un nouveau coude el se rapproche un pen de
la Seine du cote de Fonlainebleau et de Chartres ; elle clianse
un moment, creuse plus profondement .son lit, el a tiien.
Sully el Jargeau, deploie quelques paysages dune elegance
aussi achevee que les cliarmants jiaysages des bords de la
Seine.
Elle arrive ainsi jusqn'ii colte ville d'Orleans, (pii u'esl
^-^^■
pa> iirave, maisseneuse,aclivp, sobre; — ipij n'esi pas gaie, | nisnie el le jansejiisnic, c'esl-.i-dire par ce tpiil y a de plus
innis iroujque, e( qui a passe par 1 elude du tirr.it, le ralvi- I severe dan. noire hisloire On disail des Icgis'tes el des
I'ETITS VOYAGKS S U II I.KS l\ I VI Ell KS III! KItANCE.
n
lOiiimeiiUiloiii-s oiliMiiais : La i;losc d'Oi-lraiisusl pire cini"
li! Icxle; el le sol)ni|uel ilc guepins, dcnini; jadis aiix liabi-
laiits (('Orleans, siijnalo ramcrUimc dr Icurs raillcrins.
Ricntot on dirait i[UP la l.oiie so latisuo do cede region qui
n'est pas encore asscz iloucc pour clle. Elle se degagc de
son mieux des saldes (jui renconibrenl, et reilescend par
«ne pcnle prcsqnc insensible ct d'unc marclic lenlc vers la
belle vallei' de la Tonraine e( de I'Anjon. C'esl apres Or-
leans, vers Reangency, qu'il fant conteniplcr la Loire dans
son Iriomplie. Le plus Jonx soleil eclaire ses eanx presquc
cndorniies el ce sable ipii serl de fond d'or an vasle niiroir
dn llenve ; loulc la verdure esl rianle depuis niai jusi|n'a nn-
vembre. On ne voil que des fruits, des llcni-s el des borlzous
de verdure; I'nnde elle-meme disparail, lant elle relleehll
fidelemenl la fecoiidile ile la rive ; e'esi sur' les bords de eetle
Loire iiue b's favoris et les favoriti's des rois ontleurs tom-
beaux, apres en avoir fail les dclices de lenr vie. Clienon-
ecaus, Lliandiord, Monlbazon, Langey, Loebe, le ebiiteau de
la Vallieri'. Pas un sotivcnir sombre, pas une idee sericuse.
void le bi'rroan de llabelais, (;iiinon, el b- liunliean d'Agnes
Sorel. Les eoleaux sont diapres de vigni». La crenie a ini
parfum de fraise et de framboise cpii n'apparlienl (lu'anx
gcnisses de ce pays. Le parler des liabilanis, nienie dans la
rampagne, esl paresseux el doux, niais lellemeni pur, que,
soloii ipndques grammairiens, c'esl ii Blois que la langue
fran< aise esl parlee avec le plus de purele. Le llenve indo-
lent de llabelais pa.sse, en qnillani Orleans, par la jielite
villc de Menng, |ialrie de I'un desanteurs saliriques dn ro-
man de taKosc, Jeban de Meung, el, Iravcrsanl les peliles
viUes joyenses et les vignobles feconds de Beaugency el de
Mer, vient baignerde ses Hols, devenns vasles el llmpides,
\{' ebiiteau feodal de Blois el les rues etagiies decelle viUe
pilloresque.
I'oinl d'accldeni ni de pcnle rapidc ; le doux llenve vous
eondnil sans peine dc I'agrcable ville de blois ,i la sensnellc
el cliannaide ville de Tours, ville bistorique, ancicrj style,
anti(|ne oi-aele on les rois nu'rovingiens, encore idolatres
a dcrni, veuaienl eonsnltcr Icssorls ;
i
L'iuduslrie el le luxe regnercnl de bonne beure a Tours ;
on y fabriqnait la sole et les preeieux tissns. C'esl aussi le
pays des excellenles confitures, des conserves, des frian-
discs. La trioinphe la Loire dans lonle sa beaulc ; elle est
calmc, vasle, presqne cndormic; un ponl immense la Ira-
verse : ct conime si eel aimablc sejour la charmait, clle ne
sc delonrne pins guiire jnsqn'a Saumur.
L'inlerel dc cello derniero ville esl pcnl-etrc plus vif en-
core que cdni dc Tours. Les proleslanls du scizieme sieele
onl quelqne temps essaye d'criger Sanmur en capilale du
calliolicisme.
A Sauinnr sc Irouvcnl le vienx cb.ileau de Hornay el
cc prodigieux ilolmcii, compose deonze picrrcs enormcs
qui forment nnc grollc artificielle de quaranle pieds de
long sur onze de large. Des que Ton est arrive a celtc ville
d'ardoises, ,i celtc villc noire, ct cependanl encore rianle
d'Angers, la Loire ii'a plus le meme caraclere ; ses bords
sonl plus aecidenlcs; quelquc cbose de I'.iprele bretoune
s'en fail senile. Saiiil-Elorcnl . Carqueuai , llcaupreau .
I'aimliccuf, n'oni plus rien dc la grace sediiisanle el niolle
dc la Touraiin> ; culin la comnierciale ct brillciule villc de
Kantes vous eondnil jus(pi'anx porles del'Ocean.
Tel est, en resume, le cours dc celtc Loire, sur les
liords de laqnellc taut d'elrangcrs viennent cherclier la
sanlc on rcparcr les torts dc la fortune; car la vie y est
aussi pen dispendieusc quelle est douce dans la pluparl des
loealiles que nous avons citces.
On pent cousiderer ce grand el beau llenve coninic pre-
destine au bien-cire el ii la volnplc. Ne dans les rusliqucs
niontagiies, il esl accneilli par I'opulcnee ; puis, arrive ii
la vignem- dc I'iigc et ii la forte malurite, dcvenu plus vi-
rile ct plus vigonrenx, il allend que la nier immense le
eonr(nide dans ses Hots ct Ini ouvre le coiumerce des deux
niondes. Bien des legendes, liien des souvenirs s'atlaebent
il la Loire el prclcnl ii ses rives nnc gnicc poetiqnc.
Nous recueillcrons ccs legendes, la pluparl d'nn vif in-
In-el,
tiAifiiitc idi pidcliahi tiiimi'rii.)
I!K AUTKS lUi
BEAUTES
lllSTOinK hU CLRItGE 1)E KHA>'CE.
Ij
L'liiSTOinE nil r.i.EiKiK mi fuance".
BOSSUET
(SOS ESFANfE CT S\ JKIINF.SSE.
.lirfliio'-Boniirnp liossiipl ii,ii|iiit a Dijon le 27 septemhre
lO-'T; il riail Ills do nrnisno fiiissiii't. nvocal cl conscil
ill's iH.ils lie Boiirnogno, qui iiri-n.iil li> lilri' de siour on sei-
!,'iiourirAssu. C'p[ail,cii ce tomps-l.i , uiii' nnissiincc obscure;
ear eelle iiifinimcnl pelilc iiolilesse de robe ne hrillait guerc
a cole de la liellii|uinise el autii|uo uolilesse feodale, qui
douiiiiail encore la France du haul de ses puissanls donjons,
et s'eniparail de toules les |josiliiiiis elevees, soil dans I'Elal,
soil dans TEijlise. Bossuel n'elail dune, .i son poinl de de-
parl, ipi'iin jeune homnie pen rielie, sans proleclenrs el
presquc sans naissance : mais le f;enie snpplee a lout.
1,'enfauce de Bossuel ful line de ces eiifances sludieusos
qui preluderenl a loules les liaules repulalions du grand
siecle : il elait si avare dc son lenqis, si conslammenl en-
eliaine a relude, que ses jeunes condisciples, jouanl sur ee
noni qui devail briller d'nii si vif eilal parmi les plus beam
nomsde France, ne I'appelaienl que bos sitehis aralro.
II eludia jusqu'en rbeloriqne cliez les jesuites de Dijon.
II n'elail encore qu'en seconde, lorsipril Irouva par liasard,
dans la bibliolheque de son pere, une Bible laline donl il
s'empara, apres en avoir In avidenienl quelqiies passages.
C'elail la premiere fois qu'il lisail la Bible, et cetle leclure
llii fit eprouver une admiration voisine dc la stiipeur. Ce
langage inspire, qui ressemble aux ecl.ats de la fondre dans
certains endroits, et dont la grace poclique passe toiile
grace dans taut d'aulres; ces grandes images orientales.
ces liantes el profondes pensees, si analogues a son genie,
le saisirent el le Iransporlerenl a tel poinl, qu'il n'oublia
jamais cetle premiere impression, ct qu'il en parlail sou-
vent aux aulres epoques de sa vie avec une cbaleur enlrai-
nanlc : le jeune aigle avail fixe, pour la premiere fois, son
itil liardi sur le soleil, el le sideil ne Uii avail pas fail liais-
ser la paupiere.
Les jesuiles, qui out tonjours devine le genie naissanl de
leurs cleves, deeouvrirenl liienlol quel Ircsor ils posse-
daienl dans la persfinne du jeune rbeloricien, el ils lemoi-
gnerent un desir exireme de I'acquerir a leiir sociele : mais
les parents de Bossuel avaienl de I'ambilion pour lui. el,
desiranl que le jeune bomme, qui donnait de si belles es-
perances, developpal son talent sur un plus vasle lhe.il re,
ils I'envoyerent a Paris, en I(ii2, pour y eludier la philo-
sophic.
Une circonslance dramalicpie servil a fixer, dans la forle
memoire du jeune etudianl de province, I'epoque de son
arrivee a Paris. Le memo jour, le cardinal de Biebelieu
mouranly faisail son entree an milieu d'un peuple silen-
cieux cl lerrilie. Dix-buil de ses gardes le portaient, tele
nue, dans une chambre conslruite en plancbes cl recou-
verte de danias. A cute du redoule minisire, donl la poli-
tique hautaine faisail tout plover devanl elle, elait son se-
(t) Nous uous piopo^oiis lie iloiiiuT sufcp.ssivempnt les lijograchies
lies pl"sc\ccllenlsmcmlires el lies |iliis lirilbiiles gloircs ile cc cleigeiie
France si fecond souslnus les ra|iporls. l.a liiogra|ihie que iliins iloniioiis
ici il iios lecleurs esl due, conime on sen apereevr.1 sans peine, fi line
(itunic au^isi lialiile iin'orliiniidxe.
cretaire. assis pres d'une table el pret a ecrire sous sa dic-
lee. II venailde laissera Lyon le jeune Cinq-Mai-s el le pre-
sideiil de Thou enlre les mains du bonrrean.
I'eu de temps apres, Bossuel inedilait a cole du lit de
parade de ce minisire qui avail efface, dans sa splendeiir,
la pale eloile du roi son maitre, eelle liaule pensiie qu'il
developpa si adinirablemenl plus lard ; Dieii seul esl ijrand.
(le I'm an college de Navarre qu'il eludia la philosophic;
mais il n'y borna point ses eludes. II apprit le grec el lul
tous les liistoriens, tous les oraleurs, tons les poetcs grccs
el laliiis avec une .si grande attention, qu'il en savait par
cceur les |dHs beaux endroits.
Ses auteurs favoris elaicnl Ilomere, Virgile, Demoslbene
e! Ciccron. L'oraison Vro Ligario elait eelle dont il ctu-
diuit le plus I'eloquence. Ces eludes n'enipeehaienl pas le
jeune aldie de douner une grande parlie de son temps a la
lecture de I'Ecrilure sainle, donl la beaule rimpre.ssionnail
plus que toule cliose ; il savait la Bible par cieur.
Sa premiere these de philosophic cut un cclal qui lui va-
lut de liaules amities 1 1 d'illuslres connai.ssances. Le mar-
quis de .Monlausier le presenia a la marquise de Bambouil-
let donl I'hotel elait le rendez-vous de tonics les celebrites
de I'epoque. A la ]irierc de Id marquise, le jeune etudianl
composa, en quelqiies heures, siir nu sujet donne, un ser-
mon qu'il (irouonea ensiiite devanl une grande asscmblee
reiinie expres pourl'entendre. Viiilure, qui elail an nonibre
des audlleni-s, dit ,i cetle occasion, avec ce genre d'espril
pince qui rappelait les concelli d'llalie, el qui elait alors
fori ,i la mode, qu'il n'avait jamais nni precher ni silol ni
si lard. II elait onze heures du soir lorsque Bossuel faisail
ee sermon siiigulier, et il n'avait alors que seize aus.
Bossuel conlinua ses eludes au college de Navarre avec
le plus grand siicccs ; apres avoir fini sa philosophic, il alia
en Ibeologie, et la these qu'il soulint, le 23 Janvier 1648,
en presence du grand Conde, futl'originede I'amitie qucce
prince, qui avail fail de Ires-fortes etudes et qui elait bon
appreciateurdu merite. lui conserva jusqu'ii sa morl.
Bossuel, qui avail ete nomme tout jeune chanoine de
Melz, n'elail pas encore dans les ordres lorsqu'il resohil de
s'adouner parliculii'remenl :i la predicalion vers laquelle
sou gout rentrainail. II avail In dans Ciceron el dans (Juin-
lilien que la prouoncialion esl une ]iartie essenlielle de I'arl
iiraloire, el il en alia queliiuefois prendre des lecons au
theatre ; mais il se I'inlerdil des qu'il fut enlre dans les
ordres. Consulle un jour par Louis XIV, qui elait passionnc
ponree genre d'amusemenl, sur la question du sjieclacle, il
'ui repondil, avec la finesse deliee d'lui bomme de cour el
la digiiile d'un prelat cbrelien : « 11 y a, sire, de gi-ands
i'\eniples pour, el des raisonnemenls invincibles contrc. »
II enlra en licence en 1030, el soulinl sa sorbonique le
!l novembrede la meme annee. En 1631, il finilsa licence.
Pendant ce temps, il avail eludie, avec I'applicalinn pa-
lieiile qui le dislinguail, les Pi'res el les conciles. Saint Tho-
mas etait son maitre dans la srolasliqiie, el il ne s'est jfl-
niais ecarte de sa doctrine donl il Irouvail les priucipes
plus conformes a la doctrine commune de I'Eglise, ct a
eelle de saint Aiigiislin. son docleur favori, que ceux des
aulres ecoles. II lirilla fort dans les theses ct dans les dis-
putes qu'il soulinl pour oblenir sa licence; cependanl il
u'oblinl que la seconde place ; la premiere fut donnee a
I'abbe de Bancc, que ses alliances aristocraliqucs posaieni
bien autremenl dans le nionde que le Ills de messire .lae-
ques-Beiiigue Bossuel, pelil avoeal an parlemeul de Hijoii,
10 nEAUTKS \)E l.lIISTOinK 1)1' nLKRGR.DE FIIANCE.
Ilomnic on elail apcouliiiiio A voir tout llechir dcvnnt le pri- 1 liirii loin ilo s'on in-iler. I'hominc do gi'iiic sc lia de I'anii-
vili'gc de la naissanrp, on no sVn otonua pas Irop fort, ol, | tii' la plus olroite avec son licnroux oonrarrcnt ipii olonna
yjjji.^. .— .
Ic mondo onsnilo par sa roforme de la Trappo. Bossnet fut
sur lo point do rinimorlalisor bion anlromonl encore en
ecrivanl sa vie pour laipielle il avail diija recueilli de noni-
hrcux niemoires, mais ipi'il alian(l(nnia, avec rnrlianite do
rcpo(|uo, lorsipi'il appril ([uo 51. Ularsolier s'en occupail, .i
la sollicilalion de Jacques II, roid'Angloterre.
Bossuol rocnl Tordi-e de prolrisc dans le carome de I'an
1632; afin de s'y preparer, il lit une rotraite a Saint-Lazare
ou il so pril d'uno liaulc veneration pour saint Vincent de
Paul, qui I'associa a la compagnio des eeclesiasti(|ues con-
nus sous le noni do Mcssicnrs lie la conference da Mardi.
Bossnet avait coulnme do dire que c'etail a saint Vincent
de Paul, apros Dion, iiu'il devait sa piete el son zele pour
la disciidino ecclesiaslique.
II se rendit ensuite a Motz, on I'appolail son devoir de
rlianoino ol d'arcliidiaore. Ce fut la qu'il lit son dolml dans
la carriere de la controvorse, ii la priero de I'evecpie d'Au-
gusta qui s'etail effrnye da dangerous succesd'un petit livro
sort! de la plume d'un habile minisiro protostant, nonime
Tanl Ferri. La refniation de Bossnet fut si ecrasanle, que lo
parti calviniste en fut ebranle, et, ce c|ui n'est pas raoins
romartpialile peut-etrc, c'est que le tlieologion protestanl
ot le theologicn calliolique, son vainqueur, selierentd'nne
aniitie que la mort sculo put inlorroniprc.
II est consolant de roncontrer des sentiments eleves dans
un liommo de genie; car le genie est quolquofois ini'epen-
danl de la noblesse d'.ime. Bossnet, qui etail si fernie el si
inllexililo lorsipi'il s'agissail de defondre les grands interels
de la foi, etail I'liomnie du mondo le ]dus desinleresse el le
plus pliant lorsqu'il in' s'agissail i|uo do ses interels pro-
pros. En IGIi'2. le doyenne' do Molz elanl venn a vaqiier.
Ics olianoim^s. d'un consonlenienl unaninio, loliii dlTrirenl
C'etail une augmentation de fortune el d'lionneurs ; mais nn
vieux clianoine. qui avail rambilion de niourir doyen de
Melz, elanl vonu Irouvor son jcuno confrere, auquel il ox-
posa naivomenl son desir, Bossnet ne se conlenia pas d'ap-
pnyer do tout son credit les pretentions de son concurroni,
et de s'encxpliquer aveclecliapiiro, il s'absonla dc Molz le
jour de relection de peur (|ue sa presence ne fut un obs-
tacle. Deux ans apros, le vieux clianoine elant mort, Bos-
suol fut nomme doyen.
Los affaires desonchapiire el les siennos Tappolanl son-
vent a Paris, il y acquit bienlot, par sos predications, une
reputation eelalanle. Jusque-lii leloquonce de la cbaire
etail miserable ; on n'y rencontrait quo lioux communs,
phrases emphatiquos ot ornemenls de mauvais gout; Bos-
suol la porta tout a coup ii une liauleur prodigieuse. Ilien
n'egalail la force de ses arguments, la majesle de ses
images, la profondeur de ses apercus ; on le qnitlait per-
suade, ravi. (I II se bat a entrance avec son audiloire, disail
Mme de Sevigne, ot chacnn de ses sermons est un combat
a mort. » II procha I'avent de I'annee 1601 el le carome dc
1()05 devanl le roi, dans la e'.iapoUe du Louvre. Louis XIV
en fut si content, qu'il fit adres.ser ses royales felicilalions
au pere du jeune oralour.
Ce ful en 1663 (jue Bossuol flt sa premiere oraison fune-
bro, ot cello oraison lui fut inspirce par un noble senli-
monl, la reconnaissance. M. Cornet, grand mailre de iNa-
varre, out los promices dc cos haules inspirations dans les-
qnelles le talent de Bossuet niarche sans egal. On y Irouvo
une phrase louchanle. .\pres avoir parle des talents et des
vorlusdecc iirolecleur de sosjeuiios aunoos, lo grand ora-
lour dit avec une simplicile noble el une pienso effusion ;
" l'ni<-ji' liii icfiisci' qiicli|nes I'lnil-- dun c's|Mil qu'il 0
COMK til MATEl.OT IlEIMllCl.
nillivi; iuec uiiL' lioiil.! i).U(;nii;Ue, ou lui deiiier queliuc
pari li^ms nies discours, ii|)ri;s iiu'il en a cle si souveiil le
ccnscur et I'ai'liilre. »
Bossuelconliniiado prcclinr a la villci-ta la coiir, an ini-
liuu de ra|i|)laii lissi'iiicnl ;; •inM-al. La facililc avec la |iii!lle
il iiii|irovisa[l di'S scnniiiis, on il ulail souvcnl siililime,
passe toutc ci'oyancp. II nicllail d'ordiiiairc sur \<'. papier
snii plan, son lexle, ses pieiives, sans s'occuper le inoins
du moiido ni dcs lours, ni des paroles, ni des liu;ures ; il di-
snit lui-memc que sil avail voulu s'y iirendre aulrenienl,
sun aclion atirail lanjui, el que son discours se serail
i'aerve.
iL;i suilo .lu iirm haiii miiiit ro.)
LES MILLE ET CNE tSLlTS
i)-i:i:uuPE i:t damerioiji:.
CItUlX DLS MElLLLtHS CONTLS
ISPACMaS, ALLtUANUI^, ASIEIUCAINS, LTC, KIIJ.
IMliOUUCTWX.
On sail combien la chn'lienli' eul a souffrir des inso-
lentes el cruelles depredalions, el des prelenlions (U'gueil-
leuses dcs pirales barbaresciues. Proteges par leur silua-
lion, places de niaiiim-e a liraver loules les allaques de
riCurope clirelienne coiijuree, ils resislerenl pendant Irois
cenis alls a rtspa;,'ne , a I'.VnijIelorre. a rAiilriehe, a I'lla-
lie; c'est une ijrande gloire pour la France d'avoir I'nIin
clialle lant d'insolence, et l.i prise d'Alger. ainsi ([ue la vic-
loire recenle dls!y, paraissent annoiieer que les dcsiinei's
autrefois brillantes de I'islaniisnie a|iproeheiit de leur lern>e
fatal.
La scub' lilterature de ces [leup'.es, les nioins civilisi's
parmi les nnisubnans, est celle des conies; ils les aimeni
avec d'autant plus de passion, cpie Ic dranic, la poesie leur
sontetrnngers. Lu bonconle si' pave forlclier, etenjorniis
a moilie sur leurs coussliis, jirelant I'ureille au conteur,
envelo| pes dc la funiee de leurs diibouks, ils savourent avec
delice le recitile I'unet la saveur de I'aulrc. Cet amour des
conies, ipii etait coinniun au dernier gouverneur du dey
d'.Ugeravec toute sa race, a produil un asiez singulicr
resullat, comnie on va le voir.
C'etail en 181(1. Lesgreves algerleuncs elaienl couverles
de captifs europeens, ipie les cliaritablcs freres de la Merci
rachetaient de tenqis en temps. Mais leurs forces peeiiniaires
ne suffisaieut pas ,i la-uvre. .Vvant de doiiner le dernier
soufilet ipi'il paya si clier, et d'enlrer avec I'envoye de
la France dans cetle discussion ilangereuse,qui nous a vain
unroyaume el a I'Kurope la visile d'un algerien delrone.
le dey d'Alger, ce vieillard laquin que nous avons vu a
Faris. s'ennuy.iit c iiisiderablement. Avare comma la plu-
part des vieux Turcs. aussi pen lethe (pie le sonl, en ge-
neral, les Algeriens et les Marocains, rebuls de la popula-
tion inusulmane, depuis ipie son eslomac elail deveiiii niau-
\ais,iln'ainiail pln^^qiiediMuclioses, les conies el I'argeiil.
Son liabiluJe etait de s'cnloiinir aux ri'cils que lui f.iisail
le gardien de son .serail, un petit V,nx bossu qui avail ele
nialelot dans sa jeuiiesse, el qui se troiiva hienlut a cjurt
des narrations cliimeriqucs.
Un soir qu'il avail elii moinsamiisanl (pie de coiilunie, el
ipi'il avail roule dans le vieu.\ cercle fanlasliipie des giMiies
( I des f(^'es dc I'Orient, son niaitre lui dit en b:iillanl et en
deposanl sa pijie :
(( Vous avez eti!' alisnrdece soir, Kalli.irlikos, el Ton voil
bicn que vous i-k-s nii giaour d'Eiirope. m.ilgre voire prelen-
due conversirMi el voire profession de maliomi'lisnie. Vniis
aiitres, Europi^'cns. vous n'avez |ias de beaiiv conies ; on ne
j sail faire clicz vous ipie des lialeauv a vapi>iir et des fusils.
I —Pardon, llanle.sse, lepondil kalliailikos, vos pa rob s
stmt le jardin de la sagesse, et voire e\p('rienee est le soleil
de I'esprit ; mais j'ai enlendii dire rpi'il y avail. des iMmles
d(.' plus d'uiie cspcee dans ces loinlaiiis pays d'£uro|ie. Sa
llaiiles.sc pent en faire leiireuve. Kile a dans ses aleliers
du port el sur ses galeres plus de soivanle KuropiMuis de
loules les nations ; il n'y en a pas un (pii ii'ail (pielque boii
conle a faire a Sa llaulesse, ,je le peiise dii ni(iiiis, car il*
sonl lous liavards comnie des jiies. d
O'elait line idee assez inginiieuse du Grec siilitil, qui sup-
pleait ainsi au defaut dc sa verve epuisee el de ses souve-
nirs absents. Lc dey Irnuva la proposition c.xcellcntc el il
I'll usa dc la manii?rc que viiici.
(1 Je suiscurieux. dil-ilii Kallurtikos. J'e\p('rinieiiler cir
ipie vous me diles. Bismillab '. ces cliiens de clirelieiis nut
ciiitenl plusqu'ils ne ia|iporteiil. Au inoins me feront-ils
passer ipu'bpies bonnes nulls, car je ne dors pins. Ceiix ipii
111^ m'amuseronl pas seronl (Hraiigb's; les aiilrps s'en re-
loiirneronl dans leur pays.
Ci'lle idi^e orienlale eul .sa pleinc oxeciilion. Pendant
mille el une nulls conseculives. iTcits americaiiis. anglais,
suedois, danois, lapons. p-)rtug;ii.s. cspagiiols, basques,
bavarois, hongrois, bobi'iniens, irlandais, ec(j.ssais, nor-
vi'giens, islandais, veniliens, napolilains, niilanais, llo-
renlins, tyroliens, suLsses, el les inieiix choisisib' lous, de-
lib-rent processionnelleincnl devaiil le vieillard. (retail une
Male encyclopedie de nos plus beaux conies, el le Grec eul
s liii d'en prendre note. La |duparl des contciiiN, il. faut lc
dire cn-rbonnciir du dey, furent renvoyes cbez eux avec
une bourse d'argent proporlionm'C au plaisir qu'ilsavaiciil
donne a Sa llaulesse.
A peine ringLMiieuseiiivenlioii du dey elail eclose de son
espril, il reijril sa pipe el aspira une bmgue gorgi'e. comnie
si celle idee polilique lui eul sonri; puis il se lil ajiporler
la lisle descaplifs. el aprcs avoir ordoime ,i son lirec d'aller
faire connaitre ses ordres aiix prisonniers du pint el des
galeres :
« Vous preleudcj done. .s'l'Cria-l-il, que ces loiirds (ier-
mains aiix cbeveux blonds possiidenl aussi des conies! Eli
Irien, qn'on m'aille cherdier Iniil de suile le n" 'li, qui est
un AUeinand. »
On obeit au dey. L'liomntc ipii lui fill ainenii elail un nia-
lelot, fils d'un labonreur, et ni' du ciitedii llarz. II eul assi z
de peine .a comprendre ce que Ton exigeail dc lui, el apix-s
([uelque bi'silalion. tout en roulant dans sa main la casqiielle
bb'ueipi'il avail apporleede Nuremberg, ctipii I'avail suivi
dans sa captivile, il comuienca le ri^cit siiivant, vicillc K'-
g.'iide litk'ialemenl calqui'c sur une des Iraditions popii-
laii'es.de la l.iisace.
18
cdntk
fM.Mii.hi; Mir.
CONTE DU MATEI.OT HEIIMHICII.
ciiu'iTiu-; i'Ui;mii;h.
Co.nment Ic notaire "Wappenbickel voulut arracher
une dent d'cr.
S.I Uaulrssc m- cuiiiiaiL pas Ics iiinnli\;,'iics du Iliescii-
It'liii!,'!' nil inontagiies di's Gi'niils ; ce sniil ik' vilaiiios iiioii-
lai,'iii'S iH'li'os, aiix arbiTs ralidiigiis, lout y est affi'cux;
la sclevc nil hameaii ilont k's luitlcs sont liassi's el riial
(■ iiislruites; la misere de ceux (iiii riialiilent est extreme,
l.es viiyai,'eiii-s lie s'aveiitiiiTiil jamais jiisipie la, et je iie
I lois |ias i[ue Ic'S |dus sa\aiils le euimaisseiit.
Vers la liii du seizieme sierle, uii |iaiivre iiolaire de eaiii-
|aj,'iic vivotail |ieiiiljleiiieiit dans ce caiUiiii du |iriidiiil de sa
|jlumc. Sa ealiane.li'zardeediiliaul en lias, peiicliailariaissee
:. lus le |ioids d'uue tuiture eiidommagee ; la portc etait dis-
j liiite el vermoiilue; les lenelres au.\ earreaux de |iaiiicr
priak'nl la liise d'eiitrer. lille jirolllail de la |ieriinssiou sans
ragremciit du iiio|)rietaire.
La bisc ii'est pas puur nuns, llaiilesse, ee ipi'elle est pour
l.'s ijeus du Muli. el M. Wappenljiekel yrcloltait souveiit,
iiieiiie (|uand ses eiiraiils, il en avait di.'i-liuil, so ]iressaieiil
autciur de lui [mur liii demaiider leur siilislaiice lialjituelle.
II u'elail 111 tiisle iii !,'ai ; il laissait les choses allercomme
1 lies voulaieiil, et dormait tramiuille. pour pen i[ue le ciel
lui envi.yal assez de pain et de legumes pnur subvenir ii
SI'S lie s'liiis persiimiels el ;i eeu\ de sa lam i lie ;ees premieres
CDiidiliiiiis remplies, el i|iieli[ues prises d'un tabae assez pen
delicat IbuiTees dans ses fusses nasales, il elait au comble
lie ses vieux. II lie lourmenlait personne, et ne donnait
li'ordri's qii'iiiie seiile I'liis. Aussi le veiierait-on dans sa
I'amille.
II avail liiutc la pliil(iso|ilue et loiite la roideur d'liMC
pierre laiUee en lioinme. Sa figure elail eelle d'un oiseaii
lii'lrilii;. Sa loiletle originalese compusiiitd'mi liabit. origi-
iiaireinenl uoir, a larges bas:pics, avec de gros boulons de
liuis ,d'iine culollc funcec dont les eoutures etaieut dcve-
iiucs jauiies, de basgris c inverts de eules luoeminenles et
ruiiges, et dc snuliers a boucles gigantcsipies. Uiic petite
|ieiTiK|iic ronde, conrtc, lierissec comme le dos dun san-
1,'lier, se tenant roidc et immobile sur nn crane liruni par'
les aiis, donnail li son visage, silloniie dc profondes rides,
nil aspect assez comiipie. II possedait bien un autre co.s-
tiime, bas Wanes, longue lirelte, culollc courle de ratine,
liabit bleii-liarbeau et jabot blanc-jaune; mais 11 ne I'avait
mis i(n'uiic fois, le jniirde ses noces.
Lorsipie. apres le travail tjiiolidien, .M. Wappeiiliickel
rentrait cliez lui, il prenail, avec une sereiiile elianiianle
le repas de caroUes qui I'y atlendalt; puis ensuite, a la
lueur blafarde d'unc petite lampe de kr, il .sc inrtlail a
reniUeler avec amour un vieux roniaii iju'il possedait, dont
les pages, jauiies de poiissiere el de vetiistc, excilaienl en
lui nnentliousiasme llegmaliipio. Un soir (|u'il ctail anpres
du lit de sa kninn; malade, el fpril s'etailendorniisur son
livrc favori, fpiel|iies cimps rajiides relenlirenl sur les
) elites vilrcs rondes, euelils.sees dans du plomb, dc rune
desfenelres basses. M. Wapponbiekel se reveilla et se leva
on grMnine l.int. .\rri\e sur !e s nil ilc sa prule, il apen-iii
nil jjii.iueiir bien iiiunle. i|iii tenail par la bride un second
I'lieval luul liarn.ii.'be. Co domesliipie en livnie salua |-oli-
meiit le notaire. puis liii remit uiie letlre, avec un large
lacliet blasoniie. I.e billel en ipieslinn veiiail d'un vieux
genlilliomme i|ui possedait aux environs line tres-bclle
seigncurie el iiiic jeuiie epnuse dont il cut pu faeilemeiu
elre ra'ienl. (jelte noble dame, n'ayant rien de mieiix a
I'aire dans sa .solitude conjugale, sc mil en tele d'avoir iiial
liiix dents, et d'envoyer cliercbcr le denlisle. Jamais perles
lines lie fiirent niieiix eiicbassees el jdus pures ipie les deli-
ealesdenls de la clialelaiiie, et ses molaires comme ses in-
eisives brillaienl du plus bel email. Ce u'elail pas une dent
i|iril fallaillni arraelier, c'elail rciimii; el son noble mari,
i(ui lui racoiilail iiieessammeiit ksmemes balailles, u'elail
I as amiisanl.
.Maiire Wappenhicliel I'aisail deux meliers, il elail no-
taire et denlisle; il speeiilail dans ses iiiomeiils de loisir
Mir les macboires du prucbain jiour faire aller la sieniie,
It son adresse elail devenuc celebre dans le pays. La clia-
lelaiiie avail done au.ssilol expediii au denlisle une junient
de selle fort douce que coiidnisail un ecuyer monle sur un
lier elaloii. Saiisdoule, quelquesgroscbende plus a gagncr,
c'elail bien seduisanl jionr le pauvre liomine; mais la unit
ilail noire, et le notaire n'aimait pas ii s'anuitcr. Tonle-
liis, apres avoir mis son costume de nocos, recommanJe sa
lidele compagne a rainecdescs lilies et leur avoir promis
a rune et a I'aulre dc reveiiirle plus lot i[ne faire se pour-
rait, il pril ses instrumenls, ceignit la rapiere, placa sur
sju front son tricoriie desdimancbcs. et eiil'oiirelia la bete
qu'on lui avail envoyee.
Les trois lieiic?, qui le si'-paraient dii iii.'iiniir du vieux
baron, riirent bieiilol francliies, el il se Iruuva face a face
iivec ce dernier. Celui-ei linlroJuisil, apres les coinpli-
ineiils d'lisagc, dans la cliambrc de sa feiiime, qui souf-
I'l-ait inort el pas^ioll, di.sail-elle ; el qui. des que M. Wap-
]eiibickel fiit enlre, ouvril aussilot la boiiclie de la meil-
leiire grace du moiide. Wappcnbickel y vit un tresor des
plus belles denls el s'arrcva. (Juaiil ii elle, ii I'aspect du den-
lisle notaire, elle partil d'un enorine eclat de lire, el,
boiidissanl sur son siege comme unejeunc brebis :
« 11 m'a guerie, il ma guerie, s'ccria-l-elle.
— Dejii, » dil le inari.
Le fait est que la presence de Wappcnbickel elail si bur-
lesque, que la jenne baionne n'avait pu le regarder sans
ipie sa rale desopiliie lui fit perdrc tonic sa melancolie.
I.e geiililbomme s'avanca vers la malade, la baisa au
front avec adresse, el liii proniil, en recompense de son
courage, un beau bracelet qu'il avail cominande pour elle
a Prague.
C'elail une aimable creature que la ebi'ilelaine. lillc re-
luercia le denlisle, lui demanda avec iiUerel des nouvelles
de sa I'amille, puis, en liii donnant .sa main potelee ii bai-
ser, elle glissa adroitemeiit dans la sicnne une belle piece
d'or Ionic nenve.
II N'eii dilesrien, ii murmiira-l-clle .1 son orcille.
II se courba avec respect, posa ses levres sur les doigts
rflilcs (pion luitendail, el, apres avoir exprime loiile sa
iiToiinaissanee, engagea la jenne I'einme i'l cbercber un
ii'|osdonl elle devail avoir si grand besoin. Li'i-dessus il
s'ineliiia proroiidemenl ilevant le baron el vonliit prendre
conge.
Le mailredulogis ne vnuliil pas laisser aiiisi parlir celiii
|iii \eiiail de lui rendre un service emineni, el, le prenaiit
nr )\ \Tr.i.iiT hkimuimi.
10
|Kir le liiMs, il le conduisil a uiic salli' mi lino I.tIjIc li'acajiiu
(Hail couvcrlc dc plats esqiiis el dc liniili'illos oiiijauoanlf-;.
II no put sVinpi'dier lie fairc frto aiis iins ft nils aiitirv,
H s"cn !iciniilta si consiMoiu'idisoiiicnl, (|M0 hii'iiti'il s.i
lanf;iic se di'iiniia lout .i fail; il raniiila an viriix lianiii lis
fails d'arnii's iK's flicvalicrs dp la Tnldf rniidc, seiilit sun
gosicr sc dL'ssiiclior en [larlaiit, riiiinii'i'la dc noiivraii.
rcpai'la, liiil dii iioiivcaii , ct le vin ayaiit fait son I'ffr'l, li'
nan-ali'ur onlilia I'liciiro qn'll olait. II on olail a son di\-
nonviemo voito do vin do Madorc, ([iianil uno "rosso poii-
diilo soniia ouzo lionros, ol il pssnya do so lovor, mais on
vain. I.a joiiiio daiiic. tros-liion ijnorio, ontrailalors, ol dit :
■' Maili'o donlisto, no parioz pas; il so fail lard. Jo sorais
dosoloc (pi'un si habile honinic conrni lo moindre ilanf;or
Vnyons, jc vais vous fairc pi-oparor iin linn lit, ct domain
nialiii jo vous rocondnirai moi-niome clipz voiis dans ma
polilo voitnro dccliasse, ipio vonsti'ouvoz si oli'itanto ol si
roinniodo. Aliens, n'est-re pas, vous oonsonloz?"
1.0 nolairo sc courha, prit son oliapoan. it s'oii fill sails
iTOutor Ics inslanros du clialolain ot do sa oonip:ii;no, ipii.
voyanl f|iio loiil co (|ii'olle disaiti'lail iniitilo. pril lo parii
do liii soiihailor iin lion voyaf;o ot do s'on allor oonrlior.
Voilii done le dontislo sous la voi'ilo dos oioiix, marohanl
roido ol trainani sou opco ajircs Ini. II sc mil a ropassor
dans sou os]ii'it, aver iiu continlcment iiilimo, son aiida-
cicusc chcvauclioc, ot siirlonl I'adrossc doni il avail fail
preuvc dansropiTalion. adi'ossc qui Ini avail vnlu iinsoii-
rirc dolajolio liaronno, nnliaisorsiiriinc main pins Idaniiio
qu'un ryuiio, iiiio liollo piece d'or ot iin repas dolioienv.
.Mais tandis (|u'il rhercliait a ressaisir rliaiine di'lail dc la
soiree, sa Icle, d'ahord pour uii instant refioidio, liii it-
fusa lout a coup do le dirigor, el iin enormo ooiip do pning
de goanl, assene siir sa nu(|ne, Ini somMa orrasor ct aiioan-
lir toiile son oxislcncc morlollc : c'ost f|no mail re Wap-
penliiokol venail de fairc uno rcdontalilo rlniio dans iin
fosse ; S.I paiivi-o tote .ivail porlo coniro uno raoined'arln'o.
II se roleva ; mais liicntot ses jaiulios s'emliairassanl
Tunc dans Tanlre, il chanccia prcsque .i oliaqiie pas ; son
corps maigiT, allonge, lluel, nc icsscinldail pas mal a iiii
jonc lialancc par le venl. Si iinc faussc honte no roi'il rc-
tcnu,il serait relonnic sur ses pas ponr rodcmander I'asile
qu'il avail nagucre iirprudommenl refuse; mais, craignant
qu'on n'atlriliuat son rclour a la ponr. il se redressa avoc
licrte, ot laelia de suivrc Ic plus ro|fiilicieiTicnt pnssildr la
voicqui s'offrail dovantlui. Malgre scscfforts, ildorrivilnnc
foiile do eoiirlios irroguliorcs qui le firenl cai-amliolorcnnlrc
quelqnos arljros; puis il.se prit ii courir dans la dircrlinii
qu'il crut oiro la lionnc; mais, au lieu do reparer sa pre-
miere orrour, il on commit une plus daiigoronsc, ot son-
fonea dans une valloe marccageuse qui liii olait totalomoni
inconnuo. Apros s'clrc dolialtn loiirii tour dans Ics uiaro-
cagcs ot dans Ics lialliers, il apornil une Inmiero dans lo
lointain. .\ oettc dorouverte incspoicc il respiia. u I'as do
fiimoc sans feu, (las dc feu sans homines, pcnsa maiiro
Wappenliickel. en s'avancani plcin dc courage ol d'espo-
lancc vers I'cndroit on il pensait rcncontier uii ahri. Co
sera l;i rortainomoni quolquo hutlc. ou je pourrai mc lo-
metti'o de ma course, seeher mos souliers et mes has en
attendant Ic jour el apprendrc enfin on les maudits llacons
du haroii m'ontcnndiiit sans mon aven. »
I.a logiqiic du liiiuhomme no le trompait pas lout a fail :
la ehirto en 'question s'cchappail tout lionnemenl dune
Innlornc. ipic porlait iin pellt individn rnnlrcfail , vai-' i-
tiqne el haroqiic . au^ jamlics torses coiniiio nii hassi I ,
li la lolc dispropnrliunnoc ct au visage liidciix. Tc grolesipie
pcrsonnage elait du haul en has d'nn gris condro, sis
vcnx otincelaicnt coDime denv vers Inisauls, 1 1 sa main
ilroilc, singnlicrcment ossiuse ol dovoloppcc , ro|,iisail snr
nil baton d'c|iines avoc nnc orgnoillonso assurance.
« Qui-vive? s'ccria Wappenliickel il'iin tiiii liriisi|iio,
qui saisil la poignoc de sa dagiic I'u froiioaiil lis snurcils
ct cnfoncant son Irioorno.
— Ami, ropliqiia indoloinmcnl lo ]iygnioc.
— A la bonne hciire ! mais ijiii'l isl Inn iionr.' ropril Ic
nolairc.
— Si CO n'cst que rii , dit lo iiain on ricanani , jc puis
vous salisfairc. Je in'a| pclle Darinilaliipildi, je viciis du
chateau dc nrododonlh el jc me rends .1 la ville voisinc.
.Mais voiis-mcmc. qui ol ssi eurioux, vondrcz-vous bionnic
dire a voire lour eommeul vous vous iiommez ol ic qui
vous engage a courir Ics champs ii paroillc hciiro ?
— Ic siiislc nolairc Wappenliiekol. lopondil Icdenlislo.
a qui I'aspcct olrange ainsi que la voi>; du petit bancal im-
posail inalgro lui. J'apparticns a la jnslico, el comnic ecro-
ri a les veux liandos , elle u'a pas rcconnn mos morilos et
m'a pre.sque laisso moiirirdc faiin. moi et ma fainille. Mn:i
iiiiuco ompl'ii me rapporlant fort pen do olinsc. j'ai fait
appol ii mon adrcssc ot a mon inlolligcnoe nalnrello.
J'arrachc , prjur vous scrvir, les dents li oon\ qui voulcnt
bion .s'adrcsser a moi , et jc puis mo vanlcr d'opcror ::\-ci-
line dexterile pen commune. Aiissi , dopiiis iinmbrc d'n;-
nces, passo-je dans lonle la conlroo pour nil liahilo himinio;
memo la noblesse dcs environs ne dodaignc pas dc rcroii-
rir asscz sonvenl ii moi, qnaud il s'agil d'liiio affaire do co
genre , el dans cc moment jc son du caslol d'liii viciix
gentilhommc. 011 j'ai dc nouveaii doployo mon adros-o.
Voila la vcrito loiilc niie.
— Tres-bicn. .Mon mailrc, qui dcnioinc .i 1111 boii quart
dc licue d ici. a etc reveille cclte unit |iar d'cpouvanlablcs
niaiix dc dents, et n'y pouvanl pins Icnir, il m'a ordonnc
d'allcr chercher qnclqn'iin dont la main |iuissc Ic dolivrcr
dc son mal. Pnisqiic vous ctes si habile dans viitre art et
que vous semldoz avoir de la bonne volontc, siiivez-miii;
vous pourrcz fairc une bonne affaire clm'eviterniie course
asscz longue. Le ehalcau de Brndodonth s'cleve sur une
polite oollinc jieii cloiguce, que jcpourrais vniis monlrcr
dc cc lieu s'il faisail jour. Je dois vous provcnir que si
vous n'cles ]ias sur de voire savoir-faire, si voire ]inignct
est faililc, incertain, inhabilc, il sera plus .sage li vous dc
ne pas risquor raventnre ; ear mon maiire est liboril. mais
no ,se laisso pas railler, et, en cas dc non-sncccs, il serait
bieu rapablc do vous appliquor line correction dont vous por-
loricz les marques pciulant lout le restc dc voire vie. Ilello-
cbisscz vile ct faitos-moi pari dc cc quo vous aiiroz rosolii.
— Cost tout rollocbi. dit le nolairc. qiriino poiiilo \\i-
vin rondail aiidacicnx ; iin hoininc de ma Irompc nc ba-
lance jamais, qnaiid il est question d'agir. et je vous suis.
.Ic suis sur dcinoi-incme, voyoz-vons, ot je n'bcsilcrais pas
une sceonde . (|iiaiiil il faudrail m'allaqiicr ii la m.icliniio
du diable
A CCS mots lo nolairo suivil Ic uaiii dont il avail 011-
lilie la laidciir, ot bicntot ils allcignirent ensemble les
fortes du ebiilcau, garni dc tourellcs, qui s'elcvail sur une
rnche escarpoe. I.o guide alors ouvrit, sans proforor iin
mot, une clroilc polernc qu'il refcrma soudain deniere
Ini, puis, monlant un esealicrnoir el tonrnani qui condiii-
ill
^ IK riiiVKi:
>ciil .111 ini'iiiii 1' 1 l;ii;i'. 11 I'lililii Mil Iniip con iilnr, el |)i'iir-lr;i
iliins lino £;r;iiul('s:illi'. ou il oriloniia an ilcnlislc irallemlro
(Hifl(|iios inslanls.
llcslo soul ilaiis ocltp vaslo piccp silcnripiisc ot soniliro,
]e nolnii'c se sciilil frissoiiner malgrc lui. Ce cislol qui
soinblnit iiilialiilr, ccllc clianilnp a poine uclairce el qui
scniail lo iiioisi, Tasiecl grisalre ot oxlrannliiiaii-o ilc son
ronducloiir, lout roiicoiirail:i I'vcillii' eii liil iiiic seiisalini)
iloiiliiiiroiise (I va^'iii'.
NrannioinsM. Wa| jiniliicki'lspiiiil, pniiriiasserlclcmps.
a nclloycr Ips inslnimcnis qu'il avail, sans y son^cr, liirs
He sa jioclio. Unc ijiosse vuix, snrlani de ra|iparlenioiil
voisin, 111! firilniina d'cnlri'i-, on rapiiolaiU par son nom.
Anssitol il roforma son plni rhinirsiical. pril son cliapoaii
sons son liras pt olioil ,'i rinjoncliiin qn'il avail rppiip. I'n
homnip , (rnno laillp polussalp , onvploppr clans imp lolip lii'
rhainlirp Pii llamas vprl a i;rancls i-amai,rps Pl porlant sin- sa
Iptp nn lionnpl Ac vploni's noir nni. Ip rpciil avee nnc ili-
jinilp fi-oiilp Pl iniposanip ; p'plail |p pliatplain. Lp ilenlislp
sp coiirhn jiiwpra Ipitp, nuiiniura qiiplqnps paroles qui
ilevaipnl lpmoi(,'npr son prol'oml ipsppil. Pl se rpcominanila
liiimliieiripiil aiix Lonnps grapps ilii spii;npur.
11 Tn es (Ipniisip? dpmanila lp £,'pant il'iinp voix grave el
SMiiiire.
— Oni, monseignpnr, repondil lp grpfHor en s'inplinani
bien has ; el jp mp ferais nn lionnenr de pouvoir vous
servir.
— ^'ons allons liienlijl voir si tn lp ppnx, rppril son iii-
Iprliipnlpnr. ('ppemlanl, soil dil pnlie nous, In ne niP fais
pas dn loni I'pffpl d'pirp I'liomme qnp je pherehp. Co visage
lili'nip, CPs nipmbres greles el ppl lialiil rape ne ni'an-
nonppiil rien de bon.
■ — ■ J'esppre que eela np sera pas long, noblp sirp, dil
pn sonrianl le nolaire.
— Tres-volonliers, repllqua lp briilal palienl, qui s'assii
anssilol ; mais depppjip el prends garde il loi. n
Deiix nains anssi bizarrps qnp lp premier guide s'appro-
pbpreni, I'mi avpc iin plalpan, ranire avee une servielle,
el le nolairc sc mil en poslure.
fl,a siiilc :iii inimi'i'o iiroclmiii.)
VIE rRlYEE DES OISEAUX
i.KPiis Morns, i.rirs nAinTiDES, i.iar.s instincts.
On eonnail assp?. pen Ips oispaiix. I. Piir organisation di'
licale,la rrpidiledpli'iirsmonvrments, Ips allpial ions snliic-
par Ipiir organisnip el par leurs insliiipls qnand Thommp lis
a reduils en pnplivile, )ioiir les sonslrnire a noire analysp
Eeaucoiip d'enlrp pnx I'migiPnl, changentde plumagp el se
lapissenl Tliiver dans dpscachplles on I'leil hnmain ne ppiii
pas les SHJvre-. La llmidile I'ugilive des uns nous empeche
de les observer ; les autres, dans lenr orgiipil farouphe, sp
rpfngipnt au sommptdps monlagnps snlilairps. snr le som-
met ni'igpnx dps Alpes. Heiiendant I'liomme peiil saisir an
passage qiiplqnes dpiails de pps pxperieneps apripnnes. No
Ions ipi, ponr nnlrp inslrnplion el noire plaisir. quelques
anecdolps antbenliques et euripusps ndalivps ,'i cpltp race
inleressantp.
§ I.
UCS CRIMES S'DN ROUGE-GORGi:.
Le rouge-gorge, onle sail, porle nn eoslnme d'nnpsin;-
plicile poqnpllp Pl d'nnp originajlp pleganlp. II pst sociable
jiisqn'a la fainiliarilp; il ainip a Pirp jirotpge par riiomme,
el queb|iiefois il en abuse. On Ini reproebe de ponsserqne'-
qiipfiiis la familiarilp jnsqn'a limpprlinpnep. l.'liivpr, il ne
SP gpnc point ponr vous dpinandpr raiimune. Les gpns i\n
Nord, ipii onl fail avpp lui ample connaissancp, I'onl ba| -
lisp d'un nom chrelipu, luionleonsaere des legendes el des
ballades, el le Irailpnt pomnie nn vipil ami dp leurs longs
liivers. Us I'aiipellpnt « Robin , llobinet, lloliin le genlil-
hnmnip el Robin le bon pufanl » Un jardiiiier pcossais.
nns oisE \i;x
21
(Innt la ligiirc ossouso, lo rnsliimc kirinlo ot lo palois c.-
prcssif eiisspiU failles dcliccs do Waller Sroll, me racoi;-
tail, en 1830, comment il avail deroiivert, re (|ui I'avail
lieaiicoiipsur])ris, ([lie Roliin elail ea|ialili'di' crimes oilieuv.
el, chose surpreiiaiilc ! iiiie ll(iiiiiurrt«(V;wi*'i7c»(iV/i(iHi"'c
J'avais ele rendie visile a la veuve d'uii general espagnol.
Ecossalse d'origiiie, doniiei'iee en Ectisse aiipres dc sa fa-
mille malernelle. Elle dememail siir In route de Cosloi-
phine, a cin(| niille d'Edimliouig, dans line cliarmanle liahi-
lalion. creee par I'amliassadenr .'i Constantinople, sirllolierl
Lislon, qui, Ills d'nii fermier, s'clait plu a enibellir I'aii-
cienne chauiniere de son |iere. L'liiiiiilile toil etait resle
delionl, coiiverl de clievrefeuilles el d'eglanliers ; une lour
feodale avail ele enclose dans le doniaiiie, el renscmlili',
devenii aiissi liizarrc ipie clianiianl, offrail, par lesmonve-
mcnls el ringeiiieuse dislrilinlion dii terrain, la variete la
plus pirpianle. La porle de la forme ouvrail sur un pelil
perron, d'oii Ton descendail jusqu'.'v line piece d'eau inV-
giiliere, encadree dc gazon fin, et parconriie dans tons les
sens par des lialaillonsd'oiseanx aqiialiqiies.
Sous uii dc s plus grands arlu'cs de cello solitude enelian-
lee, la mailresse de la maison aimail a so reposer pendant
les lieaux jours dc raulomnc, el sonvent ses domestii|iies,
qui savaienl iprelle ainiail li rever, la laissaienl senle dans
celle situation. Au moment ou nous nous presentiimes de-
vant elle, une scene liizarrc et inlcressante sc passail. Elle
essayait de cliasser, de la main, un pelil rouge-gorge im-
pcrlinenl qui, sans cesse ocarte, revenait loujoiirs, avee
line insislance singuliere. saiililler autour de sa mailresse.
lournanl a droite et a gauche sa jolie petite lote enqiietic,
de velours rouge el noir, poussant de pelits oris douloureux
ct sfinidant implorer sa grace. I.orsipie d'lui euiip do niou-
clioir elle I'avail force de fuir , il se refiigia!t au milieu d'un
liiiisson voisin, oil il reslait triste el Idolli pendant quc'qiie
temps, jiisqu'a ce qii'il ncommencat le momc manege.
Nous vouli'imes savoir I'liisloire dii rouge-gorge, et eon-
naitre, s'il elail possihle, le niolif do la sevcrite que la jeune
femme lui niontrail.
II Oh! c'est lout un ronian. nous dil-elle. Qnand je suis
arrivce ici, je fiis otonnec cnmine vous dc remiiressemcnl
que me tomoigiiait cc pelil monsieur; sa grace in'avail plu,
el il me faisail la coiir avec laiil de genlillcsse, qu'en vc-
rilo je n'avais pas le coeiir de me monlrcr cruelle. C'est
Tommy, le jardinier, qui m'a eclairee sur son vorilalde ra-
raclere, el mainlenanl je ne peux plus le soufl'rir II a com-
mis lies crimes, et le plus exocrahle de Ions aiix yeux dune
femme. .I'avais coiiliime dc dejeuner dans nia serre. a Taiilre
hoiil dii jardin; qnaiid le temps elail convert ou pluvicuv,
je faisais aliaisser les vilrages, el je joiiissais de la heaulo
do la malinoe el dii parfiim des lleurs. Co petit nonsiciir
se mil a liccqiioler sur les glaces de la scrre pour demaii-
iler entree, et je lui oiivris. Nous nous aeooiitiini;imes hien-
li'it I'lin li I'autrc, et j'avoiie qn'il avail fail de grands ct
legitimes progres dans ma confiance, lorsqu'un heau jour
mon jardinier Tommy, entrant tout a coup pour donner
un coup d'cpil a dc maguifiqiies daliiias donl il a grand
soin, le vil en conversation rog'ec avec sa mailresse, bal-
lanl de Taile a pen de distance de nia tele, el voltigcanl an-
dessns de moi avec In plus sOduisanle coqiielterie. Tommy
Pousse un cri d'effroi, et, reslant immobile, les liras clen-
ilus, en face dc nous, parul slupofail, ce qui me semldail
olonnanl.Robinaurnil clo le plus redonl.Tblc des nialfailcurs,
que Tommy n'aurait pas manifesto plus d'effroi... Tenez, lo
voici Ini-mome qui vienl me demander mes ordres; il vous
dira de qiielles actions ce pelil monsieur est capable... Tom-
my, conlinun la jeune femme en s'adressant nu jardinier
qui s'approehait, monsieur veul absolnmenl que je donne
li Robin sa griicc ; qu'en pensez-voiis''
— .\ lui! s'eeria Tommy d'un ton grave el dans son pa-
lois ecossais, nc le faites jamais, madanie! c'est un impu-
dent petit drole, et qui ne merile pas autre chose que le
lacel... Imaginez, mon.sieur. conlinua-l-il en sc loiirnant
do mon cole, que pendant deux annees conseculivcs on lui
donna asile dans la serre chnudc, sous une fcnille de jinl-
niier qu'ou liii laissn en toiile propriclc. II elail la souveni
sur le bord dc sa roiiillc cnmme un grand seigneur qui so
SCKNKS
pronii'iii' siir sa Iprrnsso, el nind.inic smi ('■pouso oocuiJiul \r
fond ilu nid. sniijiiani Ic ini''n,ij;o d nnnirissnnt s:i pi'lilo
famillp, Los deux |ir.'iiii('n's nniH'Ps ro!n n'all.iit pas mal.
Rnhiii so coinporlnit liion onnimo pcro ol onniino opoiix. I,a
oouvoo faito. sa compa^no ot los polils pronnaionl lour vul,
coniiiip c'osl rusaj;o inimomdi'inl olioz los rou!i;os-i;nrf;i's.
ol lo };oiilillioniuic roslait on possossiou do son doniioilo.
Mais la Iroislomo annoc lous los polils ayani cpiiUo lo iiiil,
j'olisoi'vai fpio la rrioro no Inliaudoniiail pas, ol (pio lo innri
lui donnail son con!;o d'uuo faoin asso?. vivo qu'olle fiiisail
somli ani do no point coniprondrc. On s'occupa do co pro-
ccs, monsieur, proccs on soparalion do corps, conlinua
Tommy en riant ; el les uns olaicnt pour la fomme, los au-
tros pour lo mari. Cou'c-oi vanlaiont la conslanco do I'uuo.
coux-la insislaioni sur los privilojjos do uotre sexe; cos
dorniors avaiont raison, monsieur, n'on doplaiso a niadanio.
Qnnnd Holiin eul opuiso son oln(|uoiioo, il oul rocour^ ,'i la
force; ol, lo croirio7.-vous, monsionr, — o'ost uno clinso .i
fairo honour I — il I'a tuoo, ninnsiour, 11 I'a luor !
— Kt nous n'avons plus voulu, conliMua la danio on sou-
riant, dun opoux do si niauvais osomplo. lloliin n olo lianiii
do son palmier, lo nid dolruil. los Iraoos du forfail offacoos.
Popuis cc lomps-la, 11 orre conimo uni' ,inio on peine aii-
lour do la sorro. (|u'il est oondanino it no plus lialiitor ja-
mais. Nous y avons donno asilo a uii autre liali tani plus
saiivaf;o, ot cpii est nn arlislo d'uTi fjrand lalonl. (I'ost un
merle. Celtii-la osl cclihalairo , el il a aussi son romau.
Tommy, voiis qui aimez los oisraux aulani <[»(• nos lloiirs,
dilos qu'on nous fasse sorvir lo dojoiiiior. Vous raonnlerez
onsiiilo ,i mm-'ii'ur I'liislniro du nierlr colilialairo. Kilo vaul
cello do lloliin. »
(l.;i >!itlr ;iii iiuiiirni ])i'i>rli;ijii.}
LES OISEAUX A BORD DE LA FREGATE.
Nous i|uittions on 1829 los ilos .\cores, ol nous onipo:-
lions, dil le capilaino lluj;lios (jroot, line cpiantilo assfz
considoraldo do ijraius. do fruils, do (lours cl memo d'ai-
liuslos (|uo nous deslinions an jardin dliisloiro nalurollc
d'.Vmslordam. Lc Irnisiemo jour apres noire depart, nous
nniis aporcumos avoc olonnemonl (pie Inulos los vorijiies
do la fropale olaii'ut coiivorlos do cos charnianls polils oi-
soaux si lirillanis do plumage qui lialiilent los otinranirs
forols do cos Inliludos Ilionlol los malolnis s'haliiluoronl ii
onx. lis ouronl lour ration ol lours liouros do ropas. En-
trainos an milieu do lOcoan par la course du na\ ire cl dr-
venus nos coni|iap;nons do roulo, ils s'lialiitucront si biou
.lu sifllomonl dos cordafjo ol aux uiouvomontsdo roi|uipai;o,
epic nous los onimonamos avoi: nous jusqu'a Borp-op-Zooin.
I.a rigneur du olimat fit |iorir prcsquc lous los polils holes
dc ma frct^alo ; puis deux ou Irois soulomonl suivironl :\u
jardin dWmslordam los arliros donl lo parl'um les avail sr-
duits. ct qu'ils avaiont siiivis dans lour omiirralion.
[Juiininl (.V [.■i/ile.)
SCENES, RECITS, AYENTURES ,
l:xrn,Mis pi;s ri.rs nhU,nMs vnv\f,F,rns.
TRAPPEDB. BES MONTAGNES ROCHEUSXS.
J'cus Ic liouhcurdi' rcnconlrcr, dans uno dc nics excur-
sions en .\mr'rii|ue, liaplislc lirowu, fanicux irajifcur dos
montapjucs Itocluusos. I'cu d'homuios connaissaicnl niioux
que lui la vie saiivafte du i,'raud drsort dos prairies; il avail
ohasso avoc los shitsliimies ou serpents, dans lo n ravon so-
il lairen, dansloicp.iic aiixlaurcaiix n, aiusiquesnrloshords
du grand lac sale. I.cs corhenux, les jiieds nnirs I'avaionl
poursuivi pres dos sources do la Plain ol do la riviere
Jaune : mais Ic rocil dc son avoiiturc pros du fori David-
Crockoll, dans lo Trou do Drown, m'inlcrossa plus que
lous les auiros pnrce quo j'avais dojii visile cello curicusc
locnlitc. Tandis qu'il mo raconlait ces dolails morvMlloux,
sasro.ssopcrsonnesenihlaitsedeployor, ilaspirailavocfnicc
la fumoc dc sa pipe do corno , el son exaltation devini si
coulagionso, qnoj'aurais voulu mo trouvor encore an dol.i
du desert qui mo soparail dc cot ondroil.
Hue dos avonliires do Raplislo mc pnrul tellemoul liizarre
ot caractcrisli pu'. quo je la rajiporlo lello qu'elle ni'a cli'
ra CO nice.
La vallcc conniic sous lo nom do '/Vow dp Ilrintnt osl
silucc an midi dos munlagnes ]Viiidiirer sur lo Sheel-
Skadio. ou la prairie Oockriver, olcveo do plusicurs milliors
dc piods au-dossus du niveau dc la mer, n'ayani que quin?e
millos do cireonroroncc , onliurec do haiiles collines .
est a jusic liiro, sinon ologimnioul. caraclorisec du noui
do Trou. L'hoilie vorle ot nutritive dos monlaguos , los
laiUis dc colonnicrs croissant o.a ct la, les hosquels gra-
oioux dc sanies, Ic sol gras el feiiilc dc cello valloe isoloo.
on les legumes dc loule c.s]iccc croissent en profusion, snul
arrosos par la Sheel-Skadic, ou, cammc d'aulros I'appi'l-
leiit, la riviere Vorle, quise prccipitodansle Trnuau nord.
d'oii olio sort (^n passjint par uu dci.lc semhlaldc .i la valh e
do Teiupa , au sud. La temporalurc est admirahlo ; c'csi
pourqnoi dos ccntaines dc hdpiiciiis on font lour quarlior
ri'hivor; colic valloe osl aussi froquoutoe par dos ludiens do
loulcs los nations, tiiais surloni par los .Vrrapahocs, qui y
vicnurnt lialiqucr avoc les hlanos. (".rs Imlions soul npu-
les los moilleurs cnlrc lous les aulres des monlagncs llo-
cheuses. Draves , guerricrs , ingcuicux , hospilaliers, iK
snnt plus I'iehcs que la plupart dc leurs cimlVercs, ot pns-
sodont un grand nomhro do chovaux, dc mnlrs, do chicns
el dc niontons. lis cngraissont los ohicns ot los maugeiil.
On los appelle niangenrs dc chicns ou Arrapahoos. Lenj-
fahriquo do couverlurc indique dc grands progres\ers la
civilisation, qnoiipic cot art ap| arlicr.ne a lour pays, ol i.c
\ ieunc |ias do relranger.
I'armi lesjonnos lilies qui vinrcnl s'otali'.iraux environs
dn Trou dc Brown, lorsquc la trihu s'y rcndil pour Irali-
cpier avoc los hlancs, sc Irouvait unc scmillanio Indienno
qui, des les pr micros ciilrevues, s'cnipara du cocur dc nap-
lisle, nicn n'csl plus cnnimun ; les mccin-s des hahitanis
des monlagncs Ilochcuscs no s'o|iposent pas a cos sorli's
d'alliances. On a vu sonvoni des liommcs d'un rang plus
oleve dans lo mnndo aliaudoiuier los liahiludes el les arl.s
UK VOVACKS liliCHMS
lie lii tie (.-ivilisco |,uui' s iiiiir u uiie lu'llo Jii deseii. hlui-
!;iR's lies reinnios dc Icur cinilciir. rosi lianlis chiim|iions do
1,1 civilisaliun ouMioiil c|u'ils soul Ijlnnrs: on no penl ^hito
on (HiC sm|iiis lors(|n'()n so ra|ipollo 1 inllnonio dii soli'il
hrulant do rAmoiiiiio siir la jioau. II y a aussi jilusioui's
siirtos do gibior ipi'il osl dol'ondii dc^ oliassci'.i line coi'laine
o|ioi(iic do ['aiinoo: c'osl dans cos jours do desccuvromenl
quo los cliassonrs oliorolionl a so dislrairc el paicouront los
ivigwams ol les |jolrinses do lonrs voisins an loint sonihro,
dont los haliilnJos dilToront lioancoup do oollos dos Iriljns
tpii oiil ell! cliassoos do oliez olios dans los Etats-Unis. Los
I'l mines dnnsent ioi el oliliennonl ]dus d'nn cffinr loi'sipic
Icnrs talons nils et jii-illanls ofdenronl la peluusc. Elles
lout dos guoiios, llssoiil dos couvoilnics, ct les jeuncs
cliassoui's, sonildaljles a d'aulrcs amoiiioiix plus rapprochcs
de nons, sonpiienl pros d'ellos pondaiil (piollos se llvient
a CO genre d'occnpalions, nn'olles savenl lonjours egayor
pai' dos chaiiLs molodionx el Icndros.
('o fnt dans nii de cos momonls i[iio Baplisic s'epril do la
jouno Aii'apalioc. II n'avail alors d'anlri' parti a picndre
cpio do s'en fairc aimer et de Topousor. Mais, lielaslles
I iipas sauvaifos no lo cedent en rieii a corlains papas civili-
ses, qnoi.pie pent-('lre plus francs ct |ilus positifs encore!
Jamais ils iraccordonl lonrs lilies sans oblenir pour eu\-
inoines un cadcau en eohangc, d'uno egale valour. Le pre-
lendaiil clioisil oi'diiiairenienl son nicillour clioval, le con-
dull an vigwiim dos ]iaronls de sa bien-ainiiie, raltaclie ii
un poloau et sc retire : si, apres rexainon, le clieval est ac-
<-eple, rentrovuo a lieu, et I'affaire no lardo pas a sc coii-
clure. Si, an contrairo, los parents Irouvoul epic le clioval
no vaut pas la lillo, ils o.vigoni d'aulres presents avanl de
cunsonlir a se soparor d'un olijel aussi procieux; cost ainsi
ipio l)on nomlire de blancs riches out eiileve la plus Ijolle
lille do la Iribu. On a inomo offorl unc fuis sept cents dol-
lars a je nc sais ([uel forlnuo jeuuc lioinine, en ecliangc de
sa feniiiie d'Etaw, ipii olail d'une boaule morvcillense ;
iiiais , disons-le a sa lonango , I'offre, liion ([u'elle cut etc
plnsiours fois repclee, no fnt pas acccplcc.
Avanl (|ue le cirur de Captlsic fill pris d'assaut, lo
mallieureux jeuno hnninio avail deja do]ionse luul ce (pi'il
avail gagne an prix do taut de poijies, pour se procurer cos
joiiis.sances dispcndiousos dos liipiours fortes et du labac
qui abrogeni la vie d un grand nombro do ces hommes en
dopil de lours constiuitions fortes et vigonrcnsos. II ne Ini
restait done pas de ipioi aclieler un clioval, ol sans clioval
point de feniine. La saison do la cliasso elail passee depuis
longlenips, il fallail allondre encore un niois la nouvolle
opoi(no An depart. CependanI Ilaplislo pril son fusil, (piitla
les douceurs et les plaisirsdu foil Uaviil-Crookell. pour aller
chei'elier I'ours dans ses aniros les plus reculos , le castor
dans soseclusos. et le legor chamois sur los plainos do ver-
dure, esperaiit sc procurer par sa chasse laboriousc los
moyons d'oblonir sa hieii-aiineo.
1.0 travail de quelipios jours reniplit la cachetic d'un
Irappoiir d'une ample provision do pcaux et do fourrurcs.
lies loulres, dcs castors lomberont dans lo piege ; 11 liia
plnsiours daims, et le succes somblait couronncr les cfr'orts
infatigaldcs dc moii ami liapliste. Aiu'cs avoir parcouru nil
grand espace de terrain :\ la poiirsuile dos boles fauvos, il
reviiit charge de son farJeau vers sa eachelte, ol, deposaiil
ses Iresoi-s a son ipiarlior giiieral. il so remil en iiiarche.
I'lus do trois scmainps se passereni ainsi. Un jour, commc
il sui\ail un uomciu Soulier, le Irappour aventurier nulni
dans un ravin profoiid et boiso qui couduisait evideinmeul
a une | laino oil lo gihicr dovait olre abonilant. II ponelre
an milieu dcs taillis el dos roiiees se fraye un cliemin a
I'ai lo de son contoau. sort onlin du hois, el sc troiive sur la
lisieredela clairiere. Eaplislo no ]iut alors rolenirun cri de
surprise apres avoir love un iiislant les ycux aux ciel , il
rontra dans le hois el s'y arrela pour se livror a ses re-
flexions. On no peul cxpliipier la conduite du lrap|jeur
sans parlor d'un usage parliculer aux Arrapahocs.
.Xnl jeuno lionimc, fut-il le fils du plus brave de la tribu,
n'a droit de se ranger panni les guerriers, ou de sc ma-
ricr, avanl d'avoir fait quob|ue action d'eclat, et que le
sang de son ennerni n'ait rojailli sur liii. Cost pourquoi,
an commencoment du printoinps, tous les jeunes gens qui
onl alleint Page voulu se rassemblenl, s'cnloncent dans
les bois a la recherche d'avenlurcs pcrillouses, ii la mauiiire
dos chevaliers errants d'aulrcfois. Lorsqu'ils out Irouve un
lieu solitaire, ils leunissent dos perches de vingt a Irenle
picds do long, les attachont par Ic haul, font une grande
oalyane dc forme couiquc, y ajoutanl des branches et des
fouillos. A rinleriour ilssuspendont une toledebuflle verl,
des chaudieros, des pcricranes, dos couverluros, la peau
dun bufllc blanc comnie orfraiides au grand esprit; en-
suite ils so livrent a cortaines pratiques niyslerionses; la
premiere consiste a fumor la pipe modioale : I'mi d oux la
reniplit de tabac el d'herbcs. plai'e audessus un eharbon lire
de la cabanc niyslique de I'esprit, as|iire la fuiuoe el la
laisse ecliapper par ses nariiies, puis ils font lonelier I'eni-
Ijouchurc de la pipe a la lorre, ct apriis quobpios aulres
coromonios nioins iniporlanles, la pipe fait le tour de la
cabane. I*lusieurs jours, coiisacres a des rejouissaiiees do
toutos sortes, so passenl avanl (|u'ils soieni piels a enlrer
en eampagne. Eiilin, ils abandonnonl la cabane; el nialbeur
aooluiqui oscraily peiietrrr, il serail aussitot punide inort
si on venail ii I'y surprcndrc.
C'esl auprcs de ces cabanes mystiques que nous avons
laisse Baplisic en proie ii une foule de rellexions. II se
eroyail cnloure d'objots plus que suffisants ]iour achcter lo
cheval exige; mais riionncle liapliste n'aurait jamais songe
ii derober ((uolquo chose du teinple des Peaux-llo'uges. Itien
de ]ilus bizarre que do ronconlror ce respect religioux chez
cos homines grossiors, joint .i un principe de justice qui
les doniine toiijours. Copendant monami cut ii soutonirdc
rudos combats : on anrail cru, nie disait-il, que loulos ces
clioscs se Irouvaient expres sur nion chemin, el que je de-
vais'.es acco]ilor. I'uis il se souvint qn'une foi> un pauvre
Irappour blanc. ii ipii on avail vole son manloau au com-
inencenieul de I'liiver. pril -ans se goner une oouvcrlurc
dans Hue do ces cabanes d'.Vrrapahoes. Lorsqu'il I'ul anienii
dovant los vicillards, accuse de sacrilege, il se defondit en
disant qu'ayant etc vole, li^ grand cspril avail ou pitie de
sa position, et lui avail donne I'ordrc de prendre la cou-
vorlurc pour s'eii vetir ! le grand cspril a ccrlos Ic droit
dc disposer des choscs qui lui apparticnncni. Telle fut la
decision; le Irappcur fut absous. tiopcndanl liapliste bian-
liiil la tele; il allait s'eloigner lorsquil sentit unc main
s'appuycr sur son cpaule par Jerrierc, el vit en sc retour-
naiil un guorricr indicn onic de ses peinliircs dc combat.
Lis voyageurs se lironl des salulalions ct raceiieil le plus
I ordial ; lo jouue hommc n'olail autre que le frcrc de la
bien-aimoo du Irappcur. et liaplisle Brown lui avail donne,
la saisou procedonlo, la plus belle pipe qu'iui pill voir.
" Mon freiele Mane dorl pen. il osl bicii inaliiial. u
scem;s
Lc chasseur souiil, ol lou^il presquL' comme il rejilii|iia :
« Mon iciijiiam cnI vide, Pt jo voiidrais le rciulrc cliauil el
commode |ioui- la neuv de iiioii liuaini. II sera uii grand
guerriiT. »
Le jeuiie brave liraiila la leli- ;;ravi'nieiil, el moiitra sa
ceiiilure : pas iin pericrane ne .s'y Iroiivail. Puis il dil :
« Cinq lunesse soul cndoniiies el la liachc dc rArrapahoe
ii'a pas ele levee. Lcs I'ieds-.Noirs soul deschieiis el se ca-
chenl dans des Irons. n
Sans rien ajouler ii ces niols signilicalil's, le jeuue clief
se dirigea vers la Iroupe giierriere d'Arraiialioe. Baplisle,
enclianle dc voir la li.;ure d'un de ses sembhliles, sui-
vil le jeuue honimc. II Iraversa le ravin que le Irappeur
avail deja pareouru. An ccnlre memo du defile el boise a
moins dc vingl pieds d'oii Baplisle avail passe, on voyail
le camp indien. Le chasseur y recul le mcillcur accueil.
On I'invila a preniire sa part du sonpcr que la Iroupe
se disposail a manger. Bajilisle, doul I'appelil elailexcile
par I'air vif des nionlagncs, accepla volouliers I'invila-
tion. II dcvora d'enormes tranches debuflle, fuma uue
pipe aupres de sou and, qui lui raconla commeul I'uxpe-
diliou avail manque. An bout dc queli|ues inslanis Ba|]listc
apercut de certains signes qui le niireut mal a I'aise : U'S
Indiens, ii u'eu pas douler, s'eulreleuaienl de lui tout has.
Euliii, une vive discussion s'eleva a laquelle se joiguil le
jeune chef. I'our nie servir des paroles du iiarralenr, u ils
couvinreul tons que sa jiean blanche indii|uail indubilablc-
menl i[u il apparlenait a la grande li'ibu de leurs einicmis
nalurels, ipa'avec le sang d'liu blanc sur leurs vplemenls
ilsanraienl renipli lescoudilions deleur va^i, el pourraii'ul
relouruer chcz cux aupres dc leurs parents.
Cepcndanl (|uel(pics-uusmireulserieusemeul en question
si lcs iioms sacresdc frere el d'anii, qn'ilsluiavaient donne
di'puis plusieurs annecs, n'avaient pas lellcnieul change ses
relations envers cn.\, que le grand esprit auquel ils avaient
fail vceu I'avait envoye parnii eux revelu du caraclere qu'ils
lui avaient donne, c'csl-ii-dirc comme frere ct ami ; s'il en
etaii ainsi, le sacrifice ne ferail quirriler lc grand esprit,
cine lcs relevcrait en aucune manicre de Tobligalion de leur
vccu. D'aulrcs prelcndaient que Tesprit leur avail envoye
celle viclime pour les eprouver; il avail etc, il est vrai,
leur ami, ils lavaieul appclc frere, mais il clait au.ssi leur
enncmi naturcl; ils ajoulaiciitqucle grand elre ne les rele-
vcrait pas de leurs obligations, s'ils pcrmellaicnt que cello
relation factiee d'amilie apporl.il uu obslacle u leur obeis-
sanee. Les aulres repliquaienl que lc Irappeur, quoique lour
enncmi nalurcl , n'clait pas conipris dans le sens du
v(cu, epic sa morl serail unc taclie a leur ccjurage, une
violation aus loisde ramitie, qu'ils pourraient liien Irouver
d'aulres viclimcs, mais que bur ami ne pourrail trouver
une autre vii'.
A la grande cousleritaliou de Ba|ilislc, ces jiaroles ne pa-
rureul faire aucuiie impression sur la majiu-ile. C'cst alors
Hiie le jeuue chef, i'ami dc noire brave Irappeur, so leva,
et fit un signe dc la main [lOUr indiquer qu'il dosirait
parlcr. o L'Arrapalioc est guerrier, il surpassc ,i la course
lc chcval lc plus leger; sa Heche est comme I'eclair du
§;rand esprit; il est brave, mais il y a un nuage enlro lui
et le soleil. 11 no pent voir son enncmi, il n'ya point de
pericrane dans sou wigwam, mais le maiiihin est bon; il
cnvoic une viclime, uu homme donl la pcau est hlanclic,
mais sou creur est rouge. L'liomme a la figure pale est un
IVcre. son grand rouleau n'alleini pas ses amis b'S Arra-
pah(jes. Mais I'esprit est tout puissant, mou frere (Jesi-
giiaut Baplisle) est renqdi dc .sang, il peul en donner uu peu
pour tacher les convcrlures des jeunes gens, et sou conir
conservera sa rhaleur. J'ai dil. >i Do vivos acdamalious sui-
virent ce discours. Lc desir seul de retourner eliez eux los
avail on parlie excites asacrifier le Irappeur; mais, grace
a eel cxpodienl, ils aecomplissaient leur vccu, se faisaioul
reccvoir au nomhre des guerriers. Chacun des jeunes goiis
aurail un wigwam, nne femnic et tons les honncurs ipii
reviennent an pore de famille, Ils fureul Ions d'acc(u-d; un
caillou servil delaucetle, lc brasdc rhounue blanc fut dc-
couvert, ct le sang (|ui jaillil dc la legere blessnrc fut soi-
gneusemcnt dislribue el repaudu sur les velemcnls des Ar-
rapahues cnchanles. I'uisenl lieu une scene a laquelle mon
ami Ba|]listc Brown olail loin do s'alleudro. Bien persuades
qu'ils venaient d'accomplir leur vtcu, los Indiens furent
remplis de reconnaissance, ils voulurent donner a Baplisle
une preuve substanliell i de leur gratitude, (ihacun fouilla
dins son ballot, ct deposa son tribut aux jiicds du frere
blanc. Lespeaux de loulre, de castor, d'ours, de buflle ne
liii manquerent pas, el ses richesscs en fourrure depasserenl
dc beaucoup ses plus vivesesperances. Le jeune chef les re-
gardail en silence, el lorsqu'ilseurent tons a|iporle leur of-
I'rande, il s'avanca, conduisant par la bride un magnilique
cheval do solle et nne mule do somine ( qui s'elail saus doule
egareo du Iroiipeau d'un iiiarehand) el les offrit a Bapliste ;
son refus out ele contrairo ,i reliquelle du desert, d'ailleurs
noire ami .savait Irop bien les avaulages (|ui lui on revien-
draionl. I'our loule rojiouse Haplisle so leva, ct d'un air
renfrogue, ct s'expriiuaul dans la laiiguc d'.Vrrapahoc, il
leur paria ainsi ;
" Uu de mes amis allail do Saiul-Liuis an fort Bout, el
par consequent il Iraversa au milieu des t'Hmu«f/i(s; eh
bien, un jour il ful environue de cos Indiens qui s'empa-
rerent de lui, rculrainercnt pros d'un clang oil ils plon-
gerent sa tele idusicurs fois. Comme ils ne |iouvaieul
alteindre le but qu'ils s'claicnt proiioso , ils couvrireul
scscheveux de bouc. puis ils recommoucorcnl ii lcs laver
de nouveau. Bien convaincus euliu que cello couleur rousse
(Hail nalurollc, ils lui donuiirent en cchauge une duuzaiue
de chevaux, el le renvoycrcnt Ires-polimcnt. Or, mon ami
disail qu'il aurail bien voulu avoir encore qnclqii's bois-
seaux de celle precieusi^ mareliandiso doul ils Irouvaioiil .i
se defaire avec lanl d'avantage ; el iiioi, jc desirerais avoir
plus d'eau rouge dans iiics veines, puisqu'ellea taut dc prix
ii VMS yeux. »
Les Arrapahoes, qui avaient vu des choveux roiix ii
d'aulres (pi'ii Brown , recoutcrent Ires - allenlivemeiil ,
el quand il cut fini, uu cri exprcssif se lit enleudio, le
camp fut love, et Inus se perdiront bioulol sous lcs voules
de la forel. Bajilislo, alfaibli par sa saignee, nionla sur son
choviil apres iivoir charge; Sii iiiule, el se dirigea vers sa
cachelle on il resia ([uclques jours. Au bout d'unc quin-
zaiiic, le Irappeur, relabli, parlil pour le Troii de Brown ;
la saisou etaiil pen avancee, il voiidil sos fourruios ii uu
prix tros-olcvo, et les ayaulochangces pour des coulcaux, des
pcrlos, de la poudro, dos ballcs, etc., il rcviul quelques
jours apres au village Arrapahoe. Le chcval fut acceiilo, la
jeune lillc aceordec, el depuis ce jour le wigwam do la
fiancee, Peau - Bouge dans lc vieux pare, sur la grande
riviere, devinl le quarlicr general dc Bapliste Brown, lo
vigoureux Irappeur des inonlagnes Boclienscs.
(Toi/mycs (((• Silliinan.]
DE VOVAUliS RECE.NTS.
UNE SOIREi: AU MAROC.
25
u Je ii'ni Jiiissc an Maroc iiu'vuic soireo, el jo iic vouilrai^
))as, me disait uii voyageur, en passer une seconJe. C'cst
lo pays (l<'s liyenes....
c< J'avais espere faire dans rintL'rieur Jc cppays une ex-
cursion favorable .i mes gouls pour I'liistoire nalurellc ct
pour la cliasse. Ce ne ful nu'a force d'adresse et d'argent,
en viilanl une hourse que j'avais bien garnie, moyennant
plus de 1,00(1 livrcs sterling et la proleclioii du consul an-
glais. i|ue je parvins a me soustraire au cimelerre el a la
h.iiue de res races faroucbes et corrompues. I'eu de passions
nobles et geiierciises sc dcveloppenl el lleiirissenl dans de
lelles moeurs; iinc passion arabe, Tamoiirdes cbevaux, on
plulOl rallacbenient du cavalier pour sa monlure, s'y est
loulefois couservoe dans sa purele originelle. M. Druni-
niond-Hay. pendant le singulier voyage d'exploration (pi'il
a tenle au JIaroc ]i0ur se procurer uii cbeval barbe digue
d'etre offerl a la rcinc Victoria, a renconlre do singuliers
exeraples de cclle passion de I'hoinnie pour le cbeval. Voici
ce qu'il me raconta.
CI — Cuniine nous approchions de Tunis, me dil-il. ac-
conipagiies d'une bonne escorle bien armee. nousenlendimes
galoper derriere nous, el nous ne lardanies pas ;i elre
alleinis par un cheval barbe a (jueuecourte et a robe gris-
de-fer tpie monlail un Arabe venerable. Sa selle au bee
poinlu supporlail le long fusil maurcsiiue, el, de la main
droile, 11 brandissail un de ces batons lalismaniques sur
lesquels des caracteres arabes soul graves pour ecarler du
voyageur loutc espece de malbcur on de danger; un vasle
el simple hull; lloitait sur ses epaules nues et ses bras mus-
culeux. Deux longues pointes d'argenl armaient, en guise
d'cperons, le talon de ses pantoudes : souvent un cavalier
maladroit donne la niorl a son cheval en employant cetle
correction dangereuse. Kolre bomme earaeola aulour dr
nous el se mil a nous reciter des bistoires.
« C'etail un conleur de profession, et justice doit lui elre
rendue ; il conlait merveilleusemenl bien, el meltait dans
ses bistoires tout ce ipii peut plaire a dts lecteurs biases ;
beaucoupdesang, deletes coupees, d'aniniation, degenies.
de fees et de princesses malheureuses. II elail au milieu
de son second ' conle, lorsquc, s'echauffant lui-meme par
rintcrpt pallietique du recit, il parlil tout a coup au galo)i
encrianl de loule sa force ; Allah ! Allah ! Allah ! le turban
tomba ; le haik suivit le turban. II me sembia que ces in-
cidents dramaliques faisaieni partie de la mise en scene el
que, dans I'inlenlion du conleur, elles elaient destinces a
completer I'inlerel de son recit. En effel, loin de se de-
monter, rArabe,saisissanl son long fusil, lil feu, arrela son
cheval qui se dressa lout entier sur ses pieds de derriere,
el, reprenant le galop, souleva le haik avec le canon du
fusil, puis, sc penchant a gauche et etendanl son long bras
decharne , enleva le turban , toujours au galop. A peine
une miiiute s'etail-elle ecoulee, que le conleur elait a mes
coles, grave, replncanl son turban sur son crane el conli-
nuant sa narration conime s'iln'eul ele qni'slioii de rien et
qu'il ei'it pris une prise de tabac. Je vouhis marcliander son
clieval barbe qui elail remaniuable par la grace des mou-
vemenls et la beaule de sa robe. II repoussa nion offre avec
la plus profonde indignation : vendre son cheval, c'etail
plus que vendre .son ame. n
Dans les nieines parages, le malhenreux Daviddson,celui
qui peril assassinc, fit renconlre d'un autre Arabe non
moins amoureux de son cheval. « J'avais grande envie
de Tacheter, me dit ce voyageur, et je coniniencai par
louer sa bete pour le mellre de bonne humeur. lille le
merilail. Sa robe elail gris-perle, Iruilee, et d'uue mer-
veilleuse beaute :
— Que! prix m'en donnez-voiis'.' demanda I'Arabe.
— Cent cimjiiaitlc niilselals { 1 i.
— L'offre est raisonnable; mais vous ne I'avez vu en-
core que du cote droit ; regardez-le du cole gauche, n
Et il Ct demi-tour pour sc placer du cole ojipose.
u Voyons, m'en donnez-vous quelque chose de plus?
— Vousetes pauvre et vous aimez voire cheval. Je vous
en offrirai un bon prix. Frapjiez-moi daus la main. Deux
cents mitsekels vous convlennent-ils '? » Les yeux de I'Arabe
etincelerent, elje crus que le cheval m'appartenait.
ic Cost bien, s'ecria I'Arabe;)) et, secouant Icgere-
menl la bride, il partit venire a terre, le beau cheval
giis dressanl el secouant sa queue avec joie. En une se-
conde il avail disparu. Je me relournai pour parler a mon
compagnon de voyage. Une autre seconde, et I'Arale elail
la, pres de moi.caressant le con de sa bete.
J) F.iiviiori viDgi-ilcuv iLipcilcons, ^umiiic considerable ilans to |ia)s. ■
i
se
S C K A R S
« Voyez , me dit-il . II ii'a pas un |)oil dc ili'rniiije ; i|iii'
iii'en donnrz-vuusVn
u .I'nlTiis li'ois coiils ducals. el r.Tnini.il les \alail.
« Mei'ci , clii-elioii , me dit I'Aralic en me (endanl In
main. Jc puis a present me vnnter qne vous ni'nvez offerl
Irois cents ducats pour mon cheval. Mais ne crnyez pasque
je vous le donne jamais. « 11 n'y a pas d'oi' et d'argeiit
dans le mnnde pnni'lesuni'ls je voiiUisse le vendee ! »
Kt je ne ie vis pins.
A eijle de nous etail le ka'id on elief de I'escorle qni son-
riait sei'ieusement dans sa liarhe :
« Cet homme est un insense, me dit-il ; il a vendu pour
achetei- ce cheval, ( ce n'etait encore ([u'un poulain I, sa
tcnte, ses troupeanx ct jusqn',i sa femmc. Anjonrd'lnii , il
n'a rien an monde, et il ne donnerait pas son elieval pour
le monde enlier. » iDrummdnil-lldij.'
T
wih^'ijir'^^'^^
- » jlfOS^jT P'
Vue dc Slaroc
I,E SOUill. A niNUIT.
(diaipie seniaine un bateau a vapenr part de Slockholm,
fleliai''|uc des voyageurs sue les points les plus iniporlants
de la cole orientate et oecidentale du golfe de Bothnie. Sa
destination est pour Torneo, le point le plus septentrional
du monde civilise. Le 23 juin, ii la Saint-Jean, si Ton gra-
vil le sommet d'une montagne voisine de la ville, on jouit
d'un spectacle extraordinaire et glorien.K p(.ur le genie
hnmain ; confirmation complete du systeme de (^opernic.
Le soleil , au lieu de descendre perpendieulairement
et de sc caelier sous I'liorizon, incline lentement son
globe ronge vers le nord-ouesi, sc dirige de plus en plus
vers le nord, et, a nnnnit precis, suspend son disque au-
(lessus de I'liorizon : il reste la comnie balance pendant
([uelques minutes, et reconimencant a monler vers le nord-
esl, il ne s'arrete dans sa course glorieuse et ascendanle
que lorsqu'il tonrlie ii miili le point culminant du snd. .\
celte epoque, les habitants de Slockliolm, pendant trois se-
niaiucs jouissent de nuits lumineuses dues ii la refraction
des rayons de I'aslre et qui leur permetlent de se passer cn-
tierement de lumiere artificielle. Je me souviens d'avoir lu
une leltre pres d'llpsal en traversant nne foret a minuit.
Le marquis de Custine rapporte aussi qn'il a lu une lettre
en se promenant sur le quai de Saint-Petersbourg, ville
siliiee au mcme degre de latitude qu'Upsal el a un demi-
degrc nord de Stockholm.
La nature, dans ces latitudes etii cette epoque, prend inie
teinlesurnaturelle. Vous nediriez pas le monde des vivanls.
Le bleu du ciel est profond et d'un azur extraordinaire. Pas
un nuage : lejour et la nuit, meme nuance, meme calme,
meme immobilite. La Inne se dessine a peine commc une
plume on comme un llocon de laine. Les etoilos s'effacent.
C'est une vie qui parait ninrle; c'esl une mort qni parait
vivanle. La nuit vient, les maisons .se ferment, les lumieres
s'eteignenl; tout dort, tout se lait, el I'ceil du ciel reste
loujours ouvert. Vous traversez ces rues desertes, sous une
elarte qni vous semble contre nature, au milieu d'un si-
lence qui eontraste avec eel eclat. Vous ne voycz rien, si
ee n'est de temps i autre une sentinelle immobile avec sa
i;edingote grise et son mousquel d'aeier.
( Vi'^ingcs tie h'nlil Jiivs In liiissie, ele.)
I.E Dtrxl. SAMS IiA FORtiT MOIHE.
II y a pres de trente ans, un jeune homme, etudiant do
Heidelberg, nomme Scbwartzkojif, ne dans la ]irovincc
de Uesse, etourdi , d'un excellent coeur et brave, mais
joueur et dissipe, recut une leltre doul le cachet noir el
I'ecriture eirangere lui causerent un mouvement de snr-
|irise. Son luleur lui ecrivait que sa mere, pauvre fenmie
qui s'etait privee de loutes ses ressources pour lui donner
une education liberate, venail de mourir, qu'elle ne lui
laissaitaucune fortune el qu'il n'avait plus que deux partis a
prendre, choisir nne profession on s'enroler. Lejeu et les
usuriers n'avaient laisse a Pierre (c'etail sou nom de bap-
temej que I'babit qu'il porlail, le sabre a lourde poignce
de I'etudiant allcmand ct un petit liavre-sac. II passa la nuit
sans dormir, ct le leiidemain, a cinq hcures, apres avoir
paye son botessc avec quelques grosschen (pii lui restaient,
aehela un pain, le mit dans son bavrcsac avec le meers-
cliaum (pipe allemande) indispensable, sortit de la ville
par la route de Fraueforl et marcha toujours devant lui avec
une resolution sombre, ne s'arrelant que pour manger un
moreeau de pain et se reposer.
Le soir du second jour, comme il approebait d'une foret,
un grand vent s'eleva; les sapins noirs eriaient el gemis-
DE VOYACES HEOENTS.
27
saiciil oil s'abais>aiU vers le voyasjeur qui marchail coiilre
le vfiil. Ce quil resseiUail n'clait pas do la peur; il aurait
voulu ([ue I'uii de ces grauJs arljres si' IVil brisu et Vvdl
cnstveli sous sa duite. I.a null lomliait, rora^e s'umion-
cait : il se mil a chajilui- commc uu liomme qui veut ou-
blitM- I'l vie cl SOS peiiies.
u Ualle-la ! cria uue voix, ijendaiit i|uc Irois liommcs
I'u veslc dc chassi", et la figure iioircie, deboiicliaicnl d'uu
I'lJUiTC dc ji'uiies pins. Trois paires dc pislolets saluaient a
la fois le jcuuc liommc. Le desespoir lie eraint I'ieii ; il Ics
icpuussa di'daiij'neusenieul et moderenient, conime s'ils
I cusseut impoilunc plutol (ju'effraye, et leur dit : « Lais-
sez-moi ti-aiiquille; je ne peux I'icn faire pour vous. »
— Ties-bicu, nion maitre, lui dit le premier volcur;
niais sous voire permission nous ferons plus ample con-
iiaissance avec ce petit havrc-sac que vous avez la sur le
dos. »
Pierre s'assitsur un tronc d'arbrc, detaclia son bavre-sac,
*u tira sa pipe, ct lour dit ;
« Dounoz-moi done du fou !
I'liis il lour passa le liavre-sac.
u Ah ca. continua-t-il, j'ospere que vous ue sorez pas
longs ; j'ai du clioiuin a faire I »
Los volours no purent s'empocber de rire dc son sang-
froid II so mil a funier IranquiUemenl, el, apres une minute :
n 11 faut convonir que vous otes bion malaJroils. Esl-co
que du premier coup d"fleil vous n'auriez pas du voir qu'il
n'y avail rien a gagner avoc moi ?
■ — Silence, cliien ! cria I'un des liommos, on je lo niels
cello balle dans le venire.
— Tu auras fail la uuc bcllo action. .\li ca, sais-lu ipu'
si tu n'stais pas un mauvais drole, je le demanderais raison
lout de suite de m'avoir appele ebien.
— Cost, parblcu, son droit. Ueiuer, inlcrrompil un ban-
dit; il n'a pas pour, le gaillard !
— Et UHii done, croit-il ipio j'ai pour de lui?
— Je to crois... roprit Pierre ipii fumail laujours. je le
crois un poltron ! »
Uoinor eenmait de colore ; sa vanile de voleur elail blos-
soe ; il voulail se batlre ,sur la place conlre Sclnvarlzkopr
qui funiait luujours. La visile du havre-sae elail Icrmineo.
On convint que les deux advorsaires vidernient leur quc-
relle dans le camp memo des bandits, au centre do la forol,
oil ils s'etaient pratique un asile impenetrable. I'iorre les
suivit, en causant gaiement avec cux et leur raeonlanl lou-
tes les anecdotes dcsa vie d'eludiant. Ons'enfonca dans les
profondours du bois. De distance cu distance, des scn!i-
noUes olaient placoes. cliacune un petit cor de dnsso pomJu
a la ceinture, el averlissaieritdurotour des bandilscoux qui
olaient restes dans le camp. Leeroux d'un ravin, onvironno
de loules parts de rochers a pic, couronncs de sapins et
d'erables, renfermait uno douzaine de lui ties grossiere-
mcnt conslruites, qui servaient d'habitalion a ces mes-
sieurs. Pierre fut presenle, en grande corenionio, aux
vingl ou trenle honnnes de la bando qui applaiidirenl fort
a SOS intentions. Les femmes alluinereut do graiidos tor-
ches de poix resino (lOur eclairer le combat ; on loma le
cercle. Ueiuer mil has sa voste de cliasse, et, au milieu du
silence gonoral, trouble souloment par les hurlomonls du
vent dans los branchages , lo duel commenca.
Tout I'avantage de la force musculaire etant du cote de
Uoiiier. il accabla son joune adversaired'unogrele de coups
.Itrribles que Pierre evita ou para, sans |)ronilro loffonsive
11 avail appris a runiversite touloslos finesses do I'escrimo
el les avail pratiquees plus d'une fois. 11 laissa cetle furie
edalorol se dissiper ; et au moment ou la fatigue abaissail
le bras de lloiuor, d'lm seul coup de poinle illui traversa
I'opaulo. Le sang jaillit, ot los camaradcs do Ueiner so pres-
seronl autour de lui. Puis, il los vit se grouper sous une
rocho . paili>r lias . so consulter outre oiix ol aciler. a
ce qu'il paraissail ihi moins. une queslion inqiorlanle. Au
boul de quolques minnlos, ils se dirigorent du cote du
joune liomnie etiui firenl la proposition suivaiile. Leurca-
pilainc elail mnrt quelipics jours aiiparavant sous la balle
d'uu douaiiier; s'il voulail prendre sa place, ilslui feraiont
grace de la vie. II accepta; los femmes appurlorent du viu
dansde grandos lasses de Silesie, el I'ou bul a la saute du
noiiveaurapitaino.
28
LH LIVIllv
I'eiiihinl (lix aiis. le iiouveau Joan Sbogar. i\u\ iliSciplina
s;i ti'ouiic, la 111 ri'noncer aux eiilrcprisps meiu-lrici'es ; llllc
iiiolier (langoreiix ilc conlicliandior. II Jevliil fori oiiiilc-iil ;
rcha|i|in six fois a la prison, qiciiisa la Dllc il'iiii I'ii-lic in-
spccleiir dcs foivls, s'cnru'.a dans raniiec de IlUichcr, ol
niourut en brave, a Walerloo, avcc le ijrade de lienlcnanl.
(lIowiTT, Yoyntjcm AUeinaijne.)
LE LIVRE DE lA SANT^
ANECDOTES MECZCALE5, FAITS ET CONSEILS REIATIFS
A lA SAKTE DE I.'HOiainE.
I. Air. cONSiDiini! r.omiE alimest; vemilation.
AMif.DOTES ISECESTES.
i.ES rinr.osnpiiES d'eiidibouhc. — i.ES jecnes cn^vivES.
L'aUnosplicrc dans laijUcUe riioninic vii excrce snr lui
unc pnissanlo iiilluenco. Cependant on ne parait guerc s'en
eniharrasser; on dirail nnnne ipic les archilcclcs n'oul
d'aulrc Ijnl (pie d"exclure I'air de nos a|)])artemeiUs. Et ce-
jiendanl si ce lluide vital nc Irouvait pas moyen de s'intro-
duire par force ,i (ravers les jninlures iniparl'ailes de nos
f.Mielres el de nos porles. nons mourrions elonffes, lillcra-
lemenl parlanl. S(uivenl les plaisirs on les Iravanx de la ci-
vilisalion enlassenl les lionimes dans nne localilo elroilc on
les pounions de eliaciin d'enx ne penvent aspirer (|u'nn air
deja vicie.
De qnelle (pianlile d'air cliacnn de iionsa-l-il besoin ponr
vivre ? Un doeleur anglais, nonime Reid, )irelend ([u'd fanl .i
cliacun dix ]iiedscnbes d'air par minute; nous croyons que
eetledepense d'air vital est propnrlionuelle a la constitution
de I'individu, a la force de son estomac et a la temperature de
Talr. Une personne sedentaire a besoin ile beaucoup moins
d'air ipi'ime personne ipii prcnd de I'exercice ; et un air
trop pur, c'est-a-dirc contenanl Irop d'oxygene, eonsume
rorganlsation luimaine el eveillc nn a|ipelit fabuleux qui
exige la reparation des forces an moyen d'nue alimentation
puissante. Un chimiste suedois, le doeleur Lieliig, ajqiellc
I'oxygene le devorateur universe!, et il a parfaitement rai-
son. Plus on s'eleve snr les montagnes, jdus I'air s'cpnre,
plus I'orgauisme s'use, s'epuise, et a besoin d'aiiments. Nos
epicuriens ne savcnl jias (|u'cn dinant dans une alniosphere
cbaude, ]irivcc de ventilalion, its reduisent leur appetil de
moitie et se rcndant incapables, fantc d'une quantite snffi-
sante d'oxygene. d'a|qirecii r et meme de digcrer les pro-
diiits gastronomiques des meilleurs clicfs. Voici une anec-
dote fort curieuse et recenlc, dont les proprielaires de
lavernes el de restaurants feront sans dontc leur profit, et
qui prouve que le renouvellement de I'air est aussi neces-
saire a I'appetil que la nourriture est nccessaire a la vie.
On y verra un senal de graves pliilosoplies ecossais boirc
infiniment plus que de raison, sans se douter meme de
I'exccs qu'ils commcttcnt et sans en eprouver aucun resid-
tatdangcreux :
« Cinipiante mondjres de la societe pbiloso|ibiqne d'Edini-
« bourg, dit Ic doeleur Reid, devaient diner a I'bolel dc
« M. Barry. II me pria de prendre les precautions neccs-
« saires pour la venlilalicui dc la salle a manger qu il s'a-
II gissail lie leiiir a la fois cbaude el .saine. Je me cbargeai
[I de ictle operation, el je crois que j'y reussis fort bien
« dans I'inleret du mailrc de Ibdlel ; je pense aussi que
« les convives n'( urent ancune raison de se montrer me-
u conlenls. Je fis aboulir les tnyaux du poele a un pendentif
II golliiipiecpn occiqiail le centre de la vot'ile, ctje m'ar-
« I'angeai de maniere a ce que la combustion du gaz qui
II eclairait la salle ful totalement absorbee.
11 Depnis cinq lieures du soir jusqu'a minuil, I'alnio-
II sphere ful renouvelee au moyen de eoiirants d'air
II superieur que j'avais menages et qui passaient tantot
(I a travers des drapieries mouillees d'eau de lleur d'oran-
II ger, lantol a travers de la mousseline iinpregnce d'eau
II de lavande. De pelilcs ouvertures, pratiquees dans le
II planclier et correspondanl avec le courani d'air superieur,
II enqiechaient que les convives respirassenl deux fois le
II meme air. On ne s'apercut de rien pendant le repas qui
II dura longtemps, si ce n'est que les convives ctaient fort
II gais. Mais lorsqu'ils se furent retires vers deuxheures et
II demie, il se trouva que I'lmnoralde et grave sociele avail
II absorbs trois fois plus dc vin que pendant scs reunions
11 accoulumees. Le maitre dc rbotel s'etait trouvii a court et
II il avail lite force d'envoyer cbcrcbcr de nouvel'.es provi-
II sions dc vin dans dcs voiturcs. Les con.sonnnatcurs or-
0 dinaires d'une demi-boulei lie s'litaient eleves jusqu'a deux
II bouteilles et demie, el personne, y conq)ris le cbef de
II retablissement . ne se plaignit d'avoir souffert la plus
« legerc incommoditi'. »
Ce meme doeleur lleid , ipn fabriquc, pour les menus
plaisirs des pbilosophcs qui soupent, dcs zepbirs de lleur
d'orange el d'eau de lavande, est devenu ini veritable mo-
nomane de ventilation ; — quelqnes-unes de ses experiences
approchent de la plaisanlerie. Ami d'un cbef dinstitution
qui n'elait pas du meme avis que le restaurateur Rarry, et
qui Irouvait I'appctit de ses eleves dangereux et pen eco-
nomique, il lui jii'oposa de faire faire a ces derniers un
soupersp'.endidectd'arreter ii un momeulconvenu I'exercice
de leurs facullL's digestives. Lacreme et les pales disparurenl
conime par encbantement, ct les estomacs nienacaient d'o-
pei'cr eiicore une consommation effrayante, lorsque le
doeleur, veritable Eole, fit succeder a la ventilalion parfu-
mee et fraicbe dont il avail acconi|)agne Ic repas nn air
cliaud, lourd el nauseabond auqucl nnl appetil ne resisla.
Tons les eleves sorlirent en fouleelenriantde I'atniosphere
ainsi transformce.
Quels que soient les execs bizari'es el les alms auxquels
la rnonomanie vcntilalrice du doeleur a pu diinner lieu,
il est prouve que I'air esl un aliment et c|n'une condition
essentielle pour se bien poi'Ier est dc le respirer pur.
Gardez-vous de vivre dans un lieu privc d'air rcspirable. ,
Eloignez de vous, autant que possible, tool gaz qui ne
pent cnlretenir la vie. Comme en nous assiniilant les ele-
ments de I'air, nous ledepouiUonsa noire profit de ceux qui
nous convicnncnt, il se vicie a mesure que nous le respi-
rons, et Unit par ne plus cnnvenir a noire organismc. Si
vous vous tencz enl'crme dans une cbambre el assis a un
bureau, mangez pen ; vous avez pen perdu. Livre a un
e.xercice violent et resjiiraut un air oxygenc, vous pouvcz
manger beaucoup sans rien craindre.
Hardez-vous bien de changer subitemenl les conditions
atmosphiTiqucs dans lesquelles vous devez vivre. Son-seu- j
lenient on ne quille pas impimemenl un air sain pour un |
air pur, mais il est dangereux de quitter une alniosphere
viciee pour ratmosphere !a plus pure. Le Danube et I'ile de
VValcberen sunt celcbrcs par leur iusabibrilc. LiMsqiie les
DE L.V SANTE.
29
ciiiscnts fi'oncais t|uiltaieiil ces marais iiifecis pmir ]iasSi'r
dun? im ail- |mr, ils lie iiiaiiqiiaii'iU jamais ile faire uiie
5,'rave malailie.
L'air ties salons csl cii ^'cnei'al enipoisoiine , et telle
ilueliessc jeime, lirillaiile ct converle Je (liamaiils, vient
eliei'chei' le plaisir dans uno vasto boilc d'air corrompii, a
pen pres liernieliriuemeiU fcrmcc. ll'ou liii vieiit celle
paleur? poiii-nuoi cellc langueur du regard et celle leiiile
inurljide dc la pcau? La cause n'en est pas diflitile a
dovitier. Ciiii] cents personnes nhmies dans le meme local
aspii-enlpar minute cini[ cents gallons d'air almosplieriipie,
i|ui en ressortent incoinpatibles avec la vie hninaine. (Ihaque
respiration, cliaijue soupir vicie |ires dc seize pouces cubes
du ini'nie I'lenient, et do minute en minute, d'heure en
benre, ralmosiibere dcvient plus morbide et moins respi-
rable. Cerlcs. il faut que Uifu ail voiilii dnnner a la puis-
sance de vie cbez I'bumme une force bien invincilde ,
puisipie le ricbc et Ic pauvrc qui se plaisent a sejoiier
ainsi de la vie ct de la mort, les uns par la rccbercbe du
plaisir, Ics autres sous le cruel Jong de la niisere, trouvoiit
luoyen d'ecbappcr encore a taut d'iin|ircvnyances. Dc re-
cenles espericnces out pruuveque la (|uanlile d'oxvtjeiie,
c'esl-a-dire d'air vital respire a llanipstead, pres Londres.
est a celle du meme elemciil que Ion respire a Londres,
coninie un el deini esl a mi.
MM. boiis.-iingaiilt el Levy out lail , a .\nilillv el a
I'aris. la meme experience, el leurs resullals, sans elre
aussi eloniianls i|ue ceux des experimcnlateurs anglais,
unt founii la meme preuve. Us ont reeonnu que l'air
dc I'aris, rue iMouffelard, conlient cent parlies de gaz
acide carbonique, vrai pois(m destrucleur de la vie, et qui
ccpendantest loujours mele a lalmospbere; — taiidisquela
meme quanlite d'air a AiuUlly n'en contient ((ue quatre-
vinnt-douze.
INFI.UENCE DE DIVEaSES SUBSTANCES
SUR LE COUPS ULMAIN.
LES NAKOOTHtUES. — Lom-.ii. — i.i: t.o.\c.
Si les inlluences exierieures agissenl sunious, que seiM-
ce done de ces substances ipii penetrcnl au sein meme de
I'organisalion el ((ui la modifient essentiellement? II n'cst
pas d'alimenl, pas de substance eu contact avec nos exis-
lencis qui siiieni indifferenls. Tons sont on nuisibles ou
utiles a la sanle. Mais leur ulilile ou leur danger soul sou-
mis ,i lies conditions Ires-divcrses-
Toul est relalif dans ce monde ; on no pent poser
d'axiomcs fixes pour tons les temperaments et toutes les
situations jiossibles.
En general plus une substance a de force, plus ellc offre
dc danger.
Tons b's poi.sons ne Inenl pas inimedialemenl riiomme
qui en use. L'alcool et Ics narcoliqiies, tels que le labac
ct I'opium, sont des poisons; de tons les poisons qui
agissent violemment sur le cerveau sans le dclruire, le plus
rciloutable est I'opium. II poneire, comme l'alcool, dans la
substance meme du cervelet. On a relrouvc de l'alcool el de
Idpiiim dans la cervellc de ceux ipii en avaient abii.se, pi
meme dans les aiiimaiix doiil I'estomac en avail conteuu
une certaine dose, (luiconque se sect habiluellemeut de ces
substances les transforme done volontairemenl et les force
d'cntrer dans la constitution de son organisme.
On sail ipie I'opium est un extrait vegetal fort simple el
assez facile .i preparer, que Ton tire des teles de pavot, sur-
lout dn pavot asiatique. L'effel de celle substance, prise
en graine, bne en decoction, ou fumee comme le labac, est
inevitable el borrible ; c'esl la ruine morale et la ruine phy-
sique; c'est la destruction de I'bomme toutenlier.
Des natbins, .seduilcs par celle ivresse fatale, ont vii
leurs races s'clioliT et loute leur vigueur dcperir. La
derniere guerre .soulenue par I'cmpereur de la Chine
contre I'Angletcrre n'a pas eu d'autre motif que celle
diHcrioration de la population enliere que ricn ne peul
ai-racber a I'usage morlel du pavot en liqueur, en piite ou
en graine. Parnii les Europeens, et parmi les plus inslruils
ct Ics plus celebrcs d'entre eux, qucbpies-uns out suc-
combe ;i celle liabiludc, dont les suites inevitables sont
une maigreur affreuse, souvent la paralysic el la mort.
Le poelc anglais Coleridge a jieri, longlenqis avant I'agc,
devorc parcc besoin fatal.
liien de plus curieux et de plus inlcressant que la des-
cription circonslanciee des sensations et desrevesdu man-
geur ou dii buveur d'opium, telle qu'un bomme done de
beaiicoup d'eloqiience et d'espril, mais longtemps livrii a
celle terrible liabiludc. I'a dclaillee dans un livrc pen
connu :
« L'opiuni, dit-il, exercait sur moi une inllucnce redou-
lablc. Des qu'une chose s'elail presentee .n mes yeux,
.je n'avais qu'a y penser dans robscurite, el je la voyais re-
parailrc comme un fanlome. Une fois ainsi Iracee en cou-
leurs imaginaires, comme un mot ecrit en encre sympa-
Ihique, die arrivait jusqu'a un eclat insupportable qui me
lirisait le conir.
« (lela elail accompagne d'une inquietude el d'une me-
lancolie profonde, impossible a exprimer. II me sem-
blait chaque null que je de.scendais, nou en metaphore.
niais litteralemcnt, dans des souterrains etdans des abimes
sans fond, el je me sentais descendrc, sans avoir jamais
I'esperance de reinonler ; meme a nion riiveil je ne croyais
pas avoir remonte.
« Le sentiment de I'espace et celui de la duree claienl
tons deux augmeulcs c.xccssivemenl. Edifices , monlagnes,
s'elevaienl a des proportions Irop vasles pour etre mesu-
rces par le regard. La plaine s'elcndait el se perdait dans
I'immensile ; je croyais i|Helqucfois avoir vecu soivaiile-dix
ou cent ans en une luiil; j'ai fail des reves d'uii million
d'aunecs.
« J'aimais beauroup Tile-Live, donl j'avoue queje jirefere
le style el la forme A ceux de tout aulre hislorien, et je re-
gardais comme le symbole de tonic la dignite romaine ce
mot souvent employe par Tile-Live, consul romanus. Les
mols de roi, sultan, regent, etc., etc., on tout aulre litre
donne a ceux i[ui cmprunlent la majeste collective d'uu
peuple, avaieni moins de pouvoir sur moi. Je m'elais aussi
rendu familier cvec une pcriode dc I'liistoire d'Angle-
terrc, celle de la guerre civile, oil la grandeur de qud-
ques personnages m'avait frappc. Ces deux genres de lec-
tures so mireula hauler mes reves. Souvent, apres m'elre
represenle dans les lenebres une espece d'assemblee, un
ccrcle de dames, une fele ou des danses. j'cnlcndais dire au
loin ;
50
LE i^lVllE
u Ce sunt lies dames aiii^laisfs Jii iiiallieuieiix tciiijis
de Charles I" ; ce sonl les I'emmcs el les Dlles de ceux
qui se soiit rencontres dans la paix, se sonl assis ;i la
mcme lalile, allies par le niariage on le sang; el ponrlanl,
apri'sun certain jour dn nniis d'aoul IC'i2, ils ne se virenl
plus ipi'a Marslon-Moor on a Ncwluiry, lavanl dans le sane;
la nicnicnrc de lenr nucicnne affection. »
— Les dames dansaient el souriaient comme a la cour
de Georges IV. Ce|UMidant je savais, meme dans men reve,
i|n'elles elaienl morles dcpnis prcs.de deux siecles.
u Tout a coup on frappidt des mains; j'entendais pro-
noneer Ic fornddalile mot consul romanus, el venaienl
immediatement I'auliis el Marins, entoures de centinions
avcc la tunique ecarlate, el suivis des uhtlagenas des legions
romaines.
(1 Quelques annees opres, commo je regardais les anli-
quiles de Rome de Piranesi, 11. Coleridge me dccrivit
une suite de tableaux de cet artiste appeles ses reves,
et qui ne sonl autre chose que do semhlahles visions pen-
dant un acces de flevre. Qnelques-uns ( je parle tou-
jours d'apres le rccil de M. Coleridge ) reprcsentaienl
de vasles sallcs gothiqucs ; sur le [jlancher elaienl semes
toutes sortes de machines, des cables', des ponlies,
des roues, des leviers, des calapulles, etc., etc. ; el sur le
cole des murs on apercevail un plateau, et, s'aidani a grim-
per sur ce plateau, Piranesi lui-nieme. Suivez I'edilice un
peu plus haul, et vous voyez qu'oji arrive a un jirecipice
sans aucune balustrade ; cependant aucun moyen de
retourner sur ses pas. II faut descendre au fond des abimes :
quoi qu'il arrive a riuforlune Piranesi, vous le sup-
posez pour le moms a la fin de ses tuurments el de ses
efforts - Mais levez les jeux, vous voyez une sccoude eeliaj]-
pee plus liaule encore, et encore Piranesi sur le bord de I'a-
bhne. Levez encore les yeux, encore Piranesi sur un pla-
teau plus eleve ; ainsi de suite jusipi'ii ce qu'un le perde
dans les voiites lenebreuses des sallcs.
« L'arcirueclure s'introduisil daiis mes .songes. Dans les
derniers temps de ma maladie surtout.je voyaisdes cites el
des palais que riiomme ne trouva jamais que dans les nuages.
C'ctail iucommensin-able.
« A mon arcliitecture succedcrenl des reves de lacs, d'e-
lendues immenses d'eau ; ils me tourmcntercnl tellenient
que je craignis ( cela doit paraitre bien hasarde a un me-
decin) que qiieUiue affection deseniblalile nature n'aUerat
iuon cerveau.
icLes eaux changerent de caraclere; au lieu de lacs
transparenls, brillanls comme des miroirs, ce furenl
des mers et des oceans. II se fit encore un changenienl
plus terrible qui me promettait de longs tourments el qui
ne me quilta qu'a la Cn de ma maladie. Jusqu'alors
la face linniaine s'etail melee a mes songes, mais non d'unc
uiaiiiere absolue, sans aucuji ponvoir special de m'effrayer.
Mais bientolceipie j'appidaisia lyraimiedela face huinaine
vint a se reveler ; peul-elre dois-je I'allribuer a quelqnc
evenemenl de ma vie a Londres. (juoi qu'il en soil, ce fut
maiidcnant sur les Hols souleves de I'Ocean que la face hu-
majue commenca de semonlrer; la nier elail comme pa-
vee d'innombrables figures, lournees vers le ciel. ]]|curanl,
desolees, furieu.ses, se levant par milliers, par myriades,
par generalions, par siecles; mon agilation elail sans
bornes ; mon ame s'clancait avec les fluls.
Un jour il me semlda que j'clais coucbeet que je
m'eveillais dans la null. En posanl la main ii lerre pour
relever mon oreiller, je senlais ipielque cliose de froid qui
cedail lorsipie j'appuyais dessus. Alorsje me pencliais hors
de mon lit ctje regardais. C'elail un cadavre elendu a cole
de moi; cc]iendant je n'etais ni effraye, ni nieme clonue.
Je le ju'cnais dans nn^s bras el je Peniporlais dans la
cbambrc voisine en rue disanl : II va elre la couclie par
Icrre ; il est impossible qu'il centre si j'ole la clef de ma
chanibrc.
» La-dessus je no: reuilormais; quelques niomenls api'cs
j'clais encore reveille, c'elail par le bruit de nia porle
qu'onouvrail; el cctle iilcequ'onouvrait ma porle, quoique
j'eneusse pris la clef sur moi, me causail unmal horrible.
Alors je voyais enlrer le mcme cadavre que tout a I'lieure
j'avais Irouve par Icrre. Sa demarche elail singuliere ; ini
aurail dit un lioinnie a qui Ton aurait ole les os sans lui
otcr ses muscles, el qui, essayanl de se soutenir sur ses
mcudtrcs plianls et laches, lomberait a chaque pas. Pour-
lanl il arrivail jnsqu'ii moi sans parler, et se couchail sur
moi. C'clait alors une sensation effroyable, un canehemar
dnnt rien ne saurait approcher ; outre le poids de sa
masse informc et degoulanlc, je senlais une odeurpeslilen-
lielle decouler des baisers dont il me couvrait. Alorsje me
levais tout ii coup sur miin scant en agilanl les bras, ce qui
dissipait I'aiqiarition.
nil me semblail ensuite que j'elais assis dans la meme
cliambre, au coin de mon feu, et que je lisais devanl une petite
table ou il n'y avail qu'unelumiere. Une glace elail devant
moi au-dessus de la cheniinee ; tout en lisant, comme je le-
vais de temps en temps la tele, j'apercevais le cadavre qui
me poursuivait, lisant par-de.ssus mon epaule le livre que
je leuais a la main. Or, il faut savoir (jue cc cadavi'e
etait cclui d'un homme de .soixante ans environ , qui
avail une barbe grisc , rude el longue, el des che-
\cus de meme couleur (|ui lui tombaienl sur les epaules.
Je senlais ces polls degoi'Uauls m'efllenrer le con elle vi-
sage.
II (lu'on juge de la Icrreur que doit inspirer une vision
pareille ; je restais immobile dans la position ou je mi>
Irouvais, n'osant pas lourner la page, el les yeux fl.xes
dans la glace sur la terrible apparition. Une sueur froide
coulailde toul mon corps. Cel elal dui-ail bien longlemps.
el rinnnobile fantume ne se derangeail pas. Cependant
j'entendais comme lout a I'heure la porle s'ouvrir, el je
voyais derriere moi (dans la glace encore) enlrer une
[irocession sinistrc ; c'elaienl des squeleltes horribles
porlant d'une main leurs teles, et de I'aulre de longs
cierges qui, au lieu d'un feu rouge el Iremblanl, jetaient
une lumiere teine el bleu.ilre comme celle des rayons de
la lune. Us se promenaient cn rond dans la cliambre qui,
de tres-chaude qu'elle elail auparavanl, devenait glacee, el
quelques-uns se baissaient au foyer noir et trisle, rcchauf-
faieul leurs mains lougues el livides, en se lournanl vers
moi pour me dire : a II fail bien froid... »
L'iiomme de talent et meme de genie, qui avail brave
el reilierche ces effroyables hallucinations, fut la vic-
lime de I'opium. II nc conscrva que la force inlellectuelle
necessaire ii les decrire ; — et une intelligence deslincea fairc
I'bonniuir de I'.Vnglelerre ne produisil qu'un seul livre,
celui-la meme qui conlieut I'aveu de son malbeur et de sa
faille (I J.
(1) Confession d'un thermkt. \ Les Uiciijkis ^ullt clii\ ([in.
loiti uii iis.'igL' tuiislani (k* ro)iiuiii. )
IIE LA S.\>TK
31
IiE TABAO.
« On croil gpiieriilpmenl, dil iin poote nUi'iiii'iiiil liiiiiiij-
risli(|\ic, au syslime de Copernic ou A celiii de N'cwion.
("est II no n-roiir. Le monde est dans les nuagcs, commc
rhariin sail, cl ce snnldes nuagcs do laliac, II n'ya (|iio la
fumoe dii laliac i|ui soulienne le monde poliliqne 01 moral.
Lo dialile fume une grande pipe fori liien culotlee, el noire
paiivre globe, (|ui jjallolle enveloppede fumees si vagiios,
esl la suspendu el balance comme iin homme ivre au-
dessus de la pipe ilu (liable. Oui ! La feuille de la Havanc
soulienl dans Tair tons les budgels appauvris de I'Europe?
Esl-cc (|ue Ic dandy prive de son cigarc, ou I'cUidiant
d'lena sans son meersrhaum aurail unc seulo chance
pour se soulenir? Croyez-m'en sur parole, les choses hu-
maines ne vont i|He par la fumce de la pipe, el le diable
nous fume el nous culoUe lous les jours!... »
La passion du labnc. qui n'avail envalii que I'Espagne
el la llnllande . esl devenue generale sur la face iln globe.
Le rcvenu le plus clair de certains gouvernenients resnite
du monopole de celle planle narcolique. En definitive, c'esl
un poison.
luliniiiienl raoins puissanl que ro[iium, ce n'en esl pas
moins un aniidigeslif redoulable. U cause presque loujnurs
des vomissemenls ct des nausees au chiqueur, au fumeur,
meme an priseur ipii n'esl pas encore accoulume a ses
effels. De lous Icsmoyens de s'enipoisonner avec le tabac,
le moins dangerous esl I'habilude de fumer. Cependanl
conlemplez, je vons prie, ce jouno fumeur novice ! (.luel
effort puissant el inutile pour resisler a linnuence du nar-
colique! comme celle Icvro lombe ! comme col ceil hebcte
s'o'.ivre sans oclal I
Mais Lusage du labac fume el prise merilc bien lout no
rli.ipiire ; et nous dovons remellre .i un uuniero prochain
un grand nombre d'anecdoles aulhenliques sur I'usagc du
cafe, du Ihc el surtout du tabac, que nous e.vaminorons
dans ses resullals el sos effels sur la sanle, sur I'baloine,
surl'esloniac do riiommo. Los dornioros annoos onl fourrii
ii ce sujel unc masse considerable d'obsorvalioiis inslruc-
lives,quc nous preferons a louleslesdcclamalionsela lous
les raisonnemenls, eldont lerecueil est assozcurieu.s pour
eiro offorl a nos lecteurs. [L'Htjgiene lie Ilos(on.)
[in sutfr nn tiutin^ro prflclmin.)
LES MERVEILLES
DU .M(MS PASSE.
II ii'y a pas de mois qui s'ecoulo ou, sue la face dii moiide,
on lie viiio orlalor i|iielr|iio fail bizarre, so manifeslor i|nol-
52
que genie nouveau ou lirillcr quelqiic invenlion iiialtendiic.
L'aelivile du griiio Imniain, ijraiule mei'voillc, se siibdivise
et se raniilie en merveilles de loiiles sorles, cnniine Ics
etincelles jaillissenl de la roue raiiidc qui s'enllaninio en
lournant sni' ellc-mi'me.
Nous reencillerniis Ions les niois Ics plus curieuses de
ces nouveaulos; nous no nous allachcrons pas seulenient
a celles qui exciteni I'adniii'alion cl la curiosile; nouschoi-
sirons celles qui soul nlilcs, ((ui annoneent nn |ii'oa;res du
chrislianisnie cliez les populalions liarliares, un progi'es du
bien-elre dans les classes pauvrcs, nn develeppemont de
la force intelleclnelle, du commerce et de I'induslrie.
CONQCETES IIECECTES DE l\ CIVIlISATms CliriETIES>E.
EMPLOIS SOIIVEAOX DE E'ELECTDIrlTE.
LIIMIERE r;AI.VAMIJl E.
Mn\TtlE EI.ECTBigi'E. T, V fOJIME DE TEIIIIE EI.Ef.TIllOUE.
Les moeurs chreliennps out peneire rccemnient el pres-
*c(ue a la fois dansle fond de I'lnde, an Kaljonl, dans les iles
de I'Archipel indien, en Chine el au Maroc, ce vieux repaire
de rignorance el du fanalisrae maliomelan. Nos amies out
appris a ces larbares, que leur situation semblail si liieii
defendre et proleger, la superiorile immense de TEnrnpc
el le neanl de leur foi. A I'autre bout du monde, les Clii-
nois, pen de tenqis auparavant. avaienl recu une le.con
equivalente ; cependant eette aclivile qui fail notre force
nese ralentissait pas en Europe, etl'on vnyail des resultats
presque miraculeux en signaler les efforts.
C'esl surloni anx puissances cacbees de la nature ou aux
elements les plus impalpables el les plus difOciles a nianier
(pie s'adresse aujourd'bui la science : le rcsle semble epuise.
On elabore el Ton soumet a nos besoins I'air qui nous
environne, les gaz qui le coniposeni, I'electricite qui eon-
slilue la foudre et qui se cache dans les nuages. le galva-
nisme ipii resullc du c.onlaet de plnsicnrs melaux et en fail
jaillir une etincellc.
Ces phenomenes, les plus myslerieux, les plus secrets,
les moins expliques, ceux qui atlestent avec le plus de force
la puissance, la grandeur el la bonle divine ont oceupe
reccmmenl les experimeiilateurs. Des voitures ont ele
poussees par de I'air couiprinie dans des lulies; au milieu
de la place du Carrousel, une Inmieiegalvaiiique lirille au-
jourd'bui meme. A la moiilie elrclrique, au leli'graplie
eteclriqur, a rimprimcur I'lerlriqiic. :\ Vhlairugc par le
gaU-anisme, aux chcmins ulmosplicriqtics, nouveau sys-
leme do voitures niises en inouvemenl par la pression do
I'air, est venue se joindre la pimimc de Icire elcclriq\ic.
merveille plus elrange encore.
Monlic ijalvaniqiie.
La mnnlre electro-galvanique, inventee par un nonmic^
\Vadliani,eslmiseenmouvemenlnoiiparunechainesederon-
lant aulour d'un pivot conimc dans les monlres ordinaires,
mals par ce qu'on appelle une ballerie galranique ; c'est-a-
dire par plusieurs lames de cuivre el de zinc juxlaposees et
Irempanl dans un acide que I'on re louvelle tons les cpia-
lorze jours. De cclle ballerie jaillil la mysterieuse puissance
LLS MKIIVEILLKS DU MOIS I'ASSE.
iiiagneti(pie qui fail marcher les deiils de la roue par le
contact d'une petite lame de I'er ; ainsi eelle monlrc singu-
liere. qui n'a point de cliainc ni de clef, se remonle tons
les quatorze jours : on renouvellc I'acide de la ballerie, cl
la monlie est nionlee.
C'esl une merveille, sans doule, inais plnlul pom- la cu-
riosile i|ue pour I'usage acluel. On doil allendre di's resul-
lals plus posilifs de I'eleclricile appliquee a I'arl de liinpri-
merie el a I'art des signaux lelegra]iliiques. II y a dejii
vingl-sepl ans que Ton avail imagine d'appliquer la force
eleclriqne, i''esl-a-diri' la rajiiililede I'eclair aux cnnnnuiii-
calioMS lelegraphi{|ues,
Grace a celle invenlion singuliere, une plaque de zinc,
placee en lerre, en communiealion eleelriiiueavee une pla-
que do cuivre, imprime a une distance de douze lieues, en
une minute, les caracleres el les ehil'fres. Un plus long de-
tail est necessaire pour faire hien comprendre a nosjeunes
K'Cleurs, el aux fenimes doni la curiosile s'inleresse a ces
conqueles de res|u'it el de la science , le mode d'aclion el
le proeede materiel de ces experiences ; nous y reviendrons
pour leur eonsaerer loul nn rhapilrc du procbain nuinero
de Moiisieiii le Cure.
Mais des aiqourd'hni la place sufOsanle nous resic pour
indiquer I'elrange application faile receniment de I'electri-
cile ,-1 ragriculliire. Celle puissance eleclriquc que la science
a recounueavec elonnemenl, ettrouvec repanduea travel's
la nature enliere, n'esl (il faul en convenir) ni precisee ni
definie encore. Les savants les plus avances paraissent dis-
poses a eroire que galvauisiiie, elcclricile, niagnelisme, ne
sonl que trois expressions de la meme force dislrihuee par
la main de Dieu dans les melaux, les corps vivants et I'ai-
manl. Quoi qu'il eu soil, elle parail exercersur le develop-
ment des plantes une iailuence tres-vive ettrcs-mai-qucc.
La pomiiiv de lerre eleclriquc.
Un Amcricain s'est avise de placer plusieurs plaques de
zinc el plusieurs pla(|nesde cuivre rallaebees jiar un (il di'
fer, a droile el a gauche d'une ponime de lerre plantee en
lerre; ainsi enloure el muni de la ballerie galvaniiine
donl nous avons parle plus haul, et sur laquelle I'liumi-
dile lerreslre agissait comme I'acidc necessaire a racllon
galvaniqne, le tnbercule a grossi demesuremeni ; 11 a finl
par alleindre la proportion colossale de deux pieds de dia-
metre, c'est-a-dire que, sous rinduence de la pile ou balle-
rie eleclriipie cnfouie avec lui dans le sol. il est devenu
scmblahle a une cilrouillc.
On ne pouvail se meprendre sur les causes de cetle crois-
sance exiraordinaire ; les aulres pommcs de lerre de meme
espece qui I'enlouraient avaienl conserve les dimensions
ordinaires; qnel(|ues-ni}es u'elaient pas plus grosses que
des noisettes. {Boslon lieperlorij nfugricitllure.)
I.':ib(jjiilain't3 lies iiinlirrcs piciJ.ircL's loai' le Jnunwl de M. le Cure iimis
force de remellie au nuiiicio iirurliain |iliisieiirs arlicios, lels (jue 17m-
cemlic tltius la neifje, le Ciue tli: Citnloiie, Jmk le Desosse, la Mtti.'ieii
maudile, IcJf Soulerraiiisde Waltiiii/Slieel, elf., ele.
.V07'/i. La ffrarnrr tie la paije -1 c^l desltuec au mois de Marie.
Imin-imerie SCIINKMIF.U et LANUiANn, nie i;-|-:rfiirlli, I.
LR
LIVRE DES FAMILIES
01'
JOURNAL DE MONSIElTi LE CURE.
M« a —l" Volu
a. " Becembre 1844.
LE MOIS DU JECNE CHRETIEN.
Itepuisla r.iliilefliiiio dus |in'ii]icrs |j,-irenls, f|iinr,iiiic sicili.s il^illi-iih-
oiil passii siir lo genre luim.iin. Eiifin hiillc I'mirm-e (hi jour ro|inr,-ileur.
Do la Viorgc do Jiida va naiire Ic Saiivciir dcs lioiiinies ; iin join' .lo
ciinsolnlioii larira Ics larines de (|iialrc mille .-innccs. Voici rAvonl.
Cost roninic I'aurorc qui precede le lever du solcil ; quatre seiiiaincs
limit oliaciine represente iin millior de ces annees d'allcnte son! I.ieii
di-nomoiK nommcesle Icnips de I'Avent, c'est-a-dire de rarriveo d'Km-
manuel, Dieu avecnous.
Oiii P'lurra nier que ce grand jour de la nalivile Cm Messie elail
digue de riinniieur d'un prelude He prieres et de sainles praliqiies dc
niaceralimi? Ce dernier lerme elomic dnns iins Irmps moderiies, oar
oiifiii.si I'Eglise dans ses ofnces revel une sorle dedoiiil qui a lioaiienup
d'analogie avec le cnreme, si ccs pielres cl cos leviles jironneiil lo<
ciiulours de la pouilonco, si enrin les clianis joyeiix ,ki Glvriu in csrcls,s
cl du Te Dtum no se Ibnl plus eiiloiidie li.ius sa lilurgie, le peiiple
. chrelienira poiulasubir les prescriplioiisdola!.sliuoncc'ol'du ieiiiie
.■»n, sans doule. ii,:„s d.nis sn primitive iiistilulion TAvenl ful Ic oarcme de Noel.
ivgoire de Tours nous appreiid qiriiii dc .ses illuslres dovaiioiors siir le siege episcopal do oolle villo saint INtiio
n, vol, , !' T ■■' '' '"■"""''■ "">"'""'-"' 'l<^ """•'= I'isloire ecolesiasliquc relalif au Irmps de IVu-ul
I liouc a^.iit paieilloniont recu ce donncr nom, el on |-a| pelail Ic Cairmc ,/c s,,i, < .j;,,,;, ,.
>!
LES SAINTS
Dans Ics cnplliilaires tleChorli'mnjiiK' on la trouvc ainsi
designee. Qnclqncs siroles apres, cctlc fcrvonr s'clatt eon-
siderablcnicnl ralcniic, cl drja, au dixii'nie sieclc, il n'csl
jiliis suere fail mcniion que dcs quaire scnialncs qni pre-
cedent la grande solennile de ^oel. Plus lard, si I'Avenl
ainsi reduit conserve une coulcur quadmgcsimale, le jeune
lend a disparailre de plus en plus. Au treiziemc siccle.
ini monarquc francnis sc nionlrc encore obscrvaleur
ri;;ide de la priniilive inslilulion, el le careme de saint
Marlin revit sous la pourpre de Louis IX. A celle epoque le
jei'inc n'elail pins qn'nne simple abslinence donl I'oliliga-
tion se reslreignait aiix clercs ct surloul aus monaslcres.
Vers la fin du qualorzicrac siccle, le clerge dc la cour pon-
tificale d'Urbain V eslscul aslrcinl a la simple abslinence.
Ainsi s'cclipse cclle inslilulion si eniinemmentclirelienne,
quanl aux praliqnes peniblcs, el I'Avent ne figurera plus
que par des souvenirs accusolcurs de la raollesse dcs tenqis
posleric'urs.
A Dieu ne plaise ponrlani que nons clalions un rigo-
rismc onlre que I'Eglisc elle-meme desavouerail, pnis-
qne, par sa bonlcnialernellc, I'obligalion prirnilive a ccssc
d'exisler! mais si la rigucur esl lempcree, quanl a la
privation corporelle, I'espril de I'Avenl n'a pn varier ; cc
sera loujours pour le vrai clirelien une expiation prepa-
raloirc, sinon par une maceration extraordinaire qui n'est
plus un devoir, du nioins par un jeune du cocur, par des
elans de foi vive, dc consolanle csperancc, do tenJre charite,
el si cetle derniere a aussi pour objet nos freres dans la
souffrance, au moment surloul ourinclemcnce dela saison
vienl doubler les besoins de rinfortunc, ne scra-ce point se
preparer dignement a cclebrer I'arrivee de Celui qui vinl
sur la terrc pour y passer en foi.sant le bien ?
Chez les Grecs cetle pcriode de preparation commence
au (piatorze novembre, et forme ainsi une vraie quarantaine
avant iSoel. La viande, le beurre,le lait, lesnoufs, sonldes
aliments proliibes cliez ccs chretiens orientaux. Sept jours
de jeune sur les quaranle y sont sculement derigueur.
Cesl pour les Grecs le Careme de sainl Philippe.
(Jualre Avcnls ou nvenemenls sont symbolises, nous dit
un auleur du treiziemc sieclc, par ces qualre semaincs : le
premier, c'esl la venue du Tils de Dieu. du Verbe etcrncl
qui se fail cliair el qui va uaitre du sein virginal de I'liimi-
ble fdle di' Juda, Marie ; le second, c'esl la descenle de I'Es-
pril diviu qui a lieu tons les jours dans les cceurs pin-s; le
Iroisicme, c'esl la naissance de chacuu de nous a une vie
meillenre par la mort, car cetle vie n'esl(|ne I'exil de I'e-
preuve; lieureux celui quiyscra fidcle I Eiiliu leqiiatrieme
est ce grand cl majcslueux avencmeni du I'ils de I'llomnie
venanl a la fin du monde recoltcr dans le vasle champ du
pcrc de famille et I'ivraie, ct Ic hon grain; ces deux planlcs
soul ici-bas coufiuiducs ; a cole dc I'epi au grain nourricier
s'eleve I'inutile el pernicieuse ivraic. La premiere sera soi-
gneuscmcnt recneillie pour le grenier celeste, la seconde
lice pour eire misc au feu.
Riche el instructive allegorie, cmance de la bouche de
laSagcsscincarnee 1
C'esl ainsi que I'Kglise par scs louchantes inslilulions
.sail instruire scs enfanls. Aux uns la menace, aux anlres ki
douce csperancc. Toule I'ecouomic d'une sage legislation
CSl la ; et qui rcfuserail a I'Eglise cette intelligence legisla-
trice, puisqu'cUc esll'ccuvrc du supreme Legislateur?
NOIX.
Les pieuxsoupirsque I'Eglisea pousses pendant le temps
dc r.Xvenl onl ele enlendus, EUc a conjure le cicl de rc-
pandre sur la terre sa bienfaisanle rosee, dans cette belle
et louchantc priere liorule, cccli, tiesiiper, qui esl chantce
dans ccs qnatre dimanchcs. En outre, tous les jours, selon
le rit romain. a parlir du di.x-sepl decembre, une anlienne
speciale qui commence par I'exclamation 0 a solennelle-
menl relenti dans nos temples. C'etail le cri d'un amour
impatient qui ne pouvait manquer d'etre favorablemenl ac-
cueilli.
Noel esl arrive. A I'esperancc limide et plaintive a suc-
cede I'accomplissemenl d'une promesse quine pouvait cire
vaine. Ecoutez la voix imposante du livre inspire de la
Sagesse : « Quand la nuit ful arrivee au milieu de sa course,
« voire puissantc parole, 6 Seigneur, descenditde son trone
n royal place dans la splendeur des cicux. » Puis I'evan-
gclisle saint Jean fournit a ce magnifique rcpons de I'E-
glisc cette belle reclame : « Et nons avons vu sa gloire, la
" gloire du Fils unique, du Pere, de ce Verbe plein de
« grace el de verite 1 n
Noel est done la fete de la naissance corporelle du Fils
de Dieu, fait homme, sous le nom de Jesus-Christ. Une
soleniiite pareille doit remonler au bcrceau de la religion
chreiicnne. Le jour de sa celebralion varia ncanmoins, et
ce ful en 557 que le papc Jules 1" ayant fait excculer de
serieuses recherehes sur I'cpoque du dcnombrement or-
donnc par I'empereur Auguste pour fixer la population de
louU'enipire romain, on reconnut que ce grand evcnement
dc la naissance du Mcssie avail cu lieu, non pas le 1 1 du
mois de Tybi, c'csl-ii-dire le 6 Janvier, mais bien le 25°
jour du mois de dt'cembre. Au 6 Janvier, on avail jusqu'a
cc moment celebre la Theophanie, ladouble manifestation
de Jesus-Christ aux bergers ctaux roison Mages de I'Oricnt.
La premiere fut done flsee au vingt-cinquieme jour dc
decembre cl la seconde ful conservce au sis Janvier.
II n'en est point des fetes du chrislianiiimc comme dcs
grossieres solenniles de I'idolatrie ; les premieres so ral-
lachenl a dcs evenements fondes sur la verite de I'hisloire
ecclesiasli(pieet profane, lessccondes se lient .i des croyan •
ces superstitieuses el bizarrcs donl il est fort difficile, pour
ne pas dire impossible, do determiner roriginc.
Mais quelle est la signification reelle de ce terme de
N'oel? Les opinions vaiicnt. Ne serait-ce point la contrac-
tion dnmol Emmaiiuel donl on aurait garde les deux der-
nieres syllabes — nuel — scion la prononcialion italienne,
cspagnolc, etc., nouel. Cela paraitrait fori vraiscmblablc.
Emmanuel (Dieu avec nous) caracleriseadmirablcmentla
I'ele du 2,"i decembre. Sans doute, loujours Dieu est avec
nous, mais jiarsa naissance corporelle, parson incarnation,
il a doigtie habitcr visiblcment au milieu de nous, comme
un de nous, el voila pourquoi Jesus-Christ nous appellc scs
freres. Ob ! la gloricuse, la salulaire frnlernite! Ce n'est
point ici le farouche dieu de I'Olympe pa'i'en qui, d'un di-
gnement d'yeux, fait trembler I'univers, et qui a pour
symbolc ini aigle terrible. C'esl le Dieu qui vent qu'nn
I'aimc, parcc qu'il nous a aimes, cl qui a pour symbolc un
agneau, jiarcc qu'en cffcl il doil terminer sa vie mortelle
par un sacrifice oii il expirera comme I'agncau, sans se
jdaindrc. Oh I uni, Ic christianisme est la religion de I'a-
mour, de I'amour jiur el reconnaissanl.
Pourquoi cncorelrois messes en cette fete, Vunea minuit,
DU MOIS.
I'aiiire a I'aurore, la Iroisieme au jour? Nous Jirons d'a-
borJ ([u'aux eveques sculs il a]iijai'lcnait ancionncmcnt de
eclebrer ces Irois messes ct que ce privilpije s'cleiidail
aux prclres. Sans vouloir cnlrcr ensuile dans une |ii'ornnde
discussion liturgi(iuc sur cct usage, nous dirons, avec no-
ire auleur favor! du trcizieine siecle, Guillaunie Durand,
(jvei[ue de Mcude, que la venue du Messie est le signal du
salut pour Ics pcuples vjvaut sous I'cnqjire de la loi nalu-
relle avanl la loi eerile, pour ceux qui out ensuile observe
cclle loi, et cnfiii pour nous, qui, depuis celte precicuse
uaissance, vivonssousla loi chrclicnne.
Minuil est labsence de la lumiere ; les patriarches avant
Moise vivaientdans cetleobscurile. L'aurore est le crepus-
cule du jour, les Israelites sous Moise et apres lui niarclic-
rent acctte faible lueur. Lejourquand le soleil brille, c'cst
bien sans contrcdit la loi lumincusc que la naissance de
Jcsus-Christ est venue inaugurcr sur la terre.
. Au moyenage les pcuples, dans Icurs acclamations des-
tinoes a gloriller lespuissants du mondc, s'ccriaient : iSoti !
Noiil ! heureuse nouvelle ! Ilcjouissons-nous done aussi a
I'arrivue du divin Uoi des nations qui ote ct donne coniinc
il veut les couronncs perissablcs. Au scul Roi immorlcl,
invisible, et qui neanmoins a voulu se rendre, pour uu
temps, visible au milieu de nous, adressons jios pieuscs
acclamations :
Noel '. Kocl ! llosanna au Fils de Dieu qui liabite avec
nous !
MOIS DE DECEMBRZ.
1. Dlmanche. Preuiier di-
manche de I'Avent (uoi/.
avant le calendiier).
St £1.01, evfique de Noyon,
ne a Cbatelac pres Liniu-
(,'es, en 588.
D'abord orfevre, il fii pour Clo-
taiie II un In'me d'or eiiiichi de
Iiieirt'S prccicuses, ainsiqUL' les
niagniOqaes chasses de St Qucn-
tii), de St Geniuin de I*aris, de
Si Scverin, do Sle Genevieve, ele.
Saere evOque de Noyon en oio,
prelat distingue par Ics plu;-
graitdes qualites, murt en 659.
St LE0scE,evi5que de Frcjus,
mort eo 432.
St CoxsTASTtN, solitaire dans
le Maine, mort vers 563.
St Domsole, abbe de St-Lau
rent a Paiis, puis cvt^que
du Mans, morl en 581 .
0. IjDudi. SteBibiane, vier^e
el mariyre, 563.
Si Eusebe, priHre, Si Mar-
cel, diaere, St IlippoLVTE
elleurs contpa^notis, inar-
lyrs a Rome, 2' sit-cle.
3. llBrdi.ST Fkan^ois Xa-
vtEB, pri'lre de la couipa-
t^nie de Jesus, apulre des
Itides et du Japon, ne en
en (30ii, inoit eu 1552.
St Luctus, roi de la Grande-
Bivta^iie, inarljr a la Dii
du 2' siecle.
'3. iUw^rcrecli. St Pierbe
Chrvsologue, arclievuiiue
<le Ravenne, mort vcr.-
450.
SteBarbe, viergeetjnarljTe.
vers I'an 30G.
St C esiest d'Alexandric .
docleur de I'E^lise, moil
vcis I'an 217.
5. Jeudi. St Saeas, abbe en
ralesline, niorl en 332.
O. Veiiilrnli. St Nicolas,
i-vi^HUe de Mjre, mort en
342.
St Xiii. ■putLE, evfii|ue d'Aii-
tioche, iiiorlvers I'an 190.
J. Knmi'ill. Sr Asidhoise, ar-
cbevOc|iied(' Milan, im do
quaire grands docteurs ile
I'Eglise, Ills du pi-cfet du
prcloire des Gaiiles, trcs-
celebre par ses ouvraj;es,
niurteii 397.
8. HImaiiche. 2' dinianclie
de I'Avent.
Conception de la Ste Viebge.
Cetlc fete, oliseivee tres-;in-
ciennenicnt en Orient etcn qucl-
q'les eglises oeiidentales, fut
reiidue uiiiverselle par le pa|ic
SisleIVcn»i66. On y vinerc la
Ste Viergc roinnie eonijue dans
le seinde Sic Anne, samere, sans
la larlic du peclie originel. C'csl
la pieuse croyance de loute lE-
glise, sansqu'cllc soil un article
de foi.
St Romabic oiiREjrii\E,ahlH'
de Reinirenniiit ipii en a
pris suit noiii, |iriiice du
sang royal de Lorraine,
mort en ti53.
9. Luiidi. Ste Leocadie,
vierge et ni irtyre en E-pa-
giie, au 3« sii'cle.
St IIippabqce, St PniLOT^L
etieurs C'lnqia^'nons, mar-
tyrs a Sainiisaie, en 2U7.
10. Uurdi. St Melciiiaue
ou MiLTiADE, |iape, morl
en 314.
Ste Eulalie, vierge et mar-
lyre en Espagne, au o'
siecle.
Ste Valere, vierge el mar-
lyre en France, au 3« siecle.
11. Mficreili. St DiMASE,
pape. molt en38i, cidebre
par .-es nuvragcs.
St Fcscies, St Victobic ei
St Genties, martyrs prii^
d' A miens, en 286.
I 2. «ffoiidi. St Valeui, abbe
en Picardie. d'uu a pris son
iioni la ville aiiisi cunnue,
nicirt en 622.
St Epijiaoue, St Alexanbbe,
martyrs a Alexandrie
vers 250.
13. Vciidredl. Ste Licie
ou Luce, vierge ct inarlyre
a Syracuse, en 304.
Ste jEASsE-FKANgoiSE Fnti-
MIOT DE CuA^TAL, illSlilU-
Irice lies visilandines ,
iniu'le it Moulins, en 16il.
L'illiislrc inailjinede Sevigiie
el.iitsa pctilc-liUe.
14;. Kametli. St Nicaise
ev^qtie de Reims, et se;
compagnons, martyrs, au
5« siecle.
La niagnifique cglise de ce
noin A Reims a ete' dctruile
dc fond en coinbic en 1794.
St Fobtunat, evi'tpiede P'
tiers, morl en 609, pocte
latin.
15. Dimanche o^dimancln
lie I'Avenl.
St Eusebe, cvSque de Ver-
ceil en Picmonl, morl en
370.
St Mksmin ( Maximinus).
abliii dc Alley pres d'Or
U'ans, murt en 520.
16, l,.undi St Adon, arcbe
vi^qup de Vienne en Daii-
pbme, aiitenr d'un marly
rologe. mort en 873.
Ste ADiiLAJDE, imperatrice
irAllemagiie. morle ei
Alsace, en 999.
IT. Slai'lli.STE OLYlIPlADf.
veuve de Ncbridius, prefc
de Conslanlinople, niurti
en 410.
St Bebsabd oh plulot Bar-
NABD, archevi^quede Vien
ne en Dauphine, mort en
842.
18. Mercredi. Quatre
Temps.
St Rcf el Sr Zozime, mar-
tyrs en Asie, en 1116.
St Gatien, premier evi'qui
de Tours, au 3' siecle.
19. Jlcndi. St Neuesion.
martyr en Egypte, en 230.
StTimothee, diaere en Mau
rilaiiie, niailyr du pre-
mier siecle
20. Veudrcdi. Quatre-
Temps.
St Puilogone, eu'qued'An
tiiiclie, Ian 3'23.
St Zepuibin, pape, morl en
217.
'il.MaiUfdi Quatre-Tcmps.
St Thomas, apOlre, surnuni-
mi; Didyme, marljriseen
Plicnicie, ilanslel*'' siecle.
St Tiiemistocle, martyr en
Lycie, au 3« siecle.
St Isnocest r. pape, mort
en 417.
J5S. iliiii.-iiiclie. 4'dimanclic
de lAvenl.
St Sicon, cv^qne de Cler-
monl, morl dans le 3'
siecle.
J.T. E.oiidl. Ste Victoire,
vierge et inarlyre, en 250.
il. Iliirdi. Vigile ileNiiiil.
St Delpiiin, ('■veque de Bor-
deaux, mort en 403.
la. .Mcrcpcdi.Solennile de
NOEL. FOle d'ebligalion.
{Voy. rarlicle/lrcH^ qui pre-
ri'ile le ralenilriiT.}
Ste AsASTAsiE, inarlyre a
Rome, en 301.
iO. dcudi. St EiiEssE,
diaere, premier niariyr au
1"sic:cle.
St Desys, pape, niuriyr en
258.
-7. Vciidredi. Sr Jean,
apfltreelevangcliste, moit
I'an 100.
ig. Kanivili. Les Saints
Innoccms, massacres par
orilie d'llcrode qnelque
temps apres la naissance
de Jesus-Clirisl.
Sr TuEODi'BE , abbi! en
Egypte, murt en 307.
Of R>iiuatielic*, dans roc-
lave de Ndi'I.
St Thomas Becket, arrln'-
vOque de CantorbiTv ,
massacre par ordre dc
Henri H, roi d'Aiigleterre,
en 1170.
St Tbcpuime, premiercvequc
d'Arles.morl au I*'' siecle
selon qtielques-uns. et au
milieu du 3"^ siecle selon
d'aulrcs,
10. l.iiindi.ST Sabik, evOque
d'.\sstse, el ses compa-
giion<^ iiarlyrs en 304.
II Mardl. St Svlvesire t,
pape, conlem|iorain ilu
gland Conslanlin. qui ren-
dit la liberie au cbris-
liaiiisme.
St Savinien, evfque de
Sens, et ses compagnons,
marlyrsau 3« siecle.
3i> acii.
SCENES, RECITS, AVEINTURES,
kxt!ia:ts d:s plus hece^ts vovaccs.
LA NEIGB HOUGE.
Un voyascur |ii6mon(nis qui vipiil Jo visitor la Nor-
WTgo ronj coniplc (l"nn plionnmone fort curieux et obsorve
|]liisieurs fois dnns los Mpi's, dans Ics Pyrenees el sur los
cimcs iiidiennosdcl'llymalaia, par dos voyaseurs aUontifs,
la seule espi'cedo vnyagcurs digues do co iiom.
Dans los regions Ics pins clovees, la neige prend nno
loinle rouge, surlonl qnand lo solcil la frappe. Co n'csl pas
seulemcnt, eonime le dit I'Alleniand Ilaller, « lo regard
de Dion, la llammo et la vie, (piicolnront le front desmon-
lagnes, » c'csl une liqueur rouge enfernu'e dans la neige
mcme, et melee a la substance blancbcque presente I'ean
condensee.
« A nicsiirc que jc niarcbais, dil le Pieniontais doul
nous avons cite I'observaliou, I'cmpreinle denies souliers
rnngissail la neign. Cliacun do nics pas semblait marque
u I'encre ronge. Jc me liaissai, et je vis que la vcrilable
teinte de !a ncigo que je foulais anx piods etait d'nn rose
p.ile, tirant sur Icjaune, a pou pros la nuance affaiblic do
la Irnile saumonce, mais qu'cn prcssanl la noige el en ap-
jiuyant, celte meme teinle devenait plus foncce, comma si
quelquc substance ponrpre cut etc soumise a Taction
d'une vis. Men cbicn do Terre-Nenve ecrivait comme moi
sa route on Icltres sanglanles. Le paysan islandais qui m'ac-
compagnail, ct dontla tournnrcd'espritelait, comme cbez
la plupart des habitants de ces regions, aussi poeliquc
qn'nriginale, prit gravomcut la parole pour me raconler
deux ou Irois li'geudcs antiques, ipii no lu'expliquaient ]ias
le moins dn mondc cello rougenr de la noige. 11 s'agissait,
lanlut do la deesso Froya, qui avail elo jjlossee par le lonp
Fenris dans ces localiles dosertos et qui avail lache de son
sang la liHo glncce des moots de granil; tanlot d'nn sou-
venir cliretien qui atlrihnait colte nuance an sang des pre-
miers martyrs ; tanlot des crnautos cxercoes en Norwoge
et en Daneniark par le rni Chrisliern. La derniere lo-
gende poeliipie, repelee par mon bonnole paysan d'Islande,
sc terminait par colte iiensiic romarqnable qui est rostoo
gravee dans ma nicmoire : n Les moots charges d'nne pure
neige rongirent, comme lo crime el la passion humaine
laissent lour trace sanglanio sur Ics pages blanches de
I'hisloiro. »
« L'l.slandais paraissail so contenter do cos explications ct
de ces souvenirs, plus poiHiques ct pins iugerjiens que sn-
li.sfaisants pour un natnraliste. Jc n'olais ]ias homme li
rosier plongc dans cello oli.scurile. En descendant la mon-
tagne, du ciile des mines de fer d'Arrastrann, je ne- cessais
de songer a cclle neige roug<' dont j'avais emportequcl-
qnes livrcs dans one Ijoutoille. Jo retronvai mos bagagcs et
puon chariot au pied de la monlagne, pres de la maison
do linspecteur des mines : los premiers tours de roue du
chariot laissaicnt snr la neige que nous fonlions un sillon
rose un pen moins colore que la trace de mcs pas au som-
met de la monlagne. Kon-scnlomenl, en arrivani au vil-
lage de Ba>uslra!m, j'analysai avcc soin la neige quoj'avais
emporlco, mais comme cos experiences ne mo satisfaisaienl
jnSjje relMurnai lout expriis avec nil microscope, anx
NFS
lii'ux oil la ncige sanglanle m'avail parn du plus beau
|K)urpre, et, inalgro tons mos efforts. In cause roello dc
cello conlenr m'ochaiipa completement.
(c Je crou.sai la neige el je la trouvai rouge a plus de trois
piods do profondour; quel(|uofois des veines sanguinolentcs
la traversaicnl a la surface el couraient en si lions varies
qui la marbraiont pour ainsi dire. D'autres fois, ct plus
I'requemmcnl, laleinlo ctail cgalemcnt ropanduc. Dans un
lien tres-oxposo au solcil, la couelie de la neige elail tout
ii fail ponrpro, et cello belle nuance allail so degradant
pen a peu, dans retendue d'nn ccrclo de pres de cinq me-
ti-es. Fn definitive, co doit eire quelque vegetation secrete
el cachce qui produit cot effot, el leint la surface de la
neige. »
Nous joindrons, dans un nimiero nrocbain, aux observa-
tions incompletes du voyageur piomontais, que nous ve-
nous de Irauscriro, cellos d"un Gcncvois el d"un Danois,
qui out dociiuverl la cause rcolle do co pbenoniene rare
et singulier. Par un des miracles dont la nature physique
offro le perpolnel lissu, cc n'est pas la vie vogetalo qui se
conserve sons la glace, mais la vie animale elle-mehie.
Colte couleur ponrpre n'cst autre chose que du sang,
conmic lo pronvo lo detail do Icurs experiences analytiques,
detail Irop long pour que nous lo joignions ici, mais que
nous aurons soin de rapportor tout entier dans noire pro-
cliain nnmoro. ( La sf.ilcau mimcro procluiiii.)
VISITE CHEZ UN CCRE SE COHBOUE.
La vie patriarcale el los mocnrs bicnveillantes que I'e-
crivain anglais Goldsmith a docritcs dans son Vicaire de
IKa'ie/iWrf, on! fait croire injnslemenl a quelques por-
sonncs quo la communion proleslante favorisail beauconp
plus que la foi calholique colle douce tolerance el ces
qualiles interiouros si tonchantes a la fois el si utiles. Si
Ton visilail plus d'nn cure do campagne, memo dans los
regions meridiunalos, qui passenl pour livrees au fauatisme,
on tronverait pariiii Ics occlosiasli(|iios des localiles les
plus sauvages niillc cxemples dc ces vertus domostiquos,
mille tableaux d'inlerioiir cpie Gessner ou Goldsmith au-
raienl rcprodnits avoc bonlienr.
Un Anglais, missi(jnnairo prolcslant, charge aujourd'hut
de ropandro on Espague la Ciblc protcstnnic, hommo d'ail-
Icnrs ploiu do franchi.se el dc naivete, rend ainsi conipte
d'iMio visile choz un cure ospagnol desenvironsdoCordono.
u 11 liabilail une vieille rnino do mosqueo orienlalo,
doul unc parlic lui servail de bibliolheque, une autre de
pigeounier ; le resle elail occupe par sa gouvernanle qui
avail epouse nn greflier de la villo, et qui servail le cure
tout en soignant son propre menage.
Lo bonhomme \ivait de quelques fruits, de lard, sus-
pcudu a une galerie suporicure, et des ccufs que lui dou-
naient des ponies qui s'en allaient caquetanl aulonr du
bassiu de marbre ct du jet d'cau mauresque. (Juelques ci-
tronniors ct grenadiers poussaient dans un coin, ct
pencbalcnt vers I'onde Icurs fruits sangbmts el dores. 11
nous fit servir lout ce (|u'il avail de mciUeur dans uno
pelilo sallc qui donnait sur \e paiio, ou cour intorieure;
ii cliaque instant il elail derange par les panvrcs qui ve-
naienl frapper a sa porlo. Couinic le vicaire de WakclicUl,
qnand il voulail sc debarrasser de quelquc inondiant man-
DE VOYAGES lltCENTS^
57
vais'siijct, il lui prclnit iin manlcau on line calotte, Lien
sur, disail-il. de ne. jamais revoii- I'cniprunteiir. Sa sou-
lane usee, et sa barlje noire assez mal pciijnco, rain-aicnl
volonlicrs fait passer pour pauvre, et j'auraiscru que ce
proprictaire. de riuelqucs mines delabrees n'avait pas une
peseta cliez lui, si les nomlu'cux visilcurs (pii frappaienl .i
sa poric n'eussent reni de sa propre main des aumuiics
frequentes.
<i C'clail en definitive le banquier ct le medeein du vil-
lagi'. Dans un belvedere, donl le jasmin sauvage et le lau-
lier coiivraienl presque enlierement la petite fenetre, il
avail fait placer deux lits pour les voyageurs. Nous etions
calvinistes, il le savait; son affeclueuse hospitalite n'en fut
pas moins cordiale; et, quand je lui rcmis en partant une
de mes Ribles protestanles, il se contenta de sourire mali-
gnenient en placant le livre sur sa labletle, comme s'il
m'avait dil :
(( Vous etes un commis voyageur qui n'oubliez pas voire
placement, n
En somme, j'ai vu pen d'esistonces plus energiques, plus
aimables et plus deviiuees. »
i.'iNCZNSiE ni: XA roRXT viEacE.
Avec quel plaisir je m'asseyais aupres du feu ardent de
quelipie cabane solitaire, quand, epuise de fatigue et pe-
netn; de fruid, ayant hate mes pas pour arriver, a travers
le brouillard humide et la neige qui couvrait la surface du
pays comme un manleau de glace, jusqu'.i^a liulle du chas-
seur Canadian, jc le irouvais entoure de sij famille, ct re-
cevais de lui-une hospitalite cordiale !
C'cst un spectacle clwrmani pour un Francais. (^n parle.
dans ces regions lointaines, le francais pur du temps de
Eoiiis XIV ; le vieux christ d'ebene est suspenJu avec le
rarneau benit au-dessusdu lit des jennes filles. Une politesse
cordiale el rusliquey regne.La mere bcrce son nourrisson
en Iredonnanl, pour le disposer an repos, pendant qu'un
groupe de vigonreux eiifants se prcsse auloiir du pere qui
vient d'arriver de la chasse, el depose sur le rude plan-
Hier de sa cabane le nombreux gibier donl il est pourvu.
Ln gros tronc d'arbre noir, roule avec peine jusqu'a une
vaslc chemmOe et alimcnle par de menu bois de pin, pro-
jelle an loin sa llanime brillante sur I'lieureuse famille.
Les cliiens du chasseur lechent I'eau qui decoule des
glacons qui se fondenl ct brillent sur leur poll herisse;
le chat, amoureux de ses aiscs, s'occupe a passer ses paltes
veloulees sur ses. deux orcilles, et peigne de sa langue rude
la robe luslree qui fait son orgueil. Ces plages reculces, oii
il n'y a ni peinlre ni pocle, sont poetiques el pittoresques
plus que tonle autre.
Quel charme j'ai eprouve, quand, cliaritnblement recu
et genereuscment traite sous ce toil par des gens dont
les moyens etaient aussi precaircs que leur generosite etait
sincere, j'cntendais la vieille chanson picarde resonner
dans les bois, etannoncer de loin le rclour du pere ct de
ses Ills 1
Souvent j'entrais en conversation avec cux sur des ma-
tieresen rapport avec leurs intert'ls, etje rccevaisd'eus les
informations les plus satisfai.santes. Je me rajipelle qu'iine
Ibis, dans les Elats du Maine, je passai une null semblable
a celle que je viens de decrire. De bonne lieure, dans la
inalinec tout le ciel avail etc obsciirci par une pluie qui
S8
SCENES
lombait a torrents, et mon 'gcncrcux hole ni'cngagea ii
demeurer, dans Jcs tcrmcs si pressants, que je ine crus
lieureux d'acceptcr son offre. Apres le dejeuner commen-
caient les affaires dujour : le rouet .i liler tournail, les
jeunes gens lisaienl , visilaient leurs amies de chasse
et raccommodaient leurs Clels de peclie. Dans un coin
les cliiens revaicnt de bulin, cnfouis dans les cendres;
lloniiuagrobis filait sa canlileiie monotone, de concert avcc
le rouet. Assis sur deux tabourets, le chasseur et moi
nous causions, pendant que la mere de famille veillail aux
affaires domestiques,
« Vous avez change d'habitntlon? disje au chasseur.
Quel (ivenement vous a porte a operer une mutation de do-
micile toujours difficile et couteuse?
— La foret nous achasses, repoudit le Canadien ; elle a
lirule un beau jour, et il nous a fallu fuir. C'cst a grand
peine que j'ai sauvc ma vie, celle de ma fomme et de mes
enfants. D'ailleurs, nous avons tout perdu.
— nacontez-moi cela.
— Le souvenir est tristc. Nous avions bati notre cabane
ail milieu de la foret; pour ccliapper aux flammes, il a fallu
franchir un veritable cercle de feu. C'etaient des arbres
resineux, sapins cl melezes, qui couvraicnt un espace do
dix lieues ; jiigez du danger que nous courions !
— Comment avcz-vous fait? Quelle clait la cause de I'iii-
ccndic?
— II y a pres de vingt-cinq ans, nos sapins noirs furent
presquc tous tucis par les insectes, qui en enlcvcrent les
feuillcs, et quoi(iue d'aulres arbres ne meurcnt pas apres
la destruction de leur feuillage, les arbres resineux n'y
resistent pas. Qaelc|ues annees apres, les memes insectes
altaquerent le pin, le midoze et tous les bois resineux,
avec une telle violence, qu'avant une dcmi-douzaine d'an-
noes, ils connnencerent a tomber, a ronler dans toutes les
directions, et couvrirent le pays de leurs Ironcs cpars.
Vous devez penser qu'elant sees en partic par la cbaleur
de la saison, ils devinrentun combustible facile a enllam-
mcr. Le premier accident y niitle feu : le bois continuadc
bruler par inlervalles pendant des annees, interccptant,
sur divers points, toutes communications; le sapin, par si
nature resineuse, joint aux couches profondes de feuillcs
accumuliics, enlretenait un feu constant.
Je n'osc vous en dire davanlage, craignant a la fois do
rappclcr un Irisle souvenir a ma fenime et a ma lille
ainee, compagnes de ma fuite, el d'abuser devos moments.
— Vous vous tronipez. Vous m'inleressez bcaucoup.
Voire fcmme file la-bas son rouet : votre lille va preparer
noire repas; continuez done voire recil.
— Dans une cabane situee a environ cent niilles de celle-
ci, nous dorinions profondenienl, quand nous fumes su-
bitenicnt cveilles, deux hcures environ avant lejour, par
le hennissement des chevaux, et le beuglcment des betes ii j
cornesqiie j'avais miscs en liberie dans le bois. Je prismon I
fusil, et j'allai voir cc qui pouvail produire un tel va-
carmo.
Sur le seuil je fus enveloppc d'une clarte brillanle]
qui so rcllctait sur les arbres places devant moi, aussi]
loin i|ue ma vue s'elcmlail a travers le bois. Mes che-
vaux .saulaicnt dans tous les sens, renillant avec bruil,
el les betes a cornes couraicnl ca et la, furieuscs, la queue
drcssec sur le dos. Je lournai la maison, et j'entendis
avec douleur Ic pelilhunent occasionue par les brou.ssailles
en feu; les llammes avancaient sur nmi avec rspidite, dans
un rayon Ires-elendu. Conime ma fcmme habilait une ine-
lairie a une porlee de fusil environ, je mis un havre-sac
sur mes epaules, cl je courus de toute ma force d Iravers
les llammes vers la metairie. Je lui dis de s'liabiller le
plus proEnptcniciil po.ssible aiusi que rcnfani, cl de 'j)ren-
drc le peu d'argent que nous posseilions, pendant (|ue j al-
traporais cl scllerais les deux mcillcurs chevaux. Timl cda
ful fail en Ires-peu de temps ; cliaque instant devenait prc-
cieux.
Kous monlaraes done a cheval , el nous primes la
fiiilo devant rennenii qui nous poursuivoit. Ma femnio,
DU VOYAUKS niiOENTS.
u'J
exccilente cavalicre , so linl pros dc moi, ct jc s.iisis
(inns un dc nics bras ma fillc encore enfant. En fiiyant,
jc rci;ardai dcrrierc nuii, le terrilile (■Icinent envclrippait
di'ja la maison. Ilciircnsement une corne do cliassonr
sc Iroiiva suspendue a mes lialiils de cliasse. Je In lis rc-
sonner pour amencr anpres dc moi, s'il clnil possililo,
ce qui me rcslail d'animanx, y compris mes cliiens. Lcs
boles a corncs suivlrent pendant quelipic temps; mnis line
lienre n'elait pas ecoulee. qu'elles se repandirent conime
enragees a Iravers les bois, Innles jusqu'ci la dernierc, el
y Iroiivcrent In morl. Mes cliiens eux-niemes, en d'anlre
temps si deciles, couraient avcc les daims quis'clancaient
devanl nous.
A mesure que nous avancions, nous entendions le son
des cors de nos vsisins, ce qui nous fit supposcr qu'ils
claienl dans la meme situalion. Je ne songeai plus qii'd
sauver notre vie, et je peusai qu'un grand lac. silue a quel-
ques milles de distance, pourrail bien arreler le proxies des
llnmmes. J'engngeai done ma femme ,i pousscr son clieval.
Nous galoplons avec Ionic la rapidite que pouvnit permel-
tre un chemin obstrue pnr des arhres renverses et des las
de broussailles qui scm!)lnient placees la lout exprcs pour
alimenter Ihorrible incenJie : nnc ligiie immense de feu
cnveloppait I'liorizon.
En mcme temps nous sentions vivemcnl la chaleur, ce
qui nous effrayait d'aulant plus que nos chcvaux bron-
cbaienla chaque instant. Un genre de brise tout parlicii-
lier passnit sur nos teles, et la sinisire clarte de I'atmos-
pliere cgnlait le jour. Je resseulais une legere faiblesse, et
ma femme clait Ires-p.-ile. La clinleur rougissait tellement
la figure de notrc enfant, que nos anxietes s'en accrnrent.
Vn espace de dix milles est bientol francbi juand on a des
chcvaux legers et rapides; nous arrivames aux bordsdu
lac, converts de transpiralion et enticremeni epuises; le
cocur nous manqun. Laclialeurde la fumee elail insuppor-
table, ct les flammes tourblllonnaient dune maniere ef-
frayanlc.
.4pres avoir cotoye quel(|iie temps lcs bords du lac,
neus nous arrclames du cote oppose an vent. La nous
abandonnames nos chcvaux que nous n'avons jamais re-
viis. Nous plongeames parmi les joncs au bord de I'eng,
et nous nous mimes a pint venire, dans I'cspoir d'cchap-
per aux llammes devoranies. L'eau,en meme temps qu'cllc
nous ravivail, nous fit jouir d'un pen de fraicheur. Le feu
continiinit ses progres rapides, ct ravngeait tons les hois.
Puissions - nous ne revoir jamais un pnreil spectacle!
Je pensais que les cieux eux-memes briilnient; on
n'y voyaitqu'une rouge Incur, mclcc denuagcs de fumee,
qui se roulait et enlrainnit tout. Kos letes etaienl ar-
dcnles bien que nos corps eprouvassent quelque frai-
cheur , et noire enfant , qui semblait enfin s'aperce-
voir de quoi il s'agissait, jelait des cris qui nous brisaient
le cocur.
imaginez un peu noire situation. .4u-dessus de nous,
pasdeciel, mais une fournaise cnorme, une voiile rouge el
mobile, qui lourbillonnait en passant sur nos tetes, roulanl
masses surmasses el montagnes enllammces sur monlagnes
cnllammccs; de temps en temps un bison ou un ours fu-
rieux, qui dans sa lerreur venait sc preeipitcr au sein des
caux ; de tous coles une vapour etouflante, une haleine
cmbrnsee, que nous elions forces de respirer el qui dcvo-
rail nos poumons lialelanis; les charbons rouges, debris
(les sapins en feu, qui, lances pnr le vcnl, tombaicnl en
sifllnnt dans le Inc.devenu un miroir rouge; le craquo-
ment des vieux sapins qui tombnient, el lcs hurlements des
vinux ours qui mouraient dans lours tanieres; dans quel-
que direction que nos regards se tournassent, du feu et la
morl, Hen autre chose !
La journee se passait et nous commencions a ressenlir
les aiguillons de la faim. I'lusieurs betes sauvages vinrent
plonger dans I'eau tout pros de nous, d'autros nagerent
vers nous, et s'arrctcrent. Quoique las el affaibli, je vins
ii bout de tircr sur un porc-cpic, donl nous mangeames la
chair. La null se passa jc ne saurais dire comment. Lc feu
couvrnit tout lepays, lesai-bresolniontdes pilicrsde braise,
et tombaient les uns sur les aniies. Nous elions environncs
d'une fumee elouffante, les charbons et les cendres brii-
lanlcs lombaient epais autour de nous.
Dans la matinee, bien que la chaleur n'cul pas dimi-
nuc, la fumee etait moindre. et quclques bouflees d'air
rafraichissant arrivaient jusqu'a nous. Tout etait calme
alors, mais une horrible vapour romplissait les cieux,
et I'odeur etait pire que jamaLs. Nous nous sentions epui-
scs, nous oprouvions comme un frisson de fievre ; nous
quiltnmes I'eau pour nous rechauffer auprcs dune biiche
enllnmmce. Ce que nous pourrions devenir, je I'ignorais ;
ma IVmme pressait notre enfant sur son sein en pleurant
aniorcmenl; mais Dieu nousnyant preserves du plus grand
danger, ol les llammes e.lanl otointes. je pen.sai que ce
sorait nous rendre coupablos d'ingratitude cnvers lui que de
dosespercr. Nous priames du meillour de noire occur el
ardommenl. La faim nous pressait, nous y rcmcdiflmes
aisomenl. Plusieurs dnims clnionl encore dans I'eau, j'en
ajuslni un que je visai a la Icte. Uii morceau de sa chair
ful bieulot rolie, ct apres I'avoir mangoc, nous nous sen-
times mieux.
Copendant lcs llammes avaiont pris une autre dircc-
lii>n. lilies s'oloignaientdenous. bien quo la toi re ful encore
bn'ilaiilc dans plusieurs endroils, et qu'il fiil dangereux de
marcher parmi les arbros incondies. Apres avoir cherche
quelque lopos, nous nousdisposames a recommenccr notrc
voyage. Men enfant enlre mes bras, jo me dirigeai a travers
la Icrre briilante et les rochers noircis, et apres deu.x jours
et deux mills bien penibles, nous alloignimos enfin la partic
du hois qui avail ele opargnee pnr le feu.
II n'y a que le hois resineux, le Harkmiltack , comme
on I'appelle ici, les pousscs vertes, que de tels incendies
delniisent ; les cbcnes et les marronniers y resistenl. Une
conllagration pareille, monsieur, n'a d'analoguo nullc part.
Quand les sauvages indioiis voient toule cette poix-rosluc
faire une gigantesque lorche d'espaces immenses. ils
croicnt que tout est fini, et se jctlont dans ce qu'ils ap-
por.ont lc liiiclicr du monde, avec lours femmes et lours
enfanls. Pour nous, nous n'avions, nprcs noire fiiitc,
ipi'un souflle de vie que Dieu avail miraculeusement pre-
serve. Lcs gens qui nous accuoilliront etaienl des. \mcri-
cainscharitables, qui, pendant vingi jours, nous soigncrenl
dans lour maison. Ensuite, il fallul recommenccr noire cla-
blissomont, defriclicr, biilir, cultiver, el Dieu a encore
boui noire patience et noire conliance en lui, comme vous
voyoz, monsieur, u
Ence moment, la fille aineerenlrail, npporlanl une vastc
terrine noire, rempliede ce mets, frnnoais depulsun temps
immemorial, etquis'appclleCocu/'d la mode, lii-bas conimo
ici. Lo Ihym el le serpoleln'y avnienl pas otccpargnos. On
so inil gnioment a lable npresle BciiedicKc. Ln pluic ballait
40
u;enes de voyages regents.
toujoiirs Ips petils vitrns^es de la caliain', c( do teiii|is a dulre
un coii|) de fusil lointain, ropcle par los eclios, annoiicait la
presence de I'liomme dans les vasles foi-els cnviroiinanlos.
{Voyages reccnls aux montagncs Rockeuses )
X,A VALISE ET X.A BOUTEIIiIiE
uu
AVENTUKES GEYLANAISES.
Personne n'cst plus sujet a caulion que les voyaijcurs, et
Ic recil des dangei-s qu'ils ont coui'us obticnl peu de
croyance. J'oserais a peine rcproduire les details que m'a
donncs sur une nuil passee dans les fnrets de Ceylan, un
de mes meilleurs amis, si je n'avais loii^lenqis habile celle
ile peu connue, et si la vcracite pai-faite de mon ami me
laissnit le moindre doute. Tout, dans ce pays, se presente
sous des foi'mes gigantesques, el ceux qui onl vecu a
Geylan, ou qui I'ont seulcnient visile, ne cnntredirnnt pas
un recitqui donne uncassez jusle idee deccs solitudes sau-
vages.
Le heros de mon liisloire est le lieutenanl-colonel llaidy,
quarliermailrc de Geylan, qui, apres une residence de
dix-huil annees dans I'ilo, vient de relourner en Augle-
lerre. Peu de lenips avant son depart, il devail se rcndro
a Galle pour iiispcctcr les delachements de Trincomalie, qui
avaient ordre de s'embarquer et de quiller le pays; les
soldals qui les composaienl elnienl la pluparl de fort
niauvais sujets.
II en requit un delncliement pour raceompagner
et nionler avec lui dans les bateaux qu'il avail destines
a cet usage. En effcl, ccs homines s'embarquerenl.
Ceux qui se Irouvaionl dans la chalnnpe amirale avec
le quartier-mailre se coniluisirenl asscz bien d'ahord;
inais ils se rel.icherenl ensuite , el les passagers des
quatre autres barques qui le snivaienl passaienl lout leur
temps, en depil des menaces el des ordres reilercs de ce
dernier, a .se ballre, ,i rire, a chanter, a boire, a .se pnusser
dans I'eau les uns les autres, de maniere ii faire ch.ivirer
U's rmbarcalions ipii les portaient. Le colonel avail hate
d'alleindre Uabenlolle, lieu de sa destinatimi, el de pcur de
se Irompcr .snr le point du dehnrquiincnl. il cut I'idee de
desccndre a lerre, d'aller chercher Ini-meme un pilole du
pays, qui connul a fond ces parages el lui porlat secours
en cas de besoin conlre les honimes indisciplines que I'eau-
de-vie, dont iU s'abreuvaicnt, rcndait a chaque instant
plus farouches.
l,e soleil elait sur le point de disparailre au-dessous de
I'borizon, lorscpie le colonel, un des homnics les plus re-
solus que j'aie connus dans ma vie, ordonna aux ramcurs
qui conduisaienl sa nacelle, de la dirigor vers le rivagc, et
de descendre avec lui, ii rc\coption d'un scul. Les autres
enibarralions devaient attendre son retonr,
II debarqua done, une bouleille d'can-dc-vio ,i la main,
et portanl aussi une valise qui conlcnail queli|u.'s vele-
mcnts. Mais ipinnd il fit signe ,-i ses soldals de descendre,
il fnt. bien surpris de ne trouver ancun tl eux uispose ,-i lui
obeir; poussanlle baloau an large, ils laissereut lecoloncl,
.senl et slupefait, se pourvoir a Ini-meme.
Ces hnmmes. qui. wns pai-lagcr Ions les lorts de leurs
camarades, avaient cependant niontre de rinsoiicianee d
de I'indiscipline, craignaient le chalimcnt que le colonel
devail leur inlliger au relour ; une bonne occasion se
prcsenlant de prevenir cctte jusle vengeance , et de le
sacrifier en se sauvant eux-memes, ils se halcrent d"en pro-
liler. La parlie de I'ile sur laquelle le colonel avail dcbar-
ipu', partie exlrcmement sauvage, servail d'asile a desani-
manx leroces (|ni n'avaient jamais etc troubles par I'homuic
dans leurs prolbndes relrailes.
CI Ilola ! criait le colonel, que faites-vous? Revenez. ou
jc vous livre nu conseil de guerre; revenez. Sur ma pa-
role de snldat, je vous ferai grace ! »
Les cinq barques silencieuses fendaient I'ean Iranspa-
renle, eclaireedes derniers relicts du jour, el les rameurs,
pcnches sur leurs longues pagaies, poussaienl au large
avec une sombre resolution. Le colonel resta senl entre lj
desert et les vasles eaux. Bienldl il n'apercnt jdns les em-
barcalions des rebelles qui avaienl lourne nn promontoire,
et dont la derniere trace avail disparu.
Comment s'orientcr? La plage sur Inquelle il se trouvail,
silnee a vingl-cinq milles d'Habenlotte, el dans la partie do
I'ile la plus .sauvage et la moins frei|uentee, lui elait in-
connue, meme de noni. N'ayant aucnne idee du lieu oii il
elait, 11 s'avanca vers un bois cpais, la bouleille a la main,
el .sa valise sous son bras. Le soleil se couchait dans sa
splondeur, bienldl I'almospbcre devint sombre. La unit
lomba ; il entendit aux environs les rugissements et les
hurlements des betes sauvages, et les longs aboiemenls des
jackals. La lune apparul sur I'horizon, ne donnant qu'une
lumiere incertaiue. IndistinclemenI, li Iravers I'epaisscnr
(les jungles et Tobscur fenillnge de quelques grands arbres.
il vil un sentier fraye devant lui ; mais ce senlier elait oc-
cupc par des elephanls. Relourner sur ses pas elait impos-
sible, el demeurer toule la nuil laou il se Irouvait eut ele
s'cxposer a une perle cerlaine.
N'ayant pas d'antre alternative, il se resolul a marcher
en avant Les elepbanls raperenrent et le poursuivirent.
II se jela dans les laillis, el bientol ces enormes colnsses,
fracassanl lout sur leur passage, foulani aux piids les buis-
sons, les jungles, les rameanx des (iguiers el des .aloes epi-
neux, se Irouverent a quelques toises de distance du colo-
nel L'idi'c lui vim de se servir de sa vali.se, non pour les
combatlre. mais pour les dislraire et les amuser. La saga-
cile curieiise el pour aiiisi dire scienlifiqne de ces animanx
est proverbiale el lout a fail merilee,comme on va le voir.
Le colonel apercevanl rombrc de la trompe colossale se
balancer vers lui d'nne I'acon menacante, lanea, plus loin
que I'elephanl, ccllc bienheureuse valise, autour de la-
quelle, en elTel, six elephanls ne lardcrent pas .i leuir
conseil. lis la tournerent et la retournerent dans lous les
sens, rouvrireiil , la videreni, en examinerent le conlenn,
et le colonel, qui de temps en temps jelail un regard sur ses
persecnleurs, se jelant dans un senlier parallcle, ne tarda
pas a se trouver hors de leur porlce. La lune montait dans
le ciel et n'eclairait qu'a denii des tanlomes d'arbres
des tropiques, au vastc jiarasol de fcuillage el des trones
luisanls el noirsqui s'elevaient de lous coles, lugubres, an
milieu de celle c'arle )iale. Les sirilemenls des ser-
penls, les sonpirs fnnebres des jackals, les longs cris do
la panlhere affamee se laisaient pen a jien.Tout s'endor-
niail.
Apres d'elranges aveutures, apres avoir echappe a plu-
sieiirs buflles, .-'i des lanrennx sauvages el a des elepbanls
LE DEVOin ET L'lIEROISME CHEZ LES FEMMES.
tl
gi£;.inlcst|ues (commenlil y parviiit, c'cstcc qu'il ne put pas
Lion cxpliqiioi'), il ajiorcul a Iravors les arljrcs deux largcs
obji'ls noirs, se niouvanl dans relroit senlier precisement
en face de lui. Force lui clait de conlinuer son chemin, si
c'elait possible, de la meme maniere qu'il I'avait fait dans
le senlier des elephants. Bienlut il fut enlendu ou apercu;
et, a son horrcur indicible, il se trouva en face de deux
enormes ours qui marcherent ensemble vers lui. Se jetant
de cote, il cluda I'accolade du premier ours ; les grifl'es et
les dents Icrribles du second allaientle saisir, quand un
mnuvenicntspontanu, dont il nc pent pas se rendre conipte,
le porta a elevcr son bras, cl a visor le monsln^ avec la
bouloille qu'il lenait encore dans sa main. Elle frappa les
dents de I'aniraal, se brisa par morceaux avec un grand
fracas; Fours, cffraye du coup, ctourdi par I'cau-dc-vie
repandiie dans sa gueule et dans sosoreilles, s'enfuitavec
soil caniarade dans le jungle en poussant dcs liurlements
prolonges.
C'etait un bizarre combat que cclui dont une valise cl
une bouteille d'cau-de-vie ovaient fait tons les frais,
et le colonel qui me racoiUait rocomment ces details,
assis avec moi dans sa jnlie babilalion d'llampstead, ne
ponvail s'empcclior de me dire ; « Si j'elais Gascon ou
11 Irlandais, je n'oserais pas, je vous I'assuro, faire de
« lellos histoires et rappcler ces singuliers souvenirs :
« pour elre vrai, mon recit n'est gucre vraisemblable.
« Croyez-en ce que vous voudrcz ; coinprenez-Ie si vous
apouvez; quant ii moi, je vousatteste que je ne sais fias
«le moins du raonde comment j'ai survecu a cette nuit,
nj'attribue mon salut a I'effet extraordinaire que produit
«sur les animaux sauvages I'aspect inatlcndu de I'homme,
dleur mailre, quand ils ne Font jamais vu. »
Apres avoir cchappe a plusicurs dangers imminents, ot
aux dents de Irois buflles, il arriva pres d'lin lac, sans
savoir quand ni comment ses dangers et scs fatigues
se lormineraicnt. II etait presque nu, ayant ses habits et
meme les chairs decliiros, pour s'otre frayo passage a tra-
vers les epinrs et les broussailles impenelrables diijung'e.
A la fin, aprcs avoir marchc ou couru I'cspacc do plus
de vingt niillcs, scion son calcul, il atteignit line large ri-
viere ; la, complctcmont epuise de corps et d'esprit, et
convert de sang, il se jeta, desesperc, contre les racines
d'lin grand arbre qu'il ne put gravir, vu son clat de fai-
blcsso extreme. Chose etrange, 11 s'eodormit d'un profond
sommeil.
« J'elais devenu, me disait-il, parfailcment indifferent
li toutos choscs. Soulenient je voulais dormir. C'eiit etti le
deniiiT sommeil quo je Feusse embrasse avec dclices. Dieu
soul pout savoir quels dangers je courus, et par quel mira-
cle si'rponis a sonnettes, crocodiles, elephants et jackals,
circuleront aulour de moi, sans faire un excellent repas de
ma personne. La vie animale, dans ces parages, n'est pas,
comme chez nous, economiquement dislribuee ; elle sur-
abondc, elledeborde; pas un arbre qui ne recele desescoua-
dcs do serpents, pas un clang qui ne soil une republiqne
dc formidables alligators, armes de dents qui devoreraient
cl d'estomacs qui digereraienl uu botaillon. »
— Quoi qu'il en soil, la fraicheur du matin commencait a
so faire sentir, quand ses yeux s'ouvrircnt en faco'd'un
magnifiquc serpent a sonnettes que son mouvemcnt epou-
vanta, ol qui se sauva prccipilammeni dans les taillis.
11 s'evcilla, ou,ce'qui est plus vraisemblable, il revint
dc sa diifaillancc, vers le lever du soleil ; bienlot, Irouvanl
le senlier qui conduit an gue, a peu pres a un demi-millo
au-dcssus de la riviere Mallclc (c'olait sur lo bord ilii lac
qui forme son embouchure qu'il s'etait repose), il la tra-
versa, et, apres deux heures de marche a Iravers un pavs
qui lui etait connu, il arriva enfin a la maison de M. Farrell.
Contre la coulume des voyagcurs qui se sont trouvcs
dans une situation aussi critique et exposes a des dan- .
gers pareils, il ne dit Hen de ce qui lui etait arrive. '
11 commenca par demander un bain, des habits et une
rf/ioii/ic (sorte de palanquin en usage pour Ic transport
dos soldals malades). Apres quelques hcurcs de repos, il
relourna a Calles, prit lechcniinde Colombo, et revint ,i scs
quarliers. Les soldals de son escorle s'etaiont Lien gardes
dc roparailre. II apprit dopuis, qu'armes de leurs sabres et
de leurs fusils anglais, ils avaieni aborde et desarme une
pirogue malaise el s'etaient fails pirates, sous la direction
d'un nommo Mallhew llarwoll, dont Fhisloire eslassezcu-
rieuse pour que nous la rapporlions plus lard.
( Bengal Hourkarou. )
LE DEVOIR ET L'HEROJSIUE
CHEZ LES FEMMES.
I.A MANSAIIDE.
SOI>S DOMESTIQUES.
DES FLECKS.
- AMCJr. ET COLTUtlE
-^ 'est surtoul chez les fommes, dans le
sexe faiblo, no pour toulcs les tendresscs
\ etles graces delicales de la vie domes-
"' lique, pour tous les sicrifices ignores,
que I'ahnegation ct le devouement se deve-
loppent dans leur veritable puissance. Los
classes inferieurcs offrent de nombreux
exemples, rarement rccueillis, de ces verlus
feminines . Plus d'une jeiine ouvricre a
nourri ses vieux parents du travail de sns
ainsjet I'on sail combion peu rapporle Ic
< ' • travail des femmos. Les journaux out fill
^ mention de celle famille des plages bre-
tonnes, oii les fommes, hardies balelicres, s'habilueni do
bonne heure a sauver les naufrages, qu'elles arrachenl .-i
la mer, an peril do leur vie. Dans dcs situations jjIus paisi-
bles, et que recouvre une obscurite (irofoiide, il y a des
existences admirablos de pureto et degrandour chreliennes.
Un de nos poelos modernes n'a jamais mioux ete inspire
quo lorsqu'il a docrit la mansardo de la fille du peuple,
clirolienne pure, ignorant la boaiilo de sa modeste vie.
I.c nwlin die chanle, ot puis die travaille,
Serieuso, les pieils sur sii chaise de paillc,
Cuusaiil, uillajit, Iirotlaill <|ueli]ues desbiiis clioisis
El landis que songeaiu a Dieo, simple el sans crainle
Celle sierge acconiplit sa IJche augusle el saime,
Le silence r^veur it sa pot-lc est assis.
•52 LE DEVOIR F.T LUEBOISME
Sur snn bean col finprcint tip virgiiiilo |uirr,
Point d'alli^rc dciiU'llo ou dc riclio giiiiniro :
Mais iiii siinplc moudioir none puiligucmoiil.
Pas (le perle h son front, mais aussi pas tie ritlc ;
Wais un (cil chaste el \if, mais un regartl liinpiilo;
Oil briile !e rofarti, tiue sort le tliauiant T
L'aiigc tie la cellule abriie on iii paisilile.
Sttr ta table est ce livre oii Uieu se Tail visible.
La l(^t;eiitle ties saints, seul el vrai Panlhiion,
El tians un coin obscur, pr^s de la clieniini^e,
Eiilre la bonne VieiRe el If buistie ranin?e,
Quaire epiiiglcs au uiur lixcnl Napoli!'Oii.
Puisl'admirable iiortrait de la cellule :
La vcrte jalousie, a liois clous acci'oclit?e,
Par un bout s'l^cliappant, par Tautre rallachi}e.
S'ouvre coquelternent coiinuc un grand eventatl.
Au dehors un beau lis, t]u'uii pri^slige environne,
Emplii de sa racine, el de sa lleurcouronne
(Tom pri-sdc la gouiiiere oii don un chat sournois),
Un vase a forme eirange, en |iorcelaiiie bleue,
0(1 briile avec des paous ouvrant leur large queue
Cc beau jiays d'azur que iCvent les Cliiuois.
El, dans rint'i'ieur, jiar nionicnts luit el passe
line ombre, une ligure, une fee, une grace,
Jeune lille du peujile, au chant pluin de bonbeur,
Orplleline, dil-oii, el seulo en ccl asile,
Mais qui parfois a fair, taut son fvoul est Iranqnille,
Re voir distini'.leincnt la face du Seigneur.
On sent, rieu qu'a la voir, sa dignit6 profondc :
De ce coeiir sans linion riei! n'a |iu troubler ronde-,
Ce lendre oiseau qui jase ignore I'oiscleur;
L'aile du papilloii a loule sa poussiere;
L'ame de rhundile viergea toulesa luniieic;
La perlc de t'aurorc est encor dans la (leur.
Un trait que le grand poctc n'a pas ouMii?, cl qui est ca-
racleristique de la purcle et du soiii de la vie, c'esl la pro-
prete de la chambre, c'cst I'amour des (leurs, le lis ,i la
fcnetre.
It J'ai loujours roniarque, dit une dame allcniande ( Ra-
ti chel Varnhagen Von llense), qu'il y avail une differciict;
ti immense enlrc le caractcre et les habitudes d'unc feniine
« qui aime les flours el qui en cullive, et le tour d'espril
u de celle qui ne trouveaucun plaisir a les cuUiver.»
Les paysannes du nord de rAUcniagne, dontla vie est si
modeste et si lionnele, les femraes et les lilies des buche-
rons du llarz ont pour les fleurs une passion veritable. On
les suspend aui fcnSlrcs, on en donne desguirlandes au
voyageur qui passe et qui s'cn va. Toules les solenniles de
I'annee ont leurs (leurs speciales, cullivecs paries femmes.
Elles servent encore a d'aulrcs usages plus touchaiits pour
IcccDur. «Nous elions .sniiventelonnes, dit uneaulre dame,
du grand nonabrede giiirlandes appenduesaulour des equi-
pages qiiiltant Wisbaden; le pauvre comme le riche, le
vicillard comme le jeune lioninie, avail sa guirlande pre-
paree loujours graluite. Nous apprimes que c't^lait un Iri-
but d'amilie, un dernier don, el que la fabrication de ces
guirlaiides lilait asse?. lucrative pour ceux qui s'en char-
geaient. Cesclioses peuvent|iarallre put-riles ; daiislc fail,
elles sent il'une grave importance ; lout ce qui allire'les
coeurs I'un vers I'aulre cl produit la sympalblo des .imes,
conlribuo a unir Tespcce liumaino dans les liens d'unc
affectiicu.se souvenance; rcgoisuic anlicliriilicu esl allaqiu!'
it sa source mi'mc. »
« Les fleurs, dit un poele anglais, sonl I'un des plus
beaux prescnls que Dieu ait fails a I'hommo) La culture des
(leurs amtjliorc sa santtj el eliive son Sme. Leur beaule re-
jouitsa vue.orne sa demenre cl le relicntcliez lui. Dans
les classes ouvrieres, la culture des fleurs conlribuerait
beaucoup ,i I'amelioralion de leurs mosurs, de leurs habi-
tudes et dc leurs manicres, si on les encourageait a y con-
sacrer le pcu d'heures de loisir donl elles peuvenldisposer.
La difference qui cxisle enire deux menages, I'un aimaut
les (leurs, I'aulre aimanl la pipe et I'cau-de-vie, est frap-
pante au bout d'une anniie.
On dira peul-C'lre que tout le monile iic saurail avoir un
jardin; il est vrai, mais cbacun pent avoir quclques (leurs
sur sa fcneire, el beaucoup plus qii'on ne pense; un seul
petit Iwlcon en bois peut en contenir un certain nombre ; a
I'inlerii'ur meme de I'apparlement, on peut culliver quel-
t(iiesplanles;ella nt^cessilc de soiguer ces (leurs donnerait
del'air, le nieillcur lonique pour les babilanlspauvres, cpui-
sijs eten proie anx (ievres lyplioides. Mais dans les villes,
la laxe des fcnelres, ce mal monslrucux, vlenl faire obstacle
el priver la race humaine de ce que Ic Cri;aleur, ainsi que
la nature, ont dtjsigne comme essenliellement niBcessairea
noire existence et a noire bien-clre.
Dans certains cantons de la' Sui.^se et de I'Allemagnc,
lous les toils sonl converts de jasmin el de chevrefeuille;
les chaumiercs presenteul une lignc non inlerronipue de
fenclrescouronni}es de fcuillagcs, viviliant eleclairant lout
cequerenfermelacliaumitire; el la, an moyendespoclcs,on
se chauffe a Ires-peu de frais. Si Ton faisait usage de vastes
poelesenAngleterre eten France pour lcsclassespaiivres,il en
rtisullcrail beaucoup d'economie, et, selonlouteproliabilile,
on previendrait beaucoup de maladies parmi elles. Ke
eraignant plus le froid, les artisans ouvrtraient plus fre-
quemment les fenelres.
Si tons mes lecteurs pouvaieut voir I'elat intericur
des reduils habiti?s par les pauvres, non loin des splen-
dides devantures des grandcs villes, de la magniliquc
rue du Regent {licgcnl's street) ou du Pal.iis-Royal li
Paris , ils reculeraicnt d'horrcur. lis seraicnt tenlcs de
perforer les murs, aOn de douner a cos languissanles
creatures I'air et la lumiere, el de les transporter sur les
montagnes couvcrles de bruyeres. Mieux vaudrait les lais-
ser sous I'abri naturel des rochers sauvages qu'eulre les
murs de la prison pcslilenlielle qui les conticnt cl qui fait
eclorc la maladie avcc le vice.
Pour la portion fi^minine de la creation, les (leurs sont
d'un prii inestimable ; el si I'aulre scxe le savail, les (leurs
auraient le meme prix pour les hommes, relalivement a
lours compagnes. La femme qui Irouvc des charmesa I'hor-
ticulture nechcrche point hors de chez elle des plaisirs plus
dispendieux. Son intericur est tout pour elle, et si son
mari esl assez avise pour encourager ce gout, il a raison.
Les ferames sentent vivemenl les petites attentions, el,
selon toule probabilite,il yaurailpcu demauvaisesepouses,
si les maris (■laient bicnveillants, affcclionnos et sagaces.
C'esta eux d'cncourager chez leurs compagnes lous les
penchants gracicux et innocents a la fois, de diivelopper ces
germes si ulilos a la vie domeslique, le soin de I'intcrieur,
la rt'gularite des pratiques, lo goi'it de I'lilude, celui des
(lours el coliii de la musique.
(Grcefin llahn Hahn.)
C'lIEZ LES FEMMES.
•15
L'H^ROISME GUERRIER CHEZ LES FEMMES
LES DAMES ANliLAISES A GWAUOR
Ces terribles combals, cntre Ics noniagiiards dc I'liulo
ccnlrale et les Anglais envahisseurs, combats i(ui oiil eii-
sanglanlc les anaees 1842 et 1845, et comproiuis pendant
qneUiucs moments la pnissancc anglaise dans I'lnde, onl
dnnne lieu a queli|ues-uns de ces beaux developpements de
riicroisme cliez lesfemmes, qui sont si peu rares dans la vie
]irivee, — que Ton ne remarque pas, lant ils soiit iiaturels et
inslinctifs, chez la mere, la lllle et I'epouse dignes de ces
noms ; mais qui, lorsqne certaines circonslances exterieu-
res leur prelcnt un nouveau relief et un eclat particnlier,
I'rappentsivivementriniaginalion.
Le journal que vient de publier lady Sale, femnie d'l
colonel anglais de ce nom, longlemps prisonniere dcs Aff-
glians et qui a survecu a ce lerrible dcsastre, doni:e les
pins interessants details sur I'odyssee heroiquc oil elle a
joue un si grand role. La pelisse criblee des balles cpie li-
rcnl pleuvoir sur elle les ennemis places sur les lianlenrs,
.lele rapporlee par elle a Londres : c'est assuremont nn
Iicau tropheede sa famille. Elle Iraversa a clieval, sans
aliments, enlource de blesses, de morts et de mourants, ces
clroitsetrcdoutables deGlesdeKhourd-Kliaboul,ou I'armee
anglaise s'etaitsi iniprudemment engagee. La neige y toni-
bait a gros llocons, melee des projectiles lances par les
longs mousquets des Aflgbans. Elle sccourait les uns, cn-
courageait les autres, snpporlait la fatigue doni une orga-
nisation roliuste cut ete accablee, et monlrait,dans ce pc-
liiWe voyage, le courage d'unphilosopbe, la resolution d'un
.snidal et la delicatesse d'une femme. Ainsi se deploie et se
ilrveloppc d.ins les grands evenemenls la force inlinie de
I'auie, qui supplee a la force physique, et qui liii est bi su-
pcrieurc.
D'autrcs femmcs parlageaicnt scs dangers et sos souf-
frances. Enfermecs dans uno ciladelle du chef barbare de
Gwalior, ellespresentereiita leurs maris, comnie discnllcs
Anglais, Irois nouveau-nes qui virent lo jour dans celte pe-
riodc de caplivitc. Ce qui semWait insupportable a ces
fcmmes, ce n'elait ni la faini, ni le froid, ni les mauvais trai-
lemenls de leur mailre, mais la difficulte de satisfaire cer-
taines lialiituiJes anglaiscs, devenues une seconde nature;
la tasse de lliii, par esemple, quand elle reparut an milieu
de ces pauvrcs esclaves abandnnnees, qu'une mort cerlaine
seniblait menacer, fut pour elle une veritable consolalrice.
Nousserons heureuxdedonncr bicntot a nos lecleurs quel-
ques eslrails curieux des memoircs personnels de lady
Sale, qui out paru a Londres rccemment.
I.A JEUMX MERE.
(Exlrail (I'uiic lollrc ilatLC dc Sliding, 18iO.)
« . . . . La pclite heroino dontje veux voiis parler n'o
pas encore seize ans et demi, el est la dernierc lilb; d"nn
niembre fort estimable du clan des II une des vicilles
families des Highlands. Proprielaire d'une plantation assez
considerable aux ilcs orienlales, el pere dc doiize enfanls,
sir Arthur 11 ... les a tons cleves avcc un soin extreme ; la
jeune Ularic \V douce dun gout vif el d'une remarquable
aptitude pour la musiqiie. 111 des progres rapides dans ccl
art. Elle n'avait pasquinze ans, lorsqu'elle fut demandee en
mariage par un ofllcier anglais, et, apres une as«ez vlve rc-
sislance molivcc par I'exlreme jcunesse de Mnric, le pero
consentit a leur union.
lis elaient a peine maries, quand le jeune epoux recut
I'ordre de partir pour Botany-Bay, c'est-d-dire pour les
antipodes, ou, selon loules les apparences, il devait resler
quinze ans. On oblint avec peine un conge d'une annee , et,
ce conge expire, on essaya de derober a la jeune Mario,'
a
dcvenue mere, la connaissance cxacle du jour ou son mari
(■■lait force Je s'eloigner.
C'etail vers la I'm de raiitomnc ; Ic jeuno. liomme pre-
texta line pnrlie do cliasso qui devait, disail-il, le rclenir
([uclques jours chcz iin de sos amis, el parlil ;i franc elrier
pour rile dc Wi^lU, d'ou il devait faire voile. Mais, par une
sinsulierc prevision, par colte elrange divinalion du coeur
queles fenuiies possedenl souvcnl,dcs les premieres lieures
de son absence, elle penelra le secret qu'on lui avail soi-
fjneusemeul cache, parlil en chaise dc posle, bien que souf-
Iranle, par un temps eflVoyable, rejoignil son mari dans
rile de Wighl, el ecrivit aussilol a son pere, le suppliant
de lui envoyer le plus tol possible la nourricc el I'enfant
dc ciiKj mois, qui elaienl restes a Slirling. Lc pere eluda
PETITS VOYAGES
cetle demande, ct repondit que I'enfant elait faible etsouf-
frant, et qu'il s'eii chargeail. Une seconde el plus vive de-
mande futsuivie d'un refus encore plus prononcc. Lc vent
elailcoutraire: 11 fallnit allendre un mois pour metlre a la
voile. Marie parlil un lundi malin pour Portsmouth, se di-
rigoa aussi'ot sur Londrcs, alia loujours en posle jus-
qu'a Glasgow, en Eccsse, sans se reposer, sans s'arreter
et sans prendre de ropas, parul lejeudi malin dcvanl son
pere elonne, repril son enfanl, alia aussilol rctrouvcr son
mari dans I'ile de Wighl, et, apres ces six cents miUes par-
courus d'une traile, le suivit a Botany-Bay, dans la plus
affreuse residence du nionde , niais toule triomphanle,
accnmpagnant son mari, ct son enfanl enlre ses bras.
{Souvenirs de Spcner.)
-"T«te"iJ3W5B,
Source dc la Loire.
PETITS VOYAGES
SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
X.A IiOIRE.
Suite (I).
LfiGENDE DU GEUBIER-DE-JON'C.
Un des caracteres Ics plus charmants de noire pays na-
tal, dc la France, c'estla diversile des aspects, e'est le con-
(raste perpeluel des zones qui la partagent. Elle louche an
midi ct au nord, elleoffrel'apre boulcversemcnt des monis
volcnniques, la scverileglaceeduseplentrion, les rianls pa-
rages des cliniats tcmperes, cl.jusqu'aux deserts de sable
qui se derouleel s'enlasse au soleil. L'olivier elle sapin, le
mcleze et I'orangcr, soul les produils du meme sol. Ce
(I. V.iir It' I'rciuicr uumi TO, it:i£0 22.
piys, singulierement complete, louche a loules les latitu-
des : les Pyrenees espagnoles, les Alpes suisses, les Alpcs
ilaliennes, les deux mers I'environnent d'une ceinlure
changeante. C'esl hien, coinme le disail le vieux poele pro-
vencal, la region ouvrcc (tissue) dc glace et de soleil.
On ne sent jamais mieux cclte ravissante diversile de la
France, qu'en suivanl le cours de la Loire. Avec elle on
jouit de tuns les caprices, on s'associe a tous les conlrasles
de cette nature si pen somblable ii clle-meme; on passe
du pays des volcans aux plaincs couverlcs d'epis qui mii-
rissent au soleil ; des sites plus sauvages que ceux de
I'Eco.sse, succedenl a de doux paysages plus suaves que
ceux de I'ltalie. Tous les homines vraimenl amoureux de
la nature, Claude Lorraiu, J. -J. Rousseau, se snnl ache-
mines lc long des llcuves. C'etail le voyage favori des pc-
lerins, a I'epoque oil la foi chretieuneles envoyait admirer
les souvenirs el les restes des saints que I'Egllse vencrc ;
faisons conime eux, suivons la Loire des son herceaii.
C'esl un rude berceau : elle nail enlre la Corrcze et
I'Ardeche, dans la region la plus apre de la France. Tanlot
s'elevent.comme des fantumes, des rochers aigus, au lin-
ceul de lave ; plus loin le cours de la riviere, a la fois ra-
pidc el sombre, se precipile enlre dens murailles voka-
SUR LES RIVIEUES DE FRANCE.
niqucs; parlouldcs clifileaiix sur la crele des monlagnes ;
et CCS ch.ilcaux sont Iristcs, rouges et liruns, commc les
roches qui out fourni la picrre pour les coustruire ; I'oi-
seau do prole crie sur les cinies; les sapins sc balancent
dans les fentes des rochers ; de lourdcs genisses paisscnt
le gazon qui verdoie dans les crevasses des rocs ; quel-
ques paysannes, aux pieds nus, un mouclioir rouge jclc
sur leurs cpaules nues, gardent les Iroupeaux, trisles
et pensivcs comme leurs monlagncs nalives. On apcr-
coit, dans les senliers qui suivent le lleuve naissant, un
aUelage de bfcufs conduisanl un epais chariot, et le pay-
san de la Correze ou de I'Ardeche, avec son vetement
sombre releve de couleurs tranchantes, sa gravite passion-
nee cl atlenlive, sa demarche mesuree el energique, et son
vasle chapeau s'avancant de deux pieds sur le front,
comme pour lui servir d'abri conlre les affreuses pluies
de ces monlagnes.
Les Icgendes et les traditions, recueillies par les pay-
sans de ces regions sauvages, oii Ton passe a pied la Loire,
dcsliiiee plus tard a couvrir une si grande etendue de ter-
rain, sont bizarres et trisles comme les localiles memes. La
monlagne conique d'oii s'echappe ce pclil filet d'eau qui
deviendra la Loire a servi de texle a un cnnlc donl la me-
moire des vieus palrcs a garde le souvenir, cl oil se melenl
quelques traces de fails liisloriques. Celte elevation poin-
lue, c'esl le Bonnet du Uiablc.
C'est le dernier vestige laisse par Salan.le memoran-
dum de son passage, apres que sa maisos d'ob se fut en-
foncee dans un elangel eul disparu pour jamais.
La li'gende elle-meme, dans sa ru.sticile primitive, plaira
davanlage sans doule .i nos jeunes Iccleurs. Nous n'avons
pas besoin de dire que c'est un conic empreinl de loule
la barbarie du temps.
E.a m&ISON D'OB DU diablb
LE GERDIEn-DE-JONC.
Le pays des Vetavi , que I'on appelle aujourd'hui le
Velay, elail encore sauvage et paien, lorsque saint Paulin
vit dans son sommeil une figure lui apparaitre et lui or-
donner d'aller au Gerbier-de-Jonc precher I'Evangile aux
barbares ; il s'y rendil. C'elail la coulume, parmi ces habi-
tants paiens, de tuer un enfant lous les ans pour honorer
leurs dieux. Quand sainl Paulin arriva, la croix a la main,
le pauvre petit enfant elait deja suspendu, el le chef lui
dil:
« Que ton Christ sauve cet enfant, et jeme ferai Chre-
tien. »
C'elait un garcon nomme Ramberg, sur lequel le sort
elait lombe. Sainl Paulin se mil ii genoux, pria Dicu : la
corde cassa aussilot ; rcnfanl sc relcva sain el sauf. Ccpen-
danl, continue la legende populaire, le diable n'elait pas
conlenl. Le soir mcme il apparut au chef des Velavi, qui
s'appelailOcco, et semonlraa lui sous la forme d'un angc,
les ailcs chargees de pierreries et le front ceint d'un ban-
4eau d'or :
«Qu'as-lu fail? lui dil le diable. Tu as ecoute ce saint
qui t'a trompe; lu as rcnonce au bonhcurpour suivre les
conseilsdc cet insense, parco qii'il to pronicl le paradis;
mais ce paradis, oii esl-il, te I'a-t-il monlrc? Va, il te
prend pour dupe; il n'y a de paradis que chez nous, et
nous tc Ic monlrerons quand lu voudras. Uemaiidc un pen
a ton doclcur chrelien de le faire voir au muins un petit
coin de la felicile ((uil le promel, el lu peux elre bien sur
de n'y rieu voir. (Juant a moi, je sui< de parole. Kommc
des arbilres, je les laisserai visiter demain, si lu le veux, la
maison que je te destine. »
Occo elail ebranle ; il desirait se faire chrelien, mais il
voulail elre siir de son paradis, et il fit part de scs doulcs
au bon saint Paulin, qui lui rcpondit doucemenl :
0 Le diable est fin, cl tu ne I'es pas beaucoup. Envnic,
pour verilier la chose, un homme de la suite el un de mes
diacrcs, tu verras ce quiarrivera.u
Le diable avail indique un endroil de rciidcz-vous pour
les emissaires d'Occo el pour les siens. Le diacreel le Vc-
lave s'y Irouverent de la pari d'Occo, et y rencontrerent
Satan lui-meme, qui celte fois avail pris la forme d'une
ires-belle femme.
« Suivez-moi, leur dit-elle,ct depechez-vous. car j'ai
hale de vous monlrer la belle habitalioa deslinee au due
Occo. »
lis quilterent la grande route, s'engagerenl dans des re-
gions inhabitces, et se Imuvcrcnt bicnlol sous une grande
arcade de marbre verl, au dela dc laiiucllcs'clcndail, a perte
dc vuc, une avenue de colonncs d'or. Le pave elait de
diverses sortes de marbre merveilleusemenl poll, et, enlre
les colonnes, s'elevaient d'inimenses lulipes d'or, qui re-
pandaienl I'odeur de la rose. En se delournant ,i droite et
en entrant dans une allee dc cedrcs, ils virent brillerdc
loin une maison qui elincelail comme de I'nr. En effct, elle
elail tout enliere de ce metal, a I'exceplion des vilraux qui
claienlde diamanl, el de la lollure qui elait en argent. Coninic
il faisail tres-grand soleil, ils ne purent en approcher
qu'a reculons ; elle elail loule paviie d'or et de pierres pre-
cieuses, et d'une incroyable grandeur.
« Voilii, leur dil la prclendue jcune femme, la maison
de votre due ; comment la Irouvcz-vous?
— Assez bicn, rcpondit le diacre elonne; mais, ce n'est
pas tout, il faulqu'elle soil solide. Le bon Dieu billil Ires-
solidement, les maisons du diable ne durent guere. »
II fit le signe de la croix, aussilot tout disparut. Tor, les
pierreries, la maison, et memc la jcune fille; il ne resla
parterre que le capuchon de sole brune qu'elle portail et
qui rehaussait la blancheur de son visage.
C'esl ce capuchon qui a beaucoup grandi, cl qui est
devcnu la monlagne du Gerbier-de-Jonc. Le diable reparul
en sa propre personne ; la maison d'or fill changce en bnue,
el le diacre, ainsi que le Velave, se Irouverent au milieu d'un
petit marais rcmpli de roseaux et de joncs, qui est aujour-
d'hui la source de la Loire.
lis ne savaienl plus oii ils elnienl, cl il h'lir fallut faire
un chemin immense, en suivanl le cnurs du ruisseau qui
venail de naitre, pour relrouver le chateau du due Occo.
Quand ils se prcscnlercnl, la porlc du chateau elail fermee;
le drapcau noir flollail sur la plus haiile lour; et, selon la
coulume de CCS temps barbares, les Irois fuinmcs d'Occo se
precipilaicnl dans un bi'ichcr ((ui s'elevail au milieu de la
grande cour du chateau. C'esl que le due Occo ctail mort
au moment meme oil le diable avail rcpris sa forme veri-
table.
Dieu avail ainsi ch.ilie son incredulilr. On reriterra au
milieu d'une foret qu'il aimail.dans uii lieu d'ou Icsarbics
10
PETITS VOYAGES SUn LES RIVIERES DE FRANCE.
onl (iispani, el qui s'nppellc encore aujourd'hni le chateau 1 monlrenl la Loire sous cet aspect riant ct gracicux, (prollc
de BoulliC'On. C'est en effct un des premiers paysages qui \ ne doit plus quitter jusqu'aux limitcs dc lo Cretagnc.
Chateau (le Boulh6oD.
Le due Occn n'avait pas voulu qu'on le laissat apres sa niort
dans ces regions maudites, on le diable avail lente de le
scduire. Quant au lleuve, sorti du Bonnet du Diable, il avail
dcchire la lave, bouleverse le paysage, fendu les rochers,
rejete ;i droite et a gauclie des cretes de basaltes mcna-
canles. Rien n'est plus aflVeux que les gorges d'Arlempde.
et les geants volcaniqucs de Joannade, dont la base est
rongoe par le llot furieux encaisse dans un etroit sillon de
granits gris, d'ardoises noircs et de debris de lave.
Le diable a cerlainement passe par la, disenl les pay-
sans. C'est une nature parliculiere , niuins voilee que
celle de I'Ecosse, moins froide que celle de la Norwege,
moins nuequc celle de I'Espngne; qiielque cliose d'i'nergi-
que etde sombre, qu'on ne trouvc que dans ce pays. La
Uoctiers d'Exinieuil el dc Vt^sfsualaig.
fenJalile aimait ces regions austeres el ces roclies cscar-
pfes;les chateaux sent semes avec profusion surlesbords
de celle Loire naissanle, qui trace si rudement et si dif-
licilementsa route. yuelqucssitesmeriloiitd'elreremarques;
par esemple, cc point devue on la Loire, cmprisonnee en-
Ire les rochers noirs de Vesesualais et d'Eximeuil, glisso
comme une nappe d'argent lancec sur une pente rapide.
NuUe part ce caraclere sauvage ne se prononce avec plus
lie force rpi'au milieu dun entonnoir dc verdure noiratre, de
basa.lles laillccsafacettes.ct derocliesenormes jelecs pelc-
incle, qu'on appelle la voute Tolignac. Apres avoir vaincu
des obstacles sans nombre, et, comme disont les paysans,
mange des rochers sur sa route, la Loire, fatiguee, s'arrele
un pen el fait un coude, pressec entre les granits el les
laves. La, elle forme un bassin assombri de tous coles par
ces colosscs de pierre. Ses efforts, pour se frayer passage,
onl creusc le plus haul et le plus aride de ces rochers et
perce une voule obscure, sous laquclle ses eaux captive?
s'cngouffrent avec un Irislc bruit.
Rien de plus piltoresque a ra:il que les mines du chateanqui
couronne, comme le nid d'un aigle, ce rocher el celle voiltc.
Cost le berceau d'uiie antiipie el ilhislrc famille d la-
f|iiollo le sort rcscrvait de graiidos dcstinoos ct de grands
malheurs. Lcs fees vertes de la voute I'olignac se ratta-
dii'iU a uiie ancieiiiio tradilion [jaieiine de ccs contrces, ct
LE COURAGE MOIiAI, DANS LA JEUNESSL. ■i?
nous nous occupcrons bicntol de cclle tradition aussi bi-
zarre que poeliquc,
( La suite a un pnchain nwme'ro.)
CiiAU-iiu do la vuule ite Piiligriac.
LE COURAGE MORAL
DA\s LA iimm.
CSEMPLES DE FODCE COSTDE LE SORT, DE riESISTANCE ET DE SUCCES j
DANS LES CAnniEnES LES PLUS DIVEBSES. I
IS7T&ODUCTION.
On a souvcnt ecrit la vie des enfanls celebres ; un mo-
ralisle severe pourrail ll.imer cette prime accordec a
ramour-proprc. Dc nombreux exemples semblent attestor
que la superiorite apparcnte des gcnies precoces n'offrc
pas toujours un gage sufCsantd'avenir. Lespetils prodigcs
licnncnt peu, en general, les brillanles promcsses de leurs
plus jeunes annees , ct, plus d'une fois, I'amandier, qui se
couvre de fleurs odorantes avant que I'hiver soil expire,
DC prcscntc en aulomne que des branches steriles et des
ranicaux dcpouiUcsde fruits.
Unelachc bien aulrcment utile et charmante resleencore
a rcmplir.
Quelle a cle la jeunessedes grands hommes?
r.omraent ont-ils prepare leur gloire?
Quelles cpreuves out subics la jeunesso et I'enfance dc
ces admirables ou dc ces aimables esprits?
[lien de plus interessant que ces details; rien dc plus
instructif et de plus doux que dc s'associer (i ces desti-
nces naissanles. C'cstun ronian plein d'altrnit etd'emotion
que la luttc perpeluelle de la force morale, ou inlellcc-
tuelle, contre les obstacles de la vie. Tautotle triste bcr-
ccau de riioiume celebrc est entoure de langcs grossiers el
frappe d'anallieme par la miscre ; tantot la position sociale
s'oppose au dcvcloppcnient des faculti's dc eel etrc destine
,-i saisir la gloire, la fortune ou la puissance. II faulrcsister,
il faut attcndre, il faut souffrir. La gloire ct la fortune
sont Icntes a venir. C'est toujours la grande lecon chre-
tienne, renseignement diviii de la resignation, de I'abne-
gation et de la force morale. II est singulier que Ton ait
jusqu'ici neglige de reunir et de grouper ccs souvenirs
de la jeunesse chez les grands hommes ; ccpendanl lcs
premieres clartes du jour qui s'annonce ont plus d'atlrait
niillc fois que I'eclat splendiJe du soleil a son niidi.
II arrive presque toujours que les circonstances e.^tc-
rieures favorisent peu ou contrarient absolument les ten-
dances de I'homme superieur. 11 est force de frayer sa
route, et lcs obstacles le grandissent; chaquc combat ac-
croit sa force ; il faut qu'il s'arme d'un courage ii toulc
epreuve et d'une patience sans cgale, qu'il avance d'un pas
ferme, comme le voyageur egare par I'orage , dans la
nuit, et sous la brise au milieu des fondrieres el des abi-
mes. Ce n'est qii'a cc prix seulemenl qu'il obtient la coii-
ronne due a son genie. Toutes lcs jeunesscs d'hommes
ciilebrcs sont difficilcs et entoureesd'epincs.
Nous ne pouvons meltre la main a une oeuvre plus utile,
ni entreprendre une tache dignedu but de noire recucil,
plus avantageusc pour nos jeunes conlemporains , que
celle qui leur niontrera I'heroique resistance opposee, dans
lcs carrieres les plus diverses, au mauvais vouloir dc la
fortune, par les Bayard, les Racine, les Amyot, les Des-
preaus, les Napoleon, les Poussin. Peintres, sculpteurs,
poctes, mathemaliciens, generaux d'armee, commercants,
industricls, tons ceux que la gloire a couronncs, que la
main de la fortune a cnrichis, que la reconnaissance des
hommes suit dans leur tombeau,ont consacrc leur jeunesse
etleurdge niur a une lulle acharnee, souvcnt hcroiquc.
lis ont pratique tons la vcrlu chreticnne de I'abnegalion;
ils ont allendu ct IravaiUe ; ils ont saisi la dcslinee corps
a corps, et la recompense est venue les cliercher enlin.
C'csl ce que nous ue pouvons Irop rappeler a nos jeunes
conlemporains, dans une epoque oii chacun, des le premier
4d
igc, voudrnil irnprovisnr la sloire, alisorber les jouissanccs,
sc renilvc niailrc dc la fnrlunc, sans Ics avoir coiiquiscs
ou niorilees ; oi'i la fureur dii succcs, le bcsoin de le rca-
liscr avanl le combat, le dcsir insense de triompher avanl
la hUlP, arment dii pislolel ou du poison, conime il cstre-
cemmciit arrive a de jeunes bommes de IcHrcs, dos
fonimos, des arlislos, faibles el ardeules natures, pressces
dejouir, incapalilesdesoufrrir,i|ui nesavaientpas que lout
s'acbt'le, el que la gloire cl lesueces soul a ee prix
Nous nous ferons done les liisloriens fideles de celle
premiero pcriode, si inleressanle dans la vie des liommes
que le succes a courounes. Pious choisirons dans celle pe-
LE COURAGE MOn.M DAISS LA JEUNESSE.
riode de luUe, d'allenle, do soufrrnncc, les anecdotes les
plus inleressanlcs ct les plus aulbiMiliques, qui s'offriront
ii nos rccherches cl a nos souvenirs.
z.a jzDsrESSE sx: van-dtck.
Lorsque, en 1639, losbabilanlsdo Londrcs voyniont une
barque splendide traverser la Taniise, cl un gonlilhommc
de re^esance la plus rechercbec descendrc au palais de
Buckingbam, traverser les apparlementset enlrcr de plain-
Lc pabis de BiirkingliDrj.
pied cbez le due ou meme cbez lo roi, ils ne se Joulaienl
gucre que ce splendide seigneur, aux mauiercs si aisees, a
lalivreesi eblouissanle, elail le fils d'un pauvre vilrier el
peinlre sur verre de la ville d'Anvcrs, qui ne lui avail
laisse aucune fortune.
11 se nommail Van-Dyck, el il merile dans la niemoire
des bommes une place, non-seulementdislinguee,niais grave
cl eminenle. Parmi les bisloriens-peiulres, c'est lui qui a
reproduil, avec le plus de vcrite, dansleur caraclere reel,
tons les bommes imporlanls de son cpoque, Cromwell,
Charles 1", SlralTord: ils revivent, grace a son pinccau.
On couvrail d'or les loiles de Vau-Dyck, el on ne payail
jamais assez le commcnlalcur bisloritpie le plus brillanl
ct le plus impartial de son temps. La mission de Van-Dyck
.s'elevail au-dessus de celle d'un peinlre ordinaire.
Marie a la belle heriliere d'un des grands noras de I'aris-
locralic brilannique, le (lis du vilrier vecul dans I'elcgance
la plus magnifique, au milieu d'amilies honorables el dans
un luxe de prince. Aulour de lui la revolution grondail,
la hache frappait, Temeule burlail, les maisons brulaient,
les cbamps de balaille se couvraient de morls, el cepcn-
danl Van-Dyck continuail son ceuvre, aime de tons les
parlis, donl son pinceauconsacrait i I'avcnir les chefs cl
les victinies.
L'ascendant que prit son magnifique talent des son ar-
rivec a Lomlres, dclruisil la rcpulalion el la forlune d'un
autre peinlre llaniand, Daniel Mytens, qui, avanl lui, avail
obtenu de grands succes. Un conleniporain nous a con-
serve des notes relatives ii une conversation curicusc enlrc
Van-Dyck el Mylens.
« Vraimenl, mailre Van-Dyck, lui disai ce dernier, j'ad-
niire voire beau talent; mais, en vcirile, vousavcz eu bien
du bonhcur. Vous voila veluet logecomme unroi, el vous
jouissez d'une consideration sans egale. Cerlaines eloilcs
brillenl sur la tele des bommes predestines ; ceux-la laissent
les autres plonges dans I'obscurite la plusprofonde. Je suis
sur que, depuis voire enfance, vous n'avez pas eprouve une
seulc traverse !
— Buvez d'abord un coup de ce vieux vm de Constance,
cbcr confrere, je vais vous dire cela, repondait Van-Dvck
au vicux ])eintre decbu qu'il recevail a sa table. Ma vie ct!
la voire sc ressomblenl; elles out eu Icur ombre ct Icur
liiniicrc loutesles deux ; moi, j'ai commence parlemau-
vais cole : je suis desole, mon confrere, que ce soil par la
que vous linissiez. Les bonheurs de ma jeuncsse sonlasscz
curieuxpour que je vous les raconle en peu de mols. Mou
pere, quin'avail pas de quoi nourrir sa famille el qui me
faisait barbouillcr du verre pendant toule la journec,
m'eveillait a qualre heures du matin pour m'apprendre les
elements du dcssin : Dieu sail de ipielles larmes eufantines
je payai d'avance ma forlune el mou succes d'auj lurdhni !
Quand il mourul, j'allai broyer les coulenrschcz Henri Van
I'alen, el jefus en bullc,pcnilanl plus dc cinq ou six ans,aux
mauvaises plaisanleries de lous les clevcs de I'alelier. J'c-
lais balln a pou pres lous li'SJours,elje n'enirai dans I'ate-
lierde ltubcns,conq)OScd'(''leves beaucoiip plus ages el plus
graves, que pour echapper a celle perseculion qui ruinait
ma sanle. Je crois que I'ou avail reconnu en moi qnolque
talent, el qu'il y avail jiour le moins aulanl de jalousie
que d'elourderie cbez mes jeunes compagnons.
(1 Rubens, vous ne I'iguorez pas, elail un fort grand
hdimuc dans noire arl el un habile diplomale. Quand il
Tvp Lacrimpo ct Comp
mi
7 .M;G'i'J
CONTE DU MAT
avail im eleve, dont Ic talent lui semblait devoir grandir, il
I'cnvoyait en Italic avcc dc grands eloges, lui ferniant
ainsi son alelicr de la ninnicre la plus lionnete, cl en memo
temps de la facon plus utile a I'eli've. C'est ainsi qu'il se
conduisil envers nioi. J'avais refait une partie des chairs
cxecutees par le niaitre et que nics camarades avaient ef-
facecsen jouant; il admira cede retouche. me couvril dc
louangesetme donna inon conge. Jc n'avais pas un penny
dans ma bourse .-jallai a Rome et a Gejies, oiijc lusle plus
malheureux des hommes. Les peintrcs bollandais et lla-
mands, qui habitaient I'ltalie, passaicnt leurs journccs au
cabaret ; conime je ne voulais pas mener la meme vie
qu'eux, ils me firent subir la perseculion la plus acharnee.
Jc peignais maitresses et scrvanles d'a\iborgcs, pour un
diner, quand ellesle voulaient bien, ct souvcrl je ne Irou-
vais pas de diner. II me fallut aller a pied de Genes a Ve-
nise, oii je gngnai comme jc pus ma vie en faisant des
copies du Tilien et de Paul Veronese. Enlin, une grande
toile que j'avais beaucoup soignee, nion saint Augustin,
trouva des admiraleurs. On vouliit bien convenir que jc
n'elais pas le dernier des peintrcs. J'avais alors trenlc-
deux ans, et j'en ai Irente-neul. Du monientoi'i il fut prouve
que je savais manier la brosse, il se (it une nouvelle in-
surrection conlrc nioi : ma maniere n'elait pas celle du grand
Rubens, ct Ton repcia de tons coles qn'elle clail petite, et
que j'etais fail lout .lu plus pour la niinialurc.
En France on me negligea, Ton ne (il pas la moindrc
allcnliou a nioi; en Flandre je passai pour un peiulrc
mcs(iuin : c'est precisement cc qui lit ma fortune. Je me
rcjetai sur Ic portrait, seul genre que Ton daignat me
laisser, et loule la cour de la Uaye tut peinle de ma
main. Bientdt le roi d'Angbierre m'appola presdclui;
alors jevoguai en pleineeau. .Mais, moncber Daniel, sivous
voulez comparer mes annces d'apprenlissagca mes annces
lieureuses, vous verrcz que j'ai acbele ces dernicres un
fort grand pri.x. Mes epreuves ont dure vingl-deux ans,
ma fortune dure seulemenl dcpuis sept annces, et sans
doule n'en jouirai-jc pas longlemps encore, car je suis
pblbislque et epuisc de travail. »
En cffet le grand peintre mourut trois ans apres, a qua-
rantc-deux ans. laissant plus de quatre cents chefs-d'tcuvre.
LES MILLE ET ONE ]>ilJITS
D'EUROPE ET D'AMERIQUE,
ou
cnor.x DES meilleuhs comes
ESPACNOLS, .*I,LEMA>DS,A51EEICA1NS,ETC.,ETC
OOMTE DU MATEI.OT HEINB.ICB.
Suite (I).
Commont le notaire TVappenbickel, au lieu d'apposer
les sceaux, fut mis sous les scelles et devint imper-
meable.
« Celle legende, s'ecria Sa Ilautesse, ressemble fort aux
lUillc H une Nulls, a cette exception prcs que vos nei-
'H Voir U premii-rc p.irlie, page 18, V numcTO.
ELOT UEIMIICII. 43
ges, vos glaces ct ces sapins du Nord ne me plaiscnt pas
beaucoup. Le solcil du Bosphorc et les cbanips flcuris dc
la I'cr.se valent niicux. Mais voyons uu pcu ; que devicnt
le notaire en face du geant en robe de cbambic, dont I'e-
Irange envie etait de se faire arraclier une dent d'or?
^ Le petit nolaire, reprit licinricb, uc doutait derien;
mais quand la bouclic du geant s'ouvrit et lui nionlra une
1-angee d'enormcs molaires el de terribles incisivcs, au
milieu di'S(picllcs s'elevait a gauche, du sein d'une cavitc
pi'ofonde, conime une colonne, la gigantcsque dent d'or, il
trcnibla de tons scs nienibres ct s'ecria :
— Laquelle?
— La dent d'or ! hurla le geant.
— Le frisson de Wappenbickel devint plus violeiit en-
core. II insinua rinstrument d'acier dans la m.irboire du
seigneur colossal, ebranlad'uncmain indecisc la dent d'or,
qui ne ccda point a Taction nial dirigec qu'on lui faisail
scntir, et vit les deux nains marcher a lui d'un air cour-
rouce.
A cette vue, pale comme la moil, il eprouva un affreux
serrcment de coe'ur. Les trails de son client, sillonnes dc
veines gonllees ct lendues, denotaicnt une rage effroyablc.
Wappenbickel perdil toute son assurance cl tout son cs-
poir, il demanda grace ctmercia mains joinlcs.Cepcndanl,
soil que le grand seigneur fut dur au nial, ou qu'il dcdai-
gn.it de sc venger, il se contcnia de jcler un regard fou-
droyant sur I'opcrareur, ct, d'uii seul gcste, lui ordoiina de
tenter un second essai.
Ce dernier ne sc le fit pas dire deux fois, ramassa son in-
strument, lereplaca, ctlira avcc toutcl'energie d'un bommo
qui a peur. II avail rcussi : belas ! son succes n'avait etc
que trop complet ; Wappenbickel s'ctait trompe ; la nvi-
choire entiere clail suspendue a son acier fatal, et la dent
d'or clail seule rcstcc inlactel
I Au lieu d'avoir recours aux larmes el d'allcndrir I'ame
de sa viclinic par ses pricrcs, il crut plus prudent dc In;
tourner les talons et de prendre le large. Par nialhcur, un
dogue rouge, au ncz noir, sc jcia en travels la porte en lui
monlrant un ralclier terrible, qu'il ne semblait pas d'hu-
racur d livrcr aux pinces du denlislc.
Que faire? que devenir ? Wappenbickel tomba tout sim-
plcmcntd genoux, pendant que le cbalclain, qui n'avait pas
sourcillc, livrait sa machoirc endolorie el mulilee a scs
nains, qui envcloppaienl soigncuscment d'une serviette dc
damas violet le menton seigneurial.
«Ab! chevalier! grand chevalier, magnaninie paladin!
s'ecria le pauvre honime ; pardon, au nom des lois dc la
chcvalerie, qui prennent la defen.se du pauvre et de I'or-
phdin... niisericorde !
— Tu es (lui disait le geant, d'une voix sourde, que la
recenle blessure rendait peu intelligible ) un presoniptncu.x
etun bavarj.
— I'itie !
— Ah! pitie!... tu n'aspas eu pilie de ma miichoire.
— Grace !
— Non cerles...
— Je suis un maladroit el un miserable ! .Mais la chcva-
lerie vous ordonne d'cpargner le faible.
— Abl lu ni'appreudras cc que m'ordonnc la chcva-
lerie ! »
Le notaire se tcnait toiijours proslcrne dcvant son juge ;
sa Bgure osseuse, son velemenl cirange ct convert de
bouc, ses mains decharnees et lividcs , sa voix daircct
so
CONTi;
vibranlc ; sonalliluilc angiilcnsc cl Liznn-c ; son innffonsivo
cpee, (lout la jiois^iice cfilcurail Ic sol, ot dont roxlremilii
mciiacait lo plafond, tout ccla coniposait nn labloau dont
iin romancicr niodcrne cut li dans sos momonts les plus
noirs; mais le cliatclain se scntail pen dispose a la joie. Son
front i-csla plisse commc une voile de navire adcmicar-
guee: il repondit siir un ton pcu doucereux :
II Allons, reptile ! pas tant de phrases, ni de sentences
(locloralcsl .Ic t'ni proniis recompense en cas dc siicccs,
chatiment si tu faisais des sottises; jo crois que je n'ai au-
cun motif de me loner dc ton adrcssc, tu seras done puni.
Jc ne sonc;e pas a te tner: ce serait trop d'lionncnrlc fairc,
mais tu as en Tandace de m'apprendre les devoirs de sei-
cnenr ct de chevalier, et je compte m'anraser a tes depcns.
Pas de cris, plus dc moyens oratoires surtout; sans ccla jc
le baiUonne, ct tu passcras (pieli|ucs heures tri's-maii-
vaises.
« Ah ! ma femme, ma femme ! s'ecria Waiipcnbickel. Est-il
possible d'avoir si merveillcuscnienl bicn cxirail, si adnii-
lement fait sorlirdeson alveole la dent decelte baronne ile-
licalectcharmanlc, de m'elrc acipiilte dc I'nne des pins
ilifficiles operations dc ma profession, et dome tromper
ainsi qnand il s'agit d'une dent d'orl
— Tais-loi, lui ditlc geanl.qnc les deux naiiis vigoureux
cmporlaient, assis sur son grand fanleiiil.
— Je me tairai, reprit bicn has le notaire ; je me sou-
mcts sans replii|ne avos ordrcs ct a voire toule-puissancc.
Vous me verriez sabir avec calme cl resignation Ions les
supplices qn'il vous plairait de m'infliger ; ncanmnins, si la
pilie n'esl pas cleinic en voire ame de chevalier , si (piehjuc
ctinccUe dc charite briUe encore...
— Silence, bavord ! hnrla le proprictaire du caslel. Esl-
co ainsi que tu obuis ipiand nn maitre commandc? Marelic
devant moi 1 »
Le dogue ouvrail la marche, Wappenbiekel snivait tele
haissee, elcetle procession pen triomphaleselerminaitparle
fautcuil du geanl que porlaicnl les deux nains. A cliaque
instant la petite cpce du notaire s'cmbarrassail dans ses
jambes ; il lomba el fit bcaucoup rire Sa Mnjesle chatelaine.
« Dc quel droit, s'ecria le seigneur, porles-lu celtc inu-
tile ctcmbarrassante cpee? Es-tnclievalier?
— De nom et d'armes, repondit en se relevant Wap-
pcubickcl I
— Cbcvalier dentisle?
— Oui, seigneur!
— Notaire, chevalier dentisle !
— Oni, seigneur.
— Voila un nom magnifique et des amies bien jiorlees !
(Ilievalicr dentisle, tu n'es pas plus denlistc que clu'valicr !
Comment done souticndrais-tu le poids d'une armurc?Tn
n'es guere que la moitic d'un hommel Mais attends, je
corrigcraibienlol les torls de la nature cnvers loi. Je vcux
le rendre le pins solide des paladins, le plus impermeable
des preux, et le plus invulnerable des hcros ! »
Et le geant partit d'un long eclat dc rire qui 111 relcntir
ies voules golliiques el se perdit dans les longs corridors,
oil se tenaienl ranges en balaille des nains dc tonics les
-onleurs, amies de lances de poix resine, qui jelaienl an
oil! line Ingubre clarle.
« Marche, iiiarclie, » lui criail legeantl
Le notaire compril qn'il fallail se rendre a une injone-
lioii aussi formellc. Palpitant d'efl'roi, Ic visage cncoi-e |ilus
lj:ilc et plusjauno que de coulume, il suivit, en cbancelanl,
le chcmin que lui indiqua I'liomme a la machoirerompuc.
Celui-ci leconduisil, par de loiigues galeries et d'immcnses
cscaliers, jusi|u'i imc sorle d'arscnal, on claient appendues
plus dc cinquanle armurcs de formes ct de grandeurs di-
verses. Dans cctte salle il fallul, lion grc mat gre, quo le
dcntislc-nolaire se dcshabillat, et qu'il arnnU son fragile
corps de pieces convcnanl a sa taille ct a rexignitc de scs
membres. Les deux nains qui avaient porte leur maitre lui
scrvaient de fenimes de cbambre.
Une fois arme de pied en cap, lorsqu'il eut attache un
poignard a sa ccinture , et a.ssujelli son bauberl cmpanache
sur sa tele, le ch.itelain le mena dans la cuisine. Lii, quatre
nains, a peu pres seniblables a celiii ipii avail embaucbe Ic
dcniiste, claient accroupis autour d'un feud'cnfer, dont les
llammcs lournoyaienl en pelillant.
C'elait un eirange spectacle que cette cuisine. L;i, sc
trouvaient cjiars tons les coslumes imaginables apparlc-
naiil aux professions les ]iUis diverses.
« La folic de nos conlcmporains, s'ecria le seigneur, est
de sortir de Icur profession, et dc faire tonic autre cliosc
que ce qu'ils devraicnt faire. C'csl un tori que je corrige
de nion niieux. Ce gros paysan, conlinua-t-il en soulevant
nn habit grossier, voulail singer le bean gcntilhommc; je
I'ai fail coudre dans les plus magniliques velcmcnls de bro-
card el de soic ; il laboure maintenanl sons cc costume qui
legene assuremcni. Void la dcfroquc d'une jcune femme,
charinanle d'ailleurs, blonde ct gracicusc, qui courait les
hois en amazone, se prctendant une gucrrierc dc premier
ordre ; je I'ai misc a la tele de mes chasseurs, ct clle court
les bois tout a son aise.
a Monseigncur! monseigncur '. criail le nolairc, i[ue voii-
lez-vous faire de moi?
— Chevalier, rcpondil le geant, chevalier, denlisle el
nolairc, je vais te sceller dans ton armurel llola ! mes
nains, .a moi 1
— Oh ! seigneur, seigneur !
— Notaire, In seras sccUc chevalier, tu seras arme.
Nains, ici !
— A vos ordrcs, seigneur. »
Tons les nains s'agcnouiUercnt. Le pauvre '\Va]ipenbicliel
clait plus niort que vif.
— « Enl'anls, s'ecria le chalelain , voil.i un gaillard que
vous m'alicz river dans sa cuirassc. Prencz vos Ublcn.siles
ct faites voire devoir. »
Aussilot les pelils onvriers. sans ricn repondre, saisirent
noire dentisle, sur le front duquel la sueur ruisselail a
grosses goutlcs. Us le placercnt sur une longue lable, oii.
a I'aide dc melal fondu el dc fers rouges, ils coiniiieiiei'-
renl a snuder ensemble les diverses pieces de rannure ipii
rccouvrail rinfortune denlisle.
« Faitcs-moi un chevalier de ce denlisle, » criail le geanl.
Wappenbiekel, scntanl I'airain s'cchauffer et rulir sa
pcau , sc mil a rugir corame un lion ; mais ses cris ne
produisaienl pas plus d'cffel que les sanglols d'un enfant
courbe sonslc foueldu maitre d'ccolc. En vain suppliail-il
le chalelain d'avoir piliii dc lui ct de lui accorder son par-
don : 'ses priercs ne furent point ecoulees.
« Telle iDuvre, Icl salaire, docleur, rcpelait de temp?
a autre Sa Scigncurie avec un sourire colossal. Une autre
fois no le mele plus d'arracher les denl.s ;i un pcrsoU'
nage de mon especc, el deviens un pen plus inodcstc en go
neral. Identi(ic-loi mieux, mon cber, avec les moenrs d
I'ancicnue chevalerie que in n'as jamais comprises. Denlisle,
1)U MATELOT HEIINRICII.
.'il
anaclie les den Is ! chovalier. Lats-loi liien! nolairc, fais
lies actes J
— Ah I nionseigiieur ! monscigneur ! voiis parlez d'or !
railcsgniccau notaireet aiulentislc,ainsii|irau chevalier.))
Les nains conlinuaient leur liMvail. Le marlcau frappait
A I'lmps redoubles siir I'annurc. BiciUol eiiirasse, liauberl,
corselet, tout fut all.iehe ensemlde, de facon a cc que la
carapace d'airaiii envdoppait Wappenhickol. Le notairc
(jlait scelle.
Wappenbickcl, qui rotissail, fit enleudre de longs gemis-
semenls ; mais avant qu'il ei'it le loisir de se reconiiaitrc,
il se trouva casemate dans son enveloppe de fer. Sa toi-
lette tcrmince, on le jeta sans complinientsa la porte, el
on I'abaiidonna ii son sort. Libre, il rassernbla ses forces , et
lacha de s'eloigner au plus vite duu lieu oil il avail etc si
cruellcment traitc. II s'enfuit a travers les lungs corridors,
sortit de la grande porte par le pont-levis abaisse; et au
moment ou ilalteignait la plaine, qui s'etcndaitau-dessnns
de lui, il enteodil d'affreux eclals de rire, qui semhlaieut
s'ccliapper des ogives dumauditcastcl. Dernier trail de bar-
Ijarie, qui lui fit verser deslarmes de sang.
» Etre arme jusques aux dents, murmura-l-il, el ne pou-
voir se venger ! Etre nolairc el se trouver sous les scelles 1
Etre denlisle et nc pouvoir s'an acher cetlc dent ! Ah ! cela
cslaffreux, etjesuisle plus miserable des notaires, des che-
valiers el des dentistes. Si seulemciit je pouvais ecorclu'r
vifce damne cliatelain! n
Comme il parlaitainsi, son oreilleful frappeedeshenjiis-
scmentsd'uu clieval, qui .sejublait venir au galop derriere
lui. Aussitut, saisi de pi'ur a I'idee de rcloiuber dans les
griffes des nains qui lui avaient roussi la peau, il se tut el se
cacha dans les broussaiUes. Ce n'etaient point ses Ijoin'reauK
qui s'elaient mis a sa poursuile ; »n beau conrsier sans
niaitre s'arrela non loin de lui pour broulcr les lianles lier-
bes ([ui I'environnaient. 11 sortit precipilajnment de sa re-
truile el chcrcha a saisir I'onimal ; celui-ei. plus agde que le
uolaire double de metal, fit quelques bonds, el, d'un air
narquois, s'arrela de nouveau a plusicnrs pas du chevalier.
Le uolaire, qui d'abord avail voulu atlirer la hete a lui par
la douceur, se courrouca bientol de cei:e resistance. II fit
un immense effort et se mil a courir a loules jambcs ajjrcs
le quadrupcde.
Le terrain elail on penle inclinee; le uolaire sVmbarrassa
les janibes dans dcsronces, la tele emporla le corps, el Ic
voila roulant avecune grande rapidile de culbutes, saulant
de disl.ince en distance, et enfin nc s'arrclant, dans cellc
singnliere manierc de voyager, que lout au has de la col-
liiK". Une telle chute cut pu facilemenl lui couler la vie;
nous parlous, si son armure ne I'avail d'abord garanli do
mainte contusion dans sa course, et surtoul si, au pied du
monticule pierrcux, 11 n'eut pas rencouire par bonlicur un
petit clang avec un lit bien moelleux de vase et de joncs.
II roula comme un tronc d'arbre ; il sentit une duucc fjai-
clieur, et cprouva une si vive emotion de plaisir, qu'il rest.i
volon tiers dans Ic bain froid que lehasard lui avail procure.
« Ah ! ah I criait une voix ricaneuse qui sortait du creux
d'un arbre , voila un homrae bien trempe ! II a subi exac-
tement les preparations de I'acier le plusUn : leleu et I'eau,
rien n'y manque! »
C'clail un nain qui parlaitainsi. WappenbicKcl, I'hominc
trempe, des qu'il se senlit asscz rcniis de ses bn'ilurcs,
sorlil de la mare et voulutse remettre en cheuiiu. A quel-
ques pas de la il remarqua de nouveau le cheval capara-
conne qu'il availdej.i vu. Us'approcha de lui et parvint celle
fois a s'en emparer. Tout aussitol il Tenfourcba et le liit
galoper dans la direction de sa demeure. L'animal, pen ha-
bitue sans doule a porter un homme convert d'une annure,
lit le paresseux ; mais, se sentant chalouille de.sagreable-
ment par les eperons du uolaire, il prit le mors aux dcjils,
el courul venire a lerrc.
Le uolaire, dans la crainle de se voir jeler en has, sc
cramponna d'abord au pommeau de la sclle, puis il s'a-
bandonna a sa mauvaise fortune. II allait, il allail, les bras
en I'air, raide comme une pincette de cheniince, a travers
marecages ct lialliers, ot croyanl sa fin venue. II galopa
ainsi jusqu'aux environs d'un petit mur delabre que le den-
lisle recounul |iour lui ap|iarlenir. Arrivee la, la inonlure
s'arrela brusqucinent. el le cavalier loniba stir le sol comme
un sacde farine. Lorsqu'il revinla lui, ses regards ne Irou-
vereui [ilns Touibrageux destrier; il se relcva du niieu.i
qu'il pul, Iraversa dopin dopant son verger, ct cnlra chez
III! ail moment oil sa fille ouvrail les vok-ls de la maison :
il faisail jour.
Lorsiiu'ils apoiTureiit le guerrier enipanadie, tons les
ciifants crierent ii' I'envi. La maladc dk-nicme s'ctoniia
dc ceUc siiiijuliei'C apparition ct Ul im geste de surprise.
Ci't accucil Uii di'plnt.
i< Silence! cria notre liomme de toute la force de ses
poumons et I'rappant la taUe de son ganlclet de fcr, do
I'afon a ebranler les vilres. Je ne suis ni le diable ni son
nmbassaJeur. C'esl nioi, Wappenbickd, a <|iii Ton a ,jone
Ic mauvais lour de le Iraustormer en chevalier poslielie,
pour me punir sans doutc d'avoir fait Irois metiers. Mil
si je n'eusse ete que nolaire, Tun ne m'aurait point mis
lantot sur le gril comme une carpe. n
La famillc nc comprcnait ricn a ee <|u'ellc voyait et en-
tcndail; aussi cliaciin restait miiet ct la louche beante.
Qiiand I'espece de fureur dans laquellc etail le iiotaire
fut im pen calmec, il s'assit sur un escabeau et raconta
son liistoire. Un voisin, que le bruit avait attire, ccoula les
delails de I'aventurc, et assura le dievalier dentisle qu'il
n'existait pas, a vingt lieues a la ronde, de chateau Bari-
natibipildi, ce devait etro un mauvais genie qui s'etait
amuse a Vaccommoder de la sorle.
11 aimait mieux avoir ete martyrise par un genie que par
m\ simple geiitilhomme, et feignit dc se rendre a cette idee,
bien qu'ellc lui pariit taut soit pen bizarre. Neanmoins il
Alt bienlut force de reconnailre I'exactitiide du fait ; car,
s'elaiit fait debarrasser a grand'peine de I'armure rivee sur
hii, il deeonvrit qn'elle elait de I'or le plus fin, et que son
iii,-|is nc portait aucuiie trace de bri'ilures. Cetle double
decouverte ne conlribua pas pen ei remetlre le pauvre
liomme dans son assieltc ordinaire , et lursque plus taril
ilcut vendii sa liclliipicuse depouille, dont on lui donna
2,(J00 sequins, il se rappela delieieusement les frayeurs et
les tortures auxquelles il avail clc expose pendant I'expe-
dilion nocturne des montagncs.
Madame Wappenbickd se relablil en deux jours, soit par
suilcdes emolionsmoralesqu'elle avail eprouvees, soit grace
a la perspective d'mie existence jilus douce pour I'avenir.
En effel, son epoux, dcvenu tout ii coup le bourgeois le plus
richedu canton, lit Lientot reconstruire ,sa ealiane, achcta
quelqncs pieces de terre, une prairie, des bestiaux. et vii-
eul de longucs annecs, an milieu des siens. Benissant du
fond du cceur le singulier genie qui avait fait sa fortune,
il se rappela les paroles du geant, suivit ses conseils et ne
jiraliqua plus qu'un seul metier.
La profession de dentiste fut abandonnce par lui, ainsi
que la dicvalerie; il ne resta que nolaire, et, fidele ii ses
devoirs, il lut cite dans sa province pour son talent et sa
probile. Son caraclcre s'anidiora d'une maniere sensible ;
iloux, alTable, compatissanl, il monira sans ecsse de I'iii-
terct 11 sessemlilables, sccourut ceux ipii setrouvaienl dans
le besoin, et perJit cctte indifference egoiste el glacco qui
ledistiiiguaitjadis. 11 resta en activile jusque dans I'lige le
plus avance, et, presque oclogenaire, il se rendait encore
;i jiicd ii son bureau sans crainte du vent, de la pluie on
des frimas. prclendaiit que personne n'avail jamais ete ba-
biUe aussi cbaiiJemunl que lui, ct qu'il ctait ilcvenu ini-
permeable.
u Belli soil, disail-il nn jourii ses douze enfanis, en leur
raconlanl comme quoi on I'avaitsedle, lui notaire, dans In
rliilrau ilu geant. belli soit le seigneur redoulable qui lu'a
ANECDOTES
donnecetleleeon!Ellepcutvousapprendri\mescherspelili
qu'il faut en ce mondesavoirrester dans sa sphere, etue pas I
|iri;tendre se ranger en mi'me temps sous trois drapeaux!
Tout elat e^t liDUorable ; il est prudent ii chacun de garder
le sien. Vouloir etre ii la fois jurisconsulte, medecin, et memo
soldat, c'est le moyen d'etre toujours niikliocre, souvenl
nul, et de devenir la risiie des sages. Je sais jiarfaitemcnt
qu'il est assez de mode d'enibrasser dix professions d'un
coup ; mais cela est folic. II y a dans nion discours de
grands enseignemenls; je vous engage a en profiter. n
( Fin du contc dc llcinricU el dr la seconde nuit. )
ANECDOTES
DU TEMPS PRESENT.
I.I: GENOIS ET I.I: CALEHIEN'.
(1839.)
L'ame de I'homme renferme une aspiration si puissaiiie
vers le beau moral, un besoin si vif dc raclieler, par do
nobles actes.l'imperfection de sa nature, que les existences
les plus deshonorces et les plus infiinies ressentent encore ce
desir. On le voit edaler en actos de cliarite inattendus, en
devouements qui etonnent. C'est peut-otre une des obser-
vations les plus eonsolantes pour I'ami de rhumanile ; c'est
aussi I'un des fails qui prouvent le mieux I'e.xcellence des
doctrines qui repivsenlent comme possible la purillcation
do rbomnic et Tamdioration par le repentir. M. Maurice
Alhoy, dans un livre curieux sur un trisle et important su-
jet (I), a cite un exemplc remarquable dece besoin moral
de rhumanile. II I'a recueilli parmi les hommes le plus
crudlement lletris par la socide et leurs propres actcs :
nous ne pouvoris mieux faire que de rapporler la simple
et touchante narration de M. Maurice Mlioy.
« Au nombre des ouvriers libres du port de Toulon, sr
Irouvait, il y a quelques annecs, nn Gdiois. Cel homme,
comme la plupart des ouvriers qui vivenl presque en coiii-
munaute de travail avec les gald-iens de la pclile faliriiir,
laissait percer le senliment de commiseration que lui in-
spirait la position des coupables. Parmi les forcats avec
lesquels il dait en rapport journalier, il en dail un qu'il
avait pris en plus grande pitie. Souvent il lui arrivait do
]iarlagcr avec lui ses vivres ; plus d'une fois la gourde qui
contenait le vin de I'ouvricr lilire s'dait placec .sur les le-
vres du condamno. Quand venait I'lieurc oil I'ouvrier libre
regagnait son logis en ville, le Gdiois offrait au forcal le
morceau de pain qu'il avait mdi.igo pendant la journee, et
il ajoutait ce suppldiicnt ii la modiquc ration du bagne.
Le condamno trouvait un adoucisscment ii sa peine dans
cellesympathieque manifestait pour lui I'ouvricr. Leslieu-
res daicnt moius longues quand le Gdiois dait au travail,
les pensees daient aussi moins trislcs ; car I'ouvricr parlait
au condamne de ses affiires, il ronlreleuait de ddails du
menage ; cda brisait un pcu la monolonie de colte vie
incessammcnl la nidnc que mdie rhonimedes diiuurmes.
(I) f.i-.« Oiijiic, paf Maliiuc M\my.
DU TEMPS
Le Genois etait perc de famillo. Cliaque anniie sa I'enime
allait passer quclque lemps au pays ct y porlait Ics econo-
mies de I'ouvrier.
Deja plusieurs fois, aiix premiers jours d'autdninc, le Ge-
nois avail dit au I'orcal : Compagnunnc est partie pour
ritalie.
La compacinonne cstic nom familicr (pie les riverains de
la Mi'diLi'rraiK'e donncnl a la femmc ([ui partage leurvie
active el laliiirieuse.
Une nouvi'lle annee s'ecoula, rei|MiMoxe etait veiiu ; la
I'l'nimedu Genois avait coutunie de partir avaiit cette cpo-
cpic, (pie redoulent Ics passagers, ct Touvrier n'avait pas
aniiiiiic(i I'absence de sa fcnime au (orcat. Cclui-ci interro-
1,'iM lilranger, el I'litranger lui apprit (pic la compagnnnne
n'avait plus besoin au pays : elle n'avait phis d'liconomies
i'l y porter II y avait ii pen priis six inois (pie I'ouvrier,
cijdanl.i uu mouvemenl d'ambilion, avail ris(pm ses epar-
gncsdans une spiiculalion dc cabotage laitc de moitie avcc
un )iatnpn de barque de Livourne. Le petit navire avail
piiri. ct il ne reslail plus au Giinois (pie ses bras pour loule
rcssourcc.
L'ouvricr cut trouve encore du courage dans sa position
d'boinine libre el dans I'assurance (pi'il avail de trouver du
travail dans Ic port ; mais sa pauvre femme n'avait pas eu
la force morale de supporter Ic sinislre qui I'avait frappde
dans sa petite fortune : la compagnonne (jlait tombee ma-
PRESENT. S5
lade, elle avail fait des delles, les cr(5ancicrs rcclamaient
leur priil. Un propri(;laire inlraitable parlait do faire ven-
dre quclqiies niodcsles meubles iiour se payer d'un loycr
de vingl (;cus... el I'ouvrier, aballu, ct pcnsanl a cbaque
heurc a la nialadic de sa femme ct aux cmbarras du me-
nage, ne cessail de repeter :
Povera conifagnona !
Un incident vinl un moment dislraire le Genois de ses
Irisles priioccupnlions. Lecondanme, qui jusqu'alors avait
paru prendre son supplice en patience, ct qui jamais n'avait
fait entendre une plainle sur sa position, ful lout a coup
saisi d'une profonde aversion pour cclle vie qu'il Irainait
en expiation de sa faulc. Le discouragement seinbla I'at-
tcindre, el plus d'une fois il s'exposa a la baslonnade li la-
quelle il n'licliappa que parcc qu'on lint conipte de ses bons
anlijcedents. La pensile de la fuite devint lixe cliez lui, el il
oblinldu Genois qu'il favorisal son ijvasion en lui apportant
un costume d'oiivrier.
Le condamni3 avait bien miiri sou |ilan. II s'i'tait assuri;
d'une cache dans le porloii il resterait^deux ou Irois nuils
a I'abri des recbcrcbes. Ce temps (■coub', il savail com-
ment gagner une retraite qui lui avail et(> rijviiliie par un
camarade qu'ellc avail longlemps proti^gi;.
Le forcal indiipia au Giinois la position de cette demeure
secrete, el il lui fit prometlre de venir lui faire visile le
cinipii^'ine jour qui suivrait son evasion.
Toutes Ics circonstanccs servircnl a souhait le condamne.
11 s'efada, gagna un lieu solitaire dans les profnndes gor-
ges des vaux d'Ollioules. 11 descendit a I'aidc d'une cordc
dans une grolle naturelie. lieu de refuge des noinbrcus
vj A NEC
maUaileurs ([ui, A dcs cpoques i'loigmvs, infcslerent ces
conliecs. Le I'orcal elait ilepuis (luelquos lieures en pos-
session (le son asiie ; le sol rcsonna siir sa lute : un hommc
gravissait ces cscariiements doiitil somblait avoir connais-
sance cxacle ; Ic signal convenu fill donno : la iiierre qui
cachail I'enlroe dc la gioUc loiirna siir elle-mcme, rechclle
de corde fill lendiie, el le noiiveau vcnii desceudil : c'e-
taitle Genois cpii vonait accomplir sa promesse.
L'ouvrior, oubliant sa niiscrc, avail appoile quelqucs
pieces dc inonnaic au fiigilif.
Le condainnii les prit en soiii'iant, et il dit au Genois ;
« Mcrci, vous avcz fait pour moi toul ce que vous avez pu ;
a mon lour je vais laire ce queje pourrai. J'ai comple sur
vous pour m'aider;je lie puis rosier ici ; je suis encore dans
le deparlenicnl du Var, il I'aul marcher vers Marseille, car
i'aimc micux elre repris dans le de((arlenient des Bouches-
dii-RliiJne.
— 11 faul espcrer, dit le Genois, que vous ne le seroz pas
blus la qii'ici; car si vous deviez elre pris, aulani vaudrail
pour vous elre decouverl niaintenanl.
-Non pas, dil'le forcal; cela serailanssi bien mon al'-
fairc, niais cela ne ferail pas la voire.
(( Le forcal nc vaul ici ([ue 75 francs, I'ami ; plus loin il
vaul 100 francs. »
Le Genois ne comprenail rien au langage du fugilif. Le
forcal fill oblige delui reveler sa pensce enliere. « .lamais,
disail-il, le bagnc ne I'avail effraye. jamais I'amour de la
liberie n'avait inquii'te sa vie de caplif; forcal, il s'elait
habitue a sa posilion ; mais la pensce de faire une specu-
lation au prolil de I'ouvrier lui elail venue. Dans les fers,
le forcal ne pouvait, avec ses 15 on 20 centimes de pe-
cule, venir au secours du Genois malheureux; evade, son
corps nctpierait une valeur positive, valeur qui se capilnli-
sait par reloignement ; et quand son corps vaudrail 100 fr. ,
alors il pourrait dire au Genois : « Prends-le. livre-lc;
donne-le aux autoriles ; In recevras 100 francs; avec eel
ardent lu payeias ton projirietairc, el la lemme nc nian-
quera plus tie bouillon ni de tisane. »
Le Genois dut so Irouver bien surpris d'entendrc un pa-
reil largage ; il dut croirc que lajoie de relrouver la liberie
avail dLM-ange les organes du fiigilif: mais cependanl 11 fal-
lul qu'il linit par comprendreracle de devouemenl du cim-
DOTES
damne, quand ce!ui-ri le menaca de ratlaeher a lui avec
une corde cl dc le raniencr ainsi a la premiere resilience
de gendarmerie. « On verra, dit-il, garrottes ensemble uii
honni'te homme cl un fniT.il ; on ne pourra pas croire que
c'cst le forcal qui ramene I'lionnele homme, qui a pris Ic
forcal... »
L'eloqucnce du condamne persuada I'ouvrier, ctau sou-
venir de la compagnoniic, une transaction sc (it entre les
scrupules du Genois et la bonne volonle du fugilif, que Ic
plaisir dune telle action seduisait plus que la liberie. Le
commissairc eut bicnlot connaissance des nobles motifs de
celle evasion; el, aprcs queb|ues jours, le fugilif avail re-
pris, par une (aveur meritee, sa place aux travaux les
moins faliganls du port. » ( Les Uagnes. }
I.XS SOUTERRAINS DE -WATUNG-STHEET.
Si vous jelez les yeux sur les gravures qui reprcsenleiit
le vieux Londres ou le vieux Paris, vous reconnailrez .sans
peine combien nousavons acquis, dans les derniers temps,
pour la siirete , le bien-etre et la saliibritc. Cepcndant
il y a aujourd'liui plusieurs giierres sourdes it vinlentes
donl personne nc s'apercoil. el qui n'en soul ni inoiiis Icr-
ribles, ni moins bizarres. L'une est la guerre des |iauvres
contre les riches, guerre immorale et a laquelle on ne pent
remedier que par la charite des uns el le travail bien orga-
nise des aiilrcs ; — I'anlre est la guerre hidense des classes
oisivcs et dangerenses contre la sociele laboricuse, el la
defense de la sociele contre ces classes.
il faul avouer que, d'unepart, les associalions uos ctrcs
voues au pillage et au mal soul beaucoup plus redoiitablcs
que par le passe ; d'nnc autre, que la surveillance et la de-
fense publiqucs out cent fois plus de force qu'anlrelbis, et
sonl soumiscs a des lois, regies par des previsions niillc
Ibis plus savantes el plus eflicaces. Londres a aujomd'hui
toule une armee de gardiens(;)o(icfmen), donl on a cii soin
de rendre la situation honorable, si ce n'est honoree, el qui
possedent la sagacite des liniiers, Icpoignelde fer des athle-
tes anciens, cl la discipline des soldats.
Chaque jour, de vieux repaires i|ui, depnis des sieclcs,
abritaienl Ic crime cl le vice, tomlieiit et disparaisscnt:
(Vieux Loiiilrc? ) ^
Paris la vieille Samarilaine, les rues de la €ile ; a Londres, | vieille Cile de Paris, dont les caves boueuses cl les lorliiou,
quelqu'es rues infccles. Nous voyonsseclaircirels-epurer la I scnticrs prolegcaient depuis un temps immemonal lei
DU TEMPS PRESENT.
iVauiliilouscs innnnpiivros, ol sorvaienl d'asilc iiu.v liamlils;
I'llcosl pcrc('e aujoiii'il'huid'iiiie graiido rue, qui I'assaiuira
en raiM-aiil, sous le rapporl moral, conime sons le rapport
pliysiipio. Lcs arches de iios pouts, ct spiicialcnient celles
dupoiii Mario, souslcsqui'llcsserorugiaicnt les concilialju-
les dos ISohcmifns noclunios, sont a pcu prespurgccs; les
traces do barbaric disparaissenl ; lcs poulrcs antiques dc la
Saiuarilaiue, qui deOguraicnt le Pout-Neuf, u'abriteut plus,
commc en ISlO, line population de jeunes vauricns. Tons
les aluirds dc la calbedrale de I'aris sont dcvenus prali-
cables.
A Lonili'cs, le meme travail, ronlrarie d'aillcnrs par I'cs-
prit de liberie jalouse (pii ii'a pas abandounc ccllc nation,
commence a s'opcrcr.
CONOHES SOrTEBHAINE. CATACOMaGS DSS VOLEUAS.
I£S CATHOLIQOES SOUS CHARLES 1°"'
(Jiiiii ICii.;
La villc de Londres viciit d'aclicter deux maisons siluees
ilalis I'mi des iprirlicrs lcs plus populeus et les plus im-
moMiles de eille vasle mi'lropole. Depuis lonpftemps ces
inasnri's rrnulmlcs etaienl sip;nale('s a I'antoritc comme
sorvani de repaire auxplus redontables niembres de la po-
pulation dauqereusc qui sc pressc dans lcs grandos villes.
Vainenienl vi^ilees par la police, clles ne ccssaieiit pasde
soustraire .i I'aclion ct au cbaliment de la loi les bandits et
leurs complices.
Cela dinait depuis le regne de diaries II, c'csl-;i-dire
depuis deux cents ans. Une fois eulres dans ces niasures
mysterieuses, ceu\ que I'oii poiirsuivait s'evanouissaieni
comme par miracle. On en fouillait tous les recoins, on
descendait dans les caves, on surveillait les issues, mais en
vain. Un vieux fabricant de cliandelles, qui ne vendait
de cliandelles a pcrsonne, occupait le rez-de-cliaussee dc
I'un de ces tcncbreux asiles;il souriail aux visites des ol-
ficiers dc justice, lcs conduisait lui-meme avec une com-
plaisance exeniplaire dans tous lcs recoins de son domicile,
ctparaissait prendre un malin plaisir a les dejouer. On ue
doulait pas qu'il ne recel.it le produit des larcins; souvenl
on voyail eiitrer chez lui des hoiiimes charges de ballots el
de marchandiscs. Les ballots dis[iaraissaient comme lis
hommes ct Irompaient les invesligations les plus assidues.
Enfin la destruction des deux niasures, donl la vllle n'a fait
l'ac(|uisition que pour les mellrc has, a explique Tenigmc
que deux siecles n'avaient pas pn resoudre et qui a brave
cinq ou six generations de magislrats.
Sous le comptoir dii vieux et di'shonnete marchand, une
trappe, ou pluli'it une vastc dalle, qui se soulevait an
moyen d'un levier, conduisait ii un labyrinlhe de galcries
soulerraines, qui non-seulenient se ramiflaient dans plu-
sieurs directions, mais aboulissaient a une maison situcic
d un quart de mille dc distance. Le Irou de la trappe res-
scmblait ii un puits, et un vasle panicr, auqucl une masse
de plomb servait de contrc-poids, descendait imniedialc-
ment dans les profondeurs de ces cavcrnes les marchan-
discs voices, accompagnees du malfaiteur qui s'y |dacait.
La dalle, refermee aussitot aprcs qu'il s'elait assis dans le
panicr, ne laissait aucun vesiige de ce passage, ct la poulrc
frollee d'bnile operaitson evolution sans aucun bruit Ces
caves, ignoreesde toullemondc, forniaient commc uneviUc
soutcrraine mi sc Irouvaicut des inagasins, des cuisines et
jusqu'a des oublicltcs ; on y trouva plusieurs debris hu-
maius, prcuves des crimes affreux qui s'y commirent.
L'interel singulicr que ces trisles repaires inspiraient lit
naitre une speculation etrangc ; on specula sur la enriositc :
on distribua des billets pour les visiter, ct le public s'y
rendit en I'oule.
Les savants vouliircnt cnsuile en connaitre I'origine ct
rhisloire. On decouvrit que I'une d'elles fut habilee, vers
1080, par I'uu des personnages les plusodieux des annales
liritanniiiues, Titus Oates, le calomniatenr ct le bourrcau.
Get invcnicur de conspirations fausses atlribuces aux
catholiques en fabriqua une sous Thai'les II avec taut d'lia-
bilelc et de sueces. ((u'il envoya d'un coup cent cinquanio
ou deuxcents catholiques iunoccntsa rccbafand. « (^ommo
il servait la passion ]iopulaire et gencralc, dit un ecrivain
anglais (1 ), il fut a pcu pres canonise par lcs protestauls. Lc
roi calliolique Jacques lui fit donner le fouet a la queue
d'linc charretle cinq fois par annec, el le condamna li la
prison perpeluelle. » Quand ce dernier des Sluarls regnant
fut expuisc, Titus quilta sa prison , alia vivre dans lc pa-
lais du nouveau roi par ordre special du parlenieni, et
loucha 4,000 livres sterling dc rente pour avoir sauve
I'Elat. C'etait Marat pensionne.
II parut sous Jacques II, dit un autre savant modernc
auqucl nous empruntons ces curieux details (2), sous le
litre de Gcmissemenls dc Jack Ketch , une hisloire com-
plete de cet excellent Tilus, par un de ses anciens amis;
ouvrage oii tous les bas-fonds de la societe anglaisci cette
epoquc se revelent elrangcmcnl. On suit noire homme
chez les analiaptistes : c'elait la communion de son pere;
— sur le pool des navires ; il avait etc cliapelain de vais-
seau ; — au college des jcsuites de Pouai : il y avail etc no-
vice;— enfin, dans son logement de Liltle-Flrilain, fau-
bourg indcccul, gueuserie immondc de Londres.
Ce livre est rare. On ne sera pas fiiche de lire jci qiicl-
ques fragments de cclte vie Irempee de vin, dc polilique,
de religion ct de fange. .'^ujourd'liui nous nc sommcs pliij
aussi poctii|iies que cebi. Nos vices sont administrcs regu-
lieremenl, muis fai.sons la police de nos crimes, nous avons
pour nos immondices sociales des lombereaiix bien orga-
nises. Mais tout elait miile alors ; de profondes leiiebrcs
remplissaient les repaires, au fond dcsqucls grouillaient
inesplores les reptiles et les monstres; tout ii coup, de
leur retraite, ils s'tdancaient juscpie sur le trune; et ricn
n'est curieux comme la .scene snivanle, on I'on voil Titus,
encore ivre de la mauvaise biere de sa tavcrne borgnc , et
lout impregnc des senleurs de ce bouge, apparailre rayoii-
iiant devant le roi et ses minislres.
11 denieurait dans Ned-Alley, d'oii Ton apciccvait la
Tamise, et qui elait une espece de yw, ou pliilotde boyau
l'.uigeux,conduisanl par une penle mareeageuse jusqu'a cc
lleuve , senddable ;i une mer. Dans le llux , on avait de
I'eau jusqu'a mi-jambe dans lcs caves; c'etait la Icrreur
des hoinmes dc justice que ces parages, oii ils ne s'aventu-
raient guerc. Lcs habilants de la ruelle , aussi sauvages
que les indigenes des cotes d'Afrique, avaicnt creuse des
puils dans ces caves menies. ct loul agent qui leur resis-
tait ou leur deplaisait elait conduit la jjour y pcrir. Titus,
(tj M. il'l^rapli Pl'I'C, Cnriosilt^s litlcraires,
(2) JI. Pliilaiiic Cliaslcs, procssrui- au collfge ile France.
rio
ANECDOTES
qui vivait clans uii Ac cos dnmicilos ,i dcmi aqiinliiincs,
I'lait appoU' dans Ic qiiailior Ic chiiprlain. 11 avail imiir
son service pcrsoniiol iiii joiini" mousse qii'il rossail loiitc
In journec, et qui jnuissait de la plus niauvaisc repulalion.
C'etail Titus qui raligeait Ics lellres dcs coiUrebaiidiers.
)cs comptcs des volcurs, ct qui U-nail lours livres de rc-
ccl. Taiitot il elait pave, taiUot il nc I'olait pas, ce qui
lui coustiluail une vie peu profitable, et faisait retcnlir le
laudis de cjucrellos I'rcquentcs.
SICK IE BESOSSt.
Une des pratiques les plus lialiluelles de ce mallieu-
reux Titus elait Dick le Desosse, qui possedait vingt ou
Irente metiers difforents, tons dignos du gibct. II elait
contrcbandier de torre et de mor, mcndiant , volour, et
avail etc aidc-bourreau.
Get bomme jouissail de la faculte singuliere do dcmon-
ter a loisir sa charpente osseuse, et d'assumer ainsi pour
soncompteloutes Icsespeccsd'iiirirmites. Use faisait bo-isu
dans loutes les directions , rendait ses jambes cagneuses ou
arquees , enfoncait sa tote dans ses cpaules, devenait cul-
de-jattc, et pelnssail son proprc corps comme uu p.ilissier
pctrit sa pate. A la llexiliilite dcs jointures il iiuissail la
souplesse incroyabledos chairs ct des parties inollcs, de nia-
niere a se transformer rapidement en boule, en fuseau.otc,
et asejeter pour aiiisi dire dans tousles moulcs. II n'yavait
pas de signalement possible a donncrdo ce Prolee bumaiii.
11 ecbappait a loutes les poursuitcs et a toutcs les accusa-
tions. Son incroyable agilite luiservnit as'evadcrde loutes
les prisons, el, une fois sorti, il cbangeail de figure, de
taille et de bossc. II babilait de I'aulre cute de la Tamisc,
dans un mauvais hovel mine , d'oii il pouvait diriger les
mouvcmenls de ses petits bateaux, qui servaicnt aux depre-
dations nocturnes de sa bande.
L'anii do Dick le desosse, Titus, qui passait pour un
savant homine, et qui dans ccs parages avail le renom de
banter bonne compagnie, avail iudi(|ue a ce meme Dick
quebpics bnns coups a faire. Toule une cargaison de tabac
avail ele dcvaliseeau detriment du doyen de Westminster,
qui avail du recevoirce cadeau d'un minislre bollandais de
ses amis. Dick, conseille par le cbapolnin Titus, cscamota
la cargaison et enivra le pilote bollandais. Mais il ne payait
jamais la part qui revenait naturellement a Titus. CeDick,
dans sa jeunesse, avail etc valet d'un calbolique, el Titus,
le faisant parler apres boire, avail oblenu de lui beaucoup
de renseignements sur les intentions secretes ct sur les
plans vagues de cette parlie sacrifiee el conspiralrice de la
population anglaise. II en lira un grand parti pourperdre
a In fois lous ses ennomis, el speoalemont Dick.
Le matin meme du jour oil il alia fairo sa premiere de-
position contre les pretendus couspirateurs catlioliques,
Dick le desosse lui avail joue un tour abominable. Titus elait
scnsucl et ami de loutes les voluptesde son corps. II prennit
une (pianlile considerable de tabac, auquel Dick eut soin
do meler celte poudre alors connue sous le nom singulier
de hcwilching-powder, el donl rel'fet ctnit de plunger
dans la lutbargic la plus profonde ecus a qui on I'adminis-
trail. Le mecbanl Dick, apres de copieuses libations de
btue-dcvit (eau-de-vie de grains ) el des prises non moins
frniuenles administrecs au cbapelain , avail fait signer a
re dernier, donl il avail dirige la main cngniirdie, un reni
total el dellnitif des sommes dues ,n lui, Titus, par
desosse. On retrouva le cbapelain ivre sur les d(
marcbos de sa cave, les pieds pendants el baigm
I'eau qui en couvrail lo sol a sopl ponces d'eli '
Sans doute Dick avail pousse la complaissnnce jus .
porter la
Le .soir dn memo jour, a cinq beures , le grand
etant rassemblc aulonr dc la table couveric de
niiir, on amena Titus devant les ministres el le ri
les II.
« Voil.i, dit le monarque, qui aimait a rire, un- '
qui n'cst pas nn visage; c'est un menlon.))
En cffet, le menton de Titus usurpail prcsque ;
pliysionomie. Ce menton avail pros de trois ponces
lalail insulemment au-dessous d'un nez qui n'avait ;
deini-pouce, el d'un front eiroit qui I'uyait : ce n'l
une tele bumaine.
"Tilus, (pie j'ai vii ce matin (ainsi s'exprime
de la biograpbio ), avail mis ses plus beaux bnbils ;
lout on noir, avec un cbnpeau a la calviniste. 11 v
lui un melange d'argol, de Bible, de ton militaire,
gon maritime, le tout reconvert d'une epnisse coucl
pocrisie grossiere. Sn trnme dc pretendue conspir
deroula devant le conseil ol fit sourire le monnr(|ue.
Sbal'lsliury la trouva fort vraisemblablc ; le fail e
avail interet a In Irouver telle. Ce minislre, cbef po|
n'eut pas besoin de s'entendre avec le cbapelain
pour qu'ils marchassenl d'accord. Titus lit eiUrerd.
conqjlol factice, cl signala au gibel, ccux qui lui
saient : les jesuiles de Douai qui I'avaient cba
ca|iitaine de vaissenu qui I'avail cxpulse , le pauv
comme espion des jesuiles, les cpiciers auxipiels i
de Targent, les bourgeois qui avaienl refuse de cro •
saintetc : — et tont cela ful pendii comme catboliqi
En remontant plus baul dans I'bisloire des deux n
et en cbercbant les premieres Iraccs de leur fondatii
decouvrit que ces sonlerrains, souilles dopuis deu
ans par lous les crimes, avaienl servi, sous Elisabe'
ques I" cl Cromwell, a derober aux perseciiteurs
bourrcaux les catlinlicpies proscrits par le cnlvinismi
re.viendrons sur leur deslinee el leurs malbenrs, ai
rieiix que peu connus. En genei'al ce qui manque i'
nnles humnincs, c'est fhistoire des vaincus el des pr^
(La suite il uu prorlluill iiumoia.]
I
-UNE BATAIIilE RANGEE EM IRI.AK
IlECIT DU CODE Dl! COLdSn. '
(15 seplembrc iB\o.)
... « Vous savez enmbien depuis dessiecles rhuine
liquense dcs Irlandnis ct leurs querelles de villa;,
sanglantes et formidablcs.
(ije resscnlis une vive afHiclion de ne pouvoir, air-"!! sv-
rivee au prcsbytcre, apporter aucun remede a ce r
veterc.
II Les jours de foire etaienl ceux oii leur furcur r
so diiployait spccialenient, cl mon autorite de pasti
tail sans inllucnce. Le jiouvoir civil el militairq vtiijil
I
f>U TUMI'S
niissi (I'l'diouoi- coiilrccelle ferociti' iiivi-tiiri'O, conlroccltc
lialiilmir il'uiic vicsaiivage.
« C'Olail le 5 aofit 1818, un jour dc foirc. Lc cicl rcsplcn-
ilissait do loiile sa gloirp, ct la licUe valliic do la Siiir of-
IVnil iin aspect ravissant. Je sortis dc nion pi-esliytorr, jc
pravis 1p snmmot do la collinc, coiironnco drs niiiips d'lino
fortorcsso, doiU Ics Josr'^s inlcricurs out rcisislc au tomfis.
(I Je ni'assis. .lc mo plus a suivrc do I'lPil Ics longs dolours
docoUe rivinio si claire ct si profondo, si rapidc ct si pai-
siljlc, (jiii f-ilsait mouvoir dans son conrs dcsmoulins nom-
lii'onx, ol, sans dcliordor siir scs rives, I'oniplissait d'linc
nndc ahoudanle lelilvordoyant quo la iialui'olui avail Iraci'.
Voila, nio dis-jo, lc vrai symbnle du gonic ct do la vcrtu;
c'cst dc I'l'norgio sans violence, do la profondciii' dans le
calmc, ct dc la ricliosse sans exces. Au niiliou do ces medi-
tations, mes regards so reporlerent surlc village dc Golden,
ipie la Suir traversait pour allcr so pordrccnsuilc dans des
champs cnuvcrts d'opis et de liouldon. Pics du village une
foulo nomlircusc'ctait rassomljlce. Lc silence qu'elle gar-
dail m'otonna, il contrastait avec la joic do la nature autant
qu'avcc lo caracterc irlandais. Uu Irlandais no conclut pas
marclic, fut-cc pour un soul penny, sans olorpicnco, sans
discussion, sans clamours, sans contorsions voliemonles.
Tout etait calmc ; los uns rcstaicnt assis sur Ics fosses do la
route, d'autres formaient dos groupes epars sur la place du
niarclie. Aucun diisordro no trahissait encore les inlcniioiis
mcurtriercs quo jo commoncais a soupconnor. Accoutumo
commo je I'titais a la loquacitc de mes paysaus, a leur ac-
tive turbulence, :> leur ctrangc moljilite, jo no mo Ironipais
pas; vengeance clicz les uns, terreur clioz les autres, cliez
lous prcssenliment d'lm procliain danger, arrctaicnl le
cours ordinaire el tumultuous dc cettc gaiele liibornoisc,
dcvenno proverliialc dans les trois royaunies.
(I Un bruit do clicvaux et d'armcs sc fit entendre ; jo mo
rolournai, ct j'apcrcus vers la gancho dc la colline un do-
tacliemeul dc cavaleric acconipagnc dc magistrats a clieval
ct d'un balaillon d'iiiranlcric. 11 ctait evident que Ton s'al-
tcndail A un niouvcniont, que los fonctionnaircs civils
avaicnt clo provonus. et qu'une scone dc tunuilto el dedcs-
erdrc allail avoir lieu ; jc mclrilai de dcsccndrc, lo cfour
I'RIiSENT. .'>7
rempli dc Iristcs previsions ot dc In rour La loire allail so
Icrminor, on s'ctait hale de conclurel'acliat ct la vonlc dcs
bcstiaux; personno n'avait songe a marcliandcr ni a siir-
faire. On reployail los Icnles, el los paysaus, ramonant au
logis lours vaches ct leurs brohis achctees, scmhlaicnt im-
pntionls de laisscr champ lilire aux deux parlis. Alors la
tronipellc sonna ; los troupes dofilcrcnt. Jo me trouvais au
milieu de la foule, et mon opinion personnello elait quo ccs
solilals, appoK's pour coniprinier rcnieuto. haltaicnl on ro-
Irailo lioaucoup Irop tot. 11 y avail dc lourdes massucs ontre
les mains de qnclqucs linnimes gigaiilesi|ues ol denii-nui
des couleaux el des dagues ,i demi caches dans la jaquetit
hruno dcs paysans ; partoul des regards do haino cl dc I'u-
reur concontree. Je vis un vieux caravat cmhrasscr son
enfant Ics larmos aux youx. J'enlendis do sourdcs maledic-
tions, qui semblaicnl n'altendro pour cclatcr quo lo mo-
ment favorable.
(c A peine les .soldats furcnt-ils eloigncs d'un quart do
millc, un sourd hurlomonl emanc de cettc multitude an-
nonca que la digue opposcoa sa violence ctait rompue, que
toule sa ferocite allail sc donncr carricre. A cc cri .sucecda
unc pause plus terrible, un moment de silence plus rcdnu-
lalilc que I'clan de rago dont les cclios des nionls voisins
ropclaicnt Ics deniiers sons. Les rangs sc formercnl, les
deux troupes cnncmies, fortes dc qiiinzo rents hommes au
moins chacuno, mais qui dcpuis longlemps s'claieni pri-
veos, pour obeir aux predications dc lour cure, di\ iilaisir
dc s'ciitr'egorgcr, s'avanceront dans la vallcc. C'etail dcs
hommes a demi nus , veins du costume ordinaire dcs
paysans, brandissant de lourdes massucs on agilanl di
couleaux, des poignards, des glaives, des faux. Un petit
enfant, qui trainait un sac sur la torro et qui criait {lc Iciulo
sa force « vingt livrcs sterling pour la tele dc la vieille
«vesto» preccdait la troupe des caravals. En inoinsd'une
minute la troupe cnncmic dcbusqua des bulssons voisins,
et Pcnfant, qui scrvail de heraiil a la troupe dcs caravals.
tomba sur la Icrrc halgno dans son sang.
0 Ah I monsieur, ;i cc spectacle lout mon sang so glaco.
Je n'eus que le tem|)s do courir a mon presbyterc ct
d'en sorlir avec la bannicrc ct la croix. A cct aspect, los
deux armcos frojieliipies tnmborent a
•■' gpnoux ; e!bs liais- I til du s( in ilc cos nias:,rs, nrui un gornisMincMl ni un cri,
saicnl lour from, honteuscs el pommc ropen'anlcs. II s^u-- | m.-,is im long ol profoud sanglol. fl'lail choso rnrrvelllciino
"!) ANECnOTES tlU
ipic CO I'CiiionIs suIjU ili' lout mi iiciiiili'. .Ic scnliiis line
airiiii [irolcclricc qui s'el.nit (iliicn' sin- inoi cl iires ilc moi.
« Ccl L'lranj;o cl donx specliiplc roiiorla ma pcnscf vers
rs leiiips liai'liaros, on la cniix ile .U'siis-Clirist apaisail li'S
rronosics ijiii'mpres dcs |in|iiilalioMS. En efrnl. c'esl la roli-
c;tOB ilrla svm|i.ilirM' I'l ilc I'lnniiaiiilc''. »
( Dnbliu I'nirersily magazine.)
L-INCENSIE DANS LA NEIGX.
(GODIlESrONDASCE PMITICBIIEHE.)
Saint-Pi'lcrslioiirs, ) ! scpirmliT )843.
« Jc vions d'assistcr n\i |ilns sin5:nlior, an pins afl'ronx,
<iu pins esliMni'dinaire dos spcclaclos ; le rirc !■( Ic di'ses-
pnir, la gaiclo cl la niorl, la llanimp ctlii glace s'y condcn-
saionl. el jc crois qnc jamais ricn de Icl ne s'est prcsenlc
a radmiralion, A rctonnomenl, a rdfioi de I'liommc. Un
des llicalres dc liols, construita Sainl-Petci-sbourg, vicnide
lin'iler an iinlicn dc la iicinc, el d'cnvelojipcr dans son lin-
cenl di' fen el de fnmcc plus dc deux millc personncs snr
qualrc niiUc cpril rcnfcrmait. Le sapin rcsiiie\ix donlil elail
cnlicrement compose formait commc tine vastc lorclie dc
six ccnls pieds de Ijanlciir, lUimlioyante dans une mer de
1,'lace. On avail represcnle uiic piece oricnlalc, nne fcerie,
niiHcc dc dansc, el tcrmince par des illuminalions cl des
fcles pyrolccliniqnes, dont lesHnsscs sonl anssi cpris que les
Chinois. Les fcux dc Dciigale elaicnl magnillipics, ct Ics
speclalcnrs ndmiraicnl la voule de feu qui s'elait formce
au-dessns de la scene, ct qui produisail Ic plus s])lendide
cffcl ; deja I'inccndie dcvorail le theatre, sans que pcrsonne
se doiilal du danger.
u Un IjDuffon, qui avail fait rirc randitoirc pendant le
cours dc la piece, vinl, tout lialelanl el tout essnnl'llc, prcs
dc la ranipc, ct s'ccria d'une voix pleine de lerrenr ct les
laniics dans les yeux :
K Le fen ! le feu 1 Sauvc qui pent ! »
« On cinl i|u'il conlinnailson role, el qn'il plaisanlait en-
core; on se mil a Tapplandir a oulrance, lanl sa tcvrenr
paraissait liicn jcuee. lm]iossildc dc se I'aire entendre an
milieu des rircs, des acdamalions cl des a|iplauuisscmenls.
Le dircclcur 111 lever la loilc d(' fnnd ; ct des torrents dc
Uainnies etde finncc se prccipilercMl commc nnc cataraclc
sur Ions ces lionimcs qui eclalaient de rirc. La plupnrt pe-
rircnt (Houffes ; ceux qui se Irouvereut pros des porlcs
s'elanccrcnl vers les issues qu'on venail d'onvrir, ccrasant
sans )iilic ecus qui marcliaicnt devani cux, ccrases par
ccux qui marchaient derrierc.
La nei^'C ct la glace, accumulcs au dehors, ne faisaieut
qu'aclivcr la furcur dc I'incendic ; ii incsnrc tpie la glace
fondail, elle rcjctait sur Ic hrasier allume des Hots impuis-
sants, qui le conccntraient sans rcteindrc. Ceux qui s'c-
chappaient a dcmi rolls de celte fournaisc, accucillis par
un froid iulensc, tomhaient asphyxies par ce pass.ngc snhil
d'uno temperature a la tcnipcralurc extreme. Cinqnanic
charrcltes emiiorlorcnt les viclimcs Ic lendemain matin, a
travcrs les rues, cnuvertes d'une population epouvaulee,
dehris glaccs cl hrnlcs. L'empcreur Nicolas, aux qiialitcs
morali'S dnquel 1 Europe ne rend pas assez justice, fit unc
pension dc '2,000 rouhlcs a un pauvrc marchand, qui.arme
TE>11'.S rilESENT.
d'une hechc. avail hri.se les planches lalcralcs du Iroudu
sonfllenr, lomlicau vivani, d'ou il avail lire soixaulc per-
sonncs a demi suffoquees. Cellc recompense elait d'aiilant
micux plaeee, que dans les pays od Ic gouvcrnemeut as-
sume sur lui seulla prolcclion paterucUe dc tous, chacun
se niainlient volonliers dans une quietude complete et unc
apatlne ego'istc.
11 Je me Irouvais an milieu des moujicks el des paysans,
qui sctenaicnlles bras cruises cl I'a'il sans regards, en face
des llammes qui se lordaicul en gremissant, des malhcureux
qui cxpiraient dans la neige ou Ic fen, cl des torrents dc
I'lnncc qui vcnaienl jusqu'a nous. L'hahilude dc I'obcis-
sance passive cnlrainc co danger, que rcmpcreur a fiu-t
hicn senti.n
( Abdlk du Nord. )
Z,A BATAII.I.E DE Xi'ISLI?
hacostee r.\ii us mahocain.
Les nnlioiis sc perdi'nt commc les hommes par lacredu-
lile ct I'orgucil, par rohslination et raveuglemcul. On esl
sur de sa mine, quand on ne comprcnd ni les ressources el
la force dc ses cuncmis, ni sa propre faihlcsse. Le maho-
rai'lisme, tonics les fois qu'il s'esl Irouve en facedu chris-
tianismc, a du avoir le dessous, ctchaiiue jour son abaisse-
ment doit dcvcuirplus profond et plus marque, parce qu'il
ne renferme pas les seraences du progres, la force de la
civilisalion. Tout s'y petrifie ct y rcsle stagnant. Le chris-
lianisnic, au conlrairc, est protecleur dcsarls et de la pen-
see : il favorisc Eetude, la science, la sympalhie de I'liomme
pour I'homme. Loin de repudier ou d'ctouffer Ics lumieres,
il les propage. C'cstalui (|ue la civilisalion de ITurope
moderuc sc rapporlc. Qu'altcndre d'une populalion brave,
dcvouee, industrieusc,maisasscE pcueclaircesur Icschoses
d'Europe , et sur les nations chrclicnnes , pour que la
lellrc suivanlc, leltre aulhcntiqne el rapporlee par uu jour-
nal du Caire, ait etc ccrite de bonne foi cl luc avec con-
fiance'.' C'esl la narration musulmane dc la victoire receule
que les armecs francaiscs out remporluc dansle Blaroc :
Teluan, 26 oclobrc ISU.
« Vous me dcmandez Jes details sur cc qui s'esl passe
chez nous. Allah a permis epic nous fussions indiguement
Irompes par lis paroles du chef Chretien. Deux ccnls bons
musulmans out siiccombe ; el Ic parasol sacre esl aux iuli-
dcles. Voici la vcrilii, jc vous la garaulis sxir ma lete.
« Aiiisi nous snmmes punis dc noire credulile. AUali
nous viennc en aide!
H Les deux armecs elaicnl en presence lejciidi. Alors Ic
mari'clial ccrivil.au general marocain qu'il elait venu pour
lui fairc la guerre, mais que le lendemain vendrcdi elanl Ic j
jour saint lies musulmans, il le i-cspcclerail, el que commc '
le dimanche, jour saint des Chretiens, n'elailsepareque par
un jour du vendrcdi, il ne valail pas la peine de sc battrc
pour un scul jour; qn'en consequence il ctail convenable
cl orlhodiixc dc remcilre la parlie au lundi. Le general
nuisnlman acceptala proposilioii du marcclial, cl sur la foi
dc cellc leltre, les vingt-six mille hommes dc I'armcc ma-
rocaine sc disperserent ct atUrcnt a la cUassr. II rn res-
bEAUTES DE LIIISTOIRE DU CLEllGE HE EH.VNCE. ■>9
iiu'au regno de Louis XIV. BossucI ii'ayaiil |ns vcicu asscz
tail a peine a la garJcdu can)|i deux cents, (|ni memc dor-
maienl, lorsque arriva rarmce franraise fnii tua les dor-
meurs, cl enleva la leule el le parasol. »
Cos vingl-si.>L millc hommcs qui vnnt a la cliasse, sur
la parole d'un niarechal, nous semblenl une dcs plus heu-
rcuses iuvcnlions du ronian liislorii|ue. C'est ainsi que Ton
ecrit riiisloire chez les peuples qui ne rcnouvellent et n'e-
Icndcnt pas leur gejiie par leurs rapports syiiipalliiqucs
avec les autrcs races, ct par cet echange de luniiures d'oii
k civilisation diipeml.
( Courrifr dc I'Oiient.)
BEAUTES
L'lIlSTOIRE DU CLERGE DE FRANCE.
BOSSUXT.
srnE{t).
Un mdrilesi eclalant ne pouvait rosier sans recompense
sous nn regno comme celui de Louis XIV; reveclie de Con-
dom etant vcnu a vaquer, Ic roi le donna a BossucI, le 13
seplomhro 1669.
Ce futdepuisson opiscopat qu'il fitses immorlclles orai-
sons funtdn'os. Voltaire trouve que cclle de la rciiie Anne
d'Autriche n'etait pas encore tout a faitdiguede son gonie;
inaiscellede llemielte dc France, reine d'Angleterre, oi'i
se trouve le portrait si admire de Cromwell, ne ful edipsec
que par los Irois chefs-d'oeuvre, qui sont los diamants de
leloquence francaise : les oraisons funebres de Le Tellier,
dc JIadame llenrielle d'Angleterre et du jirince de Conde.
L'amiee memo que Bossuet fut nomme a reveclie de Con-
don>, Louis XIV le choisit pour preccpteur du ilauphin ; Ic
grand orateur accepta par obeissance, et se demit aussilol
de son evoche, sa position a la cour lenipochant de pouvoir
rcmplir los fonctions episcopales. M. du Cluilelel, I'un des
quaranle de rAcadcmie francaise, elanl niurt, I'au 1671,
Bossuet fut elu a sa place, ot remercia ses nouvcaux con-
freres par un discours dont 51. de Bussy disnit, dans uiie dc
scs lettros : « J'ai lu le compliment dc M. de Condom i\
rAcademic; il est beau; cola ne me surpreud pas, il ne
fait rieu qui nosoit de cello nature. »
Bossuet s'occupait alors do reducation du daupliin. II
elait aide par le savant lluet, depuis cvcque d'Avranelies,
cl par le due de Monlausier, gouverneur de ronfanl roval;
a eux trois, ils ne parvinrenl qu'.i faire un Imninie medio-
cre, ctce ne fut pas lour faule; il est impossible au plus
habile lapidaire de faire d'un simple caillou uii rubis on un
dianiant. Si la tele du daupliin resia creuse, en d.'pil de la
science que Ton y vcrsait, son education prodiiisit en re-
vanche un olief-d'ceuvre dont la duree egalera cello de la
langue francaise; nous voulons parlor du celehre Discours
sur Ibisloire univeisello, qui fail de Bossuet le premier
iiistoncn du mondo certaincment. Cet ouvrage immortel
devail eire suivi d'une sec.mdc partin qui rout conduit jus-
(4) Voir Ic coinmoucciiioiil dc cet .iilitlc aa I" nu
lUltrit, iiajir 13.
longlem]is pour conslruiro ce nioiiunient de granit el dc
marbre, un froid ccrivain, les gensniediocrcs onl uii aplomb
d'amour-propre vraimcnl surprenani, osn s'cn charger,
cl cello mervcille d'eloquence, d'crudition, de logique el
de genie cut pour complement la chronique decharnce de
M. de Labarre ; les ancicns, miens avisos, euronl le bon
sens et le bon gout de laissor inachove le dernier clief-
d'ojuvre d'Apelles.
Ce fut ]iour I'usage du dauphin quo Bossuet composa un
ouvrage admirable aussi, quoique moins colcbrc : la Politi-
que liree des proprcs paroles de I'licrilure sainto. Dans
cello noble composition, le moralisle clirelicn osa tracei
d'uue main forme cl bardie les devoirs des rois, et pres-
crire a des princes, absolus alors, la droilure de cicur,
Pamour dc la soience, de la vJrile et surlout do la religion,
cette base sacree dos empires, qui ne vacille jamais sans
que les trones trcmblenl. Bossuet, quoique fori occupe dc
ses devoirs aupres du jcune herilier presonquif dc la mo-
narchic, ne perdait pas de vue la cimvcrsion des prulestanls ;
il publia, en 1671, une exposition de la doctrine calboliipic
revetue des approbations des archeveques de Reims, de
Tours, des evcques de Clidlons, d'Uzes, dc .'ileaux, de Gre-
noble, de Tulle, dWuxerrc, de Tarbes, de Beziers ct d'Au-
lun ; cclle de I'archeveque dc Paris manquait ; BossucI s'cn
consola en oblenant cclle de Borne.
Ce livre opera uu grand nombre de conversions, el Bas-
nage convenait de bonne foi qu'il avail fail plus dc tort au
protcslantisme que tons les gros ouvragcs de conlroversc
qu'on avail publics jus'|uc-l;i.
Au milieu de ses nombreuses occupations, Bo.ssucI, qui
Irouvail temps pour le delassemcnt et temps [lOur le travail,
suivant le Conscil dc rEcrilure, s'elail forme une petilc so-
ciete d'lionimes d'olile au milieu do laquelle il aimail a se
promener dans une alloc du petit pare de Versailles (ju'il
affiTlionnait plus parliculieremenl que les autrcs, pour sa
.solitude sans doule. La cour brillante de Louis XIV. com-
posee de gontilsbomnios habitues ,i joucr, au fond de
lours chateaux, le nJle do pelils souverains, se (eiiait mo-
deslemenl a distance ot abandonnait .i I'homme de genie doul
la gloirealtirail sa veneration, cette allee favorite cpi'oii ap-
[lebit , par une allusion spiritucllo aux promenades de Pla
ton dans les jardins d'Acadcmus, allee des pbilusophes
Lorsi[ue Ic roi le plus niajestueux de rEurojio apercevail
de loin, dans cette partic reculee du pare, Bossuet, accop
pagne dc FeMielon, de Ptdisson, de I'abbe Floury, de
Bruycrc. el d'autres hommes einiiienls, qui so faisaier..-
.gluiro d'etre des disciples , il le designail a ses courtisaiis
et murmurail avec un sourire oii percait une nuance de
respect : Cclle grande calotle m'mijjosc .'
Elle lui im|iosailen effetan |ioint qu'au mcnienlde-»'dcr
aux obsessions de madame de .Maiiilenon, ipii voulail elro
reconnue reine de France, il lutarrele sur celie pente dau-
gereuse par la main forme du grand eve(|nequi Faima assez
pour I'cmpechcr, au risque d'une disgrace prcsiiUG suie, dc
devenir la risee dc I'Europo.
L'cducatioii du dauphin terminee, Louis XIV rendil i
ri.gli>e le richc Iresor qu'il lui avail, pour un temps, em-
pruntc, et reveebe de Moaux elanl devojiu vacant, le roi y
nomma Bossuet Fan 1681.
Dcs qu'il fut eveque dc .Moaux, it se remit a precher, et
fil paraitre plusicurs cxcelloHls ouvrages qui lui onl acquis
ju..leineiit le reuoiiidc premier conliovcrsislc de Franco ;
CO
liEAUTliS ItE L'lllSTOIIiii DU CLliUUli Uli l>HAiNCE.
Ic plus coiisiikrablo fill I'liisluirc ilcs Vnialiiuis ipii eiii-
|j.inMssal)caucouiilos|M-i>lcsl;iMtsot |iravoi|iia enlre Cossucl
el kuis jilus savaiils iniiiislics, taut fraiK-ais (|u'ulrangers,
line iiDlOniiiinc (|iii ciil un id rclciilissiinciit, (|iio le perc ilc
la Hue allcsli; ilans roraisoii funoliro ile oo i,'raiul eveiiuc,
(lu |ilulul (Ic rcreic tie lEgliso, commc r,ip|iflle si juJi-
cicuscmcnt la Bruycre, uipic Ics ouvrages do Dossucl
elaicul semes jusipie sur les monlagnes de I'Kcossc ct parmi
Ics iieigesdu Kiird; que ses proselylcs|iuliliaieiil scs triom-
phcs dansdcs laugues que M. dc Meaux u'enleudail pas, el
que plusicurs protcstaicnt que si Icurs cliargcs uc Ics eus-
scnl pas allachcs a Icur pays, ils fussenl vciius dcs cxtrc'nii-
les du monde a Mcaux pmir iiiei-ilcr trois heures de cnnft.
rence avcc lui. »
Taiidis que Rossiicl ajnutait un nouvcaii flcuron ii sa
gioire par scs ouvrages poleniiqucs, il fut question dc
reuuir I'Eglisc lulhcricunc de la eonlcssion d'Ausbourg ii
rii'glisc calliolique, el Ics prnleslanls eiix-niemess'adrcsse-
rcul a revc(|uc de Mcaux coinme au plus savanl prclat dc
Trance, pour Iravailler a celle reunion. Malheurcusemenl
die nc put avoir lieu, toiites les negocialions ayant eclioue
contrc Ic concile de Trcnle, ce roc do I'liglise calliolique
qu'cllc nc pent deserter sans se pcrdre, ct que les protcs-
tants batleut vaincment en breclie depuis si longlemps.
Quelque tcniiis apres, nnc contestation assez vivc ayaiit
cclate entre la cour de Franco et Ic saint-siege a I'occasion
dn droit dc regale, Louis XIV convoqua nne assemblcc ge-
ncrale du clergc dont Bossuet fut I'amc. Ce Cut lui qui redi-
gea les quatre fameuses propositions sur le clergc de France
ct qui constituent ce qu'on appclle Ics liberies de I'EgUse
gallicanc (1 ).
Ce fut vers I'an (G94 qu'eclata la celebre discussion dc
Bossuet ct de Fenelon a propos du quictisme. Madame
Uuyon, cspece de folic qui se posaitcn illuminee et qui avail
attire asa nouvelle spiritualite jdusieurs perscuinages illus-
trcs dont le plus celebre ctait Fenelon, instituleur du due
de Bourgognc el archcveque de Cambrai. Les deux atblctcs
ctaicnt dignes de se mesurer ensemble : nu'nie fcrmetc,
memo vertu, menie zele pour la religion, grand savoir des
deux parts; si Teloipieuce de Bossuet etait sans cgale, I'i-
maginalion brillante, les seductions de langage dc son ad-
versairc Ic tenaicnt prescpie a sa hauteur; le premier dc-
fcndait la religion eontre des crrcurs cpii inipiictaient son
amc positive ct austere, Taulrc pechait par execs d'amour
de Dicu.
Fenelon, alors archcveque de Cambrai, lit paraitrc un
ouvragc auquci 11 donna le litre d'C.r;i/(cn(ion dcsmaxhncs
des sainis sur la vie inlericun. Bossuet lui ce livrc, s'en
alarma et denonca Fenelon au roi, en lui appliquanl I'epi-
tlic.te Ircs-violenle ct Ircs-jicu merilee dc fanaliipic : c'cst la
seulc'lache de sa vie. L'exil de Fenelon fut le resultat de
cctte demarche. Fenebn defcra raffairc au jugemcnt de
Home, ct les deux advcrsaircs comnicnccrent alors cctte
controverso celebre on les ccrils les plus vifs ct les ]dus
cloqucnts se sucecderent pendant dix-huit mois avcc unc
0) La iiromiire dc ces proposilions ilcclarail que Ic cniidlc gciiiral
tail suiiincur au pape ; la sccondc, que ni Ic pape iii rEglise univcr-
scllc ii'oni auruii poiuoir sur Ic lciiM»n'cl lies rois ; la Iroisicmc, que la
puissantc du papc doii iwc liiullic par Ics cauons, el qu'il iie peul lien
fairc ni slaluer qui soil coiuiaire aux lihertcs de I'Eglise gallicanc ; la
cpialricinc culin, ipio if ||J|»' "Vsl poiiii iiifailhlilo. i\ umin< qu'il nc soil
a i;i li'le d'uli coiiiilc 'V'vunn'iiii|uc.
r.Tpidile ipii no laiss:iit pas respircr le public, taut Ics deux
advcrsaircs inspiraicnt d'adinirulion.
II y cut ccpcudant unc nuance bien rcmaripiable dans Ics
cerits dc ces deux lioninies superieurs; ,i Iravers des lor-
rcnts d'eloi|uence, Bossuet pcrdil qnclqucrois toule inesun^
ct s'abaiidonna a dcs violences de langage i|uc son advcr-
saire cvita loiijours ; I'un se battail avcc la fougue du con-
Irovcrsisle, Fautro se defendait avcc la politesse cxquise du
gentilhoinnic dc grandc maison.
11 y a des choscs ipie le genie nieme nc pent suppleer, le
parfuin de la haute aristocratic est une de ces choses-l.i.
Bo.ssuet I'emporla ct mil dans son triomphe une modera-
tion i|ui relablit le calnic; Fenelon se soumit avcc une bu-
milile gracicMsc etnnc simplicitc dc creur adndialilc; il j
avail de I'angc dans le beau caraclere de I'arelieveque de
Cambrai.
.llalgro ses grands Iravaux, Bossuet avail toujonrs joui
d'une santc robusle, mais vers la fin de sa soixanle et on-
zieme annec, ilsenlil Ics premieres alteinlcs de lapierrc, et
il s'y .joignit sur la fin de 1705 une ficivrc qui ne le quilta
plus jusqu'a son dernier jour. 11 atlcmlil la inort avcc un
mainlicn noble el calnic : u Que la volonle de Dieu soil faite, »
dit-il, lorsqu'il sciilit sa fin s'approchcr. La veille dc sa
mort, Ics doulcur^ qu'il epronva furent si vivcs, que lous
les assislants cnn'Ciil qu'il allait rendrc Ic dernier soupir et
Icsupplicrent de penscr quclquefois aux amis cpi'll laissait
sur la terrc, ct qui elaicul si devoucs a sa pcrsonne et a sa
gloire. Ace mot de gloire, le grand liomnie qui rcmplissait
I Europe du bruit de son nom se souleva sur son lit de
mort ct dil avcc nne grave el salute ironic : « Laisscz ces
discours; demandcz pour moi pardon a Dicu de mes pc-
chcs. »
Qiiand j'elais roil disait Louis XlVquelqucs heures avant
dc mourir. C'ctait I'abdication de la loulc-pui.ssance au scnil
de la toinbc. Bossuet, lui, rcconnaissait la vanitc de la
gloire, noble vanitc ccpcudant !
II mournt tranipiillc ct fort, sans convulsions, sans ago-
ni(!. L'abbc dc Saint-Andre lui ferma les yeux en disant ;
« Mon Uicu, que de lumicrcs ctcinlcs ! ct quel brillant llam-
beau de nioius en voire Eghsc I » Bossuet etait age dc soixaii-
te-seize ans six mois seize jours.
Co grand prclat Chretien, qui a laisse une rcnommee que
nul siccle lie verra finir, etait simple dans scs goi'ils, eloigne
du faslc dajis sa maison et enncini declare de I'lnlrigue
qu'il tenait en profond mepris : reconnaissant des services
rcciis, il n'oublia jamais scs amis, ni vivanls, ni morls; il
employait son credit pour les uns ct donnait aux aulres
tout ce qu'ils pouvaient recevoir, helasi scs prieres. II
eludiait sans cessc, memo .sur la fin dc sa vie, ce qui no
I'cnipecbait pas de reniplir cxactcmcnl ses devoirs dc pas-
teur. A Mcau.x, il se promenait Ires-pcu et ne faisait point
de visiles; car nul nc connut jamais mienx que cc grand
liommo le ja-ix du temps. On rapporte ([u'lin jour qu'il se
Irouvail par hasard dans les jardinsde son palais episcopal,
il demanda par manierc d'acquit a son jardinicr comment
il taillait les arbrcs fiuiticrs. Lc jardinicr, qui avail surle
cffiur rindiffcrence de son m«itre en fait dc jardinage, lui
repondild'un ton brusque et faclie . ciVousvoussonciezbien
dc vos arbrcs vraiment, Monseigneur! Si jo planlais des
saints Augiislins et des saints Jeromes, vons les vicudrifz
voir ; mais pour vos arbres votis ne vous cii mcttez gucrc
en peine? »
Vm I'HIVEE DES OISEAUX.
Gl
On s'cst dcmnnJo sonvont (! !'o;i sc ilomando encore | iirincc do rK^liso. Ln Di'iiyiTC a n'^pomlii d'avnncc a coUe
|icni-qiiiii 1111 lianiiiic do ce gciiie iic ful )ias clcvO au rang de I iiucstinn ; Quel Ijcsuin avail [iOnigiie d'Olrc cardinal?
- j-^/C/J^.
BuisuL't ct ics jcuiics eufiiiiis.
\1E PRIVEE DES OISEAUX,
LUUllS MOKUI'.S, LCUtS HADlTUDliS, lEUl'.S INST15CTS.
■S.&. CAIX.Z.E.
Dans !e syslrme d'ornilliologlc iiiuiicrnc , Ics c'lillis,
quoinne d'nnc rcsscml)!ancefrap]ianlcavcc la pordrix, sont
classi'cs comme nn gome dirfi'i-cnt |iainii los Tc(r(wni(la',
on cotis de bruyore. Ellcs iliilVTciil de la jiordrix en ec
qu'ellcs sont pins polites, et ont Ic lieo pins delicat, la
qneue plus eonrte, pas d'cporons anx palles, et Ics Irois
premieres plumes dc leiirs ailcs plus luiigiics, et par con-
seiiueut mieux conslruiles pour facililer lenr vol. La
perdiix pi-end rarcnieiit dc longs cssors, landis ijue les
cailles foul annnelloment dos niigrnlions a do grandes
distances. Les deux genres diflereiit aiissi consideral.Ie-
nioiit dans leurs liahiludes : les dernieres nc perclicnl
jamais, clles se reunissent en liandes ; an lien d'etre
liinitees dans lours cnuvecs, ct Lien qu'ellcs s'acconplont
rcgdlicrcmcnl , Ic mile aliandonuc la feinelle aussili.t
(|u'ellc coniiKcnce de couver, el no domic aucun soin pro-
loclour aux pelils, au lieu que raliaclicnicnt conjugal ct les
soius palcrnelsdc la jierdrix conlinucnl nicnie longlciiips
aprcs que les pelils pcuvcnt sc pourvoir a oux-menies.
D'npres ces carncteres, los oinilliologislcs ont classe la
caillc sousun genre diflcrcnt {orlyx}, compronant plu-
sicurs especos, parmi Icsquollos sont les cailles Lien con-
nues dc la Virginie, el Vordjx liuiipcde Californie. Cc der-
nier est superieur cepcndanl, par son caraclerc parliculier
et ses liabiludcs, aux cailles du vieux monde; et c'esl cc
que nous aliens developpcr avec soin dans rcsquisse sui-
vantc.
La caille est jdus on nioins ncnilneusc dans clia-
ijuo pays d'Europc, d'Asic, d'Afriquc, et de la iS'ouvolle-
llollandc. L'esjiece curopconne on commune (Codir-
hix ilmiylisonans), est nil pelit oiscau gros ct polele, dc
la grosscura pcu pros dc la nioitie d'uiie penlrix, et reniar-
qiiable par la dclicalcssc du fumet dc sa viandc. La con-
ronne de la lile el Ic ecu sont noin'ilics. avec une raic
jaunalrcsur clia(|Uo ceil, cl une autre an has du from ; Ic
plumage est un niclaiigo de Ijrun-noir, avec une leiule 16-
gei'C dc jaune a la Ijuse et a rexlreinile. Uans Ics fcinclles
Ics Iciiilcs sont liicii ]ilus pales. Celle description prnuve'
quo le plumage est nioins Lrillant, ct dispose avec ninins*
d'agiemenl que cclui dc la jierdrix, ct la caille ii'a pas cet
iiilcrvalle eliauve enlre les ycux, ni la forme dn for ii clic-
val qui caracleri.sriit lo dernier oiscau ; mais sous d'aulrcs
r.ipports, soil d.ins sa forme, soil dans scs proportions, il
ya yiidque chose quijuslilio assez rappcllalion populaire
de jcrtlrix nainc. La principalc nnurrilurc de la perdiix
consislccn grains, scmcnces el herbages, bien qu'olle n'ait
pas dc ravcrsion |iour Ics inscctcs, les limarons, on les
vers. Oonimo le restcdcla race .i laqiielle olio a|iparlienl.
C'2
VIE PRIVEE DES OISEAUX,
clle prOfcre Ic» champs lilivos, cl s'librite an milieu dos
liaulcs liorbcs; raroinenl on jamais sc mol-dlc a convert
sous Ici^enet ou dans Ics laillis. rcndanl Ic jour clle s'cn-
doil lialjituellcment, non, comme les perdiix, exposec nu
soleil ou sur quel(|ue monticule, mais caclieo pamil les
lierbcs, secouclinnl sur ,1c cole, les patles nouclialamment
clendues, meme pendant plusieurs lieures. Dans eel etat
ellc n'esl pas facile a cmouvoir, ct ne sc decide a prnn-
ilre son cssorepie lorsque Ic cliicn la toudie. Le grand
repos et I'ombre dont ellc jouil rcugraisseut et la ren-
dent generalemont de bonne qualilc ; meme au milieu
de rhivcr,nous en avons vu qucUiucs-uncs, qn'on envoyait
en Ecosse emballees dans des sacs, pesant de trois quarts a
une livre, el ayaiit sons la peau unc couclie de graisse dc
prcsd'un quart dc pouce d'epaisscur.
Quelqucs naturalislcs nous discnt que les cailles soul po-
lygames, mais nous somnics tri's-disposcs a doulcr de cela,
ayant trouve ccUcs qui frei|uente]it la Brctagne loujours
par couples, au nioins pendant la premiere partie dc la
saison de la couviic.
La femcUe pond de hull a quatorze ccufs, de couleur
vcrtc luiileuse, raboteus, tacbetes de rouille a plusieurs
cndroits, el qui demeurent environ trois semaines dans
rincubation. Des qu'ils sont eclos, les pelils sonl mis en
liberie, el se dispcrsent aussilul qu'ils sonl capaldes de se
pourvoir a cuxmemes, ce qui ne depasse pas liuil jours.
Raremcnl les trouvc-t-on reunis en voices (couvce est
le tcrme appliipic a une famille de perdrix), et elles nc
s'asscmblent que quand elles y sonl contraintes par le
retour annuel de rinstincl de migration. Elles se grou-
pent alors en myrindes, el traversent ensemble les mers
el les dtiserts, se dirigcanl vers ces contrecsoii la recolte
se prepare, aDn d'oblenir cc qui est necessaire a leur snbsis-
tance.
La caille, oomme le coucou et autrcs oiscaux qui cmi-
grent dans la saison propice a leur fournir leur nourri-
lure, a ele souvcnl accusee de manquer d'affection de
parenlc ; mais comme il n'y a rien sans cause ou d'incom-
pk't dans le syslenie dc la nature, nous devons nous ar-
reter ct ne pas la condaniner avec trnp de precipitation et
d'aveuglcmenl. Si le coucou, par exemple, dans scs migra-
tions vers le Nord (cda lui arrive quelquefois), s'arrelail
■ toujours pour faire eclorc ses petils, il pourrait manquer
de nourrilurc ct mourir de faim ainsi que sa couvec;
mais,deposant sesreufs en voyageant vers le Kord, la mere
livre a la nonrricc Ic soin des petils qui sonl en elal d'etre
repris par leur mere nalurelle a son retour du Midi. II en
est de meme des cailles; une courte incubation, des soins
maternels donncs a la lualc, c'esl tout ce que leur migra-
tion pcut adniellre. II est aussi constate, i)ar plusieurs or-
nilhologistes, (|ue les males sonl plus nombreux que les
femelles. Cela n'esl pas certain, antant qn'on pcut enjuger
d'apres les emigrations britauniqncs. Les sexes, selon toute
opparence, sont egaux en nombre; seulcment les males
ctant plus aventureux, il est plus facile de les observer.
Comme tous les animaux qui .se multiplicnl ra[iidemenl,
le lermc moyen de la vie dc la caille est court; raremcnl
cxcede-t-elle cinq aus ; et jamais, du moins on I'assurc,
sept.
De tous les oiscaux dc passage, la caille est pcul-elreic
moins bien conslilue pour prendre son essor, ct le fail d'a-
voir etc vue Iraversant line vasic ctendue de I'Ocean, est
mis en doulo par plusieurs aiilciirs. Quiii qu'il en soil, le
fait de sa migration n'en est pas nuiiiis indubitable , et
a cic iiolii de temps immemorial.
0 Quand nous vogiiions de Ubodcs a Alexandrie, dit Bcl-
louius, a pen pros vers I'automnc, plusieurs cailles, vo-
lant du Nord au Midi, furcnt prises dans noire batiment;
et au prinlemps, allant du Midi au Nord, j'obscrvai a lour
retour que plusieurs d'elles furent ]irises de la meme ma-
niere(l). » Cc qu'on raconle ici a etc observe par plusieurs
autrcs, ct nous sommes disposes a croire que laoii clle pent
sc procurer une nourriture suffisantc, la caille n'esl nul-
lenienl empressce d'entreprcndre de longs voyages. En
Anglelerre, par exemple, ellc quilte souvcnl rintcricur
du pays, ct se refugie sur les basses monlagnes sablon-
neuscs qui bordenl une partie des coles de la mer, el pas-
sent I'biver abrilces dans ces cbaudes conlrees. On pcut
assurer que la caille est un oiscau dc passage, arrivaut
dans nos latitudes vers le milieu de mai, et retournanl vers
le Midi dans le mois dc seplcmbre. En Anglelerre, clle est
comparalivemenl plus rare, nous devons regarder la France,
les conlrees bordant la Mediterranee, I'Asie Minenre et la
Chine, comme ses lieux favoris ; dans toules ces conlrees
ses migrations du Midi au Nord ou du Nord au Midi, des
cotes de la mer dans rinterieur, ou de rinterieur aux coles
de la mer en hiver, sonl des cvcucmcuts frequents cl rc-
guliers. {Mudic. Ornithulogie.)
( La stiilc au Jiuim'ro jtrocliain)
I.E MERX.E CXIilBATAiaX (2).
(suite. )
— Cc pelit chanlcur, me dit le jardinier licossais, a cte
empaille ct conserve par madamc ; vous pouvez encore
I'admirer sur sa chemincc. 11 merilait bien dc si grands
bonneurs. D'abord il possedait la plus charmante voix du
monJe, el pour les airs ecossais il n'avait pas son pared...
— .\llons, Tonny, dit la jcunc dame, un pen de bricvcte ;
si vous vous mctlcz ii nous racontcr tons les merites de notro
merle, nous sommes pcrdiis.
— J'arrive, madaine, j'arrive. Cc ch.u'm.Tut chanlcur
que nous adniirions beaucoup, sc perchait habituellcmeut
dans le liUcul que vous apercevez pres de la serre, et il s'y
livrailason art en musicicn consomme. Lc prinlemps venu,
il descendil ici, et I'accueil qui lui fut fait I'apprivoisa. Lc
voila qui recherche ca el la des herbes, dela mousse, des
(1) Pline Mcoiitc avcc beaucoup ilc gravii6que Ics cailles, au moment
iVcnircpreiKire lour voyage Ji iravcrs la incr, porlcnt des picrres avec leurs
|).iiu-s, ou du saliledaiis leur bee, coiimic si cllcs 6laieul fot'cccs d'avoir
iTCiiiirsii cet expedioiil.
(Jj Voij. le i^^ uiinicio, p. 22.
IE LIVRE DE LA SANTE.
G3
Irinllcs, Jcs brills lie paillc ct so ronslriiil un iiid i sacon-
venancc : ccla dura liuil jours. Le niJ fail, il sc prclassa
coinmc unsullan et allcnilit on cliantarU sur le Lord. Per-
siinnc ne viul; aucune epouse ne daigna venir parlager
son pi'til palais dc mousse. Mors il delruisit le domicile i
coups de bcc, el se niit ;i en reconstruire ua second plus
soigne, plus odorani, |)lus large ; seconde altcnte inutile.
La Iroisicme el la iiualrieme construction suivireni la se-
conde, el le pauvre merle, ennuye d'etre cclibataire, flnil
par languir el niourir. Voil.i, monsieur, son hisloire, ct
loutes nos demoiselles de village, ajoula-l-il avee un sou-
rire assiz tin, la trouvenl Ibrl pallietique.
[Lllistuirc nuturelle duUerk ci un prurhain numcro.)
LE LIVRE DE LA SANTE
AMECDOTES SIEOIC&LES, FAIT8 ET CONSEILS BELATIFS
A LA S&HTE DE LHOnMB.
P. F.XEnr.lCE INTEMXCTIIEL EST ^Er.ESSAInE A LA SA^TE ET AU
BOMIEUII.
On lit les rellcxions suivanlcs dans une recente publica-
lion americainc, intitulce : Hygiene inleUcctuellc, ou
Examcn lie I'inleUigince et dvs passions, destine a de-
montrer liiur influence sur la santc ct la duree de la vie,
par William Swehn, M. D.
a L'esprit, comme le corps, dil le docteur americain, de-
mande del'exercice. Que les facultes les plus elevees de noire
nature aienl ele creees pour I'inaction, que les talents nous
aient ele donnes pourdemeurer sleriles, c'eslcc qui rcpu-
gne egalement a la rais(Mi et a I'analogie. En effcl, dansTeco-
nomieanimale, il n'y a aucune puissance, quclque modeste
que soil son role, qui n'ait besoin d'aclion, pour son propre
COinpte el pour celui de la constitution generale. Toules
les fonctions sonl liees par une si iHroite sympathie, que
I'e.Nercicc judicieux de cbacune d'elles, outre qu'il I'aug-
menta elle-meme, concourt plus ou moins a exercer une
salutaire inlluence sur toules les antres.
uL'homme, on Icsail, a le dcsir nalurelde connaitre; el
les efforts mcmcs nccessaires pouracquerir la science, le
plaisir que Ton eprouve a satisfaire cette curiosite innce,
.stimulent d'unc facon salutaire loute I'organisation. II y a
dans I'exercice de la pensce un plaisir .ti5quel loutes les
fonctions participcnt. Dcs etudes agreablcs el bien rc-
glees ou des occupations intelleetuelles sonl aussi essen-
lielles a la vigueur de I'espril, qu'un cxercice bien regie
Test au corps; el ainsi que la saute de ce dernier, coninie
lout le monde I'admel, est utile ,-i celle de linlelligence,
dcmemcun esprit sain comnuinii|iie sa sante propre aux
fonctions du corps.
« L'esprit done a besoin d'occiqia lions, non-seulcmenl
pour son propre coniple, niais aussi pour celui de I'enve-
loppe lerrcstie dans laquelle il est place. L'inaclion dc
rcsjirit, dans I'ctat actual de la i^ociele ainericaine, est
la cause d'unc loulee de souffraiiccs jdiysiipies et morales
qui paraitiaienl presquc incroyablcs a celui qui n'aurail
jamais rellecbi sur ce sujct. De l,i vienl ce spleen, cet af-
freux degoul de la vie que Ton rcmarque si souveul parnii
les riches commcrcanls, ct dans les classes privilegiees on
oisives de la socii5t(5, qui ne poiirsuivcnt aiicun but inlercs-
sanl; qui, possedanl deja tons les dons de la fortune, et les
moyens dc satisfaire aux besoins crees par la nature ou la
civilisation, manquent du stimulant nccessaircpourcveiller,
activer leiir cnergie intellectuellc. De !,i vienl que les ob-
jcts d'envie sont ses objels. Pour eux, le calice de la vie
estempoisonnc du fiel el de I'amertume dc I'ennui; leur
souverain di'sir est d'echapper a enx-memcs et a la pcni-
ble nonchalance d'unc existence assouvie. L'esprit doil etrc
occupe, ou de mauvais sentiments rcnvabiionl assurc-
mcnl.
« Quelque paradoxale que celle assertion paraisse, il est
cependant douteux qu'une malediction jdus terriljle puissc
etre imposce a I'homme, dans sa nature presenle, que la
satisfaction de lous ses souhails, ne laissant plus rien a ses
esperances, a ses dcsirs, a ses efforts. La jore et I'animation
du chasseur finisscnt avec la chasse. L'idue que la vie est
sans but el sans objet, qu'elle est depourvue de lout motif
d'action, est de toules les pensees la plus humilianle, la
plus insupportable pour un etre moral el pensanl.
(I Les hommes, divers de constitution, d'babitudes, d'edii-
cation el de lalenis, demandcnl diverses sorles el plu-
sieursdegres d'aclion inlellectuclle. Ceux qui sonl doues
d'unc intelligence vigoureuse el puissanlc, li I'exercice de
laipiellc ils onl eu la longue habitude de se livrer, souf-
frent davantage quand leur esprit rcsle iiiactif. Ccux qui,
par excniple, aimenl I'etude, et qui depuis longlenips con-
sacrcnl une parlio de leur lemps a s'y livrer, iqirouvenl
une alteration sensible dans leur sante ]ihysique cl morale
par I'interruption soudaine de cette habitude; un vide af-
I'reux s'opeie dans l'esprit, etabsorbe toules les fonctions
importantes de la vie.
« Petrawiue se Irouvail a Vauclusc , son ami I'eveque de
Cavaillon. craignant que sa Irop grande application ,i I'e-
tude ruinal complelemenl sa sante. dejii cbancelanle, se
procura la clef de la bibliolbeque du poete, enferma ses
livres, et lui dil : <i Jc vous inlerdis plumes, papier el li-
vres pendant I'espace de dix jours. »
<i Petrarque se soiimit Iristementa ccl ordre. Le [iremier
jour se passa pour lui de la maniere la plus ennuyeuse;
pendant le second il cut la migraine, ct le troisieme il com-
menca a avoir la fievre. Alors I'eveque, emu de pitie, lui
rcndil la clef, et la sante.
« Ceux encore qui, dans la force de Page, se relircnl des
occupations habituelles que leur imposcnl le commerce ou
leur profession, ct qui tout d'un coup rompenl ainsi leurs
habitudes d'applicalion inlLllectuelle, sonl siijels ;i lomber
dans un penible etat de nonchalance cl d'ennui, lequol
dans certains temperaments, degenerc en melancolie nia-
ladive. Tonics les scenes et tons les aspects de la vie s'en-
touienl d'une obscnrilc affreuse cl sans cspoir;ipielquo-
fois menie le degoul cl I'avcrsion de I'cxistenee dcvien-
ncnt pour eux si violcnis, qu'ils s'affranchissent d'un
fardeau qnils detestenl. Get elald'affaissemenl miu-al, s'il
durail longlcmps, pourrait occasionner dc cruelles infir-
mites physiques, ou se Iransformerail en inonomaiiie.
c< Nos pays indnstricls cl commcrciaux .sont tressnjels
,i de tcllessouffianees; veiidre, achcler, ce n'esl pas a pro-
prcment parler, un cxercice inlellcctuel. De la ce profond
desreuvrement qui s'empare de tant de negocianls enrichis
et qui les ]iousse vers une agitation sans raison el sans
freiii. L'individu se livrc alors aux plus sauvages extrava-
gances ou aux speculations les plus tcmcraires; il s'adonne
64 LES CINU TAUT
au jou on ,i Vinlcmpniviiico, ospi'Tant coiulilor Ic viilc J'linc
cxisleiico snns oiijot.
« Li's person lies ;ii;ees qui adamloiinent leiirs occupa-
tions haWUielles el. par ronsei|uenl. lour aclivile inlcllcc-
tliellc accouliiinee, el se iTlhenI pmir jouir de leiirs aises
cl de leiirs loi.^-irs, epmiiveiit iin decliii raidJc dans leiirs
faciiUcs ; cMes passeiit ipielipiefois a I'idiotisnie, a la rfe-
meiice senile, folie dc la vieillesso.
« Dans k'S eirconslances d'inerlic intellecUiellc aux-
quellcs nous nvons fait allusion, lout ce qui reveille I'ac-
tivilc de respril, menic des ninllicurs nk'ls, pent exerccr
line influence salulaire en raiiiinaiil nne sonsiliililc presque
paralysec. Lc riclie oisif, s'il n'a pas passe rai,'c dc I'ac-
livile, sera plus hcurcux, niionx ]ioilanl, el je jiuis mi'mc
ajoiiler ineilleur, si ipielpie perlc dc forlune considerable
cxcile en liii de nouveanx efforls iiecessaircs a sa con-
servation. L'aljandon de devoirs aclil's, el longtcnips rem-
plis, exige des ressources morales el inlellectnellcs dnnt
pen d'liomnics, dans nnlrc clal acluel do societo doinocra-
lique, ont droil de se vaiitcr.
« C'esl une opinion assez conniuino, que li's lialiin;dcs slu-
dicuses el les rei-lierclies inlelleeUielles lendeiit necessairc-
menl a delruire la sanlc cl a abreger la vie, que les tra-
vaux de Tcspril 1 1 dii corps nuiseiil en li.-Uanl le dqieris-
scnient. Rieii de plus fanx. li'exce^illlplleeluel pent liiorun
liiunine coniine I'ascal. 1/exccs des plaisirs sciisucls en
tncra niille aiilour de lui.
K Je ne pretends pas affirmer (pic cenx doiil rinlelli-
pencc est snrloul occiipec jouironl de la force athletiipie, on
dii dcvcloppement niuseulairc qui caraclerise ccux donl
les occupations sont materiellcs : Dicii nons prodigue rare-
nienl tons ses dons a la fois; niais jc crois qu'avec les
lialjitudes d'unc vie prndenle el avec une bonne conslilu-
lion, les liommes d'inlelligence peuvent jouir d'unc sanlc
egalc, el vivrcaussi longlempsquc loutesles aulres classes
de la socielc. A Tappui dc ccUo eroyaiicc, on doit citer
lES DU MONDL'.
lieaneoup d'excm|ilos,anciens ct raoilernes, d'lionimes cnii-
nemnicnldisliiigues parlcnonibre el la prolbiidenr de leurs
lravau.x inlcUecluels, ipii, avec des babiludcs moderees cl
regulieres, out joni d'line sanle fernie ct ont alleinlune
existence prolongee. Un grand ecrlvain a dit u qn'unc des
« recompenses de la pbilosnpbie est une Inngtie vie. n
Que Ton me permelte de citer ici quelques exemples.
Panni les modernos, Iioerliaavc a vecu soixanlc el dix ans,
Loclic (pialrc-vingl-qualrc, Kewlon quatre-vingl-ciiiq, ct
Fonlenclle cent; Daylo, Leibnilz, Duffon, Volncy, Vol-
taire, et une muUiliide d'autres non moins celebres, et
qu'il scrait trop long dc nommer, ont vecu .jnsqn'a un dgc
tres-avancc ; et la longcvilc rcmarquable de plusieurs sa-
vants allemands qui se sonl dcvoues presque cxclusivement
a I'elude des sciences et dela litleralure,esl assez connuede
mes lecleurs. Le celebrc natiiralisle allemand niiimembacli
est mort, il y a pen 'de (emps, a I'agede ipiatre-vingt-huit
ans, el D. Olbers, le celel)re astronome dc Ilreme, vient dc
niourir dans sa qnatrc-vingl cl uiiienic annec. »
LES CINQ PARTIES DU MONDE,
OU LES FCMEUCS.
L'abnndance des malieres preparees pour le Livre des
families, ovt Journal dc SI. lc Cure, nous force a reineltrc
auxprocbains numeros plusiein-s articles, lels que la Glace
tHvanIc, Fabriijue de flnncllc dans un ctamj. Iiircntion
d'unpnitrinaire, siiile des Dlerveilles du mois passe, et
specialenient la suile du Licre de la sanlc, el les obser-
vations sur V Influence exercce par I'usoge du Cuhac sur
I'lialcine de I'hommc, ses fonctions et scs mwurs. Nous
ne manquerons pas de donner dans le procbain nnmero
ces observations sur une habitude devcnue cclle du monde
cnlicr, et donl I'un dc nos plus ingeuicux dessinntenrs a
si bien resume les varietcs dans le lablcnu suivant.
. Tviiiisnpliic <r\. llENK <■{ Coniit,,
iv:
LIVRE DES FAMILIES
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
»» ».—f Volume.
l." Janvier 184S.
LE MOIS DU JEUNE CHRETIEN.
I.A FtiTE OE I,A CIRCONCISIOiar.
La iioiivelle .iiuioe s'ouvrc jiar im niyslcre. Elle commence aiissi dans
la vie civile par dcs souliaits recipi-oqucs Je lionhcur el cle prosprrilc. 11
I y a dans ce jour line doiiMe joic pour rcxistence liumainc. Commencons
; par la plus uolile.
Et d'abord, sous I'aspect rcligieux, il ne faudrait pas se persuader
que le 1" Janvier fi'it le commencement do raimce ecclesiaslii|ue. On
I scrait dans une grave erreur. L'Eglise n'a pas voulu iiiaugurer son
I cycle lilurgiqiie par I'annivers.'ire de la Circoncision de rriomme Dieu. Cc
cycle s'ouvre par le premier dimauclie de I'Avent. Ceci est pnrfailement
I ralionnel. L'allenle du Messic date de la cliule du premier liommo. Lcs
quatre mille ans de cetle mystcrieuse attenle sont retraces par les qiialro
: semaines qui precedent Noel. Nous lavons ditdansle precedent mimero,
! la Circoncision n'esi que roclave de la giande solennite du 2j decembrc.
' Orquesepassa-l-il hull jours apres cetle Tlieoplianie , nom jadis impose
^ a la fete de Noc-l? II suflil d'ecouler I'evangclisle saint Luc : u Lorsqu'il
©^^^'"Bfr- 11 se fut ecoulc huit jours depuis la naissance du Sauveur, au bout des-
(1 quels ildevaiteire circoncis, on lui imposa le nom de Jesus. »
C'estdonc en ce jour quele supreme legislateur a vouUi donner I'exemple de sa soumission a sa loi. II avail pris la
forme de I'esclave, il en a subi les liumilialions. Mais n'cst-ce point ce qui juslifie le nom tout a la fois si doux el si
sublime de Jesus qui en ce jour lui ful impose? A qui pouvait convenir miens ce litre de Sauveur des nations
qu'a celui qui venait les arradier * la lioaleuse servitude, I'ruil de la faule originclle? Jesus ! nom devant lequel doit
scprosternerprofondcmenttoul cc qui est dans le ciel, surla lerre ct awxenrersi nom qui est proferesur notre berccau,
9
G6
LKS SAIMTS
etdont la sainte liarmonle acrnmpagne le rliirlien jusqu'.i
la toml)C 1 nom qui an cicl fait Ics dclicos ilcs cliH, siir la
lerre le plus consolaut cs|iuii' ilu vrai fidole, ct aux cnfci's
le dcsespoir dcs roprouves parce qu'ils Tont rcpudic cl
Iionni.
Tel est done, pour cc premier jour de I'anni'C, Ic liaut
cnseigneuient que nous donnc la sainte Ei^lise niilrc
mere, toujours nltciUivc a instruire et .i consoler ses en-
fanls.
Celte fete est d'une liaule antiquite. Les Snrramcniaircs
de soini Gi'lasc parlcnl d'une solennile d'ociavc de Noel.
Selon (pielqucs aulcurs, cetle festivilc aurait etc elalilie
pourdolruire une superstition paienne. On se livrail a cctte
.(•poqucadc honleux divertissements en I'honneurdu dicu
Janus ct de la deessc Strenia. Les hommes s'habillaient
m femnies etcclles-ci en hommes. Un concile de Tours,
en 567, ordonne des pricres puldiquesen expiation de ces
iicencicuscs saturnales. En plusieurs contrees, on jeunait
en ce jour pour faire amende honorable dcs desordres ido-
latriques. Dcj qu'entin le paganismc eut enlieremcnt dis-
paru de la surface du monde, une joie clirclicnnc vinl
remplacer les actes propilialoires. Des Ic treizicnie .siccic
la Circoncision est universeltement saluec du nom de fete,
c'est-a-dire do jour de chreticnne alli'gresse. Les minis-
Ires dcs saints autels prcnaient auparavaiit dcs haliils
noirs ou violets. Us se revetirent alors de chasuhles ct
de dalnialiques blanches, el le sancluaire ne lit plus en-
tendre que des chants de rcconnais.sance et d'amour.
II nous est ponrlant restc du vicux polytheisnie ime re-
miniscence dans le nom d'c7rcnnfs,qui jouit encoreau dix-
ncuvieme siecle d'un droit incnntesic de bourgeoisie.
Qu'cst-cc done an fait que Velrennc qui fail palpiter le
Cffiur de I'enfant, et qui n'cst pas sans indncnce sur les
(ibres glacces du vieillard '.' En voici I'origine.
En I'an 7 de la fondalion de Home, Tatius rccul au
4" Janvier un present digne de la simplicitc royale de ce
temps-la. On offrit a ce nionarque quelques branches de
chcnes conpccs dans un bois consacio a la deesse de la
Force. Elle avait nom Slrcnua. C'est I'cpithcte qui ca-
racterise rcnergie, le courage, I'intrcpidite. Ce present si
frivole en lui-meme, fut regarde eomme de bon augure
pour la fortune de eette Rome qui devait plus tirJ snbju-
guer I'univers. Aux branches dechene suceedereni, par la
suite, des presents plus succulents, quoiqne toujours d'une
rustique ct patriarcale simplicitc. C'ctait du miel ct des
dates. On en gratiliait les magistrals et les chefs de la rcpu-
blique. L'appellation de Strenw leur fut conscrvee, quoi-
qne le chene de la deesse Strenua n'en fit plus Ics frais. Le
nom d'etrennes a survecu au rcnversemcnt de I'idolafrie
cl a la mine dcs empires, el le bon roi Tatius, certes, ne
se doutail pas qu'au dix-neuvieme sicclc d'une ere dont il
ne pouvait prevoir la creation , la Stremia, relrcime
juuirait encore d'une aussi puissante preponderance. Que
de travaux pour la confection ner! que d'artpour I'clabo-
rer! que d'efforts, a coup sijr Lien louabUs, pour la mc-
riter,iiuand c'est la satisfaction paternclle (pii la deccrne
cl la sagesse filiale qui la gagnc.
La charitc chelienne gagnc a son tour beaucoup dans
ces visiles de tivilitc qu'imposc le premier jour de I'an.
Combien de reconciliations se sonl operees par ce rappro-
chement qn'occasionne la circonstance! A Dicu ne plaiso
que nous jetions sur ce beau jour nne teinte morose en
meulionnanl quelques embrassements ile .ludas... II y en a
en trnp dans le monde avec eehii du Jardin dcs Olives.
Enfants dn Christ, n'ouhlions pas que Jesus salnait frc-
quemnient ses disciples par ces douces paroles cmanccs
de son cQMir divin : « La paix soil avec vous! » El ce cccur
ballait dans la poiirine de eelui qui a dit : « Je suis la Vc-
n rite. »
Un mot encore sur I'cpoque du premier dc I'an. Elle nc
fut pas la meme chez les Romains. Le nom seul du mois dc
dcccmbre nous en instruit : c'etait le dixieme mois de
I'an nee, comme novembre le ncuvieme, nctobre le luii-
ticme, septembre le septieme. Janvier fut done le onziemc
mois, elle 1'' mars ouvrait I'aimee. Sous la sccondc race
de nos rois, I'annee commcncait a Noel, et dans la suite
on se conforma a pen pres a I'usage de Rome. La fete dc
Piiques ouvrait le cycle annuel. Charles IX en fixa lecom-
mencenienl au V de Janvier. Ainsi il n'y a pas encore
trois siecles que le jour de I'an coincide avec la fete de la
Circoncision.
Voici done 1845 qui vlent prendre place dans I'liisloirc
de Ihumanite. Mais pourquoi ce chiffre precis, et auquc!
il ne serail point possible d'en suhstituer un autre? Ah!
dans un certain monde on ne s'oecupe gucre d'en reclicr-
cher I'origine. Cc chiffre est inscril dans les fastes d'une
creche, ct le chretien fidele ne I'ignore pas. Oni, celte ere
de saint , de civilisation^ meme politique par la croix, a
connncnce dans une creche, celle de Bethleem... C'est
I'an premier de I'incarnation du Verbc clcrnel, el, depuis
le premier jour de ce cycle, dix-huil cent quarante-quatre
annees out passe sur Ic monde regenerc par le Eils dc Dicu.
La dix-huit cent quarantc-cinquicme a commence, .\ussi
nospcres, plus Gdeles auculte de la reconnaissance, don-
naienl toujours a I'annee courante le nom signiQcatif dc
I'an de grace.
XiA FfiTE SZ L'SFIPHANIE.
Un court intervalle se.pare la Circoncision, dont nous
venons de parler, et la fete du 6 Janvier, connue sous le
nom d'Epiphanie. Ce terme, d'origine grecqne, siguific
manifestation, apparition de Dicu aux hommes. Le poly-
thcisme avail aussi ses epiphanies. Les dicux dc I'Olympe =
se montraient de temps en temps aux mortels, s'il faut en
croire Ics narrations mylhologiqucs. L'Eglise a pu cmprun-
ter sans inconvenient a la su)icrstition paienne cc Icrnie si
expressif pourdcsigner le grand myslere dc riiabilalion du
Vcrbe divin avec les hommes : VcrbuDi cam [ailum est el
liabilavit in nobis. « Le Verbe a pris chair el a fait sa de-
u meure au milieu de nous. » Est-il hesoin de relever iii
raljsurde prctenlinn de quelques mecrcants qin voudraicul
ne voir dans I'Epiphanie ehri'ticnne qn'une imilalion dcs
epiphanies idolatriques ? II faudrait done dire que la messc |
elle-mcme est originairement d'inslitnlion paienne, puis- j
qu'ou lui donne par excellence le nom de sacrifice. Or, les l
adorateurs dcs faux dicux appelaient du nom de sacrifices
les immolalions d'animaux en I'lionneur dc Jiqiiter et des
autrcs mensongercs idoles. Faudra-t-il aussi se garder de
brulcr I'encens an pied dcs autels du vrai Dicu, parce quo
les paiensle brt'ilaicntdcvant Ics miscrcdiles objels de leur
faux cidlc? Passons rapidcmciit sur ces aberrations dcplo-
rablesde la raison hnmaine, |)0ur nons occuner d'une epi-
phanie hisloriqne etreelle.
Le Fils de Dicu s'clait monlrc a dcs hergers. Maintenant
il se manifcstc aux sages el aux grands du monde. Ccla i
DU MOIS.
G7
devait circ. U vcnait pour sauver lous les hommcs sans
distinclioii. line etoile miraculeuse apparait aux mages dc
rOricnt. On a cru epic ces hommcs etaient dcs rois, parcc
qu'il est dil dans le prophele : » Lcs rois de Tliarsis et de
« I'Arabie offriront au Seigneur des presents, n On a etc
iusiju'd les designer par lcs noms de Caspar, Melcliior ct
Baltasar, ce qui en suppose trois. L'Evangile se contente
de dire que dcs mages vinrent d'Orienta Jerusalem, sans
l)reciser d'auire qualite, et sans dire leur nombre et lenr
nom. Le savant pape Bennit XIV incline a penscr ipie ces
mages elaient des rois. Us prcscnterent a Jesus-Clirist de
I'or, Je I'cnccns et de la myrrhe. Ces presents sont un sym-
liole. A Jesus conime roi, Tor; a Jesus comme Dieu, I'en-
Ceus ; ii Jesus comme liomme, la myrrhe, parfum dont nn
nsail pourcmhaumcr les morts. Tel est, en peu dc mots, le
myslere de ce jour. On voit pounpioi vulgaireraent cetto
solennite recoit le nom de la I'ete des Hois.
L'Epiphanic a toujours etc solennisee avcc pompe. L'em-
jiercur Julien, quoique paien au fond du cfcur, n'osa se
dispenser d'assister ii cet offlce lorsqu'il se trouvail, en
otil, ii Vienne, dans los Caules. La mcssesolennellc de
cctle fete a un ceremonial particulier dont I'esplication ne
sera pas sans inlerct. Apres Ic chant de I'evangile, le dia-
cre annonce en cliantant le jour oii sera celebrec la fete dc
Piiques. Ceci rcmonte a une haute antiquile. Le concile de
Niece ayant ordonnc que Paqucs ftit celebree en lous
lieu.i le mome jour, et une controverse setant elevee
pour savoir quel devait i'tre ce jour, on conOa le soin de la
li.\cr ii Alexandre, I'evcque d'Alexandrie,]iarce que, depuis
les temps les plus recules, I'astronomie avait etc cullivee
plus specialemeat en Egypte. Or la solennite pascale de-
vait avoir lieu le dimanche qui suivrait le quatorzieme di-
manche, jour de la lune du niois de Nisan (mars). Par
sujie de celtc decision du concile de Jiicce, les eveques
d'Alexandrie ecrivaient au papc pour lui faire connaitre ce
jour, et Ic ponlife ccrivail ii tous les autres evcqucs pour
qu'ils le proclamassent dans toutes les eglises. Aujourd'hui
Ircs-certainemenI, c'est une ])recaution supcrllue, mais
I'Eglise a voulu conserver ce prccieux vestige d'anliquite
liturgique.
En Armenic, cette fete occupcun rang tres-eleve. On s'y
prepare par sept jours de jeiinc. Ces pcuplcs sont persuades
que Caspar, un des trois mages, etait le roi de leur contrcc.
On fait en ce juur une solennelle procession. Lcs membres
du clcrge, revctus de leurs plus beaux ornemenis, portant
chacun un cicrge et le livre des Evaiigiles, vont autour
d'un grand bassiu rempli d'eau et place au milieu du
chnnir. Apres plusieurs prleres, le celebrant y plonge la
croix et y verse du saint chremc. Puis tous les fideles Ar-
meniens viennent respectucuscment prendre de cctle eau
dans leurs mains et s'en font une aspersion sur la tele.
C'est que pour I'Eglise d'Armenie celte fete est principale-
nienl un annivcrsairccommemoralif du bapteme de Jesus-
Christ par saint Jean-Baptiste dans le Ilcuve du Jour-
dain.
Chez nous aussi catholiquc! occidentauj, ce bapleme
de Notrc-Seigneur fait parlie de la solennite du 6 Janvier.
Au jour de I'octave, qui est le 1,'5 de ce mois, nous hono-
rons la memoire de ce bapleme dc penitence que le divin
Sauveur nc dcdaigna pas de recevoir, jiour nous rappeler
la vcrtu fondamentale du chrislianisme, la mortilication.
Un Chretien instruit n'a pas besoin qu'on lui apprenne que
ce bapleme n'csl point du tout le sacrement auqucl nous
appliquons le meme nom. La sagessc incarnee n'avait pas
besoin d'etre pitrifiee de la souillureoriginellc comme les
cnfants d'Adam, fuisque comme liomme Jesus-Christ n'a
point de pere, clant ne du sein virginal de iMarie.
Qu'esl-ce done encore qu'une singuliere coutume tres-
generalenunt repandue et que Ton connait soiisle nom de
la feve? C'est au jour de I'Epiphanie que se lire au sort
cctle ephemere royautii qui, scule peut-eire, n'a que les
roses du diademe sans en avoir lcs poignantes epines. Vers
la (in de decemhre, ou dans les premiers jours de Janvier,
afin de reprcscnter I'heureux temps ou, scion la Fable, tous
les hommes elaient egaux, on clisait au sort un roi du
feslin ; si le sort favorisait un esclave, le maitre ctait oblige
de servir ce monarque de quelijues instants, et on lui fai-
sait les lionncurs de la royaulc pendant lout le repas. Le
sorlinanifeslait ses oracles par une feve que Von lirait d'une
urne. Aujourd'hui la feve est dans le giiteau. II n'y a pas,
comme on le voil, un grand changement. Nous ne vien-
drons pasici moraliser ii conlre-lemps en dcclamant contrc
une pratiipie evidemment originaire des coutunies paJen-
nes. Cet usage n'a, par lui-menie, ricn dc bbiniable, lors-
que Ton ue depa.sse pas les bornes d'une chreticnnc tem-
perance. Lepeupley attache mi^mc, en certaines contrees,
une pensee de charilequi rappelie les anciennes agapescn
rcservant pour le pauvre une portion du succulent galwiii.
C'est ce qu'on nomme la pari a Dieu. Cette appellalion est
d'un sens profond, lorsqu'on sail que faire I'aumcjne c'est
secourir Dieu lui-meme dans la personne de I'indigcnt.
(juaud la joie est inspiree par le christianisme, elle est tou-
jours une utile leton.
HOIS DZ JANVIZa.
Jl. Mt>rcrci1i. La CmcoNCi-
sios dcNotbe-Seicsht..
(I'oj.avaiU Iccalcndrici.)
STFuLGEsCE,evec|ue en.\fri-
que, docleur de I'liglise,
mort en t>2o.
Ste EupuRosisE, vierge d'A-
lexandrie, iiioite au 5'
siecle.
St Clair, abbe a Vienne, en
Daupljin;-, niorl en CGO.
StOdiios, illuslre ablio de
Cluny, morl en tOW.
11 iiisiilii.i ic iircmicr dan. los
m.ii!ions(le son orilrc la louclianle
fi'te (le la Commemoralwn iles
ilorts, cck'breele 2iiuvemljic,
S. aScudi. Si Macaire d'A-
lexiimlrie , auachorete ,
inurl en 39i.
Les Mabttrs des livres
SAINTS, mis a mort pour
n'avoir pas voulu brrtler
les divines Ecrilures. seloii
le diicret de I'empereur
Dioclelien, en 303.
St Adelard, abbe de Corbie
en ricarJie, auleur lie
plusieurs nuvrages tres-
prccieux, mort en 827.
3. Veiidredi. St Piebiie
Balsance, martyr en 31
Ste Genevieve, vierge el
palronne de Paris, moi le
eii312.
C'csl une des sainles les pins
iiluslrcsdein France, et doni la
renoniniee s'cst repandue dans
loules les fontr^es du nionde,
aulanlp.v ses liieiifailseiivers la
rapiialc que par ses miracles.
4. Samedl. St Tite, discijile
de St Paul, evi^que de
Crele, morl a la tin du
1" siecle.
St Ricobert, ev?que de
Reims, mort en 740.
5. nimnnche. St Sijieos
Stvlite, c'esl-i-dire vivanl
sur uneeoionne.
St Telesphore, pape el mar-
Ijr, au milieudu2' siecle.
St tDouARD, roi d'Angle-
lerre, morl en 106t>.
C8
0. I.ninH. L'tPIl'HANlE.
{Toy. avnnt Ic ciiloiulrier, ;iiiirs
I'lirl. suiIiiCirconcision.)
St Melaine, cvi^qiie de Ren-
nes, mort en 530.
1. lUnrdl. St Lucien, prftre
el nianyr, mort I'an 312.
St Aldbic, cvfque du Mans,
mort en S5G.
St Canut, loi des Slaves oc-
cidentaux, ou Danois, as-
sassine en (130.
0. Hercreill. Si Apolli-
NAiRE, (-'■vt^que d'Hierapo-
lis, apologisle ile la reli-
Kioncliretienne, mort, 177.
St SiiVERis, abbe et ap6tre
rie la Noriqne, conlr(!'e de
la Geriiianie, mort en 582
Ste Gudule, vierge el pa.
Ironnc de Bruxelles, ou
realise prineipnie est pla-
cee sous son invocation
morte en 712.
O. Jeujli. St Piebue, ev(>(|ue
de Seliaste en Armeiiie,
mort en oS7.
St JuLiEN L'lIospiTALiEii, mar.
lyr en 313.
L'oglisc dc rtidtel Hidide Pa-
ris est sous sun invoraiiiin, sou;
lo iioin de St Julicii le Pauvre.
10. Vciidredi. St Honore,
n6 en Berri, decapite en
Poilou, martyr de la jus-
lice, a la tin du j'siecle.
Lcs lumlaiiijers le prciineiil
pour p;itron.
St GiiLLAUME, arclievftque
de Bourses, mort en 1209.
St Acatuon, pape, mort en
682.
11. Sameili. St Tbeodose
Cesobiahoue, morl en 339.
St HTcrs, pape et martyr,
en U2.
St Salve, evt^que d'Amiens,
vul^'airenient St SauvE;
au 7' siecle.
12. nimanche. St Arca
Dies, martyr au 3» siecle.
Si Aelt\ed, abb6 en Angle-
lerre, mort en 1166.
LE BONllEUn DANS L\ VIE miVEE.
13. I'liiiili. Ste Veronique
de Milan, reli^ieuse.morlej
en U97.
14. Marrtl. St IIilaibe ,
fvt^que de Poitiers, duoleur I
de rfiglise, mort en 368.
C'esl uii des honmies lcs idus
celebrcs de la France i>ar sa
sainlote, ses ouvrages et les vcr-
tus les plus eniineiiles. On I'd
nnmnie rAuguslin des fiaules.
St Felix, prSlre de Nole, en
Campanie, morl en 236.
15. Mcrcredl. St Paul, pre-
mier erniite, mort en 342.
St Mauh, alibe, mort en .Wi.
C'esl sous sou iioui que s'in-
siilua, au couimeiicenicui du 17^
siecle. b celebrc congregation des
benedirlins.
St BoNSEf, evfiqiie de Cler-
mont, mort en 710.
16. JcniH. St Mahcel, pape
et niarlyr en 310.
St Macaire d'fi^yple, ana-j
chorete, morl on 390.
Iff. %*einlrecli. St Antoine,
palriarclie des cenobites,
morl en 33*>. |
11 est tres-ceUdne dans lcs
^t-'Iises d'Orientet d'Occidenl. Le
demon I'cprouva par un grand
noinlire de tentalions, que les
licintres out voulu represeuler
avecplusd'iniagiualinii burlesque
que de verile chrtlteiiiie.
St Sulpice le Pieux, eveque
de Bourges. I
Une paroisse de Paris, qui
elail, en 1789, la plusgrande et
la plus peuplee du monde catbo-
lique, puisqn'ellerenrermail plus
de cent liiille Smes, est placee
sousle vocable de cc sainl.
18. Samedi. La Chiire de
St Pierre d Rome.
C'esl I'anuiversaire du jour oil
le prince des apolres cbangea son
siege ponlillcal d'.Anlioche ii
Home; et celle dcrnic're ville,
qui avail elii la capilale dn monde
palen, dcvinuinsi celle du monde
Chretien.
19. Dimanclie. St Canut,
roi deDanemark, martyr.
II ne faut point le confondre
avecSl Caiiul. roi des Slaves. Ce-
liii de ce joui' soulliil la morl
en I08G.
St Rejii, evi^que de Rouen,
fre.re du roi Pepin et oncle
de Charlemagne, morl vers
I'an 771.
20. l.niidi. StFadien, pape
et martyr, en 2r)0.
St SiinASTiEN, martyr, 288.
2 1 . Ilnrdi . Ste Acnes, vierge
et mariyre en 303.
St Fructoeox, cvequo de
Tarragnneel martyr, 2'J9.
St Publius, 2*^ evOque d'A
llitnesel martyr, 1"siecle
St Patrocle , martyr I
Troyes, en Champagne, an
3= ou 4" siecle.
Ce jour a eclaiie anssi, il y a
cimiuaiileel nil ans, uti niarlyie
polilique. « Alicz, Ills de sainl
(I Louis, inontez au ciel ! ! ! »
22. Slei'CB'edi. Si Vincent
diacre, martyr en 3114.
StAsastase, martyr en 020
23. Jeiidi. St RATiioiiD di
Pennaforl , en Espa^ne,
morl en 1273.
St Iloefonse, eveque de To
IJde, mort en 607.
Les Espagnols le nonnneiii
St Alonso.
St Barnard, arclievi^que de
Vienne en Daupliinc, inori
en 842.
t
24 Veiidredi. SiTiMOinEE,
fivi^que et marlyr, disciple
I de I'apOlre St Paul, morl
! en 97.
I St Babvlas, evSque d'An-
lioclie, marlyr vers 230,
25. Samedi. LaConvebsion
I DE St Paul.
Persecuteur des chreliens sous
I le iioni de Saul, il fu( miraculeu-
senienl terrassc surle elieiuin dc
Damas, et se lit bapiiser.
26. Diniaiiche. Si Poly-
CARi'R, evi^qne de Sinjiiie
el martyr en I'an 166, dis-
ciple de St Jean riivangii-
liste-
StePaule, veuve, morte en
404, nominee ans^i Paulino.
2ff. liiindi. St Jein Chbv-
sosto.me, nil Souclie d'or,
aicheveqne de Con>IanIi-
nople, «u des qualie
grands docleurs de I'll-
glise, mort en 407.
Ses ouvrages compo.senl 12vol.
in-folio.
St Julien, premier I'-vi^que
du Mans, mort a la fin du
3«^ siecle.
2S. Mardi. Si Cvbille, pa-
Iriarche d'Alexandrie ,
morl en Hi.
llliislie ecrivain, doni les ou-
vrages rm-innilG vol. iu-rolio.
Le liienlienreiix Cuarlema-
GNE, einpereur de France,
lionore surtoui en Alle-
magne, mort en 814.
20. MLTcrcdi. St Francois
DE Sales, eveque de Ge-
neve, mnit en 1622.
Ses (Tiivres out L'le rocucillics
en 16 vol. in-s".
St Sui.pice-Severe, disciple
lie SI Martin, morl en 410.
IlesI auleurde nonibreux ou-
vrages
Sr SiiLPicE SiivtBE, evSqiie
de Bourges, morl en 591.
II ne faut pas le confondre
avec celuiqui precede, ni avec
SlSulpicele Pieux, auire evi^que
de Bourges, dont la f^le est pla-
cee au 17 de cc luois-
ao. Jciidi. Ste Batdilde,
reine de France, morle en
680.
St Jean L'Ar»i6NiER,palriar-
che d'Alexandrie, mort en
6f9.
31 VcndredS. St Piebre
NoLASQOE, fondateur de
I'ordre de la Merci, pour
raclieler les caplifs, mort
en 1256.
Ste Mabcelle de Rome,
morte en 410.
Apres sept mois de mariage,
elle deviiii veuve. Si JerOinc
I'appellc la gloire des dames ro-
maines.
LE BOMIEUR DANS LA VIE PRIVEE
LE LIVRE DES PLAISIRS.
La civilisation clirelicnne, en sc perfoclionnant, a con-
quis une fonle d'amelioralions de delnil (|ui donnent ati-
joui'd'liui, aux classes moyennes ct inferieurcs, desmoyens
de liien-eti'C ct de vie heureiisc, que jamais lcs riches
Ctlx-inemcs.ii'ont connus dans les epoques paienncs.
La vie domcsliqiic, li iiroprement jiarlcr, ne dale, comme
le dil tres-bien M. I'abbe Caume dans son excellent livro
dc la Vie domeslique chez lcs Chretiens, que de I'ere clire-
licnne. Aucun de ces innocents plaisirs qui t;roiipent au-
toui- du foyer, pres de rancetrc, a cole de la mere, les
niembres de la famille, aucune de ces recreations sludieu-
ses ou saUilaires, qui rendent, qires les devoirs acconqilis,
le coiirs des lieiircs plus leger et plus r.ipiile, ne sent en
desaccord avec la morale des Fenclon et des Bossnct. Tout
nu conlraii'c. .\ I'epoque Oil nous somnies, les liens de fa-
mille se soul rclaclies [lar de longs boulcvei'scments ; ct
c'cst un devoir pour tons de rendre plus stiduisanle dans
LE BONIIEUR DANS LA VIE PRIVl^E.
sa moralHo cello vie inlijricure , an sciii cle laquelle les
verlus les plus charmaiUes genneiU el sc developpcnt si
nalurellemciU.
60
Tout CO qui peut emhcUir le foyer domesliquo el rendre
plus douces ces verlus de cliaquc jour, essayous de le rcu-
nir el de I'lndiquor
VMZ SEHKE SANS DM SAIiOH.
Je renJais visile reccmmenl a I'une des dames les plus
oimaljles cl les plus inslruilcs du faubourg Saint-Germain;
ct je fus eloune de voir clicz elle, au milieu du mois de de-
cembre , nne gracieuse corbeille do lleurs exoliques
servant d'orncnienl a un salon fort simple el presque aus-
tere, niais du meilleur celte corbeille ruslique
occupaitle point central. Un chassis vitre, dont nous avniis
reproduit la forme dans la gravure qui se trouve ii la tele
de eel article, enveloppail licrmeliquement et protegeait
contre I'airexlerieur ces plantcs, ces aca/eas, ces Lycopo-
diums qui s'cchappeiitde Ions coles du sein de la corbeille
cl se repandent en feslons pleins de grace et de caprice.
« Vous vous etonnez do ma magnificence, me dit
madame de D... Pien n'cst plus facile, ni moins coiileux.
II suffil d'un pen do soin eld'aimcr son foyer domesliquo,
pour lui preter I'allrait dclicicux de ces reclicrcbes que
I'industrie modenie a mises ii la portce do tout le monde.
Tenez, voici M. Goldburn, Americain, que je vols entrer
dans ma cour; 11 vicnt me voir et vous ex]diqucra mieux
que moi cellc decouverte inloressantc et le parti quo Ton
foul en tirer. «
En effel, le domeslique annonca I'agriculleur genlil-
lioniuie americain, qui. apres les premiers compliments,
me donna I'explicalion suivante ;
« II y a pen de temps, monsieur, que cello decouverte
a cu lieu ; el ccux qui ne peuvent se donner le luxe d'lnic
serre cliaude, seront cliarmes dapprendre qu'on eleve
des planles dans I'cndroit le plus defavorable et le plus
ressorrc. II sufft pour cela de les enfermer dans des caisses
de verre ou dans des bouteilles A larges goulols, soigncuse-
ment abrilees contre I'air atmosplierique.
« Co fait ful dccouvert accidentellemenl de la manicrc
suivante : M. Ward, qui a donne a cc siijct un rapport en
1857 au comile brilannique, avail souvent essaye do culli-
ver des planles, surtout des mousses el des fougeres au
dedans ct au dehors de son habitation. Mais comine elle
i'tail environnce de manufactures et euveloppee de fumee,
SOS efforts furent inuliles; aussi attribua-l-il son pen de
succes au besoin qu'eprouvaiont ces planles d'etre plus ou
moins librement exposees a I'air.
« Un jour ayanl place la chrysalide d'un sphinx (espece
de papillon) enveloppee d'une terre molle dans une bou-
teillea large ouverture hermeliquement fermee, afin d'ob-
server la metamorphose de Tinsecte et son passage ii I'elat
de papillon, il apercut avec clonnemenl, environ une se-
maine avant que I'insecle flit enlierement revetu de sa
forme nouvelle , surgir de cellc terre , de la fougere
ct de riierbe. 11 rcconnut que rarroscment n'elait pas
neccssairc ; car la condensation de I'cau ii la surface inlc-
ricure du verre conscrvait la terre loujours egalement hu-
midc. 11 s'appliqua done a etudier jusqu'ii quel point le
cliangement d'air au dedans de la bouteille, neccssaire-
ment soumisc ii Tinlluencc de chaque variation de Icmpc-
rolure, serait suffisant aux besoins de la vie vegetale. 11
placa la bouteille en dehors de la fenclre, cl vit avec plaisir
que les planles poussaient a mcrveille; le succes de sou
^:) l.E BONIIEUll DANS
cssiii Ic coiululsU a line Toulc d'cxpLM'ionccs toiilros siir ilcs
plaiiles fle loulos dimejisions, ct apparlcnaiit ;i uiie grande
varii'te Jc fannlle^
« Oil ]ioarsHivU cpsopOrionccs sur line vaslc eclicUe ; on
Cl des caisses de vcrre dc loulcs grandeurs, de toules for-
mes; depnis les jieliles boulcillos aux larges goulots, jus-
([u'a uiie rajigce de maisons de vingl-ciiiq pieds environ de
longueur sur in de liauleur; on remplit ces maisons de
lerrain pierrcnx pour la convenance des planles qui y
CToissent de iprcTerence ; qiielques-unes de ces caisses fu-
renl parfaitomenl ferniees au fond ; vne fois arrosees, elles
restaient sinsi (ml longtemps sans exiger d'cau. D'autres
aTaienl plasicurs ouvertures, et les planles etaient ar-
j'osi'cs Hire .fois en trois ou qualrc seniaines, ou meme en
plusie«rsTnois selon Icurs besoins ; celtederniere methode
a paru 3a meillcure.
Cl Oa c«l recours a tout ce que le mastic et lapeinlure peu-
Tcnt acconiplir dc plus solide pour ajusler Ic haul et les
cules vilres dc ces caisses; les porles fiirent coiistruites de
maniere a bicn feriner, mais aucune ne put elre scellce
liennijliquemenl ; ce qui serait inipralicable. D'aiUeurs I'ex-
pansion ellaconlraclion allernalivesde I'air, dontlesucces
de I'experience depend, se Irouveraienl inlerronipues.
« II y a environ un an, je planlai un Lycopodinm denta-
tum dans un vcrre parfailenienl bouche, qui n'a pas ele
OHverl depuis. Le Lgcopodium se soulicnt en parfaile
sanle; il a beaucoup grandi, mais faule d'espace la forme
de la planle est conlourncc. Les graines qui se Irouvaient
dans la lerre onl germe. La Marclianlia s'esl elcvee d'elle-
menie sous le verre. J'ai aussi fail conslruire un globe
creux en verre, de dix-buit pouces de diamelre, dont I'ou-
verlure est praliquee de maniere a y laisser seulement
passer lamain. J'y ai semeunegrande variete de fougeres et
de Lycopodiums que j'ai humecles; cela fait, j'en ai couvert
I'nuverlure d'uiie feuille de caoutchouc qui s'enlr'ouvrait
chaque jour, soil a I'exlerieur si I'air inlerieur du verre se
trouvait (ichauffe ou dilate, soil a rinterieur dans le cas
contraire. Ces fougeres sont venues probablement aussi
bien que si elles avaienl etc elevees en serre chaude; elles
etaient toules exotiques, quelques-unes exigeaient meme
une grande chaleur. Le grain de plusieurs planles est par-
venu a sa nialurile.
i< Une serre balie d'apres ces priucipes dans la cour de
I'inslilut mccanique a Livcr]iool a cte remplie de planles
ctrangeres de loute espece, sans que Ton y ait enlretenu de
chaleur arlilicielle. Les planles se sont developpees a mer-
veille, plusieurs ontlleuri, d'aulres ont produitdes fruits.
Cl Le docleur Daubeny a fait beaucoup d'aulres expe-
riences curieuses.
Cl Dans le cours du mois d'avril, il inlroduisit un nombre
considerable do (ilantes vivanles sous des globes de verre
n'ayant qu'nne scule ouverlure, a travers laquelle I'air
pouvait circulcr, et qui elail recouverle d'un fragment de
vessio, bien Dxe aux bords du verre, de maniere a empe-
cher I'air de pc'Mietrer dans le vaisseau autrcnient qn'a tra-
vers la membrane meme : ces planles, anemones, prime-
vires, camclias, veroniqucs, etc., reslerent ainsi dix jours
sans aulrcs soins ; au bout de ce temps elles elaienl en
pleinc santc', cl avaient considerablenient grandi. Plusieurs
nienic avaient ileuri depuis leur introduction dans le verre.
On s'occupa alors d'examincr I'air conlenu dans les vases
pendant le jour, et Ton Irouva que celui du premier reufer-
mait 4 pour 100 d'oxygiiuc en sus de la proportion que
LA VIE nUVEE.
pri'spulc I'air almospheriquc; dans le deuxiemo, il y avail
1 pour 100 do plus; dans le troisienie,2 pour 100 dc plus
Aprcjs plusieurs esamens successifs, on Irouva que le total
de I'oxygenc avail subi une diminution, et enlin, le 20 join
de la meme annee, on s'apercut que le n" 1 renl'crmait 21/2
pour tOOdemoinsd'oxygene que dans I'air almnsplic>rii]ue;
le 11° 2, 3 1/2 dc moins; le n° 3, •! pour 100 de inoins.
Cepcndant la circulation de I'air clait encore sunisanle pour
soulenirla vilalitc des plantes, moins vigoureuses loutcfois
et moins saines.
cc Je regarde le changemenl d'air par I'expansion et la
contraclion, changement regie par Iciir chaleur, comme
cxaclement proporlionne aux besoins des plantes cultivces
de cetle maniere.
« Les planles vasculaires exigent un plus grand renou-
vellemenl dair que les planles cellulaires; on pent les sa-
tisfaire en les enlourant d'un volume plus vaste. II est anssi
d'une haule importance que la lumiere arrive librement
jnsqu'a toules les parlies de la plante en cioissance; c'est
le moycn de I'aider a developper scs lleurs et a supporter le
froid. L'air, dans ce cas, se trouve dans une condition par-
failenienl calme. Aussi ces plantes supportenl-ellcs ces
variations de tempiirature qui leur seraienl fatalcs dans les
eirconslances ordinaires. Les planles d'Auslralie et cedes
du Cap endurent ainsi le froid de noire cliniat sans
danger, et quclques-nnes des lleurs habilantes des pays
froids penvent aussi s'elever dans nos apparlcmenls ex-
poses au soleil, etant environnees d'une atmosphere proteo
trice, de leur propre creation. J'en ai vu un exemple frap-
pant qui pronve la facililci avcc laquelle les planles, ainsi^
renfermees, supporlent les changcnienls de Icmperalure
unecaisse de plantes, apporlc^e de la Kouvi'Ue-llollande par le
capilaine Maillard, I'ut prcparceau mois de fcivricr, i-poquc
a laquelle le thermometre marquait 94 dcgiTS a Tombrc.
Aux environs du cap Horn, deux mois apres, le thermome-
tre tomba a 20 degres ; un mois plus tard, dans le porl dc
Rio, il s'clcva jusqu'a 100 degres; en passant la ligne le
Ihermomelre atteignit encore 120; il lomba a 40, en arri-
vant, en novembre, dans la Blanche; huit mois aprcis que
ces plantes avaient ele renfermees sous leur caisse vitrcie,
on les relrouva dans le meilleur lital.
— De sorle, repris-je, qu'au moyen de caisses de verre
nous pouvons entourer nos plantes d'une atmosphere hu-
mide qui leur conviennc, et conserver ainsi au sein des
villes et dans nos salons dc magniGques lleurs comnic
celles-ci. La lecon est bonne, et j'en profiterai. II est im-
possible d'imaginer un ornemcnt plus charmant et moins
couleux.Cela me plallamoi quipense, avec un ecrivain al-
lemand moderne, que la sagcsse humaine doit rcpandrela
joiesur les instants auxquels lasplendeur el les applaudis-
semeuts du monde ne peuvcnt preler aucun eclal. Dans
I
CCS doux inlervalles, rhomnie reprend ses dimensions na-
tnrelles, et jelle de cole les ornemcnls el la feinle, em-
:!
reus chez soi, c'est le but des li'gitimes poursuitcs do
chacun. En cffet, c'est dans son intcirieur qu'on doit
eludicr riioinme dont on vent apprcl'cicr la verlu ct le bon-
hcur ; les sourircs et les broderies sont d'emprnnl. Vivons
heurcux pour nous et chez nous 1 n
[La suite a un mimcro prochain. )
ANECDOTliS DU TEMl'S I'nESCNT.
ANECDOTES DU TEMPS PKESEIST.
I.ES JEUNES SAUVEURS.
Vn dc nils joiirnaiix de province les plus estimes rap-
porle le fai( suivaiit, doiit raulhciUicite nous csl atleslcc
Auprcs de Saumur, dans le pare d'un dc ccs chateaux du
dix-sepliemesicele, remarc|Hal)lcs par le bon soul de leurs
ornemenls el la simplicile nolile de Icur arcliilcclurc, Irois
cnfanls : unc pelile Idle, Marie de M. un jeune enfanl de
douze ans, Guillaume R., el uu enfanl de qualorze ans
Henri de M., frere de Marie, jouaienl ensemble avcc loutc
I'insoucianle vivacile de leur age. Ce n'elaienlque joycux
cris, exclamations enfantines, cachettes dans Irs taillis,
bruyanles surprises. A force dc courir, la petite bande
joycuse arriva au bord d'un etang qui traverse le pare, et
que dc beaux massifs de chenes et de hetres deroliaieni a
la vue. La petite Marie, qiii etait devenuc I'objet de la
poursuite de son frere et du petit Henri, tourna I'etang
pour leur cchappcr, et ses piedsayant glis.se sur le gazon,
elle rnula jusqu'au bord et disparut dans I'eau, assez pro-
fonde en cct endroit. .\ussilul Guillaume, avcc une resolu-
tion ot un courage superieurs a son age, defait sa blouse
du njatin, s'elancc et nage vers la pauvre petite victimc
dont Ics bras Suppliants s'clcvaient encore au-dessus de
I'eau comme pour demander du secours. Mais Guillaume
n'avait pas beaucnup dc force; c'elail un nageur iiiexperi-
menle, et le pauvre enfant sc trouvait dans la situation de
celle que son intention etait de sauver; deja il avail peine a
se soutenir, lorsque Henri, plus fort que I'un et I'autre, se
jcla a son lour a la nage dans I'cspoir de sauver une des
viclimes au moins. 11 sc dirigea d'abord vers sa .sccur, dont
on ne voyait pUls que les pelites mains vainement agileesa
la surface de I'eau, cl la saisissant par ses clieveux blonds,
la ranjcnant et Tatlirant a lui, il la dcposa sur le gazon.
Les cris des enfants avaient traverse la portion du pare
qui les separalt da chateau ; on accourut en toute bate. Le
cochcr, bomme lres-vigourcu.x et bon nageur, sauva le
jeune etgeuereux Guillaume. La jeune Marie et lui furent
rendus a leurs families, et les soins qu'on leur prodigua
eurent un enlier succes. Heureux ceux qui coinmencent
la vie et I'inaugurent par la generosite, le devouement cl
le courage !
XX PRtTRE CHARITABLE.
Un proprictaire de la ville de Lonviers se rendait lundi
ii octobrc iSii, vers midi, .a pied, dc Lonviers a Gaillon.
Pour se rcposer, it entra dans un petit bois silue au bas
du vallon que forment les deux rotes.
II ajiercul bientut un pretre descendant Icntement ct
lisanl. Un bomme mal vein et d'une figure sinistre le sui-
vait de pres. Arrive^ au fond du vallon :
« Donne-moi la bourse, cria ce mi.scrable, si tti vcux con-
server la vie. »
Le pretre rcpondit sans s'cmouvoir :
« Vous vous adresscz mal, mon ami, vnus n'aurez ni
I'une ni raulre. "
La parole etait encore inachevee, ct deja ils ctaicnl aii'i
prises; I'agresseur se debaltait a terre smis la main vi-
goureuse du pretre. auqucl il demandail grace.
« lieleve-toi, repond le pretre en lui lendant la main :
si la misere t'a poussc a cctte violence, recois celle boinsc
et 22 fr. qu'ellc renferme, et sois de.sormais hnmnie dc
bien. Souviens-ioi de ma vengeance et de mon noni. Je
suis le cure de Gaillon. »
Et les deux hommes^e sent separcs.
( Courricr de I'Etirc.)
ZiES FXTITES BAIEINXS DES ILXS FAROE.
Si vous visitez certaincs latitudes glaciales, il vous scm-
blera que ces regions sont tout a fait deshcrilces de Dicii :
72
ANECDOTES
point (Ic vesc'lnlion, pninl dc fniils ; Ics animaux qui frc-
(liicnlont cos parages, phoiiups d ball iiics, offroiil un aspect
liizaiTC, line defense rcdoulalile, nil alimoiil desagceable
ou daiigereux pour I'homme. Enlrez cependanl sous ces
portes basses, etpeiielrez dans ces cabanes do la Finlande,
des Orcades, des ilcs Faroe, vous rcconnaitrez avec sur-
prise les ressources imprevues que I'induslrio Immainc a su
faire jaillir de ces climals qui semblent mauJils, ressources
que la Providence avail mises en reserve pour lesbesoins el
inenic les plaisirs de noire race. Chaque jour de nouvcaus
moyeiis d'alimenlation et de richcsse combaltenl les ri-
gueurs apparenles de la lerre etdu ciel,et conipcnsenl par
le travail I'absciice des biensdont jonissent Irs habilaiUs
de regions plus donees La seule capture des petiles baleines
au lilct vienl de jeler dans une des plus Irisles solitudes dc
rOcean septentrional un rcvenu annuel de plus dc cent
Irenle milte francs.
M. W.-C. Trevelyan a communique a ce sujet, au Nou-
veau journal pliHos',phique d'Edhnbourg, de curieuses
parlicularites.
Jusqu'ici c'etait par I'echouage seul que Ton faisait
dans ces iles des captures considerables dc la petite
baleine, uomnice Dclphitnis mclas. Dans Ic cours dc
rannec dernicrc (8^4, les babitanis essayereni, pour la pre-
miere fciis, de faire usa^e d'un filet, et le succes fut im-
mense. Lc nombre des baleines prises de cette maniere, en
1814, lut de trois niillc cent quarante-sis, et Ton obtint dc
riiiiile pour une valeurde 5,GG5 livres sterling.
Les habitants, qui avaicnt employe la chair decesani-
niau.i a leur propre consommalion, en nourrisscut main-
tenant leurs besiiaux, pour lesquels c'est une cxcellenle
pature pendant I'hiver. La chair de la baleine est coupee
en tranches minces et longues, et sechce a I'air .sans
scl, de la niemc maniere que Ton s'y prenait pour la faire
scrvir de nourriture aux habitants. Bien sechce, cette
chair se conserve deux ans. On la coupe en morccauxde
deux ou trois pouces de long, puis on la fait bouillir le-
gerement. L'bnile qui montc a la surface est ecumce, le
bouillon et la viande sont donnees aux vachcs avec une
moilie ou un tiers de la quantitc habiluelle dc foin. Ce
genre de fourrage parait leur etrc trcs-salutaire; il aug-
niente leur lait, et ni ce lait ni la crcmc n'ont aucune sa-
veur dcsagreable, comme il arrive lorsqne les bestiaux
sont nourris de poissons seches, en IslanJc. par cxemple,
ct en d'autres pays du Nord.
Bcaucoup de vaches perissaienl a Faroe par la disette de
fourrages pendant I'hiver ; M. SL-liroler (qui pendant plu-
sicurs annces s'estoccnpe de rendre meiUeurela condition
de ses compatriotes) a calcule que plusde six cents vaches
ont cte conservees par I'usage de ce genre de nourri-
ture ; elle pourrait etre utilenient employee dans les
iles Slielland et Orkney, on I'aversion que Ton eprouve
pour la chair du delpldnus comme comestible occasionne
la perte de valeurs considerables.
Ce fait unique, repandu p.ir la presse, est deja connn
aux Orcades, en Finlande, et dans les provinces snmoleiles-
russes qui environnentle pole.
« On fait, dit un journal ccossais, tous les preparalif^ ii.;-
cessaires pour imiler dans ces latitudes I'excmple des ]ie-
chcurs des ilcs Faroe, ct comme I'argent, grand mobile des
interets humains, nc pent manquer d'afllucr chezccux qui
sc trouvcront ainsi maitrcs, sans grandcs depcnses, d'unc
substance neccssaire anx peuples civilises, une prnsperile
inattendue, resultat de ce fait unique, pout luire tout a
coup sur les regions dcsolces dont nous avons pnrlc.
{Berliner Monutsclirift.)
OK CHIEN TEB.KIBLE.
Une cause singulicre a ete portce recemmeni devant les
tribunaux anglais ; les feuilles publiques en ont retenii : un
duel, entre deux hommes d'honneur et de bonne famille,
etait sur le point d'avoir lieu si les autorilcs ne se fussent
inlerposees. Deux jeunes cccurs elaient desespcres : la
reputation d'unc personne dislinguee se trouvait atteiiite
dans son point le plus sensible; il n'y avait que trouble et
desolation ; — et le cnupnble — ainsi que la decision du
tribunal el les recherches de la police Font prouve, le cor,-
pable etait un petit chien le plus joli du monde, etlemlenx
peigue.
Nous lenons les details suivantsdu heroset de la victime,
— nous ne voulons pas parler de I'epagueul, heros et vic-
time tour ii tour, — mais du genlilhommeanglo-espaguni,
que la possession d'un cpagneul admirable csposa nagucrc
a de si grandcs vicissitudes.
11 avait ardcmment desire un animal dc cette espcce.
llolas! il arrive souvent dans ce monde elrangcquerobjet
pour lequel nous soupirons lc plus vivcnient, au lieu
dc nous procurer le bonheur, devient une source dc peines
et de contrarictes. M. Delasiro el son cliien Bobie vien-
dront ,i I'appui de cclte remarque.
Les aiicclrcs de iM. Delastro elaient Espagnols, mais il y
avait eu dans cette famille un melange de sang arabe.
Voucs au commerce depuis loiigtemps, ils elaient fort ]
riches.
M. Delasiro etait associe d'un maison ancicnncment
etablie a Londres. Sa part de benefices lui donnail un beau
rcvenu el lre<-pcu d'occupations.
Par consequent on renconlrait M. Delasiro partoul, aux j
promenades a la mode, n I'Opera, aux nouvelles represen-
tations, et comme il elait loiijours Ircs-soignedans sa toi-
lette, assez bien de sa personne ( quoiqu'il y ei'it dans scsl
trails un cachet arabe ), les meres dc famille qui avaient
grand nombre dc fiUes le regardaient d'un flcil favorable.
M. Delasiro avait une tanic demoiselle, miss Isabello
Mcndizabal ; quoiqu'elle posscd.it tonics les jouissances do
la vie qn'une femme, dans sa position, pent desirer, telles
qu'une bonne voilurc a un cheval, des domesliques exccl-
lents, de nombrenses invitations d'amis, le premier den-
lisle de la ville, des pclils poissons dores, un credit ouvert
chez son banipiier, on la voyait mcconlentc, inquiele, en
un mot malbenreuse.
Miss Mcndizabal avait un chien qu'elle appelail Bobie.
Elle I'avait achcic dans Rcgcnt-SlrccI, :i un hommc dc
mauvaisc mine, marcliand de chiens ambulant, d'autres
diraient chasseur. Lorsi|u'un jielit chieu egare luiplaisail,
il s'en emparail aussitui, lui donnail trois ou quaire bonnes
tapes; dc cellc maniere Icspassants qui, par hasard, I'a-
vaient vu raujasser le chien, s'imaginaient quil lui appar-
lenait puisqu'il le trailait ainsi ; I'animal, n'osantpas (nor-
dre ou se dcbaltre, se laissail tranquillement ct trislCTncMt
eniiiorlcr.
DU TEMPS PRESENT.
Bobie etail un de ces jolis petits chiens blancs i longs
poils fiises, parfaitement bieii proporlionne, avec dcs ycux
noirs el malins percant a travel's ses paupiores soyeuscs.
On nurait dil la parlie superieure dc son corps revelue d'lin
spencer Llanc, landis que le resle elail rase, erne, el lais-
sait voir la couleur nalurelle de sa peau, c'esl-a-dire une
tcinte rosee , exceple la oil on avail laisse a dessein dcs
pointes el des noeuds. Sa queue lenaita la fois de la brosse
en barbe el de la houppe. A voir Bobie, on aurait dit im
animal aimaut el parlait, capable de faire raffoler loulcs
les douairieres. Aussi miss Isabelle avail-ellepour lui toule
la tciidresse imaginable.
I'll jour miss Mendizabal prit tout a coup la resolution
de voyager, el die fit part de ce projet a ses amis. Elle se
Irouvail si malheureuse sans savoir pourquoi, que, pour
distraire sa douleur, elle se ligurait qu'il f.illait la changer
de place, la promener {son niedecin aurait pu lui appren-
dre qu'elle raangeait el dormail Irop ; mais il savait qu'ille
ue le croirait pas ). Miss .Mendizabal devint dc plus en plus
melancolique ; enOn il parait qu'elle ful saisie d'un ardent
amour du pilloresque, de la nature, des bols, des forcls,
et des chaises de poste.
C'est pourquoi miss Isabella Mendizabal voulul parcou-
rir ritalie, I'Espagne et la Grece. Rien ne put changer
cette resolution. M. Delastro, qui avail plus d'une rai-
son pour relenir sa lante a Londres, lui offrit une loge
aTOpera-Italienpour chaque representation, lui envoyades
ananas, des mets recherches pris chez les premiers restau-
rateurs, tout fut inutile ; la tante partit pour CaJi.1 ; nous
ne saurions dire si cetle demarche, toute meriloire
qu'elle soil, avail pour but I'amourdu pitloresque ou I'al-
legcmenl d'un effroyable ennui.
Le chien Bobie n'ayanl pu cscorter miss Isabelle,
elle le confia a M. Delastro qui I'aimait deja beaucoup el
I'avait souvent envie a sa maitresse. Bobie, de son cote,
aimait assez a se sauver avec les gants ou la canne de
M. Delastro, quoiqu'il parul un chien bicn elcve.
Quelques mois se passerent apres le di-pnrt de la vieille
demoiselle, avant que le don precicus qu'elle avail fait a
son neveu devint pour lui la cause des plus graves soucis.
Mais il ne faut pas anliciper sur les evc-nemcnts.
M. Delastro etail I'ami inlime d'une famille qui dcmeu-
rait a Regenl's-Park. Bobie, le I'avori de ces dames de la
maison, accompagnait souvent son mailre dans ses fre-
quenles visiles du matin chez miss Pellington. M. Delastro
remarqua qu'en traversanl Portland-Place, un homme en
guenilles et a mauvaise figure, ayant a ses cutes un pelil
terrier, un epagneul, deux ou trois aulres jeunes chiens a
la main qu'il cherchait a vendre, attirail siugulierement
ratlenlion de Bobie, quoique cet individu ne semblat pas
le remarquer. Mais Delastro le voyait loiiin?irs dans ces
parages quand il revenait de Regent's-Park.
Miss Anna Bella Pettinglon etant jolie et hien elevee,
M. Delastro s'imagina quil pourrait I'epoustr. .Madame
Pellington, avec I'ceil vigilant dune mere, remarqua de la
part de M. Delastro une foule de petits soins qui Brent
battreson copur dejoie el d'esperance ; car elle cnnnais-
sail la richesse et rhonnclele de cc jeune homme, et I'ac-
ceptait volonliers pour son gendrc.
Madame Pettinglon avail depose sur une table a ouvrage,
parmi quelques pelils objels de porcelaine, ses clefs et une
bourse contenant Irois souverains et demi, quatre aulres
pieces des Indes, donl on se servait pour jelons an whist.
Bobie, a cause de sa pioprel<5 el de son amabilite, jouissait
du privilege de sauter sur les sofas et les chaises.
La famille etail ainsi occupee ; M. Pellington etail a son
bureau oii il reslait depuis midi jusqu'ii cinq beurcs el dc-
mie pour gagner ses 50,000 fr. d'appoiiilcmenls. Les Irois
plus jeunes demoiselles Pcltiuglon se promeuaieut dans un
des jardins parlicuHers de Regcnt's-Park, avec leur gou-
vernante, munie dune grammaire francaise,oii les jeunes
personnes apprennent a dire : Bunne djoiir, maJcmc!
Elle porlail aussi avec elle le Dictionnaire de pronon-
cialion, de Walker, qui aide u mal prononcer.
Miss Anna Bella Pellington, dans une parure modesic,
assise el posee avec grace, feuilletait un album musical,
le visage tourne vers le piano, landis que M. Delaslrj
racontait I'anecdote du jour. Madame Pellington avail
quitle la chambre pour se consulter avec la fcmmc do
charge au sujel du diner. Tandis que chacun elait ainsi
occupe, Bobie s'amusait tanlot a allraperune niouche,
tantot a aboyer eu apercevaul son corps rcproduit dans
une glace qui desceiidail jusqu'au lapis ; puis il mon-
tait sur une chaise ou sasseyait sur une table, majs
toujours I'ceil ouvcrl, guellanl I'occasion de s'cniparer
d'une proie. Tout a coup il devint balclant, il lira la lan-
gue, lanca furlivement un regard a Delastro, saisit.en si-
lence quelque chose dans sa gueule, saula legerement, et
se glissa sous le sofa.
Comme il est reconnu aujourd'hui, dans noire siecle dc
progres, que reducalion pour toules les classes de la so-
cicle est une affaire dc la plus haute importance, nous de-
vons declarer que Bobie avail recu de riuslructiou. II
avail suivi une espece de cours sparLialc d'apres lequel
Yart de voter n'avait rien de blamable. Bobie etail un des
cleves les plus accomplis que M. Barabas Scraggs (leniar-
chand de chiens dont nous avons deja parl-i ) eul jamais
formes, et le chiun n'avait point du tout oublie les Iccons
du premier mailre, bien qu'il en eiit plusieurs fois change.
Aussi I'eleve devinl-il une pelile fortune pour le mailre,
qui n'avait autre chose a faire qu'a suivre les mouvemeuts
de son habile quadrupede ( lequel elait aussi fin que lui),
qu'a lourner dans une ruelle oii Bobie le suivail. II reniel-
lail a M. Scraggs ce qu'il avail cache dans sa gueule, et
rccevait immedialement sa recompense ; elle se bornail a
une Iranche de fromage cpie Bobie affeclionnail par-dessiis
lout.
Quand M. Delastro revint de hmmon de Itegent's-Park,
Scraggs se Irouvait sur son clicmin, Delaslro passa sansle
voir, Bobie le suivail, lorsque tout a coup le chien s'arieta,
revint sur ses pas, courul dans un passage qui mcne dans
Albany-Slreel, et remit .i Scraggs qiielquc chose qu'il
lenait dans sa gueule, en rclour de qtioi on le riVgala dun
10
74
ANECDOTES
morceaii dc Gloucester qui sorlnitde la pochc dc M. Scnig^s
cl qu'il dcvora avec deliccs. Mais comme il enlcndit le
sil'llet de son mailrc cl iipcrrul Ic signal de M. Scraggs.
qui resscniblait licaucoupaux pirludcs d'uncoup de pied,
i\ sesauva le plus vite qu'il put, et rejniguit M. Delastro.
Environ une heure apres le depart de M. Delastro, ma-
danie Petlington ayant liesoin de sa bourse, la cliercha et
ne la trouva poijit. Les domcsticpies furcnt interrogcs,
soupconncs. Madame Peltinglon regrellail bien nioins les
trois souvcrains que les quatre pieces indiennes que son
fi-erc le major Uoddy lui avail donnces; car on s'allendait
a revoir bientut le major.
Celte perte reudit le maitre, la mailresse, le laquais, le
sommelier el le valet de pied {ces trois dcrniersrenfernies
en un seul ), fcnimes de cliambre, cuisinierc cl jusqu'a la
gouvcrnanle tresmalheureus.
M. Delastro continuait ses visiles cl faisail loujours
dc grands progrcs dans I'arl dc sc rendrc favorable la
famille, lorsquc M. Petlington, pour cclebrer le jonr
de naissancc de sa fille, lui til cadenu dun portc-cai lis ej;
liligrane d'argent, artislemenl travaille. Un jour Anna
Bella, en rcnlrant avec sa mere, posa le porle-carlcs sur
la lablc. Pcu de temps apres on annonca M. Delastro suivi
dc Bobic, qui fut accueilli par des caresses comme d'ha-
bitudc.
H. Delastro porlait avec lui ce duetto fameux dc la
Gazza ladra : » E ben per mia rnemoria. )> 11 ne tarda pas a
prier miss Petlington de le chanter avec lui. EUe conscniil
gracieusement, el landis que les jeunes gens sedivertissaienl
ainsi, Bobie, laisse li lui-nicrae et un peu oiiblie, seinblait
vouloir s'cn venger par quelque malice.
Cemalin-la,de bonne heure, BarabasScraggsnesetrnuva
pas a sa place ordinaire, par suite d'une invitation en
forme qu'il avail recue de la police, aDn d'cxpliquer com-
ment un certain epagncul perdu se Irouvait en son pou-
voir.
Avec beaucoup de candeur el d'aplomb, il affirma que
I'cpagneul I'avail suivi chcz lui, et qu'il prenail soin de
I'aninial a cause de sa beaute, jusqu'a la reclamation du
proprielairc. Le magislral, convaiucu de la bonne fui de
M. Scraggs, refusa dc le rctcnir, mais lui donna le conseil
amical de renoncer dorenavant a ses promenades en deca
des limites du bureau de l\Ialborougb-Strcel.
Un bomme dc la police ful charge par le digne magis-
tral d'accompagner Scraggs a son logis, afin d'etre sur
que I'epagncul serail rendu au veritable proprielairc. Dc
sorlc que Dobie n'eut point celte fois sa tranche de fromage.
M. Delastro ne ful pas plulot parli, qu'on s'aperijnt de la
perte du porle-cartes en flligranc. On fit encore des per-
quisitions minutieuscs, les soupcons revinrenl a Tcspril.
ies domesliques exigerent qu'on visilal une .seconde fois
leurs cffels. On fouilla en vain dans le panier aux or-
dures. Le sommelier, valet de pied, laquais, mena^a de se
relirer; enfm, le mois suivanl, une petite chaine en or avec
des cachets, apparlenanl a up encrier de lu.xe, un etui en
nacre, une petite montre francaise, el, cc qui elail le com-
ble de rextraordiuairc, le trousseau de clefs de madame
Petlington, disparurent comme le reste I
Ce dernier coup acheva de porter le trouble dans toulela
maison ; il fallul forcer ou rompre les scrrures, il n'y avail
pas dc vin pour le diner, ni d'argenlerie disponible. Im-
possible il'ouvrir Ic liroir qui renfermail les billets pour
I'opcra dc cc jour. Inipossilde d'arriver aux armoires on
se trouvaient les robes dc ces dames, car madame Pct-
tinglon, apres tanldc perlcs, meltailsoigneusemenl toules
vlioses sous clef; et voila les clefs mcmes qui disparais-
senl myslci'icusemenl.
Le major Dnddy arriva de Calcutta au milieu de celte
rumcur. Major Doddy elail reste vingl ans anx ludcs.
Parli jeune bomme frais, gras et rolnistc, il revenail sec
comme un morceau dc bois, les cbeveux roides cl trai-
nanls; la bile clait repandue dans chaquc vaisseau dc .«on
corps, et son nez avail pris la coulcur rougedlre de la
brique mal cuite.
Major Poddy quilla son pays jeune bomme enjouc et
d'agreable bnmeur ; major Doddy revenail de cclle foirc
de ricbcsses, d'esclavage el d'ignorance, plein de preten-
tion, avecdes airs dedictaleur ctparfaitemcnt dcsagrcablc.
Maiscommenl pouvail-il en etre aulrcment pour un hommc
dont le foic se Irouvail dans un ctal dcscspiire? On ne se
joue pasimpunemenl du foic. Dcmandez-le plulot a M. Ma-
gendie.
Le major piit M. Delastro en grippe a la premiere vue;
il s'attcndait, apres une longue absence, a se voir unique-
ment cboyc par les Pellinglon, et M. Dclaslro semblait
favorise, quoiqu'il lie fiit pas major.
M. Doddy ecouta avccasscz d'impaliencc tons les details
au snjcl des petits vols; puis il raconia a son lour ce qui
lui elail arrive dans sa tcntc, comment on I'avail depouillo
d'une grande partie de ses cffels, quoiqu'il ful assis, cveille
dans son lit, un fusil charge a la main, coucbanten joue
le myslericux voleur.
« Je m'clais mis a fumei' et a boire,dit-il, j'avais conge-
die mes domesliques; je mcditais sur Petal de monfoie;sur
mon avancenicnt, mes vacances, sur rAngleterre, sur Ic
gouvernemcnl general, sur la caisse bien fermce et cache- i
tee plcine de saumon que je venais de reccvoir, el que je
mangerais le lendemain. Je me deshabillai, me couchai
avec un pislolel a mes cotes. 11 faisait un beau clair dc
lune, el jc crus apercevoir quelque chose remucr sur le
plafond de bois qui environnail la leule. Je pris soigneu-
sement mon arme, el loisant le personnage, je reconnus
que c'clail, a n'en pas douter, un noir individu, la tele re-
cimvei'te d'un turban. J'etais bien resolu dc lirer. Mais
rien ne bougea plus; seulemenlje m'apercus le lendemain
qu'il me manquait une paire de bottes, une ceinture, un
bonnet, une cpee el ceinluron, mon panlalon, la caisse
au saumon, une boite de cigares, un telescope, un jeii
dc trictrac, une tabaliere el ma robe de ehambre perse.
« Ce qui m'intriguail le plus, c'clait dc savoir com-
ment cc vol avail pu se f.iire en ma presence, en depit dc
mes armes et de mes prccaulions ; j'ignorais que ces bri-
gands chassaienl en compagnic.
■ oTandis qu'un des hommes occupail mon attention,
m'offi'ant pour but sa tele a liu-ban, me montrant ses
yeux briUants el ses dents blanches, son camarade s'elail
glissc comme un serpent au cole oppose de la tente, apres
avoir relache doucemenl les chevilles, et s'emparail du bu-
lin qu'il jelail par-dessus la palissade; ces voleurs adroils
s'cchapperenl sans obstacles. Jc ne pus jamais me rendre
bien compte dc cetle affaire. Je m'en pris a I'adresse
proverbiale des Indiens, qui est certainement la plus mer-
veillcuse du mondc. »
Tel ful le rucit du major, qui repiit sa pipe el fuma.
Un jour ipi'il se promenait avec M. Pellinglon dans Ic
DU TEMPS
voisinagc Je M. Delasiro, il conscnlit a faire une visile a
cc dernier. C'clait unjour ncfastc.
Us rra|ipcrcnt a la porle de M. Delasiro, et furcnl d'a-
liord congi'dies par le vaU't ( cspcce dc bulor novice dans
I'art de mcntir sans sourciUcr ) qui rougit en affirmant
([ue son niailre clail sorli.
t'omnic le major elM. PcUinglon s'cn allaicnt, Delasiro,
qui faisait sa liarbe el avail pu toul entendre, vexe de rcn-
voyer ainsi Dojdy a sa premiere visile, fit courir apres eux
en les priant Je revenir et de laltendre jusqu'a la lin de sa
toilette.
Le major se mil a examiner les mcubles, les livres, le
tapis, lorsqn'enfiii quelque cliose de Lrillanl fisa son at-
tention sous li (hiffonnicr. II Iraversa la cliambreet lira
Tolijel en question avec sa canne. Un portc-carles en
liligrane d'argenl!
V (Jiioi, dil-il, Bl. Delasiro tienl done liien pen a ses jo-
lies bnliioles, puisqu'il les laisse fouler aux pied3?o
(Jiiand M. Pcltinglon reconnul le porte-cartessurmonte
de ses Icllres initiales, il devint pale, puis il se remit, et
dil : « Pcut-etre ma fcmme le lui a donne.
— Sans doule.rcpliqua Doddy, Anna Delia a puluioffrir
anssi me.s pieces dor indicnnes, la montre francaise, les
souvcrnins, el les clefs de ma soeur. »
M. Pellinglon parol embarrasse, etpria le major de cesser
touteremarquejusquVi cequ'il eutparlea sa fiUe. Delasiro
enlra pen apres, leraenton parfailement lisse et embaumant
I'airde sesparfums de France. Maisil ne tarda pas a s'aper-
cevoirde la maniere embarrassee de M. Pellmgton, el Je
I'etrange brievele des reponses du major, qui approchaient
fort de la grossierete. Cependant il crut pouvoir les atlri-
buer a la premiere reception que son valet avail laite aux
visileurs. En vain cbercha-t-il a raninier la conversation,
M. Peltinglou gardait le silence, el le major grondait en de-
dans comme un animal sauvage des hides.
Ajires une visile embarrassanle et pen agreable pour
tous, M. Petlinglon et le major se relirerent. W. Delasiro
aurait volontiers mis ce dernier a la porle sans cere-
monie.
M. Petlinglon courut cbez lui et tint conseil avec sa
fcmme, qui ne voulul ajouter foi a rien avant qu'il fut
question du porle-carles relrouve ; et comme les fenimes
sont excellentes dans I'art de la finesse, il fut convenu
que madanie Petlinglon cbercherail a decouvrir si Anna
Bella avail donne a M. Delasiro le souvenir en queslion. La
dame sonda le terrain avec precaution, et, a sa grande sur-
prise, elle fut plcinemenl convaincue que sa fille n'avait
rien donne. M. Petliogton rests confondu.
Major Doddy, sur les enlrefaites, enlra d'un air de
triomphe qui somblait dire :
« Je suis certain de la verite. n
llapportait un aumero du Jimfs ( le Temps, journal),
dans lequcl, parmi les comples rendus de la police, on
disait que Handlay, I'officier aclif Je lOpera-llalien, a la
suite dc nombreux vols an foyer, avail arrele un comle
etranger (Ires-connu dans les cercles clrangers), el avail
pris le parti extreme dele fouiller; malgre I'indignation
du comle et tonics ses promesses, I'offieier de police no
put se laissor gagner ; el quand la perquisition eut lieu, on |
Irouva plusicurs tabalieres, des epingles en diamants.
L'illuslrc etranger fut Iraduil devant les Iribunaux, niais
on Tacquilla sous pretexte de monomanic ; malaJie fort
commode |ioiir I'hommc riclie, mais a la favour Je liquellc '
PRESENT. 73
un pauvre miserable voleur n'obtiendrait aiicuncpilie pour
cxcuser son crime.
Mainlcnant le major Doddy persistait a croire que M. De-
lasiro etait aflligc de celle maladie, qu'il avail en son pou-
voir tous les aulrcs articles egares, el qn'on devail se pro-
curer I'ordre de faire une perquisition clioz lui.
M. Petlinglon desapprouvait loute mesurc prccipilce.
C'etail un philosopbe.
cc Si, disail-il, par malheur, Delasiro gcmissait sous !c
poids d'une maladie qui reniplit I'esprit J'ilUisions... «
11 fut alors interrompu |iar DoJJy, quis'ccria :
<c Illusions !... C'cst, parbleu, bien reel !
— Ecoutez-moi, dil Petlinglon ! Tant que I'individu
pent raisoniicr perliuemment sur les malieres en dehors
du sujet de son crrcnr, ce genre de monomanie n'est pas
un crime, mais un grand nialbcur.
— Assurcinicnl, repril le major, vous n'admetlriez pas
un lunalique dans votre famille ?
— Dieu nous en preserve, dil madame Petlinglon en pa-
lissant.
— Si ce monsieur, njouta Doddy, elait en proie a
quelcjue innoccnle illusion , s'il s'imaginait que ses
coudes ne sont pas a lui, ou qu'il elait present au
siege dc Troie, ou qu'il a une saucisse en guise de nez,
pen imporlerait; mais quand un bnmnie ne peut rcisister a
I'envie dc viJer les poches, de s'emparer de tous les ob-
jels porlatifs qu'il renconlre sous la main, ce qui doit un
jour le conJuire devant la cour criminelle, esl-ce la eelui
qu'on doit cboisir pour son genJre? »
Madame Pettington allait rc^'pondre, lorsqu'un laquais an-
nonc;a M. Delasiro, qui enlra suivi de Bobie. .Vnna Bella
elait absenle ; le jeune bomme la cbercha d'un ceil in-
quicl; ce regard fut inlerprcle ainsi par le major :
« 11 cherche quelque cbose a prendre. »
Et il se liala dc boulonncr ses poclics. Delasiro s'avanca
vers madame Pettington, qui le rccut asscz froidement,
et ne lui pri:scnta que le bout des doigls. Delasiro s'assit
autour de la table, ct demanJa, pour enlamer la con-
versation, s'ils connaissaicnl le resullal des celebres
courses d'.\scol.
Major Doddy rijpondit qu'Hne foule de gens liabiles y
avaicnt joue Icur role. Delasiro ne fit aucune attention a
ces paroles, et se mil a raconter les courses Ju premier
jour ; en parlant il souleva par distraction un petit cn-
crier de cristal, lorsque madame Pettington, a sa grande
surprise, vint reprendre de ses mains I'encrier pour le por-
ter aillcurs. Celle bizarrerie, jointe aux paroles seches et
peu habiluclles de ses amis, aclieverent de I'iuquieler. II
se leva, marcba vers la fenetre qui Jonnait sur le pare,
et, comme le soleil penetrait en plein dans la chambre, il
s'empara Ju gland pour baisser la persienne, lorsque encore,
a sa grande surprise, major Doddy se bala de lui arracher
le gland des mains, qu'il y lint encore apres avoir baissc
lui-meme la jalousie. Delasiro alia s'asscoir a ['autre bout
de la chambre, Doddy vint se placer en face de lui, puis il
lata la poche Je son gilet, aliu de s'assurer quesa labalicro
favorite s'y Irouvait encore ; a eel efl'ct, il passa la main
dans son frac a brandebourgs, cl dans un mouvement, il
fit sauler nn porlecrayon en or qui loniba entre la poche
et I'babit. Peu apres, comme il suivait avidement tous les
geslesde Delasiro, il deboutonna le frac, et le porlecrayon
tomba sans bruit et inapcrcu sur le tapis, si cc nest par
Bobie qui scmblail cndorini .sous la chaise du major.
ANECDOTES
Di-hislio ful livs-iri'ili- dc I'lHiangc rccciilioii, c\ se dtj-
cida a dcmander a madamo Pcllingtnii nii ('lait sa (ille. La
nicro, pen scrupulcusc sui- ce mciisongo, dit sans hesilcr
qirAnna Bella passail la joiiiiiee avcc sa tnnte. Mais on lui
avail donne ordrc dc rcslcr dans sa cliambre.
Lc pauvre M. Ilelaslro rei^arda Ic piano, apercut le duo
(!e la Gazza ladra, soupirn et prit conge ; le major fisa
siir lui des yeux cpii seniblaient dire :
« Vous n'allraperez rien aujourd'liui ti
Apres avoir saluc sans pouvoir s'cxpliquer la con-
trainle de M. et madame I'ellinglon ( qui lous deux
avaienl flit a nobic I'adieu le phis amical ; Hionnetc
petit chicn y avait repondn par Texpression brillanle
dc scs yens), Delaslro s'aclicmina vers sa demeurc, tout
plein do irisles pensecs. (Iii'avail-il pu fairp poiir deplairc?
II avait rpmarr|nfi une nouvclle singularilc dn major ; lui
qui jusqn'alors n'avait jamais quillc le sofa au depart
d'un visileur, le snivit clopin-clopant dans I'cscalicr, et
jeta un regard inqnisiteur sur les paraplnics, Ics manteaux
ct les redingoles pcndiis dans ranlichanibre. Comment ex-
pliquer tout cc manege?
Miss Anna Bella commencait a s'elonner dccequi se pas-
sait aulnur d'elle. Sa mere lui refusa une explication, ce
qui amena dcs sanglots, des crises de nerfs, des mnux de
tete violents, une visile du medecin qui ordonna une po-
tion pour le soir.
Le major, a]ires une pause, dit aM. Pettington :
« Vous I'avez vu manicr I'encrier? » M. Pettington sou-
pira. « Vous avez rcmarque comme il a essaye d'arraclicr
le gland ? un objet de si pen de valeur ! j'ai observe qu'il
gueltait le morceau de sucre place dans la cage du serin. »
Puis le major reprit Ic Times, aOn de copier le nom
du chef dc police dcl'Opcra-llalien. II avail tire son porte-
feuille, ct cliercba son portccrayon d'or dans sa poche.
Mais il fureta parloul, rcgarda par terre, retourna les
coussins de la bergerc, le portccrayon avail disparu, et le
m.ijor fut persuade qu'il avail rejoint les aulres articles
srobes.
Doddy n'clait pas homme a se dccourager v on I'avail
employe dans des ncgociations avcc plusieurs chefs indous ;
il s'etait trouvc en rapport avcc les elres les plus vils el
les plus ruses de I'espece bumaine. II prit la resolution
d'aller tout de suite chez M. Delaslro, sans rien dire a
M. Pettington.
Lorsqu'il arriva, le Cerbere declara que son maitreetait
snrti ; le major lui lanca un regard qui aurail traverse
une mcule de moulin. II ne vouliit pas cntrer, mais se dc-
cida a llancr dans Ic voisiuage jus(|u'au retour dcM. De-
laslro. II se promena sous les arcades de Burlington, s'ar-
reta dcvanl les caricatures , lorsqu'un jcunc monsieur,
prcslidigitaleur de profession, apercevanl le coin d'un beau
mouchoir de I'lnde sur le bord dc la poclic du major, cut
I'envic d'examiner tout le dcssin, escamola le moucboirde
la maniere la plus habile et s'cnfuil. Bientol aprcs, DnJdy
dislingua Delaslro et Bobie qui Iraver.saient PicadiUy pour
cnlrer dans Albany-Street, el le major, semblable a une
jianlbere, se disjiosa a saisir sa proie.
Delaslro fut surpris de celte visile, el la brusque enlrce
du major cffraya lellemcnt Boljie, qu'il se relira dans la
cui.une a la recherche de sou diner.
Le m.-.jor commenca ainsi :
0 Sails doulc, monsieur Docastro...
— .Mon nom est Delaslro, iulerrompit I'autrc.
— Sans doulc vous cles surpris do me voir, aprcs voire
visile du matin; mais il y a un point sur lequel je veux ct
je dois eire satisfait.
— Je suis loiitdispose a voussatisfaire sur tons Ics points,
monsieur, repondil Delaslro avcc assez de lierlc.
— Je suis heureux que vous parliez ainsi, monsieur De-
plastro, reprit le m.ijor.
— Mon nom est Delaslro, major Doddy. »
Le major le rcgarda fixement elconlinua :
0 Vous connaissez voire maladie, il est probable que
vous ne pourrez la vaincre, par consequent, soycz franc,
el avoucz-moi tout. »
Delaslro, de plus en plus surpris, dit :
« Moi malade ! je ne me suis jamais mieux porle I
— Voulcz-vous dire, monsieur, que vous n'avezjnmaA?
r!<?» pris ? » demanda le major.
Delaslro repondil que sa sante etant excdlente, il n'a-
vait besoiii de rien prendre !
Le major pcnsa que c'ctait par trop impudent, et com-
menca a perdre patience.
« Voire conduilem'etonne, monsieur Debrastro.
— Mon nom est Delaslro, monsieur.
— Eh bien, monsieur, auriez-vous la bonle de me dire
ce que vous avez fail de qualre mohurs d'or, de Irois sou-
verains ct demi, d'un pnrte-cartcs en filigrane, d'uno
chaine d'or avcc scs cachets, d'un etui en nacre, d'uno
petite mODtre francaisc, el du trousseau de clefs de ma
so;ur.
— Mon cher monsieur, repliqua Delaslro, vous ctes
foul
— C'est la justement le reproche qu'on vous fait, mon-
sieur Denastro.
— Mon nom est Delaslro, monsieur.
— En outre, jc pourrais encore ajouter a la lisle dcs ob-
jets derobcs a differenles epoqucs chez RI. Pettington, un
portccrayon en or, a moi appartenant
— Comment oscz-vous continuer sur ce ton, major
Doddy'?
— J'en ai le droit, dit le major, puisque I'aulre jour
j'ai ramasse sur voire tapis le porle-cartes de miss Anna
Bella.
— C'est impossible, monsieur, » repondil Delaslro qui
elait persuade que le soleil brulant des Indes avail trouble
la ccrvelle du major.
Au meme instant le sort voulut que I'ceil du major s'ar-
relal sur le crayon. Le major I'indiqua dun air Iriom-
phanl, el s'ccria :
« Mainlenaut vous etes coiivaincu, car j'apercois Id-bas
mon portccrayon. J'en ferai la declaration. »
Delaslro repondil aussilol hors de lui :
11 (lue le diable emporte vous et voire portccrayon ! »
Mais lournanl la tele vers I'endroil que Doddy indi-
qiiail, il vit en effet I'objel en question; Delaslro devint
rouge. El comme le major s'etait echauffe dans cetle alter-
cation un pen vive, il se mil en quelc de son foulard afin
dc s'cssuyer le front.
II fouilla une pochc, puis une auire, rcgarda aulour de
lui, chercha au fond de son cha|ieau, ct se tournant du cote
dc Delaslro d'un air soupconneux,il .ajouta :
11 Vous ferez bien de me rendre, avcc le reste, ce mou-
choir de soie indicn. »
^unique Delaslro fut tnuclic do pitie pour le trisle elat
iulollecluel de M. Duddy, il uc put supporlii- cetle nouvclle
DU TEMPS PRESENT.
77
insullo, el il lui fit entendre qu'il aurait affaire a lui dcs
qu'il aurait soumis le cas a un ami.
Le major repondit avec mepris « qu'il ne se battait pas
nvec les pclils volcurs. »
Si Doddy eiit etc plus jeune, Delastro I'eut certainemeiit
ccrase de sa colere, mais il sul se conteiiir ; el le major,
aprcs avoir empoclie son portecrayon et clicrche encore
desyeux son foulard, sorlit brusquement de la cliambre.
Le m.ijor se hala d'aller informer M. Peltiiigton de sa
nouvflle decouvcrtc. On le loua beaucoup de sa de-
marche. II n'y avail plus a doulcr; aussi M. Pellinglon
se decida-l-il a ccrire a M. Delastro pour le prier de sus-
pendrc ses visites chcz lui, jusqu'apres leclaircissemcnt
d'un evcnenicnt qui causait de grandes inquietudes a toule
la famille.
Major Doddy pcnsa qu'il fallaitenfin remonler a la source
ot fairc line investigation complete. Ilandlay, I'officier de
police ayanl fail la decouverte du comte elranger, devail
elre employe de preference. Le major alia en effel le trou-
ver, lui donna la description exacle des objets voles, ct,
sans accuser posilivcment Delastro, mil I'ofCcier sur la
voie. Quelques jours apres, Handlay vint prevenirle major
qn'il etail sur la trace de tons les objets voles, a Texceplion
des souverains.
Dans I'inlervalle, Delastro avail ecrit a M. Pelflngton
sans reccvoir de reponse, et ne pouvanl plus supporter les
remarques insullantes du major, il envoya un ami deman-
dcr satisfaction a Doddy. Ce dernier s'exprima si grossiere-
nienl sur le compte de Delastro, que son ami cut toule la
peine du monde a ne pas lui adminislrer un chalimenl per-
sonnel. Doddy consentil a cchanger des balles avec lui, s'il
ctait gentilhomme.
Le duel ful convenu ; le major choisit M. Pettington pour
tcmoin, et I'affaire prenait une lournure grave; mais ma-
damc Peltinglon, avec sa presence d'esprit ordinaire,
ayanl ccoulca la porle, se trouvait au couranl de tout.
Elle eut la precaution d'aller au tribunal raconter au
magistral ce qui sepassail; ordre ful donne aux duel-
listes de fournir caution ; et par une co'incidcnce bizarre,
Ilandlay fut cbarge de metire obstacle a la rencontre.
Nous touchons enfm au dcnoumenl.
L'officier de police, les magistrals, teles nues, sont assis.
Le major DodJy, M. Delastro, M. Pettington, et deux au-
tres messieurs, sont appelcs en cause.
Devant la cour parait un hommo de mauvaise mine :
c'cst Barabas Scraggs, arrele et cite do comjiaraitre pour
r'\|iliquer la possession des divers objcls reclames.
Eobie avail suivi Delastro au tribunal. Ilandlay deposa
'pi'll connaissait le prisonnier depuis longlcm]is comme
iia voleur dc chiens,et receleurd'objcls derobes. Plusieurs
I'n'teurs sur gages, qu'on avail appcles, produisirenl la
iiionlrc, la chaine apparlenant a M. Pettington, et mises en
gage par le prisonnier.
Le magistral s'elanl informe de la maniere dent Scraggs
s'emparait des clioses, puisqu'on ne I'avait jnm.ils vu pene-
• Irer dans I'inlerieur dcs maisons, Handlay, c|ui I'avait sur-
veille soigneusement, repondit que le prisonnier possedail
un cliien habilement dressc, qui lui apporlait tout ce qu'il
avail pu ramasser ctcacher en secret dans .sa gucule.
A rinslaiit mcme, le president laissa lomber ses !u-
ncUes, el Bobie s'en enipara ; puis il alia les porter a son
ancien mailre, assis sur le banc prcs de Dclaslro, sur le-
quel il fixases yeux brillanfs, tout en remuaiil sa belle
quene en forme de houppe.
Parmi les objets etales, M. Dela.stro reconnut une bague
ct un flacon de sa tante Isabelle, et, a sa grande surprise,
il retrouva aussi un couteau d'argent, un lorgnon en or,
qu'il avail perdus sans savoir comment.
II nous resle pen de cliose a dire. M. Delastro fuljusli-
fie. M. Barabas Scraggs ful condamne et envoye a la re-
cherche des chiens d'Auslralie. Major Doddy s'excusa, s'e.x-
pliqua jusqu'ii satiele. Miss Anna Bella Pellinglon devint
madame Dclaslro. Mais en premier lieu on se debarrassa
de Bobie, qui etail, a n'enpasdouter, un chien fort dange-
reux. II ful relegue a la campagne, et finil par lomber
enlrc les mains d'un charlatan des places publiques, qui,
a la faveur de quelques changemenis personnels, d'une
fausse queue et d'une fausse criniere, Tinscrivit sur ses
affiches sous la designation suivante, bien digue du charla-
lanisme de noire temps :
VEND DU CBAND DESERT,
c'lrDcpav laprincrssf
GRANDE-SULTANE OGLOU-BENGOU-MANGOU
el aussi tenarqiiifcle pat ses vertiis ptivees que par soq adrtsse.
KA JECNE BBXTOIffME.
On sail quelle lerreur versent aulour d'cux ct de quelles
actions sont capables les hommes des bagnes. Ces infor-
tunes quo la loi a frappes de bonne henre, roulant de
vice en vice el de crime en crime jusqu'aux dernieres
profondeurs de I'abime, semblent snuvenl des demons de-
cbaines plulol que des hommes. Leur proscription ne fait
qu'augmenter leur fureur. lis osent tout conire la .socielc
qui les a bannis, et rien n'est plus dangereux qu'un forcat
libere, si ce n'est un forcat rcfraclaire ct fugitif.
Malgre les efforts et la prudence dc radministration, il
arrive souvent que quelques-uns d'enlre eux, las de la
discipline des bagnes, apres avoir longlcmps el cruelle-
mcnt cxpie leur combat affreux conire les lois, parviennent
a briser leur chaine et a s'echapper. Recemment un des
plus agucrris et des plus tcrribles parmi ces criminels tenia
une evasion bardie, el se sauva par les toils dc I'arsenal.
La population, qui s'elait mise a sa poursuite, n'avail pas
pu ralleindrc, et peul-elre serail-il parvenu a se cacber
dans la foret voisine, si une jeune villageoise brelonne,
dont la cabane etail tout pres, apercevanl un lionime qui
se blotlissail dans un taillis, n'eut .saisi le vieux pislolet de
son pere, occupe alors au travail dcs champs. Elle sorlit,
presumant avec raison qu'il s'agissait d'un malfaileur, et
le tint en respect avec cotte arme, lui loujours retulanl
devant elle, jusqu'au moment ou ccux qui poursuivaient
le forcat ratleignircnl. La prime accordce au succes de
celle poursuite constilua la dot de la villageoise breloiinc.
Nous ne cilons celle anecdote que comme aulhenlique
ct recenle ; mais nous ne pouvons, en la rapporlanl, nous
cmpechcr de signaler aux amis de rbumanile celle cbasse
atiN lionnnes, et celle mise a prix d'une tele meme ecu-
78
CAUSERIES
palilp. L'honimecrimine!, image fldtrie de Dieu qiiiTa cree,
nous iiitcrcsse mraic dans sa declioance, ct peiil-ijtre h re-
ligion devra-t-elle bienlot s'alliera la pliilanlliropic admi-
nistralive poui- obtenir a ce siijet d'ulilcs lOsullals.
"Rou.iii
CAUSERIES
AVFX \m Fii,s mm
SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES.
PREMIERE HATISi£e. — XES FATINS.
lA NEIGE. — LA STATUE DC HEIf.E. — IRVESTIOS DES PATmS.
DESSINS SUP, LA CLACE.
« Vous avez fail Ij, mon clier Ernest, une bien belle
slalue de neigc Le nez est un pcu gros, et les formes
nc sont pas elegantes; mais le bonnet de colon est d'une
imitation jiarfaite, et me semble calf|iic snr ccUii de noire
chef de cuisine; helas! le premier rayon de solcil va de-
truire voire reuvrc et ccUe de vos amis. Vous ni'avez de-
mande do vnus acbeter despalins; en voici. Vous voyer
que chaque saison, meme la plus dure, offre des exercices
aussi agreables qu'uliles : quand le froid rigonreux nous
prive des plaisirs do la natation ct des promenades sur
I'eaii, la glace nous presenle le gracieux amusement des
patins ct des traineaux. L'anuiie procliaine, nous irons pro-
balileinenl en Crcce, ct vous n'aiirez guere I'occasion de
vous livrcr a ce plaisir des peuples du Nord. Tons Ics pays,
en effct, ne sont pas egalcment convenables a ce plaisir.
Les nations scplenlrioiiales, niais non hyperboreennes,
excellent dans I'art de palincr.
« En Norwege, en Suede et en Lapnnic, pays excessi-
vcnicnt froids, ou la lerrc est presque toiijonrs couvcrtc
d'enormes masses de nelge, on ne patine pas commc en
Ilollande oil la glace unie, et rarement couverti' do licau-
coup de neige, perniet de se livrer a cet amusement pen-
dant une grande partie de I'liiver. Les femmes mcmes y
rivalisent d'adresse avec les bommes, et il est assez com-
mun de voir les jeunes paysannes, un panier sur la lete,
glisser gracieusemenl sur leurs patins en allant an marclic.
On dit qu'en 1808, deux jeunes filles de Groningen gagne-
rent le prix de la course en palinant, et parcoururent
trenle-dcux milles en nne beure.
— Mais dites-moi, mon pore, qui a invenle lespalins?
— Voila une curiosite que j'aime; ellc est njerc de la
science, etpromet un bomme qui voudra se rendre comple
des clioses.
— De quand date celte invention?
— On ne sail pas a quelle cpociuc les patins ont etc in- ,
Iroduits en Europe, mais il parait quils y etaient communs
des le Ireizieme siccle. Dans une bisloire de Londres, par
Filzstepbcn, on voil que de son temps les jeunes gens de la I
ville avaient I'babitude, quand la glace etail assez forte,
d'atlacber sous lenrs pieds un fragment d'os ; an moyen
d'un baton ferre, ils s'elanc^ient sur la glace avec la rapi-
dite d'une fleclie ou d'un oiseau. Quelquefois deux cham-
pions, equipes de la sorle, prenaient du champ et s'elan-
caient de tres-loin I'un centre Tautre. Eu se rencontrant
ils s'atlaqnaient, se frappaient de leurs batons, ct souvent
se blessaient grievement. L'un d'eux, ct parfois tons les
deux, etaient renverses et entraines par leur elan a une
grande distance l'un de I'autre : quand la tele poi lait sur
la glace la peau etait immanquablement arrachce. Vous
viiyez que ces jeux barbares n'avaient pas grand rapport
avec I'art de patincr de nos jours. 11 decrit encore un autre
amusement (jui consistait a prendre un bloc de glace gros
SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUV E BTES.
79
comme une niciilccle moulin; un des jeunes cfons s'asseyait
dcssuscl Icsaulrcs le trninaient ; il arrivaiti|iiPl<iucfoisi|ii"en
passonl sur uu endroil glissanl tous tombaicnl d la I'uis.
(1 Slrult dit que de son temps on se servait de Iralneaux
que Ton Dxail a un cenire par un cordaije ; on leurfai.ait
aloi'sdcciire un cciclc avcc uncgrande rajiiJile.
(I Je pense que I'usage du palin vienl de la llollande. Dc-
piiis longtenips Edimbourg possede un club depalineurs
foil liabiles; tout reccniment, il s'en est etabli un .i Lon-
dres, lequel a la pieleiilion de n'Stre en rien infericur a
I'autre.
« Vous Irouverez dans V Encyclopedia brilannica une
desciiplion de I'art de paliner dont i'analyse suffija pour
vous donncT les premieres notions de cet art.
« II faut commencer jeunc et surlout s'efforcer de vaincrc
la crainle qu'inspire aux debutants un exercice dangereux
au premier abord. 11 est facile, des le commencement, dc
glisscr sur Tangle interieurde la lame du palin. II faut en-
suite s'exercer a exdcuter des dehors, c'est-a-dire, a ne
faire porter sur la glace que i'angle exterieur; pour cela,
on jelte le poids du corps a droite quand on se sert du
pied droit, et a gauche quand on se sert du pied gauclie,
et Ton decrit un demi-cercle. Un sac rempli de jilomb de
cliasse, place dans la poche du cote oii Ton veut penclier,
facilite beaucoup cc mouvement. En commencant un de-
hors on ploie le genou et on le rcdresse graduellement a
mesure que la courbe se decrit. (juand on est p.nrvenu a
bien faire les dehors des deux pieds, on les faitalternativc-
mcnt d'un Cute et de I'autre, et Ton s'avance ainsi par un
balancement gracieux. 11 faut eviter d'employer la force,
mais s'incliner mollement du cute oii Ton veut tourncr.
On porte le haul du corps legcrement en avanl, la janihe
libre allongee dans la direction du corps, la puinte du pied
basse, la face et les ycux tournes en avant. A mesure que
Ion decrit la courbe, le corps se redresse lentementel Ton
ramene en avant la jambe ; de sorle qu'a la Cn de la courbe
le corps penchc legurenienl enarriere, et le pied libre,a
80
CAUSERIES
quelqiies ponces devant I'aulre, se irouve pret a allaqucr
la glace. Tons les mouvemcnts du corps doivcnl corres-
pondre avec ceux des patins, mois sans affcclation , ni
roideur. Hien ii'cst plus gracieux que de voir jilusieurs
couples de palineurs, velus de leur elegant costume, par-
failcment maitres de leurs mouvements, et se tenant en-
laces, dccrire ensemble des courbes harmonieuses, fuir,
glisser, revenir, disparaitre, voler comme des oiscaui sur
la glace brillante el polie.
B 11 faul que le bois du patin soil legerement creus6
et s'adapte a la forme du pied, qu'il ait unc cavitc pour
recevoir Ic talon de la boltc que Ton y fixe au moyon
d'une vis ou d'une poiiite de for; par ce nioyon, le dcs-
sous du pied est liorizontal et trouve un appui plus fcnne.
La direction du fer doit correspondre exactement a celle
du pied, ct le bois doit etre de la meme longueur ; la lame
doit etre de bon acier, solidement fixee dans le bois, ne
pas depasser la vis du lalon, el la courbe de la pointe ne
projeler que fort peu. Un patin trop long fatigue le pied et
gene les raouvements. La lame porle ordinairemeut un quart
de pouce d'epaisseur, et trois quarts de hauteur ; elle est
quelquefois cannelce, quelquefois plate. — La cannelure
donne de la solidile aux personnes tres-legeres, mais la
surface unie est preferable pour les autres, parce qu'un
patin cannele, coupant la glace, diminue leur vitesse; en-
fin, il faul une legere courbure dans le sens de la longueur,
ce qui aide a decrirc Us courbes.
« En commencant, appliquez-vous a vous tenir ferme
sur les palins, puis marchez sur le patin, cnsuite glissez
en avanl d'un pied sur I'autre ; apres cela vient la courbe
inlerieure, el cnlin vous vous excrcerez a faire les dehors, a
decrire une multitude de figures gracieuses ; les principales
sonl la course onduli'e a la maniere hollandaise, I'aijile
ecartelc, la renommee , le dehors en arriere , le cer-
cle, le huil, le trois, la valse, la reverence, la pirouette,
le quadrille, la spirale, la vis, el des figures varices a
I'infini.
« Comme dans nos pays les liivers , comparativement
courts, ne nous permcltcnt de patiner que pendant fnrt
peu de temps, et que meme dans les grandes villcs plu-
sieurs annees se passenl souvenl sans que les amateurs
puissent se livrer a ce plaisir, on a imagine d'adapler sous
les patins des especes de roulettes ou galets au moyen
desquels on pent, en quelque sorte, patiner sur toutc
surface unie, mais beaucoup moins facilcmenl et moius
vitc que sur la glace. On s'en est servi sur des plaiichers
et meme sur les routes, mais d'une maniere imparfaile.
II parait qu'ii Londres on a imagine une espece de gl.icc
arlilkielle, placee dans letablis.scmont du Colisee. Au \W-
geul's Park un vaste salon, revelu de cclte glace, est en-
tonre de decors qui reprcsentent des montagnes couvcrtes
de neige, ct offre aux patineurs, au milieu de I'ete, un
conlraste frappaut avec la verdure du parr.
a Mais c'est en llollnnde qu'il faul aller pour trouver
I'art du patin dans sa splendeur. Le vieillard se fait trainer
sur sa « chaise ii palins, n et, tout enve-
loppe de fourrures, iljonit encore des
pldisirs de sa jeunesse; I'horame opu-
lent orne .son cheval de panaches aux
couleurs tranchantes , le fait ferrer a
glace, et traverse I'espace dans son ele-
gant traineau avec une rapidile fabuleuse.
<i Telle est, mon cher enfant, la bienfaisante volonte di-
vine, qui a donne ii I'homme la nature immense, I'induslrie
pour exploiter la nature, riiilelligence pour guider I'indus-
trie, non-seulement au profit de ses interels, mais mcnic
ilans I'intijret ile scs plaisirs >>.
DEDXIEWE MATINEE
1,4 ^R1CE ET L\ GLACE VIVACTES. — LE S\NC DE LA ^E1CE.
DECOUVBETES HECEBTES. — tIN MOSDE PARS LA NEIGE.
(, Mnu pcre, dit Ernest, nous lisions I'autre jour dans
le Mnmml de M. le Cure {i'„ que la ueige est quelquefois
rouge, ct que ce ne sonl pas des plantes ou du sable qui
Iniilonnent cctte couleur. Le Cure ne nous a pas encore
(I) VoiJ. 11° 11, p. 36.
sun LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES.
81
Jonno rcxplicBtlon cle ccla. J'avouo quo ilc la ncige rouge
me parail iinc cliO!^c loul a fait siiigulicrcl
— Oui, lorsqu'il est qucslion de ncige, nous associons
toujoui-s a ccllc substance Tiilec d'une Ijlanclieui' pure ct
eclatante. U est done assez difliciledecroirc au phenomene
de la ncige rouge. Cependant, mou clier ami, nous avons
le Icmoignaged'liommesconnus ]]Ourleurvcracile, qui cer-
liOent ce fail. Saussurc en a docouvert sur le nionl Breven,
en Suisse, I'annee 1760. Ramnnd trouva de la ncige rouge
sur les niontagnes dcs Tyrenees, de mcme que Sommerfeldt
sur celles de la Norwege. Le capilaine Barry, a I'epoque
do son expedition seplentrionale, observa aussi cette
nuance rouge de la neigc.
— 11 en parte dans son voyage, mon pere! vous I'avcz
la dans voire bibliotlieque ! »
Bl. do "*• lira de sa bibliotlieque I'ouvrage du capilaine,
ct lut cc qui suit :
« Dans le cours de noire voyage, le 2 aout 18127,
nous avous rencontre une quantito de ncige teinte d'luie
matiere rougeatre jusqu'a Tepaisscur de plusieurs pouces ;
une parlie fut conservee dans une boulcille, pour elre
soumise plus tard a I'cxamen. Cctle circonstancc ni>us
rappela ce que nous avions deja souvent reniarque pen-
dant ce voyage, que les Iraineaux charges, en glissanl sur la
neige gelee,y laissaieut une teinte d'uu rose pale, que nous
avions attribuee a la matiere coloranle e.Nprimee du bois
de bouleau dont ils soul fails.
Ce jour-la cependant, nous observames que la trace
'de nos pieds offrait le meme spectacle, el, a la suite d'uu
ciamen plus scrupuleu.x, nous reconnunies que cela sc re-
nouvelait d'une mauiere plus ou moins sensible par la forte
pression, sur tonic la glace que nous parcourumes, sans
en pouvoir decouvrir la cause, mcme a'ec le secours de la
plus forte loupe. La coulcur de la neige rouge, que nous
mimes en bouteille, diffcrait de celle-ci par sa teinte,
ctanl d'un rose plus fonce, approcbant de la coulcur du
saumon, niais les deux neiges parurent cgalement digues
d'une elude serieuse. »
« Le capilaine Ross parle aussi de Te-xistcnce do cette
neige rouge sur les montagnes Arctiques,haulesdesixcenls
pieds, sur hull milles de longueur. Les differcnls obscr-
vateurs ne s'accordent pas sur la profondcur jusqu'ou pent
descendre celle Icinte rouge. Les uns I'onl Irouvce a plu-
sieurs pieds au-dessous de la surface, d'aulres n'ont jamais
ccrlifie qu'elle s'etendit au dela d'un ou deux pouces.
« EnDn, on a cm pouvoir donner, pour cause cerlaine de
cctle couleur rosee, le vasle assemblage de pelits corps
vegelaux appartenant a la classe des planles cryplorjamcs,
51 autrcs appelees alga:, qui forment I'espece a laqiiello
^gardi dour.e le noni de Protococeus riivalis. Mais bien
pie ceci soil vrai a I'cgard d'une pelilc porliondes corps
Hixquels cette teinte rouge e.vl due, nous apprenons, par
.es recherches etlesdccouverlcsphis recenlcsde II. Shult-
ewortb, que la plus grande portion do la neige rouge qui
;ouvre les Alpes (comme celle sans doute aussi qui lapisse les
•egions arctiques) est d'originc animale ct non vegclale. Jo
le puis mieux le le prouver qu'en cilanl la description
cienlifique donnce par la bibUollieque de Geneve que lu
as me lire :
— Lc jeune Ernest lut ce que son pere lui indiquait :
« Le 23 aoul 1859, dit M. Sluillleworth, etant iil'/ios-
•ice du Grimsell, j'appris qu'on apercevait dans le voi-
mage plusieurs morccaiix de neige qui commencaienl a
lircndro une teinte rougo. Le temps Dvait il& tres-maii-
vais quelques jours auparavant : la neige etait tombee eii
quantile, mais clle n'avait pas tarde a fondre sous I'in-
lluence des pluies chauJes el d'une temperature plus
douce. Le 24 fut une journce de dcgel et de brouillard ; lo
23, le temps fut clair, la temperature agreable, memo
cbaude au solcil. Je m'empressai cle visiter Tcndroit indi-
que, accompagne de nion ami Schmidt, et de MM. Mach-
lenhech, Scbimper, Bruch et Bhnd, naturalisles ilaliens
dislingues, qui arriverent ce jour-la mcme au Grimsell, 4
ma grande satisfaction.
(I C'est la, oii la ncige ne fond jamais cntiereraant, que
nous Irouvamcs les cndroils sur lesquels la neige rougo
commencait a parailrc. Les fragments etaient lant soil pcu
inclines el exposes vers Test el le nord-cst : leur surface
etait plus ou moins couverle de parcelles de terre qui lui
donnaienl eel aspect d'un gris sale, qu'on romarque habi-
luellemenl sur la vieille neige des collines inferieurcs, et
dans les positions dominecs par un terrain plus eleve. La
surface etait d'ailleurs siUonnee el legcrcmenl creusec;
circonstances produilcs par le vent el le courant d'eau que
formait le degel parliel de la surface, degel considcrablement
augmente par la grande absorption de chaleur pres des par-
celles de terre. Ca et la on apercevait des laches d'une cou-
leur rosee, ou semblable a du sang trcs-pale, dont la forme
el I'elenduc ne pouvaient elre precisces, mais qui elaient
plus visibles dans les fosses et les cndroils creux. La vieille
neige egrenee et plus ou moins grosse nous prouva que
la matiere coloranle etait renfermee dans les inlervalles
situcs enlre les parcelles, ce qui donnait a la surface, vue
de pres, une apparence vcinee.
« Les laches colorces pcnelraient la surface de la neige
jusqu'.i I'epaisseur de plusieurs pouces, el meme souvent
jusqu'a un pied. La couleur so montrail, lantot plus visible
a la surface, lantot plus apparcnle a quelques pouces
au-dessous. Chaque fois quo les rochers on les pierres
avaient occasionne de pclils puits dans la neige , les
cotes en etaient aussi colores dans toule leur cpaisseur.
Au total, cependant, la matiere coloranle pcnolrail seule-
menl une legere etendue dans la surface de la ncige qui
devenail de plus en plus compacle, en proportion de sou
cloignement de la surface.
« Une quanlile suffisantede celle neige coloree,ayantcle
recueillie el dcposee dans des vases de terre, ful enlin sou-
mise ii un cxamen microscopique ; a mesure que la neioo
fondail, la matiere coloranle depo.sait graduellement
sur les coles et le fond des vases une poudrc d'un
rouge fonce. Au bout de deux ou trois licures, la neigc
clant en partie fondue, on en placa une portion sous un
microscope Ires-puissant.
« M. Shulllcworlh no vil pas sans surprise que celle ma-
tiere coloranle se composait de corps organises de formes
et de natures differenles, donl quelqucs-nnes elaient vege-
tales, mais donl la plus grande portion, douce d'un mouve-
mcnl rapide, appartenait au regne animal. La coulcur du
|dus grand iiombre elail d'un rouge brillanl, approcliant
quclquefois do la nuance du sang; d'aulres corps parais-
saient cramoisis, ou d'un brun Ires-fonce et presque d'un
rouge opaque. Outre ces corps colores, 11 y en avail encore
d'aulres sans couleur, ou grisatres, dont les plus gros
etaient de nature animale, mais si peu nombreux, qu'on
a pense que leur presence elait accidentclle, el les plus
pelits elaient evidcmmcnl de I'espece vegetala
82
a Lcs plus curiciix dcs corjis :iin.si docoiiverts et ceux
qui, par leur muUituJe et Icur coulcur foncec, produisent
principalement la leinte rouge de la neige, eloicnt de pelits
Infusoires (1) d'une forme ovale, donl la coulcur elail d'un
brun rougealre Ires-fonce, ct qui claienl presiiue opaques.
Ces creatures niarchaienl avec une incroyalle rapidilc
dans toutes les directions; la majorite presentait rne forme
ovale parfaite; quelques-unes avaient celle d'une poire.
Les premieres avaient un mouvement egal et horizontal ;
lcs dernieres s'arrclaient souvent au milieu de leur course,
ct tournaient rapidement sur leur exlrcmite pointue, sans
changer de place. On, pouvait remarqucr dans les corps
ovalesune ou dcu.'i taches rougeatres et presque transpa-
rentes, soil au centre, soit pres des extremites ; on les re-
garde comme lcs eslomacs de cetlo espece que M. Shutt-
leworlh appelle Astasia nivalis.
u Parmi ces Infusoires, on en distinguait de plus gros, et
difl'crant des autres par une coulcur de sang d'un rouge
appruchant dii cramoisi, et i)ar leur transparence remar-
quablc. lis ctaient de forme ronde ou ovale, et entourcs
il'une marge ou d'nne membrane sans coulcur. Dans ecus-
ci, M. Shuttlcworlh ne put apercevoir aiicun mouvement
ou la moindre trace d'une organisation intericure ; mais il
est persuade qu'ils n'en sont pas moins des animaux infu-
soires de I'espece des Gyges qu'il appelle Gygcs sanguineus.
a On trouva cgalement sous le microscope un certain nom-
brcdecorps plus pctits encore ; ilselaient d'une rondeur par-
faite, dun rouge magnifiquc, quoique tant soit pcu transpa-
rents.Vus d'une certaine maniere, ils montraient a I'une de
leurs extremites une petite fcnte ou une ouvcrture tres-
etroite. Leur mouvement elail progressif, en cerclcs, et ils
tournaient sur eux-memes en mcme temps. On en voyait
d'autres ronds aussi, de coulcur cramoisie, legcrement
transparents aux extremites, et entoures d'une membrane
sans couleur. A un point determine, vers le bord, la masse
coloranle presentait une ouvcrture, quielaittransparenleet
presque sans coulcur, de la forme d'une demi-lune, et qui
communiquait avec le bord niembrancux. Aucun mouve-
ment ne se faisait remarqucr dans ces corps; ne peut-on
aussi les classer avec ccrlilude.
« Ainsi est prouve, dil W. Sbutlleworth, un fait qu'on
ii'a, je crois, jamais soupconne jusqu'd present, c'est-a-
dire qu'il existe dans la neige rouge un nombre infiiii
d'elres microscopiques, qui sont cvidcmment dcs ani-
maux, el a une tenqieralure qui s'clcve rarement a plus de
quelques degres au-dcssus du point glace, ct tondje pro-
bablement bicn plus bas; ce fait nous avcrtit de tout
ce qui restc a decouvrir encore dans ce nouveau nioiule,
dont les limites s'elendront a mcsure que nos microscopes
deviendront plus parfaits. »
— « 11 n'y a pas, conlinua M. de "'", qui s'apercevait de
I'etonnemenl de son jcune Dls, de preuve plus extraordi-
naire et plus frappante do la grandeur de Dicu ct des mcr-
veilles qui nous entourent, que cc nionde inconuu dcs in-
finiment petits; nous y reviendrons unjour, ct je te fcrai
voir au moyen du microscope solaire des millions d'eljcs
contenus dans la gouHe d'eau, dans le rayon de soleil, dans
la poussiere, et que tu ne soupconnes pas.
( La suite d un numcio prochain.)
(1) Les animaux infusoires. on infnsorin^ fnrcni ainsi appiMfs d;ins
I'ongine par Mullcr, iiaiuralisle danois, parce qu'ils abondenl dans Ionics
IPS substances, vcgclales ou animales, qui out (16 conserv^'es quelque
tLinps.Ils soiu si pelils, que le microscope peat seui lcs faire apercevoir.
LES MILLE ET UNE NUITS
LES MILLE ET €NE NUITS
D'EUROPE ET D'AMERIQUE,
CnOIX DES MEILLEUnS CONTES
ESPAGNOI.S, ALLEM.^NDS, A5C1.AIS, AMEBICAINS, ETC., ETC (1)
TBOISlillE KCIT.
CONTE DE nOK BABLADOB DE KA ISIiA.
— « nenvoyez-moi ce brave homme, s'ccria le deyd'Al-
ger en lui donnant dix sequins; son conte est bon, et d'une
moralile qui doit plaire a tons ceux qu'Allah charge de la
direction des peuplcs. Si chacun sc tenail a sa place, iln'y
aurait pas de revolutions... Mais, ajoula-t-il en baillant, ces
denies glaces et ces Nains difformcs me fatiguent un pcu.
Est-ce qu'il n'y a pas de soleil en Europe? Qu'on me fassc
venir un Espagnol, ce petit vieux precepteur, dom... Com-
ment I'appelcz-vous? — Dom llablador, Uautesse? — Lui-
meme.)>L'ordrefutaussitutli'onsmi.s, etunpersonnageasscz
chi5tif, I'reil clincclantet I'air fier, fut inlroduit; quand
il sut cc dont il s'agissail, il rccita le conte espagnol sui-
vant, pour amuscr Sa llaulessc :
LE DOYEN DE BADAJOZ.
Lc doyen de la cathcdrale de Badajoz ctait plus savant
lui seul que tons les dorlcurs de Salamanque, en y joi
gnant ceux de Coi'mbre et d'Alcala. 11 cnlcndnit toutes les:
langues jnortes et vivantes; 11 posscidait toutes les sciences!
divines el humaines : mais malhcureusement il ne savail
pas la magic, ct il en elait inconsolable.
On lui dil qu'il y avail dans un faubourg deToledeuD ma-
gicien tres-habilc, qui se nommait dom Torribio. Sur-lc-
champ il fait seller une bonne mule, il part pourToliide,
ctva descendre a la porte d'une assez vilaine maison, oucc
grand homme elait logc. '
((Seigneur magicien, lui dit-il en I'abordant, je suis le, I
doyen de Badajoz. Les savants d'Espagne nie font rii'jimeur
de m'appeler Icurmaiire; maisje viens dcmander un litre
plus glorieux, cclui de voire di.sci]ilc. Daigncz m'inilier aux
mysteres de voire art, et complez sur une reconnaissance
digrie du bienfail et de son aulcur. »
Dom Torribio n't-tait pas fori poll, ([uoiqu'il se piquAt de
vivre avec la meillcure compagnic de I'cnfer. 11 rcpomlit ;i
M. le doyen qu'il pouvait cherclier ailleurs un maitre de
magie ; que pour lui il elait las d'un metier ou il n'avail
gagnc que des com]iliments et des promesses, ct qu'il nc
deshonorcrail plus les sciences occulles, en les prosti-
lu.inl a des ingrats.
« A des ingrats 1 s'ecria le doyen ; quoi 1 seigneur dom
Torribio, vous avez Irouve des ingrats! ct vous nuriez
riiijuslice de me confondre avec dc ]iarci!s nionstrcs ! «
Alors il ctala tout ce qu'il avail lu d'apophlliegmcs ct
de maximes sur la reconnaissance ; il dcbita, du Ion le phis
doux et de I'air le plus vrai, tons lcs sentiments honnelcs
que sa memoire put lui fournir : en un mot, il paria si
bicn, qu'apres avoir rev(; un moment, le sorcier avoua qu'il
(I) Voy lcs nos I el II. Prettitere el accomle Suits. Le come inlilule
/i' lltriijun lie Baitajaz faisail origmaiiciiicnt parlic d'un recucil dc rccils
el apologues ( El Conile Litcanor ), tcrii par un ccclcsiasliquc espagnol,
el I'un dcs clicfs dVcuvre de la \icillc liil^raiure casUUane. L'abbc Dlau-
cbrl, de Cliarlrcs, I'un des mcilleurs (^crivains et des hommcs les plus
spirilncls ct lcs [dus modesies du dix-liuitit'iiic siCcIe, a iiuii6 ce conte
piquant et nioial, et I'a insure dans son cliarniant volume A'Aiwlosucs,
i
D'EUnOPE ET
ne pouvalt rien refuser a un galanl liomme, qui savail (anl
de beaux passages.
« Jacinlhc, dit-il a sa gouvernante, vous meltrez deux
poules aupol, une perdrix a la broche; j'espcre que mon-
sieur le doyen mc fora rhoiineur desouper ici. »
Enmeme temps il le prenJpar lamaiiiet le fait passer
dans son cabinet. Lii, il le louche au front, cu murmurant
ces Irois paroles myslerieuses, que je prie Sa Ilautesse de
ne point oublier :
Orlobolan, Pistafrier, Onagriouf.
Puis, sans autres preparations, il se met 4 lui expliquer,
avec beaucoup de ncttcle, les prolegomcnes du grimoire.
Le nouveau disciple ecoulait avec une attention qui lui
permettait a peine de rcspirer, lorsque Jaciiithe enlra brus-
quement, suivie d'un petit homme botte jusqu'a la ccin-
lure, etcrottejusqu'aux epaules, qui demandait a parler a
M. le doyen, pour une affaire trcs-presseo ; c'etail le pos-
tilion de son oncle I'eveque de Badajoz, qui avait depeclie
apres lui, et qui avait couru jusqu'a Tolede sans pnuvoir
ralteindrc : il venait lui apprendre que, quelques lieures
apres son depart, monseigneur avail eu une attaque d'apo-
pleiie si violente, qu'elle faisail craindre les suites les plus
funestcs. Le doyen jura de bon coeur, tout bas pourtanl el
sans scandalc, conlre la maladie, le malade el le courrier,
qui, effcclivcmenl, prenaient tons trois leur temps on ne
pent plusmal. 11 se delai-rassa du postilion, en lui disant de
retourner bion vite a Badajoz, et qu'il no tarderait pas a le
suivre; apres quoi il repritla lecon, commes'il n'y avait eu
dans le moude ni oncles, ni apople.vies.
(luelques jours apres, on rccut encore des nouvelles de
Badajoz ; mais cellcs-la valaient la peine d'etre ecoutees.
Le grand chantre et deux anciens clianoines vinrenl noli-
fier a M. le doyen, que son oncle, le rcverendissime cvc-
que etait alle recevoir dans le ciel la recompense de ses
verlus ; que le chapilre, canoniquement assemble, I'avail elu
pour le siege vacant, el qu'on le suppliaitde venir consoler,
par sa presence, I'Eglise de Badajoz, sa nouvelle epouse.
Dom Torribio, present a la harangue des deputes, pro-
fita do I'occasion en habile homme. II pril en particulier
le nouvel eveque, et, apres un petit compliment conve-
nable aux circonstances, il lui dit qu'il avait un fils,
nomme dom Benjamin, ne avec de I'esprit et de bonnes in-
clinations , mais dans lequel il n'avail apercu ni goiil, ni
talent pour les sciences occultes : que s'etaut propose d'en
faire un bon pretre, il avait reussi, grace au ciel, dans ce
pieux dessein, et qu'il avait la consolation d'entendre ciler
son cher fils comme le meiUeur sujel du clcrge de Tolede;
enfin, qu'il siippliait tres-huniblemenl Sa Grandeur de vou-
loir bieii resigner a dom Benjamin le doyenne de Badajoz,
qu'elle ne pouvait conservcr avec Vevechc.
" Uelas! repondit le ci-devant doyen , d'un air un peu
cmbarrasse, jo ferai toujours lout ce qui pourra vous etre
agreaUe.Cependnnt,ilfaut vous dire que jai un parcntdonl
je suis I'herilier, un vieil ecclesiastique, qui n'est bon quVi
etre doyen, etque, si je ne lui donne pas cette place, me
voila brouille avec toule ma famille, que j'aime jusqu'a la
faiblesse.Mais, ajouta-t-ild'unionplusaffectueux, ne comp-
lez-vous pas venir a Badnjoz? auriez-vous la cruaule Ce
m'abandonner, preciscmcnt quand je commence a pouvoir
vous elre utile? Croycz-nioi, mon cher maitre, parlous en-
semble, et ne songcz qu'a Tinslruction de voire disciple.
■Vous pouvezetre Iranquillesur relablissement dedoni Bcn-
amiu, jem'en charge ; et, lot on lard, je ferai pour lui plus
D'AMERIQUE. 85
que son pere ne deniaiide: un miucc doyenne, au fond do
I'Estramadure, n'esl poinl un benefice qui convienne au
fils d'un homme tcl que vous. »
II y avail faute, dironl les gens severcs, dans le marcbc
que le doyen proposait au magicien ; cependant, il est cer-
tain que ce marche ful conclu, sans que deux pcrsonnages
si cclalres en aient jamais eu le moindre scrupule. Dom
Tori ibio suivit a Badajnz son illustre elcve ; il eut un bel
apparlement dans le palais, et il se vlt respecte de lout le
diocese, comme le lavori de monseigneur.
Sous la conduite d'un si habile maitre, I'elevefil des pro-
gres rapiJes dans les sciences secretes : il s'y livra meme
dans les commencements avec une ardcur qui pouvait pa-
raitre excessive ; mais il modera peu a peu cette especc
d'intemperance ; el il fit si bien, que les eludes magiques
ne nuisirent point a ses devoirs. II s'ctait intimcinent con-
vaincu d'unemaxime Ires- imporlante aux sorciers, ou sim-
plemenl philosophes el gens de leltres, que ce n'est pas
assez pour eux d'aller eu sabbat, et d'ornerleur esprit de
ce que les sciences huraaines onl de plus curieux ; qu'ils
doivenl encore enseigner aux autres le clicmin du ciel et
faire Qeurir dans I'ame des fidelcs la saine doctrine et les
bonnes mtrurs. Ce ful en se conduisanl par des principes
si sages que le savant prelat rcmplit bienlut toute I'Europe
du bruit de son merite ; el que, lorsqu'il y pensail le
moins, il se vit nomme a I'arclieveche deComposlelle. Lc
peuple de Badajoz gemit, comme on peut croiie, de I'eve-
nement qui lui enlevail un si digne pasteur ; et, pour lui
donner une derniere marque de respect, on lui defcra
unanimement le choix de son successcur.
Dom Torribio ne s'endormit pas dans une si belle occa-
sion de placer son fils. II demanda I'eveclie au nouvel ar-
cheveque ; et ce fut avec loutes les graces imaginables
que son eleve le lui refusa. II avail lant de veneration pour
son cher maitre I il clait si afflige, si bonlcux de lui refu-
.s<r une chose qui paraissail toule simple! mais pouvait-il
faire autrcmenl? Dom Fernand de Lara, connelablo de
Caslille, demandait ce meme eveche pour son flls ; sans avoir
jamais vu ce seigileur, il lui avail, disait-il, des obligalicms
secretes, importanlcs, el surlout Ires-anciennes. C'elait
done un devoir indispensable de preferer I'ancien bien-
faileur au nouveau; mais, a le lien prendre, ce trait d'e-
quite n'avail rien que de fort agreable pour dom Torribio ;
i! voyait par la ce qu'il devait atlendre quand son lour
scrait venu ; et son tour vicndrait infailliblement a la pre-
miere occasion. Le magicien cut I'honnetele de croire
I'anecdote des anciennes obligations, et il se rejouit lant
qu'il put d'etre sacrifie a dom Fernand. On ne songea plus
((u'aux preparalifs du depart, et on alia s'ctablir a Com-
poslelle ; mais ce n'elail presque pas la peine, vu le peu
de temps qu'on avail a y demeurer. Au bout de quelques
mois, il vinl de Rome un messager qui apporia la barrelte i
I'archeveque, avec un bref trcs-honorable, par lequel oc
I'invitaita venir I'aiderdescs conseilsdanslegnuvernement
du monde Chretien ; lui permetlant, de plus, do disposer de
sa mitre en faveur du sujel qu'il voudrait choisir.
Dom Torribio n'etail point a Composlello quand le cour-
rier y arriva ; il ctail allc voir son cher fils, qui elait tou-
jours pretre habitue dans une petite paroisse de Tolede ;
mais il rev;->t bientol, el, a son rctom-, il n'eut pas la peine
(le rien J n.auvCr. Son eleve courut au-dcvanl de lui, les
bras oavtiU :
(I [lion cher m,-?tre;!aidil-il,je vous annonccdeux bonnci
OJ
LES MIllE ET UNE NUITS
uouvelles nu lieu d'une ; voire disriple est cnnllnal, el voire
fils va bienlol Tclrc, on jc n'aurai point de credit a Home.
Jcvoulais, enallcndant, lefaircarchpvci|iiedeComposte\le;
niais ailmircz son malhcur, ou pliilut le mien ; ma mere,
que nous avons laissce a liadajoz, m'a ecrit, pendant voire
absence, une cruelle lellre, qui ronipl loules mes mesiires.
Elle vcul, a toule force, me dnnner pour succcsseur le licen-
cie dom Pablos de Salazar. Elle me menace de monrir de
douleur, si elle ne pent rien iiblcnir pour lui, ot je ne
doule pas un moment qu'elle ne tienne parole. Metlez-
vous d ma place, mon chermaitre : tuerai-je ma mere? »
DoniTorribion'tHaitpasliommeaconseiller un parricide; il
applaudit a la nomination de dom Pablos, el ne sc permit pa
le moindre ressenlinient conlre la mere du doyen parvenu
Celte mere, si on veut le savoir, etait une bonne femme
prcsque imbecile, qui vivail avcc son chat el sa femme
de chnmbre, et savait a peine le nom de dom Pablos.
Elait-cc bien elle qui faisail donner I'arclieveche a dom
Pablos? n'elail-ce pas plulotunGalicien, parent decetarchi-
diacre, lequel doiinait d'excellents diners, et chez lequel
I'ancien doyen allail s'cdifier assidument, depuis qu'il de-
mcurail a Composlellc?
Quoi qu'il en soil, dom Torribio suivit A Rome son
elevc; et a peine yelaient-ils arrives, (|ue le pape moiirut :
il est aise do provoir on cet evencment va nous conduire.
On enlre an conclave ; loules les voix du sacre college se
rcunissent en I'avcur de I'Espagnol : le voilei inlronise!
Apres les ceremonies de rexallati(m, dom Torribio, admis
a une audience secrete, pleura de joie en baisant les pieds
de ce cher cleve, <iu'il voyait remplir avec tanl de dignile
D'EUROPE ET D'AMERIQU:!.
sa haute deslinee. 11 rcpresenta modcstemcnt ses longs ct
fidcles services; il rappcla les promesses du doyen, pro-
messes inviolables qu'il avail renouvelees recemment ; il
glissa quelqiies mols sur le cliapeau qu'on venaitde quitler
en rccevant la tiare ; mais au lieu de demander ce cha-
peau pour dom Renjamin, il linil par un trail de modcralion
qu'on ne coniprend pas ; il prolesla que, rennncanl a toute
esperance ambilieiise, ils se Irouvcraient trop contents,
son fils el lui, s'il plaisait a son eleve de leur accorder,
avec sa benediction, le moindre bienfait temporcl, une
pension viagere qui put suffire aux besoins modesles d'un
ccclcsiasliqne et d'un philosophe.
Pendant cette petite harangue, I'elevc se demandait A
lui-meme ce qu'il ferait de son preceplcur. Ne pouvail-il
enfin se passer de lui. ct nesavait-il pas plus dcmagie qu'il
n'en fallail? lui conviendrait-il mc'me do parailre encore
au sabbat, et de se soumetlro a I'etiquelle indccenio qui
s'y observe?
Toute rcllexion faitc, on jiigea que dom Torribio n'c-
tait plus qu'un homme inutile, et nieme incommode ; cc
point decide, on ne fut plus en peine de ce qu'on avail a
rcpondre. Voici, en propres lermes, ce qu'on ropondil :
« Nous avons nppris avcc douleur que, sous prele\lede
sciencesoccultes, vousrntrelenez uncommerceahomin.ible
avec I'esprit de tenebres ct de mensongc ; c'esl pourquoi
nous vous exhorlons palernellemenl ,'i espior ce crime par J
une penilence prnporlionnee a son enormile ; de plus,!
nous vous enjoignons de sorlir des lerres de I'Eglise dansi
I'espace de Irois jours, sous peine d'i^'tre livre au bras sc-j
culicr el a la rigueur des llanuucs. »
~:^
Dom Torribio, sans sc deconcerler, repeta a rebours les
trois paroles my^l(!rieuses, dont Sa llaulesse doit se souve-
nir, ct dit : Fuoirgano, Rcirfalsip, NalobiUro.
Puis, .s'approchanl d'une lenelrc, il cria tant qu'il put:
(cjacinlhe, ne metlez qu'une pouleaupot.. pas dc per-
drix!... M. le doyen ne soupera point ici. »
Li; sAVOin-vivnE en Eunopc.
8-
Ce fut Id un coup ic. tonnerrc pour le pretemlu pnpe. II
revint subilfiment d'une cspece d'exlase ou I'aTaient jrle
les trois paroles magiques, la premiere fois qu'elles fiirent
prononcees. II vil qu'au lieu d'etre au Valican, il etait en-
core a Tolede dans Ic cabinet de dom Torribio ; il vit mi>ine,
a la pendule, qu'il n'y avail pas meme une heure qu'il
clalt enlre dans ce cabinet fatal, oii Ton faisait de si beaux
reves. En nioins d'une bcure, il avail cru clre magicicn,
cveque, archcveque, cardinal, papc ; ct il tronvait, au bout
Ju compte, qu'il n'utait qu'nne dupe ct un fripon.
Tout avail eti; illusion, exceple les preuvcs qu'il avail
donnees dc sa faussetii et de son mauvais cftur. II sorlil
sans dire mot, relrouva sa mule ou il I'avail laissee, et re-
prit avcc clle le cliemin de Badajoz, doyen comme dcvanl,
sans avoir apprisle plus petit mot de magic.
— a Ah, all, ah! s'&ria le sultan, voild qui est lion I
J'aime cc route. II est court, il est instructif, il est vrai.
Qu'on donnc un caftan de Kashmir a don llablador et unc
bourse de cent sequins ; cl qu'il relourne dans son pays, n
{Fin dc la tioisiime Nutlet du Conic de dom Habladnr.)
'^ Bc^„._,^
raison do dn-e que « les bonnes ni.mieres soiit la lleur du
bon sens, n Ou pent en dire aulanl dcs bons sentiments;
lorsquc la loi de la bienveillance est gravce au fjud
LE SAVOm-VIVRE EN EUROPE.
SIHPLES COKSEILS A CEUX QUI ENTfEST DANS LE MOSDE.
L'afrccOlion el la tlinlillio. — Le dianteor de romances. — Tollcue d'une
jeone Clle pauvre. — Un roonsienr qui ne sail pas soriir.
Rien de plus nfccssalrc, rlen de plus facile en nijmn
Icmps que le savoir-vivrc. Un Italien, Sil.io Pellico. a |
du cmur, cUo conduit ,nn dcsintt'rcssement dnns les peliies
cliosfs comme dans les grandes, ellc inspire ce dosir d'o-
bliger et ccl empressement a procurer du plaisir aux autrcs
qui sonl la source des bonnes maniiJrcs.
Point d'affcclation, de recherche, de vanitc souffrantc,
d'amoiir-propre vain, vous plairez sans peine. Pourquoi ce
monsieur, qui cbante la romance avec tanl d'appret ct dcs
airs de berger langoureux, cxcite-t-il un sourire? 11 n'est
ni vieux ni jeune, ni beau ni laid; son costume est
coiivenable. II passcrail fori bien sans cello pose mclodra-
malicjue, et ccl air dc victime agoiiisante dont vous le
voyez s'armer en pure perte. A-t-il perdu sa mere'.' uno
epouse adorce vienl-elle d'expirer?
Non, il chanle une romance en mi bcmoll
Ce beau chantcur qui joue la tragcdie en roucoulant
n'est nuUemenl convenable ; el le savoir-vwc consiste
dans la convcnance parfaile; la grace n'est quo I'exquis,
le dernier tcrmc de la convcnance. Celle jeune fil'.c, si
simple et si pen co>|uclte dans >a polite cellule proprotlr,
et occupce a sa t;iclio matiiialo, est do mcillcur gout dans
son liumilite laboricuse, ello est plus gracieuse mille fois,
sans guipure et sans denlelle, pareedesa scule modestic ;
— assise pros dune table de bois blanc, — que ce clian-
Icur sentimental, donl le monchoir qui passe et les clie-
veux crepes avcc un desordre apprele , donl les mains
croisccs avec desespoir el les ycux lournos vers le cici, Ic-
moignentdo la doulcur profonde avec laquclle il frcdonne :.
0 mon village !
Jc te revois.
ou telle tirade non mains Iragique.
Fuycz done toiile .-iffcclalion, mais ecaricz aussi h man-
8G
LE SAVOIR-VIVRE EN EUIIOPE.
vaisehonlc. N'iniilez pas ce monsieur qui, pour sortir dun I ses doigls, et croit que tous les yeui sont flies surlui
salon, hesile, tremble, tourne et retourneson chapeau entre | II n'en est rien. On ne le remarquait seulement pas.
^
''1 ''''^%|il,l|lil o^?¥^L u „
!'l ) I
Evitons ces tristes illusions et ces sleriles chagrins de I'a-
moar-propre.
II.
Anclens TraltSs da savolr-vivre. — Casliglloiie. — Tiaeloa. —
La Poliiesse,
Bien que le savoir-vivre consiste surtout dans une sim-
plicite et un aplomb modestes, telle en est rimportance
dans la sociele, que souvent on I'a trailii conime un art.
Plusieurs cerivains distingues de diverscs epoques out
cssaye de tracer le code du savoir-vivre et du bon gout.
Nous cilerons dans ce nombre I'aimable et ingenieux au-
teur de plusieurs ouvrages pleins d'inleret, de grace et
de savoir, madame la conUesse de B. ; — au dix-luiilieme
siecle, Moncriff, autcur de I'Art de plaire ; — et au quin-
zicme, I'llalien Castiglione, dont le style est un modele
d'elegance.
Ce dernier recommande surtout de fuir I'affectation ; il
la reprend dans la conversation. « L'affcctation mediocre,
dil-il, (1 n'cst qu'ennuyeuse ; hors de mesure, elle devient
« ridicule a I'exces. Telle est celledes gens quiparlent Irop
« dc Icur rang, de leur bravoure, de leur noblesse. »
II la blame dans la toilette dcs fcmmes, et il en veut pcut-
("treuu pen tropa I'affcclalion des prudes; ilne permel pas
<i que la dame du monde, pour sc faire estimer bonnele, .soil
« coUet-monte [rilrosa), iiu'elle paraisse abhorrer la sociole,
a les propos hasardes , ni qu'elle se leve quapd on les
« risque, parce qu'on pourraii facilcmcnt croire qu'elle feint
« de paroitre austere pour cacher ce qu'elle craiut qu'on
(tapprenne. »
II est vrai que ces manieres sauvages sont toujours
desagrenbles ; il faut savoir sc tairo et ne temoigncr par
aucun gcsle un mccanlentcuient d'ailleiirs foiide. Ainsi
Fenclon invite une dame dc la cour faisanl profession de
piete u sc monlrer, non pas morose et de mechanic hu-
meur, maisgaie, complaisanlc, sons conlrainle, sans affec-
tation, sans secheresse, a nepas etre incommode auxautres,
et a toujours laisscr place alacharite etila bonte.
« La politesse, dit un Espagnol (Balthasar Gracian), n'est
0 qu'un emploi et un exercice constant de la bonte et de la
« sympalhie, un sacrifice de chaque minute envers les
« aulres; c'estla bonte mise en pratique perpetuelle et re-
" velee par de petits actes qui plaisent et qui charment. »
Meme dans la vie domeslique, la politesse est excellente,
et Ton s'enecarte trop. Unpoete americain, dans son style
figure, exprime cette idee fort juste, que Ton est plus heu-
heureu.x au sein de I'existence privee, par la politesse et la
bonne grace de ceux qui nous entourent que par de grands
actes de charite et de devouement. Ceux-la sc representent
a de longs inlervalles dans la vie ; mais le savoir-vivre et la
politesse sont de chaque jour. « C'est, dil-il, un modeste
« courant qui coule incessamment, un faible ruissenu qui
« se glisse en secret entre les murs d'un intcrieur domes-
« lique ct le long dcs senliers de la vie privee ; sans faire
« aucun bruit dans le monde, il devient, en deflnilive,
« un Iribut plus important dans la masse des consolations
« et des feliciles humaiues que tel acte soudain de munifl-
« cence, torrent transiloire et passager qui s'elance avcc
« fracas, qui etonne, epouvante, et souvent n'a pas de fe-
« condite reelle. »
Ne pas observer les usages recus, c'est deplaire a ceux
qui les observcnt ; c'est les accuser de folic on de maiivnis
goiit, c'est presque temoigner son antipathic. 11 faul done
se lever, marcher, saluer, parler, a pen pres conime tous
les membres de la societe qui nous environne, se distin-
guer seulement par une simplicitc ct une amenilc plus
grandes, et observer les mille pelites convenances du temps
el du pays on Ton eslne.
Nous recueillerous ces regies fort simples mais nccess.ni-
res du savoir-vivre, tclles (|uc la praliquent aujourd'liui les
hoinmcs bien eleves de I'Earope entiere.
{La suite a un numero prochain.)
PETITES MOBALES.
PETITES MOBALES.
87
CARNET DUN VIEUX CURfi.
Kemeltre au IcndemaiD. — Waller Scoit.
La mode en mcdeciae. — Cure merveilleuse. — Digiiiledu travail.
Coagulation du lail. — Les insectes balayeurs.
Bon sens vaat inicux que science.
^ I [irinccsse Naasicaa.— Etymologic de quelqnes d^siguatlous am6ricaines.
La priere.
aXMXTTBE AV LXiaSEmATN.
Waller Scolt, ecrivanta un ami qui avail obtenu un em-
plui, liii donnail ce sage conseil :
« II faul avoir grand soin de resisler au penclianl qui
« vous enlraine facilcmenl, lorsque les lieures de la jour-
II nee ue sonl pas toutes rcmplics : je veux parler de
<i ce que les bonnes femmes appellenl d'une raanierc
(I si expressive , fldner. Ayez pour devise : Hoc age
« {remptis la tache). Ne renicllez pas au lendemnin ce
« que vous avez a faire ; ne prenez voire recreation qu'a-
« pres le travail, jamais auparavaiil. Quand un regiment
« est en marche, on voil souvenl la confusion se mellre
« dans les rangs de I'arrierc-garde, a cause du mouvement
cc irregulier et interrompu de I'avant-garde : il en est
« de meme des affaires. Si la premiere en tele n'est
j « pas cxpediee avec promptitude et regularile, d'autres
u (Mioses se rcunissant a cille-ci, les affaires s'accumulenl
" I'l la confusion devient telle, que la "ete la niieux orga-
« iiisee ne peut plus y sufDre. De grace, ecoutcz cccijc'esl
« une tendance d'esprit Ires-commune chez les liommes
II d'intelligence et de talent, quand leur temps n'est pas
tt bicn regie, et qu'il est soumis a leur caprice. »
« Semblable au lierre qui enloure le chene, le lalsser-
« aller affaiblit, s'il ne detruit pas entieremenl, la puissance
<i des efforts courageux et necessaires aux succes. Je fais
a preuve de trop d'amitie en vous donnant ce conseil pour
« avoir bcsoin de m'en excuser; mais j'espcre apprendre
<i bienlot que voire exactitude est comparable a celle d'une
« horloge hoUandaise, que les heures, les qucrts, les mi-
« nutes, lous les instants de voire journee, sonl regies de
" meme. C'cst le point decisifdans la vie bumaine ; avec
•• ccla, on pent toiit risqucr, et tout se rijparc. »
LA MODE EN SIEDECINB. — CDBS BIEBVEILLEUSE.
Entre les annecs 1730 el 17C0, la rage mcdicalc de I'eau
de goudron dominait, comme I'eau-de-vie el le sel, i'hy-
(Iropatliie el aulres rcmedes univcrsels onl ete de mode
derniercmcnl. Les journaux ne ccssaient de raconlcr les
mervcilleuses cures obtenues par I'usage du goudron em-
ployi; sous toutes les formes. On vit parailre une mullitudc
(le pamplilets et de memoires, dent le plus ctJlebrc ful
ccrit par Ic doctcur Dcrkeley, evi;que pruleslautde Cbjyne,
sous oc litre, intitule : Iris, on Chaine dc reflexions el de
rcclierehes pliilosophiques sur I'eau dc goudron. A peine
cxislait-il ime maladie que le public ne s'imaginat pouvoir
giierir avec ce remtide precieus, mais peu aromatique. Cer-
keley prelendit que I'eau de goudron elaitinfaillible pour les
coliqucs nerveuses; d'autres dijclarerent qu'elle les avail
gui^ris dc la goulte ; chez plusieurs elle avail cbassela fievre,
les maux de dents, les asthmes et la consomption. Mais les
succes les plus remarquables obtenus par le goudron s'e-
taienl raanifestes sur les membres fractures. Dans une letlre
d'Uorace Walpole a sir Horace Mann, publiee derniere-
menl, on lit le recit d'un fait des plus bizarrcs. — On cn-
gagea un marin, qui s'etail casse la jambe, a faire son rap-
port a la Societe royale. 11 ecrivil en ces lermes : « M'elaut
fracture la jambe en lombant du haul d'un mat, je me
contentaid'y appliquer de I'eloupe imbibee d'cau de gou-
dron, etccpendanl je pus marcher au bout de trois jours
comme avanl I'accidenl. » L'hisloire parut incroyable, car
jamais on n'avait reconnu dans le goudron, et moins en-
core dans I'eloupe, d'aussi mervcilleuses proprieles ; on ne
pouvait guere non plus s'en rapporler a la simple asser-
tion d'un pauvre'marin. La Societe demanda, avec raison,
une plus ample information, el je .suppose qu'elle exigea des
preuves. Plusieurs avaient des doutes sur la realitii de I'ac-
cidcnt; mais celle partie de I'bistoire ful veriBee. Cepen-
danton avail encore peine a croire que le goudron el I'e-
toupc eussenl ele les seuls remedes employes; el guerir une
jambe cassce en Irois jours paraissail non moins merveil-
leux, en admellanl meme qu'ilspussent produire de pareils
effels. Plusieurs lettres furcnt echangees entre laSocicleel
lepalicnt, quifit de nouvelles prolestalionseljura qu'il n'a-
vait eu recours a aucun autre remede. Cel bomme, apres
tout, disail la verite. Je crains que celle methode promple
el peu coijteuse n'ait pas et(> fori goiltee des cbirurgiens
en general. Quoi qu'il en soil, vous serez ravi de la naive
et honnele .simplicile du marin. II ajoutail en postcriplum
dans sa derniere letlre : « J'ai oublie dc dire a vos sei-
gneuries que la jambe tjlait de bois. »
Celle hi.stoire , quoique vraie , n'est pas telle que
Walpole la racontc. Le tour ful joiie par John Hill, un des
bommes les jilus excentriques du temps, que les membres
de la Societe royale avaient refuse d'admettre parmi eux.
II se vengea en leur envoyant un rapport sur la cure extra-
ordinaiie du marin, comme la tenant d'un praticien de
campagnc ; alors, lous ces savants reunis se mirent gravc-
ment a disculer le cas extraordinaire, s'enlr'aidant de leur
savoir medical el scicntillque. Le rcsullat de celle savanle
deliberation (5lant devenue public, sir John Hill envoya
une secoiule letlre par laquelle il prevenait la socieli; qu'il
avail oniis de pailer d'une circonslajice au sujet de la cure,
c'est que le marin avail une jambe de bois.
Celle jilaisantcriecircula de lous cotes; on crut moins
aux verliis iinivcrsellcs du goudron et de I'eau goudronnee,
et, peu de temps apres, ces remedes furcnt completcment
dedaigntjs.
DIGNITE DU TRAVAIL.
J'ai foi dans le travail. J'adore la boiile divine qui nous
a places dans un monde oil le travail soul nous soiilienl.
Quand memo je le pourrais, je ne voudrais pas cchangcr
conlre une volupte sans borues notre assujellissement
aux lois ou aux maux physiques, aux besoins de la faini
et du froid, et la niicessile de nolrelulte incessante. Quand
meme je le pourrais, je ne voudrais point tempcrcr les
elements de sorle qu'ils ne nous donnassenl que des sen-
sations agreahles. Une vegetation lellemenl cxulierante, qui
priiviendrait tons nos besoins, et des mincraux asscz mal-
88
PETITES
Icallcs pour n'opposer oucune resistance A noire force et il
liotrc ndressc rciidraicnt ce monJe fort iiisipiJe.
(jue ferions-iious?(|uo dcvicndrions-iious? A quoi cm-
plojer noire force? Quelle csqjerance et quelle craintedi-
versifieraient noire existence? quelle nuance en varierait la
trame? Ce scrait un longsommeil.
Un IcI univcrs ne pourraitproduirc qu'unc race mepri-
sablc. L'homme doit sa croissance et son cnergie a cet
cjcercice constant de sa volonle contrc les difficulles, que
nous oppelons efforts. Le travail facile et agreable ne pro-
duit pas des amcs puissantes et ne donne point a l'homme
la conscience dc son pouvoir.
Agissons, luttons, perseverons, sachons conquerir la
force de la resistance , I'habitude du travail, celle d'en-
durcr, de combatlre, forces sans lesquclles tous les autres
talents acquis devicnnent inutiles.
O'CoSJtElL.
COAGUZ.ATIOIIJ SU I.&IT.
La coagulation du lait an nioyon d'une simple membrane
buniide est un phenomenc si rcmarquable et si difOcile a
cx]]liquer, que Ton ne s'elonnc pas qn'il ait excite ralten-
lion. On a fait des experiences sur la membrane memo,
aDn de s'assurer de ses effels. Parmi ces experiences, il en
est une trcs-interessanle faile par Derzdlius. II rapporle
qu'il prit un morceau de I'intcrienr de I'estomac d'nn vcau,
le nettoya avec soin, le secha Ic plus completcmcnt
possible, le pesa soigneusenient, le mit dans dix-huit cents
fois sa pesanleur de lail, et fit chauffer le tout a cent
vingt degres de Fabrenlieil. Aprcs quelque pen de temps,
la coagulation fut complete. Alers il ola la membrane, et
apres I'avoir lavee et seclice, il la pesa de nouveau i la
perte fut d'un peu plus dun dix-septieme du poids. D'apres
cette experience, la partie dissoute de la matiere active de
la membrane avait coagulc environ trente mille pesant
dc lait.
(Fowncs's chemical Prize-Essay .)
IXS INSECTXS BAIiAYEUaS.
Dieu a veillc, non-seulement a la beaute, a I'harmonie,
mais i la proprete de noire monde. Quand les crevetles
paraissent sur nos tables, nous ne nous doulons gnere
des fonclions de neltoyage universcl qu'ellcs reniplissent
pendant leur vie.
L'cmploi allribue a ce crustacc semble elrc analogue a
ceUii de qneli|ues insccles terrestres, dont la lache est de
faire disparaitre les deliris de la matiere animale apres que
lesltelcs de proies'en sontrassasiees. Si Ton place le cada-
vrc d'une grenouille ou d'un petit oiseau mort pres d'une
fourmilierc, ces insccles I'ont bien vite reduit a I'clat
dc squeletle soigneuscment netloyc. L'espece des cre-
vetles, agissant par legions, enlcve aussi proniptement
autour des os la trace de la cliair des animaux abandonncs
a leurs ravages. Ce sont enfin les cureurs et les balayeurs
de rOciian ; et nialgre Icur imnionde fonction, ils sont
encore utiles apres leur mort, a tilro de comestible deli-
cat, agreable et nourrissant.
BON SENS VAOT MI£UX QOE SCIENCE.
La princesse Nausica ou Nausicaa, une des hcro'ines
d'llumerc, et Clio du roi des Piicacicns, est representee par
I
510 HALES.
le poete de la manii5rc !a plus naive ef la plus aimahle. Cellc
iille de roi, radolesccnte des temps priniitifs, joint a la
double ingenuite dc son cpoquc hislori(iue ct de son ago
personnel une grace naturelle ; et ce melange prete un
charme extreme au caractere de la jcune die.
Dans une des plus jolics scenes oiicllc apparail, clle jouo
a la balle avec ses compagnes sur la greve converle de
sable et battue des (lots de la mer. Un naufrage, Ulysso,
jete par la tempele sur cette plage, s'estcndornii dcniorc
un roc, ct la balle, lancce par une main trop vive, s'est
cgaree de son cote ; on la cherehc, on rit, on se presse, et
les jeunes filles rieuses aceourent jusqu'a la caverne, on
elles apercoivent avec etonnement le naufrage elendu
sur le sable et que leurs cris joycux rcveillenl. Nausica
s'arrele emue d'une profonde pitie pour le nialhcureux ;
c'est une des plus dclicieuses scenes de ce vienx roman
grec, qui s'appelle I'Odysscc, et qui a etc pour Tanliquilo
paienne ec (|ue liobinson Crusoe est pour nous. Or, comnie
les tjrecs n'avaicnt pas deux mots pour exprinier une balle
ct une sphere, el que pour eux une balle elail une sphere,
et une sphere une balle, voici Tctrange erreur dans la-
quelle est tonibeun moderne hislorien derastronomie, lo
savant allemand Wcidlcr. II dit que I'usage de la sphere
i-emontc a Nausica, princesse qu'il croit el prelend avoir
etc fort instruite. Weidler a traduit ces mots d'llomcre ,
Nausica trouva enftn la balle, par ccux-ci : Nausica in-
ventacn/in la sphere. De sorte que celle jeune flUede roi,
celebre dans VOdyssee pour avoir tres-bien su blanchir lo
linge, conJuire uncharel jouer a la balle, est transformee
par I'drudit en aslronome de premier ordre. Un pcu de
raison est preferable a beaucoup d'erudilion. Bon sens
vaut mieux que science.
STZmOLOOIE DB QUELQUES DSSIQHATIOKS
AUEBICAINES.
Rien ne se perd ct no s'efface plus vite qu'une elymolO'
gie. Di'ja la designation si recenlc des divcrses parlies dci
litals-Unis est obscure et pcu connue.
Le pays du Maine fut ainsi appelo, des 1638, d'apres le\
;Uatne en France, province dont llenriclle-Marie,reined'An-
gleterrc, claitalors proprielaire. — New-Hampshire elail Ic'
nom que Ton donna au terriloire conferc au capilaine John
Mason par leltres palenlcs, le 7 novembre 1G39, eu egard
au palente, qui elail gouverneur a I'ortsmoulb, dans le
Hampshire, en Anglcterre. — Vermont fut ainsi nomme par
les hubilanls dans leur declaration d'independance, 10 Jan-
vier 1777, d'apres les mots francais ticrl ct«ion( (monla-
gne); — Massachusetts, d'apres une tribu d'Indiens dans
le voisinage de Boston. On croit que cette In'bu a rccu son
nom des Montagues bteues dc Willon. « J'ai appris, dit
Roger Williams, que Massachnsclls fut ainsi appele des
Montagncs bleucs. — Rhode-Island fut nommee, en 16i-5,
par rapport a I'ilc de Rhodes dans la Mcdilcrrance. —
Connecticut s'appcla ainsi d'apres le nom indien de son
principal flenve; — New-York et Albany, d'apres Ics
personnes auxqnellcs ce teniloire fut concede. — Pen-
sylvanie , en 16SI, d'apres William Penn; — Delaware,
en 1705, de la bale de Delaware, sur laquelle elle est si-
tuee, et qui recut le nom dc lord de la War, dccede dans
cette bale ; — Maryland, en I'honneur de Uenrielte-
Marie, femme de Charles \", roi d'.\nglelcrre, d'apres
dc3 letlrcs palenlcs concedees a lord Ballimore, le 30 juia |
1 7 VL-G 29
NATURAL
HISTORY.
<fi32. — La Virginle fiit ninsl nomm6e, en 1384, J'aprc';
Elisaliclli, la vicrge-rciiic d'Aiiglolcrre. — La Caroline,
nominee ainsi par Ics Francais, en I.i6-S, en I'lionnfiir
du roi Charles IX de France. — La Gcorgie, en 117-2,
en rhonneur du roi George III. — Alabama, en 1817, d'a-
pres sa principalc riviere. — Mississij;!, d'apressa liniile
au couchant. On dit que Mississipi venl dire grandc ri-
viere ; c'e.st une riviere formee par la reunion de plusieurs
aulres. — La Louisiane fut ninsi nppelee en rhonneur de
Louis XVI, roi de France. — Tenncsce,en 1796, d'apresla
principalc riviere. Le mot Tennesee signifie, dil-on , une
cuiUerrecourbee. — Kentucky, en 1782, d'aprcs sa prin-
cipalc riviere. — Itlinnis, en 1809, d'apres sa principalc ri-
viere. Ce mot signifie, dit-on, la riviere ilcs hommes. — In-
diana, en 1802, d'aprcs les Americainslndicns. — Ohio, en
1802, d'apres sa limile du sud. — Missouri, en 1821, d'a-
pres >a principalc riviere. — Miehigan,en 1803, du nom
du 1.1C. — Arkansas, en 1819, d'apres sa principalc riviere.
— La Floride recut ce nom de J'lan Ponce de Leon, en
1572, pnrce qu'elle luldecouverl un dimanchedc r.ii]Hes;
en cspagnol, I'asctias Flnridas.
(Siinmoiid's colonial llagazinc.}
PaiERE.
Cli3m.nan(lc, (3 jbii!cH8io.
IVun pouvoir souvcrain la magiqiic intluence,
Etcrnel, en tous lieux revclc ta puissance ;
Blais que I'on to sent micux, qiiand scul avec son cciir
De la nature amie on chcrclic la douceur !
Oui, c'est aux champs surlout qu'il fjut que Ton t'Jionorc :
Cost la qu'il faut I'aimer. c'cst la que I'on I'ailore.
Du lever du sylcil a la chute du jour
Tout nous peint ta grandeur, tout nous dit ton amour
Dieu puissant ! crealcur dcs spleildeurs inllnies,
Donl mon ame louchce entcnd les harmonics,
Ahaisse ton regard sur moi, faiblc roscau;
A gcnoux devant toi, dans un transport nouvcau
Je voudrais te parlcr un inimorlel langage
(lui puisse se redire el passer cl'ago en age,
Kt du feu de mon ceeur cnibraser mcs accents ;
Mais cc feu se consume en efforts imuuissanls.
Jlcsurant la grandeur ct (a magnificence,
Je dcmeure frappe do ta toutc-puissancc.
Que suis-je pour user m'eleverjusqu'a toi,
Ou.ind les mondes Ircmblanl^m.irchent tous sous ta loi?...
Et cependant tout dit a mon ame epcrdue
Que son moindre soupir ira percer la nuc ;
Qu'une larme est comptec au celeste sejour,
El que toule douleur nous donne ton amour.
Oui. telle est la p.Trolc, et niou cocur sc rassure ;
Tu benis I'humble encens que t'offre une ame pure.
Au chaos, a la mort, simple alomc arrache.
Si je suis, c'cst par toi ; ton souflle ra'a touclw ;
La lumiere aussitOl jaillil ile ma paupiere.
Ouvragc de tes mains, je Ic nomnie mon perc.
Irnmortel Createur, souvcrain roi des rois,
ToLir to louer. Seigneur, que n'ai-je mille voix !
Tuisquc rien ne saurait eckapper a ta vue.
Que mCme ma pensec avant moi t'est conn'ue.
Quimporlent de mes vceux les timides accents,
J'elevcrai vers loi ma priere ct mes chants.
Lorsqu'cllc vient du coiur, toutc parole est belle.
A loi icul appailieni la Parole elernelle.
souvENin;; ciiriLTii-N'j. so
SOUVENIRS ET MOIMUMENTS
DB i'aut ciiheiien.
FIcUffBHES. — XiOUVAIH.
M. de Chateaubriand, le premier, a fait ressprtir, avec
la puissance de talent et la verve cclalantc qui le caraclc-
riscnt, la puissance specialc de I'art chrclien, la beante
nouvelle dont 11 s'est enrichi dcpuis raveiitment dn spiri-
liialismc, etla singulierc grandeur que la pcinture, la sculp-
ture, I'architeclure.lanuisiquc.doivent au renouvellenient
et ci I'afl'ranchissement des dcslinces liumaines par le chris-
tianisrae.
Ce que Ton appelle le style gothique est essenliellcment
clirelien. Ces imnienses arceaux, ccs vot'itcs au fond dcs-
quclles se perd la pensec, ces ogives chargees d'orDemenls
si dclicats et s'elancant vers I'infini avec une grace et une
legcrcto si ravissantes, senile resultat du genie septentrio-
nal, ami du mystcre, et s'alliant au genie chrclien.
Parmi les moimmeuts de eel art nouveau, nous choisi-
rons les moins connus et les plus hrillanls. Lc crayon ct le
hurin des artistes celebrcs et cprouvcs reproduironl ccs
chefs-d'oeuvre singuliers, ohjcls de legitime orgucil pour
les peujiles modernes. II n'y a pas de pays plus riche en
monuments dc I'art golhique que la Flaiidre.
La Flandre doit a son catholicisme populaire une phv-
sionomie specialc, animec, originale.cl qui jilail alimagi-
nation. Pays fecond et cependant pittnrcsiine, ellc possiiju
(luelqueslocalitcs c|ui nele cedent iiullemcnl ,i la Suisse en
riches accidents, el qui reinjiorlcnt sur toutes les conlrees,
pour lc luxe de la vegtitati m. Je cilcrai la petite ville dc
Cassel, jelee sur une collinc d'ou le voyageur voit au loin
so developperun panorama dclicieu.xet immense de villcs,
de vilh,ges et de hourgs. Les villcs de Flandres les moins
renommces, comme le dit tres-hieii un ecrivain modcrne.
« M Bcrthoud,ontlcursbeautespiltorcsqiies; Valenciennes,
« par e.\emple, avec sa vasic rcinture de forlilications aii-
■i guleuscs et leslarges eaux qui la baignent ; Valenciennes,
« avec ses rues qui serpentent, toutes noires de la lionillc
« que broient sur son pave les pieds de huit cents mineurs.
I. C'ctait au quatorjierac siiicle qu'il fnllait voir Valencien-
« nes! Des maisons a piguons pointus el sculptiis dressaieni
« vers le cicl lenrs toils angiilcux llaiMimjs de qnelques
« pigeonniers en lourelle; un double etage s'allongeail an-
« dcssus du rez-dc-chaussce, comme pour .servir d'ahri el
« de vestibule au visiteur qui heurlail lc brillant marlean
« dela porte. Enfin,laplnparl du lemps, Ics laiges feuillos
« d'une vigne el ses rameaux torlucux a gro.sses giappes
« noires ou vcrmcilles tapissaient, depiiis le seiiil jusqn'an
I. toil la facade de ces habilalioiis, el c'elail a havers u;i
« massif de verdure que sc laissail enlrcvoir I'ogive des
II fenclres. n
Cellc poesic de noire feoda'ite elirclienno rcsjiire d.in-:
loute la Flandre.
Le pays de Ilubens el de Van Dyck est dignc de ces ar-
tistes. 0 Pour le bieii piger. dil le memo ecrivain, il faiil
ci assister a une veillee naiiiaiide, inlendre les mcrvei leux
(1 cnntesdonl s'y niDnlre prodiguc la plusignnrantc vicills
1 femme, eonlcs empreiiils d'une poesic sombre ct fanlas-'
-12
so
VIE I'lllVEE
<i liqiic, d'un caractere quo roii lie rptroiive en aiicuii
« auliT lipu ; assisler a ces feto.s LizaiTfs que I'on rcncon-
n Ire iliins cliaque viUe du iion!, et qui ne Ic cedent as-
u suremenl poiut en clrangete aus feles du iiiidi de la
n France, n
Quiconque s'cst ari-cle devant Ics belles cathedrales
d'Anvers, de Eriixollcs, de Gand, convicndra qu'une seve
jmclique el arlislique trcs-puissanlecircule cliez ce peuple.
Mais ce ne soiit pas seulemenl les monuments rcligieux,
cglises et abbayes. qui mci'ilcnt, en Flandre, I'admiralion
du voyageur el de I'artistc. La religion elail, au moyen
Sge, la science universelle, elle conslituait a clle seule
toute la politique, loutc la poesie. L'arcbilectiii-e religicuse
ne tarda pas a envabir la vie privec, ct la meme finesse
d'ornemeiils, la mcme barmonie dans la grandeur, la meme
finesse de details, la momcoriginalited'crfetcld'ensemble,
que Ton avait admires sous les vaslesnefs, se reproduisirent,
avcc des nuances diverses, dans les edifices consacres a U
vie privee ou a I'administration publiquc.
Vers la fin du quinzieme siccle, lorsque la bourgeoisie
llamande ctait llorissante, lorsque I'art gotbique, ayant
douneses produits les plus grandioses, tournait a la grace
cl a relegance, on vit s'elever a Louvain le modelele plus
achevc ct le plus exquis de cctte arcliitcclure, I'butel do
ville de celtecite (1|. II n'y avail qu'une civilisation ac-
complie, qu'un art Ires-avance, qui pussent atleindre ce
degre de legerete et de finesse.
Un lei monument devait sorlir des mains d'une bour-
geoisie calbolique opulente, eclairee, fiere d'elle-meme, et
pleine de pretentions aristocratiqucs juslifiees par son gout
el son pouvoir. Rien de lourd, rien de faslueux; c'esl
lout simplcment un rectangle de qualre-vingts pieds de
long sur quarante de large, llanquc de qualre tourclles
li cs-minces, qui s'clcvcnl en forme de minaret, et qui pro-
duisent I'effet le plus gracieux. Le toil pointu est de la
plus grande simplicilc; deux aulres lourelles hexagoues,
qui en couronnent le sommel, corrigent ce qu'il y aurail
do disgracieux dans cette forme poinlue, et s'harmonisent
merveilleu-scmcnt avec Icurs qualre sreurs. Mais ce qu'il
I'aul admirer surloul, c'est la proportion cbarmanle des
vingt-buil fcnelres de la facade, de rencadrement qui Ics
decore el des comparliments qui les divisent. II y a dans
de Idles crealions comme une musique pour le regard;
I'reil, parloul cliarmc, glisse delicieusemenl d'un objet a
I'autre, Ibarmonie complete du tout ne lui permct pas
de s'arrC'ter d'abord sur les details; la coquellerie de-
licate deces deruierslui derobc lunile de I'ensemble.Mais
a la rellexiun I'ou s'etonne de ce melange extraordinaire de
simplicile et de beaule, de naivete et de grSce.
Louvain est fier, a juste litre, de ce bijiiu architectural
vraiment unique en Europe.
On sail de quelle puissance republicaine el comnier-
ciale celle ville libre etait mailresse pendant le moyen
Sge. Kous rcviendrons plus lard sur les ebroniques iitle-
rcssantcs du temps de sa splendeur. ("est en eflel, et memo
aujourd'bui, une ville esscnliellemenl catholi(|ue.
( La coitliedrale de Cologne a un jirochain numcro. )
li) Voij. Ij licllc giaviiic sur acicr jointe S noire iiumrro.
VIE PRIVEE DES OISEAUX,
Liions Mocuiis, LEuns nAmiuDus, leciis is.si;kcis.
£A CAII.I.B.
Suiicll).
Les caillcs, selonM. Daniel, se reunissent en immcnscs
bandes et Iravcrscnt la Medilerranee, de I'llalie aux
bords de rAfrique, relourncnl encore dans le prinlemps,
s'arrelenl frcquemmenl dans les ilcs de I'Archipel, qn'elles
couvrenl presque de Icur nombre. C'est d'elles que lo
nom d'Orlygia derive. Elles sont si abondanlps a Capri,
que le principal revenu de I'eveqiie et de quelques con-
vents provient des cailles qu'ils euvoient a Naples. Aleur
arrivec a Alexandrie, une si grande multitude est cxposce
sur les marcbes, qu'on pent en acbeler trois ou qualre
pour un sou. L'cquipage d'un vaisseau marcband, qui n'c-
lait nourri que de ces oiseaux, poria plainle au consul de
la marine contre son capilaine, qui nelni donnait que des
cailles a manger ; I'abondance deprecie mcme Ics mels les
plus delicals. L'auteurdes Icttrcs de la Campagna-Felice
raconte I'anecdole suivante, qui explique comment une
siincroyableabondancede caillcs se Iroiive quelquefoissur
celle parlie des coles de la McJIterranee.
« Pendant que le Capilan - Bey bloquait le port d'A-
Icxandrie avec sa llotle turque, un des malclols grecs de
son vaisseau avail pris deux ou trois cailles qui s'elaient
pei'cbees sur les agres. Le musulman le recompcnsa gc-
nereusemenl , et dcsirant de varier la mauvaise clii're
qu'une flolte en etat de blocus est obligee parfois de subir,
il promil, pour se procurer ce mels aussi rare ([ue de- A
licat, une piasire pour cbaque oiseau qu'on lui apporle- ^j
rait. En pen de juurs les agres, les voiles et les vcrgucs
furent converts d'une immense quantilc de caillcs ; on
en prit un grand nombre, qui, devanl cire payees si ge-
nereusemenl, furent porlees dans la cbambre de I'officicr.
Pour se tirer d'embarras et ne pas ruiner sa bourse ni man-
quer a sa promesse, le bey n'eut d'auire allernalive que
de gagner au large ct d'abandonner la cole pour se sous-
traire aux visiles de ces elrangers dispendieux. » II en
apparul un nombre si prodigicux sur les coles de I'esl du
royaume de Naples, qu'on eii'pril ccntmille dans un jour,
dansun espace de trois a qualre niilles. La pluparl decel-
b'S-ci sont portees li Home, oil elles soul tres-cslinioes, ct
vendues a un prix exlrcmement cleve. (iall, dans son
voyage en Sicile, decrit ainsi I'ardeur et I'excilalion quo
jiroduit la saison de la caille :
(( Au mois de scplembre, des groupes de cailles arrivcnt
du coulinenl de Sicile, ct, faliguecsde leur course, on Ics
prend facilement a Icur arrivce. Le plaisir quo les liabi-
lanls (rouvent li cela est ineroyable. Des groupes de lout
age, de tout sexe el de lonles conditions se iTuui.sscnt
sur le rivagc ; le nombre des chasseurs est prodigieus.
J'en coniplai onzo dansun groupe cttrenle-qualrcd.iusres-
pace de moinsd'iin dcnii-niille, se composanl de deux a
cinq pcrsounes, avcc plusieurs cbiens. Le nombre dc ba-
ll) I'lij. iiMI, p. 01.
DES OISEAUX.
01
leans est pcvil-ctre plus grand que colui Jcs chasseurs dc
lerre; du malm au soir ils gucllenl I'apparition des oi-
soam. »
Dcs mn'cs Je cailles descendenl aussi dans Ic printemps
sur les coles de Provence, parliculieremcnt dans les terres
apparlenanl .i I'eveque de Frejiis, qui borJent la mer. La
on les irouvequelquefois si epuisees, que pendant quelques
jours on pcul les allraper avcc la main.
Au niidi de la Russie, elles sont en si grande quanlile
vers r('po(|ue de Icur migration, qu'elles sont prises par
millii'rs, et cnvoyecs a Moscou el a Saint- Pelersbourg.
u II est probable, continue M. Daniel , que les cailles sont
le nii'me genre d'oiseaux donncs par la Providence aux
Israelites mecontents , pour Icur servir d'alinients dans
le doscrl ; jclees sur leur passage par un vent du sud-oucst,
elles jiincliaient I'Egyple et rEthiopie vers les coles de la
mer Itouge, en un mot, ces contrees ou ces oiseaux sont
encore le plus nomhreux. »
Un nnluralisle distingue dil que nous avons la preuvede
cet instinct de migration depuis plus de trois mille ans.
La caille est pen nombreuse en Angleterre; mais notre
metropole imporic de France une grande quantile de ces
oiseaux de (able. Elles sont (ransportees par la diligence;
on en met environ cent dans une boite carrce, divisee
en cinq ou six compartimeiits.l'un au-dessus de I'aulre, et
en meme temps assez eleves pour permeltre que les cailles
soienl placees debout. Si on leur accordaitune plus grande
place, elles se lueraient bientot elles-mcmes; neanmoins,
malgre ces precautions, les plumes de la couronne de
leurs letes sont presque toujours arrachees. Lesboiles sont
garnies sur le dcvanl avec du fll d'archal, el chaque com-
partiment est muni dune petite auge pour les aliments. De
cetle nianiere elles peuventclre transportees sans difliculte
a une grande distance.
Dion que I'urt estimees par les modernes, les cailles
n'etaicnt pas en grande rcpulation parmi les anciens. Les
Athcnicns, selon Pline, les rejelaient, parce que, disaienl-
ils, elles se nourrisscnt de eigne, et parce qu'elles sonl
le seul animal sujet, ainsi que I'homme, a I'epilepsie. Nous
ne savons pas si les Atheniens conserverent longlemps
CO prejuge, mais il est certain que bannir de leur table un
niorccau dune nature si friande et si savoureuse, ce n'est
pas rqiondreaux idces du luxe et du bon goul dont ils se
vanlaienl.
Les cailles soul les plus intrepidcs de la race a laquelle
elles appartieunent. On sail que les perdrix tombenl
morles de frayeur lorsqu'elles sonl forctJcs de traverser
un ctroit bras de mer. II en est tout autremenl de la
caille ; elle execute bravement et sans crainte ses voyages
de migration. Comme elle est courageuse, elle est egalc-
menl querclleuse, surlout pendant la saison de ses amours,
car ses contestations se Icrniinenl souvent par une destruc-
tion muluelle, Cetie bunicur, d'oii est nc le proverbe
grec : « Aussi querclleuse que des cailles en cage, » por-
tait les anciens a les faire combatire Tune conlre I'autre,
cominc Ics modernes coqs de combat ; leconqueranl jouis-
sait dans ce genre d'autantde celebrite que le vainqueur
de Derby.
On assure qu'Augusle punit de morl un prcfet d'Egypte,
pour voir achelc el tail servir sursa table un dc ces o'iseaux
qui avail acquis une grande renommee par ses victoires.
Quel((uerois, selon M. Daniel, ces combats avaient lieu
cnire un homme el une caille ; la caille clail dans une
large caisse, qu'on mcll.iil dans Ic milieu d'un ccrcle trace
sur Ic plancher ; I'homnic la frappait sur la tele avec un de
ses doigis, ou lui arraclinil quelques plumes ; si la caille, en
se defendant elle-meme, nedepassait pas la limite du cer-
cle, son maitre gagnait le pari ; mais, si dans sa fureur
elle depassail la marque, alors son digne aniagonisle elait
declare victorieux. Lecombal des cailles dressees est encore
en usage en Chine, ou de gros enjeux sont mis sur la lei.;
des comballauls respeclifs.
On a remarque depuis longlemps ((ue le chanldes cailles
est une de leurs qualiles les plus allrayanlcs. Athenee le
constate, el le docleur Bechslein, dans son Iliiloirc nalii-
relle des oiseauxde cage, nous dil, qu'independamnient
de la beaule de ses formes et de son plumage, le chant
de la caille n'cst pas une petite recommandation pour I'a-
maleur; que, dans la saison dele, le male commence ii
chanter en repetant doucement des sons qui ressemblenl a
wrra, terra, suivis par pievorie, prononces d'un ton
hardi, le cou eleve, les yeux ferm5s, el la tele inclinec sur
le cole. Quand ils repetent conscculivemenl dix ou douzc
fois la derniere syllabe, c'est que deux de ces oi.seaux s'in-
lerrogenl, se rcpondent el allirenl ratlenlion I'un de
I'aulre. (Juand ils sont alarmes ou en courroux, leui-s cris
ressemblenta guilha, ma,\s d'autres fois ce n'est seulcmcnt
qu'un doux murmure. La caille, laissee dans une cliambre
eclairee, ne chante jamais, exccpte pendant la null, et
seulementdans une cage sombre, car tons ses instincts
sent nocturnes.
Duranl son passage, elle vole pendant la null ou de
bonne heure dans la nialinee, el se repose, confor-
mement a son habitude ordinaire, le reste du jour ; alors
on en fail aiscmenl la caplure. Comme preuve dc son essor
nocturne, Pline rapporte « qu'elles descenJaicnt en lei
nombre sur les vaisseaux ( pendant que les malelols dor-
maienl), s'elablissanl sur les mats el les voiles, etc.,
qu'elles affaissaicnt Ics barques el les pelils balimenls,
jusqu'ii s'enfoncer avec eux ; » conle fori ridicule.
La connaissance instinctive qu'onl les cailles de I'epoque
precise de ces migrations est si cxacle, qu'elles s'en res-
senlcnl lors meme qu'elles sont en esclavage. Nous en
avons une preuve tres-singuliere raconlee par M. Daniel
dans ses Plaisirs rusliqiies; quelques jciines cailles ayant
ele clevees en cage aussilot apres leur naissance, et n'ayant
jamais etelibres, nepouvaienlregretterleur liberie, u Pen-
dant quatre annees successives, dil-il, on observa qu'elles
elaienl inquietes, ne prenaient point de repos et claieiit
agilees de mouvements qui ne leur claient [las nalurcis,
regulieremenl en avril el en seplembre ; eel clal de malaise
durait un mois. Ces oiseaux passaient tnute la nuit dans
eel elal d'agilalion, et paraissaicnt toujours tres-aballus
le jour suivanl. »
Uludie. Oinilliologij.
COMBAT O'UN FAUCON ET D'UNE BELETTE.
Le 2 avrilI8}4, dans le cunile dc Wiltshire, un pro-
prielaire, nonime M. Conqiiinii, chnssait, ou plulut alten-
dait le gibier, en se promoiiaul Iciileuient le fusil sous le
bras, lorsqu'il apercut un faucon qui planail el se balan-
c.iil dans I'air, comme pour saisir une proie.
C'clait une belclte endormie sous une touffe de ge-
nets ; npres avoir bien dclibcre et longlemps snspeadu son
(>2
SCENES
rv-snr, lu fnucon tomlia d'aplomti siir l.i hclptlf:, ct, cnfon- | tes de la victlmc, on out dit i levoir qti'il allait la dflvorw
(jaiil .1 la fois los scrrci cl le btc dans Ics cliairs iialpitan- I tout entiere.
•Ni.Q,
Jlais sjuvcnt la 'finesse ct la ruse triomplicnl de la vio-
lence et de la force. Lespaysans d'AUemagne et d'Angle-
lorre ont un proverbe qui dit : La heleltene dort jamais.
Kii pfret, I'animal qui somlilait sommeiller, et sur lequel
un cniicmi terrible s'elait prccipitc avec tant de fureur,
lie sc deconcerta pas ; saisissaiit son adversaire par sa
parlie faiMe, par le cou, ct cnfoncant ses dents aigues
dans la pcau de I'oi.seau de proic, il se mit a sucer le sang
de son adversaire qui ne clicrclia plus au bout d'une minute
qu'a lacher prise et a roster lihre.
Un moment 11 soiilcva la belctte avec ses serres, ct le
quadnipedp, force do prendre I'essor avec I'oiseau, retomba
siir le gazon lout etourdi et couvert de sang. De son cote,
le faucon blcsse laissait dccouler de ses alles el de son cou
de larges goultes de sang qui empourpraient le gazon,
et poussail de longs cris qui attestaient sa colere. De
temps en temps, un sourd gemissement de souffrance ct
d'angoisse se mclait a ccs liurlcments courrouces. Mais
telle est la fureur dominalricc de ccs oiseaux de proie, (|iii
jouent dans les airs le role de lyrnns, que le niauvais suc-
ces de I'attaque teiitee par le faucon ne le rebuta pas,
mais au contraire redoubla sa violence.
La belette , sa petite tete sanglanle et tournee on I'air
ct suivanl de I'ceil tout les mouvemcnis de I'ennemi, le
corps allonge, prete egalcment a la fuite, a I'atlaquc, a la
defense, attendait le nouvel assaut ou le dcsistement du
faucon. Ce nyt dura pres de trois minutes, pendant les-
quellos le faucon tournoya lentemeut, comme [lOur saisir
une occasion de victoire, et la belette dcmeura immobile.
Forte de I'cxperience qu'elle avail acquise, a I'inslant
mcme ou I'oiseau de proie tomba de nouvcau sur elle, la be-
lette. la gueule ouverle, le saisil a la parlie la plus cbarnue
du cou ell'etrangla; puis, fiere de son Iriomplie, elle allait
le trainer dans son repaire, lorsque le spectateur muet et
invisible de celte scene extraordinaire, M. Complon, arma
son fusil; ce bruit epouvaiila le vainqncur, (pii s'enfuit
avec la rapidite de I'eclair, laissant son trophee sur le champ
de bataille ensanglantc.
{Wiltshire Mercury.)
SCENES, RECITS, ^VENTURES,
EXTIlilTS HES PLOS BECEHT3 V0V.4CE0I1S.
AVENTURES
sun LCS D0RD3 DE LA niVIEnc OB LA COLO'JBIE.
Dans le cours d'un voyage d'exploration fait par M. Cox,
en compagnie de plusieurs Indiens, il eul le malbeur de
s'endormir a une petite distance de ses compagnons, qui,
ne s'apercevant pas qu'il etait reste derriere, partirent
avantqu'il se reveillat. Get incident eut lieu le 17 aout;
mais il sera beaucoup mieux de transcrire la narration que
nous en donne M. Cox lui-meme (1) :
<r Quand je me revcillai dans la soiree (je pense qu'il
etait environ cinq heures), tout etait calme et silencieux
comme le tombeau. Je me batai d'aller oil nous avions de-
jeunc ; il n'y avail pcrsonne. .le courus a la place oil les
bommes avaienl faitdu feu ; tout, oui, tout etait parti, et
aucun vestige d'bomnics ou de cbcvaux ne paraissail dans
la vallce. Wes sens dufaillirent presque. En vain j'apjielois
a grands ciis jusqu'a I'epuiscment : Personnel... je no
pus me cacher plus longlemps a moi-mOme la terrible vc-
rite que j'clais seuldans un pays inbabite ct sans route ;
sans cbcvaux , sans amies, et pas mime de quoi me
couvrir.
0 N'ayant aucune ressource pour m'assurcr de la direc-
tion que la caravane avail prise, jo me mis a examiner le
terrain , et, au point nord-est de la vallce, je decouvris
des traces dc picds do cbcvaux, que je suivis pendant quel-
que temps, et qui me conduisircut a une cliaine de pelltcs
montagncs, surun fond gravcleux, et ou les sabots ne lais-
saicnt pas beaucoup d'cmpreinles. Ayant ainsi perdu les
traces, je gravis la plus baule monlagne, d'oii la vuc s'e-
tendail a plusieurs milles a la ronde ; mais je ne vis au-
il) Aiciitttnft sur In riviere de In CoioHiWf, par Itoss Cox. 2 vol.
Londrcs, Colbuni I'lCi'iillrj, 1831.
DE
rime isdication dc mcs amis, ni le moindre vestige d'habi-
lalion Immaine. La soiree etait sur le point de se clore, et
nvcc I'npproche de la nuil, une epaisse rosee commencait
a tomber. Tous mcs vcSemonts cniisistaicnt seulemenl
en une chemise dc i;iiini;liani, un panlalon de nankin el
une paiie de legers mocassins dc cuir prcsque uses. Envi-
ron une lieure avanl le dejeuner, el i cause de la chaleiir,
j'avais place mon Iiobit sur I'un des chevaux charges, me
proposanl de le rcprcndrc pour me garanlir de la fraicheur
du soir; un des hommes etail charge de mon fusil de
chasse. J'elais meme sans mon chapcau, cafc dans I'etat
d',i;^ita(ioH oil elait mon esprit, je I'oubliai a mon reveil,
ct j'etais Irop avance pour songcr a retourncr le prendre.
II Aqucbiue distance, sur ma gauche, j'obscrvai un champ
iVIierbes, je comniencai par en arracher assez pour m'y
rcposer et me couvrir, et, apres avoir recommanJe mon
ilmeau Tout-Puissant, je m'cndormis. Pendant la nuil des
songes confusde mnisons bien chauffecs, delits de plumes,
de Heches empoisoniices, des ronccs pii|uantes ct de serpents
a sonnettcs assaillircnl mon imagination Iroublee.
a Le 18, je me Icvai avcc le solcil, enliercment mouille
et glace, la rosee ayant completement traverse malegere
•ouverture ; je dirigeai mes pas dans la direction dc Test,
prcsipie parallelement a la chaine des montagncs. Dans le
cours du jour je passai plusicurs pctils lacs remplis d'oi-
scauxsauvages. L'aspect general du pays elait plat, le sol
leger, picrreux et couvert de la meme hcrbe dont j'ai
dcj.i parle ; unegrandequantile de cette herbeavaitctii rc-
ccmment briilee par Ics Indiens en chassant le daim; mes
yeux eurenl beaucoup a souffrir des tisons laisses a de-
couvert par I'incendie. J'avais dirige ma course vers le
nord-est, ou, dans la soiree, j'apercus a environ un millc
de distance deux cavaliers galopant dans la direction de
Test. A leur costume je reconnus qu'ils elaient de notre
troupe.
0 Jc courus vers un petit terire, et je poussai des cris que
la faim rendait surnaturels; ils galopaient toujours. Je
quitlai alors ma chemise, que j'agitai au-dessus de ma tele,
avccles cris les plus frenetiqucs : ce fut en vain ; ils al-
laient toujours. Je courus apres eux dans la meme direc-
tion, Ic desespoir ajoutant des ailes a ma course. Les ro-
ches. le chaume et les broussaillcs etaient franchis avcc la
rapiditc de la gazelle poursuivie par le chasseur; mais
lout fut inutile ; en arrivant a un endroit ou j'imaginais de
trouver un scntier qui pilt me conduire sur leurs traces, je
fus completement en dcfaut. II faisait presque nuil. Jl-
n'avaisrien pris depuis nvdi dujour precedent, et, epuise
de fatigue et de faim,jc mejetai sur I'herbe. J'etais l,i
depuis pcu, quand un leger bruissenient que j'entendis
derriere moi lixa mon attention. Je me relournai ,i I'in-
stanl, et j'apercus avcc horrcur un grand serpent a son-
nctles qui prcnail le frais alombre d'un arbuste. J'excculai
promptcmenl un mouvemcnt de relraite, en ob.servanl
qu'il se rcpliait sur lui - meme. Ayant pris une grosse
pierre, j'avancai Icntcment sur lui, el, lachant de le viser
juste, je la lancai de toutes mes forces sur la tele du rep-
tile, que j'enterrai sous la pierre.
« La derniere course avail completement use la legerc
semclle de mes mocassins, et naturellcment mes pieds
devinrcnt lre.s-enlles. La nuit avancant, je dus chercher
ime place pour dormir, et, apres quelque temps, j'en trou-
vai une aussi bnnne que celle de la premiere nuil. Les ef-
forts que j'avais fails pour arracher ccs longucs el grosses
VOY.\GES RECENTS. 95
herhcs, en me coupant, i phisicurs reprises, toutes les
jointures desdoigls, m'avaiententierement privcdc I'usagc
de mes mains.
a Le matin du 19 je me levai avant le solcil et je conti-
nual ma course toute la journee dans la direction de Test.
D'abnrd je me sentis presse par la faim ; mais, apres avoir
marche quelques milles el bu un peu d'eau, je me trou-
vai rafraichi.
(I L'aspect general dti pays etait toujours plat ; j'avais les
pieds ecorches par les herbes brulees et le sol sablon-
neux. Oblige de m'arreter pendant quelques heures, pour
me soustraire a I'ardeur brulante du soleil, j'essayai vai-
nementdeconstruireun abri pourmetlre ma tele a convert;
il me scmblait que ma cervelle etait en feu.
« N'ayant pas trouve de fruits pendant ces deux jours,
vers !e soir je me scntis tres-affaibli par la faim ; j'avais
passe quarante-huit heures sans prendre de nourriture.
Pour rendre ma situation moins penible, je dormis cette
nuit sur le bord d'un joli lac, dont les habitants auraient
fait honneur a une table royale. Avec quel serrement de
coDuretquel ffiil d'envie je conlemplai les superbes oies
el les canards brillants qui sejouaienl dans lean, insoucieux
de ma presence! Meme avec un pistolet de poche, j'aurais
pu faire main basse parmi eux. Ne pouvanl, vu I'elal de
mes doigts, me procurer la couverture d'herbes des deux
nulls precedentes, je passai la nuit sans un abri quelconque
qui pill me garanlir conlre la rosee.
0 Le jour suivart, 20, je dirigeai ma course vers le
nord-est, pays plus varie de hois ct d'eau. Je vis des oies
sauvages en quantile, des canards, des grues, des passe-
reaux, meme quelques faueons et des cormorans, et, a quel-
que distance, une vingtaine de daims. Le bois consistait en
pins, bouleaux, cedres, cerisiers sauvages, aubepines, san-
ies, chevrefeuilles et aulres arbrisseaux. Les serpents a
sonnettcs, les lezards a cornes, et les saulerellcs /"urcnt
Ires-nombreux dans ce jour; Ics dernieres surlout mo
tinrent dans un elat constant d'alarmes febriles, par la si-
militude du bruit produit par leurs ailes avec celui du
serpent a sonnelles, lorsqu'il se prepare a darder sa
proie.
«Le soir, j'arrivai aupres d'un lac, qui avail un peu plus
de deux milles de long et sur un mille de large, dont les
bords etaient tres-hauts el bien boiscs de larges pins, de
sapius et de bouleaux. 11 etait alimenle par deux ruisseaux
du norJ et du nnrd est, dans lesquels jobservai une quan-
tile de petits poissons ; mais je n'avais aucun moyen de
ks prendre, ou bien j'aurais fait un repasdes habitants des
iles Sandwich. II y avail la une abondante moisson de cerises
sauvages, dont je lis un bnn souper. Je dormis sur le bord
d'un des ruisseaux, preciscment a I'endroit oil il se jelait
dansle lac; mais, pendant la nuil, lehurlemenl deslou|iset
le grogncment des ours troublercnl terriblemenl mon repos
el bannirent presque de mcspaupieresmon sommeil balsa-
mique. Le matin, en me levant, le 21, je rcmarquai au
bord oppose de I'embouchure de la riviere I'cntree dune
large cavcrne, d'apparence profonde, el d'oii je pensai que
la musique de la nuil precedentc pouvail bien provenir.
Je me delerminai a ne faire que de petiles cour.ses pendant
les deux ou Irois jours suivants. dans I'espoirde trouver
quehpies nouvclles traces de chevaux, et, dans rcventualite
du non-succcs, a retourner chaquc nuil au bord du l.ic,
oil j'i'tais au moins certain de me procurer des cerises el do
I'cau pour soiitenir mes forces.
04
SCENES
M.-i resolution arrelce, je prisma direction an sud du lac,
i'l Iravcrs un pays sauvage cl stci'ile, sans eau ni vcgela-
tion, exccpic de ces loiigucs hcrlies touffnes dont j'ai di'ja
jiarlc. Je m'arinai d'un long baton, avcc Icqucl, pendant
Ic jour, je tuai plusieurs serpents ,i sonnottes. No decou-
vrant aucnne trace nouvelle, je retournai Ic soir, tard, ac-
calilc de faim et de fatigue, prendre possession dc mon
gitcde la nuit preccdente Je rounis iin tas de piorrcs a
cole de Tean ; mais, a peine y etais-je etendn, que j'aper-
cus nn lonp sortir de la caverne en face. Pensant qnil
ctait |ilns prudent de prendre I'nffensive que de laisscr
paraitrc de la fraycur, je lui lancai quelqnespierres, unc
dcsqui'lles Tutteignit a la jambe : il se retira dans son
autre en burlanl. Apres svoir attcndu quclque temps dans
la terrible attente de sa reapparition, je me jelai sur la
terre, on je ni'endormis ; mais, conime la nuit precedente,
mon somnieil fut interronipu par un grand vacarme, et,
pendant plus de deux lieures, j'attendis dans une cruelle
onxiete le retour du jour. Les vapeurs dn lac, jointes a une
forte rosee, avaient penetre ma frele couvertiire de guin-
gham. Mais, aussitot le lever du soleil,je I'etendissur un
roclior, oil elle sechapromptcmenl. Mon excursion dans le
sud n'ayant produit aucun resultat satisfaisant, je re.solns
do me diriger du cote de Test ; el, apres avoir pris mon
frugal di'jeuner, je penctrai dans un bois sombre et sau-
vage, oil une inuiiense quantitc de taillis ralentil beaucoup
ma course. Mes pieds, entiercment decou\erts cl laceres
paries epines de diverses plantes, me forcerent de retour-
ner ,i mon dernier bivouac, oil je fiis oblige de raccourcir
les jambes de mon panlalon, afin de me procurer des ban-
dages pour les envelnpper. Le loup ne reparut pas; mais,
pendant la nuit, la vue de plusieurs de ses confreres de la
foret me tint dans de coutinuelles alarmes.
« J'anlicipai le lever du sideil dans la matinee du 23, et,
ayanl ete decu dans mes esperanccs les deux jours prece-
dents, je me dccidai a tourner du cote du nord et ii ne pas
venir au lac, si cela m'elait possible. Pendant le jour je
longeai le bois, oil quelques anciennes traces que j'aperpis
ranimcrentun peu mon faible espnir. Je passai celle soi-
ree aupres d'un pelit niisseau, oil je cueiilis assez de ce-
rises et daubepincs pour fairc un bon soupcr. Le 24, le
pays a travers duqnel je traiiiais mes jambes harassecs
ctait dair-seme de bois. Ma course se dirigea vers le nord et
le nord-est. Je souffris braucoup du bosoin d'eau, n'ayant
trouve dans la journce que deux clangs nauseabonds, tie-
des, et presque li sec par la longiie secheresse. 'Vers le cou-
cher du soleil j'arrivai pres d'une pelile riviere, a cote de
laquelle j'ctablis mon quarlier pour la nuit.
« Je ne ni'eveillai i|u'entre huit et neuf hcurcs dans la
matinee du 23. Mon second bandage etant use, je fusolilige
de mettre mes genoux a decouvert pour le renouveler; et,
apres avoir enveloppe mes pieds etbu un long coup dans
le ruisseau voisin, je recomnienjai mon voyage en me
dirigeant vers le nord-nord-est.
(1 Je n'eus pas d'eau de la journee ni de cerises sauvages.
Quelques legeres empreinles de pieds d'liODunes et de clie-
vauxapparaissaient quelquefois danslc senlier que je sui-
vais : dies prouvaient du moins que quelques etres liu-
mainsvisitaient cette partie du pays, ce qui releva pour
un moment mes espritsabaltus.
« Sur la brunc un immense loup s'elanca d'un epais
taillis, li une petite distance du senlier, en se posant exac-
tcment devant moi dans unc attitude mcnajantc; il
paraissait determine a me disputer le passage. II n'etait
qu'iivingt pieds demoi.Ma silualion etaitdesesperee; mais,
sacbaiit que le moindre symplome de craintc aurait ete le
signal de I'attaquc, j'ngitai mon baton devant lui en pous-
saiit des cris aussi forts que put le permetire la faiblcsse dc
ma voix. II parut un peu etonne et recula quelques pas,
quoique tenant toujours ses yeux percants fixes sur moi. J'a-
vancai un peu; alors il poussa des liurlementscffroyables;
je supposai tpieson intention elait de reunir quelques uns
de ses camarades pour I'aider i faire un repas d'apres-inidi
de ma carc^^se cpuisee. Jc redoublai mes cris jusqu'a ex-
tinction, prononcant en meme temps differents noms, afin
qii'il supposat que je n'etais pas scul. Un vienx et un jcune
loup-ccrvier passerent pres dc moi en courani, sans s'ar-
reter. Le loup resta environ quinze minutes dans la memo
position ; mais, sansdoute, mes sauvages et terribles cris
en empeclierent d'autres de se joindre ,'i lui, c'cst ce que
je no saurais dire ; voyani, a la fin, que je n'etais pas de-
cide a ipiitter le combat, et qu'il ne lui arrivait auriin reii-
forl, il se retira dans le bois et disparut dans Tobscn-
rite.
" Les ombres dc la nuit descendaieiit avec rapidiie, qiiand
je decouvi'isnn endroit verdnyant entoure de pelits arhres
et plein de joncs, ce qui me fit cs^erer de Irouver de I'eau ;
inspection faite dulieu, jc fiis amercment decu dans mon'
attente. Ce n'clait qu'uii etaug ou un lac peu prnfond et
dessecbe par la granje clialeur. J'arrachai une quantile de
joncsqiicj'elendis a cute d'une large pierre, ladcstiiianl ii
me servird'oreiller; mais, au moment de me jeter sur ce lit
improvise, un serpent a sonnctles, se repliant sur Ini-niemc
la tete baule, et tenant sa langue fourcbue dans un elat de
lerrible oscillalion, fixa ses yeux sur les miens.
« Je recnlai, et, ranimant mon courage, je I'expcdiai
bientot avec mon b.ilon. En examinant les liciix avec plus
d'atlcniion, j'cn vis apparaiire un balaillon sous la pierre,
je les delruisis cnlierement. Cette rude be.sogne elait ii
peine exccutce, quand une doiizainc de serpents de diffe-
rentcs sortes, principab ment bruns, bleus et vcrls, appa-
rurent ; comme ils etaient plus agiles dans leiirs mouve-
ments que leiirs confreres a sonneltes, je n'en pus detruire
quo fort peu.
« Ce moment me fut parliculieienient peiiilde; je n'a-
vais pas goiile de fruils de|iuis la matinee preci'dente, el,
apres un jour dc marclic faligante, sous un snleil brulant,
je ne trou\ai pas une goulte d'eau pour etancber la soif '
fievreuse ipii me devorait. J'clais enloure d'une couvce de
serpents men rtriers et de betes feroces, sans nieme avoir
la consolalinn de connaiire le terme probable d'un tel elat
de niisere. Je pouvais dire vraiment, avec le royal psal-
misle, c|ue » les pieges de la mort m'environiiaient. »
(1 M'elanl jele sur quelques joncs que j'avais reunis et
i'lendus a quelqiie distance de I'endroil oil j'avais exler-
ininc les reptiles, la bonle divine me permit de jouir d'une
nuit de repos non inlerrompu.
tiJenie leva! fraisetdispns, dans la nialinecduiC, et me
diiigeai vers le nord, etparfois unpen du cutedcl'est. Induit
' n crrciir par I'apparence des joncs, j'imaginais devoir
elrc dans le voisinage d'un lac ; je quittai le senlier plu-
sieurs fois pendant le jour, espi'raiitque je rcnconlreraisun
peu d'eau, mais cette faible esperance s'cvanouissait tou-
jours; j'essayai meme en vain d'exiraire un peu de leur
bumidile. Des epines el des pierres Irancbanles ajoulaient
beaucoup A la douleur de mes pieds , cc qui ni 'obliges do
DE VOYAGES ftfiCENTS.
05
nouveau a avoirrecours a mes velemenls pour me procurer
d'auli'es bandages. Le besoin d'enu ni'avait mis dans un
elat de fievrc el de faiblesse exlrenies, et j'avais presque
perdu toute esperancc de secours, qiiand, vers les ipialre a
cini| heures el demie du soir, le vicux sentier se deliiurna
de la prairie dans un pays de bois louffu, vers la direclion
de I'esl; et je n'cus pas marcbe un demi-mille, qu'un
bruit semblable a une chulc d'eau frappa mes oreillcs; jc
me halai d'y porter mes pas chancelanis, et, dans peu de
minutes, j"eus le plaisir d'arriver sur les bords d'un ruis-
scau rapide el profond, qui sc frayait un passage rapide
.1 travcrs quelques largcs pierres qui obflruaicnl son
cours.
« Apres une courte priere d'aclions de graces envers la
Providence, ouldiant I'etat d'epuisemenl extreme auqnel
j'e •li'i rcduit,rtquifaillit me devenir fatal, jeme jetai dans
le riilsseau ; la faiblesse de mon corps ne put resisler a
la force du cnurani, qui m'entraina a quilque distance;
quand enfin, au moyen d'une branche a laquelle je m'ac-
crncliai, jc regagnai le rivage, j'y Irouvai abondance de
mures et de cerises, qui. jointes a I'eau. me procurercnt le
plus dclicieux npas. En cxaminant autour de moi ou je
ponrrais dormir, j'apercus a terre !e Ironc creux dun larf;c
pin, detruilpar la toudre. Jem'elablisdans la caviie, elm'c-
tant convert de grands morceaux d'ecorccs d'arbres, je ne
lardai pas a dormir. Mon repos ne fut pas ccpendant de
longnc durce, car deux henres s'claient a peine ecoulces
quand je fus reveille par le grognomeni d'un ours; il avail
drjii eulevc une parlie de Tecorcc dont j'elais couverl, en
appuyant sur moi son groin, incertain s'il me delogerail.
Je m'elancai prnmplement pour saisir mon baton, en pous-
sant un grand cri ; il parul olonne, recula de quelques pas,
s'arrf la el regarda tout a I'enlour, indecis s'il commencerail
unealtaquc. Use dctermina enfin pour un assant; mais sea-
lant que j'elais trop faible pour mesunrmes forces avec un
semblable adversairc, jc pensai qu'il elait prudent de faire
relraile, cl je me hSini de grimpr r sur un rbre a cole Ha
fuile ranimant son courage, il commcnca son ascension.
u J'atteignis une brancbe qui me donna un avantagc red
sur lui ; en appliquanl mon balftn sur son museau ct scs
griffcs, je le tins en cchcc. A|ires avoir gratie I'ccorcc
un instant avec rage, il abandonna sa tiichc, et fit relraile
vers mon dernier lieu de repos dont il prit possession.
La crainte de tomber, si je m'abandoniTais au sommeil,
me fit tenter de desccndre a dirferentcsfois; mais chaqne
tentative mcttait en emoi mon ursine senlincUe ; et, apres
plusieurs efforts infructueux, je fus oblige de demeurcr l.i
pendanl le resle de la nuit. Je me fixai dans cette parlie
du Ironc, ou les principalcs branches fourchues previnrenl
ma cbute durant mon leger sommeil
« Pans la matinee du 27, peu apres le lever du snlcil.
I'ours quilla le Ironc d'arbre, se secoua, et jelanl vers moi
un long regard de convoitise, il disparul pour se meltre a
la recherche de son repas du matin. Apres avoir allendu
quclque temps, apprchcndant son rctour, je desccndis de
I'arbre, el dirigeai mes pas ,-i Iravers le bois, dans la direc-
ion du nord-nord-esl. En quelques licures tonics mes
anvii'lcs de la nuit prcccdente furent plus que compcnsecs
par la decouverle d'un senlier bicn ballu, avec des traces
raealcs de picds d'hommes el de chevaux ; il elait dans
une clairierc de bois, se dirigeail vers le nord-csl, el
j'y apcrcus nonibrc de pclils daims. Environ vers' Ics
six beuies do soir, j'arrivai a ur. endroil oil une caravane
devail avoir passe la nuit prcccdente. Autour des reslcs
d'un grand feu qui brulait encore, elaient cpars, a dcmi
rouges, plusieurs os de co(|s de bruyere, de perilrix cl de
canards; je reunis le tout uvec beaucoup de soin. Apres
avoir dcvore la viande, je broyai les os. Bien que Ic lout
suffil a peine pour me douner un repas mndrrc, neanmoius
il vint fort a propos pour reparer les forces de mon corps
affaibli. Je jouis celle null, aupres du feu, d'un sommeil
confortable, et qui ne ful inlerrompu par aucun visiletir
nocturne.
« Dans la matinee du 29, je continual ma route Vesprilgai
cl dispos, plein de I'esperance d'une prompts fin de tons
mes maux. Je me dirigeai vers le nord, a iravers un bois
louffu. Tard dans la soirc ■, j'arrivai a un clang d'eau stag-
nante, et j'y mouillai seulement mes Icvrcs; puis m'c-
lant convert d'ecorces de boulcau, je m'endormis sur ses
bords. ,Te mi' Icvai de bonncheuredansla maiineedu 29, et
chercbai lout le jour des traces a leavers du bois, presque
au nord-est. Je passai la unit aupres d'un petit courant, oi'i
je Irouvai des mures et des cerises en abondance. Le 30,
le senlier tournn lout ,i fail vers I'esl, el le bois devinl
plus epais et plus sombre. J'avais presipie enlierement em-
ploye mon pantalon en bandages pour mes pieds, et, a
I'exeeplion de ma chcmi-.e, j'elais presqne nu. Les traces
de chevaux apparais.saient ii chaqne instant plus fraiches,
et redoublaienl mes csperances. J'arrivai dans la soiree ii
un endroilou lecliemin sebifurquail; I'une des deu.\ routes
condnisail a une monlague escarpee, I'autre a une val-
lee ; cl dans tonics deux les traces elaient cgalnnicnl re-
cenlcs Je pris d'abnrd celui de la moutagne ; mais apres
quelques cenlaines de pas a Iravers un bois louffu, qui me
parul plus sombre par I'epaisscur du feuillage qui y in-
Icrceptait les rayons du soleil, je me relournai craignant
de manqucr d'eau pour mon souper, et je desccndis le
sentier d'cn has. Je ne ni'etais pas avance a une grande
distance, quand il me .scmbla enlcndrelehennissemenld'un
cheval. J'ecoulai avec allenlion, relenant mon haleine, et
demeurai convaincu que ce n'etait point une illusion.
Quelques pas plus loin me menerenl en vue de ces nobles
animaux, se jouanl dans une belle prairie, dont j'elais
.separc par iin courant rapide. Je le franchis non sans
quelques difficiilles, et je gravis la rive opposee.
« En avancantun peu dans la prairie, la vue rcjonis-
sante d'une petite colonne de fumee, s'elevanl cl ser-
pentanl avec grace, m'aunonca mon arrivee pres d'elres
humains, et dans peu de moments deux femmes indieimes
m'aperfurent : elles s'enfuircnl precipitammenl dans nue
hulle apparaissant .i rextremilc de la prairie. Ce mouvc-
ment me fit douler si j'elais arrive parmi des amis ou des
ennemis; mais I'ajiproche de deux bommes accourant vers
moi avec empressemenl cut bientot dissipe mes crainles.
<c Voyant I'elal de meurlrissure dans leqnel etaienl mes
pieds, ils me porlerent dans une demeure confortable,
convene de peaux de daims. Laver et changer de linge
mes jambes dechirees, faire ciiire des raciues, et bouil-
lir un petit saumon, fut I'affaire d'un moment. Apres
avoir remercie le Dieu de bonle el de mLscricorde, entrc
lesmainsduqnel sont les chances de la vie ct de la morl,
d'avoir veille .sur mes pas egares. el de m'avoir sauvc dans
une silualion si pcrillcuse, je m'assis a tab'e; il esl inulils
d'ajouler que je fis un bon souper. n
[Tux's Advciitttrcr.)
00 SCENES DE VOYAGES REGENTS.
VOTAOB A CBSVAZi BUB QM GBOCOSILE
Dieu a donne rintelligence a I'homme ; elle le fait mailre
de la creation.
Regardez ce crocodile, et dites-nioi si vous auriez Ic cou-
rage de I'aborder, avec sa colle de maiUes, sa gueule
immense richemenl garnie de dents aigues et ces yeux
qui vous fixent elincelants de fureur?
Cepeudanl le negre des cotes d'Afrique prend un grand
couteau dans samain droite, enveloppe I'aulre dun cpais
manleau, et va dans les marecages, au milieu des roseaux,
sur le Lord des rivieres, a la recherche de ce terrible ani-
mal. Le crocodile s'elance vers lui, la gueule ouverle ; mais
I'homme enfonce avec la rapidilede I'eclair son bras cra-
maillotteentre les deux machoires; les dents du monstre ne
pouvant percer I'epaisseur des plis du drap, le bras n'e-
prouve qu'une legere pression, et, avant que I'aniiiial ail
cu le temps de se dcgager, le negre se hate de lui Iranclicr
la tele.
M. VVatcrtou nous raconte fort plaisamment sa course
sur un alligator (autre espece de crocodile) qui avail dix
piedsetdemi de long, et dont il s'etait rendu maitrc nu
moyen d'un crochet attache au bout d'une cord« solide.
Les gens de M. Walcrton traincrcnt I'animal jusqii'nu ri-
vage ou le chasseur I'altendait arme d'une perche, quil se
disposait a eufoncer dans la gorge de I'animal pour le
tuer. Mais, a son approche, M. Walerton s'apcrcuj de la
frayeur du crocodile, ct imagina d'cn tirer parti. 11 jellc
sa perche de cole, el saute a califourchon sur son dos
comme s'il avail affaire a un cheval ; puis il s'empare des
jambes do devant, les tortille de maniere a les ramcner
sur le dos et a s'en faire des brides. Le crocodile, tres-peu
salisfait, s'agitait en furcur, foueltant la terre de sa quoue
vigoureuse : mais les spcclaleurs enchanles trainerent I'a-
nimal et son cavalier I'espace de ((uaranle metres. Sis
machoires furent ensuile allachees, scs jambes de devant
fixees dans la position que M. Walerton leur avail fail pren-
dre, puisenGn il fut lue etamene en Anglcterre.
On cile de ces animaux des trails epouvantables de
voracite. Voici ce que raconte mailame TroUopc. » Les
crocodiles sont si nombreux sur quelques points de celle
sombre riviere (le Wississipi), qu'il faut ajoulera toules les
souffranccs qui vous accablenl dansceslieux la crainle de
leurs atlaques. On nous rapporla I'bistoircd'un homme qui
vint s'inslaller tout au bord de la riviere; sa cabanc ful
bientotconstruilc. La sympalhie cl I'amour du whysky al-
lirent ce voisinage si peu nombreux vers le nouveau venu ;
chacun I'aide a couper les arbros, a rouler les biiches
jusqn'.i I'habilation. Cela fait, la femmc el les cinq enfanls
prirent possession de leur nouvelle dcmeure, et s'endnr-
mirent profondement a la suite d'une marche lonsue el
penible, Au point du jour le pere est evcille par un faiblc
cri ; il rcgarde autour de lui, et apcrcoit avec effroi les
gesles de ses Irois enfanls disperses dans la caliajin : un
cuorme crocodile et plusicurs de sos pctits devoraioiil
encore les debris de leur epouvanlable repas. 11 cherrhe
en vain une arme quelconquc, el, sachant qu'il ne pent
rien faire sans cela, il quille doucement son lil, se glissc
dehors par la fenelre, esperant que sa femme, qu'il laissc
ciidorniic avrc ses autres enfanls, ecbapperait au car-
nage jusqu'a son retour. II court implorer I'aide d'un dc
ses voisins. En moins d'une dcmi-heure, il revicnt avec
deux hommcs bienarmes, mais, helasltrop lard; lafemmo
ct les deux enfanls gisaient muliles aussi sur leur lil san-
glant. Les reptiles, rassasies, devinrenl une proic facile.
En faisant I'inspectinndes lieux, on decouvritque la hullo
se trouvail placce ,i I'entree d'un grand Iron, espece dc
caverne oii le monsire avail fail colore son odicuse race. »
Ce qu'il y a de plus remarquable dans le crocodile, c'est
qu'il est reconvert d'ecailles dures et epaisses, de formes
irreguliercs, mais bien ajustecs I'une dans I'aulre; sous Ic
corps, elles sont beaucoup plus molles, le couteau y pe-
nelre facilement ; mais cellcs du dos et des cotes r jsistcnl
a la balle de fusil. La nature de cette enveloppe donne a
I'animal une roideur qui rcmjiechi; de tounier aisemcnt;
lie snrle que le meillcur moyen d'tichapper a sa poursuite
consisle a faire un grand norabre de dciours.
( GuzcUc de Gatlingue.)
A MOS COBBESFOHOANTS.
SI. L. C. D. T. — Va mjel nujslique telqiic cclid qu'U proimepmirM
uitrre ti lo jettiiessc.
n,ul;ime l;iV. D. - Scs vers sonl accc/itcs.
M. Ic V. J. —LaUijemlednsiTe dcltt Paliitl serainscTcciiaiismlrc
procliain itumcro.
M. n. — Valphaliel pnposi est !rop eiifmlin. Nnis voiilons
que mire nuvre soil an niveau de la sciei'ce, el que les
homilies murs cu.v-iiicmes pmsseiit la lire et en proftleT.
mc |3 It. D. L.V. — Ses Soiive'iirs de I'art elirelicn soitt aeeeptes.
M. Ic C. U. ]f. — La C.rilique el I'Anahlsr des a:Ktra morales el il'fdu
cation nouvelles serort doitiiics par nous comme il le di-
iire, mais it cliaguetriiiicilre sciileiuciil.
Nous iTmciious anx procliains nuiiii'riis le Tigre el Vllomme, Blanche ds
Ciisiille, les 0ISC11I.V piicles. leVaysan de I'Aidcclic, cl Wales IcS suites
que iiiius avons uiinoiicCes.
— o^ rnris. — Typographie d'A. Rkie et Coinp., rue de Seine, 32. §<i —
LE
LIURE OES FAMILIES
ou
JOURNAL 1)E MONSIEUR LE CURE.
M» 4. —I" Volumo.
a" Fivrivr 104S.
LE MOIS DU JEENE CHRETIEN.
KA CHAIffSELZDIB.
On 0 souvont (lit que le pciiplc doMiic mix noiiis lo droit
e bourgeoisie. L'Eglise en |iourrait loiirnir bon nomlirc
exem|,les, et In felc dc ce jour en est nn l.icn frappant
eaninoins la profusion des cierges qui brillent dans les
anis des fidelcs, ol qui out cle benils par I'Eglise, ii'csl
Tun acccssoire dc la fete dn second jonr de fevrier. On
colebrc deus faits ,le riiist.dre evangelique, la prcsenla-
on de Jesus-Christ an temple, et la purilication de la vierge
one sa mere. Occnpons-nous d'abord de ces deux poin'ls
■incipaux, nous recherrherons ensulte lorigine de la
Miedirtion des cierges et de la procession qui se fait en
tte solennile avee des cierges que le clerge et les fideles
rtent allumes dans les mains.
Que nous raconlent a cct egard les ovangelisles? Pour
nr a la loi juive, Marie, la mere sans (ache du Fils de
Dieu, se rendil an temple de Jerusalem, peur se punner.
Aprcs sonenfanlenient, toutemcre cinilseparee de la com-
pagnie des aulres. On la consideralt comme une personne
impure. Pour se relcver de cette impurele legale, il fallait
se presenter au temple, Ic quaranlieme jour aprcs In nais-
sance d-un garcon, le quatre-vinglieme apres cclle d-une
idle. C'est ce qu'on nommait le ceremonial de la Purilica-
tion. Marie, la plus pure des meres, sesoumit aux prescrip-
tions de la loi, qui neaninoins ne devait pns I'ntleindre. Une
autre loi voulait qu'on offrit nii Seigneur tout premier-ne.
.Vnis commc Jesus elail issu de la tribu di- Juda , et qii'a la
tribu seule de Levi etait reserve le droit de fournir des
pretrcs, Tcnfant dc Marie dut eire rachete par uneoffrnndc.
Ce fut pour Marie et Joseph celle des paiivres, deux tour-
lerelles. II lallail que partout eclatnt Thumiliteque le Snu-
veur n'a cesse de praliquer depuis la crdche de Bethleem
jusqu'au Calvnire. Aussi , dans cette double solcnnite,
lEglisc chanlp cette belle hymne (III poSle clin'tien, dont
LES SAINTS
la Ir.iiliiciioii nc pent qu'.iUorer la beaulc : a Niilions,
ci soycz dniis rcloniicnicnl I iin Dicu se fait viclimo. A sa
u fii'oprc loi lo loij'islaUnii- obeit. Lc redcmpl 'iir dii moiide
use rachele. Uno mere sans laclie vicnt se purifier. »
Aux mystorcs do cclle double fclc, I'Eglise grecque a domic
lo Hom A'Hyiiante, c'cst-a-dire, rcncoutro. Quel en esl lc
motif? Un Irait des plus fj-appauts qui nous est niconle par
I'Evangile. Au moment on Marie apporla au temple son di-
vin enfant, le saint vieillard Simeon, accompague d'Anne
la priiplietcsse se trouve dans le portique. II prcnd aiissilut
ilans scs bras reufant Dieu, et lo montrant a sa mere, il hii
adrcsse ces paroles d'uu sens profond : « Voici celui qui
« est ne pour la mine ct pour la resurrection de plusieurs
« en Israel. Ce sera le sigke auquel on conlredira. Merc !
<i ton ame sera transpercce d'un glaive de douleur!... » —
(Ju'est-cc a dire?LeSauvenrdumonde en seralaruine 1 Oni,
ponr i|niconque le mcconnaitra, pour quiconqnc, se placant
dcvantlcs yeux un fatal bandeau, nevoudrapasmarcherdans
la route dn bieu, a la Incur de celte bienfaisante Umiiere ;
carcel enfant, comme lc cliante ensuitele vieillard prophe-
tiquc, est Venn poureclairer les nations. Si I'avcugle volon-
laire s'cgarc ct tonibe dans un abime, faudra-l-il en accu-
ser I'astrc dn jour? Cetenfanl seraenbuttcala conliadir-
Imii. Est-il une prophetic ((ui se soil plus nianifeslenieul
acconiplie cpnt cellc-la?Le Christ ct sa doctrine out cu ponr
adversaires el le judaisnie, el le paganismc, ct la pliiloso|ihic
mondaineavecses raisonncnients, ses sarcasmesetsesecha-
fauils. Gelte impitoyablc guerre continue depuis plusdcdix-
huil siccles. Etponrlant ce signe, eel clendard, expose aux
vents dccliaines des licresies, des scandales, des passions,
de rinipiete, .se tienl toujours haul et fernie, landis que les
empires, les institutions, les dynasties s'ecroulent et dispa-
raissent. Ah ! c'est qn'ici esl lc doigt de Dieu. Ce fait tout
soul imparlialemenl mcdile esl une des preuvcs les plus
couvaincanlcs el los plus inatlaquables do la divinitc dn
christianismc calholiquc. Tel esl le fait imposant que nous
presenlc I'liypante grecquc, la rencontre de Marie el de
Jesus avec le saint vieillard Simeon, dans le porliqne
du temple, en cette solennile de la Clmndeleur. Faut-il
done s'elonner que I'Eglise, en ce jour, symbolise par un
nombreux luminaire ccl astre bienlailcnr qui se leve siir
1 horizon ponr I'inonder de ses lumieres, nous voulonsdirc
Kotre-Scigneur Jesus-Christ, le vrai solcil de la justice? A
I'aspeclde ces nombreux flambeaux bends el allumes que
le c'ergc et les pieux tideles lienncnldans leurs mains, en
la fetedu 2 fevrier, Joit-on elre surpris que lc peuple ail
iuqiosc acelle-ci lo nom si caraclerislique de Chandeleur?
Cclle profusion de lumieres, celle procession qui precede
la mcssc ne seraienl-ellcs qu'une imitation des solennites
analogues qui avaienl lieu dans le paganismc? C'est ce qui
doit elre examine.
Versle 5de cemois,lespaTenscelcbraienlles Lupercales
oil Vlionncnrdu dieu Pan. On faisail une lustration dans les
qnarlicrsdela ville do BoincOn inmiulaitdcscbevresbl.in-
ilics. Les prelrcs sc couvraientde la peaudc ces animanx,
ct paroouraienl les rues en frappantacoups de foucl les
femmcspourlcur procurer d'heureuxaccouchements. Ceci
ressemble assez pen a la Cliandeleur cliretienne. Deux au-
Ircs riles idolalriqnesparaissenl offrir plus d'analogie. Les
Remains, fiersd'avoirsubjugucle monde, faisaicnldes pro-
cessions, dites Aniburbales, en tenant a la main des torches
allumecs pour se rejouir des victnires qni leur avaienl
soumis I'univcrs. Puis encore, en I'honnenr de Ceres, res
peuples couraienl pendant 1;. unit avcc des llambeaux, on
memoirc de celle deesse qui, apresavoiralbnne des lorclies
au mont Etna, parcournt la lerrc pour dceonvrir sa HUe Pro-
serpine qni lui avail etc ravie. Le .savant cl illustre pape
Benoit XIV pen.se que, si saint Gelase abolil les Luper-
cales, lc pape Sergius subslilua aux Amburbales la proces-
sion du second jour de fevrier. II donna ainsi le change
aux Remains, infatnes de ces bruyantcs et s)deiulides
courses nocturnes aux nand)eaux, en faisant lourni'rauciilte
du vrai Dieu les usages du paganismc. Au lieu done de cc-
lebrer, comme aux Amburbales, le triomphe de Rome snr
les aulrcs nations, on celebra un autre triomphe pluspaci-
fique et plus salulaire, que le christianismc a assure a celle
ville, aujnurd'luii la capitate du monde soumis a la croix.
S'il fallait que le christianismc ne presenlat rien dc sem-
blable, mais que tout y ful diamclralcmenl oppose a toule
cspcce de pratique paienne, il ne pourrail exisler ancun
culle cxlerienr. Le nom dc Dieu lui-nieme devrait en elre
banni, car le paganismc en gratillailson Jupiter lonnanl.
Ces analogies ne soul done point, ni une emanation, ui une
imilalion. L'c<pril, el c'est la rcssenticl, en est parfaile-
menldisscmblable.
Les cicrges benits decejour soul religiensemenl conser-
ves dans les niaisons, en beaucnnp de provinces. Lor.squ'un
membre de la famille, an lit de la morl, esl visile par Jesus-
Christ dans le saint vialique, le ciei-gc de la Chandeleur
esl allume anpresdu lit dn monrant. Sa lumierc vacillanb
eclaire encore .ses yeux au mnnienl on ils s'eleigncnl. Li
I'oi, comme ccltc lumierc, I'a eclaire dans le pelerinage
de la vie, cl ne lui est pas iufidcle en'ce ninnient dccisif.
Qnand enfm I'amc esl sortie de sa prison dc bo'ie, le ciergc
brule encore aupre; de son corps comme cmbleme de I'ej-
perance en une autre vie oii doit briller pour I'aine jusle le
solcil dc justice qui ne eonnait point de couelianl. C'est j
cette admirable cl tonchante philo.sophie du cliristianisme
qni a inspire a une illustre plume cette cclalantc verile : les
pa'icns onl divinise la vie, les Chretiens onl divinise la
morl.
Terminons en Iraduisanl lc beau canlique de Simeon,
birsqn'il Icnail dans ses bras renfanl Jesus, aprcs avoir
predit a Marie le mystcre de la Redemption, quo lc Verbe
incarne vcnait accnm|ilir sur la lerre.
(c Seigneur, voire servilcur ponrra niaintenant mnurir en
11 paix, scion la promesse que vous aviez daignc lui faire.
ic Carmes yeux onl vu le Sauveur que vous nous donnez.
11 lis onl vnCelui-la memequc vous destinez a elre place
n a la vue de toutes les nations,
11 Celui que vous envnyez comme le llambean qni doil
11 eelairer les peuples, Celui qui sera la gloirc de la nation
(I privilegieed' Israel. »
Faut-il alter chercher dans les rites idolalriques I'nsagc
seciMaire d'allumer plusieurs llambeanx en cette fete, clde
lui doDiicr le nom dc CImndckur, qnand on a lu le der-
nier versct de cc sublime canlique?
itofl
IT/, '
CARBTAVAIi.
II s'agit ici du nom el nullemenl do la chose. Si cclle
dernicre n'csl point d'une institution direclemcnt satauique,
c'est Lien le monde qui en est rinvenleur. \ln ce cas, c'esl
une origincparfailement idonliqne. Mais encore une fnis la
"i)U MOIS.
.C^
f.ininval nc pciil elrc pour nous uii olijel de roilicirhos li-
liirgiiiues. On irn, si Ton veut, cherclicr I'origiiic liislori(|UC
ill' l;i chose dans los SaUirnalus, dans Ics Bacclianalcs, dans
lis urtjies Lachitiues. Nous n'avons a eel i's,ari nul sinici.
(Juaiit au nom, c'esl une queslion lout aiilro, tU nous le
liduvous dans une pralique dc la discipline clirelicnne.
Coci parait elrange de prime abord. Qu'on nous pnlcndo
avant de juger.
II est constant que tres-ancienncment le dimnnche de la
i|uinfiuagesime, c'cst-a-dire celui qui precede le jour des
Ccndres, ctait nomme en languc latine : Dmninica de
cuTnc Icvario on de came levanda. En ce jour, on pro-
scrivait I'usage de la viande jnsf|u'a Paijues, en sorle qu'.i
dalor de ce dimanche il n'elait plus pcrmis d'user d'ali-
ments gras. Certes, aujourd'hui c'est nbsolument lout le
conlraire. Nun pas que nous nous nionlrions plus scveres
que riiglise clle-meme , qui a Ijien voulu se rclaclier sur ce
point. Nous rcmemorons le fail ancien. Le penpic, qui en-
tendail le latin, ctait done habitue a ces expressions : Domi-
nica dc canie leiario. Quand la langue francaise se forma
des debris de la langue romaine, on donna a ce jour le
nom de Dimanche dc carne-leval. II nous est permis de
croire a une Ires-proche parenle entre le carnc-kcal dc
nos bons aieux et le carnaval contcmporain. Toule autre
originc clymologiquo nous parait passablement forcee,
principalcment celle qui fait descendre la chair, la earnc
d'aniont en aval, pour en fabriquer le cam-aval. Ainsi
done, les lermes les jdus harmoniques avec la mondair.o
sensualite accuseift une origine lilurgique en mt'mc temps
que notre relacbement modernc. Nous en fournirons quel-
ques autrcs exemjiles par la suite, qui ne scroni pas mollis
curieux que celui-ci. Le Journal de M. le Cure pourra
sans inconvenient les consigner dans ses cnlonncs.
CAKtSiB.
La delicatessc mondaine s'cffraye nutant du mot que de
la cliosc. Le jiremier n'a d'abord ricn d'aflligcant dans sa
signification ctyniologiquc. Nos bons peres ecrivaieni, il
n'y a pas encore Irois sicdes, quaresmc au lieu de ca-
reme. Le quaresme n'csl qu'une contraction du terme la-
tin quadragcsima, la Quadragesimc, c'est-a-dire la qua-
rantaiiie. C'est par la meme raison que les Grccs donnent a
cette pcriode de I'annee chrelienne le nom dc Tessara-
coste, qui signifie quaranle jours. La chose en elle-meme
n'a rien qui puisse inquieter le soin de la sanle corporelle,
ct bicn loin de la, comme nous esperons le dcmonlrer.
Occupons-nous d'abord de I'origine. L'Evangile nous ap-
prcnd que Jesus-Christ, apres son baptemo par le saint
precurseur, se relira dans le desert , oil il s'abstint de
toule nourriture pendant quarante jours. L'Eglise ne pou-
vait proposer a ses enfants un jeilne aussi rigoureux, la na-
ture humainc n'eut pu le soutenir. A cette derniere nature
Jesus-Christ unissait la divinile, ce qui a fait doiiner au
Blessie le nom d'llomme-Dieu. Mais, des les temps aposlo-
liques, les chrelicns, pour imiler, aulant qu'il Icur ctait
possible , cette longue maceration de nulrc Sauvcur, se
borncrent a ne faire qu'un frugal repas, apres le soleil
couche. Tant que cet astre brillait sur I'horizon, ils ne
prenaient ni nourriture, ni boisson ; ils s'inlerdi.^aient en
meme temps la viande, le beurre, les ccufs, toule cspece
de lailage et le vin. Le poisson lui-mcme etail intcrdil. On
se relaeha plus tard sur le vlii, qui fiil perniis, aiu'-i que le
poisson. Mais Thi'odulphe, evi'que d Orleans on buitii'mo
sicde, recommande encore a son peuple I'abslinpnce des
derniers. Au dixieme siecle, on obtcnait dispense du beurre
inoyennantune legere retribution. N'allons pas cepcndant
nous ligurcr que eel argent servait ,i grossir le Iresor de
I'liveque dispensatPur. Tel qui, dans notrc siecle, sourit.
ou sein de la capitale, au seul souvenir dc ces dispenses
du benrre, ignore que ces modiqiies sommes aceuniulecs
out scrvi ii clever la majeslueuse basilique dc Nolrc-Dame.
On les employait surtoul a construire ces imposanles lours
qui oriicnl la facade de (|uelqiies-uiics de nos cathedrales,
Aussi, a Eo irges, a Rouen et en d'aulres villes, le peujde
nomme encore fours de beurre les hauls clochers qui font
rorncment de ces grandes cites. Avouons done, quni qu'on
en disc, que les cveques faisaient un tres-bon usage des
sommes produites par la dispense de quelques points de la
discipline qnadragesimale.
La chair de poisson a toujours etc il peu pres pcrniise
en France. Durand, eveque de Mende, au Ireizieme siecle,
en donne Iroi raisiins fort singiiliercs. La premiere, c'est
que si la lerre fut frappee de la malediclion du Crealeur,
les eaux en furenl exceplees ; la .seconde, parce que Diou
se proposail de faire de grandes mcrvcillcs par le moyen de
I'eau : il veut parler du baptemc ; la troisieme cnfin, c'est
que I'cspril de Dieu, seloii la Gencsc, elait parte sur les
eaux. Nous ne contcslcrons point au savant eveque son
ingenicuse explication ; mais nous aimons niieux dire, avec
saint Gregoire le Grand, que I'Eglise a permis I'nsage du
poisson, pendant le careme, afin de s'accommoder a I'in-
lirniile hiimaine.
L'lieure du repas unique subit a son tour une grave mo-
dification ; elle ful reportcc du soir au milieu du jour;
puis on permit, an coucher du soleil un leger repas dit
collalion. Au siecle actuci, les lieures du diner ayaiil ete
changees, il en est resulte que, pour les pcrsoiines memes
qui licnnenl ;i I'observalion du jcune, la collalion se fait
vers midi el le diner a lieu le soir. L'abslineiicc elle-meme
a siibi quelques relachemenls. En pliisieurs jours de la se-
maine, I'nsage du gras est permis par les eveques; mais
une aumone, proporlionnee aux facullcs de ccux qui usen'
de la dispense, est imposee en compensation. L'Espri
Saint nous a dit lui-meme : Uachelez vos pechcs par I'ai
mone.
Trop gcncralemen! on se Ogure que I'abslinence et le
jeune sent des inslitutions meurlrieres pour la sanle.
N'esl-il pas, au conlraire, demonlre que la diele est bean-
coup plus favorable au bien-elre du corps? Appelle-t-on
plus souvent des mcdecins pour guerir les ravages de
rabstinence que pour remedier ii ccux que produit I'in-
teniperanee? La pratique rigoureuse de rabstinence cliiV-
tienne nuit-elle i'l la prolongation de la via"? Inlcrrogeoiii
les monasleres les plus rigides, tels que la Trappe. C'e.sl
Id que nous trouverons des liommes voues eleruellcmenl au
travail, au jciine, li la sobriele la plus excessive, et dont la
description ferait fremir noire mollesse. Et c'est aussi Ij
que nous verrons des vieillards nonagenaires, cenlenaircs,
incomparablementplus nombreux, proportion gardee, que
dans le monde qui vit sans se faire la moiiidre idee de ces
morlificalions corporelles.
On .Icmandait au cclebre Chirac quels claient les plus
grands medecins qu'il laLssail apres sa mort. II ctait, en
ce moment, presd'espirer. II repondit: « J'en laisse trois,
IDO
LES SAINTS
I'e.xei'cicc, l:i diiilcft I'cau. » Aussi lisons-nous dans I'E-
critiirc sainto cc passage fori rcmarquable, ct donl I'expo-
rience jounialiere sanctionne la profonde sagacilii : Plus
occidil gula quant gladius : « L'iiilcinpciance moissonnc
plus de viclimes que repee. » Les paicns cux-memes ii'c-
talenl poiiil etrangers a cetle doctrine. Lcs prelres de I'E-
gyple, lcs mages de la Perse, les mystes do Jupiter, en
Crete, ceux d'Eleusine ou de Ceres, lcs gymnosopliistes
dc rinde, ct, de nos jours encore, les brahmcs indiens mil
pralique une abstinence perpetuelle de tout aliment qui
avail eu vie. Ne dirait-on pas que I'abstinence est nn
dogme universel el qu'il fait partie de la religion naturclle
donl Dieu a depose les germes dans lous les cncurs?
N'est-ce point la un souvenir de la fautc originelle et du
besoin innede Tcxpiation? L'Eglise, en imposant la peni-
tence pendant le careme, ne fait done point nn precepte
meurtrier, comme on a eu la folic de le dire quelqucfois,
parce qu'ou n'a point voulu tcnir conipte de la sagesse dc
ses prescriptions.
II est un autre genre d'abstinence que I'esprit de I'Eglise
present pendant la sainte quarantaine : die y defend les
noces, a nioins que, par une dispense motivee sur de tres-
bonnes raisons, rcveqiic ne lcs perniette. Chez les ancicns,
on n'usait point de bains pendant le careme; on ne se li-
vrail ni au jeu ni ii la cliasse ; I'ofQce public lui-mcme
avail sa pari de la penitence publique. Au.x jours dejenne
on ne disait point la messe ; aucune fete n'y etait celebree.
Aujourd'hui encore I'ofOce est emprcint de cet esprit de
douleur. On voile les tableaux et lcs troi.x; les hymnes
Gloria in exccbis, Te Deum ne so font plus entendre ; le
joyeux alleluia ne resonne plus; les habits sacres des mi-
nislres du saint autel sont de conlcur violette ou cendree ;
autrefois ils ctaionl noirs ; le chant est plus grave et plus
Iriste; I'orgue suspend ses accords.
II est neanmoiiis un jour oii I'Eglise semble inviler a nne
sainte allcgresse pour allegcr la trislesse de ce temps : c'est
le quatrieme dimanche de careme. Mais cetle joic est toute
sainte. C'est principalement a Rome. On y nomnie ce jour
le dimanche de la Rose. En ce jour, le p.ipe benit une rose
d'or qui est parfumee de baume el de muse. Selon le qua-
lorzieme ordre romain, le pape, en allanl dire la messe a
Saintc-Croix de Jerusalem, portait celte rose el puis la
donnait a un personnage illustre. Celui-ci la recevait a ge-
noux, fut-il mcme roi, baisait les picds du ponlife ct en
etait cmbrasse. Ensuile on I'aisait une cavalcade, dont
riieureux privilegie de la rose etait le principal. Le mcme
ordre ajoule que le pape, en donnant la rose, pronouc.iit
quelques paroles d'eloges sur celte fleur. II en exallait la
couleur gaie, I'odeur fortiliante, I'aspcct rejouissant. Cetle
rose etait le symbole de cetle Heur sortie de la tige de
Jesse, et qui n'est autre que Notre Seigneur Jesus-Christ.
En 1090, Urbain II, se trouvant a Tours le quatrieme di-
manche de Careme, donna la rose d'or a Foulques, comic
d'Anjou. Celui-ci, ravi d'un si grand honneur, porta cetle
(leur pendant la procession qui cut lieu, puis, afin de
pcrpeluer le souvenir ouquel il allachait un grand prix,
Foul(|ues resolut dc porler tons lcs ans cettc rose a la pro-
cession du dimanche des liameaux, qui SD fait a Angers
d'une maniere tres-solennclle. De la est venu le nom de
Paques Henries donnc a ce dimanche. Ainsi I'Eglise mele a
ses joies, qui semblenl, au premier aspect, empreinles de
mondanilc, les enseignements les plus sublimes et les plus
consolants.
La scverile du jeunc quadragesimal s'esl maintenue
dans sa primitive institution chez les Grecs. Ils ne mangenl
qu'une fois par jour, vers le soir. Non-seuloment ils s'abs-
tiennent de viande, do lieurre, de fromage , mais encore
de toule especc de poissons, de ceux surtout qui onl des
ecailles, des nageoircs et du sang. Ils ne peuveiit manger
en ce genre que des honiards, des ecrevi.sses ct des huilres.
La superstition vient aussi trop souvenl leur inspirer uno
rigueur excessive. Ils ne venlent admettrc la Icgitimitu
d'aucune dispense. Qu'un homme a I'extremite piiisse cs-
perer de se retablir en prenanl un bouillon de viande ou
bicn en maugeant nn reuf, ils croient qu'il est preferable
de le laisser mourir. En outre, leurs caremes sont plus
nombreux que les nolres. En sus de celui qui precede Pa-
ques, il out le jcune solonnel de I'Avent, qui commence
au 15 novembre el fmit a Noel ; celui dit des Saints Ap6-
Ires, qui commence la semaiue apres la Pentecote et Unit ;'i
la fete de saint Pierre; ejifin celui de I'Assomiition com-
mencant le 1" du niois d'aoi'it et finissanl le 15. Chez les
Russes, qui suivent le rit schismalique grec, les abstinen-
ces sont multipiiees au point qu'il n'y trpas, dans I'annee,
plus de cent Irente jours gras. Autrefois, en Pologne, on
arrachail les dents a quiconque ctail convaincu d'avoir
mange de la viande, non-seulemenl en careme, niais en-
core apres la Septuagcsimc, c'est-a-dire depuis ce lemps,
qui, pour nous, est, jusqu'au mercredi des Cendres, celui
du carnaval.
Disons, en ce qui concerne I'Eglise grecque, au sujel de
son inllexibleel dure discipline, que, depuis plusieurs sie-
cles, elle est .scparee du catholicisme, el qu'elle n'a pas
voulu, par entetement de secte, admeltre aucune des mo-
didcalions que I'autorite legitime a bicn voulu consacrer,
par une misericordieuse indulgence, envers ses enfants
soumis. Les anglicans, nos voisins, en sont un exemple en
ce qui louche robservation nitra-pharisaiqne du dimanclie.
Ou n'y permet pas mcme I'innocent amusement de la mu-
siquc an foyer de la famille, el la police des aldermen y
maiuticnt, par lcs peines de la loi civile, robservation de
la loi ecclcsiaslique. Au sein de I'Eglise calholique, tout est
libre. Ne cherchons pas neanmoins ii abuser de cetle li-
berie, qui a ses regies, el n'oublions jamais que si nous
tenons a honneur d'apparlenir a la sainte societc des Chre-
tiens, nous n'avons pas le droit d'en mcpriser la legisla-
tion ; elle est salulaire, dans sa pratique, a nos ames et a
nos corps. A ce litre, I'Eglise est, sous lous lcs rapports,
noire mere tendre. Ne soyons done point d'ingrats en-
fants.
I
DU MOIS.
aSOlS DK FEVRIEB.
11 . Kamedl. St Igkace, 6v0que
d'Antioche, martyr en 107
II a laisse plusicurs Iciircs
icrilcs ^ differcnles t^jliscs;
ellessont de trcs-precicux ninnu
nienls pour I'liisioire de I'EsIisc
priraiiive, puisque cet evOque
av3iU'lc' disciple de Tevangelistc
Si Jean.
St SiGECEfiT, roi d'Auslrasio
morl en 056.
II ouiil Ills de Dagolicrl F"",
roi de France.
St KucEm, p;itron de Lille en
FUndre, martyrise vers la
(in du 3' sicclc.
S. Bimanche* La Prksen
TATION Di: N.-S. AD TEMPLE Cl
la PtlBlflCATION DE LA Ste
VlEIlCE.
(Votj. Chandeleur.)
St Cohneille le Cestl'iiion, qun
St Pierre bapllsa et fit evO
que de cctlc vilic.
3. i.uncli. St Blaise, dvcquc
de Srbaste en Arniunie, il
martyr vers I'an 516.
St IIadelix, abbe de Celles^ au
diocese de Liege, mort en
690.
Ste MvnGfEnrrE, vierje d'An-
gletcrrc, morlc au 12'' sietlc.
Oil croit qu'elle elait de la fa'
mille royalc deHoiigrie.
4. Sf iirdi, St Asdrf. Consi>r,
cvc'^iie de Fiesoli, en Tos-
canc, mort en 1395.
St Avextix, solitaire au diocese
de Troycs, moit en 5W.
Ste Jeanne de Valois, fille de
Louis XI, ijpousedeLouisXII,
niorte en 1505.
5. Mercreiti desCendres
(Corarac'iicomoiil du jcflne du
Carfme. [Voij. lari. Car£.me. '
Ste Agathe, vierge ct marlvre
en 251.
En Sicilc, on I'mvoque contrc
les erupiions du moni Ema en
porianl sun vuile en procession.
Les Sts MARTrasdu Japon.
Ccroyaume avail eiu convcili
par S[ Frangois Xavicr. On y
compiaii plus de deux cent millc
chreiieus qui fureni exterrain6s i
la iJudu tS'sitcle.
B« «Veu*l|. SteDobothee, vierge
etmarlyre sous Tiocletien.
Son nom signific en frangiiis
Don de Dieu.
St Waast, evcque d'Arras,
morl en 589. II ysiegeaqua-
ranle ans.
Son Eminence monscigneur le
cardinal dc la Tour d'Auvergne,
qui est evOque de ce siege de-
puis <802, y a dcj5 pjsse plusdc
quaraii[c-deu\ ans. II icfusa en
IS40 rarclicvficlicde Paris, parce
qu'il voulail, disail-il, si la Pro-
vidence Ic perineiinii, passer au
moms quaranlcansdaus cc sifge,
cummeSiWaasi, son illusUe pie-
decesseur.
7* Vcndredi. Fete des cisn
Plaies de N. S. .I.-C, dans
le diocese dc Paris.
St RoMfALD, abbe, fondalcur do
I'ordre des camaldules.niorl
en 1027.
St Richard, roi d"Angletcrrc
mort a Lucques. en Italie,
en 722.
8, Sainedi. St Jean de Matua
fundateur de I'ordre de
Irinitaircs, pour hi redemp-
tion des caplils.
Les reiigieijx de cet ordre al
laient raclieicr les iniillieurcux
capiirs pris par les piiMlc:; d'.\l-
ger, de Tuni^, de Fez el de Ma-
roc. La philosopliie oiondaine
plaignait des inforlunes dans ses
porapeux t'ciiis, la religion clire-
liennc cnvoyall les irinilaiies
en Afriqup pour Ics delivrcr.
St Etienxe, fundateur de i'ordre
de Grammont, mort en 1224.
9. filimanclie. Premier di-
manelie de CariJnie,
Ste Apollonie, vierge marlyre
en i'an 49.
On lui cassa les dents ii coups
demarlcau. On I'invogueconlrt;
le inal de dcnis. On I'appelle
aussi Sie Apolline.
St NiCEruoRE, martyr a Anlio-
che, en 260.
St Assdert, cvequc de Rouen
morl en 698.
13. Jendi. Ste Catherine dc
Ricci, religieuse dc I'ordre
do St-Dominique, morteen
1589.
St Polvelcte, martyr en 257.
Lc grand Corncille a fail one
sdniir.ililc iragedie qui retrace le
i:iari\re de ce saint.
St Gkegoire II, papc, mort en
731.
14. Vendredi St Valentin
prijtrcot martyr au 5* siucle,
St Cvrille el Sr Methode, ap6-
tres dc la Dulgarie, au 9*^
sieclc.
1 5. Kamedi. St Sigefrihe ou
SiiROY, eveque et apotre de
Suede, morl en 1002.
St Faestin el St Jovite, martyrs
en 121.
16. Dftimanclie. Deuxieme
dimanche dc Carcme.
St Onesime, disciple de St Paul
apotre, martyrise en 95.
St Gregoipe X, papc qui pre-
sida au concile general de
Lyon en 1274, morten 1276.
IT. Lundi. St Flavien, ar-
cheveque dc Constantinople,
mort on 449.
St Tiieodule ct St Jclien, mar-
tyrs en 509. dans la Pales-
tine.
19. Mapdi. StSijieon, cveque
de Jerusalem, martyr en lUO.
St Leon et St Paregonics, mar-
tyrs au 5^ siecle.
St Anoilbert, 7^ abbe de St-
Riquicr en Ponthieu, mort
en 814.
ao. 8/andi. Ste Scolastiqee, , „ ■« .. ^ „
, , ' 19. Hercredi. St Barbat
vicfire, sceur du grand St , . ,
R,„ ., ,- .,, ? ,, , evcque dc Betievcnt, morl
Ucnoit, iondateur des bene-
dictms.morte en 545. *^" *'^--
St GiiiLLAL'jiE,crniite, fondalcur SOJeudi. StTvrannion, eve
de I'ordre des guillemites,
mort en 1157.
Ste Austkeeerte, vierge , pre-
miere abbesscdcPavilly, au
diocese de Rouen, morte en
705.
que de Tyr, ct plusieurs au-
Ires martyrs en 304 ct 310,
St Electhere, evcque dc Tour-
nai ct martyr en 552.
St Eucher, eveque d'OHeans,
mort en 743.
1. Mardl. St Satcrmn et 21- Vendredi. St Severien
eveque dc Scythopolis en
Palestine, martyr en 455.
StDaniel, prclre, cISteVerda,
martyrs dc Perse, en 54-i.
2 2. Sainedi. La Chaire de
St Pierre a Aulioche.
autres martyrsd'Afrique, en
504.
St Skveris, abbe d'Agaune en
507.
La jolie ^glisc gothiqae de
St-Sevcrin de Paris est sous son
invocation.
12. Alercredi. St BenoIt,
abbe d'Anianecn Languedoc,
mort en 821 .
St Melece, patriarclie d'An-
tioche, morl en 581.
Ste Eliulie, vierge marlyre
dc Darcclonc, au 5*^ sieclc.
Le prince des apolrcs fondale
siege d*Anlioclie, oil les disciples
de J.-C. requrenl le nom de
Chretiens. Ensuite il iransfura ce
siege hi Rome, afin que cclie der-
ni^re ville, qui eiaii en ce mo-
ment la (opilaledumonde paien,
devint la luctropole du monde
conquis i TEvaugile.
101
28. Dimanchc. Troisiemo
dimanchc deCarenic.
St J^reuie, jardinter ct marlyr
en 306.
Le bienbeureux Pierre Dauier^
cardinal, mort en 1072.
II a laissfi plusieors oavrages
csiimes. '
34. Eiundi. St Mathias, apo-
tre, eiu par les onze aulres
apolres en remplacemcnt du
trailre Judas.
On croii qu'il pri^cha sDr Ics
c6lfs de la mer Caspieune, et
ei qu'il y fut luartyrisc.
St Pretextat, eveque dc
Rouen, assassiiie par ordre
de ia barbare Fredegonde
en 588.
Le bienbeureux Robert d'Ar-
brisselles, fondalcur de I'or-
dre de Fontevrault, mort
en 116.
25 Mardi. St Taraise, pa-
triarclie de Constantinople,
mort en 806.
St Victorin cl scs compagnons ,
martyrs en 284.
St Cesaire, medecin, mort cu
3G9.
20. Uercredi. StAlexandee,
patriarcbe dAlexandrie ,
morl en 526.
St Porphybe, eveque de Gaze,
mort en 420.
St VurroR, d'Arcis-sur-Auhe
cii Cbantpa;^nc, mort a Sa-
lurniac, iiujourdhui St-Vi-
tre, a '2Iicuesd'Arcis, dans
le 7<' sieclc.
27. Jeadi. St Leandre, evc-
que dcSC'ville, mort en 596.
St Nestor, eveque de Side, en
Panipliilie, martyr en 250.
Ste Honorine, vierge marlyre
au pays de Caux, en Nor-
mandie au 3e on 4^ siecle.
St Galmier, serruricr, puis
sous-diacre a Lyon, morl en
650.
28. Vcndredi. LesSts Mar-
tyrs, morts dans la grandc
pesle qui ravagca I'empire
romain, depuis Pan 249
jusqu'a 262.
lis se sacrifiercni pour le ser-
vice des pesiifcres d'Alexandiic,
en 261, 262 el 263.
St Protere, palriarcbe d'An-
tioche, martyr en 457.
St Rouaire et St Lui-jcin, fon-
dateurs des monastcres du
mont Jura, le premier mort
en 460, lc sccond'en 480.
102 SCENES
SCENES, RECITS, AVENTURES,
EXTHAITS DES PLCS RliCEKTS VOViCEUBS.
n. TBIEBS DAKS UN C0ir7ENT DBS tTBSSEES.
L'imjircssion produite par la giMnileur des monlagncs,
par I'aspecl et la venerable soliliiJeJ'imvieux couvenl Jes
Pyrenees, sur Tun des esprits Ics plus vifs de celte epoquc,
sur I'lin des lionimos qui se sont melcs avec la plus ardciilc
activile au Hot des affaires et au tourliillon de la pnliliipie
moderne, esl un fait trop curieux pourne pas allirer I'at-
tciition. D'ailleurs les pages suivanles, qui conlienueiU le
resultat de cetle im))rcssion religieuse de M. Thiers, sont
cntre les plus belles que Ion ait ecrilcs dans ces derniers
temps ; el, sans aucun doute, elles lui Icrontle plus grand
honneur dans I'avenir et donnerout u son nom une con-
secration plus reclle que les discoursprononccs par lui a la
chanibre des deputes.
Ainsi s'elevent a la fois le talent, Tame et le style sous
I'inlluence des emotions religieuses; ainsi le calholicisme,
si vivement, si inulilemcnt atlaque, est encore la source
vive oil les liommes de I'epoque les plus ardenls a servir le
mouvement moderne vonl puiser leurs inspirations les
plus puissantes. Mais laissons parler M. Thiers.
« Tandis que je gravissais, dit le voyageur, par une ma-
tinee Ircs-froide, le sentier qui conduit a Saint-Savin, un
brouillard epais rcniplissait ralmo^phere. Je voyais a peine
les arbres les plus voisins de moi, et leurs Irenes se dessi-
naient comme des ombres a travcrs la vapeur. A peine ar-
rive au sommct,je fus ravi de me trouver au pied d'une
gothique chapelle, et ses ogives, ses arcs si divises, ses fe-
iielres en forme de rosaces, ses vitrauxde couleur a moitie
briscs, me charmerent. Enlin, me dis-je en passant sous
I'anlique voule, voici une veritable ahbaye. C'ctait pour
mon imagination un ancicn voeu realise. Des Espagnols tra-
vaillaient dans la cour. Ces robustes ouvriors remuaient
avec gravilc d'enormes pierres, et j'appris, qu'a cause de
leur patience et dc leur sobrietc, on les employait dans
nos Pyrenees francaises aux travaux les plus difliciles.
« Mon compagnon de voyage demandale proprictaire, et
tout a coup un pi'lil liomme, vif et gai, se presenta, en di-
sant : « Voici le prieur;que lui deniande-t-on ? — Voir
la vallee et son prieure. — Bien venus, nous dit-il, lieu
venus ceux qui veulent voir la vallee et le prieure. » 11
nous ouvrit alors une porte qui, de celte cour, nous jeta
sur une terrasse. « Tenez, ajouta-t-il, vous venez au bon
moment; regardez et taisez-vous. » Je regardai en effel, et
de longlemps je n'ouvris la bouche. La terrasse sur laquelle
nous nous trouvions etait justement a mi-cote, c'esl-il-dire
dans la veritable perspective du tableau, en outre sous un
vrai jour, carle soleil se levant a peine donnait nn relief
extraordinaire a tons les objels. Le brouillard, que j'avais
un instant auparavant sur la tete, etait alors au-dessous de
me.: pieds; il s'etendait comme une mer immense et allait
Hotter contre les montagnes, etjusque dans leurs moindres
sinuosites. Je voyais des bosquets d'arbres dont le tronc
etait plonge dans la vapeur et dontla tete paraissait a peine;
des chateaux a quatre tours, qui ne montraicnt que leurs
cunes d'ardnises. La moiudre briso qui vcnait snuk-vcr cell;'
masse I'agilait comme une mcr. Aupres de moi, elle vc-
nait bnllre conire les murs de la terrasse, et j'aurais etc
tente de me haisser pour y puis-'r comme dans un liquide.
Bicntot le soleil, la penetrant, Tagita profondoment el y
produisit une espcce de lournienle. Snuilain elle .s'elova
dans I'air cnmme \\ne pluie d'or : lout dispnrul ii travers
celte vapour dc feu, el le disque meme dn soleil fut entic-
remenl cache. Ce spectacle avail le prestige d'nn songe;
mais, un instant npres, celte pluie relomha, Pair se trouva
aussi pur, le brouillard aussi epais, mais moins cleve;
grace a cet abaissement, de nouveau.x arbres monlraient
leurs teles; des coteaux inapercus tout a I'beure presenle-
rent leurs cimes grises ou verdoyantes. Ce mouvement
d'absoi'ption se renouvcla plusienrs fois, et a chaque re-
prise, le brouillard, en relombant, se IrouTait abaisse, el
une nouvelle zone elail decouverle.
« C'est le medecin Caulurets qui a fait cctic acquisition,
et qui esl le patron nalurel de ces monlagnards, leurcon-
seil dans loule leurs affaires, leur organe aupres dc I'auto-
rite, leur medecin quand ils sont malades. II s'csl nomnio
le prieur de Saint-Savin, les habitants lui en en ont donno
le litre.
« Je me rendis de nouveau sur la terrasse pour jmiir
d'un spectacle lout different, celui de la vallee delivree
des brouillards, IVaichc de la rosee et brillanle du soleil.
Dans ce moment le voile elail tire ; je voyais lout, jusqu'a
rccnnie des torrents el au vol des oiscaux ; Pair etait par-
faitcinent pur; seulemenl, quclques nuagcs, qui se trou-
vaient sur la direction ordinairemenl plus froide des eaux
ou des courauls d'air, circulaicnt encore dans le milieu du
bassin, se Irainaient pen a pen le long des monlagnes, re-
monlaient dans leurs sinunsiles et venaient se reposer enfin
aulour de leurs points les plus elevOs, oil ils ondoyaient
legeremenl. Mais la vallee, comme une rose fraichemeut
epanouie, me montrail ses hois, ses coteaux, ses plaines
vcrlos de ble naissaut, ou noiros d'un recent lahnnrnge ;
ses etaugs nombrcus converts de hameaux el de palurages,
ses bosquets lleuris, mais conservant encore leurs feuil-
lages jaunatres ; eulin, des glaces et des nicbers mcnacanls.
Maisce qu'il est impossible de rendre, c'est ce mouvement
si varie des oiseanx de loule espece, des troupeaux qui
avancaientlentemeiit d'une liaie a l'aulre,de ces nombreux
chevaux qui bondissaient dans les palurages ou au bord
des eaux ; ce sont surtout ces bruits confus des sonneltes
des troupeaux, des aboiemenls des chiens, da cours des
eaux et du vent, bruits mclijs, adnucis par la distance ct
qui, joignanl leur effet a celui de tons ces mouvements,
exprimail une vie, si elendue, si varice, si calme. Je nc sais
(pielles idees douces, consolanles, mais inlinios, immenses,
s'enqiarent de I'ame, a ccl aspect, et la remplisseul d'a-
moni- pour cetle nature el de confiance en ses ocuvres. Et
si, dans les intcrvalles deces bruits qui se snccedenl comme
des ondes, un chant de berger rcsoniie quebpies instants,
il semblc que la pcnseede I honmie s'elove avec ce chant
pour raconler ses besoins, ses fatigues au ciel, el lui on
demanderle soulagemenl. Oh! combien de choses ce bor-
ger, qui nc pense peut-elrc pas plus que Poiseau qui chantc
a ses cotes, combien de choses il me fait senlir et pensor !
Mais cetle douce emotion passe comme un beau rove,
comme un bel air de musique, comme un bel effel de lu-
mierc, comme ce qui est liien, comme cc qui, nous ton-
DE VOYAGES llECENTS.
clinnl vivcment, ne Joit, par cola moine, durer qii'iin
inslaiit, » Ce dernier mouvomenl, religiciix et lyritnie,
est plcin dc cliarme et d'elevation. comnie le fait tres-bicn
<05
observer uii critique modernc, M. Saiute-Beuve, qui, le
premier, a cite ce passage avec I'eloge qu'il nicrilc.
( Voyages aiix Pyrenees. )
ONE NDIT DZ F£HII>.
Ceux qui sc sont promencs sur les bords dc I'AJige, de-
vant Rovigo, saventsans doute qu'ii une licuc etdemie dc la
ville, il y a deux ilos situces au milieu du canal ; enire
cllcs et le bord I'eau u'a pas plus d'un pied de profondeur ;
ceuxqui ne voyagent que dans les livres onlprobablenieni
cntindu dire que I'Adige cstextrcmemenl sujctte a de vio-
lenles inundations, egalenient rcmari|uables par leur eleva-
tion et leur baisse subites, devant :i leur origine dans un
pays niontagnenx un cours de si pen de durce.
Hans la soiree de I'un des dernicrs jours du mois de mai,
j'arrivai au bord oppose d'une de ces iles. L'eau, aussi
pure (jue lecristal, coulait doucement dans un job canal
rcnipli de petits cailloux ; I'ile, qui pouvait eire a environ
quarante verges du bord sur lequel je me trouvais, quoi que
aunc distance de plus du double dc I'aulrc cute, m'allirait
par sa belle verdure et par une moisson de beaux narcisses,
Heur donl je suis extremement amateur. Trois ou quatre
arbres, peu fournis dc branches, croissaient aussi sur Ic
bord. le tronc incline sur l'eau.
Apres un jour de marcbe, rien n'est plus agrcable que
.]e passer un courant a gue ; et commc j'avais du temps en
reserve, je resolus de me reposer dans I'ile. Cela fut bientot
accompli ; car la prolondcur n'exccdait pas deux pieds ; je
Irouvai I'ile aussi agrcable que je I'avais suppose, et ayant
cueilli un gros bouquet, je mctendis sur le gazon, m'a-
banJonnant aux agreables souvenirs du pays et de quel-
qucs scenes passees , que I'odeur de cette lleur m'ap-
portait avec ellc.
Je n'elais la que depuis environ un quart d'heure, ou-
bliant et le temps et le lieu, quand mon attention fut
legerement distraite par un bruit a quelquc distance.
Je supposai d'abord que c'etait le tonnerre qui s'etait
fait entendre du cote du nord dans le courant du jour;
cependant le bruit continuait et devenait plus distinct;
je supjiosai encore que c'etait un de ces eclats prolonges
qui sont si fretprents dans Ic midi des Alpes. Bientot
cependant le bruit cliangea de nature, et devint sem-
blable a celui de la mer ; comme il allail toujours
croissant, je fus saisi de quelques alarmes, et tout a
coup je visapparaitre devant moi, a la distance de quelques
cenlaines de verges, une montagne d'eau noire et rugis-
sante se precipitant vers moi comme un mur perpendicu-
laire, avec une extreme rapiJite et avec un bruit plus eda-
tant que celui des plus violents tonnerres.
II n'y avail pas uu instant a pcrdre, le niveau de I'ile
allait ctre immediatcment convert, et atteindre le bord
elait impossible. Je grimpai ii I'instant sur le plus
grand des arbres, a peine avais-je atteint une eleva-
tion de dix pieds au-dessus de I'ile, qu'elle fut cnlie-
rement inondec par les llots. Comme ils se rappnicbaient,
leur puissance paraissait irresistible; ils scmblaient de-
voir delruirc I'ile jusque dans ses fondemenls, et j'avais
peu d'espoir que le tronc sur lequel j'etais tapi put re-
sister a la force du torrent. L'eau toujours croissante cut
dans un instant inondc I'ile et toute la vegetation, uean-
moins I'arbre demeura ferme ; je voyais le torrent .se prc-
cipiter au-dessous dc moi, emportant avec lui les trophces
de sa puissance et de sa lureur, d'enormes branches, des
racincs, des fragments dc pouts, d'ustensiles de menage et
des animaux sans vie.
Quant a moi, j'etais dans un danger imminent ; un in-
stant de rellexion et un coup d'ceil rapide jete aux alcn-
tours me demontrerent que je n'avais que peu de chances
de salut. Un torrent auqiicl ntdle force humaine ne pouvait
rc.sistcr se roulait impetueuscment cntre I'ilo et le bord,
et, bicn que son elcndue ne fiit pas meme de cinquante
verges, le traverser elait chose aussi impraticablequesi elle
eut etc de plusieurs lieues. Le premier choc avait Irouve
I'arbre incbranlable, mais un second pouvait I'eniporlcr.
Les llots s'clevaient toujours ; a chaque moment je voyais
diminuer la distance qui me separait de l'eau, et enfiii vint
le moment ou jo n'etais plus qu'a quatre pieds au-dessus de
sa surface. J'avais seulemenl deux espOrances fondees, les
104
SCfeiNES
yilus faiblos qui piiissont ("li-e appplocs pnr co nom ; il etnit
|iossiblo que quclquos iioi'sonncs lUi rivage vissonl ma si-
Uialion avaiit la nuil, el qn'oUos en cngageassonl d'au-
tres a me poi'ler sccoiirs; on bien, il poiivait arrivcr que
la riviere cessat de s'elever ct baissat pinmptement.La pre-
miere dc CCS chances clait Ires-incertaine, celte parlie du
pays n'elant presqiie pas liabitee, el le grand clieniin n'e-
tant pas parallcic a la riviere; scs bords, a trois on qualre
cents verges du canal, etaient inondes sur une profondcnr
de trois on qualre pieds; enfin il elait Ires-difficile dc pro-
voir quelle puissance humaine viendrait me delivrcr. Au-
cun bateau ne pouvail allcindrc I'ilc, el lors meme qu'unc
corde eul pu ctre lanccc ;i cetle distance, il n'ctail gucre
imaginable quo jc pussc la saisir, me Irouvantdans I'im-
possibilile de boiiger de I'arbrc dans lequcl j'ctais tapi, el
I'cau paraissanl ne pas devoir baisser de silol. Du moins,
ctait-il incroyable a tout cvenemenl que cela put arriver
avant la chute de la nuit.
La soiree se passa dans celte perillcuse el terrible situa-
tion. Personne n'apparaissail, etia riviere s'clevait de plus
ciiplus.lc ciel elait has etparaisr.ailmcnacant,el Ic sombre
torrent, en se precipitant avec une impctuosile loujours
croissante,merappelall,parlesdchrisqu'ilentrainaitdanssa
course, la fragdite de I'unique appui auquel je devais men
existence. Les bords des deux rivesetaicnttransformcsenlar-
ges lacs cnllammes, el le soleil en haissant repandail ses
rayons sur ces caiix rougeatres. La nuit vinl enfin, et elle
fut terrible. Quelquefois je m'imaginais que I'arbre etaitde-
taclic jusqu'aux racines ct s'affaissail de plus en plus vers
I'eau; d'autres fois je pensais que I'ilc serail enlicremenl
cniportce, el nioi-nieme entraine par le torrent. Reconnais-
saiil que mon esprit s'egarait, j'cus la precaution de prendre
dans une de mes poches un mouchoir de soie que je de-
chirai en plusieurs bandes, et apres les avoir jointes en-
semble, je m'en ccignis vers le milieu du corps et me sus-
pendis a line branche forte ; je pensai que cela pour-
rait prevenir ma chute, si quelque verlige, ou un som-
meil momentane s'emparail de moi. Pendant la nuit, plu-
sieurs etranges ballucinations vinrent m'assaillir, el leurs
frequentes apparitions me faisaicnl supposerquc I'ile clail
entraince par le torrent. Tanlol je eroyais lonrner en rood;
une autrefois je pensais que le torrcntcoulail a reculons ; el
alorsmon imagination presentail a ma viie dc grands corps
noirspousses vers moi sur la surface, jercculaiscn arrierc
pour eviter tout contact avec cux; dans un autre moment
c'elait quelque chose qui sortail de dessous I'eau en cssayani
de m'enlrainer; souvcnt j'etais persuade que j'entemlais
de longs cris se melant a I'aclion precipitec du lorreul ;
ensuile le bruit parut tout ii coup cesser entieremcnt, d
j'allais me hasarder a desccndre, certain que le canal elait
a sec. Je sommoillai une ou deux fois I'espace d'un mo-
nienl, mais jc m'cveillai en tre.ssaillant si violemncut,
que, si je n'eussc pas etc altaclie, je serais infailliblcmeiit
luuibe.
La nuit s'ecoula gradui'Uenieut ; elle fut douce el
seche, de sorte que je n'eus pas a souffrir du froid.
J'ctais presque salisfail do la solidito du tronc qui
clail mon unique refuge, et, bicn que ma delivrance fiit
incertaine, je priai clje me resignaia la patience. Ainsi je
passai la nuil sous un ciel sansetniles, el les sombres (lots
grondaut au-dcssous de moi. Le matin, avaul le point du
jour, je pus m'assurerquc les caux commencaiont dc bais-
ser, le bruit me parut moiudrc ; il me sembla voir des ar-
lirisscaux au-dessus dc I'rau dans I'ile, cl les arbrcs du
bord rcprcndre leur apparcucc babiluelle. Aux premiers
rayons du jour j'apercus avec bonheur que je ne m'ctais
pas trompe; I'inondaliou avail baissc au moins de Irois
pieds; ct, avant le lever du soleil, la plus grande panic dc
rile ctail a sec. .Tamais criminel, qui oblicnl un sursis .sur
I'echafaud, ne secoua ses liens avec plus de joic que je ne
dclachai ceux qui me relenaionl a I'arbrc. Jc glissai en has
du Ironc suspendu encore sur le torrent, ct marchai dans
rile ayanl de I'eau jusqu'a la hauteur des genoux. Jc mo
. dirigeai vers l« gue, du cole dc la panic dcja laisseea sec,
ct 1,1 jc m'elendis quiise par la veille dc la nuit et ma-
lade de la position que j'avais etc oblige dc gardcr sur
I'arbrc.
L'caucuntiiiua de b.iisscr pcrcepliblenicnt d'un mouicnt
ii I'autrc ; bicutut I'ile fut cnliercmcnlii sec, el I'eau rcuirn
dans sou lituaturel; ueaumoins Ic torrcul elait encore
trop ropidc cl Irop (u'ofnud pour que jc risquassc d'cn ten-
ter le passage; j'ctais trop affaibli par I'cprcuve des douzc
hcures ct par le hesoin d'alimenls. Je n'etais pas certain
de I'heure, n'ayanl pas pense dans la soiree de la veille a
reglcr ma monire; jc I'apprcciai par la hauteur du so-
ldi; cepcndant I'eau avail considcrablcment baisse avant
midi, el je pensai que dans quelques heures je pourrais
e.ssaycr de gagner le bord.
Environ vers les trois hcures de I'aprcs-niidi j'entrai
dans le couranl oii je ne Irouvai d'can que qualre jiicds
de profondcnr, el avec quelques cfforls je parvins ;i attciu-
dre Ic bord, que j'avais cru ne devoir plus fouler. Je
Icuais encore dans mes mains le boui|UCt de narcisses quo
je n'avais pas oublio dc rapporlcr. J'en avals llelri quel-
(lucs-unes en les lenanl loujours a la main. Soil qucje
me promcne a leavers les hois ou les champs, je ne sen-
lirai jamais Todeur de cctto lleur sans me rappcler Ics
sensations quo j'cprouvai en relevant la lete, en voyant
le torrent itnpelucux se prccipilcr vers moi; cepcndant,
queli]ue terrible que cetle renlite ait pu elre, le souvenir
de ce liou(piet n'csl pas sans uu melange de plaisir. J'ouvrc
.souveut les feuillcs dc I'lu^rbicr on se Irouvenl ces lleurs
fauces, cl, en les consideiant, je n'ai jamais cru Ics avoir
achclecs Irop clicr.
Anujfo (jiraldi. Viaggi.
I.'BOMI«E BT I.E TIGRE.
Pour amuser Ic liadjah dc Scrampore et sa cour,
un honimc entra dans rareue, arme seulemenl d'un long
coutcau, vein d'une pelite culolle courle ne descendant
qu'au milieu des cuisscs. L'inslrumcnt qu'il tenait dans sa
main droite porlait une pesantc lame d'environ deux pieds
dc long sur trois pouces di^ large, rcssenihlant uu pen ;i un
sue de charrue, el diuiiuuanl par degres vers la poignce,
qui forniaitun angle droit. Lis Conrgs lout usage de cc cou-
tcau avec une graiidc dexleiile, ils le licnnenl dans la
main avanl do conimencer Ic combat, et amenes devanl
leur adversaire, ils le frappent avec une force cl un effcl
vrainemcnt ctonnants.
Lc champion qui seprcscniail devaut Ic radjah elait op-
pose ii un tigre, qu'il combattit volontaircmenl et presque
nu,muniseulcmcntderarnie(|ue je viensde decrire. II clail
, granil, sa figure maigre, r.iais sa poilrine elait large cl ses
liiiii
DE VOYAGES RECEJITS.
Ko
bras longs ctmiisciileiix. Sosjaniboa, fiuoii(iic mincos, Inis-
saientapercevoiruchaqucmouvcmcnt Icursmusclos, landis
qucl'aisance de sonmainlien el Ics evolutions proparaloi-
rcs qu'il cxcciilaavanldcs'oiigagcr dansccltecntrcpriscpc-
rilleuse demonlraiont r|ii'il possi-dait mic aclivile pen com-
miinc, joinlc a un Jcgn; do force extraordinaire. L'exprcs-
sion de sa figure ctait vraiment suWinie quand il donna
Ic signal do lacher lo ligro ; c'clait loutc la concentration de
I'encrgie morale, indication d'uue haute resolulion Ijicn
arreli'o. Son corps brillait dc I'liuile dont il s'elait frolic
I'our donucr a ses jambes plus d'clasticitc. 11 cleva peu-
dant quelqucs moments son bras au-dcssiis de sa te'c quand
il fit le signal d'admetire son cnnenii dans rarciie. Les liar-
rcaus d'une large cage dc fcrfurent culevcsarinstant ; un
enornio tigrc royal s'elanca ct s'arrela dcvant le Courg
rcniuant Icnlemeut dc culc ct d'autre sa queue vclne, en
ctouffant a dcmi un faible liurlemcnt. L'animal contcmpla
d'abord I'homme, ensuite la galorie ou lo radjab et sa cour
ctaicnt places pour voir le combat ; mais i! ne paraissail
pas Irop a I'aisc dans cet etat actucl dc liberie; il etait evi-
dent qu'il etait coufondu de la nouvcaute de cette position.
Apres avoir rcgarde im moment 'autour dc lui, il se rc-
lourna brusqiiement, el eulra d'un bond Janssa cage, d'oii
Ics gardicns, qui ctaicnt au-dcssus, liors de laltcinle du
danger, cssaycrent vaincment de le fairo sortir . Les
barrcaux furcntalors abaisses, cl plusicurs fusees atlachccs
a sa queue, qui passait a travers »u dcs inlcrvalles. Uiic
mcclie alhimce fut mise dans Ics mains du Ceurg, Ics bar-
rcaux lurcnt de nouveaux siulevcs et les fusees alluinees.
Le ligrc s'elanca alors dans j'arcne en poussant des liurle-
meiits lerribles, ct landis que les fusees faisaicnlex|dusiiin,
il bondissail, tournait et se tortillait dans un clat d'cxcila-
tion frenelique. A la fin, il alia sc tr.pir dans un coin, gro-
gnant conmic un dial en furcur. Neanmoins on lui avail
coupe la retraitccn lui enlevanl sa cage. Tendant I'cxplo-
sion dcs fusees, le Courg i]orlail toutc son attention sur
sou cnncmi, ct s'avanca cnlin vers lui dun pas lent, mais
fcrmc. Lc ligre se rcleva et lit quclques pas en arrierc, le
poil liiirissc sur le dos et la queue plus grossc du double.
11 u'elail pas du tout dispose a comniencer les bostililes,
mais son intrepide et inevitable advcrsaire, flxant altenti-
vcmcnt ses ycuxsurleferoce animal, il avancait loujours
avcc le meme pas assure ;le ligre, rcculant commcaupara-
vaiil, presenlail loujours son front ,i son cnnemi. Le Courg
s'arrela alors subilcnicnl; en mcme icmps le tigre, se por'-
laul Icnlemeut eu ai-riere, se drcssa de loute sa hautcui,
alici-;sa son dos de maniere a cxccuter un saut en agilaut
sa queue cvidcmmcnt mcnncanle.
L'hommc conlinuait a ballrc en rctrailc, et aussitol qu'il
futassczcloiguc, l'animal feroce s'elanca soudain en avaul,
se ramassa sur lui-meme, el bondit en' puussanl un Icfer
burlcmcnl. Son adversaire, qui s'y alteudait, saula agile-
mcntdecotc, ct lorsque le tigre touclia terre, il brandiison
lourd couteau et le lanca avec une force irresistible sur la
patte de derriere de l'animal, juste li la panic du joint.
L'os Alt a rinstanl separe el lc ligre liors d'etat de faire
une nouvelle allaquc. Bicn que l'animal rugissanl fut
blesse. il se retourna sur le Courg, qui avail cu ic temps dc
sc retirer ,i quclques verges dc distance, cl s'avanca furicux
contre lui, la palle bicssce el ballante ne tenant pins que
par un fragment de peau. Lc tigre, alors saisi d'une vio-
Icnle rage, s'elanca sur ses Irois palles vers sou adver-
saire, qui reslail immoliile, tenant son couleau elcve, at-
tendant le combat. Aussitol que la bete feroce fut a sa
portee, il abaissa Tarnie pesanle sur la tele du tigre avcc
une force a laquelle rien ne pouvail register; il lui ou-
vrit le crane d'une oreille a I'aulre, cl rennemi vaincu
tomba mort a ses pieds. Pnis il essuya avec sang-froid son
1 s
100
SCENES
couteau sur la pcoii de I'diiimal. lit tin saliU rcspcctueux
nu ladjali, else rclira an milieu dcs vivos acdamalions des
spcclaleiirs, precisi'ineut comme un danseur de nos Ihed-
licssaliie Ic [lublic et prciid conge aprcs avoir execute un
pas applaudi.
( Voyages au Caboul. )
nOU AKTOSIXO GARCIA DB AQUI£.A,
CUHE de PITIECUA.
Nous parlioiis, dans iin dcs dcraicrs niimcros de noire
jnurnal, de ce prejiige ridicule, qui represcnle aux ycux
dcs nations dii Word le clcrge dcs regions calholiqucs el
mcridionales de I'Europc comnie livre au fanalisme et a
Tcsprit dc domination. Deja nous avons donne un exlrait
dc voyage (1) qui inlroduisait nos lecteurs dans la retraite
vcrtucusc, niodeste el hospitaliercderun dcs cures de Cor-
doue. Le recent voyage de M. Borrow, proteslant, nous offre
line scene absolument analogue, im personnage tout a fait
seniWable a cclui que nous avous deji vu parailre ; il est
mis en scene par I'auteur avec une naivete tres-interes-
sante.
« Une fenime nous indiqua une maisonnette dc meilleure
apparence que les aulres, ayani un jiorliquc, si je ne me
trompc, enliereraent convert d'une vigne grimpante. Nous
frappames fort longlemps a la porte, sans qu'on vint nous
repondrejle silence elaitcomplet ; onn'entendaitpasmenic
raboicmcnt d'unchien : le fait est que le cure et toiUe sa
famiUe, coinposce d'une vieille servante el dun chat, fai-
saient la siesle.
Le brave homme fut cnfin reveille par notre tapage et
nos cris, car nous avions fnim el nous clions par conse-
qncnl impaticnls. Saulant de son lit, il courut prccipitam-
ment a la porte; el, lorsqu'il nous apercut, il se confondit
en excuses, disnnt qu'au lieu dc dormir a cetle heurc, il
aurait di't alter a la rencontre du convive qu'il altendait.
II m'embrassa ires-affecliicuscmcnt et me conduisit dans
un petit salon de moyennc graiulcnr lout garni de plan-
ches cncombrces de livres. D'un cote so trouvail une table
ou bureau rccouvert de maroquin noir, puis un grand faii-
tcuil conforlablc dans leqncl il me poussa, comme j'al-
lais, en veritable bibliomane, inspccter ses livres; — di-
sanl, avec beauconp de vivacite, qu'il n'avail rien qui ful
digue d'attirer rattcntion dun Anglais; loute sa collection
se composait uniqucment dc bieviaires el d'aridcs trailes
thcologiquos
Ensuitfl il s'occupa do nous donner dcs rafraicbisse-
ments. En un clin d'lsil, avec I'aide de la vieille servante,
il placa sur la table plusiours assiettes de gateaux el de
confitures, en compagnic do quclques grandes et grosses
lioutcilles de verro qui me semblaicnl avoir Leaucoup
d'analogie avec cellos de Schiedam ; je ne me trompais pas.
a La, dit-il, se frotlant les mains, grace 4 Dieu, je
(I puisvous traitor de maniere a vous etre agreable.. II y
a a dans ces bouteillcs du liollande de trente ans; d el,
nous offranl deux verres, il ajoula : « Remplissez, mes
« amis; buvcz, buvez jusqu';i la derniere goutte, si cela
a vous plait ; j'en lais pen de cas, moi qui ne hois gucre
« jamais que de I'eau. Je sais que vous I'aimez, vous au-
n Ires insulaires, que vous ne pnuvez vous en passer. Pre-
(I) Voyez n" II, pase 56,
l'f5r/c (i im ctir^ ilr Cimhitc,
« nez done, pulsquc cela vous fait du Lien; je regrclte
11 sculcmenl do n'en avoir pas davantage. »
riemarquant que nous nous contenlions dele goiilcr, il
nous regarda d'un air surpris, el nous demanda pourquoi
nous ne buvions pas. Nous Uii repondimcs quo nous ai-
mions pen lesspirimeux, clj'ajoutai qu'il m'arrivaitmomn
raremenl de jirendrc du vin. 11 me parut asscz incredule ;
mais il nous dil de faire comme nous voulions el de de-
mander ce qui pourrait nous etre agreable. Nous avoiia-
nies que, n'ayant pas dine, nous serious fort aises de pou-
voir nous rcstaurer.
0 Je Drains, dit-il, de ne rien trouver dans la maison
« qui vous convienne ; cependanl nous irons voir. »
Alois il nous conduisit dans une petite cour derriere la
maison, qu'on aurail pn nommer un jardin ou un verger,
si I'on y avail plantc des arbres ou des llcurs ; mais die no
produisail autre chose quo de I'herbe en abondance. A un
bout se trouvail un grand pigconnier, ou nous enframes
tous. « Ah 1 dil-il, si nous pouvions trouver quclques beaux
c( pigeons delicals, cela vous ferait un diner excellent. »
Vain cspoir cependanl ; aprcs avoir fouillc dans les nids,
nous ne Irouvamcs que des pelils fort peu mangeables.
Le brave liomme devint triste, et dil qu'il comniencait a
craindre que nous fussions obliges de partir sans diner.
Laissanl le pigeonnicr, il nous conduisit a un cndroit oil
nous Irouvamcs plusieurs ruches d'abeillcs, aulour des-
quclles voltigeail une foule dc cos ingenicux inscctes, rem-
plissant I'air de leurs concerts.
« Apres mon procliain, dit-il, je n'aimc rien plus Icn-
« dremenl que ces abeiUcs ; c'cst un bonheur pour moi quo
ci de les conlemplcr el d'ecouter Icur murmure. »
Nous travcrsames ensuilc plusieurs pieces non mcublees.
Dans I'une elaicnl accrochees plusieurs flechcs de lard,
devanl lesquellcs il s'arrola, les regardant avec grandc
altcntion. Nous lui dimes que s'il n'avail pas autre chose
a nous offrir, nous serious tres-satisfaits de manger qucl-
ques tranches do ce jamlion, surtout s'il pouvail y ajoutcr
dcs reufs.
u A dire vrai, repondit-il, je n'airien demcilleur;clsi
u vous pouvez vous conicnler d'un pareil mets, j'en serai
(I lorl heureux. (Jiianl aux teufs, ils ne nous manqucront
(I pas, et parfaitcmenl frais, car mes ponies pondent tous
<( Ics jours... n
Aussitol que tout ful prepare et arrange selon noire grc;
nous nous mimes a table devanl le jambon cl les ocufs,
dans une pelilc chambre, non pas cello ou il nous avail re-
cus d'abord, mais de I'autro cote de la porte d'enlree.
Quoi(pic Ic bon cure ne mangeal rien ( il avail pris son
repas longlemps auparavant ) , il s'clail mis a table et
animait le diner par sa causerie.
« La, mes amis, dit-il, ou vous etes mainlcnant, se sonl
« assis, comme vous, quclques-unsdos hcros dc cos gran-
u des balaillcs qui onl eu lieu cntre les Francais el les An-
II glais pendant la guerre derindepondance. C'ctaient des
0 heros de part et d'anlrc. Quels hommes 1 »
Et il se mil a nous raconlc- ces combats en termes que
je serais heureux de Iraduire, si ma plume elait capable de
rendre en anglais les cncrgiqucs el foudroyantes exproi-
sions de la langue caslillane.
J'avais cm jusqu'd ce mnmenl que ce vieillard elait un
homme simple, ignorant el presque nul, aussi incapable
d'cmolions fortes que la torluo renferniee dans sa coquille ;
mais il semblait lout a coup inspire ; ses ycux claienl pleins
DE VOYAGES
d.' feu; chaque muscle ile son visage elail en mouvcment.
Dans son agitation, la petite calotte qu'il fiortait, scion I'u-
sa-e du clerge calholitiue, se baissait et se relevaila clia-
qiio instant ; el Licntot je m'apercus que j'etais en presence
linn de ces homnics remarquables qui naissenl si frequem-
ment ausein de I'Eglise romaine, el qui unissent a la sim-
[ilicite de Tcnfance uiie prodigieuse cnergie et une remar-
quable intelligence, cgalcmcnt propres a dirigcr un petit
Iroupeau de grossiers paysans, dans quelque obscur vil-
lage d'llalie ou d'Espognc, et a convertir dcs millions
d'idolatres sur les rives du Japon, de la Chine et du Pa-
raguay.
Cetaitun bomme maigre et sec d'environ soixantc-cinq
ans; il porlait un manleau d'cloffe grossierc; le reste de
ses vetemenls a I'avenant. Cctte simplicitii niodeste de
rhomme exterieur n'etait, en aiieune maniere, Iniposee
par la pauvrctc. An contraire, la cure etait excdlente et
mettait an moins cliaque annee a sa disposition pres de
800 dollars, dont la Iniitieme paitie sufQsait largcnient a la
depense de la maison et a la sienne propre ; le reste clait
employe en ccuvres de charilc les plus racriloires. II nour-
rissail le voyageur affame et lerenvoyailchantant, sa be-
sace pourvue de viande el sa bourse grossie d'une peseta.
Ses paroissiens embarrasses trouvaicnl toujours pros de
lui un secours imniediat. On peut dire i]iril etait le ban-
quier du village; jamais 11 ne s'attendail a etre rembourse
deceux ausquels il prctail; jamais il n'cn avail meme Ic
desir. Quoique oblige de se rendre souvent ,i Salanianque,
il ne se donnait pas la mule, el se contentail de I'ane qu'il
empruntail au mennier du voisinage. « J'avais autrefois
« une mule, dit-il; mais, il y a quelques annces, un
« voyageur que j'avais heberge la null I'emmena sans ma
« permission ; car, dans celle alcove, j'ai deux lits propres
« el tout prots, ii I'usage des voyageurs; je serais encbanle
« que vous el voire ami en profilassicz, el que vous restas-
« siez avec moi jusqu'j dcmain. »
Mais j'avais bate de continuer mon voyage; mon ami
desirait aussi retourner promplemcnt a Salamanque. En
prenant conge du cure, je lui offris un exemplaire du Nou-
veau Teslamenl ; il le prit sans proferer une parole, el le
placa sur un des rayons desa bibliotbeque; mais je le vis
branler la tele d'une manicre significative en regardant I'c-
tudiant irlandais, comme s'il disail ; « Celui-ci espere me
convertir; » il avail bien devine qui j'etais. Je n'ou-
blierai pas de longlemps le bon pretre Antonio Garcia de
Aguila, cure de Filiegua. »
( Uorrow. Bible in Spain. )
I.ES TORCHES SUB X.E NECKER
ET LA COMEDIE SUR LA GLACE.
Le Ncclicr. — Seines de iiuLI. — Un vaisseaa en prison. — Les glaccs
du Spitzbcrg. — Le dcgcl.
Le hasard et mon propre gout m'onl fail voyager dans
les pays du monde les plus froids, el a.^sislcr a tons les
spectacles, a toulos les singularites auxquelles pcuvcnl
donncr lieu la ncige, la glace etleurs phenomelnes. Je n'ai
HECENTS. <07
rlcn vu de plus pittorisque i eel dgard que ce qui se passo
en AUemagne, sur les bords du Keeker, a la tin de I'liivcr.
Quand le dcgcl arrive, les baleliers gueltent Ic monicnl
de la debScIc, qui a lieu lout a coup. Rien ne bouge pen-
dant des jours cntiers, comme si lagelcedevaitdurereter-
nellcment; mais I'lril excrce du balelier sail lien prevoir
le moment du depart, n La glace se rompra ccttc nuit,
B disenl-ilsl » An fait, elle part presque toujours vera
minuil. On pretend que si I'on consuUe les nombreux
journJux qui annoncenl chaquc annce la rupture des gla-
ces, on trouve reguliercmenl que la debacle du Rhin a
lieu la null, dix-neiif lois sur vingt.
Une nuit done, apres la rude gelce de 1840, les bateliers
du Ncclier, a la suite d'un degel de plusicurs jours, di-
rcnl : « La glace se brisera cette nuit. » Rien ne paraissail
conlirmer ccttc prophetic ; comme au premier jour du
dcgcl, on ne voyait qu'une dure surface de glace. L'eau
ne penetrail nulle part, et on aurail pu, au coucher du
soUil, se risquer a la traverser. Mais a I'approche de !a
nuit, on vil ca el la brillcr la lumiero des torches au bord
du Weckcr, el surtout dans la ville, oii les maisons et les
moulins se trouvaienl exposes aux ravages d'un cbranlc-
menl subil el d'une prompte inondalion ; car le Keeker, qui
a pour lit nne vallee profonde, dont il arrose quaranle ou
cinquanle milles d'etendue, ayaiit de chaque cote un pays
oleve el montagneux, grossit quelquefois rapidemenl apres
d'abondantes pluies ou desneiges suivies d'un prompt de-
gel. II s'eleve alors jusqu'i Irente et quarante pieds ; on
voit meme dans plusicurs endroils des marques qui indi-
qiienl la hauteur a laquclle il s'eleva li differentes cpoqucs.
(jn dil qu'a la rupture des glaces, en 1784, il altcignil lo
second elage dcs maisons, environ vingt pieds au-dessiis
du chemin, lequel s'eleve une fois autant au-dessus du ni-
veau de la riviere.
Quand une de ces inondalions subites accompagnc Ic
brisement d'une glace, epaisse peut-etre de deux pieds, la
spectacle est des plus imposants. La masse solide, souleveo
par l'eau, qui s'elancc comme une formidable av,alanchc, so
brise et eclale avec le fracas du canon. Les grosses masses
de glace sont jetdes de cole et d'autre par les torrents qui
se prccipitent par-dessous ; puis, se heurtant lesunes contro
les autres, elles se broient et rugissent comme des lions
lultanl avec des tigrcs.
Toule la scene, plongde peu de temps auparavanl dans
le silence el I'inaction, devienl un chaos de confusion, do
bruit, de ravages, de lullcs. Des gemisscmcnts emanent do
ces va;les linceuls de glace se brisant mutuellemenl, et
des eaux qui se prccipitent et s'ecoulcnt avec violence.
On dirail qu'elles se revcillent tout 4 coup apres un long
sommeil, non-sculement avec Icurs voix anciennes, mais
avec un lumulte de sons etrangers el inconnus.
Comme ces redoulables blocs de glace s'clanccnt le long
de la riviere, et que plusicurs sont pousses par leur mutuello
violence jusque sur les bords, on a besoin de prcvenir les
ravages qu'ils pourraient occasionuer, soil en brisant les
bateaux elles moulins, soil en renversanllout ce qui s'op-
poscrait a leur passage. Une surveillance active et conti-
nuelle devienl ncces.saire. Un homme de cliaque ville ou
village se lienl prct, dcs la premiere annonce de la debacle,
a partir pour donner I'alarme aux environs, criant a haute
voix : « La glace marche ! la glace marche ! » Le peuple sc
porlc en foule sur la rive ; on lire des coups de fusil, Ics
torches s'allument dans toutes les directions. Les bateliers.
ilniil los Ij.-itcuus so t;-niivcnl roiivcrls ilc glaco, s'occupcnt
t'.o li's en debai'msscr. D.ths Ics nics dos villcs, Ics hoiiimcs
It Ii's cnfniUs sc i-nssemb!("nt lous, arnn's do pcrdics, pi'ols
;i i'f|iousscr Ics blocs mcnacanls ; el si Ics caux fiaraissciU
vouloirs'clcvcr rs|jidciiicnt, on dcmciiage les nicublcs des
maisons, doiit im grand nombre scrait submerge. Hepre-
scnlcz-vons au nicme instanl nne pareiUe scene d'agilalion
sur lous lc3 bords dcs grands llcuves d'Allemagno ct do
Icurs Iribnlaircs. (Jiicl lalilcaii anime !
Lannildnncqnc les batdiers avaienlannonceepourccUe
oil la debacle aiirait lieu, nous funics reveilles par Ic galop
pi'ocipilc d'un chevnl cl la voix retenlissanlc d'lm hommc
crianl : « La glace est cnniarcbc ! la glace est en marche! »
je saulai de nion lit, jo pris do la luniicre, et je rcgardai a
ma niontrc ; il ctait minnit precis. Ouvranl la fenelrc (|ui
iliMinait sur Ic lleuve, je fus tenioin de la scene la plus
otrauge. Une licure auparavant,lorsi|ue jeme coucliai, tout
clait siloncicu.x ; maintenanl on ciUendoit au milieu do I'ob-
scurite le bruit impnsani elsauvagedes elements en furcur;
Ic broicment, les craiiucmcnis, Ics bruits de toute cspece,
la course precipilee dcs eau.^, Ics rugisscmenis, les mugis-
scmcnls du vent qui apporlail de loin I'eclio affreux dcs
explosions de CCS masses deg'ace. Dcscenlaincs de torches
brillaicnt sur la rive. Les cris dcs vnixbumaincs, celles des
bommes, dcs feuimcs, des enfanis s'elevaicnt de lous coles.
Des coups do fusil se succedaienl rapidcmenl pros de la
cite. A travcrs I'obscurile on pouvait apcrcevoir des masses
blnncbes semblables a des speclrcs glissant sur lean; puis
lo briscment de nouvclles couches cause par Ic choc do
cellcs-ci ; au dessous, rcsonnait le Iriste cl continucl fra-
cas d'une balaille sous-marine ct dcs morceaux gigantesques
vcnaient a chaipic inslaut frapper conlrc les arches du
pout. Je m'habillai a la hale et courus vers la villc. On
no pent se faire I'idee d'une scene plus pillorcsqne. Dcs
gens sc precipilaienl de lous les qnarliers, du cote de la
riviere. Conimc j'approchais do la ville, je rcnconlrai un
cludiantobligeaul qui vcnailnous prevenir, vein de sa lon-
gue robe de chambre, coil'fe d'un bonnet rouge ; il s'excusa
beaucoup d'avoir o.sc so presenter devant nous en pnreil
neglige. Kous primes le chcmin do la rive el passimes par
un large chcmin voi'ile, au-dcssous d'une len-assc de jardin.
Devant nous brillail un fanal qui cclairail a denii Ics voiitcs
noircies cl les cpaisses colunnes dont nous elions environ-
ncs : on aurail dil un passage a travcrs la caverne d'un
bandit. A cliaqne onvcrlure, sur les bnrds de la riviere, on
apcrccvait une mnlliludc de gens amies de torches el do
perches, donl la physiononiie cxpriniail la plus vivo anxiele.
Les fcnimes appelaicnl dcs fcnelrcs ; d'aulres, vctucs coninic
rnoi a la hale, leurs nianlcaux ou leurs jupes jelccs par-
dcssus la tele, couraienl ci ct la; lout respirait la vie, I'in-
qnictude, I'animalion. Kous nous dirigcauies vers lo pout;
bien que la glace, si Ton considerc qu'elle clait epaisse dc
deux picds, s'y mil en mouvenicnt avec le plus d'ordre pos-
sible, die offrail, ncanmoins, un spectacle terrible.
A la lueur des torches, nous pouvions la voir marcher
rapidcmenl en immense plalc-fornie de plusieurs metres
earrcs, qui vcnait a chaque instant se heurlcr avec une
Idle violence conlrc la )iicrrc solidodu ponl, qu'il enelail
(ibranle; la Llanchcur des masses de glace qui s'cnlrc-
choquaicnt en marcliant, Icur griuccmcnl, lour bruisse-
inenl. lout cct nsscmblagc produisail un cffet bizarre, mnis
les scenes ct les groupes euvironnanls n'elaienl pas moins
clrangcs. Sous dc vicux arccaux cndomniages, au pied
SCKNUS DE VOYAGES RIlCENTS.
dfsquds sc precipilaienl Ics caux en furcur, .'i chaque ou-
vei Inre dc la villc sur lo lleuve, sur le ponl ct Ic long des
rives, on voyait des gens en fuulc aux ycux clincdants
quo la luniiere dcs torches rcndait bagards. Plus loin, grace
a cetic reunion de torches, on pouvait confiisemenl dis-
lingucr Ics viedles lours grisatres dc cctte villc piltorcsquo,
puis, nux environs, a une gramle [lauleur, les sombrcs
llnucs des montagncs boisiics, plongees dans lo silence et
robscnrite. Les mines du vieux chateau doniiuaient aussi
avec nne m.ijcslc emprciuto dc tristcsse cldiudirfcrcucc la
riviere agitce; conime s'il cutscnli qu'il avail eu jadis aussi
ses jours dc bruit cl d'cmolions humaiucs, que tout cela
clait fini pour lui depuis longlcmps, qu'il n'avait plus de
rapporls avec les bommes el lo cliangemcnl des saisons,
cl (pi'il reslait debout au milieu dcs evcnemenls conimc
un magnifiqiic lemoignage du jiassc,
Un autre grand spectacle, mais beaucoup plus triste,
csl cdni d'nn navirc jiris par les glaces J'ai cle dans cclte
silualion en 1801, lorsque j'accompagnai un navirc balei-
nicr.
Le psalmistc s'ccrie quelqucparl, en citant plusieurs des
mcrvciUcnses crcalions de Dicu : « (Jui peul rcsisler au
froid qu'il envoie? n En effet, nulle creature vivanlo n'est
ctiiiablo d'eudurer le dcgrc do froid des conlrees siluces
pros des poles. Co soul de vastes ct affreux deserts inha-
bitcs, abandonncs memo dcs oiscaux et des betes, sans
(lours, sans arbrcs, sans un coin de verdure. Mais la glaco
s'y rencontre sous les formes Ics plus varices ct les plus
clrangcs. La, des montagncs coloSsales, aux (lanes heris-
scs cl mcnacauls, sont uuiqnenicnl composees de glaces ;
dies ont quelquefois plusieurs millcs de longueur, el s'c-
levciil deux fois plus haul que la conpole de Sainte-Gene-
vicvc. Ellcs so formcnl dans les vallecs avoisinanl la mer;
la neigo do chaque hiver se gele graduellenienl el devicnl
une masse solido. Degros morceaux s'en detachentde temps
a auire, tonihent dans la mer, vonl Holler au loin et offrent
I'aspcct le plus imposnnt. Les vaisscaux cnvoycsi la peclie
de la balciiic, etanl exposes a dc parcilles rencontres, cou-
rcnl d'immcnses dangers. Quelquefois ces montagncs do
glace eclalenl lout a coup en morceaux, donl un seul suf-
lit pour coulcr bas un navire, s'il vicnt a le hcurter; d'un
autre cute, en tombanl violemmcnt dans la mer, ellcs
soulcvcnt des vagiics furieuses qui prcsenlent de nou-
vcaux perils ; mais rien n'csl comparable aux ravages cau-
ses par CCS grosses masses, lorsqu'dles se mellenl en
mouvemcnl plusieurs a la fois. Eiles cnveloppent souvenl
un malheureux vaisscau qui n'a pu lour echappcr, le com-
prinicnl el broient ses (lanes dc chene conime vous brise-
riez une noiscllc. (Juchpicfois, en le heurlaul sous la quillc,
dies Ic jeltcnt hors do I'cau. Pauvres marinsl Si cloigncsdc
chez cux, Icur vaisscau brise, oucerncs par une glace impe-
netrable! reslcr,quandrhivcrapproche,au milieu d'affreu-
ses regions, prives de tout sccours humain, sculs, vis-a-vis
delamorlcauseesoilpar lafaim, soil par le froid! La bicn-
faisanle providence de Dicu peul ncanmoins inlcrvenir ; la
glace pcut s'cntr'ouvrir au bout dc quelques lieures, de ma-
nierc a livrcr passage au vaisscau, dans le cas on il ne sc-
rait quo cerne, et menic pcrmcltre a d'aulres d'cn appro-
cher, s'il a ochoue, cl de venir au secours dcs malheureux
naufragcs.
Ccs accidents arriveul frequeninienl aux halei:iicrs,
I
CHRONIQUES
comme je I'ai dej.i dit. La baleine du Groenland n'ha-
Lile que les mers froides tt desolees, pt, chaqiie annOe,
dcs vaisscaux anglais parlent pour ces regions de glaccs ct
de neige, alin d'y recueillir riiuile cl Ics auli-es olijcts uti-
les que CCS animaux nous procurcnl. lis parlcnl au prin-
teitips et font en sorie de revcnir avaul I'liiver. Mal-
f;re loules les prccaulions , les niarins sent quolquc-
fois cnvcloppes dans les glaces ct obliges d'y rcslcr. U
y a qiielques annecs, liuit niarins russcs quiUerent leur
iiaviie et dcsccndii'cnt a tcrre, dans unc ile dos mers gla-
ciales, lorsque survint tout a coup une violcnte tempclc
|ui entraiiia leur vaisseau loin d'eux ; il leur fallut pas-
ser, dans ces Iristes lieux, non-sculement U|i hiver ler-
rilile, mais quatrc de suite, jusqu'ii ce qu'un equipage
vint, par liasard, les decouvrir ct lbs sauver. Lorsiiu'ils se
vircnt nl)andonnes de leur vaisseau, ils se livrcrcnt d'a-
ET L^GENDES. 109
bord au plus violent desespoir ; enfin ils reprirent courage,
se caserent de leur mieux, batirent une liutle avec tout Ic
soin possible, pour se preserver du froid; ils tuerent des
ours, des renards, des veaux niarins, se nourrirent de la
cliair de ces aniniaux, se couvrirent de leurs peaux et sc
servirent de leur graisse pour rcmplacer I'huilc d bru-
Ier(1). Ces lanipes, qu'ils avaient invenlccs, leur procu-
raient a la fois la chaleurella luniicre durant ces longucs
miits; dans ces climals, I'obscurite est conlinucUe pen-
dant I'hiver; le soleil reste cache des niois cntiers;
mais, en revanche, il nc sc couche pas de tout I'ete, ct
parcourt le ciel, visible pendant vingt-qualre heures.
( Voyages du capitaine Kotzebue. )
(I) Cost dans une siiiiaiion seniblablo que Ic copiiaine Ross, poor Ics
(lisiriiirc, lit jouer |3 cninetlie a scs raalclots; incident curicQX tie la vie
niariiime el ilont nous donncrons les details dans un nnntero proctiaio.
CHROIVIQUES ET LEGENDES
DU iMOYEN AGE.
IiEGENDE DE FIEBRE SE IiA PAI,UD.
Les vaslcs soliliides de la haute chaine du Jura, si rian-
li's, si belles aux ycux dcs personnes qui y voient leur
licrceau ou leur existence attaches, paraissent peut-etre
liien severes et bien monotones a tout autre regard ; mais,
an moment le pins inespcre, le voyageur, qui cherchc dcs
sensations li Iravers nos montagnes franc-comtoises, est
uelqui'fi>is dcJonimage de scs fatigues par le rccit d'une
traJilion piquante.
Des nuances de vegetation, plus varices que la surface
generate du pays, decorent, par exception, le dume des
montagnes, le front des gi-ottes, le lit des cascades vaga-
boiiiles cl Ics horribles anfractuosites du vallon de Consola-
tion. Au-dessus de ce paysage, mines par lenrcaducite,
les pans de mur Je Chatel-Neuf-en-Venne (Doubs) ont
cesse de se tcnir debout. Cclte forteresse altiere des sires
dela I'alud, comtes de la linche et de la Franche-Monta-
gne, surplombaitavec audace le precipice oi'i bouillonnela
source du Dessoubre, et le lieu dcvenu fimeux par le pro-
dige dont I'un des plus braves chevaliers de cette ilUistrc
maisoii fnt le horos.
Francois de la Palud, guerrier de nosdernierescroisades,
avail (iponse, en 1452, Ji\nnne de Petit-Pierre, qui lui avail
apporte en dot, non-seulement la tcrre de Chalel-Neuf,
mais de bien plus notables seigncuries, parmi lesqnellesse
faisaicnt dislinguer cclles de Villersexol, de Maiche, de
Sainl-Uippolyle, et le comle de la Roche, dont I'etrange
clief-lieu etait cet autre myslcrieux et grandiose que Ton
appelle encore le chateau de la Roche, ct dont on ne pou-
vait parler sans une .sorte d'cxallation. Crec chevalier de
fordre militaire de r.\nnonciade, en 1440, par Ame-
doe VIIl, premier due de Savoie, antipapc connu sous le
nam de Felix V, il commandait les troupes que ce ponlife
avail cnvoyuesau seeours de Jean II, roi deChypre, dont
les Etals avaient cssuye uneattaquc de la part dcs Sarm-
no CHRO>MQUES ET LiSgENDES.
sins, sujetsdu soudaa d'Egypte. La guerre fut desaslreuse ;
les forces chrelienncs y furcnt aneanties , et les inalheu-
renx Europeens qu'cpargna le fer recourbe du miisul-
man subirenl la plus rude caplivitc. De ce nombre fut
noire heros.
La tradition locale , d'accord avcc d"anciens manu-
scrils conserves en 1792 au couvent des peres minimcs de
Consolation, atlribue a un miracle, encore bien singulier
pour le siecle oii il a vecu, la delivrance de Tillustre caplif
ct son rctour au sein de ses foyers.
On raconte qu'un soir, au fond de son cachol, s'etant
voue a la saiute Vierge, consolalrice des affliges, il se re-
pandit en prieres plus ferventes que jamais, et s'endormit
dans son oraison. Lelendcmain, a son reveil, oi'i est-il? —
0 prodige ! — II se trouve assis par terre dans le vallon du
Dessoubre ; il eleve ses regards, et reconnait son Chatel-
Neuf au-dessus des rochers a pic ; il considere ses mains et
ses pieds, oii il ne trouve plus que lempreinte de ses
cliaines Benediction! les fers sent ronpus; il est
libre!
On ajoute une anecdote qni, je ne sais Irop comment, s'cst
teinle des couleurs de I'Odyssee. En rentrant au manoir
feodal, comme reulra le ruse mari de Penelope dans son
palais d'llhaque, c'est-a-dire sous la livree de I'indigcnce,
d'une indigence telle qu'on peul la supposer sur un mise-
rable prisonnier de guerre, defigure d"aiileurs par les
tortures de la faim et des souffrances, la Palud n'esl pas
reconnu chez lui. A la maniere des suppliants d'llomere,
il s'accroupit sur la cendre du foyer. On va, on vient, on
s'agile, on se met en cuisine, on fait des preparalifs de
fete. Humble pelerin, il s'informe , le plus ingenumenl
qu'il pent, dusujet de tant de joie, et il apprend qu'il ne
s'agit de rien moins que d'une noce.
a All! dit-il, la dame de ceans fait sans doute les frais
du niariage de sa soeur ?
— Non ; c'est raadame elle-meme qui se remarie.
— lie ; mais il est done mort, le sire de la Palud?
— S"il cstmorl! De tons les hauls barons qui se
sont croises contre le maudit turc, il u"en est pas revenu
un seul.
— Et s'il etait chez les inlideles ?
— Bah! il I'aurail bien mande, aOn qu'on le racbetdt.
— On I'a sans doute bien plcure, le bon sire?
— Voila, conime on plcure les gens quand ils meurent
si loin de nous, et que Ion ignore le jour de leur trepas.
— Le nouveau mailre que vous donne la comtesse de
la Roche, vaut tout au moins I'ancien, n'esl-ce pas?
— Oh ! cerles ; c'est un puissant parti pour madamc ;
un beau cavalier, il faut voir I
— Madame doit etre bien joyeuse?
— Youspouvez croire Copendant...
— Quoi , cependant? dit le faux mendiant, que rassnre
ce deruier mot, mais dont I'lril assombri se voile encore
d'un sourcil menacant. Ah ! oui, je concois : peul-elre
Irouve-t-elle que c'est faire la noce sur un drap mor-
tuaire ?
— Vous n'y eles pas, bonhomme.
— Peut-etre craint-elle de le revoir reparailre un jour,
vivanl ou mort...
— Pas du tout. C'est quelle ne connait pas encore cclui
a qui ses parents la pressent de donnor sa m lin. Ce sont
les parents de madame qui lui representent tout ce qu'il
y a d'honoralle pour eux a nne pareille alliance. Tcnez,
voili que Ton Sonne du cor sur le donjon. Le Canc(5 arrive;
les voici! les voicil »
Bref, le pauvre messire Francois de la Palud, seigneur 1
de Varambeau, comle de la Roche, elait, comme on Ic [
vnil, arrive fort a propos pour renlrer dans ses possessions,
bienpres, ma foi, de passer en d'aulres mains. La tradi-
tion s'arrele la ; le i-esle se devine.
En reconnaissance d'un si grand bienfait, le celebre ba-
ron erigea, en I'lionneur de sa divine protectrice, un pe-
tit ermilage, qu'il nomma du litre de Notre-Dame de
Consolation, a la place mcme ou il s'elait reveille, loin
de sa prison du Sinai, apres un voyage de long cours exe-
cute en quelques heures de sommeil. Semblable au marin
qui vient d'echapper au naufrage et qui dedie d Kolre-
Dame de la Garde, a Marseille, la figure de son navire et
le tableau qui rappeltfe son vceu dans le peril, le cheva-
lier suspendit au mur de sa chapelle les chalnes et les
fers qui I'avaienl meurtri chez les Sarrasins, et se fit re-
presenter dans un tableau votif, sous les verrous d'un
noircachot, et invoquant sa celeste palronne. Ce tableau,
dont il exisle encore des copies, inspirait, dit-on, un sen-
timent jrofond de pilie. Consolation devintun prieure de
minimes, et aujourd'hui il est occupe par le petit semi-
naire du diocese de Besancon.
CHROKIQCE BU CHATEAU SE MABSTOKE.
II est etrange el digne de remarqiie que les chroniques
et les legendes, si touchantes dans les pays et les temps
calholiques, deviennent tout d coup sombres, effrayante?
et atroces des que la reforme de Luther a louche I'Europe
de sa terrible baguette. La chronique que nous Iraduisons,
ft qui, recemment imprimee, a ele mise en oeuvre par un
ccrivain celebre, est, quant au fond et meme aux circoii-
stances acccssoires, Cdele aux details d'un proces du temps
de la reine Elisabeth , cinquanle ans apres relablissenienl
de Iheresie en Anglelerre.
Xm TESTAMENT SUPPOSE.
L\ VISITE A L.\ BROE.
Sur la fiu d'une journce froide et par un vent glacial
du mois de decembre, un cavalier s'avancait rapidement
vers I'enlree principale du manoir de Marstoke dans le
comte de Warwick.
« Ah ! Waller Greville ! s'ecria le maitre du manoi<-,
qui, faule d'une meilleure occupation pour chasser I'en-
nui, se promenait de long en large dans sa grande salle,
comme un maria de quart sur le gaillard d'arriere. et rc-
gardait de temps a autre vers le pare, a travers I'ouver-
ture de la grille, en altendar! que le repas du soir ful an-
nonce ; car, a celte epoque, les ecuyers campagnards so
couchaient presque aussilol que les poules de leur basse-
cour. Ah ! Waller Graville , nion brave ! par le ciel ! je suis
enchaute de te revoir. El il ajouta en lui-meme : Que les
broniRards du sud fetouffenl I Quel demon nous a envoye
ce f liicn malencontreux .'
CnHONlQCES ET L^OONDES.
— Je sills clnrmi? de vous liouver en Lonnc santc, nion
bon niailre Oldcrafl, dit le voyagcur d'une voix gulUiralc
ct em-ouce, en descendant de son cheval rendu de faligue,
avec tome la lentcur el les prccaulions d'un homme qui
scmblait avoir fait, cnlre le lever ct le couclier du soleil,
une si longue route, que ses iambes en avaient conlraclc
iineespecc de cranipe ct elaicnt courliees en dehors commc
celles d'lin cbien tourne-broche. Vous etes seul ici,
n'esl-ce pas, Oldcrafl? » dil-il, ayant mis pied a terre. Et
apres uu moraeut dc silence, il ajoula : « Ou bien avez-vous
(iielques visiteurs ou quelqu'un rcsidant chez vous en cc
moment, oulrc voire femme?
— Jc suis seul, dit I'hole, ct menie ma fcnimc est ab-
sciilc : elle est a Warwick, a I'heure qu'il est.
— Bon ! rcpondit I'aulre, remcUant son cheval au do-
nioslii|UC el donnant une poignce de main a son ami : c'est
encore mieux.
— Mais til es pale et sembles malade, Greville, dit Old-
craft; entre, entrc ; un verre de vin le rendra les forces
et te raiiimcra ; sans douto tu as fait aiijour J'hui un voyage
rapide?
— Trcs-rapide, rcpondit le voyagcur; je ne me- suis ni
amuse, ni arrele dcpuis le point du jour, exceplc pour me
ralVaichir, ct une fois a Wcedon pour clianger de cheval ;
clje me fclicite, apres ma longue (raile, de vous .trtuver
seul ici, car j'ai a vous cntrelenir de choscs qui no sunt
failes que pour voire oreille ct la mienne. » En parlani
ainsi, il dcbouclaln courroie i|ui retcnait son ample man-
tcau de voyage, ola son feuire, ct, conduit jiar le maitre
du manoir, il penclra dans rinlericur apres lui.
Les deux personnages que nous venons dc presenter au
Icclcur avaient asscz bonne mine et assez belle prestance,
— de belles pcinluresd'hommes, commc dit Porlia, — de
vigoureux gaiUards aux epaules carrees et aux mcmbres
muscnlcMX ; tons deux portaicnt les habits qui, sous le
rcgne d'lilisabolh, elaicnt le velcment habiuiel dcs pcr-
sonncs de condition rcsidant a la campagnc. CcpcndanI,
quoiqu'ils portassent dcs justaucorps bariolcs , crevasses
ct brodes a la dernicre mode , quoique leurs fraises fusscnt
enipesces et roidcs comme dcs planches, ct qu'ils eussent a
\enrs coli'S dcs rapieres de plus d'unc aune de long, en-
core pouvail-on voir, au premier coup d'ccil, quo ni I'un
ni I'autrc n'clait un genllcman, un homme comme il
foul.
L'un d'eux, que nous pouvons supposcr propriclaire de
la maison eldn domaine oil nousl'avons Irouve, puisqu'il
clail en possession, avail un justaucorps brode, bariole
cl a crcvL'cs, avccle rested I'avenanl; il portaitd'enormes
boulfetlcs a ses souliers, cl, comme nous avons deja dil,
les marques dislinclives dcs gentlemen de son temps,
la rapiere et la dague au ceinluron. Pourlant ses traits
n'avaient rien de noble; et, bien que sa physionomie
iadiqual bcaucoup dc fermete, de courage et d'habilele,
cependanl sa figure ctail cssenliellement vulgaire ct
commune; il elait trop gros et Irop lourd; il y avail aussi,
dans ses manieres el dans loule sa personne, un manque
du^age que ni ses habits ni sa haute stature ne pouvaieni
empt'chcr de remarquer. Au fait, il avail plutol I'aiu d'un
homme sur lequcl une grande fortune est tombee tout
d'un coup que de celui qui I'a acquise on qui la possede de
naissance.
L'auire, rnrrivani, elait un grand gaillard ,i I'air somhre,
al'iril inqiiicl; il avail un nez aquihn el une face a la don
Oiiichotte, les cheveux noira ct rudes, et sa physionomie
elait agitee el convulsive comme s'il ciil loujours craint
que les sergenlsoulcs gens de justice fusscnt a ses Irousscs
et jirels a fondre sur lui a I'improvisle. 11 paraissait liagard
et rouge de soucis, et on lisait cvidemment sur son
visage abatlu, outre son expression liabilucUe, les effels
dun voyage prccipile et I'epuisemcnt d'une fatigue es-
cessive. II elait, ainsi que son ami, convert de velemenls
assez riches, a la maiiicre d'un gentleman campagnard dc
I'epoque; cl avcc sa dague et sa longue rapiere a coquillc
curieusementlravaiUee, il porlait a la ceinlureune paire de
pislolels d'arcon d'un pied et demi de long. Ses botles dc
voyage, larges et pesanles, elaicnt lirces jusqu'a mi-cuissc,
el garnies d'eperons massifs dont les moieties posscdaienl
dcs arguments excessivemenl persuasifs.
Des que mailre Oldcrafl cut inlroduit son ami dans une
grande chambre hoisee en chcne, dans la chcminee de la-
([uelle (lambait un bon feu dc hois, il lui rcpela qu'il elail
le bienvenu au manoir de Marsloke ; el, agilant une pclilc
sonncllc d'argent placee sur la table, il ordonna a un do-
mestique d'apporter immcdialemenl du vin cl dcs rafrai-
chisscments.
Cependanl son convive, apres avoir passe ses mains sur
les lisons, el ses grosses holies au milieu des llammes pour
se rechauffer les picds, s'inslallanl hicn commodcmenl
dans un bon fauleuil en face de celui qu'occupail Oldcrafl.
sembla oublier sa fatigue pour se livr. r en proic a I'anxiclc
et aux soufl'rances dc son esprit. Ses sourcils so conlrac-
lerenl davanlage, son visage devint encore plus p.ilc, ses
veux elaicnt enfoncis dans Icur orbite, et lous ses geslcr;
eiprimaienl rinquietude el le Iroulile de son cspril. II bondit
comme un criminel quand le valet ouvril la porle pour
apporlcr le vin et d'aulres rafraichissemenis ; quand ses
regards vinrent a renconlrcr ccux du laquais, il les de-
lonrna avec effroi, ct, s'approchant de la feneire, sembla
gueller I'orage de ncige qui menacail d'eclalcr; puis, rc-
venanl brusqucmcnt au coin du feu, il demcura profondc-
ment absorl)e dans des pcnsccs penibles.
Oldcrafl observa son hole d'un oeil lixe pendant un cer-
tain laps dc temps, sans inlerromprc sa reverie. II parai-
trail qu'il decouvrit dans I'liumeur dc celui-ci quelqiie
chose qui n'elail pas enlieremcnt dc son goiit, car ses pa-
roles avaient perdu la moilie dc leur cordialilc quand il
versa un verre de vin et engagca le voyagcur a boire et a
se rafraichir. Waller Greville pril la coupe qui lui ('■tail
offcrlc, el fit raison a son ami jusqu'a la dernicre goulte;
puis, poussani un profond el long soupir, il se laissa tomber
sur un siege pres de la table, cl cacha sa figure dans les
deux mains.
L'hote, fixant loujours sur lui un regard fcrme ct scru-
laleur, s'apprcla a lui faire subir une sorte d'inlcrrogatnirc.
« Ce vin est bon, n'cst-ce pas, Greville? dil-il jiour
commencer. Essayez-en un second verre, mon homme,
vous scmblcz avoir I'cspril couvcrt dc nuagcs. Jc ne mo
rappellc pas vous avoir jamais vu si cirangement emu.
Vous disicz ii I'instanl que vous desiricz conferer .seul avec
moi. Vous resle-l-il sur le cojur un pen du vieux levain
dont vous ayez a parler? Je croyais que ce sujel devait
demeurer a jamais dans le silence entrc nous, hcin?
— Ces affaires soni el demeurent termiiiees, rcpondit
le visiteur ; mais elles onl engendre d'aulres choses dont
jc desire tc parler tout li rheure, choses qui me sonl pcr-
sonncllcs. Enfin j'ai besoin des consolations el de la Iran-
112
quUlilS que jo poun-ai, seigneur, Irouver dans voti'O so-
ciele et dans vos conscils, sans parler de ropporlunitc of-
fertc dans cc moment par I'aliri de voire toil. Je vicns ici,
maitre Oldc raft, redaracr voire liospilalite pendant iiuclqiics
semaines, en attendant que j'entreprennc le voyage de
rOucst. Vous voycz que je nc mots pas de ccremonic dans
la forme, et quo je ne me fais aiicun scrnpule de m'y iii-
viter moi-meme. An reste, quant a cela, nous nous con-
naissons assez pour que jo disc qu'il convient a mes inle-
rels de jonir de I'air dii VVarwiclisliire pendant ipielques
mois, ct de ne pas me montrcr pendant ce Icnqjs, comme
11 doil e^^aloment vous convenir de repondre: Walter Grc-
viUe, soycz le liienvcnu.
— II c-t inutile d'evoquer les ombres dn lomljeau, pr.nr
luc servir des expressions de notrc nonveau poete do
Stratford, rcpondit I'liute, pour me dire cela, Grcvillc.
Ccssc de Ijattrc les buissons, mon brave ; dcvoilc ton secret.
CIinOMOUCS ET LflGENHES.
quo je voio si je puis t'asslster p:i quelque chose. (Jnel
nouveau crime peut done poser si enorniemont snr voire
conscience?
— Plus quo mes paroles ne sanraicntesprimer, Oldcraft,
dil lo voyageur; mais il le faul, il faut que je t'cn fnssc lo
rccit, on jen mourrai!
— Maudit soil I'enrago ! murmura OMcrafl; cc que
c'esl que d'etre un sot!... Qnoil la convoilisc insntia-
ble, dit-il tout haul avcc quclipic amertnme, non conlentc
de la fortune que lu avals auiassee de moilie avcc moi, t'a
pousse de nouveau vers la table de jeu? Probablcment les
des font cnlcve tout co que In avals avaricicuspment
aceumule Hard sur liarJ, el cello perte t'a rendu fou? Ainsi
mainlcnaiit tu viens ici jileurant mo conficr la dcconfi-
ture, el me demander de nouveau la pari, pensani, comme
lu viens do meledonncra entendre, que jcn'oserai pas lo
refuser?
— Noil, par !e ciel! repondit I'aulrc de la grossovoi.':
gntturale qui lui etail particuliere , vous n'avoz non a
craindre de co colli. Je voudrais ctro plongo dans la miscre
jnsqu'au nienton, et pouvoir defairc le crime que j'ai corn-
mis. Je suis deux fois, trois fois aussi ricbe, Oldcraft. que
lorsque nous nous sommes quittos. Mais malbeureuso fut
rhoure oil je le devinsi maudiles sont los actions qui m'on
ont mis en possession 1 car j'ai commis un crime atroco
pour oblenir ces ricbosses, et la main du ciel pese sur ma
tele ! Oldcraft, tons deu.x nous scrons punis... »
Oldcraft, surnommc Sans-Pour, prenail lo litre d'ecuyer
de Mar.-tolic-llouso, dans le comle do Warwick; il ctait
arrive a cotle dignile apres avoir etc simple procureur a
Londres, cl avoir conipic los lieiires pendant hien dos an-
ncoSilBr.dewsIl-Uucli. C'elail, dans toulo la force du mot,
un homme hardi et calmo ; en cello occasion, lo sang-
froid imperturbable de son caraclerc so moiilraavec avan-
tage. 11 ne recula point d'liorrcnr a la brusque declaration
de Greville ; il no mil pas sa maison sur pied pour arrotcr lo
criminel apres un aveu si pen reserve ; peut-etro avait-d
scs raisons pour cola. Quoi cpi'il ou soil, il est certain qu il
resla fort IranquiUe d'aliord ; deboul devanl lui, en lace
de rimmensc cbomineo golhiquc, se tcnail le grand visi-
tour nocturne, doul le cbien, pret a defondro son maitre,
rampait en abeyant. Quanl a Odcraft, toujours assis, le
corps poncbe, le poignard d'uuo main, lo pistolotarme do
I'autro, I'a'il II.kc sur son liute inconmiodo, il altondait.
li nfi[i il se leva de son siege lo sunrire sur los levres,
CIIliONKIUES
se dii'igea vers la porle dc la chaniLic de chcue ou ils
etaiciU reiifennes, I'ouvril vivcmeiU loiilc grande, fil iin
fias oil deux dans la salle, jclaiit les ycux rapidemont a
droile et a gauche; aprcs qiioi, revcnant lraii.;iiillcment
a sa place, il prit la pelite sonnelte d'argent, el lagita d'un
air enjoue gai pnur appcler uii valet.
Waller Grevillc, cependant, giictlait avec la vigilance
d'un chal lous les mouvemcnis dc son confident. De sa
main droile il avail saisi convulsivcmenl la crosse dun dcs
pislolets de sa ceinlurc, semlilanl do'iter de la fidelite de
son ami ; mais quand Oldci-afl renlra dans la chambre, son
ceil d'aigle saisit le mouvcment de Grcville, el il lui dil
dc lacher son arme avant que le domeslique vin! pren-
dre ses ordres.
M J'ai, dil Oldcrafl au valet quand il ful enlre, des rffaires
imporlanlcs a regler avec mon ami ; il est fatigue d'un long
voyage, failes alliimcr du feu el preparer un lit dans la cliam-
lired'amis; que Ton serve le soupersansdelai, vous mctlrez
;'i la fois sur la table lout ce dont nous avons besoin, apres
quoi vous noHS laisserez seuls ; vous ferez voire ronde de
silrelc, et lout etant bien I'erme vous nous quillerez pour
le resle de la nuit. (Juand vous vous serez reslaure, Walter
Greville, ajoula-t-il des que le domeslique ful alio baler le
repas du soir, nous continuerons noire conversation ; d'ici
la, calmez-vous et tranquillisez-vous I'esprit. Conime di-
sent les Ecossais, il ne pent y avoir de bonne conversation
cntrc un homine bicn panse et un homme affamii. »
Apres le souper, I'liole se leva, fcrma la porle, prit en
memc temps les pislolels de son convive, les jdaca sur la
table derricre son faulcuil, ct decrochant une enorme pipe
gravec et sculptec avec innnimenl d'arl, il la remplit avec
beaucoup de soin ct dc tranquillite de celle feuiUe eni-
vrantc qui commencait alnrs a ctre a la mode, el, se re-
placant sur son siege a dos clcve, lanca des nuages dc fu-
mce si epais, pendant qu'il se di.sposait a ccoulcr In narra-
tion de son ami, que la voix pouvail bien arriver jusqu'a
lui, a travel's le feu ronlanl qu'il conlinuait « enlrelcnir,
mais la figure de snii iulcrlocuteur el meme tonic sa pcr-
sonnc elaienl complelemcnt eclipsces et cachees derricre le
nuage.
a II faul, dil Greville, que je commence mon bistoire dc
I'epoque iiu je parlis d'ici. Apres que nous fiimes parvenus
a nnus emp.ircr de ce domaine, que nous eumcs enlorre sir
William Harsloke, el qu'ayant gagne le proces (pic vous
savez, vous ciiles pris domicile ici dans Ic Warwickshire ;
vous avcz cu les biens, moi j'ai recu ma jjart en argent
c6mplanl;jc conviens que le parlage a ele equitable, etje
suis salisfait de ce qu.-; vous m'avez doune.
« A la bonne heure, vous elcs raisonnable, mon cher
ami, ri'pondit Oldcrafl ; allons, je suis bien aise que vous
me rendiez justice en ceci comnie je I'ai fait a voire egard
on nobles a la rose ; mais conliimez, arrivons a voire bis-
toire el soyez bref, laissez la les complimenis, jo n'cn ai
pas besoin, il me faul des fails.
« Quand done je vouseus quilte, vous devcz penscr que
je n'elais guerc dispose a aller m'elablir a Londres, oprcs
lout ce qui s'etail passe. Je vendis, en consequence, le
pen d'effcls ipic je pouvais avoir dans la vieille maison de
Rridettcll-Docli, oii nous avions si longtemps fait nos affai-
res; jo changeai mcs habits de dcuil pour des vetemenls
plus elegants, et je commencai a dcliberer on moi-meme
oil il me plairail d'aller vivre, et puisqiie j'el.iis en elat de
Ic faire, dc pair avec la petite noblesbc du pays. Je u'avais
RT LEGENDES.
113
jamais oublie Malliieu Marsloke le calholique, frere de sir
William, chez qui vous aviez coutume de m'envoycr
pendant son proces avec Sherloke, proces que nous per-
dimes il y a quelque dix ans. L'ainiable hospilalite de Bla-
ihieu Marsloke, et la vie agreable qui se mcnail clicz lui,
pendant les petils sejours que je faisais de temps en Icmp.;
i sa maison du comle dc Kent, avaienl fait une vive impres-
sion sur moi. Je me rappelais aussi son caraelere sociable
etles frequentes invilalinns qu'il m'avait failes de relourner
le voir; surlout je mesduvcnais desgrandes richesscs qu'il
possedait. des recits qu'il m'avail repctes .™r tanl d'argent
dont il ncsavail que faire, des babuls remplis de vaissellc
plate et d'argcnicrie renfermes dans son garde-mcuble,
ainsi que des sacs d'or qu'il avail empiles depuis taut
d'annecs sous son lit sans les compter. Bref, je resolusde
visiter Malliieu Marsloke, et, parlant pour Kent, j'arrivai
a Sandwich on j'appris (|u"il avail quillc la maison qu'il
avail occupce, etresidait alorsdansune autre desesmaisous
ii Wingham.
« Je connais bien la maison, dilOldcraft, ily a par-devant
un rideau de peupliers, et meme je I'y ai visile. Je me rap-
pelle aussi son habitation a Sandwich ; c'est une grande
maison en brique rouge, situee a I'un dts bouls de la place
du marclie ; Diccon Grusp, noire agent, elait d'un cole, ct
mailre llogsllesch, lelnairc, demeurail de I'autre.
« Je louai cette maison, repril Greville, car Marsloke I'a-
vail quiUee par la raisonqii'elle elait banteepar des esprils:
on y enlendail des bruits epouvanlables pendant loule la
nuit. Apres etre reste une quinzaine chez Marsloke, jo pris
cette maison et dcvins son localaire. Je dois vous dire
que, sur ces enlrefaites, Marsloke etail lombe lout a fail en
demence, on plulot dans rimbecillite. Sa sanle elait deve-
niie chancdanle, ct avec cela il elait paralylique ; aussi il
elait eiichanle quand je venais le voir, parce qu'il I'lait
loujours en guerre avec ses domesliques qui, disait-il, Ic
devoraienl tout vivant et le luaient .i iielil fou. Vous do-
vez penser que je ne lardai pas a devenir cnlierement
mailre de la maison, oii j'avais mes coiidees franches. Je
tins eloigncs les collateraux. rossai queb[ncs-uns de ses do-
mesliques et ehassai les autres, et je fis une reforme com-
plete dans la maison. Enfin le bonliomme cut envie de me
consiiller sur I'intention qu'il avail de dclriiire son ancien
testament ct d'en faire un nouveau. Vous comprenez que
je ne fis pas la sourdc oreille a sa proposition, d'autant
mieux que je supposais nalurellement qu'il avail le pro-
jel de me faire son herilicr apres tous les services que je
lui avals rendus. Jugez de ma surprise el de mon depit.
lorsqu'aprcs nous elre enfcrmcs ensemble j'appris qu'il
avail une flile demeuranl a Gand ; il I'avail "^assee de s.t <
maison; repoussee depuis de Inngues aiinees pour si'lre
mariceselon son inclination et contre lavolonlc paternelle,
il ravnil desherilee, et sa colere avail dure Ircnte ans;
inais il elait levcnu a des sentiments plus doux, el desiiail
la voir avant sa morl. Ainsi il me chargea de la commission
de lui ecrirc [lOur lui annoncer son pardon, il me donna
aussi toules les instructions necessaires pour dresser un tes-
tament en faveur de sa flilc, sans memo que mon noni y
pan'il pour le moindre legs. »
(f.a suite a un mimero procUain.)
iifti
114
LE DEVOIR ET LIlEllOi'SMi;
LE DEVOIR ET L'HEROISME
CHEZ LES FEMMES.
aXiANCBE DE CASTII.LE,
MERE DE SAIIiT-LOUIS.
Sa Tic ot !iOu iufluencc.
« La louango pAlit devanl Ics grands noms, n a dil Bos-
siict. Celui de Blanche de Caslille reslera a jamais illustre
dans les fasles de la France ([u'elle a si disnemont gouver-
nce, comme il est grave dans lous les ca-urs francais par la
reconnaissance. FiUe, femme ct mere de grands rois, elle
les cgala tons.
Dans les diverses situations ou le sort la placa, elle lul plus
noble encore parsa conduite que par sa naissance. Cetle reine
peut servir demodele a son sesc, car la vertu est de lous
les temps et convient a tons les elats. Blanche, d'une piete
sincere, toujours allaclice a ses devoirs, fut iiicljraiilable
danslcur accomplisscmcnt ; joune, entourcc Je loules les
seductions des cnurs, ct livree de l)onne lieure a ellc-memc
|iar son veuvage, elle n"avait pour egide que sa droiturc,
I'l n'eut jamais bcsoin d'etre reprise ni guidee. o Chaste en
uses moeurs, disenl les chroniqueurs, belle cnnime les
(I anges, et d'une bonte inalterable, elle ne voulut jamais
(1 ternir sa purete ; on I'adora , mais elle sut se fairc res-
(1 peeler. »
Au caraclere espagnol, fier, enlhousiaste, devoiic, elle
joignaii une patience hero'ique qui la soutint conlre la ca-
lomnie et la dcfendit, pendant sa regcnce, conlre les ten-
talivcs de la feodalite, (pii voulait sans cesse diviser et
morceler la France. Sa prudence rollechie, son aptitude
aux grandes choses, lui firent ouvrir plus d'une fois les
portes du conseil royal. Louis VIII, son epoux, avouait que
son avis lui etait neccssaire dans tout ce qu'il entreprenail,
el que cct avis etait toujours dicle par la sagesse et les
interels du royaume. Mais n'anlicipons pas sur les evene-
nieuts, et racontons cette hisloire si interessante de Blan-
che, a laquelle nous sommcs forces de mcler sans cesse
celle des princes ses parents el allies.
Vers la fin du douzieme sieclc, le roi Philippc-.\ugaste,
plonge dans un veuvage anlicipe (malgre Irois mariages
et deux femmes encore vivanles), deplorait son isolemenl
dans le palais du Louvre, qu'il achevait alors. II chcrcha
une compagne a son DIs Louis VIII, I'unique fruit de son
union avcc Isabelle de Hainaut, qu'il avail aimee et perdue
jeune. Sa premiere pensee fut pour Eleonore d'Anglc-
terrc, soeur d' Arthur de Bretagne ; mais les negocialions
deja enlamees s'etant rompues , elle relourna a Londres
pour y accomplir sa funeste deslince : qnarante ans de
prison ct la mort. Oubliant leur aniraosilc conslante, Jean-
sans-Terre el Pliilipjie-Augusle eurent une enlrevue secrete,
oii ilsconvinrentde mettre fin a leur hostilite par le mariagc
d'un fils de France avec une des filles du roi d'Espagne.
Une brillanle amhassade fut done envoyce en Castillo, ou
regnait alors Alphonse IX, dil le Bon, Ic Nohlc.
Berengerc, I'ainee des princesses, avail epou.scle roi de
Leon ; les deux plus jeunes faisaient rornemont de la cour a
Tolede ct a Burgos. Le connelable Mathicu de Montmorency,
un des plus puissanls et des plus dignes seigneurs francais
ayant etc admis commo ambassadeur charge de choisir uiio
reine de France, demcura quelque temps embarrasse et in-
dccis. II observait eladmirail lour a tour les deux infantes
sans pouvoir se prononcer ; loules deux etaienl majoslueuscs,
spirituelles, jolies, non moinsremarquables par leurs ver-
lus que par leur grace. Les barons franjais qui composaient
CUEZ LES FEMMES.
lis
ramhassadc, d'aloiJ incertalns, dccidercnl iiuc le nom de
Blanche serail plus doux a prouoncer que cclui dc sa soeur
Urraca, el la melodic des sons fil toniber sur la Icte de la
vierge caslillanne la premiere couronne du raonde. <• Les
Fraiicais, dit un pnele espagnol, n'ont jamais su rcsister a
la seduclion de la poesie et a celle de la musique ; leurmuse
fit pencher la balance. »
Peut-elre la vieille reine Alienor cut-elle encore plus de
/lart a ce clioix ; elle savail d'avance tout ce qu'on pouvait
allendre du caractere de sa pelite fiUc. Blanche quillo sa
patrie accompagnee de la fameuse Alienor d'Aquilaine, dc
son pcre el d'uue nonibreuse escorle des grands dignilaires
d'Espagne, qui s'arrela an delade lioncevaux, en Gascogne.
Arrivce a Bordeaux, elle ful recommandce a I'evcque Elie
ct a son oncle Jcau-sans-Terre. Pbilippe-Augusle et son fils
elaient accourus au-devanl de Tinfante. L'eveque de Bor-
deaux celebra les fianrailles le 23 mai 4200, en presence
d'un grand nombre de prelals et de chevaliers des trois na-
tions. Louis el Blanche, dumeme age, n'avaientpasquatorze
ans. Ce mariageeut ete celebre avecplus de pompe a Nolre-
O.ime de Paris ; mais rintcrdit lance par le pape contre le
roi dc France le forca d'agir autremenl. Ce ful doncaPorl-
morl, pres le Chateau-Gaillard, domaine anglais, que le
prince royal recutla benediction nuptiale. Lajoierepandue
an milieu des trois cours reunies ne se ralcntit pas, malgre
I'eloignement de la capitale ; danscs, fetes et lournois se suc-
cedcrent jusqu'au retour a Paris. La jeune Caslillanne y fut
recue avec acclamation ; sa grace, son arfabilite previnrcnt
le peuple en sa faveur. Blanche semblail faite pour son
nom : la fraicheur merveilleuse de son tcint, reflet de la
purele de son ame, frappail d'admiration tons ceui qui la
voyaient. Bienlol la cour changea d'aspect , la jeune prin-
cesse en devinl I'ame ct I'idole.
Philippc-Auguste, que son ambition et sa gloire n'avaient
preserve ni de fames personnelles ni de chagrins inlimcs.
s'altacba avec bonheur a sa bdle-fiUe. II avail enDn pres
de lui un cocur fait pour I'enlendre et pour le consoler.
Celle alliance, qui rapprochait trois grandes nations, enri-
chil de plusieurs fiefs la couronne de France el ful le gage
d'une paix que Ton devail croire durable. Neanmoins elle
ful encore troublce par la Irabison el la deloyaule dc Jean-
sans-Tcrre. Louis VIII avail un ami d'enfancc. ne la meme
annee que lui, cleve sous les yens de son perc et done des
plus lieureuses qualites , Arthur de Brelagne. La rupture
de son mariage avec In filie de Tancrede, roi de Sicilc,
le ramena a la cour de France pen de temps apres I'union
quivenaildes'accomplir Philippe-Augustcl'arma chevalier
de sa proprc main, lui donna un commandement, des fiefs
considerables et le fianca a sa Dlle Marie, agce de cinq ans;
Arthur en avail quinze. Ficr el heureux du choix du mo-
narque, il retourna en ses Flats, ct ful assassine par son
oncle trois ans apres, le jeudi saint 12(io. Jean, roi d'.\n-
glelerre, chevauchant a ses coles en Kormandie, IVimena
au bord de la mer, sur la poinle d'un rochcr a pic qui
formait precipice; la, il le saisil par les chcveux, lui
perca le cffiur de sa dague et le jirccipita dans la mer
ou il di.sparut pour jamais. Cite ,i la cour des pairs pour
ce crime comme due dc INormandie, il avail encore a rc-
pondre a une autre accusation grave, car il elait prouve
qu'il avail offerl I'hommage dc sa couronne au pape et
au chef des mahomelaus a la fois. Declare traltre. felon,
nicurlrier, il demanda un sauf-conduit qui lui ful ac-
corJc pour vcnir se justilicr; niais comme il etait menace
dc ne pouvoir retourner en Angletcrre, il cut peur el
ne vinl point. Pliilippe-Auguste fut oblige d'ajourner sa
vengeance. Louis pleura son ami Arlhur ; la cour prit lo
deuil el le peuple jura ; Maine aux Anglais!
Philippe-Auguste, ne suivant point I'usage de ses prc-
decesscurs, d'associer le prince royal a la couronne, so
contenta de Farmer chevalier avec cent autres gentils-
hommes. 11 lui donna plusieurs apanages, cnire anlrcs Ic
modeste manoir de Poissy, qu'on disail au pouvoir des
fees, devenu I'asile de la derniere fcmme de Philippe-Au-
guste, Agnes de Meranie. La, dans la retraite etleslarmes.
quclques annees de bonheur et d'union furent cherement
expices par la mere de Tristan, dont le nom perpelua le
souvenir des malheurs de celle pauvre rcine. Blanche de
Caslille trouva le moyen d'adoucirson inforlune en parta-
geant sa solitude, et lui prouvanl loute sa sympalhie elson
respect, elle s'enfoncaitsouvent avec elle sous les ombrages
du chateau. Louis Vlllaimail aussi celle residence. Les jeunes
epous, lendrement unis, se plaisaient S repandre les bien-
faits autour d'eux. Blanche y donna le jour a son premier
ne Philippe. Ce fut encore a Poissy que, trois ans apres, elle
remercia le del d'avoir sauve la Caslille et son pere a la
celebre bataille de Tolosa, gagnee sur les Maures. Deux
cent mille musulmans, dil-on, y pcrdirenl la vie, el vingl-
cinq Chretiens seulement succomberent, au dire des chro
niqueurs caslillans. Celle addition ne rcssemble l-elle pas
a certain bulletin de I'empire francais qui, pour une grande
victoire, n'evaluait noire parte qu'au petit doigl d'un
chasseur?
Louis VIII etait engage dans une expedition contre le roi
d'Anglelerre, lorsque Philippe-Auguste s'immortalisa par
la fameuse bataille de Bouvines. Trophee imperissable dc
son regno. Le 27 juiUet 1214, enlre Lille et Tournay, on
vit fuir un empereur, deux rois, cent cinquante mille hom-
mcs d'armcs et tous les vassaux rebelles qui s'etaient par-
lage d'avance leroyaume. Philippe rccul alors de ses ri-
vaux, comme de ses sujets, le surnom d'Auguste qu'il nc
devail, avant cette cpoque, qu'au mois de sa naissance.
Bien n'avait manque a cette majestueuse scene royale, lors-
qu'au moment de donner le signal de I'allaque, le roi, se
decouvranl, s'elail eerie : » Amis ! I'Eglise prie pour nous,
» combattons pour elle et pour la France ! n
Sublimes paroles qui le firenl absoudre et desarmerent
Ic pape. — Le meme jour eclaira, dil-on , les succes dc
Louis VIII, ot I'abbaye de la Victoire ful fondee par recon-
naissance. Blanche, encore en deuil de son pere, n'avait pu
suivre son mari a la guerre contre les Albigeois. Lorsqu'elle
mil au m'inde, le 2b avril 1213, son second fils Louis,
on fetait saint Marc I'evangelisle, les cloches des eglises se
turcnl tout a coup. — D'oii vicnt ce silence? demanda la
reine. On lui repondit qu'on craignait de troubler son rc-
pos. — Qu'a cela ne tienne, dit-elle, allez I Et afin qu'on
sonnat toutes les cloches a la fois et a fortes voices, elle se
lit transporter a peu de distance dans une ferme oii elle
demeura en couches, ferme qu'on nomma plus lard Grange
Saint-Louis. Par la suite on y batil une eglise ; le mailre-
autel ful appuye a la place meme oii se trouvait autrefois
le Hi de la reine.
Louis Vlll absent apprit cette bonne nouvelle ; mais au
lieu de revenir il alia accomplir son vccu de pelerinage ct
comhallrc les hercliqucs. Agnes de Donzy, riche heritiere
duconile de Never?, fiancee d'abord a Henri, fils de Jean-
sans-Terre, fut offerle au roi dc France pour son pilit-DU
110
Ml DKVOin ET LMllinOISJlE
Pliili|ipo. L'affi'ont fail pnr ccllc rapture nu roi d'Anglc-
Icrre dcvint le pii'Iudc do la voiigcanco de la France et dos
liarons anglais les plus puissanls, qui saisirent celte occa-
sion pour arracher le sceplre ,i d'aussi coupaliles mains.
I.c pretexle ful Ics droits an Irono d'Ans^leterre ipio Dlancle
tcuait de sa mere, Cllc ainee dc Henri 11. Une amhassade
;;oloniiellc vinl a Poissy ofl'rir la couronnc d'Anglcterre a
Louis VIII, s'il voulait la rcclamera la lele d'une armee. Plii-
lippc-Aiiguste s'y opjiosa formoUcmenl. Son tils, dosiranl
I'oljlcnir, hesitait, craignant quclque traliison, mais les plus
notables families dos deu.\ nations echangcreni des otages,
ce qui ne cliangea rien a la decision du roi. Bicnlot Louis
enira cncanipagne avccde nombreuscs forces navaIes,com-
mandees par lo moine Euslaclie, qui, apres s'etre ruine sur
lerre, etait devenu rcdoutable sur I'Ocean. Le papc, qui le
premier avail crio vengeance a la morl d'Arlhur, blessc du
pen dc deference Ju prince royal, le mcnaca d'excommu-
nlcation ; il ne repondil a celte menace que par son entree
Irioniphalc ii Londrcs. Cependant la tempete dispcrsa les si.";
cents vaisseanx avec lesquels Louis etait sorll dc Calais ; les
liarons ennemis personnels do Jean, et nnn de son fits, so
retrouverent Anglais. La llolte francaise fut descmparce,
mais la guerre ne cessa qu'avcc I'existence de Jean-sans-
Terre qui mourul subitcment.
Son fils Henri 111 fut s.icre solennellcmcnt avec un cercle
il'or a di'faut de diadenie. Nous ne devons pas passer sous
silence nn fait qui dcsslne liien h caracterede Blanche. Pen-
dant I'espedilion dcson mari en Anglclerrc, I'argcnl vint a
lui manquer au moment des rovers, vainement il appela son
pered son aide ; inslruito dc sa situation, la princesse su
presenic cliez le roi pale d'cmotion ct lui dit : « Sire, vou-
Icz-vous laisser monrir voire (lis sans sccours sur la terrc
iMrangere? — Je ne puisdesobeir nu ponlife. — Envoyez-
lui du moins son apanage, il est voire lierilier! — Certes,
Clanclie, n'en ferai rien, dit le roi. — Non vrai? dil-elle,
alors je sais bien ee que je ferai moi. — Quoi done? — Que
ferez-vous? — Par la grace de Dicu, j'ai de beaux enfants dc
nionseigneur, lesmettrai engaged trouverai bien qui me pre-
lera sur cux! « — A ces mots elle quitia le roi hors d'ellc-
meme ; il la 111 rappeler, lui disant : • — « Prenez dans mou
ircsor, lout ce que bon voussemblera. — Sire, dit Blanche,
c'est bien park'. »
Les Iresors el la llotte qu'ellc avail oblcnus pour la
clelivranec du prince arrivcrcnt Irop lard. Cloque dans la
lour blanche de Londres, tour celebre, depuis les Tudor
jusqu'aux Sluarts, Louis recuU'alisolutiondu legal, promel-
lant do se croiser contrc les Albigeois. II repassa la mer
apres avoir signe un traite qui enlovait plusieurs places
aux Francais ; traite que son pere ne voulut pas ratifitr et
qui eansa la guerre plus lard.
Le lestanient d'Alphonso IX el la morl du jeune roi
de Castille , apportcrcnl la couronne d'Espagiie a Louis IX.
Mais il y cut tanl de troubles, de divisions en Castille ii eel
effel, le parti rcsle (idele a la France fut si faible, que
Philippe el son fils renoncerenl d'eux-memes a une prcleii-
lion que I'expcdilion aventureusc d'Anglcterre no Icur inon-
trailqueconime une faule.
Le savoiret rinlelligence de Philippe, fils aiuc de Blan-
che, etaienl si prccoces, qu'ils snrpreiwicnl loule la cour.
Ilmounita onzeans fortregrelle dcson aieul. Inconsolable
(le la pcrle dc eel enfant, Pbilippc-Augu'^le changca, apres
sa n\orl, de caractcre el de maniere de vivre. 11 borna sou
ainbilion a conservcr ce qn'il avail acquis, ii mainlcnir la
pais cl i cmbellir la capilale. Blanche ct le jeune Louis Jc-
vinrent les objets sacresde la soUicilude du roi. Le berceau
royal fut cnloure de toulcs Ics illustrations de la monar-
chie ; le roi ne se plaisait que dans de nouvellcs construc-
tions, au milieu de ses arehiteclcs, ou dans ses residences
dele. II soumettail ses plans a sa belle-fille, qui, elcvce au
milieu des mcrveiUes dc I'Espagne, ne fut point etraiigere
aux embellissemcnls du Louvre el de Nolre-Uame, oil bril-
laient a la fois la pile mauresque et le Irelle arabe.
Philippc-Augusle avail convoque au Louvre un parlemenl
feodal pour y disculer les inlerels dc la monarchic el ceux
de la religion ; on s'y rendail de toules parls, lorsqu'on ap-
prit I'elat desespere du roi, qui mourul a Mantes, dans
les bras d'lsembergc, cetle genercuse reine, aussi belle que
bonne, qu'il avail epousee a I'iige de dix-sept ans, par amour,
et repudiee lelendemain, sans que personne ail jamais pu
penelrer le motif de I'injuste haine qu'il voua depuis ;i
celle princesse ; il la benit a sa morl, mais le dernier nom
qu'il prononca ful celui d'Agnes de Mcranie. Co regue dura
quarante ans el finit le 14 juillel 1225, presque le jour an-
niversaire de Bouviues.
Philippe-Auguste, quoique genereux, se montra souvcnl
injuste pour son fils Louis VIII, cl I'eul etc davanlage
sans la puissanle mediation de Blanche qui aimail et defen-
dait son epoux. Le regne de ce prince fut courl, il se passa
en combats, tantot contrc les hereliqnes, lantot contrc
I'Anglelcrre. II fulsacre en 1225, la reine Blanche ful cou-
ronncc le meme jour avec pompe cl niaguificence. La fe-
condile de cello princesse I'cmpecha de suivre Louis VllI
dansloules ses expeditions guerrieres, elle en cut onzc en-
fants, sans perdre sa santc ni sa fraicheur. Dominant la
nouvclle cour comme I'aneienne, elle s'emparacn quelquc
sorte du sceplre de Philippe-Auguste et de la main de jus-
tice. Louis lui abandonna avec conliance les renes du gou-
vcrncmen*, el alia reprcndre aux Anglais les places qu'ils
se disputaient lour a tour. Le roi Bl le siege de la Bochelle
qui, apres une belle defense, se rendil a discretion au bout
de trois semaines. Dc relour a Paris, apres avoir obtenn
I'absolulion du jiape, il se croisa denouveau. Les maladies,
la fatigue, I'insucces abrcgercnl ses jours, il ful oblige dc
s'arrcler en Auvcrgnc, au chateau de Jlonlpensier oil il fit
son lestamcnl, cl mourut au milieu de ses seigneurs, le
7 novembrc, Age de trenlc-neuf ans. Apres avoir nomme
Matliicu de i\Iiinlninrency gardien du jeune roi, on cacha
celte funesle nouvclle a la cour. Blanche, qui altcndait
son royal epoux, inqiatiente de le revoir, alia a cheval au-
devanl de lui avec un pompeux cortege. Le jeune Louis
galopail en avanl , jaloux d'embrasser le premier son
pere. Tout a coup on le vit revenir pale et conslerne,
.sur ses pas il avail rencontre le chancclicr et savait la
funesle nouvclle. Blanche ful au desespoir, mais sa pielc
la ramena a la raison et au devoir. Elle se devait a
ses enfants comme ,i la France. Des qu'on cut rendu
les honneurs funebrcs au defunl, elle asscnibla le con-
scil royal, et dcvaiit lui fit atlcslcr, par trois eveques
presents a la morl de son eponx, qu'il dcsirail qu'ellc fut
nomniee rcgenle. Elle le fut en cffLl, non sans beaucoup
d'intrigucs cl d'opposilion de la part des princes du sang.
La fermclc loule virile de ccllc princesse ne recula point
devanl Ics innombrables difllcultcs de sa position, elle s'eii-
toura de bons conscillcrs ; elle sul profiler habilement do
ee confiil d'inlcrels dc chacuu, no perdil pas dc temps,
convoqua les grands vassaux ;i Ilcims, se rendil elle-im'me
CHEZ LES FEMMES.
117
a Snissons avec ses enfants, el descendit au palais episco-
pal. Le jour meme, Ic comtedc Boulogne arma le jeiine roi
chevalier, quoiqu'il eut a peine onze ans. Le priilat lui
confera egalemenl I'ordre de I'Etoile, dont le collier ctait
forme de trois chaiues entrelacecs de roses d'or cmaillees ;
ri'loile y etait suspendue avec la devise ; Monstrant rcgi-
hus aslra liam!
La vie de Blanche souniise a un epoux avail ete jusqu'a-
lors un modele de siniplicile el de douceur. Forcee de sai-
sir le pouvoir et desoulever le sceptre, ellesemonira dijjne
de commander, comme il arrive aux ames douces et fortes
et aux esprits justes, qui savent se soumeltre et obeirau
devoir.
(La suite an prochtiin numcto.)
IiETTBX D'lTHi: DAIHS AlffSlAISS
pmsoM«ii3nE .\ cw.Mion (I).
todiccmbrc ISil.
iiL'idee de traverser le passage perilleux que nous avions
(levant nous, en face d'une lril)u armee compnsee de bar-
bares sanguinaires, avec une multitude aus^i compacte
qn'irreguliere, elail affreuse ; et le spectacle qu'offraicnt a
DOS regards ces llols d'etrcs animes, dont la plupart, en
niolnsde quelqueslieuresrapides, formeraicnt unelignede
cadavres et serviraienl de guides au fulur voy.igeur, nesor-
tira jamais de la meraoire de ceux qui en out ete temoins.
Nous avions ete si souvent trompcs par Ics Affglians, que
nous avions alors peu, ou point de conGanc^ dans leurs
nouvelles promesses ; et nous commengames noire marche
a travers le defile redoiite, I'csprit lort inquict. Ce passage
vraiment formidable compte environ cinq milles d'etcndue
d'lm bout a Tautre j il est prcsso de chaque cole par une
chaine de bautes monlagnes ; le soleil, mSme a celle saison,
ne penetre qu'un instant au milieu de leurs llancs arides.
Du centre s'echappe un torrent des montagnes dont la
course impelueuse rcsiste a la gelee, qui cependant par-
vient ii rcvelir ses bords d'cpaisses couches de glace au-
dessus desquelles la neige se consolide en masses glls.san-
tes peu favorables a la marche de nos animaux epuiscs.
Nousedmesa passer el a repassercc torrent environ vingt-
huit fois. A mesure que nous avancions, le defile se rctre-
cissait, et nous aperci'imes les Giljies qui se porlaient en
foule sur les hauteurs. L'avant-garde ouvrit un feu vio-
lent ; plusieurs femmesqui s'y trouvaient, n'ayant d'aulre
chance de salut que dans une marche rapide, galoperenl
en avant, bravant les boulets ennemis qui sifllaient par
centaines a leurs oreilles, jusqu'a ce qu'elles eusscnt fran-
chi le defile.
((Toutes cchapperent au danger, escepte lady Sale,
qui recut au bras une blcssure legere. Nousdevons convc-
nir que plusieurs des chefs, qui avaient precede l'avant-
garde, firent les plus grands efforts pour empecher lo feu;
mais rien ne put retenir les Giljies, qui paraissaient bien
resolusii repousser tons ceux qui oseraient intervenir en-
tre eux el leur proie. La foule avanca toujours au milieu
d'un feu roulant; il s'ensuivit un carnage epouvantablc.
La terreur devint universelle , et des miUiers de person-
nes, cherchant un refuge dans la fuilc, coururei.
a'jaiidounanl bagngps, numitions, femmes et en.
quement preoccupci'S de I'iJce de sauver leur vie
0 L'arriere-garde souffrit estrcmement ; et voya
que le retard amenait la destruction, elle suivit I'e -'^
general et alia rejoindre les fuyards. Un canon fut i> •
donne, et tons les arlilleurs lues. La lille ainee duV
pitaine Anderson el le plus jeune fils du capitaine Bl ;
tomberent enire les mains des Affghans. On a calcule qui,
trois millc personnes avaient peri dans le defile.
Vcc ic Gwaiior,
'IJ Vc'j. caaH'roin, I'lIerohiTie uucrrkrehc: Ics femmes.
«8
PETITS VOYAGES
n Ccful iinccharile ilc nouscmmcncr |TTisonnitTcs, el nous
axrivilmcs :i Gwalior, six fenimcs ct uiie IroiUaine d'hom-
ines. Khasghiwela, lo chef usurpalcur ile cetlc ville si peu
coiinue, nc prctendait pas noiis ^gorgcr, niais soiilemonl
fairc de nous nn ohjet de speculalioii el rcndre noire
rancon la mcilleure possible.
Dada KlM^e'.iiwcla.
a Aussi ses Lons cl sos niauvais pi'ocedos allernaienl-ils
li'une maniere (|ui nous cut seinblij fort elrange, si nous
n'en avions pas discerno le molif. Unjour il esperait que
DOS bonsrapporlssur son coinptepoun-aieutlui ctre utiles,
el il noustraitail bien; un autre jour il croyait que nous
alliens lui rester sur les bras, et il nous laissait sans pain.
«Dans unde ses moments de belle Inimeur, il s'avisade
nous donner un concert. Tout a Coup mon sommeil fill
trouble par une effroyable cacopbonie, el les sons qui ar-
rivaient le plus distinctement a mcs oreilles me rappe-
laient les cris discordanis d'une bande d'aues furieux ; ils
rivalisaient de force et d'eclat, et leur emulation semblait
encore excitee par le fracas continuelde gens qui frappaient
sans niisericorde sur des casseroles, des chaudrons, des
c/iiHumoAics (cuvettes d'airain ), etc., afin d'augmenter
I'infernale confusion. Impossilile de se rendormir.
II Jc m'habillai, et demandai la cause de tout ce lapagc.
Jugez de ma surprise en apprenant que sa royale hau-
tesse nous regalait, nous, pauvres prisonnieres, d'un con-
cert de sa facon. Xu\ jours de paix, il cprouve un dcli-
cieux plaisir a ecouter, a cette heure matinale, le concert
barmonieux execute par la troupe de I'elat. Je me con-
solai philosophiquemcnt en pensantqne jedevais dorena-
vanl renoncer aux douceurs d'un sommeil prolonge et
inutile, et que je pourrais peut-elre remercier le prince
qui trouvait bon de revciller .ses prisonnieres a une beurc
si favorable a la sante. »
PETITS VOYAGES
SUR LES RIVIEUES DE FRANCE.
LEQENDES DE3 BOBOS OB I,A LOIBG.
lES FEES VEIITES DE L.\ VOUTE POLtCNAC.
Les types caracteristiques des localites francaises n'ont
pas etc rocueillis ; ils le meritenl cepcndant bien, par les
nuances, la curicuse et piquante variele, et roriginalilc
piltoresque qui les dislinguonl. C'est surlout la vie popu-
laire et la vie des campagnesque I'arlisle devraif saisir,
comme I'a si bien fail I'homme de talent auquelnous dc-
vons les deux portraits ci-joints.
Le premier est celui de Jean Gerbelin-Cerbot, paysam
la Correze, qui s'est domicilie pres de la voiile Polignac,
et qui sail toules leslegcndes du pays; c'est lui qui, assis
aupres de ses bceul's, me conta la famcuse legende des Fees
vertes de la voiile, a pen pres dans les termes suivanls :
« Vousvoyezbien celtemontagneet ce roclier, surmontc
de ce vieux chateau. Trois mineurs y travaillaicnt de-
puis longues annees, et y gagnaient honnelement de quoi
nourrir leurs femmcs et leurs enfants. Quand ils se ren-
daient le matin a la inonlague, ils prenaient avcc cux trois
clioscs : d'abord Icur livre de jirieres, ensuile leur lampo
garnie d'liuile pour un jour, puis le morceau de pain de la
journee. Avanl de coniinciicer leiir travail, ils priaieut ]
Dieu de veiller sur cux dans la monlagnc, puis ils se niol-
taient a Iravaillor.
sun LES RIVIERES DE FRANCE.
1IJ
« Uii jour, apres qu'ilsavaientliieiitravaiUecllorsquc Ic
soil- approchait, il arriva que la monlagae s'cboiila dcvanl
cux cl leur ferma le passage. lis secruicnl ensevelis, ol
(limit: a All! bon Dieu, pauvres mineurs que nous som-
mes I nous voilii reduits a mourir do faim. Nous n'avons
du pain que pour un jour, el de I'liuile que pour un jour
dans nos lampcs ! « lis se recoiniiianderenl a Dieu ct .se
resignerent a mourir ; niais, ne voulanl pas resler oisifs
lant qu'il leur resterait des forces, ils continuercnl de
Iravailler cl de prier. Or, il arriva que leur lanipe Ijrula
jienilanl sept ans, que leur morccau de pain, dontiis man-
geaieiitjournellemcnt, demeura loujours, non pas entier,
raais egalemeni gros ; Ions les jours de belles peliles fees
verles, qui avaient le corps mince coiiime des aneuilles el
luisanl conime du bronze dore, enlraicnt par-dessous terrr ,
au nombre de Irois : I'une apporlail du feu, la seconde de
I'huile, la troisieme du pain; si bien que ces sept ans no
parurenl qu'un jour aux mineurs. Mais, comme ih ne poii-
vaient se couper les chcveux, ils etaient devenus longs
a'uue aune. Pendantce temps-la, leurs Icninies les crurenl
inorls ; ct, comme elles pensaient ne plus jamais les revoir,
dies songerent a prendre de nouveaux maris.
« Or, il arriva que I'un des Irois mineurs ensevelis
poussa un soupir qui partail du fond du cccur.
u .All ! s'ecria-t-il, si je pouvais revoir seulement une fois
la lumiere du jour, je mourrais content ensuile. »
« Le second .s'ecria en pleurs : « Ah I si je pouvais seule-
ment m'asseoir ct manger a table avcc ma femmc, je mour-
rais content ensuile. »
" Le troisieme dit a son tour : « Ah I si je pouvais
seulement, pendant une aunee encore, vivre traniiuillc
ct heureux aupres de ma femme, je mourrais content en-
suile. ij
(I A peine avaient-ils acheve de parler ainsi , que les
trois petites fees parurenl, el la monlagne craqua et se sc-
para, comme vous le voyez, et forma cetle arcade basse
dans laquelle I'eau enlre en poussani un tristc bruit. Aus-
silol le premier s'approclia de la fente, regarda au-dessus
de sa tete et vit I'azur du ciel; au niveau de sa tele, il
apercul I'ciiu de la Loire. Comme il se rejouissait, .selon
scs dcsirs, de revoir la lumiere du jour, Icau arriva jns-
qu'a lui, cl I'cmporla morl dans le lleuve. La monlagne
se separa, la crevasse s'clargit encore.
u Les deux aulres mineurs, averlis par le sort de leur
confrere, monlerent sur les parois intcrieurs de la ca-
verne, oii, piocliant loujours, ils laillereni des e.scaliers ;
puis, so trainant en rampant vers I'ouverlure oil I'eau
bouillonnail, ils se mirenl .i la nage, el enfin se virenl de-
hors, lis se rendirent a leur village, dans leurs maisons,
etchercherent leurs femmes; mais celles-ci ne voulurent
pas les reconnaitre.
« Eh quoi I leur direnl-ils, n'avez-vous jamais cu do
maris?
— Vraiment si, repondirent-elles ; mais, depuis sept
Paysaii de la Currozc.
ans, nos maris sontmorlset enlcrres dans la Monlagne aux
Fees Verles. »
(> Le second dit a sa femme. « Je suis ton mari. » Mais
c'.h ne voulul pas le croire, parce qu'il avail une barbe
longuededouze pieds qu'ilavaitlnurnee aulourde son corps
clqui le rcndail enlieremenl mcconnaissablc. Alors il lui
dit : u Apporle-moi Ic rasoir qui est la-haul dans I'armoire
de cheue ; joins-y un morceau de savon. »
« II se rasa, pcigna ses cheveux. Quant il eut fiui, elle
vit quo c'elait bien son mari ; elle s'en rcjouit sincerement,
servit tout cc qii'elle avail de nicillcur a manger et a
boirc, mil le convert sur la InUe, puis ils s'assiront et
mangercnt Ires-con tents, I'un pres de I'aulre. Mais a peine
le mari eul-il mange sa derniere bouchce de pain, ([u'll
tomba morl.
« Le troisieme mineur habita jiendant une annce en-
liere, paisible cl content, avcc sa Icmmc ; mais, ,\ I'lieure
precise oil il clail rcvenu de la monlagne, une seule (co
reparul a la fenetre dans un rayon de soleil. Elle avail
des ailes, bien qu'elle eut conserve le corps dune an-
guillc.
« II faut nous en aller ensemble, leur dil-cile; Picii
420
acconiplit vos soiilinils a cause de voire piiHo. » Et ils s'cn
allerent dece monde ,i la fois.o
Ce singulicr et sauvage conte m'inlei-cssait siiigulierc-
menl, par le caractere d'iniagiiialioii sombre el naive qui
le disliu.quc. 11 clail parl'ailemeiit d'accord avcc la pliysio-
PUTITS VOYAGES
nomie severe et vigoureuse, fine et animec du contour,
ainsi iiu'avec le paysage qui nous enviioMuait. Tel est le
caractere conunun dc colte region qui comprcnd la Ilaule-
Loirc, la Correze, rArdeclie, le Canlal.
Le bcrceau de la Loijc est encore la parlic de la Franco
Paysan do rAnletlic.
la plus riulic eu mines dc fer, de cuivre, de plomb, d'e- I penline, d'ardoises, etc. Cesar conipte ces peuplos p.irnu
tain, d'acier, d'anlimoine, encarrieres de marbre, de ser- | ceux dont il eslimait le plus la valeur. Avcc moins d'occa-
Eavirons lio Mdillas.
fions de se signaler, ils ont conserve meme courage, meme
pinchaut |iour les combats. Ainsi que les peuples gucr-
riers, ils sont railleurs, (iirbulcnts, snsceptiblcs, amis Jes
plaisirsbruyants, do la dansc, de h course, dc la cliassc ;
SUR LESRIVIEBES DE FRANCE.
121
sobres etactifs, propres h la faligite ; ce penchant au metier
des amies n'a pas degenere sous Napoleon. D'autres illus-
Iralions ne leur ont pas manque. C'csl a ce roclier des Fees
que se rattache la vieille et nolde famille de Polignac.
L'histoirc lUteraire et politiipie gardera toujours, en depit
des agilalions et des partis, I'lionorable souvenir du car-
dinal Melchior de Polignac, ne au Puy, le H octobre 1601 .
11 fut sur le point de perir au berceau; sa nourrice I'a-
bandonna dans une cour oii il passa la nuit ; on I'y trouva
Ic lendemain sans nu'il lui fi'it arrive aucun accident. 11 fit
des etudes brillantes, d'abord aux Qualre-Nalions, et en-
suite au college d'llarcourt. Madame de Sevigne louait I'es-
prit et la douceur du jeune bommc ; il entama sa carriere
politique a Home, et I'amenitc, la droilure, la justesse de
son esprit, reconcilicrent le pape avec Louis XIV. II passa
ensuile en Pologne, oii il obtint la couronne pour le prince
de Conii, qui n'en profila point, le negocialeur habile fut
puni |iar I'exil de la maladresse du prince; employe dans
les conferences de Gerlruidenberg. il accomplit le traitc
d'Ulrecht et recut le chapeau de cardinal. Apres la mort de
Louis XIV, sa disgr.ice fut complete. Rnppole, en 1722, et
envoye ambassadeur a Rome, il fut nomme.en 1750, arcbe-
veque d'Aucb. II apparlient au dis-seplicme el au dix-liui-
ticme siecles qu'il honora tons deux. Les lellresreclament
son beau pocme latin, intitule : jln(i-£«crece , compose
pros de Marcigny, sur les bords de la Loire, dans celte si-
tuation cbarmante, oil le lleuve quitte ses rochers el baigne
un paysage dont le caractere s'adoucit. Ce poeme offre des
vers digues de Virgile, une admirable elegance et une refu-
tation, tanlot brillanle, (antut sublime, de cette doctrine
qui delruit la moralitc Immainc en attaquant Diea lui-
meme.
A quelques lieues du rocher de la voiite Polignac,
suivant le cours difficile de la Loire, nous n'avons point
perdu le spectacle de ce beau desordre de la nature, ter-
Marcigiiy.
en I rible effet des antiques et vastes ex|ilosions des volcans
qui, dans des siecles effaces du souvenir des bommes, ont
bouleverse le pays. Parlout des riunes de chateaux sur des
Montronil,
colosses de basaltes, d'immenses crateres, et parmi ces
geantsjetiis au hasard, un peuple iunombrable de pouzzo-
lanes, de cendres et de seories.
■ Si nous nous cloignons un moment du cours incertaiu,
faible el captif de la Loire, pour nous rapprocherdu Rhone,
le spectacle deviendra plus terrible encore. Ce Rhone, que
nous suivrons un jour, ficr de la liberie de son berceau,
sc livre a toutc rimpeluosilc de ses ondes sauvages; su-
W5
<2'2 TETITS VOYACES SUn I.ES niVlfcllES DE FRANHE
pcrbe do ropulonce qu'il rqurnl avcc le rnvnge sur ses
bords, il se prociiiile dans la mor, aprcs avoir vaincu loiis
Ics olislaclcs.
Jusqu'aRoanne lecaraclcresauvagedu paysse niainliont
en s'affaiblissant par dpgres; les rochers calcines dc. V'il-
lercsl, bien qu'environnes d'agrijablcs points de vnc qui
annoiiccnt la Touraine.parlent encore dtivleil incendie dos
Gaiiles; les torrcnis dccliirent les vallons; lo Itlionc les
engloulit dans ses llanos, e( sur les aliMm s dont la profon-
deur se derobe a la clarle dcs cicux, I'aiglc plane solitaire.
Villcrc^l.
C'est a Vcniay que Ics aspects deviennent rinnls, que
les bois el Ics plaincs commenccnl a sourire; mais a droile
et a gauche, surlout du cole du Rhone, vous trouvez des
paysagcs grandioses et lugubrcs.
Rochcmaure et le rochcr de Maillas, par cscnqilc, sent
d'anciens volcans sur Icsquels les liommcs n'nnt pas ciaint
de s'etablir. [.es mines de I'ancieu chateau dc llochc-
niaurc, confuscment cparses au milieu dcs dcbiis du vol-
I'frr.nv.
can, out quelque chose d'inipnsant ct de Icrrihlc; el les
vcsliges dc ce grand courroux de la nature se melcnl aux
traces de la puissante fcodalilc. A Rochemaurc, une grande
parlie des murs ou remparts soul d'un beau halsalc noir.
Presque tonics les maisons dcs parliculiers y sont adossecs
a des masses de laves, el onl pour perron et pour escalier
des colonucs basallit|ues. Tonics les forlilicatious du cha-
teau, lours, mur.iillcs, reniparls, sojil de mcnie maliere.
On est encore frajipe dc la grandeur dcs cours, dos salles
ct dcs apparlemenls, el de leur majeslc silencieuse. Ca el
la c|uelques peiulures .i fresques, bien conscrvces, des chil-
frcs et dcs ccussons, rappcllcnl uos guerres civlles el la
splendeur des Icmps ancieus.
In rochcr d'une elevation extreme, lout enlier de bal-
sale, scrl de donjon au chalean dc llocheniaure. On n'a
pu parvenir a sa sommile qu'en laillaul nn escalier avcc
beaucoup d'arl dans nne gercure de la lave. Lorsqu'on est
enfin parvenu sur cclle cinie aigue, on se Irouve sur la
lele clienue d'un rochcr isole de Ionics parts ; laille a pic
dans Ions les sens, il a au sud une ravine volcaniquc d'unc
profondcur cpouvautablc, mi roulc avcc Iracas nn torrent
impclucnx, succcssenr du (leuve de feu (pril a reniplace,
el offrant a I'ouesl une immense dccliirure picine de ccn-
dres, de scorics el de lerro noire et brulce. L'abime ef-
frayant que Ton appclle les balmes de Monlbrul, n'csl au-
tre chose qu'un cralerc. II est circulaire, de ccnl melres
i
BRITISH
T AUG -21)
NATURAL
HISTORY.
.//4/i
RICHELIEU
LES ILLUSTRES FRANCAIS.
12S
i pen pr^s de diamelre, siir cent solxantc de profondciir.
Une large oiivcrlure, au sud-ouesl, dunnail passaije d la
lave, rresijue loules les paiois en soiU laiUoes a |]icdans
(|iie!i|ues parlies, les ccndrcs, les laves li'ilurees; les sco-
ries, les cliarbons ont forme des masses qui rcsseniblent
ossez a des lours, a des bastions ou a d'aulres fragnienis do
forliOcalions. Dansbeaucoup d'endroils,de larijesercvasses
annoncent autant de bouches par les(piclles le feu s'esl
fraye un passage. Eh bien ! desbommes ont habile ces cre-
vasses, ils s'y sent taiUe des denieures; niais les liLou-
lemcnts occasionnespar les pliiics, les fontes de neigesqui,
fillrant a travers les maliercs calcinces, les deplacent, les
affaisseiit el les renversenl ii la longue, ont force I'liommo
a les abaudonner. 11 n'y reslail phis ijue deux families vers
1788; depuispeu d'annees elles .sc sent retirees. .
Mais la Loire, adoucie, s'avance vers des rives paisibles el
gmcieuses. Ilevenons a cc beau lleiive, qui peu a peu se de-
gage de ses langes sauvages, et qui, plus riant, traverse la
vieille ville de Roanne.
if.a suite d tin nnmrrn jtyncham.)
LES ILLUSTRES FRANCAIS.
X.S OABDINAI. DE RXCHEI,IEV,
et LE 13 SEPTEHIJIIE 1583, MOUT le 4 DtCEJlBRE 1612.
C^!^
^-^Ml/^'
u pense, nia bourse elanl laible. Uouncz-moi de bous con-
i< sells; vous m'obligerez fort, car je suis bien irresolu,
« |irincipalemenl pourun logis, apprehendantforl la quan-
I lite des meublcs qu'il faut; et dun autre cole, Icnanl
» de voire humcur, c'est-;i-dire clant un peu glorieux, je
0 voudrais bien, clant plus a mon aise, paraiire davan-
n tage. »
Jin 1612, le jeune cveque publia un livre de conlro-
verse, intitule : Les principaux points de la Foi eatho-
liquc, covtre Vccrit presenle au roi par les ministrcs de
Charciiton. Celle vignureuse altaque contre le proleslan-
lismc lui fil beaucoup d'honneur; aussi le clergele chargea-
Ilermau-Jean Duplcssis de ftlchelieu, el, sc-
ion d'aulres, Armand, issu d'une aiicicnnojace
noble duPoitou.naquit le 5 septembrc 1585,
dans le petit chateau de Richelieu. II litait lo
cadet d'une famille nombreuse el assez pauvre.
A vingt ans, se deslinanl aux amies, sous
!e nom du marquis de Chillon, il quilta Ic caslel
de ses peres. Son second frere, pourvu de I'e-
veche de Lucon, s'ctant fait charlreux, Herman
fut nomme a sa place. Fort assidu aux devoirs
de son ctat, il se distingua bienU'it parmi les
membres de son ordre, conime I'un des plus
eloquents et des plus habiles. La pauvrete de
son eveche etia mediocrite de sa situation I'af-
lligeaient sans le deconcerter; il etaitdeja am-
bilieux, orgueilleux, couragcux, ruse, patient.
« Je puis vous assurer, ecrivail-il a une dame
u (madame de Courges), quej'ai le plusvilain
« eveche de France, le plus crolle et le phis
« desagreable ; niais je vous laisse a penser
K quel est I'eveque ! II n'y a ici aucun lieu
« pour se promener, ni jardin, ni allee, ni
« quoique ce soil, de facon que j'ai ma niai-
(i son pour prison » 11 ne savail comment
se meubler, et ecrivail a la meme personne :
« Madame, je n'ai pas besoin de grande de-
t-il, en 1614, de porter la parole pour son ordre, aux
etats generaux qui venaicnt d'eire convoqucs.
« Les trois ordres altendaienl (ainsi s'esprime un COD-
« lemporain ) a la porte de la salle, presses cl pousses au
(' milieu des piques et des liallcbardes, pendant que plus
« de deux mille courlisans, muguels el muguelles, etune
CI infinite de gens de loules series avaienl pris les meil-
<i leures places. »
Cc fut au milieu de ce tumulle que se fit la presentation
des caliiers par Richelieu, evcque de Lucon. Sa harangue
dans laquelle les droits du clerge elaient puissammeni
soulenus, el rinlroduclion des ecclesiasliqucs au couseil
12i
LES ILLUSTRE
(Ju rol (5l.iit redamee, cut dii sucecs et k reiiic le compli-
niciUa. Ce fut le premier dcgre de sa fortune. II prit alors
gout aux mocurs de la cour et au scjour de Paris. Bien ac-
cucilliJe tons, niaisusautde sa jcuncssc et dcsa premiere
faveur avec pruJence, il se lia d'aljord avec un homme plus
spirituel que celebrc, et plus puissant que brillani, qui a
laissc pen de souvenirs dans I'histoire, et qui a remue bien
dcs affaires, I'lntendant Barbier.
On vantait la solidile d'argumcnlation et la faeonde per-
suasive de I'eveque de Lucun ; il s'elait dcja fail ad-
mettre comme premier aumonier dans la maison do la
rcine rcgnantc, et ee fut de lui que Ton fit clioix lorsqu'on
voulut raniener a la cour le prince de Condc, dont I'exil
volonlaire emiiarrassait la rcine ; il parlit et il reussit, non
sans peine. En 1616, on lui avait deja conlie plusieurs
missions difticilcs et delicatcs, mais suballernes ; de ccs
ncgociations cpineuscs, que le maitre desavoue si I'agcnt
ne reussit pas, et qui profitcnt peu a I'agent lui-mcmc
s'il reussit. II s'en etait tire a merveille. Ses conseils elaiei t
tour a tour hardis et sagaces, selon I'occasion et la ncces-
site ; on se trouvait loujours bien de les avoir suivis. A la
fin de I'annce 1016, il fut nonime secretaire d'Elat, el
garda son siege episcopal, ne voulant pas quitter le cer-
tain pour Uncertain, et connaissant toule la mobilite dcs
Glioses politiques. On critiqua liautement celtc confusion,
mais la cour passa outre. On avait besoin de liichclieu, et
Ton pressentait vaguement sa force. Dcs celte epoque il se
charjea dcs frais d'eloquence; el en fevricr1617, ce fut
lui qui se chargca de commenlcr et d'espliquer dans un
commentaire a part les mesures prises conlre les princes.
Le roi (disait Richelieu dans ce commentaire), « pro-
« teste devant Dieu el devant les hommes que rien ne
« lui met les armes a la main, si ce n'cst cellcs que
i( les princes out deja prises; qu'il les prend centre son
« gre, que ses larmes accompagneront le sang qu'on le
B forcera de repandre; et si, pour conserver la dignile
« de sa couronne, pour empechcr la dissipation de I'Elat
« el retablisseinent d'une tyrannic particulicredanschaque
« province, il se voit force do chatier ccs perlurbateurs, il
a ose se promettre quo Oieu favorisera ses justes armes.
« Pourquoi il convie tous ses sujcts a I'y aider ; les eccld-
K siasliqucs, en redoublaiitleursprieres et exhorialions; la
« noblesse, en le servant de son courage, les communautcs
« et le peuple, en gardant I'inviolable Ddelite dont ils ont
« fail prcuve dans ces derniers mouvements ; tous cnfin, en
« conspirant par tous moyens au repos de I'Etat, a la pros-
« peritede leur roi et a la grandeur de cetle monarchic. »
Bien qu'il servit les dcsseins de Concini, il previt la
mine du marechal d'Ancrc, toul-puissaiit a la cour, et dc-
lacha sa naissanle fortune de celte fortune en mines. Apros
la morl du marechal, luisant tele a I'orage, il est le seul
dcs Irois minislres disgracics qui osa se montrer dans celte
salle oii le roi, monte sur un billard, recevait les felici-
tations de ses genlilshomnics, apres avoir ordonne le
meurlre. Le roi, du haul dcson billard, lui parla aigrcment,
mais ne le cliassa pas. Richelieu alia tranquilleuient pour
cnlrerdans la salle oii se tcnaient les secretaires d'Elat;
on lui refusa la porle. Mais il avait ele si calmc pendant
Torage, qu'on eul beaucoup de meuagemenls pour lui.
II suivit la rcine rcleguee a Blois, et sa conduite fut ha-
bile; il se monlra devoue avec ardeur i la femnie per-
Eecutee, oheissant cnvers les vainqueurs, convenable et
digne cnvers les vaincus. II s'efl'asa devant le nouvcau
S PRANgAIS.
pouvoir, sans Insuller le pouvoir dcclui. Apres quaranto
jours passes dans I'cxil de Blois, il fut cloigne de la rcine
par ordrc de la cour, sans que son liabilele fut dcvcnuo
suspecle, et que lui-meme fcignit de se croire en butte a
des sou]ieons.
Retire dans son prieure, a cote de Mirabeau, il annonca
« qu'il allail desormais s'y cnfermer avec ses livres, et
« s'occupcr, sehin sa profession, a comhaltre I'heresie. »
En cffet, redevenu theolngicn, il prit en main les inlerets
de I'Eglise, et s'empara d'une querelle survenue cnlre les
minislres protcstanis de Charenton, et le P. Cernou.t,
confesseiir du roi. « Defcndre les principau.ii poinls de la
« I'oi catholique, c'elait, disail-il dans sa preface, un devoir
« d'evciiue, d'autant niieu.'! qu'il se trouvait alorsdans un pays
« de rcformcsoiiron triomphaitgrandcment decedebat.»
II deJiait au roi, DIs aine de I'Eglise, ce livre, severe
quant a la doclrinc, indulgent pour les pcrsonnes, o que
<t leroi ( ajoulait le prudent ministre ) dcvait essayer de
« convertir, non par force, mais par les voies Ics plus
« douccs, rexperieiice ayanl prouve que les rcniedes vio-
« lents ne faisaient qu'aigrir les maladies de I'cspril. »
Tout cela etail tres-habile ; et lorsque la reine mere se fut
cdiappee de Blois, ce fui encore Tcveque de Lucon que
Ton alia chercherdans sa retraite, et que Ton envoya pres
d'elle corame negociateur.
Apres la defaile d'Anne d'Aulriche et des princes, ccs
derniers le clioisireni de rouveau comme I'honime le |dus
capable de menager leurs intercls.
Mais il commencait a se faire trop eslimer; en vain le
chapcau de cardinal fut demande pour Richelieu par la
rcine , il fut refuse obslinemenl. Louis XIII, lui-meme, le
redoutait. « Wo me parlez pas de cet homme, disail-il un
« jour 4 sa mere. C'cst un ambitieux qui mangerait tout
u mon royaume. » La protection de Marie de Medicis le
rendait suspect ; on craignail I'amour du peuple qui s'elait
attache a elle et a ses fivnris depuis qu'elle etait malheu-
reuse; mais surtout on avait grand'peur de cet cveque
de Lucon, en qui « on reconnaissait, disent les memoires
<i de Richelieu lui-meme, quelque force de jugemcnt et
(I dont on apprehcndail resprit. » 11 conseillail a la rcine
de dissiper tous ccs ombrages a force de prudence et de
precautions; d'ccouter beaucoup, de parler pen, de se
conformer aux dcsirs du roi et d'atlendre. Cependaiit « on
« se tenait sur la reserve, on nc lui faisait voir que la J,
« monlre do la boutique, et elle n'enlrail pas au magasin, » j|
Grace a ces mesures de prudence, il oblint le chapeau en
1022 ; deux ans apres il renlra au conseil ; et comme ec-
clesinslique, il cut la premiere place. Cost la que com-
mence sa veritable vie.
A trente-huit ans, il etait dans toute la force de I'age, du
genie et de la volonte. C'etait alors un homme pale et mai-
grc, d'une taille haute, dont le visage ovale et tres-allonge
esprimait la fermcle, la gravite et la finesse. Des rides nom-
brcuscs sillonnaienl son front haul el superhe. Ses cheveux i
noirs et pendants, comme ceux de Napoleon, ct la louffe I
de barbe qui terininait son nicnton aign, cncadraienl avec
elegance une figure dont le trait principal etait la courbe
bardie de ce uez aquilin, qui semblait sculplee avec uo
burin de fer. Deux moustaches a I'espagnole surmonlaient
les contours severes de ses levres minces. Tous les con-
tcm])orains et tous les portraits atleslenl que sa presence
respirait la terreur ct la majeste. 11 marchait jiar elans,
avec une fierto saccadtie, souple, harJie et une vivaciui
LE LIVBE DELA SANTE.
125
iin|)alienle de rcsislancc. U parlait bien, brievemciU et
avcc nne neltele d'acicr ; mais il lui arrivait souvent do
deguiser sa pensco sous les fleurs de I'emphase caslil-
lannc, dont il oniail et surcliargeait a dessein son discours,
soil que la reclicrche du Ijoii ton et du style alors a la
mode remportat et le seJuisit, soit qu'il trouvdt com-
moJe de parler longtemps et cloquemment sans rlen
dire.
II se init alors en devoir d'achever une ceuvre triple :
rciliiire Ics prolcstants, abaisser rAulriehe espagnole et
reduire les orgueils fcodaux. Cc fut la sa tache, et il y
rcussit.
{La sidle au numero procliain.)
LE LIVRE DE LA SANTE,
AKECDOTES BIEDIC&LES, FAITS CT COHSEItS BELATIFS
a LA SANTXi Z)E L'BOOHSE.
OAnis rusucs poua tES ct&ssES owatfaES.
Lc pliilosophe qui, opres avoir medite sur le crime et
surscs causes iiombreuses, a rcconnu avec raison qu'on nc
pcut arrivcr a la suppression des vices qu'en detruisant une
a une les causes qui les ont fait naitre, suivra avec in-
tcret lc moHvemcnt qui s'opere a Edimbourg parmi la
clnsse oavriiirc, en faveur de laquelle on a etabli des bains
publics.
On a rcmarqui; que la maladie produit le crime de deux
nianieres differenles. D'abord elle enerve rhomme, lui
rend le travail penible, I'entraine vers des moyens plus
faciles, quoique coupables, de suflire a son existence. Le
second resultat est plus cruel encore; la maladie enleve,
a la lleur de lage, des parents vertueux, dont les enfanls
sc Irouvcnt ainsi lances dans le monde, prives de conscils
ct sans ressourcesd'aucun genre. Les prisons seremplissent
d'orphelins que les ravages de la maladie. et la perto de
Icurs protecleurs naturelsont precipites daus ces lieux.
Afin de prouvcr combien la proprete personnelle, com-
lince avcc d'autres causes, pent ctre favorable a lasante,
il suf(it de rappeler un seul fait :
Lorsquil y a quelques annees la fievre decima la classe
pauvre a lidimbourg el a Glascow, les prisonniers de ces
deux villes auxquels on prodigua, suivant la coulume eta-
blie, les soius les plus minutieux de proprete personnelle
echapporeut lous a la contagion generale.
IS SECRET DE VIVaE lONGTEBlPS.
_ llya plusicurs annees, ditunauteurallemandmoderne,
je lus dans les journaux, qu'un bomme etaitmort pres ile
nomc a r.ige de cent dix ans, quil n^avait jamais elc
maladc, et qu'il avail cte, pendant le cours d'une si longue
VIC, loujours de bonue liuineur el d'un heureus tcmpo-
ramcnt. J'ecrivis immediatement 4 Rome pour savoir si,
dans la maniere de vivre du vieil homme, il ne s'y trou-
vait pas quelque chose de particuiier qui lui eul procure
une vie si longue et si heureuse ; la reponse que je recus
etail ainsi concue :
ft Cel homme avail ete fori bienveillant ; il ne mangeait
et ne buvait que ce qui est nccessaire a I'existence, et ja-
mais au dela de ce que la nature exige. Des sa plus lendrc
enfance, il n'avait cesse de s'occuper.
Je pris note de cela dans un petit livre, oii j'ecrivais
generalement tout ce dont je desirais me souvenir. Je
reniarquai bicutot apres, dans un autre journal , qu'une
femme etail morte, pres de Slockliolm, a I'age de cent
quinze ans, et qu'elle avail vecu loujours heureuse, sans
cprouver aucune maladie. J'ecrivis immediatement a
Stockholm, afln d'apprendre quel etail le moyen luis en
usage par celte vieille femme, pour se conserver la sanle ;
voici, lecteur, quelle fut la reponse :
« Elle etail constamment propre, et avail I'habitude de
se laver tons les jours la figure, les pieds et les mains dans
I'eau froide. Aussi souvent que I'occasion I'exigeail, elle
pi-enait un bain ; elle ne buvait et ne mangeait aucuns mets
delicals ou sucres ; rarement preaait-elle du cafe, ou du
the, jamais de vin. »
Je pris note de cela dans men petit livre.
Quelque temps apres, je lus encore qu'un homme, pres
de Saint-Pelersbourg, avail loujours jouid'une bonne sanle
jusqu'a I'age de cent vingt ans. Je pris de nouveau ma
plume, el ecrivis a Saint-Pelersbourg ; voici quelle fut la
rejionse :
« II se levait de grand matin, et ne dormait pas plus dc
sept heures; il ne fut jamais paresseux; il travaillail et
s'occupait principalemcnt en plein air, et particulierement
dans son jardin. Soit qu'il marchat ou qu'il fill assis, il
nese lenait jamais de Iravers, ou dans une posture incli-
noe, mais loujours parfaitement droit, et dedaignail sou-
verainemenl les habitudes de luxe efferaine de ses com-
patrioles. »
Apres avoir lu et mis cela en note dans mon petit livre,
je me dis a mni-meme : « Vous seriez bien fou, vraiment,
(le nc pas profiler de ces exemples. »
J'ecrivis done tout ce que je savais de ces heureux vieil-
lards sur une carle que j'atlachai a mon pupilre a ecrire,
afin que, I'ayant constamment devanl les yeux, elle put rap-
peler a mon esprit ce que je devais faire, et ce dont je de-
vais m'abslcnir. Chaque jour, le matin et le soir, jc lis le
contenu de ma carte, et me confonne entierement aux
regies qu'elle prescrit.
Je puis a present vous assurer, mes chers el jeunes lec-
leurs, sur la parole d'un honneie homme, que je suis beau-
coup plus heureux, el que je jouis d'une bien meilleure
sanle depuis que j'^i adopte ces maximes. Autrefois j'avais
mal a la tele presque chaque jour, et, a present, j'en souf-
fre a peine une fois dans trois ou quatre mois. Avant d'a-
dopler celte regie de conduile, jc ne m'avenlurais que dif-
Dcilcment a la pluie el a la neige sans attraper du froid.
Dans les premiers temps, une promenade d'une demi-heure
me fatiguait jusqu'a I'epuisemenl; a present, plusieurs
milles de marclie ne me causent pas la moindre faiblesse. »
126
PI;TITES MOriALES.
PETITES MORALES.
CAUNET DUN VIEUX CURE.
Maximrs ilc cliaqiie jnur. — Lo fcr.
Vers (lu Pcrsjii tl.ilU. — La iilus aiu'ieiitie tics horlogcs.
IJii couvent en Algoric.
— Lc caQiL'icoii. — La pCche des perles, etc., elc.
MAXIMES DE CBAQUi: JOVB.
Perseverez contrc le decouragemcnl. — Conscrvcz votre
calnie. — Employez vos loisirs a I'c'ludc, ct loujours ayoz
quilque ouvragc en main. — Soycz poncluel cl mothodiiiue
en affaires, el ne tcmporiscz jamais. — Ne soycz jamais
|ircssi.'. — Que vos convictions ne cedent point a I'ar-
i;imienIalion d'aulrui. — Soyez matinal, cl sachcz cco-
nomiser lc temps. — Sachcz conserver voire propre di-
gnile sans avoir I'apparcnce de rorgueil ; les manieres
Eont (luclque cliose pour lout le monde, cl pour ()uel([ues-
uns elles sonl tout. — Soyez reserve dans vos discours,
atlenlif cl lent a parlor. — N'acquiescez jamais au.'i ojii-
iiions immorales ou pernicicuses. — Ne soycz pas prompt
ii dcJuirc vos raisuns a ceux qui n'ont pas le droit de vous
inlcn ogci'. — En fail de conduite, croycz qu'il n'y a ricn
qui soit sans importance ou qui soil indifferent. — Donnez
des exemplcs |iliit6t que d'en recevoir. — Soyez slrictemenl
sobrc, et dans toulcs vos actions souvenez-vous que vous
aurcz a rcndrc un coniple dclinitif.
(Saijt BonnoMEE.)
IB FEB.
L'hisloire des migrations du genre humain aux siecles
liarjjares nous apprend que les Iribus guerricrcs venues
do I'inlcricur de I'Asie pour envaliir les contrces d'Europc
sc rnaicnt de preference sur la Suede a cause de la richcssc
des mines. Ce pays etait le scul, en effet, qui renfcrmal
a la surface de la terre le fer et le cuivre pour la con-
feclion des amies ct des nsleiisilcs ; on les recucillail an
moycn des procedes les plus simples. Get avantage naturel
devait iiccessairement faire de la Suede le point de rallie-
mciit ]iour les populations asialiques qui se pressaient vers
I'Europe.
Lcur pays ne produisant qu'une petite quantite dome,
laux utiles qu'il fallait se procurer a grand'peine, la Suedo
ctait pour ces larbarcs le Mcxique, le Perou, ou plulot un
arsenal d'oii ils tiraicnt leurs arnics avant de se diriger sur
rAllciiiagnc. Celtecirconslance expliquc pourquoi on s'est
loujours ligure que cclte multitude de Gotlis s'est elancce de
la Scandinavie sur I'Europe. De la oussi nous vieni sans doute
cctte tradition absurdc sur Odin, qui aurait envabi ce pays
ct s'y serail elaWi, le preferanl aux climals plus doux et
plus agreables des contrees du sud de la Baltiquc. La meme
cause a favorisele commerce que I'liistoire nous dit avoir
cxiste enlre Novogorod et la Suede aux temps les plus re-
cules, alors que Wisby, danslilc dc Gotland, servail d'en-
trepot ou de rendez-vous pour I'ccliauge des produits. On
aura une idee du prix qu'attacliait uiie ancienue population
giierrierc a un Icl avantage, si Ton se donne la peine decal-
culcr la quantite de fer ct de cuivre cmpioyee dans les ar-
nies a cette 6po(|ue. Nous nc pouvors conpfcp nioins d'une
once de fer par cliaqiie pointe de llucbc, puisquc les arcbc;s
modernes la font peser une once ct dcniie. Un soldat nc
pouvait guere se risqncr surle cbanip Je balailie sans t'tro
pourvu an moins de quatre paquets de lleclies, dont clin-
que encontcnait vingt-quatre, elne servail pas au deladc
douze minutes : mais dans une balailie ordinaire de trois
ou quatre hcures, admettant que bon nombre de Heches
pussenl ctre raniassees cl resservir, il faul en compter
quatre-vingt-seize par hommc. Ainsi les pointes de Heches
seules, destinees a un corps de quatre mille soldats, de-
vaient avoir le poids de quatorze lonneaux.
Les Romains, autrefois, preferaient les lances el les ja-
vclols aiix Heches; cbacune des pointes pesail environ
six onces. Chaque hommc en avail sans doule au moins
deux, ce qui produil lc poids de deux lonneaux de plus
par quatre mille soldats. (luanl aux cpccs, aux hachcs, aux
hallebardcs, aux lances nuarmures defensives, telles que les
casques, dont ils etaicnl tons revetus, sans compter les coltes
deniaillesou I'armure complete porlee parun grand nom-
bre, il est bon d'observer que rien de lout ccia n'cchappail
aux vainqueurs; rarmcecn derouto abandonnaitses morts
cl scs blesses, et s'occupait cnsuite a reparer ses pcrtcs.
Toutce fer, loulce bronze, transporte surle champ de ba-
lailie, rendaitles combats difficdes; aussi lapremicrc action
elail-clle presque loujours decisive.
Une defaite ne pouvait se reparer avcc les memes sol-
dats, les vaincus ayanl perdu loutes leurs arrties. Nous
comprenons mainlcnant rimporlance de la Suede pour les
gens de I'armce envahissante des Goths. Jamais la Scandi-
navie n'a pu nourrir plus d'habilants qu'cllc n'en possede
aujourd'hui, elle n'aurait jamais pu cnfanler ces multitudes
loujours renaissantes qu'on a crues venir du Nord, pousseos
vers I'empire romain.
{Diario di iUlano.)
VERS OU PERSAN HAFIZ. ,
Bannissezde voire snciete rapporteurs el calomniatcurs;
CO sont eux qui soufllent le feu infernal qui doit exciter
les flammes de la rage furieusc, en abusaul de votre cre-
dulile, puis do votre patience; lc tout pcut-etrc pour
etablir un mensonge. Ne vous enquerez point des affaires
d'aulrui, ni dc ce qucl'on a dit de vous-menie, ni des mal-
cntenJns de vos amis; tout ceci ne tend a autre but que
de trouver raliment d'un feu qui dcvorera voire proprc '
demeure.
I.A FI.ITS AlffCIENNE DES HORLOGES.
Les peuples de rOriont mcsurcnl le temps par la lon-
gueur de leur ombre. Si vous dcniandez a quclcpi'un
quelle heure il est, il .so placera au soleil, se liendra de-
bout, el, regardant oil so lermine son ombre, il mesu-
rcra avcc ses picds la longueur, et vous dira I'heure a
]icu de chose jircs. Les ouvriers dosircnt beauconp voir
apparaitre roinbre qui leur indique le moment oii ils
doivcnl quitter leur ouvrage. Celni qui vent quitter son
travail dit : « Combicn mon ombre est lento a venir I
PETITES MORALES
— Pourqiioi n'elcs-vous pas vcnii plus lot? — Tarce que
j'attenaais mon ombre. » Dans le seplieme chapiU-cdc Job
nous Irouvons : « Tel qii'un oiivrier dusirc voir arriver son
ombre. » (Roberts's llluslralions.)
127
X.A MEIUEUBX FILUI.E.
L'csperance ranime le courage, qui vaul micux que
toulcs les pilules medicale.s. Renoncerau conilial dc lavie,
quelle faiblessc ! Cehii qui pent faire renailrc le courage
ilans rnme liumaine est le meiUeiir medccin.
Damabb.
VN CODVENT EN AIGEKIE.
Les It'gislateurs modernes, souvent mus par des idces
honorablcs, souvent livrcs aux espcranrcs d'uiie |ibilaiilliro-
pie insuffisante et impuissanle, sonl forces de revenir, dans
la pralique, aux idees et aux instilulions clireiicnncs qui
se trouvent elrc, en definitive, les plus ulilcs et les plus
pralicablcs de loules.
On se plaignait depuis longlenips du petit nombre de
fcmmes qui se trouvent en Algeric, ctPon prolendail, avec
raison, que c'est un des obstacles quis'opposciitau|)rngrcs
de la colonisation. A I'imilation de lloniulus, nos philo-
sophes, legislateurs, administrateurs, ne liennent pas compte
des faibles dans leurs projets. II leur faut des cultiva-
teurs, des macons, des soldals ; leur pensec ne va pas au
dela ; ils ne s'apercoivent pas qu'une societe toutc livrce
au regne de la force, et sans sympathies domestiques, sans
famille, est sans espoir d'avenir, el par consequent sans
existence.
LEcho d'Oran, dans son numero du i Janvier, propose
d'etablir a Alger, Oran, Bone, Pliilippcville, etc., uno
maison destincc a rccevoir les fillcs de qualorze ans parmi
les enfants trouvecs des grandes viUes de France.
II Dans ces maisons, dirigees par une communaute reli-
gicusc, on continuerait a apprendre a ces jeunesflllesa
lire, ecrirc, coudre, faire le menage, un peu de cuisine,
cnBn tout ce qui peul elre utile dc connailrc pour une
femme sans fortune, ne vivant que du travail de scs
mains.
« Ces maisons scraient elablies en dehors des villes, de
manicre a pouvoir y joindre une petite ferme, dont le pro-
duit reviendrait a rctablissemeni, et oii les jeunes cloves
apprendraientii soignerlesvolailles, traire les vachcs, faire
dti beurre, du fromage, etc.
« Les plus robustcs seraient employees, autant que pos-
sible, a la culture el au jardinage.
« Quand des colons, deja etablis en Algerie, desculliva-
Icurs, des artisans voudraient se niarier, ils feraicnt la dc-
mande d'une de ces fiUes : moyennant des ccrlificats con-
statantla moralile die bon etablissementde ces indiviJus,
on leur donnerail en mariage la fdle demandee, a laquelle
le gouvernement remetlrail une dot de 600 fr., non en
argent, mais en un trousseau pour femme et en linge dc
menage.
« Ces filles, clevees religieusement et laborieusemcnt,
devicndraient de bonnes meres de famille, qui seraient la
souche d'une excellcnte generation. »
Cclle idee el ces tendances nous paraissent cxcel'.entes ;
et combien de jeunes ouvriercs sans ouvrage , exposees
dans nos grandes villes aux privations de la misere, a scs
tentalions elan vice quicouronne cclle misere el I'aggrave,
Irouveraicnl dans un asile de cc genre un espoir de vie
heurcuse et chretienne 1 Pcux couvcnis nous sembloraicnl
nccessaircs, I'un pour les peliles orphclincs. I'autre pour
les jeunes lilies de douze a quinze ans .'-ans ressources,
qu'une education calholique preservorait ou guerirail de
toute souillure.
ORIGINE SES BBOnxiXARDS.
On se fait en general une idee fausse du brouillard que
nous voyons planer au-dcssus des prairies basses et sur
les bords de I'eau ; on est persuade qu'il esl ascendant.
Voici d'oii vienl I'erreur : apres I'avoir observe dans les
bas-fonds, on levoits'cleveramesure que le froid dela nuit
augmenle ; cependant il est prouve que I'humidite n'est
pas ascendante, mais que la temperature froide de ces
lieux est la cause premiere de la condensation de la vapeur.
Jl'abord invisible, a mesure que la nuit avancc, cllo
s'eleve davantage. Une grande portion de celle vapeur al-
leint les plus hautcs regions de Patmosphere el soffre a
nos ycux sous la forme de nuages ; mais quand le froid Ic;
a rendus plus compactes, ils se rapprocheiit de la lerre jus-
qu'a ce qu'enfin, completementprivcs de cbaleur, ils toni-
bent en pluie pour se reproduire sans cesse de la memo
maniere.
I.X CAMELEOH.
On a dit que le cameleon vivait d'air; il a besoin d'un
regime plus subslanliel. Voici peul-ulre I'originc dc ce
conte absurde. Les poumons de cot animal sont Ires-volu-
mineux et peuvcnt .se rcniplir d'air de telle sorle que Ic
cameleon se gonfle al'exces, et resle dans cot clat pendant
des heurcs entieres, sans donnersigne de vie. Quand Pair
s'est cpuise, les cotes de I'animal rcntrent, il reprend sa
clielive apparence jusqu'a ce que les poumons soient bour-
soullcs do nouveau el reproduisent en lui les mcmes cffets.
Certains prolongcmenls de ces poumons penelrenl les nom-
breuses cellules qui divisent la cavilc de I'abdomen, tandis
que d'autres se glisscnt sous la peau enlre les muscles et
s'y rattacbent seulement par des membranes llasques, ,sur-
lout a I'epine du dos, au ccnire des parlies inlerieurcsainsi
qu'aux membreselala queue. Ainsi, chezcet animal bizarre,
ce n'est pas I'eslomac, ce sont les poumons qui accaparent
Pair.
IE X.AIT SE CBEVBE EK ESPACNE.
Nous bumes peu de vin, mais, en revanche, beaucoup
de lait de clievre; c'csl le meilleur qu'on puisse trouvir.
J'en ignore la cause, a moins de rallribuer a la verlu des
planles que les chevres broulenl en cclle saison. Kous fai-
sions une telle consonimalion de ce lail, que les gens du
pays s'etonnaient du nombre de pinles que nous deman-
dions. A Pedroso, les reglements nous forcaienl a le faire
venir de loin, les chevres etanl amcnees dans certains
endroils pour suppleer a nos besoins, mais on ne leur
permeltait ni de s'ccarlcrdu chemin, ui de broulcr sur les
terrcs.
( Excursions d'un Fran((tis.)
128 PETITES
£A PfiCBE SZS FXHXES.
Nous voyons une imiUitudc de gens se tanccr dans des
voies perilleuses, ciUraiiies par I'uniquc espoir dc sc pro-
curer des objcls auxquds les homines atluchcnt du prix ;
mais rindustrie dent je veux parler excite bien davaiUage
retonnomenl. Qui lie connait les perles, ces blanches ct
niagnifiqiics substances dont on fail des colliers, des bouclcs
d'oreillcs el lant d'autres ornemenis? Comment savoir,
n mnins qu'on no nous Tail expliquc, d'oii viciinenl ccs
objets elegants, si admires, et cequ'ilssont en realitc?
Auricz-vous jamais deviiic qu'on les ti'ouve dansl'Ocaille
d'une luiltre? (luclques rivieres d'Anglclerrc rcnfcnnent
des molliisqucs qui produisent des perles ; mais c'cst une
espccc d'luiilrc dans les mers des hides qui I'ournitles
plus lic'.les, inogalcscependant, memedansces parages.
On croit qucccs perles sonlcauseesparune certaiiicma-
ladie de I'animal. On pretend que si Ton inlroJuisail .i
travel's I'ecaiUed'une luiitrevivante un morceaude fil Je
fcrbion pointu, de maniere a eflleurer la chair sans tuer
I'huili-e, et qu'on la replacat dans la nier, on trouverail,
pen de temps aprcs, une peile formee au bout de ce, fil
dc fcr.
Les pechcurs se procurent les huUres en plongeant
dans la mer. llsse dirigenl plusieursa la fois en bateau
vers un endroit oii I'eau est profonde. Quelques-uiis
plongent au fond, et ramasscnlavec toule la prompti-
tude possible les huitres, qu'ils mcllent dans un s^c
pendu aleur ceinture; quand la respiration leurdevient
absolument necessaire, ilslancentau-dessus de I'eau une
cordc altachee autour de leur corps, cordedonl les gens
du bateau s'emparent pour les retirer. Us se reposent
tandis que d'autres les remplacent, et aiiisi de suite pen-
dantla journceentiere. Comme ilscrail, non-sculemcnt
trcs-ennuycux, mais aussi trcs-long d'ouvrir les huitres
une ii une, on les jelle toutes ensemble dansun trou oii
dies ue tardenl pas a sc corrompre. Les ecailles s'ou-
vient alors d'elles-mcmes ; on les rccueille, on les lave,
pour les examiner. Quand ellcs sont toutes rejetees, on
netloie aussi la maliere corrompue qu'on visite soigneu-
scmcnt, car les plus belles perles s'echappcnt quelqucfois
des ecailles avant d'avoir etc exploitces.
Ce metier est en meme temps pcnible ct dangereux. L'o-
deur provenant de toule cello maliere corrompue est a la
fois dosagreable et trcs-malsaine. Souvcnl il arrive que de
gros et voraces poissons, tels cpie les requins, rodent aulour
de ccs lieux, ct s'emparent des inlorluues plougeurs ; aloi-s
memc qu'ils cchappenta la dent de ccs monstrcs, ils men
rent ordinairemcnt dc bonne licure, a la suite des efforts
qu'ils ont fails pour relcnir leur respiration.
A peine sont-ils hors de I'eau, que le sang jaiUil dc leur
nez, de leur bouche et de leurs oreilles. Quand vons ad-
mirerez la beaute d'une pcrle, songez aux perils qu'ont af-
fronles ces pauvres gens pour nous les procurer ; car, apres
lout, c'est un objel inutile dont la bcaulii fait seule le prix.
Ce qu'on appelle nacre de perle, dont on fait les bnu ■
tons de chemises, les inanches de coiUeaux el autres peliis
articles, est la substance interieure de I'ccaille de I'luiilre
a perle, ct de celle de plusieurs autres especes d'ccaillcs ;
I'extcrieur, qui en est rude el solide, sc limejusqu'a I'ap-
parilion de la nacre, qui est d'une transparence magiiili-
que et rellele la lumiere sous les plus briUanles coulcurs.
MORALES.
On apporte cliaquc annee, en Europe, une grande quan-
lile de ces coquillages
Les Chinois sont plus habiles que nous a fabriquer de
petils objets avcc celle substance. Ils leurdonneiil un fini,
une beaute que nous ne pouvons atleindrc. L'inleriour do
plusieurs especes de coquilles bivalves, c'esl-a-dire doubles
et a charnieres, offre celle meme apparencc nacn'e, et il y
en a une, en particulier, les oreilles de mer, qui resnlcn-
i dissent d'eclat et de beaute.
A HOS C0BBEBF0NDANT3.
A M. E. D. L. F , Sgt de neufans. — LVimour tic I'inslruc.lion iiiani-
fcsiii (Inns sa IcUre, cl ccuc k'ttro aiiiopraphe
qu'il nous fail riionneur de nous ailrcsser, nous
ini^rcssenl vivenienl. Ponr rciurer ou comi^cnsci" .
la bitche faile a sa jeunc bourse par rerrcnrdnnt '
il sc plaint, nous le prions d'agner, joint ^ son
journal, IVxeniplairc d'un livie public pav nutrc.
librairie, cl orne d'cslampcs.
A mons,.. lev. dc... — Tics-lourUos dc son encouragement palernel,
nous proiilorons dc scs uliles ronseils, et persevc-
rcriuis dans la voie indiqucc.
A M. I.. C, D. T. — PoiMue agreable, luais sans la nioindrc inslruc-
lioii pour la jcuncsse.
A M" L. n. D. E. M. — La Visile ii mi pocte modane, acceptfc,
A W. R. — Le lioi solncivi, relusti.
-H^'
- rj-pot:raphio ilA. Hem. ct Coniii.. ruo lii! .'riiic. 32.
LE
LIVRE DES FAMILIES
H* 5.— I" Tolume.
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
i." ISars 1845.
LE MOIS DIJ JEUNE CHRETIEN.
I.A SEBHAINE 8AINTE.
Lcs [iliis hauls myslcres Ju clu-islianisme se resunient
Jans celtc coui'te pcrioile dc hull jours. Lc premier el Ic
dernier relrnccnt les Uioniphes Je rilomnic-Dieu ; niais
de quelle soniljrc ct juslc Irislosse sonl cmpreinls les jours
ialcrniediaircs! An dimauclic des Ramcaux, Jesus enlrc
dans Jerusalem comme un moMan|ue dans sa capilale,
ails acclamalinns d'un |icnple i|ui, dans son ardent cn-
Ihousiasme, jonche Je llcurs le clicmin que parcourl cc roi
dc Sion. Au jour Je Paqucs, c'esl un vainqucur qui sort
dc la lombc ct qui dil a la morl : Oil est Ion aiguillon ?
Mais au vendredi saint, je ne vois que des fuucis, des
cpiiiis, une croix ct une terrible agunie. L'l'glise a con-
sacro par des anniversairesles scenes si frappanles Je cello
panic de I'liisloire cvangelique, el a donnc le nom dc
sainic i la seii.aine chargee d'en perpeluer lc souvenir.
Oil ! qu'iin si heau nom lui sicd hion !
Elle s'onvre par le dimanclie des Palmes. En ce jour,
pourrappeler rcnlree Irioniplianle de Jesus-Clirisl dans la
ville dc Jerusalem , il se fait une procession oil Ton porlc
des ranicau.^ Iienils avaiit la cercmonie. Au relour, les
portes de I'eglise sonl fermees. Le celebrant lcs fiajipe a
trois reprises : uPrinces, ouvrez ; porles abaissecs, soulevez-
« vous, et le roi de gloire enlrcra. » La panic du clitcur
qui est dans I'inlcricur demande ; « Quel est ce roi de
ic gloire? » el le cclcbranl repliquc : « C'est lc Seigneur
« furl el puissant dans lecomlial.nTrois fois meme demande
el mi'iiie reponse. Enfin lcs porles s'ouvrcnt. Jlais avanl ce
myslericiix ceremonial, les Jeux clirenrsont cbanle aller-
iialivemenl la fameuse hymno Gloria, laus el honor. L'ori-
1,'inc dc celle liyinnc est digne d'etre notee. TlieoJu'phe,
evi'quc d'Orleans, clait accuse d'avoir |iris part a une con-
spiration conlre Louis lc liebonnairc. II fut mis en prison
a Angers. Au moment oil cet empcrcur, assistant a la pro-
cession des namcaux qui sc faisail en celle ville, passa
47
150
LES SAINTS
sons Ics fem'trcs de la |irisoii, Tlicoiliiliihe cnlonna son
liyninc qui pint si foil a Lniiis, qu'il fil inctire rev()queen
liberie el lui rcsliliia son siege. Pepiiis ce Icmps, on a
clianlc riiymne de Tlicoilidphe an moment on la proces-
sion va lenlrer dans liigllse.
En Rnssic, la procession des Rameaux csllicanconpplus
dramaliqno, s'il est permis d'employer ce dernier Icrme,
en parlani d'nne ceremonie calliolique. Uii chariot porle
un grand arbrc charge de pomnies, de figncs et de raisins.
(Jualrc enfanls veins de surplis chanlenl Hosanna sur le
nicniechar. VicnnenI a la suite des prelres et dcs levitcs,
ainsi qne Ics principanx hahilants tenant iles palnies. En-
On lo palriarche, monte snr un anc et convert dcs plus
riches ornemenis, rcprcsenle Kolre-Scigiieur. 11 est envi-
ronne de ihuriferairesqui rencenseni, cl a la suite se de-
ploienl encore de nomhreuses files. A mesure que le pa-
lriarche avance, on ctcnd sous Ics picds de sa monturc
plusieurs pieces de drap pour ligurer les velcmenls dont
le penple juif la|iissail le cliemin que Jesus-Chrisl parcou-
rait dans son triomplie.
A la procession Inillanle, succede line messe donl I'e-
vangile n'esl autre que le recil de la passion du Sauveur.
On commence alors le deuil religieux dans lequel I'Eglise
.■jcra plongee jusqu'au jour de Paques.
A (later du niercredi saint, on chanle I'office dil des le-
nchrcs. La, se chanlenl sur un Ion Ingubre les lamenln-
lions du prophele Jercmie. A la fin des laudcs, tout lumi-
nairc disparait pour rememorer I'eclipse passagere du so-
ldi de justice INotre-Seigneur Jesus-Christ mouranl pour
notre snlut. En cerlaines conlrees, les enliinls out des cre-
ccllcs hruyanles qu'ils ngilent a la fin de eel office ponr
rcpresenter le Iremhlcmenl de terre qui cut lieu quand le
divin Sauveur expira.
Le jendi saint est fecond en ceremonies qui sont toules
dun inlerct emincmmenl religieux. La messe reproduil la
mcmoire de cette immortelle scene on Jcsus-ChrisI, en-
loure de ses apolres, inslitua le sacrcment dc reucharistic
cl de I'auguste sacrifice dc nos autels. En ce jour, I'cveqnc
consacre les huiles sainles pour I'adminislralion du hap-
tcnie, de la confirmation, de rexlreine-onction et dc
I'ordre ; le soir, on fail le lavementdes pieds aux pauvres.
A Rome, le pape lave les pieds a treize prelres de diverscs
nations, puis, ccinl d'un linge, il les serl a table, et leur
distribue une somme d'argenl. Tourquoi done, nous dira-
l-on, treize pauvres cl non pas douze, car les apolres n'c-
laient que ce dernier nomhre? On raconle que saint Gre-
gnire le Grand, faisanl diner douze pauvres auxquels 11
avail lave les jiicds, en apercut un Ireizicme, el que celui-
ci n'elait autre qu'un ange rcvelu de la forme humaine.
Ce prodige est cxprime par le distique suivant :
Bissenos hie Gregorius pnscebat cfjentcs ^
AiKjelus ct dccimus lerlius uccubuil.
« Gregoire faisait manger ici douze pauvres, qiiand un
(I ange vinlse placer a table clcompla pour le Ireizicme. »
Telle est I'inscriplinn qui se lit dans I'eglisc de Saint-Grc-
goire, balic a Ivome sur rcm]ilacementde la maison de cc
grand pape. ^'ns rois de France obscrvaicnl le nieme ce-
remonial, et Ics I'cincs en faisaieni aulant a douze pauvres
lilies. Cela n'est-il pas plus Inuchant que les saturnales
paicnnes oil les mailrcs servaienl a table Icurs esclaves,
lesquels, dcs le lendemain, redevenaienl un pen moinscpie
leurs beles de sommc?
1,'aiilcl sur lequel a etc celebree la messe de ce jour
elant aussilol deponillL',la sainle hostie, consacrce pourle
lendemain, est portee dans un reposoir oil les fideles s'em-
pi'csscnl de lui vcnirrendie un culle plus solennel. Lesoir
deccjour, principalemcnt, un brillanlluminaire entoure le
vase dans |e(|uel I'lioslie consacreo repose au milieu de
relic chapelle splendidoment decoree. On y chanle dcs
motels et surlout le Stahat. La null meme ne ralenlil pas
la ferveur, et un assez grand nombre de fideles la passent
lout enlicre en adoration devant rcucliarislie. Jesus-
Chrisl, en celle unit rameusc, avail dil ii ses apolres cn-
dorinis, pendant qu'il etail plongc dans unemorlelle ago-
nic : « Vous n'avcz done pu veiller une seule heure avec
« moi I » El voici que de pieuM Chretiens dedommagent en
quelque sorle, dans celle nuit commemorative, leur divin
mailrc dc ce laclie abandon.
rdais quelle lugubrc solennilc se prepare ! le vcndredi
saint est le memorial de la morl du divin reparatcur. Tout
va se mcttro en harmonic avec celle commeinoralioii du
plus loHchant myslere du christianisme. L'aulel est dc-
ponillc de .sa parure, les cierges sont eleints, les ministrcs
soul veins d'orncments noirs, les cloches reslent dans le
silence depuis la messe du jeudi saint, le saint sacrifice
lui-menie est suspendu ; nne ceremonie dile la messe dcs
presanctifies, oil la viclime n'csl pas offorle, lienl la placedu
sacrifice proprcmenl dil. Dans une longuc suite d'oraisons,
I'Eglise pric pour Ions les besoins; ses enncmis nieme.
Ids que les juifs, les iuQdelcs, les hcreliques, devienncnt
robjct de sa Icndre sollicilude. Chaque oraison est precc-
dee de rinvilalion ii llechir les genoux, (lictamns genua;
mais au moment oil le celebrant va chanter I'oraison pour
les juifs, le diaerc n'a garde de reciter son invilalion.
L'Eglise se rappcUe que cctle nation di'icide llechissail
aussi les genoux, par derision, devant le Sauveur devcnu
robjet de ses sarcasmcs ct de ses outrages. Puis vienl I'his-
toire de la passion de Jesus-Chrisl, telle que la rapporto
I'evangelisle saint Jean. Ensuilc on quitte I'autel. La croi\",
reprcseiitant Jesus-Christ en ctat de crucifixion, est res-
pectuensemcnt portee en procession. Un voile la dcrobc
aux regards. Le chfcur, sur un chant fnncbre, chanle les
impnpcrcs, ou tendres reprochcs que Dieu adressail au
penple ingrat dTsracl : « Mon penple, que I'ai-je fail? en
« cpioi I'ai-je contriste? je t'ai comble de bienfaits, et lu
« m'oublies, et tu me mallrailes I Reponds. Je t'ai arrachu
« a la dure tyrannic dcs Egyptiens, et tu m'en rcmcrcics
II par la plus cruelle des morts! n Etun autre choDur no
pcul repondre que par un cri qui implore la niisericorde.
0 llieu saint, Dieu lort, Dicuinimorlel, ayezpitie denous! » ,
La croix est posec sur les marches de l'aulel, on la dc-
couvre et Ton s'ecrie : « Voici le bois de la croix sur lequel
« fill attache celui qui a sauve le monde. » Lc clcrgc se
prostorne etva respecUieuscment baiser ce signe liberalcur.
C'cstce qu'on nomme I'adoralion dc la croix. Mais cc n'est
point ici lc vrai culle de Laliic ipii n'csl dii qu'ii Dieu
seiil. Ce baisement de la croix monle plus haul et s'adrcsso
mcnlalement ii Jcsiis-Christ lui-meme.
Enlin I'hoslie consacree va cire retiree du reposoir. On
la rapporle solenneliemcnt ii I'lulel. Lc celebrant s'en com-
niunie apres quelqucs prieres, aprcs I'avoir monlree an
pciiplc pour la lui faire rcellcmcut adorer. Les cierges
(pi'on avail alhimcs pour transporter la sainle cucharislie
en cclte messe dcs pri'mnclifies sont encore ciclnts, ct la
1 ci'renionic se terniine par la rccilalion des vepres sans
DU MOIS.
15t
chanl. Celle rapide esquisse du ceicmoninl dii vfndrcJi
saint n'eii |ieiit riiurnir (|ii'une (rcs-laible idoe. Ilcureux le
clirelien qui va dans Ic saint temple s'associcr nnx salu-
taires rites de ce jour, y poite un cocur lidele et en sort
penetie d'une reconnaissance active pour la lendresse de
THomme - Dieu qui s'est livre pour I'espiatlon de nos
crimes I
Le samcdi saint se prcscnle sous un aspect moins triste.
Les autels recouvrent leur parure. C'est I'aurore de la
joyeuse pa(|ue des chrciions. On benit le feu nouvcau.
Le diaere, revelu d'une daImotii|ue Llanclie, enlonne le
I'rwconutm. C'est la benediction du cicrge pascal, o Que
« la troupe angt'lii|ue des cieux tressaille d'allegrcsse '. que
« nos saints mysteres soient environnes d'un pieux trioni-
« phe I que la trompette sacrce annonce la vicloiro du
(I grand roi ! que la terre soit dans la jubilation en voyant
« rcsplendir la lumiere si brilbnle qui I'eclaire dc son
« relief ! que ce temple retentisse de la grande voix des
ti peuplcs, etc. Le cierge pa.scal est remblemc du Sau-
veur ressuscile. Apres une suite d'autres clianis viclo-
ricux qui composent cette admirable liymne, le diaere al-
lume le cierge; successivemenl les llambcaux des acolytes
et les lampcs empruntent leur lumiere a ce cierge syni-
bolique.
Puis des lecteurs, revetus d'aubcs, cbantent diverses
lecons de I'Ancien Testament. Enlin une procession s'orga-
nise, et Ton part pour les fonts baptismaux. L'eau desli-
nee a Tadminislration du bapteme recoit une benediction
des plus solennelles. Le celebrant y celebre les bienfails
que Dieu daigna, dans sa misciicorde, accorderaux hom-
ines par cet element. 11 y verse I'huile des calecbumenes
cl du saint cbreme.En ce jour, autrefois on conferaita de
nombreux neophytes le sacrcnient dela regeneration. Pen-
dant.huit jours ils etaient vetus d'haljits blancs qui figii-
rnient linnucence qu'ilsy avaient conquise par les merites
de Jesus-Christ, inort el ressuscile. Ils les depoisaicnt an
dimanchc qui suit la fete de Paques, etce dimancbe porte
encore le nom qui rappelle cet antique usage : Dominica
in albis Ocposids : « Dimanche ou Ton depose les vutc-
« nients blancs. »
La procession baptismalo rentre an clioeur : la messe
commence. On y celebre la resurrection du Sauveur, niais
on y nioJcre encore la joie que doit inspirer le mystcre.
Jesus-Christ ne s'est point manifeste. Demain rallegresse
sera complete. Anciennement celte messe etait celle de la
nuit de Paques ; les peuples la passaient dans les lenqiles
en attendant le jour, oil enfin tout le voile du mysterc
ctaitenlierement lire. Mais dcja VAllduifi s'est fait encore
entendre apres un silence de soixante et dix jours, c'est-
a-dire depuis la Septuagesime ; a Home, ce cri d'allegrcsse
pascale reparait avec unesolennile parliculiere qui meritc
<le trouver ici sa place.
En cetle messe, celebrce par un cardinal, en presence
du pape, un auditeur de role (prelatde la cour romaine),
vetu d'une lunique blanche, s'avancc, apres I'epitre, vers
le Irone tn souverain pnnlife; il est acconipagnc d'un
maitre des ceremonies. La, tournc vers le papo, il dit a
liaute voix : Pater sancle, annunlio vobis gmiilium ma-
gnum, quod csl Alleluia : « Saint pcre, je vous annonce uni'
« grande joie : ceslV Alleluia. » Puis il baise les pieds dii
pontife et se retire. Alors le cardinal celebrant chanle
par Irois Tois Alleluia, en clevaul graduellemeiil le ton.
Les cloches out de nouveau frappe les airs de leurs voix
sonnrcs. On aclicvc de faire disparaitre Ions les signes de
deuil. Le grand cierge brille rai milieu du chccur. Pendant
toule la nuit pascale il eclairera I'enceinle du temple. Jiis-
qu'au jour de I'Ascension, il rappellera le sejoiir de Jesus
ressuscile, au milim de ses disciples, el aussitot apres I'c-
vangile de la susdite fete, ou I'evangelisle nous montrc
Jesus-Christ s'elevant dans les cieux, le cierge pascal sera
cteinl. Telle est du moins la pratique si rationnelle du rit
remain. La grande fete du chrislianismereunira le lendc-
main, dans I'enceinle sacree, tons les adoraleurs du Christ
vainqueur de la morl et du pcclic. Trois fois beureusc
I'ame chrclienne qui, en cette cpoque de spiriluelle reno-
vation, aura aussi ressuscile en elle-mcme la precieusc vie
de la grace, et pourra en meme temps cclebrer, en cejour
triomphaleur, son juopre triomphe!
X.A fSte se paques.
(1 Je suis ressuscile et nie voici encore avec vous, Alle-
II (uia/ Vous avez etendu sur moi voire main, Alleluia!
11 Votre sagesse a eelale magninquemcnt. Alleluia, alle-
luia!
a Seigneur, vous m'avez mis a I'epreuve et vous m'avez
11 connu. Vous avcz connu mon repos dans la tombe et ma
« resurrection »
C'est par cos paroles du royal prophete que s'annoncc,
dans rinlroit romain, le mystere de la solcnnilc pascale.
L'lnlroit do la liturgie parisienne emprunte. ses lextcs
dans I'apotre saint Paul, a Le Christ est ressuscile d'entrc
11 les niorts. La morl a ele absorbee et ancantie dans cette
11 victoirc. Et la vicloire, a toi, 6 morl! ou esl-cUe? Qu'as-
u tu fait de ton aiguillon fatal'? i>
Ces poetiqucs passages des livres sacres soul mcrveil-
leusement propres a expliquer la joie de I'Eglise en co
grand jour. La chaste eponse avail repandu des larmcs
bien ameres sur.sa triste viduite. L'epoux, au bout de Irois
jours, secoue la poussiere du lombeau, s'en elance radieiix,
tenant dans sa main encore cicatrisee le labarum de son
triomphe. Oil sont ces docleurs. ces scribes, ces Pharisien';
raillciirs qui disaient a Jesus attache sur la crois : « Si tu
11 es le Fils de Dieu, moutre-nous la puissance et de.s-
11 ccnds. » Insenses! il a fail bien niieux encore. Volri:
bille rage lie savait pas demander un prod ge plus eclalant
que celui par Icqiiel le Sauveur aurail pu se souslraire a
la morl. Cette morl, il I'a suhie. La pierre du scpulcro
s'est abaissee sur lui. D'intrcpides senliiielUs out vcille
pour que les disciples n'enlevassent pas la depouille ensan-
glanlee. El voici qu'ii peine I'aurore du Iroisicme jour a
illumine I'horizon, que ni la pierre ni la garde ne peuvcnl
arreter I'elan de ce vainqueur du trepas. II se montre au.x
saintes femmes, puis a quelques disciples, puis encore a
tons les apotres, enfin ii plus de cinq cents de ces homines
gcniireux qui s'en etaient rendiis digues par leur persevc-
rante docilite a le suivro avant son trepas.
La felede Paques remonteau bcrceau du c'lristianir-nie.
Mais dans le principe il n'y cut pas d'uniformite complete
dans louto la calholicile. L'Eglise laline I'avait fixce au di-
manche qui suivait le qualorziemc jour d.e la liiiie dc
inars, apres I'equiiioxe dn pi inlemps Les Chretiens de I'A-
sie Mineure celebraient Paques en ce jour-la meme oil loni-
bait cette luiie, c'est pourquoi on les iiammait quarto dee:-
153
mnns. An i|uatricmo sieclc, Ic |iape Viclor liiilun cnncilc
:i Homo, I't rnn y dednra f|iio, cciix qui ne siiivrMicnl p.is,
pour 1,1 ct'lohiMlion de cclle Klc, I'lisajic romnin scraient
cnnsiJi'res commc si'parcs Jc ruiiilc calliDlii|UO. Depuis cc
Icnipn la regie a etc invariable. Mais pounpioi ce joiir-U'i
plulut qu'iin aiilrc? II clait ccrlaincmont iniporlanl que
cclle fele des feles, comme la uonimc sainl Gregoire le
Grand, fulsolcnnisec an jour nienjcou ic graiidevijncmcnt
avail cu lieu. Or, Jesns-Clirisl ressuscila l; duiianche qui
suivail le qualorzienic jdur de la lune dc nisau ou mars.
11 ralliiit on outre (iviter dc se rcncoulrcr avcc les juifs qui
celebrent Icur pSquc, on conimemoraliiin du miraculcux
passage de la rncr Rouge, en ce memc jour qualorzicine
du mois de nisan.
Les Uglises oricutalcs, memo separees du centre de I'n-
nitc, solenniscnl Paqucs comme les catholiqucs. Chez les
Grccs, en ce jour el les deux suivanls, lorsqn'on so ren-
contre, le salul consiste en ces mots : Clirislos ancslii :
a Je.sus-Chrisl est rcssuscite. » La personnc salucc repond ■
Alcllws anesli : « Oui, vraiment, il est rcssuscite. » Puis
les deux interlocutcurss'cmbrassent et se separcnl.
Pendant plusieurs sieclcs, la semaiiie pascale tout en-
tiere etait cliomce. Tout travail, lout voyage ulait iulordit.
Les populations se pressaient dans le .saint temple pour se
livrer a une saintc joie. Plus lard, le lundi el le mardi dc
cctte semaine fureat seuls des fetes obligaloires. De nas
jours, en France, dcpnis le concordat de ISOl. ces deux
feries pascales sont dovenues OLivrables. Mais si la disci-
pline cxtcricure a subi des modifications, I'esprit de I'E-
gliso est loujours rcste ie mi'me. Cliaqnc jour de cclle se-
maine a sa messe parliciiliere, les evangiles rctracent
les diverscs apparitions du Sauveur rcssuscite. Les pontifos
et les prelrcssont veins d'ornemcnts Wanes. Cctte coulcur
est I'emljlome d'une sainle allcgresse.
Deux auteurs du Irciziemc siecle relatent les divers
usages que Ton observail, en France, an sainl jour de Pa-
qucs. On no mangeait rien qui n'eiit ele sanclific par les
benedictions de I'Eglise. Le premier de ces ccrivains,Du-
rand de McnJc, vent qu'on s'y prepare par des bains, alin
de ligurer, par cette purification du corps, Ic soin qu'on
doit prendre de purifier I'amede toutc especc de souillurc.
II ajoute qu'on se montrail exact a cctte pratique, et que
Ton sc coupait les cbeveux cl la barbo, en signe de relran-
chcment des vices el de la deposition du vieil bomme.
Millc pratiques de cc genre, que nous pourrionsaccumuler,
prouvent que dans ces siecles dc foi vivo la religion etait
Tame de loutes les actions, qu'ellc presiJait aux pratiques
dc la vie civile. Qu'avons-nous gagno avec noire prosaiqrie
et funcste indifference?
]•',» ce nieme nioyen age, cerlaiiies eglises represcutaient
une sortc de drame sacrc, des le grand nialin de cc .saint
jour. Un manuscrit dc Saiiit-Benoit-sur-Loire, reproduit
par la societe bibliophile de Paris, en 1859, nous a con-
serve CO precieux resle des pratiques religieuses du dou-
zicme sicclc. Nous desircrions conservcr le lexte lalin, mais
bon nonibre dc nos lecleurs seraicut prives dif plaisir que
pout leur procurer celtc piece curieuse. Si les pcrsonnes
fauiiliarisees avcc la langue latino desircnl le texle, nous
pourroMs plus tard en cnricbir nos coloniies. La scene a
lieu dans I'egli.se dos beneJiclins de I'abbaye de Floury, ou
Saint-Benoil-sur-Loire.
LES S.MNTS
niYSTERE DE LA BG90BBECTIOR DB N.-9. JESUS -CBRIS7.
Pour imilcr la scene du si'imkrc, trnis rclig'oix pa-
railrotit d'abord, prepares d /'(7i'(i»i<; cl habilles de ma-
lucre a imiter les liois Maries. lis aranccront Icntcmcnt,
aijnnl I'air Iritlc.ct chanleronl en [ormcJe dialogue Ics
rcrs suivanls:
l\ IT.EMIErE MAIUE.
Ill-las ! il est done mort, cc picux pcistcur,
Cclui qu'aucunc l;iule n'avait souillc.
0 deplorable evcncmciil 1
L.\ stcONDE JI.\r;lE.
llelns ! il a disparu, Ic veritable pastcur;
Cclui qui a racbctc -la vie du coupablc.
0 dcploraltic mort !
LA Tn01SIE.ME MAP.IE.
llclas! trop mcdinnlc race des Juifs I
Quelle a etc la b^irbarc frcncsie?
0 pcuplc execrable I
l\ rnEJiii;nE m.\;;ie.
Pourquoi, impic nalion, as-lu iiuniolc
Cc Jesus si [)ur cl si sainl?
0 rage inuu'ic !
LA SECO>OE MARIE.
Qu'a-t-ildonc ntcrilc, eel lioiumc juste?
l)evail-il etrc cloue sur une croix?
0 condamnable nstion!
LA TnOISIEME MAHIE.
0 malhcurcuscs, qu'iillons-nous dcvcnir ?
Nous vo'lcI done privecs dc ce doux mailrc,
0 lamentable sorl !
LA pnEMIEIlE NABIE.
.Mlons pronqilcnicul a son tomboau;
Cost tout cc que nous puuvons fairc ;
Prouvoiis noire devoucnienl.
LA SECONDS .MAIUE.
Embaumons dc rjrcs parfums
Le corps trcs-s.iint dc noire mailrc,
Alin que cclle prccicuse...
LA mOlSlEME juniE.
Afin que cette prccicuse depouillc
Ke pourrlsse point dans la tombc.
Lorsquc ks trois rcligicux, rcprcsenlant Us hois Ula-
rics, scro7it rcnus au chwur., ils s\tpproclieronl du toni-
beau qui y csl pijurc. Jls fcront comme des gens qui cticr-
chcnl, et ils chanleronl ensemble le vcrset sttivant :
Muis nous nc pouvons ouvrir le cercueil sans des aides ;
Qui pourracnlever cclle cnorme picric qui en obstrue I'cnlree?
Un Ange leur tepondra. II sera assis en dehors, a la
tele du lombeau, velu d'une aube doree, ayanl une milr(
sur la tele, une palinc dans la main gauche, et dans k
droitc un rameau cliargi de bougies. II dira d'une voio
peu (levee, mais grave :
Qui cherchcz-vous dans ie loinbcau,
0 amaiiles du Clirist?
lES thois mahics.
Jjsus de Nazarctli le cincific,
0 habitiinls dcs cicuK.
l'a^ge.
0 amantcs du Christ, vous clierclicz parrai Ics morls celui qui est
vivant.
II n'csl plus ici ; mais il est rcssuscitii comme il I'a dit jadis pux
apulrcs.
Rappelez-vous ce qu'il vous a annonce en Galilee,
Ou'il lallail que le Clirisl soulTrit, ct qu'au troisierae jour
11 rcssustitat glorieux.
lES TBOis jiAr.iES, se townanl vers U peuple.
Nous sommes venues au lombcau du Sei;;neur
En poussant dcs gemissenients. Kous avons vu un ani;c assis
Qui nous a dit que le Seigneur est rcssuscitc d'cntre les morls.
Aprcs ccla, Marie-Madeleine, se sepaiwU deaden j- aii-
Ircs Mariis, s'approche du lombcau, cldil en le regar-
dant freijuemmenl :
Odoulcur! liL-las! quel durscrrcment dc cocur!
Me voici done privee dc la presence de ce mailre bien-aiine !
Oh ! qui a pu enlcver de la tombe
Celte depouillc chcrie?
Ensuite eVe s'avance rapidemcnt a la reneonlre dcs
deux personncs qui rrprcsentenl Pinre el Jean ; puis
t'oi'anfdiil devaiit eux, dans itne allitude de Irislesse,
elle dil :
On a enleve men mailre ;
Jc nc sais ou on I'a mis.
Lc monument a ele trouve vide ;
On n'a trouve que lc linccul el le suairc.
Pierre el Jean, enlendanl ecs paroles, s'elancent en cou-
Tanl vers le lomljeau. Jean, plus jeune, arrive le pre-
mier el s'arrc'le u la porle. Pierre le suit, el pcneire ra-
pidemenl dans le lombeau. Jean y enlre avec lui. Peu
apres il en sorl, el s' eerie :
Ce que nous avons vu csl elonnant.
Le Seigneur a ete furlivement enleve,
piEBCE, dJean.
Je crois que, comnie il I'a predit,
Le Seigneur est sorli revenu a la vie.
Pourquoi done a-t-on laisse au torobeau
Le suaire et le linceul?
PIERCE.
Parce que ees objcls n'etaient point netessaires
Au Seigneur rcssuscitc ;
Cicri plus, ils sont de sa resurrection
Les preuvcs irrel'ragables.
Pierre et Jean s'eloignent. Vicnt Marie-Maicleine,
I'air Irisle, en cliantant eommc plus haul :
0 doulcur ! hclas ! quel dur serrcment de coeur !
Me voici done privee de la presence de ce maitre bien-aimc!
Oh 1 qui a pu cnlever de la tombe
Cette dcpouiUe chcrie?
Deux anges apparaissent alors. Us sonl assis au pied
du tombeau, el sadressent a Marie-Madeleine.
Femnie! pourquoi pleures-tu9
MAtllE.
Parce qu'on a enleve mon mailie,
Et nc sais otiron I'a mis.
DU MOIS.
Uil ANGE.
Nc plcure point, Marie, le Seigneur est ressuscite.
Alleluia I
MAlllE.
Mon ccDur est ennamme du desir
De voir mon maitre.
Je chcrche ct je ne trouve point
<33
L'endroit ou il a etc depose.
Alleluia.
Sur ees enlrefailcs vienl un frere religieux ve'lu en
maniere dc jardinier. II s'arrcle nres du lombeau ;
Femme, pourquoi pleures-lu? qui chcrches-tu ?
mahie.
Ami, si tu I'as enleve, dis-moi oulu I'a mis, el j'irai le prendre.
LE J.VRDIMEII.
Marie !
LA MADELEINE s'elanec a scs pieds et s'ccrie :
Rabboni (mailrel !
Mais celui qui feint le jardinier doit se retirer comme
pour eviler que Madeleine nc le louche, et il dit :
IS'oli me tangere, ne me louche pas, carjcne suis pas encore
monte vers mon pere el lc voire, mon Seigneur et le voire.
Et en parlant ainsi, il se relircra. Marie-Madeleine sc
loumanl vers le peuple, dira :
FeHcitez-moi, vous tous qui aimez le Seigneur, car ceiui que
je cherchais ni'esl apparu, ct pendant que je plcurais au monu-
ment, j'ai vu mon mailre. Alleluia.
Deux anges se pla(ant a la le'lc du scpulcre de telle
sorte qu'on les voie, disent :
Venez et voyez le lieu oil le Seigneur a etc mis.
DEUX BISCIPLES REPOSDECT :
11 est niieut de croire a la seule Marie qui dit la vcrile
Qu'a la tourbe mensongerc dcs Juil's.
IE CHOEUB REPRESD :
Scimus Clirislum surrexisse-
A viortuis vere
Tit nobis, victor rex
Miserere.
(Nous savons que le Christ est vraimcnl ressuscite d'entrc hs
morls. 0 roi vainqucur, aycz pilie de nous.]
Aussilot on eiUonnc le Te Deum.
Telle est, dans le precieu.'? manuscrit de Fleiiry, I or-
donnance drainalique de ce memorial de la rcsuircclion
dii Seigneur.
Pendant le Te Deum, le celebrant, accompa?;ic Je
llambcaus tonus paries membres du clerge, porlait le saint
sarrement de la cliapelle du lombeau au maitre-anlcl, et
puis aussitot commencall la messe solennclle, au moment
a peu pres ou le solcil paraissait sur Ihorizon. Celte pro-
cession raalinale subsisle encore en qiielques provinces,
et nolammeiit dans le diocese d'Orleans; mais au lieu du
dramc sacre que nous venons de transcrirc, on clianle les
mallnes et laudes du saint jour do Pciques, en presence du
saint sacrement e.\pose sur lc tabernacle.
Nousomcllons, pour cviler la longueur, des details plus
considerables sur la solennilc vospcrale de la nieme fete
ct les riles speciaux qui dislinguent I'office de ce grand
jour .\ une autre annee, si nos lecleurs daigncnt nous
continuer Iciir honorable bienvcillance.
154
LES SAINTS DU MOIS.
MO IS DE MARS:
1. Samedi. St Audin, cveque
d'Angers, morl en 549.
St Leon, evuque de Bayonne,
apotre dcs Basques et mar-
tyr au 9*'siecle.
St SiMPLicE, archevequc de
Bourges, morl en 477.
3. nininnclie. Quatriime
dinianclie de carcmc.
Les Sa[Nts Mabtvrs d'ltalic
sous Ics Lombards paicns,
au6^ sicclc.
St SiMPLiCE, pape, morl en
Lc veniTablc Chari-es le Bon,
comtedeFlandre, assassine
en 1124.
0. Ijnndl. Ste Cuneconde ,
imperatricc, morte en lOiO.
Ste Camille, viersc de Bour-
cogne, morte I'an 437.
StGebvin, abbo de Sl-Riquicr,
mort en 1075.
a. Mar<H. St Casimir, prince
de Pologne, morl en 1483.
St Li'CE, pape ct martyr, 253.
St AoRiEN, eveque de St-Andn;
en Ecosse, martyr avec six
mille six cents ebretiens, en
874.
5. Morcre«li . St Virgile, eve-
que d'Arles, moit en 610.
St Drausin, eveque deSoissons,
mort vers I'an 075.
Le bicnhfiureux Joseph de la
Croix, frere mineur de TE-
Iroite-Observancc, mort en
1734, bcatifie par Pie VI en
1789.
O.Jeudi. St Chrodegasg, eve-
que de Mctz, autcur d'une ce-
lebre regie des cbanoines,
mort en 766.
giE Colette Boilet, reforma-
trice de I'ordre de Ste Claire,
canonisee en 1807, morte en
1447.
5, Vendredi. St Thomas
d'Aqdin, doctcur dcl'EgUse,
mort en 1274,
Ce saint, originaireduroyaume
de Naples, esl uii des (ilus s:i-
vanis ilit'ologieiis el un des plus
* profonds [ihiiosoplies clir^iii'ir^
qui aienl pani lians ie monUf.
Ses ouvrages lormeai.lS volume:>
in-rolio-
^ Perpetoe, Ste Felicie el
Icurs compagiions, martyrs
en 203.
St Paul, ermitc de la The
baide, disciple dcSt Antoine,
mort en 330.
6. Samedl. St JEAN-OE-Dicir.
fondalour de I'ordre de l.i
Charile, mort en 1550.
L'tifliiiialdp la Cliariltsi Pa-
ris, esl line dc ses foiitlaiinns.
Si Stienne du Limousin, Ton-
dateur de h coniiicgalinn
d'Obasine, morl en 1153.
9. Dimanclie. Dimaticlic de
la Pa&sion.
Ste FR^^fOISE, veuve, fonda-
dalrice des Coilatincs ou
Obtates, morte en 1440.
St GBtGoiRE, eveque de Nysse,
morl en 400.
II a laissii plusieiirs ouvrages
^lo(]iiciiIs, rcoaeillis en ** vol.
iri-fol. Le 7® concile general lui
donna le litre de pere des percs .
St Pacien, eveque de Barce-
lone, mort vers id fin du 4''
siecle.
C'e'^t un des plus grands hom-
mes quel'Espagne ait iirtirtuiis;
ses a'uvres soni en 2 vol. iii-loi.
10. Ijiindi. Les Qu^rante
Martvrs de Sebaste, niorls
par 1j glace, el puis brulcs,
en 320.
St Doctrovle, premier abbe
de St-Vincent, a Paris, mort
en 580.
Ce monaslere dcvinl Tabhaye
deSt • Germain- des -Pr('s,dont
IVglise est anjourd'liui uiie pa-
roisse de Paris.
ILiliirdi. St Euloge, pretrc
de Cordouc, martyr en 859.
St SopnRONE,patriarebe de Je-
rusalem, morl en 639 ou 644.
12. Mercredi.STGnECOiREl,
dit leCrand,pape et docteur
de I'Eglisc, mort en 604.
Ce pontife esl dovenu, par ses
verius, sa siience el loules les
qnaliies, le inodele elerncl dcs
papes el des cv^ques. On a re-
cucilli sesceuvrcscn 4 vol.in-fol
St Maximilies, martyr a The-
beste, en Numidie, en 296.
St Theophane, abbe en Grcce,
morl exile en 818.
IS.ileaili. St NicEPHORE, pa-
triarchc de Constantinople,
mort en 828
II a laissc plustears ccriis
precieux.
Ste EupiiRASiE, vierge^ morte
en 410.
14. Veiidredl.STEMATiiiLDE
reme des Germains, morte
en 968.
St Lucin, eveque dc Chartrcs,
morl en 557.
15. Itaniedi. Ordination.
St ADBAiiAH,crnnte, et Ste Ma-
rie, sa niece, penitente er
Mesopolaniie, morts cu 560
StZaciiarie, pape, morl en 752,
1 6. Oimaiiclie. Blmandic
DES Rasieaux.
Vi'f/. Semaincsainie.
St Jui.iEN dc Gilicie, martyr au
5*" siecie.
Ste EusfcuiE, vulgairemcnt Ste
YsoiE, abbcsse au diocese
d'Arr.is, morte en 669.
St (Iuccoiue d'Arnienie, eve-
que, puis reolus a Pilliiviers
en Reauce, au diocese d'Or-
le.ins, mort au coninience-
nionl du 11* .-^ieelc.
17. liiiiidi. St pATRK.E, apu-
Ue dc rirlande, singuUero-
mcnt veneredans celle lie,
morl en 464.
St Jusepu d'Arimalliie, qui
cmbauma le corps de J.-C,
et i'enscvclit; mort au 1^
siecie de TEglise.
Les Sts Martyrs d'Alexandrie,
en 392.
Ste GtRTnuDE, vlcrge ct celcbre
abbesse en Brabant, morte
en 652.
18. SInrdi. St Alexandre,
eveque de Jerusalem, marlyr
en 251.
St Gvrille, archevSque dc Je-
rusalem, doctcur del'Eglise,
mort en 386.
Ce saint esl iri's-celebre par
sa vie et ses ouvrages.
St Edouard, roi d'Angletcrre,
assassincparordred'EliVide,
sa bellc-mere, en 992.
19. MLTcredi. St Joseph.
cpuux de Marie, protectcur
dc la virginite dc la mere dc
Dicu, mort au l*^"" sieclc,
avant la predication ct la
pas.sion dc J.-C.
20. JiMidi. Instilulion de Ij
Ste Eucbaristie, ou Jeuui
Saint.
St CiiTiiDtRT, eveque en Angle-
Icrre, mort en 687.
St Wulfran, archeveque de
Sens, morl en 720.
21 Teiidretli. La Passion
ct la morl de J.-G., ou Yen-
DREW Saint.
En ce jour on ne ceK'bre pas
le saint sacriGcc de la niesse.
St Beso'it, patriarclie des moi-
ncs d'Occidcnt, connus
sous le nom dc benedictins
divises en plusicurs congre-
gations, mort en 543.
Tois saints uommes Serapion
morts en Egypleuu4'^ siecie.
22. Naraedi. Vcille du saint
jour dc Paques, ou Samcdi
Saint.
St Pacl, apotre, ct \^' eveque
deNarbonne, niortauS'" sie-
cie.
11 ne fant pas le confondre
avec Si Paul, I'ap^ire dcs iin-
tiuns ei coinpa^iKui de St Pierre.
StDeo-Grati-vs, eveque de Car-
tilage, mort en 457.
Stc Catherine deSuedo, vlcrge,
princesse, morte abbcsse on
1381
thago, ct sea compagnons,
martyrises par les Vandulcs
d'AIVique au5* sicele.
21. I.<uiidl. St Irenes, Eve-
que de Slrmium, martyr en
504.
St Simon, enfant massacre par
Icsjuifs, en baine de J.-C,
dans la ville de Trente, en
1472.
St GuiLLAUME DE NoRWICII,
marlyr d'.\ngleterrc, cru-
cifie par les juirs, en bainc
de J-C, a I'agc dc 13 ans,
en 1 137.
5. Slardi. L'Annonciation
DE LA SaINTE ViERGE ET l'In-
CABNATION DU VeRBE.
C'esl en ce jour que I'archiingo
Gabriel, en voyedeDieu,annoncc
& Marie (luVllc sera la mere du
fils de Dieu, en lui adressant ces
paroles :« Je vous saluc, pleiuc
« de grices, le Seiirneur esl avec
a vous ; vous ties beiiieenire lou-
« les les fcuinies.)) La celebra-
lion dc la f<He esl renvoyce au
lundi saivaiit, a cause de la se-
mainede l':lques.
36. M»»i-cre*li. St Lcdcer,
apolre ile la Saxe, evequedc-
Munsler, mort en 800.
St BuAULioN, (JvOque de Sara-
gossc, mort en 646.
2 J. Uciidi. StJe\n d'Egyptc,
crniilc, mort en 294.
St Bui'EivT ou UoiiERT, evi^quo
de Worms, puis de Saltz-
bourg, mort uu l" siecie.
28- Veiidredi. St Prisque,
St Malciius et St Alexandre,
martyrs en Palestine, 260.
St Sime III, pape, morl , 44(.l-
StGontuan, roi de Bourgognc,
pclit-nisde Clovis I" et do
Stc CloIilJe, mort en 593.
29 Samedi. St Jonas et ses
compagnons, martyrs cii
Perse, en 327.
St Gondele, prince do pays dc
Galles, morl vers la lin du 5°
siecie.
St Eustase, abbe dc Luxcu, en
Francbc-Comle, mort, 625.
30. Ilimanche. Octave dc
Paques.
St Jean Cumaql'e, abbe en Pa-
lestine, mort en 605.
St Biecle, eveque de Scniis;
mort au 3*^ siecle.
St Zozime, eveque de Syracuse,
mort en 660.
Le blenhcurcux Nicolas ce'iSI . Limdi. St Blsjamiv, dia-
Fliie, en Suisse, morl, 1487.
23- Uimaiiche La plus au-
guste solennit6 de I'annce,
ou jour de PAQUES.
Vofj. Tart, amsi iniiude.
St Toribio, arcbeveque dc Li-
mn, cii Anieritiuc, mort en
1606.
I St VicTic.iEN, proconsul a d
creet martyr en Perse, 42i.
St AeHACE ou Achate, evcqiie
d'Antiocbc, glorieux con-
Tosscur de J.-C, morl, 250.
Lc bicnbcureux Amehek, due
de Savuie, morl en 1472.
II porlale nom d'Amcdee IX,
el cpoui.u Volaiide de.Fraiice, tillc
de Cliailcs VII el socur dc
Louis XL
LES ILLUSTRES FRANfJAIS.
133
LES ILLUSTRES FRANCAIS.
LE CABSIIIIAI. D£ HICHi:i.IEn.
Hi I.E 5 SEPTEUBRB IS8S, UORT LE i DECEUBRE 1643.
Soiie (»).
Tlicholicu conliiiuait le travail de Louis XI ; la monar-
chic (Ic Louis XIV sorlil do scs mains une et Iriomphanlc.
II lui fallail frappcr, a la fois, Ic parli huguenot, le parii
des noldcs ct le parli dc I'clranger. II passa sa vie a frap-
pcr cl a vaincre.
Scs premieres paroles an conseil annoncaient, sous une
cxircme modeslie, toutc la conscience de sa force el le pres-
senlimciil de son avenir.
« 11 avouail que Dicu lui avail donno queUiucs lumiercs
« ct quelque force d'espril , mais avec une dcljililu de
« corps qui nc lui pcrmeltait pas de consacrer utilcnicnl au
« service du roi le pcu de qualitcs qu'il pouvait avoir. II
u craignait de plus qu'on ne proDtat de ce qu'il fcrail en
« cetlc place, pour reveiller Ics mauvaises impressions
« qu'on avail voulu donner au roi centre la rciuc, sa
« mere, a qui on savait qu'il elait si oblige. 11 offrail de
u soulagcr ceux qui .s'ocrupaicnt actuellcmenl des affaires
,11 donl il reconnaissail la haute capatile, par un travail
M particulier qu'il lerait atcc eux une fois par semaine.En-
.0 fin s'il ne pouvait vaincre la resolution du loi, il deman-
« dail au moins a etre dispense de recevoir les sollicita-
u tions des particuliers, pour elrc a memc de donner
<i lout son temps el toules ses forces aux affaires publi-
<c ques. »
A peine clailHlminisIre, que la Valteline fut occupec, la
lloltc cnncmie battue devnnl Tile de He, Ics rcformes en
Espagnc lircnl la pais.
Le premier coup porlc sur les nobles rebelles atteignit
im jeunc etourdi , le comte de Chalais; el I'aslre" de
Hichelieu monta dans le ciel, oii il devait regner triom-
plial ct lerrililc. De grandcs clameurs s'elcvaient contre
lui, et il nc dodaignail pas dc prendre la plume pour se
del'endre.
« Cclui que Ics fanaliquescroienl injurier en le nom-
« manl cardinal d'Elal (ainsi se defend Richelieu ).... ses
(ccnnemis n'ont autre chose a dire contre lui, sinon
« qu'il estlropd'accord, trop prcvoyant, el que tenant ses
" intentions cachees,il decouvrccelles d'autrui. Kc devon.s-
tmous pas, au contraire, nous rejouir avec la France, dc
ace que ceux qui s'estimaient seuls sages ( les Espap-nols
« cl les Italieus), qui nous prenaient ci-dcvanl pour des
II gens volages, barbares, gro.ssicrs ct imprudenls, nous
"liennenl aujourd'hui plus adroits el habiles quits nc
(icroyaient? »
A I'assemblcc des notables de Paris, le cardinal pril
la parole et se rendil la miMne justice.
11 Tout le moude doit admirer, dit-il alors, cc que le roi
(I a fait di'puis uu an, et personnc nc pcul se plaindre de
M la depense. Les affaires sont maiulcnant en bon ordrc;
« mais il ne faudrait pas avoir dc jugcment pour ne con-
(t) t'('i/. iiuitiri'o IV, p. 123,
u nailre pas qu'on doit les prendre plus avant. L'intenlinn
II du roi est de regler sesElalsen sorte que son regne sur-
« passe les mcilleurs du passe el serve d'cxemple a ceux de
» I'avenir. Pour cela il faut d'abord diminuer les dcpenses ;
n on pourrait penser que cette saison nc serait pas propre
II ii li'ls retrandicments qui alionent et relranclient quel-
II qucfois I'afleclion des cicurs ; mais en I'ordre qu'on
« veut ctablir, les grands et les pelits irouvenl leiir
iicompte; lous auront pris scion qu'ils fcronl bien. La
« reine mere veut la premiere se reduire a moins de revenu
II qu'ello n'cn avail cu sous le feu roi. Apres avoir etc
II contr.iinle d'augmenter pendant sa regence les dcpenses
« de I'Etat pour le conserver en son entier, ellc conseille
II a son fils dc les dmiinuer pour la meme cause. La recctte
II semble devoir etre augmcntee facilemenl el sans charge
II pour le peuple, par le rachat des domaines, des greffcs et
II autres droits engages, qui montcnl a vingl millions. Par
II ce nioycn les peuples .seronl soulages; il ne se levcra
II plus rien sur cux que ce qui e«l nccessaire pour qu'ils
i< n'oublicnt pas leur condition. Sil se prcscnte quclque
II occasion de resister a une cnlrcprise elraugcrc ou d'ctouf-
II fcr une rebellion intestine, on nc la pcrdra pas faule
II d'argent, onn'auraplus besoindecourliscr les partisans,
II dc fairc verifier les edits en lit de justice ; et le cardinal
II nccraint pas dc dire en presence du roi, qu'on pent ob-
II lenir la fin ct la perfection de eel ouvragc en moins de
II six ans,... je demandc pen de paroles et bcaucoup d'cf-
« fcls... 1>
Ce dernier mot pouvait servir d'epigrapbe a sa vie. BiefilOt
le comic de Boutteville fut execute pour avoir etc se baltrc
en duel, les Anglais furenl battus dcvanl I'ile de Re; le
due de Itohan, chef de I'insurrcction proteslantc, ful de-
clare II par le parlemeiit dcchu de ses litres de due et pair,
II condamne ,i etre livre es mains de rexiiculeur de la
II haute justice, lequel le trainanl sur une claic, ensemble
II scs armoiries, lui fail faire le touraccoutume dans la ville
II en chaus>e, tcte el picds nus, la ban au col cl une lOr-
II che de ciro en ses mains; pouretre ensuite, sur un ecba-
II faud dresse a eel effcl, lire a qualre chevaux jiisqu'a cc
« que son corps en fut demembre, ses restes briiles au feu
II d'un bucher et les cendres jetees au vent ; cent cinquanlC
11 millc livrcs a prendre sur scs biens devaient etre la re-
11 compen.se des cornmunautcs ou particuliers qui Ic livrc-
11 raient morlou vif. »
Ce ne ful pas tout ; Richelieu en persoime alia mettre le
siege dcvant la Hodicllc, citadille et centre du parti proles-
la n I.
II Le roi, dit Bassompierrc, laissa au cardinal un ample
II pouvoir dont nous nous conteulames ! »
En offel le pouvoir elait fort ample; le cardinal, dans
les letlres patentes, elait nomme « lieutenant general
II dc I'armcc dcvanl la Rochelle, avec pleinc autorile siir
II tcutes les troupes de cavalcrie el d'infanterie, tant
11 francaises qu'clrangeres, et aussi sur I'artillerie pour
II continuer ft poursuivre Ic siege, cl meme dans le cas
II oil les habitants se voudraicnt remeltre dans leur
II devoir, pour les y recevoir et prendre possession de
II leur ville, eiijoignant a lous gencraux el officiers de le
II reconnaitic etde lui obeircomniciisa propre personnel)
La Rothi'lle ful | rise, Richelieu y penetra en tiiomphalcur,
la cuirasse sur la poitrine, Tepee nue ii la main ; el le parli
prolcstant ful ccrase.
Ce ful un grand jour pour lui que cette entree .solen-
156 LES ILLUSTRES FRAWgAIS.
nelle ; nviile dp gloire rt d'cclat autaiil que dc succes pn- i Iriomphe mililaire elait la consecialiou nalurelle el ncccs-
lilique, ce Napoleon du dix-seplieme siecle seatail quece I saire de son pouvoir.
Ainsi Richelieu s'nifermissail sans cessp, mais les enne-
mis ne luinianquaientpas. ApeineGuslave-Adolplie parul-
il sur la scene politique, que Richelieu le rcclicrcha coinnie
un genie digne de le comprcuilre.
« Guslave-Adolphe, dit Richelieu, etait un nouvcausoleil
0 levanl qui, ayant eu la guerre avee tons scs voisins,
« avail emporle sur eux plusieiirs provinces ; il elail jeune,
<( mais de Ires-grande rcpulalion ; il sclail accru de plu-
II sieurs conquelcs failes sur les Moscoviles, les Polon.iis el
<i les Danois, el se montrail deja offense conlrc I'Empc-
« reur, non lant pour injures rcelles, que parce que les
« litals de la maison d'Aulriche, meilleurs que les siens, lui
« offraienlde quoi se conlenler. » En effel, il ne se passa
pas une annee qu'un Irailc ne ful signe enlre la France el la
Suede. En vain la reine mere, brouilU'C avoc Richelieu,
cssaya de le perdre ; ce ful lui qui la pcrdil ; el la Journcc
lies Dupes cut pour resullal rcloignemenl definilif, puis
I'evasion el enfin lexil de cclle imfirudenle ennemie. On
sail avec quelle habilele imperieuse Richelieu imposa ses
volontes an faihle roiqui niarchait asa propre perle.
Alorsloulelafeodalites'eveilleels'arrae.Leducd'Orlcans
enlre arme en France ; le marechal dc MariUac conspire ; le
ducdeMonlmorencyse joinlau freredu roi. Richelieu, alla-
que de fail par les enneuiis de la royaute, ne recule pas. 11
fait tomber la tele de Monlniorency, exile le due d'Orleans,
liumilie le due dEpernon, et echappc a tons les assassi-
nats. Ce n'est pas qu'il ne scnle profondemenl a quel fd de-
licat ticntsa terrible puissance; il sail que Louis XIII
Taime pcu, ct que la noblesse le hail a mort. Quand
WaWslein mcurt assassine, void les rellcsinns anicres que
cclle niorld'un aulrc minislre tml-puissaut lui inspire, el
(ju'il consigne dans ses memoires:
0 Waldslein ful frappe par Ic roi qu'il servail. Soil que
n les princes d'ordinairc se lassent d'un homnie auqucl,
u pour lui avoir trnp donne, il ne resle pl.is dc prcscr.ls j
i< faire;... o;i bien, qu'ils aient mauvaise inclination vers
11 ceux qui, pour les avojr bien servis, merilent tout
11 les biens qu'ils leur pourraient deparlir C'est une
" preuve dc la misere de celle vie en laquelle, si un niaitrC
!■ a peine de Irouverun serviteur ,i qui il so doive conficr
11 entierement, un bon serviteur en a bicn plus de se con-
11 fier totalcmenl a son mailre, entoure de ses envieux et
« de scs cnnemis, dont I'espril est jaloux, mefianl et cre-
II dule, ct qui a toulc puissance d'exercer impuneraent sa
11 mauvaise volonle, qne chacun pour lui plaire deguisc
11 sous le nom dc justice.... Tel blama Waldslein apres s;
11 mort, qui I'eut lone s'il eilt vecu ; on accuse facikmcnl
II ccux qui ne sont pas en elat dc se dcfendre; quand Vnr-
11 bre est tombe, tons accoureut aux branches pour aclicvc
11 de ledefaire. La bonne ou mauvaise reputation depem
II de la derniere parlie de la vie ; le bien ou le mal passe Si
'I la pnslerite; el la malice des homnies fait pliitot croirc
II I'un que I'autre.... On pensa d'abord que la perle dc
II Waldslein priverait I'Enqiereur d'un grand appui;niais
11 on connul bientol apres qu'un moit ne murd point, et
11 que I'affeclion des hommes ne regarde pas ce qui n'est
■I plus. 11 Tellcs sont les amcrcs rellcxions de Richelieu sur
la niorl de Waldslein.
On rclrouve souvenlsous la plume de Richelieu, ct co
sont la ses mcillcures pages, eel anier regret de la gran-
deur ct celle angoisse du pouvoir. L'nc mauvaise tragcdio
du cardinal, intilulee /.'tiiopc, sorlede pamphlet poliliquc,
ilivisc en acles, contient des reHciions de nicme ordrc pla-
cees dans la boucbe d'lberc, prince espagnol.
A celle meme epoque, Richelieu, an faile du pouvoir,
fondait I'AcadJniie francaise, prolegeait Pierre Corneille,
rounissail aulour de lui les beaux csprils, et s'occupait de
lillerature.
Les Espagnols s'avancenl jusqn'eii Picardie ; on les re-
pousse; Corbie est rcprls; lo due dc Roban, cliasse dc la
jooRiEE m mu.
'•■■-
B-Rll ISH
MbSFUM
7 AUG JS)
NATURAL
HISTORY.
LES ILLUSTR
Valtclino, et rennomi rcpoiiss<! du Langiicdoc. Bienlot un
IcrriMc Allcmand, Jean de Werl, fait prisonnier, estcon-
IraiiU de vcnir assistcr .i la rcprescnlation d'une piece de
son vainfiuoiir, piece dc-teslaljle el a grand spectacle. Tanl
dc bonheur et d'hal)ilcte rendail lurieus les ndversaires du
cardinal. Aprcs avoir pris Brisacli, on s'empare d Hesdin.
II n'y avail pas assez d'imprecalions conlrece « li'preux
(I envieilli et incuralilc qui laissait piller la canipagnc, de-
iicouvrail lesvillesde la France m\\ eirangers, pour ta-
(( clier de loger quelqucs-uncs dc ses creatures dans unc
II petite place des Pays-Bas, et comWait les fosses des cada-
li vrcs do la lirave noblesse, pour (jne, sur ccs monccaux
« dc corps, un sien parent, petit-fils d'un fori mediocre
« avocat, s'elcvat a la dignite de conneLdde. » Cela etait
I'ort injustc; mais les passions raisonnenl ainsi. Turin
el Arras pris comblerenl la mcsure de tanl de bonlieur.
Toulcc qui s'opposait au cardinal lombait I'rappe. I.es
dernicres viclimcs de sa vengeance el de son npini.itrele
fiireni le jcune Cinq-Mars et son ami de Tbou. Cinq-.Mars,
firl de la passagerc et impuissante favour du mnnarque,
crnt pouvoir s'cntendre avec I'Espagne ; mais cette aniilie
puerile Iremblait clle-menie devant le cardinal. Les lettres
de Louis Xlll, au sujel de son I'avoii, sont trcs-curieuses.
« Je suis bien mam, ecrivail un jour Louis XIII au
u cardinal de Ricbelicii, de vous importuncr sur les niau-
<• vaises bumcurs dc M. Ic Grand. A son relour de Buel,
" il m'a bailie le paquet que vous liii avez donne. Je I'ai
i< ouvert et je I'ai lu. Je lui ail <lit : Monsieur Ic cardinal
(1 me mandc que vous lui avez lemoigne avoir grande en-
(1 vie de me complaire en loutes choses,elcependant vous
<i ne le I'.iites pas sur un cbapitre de quoi je I'lii prie de
« vous parlor, (|ui est sur voire p.iresse.
a II m'a repondu que vous lui en aviez parle, mais que
u sur ce chapitrc-la il ne pouvail pas se changer, el qn'il
11 ne ferait pas mieu.t que cc qu'il avail fail. — Lie discours
0 m'a facbc. Je lui ai dil qu'un homme de sa condition
<i devail songer a se rendre digne de commander les nr-
11 mei's, comnic il m'en avail temoigne le dessein, et que
II la parcsse y etait du lout contraire. II m'a repondu brus-
II quemenl qn'il n'avait jamais eu cette pensee ct n'y avail
II pas pretendu. ,Ie lui ai repondu que si, et n'ai pas vouUi
u cnfonccrcc discours. Voussavez Lien cequi en est. -J'al
B rcpris cnsute le discours sur la paresse, lui disanl que
tt ce vice rendail un homme incapable de Ionics bonnes
u choses, et qu il n'clait bon qu'a ceux du Marais on il
u avail ete nnurri, qui claient du tout adonnesii Icurs plai-
K sirs, el que, s'il voulail cnnlinucr cette vie, il fallait
« qu'il y retournal. II m'a repondu arrogamment qn'il etait
n lout prct. Je lui ai repondu ■ Si je n'clais pas plus sage
« que vous, je sais bicn ce que j'aurais h repondrcbi-ilos-
« sus. En suite dccela je lui ai dil que, m'ayant les obli-
« gallons qu'il m'a, il ne devait pas me parler de la (aeon.
a 11 m'a repondu son discours ordinaire, qu'il n'avait que
« faire de mon bien. qu'il s'en [lasscrail fort, el serait
a aussi content d'etre Cinq-Mars que monsieur le Grand, ct
« que, pour changer de facon de vivre, il ne le pouvail.
II Et ensuile est venu loujours me picolant, el moi lui.
a jusquc dans la cour du cb.iteau, oii je lui ai dit qn'elant
« en 1 bnmeur oil il etait, il me ferait plaisir de ne me point
K voir. II m'a temoigne qu'il le ferait volontiers. Je ne lai
« pas vu depuis. Font cc que dessus a etc dil en presence
« de Gordes.
« Si'g lie Louis. »
B9 FIlANgAlS. •t57
El comme si cc n'dtall pas o^-sez d'avcuer qu'il y a en
un lemoin a cello clrange conversation, rappi)rlcc lidele-
ment par le roi a son minislre, cc prince ajnulo en posl-
scriptuni. u J'ai monlrc a Gordes ce memoire nvant que dc
u vous rcnvoyer, qui m'a dil n'y avoir lu ricn que de ve-
il rilalde. ■! En cello occasion, le cardinal I'ut bien scvero
pour le roi, car il Ic reconcilia avec son favori.
,^,-^' -■
Aussi Richelieu n"eut-il pas ae peine a faire tomljcr unc
tele simal defcnduc. Cinq-Mars peril, el Louis XIII crul de-
voir se juslifier devant .son ponplc.
11 Le notable el visible cbangenieiit, disail-il, qui a
II paru depuis un an dans la conduilo du sieur de Cinq-
11 Mars, noiro grand ecuyer, nous fit rcioudre, aussilol
11 que nous nous en apcrfumes, de prendre soigneusement
11 garde i\ ses actions cl it ses paroles, pour penetrcr ct
11 decouvrir quelle en pouvail fire la cause. Pour cct
0 effel, nous nous re.sob'imes de le laiv^er agir et parler
11 avec nous avec plus de liberie qu auparavant. Par cc
II moyen nous dccouvrimes qu'agissanl selon sun goul, il
II prcnail un extreme plaisir a ravaler tons lec bons succes
u qui nous arrivaicnl, relever les mauv.iis et pi Wier les
II nouvelles qui nous etaient dcsavantagcujcs; nous decoM-
II vrimos qn'une de ses principalos fins eiail de bl.imcr
11 les acli ins de noire Ires-cousin le cardinal de llichelieii,
II qunique ses conscils el ses services aienl loujours etc
» accompagncs de benedictions et de succes, el de louer
1 liardiment colics du comte d'Olivarcs, bien que sa
n conduilo ail loujours ele malbeurousc ; nous decou-
11 vrimcs qu'il etait favorable ii lous ecus qui claient en
" noire disgraoe, el contraire a ccu.t qui nous servaioni lo
II mioiK. 11 improuvait continuellomcnl ce que nous I'ai-
11 sions do plus ulde pour noire Elal, dont il nous rendit
II un noble lemoignage en la pronioiion des sienrs de
II Guebrianl cl de la Molhe ,-i la iiiarecbaiissee de Franco,
« laqnello lui fut insupportable ; il eiilrelouait line inlelli-
1. gonce tres-parliculiere avec quelques-iins de la religion
II prelendue rcformee, mal affoctiunnes, par le moyen dc
II I'havagnac, mauvais esprit noiirii daiisles fictions, ct
u do quelques aulres ; 11 parlait d'ordinairc des choses les
(1 plus sainles avec une si grande impielc, qu'il clail nisc ;i
11 voir que Dicu n'elait pas dans son occur. Son impru-
18
re
LES ILirSTftES FOANCMS.
« iloiicc, lii legpi'ck' Jc sa languo, Ics divers conrricrs qii'll
n envojnil dc loiilc pari, et les pratiques ouvcrlcs qH'il
« faisail en noire armcc, nous ayant donne juslc sujel
« d'lnlrcr en soup(;nn dc lui, linlcret de noire Etnl ( qui
« nous a toujours i-le plus chcr que noire vie) nous oWigea
u a nous assurer de sa pcrsonnc cl de quclquos-uns dc ses
« complices. "
La grandeur du ministre el la bassesse du roi elaienl an
comWc. Mors la morl viul saisir re gloricux el terrible
pcrsonnage.
ic La maladic, dit uu temoin oculaire, ayanl saisi le car-
« diiialsamcdimalin, veille de la Saint-Andre, par un frisson
u suivi dc (icvrc, jcta incontinent nos esprits dans une
<i extreme apprehension de I'acces. Le lendemain diman-
II clip, refl'roi ctail rcpandu dans tout le palais du cardinal,
CI et j'entcndis Son Eminence mazarine tcmoigner la pcric
« que ferait la France si elle se voyait privce d'unsi puis-
II sant genie. Aussitotles priercs I'urent commandces par-
11 tout. Cepcndanl, la Oevre croissant, lilkislre malade de-
« manda a se conl'esser lundi a M. de Leseot. La nuit
u suivanle, il Dl dire la mcsse par le mcme seigneur, et re-
II 9ut le saint viatique avcc une devotion extraordinaire.
(I Les mcdecins ayant ensuite jugc que le uial nienacait
II de morl dans liuit jours celui qui devait vivre longtcnips
(1 dans I'histoire, le cardinal de lUchelieu se disposa a re-
« cevoir I'cxtrenie-onclion, ce qui eul lieu dans la nuil
II du mardi au mercredi. La chambre du malade etail
CI pleine d'evcques, d'abbes, de seigneurs el de geiitils-
cc hommes. On donna ordre apres d'aller chercher le P.
« Leon, carr c, el le cure de Saint-Eustache, pour appor-
« ler les saintes huiles. Pendant cette derniere ceremonie,
cc le cure lui ayant propose d'omcltre certaines circon-
« stances peu convenables pour une pcrsonne de sa sorto,
« Son Eminence pria qu'on le traital comrae le derniir
(I des Chretiens. Apres lenumeraliondes priucipaux articles
n de foi, le cure lui ayanl deniandc s'il les croyait, il rc-
« partit : Absulument, el plut a Dieu avoir niille vies pour
(I les donner pour la foi et pour I'Eglise! A la dcmande
« s'il pnrdonnait 4 tons ceux qui I'avaienl offense ; De
c( lout mon coBur, dit-il, comme je prie Dieu qu'il me
a pardonne I o
II laissait la monarchie franfaise une et affermie, mais
isolee^
Nous n'avons pas considere Richelieu comme un prince
de I'Eglise, mais comme un ministre. En effel, c'csl tou-
jours cliez lui I'homme politique qui a domino toutes les
autres considerations. Sous ce rapport, il n'y a pas de figure
plus splendide cl plus hautaine dans les annales modernes.
On peul dire qu'il a determine le sorl de la France pendant
les dii-septieme et dix-huitieme siecles. Le jugement que
les philosophespeuvenl porter surlui depend de la variclc;
des points de vue ou Ton voudrs se placer. Les partisans
de la feoJalite lui reprocheront de I'avoir detruite ; les par-
tisans de la monarchie lui sauronl gre d'avoir fraye la route
A Louis XIV. Sa vie privce, sur laquelle on a brode une in-
finite de Cctions, etail melee de beaucoup de conlrasles, et
remarquable surtout par une inlatigable activite. II savait
y fairc entj-er avcc ordre les affaires, leslettres, I'elude, la
magnificence el la volonte. Les romanciers, qui dt'figurcnt
volontiersPbistoire el qui aimentas'amuser de paradoxes,
lui ont prete un coiiQdcnl tout-puissant aupres de lui, un
liomnie qui, seloneux.aurait (■tele ressorl secret el invisible
de Ionics ses determinations, Ce pcrc Joseph, capucin. au-
rail, s'il faul en croirc rimaginalion des iuventonrs, fail
niouvoira songrcloulcla politique du ministre, el peu s'en
est fallu que, de eel homme obscur, on ne fit le veritable
roi de France.
M. Bazin,lenouvelhistnriendeLouisXIIl(lj,a Ires bicn
prouve combien cette fiction est inacceplable. II a prcsente
le pere Joseph sous ses veritables couleurs, comme un se-
cretaire et un courrier, instrument suLalternc mais utile,
que Ricbi'lien employait avcc succcs, et qui ne manquait
iii d'intelligonce ni de force physique. Mais les dopeches
du capucin au ministre, ecrites d'un ton snumisct obse-
quieux, prouventassez que la volonte el I'initialive appar-
tenaienl a Richelieu seul, charme de trouver un agent con-
fidenticl el obscur, instrument qu'il pouvail briscr d'un
coup de son autoritc, el qui dependail entieremenl de lui,
et de lui scul.
En rcalite , Richelieu , comme Napoleon , comme
Louis XI, n'avait pas d'amis. Personue ne descend ja-
mais dans les lencibres myslcirieuses de ces intelligences
profondcs; el ces hommes, qui gouvcrnaient cl boiilever-
saienl les empires, elaienl prives de la joie que Dieu re-
serve aux plus simples de leurs sujets.
L'hommc qui approcha le plus de Richelieu etail uu
bouffon nommii Bois-Robert, dont la mission spcciale etail
d'amuser le ministre qui s'ennuyail. II s'en acquiltait fort
bien, et ses faceties avaienl si bien le don de derider Ic
chef de I'Elat, que les sollicileurs s'adressaient a lui prc-
ferablcmenl a lous les autres. 11 etail le grand organisateur
des ballets el des theatres, pour lesquels son maitre avail
un goul parliculier. Lui-meme se melail delitleralure, et,
suivanl le gout du temps, il traduisait ou imitail en languc
francaise les dramcs espagnols qui avaicnt le plus de suc-
ces par del.i les Pyrenees. Mais Bois-Robert, avec ses face-
lies, ses pclils vers, ses mechants dramcs, son talent pour la
danse bouffonne el toutes les ressources dont il amusail son
maitre, n'avait pas sur luiautant d'ascendant que les chats
dont il etail toujours entoure. C'etait la le veritable cerclc
d'amis qui charmaient ses heures de loisir. C'etait dans son
cabinet, entoure de matous, dc chatles el de pctits dials
de toutes les dimensions et de loules les cspeccs, qu'il pas-
sail ses heures de delassemeni cl de bien-etre. II pardon-
nail tout a ces favoris. Les uns montaient sur son epaulc,
les autres s'accrocliaient li sa bareltc, les plus hardis
jouaient avcc sa moustache ; les plus Sges, assis sur les
coussins, prenaienl des poses de sultan. Cette menagerie
de chats etail I'objct des plus grands soins. Une des clauses
teslamenlaires du cardinal leur Icgua une pension ; et un
critique niinuticux de I'epoque suppule qu'on leur adressa,
pendant la vie du cardinal, la somme de deux cent qua-
rante-deux sonnets et elegies.
L'amour, souvent malheureux, de Richelieu pour la
litlerature a proteg^ sa memoire. 11 manquait de gout; il
etail quelquefois jaloux des talents superieurs, mais il avail
pour la poesie et pour I'eloquence un veritable penchant.
Sa prose est un peu espagnole, pompeuse, redondante,
emphatique et trop subtile. II y a de la s6cheres,ve et dc
roslentatiou dans ses vers, quiii'ailleurs, pour la phiparl,
ne lui apparticnneul pas en propre.
Quant i son influence sur la France opprimcc , cl ce-
pcndanl ennoblie et agrandie par lui, clle se resume dans
Ics \ers suivants d'un poete de ses amis :
tl) Ih'tvirc tic Froncc sous Ic r^ans de Louis X'JI.
ANECDOTES UU TEMl'S PllEStliST.
i3n
Vous vouloi mon avis sur ce grand lardlnsl i
Mais, mon cher, )e n'en diral rlcn.
II Li's fall Imp (tc litcu pour eu dire Ju nial ;
II m'a rail irop ie oial poor en ilirc ilu bir'i.
ANECDOTES DU TE^IPS PRESENT.
CHROMOrES DE LniVER DE 1845.
L'ouragan dc ncigf.
T.'or.isc dcs Higldands. — Le Chiifloplic Colnmli du |»iiil Sainl-Michcl.
Lc Bhin golf.— La luuve de la Fl^^l■l-^'uirc.
finondalion en Cliiiic. - L'liivfr cii Algcric.
I.'0TiaAOAIT DE MEIGE.
Les lcm|ic(cs i)e neige en Anglclon-c. cl en Fiance , sont
rarcnieiil aiissi Jnngcrciiscs, nous [Miurriiin'; |)resf|iie dire
aussi majcsliicuse'jque ccUcs dcs pays de moiilagnes. Anssi
CCS |)hi;iionienes no fonl-ils pas sur nous une improssion
aussi Vive que sur les monlagnards ccossais el sur les lia-
lilanls des Alpcs ; nous ne pourrions, en cffct, nous former
une idee de ce qu'ellespeiiveul elre, a moins de lire les
descriplions des tempeles les plus remarquables de celle
cspece dont ces pays onl elc le ihealrc.
Les bergers ecossais ont conserve de pere en fils la Ira-
dilion des malheurs des « trcize jours de tourbillons de
neige » ( lliirtecn drifty days), nom donne a une epoque de
I'an 1660, ou une affreuse lempele de neige aflligea I'E-
cosse; et Ton dil que, memo de nos jours, quand par nno
soiree orageuse d'hiver^ on parle a un vicus Ijcrger de
celle cpoque desaslrcuse, il manque raremenl d'lilre frappc
d'une lerreur religieuse, ct que souvent il lombe .i genoux
devant I'Elrc loul-puissant qui peul seul dOlourncr une
telle calamilc. I'endant ircize jours el Ireize nulls, des lor-
renls de neige lourbillonnante tomberenl sans inlerrup-
tion; et la lerrc elant deja rouvcrle de neige golce avanl
le commencement, les moutons fureut piivos de nourri-
lure pendant lout ce temps. Les bergers eurent le chagrin
de voir leurs mallicurcux Iroupcaus perir pardegres sans
pouvoir preserver les pauvrcs betes du froid ni do la faini
V< rs lerln^iiilemc jour, les plus jeuiics mouloiis lombejent
dans le sommeil et lengourdissemenl, et gcneralcnieni, en
cpielques heurcs, la niort succedaita eel i3lal ; ou s'ils elaicnt
exposes a un vent penetrant, ilsctaient quelquefois prives
de la vie aussilol que la lorpeur commencait. l.e dixicme
jour, un si grand nombre dc moutons avaicnt peri, que les
bergers commencerent a elever une grande muraillc se-
mi-circulaireavec les corps geles des niorls, pourdouner
une espece d'abri aux moutons qui n'avaicut pas encore
succombe. Mais ces pauvres beles commencaiciil di'ja a taut
soufli-j- de la Ijminc. qu'ellcs so mangeaicnl la laine les
unes aux autres.
Le Ireizieme jour, quand la neige cessa, dans beau-
coup de fermes il ne reslait pas un soul moulon en vie.
Desmurailles informes de moutons morts enlourant d'au-
tres moutons egalcment morts etaienl trop souvent Ic
spectacle qui frappait la vue des bergers et des fermiers
mines. Dans les fermes situees dans les vallees, au milieu
des montagnes, beaucoup de moutons survecurent a la Icin-
pete, mais ils en avaient soufferl si grievement, que Ires-
pcu se retablirent ensuite. On calcule que les neuf dixicme j
dcs moutons du sud de I'Ecosse perirent dans celte cala-
milc. Dans le district pastoral d'Eskdale-Muir, sur vingl
mille betes a laine, on ne sauva que quarante jeunes mou-
tons et cinq vieilles brebis. Plusieurs fermes furent tellc-
menl ruinees, qu'elles ne trouverent pas de fermiers et fu-
rent sans rapport pendant plusieurs annees.
Environ soixanle on soixante-dix ans apres cet evenc-
ment, un seul jour de neige fut si violent, que plus de
vingl mille moulons el quelques-unsdes bergers y perirent.
On a raconli?, relativcment a celte tempete, une anecdolc
qui nionlre avec quelle grande attention les bergers ccos-
sais etudient les apparcnces du ciel. Le jour en question
clait le 27 mars : c'elail un lundi, et Ton avail remarqu4
que la journee precedcule elait singulierement cliaude.
Quelques paysans renlrerentchez eux le dimanclie soir, ct,
revcnanl dc I'eglise de Yarrow, ils virenl un berger qui
avail rassemble tous scs moutons h r Jlc il'iin bois. Le ijcm-
no
ANECDOTES
nnlssiint iiom- un honimc I'oli-h'iix, cl snch.iiit .ni'il n'nvQit
pus riiabiaulo do rosscniMcr niiisi son (roiippnu Ic jour .In
eabjjnl, iU lui en dcm.ind6rent la raison, ct il rcpondil qu'il
avnit remarqiie dans le ciel certains signcs qui lui annon-
9aient rapiiroclio d'uno IcmpOte de ncigo. Tous les villa-
geoi? <io moqneri'nt do lui, mais 11 supporta Icur plaisantc-
.ricavcc doucour, cl contimia il pouvvoir au salul do sp;
liftes. La fatalc tcmpete cut lieu lo londcmnin, et cc ber-
pci- ful le scul da voisiuago qui saiiva lous ses mouions
^ous rcmarquerons, au sujcl dc semllaliles observations
du (eraps, qu'ellcs sont d'uno Brando ulililo, taut qu'cllcs
sont renrcrmees dans des lornes convcnablcs. Les per-
sonnes qui ont uno confianrc onliero dans les almanachs
qui prediscnt le lenips, ct daiis les presages cl prouoslics
l^'-r^^^-
|)0|inIaires si abondants, sont exposees a se trompcr et ii
louiber IVequcmment dans I'erreur ; mais ccux qui preten-
di'ut mcpriscr I'expcrience des humbles obscrvateurs, et
appuientseulement surla ihcorie les regies qui les guiJent
pour prevoir le temps, lombeut dans unc errcur au moins
aussi grandeen sens inverse.
La tempeln dc ncige la plus violcnte qui ait jamais af-
flige I'Ecosse ful celle qui arrivale24 Janvier 1794. Elle
fut aussi extraordinaire par rapport a I'enorme epaisseur
de ncige qui i'accumula en quelqucs beurcs, que par les
dcsastres qu'elle produisit. M. Hogg, si bien eonnu sous le
Bom (le « bcrger d'Etlrick, » ctait jcune alors, et cut a
souffrir de ses effcts. Dans I'hivcr de sa vie, il en a ecril
une description fidclc, et ce que nous en empruntons
suflira pour donner une idee exacte de cctte lempete rc-
niarquable.
M. Iliigget quelqucs-unsde ses amis avaient forme entre
cux une especc de socicle lilteraire pour lire ct jugcr des
cssais etautres articles, lis claient tous bergcrs; ils avaient
rhabitude de se rasscmbler les uns cliez les aulres, ct
quelquefois ils y restaient loule la unit. Le .soir en ques-
tion, nne reunion devait avoir lieu a Auchlorlrony, cndroil
cloigne de la residence de Hogg de vingl milles, a travcrs
un pays rude et accidenlc. II avail ecril, dit-il, un cssai
lirCdant et exalte ; il I'avait en poche ct partil pour allcr
trouver ses amis. En route, il crut rcmarquer les synip-
tumes dc I'approche d'une lempete d'une especc non com-
mune. II y avail un calmc plat, il neigcait legercmenl, ct
les collines eloignees prcsenlaient une opparcncc cxlraor-
diuairc. II songcait au Iroupeau de mouions ((u'il avail lia-
biluellement sous sa surveillance, mais conOe en ce mo-
ment aux soins d'un autre, et il commenca ii pcuscr qu'il
scrail prudent dc revenir sur ses pas. Apres un long com-
bat cnlre son inclination et le senlimcnl de son devoir, il
se decida, le ceeur gros, ft s'en rctourner, et se dirigca
vers la maison. En route, il passa cliez un vieux parent
qui lui dit que les apparences aunoncaienl une lempete de
neige pour la null, el qu'il lui conscillail de se rendre a la
maison en loule bate. El le viciUard ajoula, pour scrvir de
guide a Hogg, dans le choix du lieu oil ses mouions se-
raienl le mieux a I'abri, que si, en route, il voyait une
cdaircie daus le brouillard, il pourrail en conclure que
I'orage viendrail de cc colc-lii. Ccpciidanl Hogg ne vil point
d'ouverlurc dans le brouillard ; il arriva a la maison, el se
coucba dans rinlcntion de so lover de tres-bonne heure,
alio de cbcrclier un lieu de refuge pour ses mouions.
Au moment oil il sc mcllail au lit, il obscrva un point
lumineux du cole du nord, cl sc rappcia le conscil de son
jiarcnt,maisilpcnsa qu'il n'y avail pas urgenccd'agir imme-
dialemont. Sur les deux beurcs du malin, I'orage commenca
d'une maniere si soudainc el avec une telle furie, qu'il
sorlil du lit en sursaul, el, en meltant Ic bras dehors, la
neige qui lombait en tourbillons ctait si epaissc, que sans
la violence du vent, il lui aurail scmble qu'il cnfoncait le
bras dans un las de neige. II couchail dans un bailment
cxli'ricur cloigne d'environ vingl pasde I'habilalion; el en
descendant, il so Irouva bloqne par la noise qui s'elevait
aussi haul que les mnrs do sa denicurc. II cut beaucoun de
peine a atleindre la maison principale. et trouva lous les
habilanls dans un grand cffroi, Tous cHaicnt dans la plus
DU TEMTS PnlJSENT.
t-il
prnnde inquicluJcsurle soi-tdcsnioutcns f|ni n]i]i,ulcnaiciit
i\ In fiM-mc : il y avail liuit cciUs do ces paiivrcs onimaus
siir uno coUinc Ires-exposoe, ct i une granJe dislance dcs
lialiilalions.
lis dcjcunercnt a la hato , Orent en commun une
courte mais fervcnte priere pnur le salut do tous, et Ics
linmmes pai-tircnl pour luur dangereuse cxpedilion, apres
avoir rcmpli Icurs poclies de pain ct de fromagc, avoir
cousii Icur plaid aulour de Icur corps, avoir allaclie
Icurs cliapeaux ct s'etre munis de longs JjSlons.
Dcs qu'ils fiirent dehors, deux lieurcs avant Ic jour, ils
Irouvcrmt I'ohseurilc si prolnjide, (|u'ils nopurcnlavancer
(|u'a latons. Quelqnefois ils avaicnl a traverser dcs masses
lie ncigc; d'aulres I'uis il Icur fallait les francliir en rou-
Iinl ou en les escaladant; ct la violence dn veni el dcs
liiurliillons clail Idle, qu'ils iHaicnl oliligcs, tfuites les
Irois ou (|uatrc minutes, de baisser la tele pour rcprcndre
lialeiiie. Ils avaieiit ,i coml>allre des rtinicuUcs si graiidcs.
i|u'ils niircnt deux hcures a parcourir une distance de cent
ciiKiuanlc tniscs.
(Juandle jour commenca a paraitre, il leur fut possible
d'avanccr iin pen pins vile; I'un d'eux prenail la tele, et
les aulrcs le suivaienl dc pres. 11 etait impossible de mar-
cher a la Icle pendant plus dc Irois ou quaire minutes a la
biis, ii cause diivcnl piqunnl qui Icur soufllail conslammeul
dans la figure, liii pen de lemps, I'un d'eux qui les gui-
daifet Ics avail, sans le savoir, cgarcs, lul rclevo par eux
dans un dlat voisin de I'insensibilite ; et bicnlot apres,
M. Ilngg lomba an fond dun ]irecipice, et tut presquo
cnliercmciit cnscveli dans la ncige.
Apres dcs efforts et des peines inoules, ils parvinrent
cnOn a I'un des Iroupeaux. Les moutons etaicnt deboul,
presses Ics uns conire Ics aulrcs, en une masse compacle;
la jdnparl etaicnt rccouvcrls dc dix picds de neige, et
Ics aulrcs avaient cte pousscs sur le montant d'une col-
liiie. On cut quelque difficulle ;i debarrasser ceux qui
etaicnt an dehors, et Ics bergcrs furcnt agreablemcnt
surpris de voir que Ics aulrcs purcnt sorlir facilcmenl de
di'ssous la neige (|ui s'olait consolidee en croule au-dessus
d'eux. 51. Hogg, quillant les autres bergcrs, se dirigca plus
loin vers un cndroil ou Ion avail laisse un autre troupeau.
11 vint a bout d'ca debarrasser la moilie et de les mellre
en lieu de snrcl:!' ; apres qnoi il se hala de retourner a la
niaisoM, en eherclianl son chemin li talons le niieux qu'jl
put, car liien q\ril fit encore jour, il elnit impos^^iblc de
voir a dix toiscs autour de soi ; et dans les vallnns la neige
elait si epaissc, qu'elle couvrait meme la cime desarl;cs
les plus (ilcves. De jour en jour les bergers sorlaient
ensemble jnsqu'.i ce qu'ils eussent reuni a la lerme
tons les moutons morts ou vivants; ils en tronverent
la plupart ensevclis sous une epaisscur de neige de six
ii dis picds. lis etaicnt tous vivants quand ils furent rc-
troHves, mais il en mourul un grand nonibre pen de temps
a|ires.
Dans cclte null de neige el de tcmpele, dix-sept bergers
pcrdirenl la vie dans le sud de I'Ecosse, et plus de trente
fiircnl rdrouves el porlcs chez eux dans un elat d'insensi-
bililc. Un fermier perdit qualorze cent quarante moutons,
Cl pliisicurs aulrcs en pcrdirenl cliacun de quaire cents a
six cents. Dans quclqucs endroils, des Iroupeaux ejiticrs
finciil ciigloulis sous la neige, et personne ne sul ce qu'ils
C'laicnt dcverius, jusqu'au moment oii la neige, venant n
fundrc, lai>sa b;urs corps ii decouvcrt. II y en cut dcs ccn-
laines d'cniralnds par les tnondations, dans Ics ruisseatix
ct dans les lacs, cl ensuite emporles par la debacle ; dc
sorte que leurs propriclaircs no les revircnl plus el ne Ics
relrouverent jamais.
A un endroit oii plusicurs courants se jettent dans le
Sohvay-Frilh, ou bras de incr de Solway, il y a une espcce
de bas-fond nomme Bancs de I'Esk (Bedsof Esk), oiila mareo
jelle ct laisse .i sec tout ce que les couranls y emportent.
(Juand I'inondalion qui snivit ces grandes neiges sc fut
ecoulee, on trouva sur ces bancs les corps de deux homines,
une fcmme, quaranle-cinq chiens, trois chevaui, neuf
betes a cornes, cent quatre-vingts lievrcs ct dix-huit cent
quarante moutons.
L'Ecosse est souvent nfdigee par des tempeles de neige
Ires-desaslreuses, maisipii ne sonlpnscomparablos ,i cclles
donl nous venons de parlcr. M. Hogg fail un rccit Ires-
inleressant de la maniere donl Ics habitants se resignenl a
cescalamitcs.
11 Ce qui ne contribuc pas peu, dil-il , a la fortitude
el a la resignation religieuse qui distingue le bergcr ccos-
sais, c'esl la pcnsee qui se grave nalurcllcment tous les
jinu-s dans son espril, que son bonheur el son aisance sont
enlieremenl entre les mains de celui qui gouverne les
elements. Je ne connais pasdc spectacle plus loucbant que
celui d'une famillc rcnfcrmee dans un vallon solitaire, an
moment d'un oragc en liivcr. El oil est la vallee du royaume
qui n'ait pas une habitation de celte espece? La ils sont
abandonncs a la prolcclion du cicl ; ils le savent el ils le
senlent. An milieu des tourmentcs des elements el des
cruclles vicissitudes de la nature, ils savcnl qu'il n'esl au-
cun seconrs a esperer de I'homme ; mais ils s'altendent ii le
rccevoir sculcmcnl du Tout-Puissant. Avant dese livrerau
repos, le berger ne manque jamais de sorlir pour exami-
ner I'etal de I'almosphere, ct il revienl en rcndre compte a
la famille )dacee sous sa protection. II ne voil ricn que Ic
combat dcs clemenis et la fnrcur de I'oi'age! Tous alors
s'agenonillent aulour de lui, II Ics recommande ii la pro-
lcclion du cicl, et quoique les rugissemenis de la tcm-
pele couvrent leur faible voix, el qu'ils puissenl a peine en-
tendre eux-memes Ihymne qu'ils adressenl au Seigneur,
ils ne manquenl jamais, en se levant apres leurs devotions,
de scnlir leur .ime raffennie, leurs esprits reprcnnent
toule leur serenite, la confiance leur est rendue, et"ils s'ii-
handonnentau sommeil, I'iinie rcmplie d'une douce exalta-
tion et de cette paix ii laiiuelle Ics rois cl les conqucranls
sont etrangcrs. n
I.'ORACZ SES HIGHI.AIIDS.
De toulcs les villes du monde, aucune n'esl plus er-
posee nux effels deslrucleurs de ecs tempeles glacees que
Tamnntonl, dans les Highlands (-1).
Elle est comme encaissee et perdue entre de hautes
monlagnes, d'oii les torrents se precipitenl et s'enlas-
scnt sur ses fragiles edifices, cent fois dctruits par I.T
violence des avabnchcs, toujours reconslruits par leurs
habitants obslincs. Les regions mcridionales, avcc leurs
tonncrres el leurs volcans, ne pcuvent domier I'idce dc
I,*) Terra Arj'(/ts, montane?, var oji^iosllion '*hw tanrfj, Icircs bjfses
1i2
rp (luo la nature rciiiiit dc tcrrcnrs eiihlimcs ct fiinohrcs,
fiu.ind dos i\'^'ions fmiilcs, lin-issccs do monts el voisincs
lie la mer, sonl le llicatrc que scs convulsions ebrnnlcnt.
C'cst, nil soin de la nuit, une ncige elilouissante qui,
tombant en masses cpaisscs et oliliqucs, mennce dc tout
cngloutir; c'est le vent qui, arrOle dans sa, course par les
immcnws forrts do Head o' Dee, les pics de Urantown
ct les anrracluosiles de Glen-Aven, siflle ct hurle comme
si toulcs les Ics'""* inreriialcs avaiciit ronipn leur ban.
Los bruits qui acronqiaqucnt cc doluge dc neii^e et ccltc
rcvollo dns vents nc sont pas moins epoiivantables. La
foudrc gronderait snr voire tele, vous ne renlcndriez
pas, lant les miUe cataractes qui vous cntourent, les col-
jincs. dont les cchus mugisscnt ;i la fois, I'Oceau lointain
qui bruit, ct les arbrcs qui se briscnt, et les rocs qui se
dct.iclicut ct se fracassent en tombant, se niclenl dans un
liorrib'.e lumulte. Tamantoul n'est accessible que par des
Rentiers ou gorges ciroites, lombeaux des voyageurs qui
s'y engagent par un inauvais temps. En 1812, on trouva
dens ciiurriers de la poste cteudus morts dans une de cc<
avenues, que la neige comble et obstrue en pen de temps.
A vingt pas dc la ville, vous peririez sans sccours. La
neige vous aveugle, voire langue se glace, vos pieds s'ar-
relent; quclqucs minulcs sufliscnl pour cnsevelir le mal-
lieureux que son imprudence ou son inexperience a portc
a braver colle guerre acharnce que les elements livrcnt a
la vie de Ihommc.
Par un caprice qui caractirise nssez bien la Mzarreiie
luimaine, cette bourgado, qui s'bonore du nnm de ville,
est, pendant les mois d'liiver, un lieu de fete perpeluclle.
Vous dies siir d'y Irouver les montagnards des clans les
plus sauvages, les jeunes laboureurs des basses terrcs, les
jetines lassies {\) qu'un procbain mariage amcne a ce
rendez-vous. On y boil, on y fume, on y danse, on s'y que-
relle; c'est un bal de chaquc j'lur, une bacclianalo doLit
toutes les scenes sont loin d'oll'rir un spectacle elegant ct
classique. Les plus mauvais sujcls de I'Ecossc ariluenl dans
ce petit endroit : vicux soldals, fermiers ruines, maqui-
gnons qui cberclicnl fortune, minislres de I'Evangile cbas-
ses de leur presbytcre par decision des anciens, buveurs,
joueurs, chasseurs, conlrebandiers, banquerouliers, gons
sans aveu, population piltoresque et dangercuse qui rccide
devant une civilisation perfectionnee, et se plait a vcnir
Irouver dans la prison joyeuse de Tamantoul la liberie,
qn'elle pousse jusqu'a la licence, et de rusliques plaisirs,
qu'elle achele a bas prix. Les mauvais sujels se donnent
souvcnl rcudez-vous a ces fetes, qui sont, il est vrai, en
assez mauvaise rcpulalion aupres des gens pieux el graves,
et que riionnete fermier calvinisle recommande bien a son
fds d'cviler soigneusement.
Au mois de fcvrier 18'i5, une tempcle si violcnte vint
Eurprendre les habitants de Tamantoul el leurs holes, que
les oris des buveurs, les sons du bag-five ecossais (2) ct
los sauts cadences du slrathspey (3) s'inlerrompirenl tout
li coup. Peu s'en fallul que loule la nation irreguliere que
rcnfermait ectle enceinte de rocliers ne demeurat englnutie
sous cent pieds de ncige. Une tournee dans les Highlands,
voyage qui, pour les coclineys de Londres, est aussi neces-
sairc que le voyage d'lirmcuonville pour les Parisicns,
(1) l.ais, lassk. jcnnc lille : t'c t iia iliiiiiiiuiirerossais.
{■2. (iiirncmii^p.
iT; Cciiilrnliu^r iliiiil li'S ligur. s sum Urs (om|ili(ni('CS.
ANEt^DOTBS
m'avait conJuh i\ Tamantoul, d'oi\ jo cnmptais partir nv.nt
la nuit, mais ou cet orage me forca de m'arrcter. (,;iii'lle
que lilt riiorrenr du spectacle, et malgrc le peril reel que
nous courions, ce qui a surtoul iixc dans ma memnire Ic
souvenir de cello nuit oragciise, c'est un evenement ira-
giquc auquel la fete de Tamantoul servil de prelude, ct
dont toutes les scenes qui se sont passecs devant moi sont
encore presentes a mon esprit. Lewis Mackensie, soldal de
rarmec ecossaise, le plus bel hommc pcut-i'lre qui ail ja-
mais foule la bruyere des monlngnes de sou pays, faisait
parlie de celle assemblee joyeuse et turbiilenle. C'etail,
m'a-l-nn dit, un fort brave soblal; mais la renommee lui
atlribuail plus d'un mauvais lour.
l)e Dumfries a Ediinbouig , Lewis Mackenzie n'elail
connu (lue sous le nom de Glibby Glelgcr (I), .sobriqurl
singulicr, qui, dans le palois d'F.eosse, a une siguificalioii
tres-ironique el Ires-expressive.
Lewis valait apparemmenl beaucoup mieux que .sa ri ■
[lulalion ; une jeune Dlle des moutagnesv Mary Craddncli.
till avail inspire un allaehement sincere, et il allail 1 e-
ponscr. Mary, que j'ai vue dans ec bal ruslique, n'elail pa-;
regulieremenl belle : il y avail de laine dans ses trails, de
la gr.lce dans sa demarche, de la langueur dans son regard.
Le rapitaine du regiment oil servait Lewis la deniaiidait
aussi en mariage : mais MaryCraddork profcrait Mackenzie ;
ct la rivalilc qui existait cnire les deux militaires avail
crlate plus d'une fois avec une vivacile que la discipline et ■
la regularite du service n'avaient pu etoiifrer. La jeuun ■
fille, qui demeurail li deux lieues de Tamantoul, dans les
monlagncs, elait venue au bal de cette ville avec sa graiid'-
mere, el die avail danse plusieurs stralhspeys avec Lewis,
quand le capilaine lui offrit d'etre son parlenaire pour
la danse procbaine, et, sur le refus dc Mary, laissa echap-
per quelipies paroles aussi iiijurieuses pour die que pour
sou liancc. Une querelle violcnte commenca ; cl bientut Ic
capilaine, arnie de son autorite mililaire, ordonna an soldal
dc quitler la sallc et de garder les arrets. Lewis se retiia,
la rage dans le ceeur. Aussilot apres cette scene, Mary,
loule en pleurs, et sa grand'mere, effrayee, rcprireiit
seule> la route de leur habitation.
La tempcle n'avait pas encore commence quand dies
qiiiltcrcnt Tamantoul; mais un quart d'lieurc aprcs leur
depart, les premiers llocons de ncige lourbilloiinerent
dans I'air; bientol loule ralmospberc en ful assiegee et
remplie. Qu'on imagine la situation de ces deux malbcu- "
reuses fcmmcs surprises par ce torrent inevitable qui les
ecrasait et les etouffait, saisies par cette invincible prison
dc glace, s'cndormanl sous ce froid manleau pour nc .s'e-
veiller jamais, et incapables de lulter centre la mort qui
les pre.ssail de toutes parts el les envahissail lenlcmciit. Le
lendemain, ce fut un spectacle horrible et louchanl, qiiaiul
une partie dc la neige fut fondue, et que Ton di'blaya les
senlicrs qui conduisent li Tamantoul, dc voir la pauvre
jcnnc fille enveloppee dans le plaid (2) do sa grand'mere,
qui la pressait forlemenl sur son sein, ct qui avail inutilc-
ment es.saye de la garanlir dans les larges draperies du
manleau. La jcune fille, loule pale, belle encore, elincdait
de gelce sous les rayons du soldi, et sans autre indice de
(1) Cos paroles ne pciivnil sc irjiliiirc, et colics qui pourraicnl leurcor-
rcsiniiiOic en framjais le hrgueur oHique) n'ufficnl (|u'un sons liilirulf .
(2) Jl.inioan b.niolo qnr Ion iiorieen Ecosso, oiiloni i'u5:ist'»Vsl iniro-
diiil on t-'iiin L'.
DU TEMr? PRESENT.
itinrl que SM immolilitft cITrayaiite cl cpl cclot funcslc.
Vous cussicz dit une lleiir de prinlemps dont unc nuit
Iroidc a glace la sevc sans flcHrir sa bcaulc.
On dit que la furenr de Lewis Mackenzie, lorsque ce fatal
i'vencmcnt poivint jiisiiu'i lui. approcha de la demence.
Le capitaiiie ctait nn mcuilrier aux yeux du soldal; 11
avail, par son acte arbitiviire et par la querelle qu'il avail
suscitce, cause la moit de Mary et de sa grand'mere, et
prive Lewis de lout cc iiu'il aimail dans le monde.
Le brillanl ct gai Mackenzie disparut.
Cone flit plus qu'un homnie sombre, absorbc dans le
senlimcnt Jc sa doulour el le desir de la vengeance. Un
mois apres, je me trouvais a Edimbourg quand les sol-
{lals so mulinci-ent au sujet de leur paye, et personne ne
ful clonne d'apprendrc quo Lewis ctait a la tele de la
revolte, ct que le capitaine O'Giicn (c'etail le nom de
son rival) avail peri dans une emcute de la main nienie
dusoldat. Mackenzie, accuse de meurtre snr la pei-sonne
de son capitaine, el de rebellion a main armee, ful juge
par un conseil do guerre, et condamne a mort.
Le prinlemps ctait do rclour. Les links d'Edimbourg se
couvrirenl d'un peuple nombreux des le matin du jour ou
Lewis devail etre execute.
Trnis reginienls, la baionnette au bout du fusil, sorlirenl
de la ville el s'avancercnt en silence; bienlot on entendit
le bruit sourd d'un grand tambour, dont la percussion,
relenlissant a de longs intervalles, etail voilcc et rcndue
plus lugubre par linlcrposilion du crepe noir qui le cou-
vrait. Un ncgre africain, homnie alhleliquc, de six pieds
dc haul, ct le plus redoutable boseur de son lemps, frap-
pait de t'lUlc sa force sur eel instrument funebre. A voir
la violence avcc laquelle il assenait ces coups intcrrompus,
le sourire dc ses levrcs el fecial dc scs ycux, dont le
blanc etincclait sur 1 chene de son visage, vous eussiez dit
qu'il allait a une fete, et que la mort de I'honime blanc
ctait un triomphe pour I'homme noir.
Lewis ctait generalement aime ; quand on le vil marcher,
comme le prescrit la loi mililaire du pays, derriere son
cercueil que portaienl dcus de ses camarades, el s'avanccr
d'un pas ferme ct mesure, I'ceil Cxe sur le gazon de celle
terre nalale qui allait bicntol disparnitre a jamais sous ses
pas, un fremisscment universel, un murmure silencieu.t
qui semblail se commnniqucr par une sympathie elcc-
trique, vinl agiler celte multitude.
« Cist lull c'cst lull I'auvre garcon! — Puir fal-
low (1)1 » repclaient tout has mille voix de femmes,
vicilles, jeuncs, de lout age, entourees de leurs plaids,
la tete couvcrte de leurs capuchons gris, quelques-unes
porlant leurs cnfanls el leurdonnant le sein.
C'etail chose surprenante el remplie d'emolion que
celte douleur geuerale a propos d'un pauvrc soldal , que
ce ressenliment populaire si profond, mais etouffe par
le respect des lois; que I'expression semblablc de toutcs
ces Ogures de femmes ccossaises, pales, graves, carac-
tcrisees, el qu'un beau soleil levant cclairail. Un signe
de la main du commandant changea la forme des trois
regiments; le tambour cessa de ballre; un drapeau s'a-
baissa lenlemenl; les troupes se rangerent sur Irois ligncs
cgalcs, formanl un carre dont on nurail supprimc un cole.
Le cercueil ful npporle et place au centre. Lewis Mackenzie
s'agenouilla sur le cercueil.
(IJ I'ooT fftliu:
H5
La vie cl la jeunesse brillaient sur son visage, el quand
le malheureux jeune homme cut defail son habit, vous au-
riez cru qu'il s'agissait pour lui non de mourir sous les
balles de ses camarades, mais de prendre part a quelquo
jcu ruslique, et de deployer sans entraves la male vigucur
donl I'avait doue la nature.
On entendil quelqucs gemissements sorlir dc la foulo
cmue; les femmes pleuraienl. Ellcs se rappelaient que,
pour sauver un enfant, GUbby Glcdgcr, s'exposant aux
rigucurs de la discipline, s'etait laisse glisscr, au moyeii
d'une corde, du haul de la ciladclle sur les rochers qui
la soutienuenl. II subissail dans toulc son horreur le
chaiimcnt inexorable de la justice mililaire.
11 lallail voir lojtes ces teles el lous ces regards fixes, ct
la slupcur peinle sur lous ces trails. Bienlot le triple rang
des soldats, forces de devenir bourrcnux, se rcsserra et se
rapprocha. Lewis se leva, atlacha le bandeau sur ses yeux
de sa propre main, s'agenouilla de nouvcau sur son cer-
cueil, joignit les mains, pria.
Six balles percerenl son cccur. Mors , quel cri pro-
fond , douloureux, lamentable, impo.^siblc ii esprimcr
ct a oublier, relenlit au loin, comme si celte foule n'a-
vail eu qu'une ame et n'avait poussc qu'un gomisscment!
Vous eussiez dit que chacun des assistants perdait un
frere, tant ce peuple pieux, severe ct ruslique, a con-
serve un profond et populaire sentiment de nationa-
lile, tant il s'associail inlimemenl au supplice du jeuno
soldal. Je vis son vieux pere. invaliJe aux cheveux blaiics,
au front hale, sorlir de la foule ct aller embrasser son fils
mort et sanglanl. Je vis la mullitude s'ecouler lente et
muctte.
El le soir mcme, toute celte cmolion causce par la mort
du soldal avail cede aux habitudes communes de la vie ;
parmi ces femmes qui avaicnl donmi tant dc plcui-s nu
pauvre Mackenzie, pas une ne songeait A lui.
(Juaiil ii son vieux pere, je le rcficontini le lendemaiu,
ivre comme uu monlagnard, pour.suivi par une troupe d'cn-
faiits , incapable dc se soulcnir, chancelanl ii Iravcrs la
place du marche, repelanl dans .son desespoir el begayanl
dans son ivresse le nom de son CIs. C'cst ainsi que I'homme
est fait. •
LE CHRISTOPHE COLOMB OU PONT SAINT-MICHEL.
La rigucur singulierede I'hiver de 18^3, qui a qualrc
fois recommence, a donnc lien a plus d'un cvcncmcnt Ira-
gique, a plus d'une catastrophe violcnie, el au.ssi a quel-
qucs bizarres developpemenls du caraclcre humain.
On saitcombien d'aspecls varies offre, pendant le prin-
lemps et I'ele, le cours du beau lleuve qui traverse Paris;
une double ceinlure de quais peuples d'un monde de pro-
mencurs, de marchands, de chalands, hordes de maisons,
et de palais de lous les Sgcs et de toutes les architectures,
escorle les Dots capricieux de la Seine, et plus dune fois
les artistes se sonl plu a r. produire , dans des esqui.sscs
semblables a celles que nous placons ici, la physionomie
animce el changeanle de la riviere parisienne.
Elle a itc reccmmcnt le the.iire d'un essai de navigation
aussi dangercux qu'original.
Hi ANECDOTES DU TEMTS I'UESEINT.
Lc joiinc D..., fils d'uii cntrcposcm- de Bercy, dejeiina, I dc son Sge, dans la maisoii dc son pere, ct paria qn'il
•vers le commencement du mois de Janvier, avec des amis | desccndrait la Seine jnsiin'ii Passy, perclic sur un glai^nn
do son chuix Hi sa convcnance; le pari fut acccptc. Sur
un large et cpais gla^on detachc de la rive, arme d'un avi-
ron fait avec une douve clouee an bout d'un baton, il s'est
clance en pleine riviere, a pris le 01 de I'eau, et a navigue
tres-tranquillement jusqu'ii la pointede la Cite. La, frappe
du danger qui le menacail an passage des ponts , il vit
qu'il avail risque sa vi&dans une entreprise aussi ptril-
leuse qu'inutile. Sous les ponts Notre-Dame et au Change,
le llcuve elait dcvcnu un veritable torrent. Sous le pojit
Sainl-Micliel le cours estmoins rapido, mais les arc'ics ,';out
elroiles etmal disposocs. Delibcrcr longtcnips einit impos-
sible. Le glajon qui lui servait dc navire I'emportait avec
une rapidite foudroyanle. Scs amis, places sur la rive, lc
suivaient de I'reil; et il elait evident que sa vie depeudait
de la s&rete de son coup d'oeil et de son adresse II n'hesiia
pas. se dirigea vers le pout Saint-Michel, passa enlre les
glacons qui exrontraient les arches, et arriva sain et sauf
a la barricre de Passy. Cclte audace qui expose sa vie pour
alleindre un but honorable el mile nicrile radiuir.ition dp
tons lescCEurs, de Ions les esprils bien ncs. Mais puurquoi
ce deploiement de forces perduos et de sterile danger, qui
lie peut pas rapporter de gloire a cehii qui I'a couru ?
IiE BBIIt GEI.E.
Lc grand lIcuvc qui separe et fertilise les rives de Francj;
et d'.Mlcmagne, le Itbin, que I'hiver atteint si rarcmcut, a
cliarrie celle annee d'ennrnics glicoiis.Qiiaiit nu NeliOr, il
gele sur divers points; on pent le passer a pieil sec pres dc
INeckargemiiud, et la plupart des torrents qui desccndent
des monlagnes de I'Alp on do la Forcl-Noire, charrioni de
gros glacons. Les quanlilos de neige qui sont toniliees d.ins
ces monies montagnes entravcnt tonics les communica-
tions; les transports des comoslibles et des marcliandises
ne pcuvent plus s'effecliicr qu'ii I'aidc dc traincanx ; encore
les vivres sont-ils pour la plupart impropros a la consom-
matiou quand ils arrivent aux uiarchcs.
Du I'cslc, nii'me siir Ics griiiulos routes, il faiil six ii liuit
clicvaux pour Irainer unc clinrfto que deux clievaux Toitu-
rc raicut facilomciU en temps onlinairc. Plusicurs diligences
nllemamlcs out verse. Leconducteur decellc qui va d'Augs-
Ijourg ii I'lm n du requci'ir trcize villageois pour le tirer
dos neigcs cl I'aider a conlinuer sa route. La diligence qui
fait le service cntrc Stncknsh ct Ulm n'a pu davantage
poursuivre sa route avcc son altelagc ordinaire.
Vers le milieu du mois de Janvier, une louve ct den.'!
louvctcaux de la Forul-Noirc, attires par Tcsperance cl
I'odeur d'une proic qui sc trouvait abandonnee a Icurdcnt
c.irnassicrc sur I'autre rive du lleuve, du cote dcla Suisse,
s'l'lanccrcnl sur un glacon du Itliin qui, dans ce moment,
elait iuimoljilo ct relcnu a la rive. L'elan do ces aniniaux
iK'lacha le glacon qui se niit aussilul en mouvement et
les emporta comme une lleclic jusqu'a rcmboucliure mcme
de I'Yssel ; les longs liurlements de la l«"te feroce ct de ses
pctils allirercnt les populations, qui leur laclierent plu-
sieurs coups de fusil sans Ics atleindre. taut leur fuite etait
rapide. On les a pris vivanis cl a demi-geles sur la rive
dObcr-Yssel.
[ IlandcUblad d' Amsterdam ).
I.'CN'OZJDATIOIII EN CEINE.
Hans les provinces situees sur la mer Jaune, les iuon-
ilr.liiins out en cette annec le caractere d'uu veritalvlc de-
luge. Ce.s provinces, dont cbacune nourril une population
I liis nombrcusc que celle de lei grand royaume de second
oidre d'Euriipe, ont eli' presque enliercmcnt submergees.
Apres la retraite dcs eaux, on a non-.sculemenl Irouve des
radavros par milliers sur le sol el dans les maisons, mais
JHsi)ne sur la cime des arbres Irs plus eleves.
Sur le fleuve d'Yangb-Tse, on a vu Hotter un grand
nombre de tonncans cnntenant les cadavres de jeunes en-
lanls. Ccsenfinls y avaicnl etc enfcrme-s par leurs parents
qui, au niomeiil ou ils av.iient perdu lout espoir de salul,
crurent qu'cn pbrant leurs enfanls dans des futailles qui
snrnageraient sur I'eau, ils leur procurcraienl une derniere
clionce, quoiquc fori incerlaine, d'etre sauves.
On evalue a plus de dix-sept millions le nombre des in-
dividus qui etaienl jiarvenus a cebapper aux innndalions,
etcelte immense masse d'hommcs, reduite a la plusaffreuse
misere, s'elait repandue dans les provinces circonvoisincs,
.oil elle implorail la cliarite publiquc.
A ce grand desastre etail venu se joiudre un autre mal-
Iicnr, celui d'une haussc extraordinaire du prix duriz, qui
est, comme on sail, une denree dc premiere necessilc en
Cliine, et qui cntre mcme comme ingredient dans le pain.
Les mandarins clicrchcnt a empecher aulanl que pos-
sible la publication dc ces details effroyables. llsonl pcur
que le gouvernemcnt ne les rende responsables des dom-
mages causes par les inondalions, parce qu'ils ont laisse
£C delabrcr Ics digues dont la conservation csl ,n leur
:clinrge.
( Journal rommncial dr Patavia. i
!.E SAVOIR-VlvnE EN RUnOPE. -)«
Z.'aiVEIl EH axoiSbis.
Une ffte magnilique avail etc donnee a la garnison ct i
la ville de .Medcali. I.a garnison, qui aime son clicf, vou-
Int se moutrer rcconnaissante, et re.solut, a I'unanimite, dc
renonveler bal et sonpcr dans la grando sallo du ccrcle des
orncicr.s. La .souscription failc ;ice sujct produisil1,200fr.
L'epoque de la reunion etait lixoe a la mi-carcme; mais
I'lwmme proposr, el Dieit dispose. La saison, si mauvaisc
deja, redoubla .ses rigucurs : la ncige toniba pendant dix-
huil jours consecutifs avec des inlervallcs dc pluie el de
brouillard. Elle alteignll deux fois unc hauteur de di.x-
bnil a vingt pouces, ct, au moment oil j'ccris, elle couvre
encore le sol, malgrc deux demi-jours de soleil el de degcl.
Les maisons s'ccroulercnt de toutes parts, vieilles ou ncu-
vcs, ct des families cnlicrcs furenl sans nsile. Un homme
est mort dc froid dans la rue.
M. le general Slarey. dans sa sollicitude constantc pour
les malheureux, Ics fit logerprovisoireraenl dans une mos-
qiiee abandonnee par le caserncment, et ordonna qu'on
ilistribucrail par jour deux cents pains. C'etait chose aflli-
gcante a voir ijue cetle population musulmane, sc pressanl
lous les matins ,i la porte du liakcm pour avoir sa portion
de pain. Les officicrs de la garnison sc plaisaient a se ren-
dre sous le hang.ir du niartbc pour acheter les gaieties
arabcs ct se fairc piller ensuilc sur place. On s'emul dc-
vant taut d» calamiles, el on renonca aux plaisirs pour
les sonlager. L'argent destine a une fete fut donuc aux
pauvrcs.
De Idles maniercs d'agir portcronl leurs fruits, sans
nul duute ; on cut dit que ce bienfait devait avoir d'avancc
sa recompense. Voici ce qui arrivail, il y a Irois jours, dans
les nciges de la route du Col. Cinq Europcens, et parmi
cux un pharmacien qui vient s'elablir a .Miideab, avaient
voulu passer, malgre le mauvais ctal dcs cliemins ; la unit
les surprit entre la minede cuivre du Monzaio ct la ville;
il faisait noir, ct pas une trace nimliquait la direction a
» suivre. La petite caravane s'egara, el fut reduite, npres des
fatigues inouies, ii concher sur la ncige. Point de feu, la
nuit fut terrible ,i passer. Cepciidant le jour vinl ct laissa
voir quelques gourbis a peu de distance ; on parvint a Ics
gagner, non sans peine. Les Arabes allerent au-devanl des
pauvrcs diables, el leur donnerenl I'bo'ipilalitc la plus com-
plete el la plus attentive. On les reclianffa le mieiix que
Ton put, mais les souffrances avaienl etc rudes, el ce ne
fut que le lendemain que Ics cinq imprudcnls se remirenl
en route pour Mcduali.
(Ahbar d' Alger.)
LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE.
SI.MPLES COSSEllS A CEKX QUI EMHEM DANS I.E M0^De(1}.
III.
I.a potilci.^c a lalilc,
L.1 (ciiiversalioli li IdI>Ic. — Le m.illrc cic nuisnn gaslronoinc
Ciiranic loui le nionilc. — .\v3iri dinor. — Ajircs dliicr.
Dans toutes les actions de la vie, raffcct.iiion, I'amour-
propre, Toubli des anlrcs, regoisme, en un mot, nous rcn-
(l) Voy. Ic Journal dt il. le Cur/, n' II.
^9
MQ
LB SAVOin-VIV
ilcnl liaissaMos ct riJiciilcs. C'est a cello loi si simple qiril
faut nppnrtcr toiile la polilcsse. Ainsilc maitredc niaison
no doit pas sculomciU llallcr le gout ct salisfaire les pcn-
cliants gaslronomifiucsde scs convives, il doit lairecn sorte
que chacun sc Irouvc a I'aise ct commc dans sa proprc
maison. Un diner splendidc s'cclipsc tonjours aupres d'lin
diner agrcable. Donliomic, liicnvoillancc, simplicity ct fa-
eilile d'accueil, snnt d'admirablcs assaisonnenienls pour la
l)0nnc chore. A ce prnpos, un Italien qui viviiil an quin-
zicmc sicclc donnc a scs contcmporains d'cxc( llcnts oon-
scils qui conviciincnt encore aux liommes do nos jours.
(1 On olticnl, dit-il, une grandc f.ivcur par les diners
donncs aii.t ctrangcrs dislingucs. 11 est trcs-convcnable
aux honnetes gens deles recevoir avcc magnificence. Cela
est utile 4 qui desire itre connu ct a acquerir de I'jn-
lluence nu dehor.*, ct devcnir un ornement de la cite. Les
invites no seront ni moins de trois ni plusde ncuf, parce
que, dans le grand nombre, on ne peul s'cnicndre, selivrer
a des discours suivis, ct cpie les causcrics a part ct les juies
scparees produiscnt la confusion. Tout diner liieu onlonne
cxigccinq condilions : un nomlireraisonnabledc convives,
des gens de bonne compagnic ct qui se conviennenl, un
lieu qui plnise, une heurc commode, ct un service irrcpro-
cliable. Que les convjvcs ne soient ni babillards ni mucls,
luais cau.seurs et mnderOs. On ne doit point s'cntrctcnir a
table de choses sublilis, douteuses ou ditOciles ii compren-
drc, mats plulot de ciioscs joycuscs , amusantes ct a la fois
ogreables ct utiles. »
II est pei-mis a un niaitrc de maison d'etre gastronome,
iTiais il lui est defendu de montrer nuvertcmeni, et d'une
I'acon dcsaareableauxaulrcs, scs voluptesgastronomiques,
Icur atlcnte, leurs phases ct leurs angoisscs. J'ai vu un de
c«s mailres de niaison inTeodes a leur chef de cuisine,
tirer sa montrc, et, sans faire attention aux personncs
mvitees qui remplissaient son salon, resler I'ceil (ixe sur
le cadran. jusqu'au ninmcnt bicnhcureux qui le rendait ,i
la seulc jouissance de sa vie.
nu EN EUHOPC.
sc garder le plaisir secret ct furtif dc les manger scuh
ou suivrc de I'ccil, avcc un reject evident, les raets favoris
ou recherclies qui avaient paru sur leur table. J'en ai vu
d'autrcs, plusnaivement gloutons, no faire attention a ricn
de ce qui Icscnvironnait, no pasropondreun mot pendant
le rcpas; sc livrer lout entier a ce que Montaigne appelle si
bie.n la vie des amcs sans etoffe, a la gourmandisc, ct so
trouver, nprcs le feslin, lestcs d'unc si enorme quantitc
d'alimenis, qu'il leur lallait rompre loutes les attaches de
leurs vetemenls, ct sourire avcc une complaisance silen-
ciouse, pendant le reste de la soiree, a la rondeur de leur j
abdomen.
J'cn ai \u d'anlres roseiver des plats tout cnliers pout
Vous croyez peut-elre quo c'est chose tres-commodc el
tres-facilc dc diner dans une bonne maison sans commeltrc
aucune inconvenance ; vous pensez a ce sujet exactcmenl
commc ce bon abbe Cosson, professeur de belles-lettres au
college Mazarin, qui raconlait ,i son conficrc, I'abbc De-
lille, un diner qu'il venail de faire chcz I'abbc de Iladon-
villiers, en compagnic dc dues, dc marccliauxde France el
d'autrcs gens de la cour.
i( .le paric, dit Uilillc ii Cosson, que vousaurez fait cent
incongruites a ce diner.
— Comment done? reprilvivemcntCo.sson, fort inquiet.
II me semblc que j'ai fail la niemc chose que toul le
monde.
— (Juelle prcsomplion ! Je gage que vous n'avcz rien
fait commc persoune. Mais voyons, je me bornerai au di-
ner. El d'abord, que files-vous dc voire sei'vicllc en vous
nicltant a table'/
— De nia serviette ! je fis comme toul le monde : je la
dcployai, je I'elendis sur moi, el je raltachai par un coin
ii ma boutonnicre.
— Eh bien,monchcr, vouseles le seul qniayez fait cela ;
on n'clalc point sa serviette, on la lais.^e sur ses gcnoux.
Et comment files-vous pour manger voire soupe?
— Comme tout le monde, je pense. Je pris ma cuiller
d'une main ct ma fourcbeUe de I'autre.
— Voire fourcbeUe, bon Dicu ! persoune ne prend de
LE SAVOin-VlVnE EN EUnOPE.
fourchelte pour monger la soupe.Mais iioursuivons. Apre^
voire soupo, que niangeales-vous?
— Un (cuffrais.
— El que files-vous de la coqKille?
— Conimo lout le monde : jo la laissai au laqiiais qui nic
scrvait.
— Sans la casser ?
— Sails la casser.
— Eh liien , men chor, on ne mange jamais un ceuffrais
sans liiiser la roquille. Elapres voire ccuf frai*?
— Je deniandai du bouilli.
— Du bouilli I personne ne se serl de celle expression :
on demande du boeuf, cl poinl de bouilli. Et apres eel ali-
ment?
— Je priai I'abbe de Radouvilliers de m'envoyer d'une
Ires-belle volaille.
— Malhcureux 1 de la volaille! on demande du poulet,
du chapon, de la poularde : on ne parle de volaille qu'a la
basse-cour. Mais vous ne dites rien de voire maniere do
boire.
— J'ai, comme lout le monde, demande duchini|iogne,
du bordeaux, aux personnesqui en avaienl devanl clles.
— Sacliez done que tout le monde demande du viu de
Champagne, du vin de Bordeaux... Mais dites-moi (juelque
chose dnnt vous mangeates voire pain.
— Cerlainemcnt, a la maniere de lout le monde : je le
coupai proprement avecinon coutcau.
— Ehl on ronipt son pain, on ne le coupe pas... Avan-
50ns. Le cafe, comment le priles-vous?
— Oh I pour le coup, comme loul le monde. U etail brij-
lant, je le versai par peliles porlioiws, de ma lasse dans ma
soucoupe.
— Eh bien, vous files comme ne lit personne ; toulle
monde boil son cafe dans sa lasse. el jamais dans sa sou-
coupe. Vous voyez, mon cher Cosson, que vous n'avez pas
ditun mot, pasfaituiimouvcinentquiiie fulconlrerusage.))
On ne fait pas toutes ces choses, parcc qu'elles deplaiseni
necessaircmcnl au voisin ; qu'une servietle devcnue une
bavelle rappelle necessaircmcnl dcs idees peu agreables,
ol que dans I'emploi siinullane de la cuillcr el de la four-
clielle, il y a une recherche cvidcnle ct une concentration
desagreable du convive qui se rcji'.ie sur lui-mcmc. J'en
dirai aulant de la malproprete en mangeanl; de la niau-
vaise habitude de faire des tarlines a table, de celle de cou-
per son pain en pelits morceaux ou de decouper sa viandc
d'avancc, des traces que peuvenl laisser la fourchelle el la
cuiller sur la nappe el la serviette. La regie gcncrale est
bien simple, eviler tout ce qui peut blesser les regards,
I'odoral et le gout do ceu.x avec qui vous ctes, loul ce qui
indique que vous vous occupez de vous-meme beaucoup
plus que d'eus.
Voilii pourquoi I'homme qui gcslicule a table, nrme de
son coutcau 011 do sa fourchelle, el cclui qui place son cou-
teau dans sa bouclie, tomoignentde leur mauvaise educa-
lion. On souffle de voir dans la bouclie d'un convive un
couleau qui peut blester.
uj'aientendu.dit uncfonimed'espril.desgens atafcr leur
soupeet m(ic/(cr tons lours morceaux, d'une e.\lremite de la
table a I'autre ; j'en ai vu icmplir leur bouclie de taut da-
limenls a la fuis, que je craignais pour eux la suffocation.
D'aulrcs out employe la cuiller doiil ils s'elaiont servis
pour me servir desmels qui claienl devanl eux, cl n'allcz
pas croire que celle dernicre facon, si elrangc, ce soil dcs
pay^ans qui rndoplent. M. de Coulingo, ou. beau siccle dft
Louis XIV, la rcproclie au due el ii la duchcsso de Cliau!-
ncs.... On ne nail guerc pnii ; il faiil Icdevcnir.
Tachez, ,i table, de ne pas gener vos voisins, el comme
presque tons cem qui sorlent de Pcnfance, si vous remiicr
conslamment les pieds el les jambcs, que Ton ne s'en rcs-
sente ni a droile ni a gauche.
Loin de lemoigncr de I'avidile pour manger des pri-
meurs, qui assez souvenlsonlservieseatres-petileqiianlitr',
refu,sez-les, vousn'enserez quo [ilusagreableala mailrcs.so
de la maison. Mme la marcchale de Luxembourg prciiait
en aversion les gens ([ui acceptaienl des pelits pois, dcs as-
perges et des fraises au milieu de I'hiver, et terns ccux qui
mangeaient deux fois du memo plat. La premiere aversion
s'espliquerail par un peu de parcimonie; la seconde, clle
en donnait elle-meme la raison : c'elait son desir (fiic Ton
gonial il tout, parce que son cuisinier etait excellenl, et
quelle aimait qu'on en fit I'eloge. Decouvrcz, sivouspou-
vcz, les peliles faiblesses de ceux qui vous invilcnl, el mc-
nagez-les; niais quand vous rcrevez a voire tour, tachez
de n>n pas avoir, cl que ceux qui mangernnt a voire table
se croienl cliez eux.
Soyez d'une excessive sobriele; ne buvez jamais que de-
deuxespeces de vin, el en Ires-petite quanlile. Une fille ne-
doit pas en boire du tout. Si les fenimes m'en croyaiciil,
elles ne rougiraient pas leur eau avant quarante ans; el,
a moins de I'ordre d'un mcdecin, elles ne feraient jamais
usage de vin. II n'y a que les vertus morales qui doivent
elre communes aux deux sexes.
La maniere de servir est diffcrente, scion les mai.sons ;
.s'il y a beaucoup de laquais aulour de la table, ils vous
npportent voire assielte chargee, el vous la gardez; s'ils-
passent les mels decoupes, vous vous s?rvez vous-meme.
.Mais si les domesliques soul en petit nombre, vous passcz
vous-meme a vos voisins ce que Ton vous a servi, ce qui
rend les diners assez ennuyeux, par la politesse qui offre
d'une pari, el la politesse qui refuse de I'aulre. Enlin, I'c-
qiiilibre finit par s'elablir, et Ton dine quelquefois Ires-
gaiement malgre ce petit inconvenient.
Si, dans les fcuiUes d'une salade, vous trouvez une rhe-
nille, ou, dans tout autre mels, quelque substance qui ne
soil point alimentaire, cachez voire surprise, e* peul-eire
voire degoiil ; failes changer voire assielte, et tafscz-voiis,
a moins que ce ne soil une epingle, hu morccau de verre
ou tout autre chose dangerciise. Voire devoir aloi-s. est di'
montrer eel objet au domestii|ue, afin que le cuisinier suit
averli, meme gronde; car une reprimande qui pcul sauver-
la vie a une creature ne doit pas elre epargnee-
Atlendez, pour offrir des ]dats qui soul poses devant vous,.
la prierc des mailres dela maison. .\ulrcfois, loul simple-
menl, on servait aulour de soi. Mainteiianl les mailresses-
de maison se moutrent jalouses de cello prerogative; ce
qui sent un peu la parveuue, mais ne vous en odilige pas.
moins a une cntiere soumission. »
IV.
Lc coslame du Jfncr. — La ronrersarton i tabic. .
Lc monsieur aux bjclui|ues. — Ladainciroiicorste. — Lcqucstiooncuriilcrne
Le clt*iljnjj;cur furibond.
Surlout soyez exact; arrivez quclques minutes araut
I'lieure indiquee, mais non plus lard. Que voire coslumc
soil simple surloul ; aujourd'lmi les couleurs voyanlet
148
LE sayoir-vivue e.n euuope.
rCt raffoclation de la pariire voiit conlrc Ics niivurs genC'-
joles ct.contro I'egalilc civile. Un diner n'cst pas iin bal;
ct vous ne pouvcz vous dislingiier que pai- I'exci'S de la
proprclc ot dii soin. II y n aiissi uno ronvenance d'atjc cl
inemc do pliysioiio«iic, cnmme do pnifossinn el do fortune.
Si vous vouk'z oblcnir syiiipalliic ou niome indulgence do '
ccux qui s'asscyeni a la mome lablo que vous, n'ossayez
pas do forcer leurs elogcs et do conlraindre leur admira- |
lion par la rcclierclie d'unc loilclle sans rapporl avec voire i
age el voire situation sociale, Vous feriez rire comme ce |
gros monsieur ipie j'ai I'lionneur de vous prcsenlor, el qui, '
apros avoir passe quarante annees de sa vie dans une pro-
fession Iros-grave, croit devoir se suroliarger do lireloqucs '
qui annoneenl de loin son arrivoe par lour tinlcmcnl nasil-
]ard, elrevctir sa poitrine do couleurs plus chaloyantes que
celles du plus beau perroqnct iudien. Colic cnormo canne I
apomme d'or, cos gantsjaunesirrepiocliablos, ces niagni-
fiqucs manchettes, et meme ces chcveux grisonnants qu'uno
teinlnre babile a deguisos sans les faire disparaiire, le
transformenl en un beau lion du desert, et signaleni son
ampleur majoslucuse a la raiUerio secrete dos convives
etonnes. J'en dirai aulant de celle belle dame qui no
pourra cerfainement pas faire liouneur au diner, tani
elle est cruellement lacee. Quel o]jouvantable supplico
s'impose-t-elle, pour conquerir I'avantagc equivoque d'unc
taille plus que mince I Ses deu.^ bras, comme suspendus,
la guindent avcc une disgrace evidsnte; scs yeux, injoctcs
de sang, sortent de leurs orbites; sa respiration gencc liii
perinet a peine do parler. Que de laidours veritablcs a-t-ello
acquiscs pour so donner uji genre de beaute fort contes-
table tout au plus !
C'est surtout a table que ces ridicules apparaissent dans
lout leur jour. On y contracte une sorle d'intimito qui fail
mieux ressortir le manque d'aisance ou la prctcnlion, I'e-
goismc ou la grossiereto dos convives. Apres le repas, la
conversalion s'aninie encore; la sottise ou I'esprit appa-
raissent Un hou raconteur a sou prix. L'eclat de rire,
I'ironic amere, le recit fade, long ou inconvenant, signaleni
riiomme sans goi'it el mal oleve. Les beures qui suivont le
diner, animces, vives, charmantes dans les bonnes maisons,
sont lo triompbe de la causcrie, art qui commence (i so
pordre. Nous citerons a ce propos le meme auteur ita-
lien auqucl nous avons emprunlo plus baut quolques frag-
ments, I'autcur de la Vila civile, qui donne de fort bons
conseils sur les discours publics, el principalement sur la
conversalion.
« Les paroles abondantes et ornees convicnnentdevant
les magistrals qui rcndont dos arrets dans les conseils pu
blics, ct en presence de la mullilude asscmblce. Les dis-
cours simples doivoni otre enqiloyes dans les entreliens
privcs, solon que le requiort la varicle dos sujels. La \oh
alors sera douce, claire, facile, et les mots seronl appro-
pries aux nialicrcs en quo.slion, sans molles.se, hauteur on
injure. (Juand co qui nous louche a ele expose avec nic-
sure, qu'on code la parole aux aulres aOn de ne pas on-
nuyer en parlant Irop. Qu'aucun mot no nous cchappe qui
montre ou fassc soupconner le vice. Ouand nous n'avons
rien a dire de nous, ou qui s'y rapporle, qu'on raisoni:o
de choscs bonni'los, utiles, de la maniere de bicn vivro,
de ce qui est raisonnable ou infame, dos moyens de bien
gouvernor sa maison el la ropubliquo. Qu'on parle dans los
moments de loisirs des divorsos induslrios, dcs lalenls, dos
eludes, des beaux-arts, et si la discussion sortail de ses H-
mites, qu'on I'y ramcne, alin d'eviler le charlatanisme des
digressions. Dans les entreliens de plaisirs et de feles, il
faut encore suivre un ordre raisonnable ; car c'est une
chose fort reprehensible que do parlor seulcmenl pour fairo
rire, et de s'ingonier plulot a Irouver des choses ridicules
qu'honnctes, c'est se faire b^uffon ; mais ne savoir ricn
dire d'agreable, et ne pas se prelor parfois a certains boiis
mols, serail d'une humour gros.siere et sauvage. II arrive
souvent que Ton pcul parlor de choscs qui semblont fu-
liles, avec autorite ct savoir. »
Tout cola est rbarmant et de loules les epoqiios. Laissoz
a la rue et au carrefour cerlaines habitudes qui ne doivenl
LE DEVUIR lit L'lIERniSME CHEZ LES I'EMMES.
-iro
jairwis iK'iiclri.T dans los stilons, cello, par cxemple, de
s'accrocher au boiiton Je son voisin, et de le poursuivre dc
questions etcrnelles. Le quesuouneur est un homme tou-
jours impoli, toujours desaffreable, i^ui preleve sur vous
limpot J'une :ittcnlion continucUe, et d'une I'cponse sou-
vent dOpIacce ou impossible; c'est un lleau pour toutes les
classes : il deplait aux gens du pcuplc comme aux gens du
mondc. L'un des plus celebres poetes nnghis, Alexandre
Pope, ne put ecliapper, malgre son talent, au ridicule qui
poursuit les questionneurs. Une de ses amies nc I'appelait
jamais que le point (Tinlcrrogalion. Elle le dofiniss.iii :
Une petite chose ci-ocliuo qui faisait des questions. Ilelail
bossu .
Point de discussions politiques ; surlout, si vousetesjeunc.
saclicz ecoutcr; et si vous avez le niallieur d'cli-c jiocte, ne
cedcz pas trop facilement aux sollicitations de ecux qui
vous prieront de reciter vos vers. Cctte tentation est-< lie
trop forte pour vous, sacliez conservcr le calme et la mo-
dostie dans I'cxposition puldique de vos chefs-d'reuvrc;
C'est un lluau pour une maitressc de niaison que cos geiiies
eclievcles , dont vous pouvez admirer le type dans la
colonne qui jirecede, ct qui briscnt une carafe en hurlant
leurs ditliyrambes.
( La suite a vn numcro procJiain. )
LE DEVOIR ET LIIEROISME
CHEZ LI'S FEMMES.
BI.ANCBE DE CASTII.I.S;,
JILt;E DE SAI5T LOlilS.
Wa Vic ct soil iiifliipitce*
I SUITE Er FIN.)
■ On allaqua los amis de la reine, ses parents, le cardinal
de Saint-Angc; on censura sesacles, on alia memcjusqu'ii
altaqucr la pureto de sa vie et ses relations polilii|uesavec
le legat. La pas.sion du comte de Champagne pour elle fut
le pretexte de si crandes noirceurs, que le bruit courul,
qu ayant eviille la jalousie du feu roi, Thibaul, menace par
ce prince, lui avaitf.iitadminislrer un poison lent qui causa
sa morl. Mais ces allegations calomnicusesdisparais,sent do-
vant la verile de Ihisloire ctdoivent elre rogardiies coninie
des mensonges poliliques. Chaque siecle on voit naiire ct
niourir un grand nombre que le temps rcduit, comme pour
prouver que les hommes ne ehangent point. Thibaut,
comte de Champagne, dont la passion romancsque nuisait
a la reine, recut d'elle-meme la defense de so rendre au-
couronnement du prince, et s'en retourna confus et mO-
content. Le jeune roi fut sacre a liheims le 30 novem-
bre. La regente, sa mere, parvint, parson habilctc dans
los negociations, a dissiper les intrigues. lille marchait
avec son fils et un corps de troupes sur la lirctagne, lors-
qu'elle apprit que deux seigneurs rebellos avaient resolu
de I'enlever: le roi s'arrela a Montlhery. forlcresse bien
gardee, et eipedia un courrier a Paris. Les secours Ini
arriverent en foule , et la route se couvrit de chevaliers
et de bourgeois awnes, qui, tous confondus, volercnt .lu
secours de leur roi et le ramenereni sain clsaufavec sa
mere; ils rcntrerent en triomphc dans la capilale, bien
escortcs, au milieu des acclamations du pouple, quiaJorail
son jeune et beau rni. Quand le calnie fut rolabli, Blanche
s"appli(|na ii former un prince digne de gouverner: Pcdur
cation qu'cllelui avait donne etses qualiles nalurellos lui
rendirout cellc tache plusfaoilo. N"ayant pu seresoudrea
le perJre un moment dc vue dcpuis le jourde sa nais-
sance, Blanche, qui avait voulu nourrir elle-mome Louis el
ses aulres enfanls, disail : o Non, je ne saurais endurer que
« fenime au monde me piil disputcr le titrede sa more. » Et
copendant, ma^grc celte affection sans bornos pourlui, «lle
lui avail souvent repcte : « Mon fils, ricn au monde ne ni'est
ISO
•nplus clicr ijuc voin, pjurlant j'aimerais micux vous pcr-
« li-c ^ue de vous s.ivoir entaf.lic do peclii' mortel. » Aidce
Uu perc I'acilique, religicix jl.il en, fort insliuit, niodcslc,
veitucux,c|ui moiirul en oJoiii' dc sainkle cliez Ics friires
inineui's, Blanche n'en continua pas moms, sur Ics actcs de
son Ills, unc surveillance active et eclairee qui produisit Ics
plus heiireiix lesuitals. A repoque de sa majorite, la rcinc
lui choisit line princesse dignc de lui soi,s tous les rapports,
Marguerite de Provence, ((ii'il ainia tendremeiU, et dont la
candcur etait pleine de charnie. Lorsque le jeune roi gou-
vcrna par lui-mcmc, sa mere conserva loujours son ascen-
dant dans les decisions poliliques, car clle etait habile ct
cxperimcntec. On pretend qu elle ful lalouse dc Marguerite,
qui, apres lui avoir enleve une partie du cccur du roi,
pouvait aussi lui cnlevcr le pouvoir & il est vrai que son
lieroii|ue fermelc aitdechi sous la pcnsoe que son Ills liicn-
aime oublierait la mere pour la jeune epouse , cette legere
ombre dans un si brillant tableau nerend pas cclte grande
reine moins digne aux yens de la posterite 1
Pendant uno maladie cruelle, Louis lit le vocu, s'il
en relevail, d'aller combattrc les mOdclcs. A peine retabli,
il n'ecouta d'aulre avis que le sien, et partit en laissant de
nouveau la regence a sa mere. En cette circonstance, elle
prouva que son amour maternel surpassait I'amLilion qu'on
lui supposait, car ayant employe la mediation des eveques,
puis les prieres ct les larmes pour relenir son Ills, sans
y reussir, elle Taccompagna jusqu'a Marseille, el, au mo-
ment des derniers adieux, ayant le presscnlinient qu'elle
ne devait plus le revoir, elleperditconnaissance.
Malgre les abus qu'une sage administration avait re-
primcs, il restait encore des pretentions a abatlre, des
injustices li faire cesser , des lois a instilucr. Cemis-
sant sous I'oppression du clergc ambitieux ct domina-
teur, le people souffrail et murmurait. Les paysans serfs,
qui ne pouvaient payer la laxe aHachee a leur condi-
tion, furent jctcs dans les cacliols ct tiaites avcc cruaute
par le chapilre de Paris. Charges de fers, privcs dr nnurri-
ture, deja un grand nombre d'cntre eux avaicnl peri do
miscre ct de faim; Blanche denianda grace pour cux ct
promil dc faire justice. Irritesde la prolection ([ue la reine
leur accordait, les officiers du clerge firent cnlevcr les
femmes ct les enlanls, et braverent la reine. Indignee do
tant d'inhumanite et d'insolcnce, Blanche, craignant do
n'etre point obcie, a cause des censures ccclesiastiqucs,
marchc droita la prison avec main-forte, et, elle-nieme.
armiie d'un baton, frappant au cachot, elle donne le signal
d'enfoncer les portes. Un millier d'hommes, dc femmes el
d'enfants, sortenl de la prison et lombent aux pieds dc la
reine, qu'ils baignent des larmes de la reconnaissance.
La reine acheva son ouvrage, fit saisir les revcnus du
chapilre, el le forca d'affranchir les paysans pour une cer-
taine somme par an. Aiusi ce ful par un bienfait que cette
reine, deja inalade, marqua sa derniere sortie.
Apres d'cclalantsrevcrs en Palestine, les maladies el la
famine delruisirenl I'annee de ssinl Louis, qui ful lui-
meme pris par les infideles. Pour volcr promplemeut a sou
secours, Blanche permit qu'on armal unc bande dc gens
sans aveu, dont elle c sperait former une troupe disciplinee.
Cc ful un nouveau lleau pour la France. Nc pouvanl sou-
melirc a I'ordrc el au devoir celle dangcreuse armde, plon-
gee dans la douleur par I'absence du roi ct le depiirisse-
nenld'Alphonsc, son aiilrc fils, ayant appris que le roi
sc disposail a dcmcurcr en Palcslinc, Blanche, le cccur brise.
CUnONIQUES ET LEGEI^DES.
devora scs inquietudes, selivraA un travail exccssif , et
tomba dans I'epuiscment. Elle clail deja faible lorsqu'eut
lieu le deplorable cvenement de Cliaslcnay, que nous avons
raconlc plus haul. Une espece de langueur la conduisit, en
troismois, au tombeau, le 26 novembre 1252 : elle avail
soixanle-scpt ans.
La pompedesesfuneraillesrcpnndita I'eclaldesa vie et
altcsta les regrets de son peuple. La regente lit balir un
monaslcrc pour rccucilir uiie quanlitc de pauvres fillcs or-
phelincsne pouvant Irouvcr a se marier, parco que la plus
grande parlie de la noblesse s'en allait guerroyer en terre
saiute. d'oii pen revenaient en leur pays. Ce monaslere
ful nomme le Lis, el gouvcrue par la comtesse dc Jtours,
amie de la reine.
E!le Ct aussi rendre une ordonnanco qui permettail a
toute persoiinc servile de se racheler moyennanl une ccr-
tainc somme qu'elle taxa. Cette grande princesse mourut
en odeur de sainlcle, et fut inhumee n I'abbaye de Mau
buisson, dans le costume des religieuscs de cet ordre,
ayant de plus le manlcau royal par-dessus la robede Lurc-
La couronne d'or sur la lele, la mam de la justice et li
sceptre en ses mains glacces. Placce sur un siege d'or mas-
sif, elle fut portec par Ics barons jusqu'a la porle Sainl-Di
nis et de lii a Maubuisson, oil fut ensevelle la plus sage des
femmes, celle qui atlira loutes les bcnodLCtions du cicl sur
la France. Le roi Louis, en apprenanl cclte nouvelle, se prc-
cipila le visage centre terre devanl I'aulcl, s'ecrianl : «Mon
Dicu, il est done vrai, j'ai perdu celle que j'aimais par-dcs-
sus to .lies les creatures de ce sieclc perissable !... » Puis il
s'cnrcrma el passa deux jours a prier ct pleurer, sans rc-
cevoir meine la reine Marguerite. Jolnville ayant pencliv
jusqu'a lui, il lui dit : « Ah! scncchal, j'ai perdu ma
mere I » Et il loudil en larmes. — « Sire, elle etait mor-
tello, el vous attend dans une nicilleure vie ! » II ful long-
tcnips inconsolable; scs pensees inlimes, scs affections
teudres, scs souvenirs les plus chers, avaicnl loujours eu sa
mere pour objet. Elle etait digue de ses regrets el de la vc-
neralion de la Fiance enlicrc. Douce au plus haul degre du
talent Je gouverner, allianl la force d'iime a la moderation
el a la scnsibilite, genereuse, econome, habile el franchc,
elle pent se presenter glorieusc a la posterite.
CHRONIQUES ET LEGEI\DES
DU MOYEN AGE.
GHRONIQUE DU CHATEAU DE MARSTOKE (1).
UN TESTAMENT SUPPOSE.
LB HODLIIC.
(I Oh! oh ! dil Oldcraft, j'aurais voulu voir ton visage, on
cc moment, ton visage en forme de hache ; je jurerais que
les doigts caressaient le manclie de ton poignard.
— Pas le moindrcmenl ; mais je jural de tircr une pro-
(I) Votj. lcil"lV, p. 132.
CnnONIQUES et legendes.
1SI
fonJc vpngcnnce dc ccltc mystificnllon, H j'arrotai iin
jilan que je ne larJai jias a nicUre d execution.
— (liioidimcl vous miles la main surlcs sacs qui elaient
sonsle lit; probablcment vous fites savoir aux collaleraux
affames les intentions du bonhomme, et vous lui avez
13che cette meule, de sorle qu'il a ete devord par les
sicns.
— Vous n'v ctcs pas encore, dit Grevillc, et c'est i«i
que commence I'histoire de moii mallieur aclud.
— Commence I dit I'aulre. Eli ! mais, mon garcon, ]"a-
vaispris Ion preambule pourle commencement, Ic milieu
ct la fln.
— Vons allez entendre. Mais donnez-moi du vin, car
cctte liistoire me suffoque et barre le passaged mes pa-
roles. Voicile plan qiieje formal : j'invitai Marstoke .'i veiiir
passer la scmaine de Noel cliez moi, a Sandwich. La ville
clail alors en mouvoment. Linvasion dont les Espagnols
nous nionacaient I'aisait f.iire a tout le monde des prepa-
ralifs. Sandwich est, vous le savcz, I'un des cinq ports, et
par consequent un lieu de (^nelque importance. C'est pour-
quoi des reunions elaicnt convnquees tons les jours; les
snldals etaient loges cliez les habitants; les negocianls, la
noblesse ct les bourgeois equipaieni, a qui micux mienx,
des vaisseaux a leurs frais, et des corps de troupes parcou-
raient incessamment les bords des cotes. Jc me rendis
aux assemblecs, je pris part de coeur et d'action a tout ce
qui s'y fit; j'offris mes services pour faire partie de I'ex-
pcdilion, et jc moolrai autant d'cnthousiasme cl dc deter-
mination que les plus hardis de la ville. Cependanl une
pcnsce unique s'elait emparee de moi, cello de trouverles
moycns dc m'eniparer des richesses de Marsloke, et de me
dcbarrasscr du vieillard sans me comproftietlre. Une pen-
sec de meurire assiegeait mon esprit nuit ct jour, ct je
sfcnlais que je n'aurais ni repos ni Ireve que le coup ne fut
cffectuc. Juste ciel ! je no soupconnais guerc alors a quel
clald'esprit eel acte me rcduirait apres I'avoir commis.
Enfin, vous le savez, I'invasion ful retardce; Noel arriva,
ct Marstoke rccut mon hospitalile dans la vicille maison a
Sandwich. Je cherchai, parmi les soldats, matelots, ou-
vricrs et hommes d'armes, dont la ville clail encombree, jc
cherchai, dis-je, ct j'engageai deux domestiqiies, gens
brouilles avec la forlune, et quej'avais lout lieu decroire
capablcsdexecuter lout cc dont il me plairail de les char-
ger, et ausquels je pourrais me Ccr en les Iraitanl et en les
payaiit bien. I,e jour de Noel, je donnai a diner a plusieurs
liabilants de la ville, et nous finics durcr le repas ju.squ'au
Icndemaiii matin. Vous concevrez done facilemenl qu'il
n'y cut ricn d'elonnant a ce que le vicux Marsloke se
trouv.it soudaincmenl indispose et force d'aller secouchcr.
II fut memc si maladc, que je jugeai expedient qu'il fit srm
testament conime il en avail preccdemment eiprime I'in-
tcnlion.
— Ah I ah ! dit Oldcrafl. (Juoi 1 vous avez assaisonne sa
coupe, hein I epice sou roast-beef et son plum-pudding,
nu mis de la mort aux rats dans sa sauce? Ah I vous cles
\m drulc, Crcville; mais vous n'avez pas assez dc letc pour
ces sortes d'affaires.
— Ilicn de cela, dit Greville. J'annoncai que Marstoke
ctait serieuscmentmabide; et, le troisienic soir, ;'i I'lieure
ou toule la ville litail livrce au sommcil, je Bs enlrer dans
sa chambrc les deux droles dont je vous ai parle, avec
ordres precis. Maudite soit Iheure ou j'ai imagine ce
crime? Jamais jc n'uublierai les horreurs de cctlc null;
ou milieu de la lempete de vent ct do pluie, il me sem-
blait que la ville allait s'ecrouler cl serait rasce avant Ic
point du jour. Commeje veillais a la portc de la victime
pendant que le crime se commellait, je rentendis se de-
battre contre les scelcrats qui retranglaienl dans son lit.
(Jnand le jour vint, je retrouvai un peu de sang-froid,
car j'etais alle me jeter a talons sur mon lit, comme un en-
fant effraye des lenebres, ct, rellechissant que le plus af-
freux de cet horrible drame elait passe, je m'occupai
d'executer le resle de mon projet. J'eus quelques efforts a
faire pour rassembler mon courage. Je monlai I'escalier, ct
j'approchai de la chambre de Marstoke; mais il me I'allut
lungtemps pour avoir la liardiesse d'ouvrir la porle. Jc
craignais dc voir le corps defigure du vieillard gisant sur
le parquet oii je I'avais enlendu loniher, et je restai l,i
main sur la clef sans pouvoir avanccr ni reculer, comme
sous rinlluence d'un rove affreux. EnOn, apres etre reste
plusieurs hcures danscelte irresolution penible, les deux
miserables que j'avais employes frapperent a la porle de la
rue et dcmauderent a enlrer; Ic bruit qu'ils faisaient mc
rappela la necessite d'agir. J'enlendis la servante ouvrir sa
porle pour allcr a celle de la rue; rappelant alors loutc
mon energie, je me precipilai dans la chambre, cl, courant
au cordon de la sonnellc, je le lirai violemmenl, jc criai
en meme temps ii la servante de dire ,i I'un de ces hommes
de mooter immediatement a cheval et d'aller en loute hate
a Wingham cliercherle notaire de Marstoke, parce qu'il se
trouvail si mal, qu'il desirait faire immedialcmenl son tes-
tament.
<i Dans rinlervalle et avant I'arrivee du tabellion. jo
conduisis Diccon Web, I'aulre homme, et lefls placer dans
le lit a cole dumorl; ayaut lire les rideaux lout autour du
lit, el ne laissani penelrer qu'un jour obscur dans h cham-
bre, je lui dis de gemir comme un homme qui souffrc beau-
coup et d'imitcr la voix de Marsloke ; el, quand il repon-
drail aux questions que lui fcrait I'homme de loi, de me
laisser la masse de sa forlune, el d'olouffer lous les scru-
pules que le tabellion pourrait eprouvcr en lui faisant un
legs considerable. Nous conduisimes leschosossi bien, que
lout se passa sans interruption et sans eveiller uu soupcon.
Web, conlrefaisanl la voix du vieux Marstoke el semblant
avoir a peine la force d'iudiquer comment il voulail que
son testament ful fail, disposa de tons les biens en ma fa-
veur; apres quoi, expriiiianl le desir de se reposer de
I'effort qu'il venail de faire, les personnes preseutes furent
prices de la partdu soi-disant moribond de le laisser repo-
ser. Bientot apres je repandis la nouvelle de sa mort dans
toute la maison, et, faisant mooter tons les domesliques,
je Icur monlrai le corps comme s'il venail d'expirer dans
son lit. Cependanl le pire est encore a venir. J'ai hcrile do
la forlune, mais les remords que j'ai cprouvcs ne me per-
metlalent pas dc vivre dans Ic voisinage; j'aiirais eu de la
reconnaissance pour quiconque eul mis le feu a mes deux
nouvelles maisons el les cut reduites en ccndres. Je dcvins
Icllemcnt impressiounable, que je Iremblais a la vuc do
mon ombre. La figure du vieux Marsloke, et ses cris lors-
qu'il m'appelail a son aide, me poursuivaient jour ct null.
Les deux miserables, Web el Basset, commencerent aus.si
ii mc devenir a charge, el leur presence continue faisait sur
mes ycux I'effet du basilic. Je craignais de m'en defaire, ct
leur presence clail ruineuse ; ils depensaienl I'argenl qu'ils
voulaient, me volaient en ma presence, el, I'un dcui,
avant bu, declare a ses camaradcs qu'il pourrait faire pea-
1o2
ClinONlQUES E
Jre sou mailro le jour qu'il le voudniil. Basset, sou conipa-
gnon, m'ayaul informc do ccla, i'i'|irouvni un embarras si
violoul, queje rcsolus do I'liirde i'ondi-oil, el, pour evilcr
Ic danger qui poumil uailre de nouvcaux bavardages, je
in'anangoai avcc Basset dc mniiicre a uousdefaire secrete-
iiient de Web. A cot effol, je les fis parlir lous les deux pour
me devancer ii Lnndres, la veille au soir du jour oil j'avais
I'iutentlon de pailir moi-meme, et je chargeai Basset de sc
defairc de Well sur la ruulc. Basset suivit nics ordres, mais
il les cxccuta plus lot que je ne voulais. 11 IVappa son ca-
inaradepar dorricre, tandis qu'ils clievaucliaieiiirun a cote
(Ic Taulre, sur les dunes dc Sandwicb, et, descendant de
chcval, iljeta le corps dans la mer. Les vagues I'ayanl fait
rcnionlcr u Sandwich de bonne lieurc, a la maree du ma-
tin, a mon horreur et a ma confusion, on I'apporta cliez
moi au moment oii j'allais moi-meme cntreprendre mon
voyage ; ainsi je me vis oblige d'assister avcc le maire a
I'enquete que Ton fit sur la mort du coquin, et meme je
fus oblige de tonvenir avec le magislrat qu'il serait urgent
d'envoyer a la poursuite dc Basset, comme soupconne du
meurtre. Celte nouvelle mesaventure faillit me deranger
I'esprit; mais les officiers de justice ayaut heureuscment
manque Basset, je (niittai la villc deux jours apres, et tout
le pays ctant alors occupe en preparatifs pour resistor a
r Armada, je joignisles forces assemblees au fort de Tilbury,
sous Ic commandement du comie de Leicester. Si j'avais pu
sans danger passer aux Espaguols, je I'aurais fait. Quoi
• qu'il en soit, je cherchai dans le bruit du camp, et dans la
pompo momcntanoe dela guerre, a oublier les aclcs horri-
bles auxquels j'avais pris part; mais c'etait impossible. Ce
qui rcmplissait d'enthousiasme les ames dc tout ce qui
m'eiituurait ctait sans interet pour moi. Le glorieux sper.-
laclc d'unc reinc se mettant a la tJte de ses armeos dans
le camp, et parcourant les lignes pour eshorler scs soldats ,i
sc ra|ipo!or oe qu'ils devaientii leur pays, et declarant son
intention dc lesconduire clle-meme a I'ennemi et depcrir
plutot que de survivre a la ruinc et a I'esclavagc dc son
peuple, lout ccla elait perdu pour un malheurcux dont les
jours et les iiuits se passaient dans I'agoiiie du romords. Le
fracas meme du combat, le desordre el la confusion qui
accompagncrent la destruction de la Qotle, les plaintes
des inourauLs, les oris dc vicloire, le canon lonnant el vo-
missanl la morl, lout cela ne me sembla ricn Je parcou-
rais le pont de mon navire, et meme j'abordai rennemi
avecl'oinbre cadavereuso du vieux Marstoke toujoiirs dc-
vant mcs yeux, quelque part qu'ils fussent tourncs, tene-
ment (pic je pris plusicurs fois la determination de mo de-
clarer au retour de la llotte, de confesser toute I'infainie
dc ma vie, et de finir par la potcnce ma carriere de pc-
clios.
— Et ou en est mainteuanl ccUo affaire a voire egard?
dil Oldcraft qui prenait en ce moment un vif interol au
rceitde son camarade. Parlez, parlcz vile. Vous venez dc
dire que I'affairo etait evenlce. tjuelle raison avcz-vous dc
le pcnscr?
— La nouvelle que j'ai apprise hier, rtqiondit GreviUe,
avant de quitter Loudrcs oii je me lonais caclie. J'ai appris
que Basset vcnait d'etre arrolc a Faversham, cl conduit a
la geole comme accuse de I'assassinat dc Web. J'ai pris
aussilot la fuile, el vous me voyez roduil a la derniore
cxtrcmite. »
Le criminel, sc couvrant la llggre des deux mains, san-
glotait lout haul apres son affreux recil. Dansl'agonic de
T LliCENDES.
ECS remords, il s'adrcssa i son camarade. phis calmc et
sans doule plus endurci que lui, pour lui demandcr des
avis.
« Con.solez-moi, Oldcraft, dit-il, car je sens que la main
du cici peso si fort sur moi, qucje iic puis vivre sous le
fardeau de mcs crimes. La mort semble planer sur ma
li'le, et cependant je ne puis mourir; mais je crois senlir
I'odeur de la morl meme dans cello chambrc oil nous
sommos; il mo semble que c'cst mon tombeau.
— Tes ]iaroles sont propheiiques, dit Oldcraft avancant
lebras droit, etiirantsur GreviUe un de scs propres pisto-
lets en ploine poilrine, et lui Iraversant les poumons, lant
Ic coup avail etc tire a bout portant. Tes paroles son! pro-
pholii|ues, insense, car c'cst ton tombeau 1 »
La inalheureuse viclime jcia un cri ; Ic sang vital sorlait
,i gros bouillons, il lomba inanime sur la face. Son bour-
reau, se levant alors siir ses pieds, jeta sa pipe a raiiiro
boutd e la chambrc.
« 11 elait lemps vraiment de veiller a cct oison, dit-il en
se jetantsur le cadavre palpitant ; 81, le tournanl surle
dos pour fouiller les poclies de son justaucorps ct pren-
dre ses papiers, il les jeta rapidcment dans le feu sans les
examiner. II elait temps d'arreteria languede ce pleureur,
ou j'aurais ete compromis par-dessus les oreilles par scs
maudites confessions. Les vicilles affaires, ainsi que les gen-
lillesses plus rccenles, auraiont toules defile avant qu'il cfll
lini son cliapelot. Hola ! Ilo ! a moi I au sccours ! a I'assassin !
au sccours 1 Ilo I a moi ! Stephen, Bobin, James! A moi!
au secours! II continua a appeler a haute voix, ct en menw
temps il lira I'epee de GreviUe du fourreau et la jcIa prds
du corps. Apres quoi, il alia pres de la porle el I'ouvrit
toute graude. A'moil au secours ! Dcbout I vous dis-jc ! On
m'allaque dans ma propre maison.
(( Voyez, dit-il, quand les domesliques, effrayes et eveil-
les par la dclonalion du pislolol ot parses cris, accoururont,
sorlis a moitie mis de lours lils. Ce mccroant, non content
d'avoir voulu m'exlorqner de rargent cctic nuit, m'a lout
d'un coup altaquo I'epoi' a la main, ct m'aurait assassino .si
je n'avais pas eu le bonheur de m'emparerd'un de scs pis-
lolels et de le luer sur le coup. »
Un profond silence mcle d'effroi rcgna dans Marslokc-
house pendant le reste de la nuit, el ne fut inlerronipu que
par le bruit de la neige lancce dc temps en temps a gros
llocons centre les vilraux, el les rafales du vent d'hiver.
Les domesliques, homines et femmes, que le bruit du pis-
tolelet les cris deleurmailre avaient arracbos de leurs lils,
utaient presses los uns centre les aulres dans la cuisine, on,
apres avoir rallume le feu, ils se communiquaienl a voix
basse les soiipcons et les siipposilions auxquels cct cirango
cvcnoment donnail naissance.
Hans CCS lemps de rapicre el dc daguo, un homme liio
dans un manoir de canipagne n'elail point unc circon-
stance assoz rare pour causer bcaucoup do confusion ni
d'effroi.
Cependant unc mort aussi etrange que' celle de cot
liomme, qui avail rocu un coup de pistolct , au mi- i
lieu dc la nuit ct au coin de I'alrc momc oii, si pen do
lemps avant, on I'avait vu vider la coupe dc I'amilie avec
son hole, unc telle mort ne passa pas absolumenl pour
natnrolle, ni sans donnor lion .i quobinos conimen-
tairos.
Do son cote, I'aclour principal dc ce dramc horrible se
promenail d'un bout a Taulrc de sa chambre, dans laquelle
il s'ctait refiro apit'S avoir ordonnu que lo coi-ps do sa
victimc fill laisso exactcracnt comme Ics domcsliqucs
ravaieul vu lorsiju'lls claicnt arrives on sccours da iciir
mail re.
« Blon cloile, se dil-il, comme il ropassail en lui-mcrae
I'aclion c|uil vcnait de coinmcltre. men eloile csl encore
dans son ascendant mon Lon on mon mauvais angc. si
Ton vent, car peu m'imporle, m'a cnvoyc ici cc miserable
plcurniclicur, el ma debarrassc de rimiuieUide el de la
mefiance i]iie j'epruuvais dcpuis lon;;lcnips a sun sujet. »
Ces fclicilations que niaitre Oldcral't s'odrcssail a liii-
meme furent soudain inlcrrompucs par lo Irepignoment
de chcvaus qui passaicnt rapiJcmcnl sous la fenetrc de sa
chambrc ; il mil fin a son soliloquc, elcigiiit au^silol la
lampe qui bnilail sur la lablc pres de son lil. el, s'appro-
cbant deln fcnelre, il poussa en arrierenvcc procaulion un
des voids a coulisse , puis, cnlr'ouvranl la fi ni'Irc, A re-
garda au dcliors.
Le jour commencait a poindre, ct il vil un pclil di'lache-
mcnl d'cnviron dix hommcs lourncr Tangle du bailment,
lis se diriseaienl vers la prcmiL-re cour, el il n'eut que le
temps u'cnlrcvoir le brillant de leurs hanbcrls comme i!s
disparaissaient dcrrierc nne des lours qui llanquaicnl le
vicux manoir, cl se dirigeaienl vers renlree princifialc.
Aulrcruis, dans le commencement du regnede Henri \111,
MarsloliC-nouse avail etc un elaldissement religicux ol ba-
hile par nne sainte comniunaule de carmoliles. Elle n'elail
plus mainlcnanl babilee que par niailre Ol.lcran el- scs
domcslii|nes , pen nombrenx, qui n'occtipaifnt qu'une
parlic d unc uile; cl comme il clail mal vu el fori ]ieu aime
dans le voisiiiage, le manoir avail toiijours un air Irisle et
desert, memo dans ses plus beaux jours.
Du colli habile de la mai.'ion, il y avail au bout dujardia
un prand nioidin n can qui. autrefois, avail apparlcnn nn
CUnOKiQUES ET LEuEKDEJ.
monaslerc. — 11 ilait maintonant occn
15J
par un nomme
Jenden, meunier, qui I'exploitait. Uans le parr, les lerres
cl palur.iges, qui elaicnl places de I'aulre cole du moulin,
il y avail plnsicurs elangs ombrages gracieusementpar la
projection des branches d'arbres cnornies cl separes par
des especes de divisions ou allees servant a pecher au filet
ou a dessechcr ces viviers. Uans les lemps ancicns, prcsque
tonics les abbayes, chateaux ou manoirs, avaicnt leurs
viviers ou leurs elangs pour fournir la m.iison.
(luelque chose IVappa le crtur du conpable quand Ics ca-
valiers se mirenl en bataille ct demandercnl I'cntrce a grand
bruit ; il pcnsa que larrivee des snldats avail rapport nux
derniers mcfaitsdo Greville, ctque lui-mcme pouvail bien
ne pas y etre cirangcr. 11 eprouva un scrrcmenl de crcur
quand il entcndit les coups repetes qu'ils frappaicnl a so
porle principale, el bicnlol, quoique cirangcr a la peur, il
eprouva des palpilations qui lui fiierent tonle force. — Ce-
].endaiil, relrouvant bienlol toulc son cnrrgic, il s'elanja
liors de sa chambre el, marebani a talons dans Ic corridor,
il cria ii ses domcsliqiies do nc pas dcverronillcr les jiorlc;
avant qu'il se fnl assure de ce que voulaicnl ces gens.
Jlais I'ordre clait venu trop tard, car la porle avail cle ou-
vcrte d'aulant plus promptement que le clii'f de la troupe
avail somme d'ouvrirau noni de la reine, annnncant qu'il
avail un mandal pour I'arrcslalion du nomme Nicholas
Oldcraft, accuse del'assassinat do sir William Marstoke de
Marsloke-llall.
Maitrc Oldcraft, qui avail mal entendu ces Icrriblcs
paroles au moment oil il enlrail dans la grandc salle, nc
s'arrela pasdavantage ; mais, comme bicn des gens plus
braves que lui, il foil le danger quis'approcliail, ct relour-
nant a si chambrc apres en avoir fermc la porle, il poussa
un panneau a coulisse dans la hoiserie derricrc son lil. ct
par 1.1, il descendit dans Ic jardin d'mi il cs'crait aller so
earlier dans Ic moidin, ou s'ccliapj.cr par les elangs qui
elaienl dciriere.
^ La poursniie dura inoinsloiiglemps qu'il ne pcnsail, elil
s'apcrciit en snrlant du passage dans Ic j.irdin que Ic
moiilin clail dcj.i occnpi' par plusicurs scldals qui elaienl
cnlrcs dans sa maison. Crpendanl le niunlin etail sa scnle
chance de .salul, el se gli.ssanl dans une allee sombre qi'.i
longcail le ruisscaii, il essaya d'y parvenir. Lc meunier, qui
elail il.'boiit pros dc la porle, cconlail, la bouchc ouvcrtc,
If ici-il que l.iiMail I'mi des honimc.' d'aniies dc Warwick.
20
=5M
SCliNES
ComniP Oldcrart irrrivnit an lioiil ie VaWoe, le fu^tif, tie
voyanl rien a espercr i\e. re cole, Iravpi'sa la clinrpcrito
sans bruit, el commc le moulin ne marchait pas il so cacha
■dans la rone.
« VoilJ d'elrnnijps nnuvelles, disail le £;ros mennier on
(ravcrsant la (ilntc-rnrnip, I'l nous vivons ilans des lenips
•clrangcs. Eh Inen, consl.ililo. j'avais loujnurs (lit que Old-
crall ae falail pas ^'rand'rhose. .le n'ai lamais de ma vie
ajme I'honimc, ot quant a la fcnimc... hah ! je nVn disrien,
^a nc me resfarde pas; par ainsi, je vais aller faire cc qui
iiic rci.'arde. n
En disanl cela, le mennier s'avanca et donna de I'ean a
son monlin. Anssilot nn cri pcrcanl so lit entendre du mi-
lieu dcs eaux qui bonillonnaient an-dcssous de Ini. Le
mennier alarme revint en Inute hate, dctnurna I'eau et
arrela la roue, mais II otail Irnp lard, et le corps du mal-
lifureux OWcrart, coupe en deni, llollail au milieu id va-
lues ecumantes, emporle par le couranl.
Itien que cc ronte puissc paraitre extraordinaire, 11 esl
.illesle par Ions les chroni(|ueui-.-;. Un testament semblaHe
.1 clo dicle par I'assassin qui, s'inlroduisantdans Ic lit pres
du cadavrc de sa victime, joua Ic role du leslateur en pre-
sence de loule la niaison sans qn'aucun dcs spectatcurs
roncut un son[icon dc la frnude Meme la circonstance d'un
liomme cache dans la roue dumoulinet coupe en deuxqiiand
I'eau ful lachec, n'est pas unc Action. Mais ce quo les chro-
iiiquenrsont neglige de rapporter, c'ost que la victime di'
Creville elait calholique, et que cc molif cut protege le
crime, si la Providence nc s'elait chargce de la vengeance.
SCENES, RECITS, AVENTURES,
EXir.MTS DES PLUS IIECESTS VOl'AGELT.S.
LES 0HIN0I3 S'AUJOUHJt'HOI.
II n'y a pas de peuplc qui ait pique ma curiosile plus
vivemcnl que les (Ihinois ; il n'y en a pas doiit il soil plus
frcquemmcnt (lucstion maintenanl. J'ai pnielre Irois fois
chez eux, une fois nvec I'ambassadc de lord Amherst, une
scconde fois nvec I'ambassade russe, une troisicme fois
nvec sir Henri Pollinger.
lis ctaieni deja civilises a I'epoque oii nos anrelrcs vi-
vaienl nus dans les bois ; lenr langue.leur ecriturc, n'onl
aucun rapporlavec colics dcs autres h(]mmes,chaqiie Iclire
signific un mot, el ils ecrivent a rehours.On leur doit, am
siocles les plus reculcs, bon nombrc de prccieu.ses decnu-
vcrtos, I'arl d'imprimer, la poudre ii canon, If compas
]iour la marine, sans oublier d'ingcuieuses manufactures.
Ncanmoins, ce peuple, an lieu de marcher dans la voie pro-
gressive de la civilisation, ii Icxcmple des nations euro-
peennes, semble s'elre arrele tout a coup; il rcsle Ic
mfnic, ni plus sage, ni plus hahilc, ni plus police qui! ; a
milleaus.
N.jussommes redevablcs au.i Chinoisde plusieurs clioses
xitilci, dcv-enues si communes aujonrd'hui, que nous ne
.saurions nous en passer. Par esenqile, la porcilaine, don',
te coniiioscnt nos lasses ; c'esl unc lerrc parliculiere, trans-
I'ormc'c en pale, que Ton petril a volonte el que Ton fail
ruircau four. Le the, que nous buvons dans ccs lasses, je
Ic n'qiele, est le produil special de la Oliijie Ce soul les
feuiilcs d'lm petit arbu«le que Ton failsechcr. Vousjugc-
rez de I'imporlance de cc commerce, i|uanil vnus saurcz
que la consommalion. en Anglelerre, s'elcve a Irente-
dcux millions de livres chaipie annec! La sole nous vciiail
aussi dc la Chine dans lorigine ; vous saurez que c'i'sl la
loile de la chenille, qu'on appelle de la soie, qu'elle file
autonr dc son corps avanl de changer en chrysalide ; puis
ce fil si delicat se devide, sc lisse et so Iransfonr.c en
etoffcs de velours, desatin, etc.
II faut placer au nombrc dcs monuments d'arl les plus
curicui, la graude muraille de la Chine que I'empercur fil
clever, alin de sonstraire .«on empire an.t frequentcs inva-
sions de scs voisins les barbarcs, nation guerrierc, lou-
jours prele .i renouveler les pillages ct les mcurlrcsdonlle
pauvrc peuple paisible avail deja etc souvcnl victime. Pour
hilcr rexcciiliou de cctle vasic enlrcprisc, I'enipcrenr
c.xigca d'abord le travail de Irois hommes sur dix;plus
lard, on en prit deu^i sur cinq. L'rouvre ful acbevce an
boutde cinq ans. La muraille a pres de quinzi' cents niillcs
de long, ettrinle pieJs de hauteur; son epaisscur pcrnici
a six cavaliers de galoper dc front sur la idalc-forme.
11 y a environ Irois mille lours placccs a pen de dislaucc
I'une de I'aulrc, oii les soldats pourraienl se tenir en eas
d'altaquc. Le mur s'eleve, lanlol sur de haulcs montagnes.
lanlol sur dcs vallces profondes; il traverse darides de-
serts, des lieux marccagcux ; on a vaincu tmis les obstacles,
Des arches immenscs Ic souticnncnl nu-dcssus de largos
rivieres ; ni la profomlcur dcs abimes, ni les torrents rapi-
des n'onl pu s'opposcr .i la realisation dc ce magniliquc
projct; jamais Pari et lo travail n'onl rien produil de plu,-.
remarquablc : ce chef-d'oeuvre, uni |uc:ncnt conipo.se dc
hrique cl de morlicr, s'esl conserve, dit-on, presque in-
tact jusqu'a nos jours, sans cxigcr de rc|iaralions.
La Chine est Ires-pcuplee; la plupart dcs liabilanis vi-
vcnt sur Pea u, inslalles dans dcs balcaux couverls; les ri-
vieres, les canaux en soul cnconibrcs; on pretend que
plus de quaranle mille personnes se liennei.t nu,<si cons-
lammenl sur dcs Taisseaux,grossieremenl conslruits,(pron
appelle jonijiifs, pres des coles baignces par la mer.Celle
immense po|Ujlationc5igc necessairemenldi' grands apjuo-
visionnements ; elle obligo les ('.liinois a la plus stride
economic, a manger memo dcs choses que nous rcpous^r-
rions avcc dcgoijl, tellcs qucdcsanimau.\njorlsdemaladie.
les rals, les snuris.lcs dials, leschiens. lis se livrent aussi
beaucoup aux Iravaux de ragriculture, loujours prcoccu-
pes de pourvoir a Icur subsistanco. Le terrain est soigneu-
semenl rcparii et cullive ; jamais une mauvai.-e herhe n'oc-
cupe une place inutile. Le pays cnticr offre Paspcct d'un
immense jardin mervcillcusemcnt cntrelenu , pas un coin
des bales o'echappe a celte niiuulicuse jiroprete. cl l.i, |l
commc aillcurs, on seme pour recueillir. Les Chinois 'I
Irouvcnl encore nioycn d'arracher aux llancs aridcs de
leurs plus haules montagnes dcs productions uldes. lis y
pratiquent dcs (errasses plates, on des planches superpo-
sees, et chaque lerrassc est placee de manicre a produire sa
recolle. Si la surface esl completemcnlnue, on y transportc
a force de perscvrrance la qiianlile dc lerrc neecssairc a la
culture.
D1-; vovA(;i:s ut:(;ENT^
fo!>
L'rmpcieur, adii Jc coiisacriT rimpoilance (ic I'ngri-
i iilture el ses bioiilails, doime chai|iie iiiini'e line fiHc splon-
diJe en son hnnneur, cl il dai^jne lairo moiivoir la charrue
dc scs propres mains.
An nonilire des qualites qui dislinguent los Chinois, se
placonl en premiere li^Mie rinduslric, et I'amour des en-
fants pour leurs parents. Comliicn de lamilles chrelienne-;
ponrraieni puiser cliez ces pauvrcs idol.ilrcs de graves
cnscignements. Les Chinois sc dislingncnt mallieurense-
nienl aussi par lenr deloyantc dans les relations commer-
ciales. Le niensonge Icni est haljitiiel ; jnaisn'oiitlfcms pa/
qu'ils ignorent la religion du Clirisl.
L'nc guerre aussi injuste ipie cruelle a eclatc dernierement
enlre TAnglcterre et la Chine. De mechantes gens y repau.-
daient une drogue empoisonncc qu'ils vendaient Ires-
cher. Lempcreiir a fait une loi qui defend lentree de ce
fatal lireuvage, neanmoins les Anglais onl mis de cold
toute justice, parce qu'ils elaient les plus forts; ils ont en-
voyc des soldals et des vaisseaux. alin Je forcer les Chi-
nois a prendre et a payer la liqueur prohibce.
UCetlc gravure represuuit quelques habitants rcvftus de
leurs liizarres costumes Vous voyez qu'ils portent des re-
lics Doltantes, les uncs par-dessus les autres; leurs cheveux
sont attaches et formentune grande queue, lei on iallige
une piinilion a uncoupahle; on I'a fail coucher a plat,
landis qu'on lui frappe vigoureusement la plantc des pieds
avec un gros b.imhou, jusqu'a ce qu'il ne puisse pkn iii
marcher ni se lenir dehout.
Mes diverses e.\cursions dans ce bizarre pays ont offert
des particularites inleressantes ; je commencerai par le
recil de I'ambassade de lord Amherst et dc son arrivec en
Cliinc.
I. — LBB miSDABniE.
La (lottille do Tambassade anglaise enira dans la mer
Jaune, qui haigne les cotes orientales de la Ciiine. C'etait
par une sombre matinee. Un epais brouillard pesait sur les
flols; el les coles de la Coree, a droite, la prcsquile dc
I Schanton, k gauche', n'npparaissaicnt encore que sous des
formes indecises a travers la vapeur. Deja le paquebol in-
dien I'lndostan s'ctait ecarte du restc des navires, et le
vaisseau de guerre le Lion ne parvenail qu'a I'aidc d'une
canonnade non interrompue a mainteuir ensemble les bri-
gantins la CUtrence et le Chakal.
" Los Chinois ! » cria-t-on en ce moment du haul des
haulhans. A I'oucst, la mer grouillail de jonqucs, cnibar-
calions de ce peuplc, basses, simjiles et grossiercs, Ics-
quelles voguaieni, cliargccs de iirovisions Je loute tspcto.
.i la rencontre des vaisseaux anglais. Une multitude de
beliers, de moutons, de poules, de canards; des cenliiiues
de sacs de fariue et de riz ; des caisses pleines de pain el
de the, de fruits el de k^gumes; des milliers de citrouilles
et de melons furent anienes a borddela llottille. On n'avail
pas meme oublie le vin, la bougie et la vaisselle de porce-
laine; mais les Anglais durenl renvoyer, faule de place,
Uiie partie considerable des provisions dont I'hospilaliti;
chinoisc avail voulu les gratiCer. C'ependant une jruupie
s'approcha du Liun. Elle etail monlee par plusieurs man-
darins vetus d'un costume magnillque el bizarre, lesquels
contemplaieni avec etonnemcnt et respect le giganlesqne
edifice, et manifestaienl en m6me lemps leur embarras sur
la maniere donl ils devaienl s'y prendre pour y monlcr.
Le lieutenant Parish, charge par I'ambassadeur d'amener
les mandarins a bord, fit descendro le long des cordages
du pont dens fauteuils dans la jonque. Les principiiu\
d'entre les mandarins s'y assireni, et s'eleverenl lenlemcnl
dans I'air avec une cxpre.ss'on d'orgneil et de plaisir, a la-
quelle se melait touti'fois quelque crainle sur ce mode
inusitu d'ascensioii aerieniie. Ils se lenaienl solidement
aux fauteuils, el manifeslerenl beaucoup de joie des qu'ils
sentirenl de nouveau un sol ferme sous leurs pieds.
Les deux grands dignilaircs devaienl vrairaenl paraitrs
un pcu singuliers a des ycuj enropeens. L'un, personnage
grav.', ,-i la phy.sionomie intelligenle, portait, par-dessus
une robe de femme violelle, un surtoul noir et semblabl.-
a une robe dc chambrc, ct sur la poilrine . ainsi que sur le
do.<, un tarre de vclmiri bliu, r.u bi illail un draijon a qu Jtre
»SJ
8Ci;lSES
^rtfffs, bro.lo on ■ir. Siir son Loiincl on forme ilo ilochcr,
lulsait lino [lioiTC lilcu olair i\ six facctlcs. Un cliniiclcl ii
gros grains ccnrbtcs Ini dcsccndait dcpuis lo con iusrinc
sur 1ft vontro. line monslaclio fincmcnl rclevcc ornait sa
Icvrc suporieurc; cl sos iloi!,'ls, nrnics J'oni^k's |iUis long-;
que de raison, lonaient duiicatcmciit rclcvoo sa longue
li.-M-lie iionJanle. I,'aiilre mandarin so dislingunil par un air
idns martial Sa ligin-c ouvertc avail une cx-prcssion de
]il)rc tiardiesse, Ohez lui, le surtoul, scmblable a une rohe
de chanibre, ctait rnugc ct enlrcmi'le de 111-; d'or el res-
semlilail a une coUc de maillcs. Do la coiffure dacier i\u\
rouvrait sa tele une visicro de casque du memc mclal
(lesccnilait jus que sur sos rpaulos. Du sommct de cello coif-
fure ponilait une (ilunie do paou fijoe a une pierrc pre-
cieuse d'uu rouge pourpre. Sur les deux manchos de dessus
lirillaient dos liourlicr> hrodes en or. Un etroil laldiervcrl
allait de sa ceinluro d'or jusqu'an-dessns des genoux. Une
armc pbccc a son cute , au Iranchant large par le bas,
quelque chose ontre le sabre par sa courbure ct repce par
sa pointe acerop, semldail indiipier la condition militaire
du pcrsonnago.
Tons deux promenaient autour d'eux dos regards etounos
s<ir le vaisseau, donl I'ordonnance et la discipline guer-
riere semblaient Jopassor toule lour atlente. Pendant que
le colonel Bonscui et I'inlerprcte de legation Plumb, apres
les avoir salucs polinient, les conduisaient a la grandecajule
de I'ambassadeur, Parish fit desccndre do nouveau les
fautouils pour ramener lour suite. U nrriva deux autrcs
mandarins semblables aux preuiiers, mais vctus inoins
rjchemenl. L'un d'eux, hommc gros el court, qui ne porlail
nucune arme, cl donl lo bonnet campaniformc ctait sur-
monte d'uue pierrc precieusc d'uu blanc mat, avail mani-
feste de la fiayeur ilurant I'asccnsion. Lorsque son fauteuil
debarqua, il so li;lla tcllement do se refugier .i bord,
qu'il perdit requilibrc en voulant s'elancer, el culbuta en
arriere. II scrail inevitalilemont tombo dans la mer, si
Parish, lo saisissanl au niome instant, ne Teut empoigno
BOlidonicnl par le devant de sa robe de chambre brune, et,
par une violcnie secousso, ne I'eut fail sauter par-dcssus la
galerie.
Des que le Chinois ful reniis de sa premiere fraycur, il
se proslerna dcvanl son sauveur, el frappa la lerre de son
front.
— 0 Quo Tian le lienisse, excellent Quangfu ! s'ccria-t-il
avec cnthousiasmc. Tu as sauve la vie au pauvre Tsing-
Vng; en retour il est devenu ton serviteur reconnaissant,
ct ne ccssera de I'otre tanl qu'il lui rcslera un souflle de
cello vie.
C'est Irop Jo remcrcimcnls pour cc petit service,
repondit Parish en riant. La seulc crainle de le noyer a
faiUi causer co mallicur. Preuve que la crainle n'est pas
loujours mere de la si'ircte ! n
(to suite a un jirochain nunw'ro.)
VHB ASOXKSION PEBILZ. EUSE,
OD rETED-DOTTE ET S.^ MOMAC:iE.
Les IiiHites cl majcsUicuscs montagncs qui s'elevcnt 5,1
cl la sur la terre, louchanl presque les nues de leurs cimes
blancliiltres, nous reviilent encore I'immense [lonvotr du
Createur. Los uncs soul des volcans, c'cst-a-dire, creuscs
au milieu, rotifermanl unevasle fournaisequi cclalequcl-
quefois au dehors. U'autres rostenl loute I'annee couvertes
de ncige, a cau.sc de leur prodigieuse elevation; car, plus
on s'eloigue de la terro. plus lo Iroid augmente. (juelques-
unes se dislinguent par la bizarrerie do lours formes. II y
on a pen d'aussi remarquables, sous cc rapport, que cclle
do Picrrc-BoUe. dans I'ilo Maurice. Cc nom etait colui dun
houime qui s'el'foroa, dil-on, degrimper jusqu'au sommot
lie la montagne, ct retumba lout brise dans rafl'reux proci-
Ijicc. Hegardez la gravure, el vous aurez peine a compren-
(Ire qu'un luHnme nse (aire une pareille fenlaiive. Copon-
(lanl, ii y a <]uol(iues annces, plusieurs Anglais ( los Anglais
aimenl cos inulilcs dangers) resulurent do se risquer a
gravir de nouveau la montagne de Picrro-Colle. Le capi-
laine Lloyd, accompagnc de M. Dawkins, fit la in-eiuiere
tentative en 1831 ; il gagna la partie etroile qu'on appelb'
le col; une ochelley ful plantee.mais elle ne putattoiiulre
la moitie de la face perpondiculaire du rochcr qui le do-
luinait. M Lloyd, donl il faut admirer la p'erseverance,
voulul lentor de nouveau. un an apres, celte perilleuse as-
cension ; il sc lit accompagner des lieulcnants Pliillpntis,
Koppel et iNaylor. Jo vais vous citer la narration ipien a
faite ce dernier dans scs ouvrages, bien persuade qu'olle
vous interessera.
« 'Ionics nos dispositions prises, nous partimes ; jamais
« je u'ai vu troupe en marche offrir un spectacle plus pit-
« torcsque ; noire arrierc-garde se composait de quinze
II ou vingl hommes affublcs de costumes differcnts, et
u d'uu petit nnmbre do negres charges de porler la nour-
ci rilure, les velements, le lingo blanc, etc. Le chemin s'e-
« tendail au milieu d'uu ravin escarpc forme par les pluios
0 (i I'cpoquc do I'liumide saison, et les picrres, ainsi ebran-
u lees, rendaieiil ce passage fort pcu ngreablo. 11 fallait
(1 avoir conlinuellemenl I'ocil sur ccs rochcrs roulanlsqui
0 nous menacaient, el auxquels moi ct M. Keppcl nous
u cchappames miraculeuscment.
Cl A moitie route, nous fiinies cblouis du .spectacle qui so
« doployait a nosyeux, cl qui pcul ddficr mes pouvoirs
u dcscriplifs. Nous elions sur une petite langue de terro
u d'envirou vingl pieds de long. Do la nous plougions sur
« la gorge profonde ct boisoc que nous vcnions do parcou-
n rir, landis qu'.i I'oppose (eel cndroit ayanl six a sept
« pieJs de largour) on voyail se developpcr le precipice
« do quinze conls pieds jusqu'a la plaine. Cel aspect ef-
(I frayant sc ropclail a I'une des exlremitcs du coL Mais
« rien n'esl comparable a la vue qui bornait I'aulre point;
« il etait environne d'uu rochcr etroil comme lalamed'un
(I couleau, brise /;a cl la par des precipices, et s'lilevait a
« Irois cents ou Irois cent cinquanle pieds au-dcssus do
« nous; du haul de co vieux pinacle, Pcler-Cotto regnail
« dans loute sa gloirc.
« Apres un pcu do repos, nous nous mimes a I'ocuvro. |
« L'ecliello que Lloyd cl Dawldns avaient laissce I'anncc '
(I proccdenlc y etait encore; liaule dedouze pieds, die nc
i( jiouvait atlcindre quela moitie de la face de rochcr pcr-
(I pendiculaire.Les pieds do celt" cchelle, garnisdepoinles,
« olaienlappuyossurun bord a peine visible, ayanl seule-
II mcnl Irois ponces de chaque cote. Un des negres, le corps
i( ceinl dune pclite corde, grimpa du haul de rcchelle par
« la crevasse jusqu'a la fofade du rocher. Le danger da
(I rentrepvisc nous remplissail dclfroi; car, nialgrc le
dl: voyages nfecEisTS.
« llrgmc cl r;iplomlj dc cp mnlheurcux, il |iniiv.iit man-
« (iiicr (l'ei|ijilil)rc.
« L'lic pioiit [lonvait nussi sc Jelachcr ct le precipiter
(( ilaiis rnliiiiic. Cc|icn(]nnl il cscalija hai'diment , et
« nous rciilondiines cnliii crier ; « Toul va bicn. » Lcs
« i)cg;res nsenl (If leiii's picJs romme les singes, c'esl
« une secoiiilo paire dc mains, ils s'accroclieni a lout. Cel
<i homnic ayanl fl.xo solidcmenl la corde quo nous avions
« appiirlee, nous la saisimes et grimpames a noire tour
« I'un apres I'aulre. Plaisanleric a pari, c'clait un moment
« terrihle a passer.
« Dans pliisieurs endroils , le clicniin n'avait pas uii
« |iicd de largcur, ct j'aurais pu , nioitie assis , moilic
11 a genoux , lancer mon Soulier droit d'nn cole dans la
« plame, el le gauche dans le ravin de I'autre. Mais rien
(! nc me causa plus de surprise que ma I'erniete et le bon
« etat de ma tete ; le matin, je m'etais sent! etourdi
« en montant le ravin , pins , gradncllement , mon imagi-
'i nation s'c.xalta , ma volonle prit un tel caraclere de
<i force, que je pus envisager cette hauteur prodigieuse
« sanseprouvcr le moindre vcrtige. Neanmoinsje me rc-
« jouis d'arriver sain el sauf au-dessiis de ce col; jamais
" jiareille perspective ue s'offril a mes regards. Le som-
« met, qui est nue masse enorme de rochers d'environ
« Ireule-cinq pieds de haul, surplombe de tous cotes
II une sorte de plale-forme dc rochers assez unis, d'envi-
'I ron si.x pieds do largeur,cernee partoutpar le bord brise
(1 du precipice, cxcepte a I'endroil ou il sc joint au senlier
« que nous avions gravi. II y a un cndroil oii cctle boule
« qui couronne le pic ne depasse pas le sommet ; le
« bonheur voulul que nous fussions justemenl arrives la.
« Nous I'avionscalcule ainsi, il est vrai, en montant; une
11 communication elail etablie a mi-cdlc par une double
<i rangee de cordes; nous cherchames a faire monter le
« materiel necessaire ; I'echelle portative dc Lloyd, de
u nouvellcs provisions de cordes, des pinccs, etc. Mais
« comment parvenir a lirer I'echelle conire le rocher?
« rien dc plus cmbarrassant. Lloyd s'etait muni de cour-
« roies, dc llechcs, de fer, pour tirer. il s'empara d'un
u fusil, allaclia une corde serrce autourdc la taille,par la-
« quelle nous le retcnions tous, puis il se dirigea vers le
« bord du precipice, du cote oppose, s'appuya en arricre
u conire la corde, et lira sur la moindre parlie saillante.
a Celte tentative eclioua ; il eut alors recours a une grosse
« pierfo attachce a un fil de plomb, qui, en se balancant
« diagonalement, scmblait devoir toucher le but. On se
« crut plusicurs fois sur le point dc reussir, mais lo mau-
« dit Dl ne voulail rien allraper, ct la picrrc allait se per-
il dre au loin. Eufin le vent changea pendant une minute,
n la pierre reparut, et ful promplcment reprise au cole
(I oppose.
a Trois degrcs de I'echelle furcnt places sur le bord ;
a on allacha une grosse corde au dernier, que nous lir.i-
a mes. avec precaution; puis, avec une autre corde
a epaisse de deux ponces, nous sanglames le haul de I'c-
0 chelle, rinclinant douccmenl au-dessus du precipice
a jusqu'a ce qu'elle fut sus[ieiidue pcrpendiculairemcnl et
a consolidee par deux negres sur Ic bord au-de.ssous do
0 nous.
« Tout est bieu 1 s'ecria-t-on, soiilevcz maiutenant. »
« L'echclle parul cnGn, scs pieds gagucrcnt le bord on
a nous elions, et nous la fixamessoiidemeut sur le col de
« la inonlaguc. Lloyd I'cscalada Ic premier on poussant dc
157
<i bruyantcs et joyeuscs acclamalions. Nons le suivimcs
« lous les trois. Au moyen d'un crochet qu'oii nous fil
« monter, nous planl.imcs Ic pavilion anglais, qui Holla li-
« brenient sur la redoutable monlagne de reler-Cotle. A
Cl peine I'eut-on apcrcu d'en has, que la fregate I'Invincible
a le salua dans le port, et nous rcpondimes par le (eu dc
(I nos ballcrics.
a Quoique nous n'eussions confic noire projet d'expddi-
u lion a personne, elle ful coiinue le matin memo dii
I depart, el allira sur nous rinlcret general. Arrives an
Cl hauldu rocher, que nons ba)ilisamcs du nom de Pic du
Cl roi GuUlaume, nous bOmes a la santc de Sa Majeslii, au
II pieddu drapeau, et la joie fut a sou comble. »
, Je n'ai pas le temps dc vous raconter mainlenant en de-
tail la journce complete de ces hommes intrepides; apros
avoir dine plus has sur la montagne, ils remonlcrent au
.sommet pour y couchcr. Quand vinl la null, ils allume-
renl une llamme blcue qui cclaira magnifiquement les alen-
lours de cetle scene; mais le vent gronda et les glaja
tellement, qu'ils burenl toule Icur eau de-vic, el s'envelop-
perenl inulilemcnl dc leurs coiivcrlures. Contentez-vous
de savoir aujourd'hui qu'ils laisserenl llotler leur pavilion,
et redescf'iidirenl sains et s.Tufs, d la grande admiration do
leurs compalriolcs. Je vous apprendrai bientot la lln de
leurs avenlurcs-
{La iuilc au procliain numiro.)
1S3 CAUSlilllliS
r.AUSERIES
AVEC HON FILS ERNEST
Un LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES
TROISltiHE MATINXZ.
Cunstructlon tl'un valsseau, — Lc rhaniiiT. — Kc Imh?- — Annioinir <lii
bois. — Un vjisseaii laticc l'ij hut. — Vapcurs tie for.
Aujourd'hui, nion cher ami. Jit M. de a son lils,
jc vais vous racontcr do.s clioses hicn surprenaiilos, donl
li's iioii.s insoucianls ne s'occupcnl ijiierc. Le monde esl
roiii|ili Je mcrvcillos ; Ics tioirs cnilloux i|iii se troiivpnl
dans la ponssiorc dosclicniin<:, k's hrniissalllnsqui poussoni
a lorl ct a travcr.s au milieu dos liaies, ct memo le briii
d'liorlie ipie vous fmilcz au-t picds. lout est nierveilleiix :
c'csl I'uuvrage ininiilablc d'uii Dicu loul-puissanl. Si vous
regardiezsoigneusemcnt avcc le microscope un dcs objels
((uejc viens de ciler, vous scricz clonne do le Irouvcr si
lioau. Mais I'liommc a aussi fait dcs clioscs digues de notrc
.ulniiralion, etje vcu.'s commeucer par en ciler quelqucs-
uuc§ avanl de m'arreler aux creations parfaites de Dicu.
le lc repete, je me borncrai a trailer un petit nombre de
CCS merveilles, car si je voulais vous entretenir de toulcs
cellcs ipio je connais, dies rcmpliraienl bieu des volumes
plusgrosquc ccuj de rii.i biblioibeque.
Avez-vous jamais vu un vaisseau? Vous avoz peut-Stro
vecu dans uii port do mor, et visile un vaisseau plusd'une
fiiis ; mais il est possible i[ue vous n'ayoz jamais songe a
autre chose, en lo voyant, qu'a son utilite. La construction
d'un vaisseau est chose merveillcuse ; il a fallu des siecies
de travail pour arriver au resullat que nous avonssousles
yeu.t aujourd'hui. Noe balit, il est vrai, il y a environ
quatre millc ajis, une arche, ou cspece de vaisseau, sans
mat ct sans voiles; mais Dicu I'avnit saiis doutc dirigedans
son cnuvre, car longtemps aprcs le deluge on construisil
(k's vaisseaux inconnnodesct grossiers. Vnyezccuxde noire
pays, il ya seulemciit deux cent cinquaule ans, el que les
pei[ilres de repoi[uc nous out rcpre.senles : cc sont dc
liiurdes masses semblablcs a dos cb.ileaiix, avec dcs pou-
pcs mcnacantes, cl surchargeos de vaius ornemouts. lie
nombreux perfeclionnemejits out on lieu depuis. Aujour-
d'hui les vaisseaux sont plus legers, plus forls, el offrcnt
plusde securite que ccux d'autrefois.
nicu de plus intercssaut a voir (pi'un vaisseau sur le
chanlicr. Lorsiiu'on enire d'abord dans Tarscnal, tout pa-
rait en dcsordre ; les ouvriers, alTaircs, fourmillent commo
des abeillos dans lecn-s ruches; le bruit d'une cenlainc de
baches ct de marleauxqiii I'rappenla la fois vous dcroulcnt
enlieremcnt;etmeme,apres s'elrchabiluoacctleconfusioii,
on ne pent se rendre comple de ce <iue font les ouvriers
sans avoir quelques notions de la manierc de conslruire un
navire.
Dans les pays barbares, les vaisseaux se lout d'ordinairc
nprds avoir valncu de grandes difllculles, en creusanl le
Ironc d'un gros arbre. Mais comnie il n'exisle pas d'arbres
assez volumineux pour laire d'un seal mnrceau un de nns
plu.> pclits vaisseaux, il faut y suppleer par la coustruclion ;
il faut avoir recours ii un grand nombre dc pieces soigneu-
senicnt Inillees et ajuslees ensemble. C'csl la ce que je veux
cssayor de vousdccrire. Le terrain du chanlicr est di.sposo
de manicre a former une pente imie jusqu'a la raer; de
chaque cole il y a une rangee d'epais blocs de chene, d'en-
viron trois picds de haul, et eloignes les uns dcs aulres de
quatre. Le vaisseau lout cntier sc tienl dessus a mesure
(1,1 Vu'j. If 11' ill, |i. 120.
qu'on le b.ilil, et c'est de la i|u'on lc glisse .1 I'cau qu.iiid
tout est achevc. On commence parcouchor sur cos blocs
un gros morceau de bois de charpontc coupe carre, qui
traverse toule la longueur du navire, ct qui porle le nom
de quille. Vient cnsuile rarrangcmeni des couflcs. (|uc
Ton a preparees de la maniore la plus curieuse, (|ui for-
ment les cotes, ct offrcnt une grande res.semblancc avec
les coles du corps d'un animal. Ohacune dnii avoir la forme
qui lui est propre, sans quoi lc vaisseau aurait niauvaisi
lournure etne pourraitselenir sur I'eau. Ensuile on ]ue
pare une maison, ou espece de hangar, aussi long que
la carcassc du navire, sur les murs duqnel on crayuiuie
trcs-exactcniciit la forme de chaque morceau dc chaiiicnle
i
snn LES INVENTIONS ET LES DfiCOUVERTES.
,i la place qu'il rtoil occuiior; ]iiiis on l.iiHc dos jibnclies
il'aprescrs formos; on fait vcriir dii liiiis do divers eiidroils
alin dcclioisirles iiinrccaus Ics plus coiivenaldcs. tcls que
ceux quioni pousse de Iravers avecla courLe vouhip; mais
on ne rcnconlrc pas loujuuis du Ijuis exaclemeiit de la
lormc necessaire, et, dans ce eas, it faut la lui dnrmer de
foree. Mais, me dircz-vous. comment peut-on enuilier uii
morceau de bois de plus d im pied d'epaisseiir? Au raoycn
de la vapeur. Chaque morceau se place dans une hoile pro-
fnndc nil Ton fail penetrer la vapeur de I'cau bouillanle,
jusqu'a ce qu'il devicnnesouple, et puisse secoiirber a vo-
lonle; line fois sees, on les coupe de manierc a s'adapler
lun a I'autre, puis on les cleve en inlroduisant nne dcs
eslremites dans la quillc. Le haul du navire est traverse
par des poutres d unc charpentc a I'autre. Mais avant tout
ccla, cependant, des morceaux dc Ijois sont Cses presipie
droits a cliaque bout de la quille : I'un s'appellc la prone,
cl I'autre VelambnI.
U' hatimenl prend alors la forme d un vaisseau, ou plu-
lot represenle sou squclctte ; car les clnrpentes sont veri-
lablement les os d'un navire. Maintenant ii laut que nous
le revetissions do chair et de peau, nu. se'.on I'exprcssion
du conslruclenr, il s'a^il de le border On cmploie, en ge-
neral, le cliene a eel eflet, a cause de sa soliJile a toule
eprcuve ; cbaque planclie separce est (ixce au\ couples,
non avcc des clous qui sc rouillcraieiit promplement el
laLsserairnt des Irons, mais an moyeH de longs morceau\
de bois opals, appeles chevillos, qui traversenl .i la fois la
plajicho el la charpontc.
Lorsquc toutes ccs choses sont en place, on s'occupe de
boucher les crevasses ol les coulurcs des planches avcc do
rctoupe ( c'esl-.i-dire avec de vieillcs cordos mises en
pieces), introduite, serree cl bien gniidronnce. On recouvrc
cii outre il'unc fouille mince de cuivre loute la parlio de.s-
linee a rcslcr conlinuellemeni dans I'eau, afin d'empeclier
los vcrsde mcr de pratiqner des Irons dans les planches,
Los mats se preparent ensnile. Quand il s'agil de petils
vaisseaiix, nn seul morceau di' bois, pris d'un beau snpin
bien droit, suffit pour les laire ; ceu\ de grnnde dimension
sonl composes de plusieurs morceaux .ijustos elsolidcmont
lies ensemble par des cerdes de ler. lis sonl places droit
a leur place el reposent snr la cpiille, ou plutut sur un
autre morceau de cliarpenle sur la quille, qu'on nommc
contrc-quille. Le bcaiqirc esl nne cspece de m.il oblii|ue
qui s'eleve en avanl du vaisseau cl s'appuie sur la proue;
vicimenl ensuiie les plajiches placees sur les poutres qui
traversenl pour finnier le lillac, el voici lo vaisseau pn'l ,i
r-tre lance a la mer.
Co premier essai est magnilique a voir, .surtoul lor.squ'il
s'agit dun vais;cnu do guerre, eu d'un b.itimont destine
an voyage des Indes orientales. La lotile so presse loul
autour, il est cncombre de gens qui vont a bord se lancer
en niome temps dans la mer. La poup-^ est toujours la par-
tie la plus rapproclioe de I'eau; et d'ordinaire, line dame
prend avec bcaucoup de cereinonic unc bouleille de vin,
ipi'i'lle brise contrc lavant du vaisseau, en rappclanl du
nom qu'on csl convenu de lui donncr. Ccci a lieu quand
lout est aclicve; mais les ouvriers avaicnt etc employes
prcccdemmenl a renverscr a coups de martcaiix les grands
poteau\ qui supporlaienl le vais.scau de cbaque cole, ainsi
que plusieurs blocs de cliene places en dessous, afin de le
laisser glisser plus facilement a I'eau. EnDn on coupe la
grosse coi-de qui i-client la ponpe. puis le vaisseau descend
lenlement d'ahord, el avec bcaucoup de niajesli! dans la
mer, an milieu des oris et des acclamations joyeuses de la
foule assembloe; les agres, c'esl-.i-diro lesdifferentes cor-
desollesm.its snporieurs, sont d'ordinaire places aprcs qu'il
csl lance. Maisje nai |ias la place de los dccrirc ici ; d'ail-
leurs ilserait difCcile d'y rieii conq)rendre, sans voir les
objets eu.x-momes.
Quelques semaincs sont a peine ccouldes. cl voil.i ce
galant ei|uipage i|ui abandonnc le port el se dirige vers de
lointains pays. Voyez commc il s'incline avcc grace au
souflle do la brise, cominc ses torches sc voilent: voyez
cos blanches ct magnifiques voiles rellelcr les rayons du
soleil de leurs surfaces polios ct arrondics. 11 fend les
llols qui s'elevent autour de lui, el se frayc un passage
nu milieu dcs eaujc. 11 se rapelisso par di gres ; bicntot cc
ne sera plus qu'un point dans res|iace; enfin il disparait
a nos yeux I'nissc le bonhcur ne pas I'abandonner I
La solidite d'un vaisseau depend en parlie de la qualile
du bois qu'on enipliie ; ou prefere gcneralcmcnt le chene
en Angleterrc; anx ludcs, les vaisseatix sont construils
d'un bois tres-prccicnx, Ic leak. 11 y a plusieurs qualitos
dans le bois qui le rcndent propre a la construction d'un
vaisseau, par exemple, s'il est solide, diir, facile a couper,
s'il retiont les ehcvilles et bs clous qu'on y iulrodult, cl
s'll llotte snr I'cau. Ces jiroprieles dejiendcnt de sa con-
sruction particuliero.
II esl curieux d'o!iScrver un tres-minco morceau do
bois laiUe a leavers la vcine, tel qu'oi; pout Ic voir a I'aide
du microscope. Le bois csl compose d'un nomhrc im-
mense de tubes ou de conduits delicals, ranges I'un ac6;c
de I'aulre, qui Iraversonl loute sa longueur. Lcsdimcnsions
ue sonl pas toutes semldablcs. Au centre meme il y a
nne luun- do pelites cavitcs scmblables ;i des liuUcs d'c-
eumc. mais solides, el cetle masse .s'appelle la mnetle. Les
conduits L-s plus rapprochcs do la mocllc sc Irouvcnt
[iressos par la croissauce du bois qui les environno, etsoni
par consequent mieux Dxos ensemble, cc qui donnci cetle
partie du bois, qu'on nomme le caur, plus de solidite el
de valeur. Ces tubes creux rcndent aussi le bois plus leger
que beau,quoique sa substance soitreellemerl plus lourde ;
il faul encore leur allribner sa durete. Ce sonl ccs tubes
aussi qui se prelejit a rccevoir le clou qu'on y cnfonce cl
Ic reliennent soliilemenl.
Le premier avantage du bois consiste dans la durec; il
y en a qui se pourril promplement, cl (|ui esl par con.se-
qnenl loul .i fail impropre .i la couslruclion d'un vais-
scan. Le fameux cedre du Liban, dnnt I'Ecriturc sainle
nous parle si souveni, qnnique le plus durable de tons les
arbres, ne saurait eonvenir aiix vaisseaux a cause de .sa
qualile molle, fiiblc el fragile. Le cypres resiste a la des-
Iruction du temps d'une manierc surprenanle: on suppose
quel'arche de Noc fut faite de ce bnis. Ceiix dcs arbres qui
grandisscnl lenlement sonl prcferables .i Ions les aulres,
el ecus qui siilcvciil en plein air sont supericurs aux
arbres des t'paisses forels.
(jue pcnsez-vous du for pour la conslruction d'un vaii;-
seau ? Vous allcz eroirc ([uo je vous propose une ciiigmo ,
cependant il est posllif (|ue les vaisseaux dcslincs a fairc
de longs voya.gos sont construils en for, ct reinplissent ,i
mcrveille le but qu'on s'esl propose; sous bien dcs rap-
ports, ils sonl prcferables aux aulres.
rarmi les avantages qn'offre un vaisseau de for, j'in-
dii|uorai ceux-ci : prcmicrcmenl, .-.u bout d'un grand nom-
103
CAUSEniEs sun les iinventions et les dEcouvertes.
bre d'ann(?csde servico, Ic fond n'csl j.imnis oncnmbri5 par
les niauvaiscs hcrbos cl Ics coquilla^jcs, landis (luc Ics au-
ti'es se salisspnt |irom]ilcincnl ; socundonienl, s'il vicnl a
licurtei' conire un rochcr, Ic domniaijo poi'le sciilenicnt
sur line pi'tile parlio facile a I'acconimoder, el commc ccs
vaisscauxsoiit b.itis d'ordinairc au nioycn dc compnrliiiicnis
Ires-solidi'squin'ont aiicun rap|iort Ics uiis avcc les aulrcs,
quaiid bien meme un Iron se fornierait dans unc dc scs
divisions, Ic rcsle n'cn souffrirail pas: un pai'cil sinislrc
causerail en pen d'licurcsla I'uinc complete d'unvaisseau
de bois.
(Jiiel niagnififiuc l(''mni;,'nnp;e de la puissance luimainc,
que cellc ci'calioii du vaisscau, ccs vagues domplces, ccs cs-
paccs parcnurus, net Qc6m fianclii! Smivent, lorsquc j'lia-
bitais la villc d'Ancone, je passais des jours entiers sur Ic
mole, oil J'allais visiter uii capitainc dc nics amis, el lout
mon plaisir clail dc conlcnqiler a loisir les nombreux
vaisseaux, dc matures ct de formes diverses, qui sillo-
naienl I'ondc dans toulcs les directions. II n'y a pas do
spectacle qui donnc unc plus haute idiie dii gcnic humain
cl de sa jiuissancc.
Bientut, clier Ernest, je vous parlerai des dcrnicrs pro-
diges ct des derniers triompbcs de rimluslric bnmaine,
c"est-a-dire de la vapfur appliqui'c aux navircs dans res
derniers temps.
A nOS COa&BSPOND&NTG.
I A M.iil L I! II. V -l.K Dcililc-s Jc rlii^lo re, lu I It-iur lit mi! i-c rif
A H. L. C. D. —Lc voyage dc tout csl iroiicoiMiu. I soul pas iiilciroiiipues. I.a siiilc |iiiiiJn jplaic il :;-
A M. I.. - Ustisgmcnls dc (lofcic ciircliciinc soul arcqiirs. lo ii" VI, rjiii |iainllia au coiiimtiicciiicni d'avril.
^2 faris. — TylHigraiiliic d'X. lleNr rl (lotii|i., ruc dr ^0|I|^, "il. ^j —
^
Li';
LIVRE DES FAMILIES
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
W" e. —I" Voiun.o.
i" Avcil 1845.
lK MOIS DU JFAINE CHRETIEN.
LES HOOATIONS.
Dans cctle parlio dcs Gaulcs qui, plus larJ, pril le noui
..e Daupliinu, divers llcaux porterent, vers la fiu du cin-
ijuieme siccle, uiie profondc desolation. On y resseiilit
; tasieurs tremblements de terre, Ics betes feroce.s rava-
1. ;aienl les campa^nes et venaient jeter la Icrreur ius(|ue
msla ville dc Vienne qui elait, a cetteepoque, unegrande
Ic. Toutes Ics nuils on cntcndait des liruits effrayanis (jiii
mM-nicnt mciiacer la ville d'une imminenle mine. Saint
imert elait alors cveqne de la ville que nous venous de
miner. Quelle ressource employer conlrede pareils des-
ires? La philosopliie huniaine cherclic a les e.'spliqucr,
lis elle est impuissante a les conjurer. Le digne pasteur,
iche de I'alarme de ses pnuples, ne vit qu'un iiioycn d'eii
•eler Iceours, la priere. II cxliorla ses diocesains a le-
: leurs mains suppliantes vers Celui-la seul cpii frap|ie
■: qui gueril, qui abal cl rclcve, ipii perd et qui re6su.scile.
11 institua.a cetefl'et, unc procession solennelie qui devait
avoir lieu en chacun des Irois jours qui precedent la fete
de 1' Ascension. On s'empressa de repundre ii I'invilation
du pieux eveque. Les flcaux cesserent, les peiiples repri-
rent leur ancienne securite, car leur esperance n'avait pas
cte trompee. Mais coninie la priere n'a point pour unique
fin d'implorer les grilces divines, mais qu'elle est encore
I'expression de la reconnaissance, on ne suspends point
les processions quand les tro's jours q'.n precedent I'As-
cension rcparurent I'.ini.t-e suivanle Tuulc 1 Erli'-e dc
France fut vivcment frappee de I'lieureus resullat qm avail
cte obteini par les prieres ( logaliartcs ) failcs dans le Icr-
ritoire de Vienne. Le concile assemble u Orleans, en 51 1 ,
ordonna que desormais on lerait dans cliaque diocese dcs
processions analogues. Plus lard, I'Espa^^ne adopta ces Rii-
gatkms on supplications solennelles, mais on les li.'ia aux
trois derniers jours de I'oclavc de la Pcntecote. EnDu,
Rome ne dedaigna pasde suivre rcxcmpledc la France, sa
21
162
LES SAINTS
lille aineo. Lc pnpc I.con III Ics y iiisliUin vers la llii ilii
huilii'inc sioclp, cl aJupla los Irois jours qui piTooilenl
I'Ascpusiou. DionlM I'uiiilnrmile s'claWil, sous cc raiiport,
dans loulc l'Egli^e occidculale, cl los feles des teles liumi-
liees, cnmnic los noniuie saint Sidoine, ou Ics proslernc-
menls ilu pcuple, ainsi que Ics appcUc un aulic aulcur,
juircul place dans le cycle fcslival de I'annce chrelienric.
Os processions, dans Ics paroissos de cauipagne, se foul
an loinlaiu. On y clianlc des psaumes cl des antiennes ainsi
(pio Ics litanies des saints. On y prlc le Seigneur de bcnii-
les frnils de la lerrc. On y emploie, commc il vient d'eire
dil, la puissanle intercession des amis de Dicn. Laissons
parloi- I illuslrc anicur du Genie du Christianisme :
n Lcs cloches du hamoau se j'ont entendre, les villageois
« quillent leurs Iravaux ; le vigncron descend de la collinc,
u le laboureur accoui-t de la plaine, le Ijuchenni sort de la
ul'urel; les meres, fermant leurs eabanes, arrivent avcc
B lenrs enfants, et les jeunes Giles laisscnt leurs I'uscau'i,
« leurs brebis et leurs fonlaincs pour assislcr a la fete. On
(I s'asseitilde dans lecimcliere dels paroisse.snrles tombcs
« verdoyaiites des aVeux. Bioiilot on vuil parailre le clcrgc
» destine a la cercmonic ; c"est un vicux pastcur qui n'cst
« connu que sous le nom de eure, et ce nom venerable,
« dans Icquel est vcnu se perdre le sicn, indiipic moins lc
<i ministrc du temple que le pcre laborieux du troupcau.
« II sort dc sa rclrailo, b.ilie aupres de la dcmcure des
« morts dont il surveille la ccndrc. II est elabli dans son
« presbylere, commc ime garde avancee aux Ironlieres de
(c la vie, pour reccvoir ceux qui cntrent et ceux qui sor-
« lent deccroyamiic desdouleurs. Un puils, des peupliers,
« une vigne aulour dc sa fenetre, quelques colombes, com-
ic posent I'herilage de ce roi des sacriDees. »
« L'elendard des saiuls, antique banniere des temps elie-
<c valeresques, ouvre la earrierc au Iroupeau qui suit pelc-
i< mele avec son pastcur. On enlrc dans des chemins om-
« brages et coupes profondcmeut par la roue des chars rus-
u tiqucs; on Iranchit de haulcs barrieres, formees d"nn
Il seul Ironc de cbenc ; on voyage le long d'une haie d'au-
« bcpincs on bourdonne I'aheille el oii sifllent les bou-
« vrenils et Ics merles La procession renlre
II cnCn au hameau. Chacun retourne a son ouvrage : la re-
II ligion n'a pas voulu que lc jour ou Ton dcmande ii Dicu
II les biens de la terre tut un jour d'oisivele Avec quelle
II esperance on enfonce le soc dans le sillon apres avoir
II implore Celui qui dirige le soleil el qui garde dans scs
0 Ircsors lcs vents du midi et les liedcs ondces ! »
Uans Ics premiers temps de relablissemcnt des Roga-
tions, on clait oblige de s'abslenir du travail pendant tonl
le jour. Mais comnie ce sont plutut des journees de peni-
tence el de morliQcation que de vcritabksleles, on se con-
tenta d'obligcr les peuples a la procession des litanies el a
la messe et non a un complel repos. Le jcfinc fnl remplaco
par une simple abstinence des aliments gras, car on relic-
chit que le temps pascal, epoque d'une sainle joie, ne pou-
vait s'allier avec ce genre de maceration.
Que sont aujourd'hui pour les grandes villes, surtoul
lelles que Paris, les Irois jours des Rogations? Avant nos
troubles politiques et religieux de 1789, on voyail circuler
dans les rues et sur les places publiques de la grande mc-
Iropolc, les croix et les bannicres que snivail un nombreux
clerge, accompagnc, a son tour, d'une population consi-
derable. Si Ton n'y avail pas a bcnir des terres ensemer-
cees et des .irlires charges de (leurs, on savail qnc de la
main bienfaisante dc Dicu devait eependant desccndre sur
la I ile lc Iresor des grains et des fruits qui la nourrissent.
La ville joignait scs v(rus et scs priercs a la campagnc, car
les liabilanis de I'une elde I'autre out a invoquer le memo
pere qui est aux cieux. Aujourd'hui la procession se dc-
roule solitaire dans renceinte des temples, aulour des co-
lounes qui en portent les voutes. Le bruit du monde I'ef-
fraye, de ce monde qui s'ecoule indifferent devanl les porles
de la basilique el qui ne pcnse pas meme aux supplications
qnc lcs levitcs du saint parvis foul monler vers le ciel cu
sa favcur. Ileureux encore ceux qui, dans le nialheur de
leur indilTerence, n'insullent et ne blasphemenl pas la main
genereuse qui leur depart le pain de chaque jour I
II cxislail, durant lc moyeu age, certaincs coutumos fort
singuliercs dans ces processions des Rogations. Le cclehre
Dnrand on Durantis, eveque de Mende, au treizicme siccle,
dil qu'on pintail en tele dc ces processions un cnorme
serpent ou dragon en carton ou en bois peinl. La queue de
I'animal elail drcssce pendant les deux premiers jours,
niais au Iroisieme, ce serpent syndiolique elail porle dcr-
riere la procession, la queue baissee. Cela signiliait que
sous la loi de nature el cello de Mo'ise, figurees par les
deux jours, le demon cxercait son empire sur le monde,
niais (pie souslo loi de grace, figurec par le Iroisieme jinir,
Vnnliquc serpen! avail ele vaincu. Pour apprecicr ce sym-
holismc que nous tiouvons aujourd'hui bizarre, il faut so
reporter au genie de I'epoque et ne pas jnger le Ircizicmo
siecled'aprcs nos temps modernes. Neanmoins, il s'en etait
conserve qiielques traces qui out fini par disparaitre dans
le siecle dernier. Ainsi jusi|u'en rannce 1700, a la proces-
sion de Saint-Qniriace, paroisse de la ville de Provins, on
a porle au haul d'un baton une ligure de serpent. En eetle
annee, on s'elail aviso de placer dans la gueule de ce rep-
tile de carton un feu d'arlifice qui causa quelques dom-
mages, el qui moliva la suppression de ccl antique rile
des Rogations. Au commencement de ce meme siecle, on y
porlail encore, a Rouen, deux grands dragons que le peuple
nommait gargouilles.
II exislait a Angers une eoulume beaucoup plusinslruc-
live et plus morale. Le niardi des Rogations, le clerge de
la calhiidiale enlrait dans loules les oglises qu'il rcncon-
Irait sur son passage, et ne faisait que les traverser en
chanlanl une anliennc en I'honneur du patron. Le pcuple
appclail cctle ceremonie la procession dc la haie percee.
On croil que c'etail pour mcltre en acle symbolique, s'il
est permis de parlor ainsi, ces paroles del'Apolre, qui sont
pleines d'un sens profond : ii Nous n'avons point ici-bas
une dcmcure permanonlo. » Qu'esl-ce en effct que la vie?
un pelcrinage de quebpios instants plus ou moins prolon-
gos, mais qui dnivcnt avoir un Icrme. Aussi I'Aputre ajoutc ■
<i Wais nous cherchons la dcmcure, la cite ii venir, n ot
cclle-ci est la seule verilable, la seule dignc d'en porter le
nom.
VABJEXES.
Le mois d'avril n'offrantpasdcsolcnnilesrcmarquablos,
nous avons cm devoir remphr I'cspace qui nous est re-
serve dans cc journal, par divorses notions relatives a dis
sujols religieux, gcncralemcnt assez peu connus, ou du
moins assez mal connus des calholiqiies vivant dans lc
mondc. Nmis csperons que ccs details nc leiir pnrailronl
]ioinloiscux, car ricn dc ce qui liciit a rorginisation do la
Siaude famille clii-elicnne ne peut elre indiflercnl aux
iiicrabrcs qui la composciit.
1° LE PAPE.
Au sommet de la calholicite, nous voyons le supreme
paslcur qui lient les clefs symboliques de la puissance dc
Jcsus-Clirlsl, clicf invisible de I'Eglise. Avant de s'clever
au cicl aprcsson admirable mission remplie sur la lerrc, Ic
Cbrisl Irionqihant laisse .i Pierre, prince de Taposlolat, le
soin de paiire les brebis el les agneaux. Remarquons d'a-
bord ces Icrmcs si admirablcmeut cmprcints de la dou-
ceur qui caraclerisc le cbrislianisme. C'est sous remblenie
d'un paslcur que Jesus-Cbrisl vpul parailre. II ne se pare
point de ces lilres dicles par rori,'ueil luimaui, lels que
ceux d'empereur, de roi, de monarque, dc prince. C'est un
pasleur.... Je suis, dit-il, le bon pasleurqui donnc sa vie
pour ses brebis. Son vicaire, sur la tcrre, aura un tilrc
ofliciel parfaitoment analogue ii celte tendre appellation. Cc
sera le PAPE, c'est-a-dire le pere, ce nom grec de PAPPAS
jiar lequel un enfant, profondement affectueux, desisne
raiileur de ses jours, el qui, dans notre langue, est celui
de PAPA : I Quel titre serait mieux approprie a la lonction
du viciire de Celui que nous invoquons tons les jours sous
le mini de Pere?
Commesuccesseurde saint Pierre, le pape est done in-
vesli du nieme pouvoir que ce prince des apolres. 11 est
le centre dc I'unilecalholique. Quiconque pieconnail celte
liaule palcrnilo, ne pent se dire niembre de la famille clire-
licmie. Vniiicmcnt on lerait profession de croire tons les
dngmcs de la foi expnmes dans le symbole. Des lors qu'on
s'isole du bercail donl le pape est le pasleur, on n'ap])ar-
ticnl plus au Iroupcau Mais que disons-nous? le symbole
lui-meme renferme une croyance explicite a la saiulc Eglise
calliolique. Qui dit Eglise, dit sociele, et qui dil societe,
cxprime une aulorile dominante, sanslaquelleil n'y a plus
que I'anarchie. Qui dit loi, dil unite, car 11 ne pent raison-
nablcment esisler des categories indefinies et multiples, et
par consequent contradictoires de croyance. Cclle-ci e.st
UNE ou bien elle nest pas. Mcconnailre le pape et se dire
Chretien, c'est reconnailre uii cercle et nier le centre au-
quel tons les rayons vont aboutir. Mais nous ne faisons
point ici de la conti'overse, et Ton voit I'aillcurs, paries
principes poses, qu'elle est superllue.L'abnegation complete
du cbrislianisme, quni(iueinnnimenl deplorable, etd'ailleurs
tres-inationnellc, cheque peul-elre encore moins que I'in-
consequence logique dont nous pailons. Le pape est con-
sidere sous un quadruple aspect. II est 1- le pontife souve-
rain de.l'Eglise universelle; 2" le patriarcbe de I'Egli.se
occidcnlale, en parliculier; 3" rcvequc du siege de Rome;
4° le prince temporel des Etats dils de I'Eglise.
En sa premiere qualite, il est le chef de tons les aulrcs
ponlifes places a la tele des dioceses sous diverses deno-
niinalious. C'est lui qui les institue, c'est-d-dire qui leur
dounc le pouvoir de gouverner spirituellemenl le territoire
qui lour est a.ssigne. En France, le roi iiomme lcscvei|ues,
mais celte nomination ne pcut leur conferer aucune puis
sance avaul ((u'ils aicnt recu lours buUes d'institution.
C'est apres la reception de ces dernieres qu'ils iTooivcnl
leur consocralion. Tout prelat ([ui nc serait pas invesli de
la puissance spirituclle, conferee par le pape, serait un
DU MO IS. •'c;;
intrus, s'il cxercait une autorile quelconque. Pcrsonne,
dit I'Espril-Saint, nc s'altribue un iionueur, un pouvoir, si
ce n'est celui qui est envoye de Dieu.
Commc marque de ce supreme pouvoir, le pape, dins
les grandes ceremonies, a la tele couvcrto d'une tiare. C'est
un bonnet lond surmonte d'une croix et orne de Irois cou-
ronnes superposees. II portc la mitre comme les eveques
dans les occasions moins solennellos rt lorsqu'il oflicic
pontiDcalement, c'est-a-dire quand il chantcla messc.
Lorsquc le pape marche processionnellenicnt, on portc
devant lui une croix. Celle-ci, que Ton se figure habilnel-
lemcnt comme formee de trois croisillons transversaiix,
nest pourtant en realite qu a une seule branche et orncc
de rimagc de Jesus-Christ cruciQe. Pourquoi done voyons-
nous si souvent, en France, dans nos trophces religiciix,
une croix a trois branches et sans Christ pour representer
la papaute? Nous ne pouvons repondre que par une raison
bien peu scrieuse. C'est que dans ceci, comme dans bien
d'autrcs occasions, les arlisles nous bercent dans leurs
fantaisies. Assurement ici elles n'ont ricn de dangorenx iii
d'lnconvenanten elles-memcs, mais toujours est-il qu'elles
offensent la verile, et que jamais a Ronie on n'a vu porlor
devant le pape celte croix imaginaire, que jamais aussi le
pape n'en a porte lui-meme une semblable a la main, en
guise de crosse ou baton pastoral. Quand le souverain pon-
tife consacre une eglise ou iin aulel, quand il consacre un
ovoiiue et qu'il ouvre la porte sainle pour le jubile (nous
cipliquerons ccci en temps opportun ), il lient a la main
une croix portee .sur sa liampe ou baton. Cetle croix n'a
pareillement qu'une scule branche, mais Nolrc-Seigncur
n'y est point figure en elat de crucifixion. C'est la sculo
difference qui distingue celte deruiere croix de celle qui
est portee devant lui. Le pape n'use jamais de crosse comrac
les eveques.
Dans I'usage ordinaire, le souverain pontife a une sou-
tane blanche. II est revetu d'un rochet de Iin garni de don-
telles, et d'une mozelle ou camail de velours rouge horde
d'hermine. Par-dessus le camail il a une clole brodoe d'or.
Sa calotte est blanche. Sa chaussure, ordinairement rouge,
est brodce en or et ornee d'une croix. La pcrsonne qui est
admise a son audience se prosterue el baise celte croix.
On a souvent cherche ii deverser sur eel acte respecluenx
un certain vernis de ridiculite. Qu'y a-t-il done d'cxcen-
Irique dans un acte de veneration pour la croix qui a ra-
chcte le monde ? Ccrles, encore, s'il ne fallait pour oble-
nirdes richesseset deshonncursquebaiser la mule profane
des potenlals qui les distribuent, de quelle fabuleuse mul-
liplicite de prostrations de cello nature ne seraienl-ils pas
journellementassieges?... Passons, car s'il fallaitcombatlre
une a une les innombrablos contradictions de I'orgueil
mondain, notre plume nc pourrait y suffire.
Le second litre du pape est celui dc patriarcbe d'Occi-
dcnl. L'Eglise universelle est subdivisee en deux langues,
la latino et la grecque. Lorsque le palriarchc de Consian-
tinople ctait dans I'unite calliolique, il occupail le premier
rang parmi les eveques orientaux. II ne rcconnaissait au-
dcss'js de lui, dans toule I'Eglise grccc|ue. que le pape.
chef supreme, au spirituel, de I'univers calholi(|ue. A I'c-
gard des Latins, le souverain pontife exercail en parliculier
celte supremalie patriarcalc. Aujourd'hui il est en rcalile
le patriarcbe des deux grandes fractions de la catliolicitc.
Mais si jain.iis rOrient renlrait dans le giron de ruillii)-
do.\ie, le palri.iiche deConstanliiioplc, encoinnuiniun avcc
1C4
LES SAINTS
]e saint-sii^gp, pourr.iil roprcmlre sa primilivc aiitni-ile, ct
alois lo patriarcal latin on li'Occiilonl redevionJrait ce qu'il
cl.iit dans Ic principc, sc boriiprnit, en d'autrcs lermes, !i
;cs atlrihulions specialcs el distinctes. Uu dcveloppcmcnt
plus considerable ne saurait cnlrer dans notre cadre, ii
ce sujet.
Oiilre ces deux principales altriliulions, le pape est I'c-
veque du diocese de Rome, compose de la ville et d'un
pelil lerritoire qui la circonvient. II dolegue ordinaire-
nienl la majeure parlie de ses fonclions ct de cello solli-
citude diocesaine a un prince de I'Eglise, revelu de la
pourpre romaine. C'est le cardinal-vicaire. C'est lui qui
fait ]es mandcmenls, qui gouverne le clergedioccsain, qui
admir.islre les sacrements dc la conflrmatinn el del'ordre,
qui, enfln, remplil dans ce diocese, toule la charge d'un
cveque. Le callicdrale est placee sous I'invocalion de saint
Jean-Bapliste el de sainl Jean rEvangelistu. Elle porle le
litre de Sainl-Jcan de Latran. C'est dans celle basilique
qu'apres son election, le pape va prendre possession de
son siege, en qualile de successeur desainl Pierre, de pa-
triarche d'Occident el d'eveque de Rome. C'est done tout
a la fois I'eglisc papale, I'egbse palriarcaleel la catbodrale.
Une erreur qui, celle fois, est parfaitenicnl innocente, est
celle qui consisterait a regarder la soniptucnse et admi-
rable basilique de Saint-l'ierre dn Vatican comme la pre-
miere en dignile dans la ville el le mnnde. A Saint-Jean ;Je
Latran appartient d'une manierc exclusive cette insigne
prerogative. Cette basilique est la premiere qui ait etc
conslruile a Rome, anssilot apres que la paix eul eld ren-
due a I'Eglise. Ce ful un jour bicn beau, bien consolant
pour celle epouse mystique de Jesus-Cbrist, que celui ou,
nprcs avoir vaincu le paganisnie par la patience, elle vit un
puissant emprreur qui, lui aussi, n'avait pu vaincre que
par la croix, ceder son propre palais, autrefois celui de
Keren, pour y creuser les fondenients d'un temple dcdie
an Dieu Sauvcur. La premiere pierre en ful posce par Ic
pape saint Sylvcstre I", en Ian 324. La dedicace eul lieu
le 9 novembre, el enfin les snccesseurs de sainl Pierre
purent sortir des catacombes, on la persecution les avail
si longtemps relegues, pons installer an grand jour leur
Lienfaisante el civilisalrice suprcmalie. La basilique de
Saint-Pierre, fundee encore par le grand Constanlin, ne
selanca dn cinpio de Neron qu'apres rinanguralion de
celle de Latran. A celle-ci, done, la priorile chronologiqne
et le droit d'ainesse. C'est neanmoins a Saint-Pierre que se
tiennenl les grandes cbapellcs papales, el c'est a I'abri de
son dome splendide que s'eleve la residence la plus babi-
tuelle du clicf de I'Eglise.
Une qualrieme prerogative distingue le pape. II est nio-
narque lemporel d'un lerritoire connu sous le nom i'Etal
pontifical. Sous ee rapport, il s'assied an banquet des
rois. Ceux-ci out a Rome leurs ambassadeurs et le pape a
les siens dans les cours de I'Enrope, .sous le nom de Ic-
gats, nonces, intcrnonces. Mais pourquoi, demande-l-on
quelqnefois, le vicairc de Jesus-Cbrist excrce-l-il un pou-
voir tcrrcstre?Fleury, qu'on ne pent .soiipconncr de Halter
les pa|>es, nous repondra : « Tant que I'empire romain a
« subsisle, ilrenfermaildanssavasteetenduepresque loute
o la chrclicntc : mais depuis que I'Europe est divisce entre
« plusiours princes independanis les uns des autres ; si le
0 pape ei'it ete snjet dc I'un d'eux, it cut etc a craindre
« que les autres n'eussenl en peine a le reconnaitre pour
« pcrec imniun,et que Icsscbismesn'eussenlele frequents.
0 On pent done croire que c'est par un effet parliculier dc
« la Providence, que le pape s'est trouve independanl et
11 maitre d'un Elal assez puissant pour n'l'tre pas aisement
0 opprime par les autres souverains, aDn qu'il fi'it pins
» libre dans I'cxercice de sa puissance spiritnelle, el qu'il
0 piit contenir plus facilement tons les autres eveques dans
u leur devoir. »
Notre grand Bossuet parlage la meme opinion. A elle
viennenl se rallier tous les bommes imparlianx. N'esl-il (las
permis de croire .i la protection surnalurelle qui couvrc
de sa puissanle egide cette principaule dont les ressonrces
humaini's soul si mediocrcs? Dopuis dix siccles elle voit
lombor aulour d'clle, se morceler, se modifier lani d'autrcs
souvcrainetes lerreslres. Elle seule resle deboul, el les
plus tcrribles lenipetes semblent de plus en plus la conso-
lider. Obi inconlcstablcment, a noire avis, il y a ici !e
doigt de Dieu, quoique ce pouvoir lemporel ne soil pas
cssenliellemenl inberent ii la suprematie spirituelle du
pape.
•Juels sont maintenant les litres donl se decore le hout
personnage cpii est invesli dela papaute? Ecoutez :
« Gregoire, eveque, serviteur des servileurs de Dieu. »
Eveque! il garde en eflot, il surveille le Iroupeau qui
lui eM confie, car c'est I'etyniologie de ce lerme. Eveque,
gardien, surveillant par excellence, car il a succede a I'a-
polre auqucl Jesus-Clirisl a dit : n Pais nies brebis, pais
mes agneaux. » — Mes brebis, c'est-a-dire les pasteurs
secondaircs. — Mes agneaux, c"esl-a-dire les fideles.
Serviteur des servileurs de Dieu ! parce qu'il est le vi-
caire de Jesus-Cbrist qui a dit : « Que celui qui est le plus
grand parnii vous( il parlaita sesapolres)deviennecommc
le plus pelil, et que celui qui lienl le premier rang soil
comme celui qui scrl. »
Penelrez, maintenant, jusqu'au fond de ce Vatican, qui
i-eunit taut d'objets d'arl dans ses vastes et nombreuses
salU'S. Entrez dans rapparlcmcnl qu'occupe le deux cent
cinquanle-qualrieme successeur de saint Pierre. Une cel-
lule de moinc se presente a vos regards snrpris. La couchc
sur laqnelle prend son rcpos nocturne I'augusle bicrarquc
qui porle la triple couronne est formee de (|uclqurs botles
depaille, sans anire accessoirc. Un prie-Uieu, une table
tres-ordinaire, quelques images en composent le riche
mobilier. Pninl de luxe dans les rcpas, une frugalile se-
vere y preside. Si vous ctes admis a I'honneur de son au-
dience, quelle loncbanle paternitc ! Nous sera-t-il permis
a ce sujet de consigner ici une anecdote dont I'aulhenlicilc
nous est garantie par un temoin oculaire?
II Dans les premieres annees de son regno, le pape Gre-
goire XVI avail admis a son audience un Franfais, qii
venait d'occnper dans une de nos villes meridionales une
magistratnre assez elevee. Celui-ci, debout devanl le papi;
et ne sacbanl que faire de ses bras, les avail croises ne
gligemment derriere son liabil. Un ecclesiaslique fraj-
cais, qui elail simullanemenl admis, fit signe a son com-
patridle pour lui faire quitter cette posture assez irreve-
rencieuse. Le pape s'en apercut. u Laisscz, dit-il, laissez,
un enfaul ne se gene pas ordiuaircment devanl son pore. »
•2° LES CAHDINAUX.
La plus haute des dignites ecclesiastiv]ucs, apres le siiu-
vcrain pontifical, est cello du cardinal. On n'est point d'ac-
cord sur I'origine de ce nom. On croil y voir neanmoins
DU MOIS.
163
line (lerivalion du tcnne latin qui signifiele gond siir leqiid
inulc line porte : cardinalis a, cardine, parce que c'est
sur Ics cardinaux quo roule, melaplioiiquement parlant, Ic
gouvernenient de I'Eglise. Celle olymolngie est-elle a son
tour bien assise? il est permis d'en douter. Nous ne fai-
sons point lei, an surplus, un article d'crudition pliilolo-
gique. « Les cardinaux, dit Barbosa, sont les conseillers D-
deles du pape, les lumieres de I'Eglisc, dcs lampes ardentes,
les peres spiritucls, les colonncs de I'Eglise, ses represen-
tanls. n
An pape scul il apparlient d'inveslir de cette eminente
dignite ceux qu'il en juge dignes. Eu France et dans d'au-
tres payscatboliques, le chef de I'fitat demande au pape
Ic cardinalat pour les sujels qu'il en juge dignes, mais il ne
pent agir que par voic de reconimandalion. Le souverain
puntife accorde ou refuse, selon qu'il juge convenable. 11
n'en est point de ceci commc d'une nomination a un ar-
cheveche ou a un eveche, par ordonnancc royale. Toutefois
menie, en ce dernier cas, le pape a le droit de refuser I'in-
slitulion canonique, quoique cela soit fort rare. Le cardi-
nalat est done exclusivemenl dans les mains dn souverain
pontile. La reunion des cardinaux forme ce qu'on ilomnie
Ic sacre college. On salt que les cardinaux, assembles en
conclave apres la morl du pape, precedent a I'election de
cclui qui doit lui succcder. C'est la, sans nul doule, la plus
noble et surtout la plus delicate prerogative de cette haute
posilion dans la hierarchic.
Avant I'annee ioSG, le nombre des membrcs du sacre
college etait indcfini. A cette epoque, Sixte-Quint le Dxa
a soixante etdix, parlages en trois ordres. Six cardinaux-
eveques composcnt le premier. Ccs eveques sont constam-
ment ecus d'Oslie, de Porto, de Palcstrine, d'Albano, do
Sabine el de Frascati. Ce sont les cveches dils suburbi-
caires, parce qu'ils sont voisins de la ville de Rome. Cin-
quante cardlnaux-priilres formcnt le second ordre. Parmi
ceux-ci, plusieurs sont archeveques ou eveques el d'aulres
simples prelres quant au sacrement del'ordre, mais tnus,
sans distinction, sont ajipeles cardinau,x-pr jtres. Ainsi en
France, au moment ou nous ecrivons, messeigneurs I'ar-
cheveque de Lyon et I'eveque d'Arras sont cardinaux de
I'ordre des prelres. Enfin le troisieme ordre se forme de
quatorze cardinaux-diacres. Danscet ordre pcuvent se trou-
ver des eveques, des prelres, des diacres, des sous-diacres et
meme des clercs minores, mais jamais des laiques en ctat
de mariage, comme on I'enlend quelquetois au milieu d'un
certain monde nullement verse dans ces matieres. Sans
doule un cardinal qui n'est point pretre pent, avec dis-
pense du pape, se marier, mais il cesse aussitol d'apparle-
nir au sacre college.
En 124d, le pape Innocent IV accorda aux cardinaux,
comme marque de distinction, le chapeau rouge, pour si-
gnifier qu'ils devaient etre toujours disposes a verser leur
sang pour la defense de la fui. Paul II, au quinzieme .siccle,
leur accorda la soutane de pourpre. En 16^0, le litre
iVeminence leur fut exclusivement decerne.
Le nouveau cardinal est preconise dans le oonsisloire
par le pape. Si le nouveau dignitaire n'est pas a Borne, un
nblegatestenvoye pour lui porter la barrette rouge. Le sou-
verain du pays la lui remetcn audience solennelle. Souvent
le pape, en proclamant les cardinaux qu'il a promus, de-
signe, sans les nommer, un nombre plus ou moins grand
de personnes qu'il a jugees dignes de cet honneur, et qu'il
declarcra, ((uand il le voudra. C'est ce qu'on appelle une
nomination in petto, c'est-a-dire dans le coeur.
A un prochain numero, la suite de ces notions sur la
hierarchic ecclesiaslique qui comprend ( outre le pape et
lescardinaux ) les patriarches, les archeveques, les eveques,
et les menibres du second ordre du clerire.
MOIS S'AVRIL.
1. Hards. St Uugue^j, evciiiie
de Grenoble, morl eu i 152,
apres 52 aiis d'episcopiit.
St Meiitos, eveque do Sardes,
en Lydie, raort au 2'^ siecle.
S. Blercretli. St Fiian(;ois de
Paule, iiiort en 15U8.
Ce saiiu, fonilau-ur des mi-
nimcs, fut sulhciie par le roi de
France Louis XI de venir du
fond de la Calabre en son tlii-
tcau de Plessis-tez-Tours pour le
gutTir. II refusa d'aliord ; mais
le pape Sixle IV I'y conlraignit,
I'lleroi mourul dans ses bras,
II cxisle a Tours une eglise
paroissialc suns sun invocalion
St Appies, martyr a Cesarec
en Palestine, en 306.
St NrziEn, cvequc de Lyon
morl en 515.
II exisle i Lyon sous son
rair(niage une niagniUque eglise
parois^iale.
S. <f eudl. SiE Agape, Ste Cino-
NiE, Ste IiiENE el leurs cum-
pagncs, marlyrcs en oOl.
STRiciiAno, eveque de Chiehes-
tcr cii Anglclerre, morl en
1255.
4. Vend red I. St Isidoue de
SiiviLLE, ie plus illusire doc-
Icur de I'Espagne, morl en
C3G.
11 a taisse plusieurs uuvrages
tri^s-csliuies , surtout cclui des
Ortgities,
St Platon, abbe en Bithynie,
morl en 815.
St Joseph L'UvM.vocnAPHE, ce-
lebre auleur d'hymnes d'ol-
ficcs pour les Grecs, morl
en 883.
. Namedi. St Vi>cent Fep-
RiER, dominicain , Ires-ce-
lebre predicalcur du moycn
age, morl en 1419, apres
avoir evangelise prcsque
ioutes les coiilrees de I'Eu
rope, et les avoir edilieespar
ses liaules verlus.
I. Dimniielie. 1' Jimanthe
apres Paqucs.
St SixTE I, pape et martyr vers
I'an 127.
St Celestin I, pape, morl, 4.52.
Les 120 Martvhsdel'Auiabene,
en Perse, en 544.
St PncDEscE, eveque de Troyes,
morl en 861.
J. Liundi. St Uegesippe, ccri-
vain ecclesiaslique dcs pre-
miers temps du chrisliani.smc
el presque contemporain des
apolres, morl vers le milieu
du 2"^ siecle.
St ApiiRAATE, anachorele de
Syrie au 4c siecle.
8. Blardi. St Uesys, eveque
dc Corintlie au2*^ siecle,
St Peopet, celebre eveque de
Tours, morl en 490.
St Gaotier, premier abbe de
Sl-Marlin pros Pontoise, morl
en 1099.
9. llfrcredi. Ste Marie Egyp-
tiesne, dont Icculle esllres-
celebre dans toule rLglise,
1 morlc dans le 5*^ siecle.
St Hcgces, eveque de Uoucn,
morl en 730.
Les PRisosMEUsnoMAis&martyrs
en Perse, en 362.
to. deudi. St Babejie, abb6
el martyr en Perse, en 570.
St Pallade, evc'i|ue d'Auxemj,
morl en 601 .
1 1. Veiidrpdi. St Leon ie
Grasd, pape, morl en 416.
CVsl un des plus illustres
pontiles qui aient ocrupe la
tUaire de SI Pierre. On a rc-
cueilltses ceuvresen2vol. in-fol.
St Antipas, martyr, un dcs
disciples dc Jesus-ChrLsl,
morl au l^r siecle.
St Isaac, solitaire de Syric,
morl en Italic au 6' siecle.
3. Knmcdl. St Sadas ie
Goth, martyr en 372.
St ZtJNOiv, cvequc de Vcrono,
morl en 380.
St Jules I, pape, mort en 332.
St Floremix. abbe dun mo-
nastered'Ailcs.morlenooJ.
us
• •- Olmnnc1io,5°(itraandio
apivs FViijii.;^.
St llEnMtMGiMiE, prince visi-
[,'olli, maiiyi* en Lspagnc,
en 580.
Sj Maiis, abbe on Auvcrgnc,
mort on S^o ou 530.
14. E.iin<li. Sr Tiburce, St
Valerien ct St Maxijie, mar-
tyrs en 229.
St Caupe, evL-quc dc Thyatirc
clses compagnons.
StBenezetou Benehict, berger,
patron d'Avignon , mort uu
12^ siecle.
Cei humble serviieurdeDieti.
louche ilu danger que Ton nui-
rait en passant le Rhrtnesi imi'e-
tupux eii cet endroil, entrejjiil
d'ybaiir un ponl el y reussil. La
cliariie clirciicnne est touiC'
(luissaiUe.
B5. Uardi. St PiEriRF, Gon-
zales, vulgairemenl appcie
St ElmeouTelme, patron des
marins espagnols, mort en
1246.
St pATEnNE, evequede Vannes,
et St pATEttNE, eveque d'A-
vranches, Ic premier mort
en 555, le second en 5G5.
On les a souvent confondus.
B6. Mcrcredl. Lcsdix-ikit
uahtyrs de SARAGOssEcnSU-i,
St Turiue, iJvcquc d'Astorga en
Galicc, mort en 460.
St Drogos ou Drouon, ou bicn
encore Dreux, patron des
bergcrs, mort en 118G,
I 7 . JootU. St ApiTCET, pape et
martyr au 2« siecle.
St Etienne, 3^abbi de CUeaux
mort en 1154.
lla-laisse quelques ouvragc;
estimables.
DEAUTIiS
St Simeon, eveque dcSeleurie,
ct ses compa^nons, martyrs
en 54 1 . _ |
IH. Vcnrtrecli. St Apollo-
Kius, apologistc du christia-
nisme, philosophc illustre,
convcrtia la foi, ct martyr
en 186.
St Parfait, prctrc et martyr a
Cordoue, en 860.
La bicnheurcnse Marie de l'Is-
CAdNATioN, neo a Paris, veuve
illustre, religicusecarmeUlc,
morte en 1618.
St Leonioe, pere d'Orlgfinc,
martyr au 3^ siiJcle.
Son fils, avant sa deplorable
cliule. fut un dos plus savanis
docii-'urs derE^lise. Ses ccuvics
fonueut 4 vol. in-rui.
23. Itlercredl. St Geohge.
martyr en 305.
II est regarde cnmme le patron
des gens de guerre. Edouard III,
loi d'Angleicrro, plaga sous sa
pruteciinn I'urdrc de ia Jarre-
tierc.
St Adalbert, evequede Prague,
martyr en 997.
St Felix, prclrc, St Fortunat
et St Acuille, martyrs a
Valence, en Daupbine, en
211 ou 212.
19. framed i. St Leon IX,
pape, mort en 1054.
St EiruEGE, arcbevcque de
Cantorbery, martyr en 1012.
Le bicnlieureux Cosrad d'As- 24^. Jeudi. St Fidele de Sig
COLE, Iranciscain, mort en maringen, cupucin, marly
1289. ; en 1622.
Les pruieslants snisses I'as-
sassincrcnt en baine du caUio-
lii'isnte.
St Leger, prelrc dans le Per
tills ( aujuurd'bui di-partc-
nient dc la Marne), mort au
1*^ siecle.
St Mellit, evequede Londres,
niuil archevequc dc Cantor-
bcry en 624.
20. nimanclie. 4<^dtmancbe
aprus Paques.
Ste Agxes, vierge et abbesse
en Toscane, morte en 317.
St Marcellin, 1" eveque d'Em-
brun, mort en 374.
St Mamertin, abbe, mort au 5"
siecle.
31. Laiuli. St Anselme, ar-
clieveque de Cantorbery ,
mort en 1109.
C'eslun des plus grands pn^-
latsquiaienl para en Europe. 11
a laisse de nuinbreux ouvrages
lousexcelleiils.
St Anastase, patriarchc d'An-
tiocbe, mort en 593.
33. Miirdi. St Soter et St
Cails, pnpcs et martyrs aux
2" et 5"^ sieclcs.
St Epipoue et St Alexa^jdre,
martyrs a Lyon, au 2^ siecle.
25* f'endrodi. St Marc
<!vangeliste, apotre de I'E-
gypte, martyr a Alexandrie,
en 68.
St Piiebade, nomme en Gas-
cogne St FiARf.evcque d'A
gen, mort a la iin du 4''
siecle.
36. fSainedi. St Clet et St
Marcellin, papcs el martyrs,
le premier au l*"" siecle, et
le second en 504.
St Pasciiose Raoccrt, abbe de
Coi'bie, morl en 865.
Ses u^uvres soot en un vol.
in-f"'io.
87 ■Mmnnche.5*^dimancbc
aprcs Paques.
St Antuime, eveque, ct pUi-
sieurs autres .saints, martyrs
a Nicomedie, 503.
St Anastase I, pape, morl, 401.
Ste ZiTE, servanle en Ilalie,
morte en 1272.
Kile est unc des patronncs dc
la viUe de Lucques.
38. liiindl. 1" jour des Ro-
gations, abstinence.
{Voij. t'arl. Rflijatwiis.)
St Vital, niarlyr a Uavenno,
vers I'an 62.
STUicvuEet StTiieodore, mar-
tyrs en 304.
St Patrice, cvequc de Prusc,
en Bitliynie, martyr au 5*^
siiJcle.
39. llapdl. 2''jour des Po-
gations.
St Pierre, dominicain, martyr
en 1252.
St Robert, abbe de Molesme,
fondalcur de I'ordre de Ci-
Icaux, mort en 1110.
St lIuGCEs , abbe de Cluny,
mort en 1109.
30. Slercredl. 5^ jour des
Rogations.
Ste Catherine dcSienne, unc
des plus illustres vierges
qu'honore I'Eglise par la
grande partqu'elle prit aux
affaires religieuses dc son
sii'clc, morte en 1380.
St Eutrope, premier evcquc de
Saintes, marlyr au 5^ siecle,
St Jacques, St Marien ct Icurs
compagnons, martyrs cu
NuniiUie, en 259.
BFAtTES
HE
L'HISTOmE DU CLERGE DE FRANCE.
ON AUMOMIEH AU BAGNE DE TOULON.
La modcslie des mcmbresilii clcrge acluel no doit pas em-
jicclicr que juElice leiir soil rcndue ; il est utile que le par-
I'lini de leurs bonnes actions el deleurs vertus s'exliole de
innnierea propager les nobles cxcmplesde generosile,d'ab-
ncgalioneldedcvouementcbretienqu'ilsdonnenlsisouvent
do nos jours. Nous empruntonsa un ecrivainlaique, liomme
de scnsibilile ct de occur, mais que nul inle-'et ne pent
en celle occasion rapprocber du clerge (1) les pages sui-
vanles qui peigncnt au vif et de couleurs francbes I'au-
monier actuel du bagne de Toulon, M. Marin, el rinlluence
bienfaisante cxcrcee par lul dans cet cnfer des vivaiits.
(1} M. Maurice Alhoy.
<i 11 esl impossible, dit-il, de sojourner a Toulon sans eii-
lendrc prononccr, dans quolque classe que ccsoil, le nom
deraumonierdu bagne, M. I'abbc Marin. Le malclot, I'indi-
genl, le malade, le coudanniu out sans cesse cc nom a la
boucbe, comme au dLK-seplienie siecle le inalbcureu.'i cut
celui de Vincent de Paul, et, dopuis, celui des abbes Monies
ct Porrin.
Cost un don surbumain que celle faculie que po^sedont
qnelipu's bonimes d'oxcilor a lour aspect la syuipalliie et
la veneration ; ct personne peul-olre n'cul a un plus liaul
degre que M. I'abbe Marin cotte puissance magneliquo. II
avail ou pour preJecosseur dans les fouclions d'amnonior
du bagne un Espagnol du clerge de Toulon, ecclcsiastique
fort erudil, mais qui ne possedail pas le dun d'imposcr lo
respect ct raffection a la population gangrence ((u'll avail
a diriger.
Le forcat aime la priere quand il aiiie celui qui lui .ip-
prond a prior. S'il opprochc de la lalde sainlo, jc ne crois
)ias ipie dans la communioLi il ait, pour la piemiorc fuii,
une pensee plus olevee ipie le besnin de limilalion; ct
quand vous le vorroz rcoueilli , penilent , picux , c'est
DE L'llISTOIRE DU CLERGE DE FRANCE
1C7
pivsqiie loiijoiiis line force morale qui, .i son insii, le porte
a SI' rc''L;lcr sur los actcs du prelrc ((ii'll vcnerc.
Le |iruli-c espagnol (|ui, avanl M. I'abbe Marin, otail aii-
inonior ilcs cliiourmes de Toulon, ne pouvait se prosonlcr
mix condamnes sans que des murraures ou des blasphemes
sorlissenl de Ionics Ics bnnclies. S'il catechisail ces dani-
nes, ils repoadaienl par Ics chanls de leur obscene rcpcr-
Inire.
Comment done, d'nn jour a un autre, s'est-il fait que
cclte population inipie, insolcnle, revollee, soil devenne
sonmi>c a la voix du proire, respetlucuse envers son nii-
nislcre? Comment un liommc modosle n-t-il ose franchir
le scuil de cet cnfer ou loules les natures dechucs faisaient
chorus contre son predeccsseur, qui avait ccpondant des
qualites personnelies propres a conibattre la repulsion qui
se manifestait u son approche? Comment enfin M. I'abbe
Marin pul-il prendre possession de sa charge et la rcmplir
sans avoir recours anx re|iressions disciplinaires?
II est curieux de le dire, c'est la comedie qui est venue
an sccours de I'Evangile, et voici comment.
Fcnclon avait dil : Hiurcux qui s'inslruit cns'amusant!
bicn avant qu'un ecrivain ecclcsiastique, M. d'Esauviller.
compos.it des pelils livres de morale religieusc donl la
forme, loujnurs allrayante, attache le lecleur a la solution
des questions les plus sevci es et les plus elevees. Quelques-
uns des petils livres de JI. I'abbe d'Exauviller rcnfcrmcnt
des dialogues dont les personnagcs sont pris dans les rangs
les plus inlimes de la socicte.
M. I'abbe Marin s'avisa, pour fairc connaissance avec les
forcats, de leur prouver qu'il y a un Dieu et qu'il faut une
religion. S'il se fut aviso de faire dresser dans une des lo-
calites du bagne une tribune ou une chaire, et qn'en sur-
plis et en bonnet de predicaleur il cut parle a ces sourds
le langagc biblique. il n'cut pas, sans doulc, niieux ete
nccueiili que le prelrc espaguol; maisil agit differemment,
et proceda a I'aide des pelils livres de M. d'Exauviller.
L'aumonier lit acquisition d'nn nombre d'exemplaires
de pelils livres egal au nombre des personnagcs qui elaicnt
mis en scene par I'auteur. II enlre dans une salle, el apres
avoir In a haute voix le preambule du livre qui est le point
de depart d'une anecdote presque historique, 11 indique
les personnagcs, lels que M. Dumont, maire bel esprit et
sceplique; mailre Thomas, Gros-Picrre, Jean, etc., tons
habitants d'nn village ou la religion elait aussi negligee
que la morale meconnue. II dcmande alors quels sont les
forcats Ics plus letlres et les plus intelligenls... On comprit
qn'on allait jouer la comedie, et les plus capables furcnt
desigues par la masse... Chacun des interloculeurs recul
une brochure, M. I'abbe Marin garda un role, celui du cure
du village. II Dt signe au premier personnage de prendre
la parole, le forcat chcrcha h saisu- le ton qu'il supposait
couvenable au role qu'il represenlail , le second condanine,
-ipres la replique, fit comme son camarade. La scene se
jou-i avec mlelhgcnce, avec vtrve; la masse des specla-
tcurs, assise sur le banc du bagne, ccoulait avec curiosite.
Le sujetetait severe, maisil etail irailo en langage familier;
et quand le raisonneur, qui enl.issait argument sur argu-
ment contre le cure in vdlage, .'it au bout de son rouleau
el que, malgre ses effurls, il fi;>. lerrasse, une salve d'apl
plaudissemcnls, des cris : bravo ! parlirent de loute la .salle,
et le triomphe du personnage ,pie s'elait reserve JI. I'abbe
Marin fut coinplct.
Les forcats priient tcllement gout a cellc conference en
aclion, que, le dimanche suivant, ce fut a qui nbliendrail
un role. L'aumonier varia le repertoire; et des lors sa
personne devinl un bcsoin pour les condamnes. II put alors
donner essor a eel esprit cvangelique qui depuis lui a ac-
quis I'amour non-seulement des condamnes, mais encore
de tout le jicrsonnel de la marine.
Je saisis avec empressement I'occasion heureuse qui se
piTsenla d'enlrer en relation avec ce venerable ecclcsias-
tique; il voulul bien me faire une visile et me parler lon-
guement de ecus qu'il appelle $es pauvres condamnes. II
aime a citer des trails meriloires qui peuvent plaider en
faveur de celte classe degradee.
« II y a quelque temps, me dit I'abbe Marin, il se Irouva
parmi les condamnes amenes a Toulon un malheureux qui
sortail du scminaire de Charlres. Cet homme redoulait
les sarcasmes el les humiliations auxquelles son elat allait
I'exposer Dans la ville, la nouvelle de I'arrivee du cou-
pable avait fail sensation ; la curiosite s'clail eveillee, el
chacun cheschail a voir ce malheureux. »
En descendant de la voilure cellulaire, on avail, suivant
I'usage, embarque le nouveau vcnu dans une chaloope de
fatigue qui devait I'amener a la localite du bagne. Dix
couples do forcats elaient aux bancs de ranies, el tousje-
laienl un regard avide sur leur nouveau compagnon. L.i
barque s'cloigna du rivage, el, pendant la traversee, elle
fut croisee par une chaloupe chargee de curieux qui dej.i
s'claienl rendus au bagne pour voir le nouvenu venu... A la
vue dune barque nionlee par les forcats, les passagers pen-
serent que le nouveau venu etail dans celte embarcation ;
ils dirigerenl au plus pres possible leur canot et crierent
aux condamnes : « N'avcz-vous pas eel homme?... Mon-
Irez-nous-le. »
Tous les rameurs comprirent a ce moment quelles dr-
vaient elre les augoisses de cet homme, qii'on ne cherchail
que pour en faire un jouet a la malignilc; ils eurent pitir^
de son abaissement, et, par un mouvemenl spoutane que
nul ne commanda, tous les forcats se levcrent et cou-
vrirent de leur corps leur nouveau compagnon d'in-
fortune; ils repondirent negalivemenl aux quesliouneurs,
et leur firent prendre le change en designant une autre
barque pour celle qui porlait le malheureux.
« Je suis persuade, me disait I'abbe Marin, qu'en dehors
du senlimenl de pilie qu'a pu leur inspircr le condamne.
ils onl eu la pensce que ce qu'ils feraient pour le caplif
serail agreable au preire libre qui leur consacrail sessoins.
C'est pour me payer une delle de gratitude, que ces hom-
mes, d'ordinaire moqueurs et enclins a lourner Ic culle
en derision, out ete charilables cl misericurdieux pour cet
homme dechu. Ils se disaienl : « Cet homme a porte la
soutane que porte I'abbe Marin. » lis ont cherche a en
cachei* la lache a ceux qui voulaient en faire un moyen de
scandale.
« Vous voyez, monsieur, ajoutait le bon aumonier, qn'on
pent lirer quelque parti de ces natures donl on desespere
lanl. »
Et il ajouta qu'apres le ferremenl el la mise au travail du
scminarisle de Charlres, sescamarades dechaine n'avaienl
I pas denienli le sentiment qu'ils avaienl nionlre a I'cgard
de cet homme mis, comme tous les nouveaux venus, .i la
grande fatigue ; c'elail a qui ferail I'ouvrage du malheureux :
on lui otail de la main la beclie, la pince; on ne souffrail
pas ipi'il prit la biicole pour trainer uu chariot, ni qu'il
roulat la brouetle.
BEAUTlSS
L'aiimonier eut desire sans doulc que Ic lenips J't'proiivc
que le condom ne dcvait subir avant d'olili-nii- un adoucis-
scment a sa |)cine, du un cniploi, cut cle abrcge; niais
Tcspril de justice coniballait cliez lui I'elan de la charile,
et dans la crainle qu'on n'allribuat a des niolifs de confra-
ternile la pilie quo le coupalde inspirait au pri'lre ver-
lueux , raunionicr n'osait implorcr la bienvcillance du
comniissairedu baj;ne.
Les foicats ilevinerent ee scrupule du bon abbe, fit dcnian-
derent que le preire de Cbnrtres fill dispense. des penibles
travauxdu port. Loin de muniiurer du piivilosje (|u'on cut
accorde a son ancienne position socialc et cu caraclere
dent il avail ete revetu, chacun se pronMuca pour obtenir
un eniploi de faveur pour lui. Aujourdhui il est occiipo
dans un des bureaux des constructions liydrauliques.
Mes eclaircurs, en se melant a la foule des condamnes,
avaient recueilli, entrc autres renseigncments, une aven-
ture mysterieusc a laquelle I'aumonier n'elait pas reste
etranger.
Voici les faits.
II est d'usage, quand un forcat desire entrer en confe-
rence avcc le preire du bagne, qu'il sollicite par leltre la
faveur d'etre aniene |ues de lui. Un condamne a perpcliiilc,
apparlenant a la classe des gens de campagno, se presenle
un jour a M. I'abbi Marin, et le supplie d'obtenir du com-
inissaire qu'il aulorise son cliangemenl de salle. Ce con-
damne n'alk'guant aucun motif serieux a I'appiii de sa
demande, I'auniunier ne crut pas devoir presenter la sup-
plique a radininislrateur.
■Quelqucs jours passerent; et le condamne ayant insiste
DOii-seulemcnl pour qii'on le cliangeat do localile, mais
encore pour qii'iin le transportat aux bagnes de Brest ou
de Rochefort, le preire voulut connaitre les motiu puis-
sants qui portaient le forcat a insislcr sur son deplacemenl.
Le condamne dit alors ii M. I'abbe iilarin que la localile
qu'il habitait elail pour lui un lieu d'liorrible soulTrance,
parce qu'il avail sans ccsse sous les yeux un camarade in-
nocent que le jury avail condamne a tort pour un meiirlro.
« Le crime a etc commis par moi, ajoulait Ic solliciteur;
le camarade condamne a tort, qui me voit a ebaque instant
pros de lui, ignore que jc suis I'auleur du crime qu'il cx-
pic; mais moi, a tonics les hcures, jc suis en cont.-cl avec
cct liommc, nl sa iiresence est un supplice affreux qui me
rend la vie du bagne impossible a supporter. »
Le bon aumonier porta au commissaire les paroles du
condamne; mais radminislratcur ne crut pas devoir fairc
droit a la demande.
Quand le forcat apprii que son desir ne scrait pas exauce,
ildil:
« .le tomberai malade, j'irai ii I'hopilal, cl je mourrai. »
On lit |icu d'alli'niion a cct or.icle du forcat. Cependant
il commcnca bienlrjt a se rcaliser en parlie.
Le condamne fut saisi par une fievre pcrnicieuse; on
le conduisit a rhospiec.
Des qu'il apercul I'aumonier :
« Je vuiis I'avais dit, 'iionsieur; me voici ici, et bientot
je serai a ramphilheatre. »
Le preire voulut donner des consolations au moribond;
il cliercba a eloigner de lui la pensce fatalc qui le domi-
nait. Bicnlot le mal cnipira ; le inedecin declara que Ic
forcat avail peu dc temps a vivre; le preire offril au con-
damne les secours de la religion.
« Oui, monsieur I'abbe, dit le forcat, je me confesscrai ;
mais, auparavant, je dois faire tons mes efforts pour dis-
culper un innocent. »
Le procnrcur du roi se prdsenta au lit du moribond, ct
il retut une declaration de laquelle il resultail q'l'un
homme nomme Boissieux, condamne aux Iravaux forces
pour meurtre ct subissant sa peine au bagne dc Toulon,
elail viclime d'une crreur judiciaire. Celui qui avail com-
mis le crime donna tons les details qui pouvaienl meltre
la justice bumaine a meine de reparer la faute qu'elle avail
failc Boissieux fut conduit vers le moribond, et il ajouta
quclques indices aux revelations, en disanl : u Je suis in-
nocent! » .
.•^■■^
Jamais, en definitive, les philaiitliroijos neloiicheronl le
but de leurs efforts, s'ils ne s'associcnt inlimcment ii la
religion.
II n'y a qu'elle, par I'entremise du clerge, qui piiisse
guerir les plaies sociales, si cruellemcnt saignanles. Nous
ne cesserons de provoquer I'association intiine de I'adini-
nislration et du clerge dans I'inlcrct des inforlunes el des
coupablcs; souvent le crime el I'inforlune so confondcnt et
nalssenl I'un de raulre. 11 n'y a que la religion qui posscde
cc grand cl puisiiint ressort (|ui plonge au fond des iimcs
cl les force au repciilir ct a la cbaiile. Un ne salt pas ce
que la confession et iesconscils des bons prelres relicnnenl
d'iimes mallieureuscs sur Ic pencbant de leur per'e.
L'inlluence des bonnes soCiirs qui se voueiit ii Texercicc
de la cbarile aupres du lit des malades ct dans les grenicrs
des pauvres, n'cst pas moins puissante et n'est gucre mieux
connuc do la jilupart des gens du monde.
DE LlllSTOinE DL' CI.EnCE DE FRANCE
VISITfi An FAUBOtjaO SAINT-MARCEAU
iO'.l
lES BO^^I;s oeuvies.
■ 1 CS S'iEUIS nE CIlMilTE
Depuis longtcnips le faiihotirf; SVuit-Marccaii, livre a
lui-meme, serait devciui Ic rcpairc ilo tons Ics dOscspoirs
el un giganles(|ue liopilal, si, pour ([uc persimnc iic soit
Irop desherile dans cc monde, Dicu n'avait allaclie a to
qui est abandonnc Je tons unc puissance d'altraclion a la-
quellc la cliante no rcsiste pas.
En vcrtn de ccllc Ini providonlicUe, le fauliourg rcrnil
charpie jom- dcs visiles etrangcres ct des liutcs qui vien-
nenl dc loin lui apporterleiir zcle, Icur ni-grnt, de doucns
el cunsolanlcs paroles. Les smurs de Clianle, Ics mcmbres
du bureau de bienfaisance, toutes les neuvrcs de Paris s'y
donnent rendez-vous conire la maladie, lignorance cl la
depravalioii. On se parlage les rues, les niaisons, quelque-
fois nieme les clages ; el souvent, dans les grandes niaisons
renqilies de (lauvres dc la cave au grenier, la sieur pause
au renle-cliaussce une blessure, la dame des pauvrcs ma-
lades s'arrele au premier elage pour lire un passage dc
Vlmitalion i\ un mnur.int, pendant que le membre dc Saint-
Vincent de Paul coin't consoler sous les toils nne panvre
raniille qui attend, comme une fete, sa visite liebJomadaiiT,
ou instriiil un enl'ant plus es\iiegle que mediant, tout eloiun'
d'entendrc un beau monsieur, sans sonlane ct en clia|icaii
rond, lui couseillcr d'aller Ic dimanclie a la niessc.
On se plaint souvent de la ninlliplicite des ocuvres, de
la profusion des quetcs, dc I'lnceilitudc de lenrs resullals :
une visile au faubourg Saint-JIarceau juslificrait toutes Ics
importunites dc la cbaritc, ct apprendrait bien vile on va
cet argent recueilli dans les salons, au milieu dis fetes;
cette monnaic arracbee pcut-elre an jcu, celle piece d'or
derobi'C a la mnrcliande de modes vont s'eclianger, dans
une pauvre demeure, en pain, cm vetements, en medica-
ments pour le malade, en bouillon pour le convalescent
Ala vue de la joie ct des benedictions dc toule une f.i-
mille, qui aurait le courage de regretter sou aumone?
C'ctait dans une de ces niaisons bien connues des sofurs
cl dcs ceuvres, qu'habitaieiil, il y a quelques annocs, deux
homines d'origines, de natures, de passes bien differcnls.
maisqu'avaient rapproclies un mallieurcommun.
L'uu d'eux alteignait sa qiiatre-vinglicme annee, vieux
mariii d'eau douce, dhiimenr joviale et facile, sanssoucis,
sans malice, Ic plus inoffensif et le plus simple des liommcs.
Tanl que son bras avail ete assez fort pour lancer scs fibts.
et son roil assez percanl pour les diriger, son inclier de
pecheur avail sulG a son modeste desir el a scs besoiiis li-
miles; il n'avait jamais dcmande pour vivre que dcs pois-
snns a la Seine, et son existence avail coule, a travers les
nnnees ct les revolutions, calnie et iiidifferenlc comme le
flcuve qui le nourrissait ; il s'ctait marie, comme il arrive
souvent aus nuvriers, pour Irouver cliaque dimanche son
linge blanclii et chaquejour la soupe cliaude apres le tra-
vail ; mais sa fenime, habile ouvricre du rosle et gagnant
bien sa journee, etait aussi curien.sc ct remuante iju'il clail
1 insouciant ct pacifique, lisail la gazette, parlait beaucoup
politique ct morale, et paraissait sintere.s.ser bien plus aux
affaires des aulrcs qu'a celles dc son mari. Le bonhonime
avail trop de respect pour I'lsprilet la .science de sa femnie
|iour oser lui demander conipte du temps qu'elle passaH
loin de la maison, el dc I'oubli quelle faisait de son pol-
au-fcu; il se contentait de se plaiiidre lout dmic;Miiciit, en
faisant frirc lui-mcme scs pelits poissons ; mais lorsquc
r.ige cut ramene le menage au logis et les cut eiifirmes tout
deux dans leur moJeste chambrc, contents de Irouver a
beure fixe ses nippes rarcommoJces cl so:i diner pret, Ic
peinTbiliaul (c'elail son noml so felicitait ,-i la fois d'avoir
relrouve sa femme et son coin du feu, et s'cndorniait gaie-
menl a la lecture d'un gros bouquin que Cilui-ci lisait cha-
que soir, et dunt jamais il n'avait compris un mot ; la
femnie avail plus de lumierc et dc prevoyancc, el ne se
dissimulait pas renvahisscment de la misere; Veleganle (t
habile ouvricre ne voyait plus mcine a raccommnder des
has ; le pecheur avail du renonccr a la riviere ct elait hicii
lent ii faire quelques rares commissions imparfaitemesit
payees. L'argenln'arrivait plus, le credit s'epuisoit; il fal-
lait se si'parcr de tout ce qn'avait appnrle et conserve dans
le menage I'aiguille de I'une cl Ic lilel de I'aulrc. Le mn-
bilier, la garde-robe, cl jusqu'aux couvertures, prircnt le
chemin du mon'.-de-piclc, el alors la maladie vint metlic
au lit la menagere pour ne plus lui permcttre de se rcle-
ver; les visiles du medccin, Ics tisanes, les medicaments,
la garde epuiserent tout ce ([ui restait. Le bonliomme n"c-
pargua aupres de la malade ni soins ni veilles ; il fiit aide
dc ses voi-sins qui lui pi\'lercnt leur temps el quebiue pen
d'argent ; mais le jour on cllc mourul, le miserable grabal
sur Icquel cllc venait d'expirer apparteuait depuis long-
temps deja au proprictairequ'on ne payail plus, ct pasun
centime no restait pour les frais de I'enterrcment.
Ce fut en cetle trisle occasion que, pour la premiere
fois, le pere Thibaut cut rceours aux soeurs de Cliarile.
Bichc ou pauvre, noble ou people, puissant ou faible,
I'homme ici-bas a bcsoin dc tout le monde. Pour qii'un
seul individu puisse vivre, il faul que beaucoup raiment,
ou du moins que beaucoup s'occnpenldc lui. La Providence
a parlage entre tons les mcmbres de la famillc Ics devoirs
el les services d'affcclion dont I'eufant a liesoin pour de-
venir liommc, ct Ics lois liumaines, sujipleant par I'inleret
a un scnlimenl plus eleve, ontcree des fonclions specialcs
pour chacun de nos desirs, ct divise cntrc dcs millions
d'individus la charge de pourvoir a tons nos besoins.
Mais pour obtenir, il faul apporler, il faut Joniier pour
reccvoir, et loute I'economie dc la famille et de la societe
repose sur cette reciprocite de .services, sur eel cchange
et cette division infmie d'affcclion ct de Iravail.
Le pauvre n'a jamaisrien ;i douner. L'cufant, en cchange
des soins qu'il reclame, n'offre qii'un surcroit de diffi-
cullcs el de privations. Pendant que, dans les families les
plus elevces, le nouveau-nc fait cnlrer avec lui les ca-
resses, les doux sourircs, I'orgueil de la malernile, la per-
petuite du nom ct rheredite de la rortune, le plus doux
et le plus puissant inleret de la vie ; lui, il n'apportc a sa
mere qu'une charge nouvclle, et preud la pl.ice du Iravail
qui la faisait vivre; plus lard, sa moindre maladie, sa plus
legere infirmite ruinent tons ceux qui rentonrcnt, et s'il
arrive a la vieilk>sse, ses enfanls se h.ilenl dc rejeter cc
fardean sans compensation, et dc ne jdus nourrir cctic
bouclie inutile. La societe lui est encore moins serviable ;
il ne profile ni de scs progres ni de ses facililes. Le Lou-
laiiger n'a pas pour lui de pain, I'avocat de paroles, le
mailre de lecoiis, le medecin de visiles, ct les millions de
toils qui couvrent tout un peuple n'offrent pas i sa tele un
abri.
Mais les pauvrcs, il y a deu.x sieclcs, eurent en France
22
no
BEAUTIJS DE L'lUSTOIRE DU CLEllGE DE FBANCE.
un ami qui passa sa vie a sender leurs plaios cl a chercher
les moyens do reparer en lour faveur les incgalitos du sort.
Les voyaiil depouillcs de lous les biens, exiles de tous les
pai'lagcs, il voulut concenlrcr pour eux, dans unc sculc
insliUilion, ce que Dieu et la sociele avaicnl jusque-la
disperse entre les divers degres de la faniille et les millc
Institutions liuniaincs, el leur assurer, d'un seul coup et
sansqu'il leur en coulat rien, le devouemenl et les services
que la puissance, la fortune el Ic lionlieur ne peuvent oL-
tonir jamais qu'imparfailement el par parties au prix dc
niille recherches cl de mille snciilices. 11 reunil dans unc
seule personnela picle el la fervcnte prieredclarcligiouse,
la sollicitude de la mere, respcricnce du incdccin, les soins
dc la garde-malade, la patience de la maitrcsse d'ccole, cl
jusqu'a I'adresse humble et devouce de la scrvante, et de
loutes les sciences el de toutes les verlus, saint Vincent de
Paul Ct la sffiur de Charite.
La soeur que le pere Tliibaut appcla trop lard aupres de
sa femme, remplit fidelcment toutes ces missions ; elle pria
surla mortdeccUequ'clle avail soignee clveillcemalade, el
a qui die n'avaitcu le temps que d'apprendre a bien mou-
rir, ct se lit le lendtmairi I'avocat ol I'apiiui de ce pauvre
vicillard qui n'avail plus personne pour s'occiiper dc lui.
Elle alia plaider sa cause aupres de son proprictaire, ob-
tiut la remise de sa dctte, preserva son lit dc la vente et
sauva sa vieillesse du depot dc mendicile. Installe par ses
soins porlicr d'une maison qui n'avail pas de porle, le pere
Thiliaul gagna a celte siuecure un petit appartcmcnt qui
teiiait a la lois de la cave el de la loge. Aux murs nus pen-
dait un resle de filet, vieux conime son maitre, usccommc
lui, dont n'avail pas voulu le monl-de-piele, el oii venaient
de temps en temps se prendre quelques souris mal avi-
sccs. Un lit de sangle, un petit poele de 7 francs fourni
par les socurs, et oil s'allumail, les grands, jours d'hiver, Ic
rarecolreldu bureau de bienfaisance, un bancboiteux, un
vieux fauteuil retire du grenierd'un hotel loinlain, compo-
saicnl son mobilier; un pantalon dc loile dont les pieces de
loules (ormes et de toutes couleurs avaienl di!j,i plusicurs
fois rcnouvele rctoffe, nne ccbarpcd'un rouge passe, une
vesle qui avail cle autrefois de velours cl un petit bonnet
ii la Masaniello, etaienttoute sa garde-robe. La table n'etait
pas plus splendide (|ue le logement ; il dinait tous les jours
dun morceau dc pain et d'un pen dc fromage ; la gcnero-
sitc de la fruitiere du coin y ajoutait quclqucfois nuc poire
cuite, et quelquefoi.^ cnc.ire les ouvricrs, a I'lieuro oii se
suspend I'ouvragc, en ccliangc d'un salut amical ou d'une
plaisanlerie du vieux temps, Ic prenaient sous le bras ct
i'cnnncnaient en cbnntaiit partnger avcc eux unc bouteillc
de viii sur un conqitoir du voisinage.
Lc bon vicillard, rcconnaissanl de la bicnveillancege-
ncrnle, ncseplaignait jamais de ce qu'il n'avail pas, liicbait
de se rcndrc utile a tous ceux qui rcnlouraienl, appretait
dcs ligiics pour les pclits garcons, veillail la boutique
pendant I'absence du voisin, faisanl un peu de conversa-
tion avcc les bonnes femmes du quartier, saluait en riant
tous les passanls, el priail Dieu pour tout le monde.
Mais il avail dcs jours de fete qu'il n'aurail pas donnes
pour lous les biens de la terre : c'elail lorsque, attire par
le desir de faire le bien, quelque dame laissanl a la porle
du faubourg son equipage, s'achcminait vers sa loge, s'as-
scyait sur le banc aupres du petite poele, lui dcmandait de
scs nouvclles, el lui faisait raconter comment, depuis sa
deriiiiire visite, il avail passe le temps.
Oe jour-la, le bonbommc ne repondail que par inler-
jcclions : son elonncmcnt, sa reconnaissance, claienl plus
. forts que sa raison ;ilconfondait alors les jours, les lieurcs,
les pcrsonnes, demandait a unc petite fille dcs nouvellcs
de sou mari, el preiiait unc dame de cliarile pour la femme
d'un ciupereur.
Mais il y avail sur coltc bonne etcaiidide figure taut dc
joie, dans scs yeux ranimes lanl de deuces larmcs, qu'as-
surcmenlnulle heure do la vie du monde, nul succes, millc
fete ne devaient laisser dans le ccnur de cclle qui en clait
Toccasion, d'aussi delicicux souvenirs.
— Td csirinlercssant el simple tableau que nous em-
priintons a un philanthrope modirnc, M. le vitomle dc
Melun, qui a consigne dans les Annalcs de charile ces de-
tails aussi vrais que toucbants.
Ce n'esl point la un roman arbitraire, I'invcniion fri-
volcet ramusemenlpassager d'une imagination d'ecrivain;
ce sonl dcs fails de tous Ics jours, des fails reels qui sc
reproduisent a chaque instant dans noire grande capitale,
des douleurs qui se renouvellenl d'annee en annee el de
mois en mois, et qui trouvent sans cesse les memos re- ll
medes dans rinlcrvention bienfaisante de la religion ct l|
de scs minislros. Kous ne pouvons trop le repelcr, c'cst
dans I'union intimede I'adininislration et du clerge, dans
le melange des idees religieuses et des idecs philanlhro-
piques, que les pauvrcs pourronl trouver plus lard les se-
coursles plus reels et les plus abondants.
Uansun de nosprocbaius numeros, nous indiqueronsles.
principales oeuvres qui prospcront aujourd'hui, lanl a Pa-
ris que dans les principales villes de France.
PETITES MOnAl.ES
171
PETITES MORALES.
CARNET DUN VIEUX CURE.
CeqDipciil arriver au globe— Manger avec Ics iloigls.— Le baicau a vapcar.
La Idilelled'une Grerqiip.— La coqucuerie ilcs fcinmes il'aatrcrois.
Le freiii de la rucdisanlc ft le nianicau ile I'ivfognc. — Lc porc-i'pic.
Oded'un patineur.
Furcar dcs saintscl des paiens conlrc les coqueucs.
Le sang ct Ics cheveux.
OE QUI VEUT AARIVXR AU GLOBE
Lc mailrc do la cliimie modernc, lo cclebrc Lavoisier,
que I'cchafaud a devore en 1795, a prouve que, si le globe
subissait pendant une annee une temperature beaucoup
plus cbaude, la plupart des rochcs et des parlies solides
deviendraienl liquiilcs.
Aprcs avoir examine ainsi ce qui arriverait si la lerre se
trouvait transportee en de plus chaudes regions de I'espace,
Lavoisier s'exprime en cos termes :
« Par un effet contrnire, si la lerre se trouvait lout a coup
placee dans dcs regions trop froides, I'eau qui forme au-
jourd'liui nos Heuvcs et nos niers, et probablemenl le plus
grand nombre dcs (luiJes que nous connaissons, se Irans-
formerait en monlagnes solides, en rochers Iresdurs, d'a-
bord dinphanes, homogencs et blancs conime le crislal de
roche, mais qui, avcc le temps, se melant avoc des sub-
stances dc differcnles nalures, deviendraienl dcs picrrcs
opaques divcrsement colorces.
a L'air, dans ccltc supposition, ou nu nioins une parlie
des substances acriformcs qui lo composcnt, cesscrait sans
doute d'cxisler dansretnlde vapeurs elastiques, faule d'un
degrc dechaleur suffisanl; dies rcviondraient done a I'clat
de liquidilc, clil en resullerail de nouvcaux liquides dont
nous n'avons aucunc idee. i>
L'inslincl de Lavoisier ne I'avail pas trompe, el lorsque
M. Faraday apprit au monde sci' ntillque qu'en obligeant h
plupart des gaz a se dcvcloppcr dans dcs vases trop elroils
piiur les conlcnir, Icur proprc poiivoir de compression les
amcnail a I'elat liquidc, on vil se rcaliser, en erfct, par cc
procedc, des liquidcs douiis dc pro[]rieles elranges cl non-
vclles.
MANGER AVEC UCS DOIGTS.
C'cst la mode universcUe en Orient. Vcuillcz ne pas
vous rccricr trop vile. Voycz d'abord comment les cboses
se pralicpient, ct peul-eire vous parallronl-cllcs moins
dcsagreablcs. Les melssoni prepares avcc une delicate re-
cherche. Par excmple, ce soni des concombrcs et autrcs
legumes de ce genre ecrases et farcis de viande hachcc
ct dc riz. Souvenl c'esl de la viande hachee enveloppce
d'une feuille de vignc, cl si habilcmcnl accommodec, quo
chaque fcnillc, avcc son conlcnu, restc compaclc ct se
prend facilement avcc les doigls. La viande frile cnloureo
de pali«f;erie. nu en forme d'une saucisse csl og.ilcment
commode a nianicr; je pourrais cilcr una foule de combi-
naisonsde ce genre (leur cuisine est Ires varice), quand il
s'agil de soupes, de riz prepare a la mode orienlalc, cl do
sauces, nous faisons usage dc cuillers.
Voyage de UrijaiU a Bagdad.
S.E BATEAU A VAFZUH.
Quelle chose merveiUeuic qu'uii bateau a vapcur ! (Jui-
conque aurait ose. il y a environ cinquantc ans, nous
parlcr dun vaisseau poursuivant sa course, malgrc les
vcnli coMlraiies, sans autre sccours que ccUii de la va-
|icur, ci'il scmblc fort ridicule. Lors(iuc Fulton Dl Icssai
de sou premier bateau ,i vapcur sur la riviere d'lludson,
dans le nord de rAmcrique, les pcr.sonnes as£enddccs cu-
lour dc lui s'allendaicnl [ our la plupart, a lc Irouvcr en
^T2 pirriTKs MonALES
■leraut ; cllc paraissniciit rire ot so moiiiiri- do cello alisiiril
invonlion. Mais lours rioaiiomonls liront place au plus
grand olonnomciil, a la vuc do co haloaii qui s'olancailen
avanl conimo s'il cut elo ploiii do vie. Lc premier (|iii so
(lirigca vers los Indes fiit apcrcii do loin par reqiiipagc
d'uii pelit vaisscau espajjiiol, pros dc la Trinilo. En le
voyanl marcher conlre le vent, vomissant la fmiico, le
feu, n'ayant qu'nn soul liomme sur le lilliic, il s'iinai;ina
rccoimailrc I'a'uvre du mauvais esprit, et, rempli de Icr-
rcur, il regnaga le rivage ol s'eclia]ipa dans les bois.
Les baleaux a vapour avaicnl doja naviguc longlenips
sur les rivieres on Angletorre el en Amerique, ct cependant
on n'avait pas oso so risqner a traverser I'Ocoan a I'aido des
memos moyens. On croyait que la hauteur des vagues
cmpecherait les palettes do I'lapper I'eau regnlicrcmont ;
qu'cn outre, la force du vent soufllant sur los coles, mai-
triserait le vaisseau au point dc retcnir une de ses roues
liors dc I'oau. Mais on a essaye dcrnieronient de fairc mar-
cher dc grands Imtcaux a vapour pour allcr d'Anglclcrro
en Anuh'iqno, et roxporicnco a roussi, malgrc la rureur des
vcnlsct des vagues. D'autrcs phis grands encore furenl
coiistruits peu a prcs, coniius sous le nom dc la Reine Bri-
lii'^nique et le VivsUlcM. Cos magnifiquos vaisscaux
av.iientpresde Iroisccnts piedsde long; la force despompcs
a fell ipii les faisaient mouvoir cgalait colic de cinq cents
chevaiix. La Reinc Biitaitniqiic pouisuit encore scs voya-
ges, mais lc I'lesidenlsc pordit mallicureusomcnl onrcve-
iiaHl d'Aineriquo. On atlendit longlenips ccux qu'il devalt
ramener, ils nc rcviiiiciit jamais; on linil par approndre
que requipage el tous les passagcrs avaient peri. La chau-
diere a sans duutc eclato, ct I'a roduit en poudre en un
moment; pent-elre encore, frappe dans I'onigo par de
loiirdos vagues so sera-t-il brisc en deux, et perdu ainsi
dans la profondeur des oanx.
Paimi los gens habitues a montor sur des bateaux a
\apcur, il y en a beaucoup qui no s'espliqiient pas clai-
loment comnicut la vapciir douncdu mouvement au vais-
seau. Vousavez remarquo la vapour de I'cau bouillantes'e-
cliappor du bccdela bouilloirequi la renforme, telle cslla
puissance qui fail agir le vaisseau. On I'apiiliquo ainsi :
on rcniplit line grando cliaudiero d'eau, on la chauffe, la
vapour esl introduilo par un des bouts du ajUndrc, c'est-d-
dirc un large conduil dans Icquel so trouvo lo piston, es-
pcce dc chovillc qui sc love et s'abaissc daus lc cylindre.
Snpposcz que lo piston arrive au boul par loqiiel la vapeur
pcnetre, sa force irresistible le chasse aussitol au cote op-
pose; niais dans ce oas, un pclit Iron s'cnlr'ouvre au cole
(!u cylindre par loquel la vapeur s'ocliappc. Au memo in-
stant, la vapeur s'olanee de la cliaudiero, a travcrs un au-
tre conduit, a Tautre bout du cylindio,ct repousse le piston
vers lc boul oi'i il so Irouvait on premier. Cello vapeur s'e-
oliappc par im autre Iron, on soupnpe, ct ponetre de nou-
veau au premier bout. La vapeur venant ainsi dans lo cylin-
dre alternalivcment a chaqiic oxtremito, lc piston so troiive
conlinucUcnient pousse en avanl en on arricrc. On •ajnutcau
(liston uiio barre de for qui vo joindro une des cxtrcmilcs
du cyliuilro, dc maniore a mouvoir librement, quoiquo
ajustoo parfaitement sorrea; cello barre participe done au
moiivcmenl du piston, et s'elancc sans cosso, soil en avanl,
soil on arricre. Mais comment ce mouvement qui s'opere
droit cuavant poul-iltouruerautourdes palettes de la roue?
Vous avez sans doutc exaiiiiiio souvenl lc repasseur dc cou-
tcan.x qui parcourl les rues; il pose le pied sur la marclio
ol la fait mouvoir cgalemonl par la prcssion; mais ellc est
lii'O a la grando roue |iar une barre do for, qui la fail mou-
voir en lournanl dans imc direction d'lmc maniiire trcs-
ciirieusc. II en est dc memo do la barre de co piston qui so
inout aulour d'unc grando roue, qu'ou appolle volatile,
ct rcniuo on nn'me lomps la grando rone do cli.ii|uc culc qui
siijiporlc les palettes. Co soiit des planches atlaohoos au
bold do la roue, qui, en frappanl I'eau en tournanl,en-
liviinonl lc vaisseau. Je n'ai pas tout indii|uc, mais ccci
doit siifrirc pour donner une idee asscz claire des choscs
pi'iucipales.
S,&. TOIIiETTE B'DNE GHXCQUE.
COQITTTEMC DCS FE.MMUS d'.\UIIIEF01S.
Plaulc compare la loik'tto dos fommes a rcquipemont
d'unc galore. Le soin principal des dames grccques otait
relalif aux ornomonts de Icur lelo. « La chcvelnrc d'unc
dame, dit Apnloo, donne par ollo-niomc taut dc grace,
quo, malgrc I'cclat des porlos ct dc la pourpro, nialgro la
richesse dc scs votcmonls ot la rcchorcho do sa toilette,
(die nc pout espercr de charmer ni de plairo, si sa coiffure
n'est pas soignee. II n'est rien dc plus agreablo que de
viiir les rayons du solcil so jouer dans les boucles d'unc
bidlc chcvelurc, ou en jaillir on brillaiils rollels lorsiiu'cllc
est opposoe a la Inmicrc. Quoi de plus beau que dc voir
cos ondos, moUoment agitoos par I'haleine dos z.'phyrs,
lantiJl rovctuos dos toiiUes dc I'or, ou dc cellos du niicl dc
TAltiquc ct dc la Sicilo, el lanlot seniblablcs au cou mo-
bile et nuance de la Colombo, reHochir lo noir et I'ebcno,
ou bien I'azur dn ciel ct dcia mer! Parfumeos des essences
do I'Arabie, nllongees par un pcignc d'ivoire, ol retcnues
dorrierc les epaub's par une agrafe d'or on de sole, olios
rcllochissonl, comme un miroir onchantour, los images voi-
sines Elogammcnl rolroussces en une inUnile de tresses
par une main habile, rctombant sur un cou d'albaire, olios
coulcnt aux fcmnies plus do six lionros jiar jour.
Los precedes employes par les fommes pour faire res-
sorlir lours chnrmes, ou jiour ]iaror a certains dofauts,
olaienl nomhrcux. Alexis, poi'tc comiquo d'Athenes, en
parlanl des coquctlos, dil : « Une jcune fille csl-ellc po-
lite, on rehaussc sa stature au moyen d'unc somellc dc
lii'ge cpi'on ajoulo a ses snuliers; est-olle trop grandc, on
Ini fait prendre des chaussurcs minces, ct olle marchc la
tote iuclinoe sur une cpaulo.
A-l-cllc les epaules trop olrnites, on lui en mcl dc pos-
liolies. Son venire esl-il trop fort, des buses resserreni et
rojoltont son ventre on arriorc.
A-t-ollc les snureds roux, on los toint nvec dn noir dc
fiimco.
Est-c'.lo Imp briino, on passe do la ceruse sur son visage.
A-i-id'c le leiut p.'de, on lui doiiiio dos coulonrs au moyen
du fard.
A-t-elle do belles dents, on lui apprond a rirc, pour
que ses Icvros en s'entr'ouvrant les laissenl aporcovoir.
.Si ellc n'ainio point a rirc, on la laissoa la maison ayant
eiiiro los dcnls un brio de myrtc parcil a ccliii doiil les
cuisinicrs couronnent les choscs qu'ils vcndent au marclie,
do manicre qu'cllc s'accoutumo a monlrcr la beanie dc sa
liMiii'bo. »
PETITES MOr.ALES.
K5
Lnclon, dnns nn do ses dialogues, donnc iiiic doscriiilinn
raillcusc do la cnf|ucllcric dcs fomnios. A poinc sorties du
lit, dies so rctiraienl dans lour cabinet do toilette pour
se farder avanl d'avoir cle vues de pcrsoniic. U entre en-
siiitc dans le detail des cuvettes d'argcnl, des aiguiercs,
des miroirs, des fiolcs, des llacons qui contenaient des
essences el des parfuins d'aul.mt d'cspeces qu'il y avait de
partie-; du corps auxfiuellcs on les employait.
(I L'Mlienienne, dit Anslophane, se parl'nine les mains
ct les pieds avec des essences d'Egyple vcrsces dans nn
Lassin incruslc d'or, les joiics nvec des odeurs de Phenicie,
les (lievcux avec la marjolaine, les bras nvec I'eau do
serpniet. »
Plautc , dans ses Spectres, fait ainsi jiarler une coqueltc :
« Scaplia, apporle nion miroir et la boitc oil je liens nies
bijoux, afin de me trouver parce; en attendant, mels-moi
le fard.
„ _ Viaiment, maitressc, quo de peines tn le donnes!
quelle pcinture I quelle sculpture! quelle arcbiteclure I A
quo! arriveras-tn, si ce n'esl a te rendre nioins joIie?i)
C'est en effet souvcnl I'unique resultat de ces immenses
prcparatifs.
as FUEIM DE LA MEDISAfOTE ET I.E MANTEAD DE I'lVHOONE.
Le progres des iuslitiitions chreliennes n'a pas ccssc d'a-
doucir b'S mrenrs et les lois; les punitions antiques sont
(Vunc barlinrie on d'une singularite qui nous etonnent fort
aujourd bni.
Pajmi les clialimcnis en usage autrefois en Angleterre, il
y en avait de fortcurieux, dont je vais vous citer quol-
qiies-uns.
Quand un honniie se livrait immoderement a la boisson,
CI se montrail inscnsiljle aux remontrances et aux me-
naces, on lo condamnail a porter le mniilmu d'ivrognc,
dans I'espoir que la lionle agirait snr lui dune manicre
plus salutaire.
Ce bizarre costume consistait en nn lonneaii defonce
par un bout; une ouverlurc se pratiquail .i Taulrc exlrc-
mile el servail de passage a la tcte; le lonneau s'appuyait
en mcine lemps sur les i'paules ; deux autres Irons fails
de cliaque cole laissaienl passer les bras. L'ivrogne par-
courait ainsi les rues, ponrsuivi par les eclats de rirc do
ses concitoyens, donl il devenait nn objet de ridieule et do
niepris.
Pour les femnies accusees de medisances, on faisail
usage, il y a deux cents ans, a Newcastle, d'une cirangc
coiffure nppelee k'^rriii des rncdifimlcs. On pent en voir
' iieorc des modeles a la emu' de justice de ccUe ville. On
avait pour but d'humilier les femmesqueranionr du babil
attiraithnrs de chezelles, el qui negligcaieutlenrs devoirs.
La panvre coupable, eonduite aussi comme l'ivrogne, par
un ofOeier, a travcrs les rues, etail exposce aux regards du
public, pour servir d'excmple salutaire a celles quieussenl
cte teuleos de laisser a leur langue trop de liberie.
La punition du [rein dcs fcmmes grondciisa n'elail pas
raoins bizarre. Les voisins s'enqiaraienl do la fi'mme en
question, la portaienlau bord d'uue riviere ou d'un quai,
rallachaienl solidcmcnl sur une chaise, cl la plongeaienl
dans lean autanlde fois que ses fautes le merilaienl.
Nos ancetres adoptaicnl communemenl les cages ;on en
voyait une en permanence sur le vieux pout de Londres,
dans laquclle on exposal! ceux qui avaienl comniis de legc-
res offenses. Bicn d'aulres punitions, etablies autrefois,
sont aussi totalement abandonnces aujourd'hui.
Z.E PORC-XPIC.
Voici le portrait d'un porc-epic, animal fori curieui,
quo vous avez pu voir souvenl dans les rues, entre les
n«
rETITES MOn.VLES.
mains do ccs pnuvrcs cnfants ilu Picmonl. Doux par sa na-
ture, il vous piquerait ceponilant ruJemont, sans le vou-
loir, si vous clierchiez a le manicr.
Le pore-epic nait en Alrifiue ; on le trouve aussi dans le
niidide I'Europe; scs poinles noires ct blanches sont co-
quettement nuancees, el servcnt frequemment a faire dcs
inanchcs de plumes d'acier. On croyait autrefois que cct ani-
mal pouvait lancer ses poinles de loin a ses cnnemis ; veri-
table fable qu'il faul ajouler a tous les mcnsonges debitcs
sur les animaux. Les poinles qui recouvrent le corps ont
environ un pied de long ; tres-aigues au bout, plus epaisscs
au milieu , elles se tiennent ordinairemenl a plal; mais,
si le pore-epic s'effraye ct s'irrite, cllcs se herisscnt el
poinlent dans loutes les directions. Sui; la tele el le cou
s'eleve une crelc de poils trcs roides i|ui se canibrent en
arriere; les plumes de la queue nc fiuissenl pas en poinlc,
mais sont ouverles au boul, commc si on les avail cou-
pecs, n'elant pas tres-solidement fixees a la peau ; elles pro-
iluisent un bruit sourd quand I'animal se secoue.
II y a uneespecede pore-epic au Canada ctdans d'aulres
contrces de I'Amcrique du Nord, qui grimpe aux arbrcs.
Les femmes indiennes brodent avec ccs plumes, lors-
qu'elles sont fcnducs et leintes en couleurs brillanles, les
sacs a tabac et les mocassins (panloufles en daim] de
leurs maris. Co travail, fort Inginicnscmcnt dispose, pro-
duilsouvenl un Ircs-joli effet.
Les pores-epics sont tous d'innoccnts animaux, assez
lourdsetstupides. lis dormcnt lout le jour au fond d'un
Irou crcuse sur une eminence, et sortcnl la nuit a la re-
cherche des racincs dont ils se nourrissent. Leur enveloppc
piquante les protege seule conlre les atlaqucs dcs betes fe-
roees : on dit que le lion lui-meme recule elfraye dcvant lo
pore-epic hcrisse.
Bingley raconle, dans son inleressanlo Biograjihie dcs
Animaux, que sir Ashlon Lever conservait chcz lui un
pore-epic et s'amusait souvent a le regarderjoucr surlc
gazon avec un leopard apprivoise ct un gros chien de
chasse.
Ces deux derniers se mellaient aussilot a la poursuile
du pore-epic, qui d'abord clierchait toujours a leur cchap-
|ier par la fuite , mais, trouvanl la cboso impossible,
il allail fourrer sa tele dans un coin, faisait entendre
une espcce do grogncment en hcrissant ses poinles; les
poursuivanls se piquaient alors le ncz, se qucrellaieni
ciilre eux, el donnnient au pore-epic I'occasion de s'c-
chapper.
ODE D'UN FATINEUR.
11 y a une ode cbarmanle de Klopstock inlilulee VArl dc
Tialf, c'esl-a-dire I'art d'aller en palins sur la glace, qu'on
dit avoir elc invenle par le geant Tulf 11 pcinl une jcunc
el belle femme, revclue d'une fourrure dbermine, el pla-
ccc sur un traincau en forme de char; les jeunes gens qui
renlourent font avaucer ce char comme I'cclair, en le
poussant Icgeremeut On clioisil pour senlier le torrent
glace qui, pendant I'hiver, offrc b roule l.i plus sure. Les
chevcux des jeunes hommes sont parseme.s des llocons
hrillanls des frimns; les jeunes lilies, a la suite du Irai-
neau, allachent a leurs petils picds les ailes d'aeier, qui les
transportcnt au lain dans un cliu dVcil ; le chant des bar-
des accompagne cello danse scplenlrionale; la marchc
joyeuse passe sous l«s ormeaux, donl les flours sont dc
neige: onenlend craqiier lecrislal sous les pas;un iu.^laut
de terreur trouble la fete; mais bicnlot les cris d'allii-
gresse, la violence de Texorcicc, qui doit conserver au
sang la chaleur que lui ravirail le froid de I'air, enlin la
lulte conlre le climal, ranimenl tons les esprils, el Ton
arrive au terme de la course dans une gr.iude salle illu-
mince, ou le feu, le bal ct les feslins font succeder des
plaisirs faciles aux plaisirs conquis sur les rigueurs memes
dc la nature. ,
FUB.EUR DES SAIZaTS ET DES FAIENS
COMI:C LES COQUETTES.
u Si on voyail, dit Lucien, certaines femmes au sorlir
au lit, on les trouvcrail plusbidcuscs que I'animal (I) dont
()) Lc siiije.
PETITES MORALES.
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le nom, proKro 4 jemi, est rcpiiti dc raauvais augure.
Aussi ont-ellcs soin dc ne s'esposer aux regards d'aucun
liommc dans cet etal. Elles sont cntourecs de vieiUcs fem-
mes et d'une troupe dc jeiines csclaves, toutes occiipecs a
leur plalrer le visage de diverscs maliercs. Ces scrvantes
forinenl une espece de procession autour de leur mai-
tresse, les unes portent des bassins d'argent, des aiguieres,
des miroirs el des Loitcs remiilies de mixtions degou-
tantes; les autres sontoccupccs a lui nelloycr les dents
ou a noircir les sourcils. CVst surtout a Tarraiigement de
sa. chevelure qu'elles deploicnt tout leur talent. Les fem-
mes qui preferent les cheveux noirs, consomment la for-
tune de leurs maris a les parfumcr avec les plus rares es-
sences dc I'Arabie. Ensuite, a I'aide d'un ferchauffe a un
feu lent, dies roulent les cheveus en boucles, qui se par-
tagentsurle front, et descendcnt, avec un art admirable,
jusquesur les sourcils, tandis que ceux de derriere, frises
avec le meme soin, Holtent epars sur les epaules. Apres
cell elles mettent leurs souliers, dont chaque paire a son
pied de droite etson pied de gauche ; puis elles se revetent
d'un manteau dont la finesse laisse apercevoir les propor-
tions du corps.
Des pierres orientales sont attacheesaleursoreilles; des
serpents d'or ( et pint aux dieux qu'ils fussent naturels 1 )
cntorlillcnt leurs bras et leurs poigncls ; enfin Tor, des-
ccndu a I'elat'le plus abject, brille a leurs pieds, en ser-
vant d'ornement ,1 leurs talons qui resteut nus. Les femnies
de distinction faisaient porter sur leurs tetes un parasol ;
il y avait dans Athenes une procession de parasols en Ihon-
neur de Minerve, au mois de chirophorion. »
C'est particulierement centre les coquettes que tonnerenl
les premiers orateurs cbreliens.
« Outre les pendants d"oreillcs, s'ccrient-ils, elles por-
tent d'autres bijoux a I'cxtremite de leurs joues. Leur
visage et leurs sourcils sont colores ou peints. Leurs tu-
niques sont enlrelacees de fil d'or. Leur chaussure est
noire, luisante, et se tcrmine en pointe. On les voit mon-
tees sur des cbars atteles de mulets blancs qui ont des
freins dorcs, etsuivies d'un grand nombre de femraes atta-
chees a leur service. »
11 n'y a que les formes qui aient change : cntrez aujoHr-
d'hui chei le parfumcur, le coiffeur et la marchande de
modes a la mode ; vous y trouverez les menies ridicules et
les memes faiblesses, souvent couronnes de peu de succes,
et n'aboutissant qu'a rendre la beaute moins fraiche et la
disgrace plus desagreable.
A|l'?f|
LE BANG ET IiES CHEVEUX.
Le bon roi David s'ecrie : o L'organisation de mon corps
« me remplit de crainle ct d'admiralion. » Puis il rend
grace a Dicu. Vous etes peut-eire persuade que voire sang
ne rcnfernie qu'une scule substance, et vous screz tres-
surpris d'apprcndre qu'on en decouvre plusieurs fortdis-
linctes,toulesdiffcrcnleslcs unes des autres. Le sang qu'on
lire du corps se divise peu de temps apres en deux par-
lies; I'une est un lluidc clair et transparent, I'aulre est
une substance dc coulcur foncee et prcsque aussi solide
que la chair. Au bout d'un plus grand laps de temps, la
parlie solide se divise encore en malicre molle et blan-
che, une foule de petils globules rouges, que le micro-
scope seul pent vous faire distinguer s'y formcnt aussi ;
ii I'aide de cet instrument, on voit qu'ils sont transparenls
n reconverts d'une peau rouge. Maintenant il faut vous
dire que toutes les parlies du corps, meme les plus dures,
la salive, Ics larmcs, le lait, les cheveux, les onglcs, les
OS et les dents, provicnnent du sang; et, comme toutes
ccschoses se composcnt d'une multitude de fibres ou fils
lies ensemble, on croirait que la reunion nombreuse de ces
i^liibulcs k'S forme tons. En niellaMlcn idccesun pelit nior-
icau dc viande niaigic bienbouillie, vous le wnci se par-
tager comme un echeveaude fils. Hegardezla gravure, ellc
vous donne a droite quclques fibres vues au microscope,
plus haut sont representes les globules rcunisdont ils se
compo.scnt; au-dessous on vous retrace deux rangces de
globules enveloppes de peau rouge, et d'autres qui n'en
ont pas.
Les grandes figures representent la structure d'un che-
veu, non moins curieux a eludier. Chacun de DOS cheveux
forme un tube delicat, a rexlremilc dtiquel se voitun gon-
flemeiit, semblable a la bulbe d'une fleur, qui le retient
attache a la peau. Chez les jeunes gens, ce tube est
rempli d'une matiere molle de couleur foncee, qui donne
la nuance a la chevelure; mais, quand pn devient tres-
vieux, la matiere coloree se Iransforme en moelle desse-
chee qui se repand au milieu, et le tube, n'ayant pas decou-
leur par lui-meme, parait d'un blanc argente. Les trois
figures, a gauche, en donnent un exemple. Vous le voyez,
la sngesse de Dieu se deploie plus mcrvcilleuse que jamais
dans la creation de. noire pauvre elre. Comment ne pas
I'aimer et nous confier a lui? car Nolre-Seigneur a dit :
« Lcschcveux de voire ti'te scront tons comptcs. »
Les cheveux de certains animaux ont si pen de rapport
avec k'S notros, que nous serious fort lentcs de iiier I'ana-
logic qui exisle cnlre eux. Chez [dusieurs, cependaiil, nous
I7G LE COURAGE MORAL
pouvons observer jilus claircment ijirils sent lubiilaires.
Les plumes dos oisc.iux sonl aussi ilis i-liovcux sous unc
aulrc forme, cl nous les voyoiis lout u fail crcux dans la
parlie ajipelcc tuya^l, conime nous I'avons deja dil, landis
que dans le Mrisson dc nos contrees, cl plus encore dans
le pore -epic, nous voyons dcs poinles creuses et roiJesau
lieu do clicveux.
LE COURAGE MORAL
OA^S LA JECMSSE.
BIEMrLES DE FORCE CONTBE LE SORT, UE IIESISTAKCE ET DE SUCCES
DANS lES CAHRIEHES lES PLUS DIVERSES.
Les jeaues peinlres et sculptcnrs. — Bcnvenato Cellini.
Quenliii Melsys, etc.
Personne ne peut lire sans inleret et sans admiration
rhistoiro de ces honimes iiitelliirents et laborieux, places
dans la derniere classe de In sociiite, arrivant a la celebritc
par le travail et la perseverance, et laissant a la poslerite
des chefs-d'oeuvre immorlels. Nous citerous, pnrexcmple,
des cas oii de simples ouvriers sonl devenus artistes dans
une parlie vers laquelle, il est vrai, Icurs premiers efforts
les avaient amends ; d'autres oii Tarlistc lui-meme, parti
d'un point obscur, a pris un rang distingue dans son art;
nous voyons, surtout en Italic, dcs ouvriers orfevrcs. parmi
ceux du moins qui etaicnt charges de copier les dessins
sur les melaux, pousser I'etude de leur profession si loin,
qu'ils sont arrives a dessinereux-memcs avec talent.
Ainsi s'est faite I'cducation premiere de plusieurs peinlres
ctsculpteurs distingues. Benvcnulo CclUni, appreuti chez
un orfevre, apprit non-seulenient ii enchasser, mais encore
d graver, a dessiner, sculpter, et deviiit dans la suite le
plus grand .sculpteur de son siecle. Nous pourrions en citer
beaucoup d'autres. Cependant les ouvriers en or et en ar-
gent ne sont pas les seuls qui soient parvenus a s'immor-
taliser dans les beaux-arts.
Le vieiix peintre hoilandais Qiiciitin Metsys etait, dans
I'originc, forgeron et marechal ferranl; c'esl poiirquoi
on le couuail encore aujourd'liui sous le nom de Furgcron
d'AnvcTs, ville oil il exercaitson humble profession. Frnppo
dans sa jeunesse d'une inalaJie grave qui affaiblit a tout
jamais sa cor.stitution, il fut oblige de renonccr a scs p6-
nibles travaux, cl de se livrer i la fabrication d'oiijets
d'ornemeni dclicatcmcnt Iravailles en fer, et Ires-recber-
ches a cettc rpoqi.e, sciil moyen qui lui restat Je gagncr
sa vie et celle do sa mere. 11 ne tarda pas a acquerir dans
cetlepartie une grande reputation ; le couvercle el \'enlou-
raije d'un puils (dajis le voisinage de la grande eglise )
ouvrages de la sorle, lui flrent surtnut beaucoup d'lion-
neur;mais ce genre d'occupation etait encore au-dcssus
de ses forces. II ne savait quel ijarti iireudre, lorsqu'uii
de ses amis, frappc de la m.nniere dont il avail execute
les dessins dans ces derniers travaux, lui conseilla de s'a-
donner uniquement an dessin,et do s'exereer d'aliord en
peignant des images de saints que les differents ordres
rcligieux de la ville out riialjitudc de distribuer an peuple
a I'epoqiie de cerlaines processions solennelles. Metsys
Irouva I'idee bonne, I'adopta, et reussil au dela de ses es-
perances; il s'appliqua des lors a I'etude de la peinturc
avec tani de zele et do bonheur, qu'il sc fit une haute re-
putation de son vivant, et laissa plusieurs ouvrages genc-
ralement estimes, parmi lesquels il faut tiler les avarcs,
maintenant au palais de Windsor, el qui out etc souvent
graves.
Ce tableau est assuremenl digne de sa reputation. II
rcprusente deux pcrsonnages fort occupcs a compter de
Targent ; ravidile, la satisfaction qu'ils eprouvent se pei-
gnent admirablemeul sur leurs pliysionomies. Cependant
on y reconnait I'cxpression d'un sentiment naturel, autre
que cclui qui appartient seui au caraclere de ravarc.
Metsys a voulu peindre probablenu'ut des banquiers et des
usuriers de sa ville, doni le plaisir s'aninie a la vue de
I'or, de leurs richesses, des billets de banque, el de cettc
fortune enfin, dont la possession est fortcmcnt apprcciee;
de tons les accessoires, le chandelier, les rouleaux de pa-
pier, le |ierroquel, sunt rcndus avec unc lidelite sans egale.
LE COURAGE MORAL
En tons cas, raiivre etait Lion capaUe de flccliir ccUe
femme qui, dit-on, accorda son ccciir et sa main au
peinlre, apres avoir dedaigne le forgcron.
De nos jours, Jules-Cesar Ibbulson fut d'abord peintrt
de navires, puispaysagisle si remaniuable, que M. Westle
compare i Bergheni, un dcs premiers artistes hollandais
de ce genre. yVitliam Kent, autre artiste anglais, qui fut
a la fois peinlre d'hisloire et de portraits au commence-
ment du dernier siecle, plus coiinu encore comnie archi-
tecte, et qui introduisit le premier parmi nous ce genre
gracieux et pittoresque adopte dans I'arrangemenl de nos
jardins, acquit les elements de son art chez un peintre
carrossier qui le payail comme apprenti. Fran(ois Towne,
paysagiste, plein de gniit et d'babilelc, s'eleva de la meme
maniere. Jean-Joseph h'irby, qui, vers le milieu dudernier
siecle, se dislingua par sa collection do dessins, repre-
sentanl les monuments et autres antiquitiis de Suffolk, fut
elu mcmbre de deux socictes savantcs, conmienca par etre
peintre en hatimenls. Le celebre peintre italicn Schiavini
appartenail a une famille si pauvre, qu'elle ne put aider en
rien au developpement des prodigieuses facultes de leur
enfant. Mais il travailla seul avec tant d'nrdeur, que le grand
Tilien le remarqua et lui confia la peinture du plafond de
la bibliotheque de Saint-Marc. C'cst en gravant des armoi-
ricset autiesobjetsde ce genre, apprenti chez un orfevre,
que le faineux Hogarth decouvrit le premier germe de son
talent, et Unit par se ranger au nombre des premiers ar-
tistes. William Sharp, donl tout mnnde connaitles excen-
tricites, et qui fut assurcment un des plushabiles graveurs
que TAngleterre ait jamais produits, passa plusieurs an-
neesde sa vie a graver des collections de chiens, et des
nonis sur les plaques. Robert Bead, autre graveur en re-
putation, s'occupa uniquement, dansl'origine, a graverdes
cartes de visile, et enfin, William Caxton, le celebre
fondeur en caractercs, commenca par graver des ornements
sur des canons de fusil, il panit de la et fabriqua des
lettres pour les imprimeurs. Jl. Dowyer, ayant, dit-on,
apercu par hasard quelques-uns de ses essais, fit connais-
sance avec lui, le conduisit un jour a la fonderie de Bar-
tholomeclose, et, apres quelques explications sur ce genre
d'etablissement, il lui demanda s'il se croyait capable de
tailler lui-meme des caracteres. Caxton exigea un jour de
rellexion et repondit affirmativement. M. Bowyer, ainsi
que deux de ses amis, lui avanccrent une petite sommc
wee laquelle, sans autre preambule, il commenca son
jouvel etat. Sa reputation s'accrut rapidemenl et a'un tel
point, qu'il fournil non-sculement des caracteres aux im-
primeurs anglais, qui, jusqu'alors, les avaienl tires de la
flollande, mais en expedia frequemment sur le continent.
Ces hommes, ainsi que beaucoup d'autres, ont eu d'au-
tanl plus de morite qu'il ont eu a surmonter un grand
desavantage. II a fallu rcparerle temps perdu, revenirsur
lesprincipes elementaires pour reussir dans la carriere
nouvelle qu'ils adoptaient, rompre avec des habitudes prises
depuis longtemps, etvaincre enfin la repugnance que nous
cprouvous tous a nn certain age, quand il s'agit de se sou-
mettre a la discipline d'un apprentissage.
(Juoi qu'il en soit, nous voyons que la perseverance et
e desir tres-louable d'arriver au but les a soutenus dans
ia lutie et les a fait Iriompher. Ainsi, Olivier Cromwell,
celebrile d'un autre genre, qui ne livra jamais une la-
taille sans la gagner, avait plus de quarante-deux ans lors-
qu il parul ii larmec. L'immortcl Blake, son conlemporain
DANS LA JEUNESSE.
177
( ne la meme annee que lui ), qui passo pour le fondaleur
du systeme de tactique adopte depuis par les armees
navales, et qui osa le premier attaqucr une batterie avec
des vaisseaux, n'aVait jamais ete sur mer avant I'agc de
cinquante ans.
D'autres se sont faits ecoliers a un age avance et mcme
elanf vieux, pour acquerir des connaissances litterairesct
scienlinques ; non intimldes par les nombreux obstacles a
surmonter, ilsont poursuivi courageusementleurstravaux,
impatientsdejouir de I'education dont ils etaient prives,
soil par des circonstances parliculieres, soit parleur propro
negligence. La vie de I'homme est courte assurement, et
si la paresse I'entraine dans ses jeuncs annees, il en gas-
pille une intmense et effrayante portion. Voici done le ve-
ritable moyen dereparer les pertes etde multiplier le peu
de jours qui nous restent. Nous faisons cepeiiJant une dis-
tinction entre ceux qui se sont distingues par leurs con-
naissances tardives, etceuxqui ontpu .se familiariser avec
une branche nouvelle d la suite d'une education soignee et
complete. Le temps de I'homme dcvoue a la science s'e-
coule dans des rccherches el des progres continuels qui se
terminenl seulemcnl avec la vie. Par exemple, celui qui
poursuit I'etude dcs langues, est oblige de s'occuper des
regies de la grammaire jusqu'a la fin de ses jours. Sir
William Jones, ce savant prodigieux, qui ajouta a la va-
riete de ses connaissances celle de vingt-buil langues elran-
geres, etudiait encore la grammaire de plusieurs diulectes
orientaux une semaine avanl sa niorl.
Nous devons citer pour modele de perseverance et
de courage inlrqiide, Thomme qui se livre lard ,i I'etude
des langues etrangeres ; Caton le Censeur, remarquable
sous tous les rapports, nous offre une preuve eclatanle
de celle force de volonle, lorsqu'il enlrcpril, dans sa vieil-
Icsse, I'clude du grcc dont personne ne s'occupail .i Rome
a celte cpoque. Alfred le Grand, un des plus grands ca-
racteres liistoriques, nous apprend aussi lout ce que les
hommes peuvent acquerir non-seulemenl a un age avance,
mais encore lorsque I'education premiere s'est commencee
lard; Alfred, a douze ans, ignorait ses lettres. Voici I'a-
necdote interessante que Tbistoire raconte sur I'origine de
son gout pour I'etude. Un jour sa mere lui montra, ainsi
qu'd ses freres, un petit ouvrage rempli de lettres et autres
ornements colories, selon la mode du temps, qui excita
vivement I'admiralion des enfanls. La mere proniit de le
donner en recompense a celui qui saurait lire le premier.
Alfred, quoique le plus jeune, elait, a ce qu'il parait, le plus
ambitieux, il se procura un maiire, se mil serieusemenl d
ri'tude, et fut bienlot en etat de recevoir le prix que me-
ritait son travail. Cependant les guerres, les troubles du
royaume, les tonrmenls et les privations qui assaillirent
Alfred jusqu'd vingt ans, I'empechcrenl de pousser ses
eludes au deld des elements de la lilterature; les memes
• obstacles exislaient encore apres qu'il eut reconquis son
trone et pacific le pays, a cause de rextrenic difficulte a se
procurer les niallrcs necessaires. La pluparl des gens in-
slruits avaient disparu a I'epoque des derniers troubles.
Alfred nous apprend lui-meme, qu'au commencement de
son regno quelques pretres seulenient , dans le nord du
pays, savaient traduire les prieres latines de I'Eglise.
Grace dses actives rccherches et aux secours qu'il demanda
aux pays etrangers, il linil par reunir d sa cour plusieurs
hommes des plus habiles de ce siecle obscur, et voulant
metlrc a profit I'iustruclion qu'il recevait d'eui, il s'aban-
-^^^r^ 25
17S
donna au travail avoc un cnnrafc cl nno ilocililo qu'on nc
saurail troi) aJniiror. Malgrc Ics affains |)iil.lii|\ics ct scs
nombrcuscs prcoccupalioiis, malgrc la cnicUc maladie ([ui
le tourmcnlait sans ccssc, il consacrait, dil-on, loutcs scs
heures do loisir jour ct nuit a lire ou a entendre lire. Ce-
pendanl, s'il faut en croire Asscr, I'un de scs maitres,
PETITS VOYAGES
(|ui nons a laisso Jc son royal elovc line Ires-inti-ressante
l)iograiiluc, il avail ircntc-neufans passes lorsqu'il cssaya
de Iraduire du latin. Unjour, CTi causant comme d'habi-
lude avec Asser, le roi, frappe d'une citation latine faite
par son mailre, dcsira que le passage fill inscrit sur un
petit manuel religieux qii'il porlait toujours avec lui.
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
£A lOIRE, SES BOBSS ET SES SOCVEMIHS.
De Marclgny a Digoin. - De Diguiu i Blois. — Do Dlois i Saaranr.
Paysan 3es environs de Blois.
Adicn m\ roclies noiratres, aux tristes aspects, aux sau- i Ics horizons se degrgcnt, les colliues s'alaisscnt, le ciel
va"es el melancoliques grandeurs de la nature 1 Peu a peu. I sourit.
La vieille ville de Roanne n'cst pas encore bien gaie ;
on esl en plaine; la lave el le basalte n'aflligent plus le re-
gard ; mais le suufne volupteux de la Touraine ne se fait
pas encore scntir. Bientot Ics cultures deviendronl plus fe-
condes. Nous approchons du Berry, pays charmanl, i^ai
coinme la Touraine, encore un pen sauvage corame I'Au-
rergoe.
SUR LES lUVlfellKS DE I'liANCE. 170
Voif-i la Mollie-Sainl-Jean, qui n'a plus rien du carac-
tere siivere et basaltique di.'s roclics auvcrguales.
C'cst assurement un des plus beaux paysages dc France,
Ci qui exprime Men le passage d'une region austere a une
legion rianle; I'ccil se peril avec cliarme dans ccs
lointains et doux horizons qui signaleut ces voiles glis-
sant comme des cygnes, el se repelanl dans I'eau trans-
pareote.
La Moilic-Sainl-Jcon.
AvancoDs encore. Les plaincs s'clalent et se deroulent
en longs rcplis veidoyanls ; plus do coUines, encore moins
de monts cscarpes. A Nevcrs, la physionomie a tot'alement
change.
Travcrsez la ChariU, Gien, Orleant, Bemgcncy : oui,
Kcvcrs.
c'est bien Id celle fertile Touraine qui ne fournit a I'liis-
toire littcraire que des souvenirs gais et rianls, et doiit
Ics illuslralioDs soul toutes marquees de la mome enipreinle
de bonne humour joviale qui semble respirer autour des
villes de Tours et de Dlois.
C'est la patrie de Jehan de Meung, le poete satirique qui
ccrivit le Roman de la Rose; de ce plaisant Rabelais donl
il faut bien dire un mot a nos jeunes lecleurs, car c'est le
type de la Touraine elle-meme.
« II exislait, dit un ancien critique, vers le commence-
ment du seizieme siecle, un frere cordelier d'une imagina-
tion vive et d'une prodigieuse memoire, preJicateur rc-
nomme et boufl'on agreable, fortaime des gens dumonde
qu'il arausait, et tort pcu de ses confreres qu'il cffacait;
emprisonne par les moines, et protege par le pape ; bcue-
dictin apres avoir ete cordelier, medecin et chanoino apres
avoir etc henudiclin ; ahsons d'aposlasie pour avoir cgaye
les cardinaus et le saint-pere; enfin retire a Meudon, il
la, medecin de son diocese et pasleur de ses malades.
C'est alors qu'il publie le plus fou, le plus raisonnable, !•
plus grossier, le plus spirituel, le plus adroit, le plus hardl
des livres.
Quel est le vrai caractere de ce singulier ecrivain ? csl-c*
un rouiancier extravagant qui ne merile ni I'allention ni
I'cslime des hommes qui pcnsent? est-ce un philosophe
adroit qui, en se moquant de tout ce qu'on hnnorail, de
tout ce qu'on admirait de son temps, a vu qu'il n'echap-
perait a la colere du siecle qu'en se couvrant du niasf|ue
de la folic ? a-t-il ecrit pour le vulgaire eu prodiguant les
faceties obscenes et les contes licencieux? a-t-il ecrit pour
les sages en renferniant dans ses plus folles conceptions
un sens si proCond et des lefons si solides? est-ce ud pro*
180
PETITS VOYAGES
fanalnur dcs iiKKiiis ct de la religion, qui en outrage la
sainlele au lil mome dc la niorl? csl-ce iin preire d'une foi
sincere, qui rcspccle Dicu on se jouanl dcs honimes?
Ces opmions si conlraircs ti'ouvcnl de quoi s'appuyer et
se defendre dans la vie et dans les ouvrages de Rabelais.
Aussi jamais auleur ne fut-il si diverscmcnl jugc ; on le
Clois.
nxcprise, on I'aJmire; son livre est le char me de la ca-
naille, ou le mels des plus Jelicats (1).
Voltaire a parle de Rabelais avcc plus de moderation, en
btamant dans ses ecrits robscurite, I'ennui, les obscenitcs;
il convieiU qu'il y regnc de la gaiete, de I'erudilion, et
qu'on y Irouve de bonnes bistoires (-2). C'est a son avis qu'il
fauts'en lenir. Le cure de l.ieudon n'a merite ni reulliou-
siasme systematique dont on s'est anime pour ses ouvrages,
ni le superbe dtJain dont ils out cle I'objet : il y a igno-
rance ou prevention a le mupriser, commc il y a mauvaise
foi ou aveuglenjcut a I'admirer parloul.
Les opinions sont divisees sur les allusions comme sur
le merite de ce livre extraordinaire. Les uns ont pretendu
avec injustice qu'il elait inexplicable; d'autres, par im
cxces conlrairc, ont vouhi tout comjirendre et tout cxpli-
quer ; ils ont reconnu Louis XII dans Grandgousier, Fran-
cois 1" dansCargantua, Henri II dans Pautagruel, le cardi-
nal d'Aniboise ou Jean de Montlue, <m Rabelais lui-nieme
dans I'anurge. Sans cbcrcber quels nonis augustos sont ca-
c'ucs sous ccux des personnages de Rabelais, au moins rc-
connait-on a tout iuslani la peinturc et la satire des nioeurs,
des habitudes, des institutions, des ridicules de son siecle.
C'esI ainsi, par excinple, que, dans le livre troisieme, il se
roillc eviilcmnieut de I'obseure legislation de son temps,
et du fatras pedantesque dont Accurse et Alcial I'avaient
cliargce. L'ordonuance de 1o59 n'avait pu corriger tons les
abus; il restait encore une anqile maliere a la satire.
Les pedants trouverent moyen de faire censurerle livre
de Rabelais; nuns devons ajoutcr qu'ils le firent aussi
conilamjier par le parleraenl. On s'en etonnera pen quand
on aura lu le jugcnicnt du juge Bridoye, nlequel sen-
Lenciait les proces au sort des des» (1. Ill, c. 59, 40 et
suivants ).
Le parlemeut est assemble, el demande compte au juge
bridoye d'une sentence qui a paru injuste. Bridoye ne re-
pond rieii autre ehose, sinon qui! est \ ieux et qu'il n'a plus
a vue aussi bonne qu'aulrcfois ; il ne distingue plus bicn
(tj La Braytrc.
(2) MclaiiBCS liil^raires.
le point dcs des, el probaWement, s'il a laiUi en cette oc-
casion, c'est qu'il aura pris un i pour un 3 ; or les imper-
fections du corps et les calamites de la vieillesse n'ont ja-
mais ete iraputees a crime ; ce serait condamner la nature
plulot que rhonime. — « Mais de quels des parlez-vous7
demande le president 3e la cour. — Des des du jugement,
repond I'accuse, dont se servent tons les aulres juges dans
la decision dcs proces, dont vous vous servcz vous-memes,
messieurs, en cettc cour souveraine. — Et comment vous
en servez-vous, mon ami? reprend le president. — Comme
vous, inessicurs, repond Bridoye. Apres avoir bien vu,
revu, lu, relu, paperasse, feuillete des complaintes,
ajournemenls, comparutions, commissions, informations,
productions, allegations, contredits, requetcs, enquetes,
repliques, dupliques, tripliques,reprnehes, griefs, rccolc-
nients, libelles, apostoles, Icttres royaux , compulsoires,
declinatoires, antieipatoires, etc., cIc, je pose sur un bout
de ma table les papiers du defendeur, ct je roule les dcs
pour hii, comme vous ave: coulume de faire, messieurs.
Ensuite je pose a I'autre bout tous les papiers du deman-
deur, el je roule les des pour lui. — Mais, nvm ami, dit le
president, d quoi connaissez-vous I'obscurite des droits sou-
tcnus par les parties? — Comme vous aulres, messieurs,
au grand nombre des papiers deposes sur la table. — Et
comment jugez-vous? — Comme vous aulres, messieurs,
en faveur de celui que la chance favorise. — Mais, dit le
president, puisque vous prononcez vos jugements d'apres
le de, pourquoi ne roulez-vous pas a I'beure mcme que les
parties comparaissent devant vous? Pourquoi ces papiers,
ces ecritures, ces procedures? Quelle utilite y Irouvez-
vous? — Deux avantages, repond Eridoye. D'abord la forme,
dont remission suffit pour annulcr ce qu'on a fait. Sccon-
dcnient, j'y Ironve, comme vous, messieurs, un exercice
lionnete et salutaire. Un grand niedecin disait que le del'aut
d'exercice abrege la vie; et je crois, comme vous aulres,
messieurs, que c'est un excellent moyen de la prolnngcr.
que vider des sacs, feuilleter des papiers, coter des ca-
hiers, etc. »
lei Bridoye raconte I'liisloire d'ua bon labouroiir, nomma
SUR LES niVlERES UE FRANCE.
181
Perrin Dandin, homme honorable, chanlanl bien au lutrin,
el surtout si conciliant, qu'il arianseait plus de proces
qu'on n'en plaidait dans tout Poitiers. 11 les prenait sur leur
fin, bien niiirs et bicn digeres. Alors les plaideurs elaient
au bout dc leurs plaiuoirics ; leuis bourses elaient vides ;
il ne leur manquait nlus qu'un medialeur qui sauval cha-
cun de la honle c^ ^Jer Ic premier : Dandin se trouvait
Id a propos, et il It^aUgeait raffairc; c'elait la tout son
hour et toute sa lorlune. — « Voila pourquoi, messieurs,
ajoute Bridnye, je temporise, attendant la malurite des pro-
ces ct la perfection de toutcs leurs parlies. Un proces a sa
naissance est une bete sans mcmbrcs ct sans vigueur. Les
sergents, les huissiers, les appariteurs, les procurcurs, les
conimissaires, les avocats, les tabellions, les notaires, les
grefQers et les juges, sucant bien fort ct continuellement
la bourse des plaideurs, dunnent au proces tete , pieds,
griffes, bees, dents, mains, veines, arleres, Dcrfs, muscles
et humeurs; les voila tout formes. »
Le discours de Bridoye, que nous sommes force d'abre-
ger, est seme de citations Ires-plaisantes, selon la manie
du temps : il accumule les auloritcs, a propos de I'idee la
plus frivole; son discours est double par la seule indica-
tion des auleurs donl il s'appuie. I'antagrucI, presse pap
les juges de vouloir bien prononcer en leur place, absout
Bridoye, en faveur de tanl d'equitables sciilences qu'il a
rendues auparavant, et « sur ce qu'il y a, dit-il, je ne sais
quoi de Dieu qui a lait que pendant quaranlc ans ces juge-
menls par les des aient etc si justes, que la cour n'y ait
Irouve rien a dire, n
On imagine avec quel empressement le parlement saisit
I'occasion de condamner un livre oil il elait traitii avec taut
d'irreverence, Dans un autre endroit du mcnie ouvrage, il
est peint de couleurs encore plus fortes, sous le nom de la
lapinaudiere des chats fourres, oil Panurge est oblige de
lais.ser sa bourse. Tous ces passages ne sont rien moins
qu'obscurs : la satire y est vive, gaie, et quelquefois san-
glante ; rajeunie par le style, elle plait encore aujourd'bui.
On a reconnu dans le bon juge Bridoye le modele de ce
Brydoison qui a tant egaye notre scene. L'on retrouve
aussi plusieurs trails des Plaideurs de Racine, le nom de
son beros, Perrin Dandin; cctte enumeration de M. Chi-
caneau :
. . . . Je produis, je fournis,
Dc dits, de contredits, cikjucIcs, compulsoires.
Rapports d'expcrts, transports, trois inlcrlocutoires,
Griefs ct fails nouveaux, Laux el proci-s-verbaux,
J'obliens lellres royaux, el je m'inscris en faux.
Quatorze appoinlemcnls, trentc exploits, six instances,
Six vingls pioduclions, vingt arrets de defense.
Arret enfin,
Dans le livre qualrieme, chapitre seize, Rabelais dit en-
core en parlant d'un buissicr, o quo si en tout le territoire
n'ctaient que trente coups de baton ii gagner, il en em-
boursait toujours vingt-huit ct demi. » Racine n'a fait que
mcttre cette phrase en vers. Ainsi I'un des plus beaux ge-
nies du dix-seplieme siecle ne rougissait pas d'emprunter
a Rabelais des idees et des expressions dont il desesperait
dVgalcr la naivete originale.
Les savants ne sont pas mieux traites dans son livre
que les inlerprcles de la justice. Frere Jean des Entom-
meures, le fidele portrait des erudits de ce temps-la, se
disculpe ainsi de son ignorance : « Notre feu abbe disait
que c'est chose monslrueuse que voir un moine savant. Eh !
mon Dieu, mon ami, Magis magnos ckricos, non sunt
mag is magnos sapicntes ! »
Veut-on avoir une juste idee de I'cloquence savantc de
ce Icmps-la, qu'on Use la harangue dc Janotus de Drag-
mardo pour rcdemander a Gargantua les cloches de Kotre-
Dame (I. I, c. 19) ; on y verra rcpresentc au naturel le style
bizarre des docteurs de I'ecole, I'ignoraiice des facultcs,
la manie barbare d'cntremeler incessaniment le latin au
francais. Surtout Rabelais n'avait garde d'oublier un im-
portant accessoire des harangues du temps; Janotus a soin
de tousser a son debut, pour imiter le fameux predicateur
Olivier Maillard, qui en usait de la sorte aux principales
divisions de ses sermons; il marquait d'avance les cndroits
oil il avail dessein de tousser, et ecrivait (Item, kcm) cntre
parentheses.
On commence a connaitre la maniere de Rabelais : ses
houffonneries couvrent toujours quelque idee satiriquo;
plus on s'instruit des ridicules du temps, plus on le Irouve
spirituel et coniique. Sa critique n'a menage personne;
toutes les erreurs et loutes les folies ont leur place dans
son livre ; il les poursuit en se jouant, ct ses attcintes n'en
sont pas moins profondes. L'ile des Lanternes est I'image
du concile de Trente, ou, comme dans tous les autres, on
ne faisail que ianlerncr. La description de l'ile Sonnante
offre aussi plus d'une allusion maligne. Mais ce qu'on n'a
jamais dit de plus fort sur la cour de Rome, ce sont les
plaisanteries sur les sacro-sainles decrctales des p»pes.
Son audace a blamer ce qu'il y avait alors de plus revere
.suppose un grand courage, a une cpoque oii les tortures et
les biichers menacaient la moindre pensee nouvelle.
N'oublions pas les services qu'ils a rcndus a la langue
francaise. Dans un temps oii les lettres latines renaissaient
de tous cotes, ou l'on croyait enrichir notre idiome en le
chargeant de mots et de tours cmpruntcs a cette langue
ancienne ; dans un temps oii l'on parlait de I'analogie po-
iissime, oil l'on translatait les psalmes, ou l'on voulait que
la verlu du Tres-Ilaut olombrdt le juste; dans un temps o»
Ronsard. en voulant agrandir le genie dc notre langue, la
denaturait bizarrement, et trouvait cependant partout des
applaudissenients et des eloges, Rabelais osa s'opposcr a
ces imprudents novateurs; il se servit contrc eux de son
arme ordinaire, le ridicule. Dans le chapitre six de son
deuxieme livre, il inlroJuit certain ecoiier limousin, dont
le baragouin est tout a fait risible. Pantagruel lui dcmande
d'oi'i il vicnt; I'ecolicr repond : a De Valine, inclyle el
cclebre academic qu'on vocile Lutece. — Et a quoy passez-
vous le temps , vous autres messieurs cstiidiens audict
Paris? — Respondit I'escolier : Kous transfrelons la se-
quane au dilucule ct crcpuscule; nous deambulons par
les compiles et quadrivcs dc I'urbe, etc. »
Rabelais n'a-t-il jamais ecrit que dans ce style enjoue
dont son nom reveille aujourd'bui I'idee? L'on pourrait le
ci'oire, ii juger de son talent par les seuls passages qu'on a
coutume d'en ciler, ct par Texanien que les rheteurs ont
fait de son ouvrage. On change d'avis en lisanl deux dis-
cours rapportcs aux chapilres vingt-neuf et trente et un du
premier livre. L'un est une Ictlre de Graiidgousier ii Gar-
gantua pour le rappcler aupres de lui, lorsque Picrochole,
son ancicn allic, vent s'cmparer de son royaume. L'autre
est une harangue de Gallet, ambassadeur de Grandgousicr,
a Picrochole. ^'ous citcrons ce dernierniorceau, en y chan-
geant quelques vieux mots, mais en respectant partout la
pensee ct le mouvement du style.
182
PETITS VOYAGES SUn LES niVlEUES DE FHANCE.
narangue dc Gallel d Picrochole.
« La plus sensible douleur qu'on puisse epnmver osl do
rcccvoir deplaisir ct domnugo d'oii Ton altcndait bicnvoil-
lanco et faveur. Cost un coup si cruel, tpic plus d'mi homine
y a sucoombc, ct s'cst privc dans son desespoir dune vie
ilesormais insupporlablc.
« 11 n'csl done pas etonn.inl quo nion maitiT, ii la nou-
velle de ton injustc agression, nil sciili sou roeur s'emou-
voir et sa raison se Irouldcr. II sorait plus clonnant sans
doule que le ravage de scs cliamps et Ic meurtre de scs
sujels ne lui eussent coute aucun regret. Tu sais jusqu'ou
tcs soldats ont pousse la barbaric : il ne fallait, pour dc-
chirer le coeur de mon maitre, que I'amour qu'il porte ii
son pcuple. Mais que lu sois I'auteur de cet outrage, toi
dont les ancctres ctaicnt si ctroitement unis d'amitie avec
les siens, toi qui as rcnouvelc avec lui cette immortelle
alliance, qui si longlemps I'as regardee comme sacree, qui
I'as renJue si respectable aux nations, qu'il Icur seniblait
plus difQcile de la rompre que d'clever les abimes au-
dessus des nuagcs, et que jamais dies n'ont ostS dans leurs
guerrieres entreprises, to provo(pier de peur de mon roi,
ni mon roi de peur de toi : c'est ce qui lui rend ce malhcur
plus intolerable ct plus cruel.
« 11 y a plus. La renommce de cette amitie sainle s'est
lellement repandue sous le cicl, qu'il est pen d'hommes
dans le monde qui n'aient eu Tambilion d'y etrc associes,
aux conditions iniposecs par vous-mcmes; ils estimaient
autant votre alliance que la possession de leurs terres. En
sorte que, de toute memnire, jamais prince superbe, jamais
ligue audacieuse n'osa cnvaliir vos terres ni celles de vos
allies, et si, par imprudence, on voulut jamais porter at-
teinte a leur siirete, il Icur a sufli de dire ([u'ils ctaicnt vos
amis ; le nom et le tilre de voire alliance ont fait tomber
les armes qui les menacaient. Quelle fureur vous transporte
done aujourd'hui, de briscr le lien qui vous unit a nous,
do'fouler au.x picds nofrc amili?, d'oublier tons les droits,
et d'altaqucr un pcuple qui n'a ricn fait conire vous (1 )? Oii
est la lui ? Oil est la raison '? Ou est I'lnimanite ? Oil est la
crainio de Dicu? Crois-lu que ces outrages soienl caches
aux esprils clernels, et au Dieu souverain, qui est le juste
retriliulcur de nos entreprises? Si Ui Ic crois, tu te trompes,
car toutes cboscs viendront a son jugemcnt. Est-ce I'arrct
des dcsliuces ou la falale inllucnce des aslres qui mettent
un tcrmc a ton repns et a tes prospcrites ! .\h!sans doutc,
toutes clioses ont leur periode et Icur fin : quand elles ar-
rivent au supreme degre de leur elevation, elles manquent
bieulot par le bas; c'est un ctat ou elles ne peuvent long-
tem|is demeurer. Ainsi tombcnt ceux qui n'ont pas su regler
leurs prospcrites et leur fortune.
« Mais si Icl elait Tarrct du sort, si la (In de ta felicite
ctait marquee, fallail-il qu'elle entrainat avec elle celle de
mon rni ,-i qui tu la dcvais? Si ta maison devait tomber en
ruine, fallait-il qu'elle ccrasat de sa chute Ic palais de celui
qui I'avait ornce? Cette idee est tcUement hors des bornes
dc la raison, tellement conlrairc au sens cominun, qu'a
peine pcut-elle elre concue dc rcnlendcmcnt bumain : les
eirangcrs ne la croirout pas, jusqu'a ce que I'effet trop cer-
tain leur apprenne que rien n'esl saint ni sacre a ceu.x qui
se sont al'lrancbis de Dicu el de la raison , pour suivre leurs
aveugles caprices et leurs passions perverses.
« Si nous t'avions attaquc dans tes possessions ou dans
tes sujels, si nous avions favorise ceux que tu repoussais
de ta laveur, si nous t'avions refuse du secours dans tes
perils, si nous avions blesse ton nom ou ton honneur, ou,
pour niieux dire (car nous sommes incapables de ces exces),
si I'esprit calomniateur, te jouant de ses trompeuses inspi-
rations, cut mis en ton esprit que nous avions fait quelque
chose d'indigne de notre ancienne amitie, tu devais d'abord
t'assurer de la verite, et puis en demander la reparation.
Pile lie CliMl-.Mii
Nous cusslons satisfail a ton juste ressentiment, tu aurais
ete content de nous. Mais, grand Dieu ! quelle est ton en-
treprise! voudrais-tu, en iiijusle conqucrant, et en tyran
perfidc, piUor ct decliircr le royaume de mon niailre?
L'as-tu connu si l.iclie qu'il n'ose te rcsister?Le crois-tusi
depourvu d'hommes et d'argent, si donue de prudence et
, ()) Rabelais dit plus Sncrgiqaenicnt dans son vicnx langage: a Quelle
furii: iloncques fcsuieut mainlcnanl, tome alliance briscc, loulc amilie
toDculcquOc, lout droict irespassr,cnv3liiiiiosiilcracni,cic. »
de talent, qu'il ne puisse repousser ton injuste attaque?
Sors promptement de scs terres, et ((ue dAnain le jour ne
tevoic ]ilus dans ses Etats : que ses sujels surtout ne souf-
frent pasde ta rclraite; quemille bezanls d'or (2)payont le
(2) Besmit ou iezani, monnaie (Tor tin, frappte d'abord sous les empe-
rcuis grccs, h Coiisianlinoplc, appclce Bijzaiice, d'oii ccue monnaie a pri3
son noin. Les ic^oii/scurenl tours en France dans les douzitnic citceUiemii
slt'cles. 11 seraii assez difUcile dc delcrniiner avec precision leur valeor,
I'n passage dc Joiuvillescmble lu fixer i dixsous lournois.
BF.n ISH
MbSFU\',
7 AL'G 20
HISTORY.
CORHRIuL!!:
LES ILLUSTBES FRA^'(;AIS.
183
rav.ije de scs terrcs; que la moilic soil acquillde demain,
ct I'aulrc moilie aux ides de mai protliain ; enOn que jus-
qiic-li d'illiistrcs otagcs nous repondcnt dc ta fidi'lile. »
On voil que ce plaisantTouranseau n'elait di'iiuc ni de
forte raison ni de maligne gaiele. C'csl, en gOneral, le ca-
raclere des habitants et du pays. Apres avoir quitle Tours
ct depasse la Tile de Cinq-Mars qui rappelle des souvenirs
si tristes et si sauglanls, en s'avancanl du cote de I'Anjaii,
vers Saumur, les rives de ce beau llcuvc prendrorit unc
pbysionomie moins frivole ct tnoins gaie, mais encore ra-
vissanlc de crace et de bcaute.
LES ILLUSTRES FRANCAIS,
PIEBRE COHNXII.LZ:.
Kfi tE 16 JCIM (606, aOBT IE i" OCIOEJIE 1681.
La vie de ce grand homme est aussi simple que son
genie lut eleve.
Fils d'un avocat general a la (able de marbre (eaux ct
forels) de Normandie, et de Marguerite le Pcsant, Cllc d'un
niailre des comptcs, ce fondateur de notre tliealre vijciit
dans son cabinet, travaillant pour la gloire. 11 avail suc-
ccde a son pere dans sa charge. Ses moeurs cfaient simples;
son exterieur avait pen dc grace; sa parole etait comme
embarrassee par le poids de la meditation ; el il le scnlail
lui-meme. '
J'aila plume feconileetla bouclie sifrile;
Bon galanl au lliiiatre et fort mauvjis en ville;
Et I'on pcul rarement m'ecoutcr sans ennui,
Que quand jc me produis par la boutlic d'autrui.
Le grand Conde disait : — « II ne faut rentendrc qn'd
riiolel de Bourgogne. »
Corneille ne se monlrait pas dans les salons, et ne Lri-
guuit pas les suffrages et la protection des femmes. C'elait
un homme d'etnde et de travail, de pensee profonde et se-
vere. Toule son existence se concentre dans la creation de
noire theatre.
Corneillo avait donne le Menleur en 1642, seize ans
avant que Molierc debulat a Paris (1638) par la comedie
de I'tlourdi. II avait donne le Cid trento ct un ans avanl
que Racine fit jouer Andromaque. Un intervalle de vingl-
deux ans separe le chef-d'oeuvre le Menleur du Tarlufe,
premier chcf-d'(cuvre qu'ait donne Moliere. Voild ce qu'il
ne faut point" oublier.
» Corneille, dit un excellent critique modcrne, dcbula
par Slelile, o« les Fausses Clefs, comedie en cinq acles et
en vers. II n'avait alors que dix-neuf ans. Une intrigue
dont il I'm le heros lui donna I'idee de sa piece. Alexandre
Hardy, le plus fecond de nos anciens auteurs dramatiqucs,
clail associe avcc les comediens, et disait, en reccvant sa
pa rl des rccetles de ilelile : — uC'est une assez jolie farce. »
Le succes fut si grand, qu'il donna lieu a retablissement
rt'une nouvelle troupe. Clilandre, ou VInnocence delhree,
Iragi-comedie jouce en 1652, fut, en France, la premiere
piece dans la regie de vingt-quatrc heurcs. Mais I'unilc
d'action y est remplacee par unc profusion d'avcnturcs ct
d'incidents. On voil dans le premier acte une Dorise, Irop
offcnsee des libres discours dePymante, lirer une aiguille
de ses chcveux, crever un ceil du galant et s'enfuir. Alors
Pyniante, desole, apostrophe I'aiguille dans un long mono-
logue, et lui adrcsse de si subliles plaintcs, que de la, dil-
on, est veiui le proverbe : Discourir sur lapoinle d'une
aiguille.
Le theatre alors etait beaucoup trop libre...
Ce fut Corneille, le premier, qui epura les mceurs de la
scene fraucaise, comme, le premier, il en crea I'art el les
lois.
Le Iroisieme ouvrage de Corneille, joue en 1651, a pour
litre : la Veuve, ou le Traiire puni. Cette comedie n'est pas
plus reguliere que Melile el Clilandre. L'action dure
cinq jours. On y remarque I'abscnce des aparte, et Cor-
neille avoue dans sa preface son aversion pour ccs mots
ouecs phrases que le spectateur doit entendre dans loute la
salle, el qui ne doivent pas elreentendus, sur la scene, des
personnages avec lesquels on s'enlrelient.
Ces trois premieres pieces de Pierre Corneille, depuis
lougtemps tombees dans un jusle oubli, eurenl un si grand
succes, que Mairet, auteur de Sophonisbe, ecrivait au jeune
debutant :
Rare ccrivain de notrc France,
Qui, le premier des beaux csprils,
As fait revivre en tes ecrils
L'esprit de Plaule et do Terence.
Ces vers font suffisamment connaltre la revolution que
Corneille commencait a faire dans la barbarie de notre
scene comique.
La memo annee 1634, fut representee, avec un grand
succes, laGalerie da Palais, ourAmi rival. L'aclion, dans
les cinq acles, dure encore cinq jours. Mais Corneille, par
une heureuse innovation, subslilua le personnage de sui-
vante a celui de I'elcrnelle nourrice du theatre antique,
role qui etait ordinaircmcnl joue a Paris par un homme
habille en fcmnie. La cinquieme piece de Corneille, moins
irreguliere que lesautres, est encore une comedie qui a
pour litre : la Suivanle (1054 ). L' auteur remarque lui-
memc qu'il s'est assujelti a rendre les cinq acles tellemenl
egaux en quanlite d'alexandrins, qu'ils n'en out ni plus
ni moins chacun que le meme nombre.
Une sixicme comedie, la Place-Royale,io\iee en 1655,
cut un succes prodigieux qu'ou ne pourrait expliquer au-
jourd'hui, si on ne comparait cette piece a ce que la scene
comique avait alors de plus remarquable dans ses informes.
Mais les dames se plaignirenl yivemcnl d'avoir etc trop
niallraitees dans la Place-Royale par Corneille, qui, dans
sa dedicacea Gaston, due d'Orlcaus, disait : « Je les prie
de SD souvenir que, par d'autrespoemes, j'ai as.sez releve
leur gloire et soutenu leur pouvoir pour effacer les inau-
vaiscs idecs que celui-ci leurpourra faire concevoir de
mon esprit. »
11 avait donne, dans I'espace de neuf ans, sis comedies,
tonics en cinq acles et en vers, lorsqu'en 1656, il aborda
la scene tragique el Dt jouer Mcdee, dont un scul mot est
restc celebre ;
Centre tant dc rcvers que vous rcste-t-U ?
Moi.
Dans cette piece se trouvent beaucoup de vers Iradiiits
ou imites de la Mcdee de Seneque. Dcja I'auteur s'eleve
181
beaucoup aii-Jessiis des aulours tiagiques sps coiilcmpo-
rains; mais le graiid Conicilk' ne sp rcvele (loiiit encore
La mcme annec 1C56, I'ul joiiec son lUusion comiquc,
Comedie en cinq acles ft en vers. Ccllc piece reussil mnl-
gre ses irregulariles. Le role de Malamore est devenu de-
puis caraclerislique et sertii di'signcr lefaux brave. II est
bon de faire connailrc (pad clait alors le gout dominant
poilr le merveilleu.iL le plus grotesque. Le capilan se van-
tail d'avoir abatlu d'un souflle le sofi de Perse et le Grand
Mogol, et nieme d'avoir un jour singuliercment rclardc le
lever du soleil, parce qu'on ne trouvait point I'Aurore,
attendu qu'clle elait couclice avec ce nouvel tndymion.
Plus severe pour lui-meme que ne I'etait le public, Cor-
ncille avoue, dans Tcxamen qu'il fait de sa comedie, que
c'est « une galantcrie extravagante qui nc nieiite pas d'etre
consideree. »
TMle est la premiere cpoque de Corneillo. On le voit
emporte par une impulsion secrete et aveugle. 11 clicrclie
encore sa force et la demande a des tatonnements incer-
tains et obscurs. II none I'intrigue et complique les evene-
menls ; ildevine la beaiile descaracteres bien approfondis,
el il les exagere ; il apercoit de loin I'arl dramatique et
ne le decouvre pas encore.
Ce fut un des amis de son pere, conseiller au parlement
de Rouen, qui dirigea son genie encore errant, et lui mon-
tra la voie qu'il dovait illuslrcr. Le theatre cspagnol avail
produil des chefs-d'univre dont le Ion eleve et energique
sympalbisait avec I'ame et I'esprit de Corneille. 11 indiqua
cetle elude au jeune ecrivain, qui suivit ce conseil etecrivit
le Cid a I'imilation des Espagnols.
Le Cid paruten 163", el « il est mal aise, dil Pelisson,
r auleur contemporain, de s'imaginer avec quelle approba-
tion cclle piece fut recae de la cour et du public. On ne
pouvail se lasser de voir; on n'entendait autre chose dans
les compagnies; chacun en savait quelques parlies par
cffiur; on la faisait apprendre aux enfants, et en plusicurs
cndroils de la France, il ctait passe en provcrbe de dire :
Cela est beau coinme le Cid.
L'Espagnol Guilhem de Castro avail guide Pierre Cor-
neille. Dans sa dedicace, il dit a Mme de Comhalet, duchesse
d'Aiguillon : oCesucces a passe mes plus ambilicusesespe-
rances. »
Mais bienlot I'envic s'cvciUa. Le cardinal de Pichelicu,
qui, jusque-ld avail aime Corneille, el qui lui faisait de ses
dcniersune pension de 500 ecus, elait auleur ou collabora-
teur d'assez mauvaises tragedies. Mairel, qui avail louc
dans Corneille I'auleur comique, s'effraya du succcs d'un
rival. Le fameux Scudery, auleur do douze tragi-comcdies
deleslables, publia des Obscrvalioiis critiques sur le Cid.
Le cardinal les approuva et voulul que I'Academie fran-
caise, donl il elait le prolecteur, prononcal son jugemenl ;
Scudery le soUicila. Bois-Robcrt, lacetieux acadcmicicn et
bouffon du cardinal, pressa Corneille d'acceder aux volonles
du maitre, el Corneille repondil : « Messieurs de I'Aca-
demie peuvenl faire ce qu'il leur plaira. PuLsque vous m'e-
crivez que monseigneur serait bien aise d'cn voir lejuge-
ment, ct que cela doit divertir Son Eminence, jc n'ai rien
a dire. »
L'Academic s'assombla done le 6 juin 1657. Ellc nomma
Irois commissaires examinaleurs ; Chapclaiu, I'abbe Amablc
de Bourzcis , thijologicn controversisle el pn^dicaleur
obscur, Jean Desmarels , auleur des Viswnnaires el de
plusieurs tragi-comcdies oubliecs, de plus, conOdcnl de
LES MILLE ET I'lNE ISUItS
Ricliclieu ct son premier commis dans le departement des
affaires poeliques. Tels furent les memhres de rAcadeniic
charges de criliquer Corneille : nous dirons bienlot avec
quel succcs.
( La suite a un nutnero prochain.)
LES MILLE ET UNE WUITS
D'EUROPE ET D'AMERIQUE,
00
CnOTX DCS WElLLEtlES COKIES
ESPAGNOLS, ALLEU.4NDS, ANGLAIS, AMEBlCAlBS, ETC., ETC (1).
QDATBIEME NUIT.
COMMENT UN^FEMME PEUT tlRE PIRE QU'UN DIAaLE,
ou MEILLEURE QU'UN ANGE.
— « Les Ilaliens, s'ecria le dey, qui ont lant de vivacite
el d'imaginalion, n'ont-ils pas produil de beaux conlos? Je
voudrais connaiire un pen leur maniere et leur style.
— Voire Ilaulesse, dit Kalharlhikos, a parfailcmenl bien
juge. C'esl le peuple qui fournil I'Europe de cunles ; el nous
avons ici un ncgociant Uorenlin qui vous en dira des nou-
velles.
— Eh bien, failes-le vcnir. J'ai expcrimente I'Alleniagne
el I'Espagne. Je ne serai pas fache de Her connaissance
avec I'llalie conleuse.
— Voire volonte, Ilaulesse, sera bienlot accomplic. »
En eflet, on alia cbercher le negociant, qui n'etail pas
Ircs-frcondnitres-souple d'imaginalion, mais qui avail daiis
sa poche un pelit volume relie en maroquin, lequel vini
a son sccours : c'elaient les poesies de Machiavel. II y lut
le malinconte suivant, querinlerpretetranscrivitaussilul :
NOXTVELIiE SE I.'AnCBIDIABI.E BEIiFEGOR.
ARGUMENT.
L'archidialile Belfogor est envoye pdr Pluton en ce monde avec ToMiga-
tion de prendre fomme. II vieni, se marie; et, ne pouvani souffru' I'or-
gueit et riiumeur acarilUre de sa luoitie, il aime tiiioux reluurner egi
ciifcr que de se reracure avec elle.
On lit dans lesvicux mcmoires des annales de Florence
la relation de la vie d'un Ires-saint homme fort ccK'bie do
son temps. 11 y est dil que les visions cxlaliques qu'il avail
a la suite de ses oraisons lui permellant de conlempler
cetle foule d'hommes malheureux plonges aux enfers pour
eli-c morls dans la colere de Dieu, tons, ou du nioins pres-
que loussc plaignaienl d'etre reduilsii une si grande infoi'-
liine, uniquemcnt pour avoir pris fcmmc pendant leur vie.
Minos, Rhadamante, ct les autres juges des eulers en
elaicnt confondus de surprise, et regardaient cela comme
des calonniies envers le sexe femiuin. Ccpendant les plaiu-
(I) Yoy. numei'o 111, p. 82.
D'EeilOPE ET
tos rcdoublaienl de jour en jour; le raiiport on fut f.iil.i
Pluton, ct il fut resolu que le cas serait soumis a un niur
exanien des puissances infernalcs, qui prcndraienl !e parti
jugele meilleur, pour reconnailre si cette accusation etait
mensoiige ou verite. Toutes etant done reuuies en asscm-
blee generale, Pluton parla en ces termes :
« je sais fort bien, mes feauset bien-aimcs, quel'arran-
gement des choses celestes et les arrets du sort m'ont
devolu la possession irrevocable dc cc royaume, et que je
ne suis soumis, dans mon gouvernemeiit, ii aucune rcmon-
trance divine ou huniaine; neanmoins, comme il est pru-
dent a ceux qui peuvent tout, de reconnaitre volontaire-
menl des lois et de s'cn rapportcr plus au jugemcnt
d'autrui qu'a leurs propres idees, j'ai decide dc recevoir
vos couseils sur la maniere dont je devais me conduirc
dansune circonslance par suite de laquelle mon autorile
pourrait se trouver bafouee et avilie. Tous les hommes
qui arrivent dans mon empire prelendent que les femnics
en sont cause ; cela me parait impossible ; je crains done.
en ajoutanl foi a cette declaration, de passer pour un cruel-
mais aussi j'apprehende, en refusant d'y croire, de me
monlrerpeu severe et pen amateur de la justice. Et comme
dc ces deux torts, I'un est celui des caracteres legers, et
I'autre, celui des esprils de travers, voulant eviter ces deux
reproches et n'en rlecouvrant pas le moyen, je vous ai
convoques pour recevoir vos avis ct votre assistance, et
pour que, grace a votre sagesse, ce royaume continue de
fleurir avec gloire, comme il a fait jusqu'a present. »
Tous les princes de I'enfer jugerent le cas d'une haute
importance, ct digne d'une extreme consideration ; mais
chacun d'eux, en concluant qu'il etait necessaire de de-
couvrir la verite, diffdrail sur les moyens d'y parvenir. Les
uns voulaient qu'on envoyat en ce monde un ou plusieurs
emissaires, revetus dune forme huniuine, pour s'nssurer
par cux-mcmes de I'exactitude du fait. Plusieurs autres
pensaient que, sans lant de travail, on pourrait, par di-
vers lourments, contraindre les ames a des aveux precis.
Mais la majeure partie fut pour I'envoi d'un depute; et,
comme il ne se Irouvail personne qui se chargeat volon-
tairenient de cette entreprise, on resolut de s'cn remetlre
au sort qui tomba sur I'archidiable et ex-archange Belfe-
gor. Cefut bien a conlre-coeur qu'il recut cette mission;
mais I'ordre impericux de Pluton le contraignit de se sou-
mettre a la deliberation du conseil, et aux conventions so-
lennellcmentdeliberees, Cos clauses porlaient qu'il serait re-
mis aucommissaire infernal cent mille ducats avec lesquels il
se rendrait dans ce monde sous une forme bumaine, s'y
marierait, vivrait aupresde sa femme pendant disans; et,
au bout de ce temps, feignant de mourir, viendrait rendre
complea ses superieurs des joics et des peines du mariagc.
II fut aussi arrele que, durant ce temps, il serait sujel a
tous les chagrins ct a tous les maux auxquels sont espuses
les huraains, et que trainenl apres elles la pauvrcte, la
captivite. la maladie, ou toute autre espece d'inl'orluncs,
a moins que, par ruse ou par adresse, il n'eul Part Je s'cn
affranchir.
Belfegor, ayant done pris la commission et la bourse,
s'en vint en ce monde, et, avec une suite nombreuse de
cavaliers ct de servileurs, fit une entree brillante dans
Florence. II choisit cetle villc pour son habitation, de pre-
ference li toute autre, comme celle dans hquelle il pouvait
lemieux faire travailler usuraircment ses deniers; se fit
appeler Roderigo di Casliglia. ctloua une maison dans le
D'AMElilQUE. ■»8S
faubourg de Tous-lcs-Saints. II annonca etre parti recem-
mcnt d'Espagne, ct s'clre rendu a Alep en Syrie, oii il
avail gagne toute sa fortune ; ct que dcla it etait venu en
Italic, pour se maricr en un pays plus civilise et plus con-
forme a ses inclinations. Roderigo etait fort bel homme, et
paraissait avoir trente ans. Peu de jours lui suffirent pour
etaler toutes ses richesses, et pour manifester la douceur
et la liberalitc de ses mCBurs ; de sorte que plusieurs nobles
ciladins, riches dc Giles et pauvres d'argent, rechercherenl
a I'envie son alliance. Roderigo choisit parmi elles une
fort belle personne appelee Onesta, fille d'Amerigo Donati,
qui en avail trois aulres encore, ainsi que Irois garcons ;
tous les sept bonsa marier. Get Amerigo etait d'une tres-
noble famille et fort considere dans Florence, mais extre-
ment pauvre, eu egard an grand nombre de ses enfants.
Roderigo fit des noces magnifiques, et ne negligea rien de
ce qui, dans de semblables fetes, pent salisfaire la va-
nite ; les lois de I'enfer le soumcltaient a toutes les pas-
sions humaines. II commenca des lors a etre flatle des bon-
neurs et des poi.qies du monde, el a desirer d'etre loue
parmi les hommes; ce qui n'clait pas un petit article de
depense. De plus, il n'eut pas habile quelque temps avec
sa dame Onesta, qu'il en devint eperdument amourcux, et
la vie lui etait odiense chaque fois qu'il la vuyail Irisle ou
eprouvant le moindre desespoir.
Madame Onesla avail apporle dans la maison de Rode-
rigo, avec sa noblesse et sa beaule, un si feroce orgueil,
que celui de Lucifer n'etait rien aupres ; el Roderigo, qui
avail eprouve Pun et I'autre, jugeail celui de sa femme
bien superieur. Mais il augmenta encore avec le temps, a
mesure qu'elle s'apercut de I'amnur qu'avait pour elle son
mari ; el, des qu'elle eut vu qu'elle pouvait etre mailresse
en tout point, elle se mil a lui commander sans pitie ni
respect. Au moindre refus qu'elle eprouvail, c'etaient des
paroles injurieuscs el mordanles qui desolaicnt le pauvre
Roderigo. Neanmoins le beau-pere, Ics freres, la famille,
les devoirs du mariage, et par-dessus tout son amour,
elaient pour lui des motifs de patience. Je ne parle point
des grosses depenscs qu'il fit, pour la salisfaire, en habits
et mcubles de nouvcUe mode, qui se succedent si rapide-
nienl dans notre ville, grace a son goil et a ses habitudes
de cbangement ; la plus forte plaie faite a sa bourse fut la
dot des aulres soeurs, a laquelle il fut force de subvenir
pour avoir la paix dans la maison.
Peu de temps apres, pour se bien mcttre avecsa femme,
force lui fut d'envoyer un de ses beaux-freres dans le Le-
vant, avec une pacolille de loiles, el un autre du cole de
rOccidenl, avec des ballots de draps, el enfln d'ouvrir au
troisieme, dans Florence, ue atelier de batteurd'or; toutes
ces choses consumerenl la majeure partie de sa fortune
Outre cela, aux fetes du carnavalelde la Saint-Jean, quand
toute la ville, scion I'anlique usage, se livre aux diver-
tissements, et quand plusieurs nobles et riches ciladins
tiennent a honneur de se trailer avec magnificence, ma-
dame Onesta ne voulant pas etre au-dessous des autres,
prelendait que son Roderigo les egalat, les surpassal memo
par la sompluosite de ses feslins.
D'apres les motifs que je viens de dire, il supporlait
toutes ces choses; el, quelques facheuses qu'elles fussent,
il les auraitendureesavcc patience, si le repos de sa mai-
son avail pu s'en accommodcr, et.s'il lui avail ele possible
d'atlendre en paix que sa mine fut consommce. Mais il
etait en bulte a toute sorte de chagrins causes a la fois par
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LES MULE ET ONE NUITS
ses intolerables depcnscs et par I'insolcnle humeur de sa
fenmie. 11 n'y avail Jans sa maison valets ni servantes qui
pusscnt y lenir quclques jours seulemenl ; aussi Roderigo,
dans rinipossibilile de s'allacher aucun servileur qui prit
a Cffiur ses intirels, se voyoit-il en proie a mille et mille
embarras, II n'elait pas jusqu'aux diables memes que, sous
I'habit de domestiques, il avail amencs avec lui, qui n'ai-
massent mieux rctourner bruler en eiifer que de vivre ici-
bas sous la domination de leur maitresse.
Roderigo ctail jete dans cette vie inquiele et tumul-
tueusejet, aprcs avoir epuise ses capitaux en folios de-
penses, il commencnit a n'atlendre de rcssources que des
renlrees d'Asie et d'Occidenl. Cependant il avail toujours
bon credit ; et, ne voulant ricn diminuer de son train, il
emprunta, Dt des lettrcs de change, el nc tarda pas a etre
cote sur les tablcttes des usuriers. Sa situation etait deja
delicate, lorsqu'il arriva tout a la fois des nouvelles d'O-
rienl et d'Occidenl. Cellcs-ci portaient que I'un des IVeres
de madame Onesta avail perdu an jeu toute sa pacotille ;
celles-la, que I'autre s'en revenant sur un vaisseau charge
de marchandises, niais qui n'etait point assure, s'etail noye
avec son batiment. La connaissancc de ccs revers ne ml
pas plutot repanduc dans le public, que les crcanciers de
Roderigo se concerlerent ensemble. II jugercnt qu'il etait
mine ; mais, ne pouvant pas eclater encore parce que I'e-
chcance de lours billets n'etait pas arrivee, ils conclurent a
le faire observer delres-pres, de pcur qu'il nepritia fuile.
Roderigo, de son cote, ne voyant pas de remede a sa situa-
tion, et sachant a quelles extremites il etait soumis par la
loi de renfer, pensa serieusement a s'evader a tout prix.
Un beau matin done, il monta a cbcval, ct s'enfuit par la
porte an Pre, dont il etait vnisin. Mais on ne I'eut pas plu-
tot vu partir, qu'uue grande rumour s'eleva parmi sescrean-
ciers ; ils eurent recours a I'autorite des magistrals, ct non-
seulcmcnl la brigade des recors, mais la foule meme du
people se mil tunuiltuairement a sa poursuite, Roderigo,
qui n'elait pas a plus d'un mille de Florence, voyant le
mauvais parti qu'on se disposait a lui faire, resolut, pour
assurer sa fuite, de se jeter hors de la grande route, ct de
■ chercher fortune a Iravers champs. Les fosses ne lui per-
mettaienl pas de suivre sa route a cheval ; il prit done le
parti de s'eloigner a pied, et laissanl sa monture sur le
chemin, il Iraversa les vigncs el les roseaux dont le pays
abonde, et arriva tout auprcs de Peretola, chez un certain
Uiovan Matteo del Bricca, laboureur. II le trouva heureu-
senient qui portait a manger a ses bceufs, et se recom-
manda a lui, promcltant que s'il le sauvait des mains de
ses enncniis qui le poursuivaient pour le faire pourrir en
prison, il le rendrait riche; ilajouta qu'avant de le quitter,
il lui donnerait des preuves evidentes de son savoir-faire.
Quoique paysan, Giovan 'Matteo etait homme descns; ct
jugeant qu'il ne courail aucun risque a sauver eel ctran-
ger, il accueillit sa priere ; en consequence, il le caclia
sous un gros las de fumier qu'il avail devant sa maison, et
le couvril de roseaux et de diversos broussaiUcs qu'il avail
rassemblees pour bruler. A peine Roderigo s'ctait-il taiii
dans sa relraite, queceux qui le poursuivaient arriverenl;
ct, quelque peur qu'ils fissenl a Giovan Matteo, ils ne pu-
rcnt lui arracher I'avcu qu'il eiitvu le fugilif. Si bicn qu'ils
con linuerent leur battue; et, apres plusieurs jours de re-
cherthes inuliles, s'en relournereiit a Florence loul de-
courages.
Cependant, le peril etant passe, Giovan Matleo lira l\o-
D'EUROPE ET D'AMERIQUE.
dcrigo de son trou, et le somma de rcmplir sa parole.
« Oui, mon frere, repondit Roderigo, je t'ai ime grande
obligation ; je veux certainemcnt la reconnaitrc; et, pour
que til sois bien sur que j'en ai le pouvoir, je vais le dire
qui je suis. » Alors il lui raconta ce qu'il etait, les condi-
tions qui lui elaient iniposees en sortant de I'enfer, son
mariage ; puis il vint au moyen qu'il se proposait d'era-
ployer pour I'enrichir. o Quand lu apprcndras, lui dit-il,
que quelque femme est possedee du demon, sois sur que
c'est moi qui serai dans son corps, et qui n'en dcguerpirai
pas que tu ne viennes me chasser, ce qui le donnera oc-
casion Jo tirer des parents de grosses sommes d'argent. »
La chose ainsi convenuc, ils se separercnt. i
Pen de jours apres, le bruit courut dans Florence qu'unc
Clle de niessire Amhrogio Amcdei , qui avail epousc
Bonajuto TebalJucci, etait possedee de I'esprit malin. Les
parents nc manquerent pas de faire les remedes qui se pra-
tiquent en pareille occasion, c'est-a-dire qu'ils lui mirenl
sur le crane une multitude de medicaments, dont Roderigo
se moquait.
Ce diablc ruse, pour faire voir que le nial delajeune fille
etait une possession veritable et non point un revc de son
imagination, parlait latin el soutenait des theses de philo-
sophic. II decouvrait aussi les pechcs caches de plusieurs ;
il revcla notammenl la rapacite d'un seigneur qui, pendant
plus de quatre ans , avail pille le public ; tout cela excitait
une surprise universelle. Cependant niessire Ambrogio
n'etait point content, el, apres avoir cprouve tous les re-
medes, il commenr.ait a perdre I'esperance de guerir sa
fdio, lorsque Giovan Matteo I'alla trouver et lui proniit
la guerison de la jeune personne, s'il voulait lui donner
cinq cents Horins pour acheter une fermea Peretola. Messire
Ambrogio accepla le marche.
Alors Giovan Matteo commenca par faire pratiquer di-
verses ceremonies, pour rembellissement de la chose ; puis
il s'approcha de I'oreille de la jeune fllle, et dit : « Rode-
rigo, je suis venu te trouver pour que lu acquitles la pro-
messe. » A quoi Roderigo repondit ; « Volontiers, mais ceci
ne suflira pas pour I'enrichir ; lors done que j'aurai deloge
d'ici, j'cnlrcrai dans le corps de la fille de Charles, roi de
Naples, elje n'en sortirai qu'a la voix. Alors tu te feras
donner quelle recompense tu voudras, elje ne me mettrai
plus en peine de les affaires. »
Cela dit, il decampadu corps deJa demoiselle, au grand
plaisir el a I'extreme admiration de tout Florence.
II ne s'elait pas ecoule beaucoup de lemps, lorsque I'l-
talie retentit lout entiere du bruit de I'accidcnt survenu a
la fille du roi Charles.
Alors le roi, a qui on vint a parler de Giovan Matteo,
I'envoya chercher. Arrive a Naples, ce!ui-ci couvranl son
jeu de quelques simagrees, gueril radicalemenl la prin-
cesse. Mais Roderigo, avant de s'echapper, lui dit ; a Tu
le vols, 'Giovan Matteo, j'ai rempli la promesse que j'a-
vais faite de I'enrichir; ainsi, sans ingratitude, me voili
degage covers loi. Je te recommande doncde ne idus me
conjurer a I'avcnir; car, autant je t'ai fait de bien, autant
je te ferais de mal. »
Giovan Matteo s'en retourna Ires-riche a Florence; il
avail eu du roi |dus de cinquante mille ducats, dont il se
proposait bien de jouir paisiblcment, ne croyanl pas que
Roderigo voulul jamais realiser ses menaces. Mais ses pen-
sees furent troublecs tout a coup par la nouvelle qui arriva,
qu'une fille de Louis VII, roi de France, etail possedee au
SCENES DE VOYAGES ItECENTS.
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plus haul degre. Cettc nouvellc jcta im grand desonlre
dans I'espnt de Giovan Malleo, lorsqii'il vint ii pcnser a
I'autorile de ce roi, ct aux paroles que Rodcrlgo lui avail
dites.
Cependantle roi, ne trouvant point de remcde au mal dc
sa rdle, et enlendant parler de I'linbilete de Giovan Malleo,
lul envoya d'aLord un de scs couiriers pour le supplier de
venir; mais il allogua quclques enipechements; de sorlc
que le roi fut conlraint de s'adresser a la seigneurie, qui
forca Giovan Malleo d'obeir. Celui-ci, tout desolc, se rcn-
dit a Paris. 11 dit au roi que, parce qu'il avail cu le talent
de guerir quclques demoniaques, ce n'elait pas une raison
pour que son art parvint a les guerir toutes, et qu'il se
trouvail des diablcs de si maligne nature, qu'ils ne crai-
gnaient ni menaces, ni enchanlemenls, ni religion quel-
conque; que cependanl il allail faire de son micux, mais
que, s'il ne reussissait pas, il en demandait pardon d'a-
vanee. Le roi, trouble a ce discours, declara que, s'il ne
guerissait pas sa DUe, il s'en repenlirait. Ce discours causa
i Giovan Malleo une profonde douleur.
Cependantil fit bonne contenance, nrdonna qu'on liii
amenat la malade, et, s'elanl approchii de son oreille, se
recommanda humblement a Boderigo, lui rappclaiit le ser-
vice qu'il lui avail rendu, et lui faisantsenlir quelle ingrati-
tude il y aurait a lui de I'abandonner en celle extremile.
Mais Roderigo repondit :
« Eh I vilain traltre, as-tu bien I'audace de venir m'im-
portuner encore? crois-tu pouvoir te vanter d'etre cn-
richi par moi? Je veux te prouver, ct prouver a tout le
nionde, que je sais donner et reprendre scion qu'il me plait ;
svantquetu sorlcs d'ici,mon desirestde te faire pendre. »
Le pauvre Matlco, nevoyant pour I'heureaucun remedo,
imsgina d'cprouver sa forlune par une autre voie ; il Ct
relirer la malade, et dit au roi ; « Sire, ainsi que je vous le
disais, il y a des esprils d'une telle malignile, qu'il est
impossible d'en lirer bon parli, et celui-ci est du nombre ;
toutefois je veux faire une derniere experience qui, si elle
reussit, donnera contenlement a Voire Majeslc ct a raoi. Si
elle echoue, 6 roi I je suis en ton pouvoir, el tu eprouvcras
pour moi la pitie que merite mon innocence. Tii vas faire
conslruire sur la place Notre-Dame un immense ampbi-
thealre capable de contenir les barons, et tout le clerge de
celle ville; tu le feras tapisser de drap de sole et d'or; je
veux que, dimanche matin, tu t'y rendes avec tcs princes
et les barons, dans tout I'eclat de la pompe royalc; la, tu
feras venir la demoniaque.
« Je veux, outre cela, que, sur un coin dc la place, so
tiennent vingt personnes au moins avee des trompelles,
des cors, des tambours, des corncmuses, des cymbales, des
tambours de basque et autres instruments bruyanls, ct
qu'au signal que je ferai avec mon chapcau, lous ces gens
s'avancent a la fois vers ramphillie.itre en donnant de leurs
instruments. Je crois que ces choses, reunics a quclques
secretes operations, parviendront ,i faire deloger I'esnrit
obstiiie. »
Le roi donna des ordres en consequence ; et, le diman-
che matin, I'echafaud elant rempli de personnages emi-
nenls, et la place couverle de peuple, la malade fut amenee
au balcon par deux eveques et un grand nombre de sei-
gneurs.
Boderigo, a Taspect de toule celle foule et de tout eel
appareil, demeura slupefait, et dit en lui-meme : « A quoi
donca pense eel imbecile de paysan?croit-ilm'epouvantcr
par une telle pompe? ne sait-il done pas que les splendeurs
du ciel et les furies de renfer me sont des spectacles fa-
miliors? Jelechalieraide la bonne manierc. » Alors Giovan
Matlco s'approcba de lui, ct rennuvela ses instances pour
le faire sorlir; mais Roderigo ri'pondit : « Vraiment, m
as fait la une belle besogne! Que penses-tu done obtenir
avec cet appareil ? crois-tu fuir par la ma puissance et la
colere du roi ? Vilain drole, je le ferai pendre, sois-en sur. »
Le paysan rcpeta ses instances, ct le diable ses invectives ;
de sorlc que Giovan Malleo vit qu'il n'y avail pas de temps
a perdre ; il fit un signe avec le chapcau ; soudain toute la
troupe demeuree dans un coin dc la place donna des in-
struments et s'avanca vers I'echafaud avec un tintamarro
epouvantable. A ce bruit, Roderigo drcssa les oreilles, et,
tout surpris, ne sachant ce que c'jtait, il demanda a Gio-
van Matteo la cause d'un tel tumulle. Alors celui-ci, tout
trouble, repliqua : « llclas ! mon cher Roderigo , c'est ta
femme qui vient te retrouvcr. » Je laisse a penser quelle
terreur eprouva Roderigo en enlendant prononcer ainsi lo
nora de sa moitie. Celle terreur fut si forte, que, sans pen-
ser s'il elait possible ou raisonnahle de croire qu'en effet ce
fill la dame elle-meme, sans proferer une parole, il s'enfuit
tout effrayc, laissant libre la jeune princesse, et il aima
micux relourner en enfer, rendre compte de sa mission,
que de subir encore, avec tant de degouts, de chagrins et
de perils, un joug aussi pesant que celui du mariage avec
une femme reveche et acarialre. »
— C'est un pen salirique et meme un peu cynique, dit
le dey d'Alger ; mais c'est bien la le caracleie subtilement
raiUeur de voire nation. Qu'on renvoie ce lecteur dans son
pays, et qu'on lui donne une piece d'eloffe pour sa femme.
{La suite auprochain numero.)
SCENES, RECITS, AVENTURES,
CAPTURE D'UN NftlRIER.
(1843.)
Ce matin, 4 1'aube du jour, me trouvant pour la scconde
fois devant Fayo, et de retour a Guilimane, la vigie du
haul du mat de hune apercut un navire sur la cole des-
sous le vent a quclque distance el a peine visible. Nean-
moins la localile elant regardee comnie suspecle, I'ordre
All donne de chercher a I'alorder. Le vent elait faible, et
devenant plus faible encore a neuf bcures apres midi, les
canots furent mis en mouvemeni, el en quclques minutes
le grand bateau el Ic petit, elant equipes et armes, se di-
rigerent dans la direction du navire elranger.
Cependant le temps est si variable dans celle saison,
qu'avant que les canols fussent eloignes du lieu du vais-
seau, une rafale se jela sur le cabcslan du navire, pen-
dant qu'en meme temps un brouillard nous enveloppait
en derobant a noire vue la chasse qui se faisait ; la pluie
tombail par torrents, et nous naviguames a sept noeuds par
heure, sans allcndre pour embaniuer le grand canol.
Des que le brouillard fiit dissipe, le soleil apparut, et
,88 SCtN
la briganliiip, ainsi que nous I'apcrcevions alors, scmlilait
avoir mis toules ses voiles pendant la rafale. Un venl rc-
gulicr siicccda, et nous comnienjanies a elre |jresi]ue surs
du succes de la chasse.
En montanl quclques marches sur les liaubans, nous
pumes regarder par-dessousles voiles de cetle coque basse
et noire, qui saulait en haut el en bas el se trouvait a
portee de nos canons. Ce ful alors qu'une bouche a feu de
noire gaillard fut deplacee pour une plus forte. Lc pavilion
brilannique ful pendant quelque temps deploye a la ver-
gue, eta la fln salue par le pavilion veri el jaunedu Bresil.
Des ordres furcnt donnes pour faire ranger les bommes
sur les parties les plusavancees du premier ponl, de meme
que les bouchcs a feu furenl sufflsamment elevees. Pendant
ce temps, labriganline fitsubilemenl descendresa vcrgue,
raccourcir ses voiles et heler, comme pour allcndre noire
arrivee. Notre navire, qui le poursuivail, raccourcil aussi
ses voiles ; alors clle les allongoa el s'cchnppa immedialc-
ment dans une autre direction a Iravers I'avant.
Nous ne perdimes pas un moment a brasser nos vergues
aBnde la poursuivre, et nous renvoyames aussi les bommes
a leurs quartiers pres des boucbes a feu. Aussilol que nous
fumes a portee des canons, la piece la plus avancee fit une
decbarge, ■et, apres une atlenle tres-curieuse pendant
quelques secondcs, nous Irouvames que le boulet labou-
rait I'eau juslement a travers I'avanl de la brigantine.
Plusieurs boulets se succedercnt rapidemeni, mais sans
atteindre la briganline. Quinze a vingl boulets furent ainsi
decharges, quelques-uns sur Tavanl et quelques-aulres sur
I'arriere, et d'aulres encore par-dessus, jusqu'a ce que,
comme nous gagnions sur clle cbaque I'ois de plus en plus,
la possibilile de nous ccbappcr dcvinl pour elle Ires-descs-
peree; enOn elle raccourcil ses voiles et s'arrela.
Nous nous rangeames alors a cole d'elle, el nous re-
gardames allculivemcnt cbaque parlie du navire. Des
etres humains noirs el nus, en se promenant sur le pont,
enlevaient tout doule dans notre esprit concernant le ca-
ractere du navire, el dcmontraient jusqu'a levidence qu'il
etait cbarge de marcbandise bumaine.
Ou cnvoya un officier pour en prendre possession ; enGn le
pavilion brilannique remplaca celui du Bresil. Le capitaine
Wyvill, (|ue j'accompagnais, lesuivait en prenaulavec lui
le cbirurgicn pour examiner I'elat sanitaire sur le navire
capture. C'clait une scene elrange a contempler, que
celle qui se prcsenlait a nos regards quand nous abor-
dames le cole du navire. Le pont elail rempli de negres
tout nus et au nombre de qnalre cent cinquanle, suivant
I'inventaire. lis se trouvaient tons dans un elal de confu-
sion et presque de revolle, s'elant en effel revoUcs conlre
leurs mailres avanl noire arrivee, etcesderniers se mon-
traient aussi agites et en proie a une sensation fort des-
agreable; ils apprenaienl en ce moment que la fortune est
inconslante, et devenaient esclaves a leur lour.
COMBir QUOt VOGT LOUFS FaBENT EMFaiSOlflfES F&B
LE UABQUiS DE LAFAIETTE.
Une famille de colons s'elant mise en gaiete le premier
jour de I'an, envoya qucrir un homme noir, fameu.x ra-
cleur de violon, qui Jemeurail a trois milles de la (avec
femme cl eufanls), pour fairc danser les » rondes de Vir-
ES
ginie» au\ jeuncs filles. Trois lienres avaienl Sonne, lors-
que, la pocbcUe sous lc bras, lc musicien reprille chemin
du logis ; la iieige tombail, le vent soufllail violemmenl ct
lamoncelail en las sous ses pieds ; ccpendant il avail en-
viron franchi la nioilie de la distance, barasse do fatigue,
soupirant apres le repos et les douceurs du foyer, lors-
(|u'au sorlir d'un vaste marecage qui s'elendait loin dans
le pays, son oreille disliiigua I'approche d une bande de
loups, par I'odcur alleches; car le loup affame csldiiue du
lael le plus fin, il flaire un changcmenl d'air a une grande
distance.
11 arriva done qu'ils sentirenl cettc nuit-la Tarrivee de
Marco-Luffet, ou marquis de Lafayette (c'etait le noin
qu'on lui donnait dans le pays), dont la neau avail, il est
vrai, une odeur assez forle ; le moyen d'en douler? les
loups se trouvaient sous le venl, et marchaient a sa ren-
contre.
Descsperant d'arriver cbez lui a temps, il ne songea
plus qu'a atteindre une petite cabane abandonnce, siluee
a un quart de lieue de 1.1, dans une clairiere au bord du
chemin ; lc toil clait a moilie delruil, mais la porto tenait
encore.
Cepcndanl, les rcdoulables animaux le suivaient de pres,
hurlant de toules leurs forces; la Irayeur de Thonime noir
redoublait; heureuscment quele vent ayantbalayela neige
du sentier, il put courir sans obstacle, s'elancer a temps
danslaretraitc, gravirlesbucbesiirinlerieur et se refugier
sur une poulre qui traversait le baut de la charpente;
comme les loups I'avaient presque rejoint, il ne chercha
pas a fermer la porte.
Luller de force avec ces animaux furieux eut die par
trop imprudent. On peut jugerde la rage deces adversaires
lorsqu ils virent echapper celle belle proie ; on aurait dit,
s'il faul en croire M. Marco-Luffet, a que le diable lui-
meme s'clailloge dans chacun de leurs gosiers.u La cabane
fut bientot euvahie par les loups, qui enlraient, sorlaient,
rodaienl autour de lui, cherchanl a dccouvrir le moyen d'at-
teindre le friand morceau qui se trouvait, helas ! accroche
trop baut dans I'office. Le raclcur de violon, se voyant en
surele, epiale moment propicc, el finit parseglisser au-dcs-
sus de la porte. Arrive la, il parvint, avec le secours de
ses jambes, a enfermer une parlie de la bande. Ceux de
I'exlerieur s'elaient eloignes .selon toule apparence, et
remls a la poursuite d'un nouveau gibicr ; ceux de I'intc-
rieur demeuraicnl silencieux, les yeux elincelanls et fixes
sur le marquis ; celui-ci , tres-convaincu de son habilete
musicale, imagina de charmer les ennuis de ses ennemis
caplifs, ct' de les regaler d'une « ronde de Virginie. »
Jamais pareils accords n'avaicnt sans doule frappe les
oreilles elonnecs de eel auditoire velu, et ccpendant, loin
d'obtenir le suffrage universe!, I'e.xeculant ne recueillit
que d'affreux burlements. Mais la luniicre commencait
a poindre, les loups .eemblerent se resigner a leur mau-
vaise destinee , et se couchcrent Ions pcle-mele a terre
en silence. Puis, des que le jour ful assez avance pour
que le musicien n'eut rien a redouler a rexlcrieur, il
s'enfuit par lc toil et revinl aupres de sa famille en toute
bate. Sans trop larder, il se lit accompagner de plusieurs
bommes amies de carabines ct de baches qu'il conduisit
ii I'endroit ou il avail laisse les loups. Ils n'avaiiMil pas
change de posture ; devenus aussi doux qu'ils avaienl ete
furieux, on en fit un carnage facile. Six de ces animaux
perirenl a la fois, leurs depouilles revinrent de droit i
i
DE VOYAGES RECENTS.
489
M. Marco-Liiffel, qui rccut en nuire line somnie de 2o dol-
lars de la part des habilanls des environs, coninie recom-
pense du service qu'il Icur rendait en les delivrant d'un en-
ncml aussi dangcreux, la tcrreur des bestiaux et des
fermiers.
SOOVZNIRS DE X. A CBIME(I).
II. — KAVIOATION SCIi IE PEI-BO.
L'lndnslan et le Lion, qui tiraient trop d'cau pour ar-
rivcr a la cote par-dessus les lanes de sable, avaient ete
laisses au port de Chusan. Lord Maccarttiney s'etail em-
bar(|uc avec sa suite sur les brigantines le Clarence, le
Cliacal ct I'EndeavouT. Accompagne dune multitude de
ionqucs qui porlaient ses domestiqucs, scs gardes, des mu-
sicienset le bngage, il cingia vers rcmboucliure du Pei-ho,
ou riviere Blanche, qui ruule dans la mer ses eaux limn-
neuses, a Test de la province de Pe-Tsclie-Li. Les coles
plates et sablonneuses de la Chine apparaissaient lentement
au-dessus des Hots; et les plaines environnantes, couvertes
de riches moissons, prouvaient que I'industrie humaine
peut conlraindre la nature, meme rebelle, a lui prodigucr
ses trcsors. Ca et la, des bois de campbricrs interrompaient
runiformile de la contrce, ct des groupes isoles d'arfcres d
sm(. avec leurs belles feuilles rouges et leurs Iruils dune
blancheur eblouissante, en constituaient un ornement non
moins bigarre qu'original. On atteignit rembouchurc du
Pei-ho. La niaree montante et un vent favorable eurent
bientut pousse les navires au dela d'un long banc de sable
place sur leur route. On navigua des lors contre le courant
de la riviere, el non sans peine, a cause du grand nombre
de sinuosites et des bancs de sable; en plusienrs endroits
meme, les vaisseaux durent etre tires a I'aide de cordes
par les paysans attroupcs sur le rivage. Les maisons des
nombreux villages situes des deux cotes de la riviere, mise-
rables cabanes aux murs d'argile et aux toils de chaunie,
formaienl un contraste Irappant avec les admirables ediflccs
qui s'elevaient ca et l,i, brillants de coulcurs varices et de
riches dorures. Hauls de plusieurs elages, ceux-ci se dis-
tinguaient I'un de I'autre par leurs toils renlles, Bizarrn-
ment decores, et charges de clochettes, de dragons et d'au-
res Dgures monstrueuses.
Les deux rives fourmillaient d'une miiUitude si pressee,
qu'on aurait pu croire que toute la population de la Chiue
elait rassemblee sur ce point. Des hommes robustes et bien
batis, aux robes de cbambre brunes, a la tete rasee a la
lartare, et du sommet de laquelle s'echappail une petite
meche de cheveux ; des femmes dont la vanite, incapable
de faire un tel sacrifice aiix mceurs des conquerants, avail
elegamment natte la noire chevelure, fixee au sommet de
la tele par une aiguille ct ornee de lleurs naturelles ou
arlificielles ; des enfants nus se pressaient avidement des
deux coles pour coulempler les etrangers qui cinglaient
vers ces parages. El hommes et femmes, de pelites filles
meme avaient a la bouche des pipes luisantes, dont la fu-
mee se croisait au-dessus de cet ocean humain comnie ua
Icger Lrouillard. Les plus avances setaient mis dans I'eau
(I) Kov. iiumiro V, pagem.
jusqu'aux genoux pour voir les vaisseaux de plus prcs, ct
ils avaient ote leurs chapeaux de pnille en forme d'enton-
noir pour ne pas derober ce coup d'oeil a ceux qui ctaicnt
places derriere eux. Les jonques a I'ancre sur tons les
points du rivage, les radeaux envabis par des villages en-
tiers qui n'avaienl pu trouver de place a lerre, elaient
surcharges d'une foule capable de les faire couler bas.
Pourtanl, au milieu de celle masse d'hommes prodigieuse,
regnait un ordre, une tranquiUite et une decence admi-
rables.
La flotte jeta I'ancre a Ta-Ku, la premiere ville importante
siluee sur le Pei-ho. Dix-sepl yachts chinois s'y tenaienl dejA
prels a recevoir I'ambassadeur el son escorte. La navigation
continua, sur les yaclils chinois, en amont du Pei-ho, et
I'aspecl des deux rives devint de plus en plus piltoresque
et caracterislique. Domes par les murs des humbles ca-
banes, d'immenses champs de riz et de millet s'etendaient
entre les villages. Une mullitude de las de sel hauls comme
des maisons et couverls de nalles se prolongeait jusqu'au
rivage. Ce tableau elait anime par des vehicules a une roue,
traines et pousses par des hommes qui, profilanl du vent
favorable a I'aide d'une voile deployee, voiluraient en dif-
ferenls endroits le sel, qui elait ensuite transporte paries
jonques du Pei-ho dans les provinces de Fo-Tschon et de
Quan-Tong. lei on apercevait des plantations de the, dont
les arbrcs nains, aux feuilles elroites et semblables a celles
du myrte, out un aspect tres-agreable, et dont en ce mo-
ment les lleurs elaient recucillies par une multitude de
femmes qui saulillaient, quoique lentement, avec leurs
pieds defoimes et enlorlilles de rubans rouges La s'ouvrait
un cimetiere chinois, petit bois de sapin avec une grande
quantite de monumeuls en p'lerre.
Cependant les rives elaient encombrees de spectateurs
curieux, i|ui manoeuvraienl a chaque instant pour rendre
les honneurs a I'ambassade. Les soldals du pays, revetus
de leur costume extremement peu martial, se garantissaient
du solcil a I'aide de parasols et d'cvenlails; leurs armes
tonsistaient en arcs et Heches et en vicux mousquels. On
avail dresse des tentes pour les musiciens, qui faisaient un
vacarme effroyabic, et des arcs de trinmphe avec des mil-
liers de drapeaux harioles. En I'absence de canons, de petils
pierriers lonnaient gaiUardement derriere la flotte, la pre-
voyance des Chinois jointe a la conscience de leur inhabi-
lete ne leur permettanl pas de meltre le feu a des pieces
dangereuses, et de s'exposer ainsi a quelque malheur. Les
vivres el les aulres provisions avaient ete fournis aui An-
glais avec une abondaiice prodigue. L'atlention du gou-
vernement fut poussee si loin, que des qu'une personne de
la suite de I'ambassadeur alhit acheter quelque bagatelle
sur le rivage, le mandarin qui I'accompagnait ne voulait pas
souffrir qu'il la payat, declarant qu'elle serait portee sur le
compte de I'empereur, dont les Anglais elaient consideres
comme les holes.
La null elait descendue sur le fleuve. Des lanternes ba-
riolees brillaienl a lous les mats. Quang-Yen, le mandarin
lartare qui accompagnait I'equipage a lerre, avail fait dres-
ser sur la rive, vis-a-vis de la flolle, ses tentes, devanl les-
quelles brulaienl cgalemenl une multitude de lanternes
barinlees. Celle masse de lumieres de couleur, refletee par
les Hots du Pei-ho, produisail une illumination de I'effel le
plus magiquc. Le chant monotone des baleliers elendus sur
le rivage, le son retentissant des grands disques de metal
dont I'echo prolongeait au loin le signal, et le bourdoone-
190
SCENES
meni continuel des grns moucherons qui croisaicnt lour
vol en lous sens, produisaieut iin bruil ctrange et prcs(]uc
fantastique
III. — AnnrvEE a pmin.
Tong-Tschu-Fu avail cte lo ternic de la navigation de
rambassadc. Le resle du voyage jusqu'a Pckiii ful accom-
pli par terre. Pour transporter commodement I'ambassa-
deur avcc sa suite et les presents destines a rempereur, il
n'avnit pas fallu moiiis de quarante voitiires a deux roues
ct altelecs de plus de deux cents chevaux. Trois mille porle-
fais avaienl ele cbarges, en outre, de porter une multitude
tl'objets qui auraient pu etre endommages par le cahote-
ment des voitures. L'ambassadeur, Arabelle Staunton, son
Cls et I'interprete de la legation elaient portes en palan-
quins.
Les autres personnages de la suite et les olBciers etaieni
a cheval ainsi que les mandarins qui les accompagnaienl.
Les soldats, les ouvricrs ct les domestiques etaicnt enlasses
comme des paquets sur les voitures. Des soldats cbinois.
armes de longs fouets, se frayaient un passage a travers le
peuple amonccle. C'est dans cet etat que le cortege s'avan-
cait lentement, par la magnilique chaussee, vers la capitale
du pays.
Apres avoir traverse nn long faubourg eutre une double
fde de boutiques de dctaillants, et passe sous des arcs de
trioinphe peints do diverses couleurs,- rebausses par un
vernis brillant et ornes de rubans ct de banderoles de sole
llottants, le cortege arriva enfin a la porte du Sud, que do-
minait une tour en pierrcs de taillo, haule de six etages.
De grands canons ouvraient Icurs gueules menajantes aux
fenetres de cettetour; mais en approchant on decouvrait
qu'ils n'esistaient qu'a I'etat de peintures. Une longue rue
sans tin, droile et Ires-large, s'etendait de la porte a I'autre*
cxtrcmitcdc la ville.
Presque toulcs les maisons etaient des boutiques de de-
tail, oil se trouvaient elales pour la montre de I'or et de
I'argcnt, de la porcelaine et des etolfes de soie bigarrces.
Au-dessus des maisons s'arrondissaient de larges balcons
garnis de fleurs et de divers arbusles. Devant les porles
etaient suspendues, pour I'ornenient aussi bien que pour
I'eclairage df nuit, des lanternes de corne, de mousseline,
de soie et de papier bariole, de toutes les formes possibles.
Le peuple, qui affluait de tous cotes pour voir les Anglais
qu'il csaminait avec des riresmoqueur, produisait un tu-
mulle epouvautable. II fallait que les voitures s'arretassent
des(iuarls d'heure cntiers avanl que leurs gardes chinoises
vinssent a bout de leur faire faire de la place. Ici passait
un enlerrement qui se dirigeait du cote de la porte. La, un
pauvre mousse russe, qui avait commis quelquedelit contra
la decence chinoise, elait puni par les mandarins du supplice
de la cage, qui consiste a placer le patient dans une cage
de bois, d'ou sa tete seulemeiit sort par une ouverture. Des
jeunes gens vetus do blanc, couleur de deuil des Cbinois, ou-
vraient I'enterrcment. Venait ensiiile Ic cercueil peml de
diverses couleurs, qu'ombrageaicnt des parasols et sur
lequel ilotlaienl des drapeaux do soie. Des babils blancs
qui indiquaient la condition et la naissance du dcfunt,
etaient porles a ses cotes sur des sieges. La, s'avaneait
a travers un magnifique pailu, au milieu de la rue, un
autre cortege qui conduisait une fiancee au logis de son
fiance, dans une liliere fermee, enricliie de dorures et
couronnee de fleurs. Les grands mandarins, qui traver-
saieiitla ville avcc uno suite pen inferieure en nombrei
cellc du vicc-roi de Ta-Ka, grossissaient la foulo que croi-
snicnt en lous sens des veliicules a une el a deux roues,
charges de personnes cl de niarcliandises. Des charlatans,
des diseurs de bonne aveiiture, des chanteurs, des esca-
molcurs criaient en tous licux d'une nianiere formidable,
pour extorqucr. sans peine au pauvre peuple le gain de
ses Iravaux pcnibles. Des narrateurs annoncaient a la foule
alteutivc que, panni les presents de I'ambassade, il s«
DE VOYAGES REGENTS.
m
trouvail un clepliant de la grosscur rt'iin singe et uii coq
qui mangcait dcs cliarbons ardenls. Dcs marcliands por-
tant sur leurs cpaulcs, en cquilibre snr des Ijalons de
bambou, aux deux exlremiles, leurs marcliandises conlc-
iiucsdaiis des scaux, les offraient a grands ci'is. Une mul-
litude de barbicrs qui parcouraicnt la foule avcc Icurs
sieges et leurs fourneaux mobiles, appelaient leurs prati-
ques au son clair de lenr pincetles d'acier. Des boucbers
offraient leur tranclie de viande, qu'ils faisaient rolir sur-
le-ebamp dcvant leurs etaux a la convenance des passants.
Des maliometans aux bonnets rouges el aux longues man-
ches, dcs Cbinoises fardees et le cbignon noir relcve sur
le sommet de la tele, se niilaient et se pressaient eu foule.
Cependant, de temps a autre, le son d'une cloelie gigan-
tesque rcsonnait lourdenientdu bant d'une des collines de
Pekin, couinie une voix du ciel criant au milieu de I'agi-
tatiuD humaioe.
BEPAtlT POBR lA IAHTAHIE.
Cependant de mauvaises trompelles chinoises sonnerent
la retraile d'une maniere lamentable. Les archers prircnt
les devants au galop. Apres eux venait la voiture de
I'ambassadeur, suivie de la foule des vebicules, porteurs et
cavaliers. Tout ce long cortege se mit en marclie du cole
de la porte orientale de Pekin.
II s'avanca a travers I'immense plaine qui entoure Pekin
detous cotes, dans de longues allees planlees de gigan-
tesques saules pleureurs. Des cimetieres hordes de peu-
pliers, des Iroupeaux de moulons aux queues enormes
d'embonpoinl, de longs couvois de dromadaires qui, sous
la conduile d'un seul homme, Iransporlaient du charbon
de hois a la residence, de grandes fenetres auxquelles des
plantesde tabac elaient suspendues sur du linge en plein
air, interrompaienll'iiniformite d'un pays plat, eta I'ouest
commencaient a s'elever les montagnes de la Tartarie.
Comnie on ne changeait pas de chameaux ni do portefaix,
les journees de marche elaient courles, et se terminaient
loujours dans un des palais iniperiaux qui, depuis Pekin
jusqii'aux frontieres de la arlarie, sont toujours tenus
prets, afin de procurer au souverain la commodile de pou-
voir toujiiurs loger dans sa propre hahilation. Des le troi-
sieme jour, le pays se couvrit de nionlEgnes, la population
diminua, mais les perspectives devinrent plus belles et
plus ronianesques. Des chevaux sauvages el des chamois
parcouraient les montagnes. Ca et la de lahorieux Chinois
grimpes aux pentes abruptes des abimes, y cherchaient de
pelites places lahourahles, et suspendus pardes cordes aux
parois des grandes roches, allaienl leur arracher leur sub-
sistance.
Lequatrierae jouronddcouvrit a rhorizonlointain.lelong
dcs parois des montagnes, une cspece de trail ou de lignc
elroite el inegale qui elait semblableaux veines de quartz dans
certaines montagnes d'Ecosse, mais unpeu plusirreguliere.
EnOn des crencaux et des lours furent dislingues sur celte
ligneen certains endroits oil il semblait impossible d'exe-
cuter de semblaUes travaux.
C'etail la ctilebre muraille qui separe la Chine de la Tar-
tarie. Cel ouvrage, qui s'etend sur le rovers des collines,
grimpe sur la cime des plus liautes montagnes, plonge dans
les plus profondes vallees, francbit des flenves sur des
arches dont I'onceinte se double et se Iriplc pour renfer-
nier les places importanles ; cette rain'aille, garnie dc cent
pas en cent pas de tours et de bastions massifs, remplil
d'etonnenienl loule la caravane, moins par sa grandeur
proJigieuse que par le sentiment des difCcullcs qu'il avail
falUi vaincre, pour transporter les materiaux de construc-
tion dans des licux lout li fail inaccessiblcs et jusque sur
des cimes elevees de plus de cinq niille picds au-dessus dc
la plaine. Et cette ligne de fortifications qui occupe une
longueur de douze cents milles anglais, ct suhsiste depuis
deux mille anssans reparations ni travaux ullcrieurs, sem-
blait presque aussi Derement braver Taction destructive du
lemps que les boulevards nalurels de roches el de men-
lagues qui s'elendent cntre la Chine et la Tarlarie.
[La suite a un numcro prochain.)
IKCENDIE D'CKTE PRAIRIS,
Apres m'etre fatigue pendant une heure ii Iravers un
large fond de grandes herbes sauvages et melees, j'alteignis
un petit hois, et j'erigeai avec de pelites branches un petit
auveni d'apres la maniere des ludiens; me couchanl de-
vanl un bon feu que j'avais bali contre le Ironc d'un
arbre renverse, je ne lardai pas a dormir. Je fus eveillo par
la violence de la brise loujours croissanle. Tantot le vent
s'abaissait en grondaut sourdement, pour s'elever encore
en hurlant et sifflant a Iravers les arbres. Apres m'elre
assis peu de lemps devant le feu, je me rejetai encore sur
mon lil d'herbes seches, mais je ne pus dormir. II y avail
quelque chose de sinistre et d'extraordinaire dans le bruit
du vent. D'autres fois il me semblait entendre des bruits
de voix sauvages a travers tout le pays boisc. Vainenient
j'essayai de clore raes paupieres; une espece de scnliment
superstitieux s'eniparail de moi, et, quoique je ne visse
rien, mes oreilles elaient penetrees de bruits divers. Je
regardai aux alenlours dans chaque direction , portanl la
main sur la detente de mon fusil, car j'elais si emu, qu'il
me semblait a chaque instant voir un Indien arme s'elancer
de derriere chaque buisson. A la fin, je me levai, et m'assis
devant le feu. Tout a coup, une violente rafale, s'cn-
gouffrant a travers le bocage, lanca au loin en tourbillon-
nanl des clincelles de cliarbons enflammes dans toules les
directions. Dans un instant, cinquante petits foyers appa-
rurent en elcvant leurs langues fourchues dans les airs, et
semblaienl, par leurs mouvements impelueux et irreguliers,
ne pas avoir une longue existence. A peine avais-je eu le
lemps de m'apercevoir de leur apparition, que ce n'etait
dejii plus qu'une grande pyramide de flamnies, sautillant et
s'elancant legerement sur le fnite des arbres el sur loule la
surface des herbes seches. Peu apres, elles gagnerent la
prairie en serpenlant dans une ligne de flammes briUantes,
en s'elevant rapidemenl dans la sombre atmosphere.
Un autre tourbillon vint s'abatlre le long du ravin. II
s'annonca par un geraisscmenl lugubre, ct a quelque dis-
tance; et, se rapprochant ensuite, un nuage de feuilles
seches remplil les airs; les faibles arbrisseaux et les jeunes
arbres pliaient comme les herbes sauvages, et les branches
seches craquaient par morccaux : les plus grands arbres de
la forel se lordaient et ti.mbaient en petillant. ijienlot la
rafale furicusc altcignil la prairie onllammee. Desmyriades
briUantes furent laucecs dans les airs, et dc pctites elin-
193
celles il'hcrlics enllamnipcs tourlilloniiaient ii tr.ivei-s le
ciel comme des nuHiJoros. Los llamnies sc repaiidirent sur
Une grande quanlilii de feuilles eparses, et se repliant en
avant, elles cclairaicnl Ics trislcs ravages qu'elles dcpas-
saient, et rcpandaient au loin une rouge clartc dans une
grande perspective de la foret , bien que tout, au dela de
I'incendie, ne fut que tenebres. Le rugisscmentdes flammes
elouffait meme Ics burlemcnts du vent.
Chaque rafale qui se succedail jctait de longues py-
ramides rouges dans le ciel obscurci, et leurs llammcs
horizontales semblaienl, en bondissant en avant, eclaircr
un nouvel embraseinenl. Un bond succcdant a un autre,
les llammcs s'elancaient avcc la rapidite d'un cheval de
course. Le bruit retentissait comme les rugissements de la
mer en courroux, et les Hots lumullueus dc cctte damme
sauvage s'agilaient aux environs comme une mer de feu.
Dans leur lignc, et a quelque distance de la prairie, elail un
grand bocage de cliencs dent Ics feuilles jaunies tcnaient
encore aux branches; le Hot des flammes se refletait sur
elles rouge et brillant. Apres im moment, une noire fu-
mee apparut lenlement des arbres les plus rapproclies, et
les llammes, pctillaut parmi leurs branches, s'clevercnt en
Iriomphe a cent pieds dans les airs. L'efl'el ne fut pas de
longue duree. En un moment le feu cut delruit nn bo-
cage qui couvrait plusieurs acres. II s'enfonra encore dans
la prairie , laissant les troncs des arbres detruits, brulcs
el noircis comme de I'encre, et neanmnms resplendissanis
entre leurs branches d'une brillanle el legere clarte cra-
moisie. De cette maniere, I'incendie, leger, balayail tout le
pay.sage ; chaque coUine semblait alhimer son propre bucher
funcraire, et la chalcur bn'ilante de I'incendie devorait
chaque tuyau d'herbc, meme dnns les cavitiis. Un sombre
nuage de fumee grisiitre, plein de cendres brfilanles, s'e-
SCEINES DE VOYAGES REGENTS.
tendail sur la course des flammes, on formanl parfois des
colonncsgvacieuscs, qui ctaient prcsque aussitot dispersoes
par le vcn! et ponssecs dans millc directions differentes.
Pendant plusieurs heures, la flammc continua sa fureur,
lout I'liorizon elait onlonrc d'une ceinture de feu. A mc-
sure que le cercle s'etendait, les flammes diminuaienl par
dcgres, et cnlin elles n'apparaissaient que comme un le-
ger ill d'or a I'entour des collines. Elles devaient clre
alors a pres de dix milles de distance. A la fin, la splendeur
dispanil; mais le pourpre leger qui, pendant quelques
heures, illumina I'atmosphere demontrait que I'incendie
gagnait d'aulres regions.
Je me levai avec le soleil, et je repns men voyage. Quel
changement! Tout n'etait que ravage. Le soleil s'etait cou-
che sur une prairie paree de sa robe naturelle de fenillage,
et il se levait pour eclairer mic scene de de.solalion. Pas
une seule feuille, pas un brin d'herbe n'existaicnt. Le grand
bocage, qui au coucher du soleil etait encore convert de
feuillage fleiri, ne presenlnit maintenanl qu'un chaos de
branches brulees et depouillces ; ce n'etait qu'un amas de
ruines. Une legere couche de cendres etait repandue sur
la tcrre, et plusieurs grands arbres morls, dnnt les bran-
ches .seches avaient cause I'incendie et servi d'aliment aux
flammes, jjrulaient encore, et jetaient en Pair de longues
spirales de fumee. Dans loutcs les directions, la sterilite
marquait la trace des flammes. Elles avaient meme atteint
le cote oppose ii I'liuragan, embrasant meme les grandes
herbcs jusqu'a la racinc.
Le vent continuait sa rage ; les charhons cnflammes et
les cendres tonrbillonnaicnt en nuages suffocants. Ilelasl
de ma pauvre chaumiere pas la moindre trace ! lout etait
diitruit.
( Souvenirs d'un colon.)
t
Pari^. — Typ. I.AcnAHPB RT CcMP., rii« DaiT.ieltc, i
LE
LIVRE DES FANIILLES
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
n. 7. — I" Volume.
1" Mai 1845.
LE MOIS DU JELNE CHRETIEN.
'~1#"^
Ii'ASCENSION DE NOTnC-SEIONSDIl.
« nommcs de la Galilee, pourquoi lenez-voiis vns regards
0 fixes vers le ciel? Ce Jesus que vous y voyez moiiler en
« rcdescendra de menie. » L'an|;e parlait ainsi aux nom-
Lrcux disciples, en presence desquels Jesus-Christ s'eleva
viclorieusement dans les cieux, quarante jours aprcs sa re-
surrection. Le prophete-roi avait preconise ce glorieux
inystcre , plusicurs siecles avant son accomplissement :
a lioyaumes de la terre, chantez le Tres-Uaut ; escortez de
o vos chants harmonieux le Seigneur qui monte aux plus
« haules regions du ciel. Sa magniOcence et sa splendeur
« sc deploienl dans les nuces. » L'Eglise obeit en ce jour a
la proplielique invitation de David. EUe entonne ses plus
beaux canliques en Ihonncur de Jesus triomphateur. Cette
fete remonle au berceau du christianisme. Elle fut nommce
dans le principe la solennite du Quarantieme.
A Jerusalem, sainte Uelene fit elever, dans le quatrieme
sieclo , une eglise sur le lieu memo d'oi'i Jesus-Christ s'e-
tait clance dans les cicux. On dit qu'il ne fut jamais pos-
sible Je fernicr la voule d I'endroit qui correspond perpen-
diculairemont a la pierre surlaquelle etait Jesus-Cbrist au
moment de son ascension. On y venerait les traces du pied
gauche du Sauveur enipreintcs sur cette pierre. Une mo-
deste chapclle a rernplace I'ancienne eglise de sainte
lliilene, niais celle-ci a une voule fermce.
Une procession solennelle a lieu avant la messe de ce
jour. Elle remonte a I'antiquite la plus reculee. Pendant
jilusieurs siecles on faisait une procession, chaque jeudi de
I'annce, pour honorer ce mystere. Elle est un memorial de
la marcbe des nombreux disciples qui accompagnerent le
diviu Sauveur sur la monlagne qui fut temoin de cette
merveiUe. Mais quelle fut cette monlagne ?Ce fut celle dite
desOlivicrs, celle memeou, proslerne, la face contre terre,
la veille de sa morl, il avait lait le sacrifice de sa vie pour
apaiser le courrous de Dieu sou pere. Ceci presente une
25
19*
LES SAINTS
grando niialogie avcc cos paroles Jo I'apulre : «IS'a-l-il pas
« fallii que Ic Christ souflVil H enlrat par cc nioyon dans
« la gloire de son pere ? » C'est done de ctttc memo iiinii-
tagne oil il avail etc plonse dans une morlelle ngonie cjue
Jesus-Christ Jcvait prendre son elan dans les cieux.
Mais celte ascension de Jesus-Christ ne se borna pas a
sa personnc divine. Les aines desjnstes decodes avanl la
reJeraplion du genre humain n'avaicnt pii elre ndmises
dans le paradis. Les enl'ers nomnies les Limbos avaicnl ele
leur sejour. Elles y reposaiont dans le sein d'Abraham le
pere des croyanls. C'est la que le niauvais riclie avail
nper^u le pauvre Lazare donl il avail en vain sollicile une
!;nnlle d'eau pour etancher sa soif briilanle. La mission de
Jesus-Christ elant accomplic sur la lerre, le paradis ayant
ele rouvert au prix de son sang, le Iriomplialeur de la
morl el du peche emmena avec lui dans les celestes
demeurcs cctte brillanle cohorte de caplifs racheles.
C'est pourquoi I'apolre saint Paul nous a dit : « Josus-
a Christ, monlant dans les cieux, y a conduit les cnptifs. h
Quel magnifique corlcge enloure done le Sauveur du
monde au moment ou il s'envole dans le sojour de I'im-
morlalilel Les saints patriarches el proplii'les de I'ancienne
loi, Abraham, Isaac, Jacob, Koe, Moise, David, Josue, Je-
remie, Daniel , el une fouie inuombrahle d'aulres jusles
composcnl cetle rayonnanle escorle. Les csprils celestes
s'y joignenl en faisanl retenlir les airs de leurs joyeux can-
tiques. Les tcmoins de celte ascension devront encore
gemir pendant quelque temps sur la lerre, y remplir la
mission sublime a laquelle ils out ele destines par le Fils
de Dieu, ct gagner, cux anssi, par les tribulations el la
mort, cetle glorieuse recompense. A lous les hommes clle
est promise aux memos conditions, c'esl-.i-dire quo chacun
d'eux devra remplir avcc lidolite la lachc qui lui est coni-
mise. Aurions-noiLSil nous plaindre parce que Jesus-Cbrisl,
nous ayant mis .i I'epreuve, vout el a le droit de s'assurer
si nous sommes de bons el loyaux comhattants? Le soldal
peul-il aspirer an laurior de la vicloire, a I'honneur de la
decoration, s'il repugnc li parlager les fatigues el les dan-
gers du combat? Cetle lerre est pour le chrelien le champ
de bataille. Opprnhre aux laches, Iriomphe aux vaillantsi
Noire ascension dans le ciel n'csl point allachce i d'aulres
conditions, cl si nous voulons parlager la gloire, ne repu-
dions pas le combat.
Au moycn age on faisail, pour ainsi dire, palpor des
yeux le myslere de ce grand jour. En quelques eglises on
voyait, apres I'Evangilc, qui raconle celte ascension, une
figure de Jesus-Chrisl accompagnoe d'anges ct do patriar-
ches s'clever du pave du sancluaire el disparaitre par une
ouverlure praliquee dans la voule. Un voyagcur Ircs-digne
de foi nous assure qu'il a vu a Fribourg, en Suisse, en I'an-
iiee 1793, une represenlalion de ce genre apres I'evan-
gile. On Dt monler, par le moyen d'une corde, une Oguie
en carton qui offrailNolre-Seigncur s'elevani dans les airs
el disparaissanl dans un trou circulaire place au-dessus de
I'autel. En France, de nos jours, on Irouverail cela fort
grotesque. Blais c'est pourlant ainsi que Ton pouvait im-
primer dans I'esprit des peuplos les enseignemeuls du
christianismc. C'clait un moyen bien innocent. Nous som-
mes neanmoins fort eloignes d'en recommander la reno-
vation. Elle ne serail plus en barmonie avec nos moeurs
acluelles, quoique la verite du myslere soil nbsolument la
mcme , car la verilc demeure toujours , landis que les
moyens de I'enseigner sonl sujets .i variation.
ZA PEHTSCOTE.
rii'S que le Sauveur du monde cut dispnru aux yeux des
apulres, ils se relirerenl dans le cenacic de Jerusalem pour
y vivre dans la relraile. Jesus, avanlde monler au ciel, leur
avail promis un consolaleur, le Paradel. Moins ignorauts
sans doule depuis les nouvelles instructions que Jesus-Christ
leur avail adressees pendant les quarante jours passes avec
eiix depuis Paques, ces apotres ne pouvaient encore entic-
romonl apprecier la dignile de leur election el les hautes
deslinees qui leur claiont reservees. Us avaienl ele plonges
dans la Iristesse chaquo biis que le Sauveur leur avail pre-
sage son depart. lis vontdonc, avecune vive '^onfiance dans
les parolesde leur mailre,se disposer a accndlir lemyste-
rieux consolaleur qui leur est promis. Mais ils ne sauraient
encore comjiremlre quel sera pour eux le rcsullat de son
anivec.
Depuis dix jours, ils etaienl perseveranls dans la pricre, l|
dans la pratique de la morlificalion, nous dit le lexle sacre.
Le jour de la Penlecule ou les Juifs celobraicnl avcc une
grande pompe la promulgation de la loi sur le mont Sinai
est arrive. Tout a coup un bruit vehemenl se fail entendre.
La salle du Cenacle en est ehranlee. La slupeur s'enipare
de cetle limide assemblee. A cetle effrayanle conmiolion
succedeni aussitot des langues de feu qui planent sur la
tele des disciples. A I'inslanl une metamorphose elonnante
s'opere dans chacun d'eux. Cos hommes, jusque-la gros-
siers. ignorants, se mellcnl a parler diverses langues. Une
force invisible semble les pousser hors du Cenacle. lis se
ropanilent dans les places publiques de Jerusalem. La fete
juivc avail reuni dans cetle ville un grand nombre d'elran-
gors. Los Parlhos, les Modes, les Elamilcs, les habilanlsde
la Mesnpolamio, de la Judee, de la Cappadoce, du Pont, de
I'Asie propremeni dile, de la Phrygie, de la Pampbilie, de ^
I'Egyptc, de la Lihyc Cyrena'ique, de Rome meme, so heur-
tent, se confondenl dans la cile. Les apotres parlenl a celte
foule, et chaque nation enlend leur langage. Plusieurs, el
c'etaieni les csprits forlsda I'opoque, s'en moquent ct di-
sonl ; a Cos hommes soul ivros, ils sonl pleins de vin... o
Ohlcortos, oui, ils sont ivros mais ils viennenl d'etre
ahreuves du vin qui engcndre la sagesse Pierre, que
nous voyons toujours parailre le premier, parle a la multi-
tude , et il fait observer que ce prodige ne pent resulter
d'un exces de vin, puisqu'on n'esl encore qu'.i la neuvieme
heurc du matin. Ensuite il preche la foi au Messie morl et
ressuscilc. Trois mille audileurs se monlrenl a I'evidencc
else font adorateurs du Christ... A I'evidence, disnns-nous,
mais celle-ci n'esl pas toujours cerlaine de son Iriomphe,
lorsqu'elle deplait a la passion... Aussi , I'historien sacre
ne nous apprend point que loule la multitude y ait cede.
11 en a ele et il en est toujours de meme. Saint Jean I'E-
vangelisle se joint a Pierre. La folie dc la croix est encore
prechee, cinq mille nouveaux converlis viennenl se joindre
aux premiers. En im jour, hull mille ames soul conquises
dans Jerusalem au christianisme naissant.
Tel est lobjet de la grande solennite que I'Eglise cele-
bre depuis son berceau, sous le nom de Penlecote, c'esl-a-
dire la fete du cinquanlieme jour apres Paques. L'antiipie
nom lui est reste commc a la derniere, et nous fait saisir
plus aisement le rapporl inlime qui exisle enlre le type el
la realile. En effet, la loi donnee au peuple bebreu au mi-
lieu des foudres et des eclairs n'elait qu'une Ggure de cetle
loi chrclienne sous I'empirc de laquelle I'univers devait
cire renouvele. Ln premiere elail gravfe siir la pierrc, la
scconde est inscrilc dans Ics cocuis. La prcmiore fill line
loi de terreur, la seconde est une loi d'amour.
Fideles a leiir mission sm-naturelle, Ics apnlres se parla-
gercnl la conquete spiriluelle du nionde. Josiis-Chrisl vou-
iut adjoindre au college aposlolique un dcs plus arJents
persecHlcnrs de la foi nniivcUe. Saul, nous dit saint Luc
dans les Actes, elail anime d'une violente furcnr cnnlre les
clirelicns. II vonlait venger la Synagogue dcs defections
nnmbrcuscs que Uii faisail eprouvcr la predication des
apolres. Un prodlgc que nous n"avons pas hesoin de rap-
peler cliangea cet liomme en un liomnie nouveau. Le nom
de Paul lui ful impose apres son lapteme. Apres avoir pre-
clie Jesus-Clirisl en diverses conlrees, il alia s'unir a Pierre
pour evangeliser la ville de Rome. 11 fallait sans nul doulc
un courage surliuniain pour cnlreprcndre une mission de
cctle nature. Mais le doigt de Diou elait lii. Sans lui le
projet elail absiirde ; avec lui le succcs elait certain. Une
esperieuce de plus de dis-liuit siedes altesle la reussilc.
Lechrisliaui.sme,imperce|itible grain deseneve.csl devenu
le grand arbre sous lecpiel se soul abritecs les nations du
monde. La Peutocole est dcstince a cnnimemorer ccs mer-
veilleux evenements que la I'oi seulc pent e.\pliquer, car
la raison y est lotalement inqjuissanle.
Aussi, des les temps apostoliq\ics , le memorial de la
descenTe du Saiut-Esprit sur les apulres a Inujours elece-
lebre avec une granile pomjie. La Pinlccote cliriHiennecsl
nne des Irois feles du premier ordre. Les deu.t aulrcs sont
N'oel el Paques. Les minislres des saints aulcls se prircnt
en ce jour d'ornements rouges. Celtc couleur est le sym-
bole de la ehawlc dont TEsprit saint cmbrase les aines. A
I'beurc deTierec qui precede la messc, ouelianle I'liyinue
admirable qui commence par les mcts : Veni, Crcatnr. Au
nioyen age, en ce moment, on faisail retentirdu haul des
voiitcs le son de la trompette, el Ton jctail par les ouver-
lures qui y sont pratiquees des eloupes enllanimecs i|ui
s'elcignaient avant de parvenir jusqu'aux lidelcs. On la-
cliait aussi des colombes qui volligeaicut dans I'eglise.
Aujounl'hui encore, en Sicile, daus la cat'iedrale de illes-
siue, on flit lombcr dcs voules une pluie de roses rouges
pour iniiler les langues de fen. On y ap|)ellc, a cause de
cela, la I'enlecote du nom de Pasqua rusula, la Paquo dcs
roses.
(Juelle elail maiutcnanl la niaison Je Jerusalem, qui, de-
signee dans les Actes sous le nom de Cenacle , ful Icmoin
de celle miraculeusc desccnte du Saint-Esprit? C'est une
question plus curieuse qu'ulile a resoiulre. Les savauls
n'oul pas ccpendanl juge indigue d'eux de s'cn occuper.
El d'abord on nommait Ccnacle la parlie de la maisnn qui
en formait la terrasse. On sail qu'en Orient la parlie supc-
rieurc affecte celle disposition. On a pcnse que c'elail la
m.ason de iMarie mere de Jean . suniomme Marc. C'est
celui-ci qui accompagna plus lard .saint P.iul et saint Dar-
nabe dans leurs courses evangeliquos. Keanmoins, Nice-
pliore designe la maison de saint Jean rEvangelislc ;
Tbeophylaele, celle de Simon le leprcus; Entbyme, celle
de Joseph d'Arimalhie. La pieuse imperatrice sainle 11c-
lene avail fait cdifier une eglise a Teuilroit ou Ton croyait
que le Saint-Esprit etail descendu. Elle a subsisle jus(|u',i
I'annee I4G0, epocpic a laquelle les Arabcs, ennemis du
nom chrelien lout complelemcnt ruinee.
Les Chretiens de I'Orient celcbrent la Pentecule avec une
graude solenuile. Des le samcdi preceJenl. la cereuionie
DU MOIS. 195
commence a Irois heures apres midi. On y chante d'abord
quinzc pro|diilies. Toutc la nuil se passe a I'eglise, et lors-
que Icjour parait, on conunence la messc. On croilque le
Saint-Esprit descendil de grand malin sur les apolres.
Ce qui rend cnfin Ires-venerable aux Chretiens les mys-
leres de la descenle du Saint-Esprit, c'est qu'en ce jour, .i
propremcnl parler, ful promulguee la loi nouvelle, et quo
le saiiil sacrifice de nos aulels commcnca d'etre celebre.
II est plus que probable que, dans les cinquanle jours qui
suivirent la resurrection de Notre-Seigneur, les apolres
n'cxercerent point le sacerdoce dont Jesus-Christ les avail
revelus en instituanl rEncharistic. L'infusion seule de ces
lumieres divines dont ilsfurent illumines pouvait les eclaircr
parfailement surleur augusle mission, en dissipant les tc-
nebres de lenr intelligence, que Jc.sus-Chrisl leur avail lant
de fois reprocbees. La veritable ere du chrislianisme s'ou-
vre done par ia Penlecote, et c'est. en effet, en ce joift" que
.se trouvent realisees toules les promesses de son divin
instiluteur
lA FflTE-DlEO.
Ici le cycle annuel des mysleres celebres selon I'ordre dc
leur accomplissement est iuterverli. DepuisNoel jusqu'i la
Pentecule. les I'eles suivent I'ordre chi'onologique. Le sacre-
ment de I'Eucharistie ful inslilue le soir du jendi saint,
veille de la mort du Sauveur, el, neanmoins, I'Eglise en
reculc le solennel memorial jnsqu'apres I'Ascension el la
Pdilccole. Ponrquoi ce deplacement? L'histoire dc I'inau-
guralion de laFele-Dicu va nous I'espliquer.
Pendant pins de treize cents ans apres I'elablissenicnt
du clirisliauisme. I'Eglise universelle celebra la memoire de
eel ineffable niyslcre le jour meme ou, .selon I'Evangile,
Jesus-Chrisl se donna .i ses apolres comme nourrilure de
leur ame ; niais en celte dnulourcuse periodc de la semainc
salute, il netait point possible d'environnerd'un pompeux
eclat ce grand anniversaire. En litis, une religieuse liospi-
laliere de Liege, nommee Julienne, eul des revelations.
Elle medilait sans cesse sur le gage precieux que Jesus-
Christ voulut laisser aux hommcs de I'amour qn'il avail
pour eux ; elle crut que le diviu Sauveur lui Liij<iii;nait
d'annoncer I'obligalion ou I'Eglise elail d'bonnrer par inie
fcstivite toute speciale I'inslilulion de I'Eucharislie. II v
avail alors a Liege un cbanoine d'un profond merile qui se
nommait Jacques Panlaleon. Nous vcrrnns ce que devint
par la suile ce personnage. Julienne lui fit part de ses re-
velations ; elle les communiqua ii un autre prctrc eminent.
Ungues de Saint-Cher. Ces hommes graves e.xaminerenlavcc
soin les commnnicalions dc Julienne. Us conclurenl en fa-
vcur dc cetle derniere, el enlin, apres une deliberation dc
plusieurs annees, I'evcque de Liege se decida a insliluer,
pour son diocese, une fcle particulicre du Saint-Sacrement,
qui dcvail eire celebrcc le jeudi apres I'oclave dc la Pcn-
tecole. Cet etaWissement date de I'an 1259. Mais observons
que c'elail une simple solennile diocesaiue qui naturelle-
ment se bornail aux pays places sous la juridiction de cet
evcque. Comment, du fond de la Celgique, la Fcte-Dieu se
repandil-elle dans loule TEglise? Dieu arrived sesCns par
des moyens qui Ini sont propres.
Le chanoine Jacques Panlaleon, qui elait devenu archi-
diacre de Liege, et ipie la France revcndiipie comme un de
ses enfanls, puisqu'il elait originaire de Troyes en Cham-
pagne, se dislingua par des qualites si e.xcellentes, qu'cD
I'annee 1261 , il fut elcve a la digniie papale, sous le nom
196
LES SAINTS
d'Ui'bain IV. L'eveque ct les dianoines de Liege s'cmprcs-
sercnt d'eci'irp au nouvcaii ponlifc pour le supplier d'clcn-
dre a toule l'Ei;lise la soleiinite roslreinle jusi|u'a ce nio-
niciil a ce diucese. Lc pape, a qui la bienlicureuse Julienne
avail fait part, |ienJanl son sojour a Liege, de ses revela-
tions, n'eut point de peine a accucillir la demande qui lui
ctaitadressee. Due LuUe, que Ton rappoite a I'au 1264, or-
donna d tons les palriarches, archeveques ctcveques,de
celebrcr la fele de Liege au jour manpie pour ce dernier
diocese. Uriiain IV niourul en cetle miime annce. La LuUe
ne fut point excculee, et, pendant plusde quarante ans en-
core, la solennile ne sortit point de son Lerceau.
Un autre pape, encore d'origincfrancaise, Clement V, qui
presida auconcile de Viennc, en Dauphine, en 1311, y con-
firnia la Lulle d'Urbain IV. Tons les evcques du concile, re-
presentant I'Eglise univcrselle, accepterent avec ,joie cclle
institution. Les rois de France, d'Angleterre ct d'Aragon,
claient pre.sents a cette auguste assemblee. Ce ne fut pour-
lanl qn'en 1316 que le successcur de Clement V revctit de
loutes ses formes, et rendit absolumeut executoire la bulle
d'Urbain IV. Or, ce successeur clait Jean XXII, et il elait
Francais comme les deux premiers. Nous nous complaisons
a rappeler I'origine de ccs trois popes, tons appartcnant a
cette belle portion de la catliolicito que I'Lglise romaine
appelle sa fille ainee. Depnis ce moment, le jeuJi qui suit
I'octave de la Pentecote devint un jour de clnetienne ponipe.
Si, dans le principe, on se conlenta de celebrer jiar dcs
cliants solennels I'instilution de lEucliaristie, plus tard on
y porta sous un dais le Hoi des rois dans son admirable sa-
crement. Les rues et les places pnbliques furent joncbeesde
lleurs, les maisons tendues de draperies, de splendides re-
pnsoirs eleves. Les grands de la terre se firenl honneur de
suivre la marclie triompiiale, les giierriers formerent I'cs-
cnrte du Dieu des armees celestes, et I'bumble peuple, loin
d'en etre repousse, y fut admis avec empressemeiit. C'est
ici surlout que la veritable egalite triomphe. Ailleurs, file
fut un systeme ensanglanle ; ici, elle regne avec amour. En
France, depuis 1802, la solcnnite extcrieure dont nous par-
Ions a ete transferee au dimanclie qui suit.
Avant nos troubles politiques de la tin du siecle dernier,
cette procession si profondement calbolique avait lieu dans
certaines localites avec un appareil lout special. Ainsi, d
Angers, on donnait d cetle splendide ceremonie le nom de
SACRE. C'est a Angers que I'arcliidiacrc Berenger, au mi-
lieu du douzieme siecle, osa precber contre la prc.sence
rcelle de Jesus-Clu'ist dans rEucliaristie. Smi errcur, re-
nouvelee par les calvinisles, car ii n'y a rien de noiivcau
sons le soleil, fut condamnce par les concilcs, et I'heresiar-
qiie lui-meme se relracla et mourul d.ins la penitence. Mais
cetle viUe, pour faire eclater plus vivement sa protestation
conire I'errcur, voulut donner a la Fete-Dieu un lustre \Am
imposant. La procession de ce joury pril le nom de Sucre,
c'esl-a-dire consecration du corps de Kolrc-Scigneur. Lc
titre si expressif de Fete-Dieu n'cst point, commc on pour-
rait le penser, emane de I'autorite de I'Eglise ; c'est le peu-
ple qui, en France, I'a donne d cetle solcnnite eucbaris-
tique.
A Rome, la procession du Corps du Sciqncur (lei est son
nom lilurgiquc) recoil nn nouve.m degre de magnificence
du chef supreme de I'Eglise, qui, a Saint-Pierre du Vatican,
y porte le Sainl-Sacremont. Quels termespourraient decrire
cette pompe cbrelienne dans la capilale du nionJe cbre-
tien? L'annee procbaine, nous cnlrcrons, a ce sujet, dans
les details les plus interessanls. 11 nous suftit de dire an-
jourd'bui que le pape se place sur un trone porlalif quo
s juliennent sur leurs cpaulcs les officiers charges de ce ser-
vice. C'est ce qu'on nomme en italien lc Talamo. Devant
le ponlife est place, .sur un repo.-.oir magnilii|ue, le Saint-
Sacremenl, qu'il soulient des deux maijis. Aulour de ce
trone marcbent des prelats remains qui tiennent sur le Saint-
Sacremcnt et le pape un richc dais de larmes d'argenl, sup-
porte par huit batons. Une Ircs-longne file d'ccclesiasliques
seculiers et reguliers, de prelals, d'abbcs mitres, d'eveques,
d'archeveques, de palriarches, de cardinaux, precede le
trone porlalif. Celui-ci est cutoureet suivi d'nn non^bre im-
mense d'aulrcs dignilaires ccclesiasliques el civils. Les trou-
pes ponlificales forment la haic ou acconipagnejit le cortege
sacrc. Chaque corps mililaire a sa musi(|ne, ses tronqieltcs,
ses tambours. Lc canon du chateau Saint-Angc mcle a leurs
fanfares ses detonations. Toules les cloclies des innomb.a-
bles eglises dellnme font entendre leurs carillons. La pro-
cession se dcroule autour de la vasle et superbe place de
Saint-Pierre. Celle-ci est tendue dcs plus riches etnlTcs, et
le briUant soleil de I'lt.die relletc loutes ces sjilendides de-
corations. Les cujurs palpileut d'afl'eclions pieuscs, et les
voix des fideles s'associenl aux accejils harmonicux dcs
saints canti(iues de la chapellc papale.
Quels sonl les mobiles preJominanls de ce religieux en-
thousiasme de la procession du Vatican ? On y considerc
par-dessus lout le vicaire de Jesus-Cbrisl snr la terre, poj--
lant dans ses mains Celui qui fonda snr la pierre fcimc
(supni firmam pclram) reJIIlce de son Eglise visible ; Celui
qui en remit au prince des apolres et a ses successeurs les
clefs mystiipies, et puis un monarque tenant dans ses royales
mains le Roi des rois, le Seigneur dcs seigneurs ; Celui par
lequel regnent les doniinateurs des nations; Celui qui dis-
tribue el ote les couronnes, selon les conseils de son cter-
nelle sagesse. Le monde n'avait jamais offert un spectacle
aussi inqiosa[it, aussi digue d'emouvoir une drae sincerc-
menl cbrelienne.
UOIS SE PIAI.
1. Jeudl.L'AscESSiONDEN.S.
JliSUS-CllillST.
(l'«j/. I'arUclesous celilre.)
St I'liiLiiTE cl St Jacques, apu-
tres. Le premier niort a
Ilier.ipolis en Pliryftie, a b
I'm liu 1^' siecle ; lc second,
surnomnie le Mincur, bpidc
h Jci'usalcni le jour dc Pa-
quc3 dc I'an 01.
StAkp^ol, martyr en Vivarais,
en 208.
St SicisMoxo, roi de Bourgo-
gne, massacre dans un vil-
lage a 4 lieues d'Orleans, el
jole dan& un pulls, ea 524.
a. Tendrcill. St Atfianase,
palriartbc d'Alexaudiie ,
docleur de I'Eglise , mort
en o73.
C'est un dcs [ilus ci!'ieiiics
pcres dc TEglise. Sos ouvrj^cs
sitnl eii S vul. in-fulio.
St Germain, evequc regionnaire
ou apotre en Anglclorre,
martyr veiilafuidu5*' siecle.
3, SamcdI. L'I.wc.ntion ou la
Decouverte de la vnAiEcnoix
par I'imperali'icc Ste llclene,
nicrede Conslantin le Grand,
en fan o-2C.
L'ainice pnichaine, nous dou-
nerous I'liistoiie de cene pr6-
cieuscdccouvcite ; eile prespiiio
les details Ics |ilus inlcressanis.
St Alexandue, pape et martyr
eiiU'J.
Dll MOIS.
<k- nimaiiclie. Dimanche.
diins I'octavcde I'Ascciision. ,
Stl Mumqve, mere do Si Au-
gusliii, niorle en 587.
Sr GoriABi>, <5vL'que en Alle-
magne, mort en 1038.
St Mallulfe, evcque de Senlis,
mort vers la fin du 6* siccle.
S.Ijuiidfi. StPieV, pape, mort
en 1572.
II jiuriaitpour nom dc ramille
ccluidcltlicliel Cliislcri. C'esiua
des plus grands pDuiires de oos
temps tuodenies.
St IIiLAiitE, evcque d'Arles,
mort en 449.
11 a bisse i>lusieur5 ouvragcs
«xcc!Icms, et iduaicurs auires
sc soni pcrdus.
St Sabdos, (iveque de Limoges,
mort dans le 8*^ siccle.
U. Ifiardi. St Jean devant la
portc Laline.
C'esi la fete du marlyre de I'a-
pOireSl Jean, qui fui mis dans
unccUaudiere d'liuilo biMtiibme,
anpri-^s dcia porle dile Laiine, a
nonic, el qui en soiiii mnacu-
k-u.^ciuenl prcsrrve. Ce iiiaitirc
eui lieu eu I'au 95.
St Jeas Damascene ou de Da-
mas, pure de I'Eijlisc, murl
eu 78U.
7. Ucrcrecli. St Stanislas,
evcque de Cracovie. en
Polognc, marlyr en 1079.
St BENuiTlI.papc, niurU'nG85.
St Valehils, evcque d'Auxerre,
mort au S'^ siecle.
Si Sebe.ve et St Cehemc, frc-
res, rcclus du diocese de
Seez, morls au 7* sicclc.
8. aVeucli. L'Apparition de St
WiCHEL en plusieurs lieux,
Ct notanimenl au monastere
de Si-Michel en Normandie,
pres d'Avranches.
St Piehue deTaremaise, arche-
vcque de cctle vilJe, en Sa-
voic, mort en 1174.
St Victor, martyr a Milan, 505,
O. Veiidredi. Si Gregoihe de
N.4ziANZE,archevcquedeCon-
slanlinople et docteur de
I'Elilise, morl en oS9.
Scs ouvrages en piuse et eu
vers grecs suni nomljrcux ti re-
ma rquables.
St Hermas, disciple desapolres,
niortau 1" siccle.
DO. Kamedl. St Antom.n ar-
clicvcque de Florence, mort
en 1459.
Scs (cuvres iheologtques som
en i vol. in-fol.
St Gobdien et St Epumque
maityrs en 250.
Ste Soi-ance, vicrje marlyre
prcs de Bourses, en 880.
St IsiDoriE, labourcur et palron
de la ville de filadrid, morl
tnino.
11. l>lniniirl)C. Saiutjourde
lA I'tMLLUTE.
(Voy. Tariiileainsi inhiule )
St Maweut, evcque de Vienne
en Uaupliine, morl en 477.
St Maveul, abbe de Cluny ,
morl en 1)94.
St Gengou ou Gengoul, martyr
en iiuurgogne, en 7G0.
12. Liindi. St Nehee eL Sr
AcniLLEE, martyrs, 2^ sii-cle,
St Pascuace, martyr a Home,
en 5U4.
St EriPiiAKE, arclieveque de
Salamiiieen Cliypre, pcre el
docteur dc I'Eglise, mort en
4U3.
Les (Tuvrcs de ce ptre soni eu
S vol. iu-fol.
13* Mardl. StJuuen le Si-
LENCiAiiiE, evcque, puis soli-
lau'e, en Armenic. mort en
559.
Lu silence absnlu qti'il g,ird.i
pendaui les quatie di-nniTcs
aiinecs de sa vie lui a fail dunncr
|p surnoiii ci-dessus.
Ste Acnes, abbessc de Stc-
Croix de Poitiers, morle au
6^ siccle.
14. Slercredl. St Boniface,
martyr en Cllicie en 507.
St Pacome, abbe de Tabenne,
insUtuleur des cenobites ,
morl en 548.
Sr Pons, martyr en 258.
La ^iile de St Pons en Lan-
gucJoc I'll a pris Ic iioin ; etic
s'apiu'lait aujiaravani Tomicrcs-
St EnEMCEUT, cveque de Tou-
louse, mort en 071.
— Oualrc-Temps.
15. «Jeadl. St Pierre deLamp-
SAQi'E et ses compa^nons,
martyrs a Lampsaque, dans
I'Asie BJtncure, en 250.
St Cassius, St VicTonis, St
Maxime et plusieurs autrcs
martyrs en Auvergne , vers
I'an 200.
St EupuiiAisE, cveque dc Cler-
mont en Auvergne, mort en
514.
16. Veudredl. St Jean Ne-
poMccENE, martyr en Jjolnjme
en 1583.
L't'iupereur Venceslas le fii
niouiir, parce qu'il n'avait pas
vuulu reveler la confession de
rimpt'iatrice, son epouse.
St SiiiOiN Stokc, 6* general des
Carmes, mort en 1265.
St UriLTi, evi'qiic dc Nnliie, en
Ombric, morl en 1100.
Qualre-lcmps.
17. Kaiuedi. St Paschal Ba-
bylon, IVanciscain, niort en
159.'- — Qiiatre-lenips.
St PossiPiiis, Cveque en Kunii-
dle, disciple de St Augus-
lin, morl en 450.
Ste Fra5!kl'se, comtcsse de la
cour de Dagoberl 11, mork-
au 8^ siccle.
16. Uinianrlie. F^te lie la
trcs-Ste TniMTE.
St Eiuc. roi de Suede, martyr
en 1151.
St Tiieohote, cabarclicr, cl les
sept vierjresses compapnes,
martyrs en Galalic, en 505
St Vekance, marlyr en Italic,
en 250.
19. LiUiidl. St Pierre CcLts-
iis, pape elu m.ilgre lui, ct
puis dcmissionnnire, morl
en prison en 1290.
St Dunstan, arclinvcque de
Cantoibi'ry, mort en 988.
St Hacuife, evcque d'Arras,
mort au 8^ siccle.
•SO. SlHTlli. St BlRNARtUN RE
SiENNE, rcligicux deSt Fran
5ois, morl en 1444.
St Bauuile, martyr a Mines
au 5^ ou 4'^ siccle.
La Frame ft I'Espagnc mil
beaucuup d'lgliscs placees sous
£ous son invocation.
St EriiELtERT, roi des Est-An
glcs, martyr en 795.
St Yves, celcbrc evcque de
Chartres, mort en 1115.
II est auteur U'lin granu nimi-
bred'ouvragissur le droit canon,
la liiurgie, eic.
21. Hercredi. St Felix vi
Cantalice, capucin espagnol.
mort en 1587.
StHosmce, reclusca Provence,
morl en 021.
St Gorry, crmile en Angle-
terre, mort en 1170.
22. Jeudi. St Yves, cure en
Bretagnc et olficial, patron
desavocats, mort, 1505.
St Beuvon, genliihonime de
Provence, mort en 985.
23. Veudredl. Ste .Iulie
vicrge marlyre en Corse
5® siecle.
St Didier, eveque de Langres,
martyr en 411.
St Sucre , ev-jque de Nice,
mort en 787.
24- Samedi. St Vinxent be
Lerins, morl en 450.
Ce saint est celcbre par son
ouvrage dit Conimonitorium.
197
St Dosatikn ct St Uugatiln,
m,irl\rs ii Nantes, en 287.
S. GeiiL.M'ML FiiiJiAT. solitaire a
Morldin, mort a la liu du
lie siccle.
25. nimniicliP. En ce jour,
rEi;lisc celcbre soIciuilIIc-
mcnl en Fraiicela Flte-Uieu.
Ailleurs, c'cst le jcudi pre-
cedent.
(Voy. I'ariirlesous re lilre.)
aG. B>undl Ste Marie-5!a-
DCLriNE DE pAzzi, viccgc caf-
mijlile, morte en 1607.
St I'riiiAiN I, pape ct martyr en
250.
Ste 5Iaxiiie ou Macxe, cl StVe-
VERANO, martyrs au diuccsc
d Evrcus, au 6^ siecle.
St Pun iiTE iiE Kliu, I'ondalcur
de rUi.iloirccii llaiie, mort
en 1595.
I cs oraloriens de France fu-
rciil foiiiics par Ic saiiii canlinal
dc UoiiiUe. muri en 1G29, pcu-
d'ltii qu'il disait ):i inessc.
St AiiiUSTiN, apolrc d'Anglc-
tcrrc, morl en 004.
'•im. Manli. St Jeas I, pape
el martyr en 520.
St Behe Pcre dc lEglise, Ic
llanibeau de i'An^letcrrc,
morl cii 755.
C'csi uii des plus illustics
^ciiwiiis du cailiuIiciMne.
US. Mfpci-edi. St Germain,
cveque de P.iris, la ^loire ifc
I'Eglise gallicane, au 0' sic-
cle, mort en 579.
C'es! le vocable de la paroissc
St-GcruiaiiJ des I'rcs, a Paris.
St CiiEi.oN, marl\r prcs dc
Chartres, a la liu du 5* sicclc.
29. tBeiidi. St Maximin, cve-
que deTicvcs, morl en 549.
St CvRiLLE enlaiil, martyr en
Cappadoce, au 5" sicclc.
St CoNuN et son lils, mai-lyrsa
icomum en Asic, en 275.
30. Veudredi. St Felix I,
pope et marlyr en 274.
St Feuiunano 111, roi de Leon
el dc Castillc.mort en 1252.
St Malci'ille, solitaire en Pi-
cardie, mort en 685.
31. Saamedi. Ste Pethosille,
vieiga, qu on a considiJrce
connnc lille dc St PuTre, ou
du nioins comme sa fiile spi-
riluclle, morle au 1'' sicclc.
St Cant, St Cantien, Ste Can-
TiAMLLE, Icur scEur, martyrs
dc Rume, en 504.
St IliiTOLVTE Galantini de Flo-
rence, canonise par Leon XH,
le 51 niai 1825, mort 1019.
I'JS
CHROMQL'ES
CHIIONIQUES ET LEGENDES
DU MOYEN AGE.
£A VIERGE DX REKONOT.
II y a dans les monlagiics du Doubs des lieux pen fru-
quenles pnr les voyngours curieux, et qui ccpendant mOri-
tcnirnlli'iilioii dcsnnatimrs ; dans ce nombre nousplarons
vile I'i'glise do riemonnt, creusee par la main de la nature
dan^ ini rocher l.iillc a pic, et oil Ton nc penetre quo par un
cscalicr rapide de cent marches. Or, sur cet endroit de prie-
rcs, voici uno legende non moins inlcressante que veri-
table :
Un jour, lorsque tout paraissail dcji sombre et que le
solcil venaitlenlemcnt de s'abaisser dcrrierc les bois pleins
de himiere ; lorsque dejii les rimes hclveliipies semblaient
se couvrir dps p;iles hicurs de I'astre de la nuit ; un de ces
soirs si beaux Jans les mnntognes, avec le calme des champs
ct la pais du ciel , quand on enlendait I'onde se plaindre
mnllemcnt vers le rivage du Doubs, et que la brise, bcrcaul
le feuillage et les lleurs, portail a Dieu, conimc un enceiis,
les doux parfums du jour. Chariot, jeune berger, orphelin
du village de Ilemonot ; Chariot, viclime dii malheur, qui
miu-it rbomme avant I'age, assis sur un rocher, se livrait
Iranquillement a ses reves, tandis que ses cbevaux, errant
dans la plaine, foulaient rherbe d'un pied mutin.Toula
con|i la feuillee s'ngite pres du pSlre; il est reveille de ses
distractions. — II ccoute... il respire plus has... il a peur.
Une dame au front majeslueux et couronne d'cloiles,
louchant a peine le sol de son pied leger, apparait a ses
yeux. Est-ce un ange? est-ce une reine? est-ce une fee?
Dans son port il y a quelque chose d eirange ; sa levre
vormeille n'a point un rire ordinaire; son front brille de
reciat de la rose mystique ; son regard pudique est renq)li
d'une ineffable douceur ; tout dans elle commande le res-
pect et I'amour. CependanI, comme elle se halait, vnila
que son long manleau d'hermine se prcnd et s'embarrasse
aux poinlesd'un eglanlier touffu Cet obstacle devait I'alla-
cher et la retenir dans celte position penible, lorsque Char-
lot accourt : II se bate, et, d'une main soigncuse, il deta-
che les longs plis brillanis d'or de la noble dame... Mors
pleine de joie : — « Enfaiit, lui dit-elle, ton obligeance
nierite gratitude; tu I'auras. Je suis la reine du ciel! —
Pais un vieu ; — la-haut mon pnuvoir est immense ; fais un
vreu, mon enfant. — Cboisls avec prudence: fais nn v(cu ,
il s'accomplira.. Veux-lu le bonhcur etcrnel du paradis? »
Au nnm de la reine du ciel, le prilre se prosterne la face
conlre terre; il s'ecrie : n Sulul Marie ! mere des orphe-
linsl... 1) L'ivresse du bonheur eteint sa voix Iremblanle.
II s'etait dit bien des fois : « lleureux rbomme qui, pen-
dant sa vie, obtient ce qu'il convoile!... Jlaiutenant, em-
barrasse du choix, il reslait pensif. Son ange lldclc, ce ce-
leste conseiUer qui berce noire enfauce a Tombre de son
aile, et porte notre ame ii Dieu quand Thenre a sonnc notre
dernier soupir; son ange inspirait ii son cocur de smistres
pensces, et deja sa bouclie allait exprimer son vreu; il al-
lait demander le ciel pour terme a sa misere... Mais le dia-
ble etait lei, lui sifllant aux oreilles : u Deviens riche. Char-
iot, devious riche, et tu feras merveillc pendant ta vie ! De
I'orl do Tor! lui dit-il, de I'or! Ami, n'liesite pas. Quand
ET LfiGENDES.
la trisic vieillossc vicnl, quand la mort implacable rocl.mio,
n'est-il pas toujours temps de ponser si'iieusemenl an bou-
heur etirnel?... Crois-moi, Chariot, le p'us sur est d'a-
bord d'etre heurcux ici-bas... » Et Mannnon romporle !...
Chariot, les yeux baisses, d'une voix emue et totile lion-
teuse, begaye ces mots : « Madame, puisque vous daigncz
m'assister dans ces lieux, pardonnez! Ilelasi toujours
nourri dans I'affrou.^e indigence, bien des fois j'ai n've le
hixc et rabonjaiico. Je suis si jeune encore! je vou-
drais bien en gouler...
— Qui' tes vfcux soient acconiplis, repartit la Vierge, et
puissenl tes ardenis desirs n'cde jnmats stiiris de quel-
que amer regret ! Ta seras done satisfait. — Tu vas avoir
de I'nr en abondancc. Ecoute. 11 est, non loin d'ici, dans
cette meme vallee, une grotle noire et profonde sur la rive
du Doubs, oii, pour garder un tresor, veille un dragon
cruel ; ose y dosccndre , — et, arme de ce picux rosaire,
tu ponrras encbaincr la colere du monstre et braver sans
peril sa griffe et sa dent. Ne crains rien : tu sais que la voix
du grand prophetr a dit : « Que Marie ecraserait la tele de
I'anlique serpent. » — Tu vaincras en mon nom?Pars, sois
forme et prudent. »
Or, jeunes et chers lecteurs, il est necessaire que vous
sachiez par quel hasard et pour quel puissant molif la
Vierge s'atlardait ainsi dans les hois. Pros de Remoii'it,
dans un roc olcve, il exisle un autre obscur et solilaire oil
se tenail autrefois le sabbat. Le Dnubs, servant de ceinture
aux abords de la roche, en defend rapproche du cole do
1 orient. Des rochers a pic des lour base et leur cime, et
comme suspendus dans les airs, nc monlrent dans ces
lieux, aux regards eperdus, qu'un abime effrayant el dan-
gereux. Copendant nn jour, un vieil anachorete, cberchant
une solitude plus profonde encore, arrive en cet endroit,
fait avec du sapin un immense escalier, le suspend aux pa-
rois du cratere ; la chose, il est vrai, semlde morvcilleuse,
mais c'elail l.i I'oeuvre d'un saint Du haul du roc le fragile
edifice menait a lanlre par cent dogres. Cost l.i que le
reclus vivait seul avec Dieu. ^'oble guerrier aulrefois, dans
ce sombre oratoire il immolait les plai-irs et la glulre pour
acquitter OdelemenI, sans doule, un vtcu. L.i une image
divine de la Vierge, conquise dans un temps par ce bonis,
dans les champs de la Palestine, olail delmiil sous un dais
forme de son pennon blanc, couronueo de son casque d'or,
ayant pour Ironc son lourd bouclier ot sa brave epoo pour I
garde d'honnenr. Des ce jour commcncent les prodiges :
bieuloton s'approche de la grotle sacree pour prior avrc
fervour lamndono; on en revient plus sag/ ou plus Inii-
reux. L'eau qui baigne les plods de la slalue rend snudain jl
la vue aux yeux eleints, guoril les tourments des loproux. ill
Sa douce inlluence fait lleurir la paix dans les hamoaux on-
vironnants, et repand ses tresors dans les champs aupara-
vant stcriles. Les malhoureux, pour adoucir et calmer leurs
miscres. lui confient, comme on fait a une bonne mere,
I'un son espoir, un autre ses remords.
Lorsque I'ermile cut termine sa carriere, le tresor dt-
vin oxcila les envies de plus d'un manant; et vous allez
voir quo, memo dans le sanctuaire, les gros ont trnp sou-
vent mange les potils. Dans rabbaye de Mout-Benoit, un
lier abbe, porlant mitre et crosse, un jour convoqua son
ohapiiro D'un air soricux il se mil n dire : u Cost grand
pilie, venora!>lps. qu'un nnir rocher, dans un lieu pordu,
logo si nidjio daniol Fioro, jr la voux pour noire autcl, et
des domain nous irons la quorir. » Cos paroles fi;rcnt i;n *
I
CllRONIQUES
rommnnclomont. Done, iin maliii, rimr.qc sninlc csl ciile-
vce , f I cc jour, mon Diou! on vil liion dcs yeux rcniplis
dc grosses larmcs. La I'iclie callioJrali' tic Jlont-Bcnoil I'c-
c.o'd alors, en pnmpe solennelle, la Vicrge, amour de nos
moiilagnards. On la pl.irc dans un tabernacle richement
prepare; Id on prodigne I'enccns en son honncur puiu'
avoir d'elle nu moins un miracle. Mais vain cspoir I Lcs le-
vrcs ennuyees d'un clianire oisif, d'un moinc I'aligue, no
Lourdonnent que de I'aibles pricres, qui ne valenl pas, pour
la bonne Marie, ces mnts du crcur ([ue lui murmurail le
mallieureux dans la grolle veneree. Cependaut, dans Ic so-
litaire vallon, tons croyaient avoir perdu une mere, clia-
cun prevoyait des malheursl et la grotte, jadis si pli'ine,
cstouvertc a tons lcs vents ct ne viiil plus que qnelquc
passant qui vient y verser une larme. Mais Marie, au ciel,
prend pitie des inforlunes. n Wcttoiis, dil-elle, un terme
aux douleurs des ames afdigees ; 11 est si dons de vivrc
pres des ctrurs puri ! « Mors, descendant sur I'antique cl
orgueiUcuseabbaye, ellc en franchil li'gi'renient ct avec niys-
Icrc tons les nuirs, el la, d'unc niainliabile et par un miracle,
die ravitsa statue... — Quand le bergorla rencontra le soir,
c'elait I'instant oil, desccndue du ciel, la Vierge immaculce
iillait rendre I'espoir a Remonot en emporlant son imag.'.
La Vierge disparut a ses yens, se prccipila dans des (lots
dc luniiere , el si Chariot n'eiit cache sa face dans ses mains
Iremblantes, il eut ele frappc de mort par la celeste
clarle... Ilcrtut sortir d'un reve. Plus li'ger qu'un chevreau
qui bondit dans les champs, il arrive a la grotte au merveil-
leux tresor. Traversant I'inimense peristyle, une torche de
ri'sine allumee a la main, il est bientul dans I'antre salu-
lairc. Cependaut, quand il voit aux parois dc la voule que
tout est noir, il se prend a tremldcr et se signe trois fois;
niais il voulait dc I'or 1 — Le voila done qui se traine a tra-
vers de longues coulisses ; il est pres de ceder au vertige
fatal... Quand il parvient enlin a la dcrniere salle, on tout
resplendit d'une lumiere etrange, des murs jaillil une
Damme ctincelantecomme dans un palais de crislall il y
voit suspendus en lustres de vivantes picrreries, des topa-
zes, des saphirs; tout est ravissanl. Le [lalre, ebloui, aper-
9oit a ses pieds, plus presses que lcs grains sur I'aire dii
riclie proprielaire, d'enormes anias d'or. — II y porte la
main... Le dragon tout .i coup, de sa gueule enllammee,
vomit avec furcur des tourbillons de soufre et de fumee ,
drroule avec vilcs.«e ses anneaux rocailleux, s'ljlance en
inugLssant... Mais le malin et admit chevrier jclte le saint
rosaire au con torlucux dc I'horrible monstre; le cerbere
cruel expire sur le sol en gemissant.
Tu triomphes, Chariot!... Sous ta vestc champetre tu
vivais d'un pain noiret grossier. Que lu vas etrc hcureux
avec cet amas d'or I Ta fortune, il est vrai, sent le soufre
etle diable, mais pen imiiorle ; cclui qui partagera ta ta-
ble et tes plaisirs n'ira point s'enquerir d'oii te viennent
lcs richesses.. A peine Chariot a-t-il goule le fruit de son
Ire.sor, que deja il reve honncur el noblesse; bientol grand
seigneur. Par sa fortune immense, par son luxe, son faste,
( liar les de Rcmonol est vanle jusqu a la cour... Cepen-
daut, quil'eut cm? .son cicur rcstait vide .. Une (emnie,
|icut-clrc, comblera rabime qu'a follemcnt crcuse dans son
ciL'ur lardeiite ambition ! Jadis, bn-squ'll etail pauvre, une
borgerc, innocentc et pauvre comnie lui, elait dans son ca'ur
pur; elle consolait ses maux , elle I'appclait son frere .
Mais a M. Charles le riche il fallait un graiid noin : il le
vent, 11 I'obllpnt. — L'or, coUc puissance mcrveilleuse,
ET LLGENDES. 199
ouvre devant lui la porte cliez tousles hauls seigneurs, el
pour lui fraycr le chcmin, l'or sail lout oplanir. Le |i,alrR
Chariot, aujourdhui gcnlilhonmie, oublieux des amis qn'il
laissa sous le poids de rindigcnce, des dcmain va s'unir au
sang d'un riche baron. Alors, dans la grotte benie, se
presscnt tons ensendile valets, pages, vassaux, landis qu'un
eveque venerable, sous la pesnntc mitre et la crosse bril-
lante a la main, benil eel hymen glorieux. Les nobles chS-
telains environneni Charles et lui servent d'escorte, pen-
dant que, pres de rentree, une bergere a gcnonx seule prio
pour lui, les ycnx jilcins de larmcs; et, parnii cette foule
rayonnanle dc plaisir, pas un ne fail allenlion a la pauvre
plcnrcuse. Sire Charles mOme, I'ingrat! feint de delourner
le regard, fier qu'il est de presser la main de sa noble
compagnc. Enivre dn bonhcur , il monte I'esealier qui doit
le rcndrc d.nns la plaine. Dej.i il atteignail le faite de la for-
tinic, quand, roulanl des dcgrcs. il vint sur le roe se bri-
ser la lele !... Epousc el fnnx amis, tout full epouvante. —
Et la pauvre bergere?... la pauvre bcrgcre, a gcnoux a la
porte, ful Irouvee, le matin, morlc a cote dc lui, ctrci-
gnanl dans ses bras son corps ensanglanto.
Quand mon picux grand pcre nous raconlait colle Iiis-
toire, il disait en linissant, ct d'un accent snlcnnd : » Mcs
enfanis, souvenez-vous de cet cxcmple, et apprcncz qu'il
n'csl jamais Irop tut pour dcmander le ciel. »
PETITS VOYAGES
SUR LES PRINCIPALES RIVIERES DE FRANCE.
I.A LOIUE,
SES DOr.DS ET SES SOUVENinS.
sriTE(l).
TBADZTIOKS LOCALES OELA TOUBAinEET DS {.'aIMOU.
Comme les fossiles qu'on retrouve dans lcs ontrailles de
la terre indiqucnt aux savanis les differentes cpoques oil
des families d'etres inconnus de nos jours ont vecu; — de
mi'me les supcrslitions cl les usages encore en vigueur
dans les districts et les communes de la Touraine indi-
qucnt aussi lcs cpoques ou lcs Druidcs, les Remains et lcs
Francs out etc mailres du sol. Ki le temps, ni le melange
varie des races n'onl efface la profonde impression des
croyanees et des pratiques religieuscs oubliees dcpuis des
siedes, apres avoir scrvi de regie a ces liomnies qui
etaienl autrefois souverains du pays, et qui formaicnt la
population de I'ancionne Gaule. La celebration du [iremier
Janvier, dans la pliipart des communes de I'arrondi^sc nicnt
de Loches, tire evidemment son origine des coutumes drui-
diques : on I'appelle Vuguillmnicn ou aguilUmcs. Tons les
paysans vont, ce jour-la, de maison en mai.son, sonhaiter
une heureuse annee a Icm's voisins, demandant ii grands
cris lcs agiiillaunen. ce qui leur vaul en general un petit
present. Dans les villes, on donne ct recoil les etrennes;
niais a la campagne, I'aguiilaunen a pour but de rappe-
j(| rcj. Ion" IV, p. I3J.
!')0
TETITS VOYAGES
ler Ic lonips cu los Drnnlcs cnii]iniont, avcc iin coutoau
d'or, Ic gui sacre {i>ar.ibUc Ju clii'iic), qii'oii jcloit dans
un drap de loile blanche, puis ((n'on disliibiiait nu pciiple,
en ciiant : « A gui I'an ncuf; » d'oii vicnt le niolajuii-
Saumur.
launcn. On allribuait a cclle planlc dcs vorUis spccialos
conlre plusieiirs maladies cl infii-mites, tellcs que rcpi-
lopsie, la slenlile, le poison, etc. On I'eslime encore bcau-
coiip aiijonrJ'bui, surlout lorsf|n'clle provicnl dii cliene
memcToiil povle a croire eepondant que cctte plantc, qui
|)assc pour parasite, n'est pas le giii ordinaire, niais une
planle allicc peut-etrc, le lorcnthus cumpmis, qui csl tres-
alioiidanl sur le cbtMie dans plusieurs pays de I'Europe, et
rcssomljle infiniment au 171a'.
La Uis-Ilergere, autre lete ancicnne, a lieu le jour de
la Ouinipiaqcsime, c'esl-a-dire, le dimancbe gras, Lcs bcr-
r;ers de cliaque haineau se rassemldeut en plcin air, si le
Icmpsle permct, apporlont aveceux dcs provisions de pain,
de vin, de laid, ct surtoiildes (Eiifs appelcs a jouer le prin-
cipal role dans la ccremonie. Aucun dcs domestlques eldcs
ji'uncs gens qui babilcnt les fermes voisines ne manque a
cclle fiHe, el la nuit se passe a chanter et a danser.
Le IHmaiicIie dcs brdinhnis se cidebrc dans la soiree du
pri'micr dinianclic de carcuLC. Des qu'il fail null, les jeunes
garrnns ct les jeunes fdles dn voisinage parcourent les
champs de bles, tenant a la main une torclie cnflammee.
Dans le lierri , lis portent de grands batons surmontes do
paille en feu. Queli(uefois leurs torches se composent de
liges dessechees de hoiiillon-hlanc reconvertes de goudron.
II s'agit d'allera ladt'converle de la unicllcB oude I'ivraie,
qn'ils regardcnt commo Ires-prejudiciable a la moisson. La
recherche dure une demi-hcure, apres laquelle ils retour-
neut cliacuu dans leurs fermes, oil un festin les attend,
compose en [larlie de crepes, le metspar excellence, qn'on
distribue anx jeunes gens, en proportion de la nielle qn'ils
rapportent. On pretend que cetle fete leur vient des an-
ciens qui rcndaicnt houneur a Cybele ou Ceres , symboles
idolatriques de I'agricuUure.
La veille de Noel , on garnit le foyer de la plus grosse
bCiche qu'on puisse rencontrer : c'est le souche de no ou
fercfcu. Lecliefde la famille monte dessus, et crie trois
fois a haute voix ; No, no, no, que ce jour est serio pur Ic
bon Dieu el la bonne Vicrgc ! Ic ferefeuest au feu! Qu'on
se incite a genoux. On dit ensuite \m Paler twstcr, un Ave
Maria, suivis de chants qui se prolongent j.isqu'a la messe
de miuiiil. i\lais, avant le depart de la famille, on dislriliie
de la nourriture aux bestijux. 11 est expressemeut defendu
d'approcher de relablc avant la fin de I'officc ; car, celte
Huit-la, tous lesanimanx out la faculle deparlercnireeux;
et malheur a celui qui ecoute leurs conversations. On ra-
conte dans le pays, de generation en generation, I'histoirc
lamentable d'un imprudent econleur, et pas un des paysans
de I'cndroit ne doute de sa verile. Certain proprietaire
d'autrefois, tres-curieux de savoir ce que les boeufs avaicnt
a se comninniqner, se caeha dans I'clahle; des que niinuit
eut Sonne, il entenditnne deces betes dire a une autre d'uuc
voix terrible : « Que fcrous-nous demain?— Nous con-
<c duirons noire niaitre au cimetiere, » beugla son cama-
rade. Le fcrmier, saisi d'epouvante, put a peine se trai-
ner jusqu'a son lit, oil il expira pejulant la nuit: jamais
personue dcpuis n'a ose cominelire une pareille indis-
cretion. Le feu qui s'allunie n'cst pas destine a chauffer
les families au retour de Peglise, car tout Ic monde so
rend a la messe, a rexeepllon des malades et des vieillards
retenus au lit; niais on suppose que la Vierge vient aiipiiis
du foyer, pendant leur absence, emmaillotterrcnfantjesiis.
La grosse buche, on sovche de 710, bri'ile pendant les Iroi.;
fetes de Noel. Les cendrcs en sont precieusement rccueil-
lies ; on a lesoin aussi de conserverdesmorceaux de braise,
pour les suspcudre comme des reliques au plafond ou au-
dessus du lit. Les cendres qui reslent sont mises de cote et
se donnent aux vaches quand elles vclent ; melee a leiir
boissun, cette poudre produit, dit-on, un effct merveil-
leux.
La fete dcs Rois est aussi fort ancicnne. Le chef de la fa-
mille decoupc un grand gateau de forme plate , ou se
trouve cacliee une feve; il place ensuite sur la lahle le phis
jeiine de ses enfanls. Au nom de Phwhc qu'il liii adresse,
renfaut rcpond Domine, nt dislrihue indirfcremnient ii clia-
cun sa part, sans s'occuper de I'lige on du rang, quoique
lcs domestique.s soicnt tous presents; enlin, celui (|ui est
maitre do la feve ilevieut roi pour la nuit, et les rejoiiis-
sances qui suiventrappellent 'out a fait los saturnales des
Romains; il est evident que les mots Phiiheei Dnmine indi-
quent la subsliliition chrelieune do Doiniiius ( le Seigneur)
ii PItoibus (ApoUou).
La Jnincc. — La veille de la Saint-Jcaii (le Si juin ),
tous lcs villages allumeut des feux le soir, appeles la
Joince ou Johannie. Aussilot qu'il fait nuit, les honimes,
SDR LES RIVIERES DE FRANCE.
les femmcs et les enfants se rasscmblent. C'est .iu plus
5ge, ou ail principal pcrsonnage de I'endroit qu'apparticnt
rhonneur d'.illumer le feu; c'cst lui qui raarche en
tete trois fois aulour du monccau de llnmmes, Pt fait les
prieres a haule voix. Lorsque la provision de bois est a
peu pros consoniniee, on y ajoulc des branches de gcne-
vrier et aulres plantes aromatiques qui produisent une
epaisse fumee ; viennent ensuite lous les besliaux des en-
virons que Ton ponrchasse trois fois autour du feu; puis
les jeuncs gens se mettent a danscr des rondes, i cban-
ter, a se rcjouir jusqu'a minuit ; et quiconquo se leve
avant la naissance du jour remue soigneusement les
ccndres , trouve certainemcnt des tresors. Les cendres
elles-mcmes sont douees de verlus speciales et mervcil-
leuses.
Les Fees. — La croyance dans ces csprits est a peu pres
la nieme que parlout ailleurs : ce sont des csprits ce-
lestes, especes de rains, qui le jour habilent les caver-
ncs ou les ouvertures des rocbers , et clioisissent sur-
lout le voisinage des fontaines solitaires ou ils se plaisent
souvent a lavcr leurs volcnients ; on les croit en gene-
ral bienvcillants. (luelquefois ils se promenent a cheval
la nuit, nouent la criniere de Tanimal pour se fairc des
etricrs, laissant Hotter les barnais a Pavcnture. lis ai-
ment les danses au clair de lune, et vuns pouvez faci-
lement reconnaitrc le theatre de leur reunion d'npres
I'aspect sombre du gazon. Ceux de qui je tiens ces de-
tails prclendent tons que les csprits sont beaucoup plus
rarcs qu'autrefois ; les uns ont enlendu dire que le plus
grand nombre fut chasse de France, il y a environ huit
cents ans, et condamnes a vivre exiles dans un pays eloi-
gne dont le nom est rcste inconnu ; de sorle que dans
deux siecles ces genies rcviendront hahiter leurs ancicnnes
demcures. On voit encore, dans le fosse du chateau de
Lochcs, deux piliors qui supporlaient le pont-levis con-
slruit pour facililer I'evasion de Marie de Medicis, cher-
chant a se soiislraire a la tyrannic du cardinal de Riche-
lieu ; les fees auraient, dit-on, enlrepris et achcve le tra-
vail en unc nuit. 11 y a encore unc autre espcce de fee,
connue sous le nom dela Be'le-Harctte, qui simhle d'unc
nature peu aimable : elle se rOfugie dans les puits et les
fontaines; elle aime taut les enfants, qu'illui arrive qucl-
quefois de les altirer dans I'eau ct de les y noycr.
La MiUoraine, ou la Demoiselle, est un fanlome blanc
i^A ' te'
qu'on apercoit, surtoul en Normandie, dans les endroils so-
litaires. Sa laiilo est colossale, sans formes, sans trails par-
licuUers. II grossit de plus en plus a mesure que vous en
approchez ; mais quand vous arrivez a Tendroit menie, il
di.«parait en s'elevant au-dessus des arhres, et Ic bruit qu'on
cntend ressemble ,i celui du vent qui agile violemment les
feudles. D'aulres esprils viennent encore hahiter les mai-
sons, et s'amusent a jouer les plus vilains tours ; ils frap-
pcnt tantOt aux portes, tantOt sur des tonncaux vides; ils
derangcnt les meubles, chuchotent d'uue maniere inintelli-
gible, poussent de gros soupirs et dc,s gemissemeuLs, lirent
lescouverlures, font des grimaces affreuses aux enfants, etc.
Parmi ces esprils, le plus redoute de lous s'appelle la lletc
de Saint-Germain. Les apparitions de beliers noirs qui
vomissent des (lanimes, de chats noirs aux yeux de feu, de
taureaux rouges a grosses cornes. de cbiens noirs qui res-
tent immobiles pres des lieux oii sont enfouis des tresors,
sont, en general, fort communes ; mais les lapins blancs
sont par-dessus tout fort dangereux la nuit.
La Chasse del Cliiert, ou Chasse de Sainl-Huberl, a lieu
souvent la nuit, dans les airs ; elle s'annonce par des aboie-
ments de cliiens, un bruisscmenl de chaines et par des oris
26
202 PETITS
lupiiLi-cs que Ton allriluc aus demons, qui liansporlenl ilcs
Slues condamnecs vers iin lieu Jc siipplicc. Ceci s'appelle
riicore le Chasse Uriquel ou Chasse a Itibaud. La plupart
dos |wys;ins prelciidoiil I'avuir entendu • niai-' tou ce Lriiil
esl occasionni;, saus doiito, par les troupeaux d'oies saiiva-
grsnii aiilics oiscaux emigranls.
Les liistoiics de soicellcrics soiit genoialement accredi-
tees. La reunion secrete des huguenots et des ai;tres sec-
laircs persecutes anciennement a proliablcmcnt dnnne lieu
a une foule de ces recils merveilleux. Aujourd'liui, la race
des sorciers est fort meprisee ; le bruit court qn'ils se frol-
tent le corps de graisse d'enfants non baptises, avant de se
rendre a ieurs grandes assemblees. Les niagiciens forment
une classe a part, jamais ils ne se melcnt a ces ahominables
reunions ; ils sont les maitres et non les scrviteurs des de-
mons. Urande est Icur influence sur les liommes et les be-
les. .\ux uns ils donnent hi folic, aux aulrcs diverses mala-
dies ; ils tarisseut le hut des vaclies, rendcnt les chevaux
rOlifs, ou bien les poussent a s'emporUr On dil qu'ils jet-
tent en I'air, aux foires et aux inarches, une puudre cpii
cn'arouche les animaux et produit un grand trouble, lis
ancient aussi les voitures sur les chemins, eteignent les
lumieres, composent des philtres ; ils ont le pouvoir de se
rendre invisibles et de prendre la forme d'un animal. Lours
mystercs sont inscrits sur un livrc appcle sriniuiir, que les
llaliens, les juifs, ceux qu'on nonime philosoplics, et une
foule de charlatans, prennent grand soin d'etudier. I'ersonne
n'inspire plus de terreur dans un canton, car ils onteu leur
pouvoir la sanle des hommes et des betes. Tons ceux qui
leur deplaisent tomhent malades, lansuisscnt et nieurent ;
quelquefois ils ne s'cn |ircnnent qu'aux animaux, et tons
perissent a la fois dans une Icrme.
Les cures de campagne sont les cunemis nalurcls de ces
faiseurs de dupes ([ui exploitent les debris des vieillcs su-
perstitions paiennes. II n'y a pas tres-longlemps qu'un
ora^e affreux dcvasta I'arrondissement de Loches. On vit
alors deux hommes tri'S-connus dans le district, places
sur le bord d'un elang, a Lourour. L'lm d'cux avait un
grimoire a la main, tandis que I'autre, arme d'une haguelte,
frappait I'cau jusqu'ii ce qu'elle s'elevat en forme de trom-
pellccl produisit la grele qui ravagcait les terrcs. Ce conte
absurde n'en esl pas moins acceple commc veritable par
une foule de gens du pays.
Dans beaucoup tie chaumicrcs, vous verrez deux choses
suspendues an plafond. D'abord un morceau de jouliarbe
I fcmiicrvivum lecloriim], ([ui se fane aussilot qu'un sor-
cier enlre au Ingis, et plus d'une fois on inlerroge la planlc
d'un ^e\\ inquiet pendant la visile d'un elranger ; puis un
petit pain (le pain de Noel), fait la veille de Soiil, qui a la
sin^uliere vertu de guerir les chiens iMiragcs et de conserver
auv-i la sanle a ceux qui en mangenl chaque jour un pelit
morceau. Certains pelitsgaleaux, fails la veille de loutesles
grandes fetes, et luils sous la cendre, ont encore le privi-
lege de garanlir I'Ame du purgaloire ; ils se nomment sauvc-
iUnc.
II ne faut pas confondre avec ces ahsurdes croyanccs
la venerable branchc de buis beiiil le dimanche des Ra-
nieaux ; coulun.'e innocente In lilioc poeliquf et sainle
diint no'is avons expliqu" I'origine IJuehiucfois loulcs
les chamhres sont gaianlies de cellc maniere; et ((uand
un orage violent s'elcve le mailre ou la mailresse de la
maisoa a recours au buis bcnit, qu'on trcmpe dans I'oau
sdiDte dont on asperge la tnaison en presence de lous
VOVAGES
ses habitants , qui s'agenouillcnt ensuite pour leciler des
prii-res.
Les diseurs de bonne avenlure et les Lohemicnnes dii
couvrent les voleurs et les objcls dcrobes ; ils ont la re-
pulaliun do lire dans I'avenir, au moyen de la chiro-
inancie el des cartes. Pourquoi nous etonnerions-nous
de cclle rroyance parmi les paysans, apres avoir vu made-
moiselle Lenormant exploiter avec tanl de succes la cre-
dulile des gens les phis haul places de la capilale '?
Les Tresors caches. — Tout le munde croil, en gi'iieral,
que d'immenses tresors se Ironvenl caches dans les caves
el enfoui*; sous des mines, depuis que les guenes civiles el
les revolutions onl desole la France. Les paysans, en Tou-
raine, s'imaginent que ces amas de richesses sont gardes
|iar des chiens noirs qui les meneront ii I'endroit du depot
s'ils ont etc bien Iraites quaiul ils sont venus roder clicz
cux. I'our i|ue I'enlreprise reu.-^sissc, il faut jeuner pendant
pluviciirs jours, crciser un f^■.^se pres des lieux en ques-
tion, de maniere a soulever un gros morceau de lerre, jire-
caulion iinlispcnsable pour empecher le diable d'enlever les
tresors, auxquels ils apparlienncnt tons. Une fois le travail
commence, on doitle poursuivre sans relache jusqu'ii la fln,
et conime la premiere rrealure vivanle qui louche le Iresor
doit iiiourir dans la meme aniire, on fera bien de se munir
d'un vieux clieval sans valeur, qui dcviendra la propriele du
demon en cchange du Iresor que vous avcz gagiie. II y a,
dans une vallec de la forel de Loches, les rcsles d'une
maison batie par Charles VII, rendez-vous de chasse pour
lui et sa cour, dont les caves renfermont un Iresor immense
garde par un dragon, que lout le iiionde pent voir, dit-on,
si les curieux out le courage de visiter rendroit, seuls, a
minuil. 11 esl couche a I'enlree de la cave, devanl un panicr
d'osier rempli de richesses. La vallee s'appclle Orsous, et
voila peul-elre I'unique origine de celte legende. (Jiioi qu'il
en soil, persnnne n'a ose jusi|u":l present veiilier le fait.
Charmcs el Amutelles. — Hans tout rarroiidisstmenl, et
surlout dans les faubourgs de Loches, si un enfant toinbe
en convulsions, on pretend ipi'il a le mat liEjthe Les me-
decins n'y peuvent ricn ; il faut a^tr le guerir ,i Exive. Ce
lieu, situc sur les bnrds du Cher, pres Hoiilrichard, pos-
sede une source, d'oii lui venail I'ancien nom qu'il por-
lail. AidMC Vive ou Aqua vim. II est a rroirc que celle re-
pulalioii de saintele remonlo au temps des druides ; qu'une
ahbaye de I'ordre de Saiiil-Augiislin, fondee plus lard au
meme endroil, lui conserva depuis. Aujounl'hui, I'abhaye
lombc en mines et ces fulles croyances au>si.
Lorsqu'unc maladio epidemiquc se declare, on croil
echapper au danger de la contagion on sc prncuranl les
nouveaux jets d'un Bguicr ; on les coupe en mnrceaux
d'un ponce do long, on les cnll'.e comnie un cli.ipelet, el
les gens credules le portent en guise de proscrvalif. C est
ainsi qu'ils se preservenl de la maladie, ou bien ils se gue-
rissent promplemenl en cas d'alta((ue.
Bien des femmcs mariees portent des amiilelles qui les
prolegeiit au moment de Ieurs couches. L'une se nomm(!
ciu\muiUiie, espece d'anneau qu'on porle, soil au cou, soil
au doigl, dans le(iuel se trouve une cra\mudine ou un«
dent de requin ; I'aulre est un ruban de sole blanche de
denx metres cinq ccnlinielres.
Quand la niort frappe quehpie individu, on se h.ile, dan',
la maison, de Jeter le vin et lous les liquides possibles, de
peur que r.inie du defunt no vicnnc a y lomber.
S'il s'agll du pere, on courl aussilOl I'rappcr doucement
SUR LES lUVlEnES DE FllAN'CL'.
203
a chaque ruche d'abeillcs, en disanl : « Mes pclits; amis,
« soyez Iranquilles ; vous avez perdu voire mailre. Cepen-
« dant, ne nous quitlez pas ; nous prcndrons loujours soin
« de vous, et nous vous trailorons liien. » On allache aussi
un morcenu d'eloffc noire aux ruclics, afin que Icurs habi-
Innls s'associent an ikuil dc loute la faniille. Personne
I'ignore que si Ic mailre de la maison s'emporle, jure el
le querclle, sos aboilles ne prospcrenl pas conime celles qui
ipparliennent a unc faniille on regne toujoiirs la honne
iiarnionie.
r.'cst pnnrquoi on dil souveni, en parlanl d'une somme
gagncc peniblement ; « llol eel ardent est liicn bon pour
« achcler des abeilles. »
Les Coquards ou OEvfs de cnq. — Voici encore unc au-
tre bizarre croyance du pays : les anifs nains pondus par
. les poulcs sont atlribues aux vienx coqs, ct quand ils vien-
nent a eclore, ils produisent le basilic, cc terrible animal,
espece de dragon aile, dont un seul regard pent aneantir
I'elre inforlune soumis a son inHuence. Si cepeiidant un
homme fixe le premier ses ycux sur le basilic, le monstre
incurt a I'instant.
On m'a raconle la meme chose en Bretagne, et j'y ai vu
un puits dans Icquel s'elait refugie autrefois nn crocodile
doue du meme ponvoir destruclif que Ic basilic de Tnn-
rainc. lleurcuscmcnl qu'un jour I'animal toniba mort
sous le regard terrible d'un hommc qui avail devance
le sien.
Les Loups-Garous. — C'cstlenom qu'on doniie aux gens
pxcommunies el aux miserables (pii onl vendu leur ame au
demon, lis sonl obliges de prendre la forme dcs loiips, ccs
animanx clanl fort rarcs mainlenanten Touraine. Les brous
onl disparu du pays avec eux, mais tout le monde croit
encore a leur existence.
Les Brous derivcnl sans doute leur nom du vieux mot
armoricain ftrous, qui vcut dire bois, parce qu'on protend
que ces creatures galopaient loute la nuit u traversles forets
ct les bois. Je liens de gens a.ssez moderes en fait de croyau-
ces superstiliiiuses le recil suivanl. Joseph Guebin, petit
proprietaire, qui ne craint ni les revenants, ni les fees, ni
les magicicns el .sorcicrs, connail deux brous qui depuis
longlemps batlenl le pays la null. Ils habilcnl lout pros dc
lui, :i Jcvriere-Larcau ; I'un est un maeon d'environ soixanle
ans. Scs promenades la nuit onleveille lessoiipcons : quel
autre qu'un 6rou determine s'amuscrait a courir dans la
foret a pareille heure, au lieu de se reposer des fatigues de
lajournee? *
Enfin la chose fiit prouvce par un voisin du pro-
prietaire, qui, revenant lard un soir du marclio de Le-
gueil, Irouva en cliomin un magnifique moulon. Persuade
que celle bele egarce apparlenail a qudque Iroupeau des
environs, il la pril sur ses epaules, la ramena cliez lui, et
I'enfcrma dans I'ccurie avec son 3ne; mais le lendemain,
au lieu du mouton, il Irouva le macon occupe a rcmplirses
sabots de padle.
Plus de doute, c'etail un hrou ; c'etait le re.snllat de ses
vols el de la vie dcsordonnee quil avail mence autrefois.
Quant a I'autrc exemple, il s'agissail d'un jeune liomme
qui dovint bnm apres avoir volii un morceau de drap. Ainsi
transformc, il parcourait aussi le pays la nuit, tuail el de-
vornit les chicns, la volaille ct aulres animaus. II Cnit
heureusement par se confesser, recut I'absolulion , et
jamais plus ne gatopa. Le conleur a pu voir souvenl les
reslcs des chicns a moilic devorcs ; les patlcs sc retrou-
vaient presqiie loujours. Louis Manceau, marchand de bes-
tiaux, iigc dc trente-six ans, ct nullement bele en affaires,
qui habile la villc de Loches, et que son etat oblige li voya-
ger s(mvcut, m'assura qu'il avail vu el connu plusieiirs
brous. lis claient plus noinbreux, ajouta-l-il, il y a pcu
d'annees, alois que les charlatans usaient des privileges dont
011 les a depouillcs depuis. Autrefois, quand on elail vole,
on donnail un louis d'or a un d'eux qui vous recilait Ics pa-
roles d'un certain livre ; ensuile il plaraitsurune table deux
pains qui noircissaienl peu de temps apres; et si le volcur
ne restiluait pas, 11 devenait brou, else voyailcondamne a
gabiper depuis I'heure de VAngelus du soir jusqu'a celle du
matin.
Le cure de la Sclle, dans la commune de Legueil, a
livre a ces superstitions difficiles a deraciner une guerre
acliarnee.
S'il faul en croire Charles Robin, jeune fermior du pavs,
il aurait vu aussi dans son jardin, par nn beau clair dc lune,
un petit moulon qui s'avancait lentcnient vers lui ; puis,
comme il sc disposail a le prendre, il aurait bondi par-
dessus un niur Ires-elcve, el se serail cchappe dans la forct
en poussanl des cclals de rire diaboliques. 11 appela un
onrle, qui accourut au jardin, et entendil en cffcl ce bruit
sunialurel. L'oncle, loin de renicr celle histoirc, me conla
aussi la sienne. line fcmme de sa connaissance avail sans
doiile un mari6rou, puisqu'il galopail la nuit. Voulanldc-
couvrir la verile, clle imagina decoudrela chemise du va-
gabond a la sienne; mais les voisins ne le virent pas moins
galopercettenuil-la comme al'ordinaire.bicn que la Icmme
cut loujours ii cole d'elle soil le corps inajiime on queli|iie
chose qui avail pris la forme du coupable. Celle croyance
absurde a produit quelquelois dc facheux ri-sullats. il v a
environ douze ans qu'un homme de Saint-llippolylc loniba
mort sous les ballesd'un de ses voisins, qui leprcnaiipniir
un 6rou. Les pcrscculionsqu'eprouva sa famine roliligei-onl
a (luiller le village ct de s'elablir a Loches, qu'clle habile
encore.
11 y a aussi des fcmmes brous. Unc fille de Loches pre-
tend connailre une fcmme mariee de Liege, mere de fa-
mille, qui a gnlopo sous la forme d'un moulon ; qu'un jour
ayant rencontre lard, la nuit, uii homme sur la ronle do
Sainl-Quenlin, il pril I'animal sur .ses epaules, donl Ic poids
augmenia considerablcmenl chemin faisanl. Arrive a sa
porle, il resia pelrilie de-surprise lorsque le moulon lui de-
manda avec une voix humaine ou il Ic cnndui.sail. Saisi de
frayeur, il se debarrassa de son fardeau, qui .se chan"ea
aussilot en fcmme, s'enfuil en cclatani de rire ct en faisanl
des sauls prodigieux de hauleur. La meme personne a vu
encore, enire aulres choscs curieu,ses, la ctinsse a brii/ul,
qui est, soi-disant, unc chassc aeriennc. On ne pcut cerlai-
nenienl pas croire que les oiseaux soient de la parlie, piiis-
qu'on reconnait dislinclemenl raboiement des chicns. Celtft
nile sail aussi que Ic coquard, s'll vient ,i eclore, produit
le basilic, et plusieurs enfanls de sa faniille sonl morls du
nial H'Exive.
II exisle encore une foule de superstitions ct de presa-
ges que plusieurs aulres pays out adoptes aussi. par exem-
ple, I'aurorc borcale aniionce en general la "iierrc ct le
tumiiUr. Les lunes p.iles au mois de juillet ct d'aout sont
de mauvais augr.re On croit que le soleil danse trois fois
surl'liorizon quand il se leve lejourde la Sainl-Jean. Lo
cri dcs hibous annoucc la mort. Unc brauchc d'c^lan-
204
SCENES
tier suspcndue a la porte protege ses liabitanls contre la
Cevre.
Ouclqticfais dcs enfants nouveau-ncs se nieltent a cou-
rir dans la maison, se refiigient sous le lit , ct font d'hor-
riblcs grimaces ; 11 fnut poursuivre ces monslres dciialures
a coups de fourclic. Gardcz-vous hien de lavcr votre linge
cntre Ics deux cliiisses, c'cst-a-dire, pendant Toctave de la
Fete-Dieu, lorsque les chasses reiifcrniant Ics reliiiucs de
divers saints sont portees de Loclies a la viUe voisine de
Beaulieu, et de Beaulicu a Loches. Si vous osiez Lravcr I'o-
pinion publique a cet cgard , vous laveriez votre linceul;
ne cuisez pasle pani les jours des llogations, si vous tenez
a I'avoir Lon le reste de lannee (Juand vous Dlez les mar-
di et vendrudi de la seniaine sainte , vos vaclies ont le
gourchcl, c'esl-a-dire un ulcere aux pieds qui les eslropie.
Les habitants de votre basse-cour prospereront a mervcille,
si vous avcz le soin de danser le mardi saint sur le funiicr.
line fois le ble seme, gardcz-vous de manger du pain roti,
sous peine de faire une mauvaise rccolte Rien n'es.t plus
dangereus qued'entendrc a jeun, pour la premiere fois, le
cri du coucou : il aniene toujours la fievre. Les inscctcs
qui voltigent le soir autour de la lunnere sont des ames
cgarees, prencj bien garde qu'ils ne se brulent. Bien des
personnes Inissent sur leurs assietles, a chaque rcpas, un
petit morceau de viande pour I'esprit maliu ; cette offrande
I'apaise. On ne salt pas ce qui peut arriver ; il est bon d'a-
voir des amis partout. Les grillons portent bonhcur, il ne
faut pas les troubler ; mais la Ckcrc annee, ou le Bourdon,
estun insecte de malbeur : il annonce une inauvaise recolte,
et la cherte du pain. Cost pourquoi on lui a donne ce nom.
Les toiles d'araigneequi Holtent au moisd'auiitsont les Ills
de la sainte Vierge. On doit avoir grand soin de placer son lit
parallclemcnt a la pouire de lachambre, sinon la personne
qui s'y eouchera eprouvera les plus grandcs infortunes.
Ne vous mctlez jamais en route le vendredi; si vous rcn-
contrez un lievre sur le chemin , votre voyage sera mal-
heureux. Les mariagcs celebres le vendredi tournent mal ;
les lundis ct niardis sont les jours les plus favorables; le
nombre trcizc est fatal Evitez de renverser du sel, el de
mcttre voire fourchettc et voire couleau en croix. Si vous
rencontrez une femme nu-tete le matin , la journee ne se
termincra pas sans quelque mesaventure. Les petiles arai-
gnces annoncenl un peu d'argent , les grosses en promcl-
tent davanlage. Une lilinccUe qui s'ecbappc du foyer indi-
que la visile d'un etranger. Si le chaudron reste vide un
jour de Icssive, la mort s'emparera Lienlot de quelque
nicmbre de la famiUe. Qiiand on apcrcoit une pie disperser
le fumier sur le cliemin, on peut s'atlenJre a y voir passer
un cortege funcbre. Le roitelet est un oiseau sacre, car il
a rapporte du feu des regions celestes , aux dcpcns de ses
plumes qu'il a brulees, mais toute la geiite ailee s'cst coti-
see pour le revetlr d'un nouveau plumage; tons ont fait
leur offrande, exccpte Ic liibou, qui a meritc ainsi le mepris
general. Quand vous mangez un ccuf, n'oubliez pas d'ecra-
ser la coquiUe, de jieur que votre cnnemi ne la remidisse de
rosce et ne la pose sur I'aubepine; car, a mesure que le
soleil la seche, la personne qui a mange rocuf languit aussi,
ct incurt.
Chaque province a ses croyances superstitieuses. En
Korniandie, par exemple, on raconle qu'un monsieur
elabli pres de I'embouchure de la Loire avail uu CIs;
un de ses fermiers vint un jour payer sa rente et la remit
ou fils, parce que le perc se trouvait absent; mais il nia le
fail, en disant que le diable pouvait Tcmportcr a la mer s'il
manquail a la vcrite : le cou])ab!o disparul aussitul. 11 ne
ful pas noyc, m.iis on I'cntend crier sur le rivage, on le
voit miime quelqucfois dans sa jaqueltc, le bonnet sur
la tele ; par une belle nuit d'ete, un liomme audacieux
osa joucr aux cartes avec lui el perdil tout ce qu'il pnsse-
dait.
A Gildo, sur les coles de la Bretagne , les amcs de ceux
qui out peri en traversaul I'eau font entendre des cris
lugubrcs a I'apiirochc du mnuvais temps.
On voil combien le clergc, qui a civilisLi la Gaule, a en-
core a faire pour achever son icuvre, et combien on est en-
core loin des lumiercs dont le siecle se vanle.
^'^ ''t
SCENES, RECITS, AVENTURES,
liXTHMTS DES PLUS rjiCEKTS VOr.lGEllHS.
MISSIONS DE I.A CHINE ET DO TONC-KIMG.
Nous cmpruntons le curicux el cdiOant recil qui suit a
rexcellcntc anivrc chrcliennc de la propagation de la foi,
qui continue avec lanl de succes la publication dcs Lelircs
eJifianlcs. C'esl ce livre admirable qui conticnt les ren-
sei'-nemcnts les plus precis el les plus complets sur le
mouvcmcnt de la civilisation dans le monde enlier (1).
(1) II esi cic rinlfrit dela religion, do In moialilc cl de la science, de
faire connallre celte tcuvrc do lunnere et de cliaritc ; il suflll que dix iicr-
sounos s'associenl el cuiiiribuciit cliacune pour un sou seulemeni, pout se
'procurer cclle leciuve cdifianicet inslruciivc.
DE VOYAGES
LcltrcdcM. Hue, mis$ionnaireaposloiiqtie, a it/. Marcou,
directeur du pclil seminakc de Toulouse.
Kien-TcliansFou, province de Kian-Si,2avtiH84l.
Blon DIES CDEH AMI,
« Ce scrait sans contredit par ma faute, et ma tres-grande
fnute, si je vcnais a ouUicr que je )ie suis ici-bas qu'un
pauvre pelerin, car me voila encore en course, et ce non-
voau voyage sera pour le moiiis tout aussi long et beaucoup
p!ns perilleux que cehii du Havre a Macao. Mes superieurs
m'cnvoyant faire h voloute do Dieu au dela de Tcliin, dans
la Tartaric occiJcntale, Celui qui m'a dija conduit et pro-
iL'ge sur les eaux de I'Ocean me guidera aussi, si cela lui
plait, a travers les lleuvesellcs routes del'empirechinois;
et dej.i plus d'une fois, depuis que j'ai quiltc Macao, j'ai
pu admirer la Providence divine a mon cgard. Je vais pro-
filer du temps qui m'est donne a men second relais, pour
vous tracer un croquis de cclle parlie de mon voyage; vous
voudrcz bien me faire I'amilie do le communiquer a mes
parents. Je leur enverrai mon itincraire aussitot que je serai
arrive dans ma mission.
« Les courricrs qui devaient me conduire a Si-Wan en
Tartaric (ilaient arrives a Macao depuis plus d'un mois, sans
qu'il nous flit possible de trouver un moyen quelque peu
rassurant d'enlrer incognito dans le fameu.'i empire celeste.
Les affaires anglo-cbinoises rendaient de jour en jour les
passages plus difficiles, et comme il elail ridicule d'alleudre
«n micux qui scniblait sans cesse s'eloigner, nous nous
ifiAmes avcuglcmcnt entre les bras de la Providence. II lut
.Iceide que je partirais le samedi, 20 fevrier, vers les sept
bcures du soir, dans la barque chinoise qui fait le trajet
de Macao a Canton. Un de mes courriers ctait alle visiter
la joiique, et il lui avait ele promis qu'on rcserverail a
noire usage unc pelile cliambre pour quatre personnes, u
savoir, mes deux courriers, un seminariste indigene que
je lalsse au Kian-Si, chez Mgr Rameaux, enfin la contre-
bande curopeenne, c'esl-d-dire voire tout affeclionne ami.
« Vers les six heures du soir, on me flt la toilette a la
chinoise : on me rasa les chcveux, a I'exception de ccux que
je laissais eroilre dcjiuis bienlut deux ans, au sommet de la
tele; onleurajusta unecbevelureelrangerc, ontressale tout
clje me trnuvai en possession d'une queue magnifique qui
descendailjusqu'auxjarrets.Monleinl, passablemenl fence,
comme vous le savez, fut encore rembruni par une couleur
jaunatre; mes sourcils fureni decoupes a la maniere du
pays; de longues et epaisses moustaches, que je eullivais
depuis longtemps, dissimulaient la tournure europeennede
mon nez ; enlin, les habits chinois vinrent completer la
contrefacon. Un jeune Lama Mongol, converli depuis peu
a la foi, et maintenanl eleve dc noire scminaire a Macao,
ine ceda sa longue robe : la (unique courle qu'on met par-
dcssus, et qui rcsscmble ii peu pres a un rochet, etail uiie
rclique de M. Perboyre, martyrise I'an dernier dans la pro-
vince de Ilou-Pc. Ce velemenl elail illuslre de larges laches
dc sang, il dcvait me porter bonheur. Quand la nuit fut
venue, arme d'une longue pipe qui m'avait ele donnee par
Mgr RetorJ, vicaire aposlolique du Tong-King occidental,
j'enGlai les rues de Macao, je traversal le bazar jusqu'au
bord de la mer, coudoyanl par-ci par-la des groupes de
Chinois qui ne se doulaient guerc, assurcment, que j'elais
un Europcen lout prel a s'embarquer pour Pekin.
« Nous saulons a la hale sur noire jonque chinoise qui
RECENTS. 20j
allait parlir; on commcncait a lever I'ancre. Unc fois sur
le pont, je jclle un coup d'leil dans I'inlericur avanl d'y
descendre, et je m'arrete pelrifie comme si je fusse arrive
sur le bord d'un abimc. A. travers un epais nuage de fumde de
tabac, j'apercois unc quaranlaine de Chinois, qui occupr'ienl
tout le fond de la barque; ils elaientla, allonges et presses
les uns contre les aulres, comme des sardines dans un baril ;
le plus grand nombre dormaienl dcja et les autres fumaicnt
silencie'usement leur pipe. Ce pelit cabinet myslcrieux qui
Bous avait ele promis n'exislait mcmc pasl Voila mes
courriers qui commencent a crier et a se quereller avec
le capilaine. De peur qu'on n'en vint a quelque accom-
modement, comme je ne voulais en aucune facon me fourrer
dans ce guepier, je laissai mon monde hurler tout a son
aise, et manifestai mon intention en sortant de la jonque.
Mes gens ne tarderent pas a venir mc rejoindrc sur le
rivagc; ils avaient juge prudent dc ne point se risquer
dans une pareille galere.
« El mainlenant que devenir? quoique bien peu avances,
nous I'etions beaucoup trop pour reculer el relourner au
logis avec tout noire bagage; nous abandonniimes noire
sort a la Providence, bien persuades que Icujnurs on gagne
a lui confler ses projets et sa vie. Nous allames done a la
premiere barque qui se rencontra ; mais le pilole, les ma-
lelols, tout le raonde dormait. Un de mes courriers les
eveilla el leur proposa de conduire a I'inslant quatre
hommes a Canlon. Le mailre demanda d'abord, tout en
se frollant les yeux avec le poing, combieu il y avail de
piastres a gagner. Le prix fut bientijt convenu. Je me
glissai dans la barque ; tout fut aussitot mis en mouvemenl,
les nialelnts crierenl leur chanson du depart, pendant que
je recitals a voix basse le Te Deum, el un quart d'heure
aprcs, jc dormais profondenieut, enveloppe dans ma cou-
verlure.
« Une bonne et forte brise nous poussail, et nous vo-
guions a la garde dc Dieu vers la riviere de Canlon. La nuit
fut delieieuse. Mais le lendemain nous nous apercumes que
pendant noire sommeil les malelols, eux, s'elaient avises
de rellechir; ils ne pouvaienl comprendre pourquoi nous
n'clions pas parlis, a peu de frais, dans la barque qui avail
leve Pancre la veille; pourquoi nous avions voiilu a toule
force qu'on mil a la voile sur-le-champ... D'aillcurs,
ils voyaieni en moi un passager qui affeclionnail les
coins, qui evitail de paraitrc au grand jour ; tout cela
les inlriguail un peu, et deja le nom A'Eunpcen cum-
mencait a circuler parmi eux; plusicurs venaicnl cumme
a tour dc role examiner furlivement ma pliysionomie, el
ils s'en retournaicnt en chucholanl. Par bonheur, ils m'en-
lendaient parler la languc mandarine avec le courricr, el ils
furent complelemeni rassures; ils conclurent enire eux
que, si je n'elais pas uu homnic dcjii riche ct puissant,
j'elais sans contredit un lellre qui cnlrerait prochainement
dans la voie des digniles el des honneurs. Tout cela elail a
merveille; mais il s'agissail de savoir si les auloriles de
Canlon mc jugeraient d'une maniere aussi favcjrable.
« Vers les cinq heures du soir, le coeur mc ballail avec
plus de Vitesse qu'a I'ordinairc; nous eiions arrives a une
pelile ile forliCee, peu eloignee de la viUe. Les mandarins
du lieu devaienl nous faire subir une inspection rigoureuse;
nos personnes et nos malles devaienl elre srrupulcusement
examinees. On venail de hisser a la forleresse un pavilion,
pour nous dire d'arreler; nous nous recommandames a
Ilieu, ft nous allendir;CS son l.nii ^.Iai^i^. !.i s n:.^:;.] :r::;s
200
SCEJiES
n'ayant |'as jugii a propos de nous rcndre visile, on aliaissa
If pavilion, cl nous continuamosnoli-i' route. Nous arrivamcs
pendant la nuit a reniboucluirc de la riviere de Canton. La
larriere etait fcrmiie; nous fumes done obliges dc mouiUer
ct d'attendrc pour enlrer que le jour parut ; car pendant la
nuit aucunc jonque ne pent penetrer dans la riviere; son
cours est alnrs interceple par un radcau qui va d'une rive
al'autre. Des que le jour commcnca a poinJre, trois coups
de canon annoncerent que le passage allait etre ouvert.
Le radcau se separa en deux par le milieu; nous attendi-
mes un instant les mandarins qui devaient faire perquisition
dans notre barque; comme ils nevinrenl pas, nous avan-
c.anies, et blentot je me trotivai par le secours du bon Dieu
dans cet empire chinois , ou il est defendu a tout Europeen
de penetrer sous peine de moit.
« La jonque nous conduisil bien avant dans la riviere,
lout pres de la ville; la, nous fimes nos adieus a I'equi-
page et nous louaniesune petite embarcation qui nous porta,
par de longs detours, jusqu'au faubourg le plus elnigne,
ou nous mimes pied a lerre. II etait dix licures du malin.
Le soleil, apres avoir dissipe les blancsnuages devapeuniui
naguere enveloppaient la ville et Qottaieut sur la riviere,
scintillait maiutenant de la facon la plus triomphanle. Cut
astre si beau et si brillant me rejouissait pen ; car j'avais a
traverser une partie de la ville pour aller me refugier dans
une maison cbretienne, chez le pere d'un de nos seminaristes.
II fallut pourlant prendre son parti. Je priai Dieu de me
conduire, et je me misresolnment en route, me tortillant
de mon micux a la maniere chinoise. Tout alia a ravir. Clie-
min faisant, personnene Irouva a redire anion angle fa-
cial. Le courrier qui me condnisait euDla enOn une porte
cntr'ouverte : je comprisque c'etait la maison hospitaliere
qui devait me receler, et je m'y engouffrai sans rcgarder
devant moi, a la facon d'ua homme qui s'elance dans uu
precipice.
« Grande fut I'cmotion, je vous assure, dans cetle pau-
vre faniiUe ; car nous n'elions nuUcment attendus. Le pere,
homme plein de devouement , mais quelque peu pusilla-
nime, fut saisi d'une graude terrcur ; ma presence fut
pour lui comme le signal de la fiii du monde. II s'em-
para vite de ma personne et me sequestra dans un cabinet
obscur et ctroit, avec la consignc de me couchcr ct de dor-
njir de toutcs mes forces, mais surtout de ne pas m'aviser
de ronller.
a Pendant quejetais cense dormir profondement, d'a-
pres le reglement succinct qui m'avait ele trace, mes cour-
riers allerent louer une barque, faire les provisions, et
preparer lout ce qui etait necessaire pour cnnliuuer la
route. Ces prcparatifs c.i;igerent beaucoup plus de temps
que je n'avais imagine, et je fus conlraijit de passer la nuit
dans ma noire prison.
« Le lendemain, on vint m'annoncer qu'on avait Irouve
une jonque bonne et sfire ; mais, comme pour s'y reudre, il
otait necessaire de traver.ser d'un bout a I'autrc la ville de
danlon, il fut convenu que nous attcudrions jusqu'a I'cu-
tree de la nuit, aOn d'effectuer ce trajet avec plus de secu-
rite. Ccla ne faisait guerc le compte de mon bote ; mais il
voulut bien, pour I'amour du ban Dieu, nic donner encore
unjourde gcnereuse liospiialile. II venuit me voir de Icnips
en temps dans mon redull; il ni'apportnit du feu pour allu-
mer ma pipe, et il ne manqniit jamais, le brave bommc,
de me dire tout pale et tout treniblant : n Verc, n'ayej pas
peur, il n'y a rien a craindrc » — Je serais bien ingratsi
jevcnais jamais a oublier de prier le Seigneur qu'il |)ayo
lorgpUKut a cette genereuse famille le service qu'clle m'a
rendu.
« A sept heures du soir nous nous dirigcames solennel-
Icment vers la jonque qui devait, en remontant la riviere
de Canton , nous conduire asscz pres des montagnes du
Kian-Si. Un grand gnillard de Chinois, monte sur son long
systeme de jambes, ouvrait la marche ; un de nos courriers
le suivaitdepres,je suivais le courrier, et d( rrieremni vc-
nait le seminarisle dont je vous ai parle plus haut. Nous
formions ainsi , a nous quatre , comme un (11 conductcur qui
devait nous diriger dans ce grand labyrinthe qu'on appelle
Canton.
« Cclte ville, telle que j'ai pu I'enlrevoir, m'a fait
I'effel d'un immense guet-apens. Ses rues sont molpro-
prcs, etroites, lortucuses et faconnees en tire-bouchon ;
on dirail qu'il n'est pas vrai pour ses habitants comme
pour tout le monde , que la ligne droite soil le plus court
cbemin pour aller d'un endroit a un autre. Maiutenant,
si dans toutes ces rues capricieuses ; si. a la face de toutcs
ces maisons bizarrement decoupees, vous jetez avec profu-
sion de pctites lanternes ct des lanternes-monslres, des
lanternes de toutes les formes, ornees de caracteres chinois
points de toutes les couleurs , vous aurez une idee de Can-
ton vu a la hate et a la lueur des falots.
« Parmi cette immense population qui sillonnait en tons
sens ces rues nomhreuscs, notre grande affaire, d nous,
etait de ne pas nous perdre mutuellement de vue et de ne
pas ronipre la chaine qui nous condnisait : clle fut briscel
An detour d'une ruelle obscure, le courrier echclonne devant
moi ne vit plus le Chinois qui ouvrait la marche et qui srul
connaissait le cbemin Une fois disparn, on le cherchr-r ?
I. a rue que nous suivions se terminait en palte d'oie,
ct nous ne savions par ou nous avait echappc noire con-
ductcur. Notre perplexite fut grande. Qucl.pies instants,
nous criamcs, nous appelamos notre guide de tous c6l;'s;
la Providence nous le rendit enCn. II s'elait apercu quo
peisounc ne le suivail, et, revenant sur ses pas, il nous
avait retrouves a Tcndroit memo oii il nous avait perdus.
Ndus rcprlniesgaiement noire route, etnouscntramesenDu
dans la jon'iue, en benissant le Seigneur du fond de I'anie.
Les batclieis n'ayant pas encore tcrminc Icurs prcparatifs,
nuns no pumes parlir que le lendemain. Nous passames
done la nuit sur le lleuve, en face de la ville, et, pour ainsi
dire, a la barbe du vice-roi.
« La riviere de Canton pendant la nuit est en verilc
ce que j'ai vu do plus fantastique. On pent dire qu'elle est
prpSf|uo aussi pcuplee que la ville L'eau est couverte d'une
quantilu prodigieuse de barques de toutes les dimensions
et d'une variete impossible ii decrire. La plupartaffcctcnt
la forme de divers poissons, ct il va sans dire que les Cbi-
iiiiis out choisi pour modeles les plus bizarres et les plus
siuguliers II en est qui sont construilcs comme des
maisons , ct celles-la out une reputation assez equivo-
que, toutes .sont ricliement ornees; ipielques-unes res-
pleudissent de dorures, d'autrcs sont fcul[ili'cs avec ele-
gance, dentelees el comme percces ,i jour, a la fac.in des
boiseries de nos vicillescathedr.iles.Toules ces habitations
llotlanles, cutourees de jolies lanlernes, se meuvent et fa
croisenl sans cesse, sans jamais s'cmbarrasser les nnes les
aulrcs. C'est vraimenl admirable! On voit bien que c'est
une population aqualique, une population qui nail, vitet
meurl sur l'eau. Chacun trouvc sur la riviere cc qui eslne-
DE VOYAGES REGENTS.
207
cessdire A sa siilisislance.Durant la nnitje m'aiiiusai long-
temps :i voir passer el repasscrd<;vanl noire joiU|iic uiiefmilo
de peliles embarcalinns, ((ui n'claieiit aiiire chose c|iic des
Loutiipies d'approvisiomieniciU, des bazars en miiiialure ;
ony vendail des pelages, des poissons frils, dii riz, des ga-
teaux, des fruits, etc. Enlln, pour completer cetle fanlas-
magorie, ajoutcz le bruit incessant du tam-tam al des
petards.
a Le lendcmain , mercredi , nous partimcs de grand
inalin, le Cdur plein d'espoir. Notre barque, celte fois,
nous convenait a ravir; requipage elait peu nombreux;
Irois jeuncs gens nous servaient de malelols, et leur
vicille mere, assise au gouvernail, faisail I'oflice de pilote.
Ces jeuncs gens nous paraissaient d'une prccieuse simpli-
cite , el deja nous disions entre nous : « Voila qui va bien ;
ccux-lii au nioins n'aurout par la malice de nous soup-
founer. »
(iLe second jour apres noire depart, un de ces Chi-
nois si ingenus vint trouver nies cuurriers et leur dit, en
souriant : « Voici la barque des douaniers qui vient fuire
la visile... prencz bien vos precautions; nous savons que
vous conduisez un Europeen. » Les douaniers arriverenl
en cffel, jelcrent un coup d'oeil dans la jonqiie, ne virent
pas de contrebandc , et sen rctournerent. Kos malelols
nous raconterent ensuile qu'ils m'avaicnl reconnu a I'in-
stanlmcmeoi'ij'etais entre dans leur barque, que cela neleur
avail pas ele diflicilc , parce qu'ils avaient deja conduit un
aulre Europeen, il y avail tout au plus six ans, et que leur
perc, avant de mourir, leur avail rccoinmande sur ce
point iiiiegrande discretion ; qu'au rcsle, nous n'avionsrien
a craindre, qu'ils etoient gens dhonneur et de probile;
seulemcnt ils nous conjuraient de ne point commetlre
d'imprudence ; pour cux , ils scraienl assidiimenl aux
aguels,
« Get evenement, qui devait avoir pour nous les plus
graves resultats, et qui s'annonc.iit corame le premier an-
ucau d'une longuecliainede calamites, ne fut en delinilive
qu'unespcciale benediction de Dieu. Jegagnai, a ctre recon-
nu, I'avanlage d'avoir de plus quatre senline!lcs inleres-
sces a ma surele, el dc pouvoir en oulre jouir d'une liberie
plus grandc. Nous dfmeur5mes douze jours sur celte bar-
que, et cc commencement de mon voyage fut vraiment
delicieux. Quand nous francbi^^ions un defile bien soli-
taire, rien ne m'empechail denlonner hautemcnt des can-
tiques el de louer le Seigneur ; quand je renconlrais quel-
que pagode sur mon (lassagc , jotais lout fier de railb-r
le demon avcc les paroles du roi-propliele, el d'insuUcr
d ces idolcs des nalions, auvrcs dc la main des htmttnrs.
« La riviere de Canton ne m'a paru offrir sur .ses borJs
rien de remarquable. Elle scrpcnie et se traine ordinairc-
ment a travers une longue cliaine de monlagnes , et quand
son lit, peu profond, n'esl pas slriclemenl encaisse dans de
liautes rocbes laillecs a pic, ellc laisse de cole el d'aulre,
sur ses deux rives, des plaines plus ou moins elendues d'un
sable Bn el blanchalre. Quelqucs champs de riz el de fro-
nient, de riches plantations dc bamboos et de sanies plcu-
rcurs, bcaucoup de collincselevees, la iiliiparl dechanices
01 slcriles, quclques-uncs offrant pour toule parurc, sur une
legere couche de terre rouge, de rares l)OU(iuets de pins el
une herbe courlc desscchee, que broulenl nonclialammenl de
grands troupeaux de Luflles : voila ce qu'ou rencontre ie plus
souvcnl en remontant son cours. En plusieurs endroils, on
voit dcnormes masses de pierres calcaires qn'on dir.nit
laillecs de main d'hommc diqniis la base jusqu'au sommet,
ou coupees en deux pourouvrir un lit a la riviere. J'ai dc-
m.inde aux Chinois d'oii venaienl ces singularilcs. Eux, ils
out trimve la chose toule simple : « C'esl le grand empereur
lao, ni'onl-ilsdit, qui, aide de son premier niinislre Chum,
a fail parlagcrces monlagnes pour fjcililerrecoulemenldes
caux, apres la grandeiuondalion. » — Voussavcz, moncher
ami, que, d'apres la chronologie chinoise, celte grandc
inondalinn correspond au temps du deluge de Noe.
« Une dc ces rives, qui s'elevait perpendiculairement
comme une muraille colossale faile d'un seul Uoc, elait
enricbic par surcroit d'un phcnomdne que je fus longtemps
a comprcndrc. A une grande hauteur, on voyait deux cs-
peces de galeries creusees dans le roclier ; sur ces galeries
apparaissaient cumme des (igureshumaines, qui semblaient
se mouvoir parmi d'innonibrables lumieres; de temps en
temps, des malieres enllammces en descendaicnl et vcnaient
s'eleindre dans le Ueuve. Notre jonque approcha, et alors
nous vimes, amarrees au pied de la colline, une foule de
peliles nacelles remplies de passngcrs. Get endroil n'elait
aulre chose qu'un pelerinage du diable ; ceux qui vcnaient
y praliquer leurs supcrslilions passaienl de leurs barques
dans un soulcrrain, puis monlaienl, par un escalier laille
dans rinlerieur de la montage, jusqu'aux galeries supe-
rieures ; IJ se Irouvent lesidolesprivilegiees, desmorceaux
de bnis qu'on vient adorer de fort loin !
« Les pagodes sent presque les seuls edifices quelquc peu
elegants que j'aie rencontres jusqu'ici. J'ai apercu des ponls
d'une architecture imposanle ; il en est un surtout qui m'a
frappe par ses gigantesques proportions ; il elait lout en
pierre de faille. Je n'en connais qu'un seul qui lui soil su-
perieur, c'cst celui de Toulouse ; ceux de Paris ne le valent
pas. Aux environs des villes, on veil s'elevcr des tours do
dix a douze ctages. Toulcs affectenl la forme hexagone.
Quclquefois les fenelres sont pcrcccs en ogives, et si les
angles et le couronnement n'etaient pas charges de dragons
volants et aulres colilicbets mythologiques, coules en por-
celaine ou en faience, je crois que plusieurs de ces tours
pourraient rivaliser avcc les clochers de nos belles eglises
du moyi n age. Elles sont dun effcl pilloresque, surtout
quand elles s'elanccnt du sommet d'une haute raonlagnc.
Pcrsonne n'habile ces monuments, si ce n'esl les lezards et
les oiscaux de proie ; leur unique destination, a ce qu'on
m'a dit, est d'annoncer tout simpleracnt que dans la villa
voisine il y a des colleges, ou Ion prepare des eleves au
grade de bachelier. A part les quelques edifices que je viens
de vous signaler, lout le reste est sale, noir, pauvre, mise-
rable, enfume, ouvert a tons les vents el comme lombant
en ruines. Villes el villages, tout fait pilie.
« 11 m'est anssi arrive de faire connaissance avec les
chemins publics de I'enipirc celeste. J'ai parcouru pendant ■
uno journee la route la plus fameuse du pays : ou I'appelle
vitic imperiale, ce ijui n'empeche pas qu'elle ne soil piloya-
blc. Elle est si etroile, que trois hommcs peuvent difficile-
nient y marcher de front. Bien qu'elle soil pavce dun
bout a I'aulre, ceJravail a ele execute d'une facon si irre-
guliere avec des cailloux si poinlus, que cela n'esl pas, je
vous assure, pour la plus grande commodite des pielons, ct
remarquez, s'il vous plait, qu'on ne rinconire iei que des
pielons. Les seuls moyens de Iransport, pour les iudividus
el pour les choses, ce sont les epaules humaines. La roule
est conlinuellenienl encombree de Cliinoisqiiivonlelvieji-
nenl, charges de fardcaux cnormes au'ils porlenl luujours
SCIiSES
tn coiirant. lis sont toUcment nccoiiliimes a ce melior de
millet, qu'ils font d'oi-Jinairc dix a douze liciios par jour,
et ccla sans rclachc, n'nyant de rcpos que la nuit et durant
la courte heure du repas. Lesgensaisespeuventlouera pcu
de frais des chaises .i porteur.
« Le grand avantagc que prcsentent les chemins chinois,
c'est que d'un hout a I'aulre, et presque sans interruption,
ils sont liordes d'holelleries, peu elegantes, il est vrai, mais
sufflsamment pourvues de ce qui c* necessaire a des voya-
geurs qui ne courent pas apres le luxe et le conforlallc. Le
plus souvent, ce sont de simples hangars oii ran pcut se
reposer et dormir sans delier la bourse.
« La route impcriale, si chetive, comme je vous I'ai dit,
rests en ontre comme etrangere a la soUicilude du gou-
vernement. Nul ne parait s'occuper des reparations qu'elle
cxige ; souvent elle a ete tracee nvec assez peu d'inlcUi-
gence, quelquefois meme sur un plan evidemment reprouve
par la disposition du sol. Quand die n'est pas convenaWe,
on passe a travers champs, et ici, comme ailleurs, I'ulilile
publique present sur le droit de propricle. En verlu, sans
doute, du systeme de compensation, le champ, a son tour,
rouge par ses empictements le cliemm de I'empereur.
n Surleplateaud'unemontagneardue,hautcet cscarpee,
s'clevc unc grande porte, espece d'arc de triomphe qui lixe
Ja Umitc de deux provinces, celle de Canton, a laquelle
j'allais dire adieu, et celle de Klaii-Si , qui forme, avec le
Clie-Kian, un vicarial apostolique recemment conOe par le
saint-siege a notre congregation. II est mainlenant sous la
direction de notre confrere Mgr llamcaux, cveque de
Slyre. En posant le pied sur la terre de Kian-Si, jcprouvai
comme les emotions d'un exile qui retrouvc sa palrie. Je
dcscendis le versant de la montagne jusqu'a une villc de
second ordre, oii je p.nssai la null dans une auberge. Le
lendemain, au jour naissant, je montai sur une jonque ; je
suivis le courant d'une faible riviere qui coide parmi des
coUincs plus boisecs que cclles de Canton ; enlin, apres
quatre jours d'une navigation Icnle et paresscuse, j'eus
la joie d'aborder a une de nos missions et d'embrasser
M. Peschaud, excellent confrere que j'avais deji connu a
Paris. II y avail trois semaines, jour pour jour, que j'avais
quille Macao. Les Chretiens d'alentour furenl bicnlol in-
slruils de I'arrivee d'un Pcre europeen ; ils viiiront tons
me saluer a la facnn orientale, en me disant : « Que Dieu
vous protege ! »
« Je passai le dimanche au milieu d'eux, et j'y offris le
saint sacrifice dans une chapcUe bien pauvre, il est vrai,
mais embellie par la ferveur de ces bons ncopliyles, par
les prieres qu'ils chanlaient a deux chceurs durant la messe.
Ces accords ne sont pas sans doute a la hauteur des savantes
partitions de Rossini et de Meyerbeer, peut-elre ne seraient-
ils pas du gout des dilettanti et des virluoses d'Europe ;
mais pour moi,j'y trouve quelque chose de tendre et de
pieui qui penelre delicieuseraenl I'ame. Les chrctiens ont
la toucliante coutume de se reunir dans leurs modesles ora
toires pour chanter en commun la priere du matin ct du
soir. Le dimanche, ces prieres sont beaucoup plus multi-
pliees et plus longues, et a la chute du jour, on se rassem-
ble encore pour chanter le rosaire en entier. Je vous assure,
mon cher Victor, que j'ai passe de bien doux moments a
ccoutcr leurs cantiques Le chant a quelque chose de myste-
rieui et de divin. On a dii que I'homme avail d'abord chante
et qu'il aval parle ensuilc. Quand la langue du premier
homnic fut dcliee, ses paroles, en cffet, durcnt etre un
hymne au Seigneur, rdainlenaut noire lahguc est devcnue
prosaique par le peche. Mais, comme rirn n"a etc lolalcnuiit
perdu par la dechcance, comme tout uoil se retrouver dans
la voie de reconciliation," la priere chrclienne a du gnrdor
un souvenir de ce langage primilif, qui nous sera rendu nu
ciel pour chanter V Alleluia sans fin, le Tiisagion elerncl.
0 Le lundi matin, apres avoir dit la sainle messe, je mc
disposal a poursuivre ma course. Noschrelicns vinrent mo
souhaitcr un bon voyage. Los adieux qu'on faitau mission-
naire prrnnent toujour.: le caraclere grave el imposaiij
d'une cercmonie religieuse : on se reunil dans la chapelle,
on chante ensemble la priere du depart; le prelre passe
dans les rangs, asperge le peuple d'eau benile ; puis les
fideles s'avancent par petits groupes pour sailer le pere a
la inaniere chinoise ; enfin le missionnaire benit tout Ic
troupeau, et apres s'elre muluellemcnt souhaite la prolcc-
tion du bon Dieu, on se separe.
« A la ville voisine, nous louames une petite barque
pour ciintinuer notre route. Je vous ai mal parle plus haul
de la voie imperiule, ct, pour reparer, aulant qu'il est en
moi, celle medisance, je dois ajouter que les lleuves, ces
heaux chemins traces par la Providence, sont en Chine un
grand supplement aux routes artilicielles. Quand on vent
voyager on transporter des inarchandises d'un lieu a un
autre, il est rare qu'on ne puissc le faire par eau. La navi-
gation est plus on moms acceleree, selon qu'il faut remin-
ter ou suivre le cours des rivieres, selon que le vent est j
propice ou contraire. Tanlot c'est la voile qui se dqiloie,
el alors on pent jouir d'un beau spectacle. Comme le lit du
ileuve est souvent creiise en zigzag et d'une maniere assez
capricicuse, on voit au loin, sans apcrcevoir les jonqucs,
un grand nombre de haules voiles de tonnes diverses qui
paraissent se promener majcslueusemcnt sur la campagiie
et courir sur la cime des arbres : tantot on abaisse la voile,
qui se plie sur cllc meme comme un inuncnsc evcntail, el
Ton vogue a la ranic. Souvent aussilcs matclols se fornient
en attelagesur la rive el I'ontavancer la barque au moyen
d'une longue corde, Evidemment, tout cela ne vaut pas les
messsgeries et les bateaux a vapeur du beau pays de
France.
c( Quelquefois la navigation est d'une Icnteur vr.iiuienl
deplorable. Ainsi, dcniiercmenl, pour laire quaraulc lieues,
il m'a fallu perdre dix jours. Ici on ne voyage ]ioiiit pen-
dant la nuit ; les voleurs en sont la cause ; on redoulc l-jur
attaque, ce qui n'est assuremenl pas a la plus grande
gloire de la police cliinoise. Quand le jour commence a
tomber, les jonques se riiunisscnt par petits groupes, on
jelle I'ancrc, el puis dorme qui pnurra. C'est alors epic
commence le vacarme. Pendant toule la nuit, on niari(ue
les veilles en frappant ii coups redoubles, qui sur les lam-
lam, qui sur les tambourins, qui sur de gros tubes de bam-
bou. Le charivari devient insupportable, quand on a le tristc
honneur de se trouver aupres d'une barque mandarine. II
parait de regie gcncrale que les domestiques des hauls pcr-
sonnages se croienl obliges en conscience de faire trois fois
plus de bruit que les aulres. Au demcurant, lorsqu'on ne
va pas dans I'empire celeste precisement pour y chercher
du hien-etre, on ne se trouve pas mal dans les navircs chi-
nois : on y est couche sur le lit qu on sail s'y faire , on J
mange ce qu'on a prepare. Les malelols sont de bravei
gens qui ne se melenl pas de vos affaires, et qui n'ont avec
vous que les relations qu'il vous plait d'avoir ; on peut
meme y prier Dieu tout d son aise, ct on y est fortcment
DE VOYAGES REGENTS.
209
excitS qiiand on voit ces pniivres finiens faire Icurs inclina-
tions au sonie dii fleuvc, Li-iiK'r 1p |iapier siiporslilicux et
alUimer Ics clianilcUcs routes. Chose bien remarquable!
j'ai cm m'apcrcevoir que c'l'tait loujours le phis jonne de
la lioufie, ou un enlant, s'il y en avail, ([\n elait cliarge dii
cultc. Scrait-ce que, iiieme dans le jiaganisme, on reconnait
que la pi'iere doit partir d'un cirur humble, simple et
petit?
(1 Apres trente-cinq jours devofage, j'ai debarque, joyeui
et bien portant, a Kien-Tchang-Fou, d'oii je vous ecris cetle
lettre. Mon premier soin a ete d'envoyer un espres annon-
cer nion arrivee a M. Laribe, qui est actuellement en mis-
sion dans un district assez cloigne. II y a deja trois jours
que je I'atlends : j'aurais peut-ctre trouve ce temps fort
long et fort ennuyeux ; mais j'ai cu le plaisirdc causer avec
vous, mon chcr ami, el cola m'a beaucoup aide a prendre
patience.
KioQ-Tou, tt avriHSH.
« M. Laribe a voulu me faire fete. Nous avons passe la
solennite de Paques, a deux lieues do Kien-Tchang-Fnu,
dans la chretiente de Kiou-Tou, lieu de pais et de solitude,
oii reside ordinairement le missionnaire. Au sein d'uue
profonde vallee est un gros bourg, donl le tiers des habi-
tants est Chretien. Au-dessus du village, el sur le sommel
d'une charmanle colline couronnee de grands arbres, s'e-
leve la maison de Dieu, c'est-a-dire, une chapelle toute re-
luisante de proprete ; pres de la est une pauvre demeure
pour le pretre et une ecole de jeunes gens qui, du matin
au soir, etudient en chanlanl leurs lecons, pendant que le
magister va et vient, criant, lui aussi. de loules ses forces,
el donnanl a chacun le ton. II rcsulle de toutes cesvoix un
grand tumulte, qui n'a rien de fatiganl lorsqu'on y est ac-
coutume ; quand on I'entend pour la premiere fois, son
ctrangete lui prete un certain intcret. Parnii Ics ecoliers se
trouvent actuellement quatre enfants qu'on prepare pour
le seminaire de Macao, lis sont pensionnaires et entretenus
aux fraisde la mission. Je vous assure qu'on s'cdifie a con»
siderer ces jeunes Chinois, dont I'exlerieur est d'une modes-
tie tout angelique. Je me souvieridrai loujours avec plaisir
des bons offices qu'ils m'ont prodigues.
o J'ai trouve bien courtes les journces passces a Kiou-
Tou ; c'est une oasis que j'ai rencontree sur ma route, ou
mon ame a pu se rafraichir et sc delasscr tout a sou aise.
^I. Laribe a ete pour moi un confrere, un compatriole el
iin ami. Quoique les jours que nous avons vecu ensemble
aient etc consacres au repos, ils ne seront peut-etre pas in-
fructueux pour ma vocation. Lcsentreticnsd'un ancienmis-
sionnaire m'ont donne, ce me scmble, plus d'experienco
des choses de la Cliine. Quand les soldats sont au hivac, Ics
consents peuvent encore beaucoup profiler en cnlendanl
les veterans raconter leurs campagnes.
« Les fetes de Paques ont ete solennisees avec zele et
courage, quoique les Chretiens sachenl fort bien qu'une
persecution est sur le point d'eclatcr dans le Kian-Si. Plu-
sieurs d'entre eux ont fait jusqu'.i quinze lieues pour avoir
le bonheur d'entendre aujourd'liui la saintemesse. Lejeudi
saint, le Saint-Sacremenl a eli; depose dans une petite cha-
pelle decoree par les neophytes. Les prieres n'ont pas cesse
un seul instant de retentir sur la colline tant que le Saint-
Sacremenl a ete expose. Pendant le jour, les femmes, for-
mees en chocur, venaienl chanter tour a lour le chemin
de la croix ; le soir, elles out ete remplacees par des hom-
mes, qui ont aussi redil leurs cantiques pieux durant la
nuil tout entiere. Le vendredi, M. Laribe a lave les pieds a
douze enfants : celtc ceremonie paraissail toucher Ics fide-
les. Enfin le jour de Paques a dignement couronne cetle
grande semaine. Apres la messe, un feu d'artifice el force
detonations de petards ont annonce aux paiens de la vallee
que les adorateurs du maitre du ciel etaient, ce jour-la, en
fetes el en jubilations. Croyez-moi, mon cher ami, si jamais
il vous prend envic de pousser vos promenades jusque dans
la Chine, ne manquez pas d'aller voir Kiou-Tou ; vous en
.serez content. Pour moi, il faut que tout a I'heure je lui
disc adieu ; je vais reprendre mon bourdon et m'aclieminer
vers les glaces de la Tartaric occidentale.
« En finissanl, je dois vous prier de ne point juger ce
pays d'apres le tableau que je viens de tracer. Si vous al-
liez generaliser les parlicularitcs que j'ai decrites, vous
vous exposericz peut-etre a bien des mepriscs. L'empire
chinois est immense, et il nie resle encore plus de cinq
cents lieues a parcourir pour arriver a Pekin ; sans doule
que, chemin faisanl, j'aurai a reformer beaucoup de mes
jugemenls.
« Adieu, mon cher ami, veuillez me rappeler au souve-j
nir de .M. le superieur el de mes amis de Toulouse; je ne
vous les nomme pas, parce que vous les connaissez tous.
« Hoc, missionnaire apostolique. »
ZA CARAVANE SE BAGDAD.
Le temps fixe pour le depart approchait, noire vaste
camp regorgeait de provisions en tout genre, chacun s'e-
tant prccautionne de maniere a pouvoir se risquer au loin
pendant deux ou trois mois : on aurait dit qu'il s'agis.sail
d'un long voyage sur mer. Au fail, il eut ete aussi difliciie
de se rien procurer en chemin que si nous avions etc
lances au milieu de I'Ocean. Les chameaux aflluaienl dans
le camp, charges de biscuits, de ble, de riz, d'une quanlile
de basterma, espece de saucisse sccliee qui se conserve
longtcmps,de /caourma, preparation de boeufou de mouton
hache, accommodee dans la graisse et renfermce dans des
peaux jusqu'au moment de I'employer; on en compose
ensuite un mets fort agrcable au goit, en y melani des
herbes el des dalles; Vlialawah, autre substance douce et
solidc, faile avec le simoun, le miel, etc., n'avaient pas ete
oublics.
Ajoutez a lout cela des monceaux de tapis, de coussins,
de couverlures, et une immense collection d'ustensiles de
cuisine. L'eveque, la dame de Bassorah el moi, occupions
une seule tente, diviseeau milieu, comme al'ordinaire, par''
un rideau, afin de separer leshommes et les femmes. Quoique
notre caravane fi'it abondamment pourvue decliameaux, les
voyageurs, composes de pelerins, de marchands, de guides,
de servitcurs, etc., ne s'elevaient pas a plus decinq mille.
Les chameaux elant en general employes au transport d'une
immense quanlile de marchandises, il fallait cependant
compter, en outre, les gens assez nombreux charges des
bagages, des provisions el des tentes des voyageurs. L'e-
veque n'avail pas moins de cinq de ces animaux pour lui et
sa suite ; j'en avals aulnnl ; madame de Cassorah, ses en-
fants et ses gens en occupaieut quinze. K'allez pas vous
27
S<0
SGEKES
imaginerqiie ces bStes npparlicnnent achaque individu ;
il y a uiie classe d'homnics ilaiis le pays cpii tiro grana
parti dece conunerce. Ccsaiiiniaux selouent pourle temps
du voyage. Leiirs moilros s'engagcnl a Ics cliarger, Ics dii-
cliarger, les noumr, et a voiis procurer les coiiducleurs
dont ils out besoin. Je crois avoir payci environ trois cents
piastres par letc, lout conipris, et jc ne m'cmljarrassais dc
rien. Cliaque maliii, de trcs-bonne heure, je Irouvais nies
chameaux cliarges, dont I'un clait priH pour mon service
personnel. Jc m'etais encore procure iin clicval, afin de
pouvoir me derober qucti|uefois a la marcbe lenle et insi-
pide de la caravane, et m'tdancer au galup dans le desert.
Mon reverend compagnon, auquel je pretais souvent ma
monlure, se montrait fort reconnaissant de cetle petite
complaisance. Le jour du depart arriva enlin. Kous nous
mimes en route ;i la pointe du jour, laissantderrierc nous
line foule de parents et d'aniis atlristes, nous prodiguant
leurs benedictions el leurs vceux, les yeuxen pleurs el fixes
sur celte longue file d'elres aninies, comme cllc se mou-
vaitlenlemenl, semblable a un serpent giganlesque qui s'a-
vance en se roulant sur la vasle plaine. La masse vivanle
continuait sa marcbe; les chameaux, adniirables de gra-
vite, ne dcpassant jamais leurs rangs, ils aiiraient meritc
les elogos du sergent europeen le plus severe. Ceu.x qui
ctaient charges de porter les voyageurs avaienldes maha-
rah de diverses couleurs Cxecs sur le dos, Ics uiies rouges,
les autresd'un violet fouce ; le vert emcraude, le bleu s'y
melaient cgalement. Ces especes de Icntcs, pouvantconte-
nir chacune six personnes, offraienl raspect d'une ville
ambulante, reinplie de maisons bariolees. Lesbommcsde
I'escorte u cbeval fournie par le pacba de Bagdad elaient
tons en parlie Georgiens, el la blaucheur de leur leiiit I'or-
mail aussi uu contraste frappant avec celiii de la niullitudc
au noir visage ([u'ils etaient cliarges de prnli'gcr. IK iiiar-
chaient eu arriere ct en avant; les eonducteuis de cba-
meaux se tenaicnl aupres du depot qu'ou lour avail coiilie ;
rien enfia n'etait plus bizarre ;i voir que cc groupc bi-
garre de cbamcaux charges, les ims de br.gages, les autres
de voyageurs, que ce melange de cavalerie, de pelerins,
de riches, dcpauvres, dc conducleurs, d"esclaves, detrou-
))eaux suivis de leurs maitrcs, qui s'elaiejit joints a nous
dans I'espoir de nous les vcndre chemin faisant ; tout ce
cnrtege, enfin, formait une ligne qui n'avait pas moins
d'lm niille d'elemlne. Apres une marcbe de dix lieures, on
fit halle. rcndant le chemin, nous avions effarijiicbe un
Ironpeau eniier de gazelles qui s'enfuirenl, alarmees, en
prcnaut lonles les directions. Mais la rapidite avec laquelle
les guides dechargerent les chameaux et conslruisirent les
tentes tient du merveillcux. En moins d'une demi-heure,
vous voyez s'elever, comme sous la baguette du magicien,
une ville immense; tandis quele voyageur inespcrimenle
contcmple avec ebabissement la construction d'une place
spacieuse a sa droile , s'il tourne les yeux a gauche, il
apcri;oit une longue file de tentes qui semblent avoir surgi
des enlrailles de la terre; la ville une fois balio, si je puis
m'cxprinicr ainsi, on I'entoure d'un rempart de chameaux
(qu'on a bien rassasies de dalles). On s'occupe ensuitedes
jirecaulionsa prendre contre des attaquesimprcvues. Apres
quoi les voyageurs pensent a leur soupcr. C'est le coup
de I'eu di'S boucbers ambulants, obliges de repondre a la
foule des acbeteurs. On lua des moulons; chacun s'appro-
visionna selou ses besoins, et le choix fait, on se h.lta de
preparer les mets; I'activite des cuisiniers egale pour le
moins celle des faiseurs de tentes. On alluma de grands
fcux sur le sol, et bienlot I'air relenlit de ce bicnheureux
coup de .sifdet plus caressant a I'oreille de I'hommc i
jeun que les melodies de Schubert, et qui repand sur la
physionomie la ]dus .sombre un eclair de satisfaction. Leses-
clavess'enipressaienld'e.tendrealerre, devanlchaque tente,
unegrande nappe blancheoii chaquesociele vintse ranger,
bien resolue ii i'aire bonneur au poste qu'elle s'etait chargA
de remplir. Les d(imeslii|ues vinreul a leur tour achever
\i s delu'is abondanls du repas joyeux : noire sociele se
ciimposail de duuze personnes, toules avidesde contribuer
au bien-eire general. Apres le snuper, la conversation se
prolongea jusqu'a onze heures ; il edt etc d'ailleurs inusile
dc songer plutul au repos, car*les rircs, les cris bruyants
des Georgiens, s'inlerpellaut d'un bout du camp a I'autre,
^ . r^\
nous eussent empeclies de dormir. A onze heures done, nous
nous etendimes sur nos tapis, el le sommeil ne se Ct pas
at tend re.
Ce fut alors qu'une troupe d'Arabes noraadcs, se preci-
pilant sur la caravane, nous livrerent un combat qui nous
coula plusieurs hommcs, ct dont je dois raconter Tissue.
(La suite d, «i« numiro prochain.)
DE
FANOBAMA OQ BAVT S'CNE MONTACNE
SPITE'DE l'aSCESSIOR »E PEIEB-BOTIB (1).
« Jamais, dit un des voyo,s;eurs , je n'ai cerlainement
oprouve une exaltation pareiUe. Les negres resles a mi-
cole rcpondaient a nos hourras, el nous enlendions con-
fiisi'iiicnl les acclamations des gens ebaliis assembles dans
1.1 plaine. Comme nous ambitionnions un Iriomiilie com-
pU'l, nous nous preparames a passer la nuit au-dessous du
col lie la montagne; en consequence, nous liissames des
couvcrlures, des jaquettes fourrees, de I'eau-de-vie, des
cigares, etc., tandis que notre diner se preparait plus bas ;
puis nous descendimes notre senlier perilleux, pour aller
ri'Clamer noire part de soupe , de saumon , etc. Dawkins
ct son cousin, lieutenant du Talbot, auxquels nous avions
ccrit, se joignirent a nous, mais ils se senlircnt incapables
de nous suivre apres le diner. Comme la nuit approchait,
je repris mon courage , ct me dirigeai vers notre singulier
petit nid, accompagne de bouc keppel, et d'un negre qui
porlail du bois sec ct nous alluma du feu dans une ouver-
lure sous le rocher. Lloyd el Vliillpols ne tarderent pas a
venir, ct nous commencimcs notre installation de nuit ;
nous primes d'abord, chacun de nous, un verre d'eau-de-
vie. J av.iis endosse deux paires de pantalons, une veste de
ch.isse, deux epnisses jaquettes I'une sur I'autre; j'avais
sur la lete un gros bonnet de laine de matelol. Ajoutpz a
tout cela deux couvertures; enfin , le cigare a la boudic,
nous allendimes I'beure a laquelle nous devious proclamer
notre eclatante vicloire. Mais comment peindre le spectacle
imposant que nous cmbrassions du haul de ce pinacle
elourdissant. Kous planions sur I'ile entiere qui se dessi-
nail an clair de lune calme el bc'lo, exceptc la oil les
noires et larges ombres des autres mooitagnes Intercep-
taient la lumiere;ca et la, nous apercevions luic lueur
briller dans les plaines, ou bien le feu de quelque manu-
facture de Sucre. Aucun son n'arrivait jusqu'a nous, si ce
n'cst de lenips ii autre, ceUii des cris joyeux de notre so-
clcte restec en bas. Enfin nous dislinguames une lumiere
eclatante dans la direction de Port-Louis; puis, apres un
long inlervalle, la sombre lueur du canon de nuit. Nous
donniimes alors le signal convcnu •. une fusee volante parlie
de notfe rctraite cclaira en un moment le pic des nionta-
gnes aux depens de nous, puis nous relombiimes dans I'ob-
scurite. Ensuile nousalluni.imes une flamme bleue, el ricn
n'elait plus magnifique a voir que ces rocliers majeslucux
inondes de ce vaste rellet; nos figures grolesf|ucs, le liord
ciroil sur lequel nous etions, tout se voyait distiiictemenl,
tandis que les oiseaux du tropique, epouvanles, apres s'elre
elances autoiir de la lumiere, allaicnt se preripiler en bas
dans les tenebres avec des cris percanis, car la gorge a
noire gaucbe elail aussi sombre que I'enfer. Kous briil.i-
mes une seconde damme bleue, nous lancamcs deux autres
fusees, el quand nous eumes epuisc nos ressources , la
pauvre lune, calme et outragce, reprit sa revanche. Apres
avoir attache Pbillpots, ce dormeur ambulant du premier
ordre, aux jambes de keppel, nous essayames de doruiir,
enveloppes dans nos couvertures. Mais le froid augmenta ;
nous bilmes toute notre eau-de-vie sans pouvoir nous re-
cbauffer. Quand parut le jour, nous etions roides, gelcs, el
(i) Von. namoro V, rclcr-Bntle (I ia moiihoiie.
VOYAGES HECENTS. 211
affames, Je conclus brlevement, et vous dirai qu'au bout
d'environ quatreou cinq hcures de travail, nous creusames
un trou d.ins le roc , el nous y enfunc.imes a une assez
grande profondeur noire ccbcUe de douze pieds , au haul
de laquelle nous attacliames une barrique en guise de po-
leau commemoratif , sans oublier de planter au-dessus le
pavilion anglais. Puis nous montames rechelle, chacun a
notre lour, afin de nous repaitre encore une fois d'un spec-
tacle sans pareil peut-etre dans tout I'univers, el prenant
conge du tliealre de nos epreuves el de nos triomphes,
nous redesceiidimcs rcclielle juscpfau col de la montagne :
enfin nous jetames au loin les grosses cordes, afin de coupcr
toule communication avec le haul. »
Le lieutenant Taylor et ses amis revinrenl sains et saufs.
On les accabla de felicitations bien meritces ; car celte en-
treprise est en effet une des plus brillautes qu'on ait jamais
racontees dans ce genre.
M(EURS SE I'lNDOTTSTAK.
IBS OEOTTES b'eIEPH.AMA. — CONCEriT ISBOIT.
Nous nllamcs visiter encore dans une petite ile, pres de
Bombay, aux Indes orienlales, un des temples les plus re-
marquablesclevesaridolatrie. Un elephant, aussi grand que
nature, sculpledans le roc, a valu a cette ile le nom A'E-
Uphanta. Ce temple n'eslen effet qu'une cavernccreusee
a grand'peine dans le roc, donl le toil est supportc par
une rangee d'enormcs piliers. Les nuirs sont dccores de
statues. Le voyageur est saisi d'etonnement.lorsqu'en visi-
taiit cette caverue, il apercoil une foule de ligures mon-
strueuses, donl quelques-unes sont trois fois plus grandes
que nature, representant les etres cruels et infanies que
ces pauvres paiens ignorants adoraienl comme dieux.
La muraille, a I'une des exiremites de la cave, est en-
combree de figures; lallenliou se fixe aussitot sur un grand
buste, ou personnagea Irois teles. Cellc du milieu expime
le calme ella diguite : elle represente Brama on la puis-
sance creatrice; la lete el le cou soul converts de hrillanis
ornements. A gaucbe, c'est la figure de Vishnou, ou I'at-
tribut conservatcur; a droile, celle deSiva, ou le svmb.'.lo
do la destruction et de I'inconstance Vislmou, magniC-
quement coiffe, se voit de profil, tenant dans une main
une branche de Irefie sauvage, de I'aulre, un fruit sem-
blablea la grenade. Un bracelet, du genre de ceux que les
Indous portent encore aujourd'hui, entoure un de ses pni-
gnets. Le front saillant de Siva, ses yeux fixes ct sa pby-
sionomie sombre, inspirenl la lerreur; des serpents lui
liennent lieu de chevelure; on apercoil sur le haul de sa
lete un crane humain ; d'une main elle saisit un serpen! a
sonnelles monslrueux; elle en lient un plus petit de I'au-
lre; enfin, tout est calcule pour jeler I'epouvanle dans
I'esprit de ceux qui la regardcnl. Ce buste a environ dix-
buil pieds de haul, la figure du milieu en a quaire de lar-
geur. Plusieurs autres statues sont cgalemcnt monslrucu-
ses; les unes ont deux ou trois teles, quelquefois deux
paires de bras; i'une a la tcte d'un elcpbaul sur le corps
d'un honime.
Enfin, il y a au fond de la caverne une ou deux pcliles
salles obscures, ou se celebraienl sans doute autrefois les
coupables mysleres de I'idolalrie ; elles sont aujourd'hui
212
SCENES
occupees par les chauvcs-souris, les araignees, les ser-
pents et les scorpions, dignes habitants de pareilles de-
mcures.
On ignore a quelle cporiue cc vastc monument, sur Ic-
quel on a prodigue mal .i propos le temps el le talent, a
cte construit; chaque jour amene sa destruction. I.es sta-
tues et les piliers sont en partie renvcrscs. Ainsi (li>p,i-
raitronl tous les temples consacres aux iJoles, et le Dieu
vivaiitelseul veritable sera un jour reconnu et adore de
tous ; nous verrons alors ces pauvres mallieureux esclaves
du demon se reunir aux serviteurs de Dieu, sur lesquels
Kotre-Seigncur Jesus-Cbrist riignera en toute justice. Nous
y croyons, parce qu'il nous en a fait la promcsse.
A peine avais-je fait quelques pas hors de ma lente que
j'apercus un carrosse anglais du dernier siecle arrete de-
vant celle du colonel Wade, attele de quatre belles mules
simplement harnacbecs. N'elant pas tout a fail remis du
choc inattendu qui avait bouleverse nies sens, je dout,iis
|u-esque de la reallle. Mais non ; le vcbiculc el,m la , par-
fail modele de ces vieilles et lourdes bcrliues de famille,
les pnnneaux peints en bea-i vert, ornes de dorures, sans
oublier les pointes de fer s'avanrant mennrantes, la ter-
reur des gamins qui auraient etc tentes de monter der-
riere ; enCn je croyais voir un de ces vieux fiacres qui
parcourent encore les rues de Londi-cs, auqiiel je donne-
rais cependSnt la preference s'il fallail eboisir. Les cbe-
vaux vigoureux et fringants mOrilaient, en verite, de
trainer qudque chose de mieux; et cct elegant equipage
appartenait an gouverneur de Pesliaruur !
J'etais fort impatient de connaiire le scbab Jada, pour
lequel I'Anglelerre s'engage dans une guerre dispendicuse.
Ma curiosite fut salisfaite le soir meme. Je I'apercus au
moment oii il sortait de sa lente pour respirer la fiaicbeur
qui s'eleve a la fin d'lme journee d'ete ; mais les nuages
de poussiere que soulevc autour de Uii sa nombreuse es-
corte rendent sa promenade moins agn'able. Le prince,
aOn d'imposer aux esprits faiblcs de la populace, et sur-
tout dans la crainte des machinations perlidcs des tribus
ennemies, ne fi.incbit jamais les limiles de son camp sans
etre accompagne de toule sa garde pcrsonnelle et d'une
nombreuse suite de cavalerie irreguliern.
Ce jour-la une troupe bigarrec de f-inirnnees, qui I'a-
\aient rejoint depiiis sou arrivee dans la viillee, conduisait
U marcbe. Malgre I'apparence sauvage et grotesque de ces
liommcs, on deviiie, a I'exi ression bardie de leurs phy-
siononiie, ce qu'ils scraient capables de I'aire s'ils se Iron-
vaient nieles a une scene de pillage.
Leiirs costumes effient une grande variete : chacun
aJcple celui qui Uii plait Jbis radMiirnlion appartienl a
ceux qui [loilent la souple colte de mailles, les gantclets,
le casque d'acicr ou le bonnet ku:^:Hbacli, fail de peau
hrillanle d'agneau noir conimc le geai, el surmonte
d'une aigrelle rouge. La cliupkum, ou longue robemu-
sulmane, est generalement porlee; mais les coideurs
varientencore a I'inRni, selon la fant.iisie de cbaque indi-
viJu. Le turban de drap, aux plis nombreux, s'eleve sans
gout sur la tele el parail digne de ligurcr avec la cummur-
bund, OH ceinture ncgligeniment jclee autour de la laiile;
pbisicurs d'entre eux meltent d'immenscs hottes en peau
non ]irrparee , ou des .sandales lacees avec des cordes;
d'aulres prefcrcnt de gros souliers ferrcs. La men.e va-
riete existe dans la couleur de Icur complexion; les i.us
sont blancs comme des Europcens, les autres i.'ojrs comme
des negres. Ces hommes paraissent affectionner leaucoup
la couleur rouge : ils donnciit cctte nuance a leurs barbes ;
queli|Ucfois ils se plaisent a teindre aussi la queue et les
j.imbesde leurs cbcvaux en rouge, lis monlaient tous de
bonnes betes vigoureuses, el leurs armes se composaient
d'une \\'gevKJhc:ail, ou carabine, d'une epee oud'un bou-
clier.
Phisieurs portaient, en outre, une grande lame de
sabre.
Ladiscqdinelcurestcomph'tementinconnue ; ils nnt Fair
mi'nie I'(m'1 vexes d'etre obliges demari'bcren corps; cha-
cun s'efrorce de se placer en avant, el, de lenijis ii aulre,
DE VOYAGES REGENTS.
213
on voit tin cavalier s'clancer du milieu, partir aii galop en
dechargcanl son arnie, et venir rcjoindre ses csmarmles
avec unc egale rapidile. Ce corloge et ses usages ni'iiile-
ressaient d'aulant fdus qu'ils me donnaient unc idee exacle
de la cavalei'ic tant vanlee des Affghans. Bien qu'elle soit
cxcellente dans le pays, etlorsqu'il s'agil de combalire Ics
hordes qu'elle a renconlrees jusqu'a present, elle n'en
serait pas moins aneantie en rase campagne par un seul
regiment de dragons curopcens, ou du moins dispersee.
Aprcs les Douranecs venait une compagnie de Roliillas,
qui soul revetus de choupkoums Ideues, Icurs turbans et
leur ceintures sont verts, et lours panlalons en peau de
buffle ; ils sont armes de carabines et plus disposes a se
sonmetlre a la discipline, cependant la confusion existe
dans leurs rangs; mais ils paraissent graves en comjiarai-
son de ceux dont nous vcnons de parler. Le prince parut
enlin monte sur un magniQque elephant, dont la selle (■tail
decoree d'ornements argenles. C'elail un hel liommed'en-
viron trenle-deux ans, que la simplicile du coslunie favo-
risait encore. II porlail un robe bleue foncc et un turban
d'une blancheur eclalante elegamment pose sur sa tete.
Mais, en I'exaininant de plus pres, on voyait gravees sur
ses trails I'insouciance et une parfaite indiflerence pour
tout cc (piirenvironnail. Derricre lui elailassis son wezir,
un vieillard aux cheveux argentes, aulrefoislc shonjah du
schah (le precepleur du roi) : il se nomme MosUa Shnkore.
Un plus pelil elephant et deux gens de service du schah sui-
vaient encore ; puis une autre compagnie de Roliillas, et
pres d'eux les Risallah, troupe hi™ vetue.
Les hommes portent un chupkum rouge et un par-dessus
vert; les turbans et les ceintures sont de la meme couleur
que ce dernier vetement.
lis sont armes d'une epce, d'lin bouclicr et d'une lance
legere, a laqucUe s'attache une petite banderole ; le drap
de leurs scUes est mouchcte en vert et en rouge ; mais
leurs chevaux devraient i'lre plus beaux. En somnie, ils
forment unc brillante escorte. EnGn un second dclachc-
ment de Douranecs complelait la garde.
IiA CHASSE AD TIGRE.
II cxiste dans tons les pays des animaux sauvages plus
I'orls que I'homme. Cependant, grace a la puissance inlel-
Icclnelle que Dieu lui a donnce, il est parvenu non-seule-
ment a dompler et a dctruire les plus dangereux, mais en-
core a apprivoiser ceux dont la force et I'agilite pouvaieut
lui eire utiles. L'elophant, quoi(|ue le plus gros et le plus
vigoureux de tons les animaux de terre, se laisse atlrapcr
de differcntes manicres. Sa fureur n'apas de bornes quand
il se voit prisonnier ; mais il se calnie facilement si on le
traile avec douceur, et dcvient un servileur aussi fidele
qu'obcissnnl. On emploie, en general, les elephants, aux
Indrs oricniales, dans la chasse aux beles feroces, et sur-
toul lorsqu'il s'agit de poursuivre le ligre, le plus beau et
le plus cruel des aniniau'C.
... J'assistai, en 1840, a une grande chasse an ligre, que
je v.iis decrlrc.
Les hommes, armes de fusils, montcnt sur leurs ele-
phants, dentils se .servent quelquefois comme de chevaux,
mais le plus communcmeni assis dans un char ou lioudah,
qu'on fixesurle dosde la bete. Un homme du pays se place
loujours sur le con de I'animal pour le gnider ; puis on se di-
rige vers les epais buissons, on Ton suppose que le tigre
se lient cache. 11 est d'abord assez difficile de le decouvrir,
parce qu'il rampea plat ventre, esperant se soustraire a la
:^iBi^'^^"''\/^
vue des elephants, qn! lui causent beaucoup de fraveur.
»Iais les chiens batten l les buissons ; bienlot on voit I'herbe
s'agiter, eton ne tarde pas a entrevoir les raies noires de
son dos jaune et lustre. C'est la le moment de faire feu ■
la balle a penclre ses chairs. Dienlot la rage remplace la
pcur ; i! jette un cri furieux, espece de sour'd rugissement.
11 s'elance sur relephant le plus rapproehe, et cher-
cheasaisir sa Irompe. Mais son adversaire, prepare a
I'altaquc, relevc le plus haul possible cclte parlie, la jdus
sensible de son elre , et s'effnrce d'altraper le ligre avec
une de ses defenses. S'll reussil, le combat est bientut ler-
mine; la dent le traverse de part en pari; il est ebranle
el reloulc jusque sous lerre, abime .sous les larges pieds
et les gonoux de relephant. Quelquefois, quand I'elephan
est jeuue, la frayeur le saisit ; il se detournc au moment ou
le tigre s'elance vers lui ; dans ce cas, la bi"'le sauvage se
jette probablement sur I'clephant, et la position des chas
scurs devient fort incommode, s'ils ne ralleignenl pas au»-
2« SCENES
sitSt d'uncoup do fusil; I'lin d'eux court le risque d'etre | mcnt de relppliantepoiivantp nesniivepas lonjonrs letisre
emporte dans sa rciloulalili.' niadiinp. Cqn'iidaiil cc mouvo- | ,i I'aisc, car 11 est d'urdiiiairc drlngi', el sa Lello peau tra-
versee de plusicurs coups de fusil qui lui ont fail iles li'.cs-
sures mortelles.
D'aulres nioyens sont employps par los Inilicns pour se
defaire du tifjre, donl quelqucs-uus soul fori amusauls.
Lorsqu'on s'est assure de sa presence dans qu(li(ue eu-
droil, les paysans ramassent une quaiUite de feuilles d'uu
arbre ( sendjlaliles a celles du sycomore), i|ui est Ires-com-
niun dans la plujiart des taillis; ces feuilles sont harbouil-
Ices de !,'lu el sont repandues aux environs de la retraile
obscure oii Ton sonpconne (|ue le tigre se renfeinie pen-
dant la chalcur du jour. Si, par hasard, I'animal marclie
siir les feuilles ainsi preparees, c'est fait de lui. 11 com-
mence par secouer la patle pour se delivrer du nialencon-
trcux obstacle; eel expedient ne rcussissant pas, il frotte
la glu iiifernale contre ses maclioircs, toujours avrc la
nienie intention, s'en barbouille les yeux, les oreilles, et
Unit par se nietlre dans un ctat de malaise, lei qu'il se roulo
parterre, peul-iHre encore sur d'aulres feuilles gluantcs >
il s'en enveloppe cnmplelement, perd la vue, el, dans
cette position, on pent le comparer a un homnie goudronne
el convert de plumes. L'angnisse qu'il eprouve se revele
bienlot par d'affreux hurlemenls, et averlit les paysans que
le moment est vcnu dc frappcr srms danser Tolijcl dc Itur I I-es haljilants de qnelqucs grandes iles des Indes ont re-
ciccration
coi;!'s a d'aulres ruses pour causer la morl de ces ani-
DE VOYAGES REGENTS.
21$
matix. Apres avoir croiise une fosse, on y enfonce tout
droit, au milieu, iin \nen poiiUu; line jilaiiche, jilacec au
lord, se renverse au moiiidrc choc ; on y a depose, a I'une
des extrcmitcs, un morceau de viandc; le precipice est
masque par des faffots ct des lierbes ; le tigre, attire par la
viaiide, vient sur la planche pour s'cu emparer; mais a
peine a-t-il atteini le Lord qu'il lombe aussitot, k pieu lui
traverse le corps ct lui donne la niort.
Quelquefuis ces gens construisent une cage d'osier assez
grande pour contenir un lioninie ; un des habitants de I'en-
droil, arme d'un long couteau et dun poignard, se dirigc,
le soir, vers la rctraite supposee du tigre. II se loge dans
la cage, el attend paticmnicnl la null. Le tigre .sort cnfin,
rodant daus Ics tenebres, llairc I'liommc cache, et se dirige
vers la cage. U se leve aussilul sur ses paKes de derriere,
pousseun affreux rugissement; I'lionime, que rien n'epou-
vnnle, saisit alors le ijionient favorable pour enfoncer son
poignard dans la poilrine de I'aninial. Cetle premiere at-
teiiile augnicnle sa rage ; mais I'homme, dcfendu par la
solidilo de la cage, brave les attaques furieuses de son
cnncmi; il lui inllige de nouvelles ct crucUes blessures
qui bicntot mettcut un terme a sa vie.
L'XI.S SB TAITI EM 1780 ST EN 1345.
n elait reserve aux Franrais de ramcner a une civili-
sation douce et huniaine celle ilc heiireusc dont les niis-
sionnaires protestants ont fait pendant longlonips une
parodie mi.serahle et ridicule de la sociele europi'ennc.
Avantdeparlcrde la situation pn'senle de Taili, rappelons
I'epoque de la decouverte, et suivons Bougainville dans la
curieuse description de cetto ile charnianle.
« Pendant la nuit du 5 au 4, nous louvoy.lmes pour nous
elever dans le nord. Deux fcux que ncius vimcs avec joie
hriUerde toutcs parts sur la cute nous apprirentqu'elle etait
habitce. Le 4, au lever de I'aurore, nous reconnumes que
les deux lerres qui, la veiUe, nous avnicnt paru sep,iri>es,
etaient unies ensemble par une terre plus basse qui se
courbait en arc et formait une bale ouverle au nord-est.
Nous courions a pleine voile vers la terre, presentant au
vent de cette bale, lorsque nous aporcumos une pirogue
qui venait du large et voguait vers la cute, se servant de la
voile el de sespsgayes; elle nous passa de I'avant et se
jnignit a uuc infinite d'autres qui, de toutes les parties de
I'ilo, accouraiont au-devaiitdc nous L'une d'ellcsprecedait
les aulres; cUo elait cinuluilc par t2 hommcs nus, qui
nous presentcrcnt des branches de bananicrs, et leurs de-
monstrations atteslaicnt que c'clait la le rameau d'olivicr.
Kous leur repondimes par lous les signes d'amilie dont
nous pumes nous aviser. Alors ils accoslerent le navire, el
I'un d'eux, remarquahle par son enorme chevelure, he-
rissee en rayons, nous offrit avec son rameau de pais un
petit cochon et un regime de bananes. Nous acceplames
son present, qu'il atlicha a une corde qu'on lui jeta;
nous lui donnamcs des bonnets et des mouchoirs, et ces
premiers presents furent le gage de uotre alliance avec
ce peuple.
u Bientut plus de 100 pirogues dc grandeur diflerenle et
toutes a balancicrs, euvironniireut les iiUi vaisseaux. Elles
2iG
SCliNES
etaient cliargees de cocos, de banancs et d'aulres fruils du
pavs. L'echange de cos fruils delicieux pour nous conlre
loules sortos de bagatelles se fit avec bonne foi, mais sans
qu'aucun des insulaires vouli'it nionter a bord. 11 fallait
entver dans leurs pirogues ou niontrer de loni Ics objcls
d'ecbange ; lorsqu'on elait d'accord, on leur envoyait an
boul d'une corde un panier ou un filel; ils y meltaienl
leurs effets ct nous les notres, donn.int ou recevant indiffe-
remmenl avant que d'avoir donne ou recu, avec une bonne
foi qui nous fit bien augurer de leur caractere. D'ailleurs
nous ne vimcs aucune espece d'armes dans leurs pirogues,
oil il n'y avail poinl de femmes a celle premiere cntrevue.
Les pirogues reslerenl le long des navires jusqu'a ce que
les approcbes de la nuil nous Crenl revirer au large ; loules
alors sc relirerenl.
nL'aspecl de celle cote clevee en amphilhealre nqusoffrail
le plus rianl spectacle. Quoique les niontagncs y soient
d'une grande hauteur, le rocher n'y monlre nuUe.part son
aride nuditc ; tout y est convert de bois. A peine en crumes-
nous nos yeux, lorsque nous decouvrimes un pic charge
d'arbres jusqu'a la cime isolee qui s'elevait au niveau des
niontagncs dans la parlie meridionale de I'ile. 11 ne parais-
sait pas avoir plus de trente toises de diamelre, et il dimi-
nuail de grosseur en monlanl; on I'eul pris de loin pour
une pyramide d'une hauteur immense que la main d'un
decoraleur habile avail paree de guirlandes de feuillages.
Les terrains moins eleves sonl enlrecoupes de prairies el
de bosquets, el dans loute I'elendue de la cote il regne sur
les bords de la mer, au pied du pays haul, une hsiere de
terre basse el unie couverle de plantations; c'est la qu'au
milieu des bananiers, des cocoliers el d'aulres arbres char-
ges de fruils, nous apercevions les maisons des insulaires.
« Comme nous prolongions la cote, nos yeux furenl frap-
pes de la vue d'une belle cascade qui s'elanr.ait du haul des
moutngnes et precipilait ii la mer ses eaux ecumantos. Ua
village elait ball aupied, et la cole yparaissait sans brisanls.
Nous desirions tons de pouvoir mouiUer a porlce de ce beau
lieu ; sans cesse on sondail des navires, et nos bateaux son-
daient jusqu'a terre. On ne Irouva dans celle parlie qu'un
plalier de roches, etil fallutse resoudre a chercher ailleurs
un mouillage.
II Les pirogues etaient revenues au navire des le lever
du soleil, et loulela journce on (it des echanges; ils'ouvrit
nieme de nouvellcs branches de commerce , outre les
fruits de I'espece de ceux apporles la veillc el quelques
aulrcs rafraicbissemenls, tels que poulels et pigeons. Les
insulaires apporlerenl avec eux loules sortes d'instrumenls
pour la peche, des herminellis de picrre, des ctoffes sin-
gulieres, des coquilles, etc. lis demandaient en cchange
du ferel des pendants d'orcilles. Lestrocssefirent, cimime
la veille, avec loyaule; celle lois aussi il vinl dans les pi-
rogues quelques femmes. A bord de I'Eloile i! monta un
insulairo qui passa la nuit sans Icmoigner aucune inquie-
tude.
« A mesure que nous avions approche la terre, les in-
sulaires avaient environne les navires; rafllucnce des pi-
rogues fut si grande aulour des vaisseaux, que nous eiimes
beaucoup de peine a nous amarrer au milieu de la foule
et du bruit. Tuus venaient en criant : Tayo ! qui veul dire
ami, el en nous donnanl miUe temoignages d'amilie; tous
demand.iienl des clous el des pendants d'orcilles.
« On a vu les obstacles qu'il avail fallu vaincre pour
parvenir a mouiller nos ancres ; lorsque nous fiimes amar-
rcs, je dcscendis a terre avec plusicurs olliciers, aOn do
reconnaitre un lieu propre a faire de I'eau. Nous funics
recus par une I'oule d'hommes el de femmes qui ne se las-
saienl poinl de nous considcrer; les plus liardis venaient
nous toucher, ils ecarlaient meme nos velcmcnts conimf
pour verifier si nous etions absolument fails comme cux :
aucun ne porlail d'armes, pas meme de baton; ils ne sa<
vaienl comment ex]irimer leur joie de nous recevoir. L«
chef de ce canton nous conduisil dans sa maison et nous j
inlroduisil; il y avail dedans cint] ou six femmes et un
vieillard venerable. Los femmes nous saluerent en portant
la main sur la poitrine el criant plusicurs fois : Tayo! Le
vieillard elait pere de noire hole; il n'avail du grand age
que le caractere res]iectable qu'impriment les ans sur une
belli; figure ; sa lete, ornee de cheveux blancs et d'une
longue barbe ; tout son corps, nerveux el rempli, ne mon-
trail aucune ride, aucun signe de decrepitude. Get homme
venerable parut a peine s'apercevoir de noire arrivee; il se
rolira memo sans repondre a nos caresses, sans temoigner
ni frayeur, ni etonnemenl, ni curiosile, fort eloigne de
prendre part a I'espece d' extase que noire vue causail i
tout ce peuple; son air reveur et soucieux semblail an-
nonccr qu'il craignait que ces jours heureux, ecoules pour
lui dans le sein du repos, ne fussent troubles par I'arrivce
d'une nouvelle race.
« On nous laissa la liberie de considcrer I'lnlerieur de la
maison : elle n'avail aucun meuble, aucun ornement qui la
disllnguat des cases ordinaires, que sa grandeur; elle
puuvait avoir qualre-vingls picds de long sur vingl pieds
de large. Nous y remarquanies un cylindre d'osier, long de
trois ou quatre picds et garni de plumes noires, lequel elait
suspendu au toil, et deux ligures de bois que nous primes
pour des idoles. L'une, c'ctait le dieu, elait debout contre
un pilier. La deesse elait vis-a-vis, incliuee le long du mur
qu'elle surpassail en hauteur, et altachce aux roseaux qui
le formenl. Ces figures, inal faites et sans proportions,
avaient environ trois pieds de haul, mais elles tenaient a
un picdoslal cjlindrique, vide dans rinlcrieur et sculpte
a jour. 11 elait fail en forme de lour el pouvail avoir six a
sept pieds de haul sur environ un pied de diamelre; le tout
elait d'un bois noir fort dur.
IS. Le chef nous proposa cnsuile de nousasseoirsurl'herbe
au dehors de sa maison, oii il fit apporter des fruils, du
poisson grille et de I'eau pendant le repas; ilenvoya cher-
cher quelques pieces d'eloffes, et deux grands colliers fails
d'osier el reconverts de plumes noires et de dents de re-
quins ; leur forme ne rcssenible pas mal a celle de ces frai-
ses immenses qu'oii porlail du temps de Francois 1". 11 en
passa un au coudu chevalier d'Oraison, I'aulre aumien.et
dislribua les ctoffcs. Kous etions prels a retourner a bord,
lorsque le chevalier de Suzannel s'apercut qu'il lui man-
quail un pistolet qu'on avail adroitemenl vole dans sa po-
clie. Nous le fimes entendre au chef qui, sur-le-champ, vou-
lul fouiller tous les gens qui nous environnaient ; et il en
maltraita meme quclqucs-uns. Nous arretames ses reclier-
clies, en lachanl seulcment de lui faire comprendre que
I'auteur de ce vol pourrail etre la viclime de sa friponnerie,
et que son larcni lui donnerait la mort.
« Le chef ct tout le peuple nous accompagnerenl jusqu'a
nos bateaux. Pres d'y arriver, nous fumes arrelcs par un
insulaire d'une belle figure, qui, couche sous un arbre,
nous offril de partager le gazon qui lui servail de siege.
Nous I'acceplimes ; eel homme alors se peucha vers nous,
DE VOYAG
el d'un air Icndre, aux accords d'line flule dans laqiielle
un autre Iiidien soufHail avec le ncz, il iious chanla lente-
menl une clianson, sans doule anncreonlii|ue : scejie cliar-
m.inte el dijne dn pinceau de Bouclier. Qualre insiilaircs
vinrent avoc conliance souper el coucliera bord. Koiis Icur
finies enlcndie (lulc, basse, violnn, el nous leur donnames
un feu d'artiQce compose; dc fusees etdc sorpcnleaux. Ce
speclacle leur causa une surprise nielce d'cffroi.
« Le 7 au malin, le clief, donl le noni esl Ercli, viiit ,i
bord; il nous apporla un cochon , dcs ])Oules el le pislolel
qui avail ele pris la veiUe diez lui. Cut acle de juslice nous
en donna bonne idee. Les insulaires nous aiJaienl beaucoup
dans nos Iravaux; nos ouvriers aballaicnt les arbres el les
mcttaient en bi'iclies, que les gens du pays iransporlaienl
aux baleaux ; ils aidaienl de nienie a faire I'eau, emplissanl
les pieces el les conduisanl aux chaloupes. On leur donnail
pour salaire des clous donl le nonibre se proporliomiail
au Iravail qu'ilsavaienl fail. La setile gene qu'on eul, c'esl
qu'il fallail sans ccsse avoir I'cEil .i toul ce qu'on a|iportait
a terre, a ses poclies menies ; car il n'y a point en Europe
de plus odieux filous que les gens de ce pays.
ES r.SCENTS. al7
« Cependanl il ne parait pas que le vol soil ordinaire entre
eux. Ricn ne ferme dans leurs maisons, toul y esl a terre
ou suspendu, sans serrure ni gardiens. Sans doute la curio-
sile pour des objcls nouveaux excitail en eux de violenls
dosirs, et d'ailleurs il y a parlout de la canaille. On avail
vole les deux premieres nulls, malgre les sentinclles el les
palrouiUcs. auxquelles on avail jele quclques pierres. Les
volcurs se cachaiciil dans un marais convert d'herbesetde
r iseaux, qui s'lHendait derrierc noire camp. On le nel-
loya en parlie, el j'ordonnai a I'officier de garde de faire
lircr sur les voleurs qui viendraicnl dorenavant. Ercli lui-
niiMiie me dil de le faire , mais il eul grand soin de mon-
trcr plusieurs fnis ou elail sa niaison, en recommandant
bien de lirer du cote oppose. J'envoyais aussi lous les soirs
trois de nos baleaux charges de pierricrs et d'espingoles se
mouiller devanl le camp.
u Au vol pres, tout se passail de la maniere la plus aima-
ble;cliaquc journos gens se promenaient dans le pays, sans
amies, seuls ou parpelites bandcs On les invitait a rentrer
dans les maisons, on leur y donnail a manger. »
{La suite auprochain numero.)
Deuxicrae vue dc TaTli.
1.ES VOIEUHS ET Z.E GUIDE ENOOKMZ.
Mon guide espagnol, qui avail recu d'avance I'argcnt
de son mailre et le sien , ne se mit nullement en peine de
remplir aucune des fonclions de sa charge. II jouissait d'un
privilege assez common parmi les gens de sa classe, celui
dedormir acheval; mais nul n'elait plus lieureu.-^cment
done que lui, sous ce rapport. En premier lieu, son infir-
mite(il elait eslropie), el plus encore son indolence, le
rendaienl incapable de marcher une parlie de la journee, sui-
vaut I'usage, soil a Iravers les mauvais chemins, soil meme
a Iravers les bons. Aussi quand je voyais ces liommes rc-
monler sur leurs chevaux , j'avais peine souvenl a me de-
feiidre d'un mouvement d'inquielude, je savais qu'ils ne
larderaient pas a tomber dans un profond sommcil. Mon
bomme donnail done a pen pres la matinee enliere • la
pluparl du temps vous auriez dit un hibou surpris lout a
coup par la brillante clarle du soleil. C'est apres le diner,
a riieure de la siesle, que ces gens aiment surloul a user
de leur prerogative; la mule, de son cole, semblase pretep
volonliers aux douces habitudes de son mailre, et j'ai sou-
venl perdu aiiisi uu temps precieux.
•218
LE COURAGE MOBAL
Le malin, mon guiJe, pour comllc d'ennui, vint m'an-
nniicer que mon cheval Loilait, par suile des courses qu'il
avail failts dans Ics monlagnes, sans fers, et me proposa
de I't'clianger conlre le bidet qu'il delivrerait des bngages;
je refusal. Celle nouvelle disposilioadevait necessairement
causer du retard, ct me metlre sous la dependance d'un
guide quaul a la maniere dc voyager. C'etait la son but.
Je tins bon , alleguant que la roideur du cheval disparai-
trait avec I'exercice. Mais nous avanc.imcs difiicilement,
lies chevaux ctant deja fatigues , ct obliges de pietincr
dans les sables epais de la cote.
Comme je savais qu'avant d'arriver a Malaga nous au-
rions a parcourir les plus mauvaises routes de I'Espagne,
j'en avertis le guide et lui recoramandai de ne laisser ap-
procher personne de son cheval pendant la route. La suite
donnera une idee du succes de ma precaution.
Le petit village de Nagirola etait entierement rebati et
paraissaiten voie de prosperite; lapechejointe a quelque
autre Industrie, offre sans doute aux habitants de grandes
ressourccs. Nous nous arret3mes danscelte ville pittoresque,
qui a conserve le nom de Benal-Madena, comme au temps
des Maures ; elle est balie sur une masse colossale de stala-
gmite , ou deposition de carbonate de chaux. Semblable a
Tivoli , elle forme sur une moins vaste eehelle des sites
eiicbanteurs ; une foule de rivieres , incomparables pour la
purete de leurs eaux , I'arrosenl en tous sens. Au-dessus
regne le grand ct salubre village de Mijas , oii sonl venus
s'etablirde nombreux proprlelaires ; mais comme il est ap-
puye contre celte haute muraille de chaux, les chaleurs
d'cle doivent y ctre vivement sentics.
Environ a une licue au deli de Benal-Madena, a mi-c6te
dc la montagnc de Mijas, on rencontre une vaste etendue
do pays inculte qui s'incline jusqu'a la mer. En Iraversant
cet endroit, je fus surpris de volrarriver de loin , contre
Tordinaire, une bande de paysans, au nombre dequarante
ou cinqiiaute au moins, marchanl tous ensemble de noire
ci'ite. Je lilai aussilut a droite, afin de lescvitcr, bien que leur
contenance calme et loute leur maniere d'etre ne me cau-
sassenl aucune inriuictude. lis etaieni tous habiUes de meme
ct revenaient cvitlcmmeiit de leurs occupations dans les en-
virons, pour allor diner et faire la siesle. Mon hibou, as-
soupl , peu capable de .suivre mes instructions, passa au
milieu de la troupe, se livranl a sa merci. J'observai atton-
livement tous leurs gestes; ne pouvait-il s'on Irouver qucl-
ques-uns paniii eux qui voulussent profllcr de Toccasion
offerte a lour cupiJito. J'apercus en effet deux individus
de mauvaise mine, vetus difl'eremment , ct n'ayant aucun
rapport avec le rcste de la bande; a peine avais-je eu le
temps de rcconnaitre que ces hommes etaient des voleurs,
qu'ils s'tdancerent sur mon guide que la foule les avail
empecbe d'apercevoir plus tot, I'arreterent tout court et
mirent la main sur les bagages; mais au moment de conli-
nuer I'ceuvre, I'un d'eux parut frappe de je ne sals quelle
pensec, I'autre jeta un regard percant ct insignificatif der-
riere lui, puis tous deux poursuivirent leur route sans pro-
ferer une parole, sans rien faire de plus. J'avais tout vu,
quoique je ne me fusse pas arrete, et peu apres j'arrival
devant une cabane, residence des douaniers, qui se trou-
vait masquee par un terrain eleve. Ce poste, place la ex-
pres pour la surcte des voyageurs, me sauva d'une avenlure
dans laquelle j'aurais joue un triste role. J'elais prive de
mon fusil, grdce a ce valet mcnleur de Seville, qui I'a-
vait mis hors de combat le matin , apres Tavoir deja fajt
raccommoder a Druxelles. Combien je fus heureux de pas-
ser Inapercu! si Ics voleurs n'avaient pas craint le voisi-
nage, lis auraient tout simplcment jete a bas de son cheval
rimprudent dormeur, et seraient alles se refugier dans Ics
montagnes avec la bete et les bagages.
Pensant que nous n'avions plus rien a redouler de ce
genre, je m'abslins de conter I'aventure a mon guide, qui
probablement n'avail pas meme apercu un seul homnie cu
chemin. Mais nous I'avlons echappe belle, car les paysans,
scion leur charitable habitude, seraient restes simples spec-
tateurs; quelquefols lis se mettent du cole des brigands.
Dans ce cas, ma position eut ele fortperilleuse : impossible
de songer a la fuite avec un cheval a moitie mort de fa-
tigue. Rien n'est done plus necessaire que de voyager bien
arme ; je mcritais vraiment d'etre puni de ma coupable
negligence.
( Un Tour d Cordoue. )
LE COURAGE MORAL
DAXS L4 JEllSSE,
tXEMf LES DE FOnCE COKTRE LE SORT, DE IlESlSTAJiCE ET DE SDCCES
DAKS LES CAimiEIlES LES PLUS DIVESES.
(SUITB. )
MEHJONSON, COOK, DAMPIEB, DES0ABTE3, etc.
Si le citoycn de nos villcs. preoccupe de ses affaires,
se trouve arrete dans ses etudes scientiliques et lilteraires,
comment le soldal et le marin pourront-ils vaincre les
obstacles plus nombreux encore qui les assiegenl sanscesso
pendant leur vie aventureuse, pour se llvreri ce genre de.
travaux. Keanmoins, grand nouibred'hommes celebresen
lillcrature et en pbilosophieont appartenu a ces classes do
la societe. Le fameux Descarles, pour obeir a sa fainille,
en Ira a I'arniee a I'age dc viugt-trois ans. II servit d'alioi'd
le prince d'Orange, et plus tanl Maximilien de Daviere. II 'I
assistait avec ce dernier a la balaille de Prague, en IG.O,
lorsque, reuni .i I'emperenr Ferdinand II, il rumpmia hdu
vitloire signalee sur Fretleric, cbcteur Palalin. Cepcndanl
la vie de soldal n'enipeehait pas Descarles de ponrsiiivre
ses etudes philosophiques. L'u jour, ctant en garnison n i
Breda, dans les Pays-Bas, lorsqu'il faisail pariie des lrou|ies j
du prince d'Orange, il apercul une foule Je gens assemMes J
aulour d'une afliche coUee sur la muraille. Comme elle
etaitecrile en hollandais, langue qu'll ignorait ( il elaitr.aiif
de la Touraine ), II demanda rexplicaliou a un de ses vni-
sins. Le hasard voulut qu'll s'adressiil justement au prin-
cipal de runlvcrsile de Dort, malhenialicien distingue, u II
s'agit d'un probleme de geometric tres-difficile , repnndit
ce dernier d'un air railleur, doni on propose la solution
aux gens les plus hablles de la vllle. » Descarles, sans st.
laisser intimider par le ton et les manieres du savant pro- 1
fesseur, le supplia de vouloir bien lui Iradulre rafficlie ; d
peine I'eul-on mis au couraul, qu'il assura tranquillcnicnt
pouvoir accepter le defi. En effet, 11 se presenla le lendc-
main chcz Beckman (ainsi se nommail le professcur), avec
la solution comnletc du probleme d la prandc surprise do
DANS LA J
ce pcrsonnage dislingue, qui vraisomblablementn'avait.ia^
mais songe que tanl de science fi'il possible hors de Teu-
ceinle d'uii coUrgc on d'une universile.
Descarles, pendant son sejuur .i Breda, "a ccllc mcmc
cpoque, posa les premieres bases de la plupart de ses do-
couverlos malbcmaliques qui Uii ont valu plus lard l.int de
celebrile ; il y ecrivil aussi un traile de musique en lalin,
oinsi que plusieurs aulrcs ouvrages.
Ben-Jonson s'engagea aussi comme simple soldat, pre-
feranl ce rude melier a celui d'ouvrier macon, auqucl le
second mariage de sa mere Tavail condamne.
11 scrvit quelque temps dans les Pays-Has, seballitcontre
les Espagnnls, et acquit une reputation de bravoure dont
jl se montra passablcment vain, etaiit plus age.
Telle fut aussi la deslinee de Geoige Buelianan, un dos
ccrivaius les plus elegants que les temps moderiies aicnt
produits : ce qui prouve d'une maniere cclalante que rien
ne saurail inlcrrompre les poursuites intcllecluelles des
veritables amanis de la science. La vie asscz prolongee de
Duchanan s'ecoula presque tout entiere dans une cruelle
agitation. Ne de parents pauvres, on I'envoya a I'univer-
sile de Paris pour y etre elcve aux frais dun oncle qui
mourut au bout de quelques annees ; prive de loutcs res-
sources, dans rimpossibilite memederetourner cbezlui, il
sejoignit a un corps d'armee particulier, qui albit scrvir
cn Ecosse le due d Albany. C'cst ainsi qu'il debuta dans la
vie malheureuse donl les details nous retiendraient trop
longtemps; il est triste de penser que Buchanan, sans ri-
val parmi ses compatriotes au point de vue de la science
et du genie, occupant, de I'aveu de toute I'Europe, le pre-
mier rang comme poiite, n'ait recueilli a celle falale epo-
qiie de troubles civils que la pauvrete, la persecution, la
|n ison et I'exil. Jlais nuUe puissance de la terre ne pouvait
le depouiller do son royaume , de cctle vaste intelligence
oii il puisa sans doute les forces qui laidiirent a sujipor-
lerses peines. II lutla centre I'infortune en se livrant plus
que jamais aux travaux lilleraires , et ce fut dans les don-
jons du Portugal qu'il compo.sa cetle fameuse version la-
tine des ^^aumes. 11 venait d'acbever son grand ouvrage
sur Pbistoire d'Ecosse, lorsqu'il mourut, age de soixanlc-
seize ans, el dans le deniiment le plus complel. Se voyant
pres de sa lin , il se fit rendre conipte de I'argent qui lui
restail; la somnie clait si moJique, qu'elle ne pouvait siif-
fire aux frais des funcrailles : il desira qu'on le dislribu.it
aux pauvres. Une ville d'Espagne se chargea de lui rendre
cs derniers devoirs.
Voyez encorel'immortel auteur de Don Quicholle, quelle
fie fut jamais plus traversee que la sienne. Cervantes dobula
oiissi par Petal de soldat; il perdit une main a la guerre
cl rc>ta caplif cinq ans en Algiiric. On lui rendit enfin la
liberie. II revint dans son pays nalal , oil il ne tarda pas
a clre compromis dans nne niauvaise affaire et jete de
nouvcau en prison, par I'arret injusle des magistrals: c'cst
alors qu'il ecrivit la [iremiere parlie de Don Quicholle.
Peu de temps apres la publication de son ouvrage, il fut
remis en liberie. Cependanl jamais Cervantes , malgre ses
nombreuses proJuclioiis lilterains, no put r.-parer les maux
causes par les facheuses circonslances qui le poursuivirent
clant jeune. La diidicace du dernier ouvrage qu'il nous a
laissc flit ecrile qualre jours avant sa mort ; il y park desa
procbaine dissolution avec le plus grand calme. Cervanles
mounil a soixante-neuf ans, le 23 avril 161", une annee
iHl juslcapros le grand S!iali",i;>oar.
EUNESSb. 210
Combien d'autrcB encore, qui ont su mcllre a profit les
penibles et laborieuses annees passees au camp ou a bord
d'un vaisseau , sont parvenus non-seulement a une baiile
inslruclion, mais a se faire un nom distingue dans les
sciences et les leltres. Si Dampier, le celebre naviga-
leur anglais, n'avail pris le soin de repasser et d'accrnllrc
le peu de connaissances qu'il avail rccues avant de qiiiller
son pays, il est presumable qu'etant si jeune au moment
de scmbarquer, il cut lout oublie, quand on songe a la
vie vagabonde el indisciplinee qu'il mena pendant si long-
temps. Le recit de ses voyages nous en donne une preuvc
lividenle. Nous n'avons pas d'ouvrages de ce genre ecrils
avec plus de vigueur et d'exaclilude ipie ces volumes: ils
revelonl a cbaqne page un esprit philosopbique et profond
d une vaste elenJue. A cole de Dampier, nous placcmns
un nom plus ancien, celui de John Davis. Ce marin a do-
convert, comme tout le monde sail, le dclroit bicn connii
qui mene a la baie de Baffin. Davis n'ctait aussi qu'un en-
fanl lorsqu'il parlit ; et c'esl a I'epoque ou il rcmpli.ssait les
devoirs de sa profession, qu'il a du acquerir les connais-
sances dont il a fail plus tard un bon usage. Non-sculc-
meiit il nous a donne le recil de plusieurs de ses voyages,
mais encore un traile sur Ihydrographie generale de la
terre ; il fut en oulre Pinvenleur dun inslrmnenl (le quart
de cercle) propre a prendre la hauteur du soleil en mer.
Robert Drury, dont I'ouvrage sur Pile de Madagascar,
comprenantle recit de ses ciranges aventures, est connu de
tons (on vient d'en faire une nouvelle edition), merile
d'etre cite parmi les auteurs cleves sur mer. Drury avail
qualorze ans lorsqu'il parlit pour les hides. Au retour, Ic
vaisseau echoua pres de Pile dont nous avons paile; il y
resla qiiinze ans caplif, et qnand il Irouva moyen de s'li-
cbapper, il avail presque ouldie salangiie nalale. Cependant
il enlreprit d'ccrire sa vie, laclie ipi'il accoinplil pendant
qu'il reniplissail Phumble foiiction de concierge a la Com-
pagnie deslndes. L' ouvrage est ocrit avec sinqilicile et bon
sens. II renfernie d'interessauls details sur les nneurs des
liabilanls de Madagascar.
Falconer, geiieralement connu sous le litre d'anleur du
Nitufiage, vecut sur mer des Penfancc. II naqnit pro-
bablemenl dans uae des peliles villes du comle de Fife, snr
les limiles du Frilh et dn P'orlb ; mais on ne sail rien de
posilif a Pegard de sa ville nalale, de sa famille, ni memo
de la maniere dont il acquit les premiers eleinenls de son
edncalion, si ce n'est qu'il Irouva un mailre iiomme Camp-
bell, liomme assez instruit, qui remplis'^ait la charge de.
caissier du vaisseau sur lequel le prince Falconer sembar-
qua. Quoi qu'il en soil. Falconer se fit connaiire cnmmc
auleur a un age peu avance: c'esl a vingt-cin(|ans, dil-on,
qii'il publia son poemc sur la mort di' Fredi'iic, prince de
Galles, pt're de Sa Majesle George 111. A dix ou douze ans,
il avail deja compose son Aaujiuge. qui est, a ce que I'on
croil, le recil de ses avenlures personnelles. Les sneces lil-
teraii'cs de Falconer ne lui firent pas renoncer a sa pro-
fession. 11 passa de la marine marchande au service royal,
s'eleva petit a petit, et parvint a la charge de trcsorier sur
un vaisseau de guerre. Peu de temps apres, il publia eel
autre ouvrage qui a surtoul conlribue a faire sa repula-
lion, le Diclioiwaire imirersel de la marine, qui est encore
un ouvrage modele. 11 a ecril plusieurs aulrcs morccaux
poeliques complelement oublies. Aussilul apres la publica-
tion du dii'lionnaire, il fit voile pour le Bengale, comme
trcsorier de la fre^ale P/lwrore, donl on n'cntendil jamais
220 LE COURAGE MORAL
parlcr, une fois qu'elle eut passe le cap do Bonne-Espe-
ranco.
Oiordani , ingeniciir et malhemalicicn ilalion du dix-
soplieme sieclc, fut dans I'di-iginc solJal a Lord d'unc dps
galercs du pape ; ses moyons el sa bonne conduile ayant
atlire I'aUcnlion de I'amii'al, il lui donna en recompense la
place de Iresorler sur iin de ses vaisseaux. Giordnni, oblige
(le tenirla coniplabilite, scntit pour la premiere fois le be-
soin de connaiire rarilbmetique dont il n'avail pas la moindre
idee. II se mil a Tetude; et,a force de perseverance, sans
consei! de pcrsonne, il parvint a se ranger au nombre lies
malhematiciens habiles ; enQn, apres avoir publie c|ui>li|ucs
l)ons ouvrages, on lenommaprofesseurau college de la Sa-
pience, a Rome. Giordan! mourul en 17U.
M. John Fransham, mort a Norwich en 1810, figure
aussi sur la lisle deshommes qui sesonlelevesdVux-memes;
d'un aulre cote, c'esl le caraclere le plus exccnlrique qu'on
puisse rencontrer. 11 resla environ deux ans apprenli chez
un lonnelicr; c'esl la qu'il appril les malhemaliques. Plus
lard il devinl clerc d'avoue, mais ce genre de vie sedenlaire
ne convenait pas a un homme aussi petulant ; apres avoir
parcouru le pays, il Unit par s'enrolcr, niais il clait si peu
fait pour le service mililaire, que ses chefs ne larderent
pas a le congedier. On crul a la verite s'apercevoir d'un
derangement de cerveau, lorsque son abjuration du chrislia-
nisme" en faveur du paganisme changea les doulcs en cit-
tiludes. Bien qu'il eut publie plusicurs ouvrages a I'appui
desa bizarre theologie, et qu'il se conduisilsous d'aulres
rapports de la maniere la plus excentrique, il trouva moyen
de se sufDre en donnant des lecons de niathematiques, qu'il
etail fort habile a enseigncr, dit-on. 11 habila Londrcs plu-
lieurs annees.
L'histoire de John Oswald a beaucoup de rapport avec
celle de Fransham. On dit qu'il apprit seul le grec, le lalin
et I'arabe, pendant son sejour aux Indes, a Tepoque oii il
remplissait les fonctions de lieutenant d'un regiment d'in-
fanlerie; a son retour en Angleterre, il publia successive-
ment plusieurs pamphlets poetiques et politiqucs, et se hi
remarquer par la bizarrerie de sa conduiteel de ses opi-
nions; non content derenonccr a loutenourritureanimale,
il affectait une grande predilection pour la doctrine reli-
gieuse des Brahnianes.Quandlarevidutionfrancaise cclata,
Oswald passa le detroit et alia offrir ses services a la repu-
blique ; il parvint au grade de colonel, et trouva enfin la mort
dans une bataille.
Colomb lui-mcme, un des plus grands hommesqui aicnt
jamais exisle, s'il est vrai que les vasles projels glorieuse-
mcnt realises constituent la grandeur, poursuivit avec zele,
durant sa vie do marin, les etudes speciales a sa position,
acquit un noni distingue parmi les plus savants geognphes
et astronomes de son temps, etperfeclionna lesconnaissan-
ces en litterature donl on lui avail donnc quelques notions
au college. On raconte qu'il prenaitsouvent plaisir a com-
poser des vers latins.
L'education du fameux Cook se fit de la meme maniere.
Fils de pauvrcs paysans, il faillit accepter les offres d'un
voisin gonereux pour lui apprendre a lire, ecrire et comp-
ter un peu. A I'age de treize ans, on le recut apprenli chez
un boutiquier de la petite viUe de Swailh, presdc Newcastle:
c'est la qu'il s'cprit de passion pour la mcr, et peu de temps
apres, son maitre ayant consenii a rompre son traile, il
s'cngagea sur un cahoteur, faisant le commerce de char-
bons; puis il cntra dans la marine royale, et s'y dislingiia
DANS LA JEUNESSE.
de telle maniere, qu'au bout de frois ou quatre ans, on lo
nommacontre-maitrcdu Mercure, qui faisait partie de I'es-
cadre qu'on envoyait a Quebec.
On putjuger alors, pour la premiere fois, des progres
qu'il avail fails dans la partie scienlifique de sa profession,
car il venait de mettre au jour cette magnifique carte qu'il
a tracee de la riviere Saint-Laurent. Cepcndant, il sentait
le desavantage de son ignorance en malhemaliques ; et, tout
en prenant part aux operations hoslilcs dirigees contre les
Francais sur la cote del'Amerique du Nord, il s'applicpia a
I'elude des elements d'Euclide, dont il ne tarda pas a so
rendre maitre ; puis il so tourna vers I'astronomic. Un ou
deux ans apres, quand il stationnait encore dans les memos
parages, il communiqua a la Sociele royale un rapport sur
une eclipse solaire qui eut lieu le 5 aout 17G6, d'apres la-
quelle il calcula, avec beaucoup d'exaclitude et d'habilete,
la longitude du point d'observalion. Ce rccit fut imprime
dans les Transactions philosophiques, et etablit complcte-
mentsa reputation de marin savant et habile. Le gouvernc-
ment, d'apres les solhcilations dela Sociele royale, se deci-
da a envoyerdansla mer du Suddes hommesdechoix, alin
d'y observer le passage precis de la planete Venus sur le
disque du soleil (phenomene qui promettait d'interessants
rosultals a I'astronomie). Cook fut appele au commande-
ment du vaisseau (he Endeavour (I'Erforl), destine a faire
le voyage. II donna dans cette occasion de nouvelles preu-
ves d'habilete, ettout en arrivant au but principal, il faisait
encore d'impnrtantes decouvertes gelographiques. Au retour,
un an plus lard, on lui confia le comniandement d'un autre
vaisseau, destine ,i parcourir lesmemes regions, mais ayant
plus particulicremenl en vue la solution de cette question,
concernant I'existence d'un continent polaire au Sud. 11
resla presdetrois ans absent; neanmoins, grace aux moyens
admirables qu'il adopta pour conserver la sante de ses ma-
rins, il revinlau pays natal, n'ayant a deplorer la perte que
d'un seul homme. Apres avoir fait, a ce sujet, un rapporla
la Societe royale, on I'admit au nombre des membres de ce
corps savant, puis on lui decerna lamedaille d'ordeCopley,
en recompense de ses Iravaux. Lerecit qu'il a fait lui-meme
de ce dernier voyage passe pour un modele dans cc genre
de narration.
Tons nos Iccteurssavent comment setermina la brillanle
carriere de Cook. II entreprit un Iroisieme voyage a la
recherche d'un passage conduisant de la mer Atlantique a
la mer PaciDquc, le long de la cote du nord de I'Amerique.
Ce but ne fut pas rempli, mais I'infortune commandant put
encore pendant sou voyage enrichir la science de plusieurs
aulres dccouvertes. La mort du capitaine Cook eut lieu le
1i Janvier 1779, a Owyhie, dans une emeute escitee par
les natifs de I'ile. L'Europe enliere partagea les regrets de
ses compatrioles. Le gnuvernement accorda des pensions
a sa veiive et a ses trois Dls; la Societe royale fit frapper
une medaiUe en son honneur; I'Academie llorentine Ot son
panegyrique; une foule d'aulres hommages lui furentrendus
par les societes publiques et par un grand nombre de
parliculiers. Voila comment les efforts perseverants de ce
grand homme lui acquirent, malgre son obscure naissance,
cette reputation aussi vasle que I'univers, dont le souvenir
ne s'eflacera jamais, du moins tant que l'histoire parlera
du sieclc oil il vecut. Mais qu'esl-ce que cette renommee,
tons CCS houncurs, compares aux precieuses qualitcs mo-
rales de Cook. II avail combattu, il avail ennobli son etre,
ct s'etait place bien haul parmi les preccptcurs el les
li
LE DEVOIR ET L'HEROISME CHEZ LES FEMMES.
•2-21
bienfaitcurs de I'liumanUe; il avaitcnfin su troiivcr \o. seul
bonheur veritable, leseul qui soil digne de noire anihilion,
le seul qui puisse offrir une ample recompense au Iravail,
a retiide ct a I'aclivite de I'liomme qui s'efforcc a pratiq'ior
la verlu. Aucun des camarades de Cook ne s'esl eleve au-
dessus de sa condilion ; pas UQ n'a peut-elre grandi, meme
sous le rapport inlellectuel.
Loin de le regretler, bicn des gens diront que tous ccux
qui se sont contcntes de la sphere oil la Providence les
avail places ont ele probablcment aussi heureux que d'au-
tres plus favorises el plus ambilieux. N'est-ce pas lii jeter
un coup d'oeil trop leger sur la vie el la nature humaiue?
Tout bomme qui reHechil sur le passe el sur I'avenir, se
dira qu'il aurait pu elendre les faculles que Dieu lui avail
donnees. 11 ne s'agil ici ni d'bonneur ni de ricbesses, on y
arrive difBcilemenl; d'ailleursle bonbeur n'esl pas la. Mais
il fautque nous ayous attciut quelque progres inlellectuel
et moral pour elre salisfails de nous-memes; sans quoi
plus de conlentcmenl possible, en jetaut un regard sur le
temps passe ou a venir.
Persnnne n'ecbappe a cettc puissance intcrieure, el s'il
clait possible qu'uu simple desir nous procural le bonbeur
en question, tous les boninies s'cmpresseraient d'user de
ce privilege. Qui vouJrait vivre dans Tignorauce si, pour
acquerir la science, on n'avail autre chose a faire qu'a
regardcr passer les nuages? Mais le travail epnuvanio ;
nous n'avonspasle courage de I'entreprendre. A dire vrai,
ces lultes infaligablesdonnent ala science loute sa valeur;
par elles nous decouvrons le merile qui est en nous, en
mcnie temps qu'elles nous mencnl au but. et deviennent
la source de cetle satisfaclion dont nous avons parle; d'ail-
leurs le Iravail lui-meme finit par elre plein d'allrails.
Nous pourrions citer, a cute de Cook, plusieurs aulres
marins qui ont Irouvemiiyendecultiver aussi la lilteralure
ct les sciences, sans jamais negliger aucun des devoirs de
leur laboricuse profession. Vancourcr, forme par Cook,
nous a donne le recit habilenient ecrit de son voyage au-
lour du monde en 1790 et les quatrc annees suivantes. Le
lieutenant Flinders, commandant I'expedilion de 1801,
chargee de surveiller la cute de la Nouvelle-llollande. jpii-
blia plus lard le recit de son voyage, en y ajoutani un
volume de cartes fort eslimecs, qui placeiuleur auteur au
premier rang des modcrnes hydrographes.
N'oublions pas de rappeler ici lord Collingwood, bomme
du plus grand nicrite, bien qu'il n'ait jamais rien public.
La corrcspondancc qu'on a fait paraitre depuis .sa niort nous
le represente comme un des meilleurs ecrivains modernes.
Cependant il entra au service de la marine a treize ans, et
vecut fort peu de temps sur le continent. On s'clonnail, en
general, de ce talent epistolaire ; mais il avait toujours aime
a lire ct a s'occuper do lilterature, et la vie errante de
marin ne I'emiiecha pas de se livrer a ses gouts.
II ne nous convient pas d'appeler ici I'attention sur les
hommes qui vivent encore de nos jours; mais les noms des
ofliciers de marine franoais, anglais, americains, allcmands,
lesKolzebue, lesDumont d'Urville, lesFreycinet, qui sont
a la fois d'babiles commandants et haut places comme sa-
vants, se presenteront en foule a la memoire de tous ceux
qui ont eludie les annales des peuples modernes.
LE DEVOIR ET L'HEROISME
CHEZ LES FEMMES.
lA VIE DES FEMMES ORIENTALE3.
VISITE AU HAREM.
Les Orienlaux, conduits et formules par Mahomet, ont
fait de leurs femmes des esclaves parecs; le devoir et I'lie-
roisme n'apparticnnent en realite qu'a la chretienne. On
cilerait vainement dans les annales orientales un caraclere
comparable .i cette adorable Jeanne Gray, si pure, si sa-
vante, si delicate, dont nous conterons plus tard I'bistoire.
Le chrislianisme a emancipe la femme ; ce n'cst ni I'be-
roTsmc ni le devoir qu'il faut allendre des esclaves orien-
tales, mais une existence toule sensuelle et materie'le, la
vie de gracieux enfanis, telle que I'adecrite une vojageuse
anglaisede cetle dcrniere epoque.
0 J'habilaile Caire quelque temps, dit-elle, .sans avoir ja-
mais ose me risquer sur un de ces ,ines gigantesques dont
I'aspect est vraiment formidable. A I'exemple de la plupart
des femmes du pays, je me bornais a la selle ordinaire, re-
couverle d'un petit tapis de pied. Mais quand il s'agit de
visiter les grands harems, I'ane colossal est absolumenl
de rigueur. Au fait, je trouvai cetle monture infiniment
preferable a celle de ma bourrique habiliielle. J'etais, il est
vrai, sans cesse obligee de courber la tele chcmin faisant,
sous lesportes; je risquais aussi de me heurler conire les
fenetres saillanles des premiers elages : il fallait elre tou-
jours sur le qui-vive; mais, a cela pres, le grand une mi-
rile assuremcnt la preference sur les antrcs.
LE DEVOIR ET L'BEROISME OHEZ LES FEMMES.
222
Ari-ivee a la maison d'HaboeJ-Efendei, ct apres avoir
franchi la porte exlericiirp, jc vis que les apparlenientsdii
harem ne se borncnt pas aux premier et second ctages,
comme pour la pluparl des maisons des tjrands du pays : ils
formcnt uneliabilalion separce, complele, el differente dc
ccUe des liommes. Apres avoir traverse une salle spacieuse,
pavee en marbrc, nous fumes recues a la porle du premier
apparlcment, par la lllle ainee d'Uabeed, qui me fit les sa-
lutations orienlales d'usage, louchant avec sa main droite
ses levres et son front ; quoique entouree d'esclaves, elle
voulut me debarrasser elle-meme de men costume deche-
val. C'ctait le comble de la politesse; les visitcurs ne sont
ordinairemcnt accueillis d'une maniere aussi (lalteuse que
par les classes moyennes ; dans les grands harems, les es-
claves sonl seuls charges de proccder a cette ceremonie,
a moins qu'un des membres de la famille ne veuille spe-
cialement honorer un personnage de haul rang.
Quand je visile les nobles pays, je reprends, pour mon
costume de cheval oriental, mes robes a I'anglaise ; je me
dispense ainsi de certains usages humilianls. Sous les vele-
meiitsturcs de I'interieur, je serais obligee de m'y soumettre
contre mon gre. En ma qualited'Aiiglaise, la haute sociele
m'accueille, non-seulement comme une egale, mais comme
une superieure. Jamais je ne suis allee au dela des saluta-
tions ordinaires en usage, a moins que je ne voulusse don-
ner une marque de deference a quelques femmes agees.
Dans ce cas, je m'incline respectueusement, je haisse ma
main droite avanl de la porter a mes levres el a mon front,
Quand j'accepte des sucreries, du cafe, des sorbets, etc.,
et que je rends I'assiette qui les contenail,je fais le salut
oblige a la premiere femme du harem, dont le rang est in-
dique par la place qu'elle occupe sur le divan.
Chez moi, et quand je vais chez les femmes de la classe
moyenne, je porle le vetemenl lure, qui est on ne pent
plus commode et bien adapte au climat. Mais pour sortir,
j'ai toujours prisle costume de cheval oriental, queje vous
ai depeinl.
Lorsqueladameen question m'eul aidee a oter mon par-
dessus, une des esclavesde service s'en empara, I'cnveloppa
dans un dclicieuxmoucboir decachemire rose brode en or,
ct fut le porter, selon la coulume, dans une piece voisine;
on obtient ainsi quelques instants de plus, quand le visiteur
vent se retirer avanl qu'on ait pu lui presenter d'autrcs
rafraichissements.
Ma nouvelle connaissanee me conduisit au divan, pres
de la place d'honneur reservee a sa mere, cousine ger-
maine du dernier sultan Mahmoud. Cellc-ci ne tarda pas a
venir ; elle me flt aussi I'accueil leplusgracieux, melaissa
a sa droite, landis que la grand'mere du pacha Abbas etait
a sa gauche. Peu de temps apres, la secoiide fille se reuuit
a nous, m'adressaen termeschoisis des paroles pleines de
bienveillance. Son costume elait si hrillanl, que je vous en
ferai la description.
Sa Icle etait ornee d'un cachemire fonce, torliUe aulour
d'un larbovch; une magnifique gcrbe de dianianis, li.we a
droite, ombrageait une partie du front. Cette gerbe se
composait de gros brillauts represeiilant trois hubs an
centre, d'ou s'ecliappaient trois branches de fornie ovale,
longues au moins de cinq pouees. Trcs-haut, sur le cole
gauche, on voyait un ncEud de diamants qui relcnait une
touffe de boucles artificiclles sans doute ; le gland de soie
Lieu de rigueur atlache au tarbouch sc parlagcait, et llot-
tait de chaque cote. Sa loiisue tunitiue, ses largcs pnula-
lons etaient en etoffe des Indcs foncce, 4 (Icurs; un beau
cachemire enlouraitsa taille; elle avail surle con plusieurs
rangees de grosses perles fines entremelees de grains d'or.
Cependant, malgre tout ce luxe, elle n'cn etait pas
moins etrangemcnt defiguree; avanl imagine de se peindre
de larges sourcils noirs les plus disgracieux, de maniere a
effacer entiercnienl rexpressionnaliirelledonnSeasa phy-
sionomie. Les femmes de loules les classes ont, en general,
adople cette singuliere manie.
Une foule d'esclaves blanches, fonnant nn grand demi-
ccrcle devanl nous, recevaient des mains des gens places
dans I'antichambre des plateaux d'argent converts de
friandises, disposees sur des plats de cristal, donl chacun
renfermail trois cuillers, lesquelles porlaienl aussi chacune
deux morceaux de sucreries. Puis venaient aussi le cafe,
les peliles lasses de porcelaine de Chine, plncces comme a
I'ordinaire, sur un pied qui a la forme d'un coquetier, non
pas uni on en filigrane comme dans les maisons ordi-
naires, mais enrichi de diamants Ces pieds sont assure-
ment fort elegants, mais plus coiileux que de bon gout. Le
cafe ne se sen jamais sur le plateau, I'esclave I'offre a
chaque personne, tenant gracieusemenl le pied de la tasse
entre le pouce el I'index de la main droite. Ces rafrairliis-
sements ne tarderenl pas a clre remplaces par des sorbels
renfermes dans des lasses de crislal, avec leurs soucnupes
el leurs couvercles clcgammenl tallies ; chaque plateau
avail sa riche couverlure brodee que Tesdave enleva quand
elle s'approcha de nous. Apres avoir hu a peu pres les
deux tiers de noire sorbet (I'usage ne permel pas qu'on en
prenne davantage ), une femme vint nous apporler le grand
mouchoirblanc brode, qui doitserviras'essuyerla bouche;
mais il sufDl dc I'approcher de ses levres, on passcrait
mt'me pom' novice si on I'employait aulrement.
On nie proposa, avanl de parlir, de visiter la maison :
alors la fiUe ainee mepassa le bras autour du con, el me
conduisit ainsi vers une piece magnilique environnee dc
divans; la partie clevee etait reconvene denatlcsindiennes,
puis, au milieu de la salle, s'elevait la plus elegante fon-
taine que j'aie jamais vue en Egypte, delicieusementiiiciiis-
tee de niarhre rouge, blanc el noir. Le plafond, cliargi' de
riches el magnifiques arabesques, contraslait singiilicre-
inenl avec les murailles loutcs blanches, sans ornemenls,
al'exccptiondubois qu'on avail couvertde tuilesllamandes.
On me fit nionler a I'etage superieur, toujours dans l,i
memo position. Rien de plus divertissant el de plus flatleuv
en mrme temps, quand on songe que ces dames apparlc-
naient a la famille royale de Turquie.
Kous entninies dans la chanibre qui donne sur les bains,
fort commodement arrangee et meuhlee de divans; mais
le voisinage nous envoyait une vapeur cbaude .si dos-
agreable, quo nous en sortimes volontierspouraller respi-
rcr I'air frais de la galerie.
Arrivees sur I'escalier, la seconde fille d'lIabeed-Effendci
viul reniplacer sa soeur. Mon cou changea de bras ; nou,5
descendimcs et rentramcs dans la premiere salle ou j'avais
cte si bien accueilli. Au moment du depart, la fdle ainee
prit mes vetemenis de cheval des mains de I'esclave, else
disposa a m'habiller; mais sa scour lui dit : « Vous les avez
oles, c'esl moi qui dois les rcmctlre. » La premiere y con-
sentit presque, tout en gardant le haburah, de sorte
qu'elles presiderent ensemble a ma loilelte. Apres m'avoir
saluee comme al'ordinaire, ellcs meserrercntcordialement
la main et me bniscrcnt lo joue. Puis ces dames, suivia
PETITES
d'une foule d'esclaves blanches, m'accompagnerent jus-
qu'a la cour, que nous (raversames pour relrouvci' la
giande porle parlaquelle j'etais enlre. EUc olail toutsim-
plement fcrmee par une grande nalte suspcudue, formaiit
le rideau dii liarcm ; de nombreux esclaves noirs vinninl
aussitol dc liiUeiicur soulevor celie redoulnble banieie;
ces dames nous Jircnl adieu, et renlrerciit avec leuis
fcnimes. Le gardien principal nioiila d'aborJ sur la plale-
forme clevec et m'inslalla sur I'ane, landis que deux autres
MORALES. 223
arrangerent mes pieds dans les eiriers , nos domesliques
ayant ete relegucs plus loin derriere la maison.
Quelques jours apres celle visitc, on m'envoya une sc-
conde invilalion du barem, dans Inquelle on pronicllait de
donncr a mon intention une fele ct un maguilique
concert.
Toutes les joies el toulcs les peines des fcmmes musul-
manes sont sensuelles et pbysiques. Celles des femmes
chrctiennes sont loules intellectuellcs el morales.
PETITES MORALES.
GARNET DUN VIEUX CURE.
La Cluiive-Soaris. — Le Natval.
KA CBAUVE-SOUBIS.
la facullede voler n'appartienlpas sculemeulaux oiseaux.
Les milliers d'insecles, dont les ailes niembraneuses brillcnt
an solcil, scmblent mcme se complaire Lien plus dans les
airs que les autres oiseaux ; les mouches, qui vont et vien-
nent sans cesse, ct penelrent dans nos apparleinents, soul
infalig.ibles. Parmi les quadrupeJcs volants, la chauve-
souris est une des plus remarquables. Si vous n'avez ja-
mais vu de pres cette singuliere petite creature, vous ne
pouvez vous en faire une idee ; sa pelile figure noire pa-
rait timidement au milieu de grandcs oiles decbarnees
dontelle se voile, et ses yeux brillants la rendent tres-se-
duisanle. J'attrapai une fols une chauve-souris dans une
cbambre, que je conservni plusieurs jours. Je la nourris-
sais d'insecles qu'elle devorait en se couvrant la C"urc de
ses ailes, sebornanta manger les corps et rejetanl tout le
reste; tantot elle s'installail sur la fem'trc, sautnit sur les
mouches qui voltigeaienl conlre les vilres; lantol elle en
gueltait une qui se dirigeait vers la feniHre, et s'elancait
de maniere a I'altraper au milieu de la cliambre. On croil,
en general, qn'une chauve-souris est obligte de selancer
d'tin endroitcleve pour voler: c'est une erreur. J'ai vu la
I mienne prendre son clau clant d terrc, sans la moindre
I difficulte.
Les ailes dela chauve-souris ne ressemblcnt pas i celles
de I'oiseau, elles n'en sont pas moins admirablcs. Imagi-
ncz que vos quatre doigts sont presque aussi longs que
lout voire corps, recouverts d'une peau ( espece de cuir)
S2i
PETITES MORALES.
qui s'ctend encore sur les ic»\ cotes du coi-ps jiisqu'aux
pieds, vous aurcz ainsi une idoe dela cliauve-souris ; mais
comme !a queue de cede lele est assez longiie, la pcau
eoiuinue a s'y tilendrc jiisi|u'au bout.
Ou comple jusqu'a dix-.scpt es|jeccs diffcrcntcs do cliau-
ves-souris en Anglcterre, dont la plupart ne sent guere
plus grosses qu'unc souris. Elles se cachent le jour, suit
dans le creiix d'un arbre, soit dans de vieux batimenls ou
dansl'intcricur des maisons. A peine la nuit a-t-elle paru,
qu'ellcs sorlent de leurs retraites, volligcnt sans bruit,
mais rapidcment, allant et venant dans les verles allces,
au-dessus des rivieres, et se posenl au somnict des plus
grands arbres, allirecs dans ccs lieux par I'aboiidance des
insecles de loule espece, et surtout des mites qui s'y Irou-
vent et dont les cbauves-souris aiment a se nourrir. Cepen-
danl, c'est I'ete seulement que ces pclites creatures sont
avides des jouissances qu'elles se prociirent au dehors ;
pendant tout I'biver la cliauve-souris reste suspendue par
ses griries de derriere, la tete baissce dans qucbpie coin
obscur,cedant a unelatlctbargique qui ressemble alamort.
On voit, dansplusieurs ]iays cbauds, des cbauves-souris
aussi grosses que des chats, dont les ailes ont cinq pieds
de largeur : elles mangent, en general, des fruits, mais on
pretend qu'elles aiment a sucer le sang.
X.B NARVAX. OU LICORME DE MER.
Le pauvre habitant du Groiinland se risque seul a alta-
quer le narval, sans s'effrayer de ses trente-six pieds de
long, Cet animal, de I'espece de la baleine, produit comme
ellc une quanlite d'huile tres-precieuse. On tire aussi parti
de 1 ivoire magnifique de sa dent contournee postee au
sommet de la tete, et qui s'avance comme une grande
cornc, d'oii lui vient probablcment le nom de licorne do
mer. Quoique redoulable parsa dimension, le narval cstti-
mide, inoffensif, et le pecheur ue craint [las de le har-
ponner. II commence par preparer un canot singuliere-
inent conslruit, reconvert entiercment d'une peau de veau
marin, au milieu de laquelle il fait uneouverture assez
grande pour y passer le corps ; puis il cndosse un habit de
la mcnie pcau, bien juste a sa taille. Une fois dans le ca-
not, le bas du veternent s'etale aulour de I'ouverture et le
recouvre do maniere a empecher I'eau d'arriver jusqu'a ses
pieds. La conslruction parliculiere du bateau fait qu'il (lotto
toujours, lors merae que la mer est mauvaise. Si cepen-
dant ilvientaculbuter, pen importeau pecheur, il ne s'en
effraye gucro ; un bon coup de rame le releve promptement,
tandis que son habit de pcau I'a emperhe de se mouiller.
Voila done ce pauvre homme elabli dans son bizarre ca-
not, avcc sa lance au bout de laquelle est attache un gros
peloton de corde ; il ranie harJiment au milieu des vagues
orageuses; tnut a coup il voit nager un narval, qu'il a pu
dislinguer de loin, la blancheur de sa peau bigarree de hrun
se dclachanla merveiUe sur I'eau ; il avance doucenient et
avec precaution, de peur de I'effrayer, quoicpi'il se hitc
d'arriver avanl qu'il ait eu le temps de disparailre. A une
petite distance delui,il lance de loutesa force le harpon sur
le corps de I'animal sans le retirer. Le narval se replonge
aussil6t,el le peloton se devide jusqu'a ce qu'il soit oblige
de rcvenir sur I'eau, comme la baleine, pour respirer.
Vous aurez peine a compreuilre que des hommes se nour-
rissent de la chair et de I'huile de cet animal ; cependant
on les verrait souffrir et deperir s'ils en etaientprives.
Tars. — T)|in{;rapliii' d'A. r.K.M. el Cie. n;c de Seine, 32.
LE
LIVRE DES FAMILIES
ou
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
W 8.-I« Volumo.
1" Juiu 1845.
LE MOIS DU JEUNE CHRETIEN.
FfiTX SX SAINT JXA97.BAFTISTE.
Pariiii les solennites institutes pour honorcr Ics grands
••ervileurs de Dieu, il n'en est point, npres cellesdeMarie,
qui aient inspire une si univcrsclle nllesresse .i la catlioli-
eite que la fete du saint precurspiir dii Messie. Faut-il s'en
etonner lorsqu"on lit dans les divines Ecrilures que jiarmi
les enfants des femmes il n'en a point pani dc plus grand
que Jean-Bapliste. De quelle Louche est emane un si nia-
gnifique temoignage? de celle de Jesus-Christ lui-racme.
Sa naissance fut miraculeusc. Zacharie son pere, un des
pretres de la loi de Moise, offrant un jour des parfums au
Seigneur, pendant que le peuple se ten.iit dans le parvis
du temple, eut une merveilleuse apparition. L'ange Gabriel
se montra a ses regards surpris. Le mcssager celeste se te-
nait debout au cote droit de I'autel, et Zacliarie etait saisi
de frayeur. Ne craignez pas, lui dit l'ange ; voire fenime
Elisabeth, quoique sterile, vous donnera un Ills qui sera
grand dcvant le Seigneur. II aura le nom do Jean. Or, ce
nom Joannes signifie plein de grace. L'ange continue :
« Ce fils vous comblera de joie, il sera pour phisieurs un
cc sujet d'allegresse. Des le sein de sa mere, il sera rempli
c( du Saint-Esprit; ilconverlira phisieurs d'cntre les enfants
« d'Israel a leur Dicu... » Zacharie ne voulut point ajouter
Ibi aux paroles de l'ange : « Je suis vicux, dit-il, et men
c( epoHse est d'un age avance. L'ange lui rcpondil : « Je
« suis Gabriel qui me tiens en la presence de Dieu. J'ai ete
« envoye pour I'annoncer cette nouvcUe. En punition de
(1 ton incredulite, tu seras prive de I'usage de la parole
« jusqu'au jour ou s'accomplira ce que je I'ai predit. »
Le people altendail que Zacharie sortit du temple, selon
la coutumo, apres avoir fait brulcr ses parfums sur I'autel.
L'cpoux d'Elisabeth sort enlin, mais ne peut articuler une
seule parole pour expliquer la cause de son retard. 11 se
retire dans sa maison, et Elisilelli concut, selon la parole
de l'ange.
226
LES SAINTS
Lc lemjis ac l'cnr;uUcmcnt aniva. On porla renfaiit an
temple pour la ctSrenioitie ile la olrconcision. Oii voiilait
lui imposor Ic nom de iZticlui'ie. La mere disait : 11 s'ap-
pellcra Jesn. Et Ton obsei'vait que dans la faniille jamais
personne n'avatt purte iin tcl nom. On faisait signe au
pore pour lui dcmander son avis. Zacharie jirend une la-
blelte el ecrit : Jean est son nom. Aussitut sa languc se
dclie, il entonne un cliant prophetique. C'cst le sublime
canlique Bcncdiclus que I'Eglise se plait li repeter tons
Ics jours dans son ofDce. On y trouvo surlout ces paroles
adressees par le pere a son jeune fils : « Et loi, oculant,
« lu seras nomme le prophete du Seigneur, car tu niar-
« clieras devant lui pour preparer ses voies. »
L'cnlant predestine se forliliait, nous dil saint Luc, par
I'espril du Seignieur qui elait en lui. II vivait dans les de-
serts, se livranl a la morlilicalion, jusqu'au jour ou sa njis-
sion surnaturelle devait le faire connaitre au peuple d'ls-
rael. Son viHcmenl elait des plus grossiers ; sa nourriture
consistait dans les sautcrelles du desert et Ic niiel sauvage.
La boisson favorite des Uebreux, le vin de palmier, sicera,
ne devait jamais elandier sa soif, scion la prediction de
Gabriel. II elait le predicatcur de la penitence, et sa vie
devait repondre a sa docli'ine. Pour faire comprcndre aus
Juifs la necessite de se purifier de leurs pecbcs, il leur
donnait, dansle Jourdain, le bapleme de la penitence qu'il
ne faut pas confondre a^■ec le saci'ement de ce nom. Jesu.s-
Chrisl lui-ni&ne daigna se sounieltre a ccUe liumiliante
pratique, alin de donner Texemple. Le Sauveur des liom-
mes, la purete par excellence, le saint, le juste, descend,
lui aussi, surles bords du Jourdain. Jean le baplisc comme
s'il etait pecheur, et de lii le surnom de Baplisle, donne
au saint precurseur. Ce bajit^me n'elait done pas, nous nc
saurions trop le repeter, en faveur de quelques cin-ctiens
peu instruits, le sacrement de baptenie institue pour effa-
cer le peclie nriginel dans les enlants et tons les autres
licches dans les adulles. Certes, I'liumanite de Jesus-Clu'ist
n'etait point souiUce de celte tache d'origine.
Nous avons eutendu Gabriel annoncer a Zacharie que
Jean, desleseinde sa mere, serait rempli du Sainl-Esprit.
D'autre part, I'Eglise croit que Marie, mere du Verbe in-
carne, fut pareillement concue sans tache dans le sein de
sainte Anne sa mere. C'est pourquoi nous celebrons par
une solennile particuliere la naissanee de Marie, celle de
saint Jean et celle du Fils de Dieu. Pour cette derniere,
au surplus, nous avons des motifs encore plus augustesqui
pons y determinent. Mais ces Irois nalivites sont les seules
auxquelles I'Eglise a attache une feslivite speciale. Ainsi, le
plus grand des enfants rfes /■<;»»/!«, pour emprunter le
langiige de la Sagesse incarnee elle-meme, partage avec
gesus et Marie la sublime prerogative d'un solennel memo-
rial du jour de sa naissanee.
Jean-Baptiste a subi le martyre de la verite. Son zele a
reprocher a I'incestueux Uerode I'infamie de sa conduite
lui valut d'abord la prison. Kien ne put vaincre la sainte
fermele du prophete. L'impure Ucrodiade exige que la
tele du saint precurseur du Messic lui soil apporlee sur un
Lassin, pour en repaitrc scs ycux vindicalifs. Son horrible
exigence est assouvie. Ainsi Unit la glorieuse carriere de
Jeau-Baptiste avaut la mort de Jesus-Christ. II elait ui avant
le Messie, comme I'aurore qui annonce le jour. II disparait
de la torre avant son maitre, qui devait, lui aussi, mourir
pour la verite. Jean merila done d'etre, a lous les litres,
le precurseur de I'llomme-Dicu. Une fete est consacrec au
martyre de Jean-r.aptiste, sous Ic nom de Decollation.
L'Eglise la celebrc le 2!) Ju mois d'aoul.
La nativile de saint Jean-Bapliste a etc constammonl en-
vironuije d'eclat, principalemcnt au moyen 'ige. Mais d('ja,
du temps de saint Augustin, ellc elait solcnilisce. An com-
mencemeul du sixicme sicele, le concile d'Agde la placait
immedialement aprcs celles de Paqucs, de Noel, de rE|ii-
plianie, de I'Ascension el de la Pcnlecotc. On celcbrail
meme une messe de la nuit>de la Vigile, comme pour les
grandes solcnnites donl nous venons de parlcr. La fcle de
la Nativile de Saint-Jean est plus nncienne que celle de la
Nativite de la sainte Vierge, quoique tres-cerlaincmonl de-
puis la predication de I'Evangile on ait honore d'un culte
parliculicr la bicnheureuse mere de I'llomme-Dien. Une
soi-te de careme preparaloire precedait la fele de saint
Jean-Bapliste On le reduisil plus lard a trois semaines,
plus lard encore a un simple jeune de la veille, el cnfin
aujourd'hui, du moins en France, depuis prcs d'un dcnii-
sieclc, ce jeiine est aboli. La fete elle-meme y a etc sup-
primce, quant a I'obligalion de s'abstenir de loulc reuvre
servile. II ne rcsle done, surlout pour nousFraucais, qu'un
bien faible resle de la pompe avec laquellc nos boos et rc-
ligieux ]ieres solennisoi'enl la nativile du grand jirijcnr-
seur de Jesus-Christ.
Dans le Ireizieme siecle, le peuple se livrail li une foulo
de pratiques sans doule I'ui'l louables dans leur principe,
mais qui ne provenaienl pas loujours d'une religion bien
ecliiiree. Ainsi, selon Durand de Mende, on ramassait des
OS el d'aulrcs immundcs objels auxquels on mellait feu,
afln de produire une epaisse fumee. On voulait ainsi mel-
Ire eu fuite certains dragons que I'ou croyail voler dans
les airs, cl corrompre de leurs ordures les puils et les fon-
laines. On promenait dans les champs des brandons fails
d'ecorces d'arbre allumees. Ceci signifiait que saint Jean
fut la lumicre deslinee a preceder le flambeau de justice,
Nolre-Seigneur Jcsus-Chrisl. Aujourd'hui encore, en phi-
sieurs lieux, la veille de Saint-Jean, on dresse dcvanl la
porle de I'eglise un grand buclier auquel le cure vicnl
mcttre Ic feu en ceremonie. On fait une [irocession aulour
de ce feu en chantant des hymnes en I'honneur de saint
Jean-Bapliste. A proposd'hymneselianlees en celle fele, il
en est une dont I'origine est assez curieuse, et dont la
premiere strophe peul offrir beaucoup d'inleretaux musi-
ciens. Durand de Mcnde, que nous avons deja cite, raconto
le trail suivant : « Paul Diacre, hisloriographe de I'f'glise
« roniame, moinc du celebrc couveiit de Monl-Cassiii,
« dans le royaume de Naples, voulant un jour rcnV|ilir son
« ministcre, en henissant le cicrge pascal, fill Iclli'iuenl
a enrouc que sa voix, auparavanl si claire, ne jiouVail
« plus so faire entendre. Alin d'oblenir la guerisou de ce
« mal, il composa, en I'honneur de saint Jcan-naptisle,
« I'hymne qui commence par les mots : Ut qucanl luxU,
« Voici la traduction de la premiere strophe : Afin que vCis
i( servileurs, 6 saint Jean, pui.ssenl clianlcr les niervcit-
« leux fails de voire vie, avec une voix picine el souore,
« dcgagoz leur bouche coupable des liens i|ui la capt^:
« vent. » A peine avait-il fiui -lue son mnl cessa, cl que Si
voix redevinl aussi belle qu'auparavant.
On sail qu'au onzieme sicele le famcux Guy d'Arezjn
adapla a chacune des notes de la gammc du chant un nohi
qui a subsisle jiisqu'ii nos jours. Le nom de chacune de
ces notes est lire de la premiere syllabe de chaque liemis-
liche ou demi-vcrs de celte nreuiicre strophe quo noM 1
II
DU
nvoiislniUiitc. Nous dovnns done presenter le Icxio, hlin,
en dt'signant [lar des ciraclcres italiciues leS syllabes qui
ont foui-ni le nom des notes :
Vt queant laxis resonaro fibris
jfira gestorum famuM tuorual
SolvD poUuti (abii rcatum
Sancle Joannes
L'ancicn chant de celte liyrane est disrose de telle sorte
qne les syllabes musicalcs «(, re, mi, fa, sol, la, nioiitcnt
en realil^ celte hexachorde phonique. Dcpuis longlcmps on
a change ce chant. Cc n'est pas ce cpron a fait de mieux.
r<ous nc dcvons pasnublier une belle prerogative qui est
attachee au nom de ce saint precurseur du divin Messie;
c'cst que I'egUse mere et maitresse de toutes les eglises du
monde calholique, la cathedrale de Home, est placee sous
Tinvocation de saint Jcan-Baptisle. C'est la basilique con-
nue a Rome sous le nom de Saint-Jean de Latran. Elle fut
batic par I'empereur Constantin, comme nous I'avous dit
dans le Livre des Families du mois d'avril dernier. En
France, I'eglise primatiale des Gaules, c'est-a-dire la ca-
thedrale de Lyon est placee aussi sous le vocable du saint
precurseur. Plusieurs aulres catliedrales et un nonibre im-
mense d'eglises paroissiales, sur toute la surface du monde
Chretien, se gloriQent d'etre placees sous le patronage de
saint Jcan-Baptiste. 11 est bien certain qu'apres le nom
sacre de Jesus et celui si venerable de Marie, il n'en est
point qui merilc plus de resjicct que celui de Jean-Bap-
liste.
Nous terminerons en disant que les infidclcsdel'Oricnt,
les sectatcurs de Mahomet solennisent a leur maniere la
fete de Jean-Baptiste. Elle est pour eux un sujet de grande
joie, et son nom n'y est prononce qu avec honneur. II ne
fant point s'etonner de ceci, cor, pour les musulmans, c'est
un vestige des pompes religieuses que les chreliens orien-
laux ci'lebraicnt en la fete de saint Jean. D'ailleui-s, les
Turcs honorent singulierement les anciens patriarclies et
les prophetes.
FfiTE DE ST-FISHRS XT B£ ST-FAUL.
(I Tu es Pierre et sur cette pierre j'cdifierai mon Egli«e,
« et les portes de I'enfcr ne prevaudront jamais conire
« elle. » Par ccs paroles extrcmemcnt remarqualjles le di-
vin fondateur de I'Eglise attribua a ce grand apolre une
liaute juridiclion sur la societe des fideles repandus dans
tout le monde. Ces expressions semblenl reposer sur un
jeu de mots qui, aiix yeux des personnes peu vcrsces dans
la science religieuse, sembleraicnt assez peu graves dans la
bouche de Jesus-Chrisl. L'Evangile nous apprend que cet
apolre, au moment oii il fiit appele a faire parlie des disci-
ples qui accompagnaienl Notre-Scigneur, porlail le nom de
Simon. Mais Jesus I'avail clioisi pour etre le chef de ses apo-
Ires et plus lard le prince de cette Eglise qu'il enfanterait
douloureusement sur la croix. Dans cette prevision, au
moment oil Simon ayant tout abandonno^ so presente a Je-
sus : « Til es Simon fibs de Jona , lui dil le divin maitre,
« lu porteras diisormais le nom do Ceplias. » Ce dernier
terme, en langue syriaque, signiOeViCrre. Les Grecsl'ayant
traduit par Pclros, et les latins par I'clriu, nous en avoiis lait
MOIS. 22T
Pierre dans noire lanpttie. En conservant dans les paroles
que nous avons cilees les deux termcs syriaques, Jesus-
Christ a parle ainsi ; « Tu es Cepha et sur cette Ccpha je
« balirai mon Eglise, etc.n Notre langue rend, commeon voit,
mcrveilleusement ces paroles allcgoriques du Sauveur.
Cette vocation de Simon nous offre encore une autre
parole non moins admiralde de Jesus-Christ qui cherchait
a instruire par des comparaisons dont le sens etait saisis-
sable a des intelligences bornccs. Andre etait en cc mo-
ment occupe de la pcche avec son frcre Simon : « Venez
«a ma suite, leur dit Jesus, et je vous ferai pecheurs
« d'hnmmes. » Mais en ce moment, ces pauvrcs pecheurs
ne pouvaient apprecier la valcur de ces paroles qui leur
annoueaient la sublime mission a laquclle ils elaient des-
tines. Oui, ils devaient un jour, par la parole quel'Esprit-
Saint leurmettrait a la bouche, jeler leurs mysterieux filets
sur les populations el faire de uornbreuses ca|itures d'hom-
mes. Ueureux devaient etre ccux qui se laisseraient ainsi
prendre pour sortir de I'abime des tenebres et ouvrir les
yeux a la bienfaisante clarle du christianisme ! ainsi se de-
roulent les figures du langage et s'accomplissent les actes
bien reels de cetle regeneration spirituelle du monde.
Simon Cephas on Pierre, des ce moment, devient le
constant compagnon des courses evangcliques de son divin
maitre. D'aulres disci]des sent appeles comme lui, mais
nous voyons toujours Pierre a la tete des membrcs de I'a-
postolal.C'estce qu'il imporle, a noire avis, de faire netle-
ment ressorlir en ce moment oil une dcrniere altaque du
pliilosophisme est dirigec tonlrc la puissance du catholi-
cisme et le centre de son unile. Un ecrivain, dont le nom
seul rappelle tout ce qu'il y a de plus aimable dans la picte,
deplns altrayant dans la veritc, a consigne ce passage dans
une de ses immortelles productions. On a, sans nul doule,
compris que nous votilons parler du saint eveque de Ge-
neve, Francois de Sales, mort en 1622.Ecoutez ce qu'il dit
de Simon-Pierre considere comme prince des apolres :
« L'Eglise est-elle GgUrce comme une maison? Elle est
« assise sur un rorher et sur son fondement ministeriel,
« qui est Pierre. Vous la representez-vous comme une (a-
« nulle? Voyez Notrc-Seigneur qui paye le tribut comme
« chef de la maison, et dabord apres lui saint Pierre
« comme son represcntant. L'Eglise est-elle une barque?
u Saint Pierre en est le verilalde patron et c'est le Sei-
(i gncur lui-meme qui me I'enseigne. La reunion operee
« par I'Eglise esl-elle representee par une peche? Saint
o I'icrre s'y monlre le premier et les aulres disciples ne
« pfclient qu'apres lui. Vcut-on comparer la doctrine qui
« nous est prechce (pour nous lirerdi'sgrandes eaux)au/i/fJ
(( rf'im pe'eheiir? C'est saint Pierre qui le jette : c'est saint
u Pierre qui le retire : les aulres disciples ne soul qne ses
0 aides ; c'est saint Pierre qui presente les poissons a Notre-
« Seigneur. Voulez-vous que I'Eglise soil representee pat
« une ambassade? Saint Pierre est a la tele. Ainiez-voui
« mienx que ce soil un royaume? Saint Pierre en porle les
« clefs. Voulez-vous enfin vous la rcpresrnter sous I'image
« d'un lercail d'agneaux et de brebis? Saint Pierre en est'
« le berger et le pasleur general sous Jesiis-Christ.i)
Ainsi done, pondanl tout le temps que saint Pierre fut i
colli de son divin maitre sur la lerre, jious voyons cet
apolre occuper conslammeiit le premier rang. En epuisanf
toutes les figures de la langue pOur allegoriser I'Eglise.,'
nous voyons dans Simon la pierre fondamentale, le chef de^
la maison, le ]iilole de la barque, le principal p$cheuri fe
«?8
LES SAINTS
f nisident de Vambassade , le porte-clers du royaume , le
paslnir dii hercail.
.Irsus-Clirisl mnnto au ciel. II cesse d'olre le clief visible
dp son Eglise. 11 lui faut cependant ;'i cello Eglise, a celle
soeiiUe, nil conduclcur. Au jour de la Peiilecolc, I'Esprit-
Saiiit vieiit ilUiniiner Ics apolres. Quel est le ])remier qui
sort du conacle pour rnVher Jesus-Clirist aux liahilnnls de
Jerusalem? Cost Pierre. Un trailre s'esl rencontre parmi
les douze que le divin maiire avait rcunis autour de lui. 11
laut remplacer le perfide Judas. Les a|i6trcs s'assemblent
pour une election. Pierre porle le premier la parole. Quel-
ques points dc doctrine doivent etre examines aCn qu'il y
ait unite dans la foi. Les apotres s'assemljlent encore,
Pierre est le president dc ce premier concile. C'est Pierre
qui ecrit et qui envoie le decrel. Mais I'Evangile n'est pas
la bonne nouvelle exclusivement pour les Juifs ct les popu-
lations de PAsie Mineure. Or il existe une ville qui est le
centre dc la puissance du monde connu a cette cpoque. La
sont les empereurs qui voient a leurs pieds les peuples de
I'Afriqiie ct de I'Asie comme ceux de PEurope. Si cetle
\illc, on est agglomerce une immense multitude d'liabitants
que I'oncompte parmillions, emiu-asse la foi clirctienne, ce
sera pour eel empire colossal un cxemple prodigieus. Si
Home cesse d'adorer les idolcs el arbore la croix, le monde
va s'cbranler et le renouvcUemenI de la Icrre promis par
I'Esprit-Saint sera opere. lyiais qui osera tenter une aussi
difficile conquete? Toul est possible a celui qui croil, a dit
I'Esprit de vcrite.
Un jour, alors que Neron faisa'it peser son sceplre de
fer sur la ville et le monde, un pauvre pecbeur s'ache-
mine vers la grande Rome, la reine des nations. II est seul.
II n'a point d'armes. 11 s'appuie sculement^ sur un baton.
II arrive par la voie Appienne. Personne ne daigne jeter
im regard sur eel obscur voyageur. La multitude pressee
coudoie sans le remarquer eel inconnu. Voila pourlant
celui qui vient delroncr les Ccsars, renverser les idoles
qu'ils adorent, creer un empire nouveau, un empire qui
sera deboul encore apres dix-buil siecles de lempeles et
qui verra, sans s'ebranler lui-mcme, s'ecrouler autour dc
lui les royaumes, les republiques, les dynasties. Quel est
done eel elrange conquerant? C'est Simon Pierre. A lui est
reservee celle gloire^ raais la force de Jesus-Christ est avec
lui. Un aide lui est adjoint. C'esl I'eloquent apolre des na-
tions, Paul naguere perseculeur des Chretiens el qui par
une election divine apres I'Ascension de Jesus-Christ est
agrege au college apostolique.
Tons deux ils precbenl la folie de la croix. C'est ainsi
que les pa'icns designent le niystere de la redemption des
hommes. A Jerusalem, on I'apiielait un scandale ct le zelo
a le prccher une ivrcsse , un cxces de vin La folie, le
scandale, I'ivresse font de rapides progres. Neron s'effraye
ct croil pouvoir eleindre dans des llots de sang la dange-
reuse nouveaule. Apres avoir inutilemenl epuise sa rage
contre les nombreux proselytes de Jesus crueifie , il croil
pouvoir couper le mal dans sa raeine. Pierre el Paul, re-
connus comme les predicaleurs de cette doctrine, sont con-
damncs a mort. Neron s'ecric : « Puisque ces barbares,
( c'est le gracicux nom que les Remains donnaient aux
elrangers), prechent un Dieu crueifie, qu'on les gralifie du
« meme suppliee. 11 doit etre doux aux disciples demourir
« comme leur maitre. » L'arret s'exeeute. Pierre est atta-
che sur une croix, mais il se croil indigne de mourir dans
a meme posture que son maitre. II obticnl que I'inslru-
menl de sa mort soil place dans le sens inverse. Paul ne
subira pas le sup)ilice des esclaves, car on a reconnu qu'il
avait les droits de bourgeoisie romaine. On le conduit hors
de la ville sur le chemin qui mene au port d'Oslie el la on
lui tianchc la tele.
Le prince de I'apostolat, le vieaire de Jesus-Clirisl a quilte
la terre. L'Eglise n'a plusde chef visible. Mais bientot cet
heritage de mort est recueilli. Un sueeesseur nionle sur
cette chaire cnsanglanlee et en lombe a son tour par le
marlyre. A celui-ci un troisieme succede el peril aussi
par le glaive des perseculeurs. II en est ainsi de plu-
sieurs autres, mais ce sang est fecond; c'est la semenee
des Chretiens. II faudra pourlant que la verite Iriomphe,
et Dieu a choisi ce qu'il y a de plus failde pour vainere ce
qu'il y a de plus fort. Quels obstacles pourraienl I'empecber
de poursuivre une ccuvre que sa droite a commenece; c'est
ainsi que se raflermit cette hierarchic sur-humaine qui de-
puis saint Pierre jusqu'a Gregoire XVI glorieusemenl et
saintemenl regnant, forme une chaine non interrompue de
papes, vicaires de Jesus Christ sur la terre et supremos pa.s-
toursderEglise.
Telle est, d'une maniere suceincte, I'histoire admirable
des evenomenls que I'Eglise veut solenniser dans la fete
du29juin. Celle-ci remonte aux premiers siecles de I'E-
glise. Sansdoute, lanlquo la persecution forca les Chretiens
de se refugier dans les catacimibes, on ne put la celebrer
avec eclat. Mais, lorsque, sous le grand Conslantin, la re-
ligion jouit enfin d'une liberie conquise par Irois siecles de
patience et que la Constance des martyrs cut lasse les bour-
reaux, le corps de saint Pierre miraeuleusement preserve
de la profanation des paiens, fut place avec honneur dans
un magnifique temple qui lui fut bali par le grand empe-
reur. A ce sujel, un hislorien nous raconte que Constantin
se transporta avec un nombreux cortege dans le cirque de
INeron oii ce temple devait eire eleve. La, il dcposa la
pourpre imperiale, prit une pioche, ereusa la terre pour y
placer les fondements. Puis il porta sur ses cpaules douze
hottees de celle terre qu'il en avait exlrailo, afin de mon-
trer sa profonde veneration pour les douze apotres. Lors-
que I'edifice fut termine, le pape saint Silvestre I en lit la
consecration solennelle. Cetle eglise a subsiste jusqu'au
seizieme siecle, el c'est alors qu'a ete construite la basili-
que actuelle de Saint-Pierre, le plus vaste, le plus somplueux
et le plus riehe temple de I'univers. Le meme cmpereur
voulut aussi honorer le lieu oii saint Paul avait subi le mar-
tyre, et une autre basilique y fut elevee. Aujourd'hui les
teles de saint Pierre el de saint Paul sont conservces dans
une ch.isse somptueuse dans I'Eglise de Saint-Jean-de-La-
tran, la premiere qu'ait erigee Constantin. La moitie de ces
Irenes sacres est I'objet de la veneration publique dans
I'eglise de Sainl-Piorre-du-Vatican, et I'aulre moitie dans
celle de Saint-Paul sur le chemin d'Oslie.
Que sont devenues les depouillos mortelles des Cesars
perseculeurs du nomchrelien? On ignore eomplelement
le lieu qui les reeele, on n'a pas meme le souei de s'en
enquerir ; el comme le chante un hymnographe de I'Offiee
de saint Pierre :
Superba sordent Caesarcs cadavcra
i « Les Cesars, superbes cadavres, gisent inconnus et sans
a honneurs. u
Qucis urbs litabal impii cultus terai
Apostolorum glorialur ossibus.
DU MOIS.
22D
(I La ville qui, jaJis livrue a une impure idoMlric, met-
0 l.iit ces lyrans au rang Jes diciix, Ics a foules sons ses
<( pieds , ct se glorifie d'lionorer les ossemcnls des saints
<( apiitrcs. »
Dcus hommcs, an premier siecle de I'ere chretiennc, sc
trouvcrenl aiix prises. L'un puissant et arme dn ctlaive ,
I'aulrc faililc ct n'opposant que la patience. Le glaive fut
im instant vainqueurct I'lumilile fut ecrase. Mais, comme
le charile Marie dans son sublime cantique : « Dieu a preci-
cipiteles puissants du Irone qn'ilsoccupaient,et il ya exalte
« les ImmLilcs. » Pierre a vu la croix de son supplice changee
en une cliaire sublime, oii les pontifes ses succcsseurs
n'ont cesse de tcnir le sceptre d'une paternelle royautc.
Ses morlcUes depouiUes out vu les plus grands monarques
s'incliner pour les honorcr. Et de Ni-ron , de Domitien , de
Commode , persecuteurs du nom chretien , il n'est reste a
Ifur memoirc qu'uu long opprobre et a leurs cendres un
C'lonu'l oubli.
Si la fele de saint Pierre est done celle de toule la terre
calholii|ue , elle doit, dans Rome , avoir un caraclere spe-
cial de solennite. Aussi, pour cette reine des nations, qui
fill la capilalc du monde soumis a I'empire du demon, et
qui Test maintenant de ce meme monde libre de la liberie
lies enfants de Dieu . le vingt-neut juin est un jour de
splciididc feslivite. Le soir de la veille, toutes les clocbcs
de la ville se font entendre , le canon du chateau Saint-
Aiige saluc cette grande solennite par ses bruyantes de-
tonations. La baute et superbe coupole de la basilique de
Saint-Pierre est illumincc par des milliers de lampions,
qui , par une merveilleuse Industrie , .sont simuUanemcnt
ct en un clin d'feil allumi's, a un signal de la grossc clocbe.
Au point du jour, de nombreuses detonations se repetent.
La vaste ct somplueuse place du Vatican qui sc dqiloic dc-
vant la basilique est remplie d'une innnmbrable population
avide de prendre part a la ceremonie religieuse qui se pre-
pare, liienlot le souvcrain pontifc, accompagne d"un Lril-
lant cortege de cardinaux , de patriarcbes , d'archeveques ,
d"cveqiies, d'abbes mitres, de generaux d'ordre , d'audi-
teurs du supreme tribunal de la Rote, et d'une innombra-
Me coborte d'officicrs du palais aposlolique, ainsi que des
dignitaireset magistrats civils dela ville de Rome, s'avance
vers la basilique. II est majeslueusement assis sur un trone
porlatif nomme la Sedin geslaturia. Douze ofDeiers char-
ges de ce service soutienncnt sur leurs epaules ce trone
ambulant. Le pape y est couronne de la tiare rcsplendis-
santc, signe de sa supreme dignitc. II donne sa benedic-
tion ;c rimmense multitude qui .se presse autour de son
tn'inc. On arrive a la grande poric del'cglise. Au moment
oil le papc penetre dans I'enccinle sacree, les chanlres de
la cha|ii'llc pontificale executcnt la celebre auticnne qui
reprodiiit les paroles de J.-C. parlani a Simon : Tu es Pe-
tnis ct super hanc pelram (Bdifieaho ccrlesiam menm el
porlcc inferi von prwvalebunt adrersiis cam. « Tu cs
« Pierre et sur cette pierre je balirai mon eglise, et les
« portes de I'enfer ne prevaudront jamais contre elle. »
En cffel, Pierre n'est pas mort. 11 vil encore dans la pcr-
soniie de son successeur, et I'antiennc a toute son oppor-
tunitc.
Le pape descend dc la Sedia au picd du majestueux au
lei que conronne la haute coupole, e( sous lequel sunt de-
posecs les reliqucs des saints aputres ; il offre le saint sa-
crifice avec le pompeux ceremonial qui se pratique dans
ces grandes circonstances , et que Ton trouve decrit dans
un livre fort curieux qui a pour titre : Fonclions jiapalcs
a Saint-Pierre de Rome pendant la semaine sainte el au
jour de Pdques (1). On trouve egalement dans ce livre la
ceremonie de la benediction solennelle que lepape donne
du haut du Vatican Urbi et Orbi, a la ville ct au monde.
En ce jour de fete des saints apotres, le pape donne aussi
cclte benediction. Aprcs la mcsse, on porle le souvcrain
pontifc sur la haute loge, de laipielle il domine a une tres-
grande hauteur la prodigieuse muUitude qui se presse sur
la place de Saint-Pierre. Au moment on il se leve pour
remplir cette fonction, en etendant ses bras, toutes les clo-
ches sont mises en branle, le chateau Saint-Ange lire des
salves d'artillerie, les tambours des troupes stationnees sur
la place fontun roulement, les trompetles y joignent leurs
fanfares guerricres. Le vicaire de J. C. chante ces paroles :
« Que la benediction du Dieu tout-puissant Pere , Fils et
« Saint-Esprit , descende sur vous et y demeure a jamais.
« Amen . »
Le soir de ce jour, quand la nuit est venue, a un signal
donne par un coup de canon, on tire le celebre feu d'ar-
tiCce qui est connu sous le nom de girandole. Rien dans
les autres pays n'approche de la beaute jiittoresque el im-
posanle a la fois de cct immense groupe de fusees qui sc
croiscnt en tout sens. On croirait etre temoin d'une erup-
tion du mont Vesuve, qui, exceptionnellcment, a bien
voulu se soumetlre aux regies de la pyroteclmie. Ainsi
savMil s'allier dans la capitale du monde cbretien les ]iom-
pes rcligicuses et les pompes civilcs. Les unes et les au-
tres lendent au mf'me but. C'est pour honorer, glorifier,
exalter la memoire du simple pecbeur dc la Galilee, qui
a p.Tsse de son humble barque sur le trone des empereurs.
II maniait une arme qui scmble bien faible aux mecreanis,
mais qui est Lien puissante aux yeux du vrai croyant... la
FOl. Aussi le grand apotrc s'ecriait-il avec une ferme con-
liance : la vicloire qui subjugue le monde, c'est notrefoi.
Cette arme ne fait jamais dcfaut a celui qui la possede ct
qui I'emploie. Les preuvcs n'exigent pas de longues re-
cberchcsct de profonds raisonnements. Elles sont sous nos
yeux. II s'agit de les ouvrir.
Nous lerminons en rappelant que depuis 1802, en
France, la fete des saints Pierre et Paul n'est plus d'obli-
cation cjiiand elle tombe en un jour ouvrabic, mais qu'ello
est renvoyee au dimanche qui suit. Le trente juin est con-
sacre d'une manierc plus speciale a honorer saint Paul ,
sous le nom de Commemoration. L'an prochain , si nos
abonncs daignent nous rester Cdcles , nous consacrerons
a ce grand apotre des nations uu article agiographiquo
triis-etendu.
(*} Ce livre, qui vicnt dp panllre, est^n venlc clicz LnJtny rri-rcs, nie
Rourlion lL'-f.hilIr.iu, », ;'i Pnris; le prix en est de 4 fr. 73 cent. On ii'a
jamais possede en France une description aussi complete des fonclions
papales iliiranl la grande semaine. II ne f.iut pasconfoniirc ce livre avec
les Conferences sur la semaine sainte, par monseiiineur AViseinan. Ces
dt'inieiesncovisagent le ct-nmonial que sous lerapiioit de I'i'rl, clocQ
font puini one lis ription di'laillce.
230
LES SAINTS DU MOIS.
HOXS DE JUIN.
, nimnnclic. St Jrsn^.
fihilosophc ct apolopiste rh;
a religion chrijlicnne, mar-
tyr en I'an 107.
II ;i compos^plusieurs onvra-
ges il'ttiie trt's-hauie imponaiice
lioiir le chrisiiunlsiiie, iinncipa-
It'iut'iU cclui (|ui iim'lf le lilre
d'Apohigtes. La convcrsinndi'ce
|ihilo:;iiplie est un des i'V(^iio-
iriniis les plus gloricux pour la
IL'liyiUll.
St Pampiule, prctrc ct martyr
en 309. *■
StRi^vehies c( St Paul rt'Au-
lun, martyrs au 5*^ sii:clc,
snnrnn cl pnfron du <1lnn*'?n
do St7Cl.mdL', mort en 690.
7.Slamc(li< St Paitl, arcbe-
viique de Constantinople,
martyr en 550.
St Gopescalr, prince des Van-
dales occidentaux, el f^ps
conipagnons, martyrs, lUOG,
St Roueut , abbe de New-
Blinsleren Ansleterre.niurt
enllSa.
2. liiin*!!. St PoTiiiN', premier
6veque deLyon, et ses (.'(im-
pagnuns, martyrs en 177.
Ces geiicrcux allUcles tie l3 foi
^laienl vcrius de la C.rerc !i Lyiiii
piiury porier la lumi(?ro ili^ I'E-
vangile; mais avant St INitliiii,
le saint pv^-lre Inure y iivail fait
desconqutJies spiniuelles.
St Mahceixin et STPiEimE.run
prelre et I'autre exorcislo a
Rome, martyrs en 304.
St Khasme, Sveciue et martyr
en 5U3.
LPS niariiis ilaliens I'irivu-
qui-nl dans les tcnipties de la
nierMediierraiifie.
3. IMarill. STECLOTiLiir, rcine
de France, mortc en 545.
Cetlc princesse ronveriil au
chri&lianisiue le roi Clnvis I*^"",
sou t'poux. C'esl done par ellc
que la fm de J.-C.iuoiila sur le
iiOiie de iios rois.
St C£cii,irs, avocat des plus dis-
liiigues de Rome paienno,
convert! a la foi, nioiL preLre
en 211.
St Genes, cvcqne de Clermont
en Auvergne, mort en G-l"-!.
4. IlercrcAI. STQuims, eve-
(jue dc Siscia et martyr
504.
St Optat, ivemie de Mileve, un
des plus ilfustres ecrivains
dn christianisme, mort apres
Van 584.
St Fras^ois Caracciolo, fonda^
teur des elercs ref^uliers
mineurs, mort en ftali
1008.
5 Jcaili. St Boniface, nrclie-
vcipie di' Mayenee, illnslrc'
apolre d'Mlemaj^ne ct nini-
lyr en 7.55.
Nous avons dc tui un recmil
d'almirables letircs.
Sr .\i.LYnE, evcquo de Clor-
monl en A"V(»i-fne [rn latin
Iliiitius), ni^rl en 585.
St DoROTHiiE, abbe en EG;fpte,
celebrc par sa vie mortiliiie,
mort a la (in du 4c siecle.
IDimanclio. St Mi^darp,
cvcquo do Noyon, un des
plus jllustrcs prolats dc la
France, mort en 545.
St GoDAnn ou Gildard, t5veque
t. Vemlrorti. St Noivcert,
arclieveque de Magdclminv;
fondateur de I'onii-c de l'r6
monlrc, moit en 1154.
St PiuurrE, uii des seid^ pre-
miers diacrcs de I'l^glisc,
qui baptisa i'eunuqucde la
j-eine Candace, mort au 1"
sicclc.
r CLAibE, arcbcvequc dc Be-
de Rouen, mort au 0*^ siecle,
St Clou, en lalln Clodulfus
d'abord premier niinislre du
roi Clolaire II, puis evuquo
de Melz, mort en 006
9. S^Uiiflli. StPiiiMiiCt StFe-
LiciEKlreicS, martyrs en iSO,
Ste Pel.\gie. vicrge et martyre
a lage dc 15 ans, en 311
St Viscest, diacre, martyr a
Agcn, au2^ou3''" sit;clo.
lO. IBiireti. Ste SIabgueriTe,
rcine d'Ecossc, moi'te en
1U03.
St Lasdi;! ou pliUol St Lande-
Bic, cvOque de P.iris , mort
vers la lin du 7^ siecle.
St EvREiioiSD, abbe dans le pays
Rrcssin, mort dans le dio-
cese de S^rz. en 720.
11. !Bflerca*<MSi. St BARNAiii5,
apolre.eln,;itnsiqueStPaul,
noiirt'Vdngelisei les nations,
Lipide p.ir les uils dans Ic
1"'' siecle
St Ausone, premier eveqnc
d'Angouleme, mort aQ 4'"
siecle.
St BAitDori. arctievcqnc dc
Mayence, mort en 1052.
I 2. Jendi. St Jeande Saha-
GUN, ermile de I'ordrc de
St Auguslin, mort en 1470.
St QuiRiN, St Naeor et St Na-
ZAiRE, martyrs a Rome, au
5« =i^clc
Si OsupiiBE, ermite c6lebrc dc
la Tbebaidc, mort on 400.
J 3, VendrtMBi. St Antoine
hePadoue, rcligicnx de Tfir-
dre dc St Francois, sins;u-
licrement vi^nere en Portu-
gal et en Ualie.mort, 1251.
St Wii.LicMRE. archeveque de
Vienne mort en 7G5,
1-1. Kiiinedi. St Basii.e_ le
Guano, arclieveque ric Cesa-
ree ciiCappadoce. docteurde
TEglise, mort en 570.
^ous avniis dc lui un gnnd
noiiilire d'ewolloni^ niivrascs.
piasile a tie tumimc /e I'liim-
hciiu (le I'uuivers, I'liomteiir cl
fiiniemcnl de rEnlisr., Ip .
Cilc dfi t'.nlndi'ine rupiiplh
fjidiid liihsilf, Ic m'lnistre de la
gi-itce qui a esjinme liivcnl:
tonic la lerre.
15, Dimaiiche. St Guv, St
SloiiESTE et St CiliLSLiENCE
inarlvrs au 4" siecle.
St Onrfisr, nldu' en Orient ,
mort au4'^ siecle.
Le bienheurcux GnEcoinE Bar-
RADiCO, cardinal, evequc dc
Padouc, mort en 1G97.
IG. Hi»nili.STCvri,]eunc en-
fant, cl Ste Julitte, sa mere,
martyrs on Orient, en 504.
La ralliodrnle de Nevers es!
sou-; rinvocalion de St Cyr.
St JE\R-FRANr;nisREGis, jesuitc
mort eu 1040.
St Ferheol, premier cvequc
de Besani;on, ct ses compa-
gnons, martyrs en 212.
17. SInrfli. St Nicandre cl
St MuiciEN', ftiartyrs vers
Fan 303.
St Avtr, ou Aw, abbt^ de St-
RlesQittn pres d'Orleans- ,
mort en 550.
Lc bionlicureux Paul n'AuEZzo,
carduial . archeveque de
Naples, mort en i578.
|&. Ba«'«-cpeflli. St Makg cl
St Mahcellien, martyrs a
Rome, en 286.
StAhanij, 6vequRde Bordeaux,
mort au 5^ siecle.
Ste Marjse, vierge dc Rilhy-
nie, mortc au milieu du 8«
si6clc,
Hne paroisse de Paris^ dans Ui
Ciie, portaitsou uom. j
lD.e8f»<dl. StGervais et St
Pr.i'Tvis, martyrs dc Milan,
au 3*^ siecle.
A Pari;;, une paroisse des plus
anoieioies est pUcce sous leui'
invoculloii.
St Deodat, eveque deNeVdfs,
lonilaleuf de I'abbaye de
Si-Die en Lorraine, mort en
070.
Rn lalin, Die s'e.sprime par
Dendalus.
St Bomface, archeveque, apo-
tre de la Russie et martyi
on 1009.
St
la Grand
en 503,
nrcmicr marlyr dft
dc-Rrclagnc , mii't
Ste Puf'.ee, honor^c dans la
villc de Metz.
83. fl^iinill. Ste ETuELmEnEi,
vicrtic et abhcsse rn Anglc-
lerre, mortc en 070.
Vitiile de la fMe de St Jean-
B^^piiste, sans abstinence Hi
jcilne.
24. iZnrlli. St jEAN-BArrisTE,
precursour dc J.-C., deca-
pitf'i par ordre du roi llc-
rode avanl la mort de J.-C.
Voy. Particle sous ce litre.
St SnipLicE, eveque d'Aulun,
moit dans le 4^ siecle.
25. Morcperti. St Pnosrrn
d'Aquitaine, docteiu' de I'E-
glise, mort en 405.
Ses oiivrnges, parmi Icsquols |
^o\\\ de tri's-beaux poeiiies la-
tins', oni, ('((^ iccueillis en un ■
voluuie ill-folio.
St Maxime, cvtiqne
nioit ilia lin du 4"^
Turin,
ecle.
II nefautpaslecoiifondreavpc
St Itonilace, apOlre de I'Alle-
iiiagHe.
30. Vendrcrti. St SvLVfir.E,
papc el martyr en 558.
II itait fils dc St Hovnilsdas,
paiie. qui avuit etc uiariii avanl
son uvdiualion.
Sr GottiN, pretre ct marlyr
pres de Laon, patron dii
bonrg dc ce nom, assassine
paries barhares duNord, en
iiainc de J.-C, a lalin du
7'^' siecle.
31. f$nm«ili. Si^ Louis de
GoNz\cuE, jesuite, mort en
1591. •
St Eu?ece, eveque de Samo-
salc, martyr en 580.
St A.vros, abbe en Rretagnc,
iiKuUm Oe siecle.
St LpuFr.in abbu^en Korman-
; die, moft on 758.
32- BJimonclie. St Palhin,
cvequc dc ISole, mort, 451.
JVous" avons de lui plusicurs
imi'sics. II avail eic consul ru-
itiiiiti. Oil liijatiriliue rinirodui-
liuu.MnourinvcnliondescloclK-s
St Aoeuiert, princedusang de
IVorthuniberlind.archidiacre
d Utrecht, mort en 740.
26. Jeuili. St Jean et St
Paul, martyrs a Rome, 502.
S. Vir,ir,E, Eveque dc Trcnte,
martyr en 405.
St Maxence ou Mmxekt. abb5|
en Poitou, mort en 515.
St Lajicert, cveijue dcVenccJ
en Provence, morl en 1154. l
25". Vondfodi. St Ladislas,
roi dc llongrie, mort, 1095.
St Samson, prMre romain,
mort en 551.
St GALACToinE, eveque de Lcs-
car, martyr au 6'" siecle.
38. Kamodl. Vi^ilede iafcte
do St Pieire et de St Paul.
Jonr de jcune.
St Ir^nee, cvcqne de Lyon,
martyr en 202. :
Cc saint elmt originaire de \\
TAsiP minrure;il fill disciple de i|
Si Papi^is, i]Ui avail vu Ses apiW
tri'^. II a laiw plnsii'urs oinu-
pes iri's-o>iini('s,ci d'aitiani plus
plii.s pii'Cieu\ (pi'ils so ralUK'liciiL
au liercciiu dc la religion.
St pLUTARQiiE et ses compa
gnons, martyrs d'Alcxan-j
dric, vers 210.
20. Wimaiiclie. Fete solcn-
nelji' des deux ]irinces desl
apoli'cs, St Pierre et St
Paul, martyrises a Rome.
Voij. I'.iiUcIc sousce litre.
SteIIemme, veuve, proche pa-
rcntc de rcmpcrcur St
Henri, morte au monaslcre
dc Gurt qu'ellc fonda, 1045.
3:0. tjtfiidi. CoMJifiMoiiATiOH
sn-ciALE DE St Paul, apotrc.
Sr Martial, jiremier eveque de
Limoj^es, mort au 5^ siecle.
II fut un dosceleliresinission-
itaircs cnvovcs de Uuitic avcc
Si Oriiis de Pans, el cnuverlit
un trc»-graud nombred"idolalres.
ANECDOTES DU TEMPS PHESENT.
ANECDOTES DU TEMPS PRESENT.
251
HIVER D£ 1845 VANS Z<ES GUISOlVrS.
L'liivcr tcrrilile el prulonge do ISi.'i a suvi avcc fiircur
dans celte Suisse si lojiglemiis hcureusc. recemmcnt souillee
do sang par la riJvoUc. U'accmniilalion ilcs nciiios y a cousO
dcs accidents graves et nomlircnx.
11 y a differenls dangers i|ni mcnacent le voya;,'Pur an
fiassage d'un col des Alpes : I " Vaceumnlatiun tic la mige,
tpii a iii'U lorsque le vent j«Uo snr lo clieniin ImUii dc
Icllos masses de m-igo, qno Ic voyagonr csl relarde dans
sa marclie, on mime onliiirenicnl empiM-Ini dc passer onii'c;
la ncigi: s'accumule plus on ninins. Aussi longt: (ii|is ijue
le IVoid csl riijonrcnx, la noige line al It'gere so ddaclie
facilcmenl du dieniin baUn, et les difficulles ne sonl pas
si grandes; mais lorstjue la temperalnre s'adoucit, ct que
la ncige, dcvcimc plus inoUo, est pressoe dans le chen.in ct
forme on fosse profond, cpii se reniplit entierenieni, inojne
par un vent leg' r, alors on no pout plus avancer au r.ord
du col. Cet cmpeclnimenl a lieu lors.pi'il fait un vent du
sud, et an sud lorsqn'il fait un vent du nord, de sorte ipfon
pent admeltre en gi'neral c(u'il n'y a (pi'un cote du Bcniar-
din (jui soil, le nu'iiie jour, fori mauvais. Si, apres qucli|ues
jours dc froid, la route s'est de nouveau elevee; si elle
forme unc digue au lieu d'un fosse, alors raccumulalion
de la neige est moins a craindre.
2^ Vamollisscmcnt dc la ncige; le chemin n"offrant pas
lasoliditc convcnalilc, lorsque la Icmperalnre s'adoucit. Ce
danger pent arriver tout i'liivcr, lorsque le vent du sud
regne, et il a lieu regulicremcnt tons les prinlemps; I'a-
inoUissement de la neige presente souvent dcs obslaclcs
insurmontables a celui qui voyage a clieval, en traineau et
mcme a pied; et comme, par unc tenjperalure douce, lors-
qu'il a forlement neige, des (iiites de ncige peuvent avoir
lieu, le danger augmenle eilraordinairemenl. Celui qui ue
pent alleinJrc au village de lleinter-Ulieiu on de Cernardin,,
et ([ui est force de conliimer son clieniin, pent evitor ccs
dangers en voyagcant dc nuil.
5" Li:$ timrmenlcs, denomiiiafion usitceen Savoie. Celui
qui est parti par un temps calnio et qui se trouve loul a
coup surpris dans sa route par une tournienle, se trouve
dans la position la plus crilique ct expose anx plus grands
dangers. Les lournicntes qui out lieu par les venlsdu nord,
ou celles qui arrivent paries vents du sud, sont egalement
terribles, mais avec la difference remarquable que le vent
du nord se decbaine avec plus de violence au sud, et le
vent du sud au nori/du col. Ccs tourmentes sonl raremenl
assez violcntes jiour renverser un honime; mais il est son-
vent impossible d'avancer contre le vent, quoique la voilnre
ou le traineau soil de 4 ii 6 chevaux ; lorsque tonic Irace do
clieniin disparait sous la neige, el que le cnclier et les cbe-
vanx n'y voicnt pas dans le tourbillon qui les environne, et
qu'ils sc faliguent au point de lomber de lassitude. IJans les
tourmentes causees parle vent du uord, le cbemin demeure
ferme, et Ton peul avancer rapidement parloutoii la neige
D'est pas accumuliie; les tourmentes, causees au conlraire
par le vent du sud, occasionnent nrdinairement des coups
de vent plus forts, amollissent le chemin ballu, produisent
de grands tourbillons do neige, font que la neige, qui est
dej.i tiiinbee, devient plus poudreuse el plus propre a etre
emporlec par un tourbillon, et elks sonl, par cela meme,
plus dangercuses que les autres. Levcnt i'esl cslincommodG
a cause du froid aigu qu'il produit. el le vent d'ouest
( appele le vent de France dans le lilieinwald ) est le moins
dangereux. Les tourbillons do neige, lorsque les tourmentes
onl lieu par le vent du nord ou par cfdui du slid, obscur-
cisscnl I'air sur ces hauteurs, |iroduisent sur les parlies du
253
ANECDOTES
corps que le voyngoiii- l;iisse a decouvcrl, des picjtemenls
pai-eils a ceux causes pai' dcs aiyuilles lines, et y caiiseiU
de la douleur, de la roiigcur el de I'eiillure, lui oloiU la
respiralion, raveuglciil, causent un grand bruissement au-
tour de scs oreilles, et lorsqu'il ouvre les yeux, dans les
momenls oii la tourmenle est moins violente, il n'apcrcoit
plus aucune trace de cheniin, et so voit abandonne au
milieu d'une liorrible solitude, oii il n'entend que le mu-
gissemcnt des vents dechaines autour des pics glaces qui
I'environnent de tons cotes; ce sont les moments les plus
dangereux pour lui.
4° Se Irouver engourdi par le froid, se laisser lomber
defaligue ou de sommcil. Les habitants du pays evitent ces
dangers par Ibabitude ou par des mesures de prudence;
eependant je pourrais citer des exemples ou I'envio de
iilormir dcvient insurmontable, et ou, sans le sccours de
rompagnons de voyage, la mort en eut ete la suite inevi-
table. Pour les etrangers ces dangers sont grands. Le froid
peut devenir tres-dangereux par le vent du nord, et surtout
du nord-est, des que I'epuisement dcs forces rend le mou-
vement a pied impossible, ou que I'air subtil qu'on respire
dans ces regions, la violence du vent, ou trop de nourriture
arretent la respiration apres que Ton a fait quelques efforts
dans la neigc, el empeclient de marcher au moment oii Ton
ne peut resister au froid qu'en se donnant du mouvemcnt;
cela peut arriver menie ii des hommes tres-robusles.
Recemment, cinq llanovriens, quirevenaient d'ltalie ou
ils avaicnt conduit des chevau.x , partirent du village de
Saint-Bernardin. Gomme ils nevoulaient pas oC laisser de-
tourner de leur dessem , malgre les remontrances qu'on
leur fit, et qu'ils etaient dans I'intention de penetrcr tout
seuls a travers le col du Bernardin, un habitant de la
vallee du Rheinwald, qui etait present, se resolut d'ac-
compagner les voyageurs allemands, pour ne pas les livrer
a une mort certainc. Le temps devint effroyablc el ces
hommes lutterenl contre la tempete, jusqu'a ce que leurs
forces vinrenl a s'cpuiser. L'habitanl du Uheinwald fit son
possible pour les sauver, mais ils succomberent tons les
uns apres les autres. Lorsque ce brave homme vit que
tous ses efl'orts etaienl inutiles, il songea a sa propre
conservation , mais comme il avail deja fail des efforts
extraordinaires , il en devint lui-meme presque la vic-
time. 11 reussit a sauver sa vie, mais il eiil les membres
tenement geles, que des lors il est restc estropie Les cinq
■conducteurs de chevaux , qui etaienl Ires-robustcs, paye-
rent de la vie leur temerite. Les meiUeurs regies qu'on
puisse donner pour se garanlir des dangers dont on vient
de parler, sonl les suivanles : il ne faul point porter de
manteau trop lourd, mais bien deux chemises; point de
bottes, mais des guctres qui ne serrenl pas la jambe,
et des bonnets de sole sous le chapeau ; il ne faul point
prendre de cafe avanl le depart, mais une soupe a la fa-
rine avec du vin, et dans aucun cas de I'eau-de-vie; il
faut prendre avec soi un morceau de pain et un llacon de
vin; quaud on monle dans la neige il faut marclier tres-
lenlement, et la respiration ne doii pas elre plus acceleree
que la marche.
S" Les ckutes de neige et les avalanches. Lorsque des
couches de neige se trouvent sur des rochers qui out une
inchnaison de 30 a 30°, et qu'clles commencenl a sc mou-
voir el a glisser, elles forinenl des cluites de neige ap-
pelces en allemand schneescblipse, qui, lorsqu'ellcsattei-
gucnt 1,-, route, pcuvcnt couvrir le voyageur et I'arreler,
mais rarcment le meltre en danger ilc la vie. Au premier
tournant au-dessus du pont du llhin, a une di .,1-licue du
village de Ueintcr-Rhcin , il y a une place oil ces chuluj
ont lieu, ainsi qu'au sud du col a une leiiii-Ueue aii-des-
sous du village de Saint-Ucrnardin. Comme ces chutes
n'arrivent que les deux premiers jours opros qu'il est
tombe de la neige, et qu'elle s'csl cxUaonlinairement
amassee, on peut eviter les dangers qui en resullcnt;
elles ne sont par consequent pas jcaucoup a craindre. 11
en est tout autremen' des avalanches, qui sont un dcs phe-
nomenesles plus terriUes des llautes-Mpes; elles ont lieu
durant I'hiveretau printemps, soil [lardes coups deveni,
soil par le dcgel qui survient; elles peuvent mome sc
former pendant que le vent du nord regno et que la neige
est Ires-fine, quand I'air se Irouve ebranle par quelque
bruit, ou que le ciel s'elant eclairci au-i' s<;us des pics con-
verts d'un manteau de neige, le soleil y repand sa clialcur.
Lorsque le vent ne tourbillonnc jias quand il neige , mais
i[u'il souflle toiijours du meme cole el un pen do has en
liaut, la neige s'allachc extiaordinairemeiit vile aux areles
des moiilagnes, en forme de loit suspeiidu en I'air, qui de-
horde toujour? plus, et qui forme souvent des najqies ou
des boucliers cnormes qui depassenl le rocher et surplnm-
bent au-dessus du sol ; Ihabilant des Grisons les ap|iellc
pourcette raison Wimlschihl, Windschirm, ou Wimtbril.
Ces masses menscanles demeurent ainsi sus[ienducs en
I'air, jusqu'a ce qu'elles se brisenl el s'ccroulenl par I'ef-
fet de leur propre poids, ou lorsque la temperature s'aduu-
cit, ou que le vent change de direction. C'cst par le vent
du nord, ou lorsque la neigc n'est pas fcrme, que se for-
ment Ic plus grand iiombre d'avalanches , mais par le
vent du sud ou le degcl, elles sonl le plus dangereusrs :
on appelle les premieres avalanches froides ou vcnicuscs
( Windlaninen ), les .secondes ai'a/anc/ics du jirivtcmps
(Grundoder Schlaglauinen ], Celles ci se predpitenl moins
rapidement (|ue les aulres ; elles parcourenl en cin(| se-
condes le cheiniu qu'a parcouru une avalanche froide en
une scconde, dcsortcque Ton peut qutlquefois les eviler
en prenant la fuile, mais les avalanches frnides jamais,
riusieurs contrees de la chaine des Alpes ne .sont expo-
sees aux avalanches que lorsque cerlains vents regiient :
la position et la forme des rochers sont cause qu'il y a des
enikoits exposes tous les printemps aux jdus tcrribles
avalanches, c'est pourquoices eudroils sont appeles Lanc-
nenzuge. Au col du Bernardin, il n'y a aucun endroit sujet
a ce danger, mais des nappes ou boucliers de neige se
formenl aux aiguilles d'alentour, et causent quehpi.l'ois
des avalanches. Une de ces masses de neige atteigiiit dans
sa chute, le 2 mars 1824, le traineau de poste et le jcia,
ainsi que treize personnes ( voyageurs, conducleur, pos-
tilion, et les hommes charges d'ouvrir Ic clieniin ), dans
un precipice oil il avail de la neige el d'ou Ton put rctiier
onze hommes ; I'un de ceux qui etaient charge d'ouvrir Ic
cheniin et le Landammann de Rovcredo, dans la vallee dc
Misox, ayanletc lances contre le garde-fou, furenl ecrases.
Des lors on passe, en hiver, par I'ancien chemin , de I'au-
tre colli du ruisseau, et Ton evile ainsi ce danger. 11 y a
quelques annees qu'un de mes amis des Grisons, partit de
''Engadine, en hiver, avec une caravane enlicre, ]iour se
rendre a Davos, en pa.'^sanl par le ad de la Slialcliu. Tout
d'uii co'jp 'e leril dii nord commence a former des tour-
billons de neige poudreuse, et des nappes de neige s'atta-
chenl aux aiguilles; au bout de ipichiiie temps, ces nappes
se delachent el comTent touto la file dcs Irnineaus, qui
etaient au iiombre de cintiuante-dcux, ainsi que les hom-
ines et les clievaux. Mon ami ct qiielques aulres personnes,
alti mts par la prcssion de I'air, fuient deposes saius et
DU TEMPS PRESENT. 23S
saufs assez lorn de la; ils s'empresserent d'aller au secours
do ceux qui avaieul ele ensevelis sous la neige, et
I'uussirenl a les sauver, la reige etant seche et peu com-
paclc. Les avalaxches d« prititemps ne se forment qae
par un vent dii sud et lorsque Ic doge! survient : la neige
donl elles soul composees est lellemeiil compaclc, ijuuu
horame ou un clieval qui y est enfonce sLulemeut jusqu'au
cou, ne peut absolument pas s'en relirer sans secours
ctrangers ; c'est pour(|Uoi ceux qui sont couverts par une
de ces avalanclies sont ordinairemeut perdus sans retour :
riiomme y etouffe, ou secassela nuque ou I'cpine du dos,
II arrive assez souvent que la neige de ces avalanches
forme des ponts solides sur les lorrenls , el qu'elle re-
sislc aux chaleurs d'un ele enlier. L'impetuosite de ces
avalanches passe I'imaginalion. La chute de ces masses de
neige , qui lombent souvent de plusieurs milhers de pieds
de hauteur, cause un ebranlemenl si violent dans I'air,
que fori souvent des forcls et des cabanes sont renverseos,
el des homnies et des besliaux enleves el etouffes a une
distance consideralde de la place ou Tavalanche a passe.
Je sals nn excmple oti cinq hommes de Kloslers ( dans
le Prelligau) furenl surpris par une avalanche en voulant
aller chercher du foin dans des cahaues siluees dans la
montagne ; I'un d'eux fnl enleve par la pression de I'air et
depose sain et sauf au fond de la vallee, a une bonne lieue
de distance de la place ou I'accidenl avail eu lieu; il de-
meurait assis commeun homme quireve, et ce ne ful que
lorsqu'on I'appela qu'il reprit ses sens. Une femrae flt un
voyage pareil : elle ful emporlee par la pression de I'air,
lors de la chute d'une avalanche au defile de Zugen
(entre Filisur el Davos I, et Iransportee au dcla du ravin
profond dans lequel coule le Landwasser. L'impeluosilc
avee laquelle ces avalanches lombent est quelquefois si
prodigieuse , qu'elles couvreiil de neige et de picrres dcs
plaines de plus d'une lieue de longueur. Les avalanches
onl cause de lout temps des malheurs sans nombre aux
habilanls des Alpes, car elles descendenl souvent j.usque
dans les vallees fertiles, delruisent en un din d'reil, fo-
rels, champs, prairies, maisons, et tnenl hommes el bes-
liaux. 11 y a des annees oii ces malheurs arrivent d'une
manicre terrible. Ce sont celles ou II lombe excessivement
de neige, comme par exemple en I SOS, oti 11 se forma au
mois de decembre , dans les cantons des Orisons, i'i'ri,
de Schwylz, A'Undencatd, de Glan's, de Bone, de Vaud
el de Saint-Gall, des avalanches lellcment devaslatrices,
que tout le dommage qu'elles causerenl ful evaluea quel-
ques millions de francs de Suisse; et en 1817, oii, danstrois
cantons seulemeol, cinquanle-huit personnes furenl luees,
vingt-quatre blessees, qualre cent soixante-six pieces de
betail elouffees, el cent .soixante et une maisons et clables
renversees. 11 y a plus d'un exemple que des villages en-
tiers, et quelquefois plusieurs cenlaines de personnes, ont
ele ensevelis a la fois sous des avalanches. De 1800 a 1843,
cent qualre-vingl-sept habilanls ont ele lues dans les Pri-
sons, qualre-vingt-quaire blesses, mille cinq cent cin-
quanle pieces de betail elouffees , et environ cinq cents
maisons ou elables renversees ; el dans neuf cantons tra-
verses par la chaine dos Alpes, cent qualre-vingts per-
sonnesonl peri, Irente-sept ont ele blessees, mille Irois cent
quarante el une pieces de belail elouffees, cent vingt-quatre
maisons et qualre cent quaranle-qualre etables delruites.
Les habilanls des Alpes pcuvenl delerminer, en regardant
la neige et en la louchaul, si c'esl de la neige propre a former
des avalanches, et quaud on peutse mellre en route sans dao-
SO
S5*
gor : cVst pnurquni il Tniit los ronsullor .i rol I'pinrd. II est
"rriHtciit aussi de no ii.is ninrclicr en lron|)0, niais s.'imre-
rticnt, el a iino ccrlaine ilislaiicc Ics mis ilos aiilres, afiii qiie
fout Ic nionde no soil pas alteiiit a la fois ]m- los ava-
lanches, ct ([uc ccux qui en auraicnl ele couvei'ls puissen*
fire sccounis par lours compagnons. lin liivcr, lorsipie le
AiSECnOTES
temps est seieni, il n'ya nnoun ilaiigor a craindio, maig
an priniem|is li; danner dnre di' inidi jiisfjirau soir : c'cst
punnnini il faiil voyager ciussi matin (pic possililc.
Dans cos solitudes "lacocs. c'esl encore la relif;ion que
Ton relrouvo comme pruleclriccderiiomiiie et do sa fai'
blesse iiolde. L;i, conMiie a la grande chartreuse et au ce-
Iclirc hospice dii mont Saint-Bernard, la charitc calliolique
prodignc ses secours u I'hnraanile soulfranlc. C est a cc
Imt qu'etaieiit reserves, a eette neuvre que sevouaient les
jijus severes et les plus stricts de ces ordres religienx, si
SQUvent calomnies. Trappistes, chartreux. hospitallers,
s'.habitnaienl, par rexercico de toutesles privations, a subir
toutcs les apretes des saisons, de la pauvrete, de I'alisli-
noice ; et, dans les grandcs catastrophes de la societe comme
dans lesscvcrcs rigneiirs de la nature, on elait siir de les
rencontrer al cur poste. Uu pocte de la derniere epoqiio,
M. do Fontancs, a caraclerise adniiraljlement ces urdres
monasliques.
lA CHAHTBEUSB DE PARIS.
Vicux cluilre ou Jc Eruno les disciples cacliijs
Rcntcrnient tous tears vffiux sur Ic del allacln's ,
Cloitrc saint, ouvrc-moites modestes porliquesi
Laisso-moi m'egarcr dans cos janlins rustiquos
Oil vcnalt Calinat nieditcr qudc|uefois,
Ilcurcui de tuir la cour ct d'oublier les rois.
J'ai Irop connu Paris : mes legeres pens6es,
Dans son enceinte immense au hasard dispers&s,
Veulcut cnfiii rejoindre, et licr tous les jours,
Lcur dcmi-lill'onni;, qui so bi'isc toujours.
Soul, jc vicns iccucillir mes vagues reveries.
Fuycz, brujants rcniparts, pmnpeuscs Tuileries,
_^ Louvi-c, iloiit lo porliquc a ines ycux cblouis
■'" Vanlcapres cent hivers la grandeur do t.ouis!
Je prcferc ces iieux oil I'ame, moins distraite ,
Mdnie au aein de P.iris pent joilor la relraile :
La retraite me plait, clle eut mes |)reniiers vers.
hiiii, Uc tcus moms vlls eclairuut I'uiiivcrs,
Septemtiro loin de nnus s'enl'uil el decolore
Ccl etial doiil raiinee un municnl biille encore.
II redouble la paix qui ni'atlaciic en ces lieus ;
Son jour nii.'Iancoli(|ue, el si dous a uos ycux,
Son vert plus retnbruni, son grave caraclere,
Seniiilcnt se confornier au deuil dii inonastere.
Sous CCS bois jaunissanls j'aime ii ni'cnsevelir.
Conclie sur un gazon qui commence a palir,
Je jouis d'uu air pur, de I'onibre et du silence.
Ces chars tumultueux oil s'assiod I'opulence,
Tous ces travaux, ce pcupli? ii grands llots agile,
Ces sons conlus qu'eleve uiie vastc cite,
Des enfants ilo Bruno ne troublcnl point I'asile ;
Le bruit les ouvironne, et lcur aine est tranquille.
Tous les joins. ri.|irodiiit sons des traits inconstanls,
Le tanlonie ilu sii-cle, emporle par le temps,
Passe, el route autour il'eux ses pompes mensongoros.
Mais c'cst en vain : du siecle its out fui les cllimercs ;
Horniis rdlcriiili tout est songe pourcux.
Vous deplorcz pourtaiit lcur destin inalheureux.
Quel prejuge funcste a des lois si rigides
Attaclia, dites-vous, ces pieux suiciilcs?
lis meurcnl longuement, rouges d'un noir clwgrin :
L'aiitel garde leurs vttux sur des tables d'airaiii ,
Et le seul dcsespoir habile leurs cellules.
Eh bien, vous qui plaignoz ces victimes crcdulcs,
Penetrez avec moi ces inurs religieux :
N'y rcspirpz-vous pas fair paisible des cieux ?
Vos chagrins ne .sontplus, vos passions se laiscntf
Et du cloilre muel les leuebr^s vous ptiisent.
Mois quel lugubre son, du haul de cclle lour,
Descend el tail fiemir les dortoirs d'alcnlour?
DU TEMPS PnESENT.
3SS
C'esll'airain qui, du temps formidjble iiilcrprcle,
Dans chaque hcure qui I'uil. a I'liumljlc anachorete
Redil en longs cclios : Sonjo ju dernier momcnti
Lc son sous celte voute expire icntcment;
Et quand il a cesse, ranie en freniit encore.
La mi5ditalion qui, seule des I'aurore,
Dans CCS sombres parvis marclic en baissant son oeD,
A ce signal s'arrele, et lit, sur un cercueii,
L'epitaplie a demi par les ans effacee,
Qu'un gothique ctrivain dans la pierrc a tracCe.
0 tableaux eloquents ! oh ! conibien a nion cceur
Plait ce dome noirtid'une divine liorreur,
Et le lierre erobrassant ces debris de niuraillcs
Oii croassc Toiseau chantrc des funerailles j
Les approcbes du soir, et ces ifs atlristes
Oil glissent du solcil les dcrniurcs dartes ;
Et ee buste pieux que la mousse environne,
Et la cloche d'airain 4 1'accent monotone ;
Ce temple oO chaquc aurore entend les saints concerts
Sortir d'un long silence ct monlcr dans les airs ;
Un martyr dont raulel a conserve les restes ;
Et le gazon qui croit sur ces tombeaux modestos
Oil I'heureux cenohite a passe sans rcmord
Du silence du cloitre ii cclui de la niort !
Cependant sur ces murs Tobsclirite s'abatssc,
Leur deuil est redouble, leur ombre est plus epaisse ;
Les hauteurs de Meudon me cachent lc soKjil,
Lejour meurf, la nuit vicnt; lc couctiant, nioins vermeil,
Voit palirde scs feux la derniere elincelle.
Tout a coop se nllumc une aurore nouvelle
Qui monto avec lenleiir sur les d6mcs notrcis
De ce palais voisin qu'eleva Medicis (1) ;
Elle en blancliit le faite, et ma vue cncb3nt6e
Recoil par ces vitraux la lumii-re argentce.
L'astre toucbaut des nuits verse du haiu des deux
Sur les tombes du cloitre un jour mysterieux,
Et semble y rent^cbir cetle douce lumierc
Qui des morts bienheureux doit charmer la paupiere.
Ici, je ne vols plus les horreurs du trepas ;
Son aspect attendrit ct n'epouvante pas.
Me trompe-je? Ecoutons ; sous ces voutcs antiques
Parviennent jusqu'ii moi d'invisibles cantiques,
Et la Religion, le front voile, descend.
Elle approche. Dejii son calnie attendrissant
Jusqu'au fond de voire iime en secret s'insinue.
Eutendez-vous un Dieu dont la voix inconnue
Vous dit lout bas ; Mon fils, viens ici, viens a moi ■
Marche au fond du desert, j'y serai prus de toi?
Maintenant, du milieu de celte paix profonde,
Tournez les yeux : voyez, dans les roulesdu monde,
S'agiler les humains que Iravaille sans fruit
Get espoir obstine du bonheur qui les fuit.
UN BONNETS DETENU.
tJn honnete et pauvre pere de fjmille elait rclcmi dopuis
Jix-sepl mois dans l,i niaison d'arret de Cliarolles, pour une
delte qui ne lui elait pas pcrsoBnclIe, mais dont il avail en
la genereuse impnidencc de reponJre. Depiiis dix-sopl mois,
disons-nous, ilgemissail sur la delresse dc sa fenime el de
ses cnfants, qui etaient prives du fruit de scs labeurs. Un
jour, il s'apercoil qu'on a oubliii de con.signer integralemcnt
la sonime nccessaire a sa subsistance : il sail \|ne celte
omission peut le rendre libre; il s'enipresse decrire a sou
(1) Lc Luxemlioiire.
avoue et de lui faire part de cc qui est arrive. Cclui-ci, en
effct, ohlint one ordonnance de mise on liberie, ct leS
porles de la prison s'ouvrent devant son client.
L'honniHe libere se souvient alors deshoiUesque I'homnie
d'affaires charge de lc poiirsuivre lui a lemoignees pendant
sa dctenliOD, des coiisoliilions qu'il lui a prodiguees; il ne
so doule nuUemciit que ce dernier peut eire responsable
d'une crreur, et court chcz lui pour le remercier et lui
faire part de sa juie. L'nvotie poursuivant reste inlerdit a
la vue de ccl lionime qu'il croyail sous les verrous :
« Vous ici ! coinnient cola ? j'ai verse cependant ce que
demande la loi pour voire dclention.
— Pas tout a fait, monsieur ; vous nvez oublie qu'il y a
des mois de trenle et un jours.
— Cest vrai, c'est raa faule, vous files bien et dument
en liberie ; mais voilii une errcur que je payerai clier, car
je suis niainlenant responsable vis-a-vis de vos creanciers.
— Comment, monsieur, vous seriez oblige de payer a
ma place '!... Oh! alors, je ne veux pas de la liberie a ce
prix, je retourne dans mon cacliol. »
El il y relourna en effet.
L'liomme d'affaires, louche d'une pSreille abnegalion,
s'empressa d'apprendre aux creanciers la noble condiiilc
de leur debileur, et ccux-ci, ne voulant pas etrc vainciis en
gcncrosilii, repondireut par nn ordre de liberalinn, dont
cetle fois notre heros pourra prolilcr CD toule securilc de
conscience. (LEcho charollais.)
Ii'ARABi: FRISONNIEB.
J'ai vu an fort Lamalgue, dit un ecrivaia recent que
nous avons cite plusieurs fois, et qui le merite par la jus-
lesse philanlhropique desesvucs, 1 ancicn caid Beii-Ais.sa,
condamne a vingt ans de travaux forces par le conseil de
guerre de Constantine, pour crime de fausse monnaie (I).
C'elait un beau vieiUard de 58 a 60 ans.
Den-Aissa, direcleur de la monnaie duBezlick, avail fnit
frapper ses pieces a la valeur de 1 fr. ; mais, par ordre
du bey, il en poria la valeur conventionnelle a 1 fr. 80, et
il obligeait les indigenes a en prendre pour une somme
delerminee.
Lors de I'occnpation de I'Algerie par la France, la valeur
des reaux elait tombec a I fr.; mais Ben-Aissa, qui avail
cte conserve dans ses emplois publics, irafiqiia avec les
Iribus et mil en circulation parmi dies cetle monnaie, qui
merilait plulot la denomination de monnaie frauduleuse
que de monnaie fausse.
La misc en accusation, le jiigemenl, I'exposilion el l.i
venue an bagne de cet homme jadis si puissant, avaienl
offert le contrasic du drame le jjIus sombre et des scenes
poeliques de I'Orient.
« Ceux qui m'accusent, avail dit a ses juges Ben-Aissa,
ont loifc cte b,iloiines, emprisonncs, ranconnes par moi;
j'ai fait lomber les teles de leurs parents. Mais j'elais califat,
cl Aclimi't (itait bey. »
La croix d'honneur avail etc donnee a cet homme qui
avail ele le second mailre dc Constanline, ct qui, deux fois
avail dispute sur les remparls la possession de la ville aux
Francais.
Le jugemenl porta que Ben-Aissa serail degrade,
(t) yoy. les journaux dc 184*.
SS6
ANECDOTKS
«Ben-Aiss,i, voiis av('2 maiKiiic a I'lionnciir, dit le pre-
sident. All nmii de la Logion, je declare que vousavez cesse
d'en elre nieinhre. n
La figure du caid revela uiie emolinn profondc.
L'Arabe suliil anssi rex)iosilioii. L'lkdiafaiid sedressa sur
la grandc |ilace. C'elail alors iin nouvcaii spcclaele pour
les indigenes. Les Maiires, losTurcs, les Arabes de la \'illo
el des campagnes aflluaienl ; les ji,iii surlout se pressaient
pour jouir de I'abaissement de celiii qui, pendant sa puis-
sance, s'clait nionlre leur perseculenr.
Ibrahim le Icliaous (excciileiir) avail regarde avec joie
la proieqni Ini elail livree; cependanl i! reprochail liaute-
nicnt a la loi clirelienne de ne liii donner qu'un homme i
garrotter, lui qui ei'it voulu essayer sur «ne lete son bras
et son yalagan. Le tcliaous avail une profonde liaine cnntre
le lieutenajit de I'antien bey de Constanline ; car Ben-Aissa
avail fait mellrc a morl quaire I'reres ou bcaiix-freres du
Turc Ibraliim ; et, s'il avail epargne la lete du tcliaous, c'est
que celui-ci elail possesscur de richesses que I'Arabe con-
voitait. Ibralum vint se placer .sur rechafaud, vis-a-vis de
Ben-Aissa.
« Entre le ciel el loi, disait le bourreau a I'ex-caid, il y
a un bomine, et eel lionime est Ibrabini. C'est un Turc qui
est ton bourreau, el ce Turc, c'est I'liomme dont tu as
cirangle quaire freres; c'est rhomme quetu aurais etrangle
aussi, si lu n'avaispas craiiit, par sa niort, de perdre les
traces d'un Iresor. Personne n'avail jamais coiupris par
quel miracle j'clais sorli vivanl de tes mains, je le com-
prends aujoiird'hui seulement : Dieu me reservail pour
causer avec toi sur cet echafaud. Dieu est-il juste?
— Dieu est juste, repondit Ben-A'issa.
— N'es-lu pas de mon avis'? reprenait Ibrahim. Cet en-
droil a die choisi par Dieu : tu es expose aux regards du
pcu|de, la ou lu vcndais du sel il y a vingl ans ; la ou lu as
fait decapiler Amin Kodja, le marabout El-Arlii, et tant
d'autres ! En face de toi sont les reinparls sur lesquels tu
exposals aux yeux des habitants de Constanline les teles de
ceux que la cupidile, la haine ou ton ambition out fait
decapiler. Jelte un regard sur ces murailles; vois ccs teles
d'innocents qui denjandent vengeance... Begardo... re-
garde I »
Et Ben-.\issa ferniait les yeux, comme s'il eut craint de
voir de sanglantes apparilions.
Et aprcs avoir rejirocbe a Ben-.\'issa de ne pas etre mort
sur la hrechc par laquelle les Franrais sonl enlrcs a Con-
stanline, le Ichaous senible se rejouir de voir I'Arahe con-
danine a un supplice lent. Le yalagan eut ele pour lui une
mort Irop douce, trnp noble, mais c'est le bagne qui va
prendre le coupahle, et qui, chaque jour, pendant vingl
ans, lui donnera une lente agonie...
Et Ben - Aissa, dit - on, llcchit et dcmanda grAco an
bourreau.
Le fils de Ben-A'issa el quelques Arahes le .suiviront jiis-
qu'ii Toulon, et, sous le coslume du bagne, on voyait ce
vieillard calme et resigne recevoir, des siens et de ses ser-
viteurs fidides, des lenioignages de respect, de sonniission
el d'amour.
Les Arabes lorcats conservenl lout I'orgueil de leur race.
Un Arabe , que ses violences conlinuelles avaient fait
renvoyer de I'hopilal ou il vivait sans autre maladie que
celle fievre lente qui consume cetle nature d'honimes quand
elle vil loin du sol natal, avail ele confine au fond d'un
bagne a terre. Un jour, le chirurgien vint lui faire une
visile. La vue du docteur lui fut presque indifferente ; il
daigna cependanl lendre la main, prendre le tabac que
H. Lauvergne lui apporlail, el remercier du geste. Le
m.edecin voulut I'interroger et le faire parler sur le fait de
sa condamnation. L'Arabe le regarda, el lui dit fixement :
Ttt m'oj donni du tabac, tu m'as fait du Men, mot je I'ai
remerdc.et lout est fin! eiUrc nous. Alors il delournala
lete, el ne fit plus aucuuement atlention au visiteur.
La legislation francaise envoie encore d'Afriquc, au bagna
DU TEMPS PRESENT.
257
do T iilon. (les jiiifs, dcs n.rtrs mciis, dos kalin'ilos(l). Cos
(lerniiTS sonl ericnre ck qu'ils claient il y a dix-huit sieclcs :
iciir corps est aw bngne, mais leur pensc-e voltije dans les
rhnmps dti passe, sous Icur Icntc, dans lenr faniille el au-
loiir dii lidele conrsier Unc nostalgic lenle ct calme Ics
niini> pen a pen siir Icur lit d'hopital. Accroupis tonic la
jniirnce, avcc lonr drap none autour du front cl pendant en
guise do bcrnons, on les dirait en emiiuscade ct cachant
lenrs monsipicts pour nc point etre apcrcus. Differents dcs
aulres forcats, ils sont toujours seuls avec leurs pensces,
nvecla palrie, cl ne connaissent aucun jcu ni aiicune espcce
dc dislraction.
Si qnclipiefnis ils vous payent d'un sourirc amcr, c'est
lorsque vous evcillez en cux le souvenir du desert. II nous
est arrive deprononcer avec affectation lenomde Couscous-
sou (2], el alors ils se prcnaicnl de joie comme des enfanls.
VISITZS CHEZ LES FOETES XUR0FEEI7S.
I.
BfillANGER A PASSY, "
J'avais resolu, en veritable Anglais, de ne pas manquer
de visiter lous les poctcs celehres de TEurope entiere.
C'est a Paris que me pril cctte helle resolution a laquelle je
fus fid(<le. Gens du monde, solitaires, liommes politiqucs,
hommes d'etudes, estiniables, pen estimables, tons, pourvu
qu'ils fusscnt poeles ct celebres, je crus devoir les passer
en revue, et je commencai par un liomme de tres-grand
talent, dont je n'examinerai pas ici les opinions, mais dont
larelraile modeste cnntrastc fort avec le luxe elnurdissant
de la plupart des talents a la mode.
Apres avoir passe bull on dix jours a Paris, j'ecrivis done
a Beranger, qn'ayant essaye de Iraduirc une partie de scs
ouvragcs en anglais, je serais tres-Ilatte s'il voulail m'ac-
corder un moment d'audience. II me repondil une Icttre
fort polie, el me donna rendez-vous le lundi suivant, a dix
henres, et me temoigna le rcgj-et de ne pouvoir me laisser
Ic chnix a cause de son prochain depart pour la campa-
gne. Le jour indique, je m'embarquai apres le dejeuner
dans un omnibus, et je roulai fort agreablemeul vers Passy,
petit village sur le bord de la riviere, a pen de distance de
Paris, et que Beranger babite dcpuis assez longlemps. J'y
arrival a dix beures moins un quart, ce qui me laissa le
temps de griraper tout a mon aise la montagne qui mene a
Passy, el m'in former de la rue Vineuse, n° 21, la resi-
dence du poete. Un petit garcon du village m'indiqua la
inaison, jolie petite habitation a deux etages, avec unees-
pecedc portcde bronze, sans oublicrcc genre de persiennes
iju de voids extericurs que Ton rencontre partout en
France. En somme, cctte residence est telle que mon ima-
gination sc retail representee d'avance, el parfaitemenl
en rapport avec les gouts simples de Beranger.
Une vieille et humble servante vint m'ouvrir, mc fit mnn-
ter un escalier ; mais en traversant le vestibule je pus en-
Irevoir un joli parterre dcrrierela maison. Arrivee an haul
de I'escalier, celte femme ouvrit une porte, el dit pnliment ;
« Entrez, monsieur, s'il vous plait. » Aussilot je me trouvai
en presence du piiete francais. II se leva poin-mc recevoir;
avec cetle courloisie si habituelle aux gens desa nation, el
(1) DiricrcnicscLiiscs ifassassins. Lcur psycliolope (doclcur Laincrgnc).
(2) MelsfavoridcsArabes : giuaii prepare avcc dosviandcs't dcs cpiccs.
ceton d'airaable plaisanterie bicn calciilce pour metlrc un
ctranger a I'aise, il me jiresenta le fauteuil qu'il venait dc
quitter ; je voulus prendre un autre siege, mais Beranger
m'arreta, posases mains sur mesepaules et me rejeta dans
Ic sien. Et quand je le rcmerciai dc I'honneur qu'il me
faisail en m'accordant cctte entrcvue, il repondil en riant :
« Ah! mon cher monsieur, n'enparlez pas. lly apcu d'hon-
« neur a etre admisaupres d'un vieux gar(jon comme moi.»
Toute noire conversation cut lieu en francais : il ne com-
prcnd pas I'anglais. Puis il rapprocha son siege en face du
nuen, el sa physionomieexprimail alors tantdc bonte, que
tout embarras cessa de mon cote : on aurail dit que je le
connaissais depuis des annecs. Apres tout, la malice, la
bonhomie, la finesse et la connaissance du monde sonl
les caracteres de Beranger. Son cabinet, comme on pent
bicn le penser, n'a rien de cc luxe qui plait tant d'ordi-
naire aux cclebrites. C'est une chambre dc forme circulairc,
avec une fenelre cintree; d'un cote, un lit surmonte de
rideaux de perse blancs tres-simples ; de rautre, une pe-
tite table el un pupitre d'acajou ; ime couple de chaises,
une demi-douzaine de volumes au plus : voila lout. Le
chansonnier n'a bcsoin d'aucune coquelterie, et pcul-elrc
cellf simplicite est-elle une recherche de plus..
Si j'osais hasarder unc opinion, je dirais que Beranger,
dont les poesies offrcnt aux esprits rigides et aux hommes
dc mceurs scveres plus d'un sujet de blime, a cu pour prin-
cipal mobile I'orgueil secret d'un talent longlemps obscur
et meconnu, et que son opposition est, comme celle dc
Jean-JacquPsRousscau, dirigce contre la societetoulenticre.
C'est un petit homme, d'environ cinq pieds cinq pouces,
age, je crois, de soixantc-cinq ans, d'une constitution saine
et robuste. Son front revele une haute intelligence; ses
traits sonl peu reguliers, ses yeux noirs sont pleins de dou-
ceur ; I'cxpressiou qui dominecslcellc, je crois, dc la finesse
et de la bonhomie. 11 portait une robe de chambre grise. un
bonnet de sole noire. L'obscurile de la chambre m'a fait
supposer qu'il avail la vue faible. Les portraits que nous
avons de Beranger sonl mauvais, sans exception ; je n'ai
trouve qu'un petit buste en plalre dont la ressemblance
fut exacte.
Revenons a renlrenie. Beranger exprima ses regrets de
ne pouvoir causer avec moi des poeles anglais, dont il
ignore la languc, et que Ton a tres-mal traduits en francais.
11 me parla de la bizarrerie de ses concitoyens qui persis-
taient a lui donner uniquemenl le litre de chansonnier,
quoique son caractere dc poete satjTique fut bien etabli
depuis longlemps. 11 ajoula que I'Ecosse fut la premiere
a reconnaitre son litre veritable, dans un article de la lic-
rue d'Edimbourg. Je lui dis qu'en effel ceux de mon pays
natal qui connaissaicnt ses ccrits le comparaient a Burns;
a quoi il repliqua qu'on ne pouvait faire de lui un plus
bel eloge, disant qu'il revcrait la memoire dc Burns, quoi-
que ses ouvragcs lui fussent a ]ieu pres inconnus ; mais
que plusieurs de scs amis qui comprenncnl I'anglais lui
avaient transmis leur admiration. 11 avail ete lie inlime-
ment avec sir J. Mackintosh, qu'il voyait souvent a Paris.
Beranger reproche ii Walter Scolt d'etre un ecrivain pen
correct. II cite les erreurs qu'il a trouvees dans Qacntin
Durward, au sujet de la vie, du caractere de Louis XI et
dc la parlie bislorique en general. 11 admet ccpendanl que
scs romans sont de vastes panoramas dans lesquels appa-
raissent dcs groupes magnifiques et pleins d'inlcrel, mais
dont les trails liistoriques sunt imparfaitement traces; il me
238
ANECDOTES
lit aiissi oliscrvci- que rinlc'i'cH du locteiir s'allaclie iialu-
nilomont Jc prufi'i'ciicc .i iiii iiorsoiniasc cli'anger, ]ilul6t
qu'au liiiros on a I'lin-oiue : co (|ii'il appt'llc uii dt-'faiit gi-ave.
I'fir excniple, dans Icanhoc, loul riiUOi'tH so porlc sur Re-
becca, etc.... (Jiiaiit a sa pocsic, B('rniigor la trouvait ad-
mirable. 11 me paria aussi iloromans plus anciens ; du Ulnine,
par Lewis; de Caleb Williams, par Godwiji, fort admires
en France, et trcs-goi'ites aussi par Ceraiiger. Apres plu-
sicurs autres rellexions ipie je m'abslicnsdc citcr ici, par
respect pour quclqucs autcurs anglais vivants, nous abor-
dames ses propres poiinics, dont [dusieurs, lui ai-je fait
remarquer, sonl peu susceiitililes d'etre traduits en anglais;
les uns ii cause du sujet ((ui a perdu dc snn attrait aujour-
d'hui, les autres a cause deleur inlerut purement lucal. 11
mepria delui conGer mes traductions, alin deles soumcttrc
aunami quicntend]iarfaitement I'auglaisetdontil apprecic
fort I'opinion en fait de lilteraturc. J'avais apporte ces pieces
a celtc intention, je les lui laissai, en disant que si elles
obtenaient son suffrage, cola ni'eucourageraita en tiaduire
d'aulres. Je lui indiquai leduion de ses lUuvres que j'ai
entre les mains, il me dit qu'elle gtait trcs-faulive; il rc-
gretta de n'avoir en sa possession qii'un seul c.\emplaire
e.wct, ct renipli de ses corrections en marge, mais qu'il
seraitencbantcqiicjevoulusso bien I'accepter. Je repondis
quej'y altacherais un grand \<vh, il ecrivit nion noni de.s-
sus, et je le serrai dans ma poche. Kous causames encore
une demi-heurc, puis je me levai pour partir, mais ii me
fit asseoir de nouvcau. Copendant commelcs visiles com-
men^aient a venir, je pris conge de lui.
Ce qui me frappa dans cctte conversation, ce fat la .s.i-
gacite, la vivacite, la verdeur et la malice de ce celebre
chansonnicr, qui me parait doue dc ces qualites bien plus
que d'imaginatioii et d'entliousiasnio.
{Voyage en France.)
UNE PAGE INCONNUE OE Lfl VIE DE NAPOLEON.
Une des portions les nioins eonnucs de la vie de Napo-
leon est cctte epoque etrangc ct douloiireuso, pendant la-
qucllc, vaincu du sort et en butle au.\ vengeances puhliques,
il resta, pour ainsi dire, suspendn au-des.sus de I'abiine,
prcsde partir pour rAmerique on I'Angleterre. Voici qucl-
ques details interessanlsa ce sujet. II est bien entendu (jue
jioHs ne prutendons ici jjartager iii condamncr les opinions
du narrateur.
« L'emperenr, dit M. De.ssnn, arriva a Rochefort le 5 juil-
let, le matin, dc bonne beure. J'ctais alors lieulejiant de
vaisscau el attache ii I'etat-major de la marine francaisc.
M'etant apereu que le .commandant des deu,x fregates que
le gouvernement provisoirc avail mises a la disposition de
Tempcreur paraissait peu enclin a se coniproniettre pour
remplir un devoir sjcre, c'est-a-dirc a risquer sa vie, alin
de protegerSa Majeslc centre ses ennemis, je n'liesilai pas
a offrir a rcnipereur de le transporter aux Elals-Unis, sur
un des vaisseaux de mon beau-pere, qu'il m'avait envoyc
an commencement dc I'annee ISI3. ,le me rendis aussitot
aupres du general bertrand, dont j'avais riionneur d'elro
counu, et lui lis part de mon projct. Jc fus presente le soir
menie a Tempereur, qui accepta ma proposition, lout en
laisanl quelques b'gcres modiQcations. Mon plan, conrn a
la li;ite, devait s'cxeculer de la maniere suivante. Le bricli
la Madelaine, porlant pavilion dauois { conslruit a Kiel
en 1812, destine a pourcbasser Icscroisieres anglaises dans
la mer Dalliquc), devait prendre une cargaison d'eau-de-
vie, dont une parlie pour New-York et I'aulre pour Kiel.
Dans le fond de cale on avail place, entre deux rangs do
tonneaux remplis deau-dc-vie. cinq autres vides, soigneu-
sement matelasses, afin d'y placer cinq personnes en cas de
perquisition. Dans la dunetle, au-dessous de la cbemineo
anglaise, se Irouvait une soupape qui comniuniquait avcc
eel eoiplaccment qu'on avail bien appvovisionne, de ma-
niere a s'y tcnir pendant cinq jours. L'air se renouvelait i
dans les tonneaux au moyen de conduits babilement dissi-
muK's, et qui avaient une sortie au-dessous des Ills de la
duneltc. La Madelaine, ainsi organisce, devait se rendre
i'l Tile d'Aix,et Jeter I'ancre au milieu despetits batinienls
qui atlendaient le moment Je mettre a la voile. On aurail
embarqueles effols des passagers vingt-ipialrc lieures avant
qu'ils sercndis.sent eux-memes a bora, el, lout etant dispose
le brick aurait quitte le pcrtuis des Bretons pour filer entr
DU TEMTS
Ic continent ct Tilcd'Aix, se diiigennt vers iSoirmoiiliVr, do
Id vers Ouossanl, d'oii il pouvait t,"''!?'!'^'' ''i i"'"- " ^'^"'^
impossible que noire projctecliou.U en prenanl cetic direc-
tion ; les Anglais observaient encore la Gironde et lenlree
du perUiis d'Anlioche, c'cst-a-dire (ju'lls claicnt au cole
oppose. Lcs (iveiiemenls en onl fournila preuve.Z.a^/a(Ze-
laine parlit u» seni jour avant le malheureus embanpic-
mcnt de remperei;r sur le Belle roplion, suivant eclle direc-
tion, et ne rcncoiitra sur la route aucune des croisieres
anglaises. Des que ce plan ful adople, le general BerlranJ
donua ordrc au comle de Las Cases de hater les preparalifs
neccssairesa son execution. Messieurs Roy, Bre et compa-
gnie, de Bocbeforl, prirent sur eux de charger le balimcnl
et de fournir les papiers d'obligalion. Je nie cliargcai de
tout le rcsle, etaDn d'eloigner les soupcons, j'endossai le
costume de capilainc dun iiavire niarcband du Nord. Le
succcs lilt coniplet, et le general ne s'apercul de la ruse
qu"au ninnient oii renipereur se rcnJit a bord du Bclle-
rophon. 11 me dil en celte occasion ; « Jc regrclle mon-
sieur le capilaine, que voire zelc vous ait si gravement
compromis. Voire projel, je I'nvoue, meiilail un meillcur
sorl. » iXoIre aclivile fut telle, que je partis de liocliel'orl
de bonne benre le 0 juillet, et me rendis ii Maronnes, oii
je pris (le Teau-de-vie donl j'avais besoin. LeIO, jeniis
.1 la voile pour I'ile d'Aix, ou j'nppris que I'linpereui-
elait a bord de la Saale, cnlieremenl abanJonnee jiar
M. Philippe, ca|iilaine de celle fregale, qui avail declare a
Napoleon que la presence d'un vaisseau angbis li I'enlree
du perluis d'Anlioche meltait un obstacle d son depart, et
([u'il avail recu I'ordre I'ormel de ne rien sacrilier au.t
dangers d'un combat incerlain, pour melire en surcle la
personne do I'empereur. M. Cornee, commandant de la
Miiduse, so conduisil mieu.\. Ce brave officier offrit a
Napoleon de le prendre a bord, s'engageant sur I'lionneur
a le sauver ou d raourir avec lui, pliitulciue de se rendre.
Ccllc offre genereuse ful inutile, Tempcreur refusa, dans
la craiiile d'cxposer ses amis a un sorl tres-incerlain. II
quitla la Saale le meme soir, d neuf heures, et me fit
nppelcr. II me recut avec bonle, el me douna I'ordre d'em-
barquer sur-le-cliamp ses efl'els el ceux de sa suite; a»
niinuit lout elait pret, il ne reslail plus qu'd cndjarquer
les passagcrs. Je ne puis ometlre ici une circonslance qui
faillil me couler la vie. Tons les points de I'ile elaient soi-
gneusement surveilles, et nolamment celui oppose ou to
MaMaine avail jele I'ancre. J'avais fl.'ie le lieu de noire
embarcalion a cinquanle pas d'un posle de marine ; el
afin d'eviler tout malheur, j'avais prie le general Berlrand
d'avertir le commandant de ne pas s'inquicler du bruit
qu'il enlendrait entre dix heures et niinuit. Persuades que
nous n'avions plus rien a craindre, nous commencdmes
nos operations; mals a peine avions-nous transporle une
petite partie des eft'ets, qu'on dirigea sur nous une fusil-
lade : un de mes Danois eut le bras casse, et noire barque
ful percee comme un crible. Je me hdtai d'aller d terre,
au risque d'etre tue, et je courus nu posle ou je relablis
la Iranquillite. Personne n'y avail recu d'ordre; mais les
braves soldats, qui nous avaienl entendu parler allemand,
nous prirent pour des Anglais, el jugerenl a propos de
Uclier des coups de fusil. Un pcu avant minuit, je revins
oupres de I'empereur. Je Tavcrtis que tout elait pret el
que le vent Hail favorable. II repondil qu'il allcndail son
frere Joseph, et qu'il ne pouvait partir celte nuil-ld. »Des-
cendez, ajouta-l-il, souper avec Berlrand, qui vouscom-
PBUSENT. '259
muniquera un nouvcau projel. » L'empcveur paraissait
Clinic, mais pensif ; et je veux donner ici un dementi aux
publications du temps, qui raconlent que Napoleon dormit
presqiieloujours a Bocbeforl, elsemonlratelleinentabatlu,
qu'il fut incapable do s'arreler a aucun projet. Je ne rcmar-
quai au coiitraire, cliez I'empprcur, ni abaltement, ni agita-
tion; il puisail souvenldans sa tabaliere comme d'habilude,
ecoulait attentivement lout ce qu'on lui disait, et me sembla
meme envisager sa position avec trop d'indifference.
0 Quel malheur, sire, lui dis-je, que Voire Majcsle relarde
son depart. La rade des Basques est depourvue d'ennemis,
le perluis des Bretons est ouvert... ; qui saits'ils le seront
encore domain?)) Ces mots furent malheureusemenl pro-
phiiliques. Le 12, les Anglais ne savaient encore rien de
I'arriveede I'empereur a Bocheforl ; ilsl'eussent ignore plus
longtemps sans la visile que firentle due de Rovigo et le
comle do Las Cases au Belleroplinn. C'est une preuve qu'ils
croisaienl jusque-ld, a renliee de la Gironde et du per-
luis d'Antioclio, afiu do s'opposer a toute tentative de I'uite
de la part des fiegales qui slalionnaient pres de I'ile d'Ais.
Mais le soir meme ou ils en eurent conuaissance, le Bcl-
Icrophon se mil en mouvcmenl et alia jeter I'ancre dans
la rade des Casques, position tres-favorahle a la siirvoil-
lance des deux sorties a la fuis, et qu'on aurait du prendre
des le commencement.
« Je quiltai I'empereur et me rendis aiipres du gi^neral
Dertraud ; il m'apprit que plusieurs jeuues officiers, et Ic
lieulenant Uenlil a leur tele, offraient a Napoleon del'em-
barquer d bord d'une chaloupe ponlee de la Rochelle, ct
de le transporter jusqu'd I'enlree de la riviere de Bor-
deaux, en passant le dclroit de Mommusson ; Id se Irou-
vait un bdtiment americain qui transporlerait sans doute
volonliers I'empereur en Amerique, ou donl on ponrrait
s'emparer de force en cas de refus. Plusieurs vaisseaux du
noiiveau monde slalionnaient en effel ]ir6s de Boyaut, que
le general Lallemand alia visiter, et dont les capitaines
offrirenl leurs services a Napoleon. Connaissanl a mer-
veille le devouement de ces jeunes gens, j'engageai le ge-
neral a profiler au plus vile d'un moyen de salut qui me
semblail inspire par la Providence, car les circonstnnces
les plus favorables .se reunissaient pour assurer un jileiii
succes. « Que voulez-vous dire? s'ecria le general avec
surprise. — Je vais m'expllquer. Les deux chaloupes de la
Bocbelle sent des voiliers escellents, meillcurs, d n'en
pas douter, que les croisieres anglaises; il faul les lancer,
I'une par le delroil de Mommusson, I'aulre par le perluis
d'Anlioche, el embarquer sur tonics les deux des pcr-
sonnes el des efl'els apparlenanl a I'empereur, mais do
maniere a ce que les homnies de I'equipage ignorent qui
est d bord de I'une ou I'aulre chaloupe. Puis on donnera
I'ordre aux deux commandants de ces bailments legers
d'aller eux-memes d la rencontre des croisieres anglai-soi!,
et de se laisser chasser par elles, afin de les eloigner. Ici
on repandra secretement le bruit que Napoleon s'est em-
barque incognilo sur I'une des deux chaloupes, et I'equi-
page de chacune croira que I'empereur est sur I'aulre. Ce
projet etant mis d execution, on fera partir les chaloupes
lesoir; I'empereur s'embarquera le lendemain avec moi, et
se menagera ainsi deux chances de phis pour I'heureux
succes de sa fuite. » Le niarecbal parut gni'iter ce projet.
Impatient de le communiquer a I'empereur, il me pria de
le suivre cliez Sa Majesle. Nous le trouvames, le coiide ap-
puye surun magiiifiiiue fauleuil rouge, present de Marie-
240
ANECDOTES DU TEMI'S mESENT.
Louise, que Venipereur avail desire garder jusqu'au der-
nier moment, et le seul objet d'ameuMemcnt qui ne fut
pas encore Iransporte sur Ic vaisseau. Napoleon leva la
tete quand nous entrames, et dit avec une expression de
bonne liumeur : « Eli bien, Bcrtrand, que vous a dit Ic
capitainc Besson ? » Apres que ce dernier lui eut rqn'tci ce
que j'avais propose, il parut salisfait, donna son approba-
tion, el desira qu'on s'occuplt a rinstanl memo de tons les
prijparatifs ; « car, ajouta-t-il , je suis decide a partir avec
vous, capitaine, dans la nuit du 15 an 14. » Je vis done
avec une doulenr profonde que ce nonveau retard nous
scrail peut-etre fatal, etje me hasardai a lui faire part de
mes inquietudes ; mais ce fut en vain. Les clialoupes mi-
rent a la voile, le 15 au matin, avec toutes les instruc-
lions convenues. Aucun obstacle ne se presenta, bien que
le Bdh'rophon eut pris sa nouvello position dans la rade
des Dasi|ues, des le 12 au soir.
uLe 13, a I'aube du jcuir, M. Marchand vint nie trouver
a bord, et me remit une ceinture remplie d'or apparte-
nant a I'empereur. II me pria en nii'me temps de me ren-
dre le plus lot possible aupres de Napoleon.
u J'allai le rejoindre vers les sept lieures; je le trouvai
deja liabille et se promeuant dans sa cbambre. « All 1 ah !
vous voila, me dit-il. Les clialoupes sonl parties ce soir,
done... le sort en est jete. » Puis il me demanda si j'etais
bien sur de connaitre toute cette cote, designant du doigt
la carte du Poitou et file d'Ais. Comme j'allais repondre,
M. Marcliand entra et parla bas ,i rempercur. Je fus aus-
sitot congedic. En sortaiit, je rencoiitrai une personne qui
m'etait inconnue : c'etait, m'a-t-on dit plus tard, le roi
Josejdi. La journee fut employee lout entiere a disposer,
le mieu!t possible, toutes les choses necessaires i noire
voyage ; a la chute du jour, j'appris que les personnes en-
voyces de nouveau par I'empereur sur le UeUcroyhon
ctaieul de relour.
« C'esl, a n'en pas douter, ce jour-la meme que Napoleon
se laissa inlluencer par certains Irembleurs de sa suite qui,
dans la crainte d'etre pris avec lui a bord de mon brick,
I'engagerenl a enlamer des negociations sgrieuses avec le
capitaine Maitland : la reponse venail d'arrivcr; mais je
ne soupconnais rieii encore. Loin de la , quand Sa Ma-
jcste me rappela le soir aupres d'elle, je me rejouissais et
me croyais pres d'alteindre le but de mes plus cheres
csperances. Le general Savary, le comte Las Cases, le
conile Montholon, cl une autre personne etraiigere, se Irou-
vaient reunis au salon. « Capitaine, dit rempereur, en s'a-
dressanta moi, retouriiez a I'instanl a voire bord, cl faites
debarquer mes effets; je vous remercie de toutes vos bon-
nes intentions a mon egard ; s'il s'agissait encore d'affran-
chir un peuple opprime, comme j'en avals le projel en
quittaniriled'Elbe, jen'hesiterais pas a meconfler a' vous;
aujourd'hui, c'esl de moi seul dont on s'occupe, el je ne
veux pas esposer a d'inutilcs dangers les serviteurs fideles
qui partagenl mon sort. Je me dirige vers I'Angleterre, el
je m'embarque demain sur le Bellerophon. » J'aurais ele
renverse i terra par la foudre, que j'eusse cprouve une
sensation moins penible. Je devins pSle, des larmes s'e-
chapperent de mes yeux, el je fus hors d'etat de pronon-
cer une parole. Je voyais clairement que les idecs clieva-
lercsques de I'empereur le tronqiaient, etqu'il avail grand
tort de se fier a la generosite du gouvernemenl anglais;
mon ciEur elait gros d'inquictudes el de Iristes presages.
« Dieu saitce que j'aurais ajoule, pousse par le deses-
poir, si le due de Hovigo, assis dans un coin du salon, ne
m'ei'it impose brusquemajit silence. « Capitaine, s'ecria-t-il,
vous passcz les bornes, vous oubliez que vous etcs devaiil
I'empereur. — Oli! laissez-le parler, repril Sa Majcste, »
jolant sur moi un regard plein de Iristesse, qui penclra
jusiiu'au fond de mon coeur. Mais quand je revins a moi,
je coinpris que tout es]ioir etait perdu. uPardou, sire, con-
tinuai-je, si mon zeleest indiscret, mais cette nouvclle de-
cision me navre... — Assez, capitaine, dil Napoleon avec
douceur, calmez-vous. llevenez ici quand vous aurez lini
voire besogne. » J'e.teculai les ordres que j'avais recus,
loujours en proie au plus violent desespoir.
0 A neuf heurcs du soir, le 15 juillel, ayant tout ter-
mine, je fus avertir rempercur ; il etait seul avec M. Mar-
chand, cette pdelile persoimi fiee dont j'aime a rappeler
I'invariable obligeance a mon egard. Aussitol que I'empe-
rcur me vit enlrer, il vint au-devanl de moi el me dit :
« Cajiitaine, je vous reitere mes reinerciments : des que
vous aurez lermine vos affaires ici, venez me rejoindre on*|
Aiiglelerre, ajouta-t-il en souriant, car un liommede votrAI
caractere me sera loujours utile. — Ah ! sire, repliipiai-je
Ires-affecte, que ne puis-je esperer de pouvoir me con-
former un jour a un ordre si llalteur. » Incapable de con- ,
lenir plus longlcmiis mon emotion, jeme disposal a sortir, i
lorsque I'empereur me fit signe de rester, el envoya [
Marcliand chercher le general Bertrand : dans I'inter- '
valle, il choisit parmi ses amies rangees dans un coin du
salon un fusil a double canon, dont il avail fait soiivenl
usage a la chasse, el nie Poffrit en me disanl d'une voix
emue : « Je n'ai plus rien a vous offiir dans ce moment,
mon ami, que cette arnie, veuillez I'accepler comme un
souvenir de moi. » Ce cadeau si precieu.x, et la grace char-
manle avec laquelle il m'etait presenle, m'entrainerent in-
volonlairemenl a risquer aupres de I'empereur une der-
nicre tentative. Je me jetai a ses pieds, lout en pleurs, ct
le Cdiijurai de nepas se livrera I'Angleterre. « II ya encore
de I'espoir, lui dis-je; dcu.t lieures me suffisent pourem-
barquer de nouveau les effets; Voire Majeslii pourra parlir
un inslani apres : lout depend de sa volonte. » Napoleon fut
belas I inebranlable. « Eli bien, sire, m'ecriai-je en me re-
levant... » Mais le general Bertrand entra el m'empeclia de
conlinuer. « Capitaine, medil-ilavec impatience, renoncez
a ces offres inutiles : voire zele est louable, voire conduite
est noble, mais Sa Majeste ne pent plus reculer. » II disail
vrai peutijtre, etje retins les mots (jui elaienl presde s'e-
cbapperde mes levres. « Sire, lui dis-je, il ne me reste done
plus qu'a prendre conge de Sa Majeste, el a partir sur le
brick queje lui avals destine. Jesuivrai exactemenlla route
que vous avicz approuvee, sire, el Sa Majeste regrcllera
peut-etre bienlol, je crains, le jiarti qu'elle vienl de pren-
dre. » Frappe au coeur, je me retirai el me rendis a bord.
11 etait dix hemes du soir. Je Cs aussitol lever I'ancre, el
je m'eloignai, favorise par une fraiche brise d'est, sans ren-
conlrer le moindre obstacle. A I'aube du jour, je me trou-
vais a I'entree du perluis Breton, au milieu des caboteurs.
II est bon de remarquer que I'empereur s'embarqua a cinq
heures du matin, le 1o, et n'arriva sur le Bellerophon
qu'a neuf. J'avais done fail dejil un long Irajel, el passe
inapercu au milieu des vaisseaux qui bordaicnt les coles,
el Je ne pris conge de mon capitaine qu'en face des Sables
d'Ulonne, d'oii il til voile, d'apres mon ordre, pour Ones
santelKiel. 11 y arriva vingl jours apres, sain et sauf. De
mon cute, je retournai a Rocliefort, acconipagne d'un des i|
in
PETITES MORALES.
•2!1
caboleurs, et j'allai prendre les orJi-es du prold de marine.
II me dU qu'il avail garde cliez lui, sur ordre cxpres do
Tempereur, deux caisses remplies de vaisselle plalc desli-
neespour Mme Besson, dans le casoii il serait parli avec
moi. Mais en apprenant que Napoleon avail change d'a-
vis, il avail cru convenable d'expedier ces caisses par le
Bellerophon, avec pUisieurs autres oLjels qu'on lui avail
coiifies. Plus lard, la venle de cetle argenlcrie fouruit aux
Lesains de rempcrenr a Sainle-IIelene. Jc ne me serais
jamais doule que Kaiioliion poussat aussi loin ses alien-
lions pour ma famiUc. Depuis celle malhcurcuse epoque,
j'ai loujours liabilii les pays elrangcrs. C'esl en 1826 Sfiu-
lemenl que je pris sur moi d'approclier les coles de France,
lorsque Sa Ilautesse le vice-roi d'Egyple m'envoya A Mar-
seille, avec la mission d'armer les vaisseaux de guerre que
le general Livron y avail fait conslr«ire pour elle. »
smu.
PETITES MORALES.
CAllNET DUN V1E8X CURLl.
I.A BALSIISE ATTAQU££ PAR I,£S FOISSONS.
Peul-etre avez-vous remarque, dans I'liisloirc dos crca- 1 jours en guerre. Vorha'ic poursuil les poissons, I'aigle
res donljevousai eulrclciiuSjqu'elles soul presque lou- \ vienl ralla(|ucr a .son lour. l.e dauphin cl les oiseaux de
243
rKTITF.S MOnALES.
mer s'om^iarciU dn pmsson volant, qui so ili'cIaiT niissi
rcniiomi lies, ■inimaii\ plus |«'lils c|ui' Uii, vivaul a\i fonil ilc
]a mcr. Lc lion ilniiin' on pipcos riui|iiis(inle !;iraf(', Ic rc-
(loulalile boa avnlc louslos animaux iloul il pcut s'empa-
rer. I.C lijjrc s'olance sur k- rhiiiocrros, ol li> rhinoceros
cmpalo \c ligTP. 11 somblo d'aboril que loul cela soil in-
compaliblp avec la bonic dc Dlou. Opcndanl rion n'csl
plus simple a expliipier. C'cst le porbc qui a inlroiluit la
niort dans le nionde, el puis(]ue Ics animaux soni soumis a
la loi commune, une morl violenic est miiins crnelle pour
pux que la maladie, les longues souffraiu'i's el la vieil-
lesse. qui les rendraicut iucapables de pourvoir a leur
subsislance.
l.a gravurc que vous voycz represenle unc scene elrauge.
La baleinc est si enorme, ipie pas un dcs gros poissons
n'oserait Taltaquer senl, c'cst pourquoi ses eniiemis so
rassemblent pour la eombaltre. Ceux-ci sonl de deux es-
peccs. L"un a le mnseau long el pointu conmie une lance •
il porle le nom i'epeedu Grpcnianii. Le museau de I'au-
tre est plus large ; il est ponrvu d'une rangec de denls des
deux coles : on le noinme la scie de mcr. (Juelquefois une
autre especc de poisson, le llirasher (le lialleur) se rennit
au combat comme dans la circonstancc suivanle que nous
raconle lecapitaine Crowd. « Les thrashers, s'elcvaut a la
« hauteur dc plusieurs metres, seprecipilerenlviolemment
« sur elle, el la frappercnl rndemenl de lenrs queues \i-
« gourcuses ; le bruit dc ccs coups relentissail ii I'orcille
« comme des fusils tires a distance. Vepec vinl it son tour
« allaquer la nialheurcuse baleine, la piquant sous I'eau ;
« assiegee de loules parts, la pauvre creature rougil la mer
tt de son .sang. Plusieurs heures se passerent ainsi i la
« eombaltre el ;i la torturer, jusqu'n ce qu'enlin nous
« I'ayons perdue de vue ; mais jc ne doule pr.s que les as-
« saillanls n'aient oblenu sa com|ilele deslruclion. « Quel-
quefois la baleine, pour echapper ii ses bourrcaux, se
plonge tout au fond des abimes de la rner, ct la violence
de la pressinn de I'eau les «rrete dans leur poursnitc.
L'liistoire de ces poissons, asscz hardis pour atta(|uer le
roi monslraeux dps mers, est rcmplie de details doul quel-
ques-uns nous inlcresscnt peut-etre. L'epee lienl a I'espece
des maquereaux, quoiqucbeaucoup pins grosse; il y en a de
- quinze pieds de long. Sa queue est grande el j)uissanle;
sa machoire exlerieure s'allonge droite comme unc epce,
d'oii vient le nom de ce poisson ; la grandeur el la force
musculaire dc sa queue causenl cclle extreme vitesse. el
donnent a ses coups d'epee une violence irresistible. On a
vu ce poisson guerrier traverser de son arme le cuivre, les
planches, la charpente el toule I'epnisseur du fond d'un
\aisseau. Moi-meme, j'ai examine au Musee une parlie de
iiavire on se Irouvail cnfonce le museau d'un de ces pois-.
sons, roinpu par la violence du choc.Quand le IJopard rc-
vinl en l72o, des ludes el des coles d'Afriipie, il cut bc-
soin de reparations el ful envoyc aux docks; le doublage
(ilant foriemenl endommage, les ouvriers dccouvrirenl
aussi au has de la carcassc le museau brise d'un gros
poisson, qui avail penelre jusqu'a qualrc ponces dans la
solide charpente; ils dpclarcrent qu'on n'anrait pu en-
foncer une substance pareillc a cello profondeur, sans don-
ner au moinsnpuf coups d'un lourd marleau, landis que le
poisson s'elail conlenle de le fiapppr une fois. Du s'apcrnil
avec siu'prise que I'arme sorlail 8e Tctandiord dn cole de
Tavant, prcuve que le jioisson avail suivi le vnisseau a
dessein : cc qui njoule a la'singularile du fait, la nian-bp
rapide dn navire devant neccssalrenionl amortir lc coup.
Sir Joseph llawis raconle uno cirp(mstauce si mblable,
d'apres le rappnrl d'un capitaino, donl le vaisseau ful aussi
traverse de ci'tto maniere ; rppeo, dans loule sa limgupur,
y resia fortPmeul plongee. Elle ful sciee el envovee au
musee de LonJrcs.
On ]U'elend que ce poisson allaque les homuios. D.uuell
nous dil dans ses Rerrcalions clmmprtrcs, qu'un bomme
recut de cc poisson une blessure mortelle au moment oii
il se baignait dans la Severn, jires dc Worcester.
Connnent expliq\ior pourquoi ce poisson va se heurler
volonlairement contre une masse pareille a celled'nn vais-
seau, bu'sque ce choc doit Ini donnerla morl; car une fois
le coup porle, il ne peul plus retircr I'arme qu'il y laisse
cnfoncce ; on doit supposer que, tronqie par la grandeur
cl la couleur sombre du vaisseau, il a cru rencontrcr une
Laleino, sa mortelle ennemie.
Kien n'egale la terrible voracile dc la scie de mer, ap-
parlenanl ii la famillc des requins ; son museau large el
])lal est gar;ii d'unc rangee de denls aigucs. Vous les avcz
dejii remaj'ques sans doule, ces animaux, dans nos Mnsecs,
qui en renfermenl de plusieurs grandeurs; les uns out
jusqn'ii vingl-cinq pieds de long. On assure que ce poisson
so met souvent ti la poursuile dcs re(|uins blancs, monslres
niarius les pins redonles, el qu'ils parviennenl ii les Iner.
Lc capitaino Crowd a vu, dil-il, nn rcquin s'elancer bors
dereau, el relomber dans un bateau, la chair liorriblemenl
dechirce par la scie.
FSCHE SE I,A BALEINE.
L'liounne no se borne ]ias ii allaipuu' .sur Icrre des ani-
maux plus forts que lui, il provoque encore les monslres
gigantesques dcs mers. La baleine, malgre sa taille colos-
salc cl sa force proiligieuse, est obligee de coder ii la puis-
sance irresistible de I'homme, que Dieu avail appele dans
I'origine ;i regner sur la creation. La gravure rcprosouto
unede ces baloines que Ton rencontre surlont dans les
mers du Sud ; de sorle que la distance lienl eloigiics dc
chczeux, pondanl Irois ou qualre ans, les marins employes
a ce genre de peclie. Vous avez penl-elre vu un onguent
qu'on nomme spcrmacc/i ( Wane de la baleine), vous con-
iiaissez aussi les bougies, timl cela se fail avec une especo
de graisse renfermcc dans une grande cavile i\ I'inlericurde
la leledc I'animal : on dirait, .i la voir, une immense boile
carrce. Quand il iiage, celle grosse lele se plonge el repa-
rail II chaque instant au-dessus de I'eau. La gravure pent
vous en dunncr unc idee, la ligne blanche au-de.ssus de U
tele est un filel d'eau ou de vapour que Tanimal rejelte
tonic les fois que la tote parait ; car il ne respire pas par la
lioucho, mais par une sorle do narine placee juste au haul
de sa tele.ynand les marins, ii bordd'unbaloinier, aperooi-
vcnt unc baleine s'avancer ainsi, ils s'ecrienl ; ic La voilii
qui jaillit ! » On lance aussilol les bateaux, les homnies s'y
prccipilonl ol ramonl de Inute leur force ii la poursuile
de ranimal. pour ratti'indre avanl qu'il dispai'aisse de
nouvoau. Quand ils sont arrives assoz pres, nn des homnies
darde sur le dos ile la baleine une especo de lance, qu'im
nnmme barpiui; I'acimal, en proie ii la douleur cl saisi de
frayenr. so ropbinge ii rinslant dans la profondeur de la
PETITES MORALES.
243
mer;Icharpon n'en reste pas moins onfoiice ilans Ics
chairs, et, au moycn d'une grande corde iju'cn y a lixce, les
hommes de I'embarcalion peuvent toujours suivrc la ba-
leinc. Forcec de reparailre pour respirer, les harpons vien-
ncnl rassaillir encore, el liienlot elle vcpaud anlour d'ellc
des Quts de san^s au momenl de niourir, cllc iDurljillonne
en agilantreaudcsa queue vigoureuse, elproduil un amas
d'ecume; puis elle se renvcrse sur le dos, tommeilansla
pravure. Aussitot aprcs sa mort, les hommes, Icmljoyeux
de leur vicloire, enlraiiieiit le corps sur le vaisseau en
chanlant de gais refrains; puis ils I'altarhent avec des cor-
dcs, lui ouvreul la tele, recueilleni dans des lia(|uels le
speriuaccli. et decoupenlla graisse du corps eii grandes
bandes, qui, apres avoir etc haclices en pelils morccaux,
soul renfermees dans des barils ou elles nc tardi'Ut pas a sc
fondre en liuile cxcelleule, donl on retire Ijeancoup d'ar-
gent. Une fois le gras decoupc, on abandouue la carcasse,
qui n'est bonne a rien.
L'enlreprise de la peclie de la baleine, dans la mer du
Sud, est Ires-perilleuse, et nous ne ponvons refuser noire
admiration aux hommes courageux qui s'y engagenl. Ils
s'emnarquenl sur une mer loinlaine a dix niille lienes de
leurs families, pour aller combaltre I'anim.il le pins mons-
trueux de I'univers dans ses propres domaines. Tantot ils
longcnt des coles arides et affreuses, habilees seulement
par des sauvages cruels ; tanlut il leur faul traverser des
bancs de glace, et si par mallicur le vaisseau allait se
benrlcr conlre le moindre de ces euormes glocons, il serait
pousse dans rahimc. Le temps est si froid, que le brouil-
lard gele sur le pout et forme un verglas snr leijuel les
hommes out peine a se tenir. Tout u coup les voila Irans-
porles sous un ciel brulant, les rayons ardenls du soleil dar-
dcntsur leurs teles avec une violence intolerable. La aussi,
rOcean, un peu au-dessous de la surface de lean, est
rcuqili de rochers trcs-diflieiles a eviter, parce qu'on ue
lesapercoit pas toujours i temps. Maintenanl songez .'i ces
vingl ou trenle hommes lances sur le vasle Ocean, obliges
de se refugier dans leurs pelils bateaux, de ramer elde
parrourir qnelquefois I'espace de niille lienes avant d'al-
toiudre aiicun rivage. Tels sontles ]ierils que ces hommes
affroutcnl sansmurmurer, dansle but dese procurerdeux
el a leur famille une honnelc subsislancc. N'oiibliez pas
qu'ils peuvent echouer, et revenir trislement au bnut do
Irois ou qualre ans, sans avoir rien recueilli de tou3 leurs
sacrifices ou de tous leurs dangers. Les uns nc rencontrent
pas de baleines ;d'aulres en apercoiventqui soul trop pru-
denles pour donner aux bateaux le tenjps d'approcher
d'cllBs : ils out fait par consequent uu long et penible voyage
inulile.
I.'AICI.E.
Si les preuves que je vous ai donnees de I'babilete, du
pouvoir et de I'energie de rhomme, ont excite voire elon-
nemenl, (|ue!le sera voire admiration devant la puissance
et la merveiUeuse sage.sse de Dieu? L'homnie tourne a son
profil les substances qu'il rencontre, mais Dieu leur a
donne les ditferentes proprietes qui les rend utiles.
L'hommedompte el apprivoise les betes feroces, mais Dieu
les a crees tons deux, donnant a I'un, la force et la dou-
ceur, qui en font de precieux serviteurs; a I'autre, la
raison et I'inlelligence, qui lui inspirent les moyens de les
soumcltre.
Les inventions de Dieu sont parfailcs, completement
parfaites. Les plus beaux ouvrages de I'honime laissejit
toujours qnelque chose a desirer. Mais ce que Dieu a crco
ne saurait se perfectionner.
Examinons le vol d'un oiseau, de I'aigle, par exemple.
Avec quelle hardiesse il s'clance de ce rocher maji'stueux
poor fendre les airs. 11 agile ses ailes puissantes, et le voibi
lance a une grande distance, planant aii-dessus des mers
sansquenons |iuissinns nous apcrcevoir du moindre elTort.
Son ceil brillanl roule dans loutes les directions ; bienlot il
apercoit un objet eloigne qui ressemble ,i un pi.dnt dans
I'espace, il s'elunce avec la rapidile d'une fleche. Qui a
pu fixer ainsi son attention et rcvciller en lui toutes ses
facnites? C'cst une orfraie, qui lient dans ses serres un
poisson el qui I'emportc au nid ; I'aiglc ratta(iue dans les
ZH
PETITES MOIIALES.
nil's, el la pauvrc Iicic, incapable dc resisler ii iuie fmce
superieure, enibarrasscc d'ailleurs do son pcsant fardeau,
laisse echapper sn proie; Taigle refermc aiissitot ses ailes,
sc jclle dcssus, cl, saisissant le poisson avanl qu'il relombc
dans I'cau, va dans sa retraile le dovnrer a TaiscTiisle
excmiile de ce pouvoir (yranuiquc diiiU I'bonnclc indiislrie
se voit si soiivent viclime. Mais i-cvcnons aux facultes dc
cct oiseau, a leur combinaison parfaile pour accomidir
sa deslinee ; n'oublions pas, (pi'a regard des animaux, il
faulbiense garder de les juger d'aprcslesloisdiijusleetde
rinjusle que Dieu nous a donnees pour jugor nos actions.
Nous ignoroiis s'ils connaissent le bien et le raal, el si les
instincts qui les entrainent ne lour viennont pas dc celni
dont les reuvres soni parfaites.
Le vol, par lui-nicme, exciie au pins bant degre I'eton-
nement. On vousa peut-clre raconic les diverses lentalives
laites plusieurs fnis par les lionimes, pour essaycr dc volcr
dans les airs, (cnlativcsinntiles jusqu'a present. Lesballons
s"elevcnt a la vcritc tres-bant, mais ils n'atlcigncnt pas le
but ; jamais personne n'a trouvc le nioyen de rcster sus-
pendu dans les airs. Nuns ne Savons meme pas coinplc'le-
ment comment cc prodigc s'opcre pour les oiscaus, ipnii-
quc nous les vnyions cliaipie jour voltiger dcvant nos
yeux. Voici lout ce que nous avons pii oliserver : le corps
cstcreux el pent sc reniplir prcsque en cnlier d'air; les ns
sont aussi Ircs-creux et reconverts dc plumes a la fois le-
gcres el fortes, surlout cellcs des ailes et de la (pienc.
Ajoulez a ccla un sang Ire.s-cbaud, tonics cboscs qui eon-
triljuentS donner al'oiscau |ilnsdc legerete qu'aux aiilrcs
animaux ; puis, les muscles des ailes sont d'une dimension
etd'une force Ircs-remarquablcs.
Rien n'est plus curieux a cLuJicr que la plume d'un oi-
seau ; vous y retrouvez la perfection et la sagesse qui pre-
sident loujnurs aux ouvragesde Dieu. Prenez une plume
ct examinez-la en meme temps (pic vous lisez la descri)i-
tion suivanle. Remarquez d'abord combien elle est forte
en coniparaison dii pnids, surtout s"il s'agil d'un luyau ou
6oi(( d'uilc. La llecbe qui en traverse toute la longueur
estcomposcc d'une espcce de moellc afin dc la rendrc le-
gere;mais, pour evitcr une rupture facile, ellccstcnvc-
loppee d'une sorte d'ecorce dure el unie. Cellc llcrlie est
creuse au bout infeiienr, coninic un tube, qu'on a|qi('llc le
tuyau (ct quelquelbis le oj'lindre) ; d'une substance claii'e
scmblable accUe de lacorne. Pour pins dc so'idile, reltc
substance se compose de deux peaux. Les fibres dc In ]ieau
intcrieure s'etendent eu longueur et se fendent .sons Tongle
qnandon la taille en plume; landis (pie lesfibres dela peau
cxlijrieure renveloppent de Unites parts ct empecbent la
plnniedese I'endreaisiiment, ii moiiis(|uc la peau soil gratli3c
aveclecanif. Duvivantderoisean, une fouledevaissiMiixdc
sang remplis,senl le tube, mais ils se de.sscchent a .sa morl :
c'est 1.1 cette peau que nous Irouvons ii I'inlcrieur dc la
plume.
Kous Irouvons encore dc cliaque cotij de la parlie su-
perieure une foule de plaques minces reguliereiuent pla-
ct'cs et tr(is-rapprocb(;cs les unes des antics. Si vous en
arracbez une, et que vous la regarilicz attentivement, vous
disliiignercz encore au bordune mnllilude de petites bran-
ches, ipii, dans les ailes et la queue, s'aecmchent I'line dans
rauire ; dc sorte ipie la surface d'une plume, malgiela fra-
gilite des inaliercs qui la composcnt, ri'siste louglenqis
avant de se briser, ct sert par cnn.s(_'qiient ii frapper I'air
avoc force en volant. II faut aussi admirer I'epaisscur des
plumes a.justijes sur le corps de I'oiseau, de nianicjre ii le
garanlir du froid, sans qu'elles puissenl se luirisser quanj
il vole raiiiJement.
I,E BOA CONSTRICTEUR.
On donne le iiom de boa ii plusieurs especes de gros
sei'|ii'iils de !'.\iin;riqiie du Sud. Ce conslricteur est ainsi
iiouiuR', parte ([u'il enlace sa proie de maniere a ne lui
laisser aiicun espoirde sniiit. !1 n le iiouvoir do se rcplicr
autourd'uii olijel qiielcoii(|Up; il s'atlache surloulau trojic
d'lin arbre dans la forel, ot alteiid palieinmciit line viclime,
soil une clievre, soil un» gazelle; puis, quand elle s'ap-
rETITES MORALES. ' 215
proclie dd'aibre, le sorponl, anssi jirompt <\w. I'eelair, sc
lance sui- ranimal, I'enveloppe dc ses plis nnnibrcux, et
Tulrcint aver, nno telle violence, que lesosde la viclime en
soul biiscs ; puis le serpent se deroule lenlcmenl el com-
mencp son repas. II nc sc donne pas la peine dc macner ou
de iiicllrc la liele i-n ninrcnaiix, il avale la masse cnliei'e.
L'elaslicile de sa pe.ui lui domic cellc faculle.
A dc'faut de i;ros animaus, 11 esl obli^re dese conlciitci-
di-soiseaus el dps sin.:,'es. La nianiere duut il avale Ics gros
animaux a cle decrile par des gens qui en onl Ole tenioins :
lieji n'est plus cinioux. Le scrpeiil relacbe scs plis un a
nil avec beaucoup de precaulion, les resscrrant Ci pcndanl
de lempsa auU'c comme s'il apcrcevait une elincellc dc vie
dans sa viclime; cnfin il laelie sa proie, puis Ic rcplile sc
mela lecber le corps cnlicr. el Ic rnuvranld'uiic snbslancc
glulincusc, il en fail une masse informe seuddable u une,
momie. Aprcs ccllc longuc cercmonie, le serpent ouvrc
de larires maclioires el se dispose a jouir dc sa conquelo.
11 commence par la tele. S'il s'agil d'une bcle de I'cspice
des ccrfs et des chevres. tout passe a nierveille juscpi'.-i I'ar-
rivee des cornes; ccpemlaul cet obslaclc tie rarrcle pas
encore. Grace a la construelinn des osdc sa ni.iclioire, elle
prend une telle extension, i|ue les cornes finissent par y
enlrertoul enliercs. L'opcrallon se ralcnlitcnsiiile. On pent
meme suivre les progres que fait la proie dans leslumac
par la pointe des cornes, (|ui scinblcnt toujours pres de
percer la pcau. La digestion d'un vidunie pareil e.xigc or-
dinairement ipielques sLm.iines. I'indanlcelenips, les cor-
nes disparaissenl graduellemeiit jusqu'a ce qn'cllcs devien-
nent invisibles, el la pcau ijonllce cl Icndne reprend ensuilc
sa forme et sa dimension habituedes. Le boa, pendant le
travail, pcrd loulc sa puissance el pent ii peine so rcniuer.
Si les Indiens le rcncoiilrent dans eel etal, ils rallaqueiit
«t le Uienl sauscuurirlc moindre danger. Le boa n a pas
ae nelcnses vcnmeascs comnic les aidres serpents; sa Torce
scu'.c Ic rend daiiL'creu.x.
rE POISSOM VOLAKT IT IE DAUPHIN.
Le poisson volant esl ,1 pen presde la grosseiir du ha-
reng. d'un aspect argenle, el passe pour tres-commun dans
rOcc.in du Sud. ^cs longues nageoires lui permcllent non-
soulement de sauter bors de Lean, mais de se lenir dans
I'air a une grande distance : ce n'est aprcs tout qu'iin bond
tres-elcve, (pji a pour butd'cchapper a la dent meiirlricre d«
poissons pins gros que liu qui le ponrsniveiit avec .-irhar-
nemcnt. Le dauphin, comme on le voil dans la gravure, usi:
delouteson agililcels'efforrcdelesaisir; puis.uuand noiri;
poisson se refugie dans I'ajr. de grosoiseaux de proic sont
la qui rallendent. tout prets a le devorer. Ainsi nous vnvons
ce ]ianvre petit poisson epouvanle, environne d'l-nnends:
quand il relombe dansl'eau, rimpitoyable daupbin 1 allend
encore pour le bapper. II arrive souveni que les poissons
volaiils lombcnlsur les vaisseaux, quand ils prenneni leiir
idau. J'en ai vu plusieurs escmples.
L'ttil se rejouit a la vne d'un troupeau de ccs pois.sons
volanl dans les airs, ce ipi'on pent admirer tons ies joui-s
en mer, dans les parties cbaudes du globe. Ou dirait d'a-
b(ud de blancbes hirondelles; ils lirillent au soleil comme
de I'argenl poll, et Icurs ailes minces et Iransparentes, ou
plntul leurs nageoires, lessembleut de chaque cole a de
246
PETITRS MORALES.
legcrs lUinjcs. lis so n'ninissonl i|iiPli|Hof(iis an iininlu'c
d'linc cenlaino, cl li' Iroiiin-aii se loissc il'orilinnire iliriirer
par un chef. Comine ils olllcin'ciU In surl'iice tloscaiix, jVn
ai vu quclinii'fciis i|ui lii'tirlaicnt uno V0!,'iie nu mrmit'iil de
se lever, el c|iii j.iilliss.'iii'iU cxarlemeiU ihi inilleu.
Lc d.iii|ililii ii'cst pas 1111 poisson, il a|pparliciit pliilot a
la classc d'aiiimaiix dniil la lialeiiie fait parlie. II n'a, au
fait, d'aulre similitude avec elle, si ce n'cst la forme et
riiabilude de vivrc dans I'eau. Lo.s diiii|diiiis snnl dc plai-
santes crealures; ils se rcuiiissent, foniieut compai^'jiie et
vieniient volonlicrs auloiir d'un vaisseau. Rien n'est plus
dn'de ijue Icursacces de sniele ; ils s'approchent tres-pres,
IVil.ilranl taiilul d'un cute , taiilot de Tautre , quelquefois
paraissani au dessus de I'cau, puis se replongeanl au fond
lie la mer. C'est ainsi (|u'ils suivcnt le vaisseau pendant
des heiiies entiercs, toujours sautant, toiijours culbutant,
,iusi|u'a ce que Talarmc se jelte lout a coup parmi eux,
ou qu'ils apercoivent un poisson a leur convenance. Dans
ce cas , la troupe cntiere s'elaiico en plciue mer, el ou la perd
bienlol dc vuc.
£%•
ON AVIS A I.'ARISTOCRATIE.
Le baron Alderson, aux assises de I'cte dernier, adressa
les remarques suivantes a« grand jury du comle de Suf-
folk ; « Dans le conile voisin oil je viens de faire la lour-
«nee annuelle, j'ai trouve ce que je craiiis bien dene pas
elrouver ici, iin jourde repos; je I'employai a visiter le
«pays, et j'eus le plaisir d'assister a une partie de crosse,
«a laquelle avail pris part un noble comle, lord lieutenant
(iducomte. II jouail avec les maicliands, les lalMiureurs et
«tous ceux qui rentoiiraient ; je ne crois pas que cetle
aconduite diniinu.it le respect qu'on lui doit: on Ten ai-
« mail .seiilement davantasje. Je pensc done que, si les no-
iddesse meltaient plus en relation avec les classes info-
« rieures,le royauine d'Anglcterre ct la .soeiete tout enliere
0 se Irouveraient etablis sur des bases beaiienup plus soli-
«des. Je voudrais pouvuir convaincre tout le nionile dc
acelte verile. »
SE XA CONVERSATION.
Neparlez pasde musique ;i uu nn'deeiii, ni ile niedeeine
a un violonisle. a moins que ce dernier soil nialade, ct que
le medecin se trouve au conesrt. CeUii doiit la eonversa-
tion roule toujours sur les niatiercs qui lui soul familieres
agit envers la societe comme la cigognc euvers le renard,
lor.squ'elle lui otfrit a manger dans une cruclie profondc
dont iiullc creature ne pouvait rien lirer, si ce n'est I'oi-
5cau ail long bee.
XES BONNES MANIERES.
Les bonnes nianieres sont la lleur du bon sens, on
pent en dire aiitant des bons sentiments ; car, lorsque la
loi de la bieuveillancc est gravee au fond du cncur, elle
conduit au desinteressement dans les petites choses comme
dans les grandes, elle inspire ee dcsir d'obligcr, et cet em-
presscnient a procurer du plaisir aux autres, qui sont les
sources des bonnes nianieres.
EXTRAITS
d'uM VIEUX JIOllALlSTf 1 T A I. 1 K >'.
n (TcKt une sotle chose (|iie le cordoniiier delilierc sur
les lois civiles, sur radminislration de la republique et
sur la nianiere dont se fait la guerre. Les grandes cho.ses
demaiideiit beaucoup de lecture, et il faul, pour les diri-
ger, aviiir beaticDUp vu et savoir agir avec un examen at-
teiitif. II est raisiiuiiable que ce qui concenie la mede-
ciiie soil demaiide aux medecius, et que le forgeron se
iiiele de forger. Lc conseil ne doit cti'c reclame ipie pour
les choses douteuses et sur lesquelles noire opinion va-
ric. 11 faul conseiller Icntement et avec maturile; I'avis
aJopte, I'executiou sera proinpte. Le conseil ne doit point
porter sur le but, mais sur le moyen d'y arriver. Ainsi
les medecius ne cimsultent point sur la sanlc, mais sur
la inaiiierc de vivrc saiu. Dans le gouvernemenlj on ne
rnriTEs
disserte pas sur la pals, niais siir Ics moycns de I'ob-
lenir. »
La maxime, source de tani do crimes ou do lacheles, qui
pretend que qui veut la fiii veul les mnyens, ne pouvail
clre approuvee par le piMiie moral duclirislianlsiiip.
« Celui qui conseille par d'injiisles raisous est un niau-
vais conseiller, quoiipie le Init qu'il a iudique ait ete
alleint.
« Toule vcrtu est, par sa nature, vnisiiic d'un vice, et
elleen est souveril si proclie, qu'il est difficile de les dis-
tingucr. Les liommes verlueux sont exposes a I'injustice
du public, parce que leurs actes peuvent elre aiscment
rejardes comme vicieux. Calon, avec une force d'.ime
invincible, choisit la mort utique plutot que de voir le
tyran victorieux ; il a etc celebre avec grande gloire
par de tres-sages esprils pour avoir refuse la vie apres
h liberie perdue. Une telle vertu pourrail loutcfois ctre
amuindrie, cliangee en vice, et Calon traite de vilet depu-
sillnnime comme ayant prefere de sc tuer de desespoir, lors-
qu'il vit laforlunc favorable luimanquer, plutotquede s"ac-
commoilerasonniallieur.C'cstaiHsiqued'autresonlctejuges
infames pour s'elre tues d'uiic seniblable manicre. Beau-
coup, dans les memes circonstanccs que Caton, apres s'etre
defendus avec courage, presses park necessiie et vaincus, se
rcndirent a Cesar. Ceux-ci meritent d'etre loues, parce
que, devenus csclaves sans leur faute, ils aimerenl mieux
soutenir avec fermete la mauvaise fortune, que de mettre
un terme a leurs maux par un laclie trepas. Leur suicide
cut paru un crime, parce que leur vie passce ne les egalait
pas a rausterite de Caton, et qu'ils n'avaient point assez
de vertu pour choisir une telle mort. »
MO HA LES.
2.'.7
ADTRES XXTRAITS
DE QDELQDES ECBIVAINS C AI II 0 L 1 QC E S tTHANCEnS.
Longtemps avant que les pbilosophcs moJernes se fus-
sent avises de regenter la societe avec plus ou nmins de
prudence et de sagacite. d'adinirables conseils de vie pra-
tique se trouvaient epars cliez les ecrivains ilaliens et es-
pagnols. Nous citerons quelques-unsde cescon.seils.
(1 Le veritable merite de cbaque vertu git dans rarlion,
et Ton n'y arrive qu'avec les moyens proprcs a cette action.
Ainsi on ne pent etre liberal ni magnitique sans argent.
Qui vivra dans la solitude ne sera jamais ni fort, ui juste,
ni experimente dans ce qui iniporte le jilus el dans le gou-
vernement de la chose publique
« Telles sont la necessiie et I'ntilite dcs amis que, sans
cux, personue ne vouJrait de la vie. La phis grande pros-
perite ne nous suffirait point, n'ayant personue avec qui
en jouir; et dans I'adversile et la misere, les aniissculs
soulagent, consolcnt , plaignent et secourent. Cnmbien
d'amities ont etc plus intinies et plus lideles que les po-
lentes, qui n'empechent pas les liaines les plus acbarnees?
L'amitie est le seul lien qui mainlienne les cites; sans lIIc
non-seulement une cite, mais la jdus petite conq.agnic
tomberait dans la discorde, la dOsunion. et ne duiTiail
point. Aussi a-t-on pretendu que les Irgislaleurs d(,iveut
I'lus s'allacher i I'uniou et a la couconle qu'i la justice
mrine, puisque l'amitie vrrit.ible est toiijours juste. L'a-
niilie est ce qu'il y a de plus prnpre a conserver la riebCsse
publique ; rien ne Teliranle plus que la liaine : il ne s'esl
point tiouve dc puissance ni d'empire si cleve qui ait su
y resisler
(c L'argent fut trouve comme un moyen Ires-propre a
cchanger les clioscs necessaircs aiix usages de la vie; car
si la variete et la niultituile de ees choses etaient egales,
l'argent serait tout a f.iit inutile. Mais leur inegalite a fait
imaginer l'argent, qui en egalise les differences. Que l'ar-
gent soit moderemeni drsire ; qu'on ne le recherche que
pour les choses exemptes dc vice et de bassesse ; qu'il soit
conserve et accru avec soin, en s'abstenant du superllu.
II y a deux sortes de richesses immoltilieres. La premiere,
a lavdle.quise compose de maisons, de boutiques, ctautres
lieux. que Ton lone. Les revenus n'augmentent ni la ri-
cliesse de la cite, ni celle de tons les corps civils, puisque
I'aigenl passe seulement de I'un ,i I'autre. 11 n'y a point
de preceptes a donner sur celle malierc : les lois, les cou-
tunies el les st.itiits publics la reglenl. La seconde snrle de
richesse imiuobilicre consisle en domaines ferliles , en
terres qui ju-oduisent des choses neccssaires a la nourriture
et a rornement de I'homme.
« De Ions les exercices humains, aucun ne doit ctre pre-
fere a ragriciilture. laquelle, doiinee par la nature, est sans
violence ni injustice; landis que dans les autrcs exercices
il est difficile de ne pas faire tort a quelquun pour arriver
a re qui' nous est utile. Sans rien ju-endre a personue,
ragricullure fournit abondamnient aux lionimes ce qui leur
est nccessaire; sans elle les aulres arls seraient nuls, et la
vie humaine serait grossiere, inculte, bcstiale
n Les ports dc mer, ou du moins les fleuves navigables
soul d'une telle ulilile, i|u'on regarde jiresque comme im-
possible que la cite qui en est privee ou eloignee puisse
jamais devcnir tres-rcspeclable. Le c^immercc jirodiiit en
grande partie les avantages qu'on retire da dehors. Sans
port il ne pent se faire qu'avec heaucoup de difficulte et
pen de gain. L'experience, mere dc tonics choses. a depuis
longlemps denuinlre celtc verile, et fait voir qn'un grand
uomlire de peuples, an moyen des canaux creu.ses avec art
et industrie, dcs lacs decharges ou des lleuves detournes,
se sont cree dps ports dans leur voisinage, ou sont par-
venus a navigiicr vers d'autres sur de pctites cmliarcalions.
Les ports deviennent d'uue grande utilitc a tout I'litat,
quand ils recoivent bcaucoup dc navires, qu.'il faut etre
sfiigneux d'y attirer. Pour que la confiance du commerce
soit ferme, geuerale, et qu'elle porte ses fruits, il faut re-
chercher et maintcnir inviolablement I'alliance el la bonne
vobnle des puissances voi.sines et cloignees. A cet effet,
les arniees et une population aguerrie sont encore ncccs-
saires; c'est ainsi que se conserve I'houneur national, et
que Ton ne recoil point d injures. »
EXAGERATION DES MODES TEMININES.
EVTRAITS b'r.V Al'TCl'R EsrAGNOL.
LA MECIil-rS!;, — lA BoniOCE DE BIJOBX.
X J'.ii vu )iar la ville des mode?, dil un vicil auleur es-
pagnol, regardees comme deshoiineteset effronlees, prises
2^5 US ILLUSTPiES FltANCAIS
liienlot d,in5 los foles ot Ics solonnilus pni-ln fleiii' dcs noliles
damps lloiTiilines; dies sonililnioiit clicz cllcs asroables,
cnjouces, grncieuses. Cos dames so docollelaienl ol lais-
saient tonibei' Icurs roLcsjusqu'au-dcssous de la poilrinc.
Un (cl exoesparaissaiu viciciix, ellcs comnioncei'cnl ii rc-
moiiler leurs collerelles, et (cllemcnt, que ccUes-ci arri-
vei'cnt par-dcssus Knirs oreillcs. Enlin, npres ccs deux
exircmites, ellcs s'.iirt'torcnl a nn milieu raisonuahle, qui
dure oucorc et durera laiit que la mode I'exigera jusqu'ii
ce que rune ou I'aulre des deux premieres inauieres rc-
vienuo. 11 taut suivie I'usage avec convenance; careerlai-
nesciioses liounes peuveiU devenir mauvaises par la force
du lumps, du lieu el dcs persouiies devajit qui ellcs soul
failcs. u
On suit les modes jusquc dans les allitudcs et nicine
dans ics lialjiludcsdercsjirU. (juand un roman senlimeiital
el iarmoyaiu a paru, el que la mode lourne aux plcurs, un
ccriain nombre de demoiselles cplorecs se presculent a
vou.s sous fasjiccl lacrymal el peu agreable que voici : *
de celui-ci, de la suivre, de nianiere qu'cn lout, rordre
regne a rintcrieur. Jeune, qu'ello se couronne de roses ;
vieille, quelle soil simple et grave, et lie resscmble en
rien a ces boutiques de bijoux que certaines dames parve-
iiues et agees s'avisent de faire rcsplendir sur leurs im-
perieuses ruines.
L'ancieii moraliste ne parJonnc pas ces affectations des
pre<Meuses Jaerymales ou aulres ; il tonne aussi conlrc la
cnquelterie.
« Le idus digne ornement de la fcmmc, dilil, est I'hon-
nelete d'une vie reglce et bien arrangee. Les aulres orne-
inenis delft parure et dcs alours depeiiJenl de la ricliesse
et de la condilion; ceux-ci, avec de la mcsure, ne sont
point digues de bblme.
a Varron avail coulume de rcpeler que, si la dnuzienie
partie du soin a|qiorte cliaque jour a avoir du bou ]iain
ct uue bonne cuisine elait mise .i pcrfeclionner sa propre
famiUe, depuis longtenijis tout le moude scrait parfait. »
« La femnie doit cxercer sur clle la plus gramle sur-
veillance; nou-seulemeiit elle ne doit point s'adonnci- a la
coquctt' rie, niais il faul qu'clle eebappc nieme au soupeon.
a L'oflice propre de la fenime est d'etre soigneuse du
gouvenienieiit de la niaison, de pourvoir u ses besoins, de
savoir l9Bt ce qui s'y fait ; do vciller a tout cc qui la con-
sei'ue, d'en conrcreravcc son mari ; de connaitre la vulonle
« De tons les amours liumains, il n'en est point de plus
fort, dc plus naturel que raiiiour conjugal. L'ulilile, les
avantages, le secoui's que Ton se )ir('tc mulnelleinenl, ac-
croisscut et rcsserrent cctte affection. On sent que Ton ne
pent rien I'un sans I'aulre, ct ((ue pour ctre bien il I'aul
s'aiiler. La vie de I'liomine dure peu, et I'on desire ainsi
s'elcndre par la suite dc ses rejelons. La principale affaire
domcslique est done le clioix de la femme ; qu'ellc soil
dune bunicur assortie a celle du mari, sans quoi il n'y a
point d'amour parfait. Telle est la force de la communaute
de sentiments, qu'elle double la puissance el assure la ri-
cliesse. »
LES ILLUSTRES FRANCAIS.
FIEHB.E CORNEIX.LE.
L'autour de la I'ticellc tint la plume contre Corneille, et
jes Sentiments dc V Academic Irau^aisr stir le Cid paru-
rent impriuies en 1058. L'Academie conchit « que le sujet
du (lid n'esl pasbon, qn'il pecbe dans son denoumenl, qu'il
est charge d'episodes inulilcs; (|uo la bicnseancc y marque
en beuucoup de lieux, aussi bien que la bonne disposition
du theatre, ct qu'il y a bcaucoup de vers bas et des famous
(I) loi/. le ji" VI. p. 183.
LE LIVUE OE LA SAN'TE.
2i!)
de pailfr iniimres, etc. » Ce jiiuemeiit dc I'Academie iie
ful faclieu:; que pour elle ; le public le cassa, et louglenips
apres Boiieau disalt :
En vain centre le Cid un rainistrc se ligue :
Tout Paris pour Gliiraene a les yeux de Itodrigue ;
L'Acaileniic en corps a beau le censurer ;
Le public rcvolte s'obsline a raJmircr.
En 1639, Corneille donna Horace (qu'on a (Icpuis mal
a pmpos appele les Horaces), I'l, par une vengeance dignc
dc son genie, il dedia sa piere au cardinal de Hiclielieu.
L'annee 1659 , apri-s Horace parut China. Lorsque
Calzac eut lu cctte piece, il errivit a I'auleur : i< Jc crie
miracle!... Vous nous faitcs voir Home ce i|u'elle peuteire
a Paris, et ne I'avcz point Lrisee en la remnant. Aux en-
droits oii Rome est dc brique, vons la relalilissez de marbre ;
(piand vous Irouvcz du vide, vous le remplissez d'uii chef-
d'lcuvre, et jc prends garde que re i|uc vous prolez ii
riiisloire est toujours meilleur que ce que vous emjirunlcz
d'ellc. »
« Avant que Polyeucte (ill joui', en 1 640, dil un criticiuc,
Corneille avait lu cette trngcJie sainle a Vliolel dc Ram-
bonillet, « souverain tribunal, dit Fonlenelle, dcs affaires
d'esprit en ce temps-la » Voilurc se cliargea de faire con-
nailre a Vauteur que sa piece avail etc gOiicralcmcnt coii-
damiice, et Corneille, alarmi', allait la rctircr de lY'lude,
quand il fut delounie de ce dctscin par un comiidien obscur
nomme la Itoqiic, qui,Jiigeant micnx ([uc tout I'liutel Ham-
bouillet, eut le nuTite dc conscrver a la scene francaiseuii
de ses chcfs-d'ccnvre. »
Corneille fit represcnter en K'lil, la Mori de Pompee^
qu'il dedia au cardinal Mazarin. " II y a, dit rautenr,_(picl-
quc cbose d'exiraordinaire dans Ic litre de ce poemr, cnji
porte le nom d'un licros qui n'y parle poiiit, ina'is"()ui ne
laisse pasd'en etre le principal aclcur, ]iuisque sa.morlcst
la cause unique de tout ce qui s'y passe. » Le role dc Cyr-
nelie est admirable, u De toutes les veuves qui out paru
sur le theatre, je n'aime que Cornelie, ecrivait Si(irft-jy-(c-
mond; mais je n'aime pas '' ^
Dcs morts ut dcs muurants cent nionlagnes plainlives. »
Corneille reconnait qu'il a pris dans le poeine de la Pliar-
sale les plus belles pensees de son drame; il pjrait aussi
s'etre Irop inspire du style de Lucain.
La comedie elait a naitre; on n'avail point encore
songe.aux micurs, aux caraclcres, lorsqu'en 16i2, Cor-
neille lit jouer U Menteur, dont deux siecles n'ont pu
affaiblir le succes. Ainsi etait reserve a Corneille Timmor-
lel lionneur d'etre le Pcre du Ihialrc. Le IUcnlcur est
imitci d'une jiiece espagnole, la f'crdad sospecliosa, que
Corneille appelle, dans sa Iprefacc, une Merrcille, et il
ajoule : « Je ne trouve nen qni Itii soil comparable en ce
genre, ni parmi les anciens, ni parjni les moderncs. » L'o-
riginal, qui fut d'abord alliibue a L(qje de Vega, depuis
a ete reconnu eire de dun Juan d'Alcaron.
En 1645, Corneille donna la Suile du Menleur, imitee
aussi d'une piece espagnole de Lope de Vega , inlilulee
Amor sin saVer a quien. •
Rodugune fut representee en 1646. C'est de toutes Ics
pieces de Corneille celle qu'il preferait; le succes en fnt
tres-grand. La meme annee, fnt jouee TUeodore. tragedie
SaiDte, tiree du deuxieinc livre dcs Vicrgcs de saint Au-
gustiti ; la sonic idee dc I'im^dicite dc Theodore e.i cm-
pecba le succes.
Hcraclius fut donne en 1647 ; il conlicnt dc grandes
bcautes ; on y trouve cc vers cclebre ;
Tyran, descends du Irone, ol fals place a ton raailre.
Tourncminc a prouve que VUeraclius espagnol, .sous le
litre dc I'uut dam la vie est mcnsonge cl vcriU\ elait pos-
terieur a VHeraclius franrais. L'liistorien de I'Academie,
Pclisson, raconte ingunumcnt que d'abtird elle lui prefera
Ic president Salonwu; puis .M. Faretelanl mort en 1646,
elle luj prefera encore du llyer ; el enfin le grand Cornedle
ne fut rccu en 1647, que parce que I'obscur Balesdens,
qui,allait,lui etre prcfere encore, ecrivit, « dans une lelLi'e
0 plcine de.beauconp de civililes pour I'Academie et ]iour
u M. ^Co/jiejlHe, qu'il priait la compagnie dc vouloir bien
u le pr<;fei:eH a lui. »
Ciifl aiiisj ,que jugcnt les liommes.
.\prc< ct^s cliefs-d'(cuvre son genie Laissa lenlement, non
s.aiis_ doimer dc frcquenles et vives Incurs; il mourutle I"'
oclobi-e U8i,.ct ful inhume a Saint-Boch. Le marquis de
Daciji'au i-crivait alors dans ses memoires : « Aujourd'hui
est niorl le bouhowme Corneille. »
I'icrre CornciUe avait eponsc, sous le regno de Louis XIII, ,
ui;c Idle du lieutcnaiiit,gencral dcs Andelys; il en cut trois
Ills : I'aine, cajiitaliie dccavalcric clgentilhommc ordinaire
du roi, ful pcre de « I'icrre-Alcsis, qui, dil un biographe,
ful;uirie..i Severs ci> 1.717, et donl le Ills donna le jour a
Jcanuc-Maric CorncHle el .i Pierre-Alexis; ce dernier a
laisse cinq cnfajils, donl trois .sont encore vivants; Pierre-,
AJexis, qui en 1817, elait rcdnil a demandcr au niinislere.
des'linances une peiilc |daco « au nom du grand Corneille, -
doul je suis, cciivail-il , le vrai sang el ligne dirccte, » a
clc'ngmme dcjiuis professeur au college royal de Buuen.
LE LIVRE DE L.V SANTE.
AHECDOTES MEDICALES, FAXTS ET CONSEILS REI^kTlFS •
A LA SANTE OE L'HOMME.
BES STIBIDLANTS.
Excilalions faclii-os. — Leur ilangcr. — I.e Tabac. — L'AlrooI (IJ-
« Mes premieres anuees, dil un philosophe, comme des
auciilres prodjg i3s, out desherile les dernieres. Si je ne ■
complc pas cela au nonibre de mes remords, je le mels au
premier rang de mes repenlirs ; car, pour tout fairc, et
surloul le bien, la saute est le premier des outils : il est
Lien diflicile dc conserver une ame saine dans un corps
cacnchymc. »
Un liomme, par ignorance, par laisser-aller on faux
calcul, s'abandonne au luxe, a la bonne chere, al'oisivcte,
a une recherche ctudice de jouissances sensuellcs, ener-
(1) Cos cxfpllcnis conscits, fjue Ton ne peut trap refomiii:in(lcr 5 Iocs
k'S .Igcs, a loutcs les conslilulions, i lous les elal?, auiuurd'hin surloul
que riiabuudc, I'ciniui et Icxcuiple uiiivcrsels preiiitilcin les lioninies >crs
uiie surexrilalion violeiile. sunt ilus ^ un nieiiccin )iliiIoso[iUe, trudit de
bonne loi, p\:t 'lent errivain, H. le docleur Hcvcillc-Parisc.
32
830 LE LlVnE D
Tantes;il passe laborieiisemcnl sa vie a ne rien i'aire.
Qu'arrive-t-il ? L'ini|ircssionabilil(; exlremc , c'esl-a-ilire
line scnsibilitc presque moiiiide, se iiianifesle; un li'gor
stimulant acqiilert alois des proportions extremes, le tissu
niusculaire s'amollil, Ics orijancs s'affaiblissenl ou ne
reagisscnt pas snfllsnmmcnl; nne liypersecrelion dc graissc
augmente Lienlut eo fatal elat de dehilitu. Si ect lionimc
ne s'arrcle pas, ruminant sa palnre de bion-etre materiel ;
s'il tombe, comme disait le cardinal de lliclielieu; « dans
celte nature terrestre et porcliiiie qui se repose dans son
lard, » il est certain que, par ce regime inerte d'une pari,
abondant et surazote de I'autre, il arrive li une jdetbore
morbide, ii une prostration vitale, source iuDnie de dou-
leurs.
Or, la nialadic est nn rude pli aux feuilles des roses sur
lesquelles de pareils imprudcnls ainient a s'etendre; et ces
obeses, charges de ventre et d'inllrmiles, en sont dc Iristcs
et d'irrccusablcs prcuves. Combien une parcille disposi-
tion est loin de eelle on Ton reniari|uc une lutlc viclo-
riense de rorganisme contreses ogcnsmodilicalem's; Inlle
qui donne un corps robusle a quiconque, etant done d'une
activile puissante et bicn roglcc, I'exerce pleinemenl,
liardiment, quoique toujours dans des liniilcs compatibles
avec la sanle ! I,e mot s'endiircir, si energique el si vrai,
cxprime iiarfaitcment cet elat d'energie conslnnte d'nn
liomme sobrc et aclif qui porte les prcuves d'une vigon-
reuse complexion sur ses membres, comme souvent aussi
la gaiete dans son cociir, le calme dans sa raison. La force,
la sante inallerable, s'il en est, sont les consequences na-
lurelles de celte activitemcsuree, qu'on nedoit pas cesser
de eonseiller. Ce jirincipe s'elend a lout, aux travaux
comme aux plaisirs ; car il ne faut pas croire, ainsi que
le prclendait un liomme d'esprit, que bien regler sa sante
« se reduit a ne pas manger de truffes, de peur de crampes
d'estomac. » Non, il faul, en toutesclioses, apprecier net-
tement la vie el la ealculer au plus vrai. Suivant la veri-
table et bonne manicre de compter, le bonbeur n'est que
la somme des plaisirs, ipiand on en a retrancbe les maux.
Jecrois que Ton doit elre tres-satisfait du ealcul si le rc-
sultat est zero.
Vous slimulez energiquement , vous montez les rcssorls
a un degre exccssif , altendez-vous a un resullat funesle et
infaillible. La faiblesse, la prostration, I'espece d'anean-
tissement passager, qui out lieu apres do violentes sur-
cxcitations ( ipielles qu'en soienl les causes), en .sont les
preuves manifestes. Ces effets sont toujours proporlionne
a rintensilc des causes, a la duriie de touto action, compa-
rees a Tetal des forces organiques en exeilabilite. Or, c'est
prccisemenl celte comparaison qn'il s'agit de f.iire. On
p'ourrail presquedi'linir la malmlie comme le vice, un faux
calcul de probabililes, une estimation erronee de la valcur
des plaisirs et des peines.
L'allrail du plaisir est surlout I'ecueil ou Ton eelione.
L'liomme, ce grand enfanf, conduit par la folic, seinble
dire : Donnez-m'en trop. De la ces besoins. pcrpetuels de
sentir exalter la vie sous toutes ses formes et par une im-
mense variele d'impressions ; de la encore rinlluenee cor-
rosive du sybaritisme *; la vie opulcnte mal dirigve ; car
de la satisfaction outree d'un besoin nail un besoin de
plus ; c'est ranli([ue fable du tonneau des Danaidcs, ce re-
sullat deja signal- de la loi pbysiologii|uc dout nous avons
parle. Aussi est-il plus que douteux, pour quicon(|ue re-
llOchil, qu'il y ait aujourd'bui, au foiul dos iimes, plus de
E LA S.\NTE.
contentcment. plus de vrai plaisir que dans les leinps an>
ciens, qnoiqu'il y ail iuconqiarablemenl plus de luxe, do
recliercbe, dc confort dans nos maisons, dans nos vele-
raenls, [dis de rafliuemenl dans noire regime, plus d'in-
slruclion dans nos teles. La nature de I'bomme n'a pas
clinnge ; cela est si vrai que resperiencc ne corrige point :
on a tons les jours des millions dc preuves de danger de la
surexeitation organi(|ue; mais, passant inapereues, elles
soul frappees d'inutilile. Quelle peut ctre la cause qui
poussc aiiisi I'hommc dans I'abime? D'une part, le desir
toujours aclif d'etre emu ; de I'aulre, c'est que le danger
ne devienl jamais immediat. Selon Montaigne, pourqnoi ne
met-on pas sa main au feu? C'esl que la brulure se fait
aussildt sentir. Mais il n'en est pas de raeme dans les ecaris
Le [iiiscur liebi'lt^.
et les pas.sions de la xie liunialne. Le chalinient est nean-
moins tout aussi certain, si on ne s'arrcle pas; el, comme
dil cxci'lb'iumeHl I'lularque, ii nous appelons retard, dans
noire ignorance, le leinps que la justice divine emploie a
soulevcr I'bomme pour le precipiter. » Cetlc rellexiou d'un
ingenieux )ibilosoplie de Tantiquile csl en tout applicable
a la juslice de la nature ; c'esl ainsi une iNomesis qui,
comme celle de rantiipiili', peut accorder du dclai, mais
n'aci|uitle jamais le coupable. Les lois qui prononcent le
chalimeul sont cel!es niemes de I'organisme ; elles ont elii
la condition de I'exislence bicn reglec; elles appliqueul la
peine a I'exislence anormale. Cos lois consliluenl la neces-
silc ou In nature des cboses, conire bnpicllc il ne peut y
avoir d'appcl.
Celte secoudc nature qui, devenue guncrale dans I'eco-
nomie, prcnd le nom de tcnqn''ranienl acc|uis, ne laisse
Ires-S9tivent ancnue force a la raison : le besoin faclice,
imporluu, cxigeaut, renait il cliaque instant, en vertu de
cetle loi pliysiologique, qu'un organeclani excite, devenu,
par cela nii'me, plus excitable, sollieile le rclour freipient
de I'c'M'ilalion, el cela dans uue progression iuliiiie. Muissi
LE LIVRE DE LA SANTB.
231
la force (I'une volonte supoi-icure ou dcs circonslanccs
elrangeres iie changcnt ce licsoin, nc dc I'liabiludc, on
peul lomber dans l.i faiblcsse indircclc oil u|miscracnt far
cxces dc slimulation, surlout cii s'aljaudonnant aux gros-
siers iiislincis de ranimalitc.
II resle done prouve que la vivacilc, la conlimiitc des
impressions, memo avcc la tolerance de I'liabiliide, ne
peut SB prolonger au dcl;l d'unc ccrtaine mesurc; il faiit
s'arrcter, se limiter, sc faire une raison, sous peine de
souffranccs mullipliees. Niianmoins, chez lieaucoiip d'hom-
mes, il n'en est pas ainsi. On sait que rien ne coiite pour
cenrler I'cnnui : la faini, la soif^ los exiremes fatigues, les
Hots de la mer, Ics canons foudroyants. la nialadie, la
niort, sont dcs sccours |iour apaiser le monslre; les fo-
lies, les crimes, les prodiges des arts, les devouemcnts, la
inisere, n'ont souvent pour origine que la lerreur de I'cn-
nui. Que n'a-l-on pas fait pour le comballre? II est des
hommi'S qui craignent nu^mc raffreiise nionotonie d'un
bicn-elre pcrpetuel ; ils veuleni dc I'agilalion ; ils savcnt
qu'un siccle de vie sans ennui ne scrait qu'un nionienl.
yu'on juge alors qnand il y a des liabitudcs (.■ni-acinees!
quand un second temperament est pour ainsi dire super-
pose aa premier ! la doulcur, repuisenient, la maladie,
la hale de la morl, sont des digues tout a fait impiiissau-
tes; c'estce que Ton remarque cbcz les joueurs efficnes,
chez les indiviJus babitues aux liqueurs forlcs, a fumer le
tabac et surlout I'opium, etc. La ineiiie remarque est en
tout applicable au moral, car il se lie toujours aux excila-
lions organiques; lacbair est la complice ct I'inslrument
de I'espiil, dans le ma! corame dans le bieu.
Pousse par cetle disposition instinctive, que tout organe
excite dcvient, par cela menic, plus excitable, il se laisse
aller a des exces dont les resullats sont iufaillibles, quoi-
que d'abord inapercus; et dans les futurs contingenis, la
surexcilalion, maler sceva cuiiidiuum, ]iarvienl bienlot a
iin degre oil il n'y a plus d'equilibre possible entre I'exci-
tcmcnt ctl'excilabilile; la sanle est des lors a jamais com-
promise. C'est a ce point desaslreux oil arrivent les debau-
ches, les voUiplucux imprudtnts, sans calcul, sans mena-
gemenls, sans rellcxion. DiremiHaphysiqucnient ; Lacbair
est faiblc, c'est exprimcr en memo temps le besoin d'exci-
tation inherent a rorganisine ct les dangers de la surexci-
tation; car, si la chair est faible, I'esprit n'est pas tou-
jours prompt, c'esl-a-dire que Ics delerminalions inslinc-
lives re'mportcnt trop souvent sur la raison ou la force
inlellecluello.
En effel, ce qui use et ronge I'cxislence .i noire epocpie,
ce qui I'affaiblil et Tcpliise, c'est le poignant di-sir de s'enri-
chir, et le plus tol possible, au risque memo dc ne pas jouir
dece quel'on a gagne, oblenu, accumule. Aiijourd'iiui,les
aiguillons de la personnalite pressent I'homme de toutes
parts, ct ne lui laissent ni repil, ni delai, ni repos. Or,
croit-on que I'activile devorante, I'esprit tracassier, ardent
el impiloyable des affaires ; que se lourmenter sans cesse
du present et de I'avenir, s'agiler vivemcnl .sous le f juct
des iulerels, regarder le surplus non comme iiecessaire,
maiscomme iin imperieux besoin ; sc baler de vivre [lOur
acquerir, chercher a tout prix la forlune, a rclreindie
corps a corps, en s'exposant aux chances lerribles elalca-
toires de I'industric; faire de conlinucis et violcnls efforts
pourgraudir, pour se placer sur un eclulon supOrieur,
saus consuller ses forces; nc voir cofin que ce ipt'on de-
sire et non ce qu'on peul, en complaut toujours sur le
bonlieur de demaiii, qui n'arrive jamais, croil-on que lout
cela puisse maintenir cct equilibre salulaire de I'excile-
ment et del'cxcilabilile, ce type de moderation vitale qui
donne ;i la sante de I'cgalile, de la Constance et de la du-
ree? La socielcest comme un vasle champ de bataille oii
Ton est aux prises avec I'ennemi ; il faut elre conlinuelle-
menl en garde, prudent el vigilant, se cuirasser coiilre les
iulerels opposes. II y a cerlainvnent dans cetle force im-
pulsive d'une civilisalion exln'me quelque chose qui tend
fatalement a la faiblosse, a la delerioralion organique, et
les effels ne repondent que Irop bicn aux causes. C'est bien
pis lorsqu'on vit liabituellement dans I'atmosphere en- ,
llammee des passions. Alors on dirail que le sort, con-
slamment ennemi, se joue des hommes comme dcs evenc-
menls. En tons cas, les premiers y perdent deux choses
bien precieuses, le repos et la sanle. Qu'y a-t-il de plus
propre a exallcr le principc vital, a Lriser les rcssorls dc
I'economie, que les allernalives des revers ct des succes,
que les soucis de I'inlrigue, les veiUes de I'ambilion, la
deconvcnance de I'orgueil, les angoisses, les niecomples de
I'amour-propre, el le fiel corrodant de I'envie? Quelle fulie
de prendre sur sa vie, sur son elre, pour ajouler a un
bietlelre fulur et imaginaire ! II est vrai que, dans ces vi-
cissitudes de I'exislcnce, les excilations morales, elevant
les forces au-dessus de Icur mesurc ordinaire, semblenl en
augmenlerrenergie; el il est meme dangereux. puisque la
force organique, lenue en reserve, est provoquee, aclivee
dans la pluparl dcs cas. Mais qii'imporle ! les hommes ai-
nieronl toujours mieux se plaindre que guerir, et surlout
que prevenir les maux qui les alleignenl. II en ful ainsi
dans tons les lemps. dira-t-on; Ton ne corrigera personne.
L'experience, cetle grandc inslitutrice de tout ce qui vit,
n'est pas toujours ecoulee, rien de plus vrai ; niais 11 y a
le plus ou le moins, et jamais on ne vita un lei degre que
maiulenant le desir, I'ardeur de gagner, de s'enrichir pour
acciimuleret laisser. Aussi a 1-on remaniue que certaines
maladies, par exemple lesanevrisnies du coeur, les conges-
lions cerebrales, les affections morbides du sysleme ner-
veux, les alienations menlales, etc., elaient inlinimenlplu.s
frequenles aujourd'hui qu'aulrefois, nolamment daiis les
grandes villes, il y a ici des chiffres effrayanls. .\u moins,
dans certains exces, la prudence combal, I'age inlervienl;
chez I'homme doue d'un pen de bon .sens la raison ne l,i-
clie pas complelement les renes, qiioiqu'elle semble par-
fois les lai^scr Holler; mais quand il s'agit d'ambilion,
d'honneur, de gain, d'avarice, le trop n'est jamais assez.
L'age ne tempore jamais, la maladie arrele a peine; il n'y
a que la morl qui puisse dire : « Ici est la borne, » non
prnccclrs awplius.
Le piofond Pascal avail senli ce que peul I'inaclivite.
« Rien, dil-il, n'esl insupportable a I'homme que d'etre
dans un plein repos, sans passion, sans affaires, sans ap-
plication, sans divertissement ; il sent alors son neant, son
abandon, son insuflisance , sa dependance, son impui*-
sauce, son vide; incontinent, il sort du fond de sou ame
I'ennui, la Irislesse, la iioirceur, le chagrin, le depit, le
desespoir.
Aussi I'hygiene convenable a un vieillard, quoiqu'ayant
des regies fondamentales, neconvient-elle aun autre vieil-
lard (|ue sous pen de rapports. Lessius ne put supporter
le re^'ime plus ipie pylhagoricicn qui avail si bien reussi
au Venilien Cornaro. Un cenlenaire avail ccril la note sui-
vaule a observer a son age :
11 i,i\ l',L lit ;,A SA.NTi;.
rrcmii'i- ropns : Uii vcrre d'cnii piiiTa luiif lifuios ilu
nwlin ct un ni'nrceau de pain rassis.
Dpiixiomc rppas : Uii polage, un roll, uiie compote,
iin vorre dn via vipin, a deux licurcs de I'ap^es-niiiji.
Troisiemc rop.is : Uri>ltfuf de promeuade sans" fatigue a
qunire lioures du foir* ■>/■• >" -
- Quali-ieinc irpas ; Un peii d'e riz'au lail, uu vcrro d'cau
.'Siicree. a neuf heiiresdu soii-,"ci'"si(^rbuclier n dix lu'urcs.
■ Celle nole porlailpoui-«pigraf,}ic-:i£'j7)fi(ocm?c. Tou-
.JQuhs psi-il queces quatre'PNws con'ritirdraient a furt iicu
-ue.ifciis. ' • J . '- ■■ ' • ■'
^ *• Un du incs confreres, a^e de (|ualrO;vingl-'(ri)is' aus, ra-
^ -nipirail aux Irois poiiils suivanls I'liygiofe (j^ii a pitdcjiige
J.', -sji c.-u'iiere- : « Je mange peu, je'niiirclie'(i(li'ucoup H je
, i^. -siiis ^Ai.N) Un autre oclogenaire asVurait'sytVe toujmirs
•J -borne tce-jtrincipe : pen de nourriIuri\1if,-iijrojip 'd'excr-
^- rice ; du rwtej'un jju de vin dans niT ifquMeSiih^eniare-
ch.il de nicheiiAift fl qitah-e-vingt-six aus; WiifiiiTt'i'vei- nue
pei-lie a denii ciiite dans I'eau el saunotidrce.de sucrc, ou
^« .liicii avec line ponime, scion la saison'!'(,'cs divcVs'iV'ninics
i •Imnsen eux-meines, snntncanmoiiis'tres-Snsc'e'plililcsd'clie
diversities, liicii qit'il soil iiei;cssiiire'de*les baser sur dcs
regies gciierales. ..;■■: ■■'■ ■' '
« Mon art, disaitCareme au prince de Talleyrand, est
d'exciter votre appetit; 11 ne m'appartient pasde le re-
gler. » Et I'arlisle avait raison. Scion Boerliaave,'«vouIcz-
;vous savoir les causes des maladies, coquos iiumera, comp-
lez les cuisiniers. » Aussi les amateurs de la bonne clicre,
les goinfres, les gourmands, les cliercbeurs de frnnclic
lippee, jouissent-ils raremenl d'une bonne et fcrmc santc,
parce qn'ils confondent toiijours I'appctit, ou pliilot I'irri-
tation du palais, avec les besoius de resloninc, aiiiincl ils
imposent un travail enorme de digestion. Les fins et judi-
cieux gastronomes savent, au conlraire, so posseder, pour
micux jotiir ct savourcr; ils connaisscnt tart d'cmnc-
clier les aliniculs de fournir dcs inateriaux aux maladies.
On peuletre sobre sans etre delical; ninis souvenez-vous
qu'oii ne peut jamais ctre delieat .sans ctre sobre. II ne
s'agit pas de llatlcr el de bentiGer sans cesse toules les
puissances dcgiistalrices, il faut encore les proporlionucr
an\ Taciilles orjauiqucs. Deslors n'estpas gaslrunnniecclui
i|iii !c vcul; lus motifs en sontevidcnIs.La Yraiegastroiiomie
est I'expression d'une oreaiiisalion distinguee, qui n'e.uste
pas sans cetle moderation, ipii mange avec rcllexion ct non
pour satisfnire au pur instinct de I'auimalite. Ne le cher-
clicz done pas parmi ccux qui vivcnl pour manger, digercr
s'ils le peuvcnt; gens cbez qui Ic palais parle jdus liaut
c|uc Testomac. Qu'attendrc de I'lionnnedont ou peut dire :
'Animus suiujitiiic el iidijic siiff(ic(ilus,fin\nhc dans la de-
clicaiice miserable de sa ilouble nature? II n'csl pas tou-
jours pos.sible desuivre a la rigueur le eonsei!, de Socratc,
evitcr de prendre do gout pour ccs aliments que I'on
mange qiiand on n'a pas faun, et pour ccs li(|UCurs qu'on
est tente de boire quand ou n'a pas soil'. Mais on peut neii-
Iralisercel inconvenient par d'autres moyens : le plus sur
est de nieltre dans les plaisirs de la table, que je.prends
ici pour excmple, des intervalles plus on moins prolonges,
qui dcviennent, par cela nieme, la source de nouvc.iux
plaisirs. Ou salt qu'unliomme de lettres, allanlde li'mps en
temps a Londres,'oblige, pour ainsi dire, de fairei de'Wiigs,
laborieux diners, prevenait tonte iucommodite, en faisant
dicle un jour la scmaine. L'hommc prudent, cpii faisbniie
.son existence, agira loujours et en tout de cette 'maiiicre.
J'aime ces piiroles d'uu celebrc gastronome : « C'est I'csto-
mar qui rccoit les ti'uffes , niais c'csl la conscience qui les
digere. » Voila unc incontestable veritii medicale, eii ce
sens que les vrais plaisirs existent avec le suffrage ^Ic In
raiso'n, q'uil faut toujours degager les voluptcs de I'iu-
quietude (pii les precede et du gout qui les suit.
' On a pris du viri pour se fortifier ; on a essaye du lab'ac.
te tumcur d'opium imli^cile.
de ropium, da helel p«Hr se desennuyer; on a joue pour I augmenle la dose do rexcitemont. Dicniot lliabitujea
se dislraire ; mais on ne s'est pas arrete a temps ; on a | lieu ; le rets est ferme ; ricn de plun difficile que d'en sur-
•• CAUSlilllliS sun l.ES I.NVi:.\Tl
lir. On (rouve'encbrb des homnios i\m out coiilracle ik's
lialiiliiJcsf-mveset nnn moius (laii^'oi'ciisos : tantul c'l'st
une soln'irl<"-,cSTOssivc, unc conliiiencc rigoureuso, ties
privalioiisivial'.'calculi'cs; lanlot de mangpi-, dc trivailki-,
de doiTOir.ardcs-.hciires tixoes, di'it \e corps en soufl'nr do
niillo mahienos.. Il.y a lei syslcme du bicn-dl'ro iiiii fail
redouler jijsqH'a. la pluic, nu vent K'|,'C4- qui souflle, an
nuage qiii passe, etc, etc. II est aussi des habiludcs bizarrcs
liees i d«-.fuiix.principes.
Une..ie.u-oe.(%ai!io, par line prcvoyance liygieniquc tonic
parlicniiTO,,'; n'avait-eUe pas ecrit sur son alhnm :
« .....Touto nne soniaine se coudiei- a dix henrcs, se lever
a ltHil,-.|)i:Qn'dre'. des bains, manger pen, cviter Ics emo-
tions, ,iii;<; doncevpaliente, donner raison a son marl, pour
ne pa^ iiVtlianft'cr le sang; avoir !e leini frais el repose
dans' la. bnllanlii soiree de M. "*?»
CAUSERIES
AVEC SIOS FILS ERNEST
sun LES IMVEKTIONS KT LES DECOUVEUTES.
9UATRIEMX: IHATIMEE.
lES ASIMAUX IKVlSIBLtS. — I,A POUSSIERE .\NIMEE.
KOUVEAU socr.E.
— Vous vous clonniez, mon fils, disait M. de .., que je
vnus signalasse comme exislanl un monde invisible, nn
monde d'elres impcrccptibles a I'tEil nu, et qui remplis-
sent le monde?
— Ob I mon pcre, cela est bien difficile a croire !
— .le vonsl'ai dit, ce monde est un grand mystere. Lisez
le fragment de journal que voici, el vous en serez con-
vaincu.
Lcjcune Ernest prit le journal des mains de son |ieri'.
ct lut .1 baute voix ce qui suit :
« L'academie des sciences de Parisarccu line conimii-
nicalion interessante.
ci Une lettre de M. de Uunilioldl a M. Valenciennes, liii
cnnonce les nouvelles recbercbes de M. Ebrenberg sur les
infusoires fossiles ( animaux microsr;i|iiques).
n M. Ebrenberg a hien agrandi son empire des infusoires,
il a decouvert une foule de nunvelles especcs des premie:-.i
dans les eanx, prises sons la glace, pres du pole antnrc-
l4(ue, par le capitaine lloss. 11 en a vu abondammenl daris
I'eau de mer des tropiques, recueillie dans les zones oil
elleelait parlailement claire el limpide, et oii clle n'offrait
aucuncbangemenldecoulenr. lien a aussi Innivedans I'air.
dans ces poussieres giises decritcs par Darwin, qui ob-
scnieissenl I'air jusqu'a cenllieiies a Touest des iles du cap
Veil, et qui torment une espece de brouillard dangereux
pour les navigalcurs. Ce sent des carapaces enlieres 011
brisees, que prolialdement des tromlies soulcvent et em-
ptirteiit an large. »
•■•■ IJu'cst-ce qn'unc carapace, mou perc?
ONS ET LES DECUUVEl'.TLS. 213
C'estune envelnppe, unecoque fort dure, uontinuez.
« !\1. Ebrenberg a Irouve aussi que les animaux cal-
eaires, dunt les luiil neuviemes de lacraie suntcoiiiposees,
descendent jusqu'aii-dessous de la formation du Jura, aux
Elats-Unisjnsqu'an Fergkalk; mais les especes de cos for-
mations ne sont pas les memesipie celles de la craie. Vous
savez d'aillenrs que, nialgre ranciennele de la cr-iie, la
moitie des animaux de cette fnrmation vit encore dans la
Ballique on dans I'Ocean.
n I, a pitrre ponce, rcnfermee on encliasscedansle strass
du llliin ( formation on ejecUon voleanique et boueuse ),
est remplie d'animanx morls, 11 faut bien croire que les
pelits animaux elaient venus se loger dans les fragments
de pierre ponce lombes dans ([iielque mare d'eau douce, et
que ces fragments ont eteapres cnveloppcs dans une ejec-
tion boncuse. Conimc la pierre ponce est formec par I'ob-
sidienne, et que Ics volcans sont une reaction dece qu'il y
a de plus interienr dans noire planete centre sa croi'ite ex-
terienre, on ne pent admetlre la preexislence des animaux^
dans les crateres. 11 faut commenccr par recueillir les fails,
les hypotheses viendronl ensuile. »
— Ceci a besoin d'explication. Les cadavres de ffcus ces
pelits ai|iniaux et leurs enveloppes forment definitivement
des pierresj des bancs de rocberset nieniedes iles; il faut
des milliers d'anneesft des millions d'animanx pour at-
teindrc ces resultats. Mais Dieu , dont les plans sont ini-
menses. 11c manque pas de les atlcindrc ; avcc les debris
des cadavres sans nombre de ces inDniment pelits. il con-
struil des continents; avec la mort il fait la vie, comme
avee la vie il fait la mort !
— C'est merveilleus, mon perel
— Que diriez-vous, si Ton vcnail vous apprendre qu'on
a cree de la pierre avec de I'air'.'
— Avec de I'air?
— ITest pourlantcequi est arrive. En combinant habi-
lemeul les forces de la nature, la science s'est rendue
mailicsse, non des causes premieres etdu secret definilif
qui n'appartienncnt qu'.i Dieu, mais de la manipulation
de ces lorccs. Ainsi le diamant le plus dur se dissout. la
vapeur se conden.se, lout se transforme sous la main de
I'homme ; les solides s'evanonissent, les liqiiides se so-
liililieiit. Oct autre journal, continua M , pent vous
apprendre les details de cette derniere decouvcrte et le
nom du patient ct ingenieux cxperimentateur a qui cUs
est due.
Ernest lut doncce qui suit :
« L'anteur d'unegrande decouverte, celui auquclon doit
le faille plus original peut-clre dont les sciences se soient
enriebies depuis pn siecle, la solidification du gaz acide
cai'*)oniqiie, vient ik uiourir; i\I. Thilorier a etc emporle
rap.idement dans nn .age pen avance, el an milieu des expe-
i'iences curieuses qu'il ponrsuivaitavec nn zelc qui ne s'est
arreic ni dc\ant les sacrifices de sa fortune, ni devant les
fatigues et les dangers qui compromellaient sa vie. Nous
devons un hommage a la inemoire de eel habile el inge-
nieux experimenlateur qui a resoln d'une maniere si com-
jilete ct par des moyens si bien combines le probleme de la
solidification des gaz. Avoirreussia liquefier, puis arendre
solide un gaz, un air clastiquc comme celui que nous res-
pirons en le renfermanl daus uu appareil oii il se com-
jjrimc de lui-meme a mesure qu'il se |iroduit ; I'avoir mis a
I'elal lie neigc en le rcfroidissant sous I'inlluence de sa pro-
pre evaporation, n'est pas seulement une experience Jior-
IS* t'AUSERlES sun
(lie el ciirioiise, pour lanuellc il a f:illii aiitnnl Ali courasc
que lie camliiiiaisons ins;('nieiiscs, c'est uii fail cl'ime haiile
pcirlre dans la scirnce. C'(st, en cfl'et, ce qui nous a iiermis
dc venliei'unoiin'vision (In gcnio Je Lavoisier.
« Mais CCS in'opriL'ti'S fiirent bicn mienx com|)i'isosloi'S-
que, par ime lianlicsse lienrense, iM. Tliilorier, repelanl
Ics experiences ilnpliysicien anglais surunegrande echclle,
parvinlil liqueficr et par suite a solidiSerde grandes masses
d'acide cnrljoniiine.
« Qni n'a vu et admire Ics resultats elranges obtenns
par noire conipalriote? Qui ^ e dosirera voir de scs yeux
et conslaler parlni-niemelesiiouvellesinerveillessignalecs
par M. Diniias, dans line de ses deniieres lecons d la Sor-
boiine, d'ajires une letlre delM. Faraday?
« L'illuslre physicien anglais, convaincu quo le froid lui
oflV-iilun nioyen plus eflkace que la pressionpour produire
des liquefaclinns on des solidilkations de gaz, a cbcrchc a
proiluirc des IVoids inteiises jiar des iiouveaux iiioycns.
« Or, quand on mide I'acide carbonique solide avec de
"I'elber, on a dcja une temperature de quatre-vingt-dix de-
gri's au-dcssous de zero au moins. En exposant ce melange
dans le/vide, pour en rendre I'evaporalion phis rapide,
M. Faraday est parvenu a porter la temperature bien au-
dessous do cent degres au-dessous dc zero de la glace |iar
I'enqdoi de lets moycus.
« A ces IVoids cxcessifs, le moindre contact du corps
avec nos organes determine une cnisanle brulure et une
cauterisation subite. Neanmoins I'alcool, I'essence de tere-
bcnlhine no gelent pas et deviennentseulemenl epais conime
un sirop.
« iilais, en profitant de ce froid et comprimant a trenlo
on quarantc atmospheres divers gaz dans des tubes ainsi
refroidis, i\I. Faraday est parvenu a lii|uefier tous les gaz
connus, sauf I'oxygcue, I'azote et rbydrogene.
(lEntreses mains rammoniaque s'est congeleeen un so-
lide presqiieinodore.L'acidesulfureux est devenu solide. Le
proloxyile d'azole en a fait autanl. Les acides hidryodiipie
• et liydrobromique out pris la lueme forme. II en est de
ineme de I'oxyde de cblore.
(c L'acide carbonique, sous ces conditions, a fourni un
solide incolore et transparent comme le cristal le jdus
pur.
« Et, chose singuliere, tons ces gaz solidifies, elanlexpo-
sesa I'air, s'y conservent loiigleinps; leur lemperature se
maiiilient si belle que leur tension est trop faiblc pour ipi'il
puisse en resuller une fornialion de lluide elastique consi-
derable, conmie on I'aurait suppose.
» M. Faraday espere que I'oxygcne, I'liydrogene et I'a-
zote ne resisterout pasaux uouveaux efforts qu'il prepare.
II a bien merile de reussir, en effet, dans ses tentatives
hiirdiesel pcrilleuses et qui sont digues du zele de I'expe-
rimenlateurleplns habile de rAngleterre. »
— No vous ctonnez done de rien, mon cher Ernest.
Quand vous serez plus grand, consultez vos forces, et voyez
si vous pouvez, ii votretonr, ii force de labeurctde sagacite,
ctendre ce beau domiTine de la science qui ii'esl, apres
tout, que I'ceuvre materielle de Dieu exploitce par I'intel-
hgence humaine, rayon et ceuvre de I'intelligence divine.
La cliimie est deja parvenue a reconnaiire dans la plupart
des substances des elements (pie Ton n'y soupiMunait pas.
Le vinaigrc, le sucre sont parlout. Nos expijrimeirlaleurs
font du vinaigre avec plus dc (juinze matieres; avec des
vi!'gi;tau.t de tons Ics orilres , ils font du sucre...
LES INVENTIONS ET LES DliCOUVERTES.
— Avec dc la betterave, par exemplel
— Non pas seulement avec la betterave, mais avec le
mais; et ce fragment d'un rccucil fort int('ressant et fort
bien fait vous mellra sur la vole de la diicouverte iTcente:
(( Le docteur I'allae, dit ce recueil, annonca le premier
que le mais contenait beancoup dc maliere cristallisable.
Celte opinion ne ful pas tres-bien accuciHie a I'epoque de
sa premi(ire ajiparilion.
L'Afad(imie n'ajonta pas beaucoup dc confiance a I'an-
nonce dune decouvcrle qui lui paraissait peut-ctre lenir
un pen de la fajnille des hypotheses. Mais le docteur Pallas
ne sc dcc»ur;.gea pas.
Parmenlier avail cru que le mais contenait du sucre cris-
tallisable, et ce chimiste, qui avail eu raisoncontre tout le
monde lorsqu'il vouhil fah'e adopter la pommo de terre
comme aliment, pouvail ne pas avoir tort dans une opinion
que malhcureusement il n'avait pu v(}rifier. U fallait done
contnuier I'armenlicr; il fallait proceder avec soin aux
exp(;riences qu'i;l n'avait pas failes. M. Pallas a suivicctte
vole ; il a group(3 des fails, il a obtenu des produils, et il
s'est pr(''sent(; uncscconde fois devant le tribunal qui doit
absoudie ou condamner son sucre. Dans le nu'nioire (pi'il
a envoye a I'-Vcadi'mie, rauleurdonne beaucoup de details,
trop de di'Iails peut-Olre ; ildcjveloppe, il discute, lorsqu'i|
ne s'agitque d'une seiile chose : prt'senter des experiences
et montrcr des produils. Void done en quoi consistc la
partie sijrieuse du travail, c'est la seule quidoiveinl(;resser.
(( Le docteur a fail des cxpi>riences el cstrait du sucre
a difft'rentes i;'poques du diiveloppcment de la plautc qui
fournit le mais; mais les resullats n'ont pas toujonrs
eli les mcmes; il y a des epoques, en effet, oii le sucre
n'esl pas composij dans la planle. II se comporle en quel-
que sorte comme le fruit lui-meme ; il a sa saison comme
lui.
Le docteur Pallas a fait sa premiere experience un mois
avanl la lloraison. A celte epoque, la tige contenait une
maliere sucriie qui etait incrislallisable : c't'lail du sirop,
mais ce n'lilail pas encore du sucre. Nouvellc expijriencc
an moment de la lloraison; mais les resullals ne ftirenl pas
tres-diffijrcnls, au moins sous un rapport : la maliere su-
criie (Jtatt plus abondante, le sirop avail plus de rubesse;
la cristalli.sali(ui ne sc faisait pas encore. Un mois a]ires lo
d(;veloppement de la lleur, I'analyse donna de nouv6aux
produils : il ful possible d'exlraire de la masse sirnpeuse
cinq jiour cent de sucre cristallisi:', avec I'aspecl brillant de
sucre do cannc.
A I'epoque de cetle derniere exp(>rience, le grain de mais
etait muu, et sa snbslance encore tout impr(?gnee de cetle
matiere laileuse (pii disparait avec le progr(;s de la matu-
ration ; mais, a l'exp(5rience snivante, le grain iHait com-
plijtement sec et a.ssez mii r pour eire cueilli. Cetle expiirience
ful faile sur sept mille cent soixanle-cinq kilogrammes de
liges qui dounerent une masse de sirop dont le docleur
Pallas put exlrairc seize kilogrammes et demi de sucre cris-
lallisiieldc vingt-six kilogrammes etdenii dc nu-lasse.
On appr(;ciera ce nouveau sucre; on rep(;lera meme les
expiiriences. Cela demande du temps, car il faiit faire une
seconde fois le travail de I'auleur; mais enfin, quclqiie lard
que vieune le rapport, il aura son lour, el nous saurons
alors si le sucre de betterave a Irouve un nouvel alliij, et
si le Sucre de canne doit craindre un autre enncmi. »
LKS MILLE ET UNE KUITS
LES MILLE ET LIVE KLITS
D'EUROPE ET D'AJH' RIOUE,
on
CnOlX DF.S MEILLEltnS COXTES
rePACNOI.S, ALLCMA5DS, ANGLAIS, AMEIUCAISS, ETC., ETC (1).
CIRQUIEHE HDIT,
RICDIN-RICSON,
CONTE riovr.D.
(iCe conic satirique de Belfr>j;or, s'ecria le Boy, est line
riflllci'i.' fori vivc, mais [icu amiisanle pom' riiiia;,'inalion.
Cost liion raflinc !
— Voire Uaiitesse vcut-elle essayer de ce paysan picard,
c|»i nous est arrive I'aulre jour sous forme de malelol?
— Oui vraiment, celui-la sera peut-elre plus naif. »
Et le paysan picard, au palois Iraiuaut, raconla le conle
que voici :
II y avail un jourun roi el une reine qui n'nvaienl qu'un
fds unique, fort ainiable, mais donl le cicur elail froid.
11 aimail Leaucoup la chasse, prenail prcsque lous les
jours ce diverlissemenl, et s'ticartait quelquefois Lien loin
de la residence du roi son pere. La poursuile d'un cerf
I'avait un jour mene jusqu'aupres d'un liameau. U apercut
une vieille fenime , espece de petite bourgeoise , ou de
paysaiine renforcee, qui faisail marclicr devant ellc une
jeune fille qu'elle ramenait fort rudement vers sa inaison.
Cl'Uc fille avail a son cute une qucuouiUe, un I'useau et
du lin ; mais ellc tenait dans son taldirr dcs lleurs, qu'il
paraissail qu'elle avail ele cueiUir dans Ics cliani]is potn-
sa parure.
Le prince vit que la vieille les jelait avec indii;nalion, et
Cnlendil qu'elle disaila la jeune per.<onne ; u llenlrez, prliie
miserable, renlrez dans la maison. Je vais vous apprendre
ceque c'est que de me desobeir.nLe prince eulpitie dccetle
pauvre enfant; el s'approchant de labarbare pay,sanne, il
lui demanda pourquoi elle mallraitnilainsi celte enfant.
La vieille le voyant vetu en'grand seigneur, n'o.sa refuser
de lui repondre; mais s'en tirantparnn mcnsonge:
ic C'esl ma fille, lui dit-elle, el j'ai lien raison de la
gronder; elle file toujours quand je nele veux pas, el me
fait plus de CI que je n'cn demande ; elle me ruiue en lin.
— Ell bien, dit le prince, puisque ce lalenl vous est a
charge, et occasionnc des chajTrins a celle enfant, laissez-
moi la mener a la cour de la reine ma mere, <mi emploie uue
grande qiianlile de fileuses, el fait cas des pluj adroiles «l
des plus expedilives. »
La vieille y consenlit tres-volonliers; et la cour dn
prince etant venue le rejoindre, il fit monter ea croujie la
petite Rosanie deri-iere un de ses ccuyers, et la cMiduisit
dans son ]ialais, ou i! la priisenla a la reine, comme la jdus
odroile et la plus diligente lileusede tons ses Etals, La reiae
la recul fort bien, la Irouva aimable. el lui fit quitter ses
liabits depaysanne, pour prendre uuiijustemenl tel que le
portaienl lesfillesqui avaieut I'iionneur de lui fire atla-
thees. Celte parure releva si bien I'eclat des diarnies na-
lurels de Ilosanie, el elle se niontra si sage el si discrete,
qu'elle ful admiree de toule la cour.
(I) V. iiumOfuVI, p. 174.
D'EUr.OPE ET D'AMERIQUE. 25o
t
Cependant, il n'etail pas vrai que la jeune paysanne ful
aiissi habile fileuse que la vieille I'avait dit au prince, par
malice ; ellc y etait adroitc, a la verite, mais travaiUeuse
rissez liinibine, parce qu'elle etait un peu dissipee el oisee
;i distraire. Des le lemlcniain on voulul Ja meltre a I'ou-
vrage ; elle eluJa pendant quel(|ues jours, sous prelexte
qu'elle avail malaux doigts; el lagouveniante laproincna
liendant ce tem]is. dans les jardins du palais, el dans le
jardiu public de la ville, ou elle ful admiree de lous les
liommrs el eiiviee de toutes les femmes. EnCn, ces pre-
textes durent cesser, et commencerenl meme a devenir'
su.sjiects ; et Rosanie vit approcher, avec desespoir, I'inslant
oil elle serail forcie de travailler.
Le nialin du jour ou elle devait conjnenccr, ellc se leva
avaniraurore,elcouranldans les jardins du palais, cgarec,
eperdiie, elle etailprelea se precipiter dans un hassin, pour
y finir ses jours, lorsqu'un ^'andliomme sec, vein de verl
el de bizarre |iliysionomie, se priisenta devant elle, el lui
demanda le siijel de son trouble, elle refusa d'abord de lui
repondre; mais eel homme I'ayanlassuree qu'il etait a.ssez
habile pour la tirer d'embarras, quelqnc facbeuse que ful
sa situation, elle lui conGa enfin ses peines. Elle lui avoua
qu'elle etail fille d'un paysan Ircs-lionnelc bomme, qui avail
eu.de son enl'ance.les soins les idustendres; bien different
en cela, de sa mere, qu'elle avail toujnurs connue pour mc-
clianle et acarii'ilre; que ce pere etait parti il y avail pres
de d»ux ans, pour un voyage, donl malbeureuscmenl, il
n'etail pas revenu ; qu'elle avail etc livreea sa mere, qui
I'avait reiidue la plus malheureuse personne du monde,
jiisqu'a ce que le prince I'eut retiree de ses mains; mais
que comme elle n'etail sortie qu'a la favour d'une sii|qiosi-
tion. il laquelle elle ne pouvait salisfaire, elle se trouvait
dans le |dus cruel embarras :
« Eb bien, lui dit I'homme verl, je vais vous en lirer.
Prenez celte baguette, elle" vous servira a filer avec toule
la proinjititude el toule la perfection que vous pouvez de-
sircr, tout le lin qu'on vous donnera a travailler; vous
ferez plus, ct vous pourrez employer dessus des broderies
cliarmanles; mais ce ne sera que pendant trois mois que
vonsjouirez dcces avantages; au bouldece temps, je vien-
drai vous redemander ma baguelte, el vous me la ren-
drez en m'a|ipelanl par mon nom, qui est Ricdin-Ricdoij;
si vous I'oubliez, je vous emporle, et vous tombez eu ma
puis.sance; sinon vous aurez joui de mes bienfails, el ils
vous serviront a faire voire fortune. « Rosanie enchantee,
saisil la baguelte, reracrcie a la liate I'homme vert, el re-
tourne au chateau.
A peine y ful-elle revenue, qu'elle s'offrit d'elle-mefnc
a remplir la lacbe qui lui avail etc reservee; el le soir
meme, la I'iche se trouva si parfailemenl remplie, qu'elle
en recul de la reine el de loule la cour les compliments
les ]dus llntteurs.' Ces succcs conlinuereni, el bienlul elle
parut joindrele talent de la broderie a celui de la' filature.
Elle ue demanda pour toule grace, ii la reme, que cclle
de IravRjller seule et sans temoin ; elle I'assura que, ^uu-
vanl, sans s'incommoder, em]doyer une parlie de la nuil a
son travail, «lle demandail ijn'on lui permit de se pro-
mener uue parlie du jour. Cello grace lui ful aCcordee, ct
les succcs de son amabilile cgalerent bientot ceux de .son
art. Les seigneurs les |dus aimables s'enipre.ssei'enl de lui
demnnder sa main ; mais elle ne voulail en ecouler aucun.
Le prince se mil enfin siir lesrangs. Rosanie se rofusameiuo
ii line coii(|uete aussi brillaiilC; nersuadee uue I'ohscurii-^
2SS
SOUVENinS DE l.\ CHINE.
do sa naissancc no lui permcllait pas d'etre iinictc'ijilimc-
menl u I'lierilicr d'une coui-onne, cl (|U0 la nu-dioiTili' il«
son nUirnlion le lui iir'fcnil.iit. Cppeiulanl, dans qucli(iios
couvoisalionsqu'ilseiirenl cii prcisiMicc de Vigilanline, elle
avouaqui- le prince lui aur.iit coiivenus'ilireiU ele prince,
mais il n'en ful pas plus avance. D'aillcurs, la liclle fileuse
(c'est ainsi qu'elle elait surnommee), faisait queliiuefois
reflexiou qu'au jjouldc trois mois 11 landrail qu'elle rendit
a riionime vert sa baguette, et malheurensemenl cllc avail
oublie le nom de cette espece d'etre, ct ne se rappelail
que trop la I'aclieuse condition qu'il Itii avail in)j)osee.
PenJanl qu'elle clail dans ces agitations, ses rivalcs,
c'est-ii-dire celles qui etaicnt jalouses de son.succes, eni-
ploycrent tous les moyens possibles pour le traverser.
Kbus passons sous silence le detail des moyens que les uns
elles autres einployerent.
( La suite a un numiro prochain:]
SOUVENIRS OX X.A CHINE (1).
ENTREE A SIIIOL. '
La viUe tarlare de Siliol, au.^ chateaux de plaisanee im-
periaux, domiuee par de bautcs muiUagnes, s'offrit au\
yeux de Tanibassade. (retail le terine du voyage, it un
quart de lieue de la viile,Mnccartluuy fit arreler le corli'ge
et nieltre pied a terre a lout son personnel ; il vnulait
ainsi que I'entree ei'il lieu d'une maniere digue et impo-
saule.
I'arisli, a la trie des arlilleurs anglais, ouvrait la mar-
che. U'etail suivi des dragons el des niousquelaircs Ciini^
mandes par le lientenanl Crewe; puis venaienl les do-
niestiques, les musiciens, les courriers, les ouvriers el les
personnages de la suite, Ions marchanl dcuK a deux. Der-
riere cux s'avaucaienl le secretaire de legation Staunton,
(1) V'oi;. nnmero\F, p. 187.
porle dans on palanquin, cl le carrossc du lord ambassa-
deur, qu'il nceupait avec Arabelle el le jenne Staunton,
del e(|uiiiage, ilei-riei(» Icquel ctail moule un petit negre
richemenl lialiilli; a la turque, ferniait la inarclic.
Cette ordonnanee etail de.stinec .i rendre I'entree solen-
nelle et a insjiirer du respect aux Cbinois. Toutefois, ce
but ]ie ful alteint (pie d'une maniere cxtrcmemenl impar-
I'aile. En effet, quoique les militaircs cussenl une conte-
nance imposante, el les personnages de la suite tonte la
dignite seante a leur emploi, quoique les domestiques sc
prelas.sasscnt dans lour livree de gala, Ic reste de la suite
ne s'en produisail pas moins sous des formes extremement
bizarres. Quebpies-uns avaient des cbapeaux ronds, d'au-
Ircs des cliapeaux li trois cornes, d'autres eneoi'e des cha-
peanx de paille d'une forme sans nom. Ues boltes, dcs
bottines et des snuliers allernaient avec des bas rayes.
liref, il ne regnail pas la nioiuilre uniformitc parmi eux,
SI cc n'est diTns la difformite commune ; Ions elant veins
de redingotes ct de gilets de friperie qui n'allaienta aucun
d'enx.
Presse d'une foule de spoclateurs parmi lesquels se trou- ,
vaient un grand nombre de lamas uu pretres de Fo, vetus
d'liabitsjauncs, coiffes de grands cliapeaux jannes de forme
rnude, et porlant des cloches a la main; I'ambassadeful '
recne avec les honneurs mililaires, et on lui indiipia, poiir
se loger, une suite de batiini'nts silues snr des terrasses. .
depnis I'extremilc orientale de Siliol jusque snr la penle
douce d'une colline, el communiqnant les uns avec les au-
Ires par des escaliers de granil. Tous etaieni vasles ft '
Ciunmodes ct avaient une belle vue sur la ville. les nionta-
gnes de la Tartarie et sur le sejour d'une aimable fraicbeur
el le jardin, aux arbres iBnombrables, comme "disenl les '
Chinois dans leur langage' liyperbolique, pour des'igner '
uu palais d'ete el un jrfrdin d agrcnieul de I'emperenr.
Une colonne nalurelle de pierre, haute de cent pieds, mince •
par le bas el grossc pa'rle haul, s'clevait au fond de I'lio- ,
rizon sur une montagne ; elle jelail par differcntes saillies '
de rocbcs, des torrents 'de I'eau la plus limpide, et formait >
un dernier trail caracleristique de cet iuleressanl paysage.
I'ari^. — TjT"?fi pbie (I'A. JlB^E rl Cic. rui- ^ Seine. 32.
\
LE
LIVRE DES FAMILIES
ou
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
■• 9.-1" Volomo.
frJuiUet za4S.
LE MOIS DU lEUNE CHRETIEN.
Monseigneor rarchev^que de Paris,
VISITATION SE lA SAIBTTE VIXHCE.
Voici une solennite qui passe pour aiusi dire inapercue
dans le cycle des fesliviles de ranuee, parce que I'Eglise
ne I'a point placee au rang des grandes fetes qu'elle con-
sacre a Marie. Elle est neaiimoins feconde en merveilles.
On en jugera lorsque nous en aiirons raconte les myste-
rieuses circonslances.
An niois dernier, nous avons expose la naissance mira-
culeuse el immaculee de saint Jean-Baptisle. Sa mere Eli-
sabeth, scion la promesse de I'ange, avail concu, quoi-
qu'elle fut dans I'age de la sterilite, cet enfant qui devait
etre si grand parmi leshommes. Elisabeth, epouse de Za-
charie, etait cousinc de Marie. Celle-ci porlail deja, par
unc conception surhumaine, dans ses chasles ilancs, le
sauveur d'lsraijl. Le messager celeste, qui avait rempli sa
mission aupres de Zacharie, fut charge d'un pareil mes-
sage aupres de Marie. Quand cette Vierge pure, a son tour,
puisant son doute dans sa virginale et intacte pudcur, de-
manda a Gabriel comment il elail possible qu'elle devint
mere, celui-ci lui repondil : « Votre cousine Elisabeth,
« quoique dans la vieillesse, a concu un fils. Depuis sir.
« mois elle le porte dans son sein,quoiqu'on I'eul jugee
« sterile, parce que rien n'est impossible a Dieu. » Mors
Marie, adorant la volonte divine, repondit : a Voici la ser-
<( vanle du Seigneur, que voire parole se realise. »
L'evangeliste aussilot nous apprend que Marie, pressee
de connailre la merveille operee dans Elisabeth, se mit en
route pour visiter sa cousine. Elle arrive, et ici vont se
passer d'admirables choses. L'enfant de I'epouse de Zacha-
rie Ireisaillit dans le sein de sa mere, et I'Esprit-Saint
inondant celle-ci de prophctiques lumieres, elle s'ecria en
parlant a Marie : « Vous etes henie parmi toutes les fem-
« mes, beni est aussi le fruit de vos entrailles. Et d'oii me
« vient ce bonheur que la mere de mon Dieu vienne me
« visiter? Ileureuse etes-vous parce que vous avcz cru, car
« ce que le Seigneur vous a dit s'accomplira dans vous. »
A ces mots, la Vierge entonnc ce sublime cantique dont
I'Eglise ne peut se lasser de repeter les magoiliques
accents.
Pourquoi ne le transcririons-nous pas ici, car s'il est
un jour special dans I'annee oti ce cantique trouve sa place
33
258 LES SAINTS
parfaitement marquee, c'est bien sans conlredit la fi'lc do
la Visitallbh.
« Mon Inie glorifie le Soigncnr.
«Moii espril a tiTssailli d'line vive alk'gresse dans lo
« Dieu qui est moh salut.
« 11 n'a pas dedaigne ma basscsse, H c'est pourquoi tons
« les sieclos a venirnrappelleronl BiEmiEOREOSE. »
all a opere dans nioi de grandes merveilles Cehii qui
« est puissant; ct Saict est son nom.
« Sa mlsericoi'de s'etend dc race en race sur ceus qui Ic
«craignent.
« Son brass'est monlre fort, il a lerrassc les cffiursfiiTs
a et superbes.
« Les polenlats, il les a abattus de Icur Irone ; les pclils.
« il les a exalles.
« Les indigents, il les a enrichis; les o|inlonts, il les a
« dcponilles.
« 11 a trailc Israijl comme I'enfant de sa predilection,
« car Dieu n'a pas oublie scs miscricordicuses pronlfesses,
« Ces proniesscs qu'il fit a iios peres, i Abraham, a sa
« posterito jusqu'a la fin dcs sieeles. »
Est-ce lii un langage simplemenl humain? Qui a inspire
a une timide vierge celle haute pocsie oii tous les prodiges
de la redemption des bommes sont si majestiieusemcnl
proclanies? Abl le genie livre .i ses inspirations uaturelles
ne salt pas mcme begayer celle langue. C'est evidemrtteHl
celle du ciel, et Marie, en ce moment, etait deji lE kbei'-
nacle de la divinile incarnee.
La visite de Marie a Elisabeth, nous "dit I'BViH^iiste, ie
prolongea pendant trois mois; puis die l-evint dahs sa
maison. Pen de jours apres son de|iarl, le precurseUr nait
d'Elisalieth comme I'aurore, et six moiss'elanl ecouli's, le ■
soleil de justice s'eleve radieux dahS la ct'eche de l!etli-
leem.
Faut-il s'ctonner maintenant que I'Eglise ait jlige coii-
venable de solenniser cctte visile? Gelte fete commemo-
rative ne date neanmoins que de quatre on ciiiq teilisalis,
et c'est le concilede Bale, en 1-451, qui, par un dccret, la
rendit obligatoire pour toute I'Eglise. Le jour qu'on lui
assigna est ceUii qui suit immedialement Toctave de la
fete de saint Jean-Baptiste, c'est-.i-dire le 2 juillet. Ce
n'est point sans molif qu'on a fail choix d'un pareil jour
qui semble rattacher la visite de la sainte \'icrge a la fele
du saint prccurseur, fils d'Elisabeth. Toulefois, n'onielloiis
point que la Visilalion de la sainte Vierge etait robjet d'uue
fete, en 1265, dans I'ordre religieux des Freres Mineurs.
Chez les Orientaux elle fut tres-anciennement celebrei'.
Jamais neanmoins elle n'a ete universellement chftmee
comme le saint jour du dimanche.
L'Evaiigile ne nous apprend point que saint Joseph ait
ete le compagnon de Mai'ie dans ce voyage. On presume
neanmoins que la sainte Vierge en fut accompagnee, car on
ne pent facilement croire que celle-ci tonte seule ait pu
franchir une distance cousideraldc sans un protecleur, et
a quel autre un .soin si honorable a-t-il pu elre confie,
sinon a saint Joseph? Mais on infere de quelques aulrcs
circonslances de I'Evangile, que Joseph n'enlendit pas le
merveilleux colloque des deux saintos fcmmes. S'il en avail
etetemoin, comment expliqucr la surprise dans laquelle fut
beaucoup plus tard saint Joseph, lorsqu'il s'npercnlque sa
virginale epouse etait enceinte? II ne fallut rien moins
qu'on ne pyiisse pas rencontrer tin seul tableau de Visita-
tion qui ne represente saint Joseph a c6t^ de Marie; au mo-
ment ou celle-ci abordc sa cousine Elisabeth ?Docidement,
les peiutres de siijets religieux n'etudient point I'liisloirc
sacree qui dcvrnit constamment guider leur pincean. C'est
un reproebe que leur adresse un des plus savants ponlifes ,
qui aicntporle la tiare, nous voulons dire BennltXlV. Que
d'absurdites, qu(! d'anachronismes dans la plupart dcs ta-
bleaux d'EgliselLa presence de saint Joseph dans une
Yisilnlion en esl un exemple sur mille. El si, a ce propos,
nous voulionsrclevertoules les bevues des artistes dans ce
genre, noire plume aurait a tracer de nombreuses ligri^S-.
Plus tard peut-elre entreprendrons-nous celle taclie, niais
ce ne saurait elre ici le lieu.
Sous le vocable de la Visitation de la sainte Vierge,
saint Francois de Sales inslitua, dans le dix-soplieme siccle,
un ordre religieux de femnies qui suivent la regie de saint
Auguslin. On donne aux membres de cet institut le nom de
Visitaudincs. A I'epoqne des orgies revolutionnaires de
ri'rttice, on a joue, sous ce dernier litre, une piece de
lh6;\lrc on les plus atroces injures elaient prodiguees a ces
SiliiitttS lilies. Faul-il s'en elonner dans les lemps oii la
VeriU s'appelle vice et le vice usurpe effroiitement le uom
de vertu ? On proclamait bien la liberie, lorsque quarante
mille prisons engloulissaientles victimes par milliers et que
la gllillotnie s'appelailsainfe .'.'.'
VAILIXiTXS.
LeirtbiS de juillet nous laisse un espace libre pour con-
tinuer les notions que nous avons commencecs sur la hie-
rarchie ecclesiastique. Noire nnmero du mois d'avril ren-
fcrme des notions de ce genre ; 1° sur le pape ; 2° sur les
cardinaux. Kousy promellions une suite, et nous nousem-
pressoiis de tisnir parole, eu suivant I'ordre numerique
ad(»ptl;.
5° LES PATIUABCnES ET LES PIIIMATS.
Qu'est-ce qu'un patriarche? C'est, selon I'originegram-
malicale du niol, le pere des peres. On sail que ce tilrc
est habiluellcment donne aux ]irincipaux chefs dc fa-
niiUe qui vivaient sous rempiro de la loi nalnrelle. Tels
sont Adam, Enoch, Koe, Abraham, Jacob el ses douze fds.
Cenx-ci fiirent les chefs des douze Iribns. Dans la hie-
rarchie de rEglise, le patriarche n'a de comnuin avec ces
deriiiers que le nom. L'hisloire ccclesiaslique nous apprend
que les eveques des grands sieges ont pris ce litre, a
cause de limporlance de leur position et de I'nutorite
qu'ils cxercaient sur les aulrcs eveques. Ainsi, Rome, An-
tioche, Jerusalem, Alexandrie et Constantinople elaient des
palriarcats. Au quatrieme siecle, la religion chrclicnne '
ayant fait des conqucles sur des regions qui ue parlaient
point la meme langue, il parut convenable qu'un des
nombrenx eveques qui y elaient clablis devint comme le
centre de I'administration ecclesiastique. Ainsi pour les.
Latins le palriarclie etait a Rome, pour les Syriens a An-
tioche, pour les llebreux ou Chahleens a Jerusalem, potir
les Cophles ou Egyptiens a Alexandrie, pour les Grecs a
Constantinople. Mais si Pcveque de Rome elait en parllcu-
lier le patriarche des Latins, il etait pour tous les autres
le patriarche des patriarclies. ffrci est un fail rigoureuse-
qu'un ange pour le ra.ssurer, en lui apprenant que celle t nient historique, et qniconque vent lire Phisloire ecrle-
grossesse etait suruaturelle. Lsl-il apres ccla concevablo ~ wastique sans orevenlion en reconnailra tres-facilement
DO MOIS.
2S9
raulhenljcite. Par la suite des temps, celte organisation s'est
gravementmodifice on meme delerioree L'ennenii a seme
I'ivraie dans le champ des peres de famille. L'lieresic, fiUc
de I'orgueil, a inspire a ces grandes fractions de la callio-
lirite un esprit de rehellion conlre la cliairc supreme de
Pierre. EUe a mcconnii, dans le successeur de cet apotre,
la siipreniatie que le divin fondalcur du clirislianismeavait
conferee a ce dernier. Les palriarclies out voulu se decla-
rer independanls, et leur revolle n'a abnuti qu'a la servi-
tude ct a la mort. Qu'est-ce, en effet, aiijourd'hui, sous le
sabre des musulmans, que le palriarchc schismatique de
Constantinople? Cost le jouet du divan. Sa place se donne
au pins offrant ct an dernier encherisseur. Ce!ui-ci Toc-
cupc jnsqu'au moment ou il se presente un acheleur qui
produit comme titre sureminent une escarcelle mieux ar-
rondic que leproprielaire actuel du patriarcat.
11 n'existe done plus en realite de patriarcbes d'Anlio-
clie, de Jerusalem, d'Alexandrie et de Constantinople. Les
litres en sont neanmoins conserves dans la cour romaine.
Ce sont des eveques residant a Rome, ct qui sont investis
de ce haut titre qui les place immediatement apres les car-
dinaus. lis y sont au nombre de cinq. Ce sont les patriar-
cbes de Constantinople, celui d'Antioche des Crecs, celui
d'Anlioche des Maronites, celui d'Antiocbe des Syriens, el
celui de Jerusalem. Le patriarcat d'Alexandrie n'a point de
litulaire nominalif : c'est le patriarcbe d'Antioche pour les
Maroniles qui le represente. Outre ces grands patriarcals
primitifs, les sieges de Vcnise et de Lisbonne confercnt a
leurs titulaires la qualite de patriarcbes. EnGn les Indes
occidenlales ont aussi un patriarcbe qui reside a Rome.
En Fi-ance, I'archeveque de Bourges prcnd le titre de
patriarcbe, qui est simplement lionoriDque et qui ne lui
donnerait pas a Rome le droit de prendre place dans le
rang de ceux que nous avons nommes.
Tonlefois, nous devons le repeter, la dignite de patriar-
cbe n'est plus aujourd'hui nulle part accompagnee de la
juridiclion qui y etait jadis annexee. Les anciens patriar-
cbes avaient sur les metropolitains et les eveques de leur
ressort line autorile considerable. Depuis qu'il n'existe
plus de patriarcbes investis de I'autorite qui dcsigne cette
haute qualification, les primats ont, jusqu'a un certain
poinl, remplace les premiers. Neanmoins encore, pour
nous borner a la France, plusieurs ai-clieveques et eveques
qui prennent le titre de primats ne jouissent, sous ce rap-
port, d'aucune juridiction sur les autres prelals. Ainsi Tar-
chcveque de Reims s'intilule primal de la Gaule Dclgi-
que; celui de Sens, primal des Gaules et de Uermanie;
celui de Bourges, primal d'Aquilaine; celui de Rouen, pri-
mal de Neustrie ; I'eveque de Nancy, primal de Lorraine;
cnCn, I'archeveque de Lyon porte le tilre de primal des
Gaules. Ce dernier seul, en France, n'est pas un simple
titre d'honneur. On accorde encore a ce siege une verita-
ble primalie ; du moins, on le considere comme le premier
du royaume. En 1840, on manireslait au pape la crainte de
voir nommer a I'arcbeveclie de Paris monseigneur de Do-
nald, archeveque de Lyon. Le souverain pontife repondit;
« Paris, la grande ville; Lyon, le grand siege. » On n'a
jamais vu, en effet, et probaLlemenl on ne verra jamais un
archeveque de Lyun devenir archeveque de Paris.
4° lEs abcbevJqhes.
Quand, apres les atroces persecutions de trois siecles,
la religion chretienne, viclorieuse par la patience, eut de-
trone le paganisme, les eveques qui occiipaient les sieges
des mctropoles civiles, el qui exercaienl sur les autres
eveques une suprematie spiritucllo, prirent insensiblcment
un titre qui exprimait cette juridiction. Ce litre est celui
d'arcbeveque, qui, d'apres son elymologie grecque, signilie
president des eveques. C'est principalcment en Orient que
nous voyons celte qualilication attacbee aux lilulaires des
grands sieges. Quant a la France, nous voyons pour la pre-
miere fois, au sixieme siccle, I'eveque d'Arles invest! da
titre d'arcbeveque. En 817, Landran, qui siegeail a Tours,
prend la meme qnalificalion. Apres ceux-ci apparaissent,
sous le titre d'arcbevecbes, les sieges de Vienne en Dau-
pbinc, Narbonuc, Aix , Bourges, Bordeaux, Aucb, Lyon,
Rouen, Sens, Reims, Embrun. Lorsque la France se fut
agrandie par les conqueles, Besanran, Cambrai , et plus
lard Avignon, entierent dans la categoric des sieges ar-
chiepiscopaux du royaume. En 1622, I'evecbe de Paris est
erige en archevecbe. Albi, en 16T6, obtient la meme pre-
rogative. Dejii, en 1516, Toulouse elait, par la grace du
pape Jean XXII, erige en metropole. Tels etaicnt les arche-
vechcs de France avant le cclebre concordat de 1801 entre
le pape Pie VII et Napoleon Bonaparte, premier consul dc
la republique. Le malbeur des temps ne permit pas la res-
tauration de tons ces arclievecbes. Aries, Vienne, Nar-
b&nne, .\uch, S^s, Reims, Embrun, Cambrai, Avignon,
Albi, furenl desherites de ce grand titre. Pour nous res-
treindre aux limites actuelles, les scules viJles de Paris,
Lyon, Bordeaux, Roueu , Toulouse, Tours, Besancon,
Bourges et Aix virent retablir leurs metropoles. Plus lard,
sous Louis XVIII, on a pu faire revivre les archeveches de
Reims, Sens, Auch, Avignon el Albi. Enlin, en 1840, Cam-
brai a vu renailre sa metropole, illustice par rimmorlel
Fcnolon.
Au moment done ou nous ecrivons ces lignes, la France
compte comme sieges arcbiepiscopaux, Paris, Lyon, Rouen,
Sens, Reims, Tours, Bourges, Albi, Bordeaux, Aucb, Tou-
louse, Aix, Besancon, Avignon, Cambrai. Ainsi gemisseat
dans un vcuvage indcfini les eglises metropolitaines d'Arles,
de Narbonne, de Vienne, d'Emhruii, qui ne sont plus que
de modestes paroisses. Paris, Albi. Toulouse et Cambrai
elaient de simples eveches lorsque les quatre metropoles
supprimces jouissaient de leur glorieux titre, el celles-ci
ne possedent pas meme un .siege episcopal. La division ci-
vile el judiciairc du Icrritoire ne leur a point ete plus favo-
rable , puisque ces villes sont uniquemcnt cbefs-lieux de
sous-prefectures.
Quelle est maintenant, d'une maniere precise, la diffe-
rence qui existe entre Tarcheveque et I'eveque? Bien des
personnes, dans le monde, ne peuvcnt se rendre raison de
ce ipii distingue ces deux classes de prelats, et nous croyons
pouvoir leur elre agreable en leur fouruissant a ce sujet les
notions les plus claires. Pour repondre metbodiquemeula
cette question, il faut d'abord cnvisager le caractere, puis
la juridiclion, et puis encore les prerogatives bonorifiques.
Sous le rapport du caractere, le pape, le patriarcbe, I'ar-
cheveque et I'eveque sont parfaitement egaux. Tons ont la
plenitude du sacerdoce. lis sont lous successeurs des apo-
Ires. Eux seuls peuvenl conferer le sacrement de I'ordre,
c'est-a-dire, en d'autres termes, qu'a eux seuls apparlienl
la fecondite du minislere ecclesiaslique. En outre, chacua
d'eux est ministre ordinaire du sacrement de confirmation.
Seulement, et il ne faut pas I'oublier, le pape a, de droit
260
LES SAINTS
divin, line suprpniatifi non-seiiloniPiit (I'lionnonr. mais dc
juriiliction sur Ics autres menibros de IV'iiiscnp.nt, on, si
Ton vent, de r.ipostolat. Ainsi done qunnd nn eviViuc de-
vient ni-clieveqne, il n'a point ;i rcccvoir de consecralion
paiiiculiere, comnie le pnMre qui devient eveque.
Pour cc qui est de la jnridlcllon, ancienncmcnt los ar-
chevequcs jouissaienl d'un grand ponvoir. lis confirmaient
les eveques de leur province mctriipolitainc , les consa-
craient et recevaient leur sernicnt d'obeissance. lis pou-
Vaient visiter les dioceses de leurs snffragants, et presider
aux deliberations siir les affaires importantes. Cetle jnri-
diclion n'exisip plus, sinon en droit, du moins en fait. Les
archeveques n'ont conserve que le droit de jugcnient par
appel des affaires conlentieuses des dioceses de leur metro-
pole. Chaque diocese a un tribunal ecclesiastique coiinu
soiisle nom d'oflicialile. Lejugenient que porte ce triliunal,
en matiere de discipline, pent Hre infirme par I'oflicialile
meti'opolitaine, qui siege dans la ville archiepiscopale. Telle
est, dans le temps present, la superiorite reelle de I'arcbe-
veque sur I'eveque de son ressort. Par ce dernier, nous
entendons la province ecclesiastique composee, outre I'ar-
chidiocese, des dioceses qui en relevent sons la denomi-
nation de suffragants. Ainsi Paris, arcbeveclie, a pour suf-
"ragants les sieges de Cbarlres, Meaiix, Orleans. Blois et
Versailles. Nos indulgenis lecteurs desirent-ils connailre
les autres provinces metropolitaines ou archiepiscopales
de la France? Nous pouvons repondre'a leiirs legitimes
desirs. De Lyon relevent les cveches d'Autun, Langres,
Dijon, Saint-Claude et Grenoble. La metropole de Rouen a
pour suffragants les eveques de Bayeux, Evreux, Seez et
Coutances. Sens n'a plus que Troyes, Nevers et Moulins.
Dans les beaux jours de sa gloire, ce siege, un des plus an-
ciens des Gaules. meltait pour legende sur ses armoiries le
mot : CAMPOCT. Chacune de ces leltres designe un des sieges
qui en relevaient. c'csl-a-dire, Cbarlres. Auxerre, Meaiix,
Paris, Orleans, Nevers, Troyes. A la metropole de Bpinis se
rattacbent Soissons, Chalons, Beauvais et .\miens. Le siege
arcbiepiscopal de Tours compte dans son ressort le Mans,
Angers, Bennes, Nantes, Quimper, Vannes et Saint-Drieuc.
Bourges, qui coufcre a son arcbevequc le tilre de palriarclie,
tient sous sa juridiction metropolitaine Clermont. Limoges,j
le Puy, Tulle et Saint-Flour. De la metrop(de d'Albi re
levent Bodez, Cabors, Mende et Perpignan. Bordeaux ren
ferme dans la sienne Agen, Angouleme, Poitiers, Perigueux
la Bocbelle et Lucon. La province ecclesiastique d'Aucli).
contient les evecbi's d'Aire, Tarbes et Bayonue. Celle dej
Toulouse compte Montauban, Panders et Carcassonne. A
celle d'Aix apparliennent Marseille, Frejus, Digne, Gap,
Ajaccio et le nouvel evecbc dc noire couquele africainc,
Alger. La province de Besancon elend sa juridiction sur
Strasbourg, Metz, Verdim, Belley, Saint-Die, Nancy. De
celle d'Avignon relevent les sieges episcopaux de Nimes,
Valence, Viviers et Monlpellier. Enfin Cambrai, qui, ,n la
suite du concordat de ISOl, etait un everhe dependant de
la metropole de Paris, ayant, comme il a ete dit, reconquis
son rang d'archeveche, a pour unique suffragant le siege
d'Arras.
Passons aux droits honorifiques des archeveques. Leur
costume habiluel ne differe point de celui des eveques ; mais
lorsqu'ils efficient pontifiralement. ils portent de plus (pie
CCS derniers le pallium. C'est une bande dc laine blanche
ornee de croix noires, qui se place comme une sorte de
collier sur les epaules, et de la([uelle pendent, sur le devanl
et par derriere, pcrpendiculairenient deux autres bandes.
Nous donnerons plus lard une description delaillee et I'o-
rigine de cet insigne. Neanmoins quelques eveques jouissent
du driiil de jialliiim, tels que, en France, ceux d'Aulun et
du Puy. Les archeveques out le droit de faire porter dcvant
eux, dans tons les dioceses qui appartiennent a leur metro-
pole, la croix dite archiepiscopale, qui est le signe de leur
suprematie. Ils peuvenl aussi porter dans tous ces dioceses
le nianteau violet sur leur rochet. Lorsqu'un concile com-
pose des eveques d'une metropole se rcunit, I'archevequc
a le droit de le presider. Depuis que le gouvernement est
charge de .subvenir a la snbsistance du clerge, auquel la
revolulion de 1789 a ravi ses immenses proprietcs terri-
toriales. les archeveques recoivenl cinq mille Irancs dc plus
que les eveques, dont le trailement est de dix mille francs.
La restauration donnait aux archeveques vingt-cinq mille
francs, ct aux eveques quinze mille. Un regime plus eco-
noniique, depuis 1830, a baissc ce laux. Nous aimons a
croire charitablemenl que les contribuables en out eprouve
un allegement proporlinnnel dans les impots...
(Jnant aux autres prerogatives qui accompagnent le siege
arcbiepiscopal, nousajonterons que le gouvernement agree
pour I'archeveque trois vicaires gcneraux, et deux seule-
ment pour I'eveque. Lechapitre metropolilain se compose
de neuf chanoines, et celui do I'eveche n'en a que hiiit.
Paris seul compte exceplionnellement seize chanoines en
titre. Le nonibrc des chanoines honoraires est partont
illimite.
Nous offrons en tele de la pnrlie rcligieuse de notre
journal le portrait de 'monseigneur Denis-Auguste Affhe,
arcbevcque de Paris. Depuis le 6 aout 1810, ce prelat
porte avec une .sollicitudc eniinemment pastorale le jioids
d'une charge c|ui exige aulant de prudence que de zele.
Mais la modeslie bien connue du melropolitain defend a
nolre-]ilume les justes hommages qu'elle se plairait a pro-
digiier. vi^v
"*t3\ ; \.S° les EvjQtlES.
Srion ce qui a ete djt plus haul, cetle denominalion hie-
rarchique a deux sensi, I'un gcncrique et I'aulre special,
Dans le premier, I'evetfue, episcopus ou surveillant, est le
surcessenr des apolres anxquels Notre-Seigneur a donne
la haute mission d'instruire les peuples par la parole et
de les sanclilior par bs sacremenls. En ce sens, dans la
hierarcbie d'iiistitulion', divine, les eveques oecupent !i
sommile du corps de I'Eglise, sous la pnisidence et la pri-
nialie du successeur de; sainl Pierre, qui est le |iape, evc-
que de Rome.Un corps ne se conceit pas sans une tele.. I
Celle tele est le pontife supreme, chef visible du corps I
mystique. Jesus-Cbrist en est le chef invisible. L'Eglise neti
saurailetre sur la.terre une abstraction meiaphysique; et '
c'est poiirtant lerevc de nos freres adoraleurs du Chrisl,
separes de I'jrfiile calholique. Oh ! oui, certes, c'est bien
nn reve, s^en fut jamais... A ces reveurs, que nous plai-
gnomi-<W fond de noire ,ime, le pape apparait comme un
prinre eirangrr. Sans mil doute, sous le rapport civil, le
soiiverain terreslre de la ville de Borne, de Bologne, de
Ferrare, de llavenne, etc., n'a point ii s'imnu'scer dans
notre regime politique, el vraiment c'est bien pour lui le
moindre souci. Admiiez done celle rare decouverle pour
laqnelle on est assez snrpris qu'iin brevet d'invention n'ait
point ete reclame.
Faul-il se batlre les (lanes pour faire admetlre la propo-
DU MOIS.
jilioii suivaate : le roi de Sardaigtie, !e roi deSmklc, ct
tutliquanli, jiorlaiit un sccjilie iiuclcoiique sous une qua-
lificalion quelconque, sont pour les Francais des princes
etrangers. Mais lorsqu'il s'agit du gouvernemenl spiriluel
des peuples, les lerincs de prince, monarque, roi, empe-
reuT, sont coinplelcment insolites. Or, c'cst comme chef
de I'Eglise que nous cousidcrous le ponlife romain. Pour-
rait-il elre Hrangcr a la faiiiille morale dont il est le pere?
Mais nous ne voulons pas cnipiiilcr sur le domaine qu'ex-
ploite avcc taut de vtrve et de logique I'infatigable Timoji.
Le pape ct les eviiques sunt gouverneurs de I'Eglise de
Dieu ; c'esl I'Esprit-Saint qui leur a confie cetle mission.
Tel est le sens geneiiipie allaclie aii ternie d'eveque.
Tout prelat revclu du caraetere ('piscopal, quelle que soit,
d'autre ]iarl, la ([ualilicalion dout il est invcsti, coinme
celle de pape, de cardinal, de patriarche, d'arclieveque, de
legal, de uonce, est un eveque.
Dans le sens special, on designc sous le nom d'eveque
le prelat charge du gouverneiuenld'un diocese et ordinai-
rement suffragant d'un archeveciue. 11 en est qui ne rele-
vent que du papcimmcdialcmenl, et teletailen France, au-
trefois, I'eveque du Puy. L'eveque dans son diocese exerce,
danssa plenitude, I'autoritc apostolique. 11 juge, il inter-
prete, il consacre, il ordonne, il offre, il baptise, il con-
firme. Tons les prelros, de quelque litre qu'ilsjouissenl,
recoivent do liii, dans le diocese, les pouvoirs spirituels.
Quiconque est en communion avcc lui apparlient a la
grande famille catholique. 11 ne suffit pas neanmoins de
declarer qii'on est avcc son evcipie en 'communion, il faut
encore, dans le cas conlentienx, (pie I'eveque acceple dans
cette communion le declarant. Suflit-il de se declarer
Francais pour jouir des droits do la nalionalitc? La politi-
que humaine, nuUe part que nous sacliions, ne .s'est con-
tentee d'une declaration dece genre. La logiquede I'Egliseest
done cello de tout gouvernement normal et regipar les lois.
Par qui, en France, I'eveque d'un diocese est-il elu'.'
Depuis le celebre concordat entre le pape Leon X el le roi
Francois 1", le chef de I'Elat designe le pretre qui doit
etre promu ,i la dignite d'eveque. Dans un court espace de
quinze ans, ce chef supreme a ete un consul, un enipereur,
un roi. C'esl ce qui juslifie I'e.xpression donl nous nous
sommes servi. Une ordonnance notifie ofliciellement cetle
nomination. L'cUi est-il aussilut eveque, de meme que le
magistral nommcj prefel est, apres la signature royale, in-
vesti de radministralioii de son departenient'? Non, cerles.
La juridiclion spiritueUe ne saurail decouler de la puis-
sance civile. Une information prealaWe sur la doclrine et
'es mceurs de I'elu est faite. 11 amene devant le prelat in-
rormateur ses temoins qui dcposent. Le proces-verbal est
expedie a Rome. Si le pape n'a point de raison legitime de
rcfus, il preconise en consisloire solennel le nouvel eve-
que. Les pouvoirs de juridiclion sont conferes dans une
buUe etenvoyes an roi. Apres quelques formaliles voulues
par les lois francaises, I'elu recoil son inslitution canonique
contenue dans la huUe. Ce ([u'il y a de plus augusle resle
a faire. Nous voulons parler de I'ordinalion ou consecra-
tion episcopale. Un eveque, assislo de deux autres, devra
imposer les mains an prelat elu. C'esl ce qu'on nomme
habiluellement le sacre d'un eveque.
Au jour marque, qui doit elre un dimanche, ou une fete
d'apolre, le consecrateur, ses deux assistants el le candi-
dal a I'episcopat se rendenl a I'cglise ou chapelle designee
pour cela. Le consecrateur doit celebrer la sainte messe.
Apres I'evangile out lieu les ceremonies principales de
cetle ordinalinn. EUes consisleni dans I'imposilion des
mains des Irois eveques sur la tele do I'elu. « Recevez le
Saint-Espril, « lui disenl-ils. C'esl ainsi que le ponlife
elernel, Jcsus-Chrisl lui-meme, cimfera a ses apolrcs le
)iouvoir de lier et de delier, de retenir et de rcmcllre ; et
c'esl aussi dans I'eveque que reside cetle plenitude de
puissance, quand le consecrateur, organe et represc-ntant
du Sauveur, la lui a Iransmise. Pendant ce temps, le saint
livre est place sur les epaules du consacre : I'Evangile,
c'est-,i-dire la bonne nouvelle! Voila, en effel, la mission
sublime qui est confiee au successcur des apolres; voila le
codede la haute legisln lion qu'ildoilcxpliquer, commenter,
persuader, au prix s'il le faut de sa vie. « Le monde vous
(( honnira, vous conspuera, disail Jesus .i ses apolres; il
(I vous chargera de chalnes, il vous Iraquera comme des
« ennemis du genre humain, el la morl sera le salaire de
« vos incessanles fatigues. N'imporle, la vicloire ne vous
« fera point defaut. Vous maniez un glaive qui ne pent se
« briser; car ce glaive, c'esl la foi. »
L'onclion sainle va couler sur le front du nouvel eveque,
ses mains seront fecondees par le saini chreme, pendant
que le choeur invoque les sept dons du Saint-Esprit par le
chant du Veni Creator. Le baton pastoral, signe de la puis-
sance de correction, lui est mis a la main ; puis a son doigt
est place I'anneau, embleme de son inlime union avec
I'Eglise diocesaine dont il devient le myslerieux epoux.
Enfin, quand la messe est terminee, le cascpie du salul arme
la tele du nouvel athlete. L'or el Targenl dont sa mitre
brille lui rappelleronl qu'ainsi doit rayonner aux yeux
des iiJeles la couronne des verlus iq)iscopales, noble parure
donl rOclal scinlillera dans les perpeluelleselernites,f.e\oa
le bingage de rEsprit-Sainl.
tjue nous regrellons de ne pouvoir offrir ici qu'une
faible el legere esquisse de I'auguste ceremonial d'un sacre
d'eveque ! De quelle admiration profonde ne serait-on pas
frappe en lisnnt les nombreuses prieres et les hauls ensei-
gnemenls quise parlagentcelle imposanlefonclion ! Quelle
magislralure lenqiorelle a jamais ete inauguree avec un
appareil si grave, el oii lout parle aux yeux et au coeur un
langage de fui, de charile, de devouemenl !
Le nouveau prelat s'achemine cnliu vers sa ville episco-
pale. Le pasleur va reunirsous sa paisible houlelte les bre-
bis donl il est gardien. IN'oublions pas que le nom d'eveque
signiDe surveillant. Son unique fonclion ne sera done pas
Aepromener une mitre et un baton d'or dans lesnefsillu-
minees d'une eglise { propres paroles de monseigueur Ber-
teaud, eveque actucl de Tulle ) , mais surlout de preserver
son Iroupeau de la dent des loops ravisseurs (paroles de
Jcsus-Chrisl ). Une t,iche redoulable lui est commise, u«
fardeau qui feraitployer des epaules d'ange, lui est impose.
N'ecoulant que la voix du devoir, il devra marcher inlrepi-
demenl a travers les contradictions qui se croiseront sans
interruption sur sa route. Les contradictions! mais c'est
I'clat normal d'une Eglise que nous ajipelons mililanle,
a si jusle litre. Et Jesus-Christ n'a-t-il pas dit : « 11 est
« necessaire qu'il arrive des scandales!.. » Mais la Sagesse
iucarneea ajoute : « Malheur a celui par qui surviennent
« les scandales !»
Le nouvel eveque est intronise avec un appareil reli-
gieux. La loi a voulu neanmoins que rinstallation de ce
magistral spiriluel ful environnee d'une modesle pompe
civile. Elle a regie qu'a la premiere entree d'un eveque
263
LES SAINTS
dans sa ville episcopalo la ganiison SD ticiulrnit en halaille
surk'slieux qu'il devait traverser; que ciiK|ii.TOle lioiiiines
de cavalcrie iraicnt a sa rencontre a im quart tie lieue de la
ville, que ciuq couijs de tanou seraicnt tires en cclte cir-
constance, et qu'un factioniiaire serait place devant la dc-
meine episcopalo. Cetle loi est du 24 messidor an 12 (13
juilleUSO-}). Mais au quatricmc siccle I'empereur Constan-
tia avait doja fait dcs prescriptions de ce genre, en ordon-
nant a rautoritc civile de rendre aux evequcs un honneur
officiel. Le divin foudalcur du cliristianisme avait dit a ses
apotres : « (tuiconque vous honore m'hoaore , quicouque
« vous meprise me mcprise. »
On demande assez soiivent ce qu'il faut entendre par les
cvoques dits in parlibus. Une reponso positive ct lucido
doit ctre faite a celte question, pour satisfairc au juste de-
sir dcs gens du inonde qui , apres tout , sunt trcs-parfaite-
tcment excusables de ne pouvoir se rendre raison de la
difference qui cxiste enlre Ics eveques tilulaires et ccs dcr-
niers. Si le cliristianisme est appclii a porter son Dambcnu
regencrateur sur toule la face de la terrc, il n'est pas ccril
que les peuples, une fois iUuniincs, ne rcpudicront plus
cette bienfaisante luraiere. D'aillcurs les revolutions qui
surviennent en cerlaines contrees en cliangcnt quelquefois
totalement la face, et c'est ce qui est arrive principalemciit
en Asie et en Afrique. Dans le septieme siecle les barbares
se rendirent maitres de plusieurs regions oi'i le cliristia-
nisme etait florissant. De nouveaux peuples remplaccrent
les premiers. Les conquerants litaicnt en grande partie
sectateurs de Mahomet. D'autre part, le schisme de Photius
culeva a I'Eglise romaiue presque tout Tempire grec. Mais
les sieges episcopaux ne pouvaient etre canoniquement
supprimes, car on ne pent reconnaitre ce droit a la rcvolte.
On continua done de les reniplir comme par le passe. Les
eveques catholiques ne purent neanmoins prendre posses-
sion de ces eglises desolees et les gouverner. Us residerent
forcement a Rome ou dans divers royaumes catholiques.
Hi furent done, par le malheur dcs circonslances, pasteurs
sans troupeau. C'est ce qui les a fait designer sous le noni
d'eveques in parlibus infidelium, c'est-a-dire, eveques
dans les contrees inlideles. Us out, comme les autrcs pre-
lats, le caractere episcopal dans toute sa plenitude. Os
eveques inpartibus sont assez ordinairemcnt, en France,
attaches a un diocese pour seconder les eveques tilulaires
dans les fonctions d'ordre. Le plus ordinairemcnt ils sont
destines a remplacer ces derniers, et en ce cas ils out le
tilre de coadjuteurs. Au moment ou nous ecrivons ccs li-
gnes, il n'existe en France aucun eveque in parlibus 'infi-
delium coadjuteur d'un archeveque ou d'un eveque.
6° LES phetbes.
Outre les douze apolres dont Notre-Seigneur etait envi-
ronne, il avait un assez grand nombre de disciples infc-
rieurs aux premiers. Si les successeurs des apolres ont
recu le nom d'eveques, les successeurs dcs disciples ont
ete designes sous celui de prQtres. Aux eveques et aux
pretres seuls il appartient de celcbrcr le saint sacriCce de
nos autels. C'est pour cette raison que le tilre latin de sa-
cerdos est coramun aux uns et aux aiitres. Sous ce rapport,
le pape, I'archeveque, I'eveque et le pretre ont une puis-
sance egale. Le plus bumble preire de village est autant,
eo celebrant la messe , le ministre de Jesus-Christ que le
cflef supreme de I'Eglise catholique. Le sacerdoce est le
complement du sacrement de I'ordre. Mais Ic ministre np-
pele pretre n'est apte qu'a recevoir et ne pent donner.
Nous I'avons deja dit, I'eveque seul fait le pretre, ct cette
fccondite spiriluelle distingue cmiiiemiuenl Tepiscopat de
la simple prclrise. Celle-ci, consideree sous I'aspect sacra-
mcntcl, reufernie une nonibreuse calegnrie de membres
connus sous plusieurs qualificalions. En tele nous devons
placer I'abbc ; cette qualification , dans son vrai sens , est
appliquce au chef ou supericur d'un niouaslero (pii a le
tilre d'abbaye. Quoique I'abbe soil considcre comme un
prelat et qu'il soil dislinguii par des insignes qui semblent
I'egaler a I'eveiiue, comme la crosse , la mitre , I'anneau,
la croix pastorale, etc., il n'est en realilc qu'un simple
pretre. La plenitude sacerdotale n'est point eu lui, et il ne
jiourrait confercr le sacrement de I'ordre. II en est de
meme des generaux d'ordre, dcs autres nombreux prelats
de la cour romaine, tels que les audileurs du tribunal de la
rote, les camcriers, etc., de cette cour. Mais pour nous
borner a la France, selon le plan que nous nous sommes
trace, nous disons que les arcbidiacres, les vicaires gene-
raux, les chanoincs, les superieurs de seminaire, les cures
des paroisses et leurs vicaires apparliennent, par le carac-
tere du sacrement, a la simple pretrise. Les pouvoirs spi-
rituels dont ils sont inveslis pour la juridiction decoulent
de I'episcopat. Quel que .soil le litre dont ils jouissent, ils
ne sont, par le fait, que les delegues de I'eveque. Le gou-
vernement supericur de I'Eglise a ete defore jiar I'Esprit-
Saint aux successeurs des apolres, et non point aux succes-
seurs des dbsciples. Ce n'est point ici le lieu de disculerles
opinions emises en divers temps sur la nature iutrinseque
du pouvoir curial et son origine. Nous ne faisons point un
traite de juridiction. 11 est certain que dans les premiers
siecles I'eveque etait le cure local. Plus tard, le nombre
des lideles s'etant accru, il n'a plus ete possible d'elablir a
la tete de cliaque fraction ou agglomeration de lideles un
eveque. Le chef spirituel de ces subdivisions a ete un sim-
ple pretre auquel, beaucoup pins tard, on a donne le nom
de cure. De la les paroisses dont se compose une division
territoriale connue sous le nom de diocese. Si la parois>e
est d'une population mininie, un pretre y suffit, sous le
nom de cure. Si le soin de celui-ci ne pent snffire, I'eve-
que lui adjoint un autre ou plusieurs autrcs pretres desi-
gnes sous le nom de vicaires, secondaires, administra-
leurs, etc.
Nous tenons singulierement a populariser la connais-
sance d'un fait qui trop gcneralenient est ignore. C'est que
depuis nos revolutions poliliques le clerge ne possedant
plus de propriiiles, I'autorite civile a du pourvoir a la sub-
sistance dcs minislres des saints autels. Mais tons les pre-
tres rccoiveut-ils du tresor national des emoluments? On
serait dans une grave erreur en le pensant. Le clerge pa-
roissial se compose de cures ou desservauts. Les premiers
sont partages en deux classes. A ceux de la premiere le
budget accorde 1 ,500 francs. A ceux de la deuxieme, j^
1,200 francs. Enliu aux cures dits desservauts, et qui|
n'ont point le benefice de linamovibilite comme les pre-i
miers, I'Elal donne 800 francs. Tout pretre qui n'appar-|
tient point a I'une de ces trois classes ne recoit rien dd
tresor. Seulemcnt les vicaires de campagnes et dequelquesi
villes de tres-petite imporlance pcrcoivent une indemnitel
de 300 francs qui leur sort de traitement, conjoin tementj
avec ce que leur assigneut les communes. Jetons mainte-T
nant un coup d'oeil sur I'administratioa paroissiale de In
DU MOIS.
grande capitale. Paris contient douze cures dii premier
ordre, sis de seconde classe, viiigt et une succursales. 11
est facile de calculer ce que coute au tfouvcrncmeiit toul
le service du culte dans les paroisses d'une ville qui reu-
fcrme plus de huit cent mille catlioliques. II n'y a done que
trente-ueuf pnHres diversenient et tres-economiquement
retribues. Mais le nonibre decuple des aulres prelres asso-
cies ii divers titres a ce service paroissial, que percoit-il du
Tresor? Ricn. Le litre el le caraclei'e du prulre n'empor-
tenl done point avec eux Taffcclalion U'un traitemcnt, et
si ce pretre n'csl point a la tele d'une paroisse conune
cure, ou'bicn comme vicaire rural, le tresur public n'a
point (i debourser pour lui la somme la plus mininie. Quels
sont done Ics moyens de subsislance pour le pretre place
on dehors des deux positions precilces?Sa forluue person-
nelle, ou bien, quand il se livre aux travaux du niiiiislere
paroissial on qnalite de sccondairo, rallocalioii pecuniaire
que ha fait un consei! de fabrique. Ce serail done tres-mal
a propos que la dignite sacerdolale serail consideree en
elle-meme comme une place essentiellement refribuec par
le budget gouvernemental. Kous avous articulii le nombre
des pretres retribues a Paris, pour le service des paroisses.
Pourquoi ne formulerions-nous pas le cbilfre? II s'elcvc a
42,000 francs. Celte somme reparlie sur les Irente-neuf
paroisses de la capitale n'atteint pas 1,100 francs pour
chacune... Et Ton se recrie assez frequemment sur la
charge qu'impose a la population ce qu'oa appelle aoblc-
menl le salaire du clcrge...
Muis ce n'est pas au poids de Tor que s'estime la voca-
tion sacerdolale, il est une moisson bien plus precieuse
pour le pretre a recuelllir. Ouvricr dans le champ du pere
de famille, il ne demande que la liberie d'agir. Sil lui faut
le pain materiel de chaque jour, pour soulenir sou exis-
tence, il demande avanl tout, avec I'apulre, non point les
tresors des peoples, mais leur sanclification.
Dans un prochain numero nousesperons pouvoir fournir
plusieurs autres notions analogues, si nos abonoes veulent
bien nous contiuuer leur indulgence bienveillanle.
BIOIS H^ JVlXiJ^TT,
1. Mardi. St Gal, ^v^que de
Clermont en Auvcrgne
mort en 553.
St Martial, premier evcqucde
Limoges, mort au 5^ siecle,
St TiiiERBY , abbe du Mont-
d'Hor, pics de Reims, mort
en boo.
St Calais, abbe, mort en 542.
La vUlc dc Si-Cal;iis ^Sarlliei
en a iiris le nom.
St LLOxonE, evcque en Breta-
gne, mort du ¥ au 5^ siccle.
Ste Eleosobe, vierge et mar-
tyre au 3*-' siecle.
3* Mercredi, La Visitation de
LA Ste Viehge.
Voy. rartide sousce nom,
St Puocesse et Sr Mabtinien^
martyrs au'l^' siecle.
Leurs rcliijues sunt duns la
superbe basilique lie St-Pierre,a
Rome.
Ste Monegoxde, recluse a Tours,
morle en 570.
3. Jeudi, St Phocas, jardiuicr,
martyr en 303,
St Bebthah, evcque du Mans,
mort en 623.
StGu.ntuiern, abb^enBretagne,
mort au 6® siecle.
4. Vendredi. St Ulbic, i5ve-
qued'Augsbourg, mort, 975.
St Odon, archeveque de Cau-
torbery, mort en OCl,
Ste Bebtue, veuve, abbesse de
Blaugyen Artuis, morle en
725.
6 . Slamedi. St Piebbe de
LuxEUBo^Rr., rai'dinul, eveque
de Melz, mort en 1387.
Ste Uolwexe, vierge en Anglo-
terre, morte au 9® siecle.
Le bienheureux Michel -ces-
^ Saints, religieux espagnol,
mort en 1625.
6« Uimanche. St Pallade,
aputre des Scots, mort vers
Pan 450.
St JuLiEN, solitaire en Mcsopo-
tamie, mort en 370.
Sr GoAB, solitaire au diocese
de Treves, mort en 575.
Ste Sexdurge, abbesse en An-
gleterre, morte a la fin ^u
7*^ siecle.
7. Ijundi. St Paktene, Pkede
I'Kglise, mort au commen-
cement du3« siccle.
Oti I'a appele I'AbcUle de la
Side.
St Felix, evcque de Nantes,
mort en G84.
St Glillebaud, cvequed'Aichs
talt, enAUemagne, mortalu
iin du 8° siecle.
StBemjitXI, pape, mort 1305.
8. lEardi. Ste Elisabeth, reinc
de Portugal, morte 1356.
StPbocope, martyr en Palestine
au 4^ siecle.
St Timbaod, abbe des Vaux, dio-
cese de Paris, mort en 1247
9* JHercredi. St Ephrem
d'Edcsse.docteurdel'^glise,
mort en 578.
Scs oeuvies ont clerecueillitis
en 6 Mil. in-folio.
Ste Evelbiue, vierge d'Angle-
tcrrc, morte au 7* si^cie.
Les saints Mautvrs de Gorcdm
en Ilollaude, en 1572.
Les cahinisics les peiidireni
en limine ilu cutliolicisme. Ccs
Diartyis eiaicul au nombre de dix-
iieuf leligicux ou pretres secu-
liers. Admirable exemple de la
tolerance lant precoinsce park's
prolcslants !! !
10. Jeadi. Les sept Fbebes
UABTYRS et Ste F^licite, leur
mere, a Rome, au2'' si&clc.
Ste RuFiNB et Ste Seconde,
vierfjes martyres au 3^ siiicle.
St Udalbic, religieux do Cluny,
vers 1095.
Ste Asialberge, religieuse a
Maubeuge, au 7^ siccle.
il. Vendredi* St Jacoues,
6veque de Nisibe, I'an 550.
On a de lui plusieurs discours
fitrl im|iorlanls.
St Pie I, pape et martyr, en 157.
St Hidclpue, eveque et abbe en
Allemagne, en 707.
La bienheureuse Veronique
GiDL.vNi.viergcd'Italic, morte
en 1727.
12. Kamedi. Sr Jean Gual-
bebt, abbi5 fondateur dcVal-
lonibreuse, mort en 1075
Sr Nabob et St Felix, martyrs
dans Ic Milanais, en 304.
St Viventiol, Evcque de Lyon.
mort au 6^ siecle.
St Andre, jeune enfant mis i
mort par les Juifs, cnTyrol,
en 1402.
13. I>imaiiclie. St Eugene,
eveque de Carthage, et ses
conipagnons, conlesseurs de
la I'oisous les Vandjles, 505.
St Anaclet, pape elmarlyr, 109.
St Tdbuf, eveque de Dol en
Bretagne, mort en 749.
Le bienheureux Jacques de Vo
RAGiiSE ou DE Vabase, arcbc-
veque de Genes, auteur de
la Legendedoree, mort, 1298.
14. Lundi. St Bonavemlbe,
cardmal, evcque d'Albano et
dottcur de I'Eglise, aiort en
1274.
Ses oEuvres sont ea M vol. in4°.
St Camille deLellis, fondateur
de I'ordre des clercs regu-
liers pour le service des ma-
lades, mort en 1614.
Le bienheureux Gaspabd Bon,
reli;iieux minime, mort en
1004.
15. Slardi. St Henbi, cmpe-
roiir d'AUemagnc, mort en
1024.
St Plecitelm, apotre dela Guel-
dre, mort en 752.
St Switiun, eveque de Win-
chester, mort en 862.
16, Mercredi. St Edstuate,
patriarched'Antioche, mort
en 558.
Sps ouvmges ne sont point
parvenus jusqu'i nous.
St Fdlbad, abbe de St-Denis,
prcs Paris, mort en 784.
St Monolphe, eveque de Maes-
trichl, mort en 599.
17. JeiiiU. St Alexis, confes-
seur, mort au 5° giccle.
St Spebat et ses compagnons,
martyrs en Alrlque, morts
au 5° siecle.
Ste Mabcelline, vierge, morte
au commencement du 4®
siecle.
St Enxode, ev(*que de Pavie,
mort en 521.
18. Vendredi. Ste Svupdo-
RosE et ses sept fils, martyrs
en I'an 120.
St Abnodl, ^vequo de Melz,
mort en 641.
St Fuedebic, eveque d'Ulrecht,
ct martyr en 858,
St Bbunon, eveque de Segni ca
Italic, mort en 1125.
19. Samedl. St Vincent ob
Pall, pretre, leherosdela
S64
charil6 chretiennCj fonda-
teur des lazarisles, etc., I'l^-
tcniel honneur de la FiMnC(>
catholique, iiiort t-n 1060.
St Arsese , anachorc'le en
Egypte, aprcsavoircte gou-
verneur dcs enf;ints dercm-
pereur Thoodosc le Grand,
niort en -iiO.
St Uhkticb, cveque d'Autun,
jnoitau 4^ siecle.
St Stmmaqce, pape, niort, 514.
20* Pimanclie. SteMargue-
lUTE, viergc niartyre , pa-
tronne tilubirc d'une pa-
roisse dc Paris, raorte au 5'
ou 4^ siecle.
Ste Juste el Ste Rcfink, mar-
tyres enEspagne, en 304.
St Aubele, ^vequede Cartliagi
en Afrique, mort en 423.
St Jerome Emiliasi, iustituteur
dc I'ordre des soraasques
inort en 1537.
2]. I>un«li. Ste Praxeue
vierge, niorte au commen-
cement du 2" siecle.
St Zoteque, cvcquede Coniane
en Cappadoce , martyr, iiO-1
St Barhadcesciadas, diacre en
Perse, martyr en 354.
St Victor de Marseille, soldat,
ct martyr au 5^ siecle.
II exislait a Marseille et i\ Pa-
lis deux celebres communauics
sons sua iavocaiion.
SCENES
32. Hardi. Ste Marie Made-I
LEiNE, uiie des saintes iuni-
mesqui lurent Icnioins de la
iL'surreclion dc J~C. EUe
est famcuse parsa vie pem-
tenle. Morleau 1" siecle.
Paris 3 unc paroisse sous son
invocaiioii.
St Vandrille, abbe de Fonte-
nellc en Normandie, ntort en
6G5.
St Joseph de Palestine, Juif
convcrti, morlcn3o(j.
STMENiiLE.abbcen Auvcrgne,
mort en 720.
23. Mercredi. St Apolli-
NAiRE, eveque de Raveniie,
disciple de I'apotreSt Pierre,
mortau 1^'' siicle.
St LiDOiRE, evijque du Mans
mort en 597.
Le btenlicureuK Rostaing de
Caprcs, areheveque d'Arles,
mortau 15^ siecle.
24. Jeiidi. St Loup, 6veque
dc Troyes, mort en 478.
Ste CiiiusTiTsE, vierge et mar-
tyre, morte au 5® siecle.
Ste Sigolese, abbesse en Lan-
guedoc, morte au 4^ siecle,
St Romain ct St Davio, patrons
de la Moscovie, martyrs en
1010.
35. Vendredi. St Jacques le
Majeur, apotre, martyris6 a
Jerusalem enran45deN.-S.
StChrisiophe, maityren Lycie,
dans les premiers siecles.
On le representesouvcnt com-
mc uii gL'anl qui porte J.-C. : cc
n'cst ({u'une allusion a son nun)
qui signilie PuriL'-Clnist.]
Ste Glossine, abbesse a Metz
ou Glossiude, morte au 8'
sii^cle.
Sr Marcuerie, eveque de Tre-
ves, mort au 6® siecle.
2G. Samedl. Ste Anne, mere
dp l;i Ste viergc Marie, epouse
de Joachim.
Juslinien I^' fit bMir, en 550,
une ''gliseen sonliouncur,a Con-|
sianlinople.
StGermain, eveque d'Auxerre,
mort en 448, patron de l'^-
gliseSt-Germain I'Auxerrois,
a Paris.
St Evrols, reclus et abbe pres
de Beauvais, mort au 7'
siecle.
St Gondolphe, eveque de Maes-
triclil, mort en 007.
27. Kimanclie. St Pasta-
i.LON, mcdecin ct martyr a
Mcomedie, en 303.
Si Maximilien, St Malciius, St
Martinien, etc., ou bien les
Sept-Uormants, martyrs a
Eplicsc, en 250.
Dans lanuit iJu27 au 28 juil-
let (791, Maxiniilien Robespierre,
lesaiiguinaire lyran, ful arrfete, et
mis a mort le 2S. Quel sinisire
jour de fi;ie\ 6 Providence!
38. I^aiidi. St Nazairg et St
Celsk, martyrs a Milan, vers
I'an 08.
St Victor, pape, africain d'ori-
gine, mort en 202.
St Issocent I, pape, mort, 417.
St Samson, 6vcque, mort, 564.
30. Uardi. St Lazare, Ste
Martjie ct Ste Marie, botes de
N.-S. J-G.
Lazare fut ressuscit6 par le di-
vin Sauveur. On pretend qu'ilfut
premier evi''iiue de Marseille, et
qu'il y mourut, au I*' siecle.
I St Prosper, eveque d'Orleans,
mort au5° siecle,
St Olaus, roideNorvv^ge, mar-
tyr en 1050,
30 Mercredi* St Addon ck
St Senen, martyrs en 250.
Ste Juliette, martyre en Cap-
padoce, au 4* siecle.
31. Jeudi.STlGNACEDELoTOLA
lundatcurdes jcsuiles, mort
en 1550.
St Jean Colombisi, fondaleur
desjesuatesen Italic, mort
en 1307.
Ste Helene de Skofde, niartyre
en SuL'de, mise a mort par
ses propres parents paicas,
en 1160.
(
SCENES, RECITS, AVENTURES,
EXTBAITS BES PLUS BECEKTS VOYAGE DBS.
IMPRESSIONS DX VOVAGZS
D'UNE JEUNE TOURISTE.
Vieniu', 27avril au 29.
VISITE AD COUVENT DES CAPUCIKS. — CAVEAU MOBTIIAIIIE DES
PE'INCES d'aUTIIICHE.
Une des choses qui daterefit le plus dans mes souvenirs
dc voyai;es, c'esl la visile que j'ai faile aujourd'hui a la
chapelle soulerraine consacree a la sepulture des souverains
el des princes de la niaison d'Aulriche. Celte chapelle est
construite dans le couvent des Capucins ; I'eglise est fer-
mee : il faut entrer par le convent. Mon domestiquc sonne,
un frere se prcsente; on m'inlroduit dans un lieu, puis
dans un autre ; un coUoque s'etablil, el comnie je ne com-
prends pas ce qui se dit, je vais oii Ton me mene.j'ecoute
et j'attends. Est-ce par faveur qu'on me fait ainsi penelrer
dans les divers reduits dc ccltc austere retraile, ou lilen
les capucins sont-ils ainsi en rapport avec le nionde exte-
rieur? Quoi qu'il en soit, voici la sacristie oii quelques
frcres achevenl leurs prieres, oil d'autres disposenl les
objets du civile. Un peu elonnce de me trouvcr aupres de
ces hommes a longues barbes, que je n'avais jamais vus
qu'on images, etquc, dans mon enfance, jetenaispour des
elrcs plus fabuleux que reels, je me sentais grave ct cu-
rieuse sans le vouloir. Quand je dis que je n'avais pas en-
core vu de religieux de eel ordre, je me trompe : n'a-
vais-je pas fait route sur le bateau a vapeur avec un de ces
hommes de prieres; enlouree de beaucoup d'autres hom-
mes, n'avais-je pas ete d'inslinct et de premier mouvcment
pres de ce personnage qui lisait son breviaire en silence,
me sentant connne protegee par son voisinage. Je ne sais
s'il comprit ma pensee, je le crois ; car il est done a coup
sur d'une penetration vive, ct il y a sur ses traits plus
d'espril qu'il n'en vent montrer peut-elre. Toujours est-il
que la vne de mes nouveaux holes reporta ma pensee vers
mon saint compagnon de voyage, et je me senlis porlee
pour eux a la consideration et aux egards. Ces sentiments
me parurenl rcciproques, cl comme les frcres elaicnt, me
dil-on, en prieres, on me fit atlendre dans une chapelle.
J'clais entree seule, jevenais de m'agenouiller devant
I'autel, el nul bruit n'avait encore frappe mon oreiUe dans
ce lieu,lorsqu'une psalmodielugubrevinttouta couplrou-
bler ce silence. Celte harmonic, un peu sauvage, formee
par des voix d'hommes, partait de I'autel oii mes regards
etaient fixes ; et rien cependant ne trahissait la presence
de ces musiciens invisibles. Je prelais I'oreille : tantol une
seule voix se falsait entendre, ct tantot un chteur lui re-
]iundait. Ainsi done, me disais-je, I'homme peut trouver
I'alimeut de sa vie dans la seule pensee de Dieu ; ainsi, celte
DE VOYAUliS REUENTS.
265
nature relive, insoucianle, alliere et fougueuse, peut done
fere domplee par une idee, une abstraction: Dicu! vaincue
par un sentiment : I'csperance ! reduite par une vcrtu : la
foil et ces passions terribles qui tyrannisent I'lmmme du
monde, ces betes furieuses, comme dit I'Ecrilure, ([u'eii
fait-o« ici 1 Des esclavcs humbles et dociles ; on les met
sous les pieds, et la sandale parvient a ecraser le serpent.
Cela est beau, et jcrepelaismonaxiome favori : « L'liomme
est bien grand quand il veut I'elie. » Us ne sc doulcnt
pas, ajoulai-je encore, qu'une femme est la, si'paree d'eux
seulement par une cloison ; lis ue savenl pas que celte
femme prie avcc cux et pour eux ; ils iic savent pas, enlin,
qu'ilsont unauditeur, untemoin. Etccpcndanlils pricnt...
et chaque jour, dans le meme isolement, ils accomplissent
le meme acledevant Dicu seul, et pour lui seul I... 11 n'y
a que la foi qui puisse conduire I'homme dans le tloitre ;
il n'y a que la foi qui puisse I'y retcnir.
Les voix se turenl, on vint me chcrcher. J'entrai dans un
couloir.et de lajevisdefilcr, a quelqucs pas devanl moi, la
legion modeste et grave; je regardai delous mes yeux jus-
qu'a ce que le dernier frere ei'U disparu derriere le tour-
iianl de I'escalier ; alors seulement je songcai ii suivre le
guide qui me devanyait. Le guide, c'etait un des freres ; il
tenait une lorcbe allumee, et me lit signedc le suivre. Je
desccndis un petit escalier de pierre, et je me Irouvai dans
un caveau fort sombre, conlre les mur.s du(iucl i'taient
ranges symetriquement des cercueils glganlcsquc^s royale-
ment ornes. Le religieux, sa tordie a la main, allait de
tombe en tombe, me donnani, avec une mervcilleuse me-
moire, tons les noms, toutes les dates, et tons les details
historiques que je pouvais souhaiter. Tons ces debris de
race rnyale, malgre le luxe de I'art et les recherches de
I'orgueil, oaupaient la bien peu de place. J'eprouvai le be-
soin de communiquer cette idee; je montral au capucin des
armes ciselees, et je fls un geste : j'etais bien siire qu'il me
comprcndralt!...
La mort avail frajqie dans les rangs royaux comme ail-
leurs, sans dislinclion. A cote de ces cercueils colossaui,
gisait parfois une pclite lombe indiquanl le plus jeune age.
Une de ces tomlies fixa longtemps mon altenlion : sur le
.sommel est reproduit en sculpture, avec une grande per-
fection et une remarquable veritc, le personnage qu'elle
renferme. C'est une jeune fille de douze ans environ, qui
scnible rendrc le dernier soupir avec le calme de I'inno-
cence : de petites mains gracieusemenl croisees sur son
sein d'enfant, un ciiapelet relenu par des doigtsmignons,
une petite croix suspeudue a un cou dcllcat, tout cela con-
sliluaitun ensemble saisissanl et atlachantau dernier point.
Dire que cette enfant elait nee de tels on tels de ces rois et
de ces reines ajoulerait peu a I'interet qui s'attache a soa
monument. 11 n'y a que les larmesverseessurles tombes
qui les immorlalisent et les sanclilient.
Je suis depuis lougtemps devant le monument de Marie-
Therese, et je n'en ai pas encore parle. L'enfant a pris
rang sous ma plume avanl la femme de genie, le grand
diplomate, le grand capitaiue, le grand monarque, la noble
epouse! c'est une de ces injustices donl on ne peut guere
Irouvcr le motif, et pour lesquelles on ne se sent point de
repenlir; batons-nous cepcndant de la rcparer.
Tout le monde salt I'histoire de Marie-Therese ; mais il
en est des details de la vie des grands personnages histo-
riques, comme de ces hors-d'ceuvre choisis, qui gardent
leur savcur a cole des mets principaux.
Marie-Therese n'avait pas une de ces ames vulgaires que
les pompes humaiues peuvent enivrer : forte tete et grand
co:'ur, clle savait accorder a sa position toutes les capacites
de son esprit, et garder virginalement les facultcs de son
4me. Elle ne souffrait pas que le contact des hommes vint
troubler la pVix du recueillemenl, du sanctuaire qu'elle
avail crce en elle-meme : la grande reine avill compris I'im-
portance de ces halles inlellecluelles qui permeltent de
dresser I'inventaire du bagage spirituel, cl au moyen des-
quelles I'elre moral se relrempe el .se viviCe.
Aussi bonne epouse que grande souveraine, la reine,
naivement splendide et rayonnante de faculles supremes,
n'avait jamais songe a s'isoler dans , les rayons de sa
34
SCfeNES
gloire, en confondant ingdnument coquc la posterite a se-
pare : elle remerciait le ciel qui I'avait fait I'epouse d'uii
grand liomme.
(Juand la raort, en frappant avant die celui qu'elle avail
toujours clieri et honore, lui cut a|>pris le dernier mot
de j,a vie, elle n'eut plus qu'une volonte, celle de mctlrc a
proDt ce grand et douloureux enseignemeut; et pour y
parvenir, malgre tons les obstacles que lui opposaicnt le
monde, ses exigences et scs passions, elle consacrait un
jour par semaine a la meditation et an silence ; et ce si-
lence, qu'elle nepensaitoLtenir autourdu trone, elle allait
le demauder a la tombe. Tons Ics huit jours, et durant
quinze annecs, la reine disparaissait aux yeux des courti-
sans. Oil etait-elle? Dans un caveau et sur un cercueil... Et
ce qui la conduisait la, ce n'elait pas uue de ces douleurs
charnelles aussi ephcmeres qu'elles sont passionnees, c'e-
tait une de ces douleurs digues comme tout ce qui est re-
ligieux, stable, comme tout ce qui s'nppuie sur Dieu ; belles
comme lout ce qui rcnferme I'esperance? Aussi le temps
n'apporta-l-il aucun cbangemenl, aucune modification a la
toucliante habitude de la reine; la mort seule put ratltre
un lerme a ces visiles ediflanles. Et par I'effet d'uue pres-
cience surnaturelle accordee quelquefois a ceux qui out
beaucoup aime, I'epouse fiJele fut avcrtie que I'instant ap-
prochait d'habiter a son tour ce lieu de rcpos, d'cntrer
dans ce double cercueil prepare depuislongtempspour elle.
Un jour elle viut au tombeau comme a I'ordinaire; puis
elle dit, en le quitlant, au frere de la communautci qu'elle
trouva sur son passage : « C'esl pour la derniere fois que
je viens ici. » Le frere parul clonne, car il la voyait forte
et bien porlante. « Oui, ajouta-t-elle, c'esl pour la derniere
fois ; quebjue cliose me le dit, je vais bieulijt mourir. »
Huil jours apres, le caveau renfermait un cadavre de
plus, et le superbe mausolee que je viens d'admirer gar-
dait pour la posterite deux depouilles qu'elle vientaujour-
d'hui visiter avec Tinteret et le^ respect qui leur soiit dus.
Si quelque chose pent surnager dans le deluge des vaniles
terreslres, c'cst assurement la CJelile et le genie.
L'histoire et I'art retienuent longtemps I'etranger pres
du monument royal ; on veut voir, sous tous leurs aspects,
ces deux grandes et nobles figures inclinees I'une vers
I'autre, coucliees sur le sonimet d'un socle giganlesque ;
sur ses qualre llancs sont des bas-reliefs figurant les prin-
cipaux evenemenls des deux regnes.
Mon guide, qui pensait sans doute qu'apres le programme
debite par lui, 'on n'avait plus rien a faire qu'a passer
outre, contiuuait en effel son bou office, ets'eloignait sous
lavoute. Je profilai de ma solitude pour m'agenauiller un
moment : prier devant la mort, c'esl lui gagncrune ba-
taille. Non loin de la, se Irouvait aussi la depouille fraiche
encore de ce jeune due qui naquit roi.... Marie-Therese
n'elait pas la pour orner co cercueil modeste et pour
prendre sola de la majesle des lombcs princieres ; tout ce
qui, dans ce lieu, n'a pas ele louche par elle, est denue d'oi-
ncment. Les rois de nos jours ne fondeut plus pour I'ave-
nir ; ils vont comme le siecle, au jour le jour.
Je me retournai ; nion guide, sa torche a la main, m'al-
tendait respectueusemeut a I'cxtremile de la voute. Le
jour, qui s'introduisait en eel endroit, formait derriere lui
une aureole lumineuse sur laquelle il apparaissait en sil-
houette vigoureuse; il aurait falhi saisir la palelte, mais
ce n'elait ni le temps ni le lieu, et jemontais lesdegres du
caveau, lorsque je ra'aper^us qu'un demes gants avail dis-
paru. J'cn avals fait le sacrifice, mais mon officieux con-
ducteur se mit a la recherche, et prelendit pouvoir re-
trouver ce mince objel au milieu des rangs obscurs etser-
res des cercueils de bronze. Je lui aurais evile cetle peme,
si je n'avais vu dans cette inconstance le moyeu de relour-
ncr encore un moment a mes tombes favoriles. Je fiis plus
heureuse que le bon capucin, j'aper(;us bientol mon pauvre
petit gant qui gisait humblement au pied du triJue de la
grande reine. Cetle espece de defi porte ii la mort avail
quelipie chose de piquant et de singulier, qui me rappela
les siecles de la chevalerie ; et, par I'effet d'unc de ces evo-
lutions que I'imagination opere on ne sail poiirquoi, je me
Irouvai tout a coup en esprit dans renceiiilo golhique du
chalcau des templiers. La je vis Rebecca jeter niodcste-
raent son faible gage de combat devant ses jugos alliers;
je vis rindomiitcBriantde Bois-Guilbert, raraassant ce gant
de femme ; enfin loutes les belles pages du roman de la
juive se placerent d'elles-memes sous mes yeux.
A propos de gant perdu et retroiive, je resolus de le
garder en souvenir. Je me disais en le regardant: « La mort
puiiil peul-etre les Icmeraires, mais elle n'est pas, j'espere,
aussi severe pour les ctourdis. » D'ailleurs, je me sentais
aussi peu fiere en ce moment que Rebecca; m'avouant nai-
vemeut que je voulaisvivre, si faire se pouvait, mais nean-
moins resignee aussi comme elle.
Odessa, 26 aolti I84i.
C'esl avec bonheur que nous avons recueilli ce feuillet
du journal de la ravissante voyageuse, qui, par megarde,
I'avait laisse lumber. Le rccit est admirable de simplicile;
on y remarque une haute philosophie unie au sentiment
Chretien donl I'auteur est penetre. La femme s'y monlre
souvent, et comme toujours, avec sa sensibilile, sacharite,
sa bonte ; et devant uu mausolee d'enfant qui I'arrete
plus longtemps qu'un autre, nous voyons aussi I'amour
malernel se reveler dans ce coeur, qui semble etrele sanc-
tuaire de tonics les verlus tie son se\e.
Et nous aussi, au temps des conqueles, dans une de ces
courses rnpides a travers I'Europe, nous nous sonimes ar-
rete un moment, court comme celui que nous donnions
ii loule chose, dans ce convent de capucins; remettons-
nous en memoire ce que nous en ecrivious alors (1809)
sur nos tableltes.
Le convent des capucins, lieu de sepulture des souverains
et des princes de la maison d'.Vutriche, est situe a Vienne,
sur la place Newmarkt.
Parmi loutes ces richesses de la mort qui se voient la,
le mausolee de Marie-Therese est celui qui parle le plus a
la pensee, qui airele le plus longtemps le visiteur; j'ai eu
peine ii m'en detacher. L'ceuvre, qui est iidmirable, mais
qu'il ne m'elait point donne ilc juger en artiste, m'a moins
saisi que la vie de celte grande reine, qui .s'esl lout a coup
reproduile ii ma memoire, et avec aulant de Incidite que
si j'avais eu le hvre sons les yeux ; et ii son arrivee chez
les llongrois, je scnlis une larme furtive roiiler sous ma
paupiere.
J'ai anticipe sur mon recit. Le convent des capucins, oii
nous sonnnes, fut fonde par I'empei-eur Malhias el son
epouse Anne; mais il ne fut conqdelemenl acheve qu'en
162-2, par I'empereur Ferdinand II L'egllse et le convent
soul d'une extreme simplicile d'apres la regie de pauvrete
de eel ordre religieux. Tous les elrangers sont admis sans
DE VOYAGES REGENTS.
SS6T
difficulle a Ics visiter. On voit a droilc ct a gauche, dans
ce caveau voule, les cercueils enlouros d'une grille dc fer;
une seule lampe les eclaire.
Le tombeau de I'empereur Mathias et celui de son epouso
BOnlles plus anciens; dcpuis celte epoque, tousles piiaces
de Jjmaison d'Autriche ayant ele inhumes ici, leur nom-
bre s'eleve maintcnant (1809) a soisante-huit. Partni les
tombes les plus reniarquables, il faut citer celles de I'empe-
reur Leopold 1" et de son cpouse Elconore, de Charles VI,
de I'imporatriee Marie-Therese, celle de son epou\ Fran-
cois 1", que cette graude souveraine a fait clever; enlin celle
de I'enipercur Joseph II. Y,
mSURS I&XANDAISES. — TABLEAU DE Zi'IBLLAMSlB FAR UNE IRLAMDAISE.
n cstlieureux pour raoi de n'etre pas de ce sexe qui est
regarde comnie superieur dnns I'ordre de la creation; si
j'eusse ete un de ces grands diguilaires de la nature hu-
maine, je n'auraispas ose hasarder mon opinion sur I'or-
gueil dcsIrIandais,dmoinsquc,faliguce dela vie, je n'eusse
resolu d'en faire un honorable sacrilice en m'esposant
aiasi, par des veriles dures, a la Iiaine et au ressentiraent de
mes concitoyens. Je renonce, ct je le declare francbemenl,
ii tout esprit do parli, j'ni dit tout ce que je pensais ; niais
les verites que j'ai sigiialces jusqu'd present etaient plutot
des defauts que des ridicules, et je n'ai fuclie personne,
car un Irlanduis consentira bien (pourvu toutefois que ce
ne soit pas apres son diner) a raisouncr, a discuter avec
vous; mais je doute fort que sa philosophic s'etendejus(iu'a
lui faire supporter les railleries d'une femme. 11 est vrai
que lursque je rellechis aux absurdites, aux inconsequences
dans lesquelles cet orgueil a entraine mes pauvres conci-
toyens, je me sens plulot disposee a les plaindre qu'a les
railler. Dans tout ce qui a rapport a I'lrlandc, les reves et
les pleurs se confondent et semblent inseparables ; coinme
la musique nalionale, ce pays excite des sentiments de
tristesse ct de plaisir.
L'orgueil de la nation forme le caraclere principal des
Irlandais, il circule avec le sang dans leurs veines. En Au-
gleterre, ily a des distinctions; I'aristocrate est fier de sa
naissance, le citoyen de ses richesses, I'artisan de son me-
tier; mais chez les Irlandais, les litres de noblesse sont les
seuls dont ils tireut vanile. La probite, rindustrie, I'inde-
pendance, ne sont rien; mis en comparaison avec ce prejuge
national et indestructible , un homme noble, quoique a sa
troisieme geneiation et ne possedant pas un sou, rougirait
de se livrer au commerce. Je me souviendrai toujouis d'un
marchand mercier, ne gentilhomme, qui m'amusa beau-
coup en me disant, avec des yeux oii brillait l'orgueil ir-
andais : « Ce n'est pas de vivre du travail de mes mains
qui me rend fier ; non, grSce au ciel! quoique pauvre, je
puis me vanter de mieux que cela. Le sang des O'Neil coule
dans mes veines...' — En verile, repliquai-je. Et com-
ment alors avez-vous pu vous mettre a coudre des ganls?
— Ablc'est que... voyez-vous, madame, noire famille a
eprouve bien des nialheurs... Mon pire ( que Dieu lui fasse
miscricorde I ) ne voulut point ine mettre dans le com-
merce, et niourut honorable. Malgrc sa pauvretc, il laissa
de quoi pourvoir a ses funerailles, et ce (|ui vaut bieu
mieux encore, il me laissa une copie des armoiries des
O'Neil, qu'il avait longtemps auparavant fait peindre, par
Jacques Malvany, sur la porte de sa chambre. Lorsque ma
mere ( elle ctait du nord de I'liiande ) me fit connailre
qu'il elait temps que je lisse choix d'une profession, moi
qui songcais surtout ii I'honneur de ma famille, je refusal
net; mais ma mere elait une femme experimentee. Levez
la tete, mon fils, me dit-elle ; regardez ces armoiries de vos
ancelres ! Pourquoi rel'useriez-vous de prendre un metier
dans un des altributs qui le composent? Voici des lions;
au milieu vous voyez un poisson, et au-dessus un gant ou-
vert. Le poisson signifie les pecheurs; le gant les mer-
ciers. En el'fel, voire oncle, le frere de voire pere, est mer-
cier; le gant fait partie de noire ccusson. Croyez done
voire mere, Benjamin, lorsqu'elle vous assure qu'il ne peut
y avoir de deshonneur pour vous ;'i prendre pour me-
tier I'un des emblemes de voire famille. C'est le seul que
je puissc vous conseiller avec plaisir, et, comnie un brave
garcon que vous eles, j'espere que vous vous en ac<iuilterez
digncmcnt. » Pauvre Benjamin, je soupgonne que sa mere
avail garde pour elle le bon sens de sa famille.
Mes lecteurs ignorent peut-elre que le nord de I'lrlande
est la parlie la plus comnier^ante, et par consequent la
plus fertile et la plus heureusc de tout le pays. Mais il est
curieux d'observer avec quel mepris les autres habitants
traitent leurs industrieus voisins. En Angleterre, c'est tout
268 ^^^^
niiire chose. Coinliicn im commercniil paraitrail ridicule s'll
pnrlnil dc scs liaisons avec uii ni'islocralc, autiement que
sous des rappoils d'affaires ou d'inlorcl !... Si au moins cet
orgueil national clevait ranie, s'il donnait I'idee d'une
noble independanco, s'il rcndait incapable d'une mauvaise
action, ce serait alors une faiblcssc pardonnable et qui
porterait d'bcureus fruits. Dans mon pays, par malheur,
il n'a d'autres rcsultals que d'injustes clanieurs conire
toule pspece de |)rofession qui senible incompatible' pour
nn Irlandais avcc la mcnioirc d'O'Blaney, O'Brien, Mac
Murrasli, Mac Carlbys, O'Toob, etc. ; et ceux mcme qui
ne tiennent par auciin lien de famille a ces morts illustres
se doiinent un faux air de noblesse qui est revoUant par
son absurdile.
II y a quclque lenips (pi'nne de mes amies avail a son
service une I'emme de cliambre anglnise, ct une cuisiniere
irlandaise. La jeune Anglaise, nommee Lucy Bekamer, elait
le vrai niodele de ce que doit etre une servante, propre,
active, soigneuse, attentive a ses devoirs : c'etait nn plaisir
de la rencontrer sur Tescalier, avcc sa serviette blanclie
commencige, sabrosse, son balai, son pctitbaquetd'etain,
lout cela aussi propre, en aussi bon ctat que s'ils n'avaient
jamais servi ii secouer la pnussicreou a abatlrelesaraignees;
il fnllail la voir avec ses beaux clieveux sur son I'ronI en
longues tresses cgales, destinecs a cacher les papillotes
qu'on devait oler le soir; sa jjetite reverence, en se ren-
geantcontrc Ic niur iionr vous laisser passer, son sourire
gracieux qui semblail dire ; « Puis-je etre agreable a ma-
danie '? » Enlin die ctait si gracieuse dans tout ce qu'elle
faisait, que, pour rien au monde, sa niaitresse n'aurait
voulu voir le moindre cbangenicnt dans sa personne.
Betsy la cuisiniere nous diverlissait aussi , mais d'une
maniere toulc differcnte ; ces deux jeunes lilies, qui avaient
cependant de Taffection I'une pour I'aulre, ne sc ressem-
blaient nnllement. Lucy etait jolie et petite ; Betsy avail
plus de regularitc dans les trails et ujie laiUe plus elevce;
la vuix de Lucy ctait douce et tiniide, celle de Cetzy forte
et percante ; les clieveux de Lucy ctaient blonds, ceux do
Betzy noirscomme I'aile d'un corbeau. 'Vive et ctourdie,
son humeur variait a chaquc instant. Ses moiudres atten-
tions ctaient toujonrs accompagnees d'une sorte de fanii-
liarite; elle avail du talent coinnie cuisiniere, mais point
d'ordre ; les mels etaient excellents, mais mal servis; les
plals ranges d'une maniere irreguliere etsouvent du cote
on ils ne devaienl pas etre; les jus, les polages, les sauces,
toujours pres de se repandre sur la table ; meme dcsordre
dans sa toilette. Au lieu de cette ju-oprete, de cet arrange-
ment qui cliarmaienl dans Lucy, Betzy avail toujoure ses
bas sur ses talons, son mouclioir de con pose de leavers,
dccouvranl une de ses ejiaules, et son tablier denue de
cordons. Telle elle etait jusqu'a six lieurcs du soir; on la
voyail reparaitre en grande tenue, resscmblant a une pi-
voine, son bonnet surrnonte de rubans rouges el sa robe
garnie de falbalas de difl'crentes coulcurs.
Je ne sais trop comnienl cela cut lien, mais je sus que
Lucy, cette jeune lilie aux yeux baisses, si douce, si mo-
deste, cette servante modele qui anrait fourni a miss Mil-
ford le sujet d'une de scs cbarmanles esquisses, Lucy avail
un fiance : c'etait un jeune coclier assez beau garcon; il
avail si bien fail claqucr son fouel ; qu'il avail Irouve la
route de son cieur, mais c'est avec le sien qu'il avail paye
le droit de barriere. Le jour de son mariage ctait fixe. Ce
fut peu de temps aunaravanl qu'eul lieu la scene suivante
entreles deux jeunes (illes. Lucy elail assise a une table,
occnpee a arranger des rubans de satin blanc; Betzy le-
nail une bouiUoireencuivre, else conlentail d'en netloycr
le debors ; car en Irlande, et souvenl meme en Angleterre,
les domesliqnes s'inquictenl moins de la proprele reelle
que de la proprele appareule deleurs ustensiles.uEh bien,
Lucy, disait-elle a sa compagne, avez-vous enfin achete la
licence? — Quelle licence? demanda Lucy. — La licence
pour vous marier, repeta Betzy. — Comment, ma chere,
pouvez-vous nous supposer assez fous pour depenscr noire
argent ii acheter une licence ? Nous serons in.iries tout sim-
plemcnt au moycn des bans qui onl ete publics le mois
dernier. )i A ces mots, Betzy laissa tombcr d'un cole la
cire noire, el de I'aufrc le blanc dont elle ncttoyail la
bouiUoire, el, frappanl dans ses mains pour en secouer la
poussiere : « Ne m'avez-vous pas dit, reprit-elle en regar-
dant flxemenl Lucy, que vous et Edmond aviez economise
unesomnie suffisanle pour meubler deux chambres el vivre
convenablcmenl pendant quelque temps? — Oui, repondit
Liicv.Qu'esl-ce que lout cela a decommun avec la licence?
— El une honorable jeune fiUe comme vous viendra me
dire qu'elle va se marier sans licence? — Certainement;
croycz-vous que nous ne trouverons pas nn meilleur em-
ploi de noire argent? — El voire idee esl pourlanl qu'une
pareille union doit durer loule la vie? — Fasse le ciel que
cela soil! repondit la gentille servante. — El cependant
vous n'avez point achete de licence, vous allez vous marier
comme de veritables paiens du temps de Nabuchodonosor.
Certes, cela sera beau a voir... Une fiUe honnete, Lucy
Bekamer se contenter de faire publier des bans... Ma foi I
je m'ctonne que vous ne cherchiez pas quelques couples de
miscrables mcndiants pour vous servir de temoins... Point
de licence!... et vous avouez cependant que vous avez
cpargne assez d'argenl pour meubler deux chambres... Des
bans!... comme si vous ne possediez pas un sou !.. Quant
a moi, Diou merci ! j'ai plus d'orgueil que cela, je vendrais
plutut jusqu';i ma chemise que de n'ctre pas mariee decem-
mcnl. -^ Ce ne serail pourlanl gucre le moyen, reprit
Lucy en souriant. — Oh I celle bassesse des Anglaises 1
s'ecria Betzy; dire qu'ellessont incapables dans loule leur
vie d'un moment d'cnthousiasrae!... ces voisins civilises I..
Commenl, Lucy, vous ne songez qu'ii voire menage? En
Irlande, nous autres, nous ne nous inquictons que du
prelre, de la ceremonie ; nous ne croirions pas etre mariees
si nous ne I'etions pas decemment. Qu'imporle la misere
ensuile, pourvu (|u'on se soil monlre digne de ses ancetres,
el assez desiuteresse pour ne pas songer uniquemeut a
I'argenl?... — Mais, moi, j'y songe, repliqua la jeune fian-
cee ; j'ai Iravaillc pour cela, Betzy ; cependant, croyez que
je desire tout autanl que vous d'etre mariee decemmenl,
sculemcnl nos idees la-dessus sonl diffcrenles. Qui saura
quand j'enlrerai dans I'eglise ou quand j'en sorlirai, si
j'avais une licence ou si je n'en avals pas ; et si quelqu'un
s'en inquiete, que m'importe? — Vous me failes honle,
Lucy, s'ecria Betzy loujours plus courroucec ; je vous le
repele, vous me failes honle. Vous n'avez aucun eganl
pour voire famille. — Je I'ai prouve, cependant, repliqua
Lucy; j'ai soulenu ma pauvre mere jusqu'a sa mort; si
elle cut vecu, je ne nie serais pas mariee... » A ce souvenir
queli|ucs larmes briUerenl dans les yeux de Lucy. « Je sais
que vous avez un bon ca;ur, reprit Betzy un peu enuie;
mais je ne puis m'empccher de dire que vous soulenez mal
riionneur de voire famille. — Mon oere n'elait qu'un tail-
DE VOYAGES REGENTS.
teur, dit Lticy, je ne puis m'enorgiielllirque de sa probile,
et elre mariee sans licence ne pent y porler aucune at-
teinlc. » A ccs niols, Dclzy jeta sur Lucy deux regards que
celle-ci n'apercul pas, elant occupi'C en ce moment .i con-
fer en forme de cffiur le hout de sos ruhans. Un de ces re-
gards s'adressait sans doute an lailleur,l'aulro a Lucy.Elle
resla quelques moments sans parler. ensuile redressantsa
tele avec autant de fierle que si ellc avail deja sa parure
du soir : « Eh lien, Lucy, dil-ello, excuscz-moi si je ne
suispas votrc demoiselle de noce ; s'il ya des gens qui ne
peuvent nommer leur pere et leur famiUe, je ne suis pas
de ce nombre, Dicu mercil et je n'assisterai point i un
manage qui n'a pas de licence ! »
(( N'en deplaise a Voire Uonneur, disait une vieille
femme dont le nom et la parente n'avaient rien d'illustre,
ma fille serait assez dispnsee a prendre du service en Angle-
terre ; mais ici, en Irlande, elle ne le pourrail pas a cause
de sa famille. — A la bonne heure; mais si ses parents
ne veulenl pas qu'elle se melte en service, qu'ils lui donnenl
an nioins des habits pourse garantir du froid. — Oh I Voire
Bonncnr, soyez sur, lant que nous vivrons, nous ne man-
querons pas de pain avec eux... Mais quant .i des habits,
comment pourraient-ils en fournir a loute la famille? Oti
en prendraient-ils?— Alors mettez done voire lille en etat de
les gagner. II y a beaucoup de fermiers respectables qui la
prendraient volontiers a leur service. — Mais songez done
ii sa famille, ils ne voudraient plus la regarder; ce sont
Ions gens honorables qui n'onl habile que sous leurs pro-
pres tiiits el garde que leurs Icsliaux. Jamais aucun de
leurs enfants n'esl entre au service. Ma fille en a envie,
mais 11 faudrait pour cela qu'elle fut hors du pays, afin que
personne n'en sut rien.i)
Celle quiparlait alnsi etait une pauvre veuve chargee de
cinq enfants, vivant presque d'aumones, el qui cependant
refusail a sa fille, jeune, forte, laborieuse, de chercber a
gagner sa vie, parce que ses parents ctaient ce qu'on ap-
pelle, en Irlande, depf(i(s proprie (aires. C'csl im exemple
sur vingt autrcs que je pourrais citcr de celle repugnance
des Irlandais pour le travail, repugnance qui ne vient point
de leur paresse, mais de la crainle de faire deshonneura
leur famille. Ce prejuge ridicule a souvent des resullals
bien funesles. Etrae trouvanl au milieu d'une famille que
j'aimais el respeclais, je n'ai pu m'empecher quelquefois
de gemir sur le triste sort qu'il preparail a ces jeunes en-
fants briUanls de fraicheur et de sanle, et de songer avec
Irislesse aux chagrins, aux privations qui devaient un jour
en ternirl'eclal. Dans lous les rangs celle fierte regne.
Le meme orgueil insouciant caractcrise et les Irlandais
qui vont defricher I'Anierique, el ceux qui vont pecher les
enormes tortues de Madagascar et de Cevlan.
Les filles rccciivcnt une education superDclellc ; on
leur apprend un peu de tout, el elles ne savent presque
rien. Elles ont, il est vrai, des qualiles qu'on ne trouve
pas toujours en Angleterre, de la douceur, de la bien-
veillance, un bon naturel; mais elles sont elourdies, mal-
adroites, deraisonnables, ce qui se voit rarement parmi les
Anglaises dont Peducalion est mieux dirigec. Les his, en
grandissant, deviennenl de profonds poliliques ! s'exnllant
les uns les autres sur leurs opinions ; toujours pres de se
couper la gorge pour soutenir un parli ou un prejuge qui
Dalle leur orgueil ; devoues a une coterie, mais sans esprit
de palriolismc, ct pen disposes ,i faire aucun sacrifice per-
sonnel pour le bien de leur pays. Ils vont ii la chasse, a la
pecheet Ibinenlune partie dela journce. lis ne manquenl
cependant pas d'instruclion. el sont les meilleurs enfants
du monde quand ilsne se nielent pasde politique. Du resle
quelle perspective nnl-ils? Le pere ne possede qu'une
fortune mediocre, souvent meme embarrassee, qu'il ne
pent, en reslant en Irlande, ni degager, ni accroitre; s'il
parvient a marier une ou deux de ses filles, les autres
270
SCENES
rcstcnt a sa charge, augmcntem la deponse du nicnnge, ou
vont passer sis mois, taiUot clioz une amie, tanlot clicz une
autre, dans mie sorlo do moiulirile honlouse que lie di'dai-
gne point cepenJiint cc pciiplc or|;neilloHx.
II n'en est pas ainsi dcs jcunes pcrsonnes en Anglelerre.
Si Icur pere estriche, dies rcslcnt avec lui et jouissent de
km- fortune ; s'il est ruine, clles nicttenl leur orgueil a se
isulTire .i cUes-menics. Les talents qu'elles destinaient a
cnibellir leur existence, elles s'en servenl pnur soulager
lenr famille. Cetle dure necessite ne fail qu'exciler Icurs
geucreux efforts, et loin de Icur faire perdre aucune con-
sideration, nne telle condnite leur attire encore pins d'nd-
iiiiratinn et de respect. A I'cgard dos fils, nn dialogue enire
iin Anglais el un gcntilliomme d'lrlande les fera niieux
cnnnaitrc que ce que j'en pourrais ilire.
« Votre fils aine, disail le gentilhonime anglais, doit natu-
rellcment succeder a vos Idens, mais je m'etonne que vous
n'ayf- pas songe ri lui faire embrasscr quelque profession.
Nos fortunes sonl les nicmes et nous avonsle meme noni-
bre d'enfauts. Cependant mon fils vient d'cntrer au Middle
Temple.
-^ Charles a quitle le college, repondit I'lrlandais ; les
aines de noire famille n'ont jamais en de profession. —
A la bonne beure. Mais votre fds Alfred , qn'cn ferez-
vnus? — Alfred est destine a Telat militaire, ce serait
folie que de songer maintenant a entrer dans cette car-
ricre ; il faul qn'il reste a la niaison ,i attcndreles chances
d'une guerre. » Le genlilbomme anglais ne voyait pas
trop la necessite qn'Alfred rcsLit a ne rien faire en atten-
dant une mesinlelligence entre nous et nos allies; mais il
fit cette rcllexion en lui-memc, etse contenta de renouve-
lerdes questions au sujct de Robert, le troisieme fds. «Abl
Robert a nne telle Constance, une telle fermete dans le
caractere.que nous I'avons desline li I'Eglise; il a .suivi ses
eludes au college avec nn grand siicces, et il espere ctre
recu quelque jour dans les ordres. — Mais, mon cber
ami, Robert ne pourrait-il pas, en attendant, prendre quel-
ques eleves ? Beaucoup de jeuncs gentilsbommes en Angle-
terre, el meme en Irlande, se suflisenl a eux-memes par
cette noble induslrie. Le rouge monta au visage du vieux
gentilhonime. n La famille deiiia femnie, repliqua-t-il, est en-
core plus elevee que la mienne : son cousin est arclievequc
de"'. (Juand il .songera a pourvoir qnelqn'nn de la faniillo,
nous ne doutons point que son cboix ne lonibe snr Robert;
et, malgre tout le desir qu'il anrait d'utiliser son Icmps, il
ne doit rien faire qui puisse Indisposer conire lui un anssi
puissant protccteur. » Ainsi le pauvre Robert devail vivre
de I'esperance qu'iih jour rardieveque de *" penserait a
lui !...« Mais voMs avez lilt autre fils, continua I'Anglais,
un charniant garcoil dnja grand , que coniptez-vous cu
faire? — AhlEdouard: c'estle plusjeune. 11 a toujoiirsaime
passionnemenl la mcr. Ma I'enime avail un frere qui mou-
rut aniiral. Quand Edonard elail petit, il rcpi'lait sans cesse
qu'il voulait aussi etre ainiral ; mais lady Blake ne pouvait
supporter I'idee d'cxposer son Ills rhi'ri a prendre les nia-
niercs et le ton grossier des matelols, et de le voir se Her
avec quclques jeunes gens de basse extraction, coiiiine on
en voita bord d"un vaisseau. Les annees se soul ccoiilees
depuis; il est mariitenanl Irop ,ige pour faire son appren-
tissage, el notre famille a diichu. Tout ce qu'il pourrait
faire serait de se livrer au commerce et d'entrer cnmnie
commis chez quelques marcbands, mais sa mere en aurait
trop de chagrin; d'ailleursil n'ade goilque pour la marine.
Je ne sais pas trop ceque nous ferons de lui... » Pauvre
Edouard Blake! Ses parents peuvenlle pleurer maintenant,
car il est mort!... Ce jcunc honime si bon, si genereux,
done de qualitcs adniiraldes qui auraient pu reiidre a sa
famille son anciennc splendeur, s'est noye, on ne sail trop
comment, dans un des lacs du domaine abandonne de .son
pere !... Victinie de I'orgneil, de la folie de sa mere, il n'a
)iu soutenir cette luttc conlinuelle entre I'obeissancc qu'il
devail a ses parents et ce de.sir ardcnl de se distinguer si j
naturel a une Sme gencreuse 1 Pauvre jcune lionime 1 je n'ai I
j.-iniais |in entendre parler ties illnstres Illuhe sans me rap-
peleravee iloulenr que le sang lo plus pur de cette famille
s'esl tari dans ses veines!...
Le temps el les circonslances ont deja dctruil en partie
eel (u-giieiUeux prejuge qui e.xistail dans loute sa force cu
Irlande, il y a quaraute ans ; les mccurs, les usages anglais
ont penelrc dans les deserts de Kerry el de Connaniera. La
pUipart des Irlandais ont senti combien ccs idees absnrdes
etaient pen en rapport avec les idees du moment; d'autrcs
sunt niorls de la pestc qui a ravage la conliee; quelques
vieillards, reslesde cette anciennc noblesse, el dont on a a
peine reteiiu les noms, se sonl eteints sur les ruines des
cbaleanx de leurs ancetres; le pen d'amis qui leur snrvi-
vent encore viennent incliner leurs cbcveux blancs surces
tnmbes abandonnees, et rendre a ces ombres illnstres un
bommage qu'ils regardent comme uu devoir sacre I S'il
reste d'eux quelques descendants, ils ont pris du service
dans I'armee, ou ils habitent les forcts de quelques contrees
cloignees.
Ce prejuge n'est pas le seul ; il en est d'autres encore qui
out exerce sur les Irlandais une fiicbeuse influence ; mais le
principe ipii met obstacle aux efforts de I'industrie esl sans
doute le pire de tons, surtout dans un pays sonniis a la
meme dominalion que I'Elat qui I'avoisine, et pour qui le
commerce et I'industrie sonl une source de richesse et de
prospcrile.
Ce contraste entre les deux iles fait mal a voir; cepen-
dant il Irappe pen le voyageur. L'hospitalile des Irlandais,
ce malheureux talent qu'ils possedenlde donner lout aux
.npparences, lagniele,raisanc.e de leurs manieres, trompenl
les lilrangers qui n'ont point habile parmi eux. Celte ma-
uiere d'etre s'etend depuis la inailresse de la niaisoii jus-
qn'au dernier garcon do cuisine; cbacun faitde son niienx,
separe;A'ec ostentation pour soutenir I'honneur de la fa-
mille, sans s'inquieter des depenses et de la ruine complete <
de la maisoUi ijul esl Souvenl le rcsullat de celte ridicule
vanile.
« Que ferai-je? disail le vieiix sohimelier d'une anciennc
famille qui va s'eteindi-e ( car son uhiquS horitier est morl
il y a quinzc-ans, des suileS d'Un duel qui n'avail pour
cause, m'a-l-on dit, que la hianiere de prononcer un nom);
que ferai-je'? des pcrsonnes de haul rang vont venir de
Ituliliu nous visiter, et je n'ai pas un habit a meltre snr le
dos. — J'en achelerais un de nies projires gages, repliqna
le valet d'une maison voisine on le menage allail un peu
niienx, plulot que de porter celui-ci. — Cost bien ce quejc
fcrais, si j'avais des gages, reprille vicux snnimelier; mais
deiiuis trois ans je n'ai pas apcrcii I'effigie d'une piece de
monnaie. — Pourquoi ne les dcmandez-vous pas'? repliqua
I'auire, ou que no qnitlez-vous la niaison? — A quoi mc
servirait de les demander? Et quant i qnitler la maison, re-
pondit raflectionne servitcur, vous n'y songez pas. Qui
est-ce qui souliendrail I'honneur de i« famiite, si je ia quit-
DE VOYAGES REGENTS
271
lais, une f^mille dans laquelle nous avons vftu si long-
temps, mon pere et moi I... Non, non, j'ai pensc que j'eni-
pninterai un haljil. I'ersonue, j'en suis sur, ne refuseia
(le m'en pielcr un pour un molif comme celui-la, I'honneur
de la [amilte! »
Ce respect, cetle affecliou de I'ancien scrvitcur irlan-
dais pour son maitreest bien dcchue; jadis ils etaieni flcrs
de son rang, de sa supcriorile, aujourd'lmi ils sont liers
d'eux-memes ; I'orgueil n'a pas diminuc, il a seulement
change d'objet.
. Que ne puis-je voir parmi raescompatrinles ce sage es-
prit d'independancequidonnc aupaysan allemandcesma-
nieres lionnetes et Tranches qui lecaraclcrisent!... En An-
gleterre, le fermier n'est que civil envcrs son proprietaire;
en Irlande, il est has et rampant, capable de so veiipi^ ell
secret sur son niaitre dune injure personiielle, tjtioiqu'ert
sa presence, il ait toujours I'air d un csdavc, plutot quB
d'un homme libre; niais, sous celte vile apparcnce, I'or-
gueil cxistc, il fcrmenle dans le sang du p.iysan iriandais,
et s'il n'agit pas en faveur du maiire, il agil conire hii.
Quandlejeune Murphy, le mourlrier de M. Foote, dans
le comte de Weslford. fut pendu, son vicux pere assisla a
I'execution ; il n'avait point nie Ic crime de son Bis, il avail
dedaigne toule justification. L'assassin, froisse dans son or-
gueil, con Irarie dans ses plans par M. Foote, s'etaitvengel...
Pendant le supplice de son Ills, le malheureux pere ne
versa pas une larme, ne dit pas un seul mot ; mals lorsque
le corps fut sans vie, il s'eloigna en s'ecriant « : Faut-il que
j'aie perdu un si beau garcon, a cause die ce vieux Foote I »
Que d'orgueil dans cetle exclamation !... »
II arrive fort souvenl que la fierte et la ttlis^re sont inli-
mement liees enlre elles. La premiere s'efforce de coiivrir,
de proteger le fruit de ses propres enlrailles ; mais, semhla-
ble a I'onihre enipoisonnee du mancenillier, elle porte la
niort sur le pays qu'elle couvre. Esperons loulefois qu'a-
vanl pen d'annees, les classes superieures senliront I'ab-
surdite de ce principe, el que les generations prouveronl
que la fierte irlandaise ne differe en rien de celle qui donne
a rhonime le sentinjent de ses devoirs el rend une nation
plus digne de respect.
Mais comment obtenir un tel rcsullat? comment ap-
prendre a des gens fiers de lenrs noms et de leur honteuse
oisivete que le travail ne degrade point I'liomme, et qu'il '
est plus huniiliant de mendler que de servir? La loi sur
les pauvres, telle qu'elle est etablic en Anglelerre, sufU-
rail-ellepour cela? Je ne le crois pas. II existe une trop
grande difference entre les deux nations. Quelque penihle
que me paraisse un semljablc aveu, je dois convenir que,
sous le rapport de la civilisation, I'lrlande est restee bien
loin de I'Angleterre. Outre sa miscre, elle est accahlee
d'une foule de prejuges qui mettent obstacle a ses
progres et rentrainenl a sa perle. Les Iriandais ne sui-
Tenl que I'impulsion qu'ils out recue, s'atlacheDt ,i une
seule idee el agissenl d'apres elle. lis ne font point de
comparaison, parce qu'ils en out rarertienl la facilite. Si
les lois s'opposent aux preventions qui les domiuent, ils
s'clevenl conire elles. Sont-elles conformes a leurs idees ?
ils ne s'cmbarrassenl gucre alors si elles nuisent ou si
elles conviennent an pays. II est tres-difllcile de gouverner
les basses classes en Irlande. Le legislateur doit'connaiire
parfaitement leurs usages, leurs mceurs, leurs vertus el
leurs vices, cl surtoul respecter la religion.
L'elat miserable des personnes ageeset infirmcfiesl un
sujet penible de meditalion, quoiqu'il donne lieu a des ac^
les de verlu el de patience de la part de ceux qui sont
jeuncs et en etal de travailler. En Anglelerre, la paroisse
nourrit ct supporte les vieillards ; ici ils sont a la charge de
leurs enfants. Aiusi, un pauvre laboureur, qui gagne a
peine de quoi vivre, a non-seulemenl la generation future,
mais la generation passee a soutenir. Me Irouvanl dans le
miserable district de Kilkenny, je me rappelle avoir visile
la demeure d'un jiauvre homme dont la misere me loucha
de compassion. Dans sa cabane, seulement couverle en
chaume, il n'y avail pour tout meuble qu'unexhaise; un
enorme plat de legumes elait place sur un escabcau an mi-
lieu delachambre, etaulour, onvoyait accroupie la famille
enliere, convene de lambeaux, telle que les sorcieres de
Macbeth aupres de leurs chaudrons. Le chef de la famille,
ii peine age de vingt-neuf ans, aurait cte un bel homme,
si lexces du travail et le defaut de nourriture convenable
h'eussenl courbe sa laille el altere ses trails. Sa femme
l?tHitune jolie lille de seize ans lor.squ'il I'epousa; mais en
si* ailllees, elle avail fait cinq enfants. Son teint avail perdu
sa fl-aiclieur, son ceil bleu elait sans cclal et .souvenl hu-
mide de larmes; cependanl le sourire errail sur ses levres
loi-sqii'elle me donna le bienveillant welcome des Irian-
dais. Les enfanlss'elaient retires peleniele dans un coin de
la thambre, je pus voir alors le reste de la famille. Outre
ses cinq enfants, le pauvre laboureur soulenail encore la
grand'mere de Sa femme, ,1gee de quatre-vingls ans, el son
vieux pere, qui depuis plusieurs annees nequiltailpasle
lit. La meilleure place aupres du feu etail occupee par la
vieilln femme el le lit du pere infirme soigneusement recou-
verl d'un dl-ap el d'une couverlure.
Les revenus du laboureur ne se niontaient pas I'un dans
I'autre i plus de dix pence par jour... Dix pence pour
nourrir et habiUer neuf personnes!... La masnre qu'ils
habilaienl, ainsi que quelques perches de terrain, elaient
exempts de loycr : « Sans cela, me disait le jeune homme,
nous ne pourrions pas vivre ; ma femme prepare les pom-
nies de terre, soigne ses parents malades ; mais les enfants
sont Irop jeunes pour faire autre chose que de manger.
(Jue voulez-vous ! c'esl I'oriji-e de la Providence que nous
soyons ainsi. — Mais ne recevez-vous pas quelques .secours
en faveur de vos vieux parents? — Oh ! nous avons de
b'uis voisins , mais ils ne sont pas plus ii leur aise que
nous , ils ont aussi leurs vieux parents a soigncr ; car
qui pourrait abandonner son propre .sang? Mon pere et la
grand'inere de ma femme out mendie jusqu'a ce qu'ils
aieut perdu I'usage de leurs jambes. II y avail quelques no-
bles qui etaicul tres-bons pour eux. »
La vieille femme releva sa tele a nioilie cachee dans son
sein fletri. Ses yeux lernes avaient alors une expression qui
me prouva que son humeur n'avail jamais etc des plus
douces. « Qu'est-cequiacte bon pour eux? repela-t-elle
d'une voix cassee cl tremblante. . . Oh ! tres-bons, en effet ;
mais dites aussi a celle dame que la vieille mere Wade n'a
jamais ete une mendiaute... Elle demandail seulement a
ceux qui onl beaucoup de ce qu'elle-meme possedait autre-
fois. Ce n'est pas la charite qu'on lui faisail. Si le diable
ju-end aux anges ce que Dieu leur a donne, n'est-il pas tout
simple qu'ils clierchenl a le ravoir et?... — Chut! grand'-
mere, chut !... reprit la jeune femme. » Puis, se lournant
vers moi : « Vcuillez I'excuser, cheie madame ; elle est
vieille, sa tele est faible, elle ne sail pas, la plupart du
Ipnqis, cc qu'elle vent dire ; I'orgueil, chezelle, durera jus.
S72
SCENES
qu'au dernier moment. 11 est vrai qu'autrefois, on pouvait
compter quelques nobles dans sa famillc, niais les temps
changent, et Loch Valley
— i}ui parle de Loch Valley? interronqiit la \ieille. —
Chut! ma bonne mere, chull... voici nne prise de bon
tabac pour vous ranimer; prenez, et ne voiislourmentez
pas dece qui n'exisle plus. Que nous imporle Loch Valley,
ou tout autre lieu, ainsi que le mailre qui I'habite, pourvu
que nous y trouvions de I'ouvrage et que nous puissions
subsister I »
(jue! singulier melange d'orgueil, de pauvrete, et de
vcrlu filiales sous cet humble toil! Combien il serait
difficile au legislatcur de corriger les uns, de niieu.t dinger
Ics autres I... Je ne m'arrelerai pas davanlage sur ces par-
liculanles. J'aurai bicnlot a enlretenir nies lecteurs de
fails plus imporlants qui ne seront peut-elre pas sans inte-
rel, j'ose dire, sans ulilite pour mes compalrioles. Puissent-
ilsetre convaincus que si je n'ai pu me dissimuler leurs
defauls, j'eprouve la plus vive sympalhie pour leurs mal-
licurs, leur foi perseveranteetleur verlu.
IiA SEMAIME SAINTE A BOME.
Ce n est qu'en Ilalie, et a Rome surtout, que la religion
catholique a un culle exterieur vrannent sublime. Lii, les
solennitcs reliiieuses out de fair et de I'espace ; chacun y
concourt, soil qu'il soil laique ou qu'il apparlienne a I'lHnt
ecclesiastique ; et menie I'elranger, venu pour n'i'Ire que
le simple speclaleur d'augustes ceremonies, fiit-il scepti(|ue
comme un Anglais, ou froid comme un Allemand, se sent
emumalgre lui, et parlicipe a soninsu aux pompes sacrees,
en y apportant celte tenue pleine de decence qu'elles
reclament imperieusenient de tous ceux qui en sonl les
lemoins.
Chaquegrandeville de ritalie asa fete de predileclion.
Naples pnrait ctre encore plus meridionale le jour de saint
Janvier; Florence boiiore avec un luxe tout oriental le
precurseur du Christ; Venise semble reprendre son ancien
eclat pour exalter saint Marc; mais loutes ces solenniti'S
sont effacees par celle dont Rome donne le sublime et reli-
gieux spectacle au monde, al'epoquede lasemainc sainte.
Des le mercredi qui suit le dimanchc des Rameaux, la
cnapelle Sixtine semble se couvrir d'un crepe funebre. A
trois heuresapris midicommencent les tcnebres. Lestreize
lumieres blafardesdu cierge pascal sontallumees, et apres
qucchaque lamentation du prophele Jeremie a ele exclamce
par une voix aux accents melancoliques, une de ces lu-
mieres est eteinte. BientotVharmonie large etmajeslueuse
de Palestnna resonne sous les voiiles de la chapelle, et les
chnnleurs ponlificaux, n'ayant pour accompagnement qu'ua
clmnir admirable de voix humaines, redisent le fameui
Slabal Hater du crealeur de I'art religieux, au quator-
zienie siecle, en llnlie.
L'cffet de celte composition, que Irois siecles n'ont pu
veillir, est immense. On se surprend, en ecoutanl les su-
blimes accords de I'alestrina, a se demandersi Tart musical
nioderne est encore assez puissant pour creer d'aussi gran-
des choses : et, abime dans une contemplation mystique,
on croit voir s'animer, snr la grande toile de Michel-Ange,
les gigantes(|ues pcrsonnages que la main de cet homme
exiiaordinaire y a traces avec loule la verve du genie.
Le jeudi suivanl, la magnifique place de Saint-Pierre est
couverte d'une foule d'hommcs, defemmes, d'enfants, d'e-
trangers, de paysans et de pelerins, qui tons viennent,
avec ferveur, pour recevoir la benediction du chef de
I'Eglise universelle. L'armee est rangeeen balaille; tout le
corps diplomatique est la. Midi sonne. Le sacre college
parail aux balcons de la facedu monument, autre gigantes-
que creation de I'auteur du Jugement dernier. Sa Saintete
parait... Un silence auguste etsolennelregnebientot parmi
la foiilc, qui bourdonnait I'instant d'avant avec un bruit
semblable a celiii des llots de la mer. Tous s'agenouillent,
enfanis el soldats, ambassadeurs et pelerins, mecreants et
lideles, et la voix venerable du vicaire de Jesus-Christ pro-
nonce le fameux Urbi et orbi... Comme uabon pere qui
DE VOYAGES REGENTS.
«T5
Ijenit ses enfants, Sa Sainlete efend les bras sur la ville
saintc et snr Ic mondo entier, el dcs paroles d'amour et de
pais sortont de sa houche, en appelant les faveurs du ciel
sur lous les honimes, ses enfants.
Mors le canon du fort Saint-Ange tonne avec fracas ;
les campaniles dc la basilique s'agitent avec impetuosite,
et les voix de bronze qu'ils cachent a tons les yeux sem-
lilent enlouner un concert cu I'bonneur du niailre du
nionde... I.a musique niililaire s'unit a riiarmonie dcs ca-
rillons rcligiens, et suit la large mesure que les canons
ballentavcc majesle au bord du Tibre, dont les eaux blondes
fri'missent...
Ce moment est sublime, c'csl le mot ; il communique a
lous ceux qui out le lionlieur d'en etre les tcmoins une
sensation extraordinaire et ineffable. L'bomme le plus in-
sensible se sent emu. Etpourquoi le cacherais-je? de douces
larmes ont humectc ma paupierc lorsquej'ai cntendu la
voix de Crcgoire XIV, et que j'ai vu sa main pacilique et
patcjrnclle s'ctendre vers nous tons pour nous benir. 11 me
.scmblait entendre et voir I'auteur de nies jours, lorsque,
i'|icrJu, je recus ses derniers embrassements et ses der-
niercs benedictions, au moment de mon depart pour celle
Rome, le reve et le but de mes eludes musicales depuis ma
plus tendre jeunesse.
La foule, apres que le pape est rentre dans la basilique.
se piecifiite ii son tour dans rinterieur du monument, avide
qu'elle est de voir de plus pres, et son souverain, etsonpere
spirilucl. Lorsque Sa Saintetesedirige verslechoeur,douze
Irompcttes placees au-dessus de la porte d'entree sonnent
des fanfares. Celle musique, quoique ecrile d'un style pen
digne sous le rapport religieux, ue laisse pas de produire
un certain effel, a cause surtoutde la situation pittoresque
oil soul places les executants.
Apres avoir fait sa priere, le pape porte le saint sacre-
mentdans le lombeau de la cbapellc Pauline, ainsi dcnom-
mec parce que Paul V (Borghese) fut son fondateur. Celle
diapelle est cblouissanle de clarle. La encore la main de
Michel-Aiige a trace non-seulement de grandes fresques que
le temps, et plus encore la fumee de IroismiUe bougies, ont
fait disparailre presque entieremenl ; mais aussi c'est a
die qu'cUo est rcdevable de la disposition admirable de
cetle myriade de luraieres qui entourent le lombeau du
Christ d'une aureole toute celeste.
A lieu ensuite la Gene sainte. Le pape, deposant sa liare
et ses habits de ponlife, revet ceux d'un simple ecclesjas-
lique; et, d'une humble main, il lave les pieds a douze
pauvres prelres choisis parmi ceux des differenles nations
du monde chrelien qui sont presents a Rome. L'agneau
pascal est mange par ccs leviles figurant les apolres. La
munificence papale les gratifie de toutes les vaissellesd'ar-
gent quileur ontservi, eljoiutacelteoffrandele don d'une
petite somme qui met a meme cliacuu d'entre eux de sou-
lager a son tour d'aulres cbretiens encore plus indigents.
Mais lejour du vendredi saint est arrive... les porles de
loutes les eglises sont ouverles... Plus de lampe, ce sym-
bole dela foi qui veille et prie, qui soil allumee... Les ta-
bernacles sont deserts... lacroixestvoilee... les autels sont
vcufsde leurs riches parures... la desolation est dans le
temple du Seigneur... Voyez tons ces fideles agenouilles a
I'ombre des colonnes de marbre... considerez leurs physio-
nomies I elles cxpriment la douleur el le repentir.
Ce jour, la chapelle Sixtine resonne encore, comme les
deux precedents, des accords savants du grand maitre, et
c'est le Stabat d'Allegri qui cxcltera nos ames a la conlem-
plalion mystique.
Le samcdi saint, un cardinal de I'ordre des prelres cclc-
bre une messe a Saint-Jean de Lalran, et, au moment oii le
prelre entonne le Gloria in Excclsis, le canon du fort
Saint-Angc tonne majeslueusement, et toutes les cloches
des innombrables eglises, couvents, chapelles, etc., de la
ville sainte, recommencent leurs concerts argentins.
Apres la messe, on baptise, dans cetle basilique, les He-
breux, Turcs, hereliques, etc., qui ont cle prepares comma
catechumenes au grand aclede la foi nouvellequ'ils jurent
d'embrasser pour jamais. L'eau sainte a ele benile avant la
messe, et le feu sacre rallume par la propre main du prelat.
Les autels, naguere depouilles dc leurs plus beaux orne-
ments, briUcnt avec un nouvel eclat, et les chapelles de la
madone semblcnt eire des berceaux de lis et de roses, tant
ces (leurs y sont prodigueesavec un art toujours guide par
le meiUeur goul.
Le jour de P.iques, Rome et les environs sont eveilles
avant I'aurore par le canon du fort Saint-Ange. Les porles
de la ville sont encombrecs de pelerins et de pelerines vc-
nus de fort loin pour assisteraux ceremonies de cette belle
et sainte fete. A niidi, le souverain ponlife benit encore une
fois le monde et la ville du haul de la croisee de la basi-
lique ; ensuite, il celcbre lui-meme le saint sacrifice au mi-
lieu d'une foule de DJeles.
Jusqu'ici, les ceremonies de la semaine sainte, quoique
la plupart celebrees extcrieuremeni, ont ete mystiques
avant tout; celle fois, la religion va donner un .spectacle
unique au monde. Mais ce spectacle sera plutot grandiose
que religieux : je veux parler de I'illuuiinalion generale de
la basilique et de I'admirable colonnade de Saint-Pierre, ce
chef-d'ceuvre du Bernin.
A une heure de null ( c'est-a-dire a ung heure apres le
couclicr du solcil ), la coupole et lous les profik de ce ma-
gnifique monument sont eclaircs par de douces lumicres
placees a distance I'une de I'aulre, et ce monde de piorre
senible clreccinld'un long etorionlal collier de perles fines.
Le coup d'ceil de celle decoration lumineuseestdu plusbcl
effet, surtout a Rome, oii les nuits sont si calmes et si se-
rcines... Soudain une ciochclte s'anime dans I'un des cam-
paniles de I'eglise, et, comme par enchantement, d'enor-
mes globes de feu jaillissent depuis le haut de la croix,
placee a quatre cent quatre-vingts pieds du sol, jusqu'a la
plus basse corniche du porlique circulaire dont nous avons
parle plus haut. Des hommes, a porlee, enflamment, en
moins de six secondes, les enormes lampions dont ils sont
charges, et I'un de ces fculriers, plus hardi que les aulres,
gravit preslement I'echelle en fer qui enloure la croix du
dome, el la (lamme scrpente du haut en has avec I'impe-
tuosiled'un deces meteoresqui eclairentrhorizon enjelant
I'epouvanle dans I'ame des peoples ignoranls qui en sont
les temoins.
Lorsque cet effet pyrique seproduil, I'enlhousiasme ita-
lien neconnait plus de bornes ; un cri niajcstueux, cclui
des cent mille personnes qui se pressent au pied de la ba-
siliiiue, se fait entendre et monlc jusqu'au ciel. C'est la,
sans conlredil, la plus belle bymne, sinon la plus rcligieuse,
qui soil chantee pendant toutes les fetes de Paques.
Enfin, les feux s'eleigneut ; le peuple s'eloigne en chan-
tant des litanies ; les trois quarts des habiiants de la ville
repassent le pont Saint-Ange, et debouchentdans loules les
directions de la ville. Le juif retourne au Ghetto, heureux
274
SCENES DE VOYAGES ItECENTS.
dc pouvoir veillcr plus lard que ilo coulume dans le (luar-
tier infect on la toleranti- puniillcale Ic rcleguc; le grand
seigneur relourne a son sompluoux ho'cl, bali en parlie
avec les pierrcs deroliecsii ranliijue Oolysce; le mnrcliand
rcnlre dans son magasiii pour y rccompler son or ; leccle-
siastique va dire son brcviaire; le dandy romain(car le dan-
dysme a ete imporle a Rome avee Ics denrees anglaises (ant
favorisccs par le saint siege depuis 1816); le dandy, dis-je,
so rend, en elianlant la cavatine u la mode, an cafe de la
place d'Espagne, pour y savourer d'excellentes glaces;
riiommcdiipeuple, lui, va al'os/erio, ponry vider, avec sa
fenime etses amis, line Casque d'oi-DiX/o, eet excellent viu
blanc dont les bouteiUcs n'ont pour bonclion qu'une goulle
d'huile d'olive et un tampon de Ula>se; el le pensionnairc
de rAcademie de France a Rome remimlc, avec ses cama-
radcs, le magniljiiue escalier de la Trinite-du-Mont. Bien-
tot il est dans sa cliambrettc oil, d'unc fenelre de la Villa-
Medici, il considerc avec melancolie les dernicies Incurs
qui briUent encore sur le faite du dome de Saiut-Pierre ; et,
faisant uu rctour sur lui-im'mc, il donne nn soupir ;i ses
parents, a ses amis. Lien loin de lui, dans la patrie aiisentc,
et il se dit avec regret : uO vous tons qui avez mon ciEur,
pourquoi n'etes-vous pas ici ? vous qui auricz joui du spec-
tacle le plus saiiitemcnl grandiose qui puisse toucher lame
d'un artiste, en charraant ses yeux attendris (t) 1 »
TAITX EBI 1785 XT EN 1845.
ftllTE (2).
J'ai plusieurs fois etc, nini second on troisieme, conti-
nue le voyageur , me proniener dans I'interieur. Je
me croyais traiisporto dans le jardin d'Eden : nous par-
courions uire plaine de gazon couveric de beaux arbres
fruitiers et coupce de peliles rivieres qui entreliennenl une
fraicheur deliciense sans aucun des inconvenienis qu'en-
traine I'liumiditc. Un peuplc nombreux y jonit des tresors
que la nature verse a pleines mains snr lui. Nous trouvions
des troupes d'hommes et de femmes assis a I'ombre des
•vergers; luus nous saluaient avec amitie; ceux que nous
renconlrions dans le cliemin se rangcaienl a cole pour
nous laisser passer; partout nous voyinns regner I'hospila-
lite, le repos , une ioie douce, el toutes les apparences du
bonheur.
Je lis present au chef du canton mi nous ctioiis d'un
couple dedindesetdc canards, males et femelles : c'etail
le denier de la veuve. Jc lui proposal aussi de I'aire un
jardin a noire maniere, et d'y seiner differenles graines;
propositions qn'il recut avec joie. Eu pen de temps, Ercli
fit preparer etcntourorle terrain qu'avaienl chuisi nos jar-
diniers. Je le fis liecher; ils admiraitnt nos oulils dejardi-
nage. lis out bien aussi autour de burs maisnns des especes
de polagers garnis de giraumonls, dc palates, d'iguames el
d'aulres racines. Nous Icur avons seme du ble, de I'orge,
de I'avoine, du riz, du niais, des oignons el des graines po-
tageres de loute espece. Nous avons lien de croirc que
ces plantations seront bien soigiiecs ; car ce peuplc nous
a paru aimer ragriculture ; je crois qu'on laccoulumerait
H) Ces dcliticuses puRes sonl de M. EUvacrl, uu d'j nos jcuncs compo-
siteurs les plus (listiiiRues.
(S) FdV. leu" VI, p. 187,
facilement a tircr parti du sol le plus ferlile de I'univers.
Des I'aube du jour, lorsqu'ils apercurent que nous met-
lions a la voile, Ercli avail saute scul dans la premiere pi-
rogue qn'il avail trouvee sur le rivage, et s'ctait rendu a
bord. En y arrivant il nous embrassa tons : il nous leuail
qnebpies instants eulre ses bras, versantdes larmes, el pa-
raissail tres-affecte do noire depart. Pen de temps apres, sa
grande pirogue viut a bord, cbargee de rafraieliisscmenls
de loute espece; ses femmes etaient dedans, el avec dies
ce menie insulaire qui, le premier jour de noire alienage,
ctait venu s'elablir au bord de I'Etoile. Ereti f'll le pren-
dre par la main, el il me le prcsenta', en me faisant enten-
dre que est homme, dont le nom est Aolourou, voulait
nous suivre, et me priait d'y consentir. 11 le presenta cn-
suile a tons les ofliciers, cliacun en parliculier, disanl que
c'etail son ami qn'il coiiliait a ses amis, el il nous le re-
commanda avec les plus grandes marques d'inleret. On
lit encore a Ereti des presents de toule espece, apres quoi
il pril conge de nous.
La bauteurdes monlagnes qui occupent tout rinlerieur
de Taili est surprenanle, eu egard ii I'elendue de I'ile. Loin
d'en rendrc I'aspecl trisle et sauvage, elles servent a I'em-
bcllir, en variant a cbaque pas les points de vue, elpresen-
tanlde ricliespaysages converts des pins ricbes productions
dc la nature avec ses dcsordrcs, dont I'arl nc pent jamais
imiter ragremenl. De la sorlenl une inlinile de peliles
rivieres qui fertilisent le pays, et ne servent pas moins a la
commodite des habitants (pi'a rornemenl des campagnes.
Tout le plat pays, depuis les bords de la mer jusqu'aux
monlagnes, est consacre aux arbres fruitiers, sous lesquels,
comme je I'ai deja dit, soul baties les maisons des Tailiens,
dispersees sans aucun ordre et .sans former jamais de vil-
lage. On croit elre dans les Cliamps-Elysces. Des sentiers
publics pratiques avec intelligence, et soigneusemenl en-
trelenus, reiidenl partout les commuuicallons faciles.
Les principales productions de I'ile sonl le coco, la ba-
naue, le fruit a pain, I'iguame. le curassol, le giraumont,
et plusieurs aulres racines el fruits parliculiers au pays;
bcaucoup de Cannes a sncre qu'on ne ciiUive point, une es-
pece d'indigo sauvage, une Ires-belle leinture rouge et une
jaune ; j'ignore d'ou on les tire. En general, M. de Com-
mercoii y a trouve la bolanique des Indes. Aolourou, pen-
dant ipi'il a ele avec nous, a reconnu et nornme plusieurs
de nos fruits et de nos legumes, anisi qii'un assez grand
uonibre de plaules que les cnrieux cullivent dans les serres
chaudcs. Le bois proprc.a travailler croil dans les monla-
gnes, et les insulaires en font peu d'usage ; ils ne I'em-
ploient que pour Icurs grandes pirogues, qu'ils conslruisent
de bois de ceJre. Kous leur avons aussi vu des piques d'un
Ijpis noir dur et pesanl qui resserable au bois de fer; ils
so servent, pour balir les pirogues ordinaires. de I'arbre qui
porle le fruit a pain : c'est un bois qui ne fend point ; mais
il est si mou et si plein de gomme, qu'il ne fait que se
macher sous I'ouifll.
An rcste, quoique cetle ile soil remplie de tres-haules
monlagnes, la quaulile d'arbres et de planles dont elles
sonl ijarloul couverles ne semble pas annoncer quo leur
sein renferme des mines. II est du moms certain que les in-
.snlairesneconnaissenlDoinl les metaux; ils dounent a tous
ceux que nous leur avons montre le meme uom d'aouri,
dont ilsse scrvaieul pour nouj demamlor du fer. Mais cetle
connaissance du fer, d on leur vieul-elle'f Je dirai bienldt
ce que jo peiise a ce sujet. Je no connais ici qu'un seul ar-
tide de commerce riche : ce sonl ie tres-belles perles. Les
principalis en font porter aux orcilles de leurs femmes et
de itniis enfants; mais il Ics onl tenucs cachees pendant
noire sejour cfiez eux. Us font, avec les ecailles de ces iiuilres
perlieres, des especes de castai^ettes qui sonl unde leurs
instruments de danse.
Kous avons vu d'autres quadruped^s que des cochons ;
des chiens d'une cspece petite, mais jolie, el des rats en
grande quantite. Les habitants ont des poules domestiques
absolument semblables aux nolrcs: nous avons aussi vu des
tourterelles vertes charmantes, de gros pigeons d'un beau
plumage bleu de roi et d'un Ircs-bon gout, et des perru-
ches fort petites, mais fort singulieres par le melange de
bleu et de rouge qui colorie leurs plumes. lis ne nourris-
sent leurs cochons et leurs volailles qu'avcc des iananes.
Entre ce qui a ele consomme dans le sejour a terre, et ce
qui a ete embarque dans les deux navires, on a troque plus
de huit cents teles de volailles, et ores de cent cinqqante
cochons, encore sans les travaux inquietaiiLs des dernieres
journees, en aurait-on eu bicn davantage, car Its habitants
en apporlaient de jour en jour un plus grand uonibre.
Nous u'avons pas eprouve de grandes chaleurs dans,«ette
ile. Pendant noire sejour. le thermometre de Reaumur n'a
jamais monte a plus de 22 dcgres, et il a qle quelquefois a
18 degres ; le soleil, il est vrai, etait deja a 8 ou 9 dcgres
de I'aulre cole de Teqiiateur. Mais un avantage ineslimable
de cette ile, c'est de n'y pas elre infecte par cette legion
d'insecles qui sont le supplice des pays situes entre les tro-
piques; nous n'y avons vu non plus aucuii animal veni-
meux. D'ailleurs le climat est si sain, que, malgre les tra-
vaux forces que nous y avons fails, quoique nos gens fus-
sent conlinuellement dans I'eau et au grand soleil, qu'ils
couchassent sur le sol nu et a la belle eloile, personne n'y
est tombe malade. Les scorbutiques que nous avions debar-
ques, et qui n'y ont pas eu une nuit Iranquille, y ont repris
des forces et s'y sont rctablis en aussi peu de temps, au
point que quelques-uns ont ete, depuis, parfaitement gue-
ris a bord. Au reste, la sanle et la force des insulaires qui
habitent des maisons ouverles a fous vents, et couvrent a
peine de quelques feuillages la terre qui leur sert de lit ;
riieureuse vieiUessea laquelleils parviennent sans aucune
incommodile ; la finesse de tons leurs sens et la beaute sin-
guliere de leurs dents, qu'ils conscrvent dansle plus grand
3ge : quelles meilleurespreuves, el de la salnbrile de I'air,
et de la bonte du regime que suivent les habitants!
Les vegetaux et le poisson sont leur principale nourri-
lure. lis mangent rarement de la viande ; les enfanis et les
jeunes filles n'en mangent jamais, et ce regime, sans doute,
contribue beaucoup a les tenir exempts presque de loules
nos maladies. J'en dirais autant de leur boisson ; ils n'en
connaissent pas d'autre que I'eau ; I'odcur seule du vin et de
I'eau-de-vie leur donnerait de la repugnance, et ils en te-
moignaienl aussi pour le labac, les epiceries, et, en general,
pour loules choses fortes.
Le peuple de Tai'ti est compose de deux races d'hommcs
Ires-differentes, qui, cependanl, ont le m^me langage, les
memes moeurs, el qui paraissent se nieler ensemble sans
distinction. La premiere, et c'est la plus nombreuse, pro-
duit des hommes de la plus grande taille : il est ordinaire
d'en voir de six pieds et plus. Je n'ai jamais rencontre
d'hommes inieux fails.
( La tuUe a un numiro frochain. )
IE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE. 273
LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE.
SlMnES C0!«SEILS A CECX QDI EXTBENT DAHS LE UOSIE
Saile(»). I
1
}
MOSVHS AMERICAINES. i
Impolitesse aiDericaiiie. — Conversation da pays. — Les BarbM.
M. Dickens a ecrit, sur la politesse aniericaine, quelques
chapitres a-ssez plaisants. Selon lui, le fond de la langue an-
glo-americaine, c'est : Out, Monsieur, mots qui ne peuvent
blesser personne, et que les citoyens des Elats-Unis re-
petenl a tout bout de champ avec des inflexions diverses.
« J'ai entendu, dit-il, ce terrible Out, monsipur, plus de
deux mille fois dans iiiie journee. 11 retentissait comme
les cloches, el semblait, comme elles, se pretcr a tons
les mouvements de I'esprit , exprimer toutes les sensa-
tions, suppleer a toiste espece de causerie, et remplir toutes
les lacunes de rintelligence et du loisir. Par exemple,
la voilure publique s'arrete devant une auberge de la
grande route par une chaude journee. La porte de la la-
verne est deja obsiruee de convives impatients qui alten-
dent le diner, qui jouisscnl des rayons bicnfaisanlsdu so-
leil. Unpersonnage robuste, coiffe d'unchapeau gris, s'est
etabli sur I'un de ces fauteuils au.\ pieds roods, si coramuns
en Amerique, et qui bercent, par leurs mouvements oscil-
latoires, legentilhomme qui s'y assied. Une tele passe par
la portiere de la voilure; elle porte un chapeau de paille.
Croyant reconnaiire le chapeau gris, elle engage avec lui U
conversation suivanle :
Le coapead be patue. Je suppute bien quand je dis
que c'est le juge Jefferson que je vois !
Le chapeau cues, se ialatiQant toujours, parlant lente-
ment, sans aucnne emotion el sans regarder le chapeau
depaille. Oui, monsieur.
Le chapeac de paille. Juge, il fait chaud.
Le cbapeac cms. Oui, monsieur.
Le chapeau de paille. II a fait une petite pincee de froid
la semaine deruiere, juge.
Le chapeau cms. Oui, monsieur.
Le chapead de paille, avec la meme gravite. Oui, moil-
sieur.
11 se fait alors une pause, et les deux teles se contempleoC
muluellementavec un grand serieux.
Le chapead de paille, reprenant la parole. Si mon cal-
cul est juste, voire grand proces des corporations doit elre
finijjuge.
Le chapeau cms. Oui, monsieur.
Le chapead de paille. Quel en est le resultat ?
Le chapeau cms. En faveur de liutime, monsieur.
Le chapeau de paille, inlerrogativement. Oui, monsieur?
Le chapead okis, affirmalivement. Oui, monsieur.
(0 Von. mmiio HI, p. SS. ^
27S
Tous deux en duo, Ircs-lenlimcnl, cl en regardanl cmx
qui paffciil.Ow], monsieur.
LE SAVOIR-VIvnE EN EUUOTE.
Noiivello pniisc. Jls se regardent encore pius siri«tise'
ment iju'iiiii'dvavant.
Le cn.<rEAi; r.nis. Cotlc Toiliii'c est on relani, sije calcule
Lien.
Le iiiArEAii DE I'AiLi.E, sur Ic lon dii doiile. Oui, mori-
sienr.
Le r,iiAi>EAi! cms, regardant a sa montre. Oui, monsieur :
(le deux lieures.
Le ciiapeau he pau.le, en elevant scs sonrcils, cl d'lin air
dc profoiid I'loimemcnI. Uui, monsieur !
Le chapeau tnis, d'un tonposilif, en remeilanl sa mon-
tre dans songousset. Oui, monsieur.
Tous les avtres voyageuvs, se parlanl Van d I'aulrc
dans I'intericur de la voiturc. Oui, messieurs.
Le r.oeuEii, se relournanl, cl d'un Ion de mccontcnte-
ment ircs-vif. Non, messieurs.
Le cnAPEAU de faille, s'adrcssant au cocker , el aecc un
certain respect. Oui, monsieur ; mais il me scmlilail r|ue
les derniers millcs nous avaicnl coule iin assoz bon boul de
temps ; c'csl un fail ct un calcn).
Comme Ic cochcr ne voul.iit |iiis entrer dans colle conlro-
vcrsc, dont le sujet ne sympalhisait pas avec ses idees, un
autre voyagcur pritla parole els'ecria : Oni, monsieur. Le
chapeau de paille, par polilesse, lui repondit de nieme, et
le chapeau gris rqielales susdils mots sacramentels. Enfin
le chapeau de paille demanda a« chapeau gris si celle voi-
ture n'elait pas neuve. II recut la rcponse accoutumee.
Le ciurEAB DE PAILLE. Jc m'cn doulais. Elie repand une
forte odeur de vernis, monsieur !
Le chapead cms. Oui, monsieur.
Tons les voyageurs, du fond de la voilure. Oui, mon-
sieur.
Le cuapeao r.ais, s'adrcssant en general ct en parlicu-
licr a chacun des voyageurs. Oui, messieurs.
Enfin, la capacite de chacun se Irouvant epuiseo, le cha-
peau de paille, (|ui etaitevidemment Ic plus aclifet leplus
liavard de ces citoyens de I'Amerique, ouvrit la portiere,
s'elanca de la voiture sur la grande route, ct de lagrande
route dans la salle a manger.
On ne I'aurait pas attendu d'une republique, cet affai-
hlissementdu caraclere individuel, cetle crainle de hlesser
qui quece soil, celle apalhie de la conversalion, cet assen-
liment perpetuel el insigniDant qui rend la societe aux
Elals-Unis si liiide et si faligante. On est doux, on
est hospitaller, on se dissimule, on sj gene, on cede son
droit au droit de Ions. On perd ainsi, avec I'Sprete et
les saillies aigucs du caraclere naturel, la naivete sau-
vage, I'origiualite et la variete piquantes qui rcsullent des
conti'astes. Miss Marlineau, qui ne cesse d'cxallersa repu-
lilique cherie, avouc cependant que les Aniericains passent
lour vie ii se flatter mutuellement, et le degoiit que lui
inspire cette adulation de tous envcrs tons lui dicle une
couiparaison liardie pour une dame anglaise : n J'en suis
plus revollee, dit-elle, que de celle coulume immonde de
I'umer ct de crachcr jiartout, qui laisse des traces dans lf,s
salons, dans les boudoirs et dans la chamhredesdepnles n
Pans I'intr'rieur dos families, le jiercHade le Ills, et le fils
llatto le perc. A ce del'aut de sincerile vienl bicntol sc join-
dre nil mepris genera! pour les vertus el les elogcs que I'ou
accordc a tous sans y rega rder de pros, tin miserable charge
de banqueroutes frauduleuseset soupconne de faux vient-il
a mourir, sonelnge funebre retentit dans loules les cgliscs.
Un mecbant livre parail-il, les journaux debordent de pa-
negyriques. L'orateur llalle le peuple, le peuple llatte
Toraleur. Les ecclesiastiques lonent Icurs ouaillcs, et les
ouailles reslent eblouies en face de la superiorite de I'ec-
LE SAVOIH-VIVl\E EIN EUROPE.
277
clcsiaslique; les profcsscui's adiiiirent leurs eleves, el les
(•leves grandissent dcmesurenienl le mci-ile de leurs pvo-
fes^eurs. Tout cula esl pueril, vulgaire, et, ce qui est pis,
ognisle. Cliacuu, dans ce pays de liberte, se fait, de relofje
qu'il pi'odigiie,uue nionnaie avec laquelleil aclieled'avauce
I't'lni^c d'aulrui. On jelle an ncz dun eijal qni poui'rait
uuii'e un mensonge d'adniiralion auquel repond un autre
mcnsougc.
Ce n'est pas seulement I'Anglaise miss Marliueau, ni
I'ofGcier de marine Marryatt, qui accusent I'Ainerique ic-
jiuljiicaiiie de ce dcl'aut miserable de sincerile et de liherte.
11 a paru a Boston, en 185a, nn pelil volnnie intitule :
I'ensees sericuses sur I'epoque actiielle; nous lui erhprun-
tons le passage suivant : « Sans ccsse la vanite folic de
iios jouruanx rcpcte que nous S'ininies le peuple libi'e par
excellence; que chez nous la lilierte-de la pensee et de
I'opinion est complete. Eh bien, je delie tout observateur
de ciler une seule de aos provinces ou la pensee et I'opi-
nion soient libres. ("est an conlraire un fait, un fait dejdo-
rable, que dans aucun lieu du inonile rintelligence n'est
]dus esclave qu'ici. iNuUe part on n'a vu s'elablir de des-
potisme plus dur el plus ecrasant que celui que I'Dpinioii
publiipie exeree parmi nous : enveloppee de tenebres, mo-
nan|ue jjIus qu'asiatique, illegilime dans sa source, lyran
qu'on ne peut ni accuser ui detroner; irresistible quand
elle vent etouffer la raison, reprimcr raction, iniposer si-
lence a la conviction ; soumetlant les anics tiniides ((u'elle
fait raniper devant le jiremier imposteur. Soyez charlatan,
I'mpnrez-vous pour un moment du prejuge populaire; vous
lorcez les sages a fuir et a se cacher, jusqu'a la minute
fatalc oil un imposteur uouvcau viendra vous detroner.
Telle esl la situation morale et intellecluelle de I'Ame-
rique, la moins libre en realite, de tonics les regions du
monde. »
On a pu remarquer, dans le dialogue un pen difl'us des
Americains, que M.Dickens a raillii tenia Ihenre, quelqnes
mols singidierement appliques : je suppiitr, je caU-ule, je
combine; ce soul des locutions parliculieres au dialocte
anglo-americain. Les trails ]irincipaux de ce dialecle me-
riteul d'elre recneillis. Tu c«/cu(u(e (suppuler) remplace
les mols pcnscr el sH;);;oser; (o yuess (deviner) est eni-
]iloye a tout moment, au lieu de rroire ou imaginer. Au
lieu de directelij (lout de suite), on vous repond : A
droile, en avant; riglil away. Ces piquanles alterations
peuvent etre eludiees sur place, au moment meme ou elles
s'operent. L'Amerique Iransfornie, en les conscrvant, les
vieux mots de la mere palrie, conune I'llalie a cliange le
sens du mot I'frlu, dont elle a fait la science des arts, et
la Grcce !e sens du mot time. Ce qui pent parailre aussi fort
logique, c'esl que ce peuple d'avenir el i'aUenle ne dit
jamais : je conjecture ou j'nnagine, mais i'adcnds. Al-
lendre, deviner el calculer, sont les trois mols .sacra-
menlels. Dans le waggon d'une machine ii vapcur. dit
M. Dickens, il est ii peu prcs certain que vous serez accoste
de la facun suivanle.
« J'alle.nds (je conjecture) que les chemins de fer d"An-
glelerre sonl seniblablcs aux nolres.
Vous repondez : Noii ! L'Americain reprend avec I'ac
cent interrogiitif : Oui? — El quelle difference y a-l-il
enlre les nolres et les votres? Vous le salisfailes. A cha-
que pose de voire commentaire, il s'licrie • ".i/ Puis
il continue dans son idiom:: — Je devine |jc presume)
que vous i.'„i,ei. pas plus vile en Anglelerre. — Pardon,
repondrez-vous. — Oui, replique-t-il ; el il se (ait poli-
menl, persuade que vous mentez. II morJ pendant dix
minutes la pomme de sa canne, et s'adressant a ceti.e
poiume anlanl qu'ii vous : — Les Yankee sont comptds
{ regardes comme ) un peuple qui va de t'avant, el ferme.
( Aller de I'avant, going ahead, est, en Amerique, la plus
grande marque de civilisation possible). Vous ne pouvez
vous empecher de rcpondre ; Oui. Et TAmcricain repete
affirmalivement el de facon la plus vigoureusement ap-
puyee : Oui. »
Ce sonl la de fort pelils details, mais qui font bien con-
nailre le caractere d'un peuple. Je les prefere, quant a
moi, aux dissertations savantes. C'est par ces circonstances
familieres et iutimes que se Irahissenl les vrais penchants
d'une nation trop jeune encore, et Irop puissanle dcjd;
tro|i incomplete et trop riche, pour echapper aux suscep-
libililes, aux faiblesses, a la morgue, aux niai.series des
parvenus. Devant tons les voyageurs, les Americains se
replient avec celle espece de seusibilile souffranle et ner-
vi'use qui ne developpe pas .sous son jour le plus favorable
le caraclere national. N'apercevant plus que ce cole mau-
vais et tinnde, missMartineau disserte, Basile llall bavarde,
Dickens plaisanle, et Marryalt se met en colore.
Dans I'bisloire litteraire, on a trop rarement observe les
passions de I'ecrivain; c'est cependant la le mobile, le
vent qui souffle dans la voile et qui conduit le bateau. Les
rancunes des Anglais les aveuglent (ropsouven(, quand ils
s'occupent de I'Amerique. lis choisissent scs plus mauvais
aspects et nous les prescntent. Mais que ne peut-on pas
dire dece pays qui conlienl tout, qui se failde tontes pieces,
qui change toujours ; qui s'elend de tous cule.s ; qui n'a de
limiles naturelles que les deux mers ; qui ne sail pas lui-
meme ce qu'il est, ce qu'il peul, ce qu'il doil, ce qu'il sera ;
cpii n'a ni passe ni present, mais un avenir sans bornesi
Vous peindrez sous les couleurs les plus diverses la vie
des squaKers, qui lullent avec le desert; celle des fana-
tiques qui dansent en hurlant dans les bois, et celle des
marchands qui Iraversenl les Etals de I'llnion comme les
eloiles filent au ciel. Toules ces descriptions isolees seront
inexacles; reunissez el groupez-les, elles vous donneront
une idee juste de la democratic americaine, de cetembryon
giganlesque, de ces molecules errantes encore, mais qui
plus lard formeronl eel ensemble colossal.
Quand on reflechilsurcesresultals oblenusparles voya-
geurs, on est porle a croire que le climal de I'Amerique
septenlrionale a dcja excrce sur les fils des puritains une
action qui les rapproche un peu de rancien sauvage des
forcts americaincs. La predileclion pour ies grandes ima-
ges et les vasles melaphores, I'amour de la vie errante, la
froideur dans les relations enlre les deux sexes, froideur
melee de dignilc, semblcnt des caracleres emprunles aux
aborigenes , soil que la lemperalure ait modilie la race
anglo-saxonne, ou que I'eNemple l^s sauvages ait ete con-
tagieux. Dans les romans les plus remarquables de Cooper,
le s.uivage rouge et le sqiialter se tonchenl ou plutol se
confondent Voilii bien ues influences diverses : I'ancienne
seve de la race. Taction d'un climal nouveau, la philoso-
phie du dix-huilieme siecle. I'espril dcmocralique, el enflu
I'espril purilain, dont, comme je I'ai dit plus haul, toules
les traces ne sonl pas effacees. Plusieurs scenes rappnrtces
par Marryalt et iJickens rappellenl vivement I'epoipie de
Cromwell ; vous crnyez quel(|nefois lire une page de Butler,
ou un ronian de Waller Scott. Par exemple, le dernier de
27S
LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE.
cesvnyageursvous met en face d'tm predicateur qui, ayant
cte maris dans sa jcunesse, forma unc coii^i'i^galion de ma-
rins, plania le drapoau naval siir son eglise, el conserva
dans sa cliaire toules Ics allures d'un capilaine de navire.
La premiere fois qu'il precha, on le vit arriver, une grosse
Bible in-quarto sous le bras gauche et frappant sur le bois
de sa chaire. « D'oii viennent ces gens-la?D'ou viennent-
ils? Qui sont-ils? Oii vont-ils? Ah Cii ! repondrez-vous 7 »
Mors il se mil a se promener de long en large dans sa
chaire, toujours la Bible sous le bras ; puis il reprit : « Vous
venez de la-bas, mes enfants ; vous vencz de la cale du pe-
che. Cost de la que vous venez. Et oii allez-vous? » Encore
une promenade dans la chaire. o Oil vous allez? Au perro-
quetdemisaine ! La-haut (/br(e) 1... la-haut (/brtissrmo)!...
la-hant {rirtforzando]]... C'est la que vous allez, vent
frais, filant cent nceuds a I'heure I » Nouvelle promenade
dans la chaire, !a Bible sous le bras.
II y a place pour tout, on le veil, pour le passe comme
pour le present, dans un pays si vaste: excentriciles an-
glaises, rtouveaules francaises, echantillon de mceurs ar-
rierees y tiennent a I'aise. L'accroissement de la population
est proporlionnel au cadre enorme qui la renferme. La seule
petite ville de Rochester, qui elait, en 1815, de 331 ames,
est aujourd'hui de 13,000. Elle a plus que triple en trois
ans ; onze ans lui ont sufli pour alteindre cette mulliplica-
tiou effrayante de vingt-six fois son nombre primilif.
Quand on pense que de telles operations ont lieu sur toute
la surface de I'Amerique sans que personne s'en doute et
sans qu'il y paraisse, on reconnailra sur quelle echelle tra-
vaille cette sociele geante ct enfant. Elle va si vite et mar-
che a si grands pas, qu'on ne doit pas se moutrer fort exi-
geant sur I'elegance de ses poses : ce qui est certain, c'est
qu'elle avance et fait d'enormes enjamhees. Elle met bien
un pen de puerilile dans ses creations, et elle se hale d'en-
terrer loule notre Europe avant que cette derniere soit
bien morte : elle fait dcs villages qui se nomment Paris,
et des bourgades qui s'appellenl Rome.
Ce vieux monde renouvele, cette geographie ancienne
en habits de carnaval, prelent a la plaisanlerie; Syracuse
aupres d'Orleans, Chartres aupres de Memphis, Canton a
cote de Venise. Le vieux globe se dedouble ; tout dcteint
sur cette sphere jeune et iuconnue. Vous Iraversez Troie,
vous arrivez a Pontoise ; de la vous passez a Monyada, a
Tehecklawasaga ; vous vous trouvez dans le faubourg de
Corinihe, d'oii vous arrivez a Madrid ; et successivement
Thebes, Tripoli, Schenectady, Trompkins, Babylone, Lon-
dres, Sullivan et Naples passent sous vos yeux.
Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est le pro-
gres permanent de toutes ces localitos. Lii oil le capitaine
Basil-Hall avalt laisse deux boutiques et une eglise, Hamil-
ton trouve une bourgade ; trois ans apres, miss Martineau
y trouve une petite ville: enfln Charles Dickens, deux
annees plus tard, y admire des hotels, uu theitre, un mail,
un port, une jetce. Cette rapidite de vegetation sociale est
le miracle de I'.Amcrique.
Tout cela ponsse, si Ton pent se servir d'un mot Ires-vul-
gaire, comme des champignons. Nous avous I'avantage de
voir ce monde politique se faire et s'arranger sous nos
yens. C'est un plaisir. Aussi ne devons-nous pas, si nous
sonimesequilables, demander a un pcuple qui va si vite une
socicte achevee, mais seulement le commencement, I'e-
bauche et la preparation d'une sociele. Ne vivez pas, a la
bonne heure, dans une forge ou dans une maison qui se
batit, sous le coup des marteaux qui retentissent, sous I'ar-
deur des flammes qui pelillent, et parmi Ics Cyclopes qui ne
pensent qu'a !eur oeuvre; mais ne leur impulez pas a
crime cette activile puissante qui fail leur force et leur
grandeur. II est absurde de s'elonner qu'une ration si ra-
))idemenl parvenue ait lesdcfauts des parvenues, la susce<'->
tibilile , I'ostentation, !a vanite , I'esprit de domination,
I'inquietude quant a I'oninion d'autrui.
On doit rendre cette justice a M. de Tocqueville, qu'il a
fort bien observe les vues de cette societe ; on ne peut lui
adresser qu'un reproche : c'est de n'avoir pas assez dit
que la noire est vieille, et qu'elle ne peut sans danger s'i-
noculer Ics maladies de la jeunesse. Comme la plupart des
ecrivains de France et d'Amerique, M. de Tocqueville u'a pas
ose braver notre tyran : I'opinion. La superstition de I'o-
pinion nous menace; le culte des masses est a nos portes.
Avant de les subir, il faudrait les elever et les ennoblir, ces
masses aveugles. Deja en Amerique, I'opinion, et la presse,
son esclave , ont fait des ravages extraordinaires et ac-
compli d'incroyables usurpations. II semble qu'il faille a
tous les peuples un tyran, et que la loi de I'humanile soit
de se soumettre a un pouvoir ; celle du pouvoir est d'abu-
scr. Les Americains, tout en professant les principes de-
mocraliques, ont cree le pouvoir de I'opinion, et s'y sou-
metlent. Ce pouvoir en est arrive a I'abus ; comme il est
du choix de la nation, elle I'encourage. Armee d'un journal,
c'est-a-dire d'une des batteries de I'opinion, vous y pouvez
impunement piller, tuer, assassiner. Veut-on savoir ce que
peut un journal en Amerique ? la recente anecdote que
voici eclairera le lecleur.
Un creancier vient reclamer la somme qui lui est due;
son debiteur se libere au moyen d'un couteau qui lue le
creancier. Le cadavre reste sur le plancher. Pour se deli-
vrer encore de ce nouvel embarras, le nieurlrier, qui est
un libraire, decoupe le cadavre, le sale proprement, place
les morceaux dans une boile entre six couches de sel, cloue
la boite, la goudronne, I'enveloppe, la ficelle, I'etiquette,
et y ajoute cette inscription : Pore sale.
Tout ceci se passe a Boston , chez les democrates
d'Amerique. La boile est jetee a bord d'un vaisseau et
espediee je ne sais oil. Par malheur, I'homme sale avail
du sang, et le sel n'etait pas en quantile sufflsante; le
sang coula, et la boite ouverte envoya le libraire Colt
(c'est son nom) repondre de son alroce cuisine devant
un jury de citoyens americains. Trois fois juge , trois
fois remis en cause, toujours condamne, toujours vivant,
il existait encore il y a peu de mois, et Ton s'iBteressait
a lui; ses parents etaient riches, ses amis puissants, il
n'elait pas de sang mele, il tenait d'une part au com-
merce, et d'une autre aux journaux. C'est la, 6 philo-
sophes, I'aristocratie de la democralie. Un journal de New-
York, dirige par un nomme Bennett, ami de Colt, trouve
la cause du saleur, du cuisinier humain, bonne et curieua
a defendre.et ilia defend. Unenie pas la salaison, ce serai, -
absurde el maladroit, il I'avoue. Apprentis avocats dC
causes noires, jeunes suppots de ce grand art des alchi-
mistes de la parole, instruisez-vous, et apprenez ce que
peut I'opinion egaree.
Noire journal new-yorkiste s'y prend ainsi. Le lend©
main du proces, son premier-New- York, en groscaracteres,
donne la description de la seance arrangee en melodrame.
« Voici la none, les morceaux, le couperet, les habits: quel
supplice poor raceme! Voici safeminei ses enknts, ses amis !
LB SAVOIR-VIYRE EN EUROPE
270
Pauvre nomine, d.ins quelle surejcitation et quelle ivresse se
trouvail-il plonge quand il a sale son semblable 1 » Les dix
heures de supfili.-e du crimiDel pendant le proces, sa dou-
leur, son repenlir, sa confession (confession fausse qui le
disculpe), occupentdeuxou trois pages. Plus le journaliste
va, plus il s'atteudrit. « Subirune telle torture, dil-il, c'est
avoir puni d'une maniere aumoinssufOsante. OBennelt ! dra-
maturge magnilique I jen'aipaslu deuxde tes pages que je
me sens convaincu. Ce vertueux assassin me fend le coeur,
Lorsque le jury passe huit heures a deliberer, Colt ne
devient pas seulement un objet de pilie, c'est un heros.
0 Bennett ! Cult etend son manleau sur les banquettes et
s'endort paisiblement, pendant que sa mort ou sa vie se
diicident. II dort, ce juste, et le president du JU17 vient,
d'une voix Iremblante, lui annoncer la sentence. Plusieurs
membres du jury fondent en larmes, Colt est foudroye.
Enlin Bennett, I'admirable Bennett, s'ecrie : « Sera-t-il
pendu? C'est la question. Lui accordera-t-on une revision
du proces? Et le gouverneur oscra-t-il lui donner sa
grace ? »
11 n'a )ias ose donner cette grace, mais on n'a pas ose
punir le meurlrier; la main du bourreau n'a pas touche
le protege de ropinion; mais Colt s'est suicide apres trois
ans de delais. II faut lire ce que rapportent, au sujet de la
pressc en Amerique, tons les ecrivaius anglais etamericains.
(Juel()ues citoyens dcs Elals-Dnis ont eu le courage de dire
la verite, cl ils ont couru des dangers tres-rcels. « La liberte
dc la peusee et de la parole, dit quelque part un pliilosophe
allemand, ne semble pas faire de grands progres sur la
surface du globe. Deja un Anglais m'a denonce a la ma-
lediction publique, comme ayant ose dire que Byron et
Waller Scott ccrivaient mieux que la pUipart de leurs
successeurs. beja un Ilalien de beaucoup d'esprit m'a livre
a I'analheme italien, comme ayant avance que la peninsule
aclufUeesl un pen dijehue. On m'annonce, et cela me tlatte
CNlrememcnt, quayant medit de la Chine, je serai pro-
chainement mis en pieces par le mandarin Uou-lou-fou,
qui prend la defense du pays des theieres. Deux ou trois
Amoricains des Elats-Unis ne suivront-ils pas son exemple,
et serai-je pendu en efDgie a Boston, comme I'a ete recem-
ment un voyageur qui avail deplu ? Le libre penseur oii se
refugicra-t-il bienlot? Pour s'exprimer sans reticence sur
mie contree quelconque, il faudra fonder une inqirimerie
dans une ile deserte, du cote du pole. La facilite et la
rapidito des communications semblent avoir rcprime, au
lieu de I'encourager, I'independance des idees, et bienlut
I'oji reconnailra avec etonnement que la typographic, ce
second verbe de I'humanite, lui a ete donnee, comme la
parole, pour deguiser sa pensee. »
II faut citer en Amerique quelques penseurs indepen-
dants, quelques heros du courage moral, qui sont Clay,
Webster, le docteur Channing, Fenimore Cooper et Gar-
rcsson. Ce dernier a soutenu Ics droits de I'esclave au peril
de sa vie. Mais dans un pays oil personne ne veut servir,
comment se passer d'esclaves? Les sonnettes sont bannies,
sous preteste que cet usage est humiliant. Les domestiques,
ou plutot les aides (helps) , car iln'y a pas de domestiques,
vous laissent altendrc dcs heures entieres. Ce chapitre des
domestiques est intarissable en plaisanteries plus ou moins
bonnes; chaque jour est temoin des plus originales aven-
tures. Une maitresse de maison attendait quelques amis a
souper; ils vinrenttard, les mets etaient deposes dans un
de ces poeles porlalifs destines a en conserver la chaleur.
et places dans le lieu du repas. Lor.>!que les convives en-
trerent, on apergut le domestique assis a table et demolis-
sant, pour son usage personnel, une tres-belle volaille.
Aux reprochcs qui lui furent falt# It repondit : a personne
ne venail, tout aurait ete frold. d On autre laquais, dont
miss Martineau raconle rhistoire , recut de sa mailresse
I'ordre de ne rien falre cl de ne rien dire pendant toute la
soiree, mais d'examiner seulement si cliacun avail dusucre
et du lait dans son the. Peddonl deux heures i pen pres, il
accomplit Cdelement ceKe mission, puis il ouvrit la porte
et s'en alia. Un reroords le prit lout It coup, et, enlre-
bSillant la porte, il s'adrcssa aux personncs qui occupaient
un canape silue a I'autre coin de la chambre ; u Ohe, la-
bas, cria-t-il de toutes fes forces, y a-t-il encore du sucre?))
Ce n'est pas seulement dans les relations de doraesticite
que I'influence de la destruction des classes se fait sentir.
La, comme en France, le commerce et In production
deviennent democrntiques, c'est -a -dire, s'abnissent. Les
acheteurs ne se classent plus ; les consommateurs sont sur
un pied d'egalile; les fabricants et les vcndcurs n'ont plus
qu'un seul niveau. On fait vite et assez bien pour que la
marchandise soil acceptee. On fabriqueau pas de course;
on achete de mfme; de Id une mediocrile g^ncrale dans
les produils. Qu'importele plus ou moins de perfection?
Une teinle generate s'empare dece pays aussi romanesque
par les faits qu'il Test peu par les moeurs. Ce melange
d'Allemands, d'Espagnols, d'Irlaudais, d'Ecossais, de Fran-
cais, tombant a la fois dans la masse anglo-saxonne et
hollandaise qui fait I'ancien fond de la colonic, devait
donner les fruits les plus bizarres. NuUement. Ces couleurs
hostiles s'amortissent et s'eteignent, comme la fusion de
toutes les nuances aboutit sur la palette d'un peintre a une
teinte grise et sans nom. Ce n'est pas qu'il n'y ait la-bas
de terribles drames de la vie reelle. Du cote des monlagncs
Rocheuses, et vers les regions du Sud, la vie dcs colons est
sauvage a epouvanter; la loi se tait ou resle impuissante.
II se fait dans ces solitudes dfiS actions effroyabks el in-
connues. On s'est fort etonne en Europe de cette association
indoustanique desThUgS et desPhansegars, qui etranglaieut
scientifiquement les voyageurs Kir les gi-andes routes, et
qui conslituaient une secte religieuse. Le petit volume
public a Boston, et intitule : Vit de Murel el ses Con-
fessions, prouve que le mefflc geore d'associalion, souinis
a des combinaisons et i des lois pllis raffinees, comme il
convient aux pelils-flls de la vicille civilisation europeenne,
existail, il y a cinq ans seulement, aUx Elal^-Unis. Meme
concours de volonte poUr le mal et le lucre ; meme cupi-
dite, meme secret, meme Irregulorito savante dans I'exe-
cution des meurlres. C'est sur les bords du Mississipi que
se passent en gencl-al ces terribles scenes; flcuve boueux
et sanglant, dont les vagues, dit un AracricSin, ont englouti
plus de cadavres, el les rives cache plus de crimes quon
ne le saura jamais. Certes, un ecrivaiii dc genie lireiait
grand pftrli de la vie de Murtl, de celle de Mike, des
recils consacres par les jouinaux & la perte des bateaux a
vapeur le Home et la Moselle. Il sufDt de pnrcoUrir les
proces-verbaux dcs tribunaux, tels que les papiers publics
les donnent, pour reconnallre les malcriaux d^afnaliques
dont I'Amerique regorge dans son etat de fdUrnaise oii se
forge, comme un fer rouge, la societe dc I'avenir.
Pour nous, en Europe, nous sommes forces de nous en
tenir a quelques originalites assez peu importantes, telles
que la culture extraordinaire et merveilleuse de 00s btrbet.
S80 LE SAVOIR- VIVRE EN EUROPE.
Les Aniericaiiis, £;cns aclifs nui coniiaisscnt le jnix dii
Icitips et qiu savent co que toute do minutes la proprete
indispensable de ce bel appcndice, ont en general le mcnton
rase de Ires-pres On ne trouve qu'en France les deux
types pretenlieux et originaux que voici :
Leeran(lI)Ouill«ar.em«ntam«ricainlaissesubsisler,comme
jel'aidit, quelques-unsdcsanciens traits nationaux : I'enlre- ,
prenanleenei'gie el la patienle audace dii Saxon, la temerile
indomplabli' du IVornianil, nn cockncyisme exagci''.', la vul-
garite deWapping, le calmo sterile et Tegoisme chiffre de
Leaden-llall-Slreel, la smartness avcnlurensc du blackleg,
la rigueur formaliste et exterienre du purilain. La vieille
nalionalile anglaise n'a pas encore en le temps de se ras-
seoir, de sn raffiner el de se Iranslbrnicr lolalemenl; ninis
elle y parviendra, et bienlot on ne reconnaitra plus sa
descendance. Cliaque jour, la metamorphose avance, et
beaucoup de gens ne se doulent guere de ce qui sccree sous
leurs yeux. En -1606, les gormes d'une rcpublique rem-
plissait TAmeriquc ; personne ne s'en doutait. Aujourd'hui,
une Europe colossale se forme lii-bas, et Ton n'y pense
guere. Que deviendra cctte civilisation purilaine, soumise a
unc education niallu'matique? C'est la premiere fois que
Ton tente un pareil essai, et que la pbilanlbropie, les arts,
la religion elle-meme, se forniulent par racines cubiques
et par cosiniis. Le capitaine Hall rapporte que les jeunes
gens de ri'cole mililaire de West-Point perdent lours nonis
et sont classes matliemaliquemcnt cnnime dcs chiffres. Cetta
reduction de I'bomnie a I'elnl de cbiffrcs fonclionnera-l-elle
bicn? On le saura plus lard. Marriult donne une jireuve
curieuse de celte roynule du cliilTre : deux jeunes fenmies
en diligence parlent de leur bonnel, et en parlent malhe-
maliquement.
Une lelle organisation sociale ne favorise point la lilte-
ralure et n'en a pas-besoin. Celte nation de fourmis labo-
rieuses, d'abeilles actives, d'elres humains, dont le mouve-
ment de creation est incessant, qui ne se donnent pas la
temps de manger, qui meprisent leloisir, qui abhorrent le
repos, est dans la situation la plus detestable pour I'art el la
poesie. Elle compte cependaut quelques iraitateurs heurcus
de I'ancienne litteratiu-e anglaise. Cnmme orateurs polili-
ques, Webster, Clay, Everett, Coss;comme bistoriens, Ban-
croft, Scboolcrafl, Butler, Carey, Pitkins, Prescotl, Sparks ;
les polygrnpbes Neal, Child, Sleevens, Leslie, Sedgewick,
Sanderson, Willis, Hall, Fay, Washington Irving; les roman-
ciers Paulding, Ingraham, Kennedy, Bird, Fenimore Cooper;
les poeles Drake, Longfellow, Sigourney, Bryant, llalbcck;
les legistesKent, Sloryelllall; maissurloull'bonime coura-
geux qui a dii aux Americains lenrs dangers, qui leur a indi-
que les ecueils centre lesquels leur prosperile pent faire
naufrage, ledocteur Channing. Le grand caraclere du talent
manque ,i la pluparl; ils ne soul pas originanx. C'est un fait
incontestable, quedepuisrintroduclion etiedeveloppcment
de I'elemenl democralique en France, I'originalile s'y est
egalement abaissoe; ni la France ni FAmerique ne pos-
sedent aujourd'hui d'ecrivains aussi hardis que le furent
Montaigne, Bacon, Slerne, Swift, Moliere, Cervantes et
I llabelais. C'est que le gouvernement des masses, chose
I clrange, ne developpe pas la liberie de I'espril ; il relouffe,
et par une raison malhemalique. Lorsque tous ont droit
sur tous, quiconque se delache des aulres blesse les droits
de tous. Comment concilier I'originalile avec I'egalite?
L'elegance et I'exaclitude, la magniloquence ou I'affelerie,
pourront s'accorder avec de lelles mCEurs; la liberie et
i'originalile, jamais.
Faute d'uiie lideralure et d'une poesie originales, on a
essaye, en Amcrique, celle liltcralure des slimulanls etdes
causliques, qui n'a pas encore dii son dernier mot en
France, mais qui cependant marche, et ne va pas mal. Les
Americains nous ont depasses. Nos representations dra-
BKi:TtSH
HISTORY.
Typographic d'A. Rcnfi.
\mu uu.
PETITES MORALES.
2S.
)natii|ues n'ont pns atlcintle degre d'excitalion et de puis-
sance oblenu recemmcnt par un divime americain. C'est le
clicf-d'oeuvre du genre que ce draine, quj doil desespeier
!es modernes crcaleurs ; il a pour litre les Regions il\[cr-
nales, el Ton ne se lasse pas de Ic represenler dans toules
ks provinces de I'Union. L'nuteur n'a fait aucnn frai- de
dialogue. Ce sent des damnes, des pendus, dcs cliaudieres,
des supplices, des ecartelemcnls, dcs flammes rouges, des
liurlcments, des grinccnienls ; unc obscurile niclee desillons
de feu, des mares de sang des sanglols planitifs, des foules
deniallieure'.ixplongcsdans lapoix ljouillantc,etdesdiables
qui arraclient des lanieres de chair liuinaine. Tout ■cela
remplace Soplioclc, Shakespeare ct Corncille avec beau-
coup d'avantagc. Les Americains soul touches de ce grand
patliutique; ils n'ont pas le temps jle lire; ils batissenl,
creuseut dcs canaux, defricheiit, labourent , et passent
coninie un eclair d'un bout de I'Ameriipie a I'autre. 'Un
tel pcuple ne pent pas etre i."'?llccluel ; en fait d'art
comme de poesie, la premiere condition, c'csl le rapes;
seul il est fecond. ^
PETITES MORALES.
GARNET DUN VIEUX CURfi.
Druses. — Arcliiteciure ia mojen Jgc. — Jeanne d'Are.
BHUGES (1 ).
11 y a trois villes curieuses a visiter, trois cites a la fois
niortes et vivantes, trois debris iiiteressants et bizarres, qui
portent teraoignage, au milieu de la civilisation moJerne,
des antiques splendeurs et des curieuses annales du moyen
age : c'cst Bruges, Vcnise et Cordoue. La singularitii et la
grandeur eteintes des moeurs musulmanes elablies en Es-
pagne respireut oncore dans cette derniere ville; on peut
aller a Venise admirer les derniers restes d'une republii|ue
sous le joug de laquelle unc parlie de rOrient a tremble.
Mais peul-etre la plus digne d'observation enire ces trois
curiosites remarquables est-elle cette cite de Brujes, .senii-
espagnole, semi-llamande, melee de severile et d'elegance,
de grace et de bizarrerie. Arrelez-vous en face de cet hotel
de ville dout les decoupures fines et delices le font res-
sembler a un bijou architectural. (Juel ciscau hardi et a la
fois ingenieux a fouille ces ciselures, a dispone ces orne-
meuts, mele si liabilement la coquetterie a la solidile?
Voila de quelles creations I'art et les temps Chretiens ctaient
capables. Aujourd'hui I'herbe pousse dans ces ruesdesertes;
aujourJ'hui le silence plane sur ces rues jadis animccs par
un si brillanl commerce; et Ton doil savoir gre a I'artiste
qui reproduit el conserve ces souvenirs perissablcs dun
monde qui tut si grand et qui s'elface tous les jours.
()) Vol/, la belle cravure ao burin que les edileurs du Lirre des (amilks
som heureui d'offnt !i leurs lecieurs.
FIERRe-PADX RDBEMS.
Combien Ton se tromperait si I'on jugeai! le genia fla-
mand d'apres je nc sais quelle reputation factice de pro-
salque simplicitc et de ferlilite vulgaire , a laquelle a con-
tribue sans doute I'aspect de vastes plaines couvertes de
nioi'sons et des chaumieres qui s'y trouvent scmees. La
Flandrc, comme le prouvent si bien les edifices merveilleux
de Bruges, d'Anvers el de Bruxclles; la Flandre, si emi-
nemnient chrctienne, est un des principaux centres de la
civilisation arlislique De niemc (pie Raphael est le repre-
sentant ideal de la grace et de la beaute italienncs, llubens
est le symljole de la vie exteiieure, brillante, de la force cl
de la fecondite beiges. Aucuue vie ne fut plus splcndide et
plus occupee que celle de Rub?ns. Ami des grands, bien-
venu de tous, accueilli des rois, employe dans des missions
diplomaliques, il produisit dans le cours de sa vie la
somnie vraiment prodigieusc de quatoize cent soixanle el
un ouvrages, dessins ou tableaux, la plupart des rhcfs-
d'ceuvre. Son habitation clait un palais. De son atelier sor-
lirent la plupart des illustrations arlisliqucs du siecle sui-
vanl. Ce modele des genlilshoinnies , dcs arlisles et des
gens d'esprit, meritail bien qu'une Liographie sp^ciale lui
fut consacrec ; el nous ne pouvons trop recommander a nos
lecteurs rexcellent ouvrage de M. Andre van Uasselt, inti-
tule : Hisloire de la vie el des ouvrages de Ritbens.
Dans noire prochairt numero, nous donnerons le resume
complel de cette vie d'artisle si brillante cl si bien remplie.
JXANSTE O'AaC.
Au moment oii le nom de cette heroine retcntit a la fois
au college deFranceetiila chambre des dqniles. rappelons
ici ce grand souvenir chretiep, el empruntons a I'un dcs
poiltes de ces derniers temps le beau recit dc sa mission
divine. Jeanne d'.\rc s'adresse en ces mots au due de Bed-
ford :
Prince, je vous dirai la simple viirile :
Quand dcja les Anj^his devasUuent ce roy.iunie,
Prcs des bordsdu la Sleuse, ct sous un luit de cliaume,
Mes parents ni'elevaienl a cote de mes sa-urs,
Et tic la charile ni'cnseignaient les douceurs.
.Tclais dans I'jgc heureux que la paix accomp.igne;
IJuranl le jour j'allais de montapnc en monta;;nc
Conduiro nos Iroupeaux, ou, chcrcliant Ic saint lieu,
Chanler dcvant I'autel les louangcs de Dieu.
Deux besoiiis de nion coeur, raumont* ct la pricrc,
Rcniplissaiont mes instants... Dans noire iiumble chaumiere
On nic parlait souvent des maux de mon pays,
De nos i)rinees captifs, par leurs sujcts trahis.
Et moi, me conOant en la main quidelivrc,
Je nic faisais relire, aux pages du saint livre,
L'liistoirc du bcrgcr que protcgcait le cici,
Ou licbora partant pour sauvcr Israel.
Bientot d'affreux vainqucurs en nos champs accoururenl,
Nos troupeaiix, nos moissoiis dcvant eux disparnrest;
Dans Ic fond dcs forcts il fallut nous caclier,
Et du toil paternel deux fois nous arraeher.
Parloul dcs cris, du sang, d'eternellcs alannes,
El jc vis bien souvent, non sans verser des larmes,
Kossoldats mutiles, que rAnglaisinsultait,
Tcndrc a la charilc Ic bras qui Icur restait.
36
CHRONIQUES ET LEGENDES.
Nous attendtons la mort, nous la croyions prochaitie.
Un jourje m'arretui Ireniblante au \>k\\ il'uii cluinc ;
J'y pleural bicn longtenips, et, tonilKmt a gcnoux,
Je mccriai : Seigneur, ayezpilte do nous!
Voyeznos rois proscnts, nos villes alarmcts!
ri'etes-vous plus le Diou qui commandc aux armces?
Si nos fautes du cicl allument le courroux,
Ke frappez que men sculc; oui, jc nrolVre pour tous.
Rendez, rendcz la France a sa gloire premiere
Je parlais et soudain dans des tlots de lumiure,
Au bruit miraculeux des celestes concerts,
Une vierge des cieux m'apparut dans Ics airs.
G Tes vcEux sont exauces; leve-toi, me dit-cile.
« Berj^ere commc toi, simple ct faible mortelle,
c J'ai porte la houlette, et priant dans men cceut,
a Protege nos cites contra Attila vainqucur.
a Paris revere en moi sa celeste patronne.
« Le Seigneur te destine a la raeme couronne.
« Et tu dois, dclivrant nos remparts asscrvis,
« Degager les serments qu'U a fails a Clovis.
a II parle par ma voix; sor ordre ici m'amene.
a II ne veut s'appuyer d'aucune gloire liumaine.
« Et, n'oiTrant aux Frangais qu'un roseju pour soutien,
« Son glaive deviendra visible pres du tien.
G Pars, Orleans t'appelle ensa fidele enceinte,
a Et le front de ton roi demande I'huile sainte. »
La vision celeste a ces mots s'euvola ;
Mais ses feux m'embrasaient, oui, je les scntais la.
Je portais dans mon sein sa promesse ijravee ;
Je briilais pour la palmc a mcs mains ri^servee :
Affranchir son pays est un bicn pr^cicux,
Qu'on nc refuse pas lorsqu'on I'obtient des cieux.
lie ce don solennel chaque jour plus eprise,
JVmbrassais en espoir I'heroiquc cnlreprisc,
Mcs jours etaient troubles, mon sommeil sans repos;
J'agitais sur mon front d'invisibles dnipeaux,
Et jc ne pouvais voir, dans mes saintes alarmcs,
Un panache ennemi sans demander des amies
Surpris de mes transports, ignorant mon dessein,
Mes parents effrayes me prcssaicnt sur leur sein.
Dans les bois, dans les murs de notre saiutc cbapclle,
ToujourslamOme voix... « Dicut'attend... Dieu t'appelle !d
Je partis...
BEDFORD.
Quels guerriers conduisirent vos pas?
JEANNE d'aRC.
Ceux qui m'accompagnaient ne me conduisaient pas.
C'est moi qui, dirigeant leur escorte invincible,
Leur niontrais une route a tout autre impossible.
Dans le camp des Francais rcgnait un morne elTroi,
Tous prcssaicnt en pleurant I'exil du jeune roi.
J'arrive, un cri de guerre au mcme instant s'elcve...
De Martcl dans Fierbois on court chercber le glaive ;
^ous marchons, et ma voix fait passer dans nus rangs
Ces transports enflammes qui chassent les tyrans.
Voila , prince, quelle est I'bistuirc de ma vie ;
Je n'ai point mi5rite qu'elle me soit ravie.
Ge ciel qu'on osc ici m'accuser de trahir
Avail tout command^ : jc n ai fail qu'obeir.
CHRONIQUES ET LEGENDES DU MOYEN AGE.
COTZnNIC (1).
i
'fiBfi BK coEt!
La veille de la Saint-Nicolas, une societe de parents it
(I'amis s'etait reunie le soir dans la petite maison que pos-
(1) TraditiOQ Iraduiie de I'allemand. Nous plai^oiis dans le cours du
lecil.pourlinslruaioude nos eunes leclcurs, la reprii&enutioa Ueuroc
des divers systimes aslrooomiqucs.
sedait ii Bnlogne Nicolas Copernic, afln de celebrer avec
liii la fete de sou patron et la sieniie en meine temps. Deux
vieilles coiislnes du grand homnie, qui demeuraicnt avec
hii, avaieut resolu do jouer devaiit lui, a cette occasion,
une petite comedie allegoriipie ayani pour sujet la recente
decouvertc de cct inimortel aslronome.Les preparatifs sce-
niques etaient deja prcsque cnlicrcmcnt lerniiiics, lors-
cnnoNiQUES
qu'un homme assez pauvrement vetu se presenle, deman-
dant conime faveur d'assisler u la representalioii qui allait
avoir lieu ; sur un ijeste iifOnnalil' dc Copernic, il s'assit au
milieu dun groupe de spoclateurs.
Le niailre presidait cclle asseniblec, assis dans son grand
fauleuil, la lele couvei'te dc -la tlassique caloUe noire, et
il convcrsait avec son ami d'enfance, le seigneur Jai- pies
Batlista, qui elail pai'li ilc Milan on il reniplissail les I'lnic-
tionsdeprofesseur, pour |]rendresaparl du diverlissenienl.
La niajorile des assislauls se eomposail de ligurcs venera-
Ijles, sur lesquelles il etait facile de lire ipie des sciences
abstraites ell'elude de I'aslrononiie elaienl pour lieaueoup
dans les rides qui les sillonnaient profondemenl. Connais-
sant leur amour pour ce qui se rallacliait au priigres des
connaissanccs humaines, Copernic n'avait pas liesile a leur
devoiler la grande revolution qu'il avait operee dans le
royaume celeste. Robert et I'aul, deux jeunes gens qui
aclievaient leur education a Bulogne, etaicut les sfulsctu-
diants qu'il ciit admis a cettc soiree, et encore s'il I'avait
fait, c'esl qu'il n'ignorait pas qu'ils etaicnl iittires vers lui,
bien plus par leur amour pour sa petite niece Sopliii',
charmante enfant de seize ans, qui croissait a I'ondjre des
ades protectrices des deux vieillcs lilies, que pour leur
amour pour I'astronomie.
Kous craindrions d'abuser de la patience de nos lecteurs
si nous essajions de leur donner une idee exaete et circon-
stanciee dc la comedie cpi'on vajouer, on pour niii'uxdire,
qu'onjoue en ce moment devant le vieux professeur. iSous
nous contenterons de leur en tracer une courte esi|uisse.
Les deux cousines, Genevieve et Therese, remplissaient,
I'une le rule de la Terre, I'autre celui du Soleil ; d'autres
artistes du meme genre remplissaient les Planetes, et le
chcEur se composait des Etoiles fixes et des EloiUs erran-
tes. La Terre est assise sur son trone, recevant avec or-
gueil les hommages de ses vassaux, qui, tons, decrivent
humbleraent des courbes autour d'elle. Mais bicnlul, aigri
par Jupiter et par Saturne, le Soleil se rcvolte centre la
Terre, et, apres de longues vicissitudes et des scenes plus
longues encore, il parvient a remporler, et ii forcer la
Terre a tourner autour de lui.
Le maltre avait ri de bon coeur pendant cette allegoric
dialoguee, et, a chaque fois qu'il avait apercu une allusion
aux savants, ou a son ennemi le vieux docleur de I'adoue,
il n'avait pas manque de foirc a Baltista un signe d'intelli-
gence. 11 s'essuyait encore les yeux, et les cousines com-
menyaient a enlever I'attirail scenique , lorsqu'une forme
fanlastique, se glissaut comme une apparition entre les
lampes et les planches, se posa d'une maniere tragique,
et, au grand etunnement de toule Tassembliie et des acteurs
cui-memes, qui ne comptaient pas sur ce nouveau ca-
uarade, adressa a Copernic rallocution suivante :
Infame ndcromant, dont la main temeraire
De sou trdne internet precipite la terre !
II n'cst point d'anathenie, 11 n'est point d'echafaud
Capables dc payor tes horribles travaux .'
Impiloyable Ills, dont I'adresse perfide
Pour flatter le soleil comnitH un parricide,
Tu chcrcheras en vain a tuir tonju^cment.
Tu portcras ie dcuil jusqu'au dernier nionjcnl,
£t lo bras dc la terre indisnemciil tnbic
Tuacra lourdciucnl sur ta tOte d'iiiipie.
Maudil soil Copernic quand (Copernic niouria ,'
Uors de son scin alors la terre le vomira.
ET LEGENDES.
283
EtIecicI, indign£desa coupabic audace,
Au milieu des demons lui marqucra sa place.
Ces vers, declames avec energie, jelerent I'clfroi dans
I'Sme des auditcurs; I'orateur avait disparu, et Ton met-
lail en deliberation s'il ne serait pas a propos de courir
apres lui et de s'assurer dc sa personne, lorsque, en tour-
nant les yeux du cole dc Copernic, on s'aperrut qu'il riait
dc eel epilogue d'aussi bon cceur qu'il avail ri de la
piece.
« .\ rpioi bon vous occuper de ce qu'a dit un fou? s'c-
cria-t-il en remarquant la Iristesse qui se peignait sur tous
les visages. On ne pent plaire a tout le raonde ; les unsveu-
lent ceci, les aulres veulentcela; il est tres-diflicile d'avoir
raison, mes bons amis, et quand on a ce bonheur, il faut
laisser clanier lousceux qui ont tort.
— Je ne serais cependant pas faclic, repondit Jacques
liattista, de savoir quel est eel avocat. II s'cstservi d'ci-
pressions qui m'ont dccliire le cceur ; ne dirait-on pas a I'en-
teudre que vous etes un horrible pecbeur, plus criminel
que qui ipie ce soit au monde; qui ne devez jouir d'aucuu
repos, ni sur la terre, ni dans lii tombe?
— Sans doute, repliqua rastconnme ; c'est cela qu'il a dit.
Mais, croyez-moi, sous I'habit de ce propliete de malbeur,
se cacliait, j'en suis sur, un de mes ecoliers, ou quelque
envoye de celte ame damnce du doctcur de Padoue. Moa
secret n'a pas etc plus loin; par consequent, mon ami, n'avez
aucun souci de toutes ces menaces. »
Ce meme jour, vers miuuit, Copernic, encore assis au
milieu de ses globes et de ses instruments, poursuivait la
solution d'un probleme, pendant que le reste dc la maison
s'abandonnail au repos. Tout a coup il entendit marcher
avec precaution sur I'escalier, cl, avanl qu'il eiit pu se re>
nioltre de la surprise qu'une visite aussi tardive lui causait,
il vit s'approcher de sa table un liomme enveloppe d'un
large manleau, dans lequel il reconnut, avec une surprise
jilus gi-ande encore que la premiere, le neveu du due re-
gnant, le prince Benedict. II se leva, et apercut sur sa phy-
sionnmie reguliere, mais palie par le feu des passions, des
nuages dccolere et de melancolie.Le prince remarqua I'e-
tonnemcnt et riuquictudc de I'astronome, il soupira, et, se
jclantdans un fauteuil, il dit apres une courte pause :
« Je viens bien tard chez vous,mjitre Copernic ; mais j'y
suis force par une prophetic qui m'a ele faite, il n'y a que '
quelques heures, et que je ne puiscompi-endre, quoique je
laie lournee dans tous lessens. J'etais etendu sur un sofa
dans ranlichambre de la duchesse, fatigue de runiformite
de mon service, enuuye des exigences de Tetiquelte, dc-
goiite peut-etre meme de la vie ; mes sens elaient plonges
dans une espece d'alonie que suivit bientot un profond as-
soupissement. Lesobjets exlerieurs se transfornierent fan-
tastiquement devant moi, et la gaze riante des soiiges se
souleva a mes yeux. Des splendides ajiparlements du pa-
lais, mon esprit se trouva transporte dans les sombres ca-
veaux de la calhedrale de Saint-Marc, ou re|)osent les os-
sements de mes ancelrcs; la, entoure de cereueilsbrises, ■
j'errais, seul vivant, au milieu de tons ces morts couron- ''
nes, moi qui n'ai point de couronne a esperer. Jl
u Je ni'aperrus bientot que les portes de I'ediOce s'ou- »
vraient , des Hots de lumiere y jienetrerent, et au milieu
deux je vis s'avancer de niou cote une fcmme celeste ; c'e-
tait Annonciade, lajeunesoeur du due. EUe s'approcha ds
moi, et, d'un gesle oii se peignaicnt lout a la fois la di«
S8«
gniti', Id gii'icecll'aiiioui-, cllem'indiqim le del. Je levailcs
yeux; Ics voi'ilos lUi tcmiile avdient dispiiru, .i Iciir iiliicc jo
no vis plus iiu'uii cii'l maijiiiriciuemoiil cloile ; et sur moa
front ri'|)nsail, coninio im riclic dinileme, li conslcllaliiMi
iVOiioii, I'aslre qui (iivsiilc aiix ilesliiicos de mamaison. Iina-
i;iiie-lol. iiiaitrc, (pii'ls scnlimciils m'agilaii'iit. Eldoiii do
laiil d'oclat j'qHiiuvai.s des vcrtiscs, clje [us obligo, pour
ne point tonibci-, dc ni'apiinycr sur un sarcophagc.
« Cost moil syslomc i[ui couroinicra dc gloirc nolic
cpncpip, ropondil lo niaitrc. Mais paripicllos doulonrs I'un
ct I'anlro aclieterons-UDUSce rosullat? Quo suis-je anxyoux
de mcs conloinporainsV un aslrologue, uu novatcur, nn
foil!... La poslcrilo nous vcngera. »
11 but de la poine a so rcmotlre de son emotion, et il so
passa ipielipie temps avnnt (pi'il put reprondrc le conrs ue
ses Iravaux.
Giuseppe, le famulus du mailre, avail recu I'ordro dos
coHsincs de reporter au convent les costumes de tkeatro
qui avaient servi a la representation de la vcillc ; car, d'or-
dinaire, cen'etait que la qu'nne garde-rolie llieatralc pnu-
vait se inonler, les bons pcres ayant tonjours eh reserve,
pour la celebration des mysleres, des costumes dc tons
genres. Lorsquela figure si Men connne du vicuxscrviie\ir
so monlra a la porle de rauberge dont il (ilait un des plus
zelos habitues, un ruurnnire general de salisfaclion I'ac-
cueillit; ce fut a qui lui ferait place, ou lui donncrait un
vcrre.
« (Jue Dieu le Ijoiiisse, Giuseppe, luicria I'hommc rouge
etrond qui rcmplissaitles fonclions desommelier.
' — Je ne veux pas qu'on m'appellc Giuscijpe, repondil
I'arrivaut ; je ne puis pas souffrir cette grossiere pronon-
cialion. Ne vous ai-je pas ditcent fois que je me nommais
Pierre-Jean-Crains.-Dieu-Joseph Bcrlcl, natif du supcrbc
Hagdebourg, ou vivcnt les femnies les (dus vertucuscs ct
les plus beaux bommes?
— On s'en apercoit bien, reparlit un marchand en jelanl
un regard malin sur la jigure grelee du famulus, et sur ses
jambes llageolantes. Eh bien, voyons, qu'avez-vons fait
de tons ces habits, honaete Joseph Magdebourg? Avez-vous
joue quelque mystere?
Clir.ONIQUES ET LfiOENDES.
— Un mystere? ri'pela Joseph ironiqi:ement. Vraiment,
oui! Croyez-vous que mon doctc maitre puisse trouvcr du
jdaisir a tonics ces babioles que vous appelez comedies, ct
dont vous nous regalcz si souvenl? Nous avons un gout
un pcu plus rafUne; ct c'est une tragiidie astronomiquo
qui a etc representee chez nous. »
Tous lesliabitues serecricreul a cc tilro, otdom.indoront
tons d'nne voix ce que cola voulait dire. Joseph posa son
doigt sur sa buuohe, et repondit avec gravite :
« Je ne veux pas abuser d'un secret, et vous ne saui oz
rien. Seulement, pour rapprocher im pen de moi voire
ignorance encronlee, je vous dirai tpie, dans noire Irage-
die, nous avons demontre de la maniere la plus claire,
que la lerrc est nne boule qui tourno, et qui a loujours
tourne depuis le commencement du niondo.
— Oh! oil 1 repondit un soldal; la tcrrc qui lonrno.
Voiliidu nonveau, Joseph de Magdolionrg.
— Assnrement, repliqua I'orateur. Noire lerre, celle
bonne grosse terre sur laquellc nous marchons, eh bien,
elle tourne, et autour dn soloil encore.
, — Expliquez-nous ce mystere' demande un forgcron aux
epaulcs herculeennes. Par sinnt Pierre! j'aime acroire ipie
In ne te joues pas de nous.ljue veux-tu dire par ces mols:
la terre lourne?
— Atlcrition, dit d'lui air doctoral le pelit vieiix. Suppo-
sez mcs amis qu'il ful donne a queli|u'un de s'elevor dans
Pair au-dessus dc la ville de Rome, comme font les grues,
les eigognes, les hirondelles et aulres oiseaux voyageurs
prives de raison, celle personne serait bien surprise de
s'apercevoir, au moment ou elle coiilemplerait avcc le plus
d'atlenlion les eglises, les palais et les jardins de celle no-
ble capilale, ((ue les tours et les sommcls de ses edifices
s'inclinent insensiblement et (iuissent par disparailre en-
ticrement a ses yeux, se Ironvant remplaccs par d'autrcs
vnes lelles que des rivieres et la merelle-raeme ; cc qui ne
laisserait pas que d'etre fort drole a voir. Si cevoyageur
aerieii est nnc buse comme les oiseaux que je vicus de
ciler, et s'il n'a ancune teinlure de Part divin dc I'aslrono-
mie, il prendra tout cela pour un jeu de son imagination
on de ses sens, taiidis qn'un homme inslrnit se convaincra
par la que la terre tourne avec lout ce qu'elle porle, et
lout ce qu'elle renferme. Mais vous, !a-bas, respectable
mailre forgcron Parmurier, qu'avez-vous a remner inces-
sammentvos grospoings?Pcnsez-vousqvie les buchesaient
meilleurc grace a la lumiere?
— Je pcnse, repondit le colosse, que Ui le gausses de
nous avec Ics visions, les grnes el la figure de fromage de
Uollanilc. Voyons un pen, monsieur le savant; si la terre
tourne, comment se fait-il que nous puissions nous lenir
dcbont sans toiiiber ? »
Get ai-gumcnl parul viclnrienx, et tous les regards se
porlereut sur Josojih, qui haussa les cpaules de pilie, et
ropliqua.
.< Homme materiel , ct les lois de I'equilibrc , de la
gravilalion ! D'aiUeurs ne voyez-vous pas tous les jours des
)iersoniics qui disparaissenl sans qu'on sachc ce qu'elles
soul devcnucs? c'est qu'elles out perdu Icur eqnilibre, et
qu'elles soul tombeesjc ne sais ou, en Chine peut-etre?
Vous rappelcz-vous ces huit scelcralsque le podeslat avail
fait coiiduire ici sous bonne escorlc et qui n'elaicnt nuUe
pari le lendemain? Eh bien, ces malheureux auront perdu
leiir equilibre, et voila ce qui vous prouve que la terre .
tourne. '
— One In l.nrenliile ]p pii|iie, rpparlil un tnillciir dont
le npz boursconni' inrliiiuail i1p frriiiienls mpporls avtc
Bacchus. Notre ami Joscfih-Crains-Uii'ii ile MiigJcl)niir?,
a raison, je m'apeiTois liien que ,jc no suis pas solide sur
mon banc, et que je chanccUerais si j'cssayais de marcher !
c'est la terre qui tounie.
— Allons done, s'ecria I'hole en colerc. Voila soixanle
ans que je suis clahli ici, et jamais je n'ai entendu parlor
de seniMables choses. Moi, qui sais tout ce qui se passe,
j'ijnorerais que la terre tourne.
— Pauvres gens I repondit Joseph avec compassion.
Vous vivez dans un sac, la lumiere ne frappe point vos
yeui!...
— Ignornnls! inlerrompil line voix sniirdo. n C'elait un
liomme bien mai|rre et bien piile qui s'l'tait glisse dans la
salle sans Sire apercu. Ces deux mots sufCrent pour que
chaque auditour fit qiiatre pas en arriere en scsignant di>-
votemenl. Des ce moment, Joseph et rinlerrupteurdenieu-
rerent seuls au milieu du cercle ; mais le premier, que tout
cela n'avail nuUement emu, repondil avec colere.
« Sans doule , pour vous autres pedants, les arts el les
sciences nepeiivenl bouger ! Mais palience. »
Le pedant se redressaetquittal'holellerie, non sans avoir
jete un regard plein de feu sur le vieux sorvileur do
Copernic.
« Qu'avez-vous fait la?lui dit Vholc a I'oreille. Igno-
rez-vous que de scnihlables choses ne doivent pas sc dire,
meme en plaisantant? Ami, songez-y bien, vous et voire
maitre vous failes Irop de bruit dans la ville. Prenez garden
Joseph se preparait d repondre a cette amicale recom-
mandation, lorsquc son attention fiit delournce parTenlree
d'un personnage extraordinaire.
C'elait un hommc vein pauvrement; son visage blemn
etait sillonne de rides, mais 11 elait facile de voir qu'cHes
avaient ete creusees plutut par d'atroces souffraiiccs que
parl'age ; son corps, qui avail dil elre elance autrefois, elait
maintenanlcourbe et perclus d'un cole. Ses yeux, qui erraieul
vaguenient ca et la, indiquaient suflisamment que la rai-
son I'avait abandonne. II ei'it etc diflicile de trouver qucl-
qu'un d'un aspect plus horrible. Get I'tre difforme sc traina
lentement et peniblement vers une table ecarteeque I'hole
lui indiqua, et,quand ileutpris place, cclui-ri dit a Joseph :
« Vous avez la devant vous un lemoignage vivant de ce
que je vous disais lout a I'heure ; eel homnie qui errc ici
comme un fanlume aulour de nous, dont la figure el lo
corps offrent les traces d'une affreuse devastation, clall, il
n'y a que pen d'annees, un homme superbe, celebre par ses
avantages physiques aulant que par sa science ; il elait ad-
misdans la sociele des princes; partout on admirait sa pro-
fonde erudition, eH'agrementde sa conversation. Eli bien,
une nuit, une seule unit, Joseph, une nuit de torture a fail
un cul-de-jatte d'un Antinoiis, du favori des princes le
jouet du peuple et des cnfauts, el du savanl un insense.
0 mon bon Joseph, la lampe solitaire bri'ilait .souvent
aussi a minuit dans son cabinet; il feuilletait incessam-
ment aussi de lourds in-folio; il avail aussi un petit do-
meslique rabougri comme vous ; il avail aussi diicouvertde
belles clioses ; mais ces decouvertes ne plurent point aux
docleurs en grec, et lout cela Unit comme vous voyez. A
Lon enlendeur, salut. »
Joseph ne remarqua de lout ce discours que I'epithete de
rabougri qui lui avail ele appliquee, el il s'ecria avec colere
ClinONIQUES ET LEGENDES. 283
enrepoussant I'hole : «Oui, vous avez raison, mon maitre.))
Aprcs avoir profere cette menace, qui fit rire les uns, et
qui facha los autres, Ic petit homme quitla I'lioleUerie.
11
Quatre jours s'etaienl ecoules depuis la representation
de la comedie allegoriciue el la scene que nous venons de
raconter ; maiti-e Copernic elait encore, comme I'aulre fois,
assis la nuit dans son cabinet, et ti-availlait. II examinait
avec un plaisir visible des cercles traces sur une feuille de
papier, loisqu'un domestique de sa maison se precipita, pale
et hors d'haleine, dans sa chaudjre.
« Qu'as-tu Gnecco? demanda le vieillard. Quelles
nouvelles m'apporlcs-tii si lard ?
— De mauvaises, maitre. 11 y a en has un envoye du
due, accompagne de deux hommes. qui vous apporte I'ordre
de le suivre a rinslanl ncerae au palais.
— Cette nuit? In reves encore sans doule.
— Maitre, pint a Dieu que je revasse. Mais il n'est que
Irop vrai; j'ai eu tonics les peiucs du nioude a les empechcr
di; monler jusqu'd vous, au risque de reveiller loule la
maison .
— Eh bien, dimne-moi mon manteau, mon chapeau et
ma canne. »
Le domestique obcit, mais avec tons les signes de la plus
vive frayeur.'
(I Ne le dcsole pas, continua Copernic, el ne re-
veille personnc : c'esi sans doule une observation aslrono-
mique que me deinande Son Allesse ; elle veul profiler du
'''-^4M£,-iSl!ii'
beau ciel ctoilc que nous avons ccltc nuit. Je ne serai pas
longteraps. »
11 cut beau dire, il ne parvint pas a rassurer le vicux
servilcur, (|ui, descendu avec lui, vit son maitre echanger
qucli|ues paroles avec les envoyes du due, et sortir avec
pux de la maison.
L'astronome qui, dans le fond Je son ciTUr, n'ctait pas
aussi tranquille qu'il s'elait effurce de le paraitre devant
Gnecco, prit cependant courage lorsqu'il se vit conduire
dans un des appartemenls du palais, oil se Irouvaient reu-
nies toules les inventions du luxe. Apres s'etre promene
qiielque temps de long en large, Ic sonimeil finil par s'em-
28f CnnONIQUES ET LEGENDES.
parerdo lui, el il ne se reTCilI* que le lendemain matin,
lorsqne lo eapitaiiie do garde ouvrit la porle de sa somp-
tucuse prison, el y inlroduislt un jeune homnie qui n'etail
rien autre (pie I'oliuliant Paul, un des adeples du vicux
profcsseur. Cclui-ci, pour oler lout soupcon de connivenre
a I'ofCcier qiii clait resl(> dans la cliamhrc, dit a Paul avec
gaiete, de parler librcmnit, et de ne rien lui cacher de ce
qu'il avail sur Ic co;ur.
« Nous sommes lous inquiels de vous, repondit I'c-
tudiant. Nous ne savons ce que signifie voire brusque en-
levement. Nos deux cousincs soul inconsolahlcs, el dies
onl resolu de venir so jeler aux pieds du souverain pour
lui demander voire liberie, pourvu que vousapprouviez Icur
projet. »
Copernic secoua la Ifle, et dit que, quant a lui, il rc-
gardail une pareille demarche comme inulile, attendu qu'e-
tanl innocent, il n'av.iit rien a rcdouler de la justice du
due. JEn consequence, il pria le jeune homnie de reconi-
mandcr aux deux couslnes de ne point se meler de celle
affaire, ct il le chargea, de plus, de les embrasser de sa
pari, ainsique le vieux Ballisla.
A ce nom, I'etudiant se rapprocha du maitre, el lui dit
que ce profcsseur lui avail remis pour lui son auteur fa-
vori, afin qu'il se consoUt dans sa solitude en le lisant.
C'etail Pindare.
An moment on Copernic tcndail la main pour prendre le
livre, I'ofGcicr le devanca, et se mil a feuilleler le volume.
« Ce sont des pricres latines, dit-il ensuile, vous pou-
vez les lire. »
El il lui rendit Pindare.
Lorsque I'aslronome ful seul, il se hSla de compulser le
livre, et, ainsi qu'il s'en etail doule, il y trouva le billet
suivant de son ami.
« Tu as etc Irahi de la maniere la plus epouvantable. Tes
« enncmis de Padoue onl trouve le moyen de rcprescnter,
« aux ycux des professeurs de Bologne , la sublime de-
« couverte comme une conspiration. Les savants sont
« centre loi. Notre unique espoir est dans le due qin,
« par bonheur, est dans nos murs. Si lu peux parvenir a
« etre admis en sa presence, le seul parti qui le restera a
« prendre, sera de le rclracter, et de declarer faux tout ce
« que lu as avance comme vrai. Que t'imporle ? Ta decou-
« verte n'en subsistera pas moins, et quand une fois lu
« seras loin de cette terre de prcjuges et de superstitions,
« tu pourras te prononccr sans danger. »
« Non 1 non ! s'ecria Copernic, apres avoir lu le billot.
Non, non, cher mais tinnde ami, je ne veux pas que, jjour
moi et pour quelques niiseraldes jours qui me rovtent ii
vivre. la lumierc demeure phis longtrnips sousleboisscau.
Je pretends conserver intact le merilc de ma decouverte,
si petit qu'il soil, et la piur ne m , .eri jamais mentir
a moi-meme . le savan^ doit ctrc loiijoiirs prel a mourir
pour sa doctrine, comme le soUlat pour son drapeau ; je
n'aposlasicrai jamais. »
Au boul d'linc heure, le capitainc de la g,;rdo revinl, ct
pria le vieillard de le suivrc dans les apparldnrjiis du due.
II oheit, et, le courage retrempe par la liillcqu il vcijait
de soutenirmentalemenl, i cnlra d'un pas ferine dans une
vaste salle, au inilieu de laquclle i| aporciil une loiigue
table couverte de papicrs, et entouree de plusieurs .scribes.
Copernic apprit par son guide qu'il se Irouvait dans I'ap-
parlemenldu secretaire intiinc du due, et que le profcsseur
Robert, qui remplissait cet emploi, arriverail dans un mo-
ment. L'astronome connaissait a fondce secretaire; il sa-
vait que son esprit etail etroit, que son devouement au
due etail sans bornes ; mais il .se rassura en voyant cn-
Irer avec lui un jeune savant, Vincent de Burtola. Cet ai-
mablc jeune bomme avail cte quelque temps I'eleve de
Copernic, qui avail reconnu en lui de grandes dispositions,
el surtout un amour pour les sciences abslraites qui fai-
sait presagcr qu'avant pen d'annees, il occuperail un des
premiers rangs parnii les savants. Mais, nomme depuis peu
gouverneur d'un des jeunes princes de la maison ducalc, il
ne qniltail pres(|ue jamais le palais, el il etait diflicile de
savoirsi le .sejour de la cour n'avait pas gate son coeuret
sa tele. Deux aiitres homines, dont I'un avail une flgure
loute ronde, el I'ceil perfide el mechanl, enlrercnt en
meme temps; senlement ils restorent debout pres de la
porle, et Ton pouvait les prendre pour des officiersde la
maison du due.
Robert, apres avoir furcle dans les papiers qui elaient
elendus sur la table, et cchange quelques mots avec les
scribes, fit signe au vieil astronome d'approcher davantage.
Quand il ful pres de lui, le dialogue suivant s'elablit eutre
eux :
« Comment vousappelez-vous? Qui etait voire pere, et
ou etes-vous ne?
— Nicolas Copernic, .mon reverend ; mon pere etait mi
honnete bourgeois de la ville de Thorn, et c'est dans cette
meme ville que j'ai recu le jour.
— Pourquoi avez-vous quilte voire palrie pour venir
dansce pays?
— La celebrite des savants ilaliens, et particulieremonl
celle des savants de Bologne , m'a engage a I'aire ce
voyage. »
Le moine s'agitadans son fautcuil etmarmotta entre ses
dents.
« Que n'a-t-il plu aux puissances que vous fussiez
rcste dans voire pays! Scribes, faites attention mainlenani
a la question que je vais faire. Le bruit s'cst repandu. Ni-
colas Copernic, que, pendant ton sejour ici, tu as fait de
savanles recherches, au moyen desqiielles tu aurais dc-
couvert un secret de la nature, dont jusqir'ici personne
ne s'elail encore doule : est-ce vrai ? »
Les deux homines places pres de la porle se parlercnl a
I'oreille en riant; mais le savant jeta sur cux un regard
menacant. et Icurimposa silence.
« Oui, repondit Ic savant avec joic, c'est la verile, mnn
bon ami. Cependant je suis oblige d'avouer que lesanciens
auteurs onl , dans plusieurs ouvrages , donne une idee
confuse de la chose ; mais je puis dire que c'est a moi. et
I a I'aide de mes amis , (pie le monde sera redevable de la
I granJe decouverte que j'ai eu le bonheur de falre.
1 — Et quelle est cette decouverte'.' » demanda le gros
secretaire iiitime, apres une pause.
I Le groupe voisin de la porle recommenca le meme ma-
j uege : le jeune homme se redressa dans son fauteuil pour
i minix entendre; et Copernic songeait a Pimporlance
■ iprallaicnl avoir pour lui les mots (|u'il devail repondre, j
j lors prune porte s'ouvrit, laissant voir, dans .son embrasure, j
; line tPle convene de cheveux rouges, avec un nez de per- j
I ro'piel el deux yeux ternes qui se tournerent, avec une |
i. vague expression de curiosilc, sur I'inlerpelle. Celui-cij
' ne reconnut pas d'abord le due; mais des que sa me-j
moire I'eut mieux servi, il se prepara a lui presenter ses j
I respects, ce a quoi s'opposa Robert avec severite ; la tile j
CHRONIQUES
rouste reslait toujours enfre les deux portes enlre-baillees,
et Ton enlcndait, au milieu du silence profonil qui regnait,
CCS paroles vennnl du cal)inet voisin.
0 Voyons, que va-t-il dire? Qualloiis-nous appreiulre?
— Tu ne reponds pas ! rcpailit le pere, en se touriiaut
tout li fait du cote de rastrononie.
— Mod reverend, repondit I'interroge, vous savezvous-
meme que, dans le vasle cliamp des connaissances humai-
nes, plus d'un epi se presejile a I'ccil cliarme du savant,
lequel serait de pen d'importance pour un conrtisan ou
pour un prelre ; nia decouverle rcssemlde a un ejji : c'est
une perlc pour nioi, pour le resle du nionde ce no sera
p€Ut-elre qu'un caillou. Songez que je ne m'nccupe dans
mes Iravaux que du giobc de feu qui est la-haut; esl-il
un amusement plus innocent?
— Vous eludez I'aveu que je vous demande ; ne prcnez
pas tant de circonlocutions, et dites-nous tout siniplement
quelle est la decouverle que vous avez faite. »
La tele rouge, qui elait rcntree dans Ic cabinet, reparut a
la porta, et les courtisans lui firenl place.
« J'ai decouvert une nouvelle planete, repondit enfln en
hesitant le vieillard.
— Ah! ah! El comment s'ajipelle-t-eUe?
— Vouslaconnaissezparfailement, mon reverend pere. »
Le jesuite pril un peu de terre dans un vase de fleurs,
et I'eparpilla sans rien dire sur le papier que parcourait des
yeux tlobert. Copernic ne put s'empecher de sourire a cetle
demonstration muellede sa decouverle, niais le secretaire
intime n'y fit pas attention, et se borna a sccouer le papier
sali.
« Je la connais, moi, rcpela ce dernier. Vous vous
trompez, mailre : comment pourrais-jft avoir la moindre
idee d'une chose qui brille sur ma tele, a plusieurs cen-
taines de milllers de lieues de nioi'.' Je ne passe pas les
nuils comnie vous i eludier les astres. Encore une fois,
comment se nomme voire decouverle? u
Le savant repondit avec un sourirt.
i< Mou pere, vous devez pourlant connaitre la grande
chambre on vous traitez vos affaires, I'eDdroit oii vous vous
livrez au repos?
— Sans doule ; eh Men, apres ?
— Mors, vous connaissez aussi ma planelc. 11 n'y a entre
clle et vous que la distance de celte fenelre au jardin que
vous voyez la-bas.
— Par Uomere ! je crois que vous vous permettez de
plaisanter avec moi 1 u
On rit bien fori dans le cabinet.
Le secrelaire inlime se leva, s'cssuya le front, appela un
domesliquc, lui donna un ordre, else rassit en disanl ;
'( C'est bien, puisque vous etes si discret, nous allonsvoir
si voire servitcur Joseph aura la langue plus deliee. »
Comme il achevait ces mots, Copernic vil avec elonne-
mcnl enlrer dans la salle son pauvre vicux donieslique,
tout pale el enloure de gardes. Joseph jcla ini regard li-
Biide sur son mailre, et garda le siiencg. Celui-ti, qui n"a-
vait pas souffer tant qu'il ne s'elail agi que de lui. com-
menca a senlir son sang bouiUonner plus vile en pcnsanl
aux mauvais iraitemenls dont son pauvre famulus avail
pu ctre accable.
« AUons , vieux bavard, dit Robert, avoue-nous ici ce
quo tu as dil publitiuement el de Ion plein grc, des secrets
de ton mailre. Ne cherche point a equivoquer, car il pour-
rait I'en arriver malheur.
ET LECENDES. SW
— Tres-venere savant, repondit le petit vieux, apres
avoir lour a lour regarde son mailre et chacun de ceux qui
assislaient a rinlerrogalion, que voulez-vous que j'avoue I
Quels secrels puis-je avoir a confesser? N'est-il pas la celui
a qui soul il apparlienl de se prononcer sur les choses
d'arl et de science? Vous m'avez tres-bien denomme : oui,
je suis un vieux bavard, un horame qui, tout age qu'il est,
n'a pas encore quitle ses souliers d'enfant, qui ne saitce
qu'il dil, et dont il ne laut pas croire un mot.
— Maudile cngeance 1 dit entre ses dents le secrelaire
intime. J'aimerais mieux demolir la ville de Bologne et la
rebSlir, plulul que de conlinuer ce metier pendant une
heure de plus. Allons, scribe, lisez-lui ses crimes. »
L'un des bomnies, assis autour de la table, pril une feoiile
de papier el lut d'un ton naiillard :
« Le famulus Giuseppe Bartelli,...
— Je vous en supjdie, inlerromjut vivement Joseph , ne
m'appelez ni Giuseppe, ni Barlelli, je me nomme tout bOB-
nenient Joseph Barlel, et voila tout.
— Silence, dit Bobert. o
Le scribe conlinua :
« . . . . Avoue r)ue, dans la (liaison de son inaitre, sise
« dans cetif ville de Bologne, ont lieu des representations
« de comedies obscenes ; deuxiemement, que sondit mailre
« a invcnledesmoyens magiques, ii I'aide desquels il peut
« contraindre le soleil a denieurer en place ; troisiemement,
a qu'il a enleve des mains des agents du podeslal, hull sce-
n lerats qu'ils conduisaienl en prison ; qualriememenl....
— Assez pour le moment, interrompit Robert. Ou'il
rcponde d'aborda cela. «
Joseph se lourna respeclueusementdu cote de son mailre,
le salua, el, son tour d'esprit goguenard Temportant sur la
crainte, il lui dil :
« Pardonnez-moi, tres-lionore mailre, si je me pcrmels
de parlerscicnce devant volredoclc presence ; raais, vousle
voyez, ces reverends seigneurs me forcenl a me depouiller
de mon manleau de modestie, el a parailre devant eux
dans tout mon eclat. Oui, reverends, vous voyez en moi
un grand homme, une tele sublime qui a devance son Ste-
ele, ct qu'on aboniine, et qu'on poursuil comme tout ce
qui est parfail el nouveau. El vous, mailre, que je revere
si pieusemenl, pardonnez-moi si je ne liens pas la parole
i|ue je vous avals donnee, de vous laisser la gloire de ma
prccieuse decouverle ; vous devez voir qu il n'esl plus en
mon pouvoir de tenir ma promesse, puisque je I'avais deja
violee, 11 y a quebiue soir, en voire absence.
— An fail 1 an fail I dil le pere avec humeur.
— M'y voici. II y a de par le monde beaucoup d'honnetes
gens qui ont la pretention de se faire pas.ser pour plus
((u'lls ne soul on qu'ils ne valent : le domeslique prend
vnlontiers le noui de son mailre, le soldat celui de son ca-
pitaine, le clerc celui de son eveque. Reussissent-ils, ils
accaparenl de la gloire el des profits, mais seulement jus-
(|u'an moment ou im veritable connaisseur signale la fraude
ii la mullilude clonnee. Ce besoin de brlller, n'importe i
quel prix, n'esl pas seulement le partage des hommes
eclaires que le hasard a places dans une sphere au-dessous
de leur merite, il allaque egaleraent de pauvres diables
d'ignoranis chez lesquels on n'aurait jamais soupconne
celte pretention.. II se cramponne meme a des choses
inanimees, par cxemple i ce morceau de la creation, a
ce compose de chaux, de metal et de planles, sur lequel
nospereset nos grands-peres ont si paisibleraent vecu ; a
2S8 CllRONIQUES
celle terrc enGn, iniisqu'il faut I'appeler par son nom. Qui
s'imagiiicrnit que I'nrgucil a jm sc s'isser dans unc masse
aussi inorte, ct que, pendant des siecles, elle a mene le
genre Immain par le loul du nez? Mais votre hcurc est ve-
nue : elle a trouvc son hommecn raoi. J'ai fait dc profonds
calculs, de laborieuscs observations. Longlemps mon a^il,
ion encore, a perce a travers les crevasses que Ic temps a
ouverles dans la maisnn du cicl; j'y ai vu les astres dans
tout I'allirail de leur loiletle, les uns peignant Icurs longs
cheveux, les aulres mettant du rouge sur lours jouespalies
par les longues veilles de la nuit ; souvent j'ai cntcndu ces
hautes puissances se qucreller entre elles ; les unes trainajit
lentemenl leurs janibcsgoulleuses, celles-lii couranl la poste
conime des clourneaux. Bref, messeigneurs, je fus plus
d'une fois honleux de les regarder ; niais ma surprise el ma
conslernalion furent bien plus grandes encore lorsque, par
occasion, je parvins aussi a appliquer mon ail de verre i.
une lezarde de la terre, de cette mere qui nous berco tons
sursesgenous, et donl, par respect el par reconnaissance,
nous nous cachons a nous-memes les fniblesses et les de-
fauls. La vaniteuse, elle nous a fait accroirc quelle occu-
paitla premiere place dans le royaunie celeste, que le so-
leil et les autres planetes tcnaient a honneur de la servir.
II n'en est rien, je vous assure, c'est tout le contrairo :
une nuit, elle ne s'en doutait pas, je I'ai vue dans ses ha-
bits de scrvanle, courir ca et la, demandant un service a
celui-ci, un autre a celui-la. Qu'elle avait I'air fane et in-
quiet en implorant humblemeni quelques etincelles du so-
leil 1 Conime elle se lidta d'on parer sou front jaune lors-
^^^^iiirritBO^
qu'elle les eut recues ! L'orgueilleuse reprit loute son ar-
rogance, et son luimilite ne lui revinl que quand t(]ut son
feu d'emprunt fut cteint, ct qu'il lui falUit en mendior de
nouvcau. Mais, voyez-vous, elle ne fait ce mcticr-la que la
Duil, pendant que tons ses enfanls dorment, afin qu'ilsne
s'apercoivent de rien. Toutefois, on ne pent nous ccliap-
per, a nous autres savants, et il m'a rcussi dc prendre la
terre sur le fait. VoilS, mcs reverends, ma sublime decou-
verte, elle est a moi, et a nul autre. Si vous voulez me
la payer cent mille doublons, voici ma main, je les re-
cois : mais aussi, si vous voulez me briiler pour prix de
mes l/avaux, vofci mon corns, ne bn'dez que lui. »
ET LEGENDES.
Cette allocution, prononcee avec un serieux imperturba-
ble, fit une immense diversion. Le due avait penetre de
quelques pas de plus dans I'appartement, et ses eclats de
rire avaient gagnc, bien entcndu, ses courtisans, qui se tc-
naient les coles sans savoir de quoi il s'agissait. Copernic
lui-meme avait jiarlicipe a la gaiete gcncrale, que deux
personnes seulement ne partageaient pas : I'une etait I'o-
ralcur, dont rinquielude ngitait convulsivement le front
plisse.raulreelailllobertqui, de quelquecole qu'il se tour-
nal, ne renconlroit que des visages riants qui avaient I'air
de se moquer de lui. Sa c(derc elail arrivee a son comble,
il dit a Joseph :
« Diles-nous en moins de paroles ce que vous avez de-
cnuvert, nous ne pouvons vous suivre dans voire bavar-
dage ridicule.
— Et bien, en deux mots, repondit-il, j'ai decouvert
que c'elait la terre qui tournail autour du soleil, et non le
soleil aulour de la terre.
— Ecrivez, scribe, s'ecria le secretaire , et vous , con-
tinua-t-il, en s'adrcssant a Copernic, reconnaissez-vous
que cette mcrveilleuse decouverle n'emane que de ce pauvre
homme, ct que vous n'y avez aucune part'? »
Le vieillard hesita : son orgueilde savant prit un moment
le dessus, il ne sc sentait pas la force de renoncer ainsi a la
gloire que ses penibles travaux ct ses longues veilles lui
avaient promise, il allait avouer, mais I'air suppliant de son
servileur, un coup d'oeil qu'il crut surprendre sur le vi-
sage du due, lout ce qui rentourait enfin I'emporla, et il
repondit en balbuliant que son famulus s'occupait depuis
longlemps Je I'clude des sciences, que le mailre avait recu
plus d'un coup de main de I'cleve et que, quaut a la de-
couverle elle-meme , Joseph Bartel pouvait aussi biea
qu'un autre I'avoir faite.
« A merveille , s'ecria ce dernier, accordez a la fin
un peu de merile a ce pauvre Joseph, et n'accaparez pas
loule la gloire jiour vous seul ; prenez acte de son aveu,
scribes, j'y tiens.
— Arrelcz. dit le secretaire intime. Vous n'avez pas re-
pondu aux aulres accusalions contenuesdansle memoire. »
On enlendit de unuveaux rires dans le cabinet, et on re-
connulla voix du due qui disait: « Nousallons en entendre
bien d'aulres ! que va-l-il rcpondre!
— Ah 1 repartit Joseph, je puis vous assurer que nous
n'avons jamais represenle chez mon niaitre que des come-
dies d'enfanls, qui ne renfermaientrien de conlraire a I'Elaf
ni a rEglisc. Quant aux Imit scelerats que j'aurais enleves
aux agents du podeslal, la meilleure preuve qu'il n'en est
rien, c'esl que je suis ici, et que, si j 'avals eu ce pouvoir pour
dos ctrangers, je I'aurais employe a plus forle raison pour j
moi-meme, qui me serais bien passe de me trouver de-
vant vous. »
La porte du cabinet se femtia, et ce singnlicr interroga-
toire pril liu aussilot. Les scribes cmpaqucterent leurs pa-
piers, et Ic pere Uoberl, accompagne du jesuile, sorlit de
la salle, non sans jeter sur le mailre et le servileur un re-
gard menacant. Ce dernier fut enlraine par ses gardes sans
pouvoir adresser quelques paroles a I'aslronome.
{La suite a «n prochain numero.)
Paris. — Typographic Lacrampe Fils et Comp., i, rue Damiette.
LE
LIVRE DES FAMILIES
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
«• lO.— I" Volume.
1" Aoat 1845.
LE MOIS DU JEDNE CHRETIEN.
SOIiSSINITES Di; NCIS S'AOUT.
Deux niyslercs, I'lm do Knlrc-Soi,?iionr, pl rautrc de la
s:iiiilc Vicrgo, sc [irrsoiiloiil a iuk mnlitntions dnns ce
inois El puis cnCDPC I'E'^IUo nous y fiiil vendrer s|ipciale-
iiK-'Ul la sloi'icuse el saiiilc nienioirc d'uu des plus digues
mouai'qucs Junl le Roi dcs rois ail jamais gralilie la lerre.
En oulre, quuls uoms sc Kseul dans Ics diplyquos de ee
I nicnieinois! saiulDominitpie, saiule lli'leuc, sainl Bernard,
sainl Auguslin... Que ne nous esl-il donne de crayonncr
1 riiisloire succincle de ccs pcisonnagcs que le ciel lil briUer
jici-bas, pour monlrer que la reli^'ion clirelicnne peut en-
jfanlcr des liiiros aupres desquels sonl Lien pales ceus que
I riiisloire profane a mis sur un piiideslal. Nous ne pourrons
Iparli r ipie Je saint Louis, el encore trcs-lirievemenl; d'ail-
jlcurs sa vie est, pour ainsi dire, enUe les mains de loul le
Jmondc.
I.'Eglise romainc celebre aussi, dans le courant de ce
llmois, uu miracle qui csl desi^nc sous le tilre de Notrc-
iDame dcs ncigrs. C'esl par cclle felc que I'ordre clirono-
illogiiuc nous ciijoint de comnicnccr. 11 en est de mcine pour
les trois suivantcs, sur lesquclles nous avons a presenter
dcs details.
5 AOUT. — FETE DE KOTfE-DAME DES BEIGES.
Vers le milieu dn quatiienie siecle, deux epnux, de fa-
millc palricienne de Home, claicnt aClises de se voir sans
hOriliers de leur nom. lis firenl a la sainle Vicrgc nn vfcu
par lequel lis s'engasf^i''"'' s' ''^"'" T"'^'''^ '^'''''' ''^■■""^'^'''
ii employer en son honneur une bonne part dcs riclicsscs
dont la Providence les avail favorises. Marie inlerceda pour
ces epoux desoles, et la grace qu'ils sollicilaient leur fut
accordec. Mais voici que, dans la null du 4 an j aoiil dc
I'an 352, ccs pieux epoux eurenl une vision. 11 leur fut or-
donno de balir en rhoniieur de la sainle Vierge un temple
sur le lieu qu'ils verraient, le lendcmain. couverl d'une
couche de neige. En effel, malgre la clialeur ordmaire de
cc mois, surtnul dans Ics contrces mcridionales, les deux
cpoux npercurent le londemain, sur le nionl Esquilin, qui
est renlcrm'e dans I'enceinle de Home, uni. grande quan-
lile lie noigc. Tcmle la ville fut bicnlul slupefailc d'un lei
prodigc, ct I'aflUicnce fut considerable pour s'assurcr de
290
LES SAINTS
sa rcalilc". Le pajip Libere avait eii. de son cote, line vision
scmlilable a cclle dcs (■poiix. Siir-lo-cliamp, unc procession
niagnifique I'lit organisee. Le ponlife, ayant anpres Je lui
ce couple favoi-ise, se remlit sur Ic mont Esiiuilin. Arme
(I'une pelle, il se mil a tianchcr la coiiche dc ncige; mais
un no\iveau proJige s'opei-c a I'inslant : la neige sc parlage
d'cUc-nienie, el forme comme une sorlc de canal qui des-
sinc le plan sur leipiel devaient s'elever les murs laleraux
de la nouvcUe cglise. Aprcs avoir rendu graces a Dion de
celle scconde manifestation de sa puissance et de sa bonle,
Ics epnux ordonnent que Ton so mclte a I'lruvre. Lcs tra-
vaux sc poursuivent avec une telle activile, que, dcs I'an-
nee suivantc, le pape Libere put consacrer au Seigneur,
sous I'invocation de Notre-Dame des ueiges, le nouvcau
temple.
C'esl done en memoire de ce miracle que I'Eglise ci'lebre
la fete dc Notre-Dame des nciges au jour memo oil la mer-
veillc fut oporee. On comprenJ nuanmoins que celte fete
n'clant point une commemoration quelconque des cvene-
inenls qui se raltachenl a la vie de la sainte Vierge, elle
doit se borncr plus specialemenl a la ville de nome, tandis
qu'elle passe corame inapercue dans un graml nonibre dc
dioceses de la chrctiente qui ue suivenl point le ril romain.
Cost done dans la ville eternelle, et surtnut dans la magni-
fique basilique de Saiule-MarieUnjeure, (pie cetle solcunite
conimi'morative se fait avec pompe. ("est sous ce dernier
nom, en effet, que Ton designc actnellement I'oglise dont
lcs fondcmenis furcnt jetes par les eponx reconnaissants.
On pense bien d'aiUeurs qu'il ne reste que Ires-peu de
cbose de rcdiflce primilif.
Le pape Sixte HI enricbil cette eglise du tres-prccieux
portrait de la sainte Vierge, que Ton dit peint par levan-
gcliste saint Luc. Le peuple a toujours manifeste pour ce
pieux monument une immense veneration. Mais ce qui a le
jilus conlribue a le rcndre celcbre, c'est le trait suivant,
tpii nous est Iransmis par I'hisloire deces premiers siccles.
En 595, la ville de Rome fut affligee d'une grande pcsle,
qui moissonna un nombre tres-considerable d'babitants.
Le pape saint Grcgoire I", surnommc Ic Grand, voulut se
servir de la fameusc image de la sainte Vierge pour apaiser
le courroux du ciel. Le clerge et le peuple se reunireut dans
I'eglise de Sainte-Marie des Nciges, le matin dn saint jour
de Paques. Le pontife voulut porter lui-meme le prccicux
laldeau dans une procession dc penitence, qui parlit de
cette cglise pour sc rendre a cclle de Saint-Pierre du Vati-
can. Qnand on fut arrive au tombeau d'Adrien, an dela du
Tibre, le pape vit planer sur le sommet de cet edifice un
ange arme d'un glaive qu'il remettait dans le fourreau. Un
cboeur d'esprits bienbeureux cntourait celui-ci, en faisant
retenlir les airs de ces paroles : liciiiim cceli lalare, alle-
luia; quia qucm meruisti portare, alleluia, resuiicxil
sicut clixil, alleluia. Le pape, surpris, ainsi que le peuple,
de ce grand prodige, se mela au ciuiccrt angcliquc, ct
chanta ces paroles : Ora pro nobis Dcum, alleluia. Des
ce fortune moment, la peste cessa d'exercer scs ravages
dans la ville de Rome; et c'est a dater de ce jour de Paipies
593 que I'Eglise a cbante rantienne qui vieut d'etre rap-
portee, etquia eu, d'aprcs ce rccil, pour compositeurs, lcs
anges el le pape saint Gregoire le Grand. « Reine du ciel,
« rejouissez-vous, alleluia ; car cclui que vos chasles llancs
« meriterent de porter, alleluia, est sorti gloricux de la
u tombe comme il I'avait predit, alleluia. 0 reine du ciel,
« pnez pour uuusj alleluia. » Alin de pcrpeluer le souvenir
I
de ce prodige, lous les ans, qnand la procession du Jour de
Saint-Marc, faitc par le cbapiire de la basilique dc Sainle-
Mario i\lajcure on Notre-Dame dcs Nciges, passe sur le pont
Saint-.\nge, on cbante I'anticnne Regina ca:li. Le tombeau
d'Adrien, etant devcnu par la suite un cbateau fort, pril le
nom de cbateau de Saint-Ange, ainsi que le pont attenanl.
Kous ne pouvons avoir le dessein de donner ici une des-
cription de la basilique romaine de Notre-Dame dcs Nciges,
plus connue sous le nom de Sainte-Marie Majeure ; nous
avons pourtartl celui dc conmiencer, dans le numcro du
premier niois de la seconde annee de cette publication,
1 bisloire descriptive dcs grandes basiliques de Rome, qui
seronl placees en cet ordre, qui est celui de leur dignile
respective :
Saint-Jean de Latran ;
Sainl-Pierre du Vatican ;
Saint-Paul, sur la voie d'Ostie;
Sainte-Marie Majeure ;
Saint-Laurent.
Ce sont lcs basiliques patriarcalcs.
C AOCT. — TaA>'SFICUIlAT10M DE KOTBE-SEICtiEUn.
En s'abaissant jusqu'a se revetir de la nature bnmaine
par amour pour nous, le Fils de Dien ne laissait transpirer
la nature divine (|iie par les nombreux miracles dont il
scniait ses pas. Temoins de ses merveilles, lcs apulres ne
]iouvaient sans doute s'rmpecbor de reconnailre dans Jesus-
Cbrist une verlu snrliumainc. Mais, afin de les convaincre
d'avance que lcs bumilialions et la mort dnnt il serait la
victime ne devaient etre que Tcffct de son devouement a
la rcbabilitation des hommes dans les droits dont le pcclie
les avail depouilles, il voulut frapper leurs regards d'un
rayon de sa divinite avant raccnmplissement de ce sacri-
fice expiatoire. L'bisloricn sacrc nous dit que Jesus prit
avec lui les apotres Pierre, Jacques et Jean, son frere, et
lcs conduisit sur nne montagnc clevce. Observons en pas-
sant qn'encore ici Pierre, comme dans d'autres circnn- A
stances rapportees dans I'Evangilc, est choisi le premier*
pour etre temoin de la merviille qui se prepare. Que se
passe-t-il done sur cette montagne? Jesus se mil a jirier,
et lout a coup son visage devint resplcndissant comme le
solcil, tandis que ses vclements, babitucUomcnt d'une cou-
Icur sombre, prirent la blancbenrde la plus eclatantc neige.
Les Irnis apotres apcrcoiveiit aulour de Iciir maitrc ainsi
transliguve Mo'ise, Ic grand legislateur d'lsracl, et Ic pro-
pbcle Elie, le plus illustre de ceux que Dicu avail suscites
an milieu de son peuple. Les Irnis personnages s'cnlrcle-
naient ensemble au sein de celte brillante aureole dc gloire
et de majesle. Quel etait le sujet de cet entielien? L'evan-
geliste saint Luc nous en rcvele une partie. C'etait la mort
prochaine de Jesus; c'etait le terrible evenemeut qui allait
s'accoinplir dans la ville de Jerusalem, la condamnation
du jusle, ct I'amour exccssif de la victime pour les cou-
paMes.
La frayeur avail saisi les Irois apotres ; mais une seconde
merveiUe oUait encore frapper leurs regards ct angmcnicr
leur tciTCur. Voici qu'une nnee lumineuse couvre Jcsus-
Cbrist el ses deux illnstrcs interloculcurs. De cclle nuee
sort unc voix qui fait entendre ces paroles : « C'est la
0 mon Fils bicu-aime, en (]ui j'ai place toutes mes com-
u plaisances. Ecoutez-lc. » A ces mots, lcs trois apotres
tomLent le visage centre lerre. La peur a glace leurs mem-
brcs. Jpsus Ics loiidic , ct Icur dit : « Lovez-voiis , lie
B craij;ncz point. » Us sc releveiil, i-l lie voieiil plus (|iie
Jesus seiil. Tc! est le recitdc I'livjinijelisle saint Maltliicii.
Saint Marc y ajoule cclte autre circonstancc. Au moiiipnl
oil Pierre, Jacques el Jean npereureut le divin Sauveur
entre Moise et Elie, le premier de ces npotres, prcnant la
parole, s'ccria : « Maitre, II est bon do sc Irouver iei;
« faisons-y trois tentes, uiie pour vous, uiie pour Moise ct
« une pour Elie. » L'cvanseliste ajoutc aussitut (pie Pierre
ne savail ce qu'il disait ; ('admiration dont il elait frappe
lui avail suggcre ces paroles, qui prouvent la vive exalta-
tion oil I'avait plonge cc ravissant spectacle. Mais ce qui
prouve que Jesus n'avait voulu rendre ces trois apotres Ic-
inoins de sa transfiguration que pour les premunir centre
le scanda/e de scs souflranccs ct de sa niort, c'esl qu'cn
descendant de la montasne, 11 leur defendil de parler de ce
prodige jusqu'ii cc quil fiit sorti trionipliant du lomlieau.
Ke voulait-il pas en nieme temps donner a ces trois apotres
un avant-goul da Lonheur reserve dans le ciel aux ames
digues de cette incffalde recompense? C'est bien sous ce
rapport ipie I'E^lise envisage ce mystere dans la messe du
second dimanche du careme, ou nous lisons I'liistoire de
cetle merveilleuse transfiguration.
La fete commemorative de eel evenement glorieux a
cte fixOe au sixieme jour du niois d'aoul depuis plusieurs
sii'cles. Les Orienlau.x surtoul la celebraienl avec une
grande pompe. En Arnienie, elie esl une des plus solen-
iielles de I'annee, sous le iioni de Verlevar. On y chante
rantienne suivante, donl la lournure orientale et meta-
pborique esl tres-remarquable : « La cbaimante rose flam-
(I boie sur sa lige, au milieu de ses feuilles brillantes de
« diverscs couleurs; sur les feuilles ondoienl par milliers
II les roses tremblolantcs. » On y considere Jesus comme
une rose qui s'epanouit en rayons de feu sur des feuilles
.^'versement colorees, el autour de lui semblenl tourbil-
Innnerd'autres roses, c'est-a-dirc, lesclierubinsquiforment
en ce moment le cortege de I'llomme-Dieu.
A quelle cpoque cut lieu la transfiguration de Jesus-
Cbrisf.'Ona pu presumer, d'apreslereciUiue nousavons fait
de ce mystere, que le divin Sauveur se IransCgura quelque
temps avantsa [lassion; el si Ton vouloit suivie I'ordre des
epoques, la solennite devrait etre celebree constamment a
pen pres dans le printenips. On a vu qu'au dcusieme di-
manche de careme on lit I'evangile ou celte transfiguralioa
est rapportee. Ce memorial evangeliquey esl done Icgitime-
ment place. Quant a la fete propre, I'Eglise a eu d'autres in-
tentions. Le divin Sauveur, comme on I'a vu, recimimanda
a ses apotres de ne parler de cclte vision qu'apres qu'il se-
rait ressiiscite. La commemoration evangelique est done
parlaitemenlplacee dans le careme, el la fete elle-meme,
c'esl-a-dire, la revelation dece mystere est a son lour Cxce
a I'cpoqueconvenable, puisqu'elle lombeapreslessolenni-
tes de Piques, de I'Ascension el de la Peulecote.
Cette fete prit un nouveau degre de splendour en 1437.
Ce tut en celte annceque le pape Calixte III voulul qu'en
ce jour on remerciat Dion de reclatante victoire que les
Chretiens avaienl remporlce sur les Turcs a Belgrade. En
outre, il voulul que dans cememe jour de fete onconjunit
de plus en plus le Seigneur d'accorder au cbristianisme de
constants succes contre les inlidelcs qui desolaienllescou-
Irees calholiques Ce pape voulul que la Transfiguration ful
cbomce comme le dimanche. Keannioins, des le scizieme
siecle, celle obligation cessa, parce qu'on y envisagea I'lir-
MOIS. 291
grace des Iravaux de la campagne en ce mois de recolte.
L'Eglisegrecque considere cello fete comme obligatoirc, ct
les Iravau.x y soul suspendus comme au saint jour du di-
iiiaMche. Une derniere question est posee au sujel de cclte
fete : cpielle est la moiilagne sur laquelle Jesus-Christ sc
transfigura? (Juclques auteurs out dit que c'etait la monta-
giic du Calvaire, mais on leur objecte que, selon I'Evangile,
CO monl n'csl pas assez clcve pour etre celui qui esl desi-
gno par revangelisle : in monlem excelsum; d'autres ont
pense c|ue c'etait une monlagne voisine du fameux lac do
Goncsarelh. Enfin, selon I'opinion la jdus commune, on
croit que cette monlagne est celle du Thabor. On prelend
que rimpcralrice sainte llelene y avail fail clever une cglisc
en Ihonneur deslrois apotres lemoins de la Iransfiguralion.
Si elie a e.xisle, on n'en trouve depuis longtenips aucune
cspcce de vestige.
io AODT.
• ASSOMPTIOS DE lA SAISTE VIEBCE.
Le corps virginal de Marie, ce corps qui, pendant ncuf
mois, ful le tabernacle du Verbe incarne, devait-il subir la
loi conuiiune, lomber dans la corruption, el devenir la
proie des vers ? L'Eglise ne I'a point cru. Aussi a-i-elle in-
slilue une fete deslinee a nous rappelcr la glorification de
ce corps, imraediatemenl apres la morl. C'est le mystere
que nous celebrons sous le nom si espressifd'Assom|ilion.
Nous nous y representons cette dcpouille morlelle qui,
apres un sommeil de courte duree, esl ranimce, acqniert
rimpassibilite el les autres prerogatives de la resurreclioH,
et enOn esl enlevee, assiimpla, par les esprits bicnheureux
qui la portent dens le ciel.
II est certain que, dans les anciens martyrologes, le tcrmc
d'assomption esl employe pourdesigner la morl des jusles;
el, en effel, par une touchante el pieuse melaphore, nous
nous figurons les anges qui viennenl enlcver ces ames pre-
deslinees pour les inlroduire dans le sejour dela bienlicu-
reuse immortalile. Maisil fallait pour Marie quelque chose
de plus. Son corps devail jouir du memo privilege (|ue
son ame, el au lieu d'attendre, comme le rosle des homnns,
la Irompclle des anges au jugemeni gi'neral pour se reveil-
ler el secouer la poudre du tombeau, le sommeil de re
corps si saint el si pur devail etre d une Ires-courle duree.
C'esl ce privilege qui distingue I'assomplion de Marie de
I'assomplion des autres saints.
II n'est pas aise de decouvrir des traces de celte frte
avanl le fameu.x concile d'Ephese ou Nestorius ful con-
daninii parce qu'il deniail a Marie la qualile de mere de
Dieu. II esl probable que cette solennile prit justemenl
naissance dans la ville que nous venous de nommer. C'esl
en elTel dans Ephese que, selon la tradition la plus accre-
ditee, la sainte Vierge se retira chez I'apolre saint Jean.
Au moment oii Jesus-Christ allait rendre le dernier soiipir,
il recueillilce qui lui restait de force vilale pour faire en-
tendre ces paroles qu'il adressa a sa sainte mere : « Femme,
voila voire fils, » en parlant de .sainl Jean ; ct puis a cot
apolre: « Voila voire mere.)) L'evangeliste ajoute qu'ini-
medialcmenl apres, cot apolre rerul Marie dans sa maison.
Or, saint Jean elait d'Ephese. On croit (pi'apres la morl de
son divin Dls, Marie vecut pendant vingt-lrois aus dans h
maison de ce disciple, elqu'cUe y renjit le dernier soupir.
C'est done a Ephese qu'eut lieu le glorious mystere do
lassomplion de Marie dans le ciel en corps et en ,ime.
Toulcfois, comme ce quo nous ou disons pout lomlier ciiire
les mains de personnes qui nc soul point suflisaninicut
202
LES SAINTS
inslniilf s dcs dogmps callioliqucs, cl qii'il nc nous nppnr-
liciit |ii)inl dn pri'sonlcr coninip arliclc de foi cc qui n'a ja-
mais ell! dcliiii dans cc sens par I'Eglisc noire mere, nous
devons dire que cetle croyancc nc nous est point imposcc
au mi'ine de;;nj dc ri^ucur dogmaliipic que ccllc do I'as-
cension dc Nolrc-SoigLieur en corps et en anie. Serait-il,
licanni'iins, dignc niemlu'c dc I'liglisc calliolique, celuiqui
alijnrcrail rormi'llcment I'assonqition dc Marie telle que
nous la celelirous? Non, sans conlrcdit. II ne pcut apparlc-
nir a un fidelc de so nictlre ainsi en opposition avec unc
croyancecousacrec jiar une grande soliMiiiite telle que la
cclchrc en ee jour I'univcrs Chretien. Ecoulons la pricrc
que lEglise, en eeltc fete, adresse au Seigneur : o Qu'elle
soit pour nous d'un salulnirc sccours, la venerable solen-
nitc de ce jour, dans leqiiel la sainte Vicrge, mcrede Dieu,
a soulTerl la morl temporelle, sans que les liens dc celtc
ninrt aicnt pu renchainer dans le tonibeaii, cclte Vierge
qui a mis au mnnde. dans une chair forniee desa propre
suhslancc, votre fils, INoIrc-Seigneur Jesus-Christ. »
Ccsl par-dcs.sus loutes les autres regions du monde
cliri'tieu que la France s'esl toujours distinguee par son
culle envers la mere de Dieu. C'est la priucipalement qu'a
etc lonjuurs professec la croyanccen I'assonqilinn du corps
ct de I'anie de Marie dans le ciel. L'ancienne Eglise galli-
eaiie, dans son rit qui fut au huiticme siecle reniplace par
la liturgie romaine, chantail, dans ces temps deja si eloi-
gnes de nous ; « A juste titre, 6 Vierge, mere dc Dieu, vo-
tre Ills vous a recue dans votre lienheureusc assumption,
lui que vous avez si chaslemcnt recu au moment oii, par
UUP foi vive, vous devicz le coiicevoir dans votre sein I II
vous a accueillie, aGu que la froiJe pierre du tombeau
n'emprisouriat point cello qu'aucune corruption terrestre
li'avait jamais souillce. » Dans un autre endroit, la memc
I'gjise dit de Marie ces paroles non moins remarquables :
« 11 esldigne de vous liuier, 6 Dieu, en ce jour oil la Vierge,
mere de Dieu, ne parlicipa point a la corruption du lorn-
beau et n'y eprnuva point de corruplirm cbarnelle. » Voilii
ccrles de maguiliquestenioignagesde lanliquitechretienne
en lavcur du mystcre que I'Eglise envisage dans I'assomp-
tiuu de Marie. Que serait-ce si nous allions derouler les
innondirables ecrits dcs saints Peres, et surtout de saint
licruarJ qui a si eloquemmeut exallo les prerogatives de
Marie 1
I'assons ,i d'autres details qui peuvent ici parfaitcment
trouvcr leur place, et qui nous prouveront que dans les
pays orientau\ rAssomption dc la Sainte Vierge est une
insigne festivite. Nous lisons dans le pcre Lebrun un trait
fort curieux, raconte parPoucct, qui voyageait dans I'E-
ihiopic on Abyssinie, en 1700. Laissons parler Poucet lui-
nv.'mo, qui avait etc invite a la solennite de ce jour : « Je
« m'y rendis sur les huit heures. Je trouvai environ doiize
(( millc hommes ranges en bataille dans la grande cour
« du palais. L'empereur, vein, ce jour-l.i, d'une vcste de
(1 velours bleu, a fond d'or,qui trainait jusqu'a terre, avait
ti la lele couverte d'une mousseline rayeea filets d'or, nm
« foruiait unc especc de couronne, et qui lui laissait le ini-
« lieu de la tele nu. Deux princes du sang, superbement
« vi'tus, I'attendaicnt ,i la porte du palais avec un magni-
« llque dais, sous lequel l'empereur marcha, precede de
« scs inslrumenis de musique. II elait suivi par les sept
(( prennorsminislresdc rempire;celui du milieu portail sa
(I couronne iuipcriale, tele nue. Cette couronne, fermee
I « ct surmoiitee d'une croix de picrrcries, est tres-magniri-
« que. Je niarcliai sur la memc ligne que les niinislrcs,
« habille a la tiirque, el conduit par un officier qui me Ic-
<( nail sous les bras. Les officiers de la couronne, se tenant
(( do la memc manicre, siiivaient en chantant les louanges
« de l'empereur, el se repondant les uns aux autres ; Ics
« niousquelaires venaient cnsuilc, suivis par les archers
« arnics d'arcs et de Heches. Cctic niarche elait fermee par
(( les chcvaux domain dc rempereur, superbement culiar-
(( naches.
« Le patriarche, revelu de ses habits pontificaux, par-
« sinies de croix d'or, elait a la porte de la ehapclle, ac-
« compagnc de pros de cent religieux veins de Llanc. Us
« etaienl ranges en bale, tenant une croix de fer .i la main;
« les uns dans la chapelle, et les aulres dehors. Le palriar-
(( che pi'it I'enipereur par la main droite, en entrant dans
(( la chapelle, qui s'appelle Tcma Chrislos, c'cst-a-dire,
(( I'eglise de la ncsurreclion, et le conduisit pres de I'aulel
II ii travers une haic de religieux, qui lenaient ehaeiin un
« gros llambeau a la main. On porta le dais sur la tele dc
« rempereur jusqu'a son prie-Dicu, qui elail convert dun
« riche ta[iis, cl a pen pros sendjlable au prie-Dieu des
« prelals d'llalic. L'empereur demeura presque toujours
« dobout jusqu'a la communion, que le patriarche lui
(( donna sous les deux especes. »
Poucet n'enlre pas dans d'autres details, et ne nous fait
part d'aucun des chants religieux que les Elhiopiensdurent
faire entendre, en cello solennite de I'Assomplion, pour
honorer Marie. Ces Chretiens, separes du centre de I'unile,
et d'ailleurs infecles de I'esprit d'hercsie, parlenl ainsi dc
la sainte Vierge, en faisanl leur profession de foi avanl la
communion : « C'est bien la le corps et le sang du Seigneur
« que le Fils dc Dieu pril de noire Dame cl souverainc a
(I Ions, la sainte et pure Vicrge Marie... Amen, amen,
(( amen, jo le crois. »
Selou lechevalier Ricaut, anglican, qui a fait un Ires-long
sejour dans la Grece, ces pcuples croient qu'aujmir dcl'As-
somplion, loutes les rivieres du monde serendenl en Egypic
pour faire honimage auNil, en saqualile deroi desllenves.
lis se ligurent que les dcbordcmenis dii Nil .soul unc cont:-
nuelle benediction du ciel sur I'Egypte, en recompense de
la protection donl Ic Sauveur du monde et sa sainle Merc
jouirenl dans cette conlree, cl de I'abri qu'ds y trouvcrenl
pour se derober a la persecution de I'impie et perlide lie-
rode. Voilci une idee iiarfailemcnt bizarre, niais die prouve
I'lionneur que ces peuplcs rendent a la sainle Vierge dans
le mystere de son assomption.
Apres noire excursion dans ces plages lonlaines, revenons
ii noire belle et chrelienne France. Si, comnie nous I'avons
dit, depuis que la religion de Jesus-Christ y est etablie, on s'y
est toujours monlrepleindezele pour rhonncur de la mere
de Dion, il est pourlaiit une cpoque speciale oil cc cultc a
recu une plus grande splendour. On voit que nous voulons
parler du voeu de Louis Xlll. Ce moiiarque, par une de-
elaralion donnce :i Sainl-Gormaiu en Laye, le 10 fevricr
1038, apres avoir reconnu les bienfails donl I'inlerce.vsiou
de Marie Pa gralifie, place sa couronne el scs siijels sons
la protection de la sainte Vierge. II etablil qu'aus jour ct
fi'lc de I'Assomplion on fera dans loutes les eglises de son
royaume une procession solcnnellc oil seront chantces les
lilauies et aulres anliennes composees pour honorer la
mere du Verbe iucarue. II vent quetoulesles coiussouve-
raiiits etles membres de tonics les adminislralions assis-
lent a cclte cereinouie. II vcut, en oulrc, que Ion jdace
^t't•.s■^L■^ !
NATUR-L t
H.'STO^RY. t
SAIKT-LOUIS.
DU MOIS.
295
dans lcc'ireurdc?lolre-D,imo,r'gliscmelropolitaineJc Paris,
(( line image dc la Vicrge qui licndra entrc ses bras ccUe
0 dc son precicMx Fils descendii de la croix , ct nous se-
(( rons reprosonle aux ])ieds du Fils ct dc h Mere, commc
< Icur orfrant noire rouronne et notre sceplrc. » On sail
que Louis XIV remplit avcc magnificence Ic voeu de son
augnslc pore, ct cliargca le ci'lclire Coustou d'executer cc
lean gronpe de marlire blanc que nous y voyons aujour-
d'lmi. On a'crilique ri'cennneiit cclto belle composition
arlislique, non point sous Ic rapport du travail, niais commc
n'elaul point convcnablcmcnt placce dans une eglise qui
Est diidice sous le vocable de I'Assomption de la sainte
Vicrge. On aurait voulu un mysterc triomphant, ct non
point celle representation qui rappellc rimniense doulcur
de Marie au pied de la croix. 11 I'aul, en cc cas, demandcr
la raison dc cechoix a Louis XIII lui-meme. Apparlenait-il
a Louis XIV de s'ecarler dcs intentions de son pere pour
clever un monunientdignede plaire a ces graves ccnscurs?
Nous dirons en passant que dans Ics plans de restauratiou
de ccllc noble basiliipic, cc serail un veritable vandalisme
que de remplaccr I'lcuvre dc Coustou par toule autre orne-
mcnlalion. Ke serail-ce pas insuller la memnirc et mecon-
nailre les intentions du monarque placant le royaumc dc
France sous la [irolcclion dc Marie, representee dansl'alli-
tudc que cc prince a%ait lui-nicmc cboisie? Un voeu doit
elrc rcspccte , dcs que I'Eglise I'a surtout accueilli ; or
voiii presdc deux sieclcs que « cette image » telle que la
decrit Louis XIII, a cle placeedans la basilique mclropoli-
tainc de Paris.
Tcriuinons par la description d'un autre monument cleve
a la gloire de Marie, quoique ce ne soil point pour liono-
rer en parliculicr son assomplion. Mais il y a ici un rap-
port Icllcmcnl inlime enlre Ics deux, que le second nous
paniil en tiuil point digne d'clre place a cole du premier.
Eu 1(157, c'cst-a-dire neuf ans apres la declaration prcciice
du roi Louis XllI, rempcreur d'.Mlemagne, Ferdinand III,
lit clever, siir une dcs principalcs places de la ville de
Viennc, une superbc colonne converle d'cmblemcs qui cx-
priment les privileges dont la sainte Vicrge a etc douee,
et, par-dessus tous, la prerogative en vcrlu de laquelle
Marie n ele concue sans la laebe du pechc originel. La
colonnecst surmontec de la statue dc la sainte Vicrge. Sur
le socle on lit cet inscription :
D. 0. M.. scrnEMO coeli TEP.R.EOt;c iMPEnATom , rsn qecm
r;ECES hecn'am, Vn.ciM DEir.in.E, uimaculat.e C0}iCErT.E. I'EH
nuAM pr.isr.iPES isipepast , is peciiliapesi Do^n^•A)l Austpi.e
PATPONAM SI>CnLAPI PIETATE SCSf.EPM, SE, IIBEROS, POPCLOS,
EXEP.CITIIS, PnOVlNCIAS, OMMA DENIQCC CONFIDIT, DONAT, COS-
SECRAT, ET IN PEPPETHAM I;EI SIEMORIAJl STATUAJI UANC EX VOTO
POMT FEPIiI>A»iDCS TEP.TIUS .\l'ClSHI.
Une traduction exacte n'csl point possible. Lc style lapi-
daire enlalin est d'une concision que la langue franca ise ne
peul rendre exactemeol. Nous nous contcnterons d'cn c.x-
poser le sens :
0 A Dieu, tres-bon et Ires-grand, empereur souverain de
0 la lerre et du ciel, par Icqncl les monarques regnent;
« ii la Vicrge, mere de Dieu, concue sans peclie, par la-
« quelle commandenl Ics princes, cboisic par un va;u spe-
ll cial dc piele pour clre la patronne parliculicrc de I'Aulri-
« clie, Ferdinand Ml, empereur, scvouelui-merac, consacre
i( etoffre sa pers nn» \iesc[ilanls, scs peoples, sesarmees,
« ses provinces, ct lo« ce qu'ilpossede; et, pour perpeluer
« le souvenir de cettc tonsccrnlion, il erige celle statue. »
Nous n'avons Jias besoin de rappeler que depuis le con-
cordat de 18UI, a la suite duqucl on supprima en France
plusicurs fetes, celle de I'Assomplion fut maintenuc. Na-
poleon, lui-meme, y avail ratlacbe I'anuivcrsairc de sa
naissance ct de son noni baptismal.
•2o AOUT. — SAINT LOCIS, P.OI DE FRANCE.
Quel est le cbrclien, quel est surloul le Francais qui ne
prononce avcc respect le nom de saint Louis, auquel ce
seul nom ne rappcUe tout ce qn'il y a de grand dans ce
monarque consjdere comme legislateur, comme guerrier,
comme fervent disciple de lEvangile? Qui jamais a rcuni
dans sa personne a un si haul degre des qualilcs dont cba-
cunc pent, a die seule, illuslrer celui qui en est done?
Comment, dans un cadre aussi ciroil que le notre, renfer-
mcr, sculemcnt d'une maniere historique, une vie aussi
pleine sous le triple aspect que nous avons indique?Ce
ne saurait ctre notre projet. La vie de ce .saint et grand roi
est, pour ainsi dire, cntre les mains de tout le monde, ct cc
qu'il y a de tres-remarquable c'cst que sa lecture est utile
a tous les ages ct a toutos Ics conditions de la vie. Oui,
cette existence a resume tous les genres d'licroismc, et
saint Louis pcut ctre presente commc un modele i la jeu-
nesse comme a ragemi'ir. aux pauvrcs comme aux riches,
aux hcureux comme aux infortunes, aux guerriers commc
aux magistrals, aux vainqucurs comme aux vaincus, aui
|irelres comme aux laiques, aux etrangcrs comme aux
Francais. Mais quel a etc le principe fecondanl de tant de
vertus? Est-ce iinephnosophicpuisee dans Plainn, Socrate,
Marc-Aurele? Vraiment non. C'cst la piete dans toule sa
franche expansion. Saint Louis a realise d'une maniere
complete ces paroles si courles, mais si pleines de sens ;
Piclas ad omnia utilis est. « La piete est utile a TOUT. »
C'cst I'Espril-Saint qui nous les fait entendre par I'organe
du grand Apolre. Placcz I'liommc dans telle condilion qu'il
vous plaira, la piele cnnoblira tous scs aclcs, parce qu'cUe
est la mere de tonics les vertus. II sera bon pere, bon cpoux,
bon fils, bon prince, bon snjet, bon general, bon soldat,
excellent juge, integre avocat, ami sincere, ennemi gene-
rcux. Oh: que le monde est done insense qui semblc re-
2f«
LES SAINTS DU MOIS.
garder la 'picte comme la vertu obligatoire ct exclusive du
cloitre, du sacerdoce et des divots, ct surtout des divots !
Saint Louis fut un devot..., vraimciil oui, dans loule Tex-
tensiondu Icrme, el Ton ne pent lui refuser toulesies ver-
lus civiles et guerriercs, toules les qualites royales lelles que
la sagesse, la prudence, la fermcle, la cl^nience, et, ce qui
les resume toules, !a palernite du sceptre, car le bon roi
est cminemment le pore de la patrie.
C'esl ainsi que Tfiistoire nous le represenle sous le chene
de Vincennes, accueillanl ses sujets comme ses enfanls,
ccoulaut leurs plaintes, calmaut leurs divisions, jugeant
leurs proces.
Apres une vie si pleine, aux yeux du monde comme aux
yeiix de la foi, Louis IX, qui eiait monle sur le Irone en
1"2'26, n'etant encore age que de douze ans, mourut devant
Tunis le25aoiU 1270. II etaitdans la cinquante-cinquieme
anncc de son age. Ses testes furent divises : les os, ainsi
que le cocur, furent places dans une riche biere. Charles
d'Anjou son frere, roide Sicile, oblint les chairs et les en-
irailles, qui furent deposees a Palerme, dans Tabhayc de
Monlrcal ; les ossemenis furent transferes en France par le
roi Philippe son fils. Celui-ci voulut porter sur ses epaules
lesQcre depot de Paris a Saint-Denis, et cette abbayece-
lebre les garda precieusement. Les nombreux miracles
opiircs parrinlerccssioii de Louis IX dcterminerent le pape
a rinscrire dans les diplyques des saints auxquels I'Eglise
defere le cuUe de dulie. La hulle de canonisation fut don-
nee par le pape Boniface VIII, le 1 1 aoul 1297, et la fete
fixee au jour mi'nie de la mort de ce grand prince. En
1298, il se lit a Paris une pompeuse et edifianle ceremo-
nie. Une procession partit de la capitale, s'achemina vers
Saint-Denis pour y lever le corps de saint Louis. On porta
la chassequirenfermait les ossements a la Sainte-ChapoUc,
nagnere ediliee par Louis IX anpres de son palais. L'ar-
chevequedeSens, accompagne de Teveque de Paris, qui en
(Hait nlors suffragant, presida a cetle insigne translation.
Puis le roi Philippe reporla sur ses epaules, a I'abbayo
royale de Saint-Denis, les saintes depouiUes de son aieul.
Quelques annees apres, c'est-a-dire, en I30.>, le pape Cle-
ment V autorisa Philippe le Bel a transferer dans la Sainte-
Chapelle du palais la tijte de saint Louis, et dans I'eglise
cathedrale de Nolre-Dame une des cotes du meme sainl.
Depuis ce temps, comhien deglises et de cliapelles ont
ete erigees sous I'invocalion de ce grand saint I La capitate
du monde chrelien, Rome, compte parmi ses monuments
rcligieux une belle ct riche eglise de Saint-Louis. La France
a trois calhedrales placees sous le meme vocable, celles de
la Rochelle, de Clois et de Versailles. Paris comple quatrc
de ses paroisses, y compris celle des Invalides, sous les
auspices de saint Louis. La poesie religieuse a consacrea
son honneur les plus belles hymnes. L'hisloire a immorta-
lise dans ses annales, burine sur le bronze, grave sur la
pierre, la memoire du saint monarque. L'Eglise celebre
annuellement, dans une fete, ses vertus sur la Icrre et son
triomphe dans le ciel. La France airae a se placer sous un
aussi puissant patronage, el, les yeux Oxes sur letrone im-
perissahle qu'occupe saint Louis dans le sejour de I'eler-
nile bienheureuse, elle soUicite son intercession. Et n'est-ce
point ici le plus eclatant des hommages que la memoire
d'un monarque puisse recevoir ?
MOIS D'AOUT
1. Vendredi. St Pierre adx
LIENS.
Oil y lionore la memoire de
rciniirisonneraent de l';i|'fl're
St Pin-re en divers lemps cl di-
vers lieux, maissurloiit sacap-
li\ito u Jorusak'iii, el dont un
ange le delivra. On conserve S
Rome les olivines di)nl il fut lie
4lans la prison Mamcnmc de ccUe
dcrnit'rcvillc,pariirilrede Noron
Les SEPT FRUHES MaCMABEES, qUI,
avant Ji5sus-Clirisl, soullri
rent Ic marlyre pour la loi
dc Moise.
Ste Fiji, Ste Esperance, Ste
CiiAuiTE, fillos dc Suphie
dame romainc, vierges niar-
tyrcsdans les deux premiers
sii-'clcs.
3, Kamedl. StI^tienne, pape
et martyr en 257.
St GETiiAinE, liveque de Char-
tres, mort au 7^ siecle.
Si Alphonse de Ligdori, cveque
de Slc-Agatlie au loyaurae
de Naples, mort en 17H7
II a laisse plusieurs ouvrages
tbfiologiques ircs-csttmes.
8. Dlmsncho. L'Investion DU
r.iinrs pe St Ktienne, premier
martyr, en 415.
St Nxodehe, pUarisien convert!,
qui embauma Ic] corps de 6
Jesus.
St Gamaliel, autre pharisien
converli, qui enlerra St
Elicnne dans sa campagne,
a vingt milles de Jerusalem.
I. Einndl.ST Dominique, fon-
dalcur de I'ordre des Pre
cheurs ou Dominicains, mort
aBolo-neen 1221.
It fut le flambeau et la mer-
veilledeson siecle. Onaprelendu
U Ires-grand tori que cp sainl
avail instilue les iribunaux de
I'inquisilinn ; ceus-ci onlcle 6ta-
blis longiemps aprts la mort de
St Dominique.
St EurHHoNE, eveque de Tours,
morl en 575.
Ste Siohade, mere de St Lc^er,
eveque d'Autun, morte au
7^ sietle.
1. llnrdi. Notre-Dame ces
NEIGES.
Voy, I'article sous ce nom.
St Oswald, roi d'Anglctcrre,
et martyr en 642.
Ste Afre ct ses compagncs,
marlyres en 504.
St Mr.MMiE, premier Cveque dc
Clialons-sur-Marne, mort a
la tin du 5^ siecle.
Hercredi, La Tbansfigd-
BATIONDE N.-S. J.-C.
Voy. fart, sous ce nom.
St SixTE.pape ct martyr, 258.
St Just et St Pasteur, martyrs
en Espagne, en 504.
7. Jendi. StGaetandeThiedne,
fondalcur de Tordre des
Theatins, mort en 1547.
St VicTRicE, eveque de Rouen,
mort en 415.
II a laisse plusieurs Merits.
StDonat, Cveque d'Arczzo en
Toscane, et St IIilaire, mar-
tyrs en 5G1,
St Donat, evcquc de Besangon
mort en 660.
8, VendrpdI. St Cyriaqce,
St Large, St S.\iauag[ie et
leurs compagnons, martyrsa
Rome, en 503.
St 1I^RM1^I)AS. martyr en Perse
dans les premiers siecles.
. ffiamedi. St Rohai?}, mar-
tyr a Rome, au 5^ siecle.
St Secosdiel' et ses compa-
gnons, martyrs en Toseane,
au 5" siecle.
St Ni'MiuiQUE, prctre et confes-
sonr au 5^ siecle.
O. Dimniiche. St Laurent,
martyr a Rome, en 258.
St Deuspedit ou PiEuoossg,
juste, mort vers Ie5*si6cle.
St Blanc, eveque en Kcosse,
morl en I'an 1000.
St Blaan, eveque en Ecosse,
morl en 448.
1 I . I^undi. St Tiburce, mar-
tyr, etSr GuROMACE, en 286.
Ste Suzanne, vierge, marlyre
a Rome, en 295.
St Tacrin , premier eveque
d'Evreux, vers le 4" siecie-
St Gery, eveque de Cambrai,
mort en 619.
1 3. Mordi.SxE Claire, vierge
Gt alibossc fondalrice des
clarisles ou clarisses, tres-
cclLlire, morte en 1253.
St Erruus, martyr en Sicile,
en 504.
StPorcaire, abbcde Lerins, et
ses compagnons, m.irtyrs eti
Provence, au 8« siecle.
13. BBercrcili.STHiprcLVTE,
soldat, disciple dc St Lau-
rent, martyr a Osti'-., en 252.
St lIuTOLYTE, martyr en 258.
11 lie taut pas Iccontundrc avcc
le premier.
StCassien, martyr a Iniola.
II I'tait maUrc d'ecule, et le
gouverneur le lU mariyrlscr par
CAUSERIES SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES.
29S
ses rropres eleves i coup* di"
de stjlet, au 4^ ou 3*' sii'cle-.
Ste Raoegosde, rcinc tie Fran-
ce, I'juiuseclcClolairc, niortc
abbcsse d'un culebre cou-
veiil a Puilicra, en 587.
S4. Jeinli. St EuscBE. pretrc
ct niarljT vers la fin du o'
siecle.
St Eusebe. prelre et coiifes-
seur a Rome, quil ne f.ml
pas confoniire avec le prece-
dent,
St Marcel, eveque d'Apamee,
en Syrie, en 589.
Ste Anastasie, abbesse en 8fi0.
Veillc de l'Assom[)lio[i, jour
dejcQneei d'absliuctice.
15. Venilrerti. L'ASSOMP-
TION D!-: LA STE VIERGE.
Vntj. t'itrtirle sousce Hire,
gr Napoleos ct St Satuhsin,
martyrs dans lo 5^ siecle.
Leprciiiipresi noiiimf en laiiii
Keopolis ou ?ieopolus, daiil Ic:^
Iialiens onl fjit Sapoleotie.
St Alvpius, t-vcque dcTajaste,
en Afrique, disciple de Si
Auguslin. morlvers 450,
St Arnoul, eveque deSoissoas,
en 1087.
IG.Wuraeili. St Rocii, juste,
niort en 1527.
On riiivoqiie conlre la pcsle
Une paroisse de Paris esi nlacee
sous sun iiivocalion.
St Hyacisthe, dominicain, morl
en 1257.
STELEiTiiEnE, eveque d'Auxer-
rc, niort en 561.
17. Oimanclir. St MAtniEs,
martyr en Cappadocc, 275.
St Liberat et scs compagnons,
martyrs en Afrique, en 485.
16. liunill. Ste IIelexe, im-
peralrice, mere de Constan-
lin le Grand, morte a Con-
stantinople, en 5'2G ou 28.
St Agapet, martyr en 275.
Ste Claire de Monte - Falco,
vierge, morte en 1508.
St TiMOTiiEE, martyr a Rome, en
511. I
19 Uarili. St ToiOTtitK, St
Agape ct Ste TiiECLE, martyrs
I'n ralestinc, en 5U4. gg JiSamcrti. St PiuurrE Be- 28. JcniU. St AixrsTP;, i;v5-
St Ebbos, archeveqiie de Sens,
mort en 750.
St Louis, pelil-neveu de Louii
IX, roi de France, cvcqnc do
Toulouse, ninrt en 1297.
St Mauies, solil.iirc dans le
Bcrri. mort dans Icfi^siwle.
Le bicnbeureux Rl-ucaud, ar-
cht!vei|uedeVienne.en Uau-
pliine, raort en 1025. I
20. Slercredl. Sr Bernard,
abbi'r de Cljirvaux, docteur
dc I'Eglise, un des plus il-
lustrcspersonna2:esqni aier.t
paru dans Icmoim ■, mort en
1155. 1
Ses (Tuvre"; on! ^Il "ecuoillics
en 2 vul. in-foL ,
St Mesme, solitaire a Cliinon on
Touraine, morl dans Ic 5*
siircle. I
St PiiiLicERT, pretnierabbcde
Jumit'^es, morl en GS4. i
Sv Oswis , roi d Ansletcrre,
morl dans le 7": siecle. I
21
. •Venili. St Privat, pre-
mier i^veque de JavoU ou
sm, en 1285. 1
StClalde, St Asterf. et Icurs
compagnons, martyrs en Ci-'
licie,en285. |
St SiDOi>E Apot.uNAiRE, eveque
de Clerninnt euAuvergnc,'
Uiort en 482. j
On adL'Iui plQsieurs^crilsas-
scr inipi»rlanis. 1
St Tiioma.«, artbeveque d'A-
Icxandrie, inert en 282. ,
24 nimnnclie. St Barthe-
1.KME, apolre.
ll|Ktrla Ic flambeau ile rE\an-
gile jiisquaux exircmiles des
Iiides, L'l ftil mariyiis.* en Arrnc-'
nie, vers la lin du l*' sierle.
St OiEN, eveque de Rouen,
morl a Cbcliy pres Paris, en
G85. I
Son corps ful poric h Bouen^
daus I'cglisede St Pierre, qni esl
dcvcnue drpuis la inagniQque
i'glisc abbauale deSi-Oueu.
23. I.undi. St Lours, roi dc
France, murl en 1270.
Voy. I'ariicic sous re litre.
St Yrieix, abbe en Limousin,
morl en 591. j
II a domipson nom ^uuevillc
de ccue province.
Ste IIi'NEGONDE, abbesse en An-
, gleterre, morte en 685.
Gevaudan.aujourd'iitii Men-
de, martyr sous Valcricn et
Galien.au milieu du 5"^ siecle.
C'esi h lorl qu'un Ini dome
pour predecease ur Si Sevcrien ;
ceiui-ci ^laii ev^<]iic de Cabala,
dans I'At^ie Mincure.
Sr Richard, eveque d'Audne 26. MarUi. St Zei'Uirin, pape
dans la Pouille, mort a la fin et martyr en 219.
du 12"^ siccle. | St Goes, comedien, martyr a
St Ber.nard Ptolejjee, inslltu-
tcur des olivetains, mort en
1548. I
St Ragiebert, martyr en 678. :
Rome, en 286 ou 205.
que d'llipponc, dncteur do
i'Eglisc, morl en 450.
La meilleure edition de seS
ouvragesesicu 20 volumes in-*°,
C'est le plus grand el le plus
fi'cond des doclenrs de la foi
chrclienne, aussi profond en phi-
losophic qu'en iheolojiie.
StJl'lien, martyr a Brioude,
vers le 4^ siecle.
29. Veiidr«dl. La Decoua-
TioN DE St Jeas-Baptiste.
Voy. I'ariiclesurce sainl pr^-
curseurdaiis Ic iiumero du mois
de join.
Ste Sabine , martyrc a Rome,
au 5« siecle.
St Merbi ou Medeiuc, abbt?,
morl en 700, patron d'une
paroisse de Paris.
St Adelphe, eveque de Mclz
mort au 5^ siecle.
30. Named). Ste Rose dc
LiiiA dans le Perou, vierge,
morle en 1617.
St Felix et St AnArCTE, mar-
tyrs a Rome en 505.
St Pamuaciuls, juste, mort a
Rome en 410.
St Fiacre, anacborctc, mort en
650.
Les jardiniers le prcnneni ponr
pairon. Les voiiures de loujge
nomnu'cs fiacres lircnl ce nom
d'une bAtellene ou se fornja leur
premier eiablissemenl ii Paris, ct
qui avail pour enseigoe I'image
de ce sainl.
STGENcsd'Arles.grcmer, mar- 34. DImaiiche, St Ravmon
tyr au 4<^ siecle. |
St Eci.ALiL-s, Eveque de Nevers,
morl au C^ siecle.
22. Veiidredi. St IIippoute,
eveque. docleur de I'Eglisc 2? Mercredi, St Cesaire.I
et martyr en 251. I eveque d' Aries, mort, 251.
Ses oeuvres soot en 2 vol. On a dclui plusieursouvragcs'
in-rol. I tr^i-rcmarriuablos. I
STSviifnoRiEN.martyraAutun, St Pemen ou Pasteca, abbi5,t
en I'an 178. | mort en 451.
KoNSAT , religieux de la
Mcrci, morl en 1240.
Ste Isvbelle, vierge, fille de
Louis Vm, el scEur de Louis
IX, morte en 1270.
Ste Cutuderge, reine vierge et
abbesse en Anglclcrrc, au
8^ siecle.
St Eose, eveque d' Aries, 502.
CAUSERIES
AVEC UOJi FILS ERNEST
SUR LES INVEiSTIONS ET LES DECOUVEnTES.
CINQUltME MATINEE.
US NAVmS SUB IE CHCQUITO. — LES SODVEAOX SCCr.ES.
a L'industrie humaine, dit la Gazelle d'Augsbourg, ne
coniiaiiia hiontot plus de Ijornes a sou [louvoir. Les die-
mins de fer silloniieiU le monde, les baltau.x a vapour fran-
chissenl rimmcnsc cspacede rOctan, et un navire floUc d
present sur le ChiK|uito, a di.t-huil mille picds au-dessua
de b mer. La Gazelle d' Augsbourg \>\M\e, d'apres unjour-
nal de Montevideo, t|uel(|ues details sur celle entrepriso
nautique d'une liarJicsso inouie jiisqua present dans lej
annales de la marine. En 1826, MM. Rundell et Bridge,
riches orfcvres de Londres, aclieterent dans le Perou les
mines d'or deTipuani et les mines dcmeraudes d'lllimani,
et y envoyercnt M. Page en qualite d'agent.
« Ces mines sent situees sur les rives du lac deChuquito,
qui a deu.\ cent quarante-huit miUes anglais de longueur,
cent cinquanle de largeur, ct dont en plusieurs endroits
on n'a pu trouver le fond. Dans le voisinage de Tipuani
sont d'aulres mines trcs-abondantes qui appartiennenl
au general O'Brien ct a un Anglais nonime John Rugg.
Ou no recolte dans ce district qu'une cspece de pomnies
296
CAUSERIES SUr, 1,ES INVlsHTlO
de leiTe rou_!;cs appeK'Os cliusmo, et qiidques planlos nii-
ti-ilivcs ; mais, a Test du lac, el nolaniiiiciit ii Copasacnnn
ct dans los vallC'Cs do la Colivin, on tnltivc le mais, I'orge
el Ics arbrcs fniiliers. Lcs ilirHciilli's i|iie Ton cprouvail
pour alimcnlcr Ic grand nombre d'Indicns qui travaillaienl
nux mines fiicnt naiire lidce dc constniii'c un navire qui
clablirail dos comniunicalions n'.^'iilieres d'une des rives
a Tautre du lac, el MM. Page, 0 liricn el Rugg rosolurcnl
de lenler Tcnlrcprise.
o M. I'age acbi la dans le port d'Arica un vieux bati-
incnt, en cnlcva lcs ancres, les cordages, la voilure, el
parvinl avcc unc peine cslreme ii en conduirc la carcassc
a rcmboucbure de I'Apob-Bambo, donl les eaux se jellent
dans le Cbiquilo. La, il fil venir des ouvriers d'Arica,
cleva un chanlier, el, apres deux annces d'un Iravail pe-
nible et conlinu, reussil enfin a lancer son brick dans le
lac. Ce brick sen a transporter les approvisioiinemenls
des vallees dc la Bolivie aux mines de riino el de Lanipas.
Le general O'Crien, en se remlnnt de Biienos-Ayres a Lima,
iiavigua sur le lac, el faillit echouer sur les coles de I'ile
NS ET LES DECOUVEnTES.
de Tilicaca. Celte He est, d'aprcs la tradition, le berceaii
do la civilisation pcruvienne el la sepulture des aneiens rois
de la conlree. On y trouve encore des cranes donl la forme
scrapproclicdc cclle de toules leslelesqui figurcnt dans les
curieux bas-reliefs des antiques monuments aslegues. Lo
brick (ilail alors commande par un capilainc suedois, et
pourvu de lout cc qui coustilue un navire en bon elal, sauf
les ancres, qn'il a etc impossible de conduire a unc telle
bauteur. MM. O'Brien el Begg onl execute encore d'autrcs
travaux d'une bardiesse iion raoins surprenanle. lis ont
transporle une machine a vapeur an-dessus des CordiUeres,
creuse dans les montagnes melallurgiques de Lacaycota un
canal de deux mille pieds de longueur, traverse par ncuf
ecluses, el conslruit, a I'exlremite de ce canal, un chemia
de fer sur lequel ils cliarrient leur mineral. »
Voila, mon Ills, a quels resullats aboulisscnt, continua
le pcre, ces longs rubans de fumee que vous voycz se ba-
lancer an-dessus des navires et des baleanx a vapeur.
Avcc nn pen de fumee que I'espril de I'homme dirige,!a
naUue malerielle esldomplcc.
— Qu'est-ce que signific ce mnt, nion pcre, sum de
jionme, suae dc rinaigrc ?
— Mon ami. c'esl quo I'arl liumnin, elincelle cmanee de
Dieu, a parlout dccouverl les substances oni se caclient
dans'lcs profondeurs de la malicre. Le sucre, le vinai,;re,
existent prcsque parlout.
Entre les sucres , il y a , dit un savant, unc lulle
qui n'est pas pr6s de finir : c'esl, du reslc , ISapo-
leon qui en donna le signal lorsquc I'Anglelcrre ful sou-
mise a ce blocus continental donl Ics rcsullals devaient
).orlerunomorlcllc aUeinle a son commerce. Celte lutte,
c'cst cellc qui so poursuit entre le sucrc de canne ct les
snci-es radices anela science a Inventcs reccmmcnt. Ceus-ci
nnl cviJemmeul une iiiferioritc marquee devaiil Taulre; le
Sucre qui vienl dc si loin finira par snccomber en presence
d'une aussi redoutableligue. Le sucrc exolique avail bicn
,issez de renncnii que liuJustrie lui a jete sur les bras;
ccpcnilanl la science, celte infatigable eberebcusc, qui ne
se doune pas un moment de repos, vient de lui en suscitcr
un nouveau. 11 s'agit d'antres sucres qui pourraicnt fairc
uncsainle allianeeavec le sucrc de bellcravc;chaque jour,
dans le mais, dans la carolle, dans les narets, on rclrouve
du sucrc.
11 est a croire que Ton parvicndra a nous donncr d'ex-
LE COURAGE MOHAL DANS LA JEUNESSE.
297
cellent sticre ii tin prix aussi Las que Ic pain ct pcut-elro
que I'eau eUe-memc. Nc mcpriscz done pas, nicin chcr
Ernest, ces horamcs que vous voyez en lablicr de cuir, une
pipe noire .i la Louche, un ralot ou iin snufflct de forge a
la main; souvcnt ils rcaliscnt par lour labour ce que la
pocsie la plus sublime n'oserait pas rover.
LE COURAGE MORAL
DASs LA mmii
ou
EXEUf Its BE FOBCE COMTHE IE SOP.T, DE IlESISTANCE ET DE SUCCES
DAKS lES CAlmiEMS lES PLUS DIVEIISES.
X.A JXUNXSSE S£ BEJTBI IV.
II Ce fut un bicn grand jour pour Henri d'Albrel, dit un
bislorien nioderne, que celuiou il cmporla dans le pan de
sa robe lo vigoureux enfant destine a le venger plus tard
de I'Espagne. La chanson de sa mere, dans les doulenrs de
renfanlcmcnt, le vin de Jurancnn el la gousse d'ail, ont
rccii depuis Pcreflxe une consecration populaire. Tout cela
est devenu vrai. Henri d'Albret i'lait un prince d'un es-
prit cultive. 11 avail, en maliere d'educalion, dcs idees fort
avanceos qu'on dirait cmprunli'es de VEinilc. II voulut
faire elever le jeune conite de Viane a I'air libre des mon-
lagnes, la tele nue et lespicds dechaux. Nourrl en simple
gonlilliomme, an chateau de Coroaze, dans les solitudes du
Digorre, ayant passe loule sa jeunesse dans une province
aux habitudes sinqdcs, au langage pittoresque, Henri con-
tracta, dans ce commerce journalier avec la nature ct avec
les hommes, une rectitude de pensee et un nalurel de nia-
nieres inconnus aux princes grandis dans I'enceinte dcs
Cours. Eleve dans les principes calvinistes par sa mere,
dans le temps ou Anloine de Bourbon, son pere, combattait
conlre les rcformes, a la tele de I'armee royale, le prince
de Beam avail contracto, par suite de cetle deplorable dissi-
dence, une indifference prccoce jiour les idiios qui passion-
naient si vivemcnt son siecle. Celte indifference, enlre-
tenue par le gout des plaisirs et les cntrainements de la
jeunesse, elait rcndue plus invisible encore parle specta-
cle des animosiles et des violences qui repugneraient a son
equile et a sa moderation naturelle ; done d'un sang droit
ctd'uncalmo imperturbable, lors memequ'ilserablail do-
SS
298
LE COURAGE MORAL
miuu |i.ii' I'ivi'csse dc scs sens, UenH de Beam ne pouvait
s'associcr ni a raiJcur de tnnl de liaines, ni aux illusions
de lant d'cspcranccs dont son bon sens penclrait la vcrile.
Conduit un jour li la cour, a I'age de liiiil ans, cct enfant,
aleite et frais, avail cliarmc Uenri II par la vivacite deses
reparlics en laiigue bearnaise, la seule qu'il parlat alors.
Deux annces passecs au college de Navarre lui apprirent
le francais cl quelque pen de latin. Los habitudes de I'eco-
lier n'enlevercnt rien a I'originalite du jcnne montagnard.
Jete, apres la mort de son pere, dans Ic camp des reformes
par I'autorite de Jeanne d'Albrel; proclame a la mort du
prince de Conde, son oncle, chef nominal du parti, il
assista a la bataille de Moncontour, a I'age de seize ans.
Son coup d'ceil militaire, si on en croit les historiens, pe-
nclra le vice des dispositions qui amona la pcrte de cette
journee si falale aux religionnaires. Situl que la paix ful
faile, il se relira dans son gouvernement de Guyennc, ct
vecut surlout dans ses domaincs licrcditaires du Dcarn, oil
il poursuivait les daims sur les rochers, et les jeunes fiUes
dans les vallees, cntremelant ses volages amours de la lec-
ture des Vies de Plutarque que Jacques Amyot venait de
traduire pour I'usage des jeunes seigneurs.
Ce fut au sein de cotte viUe provinciale et de ces plai-
sirs faciles, que la politi(iue de Catherine vint chercher le
prince de Beam pour I'unir a sa Dlle. Celui-ci n'accepla pas
sans regret cette vie si nouvelle ct si contrainlc. II parut
a la cour, reserve et un pen timide. Les noces vermcilles
ctaient a peine terminces, que la nuit de la Saint-Darthc-
lemy vint arracher au roi de Navarre tons ses amis, et I'iso-
ler dune cour au milieu de laquelle il n'etait plus qu'un
otage ct un prisonnicr. Ce prince pjoya sans Irop d'cf-
forts sous le poids des circonstances , et crut pouvoir
pacliscr avec la force de tons les sacriDces imposes comme
conditions de son salut. II faut bien connaitre que I'aban-
don de sa religion fut celui qui parut le moins lui cou-
ter; enlre la mcsse et la Daslille, il choisit volonlicrs la
inesse, et donna surce point, au roi sou beau-frere, les
plus completes satisfactions.
JEtlSESSE DES GUARDS ABIISTES. — B. WEST.
Nous allons nous occuper mainlenant de quelqucs indi-
vidus digncnient recompenses aiissi de Icurs efl'orls coura-
geux, et qui sonl arrives a la celcbrite par des cliemins
tout differents de ceux qu'avaient parcourus les hommes
distingues dont nous avons parle dcrniercment. Cependant
nous retrouverons toujours ii la poursuite des riclwsses
intellccluelles ces memes hommes ploius d'energie , de
grandeur d'iimc , infatigables ii I'etude, et auimcs de la
meme exaltation passionncc; les qualites sont partout in-
dispensablcs au succes; jamais la perseverance et I'aniijur
de I'art n'ont ete pousscs plus loin que chez les peinlres
impatients de se dislinguer. Deja nous avons eu I'occasian
de ciler plusieurs noms appartcnant a cette classe d'hom-
mes, et nous avons vu que rien ne pent les decouiager
quand ds sont enlraincs vers la science. Rappelcz-vous les
diflicultes qui out environne la jeunesse des Salvalor llosa,
Claude Lorrain, du Caravage et do bien d'autres encore.
lis n'eu sont pas moins devenus de grands peintres. Aii-
jourd'hui nous coutinuerons a esquisser plus eu detail la
vie de quelques artistes modcrues qui onl eu aussi a soil-
tenir de penibles lulles pour se produire, malgre I'infe-
riorite de Icur naissance et la singularite de leur position.
Nousconmiencerons par Benjamin H'c,«(, artiste anglais,
ne a SpinglieUl ( pres de Philadelphie, dans I'Amcrique
du Nord, en 1738), de parents quakers, ou Irembleurs ,
dont il ctait le dixieme enfant. On raconte que sa mere le mit
au monde en revenant d"un sermon qui I'avait effrayee au
point de lui occasionner presque des convulsions, malgre
les efforts du predicateur a rassurer I'auditoire epouvante
auquel il venait d'annoncer la lin prochaine du monde de cc
cote de I'Atlanlique, en promettant a I'Amerique les plus
heureuscs destinccs, lorsque la vengeance divine I'aurait
delivree de ses vices et de sa corruption. Cet incident, si
legercnapparence, inllua beaucoup sur la vie de Benjamin :
le predicateur, fier de I'impression produite par son elo-
quence, regarda toujours I'enfant avec orgueil et interet. II
ne cessa derepeterau pere, que ce Cls.d'apres cette nais-
sance extraordinaire, ne pouvait manquer d'etre un jour
un homme celebre. Nous ne tardcrons pas a voir les pre-
dictions se realiscr.
Quoi qu'il en soit, Benjamin grandit, arriva ii I'age de six
ans, et rien encore ne le distinguait des autres enfants,
lorsqu'une de ses soeurs, marice, vint faire une visite a sa
mere avec sa petite flUe. Uu jour, Benjamin resla seul
auprcs de I'enfant endormi dans son berceau, pendant quo
sa mere ct la jcune femme se promenaient au jardin.
Frappe de la beaute de sa niece, qu'il voyait sourire pen-
dant son sommeil, il s'empara de plume, de papier, d'en-
cre rouge et noire, qu'il Irouva sous la main, ctessayade
retracer cette charmanle physionomic d'enfant. II fut a ce
qu'il parait si heureux dans son premier essai , que sa
mere ct sa socur, en jetant les yenx sur le papier qu'il
cherchait a cacher, s'ecrierent ; « Mon Dieu , il vient do
« faire le portrait de Sally. » Benjamin, encourage par
cette exclamation, ravi de sa nouvelle dccouverte, of-
frit de dessiner avec son encre rouge et noire les llcurs
que sa scour rapportait du jardin. Le genie du peintre
futur se revclait plus encore dans cette delicatesse et
ce sentiment vrai, a un age aussi tendre, pour la beaute
de la simple expression , que dans I'liabilcte du dessin
qu'il a dcployee lors de sa premiere tentative. C'est peut-
clre a la maniere dont Benjamin fut eleve au sein d'unc
famille pour laquelle la vie s'ecoulait douce et calme,
comme chez la plupart des quakers, qu'on doit altribuer
le dcvcloppement prceoce du sentiment poetique qu'il ma-
nifesta en cette occasion.
Le pere, en voyant ce dessin, reflechit plus serieusement
que jamais sur la prophelie de son ami le predicateur, et
fut persuade qu'elle commcncait a s'acconiplir. Quant a
Benjamin, il ne se lassait pas de faire des csquisses a I'en-
cre, soit de lleurs, soit d'oiseaux, a son grand ravisscmcnt
ct ii I'admiralion de ses bons camaradcs. Pendant toute une
annee, il n'cut a sa disposition d'auire coulcur que de I'cn-
cre, d'autre pinceau que sa plume. D'ailleurs il ignorait
sans doule qu'il existat des ressources meiUcures pour la
pratique de son art : car la petite societe de gens au mi-
lieu desquels il vivait etail ii la fois si simple et si ar-
riiiree, qu'il n'avait jamais apercu chez aucun d'eux, soit
une gravure ou une pcinlure quelconque. Enfiu, ilariivi
qu'une troupe d'Indiens passa par SpringDeld; on leur
monira les oeuvrcs de Benjamin, qui avaient ([uelques rap-
ports avec les Icurs , ct ces enfants des bois parurenl en.
DANS LA JEUNESSE.
2!)9
chantcs lie co. rapprochement. Phis cxporimentes que lo
jeuiic prodigp, ils nvaienl sur lui iin grand avanloge: ils
employaient dcs couleurs tolalcment inconiiues ;i Dcnja-
min, tellos quo I'ocre rouge ct noire; ils lui cnseigncrcnt
la niaiiiero do Ics preparer. Sa mere, pour compli'lcr I'as-
sorlimcut de cos nouveaux nuxiliaires, lui donna un mor-
ceau d'indigo ; mais il lui manquait encore un pinccau.
Aynnt appris qu'on les fnisail en Europe avec dcs polls
dc clianicaii, il Irouva Inenlol dans son imagination le
moyen d'y supplecr. La queue du cliat noir de la maison
lui fournit de quoi faire son premier pinceau, puis il ra-
vagoii le do.s de la pauvre bete lorsqu'il vouliit en avoir
d'aulres.
Environ un an aprcs, M. Pennington, marcliand dePhi-
laJclpliie, vint par liasard faire une visite au vieiix West;
on lui montra aussi les ouvrages de Benjamin. Plus con-
iiaisseur que les villagoois de Springlield, il I'ut frappc dcs
moyens de renl'ant, el promit dc lui envoyer, a son retour
en viUe, une boite de peinture. M. Pennington lint en cf-
fi't sa promesse, lecadcau arriva: le bon ct genereux mar-
cliand avait cu le soin de joindre a un assortimcnt de cou-
leurs, d'huiles ct de pinceaux, plusicnrs toiles toutcs pre-
parees, ct une demi-douzainc de gravuies; le ravissemcnt
de Genjamin etait au comhle. Jamais il n'avait soupconne
I'art do la gravure, dont il voyait des modeles pour la pre-
miere fuis de sa vie, et jamais rien ne lui avait paru si
beau. Ses yeux, pendant le rcsle de la soiree, rcslerent
prcsque toujonrs fixes sur la bolte etson conlenu. Qnelquc-
iois il semblaildoulerde son bonlieur, el la prenait dans ses
mains afin de so convaincre quit etait recllcmcnt posses-
seur de ce precicnx trcsor. La null memo il se rcvcilla sou-
vent, ct voulut encore toucher le cofl're qu'il avait place
pres de son lit, tant il craignait de so sentir sous rinllucnce
d'un songe, et deperdre ses ricliesses a Theure du reveil.
Lcjoiir suivant, il se leva aveclejoui-, emportantau gre-
nicr ses couleurs el sa toile. Tout autre occupation I'ut ne-
gligee. Des qu'il pouvait se derobcr a la surveillance de ses
parents, il courait au galelas oii les bcures s'ecoulaient ra-
pidement dans un monde de sa creation. Enfln le maitre
d'ecole, surprisde I'absence desoneleve, vintendemander
la raison au pere; circonstance qui revela toul le myslere.
La mere decouvrit le coupable dans sa retraite, mais elle
resta emerveilloe des proJuctions de son pinceau, ct, au
lieu de le grondor, die le pril dans ses bras, ct I'embrassa
ovoc transport. Apres avoir compose un sujcl, il s'etait mis
a le peindre; sa haute intelligence I'avait seul guide dans
la preparation, le melange el les nuances dcs couleurs;
I'eliauche parut si remarquable a la mere, qu'elle lui defcn-
dit d'y rien ajouter. M. G;dt, le biographe de West, a vu
le tableau inacheve soixante-scptans apres, eirartiste lui-
menic a avoue qu'il n'avait jamais reussi depuis a retrouver
quelques-unes des touches qu'on admire dans sa premiere
ocuvrc.
Pcu de temps apres, Pennington revint a Springfield ; sa-
lisfait des progres du jcune peintre, il remmena a Phila-
dclpliie. Lii, il rencontra un confrere, M. Williams, dont
les tableaux, les premiers qu'il voyait apres les siens, le
toiichercnt jusqu'aux larnies. Williams lui preta aussi le
]jricme de Fresnoy sur la peinlnre, ainsi que les essais de
liichardson ; cos deux ouvrages sllnuilcrent encore son en-
thousiasme. II rcvinl a Spriiigfii Id plus amoureux de son
art que jamais. Bienlot cette passion devint contagieuse, ol
prcsque tous ses camarades, sans exception, se mircnt i
crayonncr parlout, el Jusque sur les murs de I'ccole. West
assure qu'il a vu plusicnrs essais de cos jennes aniaiciirs
que n'niirnient pas desavoues les eleve.s de rAcadeniic,;
mais aucun n'avait, a ce quil lui parait, I'amour de I'arl
si profondcmenl enracine. Cc passe-temps fut bientot aban-
donne el oublie; lui soul persisia a en faire I'liniqiie occu-
pation de sa vie, bien decide a faire, en son hnnneur, tous
les sacrifices possibles.
Ccpendant il n'avait rien gagno de ses travanx, pas
mcme de quoi s'acheler des couleurs et des toiles; mais un
eboiiistede ses voisins lui donna oljligeiimmentdespanncaux
bicn unics sur les([uels il jctait ses esquis.ses avec dc ron-
cre, dc la craic et du fiisain. M. Wagner, autre habitant do
son village, frappe un jour du mcrile dc ses composilicms,
voulul en prendre quelques-unes chez lui pour les montrer
a ses amis. II revint le lendemain, et remit a I'enfaiit un
ilullar en echange dcs tabbaux cpi'il tciiait a conserver.
A pcu pros a la memo I'qioque, le doctcur Jonathan Moris
lui donna un peu d'argcnt jionr acheter dcs couleurs. Ja-
mais West n'oublia hs encouragements de ses premiers
prolecteurs. Sa fimille, quoique fort a I'aiso, ne fit dit-on
aucun sacrifice pour I'aider dans la poursuile de son art
I'avori. Si le vieux quaker croyait loujoursau brillant ave-
nir de son fils, il semblait se rcposcrenlicremcnt sur I'effi-
cacilo de la prediction de son reverend ami pour amener
le rcsultat altendu. tjuoique le talent si remarquable de
I'enfant ne piit manqucr de flatter rorgueil du pere, ses
opinions religieuses soulevaient probablemcnt en lui de
graves inquietudes quant ii la U(jiiimHc de I'art en lui-
mcme, el sans doule il out prefere que le jcune prodigo
arriv.ll a la renommee par lout autre chemin. Benjamin,
loin de partagcr cesidces, regardail la profession de pein-
tre comme la jilus honorable qu'il y ait au monde. II con-
naissait deja la fameuse prophclie; sa croyanre dans cette
grandeur future elait telle, que, se trouvant dans une par-
lie de plaisir, un jour de fete au village, sur le meme chc-
val avec un de ses camarades, assez imprudent pour
avouor que son pere le deslinait a ctre tailleur. West saula
aussitot a has de I'animal, et s'ecria que le laiUcur futur
lie pouvail avoir aucun rapport avec lui, qui etait appelc d
devcnir peintre, I'cgal des rois et des empcreurs. Cos trans-
ports freueliques so calmerent en grandissant, mais I'arliste
conserva loujours la conviction de sa haute deslinee, et
pent-ctre contribua-t-elle en partiea le soutenira Iravcrs
les circonstancos bizarres de sa carriore naissante.
Voici ce qui donnait ii la position de Benjamin un cachet
toulparticulier. Malgreson extreme jeunesse, il fallutf|u'il
poursuivil le chemin qu'il s'etait trace a I'aide scul de son
enlhousiasme el de ses proiires forces. 11 n'a connu ni la
misere, ni meme la pauvrete comme lant d'aulres jcuncs
aspirants a la gloire, qu'elle a souvent conduits de bonne
heure au lombeau ; mais, d'un autre cole, personne nc s'oc-
cupa de son instruction , il out toul a faire par lui-mi'mc.
Ses camarades dont nous avons parle, qui aussi manifcs-
terent du gout pour le dessin, renoncerenl ,i Icur travail
au bout de pen temps; lui seul devint un grand peintre,
bien que ses forces physi(pies ne fussent pas au-des.sus des
lours. Mais il possedait au dedans de Ini-mi'mc ci tie ar-
dour, cette perseverance ii poursuivre I'objct de sesdcsirs,
qui ont proiluit des mervcilles clicz tous ceiix dont les
noms so placent ;i cole du sieii sur la liste des hoinmcs
que nous avons vus s'elever d'cux-mcmcs, perseverance
sans loquelle personne ne peul alleindre ricii de grand cl
soo
LE COURAGE MORAL
d'lionoi'able. On a Jil, avpc verile, ([ue ks (iliis lieurcusos
circonslanccs avaiciil favorisc West pendant liuit le cours
lie sa vie d'ailisle. Mais a quoi ei'it servi cet lieuicnx lia-
sard sans le talent qui sail en tiroi' ]iarti. Voici, la fdnpart
du temps, le secret de ce qn'on appelle bonhcur. II s'agit
dc savoir saisir I'occasion favorable quand cllc se presenle.
West ne manqiia jamais d'aniis pour I'encourager ct I'ai-
der, du moment oil la reputation de son merile s'ctendit
au dela de son village natal , mais avant de se faire con-
nailre et d'exciler aiusi I'interet, n'avait-il pas etc oblige
decultiverses talents avcc un zeleinfatigable, lorsque, elant
cliez son pore, il se Irouvait memc prive des clioscs neces-
saires i son art'.' A quinzc ans,il allira ratlcniion de M. Flo-
wer, liomme dc gout, qui demcurait a Lancaslre, ville peu
cloignec de Springfield. W. Flower, apres avoir vu les pro-
ductions du jeune artiste, qui excitcrent son admiralion,
I'engagea a venir passer quclqucs jours cliezlui. Cetic visile
fut Ires-proDlable a West : la gouvernanlc des enfants dc
M. Flower, Anglaise d'un haul racrite, tres-versee dans I'art
cliez les Grccs ct Ics Remains, dont Benjamin ignorait jus-
qu'a rcxistcuce, se fit un plaisirde lui donner, ii ce sujet,
quelques notions ]irccieuses. 11 fit aussi connaissance, a
Lancaslre, de M. Ross, liomme inlelligent, qui avail une
femme ct des fiUes d'une bcaute remarquable ; on convint
que West ferait leurs portraits. II s'en acquitla si bicn, que
plusicurs aulres personncs de la ville voulurcnt aussi se
■faire pcindre par lui ; son temps fut alors Ires-avanlageu-
sement rempli. On ne salt pas s'il avail dcjd fait des por-
traits avaul le voyage de Lancaslre, niais voici I'origine de
son premier tableau d'bisloire. Parmi les gens de la ville
qu'il voyait, se Irouvait un nonimc William Henry, liomme
grave el instruit, ancien armurier qui avail fait forluue.
Causant un jour avcc West, il lui temoigiiascs regrets de le
voir employer son talent a faire les porlrailsde gens dont
personne ne se souciail, si ce n'est la faniille qui les lui de-
niandait, ajoutanl qu'il ferait un phis noble usage de son
jiinceau s'il representail sur la toile' quclques-uncs des
grandcs scenes historiciucs, el lui iudiquacomme sujet nia-
gnifique la mort de Socrale ; puis il se mil a lire la vie do
ccl homme si cbaleureusemenl ecrite par Plutarque. L'i-
dee sourit ,i West; il .se mil aussilot a Tojuvre, etne tarda
pas a terminer ce grand tableau.
A peu pres a cello meme epO((iie, il renconlra sur son
cliemin Ic docleur Smith, principal du college de Pbiladel-
jiliie, qui enlreprit, au nioyen d'un cours .sommaire, de
I'iuilier aux connaissances dassiques. indispensables au
))cinlre. Quoique le docleur Smith passat pour un homme
aussi crudit qu'elegant, il prefera ne donner ii son eleve
qu'une education tres-supcrlicielle; aussi ce qu'il enseigna
de latin a West se bornail a bien peu de chose. Cependant
ces lecons ont du lui etre utiles, parce qu'elles out servi a
etcndre ses connai.ssances sur les fails de I'liistoire classi-
que et sur la mylhologie. Au milieu de ses eludes, West
tomba nialade, el fut retenalonglenips au lit: circonslance
qui fut cause d'un nouveau developpenienl de son genie.
Un jour, pendant sa convalescence, on crul qu'il relombait
dans un violent acces de lievre, car il prelendait voir dis-
tinclement sur le plafond une procession de fantomessous
des figures d'boninics, de feinmcs, de cocbons, de pou-
les, etc. Rien de tout cela ne paraissait aux yeux des gens
qui lentouraieiil, ct Ions s'imagiiierent que le cerveau de
West, nialgre sa guerison, (itait allaque. Voici le fait.
Aiu-es avoir etc si longlenips enfermc dans une cliambre
obscure, sa vue s'elait elenJue, et, s'accommodanl a la dimi-
nulion de lumiorc, elle avail acquis la facullii de voir co
qui clail invisible pour les aulres : ces figures du plafond
n'etaient done, lout siinplcmenl, que la re|M-oduclion d'ob-
jels passant dans la rue, qui se rellecliissaicat a liavers un
trou place par basard dans le volet do la fenelre. En cffct.
West s'expliqua tout le mystcrc, lorsque, se trouvant scul,
il quilta son lit et visita la cbambre, bien decide a se ren-
dre comple de ce pbcnomcne. Des qu'il en I fait sa decou-
verte, 11 pensa qu'il y avail la uu principe dont on pouvait
faire une application utile. II fabrii|ua IJienlut un appareil
qui representail a volonte, lorsque lo soleil brillail, tens
les objcls, et des portions de paysage ; cnfin il avail inveiil«
la chambre obscure. Cependant quand il porta sa boilo a
son ami Williams, a Pbiladelpbie, il le vil dejd en posses-
sion d'un instrument du memo genre, qu'il venait de rece-
voir de Londres, niais beaucoup plus parfait. Ainsi I'inven-
tion de West n'elaitnouvellc que pour lui.
II revint alors a Springfield. Lo pere jusque-la n'avait
jamais songe que son DIsembrasserail serieusement la pro-
fession de peintre, et quand bien meme il se fut babilue a
cello pensee, il fallait encore lever les scrupulcs do ses
coreligionnaircs. Jamais quaker ne s'elait encore fait ar-
tiste. II y cut conseil de famille; mais on s'apercul que, non-
seulement il serait impossible d'arrachcr le jeune homme
a une carricre qu'il poursuivait avcc taut de passion , mais
que sa mere elle-memc approuvaille cboix. Alors le vicux
West imagina d'en appeler aux lumieres de ses confreres.
II n'avait pas encore oubliii la proplielie, et complait tou-
jourssurles haulesdeslinees do son CIs, sans rien deviner
encore. II assembia done tons les mcmbres de la sociele, el
leur fit I'expose des fails. M. Gall a donne, dans son ou-
vrage, une longue description de la seance. Bornons-nous
a racontcr que tons, a Funanimile, furent d'avisquole
jeune homme fit usage des rares talents dont Ilieu I'avail
done pour la peinlure; puis Benjamin entra : on lui declara
qu'il faisail e.'iceplion a la regie generale, comme si lui out
voulu consacrer la profession qu'il avail adoptee. Cello
manicre elrange produisit sur I'esprit du peintre uno im-
pression ineffacablc.
Peu de temps apres, sa mere, qu'il aimait tcndrenient,
mourul; el lorsque sa douleur fut plus calme, il quilla la
maison palernelle, et alia s'inslaller a Pbiladelpbie, vers la
fin d'aoiit 17oG, oil il s'annonca comme peinire de por-
traits. II IroHva bientot de quoi s'occupcr. Apres avoir Ira-
vaille toute la journee, il passait ses soirees avcc son vicil
ami, lo docleur Smith, qui conliniia a lui donner des lecons
d'histoire classiquc ct de lilterature ; mais il senlait que
son education resterait toiijours incomplete tanl qu'il se
Lorncrait ii I'elude des seules ocuvres d'art que renfer-
mait I'Amerique. Depuis longlemps il ambilionnait de vi-
sitor Rome, et mettait schelliiig sur schelling afin de pouvoir
un jour accomplirco projel. Ilprenaildeux guinees(oOfr.)
pour uno tele, et cinq (125 I'r.) pour un portrait jusqu'ii l;i
ceinturo. II fallait done travailler beaucoup s'il voulaitmeltr«
de ciJle en gagnant si peu ii la fois; mais il eut I'avantage
d'acquerir en memo lemps une legerotc dans la main, une
facilitc d'execHlion qu'il n'aurail jamais oblcnues s'il n'avait
pas etc pousse de la sorto. Des qu'il pouvait disposer d'un
moment, ill'employait aussi a eludier les styles grandioses
dc I'art. On cite, au nombre des produclions de ce genre,
la copic Ires-eslimee du lableau de saint Igiiace d'aprcs
Murillo, qui lomba au pouvoir du gouvcrneur Uamilton,
DANS LA JEUiNESSE.
SOI
par suilc (le la capture d'un vaisscaii cspagnnl. Cepcndant
Wcsl n'allachait pas plus Jc prix a ce tabli'nu (]u'a ini au-
tre, mais la copie frappa le docteur Smith, au point do lui
domier I'cnvie de se faire pcindrc dans la inenie attitude
que le saint. Pendant sa residence a riiiladclphie. West exe-
cuta, pourM. Cook, un tableau ijuirepresentaitle Ji/ffcmenf
de Suzanne, second sujet hislorique donl il parla plus tard
avcc les plus grands eloges : on y voyait quarante figures
toutes dessinees d'apres nature. II se dirigea ensuite vers
Kew-Voik, la bourse assez bien garnie. Sa reputation lui
ayant aniene una foule de modeles, il augmcnta sesprix du
double. La vuc d'un tableau llamand representant un cr-
mile en prieres devantunc lanipe lui inspira I'idee de faire
le pendant : un bomnic lisant is. la Incur d'une bougie. II lui
semblait difficile de rendre cet effet de lumiere sur un ta-
bleau qu'on verrait le jour; mais il y parvint en faisant po-
ser son aubergiste, qu'il placa dans un cabinet noir, un
livre ouvert devant la bougie, pendant qu'il peignait au
grand jour dans une cliambre voisine, d'oii il apercevait
son modele a travers un elroit passage.
Apres une residence de onzc mois a New-York, West
ap]irit qu'un vaisseau partait de riiiladelpbie pour Leghorn,
ou il Iransporlait du ble et de la farine, les rccoltes ayant
etc mauvaises en Italic, cetle annec-la. L'idee lui vint aus-
sitol de realiscr, par la r.enie occasion, son projet de vi-
sile a Rome. Le docteur Smith en eut aussi la pensee, et
rengagea a revenir proniptemcnt a Philadelpliie. Le pein-
tre, au moment ouil recutla lellre, s'occupaita faire le por-
trait do M. Kellg, negociant de New-York, dont le nom
mi'iite d'etre conserve a cause de ses gencrcux prociides:
apres avoir remis a West les dix guinees du portrait, il
lui donna une lettre pour ses agents a Philadelpliie. Arrive
danscettc viUe, I'artiste fut agreablement surpris en ap-
prenant qu'il avait a recevoir, d'apres les ordres de M. Kellg,
la somme de cinquante guinees. Sa bourse se trouvanl
ainsi mieux fournie, il s'embarqua Ic coeur joyeux.
Apres avoir louche Gibraltar et plusieurs autres ports
des coles d'Espagne, West et ses camarades de voyage ar-
riveicnt a Leghorn, d'oiiil parlit prom|itenicntpourse ren-
dre a Home. Muni d'une foule de lettres adressees aux
priiicipaux pcrsonnages de cclte capitale, que lui avaienl
dunnees .MM. Jackson et Rutherford, les correspondants
de sou ami M. Allen, a Philadelpliie, auquel le vaisseau et
sa charge apparlenaient, il entra dans Rome, le 10 juil-
Irt I7G0, acconipagne d'un courrier francais, que ses amis
lie Leghorn lui avaicnt procure, afin de siipplecr a son
ignorance de la langue italienne. Quand le bruit se rcpan-
dil (pi'un jcune Amcricain venait d'arriver, et se disposait
a eludicr les ouvrages des giands maitres, tout le monde
savant parut intrigue. Lord Grantham (alorsM. Robinson),
le rcncontra, le inena dans une soiree oii devaient s'assem-
bler la plupart des personnes auxquelles ses letlres etaicnt
a.lressces. Des qu'il parut, on s'apercut en general qua
lexlerieur, I'etranger n'avait rien d'exlraordinaire; mais
la aussi se trouvail, par liasard, le celebrc cardinal Albani,
vieillard aveugle, qui deinanda naivement, lorsqu'on lui
presenla West, s'il etait noir ou Wane : Son Eminence igno-
rail que les Americains n'claieiit pas tous sauvages. Une
fois eclaire sur ce point, il deviiit trcs-favorable a sa nou-
velle connaissance, surtout lorsqu'ajires avoir explore le
cr.inc du Jeune hommc (clant a ce qu'il parait, meme a
cctle epo(|ue, verse dans la craimlogie), il le trouva adnii-
rablemcnt bien confonne. Le jour suivant, West alia vi-
siter quelques-uns des chefs-d'ccuvre tant vanfes, acconi-
pagne d'environ trente personnages marquanls, cuiietu
de voir I'effet que produiraienl sur le jeune quakcr loutcs
ces magnificences. La premiere expression de sa surprise
sembla confondre ct scandaliser ces connaisseurs ilaliens.
Devant r.-lpo?/oj!, on pretend qu'il s'ecria : « On dirait un
jeune Mohawk ! » L'epreuve ne fut pas favorable a West,
car,malgre son talent nalurel, il lui manquailceque la cul-
ture pent seule donner.
Cependant, peu salisfait d'inspirer uniqucment de I'e-
tonncment, parce qu'il elait le premier de ses compatriotes
ou de sa secte qui fut jamais venu a Rome, il voulut nion-
trer aux Ilaliens ce quit etait capable de produire avec
ce pinceau qu'il avait appris tout seul ii nianier. II pria
M. Robinson de poser : ce qui lui fut accorde sans hesi-
ter, quoique Stengi, celebre peintre, le plus en reputation
alors a Rome , eut deja commence son portrait. (Juand
West eut Dni le sien , M. Robinson le fit porter chez M. do
Crespigne, son ami, sans parler du nom de I'artisle. Le
portrait fit sensation : plusieurs peinlres presents I'attri-
buerent a Mengs, malgre le coloris qu'ils trouvaient pre-
ferable a celui de ses autres productions. Mais M. Dance,
I'ayant examine avec plus de soin, crut pouvoir aflirmer
quel'ceuvren'etaitpas de Mengs. Iltrouvaiten effet lecolo-
ris superieur au sien, mais en revanche le dessin ue pouvait
enlrer en coraparaison. Cette discussion avait lieu devant
West, assis daiisun coin du salon, en proie a la plus vive
anxiete, ct lui etait transmise en anglais par M. Robinson.
Enfin, M. de Crespigne devoila le nom de I'auteur a la
grande surprise de ses convives italicns. Tous feliciterent
chaleureusement le jeune Americain. Mengs, lui-meme,
qui se riiunit peu d'instants apres a la sociele , examina le
portrait, et fit |du mcrite de West un eloge aussi flatteur
que franc et loyal. II se pint ensuite a lui donner de bons
conseils sur ses etudes futures, disant qu'il n'avait que
faire de vcnir a Rome pour apprendre a peindre ; mais
qu'apres avoir examine tousles objetsdignes d'attirer I'at-
tention d'un artiste, il ferait bien de visiter successivc-
ment Florence, Bologne et Venise, de se familiariscr avec
les productions des grands maitres rcnfcnnces dans ces
villes, et de revenir a Rome peindre un tableau d'liisloire,
I'exposer, et decider d'apres I'opinion qu'on en formerait
la ligne qu'il aurait a suivre desormais.
II y avait dej;i plus d'un mois que West habilait Rome ;
mais, comme Salvator, il eprouva pendant son voyage des
emotions si fortes , qu'il tomba dangereuscmcnt nialade.
Les mcdecins exigerent qu'on le transporlal a Leghorn,
d'ou il parlit quelque temps apres pour oiler consuller a
Florence un fanieux medccin de cette ville. II ne se re-
lablit qu'au bout de onze mois do souffrance, et resla
dune faiblesse extreme; cependant \Vest, malgre sa tristo
position, n'en poursuivit pas moins I'elude dc son art. 11
fit construire une table qui lui facililait les moyens do
dessiner au lit, et des que ses forces le permettaieut, on
le voyait manier le pinceau
Mais cctle longiie maladie I'enlrainait non-seulemenl
a de plus fortes depenses, mais I'empecha de rien gagner;
ses fonds s'epuisaicnt. II n'etait pas encore relabli, et sa
caissc ne rcnfermait plus que dix livies : un secours inat-
tendu vint heureusemenl le tirer d'embarras. Un jour, sei
premiers prolecleurs de Pliiladelphie, MM. Allen et le gou-
verneur Hamilton dinaient ensemble, lorsrin'on remil
il M. Allen une letlre de ses conespondanls etablis a Le-
502
I.E SAYOin- VIVnE EN EUROPE.
ghorn. Api'es le compte ronJii dcs affaires, ils ajoutaicnl
quelinies mots siir I'effcl jiroiluit a Rome par le portrait
iiu'avait peinl West, de M. Roliinsoii. Encliante dcs succes
de son comiiatriote , Alien pretcndit que ce jeune homme
faisait honnciir a I'Ameriipie , cl qu'il voulait lui procurer
tons Ics nioyciis nccossaires pour se pcrfcctioiiner dans scs
etudes. « Je lui enverrai, ajoula le s^ercux negociant,
0 lout I'argent dont il peul avoir besoin. » Lc !,'OUVL'riieur,
aninic des memcs sentiments, voulut contribucr a la lionne
OEuvre, et quand West se presciita chcz son banquier, a
Florence, pour reclamer ses deniiercs guinees, trcs-peu
nonibreuses, il lui communiqua I'ordre qu'il avait recu de
lui donner uu credit illimite.
De Florence , West se dirigea vers Bologne, de la a Ve-
nise, s'arrelant dans chaque ville aGn d'y etudier ISs ceu-
vrcs d'art. Puis il revint a Rome, cl d'apres le conseil de
Mengs, il executa deux sujets bisloriques qu'il exposa aux
regards du public, et qui furent bien accuciUis. Ayant rem-
pli le but qu'il s'ctait propose en visitant I'ltalie, il ne son-
gea plus qu'a rctourner en Americiue ; niais au menie
moment il rc^ut unc letlre de son pere qui I'engagoait a
faire un petit voyage en Angleterre. West y consentit
volontiers, et il quilta Rome, se rendit li Parme, oil il fut
recu membre de I'Academie : pared hdnneur lui avait ete
dcjii decerne a celles de Florence et de Bologne. Puis il ar-
riva a Londres, le 20 aoiit nOo. 11 y rencontra , a sa
grande surprise, ses vieux amis d'Amerique Allen, Hamil-
ton el Smith : grace a eux, et aux lettres qu'il avait rap-
porlees d'ltalie, il ue tarda pas a faire la connaissance de
Reynolds et de Wilson, premiers peinlres anglais. Pcu de
temps apres, cedant plus encore a sa propre conviction
sur I'avcnir de son talent, qu'aux avis de ses amis, il pril
un atelier, el commenca a cxercer sa profession. Peu de
jours lui avaient suffi pour decouvrir que les chances de
succes se presentaienl plus belles a Londres qu'ii Philadel-
phie ; I'Amerique fut sacriDee. Alin de se faire connaiire
au public, il reproduisit un des sujets qu'il avait choisi a
Rome, el I'envoya a I'exposilion annuelle du Spring Gar-
dens ( JarJins du Printemps ), I'annee 1764. Ce tableau ful
generalemenl goute. Peu de temps apres, le docleur Drum-
mond, archeveque d'York, I'invila a diner. Encliante de sa
conversation et du genie qu'il reconnaissait dans ses ccu-
vres, il Qt en sorle de le presenter a George III. Les fa-
veurs dont Sa Majesle le combla ne laissereiil plus rien a
desirer a I'artisle. L'enfanl qui avait su cultiver seul ses
talents naturels se rangeail alors au nombre des peinlres
les plus connus de I'epoque ; el quand bien meme la cour
ne I'eut pas protege, il eCil Irouve dans le public un soulien
plus genereux encore ; mais il n'aurait pu arriver aussi rapi-
dement a cetle iudopendance que la faveur du roi lui pro-
cura. Trente ans de sa vie furent spccialement employes
d ciecuter les commandes de Sa Majesle. 11 complela les
liuit tableaux qui traitaient de la vie d'Edouard HI, places
dans la salle Saint-George a Windsor. 11 executa aussi vingt-
liuit des tableaux qui ornaient la chapelle royale (sur Irente-
six qu'on lui avait commandes ) , dont les sujels elaienl
tous tires de I'Ancien et du Nouveau Testament ; niais il
recut tout a coup, lors de la maladie du roi ( en 1809),
I'ordre de suspendre les Iravaux commences : jamais, dc-
puis,son pinceau ne fut mis en requisition. 11 s'occupa aus-
silot apres de son magnilique tableau de Notre-Seigncur
Jesus-Christ guerissant les maladcs ; lc Musce britannique
I'nthela trois miUe guinees. Pas un des tableaux comman-
des par le roi ne lui rapporla aulant. II fit plusieurs aulros
sujels religieux, continuant a etudier et a travailler sans
reliiche jusqu'a la fin de sa longue carriiire. Jamais il ne
perdil I'habitude de se lever de bonne heurc ; ses journees
se passaiont tonics de la meme manicre. 11 consacrait les
licuros qui precedent le dejeuner, ainsi que ses soirees, a
etudier lesujet qu'il sc preparail a execuler. Ilcnqiloyail le
resle du temps a peindre. Grace a cettc prodigieuseacliviie,
West produisit environ qualre cents tableaux a rhui|p,doiil
plusieurs de tres-grandc dimension, etrenfermani unefoule
de personnages. Ala mort de Reynolds, en1T!)l,West
ful nomme president de I'Acadeinic royale in.sliluee en
1768. II remplit ce posle honorable jusqu'a sa mort (moins
une annee), qui arriva le II mars 1820: il avait quatrc-
vingt-dcux ans.
Cependanl West, ayant sacrifie les autres etudes a celle
de la peintiire, resta toule sa vie passablemenl ignorant.
On assure que le president de I'Academie royale n'ecrivai I
pas loujours correclemcnl; bien d'aulres que lui, il est
vrai, se sont trouves dans le meme cas. Claude Lorraiii
pouvait a peine signer son nom. 11 serait facile de ciler
Lien d'aulres exeni|iles du meme genre. Puissent-ils scrvir
a garanlir d'aulres intelligences passionnees des memes
erreurs ; car on ne saurail Irop blamer ces grands arli>tes
q\ii, doues d'uiie si vasle capacite, out neglige de cultiver
ces connaissances lilteraires el philosopbiques si prccieuses
aux beaux-arts, dont dies rehaussent toujours I'cclat en
contribuant a leur perfection.
LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE.
SIMPLES COKSEIIS A CEl'X QUI ENTHENT SA^S LE UOiME
I.A XiIONNE.
Puisque les honimes onl fail leur revolution, il a bien
fallu que les femmes fissent la leur; et si la revolution
virile menace le se.xe faiblc d'effeuiller sa couronne el de
briser son sceptre, pourquoi les femmes a leur tour n'es-
sayeraienl-ellcs pas d'empieter sur le domaine des hom-
mes el de se faire un royaume d'Araazones? Le temps des
Ethelevina, des Malvina et des Rosalba est passe, legeres,
fieres, hardies, cavaliercs, rieuses, moqueuses, avenlu-
reuscs I
L'eloquent George Sand a pousse dans cetle direction
toule I'armee des femmes. On en a vu de ridicules au-
pres d'elle, qui se croit le second homme de genie que son
sexe ail donne a noire sexe; on en a vu d'absurdes el d'in-
sensces qui reclamaient pour le baladlon feminin les
honneurs de la chambre des deputes et les fatigues ste-
riles de la legislature. Ce mouvcment a dure une dizaiuB
d'annecs ; c'esl a peu pros I'ordinaire espace de ces meta-
morphoses singulieres, le temps qu'ont dure les precieuses
sous Louis XIV, les econonustcs sous Louis XV, les.Rencs
sous la regcnce.
II cclut loujours, a de ccrlaines epoques, dcs monslrcs
sociaux d'unc espcce cxlraorJinQirc cl nouvelle, qui re-
LE SAVOIR-VIV
velcnt et annoncent un changcmenl des niocurs, une livo-
lulion dans la vie nationalc. La lionne est de cc genre. La
lionne est nee d'unc alliance pen legitime entre TAnijle-
lerre ninderne et rindustrialismc constilulionnel. Elle
est hautaine, glonense, vanitciise, innportinonte, goiirince
comme la plus oulrue dcs farvcniies; elle fume, cllcdis-
Rt: EN EUROPE. '*>'
lionne. C'esl la fcmmc de rexageration et du faux , la fian-
cOe du mensonge , la femme qui n'est plus fcmme. Grace a
Dicu, elle nc pcut atteindre le but meme oii elle vise ; elle
ne ditruit .jamais qu'a demi les dons de la nature, et n'est
infidele qu'en parlie a sa mission d'epouse, de fille et de
mere. On a vu des lionnes s'altendrir, on en a vu traver-
ser les phases du sentiment et du roman; on en a vu meme
qui fiuissaient par causer naturcUement , et qui consen-
taient un beau jour a marcher sur la terre avec les mor-
tcls. 11 en est qui , dans lalmosphere la plus nebuleuse ,
ont garde quclques senlimenls humains, et que les donees
faihfesses ont transformees. Pauvrcs lionnes! Que Ic salon
lour soit clement et favorable! lui seul peut les racheter
encore, el enlourcr d'indulgence leur triste el inutile me-
tamorphose.
En definitive, c'est liien la chose la plus desagreable el la
plus contraire au savoir-vivre que la lionne !
serle, elle perore, elle meprise, elle dedaigne, comme si elle
avail fait loulcs ses etudes dans les couloirs de la chambre
basso. Elle nionte a cheval comme u.ie aniazone de Fran-
coni ; elle se connait en cigares comme le planteur le plus
cxerce de la Trinidad, en politique comme un redacteurha-
bituol do premiers-Paris; quelquefoiselle pousse jusqu'a la
ihoologie, el il lui est arrive de se perdre dans lanielaphy-
sique allomaude. Le but, pour elle , c'est de ne pas cire
fenimc; elle tente un essai impossible pour passer a I'etat
d'homme ;elle ne reussiraprobablementpas, mais elle aura
I'honneur de lavoir enlrepris. Certaines facultes se sont aug-
menlees et accrues sur elle, au detriment de certaines aulres.
L'espritet le eoeurse sontaffaisscs; en revanche, lesjarrels
sontdevenusd'acier, le front est devenud'airain, I'estomac
est excellent, et le gosier solide. Les perils du duel cl ceux
de I'hippodrome n'ont rien de terrible pour la lionne. Elle
affronte la chambre desdoputes dans lesjourscaniculaires;
elle acccpterait meme I'Acadoraie , pourvu que ce fit un
jour ou I'erudilion doune, ou les plus riidcs sujets soul
trailes, oil la poussiere dcs tondjcs luJiennes est secouee,
ou Ton parle de Ramayana, de Vishna et de Brahma. La
lionne aime avant tout ce qui est etrange. Paradoxe vi-
vant, elle ne se conlenterait de rien do ce qui distingue el
Caracterise le vulgaire des femnies. Au lieu d'une otto-
mane, un cheval fougueux ; au lieu du parfimi des fieurs, le
tabac de caporal; au lieu de la musique telle que Rossini
ou Weber I'ont comprise, les hurlcmentsd'airain do nos
instruments les plus redoutables; au lieu d'une poesie qui
eleve et epure I'ame, une poesie alcoolique qui I'infecle el
ct UQ drame boursouQe qui I'epuise : voild ce qu'aime la
CONVERSATION
DES nOMMES DE LEITHES.
Ce n'est pas assez d'avoir de I'esprit el meme du talent,
il faul savoir vivre avec ses semblablcs, et leur plaire.
Les auteurs, en general, ne passent pas pour briller
dans la conversation. Plusieurs meme, remarquables par la
vivacitc spirituelle de leurs ccrits , ne rout pas moins ete
par leur nuUite dans un salon.
La Fontaine en etait un exeniple frappanl. On raconte
qu'un grand personnage I'ayanl un jour invite a diner dans
I'espoir qu'il cgayerait les convives par ses saiUies nalves,
le poete mangea comme un simple mortel, et ne dit pas un
mot pendant tout le repas; aussitot apres le dessert, il prit
conge pour se n^ndre a I'Academie ; quolqu'un lui ayant
fait observer qu'il arriverait de trop bonne Iieure : « Eh
bien, alors, repondit-il, je prendrai le plus long. » Un autre
jour il dinait avec Boileau , Racine, et d'autres beaux-es-
prits parmi lesquels se trouvaienl plusieurs hommes d'E-
glise; on vint a parlor de saint Auguslin et de ses reuvres.
La Fontaine, sortanttout a coup d'un long silence, demanda
du plus grand sorieux du monde, a son voisin, s'il croyait
que saint Auguslin eiit plus d'esprit que Rabelais. L'abbc,
I'ayanl exauiine des pieds jusqu'a la tete, lui dit pour toule
reponse : « Monsieur, vous avez mis un has a I'envers. » Et
c'elait effectivemcnt vrai. Mais voici la meilleure preuve
qu'il etait incapable de suivre une conversation. Un jour,
dans une reunion liltoraire, il venait d'esprimer son aver-
sion pour les apartii dans une ceuvre dramatique, et les
declarail absurdes, tout d coup il toniba dans une de ses
profondes reveries. Boileau profita de I'occasion, et pour
prouver qu'un aparle est admissible sur la scene, il de-
chira pendant plus d'un quart d'heure le pauvre la Fon-
taine , et mil les rieurs de son cote, sans que celui-ci eiit
la moindre idee de ce qui se passait aulour do lui.
Tout le monde connait ce mot si spirituellcment original
de Mmede la Sabliere : u Jlon pauvre la Fontaine, vous sc-
riez bien bete si vous n'aviez pas tant d'e.spril. »
On sail aussi quo le fanicux Addisson n'avail pas non
plus une conversation tres-interessante; il s'en eicusait en
se comparanl a un capilalisle qui dispose de grosses som-
mcs, et n'a pas de petite moonaie. 11 etait tres-iiabile ob-
LES' l\iILLE £T UNE NUITS DEUr.OrES ET D'AMEKIQUE.
LES MILLE ET CNE NUITS
D'EUROPE ET D'AMERIQUE,
304
servnlfur lie cc qui sciiass.iilniUourdelui,mais exprimant
fori mal, do vivo voix nii moiiis, scs proiirps pcnsa'5.
Doscni'tcs, cc grand gcnic, iie poiivait pasdescoin!i-o iiis-
qu'a la convci'salion. On disait dc lui qii il avail rc(;ii do
la nature licaiicoup d'cspi-it en lingols, mais qnil n'cn
avail pas en monnaie. El c'cst l;i sans doulc qn'Addisson a
pille sa modcsle excuse.
Nous pourrion? ciler dc? anccdoles do ce genre prcsque a
I'infini sur Ics plus grands gonics de Ions les pays; dc la
vicnt I'opinion gencralcnienl adniise que les autcurs el les
philosoplics n'onl pas I'esprit dc la convcrsalinn , ct de la
sans doulc aussi celle maxime dc Monlesquicu , quo moins
on parle, el plus on pense.
II est copcndanl facile de Irouver des cxomplcs tout aussi
romarquahlcs qui prouvent inconlcslaldcnienl quo la laci-
lurnitc n'cst pas la compagne oliligce du gcuie, el que Ton
pcul brillcr lout a la fuis par rinlclligcnce dcs clioscs se-
rieuscs el par uno conversation spiriluclle. Voltaire n'ctait
pas moins cclel)re jiar sa conversation vive et mordante,
que par scs nombrcux ecrils. Qui no sail que Byron , ce
pocle par excellence, etait plciii d'amabilitc dans un salon?
cl s'il en fallait des preuves, le lemoignago de la comlcsse
dc Blessington ne saurait elre revoquc en doute. Walter
Scott ctait un causcur cliarmaul; il racontail avec cspril et
d'une manicre piqunntc une loule d'anecdoles, et, chose
remaniuable, il ne so repctait jamais, on du moins no ra-
contail jamais une cliose deux fois dc la meme maniere. Le
prnfcssciir Wilson etait plein d'eloquence en public et d'a-
mabilitc dans le tele a tele. Lc fameux Johnson parlait en-
core niicux qu'il n'ccrivalt. Boileau et tant de beaux-esprils
de son temps parlaicnt aussi bien qu'ils ccrivaient, et
Texcmple de la Fontaine est une exception d'ou Ton
ne saurait tirer une regie. La conversation de Franldin
(tail plcine de charme; die rcspirait une douce gaiete ou
sc peignait une belle anic, et un esprit enjoue autant que
cultive. Lc grand naturaliste Cuvier fascinait son auditoire
par sa parole puissante commc il rintercssait par sa pro-
fonJe erudition.
En general, les philosophes et les savants habitues a se
livror a Icur meditation sonl taciturncs quand ils se trou-
vent avec dcs personncs donlle ba'bil insigniliant Icur est a
cliargc. Mais quand ils sont reunis en un ccrclc choisi, Icur
conversation s'animc et prcnd un cssor qui entrainc et at-
tache malgrc eux ceux qui les cntcndcnt.
La conversation du pedant est seche, aride et tcclinique;
cellc du vrai savant est clairc sans prctenlion , et son lan-
gago descend a la portce de toutes les intelligences ; il amuse
en inslruisant, 11 a deja cessc do parler qu'on I'ccoule en-
core.
De tout ce qui precede, nous pouvons conclure que la
rcpulation faite aux auteurs d'etre insignifianls dans un sa-
lon est loin d'etre fondee. On pout elre savant sans elre
distrait, comme on pent elre distrait sans ctre savant,
commc aussi les verilables savants nesont pas pedants : le
pedantismcaccompagne le charlatanismeet non la science.
El si Ton rcgardait de bien pros, on vcrrait que dans toutes
les classes de la socicte, il y a plus de pedantisme et de
pretentions que parmi les auteurs dont les veilles ont ele
consacrees a I'instructiou et a ramuscmcnt de Icurs sem-
blablcs.
CUOIX DES IIEILLEDBS COKTES
ESPAGSOLS, ALLEM.ISDS, ASGLA15, AMEIUCAISS, ETC., ETC. (1).
liiirjuicmc Hult.
KICDIH-RICDON,
COSIE pic.vr.D.
(Suilc.
Un grand seigneur d'une cour voisinc, qui etait am-
bassadcur a la cour du roi aupres duquel vivait Rosanie,
s'cmpare de la pauvre jcune Bile. Le prince en est instruit
lc Icndemain, et se met a la poursuito du ravisseur. Ce-
lui-ci avail plus d'une journce d'avance, et quolque dili-
gence que fit le prince, s'elant egare dans les bois, il se
trouva le lendemain engage dans une forel, el reconnul,
a travers les arbrcs, un chateau abandonne, dans les ma- ,
sures duquel il apercut cependant de lalumiorc; il allacha ■
son cheval, et s'approcha du lieu cdaire. (Jncl spcclacle !
une asscmblee de sorciers,un veritable sabbat, auqucl pre- '
sidait un demon hideux, qui racontail a scs compagnons ses
exploits, et se vantait de I'esperance d'avoir, en pen de
jours, a sa possession, la plusaimablcpcrsonne du monde. ■
« Je lui ai, dit-il, donne une baguette magique, qui lui pro-
cure actuellemcntde grands succes; maisje me suis reserve ,
le moyen de la punir dc son bonheur passager ; je nelui
ai dit qu'une seule fois mon nom de Iticdin-Ricdon ; elle
la deja oiiblie, et elle est perdue. Je liens Rosanie; et
vous pouvcz d'avance, mes amis, m'en faire compliment,
d'aulant plus qu'ellc est princcsse ct Bile d'une fee ; mais
elle ignore sa naissance. » Le prince, aussi ctonne qu'in-
lercssc par ce spectacle et par ce rccit, s'cloigne avec
furcur; et dcs que la poi.ite du jour cut paru, il rcmonta
a cheval ct conlinua sa poursuile. Enlin il trouve ct at-
teint ses ravisseurs, les combat, les dissipc, pcrce de son
cpee le cceur de Icur chef; el, quoique blessc, ramcnc en
Iriomphe Rosanie a la cour de sa mere.
Le prince ne put s'cmpcchcr de declarer ii scs illuslres
parents quelle clail la sincerile dc ses.scniiinenis pour
I'aimable pcrsonnc qn'il venait de dclivrcr. L'opinion oii
Ton ctait quece n'etaitqu'unesiniple paysanne lit oppo-er,
de la part du roi ct de la rcinc, la plus vive resistance aii
projetque le prince avail forme dc I'epouscr; mais I'arri-
vee a la cour d'une dame suivie d'nu Iraiii niiigiiiliquc,
que Ton reconnul bienlol pour la rcinc Itiaiilc-lmnge, ipii
etait fee, cl veuve du roi Plan-Joti, leva toulcs les dil'ii-
cultcs.
EUcmenait avec elle un vieillard, que Rosainc rcconnut
pour celui qu'ellc avail loujourscru son pere. 11 cxpliqua
par quelle suite de circonslances il avail eleve cctti' en-
fant comme etant la sienne, puisqu'ellc apparlcnail a la
reine qui venait la ri'clamcr. II indiqua a quelle marque
cerlaine on pouvait la rcconnaitrc : c'clait une rose tres-
bien formee qu'elle devait avoir sur lc bras, au-dc.:sus
(4) Voj. ouracroVUl, p. 255.
PETITS VOYAGES SUn LES RIVIERES DE FRANCE.
30j
(In coiule. On vi'rilin colic iiiarquc ;i laqudle clle dcvait
son nuni, cl il'a|)r6s laijnollc clle I'ut rcconnuc de lout le
iiionJe. L'alliaiiL-e devenait si sorlable |iour le prince,
qu'ellcne souffrait pins aiicune difficuUe.
Cepondant la princcsse pai-aissail encore plongee dans
inie profondc reverie. Le prince la pressa vivenieni de lui
en declarer la cause, ct lira d'elle I'aveu de son liisloirc
r.vec I'liommc verl, et lui apprit en nienic temps qu'elle
;ivait oublie son nom. II sc sonvinl parfailcment de I'aven-
tnre de la masure, et rappcla si Lien a la princcsse le nom
i,u'elle avail onblie, (prcllc I'nl absolunient rassurce. Le
lenilemain, jour de Icnrs noccs, an milieu du Lai qui se
donnait acctle occasion, I'honime verl parailet s'approcLe
lie la princcsse. Elle ralteud sans s'emouvoir, el lirant de
son sac la hagucllcelle la lui rend, en luidisanl : Tciicz,
[iicdin-Ilicduti, vuild voire biiijnetlc.
Le demon, fnrienx, jclle no grand cri, se forme en lour-
Lillons de I'nnu'e noiro, disparail, ct ne fait d'anlrc mal
qnc d'elcinJrc quclques bougies et de casser un carrcau de
vi'.re.
— La naivcle do pay^an |iicard avail mediocreujent phi
a Sa II nilcssc, qui, vers le milieu dn conic, s'elait parfailc-
ment cndormie.et cpii nc munagca la vie meme du pauvre
liiiunne que parce (|u'il avail disparu longlemps avanl que
cc Icn ible mailre se ful evcille.
|>ET1TES MORALES.
Dcny.5, lyran de Syracuse, elail nn prince iuipie cl ne
craignanl pas Ics dicux ; il enleva ii Jupiler un manlcau
d or massif, en disanl qn'il clail bien lourd en ele ct Lien
fniid en hiver, ct lui en mit un de Idine, sous prelexle
qu'il scrait meillenr en lontes les saisons. — II priva Escn-
lape de sa barbe d'or, alleguanl qn'il n'elait pas juste que le
fils eut de la LarLe, tandis qu'A|iollon son pere n'en avail
pas. — Unc autre fois, il Ironva des taLles d'argenl dans
mi temple, nvcc cctle inscription : ^113; Dicux bonsl
« Profilons, dit-il, de leur Louie, n El il s'en enipara.
Un jour, dit Bcrnardin de Sainl-rierrc, elant alio avec
Jcau-Jaciiues Rousseau prnmener an Slonl-Valericn, quand
nous fumes parvenus an bant de la monlagno, nous for-
mames le projet de demander d diner aux crmilcs pour
noire argent. Nous arrivamcs chezeux avantqu'ils se mis-
scnl a table; et, pendant qn'ils elaienl a reglisc, Jean-
JaCi[ues Rousseau me proposa d'y enlrer eld'y faire noire
priere. Les ermiles recilaicul alors les iilanics de la Provi-
deiice. Apres que nous cumes prie Dieu dans iinc pdile
cliapelle, cl que les crmilcs so furcnl acLcmincsii leiir rc-
fccloii'C, Jean-Jacques me dit avec altendrissemenl : « Main-
lenanl j'eprouvc ce que Jesns-Clirist dil dans TEvangile :
« (Jnand plusicurs d'enlre vous seronl as.scniLlcs en mnn
« nom, jc serai an milieu d'eux. » II y a ici 1111 senlimcnl
de paix ctde Lonlicur qui peneiie Tame. » Jelni disaloiv:
n Si I'emjlon vivail, vous soiicz calbolii|uc. n II me repoii-
dil liors de hii cl les larmes aux yeux : u Ali ! si runelon
vivail, jc cbcrclicrais a eirc son laipiais, jiour merile.r un
jour d'etre son valel de tliaiiilirc »
Une pcrsonne d'csprit vent que vous recoutiez, une
pcrsouue aimablc vous eeoulo.
Connailre lout le prix dn temps, dit madame de Gcnlis,
c'csl .savoir vivrc. Un sommcil agile par des songcs ]ieiiiLlcs
ne laissc que de la fatigue et un souvenir dcsagreable. II
en est ainsid'une longue vie qui a ele mal employee.
Notre religion, si belle, si grande, si noble, doit aug
menter les talents, puisqu'elle exalte toutes les verlus.
Inspirc-t-elle le courage , on s'offre sans crainlc ,i la mort,
souvent meme avec joic; on supporte les lourmenls avec
une patience inebranlaLlc. Lesniissionnaires qui clicrchcn'
a allumcr le flambeau de la foi cLez les idiilalres ct les saii-
vagcs en sont tons les jours un admirable cxemplc. L'liu-
nianile, la compassion sonl-clles forliliees par la piele, on
Iraverse les mer;, on s'cxposc a tons les dangers, dans le
scnl cspoir d'etre ulile a scs semblables; on se charge do
Icui's cliaincs s'ils sont esclaves ; s'ils sont maladcs, on sc
di'vouc, dans un bupilnl, aux devoirs les ]iliis penibles el les
phis rebulanls. La grandenr d'lime esl-elle perfcclionneo
par la religion, on jiislilic en secret son ennemi, son per-
seciileur ; on Ic defend, on le serlsans qu'il le saclie ; on le
sccourl dans le inallienr, on Ic previenl, on le console, on
raimc. Enfin, Ic de>iiilercssemcnt csl-il le fruit d'une emi-
nenlc ]iide, on donnc ce qu'on possedc aux pauvres, on
sc deconvic |.our convrir eeux qui out froid; on met en
pratique celte parole de I'Evangile : « Uonnez a manger a
ceux ipii out f.iim, a Loire a ccux qui out soif, un logis a
ccux i|ni sont sans asile, ct vous scrcz Leuis de mon pere,
car la )dus Lcllc dc tonics les verlus est la cliarite. » II est
jiisle qn'iinc verlu si ulilc aux autres le soil encore a nons-
niemes diis cctle vie on le bonlicur ii'est jamais pur et .sans
melange. Sans la piele, que deviendrait I'elre opprime,
llclri, deconrage ]iar une longue suite de revcrs cl de mal-
bciirs? Ils'aLanilonnerail an dcsespoir, car Ics amis s'eloi-
gncnldansla doiihur, et ilreslerail seul, Lsoleetinecomui.
Mais si la religion I'eclaire, il supporte scs maiix avec pa-
tience; si ellc renilamme, il les Leiiil cl Ics offrc a Dieu ;
mais c'csl snrlonl an moment de la mort qu'elle vienlforti-
licr le courage, en monlranl le cii 1 ipii douiio la recom|iens3
pour une vie Lien employee. C'est le mechanl qui nieuil.
I'homnie de Lieu s'eudorl.
On reparc cpielqucfuis le mal qu'on a fail, jamais ccliii
qu'on a dil.
PETITS VOYAGES
SUR LES PRINCIPALES RlVliiRES DE FRANCE.
I.A I.OIHE,
SCS BOliDS ET SES SOUVESIBS.
Voici TAiijou, qui succcde avec sa ferlilile puissanlc et
vivc, gracieii-se el cnergique, aux aspects ravissanls dc la
Toiuaiiic ; Saiimur, .\iigers, le pout de t'.e , Saint-l'lurent,
50G
PETITS VOYAGES
Jiassont sous nos yoiix. Pour((noi cede nolure tout a I'liciirc I Cielasne. Nous avoiis mis lo pied sur cello vicille tevrc ar-
si rianlc Uevicul-cUc ajn-c el iiresinic sauv.igc? Voici la I inoricaiue, (iui a doniie naissaiice a laul a'liomnasccieljies.
Saint-Fiorcm.
Lcs trislos souvenirs de la guerre de la Vendee allrislenl
eiirnre cos liocagcs ; niais que de souveuirsherniquesy sonl
nii'les ! A Saiiil-Florciit , par exemple, ou les armees rcpu-
lilieiiine el royalisle se soul lieurlecs xvcc lant do violence,
cl ou trnl de sang fraucais a coule. On nc larde pas a s'cn-
f'ourcr au caur menic de la Erclaguc, curicux ct admirahh
noyau de I'ancienne France, nolle pepiniere de noire gloire
el de noire virilile nalionales,doiilM. Pilrc-Clievaliera Irace
recemnienlun si excellent tableau. Voici leporlrail caraclc-
risiique de I'un de ces vieiix paysans des coles brclonnes,
au costume hcrcdilaire cl venerable , a la figure fine , sa-
gace ct loyale.
L'cciivain que nous avons cite a merveilleusement ana-
lyse les varieles si curieuscs des populations brelouues, el
nous ne pouvons niieux faire quo de rcproduire ici lcs
pages de eel ccrivain , deja I'lioniieur de noire jeune liltc-
ralure, el auquel sdiiI rescrvees des desliuees si belles .
Lcs paysans de Trcguier soul lcs Alkmands de la basss
SUR LES niVlERES DE FnANCC.
Drol.ignr', pnnime I'.n si Ijieii ilil M. Soiivcslrc : figm-os nvc-
ii.iiilos C't nnivos, cnrnclniTs iiisniicinnls, coours placidcs,
rsprils socioliU'S, que la civili-alion p.'ignc ro|iiJcmi'iil.
Wiinirs Pl coslumcs vonl s'efl'aiMiil Je join- en jour siii' cclle
iiiai-clic has lircloiine , a pciiie defi'iulue |iar la langiie (iiie
clianlpnt les klocr.
Los Moiliihaniiais ont garJii los males rt nidos figures,
Ips iiinniirs siivcros el liclliijueusc^, los lialjils sonibros ct
llollanls des Cliouans linirs aieiix... lis offroiil i|iicl(|ii('S
su|iprLos races d'honinies; mais los remmcs y soul regti-
liorenient laides, il rcxeoption de cellos des cotos, lelles
que les lilies d'Aurny el coUes des iles. II n'y a pas, au con-
Ire de ce pavs, une piorre, une I'onlaine, tin carrofonr, un
nrliro, nn brin d liorbe qui n'ait son esprit surnalurel el
sa logonde plus ou nioins druiilique. L'liabit dn paysan de
Vannes est a pen pros lliabil a la frnnraise. La dimension,
ou rabsciice des basques marque la diversilc des canlons.
Les roulours fonceos dominenl presipie parloul. L'absurde
panlalon delrune de jour en jour la braie gauloise. Mais le
grand cbapeau lienl lion ; les ills des Chouans ainionl ce
sombrero national Les marins ont le costume de lour
clat ; la veste el le cbapeau decuir. Les femmes portent la
taillc trop baute, ce qui nchcvc de les enlaidir, — toujonrs
les Alreennes el les lloises, qui se mcltent fort elegam-
meiit. La plupart oul des jupcs ile dossons ccarlalos. Ires-
pilloresques sous la robe rctroussiic. Leurs pelits nianteaus
Icnr couvreut la tote el los epaules.
La Cnrnoiiailleconiple nutantd'iisages.de typos el do ens-
tumos que de paroissus. 11 faut renoncer a les dotailler. Los
montaguards y sont vifs el parlours, pelits cl infaligables
comme lours chevaux ; les bnmmes des cutes, silencieux el
farnucbes comme I'aspoct de leurs borizons. Le paysan de
Carbaix, mofiant et sanvage, se revoltcrait encore volon-
tiers comme au lenqis du chanoine Moreau. De Quini-
por a la cute, la reserve sournoise des figures contrastc
avec loelat des babils. Dans les donees campagnes de
Ouimporle, le Kernewolc est plus souriant et jdus ex-
pansif. 11 se laisse allcr a la luUe et surloul ;i la dansc.
(Juand le bautbois du celebre Matburin retentit pour
une noce, loules les orciUcs se dressent de joic et lous
les picds sonl piques de la tarcntule. Le jcune gars
lire dc I'armoire sculptee le petit chapeau ;i cbenilles,
I'ample bragow-braz, les vestes cl les guetros brodces, le
pcn-bas a nccuJs, la ceiuture dc cuir ou de laine ; la jenne
fiUe met, dcvaut son polil miroir, la coiffe a barlies role-
vees sur un scrre-totc eclatant, los jupes superposeos avcc
grace, le corsage d'ecarlale ctde velours lace sur la poi-
trine, la fraise ou le ficbu de mnusseline, les has li four-
cbeltes cl les souliors ronds. Voila nos galanis partis pom-
le plaisir, tlDieu sail quand et comment ils roviondront;
el si ramliassadenr d'amour n'ira pas le loudemain doman-
der la penncie: en innriage I Les communes dc Fouesnnn,
de Concarneau, de Ponlaven, etc., renformont les plus
beaux costumes et les plus belles fillcs qu'on puisse voir.
Cost la ([u'on rencontre cclle grace brelonne, si adora-
blomcnl naive, si finement cnergique, qui a trouve scs
poi'les, mais qui attend encore ses peintres.
L'babilant du pays de Leon est gomJralemenl grand et
liiajcslucux. II a la figure allongce, la demarche soleuncllo,
la parole leute, les habits noirs et flottanls sur une cein-
Uire rouge. Son large cbapeau laisse a peine enlrcvoir son
regard calme el severe. I'ersonne en Brclague ne porte les
cbevcux plus longs. Les femmes sont vcUies dc noir el de
blanc, et leur deuil est bleu de del. Nous avons dil cillrurs
que cclui des veuves de la Cornouaille est janne. Los Leo-
nards, comme dit.M. Souveslrc , porlcnt plutollc deuil de
la vie que de la niort. Chez cux, lout est profondemont
chrolion. lis ne cessenl de prior dopuis le borccan jus(|u"a
la tombe, dans lours jnies comme dans lours peincs, dans
lour maisnn comme dans celle de Dieu. II faut que le
prolre hoiiisse pour eux le toil qui s'clevo, la grange et
I'aire nouvos, le champ defriche.. les tresors de la recollo
ct de la moisson.
A partir de Hoscuff, en snivant la cole, on rencontre ccs
populations sauvages dc pillenrs de mer, qui ont renoiice
si diriirilcment aux anbainos du droit de bris. On los re-
connait a leurs jambes nues cl ncrveuses, a leur jnpon de
borlingue, a leurs largos braics, a lour polite cab)Ue blcuc,
ct surtout au regard dc faueon qu'ils jellont encore sur la
mer aux npproobes de la tenipotc. — Les habitants des
iles semecs autour de cos coles mal famees sont colebrcs,
au contraire, par la douceur de leurs habitudes patriar-
calcs. Les femmes de Balz sonl un type admirable de force
ct de grandeur ; elles lahourent et ensomencenl la lerrc
pendant que leurs maris, qui scmblent d'une race iufe-
rienre, fumenl leur pipe ou gucttent le poisson sur lo
rivago. Les Uiens sont, avec los montagnards, les fire-
tons les plus attaches au pays nalal.
Le caractcrc general des Bretons se compose de cinq
vortns ct de Irois vices. On voit que le bien I'emporte
presquc de nioilie. Los vortus sont : I'amour du pays, la
rosignalinu devanl Dieu, la loyaule devant los bommes,
la persovorancc et rhospitalile. L'amour du pays | qui
cnnqirend le cnlle du passe | est dans le sang de tons les
cnfanls de rArmorique. 11 fait perir le consent ou le ma-
tolot de doulour, loin de la lerrc natale, nvant que les
hallos rallcignent ou que les vaguos I'engloulisscnt. II
opanouit les visages ct les cn-nrs bretons, qui se rccon-
naissenl sur lous los points du monde. 11 nous arrncbe
des larmes cl des oris de jnie , comme au sauvage do
I'Indc, des qn'un bruil, un mot, un parfum nous font
songer a la palrie. El le Breton n'aimc pas sculemcnt ainsi
sa province, mais son clocbcr, son toil, son foyer, le lit
ou 11 vent mourir aprcs scs aieux. li cole de ses cnfanls.
La resignation devant Dieu est tonic la religion du paysr.u
de I'Armorique ; nous venons do le prouver par le la-
bleau de sa vie et dp. sa morl. La Inyaule brelonne rst
proverbiale : uiais c'cst ii tort qu'on en fait le synonyuio
de la franobise. Cello (pialite. dansle sens d'cmverlnri' i!e
ca'ur el d'esprit, n'appartienl qn'au Brcloii civilise, qui la
pousse, il est vrai, jusqu'i'i I'audace et la contradiclion la
plus opiniatre. Ouanl au paysan broton, il est droit et loyal,
mais nulbnicnl ouverl. II ne monl pas , mais il ne dil
iii oui ni non. II est aussi difficile de lui fairc dire cc
qu'il ponse qn'inqiossible de lui faire dire ce qu'il nc
pense pas. Son elat normal est la defensive. Voyez ses
champs, ils sont clos d'enormos talus surmontos de plus
cnormos baies. Voyez sa niaison, elle est formeo a double
porte ct a triple sorrnre ; le jour y enire a peine par une
lucarne eiroilo. Voyez son lil clos, si digue de ce nom : ne
pourrait-on pasmome I'appcler un coffre ou une armoire?
Voypz enfin ses veteiuents multiples qui renvolopiicnl,
bomnie ou fomme, des pieds a la tele, comme aulant do
cuirasses impouolrables? Eh bien, sou amc n'cst pas moins
close que ses champs, moins barricadce que sa mai.sou,
moins mystcricuse et sombre que sin lil, moins cuiras-
508
PEllTS VOVAGCS SUP, LES
sec que S.1 ppi'sonnc, vis-a-vis do I'l'Mrniigoi' r|iii no liii
p.Tilo point s.\ Inn^'iicnintornollo. Cello rosorvc Ini [ail.ip-
plii|ucr la pudour jusqiraux sciilimonis Ics pins lionornhlcs.
Psous avons vn imo more rocovnir fi'oidoinonl son liU do-
vanl nous apres dix ans d'al>sonce, puis s'ovanouii' do Icn-
drcssc enlrc sps bras lovsr|u'i'lle so oroyail sans lomoins.
Cost la do la dignilo pcrsfMiiu'llo la plus nd'iim'c ; el lo si'n-
limcnt qni a tonjonrs lonu la nolilossc liroloniic l;j:n dis
inlrisncs el dos favcnrs n'a pas d'aiilrc orijjine. C'osl ilans
Ic nionio orguoil c|nc le Dri'ton pnise cello tenr.oilo iialio-
iialc, — qui a rosislo lanl do siiiclos a Inulcs Ics linniinnlions,
qui a fait snr^'ir Knmiiioo dcvanl los mis francs. Alain
Bai'lic-Torle dovanl les lioiiinios duN"cd,Anno do Crcla-
gno dcvanl Louis XII, le pailomonl dovanl Louis XIV cl
Louis XV, Ics Chonans dcvanl la rcvoUilion, el M. do Clia-
Icauluiand dcvanl Bonaparlc ; — cello lonacilo qui anuc
encore nos paysans conlie los formes do noire civilisalion,
qui fail do nos soldals el dc nos marins d'Armorique dcs
iiivii;ii::s i3E fuakci;.
linuimos i;ifaligaljlcs. Irs dcrnicrs doljonU'onlrc Ic for lC
ronuomi cl coiilre Ics assauls dc la lcinpc:c. L'ln>s|iila'il6
est si nalnrcllc au Dreion , ([u'cvilcr son scuil ct sa
laldo est ui:o insnltc mnrlcllc. Ccllc vcrtu prosidc aux
noccs pnlriarcalcs, aux tr.".vaux ou coninuin, an\ socours
mnlnols onus Ics cprcuves, a mille usages enqUTinls do
la clincilo la plus loncliaule ; mais olio a le grave incon-
venient d'cnU'clonir cii Brotagne colic mulliludo dc mcn-
diants d(nil la paresse vit aux dcpcns du travail d'anlrui.
Lcs vices dcs Brcloussont, clicz beancoup, I'avarice; clicz
prcsjuo Ions, lo mcpris do la fcmnic ; cliez Ions, I'ivro-
gncrie. fdais qui n'cxcuscrail pas ccs vices conimujis a tons
Icnrs parcils, on dcs liommes qui out luut dc vcrtus eliau-
gcros aux aulres paysans ?
C'esl dans ce nohle cl severe pays que la Loire cgaro
les dcrnicrs llols de son cours, noMe el majesiiieuse a
Nantes, aulanl qu'elle etailpittorcsque ct sanv.'go a sod
origiiie.
Names.
On sail de quel c.-mimcrcc llorissant cl de quelle liono-
raldo opulence jouil cello grande villo, si rcnuanpialde a la
fois par I'industrie, rinlclligence ot la Inyanlc. Do la s'o-
lanronl do hardis vaissoanx qui couront inccs'^amnieul lcs
mors.
Si vous oonnaissez quelque !)el esprit qui refuse alisolii-
incnt sa sanclioo el son cui^enlonicnt a tonio elymologie,
conduiscz-lc a Nanlcs , faiies-lui traverser la viilo en to:is
sens, faligucz-lc en lo condui.-ant sur Ics pools si nnm-
lu'cux qn'on y a conslruils. monlrcz-lui lcs dilTereiilos pc-
lites rivieres (pii sillonncnl les quarliers, ct, qnaud il vous
parlera de tous ccs jionts, d(unandcz-lui s'il ne sail pas
quelque analogic enire lo mat iNaulcs cl lo momc mot si-
gnilianl en laugne cellique cau cmirnnte. Cello etymidogie
est trcs-vraiscmlilalde , el d'aulanl plus probable, que la
ville, quoiquc siluoe ,i dix lieues de la mer, csl un port ma-
ritime dc haute importance. Placce sur la Loire, qui Ini
ameue du fond do la France dcs cbargcnicnts complcls do
marcliaudiscs, cl dont remboucbure est asscz large pour
pcrnicltrc aux vaisscaux venus dc la mer dc remonler un
cspacc do dix licucs , ellc Irouvc dans cellc position unc
ficlicsse ct unc force qui dalenlde loin,
Nous pouviins rcnionlerjnsqu'an lemps de Cesar, cl la
Ironvcr dcja pnissanle cl I'une des premieres villes dc la
Gaulc ;i cetle opoque. Le cbrislianismo y a aussi dcs sou-
venirs: Donalicn el Bagalicn, par lour marlyre, fnrcnleii
290 lcs digues apolrcs de la foi. Nous voyons mcme Kaulcs
ca)]ilale d'un royanme que s'est forme Conan Meriadcc ,
aprcs avoir delivre TArmorique; puis, en •ii).> attaqneo
par Ics Huns, qui snnl ballus par le comte ligidins, on,
suivanl unc plus douce Iradition , fort accreditee cliez lcs
Nanlais, frappes d'ctonncmcnl a la vue dc deux proces-
sions celestes, et convertis au cbrislianismo. Plus lard , en
8^3, la ville csl saccagee par les Normands, mais buil ans
apres elle se venge el massacre les pirates revenns a la
cbarge. i\Iais ii Iravers lcs mille cprenves qui formcnl I'bis-
toire de Nantes, el que nous n'analyserons pas toulcs,
cetle ville est devenue unc puissance commcrcialo du pre-
mier ordre. Jnsqu'au moment ou Henri IV y signa, le 28
avril \oQS, I'cdil de Nanlcs , sanvegarde dcs proleslanls,
Ics troubles n'avaicnt jamais enlicrement ccssc; mais a
dater de cellc cpoqnc , elle jouil longtcmps d'un calme
profond, el en prollta poyr agraudir plus que jamais scs
relations et multiplier les produilsde son negoce. Elle cul
SCENES DE VO
asouffrir, il rst vmi , cii I'Oj, cl Irouvn sa pari ilo. do'.i-
Icurs dans I'orasie rcvoluliouiiaiic; mais die a loujours
gr.rJii ses liliTS do gloire, entre aulres celui d'avoir nn
iiiailro, sinon dans ses nuii's, du moins a pen de distance,
le cclebi'e Abeilaid. Et, nialgre les lluns dii cimiiiieme
sicclc, les Niirmands du neiivieme el Ics boui'reaus et
noyevrs du dix-huilienie, i^anles est reslce une belle el
giaiide vidi', ornec d'unc catlicdrale gothiiiue assez re-
ni.iiviualdi', de beaux riuartiers. d'uu cuurs oa promenade
m.i;;Mili.|UC, et de son vieux chateau. Elle a conserve son
car.ictere proprc, c'est-.i-dire, sa force, le genie du com-
merce ; el c'('>t avec un plaisir siiigulier cpie vous Irouve-
roz, qu.ind vous visitcrcz Kantes, unc petite inscri|ition
laliuc faite en Ibonneur du dieu du commerce, Voliaiius :
la esllracee, depuis bien des sicdcs, la dcstiuec lout en-
tiere do la ville.
SCENES, RECITS, AVENTURES,
EXThAITS DES I'l.US IIIJCEMS VOVAUEURS.
YAGF.S RKCEKTS.
300
S.& STRXGA ,
lA PYTUOMSSE DE DOHEME.
La mnrt Je mademoiselle le N'ormaud, arrivee il y a peu
dr ti'uips, avail soulcve bcaiicnup d'ambilious feminines;
tmlos li's carlomanciennes, ou pliitot les slrege , comma
I's appcllcnlles llaliens, avaient mis dehors les pretentions
les plus grandes, el les desirs les plus violeiits, pour obtenir
la survivaurc du logis de I'illustre pytbonisse. On a beau-
coup ri de leurs efforts, el c'cst avec raison ; car tout con-
siste dans le talent de la strega, el non dans I'endroit on
se font ses predictions. Beaucoup de gens nieni la realite
di'scliosesipi'ils ne saveul pasconiprendre; ils n'ont pas tori
jusipi'a un certain point, mais enlin il en est a I'evidence
desipiclles il faut se rendre. Tunl le niondc connait la pre-
diction faite a Catherine de Medicis, celle a Mme de Main-
lenon, celle plus rccenlc a I'impC'ratrice Josephine. Ce soul
des I'aits bistoriiples donl pcrsonne ne pent meltre Tan-
tbenljcile en doute. Je ne Ics citerai done pas ici , el je me
borncrai .i conler deux fails dont j'ai etc temoin.
Ji' fais.iis parlie de rarniee d'llalie , en 1813, an passage
du Po; beaucoup d'ofliciers francais furenl fails prisonniers
par les Autricbicnsct cnvoycs en Uongrie. J'elais du nom-
bre. Ou nous doima pour prison la citadelle d'.\rrath ; nous
y ctions aussi bien qu'ou peutetre en pareiile occurrence,
c'esl-a-ilire, loin de son pays, el privi's de sa liberie. X'ayanl
rien a faire, nos journecs se passaient a boire, fumer et
dnrmir; c'etail pre<i|ue la vie de garnison. Le eommandanl
de la citadelle a (pii nous avions eteconlies etait un brave
eldigne llongrois; ancicu mllitaire achcveux blancs, avanl
beaucoup d'estiuie el d'afleclion pour tons les I'rancais en
general . el pour ses prisonniers en parliculicr. Kous vi-
vions done ensemble dans la nieilleurc intelligence du
monde ; lui, ayant assez de confiance en notre loyaule pour
nnus aecorder , sur parole , la permission de nous promc-
nci'dans la ville et ses environs ;et nous, nieltant uneexac-
liUule miliiairc a uc jamais mampier d"i!nc minute I'lieure
;'i laquellc nous dcvions rentrer. Nous elions Irois cents of-
liciers de tons grades, el nous uous accordions commo dcs
freres; car on oublie son rang dans Ic malheur: netions-
nous pas Ions Francais et prisonniers?
La vie sccoulail done pour nous, sinon agreable, nu
moins trancpiille, et nous attendions avec patience tpril
plijt a Dieu ouii rempereurd'Autrichedenous faiic renlrer
dans notre patrie; mais ni I'un ni I'autre ne scndilaient
s'occuper de nous , car les jours , les mois , meme les an-
nees s'econlaient sans apporter de changement a notre po-
sition. (Juoiipie la citadelle fut grande, il ne s'etait ]ias
Irouvc assez de chambres pour tons , el on nous avail loges
deux par deux. J'elais avec un charm.ml camaraJe do
meme age, et du meme grade t|iie moi. Nous faisions fort
lion menage ! et nous trouvions encore le moyen de nous
diverlir; si ce n'etail dans le present, an moins dans Ic
passe, plus encore dans I'avcnir, que nous arrangions cou-
leur de rose, comme on le fait loujours a vingt-rim] aiis.
.Mon ami avail rapporle de France une tres-belle monlre,
a laquelle il lenait beaucoup, moins a cause de .son prix
reel, que parce quelle etait le dernier cadcau de sa mere
mourante.Ellc ne le quittail jamais: il la porlail, sons so:i
uniforme , allaclice a une Ires-forte chaine, el quaud il se
couchait , il la suspendail au chevet de son lit. Une nnit
dautomnc je fus reveille par nn oiiragan epouvantable. Lo
vent s'engonffrait avec furie dans les immenses corridors
de la citadelle et semblail lebranler jusque dans ses fon-
demenls. A travers ce charivari infernal, il me sembla en-
tendre ouvrir lout doucement la porte de notre clianibre,
ct m.arclier avec precaution*aupres de mon lit. Je me levai
precipitammentsurmon scant, encriant luQui vala! iiMais
je nc vis rien , el je ne distingnai meme plus le bruit que
j'avais crn entendre. Le lendemain matin je fus reveille
par mnn camarade , qui me demandait si je savais ou etait
sa montre. Je lui repondis que sans donte il dormail en-
core, pour ne pas la Irouver, car elle devait etre .i son lit
comme de coutume : u Non, me dit-il, jela cherche en vain
et je croyais que tu m'avais fait la plaisanterie de me la
cacber. » Je me rappelai alors le bruit que j'avais enlendu
pendant la null , je le lui contai, et il eut, ainsi que moi,
la pcnsee que quelqu'nn s'elail inlroduit dans notre cbani-
lire pour nous voler. Nous nous levames promptenienl
pour verifier noscraintes, et nous fumes visiter notre ar-
gent, que nous avions I'etourderie de laisser loujours dans
un tiroir ouverl. Cependant c'etail loute noire fortune.
Mais nous avions ete plus heureux que sages, car il nu
man(piail pas la moindre parcelle a notre tresor. Malgro
toutcs nos perquisitions, il nous fut impossible de retrouvcr
la monlre, qui bien certainement avail ete prise par lino
pcrsonne logee comme nous dans la citadelle, car il f.illail
connaitrc I'liabilnde de mon camarade, qui I'altachait Ions
les soirs a son chevet , jiour etre venu ainsi la prendre a t,i-
lons.Nousallames lontde suite pr»enir lecommandantdc
cequisepassait : il donna nrdrede fi'rmerlesportcsdu fort,
fit faire une perquisition gencmle cliez tons ses liabil;inls ;
mais il en fut de la citadelle comme de notre chamhre, la
mnntre ne s'y Ironva pas. Mon camarade, dcsole, n'ent jilus
alors pour ressource epic de s'adresscr au rabbin des juifs,
ce qui, dans ce pays-l.i, equivaut presque a s'adresscr a la
police dans le noire, lui promeltanl nne somnie assez ini-
porlanle, s'il poiivait lui faire relrouverle bijou vole.
Xons mangions, Ions les officiers ensemble, chez nu
vieux iroupicr liongrois, qui etait notre Valel; il cuisinait
CIO SCENES, RECITS
lissez Lion, iiinis pnrlnit fort mal Ic franrais; malf;re cela ,
nous fiiiissions toiijoiirs par Ic coniprendre. Nous entcn-
daut jiarler tlu vol , il coiispilla .i mon camaradc d'aDor
consuitor iinc vioillo hnlii'mirnne qui rostait a Irois lieups
d'Arratli, au fond d'unc forel , et(|ui, liipn ccrlaincmcnl,
ajoula-l-il, lui fcrait rntrouvor sa raoulre. Nous nous amu-
gamos Ijeaucoup de I'air convainou de ce brave homnie ;
iParl]lcH,medit mon ami.j'ai euvie de suivre sonconseil,
ion parce que j'ai foi en sa sorcierc, mais cela nous ftua
nne jolie promenade. Vcux-lu venir avecmoi?n J'aeceplaj
de grand coeur, el plusieurs ofliciers voulurent se joindre
ii nous. Nous primes dcs chevaux, uu guide, et avec la per-
mission du commandant, nous nous mimes en route. Le
temps etait magnifique ; le paysage qui se deroulait sous
DOS yPAi^ nous semlilait un inonde nouvcaa I Nous croyions
rcspirer fair de la liberie , et nous etions tons gais et
joyenx comme des ecoliers en vacance. Apres deux heures
de niarche.nous arrivames dansune forel presque sauvage.
Noire guide s'arrela enlin devant une cspece de niauvaise
luUle,quiscmblaildcvoirelreliabileeparquelquebetefauve,
nous fnisant coniprendre <|uc nous elions arrives a I'en-
droil de noire deslinalion. Nous descendimesalors decbe-
val, el nous enlnimes. L'iulei-icnr du logis semblail plus
soigne que I'exlerieur. Le jour dcscendait par un Iron pra-
liipic dans le haul du toil, ct laissait voir assez dislinclc-
ment les objels, Le mobilier secnmposait de deux ou trois
lliauvaises cbaises, d'une vieille table, d'nn miserable gra-
bat et de quclques marmilcs. Le soul objel curieux qui
frappa nos regards, fut la Strega elln-mome. On ne pon-
vail pas lui donncr d'age, lantt'lle semlilail vieille et ridee.
Sa figure, jaune comme de la cire, eut paru apparlenir a
nne momie , si deux yeux brillants , d'une expression sar-
duuiipie et rnsoe , n'cussent prouve que eel etre vivail en-
core. Du resle, elle ne parul en aucune facon surprise de
nous voir. EUe se leva en silence, se placa devant sa table,
pril un jeu de carles, el nous fit signe d'approcher. Mon
camaradc se mil en face d'elle , pour lui faire coniprendre
quil desirail la consuller. Elle le regarda fixcnient : « Sa-
vez-vousralleniand? lui demanda-t-elle en assez niauvais
idiome. — Assez, repondilil. pour coniprendre ce que
vous me direz. — Eh bien, repril-elle, ballez les carles et
cou|iez-lcs. » Mon ami siiivit ses prescriptions. Elle les
rcprit alors , les examina avec une profonde attention , et
continua ainsi : « Vous avez lite volci ces jours derniers;
on vous a pris une nionlrc, mais elle vous sera rendue dans
trois jnurs,c'est-a-dirc, vendredi a sepl beurcs du soir, par
un boninie d'luie cinquanle d'annees ayanl une haute posi-
tion njilitaire. » liUenousdit encore une fnuledcchoscs (pii
me soul ccliappeos, et parul tres-conlente de mon camaraile,
qui la paya furl largonent. Nous renlranies a la citadidle,
eucbanles de nolie promenade, mais riant de noire eqiii-
pee, car nous n'attacbions pas la moiiidre importance .i la
pivdiclion de la vieille bobumienne. Lo vendredi suivaiil^
nous elions comme de coutume a fumer aulour de la table
apres noire diner, lorsque le commandant enlra. II vcnail
renJre li mon camarade sa nionlrc, qui avail ele arrelee
par le rabbin, entre les mains d'nn soldat hongrois, veiiu
aiipres de lui pour la lui vendre. Tout de s'lilc nous regar-
dames Thorloge, elle niarquait sept beurcs, et nous fiiines
trappes de la coincidence remarquable entre le fail et la
prediction; car le commandant avail bien I'ageet la dignile
stipules par la Strega. Cela fut, comme on le jiense , un
sujet de conversation intarissable entre nous, lout un
ET AVENTURES
evencment pnur dos gens desa^ivrcs! el nous eumcs. la
fanla.sie de faire priur la boboniienne de venir cUe-nicnie
dans noire citadcllc, dcsirant tons la consuller. Nous lui
cuvoyamcs une depulalion , el elle vint elTeclivemenl. Nous
elions ii dejeuner lorsqu'elle arriva ; elle nous dil a cliaeun
noire horoscope, donl nous fumes plus on moins salisfaits.
Mais cc qui nous fit un plaisir grneral , c'est qu'clle nous
annonca, avaul un niois, noire rappcl en France.
Un jenne sous-lieutenant clait i\uprcs d'elle , ct nnns rc-
gardail d'lin air narquois, se nioquant de notre bonhomie
a consuller ainsi la sorciere , et nons lancail a tons des
quolibels sur noire bonne ou niauvaise avcntnre.'La sirega
parul en prendre dc rhnmcur, et regardant bien fixemcnt
I'officier nioqueur, elle lui dil : o Vous avez tort de rire,
jeune bonime, car vous ne rcntrerez pas dans voire palrie;
vous niourrez avaul pen sur une terreetrangere. >i Ces pa-
roles nousfirenl ii tons une trlste impression , el nous con-
gedbimes la sorciere.
Trois seniaines apres, nous rcciimesl'ordrederenlrercn
f ranee; on nous fil parlir par detachemcnis, et je faisais
parlie du nienie quo le jcune oflicier raillcur. Pendant
loulela route, nousevilames de parlor de la prediction de
la Strega, malgro que nous en fussions tons prooccupr's ;
mais a la derniere etape, lorsque nous voyions deja lies-
distinclcmonl les clochers de Slrasbniirg, noire jeune ca-
maradc n'y lint plus. « La vieille folic en aura menli! »
s'ecria-t-il en riant; el nous parlageames sa gaiele et son
avis.
Comme la route nous semblail d'une longueur morlclle
au moninnt si di'sire d'arrivor cnfin dans noire pays, nous
voulumes cliercher A la diminucr en meltanl nos cbevaux
au galop ponr alloindre plus proniptemenl la fronliere; le
cbcniiii etait niauvais , le cbeval du jeune sous-lieulcnant
s'abattil el enlraina son cavalier dans sa chute. Nous nous
arrelames ; (( Eles-vous Idesse? lui dcnianda-l-on avec
emprossemont. — Porlez-nioi vile en Fi'anco, » nous
dit-il d'une voix mourante, el il s'evanouit. II nous ful im-
possible de nous conformer a son dcsir, car il avail etu
Irop grievement blcssc en lonibant sur le pommeaii dc
son sabre qui lui clait cnlre dans le cute. Nous le depo-
sanies dans une maison, sur le bord du chcmin ; et nialgre
de prompts sccours , il ne roprit pas sa connaissance , ct
expira quclques beurcs apres.
SCENES, RECITS ET AVENTURES
DELAVIEMMTIllE;
IE COKTEUR BD CAILI.ARD B'AVANT.
0:i se fait dans le minde une idee fau^sc dc rexislcnco
des niarius, en general, ct, en particulier, du malelul, que
Ton prend pour un etre bizarre, ponr un bomnie insou-
ciant et abruti, Inujours macbant ou fiimanldii labac, blas-
pheinant. s'enivrant dans le beau temps, pleuranl el priant
dans la tempete. Lemarinn'csl point un etre exccplionnel;
sous une eiivcloppe qiielquel'ois grossicre, il cache iin cocur
gnicroux, une anic bronzec par les dangers, faile aux pri-
vations et capable du plus rand dcvoncmcjil. Son iulix-
DE LA VIE
piditc, son cnlmc en presence dc la morl qui Ic menace
toiijouis ail sein meme dcs mers Ics jjliis ralmes ct par le
lenifis le jiliis! serein, nc sonl point le rcsullat d'une Inson-
ciancc endormie ou d'un abrntissement bestial. Le spcc-
laclo des mervcilles de la creation est lien plus grand pour
le inarin balance sur un frele navire au milieu dc rimmen-
site des mers, que pour nous, renfermes dans Ics rnes
clroiles d'une ville ou niemc dans une canipagne de qutl-
ques liciics. La vue du niariu ii'a point d'autres liniites que
Ics prolbndcurs du ciel et la li-ne sans lin de I'liorizon.
LJ, lesprits'agraiidit, I'lime s'cleve, et, nous necraiguons
pas dc le dire, nullc part on ne Irouve dcs ctturs plus
sinccremcnt religicux, i.his resigncs et plus confianls dans
la Providence que cbcz ccs bommcs, sinqilcs d'apparcnce
el riclies de loud. Pour voiis cncouvaiucre, visitcz la cabane
du pcclieur el Ics cliapcUcs ou les egliscs de uos cotes.
MAniTIME. 5H
lis sent toujours animcs dc cclle pielc inlcricHrc qui neles
rend paslij-pocrilcs, mais qu'ils gardcnl en enx-mcmes, ct
qui Iciir doune de rcuergic, dcla conflance a ccs momenls
su|ucmes oii. pcndani la null, sous un ciel noir, au sein
dc lOccan, ils soul reveilles par la secousse epouvaulable
du rncbcrcpii biiscle navire, et souvent, en meme temps,
par la funiee de I'inccndie : bcure falalc, oil ils vout a Dicu
tons euseinblecomme les matdols du Vengeur.
Lcs vcilles dcs malclols soul egayees dans le beau temps
par dcs rccils do voyages, d'avenlures, de conibals on de
naufrages. rendant (|ue Ic navire ee balance, roule et
niarcbe, au pied du mat de misainc, sur le gaillard d'avant,
vient souvent s'elablir un conleur qui ne manque jamais
d'auditoirc.
Un soir, eulre antres, nous clions sous Tequateur; nous
ciiiglioiis avec une belle brise, loules voiles et boniietles
dehors. JIais dans ces mers, au ealme plat succcde sou-
vent un grain ; et il vient avec une telle rapidile, que I'cell
de rofficier ne doit pas cesser d'interrngcr lous les points
de riiorizon ; le salut de tons en depend.
Lcs liommes de quart elaienl rassembles sur le gaillard
d'avant. a Voili une belle brise, malclot, dil Cartabut,
jeune gabier de beaupre, a I'un des anciensdu quart. —
Oui, repondit ccluici, la mer est belle, le veul frais, grand
largue, et nous filous onze nfcuds et demi par la grace
du bouDieu, c'esl egal, ouvre I'ccil, et vciUe au grain tout
de meme. — II ne fandrait pas faire comme les Ilollan-
dais qui metlenl le mousse a la barrc, le cliien en vigie, et
vont dorinir. — Vous n'aimcz pas les llollanJais, pcre La-
brague. — Je ne leiir veux pas de mal ; mais s'ils mc ral-
trapenli'i Icur bord, il lera cliaud. II y a louglcmps que je
serais mange par des requins, si le bon Dicu n'avail pas fait
meilleur quart que les llollandais. IVelail juslcmenl pas
loin d'ici ; nous avoiis donne en plciu sur une vigie ( I ).
(() L'nc vigie est un roclicrJsolO qui sc liouvc il llcur d'cau, ou qui
Sainle Vicrgc ! quel abordage. » A ces mots, tout le mondo
se rapprocha. « Conlez-nous ca, pere Labrague. « Celui-ci
ne se Ot pas prier, il tounia sa chique deux ou Irois fois
dans sa bouclie, et commenca en ces termes :
« Apres un sejour que j'avais fait a I'hopital de Saint-
Tlionias, je m'cmbarqiiai a bord d'un llollandais pour revc-
iiir en France. Je n'ai jamais pu prononcer le nom du na-
vire ni du capilaino : c'clail van Der... iMa loi, le rcsle est
trop dura baler. Kousclious juslemcnt dans ccs paragcs-
ci. Le I" mai I'annee dernierc, il veulait une brise cara-
binee, nous clions a sec de voiles, la barresousle vent, et le
eapilaine fumail Irauqnillemeiit sa pipe en liuvant son grog
danssa cbambrc. I'crsoime n'ouvrail I'ceil ;j'clais dans nion
bainac, car j'avais encore la lievre. Tout d'un coup j'e-
piouve une secousse comme si noustalonnions. Je saute sur
forme uu tic.^-pciit iloi i peine. visiiile au milieu ties mers. Le gisemeni
lie iHiiles les vi^ies eoiiiiurs c^l imlique sur les diles a^ec sa lartuile el
s;i Iniigiiuiie. — On uiipelle aussi vigie I'lion.iuc ['Ucu sur Tavaat du
navire ouii ia tOie tlu m3l, [iOjr vciller I'uorijon.
513
SCENES,
le pont : nous olioiis siir uii rnclipr, l,i iiKiUirc a has, Ic
navire cci'nsc coninie mic comiillc (Vcciil'.
nECITS ET AVENTURES DE LA VIE BIARITIMK.
« Uiic voiln I'liiit cii viic ;i I'liorizon, sons Icvcnl. Lo ca-
pitaiiic saulc dans la clialoiiiie avcc (iuelf|ucs horamcs, ct
pnnsse au largo en nonslaisBaat la onze, y compris les pas-
saifiTs ct Ics fenimcs, sur un rochcr, sans aucun so-
conrs.
« II nons avail bicii pi'omis do venir ndus rcpi'cndro
dcs ipi'il aurait joinl lo navire, mais Dieii I'a piini : il a
)icri dans la nuil avec la clialnupe. Nousvoila done aban-
doniics sur lui rochcran milieu del'Ocoan. Nous avions ra-
massii un haril de bieuf, nn de lard sale, mais pas nnc
goiillc d'eau ct pas un jjiscuit. Nous n'avions prcs;pio ricn
sauvedrs dolirisdu navire; pas d'ahri, uiie clialcur a cuirc
un Lceuf et pas nne i-nuUc d'eau! Apres Iniil jours de lor-
lurcs, la soil devint si terrible, que nos levres (ilaicut cn-
llecs, nous avions des vcrliges ; ca fendait le Cffiur de voir
les pauvrcsfcmmes et lenrs enfants, ct lespassagcrs denn-
morts, iw pouvant pas Ijouger.
(c Enfinleciel, danssa bonle divine, nousenvoya uncplu'e
abondanlc; nmis ramassanies de I'eau dans nne voile, ct
nous rcinplimes un baril, ca nous rendit la vip. — Oiiel
boiibcur ! dit Cartahut. Et Ics pauvres femmcs? — Ub !
quant a ca, nous en eumes soin. Les pauvres umcs ! On ciait
ralionne d'eau ; mais Ics nialades, c'elail sacre, on les scr-
vait les premiers. Nous attrapions quelques crabcs et du
poisson dans les crcux de notre roclier, qui pouvait avoir
un demi-quart de licue de tour; nous les faisions cuire
avec dcs debris du navire.
0 Sans les malbcureuscs femmcs, notre situation descs-
pcree aurait cle plussupporlable ; nn niatelot, c'cslfail pour
souffrir; la Providence vcille sur lui, cllc lui donne dcs
forces ct du courage. Wais les pauvres fcmmes, c'cst si
faiblc :
« Lo IS juin.Ie bonDicu exauca nnspricrcs. Nous apcr-
riinics .i I'liorizon un joli trols-m.lts, le cap droit sur nous.
(Juclle joic ! ces pauvres femmcs faillircnt en monrir ; ( iiliii
nous bissames un pavilion do dctressc, fait avcc nnc cbe-
mise an bout d'un aviron. Le navire approcliail touj(]Mrs.
Quand il fut a porlcc de canon, il vint an vent, mil en
panne; lamer clanl bdlc, il mil nne enibarealion a la incr,
ct une demi-beurc apres, nous elions a bord du naviiv'.
C'elait un Irois-mals de Bordeaux ; lo capitainc elail lui
Brctou, nomrac Keriucc. 11 iious lit donncr du vin et dcs
provisions dc sa tabic. Falb.it voir comme nous lombions
la-dessus. Le bon cnpilaino a'.ail Fair aussi Iriircu.x (pio
nous.
(1 — Mais c'cst pas c,a, que dil le ni.ajor. Eapilainc, assc.
causi', laissez-moi soigncr nics maladcs ; fani pas Ics eloaf-
fcr a force de baire el de manger. »
— El le vaisseau ccbone'? dit un mousse qui s'inlciC5sait
vivcmcnt ;'i cetle liisluirc.
II — All! nioncadel, il s'esl cnfoncc ni plus ni moi.is
qu'une balcine en soulcvanl lean jusqu'an cicl. Voil.i.
« Vilcsvous jamais un navire faireainsi le saulde carpo
cl lancer vers le ciel une conpole d'ecnme el d'eau salOc'.'
C'cst, je vous assure, nn beau spcclade ; niais il ne faut
pas s'aviser d'etre sur nnc barque cl dc sc Irouver dans
ses eaux.
(1 Je disaisdonc que nous snmmcs rcslcs Irois mnisa liorJI
de ta I'ctilc-Annetlc, cl quand nous sonimes rcnires ca ■
Fiance, nous avons ete rcmercier le bon Dicn et la bo:;iio
Vicrge. J'aidil adieu aueapilaineKcrlucc en liiiserraiitbicn
la main, j'ai cmbarque sur un cabolcur pour Nantes, de li
CIIRONIQUES ET LEGENDES. 5(5
j'ai pris mn fciiille do route pour Brrst, et me voici, mcs 1 vcille toiijoui's surnoiis; maLscllc nous (lit : Ouvrc I'ccil, ct
chcrs matdols, par la grace du LonDicu. Car la Providence I bon cjuart. it
-■^BS^i,,
CIIRONIQUES ET LEGENDES
DU MOYEN AGE.
COPEBNIC (1).
(SUITE.)
Raniene dans la somplueiise prison oii il avail passe la
nuit, Copernic cut tout le temps de repasser les diverscs
circonslances qui s'ctaient presentees dans la joiirnee. La
nuit le surprit dans une melancolii|uc occupation. En de-
hors de sa fenetre se proji'tail nn Lalcon donnant sur une
rue ccarlee; il ne put resister a la tcntation dejeter encore
un coup d'ceil sur ce ciel dont il avail tanl de t'ois trace la
carle : il revolt ses etoiles favorites, et, qnoiiiue prive de
ses inslrumcnts, il contemplail, de memoire peut-etre, les
corps celestesau.'ifpielsil appartenail, taut ses rapports avec
cu.x avaienl ete frequents. Tout a coup il enlcndit lousscr
avec affectation sous sa croisee ; pensant que ce pouvait
elre le signal d'un ami, il prit sa lampe el se pencha en de-
liors du balcon. (luelle fut sa surprise en aperccvant une
figure humaine lellemenl cinitraclee, qu'on eut dit une teto
de mort, dont les yeux, semblables a deu.x cliarbons allu-
mcs, etaient Uses sur les siens. Une voix caverneuso
qui scmblail sorlir de la poitrine du fantume elait bicn
faitepour effraycr.
<) Ycy. iiumoro V, page ( jl.
Le mailre so recula precipilammcnf, comme s'il eut mar-
clie sur un serpent, et referma sa fenetre. Les trails liidcux
de cette apparition ne lui semblaient pas inconnus, et,
pourtant il se torturait en vain la memoire pour savoir ou
ill'avaitdejavue. L'e.spritfrappe, il demeuraquclque temps
assis dans un fnutcuil^ se croyant poursuivi par dcs intel-
ligences de I'autre monde. Enfin, lorsque le courage lui
fut rcvenu, il s'ecria en se frappanl le front ;
« .le n'aurais jamais di'i venir ici : cello terre n'esl-cllo
pas dcsscchee par un sirocco pcdantesqiie venu des deserts
de la fausse science, qui soullle la mort sur le veritable
savoir et sur les dcconvertes humaines. »
Le capitaine de la garde entra, suivi ilu jeune hommequi
avail assistc a I'interrogatoire; celui-ci (it sigue a roflicier
de se retirer, et, aussilot que la porle fut fermee, il cou-
rut se Jeter dans les bras du vieillard.
« Bartola, s'ecria ce dernier, qui ramenc si tard pros
de moi?
— Snnge a toi, repondit le jeune bomnie, il faut que
tu fuies, que tu quittes Bologne avanl que Irois jours soienl
ecoules,
— Vous plaisanlez : n'avez-vous pas vu vous-niemo
de quelle maniere burlestpie s'est denouee la grande accu-
sation dont j'etais robjet?
— N'cn crois rieu ! s'ecria Barlola , et une vive rou-
geur colora ses joues. La sagesse et I'admirable ruse dii
vicux Joseph t'out sauve aujourd'bui ; il s'est monire ton
lion ange en eloignant de les levres I'aveu fatal qui t'aurait
perdu. Mais crois-lu que les "unemis s'y Inisscnl trompcr
comme eel imbecile '.' Sougc au tout- puissant conlident
40
51^ CIlllOKIQUES ET LliOENDES,
du due, dont In ns diniimn! le credit niiprOs de son
illusli-e iionilont; soii£;e ii cc in-osidont d'ac.uloiiiio dnnt Ui
as duvoilu rorgiipilk'uso ignoriince, d;ins la dis|iulo r|Mo,
voiis eulcs eiisemhle ; s(iiis;c surlont a loji ailniiialjle
decouverte ullc-meinc, ft an siocle dans lei|ncl nous
vivons.
— Quoi ! Carlol.i, rppai-lit Copcrnic, vous nussi. vous nic
prenez pour un enlhousiaslc?
— Ilomnicdcgrnie, rqilirinalcjounolionime avoc inspi-
ration, mortcl mcrvpilleiix ot incompi-i'liuiisililp, (pii, non-
vcau Titan, as escalade le cicl; toi (|ui rs appelii i devenir
1 iustructeur dcs sieclcs a venir, soulTrc (pio jc sois ton
conseillcr en iniMnc temps que Ion ndniir.iteur. D'incroya-
Lles evencmenls surgissent ii nos yonx ; ce ipic la sagesse
nvait regarde conime nn conle frivole, indigne d'oecnper
un esprit eclairc , dcvient une verile inconleslable qui
renverso ct diHruit une croyance dc plusienrs milliors de
siecles... Et cetic reuvro est ton (cnvre, a toi, liomme forme
de la meme argilc que les autres liommcs, grain dc sable
du lord de la mer ! Et In permets. 6 mon Dicn, que jo serro
la main do eel Iiomnie ilont le hardi genie a touclio du doigl
I'edifice celeste, en disanl a une jdajicle ; Marclie ! et ;l
I'aulre : Arrcle-toi...
— Vous vous dlianilonncz trop .i voire enllionsiasme, in-
Icrrompit rastrononie, ce que j'ai etc asscz lieureux pour
decouvrir, un autre Teiit fait a une auire cpoquc, je n'ai
que le nierilc d'etre no plus lot. Vous-meme pcul-ctre, dont
je fiis plus d'une fois a memo de juger les admirablcs dis-
positions...
— Silence 1 silence 1 inlcrronqiit a son tour Bartola, en
I'Cgnrdnutd'un air inquitl autour do liii.
— I'oiirqnoi me tairc? demanda le maltre. Nesais-je pas
lout ce que vous avicz deja decouvcrt dans le cicl, les pas
dogi'anl...»
Le jeunc bomme se jcia a ses picds.
CI .\u nom des plaies de Notrc-Seigucur, s"ecria-t-il avcC
une vivc enioiion, ne me faites pas perdro la raison ! Je
ne sais rien de loutcs ces rcclicrcbes snvanles, je ne vous
ai jamais cntcndn en pnrlcr: souvcncz-vons-en bien ! »
Copernic se leva, irritii de cello dissimulalion ; niais Bai--
tola s'allacba a sa rol)e, ses joues claicnt couvcrlcs dc la
paleur dc la niorl, ses levres treniblaicnt...
« Plutot que de me faire passer pour ton associe dans
;cllc decouverlc, cnfonce-moi ce poignard dans le sciu I »
s'i'cria le jrune bomme.
I.e niailre le regarda avec tonics les marques de !a plus
^ranJe surprise.
(1 Amic celeste, conlinua le jcune bomme. In le joucs
avec les rayons du solcil comme avec des ileursde diverses
nuances, et Ui oublies qn'ils avenglcnl les ycux grossiers
dcs autres bommes.
— Jcime bonnne, dit I'aslronome, je ne comprcnds ni
voire ent'iousiasme extraordinaire, ni vos cralntes exage-
rces !
— Malheureux! rcpliqua Barlola. Vos yens, loujours di-
ligos vers le cicl, onl-ils done ccssc de resardcr les cboses
dc celtc tcrre? Voire doctrine est paradoxale et diingc-
rense : vous dulruiscz d'un mot la croyance de tons les
siee'cs. Ce que les ciTipereurs, les bommes Cclebrcs dc
loutcs les nations out Iransmis avec respect dc genrralion
en generation, vous le jelcz au vent comme la pcllicuic qui
s'envole quand on vannelo grain. Avcz-vous bien sorge a
cela?
— Vous ctes nn bomme passionnc, malade, dit avec don
ccur Copcrnic, en ehcrcbaul li di'gagersa main de I'elrclnlc
convulsive du jeuue hnmme ; vous cles en conlradiclion
avec vous-mume. Que dois-jc croire? vos eloges ou vos
reprnrbes?
— Les uns ct les autres, rcpoudit Bartola; ils ont
decliirc tour ii tour cetle poilrine. Abl je vous ai loujours
cacbe les penibles combats que i'avais cu a snulcnir quand
je travaillais avee vous. Combien de fois, dans ma cbam-
bre solitaire, je me suis apercu, a cbaque progrcs que jo
faisais, que je m'cgarais. Comliien de fois je me suis pniii
des decouverles que j'avais faites. 0 mailrc, (pi'clle est
conpalde ct irresistible , cetle fatale curiosile qui nous
porte sans ccsse a vouloir son'.cvcr Ic voile que Dieu a
tendu devnnt nos ycux.
— Assez, Bartola, assez! dit I'aslronome avec emotion.
Si vous parlcz ainsi, jc dois commencer a croire que ma
vie est en danger, et le soin de ma conservation se reveille
en moi.
— Ainsi, tu consens a fuir! s'ecria avec feu le jeunc
bomme. Tu consens ii t'abandonncr i'l moi ?
— Laissez-moi mainlcnani, rcpondil Ic vieillard; pour la
premiere fois, depuis bien des amices, vous cles parvenu ii
me fiiire sorlir dc mon calme ordinaire, et Ic parli que je
me deciderai ii prentti'e doilctre cboisi mi'ircment. Demain
vous aurez ma reponse.i>
Bartola s'eloigna, el Ic niailre resia senl. Au bout
d'unc benre de rccuciUemenl, il elail decide .i nc point
quiller sa dcmeurc, et ii ne pas nuire, par sa fuitc, ii la
boulii de sa cau.se.
Dans la null du second jour de sa caplivilc, I'aslronome,
reveille par nn vaearnie cffroviible qui se faisait dans la
rue, s'emprcs.sa dc courir ii son balcon pour voir ce qui le
causait. lies masses de people enlumiille se beurlaicul sous
sa fenctre, separi!'es ,i cbaque inslaul par des peloloiis de
soUlals, el se reformant quelqmsiias plus loiu; niie proces-
sion, qui sortail d'unc cglisc voisiue, se dispersa confu.siJ-
menl li Taspect du de,sordi'e qui n^gnaitdans le quarlier. A
Iravi'rsle bruit el le tumulte, Copcrnic pouvaitopprciidrc,
i I'aide deque'qnesmots qu'il saisit, qu'un evcncmenl sur-
vcuu au palais elail la cause do ce mouvemenl. Comme il
regardail dans la rue, il ponssa involonlairement un cri
d'effroi en aperccvani, au milieu dc colic mnllilnde, son
vienx servilenr Jo.-cpb Barlel el deux autres vielimes ipi'on
poussait rudemcnl vers une autre rue (|u'il ne pouvail voir
de sa fenctre. II ne put s'enipecber de pousser un cri el
d'appoler le pauvre vieillard ; mais cetle inlervenlion do
sa part n'eul d'autre resultat ipie d'allu'Cr vers sa foLieIre
rallcntion du pcuple, qui se mil aussilul ii burler des me-
naces coulrc lui, ct il ramasser des pierres pour les Ini Je-
ter. Dans ce momcnl , nn (lassant cnvelojqie d'un capu-
ebon lui cria : « Quitle la fenelre!... » et. en nieine temps,
liinca dans rapparlemenl une lourdc niassuc. Dcs que Co-
pernic cut remarque que eolle espeee de pierre elail rc-
couvcrlc d'un papier, il se b:ila de le dcvelopper, el il lut
les niols suivanis traces par sou ami Baltisia :
« Ta deslince se cnnipliqne Icrriblement. Une tenlation
« de nicurlre conire Ic due a rcussi cetle unit, et les eu-
« ncmis soni parvenus ii t'cn fiiire accuser, ainsi que deux
i( autres savants qui babilent Bulogne. L'inquisilion etcud
(c sa main sur loi, connue elle I'a drji'i etcndue sur Jose] Il
(1 Barlel; une promiitc fuile peul sculc le sauver de la
« double colere du peuplc ct dc la Santa-Casa. Nous som-
PETITES VISITES DANS QUELQUES VILLES DE l.A SUISSE.
« mcs prols; le mnrceau d'or qui envclo]ipe ce papier (e
« scrviia a gagiicrlc capilainc do la garJo, qui a un amour
0 iusalialile pourcc uiolal. Persuail('; que lu as le secret de
(I Iraiismulcr les nii'laux, il iic doulcra pas que sa furluue
« uc soil faile.
La suile au piocliain nuiucro.
PETITES VISITES
DANS QlELQltS VILLES DE LA SUISSE MODERXE.
Apri's les evenemciils siiiguliers qui, plus que jamais,
niil allire vers ce pays rallenliou dc I'Europe et les pas dis
v<iyai;eurs, nos lectcurs ue seronl pas laches de liiire avec
;ious uuc pelite excursion eu Suisse, et de visiler le ihi-alre
de ce drame. Aussl Lien lie I'aut-il pas ci'oirc que l.av.scvne
< 31b
soil une ville sombre, coucliec au fond de quclquc ravin
eiilre de giauds arbrcs noirs ct trisU'S, el liabilee par des
liommes fori peu civilises. Bieu loin de la, c'esl une clinr-
uinnle ville qui rcnrerme quinze mille liabilanis, et qui
orire aux etrangers venus dii lac dc Geneve, silue ii quclqiLO
(lislance, deux bonnes auberges, cede du Lion d'or el cello
du Fauron, iioms infiniment plus sauvages que le pays;
et pourlant quelque commodes qu'ellcs soicnt, on s'cm-
presse de soilir de ces auberges pour visiler les curiositea
de rendroit, car on aura beaucoup a faire. En effet, on
rencontre parloul des souvenirs, on loulau moinsdescon-
slruclions, des elablis^cments nouveaux lout a fail dignes
de I'atlcntion des touristes. Ces derniers nn'me s'y arretent
souvcnt pour la vie; el, en effet, les Anglais, grands ama-
teurs du voyage en Suisse, out une nffectioii particniiere
pnur Lausanne. Beaucoup d'enlre etix se sont fixes dans le
cliel-licu du canton de Vaud, et depuis asset longlemps
pdi'.r que deja le tomlieau de quclqiics-uns ioit devcnu une
curiosite du pays, comme, par cxem]dc, celui de I'Anglaisc
Canning, travail execute par le ceiebre scnlpteur Canova.
La ville, du resle, renferme par clle-nieme asscz de clioses
d visiter : I'liolcl de ville, oil nombre d'anliquiles soul ex-
posi'cs a la curiosite des faiseurs de collections,- I'arsenal ,
I'ccole militaire, le casino; I'academie. qui pent recruler
ses mombres dans pliisienrs socicles litleraires et artis-
tiques du pays; la bibliotbcque, riclie d'une collection dc
0,378 medailles; le musiie du canton, ct, ce qui n'esl
point le nioins celtibre, beaucoup de pensionnals dislingues.
On ne pent guere chcrchcr do pri5cipices ct de I'lrrenls
a Lausanne; niais on y Irouvera des coteaux charges de
vignes, ct tons les produits d"une vegetation active el
riante, qui fail la richesse du pays plulol que les Iroiqieaux
el les proJuits des chalets, ressource speciale des regions
moutagneuses. La nature offre aux environs des paysages
ravissants, au milieu desqucls on rencontre souveiit de
grands nonis el de grands souvenirs. Ainsi, en descendant
vers I'exlremile niOridioualo du lac Leman, on trouvc, a
Coppet, le tombeau du ministre Necker el celui de rnaJame
(le Stael, dont on peut y voir aussi le portrait point par
David el le busle sorli des mains de Tick ; puis, lout a fait
au sud-ouest, Ferncy, petite colonic eternisce paries traces
de Voltaire. Mais quelque chose de plus louchanl se ren-
contre entre les deux villages qu'habilerent Taulenr de
ilnopc el raulenr de Cnrinne, c'esl une pierre sepulcrale
romaine, vieille el respectable, qui fail rever le voyageur
en exposant a ses regards el a sa meditation ces mots:
ViXE UT VIVIS...
J'Ouis vlvani comrae toi...
Le canton dc VauJ, dont nous venons de parlor, n'a etc
forme cpie par le demembremcnl de celui de Berne. Ce
derniern'en est pas moins resle beaucoup plus grand et plus
puissant, el Lausanne ne pent nullementse comparer;! Berne.
Kl puis(pie nous parlous dc celle ville, elle ii'csl qu'.i une
journee de distance dc Lausanne: nous avons line route
niagiiiliquc; dc lous cules des cjllines boisecs, des plaincs
510 TETITES VISITES DA^•S HfEKIUES VILLES DE LA aUISSE,
feconJcs, de hniilos monlngnes qui grniulissent Ic iwysagc,
un |iays delicicux : nous [louvons ])ousscr jiisiiu'ii licrae.
Quelle que soil la porle par laquellc nous cnlrcrons, celle
d'Ani-liOurs,', oil so tronvc la maison ilo con-ection. on celle
de Jlorat, suriiiontec de deux ours de grandeur colossale,
failles en graiiit par Aliart, nous Iroiiveroiis des ruesbrgcs
el droilts, garnics d'arcadcs et de bouliqiies biillanlcs/et,
bicn mieux, uiic populalion gaie. franclic, et pavtout des
lialjilanls ipii vous disent un boiijour fraucais plus agreable
que le Guten monjcn allemand. Ociix qui rappelicnl en
entrant li Rcrnc tous leurs souvenirs liistoriques rcgardent
avec curiosilc cette race qui a fait de grandes clioses, les
descendants de ccs Bcraois qui, sous le commandement
des Eilacli, fiircnt Ics lieros des journees de Morgarlen, de
SaulTen et de Murten. Derne, en effet, est pcut-etre la plus
digne representante de la cinfedcration Suisse. Villc gucr-
riere et cntreprenante, en meine temps que conimercanle
ct habile, clle fut la scconde viUe de la coufederalion en y
entrant; democratique ou bourgeoiso avant tout.elle lutla
audacieusenient contre Ics elccteurs allemands el les ar-
cliiducs de rEnijiire, et se fit le refuge de tous ceux qui
fuyaient Toppressiou de la noblesse autrichionne. Dans la
suite, elle saffaiblit; et apros tant de combats, de con-
quetes et de negociations beureuses, un demembrement
lui enleva la partie meridionale du canton. Mais elle est
encore maitresse d'unc tres-grandc puissance, et c'est la
que se rcndent les picnipotentiaircs et les charges d'af-
faires envoyes par les cours d'Europe a la confederation
Suisse. Elle est en elat de leur fairc une reception magni-
flque, et renferme pour tous les etrangers des constructions
et des etablissements digues d'etre nientionnes : le Munstor,
entre autrcs, calhedrale golhiquc, qui date de Uil, ct ou
si.K tables de marbre sont erigces en I'honneur des guer-
riers morts pour la patric. L'acadcmie, le musee, les col-
lections, I'hopital des bourgeois, la maison des orphelins,
la bibliotheque de la ville, ne peuvent ctre passes sous si-
lence : ces monuments attestent la richesse et la bonne
ordonnance de Berne.
Du reste, il est a remarquer que la meme aisance regne
Jiroportionnellcment dans tous les cantons de la Suisse. A
Zurich, on trouve a pen pres les memes edifices el les
memos institutions. Cette villc renferme , en outre, le
tombcau d'un philosopbe cclcbre, de Lavatcr, dont c'est la
jialrio: le monument eleve a Gcssner, ct les travaux de
festalojzi, que cette ville se glorifie aussi d'avoir vu naitre.
Les noms de ces trois lionimcs ci'Icbres sont des litres do
gloire pour Zurich, et la recommandent a raltention des'
voyageurs, non moins que les promenades, le lac sillonne
tous les siiirs d'embarcalions ca)n-icieiises, et les environs
rempdis de paysages ravissanls. C'est en se promenant dans
ccs campagnes que Ton comprend mieux Lavater, qui a
ecrit ses ouvragcs aprcs avoir longtenips crre dans les
lieux ecarles et pen friiqucnles de ses camarades d'cnfauce.
Gessner a fail des idyllcs Ires-fades pour nous aujourd'hni,
et pourlant I'Europe a adopte les reveries fraiches et
nai'ves qui sortaienl des coUincs vicrges de I'llclveiie, les
poesies bucoliijues qui s'cxhalaient du fond de ce canton
Suisse avec une douceur dont on a perdu le secret dans
beaucoup de compositions modernes. La campagne de Zu-
rich explique les oeuvrcs do Gessner; mais si les sites de
ce pays sont les meilleurs commcntaires des Idylles, rien
de mieux, pour coniprcndre I'aisance des villes suisses
anjourd'hui, que de parcourir rhistoirc de cette race, et
de suivre des details tout caraclerisliques. « Au son d'une
« grosse cloche, dit I'anteur d'une histoire de la Suisse,
« dans rcnceinte des murailles, les bourgeois se reunis-
« saient a Zurich sur une esplanade, decidaient la paix et
« la guerre, le prix des denrees, les poids ct les mesures. »
Et plus loin : « Les mceurs etaient simples ; la frugalite
« etail en honncur. Cependant on cultivait la lilterature:
« dcja la pensee s'elevail; on disentail les doctrines. Les
(( troubadours allemands chantaient I'amour et la reli-
« gion. » Cc consoil d'Elat snr une esplanade, cette douceur
de mceurs, I'aclivitc de radniinistration. I'energie de me-
sures, rindependance de la Suisse, sa position naturelle
qui la prolegeait, out pcrmis aux lionimes distinguiis qui
sont sorlis du scinde Zurich, dc Eonic, de Lausanne, d'as-
stircr ii Icur palrie de la puissance ct de la sloire. C'cst
avpc qucliiUR connaissance historifiiie el lillcraire qu'il
faut faire aujourd'hui ce voyage de Suisse, qui esl devcnu
Ircs-commode el Ircs-simple. Du rcsle, les tourisles de
B!ERVEILLES i)fi hX i^ATL'UE. oi^
tons les pays franchisscnt a cliaquc inslani Ic scuil de ccs
aubcrgcs qu'on rcnconli-e dans de jolics campagncs, or-
necs de dcnominalions au raoins bizarres : el, pai- excniple,
dans la charmanle vallco de Zurich, les Irois holellerics du
Glaive, du Corbcati et de la Cigogne.
;IEI1VEILLES DE LA NATUnE.
■VOICAWS DE lA WER. PACiriQtJE.
ASCENSION A MACN'A LOA.
Los dcscriplions dc I'Clna, du Vesuvc eldu nionlllecla,
Sfint devctiucs des sujels familiers; pcu de peisonnes ce-
jiondant cnnnaisscnl, meme [lar oui-dirc, les monlagncs
volcaniques dc la Polyncsie el ccs cralercs r|u'ils ouvrenl
loiijnurs fiimanls a la vue dcs navlgalcurs de I'occan Pa-
cilii|iie.
l.cs plus giganlesqucs ss tronvcul dans I'ile d'llavai, I'unc
dcs S:uid«ich , ccUe memo on le capilainc Cook a pci-i.
IIa\a'i est d"une fonne irrognliore, ctn'a pas ninins dc cent
qnalrc licucs dc tour; sa surface est tcllcnienl anfraclucuse,
qn'il no s'y trouve pas uuc plainc d'nn quart de lieue.
nilc esl cnticrcnient d'originc volcaniquc , ct scs monla-
gncs soul si elcvccs, qu'cUcs sont c.iuvcrles do ncigcs etcr-
ncllcs; ccpeudaiit elle est situoe dircctcment sous le tro-
pique. A hicn dire, Ilavai ii'csl qu'une vasle monlagne ou
uii groupe de niontagiics appuyccs sur une base commune,
ct doiit les sommcts s'clevent a 4 cl iiOOO metres au-
dcssus du niveau de la mcr.
Les trois sommcts les plus elcves sont Mauna Kea. Mauua
Loa cl Mauna llualalai. Alauna Loa est toujours en com-
bustion, ct vomit des (lots de lavepardiverses ouvertures.
Cctle monlagne a, dit-on, vingt-quatre licucs de diainelre
et cinq quarts de lieue de hauteur. Du cote de Test, esl u'l
plateau sur lequcl on voit Ic cralcre Kilauca en plcinc ac-
livite et le plus grand que Ton connaisse. Cctte ile a etc
visitce avec curiositO par les savants ct les uaturalistcs do
tons les pays. Une ascension rcm".rquable Tut f.iile au
commciiccmcnl dc IS4I ;i Mauna Loa.
.'•I.mis de guides, ayanl charge Icur bngrgc et leurs pro-
visions pour trois srmabiax, .sur dcs homnies du pays, les
voyagcurs avaicnl commence leiu' c\|icdilion le 10 deccm-
brc 18-10. Arrives a 0!aa, a 577 metres au-dessus du ni-
veau de la mer, ils fircnt une halte. A partir de ce point,
i's n'avaicut plus de senlier trace a suivre, il fallait gravir
dcs masses de iave irrcgulicres jdeines d'anfractuositcs ct
de fissures. Aprcs bcaucoup d'cfforts, ils altcignirenl Ic
grand plateau dU vokau :i une hauteur de 1550 metres , et
ils a|)ercurcnt Mauna Loa dans tnute sa grandeur. II faisait
un temps magnifique; ratmospherc etait claire cl linq.ide.
Dcvant nous, dit Ic narrcleur, s'clevait rimmersc dume do
la monlague qui sorlait d une plainc large dc buil lieucs;
cctte masse coulcur dc bronze se dessiiiait en un cimtour
net et regulier sur I'azur fonce d"un ciel du Iropiquc; dcs
nuagcs (liiUaicnt autour, cl leurs projections sur les llaiics
de la montagnc y produisaient decurieux clfcls d'iq)liquc,
dcs jeu.'c singuliers de lumiere et d'ombre. L'ne vapcur
bleuatrc rasait la plainc et scmblail renvoyer Ic dome a
une distance fantastique, ;i en jugcr par la vue disliiictc
que nous cii avions.
En presence de cctte monlagne, le cratcro Kilauca per-
dail dc son importance ; cc n'etail plus qu'une fnssc im-
mense, noire, n'ayant ricn dc ce grarid spcclcclc atiqucl
nous nous alteudions. Point d'eruplion, poinl dc fiu ni
de maticres embrasces, pas de cone clcvc ; scnlomchl un
abaisscment dc la surface, qui, au milieu dc la plainc envi-
lonnanlc, semblait pcu de eliose. Ccpendanl, a la pailie 1,1
plus eloignce, ou voyait un point rouge cerise, d'ou sorlail
une vapeur qui se condeuijil au-dessus en un nuage Inil-
lant ii relicts orgentcs. Ce |ilionomci'.c magnilique avail
318
MEIIVEILLKS DE LA NATURE.
assoz de chnrmo pour nous iTcomponscr dc nos rali;;iies.
Nous appiocliamcs dcs hords dc rniivorliirc, cl nous cu-
llies a passer sur de uonilircuses lissiircs, d'ou sorlaicnt
dcs vapours, prcuvc cviJcule ipie nous marcliions sur uu
Icmiu mine par le feu; le vcnl soufllail dtrniere nous,
ct all.iit s'cnsouffrer dans le cralerc comme pour alimcn-
tcr I'imnicnsc fournaiso. Citle oiiverliire nous parul d'une
elcuduc considerahle, ct nous pumcs juffcr dc sa prolon-
dcur en la comparant avec la laille de cciix d'eulre nous
i|ui avaient commence (i dcscendrc. Noire elouuonieul al-
lait en croissani, el de moment en moment rimmensile du
gouffrc dcvcnaitde plus en phis sensiidc. I'mir so faire une
idee de son elendue , il faut penser que la ville d'Orleans y
cnlrerait tout eutierc , et rpi'au fond a peine par-ailrail-elle.
Ce cralerc a une licue el demie de long sur une lieue de
l.ir-e, et plus de 5';0 metres dc profondeur. A 220 melres
en dedans, on voit uii liourrelet noir loul aulour, et de la
au fond il y a 150 metres, reudant lejour le fond resscm-
IjIc a un aujas dc ruincs ct dc decomlu'cs.
rourcomprendrc loute la liardicsse d'une exploration dc
cesenre, il faut avoir enteudu les nalurcis du pays vous
raconter la morl do plusieurs dc leiirs parents, nsjdiyxies
]iar les exlialaisons volcauifpics. I'cu dc temps avaut notrc
depnrt.nmisavonsvHunjcunelionimcaiusiasphyxie.clcene
fut |ias la le plus tristc spectacle. Car deux femmes.s'aisirciil
dcs armes europecnnes, I'une une liaclie, I'autre une cpee,
et pen de momenls aprcs elles s'elaient entre-tiiccs. ct
lomherenl mourantes sur le sol. C'est au milieu do ces
paysages diirs ct grandioses (pic nous avons etc teinoins do
cclle scene au moins tres-singulierc.
Nous planlamcs noire lenle en vue du volcan du culii de
I'ouest, et les nalurcis se hiU.irent des espcees de liuttes
pour se metire a I'ahri du vent froid rpii soufllail.
En voyant ce volcan on perd toules les idees recues dc
)a forme d'un cralerc; ici point decline eleve, point de
rochers ni de m.iliere i^nce rejctesen dehors. Les rebords
scmblent conslruits de blocs massifs dc rochers, tapisses
en queli(ues endroilsde four'ere qui parait nnurrie par les
vapeurs environnautes. Mais cette vue admirable pendant
Ic jour est dix Ibis plus merveilleuse la unit ; une nier de
lave rouge cerise, etenelat de violentc ebullition, jclle sa
clarte tout autour, coule el tournoie comme leau dune
chaudiere bouillante, landis ipi'iiu nuage d'une vapeur bril-
lante forme au-dessus un dais immense, eliucclant de lu-
uiLre.
Assis sur la rive du nord , nous admiranics en silence
pendant quelque temps ce grand speetacle, el nous reso-
luines de nous approchcr aulant que possible du rebord
mOme du lac de feu. Nous ei'imcs des difficultcsimmcnscs
I'l surmonter dans I'obscurite , faisant cliiilc sur rliute, cl
gagnant force contusions. Nous arrivilmcs cnfin au second
bourrelel, et nous alleigiiinics bientot le bord. II avail falUi
plusieurs heurcs pour Irancliir un cspace d'une licue envi-
ron, a cause des circuits. Enlin, nous nous trouvanics sur
I'exlreme bord, droit au-dcssus du lac embrase , a environ
1(10 metres au-dessus. II y avail assez de lumiere pour lire
les pins petits caractercs d'impriineric. Le lac avail 500
metres de long sur 500 de large.
Chose ctonnante, on n'ciitcndail aucun bruilqu'unsourd
murmure comme celui d'une chaudiere dans laquelle bout
une matiere epaisse, et I'ebullilion avail lieu nvcc )iliis de
force du cote du nord, comme dans un vaisseau expose an
feu d'un scul cote. Les vapeurs qui s'elevaicnt elaicnl si
claires, que nous ne les apcrcevions que lorsquelles se reu-
nissaicnt au grand nuage au-dcssus de nos teles. Ce nuage
montait et descendail alturnalivcmcnt. Uc temps en temps
nous voyions des pierres et des masses de maliere incan-
descente lancees a la hauteur de 23 melres el retombant
dans I'abime.
La matiere en fusion montait graduellement, elle n'etait
dej.-'i plus qu'a quelques pieds du rebord. Que Ton juge de
noire situation, enloures de tins coles d'immenses mu-
rail'cs de basalte ct dans une atmosphere chargee de va-
peurs sulfiiriques, avec cclle lumiere rouge qui doiiuailun
effiiiyaiit relief a tons les olijcts. Dans ces situations, I'aine
se ixcucillc, et clicrchc nriurcUcmenl a sc reposer dans
MERVEILLES DE LA NATURE.
310
tine pricrc inlericiirc. Ploiigcs dnns un silence relisicux,
nous admii'ions rElcriicl dans unc de scs (ruvrps Ics jjIus
imposnntcs, et scnlions que cclui-la scul [louvail nous ]iro-
Icgcr conire le danger de noire position, dont In main tr-
nnil ainsi suspendu dans rcspacc le cratere giganlosfiuc dii
volcnn.
Cest cepondant pres dc ccs nicrveiiles do la creation, siir
CCS montagiies niies. pres du cralorc, epic Ics saiivagcs Iron-
vent iinelipie plateau commode pour danscr avec nnc joic
furibonde, scenes comiipies a cole des graudes scenes de
ral?nospliere ct des revolutions du ciel. 11 y u dans la
daLise des sauvages sur ccs rocliers un caraclero singidier :
cVsl unc ci ls|ialion vigourcusc pluli'it qu'Mne danse; Ic rirc
d'iMi liomme diiminc par une allai|ne de nerfs, plutol que
dc la gaiete : c'cst un spcclscleliidenx et bizarre.
Nos voyngeurs campercnt pendant plusicurs jours a Ki-
laucn. II serail Imp long dc decrirc tons Ics details dc leur
longue exploration , ni Ics mille difficultcs dc Icur desccnto
jus(pi'au fond meme du cratere, oii ils n'elaienl plus se-
pari's dc la lave liipiide que par des pierrcs vnlcanir|ues
rarfcrmics, mais si cliaudes encore, qn'ils etaionl obliges da
placer leurs batons sous leurs pieds pour supporter la cbn-
Icur. Ces picrres d'aillcnrs, en certains endroits, vitrifices
et glissanles, et, dans d'anlrcs endroits, cassantes comme
la crnulede glace qui se forme sur les nciges npres un de-
gel imparfail, rcndaicnt leur marche excessivemeut pcril-
Icuse; il fallail talcr le terrain avec une longue perclic
avant de s'y avcniurcr. Souvcntlc balon s'enflanimaitdans
les crevasses (|u'ils sondaicnt. Mais I'amonr dc la science
Ics soulenait, et, forts dune bonne intention, ils inctlaient
toutc Icnr confiance dans la protection divine. L'n plieno-
nieiie rcmarcpiabic, c'est qn'au milieu des vapeurs sulfu-
reuscs, sur des rocbcrs volcaniqucs a peine refroidis et
couvcrls de cristaux sulfuriques, ils Irouvcrcnt une abon-
danle vegetation de fougcre, etd'unc espece d'arbrisseau
qnils nnmmcrenl vaccimcin, ct que Ics babilants nomnient
o/ir/n, portani une bale on fruit d'nn gout agreable.
Aprcs avoir visile un second lac plus petit, mais cntoure
, des mcmes dangers, la caravane iiarlit le 18 deccmbre du
I plateau de Kilauca pour gravir le sommet du grand dome.
Cclle ascension ctait entourcc de dirOculles plus grandcs
.1 encore et plus dangcreuses que la premiere. A cliaque pas,
loiites traces de vegetation disparaissaient, des rafales
violenles se faisaientsenlir, et la neige commeneail a lorn-
her. Le tliermometre descendit succcssivcmcnl a 4, 7 et
10 dcgresau-Jessous de glace. Arrives au sommet, il resla
a 10 degres , el la neige tombait en abundance. Nos voya-
gcurs etaient alors a 4o80 metres au-dessus du niveau de
la mer.
Uu ne pcut se former unc idee de I'etat de devastation
Je celte monlagnc. C'est unc masse de lave sortie jadis
lluide du sommet du cratere; on n'y trouveni rochers ni
]iicrres ; de quelque cole que Tccil se tourne, ou ne voit
que de la lave. Celte lave parait d'cpoques differentes, a
des distances de plusieurs siecles, mais n'a point encore
subi dc decomposition , nialgre les vicissiludes alterna-
tives du cliaud et du froid, de la neige et de la pUiic.
Le sonmiet prcsenlait les traces d'nn volean eteint, ct
de l.i I'oeil decouvrait le panorama le plus grandiose que
Ton put imaginer: on distiuguait I'ile de Mani, qui venait
inlerrompre la ligne bleue regulierc de I'liorizon, landis
qu'ini brouillard transparent s'elevait de celte ile jusqu'i
celle d'llavai, et semblait les reunir en une seule. Le
meme brouillard entourait tons les objcts au pied de la
monlagne , et laissait entrevoir leurs contours douleux
comme a Iravers une gaze. Anx pieds des voyagcurs, entre
les trois grandcs montagnes, ctait unc vaste plaine de lave
noire' convene d'nn dais de niiages sombres; mais le leger
brouill.ird nielait el fondait si bien ensemble tons les olijets,
que tout prcnail un ton cllicre, ct que le ciel, la lerre ct la
Z-10
li'^r.VEII.LES DE LA iVATURE.
Eicr scmlilaioiU foiuliis on iiii sciil cleuu'iil : c'i'laionl dcs
piMiliges rocrit|iics t[iii jolaiciU ri\!nc dans unc cxiasc im-
(lossililc a (liicrirc.
Laissons Ics voy.igcurs sc conslniirc nn alri conlrc nno
Icnipoi'alnrc qui variait do 32 doijfi'S au-dcssus do ziJro
ju-;f(ira 10 an-dossous; laissnns-lcni- prondi-e los mcsurcs
cxactcs dos ancions cralorcs dont esl couronno Ic soniniot.
lU Iroiivcront iin rolioid do hull licucs do circonforencc,
ct nno oavilo d'onviron 301 mclrcs, so rLHrticissant en
forme d'enlonnoir, avcc dos bourrelcts on ospeccs de ter-
rassos circnlairos de distance en dislanco, jnsi|n'an fond.
Enlin, Ic 13 Janvier, ayant lerniino lonrs operations, el
consomme a pen pres tontes lours provisions, ils commen-
ccront a deseendrc, marclie plus faligante ct plus perillonse
qi(e I'ascojision.
Rodcscendus pros de Kilauca, I'un dos aveiituricrs fut
liion pros do pcrdre la vie par sa lemerito. II olait dcsccndu
dans un jielil cratcrc isolc , ct voulait se procurer dos
ci-lianlillons raros de lave el mcme de la maticre en etat de
Ciision. 11 s'avenlnra snr une portion solide pleinc de fis-
suros, I'l d'ou snrtaionl dos jots de vapour : tout d'uu coup
Ic moro.oan sc detacli.i, dosoondit de plusionrs picds, ct il
no pouvait se tiror de la qu'cn gravissant un rnohcr de
quolipic elevation qui pondait au-dossus de sa tele. De-
vant liii , unc forte detonation sc fit entendre , et une
masse do lave liquido fut lauceo a la hauteur de quarante-
cinq pieds. La clialour devonait insnutcnablc; il se sentait
faiblir, et recouniiaiidait son ame a Dieu, qnand, du hant
du roclior, I'un dos guides Ini teudit une main, parvint
avcc peine a Ic saisir, et, par un effort de geant, reussit
0 le tircr do sa pcriilcuse situation. Un moment plus tard,
il toniliail dans le gouffrc avec Ic raorccau do lave qu'cn-
traiiia une nouvelle eruption.
ISos voyagours redoscondircnt cnfin , ct arriverent an
pied dcs montagncs aprcs une excursion de quarantc-dcux
jours.
« II est impossible, dit le narralour, de sc I'ormrr une idee
de la fervour avcc buiucllc nous rendimcs graces a Dieu de
la protection qu'il nous avait accordoe dans noire ontrc-
prisc avenlureuse, el dcs douceurs du ropos aprcs tant de
fiiligues. )>
Los sauvagcs ne s'etonnercnt point du tout do pareillos
pricrcs : ccs sauvagos priont aussi; mais, la conmie ton-
jours, leur maniere de fairc est groles(iue. Qnand ils en-
tendent sonner la cloclie du missionnaire anglais, ils ae-
courcnl, sc rangent autour de lui, et rccoulcnt, on eroicul
I'cconlcr.Lcs missionnaires, Inmimes rcs]icetables, du reslc,
elant tombcs a lour egard dans une errcur singulicre , jo
vcus dire ccUc de rcgarder un Iiomme commc^agne a la
civilisation dcs qu'il a pris la vestc el le pantalon d'uu
homme civilise; les missionnaires les reunissent souveni,
et leur font subir dcs .sermons on des discours pcdiliquos.
II est parfaitcmcnt impossible que des homines dont I'in-
telligenee esl encore endorniie, I'idiome mal lixc, les ideis
pen complexes, ecoutcnt seriousoment ce chef do parloment
qui vient doliberer avec enx. Ils ont Ions le droit d'etre de
pauvrcs onaiUes et de mauvais scnatcurs; et il est permis
de eroire qu'ils rogasdont les Innclles de I'oratcur pluli'it
(|u'i!s n'cconlent ses exhortations, cl qu'ils donnont plus »
d'allontion a I'habit qu'ils mettenl en guise dc pantalon
qu'a roloqnonoe du president : ccs hommes ages font cu
que font ici les enfants; ils rog.irdcnl les costumes.
- T)i>ii{,iaplii" 'd'A. UBSt ct Cic, rue dc SeiDC, 32.
LK
LIVRE DES FAMILIES
JOURNAL 1)E MOXSIEIIR LE CURE.
N" 11. - 1" Volume.
I'' Septcrobre 1845.
LI' MO IS DU .TI■U^'i■: f.IIRI-TIKN.
I.A NATIVITE DE I.& SAINTE VIERGE.
Nous vonons a peine de celohrpi' lii glorieusc assnmplion
(Ic Marie dans les cieux, c'est-a-dirc, le coiichanl de ceUe
eloile my.'slerieusc de la mer, Aujoui'd'liui nous solennisous
son levant, l.e cycle festival de Mario, '|ui avait fini parsa
morl, ou plulot son somnieil, Ic 15 aoi'it, recommence par
.son apparition sur la terre, le 8 seplembre ; mais ce lier-
reau de la plus humble des vierges n'est cnvironnc d'au-
cune cspece d'eclat. Le momle, dont cette nalivile annoncc
la procliaine delivrance, ignore ali.solumentcct evenement.
Les livres saints eux-mpmcsgardent un silence profond sur
la naissance de Marie. Ce n'est pas que, dans(|ueli|uesou-
vrages, tels tpie le faux evangile de saint Jacijues, Tepitre
siipposeede saint Evodius, etc.. on lie trouvc]ilusieurs details
sur ce point; niais ce n'est point par des suppositions fa-
Inilcu.^es ou mal fondecs que nous pourrions edilier nos
lecleurs. Tels, d'ailleurs, lie soul point nos goi'ils. line lij-
gende merveillousc n'est point sans attrait, nous en con-
venons. La verite neanmoins est encore plus liclle, el quand
il s'agit de la mere de Dieii, ce n'est point par uuc legende
plus ou moins ingenieusc que I'nn pent parler de sn nali-
vile. Esposons seulemcnt quelques corijeclures eniises par
de graves ccrivains.
Baronius, le celebre annalisle, f.iit naitre Marie a Naza-
reth. Saint Jean-Chrysnslome place son herceau a Jerusa-
lem. On lui donne pour parents saint Joachim el sainle
.\nne. Le Marlyrologe romain place au 20 mars la fete du
premier en ccs lermes: « Dans la Judee, fele de saint Joa-
« chim, pere de la bienhenrcu.sc Vicrge Marie, mere de
« Dieu. » Au 26 juillel, le meme Marlyrologe annonce la
feslivite de sainle Anne: o Sommcil ou morl de sainle
« Anne, mere de Marie, laquelle est mere de Dieu. » Les
solennites de ces vencrables parents de la sainle Vierge
sont assez ancicnnes dans rEglise, el surtout celle de sainle
Anne, qui remonle au sixieme sieclc. Or ceci est une tra-
dition sans conlredil fori respeclable, puis(|ue I'Eglise la
con.sacree par des ftjies. An resic, le nom de sainle Aiine
signifie Grace, etcelui dc Joachim est inlerprele : I'lcpa-
ralion du Seigneur.
Passons a la frie elle-mi:me de la nalivile de Marie. Se-
lon (Jerson. un ermiteclail depuis longlempsfrappe d'une
41
I.ES SAINTS
vision i|iii revcnail i'Ii.ii|Up aiiiu'c, nii 8 sepU'iiiliic. II en-
londail un concoi't ailmii'.ibli> [|iii scmblail parlir dii cicl.
II conjiira par unc forvenle priere Ic Soi^neiir ile lui fairc
CDnnailre le innlif de ccUc dolicienso harmonic. Unc rcvo-
lallnii lui apprit qin.' dans cc jour, tnus les ans, les esprits
ruleslcs solciinisaioiil le jour nalal dc la mere dc Dieu.
L'ormite fit pari desa vision au pape, qui s'rmprcssa d'in-
slilucrla Trie duS seplcmlire. Sans corroliorcr ni allaipier
le rocil du pieux liersoii, jious dircuis aver Bennil XIV,
que la fiHe de la nativilii do iMarie elail celiihree a Rome
avant le seplieme siecle. De la die s'elendit dans les (iiii-
les, el il est certain qu'au neuvieme siecle on en faisail la
solcMuite. Puis, au douzieme siecle, rempereur d'OrienI,
Kmmanuel Comnene, ordonna de chomer ce Jour comme
celui du dimaiiclie, el enfin, depuis ce lemps, la nalivile
dc la sainle Vicrj,',; a etc placee au rang des feles solen-
ncllcs ct de preceple avec une octave. lin France, depuis
le concordat de 1801, ce jour est ouvralile, el loldigation
<rentendre la messe n'y est plus itnposee aiix fideles. JIais
rEslise n'en fait pas iiioins I'office parliculier. Elle ne con-
siderc pas moin.s ce jour ciimmc Tavant-courcur du grand
mj'slere de rincarnalion du Verhe olernel. Elle s'ecrie avec
le poete liymnograplic : « 0 genre huma-in ! releve la lele
u liumiliee; voici que la nuit liorrilde du peche n'esl plus;
« une lirillaiile aureole, qui pare I'Drient, nous aiinonce
0 que le soleil va se lever. Le ciel epanche sur la Icn'c
<i une douce rosoe; la lige de Jesse se developpe et va
It proiluire une cliarmante lleur. (1 pieuse Vierge! failes
i< mi'inrcc rriiil sauveur que Dieu dans sa misericorde pro-
" mil autrefois au monde diiclui. Telle qu'une rose, celle
u Vierge est enclose d'epines dnut elle emousse lespiqnanls
« aiguillous : la grace ipii accompagne sa naissancc adoucil
« ramerliime du rameau qui I'a produil. »
Parmi les calliedrales placees sous I'iiivocation de Marie,
el le nomln-e en est grand en France, deux soul mises sous
le vocable de lo Nativiie; ce sont celles d'Auch et dc
Chartres. En outre, nous y complons deux fameiix pcleri-
nagesqui sont Notre- Dame de Llesse en Pieardie el Notre-
Dame de Monlserrat en Espagnc.
De mcmc ipie le Fils de Dieii recut le nom dc Jesu.s on
Sauveur, litiil jours apres sa naissance, et que Ton celchre
cettc imposition du nom le jour de la Circoncision, de
meme aussi I'oclavc de la nalivile de la sainle Viersje a
un de ses jours cOnsacre :\ honorcrd'uu culle special le
nom de Marie. Ce nom fut cnvironne jadisd'une si grande
vcneralion, qu'il elail defendu de rim|)oser a qui que ce
fill, meme a des personnesi.ssuesde sang royal. Alplionsc VI,
roi de Caslille, devant cpouser une femme de race maure,
nc voulut point perniellre qu'au liaplemequ'elle allait re-
ccvoir, oil lui imposal le nom de Marie, malsre rardciil
desir de celle fiancee. On lit dans les acles de manage de
LaJislas, roi de I'ologne, (pii epnusa Marie-Louise de Ne-
ver.?, une disposition scion la(piclle la nouvelle reiiie de-
vail quiller le nom de JJaric, et ne plus porter desormais
que celui de Louise. A son exemple, Casimir I. roi de Po-
logne, oWigea son epouse, Marie de liiissie, d'ahandonner
ce priinom, ct, des ce moment, la coutume .s'elaldit dans
celle conlrce si catliolique de ne jamais imposer a personne
le nom dc Marie, pas plus qu'on n'impoise jamais a qui que
ce soil le nom de Jesus-t'lirist. Aiijourd'hui, comme on
sail, de pareilles prescriptions ne sont plus en vigueur.
Toiilefois ce nom, pour quieom|ue le porte, n'esl-il pas une
eloquenle predicniion? Marie ii'csl la reine des saints qiir
parce iprdle a reuni dans sa personne toules le.s verlus
qui font les saints, ct principalement la plus feconde el la
plus meritoirc, c'est-a-dire, I'humilile.
C'esl en Espagnc que fut, pour la premiere Ibis, elalilic
en 1515 la fele du nom de Marie. Elle se repandit ensuite
dansplusieurs aulrespays. Enfin, Innocent M, parson de-
crel de 1685, etendit la fele ,i lout runivers, el la fixji an J
dimandie dans I'oclave de la Nalivile. Ce poiilife voulnl 1
consacrer un grand souvenir par le moyen de celle insliln-
lion. (In sail que les Turcs, ,i celle epoque, avaienl forme
le dessein de .s'emparer de la ville de Vicnne, capitale dc
rAulriclie. Ms la lenaienlassiegee depuis longlcmps,lorsqiic
les armees viclorieusesdeselircliens, (|ui s'elaieni mis sous
la protection de Marie, fircnl lever le siege, el, depuis re
moment, la puissance musulmane a loujours marcliii vers
son declin. I'ourquoi le nom de la mere du (Hirist ne mcri-
lerail-il pas nos lionimages. et poiirquoi ce nom si pur el
si maternd ne serait-il pas invoque avec succes dans nos
liesoins?N'esl-elle pas loujours dans le ciel, la mere de
Dieu, el I'Eglise ne ra|ipelle-t-dle pas le serimis des clirr-
lii'tis, la Vii'rge fiuissanli\la rimsnlahicr (hs af/ligrs?
Ii'EXAIiTATIOIlT SK I.A SAINTE CaOIX.
Le Lois Siicre sur lei|uel I'llomme-Dicu suliil la morl
avail etc deeonvert par la |deuse imperalrice mere du grand
Con^tantin. Jerusalem conservail avec honneur celle insigne
reliiiue. Une afl'rense revolution devail la lui ravir, el voici
ce qu'cn rapi'orle rhisloire.
L'empereiir Maurice ct ses enfanls furcnl iiidigiiemenl
assassines par Pliocas, qui usurpa le Irone imperial el par-
viiil a se fairc reconuailre par le pape. Chosroiis, roi des
Perses, qui avail fail alliance avec Pinforlunc Maurice, de-
clara la guerre li I'usurpalcnr, en juranl de vengersa morl
el le massacre de .sa famille. Ceci se passait en 002, II
rcussit dans son cntreprisc, el Phoras cxpia, jiar uiic juste
mort, les crimes dont il selail souille. Les usurpations soul
raremeni Iicnreuses i ecus qui les commettenl. surtoul
(piaiid le massacre des princes legilinies en a fait la rciis-
sile. Cliosroes, glorieux de son Iriomplic, ne s'arn'la pas
dans le cours de ses vicloires, el an lien de cesser la guerre,
apres avoir delrone el immole Pliocas, il poursuivit le cours
de ses conqueles. Ileradius, successeur de ce dernier, fit
avouer au vainqucur que respritd'agrandissemenl, aulani
que celui de vengeance, lui avail mis les arnies ;i la main.
Ainsi done, en (iOf, Cliosroes s'cnipara de Jerusalem, y
mil le feu, reduisil en esclavage le palrLirclie Zacliarie et
nil grand nomlire dc ctiretiens, et les veiidit aux llehreux.
Le plus magnilique Irophee de sa vicloire fill la croix de
Notrc-Scignenr. II s'empara de ce precienx Lois, qu'il con-
siderail cominc le plus riche olijel de son liulin, et le porta
11 Crcsplionle, ville de ses Flats siluee sur le lleuve du Tigre.
Croirail-on que la rdique ne fut pas meme exiraile, par
respect, dc la di.isse dans laipidle llelene I'avail mise, et
ipie ces infiddes mauifeslerenl la plus grande veneration
pour ce hois sacre? Dieu voulut opercr plusieurs miracles
par celle auguste rdique, et un grand nomlire d'infiddes
per.sans embrasserenl la religion direlienne.
Cliosroes ne s'arretail point dans sa marclie triompliale.
II pendra dans le cffiur dc IVnipirc, el de Li, passant en
Afiique, il menacail les po.ssessions des Ilomains dans ce
pays; Ileradius se vil (nliii force a dcmauder la pnix, et
I(U MO IS.
323
Chosroi>s lie vnuliil y .'n'ceilir i|ii'a lomlilioii ile icniplacei'
il.iiis toiiL renipirc d'Oriciil la rrliijion Llii-rliuniic par I'iJo-
liilrie persaiio. Uiio saiiilc iiidignalioii s'ompare aluis dUc-
racliiis ut de sou ainiiic rijjiiilo a iiii pelil noinlirc ilc coin-
liollaiils. Iiivoiiuaiil le uom du vrai Itii'U, il fait placer scs
liloiulards manpn's ilcs sigiies du salut a la IcHc dc Sfs ba-
lailloiis, el, niarchanl avcc confiance coiitre Ic vaihi|U('iir,
il le di'fait conipli'lemcnl, d reprcnd sur (.lliosnii's iiiie ^i-
jjoiirciisc offL'iisivc. Cc dernier, iiialade eii ce iiioriieiil
d'une giave dysseiiterie, el craigiianl d'etre fait prisoiuiicr
oil iiieme tiie par lleradius, associa ii son autoritc royale
sDii plus jeiinc lils Madarses, Ce que le roi des I'erscs rc-
gardail comme un moyen de salut, dcviut au conlraire la
cause de sa ruine. Siroes, le lils aine, se voyaiit frustre
d'uii honncur iiu'il anibitionnait juslemcnl, fondil sur son
pero, reteiiu alors a Scli'ucie, le jeta dans uiie etroite pri-
son, etmassacra, en presence nH'iiieileicinallieiircux pcre,
son propre frure Madarses. La vittoire d'Ucraclius date de
I'an 6-27, ct la inort de (^liosroes cut lieu en 028.
Siroes, paisilde posscsseur du trone de Perse, lie se vit
pas assez fort pour continuer la guerre, et se deterniiua a
entrer eii conipusition aveo lleraclius. II fut d'aliurd sti-
pule (pie la ch.lsse tonleiiaiit la vraie croi.K serait reiiduo,
ct que le patriarclie Zacliarie, aiusi que les nomlireux elirc-
lieiis rcduits en csclavage, renlrerait dans la ville do
Jerusalem. Tout s'aceomplit lidelcineiit scion le traile. Za-
cliarie reporlaen Iriomplic la vcritaljlecroix a Jerusalem. lle-
raclius fit son entree solcnnelle a Constantinople au milieu
des acclamations du people. On y dislrlliua de nomlireuses
luedailles destinees ,i immorlaliser le souvenir de la recu-
peration du bois sncre. On y voit d'un cote lleraclius cnu-
ronne de landers, el de I'aulre la reddilioii de la croix par
lesinfideles Olempercur partit cpiclque lemjis ajires pour
Jerusalem, dans le dessein de placer lui-nienie la saiiite le-
lique dans I'eglise du Calvaire. II y a iei un curieux trait
bistori(|ue dont le recit lie doit pas eirc oinis.
Au moment on lleraclius se disposait a transferer do ses
propres mains le liois sacre, il se senlil dans I'impuissaiiee
d'avancer un soul pas. Kffraye, il en demaiida la cause au
patriarclie. Celui-ci liii repoiidil : « Seigneur, voiis voila
'I convert d'or, les pierres precieuses reliiiseiil sur voire
u ridie costume. Ce n'est point aiiisi i|ue vous pouvez inii-
" ter la paiivrete et riiiimilile de Jesus-Cbrisl, quijadis
« )porta lui-meme sur .ses epaules le bois de cctle croix. »
.\u>siiot lleraclius defail sa cliaussure, so depouillc de la
pourpre el prcnd un babit plebeien. En eel elat, rieii lie
suspend sa marclie, et il s'avance vers le Calvaire, on il de-
pose I'auguste fardeau dans rendroil nieme oii Chosroiis
I'avail precedemmcnt eiileve.
De nOHveailx troubles devaiciil iieaiiinoins encore exiler
du sanctiiaire jerosolymilaiii riiisigue tropliee de la lie-
demption. Les siiccesseurs de Maliomet ravireiil a I'empire
roinain la Syrie, la I'alesliiie et I'ligypte. Jerusalem fut or-
ciipee par les nuisulmans, (|iii ne devaieiit la rendre iiio-
mentanement qu'a la valour des cruises, quatre cent
soixante-liuis ans apres celle epoqiie. lleraclius, (|uoiqiie
partisan de la socle des monolbeliles, avail eii soiii di; soils-
iraire la reliquc aiix seelaleurs de .Mabomet, i|ualre aiis
avant leur invasion des lieux saints, el I'avail transferee a
Coiisiaiiliiiople. La basilique de Saiule-Sopbie en etail de-
posilaire, cl on I'expo.sail li la veneraliuu piiblique pniid.int
les troisderiiiersjiMiisde la .•-euiaiue s.iiiile, Lejeudi saint,
elle elan .idoiee par l'ciii|iereur, le senal, la inagistraluie
I't les laiqiics. Le veiidredi saint, c'elail le lour de I'inipe-
ralriee, des veuves el des autres femmes. Euliii le samedi
saiiil, reveijue, les pretres el tons les membres du clerge
inferieur venaieiit adorer la saiiite croix.
ElablLssons niaintenaiit I'origiue de la fete de I'lixaltaliou
de la croix. II est certain que cello solcnnile cxislait lung-
temps avant le regno de reinpcreur lleraclius. Elle elait
alors joiiile a celle Je I'lnvenlion, qui se fait le 3 niai.
Soixantc ans apres la recuperation (lu'eii fit Icnqicreur lle-
raclius, le pape Sergius, par une inspiration divine, or-
doniia que Ton ouvrit une clilsse placee dans la sacrislie de
la basiliipie de Saint-Pierre. On y trouva une croix d'argent
enricbie de pierreries, el dans laqiielle elait incrustee une
considerable parcelle du bois sacre. La croix elait onice
d'un ebrist en relief. Lc pontifc ordouna que, tons les ans,
celle croix fiilexposee, le 14 septeinbre. Usuard, dans son
Marlyrologe, iiuil, pour la solennile de ce jour, I'evene-
menl de la recuperation de la croix par lleraclius avec celui
que nous venous de raconler. Mais un motif lout special
pour les Fraucaisenlre dans I'objel que I'Eglisese propose
)iar rinslilution de celle fete. Saint Louis, en I2VI, recut
de Baudouin, empereur de Coiistaulinople, iiiie jjorlion de
la vraie croix, iiiii elait reslee en olage dans la Syrie enire
les mains des templiers. A eel envoi elaienl joints |dusieurs
objets digues de la plus gramle veneration, Icls que diffe-
rcnts iiislrumenls de la passion de Solre- Seigneur. Le
]ueux roi voulul porter lui-meme, picds iius, el depouille
de lollies les manpies de sa dignite, ces insignes rcliques,
qu'il deposa dans le magnili(|ue edilice conslruil, par ses
ordres, pros de son palais. C'esl ce que nous appclons la
saiiite Cliapelle, restauree en ce niomenl avec le plus grand
soin, el qui bienlot brillera dans la capilale au milieu de>
plus beaux moiiunieiits dont elle Csl decoree.
Voila les imporlanls cveMeinenls ipic I liglise celebre par
raiiiiiversaire du 14 seplcmbre, coiiuii sous le iioin il I'Aiil-
lalion de la sainle croix Des fails de celle ualiire ne nie-
iitenl-ils pas les lioniieurs d'liiie solennile cbrelienne,
puisipi'ils nous rappellent le Irioiiipbe civilisaleiir de la
croix el la regeuuralion morale du iiionde'?
SAINT MICHEI. ET I.ES SAINTS AISGES.
II esl de cerlilinle bislorique iju'aiix premiers sieeles de
I'Eglise, on rendail aux esprils celestes conniis sous le iioin
danges un culle general. Les percs el docleurs. Ids i|ue
saint llilaire el saint. \mbroi.se, cxhorlaient leslidiilcsa iii-
voipier les angcs comme des prolccteurs. 11 n'y avaiLpour-
laiit aueune fele delermiiiee )iour les honorer. Nous vcr-
rons a quelle occasion une soleiijiile a lile iiwtiluee; nia:s
d'abord nous devons recueillLr ce que les livres saiiils nous
appienneiil sur ce point.
Saint Jean I'Evangelisle, dans la celebre vision i[u'il eul
eii I'ile de I'albmos, el dont le recit forme le dernier livie
du N'ouvcau Testamenl, nomine I'Apocalypse, nous dil
qu'il apereul au'our du Iruiie de I'Agneau plusieurs mil-
lions de ces esprils ipii cbaiilaienl a L'ciivi ses louanges.
L'Eerilure sainle nous fail connaitiv U's iioius de Irois de
ces esju-ils liienbeureux ; ce soul ; Mieliel, Cubriel cl 11a-
pbai'l. Sous le ponlilleat ,le Clement VII, en 132", ariiva a
Home un pretre noinine Antonio del Duca. II professait pour
b'S auges une devotion parliciiliere, et apportait .ivcc lui
sept images qui repre.seulaienl aulant de ces esprils bieii-
lieiireux, sous les noms de .Michel, Cabriel, tiapliai;', Uriel,
'>-' LliS S
S.iuUiel, Jikhiel el Diiracliicl. II avait coijie ces peiiilurcsdo
celles (|iie Ton voit dans line eyiise de la ville de Palerme,
en Sicilc. Anlonin obliiil la jicnnission do placer ces lniot;os
dans Ics Ihcrnies dils de Diocletien ; puis Jules 111 Tantorisa
.i les appcndre aux colonncs des memes Ihermes, en iuscri-
vanl les nonis de ces angcs sons cliacunc de leurs images.
Les Ihcimesdc Diocletien deviiirent une eglise qui ful con-
>acree sous le nom de Sainle-Mai-ie des Anges. Mais, en
1559, Tie IV no voulul point reconnaitro les qnalre der-
nieis anges dnnt Antonio avail iiiangure les noms dans la
nouvellc eglise. II fit ilisparaiire les tableaux et effacer des
colonncs les appellations de liricl, Saulliel, Judaiil et Bara-
cliiel. En cela, I'ic IV se eonformait a la decision d'un de
SOS predecesseurs, le pape Zacliai-io, qui, en 748, avail de-
fendu de nommer les anges d'aulres nunis que ceux qui sc
lisenl dans les livrcs saints, esliinant que les autres noms
u'elaient (|U0 reffet d'une value superstition. On invoquait
en el'fet, an luiitieme siccle, les anges Oriliel, Itaguliel, et
Toljiliel dans les litanies, et le pape dont nous venous de
parler voulut qu'on sc bornat aux trois noms C(muus de
-Michel, Gabriel et Rapbacl.
Pouniiioi cherclier a douner des noms aux iiinombrables
esprits de la milice celesle? Si I'Eglise n'arrclait point le
ciiursdeces pieuscs inventions, bicniot les imaginations
.irdentes anraient fabrique une nonicnclature prodigieusc,
dans laipielle la verilable piete u"aurait absolumeut'rien a
gaguer. D'aillcurs les trois noms (pic nous conuaLssons dii-
signent moins ces anges eux-niiimes que les faits qui leur
sontattribues par les saintes Ecriturcs. Michaijl signifie :
Qui est scmblable a Dieu, parce quil a terrasse Lucifer,
qui voiil.ait s'egaler a son Creatcur. (iabrici s'iiiterprete :
la Fotce de Dieu, parce (|u'il a annouce la venue sur la
lerre dii Verbc etcrnci, qui s'apiiellc le Dieu fori. Ilajihael
a la significalion de : Uemede de Dieu, parce qu'il indiqua
an jeune Tobic le fiel du poisson qui devait guerir son pere
lie la cecile.
A quelle epoque s'inlroduisit le culte festival de cbacun
de ces trois augos? Voici ce que les mouumenis bistoriqucs
nous appreunent sur la fete de saint Michel. Un auteur,
Ires-connu sous Ic nom de Metaphrasle, dit ijuc rarcliangc
saint Miidiel apparut environne de lumiere dans la ville de
Dulosses en rhrygie. Tour en perjjetuer le souvenir, on y
construisit un temple magnifique sous I'iuvocatiou de cet
ange vainqueur de Lucifer. Une fete fut aussitot etablie
dans tout I'Orieiit .i celte occasion; et Conslantin le Grand
voulul eriger a sou lour une eglise en I'honneur de eel ar-
ihauge, sur les Lords du Poul-Euxin, en menioirc d'une
apparition analogue a cclle dc Colosses. Une .seconde appa-
rition aussi famcuse out lieu an I'lout-Gargau, en Sicile, et
colic monlagne prit desormais le nom de Jlont-Sainl-Ange.
Golle manifestation est placec en I'an ^■2o dans les Annales
de Baronius. La devolion a saint Micbol s'elendita Home
etdaiis lout rOccident.Le pape lioiiil'ace IV fit biilir, eiiGKI,
une noiivello eglise en I'liouneur de .saint Michel sur le
mole on tomhcju d'Adrien, que Ton nomme aujoiird'hui
Ic clialean Sainl-Ango. La dedicace de ce temple out lien le
•20 de septcmbrc. Ceci oxplbpie pourquoi I'Eglise univer-
sellc a adnple ce jour pour boiiorcr par une solenuile col-
b'clivo Ions Ics saints anges.
Nous ne devons pas ometlrc uuo ap|iarilion dc saint Mi-
chel <pii out lieu, selon Sigoborl, on I'rance, dans I'annee
TO'). 1,0 lien privilegiii de colic manifcslalion ful un rochcr
noiiime la Toinhe, on I'cril-de-la-Mer, sur les coles de
AINTS
I Norniandie, an diocese d'Avranclios. Aulbert, ovei|ue de
ccttc derniere ville, en fut gratifie, et saint Michel lui de-
clara i|u'il voulait avoir sur ce roc Isold un culte scmblable
a celui qu'on lui rendait sur le Monl-Gargan. Exact a suivre
les ordres de cct esprit angelique, Teveque erigea sur la
montagne de la Tombc une eglise sous le vocable de Snint-
.Micliel, dont cc roc escarpe prit bienlot le nom. II y elablit
des chanoincs a la place des crmites qui s'y ctaienl aupa-
ravant lixes ; mais Richard, due do Xormandic, Ics rom-
placa |iar dos moincsde Saint-llenoit. U est inutile dc dire
que le monastere a cessc d'osistor; mais il ne le sera pas
do rappoler ([uc le Monl-Saiut-Michel, devcnu une affreuse
pri.S'jn dans ces dernicrs temps, semble avoir voulu re-
conquerir son ancieu nom de montagne de la Tombc. .
I'our combicn dc malhourcux dclemis celte horrible prison
n'a-t-ollc point dtd, on realitd, la tombc! L'egliso, quoique
degradoe en partie, est ncanmoins loujours dcbout, el le
monl s'appolle loujours Sainl-Michol. Mais .sos voiiles, an
lieu dc chants dcjoiedont olios furent jadis I'cclio, u'on-
Icndcnt plus que Ics cris dc descspoir, et ne reproduisent
quo le bruit aigre des verrous et des triples serrures. On
dit ueamnoius que cc lieu jadis revere sera prochainement
rendu a .sos pompes religieuses. Pen de pcrsonnes savonl
qu'on consideration de I'autique respect des pouples pour
cc pelerinago autrefois si renommd, le roi Louis XI insti-
lua, en 14(59, I'ordre des chevaliers de Sainl-Micbcl, qui
fut la jdus honorable des dislinctions jnsqn'a I'etablisse-
monl de I'ordre du Sainl-Esprit par le roi Henri III.
.\ la solennite dc Saint-Michel, I Eglise a rcuuil'hommage
qu'olle rend a tons Ics augos. Ncanmoins en Espagne on
cclcbro, le 18 mars, la fete dc saint Gabriel, et, au 24 oc-
lobro, cclle de saint llaphaijl. Pour celte derniere, il n'y a
pas copendant uniformite, car en certains lieus de la nieme
conlreo, ellese faille? mai. et en d'autrcs le20novembre.
Le grand pape si comui et si rdverd sous le nom de saint
Grcgoiro le Grand s'exprimo aiiisi qu'il suit au sujet dos au-
gos ; <i Nous savons par les saintos Ecritnres qu'il y a neuf
« ordres d'angcs, savoir ; les Angcs, les Archanges, Ics Ver-
« tns, Ics Puissances, los Principautes. Ics Dominations, les
« Thrones, Icstiherubins et les Seraphins. Prcsque loules
■I les pages sacreesatlcstenl qu'il y a des Anges et des Ar-
n changes. Les livres dos prophetesparlentsouvent, commc
II on sail, des Cherubins ct des Seraphins. Saint Paul aux
II Ephesiens duumere quaire sortes d'hierarchies angeli-
■( ques lorsqu'il dit : Au-dossus de toule Principauld. do
u Puissance, de Verlu ct Domination. Le memo, dcrivanl
II aux Golossiens, dit : Solent les Thrones, soient Ics Donii-
II nations, .soient les Principautes, suionl los Puissances.
<( Ainsi lorsqn'a cos quairo ordres on joint les Thrones, on
II en Irouvc cinq. Eiifin, quand aux Angesol aux Archanges
« on unit los Glierubins ct les Seraphins, on trouve cor-
» laiiioment neuf ordres on cliocurs d'Auges. »
Le nom gdncrique d'anges osl donne a tons les esprits
crocs qui jouissiuit de la vne do Dieu ; mais ce nom marque
iiioiiis leur nature que la function qui leur osl attribuee.
lis soul les mossagcrs de Dieu, sos lidrauls, ses envoyes ;
c'ost CO qu'oxpriine Ic Icrme d'angcs. Mais ils rcmplissout
.11 prcs des hoinmes, ]iar onlre du Soiguciir, une mission
qui doit nous dire bicn prdcieuso. Cliaqne mnrlel a aupres
dc lui son ange gardicn qui le protege contrc les dangers
de I'ame et du corps, (|ui Ini inspire le ddsir dc bicn faire,
(|ui portc lui-mdmc aux pieJs dc rElcrncl les vreux ot les
siipplicalioiis de celui qu'il est charge de prolcger. Co n'cst
DU MOIS.
3-23
pniiil, conime on le poiise i|iielciiie('ois d.ins un monde
ignorant ct parlant fori pri'somplueux ; cc n'esi pas, disons-
iious, unc opinion (|ue la conDancc en line providiMicc pa-
Icrnelle a insjjiree a f|nelf|ups imnjinalions poeliiincs ;
I'Kglisc a lonjours cru que cliai|ne niorlfl avail conslam-
Dicnl anprcs lie Itii son ani^e prolecleur. Saint I'aul s'ox-
prinic ainsi qn'il snil dans son epilre ans Ilebrenx : « Tons
u les esprils celestes sonl les niinislres de Dieu, et il les
» ciivole pour nous aider a recueillir 1 lierilage Ju saint,
u pour nous defendre cunlre celui qui a ele homicide des
" le coniniencenieiil, el (jui lourjic sans cesse aiUour de
i( nous eonnne un lion pour nous devorcr. » Tons les Peres
dc I'Eglise parlent du niinislere des anges aupres des
liomnies. Laissons parler le grand Dossuel, que l"on n'nc-
cusera pas de pclitesse d'espril , ni de siiperslilieuses
croyances. a iNous voyons avant louleschoses dansce livre
« divin (I'Apocalypso I le niinislere des anges. On les voit
" aller sans cesse du cirl ,i la Icrre ct de la terre au ciel.
<i lis portent, ils iuterpretent, ils executent les ordres de
« Uieu, el les ordres pour le saint, comnie les ordres pour
" le clialimenl...Tous lesanciensontcru, des les premiers
" siecles, que les anges s'enlremettaient dans toules les
" actions de I'Eglise; ils out reconnu un ange qui iiilcr-
u veiiail ilans lolilalion, et la porlail sur I'aulel sublime
« du ciel , un ange i(u'on ajipelait ['.liiyc de I'Oraisoii, qui
!■ preseulait a Dieu les vicux des lideles... (Jnand je vois
" dans les I'roplietcs et I'Apocalypse, et dans I'Evangile
■I menip, eel ange des Pcrses, eel ange des Grecs, eel ange
« des Jnifs, lange des pelils enfants i|ui en prend la de-
>' tense dcvaiit Dieu conire ceux (pii les scandalisenl, I'ange
« descaux, Tangedu I'en, ct ainsi des autres; elquandje
u vois parmi tons ces anges celui qui met sur I'aulel le
" celeste encens des prieres, je connais dans ces paroles
o une espece de mediation des saints anges, je vois meme
(I le fondemenl qui a pu donner occasion aux paieus de
" dislriljuer leurs diviniliis dans les elements et dans les
ic royaunics pour y presider : car toute crrcur est fondee
11 sur qnelque verite dont on abuse. »
Alio d'honorer plus inlimenientces esprils bienveillanis
cpii nous acconqiagneni, nous prolegenl, I'Eglise a voulu
iusliluer une I'l'le loule speciale, qui est Dxiie au deuxieme
jour d'oclobre. sous le noni de h'ele des saints anges gar-
diens. Elle ne remoule pas au dela du seizienic siecle. C'est
le pape Clement X qui I'a placee irrevocablemenl au jour
siisdil, ellui d assigne le rang litiirgique ipfelle occupe.
Que n'aurions-nous pas a dire sur le niinislere des anges
dans unc inliiiile de trails (|ue nous rouruissenl I'Ancien et
W Nouveau Testament ! On les voit constammenl iutervenir
comme messagers du Tres-Uaut dans une foule de circon-
stances. 11 n'esl point de verite revclee qui soil plus solide-
mcnt fondee que I'existence et I'inlervenlion de ces esprils
liienhenrcux. Laissons ii la faluile des incredules le trislc
avantage de trailer de puerilites fabulcusesce que les plus
■'i-aiids liommes de lous les siecles et de tons les pays ont
unaniinement reconnu sur la foi des livres saints, Les
oracles i'liianes des bouches iusensees, ignoranles el de
niauvaise foi, peuveiil, lout au plus, faire sourire dc pitiii
les esprils graves et serieux, et ceux-ci ne peuvenl se trouvcr
que dans la voie droite et morale de la religion calbolique.
Uii ne saurail clre pueril avec Bossuel, Pascal el Feniilon..
COnSOLATIOH CHRETIEHNE.
Dans les graiiJes Ciilamiles ofl'rez a Uieu vos douleurs,
retronipez voire anie dans la pricre, pensez a ranionr du
Clirisl et li ce qn'il a souflVrl pour nous, le calmc rl le cou-
rage renaitronl. Dieu n'abandonne point ceux qui prieul
avec nue foi sincere. S'il nous eprouve, c'est pour nous
ramencr a lui. II clialie ceux ipi'il aiine.
326
LKS SAINTS DU MOIS.
IVIOIS DC SEFTEmBKS.
1. LiuiiiU. St UitLEs, abbe,
Athenicndenaissance.iuort
a la fin d\\ V^sicclc.
U villi' (le Saiiii-Gilles, rires
Ninies, duilsoii orit;iiie a I'aU-
l):iye que ce saiiil y foiida.
St Leu ou Loup, evequc Je
Sens, mort en 623.
L'lie iiaroisse de Paris est pla-
ice sous soil invocalion.
St FiBsiiN, troisii'iiie eVL'<juc
(1'Arriiens, nioit ;m milieu
du 4*-' siccle.
2. M«rcli St ICTitN>E, vtn de
Honiine, nioit en 1058.
St Jlst. (jvequede Lyon, mort
c-n 390.
St Astomn, niarlyr, bonore a
Pamicrs, niorl d>tns le 3^
siccle.
3. Mercreili. St Si)iku> Srv-
iiTE (t'l'sl-a-dire, sur la co-
lonne), niurl cii 59*2.
STMANsuYonMANsnT, [ireniltT
t'veque dc Toul, mort un 5^'
siei'Ie.
StGoueghand, evuquedc Secz
vers I'an 571.
4. •leudi. Sr IMaiicel et Sr
Vai.euien, martyrs, en I'an
i-y.
St M.vuj.n, diacre, mort a la fin
du 4^ sieclc.
Ilo^l falroiiilelavilleeldela
pelile rejHilili'iiie de Sainl-Ma-
rni, enIialie.CelKl.ll a une t)ii-
liulaliun deliiiil iiiille 4*iiiies.
6te Hosai.ie. viergc en Sieile,
raorle eii IIGO.
Ste Ide, veuve, niortc au 9^-
sieele.
St Amass, abbede Lerins, inort
vers I'an 700.
5.Wen«lreili. StLaiuem Ju:>-
TiMEN, premier patri.irche
de Venise, inort en 1455.
St Dertin, abbe, mort en 709.
St Altos, abbe en Alleniuj;ne,
mort au 8»-' sieclc
St Assehic, eveque de Sois-
sons, niurl au 7" sietle.
6. Kamcili. St PamuoudeNi-
TiUE, abbe, diseiple de sajnl
Anloinc. mort en 385.
St Eleutiiere, abbe ile S:nn(-
Mirc, en llalie, mort vers
I'an 585.
St CnAGfiOALD, evequc dc Laon
{vulgairemeiiL St Ciianon),
mort en 553.
Le B. HiiBKiiT uii ^IniABEi.i.o.
evequc Valenee, murt eu
l'i'20.
7»Diniaiiehe. StCloi'd, pre-
Ire, le premier du .sati^ des
rois dc Franec qui ait reru
la qualiliculion de saint,
uiorl en 500.
Ste l\v.\yv., vicrge marlyrc, on
liourgogne, en 251.
Sr EuvtiiTi:, eveque d'Urleatis,
murt en 340.
St Ali'ix, eveque de Cli.iluns-
sur-Marne, moil ver.-. iu
milieu du 5"^ sieelc.
h» laiiidi. La ^ATIVITE HE i.a
S\inti; ViriiC.E.
Vo'i. I'ai1u-lr- sous I'l' lilri'.
Sr AitHiE.N, martyr a Niconn!--
dic, en 500.
Sr SiiHioMus, martyr a Rome,
dans les premiers siecles.
Lcs Sts EtisEitE, Nestable, Zl-
Nos.^EsTon, martyrs a G.tze.
au 4"^' siecle.
9. SlRrili. St Ujieii, eveque dc
Terunanne, moil en 070.
i.a villede Teroiiatnie, aiijour-
(riiuii'uiiiee, eialll^capilalcde^
^Iuiiiis\iiays il'Arlois).
.St Veras, eveque de Vence,
en Provenec, mort vers le
milieu du 5"^ siccle.
Ste Os.manse, vierge en Bre-
laanc, morte vers le 7^ sie-
cle.
10. ]llt*i*cre<li. St Nicolas
iieTollstin, criinted'llalie,
mort en 1508.
Ste Pui-ciiliRiE, iniperatrice,
morte en 405.
St Nemesiln et scs conip.i-
gnons,niirtyrseuNunndie,
au 5* siecle.
St Salvi, eveque rl'Aibi, en
Languedoc, murt vers I'aii
5S3.
1 1. •fieudi. St Puute et St
lIvAciMiiL, marlyrs en 257
uu304.
St Paphnuce, eveque dans la
Tliebaide, mort verslo mi-
lieu du 4*^ siecle.
St P.xriENT, eveque de Lyon,
mort en 480.
St Ooui>k, eveque ile Toul,
mort au 7*^ siecle,
1 3. %'eii«lredi. SrGui, mui [
CM 1U12.
St Alce, eveijue en Irlande,
mort en 525.
StSerdotou Saceruus, eveque
de Lyon, mortau milieu du
0'-" siecle.
St iMacedokids, marlvr au 4*^
s.ccle.
13. Maiiicdi. StKuloce, pa-
Uiarcbe d'Alexandrie, mort
en (iOS.
St Amee, eveque de Sion, en
Valais, patrun de la viilede
Uouai, niorl en 090
St LiuoiKE, cvLiiue de Tours,
mort en 571.
Sr Meurille, eveque d" A n'r;ers,
mort en 1007.
14:. BSimaiichc Exaltation
DE la SAlSTE GuoiX.
Viiy. I'ai lit leMia> le l.lie.
Sr !i1aier>e, oveque dc Colo-
gne el lie Treves, mort vers
I a 11 345.
SiE Catiieuineue Genes, veuve,
morte en lolO.
Ste NoTiibUROi:, vicrge, inorle
en 1513.
I 5.|jiiiidl. StNicetas, mar-
tyr en 372.
Sr iNiuniEUE, martyr, pretrede
n.jme en OD.
Sr Je\s le iNain, anaclioiite
d Kgvple, niurl vers leeoiu-
nienccmenl du o"-' siecle.
f'T AiiiAiiT, abbe de Juinieges,
mort en U87.
IG. Mardi. SrGvrujs, eve-
que de Girlb'ge el niailyr
CM 250.
C'cstuii des |ilus iliuslrcspt.'-
res lies sii:ck>s priinilirs du
cln-isiianisme. Ses ecuvres di-
u'lses oni ele recueilUes eu un
\oliiiue iii-lolio.
St GoiiNEiLLE, pape et' martyr
en 252.
Ste Eu^iiemie. vicrge et mai-
tyre en 507.
Ste Ecgeme, vierge, iille ilu
due d'Alsace , morte en
755.
Iff. llercredi. tJiMtre-
Tcmps. Si Lamrkkt. eveijue
dcSlaestricbl, maityretee-
lebre patron de Liege, niurl
en 70S.
Ste Golosibe, vierge martyre,
a Cordone, en Espagne,
morte en 855.
SfE HiLiiEGARDE, abljpssc cn
Alleniagne, ncc en 1098.
18. Jeuili. St Thomas ue
ViLi.ENKuvE, arcbeveque de
Valenee, en Espagne, mort
en 1355.
St Methode, eveque de Tyr, et
martyr en 512.
St Eerreoi,, martyr a Vienne,
en France, en 504.
19. 'Vendr<'ili. Quatrc-
Teiiqis St Ja>vieb, Eveque
de teneveiit, et ses conipa-
Linons. marly] s en 505.
II csl Mii;,'iilicrt'iiifiu vciiere
;i ^alJles, duiit il csi le palioii.
SrEcsruiaiE,t'veque de Tours,
mort en 461.
St Seine, abbe en Itouriiogne,
mort en 580.
Ste Luce d'Kcosse, vierge,
morte en 1090.
20.*SBinedi.yualre-Tenips.
St Ecstacue el ses conipa-
gnons, marlyrs au 2"^ sie-
cle.
Uiic paroisse de P.ni^ e>i
sous sou iiivucalioii.
Sr Agai'Et, pape, murt a Gon-
slanlinople, en 53G.
Ste Suzasm^, vierge el mar-
tyre en Paleslinc en 302.
2i. Ifrimaiiclio. St Mat-
■iim-,L, a|K'ilre el evanj^rliste,
mini au \'-'^ .siedi!.
St Gastoh, eveque d'.\pt en
Provence, niorl en 420.
St Lo, eveque de Coutaiiccs
(en latin /.(fwrfifA ), murt en
508.
Ste Malhi:, vierge a Troyes,
morte en 850.
tS2. Bjiiiidi. St ^Ialrice et
sr.sriMnpagnons, marlyrs en
280
St Kmmeuasi), eveque, martyr
el patron de Uatisboiuie,en
052.
STESALAi!En(;E,abbesseiiLaon,
eii 005.
Sr Saimin, i)reniier eveque de
Meaux, mort au 4'-' siecle.
23. Mardi, St Lis, p;qic,
mai'lyr au l"^' siecle.
li hu k*siirrcs>ciir MiiiiK'diiil
dc raiHiirc saint Piciie Mif le
Mi'-c ili: Ituiiir.
SiE TiiECLE, vierge, martyre
au !'■' sieelc.
l.llc ariuuiiLigna rdi"Hrc sJiiil
Paul daii^ pliisieurs de ses ruiir-
^ scs a|io-^litliqui's.
StPaxest, martvr, disciplede
siiint iJenis. premier eve-
que de Paru, nnirt au 5*
siecle.
24. IUcrcr**di. St Gkrard,
eveque dcGbonad on Hon-
gi'ic, martyr en 1090.
Sr Anducue, prelre, StTuvrse.
diacre, et St Felix, martyrs
an 2*^ siecle.
StRcstique ou RoTiRi.evoque
d'Auvcrgne, mort au 5'' sie-
cle.
STGEnMEn,abbiSenBeauvaisi3,
mort en 658.
25. «feudt. St. Geolf rid ,
abbeeuAngletcrre.morten
716.
St Firuik, premier eveque
d'Araiens, martyr en 287.
STLorPit^vequedeLyon, moit
en 542.
St Principe, eveque de Sois-
sons, frere de saint Rcmide
Reims, murtau cummence-
nientdu 6" siecle.
26. Vf-ndredl. Sr Gvprien
el SrrJusTiSE, martyrsa ^i-
cofliedie en 304.
St Eusebe, pape, moi't en
310.
Sr Nil le Jecse, abbe en Ita-
lic, mort en 1005.
%9. Kainedi. St Cos me et
St Damie.n, martyrs en I'an
505.
1. 1"- (iieis U'S luMiorenl sous
k' u.iiiidMwHryy/'t's.cVst-ii-riirc
suns iirnciil, |i.ncc (ju'ils exei-
t;.aicin la lurdciiiie gratuilc-
iiieul.
SrFi-oRENTiselSTlIiLiER.mar-
tyi"5 en Bourgogne, en 406
Sr Elzear, conite d'Arian.et
sa femmeUelpbine; le pre-
mier, morlii I'arisen 1323,
el la seconde.morte en 1 569
apresla canonisation desoti
mari.
2 8- IHmaiiche.STWENCEs-
i.AS, due dc Rolieine, mar-
tyr en 93S.
Sr Evci'ERE, eveque ile Tou-
louse, mort au coniinence-
iiient du 5*^ siecle.
SiE ErsTOCiiiE, vierge, inorle
en 419.
St Gcra^n-, eveque de Paris,
mort an conmiencenicnl du
7*^' siecle.
St GiiAUiiosi), eveque de Lyon,
niarlyr en 657.
29 KiiihII. St iMicuia, ar-
ch;inge.
Voij. I'ailii-le sons re Hire
Ste TiiEouoTE, niarlyr ecu 51 H.
Le uumieureux Simon, comic
di'GiTny, mort en 1082.
30. Mardi. St Jerome, pic-
Ire, dni lenr de I'Eglise,
mi.rl en 420.
(:^■|n'l■(■l'vU^c^-ilUl:^lrPll;l^ ^a
sciciiiccl SJ |.icle. Scs o'U\ It's
uul cie rctuciincs I'll ciiui vn-
liniH's iii-li)lio.
SrGuEooniE, eveque et apotre
de rArmeiiic, snrnomme
17//Mmi;in^'(/r,niort an com-
iiienicinenldui"' siecle.
St lluSMiii, . ari-!ie\eqne^dc
tluntorbery, mort en 055.
LES SAISONS ET LES MOIS.
SEPTEMBRE.
Sons CCS saules loufTus, donl Ic feuilhge sombre
A la fraicheur de I'eau joint la fraicheur de i'ombn',
Le pr-chour patient prend son poste sans bruit.
Tient sa lignc trcmblante, et sur I'omle la suit;
Penchi'. ra?il immobile, il obserrL' avecjoie
Lo Iii''ge qui sVnfoncn et le roseau qui pioic
Quel imprudent surpris au pieu'e inattemlu
A rhameijon fatal demeure suspendu?
Est-ce la Iruitc agile, ou la carpe dorec,
Ou la perche elalant sa nageoire pourpree,
Ou TanguiUe argentec errant en longs anneaux.
Ou le brochet gloutoii qui drpeuple les eaux?
Delille.
Tout, dans ce mois, nous iMppelle qup I'annee psl sur son
ileclln ; le lemps est generalonienl clnir el serein: mais
dej.i li's jotirs onl considerablenienl diminue, I'air com-
mence ii i'tre plus frais, le soir el le malin, comme dans
les jours d'aulomne. Le soleil briUe d'un eclal plus doiix,
elpoiiiianl le milieu du jour a encore la clialour de I'cle.
Le cliangement siirvenu dansle riclie decor des campagnes
nous monlre clairement que I'anneea perdu le brillanl de
la jeunesse, el meme que la richesse el I'eclal de I'iigc viril
onl commence a s'evanouir. Ces champs, oil naguere le
zephyr balancail mollemenl les llols d'une inoisson doree,
depouillcs aujourd'hui, n'offrenl plus que le Irislc spec-
licle de guerels sans verdure.
I/Cspres, faucliesdepuislonglemps, soul rajeunis paruue
herbe nouvelle, el les jiombreux li'oupeanx qui paissent
le lendre gazoii animeni le paysage. Les liaies onl encore
leurs feuilles, mais, privees des mille (leurs i|ui les email-
lalenl, elles onl perdu la fraiclieur de lem- beaule. Le fruit
de I'eglanlier el celui de rauhiqijne n'oni point encore re-
velu leur riche coulein-. el rien ue relt've la sombre ver-
dure de feuillagc; les branches du noiselier prennenl une
coiileur fonctJe el s'affaissent sous le poids de leur fruit;
les enfanis voicnt arriver avec joie le moment de les ra-
vager.
La Iranquillile hahiluelle de la saison allire les pcome-
neurs; les forets silencieuses invilenl ii visiter leurs frai-
ches relrailes, et des caravanes joyeuses se frayenl har-
dimenl un chemin a travels les ronces ei les opines qui
encombrent les senliers; fatigues, essouffles, its arrivent
au ]iied d'un vieu\ chene, ]ireunenl .sous ses liranches lu-
lelaires uu repas champetre que vieniientassai.sonner lap-
pelil, I'exercire, I'air des chanqis el la gaiele.
Mais laissons cctle liante jeunesse enivree de plaisir
prendre ses innocents ehals. Quant ii nous donl lage a
calme les passions, admirons le grandiose el I'imijosanle
majesle des forets que In hachc meurlriere n'a pas encore
sacriflees. II y a sous leurs voutes majesliieuses (pielque
chose de sublime qui frappe I'iiine de ce dnux el saint res-
pect, el qui inspire des rene.>;ions profondes el religieuses,
comme sous la iief ou le jour pciielre ii Iraveis de riches
vilraux. dans le petit nombre de nos vieilles eglises ca-
lliolii|UCS, echappees i>u\ reparations d'une archilcclure
vandale. L'ame a licsoin de se recueillir, ellc clierchc le
silence, elle s'eleve vers son Crealeur cl se plail dans la
.solitude.
l.e feiiillage des arl.res n'a pas encore pris entieremenl
la leintedei'aulomne; I'orme et le hi'lre presenlent en-
core Cii et l.i des masses d'un vert lendre qui coulrasle
avec les nuances sombres du chene el du sapin. Cepen-
danl I'on.devine deja la saison qui .s'approclie. Le chant
des oiseaux esl plus freipient dans ce mois que dans le pre-
cedenl, mais ce soul des notes plaintives; elles out perdu
de leur eclal el de leur vivacite : on croit enlendre les
328 LKS SAISUNS
trisles adieiix dcs [iplils cliaiilios .-lili's .i I'olr qui sViifiiil.
L'hirondcllc sc pi-epai'c a ri'iiiij^i-alion ; ciicoie (|np|(|u('s
jours, et nous ne la vrrrons plus ; |iliisii'iii's li'ibiis siiivront
son cxcniplc : dies voni i-ho'clier iiii clinial phis iloiix pour
y passer I'hiver. Cepcndant dcs colonies d'aulres oiseaux
nous arrivenl du Nord. Voici vonir la grivc rouge el la
grise, nos haies et nos bois leur offrcnt une abondantc
pSture.
Le chasseur salue avec joie le commencement de sep-
lembre, 11 va done enfin se livrer a son cruel plaisir ! Qui
pourrait compter le nombre des viclimes destinecs a suc-
comber? Le gastronome attend avec delices les mets deli-
pals qui vonl couvrir sa table.
Kl' LES MOIS.
" Au\ Imhilanls de lair tiul-il Inrcr la guerre.
Le chasseur prend son lube, image du tnnnerrc;
II I'eleve au niveau de I'ceil qui le comluil :
Lc coup pail, I'eclair hrillc, el la foudrc Ic suit.
IJuels oiseaux va pcrccr la grele lueiirlricre?
Cost lo vanneau plaintif crianl sur la bruverc.
C'est toi, jeunc aloucllo, liabilanle dcs airs!
Tu nieurs eu preludant a les lendrcs conccrls,
Mais pnuiquoi celi'brer celte laclie vicloire,
Ces Iriomphcs sans (Vuils cl ces conibjls sans ainire?
Ah ! devouc a la niorl ranlmal dont la tele
I'resenle a noire bras line digne conrjuete,
l.'euiicmi des Iroupeaux, rcnnemi des moissnn-:.
Mais s'il y a de la cruaule a poursuivre et tiier le gibier,
nous avoiis au mollis line excuse, nous le tuons pour le
manger. Nos graves voisins d'oulre-mer ne se ronleiitent
pas de noire maniere Irivialc de tiier avec le fusil, oii se-
rait le sport! Tirer iin lievre, c'est un a.ssassinal, discul-ils ;
noil, il faut poursuivre la virtime ;i oulrance ; chiciis el che-
vaux semblent partager avec 1 homme ce plaisir sauvage,
jusqu'a ce quo la pauvre belc, essoiifllee, rcndue de fatigue,
expire aux pieds du chasseur, sous la denl du cliien ou le
fouet du sporlsmiiit qui eontemple avec orgiieil el ravisse-
ment ce glorieux spectacle.
Laissous CCS trisles scenes, visilons nos vergers el nos
jardins. Aux lleurs oiitsuccede les fruits; mais leurs par-
fiims attirent de.s myriades de mouclies, d'abeilles et de
guepes ; non conlenis de nous devaster, ces maraudeiirs
s'irrilenl qiiand nous les dcrangeons dans leur depredation ;
ils nous poursuivent. nous chassent a leur lour, et nous
nous Irouvons heureux quand nous pouviuis ecliapjier a
leur terrible niguillon. Homme, sols done fier de la supe-
rioritc! comma le lion de la fuble, qu'un simple moiicbe-
ron s'atlaqiie a toi. Hi es foice de reeonnaitre Ion iieaiil.
Voici le temps oil les vergers soul eiiricliis de leurs
fruits les plus utiles; vers la Iin du mois ils en scront de-
pouillijs; ces fruits sc conservent pour I'hiver ou sonl
converlis en eidrc el en poire. La vigne demande encore
des soins, on la debarrasse des mauvaises licrbesqiii eiilre-
liendraienl I'liiimidile el feraieiit gatcr le raisin. Deja Ton
commence en quelques cndrojls la veudange, mais seule-
menl dans les parlies meridionales de la France, ailleurs
elle ne se fera ipie dans le mois suivanl(l).
Diver.ses sorles de fungus (champignons) abondeni dans
les prairies, mais il faut se gardcr dc les manger sans hien
les connaiire ; I'imprudence a souvent des resnllats dcplo-
rables.
Le gland et le faine tombent en grande abondancc du
chene el du helre, c'est une nourrilurc dont les pores soul
avides, elle Icscngraisse el leurdonne une chair savoureu.se.
Le gardien les habiliie par ilegres ,i obeir aux notes dc son
cornet, il en conduit quclqiiefois jusqu'a six cents, qu'il
parvicnt a maintenir ensemble avec une grande regula-
rile; a son ordre ils se disper.sent ou se rassemblenl. Le
soirils relourncnlchez leurs mailres. el le matin, aii sou du
cor, lesdclachemenls viennent do tons cotes rcprendre leurs
rangs dans le grand troiipcau, etpareillement chaque jour,
donna nt ainsi la preuve que memo celte race immonde
peul elre anienee a la discipline et a I'obijissance.
I'armi les animaux quo nous poursiiivons pour noire
plaisir ou noire utilite, pendant le mois de la chasse, il en
I'sl un (|ui, quoique ires-limido et iiioffensif en apparcnce,
est un grand lleau pour les culli'ateurs ; je veux parler du
bqiiii. II faut avoir habile la campagne et suivi les travaux
de I'agricullurc pour sc former une idee des ravages que
m Noils rii parlcroiis Ic mois procliiiiii.
VIE I'liiviib: Di'S oisi;ai;\.
>'2»
f;iil cc'l animal riiiigeur. il iic rcsjioclc licii, ni les cliniii|fs, ni
Ics janliiis; il iiiTcei'l mine lo lorrain.el il est (ruiio telle
locoiiilili', (|u'il csl iiiipossililu Jr s"cn drfairo. La fouinc, lo
lilaireau el le renarJ soiilsesciiiicinis iialuiols; iiiaisce lie
smit |ias (les voisiiis Ires-acfrealilcs pour le feniiier; ils ne
so cniileiileiil pas il'atlaipior le lapin jusi|iie Jans sun Iron,
ils fonl aiissi lie rrocpicntcs visiles an poulaillor.
Oil voil snuveiil ilans les champs ees Ills logeis que
pousse Ic zephyr, rellelaiil les rayons ilu soloil el semlilaiit
lies celiarpes il'argeiil; ee sonl des loiles lissucs par des
niilliersd'insreles el coniiues sous le iinm dililsdela lioniic
Vierge.
C'esl aussi I'epoque do lannee on les seriienls elian;,'enl
lie pcan; on en Irouve (|uelipiefois do si enlicies, que mi me
T,&VtUiUM£.J'C.<^~
1.1 |ii-llii.'iile qui coiivre les ycux est intnclft. Le ropiile sc
foil ire il.ins (It's luiiffcsriinisscsd'iicrbes. i>'y frolic, et,ijlis-
s;iMl avoc effort Ki tele l;i ju'eniiere dans i|iielque passage
rlidit. y laisse sa pcaii rclournee comnie mi has.
Mais il/'j.i voici I'aiitomiie; il va realiser les proniosscs
ihi prinlemps. ISiclie saison, que Ui serais belle, si Ton
ponvail tc voir venir sans penser aux rii,Mienvs ile I'liiver!
Les premieres feiiilles ([iii lombent jetleiil dans Tame cede
melancolie qn'on eprouve a la vi'C de la premiere ride.
Ilelas I avec quelle rapidile les aulres vont suivre !
Si des licnux jours naiss;iiils on clu'iil les |ireniier-^,
Les henux jours expiranls out aussi leurs cIcMces.
Dnus rnulomiio. ces hois, ees soli'ils piilissiiiils
Itiluicssent noli'c nine en allrislatil nos sens.
Lu piinltjinps ntius inspire nnc aini:il>le lulic;
l/iiulonuie, les douceurs tie la nielaneoiie.
(In revoil les beaux jours avec cc vif transport
Qii'iiispire uii tundro ami doiit on jilcnralt ta niorl ;
I.rur depart, i|iioii[in.' Uisle, a jiniir nous tnvile ;
t!i- sonl les duuv ailieuv d'nn ami qui noust^niUc;
(Iharpic inslanl qu'il accoriic, on ainio .i le saisir,
VA le ro'p'rel Ini-nienu' au'jrinenle le pi lisir.
DiXlLI-E.
L'equinoxe d'auLomiie arrive le iSseptembre; ilamene
iioneralemenl des orai^es et des coups de vent; les babi-
lanls lb' I'equalcur out le soleil verticnlemcnt au-dessus de
lenrtete, elil n'y a d'oinbie nulle part. La lerre elanlalors
rapju'ncbec du soieil, son itilluence pro;Inil les _i;randes
niarces.
Conmie au mois precedent, les poiiulalious des cites
eiuii;renl vers les coles et vont y cliercber la sante, le plai-
sir et le rcpos des affaires. La un speclacle mat^niiniue se
presente a leurs yeux. (j«i ne serait frappe a I'aspectde eel
horizon bleu, de ces barques dc pt'cbeur; le leveret lecou-
clier du soleil sonl des scenes nouvelles qui doivent pene-
Irer I'.'ime.
i.ci-LKmcM.i/a. .
A I.*OCEABr.
MaLinirKjue Oeean, sublime, pkin ilr^lnin'.
Calme el inajestueux, liirieux, indompl*',
Le (cnips ilevaslaleur le cede la vieloire,
Image de relernile!
La June, le soleil, les t'loiles des momlcs
Kn rayons L-elalanlssLintillonlsnrles Hols,
Mais nc pcuvcnt |)ereer les cavcrnes prolbuiles,
Centre iiiyslericux dc Mime ct de repos 1
Ueni'-tanl les rayons que I'aurore le preto,
Ou les riches eoulcurs dc I'eeharpe d'Iris,
Ueehire par les vents, Ics vaisscaux.la Icmpete,
Tn braves leurs (rflbrls , a leurs coups lusouris !
La Icrrc, ses vullons, scs montagncs ncigcuses,
lie llioinme onl tlii subir les tyranniqucs lois.
A-t-il pu Ic sondcr? les sources cavcrncuscs
Se eaehcnt a scs yeux ; lu nieconnais sa voix.
Qu"t'S-lu ilonc, Ocuan suhlinie?
Mais si ton seul aspect peul emouvoir le fo^ur,
'.ine penser rie celui liont le souFIle t aninie,
De rfiterncl, Ion crcaleur !
VIE PRIVEE DES OISEACX,
LEei'.S MOEUfS. I.EOl'.S nAlllTlUlES, I.EUnS 1^STI^CTS.
I,A PER9RIX.
Le 1" seplcmbre est un jour de jnio pour les chas-
seurs et dc deuil pour les panvresperdrix. liien n'arrelo lo
zoledoriiommc pour ladeslruolion. Lo chasseur pouisuille
!,'il)icr pour le Irisleel cruel plaisir de le poursuivrc; il n'a
pas meiiie la neccssile pour excuse. Les plus inlrepidcs ex-
lerminalenrs soul au-dessus du bcsoin ; il faul olre riche
pour avoir le droit de luor uiic perdrix, ct il est assci
rare ipie les chasseurs aimenl le iiihicr el en niauc;onl.
S3(1
VIK rillVliK KES OISEAUX.
Oil ,1 fiiii lies lois po'ir rcslrcindro Toxi'i-cice do la cliassc;
mais cos lois iie soitl |ras failcs dans iiii Iml moral, on mo-
nni,'e Ic pibior dans la crainlc do Ic dclniiic ct dc se pi-ivcr
ainsi d'un |daisir.
II est ccpcndani cprlain qiicDieua loiil fail dans mi Ijiil
d'ulililc; en eliuliant Ics nirenis el Ics lialiilndes dosiini-
mfinx, (in on acciuioit facilcmcnt la preiivo.
Si la ponli-ix mango quoliiuos grains, co n'est |ins la
nonnilnro iiu'ello profere , die est frinndo d'nnc foiilo
(I'insecles qni, sans ello, foraient aux moissons nn nial
iiToparablejaussi voit-on fjn"cllo affoclioniie los tones los
niieux culliveos, c'est la qn'ollo se plait et mnlliplio, el,
nialgrc Ics persecniions dont olle est i'olijol, on no peni la
relegner dans dos lienx i-anvngcs el solitaires. Vons voyoz
tonjours ees oisoanx icvonir avoo persovoranco an I'lia'mp
qn'ils out adoplo.
Or nn ne pent snpposor (pie cos lialiilndes, eel allaolio-
inent an sol ciiltive ot rextronie loeondilo do la pei-diix
soioni sans nn but parlicnlierdans I'economio de la nature.
La Providence a lout prcvn; sa sagcsse et sa Lontc infinie
avaieiit, dans ce cas conimc dans tons les autrcs, line in-
Icnlion bionvoillnnte pour rcspeco bnniaine.
On a dit avcc raisnn que loul t-e qui accomiKiipic iiiva-
riuMemrnl le jinnjrh H les amelioralioiis tmr est iieees-
xaiie. 11 est facile de prouver ((ue cellc vorito ost applica-
ble a rexislonce de la perdiix. Tons los oisoanx qui so nour-
rissenl sur le sol viveiil prcsi|iie excliisivenionl d'iiisecles
ot de polils aniinaux qni n'enlrenl pas strictonient sous
cotte donominalion, et s'il est vrai quo la perdrix mango
anssi qnolqnos graiuos, qnolquos plaules bulLcuses, et rc-
cueille ainsi avcc riiomme sa pari dii prodiiil do la cul-
ture, les sorvioes qn'elle rend en di'triiisant los insccles
qui, sans cUo, devoreraieni tout, sont pins qu'nue com-
pensation do la petite part qu'ollo consomme.
X.
La perdrix ( Telrao Perilix do Linno) comproml deux
especos, la ronimnne on gri.se [einerea), el la rouge (rufa).
Cos oisoanx sont Irop coiinns pour qn'il soil noce.ssaire
d'en doiiner ici nne desoiiplinn dotailloo. La rouge est
ainsi nommoe dc la coulenr de sos patios. Lo m.ilo est
plus gros, el les coulciirs dc sou plumage sont plus bril-
laiitcs que cellos do la feinoUe ; il ost arnie d'o|iorons
comme le coq. mais nioins longs ot plus arrondis. Los lions
cliassonrs savcul ronnaitre an vol, dans une compagnie,
los males dos fomoUos, el tnont les preiniors dc preference,
liaiTC c|n'il y en a plus quo do foiiiollos, el que ccUos-ci
sont plus importanles pour la roprodnolion.
("est oi'dinairomoni snr la perdrix (|ue le cliasseur no-
vice s'cxorce, et il en ocliapporait fort pen chaqiie annoe si
tons los tireurs ctaicnt liabilos. car c'est pont-oire I'oiscau
le pins facile li luer; licnrcuscnient il se lire an vent plus
de poudrc et de plomb que snr les oisoanx eu\-iiiemes.
lleuroiix quand les clia.ssears ne lirenl pas los uns sur les
autres, comme cola arrive Irop souveiit aux environs de
Pari.'!.
On roconuait Page ilcs|ierdrix a la conlourdu boc el des
pattes boaiicnup mollis foiicoo clioz los jouiios que cliez
colics plus ligoos. On le rcoonnail aiissi a la dorniore plume
do I'aile, qui est effiloe apros la promioro nine, mais rondo
I'annoo snivanlo. La grossonr ot le plnmago dc cos oiseaux
varieiil beauroup scion los localitos; los pins boailx ot los plus
gi'os se trouvont dans les pays les plus ferliles el les mionx
cnltivos, tandis que dans les lorrcs pins maigres, lour oon-
leur ot lonr apparencc out sonvonl Irompe au poinldo faire
croire que c'olail iino espece dirforonio, on loul au moins
lino varioti''.
La perdrix est la plus focondo des gallinaces sauvagos,
olle pond raronienl ninins do douze oeiifs ot soiivent jnsi|u',a
vingl; cc iiombro a etc qnelqueroissurpasso de boaiicnup.
Uu vionx clias.sour nous a dit avoir tronvc en \~'J7>, dans
nn clianip en jachoro, nn nid dans leqiiel il y avail treiile-
Irais aiifs; ils avaiont oto coniples, avaiit la convoo,
par lino porsonne qui nepoiivailcioirea nnclollofocondite;
vingl-trois do cos coiifs sonleclos ct los polils oiil pris lonr
essnr. Afiu de rciissir a en conver nn si grand nombro, la
fomolle en avail fail au milieu dn nid nne sooondc conche
de .sept qu'ello avail disposes d'une maiiiore Ires-iiigc-
uiense.
Le nid de la perdrix est loHtsiniploment nn Iron qu'elle
gratto dims la lerre secho, ou bien nn pas de clioval oil de
bccnf qn'ollo garnit grossierouieni do quolqnes feiiillos.
Onclqnofois olle le fail sur lo bord d'une bale, d'aulros
fois dans lo bio ou lo foiii, ou encore dans la liizorne. Ou en
Irouve souvonl sous I'aliri d'un pi lit bnissoiioii d'une loiiffo
d'borbo. Ello ooniinence a pondre vers la fin de niai des
(Tiifs d'lin gris vord.ilro, ol olle les cnnvo avec lanl de soin,
qii'ollo no qnilto |ias son nid quand on on a]i|iroclio, ct il
VIK I'lllVliE I)ES (IISKAUX.
csl difficile de Ten cliasser ; elle le dcl'end coiirageiiscmcnt
coiiire les pies elautipsoisoaiix iiillardsfiiandsdcscsfnufs.
Le male ne couve pas, mais 11 prend soin de la mere, I'aide a
defendre sa couvee, el souveiil il a recnnrs a rartificc iioiir
eloigner les curieux dii iiid en se faisaut poursiiivre d'uii
autre cote. Les pluios longiies el ahoridanlesleur sniitdan-
gereuses ipiand elles vieniieiit pendant la couvee oil li)rs([ne
les pelits viennent d'ecloie, lieauc(uip d'reul's sont penelres
par I'eau on delrnits par le froid. ct memeipiand lesjeunes
perdreaiix ne sonl edos ([ue depuls pen de jours le froid
les saisil, leurs paltes n'out plus la force de les soutenir, ils
lombeiitet perisseiU, nn"'nielors(pi'ilsconimencent a suivre
leur mere en ([uetc de leur nourriture.
Le pere et la more nionlrenl egalement une vive affection
pour leur piogi'riilure; ils rivalisenl desoinsel d'atlenlion,
lui indlquant la nourriture (pii lui est pro|ire. lis la de-
fenilcnlcouragcusemenl conlrc ses enneniis. Les insecles,
leurs larves el leurs reufs soul la nourriture lialiiluelledes
jeunes perdrcaux; les oeufs de fourmi, surloul, semldent
necessaircs a leur existence. Souvent le male et la femelle
se serrent I'un contre I'aulre, el couvrenl les petils sous
leurs ailes; lalendressc qu'ilsmontrentdans cctle situation
est un spectacle vraiment plein d'interet, et nous nous
plaisonsacroire que pen de personnesselivreraientalorsan
barbare plaisir de leur faire du mal on mcmede les effrayer.
n (Juand ils sonl decouverls par nn cliien, on alarmes ,'i
son approclie, disent les personnes qui ont elelemoins du
fail , le male les averlit le |iremier par nn petit cri de
detresse tout parliculier: puis il prend soil vol du cote du
danger, IraJnant I'aile, rampant pour ainsi dire lerre a terre
en affectant beaucoup de failjlessc, de maniere a trom-
per le cbien et a lui faire croire ipi'il sera une proie fa-
cile ; le cliien le suit loin de la couvee. En menie temps
la femelle s'cnvule licancoup plus loin, dans une direc-
tion opposee, mais elle revient liientot, rappelle sa fa-
niille dispersed qui s'est bloltie sous I'lierbc et le cliaume,
elle la rassendjie et la guide loin du danger avanli|uelo
chien ait eu le tempsde revcnir de la poursuilc du m.ile (pii
a retrouve ses ailes des qu'il s'est vu asscz loin pour san-
ver ses petils du dangei'. »
Nous ne pouvons resisler an plaisir de ciler a ce sujet
les vers suivanls du roi des fabulistes ;
Quanil la perdiix
Voit ses pclil.s
Kii danjrer et ii'ayant iju'une pliniie nouvcllo,
Oui lie peul fuir eiieor [lar les airs le Irepas,
telle fait la blessee, et va traiiiant de I'aile,
Alliraiit le ehassctir et le cliien siir ses pas,
Detoui'iie le danger, sauve ainsi sa faniille ;
Kl puis, quaiid le chasseur croit t[iic sou cliicu la pii
l£lle lui dit ailieu, prcud sa voice, el rit
De riicmme qui, eonl'us, des yeux en vain la soil.
La perdrix s'apprivoise facilenient, mais elle ne couve
pas dans I'etal domcslique. J'en ai vu une qui etait deve-
nue tellement faniiliere. dans la maison oti cllc avail ele
elevije, qu'elle ne manipiailjaniais les lieures de repas, elle
venait e.xaclcmeni ramasser les mielles dans la salle a man-
ger, et savail fori liien demander quand on ne pcnsail pas
a elle; ensuite, elle allait s'etendre devant le feu, gon-
llait ses plumes et soiilcvail ses ailes comme elle eiit fait
au soleil. Leschiens el les dials de la maison vivaicnt aur
33 f
elle en bonne inlelligence. .Malheureusenientnn cliatelran-
ger, moins liien elere, la tiia un beau jour.
On donne souvent .i line jioiile des oeufs de perdrix li
couvcr, on met ensuite les pelils dans une reserve que Ton
a besoin de peupler, el ils y vivenl fort bieu. 11 fani avoir
la precaiilinn, des qu'ils sonl eclos, de leur donner pour
nonrrilnre des n'lifs de fourmis, on leur donne ensnile du
Inil caille doiix iiiele avec de la lailue, et du mouroii on
du senecon. II leur faul qucbpie Icmps pour s'liabituer a
manger vidonliersdu grain.
k
I.X CORBEAU.
Les corlieaux sont repandus en grand nombre par tout
I'miivers. lis supporlenl egalemeni le froid rigourenx des
regions polaires, el le .soleil brulant des Inqiiqiies. Quelles
que soieiil les contrees nu le voyageur enlreprenant ait
penetre, il y rencontre I'oiseau noir et peu graeieux qui
la .salue de ses rauques accents an pays nalal.
Le corbeau, dans son exierieiir, ses liabitiides el ses
gouts, a beaucoup d'analogie avec la cnrneille; mais il est
]ilus gros, beaucoup plus carnassier el |ilus avide. Comme
loute celte race singuliere, 11 possede une grande finesse
d'observalion. Apprivoise on uon, il ne ccsse d'epier ce
qui se passe antour de lui. Celte faculle le rend vigilant,
stir do lui-meinp, lui donne non-seulement les inoyens
d'agir avec prudence el babilele ii Tbeiire du danger, mais
le rend capable encore de s'accommodtr ,i loutes les siliia-
lions. Voila sans doule pourqiioion ]ieul facilenient appri-
voiser eel oiscaii, ainsi que tons cenx qui a|ipartieiincnt a
la meine famille.
Lescorbeaux babilent les pays ineulles el inontagmux,
liien ipi'ils etabli.>isenl leurs iiids dans les bois ou dans les
fenles abritees des rocliers, a jieu de distance des lerres
cnllivees. Lenid se forme, au deliors, de brancbes qu'ils
lapissenl ii rinir'rieur de laine ou de tool aitlre objet con-
veiiable qu'ils out pu recueillir. Les ccufs varienl en nom-
bre depuis deux jusi|u'a cinq. Leur coulenr est veidaire,
taclielee de brun. Les ]ielils font entendre des cris bruvants
quand ils sonl presses par la faim, et devoreni avidenienl
la nonrrilnre cpie les parents leur appoitent avec beaucoup
de zele el d'exactilude.
Le nid est tonjiinrs ]ilace Ires-banl, alin de le protegee
coiiire lalleinle des cbasseurs ; puis il est dispose de ma-
niere .i lemetlreen si'irele contre d'aulresoiseaux de proie,
leurs plus mortels ennemis; cepeiidanl ils reussissenl difH-
cilement a s'einparer de la coiivec que les parents defen-
denl vaillainmenl. Mais celle Icndre .solliciludc des cor-
beaux envers leurs pelits ne dure pas longtenips ; aiissilul
que cesderniers peuvent se suflire, et avani ineme quils
en soienl capables, les parents les abandonneiil. les pour-
Miivent et les chassenl. Ces malbenrenx atlirent alois par
leurs cris rallenlioii des lioninio. el ceiix qui. Imp laibles
35-i
VIE I'lllVKIi IIUS OlSEAUX.
(Micorc pour vuIit, soul rcsles a W'lw, lonilieiiL au |iouvuii'
lie goiis qui U's apprivoisi'iil, ul nictteiit :\ prulU Iciirs
lionncs disp(3silions.
Aulrcfois k'S corbcaux otaiciU plus uonilireux daus co
pays ((uilsne le soul aujoiiril'liui. Suivaul le vieux |ii'o-
vci'bc , cliaque rocher avail son corbeau; inais ils soul
lieaucoup plus rarcs. On peut cu iilli'ibut'r la cause aux
progrcs que I'agricuUure a fails eu Frauco, ce qui a cli-
Miinuc Icui's ressources alinioulaii'os ol par cnus'equeuta
reduil le uomlire de cesoiseaux. En elTel, ou surveille
si Lien les animaux faildes cl malades,'qu'ils ue Irouveul
]ilus I'occasion de s'cniparor do Icurs viclinies ol dc com-
pleter I'lmivre que la maladio a commencee. Jamais d'ail-
leurs le corbeau ne ehcrclie a peuelrer la on scs services
sont iiuililcs. Dans un pays pauvrc, mal cullive, donl le
c'limat esl sujetii une grtmde varicle, il devieul Ires-ucces-
saire, soil eu dulivraulle sol de substances auiniales cor-
rojnpues, soil en delniisanl cos violimcs dc la uialadie (pii
ue lardcraicul pas a uuire a loutes les crealurcs vivauUs
nuliiur d'clles. Telles soul les circnnslances (|ui allireut les
I'orbeaux ; mais quand los Ironpeaux viveul dans I'abondauce
it la prnsperile, le uombre de ces oiseaux se reduil eu
f^eneral a bieu pen de cbose. Ou les voii seulemeutde Icmps
I'l autre plutut occupes a epiei' le passaijc des auimaux I'a-
riiucbes, (pi'ii poursiiivre eeux qui jouisseul des bienfails
de ragrieulture.
Le corbeau redouble d'aclivite dans les temps lourds
el orageux. Taudis qucles oiseaux cbercbeul uuab)'i coutre
In pluie sous le feuillage de la Inrel ou dans les Irons el les
eaverues des roi-licrs, le corbeau ne souge qu'a poursuivre
la proie qii'il s'alleud a Irouverabuudanle pendant I'orage.
Ses previsions se realisent presque loujours; car il ncpeul
luanquer de rcnconlrcr plus d'un pauvre oiseau cpiiisi; de
faligue.aiusi qued'nulres pelits mallieureux iueapablcs en-
core dc vo'.er, donl il s'cmpare facilemeul, tandis qu'ils se
debaltcut an milieu do la lempele. Les corbcaux aimenl
Rurtout a se nourrir dejeuncs freux (espocedecorneillcs),
aussi existe-l-ileulrocux uuebninc im|dacable, el lesTreux,
malgre les atlaques audaciouscs de lours cruels euuemis,
leuwissenl cpielquefois a les repousser el .i defendro leurs
uids. Ccqiondant les coups porles par les corbcaux an mo-
ment de la hiltc onl une graiidc iiuissance, ils tionueut le
con Iros-roido, et seuiblent jctcr lout le poids du corps
coutre lenrs advorsaires.
Clioso rcmarquable, c'esl que b' corbeau, commo la |ilu-
parl des oiseaux dc ce genre, appreud faedemeut a iuiilor
les sous de la voix lumiaine. On pretend eu avoir enleudii
parler si dislinetcmeni, que lilliision otait complete. On
ou a vu un pros d'un corps do garde, et los soldals, croyant
rccounaitre la voix do la sontiuello, vinrojil plus d'unc fois
rqiondre inulilcmout a I'apiiol.
Coltc faculte les a fuil approcier dc bicn des gens qui
prennenl plaisir a los mellro cu cage et a les econler par-
lor. I'liis la cruaulo s'en est melee; sous pretexlc do rendre
I'arliculalion plus claire, on imagine quelquofois de lour
I'eudre la languo, operation douloureuso, I'ort inutile, ,i la-
i|uolle personne n'aurail recours, si tons connaissaioul
mieux la slrnclure des oiseaux. Chez ciix, la languo u'a
nucnn ra]ipnrl avoc la production ou la modulation des sons,
I'orgaue do la voix existc a la liu broncbialo de la tracboe-
artere. C'esl do la que s'ooliap|ieul tnus los sous qu'ils snnl
ca]ialilesdo produiro.
Les corbcaux quoruupioud jounos soul facilesa appri-
I voisor, el dovienuent souvenl aussi utiles qu'uu cliion eu
prolegeant los terres el cu dovurant les roliuts. roiidaut lo'
oours de lour eilumlion cepcudanl, il faut exercer sur
eux une Ires-grande surveillance, a cause de lours mnu-
vais peuchanls. lis opronvenl poiu' cerlaiues persuimes dos
antipalliies, et leurs coups de bee n'onl rien d'agroablc. (Juc
d'auocdales n'a-ton pas raconloos sur lour elairvoyauco
et leur subtililc. « Oisenu do mauvais auguro, dil la 16-
« geudo, In lis, a Iravors les veines palpilanles et pleiues
« do sanle, Ibeure marquee pour la morl. » Jamais nous
ue pourrons nous rendre culioromoul couqjlc dc cello I'a-
culto du corbeau deseutir a une graude distance I'animal
morl ou monranl ((u'il se dispose a devorer. Nous com-
preuous encore que I'odeur des miasnies qui s'olevenl de
maliores corronqiuos ]iuissonl frapper de tres-loin le sous
si delical de ces oiseaux, mais cpiand ou nous assure que
les auimaux faildos elmaladosles allireut aussi, el ([u'aloi-s
ils s't'lanccnl au jiUis haul des airs, francbi.sseul une graude
distance et arrivont pros d'eux, il faut rccounaitre la un
pbonomone au-dossus de noire intelligence.
Co my.slore, qui s'allacbe aux habiludes du corbeau, sou
caraclere A la fois grave el ruse, .sa ropulalion do longo-
vito, loutes ces cboses rcunies onl excilo- en general, de-
pnis los siecles los plus reculos, riuti'rot et comme une
especo de voueratiou suporslitieuse. Craco a cette faculle
qu on lui attril]iu> ( non saus raisou ) do jhtircr la morl, ou
s'cflrayc a la vne d'un corbeau, el c'esl aiusi qfrou le de-
peiul : « L'odieux precurscm- dos choses falalos, lo messa-
« ger dc la donleur et de la morl. »
Le changeineul qui s'est opero daus les mfeurs et les
idoos de I'epoque acluellc a beaucoup diminuo le respecl
qu'on porlail autrefois au corbeau. « Je no suis pas cneliu,
« dil un auleur conlemporain, a converlir les iihouomenes
« de la nature el les cvcnemenis accidcjilels en signes ou
II indications des choses fulnrcs : la superstition s'use de
« nosjours, (lie s'offaccra bienldteulieremcnt; iln'en sera
« plus question, mais je craius c|n'clle ne soil remplacee
« par lo deismo, riuDdolilo ot rimpiote, resultal de la sa-
« gos.se dos honuues; la premiere croyauco nail do la I'ai-
ci blcssc ol dc rignoraucc ; lo donle, de ringraliliido, do
« rorgueil, el de la mocbnncole. »
A rcpo(|ue oil les liommes croyaieul quo la Oivinilo
commniiiquait avec eux an moyen do sigucs myslerieux,
lo corbeau, qui pa.ssait |iour un oiseau proplioliipie, avail
uuegrand(' inqiorlauco. On I'oludiailavocsoin : samauiero
de voler, riullexiou de sa voix, ses mouvemenls, lout
choz lui s'inlerprelail differonnucnl; on a decouvert
soixantc (|uatre sous varies dans sa voix, ce qui donna aux
ancieus ample maliere a discussion, curieux qu lis elaicul
de savoir di-liugucr les iuHoxions plus ou moius sinislres.
II exisle encore de nos jonrs, en Europe, des gens qui
croient i\ la science propbotique dos corbeaux. Plus d'un
ignorant villagoois Ireniblcrail s'il cnlendait, elautmalado
ou trouble par sa conscience, ce croassemeut lugubro.
Ainsi que nous I'avons deja dil, I'homme pent domplor
le corbeau el en lirer grand |iarti; lout vorace qu'il est
parsa nature, on vient ,i bout de reprinier son appetil, el
de couserver la proie donl il s'est emparc. Scaligcr raconte
(pie Louis XII avail fail dresser nn corboan pour la cliassc
aux pei'drix. Un autre auleur dil avoir vu a Naples ehas-
scr au corbeau des pordrix, dos faisans, etc. Aulu-Cello
paric d'un de. c.cs auiinanx qui aecompagnait .sou niailrc
^ul lo clianip do balaillo. Urj Caiilois, d'uno stature gigan-
VIE I'lUVKE DES OISEAL'X.
les(iiio, ayaiit |irovni|uc rii iliid li' plus Imvc ilrs liomaiiis,
Vali'rius se |iresciila, iiiais il ci'il Hi olilige ilo mier la
vicluii'e u son roJoiilable aJvcrsairo, sans Ic seconrs dc
soil corlicaii, (|ni no rlicirlia i|n'a |iersecnlei' le (iauluis,
clioisissanl loiljonrs Ic lion el le nionicnt favonlilcs ; tanlul
il liii (lonnait dcs coups do lice snrlcs mains, tanlol il s'o-
lanoail a la llgnre el aiix yenx : oiifln il rimporliina de
telle facnn, c|uo lo Ganlois fill vainrn. Valerius poria Inii-
jours depiiis lo nom de Corvintis.
Lcs corljcaux oiil sonvoiil rcmpli le role dc fiircls, qn'ils
onl snrpasscs en lialjilolo ; on les n viis siiivre Ins cliirns
dans U'S i,'rani,'os, ol se liviTi-volontiers a la eliasso anx rals.
On cilc rcxcmple d'nn corbean qui fill clove avcc nn
oiiieii ; cliassanl un jour de conipafjnie, ils arrivcront a I'di-
droil d'liii loiTier, le clilon s'y procipilcle preniiev, cliassc
du liois lcs lapiiis el les llevrcs, laiidis que le corbean,
posle .i I'exlcrieur, s'onijjare de tons ccnx qui vienncnl
de son culii; Ic cliien ne lai'de pas ii sejoindro a Ini, cl le
carnage est coniplet. Buffon nous apprond que des millicrs
de rats ravagercnt pendant cinq ans les ilcs Bernuides,
il suppose qn'ils onl lilc dolruils par les nombreux cor-
boaiix qui arrivcront dans cos parages, la Iroisiomc annce
du lloau. Mais ce n'est l.i ipi'iine simple oonjocliire.
Cos oisoaux out riiabiludo d'appruvisionnor lours nids
de fruits, do noix ct d'autrcs aliincnls deslincs, snivanl los
nns, a iioiirrirla femolle an moment do I'inciibatioii, sni-
vanl d'autrcs a leur sorvir |ieiidant Tbivor i|uand lcs vivres
inanqiicnl. II parait que la manio do se snisir d'objels fa-
cilos a cmporter, qu'ils siiicnt bons a manger on a Ionic
autre cboso. est fort coinmnne choz cos oiseanx ; ils onl
(picb|uofois derobe dos articles prociciix dont on a allrilino
lo vol ii dos personnos innoceules. Du a docouverl ri Erfnrlb
nncorlicaii qui avail on la palionoo d'omporlor uno a niio
dos |iclilos pieces do nioniiaio, ipi'il cacbaitsoiis niie picrrc
dans un jardiu, el qui linirenl par s'elevcr a la somme de
cinq ou six llorins. En gonoral, les oiseaus apparlonant a
la fainillo dos corlicanx semblenttrcs-disposes a s'cmparer
dc tonic substanco brillanle ou de coulcnr clairc; mais ils
font un clioi.x qn'on no pent expliquor. Nous en parlcrons
cepcndanl plus on detail i|unnd notis decrirons la pie.
Lo corbean male defend conragcuscmonl aiissi sa femclle
et scs pelils; des i|u'il voil.approcber los oisoaux de proie
dunid, il s'elance, plane aii-dossnsilerciinemi,etratlaqne
vigonronsemout nvoc son bee. S'il chercho ,1 gagner la
plusbauto position, le corbean redouble d'efforts pour con-
server Tavanlagc qn'il a oblenu, ils finisscnl ainsi par s'e-
lever de maniere a ce qu'on lcs perdo di' vue, jiisqu'a cc
quo I'lin des deux tombe a lorre opnise de fatigue.
Malgrii la voracile de eel oiscau ijui cinploic toutc especc
de moyens pour la salisfaire, le corboan n'cn est pasmoins
capable de supporter longtonqis la faim On ne sauraitdiro
nn juste le nombre d'aniices qn'il jpent allcindro, niais il
osl certain qn'il vit Ircs-vloux, ot c'esl cliose rare que dc
voir un de cos aniinaiix morls, a moins qn'il ne soil tuc
d"un coupde fusil, moinc d^'is les pays on ils soul le plus
nombreux.
IE f£LICAM.
Parmi les oiseaux los plus remarqnutilcs par leur orga-
nisation et lours niffiurs, nous dcvons ciler le pelican.
Cel oiseaii etait connn des la plus liaulc anliquite : lesliis-
loriens, toulefois, lo dosigneni pins paiiicnliercment .sons
le nom d'onocrolalo. qui signifie cri de I'ane. Pline eiitre
autres le decrit ainsi dans son livrc d'bisloirc naliirolle :
«Los onocrotales, dil-il, ressemblcnt aux cygncs cl ne s'en
dislinguent guero que]iar nnegranJe poolie qn'ils onl sous
Ic- Lee. Cost dans colic vasle poclie iiuc eel oisoaii, dont
la voracile est proiligiouse. onlasse d'abord scs provisions.
(Juaml il a fmido cbassor.il mango, parnne sorle do ruini-
iialion, les poissons donl il avail rompli sa pocbe. i,a Ganlo,
voisine de TOcean soplonlrional, est lo pays don nous
viennent les onorrolalos. n
L'osprit de I'bomnio qui cliercbe parlonl lo iiiorvi'il-
leux, a Irouve dans les mo;urs de cot animal nn vaslo
champ a exploiter. Aussi lo nioyoii ago, d.ins son ignorance
du jiasso, s'cst servidu pelican comnio symbole de la cba-
rite. L'allitude deed oiscau, au mnmcnt on il vide sa poclic
dans le gros bee de scs pelils, a pii iiiduire lo vulgaire
on erreur, el lui fairc croire que lo pelican .se percail la
poilrine. el nonrrissait sa progonitnre du sang qui conle
lie la blessure. En effel, c'esl ainsi rpi'il est rcpresonte cu
sculplnre, dans les ancicnnes cglises, dans lcs blasons,
en nn mot, toules les fois que Ton lenait a rejirosenler
symboliquemcnt ta Cliarilc. Chose exlranrdiuairo, les
peuplcs civilises de ranliquito ue rallacbaiont aucuiie idee
fabiilense ,'i riiisloiro dc leur onncrolale.
Le bee du pelican est cnorme, et le distingue prinripn-
lomont du cygne ; cos dens oisoaux out. du rosle, asscz do
rosseinblancc quant a la laillo ot a la coulcnr. Tons deux
sinil des oisoaux af(iialiqHcs : co|iendant le cygne ne fro-
qneiite i|ue les lacs el les rivieres d'oaii douce, le pelican. ai(
55J
VIE I'lllVEE DES OlSEAUX.
coiilrairc, clierelie s;i ijilui-e dajis lean tie la nii']'. Lo |ii}li- I iiage encore inieii.x inie lo cygue gracioiix. 11 I'sl ti-cs-lVc-
caii, au sui'|jhis, par suite d'uiie orgaiiisalidii |uirliciiliere, | nueiU siir les coles il'Anieri(iuc.
Lc corps dii pelican est Wane avec line legero. leiiile
couleur de chair. L'cxlremile de son bee csl recourliee
en crochel et d'un rouge vif. Mais c'esl surtout I'ini-
inense poche qui s'elend prescpie de la |ioin[e de la nian-
dibiile inferieurc jiisiura la parlie siiperieurc du ecu , qui
donne a cct oiseau im caclicl lonl pnrlicnlier. » Ce sac,
dit le pere Labal, csl compose d'une menibrane epaisse,
grasse, charnuc, souple, ct elaslique comme du cuir. II
n'cst point convert de plumes, luais d'un poll exlreme-
nient court, fin, donx comme du satin, d'un beau gris de
perle avec des points, deslignes etdesondes dediffercntes
leinles, qui font un Ires-bcl cffet. Lorsipie le sac est vide
il ne |>arait pas beauconp ; mais quand I'oisean Irouve une
peclie abondante il est surprenant de voir la qnajitite et la
granileur des poissons quil y fait entrer. n
La chair du pelican est dure et sent I'luiile de poisson.
Son duvet est reclicrclie, et lc sac sert aux fiimcurs jiour
renfermei' leur labac. II est parfois si grand, que la lete
d'un liomme y pouri'ait entrer.
Le pelican se laisse facilenieut apprivoiser, il est memo
susceptible d'educalion. En effel, on le dressc pour la pe-
clie, comme autrefois les seigneurs dressaient les faucons
pour la chasse.
Les pelicans passent habiluellemeul la nuit sur les ar-
brcs, mais ny foul )ioint leur nid. La femelle depose scs
ceufs, au nombre de quaire ou cinq, sur la terre, sans au-
tre precaution.
« Les pelicans abnndent lout le long de la cole poisson-
ncuse de la Uuayra (Cidonibie), clj'ai pu les examiner
d'autanl plus commodemenl, qu'ils uc s'eloignent guere
du rivage ; soil, en effel, qu'ils voleut au - dessus des
eaux, soil qu'ils se reposent ii la surface, on les voit se
lenir de preference dans I'espace qui separe la lame qui se
brise de la lame i|ui s'approehe en roulanl.
« Ce n'esl point en rasant les eaux que le ]ieliean elier-
che sa proie; dans les grands ccreles qu'il decril en vo-
lant, il en est presque loujonrs eloignc de 13 a 20 pieds.
(Jnaud enfin il a apereu un poisson a sa convenance, il se
laisse tomber dessus avec une roideur extreme cts'enfonce
dans lean, i|u'il fait jaillir tres-bant. S'il a m-unpie son
coup, on le voit s'cleverde Jionvcan dans I'air, et rccom-
mencer a decrire ses cercles ; s'il a fait capture, au con-
traire, ce qui est lecas lc plus frequent, il prend bien en-
core son vol an boulde quelqncs instants, mais pesammenl,
sans presque s'elever au-dessus de la mer, el il va s'y po-
ser un peu plus loin pour savourer sa jiroie a loisir.
En general, tons les animaux voraces onl ccla de commun
avec le pelican ; lors(iu'ilssont slimulcs parl'aiqielil, ils sonl
agiles et pleins d'aclivile, lis supporlenl longtemps le jeiine,
et, quand ils sonl ]iresses ]iar la faini, leur force el leur
vigilance seinblentaugmenlecs. Un seulsoin lesoceupe, ce-
lui desatisfairele besoin imperienx do se procurer des ali-
ments. Ont-ils fail capture, ils devoreni avidemenl leur
]ii"oie etlombent dans unelat de somnolence |dusou nioins
lorpide. Le ligre', le loiip , et en general les betes feroces ,
des qu'ils sonl repus, cliercbent le repos. Les serpents sur-
tout demeurent pendant un teni|is considerable dans un elal
d'inscnsibilite qui ne ecsse que lorsipie la digestion est
lerminee.
La chute du pelican qui fond sur le poisson qu'il ob-
scrvait n'est pas moins rapidc que celle des oiseaux de
proie ; mais, du reste, elle en differe sous tous les aulres
rappoils; ainsi, par cxcmple, I'cpervier (|ui guette une
alouetle commence ii decrire au-dessus d'clle des cercles
qu'il retrecil .sans cesse. Arrive directemenl au-dessus de
I'oisean que la peur paralyse, il y reste quebpies instants
sans changer de place, quoi(|ue agitant les ailes; puis, les
fermanl lout ii coup, il se laisse tomber les serres elendues.
Ce genre de chasse ne pouvail convenir au pelican, qui,
force de saisir sa proie pres de la surface de I'eau, nepeut
laclierchcr que dans les endroits peu profonds, sans cesse
balayes jjar la lame, et oii rien ne reste en repos ; aussi
est-ce souvent dans le momenlle plus rapiJe d'un vol en
ligne droite qu'on le voit fondre sur sa pniie. Ce niouve-
ment csl tellernent brusque, qu'il semble voir tomber un
oiseau atteint par le plomb du chasseur.
On s'y mi'prendrail d'aulant plus aisemeni, quil se
laisse tomber sur sa proie, la tile la premiere, comme une
masse inerle, et la saisit avec le bee; I'epervier, an con-
traire, s'approehe en lournoyant du gibier qu'il ponrsnit,
el descend dessus les .serres onvertes.
LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE.
snii'Lcs r.o>SKU.s a ceux <,iim emiicm pans i.i: jioNnc
I.E COSTUME, lES PARIS, lA POllTESSE.
ouii|umn( pis ns
l( r n i|uc iioiw
somiiM'S, poiini'ini
foi-cor noire natu-
re ? Ni; sommcs-
iiouspasassez l)ien
partagt'S? ?!'ou -
lilioMS jamais f\ue
la France esl el a
loujours e(e, a lion
lilrc, lomoilcle ile
toutes les nalions
du nionde. T-a po-
lilesse francaise est
pioverliiale. La
Fra nee esl le centre
du luimde civilise. Son goiil, son urlianile, son esprit, son
iutelli.;;euce, cc senliuient exquis de la liienseance, ipielle
autre nation rennit toutes ces qualiles? Aucinie ; el, d'lni
commuu accord, Farislocratie de tousles pa;s envoie ses
fds en France, — a I'aris, — pcrfeclionner leur educalion,
prendre les lielles nninieres; mais, lielas! en cherclianta
nous imiler, ils maiifinent snuvenl le but. ils Ic depassent,
cl nous ponrrions lenr diie avec le lion la Fontaine :
Np forroiis point notre talent, .
Nous ne ferions rien avec praec.
.lamaisuii loiirdaud, ijuoi (pi'il I'asse,
Ne saiirait passer pour g.il.inl.
Cettesnperiorite. si generalc^ment reconnue.ne laisous-
nous pas tout ce ipi'il fant pour la perdre? Serait-il vrai,
ipriiiconslaut, leger, ne pouvant rester en repos, le Fraii-
cais, las d'avancer, voulnt retros:radcr? 11 n'est ipic Irop
certain c|ue nous avons dunne ([uelciue apparence de verite
a cette accusalion. Ninis cshnmoiis les Icnips a denii sau-
vages dn nioyenagc, I'haliit, ranieuldenieni, la liarlie sale,
les clievens en desordro. Sous iniilous cesiuodeles deplo-
raldes. les roues de la regence ipii prenaieiit relTronlerie
pour de I'aisauce, le cyuisine pour de la IVaindiise. et la de-
liauche pour le plaisir. Nous I'aisiins niieux, nous avoiis
1 iU|Muiile de nos tiidestpies vnisins dn
Nord la pipe degonlaute. Nos eleganls
I imeiit le cigare, partoul le parfum
uiusealioud du taliac ; dans les rues,
d Ills les jardinspnblics, partoutia pipe
ou le cigare ; le salon menic n'cn est
jias loujours a I'ahri, La fumee no res-
pecte rien, les liajjils iniprcgncs en
portent I'odeur jusipie dans les .spec-
tides. Ou done se refugier? Si line
I Irangere, surla foi de I'urbanile fran-
ciise, se liasarde sur les troltoirs, des
homnies en blouses on eii paletots la
j: N "u ■ coiidoient rudemenl en lui snufllaiit an
visage une lioiirfec de laliac.
1 1 lies tile lunit peine ii reconnaiire a ces riides ma-
niLifs les lusliionables et les Hoiiceaux dn jour. II est vrai
de dire que ces jeiines gens ne passent pour des honimes
coiume 11 fautipie dans la niauvaise sociele oii ils out pris
leurs modeles. — Ces gaillards-la Iravaillent, dansles estami-
nels. a la reforme des mccnrs de la sociele francaise.
II esl pourtani des choses qu'il esl hien d'imiter de ses
voisiiis, c'est ce qu'ils font miciix que nous. Les Anglais,
ayanl nn climat inoins fertile que le noire, sesont appliques
a ragricnllnre ; ils out perfectionne les races de lieslianx
et di' cbevaux; ils out inslilue des courses ponr slimuler
ramnur-propre et rinterel deseleveurs. lei I'exeniple elait
linn 11 siiivre dans un lint si utile ; mais fallait-il imiler ces
jockey-dubs oil des paris riiinenx soiit ouverls, on la
niauvaise foi est ;i I'ordre du jour? A peine les gentlemen
uliiii'iiers {{) de Loiidres ont-ils sii que nous avions des
r uirses et des paris a la maniere de old England (2), tons
les clubs se soul debarrasses de leurs bUiek legs (3i : ces
bonnetcs geiis soiit veniis .se renqdumer aux ilepens des
imilaleiirs. I'liisse la lecoii deveiiir profitable I Cerlaine-
iiieiil les courses doivent etre encouragees. Mais lesjeux
sont defendus en France, poiirquoi les paris sernient-ils pcr-
iiiis? Aineliorons nos races de cbevaux, de bccufs, de mou-
loiis, eiicoiirageons I'agriculture ; mais restons Francais.
N'iniilons pas siirlout la grossiere rudesse de peoples qui
siuit parfois nos emules siir ipielqnes poiiils, mais toujours
jaloiix de notre superiorite.
Jeniies Francais, voulez-voiis savoir Ic secret de la poli-
le.sse de vos ancelres et de leur superiorite, niemc sur
vous? — je regretle d'etre force de vous le dire. — Cc se-
cret, c'etait leur respect poiirlesfemnies.ccsenliment clie-
valeresi|uequilesfai.sait se respecter enx-niemes, alin dc-
Ircdignes d'approcber de cclte belle nioilie de rcspccc
buniaine qui, par sa faiblc.sse menie, est appelee a adoii-
cir nos miuurs. .Mere, la feinine nous coiisob', guide nos
premiers pas. nous donne les premiers conseils. Ft qui
poiirrait oiiblier les lecoiis d'liue mere ! Qiielipies aiinees
il) Kscrocs Jc la luiute .socieli-.
(2) I.Ti vielllc-\iii;lt'liTrc'.
(3) (;i'nsrl|..ssi-s |iuur :iv.pii lii. Iii> .in jni on (|UrIi|iii' aiilio iii'iilillcsse
siMtiliIali!e.
53r.
i.ii SAVuiii- viviiii liN Euiuiri-;.
plus 1,11-J, iinii,-; vonloiis plairc, iioiis li'pm!)lons (i'offcnsor,
iifuis iniitnns los foiniiH's, el voil'i i)niii'i|uoi Icur coni-
mercn ailiiiicil Ics nicciirs ol |in)iluil l.i polili'ssc, Si Ics
I'jjinrnis soiil Ics linnimi's Ics plus polls ilii moude, c'rsl
ipie la Francniso osl In femnie la plus "racipuse. Ah! mos-
ilamos, nc prcnoz nl vos moilo.s iii vos manlercs clicz.l'p-
IransPi" ; (pii iTcnnnailrait unc Francaisp a cpt air ffourmo
cl sous CP eosliimp par Irop masciiliu ? Mps liollps coni-
pali-ioles, reslpz rpcpie vnusptcs,H:iUii'pllenipul, sans liludp,
ol voiis cuuliiiucrpz a I'aire le desespoir dc toutes vos
rivalcs.
Moiis parlions dc courses, ct nous les apprauvious jiaree
f|u'cllcs soul utiles ; nous lilamiiins smienicnl les |-iilipiiles
el les vices qu'ellcs ameneront, i|u'elleson[ deja amenps
cliezuous. I'renoiis-y 1,'arde, ne laissous pas I'ivraic cnvaliir
nos moissons. On pent etrc cxcellcul cavalier, sansse dou-
iier Ipsgnices d'un palefrpuier.Ou )ieuL fairc poiirir scs clie-
vaiix sans parier. On ppul surtoul savoiravec qui Fon s'as-
sncic. II u'esl ppuI-iHi'C |ias inulile de Taire conuaiire i|u'il
est d'usage, en Anglelerre, dc fairc .i I'avauec dc gros
paris. Les journaux cotcnl rcgulioremcnt les cliauccs dc
Icl on lei clicval : « Cinq conlre iin pour Rucephale; scpl
conlrc deux pour liosine, elc. « F.t puis, ipiaud les cork-
ncys(l)adauds) oulmordu a Fliamecon, quand ona ameuc les
paricnrs du cole que Fon veut, on lienl Ions leurs paris.
/i'( les inilics s'asscmbkiil pour dccidir quel chcval
(/agneiii. Maitres el jockeys parlagent le galeau. TonI le
moude s'culcnd. Unc nipdcciue donueca propnsa lei on Icl
chcval arrnugp Faffairc, tanl pis pour qui n'csl pas dans
le secrcl.
On u'en vieudra pas la en France, il faul Fcsporcr.
II est unc autre course qui n'esl que ridicule, nous vun-
Innsdirc la course au cloclier.
Concoil-on que des cires raisounables cxposcnl des clu'-
vaux de jirix, el leur vie uicuie, dans un cxercice aussi ri-
dicule?
Le )daisir consisle .i prendre un point de ilcpart, et a
Iraversln campagiic un bul apparent, eomiiie iiu cliielier
ou toute autre marque. On pari en lignc droile, ricn ne
doitarrcter; plus la chose est nb.surde, plus elle fail Turcur;
un I'osscilc quinze pieds s'opposc a voire passage, vous nc
pouvezlc franchir, sautcz dedans, — vous cu sortirczconuiie
vous pourrez. — Saulez, le resle ne vous regardc pas. Avez-
vous reussi a en sorlir, meurlri, couverl de bouc? voici
pour vous reuictlre un mur vernioulu et une cliule de dix
pieds derrierc, sur des pierrcs el de la terrecboulee, sau-
tcz, il y a ,i parier que vous vous luerez avee voire chcval,
bagatelle Ic'est bien plus amusaul. Mais vousavczjoue de
bonhcur, voire cbeval n'csl que couronne, vous en elcs
quilte ]iour uu bras casse. Jc vous conseillc dc vous
plaiudre !
No< bons ancctres n'auraipnl pas iuiagiue un parcil plai- | sir, d ils se conlenlaicnt dc coiirrc un cerf, un ronard. un
licvrc; ils vivnit'iil simplrnipiil I'l ii'iUaiciil pas lilasi's. Tus
voisins d'oiilre-mor. on i'cliaiip;o dcs Iccniis de !;niil ft
dc polilcssc (|U0 nous leiir doniions, ont voulii nous ^'rali-
fior de c|ucli|ues- unps dc leurs excpulricilus, et nous
onl imiiorU; li> slreple-rhiisc. (Ir.ind niorci dii cdi-iui,
AllTISTKS CKl.KRliKS. . "■'>"
messieurs. ]]'<■ can do verij ivell wiOioul it. llardez cila
avec vos IjrouiUnrds, voire s|iieeri ol les divertissemenls ile
null de (iuel|ues-uus de vos jeunes lords. Imilez-noiis si
vous le pouvez, vons Perez liien. Ouanl ;i nous, nous vnu-
lons rrslcr ce que nous somines.
ARTISTES CELEBHES.
Cicelies de la vie dcs |i«iiitres.
VELASQUEZ,
rriNTTiK Esi'\r,>'nL.
Toule la viede ec grand peinire fnt une siiile non inler-
ronipuc d'eveneuienls hcureux.
Ce fill le oOaoul lti-25, dans la niaisin dn minislre Oli-
vnres, (pic I'liilippe IV, mi d'Espa;;ne, accorda a Vilas-
<|nez la premiere seance pour faire son portrait.
Cel cvenemenl parnt alors d'line asscz grandc impor-
tance pour en roiiservcr la date precieuscment. La toile
etait lie grande dimension ; ellc reprr'senlait lo roi convert
d armes i'tiiicelanlcs, monte siir imma^nii(iiiuccouisier ; le
fond dii tableau etait un paysage d'niie grande beanie. Une
gravure de Goya en pent doniier une idee assez exacte aiix
personncs ((ui n'ont pas visiti; I'Espagne.Velasipiez |ieigiiit
aussi Gaspard dcGusnian. comte d'Olivariis, premier minis-
Ire d'Espagne. Dans ce portrait, Olivares, comme le roi,
cslsur un noble cheval amlalous, ricbemcnt ca]iaraci)nne.
Quelques critiipics out dit quo ces portraits monlrenlun
travail tillement eludie, ipi'il semble i(uc I'arlistc, eblcuii
par la digiiite majrstucusc de ses modeles, soil tond)e dans
rexageratinn en clierclianl le sublime ; rpioi (piil nn .soil,
le pinceau du grand mnllre s'v fait remari|uer, el, nieine
dans la simple gravure. on recoiinail le pays de Cervau(cs
el de don Quieliolle ; il est vrai egalement ipic les figures
du roi et de son minislre onl cetlo majeste gourmce (|ue
le peintre rbercliait evidommeni .i representer.
Quand le portrait du rji ful termini;, I'lulippe en fill si
satisfait, ipi'il cliargea Olivares de dire a Vclasiiuez i[u'a I'a-
venir riionneurde peindre Sa .Majesle neseraitplus accordi'
(|u'a Ini scul. Le peintre etait an conible de ses vfcux, la
cour rctentissail dc sis louangcs, les connaisscurs s'accor-
daient a donner la paline a Velasipiez el Ic |daraienl au-
ilessus dc liuis.scs dcvanciers.Leportraitdu roi avaitete ex-
pose, par ordrc de Sa Majeste, dans la rue, en face de I'e-
glise de San Felipe; les courlisans claienl dans Tcxlasc, les
poi'tes firent des vers pour la circoustance, et les rivnux
dc I'artiste furcnt devores d'envie et de jalousie ; enfin, Ve-
lasquez et le poete dramatique Calderon furciit informcs
qu'ii ravciiir ils seraient Inn cl I'aulre admisdans la so-
ciete intime du roi ; Philippe s'efforca d'oublicr dans Icur
cnnversalion les chagrins que liii causaient ses revcrs, el la
perte du lioussillon, Je la Catalogue el du I'orlugal.
Ce ful vers ce temps que Charles I" vint li Madrid, ac-
coin|iagne de Bncliinghani et dc quelques autres amis des
arts. Vidasquez profila do I'occasion, el Dl, dit-on, de me-
moirc et .i I'iusu de Charles, son portrait, dans ini tableau
oil il litait represente cbassant avec le roi d'Es]iagne.
Rubens vint aussi a Madrid, en l(i-23. et coiilribua pro-
bablement a faire prendre a Velasquez ce style exagerii de
magniCcence que Ton reprocbe a ses premieres composi-
tions. Ces deux peintres vivaieut ensemble dans riiilimilc ;
ce ful la que tlubens fit son tableau de saint Georges com-
batlanl le dragon, el Ton regardc celte anivrc comme la
luile la plus exlravagaiileel pourlanl la plusatlrayante que
I'arl. inspire d'un grain de folic, ail jamais produilc. On
voii au Louvre un lonrnoi au soleil couchant, pies des
murs d'un vieux chalean ; cc tableau pent donner une idee
du genre par le brillant cdal de son colorls ; il est admire
de bcaucoup d'arlisles.
Velasquez n'avait encore que vingl-qiiatie aiis, i|uaud la
fortune le comlila d'unesi haute prosperite.llii jour on il de-
vinl peinire du roi, la richcsse et les honneurs furent repan-
diissurlui, La meme annce, il ful nomme genlilhommc dc
la chambre du roi. niihens lui nyant fait nailr..' Ic dc.sir do
43
35R
AIITISIF.S CELEBIIES.
visiter rilalio, l'liilip|ic liii ni acciutla l;i |ii'iniissioii sans
diflk'iiUc ; el, par !ii snile, lluliejis et.inl rcvenii .i Jliiilriil
eomiiie aiiibassaileiii' ile la cuiir Je Rriixelles, Velasc|uez fid
ciivoye en Ualie, el s'oniliariiu.i a Bai'celonc nvec Spinola,
general des arniees ilu roi en Flandre. Dans ces lenips,
Icsarlisles avaient nne ^rande imporlance dans Ionic I En-
rope. Philippe alia an-devanl de loiis les desirs de Vi'las-
i|uez, el le defraya de son voyaj;e avec magnificence. A
Venisc,ilfntlo;;edans!epa!ais dc ramliassadcur d'Espa^ne,
et la livrec de I'amljassnde reriil I'ordre dc racconi|iagnci-
parlonl oii il voudrail aller. A Itonic. il enl sa demcure an
ViHican, oi'i il pnl visiler li sa volonle les elii'fs-d'renvre dc
Raphael el de Michel-Angc. Ses Iravaiix inees<anls ayanl
porlc nlleinle a sa sanle, ranilinssailcur dc Flnrencc liii
ofrril nn apparlcnicnl dans sun palais siir Ic Monic Cavallo,
I'un dcs chdroils les pins acres de Rome ; c'esl la rpic Ve-
lasquez alia conliniier ses elndcs.
De rdonra Madrid, il s'apcrenl (|ue I'ahsence n'avail ili-
minue en rien sa favenr anpres dn roi, cpii Ini donna nn
alclicr dans Ic palais ; Philippe en avail nne clef, el sou-
venl il allail passer des hcurcs enliei'cs anpics dn peinlrc,
comme Charles V avail fail avec Ic Tilicn, el Philippe II avec
Sanchez Coello.
En 1613, le premier niinislre Olivareslomha en dcfavenr
cl fnt lianni dans ses Icrrcs ct dans la ville de Toro. 11 iie
survccnl ipn.' deux ansa son nialhcur; mais la disgrace dn
proleclenr ncdiniinua pas la favenr du peinlrc; Velasquez
n'aliandonna point son bicnfailcnr, il alia an conlrairc le
vLsiter souvenl pendant son cxil ct sa maladie. Loin de lui
envouluir de son allaclienicnt, le roi nc montra nul mc-
contcntcmcnl dc ses visiles a Olivares; ceitc conduite scm-
bla an Conlrairc augmenler Teslime dc Philippe pour son
peinlrc favori; car Ic roi lui confera la clef d'or celle
menie auncc, lorsqne la eour d'Espagne ful Iransferee a
Saragosse.
Philip)iC IV nc fnl henrenx ni dans son rcgne ni dans
sa vie donrcsliqne. II jicrdil, dans la menic nnuec, sa pre-
miere femme, Isahelle de [lourlion, so'ur dc llenrielle .Marie,
rcinc d'Aiiglelcrre; son fils nnii|ue, qui dnnnail de grandes
csjierances, cl sa sffiur I'inqieralricc d'Aulriche, pour (pii
il avail heaucoup d'atlachemcnl, II clail en mcmc temps
accablc par les rcvers ct Ic nialhcur dans les affaires p(di-
liqucs. Lc cahinel de Versailles avail loujours fonde sa
g'.oirc cl .sa puissance sur raffaihlisscment de 1 Espagne, el
les efforts de Ricliclicu el de Mazarin avaient pour hut
principal d'abais cr ee royaumc. En rccevanl tons sesmal-
heurs de la France, Philiiipe nc pouvait oublier avec quelle
lendrcsse il aimail sa soeur, la rcinc rcgentc .\nne d'.Vn-
Irichc, ct a cliaque nonvelle vicloire remporlec par les
armes dc la France sur I'Espagne, celle princcsse avail a sc
rejouirde la defailc d'nn frcre i|n'eUi! n'avail jamais ce.ssc
de clicrir. Mmc dc Mollevillc dit, dans ses memoircs de la
reine, que, lc roi d'Espagne, dans nne Icltre adrcssee a la
rcinc, selamcnle dece que, dan? ces temps de guerre, il ne
reccvait dcscs nouvcUes que par rintermediairc des nc-
gocianls de son royanme, el il ajoule avec une grandeur
vraimenlespagnole :u I'orqur bicn jodemos dandimns ha-
lallas covresimnitcr comoltcrmuniis.«'Se ponvons-nons, en
lions livrant halaille en sonvcraius, corrcspondre comnie
frcre el soeur?
Cepemlanl ces deux polciilals claienl cc que, dans
nos Icinps moderncs. on nomme des princes dcspoti-
cpies. Mii<h piil'-rite p''nl vo'r ipi'ils claienl gnnverncs
par lenrs minislrcs, cl que ceux-ci avaient la main I'orcee
par les inlrigues el snhissaieiil rinfliience de favoris donl
ramhilion individucllc les oliligcait ii obeir a cc qui, dc
nos jours, s'appelle Fexigence dcs temps.
Telle a presque loujours etc le sort des rois !
l-'.inliiiiiiL' it;u- la cour. n'rluil j I'csclavnfre,
All milieu <lcs pranttours ct d'un luxe ponipcux,
II vil, mais i-sole. Son Iruiie glorious
Monlrc iiii roi qui, de Ions en reccvaiil I'liommairr.
Ncjouil pas, lielas ! d'un scul moment heurcux,
Kt n'a cic confidonl (pie .son ccEur douloureux (1).
.Mais an milieu de tons ces malhenrs, lc cirur de Philippe
n'a jamais neglige les arts ni les artistes ; car, en 1648, il
envoya de nouvcan Velasquez en Italic, cl lui donna coin-
mi.ssinn irachcler des tableaux ct de I'airc une eolleelion
iranlir|uilcs rares. Lc peinlrc passa qnelque IcmpsaGcncs,
dc la il se rendit ,1 Parme ct a .Manloue. .■\prcs avoir -visite
Rome ct le pape Innocent .\, donl il lit lc portrait, il rc-
tonrna ensuilc en Espagne, oil 11 Iransporla sans accident
sa eolleelion dc tableaux el de statues. Pendant lalisence dc
Velasquez, Ic roi avail cpousc nne jeune arcliiduclie.s.se
d'Aulriche; mais, ni cc niariagc, ni les nouvcan^ courti-
sans qn'il amcna a la cour d'Esjiagnc, ne changerent rien
a la favenr ni a la prosperilc de rheureux peinlrc.
Ell IGiiO, Philippe riuvcslitde Pordrcdc San lago. Quand
le marquis de Tabara ful charge d'examiiier les preuves
dc noblesse ueccssaires pour eire admis dans cct ordre, le
roi mil fln aux cnqueles, en disant: «(Jn'ilsoit recu,je
connais sa noble uaissance, el je sais (jn'il est digne dc
celle liaule distinction. » Ces paroles aplanircnt tonics
les difficnltcs.
La reception du pcinlre se lit avec une grande pompc lc
jour de la fete du roi; lc due dc Medina Sidonia ful charge
de la ceremonie. Par la suite, Velasquez ful nomme ajios-
lador mayor, ct les fimclions de celle charge le delourne-
rent souvenl de son alclicr en lui imposanl les devoirs d'un
courlisan.
II clail alors charge d'ans cl de gloire. II arriva nn jour,
dans son eabinel de |icinlnic, une aneedolc qui prcsenlc-
rail unjoli laldcan dans les .scenes (/e larie despeinlies.
Velasquez avail nu csdave noir nomme Juan de Parcjan ,
filsd'esclave. 11 y en avail alors heaucoup it Seville, lieu de
uaissance dn peinlrc.
L'cufaut avail etc elcvc, pour ainsi dire, dans ralclier ,
il voyail tons les jours pratiipicr devanl ses yeux quelque
.secret dc I'art. II clail charge dc broycr les couleurs, de
lendrc el de preparer les toiles, de lavcr les pinceanx el
d'appreler la |ialelle ; tonics choses donl il s'acquillail
avec bcancoup d'iiilclligcncc el de soin.
Parcjan grandil ; il accompagna son mailre dans ses deux
vovagcs d'llalie. Uii jour, a Rome, Velasquez envoya a ses
amis de I'aeademic dc peinture nn portrait (|H'il avail
fail de .son csclave, ct celui-ci en elail le porlcur ; le pr:r-
trail lenr panil si bean, qu'cn le voyant, ils clnrent Velas-
quez mcmbrc de racadcmie dc Rome sans cxiger d'aulre
preuve.
Parcjan eprouvait dcpuis longlimps dans son Cfcur
rambiliun d'un ]icintrc; mais que pouvait faire nn pauvre
csdave? Son mailre pensail coinmc les anciens Grecs,
que les arts liberaux ne devaicnt eirc exerciis que par des
(0 Ces vers son! aUiibu^'S il uii roi qui ,i joui d'un ri'giio i'rosiii?re,
I.oiiis, nil lie Ba\iere.
AllTlSriiS CKI.KliliES.
339
lioinmcs libres. el il avail diileiulu a Parcjaii loiito eliiilc
qui soi'lail dcs liiiiilt-s dc son ein|ili]i.
Parejan, oni|ioi'lepai' sa passion pour la pi'inlurc, passail
les nuils ;i travaillcr ; le joui' il (Hudiail des yeux Ics
ouvrages de son nialtre, ct ocoulail nvidcment ses rc-
marques el les conseils qn'il donnail a ses eleves. C'csl
ainsi que le pauvre esclave devlnl pcinlre en secret. Au
relour de son second voyajte d'llalie. il avail ipiaranle-
cinq ans; il se crut alors asscz fori do son lalcnl pour se
faire pardonner d'avoir eliidie en caclielle pcndanl lanl
d'annees, ct d'avoir siiivi sa vocation avec nn amour el unc
linergie sans exeniplc. 11 esperail que ses durs Iravanx el
ses longues veilles Irouveraicnt grace aux yeux de son
niailre.
11 s'avisa d'un nioyen ingenieux pour devoiler son la-
lent. Le roi avail coulunic de passer lieaucoup de temps
dans I'alelier; il prcnail plaisir a relonrner les peinlures
qui elaienl placees face au iiiiir. I'aiejan Unit un lalileau
dc petite dimension, ct le plara parnii ceux dc Velas-
quez. Quand le roi vint faire sa visile a I'alelier, il or-
donna de lui monlrer loules les ehauclies (pii elaienl tour-
nees contre le niur. IJuand Parejan lui montra son propre
ouvrage ; « Ah ! dil Philippe, qu'esl-ce que ce heau laWeau
que je n'ai jamais vucomnicncer'?»L'csclave, se jelanl alors
aux picdsdu roi, lui conla I'hislnire de ses eludes, el sup-
plia Philippe diiilerccder pour lui aupres dc son maitrc.
Le roi, se tournanl alors vers Velascpiez, dit ;
u Je ne vols qiiune reponse a faire a cola, I homme cpii
possede mi pareil lalcnl ne pent jdus elre esclave. »
Velasquez rcleva Parejan; il lui donna la liherlii, el la
lui assura |iar un aclc d'affranchissenient; desce moment,
celui-ci pril rang parini les eleves el les amis du grand
pcinlre.
Parejan sc nionira digne de la lionlc de son maiire en
loules choses, tai'it |iar son lalcjil dislingue, que [lar sa
modeslie el sa reconnaissance; dcvenu lihrc, il servil
Velasquez avec le mcme zcle qu'il I'avail faitclanl csclavfi,
et, apres la mort de son hienraitcnr, il servil sa fille, qui
avail epouse Mazo-.Marlincz, peinlrc espagnol. 11 resta .-lu-
prcs d'elle jusqu'en 1670, cpoque mi il mnurul. Parejan
lilacail souvenl dans ses tableaux .son Inimhle ligure, qui
etait colic d'un mulalre anx levres epaisses.
Tonle I'histoire do sa vie monire le Iriomphe des efforts
reunis dn talent el do la |iersovi'rance conire Ics entraves
dii sort.
A la paix lies Pyrenees, en I (Hit. les eours de France ct
il'Evpagnc se reunirenl dans I'lle desFaisans, snria riviere
prcs dc la ville d'Irun. Ce ful la ipie Louis X|V opousa sa
cousinc rinfante Maric-Tln'-rese, en prosenco d'Anne d'A;i-
triche, du cardijial Mazaiin, de don Luis de Ilaio eld'une
nomhrenso cour des deux naiions.
Lciirun a pcinl renlrevuo des rois dc France el d'Es-
pagne, el la cerenionio du manage. Cos tableaux sunt dans
la ga'erie de Vcrsai.les. Velasquez resta l.i qualre mois, oc-
cupe des devoirs de son office d'aposlador mayor; il etait
charge de faire preparer et decorer les apparlements on
devaii'ul avoir liiu rcntrcvnccl Ics cerc'moiiics des conrs
des deux nalitns.
A la conclusion de la paix el ilu mariage, Velasquez re-
lourna dans sa famillo, harasso de fatigue ct ayanl grand
besoin de repos. 11 elail alors au faile de sa jn-ofession ,
comme il elail a I'apogec do sa gloire et do sa favour en
cour. En ronlrani chez lui, il no renconira quo des vi.sages
Irisles, car .sa mort avail elo predlte a sa famille el ii ses
amis; il tomba efhclivomciil malaile jiou dc lenqis apres
son relour.
Le roi eiivoya lous les premiers medccins dc .'iladrid
porler lours secours a son favori ; mais. nialgie on
pcul-clrc par suilc do lours soin, riMniis, le m.dadc sue-
comba. Philippe avail aussi charge rarchevoque do Tyr,
patriarchc des hides, do lui ]inrlcr des cqnsolalio,us spiri-
Uielles.
Velasquez monrul en aoi'il IGliO. Sa mort priva le roi
d'une societe el d'une occupation joiir.ualiere qn'il ne put
jtimais remplaccr. La mort dc yelasqnez etait pour le roi
nnc pi'rli! irreparable Philippe ne cacha pas sa donleui ;
il lui reu lit lous les honneurs qui peuyenl elre renins ii
nn sujel espagnol; il lui (il des funerailles somplueuses,
anx luclles tonic la cour a;sis!a. S's roslos furenl d 'pose;
d ins 1 eijlise de Sin Juan.
310
MEIWHILLUS DE LA K ATI! HE.
An milieu iruni' com- iiulnlonli' cl ccinomiMie, Velasquez
ii'avait rien change aiix habiUiJes do sa vie. II etait rc-
inai'quable par sou amour du Iravail cl par scs moeurs aus-
teres. II renuissait des ipialiles i|uc Tou reiiconlre rare-
menl cnscmjjle, uu liiiu sens nalurel etuu s'euie uiiivcrsel.
Ccpciidanl ilcux grands pcinlres du di.\-sepliemc siecle
out presenle ce rare cxcmple, car Rubens, Taml etle con-
icmporaiu dc Volasiinez, posscdail aussi ccs tpialiles, el c'csl
ii COS dons exlraordinairos du gi'iuic el du caraclere quo
Ton doil allribuer le sueces i|ui les a snivi'i peudanl le
caurs de leur vie.
Velasipiez excellailegalenienl a peindreles suji'ls saeres,
la mylhologic cl I'liisloire; il j.eigiiail dans la perfeelion
les lleurs, les fruits, les auimaux, les inlericurs, les por-
Irails d'liouinies, de femmes el d'enl'anls, le paysnge liislo-
ritiue, les chasses cl I'arcliilei-Uire. Uu de ses plus I'ameux
lablcaus, usl celui de la lauiiUe royali' dans leipiel il llgurc
lul-meme oeciipe a peijuire Fiid'aiilc d'Espagjie.
(Jnaud le tableau I'ul linit , il le preseuta an roi, selon
son babilude, lui demauda s'il eu etait cnutent cl s'il voyait
quclquo chose a y faire encore. Celui-ci repoudil : « II
n'y manque qu'une cliose. o Et, preuanl uu pineeau des
mains d(' Velasquez, Philippe iicigiiit une croix de San lago
sur le vetemeut du portrait du peiutre. Cetlc croix y est
resteecommc Ic roi lavait peinte.
La collection du Louvre possede plusieurs excellents
lahleaux de Velasipiez.
MERVEILLES DE LA N.VTLIRE.
I.ES FXUX FOLI.ETS.
II est pen de persiiiiues qui jiaioul vu di's feux follcis, ou
qui n'en aiciil entendu parler, ces Itanuucs bleu mat vol-
ligeantau-dessus des marais, etijui ouUlounelieu atantde
pocliqucs legeudes.
Les savants ue sonl ]ias d'aecord sur la cause de ce me-
leorc. II est geueralemcnt attrihue a des vapeurs phos-
phon(|uesquis'elevent et s'ennammcnt, au seul contaclde
I'air, par les chaudes soirees des beaux jours d'ete, et sur-
toul de ranlonme; d'autres supposeut qii'ils sont relTel de
la lente combustion dc (|ueli|ues gaz iullanunahles, qui de-
vienneul visibles en selevaul dans une rouelie d'air plus
dense; une Iroisieme opinion les attrihue aucarbure d'hy-
driigene enHanime par I'clectricile de ralmosplicre; eten-
liu qnelques enlomologisles (1) les regardent comme des
inscctes ailes, luuiincux comme Ic ver lujsanl.
(Jnoi qu'il en soil de ces opinions, voyons d'abord sur
quoi csl basee I'opiuion de ceux des naluralislcs qui pen-
sent que le feu foUel n'est pas uu meteore. Un cci-lain
holaniste, dont le nom nous eihappe, declare avoir vu un
insccteluniineuxse p(isersuruueplanle,et,asonapproche,
avoir rcpris son vol. A I'apiiui decette assertion , un autre
naturaliste dil qu'il est ii sa connaissancc (ju'un paysan
plein d'intclligeucc lui avail assure qu'uji soir, revenant
tard rhez lui et traver.sanl un bois, il avail vu derriere lui
un feu fullel cpii suivait ses pas, cl qu'arrive a un eclialier
(I) Nolli iU)niK' aiix ii;i(U'a!is!i'S (jui ,s'frril|i('iU des iiliCCk'S.
an sortir du bois, la Unnierc s'eleva pour fraiichir la harre
cl dc la vola dans un pre voisin. — Nous rapportons le
fail s,ins cniumenlaircs , mais nous ne voyons pas ce qui
aurailpu empecher un Insecte de passer enire deux bar-
res. — Une autre fois, il vil deux feux follcis voler I'un au-
tnurdc Tautre pendant «n lenips assez considerable, a pen
]M-es comme deux papillons (|ui sejouent, et enfin se po-
ser sur une touffe de hruyere.
Xousavnns luquelque pari c|ue plusieurs savants nalu-
ralistes assurent que les feux follets sont la luniierc prodnite
par plusieurs vers luisants ailes volant eu groupes. L'un
d'enx a vu . dit-il , dc ces iusecles par nuil calme; il est
parvenu :\ en approcher a deux on trois metres, cl, de l.i, il
les a observes avec allention : il les a vus folatrcr autour
d'un chardon mort. Mais, a uu mouvement qu'il 111, ils
s'envnlerent vers une autre plante, puis vers une autre, cl
ainsi de suite, jusqu'a ce que , effrayes de sa poursuile, ils
se fussenl eliiignes tout a fait : c'etail dans une vallee mare-
cageuse enlouree de rochers ayaut I'apparence de renfermer
des metaux.
Uu auti'e nous dil avoir vu, avee beaucuupde surprise,
des vers Inisnuls voler ,i son approchc par-ilessns les liaies.
el ]iasser dans les champs. Ce pheuomeue ni'etonna d'au-
lant idus , ajonta-l-il , que jc savais que rinseete I'emelle
est lummeux et n'a jias d'ailes, taudis ipic le nu'de, qui en
a, n'est pas lumiueiix, et je ue puis m'explii|uer ce que j'ai
vu qu'eu su|qiosant que le male porte sa femelle a lea-
vers les airs.
Uu autre encore suppose que celle lumiere emane de la
laiqie-grillon, el pretend qu'en 1780 (ce n'est pas hier),
un b rmierlui apporta une tanpe-grillou, et lui ditqu'uu de
ses journaliers, voyant un feu follet , I'avait poursuivi cl
jelii a terro avec son chapeau; (|n"il I'avait ramasse, el
que c'etait rinscde meme qu'il lui apportail.
Ou racoutc encore qn'nn voyageur elant sur I'imperial
dune diligence, avail vu, pendant plus dedix minutes, un
feu follet tres-gros sur des terrains has et marccagenx;
(|u'il avail loule raison de croire ipie c'etail un insecte,
d'aulant plus (pie le vent etait assez fort et aurait di'i I'em-
porter en lignc direcle, si e'eut ete un meteore, niais (|u'll
en etait anirement. C'etail con>me le vol incoiistaut d'un
papillou tour a lour inontaul et descendant , paraissanl al-
lernativement se poser et s'elever comme planant dans les
airs.
Voiei un auUe rappo)'! de lemoins oculaires tolalement
endesaccord avec ceux qui precedent. Deux voyageurs tra-
versaieut a cheval un pays humide , sur une chanssee assez
haute pour etre praticable. 11 pouvait elrc dix heures du
soir ; 11 faisait beau temps, mais il n'y avail pas de luiie el
la nuil ctnil sombre. Tout a coup ils virent une lumiere a
environ quinze ou vingt pas sur le cute de la route. Ce
n'etait |ias une claite vive, c'etait plutot une vapeurlumi-
neuse qui s'elevait d'un marais convert d'une espece de
mousse. Celte mousse avail etc ]iarliellcmenl enlevee, ct
lai,ssait ca et la des Irons qui s'etaient remplisd'eau; une
espece d.e vegetation s'en etait suivie , el les plautes ainsi
produiles avaienl couuneuce a se couvertir en tourbe. On
sail que, dans ces cudroits, la dee(nuposilion des vegctaux
produit une grande emissicni de gaz. La lumiere qu'ils
apercevaienl etait elevee a un metre environ au-dessnsdu
sol ; elle voltigea dun trou a Taulrc . |iarallclemenl a la
I route, juscpi'a la distance d'une ciuqnanlaine de metres ,
! el s'cleignil tout d'uu coupconiiuc une chaudelle que I'on
MUriVlilLLKS U
souflle; elle lie pouvoil done pas provenir d'lni insccle.
Jusqu a |ii'eseiU . nous n'avons fiiil que rasscmblcr iles
recits poui' ct conlre, appuyiis SL'ulomeut sur des oui-dire;
nousnaviiiis fi!i! ni Ics nonis di'S nnrrateiirs, ni li's lieux
oil se passaicnl cos clioscs : nous savoiis Irop liicu com-
nicnl de parcils rccils croisscnl el s'cmliellissenl en passanl
de lioucliecu bouclie, el quelle croyanec lis niorilcnl. (Jul
ne connail la fable du Imu hl'Dnljm' , I' llumme i/iti acaiu-
ckc Willi aiif :
Avant la fin de b journijo
lis su nionlaicrU a plus (I'uii cent
A presenl nous aliens cilcr, sur la parole d'lui liouuue di-
gue de foi, un fail qui nous parail prouverd'uuc maniere sa-
lisfaisanle cpieles feux follels soul produils par des vapeurs
inllaniuialdes.
Lt major L. Klesson, de Berliu , a fail plusieurs expe-
riences concluslvps dans une vallee de la forel de Guliilz.
Cctle vallee est creusee profondement dans un lerrain de
inarne eonipacle . el elle esl niarecageuse dans le fond.
L'cau du niarais esl ferrugineuse el convene d'une croule
irisee , aulremenl dire presenlanl les couleurs de I'arc-eu-
ciel. Pendant le jour, il cu emane des bulles d'air, el la
niiit il sen elove des (lainmcs bleualres qui volligenl a la
surface. Soujicouuanl queb|ue ra|iporl enlre les llaniines
el les bulles d'air, le niajur remar(|ua allenliveiiienl les
endroils ou ces bulles elaienl abondaules, el s'y rendit la
null. II y apercut des llanniies dun bleu pourpre; il s'en
approcba sans besiler, el les vil s'eloiijner a niesure qu'il
avancail.
11 lit de vaius efforts pour en venir assez pres pour les
examiner. Pensant ([ue le mouvemeul qu'il inipriuiaila la
coloiuie d'air en avancanl. chassail devanl lui le gaz en-
flaninie , el rein,in|uaiil que hi llamine sassombrissait a
niesure qu'elle s'eloignait de la place doii elle einit par-
tic , il en coiicUil qii'un courai>t delie el cunlinu de gaz
emauail des bulles; quune fois enflanime, il conliiiuail a
bruler, mais que la vive clarlti du jour einpecliait den
dislinguer la lueur pale.
La curiosite poila le major Blesson .i faire, a la chute
du jour, une autre visile au marais. A niesure que le erepus-
cule s'obscurcissait, les llainmes conimencerenl a paraiire
eldeviurent graduelleinenl de plus en plus visibles; mais
elles elaient plus pales que la null prei:edeiile et d'une
leinte plus louge.ilre ; elles devenaieul |dus vives el pas-
saicnl par degres a la couleur bleuaire, en proportion de
ce que les tenebres epaississaient. C'elait une preuve
qu'elles briilaient pendant le jour, bien qn'elles fussent
alors invisibles. II s'en approeha . elles s'eloignereiit. II
s'arrela, pensant que les llanmies re\ienJraienl a la place
d'uu elles elaient parlies aussitol que lagilaliim de Pair
caiiseeparsou mouvenienl, aurailcesse ; effeclivement il les
vil revenir graduellcmeut vers lui. >'e pouvaiil les atlein-
dre, il essaya d'y allumer un inorceau de papier; mais il
les vil fuir encore , chassees sans doule par sa respiration.
II mil alors son nioiichoir sur sa liouclie, et celle fois reussit
mienx : le papier elait roussi et convert d'une humidile
visqueuse; 11 recominenca avec un papier pluselroil, el celle
fois il parvinl <i I'allumer. 11 avail done acquis une preuve
materielle et irrecu.sable ipic les feux follels ne sonl ni des
iusecles, ni des vapeurs phosphorcscenle.s lumineuses,
mais bien une llamme reelle produite par la combustion
d'uu ^-az iullammable.
E LA ^.VTL'I1E. 541
11 essaya ensuitc d'eleindre ces liimicres en suivant la
llamme a mcsiirc qu'elle fnyait ; en effet, il les chassa de
celle faron si loin du marais, ipie le courant de gaz, aminci
pour ainsi dire comme un fil , se rompil el la llainuie s'e-
leignit; mais quclqiies minules plus lanl elle repariil au-
dessus di'S bulles de gaz. sansipi'il semlil.it ipi'elle fi'ilallu-
inee par aucunc des autres llammes, dunt il y avail abon-
dance dans le vallon. — 11 rcpela plusieurs fuis celle
experience avec le meme n'siiUat. Au point du jour, les
liuiiieres lui parurenl se rapprochcr de terre , puis elles
palireni par degres, el enliii s'evaiiouireiil tout a fail.
Ala lombee de la unit suivante, le major retourna a
son posle ; il (il du feu sur le bord du vallon, alin de pou-
vuir essayer d'enllaminer le gaz. A eel efl'et, il eleignil
d'abordla llamme comme il avail fail precedemmeut, et
courut vile a la .source des bulles d'air avec une Inrchc
qu'il en approeha. Cecl produisit instantanement une es-
pece dexplosion assez bruyaute, sur une surface d'environ
Irois metres de diameire puis une lumiere parut a deux
ou Irois pieds aii-dessus du .sol, rouge d'abord et bleu.itre
ensnile; elle et.iil agitee de mouvements irreguliers. II ne
reslait done plus de doules que ces llamraes errautes sont
produiles par les gaz inll.immables des niarais. Le major
lllesson pensa anssi, mm sans apjiarence deraison,que ces
im-teores pourraienl bien etre la cause des iucendies spon-
laiies i|iii eclatenl i|uelquefois dans les forels.
Ces fails, comme Ions eeiix qui serapporlenl a I'bistoire
nalurelle. soul extreniement intercssantsqiianil ils sont
enninie celui-ci, elairenieiil elablis et raeonles sim|ile-
inenl sans cheichcr a lemnntcr aux cau.ses. 11 arrive Irop
.suuveiit qu'un obser\aleur qui veul expliqiicr tout ce qu'il
a vu ou cru voir, deliuit le cliarme que Ion aurait irouve
dans la simple narration des fails ; il prive le lecleur du
plaisir de ses propres rellcxions. .se perd dans uu labyrinlhe
de theories plus ou nioins liasardees, el manque sou but.
Nous ne suivrons pas le major Bles.son dans les conclu-
sions qu'il tire de ces fails. II y a un merile incontcs-
table dans ses observations ; il les a faitcs avec cette per-
severance et celle exactitude si necessairesdans tonics les
observations qui scrallachent aux sciences nalurelles; il a
done acquis un droit ineonteslable a noire reconnaissance.
Mais nous ne pouvons accepter aussi f.cilement ses conclu-
sidiis, lorsqu'il vent separer les meteores ignes des meteores
lumineux, et pense que ce gaz esl d'une nalure chimique
et susceptible de s'enllammer par le coiitaci de Pair.
Tons les gaz lie sont-ils pas d'une nalure chimique 'J.iu
surplus, les chimistes ne connai.sscnl qu'un gaz iullammable
an .seul contact de Pair, et c'cst le pliosphure d'livdrogene.
Or tons les chimistes savenl que le gaz qui emane des ma-
rais et des eaux slagnanles pendanl la decomposition des
malieres vegdlales est du carburc d'liydrogene ; en remuanl
les bones felides dans lesquelles il est engendre, onpeul les
recueillir dans un boeal renverse ; dans eel elal. ce gaz est
niele d'azote el d'aeide carboniqiie. II est inllainmable , mais
non sponlanemeiit au conlact de I'atniospliere. 11 faul de la
llamme ou de I'eleelrieile pnur determiner la combu^lion.
Au surplus, laissnns aux savants, par de nouvelles observa-
tions, le soin de determiner la question ; il nous suflit qu'il
soil prouvii que les feux follels sonl des meteores.
II n'eii resle pas nioins au major Blesson le merile d'a-
voir souleve le voile qui cachail ce niystere inleressani,
et d'avoir mis les savanls sur la voip.
SCENES
SCENES, UliGlTS, AVENTURES,
KXTBAITS DBS I'LUS IIECESTS VOVAOEUdS.
ETAT ACTUEIDE lA TRAITE DES NEGRES.
II faul avoir ele lenioiii ocul.iirc de ce Irisle el afdigcant
siieclacle , pi'ur poiivoir so foriiicr une iJi'C oxaclc ilcs
alrociles qui so commfUciil dans cc Irafic de cliair liu-
mainc. Us souffrnncos les plus liorriljles que rimasinalion
puisse former sonl dcvenues des coulnmcs de Ions les
jours, el il n'est pas d'infaniie inscrile dans la lisle des
crimes qui ne devienne uue Iriste realile. La decouvorte
du continent occidental par Cluisloplie Coloml) a liicntijt
amenc I'importation dcs ncgrcs dans ces contrees lom-
laines. La reine Ellsalictli d'Anslelcrrc no resta pas en
arriere pour encourager ce trafic : le premier navire an-
glais qui, apres avoir enlevedes negrosinoffensifsdu rivage
"africain, les ait transportes sur le bord oppose de rocean
Atlantiqne, faisait parlie dela marine royalc, ct claitcom-
mande par sir John llarokins, I'un dcs officiers de I'ami-
raute. 11 est hors de doute que Sa Majestc percevail sa part
dansle proJuit de la vente, [Icpuis cettc cpoque, le tralic dcs
csclavcs n'a fait qu'angmcnter dans une progression extra-
ordinaire juscin'au moment on, craignant pour ses colo-
nics, I'Angleterre a rcnonce a la Iraite sons prctcxle d'liu-
manitel Aujiiurd'luii tels sonl les benefices do ce com-
merce infame, que la, comme dans toute contrebandc, on
recrute Ires-aisementdcs bommes qui Jeviennenl les agents
reguliers de celte horrible exploitation.
Lorsque la population du Bresil s'est declarce, il y a line
vingtaine d'annecs environ, iiidependante du Portugal, sa
mere patrie, alors aussi on prononca la fin dc I'csclavage.
Cependanl depnis Iocs les Bresilicns sont revenus plus que
jamais a leur premier trafic, et les principaux marches de
chair bumaine sonl etablis aujourd'buisurles vastes plages
de lenr pays. II est certain que rimportation annucUe de
CCS maliieurcux s'eleve a cinquanle ou .soixante millc indi-
vidus pour Hio-Janeiro seulemenl, et que trois autres ports
exercent, chacun pour sa part, la traitc sur une echcUc
aussi large, tandis que plusienrs populations font In con-
trebandc de ces pauvrcs creatures dans I'interieur dcs
lerres.
Santos est nn des principaux marches de iiegrcs ; scpare
de la terre ferme par nn canal tres-irregulier, il presente
de grandcs facilites ponr dcban|uer la cargaison bumaine.
pour la disperscr pi'omplcmcul dans rintcrieur des pro-
vinces, el surtont rensevdir .i jamais dans les mines d'or de
Saint-Paul.
On sail que ces infortnnes, venns en general de I'inle-
rieur de I'Afriqne , sont pour I'ordinairc des prisonniers
lombcs au pouvuir de I'une de ces peuplades ipii se font
continuellemenl la guerre, ou des indiviJns enleves dans
dcs attaques nocturnes. Quels qu'ils soient, on les attache
a une forte cbainemnniede colliers en fer, el ilsdesccndcnt
ainsi vers la cote, on ils sonl cmbarques.
Avanl de quitter la Icrre , on leur fait subir une visile ;
on les marque d'un chiffro ou d'un caraclerc <[Uclconipie
au moyen d'un fer cbaud ipii penetre dans les chairs, el
bienlot se repand dans I'air une vapeiir I'etidc, qui rend
plus hideuse encore celte praliqiie briilale cxeculee sur
nossemblables. Les uns se soumettent a eel acle avec une
soumission silencieuse ; les autres sonlirritespar la lerreur,
au point qu'il est souvent uecessaire de les atlacher el dc
les baillonner pour celte operation revoltanle.
Ces preparatifs termiues, on embanpie les victimes. Ln-
lassccs d'une nianicre barbare, on ne saurail dire les soul-
franccs de la Iravcrscc, el les negrcs adultes ne sont pas
les seules viclimes de ces cruautcs. ^ous nous souvenons
de ce navire americaiu qui Iransportait une cargaison d'cu-
fanls, ages de bull a treize ans. a Ilio de la Plala, dans I'A-
'mcriqne meridionale. C'etail nn iJCtit brick, qui, au com-
mencement du voyage, avail a bord deux cents enfauts dcs
deux sexes enlasses les tms sur les autres dans nn entre-
ponl dont la hauteur etait a peine dc trois pieds. Sur ce
nombre, la moitie a peu prcs peril avanl d'arriver au lieu
dc destination. Avec eu.x avaient ele emnicncs six limunes
qui, renianpiant I'elal maladif de reqnipage.'concnrent le
projcl de se rcndre maitrcs du navire. Au bout de qnelques
joursd'atlente, pendant lesqnels ils rcprircntquclquevigneur
physique, ilssc soulcvcrenl enfin coiitreleurs nppresseurs.
Ces negres combatlirent en desespcres ; mais ils n'cn fu-
rent pas moins vaincus el ccrases par le savoir-faire cl le
courage supcrieurs dc Tequipage americain, qui se servait
a la fois d'armes a feu el de piques disposee? sur Ic ponl.
Lelendcmain matin, le maitrc du brick, grievemcnlblcsse,
fit condnirc ces negies sur le pout, et apres les avoir fait
atlacher sur le baslingage, espece de parapet en hois qui
cnloure le ponl, il se [ilaca a la barre, ct de la fit feu sur
cux lour a lour , jnscpi'a ce quo tons fusscnl lombcs
dans lamer. Une en(pielercvelale secret dela vigueur qu'ils
avaientrelrouvec, clTon deconvrit que chaque enfant leur
avail cede une portion de sa faible ration d'aliments pour
augmcntcr les forces dcs adultes et cnntribuer ainsi. chacun
ponr sa part, au succes de rcntreprise.
Les dcccs pendant la traversce sont si frequcnis, qu'ils
cxcilent li peine rattcniion de requipage. Les chefs scnls
froncent le sourcil : c'est de la marehandise el de I'ar-
genl perdus. Le suicide, surlout parmi les fenimes, quand
nnc foisellcs out perdu leurs enfauts, esltres-commun. Dn
reste, ces malheureux negres rcsleraient impassibles ,
plonges dans une sorle de stupeur, si le fouet ne les forcail
souvent a se monvoir. Les femmcs sonl meme obligees
parfois dc ceder a des brutaliles licencieuses de la plus
grossiere nature. De quoi s'ctonner en presence de ces
fails d'une cxaclilUile incontestable, si ces malheureux
etres prefercnt la mort a une existence donl les seuls sou-
venirs et la seule perspective sont la niisere el les tortures?
Dcs millicrs dc victimes pcrissent ainsi de desespoir, par
suite de maladies ou de suicides, avanl ipie le batiment ar-
rive a sa destination.
Le nondn-e des eselives dansle Bresil depassait, en 1843,
Ic chiffre de trois millions d'individus, qui, ponr la pUi-
parl, sinon en tolalite, out (ile introduils en contrebande
pcjnlant (pic les gonvernenuuits europeens claienten pour-
parler avec les antorites bresiliennes au sujet de la sup-
pression definitive de la Iraite des negres
D'autres contrees d'Amcrique soul engagees dans cetle
monstrueusc vente de chair hnmaine; I'ilc de Cuba en par-
ticulier. Un nombre immense d'csclavcs est conduit aussi
dans les provinces les plus meriilionales dcs Etals-Unis. II
csl avere que le chiffre dcs negres enleves a leur [lays, et
cxpedies dans ces contrees, s'eleve annnelleinent a environ
•iOO.OOO individus. Mais cc n'est point cxclusivemcnl avec
1)E VOVAUliS IlliCKNTS.
S'So
rAini'Tii|iie (|iie se fail la liaiU' ; ce genre de commerce
est elabli siir line ti'cs-grande cclicUo dans los marches
maliomelansdii Maroc, dc Tunis, de Tripoli, del'Egyple, de
la Tnrquie, de la IVrse, de I'Araljie et di's coles de I'Asie.
11 s'y fail de deux nianieres, par eau, ii borJ des vais-
scaux aralies, ou par lerre , au moyen des caravancs (|ui
(raversenl le desert, pour les vendre dans lesLlals l)arl)a-
resqiieseldel'E.cyple. AHssiest-ilpresc|uc impossible decal-
culer avcc qnel(|ne precision le nomlirc des Africains en-
leves nnnuellemenl a leiir sol nnlal.
Les recenls Irailcs cnlrc les nations ?uropeennes pro-
mellcnl de rendre de grands services, el dc mellre de-
finitivemenl de jmissanles enlraves a racenmplissement
dc la Iraile. Les Americains aussi onl claldi des forces
marilinies snr les coles d'Afritpie , el nous somnins liou-
renx de faire pari a nos lecleiirs de I'aclivile el dcremii-
lalion ipie deplnienl les croisenrs de loules les nations
pour caplurcr les negriers. Tonlefois il est certain (|iie
Telement !e plus important du succes de ces rcformes
semble clre encore neglige de nos jonrs , nous vouloiis
parler des principes d'educalion, de religion el de civilisa-
tion . ([ui dcvraient elrc rejiandiis parnii les Africains eux-
memes, et pour ainsi dire implanles dans leur pays.
La traitc doil ctre Jeelaree haiitemenl infamanle, el
placee en tele des crimes de lese-linmanite. Qu'en meme
temps Ton ait recours aux moyens les plus propres a I'en-
conragement de ragricullure el du commerce cliez les
penplades indigenes. Les missionnaires onl lieaucoup fail
dans certaines contrces du globe. L'Afriqne est un vasle
champ ouvertau devouement chrcticn. Qu'ils enseignent a
eette race abrutie I'errenr dans la(|uelle clle est plongee,
Leur courage ne saurail faiblir en songeanl aux essais mal-
henreux lentes a Madagascar; le mauvais succes ne doil
iiu'exciter um\ saiiite opinialrele. 11 n'est pas d'anie hii-
jn.iine, i(ueli|ue barbare cpi'elle soil, que Dieu n'ail faite
susceptible d'education ; le meme Dieu accordera assis-
tance et secours ii ceux qui se dcvoueront a lasainlc cause
de riumianili'.
lETTRE D'UN VOTAGEUR FRAN5AIS.
Phiiailc-lpliio, isjiiin IS14.
J'arrivais a I'biladelpbie, jc trouvai tonics les toes, siir
mon pa.ssagi", encumbrees d'unc fonle immense. An njilieu
de cett(! fnule no ouvrier, convert de ses habits de travail,
c'iait porte en Irinmpbe. Tontes les llgurcs exprimaient la
joie la pins vive, ctdes niilliersde voix repetaienl mi con-
cert de hourras bruyants. La physionomie du heros de la
fete, au ronlraire, elait calme et reciieillie; ses yenx se
portaient allernativcmenl vers le ciel comme ponr rendie
grace a rEtcrnel, et de la s"abaissaient vers sa famille qui
marchail a .ses coles, et versail des larmes de boiiheur.
Vivemenl louche de ce spectacle, j'intcrrogeai vainement
les prrsonnes qui m'entouraieni, car on ne me compre-
nait pas ; j'cus assez de peine a gagner une rue moins
encombree, et dc liraubcrge oil j'allais dcscendre.
.Mon bote. Francais etalili en Americine deimis longnes
annees, s'emjircssa, conlre I'usage des Anglo-Aniericaiiis,
depnurvoira mes besoinsavecraffabilitednn compatriole.
Apres que j'eus mange dn meillenr appetit un diner dont
j'avais grand besoin, I'aubergisle, M. Maillard, vint .s'infor-
nier s'il poiivail ni'etre utile a quelque chose, el m'offrit
ses services. Jc le remerciai, et le priai de satisfaire ma cu-
riosite au snjet de la scene InnudUieuse doni je venais d'etre
temoin.
u Oh! me repondit M. Maillard, c'esi loule une histoire,
el je vous la raeonlerai avec plaisir.
L'homme que vous ave?. vn porter en triomphe est un
humble serrurier. 11 y a qiielques annees, il vivait ici dans
une mcdiocrilc plus voisine de la pauvrete que de I'opu-
lence.
Amos Sparks, c'est ainsi qu'on le nomme, quoique fort
habile a ('aire d'excellentes serrures, ne dedaignail pas de re-
parer les vieilles;il excellaitsurlout parson adresseaouvrir
les fermcluresles phiscompliquees, et jouissaildela meil-
leure reputation pour son talent el sa bonne conduite.
11 etait sobre, laboricux, econome, el ne manqnail jamais
d'ouvrage. Pourtant il elait paiivre ; il ne faisait que vivo-
tcr avcc sa petite famille. C'est qu'il avail plus I'amour du
travail et de .son art que celui de I'argent. II employait
beaucoup dc temps a faire des inventions nouvelles en ser-
rurerie et en mecanique; il en avail rhonneur, et les au-
trcs le profit.
Qnoi i|u"il en soil, il vivait content dans sa mcdiocrilc,
travaillail sans relache, el partageait avcc sa femme et ses
enfants les fruits de son penible labeur el la satisfaction
que lui donnail I'cslime de ses concitoyens.
Vers I'aulomne de 18"', un negociant de celle ville qui
faisail des affaires immenses, apres avoir passe la matinee
sur les quais, dans ses magasins et a bord de ses vaisseaux,
rentra chez lui pour faire un placement considerable de
foods a la ban(pie de riiiladelphie, et pour rembourserdes
payenienls qu'elle avail fails pour lui le jour meme.
II ful aussi contrarie
que surpris en s'apercevanl qu'il
avail egare ou perdu la clef de son coffre-forl. Apres
avoir cherche longlemps et inulilement de tous coles, il
acquit la certitude (pi'il avail jierdn sa clef dans la rue ou
sur le port, problablenient en tirant son niouchoir de sa
poclie. II etait dans un grand embanas. (Jue faire? il elait
une heure, et la banquc fermail a Irois; il etait trop tard
pour faire offrir une recompense a celui cpii rapporterail
la clef, comme pour rassembler une somme aussi forte que
celle qu'il lui fallail.
Dans sa per)dexile, le negoeiaiit pensa au pauvre serrn-
rier; il avail sonvenl entendu parler d'Amos Sparks el de
sa rare habilele, c'elait le cas de mellre son talent a I'e-
preiive. Mais n'lissirail-il '.' En dese.sjioir de cau.se, il rcso-
Int d'en faire I'cssai; il ne lui reslait plus de ressourcc
qu'en eel homme.
Un eommis courutcn loute hate chercher Amos, (|ui,
appreiiantde cpioiil Olait question, arriva bienlOt, muni dc
ses outils.
La besogne elait plus difficile qu'on ne I'avait suppose,
et le negociant, voyant quelaserrure resistail aux premiers
efforts, et craignanl qu'un delai ne portal atteinte a .son
credit, offrit a Amos cinq jjiaslres (a.'i francs), s'il venail
a boul d'ouvrir le coffre en cinci niinuKs. Amos rcussil
a crocheter la serrure ; en quelques moments la caisse ful
ouverte.
Le inarchand jouissait deja de la vue de ses tresors, mais
ils n'etaient point encore en son (louvoir, Comme il ne
j.osselait pas la repnialinn la plus iiilacte pour sa lovaule
'■*•' SCKNIiS
ct sa droilui-e en nmiiros, Ic sen-urier no crul pas prndcnl | lui offril senlcmcnl <|uelf|ncs sous. prOlcM.int quo c'elnil
descn fici' ii sa pirolo pour Ic payomonl : Icianl done I (den asscz pom- nne liesoi^ne do si pen dinslanls .\raos in-
d line mam lo convercle dn cdTio, il tondil 1-aulro au mar- | sisia avec rerniolo, le marehand liiaisa el linil par .e la-
chand, el Ini demanda le^peelIleIlsemon( les iin(| piastres clier. Amos alors laissa relomber lecnnvercle du coflre
promises: eommo il sy allendail, celni-ci les lui refnsa, el 1 tpii se Irnnva fermo aussi solldcmcnl iiuauparavnni
Grande fiit la confusion du noi;ocianl ; il regarda I'oii-
vricr avec stupefaclion, el, jclant les yeux snr le cadran do
rhorloa;e, il vit avec effrui i(u'il elail [rois lienres mnins
vingt minutes ; les aiguilles lui semblaient marcher avec line
rapiditedcscspcrante. A((uel nioycn recourir'.'ll vonlutme-
nacer; mais Amos, sans se deconcerter ni s'cmonvoir, lui
dit que, s'il se croyait lese dans ses inlcrels, il ponvait s'a-
dresseraux Iribunanx; que, pour lui, son temps elait trop
precieux, en ce moment, pour s'amuser a lo perdrc en do
vaines discussions, et il se dirigea Iranquiilcmenl vers la
porto du bni-ean pour sortir.
Le marcband lo rappela; il no lui roslait pas d'antre al-
ternative , il y allail de son credit. II se resigna done a
plier devant la nccessUc, et presentaut les cinq piastres :
<cTenez, Sparks, lui dit-il, voici votre argent, el n'en jiar-
lons plus.
— 11 m'en faut dix ( 50 fr, ) mainlonant, repondit Amos.
Vous avez voiilu abuser d'un pauvre ouvrior ; en cchango. jc
veux vous donnor une lecnii lout en ouvrant voire coflre :
mais cette lecon vant bion quolqne chose. Vous vouliez
non-seulement me privcr d'un salairogagne logitimemont,
mais vous vonlioz encore m'entrainor dans un proces qui
aurail riiino ma famille. ,\ I'avonir, vous ne chcrcherez pas
a abuser de vos richesses en traitant avec les paiivrcs sans
penser au serrurier, el ces cinq piastres poiirroiit vous
epargner bien des peches el des remords. »
Cette petite morale, prononceo avec calmc el d'un ton
ferine, ne laissail nnl e.spoir de llcchir Amos, et I'aiguille
inexorable, cbcminanl toujoiirs, avail dojii franclu unetni-
nulo ou deux. Le marchand compla rapidomont les dix
piastres; le serrurier les oxamina allcnlivemenl I'uneaprcs
Tautre pour s'assurer qu'il n'y en avail pas dans le nombre
quelqucs-unes de mauvais aloi, el les mil Iranquillenient
dans sa poclie. Voyant alors >a recompense assnree, il ouvrit
avec dextorite le coffre-fort, et mil le negociaul a momede
VJMi VkW\"Si\'i-.
so' presenter ii la bnniue, ii temps | our sauver son credit.
A environ un mois de hi, un vol d'argeut el de billets
de la somme de cinquanle mille piastres (230,()C0 fr ), ful
commis a la hanque de Philadelpliie. On avail scie Icsbar-
roaiix dune feneire, el Ton avail ouverl les porlcs des
caveaiixavec lanl d'adrcsse, qn'il ctail evident que le vo-
b'ur dcvait non-seulement posseder une forte dose de har-
diesse el d'intrepidile, mais elail anssi nn habile mocani-
cien. La police furela tonle la viUe et les environs, sans
deconvrir la moindre trace du criminel ni des objets vo-
les; I'esprit public elail vivemeni excite. Qniconqne avail
quolqne chose ii pordro seiitit i|u'il y avail en campagne
do bardis malfaitenrs qui probablcmenl no tarderaieiit pas
i'l lui rendre visile. Tons avaioni done nil grand interel
ii voir arreterol condamner loeoupal)le. Ala fin, de vrgues
.sonpconscomnienroront i'l planer sur Sparks. Cependanlsa
panvrele el sa probilo bien ronnnes seniblaienl leur donner
nn demtaili suflisanl. .\inns avail ele lro|i goneroux pour
parlor de I'avenlure du coffre-forl. el jnsqn'i'i ee moment
lo negoeianl avail en honle de la pnblier, car c'eul ele se
rendro la fable do la ville; cepcndani clle conimenca alors
ii circuler. Le marcband, pou.ssc sans dome par un esprit
de vengeance, en avail .soufllo queb|ucs mots anx direclenrs
de la bani|UO, ol I'histnire s'( n elait repandue, non sans
eommonlaires cbarilables, comme ecla se pratique asscz
communonient. Cliacun, en la raeonlanl, ncmanquapasd'y
ajouler descirconstiinces plus ou moins oxagereos. Pendant
quelquos jours, Amos crnl roniarquer que ses voisins lui
baltaieni froid elprenaionl avec lui desmanierosolranges,
el il s'aporcul ipie des amis ipii venaienl habituelleinent,
apres diner, causer dans sa briutique, s'alistonaieni de leur
visile. Mais il elait li mille lieues dcsonpenniier la cause
de col cloigmmenl. et il n'y fit pas grandc allenlion. So-
lon Fusage, la persoimc inlorcssce elait la soule ipii ne fill
pas dans le secret. Le i>remier avis (pi'il eul du soupcoii
Dli VUVACliS liliCEMS.
oliriix doiit il cl.iil i;enoralcmcnl rulijct fill la visile d'liii
iifliiHcTilL' pulire accompniine de constables, el poilcurd'im
innndal |ioLii' visiter lamaison.
IVndanl loule la jouriU'C. Amos el sa fainille fiiiTiil
idiiiiui's dans un cliagi-iii nii'lrdo stiipcur. I'onria premieix'
Ibis ils succoinliaieiil sous le poids de radvcisile. Jusipi'a-
loi's, nialgre lour pauvrelo, ils avaicnl trouvc Ic Imnlienr
dans les lenioignages d'eslime qn'ils reccvaienl de Ions,
l.i'iir Lonne repnialion elail plus precieusc a lenrs ycnx
ijue Ions les Iresors dn nionJe, el tonl d'un coup ils se la
vovaient enlever! Enx i|ni n'onraicnl |ias fail lort d'nn son
li lenr procliain, se voir accuser d'un vol dc denx cenl
iiui|nanle niille francs 1 L'enormile de la sommc seniMait
encore ajonlcr .i I'odieux dusonpcon, ellesfaisail snccom-
l)er a lenrs angoisses morlelles. I'endant les ncherclies de
!a justice, ils se serraienl les uns eonlre Icsanlres, I'ceil
nioriie el la lelc abaltne. Mais qnand Ic coniniissaire cut
lerniine sa visile, el declara i|n'il n'y avail rien dans la
niaison qni pnl a]ipnj'er I'accnsalion on jeler siir Amos le
nidindre sonpcon, ce fnl alors scnlenienl c|n'ils coninien-
cerenl a prenilre i|ueliine Iraiicpiillile el i|n'ils pureni envi-
sager avec calme lescirconslances ijui etaienl venues Irou-
liler lenr bonlienr.
Amos fnl le premier a recouvrer sa serenilc liahiluelle
el a rasscmlder ses idees.
« Prenez courage, raes chers eufanls, ne desespernns ja-
mais de la Providence. Conragel eel odieux sonpcon ne pent
longlemps planer snr nous, nne vie entiere dinlegrile
nons prolegera el Irouvcra .sa recompense. Dieu Iraite
chacun selon ses OBUvres, el s'il .souffrc qnebiuefois •ijne
linnocenl soil persecute dans celte vallcc de misere, c'esl
pour Ten recompenser dans I'elernile par unc conronne
de gloire imniorlelle. D'aillenrs, j'ai penl-elrc a me repro-
clier dc metre monire lier de I'lialiilele ijne le ciel m'a
accordce. Orgueillenx, je suis humilie. Le monde credule
on irrelleclii a ecoulii I'acilcmenl les propos repaudus par
ccnx que ma vanite a pu Idesser. No mnrniurons done
point eonlre les decrels do Dieu. sa sainle V(donle soil
I'aile.
o I.es verilaMes anleurs dn crime ne penvcnt manquer
d'etre liienlol deconverls, car un vol si considerable doit
icrlainenn'nl donner re\eil a toul le monde, el la ve-
rite se fera jour. Sinon, (piand nos voisins verront que
nous sonnnes anssi pauvrcs el aussi reslreints dans nos
depcnses que par le passe, qnand ils nous verronl travail-
ler el ne rien changer a noire maniere de vivre, nos con-
ciloyens aOront assez de lion sens el de bienveillancc pour
nous rendre justice. «
II y avail beaueon|i de raison el de piele dans les conso-
lations que donnait Amos a sa famille; il y avail nieme
nne apparence de probabilite que ses esperances se realise-
raient. Mais, helas ! il lui reslail encore a supporter une
longuc suite d'cpreuves el de calamiles qu'il lui aurait etc
diflicilc de prevoir.
Les direcleurs dela banciue, voyanl lours reclierchesinu-
tiles , depulerent Tun d'eux aupres d'Anios pour entrer
avec lui en pourparlers; on lui offrail unc grosse sonime,
on luiassurait I'irnpunite, on le garantissail de loutos pour-
suites , s'il voulail rendre I'argonl el livror a la justice ses
complices, s'il en avail. En vain il protesta de sou inno-
cence, exprima I'liorreurquo lui inspirait rideeseulc d'un
pareil crime; le ban(|uier lui reprocha .son eudurclssemenl,
el b' meuaca des suites de son obslinalion. Mais le sori-n-
rier n'etait point babilue a des colloqnos qui etablis-
saienl en principe (pi'il elail un miserable, sa dignite
il'boiinele bomme s'offensa, el il clinssa do die/, lui sans
corenionio celniqui I'y vcnail insnllor par sos sujqiosilions
injiirieuses.
Le banquier se rctira ploin do rage el jurant de se ven-
ger. Les direcleurs de la ban(|ne tinreiit conseil , el il ful
decide de faire arretor Sparks, dans I'espoir qu'en prison,
an secret, scpare de sa famille el de .ses complices, il se-
I'ait moins sur ses gardes, qu'il deviendrail plus facile
d'acquorir des preuves maloriclles, el qu'cnlin I'i.sole-
ment, les promesses el les menaces ne pourraieul mani|uer
de I'amener a entrer en arrangements, el peul-clrc .i con-
lesser S(ni crime.
Son arreslation ful un coup de foudre pour sa famille.
Ileunis, ils auraionl trouve du courage el de la force pour
su|iporterle malbour, car les consolalions nuiluelles pen-
vent adoncir la coupe la plus amere; mais se voir scpares,
olrc prives de cot appui donl le courage cbroticn avail
lonjours soutenu leur faiblcsse , le voir airache de leurs
bras, Iraine en prison, et n'onvisagerde tons cotes que liaine
el que mepris, qu'infamie el que lionle, c'elait un fardeau
an-dessus de leurs forces: conime le lierre prive de I'ornie,
ils snccombaienl faiblos el presque doscsporos. Malgro le
temoignage d'une conscience pure, ils affrontaienl pour la
premiere fois les orages de la vie, oux qui n'elaienl accou-
Inmes qu'aux douceurs de la paix et de rnnion. lis sup-
piirlerent cependanl avec resignation les privations, el la
misere cpii vinl babiler leur demeure, du moment on le
scrrurier cessa de pouvoir subvenir ii leurs besoins ])ar
.son travail assidu; et dn pen (pi'il lenr reslail, ils Irouve-
renl encore le moyeu de meltre de cole de quoi acbeler
qiiebpie melsdelicat qu'ils envoyaicnl an prisonnier pour
adoncir .sa captivite.
I'lusieursmois s'ecoulercnl sans qn'Amos fut amene a faire
des confessions, ou a donner quelque iudice quipnlconduire
,i la doconverte de preuves dn crime, el .ses persoculeurs
se virenl forces, malgro lenr repugnance, a le moltre en
jngement. Us n'avaiont pas la plus legere preuvo du crime;
les seuls indices probables de sa culpabilite'elaienl des
seiTures d'un ctrange mocanisnie el des oulils d'inie rare
perfection qui pronvaiont le lalenl inconlestable d'.Vnjos,
mais non sa criininalile ; mais il y en avail un si grand
nombre el une si grande variete, ils avaionl du couler
tanl de dcpeiise, do travail el d'adres,se, qu'il elail )ieu
de juges, de jures on menjc de temoins, iini pus.senl
croire qu'nn homme si panvre se fnl donne taut de peine
el cut sacrilio tanl J'argonl pour les executor, s'il n'eut
en pour but que de satisfaire unic|uenienl I'amour de I'arl
ot sa pi'opre curiosite.
Sos amis et ses voisins donnerent des temoignages una-
nimes de sa stride iirobite ; mais, dans le centre - inler-
rogaloire, ils avouorcnt tons cpi'lls Tavaienl vu pioursuivre
avec perseverance sos rccherclies et ses etudes dans les
secrets les plus caches do la serrurcrie. Et dans Petal d'irri-
tation on elail I'esprit public an snjel du vol audacieux
commis a la banque. si Ton fail la part do I'inlluence des
vagues rumours qui circulaionl sur le comple d'Amos; si
Ton y ajoulc les preuves de son extreme babilcto, sa pau-
vretc ovidente. el cependanl les sonimos et le lenijis iiu'il
;ivail du sacrifier a la poursuite de ses recherchos, les noin-
bronx chcfs-d (Euvre exposes devanl le tribunal, el enlin
lliisloire du coffre do for raconlee avec des circonstances
346
st:E.M;s iiii \(\\ ACLS iiiii.t.Ms.
pleines irex.iifi'ralioii il qui seniMaieiil liMiirdu |irodigi.', il
est nalMi'ol dc penscr iiiic toiites ccs circonslancos ]iou-
vaient avoir sui- Ics juits ct li-s jugcs nnc inllnenco dusas-
li'ciise pour I'accu.s^, ct i|u'on se doinaiidpiait si tons ces
outils n'avaii'iit jias I'li' f:ilirii|U(''s pour assuror le succiis du
criuic. L'avnrat do la parlic civile appuya lialjilement sur
toutes CPs circonslauccs ; sou eloquence eliraulait les cs-
prits, et il paraissait Ircs-pnihalde (|ue Ic verdict scrail fatal
il Taccusi', et (pi'il iie tarderail pas a confesser le crime.
Beaucoup dejures, eulraines par rencliainenient de tousles
fails reiiuis, a defaut de preuves pour I'liiculper. adiuet-
laient la possihilile d'uii aveii, et paraissaient dis]ioses a
le condaniner pour se faire un nierite de leur penetration.
Mais les Americaiiis n'eu etaicnt pas encore venuscommc
nujourd'hui a pendre no linnimc sur de sinqdcs soupcons,
ct a acquiltcrun assassin, parcefpiela po]uilace ne regarde
pas Ic nieurlre comnic nn crime.
Le president lit un resume cl.iir et impartial. II convint
que la nianierc de \ivrc de I'accuse et les depenses qn'il
availfailes pour la production des chefs-d'oeuvre exposes de-
vant la cour n'elaieiit pas en rapport avec son etat de pau-
vrete, et pouvaient I'e.xposer a dc graves soupcons; mais
de la a des preuves, 11 y avait uiie grande distance, et il ne
voyaitpas la plus legere preuve contre Amos. Et nieme les
probaljililes se trouvaienl toutes dans les outils Irouves
dans sa boutique ; il ne voyait ricn, outre cela, qui jii'it se
rnttacher avec le vol fait a la liani[uc.
Sparks ful done acquitle. Mais comnie on ne trouvait
personne sur qui I'on put reporter les soupcons ils con-
tinnercnta |daner sur lui et renvelopperent de toule part.
Le negociant au coffrc-l'ort et les direclcurs dc la lian(nie
n'liesitercnt Jias a declarer que le scrrurier avait etc ac-
quitte fautc de preuves sufjisanles, mais ([u'ilsneduntaient
nullement de sa culpahilite. Ccs propos furenl rcpcles si
sonvent, que la masse, indifrerente et pen soucicuse dc
rccherclicrlavcrile, admit sans JifficuUe I'opinioiiqu'Amos
Sparks etait un fripon. Comment la repulalion d'un homme
pauvre pourrail-ellc resistor a la cnlomnie ct aux attaques
aeliarnes dc riches perseculcnrs?
(Juant a lui, il recutson acquitlement conime une preuve
de rindependance dn .jury de son pays, el se rejouit de voir
cpi'il pouvail encore compter sur la droilure el I'impartia-
lite des trihunaux americaius. II endirassa sa femme et scs
enfanis avec effusion, ct rentre cliez lui se prosterna avec
CHX devant le dispensaleur de tons liiens, pour le rcmer-
cier de sa sainle prolectifin qui venait de larracher an peril
el ii I'infamic ; ils passerent le resle du jour autonr du
fover avec la meme joie et le menic honhcur qu'aulrefois.
Cependant Amos ne tarda pas a voir (pie hien ipi'il I'ut
acipiitle par le,iury, il ne I'elait pas par I'opinion pMljlii|uc.
11 avait lu sur la ligure de pliisieiiis jiircs, et du plus grand
iiomhicdcs spectatcurs, une expression qu'il iiccom|)renait
que trop bien. II aurail ardemment souhailc qn'il en ful
autrement ct s'en reposail sur I'avenir pour decouvrir
le vrai coupable; dans le cas conlraire, il comptail sur
sa vicetsaconduile irreproclialiles pour rameiier l'o]:inion
de ses comiialriolis.
rcpcndant il u'avait passonge aux miiyens d'existencc ; ilse
senlait le courage de supporter la froideur, I'aversion dc ses
voisins et les soupcons injuricux qui le poursuivaient, parce
qu'il voyait des apparences qui excusaicnl I'crreur popu-
laire: pourlani ilesperaitque I'avenir le rehabililerail. Slais
rabseneedescbalands lui ouvritliienlot les ycux sursa posi-
lioii reelle. Aucun ne lui apportait d'ouvrage ; 11 fabriquail
des objels que )iersoniie ne lui achetail ; bientut le peu
d'argent ecliappc aux frais de son jiigcmenl se trouva
epuise, el il lui devint impossible, malgrctouteson economic
et ses efforts, de subveiiir aux besoins de sa famille. lis ven-
dirent avec repugnance tons leurs meubles les iins apres
les nutres, et s'inqioserent chaquejonrde nouvelles pri-
vations, toutcida inutilenient ; an bout de qiielques mois, il
ne restait plusquc lesmurset une table, mais rien a melire
dessus. Us en elaient reduils a meudier, mourir de faim,
oil emigrer. II avait deja souvent pcnse ii ce dernier
expiklient, assez commun en Anieriii«e, comme le seul
remede aiix silualions desespiirees , et la famille aurail
I'Tuigre depuis longtemps sans respcrance qu'clle nourris-
sail de voirle mystere edairci, el son innocence reconnue.
Knlin, il devint impossible de rester plus longtemps a I'liila-
delpliie; comme ils n'avaicut pas de lonrd bagage a trai.s-
porlcr et pas plus detles qii'ils n'avaicut dc credit depuis
leur nialheur, ]!ersonne iic [louvait s'opposer a leur depart.
lis s'embarquereut dans un bateau, el allercnts'etablira
Norrislown. Lii comme ils etaicnt tons laborieux et nbli-
geanls, rabondance rcnira bientot chez eux ; au lieu de
regards froids et de propos insultauts, les sourires et I'a-
miliede leurs noiiveaux voisins vinrent completer leur bon-
benr. Mais, helas ! cc bonbeur iiedcvail pas eire de longne
iliirec. Un voyageiir dc I'biladelpliie, qui se rendail aux
moutaguesRlcues, passa par Norrislown; il reconnut Sparks,
et raconia I'liistoire en le designant comme un malfaitcur
dangereux. Le bruit sc repaudil. La pauvre famille S]iarks
devint encore nnc famille de parias, et n'eut d'aiitre al-
lernalive que de quilter une ville dans laquelle, au moins,
elle u'avait pas d'aneiens amis a rcgretler.
Les voila parlis de nouveaii; ils traverscnl les montagnes,
et viMit planter leur tente a Sunbury, dans la vallee de
Susipiebanna. La ils curcnt momenlanemenllc ineme suc-
ces et les niemes esperances, else vircut encore arracher
Ic bonhcur par la calomnie qui ne voulait leur laisser de
rcpos dans aucun des Etats de rAmcrique.
11 est iiuilile dc voiis dire les iioins de tonics les villcs
el de tons les villages oil ils essayerent de Irouvor le rcpos
sans y reiissir. Ils avaient deja passii I'illsbury; ils pous-
saienl pcuiblcmenta pied, encore plus vers I'onest, quaiid,
e|iuises de faligne, ils s'arrelercnt sous un arbrc. sur le
plateau ipii domiiie Middletnn, el semblaienl besiter a y
deseeiidrepour faire nn nouvelessaid'etablissenient. Toule
la famille s'assit autiuir de S|iarks, sur le gazon ; tons gar-
daicnt nn luorne silence, ctquand lours yeiix vinrent a se
rencontrer, ils ne purenl relenir leurs larmes. Amos, lui-
nirme, cacliant sa iigiire dans ses mains, donna un libie
i-ijurs ii sessanglots; lolls se rapprochercnl de lui, en-
laces les uns dans les autrcs : les enfants pres.saient leur
pere et leur mere dans nnc donee etreinle, cssayant de
consoler a leur lour ceux qui leur avaient allege le poids
des ealamiles des laurore dc la vie.
Enfin Amos, essuyant scs larmes ct jetaiit un regard
d'amour surces eires cheris : « La volonlc de Dieu soil failc,
ilit-il ; si nous ne pouvons nous dispenser de plcuier, an
moins ne murmurons pas; et si nous sommes condamnes
,i erreren fugitifs sur celle terre, n'oiiblions jamais la di-
vine promessc qui nous assure un refuge elerucl la oii les
mechanis ne peuvenl persecutcr, ct on ceux qui soul fa-
ligues Ironvcnt le rcpos. Rrmereioiis Pieii des chalimeuls
qu'il nous inllige o
(;iiiu)Moiii:s i;t LiiciilNUKs,
347
I'oiir ilissippi' la li-islo iiK-lniicolio i|iii cluniin.iit Imilo l.i
raniilli', mailaine Sparks lira ilc sa porhc iiii journal ilc
I'liil.'nlolliliic r|u'iiii voyasoiirliii avail lionnr sur la riiiile.
<'l se mil a lour lire I'arliclo nouvullcs diviTscs, car ils
(■lu'rissaicnl Innjoiirsci'llo ville injiisle qui los avail liannis.
ToMl .i i:nu]) ello jiH i los youx sur un arlicio ; ol la voix lui
inanqua; snn t'moliiju I'lail si vivo, ciu'clli" pouvail ii peine
respirrr. Amos saisil Ic papier, ellnl d'une voixsaccadee :
u Vol (le 1.1 l)an(|ne... Sparks ji'i'sl pas coupaMe... n Puis,
niailrisaul les |)alpitalions ile son roeur, il Inl a haulo voix
un lonij arlirle iTouIe aviileineni par sa faniille. Un mal-
failenr condamne el execule a Alliany avail confesse, pnrnii
(I'aulres crimes, Ic vol de 1,1 liampie dc riiiladel|]liie, avcc
dcsdelails ciri;onslancicsi|ni no laissaieni pins lapossiliilile
dc lomlire du soupcon sur le serrurier. TnnI elail eclairci.
nue rcaclion .s'elail faile dans I'espril )Fuldic. On dierchail
Sparks pour reparer rinjnslice donl il avail cle la viclime.
IMille conies ahsurdcs circulaioni sur son compic; les ,jour-
nanx rclenlissaieulde ses louani^es ; on raroiilail d'imasi-
nalion leurs voyages el leurssouflVances : d'aulres allaieni
insi|n'ii anrmncer la niorl dc Ionic la famillc.
La resolulion de Spai'ks fut hicnlol pri<c. 11 esl revcnu
a Pliiladclpliie, el les dioses onl change de face. Malpre
sa rcpiiftnance, ses anciens amis I'oul |iour ainsi dire force
ii poursuivrc la l)ani|ue en dommaijes-inlerels. Vn avoeal
du premier ordre a vonln plaider sa cau-^e pour I'lionneur
dc le faire. Amos elail Irop lieurcux el Irop lion clirelieii
pour voiiloir sc vender, niais on lui a persnaile que ce
serail donner uii cxenqdc ulilc II a i,'ai;nc le proccs. ct
dix milli' piastres ( i;0,l)(:0 IV. )lni onl elc adjiii^es. C'esl
en sorlanl dii Iriliunal que voiis 1 avez reucoiilre porle en
Iriiunplie siir les epaulcs de ceux qui nagnerc le poursui-
vaicnl de leurs calomnies, el qui rauraienl vn pendre, il
y a quelques annees, avcc aiilani d'cniliousiasme qu'ils
en mcllenl aujonrd'hui a applaudiria jnslice tardive qui
lui csl ciilin reniliic.
CHHOA'IQUES ET LEGENDES
DU MOYEN A(;E.
COFERNIC (ij.
(MITF..)
Apres avoir In cc liillil, Copernic eprouva unc douleur
prol'oiide ; il rcsla quelque Icnqis alisorlic dans ses reveries.
(I Fuir,pcnsa-l-il;moi,fuir!cc .serail l,iclielc,ce scrailm'a-
youerconpaljle... El monvieux Joseph? rahandonnei-.Non,
jamais!... 0 mou Dieul la sainle volonle soil faile! mais
sd faul une viclime, ne frappe que moi , protege nion
fidele servileur. Filal aveuglemeni des liommes ! de quoi
maccuseul mes cnnrmis I... d'eclaircr Iciir ignorance. 0
malhcurcux lemps! miserable contreel Ainsi loujours les
faux savanls, bouflls d'orgueil, obslincmenl aliaclies a
(I) Voti, numcrn \. lufic 3):;.
leurs vains priijuges, suivenl I'aveuglc routine de I'errenr.
millc fois plus dangercuse que I'ignorancc. Us elevcnl un
concert d'anathemes conire celui qui o.sc soulcver le voile
dont ils couvrent l,i verilc ; ils pcrsccutenl (|uiconquc vieut
porter le llamlieau au milieu des Icuelires, ,i l.i faveur dcs-
cpiels ils regnenl. Mais que pcuvcjit-lls faiie? malgre lous
leurs efforts, la verilc Icionqdiera , ma deconverle incsur-
vivra en dcpil de mes enncmis. »
Le frontde Copernic avail relrouvc sa serenitc lialdtuelle;
il elail resigne el semblait avoir pris la delerminaliou d'al-
Icnilre les eveiicmeiits.
Cepciidanl la ville etait dans la plus grande agilalion.
Dos groupes sinislres parcoiiraienl les rues, les sbires el
les gardes entouraienl le palais, le ronseil etait assemble ;
de nombreuses arrestalions avaient etc failes, el, dans le
nombredesprisonniers, se Irouvaicnt levicux Jo.sepbBerlcl
el les etudiants Kobert et Paul. On les accu.sait d'avoir par-
licipc a I'assassinal du due. Nous les avons vus passcrsou.s
les fenclres de Pappartcmenl on Copernic etait renferme.
Unc populace effrenee les poursuivail dc ses hurlenienis,
el. rlans sa rage insensce, voulail les decbirer: car c'esl
r,',H
l\i KAIILIA.
ainsi i(ue soiUI'jiilos Ics mnsscs. Pris indivijiiellemcnl, los
liommcs ncsont jiassauguiii.iii'cs, mais ils soiU nvidcs d'(''-
molions; rouiiis en foulo, ils s'cxcitpiU Ics tins les aiitros.
(Ju'uii oil ilciix i'ncrsi"ii''ii*'s sc Imuvi'iil dans uneasscmMi'i',
lour voix rciicniilre dcs milliois d'eclios. Ce n'est d'alionl
rin'iiii nuiniiiire ; mais liienlul loiogc grossil, la foidc s"cii
ivre ail bniit ile scs prnpres claini'iirs, le di'lire sVmpaic
de tciiiles Icsames, le besoin d'aclion enlaiile les crinii's
Ics plus alrocos, el ccs liomnics d'une iialiim douce 1 1
Iranquilledcvicnnent bicnliJtcruclscU'nricux. L'liisloii-e dc
tons les Icnijis et do Ions Icspcnplcs fonrmilled'excinplcs
de ces lonrnicnles popnlaircs.
Les sbires avaienl tonics les peines dn monde S prolcgor
leurs prisonnici's ; encore qneliincs instants, ct la jiopnlaco
les arrachaitdo lenrs mains.
An dolour d'niierne, le corlose reiicontra imc iialronilli'.
L'orficicr qui laconiniandait doniandc i|uols soul Ics prison-
nicrs; on appronant lours nonis, il monlra aux sliircs
I'ordre ccrit do 1<'S lui rcniellro; puis s'adressant a la |io-
pulace : « Bulonais, dil-il, ceshonnnos son! innocents, Ics
vraisconpaldessontarri'los. — Onsont-ils? Ds'ccrielaronlc.
Kl I'oflicior Icnr indiijua unodircclion opposeo. Anssilot les
Hols pnpulairess'yprccipiloni, ctla rue, cncnmliree il n'ya
(pi'nn inslant, se Irouvc liionldl prcsipic dcsorle. Le chef ilc
la palronillo fail alors donncr au vicnx .loscpli, ot ii sos dciLX
compagnons, dcs armes ct dcs casatpios somldahlos A cellos
des liommcs qu'il coniniandait. « A present, dil-il, mar-
clions, lo loiiips prcsse. » En cnloiulaiil colic voix, J'lsopli
Barlcl crul roconnailrc colic de.... Mais rolournons a Cn-
pcriiic.
Le conseil clait dans la plus grande confusion ; des ordrcs
contraires se crnisaiont, de nonibrou.x prisonniers etaioni
amenes ct interrogcs. Le professeur Robert, au milieu dcs
scribes, presidait et chorchail a dccouvrir los antenrs dii
crime. Danssa haine pour Copernic, il aurait voulu pon-
voir Ton accuser; mais lemnycn?il elail prisonnior an
moment de I'atlcntal. Au moins voulut-il Ten rcndre com
plice; c'est pour cela qn'il avail fait arrelcr Ions ceux do
scs amis ipic Ton avail pu saisir. 11 esperail oblenir ipiol-
qiie aveu, ([uclque revelation qui put ramcnor a son bill.
(InanI aCoperiiic, il se pronienailcn long olen large dans
son apparlomenl. en proic ,-i I'agilalion el aux roncxions lo.
plus ponibles ; il nc vnulail pas Iransigcr avoc ses prin-
cipes, il ne voiilail pas fuir. Mais scs deux vieillos coii-
sincs ct sa petite niece Sopliio, fallail-il les rondre victimos
de son obsliualion? Sa porplcxile allail en augmonlant pai-
degros dans co combat inloricur de ses senlimcnis dc vive
tendressc avoc le noble oigucil qu'excilait en lui ramour
de la .science. Mais si la voix de sa conscience lui disait qu'il
(■tail innocent, ilsentail (pi'll elail responsable dn bonbciir
de sa famille ; .son creur elail emu, il commoucait ,'i (locliir,
ct il eprouvait un Iremblcinenl involontaire.
Toul ii coup les porles s'ouvreul. Le capilaine de la
garde lui ordonno de le suivre; des sbires saisissonl vio-
Icmment Copernic, rcntrainent el le font descendre par
un escalier iiilorieur. « Ou mc menez-vous? dcmanda-
l-il an capilaine. — Voiisle saurez bienlol, » lui dit celui-oi
d'une voix rude. Arrives dans la cour, ils entronl dans un
long corridor noir; desbommes tenaient a la main des lor-
cbes allumces ; Icsverrous, leschaines el lesserrurcs roui!-
lees grinccnt; unc porle roule avoc bruit sur ses goods. On
fail descendre au prisonnier un escalier humideel tortueux ;
au bas, so prescnie un noiivoau corridor plus long cucoro
que le premier. « Je vaismourir dans ces cachols.j) pen.sa
Copernic. 11 liesile un momeni; puis, glis.saiil dans la main
dc roflicier I'or qui avail etc jetc dans sa somplueuse pri-
son par son ami Ballista, il essaye de lo gagncr. Mais Ic
capilaine, toul en prenant Tor , redouble de riidcsse, eleve
la voix de maniero a eire entondii des sbires, et ropond
qu'il remplira jusquaii bout les ordrcs ((u'il a recus. Tout
espoir de saint s'cvanouit; Copernic reprend sou calme
ordinaire, et se laissc conduire on silence. Une grille
s'ouvre ; ils montenl ]ilusieurs degros, ot fiancbissent une
porle lourde el massive. Un air plus vif se fail alors sciilir ;
ils soul dans une rue ecarlce, une voiture les allendail. Le
capilaine y monte avec son prisonnier ; des cavaliers los
escortenl, ct ils parlcnl au grand trot. Dans un coin de
la voiture elail un liommc cnveloppe dans iin manleau.
Aprcs une demi-beure dc marclie, une voix, donl le son
fait Iressaillir Copernic, lui dit ; « Enlin, nion ami, nous
voici en surele ; vous eles sanvo I — Jacques Ballisla 1 —
Oui, mon ami, et lo brave capilaine olail d'aocord avec
nous. — Mais mes cousines, ma niece, mon lldclc Jo.scpli?
— Vous allez Ics voir. Josopb fail parlii^ de noire escorle,
ainsi que Robert et I'aul ; vos cousines el voire niece sont
dans cclte pelilo niaison que vous voyoz sur la roule. . — 0
monaini ! mon saiivcur! commeut acquillcrai-ic jamais ma
dollo cnvors vous? — Vous ne me dovoz rien : Barlola a
loiil fail. Dcsespcrant de vaincro voire resistance, il nous a
foiirni les moyens de dolivror Josciih ct vos amis, et deve-
iiircMsuile vous cliorcber. Ouant a voire fuilc, il I'avail
concorloeavocio bon capilaine (piiestioien face de vous. i>
Qnidipiesinslanls apros, la voilurc s'arrela. Copernic sorra
bienlol dans ses bras Ions Ics circs qu'il chorissail lo plus
au mondo. Les trois femmcs se placcnl dans la voiliirc, le
capilaine monle a cheval, el les fugilifs s'cloignent au
grand galop.
LE DAHLIA.
Cliarmnnic lleur, I'uu dcs plus beaux ornemcnts de nos
jardins en aulouinel cllo a olc ainsi nomnioe en riionncnr
dn bolanisic sucdois Andre Dabl.Cctlcdenominalion a ron-
conlro quclquo opposition . mais ollc a fini par Iriomphor.
Colic magnilique plaulc osl originairo de rAmeriipie
moridionalo; iiialgro sa licaulo, clleavaita peine etc reniar-
quce jiisqu'au milieu du dix-scplieme sieclc, opoqiie on los
Espagnols commoncercnl a y faire allonlion ; encore co
ne fut que vers 1790 qu'clle llourit ii Madrid. Cavanillos
en donna une description dans lo premier volume dun ou-
vrage ipi'ilpublia en 1791. 11 en envoya,eHl802, (|l1elques
planles a Paris , et M. Tbouin les cultiva avec succes. —
Les Anglais prolendenl en avoir en des 1789. — Ce qu'il
y a de certain, c'est ipi'en 1802 ils n'en avaienl pas, el en
firent venir de Paris; on leiir en envoya encore I'annee
suivantc. lis reciirenl cgalemeni des graines de Madrid en
ISOi; mais ils n'en surenl rien faire, el ce ne fnl qu'apres la
paix de 181 i que nous leur en envnyames de tonics les
variclos dc nuances (jiie nous avions oblonucs, ct alors
sculomcnt ces Hours furent connucs el adniirecs dcsama-
loiirs d'oulre Manclie.
Dcs 1802, ou pen apres, M. Tliouin en avail public en
France une desciiplion avec dcs plancbos colorices; il
docouvril bienlol riienroiise Icndanco du dablia a prendre .^
T,v|i. jA.Rciiitli;!'
FENELOl.
BliAUTliS lit; LlllSTOIIlK
lollies Ics couleurs el loiiles les nuances , ct il siU en pro-
liter nvec liabilcte. Auciine llcur n'offre un anssi grand
iiomhi'c (le varicles que cellu-ci. Ellc s'i'niaille liiur a lour
lie loules les riches leinles que Flore rcjiand sur uos jiar-
terres.Par un heureux conlrasle, ellc cmiirunle ipieliiuefois
la chasle nuance de la rose , celle reiue des lleurs i\n\ doit
,i son dou\ )iarfum d'avoir conserve le trone conteste |iar
sa dangcreuse rivale; elle dispute aussi, avec le pavnt,
I'l'dat de ses leinles riches et prol'ondes. — (^onime la tu-
lipe , elle marie avec grace, elle harmonise avec un rari'
hoiiheur des couleurs diaprees, dont I'opposilion releve
encore le vif eclat; puis vous la voyez panachee conime
IVeillet a la douce senteur; enfin elle se metamorphose
comnie par eiicliantement. (Juel dommage ipic le dahlia
soil inodore 1 IJue ne se halancc-t-il gracieusement sur unc
lige tlexible ! Mais ipii pent tout avoir"? 11 est parmi les
lleurs ce ipi'esl le paon chezles oiseaux : — admirez leurs
couleurs, neregardez pas leurs pieds;a I'uu ne deniaudez
pas de parfum , ni a I'aulrc un gosier savanl. Quoi i|u'il en
soil, le dahlia est une nohlo conciucle de I'ancien nujnde
sur le nouveau.
Si Ton seme la graine de bonne lieurc, on obliendra des
lleurs Tanlomne suivant. On accelere le resullat en la se-
mant surcouche.Lesracines se conserventfacilementdans
dii sable place dans une cave bien secbc. On pent les divi-
ser en fendant le vicux pied , dont il faul que chaque plant
conserve une |iortiou. — C'est an mois d'avril ([u'il est .i
propos de planter les vieilles racines; on ne laisse monter
qu'uue seule tige ct Ton suiiprime tous les rejetons qui
absorberaient la seve. Ces rejetons, ainsi ipie des boutiircs,
viennent bienquaud on les plante u I'ombre, et qu'ils sont
abriti'spar un chassis eii verre. On pent greffer les plus
belles varieles sur des tiges nrdinaires ; il suffit de les coo-
per en sifllet on de Ics fendre, et de les lier ensemble en re-
cnuvrant la greffe d'une couclie de lerrc glaise, avant de
les mettre en pot dans du tcrreau; il est couvenable en-
suile d'enterrer les pots dans une bonne couche. La lerre
de hruycre enqieehe les excroissances, el augmeulc le
nombre et la beaute des lleurs.
(Vest, conime on le voit, une plante pen exigeanle; an
contraire, trop de soins lacontrarie :c'esl sans doule pour
cela que les Anglais out en taut de peine ,1 les faire reussir.
.le me rappelle, a ce sujet. une anecdote qui m'a i'te racuntee
il y a quebpies aunees, par un jardinier llenriste des envi-
rons de Londres, dans un voyage que jc lis alors en Anglc-
terre. II .clait fier de montrer a uu Francais ses scrres rt
pliisieurs belles plantes , et cha(|Hc I'ois il me disait : « En
avez-vous d'aussi belles en France?)) II etait fort elonne
dercrevoir une reponse aflirmalive. Je hii demandai, anion
lour, comment il se faisait qu'ils eussent en laut de peine
a natiiraliser le dahlia, (i Oh I me repondit-il, there yon beat
US (vous nous battez en cela); mais, ajouta-t-il. c'est par
cxces de soin que nous avons manque. )) Un horticultenr
cullivait sans succes des dahlias depuis plusieurs annees ;
il les avail mis dans .sa serre chaude, mais rien n'y faisait ;
ils di'perissaient en depil de ses soins. .\ la fin, enuuye de
ces plantes rebelles, il les flt relirerde la serre, ouellcsoc-
cupaicnt un espacc utile, el mil daulres plantes a leur
place. Les panvres d.ahlias lonibes en disgrace furcnl re-
legui's en plcine lerre, dans un champ an bout de son jar-
ilin, et qucbpie tempsapres il vit, a son grand etonnement,
qu'ils avaieni repris vigucur, etpnrtaienl des lleurs magiii-
liques.
nil i;i.er(;e he France. sm
BEAUTES
LHISTOIHR DU CLERGE DE FHANCE.
FEIirEX.ON (I).
Les renommees qui ont pour base un merite reel, loin
de subir les ravages du temps, sendilent au contraire re-
vctir un nouveau lustre a mesure que les annees s'accu-
mulent sur elles. Anssi bien sail-on (pie la rouille n'allere
jamais les metaux riches, et que For trouve dans les fouilles
des antiques cdiQces conserve, au bout d'une longue suite
de siecles, sa valeur intrinscque et son eclat. L'illustralion
du genie el de la vertn est donee, conime on vienl de le
remarquer, d'un plus bean privilege. On ne pent la denier
au personnage dont le nom brillc .1 la tele de celle faible
esquisse, ct aujonrd'hui, iiiieux encore qu'au di.x-septicme
siecle, le nom de Fenclon est cntoure d'une rayonnanle
aureole.
Francois de Saliguac de Lamothe-Feuelon naquit au
chateau de Fenelon en Perigord, le 6 aoiil 1651 . Son pcre,
le comte de Lamothe-Feuelon, n'oublia rieii pour cultiver
les heureuses dispositions que le jeunc enfant manifestait
dans un age Icndre. A douze ans, le latin et le grec etaienl
plus familiers a cet eleve si precoce qu'on ii'avait droit de
Fallendre d'un .age anssi pen avance. L'education publique
succeda alors a celle qu'un preccpteiir avait si parfaile-
inent ebauchee. 11 fit dans I'universite de Cahors ses hu-
manites et sa philosophic avec les plus grands succes. Paris
recut ensuile dans son college du Plessis I'eleve provincial
i|ui devait illuslrer celle maison ; el des I'.ige de quiuze
ans, Fenclon, qui avait a peine commence ses etudes theo-
logi(|ues, y fit un sermon tres-rcmarquable. Enlin le semi-
naire de Saint-Sulpice, qui venail a peine d'etre inaugure,
coinpta le jeune Fenelon parmi ses nombreux eleves,
sous la direction du docle el vertueux Tronson. L'anibition
du jciine seminarisle commencait ;i se dcvelopper, mais
c'etail celle de saint Paul : il voulait parlir pour le Canada,
el s'y livrer a la conversion des sanvages. II fallut loulc
lauloritc de son oncle, evcque de Sarlal, pour le retenir
a Saint-Sulpice. Bienlot ordonuc iiretre, I'ahbe de Fenelon
se livra avec ardeur aux fouctions du saint ininistere pen-
dant Irois annees.
En I(i7'(, I'oncle I'appelle aupres de liii a Sarlal, et la
encore, il faul user d'aulnrite pour I'empecher de se livrer
aux missions orienlales; mais les instances du neveu de-
vieunenl si vives, que le prelat est coninu' force d'v con-
scntir. Keanmoins la faible same du jeune apotre le retient
dans nos climats ; el alors, [lonr seconder son zele, I'arche-
veque de Paris, Francois du llarlay, p'ace I'abbe de Fene-
lon 7i la tele de la maison dite des Nouvidles Calholnpies.
L.i, il pourra faire un graml bien en rafferaiissanl dans la
foi les femmes ou Biles revenues du calvinisme. Les succes
de son apostolat deviennent si eclatanls, qu'on se resoudra
plus tard a leniployer ,i la conversion des protestanls du
Poitou. En attendant, il occupe la place de superienr de
la susdite maison pendant dix ans.
(I) Xous suivons ici la vraie afci'iiUialioii ilu nnm de lairliovwino de
Caiiibrai ; il s'appelail Fencliin, el nun pmiu Ffneloil, conime on I'iuipr.mc
Irop souveiit.
350 liliAU
nnns rcl inlc-rvnllp ilnnc oxisloncc assoz olisciirc sclnii
Ic monilc, son oiiclc li; iiiiiniuis ile Fenelnn liii procure
ilciix illuslres connnissnnces : le Aw. do Bcauvilliors ct
Rossiicl. Li revocalion do, I'cdit de Nantes, en 1685, nc-
casionna nn envoi de missionnaires dans les provinces in-
fectees de I'liercsie. La Sainlonge et le Poilou echureiil a
Fenelon, sur la presentation de Rossuet. Le nonvean supe-
rienr desi^na comnie ses collaliorateurs I'alilic de Laiige-
ron, le celebre abbe Fleury, 1 aldje Bertier, plus lard pre-
mier eve(iue de Blois, et raldie Milon, alors aumonier du
roi el ensnite everpie de Coiidoni. Hans les missions de ee
eenre, la force armee accompai;nail les missionnaires;
Fenelon conjnra Louis XIV d'elnigner lonl appareil mili-
taire. La fiii catlioliipie ne s'impose jioint, ellc entre dans
Fame par la persuasion. Le roi lui |ierniit de n'eniployer
ipie celte derniere arme; el avec elle senle, le mission-
nairc fit les plus belles conqnetes. Paris vit Fenelon. ii son
retour, reprendre son ceuvre des Nouvelles Callioliques,
et s'y consacrer avec nnc nonvelle ardeur. Deux ans se
passent encore, el Fenelon, pendant ce temps, ne se montre
pas a la cour. Toulefois il avail ete question do lui donner
levecbe de Poitiers on la eoadjntoreric de la llocbelle ; mais
nne rnalveillancc jalouse avail fail avorter ces projcts. Les
ileux senls livres qu'il ait publics jusrpi'a ce temps soul le
7V«i/e (le ieducation des filles el le iVini.ilire des -jias-
Icurs. Lc premier jouil encore d'une faveurnon conleslee.
Le moment est venn d'ajipeler ,i nne baule cbarge le
modeste snperieur des Nouvelles HaUioliipies. Le due de
Beanvilliers fill nomme cfonvernenr dn due. if Bourgogne,
petit-tils du roi. L'ablie de Fenelon fnl cboisi par le pre-
mier pour remplir les importantes fonclions de preceplcur.
Le voila done a cetle cour qn'un secret pressentiment lui
avail fait redouter. Avec de pareils maitres, que ne devait-on
point atlendre d'un |irince confic a leurs snins! La France
entierc applaudil a des cboix que lc merile senl avail dic-
tes. Trop sonvenl la cabale des conrs s'interposa dans des
cbnix de eelle nature. Fenelon clait alors age de Irenle-
biiil ans; mais nne sagesse consommee avail dans Ini per-
lectionnc I'exiierience des bommes et des cboses. La favenr
de sa position nonvelle ne ponvail lui faire prendre nn
funestc cbang-e; car lonl n'elait pas fleurs et roses dans un
posle senilibildc. Le caraclerc du jennc iirince parai.ssail
mdomptablc ; son orgueil etail revollant, sa volonle obsti-
nee el inllexible, ses penchants a la colere forlemenl pro-
nonces, son mepris ponr les hommes biimiliant a Fexccs.
Quelle tacbel qn'il faudra d'habilele ponr tiiompber de
tanl do di'fanis! II faudra des miracles de patience el de
fermele ponr faire de eel cleve nn prince affable, donx,
humain, modere, bumble, modeste. C'csl le due de Saint-
Simon qui parle ainsi, el qui reconnail dans les instituleurs
lc prodige qu'ils siircnt operer dans eel enfant de hull ans.
Lc jeune ]n'ince se livrail-il li un acces de violenle colere,
le gonverneur el le preceplcur, ainsi que les anlrcs insli-
lutenrs secondaires, oflkiers el domcsliqnes, observaient
un profond silence. NuUe reponse a ses questions. Ses
livres lui etaienl retires. On rnbandonnail a lui-nieme. Les
rellexions, les regrets el les remords venaient alors assaillir
le coeur dn eoupable; bientol il allait se Jeter anx |iieds du
preeeplenr, el promellail de se faire desormais une juste
violence. Mais sous lc rapporl des moyens intelleclnels, le
jeunc due de Bonrgogiie donnail les esperances les plus
ilatleuses; Fenelon, par nne adroilc direction, sul les mc-
ner .1 bien. A I'age de Ireize nu qiialnrze ans. le due de
TFS.
Bonrgogne avail nnc insli'uclion siiperieure a des adoles-
cents de dix-luiil ans doiit I'education ciil etc aussi soignee.
Nous ne parlous pas des frcfcs de ce prince, les dues d'An-
jou el de Berri, dont Frnelon devint egalcmcnl prcccpteur.
Les Fables el les Dialoijues des morls, composes pour
I'education de son eleve, ainsi que ses premiers onvrages,
meriterenl un fanleuil a rauleur dans 1 Academic fran-
caise. Louis XIV semblail avoir oublie Fenelon dans la dis-
tribution des faveurs; mais enfin, en 1694, le preeeplenr
pen ambilienx Cut nomme a I'abbayc de Sainl-Valery; le
roi fit meme entendre quebpies excuses sur celte tardive
remuneration. Rienlot neanmoins allait s'ouvrir ponr Fe-
nelon la earrii're des bonneiirs ecclcsiasliques : le riche
arcbevecbe de tlamlu'ai lui fiit donne Ic i fevrier 1693.
Deja pourlanl nn symplome de defaveur s'litait maniresle.
Fenelon s'elail montre partisan de la famense madame
Guyon, dont le systcnie de spiritnalite ebrelienne ne sem-
blail pas d'une severe orlbodoxie- Bossnel avail toulefois
viiulii se faire bonncur de sacrer le nouvel arclieveqiie,
quoique, d'antre part, il cut manifesle .son improbalion
conlre Fenelon ail siijel de celte doctrine. Le nouveau pre-
lat commenca son aposlolal par une preiive de dcsinle-
ressement, en abdiqnanl I'abbaye de Sainl-Valery. Ce ne
flit meme qn'avec peine qu'il accepla rarchevecbc do Cam-
brai, en objeclanl an roi I'obligalion de la residence qui
ne ponvail se eoncilier avec les fonclions de |U'eccpleur.
Louis XIV permit ii Fenelon de passer neuf mois de I'annce
dans son diocese, se ennlentant des Irois aulres mois pour
la direction immediate des eludes de sou petit-fils. o Pen-
dant les neuf mois de voire absence, lui disail lc mnnarque,
vous snrveillercz de Canibrai celte education , comme si
vous cliez a Versailles. » Ajoutons que de bien digues co-
adjnleurs etaienl associes a la soUicitudo du preeeplenr
principal ; il suffll de nommer les abbes de Ceaumonl,
Fleury el de Langeron.
Ici commence une ere des plus malbeureuses pour Til-
lust re arebevi'que de (lambrai. Nous ne pouvons avoir le
desscin d'entrer dans celte grave discussion, si penible pour
le cicur lendre et aimant de Fenelon. Deux anlagonistes
d'un rare merile vonl se mesurer dans celte areue. L'ar-
cbeveqiie de Canibrai fail paraitre nn livre sous le tilre de
ilaximes des saints. II y juslifiail, en parlie, la doctrine
de madame Guyon. Bossuet combat Fenelon. La cour est
divisce en deux partis. L'eveque de Meanx poiisse vivemenl
son adversaire; Fenelon se defend avec douceur. La cause
est portce a Home; Louis XIV el madame de Maintenon ne
penvent dissimuler leur desir de voir le |iape condamner
rarcheveqiie de Canibrai. EnCn, apres le ]ilns serienx el le
plus long examen, rcpiivre de Fenelon est condamnee. Bos-
snel triompbe; mais, disons-le sans anciine prevention,
celte vicloire du grand eveque de Meanx n'esl pas le plus
bean lleuron de sa couronne. Cc n'esl pas que les vingt-
trois propositions extrailes du livre de Fenelon ne fiissent
juslement condamnees par le juge supreme de la I'oi; mais
c'esl qu'il y cut dans la poin-snile de cetle affaire non point
un zcle calme el louablc pour la verile, mais une irritation
de cabale pen honorable ponr Bossuet, el principalemenl
pour les promolcnrs de ce dernier en cour de Bome. 11
suffit de nommer I'abbc Bossue' neveii, ipii s'avisail de
Iraiter Fenelnn de bete feriiee. (jiielles expressions ponvons-
nous maintenanl employer pour signaler la soumission de
I'archeveque an jugement dn pape Innocent XH'? Des que
Fenelon est informe (h- Parrel , il monle lui-mcmc en
I)E LlllSTOIIlli UU CLIiliUli Uli I'UAiNCE,
351
rh.iire poiii- Ic |iiililioi- ii sos diocesains. Sa plume n pu eniT,
ui.iis son cceur lie fill jnniais i.'riii|i(ilile. II (li'fi'iiil li son
|M'ii|ile (le lire el de i;;ii iler son livie. Pierre a |i,'irle par la
liomlie dii soiivcrain pnntife, el Kencloii y reconnnil la voix
de Jesiis-lilirisl. II eerit :i son jiige pour In! leiiioigner la
souinission la plus profonde. Mais le pape. en eondamnaiit
rarelievecpie de Canilirai, el avant de recevoir niic repoiise
de desaven, avail appelc le coiipable iin Ires-pienx, Ires-
sainl el Ires-doele prelal ( im jtiissimo, sandsshiw, dol-
tissimo vescovo). Aiiisi line pareille defaile, loin de I'n-
nioindrir, csalla an conlraire le nolile vaincii. Deja, avanl
I'arrel dn sonverain pinilife, Louis XIV, ponsscj par I'ln-
dignc caliale. avail destilne Fenelnn de sa charge de pre-
cepleur; ses ands avaienl ele euveloppes dans la nieme
disgraec. La del'avcur royalc clait Ic salaire du prodige
o|iere siir le raraclere dn jcune prince par la sagesse par-
I'aiLe de ses ineslinialdes instiliileurs !
I)e nniividles epreiives elaieiil reservees a Fenelon ; c'esl
Innjours son amour du liien qui les lui siiscile. 11 avail
compose pour son aiignsle clevc uii admiralile oiivrage
ipie lont le nionde coiina'l ; nons n'anrions pas besoindc
iioniiner le Trlimaqiic. I'll inlidele donu'slii|ue, aprcs en
avoir fail circnler i|ueli|iies copies, el encmirage )iar les
eloges doiines a celte grariensc composition, vendil le ina-
niiscnt a nn liliraire. Le YVVchuk/i/c fiit iiiipiinie sans noin
d'aulenr. Le siicces en ful prodigieux dans loiile I'Eurupe.
On esl liienlol inslruil ipie e'esl niie produclion de rarchi'-
veiiue de Cambrai. La m.ilvciUance el la jalousie insinnenl
an roi r|ue ce livrc esl line snlire perpetnelle de sa pcr-
sonne ct de son gouveriipmonl ; niadame de Mainlenon
confirme le roi dans celle prevenlion calomnieuse. Vaine-
menl rarclieveqiie se discnipe el prolesle de son respecl
pour le monarqnc, en re]ionssaut uue anssi oulrageanle
impnlalion, Fenelon n'cn esl pas nioins de plus en plus en
disgrace : il resle exile dans son diocese. C'est le langage
du monde, qui ne vinl de lionlieur qu"a la cour el par la
coiir. Liu prelal coinnie Fenelon ne se considcre pas comme
nn exile an sein de sa faniille. Celte lougiie defavenr est
pour son vasle diocese nn immense bieii. Qui pourrail ra-
conler loiiles les nierveilles de son aposlolal? II se venge
en chrclieii par uii devoueinent sans homes ii son prince
et ii son pays; nn seul trail enlre mille .suflira. La gar-
iiison de Saint-Omer, en 17(18, s'elail soulevec, parce que,
dans I'impossildlite de iiourrir les soldats, le goiivernement
epuise les ahaudonuait li la plus desolanle peinirie. L'e-
vcqiie de Saiiil-Omer, ipii avail monlre lant d'acharne-
ment conlre Fenelon dans la fainense affaire du livre des
Maxivies, no fit point preuve de generosile dans celle cir-
conslauce; sa hoursc resia fermee dans nn moment anssi
critique. Fiinelon se depouille de lout rnrgeut qn'il pos-
sede, en cmprunte de tonics parls siir des hillels signes de
lui, fail passer ce Iresor ii Saint-Omer, el la troupe, eufiii
arrachee aux horrcurs de la famine, reiilre dans I'oheis-
sanee. Tel elait eel archeveque scriilieux que Louis XIV
rejioiissail de sa presence 1
L'augusle eleve, ((iie Ton avail voiilu detaclier de son
anioiir pour sou digue precepleur, conserva neaurnoiiis
avec delices raffecliou filiale qu'il lui avail vouee. Mais cpie
de precautions minutieuses furenl oliliges de prendre Ic
due de Bourgognc el Fenelon pour enlretenir une assidne
correspondance 1 Combien celle-ci honore snrlont la mii-
moire du precepleur, el de I'elevel Croirail-on, si I'hislnire
n elait hi, (pi'une couile cntrevnc ne leiir ful point pcrmise,
pendant le sejour du prince en Flandre diirant pliisieurs
iiiois, .si ce n'est en presence des ofliciers el des magistrals
de la ville de Cambrai? En se separanl au bouldeipielques
instants de celte eiilrevue genee (Fenelon el son elcvc no
s'etaient pas viis depuis cinq ans), le prince, elevanl ii des-
sein la voix, dil a I'areheveqne : ^i .le sais re ipie jp vims
« dois, vous save/, ce que jc vous suis. » Les Icllres reci-
proqnes du due de Bourgogne et de Fenelon monlrent jus-
qu'ii quel point la confianccdn premier etail absoluc, ct la
leiidresse du second profonde et eclairee. II est vraiment
desolant qn'il la niorl du prince, Louis XIV ait pris liii-
iiieme le deplorable soiii de livrer au.\ llammrs tonics les
litlres qui se troiiverent dans les papiers du defiinl : ce
I'ETITES .MOIIALES.
(|ni oj] esl iirovidciiliclleiiieni i'clia|i|io fci'a luujours I'e-
greltcriivec ainorlunu' iiiie aussi |)i'i'ciousecoiTos|)ondance.
Iloposons-iious quelinics instaiils sur la vie intime de
rai'clii'veqiie de Cainbrai, dans son palais ct au milieu de
ses diocesaiiis. II y vivait d'linc nianiere calnic el ix'glee.
Coiiime dtis sa jcunessii il avail conlracle In saliilaire habi-
tude de se lever de grand matin, il la conserva jusiiu'a la
liii de ses jours. II n'omellail jamais de celebrer le sninl
sacrifice dans sa cha|iclle, et cliaque saniedi dans sa rnelro-
pole; en ce jour, son confessioiin.il clail ouveri indislincle-
ment li lous ccux qui s'y prcsenlaienl. Son dijier a niidi,
selon I'usage du lemps, elait servi avec magnificence; mais
celle-ci n'elait (|u'nn devoir de sa lianlc posilion : person-
ncUcnienl jI clail d'unc sobriiHe que Ton pourrail appclcr
excessive ; c'est a elle que Ton allribuail son exlremc mni-
greur. Sa lable, qui coniplail habilucllemenl qnalorze ou
(|uinze convives, laissail ii lout le nionde une douce liljerle :
poinl de gene, mais lonjours un cnlrelien paisible, des ma-
nieres aisees el nobles. Fenelon ne parlail jamais qn'ii
son lour. Une licnre d'enlrclien au salon completail celle
epoquc de la jounKie, et encore en enqdoyait-il une parlie
a la signature de diverses cxpcdilions, sans geuer le moins
du monde les douceurs de renlrelien.
PETITES MORALES.
I.A P£TIT£ PHOVENC£
DU J.MiniN DES TUILEISIES.
Uii rayon ilc solc'il ^\m nc saniMit encore
Ratncnor les pres ni les hois
Vous appellc aujanlin que Ic luxe decore,
Et presque sous les ycux des ruis.
Mais que vous font, cnlunls, les giMiidcurs tevcUies
De I'eclat d'uii vaia apparcU?
Que vous font ces palais, ces marbros, cos stulucs?
Vous ne voulcz que le soleil.
Vous ne connaissez pas les funcstes cliiineres
Qui sous le dais viennent peser ;
Vous n'avez ni rcijrets, ni soucls que vos nitres
Ne puissenl guerir d'un baiscr.
Vous n'avez a souiVnr, a vcngcr nul outrage,
Nuls droits perdus a rossaisir,
El vous etes eiicor libre? : car, a voire age,
La liberie, c'est le pliiisir.
Livrez-vous a vosjeux ! qu'ils servenl de coiitrastes
A CCS fetes qu'on :iinie ici,
Ricz, cbantez, dansez ; ces lieux sont assez vasles
pour Ic bonbeur et le souci.
Vous allez croilre, enfants, et devenir oselaves,
Si vous 6vitez le ccrcueil,
lit vos pieds fatigues trainerout les cnlraves
Dc I'avarice et de I'orgucil ;
Tuutes les passions en vos ctEurs decliainces
Ke vous quilleronl que bien lard :
Lt pour ces lieux cbannant.s, ilurant loiigues annijes,
Vous n'aurez pas un seul rei^ard.
Mais quand le temps, vainqueur dc volie re>ist:iiic'e,
De vos ans marqnera le soir,
.\ir;iibli,5, iinpuissants, ranicnes a reid'iincc,
Vous y revieiuUvz vous asseoir ;
Vous y retrouverez I'innocente nienioiro
D'un houbeur perdu pnur lonjours :
Vous It'ur lieiunnderez, non pas I'oi' ni la -jloire,
Mais le soleil dc vos beaux jours.
MAXIME D1TBJ SAGE.
Ciiaquojour est un bii-n <pic du ciel je remote;
Je jouis anjonrd'lmi de eelui qu'il me donnc :
11 n'a|tp.iilient piis plus aux jemies ijens qu'a nii
Et celuide deuiain n'appiirlienl apcrsonne.
Le sni^e Zonon disail que la iinluro nous a douiio deu^c
oreilles et une seule l.iiigne, pour nousapprcudre ()u'il faul
plus ecoutcr que jtarler.
Personne, av.iut Scaurus, gendrc de Sylla. ne porta dc
bai^nies rliez les Uoniains; lesjiremieres qui sc fireut furcnl,
en fer poll.
ORIGINS
Di;S ^.OMPLlME^TS gUE i/oIN fait aux gens qui ETEIINCENT.
La coulunie de saluor les gens qui iHernuenl est lres-;ui-
cienue et tres-repandue. La faide nous dit i[ue TronK'tbee,
avant forme le premier liomme, deroba du feu du ciel,
I'emporla dans uii pelil ilacon qu'il mil sous !e uez de la
sintue jiour le !iii faire aspirer. Le plilogisliipie diviii pe-
nelra biontut dans la lete, s'insinua dans les libresdu cer-
veau, sc repanditdaus toulesles veines, el le premier giguc
de vie que douna cenouvol etfe fuld'elernuer. rromelhec,
ravi de ce mouvement, s'ecria aussilul : « Que les dieux
le prolegent! « Ce souluiil filsur I'liomnie une lelle im-
pressiou, qu'il s*en servit lou_iours dans la lueme occasion,
el le lit passer a sa posteritc.
FABItG.
Treve dc propos, fmissez !
Pour me servir vous tiles faites,
Dit, ccrtiiin soir, la cbandelle aux moucbeUe>;
ICt je vous I'.iis cbnsser, si vous n'obeissez.
Assez neltemenl je ni'explique!
C'est enleudu, je crois?... Moucbcltes sans n'pliqui^
Ibiniblenient de s'en approcbor,
El de leteinilro au lieu de la moueber.
Quiseniontre imperieux niailre
Dans sou valet n'anra qu'un trailre.
X.A RAISON £T Z.A BOUCEUR.
Le langage de Ki raison, s'i] n'csl point exprime avee
douceur, manque souvenl son but, parce ipTil est sans el-
fet sur I'espril, faule d'avoir loiicbe le nvwr; le iaugage de
la douceur, sansle secom'sdela raison, parvienl rarement
a persuader ; il pent emouvoir le creur, mais il n'a pas ee
(|u'il faut pour convaiucre Tespril. Que vos paroles soient
done en memc temps empreintes de raisou et de douceur ;
eiles penelreroiU I'esprit et le cncur; elles serout irresis-
libles, memc aux sophismes de I'orgueil el des prejuges.
InriKimiic MillM'IDLi; ri LANGUAM), rai' ilEiluUlt, ).
LE
LIVRE DES FAMILIES
JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE.
N» 12.-1" Volume.
t" Octolra 1S4S.
LE MOIS DU JEUNE CHRETIEN.
SAINT SEMys
ET SES COMPACNONS, SUFITVUS.
L'liisloirc a couronne d'line glnrieuse aui-eole les Icgis-
l;ileiir.s des cm]iii'cs ; leur iinm sora loiijoiirs pronoiice avec
liunneiir dans les p;eneralions les ]ilus rcciilres. (Jiii oscrait
rofuscr cetle belle prcrogalivc a ces ci)ninii'rants|iacifiqiios
ac'COuriis des plnf;es loinlaines vers des ))0]iul.ilioiis liar-
harcs pour les civiliser par la crnix? Telle fiit la ijeiiereii'ie
ndssion eonfiee par le ponlife de Rome aux saints Denys.
Rustinue elEleulliere, donirEjlise de Paris, en p.arliculier,
celebre an 9 octobrc la solennellc feslivile. I'onnpioi,
|dut6t sur les rives do la Seine que parloul aiUeurs, Ic
nom de ces illuslres apolres csl-il un objet dc pompe re-
lip;ieuse ? Voici ce (jue rapporle I'hisloirc dc I'Eglise gal-
lieanc a ce sujet.
La partie meridionale des Gaules recnl le bienfait de la
fci clirelicnne des les premiers siccles. S'il faiit en croire
(iitains antenrs, sainl Luc el saint Crescent, disciples de
saint Paul, auraient evangelise, Marseille ct ses alentours.
Une tradition constantc dans ces contrces fait occnpcr le
siege episcopal de celte derniere villc par sainl Lazare. i|ue
INotre-Seigneur avail re.ssuscite. II est ccrlain d'ailleurs ipie
les villesde Lyon el de Vienuc elaieul cbretiennes des le se-
cond siecle, carl'liistoire de leurs martyrs, en 177, le de-
monlre surabondamnienl. Le centre et le. nord des Gaulcs
devaicnt prendre pari an bienfait de la foi. La sollicitude
apostoliipic du pape, vers le milieu du troisieme siecle,
leur procura le boubeur d'y participer, par une mission
qui flit eonfiee a sept eveques. Voici leurs noms : sainl Tro-
pliinie d'Arles. saint Galien de Tours, saint Paul de .\ar-
bonne. .saint SaUirnin de Toulouse, saint llcuys de Paris,
sainl Austremoine de Clermont et saint Martial de Limoges.
Cliacun de ces niissionnaires. apres avoir converti au cbris-
tianisme la ville cpii fut le premier but de leur zele,
etendit le regno de Jesus-Clirisl sur les aulrcs cites et bour-
gades voisines. C'est ainsi ((ue saint Denys ne se contenta
point dc cnnquerir a li foi la villo dc Paris; les eglises de
t;bartres, de Meaux, de Senlis et de pliisieuvs .lulres can-
trees du nord-esl des Gaules hri furent rcdevablo's de leur
elablissement.
43
554
Paris n'oecupnil, A ccllc epoquc, <{W Vile conmie sous le
nom dfi Cile. Qucliincs li.iliilalions s'clcvaiont nil midi de
celle ile, nu pied de In nionlai,'ne Sniiile-Ucnevieve, el
foi-maient commK iiiie sorle dc f.iiilioiirg a cetlc capilale
alors encoic dans son berceau. A I'cndroil ou s'eliive au-
jourd'liiiilamelrnpolo, Nolre-Dame, etail uii temple cdifio
anx impures diviiiiles que I'Egyple avail transmises aiix
Komnins, el que ceux-ci nvaieiil imporlees dans les Gaules
par eux conqnises Quels eflbrls de zele ne fandra-t-il pas
pour arracher .i cc peup'e abruli le vil olijel de son ado-
raliou, et lui faire accepter des d 'piics el uue morale en
opposition si dirccle avoc leur abomiualile crnyance? Saint
Denys le tenle, el il y reussit. Les miracles qu'ilopcre de-
monlrenl inviiitildemenl la verile de ses paroles. Bienlot
une I'slise se forme; saint Denys en est I'eveque; saint
Riislique, pre. re, el saint Elculhere, diacre, eomposcntavec
le prelat celle cathi'drale naissanie. Le temple des idoles
est aliallu, el sur ses ruines s'eleve, en I'honncur de sainl
Etienne, premier marlyr, une oglise clireticime. Plus lard,
lorsqu'un edifice plus somptueux rcmplaccra In moJesle
eglisc, on le placera sous le vocalile de .Marie.
Ce n'est done point en vain ijiie snint Uenys et ses
compngnons ont arrosij de leurs sueurs ccltc tcrre qui se
presentnit d'abord conime Ires-inijralc et inlecundc. Mais,
dc memo que les apolres de Jesus-Christ ont du arroscr
aussi de leur san;; la semence de la divine parole pour
qu'elle fructili.'il, de memc aussi ces nouveaux apiUi-es, en-
voyes par le vicaire de J.'sus C.brisl sur la tcrre, dcvront
fertiliser de leur sang la meme semence. Mnximilicn-llerculc
etail alors n la lele de I'empire romain. Effraye des im-
nienses prngrcs ilii clirislianisme dans les Gnulcs, (|ni n'en
etnienl nlors qn'une province, il envoie des ordres se-
vercs an gouvernour de ciile derniere. Fescenninus ou
Sisinnius, digue di'legue de renipereur romain, fail jeler
dans nn cachnl le siiinl eveque el ses deux acolyles; il
cssaye d'ebranlcr leur foi pnr les ]ilns t. rribles menaces ;
inais uue apostasie ne saurail souiUer despienrs anssi dc-
voiies a la verile. Lnsse d'uue Constance qui est ii I'eprcnve
de tons les genres de supplice, Sisinnius ordonne (|ue les
Irois confesseurs soienl decapiti'S. Afin de derobcr :\ la vi'-
neralion des clu'clicns ces precii'uses depouilles Sisinnius
ordonne qii'on les jctle dans la Seine ; mais nne pieuse
fenime, nomine Calnlln, parvienl a relircr les Irois corps ,
el leur donne une decente sepullure.
Telle est snccinclenienl I'liisloirc de la pivdicalinn et du
martyrc des saints Uenys, Ruslique et Eleullieie.
II V aurnil mainlciianl bien des discussions .-i elablir snr
Pepotiiie de la mission dc saint Denys, sur son idciilite avec
I'Areopaijile, snr le lien meme oil les marlyrs rccurent la
morl. Un livre on journal tel ipie celui-ci ne saurail nd-
mellre des disserlalions scientilii|in's et abslruses sur des
questions de celle nature, quclques mots snfliront.
L'opinion qui veulque sainl Denys rAreopiigileail ele pre-
mier eve.(ue de Paris place nece.ssniremenl rnrrivee de ce
pontife npoire a la lin du premier siecle de lere clmjlienne.
yu'etail rArenpagile? C'elait un des .juges d'Alhenes qui,
au moment on saint Paul preciiail dans le preloire de ce
tribunal, se converlit a la foi et devint premier eveqne de
celle ville. II faudra, dans ce cas, que sainl Denys I'Areop.i-
gite alt qnille In brillanle capilale ile la Grece et Teglise
qn'il y avail fondee pour venir cbcreher an milieu des
sombrcs el brnmcuses forcls des Gaules la clielive cite des
Farisii^nS. Mais en lui-mfmfc le fait n'a riiiu d'incr'oyabrc,
LES SAINTS
car les missionnaires de I'Evangilc ne redonlent ni les
perils ni les fnligues des longs voyages. II s'agit seulement
d'une Incline Ires-considerable qui va exisler dans la suc-
cession des evequcs dc Paris. En ndinetlanl (|iie sainl Denys
I'Aieopagile ail ele martyrise d.ins celle derniere ville, an
comniencemeni du denxieme siecle, quels furent ses suc-
cesseurs jiisqu'a la fin du Iroisicme? Au surplus, nvnnt Ic
moine llildnin, abbe de Sainl-Denys, pres Paris, qui ecri-
vnit en 814, personne autre n'avait regardc I'Areopagile
comme premier eveque dc Paris. La vie de saint Denys,
ecrite en Pan 7S0, se conforme a saint Gregoire de Tours,
qui nous montrc les sept evequcs dont nous avons plus
haul donne les noms, arrivant en France an milieu du Iroi-
sieme siecle. Tons ces missionnaires elaient d'origiiie
grecque, ainsi que rindii|uc leur nom ; mais cc n'est p 'inl
nne raison pour faire de sainl Denys d'Alhenes le nicn.e
personnage ipie cclui de Paris.
En (|iicl endroit recureni In morl les Irois .saints coiife.--
seurs? Selon ropiiiiiin la plus probable, c'est sur une mon-
Ingne qui dmnine Paris, et que Ton appellc, pour celle
raisoii. le Monl-Marlr.\ e'csl-n-dire, le Moiil des .Marlvrs.
II est vrai que, scion quclques auleurs,Moiilmarlre n'aiirail
cc nom que parce qu'on y honorail autrefois le dieu Mnrs ;
mais, .selon d'aulres, le dieu Mercure y avail un temple, el
le licus'appclait, pour cello raison, Mnnl-Mercurc. Toulcs
ces opinions nepeuvenl se .sonlenir en presence dun fail;
c'est que dans la vie de saint Denys, sous Ic ie,ne de
Charles le Chnuve, la nionlagne est iiommce Mnns Marly-
rum, le M ml des Martyrs. Aujourd'hui encore la barriere
qui y coniluit portc cc nom, f|ui n'a pas doge lere comme
celiii de Monlmarlre. Terminoiis rcxainen de cc point
d'elymnlogie en disani i|ue, d'aprcs la regie des locutions
franr.aises, si le nom de ce monliculc lui venail de Mars,
on dirail iiecessairement Monimnrie. En prononcant el en
ecrivaiil.l/ioi(/n(ii7ir, ravanl-ilernierc letlre du mot accuse
roriginc clirclienne de ce nom. C'est done l.i. ou du moins
au pied de celle montagne, que les tniis illiislres a|inlres
de Paris scellerent de leur sang la foi qu'ils y avaiei.t
prcchee. Leur supplice, loin de iiuirc a la prnpagaliou da
chrislianismc, lui impriina au conlraire nne vigiieur non-
velle. el quclques anni'cs npres la morl des saints confes-
seiirs, il n'cxislait plus sur le sol de Lulcce nucun vesligc
d idolnlric. Ainsi s'elevait sur nne sanglnnle base ce bel
eJillce dc lEglise de Paris, cpii devait brillcr comme un
soleil an milieu des antrcs chrelicnles du royanme des
Francs. Ce qui semblail devoir cmpecher le dcveloppement
du mvslerieux germe en est, au contrail e, le principe d'ac-
crnissement. Taut il est vrai, comme on ne saurail Irop le
rcilire, que dans le christianisme Ic progres se trouve dans
ce qui. parlout aillenrs, n'est que la dechcnnce et la mine !
Inlerro^cons mainlenant la suite de la tradition. Elle
nous apprend qn'une dame pieuse, apres avoir retire les
corps de la Seine, on la rage paienne les avail jeles, leur
procura une sepulture, ainsi que nous I'nvons deja dil. Le
lii'U de celle siqinltiire fill un liameau dislanl d'une lieuu
de la mnulagne oil rexeculion s'elait fnilc. II povtait le
nom de Calolmnm. Bienlot fine chapclle fiit elevee sur
ces prccieuses relii|ues. Les piipiilalions s'y rendaient pour
iinplorer la ]iuissanle inlercession des Irois martyrs. Celle
aflliience inces.snnle obligea les hahilaiils du village ii
ausmentcr les balimenls deslines a helievgcr les nombrcnx
peierins. An neuvieme siecle, c'elait deja nne ville en-
laiu'ce dfc mui-aillfes ; S»n vi«ix nom de Cdotacum avail
DU
dispani pour fairp plnce a coliii de siiinlDonys, lii premier
(les Irnis marlyrs; niais avaiit celle ('■pmiue le rni Dagobert
avail r'einplacc la premii'iT cli.ipelle par line richc liasiliipie.
Celle-ci fill dediee le 2f fi'vrier 631). L'liisloire de cclle
iledicace esl Irop iiileressanli' pniir eii fruslrer iMs lecleurs.
Dos la vciUe, iine niiillilude iiiiiomljralde s'elail rendiie
a Calolacum pour assisler a celle imposaulo ceremonie.
I'lusiciirs fidclcs eusseni desire de passer la nuil eu prianl
dans le nouveau temple ; ninis une mcsurc t;eiierale ful
adnplee, d'apres laipiellc il ful defendu a ipii (pie ce fi'it
d'y peiielrer nvanl le maliu dii jour mcme du la dedicace.
I'n seul parvint ii dejouer loule la vigilance dcs gardiens :
c'elail un lepreux qui s'elail cache dans une obscure cha-
pelle Ecouloiis I'hislorien Doublet : « Ce lepreux vit une
0 brillanle clarle qui penelrail par une des feiK'lres et
II remplissait toule I'eglise de splendour, et ensuile de
i( lumiiire , noire sauvi ur el redempleur Jesus-Christ, re-
II vetu d'habils sacerdolaux et ponlificaux. accoiupa!»nedes
II grands apolres saiul Pierre et saint Paul, et aussi du
II glorieux apijlre saint Denys el ses compagnons saint
II liiisliipie el saint Eleulhiire, lesquels lui iniuistraioni, et
II pareillenient d'une troupe do saints, sainlcs el d'aiiges,
II leipii'l consacra de sa divine main, et dedia de sa sacree
II honche, Dt les ceremonies accoulumi'es, chcmiiia pro-
II ce<sionnelliment tout ii rcnlour, suivi des apolres el
II saints, arrosa le pave d'eau benile, iniprima avec de
II I'huile celeste, es parois cl murailles, les marques el
u caracleres de consecration el dedicace. »
Pendant que le ceremonial sexeciitait d'une maniere
aussi mirveilleiise, Jesiis-Chrisl deconvril le lepreux et
lui ordonna de « faire entendre an roi Dagobeii, aux pic-
II lats et grands rassembles pres de lui, ce qn il avail vu, el
u qu'il n'etait plus be.soin de dedier cl de consacrer cclle
n eglise. — Comment, dil le lepreux, pourrai-je avoir acces
II aupros du roi? — Lors Jesns-ClirisI, prenant ce pnuvrc
II infecic par le haul de la tele, lui ola lonle celle penu
II Cftuverle de lepre, el la jeta conlre la pariiy oil elle de-
II meura attachee, represenlant le visage et la face d'ou
II elle elait sortie, le malade ilemenrant sain et net. et sa
II chair aussi belle el plus que celle d'un joiivenceau. »
Le lepreux eul une audience de Dagobert. Ce prince
aussitol partit de son palais de Clicby, cmirul a Sainl-
Denys, el reconnut la verile du fail extraordinaire qui Ini
avail etc raconle; il fit transporter aussilol les corps des
saints martyrs dans la noinelli' eglise, lui donna |iour son
enlrelien plnsieurs riches doniaines , rcmbellit magni-
fiqueinenl, y placa des religieux charges d'cn faire le ser-
vice, et leur confera les plus beaux privileges. En 638, le
corps de Dagobert, morl en cetle anncc, ful depose dans la
basilique ediflee el enrichie par ses soins. Cost ce prince
qui commence la longuc serie de ses successeurs qui out
I'te pre.sque tons inhumes dans les cryples de Saint-Denvs.
Ici maintenanl se presenlc le recit d'une horrible el la-
mentable prufanalinn ipii, sous le reguc de la Terreur re-
volulionnaire lit I'remir ccux qui avaieni encore du moins
conserve qiielqiies vestiges de I'antique respect pour I'asile
desmorts; il appartenait aux monstres qui avaient conduit
nil roi a I'echafaud de surpasser en barbariesauvage, uon-
senli'menl les paiens, mais les plus slupides peuplades de
rAincriqiie. L'anteur de la partie religiensc du Lhre dcs
families, VahUi Pascal, qui en a en meine leinps la direc-
tion, ose esperer que ses lecleurs liront av*c indulgence
les strophes suivantes qu'il composa en mai 1850 (il prie
MOIS. 55S
de rcniarqncr repoque}, sous le litre de ; la Basilique de
Suiiil-De)u,s: elles furent imprimees et publiees dans le
susdit mois de ladile annee. (Jiielques noles explicalives
snivronl le lexle, el fournironl de nouveau. Ictails sur le
siijet qui nous occupe.
Sur lies bonis ili'soli'^s, sur lies plages steriles,
Ou llorissaient jadis cent opulenles villes,
S'il portc un regard lurieux,
Inimobile irenVoi, le viiyagcur soupire...
AiiJsi, dil-il, le lonips ilu plus bnllaiu empire
Efi'ace I'etlat railieux.
Uu jour, vers une plaino en souvenirs feoonde,
Triste, jc dirigcais ma course vagabomlc ;
Saint-Denys nt'ouvre ses tombeaux...
Les pleurs vinronl uiouilter ma tremblante paupicrc;
Je Ibulais sous rues pas la royale poussiere
Des monarques ct des lieros.
C'cst done la, meilisjis-je, ou, pale souvcraiae,
La mnrt des I'roids di'bris ile ta splencleur luiinaine
Recoil les tributs solennels.
Lii, sous ces noirs caveaux ilormcnt dans le silence,
Peres He leurs snjots, ces rois a qui la France
Voua ses regrcis cternels.
Jo fromis de respect sous ces voi'iles gollilques.
De la foi lies Fianfais monuments magnifiques ;
Ci'S mai'bres rongi's par les ans
Srnpparaisscnt ompreinls de dix si&cles de gloire,
El de cos murs sapn's intorrogcant Ihisloire,
Je crois entendre ces accents.
Un pnnlirin/arlyr, il.iiil la ilouce eloquence
Sous I'empirc du Christ a subjugue la France,
Ce lieu recul les ossemonts.
De ces bords fortunes la vierge tutelaire *,
L'buniblo title des cbamps, de ce grand sanctuaire
Posa les premiers I'onilemenls.
Sicambre dont Clotilile ailoucil la rudesse *
Dece temple nouveau lajeune foi s'cmpresie
D'accroitre la sainte splenileur.
Gloire a loi, de Clovis noble el picuse race ' 1
llomieura loi surtoul dont le noni seul retrace
El les verlus et la grainieur *.
Sous ces voiites brilla I'invincible oriflamme ',
Qui des prcux chevaliers sans peur conime sans blame
Guidail le coui-age indompte.
Les br.is encor fumanls de niille funerailles.
Us venaienl sur I'autel duvrai dieu des balailles
Di'poser leur male licite.
Salut, illusire abbe, tiiteur de la couronne « ;
Si le sceptre des rois d'un noble uclat rayonne,
Place dans les habiles mains,
Co temple encor benil ta memoire immortelle ;
Ton ciEUr pour le Tres-llaul briilail du memo zele
Que pour le bonlieur des Inmiains.
L'apotre des Gaulois vit les monarijues mi?me,
Sur ses restes sacres posant leur iliademe,
Implorer son puissint secours.
Sur leur regne invoquant la celeste clemence,
Prolectourde nos lis! In pri.ns pour la France,'
El le ciel I'exaucail loujours.
536
l,ES SAINTS
Noil, hi iimil lie pouviiil lU; lii s;iiiiln |K»ussirio
Separcr cos i^rands rois ; riuaml sa i'iiiix nu'urtiiL'i'f
Brisnit Icurs sce|itn?s passagors,
ToRcendrosprulugciiiciil Icurs pompcnx maiisolues;
Qu'avaietit a i-ciUuiler loins omln'os consolocs ?...
Lcsepulcre ;i-[-il sl's dangers?...
A tx's mols, Je sa voix suspciulanl I'liarmonic,
L'Hislnire (oil ■ (Viin gi-jiul crime alVrihise ignoniiiiio !]
Rcculc lie tVcmissemcnt.
Jo erois vi>ir clianceler les siipcrlns poi-liipios,
S'entrouvrir scs cavcaux, de scs voulcs auti([iios
Sorlir iin long gL-misscmcnl...
,Ii>nr niaudit, Juur TiIjI uli In luiclif iitliumarMi\
Toinle flu sing il'uri roi, frappc uno imguitc rcine !
0 solcil ! voila ion uclat ".
Cicl ! ou court cotte liordc ;ui niassaciv aguerrjo?
Barbarcs, vcncz-vons effraver ina palric
D'liii plus sacrili'ge altonlat ?
Rrpuilioz (les rois et le sceplre ct la gloire,
Ui-'gicidcs tribuns! dii inoins que leur nicmoiro
Kcliajipe a vos liras ilcstructcnrs
Le croira-t-on ? la niorl, u lionti; de mon a-^e !
?J'a pu les dcrober a rinlbniale rage
Dc ces tigres legislaleurs.
Le forfait se consomme, et ces dieux de la tcrre
Donl les bras tant de fois out lunce !e tonnerro
Sonl exiles de leurs tonibeaux.
lis giscnt sans lionneur olcndus snr Tari^ne
5Iais du fond du cercucil I'ombre du grand Turcnnr
A glace d'oiYroi ces bourreaux ^.
Eh quoi! du Hearnais la cendrc est profanee!
0 Henri, de ses miins celle horde effrenee
Couroinia ton bronze (rberi ^
Dc ce perlide amour, princes, craignez riiommage;
Louis fut adore i**... miis... vojlons cellc image,
Ciel, protege le sang dllenri!
Le crime avait lasse cellc horde mauditc,
Quand des lyrans du jonr trop digne satellite
Un Vandiile eleve sa voix :
« Asile trop inipur d'nnc caste Gxecriible,
« Getle onccinto a nics yeux fut encore coupablc
« D'accuf'illir les ceiidres des rois. »
Ces mols ont raninie Icur I'ureur expirante,
SaintcSion, gemis ! la huhe elincelante
Mulilc Tor de ton autel...
Que devait respecter la loiirbe sangninaire?
Dieu n'esl qn'un iiom... Ic ciel un trune imuginaire...
La nmrt un m'ant clernel.,, ".
0 sacre monument ! pleure ta gloire eleinle •
Hesteras-lu toujours, majpsluense encolntc
Triste veuve de tes bunncurs?
Lc crime est passager; IJieu soullle sur rorane
Et la paix de retour avec Louis le Sane ^-
Viendra consoler les doulcurs.
11 a brillc ce jour, In benis son aurore,
Augustc basdirjuf, el ta voule sonore
Redil le canlique du deuil '^ ;
El ce peuplc de rois. de sa tombc premiere
Uccueill:int k-s debris, a trouve la pi iere,
Toujours lidclc a leiir ceiviieil.
Falliil-il iiu'un poignard rouvnt ces calacombcs >'» ?...
Qu'un parricide allreux, dans ces nouvelles lombes,
Portat lepouvante el I'borreur?
Dors pres du grand Henri, dans ce fnnebrc asile,
0 prince inlbrtun^! de la cendre fertile
Kons naquit un consolateur 's.
Des royales douleurs picux dcpositaires,
Minislresdu Tres-Uaut, de nos voenx Irilnitaires
Offrez a Dicn le pur encens ^^.
Qn'a jamais de ces lieux TimpiiSte bannie
Ne vienne profaner la touchante harmonie
De vos religicux accents.
NOTES inSTORlQUES
SUI\ ItlVEnS PASSAGES DE CETTE PIECE.
* La CL'lebrc viergcdeNanlerre, saiiileGeiievieve, moulia le plus grand
zcli' |>otu' la conslruction de la premifere liasiliquc de Saint-Doiijs.
5 Cluvis, le premier roi chrctiei), se disiiiigua aprcs sa conversion par
son picux euipresscment k cnibellir le saiKiuairc oil reimsaioiit les lesics
lies irois aputrcsde Paris.
3 Nous avons dfji dil ce que lit Dagobert. Cclui-ci fat iniilc^ par d'au-
trcs piiiifcs issus du uiOiue sang. - „j
4 CIiarlcHiagne, cent vingi ans apr^s la nnraculcuse iledlcace que nous
avons rapporlcc, voului qii'on proctJdill avcc pompe a uue cercmonie dc
ce genre, pour cunsarrer line nouville basilique que son predecesseur
Pepin avail ediliee sur les ruincs de celle de DaL;obeit. Celle di'dicace
eul lieu le 7 fevricr 775.
5 L'orillamnie, ou phikH aiiiijlinnmey ciait an petit drapcau rouge
donl le basciait decoupe en trois poinles icrminccs par des houppcsde
sole verle. II clait allaclte, en foraie de bannlere, au bout d'liiie lauce
dnnt le biUon elait recouvcrt de lames de cuivre dor6. Quand la guerre
eiait dcdaree, on allait en grande pompe cherolier dans reglise de Saiiil-
Dcnys ce drapcau, que Ton regardail coninie nn g^ge assure de hi v;c-
toiro. Apri-s la guerre, le drapeau eiail reniis en sa place, suspendu sur
le tombeau de saint Deiiys el de scs compagnons.
c Sugcr, vovanique I'eglise b;\iie pur F'epin el Charlemagne n'elaitpas
asscz vasle pour cmiienir la fuule des lidcles, la III pariiellement d^nin-
lir. C'cst ii cet illuslre abbe, qai goiiverna, commc on sail, le royaunie
avcc bcaucoup de sagcsse, que cette eglise esl redevalile de son portal!
et de ses lours. Cet aljbe lil dedlcr la basilique agrandic le dimancbe 11
jurn Wkh.
'i Le jour nii''nie oil la reinc Marie-Antoineiteful conduite ^ I'^cbafaud,
le 16 octobre 1795, ronnnencerent les horribles profanations des sepul-
tures royales. Ce jour-lS el les suivanis, les corps fureni exlraiis des
cercueils, et puis eiiteircs en masse dans une fosse commune liors de
IVglise.
8 Le grand Turcnne avail de iidiume dans les taveaux dc Saiiit-Denys
avcc les rois. Louis XIV lionora ainsi la memoiie de eel illuslre capi-
laine. Qaand les prolanaleurs enrcnt decouvert sa lonibe, lis s'arriML'ieni
romnie saisis d'effrui. « Turenne, dil la Gazelle de France du 29 mai
1806, rcsta seiil coniine sur un champ de batallle ; les bourreaux avaienl
respci'tc la gloiie de sou nom; ds seniMaieni a\oir pris la Tuiie i^i son
aspect. »
9 Ell 1788, les faclieux prcluiiaient aus hoireurs de la revolulion en
foTijani les passaiits A se decouvrir devant la slalue de Henri IV au
I'ont-Ncuf ! ! ! Jusqu'uii pent alter I'hypocrisie des sedilieux nova-
leurs !..
10 Au commencement dc la ix^volulion, Louis XVI tHait I'objet d'un
amour frenelique. La commnne de Paris avait propose de lui i-lever un
monument avec celle inscription . A I'lionneur du fiire du peuple ct du
restaurateur de la liberie frantjaise.
It Telle ful en clTet la morale de ces tncrgumenes. Lonvel, leur digne
htrilier, a dil, avec une rare impudence, lorsqu'on lui pailail d'un Dieu
veugcur du crime : Dieu n'esl qu'un vom... De quelles alrotiles nc soal
point capables des c/-oj/fl«/A- de celle esp^ce?...
12 Louis Will, a qui ta char te par lui octroyee a inenie Ic nom de
Sage.
13 Ce prince a fonde Ic cliapiire royal de Sainl-Denys par une ordon-
nance daiee du 23di^ccnibre 1815. II doit se lomiioser d'un primicier, dc
dixcbanoines-evOqucs el de vingl qiialre clianoines-prdlres. En aacuiie
epoque, depuis la Inmlation, te noinbre ties deinieis clianoines n'a de-
passe dix-acuf. En re imimcnl, il y en a ii peine ireize. Sur la dcmande de
Louis-I'Uilippc. le pape Gri^'goirc XVI a donue une buUed'ercction canc-
nique dece cliapiire. Jusqu'^ ce moment/ quoique re^ue par le conseil
d'Elal, labulle n'esl point miseiiexecuiion. Les clianuinesdeSainl-Ueii;s
50111 spi'ciJleniciil fliaifics ile veillcr aupii'S lies loralics royalcs el il'y va-
i|iier J la prii-re.
H Nous ii'aurioiis pas bosoiii de rapi'elorqiie le 13 feviier <8-20, ie due
dc Itpi ri fut ossassiiie, el qu'il mourut le leiuleniaio.
li Moiiseigneuiic due de B"rdcau>;, aujounl'liui en exilsons le iimiide
roinle de Chaiilbord. Sa iiaissanre fut accueillie paries plus vifs trans-
ports.
10 1. a feic de saint Denys a toujonrs ete ci'lebre dans lesdlverscs conlrees
de la Franee. IMusieurs eglises soiit plaeees sous son invocation, et il
n'esi p:is un seul dinci'se oil il ne s'eleve quelque editire religienx en son
lioiineur. A Paris, relte file i'lail jadis oWigaloire roiiime le saini jour
du diiijanclie. Aujotird'Uui la solennite est renvuyee an diniantlic sui-
vanl. C'esla la protection loulc parliculierc de res illuslreset saints mar-
lyrs que ifiglisc gallirane croit devoir I'inapprcciable avantage d'avoir
ronstaniment conserve la foi catholique dans toute sa purele. Oil ! puisse-
1-rlle, surtoiit dans nos jours nianvais, la protection de ces geuereux con-
fesseur.-, couvrir coiiiiiie d'uii impeneirable boudier noire pairie, qu'iin
esprit de niensonge s'elTorce de pcrveriir et de denioraliscr I
XA TOUSSAIMT.
N. B. Gette soleiinllc n'opparlieiit point au iiiois d'octobre:
mais coiiimc le pi-eniier miniero du Journal tie HI. k Cure, c'cst-
a-diiv, fe ,1/ei's du jeuiie Chretien pour iiovenibre, ne renferme au-
nine espete de notion sur cette fete, nous eroyons devoir eii
parler suceineienient dans ce nuniero qui terminc la seric d'une
anuce. Ainsi, dans TouvrajiC compose dns douze livraisons, on
aura une explication complete de toutes les solennitcs du culte
catliolique.
Vingl-einq ans avaiU la naissance de Je.sus-Clii-isl, Marc-
Agrippa, gendre tie rompcrcur Aitgtistc, fit edilier a Romo
itn leniple superlie pour le diidicr a son bcaii-pere. An
moment de proceder a cette dedicace, rempei-enr decline
I'insigne liomniage de son gendre. Agrippa en fait honnenr
a Mars el a Jupiler Veiigeur, en niemoire de la victoiiv
remporlee par Augusle conlre Marc-Anloine et Cleop.-ilre.
Plus tard les stalites de la deesse Cybele et cellcs des in-
nomljrables diviiiiles dont on la faisait mere, jienplerent
ce somplHCux edifice. On lul dnnnait le nom de Pantlieon,
terme grec nui sigiiifie ilemeure de lous les dieiix. Qnand
le chrislianisme viiit Ironer en vaiiit|uenr snr les mines du
polylMisnie, on aliatlit les temples qui avaienl etc elevijs
aux idoles. Tht-odose le Jeune avail cependaut rcspecte
ce lieau monument, apres en avoir toutefois expulse les
idoles et en avoir dtjfendu I'acces.
En 610, le pape Donifacc IV demanda a I'empereur Pho-
cas la jonissaiice du Pantheon. Sa demande fut accueillie
favoralilemeni, et le pape le dedia au vrai Dieu, sous I'iii-
vocallon do la sainte Vierge et des martyrs. 11 y fit trans-
porter vingt-liuit chariots d'ossements des confesseurs de
la foi, y placa lionorahlementces saintes reliques, et enfiti
le 13 mai, il fit la consecration de eel edifice, sous le nom
de Sainle-IHarie aux Martyrs. C'estl'eglise coniiue main-
tenant sous le nom de la Rotonde, parce que sa forme est
ronde. L'edifice est convert d'une eonpole qui a cinquatito-
Irois melros de dtametre. Le centre, on sommel, est perce
d'une large ouverlnre qui seule edaire I'lnlerieur du
temple.
Mais quel rapport pent avoir celle inaugiiralion avec la
fijle de la Toussainf? Le voici. En 752, Gregoire III fit ter-
miner dans la hasilique de Saint-Pierre une chapelle en
rhoiiiieur du Christ Sauveur, de sa sainte Mere, des saints
apotres, des martyrs, de tons les juslcs du iiioiide eiilier.
Le pape (Jregoire IV fixa rauiiiversaire de la dedicace qui
avail lilt; faile de celle citapelle au 1" novemhre. Itiseiisi-
DU MOIS. 3S7
llenient, celle-ci el la Rolonde on Panlhi'on, rccelant les
reliques des martyrs, nr Greiil qu'ttn seul et nit'nie ohjel de
veneralion pnblique. On solcnnisa encejour collectivement
la memoire de tons les saints. Le pape Gregoire IV se
trouvanl en France, en 833, engagea Louis le Dtihonnaire
a auloriser I'etahlissement de cette fele dans ses vasles
Etats. La ft^slivilc; devint universelle. Le jet'tne de la veille
est prescrit dans un concile, depnis I'an 1022. L'oclave ne
fut (jtablie qu'en I S80, par le pape SixlclV, qui eleva la
Toussaint a un |ilus liaut degre. Le concordat de 1802 a
rcspecte celte fete, qui est oldigatoire en France comme
le jour de dimanche.
Voici comment s'exprime le comte de Maislre sur le
Pantheon remain, qui a donne naissance a celle solennite :
« Toutes les erreurs de I'univers couvergeaient vers loi,
« 6 Home, et le premier de tes empereurs les rassemhlant
0 en un seul point resplendissant, les consacra toutes dans
u le PANTHEON. Le temple de TOUS LES DIEUX s'eleva
a dans tes murs, el seul de lous les grands monuments,
« il suhsiste dans loule son integrite La ca|iilale du
(I paganisme etail deslintie it devenir celle du christianisme,
u et le temple qui, dans celle capilale, concentrail toutes
« les" forces de I'idolatrie, devail reunir toutes les luniieres
« de la foi. TOUS LES SAINTS a la place de TOUS LES
« DIEUX ! Quel sujet intarissahle de profondes meditations
« pliilosophiqiies et religieuses! C'esl dans le PAKTllEON
« que le paganisme est reclifie et ramene au sysleme pri-
n milif dont il ii'tjtait qu'une corruption visihle. Le nom
u de DIEU sans doute est exclusif et incommunicalde;
a cependaut il y a plusicurs DIEU.X dans les cieux et sur la
« terre ; il y a des iulelligenees, des natures meitleures,
« des liommes divinises. Les dieux du christianisme sont
u les S.MiNTS; aulour de Dieu se rassenihlent TOUS LES
« DIEUX pour le servir li la place et dans I'ordre qui lenr
« soul assignes : spectacle merveilleux, digne de celui qui
0 noitsl'a prepare, et fait seulemenl pour ceux qui saventle
« contempler. »
On pourrail demander |iouripioi FEglise a inslilue une
fele gi'nerale en I'lionneur de tous les saints, puisqu'elle
les solennise individuellemcnt dans le courant de I'annee.
La question, ainsi postie, n'est susceplihle, pour toute rc-
pnnse, que de la question suivanle? L'Eglise connait-elle
noitiinativemetit chacun des saints qui hahilent les ct'lesles
demeures? A coup stir, il faulrepoudre ici negalivement.
II est induhilable que le ciel est peiiple d'uu plus grand
nonibre d'ames |ircdestinees ((ue nous n'en connaissons ici-
has. Dans la solennite collective de tous les sainls, nous
honorons par noire culte les hienhenreuxconniis et incon-
nus. C'esl a toute I'Eglise triomphanle, sans exception, que
FEglise mililanle pave ce trihnt dhommages, non jias que
ces hommages puissenl augmenler la ftiliciti' des (_'lus, mais
parce que leur intercession pnissanle nous est singuliere-
menl profitable. Ce sont les courtisans du roi des rois.
Leur suffrage aupres du monarque immorlel est une re-
commandation pour oblenir ses faveurs et ses bonnes graces.
El quel est le souverain d'ici has ipii puisse hlanier le re-
cours aupres de ses favoris'? Llionnenr que I'on rend a
ces derniersse rapporle natuiellenientau premier, el c'esl
encore un hunimage medial quon lui defeie. Uonorer les
sainls est done houorer Dieu nieme ; mais une pielt; eclairee
distingue I'lionneur de latrie, ou dadoralior, rendu au
crt^ateur seul, de Fhonneur de dulie rendu aux erealures
healifiecs.
3i$8
LES SAINTS ET LKS MOIS.
MOIS B'OCTOBRE.
1. Mercppsli. St RtMi, (5ve-
que do Reims , apntrc ties
Frani;ais, moil on 535.
11 li;i|itisa If in't'iiiiiT loi cliro-
tion, r.lDvis.
St I'lvT, apiili'i' (\c Tournay ,
niaiiyr en 280.
2* «JeiuU. Lcs Smnts Anges
i;\nniENS.
St Thomas, i5voqucfl'IIei'csronl,
en Angletcne.niortcnl^S^.
St Lecer, L'vei|ue d'Auliiii ,
niiulyr cu 078.
3. %'endreili. St Dkkvs I'A-
reopaisilo, uvc-qucti'Mlicncs,
martyr au I*""" sii-ile.
St Oims ot St Victoii, martyrs,
natrons de Soloure , morts
en 297.
St Byaries, 5*^ evoquc dc Tou-
lon . mort au milifiu lUi 0*
sieclc.
St Gerard, aliliciu'i's dc Nnmur
moil eu 759.
4. liiRniedi. St Francois d' As-
sises, iiistiLnttnr dos Frurt's
Mineurs, mort en 1226.
St Marc, St M,\R':n;N ct scs
ronipagnons . martyrs or
KgyplG vers 504.
Ste UoMsixE ct ses fdlcs, mar-
tyres au 5*^ siccle.
I O. ^'oinliodi St FiiANroTS
do Borjiia, 5*^ }ieiicral de la
tompa'^iinc de J(5sus , moit
en 1572.
St Clair, l'''"i5veqiie dervaiiles,
ntoit au 4*' s'u'cle.
St Pal'lix , evc'iuo d"YorU ,
mort en 044.
St GtonoK, apolrcdu Velay, (t
premier evcque de ce pays ,
morl au ¥ siecle.
1 S. Darnell i. St Torvqui. St
Probe ot St Andruxr:, m u-
tyrs on Cilicie vers I'an 504.
St FiRMiN, evcque d'Uzcs en
Lan<;noiliiL:, mort en 555.
St Gouer, juste, morl en 774
II eiait [lareiU liu rui P(']nii.
13
|liiiB:iiu*lie. St Wn.nun,
4'vr<[UL' d York , mort en
eveque de Bale,
murL vi'rs le G'^'
5. Blimnnclie. St PLAcinE o\
.SI'S fnmpa^iions , martyrs
en 540.
St TinusEAS . I'vcquc d'Eume-
iiir> en Phrygie, martyr en
177.
St AroLLiSAiRK, evcque de Va
lencc en Dauphine, mort en
525.
O. IjuiuU' St Bruno, fondaleur
.Il's Charlren\ , morl en
1102.
Ste Fov el ses oompapions ,
martyrs d'A^L'n au S*' siecle.
St Parron , alihe de Gui5ret,
dans la Marclie, morl au 8'"
siecle.
7. Ilardi . St Marc, pape, morl
en 350.
St Serge ot St Bacque , mar-
tyrs nu S"' siecle.
Ste Juslino, niarlyrc a Padoue,
en 304.
St Pallade, eveaue de Saintcs,
mort a la fin du 6** siecle.
6. Mercroill. Ste Btugitte ,
veuve, morte en 1373,
SteTh.us, pi'nitenteen Esypte,
d'Anlioclie, vers le 5"^ si£;t'le.
9. •ieiMli. St Denvs , eveque
de Paris el ses compagnon^
marlyrs en Ian 272.
(Voycz I'aniolP sous CO tilrc.)
St Dorotrer, t5v?que de Tyr
marlyr au 4^ siecle.
St Gl'Islun, abbe en llainaut,
mort en G81
Ste PiiBLiE, veuve, murte en
303.
70l».
St P\ntai.e,
niarlyr,
siecle.
Les saintf.s Herunde ct Bemri-e,
abbesses, mortes en 74.>.
St Serapimn du Mont-Granario,
IVanciscain , morl en 1004,
13. I'liiidi. St Kuou,vrd lo
Confi'sseur, roid'Anglelcrre,
mort en 1006.
St GiRAnii , efunle d'Aurillac,
p;Ur(in de la li ude Au-
ver^ne. mort en 009,
StCoi,\i\n, niarlvren Aulriclio
en 1012.
Ia's sept Freres MiXEURs, mar-
tyrs en AlVique, en 1221.
14:. llwrill. St Calixte, pape
et martyr en 222.
St DoNATiEN, evequc de Reims,
mort en 380.
Ste Anuarrehe , patronne do
Beinivais, morte vers la fin
du 7*^ sieelc.
15. llerert-di, Ste Tiierese
vieriie, fondalrire des Car-
melites dechauss^cs , morte
en 1552.
C'csi uiie (lcs plus illustrcs
fennues qui aicut paru dans le
Riomle flnetien (;l q'li Riarclic
(k' |i;iir avov' les pMis illustres
iH'iivaius dc Ions lis sU'dis.
Sos tiuvrji;os sout l-h grauil
noiidireii d'uii rare meiil'.
St LiVtSARD do Corbifjuy, abbe,
mort en 560.
St Bertium' , eveiine de Co-
minpes, inoit en 1125.
IG< Jemli. StGai. , abbe on
Suisse, mort en 646,
St Ai.opR, marlyr en Lorraine,
en 502,
St Ambrois, evi^que ile Cahors,
mort en 770.
StMo,\imoun, eveque de Noyon
mort au 7" sicele.
Ste \iistR;\re. abbesse a Laon
morte en 688.
St Amiue re Crete , niarlyi- ,
niiirl en 701.
18. *inme<li. St Lrc, evan-
j^eliste, marl\r au T'"" siecle.
Onne |'Evaiit;ilo i|ui portt s.»ii
RiHii, il a ecnl les Acu'S clc---
Ai'Oires.
StJulU'IN Saras, anauliorete en
MiVsopotamie , moil au 4^
siecle.
St MoNor, anacborete t'cossais,
mass.u re dans sa cellule par
des volcurs, au 7*= siedc.
19. Blimaiii'hc. St Pierre
ii'Aii:\NT\nA , roliyieux de
I'urdi r de St-Fra>^ois, mort
en 1.562.
St Ao':iiis . eveque d'Evreux ,
mort a la fin du 7'' siei-lc.
St Craffre , abbe en Velay,
martyr donl le vi'ai nom e>l
■ TliL'olroy, mort en 728.
Ste FRUtESwniE , vierfre , na-
tromie d'OxI'ord, niorlc a la
fin du 8'" sietlc.
30. Ijiiii*li. St AiiTEin:, inar-
t)r iI'Li^yple ca 562.
St B\hsahi,\s, abbe, el ses com-
pa^nons martyrs en Perse,
an 3'^ ou 4* siecle.
St Zenore, evL^pie de Florence,
mort au 4^" siecle.
St Seudos ou Sisriuh.i.e. pr^lrc
dc Reims, nifU'l an 7'-" siecle
It. Voiiilroili.STE Heruige,
duebesse de Polognc, veuve,
morle en 1245.
2 I . llnrili. Ste Ursule el se^
compagnes, vier^es et mar-
tyres au milieu du 5^ siecle
On a d I, iiiNis s.iiis |ireii\i'
[uisulvcs, (piVllcs t^.aieiil .n
iinnilirr ill- orze unl e. II e^
tiiun'fiiis ciTt'iiii ini'" I: ni- ihiiii-
bre elait gidui.
St IliLARiuN, abijL', moil en
371.
Ste Celine, viorpe, a Meau\,
morte au 5*= sieelo.
St Ovfflay, solitaire au dio-
cese de Treves, mort a la iln
du 6^ siecle.
23. Illercr<'<li. St Piulippe,
eveque d'lleradee , et ses
compagnons, martyrs, mort
en 304.
St Marc. evOquc de Jerusalcni
mort en 150.
St Mellon, eveque dc Rouen,
mort au connnencemenl du
4'' siecle.
StLouvent, abbe dc Javoulx.
en Gevandui, mis a morl
sui les bords de la riviere
ilAisne, en Picardte, vers la
lin du 0*^ sircle.
33. Jfuili. Sr Tkeodore, pri}-
Ire, martyr en 302.
St Jeas re Gapistran, veligienx
de I'ordre de St-Fran(;ois ,
morl en 145G.
St tcsAiiE, palriarebe do Con-
stantinople, mort en 878.
St Rohain, eveque de Roiun,
morl en 059.
;■!:. %'pii4lro<li. Sir pROCi.r ,
arcbevei|uo ile Constant i-
nuple, mort en 447.
St Fei.ix , I'veitue on Afrique,
martyr en 305,
St Magloire , eveque i-egion-
naire ou missionnaire abbi^
de Dili en Bret igne, mort
en 573.
St Martin, abbe de Verlou en
Bretagne, morl en 001,
25. Kanieili. Sr Crespin et
St Grespimen , martyrs u
Soissons en 287.
St Frost, premier eveque de
Pericrueiix, dans les [u'emiers
siedes.
StGardence, eveque de Brcsce
en Italic, mort en 420.
St Bonif-ace, l*''" pane, mort en
422.
2G. Dimniiclic. St Evanilve,
papo ct martyr, en 112.
St LueiKN et St Marcies, mar-
tyrs, iiu y siecle,
Sr ResTiQUK, eveque de Nar-
bonnc. mort en 462.
Ee R. Buna venture dc Po-
leii/.a, reliiiieux frauciscaiu,
nn.rl ni 1711.
JT. loin ill, St FRrMFNrc,
apfilrederEtbiopie.G'siedf .
St Elesuaen, roi li'ElIiiopie,
puis anadiorele, O*-' siecle.
St Abrae. abbe en Irlande,
morl a la fin du G*^ su^cle.
iH. ^Inrilt St Simon, snr-
rioinme Ii^Zelf:, apoti'c mar-
lyr au P'"" siecle.
St Ji'tiE, aptitre, surnoromfi
TiiARREE,ou confesseur, mar-
tyr au l*^"" siecle.
St Faror , eveque do Meaux,
nioi'l au 7^ siede.
2!l. SIfrfredi St Narcisse
evrque de Juiisaleui , morl
au 2' >iecle.
St Chef , abbe a Vienne ea
Daupbine, morl en 575.
Ste Er.MEMNRB, vierce du Bra-
bant, morte a la fin du 15*^
siidc.
Ste Eusede, vicrge el marlyre,
a Marseille, en 751.
30. aleiidi. St Marcfi. le
Centl'Iiion, marlyr on 298.
St E'Jcain, martyr en Reauce,
au conimencenient du 5^
siecle.
St Germain," Eveque de Gapoue,
morl an G^ sit^cle.
St AsTEiiE , arcbeveque d'A-
niasee ou Anasie, docteur de
1 Ei^lise, mort au 4^ siecle
On a lie liii plusirut'S sernmRS.
31 . V<Miilrc4H. Jfcne, veillc
de la lete de la Tnussaint.
\\mv r<iriirlc sur C' lie fOie,
apri's I't'iui sui' Si Ueins )
St QrESTiN . martyr en 287.
Sr WoiFGWG, eveque de Ra-
tisbonue, mort en 994.
St FdiLi.xN, niartjr en Irlande,
eii 6.55-
LES SAISONS ET LES MOIS.
OCTOB RE.
;■ '■
Mais dcja vers !a vignc uii grand peuplc s'avancc,
Ils'y di'jploie en orJre, el Ic travail conimenic.
Une troupe a leur voix n'pond dcs moiils voisins ;
Plus loiti !e tambouriii, le lil're ct la Ironipclle
Font entendre dcs airs (jtie levallon ri'pele.
Ccpenitant les clinnsons. les cris du veudangeur,
Fixcnt pur le cotcau Ics regard? du chasseur.
Mais le travail s'avance, el Ics grappcs vcrmeilles
S'eluvenl cu monceaux dans do vastes corlieillcs.
Colin, le corps penclie sur ses gcnoux Ircinblants,
De la vignc :iu cvdlier Ics Iransportc :i i)as Inits;
Une foule dVnl'ants aulour de lui s'eniprcsse,
Kl Vaiinonce d ■ loin p:ir des oris d'allcgiose,
Tandis que le raisin sous la pool re est place,
Qu'un jus brilluiil et pnr dans la cuve est lauce.
S*lNT-L\Ml!EliT, Us Saisoiis
Avcz-vons reinarquc conime les saisoiis pas.^ciit vite, el
sui-loul comine elk's se liennent par une cliaine liarnio-
nicuse et se succedcnl giadiiellcnienl. Voyez, cc ii'csl que
|iar dcgrcs inserisiljles c|ue I'aulomne substiliic ses journecs
breves etternesnux jours trail spa rents et loij;;s de i'ele. Puis
seul mailrc, uii nininenl, tie I'liorizon, 11 Ic revet encore
de leiiitos solennelles et variees. Mais dejii se manifeslent
pen a pen les siijnes precurseurs de I'liivei'; car le fruit se
iletache, la fciiille lombe, I'air s'nssombrit. et le soleil, ce
niasiipie dccnraleur de la terre, perd lui-nienic son eclat.
Or, a mesiire que la force vegelative se dispose ainsi au
rcpds hibernal, 6Bs'crvons stulemeut Ics phondmeiies que
prcsenle la feiiille C'cst la fcuille qui protegea la venue
de la planle, c'esl elle, encore, qui coiivre sa relraite; ct
commeelleful le premier orucmeut de In nature, elle en est
aussi le dernier. Mais si la feuille doit etre verle au priD-
tenips ]iour faire iiiieux ressorlir les nuances delicales, et
verte encore cu ele pour affaiblir'lcs reflets cLilouissnnls,
vnycz au mois d'oelobre, son liinbe se pare coinnie une
(leur, alin de menageries re^ri ts de la terre ipii a succe.ssi-
venienl perdu ses corolles et ses fruits.
Le feuilliigo des forets elale alors une magnificence grave
que senible embellir surtoiit un senlimcnt de tristessc
dou.x au poele, doux .i I'artiste. El jiour iie |iarler ici que
des arbresde noire Europe, qui, generaleinent plus utiles,
devaientetre, par co:ise(|uenl, moms orncs. que decouleurs
diverses.ipie de nuances inalteiidues, qued'harmonies, que
de contrastesl Sansdoule, le jaune domino dans les fenilles
d'automne, car des deux elements du vert, c'esl le Men,
plus delical, qui disparail; c'esl le jaune qui rcste. Mais
celle couleur s'y monlrc dans loutes ses nuances, dcpuis le
jaune vcfdatre du tilleul jusfpi'an jaune dore du bouleau.
Puis la couleur rouge, seule on s'linissant aux deux aulrcs
couliurs primitives, ofl're aussi loutes les varieles de tons,
depuis le rouge brun du beire jusqu'au rouge vifdu syco-
more. Le sol, rexposiliuu. I'.ige, modilieni singnlierement
I'aspect de la feuille ; 11 en resulle dans le meme arbre une
graiido variele de nuances, comme dans le cliene, par cxcm-
ple. le roi de nos forets.
Cepeiulant, aide parle froid, levenl, quis'irrile,depouille
enfin les r.orieanx. La defolialion, toutefois, n'esl)ia< simul-
lauee; elle s'o|icre, au conlraire, dans un ordre admirable.
En genCral, les .irbits qtii, Ics premiers, sc sont pares de
360
ARTISTES C
leurs feuilles, les perdcnt aussi les premiers. Tel est sur-
toul Ic marronniei- d'liulc. Mnis, dans le snrcau, la feiiiUc
persisle fori lanl, iiuniiine dovcloppoc dc bonne lieurc; et
danslc frene, la feuillc tardive lomhe plus vile. Bien plus,
il est nccessaire que, dans queliiues planles, la feuille se
maiiilicnne meme jusipi'a la naissance du nouveau bour-
geon surtout dans les clinials excessivement rigoureux ; el
la feuille, alors, conserve non-seulemeul sa plaee mais en-
core sa couleur. Les arbres qui reticnnenl ainsi leur feuil-
lage onl recu Ic nom d'arbres verts ; lels sont : le pin el le
sapin, arbres resineux dont la feuille svelte, dure ct vernie,
nc laisse pas de prise a I'ouragan.
Du rcslc, la cbule des feuilles est «n phenomene de vie, el
non point un sigiie de niorl. Seulement les fonctioiis de la
feuille etanl accomplies, la force vegetative se recueille dans
les racines, pour agir avec plus d'intensite des le premier
rayon du prinlemps. Aussi quand nn arbre est Iransjdanle,
cc qui s'effeclue souvenl dans le niois d'oclobre, on ne doit
pas s'inquieterdc lui voirperdre prompteraeiit ses feuilles.
C'esl un indice, au conlrairc, de rcnergie, des racines ((ui
s'approprient sans doulc toutc la seve, mais au profit dc-
linitif de I'arhre transplanlc ; car, au retour de la chaleur,
les feuilles elles-mcmes sc dcvelopperonl avec plus d'abon-
dance et plus d'aclivite.
C'esl ainsi (pie, sous la bienfaisante main du crealeur,
les perlcs apparenle-; dune saison sont des economics
ree'.les pour la saisnn qui la suit; r'csl ainsi que, pour-
riionimc, riiiver uiemc est un bienfail.
TECLLirnES.
AUTISTRS CELEBUES.
Seeucs ile la vie ilos Pi'iiiti'es.
PIERRE-PAUI. RUBENS.
Pierre-Paul llubens, ne le 28juin 1577, a Cologne, est
mort le oOmai Wi'iO, a Anvers. — On veil parloul I'image
de ce peinlre celebre, etil estpermisde penserquela grace
pbysiipie et I'exterieurdi'gngi; de llionime, autanl peutctre
que le renoin du grand artiste, out seduit le crayon des
phis habilcs dessinateurs. ^'e {I'une famiUe noble, a la fin
du seizicnie siecle, vingt ans apres la mort de Charles-
fluint, au sorlir de cetle npoque brillaiile qui a laisse de si
belles pages a ecrire dans I'liistoire dc la eivilisalinn, c'elail
un de ces gentilsbonmies dont la vie elail eleganle el ani-
mce, qui vivaiciit dans les conrs el causaient avec les rois,
porlaient avec grace I'epee du guerrier, les plumes el les
broderies a la mode d'llalie, la liarbe a la Francois V, le
baut-de-cbausse espagnol, la fraiseel le manteau court. Un
tel portrait est seduisanl pour le buriu desgraveurs, qui,
du reste, lui doivcnt bommage cl reconnaissance ; car c'esl
Iniqui, Ic premier, leur appril I'art d'inqu'inur lescouleurs
a» moyen de tallies babilement conibinees, ipii aida, dirigea
ELEBRES.
el I'ormaPonlius, Forsterman et d'aulresnonmoinscelebres,
gravant lui-mcme a reau-forlc. Mais ce u'esl point la son
merile parliculier ]iaimi tonics les occupations de sa vie.
Suivons-lc (iparlirdu moment on, avec sa mere, il quitle Co-
logne pour rclourner a Anvers, palrie de sa famille. Kntre
eomme page cliez la comtessc de Lalaing, et dcgoule de la
mauvaise conduite de cetle femme, il passa bieutot cbee
Adam van Port, et cliez van Veen ; il se livra toul enlier au
jdaisir de nianier les crayons qui avaient cle les jouets dc
son enfance. Cetle delicalessede sentiments qui lui avail fail
fuir la comlesse de Lalaing, ct qu'il conservait toujours, lui
acquit restime et raffection de ses maitres. Us lui conseille-
rentde .se rcndre en Ilalie; la nous voyons Rubens, apres
avoir ete sept ans page du due de Manloue, visiter Rome,
Venise , Genes ; eludiant parloul les cbefs-d'cEuvre des
grands maitres, et laissant parloul quelques preuves dc sou
lalenl, conime s'il se fut inspire sur les traces de ses glo-
ricux prcdecesseurs , du Tilien et du Veronese. Homme de
repoque, avcntureux, brillant el .spirilucl, en meme temps
que grand artiste, il fut recherebe des premiers person-
nages de son tem]is. Si I'arcliiduc Albert le recommande
auducde Manloue, celui-ci, a son tour, I'envoie avec dc ■
magnifiqucs presents en Espagne, oii noire peinlre eludic m
celle touclie vigoureusc et puissante qui caracterise I'ecole
espagnolc, el qu'il uc quitle, comble d'honneurs ct de pre-
sents, cpi'apres avoir fail le portrait du roi Philippe IV.
ct de plusieurs grands de sa cour. C'esl au milieu de sa
gloirc naissanle, c'est-a-dire, a la plus belle epoque de la vie,
au milieu des cours ducales et des succes de toul genre,
((u il apprend i|ue sa mere est dangcreusement maladi' : il
quille toul, se Iransporle rapidemenl anpres d'elle el la
Irouve morlc.
Diiuloureusemenl affcclcde cellc pcrte, le jenne genlil-
bommc passa de la vie eleganle a la vie ascetique d'un mo-
naslere. Pemlaiil qualre niois ilresla dans I'abliayc dc Saint-
Micbel, el quand vinl le moment dc rclourner en Italic, il
sc laissa relenir en Flandre ]iar I'archiduc, qui raffeclion-
nail, cl par son inclination pour Isabelle Brant. Mais commc
pour se dedommager des palais de I'Ualie, a laquelle il rc-
iionrail, il conslruisil a Anvers, au milieu desmaisons a de-
mi golbii(ues de ses conciloyens, une magnifique babila-
tion ornee a I'inlcrienr de fresques, el renfermant une
prccieuse collection de medaiUes, de vases el surtout de
busies el de tableaux. C'esl a dater de cetteepoipie que son
lalenl est definilivement fi.xc. Le triple element italien, es-
pagnol el llamandesi parfailenicnl rendu par son pinccau ;
el, devcnu grand mailre a son lour, il donne a la catbedrale
d'Anvers le celebre tableau de la Dcsccnte Jc Croix, aux Ja-
cobins, les Qiuitrc Evaiujelistrs, i I'cglise Saint- Pierre
de Cologne, le Crurificmoit de saint Pierre, puis, au
Musee de Paris, une serie de vingt tableaux on scenes de la
Vie dc Unrie de Medii-is, lous onvragcs dans Icsquels S(^
combinenl rcnergie el I'andaee vigoureusc des Vclasipiez,
I'aisance et la magic brillanle dc Peeole ilalienrie, et le
earaclere special de I'ecole llamande, la fecondile ct I'eelat
du cob)ris, la puissance encrgique de formes et dc groupcs.
C'esl 1,1 surtout le litre de gloirc de Rubens, ct les amateurs
onl cru devoir faire remanpier I'analogic de .son nom (Hii-
hens, mot lalin, rouyissniU } avec .son genie de coloriste.
Mais le regardcr simplenicnl conime un grand peinlre ,
egalemenl bcureiix dans les sujcls d'bisloire, le por-
trait, le paysage el tons les genres, comme un excellent
I graveur, ce scrait n'avoir de .sou merile qu'une connais-
'<^^^l%^vi,■•
vm miMi
mim^
Tyi'. Litr.impe d ( omp
ISE.VUTES DE L'UISTOIIIE
sance imparfaite. C'est siiiiout apres I'epoque ou il a fixo
sa residence i Anvci-s, ijue se devcloppe loiile I'cuei'gicpie
acliviledeceHeiialiireprivilegiee.Lcspeiiilresde paysages,
Urcguhel, cnlie aulres, rappelleiit a leui- aide, el il couvre
de ligures leui-s laljleaiis ; les plus grands liisloriens, les
plus illuslres poeles de toules les nations entreliennent
une coiTespondance avec lui; I'arcliidiic Alljerl, ii sou lit
de niort, recommande a sa femme Isaljelle ce Rubens, con-
seiller excellent, disait-il, dans les affaires d'Etat; el en
1525, le pcintre diplomate onvre des negociations de pais
enlre I'Espagne el I'Angletene, et la conelut en 1630 avec
le chanceliei' Cottinglon ; il est cree chevalier imr Cliarles I",
roi d'Augleterre. Cette rare et belle iiniversalilii etaitunie
chcz lui ii une simplicite de bon goul; on decouvre le secret
de cette multiplicile d'uecupatioiis et de succes nu'il oble-
nail dans Ions les genres, dans I'ordre qni siniplilie, eclair-
cit lout, dans celte regularite active qui agrandit la vie et
semble ajouter an temps, en Dxajit I'eniploi des lieures.
Grace acette faculte, eel homme, illuslre peintre, put de-
ployerses divers talents, sauscesser d'etre un grand artiste.
Ses tableaux, liardis et brillants comme sa vie, se scntanl
de I'Espagne el de I'ltalie, soul I'expression du genie beige
ii celte epoque. genie plus sensuel et plus fecond que deli-
cat etexquis. Rubens dul celte magniliipie existence, non-
seuleraenl aux dons nalurelsque Liieu lui avail donncs en
partage, mais :i lelcvalion de ses sentiments et a son acli-
vile infaligable et reglee. Couverl de gloire eld'honneurs,
II s'eleignil paisiblenient en 1650, ii Anvers.jou Ton voit
aujourd'hui, sur le ])Ort, sa slalue en bronze. Ses tableaux
sont destines ii une longue existence dans la posterite; ils
doivent Iransmeltre longtemps encore aux artistes le nom
glorieux de Rubens, el aussi le portrait de sa seconde
femnie, Ilelene Formann, qu'il pril souvent pour niodele
dans ses CBuvrcs.
DU CLEIiGE HE FRANDE.
5l>l
BEAUTES
UE
L'HISTOIUE DU CLERGE DE FRANCE.
FENEI.ON (»).
Au milieu de ses travaux d'administralion diocesaine et
de ses penililes souvenirs, Fenelon ne connaissail d'auire
distraction que la promenade. Lorsqu'il rencoulrail des
paysans, il lesquestionnait sur leurs occupations cliampe-
Ires. Souvenl il enlrait dans leurs modesles cabanes, et
s'asseyait a leur table frugale, ii laquelle il prenait part.
Au moment ou la guerre desolait le plus son diocese, le
vigilant pontife u'lntcrromjiit jamais le cours de ses visiles
pastorales. Les Anglais, les Allenjands, les llollandais riva-
lisaienl d'egards pour le grand bomme, et il lui arriva sou-
vent de tromper renqjresscment de ces trou]ies eniicmies
en se derobanl aux bouncursqu'elles voulaient lui rendre.
Lesdissidences rellgicuses s'effacaient ii son aspect, el ces
soldals anglicans, lullieriens, calvinistes s'estimaicnl lieu-
(!) Voy. liumeio XI, |i:igc 349.
reux quand ils pouvaient lui servir d'escorle. A I'exemplo
du divin iMailre donl il etail le dignc ministre, les pas de
Fenelon elaienl marques par des bieufails, et cliacune dc
ses visiles apporlail aux maux de ses diocc.sains un baume
consolateur. Or il n'y cut pas dans ce vasle diocese une
seule |iaroisse, nicme la plus ignoree, (|u'il n'ail visilee el
tvangelisee. (Ju'on se figure done, le precejileur des prin-
ces, I'auteur de Tilnnaque, le rival de Bossuet, I'lioinme
donl le genie si sublil et ai fecond avail popularise la re-
nommee dans toules les coulrees du monde civilise; (pi'on
se figure, disons-nous, le grand arcluvcque de Canibrai ,
monlaut dans une chaire ruslique, parlanl ii de pauvres
caujpagnards un langage qu'il a]ipropriiiil-ii lem- intelli-
gence, et puis descendiuil de celte tribune, pen liabiluec a
de lels orateurs, pour I'aire le cateclnsme ii des enfants de
village.
lei, nous ne devons point passer sous silence les avis
qu'il donne dans ses Dialogues sur ['eloquence tie la
chaire. Fenelon ne vent pas que les predicateurs ecrivent
des discours que Ton apprend ensuite pour les debiler. II
pense (|ue rien n'esl plus nuisible ii I'efl'et que doil pro-
duire I'orateur chrclien. Un discours ap]]ris n'esl jiunais
debite avec ce feu qui est le caractere de hi veritable elo-
quence. La mcmoii-e ([ui Iravaille en ce niomenl paralvsc
Taction du debit, el Irop souvenl I'audileur ne voit dans un
sermon qu'un rule plus ou moins bicn ap|iris, el rempli ;
la spontaneite, qui esl I'iinie du patlutique el de I'onction, ne
s'y Irouve phis. Keanmoins I'excmplede .Massillon,-pour ne
citer que lui seul, semble faire une exception aux inconve-
nients que signale I'auteur des Dialogues. Fenelon Iracaitseu-
lemenl des plans de sermon ; il les meditail quelque, temjis
davance, elpuis en chaire il les developiiail. Ilsedqiartilde
cette regie en une circonstaiice solennelle, lorsqu'il ful
charge de prononcer le discours pour le sacre de Joseph-
Clement de Baviere, archeveque-electcur de Cologne. On
voil que, s'il avail voulu, sa place comme oraleur Chre-
tien aurait pu elie marquee ii cole de Bossuet et de Boiir-
daloue. Nous n'avons de Fenelon que ses Letlres spiriluel-
les qui, ii elles seules eussenl porle son nom jusqu'ii la
posterite la plus reculee. C'esl hi que se dqiloient la piiilo-
sophie la plus sublime, la science la plus profonde du Cieur
humain, dans le style le plus simple el le plus onclueux.
Nous plaignons bien sinceremcnl les sens du monde (|ue
le seul litre de Lellres siiiritucllcs degoi'ilerail el delour-
nerail de celte lecture. Uelas ! il n'est que Irop vrai (|ue,
dans celte elasse la phis uombreuse de la societe, on blas-
pheme habiluellemenl ce ipi'on ignore.
On pense bien qu'un eveijue aussi avance dans les voies
de la perfection chretienne devail superieuremenl adini-
nistrer le diocese cpii lui etail conlie. La main qui aviiit
ecrit le Telemaque, eldoune au due de Bourgogne les plus
hautes instruclions sur le gouvernemenl des peuples. Irn-
cait ii des cures el ii de simples piiilres les avis les plus
sages pour le gouvernemenl sjiirituel des iimes. 11 fallait
principalement sur le siege de Cambrai un preiat d'une
sagesse consommee, et qui ne heurtilt pas Irop brusqiie-
menl les pratiques .superstitieuses que les Flamands avaieni
puisees dans leur contact avec les Espagnols naguere mai-
Ires de ces coulrees. Une fermele apostollqiie lemperee
par la douceur, et une prudente condescendance, lui doij-
naient le moyen de remedier a de graves alius, el lui alti-
raieiil I'estinie et I'affeclion de tous. (Jnel cure d'ailleurs
cut osii resisler a un eveqiie doiit la teiidresse jiour .ses su-
582 BEAUTES DE I/llISTOIR
bordonnps elail excessive. Uii seul trait suffira. Le Cam-
bresis depuis sept ans clait lo llieatre dp tons les nialliein-s
qu'une guerre de ciinr|iK'te eiilraine lo\ijours avcc die. Les
haliitanis elaienl reduils a rindigencc. Les pasleurs des
paroisses elaii'iit ini|io.'ies a des taxes cxiremement one-
reuses. Fc'iieloii se eliarge lui-meine de payer de ses deniers
CBS impositions ruineuses. Un djvouement de ce genre ne
s'est guere vii (|ne dans les lemps apostoli(|ues, el Fenelon
les faisait reparaitre dans le dix-liiiitieme siecle !
Un trait d'nn autre genre va prouver coniljien Fenelon,
malgre la disgrace de Louis XIV, savail diifendre les lois
de I'Eglise que le despolisme royal de cette cpoi|He es-
sayait si souvent de violer. L'arclieve(|uc de Cambrai, etle
chapitre de Valenciennes dans son diocese, etaient en dis-
sidence sur un point de la juridiclion spiritiielle. Les clia-
noines pretendaient ne relever que du roi dans le spiriluel
comme dans le temporel. La cause portee a Versailles ful
decidee conformement aux vreux du cliapitre. Le roi, qui
se disail habilnellenieiit reveque du dehars, voulut essayer
de se faire ici, comme en d'aulres cireonslances, I'eveque
du dedans. Feneloii ad/essa au chancclier de France un
memoire sur les vrais principes. Une noble franebise et
une respecliicuse fermele avaiont preside a cette redaction,
ct la cour du grand roi fill eontrainte de reconnaiire I'l'xor-
bilance de ses prclenlions sur uii domaine totalement indc-
pendant de la royaule tempnrelle.
On ne sera point elonne que le saint-siege, qui avail
condamne le livre de Fenelon , ei'il pour I'anteur une es-
time et une consideration si parfaites, (|u'il exercail a lluJiie
comme une sorte de supremalie J'opiiiion que ses vertiis
cl sa haute renommee lui avaient compiise.
Le besoin d'abreger nous force d'omettre un grand nom-
bre de trails qui sont comme aulant de perles doiit sa cou-
ronne est enricbie. Nous en cilerons neanmoins un qui,
dans notre siecle d'iiidifierence, poiiri'ait provoqucr de sa-
lutaires rellexinns. Le chevalier de Ramsay, Ecossais elait
depnis longtemps agile dune desesperaVite inquietude en
maliere de religion Sa baute raison lui avail monlre dajis
I'anglicanisme qu'il avail suce avec le lail une foule d'er-
reurs et d'ineouMiqneuces. Elle ne pouvail reronnaiire,
dans les fureurs et riinmoralite de Lutber, ni dans celles de
Henri Vlll, roi d'Angleterre, une mission reformatrice in-
spiree par le ciel. Les pretendus reformateurs apparais-
saient au cbevalicr de Ilamsay dans touteleur infamie que
la nieiUeure volonle ne serait point capable den'accr ni
meme d'amoiudrir. Mais a la place de cette mensoiigere
croyanee il n'avait mis que le sceplicisme le plus absolu;
il n'avait garde de dogmc religieux que I'existence el I'u-
nite de Dieu Le cbevalicr de Ramsay etail venu en llol-
laiide, el le desirde voir Fenelon, donl la reputation etail
europeenne, le delermina a venir li Cambrai en 1709.
L'archeveque accueillit le voyageur avcc une bonle pater-
nclle. Celui-ci nionlra lout son cieur, et ne dissimula pas
combien il sernil diflieile de lui faire accepter une
croyanee quelconque auire que celle ou il s'elait lixe, el
dnnt le symbole clait fort bref : Je croi's en tin seul Dieu.
Pendant six mois, Fenelon et Ramsay eurent des entniliens
assidus. 11 ne fallait pas miiins de temps pour examiner les
baules queslionscontroversees. Enliu Ramsay, dont le cceur
elait droit et sincere, s'avoue vaincu. La religion calbo-
lique lui para!t 1 invincible verite, ct sur-le-cbamp il passe
de 1.1 persuasion a la pratique. Le cbevalicr ecossais devint
un calbolique aussi eclaire qu'humbic et soumis.
E DU CLERGE DE FRAN'CE i
Dans les troubles que suscita le jansenisme, on vit lou-
jonrs Fi'uelon ne deviant sans doule jamais de la vrnie
doclrine, mais inipmuvant bantemeni b's mesures acerbes
que le gouvernemeut de cette epoque cnqloyail contre les
recalcitranls. Sa belle flme ne connaissail pour defendre la
verite que les amies d'une charite douce el patiente; mais
cellc-ci ne doit |ioinl se coufondre avec ce que le monde
appelle du ncun de Uitnance, eti[ui presque loujours n'esl
auIre cbose que lindifference eu maliere de religion. Ob!
Fenelon avail trop d'clevalion dans lame el de foi dans le
cceur pour n'etre qu'un pbilosopbe lolerani, selon I'accep-
lion degeneree de ce terme...
Nous lie voulons pas nous elendre sur les troubles occa-
sionnes par les recalcitrants a la fameuse bulle Uniyeni-
tus. Fenelon pril une assez grandc part a ces discussions
religicuses, el fit loujours preuve dun profoiid atlache-
menl a la saine doclrine el a la mere de loiiles les Eglises.
La part active qu'il pril aux affaires poliliques de celle
epoque lit voir dans rarclieveipie de Cambrai un bomme
sinceremenl devone aux plus cbcrs interets de la palrie el
de rhuinanile, ainsi qu'a la gbiiie du monarque donl il
avail taut a .se plaindre. Le due de Bourgogne, son illnslre
eleve, avail lile place nominalivement a la tele de I'armce
de Flandres, el les ecbccs que nos troupes y eprouvtirenl
fureiit pour ce grand prince une source d'amerlumes;
mais les .sages eonseds de Fenelon les adoucirent dans une
corre.siiondance secrele dont quelques fragments ont etc
conserves.
L'aniiee 1711 \il mourir le danpbin, fils de Louis XIV,
et pere du due de Bourgogne Celui-ci dcvienl herilier pre-
somplif de la couronne, el le precepleur prolilc de celle
circonslance pour adresser li son ancicii eleve des conscils
sevores sur les devoirs qui lui sont imposes. Ces conscils
passenl ]iar I'cnlreniise du due de Reauvilliers. On y ad-
mire surtout ces paroles : u 11 faut vouloir eire le pere el
0 non le mailre. II ue faut pas que tons soicnt a un seul,
(( mais un seul doit etre a Ions pour faire leur bonheur. »
11 serail bien grand 1 1 liicn aime le monanpie qui se mon-
trerail docile a dc semldables prescriplions Mais, bclas! la
niort planait dejii sur la lele du nouveau danpbin ; Irois
mois s'elaient a peine ecoules depnis que Fenelon avail
redigc pour ce |iriuce un ]dan de gouvernemeni, que la
lonibe s'onvrail pour recevoir le due de Bourgogne, son
epouse el le due de Brelagne, leur Ills aine.
A la iiouvelle de la mort de son iUusIre eleve, Fenelon
s'ecrie : (( Tons mes liens sont rompus..., rieu ne m'attaclie
<i jdus a la Icire. n Neanmoins, loujours fidele aux devoirs
de son aposlolal, il s'occupe encore, avcc un zele que rien
n'a pu altiedir, de la propagalion des veriles evangeliques.
Sa correspondance avec le due d'Orliiaus en est une preuve.
II y agile les grandes questions de I'exisleuce de Dieu, de
rimmorlalite de I'ame, du libre arbiire, du nieriie d.'S ac-
tions humaines fecondees par la foi. L'incredulite ne pent
avantageusement hitler avec un champion de celle force ;
mais qui ue sail que I'espril est vainemeni convaincu si le
cicur resle corrompu. L'impie ne doil-il pas franchemi'nt
s'ecriu' avec le poele ; Video mctiora jiiuboque... deie-
riora sequor. Je vols le bicu elje rap|irouve, ct pourlanl
j'embrasse le mal.
I Cepeiidant la sanle de Fenelon, alleree par decruelles
I epreuves, declinail d'une maiiiere sensible; il s'occupail
du cboix d'uii digiie coadjuleur pour le soulager dans ses
I fonclions. Dans eel inlcrvalle, une nouvelle perte, bien
SCENES, nECITS ET AVENTURES DE LA VIE MARITIME
criidlc a son cfvur, nclieva de Ijriscr colto cxislonce opui
565
sec. Lp due de Beauvilliers moiinil, le 51 .loul I7H. Qiialre
niois de regrels clde l.-irmes vniil precednr la iiKirl dii sen-
silile Feneliin lui-meinp. Le 1"' Janvier 171.5, il esl atlai|iie
de la fievre; nu Iroisieme jour de sa mnladie, nn lui adnii-
nislrc le saint vialiqne ; le 6de ce rnois, il dicle une IcIIre
an-f. Leiellier, coiifessinr du roi, pour ((n'elle .soil niise
sous les yenx dn inouanpie. On y remarque ee passage;
i< ,Ie n'ai jamais ele \in senl niomenl en ma vie sans avoir,
ic pour la persnnnc du roi, la plus vive reconnaissance, Ic
II zclc le plus iuj,'enu, le plus profoud respect el I'atlaclic-
« menl le ]dus inviolable. « L'liisloirene parle pas dc I'im-
prcssion ([ue celte lettre dul lairesnr Louis XIV. Ce prince
diit pourtant eprouver quelqucs regrets du long resscnti-
nienl cpi'il nvNiil conserve centre nn evpi|uedont les der-
nieres paroli s exprimaienl nvec lanl de franchise ses veri-
laljlcs sentiments. Le 7 Janvier 1715, ;i cinq lieures dn
matin. Fenelnn expirait doucement, apres une null passee
dans la fervcnrdes prieresetlecalmed'une conscience pure.
Clement XI pnrtait alors la tiare ; il niauifcsta son regret
d'avoir crainl d'uffenscr Louis XIV en revetani de la pour-
pre romaine le digue archevejue. Lc chapitre, ;i son lour,
craignant dc deplaire an monarque alisnlu, ne permit point
qn'on fit loraison fnuehrc dc I'illuslre delunl, el I'Acade-
mie francaise n'osa. parun motif semljlalde, prononcer un
senl niol du THcmaque dans 1 eloge qui y ful fait dc I'au-
tenr. Un avenir procliain dcvail hanlcment venger la me-
nioirc du grand lionnnc, vietime de pctilcs passions ou de
l.-iclies pnsillanimites.
Terniinons par le portrait que nous a laisse de Fenelon
la plume d'un ccrivain que I'on n'acrusera pas de prndigucr
les louanges : « Ci'preal etait un grand liomme, maigre,
II liicn fail, avcc nn grand ncz, des yeux dnni le fen ct
« I'espril sortaicnt conime nn torrent, el une pliysinnomie
« telle que je n'en ai vu qui y rcsseniblilt... Tout ce qni
« ysurnagcail, ainsi que dans loute sa personne, c'etail la
« finesse, resprit, les graces, la decence et surloul la no-
0 Idessc. II fallait faire effort pour ce.sscr de le regarder. n
(Mfmoires de Saint-Simiirt.)
Feiielin n'etail ilge que dc soixanle-qnatrc ans et cinq
mois; mais une assiduite constaiile an travail, une exces-
sive sohricic, et les peines innomljraldcs dont sa vie fut
alirenvee, avaieni use, avant le temps, Icsressorts de cetle
ori'anisation dellcale.
SCENES, liECITS ET AVENTIIT.ES DE LA VIE MARITIME.
VNE NUIT DANS VU FHARE.
On etait au Icmps de I'equinoxc; le vent rugissait avec
fureur, et ses rafales soulevaicnt des vagues monstrueuses,
qui vcnaicnl, avec un fracas epouvantnble, se Lriser con-
Ire la falaise rouge Je lilot sur leqnel selcvait le pliare.
364
SCENES, llliCITS ET AVENTURES
Deiniis jilusieurs jours on n'nvnil ]ias a|iciT,ii iinc seule
voile ii Iravors la Iji'uiiie qiaissc ilc I'Ocean, cl le marin Ic
]ilus iiilri'imlc n'eiU ]ias osc affioiUei' coUc hillc dcs elij-
iiicnls. liicii a faire pour le pilolc ; lout inouvemciil avail
cesse sur Ic rivagc deserl. Lcs relalions de voisinage
iMaieiil iiilei'roni|iucs, el I'ami deloul le monde, I'liulc de
t'Kau rouge |iniivait a peine lecruler queli|u'uii de ses
coiiipagiious liabiluels de veillee. De teuips en lem]is, uiais
a lie longs iiilei'vallcs, on voyail apparailre sur les liaulenrs
une figure isoli'C, le pore ou la femme de (piekpie marin
absent, ou bien I'un des vieux piloles de I'ile pour lesi[uels
c'etail une condition de leur existence, do lire dans le eiel
le tcnips el les vents, de braver la violence de la tempete,
el d'etudier d'un ceil calme , les liras croises sur la poi-
Irine, la surface bouleversee des eaux. Abrites par les murs
du fanal, ils passaienl la de longues lieurcs , assis en si-
lence, affrontant la pluie salee que la vague envoyait en
burlanl jusque sur les parois de I'edifice , dans la vaine
allcnle d'un navire ((ui ne paraissait pas. Les coquillages
el les algues marines, souleves en lourbillons, etaient lanciis
jusque sur le linul ile la plage par la main de Neptune CJi
courroux, et venaient frapper a coups redoubles contre les
)iortes des babitations. Heligoland, I'ile des tcmpetes, s'e-
lunnait cette fois de ce decliainement inou'i de toutes les
puissances de la nature : on eul dil qu'elle trcmblait
comme un malade sous les frissons de la lievre.
Le garJien du pliarc, quoiqne ]ilus expose qu'aucun des
insulaircs, aux fureurs de I'oMragan, elail peut-elre le scul
liomme qui consideral ce lem|is cffrayant a\ec une Iran-
quillite impassible.
C'etail un bean vieillard . tout courhe sousle ]iiiids du
grand age et des fatigues de son rude metier, uyanl vu
beaucoup de pays et beaucoup de clioses, ses voyages
avaienl profile a son experience.
Ke a Heligoland de parents panvres, que la miserc avail
(onlraints a rabandoniier encore enfant a ses propres for-
ces, il s'etail fraye un cbemin dans la vie avec une pers('-
verancc de fer, une resolution intre|iide et une obcis.sance
passive, qualiteiirincipale du vrai marin ; maintcnanl, dans
I'biver de sa rude carriere, grace aux peliles epargnes qu'il
avail |icniblcnicntamassees, il jouissaitd'uneindcpendance
durenicnl acbctec comme gardien du ]]bare reccnimcnl
eleve siir sou rivage natal. De sa nature, Henrick elail ta-
citunie; un regard, un signc de la tele ou de la main
elaient le plus souvenl la scule expression de ses idces.
Le ciel ctait-il beau'.' Henrick devenail muet : on eCit dil
alors qu'il n'avait ni le temps, ni la volonle de s'occuper
des nutrcs; la mer absorbnit loute son attention. Mais
vienne I'orage, c'etail un loul aulre bomme; aussilol que
la lame fouetlail les solides murailles de .sou pbare , il se
deridaitsensiblemcnl; sa langue devenail agile, son esprit
dispos. Alors rien no lui plaisail taut que la compagnie
des jeunes piloles qui ve.iaicnt en foule causer el Irimpier
avcc lui.
L'ouragan durail dcpnis plusieurs .jours, el devenail a
ebaque instant plus terrible. Suite naturelle de la lcni]u'le,
Henrick a'etait arraclie a ses reveiics el avail rnuqni le si-
lence, qui elail son elnl normal par les temps de bouace.
Le soir du (|uatricmc jour, plusieurs coups retcntirenl ii sa
porle : elle s'ouvril el livra passage a une dcnn-douzaine
de llidigidanders, la ligure rougie par le vent, ipii venaicnl
faire avec lui la veillee. Le vieux marin lira I'nne apres
Tantre ses i-obuslcs mains ilc ses poclies el les Iciidit a ses
jeunes compagnons, qui les presscrenl avec une respcctucuse
deference.
(I Ilein I voila un temps, garcons I .I'avais vu bier qu'il
serail ]iire aujourd'bui, comme j'ai vu aiijuurdluii qu'il
sera pire deniain. — (Ja va mal, garcons; le rellecleur du
fanal se noircit de fumee, et je me suis lasse tout a I'bcure
a le fuurbir pour le decrasser el le faire reluire. Oui, oui,
ce sera piredemain. » Puis Henrick s'cnfonca dans son fau-
leuil el demanda son souper. Belzy servil le llie a son
grand-pere, avec des tranches de pain roll savammenl
rangees en pyramide, el se mil a preparer lcs grogs pour
les nouveaux venus.
II Comment se fait-il, niaitrc Henrick, dil Koben , I'un
des ]dus jeunes piloles, que vous soyezsi gai]iar le mauvais
temps ; .si taciturne, an contraire, des que nous rcvoyons
le bleu du ciel el que le soleil brille. Cela me scmble con-
traire a la nature humaine.
— Halte-la, garcon I interrompit Henrick; en cela In as
tori. L'orage effraye les ponies, lcs femmes el les rats de
lerre; il ranime le vrai malelot. Un marin dont le cccur fai-
blil pendant la tenipele n'ade force c|uepour se crampnnner
an plat-liord de son navire; et ce navire-la ne lardera pas
a avoir la qnille en I'air.Mnis ]iar le temps calme, quel art
y a-l-il a vivre sur une mer emlormie? Pourtanl, soyez-en
stirs, il s'y passe en loul lenq>s de bien elranges clioses. La
mer a des secrets, des terreurs mystcrieuses, qu'il ne faul
pas eludier sculement quaml elle commence a se faclier,
ipiand elle esl en furie contre I'liommc el ses ccuvres..
Tu as lorl, Koben... Qu'cn diles-vous, enfants? ne seriez-
voiis pas curieux. ii propos decii, d'enlendrc une fameuse
bistoirc qui se pas.sa, il y a (pielqucs auiiecs, pros du ri-
vagc meme oil nous voici ii ccltc lieure? »
Lcs piloles, cbarnu''S de celle priqinsitiou, raiiprocberent
lenrs tabourets du fauleuil du vieillard; Betzi renqilil de
noiiveau les verres, el Henrick, prctant encore une fois
I'lireiUe aux sifflcments de l'orage, souril ii I'idee q\ie le
lion vieux roc ipii porlait la tour pouvail defier pendanl
mille ans la furcur dc la tourmenle: puis, se toiirnanl vers
ses visilcurs ;
n H y a environ quinzc ans de cela, dil-il, je revenais
des Indes ii liord d'un vaisseaii marcband de llambourg.
C'eliiil precisemenl ii cctle epoque-ci de rannee. Rien de
remarquable ne signala noire voyage jusqu'ii ce que uMis
eiimes double le cap Finistcre ; mais alors apparurent tons
les signes de la plus effroyable tempete. L'liorizon, se rc-
trccissanl dc minute en minute, se lendit d'un voile fu-
nelire, donl le vent dccouvrait ii peine les lourds.replis.
Sur nos teles, des nuages epais s'amoncelaienl, s'enlas-
saieiit en un dome sombre pour s'ecroiiler bienlol en
tromlies el en lonnerres; priis de nous, lcs nioueltes ra-
saieiil d'un vol iiiqiiicl et effarc les (lanes et les agres du
navire comme pour cbeicbcr un refuge. U'innombiables
marsouins moiilraieiil lenrs ecailles brillanles ii la surface
des eaux, s'elevaient par iiilervalles de la vague qui s'a-
baissait sur celle qui montait, ce qui , .soyez-en surs, esl
le signe degros temps le phis infiiillildc que je connaisse.
« Le vent soul'iliiit l«in frais, snd-ouest, et ceful avec la
|dus grande peine ipie nous |ii'imes faire route vers le siul ;
mais le nord re|iril seiil le dessus, el nous fit sentir son iipre
lialeiue. Le soir, il gela ferme, el le brouillard saupoudra
de blaiics erislanx la iiiiilure el les cordages. Une semaine
apres, nous alleignimes la |iointe uordde I'Ecosse ;el, alors,
loiivovanl enlre les iles Sbelland, nous gagniimes la mer
DE LA VIE MARITIME.
365
(111 Nord. L;i, au cnnlrairc, calnic plal; quelques rarcs
liourfecs ill,' venl fr.ippaionl courtes el rapiiles. Jai coii-
Iraclc riiabiliide, cnfanls, Jc coniparsr !a voix dc I'Occaii
a ccUc lie la iiaUire luiinaine : or ccs souflles de venl
claicul conimc les soiipirs d'uii iiialade iiniialiciit de re-
coiivror la saiile.
« Nous |ioiivions aisemcnl disliiisiicr Ics deiileliircs des
noirs cl iinposanls rochers de la cole d'Ecossc, el la cime
de ses liaules iiioiitasrncs velues de leiir manleau de ncisc.
Enlln line bonne brisegonlla nos voiles, elnouspumes faire
route. Tonl allail pour le niieux. lorsqn'un soir, — il pou-
vail eirc onviriiii niinuit, — nn cri rctrnlit a bord ; les
bonimcs de qnarl y ri'pondircnl offrayes, ct alors mousses
el matelols, se jelanl a bas des bamacs, se precipitcrcnt
sur le poiil pour s'informer de ce'que c'etait.
« La mer n'lilail pas niauvaise ; seulemenl de sombres
nunges cliargeaieiit Tborizon. pcsamment routes les uns
sur les autres, cl faiblemcnl argenles sur leurs llancs par
la lune a son declin. Sans la lueur pbosphorescentc des
vagues cnlre-choquees, I'Ocean ci'il iHe enveliippii d'une
profonde obsciirilc, Kos yeux cbercbaieiil a pcrcer la null
pour derouvrir la cause du tiinuille elrange el du cri siu-
giilif r qu'oii avail cnleudu ; el vous pouvez me eroirc, gar-
cons, quand c'esl inoi qui vous le dis — a ce souvenir mon
Slug se glate encore dans nies vciiies, — nous reslames
lous comme pelrifies de ce que nous villus.
« .\ pen pres a Irois on qiiaire ceiils brasses au nord se
dessinaillacoque d'linnavire de diiiien^ioiiscolossalcs, im-
mobile elcomnie lixedans les caux. Immobile! caril n'avait
pas un cbiffon de loile au venl ; mil briiil, mil mouvciiienl
n'y revelail la presence d'lin eire humain. Flieii du riel,
quel plienomcne I .M.ils, cables el vergues, loiil y elait blaiic
comme la neige. Les manccuvri's pemlaienl auloiir des
mills, comme des guirlandes d'albalre.
« Esl-ce lie I'effroi, de relonnemenl oil de Thorreur que
nous ressenliincs ii ce spectacle surnalurel? Je pense que
c'elail lout cela a la fois, quand nous vimes celle masse
s'apprcc'ier, s'approcher... EUe n'etiiil jdus qii'a uiie en-
cablure de noire biilimcnt.
« — Pare a vircr, pare I dit le capilaine d'une voix clran-
glee el les cheveiix herissps. Sur comme je suis un pcclieiir,
c'esl le fanlomc hoUandaisI
i( — Kon, ce n'esl pas lui, repondit le niailre, les Icvres
blemes el les machoires claipiant fievreusemenl ; non ,
monsieur, ce ne jienl etrc lui : ca n'a pas un lioinme d'equi-
page a bord, cl la cbarpenic n'esl pas couvcrle, conimc
celle du futjard, d'ossements bumains. C'csl le diable qui
est ;i bord... C'esl un vaisseau sans .ame, artieula penible-
mcnl le maitre, la paleur de la mort surlesjoucs.
i( Le cn|iilaine prit son porte-voix, ei d'une voix aussi
assuree que le |iennetlait sa frayeur, il liela le vaisseau-
fanlume, lui demanda son nom, sa destination, comme
c'esl I'usage. I'as un signe de vie ne repondil a eel appel.
Seulemenl le monstre blanc venail sur nous; en moins dc
quelques minutes, il ne fut plus qu'a quelques brasses dc
noire navire, el nous serra de plus en plus pres, en depil
des efforts du timonier el de tons les bras employes a la
niaiiceuvrc. II .-'altacbail a nous comme une piece de fer a
I'aimant. Une destruction inevitable, laniortetail devanlnos
yeux. Nous repoussanies le monstre, enjelanl tous .i la fois
SCENES, hecits et aventures
nil cri (Ic torrenr. Son llniic lifurln rosonnn, sous Ic choc,
cl un elide ilcHr-csse, aipicnnimc coliii d mi moiimit, nous
penclrn jiisi|iriiii ca^iir. N us nouscri'imes perdus; iiinis.
au nii'me inslanl, line snudaiiio rafale nouselnigiia, el, Dicii
soil loue! elk- nous saiua la vie.
(( — U y a du iiinnde ;i Ijnid, s'eeria le caidlainc encore
ninl reniis de ce liurlement iufernal que nous vcnions d'en-
tendre. Reg:ardcz, regardezl
« Ciel! i|uels epouvanlaldes niysleies f|ue eoux ([iii so
passenl sur les eaux 1
« Respirant alors, nous suivinics des yeux le faiilunie,
I'observant avec unc allenlion palpilanle. Toujours la
coque inimoliilc! toujours la mi'nie apparencc de niort!
Point (le linionier ,i la roue, pas de vigie, pas de malelols
aux manoeuvres. Mais an gaillard d'arriere nous piinies
apercevoir dislinclcinenl deux blaiielies llgures, inininljiles
cl niuelles, appuyees sur le basliugage. De hlancs nian-
teaux llollaienl aulour d'elles, el leinoignaient (|ue c'claienl
des creatures lunnaines. Jioire capilaiue les licla niie se-
conde Ibis, el une seconde fois ce I'ul en vain; le vaisseaii
s'evanouil sileueieuscnienl, comnie il nous etail apparu,
dans le lirouillard.
« Pendant viugl-quatrc lieurcs ajircs cclle disparition, II
n'elait pas un de nous qui crul a sa ]iinpre existence, apies
avoir ele si pres dans le voisiuage du iliaMe ; ou s'atlendait
a lout instant a ipielqne epoiivautaljle calastroplie. Cliacun
faisait la-dessiis ses conjcctui-es ; et il n'y avail lien de si
improbable qui ne frtt appuye d'argunients plausibles. Tout
alia bien, iioiirlant, jusi|u'an soir; mais la unit un vent du
nord-esl souflla rlidenienl, cl nous (ilions rapidemenl, loules
voiles dehors. Tout a coup (|uelquc chose d'informe se des-
sina devant nous, jdus sombre i[ue robscuriie du la null.
Elait-co un navire, un monstre inarin? Le limonier gou-
verna droit dans la direction. Tons les liomnics elnienl sur
le pout, les yeux braiiues sur ce point ile mire. Le cieur
frissonnanl : k Cargne lesvoiles! » comniande le capilaiue,
qui se niel lui-meme au gouvernail, et tail porter sur le
noirobjet. Non, non, ce n'elait pas une errcur, c'etailbieii
lui, rhorrible spectre c|nc nous avions vu la veille, avec
cellc difference, toiitcfois, qnil etail noir, noir comme du
charbon, de la llollaison au bout des mats. Exaclement
comnie la veille aussi, sur le gaillard d'arriere, les deux
blanches ligures s'appuyaient coniine deux pauvres pleureu-
ses; leurs robes blanches lloUaient au vent de la unit. La
vague baltait Iristemeulles monies Uancs du navire. Tons
les hrass'armerenldc nouveau d'esparres pour se proteger,
el deux ou Irois furent brisees quand le monslrc longea
noire navire; puis, glissant a la surface des eaux avec la
lei'crete d'un esprit, il se confondit dans le hrouillard qui
nous euvironnait.
It Le lendeinain le vent saula subilemenl au sud-esl, cl
nous obligea a virer de bord, en nous ponssant au large a
quelque distance de la Manche. Duranl la miil, nous passiinies
en vue de plusieiirs biUiments espagiiols que nous inter-
roge.imes pour obtenir des renseigneinenls sur le vaisseau
mysterienx, mais aucuii n'avail rien vu de seinblable. Les
deux jours et les deux nulls suivanles, nous fumes assez
lienreux pour ne pas le rencontrer. Mais la troisieme nuit
ce fnl autre chose ; a environ demi-portee de canon a
noire avaiil, le spectre etail la parfaitenicnt visible. On
vovail encore a leur menie place, ainsi que des sentiaelles
viffilanlcs, Its deux blanches Cgures de femnies.
« Nous passimestrois jours considerablement fatigues par
le vent qui grossissait de pins en plus, sans auciin cvene-
nieiil bien remnrqnable. el a la lombee de la nuit nous
aperc.i'imes le pliare de Heligoland. Savez-vous, enfanls.ce
que c'esl que le mal du pays? c'elait niieux que le nial, ce
que nous epronvions, c'elait une rage devoranle d'espc-
rance, et ca ne dnit pas vous etonner apres les alarnies,
les dangers auxqiiels nous croyions avoii echappe.
uNos C(furs lioiidissaientala vuede cesrochers, lemoins
des jeux de noire enfnnce.
II Le giganlesque rocher s'clevail niajeslueusement au
milieu de rabime. Dressant derriere lui son aigrette de
llanime, le phare envoyail, comnie aiijourd'hui, par-dessns
sa tete, les mouvanles claries qui rayonnaient au loin sur
les eaux. Nous approchions de plus en plus de la ciite;
toiit.i coup, I'air s'ebranle et rctenlil d'une delonalion
epouvantabte. Nous ccoulons. Les coups se re]ietenl une
fois, puis deux, puis se succedent avec rapidile. Oependanl
ratmosphcre etail pure el transparente, el Ton ne voyait
rien. Impossible de decouvrir le point d'oii parlait ce
lonnerro furieux. L'inslant d'apres Tom s'ecria :
« — Le vaisseau ! le vaisseau ! Voyez I voyez !
« Nous regardSines dans la direction de son bras tendu,
el nous vimes la coque demesiiree du vaisseau silencieux,
mainlenanl di'uuate et cnclavedans une crevasse de rochers.
Lesvaguesfnrieusesdeferlaient sur lepoiit, ratlaquaient de
lollies ]iarts a coups redoubles : la noire careiie avail beau
se cabrer, cliaque fois clle ri'touiliait plus lourilemenl,
cl devait finir par s'enfoncer dans rimpiloyahlc gouffie de
rOceau insatiable. El les deux formes feniinincs laissaienl
apercevoir leurs silhouettes blanches quand la lame ecla-
tail en I6rrents liiniiiieux le long dil navire en debris.
« — Mouille I'ancre de bossoir, amcne la grand' yole!
dit le ca|iitaine. Nous allons aborder noire sinistre com-
pagnon de route !
II L'eqiiipage obeit en silence ; sur I'ordredu capilainr,
six liommi'S santerenl dans la yole. J'etais du nombre,
cl nous nous dirigeAnies sur le navire a force de rames.
II A terre tout s'agilait. Le mailre pilole dirigeait en hale
les malelols vers le lieu du naufragc; les torches sillou-
naient la greve, etavantque nous fussions arrives, unc lliit-
lillc d'eiiibarcalions de toules sortes couvrail deja les
eaux. Nous I'l'imes cependant des premiers a aborder le na-
vire; nous Irouvanies sa coque defoncee. disputant aux
Hots les debris de sa inembrure. Nous grinpAmes sur le
pout. Courageux comnie vous I'eles en tonte occasion, eii-
fanls, je )iiiis vous dire que les plus braves se sentirent gla-
ces d'horreiir au spectacb' qui s'nffril a nos yeux. 11 etail
en effel trop surnatiirel, Imp lerrible, piiur ne pas exciter
la plus profonde pitie.
« Cnnliairenient a notre atlenle, I'equipage du vaisseau
etail au grand complel. Mais eel equipage ne se coniposnil
que de cadavres. Au pied du grand nuit, deux hommes
claienl elendus sur un lapis precienx ; ce devait cire le
pere et le Ills. Le plus iige, euveloppe de riches fourrure; ,
lenait de sa main droile le bras de son jenne compagnou.
llsenihlait lui later le pouls. La Itae de son enfant repo-
sait sur .son cffiur.
II Une jiuine femmc serrait sou nourrisson sur sa pni-
trine glacee. Elle etail belle encore sons la p.ileur cadave-
rcuse; elle avail cmiserve rexpression de la douceur it
de la honledun ange, memc dans la morl.
a Mais la scene qui nous allrndail dans la cabine elait
bien aiitrement saisi,>sanle. Tout .i rcnlour, sur les cous-
DE LA VIE MARITIME.
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sins, Jes cadavrcs, loiijours tli'scadavrcs. Les trailscalmes
dcs visajjcs n'indii|iini(>iil |ias(|ii(' la vie s'en fi'it I'ctii'ee par
de violeiUcs convulsiojis.
« II lallail i|uclf|ue sani,'-fioid, du cnur,ii,'e et le mepris
de la morl. pniii' ne |ias |ii'nlrc la raison au milieu de tclles
hon-eurs. I'liis d'uii pilole devinl pins pale i|ne les corps
()u'il avail sons les yenx ; liciiiljlaul de tons ses nienilires.
il remonlail rapidejnenl surle pont. je vou< assure, elune
fois lii. il s'eu rctournail plus vile (pi'il n'lilail venn. El
pas nn mnlelol ne serail resle cinq minnles snr le poni,
si noire capilaine u'ei'il Irouve uu papier clone snr la (able,
eonlenanl uiie relalinn snerinclc de I'hisloire dn navirect
de ses passagers; il nous eii ilonna Icclnrc. En voici la sub-
slanfe :
« Le navire sc noniniail Dotia Isabella, el apparlenait
a nn niarcliand porlngais. Le ca|iilairies'appelail DonCbris-
lalvo- 11 faisail ronle pour Java. Son frel consislaiteii fruits
du lropif|ue, vins de Porlo et conserves, cpiebiues tonnes-
d'arseiiic, des caisses de cinabre. Pen de temps avanl de
quiller Oporto, Don Cbrislalvo avail epuuse nne jenue per-
sonne d'une f;rande beanie qui r.icconipaguait dans son
voyai;e a Java; elle avail ele promise d'abord par ses pa-
rents ii iin homme d'un caraclere violent el audacieux,
de manieres rudes el grossieres. La jeiine fille s'elail ton-
jours opposee avec nne respeclneuse energie a la voloiite
de sa famille, declarant qn'elle ne cousentirait jamais A
etre IVqiouse d'un homnu' pour leifiiel elle ne pouvait
avoir ni ani(jur, ni eslime. Don lioilrigo, c'etait le nom de
ce mechanl homme, nese Cut ]ias plulotapereu de la pas-
sion des deux anianls, (|u'il resolut de s'en venger d'une
manierc terrible s'lls se mariaienl; el en attendant il em-
ploya de luute sorlc de menaces pour enqiecher leur
union. Les jeunes gens, connaissant toule la noirceur de
son anie, resseiilirent qneUpies craintes, maisils espcraienl,
en quillant Oporto, se souslraire a samecbancele. liodrigo,
iuslrnit de leur projel, coiicul aussilcit I'idee d'un infernal
slralageme. II se deguisa fort habilemenl, et vinl s'offrir
an capilaine dii beau navire Bona Isabella en qualite de
canibusier.
II Alors ce morlel ennemi de nos jeunes epousesrestant
inconnn de I'un et de lantre, lint dans sa main la vie de
tons deux a la fois. II remarqua quels niels ils mangeaient
el quels vins ils buvaienlde preference; el ce ful la-dessus
qu'il basa son plan de vengeance digue du demon. Un
jonr il ouvril adroilemenl nne lonne darsenic el melangea
anx vins et anx aliments, nne quanlite de ce fatal poi.son,
plus que suflisaule pour donner la niorl a lout I'equipage.
Ceci se passa quelqnes jours apres que le navire eul mis a
la voile. Doii Cbrislalvo, a I'oecasion du jour anniversaire
de sa naissance, donna nne fele a laqnelle il convia tous
les passagcrs.
(1 Les matelots ne furenl pas oublies, benreux comme
S68
UISTOinE NATURELLE.
des dniiphins qui se joncnl ilaiis les vngncs, ils buvnient a
la snnlL' du jcune couiilc ; ime rnsride n'attoiulail jias I'au-
tre : c'elail la mort iin'ils buvaieiU. La violonct' du puisoii
fut Ifllc, que k's innoccnles viclimes eu i-essenlaieut [jres-
que aussiiot les tcnildcs effels. Mais les pauvres femmes
fui-cnt relies qui eu soiiffi'lreut le ji'.us, elles qui H'avaieul
bu de ce via que quelques gorgees.
« Des que HoJiigo put reconnailre les ravages produils
jiarsou incroyableatrocile, elque, de lout I'equipage eldcs
passagei-s, il allail i-eslei- la seule cieature vivajite, I'lior-
reiu- et le remords s'emparerent de lui ; sa lete s'egara. 11
ful inslanlanemcut fiapped'une demence furieusc; el dans
le paroxysme de son didire, ilse piecipita dans la mer, qui
se referma sur lui pour loujours.
(I Le capitaine conscrva a peine assez de force d'esprit
pour relaler sommniremcnt cetle triste aventure, car peu
d'beures apres ce laelie assassinal, le uavire n'etait plus
(pi'un lombeau.
(1 It y avail parnii les passagcrs, ainsi ((ue le faisait con-
nailre le livre du bord, deux sccurs accompngnanl leur
fi-ere a Sumatra. C'elaient les deux personnages du courou-
nemeul del'arriere i[ui nous avaicnt lajit de fois elTrayes.
Sansdoule, les inforUuiees n'avaicnl ]u-is qu'unc I'ailjle
quanlile duvin enipoisonue, el probablement elles avaienl
espcre, en montant sur I'arriere, que le grand air leur pro-
curerait quelque snulagenient. Elroilenieut serrees dans les
bras I'une de Taulre, elles avaicnt allendii aveccalme, dans
ce touchant cnibrassenient, la niortii laquelle tousles|ias-
sagers avaient succombe.
D'apres la dale de celle note, rborriblo catastrophe avail
du s'accomplir la veille dujour de I'orage, dont je voiis
ai parle tout a I'lieure. Pour niieux resister a sa fiircur,
les jcunes Dlles s'etaienl atlachees sur !e pout, el la idles
avaient expiie.
(I A peineei'imes-nous recueilli ces diverses particulariles,
que nousquiltanies en bate cetle sceue de desolation ; et il
etait temps, car les vagues se ruaienl aux llaucs brises du
navire avec une telle violence, qu'elles ne devaienl pas
larder a ledetruireentierement. Les deux cbarniantessceurs,
ces deux beaux anges, nous les transportames dans le ca-
not, et nous leur dounames une squdlure convenable a
Test de I'eglise. Une petite pierre que le temps etl'oubli
ont presque fait disparailre niontie encore I'eudroit oil
elles reposeut.
« Le lendemain, il ne reslait plus le moindre vestige de
ce naufrage. »
HISTOIRE NATURELLE.
LES ZEBRES.
Sous la denomination de zebre, on confond ordinaire-
menl loutes les especes de solipedes a robe rayce trans-
versalement. On disliugue trois series de zebres, lous
originaires du suJ de I'Afrique. lis babitent les pays qui
s'etendenl depuis le cap de Bunne-Esperauce jusqu'a I'e-
quateur, et memo au dcla , el les uns peuplent les plaiues
V ':/_■' ...- vc
scclies el brulantes; les autres, de vastes plateaux presque
egalemeul arides, mais eleves et I'roids.
On a doune des noms divers a ces trois especes de chc-
vaux rayes. Par le nom de zebre, on designe Tespece ze-
bree ou rayee par excellence. En eflVl, la robe de ces i|ua-
drupedesestmaniuee de largesbandes foncees sur iin fond
blanc grisalre depuis la pointe des oreilles jusqu'a I'eilre-
iinle lies jiieds, comme le represente assez liien la gravure.
Les naluralisles ont donne le nom de daw a une es-
pece de plus pelile taille , plus ideganle de forme, jire-
sciilant sur la tele, le cou et le corps, des raies alteruati-
vcment larges el etroites, sur un fond couleur isabelle.
Le pelage des jambes de derriere ct de la queue est blanc
el sans ladies.
CAUSERIES SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES.
369
Eiifin le couagga des Hotlenlots forme la troisieme es-
pece, r|ui esl aussi lamoins elegaiUc ; les bandes sonl com-
pai'alivenieiil inoins foncces,eii egardau fondobscur de sa
robe, et ne s'elendcnl que siir la U'tu, Ic con et les epaules.
La croupe est d'uii gris roussalre ; les jambcs el la queue
d'un blanc sale. Celtc espece esl la plus docile, el il parai-
Irail qu'aulrefois les colons hollandais dn cap de Bonne-
Esperancc onl Icnle de la soumellre au joug de la cliarrelle.
Mais on a abandoniie ce projeldepuisriulroductionde nos
races chevalines, etprobablement pnrce qu'il elail difficile
de la reduirc a I'elal parfail de domeslitite.
Les habitants indigenes du Cap, les Hottentots, ont donne
a celle espece le noin de couagga, du cri particulier de cet
animal. En effel, son cri differe beaucoiipdu bcnnissemenl
du cbeval, et encore i)lus du braimenl de I'ane : il consiste
en une espece d'aboicmcnl saccade , dans lequel on dis-
tingue rrequemmcnt la syllabe couaIi,couah.
Le couagga, aulrefiiis tres-commini dans les plaines du
capde Bonne-Esperance, est Ires-rare aujourd'hul; il s'est
refugie dans Tinterieur des lerres, par suite de la chasse
infatigable que lui livrcnt les colons. La chair, du resle, en
est Ires-recherchee Conmie lecheval sauvage d'Amcrique,
le couagga vil en troupes qui se composent snuvent d'une
conlaine. La ressemblance dc forme et de mCEurs qui
existe entrc le chcval et les diverses especes de zebres fait
que, dans leur jeune age, ces animaux, au lieu d'eviter
les chevaux des chasseurs, lessuivent au contrairecomme
ils suivraient leur mere. La menagerie du jarJin des
Plantcs rcnfernic im grand nomhre d'animaux apparte-
nant au genre zcbre. Plusieurs y sont mcme nes de pa-
rents importes; le couagga, surtout, s'acclimale facile-
ment.
II est remarquable que, parmi toutcs les especes du genre
cbeval, notro race indigene est la seule qui ne presente
auciine rayure constante. En effet, en commcncant par le
zebre raye sur toutc la surface du corps, nous trouvons :
2° Le daw, raye sur la tete, sur le corjiS et les jambes de
devanl;
3° Le couagga, raye sur la tele, sur le con et le tronc ;
4" L'ane, avec une raie en long sur le dos, et une en Ira-
vers sur les epaules ;
5° Enlin lo dziggnelai, qui ne presente ([ue la raie dorsale.
CAUSERIES
AVEC HOS FllS ERJiEST
SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES.
SIXIEME MATIKEE.
I.ES U'NETTES. — LE TELESCOPE.
c( Dans noire derniere conversation, mon chcr Ernest,
nous avons parle de la navigation a la vapeur, celle puis-
sance qui anime en quelque sorle la maliere, eel agent pro-
digicux qui peice les cntrailles de la terre, rapprochc les
distances; dirigee par rintelligenee de rhomme, il esl im-
possible de prcvoir oil s'arrcleront scs progres.
— Quel esl rinventeur de cello belle decouverle, mon
pere?
— Celle question n'esi pas encore bien eclaircic. 11 paraii
que, des la jdus haute anliquile. Ton avail remarquc que
la vapeur, sorlanl d'un vase oii I'eau est en ebullilion, avail
une certaine puissance ; njais il ne semble pas que Ton ail
alors songe ii I'appliquer comme moleur. Nous re|}rendrons
ce sujel, qui vaut la jieine d'etre etudie en dulail ; vons vcrrcz
comment un FraneaLs invenla une machine a vapeur, et
comment, plus lard, les Anglais onl conslruil un navire mii
par cet agent.
— La vapeur n'esl-elle pas applicable a beaucoup d'au-
tres cboses qu'a la navigation?
— Oui, mon ami, a une foule d'autves choses : I'jmpri-
merie, les chemins de fer, les usincs, les manufactures
de papier, d'elofl'es de tonic espece, clc. ; I'enumeration en
esl Irop longuc pour en doiiner ici le dclail. Mais, je le re-
pele, nous reprendrouscc sujel. (Juil vous suffise, pour au-
jourd'hul, de savoir qu'il esl po.s.sible de faire desmacbines
de la force de deux on Irois cents chevaux, et memc plus, et
que celle force si grande, si impelueuse, sc laisse coiiduire
avec ducilile par le genie de rhomme, au point .pi'on
rapplii|ue aux travaux les plus delicals comme a ceux qui
570 oausehies sur les inventions et les decouvertes.
demandent imc force immense; .i la fabrication des tissus
les (ilus Dns, des epingles, des aiguilles, comme a la pro-
pulsion des plus grands vaisscaux, ijue Ton dirige centre les
vents furioux, a travers les courants les plus rapidesl
— Que Dieu est grand I qu'il est bon, men pere, de nous
avoir doniie tons ccs puissantsauxiliaires I
— Oui, mon fils, et nous ne sanrions trop nous incliner
devant la majesle divine qui nous a done d'une intelligence
capable de decouvrir et de nous approprier les forces de la
nature.
— Je sens combien cc que vous dilesm'inleresse, mon
perc : quand je pcnse i Dieu, mon ame s'agrandit et mon
coeur est plein de joio.
— Voyez, mon ami, comme toules les sciences nous ojit
ete enseignees pour notre bonlieurl Et toujours les plus
grandes decouvcrtes out etc I'efl'et de ce que le vulgaire
nomme liasard, et que nous a|ipelons la Providence. Sans
lunettes, sans telescopes, point d'astronomie ; par conse-
quent, point de navigation liors de la vue des cotes. Voulez-
vous s.ivoir I'origine de cette invention merveilleuse?
— J'en serais cbarme, mon pere.
— Les lunettes ctaient deja connues depuis longtemps,
quand Ic hasard Dt decouvrir le telescope... Mais d'abord,
dites-moi, avez-vous jamais remarque des verres de lu-
nette ?
— Oui, mon pere; je sais qu'il y a des verres qui gros-
sis.sent les objets, et d'autres qui les diminuent.
— C'est cela. Les verres bombes on convexes grossissent
les objets; ils sont utiles aux presbytcs, les personnes qui
ne voient que de loin. Les vei'rcs creu.x oii concaves dimi-
nuent les objets ; ils serveiit aux myo|ies, ou aux personnes
dont la vue est basse.
— Oui, j'ai remarque cela.
— Eb bien, le fils de Jacques Melius, fabricant de lu-
nettes a Midlebourg en llollande, jouait un jour, a la portc
de la boutique, avec ses petits camarades; il prit, pours'a-
muser, deux verres, I'un concave et I'aulre convexe, et,
les placanta une certaine distance I'un de I'autrc et dans
la nii'me direction, il I'ut bien olonne, lorsqu'il les dirigea
sur le cloclier d'une eglise, de voir la girouette plus grosse
et plus rapprocbee que d'habitude, II lit part de son ob.ser-
vation i\ son pere, et celui-ci no fut pas moins ctonne ([ue
I'enfant.
Jacques Metius rellccbit sur cc pbenomcne, et resolut
de le niettre ;\ profit.
— Ainsi, c'est done un enfant qui a donnc I'idee du
telescope ?
— Oui, mon ami, cet enfant elant I'in^lrumeut que la
providence avait clioisi. Melius imagina de plaoer des verres
concaves et convexes dans un tube; il chercba, par tiUonne-
nienls, quelle devait iHre la courliuro comparative de ces
verres, et a ipielle distance il fallait les placer I'un de
I'aulre. A cet effet, dans son Inbe.iil en introdnisit un plus
petit qu'il pouvait faire sortir et rentrer a voloule, et
le succcs depassa I'attente. II put distinguerclairement des
objets trop eloignes pour elre discernes a la simple vue ; ces
objets paraissaient comme rapprocbcs par un pouvoir ma-
gique.
— C'est vrai, j'ai sonvent vu cela avec une lorgnette de
spectacle. Mais quelle difference y a-t-il, je vous prie,
entre une lorgnette et un telescope.
— Mon enfant, une lorgnette sert pour les nbjetspeu
eloignes, elle est portative ; il y a ensuiteles longues-vues,
aveclcsqucUes onvoit a plusieurs lieues; elles servenlaux
marins ; et, enfin, les telescopes, avec lesqucls on observe
les aslres ; il y en a memo de si puissants, que, par leur
moyen, on voit distinctement des eloiles si eloignees do
nous, qu'elles soiit cnticrement invisibles a I'ccil nu.
— Mais, mon pore, comment se fait-il i[ue les longues-
vues, et surtoul les telescopes, aient un si grand pouvoir?
— Mon enfaul, ceei lient a lies combiuaisons d'optique,
et nous commencerons I'etude de cette science I'annee
MERVEILLES DE LA NATUHE.
5TI
prochnine; en attendant, contcnle-loi do savoir que cliaqiic
scrie de deux verrrs, doiil I'un grossit et I'autrc diminiic,
a laprojirii'lo de rapproclicrlcs olijets, si I'nn plare le vcrrc
concave pres derrril. et au conlrairc de los eloigner, si
c'est le verre convexc.
— Oni, i'ai oIjspi'vc cela.
— Eh liien, en comhinant pliisicurs series, Melius vil
qn'il obtenait iin pouvoir plus grand, et c'est a ccs combi-
uaisons, sagement calcub'cs, qu'est due I'invenlion du te-
lescope.
Metius presenta une de ses hinettos aux etals generaux
dellolliinde en 1609. Lcs savants, etenire aiitres Descartes,
font a Melius les lion*eurs de rinvcntion. Avant lul on se
servnit de tul)Cs :i phisieurs luyaux pour diriger la vue
vers lcs objets eloigncs el lcs rendre plus nets ; mais ces
tubes ne renfermaient pas de verres.
— .le vous remercie. Je voudrais bien pourtant vous faire
encore une question.
— J'aime a vous voir curieux de vous instruire.
— Quelle difference y n-t-il enire im telescope et un mi-
croscope ?
— La difference est immense, mon enfant Tie lelescnpe
pcrce les profondeurs de I'espnce et rapprocbe denous des
corps celestes dont nous nc sonpconnions pas meme
I'existence ; le microscope, au contraire, grossit les objets
les ]ihis imperceptiblcs, au point que nous pouvons en
distinguer toutes les parties les plus minimes. Nous irons
voir en.semble une goutle d'ean avec un microscope d'un
pouvoir (res-grand, et vous screz etonne, mon ami, vous
resterez dans I'admiration en voyant que cetle simple goutte
d'eau, qui paralltres-pure, renferme un monde de vegeta-
tions, de plantes etd'arbres de formes fantasliques ; d'ani-
niaux d"especes bizarres se livrant une guerre acliarnee;
vous verrcz que I'infinimenl petit n'est pas moins vaste
quo rinfiniment grand, et que Dieu, etre sans bornes,
d'une bonte, d'une puissance et d'unesagesse inDnies, n'est
lioint,comme nous, assujettiaux bornes etroitesde I'espace
pour raccomplissemenl de ses osuvres merveiUeuses 1 »
MERVEILLES DE LA NATURE.
I.X TONNERRE.
Avant les decouverles reccntes de la pbysique, le pbe-
nomene da tonncrre ctait entoure d'un voile mysterieux
qui frappait egalcnicnl d'epouvante les hommes et los ani-
maux. 11 se presenle sous trois formes bien differentes :
I'eclair, la detonation, c'est-a-dire, le bruit qui I'accom-
pagne, et la foudre, qui brise tout ce qu'elle reiieonlre.
Tout le monde sail aujourdlmi que le tonnorre est un des
phiinomenes de I'electricite, ce grand agent dctoutc vegeta-
tion, si l)ienfaisant dans ses efl'ets de tous les jours, si ter-
rible ipiand il sort des proportions necessaires a la ferti-
lisation de la terre.
Les nuages qui llotteut dans ratmosphere sont conslam-
ment cbarges d'electricile. Quand deux gros nuages sont
cbarges, I'hu d'electricile positive, I'auire d'electricile ne-
gative, ils s'altirent mutuellemenl, et leur contact pniduit
une delonalion proporliounee a leur volume. Lorsque
Pair est renipli dun grand nombre de gros nuages cbarges
d'une eliclrieiie differcnte de celle de la terre, les nion-
tagnes attirent ccs nuages, et c'est alors que Ton voil ecla-
lei' ces orages si communs dans les jiays montagneu.x. Ce-
pendanl les bois et les edifices, dans les pays plats, attirent
la foudre conime les montagncs, el produiscnt cis cffets
terribles que nous voyons tousles jours. L'cclairet le bruit
sont produits simultancment; mais comme la lumiere par-
court I'espace avec une plus grande rapidite que le .son, il
en resulte que souveul nous voyons I'eclair longtemps
avant d'entendre la detoiialion : c'est ce que Ton remarquc
egalemeut quand on voit tirer le canon d une certaine dis-
tance.
Souvenl on enlend le loiinerre rouler longuemeut, el
I'echo repeter ce bruit dans diverses directions. Get effet
est dti aux montagncs, aux valloes, aux bois et aux edifices,
niais aussi bien aux nuages el a la surface de la terre, qui
se renvoient muluellement le son; aulrenient on ne pour-
rait s'expliquer comment ce roulement .so fail entendre en
mer, ou il n'y a que la surface do lean et celle des nuages
pour produire un effet scmblable.
Pour se preserver des effets de la foudre, on prend di-
vers moyens. Les uns pretendent que, pour ccarter I'orage
qui les produit, il faul tirer le canon sur le nuage, aflu de
le divisor; d'autres , qu'il faul faire bcaucoup de bruit,
sonncr lcs cloches. Do nombreux accidents sont resultcs
do la mise en pratique de cetle opinion. Le IS aoi'it 1718,
la foudre tomiia, a qualre heuros du matin, sur vingl-(|uatre
eglises siluees sur la cole qui s'etend de Landernau, en
Bretagne, jusqu'u Sainl-Pol-de-Lcon, toutes eglises dans
lesquelles on sonnait les cloches. Les eglises voisines, ou
Ton ne sonnait pas, furent cpargnees. On calcule que, dans
I'espace de Irente ans, dans ce canton, la foudre a frappe
(rois cent qualre-vingt-six clochers, et tue trois sonneurs.
D'autres s'empressent de courir pour s'abriter de I'orage,
et vont souvenl se placer sous des arbres eleves et touffus ;
un grand nombre de victimes onl ele atteintos dans ces
deux circoustances. On augmenle le danger en s'abritant
sous un arbre pendant ipie le tonnerre grondo; on sail, on
effel. que le Huide eleelrique est attire par lcs lieux eleves
el poinlus. d'oii il resulte un )dus grand peril dans colte
situation. Nous pourrions citer de nonibreuses victimes de
cetle coulume, Irop accreditee dans lcs campagnos.
Tout recemmeut, dans une commune du departenienl
des Vosges, un journalier, pere de hull enfants, tardanl a
rentrer par un tcjnps d'orage, sa femme s'inqniele; quoi--
que naturellemeiit timide, olle n'ecoule que I'elan de son
ccEur, et, bravanl les elements decbaines, elle court a la
recherche do son niari, I'unique soutien de sa nombreuse
famillc. Ilelas 1 elle ne devait plus le revoir : la foudre avail
frappi' celui qu'elle cberchait. Eperdue, elle suit le diemin
par leipicl il avail coulume de ruvenir. L'orage redouble.
572
MERVEILLES DE LA NATURE.
Effrnyee, cllc vcut sc lofugicr d.ins un hois; ellc ari'ivc
cssoufUce, nnennlie par la fraycur. Ello s'appuic siir le
tronc d'lin gros arlirc ; a peine y est-clle, que la fouilrc
tomlic, brise I'arbre, fi'appo cii mc'me Icinps la paiivrc mere,
cl fait huil oi-|ilieliiis d'lm seul coup.
Les cloches dcs cgliscs, les maisous isolees, a hauls pi-
giions, offrent plus do danger que ccUes qui sent a peu ju'es
de memo hnuleur reunies daus les villcs. iJcpuis I'iiiven-
tion dcs paratonncrres, on evite les effels de la foudre ;
mais Ic paratonnerre n'agissant |)as sur le fluide elecli'ique
dans un rayon de plus de vingt metres, il en faul plusicurs
sur les edifices d'unc grande elendue.
Bien de mysluricux comme rnclion du Ihiide elcctrique ;
mais ranccdote suivanle, arrivee recemment, monlre quo
la foudi-c n'est pas toiijours accompagnce do delonation.
M. le docteur liogiiier a, sur la domaudc de M. Arago,
adrcsse a lAcadeiuie iinc note sur uti phenomcue meteoro-
logique doiil il a pu observer les siiiguliers ct trislcs resul-
lals. 11 s'agil d'une jeune fille moitelleraent frappce de la
foudre sans que la decharge clectriquc ait etc rcvelee aux
personnes presenlcs par aucune detonation. Les circon-
slauccs au milieu dos(piellcs I'evenement a c« lieu, I'im- .
|iossibilile d'cxpliqucr par une autre cause la mort subitc
de la jcunc Idle, cnlin quelques observations faites a la
levcc du corps, ont convaincu M. neguier quo !a malheu-
reuse avail succombe a la comuiOlioii produile par la ren-
contre de deux couranls elcclriqucs. En el'fi'l, ])ar un leuqis
ties-chauil et extromemcnt sec, un cultivaleur dcs environs
de Coulommiers, se trouvanl avcc sa femnic et sa fille au
milieu d'unc plaine peu boisec et donl les recolles elaient
en partie enlevces, vil tout a coup s'avancer vers rendroil
oil loqs Irois Iravaillaienl, un nuage noir qui prcsageaitnn
violent orage. 11 se hale de rcnvoyer sa fille en avant ; la
jeune fille se sauve en courant prccisement dans la direc-
tion du nuage, i|ui marcliail do Test a I'ouest. An bout do
quelques moments, ses parents, se disjiosant a la rejoindre.
s'arrelent, el raperroiveni, a six teals pas, elendue la
lace ronire lerre. lis rappclleni , et ne recevant pas de
reponse, iis atcnurcni. s'approcbcnl, el la IrouvenI morle;
ni eux ni personne des environs n'avaient enlendu la
moindre detonation, apercn le plus failde eclair. Appele
pour la levee du corps, M. Regiuer conslala, trois heiires
aprcs I'cvenemenl, que les mains n'elaienl pas elendues en
avant; que le bonnet, lance a quaire pas, clait peree dans
le fond d'une large dechirure, produile cvidemnient de de-
dans en dehors, puisque tons les Ills du tissu laccre s'irra-
diaient en dehors au pourlour de I'ouverlure. Ce fait est
assuremeul fort curieux, sous le double rapporl des effets
tonjours si bizarres ct piesque inexplicables de la foudre,
et surlout de I'absence de delonation.
LE LIVRE DE LA SAME,
ANECDOTES MEDICAIDS, FAITS ET COHSEILS BELATIFS
A LA SANTE DE LBOmOtE.
I.E THE.
La consommnliondutho est devciiue en France et en Eu-
rope siconsideraljle mainlcnant, qnela feuillecliiuoiso pent
elre classee parmiles aliments Ics plus usuels. La nianiere
donl on le prepare, les modiBcalions que le commerce lui
fait suliir , doivcnt done eveiller la sollicilude de lout le
monde. Si le the n'avait jamais produit d'accidents, il se-
rait inutile de se preoccuperdc semblables details ;maisde
tristr's cxcm]>Ics atlesteiit faction iicrnicieuse qu'a pu exer-
cer quelquefois I'infusion do celte planlc aromatiqnc. On
n'ignorail pas, depuis quelques annees, que la preparation
de cerlaines cspeces de the se faisait avec dcs ingredients
de I'ordre mineral ; mais on'pouvait croire que c'etail seu-
lemefit dans des circonstances cxceptionncUes.
M. Davis, voyageur anglais, vit de ses propres yeux a
llolian roperation suivante ; apres avoir desseche le the
nuir, qui etait place dans un mortier en fer fondu, on le co-
lorait alors avec du curcuma, ce qui ne presente aucun
danger ; puis on jetail, sur les feuiUes, une poussiere com-
pnsce de pierre gypseusc et ;dc bleu de Prusse, ,i la dose
d'une cuilleree ordinaire pour sept ou Imit litres de the ava-
rie. Quand le melange fut termine , le tlie presenla cello
belle couleur verte si recbercliee , et laissa meme exhaler
Todeur qui caracterise le the hyson.
M. Davis n'avait pas dit qu'il pensait que cette manipula-
tion etait appliquee sur une grande echcUe a la prepara-
tion du the ; mais il existe uu fait de stalistique comnier-
ciale qui devrait le faire supposer. D'aprcs JlaccuUoch, les
Anglais importaient a Canton , vers le commencement du
siecle, plus de 250,000 livres do bleu de Prusse par an.
Des fabriiiues se sent elevees, depuis, sur le (erriloire de la
Chine, et le pays fail maintenant une consommalion tres-
considerable de ce produit. II est en ouire denotoriele que
la feuillc ne saurait prendre, sans une preparation particu-
lienscetlc couleur verle et brillanle cpii distingue les thes
verls. On a cru pendant;longtemps qu'elle dependait de la
maniere dont on procedait ,i la lorrefaclion ; mais, d'a)ires
les renseignenienls les plus rcccnis sur la manufacture de
Ihes dans la colonic de I'lnde, on s'est as.sure que les Chi-
nois coloraientleurs produits avec legypse et I'indigo. Une
circonstance heureuse a mis enfin la science sur la trace
du genre de fraude que les habitants du celeste empire
txercaient sur les consommaleurseuropecns.
On apporia i\ M. Waringlon , de la Societe chimique de
Londres, pour en faire I'analyse, des thes qui avaient etc
saisis comme alteres ; ce chimiste les esamina altentive-
ment au microscope, el il ne fut pas peu surpris de voir
que les feuilles elaient recouverles d'une poudrc blanche,
brillante,et semees de petils grains d'un bleu vifetde
couleur orangee. Cette poudre fut isolee des feuilles , et,
apres I'avoir fait passer par les epreuvts necessaires pour
en determiner la composition, M. Waringlon trouva que la
poudre blanche etait du kaolin ou du talc, que les grains
oranges proveuaient d'nue substance vegctale, et eufln que
LE LIVRE DE LA SANTE. 375
les granulations bleues etaient formees par du bleu de
Prusse.
Mais ces melanges pouvaient ctre accidenlels, comme
ils pouvaienl resulter d'un mode de preparation applique
regulieremcnt , comme faisant parlie des precedes ordi-
naires de la fabrication. II elait important de s'en assurer.
Le cbimisle anglais alia done recueillir, chezles niarchauds
les plus renommes de Londres, des echantillons de thes
verls de la plus belle espece,connue sous lenom d'impe-
rial, de poudre a canon elde hyson. Soumis au microscope,
lis lui presenlerent les memes couleurs que les thes ava-
ries. Soumis a I'analyse, ils contcnaient aussi dn kaolin et
du bleu de Prusse. En s'occupant de ce travail, M. Waring-
lon apprit qu'il y avail une dislinclion de nom , parnii les
thes verls, qui les classnit en deux especes dislincles :
I'espece des ihes glaces et celle des thes non glaces. Ceux
(pi'il avail soumis a I'analyse el qui conlcnaient tons du
bleu de Prusse , appartenaienl .i la calegorie des thes gla-
ces. Les ihes glaces elaienl-ils purs ou colores ]iar une .sub-
stance minerale'? L'auleuren recucillitdes echantillons qui,
meme a I'ceil nu , n'avaient pas la moindrc analogic de
couleur avec les thes glaces. Au lieu d'etre d'un bleu ver-
datre comme ceux-ci, ils presenlaient une teinte uniforme
d'un jaune brun tirant sur le noir. Le microscope ne laissa
voir ni grains oranges , ni grains bleus , el I'analyse ne
trouva ((ue du kaolin, qui est une maliere inoffi.nsive. La
subslance vegetale coloraute et le bleu de Prusse elaient
absents.
Detelles experiences soul conduanles, el condamneni,
sans relour, cette couleur allcchante du the vert qu'on
croil generalement le caraclere de I'excellence , de la su-
periorile. De quelque maniere qu'on precede au grillage
ou a la lorrefaclion, la feuiUene prend jamais celle couleur
verle si esliniee; c'est le commerce, ou ]ilul6t c'esl la
fraude qui la lui donne. La couleur nalurelle , la couleur
vraie, c'est celle des thes non glaces. Mais il y a un moyen
bien simple de depouiller les thes glaces de la couleur
d'eniprunl qui se fait si facilemenl reconnailre. II consisle
lout sim|ilemenl a les agiler par peliles quanlites dans une
bonlcille dans laquelle on aura mis un peu d'eau dislillee.
Ce liquide dissoul la poudre el s'en empare enlierement
au bout d'une ou deux minules. II n'y a qu'a jeler, apres
I'operalion , le conlenu de la bouleille sur un fillrc de
monsseline, pour separer la feuille aromalique du liquide
qui la purifie. D'a|U'es les experiences de M. Waringlon, ce
lavage n'affaiblil nullement les proprietes du the. Meme en
Texposant, pour le dessecher, apres le fillrage, a une tem-
perature de cent degres , on n'affaiblit ni la delicalesse de
son goul, ni le parfum de son aronie.
ANECDOTES DU TEMPS PRESENT.
ORIGINE DES BAX.LONS.
Lesdecnuverles de I'experience soul souvent le fruit du
hasard plulot ipie le resullal des recherclies. Les arls utiles
doivent, la pluparl, leurs iavenlions, nioins aux specula-
374
ANECDOTES
lions (les pliilosoplics (|ir,'i la favour tic la forlmie. On a
Irouvc la pnudre en cliercliant loule aulrc chose, peut-etre
sans avoir aiicunc vnc. Ln hoiissole n'nvait auci\n rapport
avec les nulres inslnimenls de la navicfalion, qnand on fit
cede imporliinic dccouverte. Pendanl comliien de siccles
les hommcs onl-ils niarchc siir la sole avant d'cn connaiire
le prix ct d'cn faire de si belles parurcs? La vapeiir, celte
forces si ]iuissanle, q;ii, dcpiiis r|ncli(ue lenips seulenient, a
pris un dcveloppcment immense, ful deeouverlc, coninie
tant d'anlresinvenlinns sniilimos, par reffct du liasard.
Un faiseur d'expcrienccs est line espcce de chasseur ipii
suit les effels de la nature a la piste, el rpie les courses
inntiles ne rcbnlent pas : un scul phenomeno qu'il dccnu-
vre le dedomniaf;e hientot de son temps perdu. Y a-l-il
line ambition plus belle, plus noble, que celle qui a ponr
hut d'etendrc la puissance de son genie sur les moycns de
decoHvrir on de iicrfeclionner tout ce qui peut contribnor
a rendre les hommes plus heureux.
11 y a de ipioi s'ctonner en voyant que les inventions les
plus precieuses ont souvent etc, a leur origine, conside-
rees comine des choses futiles. C'est ainsi que, d'abord,les
ballons furent envisages; il n'y aurait rien de bien cxlra-
ordinaire de voir un jour cctte singuliere invention venir
prendre place parmi les plus belles decouvcrtes faites jus-
qu'ici.
Vous avez souvent admire un globe majestueux s'ele-
vant dans les airs, cmportc par unc molle brise ct soute-
nanl une elegante nacelle pavoisee de bannieres multi-
colores.
Dans cette nacelle, de hardis voyageurs agilent lours
drapeaux en prcuant conge de la tcrre, aux yeux des spec-
tatours cbahis ; ils vonl explorer les regions del'espace,
affronlant les nrages et bravant mille perils. Eh bion, mes
jeunes amis, heaucoup d'entre vous sont loin do se former
line idee exactc de ce que sont ces perils, el a quoi il
peut servir de s'exposer a les braver.
Pour eclairer voire jeune esprit, je vais commencer par
une premiere narration, simple el breve, sur ce sujcl.
Celle machine inerveilleuse, que Ton nonime ballon, est
un globe creux compose d'un fort lissn de soieet recouvert
d'un endiiit souplc ct leger, impenelrable .1 Pair.
Ce fut Monlgollier qui invenla les balloiis. Les piemieis
furenl fails en papier. 11 avail remarque, que la clialeur
dilate I'air et le rend plus leger ; il coucut, d'apres colle
observation, I'idee de faire un ballon en papier, avec une
ouverlurc dans le has, el de placer sous cctte ouvcrUire
un rcchaud. Le succcs qu'il oblinl de celle experience de-
passa sou attenle ; le feu dilala lair a riiitoricur : alors le
globe de papier s'euleva facilemenl. Ce ]iremier essai ler-
mine, il en fit plusieursaulres qui tons nuissironl.
Depuis, les ballons en papior ct a recliaud furenl ahan-
donnes.
On imagina ensnitede construire les ballons en sole ver-
nie au caoutchouc. On savail que le poids du gaz hydro-
gene est le quart de celui de Fair. Lc ballon, le gaz qu'il
renferme, le filet quirenloure, la nacelle, loutcela reuni
ne pcse pas la moilie du volume d'air doplace. II resulte
de cette observation que la machine cntiere est suscep-
tible de s'elover ct d'enlever avec clle plusieurs per-
sonnes,des provisions, du lest, et un cable avec son ancre.
Oui, un cable et une ancre; autrenieiil raeronaiite, quand
il voudraildoscendro,nepourrail pass'ari'eloroi'iil voudrail;
le vent reinporterail et le briscrail conire les arbres, les
maisons ou les rochers. Voila pourquoi la nacelle est lou-
jours munio d'unc ancre et d'un clble.
Les dangers auxi|ue!s sont exposes les aeronautes sont
nombroux. En juin 178.i, MM. Pilatrc de Rozier et Romain,
ayant eiitrepris de passer de Fiance en Anglelerre, le feu
se communiqua au gaz dc leur ballon, et ils perirent.
L'inforluncc madamc Blanchard peril aussi, il y a une
vingtaine d'anneos, jetee hors de la nacelle par le choc
d'une cheinincc. Je pourrais citer bien d'autres malheurs
arrives aux aeronaules ; mais a quoi servirait de mellre
sous les yeux de mes jeunes leclcurs tant de tableaux pe-
nihles ?
Si Taerostat a cause de tristcs evenements, il a ele ulile
aux sciences. En 1804, Gay-Lussac 111 ii Paris une ascen-
sion, muni dc tons les instruments necessaircs aux obser-
vations nicteorologiques. II s'eleva a plus de 25,000 pieds
aii-dcssus du niveau de Paris, et fit des decouverlcs pre-
cieuses.
E.xcepte pour des experiences de ce genre, il ne semhle
pas que les hallons aient etc d'une grande utilile. On avail
cu I'idee de le faire servir a la guerre. Une compagnie de
ballonniers fut otahlie a Meiidon pendant la revolulion, et
Jourdan s'en servit avec succes en 1793, a la hataille de
Fleurus qu'un ballon lui fit gagner. II ne parait pas cepen-
daiit que depuis I'onait Irouve I'eniploi de ce moyen prali-
cable. On se servait d'un ballon captif, c'est-a-dire, relenu
par des cordes a une ccrlaine distance de la lerre. Cent
hommes ctaieul necessaires pour tenir ces cordes. Un
ol'licier place dans la nacelle faisait glisser, le long d'une
de ces cordes, un billet pour le general, el I'inslruisait
des mouvemenls de rennonii. On a reuonce a ce moyen.
Beaucoup d'essais ont ele fails pour diriger les aeroslals
conire lc venl, mais lous ont ele inl'ruclueux.
M. Given, aoronaule anglais de hoancoup de merite, y
a rcnonco. II avail remarque daussesnombrousesascensions.
(|u'a differenlos hauteurs dans lalmospbere, il y a descou-
ranls d'air dil'lerouls, dont on pouvail so servir ulilement
pour sc dirigor a volonle. 11 111 construire, a eel elTcl, un
immense ballon avec une nacollc-omnibus; son idee elait
d'arrivcr, par ce moyen, a pouvoir transporter rapidement
de Londres ii Paris un assez grand noinbre de voyageurs.
II parlil done bravcmenl a onzeheuresel demic du matin,
le 7 novembre 1836, accompagre de deux genllemcn ; mais
ils maiiquerent Paris dans la iiiiil, et furenl petrifies d'clon-
neinent (|uand, le lendemaiu matin, ilss'aperciiront qu'ils
etaient dans le duche de Nassau , ayant fail environ deux
colli cinquanle lioues on dix-buil lioinos : pros de qiiatorze
lioues iil'lieure! M. Green n'a jamais recommence ce genre
OU TEMPS PRESENT.
375
dc voyage, il savail bicn que c'elait I'effet du hasard ; mais
d'lionneles induslriels, proDtaiU de rensouement general,
ne craignirent pas d'annoiirer une coinpngnie pour etaldir
un service rt'gulicr dc balhms niessarjers de Londres aux
grandes Indeset a ionics Irs •parlies du ijhihc. J'aivu, mcs
jeiines amis, les afQchcs monslrcs de celte monslrueuse
compagnie sur les niurs de Londres. Je ue crois pas qu'elle
ail IroMve bcanconp d'aclionnaires.
AVXNTURES BU JEDNE COMTE SE T"**'
Les Anglais, qui passenl pour elre, de lous les pcuples
le plus serieux, porlenl souvent aux choseslcs plus futilcs
toule I'energie, tous les instincts, toule la vivacilc drama-
lique de la passion ! C'est ainsi qu'on les voit sc porter en
foule a un combat de coqs et engager des sonimes consi-
derables dans des paris pour le vainqiieur de ces luttes
magnifiipics. Mais ce qui semble plaire plus encore a leur
imagination ce sonl les lutlcs de chevaux. Ainsi, dernie-
rement, apres avoir assislc a un slccple-chase ( course au
clocber), le jeune Alfred de T"*, tils unique d'une noble
el ricbe famille, se plaisail a .se faire remarquer par son
exireme lemerile. Un jour il faillil pcrdre la vie dans une
chute effrayanle qu'il lit, avcc un clieval vigourcux, qui,
en s'emporlant, lomba, de plus de trentc pieds de bauteur,
dans unepelile riviere siliiee aupres du village dc Back-
wood, dans le Yorkshire. 11 ful assez heureux jiour s'en
tirer sans autre accident que quelqucs contusions dont il
Tut bientot retabli.
Dans une autre circonslance, il donna la preuvedeson
audacicusc extravagance. 11 fit le pari qu'il partirail seul
dans un ballon, et qu'il le dirigerail pendant trois heures au
moins. On trouve loujours des fous pour soutenir des
paris centre les acles d'audace et de temerile. Ses veri-
tabk's amis cbercliereut ii le relcnir et a le ramener,
par de justes observations, a des idees plus raisonna-
bles;plus il rencontrait d'opposiiion ou d'obstade. plus
il trouvait d'lirdeur et dc plaisir a les coniballre. Eufin. le
jour arriva pour niettre a execution cetle tcmeraire en-
treprise. Le ciel etaitpur et le vent etait moderc. II parlit
en enqiortant avec lui les vifs applaudissemenls de la fnule
qui s'elait rcunie pour jouir de ce spectacle; mais a peine
est-il enleve ii une certaiue hauteur, qu'il trouva un vent
plus fort ([ui I'emporta rapidement dans une direclion con-
traire a celle ou il voulait aller, el, lorsqu'il voulut dcs-
cendre, il lacba du gaz ; mais en trop grande quanlile. De
sorte qu'il ne lui en restait plus assez pour pouvoir re-
monler, meme en se dcbarrassant de tout ce qu'il avail
do lest. II arriva done qu'il tomba dans la mer, du cole de
Yarmoulh, a environ dix niilles (4 lieues ) de terre. II
se cramponna a son ballon, qui, snulenu par le vent, I'aida
ii naviguer pendant plusieurs heures jn.squ'd ce qu'il fut
sauve par un culler qui I'apercut, et qui s'empressa de lui
porter secours.
Celle dernicre lecon fit sur I'esprit du jeune conite une
si vive impression, que, des ce journefasle. il se fit dans son
caraclere el dans ses habitudes un ehangcmenl remar-
quable ! Autant il elail fou, extravagant dans ses plaisirs,
aulant il devint sage et modere dans sa conduite. Cetle force
S76 ANECDOTES DU TEMPS PRESENT.
et cetle agilile i'emar(Hinl)lcs (|uo la iiritiire lui nvait iton-
necs ctaient nuisibles |ioiii- hu-nieiiio, lorsr|UC ccs rjualilcs
ctaieiit mal cni|iIoyiJes ; ellos dcviiireiU, au coiilrairc, fori
precieiiscs en sadiaiU les iililisci' a proiios. C'csl cc qui se
lit bicntot reniarquer dans le caractere du jcune el noble
comic dc T'". Plusiciirs jeiincs gens )ioun'aicMl, peul-ctre,
dans celte avenUire, Irouvcr une bonne et utile lecon pour
eu.\-memes.
fabz.es.
ij: lacotjreur et son fils.
Un labourcur dil uii jour a son fils :
— Ciiltive, men culant, cjueUjucsarponts slcrilcs;
Dctruis-on Ics cbardons, Ics licrbes inutiles ;
V.1, crois-iuci, nous en saurons Urci'mainl profit.
11 part. Lc fils, en voyant taut d'ouvragc :
— Je n'on vicndral jamais a bout;
U mc faiulrail un siccle! II pcnl clone tout courage,
Et n'y ti-availlc point du tout;
Lc long du jour, il dort, s'auiuse.
Le pure vicnt le londcmain.
De son mieux notrc fils s'oxcusc :
— La taclic est par trop grande, en pout-il voir la fin ?
— Ne dcfriche des lors que cc petit cspacc.
II s'y met, lc cullivc avcc un air content.
Autre taclio, le jour suivant ;
li s'y piL'te encore avec grace.
Dc procbe en prochc cnfin lc terrain est beche.
Relourni^, bicntot delriche.
Divisez vos Iravanx ; patience et courage
Vous leront accomplir le plus peniblc ouvragc.
AGATilOCLE.
Agathocle, roi de Sicilc,
D'un potior dc tcrre etait fils,
£t fit voir qu'i'n depit d'unc naissancc vile,
Sur le trfine on pent ctrc assis.
Son esprit, sa valeur extreme,
L'clevcrcnl au diadcnie,
Etsurent, sous ses lols, maintes cites ranger.
Ce monarque vint assieger
Unc villc asscz importante.
Le peupleen elait vain, et, malgre ce danger,
Renipli dune audace insolente.
DOs qu'on vil Agathocle avcc ses t-tendards,
Les habitants sur Ics remparts
Lui cridient, en raillaiit, pour irriler sa bile :
— Tyran, fils d'un pauvrc jjoticr,
Oij prcndras-tu dc quoi t;int de troupes payer?
— Dans vos bourses, dit-il, quand j'aurai votrc ville.
FIN DU PIIEMIER VOLUME.
TABLE
MATIERES CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME.
P.iges.
AnecflotPM (In loiupet present.
La Force dii icpciilir 'i
Ne Doscspcrcr de I'icn, ou Eiluuaiil Jeffcry do Ply-
moulli 5
Lc Piisoiinicr d'lijie lioinljc 6
Le Piiysan marocain 7
Lecoii commerciale , ou lc Danger d'etre trup lia-
bilc 9
Lcs Gueux magnifiijiies, ou Vivrc dans la s]iIcm-
deur sans moycjis appari'iUs ib.
Le Genois el le Galerien 52
Los Soulerrains de Walling-Slreet 54
Lnndros souterraine 33
Dick le Dososse oG
line Balaille rangce en Irlande ib.
L liicendie dans la neige 38
La Balaille de I'lsly racontce par un Marocain. . ib.
Les jounes Sauveurs "I
Le Prelre cliaritiilde ib.
Los pelites Baleines des iles Faroe ib.
Un Cliien lerrible 72
Lajeune Breloune 7"
L'Ouragan de neige 139
L'Orage des Uighlands 141
Le Clirislriplie Oolomb du ponl Siinl-.Michel. . . 143
Lo Rliin golo 14-}
L'Inondalinn on Chine 1-{5
L'llivor en Algorie ib.
lliver de 18i3 dans les Grisons 231
La Cliarlreuse de Paris 234
Un linnnele Delenu 255
L'Arabe prisnnnier ib.
Visile cliez les poetes europcens 237
Une Page inconnue de la vie do Napoleon 258
Origine des Ballons 373
Avenliire du jeune comle de T**' 375
Artistes relt^bres.
La .leunesse de Van-Dyck 48
Bonvcnulo Ollini, Qucntin Mclsys, etc 170
Vel:isipio7, peinlre espagnol .^57
Pierre-Paul Hubens 360
rjgcs.
Beanies tie I'lilstoire tin ricrgc <lc
France.
Bossuel, son enfancc ct sa jeunessc 15
Bossuel f.suilc) 59
Un Aunioiiier au bagne de Toulon 1C6
Visile au faubourg Sainl-JIaroeau 169
Fenelon " 301
Bonliear dans la ile privee, ou le
Livre des plaisiis 68
Une Serre dans un salon 69
Causerles avcc nton nis Ernest , snr
losfnvenllons el lesdeeonverles.
Proniiore Malinee : les Palins. — La Neige. — La
Slalue de neige. — Invenlion des palins. —
Dessins snr la glace
Deusienie Malinee : La Neige el la Glace vivanlcs.
— Le Sajig de la neige. — Un Monde dans la
neige. . . . •
Troisicme Malinee : Conslruclion d"un vaisseau.
— Le Cbanlier. — Le Bnis. — Analoniie du bnis.
— Un Vaissoau lance en nier. — Vaisseaux de fer.
Qualrieme .Malinee : Les Aiiimaux nuisibles. — La
Poussierc aiiimoo. — Nouvoau Sucre
l'ini|uiomo Malinee : UnNavire siir lo Climinilii. —
Les nouveaux Sucres
Sixienie Malinee. — LesLujiellcs. — Lc Telescope.
78
80
138
293
5!;9
Chronlqaes et legendes dn moycn
age.
La Logende de Pierre de la Palud 109
Chronii|no du chalean dc Marsloke 110
Un Teslamenl suppose ib.
Chrnniipic du clialeau de Marsloke (suile). . . . 150
La Vierge de Rcnionol 198
Copcrnic 282
Copernic (suilo) 313
Copcrnic ( suile et fin ) 547
Le Dalhia 358
48
578 iTABLE DES
Pages.
Couru;;c moral tiaiis la joiinossc,
oil E\i'm|iK's(li' rnire ctiiilrc lo sort, ilc ri'sislnncc
el (losiRTcs dans Ifs ("inieri's Ics jiliis ilivei'ses. 47
Ben-Jolinson, Cook, Itaiii|iiir, Descai-lcs, clc. . . 218
L,T Jciinosse de llcni-i IV 297
Jciinesse des gi-aiids arlisles. 298
Devoir «t Iloroisnie rlioz Ics rem-
luos /,!
L'lliiro'isinn ijuorrior cliez Ics femnics 'lo
Ln jcune Merc ib.
Bl.anclic de Caslillc. ,sa vie el son indueiiec. ... -I H
Lcllre d'line d.iiiie anslnisc |irisonniorc .-'i Gwnlior. 1 17
Dlanclie de Caslille ( siiile ) 1/,9
Ln Vic des femmcs orieiitalcs, visile an linrcra. . 221
Ilistolrp natiirello.
Lcs Zcjjres 5G8
IllnslrpN Francnl».
Le Cardinal de liiclielicii 125
Ln Cardinal de Riclielieii (suile) I,'^,^
Pierre Corneille 1y3
Pierre Corneille (suite) 2i8
Jeanne d'Arc 281
Uvrc tie la Sanfe, on .\necdotes medicam-s ,
FaITSET CONSEU.S RELATIFS a fa SANTE de l'lI0.M51E. 28
Influence de eerlaines sul)slances .snr Ic corps liu-
main. — Lcs Narcoli(|ncs, rOjiinm, clc. ... 29
Le Taliac 51
L'Excrcice inlcllecluel esl necessaire ii In sanle el
au lionheur 05
Bnins ]iublics pour lcs classes ouvricres 12.1
Le Secret de vivre longlcnips ib.
Des Stimulanls (suile dii Tahac) 21'J
Le The .' . . 373
llorveillrM «ie la nattire.
Volcans de la mcr PaciQipie. — Ascension ,i
Mouna-Loa ~,\-;
Lps Fcux follels 5/,()
Le Toiincn-e 57 1
UerveilleH ilii mois paKKt^.
Coni|u^lesrcccnlcsdc la civilisation chrelicnne, etc. 31
Ilille 01 line A'liils d'Eiiropc ct «1'a-
nieriqiie ^-j
Premiere unit : Conic du nialclot Ilcinriili. ... |S
Deuxieme unit : Conle du malelol Ileiiirieli (suite). 49
Troisiemc nuit : Conle dc doni llalilador de la Isla. 82
Qualrienic nuit ; Comment une femnie peul cue
pirc i|u'uu dialjlc on mi'illcure iiu'un ange. . . I8i
llicdon-liicdon, conle picard, cin(piienie nuit. . 2.Vi
Souveidi's de la Cliinc 2u(j
.Si.xieme miit : Ricdin-Ricdou, conic picard (suite). 394
MATlEllliS.
rages.
lIoiK (III jeniic rliretien.
Les Sainis du niois 2
Mois de novcmljre 5
L'Avenl 53
Noel 34
Mois de dcccnilire 35
La Fete de la Circoncisiou 63
La Fele de I'Epiphanie 6G
Mois de Janvier C7
La Chandelcur 97
Le Carnaval 98
Le Careme 99
Mois de fevrier 101
La Semaine sainle 129
La Fele de Paques 131
Myslere de la resurrection dc N.-S. Jesus-Christ. 152
Mois de Mars 134
Les Rogations 161
Varictes 162
Mois d'Avril 163
L'Asccnsion de Notre-Seigncur 195
Ln Pcnteeote 194
La Fele-Dieu 193
Mois de niai 196
Fi'Ie dc saint Jcan-Baplistc 225
Fete dc saint Pierre el de sainl Paul 227
Mois de jiiin 230
Visitation de la sninte Vierge 257
Varii'tes 2.i8
iMois de juillet 263
Solenniles du mois d'nout 289
Mois d'aout 294
La Nalivite de la .sainle Vierge 321
L'Exallalion de la sainle croi.\ 322
Saint Michel el lcs sainis nngcs 323
Consolation ehreliennc 323
Mois de scptendire 32'>
Saint Denys 553
La Toussaint 557
Mois d'octolire 359
PotHK voyages «ur Ics rlviei-esi dc
I'ranrc.
La Loire, scs liords el ses souvenirs 12
La Loire (suite) 14
Lc'gendcs des liords de la Loire 43
La Maison dor du dialilc, on le Gerbicr-de-Jonc. ib.
Les Fees verles de la voi'itc Polignac 118
La Loire, scs herds el scs souvenirs (suile). . . 178
La Loire, ses hords ct ses souvenirs (suile). . . . 199
La Loire, ses liords el ses souvenirs (suite). . . . 3tl5
Sinja>li<> divers.
Lei Ire dc Claude Brady a sa scciir Claudine, qui se
marie, sur lcs devoirs ct Ic honlicnr en menage. 11
FaiWesse des grands esprits 16.
Ilcnu'llre au leudcmain 87
La Mode en iiicdecinc ib.
Dignile du travail 16.
(^oagnlalion dn lail 88
Les Insecles balayeurs ib.
TABLE DES
Hull sens vaul mious que science 88
Elviiiologic de (|nclques designations americaiiics. ib.
Priere 8!)
m.iximes de clia([ue jour i'Jfi
Le Fer ib.
Vers du Persan llafiz ib.
La yilus ancienne des linrloges ib.
Uii Couvenl en Algerie '127
La nieiUenre Pilule '6-
Origine dos lirouillards ib.
Lo Canielenn. . . . , ib.
Le Lail de clievre en Espagne ib.
La Pi-clie dcs perles 128
Cc i|ni pent ai'river au globe I'l
Manger avec li's doigts ^b.
Le Bateau a vapenr ib.
La Toilette dune Grecqne I"i
Le Frein de la medisance et le Maulcau de I'ivro-
gnerie 1"3
Le Pore-Epic ib.
Ode d'un patineur 174
Fureur des saints et des paiens contre les co-
quettes ib.
Le Sang et les Clieveux 175
La Chauve-Souris 2'25
Le Karval on Licorne de nier 224
La Baleinc attaipiee par les poissons 241
Pi'clie de la baleiue 242
L'Aigle 2'i3
Le Boa constricteiir 244
Le Poisson volant et le Dauphin 2i3
In Avis a I'arislocratie 246
He la Conversation ib.
Les bonnes Maiiiercs ib.
Extraits d'un vieiix nioralisle italieii ib.
Aulres Extraits de quelques ecrivains catholiques
elrangcrs 2'i7
Exageralion des modes feminines ib.
Bruges 281
La Pelite-Provence 532
Maxime dun sage ib.
Origine des compliments que Ion fail aux gens
qui eteruueiit ib.
Faille ib.
La liaison et la Douceur ib.
Le Laboureur et son Fils 37(i
Agatbocle (fable) ib.
Snvolr-Vivro cii Europe.
Simples conseils ii ceux qui enlront dans le niondo.
— L'Affcctalion et la Tiniidite. — Le Cbanteur de
romances. — Toilette d'une jeune lille pauvre.
— Un Monsieur quine salt pas sortir. — Anciens
TraitesI du savoir-vivre. — Casliglione. — Fe-
nclon. — La Politesse 8o
La Politesse a table. — La Conversation a table.
— Le Mailre de niaison gastronome. — Conime
lout le monde. — Avaut diner. — Apres diner.
— Le Cuslume du diner. — La Convcisaliiin a
table. — Le Monsii;ur aux breloques. — La Dame
Irop corsee 14.5
MATIERES. W9
PafCSi
Mccurs amcricaines 275
La Lionne 502
Conversation des liommcs de lellres 503
LeCosturae.— Les Paris. —La Politesse 333
Scenes, Boci In, Avontares, exIraUs.
•les plus recenis vojascurs.
Le Trappeur dcs monlagnes Rocheuses 2J
Une Soiree au Jlaroc 23
Le Soleil a niinuil 20
Le Duel dans la Foret->'oire ib.
La Neige rouge 36
Visile a un cure de Cordoue ib.
L'lncendie de la foret vierge 37
La Valise et la Bouteille, ou Aventures ccylauaises. 41
Flandres, Louvain 89
Aventures sur les bords de la riviere de la Co-
lombie 92
Voyage a cheval sur un crocodile 96
M. Thiers dans un couvenl des Pyrenees 102
Une Nuit de peril 103
LTloiiime et le Tigre 104
Don Antonio Garcia de A(iuila , cure do Pitiegua. 106
Les Torches sur le Neckcr , et la Coincilie sur la
glace 107
Les Chinois d'aiijourd'hui 134
Une Ascension perilleuse au Petter-Bolte et sa
montagne 1o6
Capture d'un negrier 187
Comme quoi vingt loups Turont emprisonnes par
le marquis de Lafayette 188
Souvenirs de la Chine 189
Incendie d'une prairie 191
Missions de la Chine et du Tong-Kinj; 204
La Caravane de Bagdad 209
Panorama du haul d'une montagne 211
Mceurs de ITndouslan t6.
La Chasse au ligre 213
L'lle deTaiti en1788eten 1845 215
Les Volcurs et le Guide cndormi 217
Impressions de voyages d'un jeune touriste. . . . 264
Mocnrs irlandaises 267
La Scmaine saintc a Borne 272
La Sirega, ou la Pytlionisse de Boheme 309
Ta'iti en 1783 et en 1845 274
Pelites visites dans quelques villes de la Suisse
moderne 313
Etat aclueldela Iraite des negres 342
Letlre d'un voyagcur francais 343
Sc^iicit, Rorits et Aventures de la
\ic maritime.
Le Conteur du gaillard d'avant 510
Une ^uit dans un pharc • 563
Vie privee des oiseaux.
Les Crimes d'un rouge-gorge 20
Les Oiseanx a bord de la fregale 22
La Caille 61
580 TABLE DES
Pages.
Le Merle cc-Hlialniie 02
La Caillc fsniU') 90
Combat d'uu faucun ct J'une bclollc 91
MATIERES.
Pages.
La Pcidrix 329
Le Coilieaii 331
Le Pelican 333
TABLE DES GRAVURES SEPAREES DU TEXTE.
Bruges Froulispice.
BossuET Pii!,'e. 13
Van-Dvcr 48
UoTEt, DE Vll.I.E HE LoUVALS 8!)
Le Cardisal de Richelieu 125
L\ JonriNEE DES Dupes ISti
C0I1>EILLE 183
Jeasjse d'Am 281
Saist Louis 2;)3
Fekelos 5'(9
Rubens oiiO
BRli !SH
7 AUG -2 a
NATUP.AL
Kl STORY..
-O'O'S'J*
Paris. - liuminioric S^CH^■E1DE1( tr LAN(;r..\M1, rue clErliirlli, ).
LE
LIYRE DES FAMILLES
JOURNAL
MORAL. ilELllilElL LITTERAlRIi, lilSTORIOlE, ARTISTIOL'E, SCIEATIFIIjlE. ETC.
DEUXIEME ANNEE.
184«
rYr<ii;iuriiin laluavi-k rit-B et roup., nit huif-TTF
I BRITISH
I 7 AUG i9
I NATURAL
I HJSTORY.
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PAKIS
TH. HOUZE, DIRECTEUR DU LIVRE DES FAMILIES
'■> , QLAI MALAQIAIS.
IS-H
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LE
LITRE m FAMlLlEii
ou
JOURML DE MONSIEUR LE CL'RE.
M» 1 . — 2* Volume.
1" Janvier 1846
JANVIER-
Le nom de ce mois lui vient do Janus, personnage al-
legorique considere comme le porlier {jatiilor] dc I'O-
lympe. On representait Janus avec deux figures, I'une de
vieillard, tournee vers le passe, I'autre de jeuiie hommc,
tournee vers I'avenir ; I'une grave comme la realite, I'au-
tre radieuse comme I'esperance.
Ce fut Numa Pompilius qui decida que Janvier ouvri-
rait la periode annuelle comme Janus, auquel il etait de-
die, ouvrait les portes des cieux; car sous Romulus I'an-
nee commencait au mois de mars.
Le grief principal centre le mois de Janvier, c'est le
froid exlrirne qui le caracterise en effet ; mais c'est par
ce point surtout qu'il est utile, car le froid a son r61e
aussi, et son role important dans I'economie providen-
tielle de la creation. Dune part, il enchaine les forces v6-
gelatives et les tient au repos, afin qu'elles puissent, au
'temps convenable, se developper partout avec plus d'in-
tensite ; d'autre part, il detruit des myriades d'insectes,
■d'ou ri'sulle pour nous un double avantage, puisque nos
fruits ainsi ne seront pas devasl^s, et que la recoUe sera
mc^nie d'autant plus abondante que le sol evidemment
aura recu plus d'engrais. Et puis ne faut-il pas que I'e-
vaporaiion de I'eau soit enfin retardee, ne faut-il pas,
pour imbiber nos guerets, que les pluies y penetrent et
qu'elles y soient retenues? ne faut-il pas aussi qu'au sommct
de la montagne les glaciers fassent leur reserve pour suf-
t. II.
fire ensuite aux depenses de la belle saison? ne faut-il pas
que vers le pole s'amasscnt et s'anioncellent des oceans
immobiles et solidifii's, afin que les fleuves sous-marins
vicnnent reparer les pertes des oceans equatoriaux, lors-
quB au printemps I'almospliere va se delendre, et que,
bicnlot apres, I'ete va menacer de tarir les rivieres, les
lacs et les niers '!
Sans doute Janvier ne permet pas S I'liorizon de revelir
ses habits de fete, mais cepcndant la terre n'est pas de-
pouillee de toute parure. Voyez : I'epine blanche montre
dans les champs ses bales purpurines, et le laurier-thym
deploie .ses Qeurs disposees en ombclles et son feuillage
d'un eclat permanent; lif dresse encore sa pyramide tou-
jours verte et le lierre maintient centre le mur toules ses
feuilles qui resislent meme a I'ouragan; I'liumble buis
conserve aussi toute sa verdure tandis que le sapin porte
dans I'air sa tfile verdoyante. Or, toutes ces nuances pa-
raissent alors d'autant plus belles qu'elles se delachent et
se relevent sur la couclie de neige qui re\H au loin tout le
sol; et la perspective n'a-t-elle done pas aussi sa magni-
ficence lorsque le rayon solaire, qui met en mouvement la
folle mesange etle gai roitelet, scintille sur les broderies
pittoresques que le givre suspend aux branches des arbres
comma aux toits des maisons? Mais essaycz done de
compter (ousles dianiants a facetles, toutes les pierreries
opalines que la gelee blanche a semes sur la plus simple
\
JANVIER.
cbaumiiro, surle plus raodeste buisson. Et toutcela peut-
Mrc ne parle encore qu'aux yeux; niais pour I'Jme medi-
tative, est-il rien de plus irapo^ant, rien de plus solennel
quel'aspertde lliorizon Idrsque dans le silence niyslfrieux
de la nuit, la luiio, devenue reine dn lirn>amfnt, laisse
tombcr sa iomiiire douce et pure sur celte blanche t«ni([ne
de la terre ondormie?
Voyez aussi comme ce qui ne semble d'abord destine
qii'i I'ornement de la terre porte cependant ce caraclere
d'ulilite que la bienfaisante mainduCreateur imprime h
toutes ses oeuvres; cette ncige, qui resplendit afm de ne
pas laisser perdre un seul des rayons lumineux alors af-
faiblis, est en m^me temps le nieilleur de tons les calo-
riftres pour les plantes. Des qu'elle couvie I'horizon,
lous les germes se trouvent merveilleusement abrites
centre les rigueurs excessives du froid; qne wiainte-
nant, venue des poles, la tempMe passe terte glacec pour
allcr remplir an loin sa misSfon^ la 'conclie de noige inter-
posee Ini dOrobe les grainos que le laboureur a sem^cs,
et puis, a I'epoque dela germination, cette neige fondue
descend jusqu'h la radicelle naissante et lui porte les prin-
cipes nutritifs qu'elle a dissoas et retenus.
Un esprit superficiel s'imagine peut-Stre que notre
terre serait un paradis si partout regnait un cternel prin-
tenips. Mais la reflexion nous dit bien vile que notre
globe alors serait inbabitable on du nioins 4c\iei>Ura4t
pourl'honinie unefort tristc demeure. Oes classes 'enttfenes
d'animaux et de planles disparailraient aTK>sil6t, La forftt
n'aurait plus sa rii-icre, ni le bocage, son ruisseau; 1" aspect
de I'horizon, partoul dt toujears, serait 'd'une Ifatigante
uniforniite; cette diversile de fleurs et de frniltS'(![ui fait
notre joic, qui fait notre richesse, se Ironvcrdit infiniment
reslreinte; et ce que nous apprecions tanl aujourd'hui
parce que nous avons le temps de le dcsirer, une journ^e
fraichc ot Iransparentc du mois de niai, nous dcviendrait
monotone, parce que \a sensation la plus sua^e nous im-
portune df^s qu'elle est continue.
Malbeureusement nous ne savons pas reflechir, et notre
ignorance diminue sans cesse I'imporlance de toute cbose ;
ainsi, pour ne pas terminer ces lignes sans en tircr au
moins une lejon, diles-moi, votre attention s'cstelle ar-
r^t^e jamais aux decorations rbarmantes que le givre
dessine sur nos vitres. La physique nous enseigne que,
refroidi a I'ext^iieur par le contact de I'air, le verre, a
son tour, refroidit I'air tifede de nos appartements, qui est
alors force de deposer, sous forme crislalline, la vapeur
d'eau dont il est sature. C'est bien; niais si vous YOulez^
chercher la loi qui priiside ^ la formation de toutes ces
lignes geom^triqucs qui partent d'abord d'un axe et se
ramifient, comme partent de la tige d'une plume lesbarbes
delites d"ou d^rivent ensuite des barbules encore plus
imperceptibles, la science humaine I'ignore encore, et
c'est ainsi que ce ph(?nomfene nous paralt petit et minu-
tieux. Mais un ohjet est-il done petit parce que nous ne
pouvons le compicndre, cst-il minntieux quand il peut
faire naflire d'nateles pensees? Pour qui salt relK'chir, n'y
B-l-il pas daus ce phenomene titi utile enseignement?
Voyez 'ces apparenoes floralcs qui ornent nos vitres, elles
sont bri'lantes et varices , cependant un rayon du soleil
les'dSaoe', ne sont-elles pas rimage de toutes nos illusions
que dissipe si vite I'exp^rience?
Teuliebes.
L'ELire DES SAINTS FRAN<?AIS
SAINT HILAIRS,
KVEQUE DE POITIERS.
Si nous n'avions qu'a faire le panegyriquo de I'illustre
saint par lequel s'inaugure le premier mois chretien de la
deuxieme annee do notre journal, il nous suffirait de citer
deux nomsqui sont d'une immense autorite dans I'Eglise,
saint Augustin et saint Jer6nie. Le celfebre ^v^que d'Hip-
pone, dans son immortelle lutte avec les h(5retiques pela- ^
giens, appelle saint Hilaire ViUusIre dvcleur des Eglises.
Saint Jerome, a son tour, In. prodigue les plus glorieuxj
(^loges : il I'appelle un tiomme Ires-i'loquent etlla Irom-
petle des Latins conlre les seelateurs d'Arius.
Notre patrie s'enorgueillit done a juste litre d'avoir 6l&i
L'ELITE DES SAl
le berceau d'un personnnge qu'exallent si hautement des
apprecialeurs aussi competenls... qu'on nous pardonne
la faiblesse de I'epilliete, mais 11 est des merites ijui de-
fient la langue huiiiaine. Saint Hilaire naquit a Poitiers
d'uae des plus illuslres families des Gaules. Ses parents,
comme tant d'autres maisons de cette vaste contree, sub-
juguee par les Remains, avaienl d^serte la religion des
druides pour embrasser le polylheisme des eonqueranls.
C'elait quitter la superstition pour I'erreur. Neanmoins,
a cette epoque, le sang des martyrs avait coule dans les
Gaules et y etait devenu la semence du ehristianisnie en
plusieurs lieux. La naissance de notre saint doit ^tre pla-
cee a la fin du troisieme siede ou au commencement du
quatrieme.
Des son jeune 4ge, Hilaire fut inibu des doclrincs du
paganisme, et la religion du Cr«c'i/if lui ;ipparut comme
une profonde folic ; ijenlilitis sliilliliiim. Adolescent, il fit
une etude particuliere de I'eloquence; mais son esprit
avide d'instruction ne negligea point les sources des
sciences et des lettres chrctiennes, qu'il avait a sa portee
dans une ville dont une bonne partie avait embrasse la
loi du Cbrist. Deja, par les simples lumieres de la raison,
il avait juge que la destinee de I'homme sur la terre etait
tout autre que celle preconisee par les adorateurs de Ju-
piter et de Venus. II avait compris que I'homme, ne libre,
doit diriger son cceur vers le beau moral, et que la jus-
tice, la temperance, la longanimite, devaient etre I'objet
de sa poursuite. Mais cette destinee humaine doit-elle se
borner ici-bas ? Le polytheisme n'avait h lui offrir que
ses fabuleux Champs-filysees comme le prix de la veitu.
D'ailleurs cette innombrable cohorte dedivinites ne pou-
vait que faire pilie a une haute intelligence comme celle
d'llilaiie. II chercha dai;s les li-, res des cbri5tiens quelque
chose de plus precis et de plus noble. Cette definition de
la Divinite qu'il lut dans Moise le frappa vivcment : ci Je
suis celui qui suis. » C'est Dieu lui-meme qui se r^vt'le
en ces termes sublimes. L'Ancien Testament devint I'objet
constant et favori de ses lectures. Puis il passaaux fivan-
giles. De quel briUant eclair I'Sime d'Hilaire ne fut-elle
pas transporlee, lorsque ses yeux lurent ces premieres
paroles de saint Jean ; « Au commencement etait le Verbe,
" et le Verbe etait dans Dieu, et Dieu etait le Verbe. » II
s' opera aussitot dans celle grande ime une merveilleuse
transformation, u Je suis Chretien, s'ecria-t-il; loin de
« moi les chimeres idolatriques qui ont berc6 mes jeunes
« anntes. »
tjuelqucs jours apres, un catechumene se presentait
aux fonts baptismaux pour se plunger dans le bain sacre
de la regeneration spirituelle.
Hilaire est chrctien.
Longtemps avant cette epoque, il s'^lait engage dans
les hens du niariage, et I'histoire ne dit pas que son epouse
ait embrasse le ehristianisnie. Toutefois il est probable
que I'cxemple de son mari fit sur elle une grande impres-
sion. Toujours est-il que de cetle union naquit une fille
nommee Apra ou Abra, qui, d'apres les pieux conscilsde
son pere, se voua a la virginite et mourut saintcment,
longtemps avant I'auleur de ses jours, comme on le verra
plus tard. Est-il presumable que I'epousc fut restee seule
fidele aux deplorables enseignements du paganisme?
Nous voici arrivfe a une epoque tristement celebre dans
les annalcs ecclesiastiques. Le Irop fanieux Arius, indigne
de n'avoir point el6 nommfe evSque d'Alexandrie, apres
NTS FRANQAIS. 3
la mort d'Achillas, se vengea en atlaquant la divinite de
Jesus-Christ. Que Ion juge de la valeur intrinseque d'uno
doctrine provoquee par une ambition decue! L'histoiro
de toutes les heresies est la. Les passions humaines en
furent constjmment les inspiratrices. Arius fut condarane
plusieurs fois, et surtout en 323, par leconcile de Xic^e.
Mais I'heresiarque usuit de si adroiles mences, qu'il par-
venait toujours a Ironiper sur son orthodoxie. Ses sccta-
teui"s, se servant des memes subterfuges, a\aient reussi a
gagner a leur heresie un grand nombre de catholiques et
mSme des pr^tres et des evSques. Les empereurss'elaient
declares protecleurs de I'arianisme. Quiconque itait fcr-
mement attache a la saine doctrine encourait I'indigna-
tion des Cesars.
C'est au moment oil cette heresie etait a son apogee
que le siege episcopal de Poitiers otant venu ii vaquer,
tous les yeux se fi-xerent sur Hilaire pour I'y faire monter.
Son liumilite lui inspirait une vive resistance, mais enfin
il fut oblige de ceder a I'empresseuient des fidelcs. Hi-
laire recut I'onction episcopale en 353. Son epouse vivait
encore. En ce temps, I'Eglise clevait quelquefois au sa-
cerdoce et a I'episcopat des hommes maries. Ce ne serait
pas une raison pour penser que la regie du celibat n'exis-
tait point alors pour le cicrge. Des que ces hommes
avaient recu les ordres, ils n'habitaient plus avec leurs
epouses et etaient astreints h une ri^ide continence. Tous
les monuments de I'histoire ecclesiastique nous transmet-
tent unanimement cetle discipline. La seule Eglise grec-
que ne s'y est point montree constante.
Hilaire, devenu ev^que, se livra avec une indicible ar-
deur aux travaux de I'episcopat. Que d'anies plongees
dans le desordre son zele parvint a retirer de labime!
Sa plume se consacra exclusivement a la religion. C'est
alors quil composa, sur I'Evangile de saint Malthieu et
sur les Psaumes, des livres empreints de I'onction de la
piete. La science et les charmes de I'elocution n'en sont
qu'un accessoire, parce qu'Hilaire travaillait plulot pour
le coeur que pour le genie. A quoi, en effet, aboulissent
des ecrits qui ne jetteut que de vaines lueurs dans les
intelligences et qui ne rendent pas les hommes meilleurs?
La controverse ne devait point cependant, surtout en
ce siecle, trouver le saint eveque de Poitiers indifferent,
L'arianisme de^oiait le Iroupeau de Jesus-Christ, et c'est
bien dans d'aussi facheuses circonstances qu'un pasteur
doit elever la voix et se montrer dispose a mourir pour
le salut de ses ouadles. La mort, en effet, loin de lui pa-
raitre redoutable, etait I'ardent objel de ses voeux ; il as-
pirait au martyre pour la defense de la verite. La perse-
cution viendra le trouver dans les Gaules, oil I'cmpereur
Constance n'avait point encore essaye d'imposer aux con-
sciences la foi heretique d'Arius.
Get erapcrcur, enorgueilli de la victoire qu'il venait de
remporter sur le tyran Maxence, voulut inoculer a I'Oc-
cident le \enin de cette heresie dont I'Orient etait infecte.
II convoqua, a Aries, un concile d'ariens, qui gagnerent
a leur cause le trop facile Saturnin, eveque de cette ville.
Deux ans apres, il en fit de m^nic a Mdan, ct Ion y pro-
posa d'cxiler tous les cveques qui ne souscriraient point
au symbole iinpie d'Arius et a la condamnation d'Atha-
nase. La menace fut suivie d'un prompt etfet. Hilaire ne
s'en laissa point intimider. II se separa hautement de la
communion des eveques ariens et denonca meme, dans
un concile de Beziers, I'aposlat d'Arles, Saturnin.
4 L'ELITE DES SA
Ici va s'ouvrir pour noire saint une ere de persecu-
tions. Constance est informe de la hardiesse de Tevfeqiie
de Poitiers. II charge son collegue Julien, qui comraan-
dait dans les Gaules, d'exiler au fond de I'Asie Mineure
le courageux evdque, ainsi que Rliodane, cveque de Tou-
louse, qui avait montre la m6me ardeur pour la cause ca-
tholique. Les insenses tyrans se sont figure dans tous les
temps que la verite 61ait vaincue lorsque ceux qui en
elaienl les heiauts etaient condamnes au silence ou effa-
ces du nombre des vivants. Eh! Jesus-Christ n'a-t-il pas
dit que ses apotres et scs ministres devaient s'atlendre
aux anath^mes et au\ poursuites liaineuses et meurtriferes
des enneniis de son nom? Constance et Julien fournis-
saient ainsi a la religion catholique un argument de plus
en sa faveur.
Au milieu de I'an 356, Hilaire, Rer de soulTrir pour le
Verbe, dont il a venge la divinile par ses iiitrepides pro-
testations, sort de la ville de Poitiers et s'achemine vers
une region lointaine. La Phrygie lui est assignee comme
lieu de son exil. Les fatigues d'un long voyage ne peu-
vent troubler sa serenite. Certes, le coeur de ses ennemis
ne jouit pas du meme calme. L'exil ne sera point pour
Hilaire un temps de repos et d'oisivete; il s'y livre tout
entier a la composition de divers ouvrages, et notamment
sur ce qui fait I'objet de la dispute. C'est en Phrygie
qu'il produit ce magnifi(|ue Traite dcia Trinile, oil, en
douze livres, il prouve invinciblement la consubstanlia-
lite du P6re, du Fits et du Saint-Esprit. II y montre que
I'arianisme n'a point 6t6 revele k saint Pierre, que Jesus-
Christ rhoisit pour etre le roc inebranlable sur lequel il
Voulait fonder son figlise. II fail voir qu'a saint Pierre
Jesus-Christ a promisrinfaillibilit^, et que quiconque s'e-
carle de son enseignement tombe dans I'erreur.
Decidement cet eveque gallican ne professait pas les
doctrines qu'on a di'corees plus tard du nom de galli-
canes. Nous appelons I'attention des catholiquesde bonne
foi sur cctte particularite de la vie de notre saint.
Le siege de Poitiers eut pourtant le bonheur de ne pas
voir s'y installer un autre pasteur, et surtout un arien.
Hilaire, du fond de la Phrygie, administra son £glise par
les pretres depositaires de son autorite. C'est dans son
exil qu'il apprit que sa fille .4pra, ou Abra, songcait a se
marier. II se hata de I'engager ^ consacrer au Seigneur
sa virginite. Nous possedons encore sa lettre, qui est un
chef-d'oeuvre de tendresse paternelle et de pieuse simpli-
cite. Le grand ecrivain y begaye, en quelque sorte, pour
s'accommoder b I'age tcndre de cette vierge, qui conip-
tait a peine treize printemps. Abra, docile aux conseilsde
son perc, renon<;.a a ses projets et se devoua tout entiere
aux exercices de la piete et a I'avancement dans les voies
de la perfection chretienne. A sa leltre, le saint exile joi-
gnait renvoi de deux hynines, I'une pour le matin et
laulre pour le soir.
L'empereur n'(5tait point encore satisfait de ses efforls
pour propager I'arianisme. II (it assembler a Seleucie un
concile compos6 d'heretiques pour aneantir les decisions
foudroyanles de celui de Nicee centre les erreurs d'.4rius.
Hilaire fut invite i) s'y trouver. Un ev6que qui , pour la
di'fense de la doctrine calholique, avait clioisi les perse-
cutions et l'exil, ne pouvait faihlir dans celle nouvelle
epreuve. Apres y avoir defeiidu la bonne cause avec un
zi'le brCilant, il ne put se resigiier a entendre les blas-
phemes des evSques arieus et se retira a Constantinople.
INTS FRANCAIS.
Son si'jour dans cette capitale fut mis ii profit pour la
bonne cause. II olTrit h rempereur de disputer en public
centre I'apostat Saturnin, auleur de son exil , ne cessant
d'exhorter le prince a se declarer courageusement pro-
tecteur de la bonne doctrine. II attaquail en m6me temps,
dans plusieurs ecrits pleins d'une fine ironie, la sccte
arienne : ■ L'an dernier, disait-il, les ariens ont faitjus-
« qu'il quatre symboles; la foi n'est plus dans celle des
« fivangiles, mais la foi des temps, ou plulot il y a autant
« de fois que de volontes, autantdediversite dans la doc-
« trine que dans les moeurs , aulant de blasphiimes que
« de vices. Les ariens produisent tous les ans, et meme
• tous les mois, de nouveaux symboles pour detruire les
» anciens et analhemaliser ceux qui y adherent Us ne par-
« lent que d'ficrituresainte etdefoi apostolique, mais c'est
« pour tromper les faibles et pour donner ottcinte a la
n doctrine de I'Eglise. »
Qu'on nous dise si toutes les heresies n'ont pas un air
de famille .. Se pa.sse-t-il autre chose chez les luthcriens,
les calvinistes et tous les mecreants de notre siecle'? Le
passage pr6cil6 de saint Hi'aire ne semble-t-il pas extrait
de VHistoire des Varialions prnlcslanles par Bossuet?
On ne sera pas surpris lorsque nous dirons que le defi
porle a Saturnin nefut pas accept(5. Les ariens craignircnt
que cette dispute publique n'affaiblitleur parti. Us avaient
done conscience de leur heterodoxie. lis ne formeient
plus qu'un .souhait, ce fut de voir partir de I'Orient un
champion aussi redoutable. La prc.sence de saint Hilaire
leur etait importune. Us etaient a la gene, parce qu'il leur
fallail teiiir continuellenient sur leurs yeux le bandeau
de leur volontaire aveuglement. II n'y a de pire aveugle
que celui qui s'obslineii former les yeux, parce qu'il se
complait dans cetle llatleuse ohscuriti?. Le zele pour la
foi catholique avait fait exiler au fond de I'Orient le grand
eveque de Poiliers. La mfeme cause, 6 profondeur des
Jugements de Dieu ! le ramena dans sa ville epi.scopale.
Le Seigneur avait eu en cela des vues de misericorde;
il avait voulu en cela que ce flambeau se promenat sur
toute I'etendue de son heritage spiriluel, pour le feconder
de ses rayons. ['M^H^^i
Hilaire renlre triomphant ii Poitiers. Ce jour fut beau
pour ses brebis fideles. 11 fut bien consolant pour I'epis-
copat des Gaul; s ; il le fut aussi pour I'illHslre disciple du
saint (5v^que, le grand saint Martin, qui accourut des pre-
miers pour reprendre ses pieux exercices sous la conduite
d'un tcl directeur.
L'an 361 \enait de s'ouvrir. Hilaire provoqua un con-
cile dans lequel furent condamnes les actes de celui de
Ilimini. On examina la cause de I'apostat Saturnin.
Celui-ci fut depose et exconimuni^. Les scandales ces-
serent. La foi sortit radieuse d'un plus piir eclat de celte
longue lutte. En cette m^me annee, l'empereur Constance
cessa de vivre, et Tarianisme perdait en lui son pins so-
lide appui.
La Gaule ne soffit pas au zele de saint Hilaire. En 364,
il part pour Milan, y dispute avec .\uxcnce qui avait
usurpe le trone episcopal et le force de confesser la divi-
nite de Jesus-Christ. Mais cet heresiarque ayant jiresente
une confession de foi i^quivoque, l'empereur Valenlinien
s'y laissa tromper, malgre les efforts de saint Hilaire; et
les ennemis du catholicisnie I'ayant d^peint comme un
homme turbulent, on le contraignit de quitter I'ltalie et
de rentrer a Poitiers. Assez de victoires avaient signale
L'ELITE DES SA
son episcopal. Dieu lui destinait la palme de tant de com-
bals, et en 368 , Hilaire alia dans le ciel la recevoir des
mains du supreme remun^rateur. On ne sail au juste s'il
mourut le 14 Janvier, jour auquel on celebre sa tete, ou
bienle 1" novembie.
Lcs precieux resles de saint Uilaire etaient conserves a
Poitiers, niais les huguenots les brulerent en 1361. Nean-
moins il parait qu'une grande parlie de ses reliques fut
soustraite a la fureur des heretiques , car a Sainl-Denis,
pres Paris, on venerait ccs ni^me restes dans I'eglise abba-
liale. Peut-etre ces heretiques ne purent-ils que bruler le
tombeau vide ou du moins ne possedant que quelques
ossements.
Un autre celebre i'vSque de Poitiers, Venance Fortunat,
a consigne dans la vie de saint Hilaire, ecrite par un de
ses predecesseurs nomme aussi Fortunat, les nombreux
miracles que Dieu opera sur le tombeau de ce saint. Flo-
doard el saint Gregoire de Tours racontent aussi plu-
sieurs prodiges operes par I'intercession de ce saint
pontife.
Plusieurs eglises de France sent placees sous I'auguste
patronage de saint Hilaire, et une eglise paroissiale de
Poitiers porte son nom. II y'a lieu de s'etonner qu'elle ne
soit pas mise au rang des cures titulaircs.
SAINTS REIN'i:,
VIERCE M.ABTVRE DE BOLIIGOGXE.
Au confluent de I'Ose et de I'Oseron, pres de Semuren
Bourgogne (aujourdhui departement de la Cote-d'Or),
s'elevait, il y aura bientut deux mille ans, une puis.^ante
cite, la principale du pays des Gaulois Mondubiens. Cest
la que le vaillant Vercingetorix osa disputer a Cesar la
\ictoire. On salt que ce dernier rempart des Gaulescontie
I'invasion romaine tomba devant les aigles des legions
auxquelles rien ne pouvait resister. Cette ville portait le
nom d'Alise, et son origine se perdait dans la nuit des
siecles. Aujourdhui, sur ses ruines, s'eleve un modeste
bourg connu sous le nom de Sainte-Reine. Le nom d'une
jeune et faible vierge a succede k celui sous lequel elait
designee la forte cite. Ce sont presque les paroles de r.4-
potre ; Infirma mundi elegit Deus ul confundat forlia.
« Dieu a fait choix des choses faibles pour confondre et
« aneantir les choses fortes. »
Vers le milieu du troisiemesiecle, \'ivait dans la ville
d'Alise, ou plutot au milieu des decombres de cette cite
qui n'etait plus qu'une pAle image d'elle-m^me, un riche
seigneur nomme Clement. La chronique nous le depeint
comnie un homme trfe-cruel et grandement adonne i la
superstition idolatrique. Son epouse, dame de la premiere
quahte, etait niorte en le laissant pere d'une fille qui
avait recu le nom de Regina , Reine. Une nourrice fut
chargee de soigner I'enfant au berceau, et plus lard, selon
la coutume du temps, la nourrice en dcvint la gouver-
nanle. A I'epoque ou la jeune Reine etait capable d'en-
tendre les lecons de sa nourrice, une horrible persecution
arrosait du sang des Chretiens toutes les provinces des
Gaules. L'empereur Decius semblait determine a faire un
dernier effort decisif pour expulser de I'empire remain ce
qu'il nommait la peslejudaique. La nourrice, secrfetement
chr^tienne, entretenait sa jeune 61eve du recit de ces
nombreuses et barbares executions, et ne manquait pas
INTS FRANgAIS. 3
de lui indiquer la source oCi les martyrs allaient puiser
tant de courage el de resignation. Reine prenait un vif
interdt ii ce que lui racontait sa nourrice, et insensible-
ment elle inclinait son cojur avec amour vers les dogmes
d'une religion qui pent produire un semblable heroisme.
A peine Jgee de dix ans, mais pouvant discerner le bien
du mal, I'erreur du mensonge, elle se determina a rece-
voir le sacrement de bapleme, et depuis ce moment elle
se sentit nonseulemenl animee du desir d'accomplir tons
les preceptes du christianismc , mais enflammee de celu
de verscr son sang pour la verite. Clement, peusoucieux,
commeles paiens, de I'education morale de sa jeune fdle,
et d'ailleurs plein de confiance en la nourrice, se livrait
exclusivement k la bonne chere et aux plaisirs, et ne se
doutait nullement que Reine appartenait a une religion
pour laquelle il avait une aversion insurmontable.
Les Gaules avaicnl alors pour prefet Olibrius, qui fai-
sail sa residence habituelle a Lyon et de temps en temps
parcourait les divers lieux de son vaste gouvernement.
Un jour Olibrius, passant aupres d'Alise, rencontre sur
son chemin une jeune bergere d'une ravissante beaute.
11 decouvrit en elle quelque chose qui annonrait une con-
dition superieure. 11 n'etait pas d'ailleurs, en ces temps^
IS, bien extraordinaire qu'une jeune personne de condi-
tion vaquJit aux soins de la campagne et reunit ;pus sa
houlette quelques timides brebis. II queslionna de suiit
la nourrice qui lui eut bientot appris k quelle noble
maison appartenait son aimable pupille. Epris des charmes
de la jeune Reine, Olibrius se determine sur-le-champ a
la demander en mariage. La proposition en est faite en
mi^me temps par lui-meme a la pieuse vierge; mais
celle-ci rcpond naivement qu'elle a deja choisi un epoux
immortcl, qu'ayant le bonheur d'etre chretienne , cet
epoux n'est autre que Jesus-Christ lui-meme. Quand le
pere sut la proposition du prefet et le refus de sa fdle
motive sur ce qu'elle etait chretienne, un horrible depit
s'empara de lui ; il ne pouvait pardonner a la nourrice
d'avoir ainsi Irompe sa confiance, et se reprochait de
n'avoir pas plus t(Jt rappele sa fille dans le chiteau qu'd
habitait aux alentours, et que Ton croit ^tre celui de Gri-
gnon. II retire done brusquement sa fille des mains de la
nourrice gouvernante, et n'epargne aucun moyen de se-
duction pour lui persuader d'abandunner une croyance
qui etait I'unique empSchement i I'honorable union qui
lui elait proposee.
Reine, avec une hero'ique fermete, repond a son pere
qu'elle etait disposee a lui obi-ir dans tout ce qui ne bles-
serait pas sa conscience et le respect qu'elle devait a un
seul Dieu, dont elle shonorait d'etre la servanle. Irrite
lie ce refus, le pere ordonne que sa fille soil jetee dans un
cachot et mise aux fers. Reine, forte de sa resolution et
de la grkce du Seigneur qui la confortait, bien loin de se
plaindre et de se livrer a la douleur, benissait la main
qui la frappait, s'entrelenait avec son Dieu, qui lournait
pour elle en sainles delices les persecutions dont elle ^tait
linnocente victime.
Cependant Olibrius ne s'etait pas decourage; la resis-
tance n'avaitfait qu'irriter ses desirs, et repassant dans la
contree il se hkia de s'informer si la jeune vierge etait
devenue plus docile aux ordres de son pere. Quelle fut sa
fureur lorsqu'il apprit que Reine etait plus que jamais
ferme et constanle dans sa gen^reuse resolulion ! Sa pas-
sion sembla neanmoins admettre encore quelques instants
6
de rfpit. II lui demanda sa dernifere resolution, en lui re-
presentant I'honneur qii'il lui faisait do la rechercher en
mariagp. Les promesses les plus scduisantcs, Ics protosla-
tions les plus ofToclupuscs, tout fut mis en usage. Reine
resta inebranlable. Alors I'aniour se change en liaine, les
caresses en transports dc rage. 11 ne peut la vaincre, mais
il pout la faire mourir. Olibrius ordonne qu'elle soil ju-
ridiquement interrogee sur sa religion.
Les prWros pai'ens, les magistrals et les jupes sont con-
voques. Olibrius preside Ic tribunal. On aniene la jeune
■viorge, qui est interrogee principalcment sursa croyance.
• ]e suis chretienne, • s>cria-t-elle. I.es questions sont
multipli^es. Chaque reponse ne renferme que ces paroles:
" Je suis chr6tienne. » Olibrius ordonne qu'on depouille
la jeune martyre et qu'on I'etende sur un che\ alet pour y
etre d6chir(5e de coups de fouet. L'arrct est ponctuelle-
ment execute. Le sang jaillit de tout ce corps virginal ,
mais la foi inspire a Reine une force superieure k toute la
violence des tortures. Cette epreuve ne suffit pas aux
bourreaux. On lui arrache les ongles, et des peignes de
fer lui d^chirent la peau de tous c6t^s. L'assemblee fre-
missait d'borreur. Le tyran lui-m^me etait oblige de se
soustraire k la vue de cette alTreuse scene et se couvrait
lafacedesonmant«au. Les bourreaux se lassent de torta-
rer plus tot que Reine de soulTrir.On la rameneen prison.
L^, au lieu de se plaindre et de gemir, I'heroique mar-
tyre emploie tous ses in.stants a remercier le ciel de I'a-
voir trouvee digne de tant .soulTrir, et implore im nou-
veau courage pour de nouveaux supplices. Au moment
oil sa pri^re etait la plus fervente, Dieu daigna lui pro-
curer uue ineffable consolation. Comme Jacob, endormi
sur la pierre d'Harnn, elle vit une ecbelle qui atteignait
jnsqu'au ciel, et sur le haut de I'ecbelle une douce co-
lombe qui semblait lui adres.ser ces paroles : « Reine, je
« te salue et viens t'apporter les consolations du Seigneur
• pour prix de tes ardentes prieres. Sois-lui toujours fi-
« dMe; le paradis t'est ouvert, et une immortelle cou-
« ronne plane sur ta t^te pour recompenser tes verlus. »
Apres cette vision d^licieuse, Reine se seatit tellemeut
L'fiLITE DES SAINTS FRANgAIS.
fortifi^e, qu'elle soupirail apres de nouveaux et de plus
cruels toumients.
Le matin de ce ni^me jour, Olibrius fit extraire de son
cachol la sainle martyre. La tragedie devait se consom-
mer Un prodige frappa les yeuxde ces monstres sangui-
naires sans pourtant les attendrir. Reine etait entierement
guerie de ses affreuses plaies, et sa beautc iHait plus ra-
vissante que jamais. On attribua cette guerison si prompte
et si parfaite Ji la magie, ou bien on n.sa prelendre que
les dieux de I'Olympe, pour convaincre I'incredule de
leur puissance, et la ramener 5 leur culte, avaient oper^
sur elle cette merveille; 6 insenses! Olibrius saisit cette
occasion pour tenter un dernier effort. II fait briller k ses
yeux un avenir pU'in de cbarmes, une existence des plus
forlunoes, si elle consent a lalliance proposee. Reine, in-
dignee, protesle encore plus hautement qu'elle 4tait I'e-
pouse de Jfeus-Clirist, que les dieux, dont on exaltait la
puissance et la bonte, n'etaientqu'une bouo immonde ou
plutot des chimeres, et qu'a son Dieu seul elle etait rede-
vable d'une aussi prompte et mcrveillcuse guerison.
Olibrius ne peut plus contenir sa fureur. 11 la fait at-
tacher k deux poteaux disposes en forme de croix et com-
mande qu'on lui applique sur tout le corps des torches
ardentes. Cette torture est impuissante a vaincre le cou-
rage de la jeune marlyre. Ou la delache et elle est plon-
gee dans une cuve pleine d'eau puante, afin que, du feu
passant au froid, les douleurs soient plus aiguijs. Reine
entonne aussitot ce verset des psaumes : ■ Mon Dieu,
• vous ni'avez fait passer par le feu et puis m'avez con- -
• duite au rafraichissement ; que votre nom soil h jamais
beni. » Toute I'assistance fondait en larmes et ne pouvait
comprendre qu'une personne aussi delicate filt capable de
tant souffrir ni que sa Constance clir6tienne put alter si
loin.
Un nouveau miracle eclata pendant que Reine Hail
dans la cure : ses fers .se briserent, I'eau devint limpide,
la terre tre/nbia, et la Colombo qui ^tait apparue k la
martyre, lui apporta une magnifique couronne qu'elle
tint suspenduB sur sa tMe, en voltigeant. Puis on enten-
dit une voix qui deiscendait du ciel . • \enez, Rtine,
« venez regr.er avec votre epoux et recevoir la r^com-
• pense de vos Iravaux. • A cette vue, plus de quatre-
Mn-,ls pcrsonnes sLCnerent : • Nousabjurons I'idolltrie,
• le Dieu des Chretiens est le seul vrai, le seul grand,
• nous sommes ses disciples. < Olibrius, effray(5 de ce
L'fiLITE DES SAINTS FRANgAIS.
umulle et redoulant iine sedition, orilonna que sans re-
tard la jeunc martyre fut conduite hors de la ville et
qu'on lui trancliat la tfite. L'arrel fut execute, et Ion dit
qu'au lieu oii lomba ce sacr6 clief surgit aussilot une fon-
taiiie oil s'opereiit depuis ce lemps-lii les guerisons les
plus (5tonnanles. Les Chretiens enleverent son corps, qui
resta enseveti et inconnu pendant cinq cents ans. Au
neuvieme siecle vivait dans le nionaslere dc Flavigny,
non luin d'Alise, un saint abbe nomme figil. Dieu lui
revela le lieu oil reposaient les precicux restes de la mar-
tyre. On les releva, d"apres I'ordrc de Jonas, ev^que
d'Autun, ot une cglise fut bftiie pour les y cxposer Ji la
veneralion dos fideles. Cetle inauguration des reliques de
sainte Reine sc fit avec un grand appareil, et depuis ce
temps on ceR-bre la Kle de celle bienlieureuse martyre
le 7 du mois de seplembre. En ce jour, dans les siijcles
<le foi vive, un nombre immense de pi;lerins accouraient
de toutes parts pour implorer la protection de sainte
Heine. Les goutteux, les paralytiques, les lepreuxse bai-
gnaicntdansla miraculeuse Tontaine, et un grand nombre
de malades recouvraient une sante parfaite.
.^ujourd'liui encore Vaffluenre des pMerins est assez
considerable. Nous regretlons que le pen d'espace ne
nous permetle point de di5crire la magnifique procession
qui se fait tous les ans en I'lionneur de sainte Heine, et
qui n'est qu'un rcllet do ce qui se pratiquait aneienne^
ment dans cette ceremonie.
Le bourg de Sainte-Reine, [6difi^ sur les ruines de la
celebre ville d'Alise, est une paroissc du canton de Flavi-
gny, arrondisscment de Semur, dioctee de Dijon. Un
hospice y fut fonde par saint Vincent de Paul pour y re^
cevoir les malades qui venaient chercher un remede k
K'urs niaux. C'est ainsi qu'une jcune chretienne, par son
heroique constance a rendu ici-bas son nom imperissable
et rayonnant de gloire, depuis le troisieme siecle de I'^re
de grice, tandisque celui de ses perseculeuis n'est connu
que pour etre voue a I'execration. Ainsi Dieu ne se con-
tente pasde couronner les saints dans le ciel, maisil en-
toure ici-bas leur memoire de I'hommage des mortels.
Aussi I'Esprit saint nous a dit : • La memoire du juste ne
. perira pas, et son nom sera celebr^ par mille louanges,
• de generation en generation, t L'abbe Pascal.
HISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIOLES DE ROME,
SAINT-JEAN-Di:-I.ATKAN.
Lorsqu'apres de si longues et si sanglantes persfcutions
la pais fut enfin donneea I'Eglise, I'empereur Coiistantin,
pour proclamer le triomphe du christianisme, i-leva ce
temple si venerable et si celebre sur remplaccment de la
maison de Plantius Lateranus, au mont Ca'lius. Le pape
saint Sylvestre ler le dedia solennellement auSauvcur,
et les souvcrains pontifes y placerent leur cliaire. C'est
de cette chaire, en latin cathedra, que I'eglisc, b;Uie par
ce grand empereur, pril le nom de cathedrale qui lui est
devenu commun avec toutes les autrcs ^gli-ses principal's
des dioceses ou evecbes.
C'est le 9 novembre de I'an 324 que le pape Silvestre
posa la premiere pierre de cet edifice. Pius tard, on y
deposa les reliques insi^nes de saint Jean I'Evangeliste et
de saint Jean-Baptiste. Insensiblement le peuplesedesha-
bitua du titre primitif d'eglise de Saint-Sauveur, pour lui
donner celui de Saint-Jean. Pour marquer conibien ce
premier sanctuoire eleve au vrai Dieu dans la vieiUeca-
pitale du paganisme devait etre venere des Chretiens, on
lui all'ecta plusieurs qualifications. Onappela done la ba-
siliquede Latran le pii'inicr siige, I'eijlise uimslolique, la
chaire de Saint-I'ierrc, Ic palriareul, realise ejiiscopulc
de I't'vequc des h'cijuea, I'eglise rumainc, t'erjlisc univer-
selle, la mere, Ic cliefel la mailresse dc toutes les eylises,
le patnis de Dieu, le palais supreme, etc. Sur I'ecusson
de cette egliseon litl'inscription: Saerusanclu lateranen-
sis ecclesia omnium urbis et orbis ecclcsiarum mater el
caput. • La tres-sainte eglise de Latran, lueve et niai-
« tresse de toutes les cglises de la vdle et du monde. »
Ce serait done k tort que I'on attribueiait le droit de
supiemalie a la magnilique eglise de Saint-Pierre du Va-
tican. Celle-ci occupe dans Rome le deuxic;rae rang.
Apres le pape saint Silvestre I'-r, plusieurs autres sou-
Terains pontifes s'occuptsrent d'embellir et d'agrandir
rWifice primitif. En 696, untremblementdcterie, qui oc-
casionna beaucoupdemalhoursenllalie, ruinala basilique
de Lalran. Le pape saint Sergius I'"' la reconstruisit, et
apres lui les papes saints Zacliarie et Adrien Ic y de-
penserent de trijs-grandes somnies. Un second tremble-
menl de terre, en 891, sous le pontifical d'fitienne VI,
detruisit ce temple. Sergius 111 le rebilit avec une rare
magnificence ct y prodigua les plus prfeieux metaux.
Les successours de ce pape montrerent le plus grand z^le
pour I'enibellir h leur tour.
On raconte un trait fort curieux a propos d'u:.e res-
tauration que le pape Boniface VIII voulut y executor.
Ce pape avait forme le desscin de substituer h I'image de
saint Antoine de Padoue, qui y ^tait represent(5e en mo-
saiquc, une autre mosa'i'que retracant I'image de saint
Gregoire le Grand. Les ouvriers se mettaient a I'cEuvre
pour detruire a coups de marteau la mosa'i'que de saint
Antoine, lorsqu'une main miraculeuse les frappa avec
violence et les precipita de I'^chafaudage. Boniface, in-
struit de cet evenement, ordonna de suspendre les tra-
vaux.
Sous Cli^ment V, pape d'origine francaisp, qui rtsidait
& Avignon, la basilique de Latran essnya encore un terri-
ble desastre. Au mois de niai del'an 1308, un incLMidie la
dinora, ainsi que les bjtiments qui y (^taient adosses. Le
sanctuaireseul, oii I'on conserve les ttHes de saint Pierre
et de saint Paul, cchappa h celle vaste ruine. Clement
envoya de suite a Rome plusieurs deputes, avec de
grandes somnies d'argcnt, pour rccommencer la construc-
tion, et parvint par ses prifcres aupres des rois de Naples
et de Sicile, i en obtenir les bois necessaires a ce grand
travail. A chaque ruine, la basilique re?ut un nouvel
agrandissement et une nouvclle somptuosite. On dirait
que Dieu voulait faire sentir aux hommes que plus son
8
HISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIQUES DE ROME.
Eglise eprouvait ici-bas de rovers, et plus elle en sorlait
brillante et comme rajeunic. Uibain V, en 1370, fit trans-
ferer de la chapelle du sanctuaire les deux letes des
princes de I'apostolat, et les placa sur le baldaquin du
grand autel, aprfes les avoir renfeim^esdans deux bustcs
d'argent ornes de pierrcs pr^cieuses. Ilserait trop long de
d6tailler les travaux qu'y firent executor les papes jus-
qu'au moment present. Nous dironsseulement que le pape
Alexandre VII fit enlever de I'eglise de Saint-Adrien les
portes de bronze pour former la porte principale de Saint-
Jean-de-Lalran. Ces portes avaicnt apparlenu preccdem-
nient h la belle basilique paVenne que les Remains avaient
fait eriger a la memoire de Paiil-Emile. C'est ainsi que
la religion chretienne fait servir a son triomphe les de-
pouilles du paganisme vaineu.
II est temps de donner la description de celte basilique
la premiere et la plus augusle de I'univers chr^lien. La
facade principale a deux portiques superposes. Cinq ar-
cades, soutenues par des colonnes de marbre d'ordre
corinthien, forment ce double portique et correspondent
a cinq portes qui donnent entree dans le temple. Au por-
tique superieur est la loge du haut de laquelle le pape
donnelabent'diction solennelle dansdiverscscirconstances.
Le vestibule est divlse par vingt-quatre pilastres de
marbre blanc. Le pave est entierement du mfme marbre.
A une extremite est la porte qui conduit au palais atle-
nant; k I'autre, s'eleve la statue du grand Conslantin. Sur
la corniche, ou galerie qui surmonte le portique Ji double
etage, sont les statues de onze ap6tres : celle du milieu
representele divin Sauveur.
.^^^^^£^r
Penetrons dans I'interieur de I'eglise. Elle est divisee
en cinq nefs. Dans la grande nef, c'est-A-dire celle du
milieu, I'architecte Borromini couvrit trente colonnes an-
tiques, endommagees par les incendics, au moyen de six
grands pilastres de chaque cole. Chacun de ces pilastres
est orne de deux colonnes de vert antique avec une niche
qui en occupe le milieu. Dans chacune de ces niches est la
statue colossale dun ap6tre. Au-dessus des niches sont
des bas-reliefs de forme carree, en stuc, oil sont figures
les principaux fails de lAncien et du Nouveau-Testament.
Plus haut- sont d'autres bas-reliefs qui representent les
principaux prophfetes. La forme de ces bas-reliefs est ovale
et contraste fort heureusement avec les inferieurs. L'^-
glise est en forme de croix. Au milieu de la croisee ou
transsept est le grand aulel papal; aux quatre coins s'e-
levent des colonnes de granit qui suutiennent un balda-
quin de style golhique. Urbain V, pape d'origine fran-
Jaise, le fit Clever de concert avec Charles V, roi de
France. Une balustrade de fer regno autour du taber-
nacle, qui est place sur ce couronnement, et dans lequel,
comme il a k\.k dit, sont les t^tes de saint Pierre et de
saint Paul, ainsi que d'autres reliques. Sous I'autel papal.
qui est de marbre, on conserve I'autel de bois sur lequel
saint Pierre celebra la mesje.
Au dela de I'autel se prolonge I'abside; a droile et a
gauche s'etendent les bras de la croisee ; au fond de Tab-
side est un autel oil les chanoines officient en certains
temps de I'annee. Qui pourrait decrire les mcignifiques
pointures dont sont ornfe les niurs de ces trois branches
superieures de I'edifice?
Dans la premiere nef collaterale, a droite, sont quatre
chapelles sous les titres de la Conception, de Saint-Jean
Nepomucene, du Crucifix, et de Saint Jean-l'fivangeliste.
Dans la seconde nef, du meme cote, on rcmarque plu-
sieurs mausolees et le portrait du pape Boniface VllI,
peiiit par le celebre artiste connu sous le nom do Giotto.
Ce ponlife est represente entre deux cardinaux au mo-
ment oil il public lejubile renouvelepar lui en I'an 1300.
On y admire surtout le mausolee de Silvestre II, qui lui
futerige parte pape Sergius IV, en I'an 1009 ;puis le mau-
solee de ce dernier, et enfin le tombeau d Alexandre III.
Passons au cote gauche. Dans la premiere nef sont les
chapelles de Saint -Hilaire, ev^que de Poitiers, celle de
Saint-Francois-d'Assise ; celle dite du Crucifix, que Ton
HISTOIRE ET DESCRIPTION
croit {tre de la main d'fetienne Maderne, et enfin la cha-
pelle qui porte les vocables d'Assomptioii de la Vierge,
de Saint-Dominique ft de Saint-Philippe de Neri. En ou-
tre, Clement XII lit construire, de ce meme cote, sur un
terrain donne par le chapitre, une nouvellechapelle, dii-
diee a saint Andre Corsini, un de ses anc^lres. Celle-ci est
DES BASILIQUES DE ROME. 9
bilie en forme de croix giecque et d'une rare magnifi-
cence. Dans la seconde nef, du m^me cote, sont aussi
quelques monuments funebres.
L'extremite do la croisee, du cote du nord, est percee
de trois portes; c'est ce qu'on nomme le portique de
Sixtc, parce que Sixte V le fit ejifier sur les plans de
Fontana. C'est la que s'eleve la statue du roi de France
Henri IV. EUe lui fut erigee par le chapitre de Saint-
.lean-de-Latran. C'est I'oDuvre de Cordieri dit le Francio-
.sino. Ce monument immortalise la munificence du bon
roi, qui, par un diplome date du 22 seplembre 1604, fit
don au chapitre de Saint-Jean-de-Latron de I'abbaye de
Clairac, diocese d'Agen. L'abbaye avant ele supprimee,
par la suite, les rois de France payaient annuellement au
chapitre la somme de 2i,000 francs. Depuis nos troubles
revolutionnaires du dernier siecle, Saint-Jean-de-Latran
a perdu cette belle dotation, en reconnaissance de la-
quelle les chanoines celebraient, tons les ans, une raesse,
le 13 decembre, jour anniversaire de la naissance de
Henri IV. Sur les trois portes, dans I'interieur, est le buf-
fet du grand orgue.
Au fond de I'autre croisee, et vis-a-vis de I'orgue et
des Irois portes, est la somptueuse chapelle Borghese, de-
diee par Clement VIII au Saint-Sacrement, qui s'y garde
dans un superbe ciborium, ou tabernacle. L'autel est de-
core de quatie grandes colonnes de bronze dor(5 ; I'enta-
blementest du meme metal. Ces colonnes ont appartenu au
temple de Jupiter Capilolin. II y en a pourtant qui pensent
que ces colonnes cannelees ont ete faites du bronze tire
.des eperonsdesvaisseauxegyptiens.apresla batailled'.4c-
tium, que I'empereur .4uguste remporta sur ces peuples.
On concoit, par cette description fort abregee, combien
cette basilique est remarquable dans son ensemble el dans
ses details.
C'est a SainWean-de-Latran que le pape nouvellement
elu va prendre possession de sa souverainete spirituelle
et lemporelle. C'est du haut de la lege du portique qu'il
donne pour la premiere fois la benediction urbi et orbi,
' h\a vMIe et au monde. . Puis, chaque annee, au jour
de I'Ascension, le pape se rend k Saint-Jean-de-Latran
pour y remplirle mime ceremonial. En la f^le de la Na-
tivite de saint Jean-Bapliste, le souverain pontife va en
grande pompe a cette basilique. Des la veille, avant ve-
pres, a lieu une ceremonie assez singuliere : le chanoine-
evdque qui y officie fait la benediction des garofaiii, ou
clous de giroDe, et autresaromates; il lesdistribue ensuite
aux chanoines et autres membres du clerge de Latran.
Quelle est I'origine de cette coutume? On pense assez ge-
neralementque c'est un souvenir du tribut que les Orien-
taux payaient autrefois, en cette fete, a la basilique de
Latran, ciimme un homniage par lequel ils voulaient re-
connaitre en elle la premiere eglise de la catholicite.
C'est peut-etre aussi un vestige des superstitions paiennes
que I'Eglise a voulu sanctifier par des benedictions, afin
de donner ainsi le change a la croyance populaire. On
salt que les paiensconsideraient, par exemple. Tail comme
un preservatif centre les genies malfaisants, et cela pro-
venait du culte rendu en figypte k la deesse Isis ou au
dieu Osiris. II est assez probable que I'feglise, voulant d6-
truire cette superstition, adopta le rite de la benediction
des garofani, en cette. fete de saint Jean-Bapliste, par
des prieres ou Dieu est conjure de nous d^livrer du mal
et de mainlenir les homnies dans une sante parfaite.
Tcrminons par un apercu sur le personnel do cette
basilique.
Nous avons vu que le pape la considerait comme sa ca-
thedrale, quoique generalement il remplisse les grandes
fonctions du supreme pontificat dans la basilique de Saint-
Pierre.
Le president ou chef du chapitre de cette Eglise a le
titre d'archipretre, et c'est toujours un cardinal.
Apreslui est un prelat, vicaire du cardinal.
Puis viennent dix-huit chanoines, dont huit sont de
I'ordre des pretres, cinq de I'ordre des diacres, et cinq
de celui des sous-diacres.
On y compte en outre vingt beneficiers, dontdouze ap-
I" CURES DE
parliennciit ii I'oi-dre des prJtrcs, quatre a celui des dia-
cres, et qualre a celui des sous-diacres.
Vienneiit enfin les cliapelains dits Clemenlins, Urbains
el Hilariens, et douze clercs Wneficiers. Ces details suf-
fisent, dans notre rapide esquisse, pour donner une id6e
de cet illustre chapitre, qui occupe le premier rang dans
Ic monde callioliquo.
L'abbe Pascal.
CTTIlf S SX CAMVAGKX.
II est curicux et digne de remarque , que I'un des
icrivoins de I'tole voltairienne, qui ont le plus souvent
blesse les traditions religiouses et les convenances les
plus sacriJes, Pigault-Lebrun, ait 6te force par la v('r\[e
el sa conscience de rendre la justice la plus eclatante
aux bons cures de nos campagnes.
• Le clerge en France a pour chefs, dit-il, des preUits
distinguesparlanaissance, el qui, cnvironn6sde la pompe
du luxe, jouissent paisiblemcnt de leuropulence: ilslixent
les regards; mais qui s'occupe de I'humble cure de pa-
roisse, du pauvre pasteur de campagne, charge de tous
les travaux apostoliques? Jelons les yeuxsur ces hommes
ignores, dont la function perpetuelle est de diriger les
ames du peuple, et qui, par leur position, sent capables
de seconder en tout temps les vues bienfaisantes de I'ad-
ministration.
Le cur4 de paroisse dans les villes n'a qu'un revenu
modique, et celui de village possede a peine le nteessaire;
il est une charge de plus pour les pauvres paysans dont
il est appele a Mre le pfere. Ne serait-il pas de la politi-
que de leuraccorder un peu plus d'aisance? Le superflu
d'un cure se ri^pand toujours sur ce qui I'environne. Ap-
pele par son ministere a des actes de charite, il resulle-
rait un double avantage de le mettre en 4tat de soulager
lui-meme ses paroissiens; et leur reconnaissance, jointe
a la yeneration qu'on porte 4 son caractfere, donnerait
plus de poids ;i I'autorit^ pastorale.
L'foat, en salariant davantage les fonctions des cures
de campagne, serait en droit d'exiger d'eux des travaux
qui s'accorderaient parfaitement avec le loisir dont ils
jouissent. Instruits, ils instruiraient les aulres. lis sent
lettres parmi des hommes ignorants et grossiers ; eux
seuls parlent au peuple assemble; ils possedent le genre
d'eloquence convenable ; quels autres organes le gouver-
nement pourrait-il choisir pour repandre quelque idee
nouvelle, et faire adopter un projet qui aurait besoin
d'etre appuyfe sur la base de la confiance? Qui peut mieux
preparer lesesprits et lesreconcilier avec Tadministration,
qui de loin parait toujours elTrayante, detruire enfin ces
pr^juges populaires dont on ne cojinait ni I'originc ni le but,
etqui souvent s'opposent a toute amelioration?
Enseigner la saine morale, combattre la supeistition et
le fanatisme, ruiner de vieux prejuges, expliquer quel-
ques-uns do ces phenomenes qui effrayent I'ignorant et
malheureux villageois, donner quehjues notions d'histoire
naturelle et d'agriculture; quel bien peut faire un bun
cure de campagne, lorsqu'il reunitun esprit juste a uncoDiir
honnetc! 11 fera cherir le gouvernement ; 11 rtpandra des
lumieres utiles; il formera des sujets fideles et de bons
agricuUcurs.
CAMPAGNE.
Dans ce temps oii Ton appelle de toute part les lu-
mieres les plus favorahles, oil Ton tend generalenient au
plus grand bien , les cures de campagne doivent ^tre
consider^s comme les consolateurs nes du peuple ; ils peu-
vent lui faire aimer son ^lat. Si le gouvernement e.st un
pilote atlenlif aux moindres orages, nelui faul-il pas des
mains promples et habiles, pour ployer au besoin les
voiles et manier les cordages? Or, ies cures qui comman-
dent par la parole aux classes laborieuses de la sociiite,
assimiles it I'esprit du bien public, peuvent contribuer
dans plus d'une occasion a rex(5cution des ordres les plus
sages. Mais, je le repete, il faudrait que ces conducteurs
spirituels fussent mieux recompenst's de leurs fonctions
journalieres, el qu'un revenu plus ample les mil au-des-
sus de toute depeiidaiioe de leurs ouailles.
Je connais pliisieurs de ces bons cures de campagne,
qui, malgre I'extrSme mediocrile de leur prebende, trou-
vent le nioyen do faire infiniinent plus de bien que des
millionnaires meme genereux : leur charite active, indu-
strieuse, sail cr(5cr niille res.sources. Les uns savent pre-
parer des remedes simples aux malades qu'ils consolent,
et s'opposent aux prestiges des charlatans ; les autres,
livrfe aux travaux de Tagriculture, la perfectioiinentpar
leur exemple.
En general, leur vie eat innocente et leurs misurs sont
honnetes ; il y a peu de scandale parmi eux, parce qu'ils
onl besoin de I'estime do leur troupeau ; ces hommes res-
pectables vivent loin du bruit et des regards du monde ,
inconnus, oublife et contents de leur obscurite ; leur vie
s'ecoule dans la pratique des devoirs prescrits par I'E-
vangile.
Oh ! qu'il m'e.st doux de rendre publiquemenl justice
a cette portion d'hommes que j'honore, et que le gou-
vernement pourrait choisir comme les canaux des idees
les plus saiiies! Toutes leurs fonctions sont paternelles
et pourraieiit embrasser encore plus d'objets; ils n'a-
gisscnt que par la voie de la persuasion ; quel organe
plus heureux et plus prompt entre I'autorite et le peu-
ple? »
Aiosi s'exprinie, contraint par I'evidence, un des in-
creduies les plus endurcis de noire epoque.
SONNET A L'ABBE L. B., DE DOUAI.
Vous souvient-il encor dans voire paradis
Deceux qui vous aimaient autrefois sur la terre!
Et, s'll vous eii souvient, pensez-voiis, u moD frire ,
A ce pauvre exile que vous Qimiez jadis!...
Nous aous somnjes coonusau pieddu crucifix,
Nos deux Yoix s'elevaient dans la meme prier,' :
Vous priiez pour ma mere et moi pour voire m^re.
Et d^s ce moment-li nous Tdmes deux amist
Nos deux coeurs se fondaienl en Jesus et Marie,
Vous viviez de ma vie et moi de voire vie...
Mais un jour devanl moi vous moiitalcs au ciel !
Depuis, abandonn^, dans ma peine profonde.
Sans conseil, sans appui, je resle senl au monde ;
Je fus vfltre Toiiie, et vous aion RapkaaH
Michel Tissandier.
HISTOIRE DUN TIGRE.
11
SCENES, RECITS, AVENTURES, EXTRMTS DES PLUS RECENTS VOYAGEIRS, ETC.
AVENTURE COMIQLE ARRIVfiE AU CAPITAINE MAC-CLENCHEM, DANS LE DESERT DE nOOGHLY.
Une nombreuse reunion a coutume de se grouper cha-
que jour autour des tables de la taverne anglaise d'Ar-
ro\vsmith, situee h Paris, rue Neuve-Saint-Marc.
Parmi ces habitues, beaucoup d'artistos francais, cun-
vertis a la cuisine britanniquc, font honneur au rosbif,
que, par un echange de precedes, les naturels de la
Grande-Brelagne arrosent de nombreuses libations de
vins de France.
Plus d'une fois, la conversation avail roule sur les
intarissables questions de rivalites internationales, plus
d'une fois, les naturels des bords de la Seine avaient
liklie cette cpilhete sacramentelle : la pcr/ide Albion...
et plus d'une fois John Bull, appelant Begmatiquenient a
son aide repigramme, avait riposte par une de ces cro-
quades si populaires en Angleterre, qui personnifient le
peuple francais dans un perruqnier gascon , orne de
fausses moustaches ct v&tu de faux cols, de jabots ct de
nianchettes en papier; ou bien encore, le travestissent
en croqueniitaine, en mangeur de peuples, ayant une in-
digestion des pays qu'il a conquis et qu'il est oblige de...
restituer.
Plus d'une ri.xe s(^rieuse avait eu lieu ; la boxe et le
duel avaient plus d'une fois scrvi d'intermeJe au raout.
Dans le but d'une pacification durable, on venait enfin de
mettre a I'index les questions brOlantes d'aniour-propre
national, et on etait tombe d'accord.unanimemeni, d'ali-
menter a I'avenir la conversation de tout autre propos,
sous peine d'un grog gc'neral au genievre paye par le de-
linquant.
II arriva qu'a un mois de septembre, les tables de la ta-
verne furent tout a coup envahies par une bandc d'amaleurs
de chasse : c'etait precis^ment a I'epoque oil le prefet de
police de la capilale autorise le meurtre du lapin et de la
perdrix qui out leur domicile dans les limites de sa juri-
diclion.
On avait apprcci^ I'art avec lequel I'holelier anglais
savait cuire a point un train de derriere de lievre , et,
chaque jour, les Robins des Bois de la banlieue fournis-
saient des victimes a sa broche. Bientfit les chasseurs,
gens a la langue aussi agile qu'au pied l^ger, se mirent 4
raconter, ^ qui mieux mieux, les exploits de leur vie in-
cident^c. Dieu sail ce que leur imagination enfanta de
faits surhumains.
D'abord on commenca par le recit de la chasse au
gibier du terroir natal... puis on s'cleva jusqu'a la chasse
pyrcneenne ou alpine; on poursuivit , sans quitter la
table, le chamois et I'isard h travers les precipices; on les
attrapa k la course. Un convive ovait tue assez d'ours
pour coiffer une compagnie de garde nationale. Un autre
raconta comment, avec un fusil Lefaucheux, il avait con-
traint une lice et ses qualre marcassins k danser devant
lui, et en mesure, un galop Musard.
De tous les chasseurs... un seul etait silencieux ; il se
nommait M. Robert. C"6tait un vieillard presque sexage-
naire, doni le regard etait narquois et I'expression de
figure insouciante. II passait pour avoir eu une existence
aventureuse, mais rarement il abordait le chapitre de ses
souvenirs.
■ Et b vous, monsieur Robert, n'estil pas arriv^ quel-
que 6v6nement extraordinaire dans V9S nombreux voya-
ges oulre-mer? dit un commensal, un jour que la cause-
rie avail ite plus aniniee que de coutume.
— Oh!... oh!... » fit le vieillard, sans paraitre avoir
memoire d'aucun fait curieux... Puis, comme si le sou-
venir lui revenait, sa ti>te se releva... son regard brilla
d'une nammn subite... une expression de terreur, qui fit
croirc un moment ^un malaise qu'il eprouvait, se mani-
fesla sur sa figure. « Ce n'est rien, messieurs, dit-il aux
pcrsonnes qui se disposaient a le secourir, ce n'est rien...
c'est un souvenir... un frisson qui date de trente annees ,
12
HISTOIRE DUN TIGRE.
de mes veines il passera tout k I'heure dans les votres.
La pens^e seule des evenemenls que je vais raconter fait
dresser douloureusement le pen de cheveux qui me sont
rcst^s sur la tele.
Un des acleurs de I'aventure que je vais vous dire, et
dans laquelle j'ai joue un role principal , appartenail a la
nation anglaise; ainsi, messieurs, cliacun ici aura le droit
de fremir exclusivement pour son compatriote.
Je commence.
Vers I'an de grace 1814, je fis connaissance du capi-
taine Mac-Clencliem , de I'armee du Bengale. Un long
sejour dans quelques parties pen salubres de 1 Inde avail
dctruit la sante de cet officier, et il avait obtenu de resi-
dcr quelque lemps au Cap, dont le climat devait lui eire
favorable. Ce futlj que commenca avec le capilaine Mac-
Clenchem une liaison qui plus tard devint une aniilie de-
vouee. Quand le temps du conge du capilaine fut expire
et que sa convalescence lui permit de relourner a ses
drapeaux, il m'arracha une demi-promesse de I'accom-
pagner a Calcutta, la ciledcs piilais, commele nonimont
ses habitants, et de la a PoUyhagabad, oil un de mes pa-
rents se livrait a la culture de I'indigo.
Avant de pousser plus avant, messieurs, dit M. Robert,
11 est convenable queje vous donne quelques details plus
precis sur mon ami le capitaine Mac-Clenchem , car ce
n'i'tait pas un homme ordinaire, quoique k I'epoque dont
je vous parle il ne fut plus que I'ombre de lui-meme : il
avait les symptomes de la decadence physique de I'a-
thlete, avec le teint basane de I'lndien et son laisser-aller
dans la demarche; ce corps, qui ne brillait plus, comme
il avait brille quelques ann(5es auparavant, par la grace
et les signes de la force, etait comme ces edifices bien
construils dont le temps peut emporter quelques orne-
menls , mais dont il est encore oblige de respecter la
masse. Le capitaine Mac-Cienchem, tel pris, etait encore
un homme d'une agilit(5 et d'une force peu communes. Sa
renommee etait grande a la guerre et a la chasse. Quoi-
que sa modestie I'empecliat de reveler ses e.\ploits, j'en
sais quelques-uns que je mettrais au d^fi les plus braves
et les plus enlreprenants de tenter.
Par exemple, un de ses passe-temps ordinaires etait de
suivre la trace des elephants sauvages. II les excilait, et,
au paroxysme de leur furie, il se prcsentait k eux et leur
arrachait avec sang-froid des polls de la queue.
Ce fait, messieurs, continue le narrateur, ne peut 6tre
mis en doute par quiconque a connu le courage metho-
dique de mon ami, et s'il est besoin de vous donner un
autre exemple de son llegme , je vous dirai qua la fa-
meuse defense de la citadelle de Uogungher, ou quelque
nom a peu pros semblable, on vit le capilaine se tenir
sur I'aHut d'une piece de vingt-quatre hors de service
et donner des ordrcs a des canonniers , en leur designant
avec I'index les positions sur lesquelles il fallait faire
feu. A peine avait-'il fait legeste, un boulet siffle et lui
emporte le doigt ^tendu. Le capilaine Mac-Clenchem,
sans paraitre emu, voulant conlinuer la demonstration
aux soldats, leve le doigt majeur et le place dans la di-
rection du feu... une balle frappe et emporte ce second
doigt. • Je leur en donnerais bien un troisieme, dit le ca-
pitaine en riant , mais ils I'emportCTaient encore, etcame
gfenerait pour prendre du tabac... » Et il descend en
riant.
Voili I'homme, messieurs, que je devais vous faire
connaitre avant de pousser plus avant dans les details de
mon hisloire.
Maintenant nous allons marcher k grands pas dans les
^venements.
Apres une travers^e assez ennuyeuse, nous parvinmcs
h I'embouchure de la riviere Hooglily, et , soit parle
manque de vent, soit par I'absence de marc^e ou par toute
autre chose qui manquail, nous fCimes obliges de mouil-
ler. C'est une douce et bonne chose que le niouillage pcvur
un etre de nia nature, qui n'a pas un gout natif pour le se-
jour du vaisseau. La seule pensee de fouler la terre donne
une joie indicible, le sol le plus aride devient un paradis,
le roc le plus dur a sous les pieds I'elasticit^ du velours.
Avec quel emprcssement je demandai done h mon ami de
m'accompagner ii terre! avec quelle joie j'enlendis son
adhesion a mon offre! la cote n'avait rien de pittoresque
et d'engageant : c'etait une immense plaine, sterile et sa-
blonneuse; mais mon imagination la couvrait d'arbres om-
brages, la tapissaitde gazons verts comme I'emeraude, la
peuplaitd'oiseaux au riche plumage et aux chanlsjoyeux.
Le grand canot fut mis h la mer pour aller faire de
I'eau; le capitaine Mac-Clenchem etmoi, apies nous etre
munis de provisions copieuses, nous escortames jusqu'au
rivage les futailles vides qu'on envoyait se remplir. 11
arriva qu'une d'elles se defonca et fut abandonnee a terre-
par les matelots.
Moi, je donnais a mes jambes toute la latitude d'exer-
cice qu'elles voulurent bien prendre, et quand la la.ssitude
commenca a se faire sentir et que I'appetit sonna I'heure
du repas, mon ami le capitaine et moi chcrchjnics un site
convenable a notre collation... Mais pas un arbie ne nous
ofl'rait son ombrage.
Le capitaine avisa la futaille vide... nous la roulJmes a
I'endroit qui nous parut le plus propice, elle nous servit
a la fois d'abri et de divan, et, proteges par son ombre,
nous procedames aux appr^ts du festin.
Dejil la volatile froide avait recu un grand echec , le
jambon volait par tranches sous la lame du couteau , nous
arrosions le tout d'un vin exquis, dont les douces vapeurs
ramenaient a notre esprit le souvenir du pays, la me-
moire des atfections lointaines... nous avions chacun
porl6 des toasts aux amis, ^ la famille... Apres avoir
epuis6 la liste des parents, nous cherchions a qui porter
la sanl^... le capitaine venait de decouvrir au fond de
rficosse un arriere-petit-cousin auquel il n'avait jamais
pensc avant son voyage, nous alliens boireal'arriere-petit-
cousin du capitaine Mac-Clenchem, lorsque...
Oh! ici, messieurs, dit M. Robert, il faut queje fasse
une pause... II y a trente ans que j'ai entcndu lecri que
je vais vous dire... et il est Vi... toujours \h... prt'sent;
j'enai dansl'oreillerafrreuxrhythme, rinfernalegamme...
il n'y a pas de mots pour rcndre cela, pas de phrases
pour traduire ce bruit... Ouf! le frisson me court en-
core... dix mille diables enrhumes , ronflant, grognant
sourdement a trois pas... Qui pourrait I'oublier aprte
I'avoir enlendu? qui pourrait, sans I'avoir entendu, le
comprendre?...
Le capitaine Mac-Clenchem domina assez son emotion
pour me crier : a Regardez, Rjbert; par Dieu! prenez
garde I »
Le capilaine fit un bond, qui cut defi6 en legerele les
chevres de nos montagnes et les revenants des romans
anglais, et il se trouva sur ses pieds, derrifere la futaille.
HISTOIRE DUN TIGRE.
13
Houreusement, j'eus le temps de rejoindre mon ami et de I de noire rapide et savante mancpuvrese presenlM a nou9
prendre position a sesc6tts, avant que la cause effroyable | in une distance de deux pas... sous la figure d'un tigre
royal, ou plutot d'une ti^resse. Nous eOraes plustard,
•conime vous le verrez, le loisir de reconnailre le sexe de
notre adversaire.
Voila done la lulte terrible commenc^e ; le duel ii trots,
duel d'exterminalion, engage. Aucun de nous, du capi-
taine .Mac-Clencliem, du tigre et de moi, ne s'elait encore
trouve a pareillc affaire.
Pour champ de bataille le desert , pour rempart un
tonneau, pour arme notre adresse. Voila quelle etail la
position.
Comment le tigre avait-il pu parvenir jusqu'a nous sans
que nous cussions ni^me soupconne son voisinage? Une
souris n'aurait pas trouve dans ce desert un arbre, un
arbusle. un sillon pour se blottir. .. Ce n'etait pas la, non
plus en ce moment, I'occasion de discourir sur la rapidite
de la course de la bete feroce. Je n'ai pas encore pense a
lire ce que les naturnlistes, qui n'ont jamais vu de tigre
aussi pri>s quf j'en ai vu uu, ont ecrit a ce sujet ; plus lard,
je les consulterai. Revenons k notre tonneau.
Nous i'tions done, le capitaine et moi, manoeuvrant au-
tour du tonneau, dans un etat demotion qu'il est impos-
sible de decrire.
14 HISTOIRE
Une lueur d'esperance nous vint. La tigresse s'empa-
rera peut-fitre des debris de notre repas? elle satisfera
son appetit sur les comestibles, et meprisera, en cette
circonstaiice, la capture de I'honnme. Deux minutes de
lialte devant nos provisions nous donneraient le temps
de recueillir nos esprils et de combiner un sysleme de
defense.
Vain espoir; L'ceH de la tigresse dardait d'aplomb sur
nous : c'etait la seule proie quelle ambitionnat.
Plus d'une heure s'ecoula, pendant laquelle nous con-
tinuimes i faire tons les trois le manege autour de la
D'UN TIGRE.
tonne. C'etait au delJi des limites de la force humaine :
un moment de plus, le capitaine et moi succombions de
lassitude... Heureusement I'aninial eut moins de patience
que nous, et sa nature irritable ne s'accommoda pas de
cette strategic sans resultat.
Le tigre deraeura un moment immobile, comme s'il euf
mi'dite une grande resolution; enfin, se repliant sur lui-
ni6me, rassemblant toutes ses forces, il prend subitement
son elan, et va francbir d'un seulbond I'obstacle qui nous
separe.
Je n'eus qu'une pensie ^lectrique, la certitude de la
mort, et je tnmbai a gonoux. Un instant apres, tout ^tonn6
de rcspirer encore, j'obc'is a la voix de mon ami, qui me
dit : c( Robert, montez. »
Je compris alors : notre bonne ^toile avait fait que le
tonneau , plac^ debout sur son fond, presenli'it a la sur-
face I'ouverture ; il pencha quand le tigre fit un effort
vers lui, et mon brave compagnon, avcc cc sang-froid qui
le distinguait, donna au tonneau , a»ec son pied, une di-
rection telle qu'il le renversa eiitierement sur la bel« fe-
roce. Le tigre se trouva alors dans une cage ou la lumiere
ne p^netrait que par la bonde.
Mon ami avait franclii d'un saut la plate-forme du
remparl, et il avait le pied sur le nouveau genre de
basse-fosse, ou d'oubliettes, que son genie et son sang-
froid venaient decreer pour maintenir rennemicommun.
Revenu a moi, j'escaladai la tonne et je me tins pres de
mon ami. Le premier transport de joie fit bientot place a
une juste crainle. La reflexion nous fit voir que nous n'a-
vionspas ameliore bcaucoup notre position ; nous n'avions
aucun moyende comniuniqueravecnosmatelotsrestessur
la rive, nous ne pouvionslongtemps vivre surcelte espece
d'esplanade en bois, sous laquelle rugissaitun esclave qui
serait noire mallre au moment oil nousquilterionslcposle.
Le soleil baisjait sensiblenient vers le couchant ; avcc
lui s evanouissaient nos esperances d'etre secourus.
[La suite au pi'ochai It Htimt'ro.)
BEAUX EXEMPLES DE FORCE MORALE DANS LA JELMSSE.
LES GRANDS PEINTUES.
MICHXIi.AarCE.
Dans sa jcunesse, I'amour de I't-tude le jela dans uno
solitude absolue. II passa pour orgueiUcux, pour bizarre,
pour fou ; dans tons les temps la socK'le I'cnnuya. II n'eut
pas d'amis inlimes; raais seulement pour eonnaissances
quelquesgenss^rieux : lecardinal Pole, .\nnibalCaro, etc.
II fut liberal; il donna plusieurs de ses ouvragcs; il
assistait en secret un grand nombre de pauvres, surtout
les jeuncs gens qui eludiaient les arts. II donna quelque-
MICHEL-ANGE.
13
fois a son noveu trenle ou quaranle mille francs a la fois.
11 disait : « Quelque riclie que j'aie eW, j'ai loujours
v^cu pauvre. » 11 ne pensa jamais Ji tout ce qui concentre
raltenlion du vulgaire. 11 ne fut avare que dune cliosc :
son attention.
Dans le cours de ses grands tra\aux, il lui arrivait de
se couchcr toutliabille pour ne pas perdre de temps i sc
velir. II dormait peu et se lovail la nuit pour noter ses
idees, avec le ciscau ou les crayons. Ses rcpas se couipo-
saient alors de quelques morceaux de pain, qu'il mettait
dans ses podies le matin, ut qu'il niangeait sur son echa-
faud tout en travaillanl. La presence d'un etre liumain le
derangeait; il avait besoin de se sentir enfcrmt' i double
tour pour etre a son aise, disposition contraire ^celle du
Guide. S'occuper des choscs vulyaircs ctait un supplice
pour lui ; energique dans Ics grandes affaires qui lui
semblaicnt meriter son atlenlion, dans les petitcs il lui
arrivait d'etre timide : par cxeniple,ilneputjamais prendre
sur lui do donner un diner.
'Vasari, !e confident de Miclicl-.4ngc, parle ainsi de son
ami : « Attentifau principal del'art, qui est lecorpsliumain,
il laissa a d'autrcs I'agrement des couleurs, les caprices,
les idees nouvclles; dans ses ouvrages on ne trouve ni
paysages, ni aibres, ni fabriques; c'est en vain qu'on y
chercherait certaines gentiUesses de I'art et certains en-
jolivements auxquels il n'accorda jamais la moindre at-
tention; peut-etre parune secrete repugnance d'abaisser
son sublime genie h de telles choses. >
De tant de milliers de figures qu'il avail dessinees,
aucune ne sorlit de s;i memoire; il ne Iracait jamais un
contour, disait-il, sans se rappeler s'il I'avait deja em-
ploye : aussi ne se r6pela-t-il jamais. Doux et facile a
vivre dans les arts, il elait d'une mefiance et d'une exi-
gence incroyables ; il faisait lui-ni6me ses limes, ses
ciseaux, etne s'en rapportaiti personne pouraucun delail.
Des qu'il apercevait un defaut dans une statue, il
abandonnait tout el courail a un autre marbre ; ne pou-
vant approclicrdelasublimite de ses idees, une fois arrive
il la maturite du talent, il finit peu de statues. • C'est
pourquoi, disait-il un jour ^ Vasari, j'ai fait si peu de
tableaux et de statues. •
II lui arriva dans un moment d'impaticnce de briser
un groupe colossal prcsque termine ; c'etait une pield.
La mere du Christ n'est certainement pas a nos yeux
un modele de beaule, et cepcndanl quand Micliel-Ange
I'eut finie, on lui reprocha d'avoir fait si belle et si jeune
la mere d'un homme de trente-trois ans.
• Celte mere fut une vierge, repondit fieremcnt I'arliste,
et vous savez que la cbastete de I'ame conserve la frai-
clieur des trails. 1! est meme probable que lo cicl, pour
rendre temoignage de la celeste purete de Marie, permit
qu'elle conservat le doux eclat de la jeunesse, tandis que,
pour marquer que le Sauveur s'etail reellement soumisa
toutcs les miseres humaines, il ne fallait pas que la divi-
nite nous derobat rien de ce qui apparlient a I'liomme.
C'est pour cela que la Vierge est plus jeune que son age,
et que je laisse au Sauveur toutes les marques du .sien. •
Vieuxet decrepit, il fut un jour rencontre parle cardi-
nal Farnese ii pied, au milieu des neiges, pri>s du Coli-
see ; le cardinal fit arreterson carrosse pour lui demander
oil done il allait par ce temps a son age : « Al'ecole, re-
pondit-il, pour taclier d'apprendre quelque chose. >
Michel-Ange disait un jour a Vasari : . Mon clier
Georges, si j'ai quelque chose de bon dans la tete, je le
doisk I'air elastique de voire pays d'Arezzo, que j'ai res-
pire en naissanl, comme j'ai suce, avec le lait de ma
nourrice.l'amour du ciseau et du maillet. » Sa nourrice-
etait femme etfille de sculpteurs.
Une personne lui reprochant de ne s'etre pas marie, it
repondit comme fipaminondas , el ajouta : . La peinture
est jalouse et veut un bomme tout entier. •
Un sculpteur, qui avail copie une statue antique, se
vantait de I'avoir surpassee : • Tout homme qui en suit
un autre ne pent passer devant. . C'etait son ennemi,
I'envieux Bandinelli de Florence, qui croyait faire oublier
le Laocoon par la copie qui est a la galerie de Fl<i-
rence.
Un jeune homme avail fait un tableau assez agreable,
en prenant a tons les peintres connus une attitude ou uno-
tele; il (5tait tout fier et raontrait son ouvrage a Michel-
Ange. « Cela est fort bion, mais que deviendra voire ta-
bleau au jour du jugement, quand chaeun reprendra les
membrcs qui lai appartiennent? •
Michel-.\nge recut des messages flatleurs de plus de
douze t^tes couronnees. Lorsqu'il alia saluer Charles-
Quint, ce prince se leva sur-le-champ, lui repelanl son
compliment banal : « Qu'il y avail au monde plus d'uu
empereur, mais qu'il n'y avail pas un second Jlichcl-
Ange. »
Notre Francois I" voulut I'avoir en France, el, quoique
ses instances fussent inutiles, pensant que quelque cir-
conslance ioattendue pourrait le lui envoyer, il lui ou-
vrit a Rome un credit de quinze mille francs pour les
frais de voyage. Michel-.Vnge eul pcut-iytre fait la revolu-
tion que ne purent accomplir Andre del Sarto, le Primatice,
le Rosso el Benvenuto Cellini. Tons quitterent le France
sans avoir pu y allumer le feu sacre.
II loua Raphael avec sinct5ril6 ; mais il ne pouvail pas
le goiiter completement. II disait du peintre d'Urbin,
qu'il tenait son grand talent de I'etude et non de la nature.
Le chevalier Lione, proteg6 par Michel-Ange, grava
son portrait en medaille, el lui ayant demande quel
revers il voulait, Michel-Ange lui fit mettre un aveugle
guid^ par son chien avec cet exergue .-
Docebo JDiquos vias tuas, et impii ad te convertentur.
Ses restes furent deposes solennellement dans I'eglise
des Aptitrcs. Le pape annoncait le projet de lui clever un
tombeau dans Saint-Pierre, oil les souverains seuls sont
adniis ; mais Come de Medicis, qui voulait se dislraire de la
tyrannic par le culte de la gloire, fitsecretenient eiilever
Ics cendres du grand homme. Ce depot revire arriva a
Florence dans la soiree; en un instant les fenelres et les
rues furent pleines de curieux et de lumieres con-
fuses.
Les principaux ^vencments de sa vie furent roproduifs
par des bas-reliefs ou des tableaux : entouri5 de ces re-
presentations vivantes, Varchi prononca son oraison fu-
nebre.
Lors de la cdrimonie, on Irouva le corps de Michel-
Ange niomifie par la vieillesse, sans le plus l^er signe
de decompositioB. Cent cinquante ans apres, le hasard
ajant fait ouvrir son tombeau a Sanla-Croce, on Irouva
encore une momie parfailement conservee, completement
vetue il la mode du temps.
16
PETITES PROMENADES
PETITES PROME\\\DES AU MUSEE D'lIISTOlRE NATLRELLE.
INTRODUCTION.
line science magnifique et solennelle.Jqui met la pensee
humaine dans les secrets du Cr6ateur, doit fitre pour
I'homme seiieux d'un altrait d'autanl pluseleve, que c'est
une science aussi par laquelle le philosophe doit passer,
s'il veut se comprendre lui-m^me. Lorsque son intelli-
gence, fatigucede recherches abstraites et presque decou-
ragee, demande a se reposer enfin sur des verites nioins
rebelles, sur des convictions plus positives, ou pourrait-
il trouver un plus digne delassement que dans cette ai-
mable etude qui raconte avec tant de splendeur la sagesse
de Dieu, sa puissance et sa gloire? Un esprit vulgaire bor-
liera peut-etre ses connaissanccs ii ne pas confondre I'air
avec le ciel , a ne pas prendre I'eau pour un element, le
corail pour une plante , la baleine pour un poisson ; S
laisser enfin ;i la fantasmagorie mythologique le dard du
serpent, I'incombustibilite de la salamaiidre, les vagisse-
monts du crocodile, la griffe du dragon. Mais le philo-
sophe, du point qu'il occupe dans cet univers, ne doit-
11 pas en etudier I'ensemble ct savoir jouir ainsi d'un
spectacle si plein de majeste,ou I'harmonie se montre
jusque dans les contrastes, oil cliaque idee fait naitre un
SL'ntimcnt, oulecoeurestsatisfait, oil la pensee est ennoblie?
Que de merveilles en elTet h conlempler! Ici, des val-
lees si profondes que le solcil peut a peine y descendre;
la, des forets si i^levees que les nuages s'arretent aux
branches et tombent goulte h gnulte de leur feuillage.
Sous I'equateur, des iles de verdure avec leurs bouquets
de fruits au milieu de vastcs solitudes oil I'air ne trouve
■pas une feuille ii remuer ; et vers le pole, des Sles de glace
voguant avec des colonies d'ours blancs qui, jusque dans
nos zones lemperees, nous apporlent leur prccieuse four-
rure ; la, de I'eau douce qui jaillit du sein de la mer, ou
fcien une colonne d'eau bouillantc qui s'elance du milieu
■d'un glacier; plus loin, un lac transparent qui dort sous
des lilas, ou bien une riviijre rapide qui bondit sur le
roc else precipite, formant une nappe ecumeuse ii travel's
laquelle le soleil vient jeter mille rellels. Sur la colline, le
daim au pied leger, ^ I'anl alerte, llairant la Lrise qui le
previent du danger; sur le sable, le ruse formica-leo se
tenant en embuscade dans son enlonnoir geomotrique;
dans I'air, le brillant colibri, gracieux jusque dans sa
colere, soit que, confus de trouver etiolee une tleur qu'il
croyait encore fraiche, il en arrache de depit tous les pe-
tales, soit qu'irrite d'une offense il s'attaclie hardiment
a son ennemi et ne le quitte qu'apres avoir epuisii sa
petite vengeance.
Le firmament sans doute a un aspect plus imposant, et
noire plan(!te alors n'est plus qu'un point obscur auprcs
de CCS globes lumineux sans nombre et sans mesure, dis-
simines dans I'espace comme la poussiere dans nos
champs; mais peut-etre que celte poussiere dedaignee ren-
ferme plus de prodiges. Voyez, vous vous croyez ici aux
limites de la creation, et vous 6tes sur le seuil d'un monde
DOuveau,de cemonde microscopique qui echappe ii notre
vue et n'appartient, pour ainsi dire, qu'a nos regrets!
Chacun de ces atonies imperceptibles est cependant un
4tre organise et m6me parfait, car on ne pourrait lui en-
lever aucune partie qui ne lui soit necessaire, ni en ajouter
aucune qui ne lui fiit inutde. Quels sonl les ressorts qui
mettent en mouvement leurs organes si menus, qui pous-
sent et dirigent leurs pattes, qui Pendent et agitent leurs
ailes? Bien plus, ces petits eires sont armes de tenailles,
de forets, de haclies, de limes, de scies, pour fendre le
bois, pour ronger la pierre, pour user le granit, et landis
que I'imagination se perd a concevoir comment dans un
point invisible il a pu se trouver assez de place pour
une organisation si complexe, I'atome change de forme,
change d'organes, change de vie pour nous prouver que
Dieu est Ji I'aisc dans I'infiniment petit comme dans I'in-
finiment grand , I'infiniment petit devenant a son gr6 un
espace sans limites , et I'infiniment grand n'etant plus
qu'un point mathematique.
Et si vous peiielrcz plus avant, si vous voulez connaiire
les lois qui president ii lant de fails dont vous etes ^blouls,
d'autres merveilles vous atlendent encore.
S'agit-il dun phenoniene de composition? Suivez celte
molecule brute qui .s'elabore peu a peu, qui passe ensuile
dans un vegetal oil ellc se modifie encore pour s'anima-
liser enfin , mais qui bientot est rendue, par la niort, au
monde mineral, oil I'organisation la reprend de nouveau,
car rien ne se perd, rien ne s'arr^le, tout passe et revient
par de perpetuelles metamorphoses, remplissanl une infi-
nite do buts inlermediaires pour arrivcr au but definitif,
c'est-^-dire a I'immobilite permanente des especes au mi-
lieu des modifications continuellesdes individus.
. S'agit-il d'un phenomene de decomposition? faut-il,
par exemple, qu'un tronc d'arbre abattu et sans vie n'at-
triste plus les regards et cesse d'etre inutile? Voyez d'a-
bord les mousses y eufoncer leurs racines et retenir ainsi
I'humidite qui le dechire; puis les champignons qui le
dilatent, puis les larves qui le broient, puis le pic qui,
veiiant y chercher les insectes, le pulverise, puis enfin le
vent qui le disperse; mais le pic nieurt a son tour, des
nuees d'autres insectes s'abattent bion vite sur ses di-
pouilles, pour t'tre devoreseu.x-memes par d'autres ani-
niaux; ou bion de cette pourriture s'cleve toutc fraiche et
loute parfumee, cette fieur eli'gante oil I'abcille recueille
et la cire qui nous eclaire et le micl qui nous nourrit.
S'agit-il d'une loi d'ordie et de conservation? Pour que
le nombre des ^tres organises que notre globe peut
nourrir ne soit pas depasse, la vie recoit des bornes ainsi
que la fecondite; mais dans chaque espece la famille est
d'autant plus nombrcuse qu'elle doit etre soumise ii plus
de dangers. Et pour que chaque espece puisse mieux par-
courir la periode de son developpemeni, tout est dispose
avec une prevoyance admirable. La noix encore informe
est defendue des insectes par son brou anier, tandis que,
momie lustree, la chenille, en elendant ses ailes, se
couvre de bandelettcs soyeuses; mais plus habile, la mite
s'empare de nos draps, se fabrique une 'eloffe souple et
solide, et donne a son veternent la forme la plus simple,
la plus sire, la plus commode. Ne cherchez pas a
tromper ses combinaisons, car elle trouverait des artifices
dont vous seriez encore plussurpris.
Pour que tous les climats aient leurs plantes et leurs
habitants, les conditions d'existence sont dislribuees k
AU MUSfiE D'HISTOIRE NATLRELLE.
■17
rinfini; la libcllule. delicate el le roseau flexible veulent
Ics lieux abritfe, tandis que I'aigle aux pennes robustes et
le chene aux puissantes racines aiment le sejour du vent;
le sainfoin du Gange, pour se rafraicliir, agite ses foUoles
comme un double eveutail, tandis que I'eider de la Nor-
wege bat I'eau de ses ailes poui' Temp^cher de se geler;
enfiii le chamcau, dans le desert, peut vivre sans boire,
comme la Ihalassite sous I'eau sans respirer.
Le vent du nord annonce-t-il la venue de I'liiver, les
lilanl-cs se depouillent de leurs feuilles qui donneraient
Irop de prise ii I'ouragan, et laissent tomber leur graine
(jui se recele dans le sol oil la neige bientot vlendra la
proteger. La cliauve-souris, cachee dans sa retraile, s'en-
dort [lourn'avoir pas le souci de cherdier uiie pioie qui,
elle-meiiic, s'cst retiree. Le castor se renfernie dans ses
magasins approvisionnes; la marmotte et le loir, la vipere
et la grenouille rentrent dans le fond de leur terrier ou
dans la vase de leur marals, vivant de leur graisse mise
en reserve a I'arriere-saison ; la cigogne et la grue enii-
grent en nombreuses caravanes, et gagnent sansboussole
les pays luinlalns. Lesanimaux se laisent, le ruisseau n'a
plus de murmure. Tout parait mort, car le silence regne
aussi dans I'etendue de Talmosphere et dans les abimes de
rOcean. Eh ! cependant il y a encore une beaute grave et
austere dans cette viedissimulte oil I'organisation menage
ses forces et les concentre, pour les employer bienlotavec
une activite toute nouvelle. Or, voici le moment, car I'lii-
rondelle est arrivee.
Oil! que de richesses pour nous, au printemps, etalees,
lorsque la terre s'eveUle sous le rayon solaire, que la ve-
getation commence sa parure et que les animaux eux-
memes prennent leurs habits de noces. Quelle variete de
flanges et de parfums a toutes ces lleurs, de voix et de
vetements a tons ces quaJrupi^des ! Que de couleurs dilfe-
rentes pour chaque plante et de nuances diverses pour
chaque couleur! quel luxe de panaches et de diadi'mes a
lous ces olseaux, de cuirasses dorees a tons ces reptiles,
d'ecaiUes dargent a tous ces poissons, de reflets m^tal-
liques a tous ces insectes! Quelle profusion de topazes et
de perles sur la t^te d'une seule mouche! Enfin, dcpuis le
fond des eaux jusqu'au plus haut des airs, quelle pompe
partout et quelle parfaite harmoniel Teuliekes.
LE I.IOIT.
Le lion est aujourd'hui beaucoup moins commun qu'il
n'etait auliefois, et son espece est rSduite h. la trenti^me
partie de ce qu'clle etait du temps des Remains, qui ti-
raient de la Libye, pour leurs spectacles, un plus grand
nonibre de ces animaux qu'on ne pourrait y en trouver
aujourd'hui. Le lion, comme tous les chats, est bas sur
pattes; son corps peut avoir plus de deux metres de lon-
gueur, independamment de la queue, longuede plus d'un
metre. La lionne a des dimensions plus rMuites, niais
son corps est plus gracieux.
Le lion de I'Atlas se distingue surtout p:ir sa magni-
lique criniere ; les lions asiatiques en sont depourvus;
et r.4raerique ne presente ni lion, ni tigre, ni leopard.
• Le lion, dit JI. de BuITon, a la figure imposante , le
regard assure , la demarche fibre , la voix terrible ; sa
taille est bien prise et si bien proportionnce, que sun
t. u
corps parait etre le modele de la force jointe a I'asilite ;
diissi solide que"iierveux, n'etant charge ni de chair, ni
de graisse, et ne conleiiant Hen de surabondant, il est tout
nerfs et tout muscles. Cette grande force niusculaire se
marque au dehors par les sauts et les bonds prodigieux
qu'il fait aisement; par le mouvement brusque de sa
queue, qui est assez fort pour terrasser un honime; par
la facilite avec laquelle il fait mouvoir la peau desa face,
et surtout celle de son front, qui est traverse de rides
profoiides ; ce qui ajoute beaucoup ii sa physionomie , ou
plutot il I'expression de sa fureur : et enfin par la faculte
qu'il a de remuer sa crinit?re, laquelle non-seulement se
herisse, mais se meut et s'agite en tout sens lorsqu'il est
en colere. »
Le front decet animal est presque carre; son nez est grand,
large, evase ; sa gueule est fort grande et fendue ; ses ma-
choires sont composees de grands osextremement forts, et
garnies chacune de quatorzedenis, dontquatre sont incis;-
18
PEMTe:S -PR^MiElVJVD-ES
ves, (luuli'L' canines ot six mohiires. Sa langucest gvantlo,
rude et parsemee fie pelites poiillcs aussi (lures que la
I'ornp, lonaues d'envii-onun q\iait de pouce et recourbees
vers le sosier : rest cette disposition des pointes de la
laiicue qui rend le lecliement dulion 8Xlr6mementdange-
reux ; car it a liienlut endormi ou engourdi la dhair et
excorie I'epiderme. Au resle, Ton doit fitre en garde
contie les lecliemenls de cet animal, iTi^me le plus nppri-
voise ; car, des qu'il a senti le sanj;, sonnalurcl sane;ui-
iiaire s'irrite, I'excite i niordre et a faive de tcrribles
ravages. Cependant il est susceptible d'atlai-hement el
d'amitit'. (In cite a cet elTet un exemple fort curieux
dim lion qui out une amitie singuliere pour un petit
epagneul.
Voulant I'aire un essai, Ton mitun jour dans la cage d'un
enorme lion un.petit chien epagneul qui avait ete-perdu.
Anssitot la fraveur s'empate de te pauvpe animal, il
tremble de lous ses merrlbres, se coucbe humblement,
ranipe, prend I'attiliide la plus capablede flecliir le coii-
roux naturel du lionet d'emouvoirses dures entrailles.
Cette b6te feroc.e le touvneet le rstourne, le llaire sans lui
faire le moindre mal. On jelte au lion nn morceau de
\iande; il refuse de le manger en regardant fixcment le
petit chien, conuue s'il voulait I'inviter a le gouter avant
lui. L'epagneul rexient de sa froyeur; il s'approclie de
cette viande, en mange ; et dans I'instant le lion s'avance
pour partager avec lui ;ce futalors qu'on vitnaitre enire
eux une etroite amitie. Le lion, comme tEansforme en un
animal doux et caressant, donnait a 'I'dpagneiil'des mai--
ques de la plus vive tendresse, et ^I'eiiagueul, a 'son'toui',
lemoignaitau lion la plus extreme confiance. Laiprqpi'ie-
taire de ce petit chien vint quelque temps apres lereiilit-
mer. Le gardien du lion la pressa vivement'de ne pas
rompre la chaiiie d'amitiequi unis.sait ces deuxtiuimHux-,
elle resiste i ses sollicitations. ■ Puisqu'il en est ainsi,
repliqua legardien, prenez vous-<ml&me>votre chien. » La
proprielaire de I'epagneul comprit 'bien qu'il ifdlluit en
faire le sacrifice. Au bout dume annee, le.dhienltonllju
malade el mourut. Le lion s'imagina;))anauut 'qurilnue
temps qu'il dormait; il voulut'l'eveilter, etl'ayanfinuti-
lenient remue avec ses patles, il s'apercut alors que I'e-
piigneul etait mort. Sa crini^re se herisse, ses yeux etin-
cellent, sa tele se dresse, sa douleur eclate avec fureur;
Ironsportii de rage, tantot il s'elance d'un boutde la cage a
I'aulre ; tanlot il en mord les bafreaux pour les briser;
quelquefois il considere d'un ceil consterueie corps mort
do son tendre ami, et pousse des rugisseilients epouvan-
tables. II etait si furieux qu'il faisait sauter, par sescoups
redoubles, de larges morceaux dn plancher. On voulut
ecarlcr de lui I'objet de sa profonde douleur ; mais ce fut
inutilement, et il gorda le petit chien avec grand soin. Le
gardien jeta des chiens vivants dans sa cage, il les mit
en pieces. Enfin ilse couclia et placa sur sonsein le corps
de son ami, seul compagnon qu'il eut sur la terre. II resia
dans cette situation pendant cinq jours sans vouloir
\irendro de nourrilure. Rien ne put moderer I'exces de
sa tristesse ; il languit et tomba dans une si grande fai-
blesse, qu'il en mourut. Gn le Irouva la tele affeclueuse-
meiit penchee sur le corps de I'epagneul. Son gardien
jileura la mort de ces deux inseparables amis, et les fit
niettre dans une m6nie fosse.
Les lions n'habitent que les climats sees et brillants do
I'Asie et de I'Afrique; et, cequi semble prouver evidem-
meiit-que l-frxees fle'leurferofcile vieftt de I'exces do la cha-
l«UF,*'est que ,'daiisle m'emepaj'S , ceiix qui habitent les
liautes'niontagnes, oil Tair est plus tempcre, sonl moins
forts et d'unriaturel moins feroce que crux qui demeu-
rent duns les sables brulants du Bildulgerid ou du
Zaava.
LfS'lions'de ces d^rls snnt intrepides; et, comme ils
n'ont pas eproave da foree des armes de I'homme, ils
seniblent les braver ; les blessures m^me les irrilent sans
les-ell'rayer. Un'seul de ces'lions du desert atlaque quel-
quefois line cnravaneentiere ; el lorsquc, apres un combat
opiniiHre il se sent alfaibli, il bat en retraite sans tour-
ner le dos. Au contraire, 'les lions qui habitent aux envi-
rons des viUes et des bourgades de Tlnde et de la Barba-
Fie, ayont <;onnu riionimeella puissance de ses amies, ont
pordu leurcouroge au point d'obeirhsavoix menarante,
de n'oser I'attaquer, de ne sejeler que sur le menu be-
tail, el enfin de s'oiifuir en se laissant poursuivre par des
'emmes ou par des enfants, qui deur ^ont, a coups de ba-
ton, quitter prise et Ucher vivement leur proie. Le
lion est susceptible d'etre apprivoise jusqu'a un certain
point, et rhistoire parle de lions alleles ii des chars de
triomphe, de lions conduits a la guerre ou a la chasse, et
qui, fideles a leurniailre, ne faisaient usage de leur force
que centre ses enncmis.
Ce qu'il y a de lies-silr, c'est que le lion pris jeune
-fit eleve parini les animaux doniestiques, s'accoulume aise-
meiit h vivre el h jouer innoceninicnt avec eux ; qu'il est
doux pour ses niaitres, et menie caressant, surtout dans le
premier Sge, et que, si .sa ferocite naturelle leparait quel-
quefois, il la tourne rarement contre ceux qui lui ont
luit du "bien. 'Comme .ses niouvements sont tii-s-impe-
Uieux et son appetit tri!s-veliemeiit, on ne doit pas pre-
sumor que les injpressions de I'education puissent tou-
jiiursiles balancer ■: aussi y aurait-il du danger ii lui
laisser tiop longtaiups ■soulTrir la faini, ou h le con-
'tracier en •lc4ourmoiltnrit hors de propos ; non-seulement
ill-slrrriteiaontre.Hcs.maU'VaiB'traitemenls, mais il en garde
ilB 'souvsilil;, tdt ;papatt len mediter la vengeance ,
eoniino dbconserve aussi la m^moire et la reconnaissance
des bienfails.'Ouipeiit conclure de differents fails que sa
colore estmdble, son courage iiiagnanime, son naturel
sensible. On I'a vu souvent pardonncr a de petils enne-
niis des liberies offensanles, donner quelquefois la vie ii
ceux qu'on avait devoues a la mort en les lui jelanl pour
proie, et, comme s'il sefiU attBeh^ par eel acte g^ne-
reux, ce lion fier et courageux semblait oublier la force
qu'il tonait de la nature, pour pfoteger la faiblesse.
La lumiere intense du soleil paralt incommoder le lion ;
il voit, la null, comme les chats; son .sommeil est court
etjlcger, et c'est mal a propos qu'on apietednu qu'il dor-
mait les yeux oufCrts. II vit vingt a vingt-cinq ans; il
mange beaueoup a la fois, se remplit pour deux ou trois
jours, brise les os et les avale avec la chair; il lui faut
environ quinze livres de chair par jour ; il boit toutes les
fois qu'il pent trouver de I'eau. Sa demarche ordinaire
est fiere, grave el lente, quoique toujours oblique; sa
course ne se fait pas' par des mouvements ^gaux, mais
[Mr bonds ct par sauts, et il passe presque toujours son
but; lorsqu'il s'elance sur sa proie, il fait un bond de
douze'ou quinze ^ieds, tombe dessiis, la saisit avec les
patles de devant, la dechireavec lesgriffes, etensuile la
ilevorc avec les dents. Tanl qu'il est jeune et qu'il a de
la let;ercle, il \it dn pvoduit dc sa cliasse ct quiUe rare-
ment Ics diiserU et Ics foriils, oil il trouve assez d'ani-
maux sauvages pour sub»ister aisemenl; mais lorsqu'il
devient vicux, pesant et nioins propre a rexercice de la
thafse, il s'approche des lieux fri'quenles et devient plus
• dangeieux pour I'liamme et pour It's animaux doniesti-
jques; seulemeut on a remarqui5 que, lorsqu'il voit des
honimes et des auimaux ensemble, c'est loujours sur Ics
animaux qu'il se jelte, et jamais sur les hommcs, a moins
qu'ils ne le fcappent; car alors il reconnait a mcrveille
celui qui vient de I'oifenser, et il quitte sa proie pour se
venger. On preti'nd qu'il prefere la chair du clianieau a
celle de tons les aulres animaux ; il aime au^si beaucoup
celle desjeuncs elephants, ils no peuvent hii ri'sister lors-
que Icurs defenses n'ont pas encore pousse, et il en \ient
a bout aisement, ti moins que la mere n'arrive a leur
secours. L'elepliant, le rhinoceros, le tigre et I'hippopQ-
tame sunt les seuls animaux qui puissent resi^ter au
lion.
Quelque terrible que soil ce quadrupede, on ne laisse
pas de lui donner la chasse avec des chiens de grande
taille et bien appuyfe par des hommes a cheval; on Ic
deloge, on le fait retirer ; mais il faut que les chiens, ct
mcme les chevaux , soient aguerris auparavant ; car
piesque tons les animaux fremissent el s'enfuient h la
seule odeur du lion. Sa pcau, quoiqne d'un tissu ferme
et serre, ne resiste point k la balle, ni meme au javelut;
neanmoins, on ne le tue pre,sque jamais d'un seul coup ;
on le prend souvent par adresse, conime nous prenons
los loops, en les faisant tomber dans une fosse profonde
qu'on recouvre avec des matieres legeres, au dessus des-
quelles on attache un animal vivant. I.e lion devient doux
des qu'il est pris; et si Ton profile des premiers moments
de sa surprise et de sa honle, on peul I'altacher, le mu-
seler et le conduire oil Ton veut.
La chair du lion est d'un gout desagreable et fort, ,ce
qui n'empeche pas les Negres et les Indiens dc la trouver
fort bonne; sa peau sert a ces peuples de manteauiet die
lit. Sa graisse eslemollientc el recommandee , dit-on,
conire la goutto. '1\ craint exlremement les serpents, et
c'est pour cela que, quand les llauresjiencontrenl quel-
que lion, et qu'ils sont hurs d'etat de-se defcndre, de se
sauver, ils defont proniptenient la bande detoile qui com-
pose leur turban^et I'agitent devant lui, de mani^re h
imiter \e mouvenient d'un .sei'pent, ce qui fait fuir le
lion.
La lionnene pioduil qu'uiic fois tons les ans; c'est au
printenips qu'elle met bas ; elle n'a que deux mamelles,
quoiqu'elle ait quolqucfois jusqu'a six pctits. Elle est na-
lurellement moins forte ct moins courageuse que le lion ;
cependant elle devient terrible des qu'elle est mere;
elle se jelte indifferenimcnt sur les hommcs et les ani-
maux qu'elle rencontre, et les met b mort; elle se charge
ensuite de sa proie, la porte et la partage a scs lionceaux,
auxquels elle apprcnd de bonne heure a sucer le sang et
il dechirer la chair. D'ordioaire elle les place dans des
lieux ecartes, solitaires et dedilGcile acces; et, lorsqu'elle
cr.iint d'etre decouverte, elle cache ses traces en retour-
nant plusieurs fois sur ses pas, ou bien elle en efface
I'empreinle avec sa queue ; quulquefois meme, lorsque
I'inquietude est grande, elle transporte ailleurs sespetits,
et quand on veut les lui enlever, elle devient fiirieuse,
les elefend jusqu'a la derniere extr^mite, et le ravisseur
est presque toujours puni de sa temerile.
A,U MiUSEE D'HlST.OaaE PUTU.RELiE.
I,E CYNISS.
^
Apei'cevez-vous, eparses sur ccs feuilies de chfine, des
loupes plus ou moins volumineuses qui vous paraissent
-peut-elre de grossieres dufectuosites. Eh bien! que votre
admiration s'arietc un moment, car vous ^tes en presence
d'un phenomtine merveilleux. Ccs protuberances, bien
improprement appelC'es noix de galle, puisqu'ellos nesont
pas un produil naturel de I'arbre, mais un simple acci-
dent, sont determinees par la femcllc d'un insecte exigu
nommc cynips. Cette pauvre mere, dcstinee a ne pas
connaiire meme ses pelils qui ne doivent eclore en effet
qu'apres sa mort, ne quitte pas la vie du moins sans les
avoir places dans les conditions les plus proprcs a leur
developpement ; srmie d'une scie dont les dents echap-
penl presque au microscope, elle blesse la feuille encore
tendre et glisse son osuf dans la plaie, en y versant toute-
fois une liqueur qui I'irrite et qui la tumefie. Ainsi se
forme et s'accroit celle boule charnue dont I'oeuf occupe
le centre, et.qui sesolidifie par la dessiccation. La petite
larve se noiirrit,-en naissanl, de la substance nii^me qui
I'entoure et la protege , el lorsque les ailes enfin lui sont
venues, le jeune cynips perce I'enveloppe ol s'clance dans
I'air. La feuille a\ait etc parfaitement ohoisie ; c'est une
de celles qui persistent sur I'arbre durant tout I'hiver et
qui sont, pour ainsi dire, h I'epreuve meme dc I'ouragan.
Supposez cependant qu'elle tombe avant la sortie de I'in-
secte, n'ayez de lui aucun souci, car tout est prcvu pour
qu'il n'eprouve aucun domniage: il se laisse, en effet,
rouler par le vent sous une jonohee de feuilies sbchcs oil
il passe la mauvaise saison, bien abrile dans sa demeure
et bien calfeutre; puis, au premier printemps, il se de-
,gage de son berceau qui ne serait plus pour lui qu'une
.prison, et, deployant ses ailes, il entre radieux dans la
.pleine ju_uissance desa nouvelle vie. JIais corame rien ne
se pord dans I'teonomie admirable de la creation, cet
etroit domicile, A peine abandonne par I'insecte, devient
le palais d'une araignec qui, sachant proportionner ses
■filets i la petitesse du local, y prend cependant d'imper-
ceptiblesmoucherons qui viennenta plein vol y chcrchcr
aventure.
Du reste, chaque plante porte ainsi des insectcs para-
sites qui trouvent en elle la nourriturc et le logis. "Vous
en avez eu vous-meme la preuve, car, ouvrant une noix,
une aveline, vous avez du quelquefois y rencontrer un
de ces pctits holes ; peut-etre meme que, rejetant alors le
fruit avec degoiit, vous ne vous etes seulemeut pas de-
niande comment un etre si mou pouvait sc trouver sous
une coque si dure. Apprenez cependant que s'etonner a
propos est le privilege de I'homme iiistruit, mais que
c'est une science si lente a venir qu'il faut, des le jeune
ige, s'y essayer. D'aprfes I'histoire du cynips, la presence
d'une larve au coeur meme d'un epais noyau, ne serait
plus pourpersonne un probleme difficile. La merc-insecle,
pour inoculer son ffiuf, a pique I'amande a une 6pcque
20
PETITES PROMENADES AL" MU
ou son enveloppe n'opposait encore aacune resistance; et
des que les parois ont form6 successivement une voile
solide, le vermissoause devcloppe lout a I'aise au sein de
cetle retiaitc ou rien ne le trouble, au milieu de ces pro-
visions qui desormais ne sont faites que pour lui ; mais
si I'on examine avec soin la surface de la co([ue, on y rc-
connait Touvcrlure praliquee par la mere , et si la trace
en disparait quelquefois dan? certains fruits charnus
conime dans la cerise, la prune, I'abricot, c'est parce
qu'ici la seve plus abondanle s'accumule a I'orifice ct
I'oblitere peu Ji peu. Dans d"autres fruits, au conlrairo,
surtout quand la piqure a ete faile vers une epoque plus
retardee, on voil fort elargie et presque beanie I'ouver-
ture de la galerie que la larve continue de se creuser au
sein memo de la puipe, comme il arrive parfois dans les
poires et dans les ponimes.
Sans doule, au moment de savourcr uu fruit diilicieux.
SEE DIIISTOIUE NATURELLE.
il n'est pas agr^able d'y surprendre une chenille plus ou
moins developp^e ; mais au lieu de nous irriter d'une con-,
trarietii forluitc et passagere, poussons plus loin nos re-
chcrclics et voyons si cet instinct singulier qui ne nous pa-
rait d'abord que nuisible, n'est pas ulilement compensi
par de precieux avanlages. Or, ces petils inseclcs que
nous appelons incommodes, comme si Dieu ne leur avalt
pas fait ainsi qu'i nous une place dans la creation, ces
peliles larves qui nous semblent si rebulantes nourrissent.
des oiseaux delicats, qui viennent ensuite, sous le nomde
gibier, varicr les vichessesde nos tables, ou bien encore
elles fournissent a I'industrie d'inappreciables produits.
Et pour ne ciler aujourd'hui qu'un exeniple, le cynips
nous presente, sous ce rapport, un enseignement a me-
diter, car cetinsecte ignore forme un des principes essen-
tiels de I'encre a ecrire : un obscur insccte est done un
des elements principaux de la civilisation !
Ilestaise, parmi les oiseaux, de distinguer le pelican.
Son premier aspect annonce memo, dans ses nioeors,
quelques details exccplionnels. Ses habitudes aqualiques
lisent tout d'abord ii la palmure de sa palte qui, pre-
nant ainsi surl'eau un large point d'appui, favorise sin-
gvdiercment la natation et rend, au contraire, la marche
lente et difficile. Mais voyez que d'harmonieux perfection-
nemenls viennent ensuite s'ajouter! Le plumage est lustre
pour que I'oiseau glisse mieux au sein du liquide qui ne
pourra nieme le toucher. Puis le plumage est dense, ct
celte circonstance, qui est essentielle pour que le pelican
puisne conserver dans I'eau sa clialcur, senible compro-
mettre la condition tout aussi essentielle de la logeiele
Elle la remplit, au contraire, d'une maniere merveilleuse,
car, parmi ces plumes si serrees.sontretenues des milliers
de bulles d'air chaud qui rendent I'animal pluslegernon-
seulement dans I'cau, mais encore dans I'atmospheei'.
Bien plus, cetle densite si necessaire du plumage se
trouve presque compensee par le peu de densile des os,
particularite d'autant plus heureuse que, pour le pelican,
le vol doit etre I'auxiliaire de la nage, car dansson mode
singulier de faire la pficlie en pleine mer, I'aile concourt
avec la palte pour atteindre le poisson. L'oiseau s'elevant,
en clfet, a une assez grande hauteur pour n'6tre pas
SCENES, RfiClTS ET AVENTURES DE LA VIE MARITIME.
apercu do sa proio, profile de son regard alerte et pene-
trant pour la guetler lui-meme a travers les lames tou-
jours agitees, soiivent liouleuses qui semblent I'abriter;
puis, quand la foule qui passe liii prusenleune abondanle
pJture, le pelican reploie brusquement ses r^miges, et se
laisse tomber de tout son poids sur les poissons petits et
grands qui, deja tout etourdis de sa chute, ne peuvent
fuir, car I'aile, s'ouvrant de nouveau, les frappe k coups
redoubles, et le bee est prompt Ji les saisir. Ce bee, aplati
dans toute sa longueur, se (ermine par un crochet tres-
fort et comprinie : conformation qui le rend propre a
prendre la proie d'abord, et puis a la couper. Mais ce
bee nousoffre unaccessoire inattendu qui caracteriserait
seul le pelican. C'est une poche elastique, h peine visible
aux licures ordinaires, maisqui s'ampUfieetqui se gonfle
quand I'animal revient de la pcche. On comprend, en
elTel, que la manoeuvre du pelican est assez complexe
pour n'^tre pas renouvelee Irop souvcnt. 11 ne fallail
done pas (ju'il perdit le temps a devorer successivement
cbaque poisson, car alors le moindre repas eut exige de
liii degrandes fatigues. Mais celte poche sous le bee est
une reserve oil la prise est introduite loute vivante et
conservec, jusqu'i ce que, salisfait de sa peche. I'oiseau
se retire sur un rocescarp(5, pour se repaitre a Inisir, ou
pour alimenler ses petils. Ce n'est point sur les arbres
evidemment que le pelican pouvait etablir convenable-
ment sa famille. Le nid, que les parents conttruisent en-
semble, est vaste et profond ; Tinterieur en est tapisse de
mousse et de duvet. Le pelican, pendant la couvaison,
porte avec soin la nourriture a la couveuse elle-meme,
21
qui, mere devouec, ne quitte jamais ses petils. Celle-ci
ne leur donne, il est vrai, qu'une nourriture qu'elle a
presquedigeree, niaiscllenesedechire pasle sein pour les
nourrir de sa chair. Et celte erreur ne serait point ici
signalte, si elle n'etait admise que par le vulgaire. Mais
nous la retrouvons sur le front de presque tons nos mo-
numents, sii le pelican a le privilege d'dtrele symbole de
la charity. On .s'explique facilement I'origine de cette
fable : I'observateur, place fort loin, a pris pour une
plaie les traces sanguinolentes que laisse frequemment ce
mode d'alimentation, et ces laches elles-memes sont
d'autant plus remarquablcs, qu'elies se trouvenl sur un
plumage eblouissant, car la livr6e de I'oiseau est d'un
blanc parfait que releve le beau noir dcs rcmiges. Nous
devious nous attendre a I'absence de toute riche nuance ;
car, aux oiseaux qui lui viennent commc aux lleurs qui s'y
montrent, lamer refuse loujours les vivescouleurs.Ilsemble
que, sous ce rapport, si^parant neltenient son domaine de
celui de la terre et de celui de I'air, elle veuille que le
navigateur cnnlemple, sans etre distrait, les reflets metal-
liques de ses coquillages el de ses poissons. Encore un
mot pour terminer, ("ertes, le pelican pent d'abord pa-
rattre bizarre dans son organisalion et presque grotesque;
mais lorsque, de ce point de vue superficiel, on sail pas-
ser h I'elude des acles que I'animal doit accomplir : alors
dans cette patte si courte et si etal^e, dans ce vetement si
^pais et si chaud, dans ce cou si long, dans ce bee si
etrange, dans ce systfeme osseux si leger, on reconnait
avec admiration que tout estparfaitementassorti, que tout
est mervcilleusement calculi. Teclieres.
mi% MCITS ET iWEMiRES DE LA VIS iiRlTlllE.
-^ .^^'ittfflEa
XX CONTEUIl DC GAIXIAKD S'AVAIffT.
LepereLabragueavaitk peine fini son dernier recit que le
vent sauta presque subitement cap pour cap '. Ces sautes rest a I'ouest, etc
de vent sont assez communes dans ces latitudes et deman-
dent un coup d'ceil experimente, el tout le sang-froid et
1 D'une direction opposee. — Par exemiile : du nord au sud ; de
SCfeN'ES, RKCITS
la vigilance d'un bon officior pour cmpf'cber Ic dfeastre
inevitable qui on seraiUa suite, ct tlont le moindreeffetse-
rait de br ser la mMiire au ras du pent. Elles sont com-
niunement accompagnees d'une grosse pluip qui tombe
comme une avalanche et dont on ne saurait se formerune
idee en Europe. L'impetuositL^ du vent est telle, qu'il est'
impossible de rosier dobout sans se craniponiM»r a qiiel-
que chose. Sans celte precaution un bonime sernit em-
porte comme' une plume.
Pendant la' tourmente le vent par court souvent toulesles
poiiitesdu compas ', ct quandnl viejit h se fixer, sa force
est telle, qu'il est il6cossaired''a voir fortpeu de voile dehors.
To us 1 OS ph6nomenes que je vieus d'enum^rerse succe-
dferent en moins- de temps que je n'on ai mis ii les decrire.
Tout I'oquipago est'appelii sur le pont, des ordres rapides
se renouvellent. C'hncun vole a son postc, tons travaillent
avec courage, sang-froid, ordre et precision. Les voiles
sont carguees'et serrees, a rexceplion des /iiinrVrs dans
lesqoels nous primes trois ris'^, el du petit foe'.
La mer einit grosse et bouleuse ; les vagues enormes,
lourmenlces par le combat des vents, s'elevaient a une
liauteur prodigieuse et se brisaient en une ecume blanche
et salee que le vont rejotait en pluie sur le pont. Cepen-
danttoutes les manosiivres ni-cessaires fin-ent bientot oxe-
oulees, les AmitVrs et le petit /be orienle, el le navire
enleve majestueusement sur la cime des vdgues, et, re-
tombatit ensuite dans rabinip pour s'elcvcr do nouvoaU',
faisail bravement lete a I'orage et tracait' un sillon rapide
sur les monlagnes mobiles de la mer courroucee. Les
manosuvrcs furent paroes ', chacunrcprit tranquilleraent
.sa promenade sur le pont avec le meme ordre et la m(>me
tranquillite que si le navire eut cte immobile, ce qui pa-
rait tout naturel i un homme de mer, qui a \epied marin,
tandis qu'un homme do terre ne pourrait faire un pas
.sans 6tre lance d'un bord Ji I'autre du navire par le rotilis.
Le vent avail un peu molli, il paraissail fixe et nous
I'aisions bonno route.
« Vous avez vu souvent de ces temps-la, pere Labra-
gue, n'est-ce pas? dit Cartahul.
— Tu peux I'en vanter, repondit I'ancien, j'en ai vu
que celui-ci n'est qu'une petite brise aupres.
— Et vous n'avez pas peri'?
— Le navire a peri, et il ne s'en est pas fallu de beau-
coup que j'y perde le gout du pain'; ca n'a pas et^ la
faute des sauvages s'ils ne m'ont pas roll et mang6 ; ap-
paremment ils out vu que j'etais un vieux dur a cuire :
juslement Ji boi^ de la Belle-Snphie, on m'avait donne le
nom de Pere Coriace.
— Vous nous aviez promis de nous center voire nau-
frage a bord de la Belle-Sophie, pere tabrague, confez-
nous done ca.
— Alors attends que j'aille chorcher dil' tabao dans
mon equipcl '.
— C'e.'st pas la peine, pere Labragile, en v'la a voire
service.
— Tu me cfdines, Cartahu, mais c'cst egal, c'est pas
1 Les trente-dcux divisions de la boussnle.
2 Les huniers sont des voiles carrees au-dessiis dc la Inine ; prendre
des ris, c'est dirainuer la surface d'une voile.
y lies' Toes sont deS voiles triiiiigulair'es sllr le beaiipr^ a I'uvant du
nn'^in?;
4 LeD cordages furent ployes en rond et rcmis a U-urs places respec-
tive?;
s Espece dc petite armoire sans porle.
de refus, a charge de revanche. — .\ltention : Cric ! CracI
— Vous saurez que la Relle-Snphie etait un amour do
tioi-s-mtils, bien coqiiolle, hien elonct'e sur Teauavec une
miiture bien droite et bienofTilee; c'6tait leger comme une^
plume, ca filait sur I'eau commeun ijoi'land '; ca nous-
avail des fanons eoniuie la yolc du capitaine, ca serrait
le vent comme un chasse-niaree, en filantliuit ncEudsau
plus presdu vent, un vrai amour dfi'navire, quoi !
Nous etions partis de Nanles et nous a'Vions double' le
cap Horn avec un assez beau temps quand , contraries
par les vents, nous filmos pou.eses jusqu'au soixanle-
deusiemo degr^ de latitude sud. Nous vimes des baleincs
en grand nonibro; mais nous n'allions pas la pour les pc'-
cher, el nous avions assez a faire d'eviter les glares (lot-
tantes qui nous entouraient dc temps en temps. Dame!
nous n'etions pas a la noce. Le navire avail soull'ort, la
mnitie de I'equipage etail hors d'etat de faire le quart,
nous avions le scorbut ;!■ liord et nous etions rationes
d'eau, rcduits a une ration d'eau par homme, mais c'est
egal, ca allait loujours; — tout ce qu'il y a c'est que nous
avions une vingtaine de pa.ssagers parnii lesquols il y avail
beaucoup de fcmnies. — Enfin le vent devint favorable,
et nous nous crilmcs sauv^s. Nous fi'imes tout k coup
surpris par un coup de vent furieux du sud-esl ;
nous avions nos huniers au bas ris et nous fuyions
dovant le temps, mais cela ne sufflsail pas. Nous efimes
noire gi'and Ininlcr emportc par le venl, et noire pelit
mfllde Imne casso au ras dn elmuquet. Pour conihle de
malheur le venl nous jelait a la c6te, — il 6tait impossible
de rSparernosavaries, eti tousmoments nous-en faisiun.i>
de 'iiouvelles. — Le troisieme jour nous fOmes demotes ras
commeun ponton, excepte le grand mfil, dont nous avions
conserve une partie seulement.
— Vous (-tiez done ensorceles, pere Labrague?
— Faut le croirc, tuujours il y a que nous aurions bien
pare ca. La Helle-Sophie se comportait bravement, clle
ne fai.sait pas d'eau ; tout noire mal clait dans la nuMure.
Nous i'lions pourtant parvenus a installer des mats de
lame de rechange ;i la place des bas milts.
— Sans douto, ca pouvaitse reparer?
— Oui, malelot, mais ce n'est pas lout, nous etions
a/fall's sous la cote, et depuis huil jours nous n'avions pas
vn lo soleil; Ton n'avait pas pris hauteur, et nous ne sa-
vions pas au juste a quelle distance nous etions de tone.
V'la done qu'un matin, I'liomme du bossoir, au point du
jour, crie ; Terro ! Nous essayons de serrer le venl ; mais,
bah ! on voulant mottre un peu de toile dehors, nous
brisous la verquo du- grand hunier. Nous nous voyions
affaler sur la' terre de plus en plus. Sur les midi, nous
voila tombes au milieu des brisonls a environ deux lieues
dfe'lh cote: I'e' capitaine no perd pas courage, il monte
sur le banc du quart, prend le porte voix et dit au timo-
nier : . Laisse' arrive! ! — Mais, dit le premier lieutenant,
capitaine,. noUB allons au milieu des brisants. — Je lesais
bien, que repond le capitaine, mais sij'ai bonne niemoi-
ro, il doity avoir une passe au milieu, et si nous la Irou-
vons, une fois de I'autre c.6t6, la mer sera moins mauvaise
et nous Irouverons une cote de snble sur laquelle nous
pourrons nous velioucr sans danger. ■ Dame, c'cst que
c'ctiitun vieux loupdo mer, il avait.deja-oourU'pUisHi'une
border par la. — Eh oui done!
I'Une niOilette;,oiscau'de met. It ms* I'eau et' a It vol rapid©..
A"la done que le capitainc pilole la: licUc-Sophie an
milieu des brisaul^, ni plus ni mollis qu'un pilole cotie-r.
Nous renconlrons lo- passe eL nous entrons comnie uno
FT WENTUftES DE LA VIE MARITIME. 23
mariee-. La lame etait moins forte enlre les fecifs et la
cote, el le vent avait mfime un peu moUi. Nbusmouillons
par douze brasses sur un fond de sable jaune, mais h
peine mouilles, le vent fraichit de plus belle, nous chas-
sons, et nous lalonons '. Le navire vint en travers et. fut
bicnlot brise comme une coquille de noi\. HL-ureusement
Doiis gijmes sauvcr tout, notre monde ,, mJme les ma-
lades. Falloit voir le capitaine Lehubi, un vieux terre.-
neuvier : il pcnsait k tout ; il ne quitta le hord qu'apres quo
tout le monde ful ;i terre. Nous avions souve des vivres,
des munitions et une partie de notre mature derechange.
L^i^-f
Le service- s'elablit fiomme a. bord, et. I'oo: iustalla. des | V'la-t-il pas que tout d'un coup une armeedesauvagos
tenles avec les-voiles. | , xous touchons.
CURIOSITfiS SCIENTIFIQUES.
tonibe sur nous ! On court anx armcs, mais le capitaine Le-
hubi dit : « Cost pas ca, roulcz-moi icLdps pieces d'eau-
de-vie. » Eh bien, c'est ce qui nous a sauvcs. Nous
avons fait la paix pour do I'eau-de-vie. Pourlant nous
etions piisonniers h vue; mais licureusement le capitaine
a demande a parler au chef qui demeurait dans sa capi-
tale a plusieurs Houes au nord. Nous avons marcb6 en-
toure des sauvages le long do la cote. Le chef nous a per-
inis de passer dans une autre tribu, plus au nord, oil
nous avons H& bien recus. Aprfes nous iHre reposes plu-
sieurs jours, le capitaine a appris qu'il y avait un elablis-
sement amcricain a soixante lieues de Vd. Mors nous
avons pris courage, etapres avoir navigue plus d'un mois
dans les montagnes, nous avons trouve un etablissenient
oil il y avait un consul fran^ais et des vaisseaux euro-
peens. Nous avons embarquc pour la France, et voilJi !
C'est egal, c'etait tout de meme un amour de bitiment,
que la belle-Sophie. « Y. B.
CURIOSITES SCIENTIFIOUES.
COnrCEI.ATION' SE I.'£AU sans UN BRASIER.
Cephcnomenp paradoxal, que M. Boutigny vient de ren-
conlrer dans sesingenieuses experiences sur la calefaction,
merite bien que nous n'arrivions a lui que pas a pas et
en suivant. pour ainsi dire, les degres par lesquels I'expe-
rimentaleur lui-menie est passi5.
Et d'abord, partons d'un fait singulier, mais fonda-
mental : I'eau surprise brusquement par une tres-vive
chaleur nebout pas. Si on la jelte, par exemple, goutte ii
goultesurune plaque de metal fortement chauffee, ellese
dispose en globules doiit la temperature est inferieure h
celle de rebullition ; on dirait que le liquide est ainsi tenu
il distance de la plaque melallique. Mais si la plaque se
refroidit, I'eau venantalors la mouiller, I'ebullition s'opere
avec une extreme vitesse. L'habilete de I'operateur con-
siste done surtout a niaintenir I'incandescence du reci-
pient melallique. Quelques autres conditions secondaires
sont encore indispensables, mais M. Boutigny les reniplit
toutes avec cette adresse facile que I'habitude seule peut
donner.
Ainsi, un boulet rouge place dans de I'eau froide ecarle
toutautourde lui le liquide, qui reste calnie et transpa-
rent; puis, le boulot perdant pen ii peu sa haute tempe-
rature, le liquide s'en rapproche graduellenieni, et des
qu'il le louche, savaporisalion devient fougiieuse toutaus-
sitot. Et si, au lieu d'un boulet , on plonge dans I'eau
froide un godet rouge, le liquide sera puis6 tout aussi
paisihlementque si le godet ctait froid, seulement la quan-
tity du liquide contenu doit elre moindre quo ne le com-
porte la capacite du godet, puisque le liquide n'en touclie
ni le fond ni les parois.
Mais voici une experience analogue et qui frappe da-
vantage parce qu'elle est plus exterieure, plus apparente ;
I'eau froide jetee sur un crible metallique ne passe pas,
de telle sorte qu'on peut recuciUir de I'eau dans une ecu-
moire, commc si celte fcumoire etait une cuiller; car le
liquide reste suspendu au-dessus des orifices et ne les
traverse pas.
Ce que nous disons de I'eau s'applique du rcsle a tons
les liquides.
Bien plus, si Ton verse de I'acide azotique (eau forle)
sur une plaque de cuivre fortement chaulToe , ces deux
corps restcnt indifferenis ; et cependant la chimie nous
enseigne que I'acide azotique est celui qui attaque le
cuivre avec le plus d'energie , mais louto action chimiquo
est empMiee, puisque la calefaction rend impossible le
contact.
On comprend que les exporiences de calefaction peu-
vent etre varices a I'infini , et personne ne pent pr^voir h
quels resullats etranges M. Boutigny lui-meme doit par-
venir. Comment, en elfet, soupconner naguijre qu'il serait
possible de transformer en glaciers un creuset incandes- ■
cent, ou plntut de produire la congflation de I'eau dans
le sein meme d'un brasier? Mais avant de decrire cette
derniere operation, de toutes la plus inatlendue, rappe-
lons c« principe fundamental : tout liquide calefie (sur-
pris par une tres-vive chaleur) prend et conserve une
temperature inferieure h son point d'ebuUition. Ainsi,
I'ean, qui boiit a 100° au-dessiis deO, n'aura qu'une tem-
perature de 96°; I'acide sulfureux qui, liquefie, bofit i
10° au-dessous de 0, n'aura dans la calefaction qu'une
temperature de iV au-des.sous de 0. Ce sont prteisement
ces deux liquides qui vont 6tre mis en presence et qui
vont concourir au resultat. On chaufTe done a blanc un
fourneau, on verse dans une longue cuiller une certaine
quantited'eau et quelques gouttes seulement d'acide sul-
fureux, et on enfourne le melange. Les deux liquides se
calefiant, I'cau prend une temperature de 96° au-dessus
de 0, I'acide sulfureux prend une lempt'ralure de 1'2° au-
dessous de 0 ; et desormais , elrangers au foyer qui les
entoure, ces deux liquides, qui sont en contact reciproque,
vont agir mutuellement I'un sur I'autre pour mettre leur
temperature respective en (['quilibre, comme ils le feraient
dans les circonslances ordinaires. Ainsi I'acide sulfu-
reux s'echauffe aus depens de I'eau qui se refroidit, et
bientoten effet le melange atteint un equilibre de tem-
perature inf6rieur k 0 ; I'eau , par consequent, se gele
dans la cuiller qui, retiree Jl propos, revient pleine de
glace.
La calefaction presenle encore d'autres particularitfa
qui doivent, nous I'avouons, gftner quelque peu les theo-
ries actuclles de la science. Nous csperons qu'elle par-
viendra sans doute i tout concilier ; nous le desirous
meme sincerenient, bien loin de nous nifler a ces csprits
inquiets, qui di'jii peut-^tre se rient de son embarras. Mais
aussi nous avouons avec franchise qu'il est utile par fois
que des fails se dressent inopinement centre lesquels le
genie de I'homme se hcurtc ot s'arrcle, car ces fails lui
rappcllent, du moinsun moment, que son intelligence est
limitee, mais que les oeuvres de Dieu sont infinies.
Teulieres.
LES MILLE ET UNE NUITS D'EUUOPE ET DAMERIQL'E.
^
LES MILLE ET Ul HUITS D'ELROPE ET D'AMERIQUE.
flNGRAT.
Vitalis, noble v6nitien, (5tant h. la chasse, tomba dans
une fosse faite pour prendre les animaux sauvages. II y
passa un jour et une nuit. .le vous laisse a penser
qneUes fiirent ses angoisscs. La fosse etait obscure ;
Vilalis vouliiit la parrourir, afin de \oir s'il ne trouverait
pas quelque racine a I'aide de lat|U('lle il pit grimper et
sortir de sa prison; niais il entendit des bruits si confus
et si exlraordinaires, des £,'rop;nemenls si sourds, des siflle-
inents si elnuffes, de si plainlifs luirlenients, que la ter-
reur le prit, et, se tapissant dans un coin de la fosse, il
resla immobile et fonime aneanii par la peur. Le matin
du second jour, il entendit lespasdequelqu'un qui passait
pr^s de la fosse; alors, elevant la voix d'une manierc la-
mentable : " Au secours! cria-t-il, au secours! tirez-moi
d'ici!.
C'^tait un paysan qui traversait la forSt. Quand il en-
tendit cette voix qui sortait de la fosse, il fut effray^ d'a-
bord; puis, se rassurant, il s'approcha et demanda qui
elait la. a Un pauvre chasseur lombe par mc^garde, et qui
a passe ici un long jour el une longue nuit. Tirez-moi
d'ici, au nom de Notre-Scigneur Jesus-Christ! tirez-moi
d'ici, je vous r^conipenserai bien. — Je vais faire tout
ce que je pourrai, » dit le paysan.
Alors Masaccio (o'Mait le nom du paysan) prit une
scrpe qu'il avail a sa ceinture, et, coupanl une longue
branche d'arbre, assez forte pour soulenir un liomnie :
« Seigneur chasseur, dit-il, ecoutoz bien ce que je vai.s
vous dire : je vais descendre celle branche dans la fosse,
je I'appuierai centre les bords el je la liendrai ; de cetle
maniere vous pourrez remonter. — Va, r(?pondit Vilalis,
dcmande-moi tout ce que tu voudras, el je le I'accorde-
rai. — Eh bien, ecoutoz I comme je vais me marier, vous
donnercz a ma fiancee ce que vous voudrez. n
Aces mots, Masaccio descendit la branche dans la fosse;
il la senlil bientol devenir pe.sante, et, au meme moment,
un singe sauta joyeusemenl hors de la fo.sse. II etait tombe
comme Vitalis, et il avail lestement saisi la branche de
Masaccio. « C'est le diable qui m'a parle dans cette
fosse! dit Masaccio en s'enfuyant. — Tu ni'abandonnes
donc?cria Vitalis d'un accent lamenlable; mon ami, mon
cher ami, au nom du Seigneur Jesus-Christ, au nom de
ta fiancee, lire-moi d'ici ! Je t'en supplie! Je le doterai, je
t'enrichirail .lesuisle seigneur Vilalis, un riche Venilien ;
ne me laisse pas mourir de faim dans cette horrible fosse. »
Masaccio se laissa toucher, et, revenant ^ la fosse, jcta
de nouveau la branche ; il lira un lion qui fit un hurle-
menl terrible en sautant hors de la fosse, el qui, par les
caresses expriniait sa joie et sa reconnaissance a son li-
berateur. « Oh! pour le coup, c'est le diable, cria Ma-
saccio, I) et il s'enfuit epouvante. Cependanl, a quelques
pas, il s'arrSta. entendant les oris lamenlables de
Vilalis. (( Mon Dieu! mon Dieul criail celui-ci, mourir
de faim dans une fosse 1 Personne ne vicndra done a
mon secours I Qui que tu sois, je t'en supplie, reviens,
ne me laisse pas mourir ici, pouvant me sauver; je le
donnerai une maison, un champ, des vaclies, de Tor,
tout ce que lu d(5sireras ; mais je t'en supplie, sauve-moi !
sauve-moi de eel afTreuse caverne ! n
Masaccio revint et jela la branche ; il lira un serpent
qui sillla gaienient en sorlant de la fosse. Masaccio tomba
ci genoux, a demi mort de peur, murmurant les prieres
qu'oii lui avail apprises pour chasser le demon. II ne re-
vint k lui qu'en entendant les cris de desespoir que pous-
sail Vilalis. « Personnel criait-ii, personne! Je mourra
done? Ah! mon Dieu! mon Dieu ! et il pleurait, il san-
glolait. — C'est pourtant la la voix d'un homme, dit Ma-
saccio. — Oh! si tu cs encore h'l, dit Vitalis, au nom de
tout ce que lu as de plus cher, sauve-moi. Veux-tu mon
26
LES MILLE ET UNE NUI.TS
palais de Yenise, mes biens, nies honneurs? je te les
donne ; ct puisse-je niourir ici si jc manque a ma parole.
La vie! la vie seulemont! sauve-nioi la vie! » Masaccio
ne put pas resistcr a de semhiables prieres melees de tant'
de promesses ; il jeta de nouveau la branrhe. n La lencz-
Tous, enfin? dit-il. — Oui, »repoTidit Vilalis. Et h celte
fois, il liia riiomme. En sorlant de la fosse, Vitalis,
epuisc, jeta un cri de joie et s'livanouit entre les bras de
Masaccio.
Masaccio le soutint, le secourul,, le fit revenir a lui ;
puis, lui donnant le bras : «Voyons, dit-il, sortons de
cette foret. » Vitalis marcbait avec peine, il elait (5puise
de faim. « Mangez ce morceau de pain, dit Masaccio; »
et il lui donna un morceau de pain qu'il avail dans une
besace.
« Mon bienfaiteur, mon .sauveur, nion saint an<;e ! di-
sait Vitalis a Masaccio, comment pourrai-jo jamais te re-
compenser? — Voiis m"avex promis une dot pour ma
fiancee, et voire palais de Venise pourmoi. » Vitalis com-
menrait a reprendre ses forces. « Oui, certcs, je doterai
la fiancee, mon clier Masaccio, et je la doterai richement.
.le veux que lu sois le plus riclie paysan de Ion village.
Oil demcures-tu ? — A Casaletla, dans la foret; mais jp
quitlerai volonliers mon village pour aller m'elablir a
Venise dans le palais que vous m'avez promis.
— Nous voici sortis de la furet, el je reconnais ma
route ; je vous remercie, Masaccio. — Quand irai-je cher-
cher la dot el le palais? — Quand vous voudrcz. » El ils
se s^parferent. Vilalis renlra a Venise; et Masaccio <l Ca-
saletla, oil il raconla son aventure i sa fiancee, lui disant
qu'elle aurail une belle dot et qu; i|i aurait un beau, palais
ii Venise. Le lendemain, de grand matin, il' parlfl) pour
Venise, demanda le palais du seigneur Vitalis, on lui
indiqua. Lor«qu'il arriva, il ful elourdi du luxe etde
I'opulence qui regnaieni/ dans ce superiie palhis. II dil
qu'il venait chercher la dot que lui avail promise le
.seigneur Vitalis, el qu'il reviendrait ensuite avee sa fian-
cee, dans un beaucarrosso, s'olablir diuis le palais que
le seigneur Vitalis avail aussi promis de Itii donner.
Masaccio parol elre fou. On alia dire au s<?igncur Vitalis
qu'il y avail la un paysan qui demandait une dot el disail
que le palais lui nppartenait. «Qu'on le cliasse, dit- Vilalis;
je ne connais point cet insense: » Les valets chassSrent
Masaccio, qui, desespere, reviul a .sa chaumiere les larmes
aux yeux el y entra. sans oser allor voir sa fiancee. II re-
cula epouvante lorsqu'il vil le lionassis au coin dufoyer.
le singe, de I'autre cole, etsur le devant, roule en cercle
et comme un cerceau pose k lerre, le serpent, les Irois
h6les de la for^t. II n'osait avancer, car' il disait :
« L'liommeme cbasse, lelion va med^vorerou le serpent
me piquer, et le singe rira! » Mais le singe lui- fit une
grimace amicale , le lion remua doucement la queue
el vint lui lecher In main comme un chien qui veut
caresserson maitre, et le serpent deroula les anneaux de
son corps, se promenant dans la chambred'un air joveux
et reconnaissant qui ras.sura Masaccio.
« Pauvres betes! dit-il ; elles valent mieux que le sei-
gneur Vilalis; I'ingral, il me clia.sse comme un mendiant.
Oh! que je le rejetterais avec plaisirdans la fosse! Et raa
fiancee; moi qui croyais avoir une si belle noce ! Pas un
morceau de bois dans mon bicher ; pas un morceau'de
viande pmir le repas, et pas d'argent pour en avoir, pas
meme dequol achetcr une epingle d'or a ma femme...
D'EL'R.ORE ET D'.\MERIQUE.
L'ingral! avec sa dot et son palais! » Ainsi plcurait Ma-
saccio. Le singe se mil a grogner, le lion a remuer la
qpeue, le serpent k sa rauler et derouler; puis le singe,
s'approclianl de lui comme pour le conduire, le mena
dans son bucher, ou il lui montra une belle provision de
bois bien rang^, pour loute son annee ; c'elait le singe qui
avail pris ce bois dans la for^t et I'avait apporle a la chau-
miere de Masaccio. Masaccio emhrassa le bon singe. Le
lion alor.s, hurianl doucement, le mena dans un coin de-
la chaumiere, oil d vit une enorme provision de gibier r
deuxicerfs, Irois chevreuils, , dcs li^vres el des lapins en
quanlitej, et un beau sanglier, le tout proprcment recou-
vert de branches d'arbres, afin de le tenir frais ; c'elait Ic
lion qui avail chasse pour son bienfaiteur. Masaccio ca-
ressa la criniere du lion. « Et toi,.dil-il alors au .serpent,
ne m'as-tu rien apportS'? Es-tu un Vitalis ou un bon ct
honnete animal, comme ce singe el celion?i> Le serpent
glissa rapidement .sous un las de fenilles seches; puis,
r<>paraiBsant aussilul, il se .«oulcva sur ses anneaux, ct
Masaccio vil alora avec surprise qu'il lenait dans sa gueule
un beau diamanl. Les dragons el les serpents, comme on
le sail, connaissenl les tresors caclife. « Un diamanl! »
cria Masaccio, et il (ilendil la main pour caresser le beau
serpent et prendre le diamanl.
Masaccio avail du bois, du gibier; il pouvail dor.ner un
beau feslin de noces; il ne lui manquait plus que de I'ar-
genl : avec son diamant, il en pouvail avoir. II parlit done
aussilotet arriva tout joveux a Venise; la, ilse fit enseigner
la boutique d'un joaillier, et lui dit qu'il venait lui vcn-
dre un diamant. Le joaillier prit le diamanl : il elait de la
plus belle onu. « Combienen voulez-vous? — Deux cents
ecus, » dit Masaccio, croyanli demander beaucoup ; c'e-
lait ii peine ledixieme de lavaleurde la pierre. Le joaillier
regarda Masaccio et lui dit.: « A ce pris, vous etes un
voleur, el jevous-arr^te. — S'il vaul moins, donnez-m'en
moins, monsieur le marchand, criail Masaccio ; je ne suis
point un voleur, je suis un honnete homme ; c'est le ser-
pent qui- m'a donne ce diamant. » La police survint, et il
ful conduit devant le magistral. Lb, il r.ioonta son his-
loire, qui parol une hisloire de fees; mais comme le sei-
gneur Vitalis se Irouvait mele au rec!% du paysan, le ma-
gistral renvoyal'affaire de\'ant les inquisiteurs d'Elat, et
Mtisacoio comparut devant eux. « Conle-nous ton bistflire,
dit un des inquisitours, et ne mens pas, sinon nous te
fcrons jcter dans les Uigunes. »
Masaccio contft'son histoire, « Ainsii luas sauve le sei-
gneur Vitalis? — Oui, messeigneurs. — El il t'a promis
une dot pour lu fiancee et son palais de Venise pourtoi?
— Oui, meseeigneurs. — El il I'a.fait chasser comme un
mendiant'/ — Ah! oui', messeigneurs, comme un men-
diant, moi qu'il' avail tant supplie quand il elait dans
eelte' fosse avec le singe,, le serpent et le lion. — Faites*
venir le seigneur Vitalis, ivVitaJiSivint. aGonnaissez-vous
eel homme,, seigneur Vitalis ! dit 1,'inqnisileur. — N'on,
je ne la. connais pas,, repondil Vitalis. — 11 pretend qu'il
vous a sauve la vie; — Jo. declare ne I'avoir jamais vu,, »
Les inquisitours se consulli:renl. « Cot homme, disaient-
ils, parlantde Masaccio, est evideinment un fou ou un
fripon, il faul le meltre on prison, lo lemps eclaircira
I'affaire. Seigneur Vilalis,, vous pouvez vous relirer. »
Puis, faisant un. signe- a un sbiro-: «. Metlez cet homme
aux Plombs. »
Masaccio sejela a genoux au milieu, de la .salle. « Mes-
PETITES PROMEN
seigneurs' messeigneurs ! il est impossible que lediamant
soil un Jiamant vol6 ; je vous assure que c'est le serpen!
qui me I'a donne; le serpent a pu vouloir me tcomper,
messeigneurs. II est possible que le singe, le lion, le ser-
pent, tout cela soit une illusion ; mais j'ai sauv(5 ce
seigneur, je I'atteste; il n'ost plus pale, il n'est plus faible
et a demi 6vanoui aujourd'hui comme lorsqu'il est sorti
de la fosse, et lorsque je lui ai donne de men pain ; mais
je le reconnais : c'est la mdme voix qui me criait de
ADES EN SUISSE. 27
luisauverla vie, avec laquelle ildit aujourd'hui qu'il ne
mc connait pas. Je nevous ai pas abandonne dansla fosse !
— Seigneurs, dit Vitalis en s'inclinant devant le tribu-
nal, je ne puis que repeter ce que je vous ai dit : je no
connais pascet homnie; il invente centre moi une bistoire
extravagante. A-t-il un seul tenioin, un seul indicc? »
A ce moment, il se fit un mouvemenl d'ellroi et do
surprise parmi les shires, et le lion, le singe et lo serpent
enlrerent dans la salle. Le singe etait montesur le lion et
tenait le serppnt entortille autour de son bras. En entrant,
le lion buria, le singe grogna, ct le serpent sillla. » Ah!
ce sont les betes dela fosse, cria Vitalis eperdu. — Sei-
gneur Vilalis, reprit le chef dos inquisiteurs, qnand le
trouble qn'avait caus6 cetle apparition fut un peu dissipe,
vous demandiez oil etaient les temoins de Masaccio ; vous
voyez que Dieu les a envoyfe a point nommd a la barre
de notre tribunal. Quand Dieu a temoigne centre vous,
nous serions coupables devant lui si nous na punissions
pas voire ingratitude. Voire palais, vos biens sont confis-
qufe ; vous passerez le resle de vos jours dans une etroite
prison; allez. Et toi, continua-t-il en s'adressant a Ma-
saccio, qui, pendant ce temps, caressait .son lion, son
singe et sou serpent, puisqu'un Vinilien t'a proniis un
palais de marbre et une dot pour ta fiancee, la riJpubliquB.
de Venise accomplira la promesse; le palais et les biens.
de Vitalis sont a toi. Vous, dit-il au secretaire du Iribu-
nal, redigez un recit de toute cette hisloire, et failes-la
connaltre au peuple de Venise, afin qu'il sache que la juss
tice dn tribunal des inquisiteurs d'tlat n'est pas moins
equitable que rigourcuse. »
Masaccio et sa femme vecurent de longues annees dans
le palais de Vilalis, avec le singe, le lion et le serpent; et
Masaccio les fit reprfeentcr sur une muraille de son pa-
lais, entrant dans la .sallo du tribunal, le lion portant le
singe, et le singe, le serpent..
PETITS VOYAGES M mm.
eXSIKVSL — BAUB
Quel est celui denons qui, au milieu du lourbillon dos
atfaires, ou de vous-;,mes jeunes amis, qui, apres une an-
nee .scohiire passee sur les bancs, n'a pas desire vivre un.
peu dela vie libre et indepondante des bois et des moti-
lagne.iv des fUR^lS' et des lacs solitaires? I.a Suisse est, a^
nos portes ct d'autant plus agr(^able rrvi-siter que partout
les reoherclies et les elegances de la civilisatron s'y me—
lent auxbeautes sauvages et fiures de la nature. Arnsi do
toules- parts s'eleventcles.villcs charmanles, habitees par
des citojens eclaires et amis des arts, tellesque Lausanne,
PETITS VOYAGES EN SUISSE.
Vovay, Fribourg, Solcure, Berne, NeufchiUel , et aux
flcux extrf-mitt's dc la Suisse dciix grands centres de ci-
vilisation et dc commerce, Geneve du cute dc I'ltalie,
BJle du c6ti5 de TAllemagne, I'une et I'autre contigues a
la France.
Geneve, ville d'un aspect moins sevi.'re, plus doux et
lion moins pittoresqae que BiMe situee sur les bords du
Rliin, est une ville forte de 28,000 habitants, cclebre par
son histoire, par ses grands lionimes, par sa belle posi-
tion et tout ce qu'elle renfernie. D'excellenles hotcllerics
y accueillent le voyageur ; on cite specialenient I'ficu de
Geni-ve sur le lac, Ics Balances et I'liotel d'Angleterre,
aux Secberons, hors de la ville. Cette derniere est distin-
gUL^e par son site et par les conimoditAs qu'on y trouve.
L'eglise cathedrale, I'hdlel de ville, la viciUe tour de Tile,
I'acadeniie, le nnisee, le th(5Mre, et beaucoup d'instituts
scientifiqncs, artistlques et de culture; I'ccole fmnche et
la fete publique de la distribution des prix qu'elle ac-
cnrde; la grande society de lecture et sa bibliotheque si-
tufe dans un beau local, justifient la r(:'putation de la
vieille r^publique. Le voyageur doit visiter aussi le jar-
din iMtanique au bastion bourgeois ; les busies de
•I. J. Rousseau et de plusieurs autres citoyens; la biblio-
theque de la ville, tres-digne d'etre conipulsee, divers
cabinets d'hisloire naturelle et qudques colleclions de
niineraux ; plusieurs collections de tableaux et cabinets
de curiosites; le grand herbier de Candolle , celui de
Httlla, le bas-relief des Alpes jusqu'au mont Rose, par
Gandin, le cabinet de Satissure, oil Ton montre encore
les souliers qu'il a fait faire expres et dont il s'est servi
pour gravir les Alpes Plus de trois niille ouvriers s'y oc-
cupent du travail de I'borlogerie, dont ils fabriquent an-
nuellement soixantedix niille pieces. La fabrique de
shawls de Pielet est cclebre. De la promenade appelec
La Treille, de la place Maurice, de la tour du milieu de
la cathedrale, de la colline de Saint-Jean, a Grand Suc-
conex, on decouvre de magnifiques points de vne. Le lac
de Geneve est long de 202,920 p. ou de 14 1. enlre Rollc
et Thonon; il est large de 3 1. carrees; sa plus grande
profondeur pres de Meille'rie est de 949 p. el son eleva-
tion au-dessus de la nier de 1,150 p. Les bateaux a va-
peur parcourent ce lac dans toutes les directions. Parmi
les poissons dont il fourmille, nous citerons les grandes
truites et le poisson excellent nomm^ ombre -chevalier.
Quant il I'histoire morale et politique de Geneve, elle
est une des plus inleressantcs de I'Europe, et peu de
villes ont produit dans un plus petit espace, en un aussi
petit nombre d'ann^es , autant d'hommes remarquables.
PPEDlIOMNte
BP.1'1 !:riH
MUSeUM
7 AUG 29
NATURAL
HISTORY.
BAYARD.
29
Le caraclere general ties moeurs gene^oises est une ele-
gance sobrc et un melange heureiix de I'aciivite fraii-
raise et de la legularile allemande.
Bale est beaucoup moins scientifique et aitistique que
Geneve.
Cette\ille, qui compte 16,600 liabilanls, est conside-
rable et remaiquable dans Tliistoire. On doit y admirer
surtout le pont du Rhin de 600 p. de longueur; la catbe-
drale.qui date du temps delOlU.avec la salledu concileet
le tombeau d'Erasine et de plusiears autres hommes cele-
bres; I'hotel de ville, I'universite et sa bibliotUeque avec
eelle d'/jrasmc, les tableaux de Holbein, la collection de ta-
bleaux de .\1 . FasL-b, le beau panorama de Tliuii en relief, par
H'oc/icr; le casino et la reunion des artistes, ou lesetrangers
trouvent facilement acces. Dans le voisinage, on trouve
ks ruines romaines de Augst; une collection de debris
anticpies trouves en cet endroit existe au jardin de For-
ntrd a Bale; il faut visiter Ihupilal et le ciuietiere de
Sainl-Jacqurs nomnics les Thermopyles suisses, a cause
du cunibat memorable conire les Francais en 1144. Un
vin appele le sang des Suisses croit sur le champ de ba-
laille. Un beau monument en forme d'une tour y est erige
en I'honneur des soldats tues a cette rencontre ; on a
aussi frappe une medaille a leur honneur, et dont il existe
une belle eslanipe. Le quai du Rhin, qui est la partie la
plus basse de Bile, s'eleve neanmoins Ji une hauteur
6gale k celle de la fleche de Munster a Strasboiiry. On
trouve de belles vues et des promenades magni/iques sur
la place dile la Pfiilz, sur la place Saint-Pierre, aux jar-
dins ForcanI, Vischcr, au bois des Freres, au Wartem-
berg. Si les habitudes entierement commerciales des ha-
bitants donnent Si la ville un aspect severe et un peu
sombre, rien n'est beau comnie le panorama du Rhin qui
qui se deroule avec une joie magnifique en baignant les
murs de la vieille ville et les pierrcs roses de la catlie-
drale.
LESFRAK\ISILUSTllES.
BATARS.
De touslesheros dont la vie a ete ecrite. Bayard est
peut-etre le seul de tons les heros du moyen ige dont la
V ie soil sans tache. et qu'on puisse louer sans aucune res-
triction. Ce court abrege de sa vie ne peut done etre
qu'un excellent exemple a suivre pour ceux qui trouve-
ront dans le recit de ses vertus magnanimes de quoi cul-
l)ver et fortifier, en nieme temps, les qualites que la na-
ture a niises en eux.
Bayard (Pierre tiu Terrad, seianour de), surnomme le
Chevalier sans peur et sans reproche , elait smiple ,
modeste, ami sincere, pieux, humain et magnanime;
son ame reunissait toutes les vertus ; et telle fut
la perfection dc cet illustre chevalier, que, sans le temoi-
?;nage unanime des historiens contemporains, la postcrite
ii'aurait peut-etre vu en lui qu'un modele chimL'ri(jue et
inimitable.
II naquit, en 1476, d'Aymond du Terrail et d'Helene
des Allemans, au chateau de Bayard, dans la vallee de
Graisivaudan, a six lieues de Grenoble. La maison du
Terrail , une des plus anciennes du Dauphine , etait
qualifiee de noble et ancienne chevalerie, d'ecarlate de
la noblesse. Le jeune Bayard, eleve sous les veux de son
oncle George du Terrail, eveque de Grenoble, puisa de
bonne heure, a I'ecole de ce digne prelat, le germe des
vertus qui devaieiit I'illustrer un jour. « Mon enfant,
« lui ditaitce bon eveque, sois noble comme tes ancetrcs,
« comme ton trisaieul, qui fut tue aux pieds du roi Jean,
ic a la bataille de Poitiers; comme ton bisaieul et ton
<c aieul qui eurentle meme sort, I'una .\zincourt, I'autre
II a Montlhery, et enlin, comnie ton pere, qui fut convert
II d'honorables blessures en defendant la patrie. »
.\ peine Bayard eut-il atteint I'age de treize ans, que,
voue H la carriere des amies, I'ev^que de (Jrenoble le pre-
senta au due de Savoie, allife de la Fiance, qui I'admit au
nonibre deses pages. 11 faisait partie deson cortege lorsque
ce prince vint voir Charles VIII a Lyon. Les tournois fu-
lent pour le jeune Bayard les premiers champs dhonneur
et de gloire. Des lors on dem^lait dans ses traits ce qu'il
serait un jour, .\ppele ci des combats plus seneux, il
suivit Charles VIII en Italie, fit a dix-huit ans, a la
bataille de Fornoue, des prodiges de valeur, eut deux
chevaux tues so"s luj, et prit une enseigne qud pre-
senta au roi. Vers le commencement du regno de
Louis XII, n ipour'suivit avec tant d'acharnement les
fuyards aux portes de Milan, qu'il entra avec eux dans
la ville et fut fait prisonnier. Ludovic Sforce eut la ge-
nerosite de le renvoxer sans rancon, apres lui avoir fait
rendie ses armes et son cheval. Pendant le sejour des
Francais dans la Pouille , Bayard defit un parti espa-
gnol et fit lui-meme prisonnier Ip capitaine don Alonzo
de Solo-Major qnil traita gencreusement; mais non con-
tent de piendie la fuite au niepris de sa parole, Solo-.Ma-
jor calomnia Bayard, qui, selon les moeurs du temps,
I'appela en combat singulier; il tua son adversaire, et
plusieuis auleurs font mention de sa victoire comme d'un
prodige de force et d'adresse. Depuis, a I'exeniple d'Ho-
ratius Codes, Bayard defendit seul centre les Espagnols
un pont sur le Carigliano et sauva I'armee francaise en
retardant la marche de I'ennerai viclorieux. « Comme un
(I tigre eschappe, dit Theodore Godefroi, il s'accula a la
II barriere du pont et a coups d'espee se defendit si tres-
« bien, qu'ils ne savoient que dire et ne cuidoient point
a que ce fut un homme, mais un deable. » Cetle belle
action lui merita pour devise un pore-epic avec ces mots
fails pour lui seul : Vires agminis unus habel.
Bayard suivitensuite Louis XII lorsque ce pi ince niarcha
contre les Genois revoltes; il fut charge de I'allaque d'un
fort dont la prise decida la soumission de la ville dc Genes.
La ligue de Cambrai contre la republique de Venise ayant
rallunie la guerie d'ltabe, I'armee francaise renconira
celle des Venitiens pres d'Agnadel, en 1509. Bayard etait
il I'arrii^re-garde, et, marchant a travers les marais pour
prendre lesennemisen flanCjil les rompit et determina la
victoire. S'etant signale aussi devant Padoue, I'enipereur
Maxiniilien lui dit en presence de toute I'armee : ■ Le roi
. mon frere est bienheureux d'avoir un chevalier tel que
50
■BAVARD
« vous; je voudrais avoir une douzaine de vos pareilset
• qu'il ni'cn coulAt cent iiiille Hoi-ins par an. »
Bayaid \int ensuite au secours da due de Ferrare, qui
elait dcvcuu sou eiinemi acliarne. Le liasard fit lout
ochoucr; mais non mouis grand que Fabricius, Bayard
sauva la vie a Jules U, qu'un Uailre olTrait d'empoison-
ncr. L'ime noble du .heros francais cut horreur de da
Irabison, et.nionlrant rindignalioii la plus vive au due
de I'errare, qui opinait pour rempoisojinement, j\ le
nienaca d'avertir le pape.
Bayaril, bless6 gcievement ^ I'assaut de Brescia, est
porte dans la maison d'un geutilhomme qui venait de
prendre la fuile, laissant sa. femme et ses deux filles ex-
posees k la brutalile des soldats. La mere eploree recoit
le guerrler mourant et le conjure de sauver la vie et
I'honneur de ses Giles. Bayard la rassure, met sa maison
a I'ahri de loute insulle, et, taudis que des ruisseuux de
sang inondent la ville, que des soldats feroces se livrentJi
lous les exces du crime, I'asile de Byard devient le se-
jour de la paix, la sauvegarde de I'innocence. Gueri de
sa blessure, et pres de rejoindre I'armi^e, il refuse deux
mille cinq cents ducats que cette famille reconnaissante
lui offre (lOur rancon et partage cette somnie entre les
deux beaulcs dont il a protegi5 la vertu; il s'arrache, le
coaur attcndri, des bras de cette interessante famille, qui
le comble de benedictions.
La joie fut gonerale a I'arrivce de Bayard au camp de
Gaston de I'oix devant Ravenne. II opina pour la ba-
taille, prit deux enseignes aux Espagnols et poursuivit
les fuyards; Gaston, I'espoir de la France, perit pour
n'avoir point suivi les conseils de Bayard. Blesse de
nouveau k la bataiUe de Pavie, oil il etait reste le der-
nier pour faire rompre le pent, il fut transporte a Gre-
noble, dans la demeure de ses peres, viugt-deux ans
apres I'avoir quittee. Sa vie y fut en danger. • Mon re-
gret, disait-il, n'est pas de mourir, niais de mourir
dans un lit comme une femme. » II fut bienlot retabli.
Bayard goutait les hommages de ses concitoyens lorsque
la guerre, rallumee par I'agrcssion de Ferdinand le Ca-
Iholique dans la Navarre, I'appela au dela des Pyrenees;
il y deploya les memes talents et le meme lieroVsme qui
I'avaient rendu si celebreaudela des Alpes L'arraee fran-
caise en vintaux mains a Guinegaste et prit honteuse-
nient la fuile sans qu'il flit possible aux chefs de la ral-
lier. Bayard, di'sespere, s'arrtite sur un pont et fait face
a I'ennemi avec son intrepidit(5 ordinaire ; mais cedant au
nombre, sa troupe va mettre bas les amies ; Bayard, aper-
cevant un officier anglais au pied d'un arbre, vole vers lui
a cheval, et, lui meltant lepee sur la gorge : « Uends-loi,
' hoinme d'armcs, lui dil-il, ou je te lue! ■ L'officier lui
remet son epee ; Bayard lui donne aussitot la sienne en
lui disant ; « Vous voyez devant vous le capitaine Bayard
« qui est aussi votre prisonnier. » Cetle action ingenieuse
et bardie fut lapporlee ii I'empereur et au roi d'Angle-
terre, qui deriderent que Bayard ne devait point de ran-
con et que les deux prisonniers etaicnt quilles mutuelle-
mcnt de leurs parOles. Les deux monarques accueillirent
Bayard avec lous les egards qui etaient dus a un lei pri-
sonnier et le renvoyerent comble d'eloges. « Je crois, lui
« dit Henri VIII, que si tons les gentiUiommes francais
« Etaient comme vous, le siege que j'ai mis devant Te-
« rouane serait bienlot leve. »
Parvenu au trone, Francois I" envoya Bayard en
Dauphine en qualite de lieulennnt general pour ou\rir
i son armee le cbemin des Alpes ct du Piemont.
Prosper Colunne I'attendail au passage et esperait le
surprendre; mais Bayard enleva lui-menie ce general
etlefit prisonnier dans la ville de Carmagnole. Gette
expedition brillante ne fut qu'un jeu pour Bayard, qui
pr^ludait ainsi k la fametise journee de Marignan ;
il y fit des prodiges.k eote de Francois 1" et de-
cidn la vittoire. Onvit alors un spectacle digne de fixrr
les regards de tons -les 'iges : un prince, vainq\ieur d'nnc
nation rcdoulable, qui, rappelant les usages de lancieniie
chevalarie, voulut (}lrearme ebevalier de la main du plus
brave, et qui fit choix de Bayard pour orner son diademe
du gage de la valeur. cc Bayard, mon amy, lui dit le mo-
a narque, je -veux aujourd'huy sove fait chevalier par
« vos mains, parce que celui qui a combatlu i pied et a
« cheval entre tons autres est tenu et repuli' le plusdi-
« gne chevalier. » Bayard s'excuse avec modeslie :
« Failes mon voulcir et commandemcnt, » ajoule le ro .
Bayard obcit, el, frappant du plat de son epee sur le col
du monarque a genoux : « Sire, dil-il, autant vaille que
0 si c'etait Roland ou Olivier, Godefroy ou Baudouin,
« son frere ; cerlcs, vous 6tes le premier prince que onc-
« ques fit chevalier. » Regardant ensuite son epee, et la
baisant avec une joie ingenue : « Tu es bienheureuse,
« mon espee, d'avoir, a un si verlueux et si puissant roi,
a donne I'ordre de chevaleriel... Ma bonne espee, tu se-
.« ras moult bien comme relique gardee et sur toules au-
« Ires honoree ! »
Cette epee devint bienlot encore plus glorieuse et re
doutable dans les mains de Bavard. Jamais la patrie n'en
eut un besoin si pressant. A peine Francois I" a-t-il
vaincu au dehors, qu'il a ses propres I'rontieres k de-
fendre. La Champagne est menacce par les forces de
Charles-Quint reunies devant i\Iezit;res, faible boulevard
centre lant d'ennemis. On propose au roi de briiler Me-
zieres et de devaster loute la province. Ce conseil, inspired
par le dcsespoir et la crainte, fait fremir Bayard, qui dit
au roi ; (c II n'y a point de places faibles , oil il y a des
« gens de coeur pour les defendre! » II se jelte dans la
ville, resolude la sauver ou d'y perir. Leseniiemis osent
le sommer de so rendre : « Avant de sortir de Mezieres,
« r^pond Bayard, j'espere faire dans les fosses un pont
K de corps morls sur lequel je puisse passer avec ma gar-
i( nison. »
Cent pieces d'arliUerie ionnent alors conire les
remparts. Une partie de la .garnison, cralgnant d'CHre
(icras^e sous les mines, prend la fuile par la breche.
« Tant mieux, dit Bayard, ces laches n'etaient pas dignes
« d'acquerir de la gloire avec nous. » La ruse acheva ce
qu'avait commence la bravoure. Bayard senia la dis-
corde parmi les generaux ennemis, qui leverent le siege.
Sans cette glorieuse rcsislance, Charles-Quint aurait pu
pencHrer au coeur du royaume.
Bayard vint ii Paris et y fut recu comme un lil)i'ra-
teur. Le parlement lui fit une deputation solennelle au
nom de la nation; le roi le nomma chevalier de
I'ordre de Saint-Michel et lui donna une compagnie de
cent horamcs d'armes a commander en son noni, lion-
neur Jusque-la reserve aux princes. II serait dillicile
de peindre les transports qu'excita son relour dans la
province qui I'avait vu naitre; ses soins et ses libe-
ralites firent cesser le fleau de la peste qu'il avail
BAYARD.
ol
tiouve a Grcnoljle. Fianjois I"' envoya Bayard a Gines
soulevee de nouveau contie la France, et sa prfeence
suBit pour repnmcr les Genois. De retour ;i I'armiie, il
souinil U \ille de Lodi ;.niais bicnlot la fortune cliangca,
ct ces mdmesarmeesfranraises, jusqu'alors triompliantes,
furent cliassees de leurs conqufites. L'amiral Bonivet, qui,
par des mesures mal prises, avait fait batlre Bayard a
Rebec, pres de Milan, lui remit ensuite le sort de I'ar-
mee pour la sauver, ayant ele blesse lui-meme dans sa
retiaite. « II est biffn lard, lepond'Eayard, encore sen-
« sible il I'affaire de Rebec; mais n!importe, men ame est
<( a Dieu et nia vie a I'ttat; je vous promets de sauver
a rarnite aux depens de mes jours. » II s'agissait de pas-
ser, a la vue d'un ennemi superieur en force, la riviere
de la Sesia, enire Romagnaiio etGaltinara. Bayard, tou-
jours le dernier pour soutenir la retraite,, chargeait vi-
goureusement les Espagnols, lorsque, \ers les dix heures
du matin, le 30 avril IS24, une pierre, lancee d'une ar-
quebuse a croc, vint le frapper au coto droit et lui roni-
pit I'epine du dos. « Jesus, mon Dieu, je suis mort! »
s'ecrie Bayard. On court a lui pour le retirer de la m61ee.
« Non, dit-il, pres de mourir, je me garderai bieii de
(I tourner le dos a I'ennemi pour la premiere fois. »
A'oyant approcher les Espagnols, il ranime sa voix mou-
raute pour ordonner d'aller k la charge et se fait placer
au pied d'un arbre. « Jletlczmoi, dit-il, de maniere que
<i inoH visage, regarde I'ennemi. » Ses dernitrs moments
portent le cjraclere de cette siniplicite beroique et clire-
tienne qui distingue eminemment ce grand homme. A
defaiit de cioix, il baise la croix de son ipie ; n'ayant
point de pretres, il se.confesse a son ecuyer, il console
ses domestiqucs, ses amis; et , crajgnant qu'ils ne tom-
beut au pouvoir des Espagnols, il les supplie de lui epar-
gner ce surcroit de douleur. S'adressant au brave d'Al-
leare, il depose dans son scin ses tendres adieux a son
roi et a sa patrie. Les ennemis, maitres du elianip de ba-
taille, viennent a leur tour aupres de lui verser des lar-
mes d'admiration et do regrets; le marquis do Pescaire
oublie sa \ictoire pour accourir h son secours. Tcint du
sang desFrancais, le connetable de Bourbon s'alttndrit a
la vue de ce heros expirant. « Ce n'cst pas moi qu'il
» taut plaindre, lui dit Bayard, mais vous, qui coinbat-
« tez contre voire roi et conlre votre palrie! » Peu de
minutes apres avoir prof^re ces belles paroles, il expira,
;i I'age de quarante-luiit ans. Son corps resta au pouvoir
des ennemis, qui le firent erabaumer et lui rendirent les
plus grands honneurs. On le transporla ensuite a Gre-
noble, a travers les £tals du due de Savoie, qui lui fit
rendre les memes honneurs funebres qu'aux princes de
sou sang. La consternation fut generate dans toute la
France; jamais deuil ne fut plus sincere; la mort de
Bayard elaitdevenue une calamile pnblique. Francois P"'
en marqua les plus vifs regrets. 11 sentit encore plus vi-
venient cetle perte apres la batailledePavie. « Ah! che-
<i valier Bayard, dit-il en se voyant au pouvoir des enne-
« mis, que vousmefaites grandefauteljene serais pas ici!»
Les restes de ce grand homme furent inhumes a
une demi-licuede Grenoble, dans une eglise des Minimes,
batie far un de ses ancles, evt-que de cette ville.
Ba\ard mourut pauvre et ne laissa qu'une fille natu-
relle, dont sa famille prit soin. La generosite et le desin-
teressenient elaient ses deux vertus dominantes. Apres
la victoire, il distribuait lout le butin a ses soldats
et partageait entre eux la rancon des pnsonniers
qu'il avait faits de sa main. Un officitr, envoye pcur
le seconder dans un coup de main dont Bayard seul
avait eu tout I'lionueur, reclama la moitie des quinze
mdle ducats qui avaient ete enleves. Bayard soutint
ses droits, et le conseil de guerre jugea eu sa faveur.
II entend son caniarade regretter ameremeiit la fortune
qui lui echappe, et se fait apporter les quiuze mille
ducats. • Voilii de belles dragees, dit-il avec sa gaiete
• ordinaire, je vois bieu quelles vous tentent ; eh bien !
• puisquil vous faut de I'or, recevez-en des mains de
■ votre ami. • il lui donne la moitie de la somme et dis-
tribue le reste aux soldats. Dans une autre occasion, des
revoltes voni sejeter aux genoux du general en chef pour
implorer.sa clemence et lui presentent trois cents marcs
de vaisselle dargent. Gelui-ci les donne a JBayard : « Que
« le ciel me preserve, repond I'iUustre chevalier, de lais-
• ser entrer chez moi ce qui vient des traitres! Cela me
■ portorait malheur. » II n'accepte ce riche present que
pour le distrihuer a ceux qui lentourent.
Toujours fidele a la patrie, Bayard refusa des places
eminentes et lucratives sous des monarques elran^crs.
En vainJules II, apres I'affaire du Garigliano, lui fit pro-
poser d'etre generalissimo de ses troupes ; en vain
Henri VIH espera I'attirer h lui a force de louanges et de
promesses : • Je n'ai, dit Bayard, qu'un maitrc au ciel,
" qui est Dieu, et un maitre sur la terre, qui est le roi
de France ;je n'en servirai jamais d'autre. ■
Ne avec des inclinations libres et genereuses, Bayard
fut (itranger h la souplesse des cours et aux artifices
de la politique; aussi n'a-t-il jamais commande les
armees en chef. Ce fut un malheur reel pour la Fiance
et une faute de Francois 1", qu'il accorda plus a la
faveur qu'au merite.
Si celui qui joignait la prudence a la valeur, la
sagesse b I'intrepidite, I'amour de la patrie a I'amour
de ses devoirs, qui, soigneux et vigilant, fertile en res-
sources, egalement propre a la defensive et ii I'offen-
sive, ferme dans les perils, tranquille au milieu des
orages, incapable de ceder a I'ennemi et de plier sous
le noinbre ; qu'on suivait dans les camps pour ap-
prendre de lui I'art de la guerre, dont la presence ras-
surait tout une armee et y repandait la joie; qui etait
a la fois I'onicle des conseils, I'ilme et le bras des gene-
raux., la terreur [des ennemis, le bouclier et I'epee de
I'fitat; si un tel homme enOn ne fut jamais general d'ar-
mec, il fut sans doute le plus digne de I'etre.
MCEUKS DXS JXUNXS GXNS.
■V'ifs et emporles dans leurs desirs, les jeunes gens ne
cherchent qu'a les satisfaire ; mais, inconslanis et legers,
ils se degoulent aisement des plaisirs qu'ils ont le plus
ardemment souhaites. La passion qui les touche le plus est
Tamour de la gloiie. lis sont tellement eblouis de son
Mat, qu'ils lui sacrifient Tolontiers leurs biens et leur
repos. De la leur srande sensibilite sur le point d'hon-
neur. Incapables de soulTrir une injure, au moindre me-
pris leur colfere eclate, et il n'est pas facile de la reprimer.
De Ik, encore, celte Elevation de sentiments qu'on re-
marque en eux. On les voit souvent, plein d'une noble
emulation aspirer, aux depens de leur vie, a I'honneur
qu'ils preferent a I'intertH. Aiicun obstacle ne les effraie.
MOEURS DE L'HOMME.
parce qu'ils se croyont capables des plus grandes choses.
Cela n'est point elonnant a un ige oil ron est sans pxpe-
rience, oti les disgraces de la vie n'onl point encore fle-
tri leur Jme. Aussi ont-ils la credulile, la franchise et
la siniplicite en parlage. lis s'abusent continuellementpar
desesp^rances les plus chiineriques.Le court espace qu'ils
ont vecu n'elant qu'un point a leurs yeux, ils voiont de-
\ant eux une carriere immense i parcourir. lis osent
meme so flatter qu'elle sera glorieuse. De la vient qu'il
est si facile de les tromper et do les soduire. Combien de
fois n'a-t-on pas vu I'artiRce et la fraude se jouer de la
faiblesse de cet ige? Combien de fois n'a-t-on pas profite
do I'espece d'ivresse ou les tient leur vivacite naturelle?
Mais si I'inexperience rend les jeunes gens le miserable
jouet de la fourbene, de combien de vertus n'est-elle pas
aussi le germe? Tendrcs et sinceres, leur amitie est d'au-
tant plus vive, quelle est moins suspecte d'interfil. Heu-
reux s'ils etaientpluseclauessur le cboix de leurs amis.
Sensibleset compalissants, ilss'attendrissent aisement sur
les miseres d'autrui; parce que, ne voyant danslesautres
quo les sentiments dont ils sent eux- memos afToctes, ils
ne connaissent pas toute la mcchancete des liommos. Plus
malins que depraves, la seule envie de faire un affront les
fait souvont nianquer aux lois de la bienseance et de la
politesse. Enlin, peu jaloux des richesses, ils n'en con-
naissent pas tout le prix, parce qu'ils n'ont point encore
essuye les caprices de la fortune.
Mais par combien de defauts ces vertus ne sont-elles
pas obscurcios? Suivez les jeunes gens dans leurs dille-
renles positions; ici vous les vcrrez ennemis furieux , la
suDisants et decidant d'uu ton de maitre sur les choses
ipi'ils n'ont jamais examinees. Sont-ils coupables de quel-
(lue fautc, trop pleins d'amour-propre pour en convenir,
ils la couvrent d'un nuage, car ils ajoutent a la mauvaise
honte et a la vanite une inclination singuliere au men-
soni'e, et beaucoup d'opiniatrole ii la soulenir. Mais ce
qui frappe le plus en eux, c'est le penchant a la raillerie,
I'amour de I'oisiveto, la paresse, Tindocilite et le mepris
des remontrances ; defauts qu'il est aise de remarquer,
lorsque les jeunes gens font leur eiuree dans le moiide.
Toujours contents d'eux-memes, ils sont parfaits, ils sa-
vent tout, ils ne deferent ni ii rSgc ni a I'autorite; ils ne
respeotent, ils n'imitent personne ; ils se sulEseiit a eux-
m^mes pour exemple et pour regie.
Un grand philosophe les a definis en deux mols,
quand il a dit qu'ils se conduisent plus par sonliment
que par raison. Voila la source des regrets qui ompoi-
sonnent S3uvent le reste de leurs jours.
SKXITRS SE I^'HOMME FAIT.
fe^alement eloigmi des mieurs ordinaires aux jeunes
fens et aux vieiUards, rhomme fait tient le milieu entre
ies deux aj'os. II n'a ni I'audace des uns, ni la timidite
des autres ; mais il affronte les perils avec ce courage
actif et tranquille qu'on ne connait ni dans la bouillante
jeunesso, ni dans I'age glace de la vieillesse. II n'est point
esclave de I'opinion ; la verite et la prudence ic-glent ses
jugemenls. Poli envers ses egaux et respeclueux jusqu'Si
la flalterie envers ceux dont il brigue les favours, il
evite d'ulTe[iser personne, et il ne se fie qu"ii un petit
nombre d'auiis. 11 fail si bien allier son honneur avec ses
inlerits, qu'il ne connait ni la profusion, ni la sordide
avarice, usant de ses biens avec aulant d'cconomie que
de noblesse. Matlre de ses passions, on voil briber en lui
les qualites qu'on e.stime s(5paroment dans les jeunes gens
et les vioillards. Ainsi il a I'activite des uns et la mode-
ration des autres; tandis que, d'un autre c6te , il fait ra-
mener a un juste temperament ce qui peche en eux par
exces ou par defaut.
DIOBURS DES VIEII.I.ARDS.
Les mCBurs des vioillards, qui rostent ii docrire, offrent
un tableau bien diflercnl. L'homme ii la Bn de ses jours
est, pour ainsi dire, disgracio de la nature, lui qui dans
un autre temps semblait etre I'objet de ses complaisances.
Cotte force d'espril, cetle vivacite d'imagination , cette
grandeur d'ime qui, nous le faisaient admirer, sont eclip-
si'es, el le vieillard infirme, courbe sous le poids des
annees, n'a plus, a la place de taut de qualitfe, que des
defauts bien capables de rhuniilier. Les mauvais suoces,
I'exp^rience d'une longue vie, et la fourborie des autres
hommes rendenl le vieillard timide, circonspecl, irrisolu.
Comme il a elesouvent trompe par de fausses apparences,
il n'ose prononcer aflirmativement sur les clioses mime
qu'il a examinees. S'agil-il de prendre un parti? il cher-
che, il tJilonne, il flotle continuellemont entre la crainteet
un peu d'esperance, et passe ainsi le temps a dolibcror. I'
ne faul pas^trosurprisdeson irresolution. Sa longue expe-
rience lui fail entrevoir des difficultes que sa timidile
naturelle lui grossit ; aussi trouve-l-on rarement de la
fermele el de I'elevation dans son caracleie. Occupe de
minuties, a.ssi(5ge de niille soupcons, l'homme a cet Jge
croil qu'on lui tend des pieges, et prend souvont en mau-
vai.se part des cho.ses les plus innocentes; de la, sa de-
fiance et ses plainles continuelles ; de IJi son humeur
brusque et chagrine; de Ik, cet esprit difficile et caus-
liqui qui blame tout, qui censure tout.
11 n'ose concevoir de grandes esp^rances, parce qu'il se-
rail au bout de sa carriere. S'il est sensible aux malheurs
d'autrui, c'est moins par un sentiment genereux que par
un secret retour sur lui-mfme, craignant tons les maux
aiixquels tousles hommes sont sujets. L'image de la niorl
le poursuit el rafllige sans cesse. Voilii peul-fitre pour-
quoi le tableau desa viepassoe a pour lui tanldecharnies;
il s'en occupe volontiers. On pent dire de lui qu'il vit
dans le passe, comme les jeunes gens vivent dans I'ave-
nir. Ainsi , il vante le temps oil il a vecu aux depons de
celui oil il vit. Ce qu'il a vu, ce qu'il a fait lui parait
grand el beau , parce qu'il le voil dans le lointain. II en
fail le sujel ordinaire de ses conversations. II faul pouv-
tanl convenir que la prudence, la sobriele et la tempe-
rance acconipagnent piesque toujours la vieillesse. A cet
age oil Ton se conduit plus par rellexion que par senti-
ment, ou ne' connait guijre les grandes passions. On en
excepte pourtant I'avarice; c'est le tyran des vioillards,
c'est I'idole a qui lis sacrilient I'honneur et quelquefois
I'estime publique. Du reste, on ne doit ni craindre leur
haine, ni beaucoup compter sur leur amitie. lis regardcnt.
COS passions comme devant bientot linir. Ainsi ils sont in-
capables d'un attachement sulide et durable.
Typ. adm. LiCDAlurE cl Coinp., rue Damicttf
LE
IIVBE m FAMILIES
miUl m MONSIEUR IE CrRE.
N" 2— 2« Volume.
1" Fevrier 1846
FEVRIER.
Le nom de ce mois dtirive de febnia, sorte d'expiations
annuelles que les Remains f:iisaient effectivement a cede
6poque. Les dernieis jours en etaienl consacies a la feir
des fous, que semblenl continuer encore aujourd'hui les
extravagances du carnaval. II terminait I'annee cliez les
Remains et chez no3 aieux. II est devenu notre deuxieme
mois par I'ordonnance du roi de France Cliarles IX, qui
dteida qu'^ partir de 1565, I'annee civile conimenceiait
desormais au 1=' Janvier.
On reproche au mois de fevrier d'etre surtout pluvieux.
Assurement il serait d'abord plus sage delsonger que les
phenomenes naturels ne sont pas livres au hasard etque,
par exemple, la main puissante qui s'ouvre pour nous
verser la pluie, est cette main cri^atrice et providcntielle
qui forma la terre et qui la gouverne. Mais emportes par
nos premieres impressions, qui devraient pourlant nous
clre les plus suspecles, nous ne savons pas supposer utile
ce qui semble menacer un peu notre aveugle egoisme.
Essayons cependant de raisonner.
L'eau est un des agents les plus essentiels de reeonomie
terrestre. La place immense qui lui est faitesur le globe
I'eitprime suflisamraent. Elle doit, en effet, modifier a la
fois I'atmospliere et le sol, passer et revenir successive-
ment de I'une i I'aulre, afin de mieux assurer partout le
T. II
travail de la vegetation et lebien-^tre des animaux. Aussi
voyez comme, sous la forme ou de glace ou de vapeur
elle quitteetreprend tour a tour ou la densite de la pierre
ou la raretede fair. Voyezsurtout, b I'etatliquide. comme
tour a tour elle s'etale, se promene ou s'arrete sous la
forme de mer, de riviere, ou de lac. Mais ce n'est pas
encore assez pour accomplir son ceuvre, car il est des
plantcs et m(^me des animaux qui Tallendent au loin sur
le llanc des collincs, sur le front des rochers. Or, l'eau li-
quide n'y peut alteindre que sous une forme nouvelle
sous la forme de pluie. Bien plus, il faut qu'J, une epoque
piecise, cette pluie soil abondanteet continue, car s'il est
des terrains ou l'eau penetre ais^ment, il en est d'autres
aussi ouelle nepeut s'insinuer qu'avec peine. Et cette di-
versite des couches terrestres est elle-meme parfaitement
assortiea celle des plantes et des animaux qui exigent que
le sol presente differents degres de permeabilite, afin
qu'ici I'livaporation s'opero vite et que 1^, au contraire,
elle soit retardee. L'insislance de la pluie lui permettra done
d'imbiber profond(5ment (out lliorizon, et puis chaque
terrain se meltra de lui-meme dans les conditions d'hu-
midite qui lui sont propres. Car, par une admirable ri-ci-
.procite, des que le soleil se montre, l'eau est facilement
abandonnee par les couches qui sont Ires-permeables, mais
elleest longtemps rcleime par cellos qui I'ont admise len-
tement.
Or, si la pliiie continue est necessaire duns une des
parties de rannee, a quelle autre t'poquo pourrait-elle
agir plus a propos que dans ce mois. D'abord c'est lape-
riode la plus opportune pour les plantes, car la graine
recueilUe sous le sol a besoin que dcjii commence aulour
d'elle I'emmenagement des sues qui doivent bientot la
nourrir. C'est aussi le temps le plus convenable pour les
animaux, puisque la plupart d'entre eux ou n'existent
qu'en germe, ou sont plus ou moins engourdis; et les
autres, n'ayant pas encore leurs inquietudes de famille,
peuvent rester plus s^dentaires. Enfin, c'est le moment le
plus commode pour I'liomme; car le laboureur est alors
occup6 h des soins interieurs, a des Iravaux abrites, et
quant au citadin lui-meme, rien ne I'invite encore <) por-
ter sesloisirs dans les champs.
C'est par ledegel d'abord quefevrier marque sa venue.
La bise ^tant passee, I'horizon desorraais peut^tre mis h
d(5couvert. D'ailleurs il faut que la terre soil ramoUie
pour 6tre docile au labour. Mais comment va disparaitre
enfin cette neige 6paisse et ferme qui couvre la plaine
ainsique la niontagne? Certes, le probleme serait fort dif-
ficile pour rhomnic, qui seulement ne pourrait dire tout
ce qu'il lui faudrait, pour le resoudre, d'apparcils, de
combustible et de temps. Et pourtant I'habitude de voir
ce phenomene.s'accomplir sans effort en quelquesheurcs,
ne lui laisse pas admirer a quel agent imperceptible Dieu
confie I'oeuvre importante du degel. C'est un simple cou-
rant d'air, parti de I'equateur, qui, de sa tifede haleine,
louche la neige et la fond ; ou plutot il lii dlvise en deux
parts : I'une qui s'^leve gazeuse pour dfetendre I'atmo-
.sphere; I'autre, et c'est la plus grande, qui descend li-
quide dans le sol, de telle sorle que cette neige, qui na-
gufere elait pour les plantes la meiUeure sauvegarde,
devient aujourd'hui pour elles le plus riche aliment; car,
en se liquefiant, elle a dissous et leur apporle les debris
de tons les corps desorganises par le froid. Nedevrions-
nous pas aussi remarquer que le fonctionnaire invisible
charge de determiner tout cela, remplit si discretcment
sa mission que I'atmosphere semble sommeiller parlout,
et que vous n'apercevez emues ni la feuille deja verte
de I'aune, ni la ileur naissante du daphne.
Quand la surface du sol est ainsi deblayee , la vapeur
d'eau, suspendue comme en reserve dans I'atmosphere, se
refroidit, se condense et retombe : c'est la pluie. Selon les
SAINT GERMAIN, l!;vf:QUE D'AUXERRE.
circonstances et selon les saisons , la pluie qui traverse
I'air, I'apnise, le rafralehit ou Tf^purc. Mais, en ce mo-
ment, elle nous inleresse plutot par la puissance nutritive
qu'clle vicnt d'acquerir, car elle a dis.-ous, en se liquefiant,
les principes gazcux qui s'elaient degagt^s comme elle de
I'horizon. Ces principes seraient inutiles dans I'air et m^me
nuisiblcs; mais ramenes dansle .sol, ils s'ajontent encore
aux provisions alimentaires dont la plante va bientcif pro-
fiter.
Cette restitution que I'air fait k la terre de I'eau qu'elle
a perdue, est soumise k une loi d'harmonie que nous ne
saurions assez admirer. C'est que la quantite de pluie
quo I'atmosphere nous renvoie tons les ans est toujours h
peu pres la mOme, et que I'hiver n'en fournit guere que
sa part comme I'ete. Seulement, dans une heure d'orage,
juillet precipite plus d'eau que fevrier dans tout un jour.
Et il importe qu'il en soit ainsi; il importe, en elTet, que
le mois de fevrier ait plus de journees pluvieuses, c'est-
Ji-dire que la pluie soit alors moins rapide mais plussou-
tenue; car, a cette epoque, I'eau doit reprendre et mo-
difier lentement les d^pouilles opulentes que I'automne a
lai.ssees sur le sol.
Et maintenant est-il bien vrai que fevrier, que nous
disons si triste, soit tout ii fait depourvu d'ornement. Les
.scf'nes de la nature ne devraient-elles pas, au contraire,
nous offrir le modele de ces beaulfe de contraste que nous
aimons a trouver dans les tableaux de uos peintres? Or
voyez, apres quelques heures de pluie, comme le moindre
rayon du soleil vous parait beau. Elles sont belles aussi,
apres I'ondee, ces pervenches etces paquerettes que votre
attention dedaignerait parmi les splendours du mois de
mai. La violette surtout, au sortir de ce bain , semble
avoir sa corolle plus pure et son parfum plus doux. Le
merle en secouant les mille perles qui sont tombees
goutto ^ goulle sur le valours deses plumes, fait entendre
au loin sa voix sonore , qui semble musicale aupres des
graves olameurs de la corneille et des cris monotones du
moineau. La campagne est enfin un peu plus anini^e, et
tout di5ja semble annoncer le reveil complet de la nature.
Nous dirons cependant que fevrier, moins agreable
qu'utile, s'adresse bien plutot a la pensee qui juge qu'a
I'oeil qui veut etre falto ; lui-racme semble I'avouer. En
effel, comme il.satisfait moins le regard, il essaie presque
de le fuir, car il maintient ses nuits longues et il est le
plus court des douze mois.
Teuliebes.
MOIS DU mm CHRETIEN.
SAINT GERMAIlff, EVEQUE B'AUXERRE.
L'ordre dos temps amene dans la partio religieuse de
n(jtre publication la vie de ce grand pontife qui ilhisha le
cinquiemesiecle dc I'ere clirctienne, conune saint lliUiire
avail elk le flambeau du siiicle precedent. Nous repro-
rlierait-on d'avoir oniis le celebre et glorieux disciple de
liiveque de Poitiers? de n'avoir point con.sacre quelques
pages il riminortel saint Martin? Nous repondrions que,
voulant exchisivenient parler de I'elite des saints dont la
France a Hi: le berceau, nous ne pouvions y classer saint
Martin nd dans la Pannonie, et ayant recu sa premiere
education en Ilalie. II est vrai que la France fut le thed-
Ire de .ses eminontes vertus et qu'il y rendit a Dieu sa
belle Jinie. Mais nous ne pouvions deroger au plan ([ue
nous nous sommes trace.
Germain vit le jour k Auxerreen Fan 380. Ses parents
appartenaientk la premiere noblesse d* la province. Apres
SAINT GERMAIN, EVtQUE D'AUXERRE
avoir fait dans sa ville nalale Ics premieres <5tudes, 11
parlit pour Rome et y etudia I'eloquence ct le droit civil.
Scs brillants succte dans le barreau lui valurcnt la main
d'une grande dame nommee Eustochia, et les faveurs de
I'empereur Honorius, qui I'eleva au rang de due ou ge-
neral des troupes de sa province natalc. Cetle promotion
le fit rcvcnira Auxerre. Sa religion n'elait autre que celle
dont s'honorent aujourd'hui plusieurs liommes sous le li-
tre d'honnetcs gens, mais qui ne saura jamais suffire,
quoi qu'on en dise , pour s'elever k la veritable vertu.
Cela est trop commode et trop commun pour etre grand.
La vertu est un effort , un courage, une energie pour
triomplier de soi-meme, et la nature seule ne saurait ja-
mais y suffire. Germain comprit ceci plus tard. En atten-
dant, la chasse etait pour lui une vive passion. Quand il
avait tue une b^te, il en suspendait la tete a ub grand
arbre qui .s'^levait au milieu de la ville. C'etait un usage
paien. Les Chretiens s'en scandalisaient. Saint Amateur,
evi^que d'Auxerre, reprit frequemment le jeune due, mais
sans succte. Enfin I'arbre fut abattu par I'ordre du pre-
lat, et Germain ne se fit pas faute d'en t^moigner sa vive
indignation. Wanmoins sa colore s'apaisa.
Croirait-on que, par une vie si dissipee, on va bientit
compter cet homme mondain parmi les clercs les plus
exemplaires? Saint Amateur connut dans une revelation
que Germain devait lui succeder. II obtint de .lulien,
prefetdes Gaules, la permission de confcrer la tonsure h
ce jeune due, ce qui fut execute. Puis .saint Amateur
apprit h Germain qu'il devait lui succi'der sur la chaire
d'Auxerre. La mort du pontife eut lieu peu de temps
apres, en 418. Germain n'avait done que trente-huit ans,
lorsque les voeux du clerge et ladhesion du peuple Ic
porterent a I'episcopat. Un cliangement complet s'opera
dans Germain. II renonca ;i toute mondanite, considera
dfeorniais Eustochia comme sa sceur, distribua ses biens
nux pauvres, embrassa une vie mortiliee. Qui pourrail
raconter les macerations qu'il imposa a son corps? Une
simple planche etait sort lit, il ne mangeait qu'une fois
par jour, et ne changeait d'liabit que lorsqu'il s'en
allait en lambeaux. Point de pain de froment, point de
legumes, de sel, de vin et de vinaigre. Son palais etait
une sorlo de tbfibaide egyptienne au milieu de la Gaule.
Son hospitalite envers tout le monde etait admirable ; il
ne negligeait point, toutefois, les devoirs de sa charge.
Les nombreuses fondations qu'il fit dans son diocese at-
testent son grand zele.
Un heresiarque nomme Pelage, Breton d'origine, avait
commence a precher ses erreurs en 'lOo. La Grande-Bre-
tagne en etait infectee. Rome avait envoye un de .ses dia-
cres nomme Pallade, pour arreter le progres du mal. Ses
efforts avaient ele steriles, et il avait ecrit au pape pour
demander un prompt remede. Le souverain pontife no
Irouva personne de plus apte a celte grande ceuvre que
saint Germain d'.\uxerre, qui fut envoye en .4ngleterre
avec le titre de vicaire aposlolique. Saint Loup, eveque
de Troyes, lui fut adjoint. Nos deux missionnaircs se
mirent en route et passerent par Nanterre pres Paris.
C'est la que saint Germain vit la pieu.se vierge Genevieve
et la benil.
Les deux 6v6ques, apres une traversee fort orageuse,
aborderenten Angleterrc.Les populations s'empresserent
de les accueillir, et bientot les (5glises ne furent pas assez
vasles pour contenir le nombre des auditeurs qui se pres-
saient aux predications des deux pr61ats. Souvent ils
parlaient en pleine campagne. Les chefs des pelagiens
n'osaientsemesurer aveceux. Neanmoins il fallutenve-
nir a une conference publique : elle eut lieu a Verulam.
En quoi oonsistait done I'heresie piilagienne? Son au-
teur niait la propagation du peche originel dans les en-
fants d'Adam, et ses suites; il soutenait que la grJce de
Dieu, sans laquelle on ne peut observer les commande-
menls, ne ditflne point de la nature et de la loi ; que I'hom-
me peut, des cette vie, s'elever a une si haute perfection,
qu'il n'a plus besoin d'implorer le pardon de sespechfe;
que les enfants ne sont point baptises pour effacer le pe-
che originel; qu'Adam serait mort quand meme il n'au-
rait pas pech6.
En 418, I'annte meme oil Germain futconsacre ^vfique
d'Auxerre, deux cent quatorze eveques r^unis en concile
a Carthage avaient condamn^ cetle heresie, profess^e et
preehOe par Celestius, compagnon de Pelage. Saint Au-
guslin est celui de tous les docleurs qui a le plus energi-
quement combattu celte doctrine erronee et impie.
Voila ce qu'il s'agissait de delruire en Angleterre. Les
her^tiques pelagiens furent admis a parler les premiers
dans la conference dont nous avons design^ le lieu. Une
grande multitude y assistait. Les deux eveques parlferent
ensuite et appuyerent si bien leurs raisonnemeots sur
I'Ecriture, que les h(5retiques furent reduits au silence.
Les fideles poussferent des acclamations el proclamerent
la victoire de la vcrite sur le mensonge. Un miracle vinl
confirmer la doctrine des 6v(5ques gaulois. Un tribun
leur presenla sa fille agee de dix ans et aveugle. Les
eveques lui conseillerent de prier les pelagiens de lui
rendre la vue que ce pere implorait pour son enfant ;
mais ceux-ci, au contraire, pre.sserent les eveques de ten-
ter le prodige. Germain invoque assilot la Sainte-Trinitd,
et applique sur les yeux de la petite aveugle un reliquaire
qu'il porlait a son cou. Celle-ci recouvra aussildt la vue.
Ce miracle excita une grande admiration, et des ce mo-
ment tous les obstacles furent leves. Le pelagianismc
disparut de la Grande-Bretagne. Pour en remercier le
Seigneur, on alia au tonibeau de saint Alban, le plus il-
lustre martyr de I'Angleterre , et I'evfique d'Auxerre
ayant fait ouvrir celte sepulture, y mit des reliques des
.saints apdtres. Puis il prit de celte lerrc impregnee du
sang du martyr, el I'emporta a Auxerre, ou il fit bJtir
une eglise en I'honneur de saint Alban.
Mais voici qu'au milieu des conqueles spirituelles des
deux ev6ques, surgit une guerre d'invasion. Les Saxons
el les Picles fondent sur la Grande-Bretagne, et y exer-
cent les plus grands ravages. Le secours des deux sainUs
ne pouvait qu'cHre utile aux opprimi's, el on se hJta d'y
recourir. Les Bretons reunissenl rapidement une armee,
et prient les (5veques gaulois de se rendre dans leur camp.
Ceux-ci y acquiescent a condilion'que les idolitres se con-
verliraienl, ct que les mauvais chriitiens reformeraient
leurs mceurs. On vit en peu do temps beaucoup de con-
versions. Une espcce d'eglise fut praliquee au milieu du
camp avec des branches d'arbres entrelacees. Les cat-i-
chumenesy recurent le bapleme, el, le temps de Piques
etanl survenu, la fete y ful celebree avec une grande edi-
fication. Tl fallul s'occuper d'agir ensuite pour repou&ser
les barbores. Germain, ennemi de I'elfusiou du sang,
imagina un stratageme : il connaissail d'ailleurs toute la
taclique mililaire, puisqu'il en avail deja fait profession.
36
11 so mel i la tiHe de I'aim^e et la conduit dans un val-
lon environne de haules monlagncs; puis il enjoint aux
soldals de reptHer en choeur et ii Ires-haute voix le cri
. qu'ils lui entendiaient pousser. En effet, les Saxons et les
Pictes s'i'laiit avanci-s pour attaf|uer Tarmee de Germain,
celui-ci crie trois fois : Alleluia. Les Bretons poussent
tous ensemble le m6me cri, et les echos des montagnes le
reperculent avec un effroyable bruit. Les barbares (ipou-
vantes se debandcnt et prennent la fuito avec une telle
precipitation, que plusieurs se noyi'rent dans une riviere.
La frayeurleur avait fait abandonner leursarmes et leurs
bagages, qui tomberent au pouvoir des Bretons. On
monlro encore I'endroit ou ceci arriva, et on I'appelle
Maes Garmon, c'esl-h-dire le champ ou champ de ba-
taille de Germain.
La mission des evSques etait termineeen Angleterre, et
chacun d'eux revint dans son diocese. Germain, de retour
'a Auxerre, voyant son peuple accable d'impols, resolut
d'en aller solliciter la diminution anprfes d'Auxiliaris ,
pr^fet des Gaules, qui se lenait h Aries. Son voyage fut
comme une marcbe triomphale, tant etait grand le res-
pect des peuples pour ses vertus. Le prefet lui-meme ren-
dit k Germain les plus grands honneurs, etiui accorda .sa
requ6te.
C'esf ainsi que I'figlise .s'est lovijours occupfe du
soulagement lemporel de ses enfanis, tout en donnant
une juste preKrence aux inleri^ts elernels. Auxiliaris fit
de riches presents a I'eveque d'Auxerre, et le pria de
guerir sa femme, alteinle d'une fifivrc quarle. Les vceux
du prefet furent accomplis.
Revenu a Auxerre, le saint pontife veiUa surtout a I'a-
reelioration des moeurs et au progres de la piete. Son
exemple etait une predicalion continuelle et (5loquen(e.
Ntanmoins il se vit bientot force de quitter do nouveau
sa villc episcopale pour retourner en Angleterre, oil le
pelagianisme s'elait une seconde fois propage. Ceci eut
lieu en 446. Son compagnon de voyage fut, cette fois,
Severe.qui avait ete disciple de .saint Loup, et qui venait
d'etre nomme archevAque de Trtives. Les pelagiens es-
suyerent une derni^re di'faile et ne parurent plus dans
cette lie fameuse. Heureux eussent ele les descendants de
ces Bretons ramenes dans la bonne voie, si, plus tard,
par rinfluence d'un roi sardanapale, tel que Henri V'llL
et d'une reine trop digne fille de ce prince libertin, ils
n'avaient encore abandonne la verite calliolique pour se
plonger dans une hferesie aussi monslrueuse ! Germain,
avant son depart, guerit un jeune homme nomme Ela-
phius. Ills d'un des principaux du pays, qui elait perchis
d'une jamhe. Pour n ettre un obstacle k la reapparition
du pelagianisme, Germain crea plusieurs &oles en An-
gleterre, persuade que I'ignorance est autant la mferc des
her&ies que la corruption morale. Ces ecoles produisi-
rent un grand nombre d'hommes illnstres et do saints
pontifes.
Comme Germain revenait h .4uxerre, il recut une de-
pulation des habitants de I'Armorique (aujourd'hui Bre-
tagne), qui le conjuraient de leur accorder sa protection.
Une revolte centre Aelius , general des Remains, lenr
avait attire la colore do celui-ci, qui allait cruellement
les cbitier. L'instniment de sa vengeance i^tait Eocaric,
roi des Allemands, prince feroce et idoliltre. Germain ose
aborder ce personnage, qui refuse brusquement de I'cn-
tendre. Le saint eveque saisit la bride du cheval d'Eoca-
SAIiNT GERMAIN, EVfiQUE D'AUXERRE.
ric et I'arrfite h la tSte de ses troupes. Surpris de cette
hardiesse que Germain puisait dans son zele, il se dteide
a I'ecoutcr et consent enfin a r^trograder, pourvu que
les coupables obtiennent le pardon d'Aelius ou de I'em-
pereur.
Germain, quo la fatigue ne pouvait decourager quand
il s'agissait d'exercer son immense charite, part de suite
pour Ravenne, ou rempereurValentinienlll residail. Sur
sa route, k I'exemple de J. C, il seme les bienfails et les
miracles. L'accueil qu'il recoit a Ravenne est parfaite-
ment honorable. L'imperalrice lui envoie un plat d'ar-
gent couvert de mets delicals, quoique maigres, car elle
savait que le saint evSque n'usait point degras. Germain
envoya, ci son tour, a la princesse, une assiette de bois
sur laquelle etait un pain d'orge. L'imperalrice fit enchiis-
ser I'assiette dans de I'or, et conserva le pain, qui op^ra
plusieurs guerisons miraculeu.ses. Le pardon des Bretons
fut genereusement accorde ; mais une seconde revolte les
rendit indignes de la charitable mediation de I'eveque
d'.Auxerre. Avant de partir de Ravenne, Germain opera
plusieurs miracles parmi lesquels il faut surtout compter
la resurrection du fils du chancelier Volusien. Get enfant
^tait mort et di'jh froid : Germain se prosterne, et bien-
I6t il a le bonheur de rendre un fils cheri a la tcndre alfec-
tion de sa famille.
Germain se dispo.sait k partir, lorsqu'un jour, s'entre-
tenant avec plusieurs 6vdques, il leur dit : « Mes frferes,
« je vous recommande mon passage. J'ai cru voir, cette
(( nuit, le Seigneur qui me donnait une provision de
« voyage, en me disant que c'^tait pour aller dans ma
0 patrie recevoir le reposeternel. » Quelques jours apres
il tomba malade. L'imperalrice voulut elle-meme le visi-
ler, et il en obtint avec peine que son corps serait re-
ports k Auxerre. 11 mourut ci Ravenne le 31 juillet US.
II avait 6te 6v6que pendant trente ans et vingt-cinq
jours.
L'imp^ratrice obtint pour elle le reliquaire que portait
sur lui saint Germain. Les six Sv^ques dont il avait fait
sa societe habiluelle se partagerent ses vetements. Acho-
lius, premier chambellan de I'empereur, fit embaumer
son corps, parce que le saint avait gneri un de ses do-
mestiques. L'imperatrice fit couvrir ce corps d'habits
precieux, et fournit une biere de bois de cypres. L'eni-
pereur fournit les voitures de transport de ce corps de
Ravenne k Auxerre. Le clerge de cetle derniere ville vint
le recevoir au passage des Alpes, et enfin, le cmquan-
titMnc jour apres la mort du .saint eveque, sa depouille
arriva dans la ville episcopale, oil elle fut exposee pen-
dant six jours il la veneration piiblique. On deposa enfin
le corps dans I'oratoire de Saint-Maurice, fonde par saint
Germain, et qui devint, sous son nom, une cel(^bre abbaye
de benedictins. Celleci est actuellement I'Hotel-Dieu
d'Auxerre, et I'eglise en est la chapelle. Les precieux
resles de saint Germain ont ete profanes par les calvinistes
du seizieme siJ?cle, et on ne montre plus qu'un cercueil de
pierreoii reposa jadis la depouille mortelle du saint pon-
tife. Mais il n'est pas au pouvoir des impies de faire perir
sa memoire , qui sera toujours honoree. On sait que
Paris a une de ses paroisses sous I'invocation de saint Ger-
main d'Auxerre.
L'abbe Pascal.
SAINTE GENEVlfcVK.
37
SAINTE GENEVliVE, VIERCE ET PATRONNE DE PARIS.
A cole d'un illustre ponlife dontnousavonsesquisse la
vie, I'ordre des temps vient placer une taible vierge dont
la pieuse et sainle carriere s'associe, comme on I'a vu,
a la noble mission de saint Germain d'Auxerre.
Dans les premieres ann^es du cinquieme siecle vivait,
dans le village de Nanterre, a deux lieucs de Paris, une
famille composeed'iinpere nomme Severe, et d'une mere
qui avail nom Geronce. Le ciel les avait doles d'une fille
predestinee. Le nom de celle-ci ^tait Genevieve, qui avait
vule jour vers I'an 422. Lorsque saint Germain d'Auxerre
et saint Loup de Troves passerent a Nanterre pour se
rendre dans la Grande-Bretagne, Genevieve, agee de sept
ans, recut la benediction du premier de ces prelats, qui
preditla sainlete future de la jeune fille. Puis saint Ger-
main la conduisit, au milieu d'une nombreuse assistance,
a I'eglise oil Ton celebrail I'ofBce. L^, pendant tout le
temps que dura le chant de nones et de vepres, Germain
tint la main etendue sur Genevieve, pour la consacrer
specialement au service de Dieu. 11 la retint ensuite pen-
dant le repas, et ne la renvoya qu'avec promesse de la
lui ramener le lendemain matin.
A I'heure assignee, Severe et Geronce presenterent a
saint Germain leur fille. A la question si elle serait fidele
a la promesse faite k Dieu, la jeune fille repondit : «Oui,
« je m'en souviens, et j'espere, moyennant sa grSce, y
« rester fiddle. » Charme de la reponse, saint Germain la
raffermit dans sa resolution, et lui fit present d'une me-
daille de cuivre sur laquelle elait gravec une croix, en lui
recommandant dela porter toujours suspendue a son cou.
II finit en I'engageant a ne jamais porter des parures
mondaines, telles que des bracelets et des bijoux d'or et
d'argent, ainsi qu'il convient h une digne Spouse de J. C.
■Vainement quelques auteurs deduiraient de ces paroles
que Genevieve appartenait sans doute a une famille ri-
che, puisqu'une recommandation de ce genre ne pouvait
s'adresser a une fille pauvre. lis voudraient ainsi ravir a
la patronne de Paris ce que sa legende a toujours eu de
plus populaire. Saint Germain ne pouvait-il pas donner
un conseil do celte nature, meme a une bergere ? Or il est
certain que son pere etait |jossesseur d'un troupeau ,
comme le sont aujourd'hui encore presque toujours les
habitants un peu aises de nos campagnes. Ne ravissons
done pas philosophiquement a noire sainle la modeste
houlette que la tradition, d'accord avec les fails, a con-
stamment placee dans ses mains, ni les brebis et les
agneaux dont elle est entouree. Genevieve fut done une
fille des champs.
Son bonheur etait au comble lorsqu'elle pouvait, dans
I'eglise de son village, selivrer aux exercices de la piete.
Un jour, sa mere Geronce ne voulut point conduire avec
elle aux offices divins la jeune Genevieve. Celle-ci essaya
inutilement de la flechir, et ses importunites furent payees
d'un soufilet. Dieu punit I'inexorable mere en la frappant
de cecite. Au bout de vingt mois, Genevieve avant tire
de I'eau d'un puits du village, fit d'abord le signe de la
croix sMr I'element, et puis, enayant lave les yeux de sa
mere, celle-ci recouvra I'usage dela vue. De la celte de-
votion que Ton professe pour le puits de Nanterre, dont
on croit que Genevieve avait beni I'eau.
Parvenue a I'cige de quinze ans, la jeune fille fut pre-
sentee a I'eveque, ainsi que deux de ses compagncs, pour
recevoir le voile. Privee des auteurs de ses jours, Gene-
vieve se retira k Paris, aupres d'une dame qui etait sa
marrame. La mortification a laquelle, depuis son voeu de
virginite, elle s'etait voute, fut porti'e, dans celte nou-
velle dcmeure, it un point indicible ; elle ne mangea'fi
plus que deux fois la semaine, le dimanche et le jeufli,
et cette nourriture ne consistait qu'en quelques feves et
un peu de pain d'orge. L'eau etait son unique boisson.
Tel fut son regime jusqu'a I'ilge de cinquante ans, oil.
58
SAmTE GE
par ordre des sup^rieurs ecclcsiasUques , cllo usa d'uii
peu de lait et de poisson. Croirait-on que, dans sa vie de
retraite et de macerations, die eut des persecutions k es-
suyer? C'est lo lot infaillible de la solide \ertu dans ce
monde. Les Chretiens qui n'en ont que le nom ne peu-
vent voir sans depit une regularite qui condanine leur
l'\che moUesse. On la traita dedaigneusemont de vision-
naire et d'hypocrite, et I'on etait parvenu a faire adopter
cette mauvaise opinion par ua grand nombre de per-
sonnes.
Saint Germain, pour la deuxieme fois, revcnant en
Angleterre, passa par Paris et visita Genevieve. II put
s'assurer qu'il y avait en clle une vcrtu solide, et con-
londit les jaloux calomnialeurs ; mais une epreuve plus
terrible devait exercer la magnanimite de notre sainle.
Attila, roi des Huns, qui so qualifiait de /leuu de Dieu,
penetra en France avec une formidable armoe. Les Pari-
siens craignaient que leur cit6 ne fut d^vastee par ces
sauvages hordes de conquerants. Genevieve crut devoir
rassurer ces timidcs habitants, en leur indiquant conime
les armes les plus fortes, non les lances et les glaives,
mais la priere, le jeiine et les veiUes. Genevidve reunit
quelques pieuses femmes, pour s'enfermer dans le bapti-
stere de la Cite et y passer plusieurs jours dans une au-
stere retraite, afin de flechir la colere de Dieu. Les enne-
mis obstint's de la sainte crii?rent centre elle, la traitant
de fausse prophetesse; ils voulaient m^me so debarrasscr
de sa presence en lui otant la vie. lis allaient meme reus-
sir dans leur barbare et insensee determination, si I'ar-
chidiacre do Paris ne filt venu dans ce baptislere pour
remettre a Genevieve les eulogies que saint Germain lui
envoyait en signe d'union chretienno et d'amitie fraler-
nelle. L'eulogio etait ce que nous nommonsaujourd'hui le
pain benit, pour lequel on aval tanciennementbeaucoup plus
de respect qu'ennotre siecle. Cette insigne marque d'estime
de la part d'un saint pontifo, qui jouissait d'une tres-haute
veneration, fit rougir de honte les ennomis de Genevieve,
et ils reuoncerent k leur projet. Le roi des Huns ne pour-
Buivit point sa marche ou plulot ses ravages jusqu'a
Paris. On rendit alors, quoique tardivement, hommage Ji
la piete de Genevieve, et Dieu voulut faire 6clater en elle
la grice des miracles. Elle en opera a Paris, h Meaux, a
Laon, k Troyes, a Orleans, k Tours. Sa renommee de
saintete s'etendit jusqu'aux extr($mit^s du monde, ot saint
Simeon Stylite, du haut de la colonne ou il s'etait rele-
gu6, voulut donner des preuves de sa veneration pour
Genevieve, en r^clamant le secours de ses pri^res.
Childi^ric assiegea, quelque temps apr&s, la ville de
Paris. Les assieges souffraient de la famine. Genev'ievese
mit k leur tete pour aller chercher des subsistances jus-
qu'a Arcis-sur-Aube, et les ramena sains et saufs a tra-
vers les dangers les plus imminents. La ville fut prise.
Childeric, quoique pa'ien, admira la vertu de Genevieve,
et, sur les instances que celle-ci lui fit, se montra cle-
ment en diverses circonstances. Clovis, fils de Chilperic,
accorda la liberie aux prisonniers chaque fois que Gene-
vieve interc^da pour eux, tant a de puissance sur Jes
coeurs les plus durs une vertu non suspecte, un ni(!'rite
universellement reoonnu.
Genevieve avait une devotion toute particuli^reenvi rs
saint Martin de Tours et saint Denis de Paris; elle
aimait k prier aupres de leurs reliques ; elle fit m6n e
Wtir une eglise en I'honneiir de saint Denis , k I'en ■
NEVIEVE.
droit meme ou les restes de ce grand apdtre de Paris et
ses campagnons avaient recu la sepulture : c'est la que,
plus tard, s'eleva un monastere qui dcvint celebre. L'e-
glise s'agrandit et s'embellit par la munificence de no=
rois qui voulurent que leurs cendres y fussent deposees.
Aujourd'hui encore on ne peut admirer la grande et ma-
gnifique basilique de Saint-Denis pres Paris, sans que la
penste se reporte au siecle ou une simple vierge jeta les
fondementsde ce temple somptueux : mais ledivin maltre
a dit que la foi pouvait transporter les montagnes d'un
lieu en un autre. Pour honorer pareillement la glorieuse
memoiredes deux princes de I'apostolatjGeneviiSve forma
le dessein de biltir k Paris, sur un monticule qui le domi-
nait du cote du midi, une belle eglise en I'honneur des
saints Pierre et Paul. Clovis commenca cet edifice et
sainteClotildele termina. Genevieve etant morte le 3 Jan-
vier 512, iig(?ede quatre-vingt-neufans, la nouvelle eglise
recut le corps de la sainte auprfes de oelui de Clovis, qui
y avait ete inhume. Enfin, dans la suite des siecles, la
veneration pour les reliques de sainte Genevieve ayant
attire un grand nombre de fldeles qui en c'prouvaient do
merveilleux efl'ets, I'eglise recut le nom de la sainte. Un
couvent s'eleva aupres de cette eglise, et les religieux en
portaient le titre de genovefins. Saint filoi fit, pour rece-
voir les precieux restes de sainte Genevifeve, une chissc
extri^mement riche : celle-ci avait et^ remplacee en 1242
par une autre chjisse, dans laquelle ^talent cntres193 marcs
d'argent et 8 marcs d'or. Les rois eties reines de France
avaient convert ce beau monument de pierres precieuses.
Au moment oil nous ecrivons ces lignes, qu'est devenuo
la magnifique chlsse? oil sont les reliques de la sauile
patronne de Paris? Les mains rapaces des revolution-
naires de 1793 ne pouvaient respecter ce monument, et
le corps de sainte Genevi(>ve fut livre aux flammes, en
place deGreve, au milieu des chants et des dansesd'une
populace en delire! II n'en reste que de tres-faibles
parodies et le tomheau vide, qui attirent encore a Saint-
£tienne-du-Mont un grand nombre de pieux pderins.
Un des plus eclatants miracles opM's par I'intercession
de sainte Genevieve est celui connu sous le nom de mi-
racle des ardenls. Sous le regne de Louis-le-Gros, en
1329, une horrible epidemie exercait sesravagesa Paris;
c'etait comme un feu secret qui brillait et tuait ceux qui
en etaient atteints. Etienne, ^v^que de Paris, imposa des
prieros et des jeunes pour desarmer la colere cdeste, mais
le mal semblait s'accroitre; enfin, il ordonna une proces-
sion solenndlo oil Ton porteraitles reliques de sainte Ge-
nevieve a la cathMrale. A peine celles-ci entraient dans
I'enceinte du temple, que tons les malades de I'epidemie
furent gueris, k I'exception de trois qu'une foi vive n'ani-
mait point, sans doute, en ce moment. Le prodige fut
v^rifie par le pape Innocent II, qui vint a Paris, I'annee
suivante, et k la f6te principale de la .sainte qui se cde-
brait alors comme aujourd'hui le 3 Janvier, le souverain
pontife voulut qu'on en joignit une autre sous lo titre do
sainte Genevieve des Ardenls, que Ton solennisa le 26 de
novembre. Notre illustre .saintejustifia de la sorte, a plu-
sieurs litres, lo nom de palronno do Paris qui lui a ete
d^cern6.
En 1823, mademoiselle Delphine Gay a publie une
charmante piece po6tique en I'honneur de sainte Gene-
vii;ve. Nos lecteurs nous sauront gre d'en citer quelques
fragments ;
BASILIUUE DE SAINT PIEKUE DU VATlCAiN A HOME. 59
cour. Depuis 1830, le monument a etc decouronne de son
nureole religieuse. La stupide impiete lui a rendu le nom
de Pantheon dont la terreur revolutionnaire I'avD't jadis
emphatiqucmeut decore. Le Panlltciin! c'est-;> dire, le
palais ou temple des dieux... et quels dieux lerrstrcs y
recurent les honneurs de la sepulture'? il suffit d en nom-
mer un... Marat... le plus ignoble et le plus sanguinaire
des terroristes de 1793. Esperons que le bon sens public
finira par triompher des liches pr^juges des profanaleurs
de cet edifice, et qu'enfin la piete pourra voir reparaitre
sur ce dome lesigne civilisateur et reparateur de In croix,
au nom ct par la vertu duquel sainte Genevieve conquil
I'auguste litre de patroune de Paris.
L'abbe Pasi. ji
Patronne de la France, amour de nos aVeux,
Sur tes aulels uouveaux daigoe abaisser les yeux.
Ce n'est point le pasteur que la foule accoinpagnc.
Qui, descieux enflammes reclamant quelques pleurSj
ProBFieoe ton image k travers la campagne,
Pour obtenir de toi des epis ct des fleurs ;
Ce soDt des rois, sajnte bergere,
Ce soDt des rois quiviennent te prier;
Benis-les, et devant ta houletle legere
Leur sceptre va s'liuroilier.
II est necessaire de remarquer que celte piece fut in-
spiree par I'inauguration de la belle fresque peinte sur la
coupole de la nou\elle eglise de Sainle-Genevieve, par
I'habile peintre M. (iros. Cetle Eglise fut visitce parte roi
de France Charles X, accompagne de sa famiUe et de sa
BASILIOLE DE SAIH-PIERRE DU VATICAN A ROUE.
Au pied des collines du Vatican paYen, Wron avail
fait construire un immense cirque. L&, le peuple de la
grande reine des cites alloit se rassasier de ccs spectacles
qui faisaient la moiliS de son existence. Panem et eir-
censes «du pain ct les jeux du cirque », tel etail I'abject
materialisms de ce peuple deg^ni're qui se pavanail du
litre de peuple-rm ! c'usl la que le prince des apotres saint
Pierre fut attache sur une croix, la iHe en bas, car il
s'estimait indigne de mourir comme son divin maitre. En
I'an 106 de I'ere chrelienne un des successeurs de saint
Pierre, le pape Anaclet, eleva en ce nieme endroit un mo-
deste oratoire pour abriler Icsrestesdu prince des aputros.
Aupres du cirque exislait un temple dedit; h Apollon, le
dieu dela pnfeie. Uneconfianco superstitieuse y reunissait
plusieurs idolStres qui venaient y consulter le sort. Les
paroles des oracles ^taientles vaticinia, parce que le vales
ou prStre de I'idole, agile par I'obsession divine, preconi-
sait ou chantait, cancbal, les arrets du destin. La coUine
myslerieuse pouvait done porter, a bon droit, le nom de
Valicanum, Vatican. Mais, 6 profondeur des jugemenls
de Dieu ! Bientot devait venir le temps oil le veritable
valesy rendraitde vcridiques oracles, el ceux-ci, plus in-
faillibles que ceux du dieu de Delos, devaient etre ac-
cueillis par les nations civilisees et polies qui composent
I'empire catholique. La colline devait done garder son
nom providentiel de Vatican, et elle le conserve depuis
dix-neuf sieclcs.
Le petit oratoire du pape Anaclet se maintint debout
au milieu d'une horrible pers(5cution qui dura Irois siecles.
Quand enfin le glorieux Conslantin rendit le calme k I'e-
glise, il fut aise de reconnailre le lieu oil reposaicnt les
restcs du grand apotre.
L'hisloire raconte i ce sujetun trait fort curieux. Con-
slantin ayant accede sans peine au desir du pape saint
Sylvestre, qui voulait eriger une grande basilique sur la
tombcau de saint Pierre, resolut de presijer a cetle inau-
guration religieuse. C'etait en 319 ou 321. L'empereur ,
revelu des habits de sa dignite , accompagne de sa bril-
lante cour, se rendil au lieu destine a celle conslruclioii :
la, il sedepouilla de son costume imperial, deposa sa cou-
ronne, et, se prosternant k lerre, il versa d'abondanles
larmes; puis se relevant, il prit unepioche, se mith creu-
ser une partie des fondements; et, ensuite, chargeantses
epaules d'une hotte, il relira de I'excavationdouze holtees
de lerre en I'honneur des douze aptMres ; il decrivit enlin
sur le sol humecle du sang d'un si grand nombrc de mar-
tyrs la place de la nouvelle eglise.
Au 18 novembre 323, la nouvelle basilique fut dediee
a Dieu sous linvocation de saint Pierre. Le corps de cet
apotre avail etc exhume et place par le pape dans une
grande chasse d'argent que surmoutait une croix d'or
pur du poids de cent cinquante livres. L'eglise avail la
forme d'une croix laline el Ton y avail employe desma-
teriaux fournis par les mines des temples paiens. An
point central de la croisee s'elevait un aulel environne .le
douze hautcs colonnes que Ton croil avoir appartenu iiu
fameux temple de talomon. Le corps de 1' edifice presen-
lail cinq nefs formees par qualre rangees de colonnes. On
peut sen faire une idee par la calhMrale de Paris qui
presenle une disposition semblable. La principale facade
avail cinq portes donnanl entree dans chacune des nefs :
on en praliqua plus tard quelques aulres aux extremiles
laterales de la croisee. Un grand nombre de papes, suc-
cesseurs de saint Silvestre, embellirenl el enrichirenta
I'envi ce venerable sanctuaire, oil un grand nombre de re-
liques d'autrcs martyrs avaient ete deposees. Les divers
autels de cetle basilique repondaient par leur magnifi-
cence a celle de I'autel principal. Mais,h;itons-nousd'ar-
river a l'hisloire de la basilique actuelle qui doit piquer la
curiosite de nos lecteurs, et d'ailleurs I'espace qui nous
est reserve nous impose une grande brifevele dans la des-
cription de I'antique temple constantinien.
Depuis onze siecles, moyennant des reslaurations par-
tielles, l'eglise fondee par le saint pape Sylvestre I et
l'empereur Conslantin etait debout, mais elle menacait
ruine. Nicolas V, elu pape, en 1447, fut le premier qui
consul le projel d'une construction nouvelle. On demolit
d'abord un edifice pai'en qui 6lail derriere la tribune ou
absidedeSainl-Pierre, etsnrce terrain on ddifia une vaste
et majestueuse tribune, sans toucher, pour le moment, ii
I'ancien edifice. Nicolas n'en vit au surplus que quelques
coudees elevecs sur ce sol d(^blay(;. II mourut en 1445 et
I'entreprise ful suspenduo. Calixte 111 el Pie II ne s'occu-
peienl point de ce dispendieux travail. Paul II, devenu
pape en 1464, reprit le plan de Nicolas V et y depensa
plus de cinq mille ecus d'or. Quelques aulres papes con-
40
tinufcrent d'embellir I'ancienno ^glisu. Aii celebie pontife
Jales II il utait reserve tie donner enfin une impulsion
decisive a ce grand projet. Ce pape appela k Rome Icsplus
habilesarchitectes et adoplale plan de Lazaro Bramante,
qui donnait h la nouvelle basilique la forme d'une croix
grecque k Irois nefs ; la grande facade devait Hre ornee
ISASILIUUE DE SAINT 1>IEUUL
de deux clochers ; le centre devait porter une immense
coupole environnte de trois rangs de colonncs : celle-ci
devait s'asseoirsurquatre gigantesques piliers. Au 18 avril
1S06, le pape Jules II, malgre son grand age, descendit
dans la profonde excavation ou devait Hre posee la pre-
miere pierre d'un de ces piliers. Cctte fois, le travail fut
poursuivi avec une telle ardeur que, dans peu de temps,
cesquatre colosses s'eleverentjusqu'a lacornichedestiniie
a supporter les quatre arcades sur lesquellcs le Bramante
voulait appuyer la coupole. La mort enleva le pape en
1513, et I'archilecte en 1514. La construction fut inter-
rompue.
La Providence appelle au Irone pontifical Jean de Mii-
dicis, sous le nom de Leon X. Ce pape, passionne, pour
les beaux-arts, confie la poursuite de I'cEuvre h trois il-
lustres architectes San-Gallo, Joconde de Verone et Ra-
phael d'Urbin; mais la cbambre apostolique epuisee d'ar-
gent ne pouvait fournir les sommes n&essaires. Le pape
a reoours a la piele des fideles etpromet des indulgences
«i ceux qui contribueront de leurs deniers h cetle magni-
fique entreprise. La plumetombe des mains lorsqu'elle est
forcee de signaler, h cette occasion, la naissance d'une
hferesiequi couta tant do larmes h rhumanite, et dont les
terribles suites se font sentir encore apres trois siecles.
Un moine fougueux, Martin Luther, se met a pr^clier cen-
tre I'abus des indulgences. Assurement, rien de micux :
I'figlise d(5teste les abus. Puis il attaque les indulgences
elles-mSmes. Ici la logique de Luther est evidemment
en dcfaut; parce que des hommes debauches abusent de
la liqueur qui provient du raisin, faudra-t-il maudire la
vigne et la d^raciner? Leon X ne saurait done etre ac-
cuse d'un zcle trop ardent pour rcdification de la basi-
qiio de Saint-Pierre et considere commc le promoteur de
cette desolante scission dans le seinde lachr(?tiente. Faut-
d, diio.T nous, avec I'Evanjiile, que le censeur aitl'ocil
Diauvai^ parce que le pontife ael(5 bon?
L'ouvrage s'avanja neannioius,etleplan de croix grec-
qne fut chang^ en celui de croix latine : mais, en 1520,
Raphael rendait le dernier soupir, et Baltliazar Peruzzi
rempla(;a le grand artiste. A peine celui-ci avait-il mis la
main Ji Tceuvre qneL^on X, encore jeune mouruten1521.
11 scrait trop long de racontcr les mille autres incidents
qui, pendant plusieurs ann^es, vinrent entraver ou modi-
fier la grande entreprise. Nous dironsseulement que, pour
cequi regardela coupole, I'architecte Buonarotti, nomme
par Paul III, et si connu sous le nom de Miehel-Ange,
eleva I'edifice jusqu'au tambour dont le dome devait^tro
le couronnement. II y travailla encore sous les papes Ju-
les III, Marcel II et Paul IV, et sous le pontifical de ce
dernier, le sublime artiste paya son tributk la mort, mais
il avail laisse un modfele de la coupole. Ceci avail lieu en
1564. Hitons-nous d'arriver i Sixte V. Souslui, Jacques
de la Porte et DominiqueFontana termin^rent cctte oeuvre
admirable. Au 13 juillet 1588, huit cents ouvriers com-
mencerenl le prodigieux dome, etau 11 mai 1590, il s'e-
levait niajestueusemenl dans les airs, jusqu'a la lanlerne.
En 1605, le cardinal Borghese, devenu pape sous le
nom de Paul V, voyant que la partie superieure de la
basilique etail terminte s'occupa de la construction de
I'autre partie. 11 jugea quele plan de la croix grecque ne
presenlait point un edifice assez vaste pour contenir la
concours des fideles dans les solennites majeures. II re-
vint done a la croix latine et voulut mf'nie qu'on la pro-
longed plus que nelecomporte sa figure naturelle. Nous
n'avons pas besoin de dire que dans la croix grecque les
quatre branches sont d'une longueur dgale, tandis que
dans la latine la branche inferieuro est beaucoup plus
longue.
l»lj VATICAN A HOMK.
41
Une description m\ pen detaillee dece somptucux mo-
nument pourra en donner une idee aux lecteurs qui ne
sont point familiarisfe avec cetle merveille de I'architec-
ture calholique.
Une grande place d'e forme elliptique se presente d'a-
bord aux regards. Le pourtour en est forme par deux ga-
leries i jour en demi-cercle, chacune de ces galeries,
percee d'arcades a quatre rangees de colonnes qui forment
deux corridors couverts, tandis que I'aliee du milieu plus
large est destinee aux voitures et par consequent n'a pas
de toit. Les colonnes ont soixante et un pieds de hauteur
et portent un entablement sur lequel sont placees deux
cent onze statues de onze pieds et demi de hauteur. Au
centre s'eleve un superbe obelisque egyptien qui a cent
quatre-vingts pieds de haut. A droite et a gauche sont
des fontaines, dont I'eau s^levant a une grande hauteur
retombe en nappes 6paisses d'abord dans un premier bas-
sindegranit oriental, et puis dans un autre bassin octo-
gone dont la circonference est de quatre-vingt-neuf pieds.
Le plus petit diametre de cette place intcrieurement
est de cinq centquatre-vingt-huit pieds, le plus grand en
a sept cent trente-huit. Cette premiere place est suivie
d'une seconde, ayant la forme d'un trapeze ou table qui a
deux cent quatre-vingt-seize pieds de long sur trois cent
soixante-six de large. Les deux ccites rectilignes de cette
place sont la continuation des galeries de la premiere, et
vont rejoindre la grande facade de la basilique.
lei commence le perron exhausse sur \mgt-deux mar-
ches a trois paliers ou repos. Aux deux coles sont pla-
cees les statues de saint Pierre ct de saint Paul que fit
fairs le pape Pie II, par Mino de Kiesola.
A la plus haute rampe du perron so dcploie la facade
principale de la basilique, sur un developpement de cent
vingt-quatre metres environ, ou trois cent soixante-douze
pieds. Sa hauteur est de centcinquante pieds. Ce frontis-
pice est forme de colonnes et de pilaslres corinthiens sou-
tenant une architrave avec une frise et une corniche. Sur
la corniche s'eleve un atliquo perc6 de fen^tres. Aux deux
exiremites devaient s'clever deux clochers dont un etait
deja construit, maisque Ton fut oblige d'abattre, parce
qu'il offusquait la vue de la coupole. Toute cette facade
est en pierre de travertin qui est une espfece de marbre.
On lui reproche d'etre unpen basse, proportionnellement
k I'ensemble de I'edifice ; neanmoins I'architecte voulut
ainsi la construire pour donner au dome un aspect plus
svelte etplus pyramidal.
Entrons dans le portique qui a lui seul forme un edifice
si vaste, si riche, si imposant, qu'il a pu passer aux yeux
de quelques gens simples pour la basilique elle-meme.
En effet, ce vestibule a quatre cents pieds de long sur
plus de soixante de large. Comment decrire les peintures,
les statues, et tous les ornements dont il est decor6?
Nous dirons seulement qui chacune de ses extremites
est placee sur un riche piedestal une statue equestre. A
droite c'est Constantin, a gauche c'est Charlemagne.
Cinq portes introduisent dans le temple. Celle du mi-
lieu est en bronze. Ses bas-reliefs representent la
vie de saint Pierre et les faits principaux du pontificat
d'Eugene IV, qui la fit faire. La cinquieme a droite est
muree et ne s'ouvre que tous les vingt-cinq ans pour le
jubile.
Par I'une des trois autres portes onpenetre habituelle-
I
ment dans la basilique. Elles portent les noms des papes
Paul V, Urbain VllI et Innocent X. La grande nef a de
chaque c6t6 quatre hautes et larges arcades que sou-
tiennent de gros piliers dont chacun presente deux pi-
astres engages. Enire les pilastres sont menagees deux
niches superposees. Chaque niche est ornee de la statue
colossale d'un des saints fondateurs des ordres religieux.
La vodte esttiteoree de rosaces en stuc dore. Au centre
de la croisee, sous la vaste coupole, est place le graud
autel papal. Lorsque lo souverain pontife y ofiicie, il a la
42
HISTOIRE D'UN TIGKE.
figure canstamment toiirnoe vers lo fond do la nef oil sont
les cinq porlps el consequeniment vers lus lidi'les. II est
important d'observer que la basilique est dirigi'O de
I'orient ii roccidenf, en sens inverse do Notre-Dame de
Paris et qu'ainsi place a I'autel, le pape regardeie levant.
Les principales eslisps de Home ont leur axe dans cello
direction. Get autel ainsi isole, et auquel on monte par sept
marches, est couronne d'un magnifique baldaquin souteiiu
par ([)uatre.colonnes. Le tout est en bronze dort, et ilepuis
la base des colonnes jusqu'au sommct de la croix qui do-
mineje baldaquin on compte cent trenle-deuxpipds. I'our
se faire a Paris un objet de coniparaison on dnit se rap-
peler que la grande voute de Notre-Dame a ruie hauteur
de cent pieds et que lo baldaquin dont nous parlous per-
cerait cette voute la depasserait de trente-deux pieds...
le gradin de I'autel lui-mfeme est garni de six grands
chandeliers. Au milieu, sans tabernacle est la croix.
Quand le pape y officie on y met un septieme chandelier
dont le cierge est plus haut que les autres. Celui-ci sym-
bolise la suprematie pontilicale. Le bronze du baldaquin,
dont nous avons parlc, ptse plus de cent niillicrs et a et^
tire du Pantheon. La dorure, ainsi que la main-d'oeuvre,
monlerent a cinq cent trenle-cinq mille francs. La basi-
lique en est redevable au pape llrbain VIII, niort en 164i.
Au del^ de I'autel s'etend la branche superieure de la
croix. Au fond on admire la chaire de sninl Pierre.
C'est une haute et large tribune de bronze dans la(|uelle
est enfernie le siege m6me de bois sur lequel le prince des
apotres s'asseyait. Cette tribune est supportive par les
statues colossales des quatre principaux docteurs de
I'figlise. En avant sont saint Auguslin et saint Ambroise,
derriere sont saint Jean-Chrysostome et .saint Athanase ;
les deux premiers pour I'feglise latine, les deux derniers
pour I'Eglise grecque.
Si nous devious mainlenant parcourir celte immense
basilique, decrire toutes les magnificences des trois bran-
ches de la croisee de la grande nef et des deux collate-
rales, il nous faudrait, non point un simple apercu,
corame celui-ci, mais un volume entier. Arrelons-nous a
la coupole, sous laquelle est etabli I'autel papal et le somp-
tueux baldaquin dont nous avons parle. Ce dome repose
sur les quatre piliers dont il a ete parle. Chacun de ces
piliers a trois cents pieds de contour et cinq cents pieds
dans les fondemenls. Sur les quatre grands arcs qid por-
tent la coupole est un magnifique enlablementsur la frise
duquel sont inscrils, en mosaiiiue, les mots suivanis : Tu
es Pelrus el super hane petrain oeilifirabo Ecdesiam meam,
el libi diibo chives regni cwlorum. « Tu es Pierre et sur
celte pierreje bAUrai inon Eglise elje te donnerailes clefs
du royaumc des cieiix. • Les lettres de cette inscription
ont sept pieds de longueur et semblent n'avoir pas un
pied. La coupole est double et les murs ont vingt-quatre
pieds d'epaisscur. Les piliers ont cent soixante-huit pieds
de liauleur. Depuis le pave jusqu'au sonimet de la croix,
Ji lexlerieur, ce dflme a quatre cent vingt-quatre pieds. La
lanterne seule en a cinquante-quatre et la croix en a vingt.
La boule, qui a sept pieds de diametre, pent contenir seize
personnes, et un escalier en facilite I'entree aux curieux.
Ainsi I'elevation totale de ce dome equivaut d'abord aux
deux tours de Notre-Dame de Paris poseesl'une sur I'autre
et les surpasse de vingt-quatre pieds.
Outre la grande coupole, la basilique de Sainl-Pierro
en possede dix autres plus pelites, qoatre rondes et six
ovales.
Terminons par les dimensions de I'eglise entiere. La
basilique de Saint-Pierre a six cents pieds de long, sur
quatre cent quarante de largeur, a la croisee, en sorte que
Nolre-Dame de Paris, dans .sa longueur totale, enlrerait
dans la largeur de Saint-Pierre du Vatican. La nef prin-
cipaie a quatre-vingt-six pieds de largeur, et cent qua-
ranlequatre de hauteur. Nous n'avons en France que la
cathedrale de Beauvais dont la voMe^gale la hauteur de
cclle de Saint-Pierre de Rome.
Jusqu'fi ce moment, la construction totale de ce gigan-
lesque edifice a coiite prfes de trois cent cinquante mil-
lions de notre monnaie francaise.
L'6glise n'a ni chceur ni sanctuaire. Le Chapitre c^lebre
ses offices dans une grande et superbe chapelle qui Equi-
vaut, elle seule, k une belle Eglise. On ne voit dans cette
enceinte ni bancs ni chaises, et ToBil pent se promener a
loisir sur les riches compartimenlsde marbrequi ferment
le pave. Au dessous de celui-ci, subsiste celui de I'an-
cienne eglise de Constantin h laquelle on descend par un
escalier devant I'autel principal. La voiite de cesouterrain
a onze pieds d'elevation. La, au-dessous de I'autel papal,
est celui ditia confession de Saint-Pierre, oul'on conserve
les insignes reliques des deux princes de I'apostolat,
Pierre et Paul.
Pour se faire une idte un pen positive de ce grand edi-
fice, il faut lire la description complete qu'en donneM. le
chevalier Gaetano Moroni, un des principaux officiers du
palais de sa saintete Gregoire XVI, pape actuel. M. I'abbe
Pascal, auleur de loule la partie religieuse de ce journal
se propose do publier bionl6t, en un fort volume in-8°,
les Bnsilifiues dc Rome, avec des gravures. Les articles
qui figureront dans cette deuxieme annee de notre publi-
cation en sont des r6sumes.
L'abbe Pascal.
SCENES, RECITS, A VENTURES, EXTRAITS DES PLUS ROTTS VOYAGEURS, ETC.
AVENTURE COMIOUE AUUIVtE AU CAPITAIiNE MAC-CLENCHEM, DANS LE DfiSERT DE HOOGHLY.
( SUITE ET FIN. )
Quoique le peu d'espace dans lequel il pfit s'agiter
neulralis&t la force musculaire de noire ennemi, nous
I'entendions gronder sourdement , conime le volean qui
menace d'une (Eruption procliaine. Nous etions lA comme
sur une mine qui d'un moment h I'aulrc allait lancer avec
elle la destruction. La physionomie, jusqiie-14 impassible.
HISTOIRE DUN TIGRE.
45
du capitaine, prenait line expression d'incertitude qu'il
s'effoi'Qail en vain de cacher. Tout a coup ses trails se
modififerent, un sourire illumina sa pile figure, il placa
son index sur ses levres, en signe du silence qu'il me
commandait; je le vis s'abaisser sur lui-m^nie, plier les
genoux avec precaution , etendre lo bras droit comme s'il
se fit agi de prendre une Iruile dans un des beaux lacs de
I'Amerique, et, nvant que je pusse deviner ce qu'il allait
faire, il se redressa sur ses pieds, et je le vis tenant et
hissant ii lui, comme un cable, la queue du nionstre qu'il
avail entrevue a rnrifice de la bonde, et qu'il a\ait tiree
jusqu'^ la racine. J'aidai aulant que je pus a cetfe nou-
velle mancEuvre.
II etait demontremathematiquenicnt quetant que nous
pourrions conserver le tonneau entre nous et la ligrcsse,
notre salut etait assure.
Nous pouvions esp^rer aussi que nous tratnerions I'ani-
nial jusqu'au rivage, ou, a I'aide de nos compagnons,
nous pourrions nous en rendre maitreset Tamenervivante
au Jardin des Planles, a Paris, ou au Jardin zoologique
de Londres, et I'esposer avec ccsmols, formule liabituelle
d'hommage :
Tiyre royal (femelle) donnc par le capitaine Mac-
Clencliem el M. Robert.
Peut-Stre avions-nous tous deux , mon camarade et
nioi, la meme pensee sans nous la communiquer.
Nous descendlmes avec pi^dence.
Mais qui comple sans son tigre, rompte deux fois.
Nous avions mal calcule nos forces respectives, car, bien
queprivcedel'usage de ses jambes dederriere, la tigresso
nous entraina a sa guise et traca elle-meme I'itineraire
qu'elle voulut parcourir. Tous nos efforts pour I'arn^ter
furent vains ; elle se dirigca, et nous avec elle, vers I'inte-
rieur des (erres, continuant ses grondements sourds, et
nous regardant de son a?il fauve, comme si elle nous con-
siderait comme sa prqpriete.
Nous parcourumes ainsi un mille; le capitaine tonait
forme la queue de I'animal, moi, Je me cramponnais de
loute la force de mes phalanges a la basque d'habit du
capitaine. Et ici, messieurs, je dois une confidence k la
vcrite du recit, je veux vous montrer ce que vaut I'espece
humaine, quand la question du salut et de I'inti^ret prive
est en jeu. Oui, j'avouerai qu'il me passa une idee infer-
nale par le cerveau : j'eus la tentation de IScher prise el
d'abandonner mon compagnon.
Tout ce que je puis dire pour ma justification, c'est que
si j'avais tenu la queue de la \iHe et que mon compagnon
cut cte a ma place, il aurait peut-elre eii la meme penseo
que moi.
Peut-etre aussi, messieurs, tous, taut que vous Ales ici,
auriez-vous subi la meme tentation en pareille circon-
stance; j'aime a le cioire pour avoir la conscience plus
l^sere.
Je n'ai pas cidi a la tentation. Pourquoi? je I'ignore.
f'^tait-ce par crainle d I'lre rattrape par mon ami, ou par
la tigresse, ou peut-^trepar les deux?... Jonesais... A ce
moment, je n'avais pas I'iutelligence de I'analyse, et dc-
puis jo n'ai pas cherche a me rendre coinpte de la position.
Quclques asperites de terrain, des racines d'arbres h
la surface du sol , rendirent un moment noire course
moinsrapide, etce ful, sansdoute, ce moment de repit qui
permit a mon courageux et intelligent ami de concevoir
une de ces pensees hardies, un de ces moyens imprevus
de salut, qui ne pouvaient ^tre enfantes que par une ima-
gination active comme la sienne.
Le moyen qu'il trouva, je veux, je dois mJme le recom-
mander a quiconque, dans ses voyages, sc trouvera dans
la position critique oil mon ami le capitaine et moi nous
nous sommes trouves.
L'experience a ote faite, le doute niaintcnant ne peul
^tre que I'oeuvre de la mauvaise foi.
Je vais donner la formule de sauvetage ou de salut.
£tes-vous poursuivi par une tigresse dans un desert
** lIlSiOlKE b'UlN TlGUt;
quelconque, et ctes-vous paiu'im, par adrcsse ou par
force, a emprisonner la biMe leroce sous un tonneau dont
la partie superieurc n'esl pas defoncee? avez-vous Irouve
le moyen de tirer comme iin cJble la queue de la susdile
bSte feroce, et, vous cramponnant a ellc, aTez-voiis mis
le tonneau enire votre adversaire etvous?
Nous admettons, messieurs, que vous en soyez a ce
conimu nous y etions le capitaine ot
degr^ de succfes ,
moi.
Conlinuons la formule.
Quand vous vous apercevez que I'animal furieux est
doue d'une plus grande force que la voire, et qu'au lieu
d'etre mcne par vous, il vous mene, et que, par conse-
quent, vousnesavez pas oil vous vous arrelerez, parceque
vous ignorez oil il s'arrfetera, prenez alors la queue dudit
animal feroce, comme si vous aviez a la main un cable,
une ficelle ou m^me un simple fil de chanvre ou de Iin,
tournez la queue sur elle-meme, et faites un noeud non
coulant, un fort nocud a la mariniere, de fa^on k ce qu'il
ne puisse pas glisser ni passer k travers le trou de la
bonde du tonneau quand vous lacherez prise ; I'animal
trainera alors sa prison apres de lui, maisil cessera de vous
trainer avec elle, et vous pourrez fuir.
C'est ce coup hardi, messieurs, c'est cette experience
miraculeuse que tenta avec succes le capitaine Mac-
Clenchem.
LINNE ET BUFFON.
m
A peine le noeud fut-il forme avec la queue de la ti-
gresse, que mon ami m'enjoignit de pousser les cris les
plus ai°us qu'il flit possible ; les sons les plus discords sor-
tirent de ma gorge et de celle du capilaine. A defaut d'in-
struments, je brisai I'une centre I'autre deux bouteilles
de vieux rhum , qui par hasard se trouvaient dans mes
poches, et nous parvinmes a inspirer i la tigresse I'effroi
qu'elle avail longtemps su nous inspirer. Nos cris redou-
blerent en raison de la vitesse de sa fuite, et bientiit elle
se jela dans un epais fourre, et nous la perdimes de vue.
Ce coup hardi fut sans contredit le plus beau fait de la
vie demon ami le capilaine; et, malgre sa modeslie, il ne
put quelquefois se defendre de rappeler oet episode de ses
voyages.
Le ncEud coulant est un trait d'une audace et d'une
intelligence bien peu commune. « II y eut un moment
terrible a passer, m'a dit depuis mon ami; c'est celui oil
nous lichames la queue. Qui pouvait nous dire que le
DOBud ne tilerait pas?C'etait la lout le probleme de notre
existence. » Et il ajoutait : « Tirer les polls de la queue
des elephants, prendre des crocodiles a la main, dompter
les hippopolames, tout cela n'est qu'un jeu d'enfant en
comparaison de notre nceud de tigre. »
Avec quelle joie, continua le narraleur, nous retrou-
vAmes sur le rivage nos hommes d'^quipage. Les cano-
liers etaient sur le point de pousser au large ; il faisait
presque nuit, et toutes les recherches pour nous retrouver
avaient He vaines. En voyant sur le sable les traces du
passage d'un tigre etles debris de notre repas disperses,
on conclut que nous avions ete la proie de la bele
f^roce.
Arrives a bord, nous racontimes nos aventures au ca-
pilaine et aux gens d'equipage; les polls de la tigre.sse,
dont nos mains elaient encore couvertes, donnerent un
cachet d'aulbenticite k notre recit.
Le capilaine Mac-Clencliem fut I'objet des compliments
de tous les passagers.
Quant k moi, je ne tardai pas a toniber dangereuse-
ment malade. Le delire me prit ; on ne parvint a me
calmer qu'en attachant le bout d'une grosse corde au
pied de mon lit, et en me donnant a la main I'autre ex-
tremite, que je lirai des heures entieres, comme s'il se
fut agi de continuer encore I'experience du capilaine Mac-
Clenchem.
Quand je fus plus avance dans la guerison, le docleur
ordonna qu'on me mit encore entre les doigls des petites
ficelles, ci I'extremil^ desquelles je me plaisais toujours k
faire des noeuds marins.
Je me relablis enfin, mais lentement; et depuis lorsj'ai
pris ce type d'insouciance que vous me rcprochez quel-
quefois, et qui nie permct de premier a peine I'oreille au«
ri^cils habituels des chasseurs. .I'avouerai que ce qui a
rapport a la vie plus ou moins incidenlee du lapin et du
lievre me trouve peu sensible.
Cependant, continua M. Robert, pour donner conclusion
complete a mon recit, je dois vous dire que la curiosile
poussa le capilaine Mae-Clenchem k prendre plus lard
des informations sur la tigre^se et le tonneau; mais tout
ce qu'il put connaitre, par les naturels du pays, c'esl que
denx ou trois annees apres le passage du batiment (|ui
nous porlait, deux jeunes tigres furent lues dans le voi-
sinage. Tous deux avaient une forte excroissance a la ra-
cine de la queue, a peu pres de la grosseur et de la forme
d'un petit baril d'huile; et quoiqu'on n'ail jamais pn se
procurer, en depit des recherches, qu'une peau de ti-
gresse manquant de la parlie la plus essentielle comme
ornement, le capilaine crut pouvoir affirmer que ces jeunes
tigres Etaient la progenilnre de la tigresse en question. II
est d'aulant plus a regrelter i]ue ces pelils tigres n'aient
pas ete pris vivanls, qu'independamment de I'altrail quils
auraient ajoule a une colleclion zoologique, ils auraient
jete une grande lumiere sur une question encore obscure
malgre toutes les discussions, celle de savoir jusqu'^ quel
point les sensations produites sur une mere par les objets
exlerieurs peuvent inlluer sur la confornialion physique
du germe qu'elle feconde dans son sein.
Le recit de M. Robert mit fin aux anecdotes de v^nerie
qu'on debitail a la taverne d'Arrowsmith.
Depuis ce jour, quand un chasseur prelude au recit
de ses expeditions, on a invenle, pour le rappeler au si-
lence, une formule qui est devenue proverbiale : « Parloz-
lui du tonneau du capilaine Mac-Clenchem , » dil-on. Et
I'assemblee de rire et d'ctouffer par des hourras la voix
du conteur.
BlOORAPIllE SCIEniFKJLl
I.INNE ET BUFFON.
Mes enfanis, ne ful-ce que pour echapper a I'ingrali-
lude, consacrons un souvenir ii ces hommes de genie qui,
porlant devant nous la Inmiere, nous ont revele la na-
ture et nous ont presque mis dans la confidence des se-
crets sublimes de la creation.
L'annfe 1707 vit naitre deux naturalistes eminenls,
I'un en Suede, I'autre en France : Linne el BulTon.
Comme tant d'autros grands hommes, Linne recut d'a-
bord les dures lecons de I'adversite. Sa vie nous offre
mSme un exemple mtjmorable de ce que peuvent reunis
le courage et la volonle. A peine age de dix ans, il elait
d^j^ tellement entraine par la passion des planles qu'i!
negligeait ses etudes latines pour courir dans les champs ; et
son pere, pasteur austere d'un simple village, prit une idee
si fausse de ses dispositions naturelles qu'il le mil en ap-
prentissage chez un cordonnier. Heureusement pour
Linn^, heureusement pour la science, le merile du jeune
bolanisle fut compris ou devinc. Linne put revenir aux
eludes de son choix, et I'universite d'Upsal le compta
bienlol parmi ses eleves. Toutefois, il dut y vivre encore
quelque temps entoure de privations, s'il est vral qu'il
ait ete reduit k raccommoder pour son usage les vieilles
chaussures delaissees par ses camarades. Cinq ans apres,
on lui confia la direction du jardin botanique, et puis la
soci(5te royale des sciences d'Upsal le chargea d'aller en
Laponie pour recueillir et pour decrire les planles de
46
LINNE ET BUFFON.
cette singulifero contr(5e. A son retour de ce p^nible
voyage, il voulut donner des lecons publiques ; mais la
jalousie inquiete d'un professeur lui suscita des tracasse-
ries qui le deciderent k se retirer k Fahlun, celebre sur-
tout par ses mines de cuivre. 11 chercha, par quelque pra-
tique de la niedecine et par des lec'ons de miueralogie, h
subsister clietivenient dans celte ville, et pent-fetre ne
serail-il pas sorii de eelte position critique et obscure, si
une jeune personne, qui pressentait niieux que lui tout
ce qu'il pouvait Mre, h'eiVt exige, pour devenir son
Spouse, qu'il consacrAt encore a I'eludo Irois annees.
Linn(5 passa tout ce temps en HuUande cliez un riche
proprietaire, nonimc: George Clillort, qui lui-m^me 6lait
passionne pour I'bistoire naturelle el qui possedait un
jardin, un cabinet et une biblidthi'que mngiiifiques. Get
excellent bomnie raccueillit a\'ec d'autant plus de cordia-
lite que Liniie lui avail ele presente par I'illuslre niMe-
ciu JJoerliaave. Vous devez comprendre, nies enfanls.
combien fut grande la satisfaction de Linne, qui jouissait
ainsi avec calme et abundance de tout ce qui pouvait
^tendre ses connaissances et nietlre a I'aise le d(5veloppe-
ment deses idees. Aussi n'a-t-il manque jamais I'occasion
de proclamer bien baut sa reconnaissance, et Ton peul
dire qu'il a verilablemenl immortalise son bienfaiteur
par les ouvrages qu'il a publics cbez lui C'esl encore
cliez ClilTorl que Linne donna de I'ensemble a ses vues et
en fit les premieres applications generates. Deja I'bistoire
naturelle avail etc traitiie sans doute dans des ouvrages
nombreux el savants;_ mais ce n'etaient guere que des
CBuvres 6parses , incompletes ou confuses. On n'avail
point distingue nellenient les cspeces, on n'avail mime
pas essav6 d'en faire le catalogue complet; les descrip-
tions n'en Maient point redigees sur un plan uniforme,
ni exprimees en termes d'une signification precise; les
md'thodes suivies pour les distribuer avec ordre n'etaient
pas rigoureuses; enfin les noms assignes aux espijces va-
riaient presque au griS de cliaque auteur, et Ton etait sou-
vent reduil a se servir de phrases descriptives qu'aucune
memoire ne pouvait retenir. Linne fut fr.n\ipe de tons ces
inconveuients qui relardaienl les progrfe de la science el
jugea qu'il ^tail necessaire d'y porter bien vile un re-
mfede. C'esl alors qu'il etablil cefte admirable classifica-
tion qui lui a merits dans la zoologie, mieux peul-itre
qu'en botanique, le litre de legislaleur. Sa nomenclature
est commode, en effet; son langage technique est remar-
quable de precision el d'energie; des idees pittoresqucs
etincellent partout sous sa plume, qui se cree souvenl
des mols rnervcilleusemenl expressifs. Parfois cependauL
son style, Irop charge d'allusions el de metaphores, de-
viant obscur en voulant fitre trop concis; enfin ses gran -
des divisions surloul out ele si heureusement calculees
que la pluparl demeurenl dans la science conime un le-
moignage (5clatant de sa perspicacity. Mais il eut dans
Bulfon un rival done de trop riches facuUes, dont les ou-
vrages 6taient trop etendus et trop parfails, pour que les
siens ne lombassent pas d'abord au second rang. Toule-
fois le merile prodigieux de ses travaux zoologiqucs s'est
fait jour peu h peu ; et quelque brillaule qu'ail itA la
destinee du naturaliste franfais, nous devons dire, pour
iMre juste, que Linne desormais est en zoologie le prince
do tous les naturalistes. La gloire non plus ne lui manqua
pas de son vivanl. Toutes les acadtjmies de I'Europe
s'honorerent de I'avoir pour associe, les rois eux-meme.s
lui dounerent des marques insignes de consideration; il
fut auobli par .ton souverain el decore de I'ordre de I'fi-
loile polaire. Mais I'ilUisIre Cuvier, a qui nous devons
LINNfe ET BUFFON.
47
lous ces details biographiquBs, fait remarquer avec amer-
tume que les lettres de noblesse ne lui furent pas accor-
dees pour avoir en quelque sorte fonde la botanique,
mais pour avoir decouvert un moyen de faire giossir Ics
pedes que produisent certaines moules de Suede. Quoi
qu'il en soil, Linne fut demande par le roi d'Espagne et
par le roi d'Angleterre ; Louis XV ne dedaignnit pas de
lui envoyer des graincs lecueillies de sa royale main;
mais dans la simplicite de sa vie, Linne devait etre peu
accessible aux lionneurs du monde ; sa cliaire de botani-
que dans I'universite d'Opsal sulUsait a son bien-etre et
il son ambition; et, quoiqu'il aimat a ilrii loue, quelque
plante singuliiire ou quelque animal i'trange pouvait seul
lui faire eprouver de vraies jouissances. Vivaiil avec ses
Aleves, qu'il considerait comnie ses enfants, prompt ii s'(5-
mouvoir comme a s'apaiser, il ne fut guere trouble par
les attaques de ses antagonistes qui le traiterent souvent
avec rigueur; et bien qu'il en ait eu de fort celebres,
parmi lesquels nous avons la douleur de trouver Bulfon
lui-meme, il ne prit jamais la peine de leur repondre, sui-
vant ainsi le consed que, bien jeunc encore, il avail rocu
du sage Boerhaave. Seulement, profUant de I'homonymie
que presentent en latin les mots Buffon et crapaud
(Bufo), il se vengea de son puissant rival en lui dediant,
sous le nom de Bufonia, une plante infime sous laquelle
s'abrite le crapaud. Au contraire, la plus etroite amitie
I'unit toujours a nuire celebre Bernard deJussieu, qui
fut cependant son heureux emule en bolaniqne. Une anec-
dote curieuse raconte ainsi leur premiere entrevue. JIal
accucilli en Angleterre inalgr6 le patronage puissant de
Boerhaave ct celui de sa propre renommee, Linne vint a
Paris sans recommandations. Bienlot il arrive, encore
ignore, dans une de ces lierborisalions oil Jussieu recueil-
lait les plantes des champs et les designait ii ses eleves.
Ceux-ci, qui souvent essayaient de metlro ii I'epreuveson
admirable sagacite en mutilant les plantes ou bien en les
d^figurant par I'addition de parties prises a d'autres
genres, lui en presentent une composee de pieces rappor-
ttes. Le savant et moiicste professeur hesilait ii pronon-
cer, lorsqu'un inconnu proclame et prouve la fraude ma-
ligne des eleves. Linne ^eut ou moi pouvions la di'coitvrir,
s'ecrie naivement Jussieu. Eii elfet, c'etait Linne. Jussieu
I'embrasse avec transport, etle souvenir de leur vive af-
fection se trouve consncre dans ia science par la dedicace
de tout un genre de plantes, qui porte le nom du bota-
niste francais.
Du reste, Linne avait le caractere fiicile et bienveillant,
ses moeurs etaient vertueuses et sa via retiree. Fort atta-
che aux principes religieux qu'il lenait de son pire, il ne
parlait de la Divinite qu'avec respect, at saisissait avecj
un plaisir marque les occasions nombreuses que lui f,f-
frait I'hisloire naturelle de faire connaitre ttiule la sagesse
du Createur. Ses depouilles mortelles fura'nt recueiUies
dans la cathedrale d'Upsal, et Gustave 111 oomposa lui-
meme son oraison funebre.
La Providence, qui .se cache souvent dans ci! (]ue nous
appelons le ha.sard, cnchaina dune maniere irnjjrevue le
jeune Buffon a I'etudo de I'histoire nat\)relle. Fils d'un
conseiller au parlement de Bourgogne, il n'^tait encore
animeque d'un dfeir vague d'instruction et de renommee,
lorsque sa nominaliun a la place d'inlenilant du Jardin-
des-Plantes, vint donner une direction fixe kses idees et
lui ouvrir la carriere ou il s'est immortalise. Jusqu'a lui,
l'hi.stoire de la nature n'avait ele era rile avec ■fitendue que
par des compilateurs sans talent, le s autres Duvrages ge-
neraux n'offraient que de seches nomencla tures. Linne
n'avait pas encore produit son oeuv re etsem blail ne s'oc-
cuper plus specialemenl que de bg lanique, jl existaitdes
48 PETITES SOIREES
observations excellenles et varices, mais isolfes ou bien
reslreintes k des objels particuliers. Buffon, alors hostile ii
toute espi'ce de classification, resolut cepcndant de faiie
de toutes ces connaissances acquises un vaste el magni-
fique ensemble. N'ayant ni la patience ni les organes
physiques convenables pour observer au microscope ct
pour decriro les details, il confia conipletement a I'liabile
Daubenton, nlors son ami, le role modestc et accessoire
de descripteur des formes exterieures et de I'analomie. 11
se reserva tous les morceaux d'eclat, toutes les theories
generales, et surtout il 'voulut ^tre le peintre des moeurs
des animaux. Mais il n'a lr»jt6 veritablement que de
I'histoire des mammifferes, car celle des oiseaux est due
en grande partie a son coUaborateur Guineau de Mont-
beillard. II n'y a qu'une opinion sur Buffon considere
comme ecrivain, car peisonne peut-etre ne I'a egalepour
I'eli'vationdu point devue, pour la niarchelbileetsavante
des idees, pour la p'ompe et pour la majesle des images,
pour la noble gravile des expressions, pour la dclicieuse
harmonie des periodes. On lui reproche parfois uncer-
tain defaut de flcxibilite, ct ccpendant il a souvent riussi
h rendre les plus petils details avec une grace enchante-
resse. Les retlf.xions morales par lesquelles il cherclie a
varier la monotonie d'un sujet quelquefois aride mon-
trent presquo partout I'exquise sensibilile de son hne.
Enfin, ses tableaux de grandes scenes de la nature sont
d'une verite parfaile et empreints chacun d'un carac-
tere propre et ineffacable; aussi la reputation de son livre
fut-elle prompte et universelie. Les hommes ^minents de
tous les pays rendirenta I'auteur deshonimages unanimes.
Linne seul, peut-fitre, fit exception. Mais les allusions
ameres du naturaliste su^dois etaient encore pour le na-
turaliste frajicais un nouvel hommage et le seul qu'ilpilt
attendre dun rival trop epris lui-m^me de la louange
pour consentir a la parlager. D'ailleurs, vous le savcz,
cette inirQiti(5 fut reciproque, ciiconstance bien dt^plora-
ble assurement; car la science, qui eAt tant profite du
eoncours preeieuxde ces deux hommes de genie, se trouve
au contraire obstruee d'une foule de mots superflus in-
troduits Ji I'envi par les illustres chefs de deux fccoles
ennemies.. Pour etre \rai, nous devons dire que Linne
I'emportei comme classificateuret Buffon comme ecrivain,
que lun n fonde la science et que I'autre I'a popularisee ;
qu'ils soiit enfin .le complement indispensable I'unde I'au-
tre ; Linne s'etant surtout distingue par la methode et par
les detail:,, et Buffon par les grandes vuesd'ensembleetpar
le colons. Mais ponr etre juste aussi, nous devons ajouter
que Buffon, avec cette noblesse d'Sme qui ne craint pas
d'avouer une longue eneur, s'etait rallie, dans les der-
nieres annees desa vie, a la necessite d'une classification;
ASTUONOMIQUES.
et nous devons bien regrettter qu'il ne s'en soit pas .se-^
rieusement occupe hii-mfime, car celle qu'il a donnee
pour la nombreuse famille des singes est un veritable
chef-d'oeuvre. Enfin ses id^es quant ii rinfiuonce qu'exer-"
cent la delicatesse et le developpement relalif de chaquef
organe sur la nature des diverses especes resteront
comme point fondamental de toute hisloire naturelle, de
nieme que .ses idees sur la degeneration des animaux et
sur les limilesque les cliniats, les montagnes et les mers
assignent a chaque espece, sont de veritables decouvertes
qui se confirment chaque jour et qui ont donni5 aux re-
cherches des voyageurs une base fixe, dont elles man-
quaient auparavant. Comme Linn(5, Buffon savoura long-
temps la gloire qui lui ^tait peut-6tre plus nteessaire,
ear il vivait dans tout le i'aste d'un grand seigneur. On
dit mi5me que, pour ecrire ses ouvrages, il avait soin de
rovetir d'abord ses habits les plus somptueux, comme si
la solennite de son costume devait communiquer a son
style plus de .splendeur. Ce qu'il y a de sur, c'est que sa i
conversation ctait presque vulgaire et negligee. Quoi qu'il ^
en soit, Buffon recut de plusieurs souverainsetrangers et
notamment de Frederic le Grand, roi de Prusse, etdeCa-
Iherine II, imperatrice de Russie, les temoignages de l.i
consideration la plus elev^e ; il vit, sous Louis XV, sa
terre patrimoniale 6rigee en comte, et, sous Louis XVI, .sa
statue de marbre placee a I'entree du cabinet du roi.
fitranger aux cabales qui, au-dessous de lui, agit^rent la
litt^rature et I'tlat, il ne r^pondit jamais aux critiques
obscurs qui essayerent vainement de gater sa vie tran-
quille et douce. Et 11 en devait etre ainsi ; car, comme
naturaliste m^me, Buffon sera toujours une de nos plus
hautes sommiles scientifiques; et comme ecrivain, s'i! n'a
trace qu'une des grandes pages de I'histoire naturelle,
cette page du moins, qui rcsplendit d'un style magique
et pur , sera toujours un des plus beaux monuments de
la langue francai.se.
Pciur nous, mes enfants, ce qui dans Buffon nous
etonne et nous afflige , c'est qu'i cette Sme d'elite
ait manque peut-etre la chaleur si suave du senti-
ment religieux ; c'est qu'au milieu des merveilles de cette
creation qu'il analyse et qu'il sent, au milieu des dons
et des bienfails du Createur, dont il tenait lui-meme une
si belle part, sa reconnaissance ait pu rester muetle et que
son admiration niSnie soit toujours froide, m^lrique et
sans elan. Peut-Stre aussi ce silence (Strange peut-il s'ex-
pliquer par une faiblesse? Buffon aimait a I'excessa re-
nommee, il craignit de la conipromettre aupres des esprils
fur(s de son temps qui, voyant Dieu dignement honore dans
ses oeuvres, eussent aiguise leur critique centre Tapolo-
giste et change leurs eloges en dedains. Teulieres. ;
CAL'SLRIES m PERE DE FAMIUE.
PETia*XS soit LEES ASTRONOMIQITES.
Mes enfanls, I'astron omie a pour domaine la plus ma-
gnifique part de la creation, le firmament. Si5rieuso et
solennelle, cette noble science n'a pas besoin d'ornements
Strangers, cai: elle a pcmr elle et la sdrete de ses m(5-
Ihodes et la s plendeur d e ses resultats. Mais par son ele-
vation mtmc et par les connaissances premieres qu'elle
exii;e, I'astronomie ne se trouve-t-elle pas reellement trop
au-dessus de votre jeune intelligence? Non, mes enfanls.
D'abord les notions sullisantes de geometric, d'optique et
de niecanique viendront se mettre aisement a votre dis-
position; et puis, quant a la science elle-meme, elle se
fern pour vous elementaire, mais ^li'nientaire seulement.
PETITES SOIREES ASTKONOMIQIES.
49-
par la forme, par le choix, par la inethode, car au fond
toutes les qucslions impoitanlcs scroiU post-es par nous et
resolues. Voyez en elfet notre programme. Nous com-
menceions par un mot sur la lunette, puisque c'est h ce
merveilleux instrument que I'astrononiie doit surtout ses
progres. La lunette fut derouverte par hasard. Desenfants
pour s'amuser alignaient des verres.et, leur curiosite re-
itardant au travers, ils furent bniyanimenl emerveilles
d'apercevoir tout pres d'eux le cloclierdu village, qui elait
cependant tres-cloigne. Un lunelier intelligent sut profiter
de ce fait; mais il eut le malheur de soumettre son ceu-
vre aux ^chevins de la ville, qui criliquerent I'instrn-
nient comme fort incommode parce qu'il n'admettait, di-
saienl-ils, qu'un ceil seulenient, el I'artisle perdit le lemps
k lulter contre I'insoluble probleme d'une lunette qui pit
admettre simullanement les deux yeux. HeureusementGa-
lilees'empara de I'invention pourl'ameliorer, etdejJi, quoi-
que aide d'un simple grossissement de Irenle fois au plus,
ce celebre astronome italien acquit a la science des faits
qui rendent a jamais sa memoire illustre. Mais touts la
puissance de la lunette ne fut verilablement reconnue que
par Kepler, une des gloires scientiliques de I'Allemagne.
Kepler elablit en effet que I'eclat de I'image depend du
(liamelre de l"un des verres appele objectif, et que I'ampli-
fication de I'image depend de la longueur de la lunette. Au-
zou, astronome francais, presque eclipse parmi ces honimes
de g^nie, construisit une lunette qui avait cent metres de
longueur, c'est-a-dire la hauteur du dome des Invalides; il
oblenait ainsi un grossissement de six cents fois ; mais cet
instrument etait tres-difTicile a manier. Newton, Thomme
le plus Eminent que I'Angleterre ait donne a la science,
Newton, a qui nous devons tant de faits et tant de lois,
Newton, sans le vouloir, retarda le perfectionnement de
la lunette en declarant qu'il 6tait impossible qu'une lu-
nette a grand pouvoir amplificatif fut contenue dans des
dimensions mnniables; erreur deplorable, car quand un
homme de genie se trompe, il arrete son siede pour long-
tenqjs. Et pourlant Tolon, refugie francais en .\ngleterre,
combatlit victorieusement I'erreur de Newton. En r^a-
lite, le grand obstacle au pouvoir amplificatif de la lu-
nette, c'est de fabriquer du verre sans bulle, sans strie,
surtout dans de grandes dimensions. Or, le moiudre de-
faut dans la lentille rend I'image defectueuse. Un simple
ouvrier vient de doter la p'rance de ce prodige de I'art,
et la France aujourd'hui fait .seule des verres purs avec
des dimensions incsperees , et ces verres ne produisent
pas de couleurs. Pr^s de Paris, on coule maintenant des
lenlilles on objectifs d'un metre d'ouverlure, et landis
qu'hier encore nous n'avions au plus qu'un grossissement
de onze cents fois, aujourd'hui le grossissement .sera de
six mille fois. On transportera done ainsi la lune, par
exemple, si pres de la terre, que I'observaleur pourra
niieux examiner ce satellite, qu'il ne pent voir de Geneve
le mont Blanc. Or, cette cime de nos .4lpes est facilement
^tudiee de I'observaloire de Geneve. Nous pourroiis done
connaitre enfin la constitution physique de la lune. Je
ne manquerai pas de vous donner quelques details sur
I'humble inventeur de la nouvelle lunette, car si nous
devons citer avec reconnaissance les savatits qui menent
la science, quoique la renommee protege leur souvenir,
nous devons surtout .sauver de I'oubli les artistes mo-
destes dont les contemporams eux-memes ignorent le
nom. En effet, I'habile opticien qui par des instruments
T. II.
delies seconde si bien les investigations de I'astronome
doit partager avec lui nos liommages, puisque le genie
de I'art devient ici I'auxiliaire et le complement du ge-
nie de la .science. Quoi qu'il en soit, ce perfectioiuie-
meut des lunettes sort admirablement au perfectionne-
ment nieme de la science; mais il ajoule de nouvelles
dilT.cultos pour I'astronome, de nouvelles fatigues, de
nouveaux devoirs. L'astronomie comtemplative des C.hal-
deens cHait commode, simple, facile; mais I'astronome
actuel est sourais a une foule de details qui epuisent sa
patience et compromettent sa vue. Or, c'est par les de-
tails qu'une theorie scieutifique s'eleve ou s'ecroule. Des
qu'un detad , quelque petit qu'il paraissc, heurte une
theorie, elle doit lomber, car elle n'est pas dans le vrai.
Vous comprendrez mieux, mes enfanis, dans une de nos
prochaines soirees, les difficultesde detail qui pesent desor-
mais sur I'astronome; mais il est important que deja vous
.soyez avertis.sur ce point comme aussi sur une autre erreur
assez ordinaire. Vous enlendrez dire souvent qu'on est
heureux d'etre astronome, parce qu'on a le privilege d'a.s-
sisler a I'imposante scene que presentenl les profondeurs
de I'espace. Assurement le nionde stellaire e.st dans la
creation malerielle I'objet le plus eleve sur lequel puisse
s'e.xercer et se complaire la pensee humaine, et I'astro-
nome y trouve, en efifet, les plus dignes jouissances;
mais personne ne songe aux mille peines qu'elles lui coii-
tent. Notre climat est brunieux, il faut s'exposer, immo-
bile, a tons les caprices de fair; le ciel est ordinairement
couveit, il faut altendre avec anxiete qu'un eclairci .se
forme. Le fil d'araignee qui sert de point de mire est
d'une extreme lenuite, et une partie de son epaisseur, si
elle etait negligee, entrainerait une erreur capitate. II
faut done cclairer arlificiellement I'appareil. Mais les
mouvenienis oscillatoires de la tlamme deplacent sans
cesse le point de mire; puis, tandis que I'aslronome se
tient haletant d'attention et le regard tendu vers I'astre,
la vapeur meme de son haleine se depose sur le verre et
I'obscurcit, et le voila dans Tallernative ou de perdre,
pour essuyer la lentille, I'instant favorable a I'observa-
tion, ou bien de ne la faire qu'a travers un nuage. En-
fin, tandis que la vision dolente amuse I'oeil et le repose,
la vision tendue le fatigue et le perd. Si done, mes en-
fants, les avantages reserses a l'astronomie sont inimen-
ses, n'oublions pas toutefois qu'il n'est pas de science oil
le travail soit plus laborieux et I'abnegation plus com-
plete; car voyez comme I'astronome doit partager sa vie :
il faut que la nuit il observe et que le jour il niedite.
Quoi qu'il en soit, nous verrons que la lunette ne se com-
pose veritablement que de deux verres. Le plus grand est
appele objeelif parce qu'il est lourne vers I'objet; le plus
petit est appele ociilaire parce qu'il est place presde I'oeil.
Nous verrons comment I'objectif produit I'image aerienne
de I'astre et comment I'oculaire ou loupe aniplifie celle
image. Quant au tube de la lunette, il ne remplit aucun
role essentiel. Sa fonction principale ne consiste qu'a
maintenir les deu.x verres dans une relation convenable.
On pourrait done a la rigueur se pas.ser de ce tube qui
frappe le plus les regards du vulgaire; mais I'objectif et
I'oculaire sont indispensables. Peut-etre cependant vous
entendrez citer la lunette de Franklin comme n'ayant He
formee que d'un seul verre. Le fait est vrai ; mais pour
ne pas laisser a votre surprise le temps de s'egarer, je
dois vous dire bien vile et lout .simplement que Poeil de
r,o - PF/riTES SOIKEES
ce savant AiiKM-icaiii, so trouvant confiirm6 en loupe, ne
ronilait olieclivemcnt necessoire que I'objectif. Mais avcc
lette lunetle cxceplionnellc, le yrossisscment ne pouvait
(Hre considerable, car comma le pouvoir amplificatif de-
pend de rexigiiil(5 nii^me de I'oculaire, vons comprenez
que I'oeil de Franklin ne ponvait rivaliser, sous ce rap-
port, avec nos loupes qui n'ont que le volume d'une
tele d'epingle.
■ Mais continuous notre pelit programme. Apr^s avoir
bien compris quel auxiliaire puissant nous trouvons dans
la lunette pour explorer au loin le firmament, nous etudie-
rons les belles lois do Kepler, ces lois qui le ravireni telle-
ment lui-mfmequ'il s'ecria : • Jo vaisecrire mon livre.jo
ne sais ce qu'en fera la posterite; mais que m'importe !
Dieu n'a-t-il pas attondu' six mille ans un contemplalciir
de ses ceuvres! » Parole \aniteuse, sans doute, mais que
nous n'avons pas le courage de reprocber a Kepler, car
les (Sblouissements de I'amuur-propre se comprennent,
mes enfanls, quand on est clioisi de Dieu pour d6voiler
au monde de si grandes \erites.
C'est sur la lerre ensuite que se recueillera notre i^tude,
d'abord parce que la terre est la demeure de I'liomme,
et puis parce que c'est I'astre qui nous sert d'observa-
Ibire, I'astre qui nous fournit nos points de repfere comme
notre point d'appui. ^fous verrons alors que si le mouve-
riient sideral Semble trte compliqueet presque irregulier,
celle confusion apparente devient uiie r6gularit6 parfaite
si Ton tient coniptc du deplacement de la terre, c'est4-
dire du point ni6me d'oii se fait I'observation. La terre
est isolee. Les anciens la placaient sur un elephant, sur
une tortue, on bien ils la fermaient dans une sphere de
rrislal. Nous verrons qu'elle tourne sur elle-meme et
qu'elle circule autour du soleil, ce qui determine I'alter-
native des jours et des huits et la succession harmo-
nieusedes saisons. La surface de la terre presente des as-
peritfe qui nous paraissent prodigieuses et que nous ap-
pelons chaines de niontagnes; mais a grande distance
ces inegalites s'elfacent, et vue du soleil ou memo de la
lune seulement, la lerre paratt spherique comme les au-
tres planetes. Bien plus, la surface de la terre est brillante
comme le disquo de la lune ; elle doit nieme jeter plus
d'eclat, car elle a plus de volume. Nous diiterminerons
la densite moyenne de la terre lout aussi bien que s'il
nous etail donn6 de pouvoir evaluer la density specifi-
que des differentes substances dont notre globe se com-
pose pour en conclure la density moyenne de I'ensemble.
(rr, quoique nous n'ayons encore qu'i^gratigne, pour
ainsi dire, la pellicule du globe, dejji nous connaissons
des substances de densites bien differentes. Mais ce n'est
point par la balance que, comme les physiciens, nous
apprecierons la densite moyenne de la terre; nous la do-
terminerons d'une nianicre peremptoire par des mesures
di.' raouvement. C'es;t encore par des mesures de mouve-
ment que nous resoudrons neltement la question capi-
t;le de la temperatyro terrestre ; et remarquez bien, mes
ehfaiils, que les preuves vont nous vcnir d'oii nous sem-
Wions peut-etre les attendrele moins. Ainsi, c'est la lune
qlii nous fournira le moyen de renverser ici le systeme
de Bdlfon. .Ce prince Hes naturalistes francais, qui n'eut
.jamais de rival pour le charme des diiaWs etpour la ma-
gnificence du style, ri^gnait en soaverain dans le monde
savant iorsqu'il annouca que nous marchions a la plus
effroyable congelation. Or, la vilesse de la lune est bee ii
ASTRONOMIQUES.
la temperature de la terre, et comme cette vilesse n'a pas
varie depuis deux mille ans, c'est- ii-dire depuis les pre-
mif-res observations aslronomiques, il est evident que de-
puis vingt sitcles la temperature de la terre na pas elle-
meme varit^ d'un cenlieme de degre, car ce l^ger chan-
gement eCit suffi pour alti5rer le mouvement de la lune.
Si done la terre marche vers la congelation, c'est du
moins avec upe bien consolante lentelir. La vitesse de la
lune me rappelle une preuve remarquable de sagacity
que donna I'astronome Gassendi, qui n'(5tait alors Age
que de hull ans. Des nuages tlottantss'interposaient enlre
la lune eU'horizon; sescamaradesdisaient quec'elait evi-
demment la lune qui courail et les nuages qui etaient
stationnaires. Gassendi, pour prouver que la lune ne se
deplacait pas ainsi, mais que c'etaient bien les nuages
qui fuyaient, se mit sous un arbre et placa la lune entre
deux feuilles; or, la lune ne quitia pas rette position;
elle etait done immobile, et le deplacement rapide ijtait
celui des nuages. La ligne visuelle ou point de mire donna
raison au jeune Gassendi. Se procurer une ligne visuelle
bien nette dans I'espace, c'est done se sauver de beau-
coup d'iUusions, el cette ligne visuelle nous fera facile-
ment reconnaitre que si le displacement de la lune est in-
sensible pour un moment donne, cependant il se mani-
festo et se mesure des qu'on met, par exemple, une lieure
d'intervalle entre les deux observalions faites sur cet as-
tre avec le point de mire.
A I'etude de la terre succedera celle du soleil. Sa dis-
tance a une base mesurable sur la terre m6me. Nous de-
terminerons que celte distance moyenne est de Irenle-
huit millions de lieues; et, pour vous faire une idee de
cette distance, donnez-vous pour mesure une vitesse qui
soil familiere, celle cl'un boulet de canon, vitesse de pro-
jection la plus rapide que nous puissions produire. La Vi-
tesse initiale du boulet, c'est-k-dire a sa sortie meme de
la piece, elant de deux cents metres par seconde, ce bou-
let metlrait quarante ans pour nous arriver du soleil!
Mais comme cette vitesse du boulet est un peu vague
peut-etre, car elle'n'est pas uniforrac et depend de la
qualite et de la quantite de la poudre employee, ii est
mieux de chbisir une de ces mesures que nous voynns
dans les habitudes de la vie. Nous allons done prendre
pour mesure la loconijjtive de nos chemins de fer, qui,
du resle, est elle-meme comme une sorle de projectile.
Eh bien, une locomotive anim^e de nos plus grandes vi-
tesses et parcourant vingt-huil lieues a I'heure emploie-
rait cent cinquante ans pour nous arriver du soleil!!!
Nous parlous de la distance moyenne de cet astre, car sa
distance n'est pas toujours la meme; il y a done une sai-
son ou elle est plus, grande et une saison ou elle est plus
petite. Or, contrairement a une bypotbfese fort naturelle,
le soleil e.st I'hiver plus pres de nous etl'ete, plus loin.
Le volume du soleil ^lantl'iOO.OOO fois celui dela lerre,
vous verrez que notre planete, sur laquelle s'agilent tanl
d'ambitions, n'est qu'un atonie par rapport au soleil, qui
lu!-meme cependant n'est pas la plus volumineu.se des
eloiles. Toutefois ces dimensions du soleil sont prodi-
gieuses, car si Tonfaisait couiciderle centre du soleil et
le centre de la terre en superposant les deux astres, la
surface du soleil depasserait celle de la lerre non-scule-
ment jusqu'a la distance de la lune, qui est a quatre-
vingt-quinze mille lieues, mais encore une fois au dela.
Les taches que presente le disque du soleil nous permet-
PETITES SOIREES
lent (le reconnaitre qu'il tourno sur lui-m6me; quant Ji
riiabitabilite de cet astre, nousdeveloppeions cette ques-
tion que la philosophie se posa d^s la plus haute aiiti-
quiti5. Pylhagore croyait que tous les astres etaienl ha-
bitus; Orpliee disait que le lion deN^m^e etait tombe de
la lunc; Fontenelle, dans sa Pluralile des Moiules, refu-
sail des habitants au soleil. Xous ferons comme Fonte-
nelle, mais parune autre raison. Le spiritucl philosophe
pensait que la chaleur excessive du soleil devait rendre
cet astre inhabitable; iiiais la constitution physique du
soleil nous est connue. Nous verrons que, dans sa partie
principale, le soleil est trcs-probablement un corps obs-
fur enlnur6 d'abord d'une almosphero nuageuse, et puis,
a la surface, d'une autre atmosphere incandescenle. Par
consequent, la chaleur afl'aiblie par I'atmosphere nuageuse
interpos^e, ne serait pas trop intense sur le corps meme
du soleil. La variation qu'eprouve le poids d'un corps
transporle dans les differents astres appuiera mieux notre
opinion negative. Que peserait un homnic Iransporte dans
le soleil? le poids nioyen d'un homnio a la surfijce de la
terre est de 50 kilogrammes, a la surface du soleil ce
poids serait vingt-huit fois plus considerable, o'est-a-dire
un honime peserait l.iOO kilogrammes. Certes, notre
force musculuire, suffisante pour porlcr notre corps sur
la terre, ne pourrait, k la surface du soleil, le soutenir,
et le corps s'ccraserail sur lui-nieme comme si 28 quin-
laux nous etaient en ce moment ajoutcs sur les epaules.
Ainsi I'homme ne pourrait habiler le soleil.
Remarquez ici , mes enfants, que I'expression tomber
cjiangerait singulierement de valeur si nous passions sue-
cessivement dans les difl'erents aslrcs. Tomber sur le so-
leil ou bien sur la terre, ou bien sur une petite planete
comme (xres, nous presenlerait des resultals tres-divers.
En supposant que notre corps put se tenir deboul sur le
soleil, 11 y serait aplati par le moindre faux pas ; en tom-
bant d'un premier etage a la surface de la terre, notre
corps pourrait dtre bless(5, mais k la surface de Ceres
cclte chute serait pour lui sans danger.
Je vais vous etonner peut-ctre, mes enfanis, en vous
disant que la densile du soleil est quatre fois moindre
que celle de la terre. Le soleil n'a guere, en efTet, que la
densite deseaux du lac .4sphaUite (mcr Morte). 11 est done
leger, mais 11 e.st considerable, et son volume enorme lui
donne une telle masse, que si le soleil ctait place dans I'un
des bassins de la balance, il faiidrait pour lui faire equi-
libre mettre dans I'autre bassin Irois cent cinquante-cinq
mille globes comme la torre. C'est par celle mas.se qu'il
enchaine et mailrise toules les plunelcs. La temperature
du soleil esl-elle conslnnte? la lumiere et la chaleur qu'il
rayonne vers la terre ol vers I'espace ont-elles varie d'in-
tensil(S? Cesont des questions que nous devrons rcsoudre
nettement. Je ne fais aujourd'hui que les annoncer.
En quiltant le soleil, notre attention se portera sur
lUercure, planete la plus voisine de cet astre et dont I'an-
nee ne dure meme pas Irois mols; elle recoit une lu-
miere et une chaleur sept fois plus intense que celles qui
nous arrivent sur la terre ; Vcnui:, plani^te presque aussi
volumineuse et presque aussi dense que la terre, recoit
ehcore, par sa pro.iimitc du soleil, deux fois plus de lu-
miere et de chaleur que notre globe. Nous parlerons de
ses phases faciles a ob.server et de ses monlagnes qui sent
Ires-elevees. Ulurs nous Inli-re.ssera surtout par sa forme,
p:ir sa couleur, par une periodicite de soisons analogue h
ASTRONOMIQUES. 51
celle de la terre. Je n'ai pas besoin de vous dire que notre
etude s'arri5lcra surtout sur la lune, notre satellite, dont
nous separe une dislance moyennc de 9j,(l00 licues ;
nous verrons pourquoi la lune nous pre,sente toujours la
meme face; nous prouverons, quant a sa constitution
physique, que la lune n'a pas de mer, qu'elle n'a pas de
glace, qu'elle n'a pas d'atmosphere ; nous parlerons de ses
prodigieuses montagnes, de ses immenses craleres; nous
parlerons de son action dominalrice sur la partie liquide
de notre globe, et de 1<\ nous tirerons la mesure de sa
, masse; mais nous verrons que la lune n'exerce pas d'in-
lluence sur I'atmosphere, et que, par consequent, elle
n'est pour ricn dans les phcnomenes de la pluie ou du
beau temp.^.
Nous p'jrtant ensuile sur le disque enorme de Jupiter,
nous y trouverons encore la confirmation de ce fait astro-
nomique : c'est que les grands corps ont peu de densite.
Celle de Jupiter est ii peu pres la densite m^me du so-
leil ; eel astre est quatorze cents fois plus volumineux que
la terre, mais il faudrait mille cinquante-cinq globes
comme lui pour faire ^quilibre au soleil. Deux de ses
quatre satellites sent plus grands que notre lune. C'est \k
que nous trouverons le moyeii d'apprecier la vitesse de
la lumiere qui, parcourant 77,000 lieues par seconde, ne
pouvait trouver sa mesure sur la terre, puisque, ponr
faire le tour de notre globe, elle n'emploierait guere plus
d'un dixieme de seconde.
Nous eludierons Sitlurne et son unneau, nous elu-
dierons I'vanus, cette planete placee sur la limite de
notre systeme solaire; et puis, avant de passer au
monde merveilleux des etoilcs, nous dirons un mot des
planeles telescopiques, c'est-a-dire des planetes qu'on ne
pent apercevoir a I'oeil nu. Hier encore elles n'elaieni
qu'au nombre de quatre, Vcsia, Juvm, Ceres et Pullns,
une cinquieme est venue s'ajouler aujourd'hui et former
ainsi la duuzieme planete de notre systeme solaire. Astree
n'est certes que fort petite, mais elle nous interessera,
mes enfanis, parce qu'elle vient enlrelacer son orbite a
celle des quatre planetes telescopiques deja connues ; et
nous nous demanderons si toules cinq ne seraient pas les
fragments d'une plancle primitive mise en eclats. Mais
le soleil lient encore sous sa dependance un grand nom-
bre d'astres siiiguliers que nous devons etudier sous le
iiom de comHes. Entin noire ])cn.«ee, s'elancant dans les
plus lointaines parlies du firmament, s'arr6tera sur ces
iiinombrables solcils que nous appelons les Huiles. II en
est qui se forment, il en est qui s'eteigncnl; il en est
dont la couleur change, doiil I'eclat se modifie. Tous ces
fails meritcnt assuii'mcnt d'etre ronnus, d'etre etudics;
des considerations clevees s'en deduiront nalurellement.
Je ne tcrminerai point noire petit programme sans vous
dire que nous aurons ii mesurer des objels inucces.iibles,
et pourtant j'espere que nous y parviendrons. Eufin, mes
enfants, nous rencontrerons parfois des questions fort de-
licates, nous les aborderons sans temt'rite , mais avec
franchise, car, voyez, il n'en pourra lesuMer pour nous
qu'un avantage ; si la science nous r(5\ele la solulion de-
siree, nous proliterons avec bonheur de celle nouvelln
perspective ouverle a noire admiration; si la science, an
contraire, resle indeci.se ou muelle, notre ftme s'inclinera
devant Dieu pour reconnaitre que I'intelligence de
I'homme est liniitee, tandis que la puissance du Oealeur
est infinie. Tei'liekf.s.
52
KSQDISSES IIK I, A VIK, FI, AM A M)l",.
ESOl'ISSES [IE L\ VIE FLAMi\NI)B.
ciiapithf. FRRSiiRn.
SISKA VAN-ROOSMAEE..
Lps linns l;oiirpeo;s di: I'ar.cienne Kcolc. — T.r?; rlievaliiTs
(I'ln-histric de la nouvi-l'e.
On voyait, il y a quel-
qiies annecs, dans une des
nies qui hordent le cime-
liere d'Anvers, one an-
cicnne ct fameuse boutique
d'epicerirs qui s'elait tou-
jours fail roniarquer par le
l)on marclie el la bonne
qualil6 de ses luarolian-
dises. Celte bouliqne avail
oujours apparleiMi k la nieme famille, dont les membres,
depuis plusieurs generations, s'y succi'daient de pere en
fils.
Le dernier proprietaire etait James Van-Roosmai?l, fils
de Franck, qui etait fils de Charles, lequel etait fils de
Gjspard Van-Roosmai'l; il a\ait rpousr Siska Pot, des-
cendanle du fameux Peter Pol, dont deux rues portent
encore le nom '.
Les deux i'poux, consacres des reuf.mce au commerce,
constamment occupes d'ailleu's de leurs atfaires, n'a-
1 Peter Pot etait un noble qui fonda en 143.1, a Anver?, le m nas-
tere de Saint-Salvador, connu generalemeiit sous le nom du monas-
tere de Peter Pot; en ir»75, i\ fut bn'ile par les Iconoclastes; les nom-
breux descendants de ce noble furent en grande parlie d'liiimbles
bourgeois appeles les Pots ^Potten].
vaicnl pu encore Irouver le temps de so melire an niveau
de la civilisation modei'ne; en d'auli'cs tcrtues de se
fidiiriscr.
I.eurs habits, fails d'lui drap grossier, t'taient fort
simples el n'olfiaieiit ^uere de vari(;lt'' sous le rapport de
la coupe.
Toule leur Mr.lerobe se composait de Irois habille-
ments bien distincis : celui de lous les jours, celui du
dimanche, enfin celui de Pfiques ; ce dernier ne sortant
janmis de rarnioirc que pour ce saint jour.
II elait facile de voir que ces bonnes gens, attachi^'s
conime lis etaient aux anciens usages avec leurs habils
d't^toffe el de forme si simples, devaienl servir souvent de
jouet aux jeunes merveilleux de la ville qui, pares dt!
ces brillanis habils dont I'apparence fail lout le merile,
passaiont devant leur boutique en s'amusant a leur
lancer des regards meprisants ou des sarcasmes ironiques.
Pour eux, ils n'y faisaient seulement pas attention ;
ils savaiont fori bien que chaque homme a sa valeur.
" Clinquant que lout cela, disaienl-ils, chez nous c'est
raoiusbrillant, sans doute, mais plussolide. »
Ils avaient conserve I'habitude de diner a midi. Anssi,
quand cette heure sontiait, la soupe etait toujours sur la
table.
Ils jnuissaicnl hien aussi de quelquesaulres imperfec-
tions qui donnaient naissance a plus d'une attaque peu
charitable. Ainsi ils ne savaienl pas un mot de francais,
ils n'avaient jamais senti le besoin de ce perfectionne-
ment oblige de I'edncation des gens comme il faut; leur
ignorance a ce sujet leur avail attire bien des quolibets.
Religieux, industrieux, modestes, et par-dessus tout
amis de la tranquillitti, ils pensaient, dans leur simplicite
flamande, qu'il valait mieux mettre tous les jours de
c6te un sou ?agne honnJlement que d'acqucrir en peu de
temps une immense fortune par I'astuce el la fraude ;
en un mot c'etait le vrai type des bans bourgeois fla-
mands de la vieille licole.
Le ■vieux Van-Rnosmai'l avail une jeune fille nommee
Siska, 6gee de quinze ans el dejii grande pour son ilge.
Elle etait douce d'une figure assez distinguee, de beaux
cheveux blonds , et des yeux bleus d'une expression
douce et melancolique; c't'tait un des jobs types des
enfanis du Brabant.
Elle avail recu unesorted'eduration al'c'cole de la vdio,
elle avail appris d'abord I'orthographe et rarithmetiquc,
puis a se faire loutes surtes douvrages que les bonnes
ESyiilSSES DK L
bourgeoises apprecieiit sous le rapport de lutilite; c'est-
ii-dire qu'elle en savaitun peu plus que la scrvante pour
tout ce qui avail rapport au menape.
Coninie scs parents, elle elait simple, pieiisc, de plus
obeissante et affeclionnee; elle ne nionlrait jamais le
moindrc signe de violence, de paresse oj d'obstinalion ;
enfiii elle se mnintcnail toujours dans la posilion d'une
(ille soumise et respectueuse, calculant qu'avec le mari
que se3 parents lui deslineraieni, elle aurait a soulenir
I'honneur et la reputation que la famille s'etait acquise
dans leur important commerce d'<5picerie-
Or, comment se fait-il que cetlememe boutique, rcstce
uuverte pendant cent ans, se Irouve tout a coup fermee?
Quel nialheur arriva done ii Van-Roosmai^l pour qu'un
beau jour tousses ustensiles, tels que pots, cuves, flacons,
rruches, etc.... passassent dans la boutique d'un reven-
deur?
L'histoire snivantc vousdira comment elpourquoi.
II est bon de vous informer d'abord que, dans le voisi-
nage de notre bouliquier, vi\ait un maitre cordonnier,
un des meilleurs amis de M. Van-Rousmael, avec lequel
il se promcnaitsouvent le dimanche sur le pont de pierre
a Anvers'. lis jouaient aux cartes ensemble, et sem-
blaient etre les deux freres, parlageant leurs plaisirs et
lours peines. Tout a coup un cliangemenl notable se ma-
nifesta dans cette etroite liaison, et pour de singuliers
motifs!...
Le cordonnier avail mene jusque-la une vie Ires r6:ju-
licre et etail parvenu, par de sages economies, a acheter
la maison qu'il liabitait. Un beau jour, pendant que Van-
Roosmat'l etait retenu chez lui par la fR-vre, 11 fit percer
sur le devant de la rue, deux fenStrcs, et sur les vitres il
fit peindre en magnifiques leltres de couleurs, diverses
recommandations en francnis, relatives ;i ses marchan-
dises.
Dans le milieu on lisait . .\ la Bolte sans couture,
.Magasin de bottcs et souliers de Paris ; • ce qui etait un
mensonge, carilfabriquait lui-meme sesboUes et ses sou-
liers, comme d'liabitude. Au-dessous on vojaitun dessin
representant un liomme qui se regnrdait dans une botle
bienciree.et qui semblait ebloui par I'iclat du cirage.
A VIK IbAMA.MJK.
55
Au-dessus de ce chef-d'a-uvre du pii/f cHaient Merits
ces mots : ■ Veritable cirage anglais. » Ce qui etait une
autre fourberio, carc'etait lui-meme qui lefabriquail; il y
avaitune difference, toutefois, c'est qu'il le faisait payer
quatrc fois plus cher. L'enseigne du coin portait cclle
1 Promenade favorite des habitants d'.^nvers.
inscription .- cc Souliers en caoutcbouc, I'oudre do savon,
Semelles de liege, etc. »
Quand Van-Roosmael eut recouvre la sante, un jour
qu'il se promenait dans la rue, son regard toniba aveo
suiprise sur la fen^tre du cordonnier; il s'arr^ta subite-
ment, puis il fixa, avec tousles signes dela stupefaction,
cette longue .suite d'enseignes ; il eut peine a rassembler
ses idees. On eut dit un eiranger egare qui cherche a re-
Irouver son chemin. Qu'est-ce que cela \eut dire? pen.sa-
t-il, ceilainement ce u'est pas la la boutique de Spinael,
a nioins qu'il ait change sa maison, sans queje le sache;
il est plus probable que c'est un autre qui sera venu s'e-
tablir lit dans I'intention d'escroquer le public, en lui
jetant dela poudre aux yeux, dans le but de mieux I'at-
traper. Du re.sle,je m'en vais eclaircir tout cela.
Pendant que Van-Roosmai-I etait a faire ses reflexions,
un monsieur sortit dela boutique et s'arreta sur la porte.
II etait vetu d'un paletot de drap a raics bariolees, d'un
gilet blanc ; il portait de plus une grande chaine dor, a
laquelle t^taient attaches un loignon, une montre et plu-
sieurs cachets. Une tres-belle barbe noire parfaitement
frisee, entourait son visage, et ses cheveux, arranges
avec art, r;:ppelaient exactemcnt les figures en cite que
Ton voit derrit^'re les vitraux d'un perruquier.
.Ah ! jiensa Van-Roosmael, ce doit etre lui, quel beau
garron! Mais le nouvcau voisin alia droit a lui, et lui
frappant surl'epaule, il lui dit : « Vous voil^ done gueri,
I'ami? • Van-Roosmaijl, ctonnti, fit deux pas en arriere,
et regardant son ami de la tHo aux pieds : « Comme vous
^tesbeau! Est ce que vous avez gagne le grand numere
it la loterie? on alors, vous avez done fait quelque riche
heritage? S'il en est ainsi, que Dieu vous benisse, jevous
le souhaile de lout mon coeur ! C'est vraiment tres-sur-
prenant, mais c'est egal, je n'oublierai jamais qu'il y a
quelque temps vous aviez les cheveux rouges. Quelle
transformation!!!... » Spinael se mil a rire dun air de
pilie et de dedain. II repondit avec cetle aisance que
I'ou remaiqiie cliezunhomme qui a rhabitudedu nionde :
« Van-Roosmat'l, vous ne deviendrez jamais riche en
restanl encroijte comme vous I'^lcs dans vos vieilles ha-
bitudes; nc voyez-vous pas que le monde a change?
Si
LES miLLE ET UNE NIHTS
personne, aujourd'liui, no peul gagner d'argeiU sans
tromper ; Ics bonnes niarcli.indises ne se vendent plus
qu'ii moitic prix, et celui qui s'obstine i vouloir vivre
comme un bon bourgeois, dovient bienlot vieux et hers
d'itat de travailler, avant de pouvoir dire ; « Ma fortune
est faite. Ainsi vous, mon ami, vous voulez avoir, pour
\os chaussures, de bon cuir, de bon ouvrage bien con-
ditioniie et surtout ne pas payer cher. C'est bien dilTerent
avec les dandys , au rnoins aveo eux les affaires sont bien
plus avantageuses; aussi, vous leur faites tous les mois
une paire de bottes qui vous coute fort peu de cbose, qui
n'a que I'apparence, et vous la leur faites payer tres-cber :
u'est done lout benefice.
La stupefaction de Van-Roosmael etait h son conible,
et il se demandail s'il ne revait pas, en entendant Spinael
lui debiler des choses aussi etranges', il cnminencait
a croire que celui-ci avait perdu la raison ; tout Ji
coup, rinterrompant, illuidit: « J'aisouvententendu dire
que vos jeime France oubliaient souvent de payer -, je
vous conseille d'y prendre garde; plusieurs decespetits
messieurs sont couclies sur mes livres; et, la ou il n'y a
pas de laine, on ne peut pas tondre. Mon principe, ii moi,
est qu'il vaut mieux gagner uu peu nioins , mais gagner
honnelenient et sans avoir rien a se reprocher, que de
gagner beaucoup par des moyens qui sont loin d'i^tre
honn^tes. — Vous parlez cOnime on parlait anciennement,
mon brave honime, dit Ic cordonnicr en lui frappantsur
I'epaule avec un air de dedain; si e'est la volenti de
Dieu, dans deux ou Irois ans, nous verrons qu'est ce qui
aura le mieux fait son chcmin. Men fils Jules est a Paris
pour se melire bien au courant de ce genre d'affaires ;
c'est un garcon aclif, intelligent qui va se faire aux bonnes
manieres, et je fondesur lui les plus belles esperances.
— Qui'? lui a Paris, dites-vous? — Jules? — Comment
Jules? mais moi qui suis le parrain de voire fils, je suis
certain que son nom etait Jean comme le mien. — Jean,
SI vous voulez; Jean est h Paris, seulement il a change
son nom, si vulgaire, pour celui de Jules, qui est bien plus
distingue ; et ma fiUe Therpse, qui est enlvie en pension -
cette semaine, se nomme maintenant Horlense ; je vous
prierai done de vous abstenir de les appeler Jean et
Th^rfese devant mes pratiques. » Van Roosmael regar-
dait alternativement les inscriptions qui elaient sur les
■vitres et la mise incroyable de son ami, d lui dit en rc-
muant la t^te d'une maniere douteuse :
D'EUItOPE ET DAMERIQUE.
« .lo ne crois pas, Spmael, quo vous preniez la bonne
route; j'aivu plusieurs foisdes gens bien elablis employer
detels moyens, et se voir,bient6t apres, forces de fermer
boutique. Aprescela, chacun voitles chosesasa maniere,
et vos affaires ne me regardent pas. Brisons la et ne par-
Ions plus de tout cela. •
Quelque temps apres, Spinael vient voir I'epicier ; et,
apres s'elre vante de la bonne lournure que prenait son
commerce, il paria d'un grand achat de cuirs qu'il de-
vait faire a un tanneur, fort enibarrasse dansses affaires,
et il appelait cela « tnic a/faire brillanle. » II sutsi bien
s'y prendre pour eloigner les soupcons qu'aurait pu con-
cevoir le brave liomme, que, grilce ii une ruse qui obtint
toutlesucces desirable, ilparvinta soutirera Roosmael, a
titre d'emprunt, unesommede mille francs. 11 prit I'enga-
gement de la lui rendre Irois mois apri^s. En meme
temps, il lui prit mesure d'une nouvelle paire de chaus-
sures qu'il devait, disait-il, le faire revenir de ses pre-
ventions. Huit jours apres les avoir mises, I'epicier en
perdit les semelles; et, au lieu de ses mille francs, il ne
put jamais lirer de son ami, M. Spinael, que des iriots
et de vaines promesses.
Cette derniere circonstance apporta du refroidissenient
dans les relations des deux voisins, qui, ci dater de cette
epoque, ne se saluerent plus quand ils se rencontraient,
ce qui n'enipechait pas les enfants de continuer ^ se voir
et de rester dans de bons rapports. H. G.
(La suite au prochain numero.)
LES MILLE ET Ul NOITS D'EUROPE ET U'AMERIQUE.
I.A PROMENADE SE SCHA-ABAS ,
Itlll HE I'LliSE.
CONTE ORIENTAL.
Scha-Abas, fatigue de I'uniformitB des plaisirs de sa
ceur, ennuye d'entendre dire tous les jours qu'il etait
grand, le seul des rois de la lerre qui meritiit d'etre de-
core de ce nom imposant, voulut enfin juger par lui-
mfeme si la voix du peuple confirmerait celle de ses cour-
tisans. Un jour que la cour etait rassembl(5e chez le grand
vizir pour deliberer sur la maniere de pouvoir persuader
au peuple qu'il elait le plus heureux peuple de la terre,
parce qu'un bourgeois d'lspalian ne payait que dix to-
mans d'imposition , tandis qu'un Armenien en payait
quinze, le sophi, qu'on croyait occupe de frivoles plaisirs
sortit du palais, depouille de ses ornements, qui no sont
que trop souvent la seule superiorite que le grand qui do-
mine a sur I'esclavequilesert. II traverse tout Ispahan sans
que ses oreilles soient frappees des cris de joie dont te
peuple faisait retentir les airs quand il avait le bonheur
LKS MILLE KT UNK JSUITS O'EUKOPE ET OAMEKIQUE.
SS
d'apei'cevoir la face sacree du roi des rois. II a peine a
s'accoutumer h ce silence et a resler confondu avec cette
populacf qui, la veille, avail baiso la poussiere de ses
pieds,
« C'estun asse? bon prince que Scha-Abas, disait a son
camarade un vieux soldat qui passait a cote de lui ; mais
mon aga, avec lequel je suis mal, je ne sais pas pour-
quoi, el quiesl bien avec le vizir, je sais bien pourqiioi...
— Camarade, n'esl-ce pas pour lui avoir fait present
de la riche prise qu'il a faite dans la derniere cam-
pagne? — Justenient. L'aga, dis-je, est cause que je
n'ai encore pu obtenir la double paye que doivent rece-
voir ceux qui ont vers^ leur sang pour la palrie. J'ai d^ja
voulu m'en plaindre au sophi, qui aime les bons soldats,
mais je fus repousse par les gardes, qui pretendaient qu'un
cliien conime moi n'etail pas fait pour parler a un aussi
grand prince que Scha-Abas. »
Abas allait I'interrompre, mais il en ful delourne par un
grand bruit qui s'eleva tout a coup; c'etail une fcmme
qui s'arrachait les cheveux et vomissiiil mille impreca-
tions contre le cadi Abdoul, qu'elle venait de quitter.
« Le malhcureux! je sais bien que si je lui avals vendu
cette petite piece deterre qui borne la vue de son jardin,
je n'aurais jamais perdu mon proces, et ce miserable
Nassit ne vivraitpas de ma ruine, dont sacupidite est la
cause. Ah! Abas, .\bas, si lu savais comment la justice
est administree dans la villo d'lspahanl » Abasdemanda
qui etait cette fcmme; « Cesl la veuve de I'lmon Jlar-
inoutb, ce bon derviche qui edifiait la Perse. II y a deux
bines qu'il est mort en laissanl six cnfanls, avec le pen de
liien que sa femme vienl de perdre. Je ne sais si ses
plainles sont fondees , car je ne me niMo plus des affaires
depuis que I'honn^te Ogul a etc exile. — Ogull (Juoi?...
Oue dis-tu? E iMais rhomme s'etaitdeja confondu dans la
foule. Ogul elail un sage; ses vertus lui avaienldonne la
|ilace de vizir el la confiance de son mailre; mais ce fu-
renlces mcmes vertus qui lui firent perdre I'une el I'au-
tre. Les courtisans, indignes de ce qu'on disail loujouis
Ogul le sage, le sage Ogul, avaient jure de le perdre ; ils
reussirent, car il n'est pas dillicile de perdre un sage qui,
a la calomnie, a I'imposture, ne sail opposer que ses
vertus.
Abas devint rc^veur : on le deviendrait ii moins, sur-
t(]Ut quand on est sensible. Le prince I'etait ; et, a cette
iiualite, present heureux de la nature, il joignait le dfeir
le plus vif et le plus ardent pour le boidieur de ses sujets.
II en aurait vu raccomplissement s'll eut eu plus du pru-
dence et moins de condescendanra pour ses rainislres.
Triste et inquiet de ce qu'il venait d'enlendre, il sort de
la ville, se promene le long du lleuve Zenderouth, qui en
baigne les murs. Tout en marchant, il faisait des retours
sur lui-meme..., lorsqu'ilvitun guebre assis surlerivage.
• Guebre, je le sidue, dit Abas en s'approchantde lui.
— 0 serviteur d'Ali, dil le guebre en so levant, que le
feu eclaire toutes les demarches! Si tu n'as rien d'impor-
tant il me communiqucr, laisse-moi, je le prie ; carl'astre
brillant qui nous eclaire va bientdt disparaitre et nous
refuser salumiere divine. II fautqueje parle encore, avant
la nuit, a Scha-Abas, pour qu'il me fasse rendre une raai-
son et un petit champ que j'avais pres de ce bois, et que
le fils du vizir vienl de m'enlever pour en faire un lieu
de repos apres la cliasse : c'est le seul bien que m'ait
laisse mon pere, je n'en ambilionnais pas d'autre, et je
me consolerais mcme de cette perte si un vertueux vieil-
lard, qu'un reversaprecipitedansl'infortune.nesevoyail,
par eel accident, sans asile et sans ressource. Adieu!
Puisses-tu longtemps encore jouir de I'astre qui anime et
feconde la nature. ■ — Guebre, encore un mot; je pourrai
peut-etre te servir aupres du prince. — Tu es done un
courtisan, un ami du vizir; en ce cas-li, je ne veux pas
etre servi par toi. — Je suis le capitaine de la gardedu
sophi. — Et pourquoi he lui dis-tu pas ce qui se passe,
puisque.tu approches de sa personne sacree? Pourquoi
ne mets-tu pas au jour les exactions et les crimes des vils
'llatteurs qui I'enlourent et I'empechent de faire tout le
bien qu'il voiidrail'' Pourquoi eloignes-tu de son Irone la
veuve el rorphclin...? Sache qu'il ne suffit pas de ne
point faire de mal, qu'il faut aussi empAcher quo les au-
tres n'en fassent. Genereux Ogul ^ tout est bien change
depuis que tu ne gouverncs plus la Perse! — Ne crains-
tu pas la cotere du sophi, si ses discours viennent sjses
oreilles? — Malheur a lui, s'il punissait Ihonime qui oss-
rait lui dire une verile ulde. — Mais cet Ogul n'a-t-il jjaj;
trahi le sophi"? — Le Iraitre est celui qui V aaj-agittisey,
demande-le au peuple, qu'Ogul a rendu hcOreux. ,» AbaB
ful frappe ; il se ressouvinl dans ce moment des conseils
pleins de sagesse que lui donnait autrefois le prudent ej.
judicieux Ogul ; il ouvrit les yeux ; il vit la legereto dei
prelextes sur lesquels il I'avait condamne. Sonccour's?
serra de douleur, et des larmes amtjres coulerent le long
de ses joues. « Tu pleures, lui dit le guebre; aurais-tu
contribue a la disgrace d'Ogul? Viens avec moi voir
I'homme extraordinaire qui partage ma solitude, v SchaT
Abas le suivil sans rien dire, niaudissant le moment on
il avail eloigne Ogul de sa presence, et oil il avail donnu
sa confiance a un trailre... Ilss'enfoncent dansle bois; le
guebre le qujtie el reparatl bient6t, conduisant par la main
.son bote. " Que vois-je, dit.\bas, c'est Ogul! — Gufebre,
s'ecrie celui-ci, guijbre, prosterne-toi, c'est noire auguste
souverain! » Et deja ils sonl a ses pieds. • Levez-vous,
mes amis, leur dit d'une voix douce ce prince reellemenl
grand dans ce moment: jesuis coupable envers vous, el
vous eles ii mes pieds... Ogul... mon cher Ogul, me par
donneras-tu le mal que je I'ai fait? Ah! j'en suis assez
puni. — Prince trop genereux! eh! de quoi es-tu cou-
pable envers les sujels? Toute la Perse ne connail-ellfe
pas la bonte de ton cceur? Ne te cherit-elle pas comme
son pere? Ne verseraitelle pas tout son sang pour con-
server iin seul de tes jours? Ah ! s'il y a des malheureux
dans les vastes filats, ce n'est pas par loi qu'ils le sont,
c'est... — • Arrele, Ogul, je sais ce qui s'esl passe : il est
vrai que je n'ai point eu de part aux injustices qui se
sont commises; mais elles. se sonlcommises, etvoila mon
crime. Je le reparerai, mon ami; des ce moment, tu es
vizir; suis-moi. — Magnanime Abas! s'ecrie Ogul, je te
prie de ne pas m'exposer une seconde fois ^ de nouveaux
orages : je vis tranquille, content de mon sort ; je n'ai plus
d'ambilion ; tu Irouveras assez de fideles serviteurs qui
s'empresseront de concourir avec loi au bonheur de tes su-
jels. — Ogul, jete I'ordonne. — J'obeis, Abas, el le suis."
Ils prennenl ensemble la route d'Ispahan, ils entrent.
• Perses, s'ecrie tout a coup Abas, Ogul est voire vizir. »
Un cri general se fait entendre, on se prosternp; les Per-
sans, transportes dune joie unanime, eli'vent le sophi et
le nouveau vizirsur leursmains et lesportenten Iriomphe
dans le palais des rois.
5t)
I'EHTES IMIOMENADES
Le vizir eiileiul les ciis d'allcgresse que jelte le peuple :
il accourt; le nom d'Osul frappe ses oreilles ; il fremit, il
raperroit, il pillit... « Qu'oii le saisisse, s'ecrie Abas,
qu'on le mene au siipplicc. » Le vizir allait peiir; mais
Ogul, le gcii^reux Ogiil, inlercede pour lui. « 0 Abas,
qu'il ne soil pas dit que la premiere action qui s'est faite
a ma renlree dans Ispahan soil le supplice dun homme.
Dieu me preserve d'occuper une place souillee du sang de
ce malheureux. I'ardonne-lui, magnanime Abas, ses re-
mords nous vengeront. » Abas lui pardonna; mais il n'e-
chappa pas a la vengeance du peuple, qui le mit en pieces.
Le soldat, la veuve el le guebre curcnt justice. Ogul fut
toujours ce qu'il avail 616, un liomme verlueux ; il fil le
bonheur du peuple, et merita a son mailre le surnom de
Grand, et I'amour de ses sujets.
Pur M. iabbc K... de Strasbourg.
PETITES PROMENADES AU IIUSEE D'lllSTOIIlE i\TL'RELLE.
I.E TIGRE.
Le tigre ne se Irouve que dans I'Asle el dans les par-
lies les plus meridionales de I'Afrique; il n'esl pas mou-
chete, mais il a de tongues el larges bandes en forme de
cercle. Ces bandes prennent sur le corps, se rejoignenl
en dessous, el formenlsur la queue des anneaux alternali-
vement noirs et blancs. Le plus grand de tous les ligres
est celui qu'on appelle ligre royal : il esl fori rare, de la
bauteur d'un cheval, c'esla-dire, quit a qualre ou cinq
pieds de liauleur, el jusqu'a treize ou quatorze pieds de
longueur; il esl plus a craindre que le lion.n Celui-ci,dil
Tilluslre M. de Butfon, oublie souvenl qu'il esl le roi,
c'esl-h-dire le plus fort de tous les aiiimaux ; niarchanl
d'un pas tranquille, il n'altaque jamais I'homme, a moins
(ju'il ne soil provoque. II ne precipile point ses pas, il ne
court, il ne chasse que (]uand la faini le presse. Le liijre,
au contraire, quoique rassasie de chair, semble toujours
allere de sang ; sa fureur n'a d'aulres inlervalles que ceux
du temps qu'il faul pour dresser des embilches. II desole
le pays qu'il habile, il ne crainl ni I'aspecl, ni les armes
de I'homme; il d6vasle les troupeaux d'animaux domes-
liques; met a mort toutcs les bfiles sauvages, allaque les
petils elephants , les jeunes rhinoceros, quelquefois meme
il ose braver le lion. » C'est un lyran brutal, qui vou-
drail depeupler I'univers, pour regner seul au milieu des
victimes qu'il egoige. Des ongles crochus et des dents
meurtrieres, voilii les armes plus offensives que defensi-
ves, qui sonl les instruments de son appelil sanguinaire.
Le ligre, trop long de corps, trop has sur ses jambcs, a
les yeux hazards et elincelanls, la langue couleur de sang
el les caracleres do la basse m6cliancete; sa rage lui fait
devorer ses proprcs eiifants, et d6cbirer leur mere lor.s-
qu'elle vent les defendre. Ileureusemenl I'espece n'esl pas
nombreuse, el pa rait confin6e aux conlrees les plus chau-
des de I'lnde orienlale. Comme ce sang ne fait que
I'allerer, il frequeiitelcs eaux pourelancher sa soifelpour
surprendre les animaux qui viennent s'y desalliSrer; sou-
vent il abandonne la proie qu'il vient de mellre ^ morl
pour egorger d'aulres victimes; il plonge sa l^le dans leur
corps, pour sucer a longs trails le sang dont il vienl d'ou-
vrir la source, qui, le plus souvenl est tarie avant que sa
soif s'eleignc. Lorsqu'il vienl d'abatlre un cheval ou un
bceuf, el qu'il crainl d'etre inquiel6, il les emporte dans
les bois en les traiiianl avec tant de legerete, que la
vilesse de sa course en parail a peine ralenlie. Get ani-
mal fail des bonds de plusieurs toises, el c'csl I'elaslicile
lie ces sauts qui le rend si terrible, puree qu'il n'esl pas
possible d'en eviler I'efl'et. A Sumatra el dans quelques
autres pays, on eleve les maisons sur des pieux de bam^
bou, pour se mellre a I'abri des incursions de ces furieux
animaux, el dans le Gange ils viennent quelquefois b la
nage pour se jeler dans les petils bailments qui sent k I'an-
cre; ce qui oblige a se tenir sur ses gardes, surloul pen-
dant la null.
On rapporto le combat d'un tigre conlre des elephants.
On fit enlrer au milieu d'une enceinte de cent pieds en
Carre, formee par une haute palissade de bambous, trois
elephants destines pour combaltre le tigre : ilsavaient un
grand plastron en forme de masque, qui leur couvrait la
tele avec une parlie de la trompe. On ne lacha pas d'a-
bord le tigre qui devail combaltre, mais on le lint alta .
che par deux cordes; de sorte que n'ayant pas la liberie
de s'elancer, le premier elephant qui rapprocha, lui don-
na deux ou trois coups de sa trompe sur le dos. Ce choc
ful si rude, que le ligre en ful renverse eldemcura quel-
que temps etendu sur la place, sans mouvement, comme
s'il eul ele morl; cependanl d6s qu'on I'eul delie, quoique
celle premiere atlaque eul bien abattu sa furie, il se re-
leva, fit un cri horrible el voulut se jeler sur la Irompe de
relepliaiil qui s'avancailpour le frapper; mais celui-ci la
repliant adroitemcnl, la mil b convert par ses defenses
qu'il presenta en m6me temps, et donl il alteignil le tigre
si il propos, qu'il lui 111 faire un grand saut en I'air. Cet
animal en ful si etourdi, qu'il n'osa plus approcher; il fil
plusieurs tours le long de la palissade, s'elancant quelque-
fois vers les personnes qui paraissaient aux galeries. On
poussa ensuite trois elephants conlre lui, qui lui donne-
rent de si rudes coups qu'il conlrelil encore une fois le
mort, el ne pensa plus qu'a eviler leur rencontre. lis
I'eussenl lue, sans doule, si on n'eut pas fail finir le
combat.
Un vaisseau de la compagnie des Indes rapporta, il y a
quelques annees, plusieurs animaux etrangers, el entre au-
tres deux ligres destines pour le due de Cumberland. Ce
prince voulanl connallre la nianifere dont ces animaux
chassent leur proie, fit licher un des ligres dans une par-
tie de la fori5l de Vindsor, oil Ton avail form6 une en-
ceinte avec des toiles. On y fil enlrer un cerf : le tigre
courul aussitfit sur lui et voulut le saisir par le Dane ;
mais le cerf se defendil si bien de son bois, qu'il I'obligea
de reculer. Le tigre ne renonca pas au combat, il revint
a la charge et essaya de prendre le cerf au cou ; il ful re-
pousse avec la meme vigueur; enfin a la troisieme alla-
que, le cerf le jeta fort loin d'un coup de son bois, et se
mil a le poursuivre; le tigre alors abandonna la parlie et
XV MUSKE UHlSKjIltt; iNAl I lltLLK.
-S7
se s3uva dans la forSt. II se refugia sous les toiles, parmi
un troupeau de daims, et en attrapa un, qu'il tua sur-le-
champ. Pendant qu il en sucait le sang, deux Indiens
charges de le garden, lui jelerenl sur la iSle une espece
de coiffe; et s'on etant ainsi rendus maitres, ils I'enchai-
nerent, et apres lui avoir fail manger le reste du daim, le
muselerent et le reconduisirent dans sa loge. Le due da
Cumberland donna la liberie au cerf qui s'etait si vail-
laniment defendu, apres lui ;ivoir l;iit niellre au C(iu un
tres-large collier d'argent, sur lequel on avaitgra\c I'ii-
venture du combat.
On raconte qu'un jeune ligre elant dans un vaisseau
qui faisait voile pour I'Angleterre, s'echappa de sa loge et
grimpa sur la vergue du grand mat. Tout I'equipage en
fut alarms. Un matelot lut assez hardi pour monler a
I'endroit oil se tenait le tigre; il lui passa une corde au
cou. Get animal, loin d'etre furieux, se laissa conduire
ainsi jusqu'a sa cage. II parait que le trouble de ce mon-
stre, qui ne trouvait aucune issue au milieu des eaux,
avait change .ses nioeurs; il etait devenu presque docile,
au moins soulTrail-il I'approche de son liberaleur. On voit
aux Indes des tigres a demi prives ; mais on a soin de les
tenir muscles, les yeux bandes et attaches en lesse. Les
seigneurs orienlaux en m(?nent a leur suite, mais ils sont
renfermes dans des cages, ou enchaines sur de pelits
•chariots.
La tigresse produit quatre ou cinq pelits, el sa rage
■devient extreme lorsqu'on les lui enleve; elle brave tous
les dangers et suit les ravisseurs, qui, pour I'aniuser, re-
lachent un de ses pelits; elle s'arrete, le saisit et I'cm-
porte pour le nietlre i I'abii : mais elle revienl a In charge
quelques moments apres, et lespoursuit jusqu'aux portes
des villes ou jusqu'a leurs vaif.^eaux, a moins (juc tous
ses pelits lui aient cle rendus; et si elle perd lout espoir
de les recouvrer, elle pousse des cris lugubrcs, des luirle-
menls affreux qui font fremir ceux monies qui les enten-
dent de loin.
IJans les Indes, lorsque le ligre se trouve environne de
chasseurs qui lui prcsentenl I'epieu, il s'accroupil sur la
queue el soutient longtemps les coups de lleches qu'on lui
tire; enfin sa rage s'allume, el il s'elance avec rapidite
sur ceux qui le lirenl; mais d'aulres chasseurs liennent
la poinle de leurs epieux tourn^e vers lui, et le percent
au moment oil il esl pret a saisir leurs compagnons; si on
le manque, dans un instant il clrangle, dechire et enleve
les chasseurs.
Les Chinois estiment beaucoup les peaux des tigres ; les
mandarins mililaires en couvrent leur chaise dans Its
marches publiques, et k la cour, les princes en font des
couverlures, des coussins pour I'hiver : mais, en Europe,
ces peaux ne sont pas dun grand prix ; Ton prefere celles
du leopard de Guinee et du Senegal. Les Indiens man-
gent la chair de cet animal et ne la trouvenl pas mau-
vaise. On pretend que le poll de sa moustache, pris en
pilule, est un poison pour les animaux et pour les hom-
mes. Si le fait est vrai, on doit peul-^lre I'altribuer a sa
durete et ii sa roideur, de maniere qu'une telle pilule
agil sur les membranes de I'estomac de la mcnie maniere
58
PETITES PROMENADES
qu'un paquet de peliles aiguilles. On dit monie que le
tigre craint tellement lo poison dc sa moustache, que
quand il va boire dans une eau courante, il se place pa-
ruUelement au courant de I'cau, de peur d'avaler quel-
qu'un de se^ polls.
II y a en Amerique des (elions presque aussi grands et
aussi beaux que leligre. Leslndienslescombattent avec le
sponton et la dcmi-pique. Geux qui liabitent Ics pays des
Amazones racontent que le crocodile ile ce pays a jusqu'ii
vingt pieds de longueur, et qu'il met la tete bors de I'eau
pour saisir le tigre quand il vient boire au bord de la
riviere ; alors le tigre enfonce ses grilTes dans les yeux
du crocodile; mais celui-ci en se plongeant dans I'eau, y
entraine son cnnenii, qui se noie plutot que de lacher
prise.
11. G.
TOKTUES MAHINES. — I.E CARET.
Une des infirmites do noire intelligence, c'est de se
liiisser surprendreet dominer par leserreurs les plus vul-
gnires, par les preventions les plus etranges. Quelle est,
par cxemple, parmi les personnes serieuses elles-memes,
I'opiniou la plus commune surla torlue. Cette opinion se
resume tristement en un proverbe injurieux qui cite la
tortue comme le symbole de findoleiice. Certes les an-
ciens, dans leur poi^sie mythologique, se placaient plus
pres de la verite en la considerant comme I'embleme de
la circonspection ; mais ils n'^taient pas encore lout h fait
dans le vrai, puisque les tortues aquatiques, qui sent Ics
plus importantes et les plus nombreuses, nagent toutes
avec une elegante vitesse. Du reste, il nousserait facile de
prouver que cetlo locomotion si lente qu'on reproclie k
la tortue terrestre, est ii la fois la plus commode pour I'a-
nimal, la plus conforme aux oirconstances essentielles de
sa vie, la plus utile pour I'homme. Mais la figure qui
precede cet article nous averlit que nous devons aujour-
d'hui nous occuper surtout de la grande espi^ce marine
qu'on designe sous le nom de caret.
l.es tortues ont un air de famille qui les separe nette-
ment des aulres reptiles. Leur corps ovalaire est plus ou
moins comprisdans un double bouclier : I'un superienr,
appeltS carapace; I'autre inf^rieur, nomni^ plastron. Et
d^ja dans ce premier caractiire exterienr, dans ce tteu-
Dient plus ou moins osseux, se manifeste une condition
d'harmonie qui nous ferait aisemcnt distinguer la tortue
terrestre de la tortue aqualique. Gelle de terre, plus ex-
posee aux chocs ainsi qu'A la pression, devait ^tre par
consequent mieux garantio ; sa carapace forme done une
volute plus epaissc, plus dure, plus ciiitreo; et non-seule-
ment elle abrite tout le corps, mais encore elle olfre une
place ouso recueillent completement la tele, les pattes et
la queue. La vitesse, il est vrai, se Irouve ainsi sacrifiee
a ce mode souverain de protection ; mais qu'imporle la
vitesse a un animal qui n'en a besoin ni pour attuindre
une prole, ni pour ^chapper au danger, car la tortue ter-
restre se nourrit surtout de plantes,et dte qu'elle est me-
nacee, elle se condense dans sa boile, forleresso inacces-
sible. L'ennemi songerait-il, par hasard, aattendre que la
tortue soil forcee de sortir pour aller paitre ou se desal-
teier ; mais ne faut-il pas d'abord que I'assiegeanl lui-
memo veille h sa propre surete-, et puis quelle patience
pourrait tenir centre la lortue qui supporte sans peine et
durant plusieurs jonrs I'abslinence la pUis complete. Et si
rennenii, nayant pas de temps k perdre, chcrchc bieu
vile quelque point vuln6rable autour de celto place toute
muree, qu'il prenne garde de ne pas rencontrerdu moins
le bee de la tortue, car ce bee robuste et tranchant ne
blcsse jamais k demi.
La lortue aquatique devait etre moms armee, car elle
est moins menacee : d'ailleurs, elle a pour sauvegarde
la vitesse ; mais pour que la natation soil rapide et facile,
elle exige d'autres conditions assorties; elle exige uotam-
jnent que la carapace soitmoUe, mince, aplatie, et toutes
ces conditions peuvent fetre accordees sans nuire ii I'ani-
mal, puisque n'elant pliis en contact qu'avec I'eatf, il n'&
mtSmo point de frotlement a supporter. Mais k ces mo-
difications, qu'il etait fort simple de prevoir, s'ajoulent
des perfectionnements inattendus. Son immense poumon
AU MUSEE D'HIST
rempli d'air offre un double avantage : il rend la tortue
plus legere et lui permet de rester longtemps sous I'eau
sans respirer. Aussi n'est-il pas facile d'aspliyxier uno
tortue, et la t^nacite de la vie est encore un privilege re-
marquable de ce reptile si nieconnu. Cette reserve d'air
donne 5 Tanimal la possibilite de dorniir h la surface de
la mer dans les conditions hydroslatiques les plus par-
faites. Un autre perfeclioniicment tres-favorable a la nage,
c'est que toulcs les parlies du corps prennent une forme
elalee. La patle surtuut s'elargit en ranie puissante avec
ses doigls longs ot palmesi cette disposition eminemment
nautiquc so montreau plus haut degre dans le caret qui,
n'ayant pour demeure que I'Oc^an, devait etre, en elTet,
d'autant niieux organise pour la natation. Cette magnifi-
que tortue no s'eloigne pas beaucoup du rivage, quoii
qu'elle n'y vienne que rarement. Et cette emigration, si
perilleuse pour elle, doit particuliferement nous interesser,
car k mcsure qu'on salt mieux observer, on dccouvre des
fails etonnanls, dea calculs admirables choz les animaux
mfimes qui paraissaient les plus slupides. Consideronij
seuloment cette tortue marine dans la circonslancela plus
difficile de sa vie, c'est-a-dire au moment oil elle doit
s'occuper enfin de ses oeufs. fividemnient elle ne pent lea
fonserver aupres d'elle dans le milieu mobile qu'elle ha-
bile, et ne peul non plus rester avec eux sur le sol. D'aiU
leurs elle est privee, comme reptile, de la caloricito ne-
eessoire pour les couver. II faut done qu'elle aviso an
parti le plus sage, a I'expedient le plus siir : or, cetle
tortue qu'on suppose si depourvue d'instinct, connait
pourlant une grande fonclion du soleil que la plupart des
hommes ignorent peut-etre; elle salt que cet astre bien-
faisant reserve quelques-uns de ses rayons pour faire
eclore les milliers d'oeufs que lant 4e pauvres meres lui
confient. Suivez-la maintenant dans les plus apparents
details de I'execution : elle quitte la mer pendant la nuit,
car elle risque moins alors d'etre apergue; elle distance
ses OBufs sur le point le niieux expose du rivage et les
couvre d'un peu de sable ; elle les, revit de sable pour
les derober a tons les regards, mais la couclie en est
legere pour ne pas gener Taction calorifique du soleil;
toutefois elle les enduit d'une substance visqueuse qui
fixe le sable et le retient, afin que si le vent vient eourir
sur la plage, il ne puisse les mettre a decouvert. La cou-
vre n'est cependant pas et ne devait pas etre h I'ahri de
toute atlaque, car it imporle que la famille de la tortue
soil limitSe comme toutes lea autres ; mais le grand nom-
OIUE NATURELLE. »
bre des oeufs compense pleinement toutes les pertes.
Quoi qu'il en soil, c'est I'homme surloul que le caret doit
rcdouler.
Pour s'emparer do la tortue de mer, le pScheur I'attend
sur le rivage, la retourne et la laisse ensuite s'epuiser en
vains efforts, car elle ne peut plus se replacer sur ses
pattes. Cette pfiche est la plus expeditive et la plus ordi-
naire. Les Cbinois en pratiqucnt une autre qui leur est pro-
pre : ils se donuent ici pour auxiliaire un singulier pois-
son qu'ils dressent ii une manoeuvre encore plus singuliere.
Ce poisson appeliS remorc porte sur sa t^te, fort plale, un
appareil forme de lames transversales qui sont herissees
d'epines et qu'il ahat ou releve h son gre i il s'en sert ha-
biluellement pour s'accrocher au requin, par exemple,
et se dispensant ainsi de nager, il profile pour ses voyages
de cet excellent mode de transport, et pour sa nourriture,
il n'a qu'<i choisir parmi les resles de limpitoyable lyran
de la mer. Le remoren'a guere que vingt^cinq centimetres
de longueur, mais .son corps, qui setermine en coin pres-
que cylindrique, est tres-rtSsistant et convert d'une peau
dure. Les Chinois enlacent sa queue dans unanneau re-
lenu par une corde, et puis le dirigent vers la lurtuequi
dorl, paisible et confianle, bt la surface de I'eau. Le re-
more se glisse aussitot sous le plastron et s'y fixe. La
torlue emporterait aisemenl I'importun parasite, et in-
stinclivemenl meme elle plonge pour s'esquiver; mais le
remore n'est iqi qu'une sorte de crochet au bout de la
corde que tiro le pSoheur, et le caret se trouve entrain^
ju^qu'au rivage. Assur6ment, il a fallu beaucoup de temps
ot de peine pour enseigner au remore ce role dhamecon
presque intelligent; mais le p^cheur est amplement de-
dommage, car la carapace du carel fournit cetle substance
transparente, lanielleuse et jaspee, que nous appelons
I'ecaillc.
La tflrlue de terre n'est reoherchee lii pour sa cara-
pace, ni pour sa chair, ni pour sa graisse, et cette circon-
stauce encore la protege; car si, dans sa d^pouille, elle
offrait k I'industrie, humaine quelque riche produit, elle
serait bientol, peut-felre, exterminee ;mais rieu n'echappe
aux merveilleuses previsions de la Providence; non-seu-
lement elle varie pour chaque animal les chances de dan-
ger, selon ses moyens de sauvegarde, mais encore ella
proporlionne tout de telle sorte qu'une famille quelcon-.
que, grande ou petite, alerte ou immobile, ne peut, dans;
la creation, ni devenir trop nombreuse, ni disparaitrq
tout a fait. lEDLiEBEa. 'j
(50
SCENES, liEClT,S, AVENllMiES.
SCENES, llECITS, AVEXTL'RES EXTRMTS DES PLUS RECENTS VOYAGEL'RS.
SMYRNX.
Une tradition semblable k celle qui a preside a la fon-
dation de Carthaije nous a ete transmise par I'histoire
sur I'origine de Smyrne. Une certaine princessii d'E-
ph6sp, Smyriii), conlrainle, comme Didon, de quitter
sa patrie, vint di'barquer en Eolie, sur lesbords de lamer
£gee, au pied du inont Sipyle. La population de la cite
nouvelle, reconnaissante, donna b la ville le nom de celle
qui I'avait fondee, etiui dressa une slatiie dont un frag-
ment a etc conserve au Chiteau-Fort. Smyrne s'eleva
d'abord sur les bords du Melcs, qui, apres s'etre m6l§ a
I'Ach^lous d'Asie, sous les grottes desNympbes, se preci-
pile du niont Sipyle et va se Jeter dans le golfe Heraceen,
apres avoir coule a travers les niarbres, le granit et les
lauricrs-roses. Ilomere, surnomme Melesinene, etait n(?,
dit-on, dans celle ville de Smyrne, la plus ancienne de
toutes cellos qui se succederent en ce lieu. C'est sur cette
nu^me partie du territoire, si beureusement siluee pour
servir d'cmplarement a nnc ville, que s'eleve encore au-
jourd'hui un village oi'i la pluparl des Europeens de
Smyrne possedent des maisons de plaisance avecd'admi-
rables jardins. Ci-t endroit, appele Bouroun-Abat {Aez du
vent), et, par corruption, Bournabat, est parseme de vieux
debris de colonnes et d'autres resles fort mutiles de la
belle arcliitecture grecque. Le Meles, a ce qu'il paratt,
coloyait les murs de Smyrne, puis faisait un circuit de
deux lieues dans une petite plaine, et apres avoir baigne
les montagnes oil se dressent encore les tombeaux deTan-
-tale, il allaitse perdre dans lamer.
Aucune ville n'a pas.se par autantde revolutions, en au-
cnne conlree I'homme n'exerca plus de ravages. On peut
dire que Smyrne a toujours etepilleeet toujours detruite:
prise et reprise par les Turcs et par les Grecs, elle etait
en ruines au IS" siecle, lorsque .sa citadelle fut repareo
par Jean (jomni'ue, empereur. Les chevaliers de Rhodes
la dcfendirentavecsucccscontre Bajazet : mais Tamerlan
s'en renditmaitre quelque temps apres. On conceit qu'a-
pres tant de desastres il ne reste plus, de toutes ses anti-
quites, que la pi ice du Stade et celle duTheiltre.
Tournefort, Chandler, Peyssonel, Dallaway; et, parmi
les voyageurs les plus modernes, MM. de Chateaubriand,
Lamartine, M. le duo de Itaguse, M. Iccomte de Laborde
el biendaul res encore, ontecrit sur I'Orientet sur Smyrne
de belles etintercssantes pages. M. deChoiseuletM.Pou-
queville nousont lran.sniis sur le m6me sujetdes impres-
sions poctiques et des details ciirieux. Nous tScherons,
memo aprijs ces brillants ecrivains, el malgre I'exiguite
de notre cadre, d'6lre aussi complets qu'il nous sera
possible.
Delruite, dans une aniiquitt' tr(?.s-reculee, par les Lv-
diens, jaloux de sa prosperite, Smyrne fut rebfllie par
Alexandre le Grand, dans une de ces situations avanta-
geuses que les esprils superieurs savent deviner, grdce k
la perspicacite qui les caractt^rise. Aussi, tour a tour,
grecque, gi-noi.se et turque, Smyrne fut toujours domi-
nante dans I'Asie-Mineure etjuslifia ainsi toutes les lire-
visions de son second fondateur. Pendant longtemps la
France eut entre ses mains tout le commerce du Levant,
et les navires etrangers naviguaient sous son pavilion.
Depuis, les Anglais ont partage avec nous cette influence
due il de longs rapports d'inlerets, et Marseille a vu de-
perir la prosperite du commerce qu'elle enlretenaitavec
les echelles du Levant. L' occupation de Malte est bien
pour quelque chose dans ce cbangement auquel Smyrne,
du reste, n'a pas perdu, les Anglais, les Autrichiens, les
Beiges, les Amcricains, les Italiens eties Hollandaisayant
remplac(5 pour elle les Francais. .\ussi la population s'est-
elle eleveea 150,000 imes : cette population est une es-
pece d'abr^g6 de toutes les nations du globe ; on y voit
des Turcs, des Grecs, des Africains, des Arabes, desPer-
sans, destjandiotos, des .4rmeniens, des Juifs, etc., etc.,
presque tous adonnes au commerce. Les Orientaux habi-
tcnt la vieille v ille, bitie en amphitbMtre sur le pen-
chant d'une montagne au basde laquelle s'elend le quar-
tier des Francs, dans une plaine, jusqu'au borddela mer;
la se trouvent les maisons des consuls, des negocianls,
ccUes des artisans; entin, des eglises, des chapelleset des
hbpitaux. La population franque parle toutes les langues
d'Europe, mais surtout celle ii laquelle elle a donne son
nom et qui n'est qu'un ilalien corrompu. Ses moeurs et
sesv6tements different essentiellement de ceux des Orien-
taux. Pour les Turcs, tous ces cHrangers ne sont que des
giaours ou inlideles; ils les soulbent sans les aimer, ils
rcconnaissent leur superiorile intellectuelle tout en la me-
prisant. .
A la famille riche et puissante des Cara-Osman-Oglou,
sous le gouvcrnementde laquelle Smyrne prospera et put
jouir d'une liberte et d'un bien-etre precieux, succeda
I'autoriti briitale des pachas qui pressurent chaque annee
tous les riches habitants de la ville, afin de s'enrichiret
de recompenser les protecteurs qui, de Constantinople,
veulent bien les maintenir dans ces lucratives fonc-
tions.
Smyrne fut pendantlongtenipsgardee par desjanissaires
et par un corps de troupes de police aux ordres du sar-
dar. Chaque consul avait son janissaire, charge de prote-
gee la personne et la demeure du rcprescntant euro-
peen et d'exccuter , au besoin , ses arrets. J!. David ,
ancicn consul general de France a Smyrne, raconte, a ce
sujet, une histoire dont les details font fremir.
«Ce corps si terrible aux sultans I'ctait egalenient au\
populations Un outrage fait a un seul allumait la fureur
de tous. Smyrne, Ji la fin du dernier siecle, en oflVit un
evemple effroyable. Un janissaire, de garde a la porlo
d'une enceinte oil des batcleurs devaient danser sur la
corde, fut tue par la foule qui s'y precipilait. Le corps
desjanissaires demanda vengeance et indemnite aux Eu-
ropeens. II accorda trois jours pour en deliberer, et dc-
clara qu'en cas de refusou de satisfaction insuflisante, il
brillerait le quartier Franc. On eut I'impruderice de le-
sibler, les autorites etaieut trop faibles pour contenir les
janissaires, eticfeu devora toutce quartier, ses ricbesses
ct plusieurs de ses habitants. Une ecole d'enfants devint
■'-<t^m-
(iO
SCEiNKS, ItEClTS, AVENT U ItES.
RECITS, AVENTCRES EXTRAITS DES PLUS RECENTS VOYAGEURS.
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diens, jaloux de sa prosperile, Smyrne fut rebStie par
Alexandre le Grand, dans une de ces siluations avanta-
geuses quo les esprits superieurs savent deviner, grSce k
la perspicacite qui les carart^rise. Aussi, tour a tour,
grecque, genoise et lurque, Smyrne fut toujours domi-
nante dans I'Asie-Mineure etjuslifia ainsi loules les pre-
-' fnndateur. Pendant longtemps la
— nriorce du Levant,
ropeens. II accorda Irois jours pour en deliberer, et de-
clara qu'en cas de rcfusou de satisfaction insuftisante, II
brOlerait le quartier Franc. On eut rimprudeiire de re-
siblcr, les autoriti's elaient trop faibles pour conlenir les
janissaircs, elle feu devora toutce quartier, ses richesses
ct piusieurs de ses habitants. Une eeole d'enfants devint
BRT; !SH
MUSFUM
7 AUG 3f*
HisroP-Cj
PF.TITS VOYAGES SCR LES UlVltltES DE FKANCE.
6t
le bilcher de ces jeimes viclimcs, et milleautres cruaules
si^nalirent la vens^eance de ces liarbarcs. »
La superstilion la pins aveuj^le fiit pendant longtemps
en possession, non-seulement do la popnlalioii musulmane
mais encore de la population europeenne de Smyrnc. On
ent a deplorer a cet egaid plus d'un malheur, et il lie
fallut rien moins que Ic zMe eclaire de quelques prelrcs,
vraimetit apostuliques, pour Taire rentrer dans la voie de
la verile etdela raison, dcs liommes qui apparliennent a
toutesles secies chretiennrs. Aujourd'hui la tolerance la
plus complete est a I'ordre du jonr. — Smyrna a trois
arclieveques, prec, latin et armenien, des ministres an-
glicans et calvinistes; deux eglises, deux monasleres, un
convent de lazaristes; les Turcs y permetlent I'exercice
public de tousles culteset les processions dans I'interieur
rieselablissements religienx. Ajoutons que cette tolerance
est one des causes premieres de la prcsperile de celte ad-
mirable cite.
L'itranger qui aborde a Smyrne e-t d'abord frappe de
I'aspect de cette viUe, assez semblable ii celui d'nne cite
maritime d'llalie, oii se trouverait un quaitier babite par
des Orienlaux; puis I'eclat de ralmospbtTeouse r(!'pand
unesorle de vapeur rougie par la lumiere, les tonschauds
de tous les objets, fortement colores, I'etonnent etle cbar-
ment a la fois : il se ruppelle alors ces langueurs de la
molle lonie et ce dialecte si doux employe par Homere.et
les cliefs-d'oeuvre de ces poetes, de ces ecrivains eclos,
ainsi que toutesles perfections d'un art reste depuissans
6gal, sous I'influence du plus heureux climat. C'est que
Smyrne, en effet, est, pour les marins, parexemple, I'fi-
lysee qui les attend dans le Levant. Les vastes maisons
des consuls leur sont ouvertes, partout des fetes les alten-
dent. A Smyrne on boit, on danse, on tire le canon, on se
pavoise, on s'illumine et Ton donne des concerts pour
loutes les solennites nationales, pour (ous les evenemonts
politiques, en I'bonneur de tous les monarques, de loutes
les victnires etde toutes les revolutions. Lc Ctmhw est le
rendez-vous de tous les gens que le plaisir sullicile; ses
bals, ses ccrcles brillants, ses reunions varices et pitto-
resqnes en font un lieu vraiment sans exemple. Un jeu
abominable, le I'liarann , y a fait pendant longtemps
d'alTreux ravages; on parvint a en chasscr ce lleau.
Smyrne a un journal, redige en francais, qui, tour a tour,
a ete commercial, litt(5raire et politique.
Tous les peuples commercants sont represenles b
Smyrne : la rade, sans port, est I'une des plus belles et
des plus sires du monde.Tous les pavilions y sont meles;
souvent elle est remplie par plusieurs escadres. Outre les
Iremblements de terre, la pesle et les incendies ont sou-
vent ravage cette ville bienlieureu.se surnommee avec
tant de raison le jardin de VOrienl : toutes les maisons
■sont en bois coninieii Constantinople, oii Tonredouteaussi
i chaque instant d'etre en,seveli sous les ruines d'un 6di-
fice qui, tout a coup, se fend et vous ecrase. Au il" sie-
cle, un treniblemcnt de terre detruisit presque toute la
ville, et I'on neput jamais retrouver le corps du consul do
France. La peste y est moins a redouter maintenant :
frere Louis de Pavie, recollet et fondateur de I'hopital
Saint-.\nloine, s'est rendu celebie a Smyrne par le de-
vouement avec leqiiel il sauva des pestiferes. Chacun a
encore presents h 'a memoirs les details lamentables des
navires marcliands qui y sont toujours entasses. Ces bili-
timents peuvent mouiller tout pres desquais, les fregates
m6me s'en approclient sans peril a deux encJiblures de
distance.
La revolution grecque bouleversa cette ville llorissante :
nous ne lappellerons pas tous les maux que Smyrne eut
alors a soulfrir, ll^LRaf^enel et Ponqueville se sont char-
ges do les retracer ; contenlons-nous de dire que le pa-
vilion francais qui protegeait le consulat, I'archevSche, le
couvent des Capucins et trois vaisseaux de guerre pre-
sents sur la rade, sauva les trois quarts de la population
grecque vouee a I'extermination. Ces navires, ainsi que
quelques biitiments ni,irchands, furent I'asile ou se Ma ■
gia toute une population tremblante, que nos courageux
marins protegerent quelquefois au peril de leur vie.
Le dernier iiicendie est celui qui a devore tout le quar-
tier des Armeniens, le plus riche et le plus important.
Le sultan a donne des ordres pour que tous ces quartiers,
jusque-la sombres el ^Iroits, fussent rebatis dans les di-
mensions les plus grandioses et sur un plan regulier.
Pourse dedommager, les Smyrniotcs ontpoureux lout
ce que la nature pent donner, un climat cliarmant, un
territoire fertile en toute espece de productions : une vie
confortable, des tleurs el des aibustesdelicieux, lesfruits
du iiiidi de I'Europe, la vegetation vigoureuse des zones
tropicales et les produits des zones teniperees; enfin, on
y trouve tout ce qu'on pcut anibitionner dans un payset
dans une ville, doiit le panorama a quelque chose de ma-
giquect rappelle les compositions piltoresques du Pou.ssin
et de Claude Lorrain.
Smyrne exporte des colons, des laines, la cire, la noix
de galle, les fruits sees, I'opium, les plantes medicinales
de I'Asie; les caravanes qui partent du centre de ce der-
nier pays y transporlaient les denrees de la Perse et de
rinde avant de les porter a Trebizonde et a Odessa. Le
commerce d'importation consisle en draps legers, loiles
peintes, mousselines, doruies, bonnets rouges ou- fezes,
laine tine, horlogeric, bijouterie, quincaiUerie.etc... etc...
L'Orient nous donne ses fruits el ses matieres premieres
que nousautiesEuropeens, plusindustrieux, luirenvoyons
manufactures. Smyrne, en un mot, a plus d'un rapport
avec Naples; celle-ci est le lonibeau de Virgile, celle-16
fut le bercean d'Homere.
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRWCE.
LA SEINE, SES BORSS ET SES SOUVENIRS.
On pent dire que I'histoire de la Seine donne presque
I'histoire de la France; en tout cas la premiere peut bien
passer pour un abrege, souvent developpe, de la seconde.
En elTet, la description phvsiqnc d'nne localile. d'un
fleuve. d'un pays, ne rappelle-t-elle pas tous les fails,
tous les evenenients dont ces lieux ont 6te le th^^tre"? En
un mot la geographic et I'histoire d'une contree nesont-
ellespasintimementliecset nedoivent-eliespas secomple-
teret s'eclairer I'une parraulre?Qu'on ne s'y trompe pas,
riii^loiredela nature est bien souventl'liisloirederhonime.
e«
PETITS VOYAGES
I,n Seine, appeliip Scqumin i!u tMiips dcs Komains, a
ee\a de remarquable, qu'elle prend sa source en France,
soil de coleaux fiancais, aiTose des cil^s et fertilise des
campagnes francaises, el se jclte dans une nier fran-
caise apr6s avoir ren^t6 Un ciel ffaneais; diff^renle
en cela dii Rliin, du Rhone, de I'Escaut, de la Meuse qui
traversent, il est vrai, une partie de notro territoire,
mais dont les uns prennent leur source dans un pays
eiranger el les autres vont se perdre dans des niers
elrangijres. En general ebmmodo; et. facile, la Seine se'
prele volonliers a la navigation, niais seS dcljordenionls'
snnl quelquefois di'sastreux bien qu'ils aient quelque
cliose de periodique et de regulier. Ses rives onl un as-
pect riant qui lepose I'esprit et les yens. Fleurie et ver-
doyanlo, elle arrose en Bourgogne des plaincs couverles
il'une vegetation brillante, accidentees par des cofeauxet
des vignftbles. Puis, de Montereau el de MeUin jusqiVa
Corbeil, elle varie ses bprges et son nivage par ces'gres
rougcSlres (jui liji donni?nt alors un caractk'e iraimcnt
oriiiinal. A Pan*, resserree par d'admir'ables'quais,'elle
roule profoitde et niajestlieusc; ceperidarit sa navigation,
il I'epoquL' dg la crue tiesejux devient, dans la Capitale,-
d'une grande dillicultij, elle sang-froid et I'audace de ses
niarinif rs foul Slors i'etonncmentdes niarins, accoulumes'
a iiavigner autre part que sous des ponis rapprochcs et
sous des arches danger'euses. 'Plus loin, et h son entree
dans la Norniandie, elle vient entourer le^ jolies iles de
Vi'rnoii j piiis commence !!■ se ressentir , S Pont-de-
lArche, des marijes &i h Manche, et '« Rouen se trouve
dejii assez forte pour' porter des vaisseaux. Enfin, apri's
avoir baigne les charrtiants jardins dei Meillerale et les
ruines magnifiques do Taricarvill(?, elle se mele, large et
bondissante, aux Hots de la nier sur laquelle le Havre
s'el^ve.
Mais ce ne sont pas seulement la peinture, la pofeie,
les beauv-arts que la Seine a favorises le plus ; le com-
merce, I'induslrie, lagriculturc, lui doivent aussi d'im-
itienses bienfails, et tout en restanl poetique la Seine a
le merite d'etre utile. Elle engraisse de son Union et fer-
tilise par ses eaux, partagees en des milliers de canaux,
toules les terres quo lui oonfie I'agriculterir, elle nourrit
toules les provinces qui lui livrent passage; puis elle
facilile lous les transports que le commerce appelle ii
son aide, et enfm elle ramene et fait circuler jusqu'au
co'ur du pays les ricliesses que nos vaisseaux vont ravir
il des niers el a des conlrt'es loinlaines, tributs que le
nionde entier pave a notre activitc'.
I.a partie belliqucuse de son hisloire est une des niieux
remplics, et sous ce rapport ses fasles ne laissent aucune
lacuneh comhler. Elle a vu d'innombrables fails d'armes,
eHe a assiste aux batailles les plus meui trieres, aux melees
les plus sanglantes ; elle a ele spectalrice des exploits de
Jules Cesar, de Conslanlin, de Clovis, de Charlemagne,
elle a assiste aux courses des Francs, aux ravages d'Attiln
el a ceux des Normands, et aux invasions nun moinsde-
•vastatrices de 1814 el de 1815. Elle a ete possedee tour i
lour par les Gaulois, les Remains, les monarqucs mcro-
vingiens, les so'dats do RoUon ; par les Bourgiiignons, par
lee Anglais; les Allemands ont bivouaque sur ses bords,
les chevaux des Cosaques el des Baskirs les ont foules
sous leurs pieds, et les Francaiseux-m^nies, I'l desepoques
de guerres civiles et de querellcs religieuses, ont m61e
leur sang k ses ondes. D'Aubign^ n'a-l- il pas 6crit a
propos des massacres de la Sainl-Barlhelemy : • Le sang
courait de tons c6tes clierchant la rivifere ■? Aussi, S
chaque pas, rencontre-t-on des traces de ce passe d^sas-
Ireux oil les actions les plus glorieuses se joignent aux
devastations les plus effroyables.
La Seine a son hisloire sacree et sa mythologie, elle a
des traditions religieuses et a servi de sujet a plus d'une
fiction. L'abbe saint Seine, .son patron, fonda au sixi^me
sitele un nionastere auquel il donna son nom, pres de
fo source du tleuve el non loin d'un petit village qui
s'appelle encore aujourd'hui comme .son fondateur. Saint
Seine a ele le heros de plusieurs l(5gendes, le pri^texte
d'une foule de merveilleux recits. Ces traditions sont re-
pandues sur tout le littoral du fleuve.
IIAUTB-SEINE.
I..
C'est pres du village de' Saiht-Germain-la-Feuille,
dans un vallon resserre entre deux coleaux apparlenant
aux monlagnes dei la C6te-d'(3i' que se trouve situ(5e la
source de [a Seine; elle jaillit du pied d'un monticule
boise pour cduler, rapide et murmuranle, sur'lapente
de la'colline au bas de laquelle elle forme une mare oii
elle semble se reposer un instant ; puis, apres avoir acquis
une sorte de force d'impulsion dans cercposmomentani;,
elle se remel h, cooler et recoil chemin faisant d'aulres
filets d'eau qui la grossissent ; h une demi-lieue de
son point de depart, t) Courceaux, hameau compose de
quolqucs maisons, elle rencontre un premier obstacle; ce
ri'est pas autre chose qu'un petit pout reliant la roule de
Paris ii nij(m et Ji I'approrlie duquel elle devienl torren-
luen.se et bruyante, quand elle est grossie par les pluies.
L'unique auherge de Courceaux porle sur ,'on en.seigne
ces mots pompeiix : Alt premier pont de la Seine.
Le village de Saint-Seine est beaucoup plus eloignc' de
la source du lleuve. Le patron du monastere de ce nom
L'lait autrefois invoquii par les habitants du pays lors-
qu'arrivait une secheresse ou une inondalion.
A partir de Courceaux, la Seine promene ses eaux
claires el ahondantcs en poissons ii travers un pays d'un
aspect un pen sauvage, au .sein duquel elle alimente plu-
sieurs usines. Elle commence alors a decrire ces nom-
breux circuits que Ton remarque dans tout .son cours;
ce lleuve, en ellet, capricieux et vagabond, ail'ectionne
les detours el les sinuosites. A Billy, elle s'unit au Geve-
ron, et devient alors, comme disent les marchands de bois
et les mariniers, llottable a bi"iches perdues. Billy est un
pauvre village, le premier qui .soil arrose par la Seine,
il est silue au milieu d'un pays assez pittoresque. Plus
loin, elle se mele aux eaux d'une autre source, la 'Verre-
rie, el traverse Oigny. Le village d'tlrrey est situe ii ipiel-
ques lieues de ses rives ; la vieiUe Duesme, autrefois la
capitale d'une petite contree celebre sous les rois de la se-
conde race, livro passage au cnurs de la riviere qui court i
travers une vallee fertile, entouree elle-meme d'une cein-
lure de rochers. A Quemigny, en Duesmois, elle franchit
une gorge de monlagnes dont la cliaine se continue jus-
qu'Ji unu polite vallee ou coulent le Revinson el I'Aigny,
dont la Seine recoil les eaux dans .son lit. En cetendroil,
elle commence ii devenir un fleuve majestueux qui s'a-
vance paisiblement Ji leavers des plaines bordees de ro-
SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
es
chers jusqu'k Cosne, et rencontre, h Saint-Marc, une
vallee charmante.
La route de Paris, qu'elle a longtemps c6to\ee pour
labandonner brusquement, est de nouveau bordee par la
riviere calme et transparenle <i laquelle se ri-unit le Bre-
von qui vient d'arroser Bremur, bourg situe dans une
agreable position. Aisey-le- Due, au milieu de niontagnes
couvertes de bois et baigne par la Seine, a un aspect en-
core plus pittoresque. C'est alors que le fleuve, apres
avoir passe i Nod, ou se trouve une importanle fonderie,
s'ecarte subilement de sa direction pour aller visiter Cha-
messon et la cole d'Ampilly ; puis, faisanl un retour sur
lui-meme, il vient jusqu'ii Buncey, nil s'elL'Ve une d^li-
cieuse maison de campagne, et va porter le secours de
ses eaux a la magnifique papeterie de M. Humbert. C'est
au-dessous de cette localite que la Seine, se partageant
en plusieurs bras, laisse epuiser ses ondes par les terrains
spongieux qu'elle traverse, et se trouve presque i seo &
I'epoque des grandes clialeurs ; elle ccsserait menie de
couler, a la sortie de Chatdlon, si la Douix ne venoit
ranimer ses eaux taries et mourantcs. Aussi, sans cette
riviere qui, seule, en ele vient arroser Paris, la capitate
serait-elle nienacee a chaque instant du sort de Madrid,
que la secheresse periodique du Manzanares condamne
tous les ans au supplice de la soif. Enfin, lesusines, les
maisons de plaisance, les groupes de maisons que Ton
rencontre k partir de Buncey, ont annonco une \ille, et
cette ville, la premiere qui adaiet la Seine dans son sein,
est Chatillon.
ChStdlon, autrefois capitale de I'ancien pays de laMon-
tagne, et I'une des cinq subdivisions delaBourgogne, est
mainlenant une sous-prefecture. C'est une vdle propre el
assez reguliere, partagee par Ib fleuve en deux parties
nommees, I'une Chaumont, et I'aulre le Bourg. A lune
des portes de Chaumont se voyait autrefois, dans une ni-
che, une statue de saint Anloine, profanee, en IS76, par
qualre soldats huguenots, que le ciel, dit la chronique,
frappa d'un chitiment afTreux, dont dont le souvenir a
ete conserve dans ces vers :
Car I'uii brula d'ardetir intolerable,
Ea m^me Temps I'autre moult agite
Moiirut en Seine, oil, comme il esti^royable,
Fuyant le mal s'etail precipite !
r.elte maladie elail probablement le Fcii snini Anloine.
Des deux autres profanateurs, I'un se fit ermite, I'autre
mourut de fatigue apres avoir passe huit jours a monter
et a descendre avec rapidite une haute echelle.
I,a chronique religieuse de Chilillon est Ires-fertile en
ev^nements et surtout en miracles ; ceux de saint Vorle,
rontemporain du roi Gontran, onl laisse des souvenirs
dans Tesprit des habitants du. pays. C'est k saint Ber-
nard, I'un des descendants dun comte de ChJtillon, que
I'image de la Vierge, placee dans la cathedrale, donna
trois gnuttes de lait ; saint Bernard les Irouva si suaves,
an dire de la legende, qu'il entonna aussitut, dans un mo-
ment d'inspiration el d'irresislible elan, I'liymne sublime :
Are maris siclla.
1,'hisloiie mililaire et civile de la m6me ville n'est pas
nnn plus d^pourvue de fails interessants.Sous les Carlo-
viftgietis, les premiers dues de Boiirgogne se fix^rent a
ChJtillon, oil ils occupaient un chateau fortifie. Pri.se et
reprise plusieurs fois pendant des guerres longiies et
meuitiieres, celte place fut assi^gee en dernier lieu par
Philippe-Auguste, qui s'en empara. Dans des temps beau-
coup plus rapproches du noire. Napoleon, frappe de I'ini-
portance et de la position avanlageusc de Chiilillon, vou-
lut, par un d^cret dale de 1805, y rendre la Seine navi-
gable. Mais le fleuve resista a tous les efforts de I'arl, el
ce projet de canalisation resla sans resnltat. Cepcndant le
commerce des vans, assez etendu aChfttillon, eut trouve,
dans I'execulion de cette idee, une source de developpe-
ment et de prosperile qui lui echappa. En 1814, les sou-
verains qui avaienl accompagne les armees coalisees v
tinrent, avec I'empereur, un congres ct^lebre auquel celte
villo dul I'avantage de rester calme et inlacle au milieu
des ravages dont les cites et les provinces voisines eurent
a souffrir.
Chatillon possede une jolie promenade cotoyee par la
Seine qui coulesur la droite et laisse apcrcevoir.du nieme
cflte.lereniarquable chateau du due deRaguse,embelli au
prixd'^normes sacrifices. Non loin -de. la s'eleve une col-
line, sur le haul de laquelle sedressail I'ancien chateau des
premiers dues de Bourgogne. Derriere celte hauteur se
cachent des rochers couronnes par des arbresoffrant aux
regards du voyageur une belle perspective, et dans les
Danes desquels une ca-verne recele une source profonde
et mysterieuse : c'est la Douix, dont nous avons deja
parle, qui s'elance du pied de ces rocs, limpide et abon-
dante, court I'espace d'une lieue et va se reunir a la Seine
dont elle double les eaux en hiver el qu'elle remplace
lotalement en i-le. {La suite au prochain numero.)
I. 'AMI DIT FAlrVRX.
On nagu^re, oujadis, car le temps n'y fait rien,
Pres de la^ille de Narboone,
Un mendiant arail un chien
Qu'il aicnait bien
iLes malheiireux onl I'ame bonne].
Cet animal, qui f.iisait tout son bien,
DeB hons chiens, des tons cceura etaitla vrai modele,
Joyeux, aierle, expert en plus d'un tour,
I.anuit, pres de son maitre, ii faisait ientinelle,
Kt Tamusait pendant lejour.
Oreste n'arait pas un ami plus fldeie.
Cote a c6tc troltant et par monts et par vaux,
lis s'abreuvajent dans les m^mes ru^sseaux
Et mangeaient a la meme ^cuelle :
Chez eux, peine et flaisir se raettaient * n rommiin
Qoand la qutte rendait, oo faisait grande cWre
Grande... jVnttnds a leur maniere,
Allait-elle mal au contraire :
Se consolant Tun I'autre, on se coucbait k jeun;
El, qui pis est, on se levait de meme.
Mais, avec le somnieil secouant le chagrin,
Nos \oyageurs gaiment reprenaient leur chemin;
Je renvois qu'on oublie et la soif et la faim
.\vec un ami qui nous aime.
Vn jf.ur, poiirtant, n'ayant point etrenne,
Surlout point dejeuue
Quoiqu'au regime des la veille,
Le pauvre maudissait son sort infortune,
Et le chien tristeraent. en revant au dine,
Marchait baissant I'oreille.
Pendant que saos mot dire, ils cbeminaient tous deux,
Ils aperi'oivent, noB loin d'eux,
Tn homme dont J'habit anDon9ait I'opuJeLce
Et I'insolence :
Aussitut cbapeau bas et le regard baisse,
X'osant ouvrir son cieur i I'esperance,
e*.
I,F. BON AHBK F'EUltlN.
Vers ce Cres\is le panvre lionteux s'.'ivanre,
Tandis que U- barbet, i ce rule exerce,
Dej^ sur ses pattes dresst',
Les fl^chit lenlement el fait la reverence,
— Que me veut ce gredin? dit d'un ton courronce
Notre homnie au bel habit que cette nudace blesse.
iLccleur, enlendez bien
Que c'est au pauvre qu'il s'adresse,
Et non pas a son chien.)
Que veux tu! reprit-il d'line voix arrogante,
Au malheureux dont la main suppliants
Tremblait en s'etcndant vers lui.
— Htlas 7 je n'ai, monsieur, rien mange d'aujourd'hui.
— Oh? rien mang^ !...,. voila le refrain ordinaire
Dc ces marauds Maisrepoiids-moi :
Si tu manquea de pain, si telle est ta mi^ere,
Quefais-tu de ce chien..... qui mange autantque toi!
Que ne t'eii defais-tui — Qui? moi, moi, m'en defairel
Oh? non, le ciel m'en punirait .
— Cetaninr.at, enfin, I'cst done bien necessairc?
— Helas, monsieur, sans lui, qui m'aimerait T
Par M. Imd. d« r
BEAUTES DU CLERGE DE FRA^'CE.
I.I: BON ABBE FERRIN.
Nos jeunes lectenrs ne contemplcront pas sans atten-
drissement celte charmnnle et bonne ligure de Tun des
hommes qni ont. represente la vertu clireticnne et le di-
vouement lieroique dans leurs formes les plus aimables
et dans leur plus toucliante, leur plus complete abnega-
tion. Dans ci'tte pliysionomic calme et resignee, on croit
lire une succession d'acles vertueux et de sacrifices lails
ii rimmanite. En ellet, labbO Pernn est mort k quatre-
vingt-onze ans, calme et licureux, apres une exislence
dont toutos les lieures avaieut ute marquees par des bien-
fails, et dont la plus \ivc acliviie n'avait pas atlit-di la
charile et le zele.
Ne le 24 juillet 1733, h Feurs, dans le departement de
la Loire, il elait deji'i connu et adore comme la provi-
dence des malheureux et des pauvres lorsque la revolu-
tion eclata. 11 ne crut pas pouvoir prater serment ii la
nouvelle republique et fut force de s'exiler en Savoie. 11 y
avail alors en France, snrtout dans les classes secondaircs
ct dansle pcuple, une animosile furieuse centre leseccle-
slasliques. Au moment on I'abbc Perrin venait do faire
visiter ses malles par la douane, un soldat passa, sans
doule exalte <le tout le< senlinienis violpnts qui fermen-
taieiit a cette epo(|ue, ct lira son sabre en s'ecriant :
Vnitil un boil coil a couper! L'abbe se retourna, et la
mansu^lude presque divine de ce regard calme desarnia
le soldat.
De relour en Fiance apres de longs voyages, il continua
la vied'abnegationqu'ilavaitmeneeal'etranger.Onravait
vu surlepontdeTilsitt, enAlleniagne,echangersessouliers
contre les lambeaux dont un mendiant avail entoure ses
pieds. Parmi les oeuvros de cliarite, il choisit, en France,
la plus pcnible et la plus ami're, le .service des prisons,
et, place par son choix au milieu de ces natures depra-
\ees et feroces, il appliqua touti's les forces de son ime,
tout son temps et toutes ses r«ssourccs, a raclieier les une?,
a consoler et a soulager les autres. Souvenl dans ces pe-
regrinations dangereuses, il elait vole : • Mes an)is, di-
« sait-il, celui qui m'a pris ma tabatiere doit avoir bc-
« soin d'argent; voici cinq francs pour celui qui me la
a rapportera. .le ne veux pas counailre le coupable. n Les
detenus cedaient a tanl de bonte et tombaient ^ genoux
devant lui. Ce heros cliretien est morl le 4 mars ISii, au
milieu des benedictions et des regrets, apres avoir recu des
mains du roi la croix d'honneur, recompense si m^ritee.
Tv|i. a.liii. T.ACn*lirK r;l r..i
CHRONICLE DES MOIS.
MAKS.
Marsetait le premier uiois de I'arinee sousltomulus, ijui
lui donna ni^me le nom dii dieu de la guerre, dont il se
disait (ils. Ce ful le Iroisieme dans le calendrier deNuma,
comrae 11 Test encore aujourdhui dans noire calendrier
gr^gorien.
De nombreuses f(^les signalaient ce mois rhez les an-
fiens, et cela devait eire, mars se caraclerisant en elTet
par une circonstance remarquable ; I'equinoxe du prin-
temps. A Home, pour inaugurer le relour du soleil, on
renovait sur I'aulel de Vesta le feu sacre pris, au foyer
meme de cet asire, par le moyen d'un miroir. Des cere-
monies significalives marquaient aussi celle epoque gIibz
les peoples du Nnrd comnie dans les villes de la Greco ;
sur les rives de I'Euphrale comnie sur les bords du Nil.
Maintenant encore, dans la Chine, les premiers jours de
mars sont consacris a I'agriculture, et le souverain de oet
empire, afin d'honorer le plus utile de tous les arls, trace
lui-m6me un sillon et fait un semis. L'Eglise enlin cele-
bre, dans ce mois, une de ses plus i^pandcs solennites, le
myslere de I'lncarnation.
Le vent domine au mois de mars. Certes il doit
inlervenir toujours, plus ou moins, aux differentes pe-
riodes del'annte; mais son role est ici plus necei!saire
et plus grand, car I'heure est venue de remplacer peu a
peu cette atmosphere humide ct froide ; d'exclure ces
nuages permanenls qui generaient dcsormais les rayons
du soleil; d'emonder les bois, les collines el les plaines,
d'abattre parlout les branches mortes pour faire place aux
jeunes rameaux; d'aller semer au loin les graines sau-
vages; de distribuer dans les champs que I'honime cultive
les germes nulri^ifs que recele la vase des marais, d'enle-
ver eufin de I'horizon tout ce qui a peri par le frnid et
que la pluie n'a pu dissoudre. Or, enlendez la foret (pii
fremit et qui pile sous linvisible agent qui, du m^mc
souffle, balaye la surface du sol et pousse devant lui les
Hots de rOcean. C.'est ainsi que dans lair et dans I'eau
T. II.
s'etablissent en parfaite harmonie deux courants paral-
leles et superposes ; I'un, almosph^rique, qui rend plus
facile le vol des oiseaux voyageurs, I'autre, marin, qui
favorise aussi la nage des poissons emigrants. Remar-
quez bien que ces habitants de I'air et de I'eau nous arri-
vent ainsi de fort loin pour varier i la fois les mets de
nos tables et les riche.sses de notre Industrie. Assurement
nous ignorons encore, et nous ignorerons peut-^tre tou-
jours, la loi qui gouverne le vent ; nous ne pouvons pre-
voir ni sa venue ni sa duree, nous ne pouvons rien dire
d'avance ni de sa force ni de sa direction ; mais nous .sa-
vons du moi?is que, pour le faire naifre, il suffit que I'air
change un peu de densite : de telle sorte que c'est une
cause bien minime qui vient determiner ici de prodigieux
resultats. Nous savons aussi que, depuis les ondulalions
legeresdu zephir jusqu'aux fureurs formidables dela tem-
p^te, tous les mouvements de I'atmosphere doivent rem-
plir une fonction, et que tous ont pour but dcfinilif le
bien-etre de I'homme ; car si notre intelligence pouvait
suivre tous ces debris qui semblent emportes au liasard
pap le vent, nous serious ravis des merveilles ignorees
qui s'accomplissent .sans cesse autour de nous; nous ad-
mirerions I'infinie sollicitude de la Providence pour nous
d'abord, mais aussi pour les dtres les plus infimes. C'est
qu'en effet chacun de ces brins de padle a sa destination,
sa place, son emploi. Ceux que le tourbillon enlcve jus-
qu'au sommet des arbres seront de commodes logis pour
une foule de chenilles aeriennesqui nepeuventseliler un
abri. Ceux qui tombent dans I'eau seront des nacelles toules
pretes pour des milliers de larves aquatiques; ceux que
retient I'epine du buisson seront des materiaux bien
utiles au nid de la fauvetle. Et voulez-vous reconnaitre
comme les plus petits riens concourent cependant ci notre
utilite? Voyez ce fetu reste sur le sable, il servira bientot
comme bois de charpcnte i ces fourmis industrieuses,
dont les oeufs, recherch^s du fai.san, donneni k sa chair
66
SAINT MAUCEL, fiVftQUE DK I'A II I S.
une saveui- plus delicate. Voulez-vous mieux encore, vou-
lez-vous que eel autre fetu qui paraissait cgari5 sur la col-
linenous revlenne nielamorphose en di'U\ riches prodiuls"?
voyezcoinme il devient un ciii;rais excellent pijur la planle
aromatique oil I'abeille ira cherdier le niiol parfunie de
nos ruches et la cire resplendissanle de nos salons.
Quant a ccs revolutions de ratmosphere qui parfois
nous 6pouvanlent, une simple rellexion les explique et les
justifie. Les scenes si variees de la nature nous emeuvent
tres-diversenieiit : toulcs nous parlent du Createur;
maischacune d'elles semble chargt^e de nous en reveler
plus specialement un attribut. Le ciel etoile raconte sa
gloire ; la renovation perpetuelle de la terre symbolise
son ^ternitej I'harnionie des saisons publiesa .sagesse; les
fleurs celebrent sa magnilicence; les fruits nianifestent sa
bontfe; la tempeteetla foudre proclamenl sa puissance.
Ainsi, quand I'ouragan bouleverse Thorizon, et, dissipant
comme la poussiere du cbemin les debris de nos mois-
sons, de nos palais et de nos Uottes, mele son immense
mugissemeut aux plaintes de la mcr qu'il irrite et q-i'il
souleve, alois il .se fait dans notre Jme un silence prj-
fond, cl cette frayeur salutairc nous fait mieux com-
prendre que I'liomme n'est rien sous la volonte sou\e-
raine qui d'un mot, en elTet, peut le briser. Mais Dieu
nous abrege I'eprcuve, el menie il a prescrit que I'oura-
gan, dans sa colere, fit encore plus de bien que de degiH,
car pour quclques pertes partielles, \oyez comme apres
la tempete lair est transparent, la mer calme et le sol
6pure. Or, ces conditions favorablcs ne pouvaient arriver
plus k propos; car autour de nous tout change else
transforme, tout s'eUibore et tout s'anime. Sous le rayon
presque chaud qui I'excite, la feuille sur I'arbre deplie
son limbe et le bourgeon prepare sa fleur, tandis que
I'herbe, dans la vallee, so dispo-se en pJlurage pour ren-
dre plus abondant et plus doux le lait de la vache, de la
cb6vre et de la brebis, qui vont avoir bientot leurs nou-
veaux-nes. Deja dans I'air I'hirondelle decrit ses courbes
gracieuses tontpres du marronnier, dont la feuille etalte
s'incline pour mieux laisser voir la pyramide elegante de
la fleur; deja .sur le feuillage du sycomore le vert ^tend
sa plus belle teinle, et le bleu pur, dans I'hepatique,
commence meme a se montrer dej^ ; le pinson, dans la
charmille, incite de son cri jovial cette I'oule de petits
oiseaux qui semblent, en effel, preluder k leur chant par
des notes encore faiblcs, br^ve.s, inachevees.
Le mois de mars paratt capricieux parce que, formanl
le passage entre I'hiver et le printemps, il oscille entre
ces deux saisons et revet tour a tour le caractere de I'une
et de I'autre, comme aussi la duree de ses nulls se ba-
lance avec celle de ses jours. D'agreables journees s'in-
terposent done parmi ces temperatures brusques, varia-
bles, jnlerniittentes. L'agriculteur en profile pour termi-
ner quclques labours, faire quchjues semis, relablir
quelque fosse, rectifier quelque cloture. Mdme dans
cette periode transitoire, toute satisfaction n'est done pas
refuste h nos regards, qui peuvent surtoul remarquer
que, sous ces alternatives qui semblent irregulieres, s'ac-
complit cependant un progres gradue vers la belle sai-
son; de telle sorte que I'hiver, s'effacant pen ^ pen, laisse
an printemps les derniers jours de ce mois. P. Teulieres.
LiLITE DES SAINTS FI{AX(;.\IS.
SAIKT MARCEI., EVEQUE DE PARIS.
Le cinquieme .scicle, trcs-lecoud en illustrations reli-
tfieuses, vit placer sur la chaire episcopale de I'aris un
prelat auquel cette ville s'honore d'avoir donne le jour.
Depuisla mort de saint Denis, qui fonda, an prix de son
sang, cette eglise, dans la cite qui devait un jour figurer
parnii les plus cellbres du monde, la religion cbrelienne
n'avait cesse d'y prendre de nouveaux accroissements. Le
sang de saint Denis et de ses deux compagnons, Rustiquo
et Eleuthere, avait ete pour les rives de la Seine une riche
semence : I'hi^ritage de mort n'avait point ete repudie.
Aprej saint Denis, premier ev^que , la chaire episcopale
fut o:cupte , malgr^ la terreur qu'aurait pu inspirer le
supplice du .saint fondaleur. On y vit monter successive-
ment, et dans I'ordre des temps, Mallon , Massus, Marc,
Aventin, Viclorien, Paul, Prudentct Marcel, qui failTobjel
de cette notice hagiographique.
L'histoire des eveques de Paris nous apprend que Marcel
naquit de parents d'une condition mcdioeiequi habilaient,
comme il a ete dit, la cite parisienne. II est ii pen pres
certain que les aulenrs desesjours etaient non-seulement
Chretiens, niais doues d'une piet^ qui seule, a dire vrai,
peut glorieusement caracteriser cet auguste litre. Aussi le
jeune Marcel puisa dans cet'e famille le germe desvertus
qui se developpeient en lui, des qn'il eut atteinl I'^ge de
discretion. La purete,lamodestie, lacharite, I'cspr it de mor-
tification, distinjuaient ce jeune enfant. Il^taitl'exemple,
SAINTE CLOTlLDi:, liEINE HE ERANCE.
67
non-seulementdcsenfantsde son age, mais encore les per-
sonnes parvenues a I'age mur poiivaieiit s'edifier en voyant
6claterdai)s Marcel, d'line niaiiiere si precoce, toutes Ics
vertusduchrislianisme. Apeineeut-iialleinU'adolescence,
que I'evcque, nomme Prudens, vouhit I'atlacher a sa ca-
thedrale en qualite de lecleur. Pen dc (cnips apres, 11 fut
^leve au sous-diaconal. Un jour qu'il remplissaitles fonc-
tions de ce dernier ordre aupres de son (5\eque, c'etait en
la grande f^te de I'Epiplianie, comme il puisail de I'eau
dans la Seine pour donner 5 laver les mains au pontife, un
miracle s'opera. On reconnut que cette eau avail le goiit
d'un vin excellent. L'cveque , frappe d'un si grand pro-
dige, voulut que co vin miraculeux fut verse dans le ca-
lico, et c'est avec ce \in que le peuple fit la communion
apres la messe. Nouveau miracle! Le vase resta toujours
plein , quoique la multitude dcs communianls eut fait
une grande consonimation de cctte liqueur. On lit boire de
ce vin a une cerlaine qu,Tnlite de maladcs qui y Irou-
verent la guerison.
Un autre jour que Marcel remplissaitla mcmu fonction
aupres de I'eveque, celui-ci .senlit ses mains repandre une
odeur exquise ii tel point, qnil deniandait de nouvelle eau
pour faire disparaitre ce parfum liquide dont ses mains
avaient ete inondees. On conroit de quelle grande vene-
ration ces prodiges durent entourer lejeune l(?vile. Aussi
I'evcque s'empressa-l-il d'elever a la prfitrise le jeune
Marcel. Or , en ce temps-la , on ne pouvait fire pr^tre
avant d'avoir passe trenle ans; mais dans Marcel la di-
gnity personnelle avail devance Page canonique. Quoique
I'histoire de sa vie n'entre pas dans des delails sur ses ac-
tions pendant qu'il elail simple pretre , il est indubitable
qu'il fit tous les jours de nouveaux progres dans la sain-
tele. Ce qui le prouve evidemment, c'est qu'apres la mort
de I'evi^que Prudens, le clerge et le (leiiple , d'une voix
unaniine, leproclamerentevequede Paris. II fallul vaincre
son humilile pour lui faire accepter un honneur qu'il
considerait plutot coninie un pesant fardeau. Comme
Marcel n'avait acceple cetle dignite qu'cn tremblant, il
redoubla sa vigdance sur lui-nifme el deploya un zele
infaligable dans lous les devoirs de I'episcopat.
On raconle un trait de la vie episcopale de .Marcel. U[i
homme du peuple , dont les mains lui parurent liees der-
riere le dos, ne pouvait arriver aupres de I'aulel pour y
recevoir la communion. Tandis que lout le monde s'avan-
cait, lui seul reslail immobile comme une borne. I.e saint
pontife s'en apercut et alia lui demander la cause de celte
singularite. Cet homme repondit qu'il avail peche. Alors
Marcel lui dit : • Viens, approche-toi et ne peche p'us. »
Mais auparavant, cet homme avail fait sa confession, et
sur I'ordre de I'eveque, il s'avanca comme les autres,
sans eprouver le moindre obslacle et communia. Image
du peche qui enchaine et rend immobile le pecheur qui
ne peut reconquerir sa liberie qu'en I'avouanl it en ob-
tenanl le pardon.
Voici encore ce que nous apprend la le;;ende de saint
Marcel dans I'office. Une grande dame avail commis une
faute grave contre la saintele du mariage. Elle mourut,et
dans la tombe le serpent qui I'avait portee au peche exer-
^ait encore sur ce corps inanime sa cruelle rage et la de-
chirait par ses morsures. Tous les voisins epouvantes
avaient abandonne les maisons silut'es aupres de ce toni-
beau. Marcel fut instruit de cela. II assenibia le peuple,
et voulut en fetre accompagnii, hors de la \ille, vers le
lieu oil cetle dame elail inhuniee. Pourtant , il tint tout
ce monde a un certain cloignement de I'cndroit, el s'y
avdnca tout soul. Le .serpent .sortait en ce moment de la
foret el revenait au lombtau. Marcel frappa trois fois de
sa crosse la tele du reptile, et puis I'enlorlillanl de son
etole, il le conduisil ainsi, comme pour en triomphcr, en
presence de toule cette multitude cmerveillee. Tout le
monde se mit^ la suite de l'cveque, qui traina ainsi le
serpent pendant trois niilles de chemin, puis il le licha.
Depuis ce moment, on ne vit plus reparoitre le reptile au
tombeau de cette dame, ni ailleurs.
On voil que la vie de ce saint, licrite par Fortunat,
ev^que dans la Lombardie, el qui mourut Ji Paris sous
I'episcopat de saint Germain, fut une suite de prodiges
ausquels on peut joindre le suivant qui est raconle par
saint Gregoire de Tours. II est encore ici question d'un
serpent. II faut convenir que ceci rcssemble fort au mi-
racle qui vient d'etre rapporle, el se borne a un recit
fort court. .Selon saint Gregoire. Marcel delivra la ville
d'un immense serpent qui la dosolait. Sans vouloir pre-
lendre eidever a ce saint e\eqiie le don des prodiges I'ont
il fut gralifie pendant sa vie, il est permis de penser, aveo
quelques ecrivains, que, sous le nom de serpent, on a
voulu designer, en style figure, le demon que saint Marcel
et d'autres ev^ques de cetle epoque vainquirenl et ren-
dirent captif en renversanl les autels sur lesqucls il se fai-
sail adorer par les maUieureux pa'iens.
Ce saint ev^que mourut le I" novembre, vers le com-
mencement du cinquiemc siecle. On fixe I'annee 436 dans
le calalogue des eviques de Paris, mais on ne peut affir-
mer que celte dale soil exacte. Son corps fut d('pose dans
un village a un quart de lieiie de Paris. Ce village est de-
venu par la suite une parlie inlegrante de la capilale, sous
le nom de faubourg Saint-Marcel, vulgairenjent Saint-
Marceau. Sous le regno de Louis le Debonnairp, une eglise
fut construile sur le tombeau du saint, et devinl plus
lard une cnllegiale qui a elc detruilo dans la revolution.
Le corps de saint Marcel fut extrait de la cryple de cello
eglise, il y a plusieurs siecles, et transfere dans la metro-
pole de Notre-Dame. La fete a lieu le 3 novembre et la
translalion se celebre le 26 juillet. Tel est en abrege
I'histoire de ce huilieme successeur de saint Denis. Son
episcopal ne se fit point remarquer par de grands evene-
menls, et pourlani, depuis plusde quatorze cents ans, sa
memoire a ete I'objet d'un cultesolennel, tanl I'image de
ses verlus avail fail sur les peuples une vive impression
que la rouille des siecles n'a pu parvenir et ne parviendra
jamais a consumer «t delruire. L'abbeP.^scAi..
SAINTS CLOTILDE , REINS DE FBANCE.
Noire ha;.;ingrapl]ie retracait pour le mois dernier la vie
humble et pais ble d'une sainle lille des champs, que ses
eclalantes verlus eleverent a la dignite de palronne d'une
grande capilale. Aujouid'hui nousprescnions a I'admira-
tion de nosjeunes lecleurs et leclrices une princesse qui
se sanclifia sur le trone, ct qui parvint par une roule lout
a fait dilTerenle de celle suivie par Genevieve Ji la mfme
immorlalite. La vierge de Nanlerre et I'epouse du rol
Clovis sont couroimees d'un diademe que les hommes ne
donnent pas, mais qui est aussi hors de leurs capricieuses
68 SAINTE CLOTILDE,
atteintes. Ce diadeMe ne peut se conciuorir que par la
■vertu, et celle-ci est accessible ^ toiiles les conditions et Ji
toutes les positions de la vie.
Gondebaud, roi des Bourguignons, avail un fr^re nom-
mi Chilperic. Ce monstre couronn^, afin d'ecarter de lui
des rivalites , immola a son ambition son frere, sa belle-
sceur, mi-ie de notre sainte, et les princes freres de Clo-
tilde. Celle-ci et sa soeur encore tres-jeunes, et d'ailleurs
pen redoiitables h cause de leur sexe, furent epargnees.
L'ain^e fut confince dans une communante religieuse, et
Clotildc senle \ecut h la cour du meurtrier de sa famille.
Gondebaud etait sectateur de I'arianisme, beresie qui ra-
vageait Tftglise en ce malbenreux siede, et dont on a vu
que saint Hilaire de Poitiers avait ete I'intrepide et elo-
quent anlasonisle.
Clotilde, quoique nee au sein de cette funeste beresie,
avait eu le bonheur d'etre elev^e, presque des lo berceau,
dans les principes de la religion catliolique. Vivant au
milieu de la cour, et entouree de niille objets de seduc-
tion, Clotilde sut conserver une Sme pure. La modestie,
unesolidepi(5le, le mepris du nionde, devinrent la sauve-
garde de son innocence. Ses vertus rebaussaient admira-
blement une rare beaute; mais elle en senlait le fragile
merite, et lui pr^ferait la delicieuse satisfaction dune
conscience qui n'a rien k se reproclier. En efTet, la beaute
sans la vertu, c'est une julie fleur sans parfum, ou plul6t
une fleur qui exbale une odeur niortelle k elle-mi'me et
k ceux qui ont rimprudence de la respirer.
La reputation de la jeune Clotilde se repandit bientot
dans les royaumes qui avoisinaient celui de Bourgogne.
Le roi des Francs, qui avait sa four a Soissons, elait, a
cette ^poque, Clovis, que I'liistoire a surnomme le grand.
Celui-ci envoya des anibassadeurs en Bourgogne pour de-
mander la main de la jeune princesse a Gondebaud, son
oncle. Clovis etait paien. Clotilde n'accepta qu'k con-
dition qu'elle jouirait de la liberie de suivre sa religion.
La condition fut acceptee, et le mariage fut celebr6 a .'iois-
sons en 493. Voici done Clotilde assise sur le premier
tr6ne des Gaules. Elle fit construire dans le palais de son
epoux un petit oratoire; c'elait pour elle une douce con-
solation de s'y retirer frequemment pour se livrer a la
priere et obtenir du ciel les consolations dont elle avait
besoin au milieu d'une cour barbare. La priere ne lui swf-
fisait pas. Elle se livrail secretementa des mortifications,
mais avec une prudence telle, que jamais elle ne man-
quait aux devoirs de biens^ance et de representation quo
lui prescrivaitsonetat. Toule la couretajt singulierement
edili^e de la conduile de la reine, et les paiens, dont elle
etait environn^e, etaient bien en peine de dccouvrir le
principe fecondant qui produisait de si rares vertus dans
une jeune princesse. L'aunnMie faisait les delicesde Clo-
tilde; aucun pauvre ne lendit jamais vaintment vers elle
ses mains suppliantes. Nonveau sujet d'admiralion pour
des idoliltres, qui ne connaissaient pas meme le noni de la
charlte. C'est ainsi que Clotilde preparait les voies ij la
conversion de son epoux et de tout le rojaume.
Qiiand la reine jugea que le cd'ur de Clovis lui appar-
lenait, et que cet amour lui pronietlait un beureuxsucci's
pour I'entreprise, as.surement fort difficile, qu'elle pro-
jetait, elle essaya d'abord de faire comprendre a Clovis
la vanite des idtiles qu'il adorait, et I'excellence de la
religion de Jesu.s-Cbrist. Le roi prelnit volontiers Toreillc
»ux paroles d'une npouse qui le (■barmait. K^anmoins
REINE DE FRANCE.
I'beure de la conversion n'Hait [wint arrivee. Clotilde
^lait enceinte de son premier enfant. A ses instantes
prieres, le roi consenlit Ji ce que ce premier fruit de leur
mariage rec6t le sacrement du bapt^me. Quelle joie pour
cette mere chretienne! mais Dieu voulait I'eprouver.
L'enfant etait a peine baptist^ qu'il niourut. Douloureux
Iriompbe pour les prtiventions de Clovis! ■ Je I'avais bien
« pense, s'ecriait-il, qu'il en arriverait ninsi; cet enfant
« n'esl mort que parce qu'il a M baptist au nom du Dieu
« que vous adorez. Ab ! si je I'avais plac(5 sous la protec-
« lion de mes divinilAs, rertainement il serait plein de
« vie. » Clotilde lui rfepondit : « Je rends grSces au Dieu
« tout-puissant qui a bien voulu me juger digne d'en-
« fanter pour son royaume celeste un (ils qu'il a bien
1 voulu faire participant de sa royaut^ eternelle. ■ Bien
loin d'f'tre ebranlee par cette epreuve , Clotilde espera
que de ce mal Dien saurait sagement tirer un grand bien.
En considijrant en ell'et la mort de cet enfant avec des
yeux simplement terrestres, on serait \enl6 d'accuser la
sagesse eternelle; car une pareille mort, loin d'attirer
Clovis au cbristianisme, seniblait au conlraire devoir plus
que jamais Ten detourner ; mais lesconseilsdu Tout-Puis-
sant ne sent pas semblables aux vues etroites des mortels.
Un second enfant vint au monde une annee plus tard.
Clotilde lui fit donner le bapl^me et le nom de Clodomir.
Quelque temps apres, l'enfant tomba dangereusement ma-
lade. Cette fois, Clovis ne pouvait contenir son indigna-
tion ; il s'abandonna lout ensemble a la colere et au d^s-
espoir. La confiance de' Clotilde n'en ttait pas nioins calnie
et assuree;ellesemit en prieres. Dieuse liJita del'exaucer,
et la guerison du jeune Clodomir fut si prompte, qu'on
la regarda comme miraculeuse. Cette fois, .Clovis se calma
et reconnut combien etait grande la puissance du Dieu
des cbreliens. La vertueiise epouse mit a profit cette cir-
conslance pour le pressor de plus en plus a renoncer aux
idoles. Le silence fut la seule r{'ponse du roi. Un autre
jour que Clovis avait temoigne k son epouse une grande
tendresse, celle-ci saisit encore I'occasion de lui montrer
I'excellence de I'Evangile, et de lui lappeler que dans cer-
taines circonslances il ne s'elait pas monire eloign^' d'a •
bandonner le paganisme. Cette fois encore, Clotilde Of
put reussir, et Clovis objecta qu'en se faisant Chretien,
ce serait exciter la r^volte de ses sujels. II n'y a done
plus dans son cceur de veritable repugnance pour le
cbristianisme. Le paganisme n'y vit deja plus, mais il faut
encore quelque temps pour que celte terre, purgee des
mauvaises raeines qui I'infectaient, soit suffisammentpre-
paree pour recevoir la bonne semence et la faire lever.
Le moment est enfin venu oil les sollicilations de Clo-
tilde vont etre couronnees d'un Ueureux sucres. Clovis
etait en guerre avec les Allcmands ses voisins. II leur
livra balaille aupri?s d'un ben nomme Tolbiac, aujour-
d'bui Zulpicli, k luiit lleues de Cologne. Le desordre se
met dans I'armee des Francs. Le roi ne peut ramener les
fuyards et se voit .sur le point de tomber entre les mains
des enneinis. II invoque avec fcrveur ses riieux; mais
ceux-ci n'ont point d'oieilles et ne pourraient entendre
ni exaucer les prieres qu'on leur adresse. Tout ii coup d se
souvient de .lesus Christ, dont Clolilde lui a parl^ tani de
fois. II promet de s'en declarer le disciple si la victoire
vientse declarer en sa favenr. Aussilflt le sort des armes
change; les Allemands , saisis d'une fiayeur panique, se
debandenl, et Clovi.s, marchant sur eux avec toule son ai'
SAINTE CLOTILDE,
mee, les met en une deroute complete. Clolilde apprit cette
heurcuse nouvelle par dcs courriers qui lui furent aussilot
espeda's, et qui portaient a cet(e heureuse epouse, de la
part du roi, I'assurance qu'il allait se fane chrelien. Le
miracle etail en eflet incontestable , ct Clovis d'ailleurs,
iuterieurement louche de la grJce que lui avaient obtenue
les ferventes prieres de Clotikle, ne fit plus aucune resis-
tance. Aussitot la reine rendit a Dieu de solennelles ac-
tions de graces avec toute sa cour; ensuile toule sa sol-
lieitude se lourna vers le grand acte que devait accomplir
Clovis, pour enlrer dans le sein de I'Eglise.
En ce temps-li , I'eglise de Reims etait gouvemee par
un prelal doue des plus eminenles verlus, et que nous
honorons sous le nom de saint Remi. Le soin d'instruire
Clovis fut confie h ce grand evfque. Le jour arriva enfin
oil ce prince, suffisamment eclaire des doamcs du ckris-
tianisme , devait recevoir le baptcHne. Cela eut lieu
en 496, dans la cathedrale de Reims. On fait nionler a
plus de tiois mille, tant homnies que femnies, le nombre
des personnes de I'armee uu de la cour de Clovis, qui re-
curent avec lai, de la main de saint Remi , le bapteme.
On vit eclater un miracle dans celle ceremonie. Comme
la foule compacte qui se pressait autour du pontife em ■
pecha que I'huile des onclions baptismales ne lui parvint,
au moment manque, un angc, d'autres disent une co-
lombe, apporla une fiole qui en etait pleine, et la remit
a I'ev^que. Celte fiole, dite ampoule, avail ete religieuse ■
ment conservee a Reims dans I'eglise de Saint-Remi , et
c'est avec I'huile miraculeuse de celte fiole que les rois
de France etaient sacres.
Nous croyons pouvoir ici iuterrompre quelques in-
stants noire notice agiographique sur sainte Clolilde ,
pour laisser parler saint Gregoire de Tours sur le bap-
teme de Clovis : ■ Saint Remi fait preparer un bas-
- sin suivant le mode de I'immersion. Le baptislere est
« dispose et muni de baume par son ordre. L'eglise est
« tapissee de courlines blanches, c'est la couleur des ca-
« techumenes, et la decoration propre a la ceremonie du
« bapteme. Nouveau Constantin, Clovis se presenle au
« bain sacre pour y laver sa vieille Icpre, et se panfier
« dans la source de la vie. La, confcssant uu Dieu en trois
• personnes, il est baptise au nom du Pere, du Fils et du
■ Saint-Esprit; il recoit enfin I'onclion du Saint-Chrome,
• et plus de trois mille Francais parlicipent aux mdmes
« sacrements, dans la meme ceremonie. » On voit qu'ici
il n'est pas question de I'aniponle portee par un ange ou
par unecolombe, maisune tradition non inlerrompuenous
a transmis ce prbdigei En 17'J3, la fiole ou ampoule fut
brisee par le convehtionnel Priiur, dans une sacrilege or-
gie, mais quelques fragments du baume furent recueillis
par des homflies pieus, et ce baume tut remis en 1819
dans une autre fiole. C'est celle'ci qui a servi au sacre du
roi Charles X en 182.5.
Reprenons noire recit. C'est ainsi que Clovis devint le
seal roi catholique qui veciit, en ce temps, dans toute I'e-
tendue de I'ancien empire remain, car les autres princes
qui se disaient Chretiens professaient lasecte arienne, au sein
delaquclle, sansy participer.elaitnee la princesseClotilde.
Clovis ouvre done celle longue et glurieuse scrie de
monarqucsqui, par Icuraltachument inviolable a lachaire
apostolique, ont merite le litre de rois tres-chretiens et de
Ills aines de I'Eglise. A parlir de ce moment, la reme ne
cessa de porter son epoux a des actes qui avaient pour
REINE DE FRAiNCE.
69
but Taccroissement de la doctrine evangelique; c'est ainsi
que ce prince, a la sollicitalion de son epouse, fit elever a
Paris, qui des ce temps devint la capitale de la France,
une grande eglise en I'honneur des deux saints ap6tres
Pierre et Paul. C'est celle qui, plus lard, porta le nom de
Sainte-Genevieve du Mont, dont il ne subsiste plus que
le clocher au milieu du college actuel, dit de Henri IV. On
adejk vu, dans le numero precedent, que ce temple fut
remplace, dans le siecle dernier, par une nouvelle et ma-
snifique eglise, nommeeaujourd'hui le Pantheon, mais qui
a ete indignement profanee par la rtjvolution de juillet...
Ce premier roi chrelien professait une grande devotion
pour saint Martin, dont il allait quelquefois visiter le toni-
beau, a Tours, pour y adresser au veritable Dieu, ses
prieres. Penetre d'un grand respect pour le pope, vicaire
de Jesus-Christ, il envoya a Hormisdas, qui elait alors
souverain pontife, une magnifiquc couronne d'or, comme
honimage de son royaume a Dieu, dont le pape est le re-
presentant sur la terre. Ilestextrfmementedifiantde voir,
des I'orifine de la monarchic francaise, nos rois s'unir
ainsi b la chaire de la verile catholique, h. laquelle ilsde-
vaient dans la suite des siecles donner de hautes preuves
de leur atlacbement filial. Malheureusement Clovis eleve
d'une maniere barbare ne put jamais enlierement maitri-
ser son caraclere fcugueux et brutal, et causa ainsi a sa
sainte epouse beaucoup de chagrins. II mourul le 27 no-
vembre 511,^ I'Jge de quarante-cinq ans, apres avoir ri-
gne trente annees.
Clotilde resla veuve avec trois enfanis qu'elle avail de
Clovis, et un fils nalurel que son epoux avail eu avantson
mariage. Celui ci nomme Theodoric ouThierri, regna sur
I'Austrasie, dont la capitale etait Reims, et plus lard
Melz. Des trois fils de Clovis et de Clotilde, le premier,
Clodomir, fut roi d'Orleans; le second, Childebert, fut roi
de Paris ; le troisieme, Clotaire, regna a Soissons. Ces par-
tages ne furent point paisibles. Clolilde fut aflligee des di-
visions que I'anibilion suscita cntre ces qiiatie rois. Vai-
ncment elle s'eiTorga de les ccncilier. Clodomir, son ills,
mil a mort Sigismond, roi de Bourgogne, et le mcurtrier
fut tue, a son tour, par Gonde;nar, herilier de Sigismond.
Gondemar fut tue par Childebert et Clotaire, qui reuni-
rent la Bourgogne a la France. Il faut se reporter a ces
siecles barbares pour se faire ft d'aussi sanglanls recits.
Avouons pourtant que nos temps modernes, que nous
eslimons beaucoup plus civilises, presenlent, a notre honte,
des scenes de meurlre qui doivent nous rendre tres-cir-
conspecls dans I'appreciallon de ces moeurs ancienncs.
Nous sommes presque contempOrains d'une epoque oil
Ton a vu aussi des trones ensanglanles. Dans tons les sie-
cles, les memes causes doivent produire des eEfets pareils
et les passions maiivai-ses ne se depouillent jamais de leur
feroce nature.
Quelle impression dculoureuse devaientfairea une ame
aussi douce que celle de Clotilde ces epouvantables spec-
tacles! .\ussi elle ne cessait de soupirer apres I'heureux
moment oil elle pourrait quitter cetto vallee de larmes et
goiiter, dans le sein de son Dieu, un elernel repos. En
526, une derniijre catastrophe degoiita du trone la sainte
princesse. Ses deux fils Childebert et Clotaire firent peiir
les deux premiers fils de Clodomir, pour s'emparer du
rovaume d'Oileans. Le monde ne fut plus tolerable a celle
mereinfortunee. Eilese retira aTours, aupr^s du mona.s-
lere de saint Martin, pour y terminer sa vie dans la
70 HASILiyUE DE SA
pricre ct la i)rat]i]ue de toule soric de morlifications.
Trenle jours avaiit sa morl, elle la predit. Dans cet in-
tervalle, elle maiido sos deux fils, meurtriers de leurs pro-
pres neveux. lis returenl de sa bouche les inslruclions
Ics plus eapables de les faire rentier en eux-memes. Elle
les enga^ea, de la maniere la plus louchanle, ii gouvorner
palernellement leurs peuples, bi 'vivre ensemble dans une
parfaile union, a faire oublier par une excellenle eonduile
leurs exces, et Ji s'occupcr par-dessus tout, demeriter des
couronnes immortelles. C.lotilde avail pratique si constam-
mentla charite, que ses ressources elaieiit tri's-modiques,
elle voulut encore que son heritage devint le pnlrimoine
des pauvres. Quand toutes ses dispositions furent faites,
ellene pensn plus qu'a Dieu. Au frentieme jour, les der-
niers sacremenls hii furent administres.et apres avoir fait
une profession publique de sa foi, elle rendit au Seigneur
sa belle anie, le 3 juin 345. Ses depouilles furent porlees
dans I'eglise de Sainte-Geuevieve et placces a cote du
corps de cetle beryfre, palroniie de Paris. C'est ainsi.di-
sions-nous en commeneant, que I'immortalit^ leur fut
commune au deUi de la lombe, car au si5jour des elus la
."iainteie place au nienie niveau les conditions qui sur la
lerre furent si dissemblables. Mais est-ce que mime ici
bas, le culte de Dieu ne les mot pas au meme rang ?
Sainte Clotilde n'avait jamais eu, dans la capilale de la
INT-PAUI, A HOME.
France, une eglise d^dide a Dieu pour son invocation. La
ville de Paris a vote lout reeemment une sonime de plu-
sieurs millions, pour construire, dans le faubourg Saint-
Germain, un niagnifique temple qui popularisera le culle
de cetle sainle reine des Francais. Dans quelques annces,
le nom de Clotilde vicndra se joindre aux aulrcs saintes
illustres, telles que sainte Magdcleine, sainle Elisabeth de
Hongrie, sainte Marguerite, patronnes desdglises parois-
siales sous ce litre. Esperons fermement que sainte Gene-
vieve ne reslera pas toujours depossedee du somptucux
temple dont la coupole reste encore, dans son inlerieur,
consacrce a la DERciinE de Nanterre, qui y voit dans cetle
admirable fresque, les rois prosternes a ses pieds. Dieu
re permcltra pus que le delire des peuples se perpetue
indefinimenl. On dit qu'une statue de Viimiwrlalilc va
couTOnner le somniet de ce dome. II ne pent en cxisler
que dune t'spoce; c'est cello que I'/mmor^c; seul peutde-
partir. Personne nedonnecequ'il n'upas.et la nwilalUrne
peut engendrer r/mmoivaiilp. Laissons faire les bommes,
ils execulent fort souvent a leur insu les de.-seins de
Dieu. Qui aurait predit a Agrippa, gendre de I'empereur
.4ugusle, qu'il edlfiait dans Rome paYcnne, enelevant le
Panthiion, un sublime temple i la glorieuse vierge Marie,
mere de Jesus-Oirist?...
I L'abbe Pascal.
HISTOlllE ET DESCRIPTION DES B.\SlLiyiJES DE ROM.
SAISJT-FAVZ..
Sur la voie qui conduit deUomea I'antiquc cite d'Os-
tie, et bors des murs de la premiere de ces deux villes,
le cruel Neron fit trancber la t^te a I'apotre saint Paul.
Ceci eut lieu le mfime jour que I'apotre -saint Pierre subit
le supplice delacroixsur lemont Vatican, d'autresdisent
sur le moot Janicule. l,e corps de saint Paul fut recueilli
par Timothee, son disciple, et par Lucine, illuFlre dame
lomaine, et inhume dans le meme endroil. Le pape saint
Anaclet, en Fan 103, erigea une chopelle sur ce tombeau,
et celui-ci devint le but d'un pieux pelerinage.
Ce modeste edifice Hail c.omme la premiere pierre de
la grande basilique dont I'empereur Constantin devait
plus lard honorcr la memoire du saint apotre des nations.
Ce fut en 324, que, la pai\ ayant et6 rendue a I'Eglise,
fut conslruit le ti'mple dont nous donnons la description.
Le nombre des Chretiens s'etant accru considi'rablement
et les pelerins visitant en jilus grand nombre ce lieu con
sacre par rell'usion du sang et les reliquus de saint Paul
BASILIQUE DE SAI
rempereur Valeiitinien II, Thcodose et son fits Arcade,
ecriviient, en 386, une leltre a Salluste, piefet de Rome,
poiirlui ordonner I'asrandissemcnt de celte basdique. En
388, re prefel Uavailla activcment a cetle construction, ct
en 395, Honoiius, fils de Ttieodose, la fit terminer. En
425, I'empeieur Valentinion III fut le premier qui s'oc-
cupa d'embellir la Confession, c'est-a-dire la crypte qui
contenaitle corps du saint, et Torna de deux cents livies
d'or. Eudoxie, cpousc de ce prince, y fit faire de nouveaux
embellissemenlsen 4 4(1; enfin Placidia, sccur d'Arcadeet
d'Honorius, complela I'edifice et ses decorations.
II est beau et singulierenient edifiant de voir tant d'au-
gustes mains se plaire avec une pieuse emulation a enri-
chir ce sanctnaiie qui recelait pourtar.t les resles d'un
pauvrc ap6tre dont I'existence avail ete si outrageusement
m(5connue par un devancier de toules ces tetes couron-
nees. Aussi leurs noms relletent dans la posterile I'eclat
de I'apolre glorifie, tandis que le nom de son bourreau
est unecruelle injure. Au christianisme seul il appartient
de montrer de puissants princes se faire honneur de de-
corer la sepulture de certains hommes qui, tels que saint
Paul, furent consideres, pendant leur vie, conime la bti-
layurc de ce monde. Ce sont les termcs de cet apotre.
II serait beaucoup trop long d'enumcrer ici les divers
travaux que firent executer dans cetle basiliqiie les pon-
tifes remains de tous les siecles. Nous nous contenterons
de rappeler que foienne III, crce pape en 752, donna ii
cette eglise une croix de metal, qui portait dun cole I'in-
scription suivante : CnijrRomanorum rirtorin,Rnmann-
rum anna, linmanorum forlititdn, ct de Tautre : InipernI
in sccnla, rrfjnal in O'lerniim Chrisliis Dei /iliiis, vicil
jitOar rcgni Htnnanoniin. Une traduction litterale en fr-an-
ciiis est impossible; nous nous contentons d'en donner le
.sens: « La croix est la victoiredes Remains, la croix est I'ar-
<i mure et la force des Romains; Cbri^', fils de Dieu, bril-
• lant soleil du royaume des Romains, cumraande dans
• tous les siecles, regnedansl'eternite, est triompliateur. »
L'affeux tremblement de terre de I'an 801, qui causa
tant de desaslres dans I'ltaTie, ruina prcsque complete-
ment cette basilique. Leon III, aid(i par notre glorieux
empereur des Francais Charlemagne, la retablil. Celni-
ci y employa le bulin qu'il avait pris sur les Huns, par
lui vaincus. La plus magnifique decoration qui y fut
alors exccutee clait un baldaquin dont I'autel elait cou-
ronne.Ce baldaquin etaitforme de cinquantc-cinq colon-
nesd'argentpur,dupoidsde plus dedeux millelivres.On y
voyait trois statues representani le Sauveur, et les deux
apotres saint Pierre et saint Paul, en ormassil. 1! paraltque
ces siecles barbares ne connaissaient point le carton pate
ou le carton pierre du dix-neuvieme sii'cle, qui elalent
leur brillanle magnificence dans quelques-unes de nos egli-
ses, tellesqueSainl-Roch'.l!... Le grand are de celte basi-
lique fut decore d'ornemenls d'argent, du poids de treize
cent cinquantc-deux livres. Nous serious trop longs si
nous voulions relator tout ce que la piele de ce temps fit
d'admirable pour cetle eglise. N'omettons pas pourtant
un crucifix d'or massif qui pesait cent cinquante-deux li-
vres et qui ornait le maitre-autel.
lietracons mainlenant un fait assei interes.sant. Aux ri-
chesses que nous venons d'enumerer, le pape saint Gre-
goirelV, elu en 827, avait jointdesdons extr6mementpre-
cieux en habits sacres, lels que chasubles, dalmatiques
courtines et aulres objets de ce gtnre cii les pierreries
NT-PALL A HOME. "1
abondaient. Sous le pontificat de son successenrSergiusIl,
les Lombards et les Sarrasins avaient depouille la basili-
que de toutes ces richesses. En 849, le pape saint L(^on IV
partit i la tele d'une armee, vainquit les spnliateurs et
puis avec le biitin qu'il avail fait sur eux releva I'autel
principal et ajoula de nouveaux dons aux premiers. Pour
nc pas depasser les homes d'une notice succincte, nous
omellrons tout ce qui tient Ji la partie historique de cetle
eglise, pendant le inoyen age. II nous suflit de dire que
chaque papey fit successivement des embcllissements ou
des restauralions. Le grand Bcnoit XI\' a fail, dans le der-
nier siecle. renouveler toutes les mosaiques de eel au-
guste leniple, et Pie 'VI ne se montra pas moins 7el^.
Nous voici arrives a la deplorable calastrophe qui de-
truisit presque entierement cetle basilique, la seule qui
eul conserve la forme de sa fondation primitive par I'em-
pereur Conslanlin.ee qui la rendail un monument tres-
pr(^cieux. Le 16 juillet 1823, deux ouvriers qui reparaieut
la toiturodecc't edifice y laisserentimprudemmentdu feu,
exactement comme a Chartres, il y a quelques annees. Le
vent porta des etincelles dans la charpente el y alluma un
(^pnuvantable incendie. Les marbres, les bronzes, les mo-
saiques furent calcines par la violence du feu. Cinq heu-
res sufiirenl pour ruiner un edifice qui comptait qiiinze
siecles. Le grand aulel dit papal, les deux chapelles du
Saint-Sacrement et du Saint-Crucifix, les nombreuses re-
liques, furent providentiellenient preserves de I'incendie.
Le pape Pie VII, qui avait ete religieux du convent des
Bencdiclins annexe a cette eglise, elait alors frappe de la
maladie dont il mourut un mois apres, et on cut soin de
lui cacher ce grand desastre qui aurait avance la fin de
?a vie. On ne s'etait aperju de I'incendie que lorsqu'il
etait inipo.ssible de I'arrfter. Cependant les pompiers re-
mains parvinrent a sauver de la destruction le monastere
contigu el les parties dont nous avons parle.
Au pape Pie VII succeda le cardinal Delia Genga, sous
le nom de Leon XII. Le soin de rebSlir cette magnifique
b, ilique agjrava considerablement la sollicitude univer-
seU ' dn supreme pontificat. Le tresor lomain etait cpuise.
Le pape fil un appel 5 la pieuse generosite du monde ca-
lliolique qui ne lui fit point dcfaul. La France, disons-Ie
nvi'C un juste orgueil, se montra, sous ce rapport, la fille
atiice de la sainte £glise roinaine. Dans les Etats pontifi-
caux on vil se deployer un zele admirable a conlribuer a
cette grande ccuvre. Le pape ordonna que son tresor y
consacrit annuellement cinquanle mil'e ecus (plus de
250 mille francs, car I'ecu remain \aut plus de 5 francs).
Une commission speciale fut cliargee de la reedification de
la basilique de Saint-Paul. Ce qui fait un grand honneur
au goi'.t ron ain, c'e.st qu'on prit la resolution de suivre
scrupuleusemenl les plans de I'ancien edifice, ce qu'on
n'a pas fait, a beaucoup pies, en rebatissant I'auguste ba-
silique de Saint-Pierre du Vatican et plusieurs autre.s. La
celebre academic de Saint-Luc, oii I'amour de I'antiquite
comple un si grand nombre d'erudits zelaleurs, fut char-
gee de presider aux travaux. Leon XII etanl morl en
1829, Pie VIII, qui lui succeda, n'eutguere le temps de
s'oceupor de ce travail, puisque la morl le ravit a I'Eglise
en moins de deux ans. Le cardinal Capellari lui ayanl
.succede, en ■fevrier 1831, sous le nom de Gregoire XVI
les travaux decitle resta.: ration ontele pousses avec beau-
coup de vigueur. C'est encore ici le cas de dire que Dieu
sail tirer du fond du mal le plus grauJ bien dans sa sa-
72 BASILIQUE DE SAl
gesse 4lernelle. La basilique de Saint- Paul a surgi de ses
cendres bcaucoup plus belle. II serait impossible dans une
courte notice de dclailler tout ce qui s'est fait de prodi-
gieux dans cetle reedification. Dejk le 5 ootobre 1840, le
pape rognant put consacrer la nef transvcrsale ainsi que
le grand aulol papal. Un faitcurieux nedoitpasetre oniis.
Cost que le pacha d'Egyple Mehemet-Ali a contribue a
cette restauration, par le don de treize blocs gigantesqucs
d'albatre oriental dont on a fait des colonnes d'un seul
morceau. Le pape lui envoya en echange plusieurs ma-
giiifiquesdons, et le pacha d'ligypte Fen reniercia par une
leltre fort rcmarquable. La suscription est ainsi coucue :
« A I'eminence du successeur du prince des apotres,
0 lieutenant de la succession des Cesars romains, le sou-
• verain pontife glorieux, auguste, magnifique, pape de
(( Rome la grande.
NT-PAUL A HOME.
La lettre commence amsi : « Les doux souiHes du ze-
« phir sent charges de transporter d'Orient en Occident
" notre reconnaissance. Nous voudrionsl'exprimeravec les
■ plus splendides paroles dont jamais aientpuseserviravec
■ ■veritt^ les plus sublils gi-nies, avec les phrases les plus
• magnifiques qui soient jamais tombees de la plume des
« plus sublimes ecrivains et les accompagner des cantiques
■ des jubilantes colombes, afin do vous marquer la gran-
« deur toujours croissante de notre amitii.^ Nous vous
« prions avec anxiete de ne jamais nous priver des fa-
• veursdol'Ocianregorgeantde votremagnanimite, etc. •
La lettre est datee de I'an 86i2 de la creation du
monde.
L'inlerieur de la basilique de Saint-Paul a la forme de
la croix latine. Sa longueur est de 603 palmes, et sa lar-
geur de 308. Le palme romain fait un peu plus de 8 pou-
ces 3 lign«s, ou 223 millimetres. Elle a done a peu pres
i07 ou 408 pieds anciens de longueur, c'est-a-dire quel-
ques pieds de plus que Notre-Dame de Paris. Sa largeur
est done aussi de plus de 200 de nos anciens pieds fran-
cais. Elle a cinq nefs, outre les deux qui se prolongont a
droite et h gauche pour former le croisillon. Quatre-vingts
^^olonnes, en quatre rangees, soutenaient les voiltes de ces
nefs et etaient formees do Ires-beaux marbres. Tout cela
a disparu dans I'incendie pour 6tre remplace, sur un j'a-
reil plan, par des colonnes encore plus riches. Les cha-
pelles repondaient par leur magnificence a la beauts de le-
difice. Mais pour remplacer les peinlures de tout genre
soit niosa'i'ques et fresques, soil (ableaux sur toile, on con-
ceit combience sera dillicile pour ne pas dire impossible.
La principale entree do cetle basilique revolt de (res-
considerables ameliorations. L'n portique superbe s'^l(?va
devant la porte laterale qui regardo la ville de Rome.
Douze colonnes d'ordre corlnlhien en niarbre grec fer-
ment cette majeslueuse entiee a laquelle on doit arriver
de Rome par une large rue. La m6moire du grand apotrs
BRTDSH
MOSFUW
*7 AUG 29
NATURAL
+il STORY.
TURENNE.
TliRENNE.
75
dps nations qui evangelisa princ ipalemenf , de concert avec
saini Pierre, la ville mailresse du monde connu. mtrlte
bien, sans nul doute, d'aussi solennels hommases. Tout
(ait esperer que I'oeuvre de la reedification complete arri-
vera, sous peu de temps, b bonne lin, et comme nous I'a-
vons deja dil, I'elat de ce temple sera plus brillant qu'il
nel'elait avant le terrible desastre de 1823.
Labbe Pascal
LEs nmm mmm,
TURENNE.
Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, ne
a Sedan le II septembre 1611, etait le second fils de
Henri de La Tour d'Auvergne, due de Bouillon et d'fili-
sabeth de Nassau, fille de Guillaume l" , prince dO-
range. Issu d'une famille calviniste, dont tous les mem-
bres avaient pris une part fort active a toutes les agita-
tions du seizifeme siecle, Turenne annonca de bonne
heiire un caractere froid, reserve, une raison superieure,
qualites qui le distinguaient de tous les siens, gens pas-
sablement turbulents, et qui le garantirent de tout exces.
II se developpa assez tard; son intelligence etait lente,
difficile, il n'avait guore de gofit que pour les recits de
guerres et de combats; il lisait Cesar et Quinle-Curce, et
trouvait dans ces lectures un puissant inter^t. On raconte
m^me qu'k dix ans il proposa un cartel a un vieil offi-
cier parce que celui-ci accusait Quinle-Curce de n't'tre
qu'un faiseur de romans. Cependant , faible et chelif
comme il I'^tait, il donnait un dementi a son goijt pour
les amies; aussi se dispensa-t-on de le destiner a ce
noble metier. Mais il ne se tint pas pour battu, et, pour
prouver qu'il etait capable de supporter la fatigue, il
passa une nuit enliere sur Us reniparts de Sedan, oil on
le trouva endormi sur raffiit d'un canon.
X I'ige de douze ans, il eut le mallieur de perdre son
pere; il parlit quelques annees apres pour la'Hollande,
oil il alia apprendre le metier des armes sous Maurice de
Nassau, son oncle; il voulut commericer par etre simple
soldal, et supports ainsi bravement une multitude de fa-
tigues et de privations. Enfin il obtint une compagnie
qu'il commanda centre le fameux Spinola et fit prcuve,
en plusieurscirconstances, d'un courage qu'oii dutreniar-
quer. 11 avail passe cinq ans en Hollande, oil il recut les
meilleurs principes en strategic et apprit la science des
sieges. Certains arrangements de sa mere avec le cardinal
de Richelieu au sujet de la principaute de Sedan avaient
necessite le voyage du jeune Turenne a Paris ; il fut
bien recu 4 la cour. Nomme colonel d'infanterie, il scr-
vit en Lorraine sous le marechal de la Force; bientol ,
devenu marechal de camp, il se rendit avec le cardinal
de la Valette au secours de Mayence et fit cette reltiiile
celebre par les Trois-Eveches. Le manque de vivres
avail force le cardinal de retrograder. Ce fut pendant
ces marches difficiles qu'eclats^rent celie humanite et
cette bienfaisauce qui firent toujours idolatrer Turejine
des soldats. Voyant un homme etendu au pied dun ar-
bre succumber a la faini et ;i la fatigue, pour empeclier
ce nialheureux d'etre massacre par I'ennemi, il le mit
sur son cheval jusqu'a ce qu'il eut rencontre un de ses
chariots, sur lequel il dt'posa linfortune. II ahandonna
ses equipages sur la route afin de laisscr ses fuurgons aux
blesses et aux malades.
L'annee suivanle I'armee francaise reprit sa revanche
a Saverne, qui fut emporte apres un sanglant assaut.
Turenne y fut blesse si grievement au bras, que les chi-
rurgiens ordonnerent d'abord I'ampulation ; il guerit
heureusement sans recouiir a cet expedient cruel. Sa
carriere militaire continuait a etre bien remplie; a cette
epoque Richelieu I'envoya conduire des troupes au due
de Weymar, et il concourul a la prise de Brisach. Passe
dans le Piemont, il y fit loute la Ijesogne du due d'Har-
court, son general. A Quiers, il soutint avec 2,000 honi-
nies une retraite centre 9,000 Espagnols. La serie de ses
exploits en Piemont fut close par la prise de Turin.
Nomme lieutenant general, il fit la campagne du Rous-
sillon sous Louis XIIL A sen ariivee a Paris, Richelieu
lui demanda son amitie et lui offrit la main de sa niece.
74
TUUENNE.
Turcnne s'ejtcusa sur la dilTereiice i)e religion, ot, inalgre
cetle excuse et les liaisons de son I'rere Ic due de Bouil-
lon avec Cinq-Mars et de Thou, il conserva restimo du
cardinal. Neanmoins il ne fut mareelial qn'apres la niort
de Hichelieu e( relle de Louis XIH, quand la reine-nierc
et Mazarin \oulurent I'attaclier pins encore a la cansc dn
jeune roi. II avait alors trente-deux ans. Son ficre, lou-
jours remnant, tiait I'ennemi du nouvcau minisire
comme il avait ele celui de I'ancien, et il etait alle a
Rome commander les troupes du pape. Dans ces circon-
slances delicales, Turenne lit preuve d'unc grande pru-
dence; il resla I'ami de son frere et refusa le tilrede
due de ChJtcau-Thierry, parce que celtc faveur aurait
prejudicie aux interets du due de Bouillon, ii qui ce du-
che avail el6 promis; mais aussi, pendant toute cetle
phase de sa vie, il n'entretint aucune espece de commu-
nication ou de correspondance avec son fii?re. Neanmoins
Mazarin, toujours mefiant, voulut I'eloigner de I'llalie et
I'envoya en Allemagne. C'elait une sorte de disgrace.
Arrive en Alsace, Turenne organise unc armee et avec
10,000 hommesbien armfe et bien equipes, il va s'oppo-
ser an conite de Slorcv, qui s'etait approche de Fribourg.
An moment oil il allait altaqucr, il est rojoint par le due
d'Enghien, qui Ini amcne de nouvelles troupes et prend
le commandcment general. Ce fut la premiere renconlre
de ces deux i;rands capilaines; I'un bouillant, imprtueux,
voulant tout emporter de haule lutte, comme dit Bos-
suet; I'autre calme, impassible, calculant tout el ne don-
nant rien au hasard. A Fribourj, on vit bien la diffe-
rence. Turenne voulait tourner I'ennemi, le due d'En-
ghien s'y opposa et prodigua le sang des soldats en face
de retranchemenis inexpugnables ; le troisieme jour le
prince renonca iN son projet et fit attaquer par les der-
ricres le comte de Mercy, qui battil au.ssitot en relraile,
ce qu'il aurait fait indubilablement le premier jour.
A Mariendal, Turenne, avec des troupes exlenuees de
fatigue, epuisees par la faim, avec une cavalerie qui
manquait de fourrage, fut force Ini-meme cette fois a la
relraite par le comte de Mercy et .ses Bavarois bien su-
perieurs en nombre ; mais il e.xecula son niouvement re-
trograde avec un.ordre et un sang-froid ndmirables. II
fut tres-sensible ii cet ecbec dont I'ennemi d'ailleurs ne
sut pas lirer parti. AuEsi , voyant que les Bavarois ne
profitaient pas de leur avanlage, Turenne resla en Fran-
conie. On lui apprit alors que le prince de Conde allait
arriver pour prendre le commandenient; c'elait encore
la une preuve des mauvaises intentions de Mazarin ; c'e-
lait, apres lui avoir refuse des renforts neccssaires, le
priver de Ihonneur de reparer sa defaite. Modcste et sou-
mis, il ne se plaignit jamais lant qu'il resta sous les or-
dres d'un prince qui ne pouvait que I'eclipser. Ce fut lui
qui remporta reellement la vicloire a Nordlinghen , ou la
balaille fut livreecontre son avis; I'aile gauche qu'il com-
inandait culbuta I'aile droite de I'ennemi, prit le reste en
flanc et le mit en deroute pendant que le centre et la
droite des Francais avaient ele repousses. Conde, a\ec
une franchise et une generosity fort louables, felicila et
remercia Turenne sur le champ de bataille et ecrivil a
la reine que lesucces etait dil tout enlier au vicomte.
Conde parlit pour se rendre h la cour; Turenne reste
seul retablit I'electeur do Treves dans ses £lats et vint
apres cela a Paris, oil Mazarin lui fit Ires-bon accueil.
Turenne fit adopter alors au cardinal sm plan de jonc-
tion, depuis longtemps midite, avec les Suedois. Leslm-
periaux et les Bavarois tiraient de leur position certrale
un ovantage immense, ils pouvaientoperer ensemble tan-
dis que les Suedois et les Francais, toujours .separes, n'a-
vaient jamais agi que successivement. Mais le due de Ba-
viere, ru.se et di'loyal par excellence, parvint a Iromper
Mazarin par de belles promesses, et la jonclion ne se fit
point. Malgre cela Turenne passa leRhin et penetra dans
la Hesse, ou il alteignit Wrangel et ses Suedois qui al-
laienl succomber devant un ennemi beaucoup plus fori.
Les allies se retirerent dans un camp rctranche, et
les deux genciaux , mailres du pays , parcoururent
la Franconie, la Souabe et la Baviere, oil ils s'em-
parerent des places et des magasins. Le due de Baviere
fut force de dcmander la paix. Ainsi, par une marche
aussi savante que bardie, Turenne avait fait cent cin-
quante lieues en quinze jours et avait, sans combattre,
change la face des afi'aires.
Cependant Mazarin se lai-ssa Iromper encore une fois
par ce due astucieux et ordonna i Turenne do quillerles
Suedois ; aussitot les Bavarois atlaquent Wrangel ; mais
Turenne arcourt une scconde fois a son secours. La Ba-
viere est envahie et le vieux due s'enfuit en Antriehe.
Vienne etait deja menaoee lorsque les plenipolentiaires,
qui depuis cinq ans etaient assembles a Monster, signe-
rent la paix (24 octobre 1648), Cliacun resla persuade
en Europe que le fameux traite de Weslphalie, si avan-
lageux et si allendii, elait du surtoni a Turenne. Partout
on le felicita, el en I'honneurde sesdernicres vicloircs qui
avaient triompbede la mauvaise foi du Bavarois, on frappa
une niedaille avec ces mots: Yh'lnria (rnclir fidei nllrix.
Depuis vingt-oinq ans, Turenne fyisait la guerre et la
paix ^tait conclue; mais le repos etait pen de son goOt.
Alors survinrent en France des dissensions intestines qui
lui procurerent encore de nouveaux, mais de deplorables
combats. Les finances etaient ruinees; un ministreelranger,
ha'i generalement; un roi mineur; tout cela n'elait guere
en elat de relahlir les afiaircs; des pretentions, des partis
puissants divisaient j'felat; les princes et le parlement,
le people et les grands etaient revoltes centre la cour. Le
due de Bouillon, un des chefs de la Fronde, de ce parti
qui manqua de delruire la monarchic naissante de
Louis XIV, rendait la position de Turenne fort difficile.
Ce dernier etait encore en Allemagne quand eut lieu a
Paris la journce des Barricades. A I'instant mOme, il se
vit dispute par tons ces faiseurs de revolutions et de
coupsd'fitat ; c'elait a qui le gagnerait. Mazaiin lui en-
voya sa nomination de gouverneur de l".-\lsace et lui of-
frit la main de sa niece; la reine-mere lui ecrivit une
lelire des plus fialleuses; dun auire cole, le due de
Bouillon, sa femnie et la duchesse de Longueville le pres-
saient d'enlrer dans les rangs des I'rondeurs. Turenne,
toujours reserve, fut franc avec tout le monde. II ne vou-
lut pas agir pour la cour, dont il Irouvait la corduile de-
raisonnuble, tl il sedeclara conlre le cardinal .sans loute-
fois se poser en ennemi. Alors Mazarin fait travailler son
armee, dont une partie I'abandonnc, et Turenne se retire
en Ilollande. La convenlion de Ruel ayant arrange les in-
lerels de la maison de Bouillon, ii revientii Paris, oil la
peine et le cardinal le resolvent avec beaucoup d'empres-
sement.
Tout se brouille une seronde fois. Mazarin, par un
ccup d'£lat audatieux, fait emprisonner a Vincenncs les
TURE
princes de Cond^ el de Conti avec le due de Longueville.
La Fronde reiiait avec plus de fureur que jamais. Tu-
renne quiUe encore la cour, malgje les leltrcs charmantes
du cardinal et de la reine-nifere. 11 vend son argenlcrie,
fail un Iraite avec I'Espagne, li^ve une armee et com-
mence une guerre deplorable. II \eut s'avancer dans I'in-
tirieur du pays, pousser jusqu'a Vincennes pour delivrcr
les princes, mais les Espagnols refusentde le suivre. Sou
urmee se dispersait dejji, ttms ces aventuriers recrutes
partout elanl doja las du service quand le due de Pras-
lins'avance vers Relliel. Tureunc elait parvenu a reunir
8,000 homnies lant Alleniands que Lorrains et Fraucais
quand il se truuve en presence d'une armee de 20,000
omballants. 11 vcul se retirer; mais a lra\ers un pays
decouvert la retraite est diflicile, et I'ennenii suit tons ses
mouvements. Oblige de s'ant-ter et de combaltre, il
charge avec ses cscadrons U cavalerie des Francais; se
jelte, I'epee a la mam, au plus fort de la melee, et, en-
toure deux fois, il ecliappe ii I'ennemi par son courage
et sa presence d'espril. Celte defaile, oil il perdit la moi-
tie de son armee, ne fit quajouter a s:i gloire et porta un
coup fatal a la Fronde.
Turenne ouvrit eufin les yeux; il vit combien pen de
fonds il fallait faire sur ces Fspagnols, ces femmes intri-
gantes ou ces jeunes gens elourdis qui avaieut soutenu
ce parti; et, convaincu desorn)ais qu'il avail eu tort de
se meler imprudemment a toutes ces querelles, il se preta
aux tentatives que lit la cour pour le ramener. Le jeune
roi lui avail ecrit une Icttre Ires-Hatleuse; de plus on
avail accorde a son fri're tout ce qu'il demaudait; Tu-
renne revint a Pans, oil il ful parfailenienl accueilli.
Conde le recbercha beaucoup, mais le vicomte vit bien
qu'on ne faisait ainsi allention a lui que pour le retenir
dans un parti tombe desormais cu discredit. II elait trop
sage d'ailleurs pour servir un liomme aussi exigeant, uii
emporle qui ne menageait ni ses amis ni ses ennemis. La
ri^gence confiee aux soins d'uu pri'lat et d'une femme lui
elait bien plus avantageuse, il devenait des lors indispen-
sable ; en cas de guerre, c'etail a lui qu'etait devolu le
plus beau role. Tous ces motifs le determinc'rent , et 'a
partir de ce moment son devouument au jeune roi ful
sincere. Aussi montra-t-il beaucoup d'empressemenl a
accepter une partie de I'armee, seulemenl, a commander
et a partager ce coniuiaridement avec le marechal d'lloc-
quincourt, qui pourlaiit elait nioinsancieu que lui.
D'abord il remporla a Gergeau un succes si decisif
que la reine-mi;re lui attribua I'bonneur d'avoir sauvc
I'Elal; ce fiirent ses expressions. Turenne, toujours tres-
modesle, dit que ce n'elail qu'un avanluge de peu de
consideration. Les troupes de Conde avaieut ete sur le
poinl d'culever la cour a Gien. Lepouvanle elait grandc,
on parlaitd'enimener ItMoia Bourges; Turennenelevuu ut
pa;;, parce qu'il elait toujours daugereux, disait-il, de fu r
devant des rebelles. II pr il tout sur sa respoiisabili le ; nean-
raoins il scntit tout ce que la position avail d'effrayant.
Conde, apres avoir battu Hocquincourt, marchait centre
■ lui avec 14,000 hommcs , il n'en avail que 4,000 a lui
opposer. C'esl id qu'il faulpcrir, dit-il froidementii son
capitaine des gardes. II avail deja choisi une place favo-
rable pour y attiier son imprudent rival ; il feignit une
terreur panique, et d(;.s que Conde ful engage dans un de-
file, il lit volte-face et le foudroya avec son arlillene ; la
colonne eniieaiie, qui n'avail pas eu le temps de se de-
NNE. 78
ployer, eprouva des pertes scrieuses et se retira en des-
ordre pendant que le vicomte retournait tranquillement
a Gien, oil il rassura la cour.
Jamais Turenne ne s'etait monlre si habile, si bon lac-
licien, .si courageux, si grand, si snperieura tcus lesevi-
nements. II avail rendu un immense service a la royaute;
aussi la reine-mere s'ecria-t-elle en le voyant : ■ Voits
icnez de niellre uue secondf fois la couronne sur la lele
de mon fils. ■ II arrive jusque sous les murs d'ttampes,
bat de nouveau les lioujies de M. le prince, et au moment
oil il allait s'emparer de la ville, il est oblige de se de-
tourner pour marcher a la rencontre du due de Lorraine,
qui venait au sccours des frondeurs. Par ses habilcs ma-
noeuvres, il force les Lorrains a rebrousser chemin et
serre de si pies I'armee des princes qu'il la force a com-
baltre dans un des faubourgs de Paris. Conde n'cchappe
que parce que les bourgeois, aprt's avoir d'abord fernie les
porles pour resler neutres, se decident a les ouvrir dans
la seule intention de sauver le prince. C'esl alors que Ma-
demoiselle tire le canon de la Bastille surl'arniee royale;
sans cela I'armee de la Fronde eiit ete aneantie, et la
guerre eiit fini la. Ce combat du faubourg Sainl-Anloine
avail duri un jour. On vit plus d'une fois les deux chefs,
I'epee a la main, sejelerau milieu de la meleeloutcouverts
de sueur el de sang el charger comnie de simplessoldats.
Peu de temps apres, Turenne, eutoure par des forces
superieures, ful tres-inquiele dans son camp deCorbeil;
la cour parlait d^ja d'aller ii Lyon ; le viconile s'y opposa
vivement. II soitit de celte position critique presque
sans combatlre, et marclia dioit sur Paris, oil il enlra
avec la cour sans coup ferir. Conde sorlil de France.
II avail assure le regne de Louis XIV ii la France; il
jouissait alors d'un credit sans bornes, il avail le com-
mandenienl des armees sans paitage , c'etait la seule
chose dont il fill jaloux, c'etait la .sa seule ambition, el
c'etail une ambition legitime, pui^qu'eUe resultait de la
conscience qu'il avail de son immense capacite. II ne fai-
sait aucun cas des ricliesses el consacra souvent ses Irai-
tements ct les bienfaits du roi au service de rfitat ou au
toulagement de ses soldats. Au siege de Saint-Venant, il
coupa sa vaisselle d'argent el la dislribua en paye a ses
troupes, qui ne touchaienl point de solde. II pr^la des
sonimes considerables aux Stuarts, dont il avail embrasse
la cause avec beaucoup de chaleur et une conviction pro-
fonde ; il ne se plaigiiit jamais de n'avoir pas ete rem-
bourse. Cependant ses charges et ses emplois consti-
tuaient toute sa fortune. Les habitants d'une ville lui of-
fraient 300, OUO francs pour qu'il ne 111 point passer son
armee sur leur territoire. b Gardez voire argent, leur dit-
il, votre ville n'est pas sur mon chemin. » En 1053 il
avail epouse la tille du due de la Force, riche hcritiere,
non pas pour s'enrichir, mais par eslime et par recon-
naissance pour le pere. Apres la mort de sa femme, qui
arriva au bout de quelques annees d'une union fort lieu-
reuse, il rendil la dot a son beau-pere.
En 1654 on I'envoya centre les Espagnols, dont Cond^
etait I'auxiliaire; Turenne trouva en Champagne un en-
nemi sup^rieur en nombre dont il vint a bout cependant
par des marches admirables qu'on a comparees avec rai-
son a celles de Fabius devant .\nnibal. Puis il fit lever le
siege d'Arras aux Espagnols, qui s'y elaieut enfernies
dans une double circonvallation. Malgre La Fertc et
d'llocquincourt qui voulaient Ten dissuader, il emporta les
TURENNE.
lignes ennemies an premier choc. En vain Conde fit-il
tous ses efforts pour arreter le desordre, I'ennemi se re-
tira precipilammont sur Cambrai. L'experience venait de
prouver que, en face d'un ennemi retranche dans ses li-
gnes, I'iniliative du mouvement et le choix d'une place
favorable pour I'allaque donnaient un grand avantage
aux assaillants. Plus lard, k Valenciennes, par I'ignorance
et I'enl^tement du niarechal du la Ferl6 , les Francais
tomberent dans la nienie faute que les Espiignols au si^ge
d'Arras. lis s'etablirent dans de vastes lignes do circon-
vallalion, dont its fnrent obliges de gardor lous les points,
les fronts et les derrieres, ce (]ui dissemina leurs forces.
La Fert^, surpris, fut battu et fait prisonnier. Turenne so
mit en relraile sur lo Quesnoy avec un calme ]iarfait et
un magnifique ensemble. Depuis cet evenemenl, il y cut
des sieges de pen d'importance, des marches et des con-
tre-marehes, qui prouverent une grando habilole chez les
chefs sans amener aucun rcsultat.
C'cst a celte epoque que les deux litres du siecle, jus-
que-Ui fortpolis entre eux, meme en se combaltant, se pi-
querent vivement par suite d'une depeche iiiterceplee et
dans hiquelle Turenne bU\niait fort severement les ma-
noeuvres de Conde. Celui-ci repondit par une lettre fort
dure, et I'inimilie qui r^sulta de lout cela s'envenima
lellement que les deux rivaux ne furent gufere reconcilies
qu'aprcs la paix des Pyrenees , lors de leur entrevue Ji
Saint-Maur. N^anmoins il est permis de croire que celte
reunion fut tres-embarrassante et qu'ils ne furent jamais
sinceremenl unis, surtout k cause de la confiauce exclu-
sive de la cour en Turenne, ce qui ne devait pas peu con-
tribuer h entrelenir cet eloignemfent.
• La paix des Pyrenees avail ete determineo par les vic-
toires de Turenne el nolamment par celle qn'il avail rem-
portee h la bataille des Dunes, pres de Duukerque. Alla-
que coninie il I'avait ete a Valenciennes, il ne commit pas
la mf'me faute; il sortit do ses lignes pour marcher aux
Espagnolset batlit (Joride h la tele des meilleures troupes
de I'armee enneinie. Le danger des circonvallations pour
une armee assiegeante fut suffisamment demonlr^ par
Irois exemples successifs. Le jour m^me 11 6crivail k sa
femme : « Les ennemis sont Venus a nous; lis ont 6le
« baltus, Dieu en soil loue. J'ai un peu fatigu^ loute la
11 journee. Je vous donne le bonsoir et je vais me cou-
n cher. B II disait quand il s'agissait d'une victoire, Nous
I'lwons rempoitee, et quand c'etait une defaite, J'ai ete
hallu.
Apri's la paix de 1639, il trouva enfin un peu de re-
pos. Depuis trente ans il faisail la guerre, etsa sante n'a-
vait fait que se fortifier au milieu de fatigues sans nom-
hre. Sa consideration egalait sa renommee. Une seule
demarche de sa part ramena les chefs du pai lenient, prfts
il .se revolter centre la cour, a de meilleurs sentiments,
(j'elail lui qui avail le premier et le plus beau role qu'il
y eiit en France. Nonime colonel general de la oavalerie
en 1657 et niarechal general des armees en 1660, au ma-
riage de Louis XIV, il eiit ^le conn^table s'il eilt con-
senti a abjuier le prolestanlisme.
Neanmoins il s'eclairait dejji & celle epoque sur toules
les matieres de leligion et tendait de plus en plus a s'e-
loigner de I'figlise protestante, tendance conlre laquelle
luliait vivenienl sa fenime. Ce fut expres pour hater sa
conversion que Bossuet composa son Exposition de la
Foi; mais celle conversion n'eut lieu qn'a la niort de sa
femme, qui ne lui laissa pas d'enfants. L'an 1668 il ab-
jura solenncllemenl entre les mains do I'archeveque de
Paris. Ce fut le sujet d'un grand Iriomphe pour le catho-
licisme; les prolestants, au contraire, ne virent lii qu'un
calcul d'ambilion et de politique, et Voltaire accredita
plus lard celle opinion dans son Siecle de Louis ilV. X
parlir de celle epoque, il fut loujours Ires-occupe do sa
nouvello religion. Vivant dans un cercle d'amis fort
etroil, il parut rarement a la cour, oil on le demandait
neanmoins frequemnaent pour avoir son avis sur toules
series de questions, principalement au sujet des affaires
de Su^de, d'Angleterre et de Portugal. 11 redigea plu-
sieurs memoires et des instructions diplomatiques pleines
de vues sages et profondes; il elait surtout parfaitemcnt
au couranl de lout ce qui concernail la France et le Por-
lut;al. Ce fut par ses conseils que le niarechal do Schoin-
berg alia dcfeiidre la maison de Bragance centre I'Espa-
gne. L'Angleterre, d'accord avec la France, soulint I'in-
dependunce du Portugal. Tout cela se faisail au grand
deplaisir des minislres du roi, jaloux de voir accurder a
un autre une confiance qui semblait leur revenir de
droit. Son z6le pour les Stuarts ne se ralenlit jamais ;
mais ce fut a leur sujet qu'il commit, par faiblesse, une
indiscretion des plus graves sur les instances de ma-
dame de Coetquen. II livra a celte jeune dame le secret
du voyage de Madame en Angletene. que Louis XIV n'a-
vail conhe qua lui el a Louvois. Le roi, instruit de I'in-
discrelion, en accusa Louvois, mais Turenne avoua sa
faute el justifia le minisire, qui pourlant avail ele lou-
jours fort mal dispose pour lui. Quoi qu'il en soil, il
eprouva de grands regrets de ce qu'il avail fait; el long-
temps apres, coninie le chevalier de Lorraine lui en par'
lait : AuparmanI, dil Turenne, cteiynons les bougies.
En 1661 Mazarin niourut et eul Louvois pour succes-
seur. Des I'origine, celui-ci se niontra lii;s-jaloux de la
confiance lemoignee par le roi a Turenne, auquel il cher-
cha toiijours a nuire. Louis XIV s'honora en donnant
publiqueuient a Turenne des marques d'esliiue el de con-
fiance et en gardanl cependant les services de Louvois,
donl il appr&iait lout lo nierite. Ainsi ce prince judi-
cieux savait conserver a chacun sa place et profiler des
opinions el des caracteres les plus opposes. Du reste, a
parlir de la guerre de la Fronde, soumis et devouc, Tu-
renne ne mil jamais ses passions a la place de ses de-
voirs; seulement, dans ses demeles aveo le premier mi-
nisire, il ecrivit quelquefois que M. de Louvois ne con-
naissail pus assei lu yuerrCf quand les instructions
etaient conlraires a ses plans. L'auloiisation d'agir d'a-
pres ses propies idees ne lardait jamais a venir. Dans ses
dernieres campagnes, il eul loujours carte blanche. C'e-
tait le seul general a qui Louis XIV cut accords une
telle liberie;' mais le roi pensail qu'en fait de guerre Tu-
renne ne devait rccevoir d'ordres et d'avis de personiie.
En 1672 il lui donna la direction du corps d'armee qu'il
commandait en personno et exila plusieurs des mare-
chaux qui avaient refuse d'obeir a Turenne parce qu'il
n'6tait que leur egol.
On connait celte campagne de Hollande apr^s laquelle
une nufe d'historiens, do poetcs el de llatleurs celebre-
rent ces prises de villes rendues sans combats et ce pas-
sage du Rhin effectue si glorieusement sans dangers. Ce
fut une guerre d'apparat oil il n'y eul rien a faire pour
Turenne. Mais aprcs le depart du roi, la position devint
TURE
digne de lui. Les Hollandais, sous le commanderaent du
prince d'Oiange, venaient de se relever : r^unis aux Ini-
periaux et a I'clecleur de Brandebourg, ils avaient con-
Iraint les Francais i abandonner leurs conquStes. C'est
en Wcstphalie que Turenne fit face a celte coalition, et
c'est la que pour la premiere fois il eut en t^te le celebre
comie de Monteciiculli, tacticien consomm^, le seul qui
pilt lutter contre Turenne et que Vienne \enait d'envoycr
expres. Neanmoins le comte ne put passer le Rhin , Tu-
renne sut Ten empficher avec une arraee de beaucoup
inferieure en nonibre k celle dcs enneniis. Apres de lon-
gues marches, le^ coslises se relirerenl sans avoir ose li-
\rer la bataills, et I'^lecteur de Brandebourg signa la pais.
Pendant ces belles otais penibles campagnes h tri^vers
les plus riclies pajs, et lout en s'^mparant d une foule
de places et de raagasins, Tur^ppg s'etgit monlre conime
toujours genereu? el d^sint^ress^, Coninie son absence
s'etait prolongee, pt qij'il s'etait sygfif^ plus loin qu'oH
ne le lui avail roand^, ses envjpux fofgerent conlre lui
des accusations abwdps que s» presence a la cour suffit
d'ailleurs pour detrgire; le roi i.e eoifibla de temoignages
d'estime; mais sa presence fut jugae de nouveau neces-
saire a raris4g.
L'Allemagne ayait (^ abaafjosncje k I'ennemi; une
puissante ligue, dans Jaqu^lle ^ait entr^ T^lecteur de
Brandebourg apres une defectioo nouvelle, s'y elait orga-
nisee. L'armee franeaise ne comptait que 10,000 com-
battanls, mais Turenne la commandait! On se trouvait
en Alsace, oii les allife s'etaient divises en deux corps.
Turenne marche droit au due de Lorraine avant qu'il ne
soit r^uni au comte de Bournouville ; il passe le Rhin
brusquement, fait quaranle lieues en quafre jours, et
son armee, harassee de fatigue, mais houillante d'ar-
deur et pleine de confianc/? dans son chef, rencontre I'en-
nemi h Sinlzheim. Les Allemands occupaient une posi-
tion formidable; leurs ailes s'appuyaient sur des monla-
gnes et des forts jnaccessibles , leur front elait couvert
par une riviere et une ville fortifiee ; il fallait arrjver par
un eiroit defile. C'elait une veritable temeriti que d'at-
laquer un ennemi ainsi retranche, mais on avail besoin
d'une victoire. Les positions sont enlevees I'epee a la
main. Turenne est partout; Icgerement blesse, et apres
avoir eu un cheval tue sous lui, il force enfin les allies a
se refugier aupres de Bournouville. Mais ne se croyant
pas encore en sirele, I'ennemi se retire derriiMe le Mcin.
On elait mattre du Palalinal, et I'armce, apres tant de
mr.rches et de privations, avail besoin de se reposer el
de se refaire. Turenne repartit ses soldals et les fit vivre
a discretion cliez les habitants; c'elait une mesure inu-
siti^e surlout dans un pays neuire, mais elle avail etc au-
torisee par le roi et par Louvois, s'il faut en croire cer-
tains memoires. Ce qu'il y a de certain, c'est que Turenne
la provoqua en ecrivant qu'il t'lall iircessaire que lout
it' pays cnire Heidelberg et Manlieim (ill mange. Le roi
seul hesita. Cependant I'ordre de miner el de manger
un pays ne voulail pas dire qu'il fallait le reduire en
cendres. Mais arrelez done des soldats ainsi pousses? Les
premiers exces ainenent toujours des represailles suivies
& leur lour du meurtre et de lincendie. Trenle villages
I'urent consumes par les flammes en preseace de I'electeur
p.ilalin. Ce prince eut ce spectacle alfreux de sou palais de
Manheim ; indigne, il ecj'i\it une lettre excessivement vi\e
a Turenne, qui etail son oncle, ei tinit par lui propo.ser un
duel.
NNE. 77
Le Palatinat une fois mangi et ruini, il fallut bien re-
venir sur la rive gauche du Rhm ; d'ailleurs les Imp6-
riaux venaient de s'unir aux Hessois, aux Saxons, etc.,
et cetle coalition prodigieuse emp^chait de lenir la cam-
pagne. Louvois, effraye, voulail qu'on se rctirat sur la
Lorraine; Turenne, avec ce ton de superiorilc' et d'assu-
rance auquel on elait habitue, r^pondit qu'il n'en ferail
rien, que c'etait un parli Irop dangereux, et que d'ail-
leurs il prenait tout sur lui. \\ n'avajt que 20,000 hommes
'a opposer a 60,000, et nialgr^ cela i|-fil la campagne la
plus savante de loutes celles qu'il avail accomplies jus-
qu^e-la, fsWe qui est le plus admiree des tacliciens (1671).
par des piouvements aussi habiles que hardis, il attire
I'ennepj) sur un terrain favorable et le bat a Insheim ;
puis )| s,e retire en bon ordje sur |a Lorraine, aban-
dounant I'Alsace, chj les coaljses devaient se canton-
ner pour passer i'hiver. Tureope, qui, selon Bona-
parte, erut toujours d'audace en vieillissant , medi-
tait ui) plan des plus hardis. Jl avail re™ quelques ren-
forts. yuand les allies fiirentdisfjerses par toule I'Alsace,
il met en nwuvement ses troupes qui filent derriere les
Vosges, s'avancent ^ecrclemenl par divers chemins 4 la
fois et nont surprendre I'enpemi k Colmar; il bot les coa-
liscs a ijulhausen, il les bat a Turckeim et les force a re-
passer le Rhin.
C'^laient I& d'admirables a^fuiions. Une fois qu'elles
furenl terminees, le roi juj adressa les choses les plus
flalteuses et I'appela k la cour. Son passage a travers les
provinces fut vraiment une marche Iriomphale ; partout
la foule -se portail h, sa rencontre, le saluant du nom de
liberateur. A la cour, I'enipressemenl ful encore plus grand.
Le roi et les courtisans, Louvois lui-un^me, vinrent a I'envi
feliciter le heros. Calnie et impassible, Turenne neut pas
un seul mouvement de vanile. C'est meme h celte epoque
qu'il forma le projet de mourir dans la relraile chez les
peres de I'Oratoire. L'arrangement qu'il fit avec eux est
reste aux archives de la maison de I'ordre de la rue Saint-
Honore jusqu'ii sa suppression en 1792.
Sur les instances tres-pressanles du roi, qui voyail en-
core la France en danger, Turenne repril le commande-
ment et comnienca sa campagne de '!67o, qui fut la der-
niere. II avail en tele le comte de ilontecucuUi. Pendant
deux mois les deux adversaires furenl en pre.sence, cal-
culant leurs niouvements, ne donnant rien au hasard et
n'engageant aucune aflaire. Jamais on n'avait monlre un
art si bien entendu, une experience aussi consomniee de
la slrategie el de loutes ses ressources. Enfin Turenne ve-
nail d'amener I'ennemi sur un terrain favorable. c< Je lex
liens, s'ecrie-t-il, ils ne pourronl jtlus m'ecliapper, » Au
meme inslant, un boulet, tir^ au hasard, le frappe en
pleine poilrine (27 juillet 4673). Le m^nie coup avail em-
porle le brasdu general deSainl-Hilaire, qui avail conduit
le Diar^chal sur ce terrain pour y reconnaitre une bat-
lerie; conime son fils fondail en larmes : « Ce n'esi pa.i
moi qu'il faul pleurer, rcpondit Saint-Hilaire, c'esi ee
grand Iwmme. n
Les liuatenanls generaux qui prirent le coniraandemeni
apres lui ne purent suivre ses plans, et d'ailleurs lis
n'inspiiaieul pas de confiance aux troupes; ils se trou-
verent bienlol dans un grand embarras. Les soldals,
voyanl leur embarras, s'ecriaient ; . lAehez la Pie (c'e-
tait le cheval de Turenne), elle nnus eonduira. - On re-
passa le Rhin, trisle resultal de la mort d'un .seul honvme.
78
TURENNE.
Turenne ^tait de laille inoyenne, il avail los cpaules tres-
larges; ses sourcils, gros el prcsque iinis, lui donnaiciit un
air dur. Simple et modesle tians ses habits comme dans
ses desirs, il avail plus d'une bizarrerie dans le carac-
tfere; ainsi il altachail plus de piix ;i rilluslralion de sa
race qu'h la sienne; il ^lail trts-honore d'^lre issu d'une
maison souveraine. A la rnorl de son frere, il ceda le pas
a I'aine de ses neveux encore enl'anl, parce qu'il elail de-
venu chef de la famille. Sa premiere education avail ete
tres-negligee pour lout re qui concerne les belles-lettres
et les arts. Plus lard, il sentit le liesoin d'acquerir plus
d'instruction, surlout d'instrurtion niilitaire. II ecrivait
mc'diocrement en francais, aussi Voltaire a t-il dit qu'il
n'etait ni un Xenophon ni un C&ar. 11 parlait fort peu.
« 11 a loujours eu en tout, dit le cardinal de Retz, comme
0 en son parler, de cerlaines obscurites qui ne se sent
a developpees que dans les occasions, mais qui ne s'y
« sonl developpees qu'i sa gloiro. » Dou^ d'un grand
sens et dun esprit tres-juste, il n'avail ni ccs elans de
g^nie ni ces illuminations subites qui etonnent el boule-
versenl tout el quelquefois causent la perte de ceux qui
s'y sonl livrfo. Dans les succes comme dans les revers,
il avail un calme stoique, un sang-froid imperturbable ;
il ne s'emportait jamais. Chacunconnailretle anecdote. Un
domestique, pnrnieprise,Iui appliquaun jour parderriere
un vigoureux coup de main; aussitot il reconnail le vi-
comte, et sejetant a genoux, il lui demande pardon en lui
donnant pour excuse qu'il I'avait pris pour son camarade
Georges. « Quaiid c'eiil (He Georges, repondit Iranquil-
lemenl le marechal en frollant la plaie, il ne fallail pas
flapper si fort. » Tout ce qui lui arriva avec le mare-
chal de la Ferte, liomme brutal et jaloux, mil a i'epreuve
en plus d'une occasion les qualites races donl il elait
pourvu.
II etait arrive lentement el par une longne siiite d'expe-
riences k un si haul degre d'habilele mililaire, qu'a la
fin de sa vie il avail reduit la science de la siralegie a
des principes a peu pres fixes. II pretendail qu'une ar-
mi^e de plus de cinquante mille hommes etail incommode
el pour le general etpour les soldats. Aujourd'hui tout est
bien change ! Ce n'est pas qu'il eilt Hi embarrasse de
faire mouvoir de grandes masses; mais les convois, les
Equipages, les transports, les approvisionnements et les
magasins destines 4 une grande quantite de troupes eus-
sent Hi alors autanl d'impossibililes reelles. Dans les
plans de Turenne, tout elait prevu et prepare longtemps
k I'avance, avec la connaissance approfondie des lieux el
des ressources qu'ils pouvaient presenter, de la nature de
I'ennemi el du caraclere de son general. A la fin de sa
carriere, il ^tail devenu plus liardi el plus entreprenant
en nifeme temps qu'il ^tait plus habile et plus experi-
mente; ii I'inverse du grand Cond(5 qui, ardent et auda-
cieux dans sa jeunesse, devint plus tard prudent et
presque timide.
La France entiere et le roi pleurerent en lui le sau-
veur du royanme. Ses rcstes furpnt inhumes a I'abbaye
de Saint-Denis, dans la chapelle reservee a la sepulture
des rois, oil ils furent gardes jusqu'a la rf5volution de
1793. Alors ses depouilles glorieuses ne furent epargn(5es
que parce qu'un savant reclania, pour le cabinet national
d'histoire naturelle, le corps qui se trouvait mieux con-
serv6 que les aulres; il ful mis ainsi sous les ycux du
public parmi des quadrupedes et des celaces. En 1796,
le depute Dumolard, indigne d'une semblable profana-
tion, la dcnonca an corps legislalif; et Turenne fut porle
au musee des monuments, oil il resta expose aux regards
des antiquaires, apres avoir tie expose aux regards des
naturalistes. Le 23 septembre 1800, le consul Bonaparte,
qui avail senli que la premiere gloire niilitaire de la
France nepouvait pas resler ainsi plongeedans I'avilisse-
nient, fit transporter solennellementces ccndresillustresi
I'eglise des Invalides. Le coDur avail etc donne par le car-
dinal de Bouillon Ji I'abbaye de Cluny, oii il ful con-
serve jusqu'a la revolution. A cette ^poque, il disparut
comnie le c6i-ps; niais il fiit relrouve et remis a la
famille.
Plusieurs oralenrs ont prononci I'eloge de Tiircnne.
Madame de SevignL' a ecrit une lelire foit (oiichaiile sur
la morl de ce grand honinie. Mascaron et FIccliier ont
compose chacun a son sujet une oraison funebre. « La
France, dit Montecuculli lui-menie en apprcnant le fatal
ev^nement , a perdu tin liomme qui faisail Imnneur u
ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE. 79
I'homme. • Les paysans de la Souabe laiss^rent en friche
pendant longlenips la place oil 11 avait peri et I'arbie
sous lequel il s'elait assis un instant avant fut respecte
jusqu'Ji ce qu'il pint a de Irop pieux visiteuis d'en arra-
clier les dernieres branches qii'ils emporlaient comme
souvenirs. A Sallzbach , un monument commemoralif
avait ete eleve par le cardinal de Rohan; il fut plus tard
relabli par le general Moreau.
ESOUISSES DE LA VIE FLAMANDE.
CHAPITRE U.
SISKA VAN ROOSMAEL.
Bod coDseil, mauvaise resolution,
Depuis que la fille de Spinai-l etait
revenue de pension, Siska avait beau-
coup perdu de son bon naturel: elle
voyait souvent , dans la boutique de
son pere, des jeunes gens qui ne ces-
saient de dire des frivolites a son
amie. Comme elle (?lait trop ingenue
pour ccmprcndre la faussete do leurs
discours , Siska rougissait quand un de ces jeunes
etourdis lui adressait quelques compliments en mau-
vais francais; et, ce qui lui etait d^sagreable surtout,
c'^tait de ne pouvoir repondre comme son amie. Pour
ne pas souffrir plus, longlemps de sa situation, elle
employait tous les moyens possibles pour que sa mere la
mit ilans la m^me pension que Therese.
M. Van Roosmael, qui aimait bien tendrement .sa fille,
s'apercevait aussi , et non sans quelque envie, qu'Hor-
tense, ou pour mieux dire Therese Spinael, quoique pen
favorisee de la nature, ^tait recherchee, tandis que la
pauvre Siska faisait triste mine pres de la fille du cor-
donnier. L'orgueil de la mere ne pouvait voir sans depit
son enfant Eclipse par une rivale , et surtout par une
personne qui, a son avis, ne la valait pas.
Apres avoir , ^ ce sujet , souvent importune son mari
de ses .reflexions pendant plus de troismois, d fut de-
cide qu'on enverrait Siska ii la pension , niais non sans
avoir consulte, avant, le vieuxPelkmans surcette impor-
tanle mati^re.
CePelkmans etait lemedecin dela famille; son pere avait
el6 celui du pferede Van Roosmai;l, qui, dans les circon-
stancesdifEciles, avaitdonne a I'epicier de sages conseils;
et ce qui I'avait rendu si cher S la famille, c'etait d'avoir
sauve ti ois fois Siska d'unemort certaine.Dans leur recon-
naissance, ils a\aient donne au docttur des droits sur la
vieetTavcnir deleur fille, et ils s'elaient engages Sinerien
80 ESQUISSES DE L
faire pour elle sans prendre d'abord, son avis; ils avaicnt
raison, car levieux Pelkmans 6lait iin liomnie plein d'ex-
pericnc», qui connaissait le monde, qui examinait et
raisonnait toules clioses avec one ciiconspeclion loule fla-
iiiande.
Le jonr de la consultation, le docteur, le pere et la
mere Van Roosniael, etaient dans une chambre sur le der-
nere de la maison. Van Roosniael entania la conversation
dela nianiere suivante :
■ Docteur PelUmans, ma femme veut absolument en-
voyer Siska dans une pension francaise ; pour moi je vous
dirai que je m'y suis toujours vivement oppose; mais los
hirmes de ma fiUe ont a la Tin llechi mon coeur.
— Dans une pension francaise? dcmanila le docteur
avec surprise; pourquoi dans une pension francaise? il y
en a tant dans la ville oil vous etes h m^nie de veiller sur
votre enfant, afin de I'aidcr de vos sages et utiles conseils.
— Ball ! bah ! s't'cria la mere avec un sourire de nie-
pris; qu'est-ce que Ton apprend dans ces ccoles-la"?
— Mais on y apprend a tricoter, a marquer le linge, a
faire des chemises ; on y apprend I'arithmHiqne el le
Ihunand: ce que tout le monde doit savoir.
— Maintenant, regardezla lillea Spinai-l; elle a quille
la maison conime une fille vulgaire, elle y est revenue
comme une grande dame ; elle parte facilement le fran-
cais, elle est regard^e par lout le monde, et rechefchee
par tons les jeunes gens comme il faut; elle n'a qu'a
choisir celui qui lui conviendra le niieux pour faire une
union honorable. «
Le docteur leva Ies6paules, et remuant la tele d'un
air de doute : • Vous m'affligez, niadame Van Roosmaiil;
je ne sais reellement pas quel mauvais esprit vous fait
perdre tout d'un coup voire bon sens ; vous ne savez done
pas que tous ces beaux jeunes gens, qui font I'objcl de
votre admiration, ne sont quedes lailleurs, des acteurs ou
de jeunes follieulairesqui meurent de faim, etquis'ahat-
tent sur la boutique du boltier comme des mouches sur
du Sucre. Je runnais Hortense Spinael , et je vous
A VIE FLAMANDE.
assure que je donnerais bien la nioitie de ma fortune
pour que ma fdle ne lui ressembliit pas. Voudriez-vous
perdre cette charmanle el innocenle enfant, vyudriez-
vous lui faire oublier, et la religion, el la vertu , et la
probite flamande pour en faire une insipide coquette?
Prenez-y garde, mon avis a plus d« valeur que vous le
pensez, et un jour viendra, si nous vivons assez long-
temps pour le voir, oil vous vous repenlirez de la route
que vous lui aurez fait suivre, »
Les parents furent frappes, chacun dans un sens differenl
des paroles serieusesdu docteur; le pere souriait, esperant
que sa femme se rendrait auxexcellenles raisons du doc-
teur, et la mere elait indignee de voir quecelui-ci n'elait
pas enlre dans ses vues ; ne sachant Irop quoi dire, elle
s'ecria : ■ Vous exag^rez, docteur; je sais, du reste, que
vous avez une grande aversion pour tout cequi est fran-
cais ; c'esl bon pour nous qui avons etc elev^s a I'ancienne
mode, niais je desire quo ma fille soil de .son siecle.
— Madame Van Roosmael, dil le docteur en I'interroni-
pant, vous ne nie comprenez pas; mon intention n'est pas
d'empi'cher votre hlle d'apprendre les langues elran-
gi^res, puisque innn fils lui-meuie est maintenant a I'uni-
versile el qu'il parlc le francais; je vous dirai meme
qu'il I'enlend bien niieux que les jeunes fats qui frequen-
tenl Tiierese Spinai?l, el qui vouseblouissenl tani; debar-
rassez-vous done de eel air de defiance.
— Dites-moi done, je vous prie, en quoi consiste leur
savoir ?
— Dans quelques mauvaises phrases francaises assez
vulgaires el qu'ils r^petent en les ecorchant dune ma-
nii^re pitoyable; ils ne savenl seulenient pas leur langue
nialernelle el ils ignorenl mi^nie les premieres notions
des sciences utiles ; toutes leurs connaissances consistent
<i nous r^peter constamment des mots el des phrases
enipruntes a des feuilletons. Du reste, entendons-nous el
prt^lez-nioi toutevotre attention. Ilya, sansaucun doute,
ici, de bonnes maisons d'education; mais il y en a mal-
heureusement plus encore de mauvaises. Les meilleures
sont celles qui, dirigees par des dames a la hauteur de
leur mission, enseignent aux jeunes fiUes a .se meltre en
garde centre lavanite eH'orgueil; elles les eleventpour en
faire des femnies bonnes et utiles dans leur menage, et
non des femnies coquettes et frivoles. Si vous me proposiez
d'envoyer Siska dans un de ces etablissements, je serais
le prOBiier k vous y encourager, j'en serais nifimebiensa-
tisfail. Ainsj lout depend du choix que vous ferez. J'en
connais un ©ii vous pouvez la meltre en loule siirele, et
je vais vous le nommer : c'e.sl la pension Van-Reck.
— .Ah ! la pension Van-Reck, dilla mere d'unair de deri-
sion; oh ! non jamais, je prefererais cent fois voir mafille
resler a la maison. C'esl de cette pension qu'Anna Van
Stralen est sortie au bout de Irois ans, sans en savoir plus
long que quand elle y est entree ; sans doute c'esl une
charmanle fille qui se connait bien aux affaires de
menage, mais rien de ]ilus; on acquierl d'ailleurs ces
qualiles-lii parlout, et je trouve bien inutile d'aller en
pension pour cela.
— Votre intention est done do I'y envoyer dans le but
d'en faire une femme du monde, el pour qu'elle apporle
dans son interieur la coquelterie el la dissipation comme
Therese Spinael ; vous voulez done lui apprendre ^ se
parer comme une figure de modes, el I'^lever dans des
habitudes d'elegance et de frivolile?
ESQUISSES DE LA V145 FLAMANDE.
81
— Mais SI ces etahlissejnenls sont la peite des enfanls,
comment se fait-il alors que la plupart dcs gens comme il
laul y envoient les leurs?
— Entendons-nous Lion, mon amie, dit le vieu\ doc-
leuren continuant avec beaucoupdecalme; chaqueclasse
de la societe a ses usages : ce qui est bon pour les en-
fanls de la noblesse est souvent mauvaispour ceux de la
bourgeoisie ; car il est fort niiisible de donner les niemes
idees4 la fdle d'un genlilhomme qu'ci celle d'un boucher
oud'un bottler, etreciproquenient.Celles qui sont destinees
a travaiUer, a mener une vie active et qui n'ont pas ete
levees pour cela, ne sont, dans la suite, occupees qu'a
chasser I'ennui qui les accable, resuUat inevitable d'une
vie passee dans les plaisirs et I'oisivete. La societe est tel-
lement corrompue , que les jeunes filles veulent paraitre
(les dames du monde, et de ces habitudes d'elegance et de
coquetterie resullent I'indolence, la paresse, I'extrava-
jjance dans la conduite, et quclque chose de pire encore.
Aussi ne sort-il ordinairement de ces etablissements que
des coquettes et rarement une fenime simple, modesle
et laburieuse. »
La-dessus Van Roosmai'l se leva , el dit au docteur :
" Assez, assez, mon ami ; vous etes bien bun de nous aider
ainsidevossagesconseils. Siska iraii la pension Van-Reck
on restera i la maison , a moins cependant que je ne sois
(las le maltre chez moi. Se tournant vers sa femme : Je
pense bien que maintenant vous ^tes de mon avis;
sommes-nous done si ridicules parce que nous ne parlons
que notrelangue? cequi est bien est bien, mais celui qui
M'ut faire encore mieux manque de bon sens; je desire
done que Siska resle a la rnaison au moins pour quelque
lemps. « Mais le brave homme avail comptci sans son hole,
ouplul6lsans sa femme; car celle-ci,loin d'avoir.cnmme
son mari, comprisles boiis conseils du docleur, luidit de
son ton le plus aigre : «0h! pas si vile , \'an Roos-
mael; asseyez-vous, mon ami , el no \ous emportez pas
ainsi. Jlaintenanl , docteur, dites-moi, je vous prie :
serait-il done si ficheqx que nqt|-e Siska fit aussi bien
elevee et parlat francais comme une femme du monde?
II me semblequ'il n'y a ancun inconvenient a cela. »
D'apres celle question, le docleur vil qu'il avail ii com-
baltre une femme passablemenl entelee; il changea de
ton el repril avec chaleur : « II n'y aurait la certaine-
nient aucun inconvenient si vplie fille n'acqui^rail que
T II.
de bonnesmanieres el des connaissances utiles; maisjevois
bien, pauvre femme, que vous n'avez aucune idee de ce
que les jeunes fdles, placees dans de lels etablissements,
apprennenl de leurs mattresses ou s'enseignenl I'une a
I'aulre. Ecoulez-moi bien, pt soyez siirequecequejevais
vous dire est malheureuseiflent la trop exacleet Irop Irislc
veritc. Ainsi, voire fille apprendra, comme celles qui
sonl appelees b vivre dans le grand monde , les secrets
qui consistent a connaitre la meilleure maniere de tourner
ses yeux, de .sourire en pincanl la bouche, pour paraitre
plus aimableiase composer devanl ses parents, a se donner
I'air le plus ronjanesque possible; elle apprendra la maniere
d'user de lei ou tel cosmelique, de s'arranger les cheveux
ennattes ouala chinoise, ii I'anglaise ou en tire-bouchon;
a s'habdier en neghgi?, en robe de ville ou en toilette de
bal ; elle apprendra de ces romances sentimeutales qui
mouteiil I'lmaginalion des jeunes filles, ettanl d'autres
choses inuliles; franchement, esl-ce la ce que doit savou
I'enfanl d'un modesle bourgeois?!)
Le docteur s'apercut, non sans quelque plaisir, que ces
dernieres paroles avaieiil produit uneprolbnde impression
sur ses \ieux amis, car ces braves gens I'avaient ecoule
altentivemeiit sans Tinlerrompre une seule fois, el ils seni-
blaient vouloir se rendre enlin ii ses conseils.
Bien determine a arracher cette enfant qu'il ainiait
tant au danger qui la menacait il continua, avec plus
d'ardeur encore a balire en breche I'idiJe de ces bons pa-
rents.
• Une fois arrivee a un certain age, dit-il, avec I'educa-
tion qu'elle aura recue, elle se croira superieure a .ses
parents; elle les considerera comme de vieux radoteurs;
prendra leurs obiervations pour autant de persecutions
si elle se marie, le mariage lui deviendra insupportable,
fatigant, monotone, parce qu'elle comparcra son mari aux
grands personnages que son imagination lui aura repre-
senles, el la dilference sera au detriment du mari;occupee
de frivolesd(?sirs, elle s'ecarlera bien vile des principesde
la verlu el de rhonnetete •, voyez Horlense Spinael, oil en
est-elle maintenant? Conslamnicnt en bulte aux fades
compliments de cinquanle jeunes gens, qu'elle ecoute sans
elre blessee de I'inconvenance de leurs paroles, elle ne
fera jamais rien de bon ; elle joue Irop avec le feu pour
ne pas s'y bruler, el c'est ce qui lui arrivera avec les ha-
bitudes que I'Dn lui a laisse contracter; qu'arrivera-t-il
encore? c'pt que ce monde qu'elle aime lanl I'aban-
6
PETITES PUOMENADES
donnera bientAt, et la calomniera ensuite. Elle finira'sa
miserable existence dans les pleurset clans les rcniords;
alors elle regretlera trop lard, sans doute, et son repos
et son lionneur imprudemment compromis; helas ! nies
amis, voili) pourtant I'avenir que vous voudriez preparer a
voire chere Siska. I'ersisteriez-vous encore dans vostris-
tes projets? Oli Ivoiis me repondrez non, j'en suis sDr. •
lei les yeux de Van Roosniael se remplirent de larmes,
il essaya encore de parler, niais son cueur elait plein din-
quietudes, ilsulToquait d'emolion, il puta peine arliculer
quelques paroles. II se leva, et prenant la main du vieux
Pelkmans : « Merci, mille fois nierci, mon bon ami, vos
conseils porteront lours fruits, du moinsje I'espereije vols
bien que ma femme ticnt absolument a ses idees. Ets'a-
dressanl a elle, il lui dit : Je ne veux plus ecouter un seul
mot a ce sujet-, seulement si vous persistez,vous aurez i
vous rcpentir de votre obslination. »
Sa voix troliissait I'emution dont son coeur ctait agile.
Sa femme lui repondit :
• Tout ce que je puis faire, c'est de consenlirk lais-
ser quelque temps Siska ii la maison, et nous verrons
alors ce qu'il conviendra d'en faire. »
Ces mots ehoquerent vivenient le docteur; il s'aper-
^ut que Von Roosmael n'etait pas assez lesolu, et es-
saya de nouveau , par de nouvelles observations, a
changer la dangereuse determination a laquelle il sem-
blait vouloir se rendre ; pensant qu'il ne pouvait rien
faire de plus, el croyant eufm que Van Roosmatjl elait
de son avis, il se relira avec un air de satisfaction, et
lout gloricux de la victoire qu'il venait de remporter sur
son vieil ami.
Trois mois se passeient; quand un beau jour le doc-
teur renconlra Van Roosmael, le pauvrehomnie le regarda
d'une manicrc singuliisre, il scmblait tout decontenance;
on eOit dit que (juelque chose d'extraordinaire setait
pass^ en lui; il marchait lenlenient, comme un honmie
qui sort de son lit et qui vient d'etre malade.
Le docteur s'avanra vers son vieil ami, puis il lui lata
le pools en lui disant : • .I'espcre bien que vous n'ctes pas
malade, mon ami ; vous n'ctes cependant pas bien, votre
pools est faible, qui y a-t-il done?
Le boa Van Roosmael, levant ses yeux reniplis de lar-
mes, lui repondit : « Siska est en pension. •
— Eh bien ! mais je ne vols pas 1^ de quoi se d^soler,
ditcs-moi seulement dans quelle pension? — Dans celle
d'Hortense Spinai-l; ne vous fSchez pas centre moi, mon
cher et bon ami, ce n'est pas dema faute; voyez-vous, il
m'a ^te impossible d'endurer plus longtemps les bouderies
et les pleurs de ma femme et de ma fille; j'ai done cede. •
Le docteur eut pitici de son ami, et lui dit en souriant ;
« Les ancicns Grecs ont parle d'un h^ros fabuleux qu'ils
appelaient Hercule. Ce heros execula des travaux gigan •
tesques, il roulait des rochers, detournait les fleuves do
leur lit, etranglait des serpents, et lua un dragon ksept
tfetes appelel'hydrede Lerne.Uas.sommaitdes taureaux.et
faisait mille autres choses non moins merveilleuses. Ed
bien ! ce prodige de force et de courage, qui vainquit lo
monde, ne put jamais parvenir k dominer une femme.
Comment done, mon brave ami, serions-nous capables
de le faire?
— Esperons quelemal ne sera pas si grand que nous le
redoulions; et, d'ailleurs, puisqueSiska viendra a la mai-
son deux fois par an, nous verrons alors h rt5former ses
mauvaises idees, si elle en avail. >
Le pere Van Roosmael , dun air plus satisfait, re-
mercia le docteur, lui serra la main el continua tran-
quillement sa route.
[La suite a im iniiiliaiii niimfro.)
PETITES PROMENADES All IIIJSEE D'llISTOIRE NATURELLE.
L'ordre des rongeurs est netlement caracti'rise par les
deux grandes dents que chaque mSchoire porte a la par-
tie aiiterioure. Ces dents soul taillees en biseau, et vous
aliez facilement comprendre d'oii leur vient celle forme
particuliere. Une dent so compose en general de deux
.substances difTerentes : I'ivoire, qui en constitue la masse,
et I'email , qui la recouvre. L'email est plus dur que I'i-
voire , de telle sorle que si, par un mouvement special
des m&choires, il y a frottement entre la partie ^maillee
d'une dent et la partie eburnfe de I'autre, celle-ci seule
AU JlUSfiE D'HISTOIRE NATURELLE.
83
doit s'user. C'est precistoent ce qui se realise dans les
rongeurs, oil voiis voyez que le frottement alternalif des
dents oppos^es a pour resultat inevitable la forme en bi-
seau qui les termine et les aiguise. Mais ne craigncz pas
que ces dents finissent ainsi par se delruire reciproque-
nient, car la coucbe qui se reproduit elant proporlion-
nelle h celle qui s'use, cliaqne dent conserve toujours ses
niemes proportions. Vous pressentez aussi, mes enfants,
que par cela m^me que la reproduction denlaire est con-
tinue, afin de compeuser I'usuie qui est incessante comme
elle, s'il arrive qu'une de ces dents se casse ou plutot
soit arrach(5e, celle qui lui correspond, ne trouvant plus
a s'user par le frottement, peut se developper dune fa-
con inonstrueuse, au point de decrire une spirale et de
lilesser mime I'animal par sa longueur demesuree.
Les autres dents des rongeurs olfrent encore une par-
ticularite remarquable; leurs cretes se disposent d'une
maniere transversale, et cette circonstance devient im-
portante en ce qu'elle se lie merveilleusement k une
exception que presente aussi la raaclioire elle-meme.
Cbez les autres mammiferos, en effet, la miichoire est li-
mits dans son mouvement et ne peut agir que de bas
en haul, que verticalement. Chez les rongeurs, elle jouit
encore de la faculty de se mouvoir horizonlalement, d'a-
vant en arriere et d'arricre en avant. Or, quand elle
opere ce mouvement, les deux series de dents faisant I'of-
fice dune double lime, il en resulte une puissance d'ac-
tion qui explique fort bien, par exemple, comment I'a-
nimal, quoique petit, peut ronger un gros arbre en quel-
ques minutes.
Le regime vegetal predomine dans les rongeurs. Chez
tous, I'inslinct est admirable, mais ne tend qu'au bien-
etre, qu'a la conservation de lauimal ; de telle sorte
qu'aucun d'eux n'est susceptible ni de sentiments affec-
tueux ni d'educabililc.
En Ic^le de cet ordie se trouvent places d'abord I'ecu-
reuU et la marmotte, et puis le castor. Peut-itre vous pa-
lait-il singulier de voir reunis dans la meme famille deux
animaux qui semblent aussi inverses que I'ecureil et la
marmotte; I'un, svelte, leger, vivant au somniet des ar-
bres, I'autre, massif, lourd et vivant sous le sol ; mais
I'observalion vous fera reconnaitre que peu de nuances
intermediaires sufBsent cependant pour passer des for-
mes semi-aeriennes de I'ecureuil aux formes subterra-
neennes de la marmotte, comme aussi quelques degres
insensibles menagent la transition entre I'organisalion
terrestre de la marmotte et I'organisation aquatique du
castor.
x'xcmisuii..
L'ecureuil est de tous les rongeurs le plus sveHe, le
plus ruse, le plus vif, le plus gracieux.
Ses oreilles sent terminees par un long pinceau de sole,
qui les rend plus elegantes et mieux ornoes. Sa queue
toulTue, qu'il raniene sur sa tete en forme de panache,
de parapluie, de parasol, lui sert tour k tour de balan-
coire dans ses evolutions et de point d'appui dans le re-
pos. Sa robe est toujours d'une proprete remarquable. II
met une sorte de coquetterie a la lustrersans cesse, et ne
neglige rien pour la preserver de toute souillure et mime
du simple contact de I'eau. Doux et timide, il ne niord
que dans ses moments d'inipatience et n'a d'autre sauve-
garde que la fuile. Mais pour que I'ennemi donf il a peur
ne songe pas a I'attaquer, il prend aussitut un air fanfaron
qui est, en verite, fort comique.
II conserve dans toutes ses poses comme dans tous ses
mouvements un melange de gentillesse et d'cspi^glerie
qui interesse et qui plait. On aime h le voir surtout lors-
que, vivement preoccupe, dressant I'oreille et dardant.
ses regards, il semble llairer la brise qui doit le prevenir
du danger. II s'asseoit pour le repas, et son corps se trou-
vant dans une position verticale, ses pattes anterieures,
devenues libres, lui servent comme deux mains pour
porter I'aliment a sa bouche et pour I'y mamlenir. Deli-
8i
cat pour sa nourriture, il n'acceple jamais le fruit qu'un
autre a entame. Econome, m^me en captivity, il ii'Liban-
donne pas le fruit qu'il tient pour prendre celui qui lui
est offert, mais il va U'abord le deposer dans sa caclietle
et s'empresse ensuite de revenir. II boit la rosea que la
nuit depose sur les feuilles; car s'il dcvait, pour se (lesal-
terer, quitter I'orbre qu'il habite, il perdrait trop souvent
sa security ; aussi n'en desoend-il que raremenl et lorsque
la necessite I'y contraint, par exemple, lorsque I'ouragan
qui secoue I'arbre et le d6racine ne lui laisse desormais
que ce moyen de salut. Son ongle long et effile lui rend
trfes-facile Taction de grinipcr, mais lui refuse la possi-
bditiS de courir sur le sol autrcment que par une serie
rapide de petits sauls. 11 n'entre dans I'eau que par force,
mais il nage saris peine, quoiqu'il prefere toutefois s'em-
barquer au besoin sur un fragment d'ecorce oq de bois.
Sa queue lui devicnt, dans les deux cas, d'une utilite re-
marquable, car elle lui sert de gouvernail quand il nage
ou bien de voile sur son radeau. Ceci doit voussurprendre
saps doute, et nous avouons que pour y croire nous-
meme, nous avons besoin de toute I'autorite d'un natu-
valiste comme-Linnee qui rapporte, en effet, que lorsque
I'ecureuil veut traverser un fleuve sur un corps llottant,
il releve sa queue et I'etale a Taction du vent, de telle
sorte qu'il est poussii bien vite a Taulre rive.
Son nid est un modele d'art et de proprete. La char-
pente en est formee de petites bilchetles qui s'ajuslent
avec symetrie ; a Text^rieur, il est recpiivert d'une
mousse epaisse qui le rend impermeable a Tair comme a
Teau ; Tinlerieur, lapisse de subslances moUes, est large
el commode, tandis que Tcntr^e, au contrairc, en est fort
etroite. Ce nid s'ouvre a la partie superieure, circonr
stance qui pent paraitre defavorable, mais il estsurmpute
d'un petit dome qui Tabrile de la pluie et no laisse memg
penelror qu'un demi-juur. L'ecureuil dorl, pu eg'gt, pregr
que lout le ten^ps que le spied occupe Thori^on et ne
commence guere k se ipetlre en activUs qu'au cr^pus-
cule. Au moindre bruit, il est sur picc| ; ipais sjiphapt fttff
bien distinguer si Tarbve qui remue nest agile que par
le veni, il ne se met en fpile que lorsqu il se sent verila-
blement menace. Quaqd il est poursuivi, sa tactique est
as.spz ingeuieuse ; il court dp branche en brancbe, par
lignes brisL'es et dans tqutes les directions, et comme ja
forme aceree de ses p)]|lps lijj permpt dp sp tenir en sens
inverse de la peiaflfpu'r §V)r T^'pRrce Ifl^lflS !l P'"'* ''^*^'
il a soin de placec s^ccessiven^ql^t chaqHP tiraifjcbe entre
lui el Tagresseur.
Dans les environs de sa demeure et presque toujours
sur le m^me arbre, l'ecureuil se menage des greniers
d'abondance pour Thiver, car il n'est pas soumis, comme
le loir et la marmotle, au phenomfene de Thibernation.
Ces magasins d'approvisionneraent sent lout simpleipept
des cavitfe qu'il dissimule avec de la mousse, et daqs
lesquelles il recueille a Tarriere-saison une quantile con-
siderable do noisetles, de glands, d'amandes de pin. Mais
ne pensez pas qu'il les prenne au hasard , il les clioisit,
au contraire, avec une sagacite surprenanle, n'admeltant
dans sa reserve que des fruils sains, les seuls qui puis-
sent en effet se conserver. 11 scmble avec ses pattes anlc-
rieures faire essai de leur poids pour mieux les reeou-
naitre; et il ne manque pas de rejeter au loin Taraande
menie qui lui paraitsuspecte, comrae s'il comprenait que
celle-la seule sullirait pour galer toutes les aulres.
t>ET|TES PROMENADES
Quant k sa distribution g^ographique, l'ecureuil s'itend
dans toutes les contrees du globe, excepte la Nouvelle-
Hollande, qui, du reste, se distingue par une zoologle ex-
ceptionnelle, elparloutil nous offre une nouvelle prpuve
de Tinlluence modilicatrice desclimats; car,a mesure que
nous le suivons de plus en plus dans les regions froides,
nous lui voyons une fourrure dont la finesse augmenle et
donl la nuance s'eclaircit. Dans le commerce, les four-
rures des ecureuils du nord portent tpules le nom de
pelit-gris; mais ce tilre ne convient qu'a eelle de l'ecu-
reuil de la Caroline, qui se trouve cependant dans presque
tpute TAmerique septentrionale. Cette fourrure est, en
effel, plus abondante que les aulres, plus briMante etplus
soyeuse.
C'est de TInde que nous viennent deux especes d'&u-
reuils bien dislinctes : Tune ii plaques noires et rougeatres
en dessus, a nuance jaune en dessous, Tautre a couleur
de rouille presque uniformp avec le bout de la queue
tout a fait blanc.
Notre ecureuil common est en dessus d'un roux plug
ou moins ardent et dun blanc net en dessous; sa chair
estassez savoureuse, mais de toute sa depouille on n'em-
ploie guere que la queue pour faire des pinccaux. II offre
done jusqu'a present pen de ressources ^ Tindustrie.
Dans quelques contrees on profite de son extreme pe-
tulance pour lui imposer le travail, et, en quelque sorte,
Tobligation de gagncr sa vie. On le renferme, en effet,
dansun tourniquet qu'il met en mouveraent pour se don-
per de Te^prpipe , et c'est ainsi qu'on lui fait moudre
cliaqpe jgijr upe quantite considerable de poivre ou
de pqi^. ' '■ ' " T.
I,A MARMOTTE.
I^Passons maintenaiit a la marmotle que vous apeicevez
ici avec ses longucs moustaches et sa robe gris sombre
en dessus et fauve en dessous. Elle a le corps trapu, la
jambe courle, Tongle puissant. Sa patle seule suQirait
pour indiquer un animal cssentiellement fouisseur. C'e^t
en elfet dans un terrier prol'und que se tient la marmotte,
aux llanos des hautes montagnes, sur |es limites de la r^-
AU MUSfiE D'HISTOIRE NATURELLE.
8S
gibn boisee. GB ISrriei' s'diivre par une galerle {)eii d^-
cliv^ qiii sert d'eritfSe et de sortie ; I'intcrieur est spa-
cieux, propre ct chaux , car celles qui doivent I'occuper
en rommun le tapissent de mousse et dc foin et creusent
une galerie Uiterale pour porter au loin lout ce qui pour-
rait le salir.
Ce domicile, si different de celui de I'erurcui!, devait
amener dans les formes de la marmotte des modifications
correspondantes pour la rendre propre h la vie souler-
raine. C'est aussi vers ce but que concourent et I'aplatis-
sement de sa tete et le raccourcisseinent de sa queue; car
vous comprent-z qu'une tfle arrondie serait ^enante pour
petietrer sous le sol, comme une queue longue pour s'y
mouvoir; Cependant la marmotte n'cst pas encore telle-
menl eloignee de lecureuil, qu'elle ne conserve avec lui
quelques rapports, quelques trails de famillfe. Amsi elle
s'asseoit comme llii pbur manger et ello bolt peu, elle
gHmpe asscz vite, itiias seulement cntre les fcnies des ro-
cliers, s'aidant alors de son dos comme font nos petiis ra-
moneurs, qui paraissent m^me hii avoir emprun(6 cctte
maniere de s'elever entre les parois abrupfes mais elroi-
tes de nos cheminees. Enfin elle s'apprivoise faciiement
et pout eire drcssee ci quelques exercices qu'elle n'ex^-
culc, du reste, qu'avec une sorle de niauvais vouloir ,
car la captivite, comme a I'ecureuil, lui est si dure
quelle ctsse d'avoir des petits des qu'elle a perdu soil
independance Mais une particularile bicn remar(puible
et jusqu'k present inexpliquec, c'est son aversion instinc-
tive centre le cliien, aversioii qui est encore plus pro-
fonde peul-elre que celle du chat et plus difficile h cor-^
riger.
La distribution geographique de ce rongeur est infini-
ment plus restreinte que celle de I'ecureuil. On peut
memo dire que la niarniotle ne se trouve guere que dans
les Alpes. Ceperidaiil I'lnde en presehte tine espece dont
la fourriire est toute noire; mais la riiarmotte proprement
dite est fort commune dans nos Alpes francaises. On lui
fait toutefois une chasse peu active, d'abord parce qu'il
est difficile de la surprendre, et puis parce que I'industrie
en retire peu de profit. Sa chair peut ^tre mangee, mais
elle relient toujours une saveur sauvage; sa fourrure,
quoique grossiere, peut etre mise en oeuvre.
Aristole, le naturaliste de la Grt!ce, n'a pas connu la
marmotte; Pline, le naturaliste deRome. n'en parle sous
le nom de ral-ours qu'avec peu dinteret, parce qu'il
ignorait les details qui nous sont acquis aujourd'hui.
Nous-mJmes, si nous n'en pouvions juger que par les
marmottes engourdies qu'on Iraine dans nos rues sans
tenir compte des saisons, nous la croirions privee de tout
instinct. Eh! combien d'aulres prejuges que viennciit
ainsi rectifier les progres de la science! car nous ne con-
naissons, pour ainsi diro; que les animaux domestiques,
ou bien ceux qui, restes encore dans la vie sauvage,
vivent assez pres de nous pour que noire observation
puisse quelquefois les atlcindre.
Les moeurs de la marmotte merilenl, en etTet, d'etre
etudices. Ne pouvant fiiir sur le sol que tres-lenlemcnt,
elle s'ecarte peu de sa demeure, afin d'y rentrer au
nioindre bruit; elle y reste meme tout le jour, quand
I'air est seulement humide ou froid. Lorsqu'elle sort
avec ses compagnes pour chercher sa nourrituie ou pour
prendre sur 1 hcrbe quelque loisir; elle poiirvoit d'abord
a sa securile. Vous ne vous en douleriez peul-etre pas en
aperc^vaiit de loin la petite troupe, plus joyeuse assure-
ment que ne permet de le supposer la morosite prover-
biale des marmottes que nous amenent dans nos villes
les enfanis de la Savoie; inais si vous faites encore quel-
ques pas, vous entendez tin cri tres-aigu, espece dc siffle-
mcnt par lequel I'animal exprime sa frayeur comme sa
colere, et aussitot toute la caravane se met en fuile ver^
le terrier. Le cri d'alarme a i'te jete par une d'ellcs qui,
plac^e i I'ecart, faisait le guet sur un point eleve. Ce
r6le de sentiiielle avancee, que chaque marmotte rem-
plit a son tour, vous etonne moins sans doute depuis que
je vous ai pr^venus de tout I'instinct de conservation
qui se manifesto dans les rongeurs. Mais vous ne vou^
attendez guere a I'office qui leur est encore successive-
ment impose quand I'heure est venue de se preparer 3
I'hibernation, c'est-h-dire h cette lethargie annuelle qui
semble suspcndre dans I'animal toules les fonction.s de
la vie. 11 faut, en effet, qu'elles amassent avant I'hivet'
une grande quantity de planles, non pour s'en nourrir
puisque leur abstinence doit etre complete, mais poui-
calfeutrer leur domicile et s'y couclier plus mollement.
Elles s'emprcssent done, au mois de seplembre, de faire
fi I'envi ces provisions ; mais pour les transporter plus
vile, chacune d'elles tour it tour, se metlant sur le dos
ct tenant haul les paltcs, forme ainsi comme une espece
de Iraineau, de charrctte que les aulres chargent et lirefit
adroitenient; et, ce qui est plus merveilleux encore, celle
qui rend ce pcnible service a le soin de se placer la tete
en avant, disposition qui a le double avanlage d'attenuer
poiir elle et pour ses compagnes les elfets du froltenient ,
car le corps glissant ainsi dans le sens mfme de la four-
rure, la traction en est d'autant moins douloureuse, et
comme le frottement est moins rude, la charge est par
consequent plus legere. Cependant la fourrure finit par
s'user sur le dos, mais elle se reriduvelle pendaht I'hiver,
et cet accident ne lai.sse au prinlemps plus de trace.
Leur maniere de s'elablir dans leur sejour hibernal n'est
pas moins singuliere : apres y avoir recueilli la quantite
d'air qui doit suffire durant plusieurs mois i leur respi-
ration si ralentie, dies en ferment I'ouverlure avec une
terre si fortement gachee, qu'il serait plus facile de forer
le sol partout ailleurs que sur le point qu'elles out ainsi
mure. Puis chacune d'elles se fait une boule de fuin oil
elle se met comme dans une pelote, et ce surcroit de
precaution est surtout hecessaire daiiS la marmotte, car
c'est en elle que le phrnomene de rhibernation s'accom-
plitavec le plus d'intensite.
Mais, direz-vous peut-filre, pourquoi done la marmotte,
que le froid engourdit si facilemeriti va-t-elle se placer
dans le voisinage des neiges eternellesj c'est-a-dire dans
les conditions qui doivent le plus rbstreindre .sa vie ac-
tive et prolonger sa vie lethargique? Je vais essayer de
votis repondre, et, bien loin de renconlrer ici des fails
contradicloires, inharmoniqiies, nous y trouvons, au con-
Iraire, I'application d'une des plus belles lois de Thistoire -
nalwelle.
Cerles, mes enfanis, je ne veux ni ne dois trailer d'une
maniere subsidiaire une question aussi capilale que celle
de la distribution geographique des pl:intcs el des ani-
maux , car ce ne sera pas Irop, je pense, d'y con.sacrer
une de nos Iccons. D'ailleurs un mot doit sulEre quant a
present, afin de ne pas perdre de vue le phenomene de
I'hihernalion, qui, special a quelques animaux seulement,
86
I'OMPfilA ET IIERCULANIIM.
n'en est pas mollis fort important sous le rapport scienti-
tii]uc.
Pour que clinqiie zone do la Icrre, pour quo cluique
cliniat ait ses habitants, les conditions d'exislence sont
varices ci Tintini. Ainsi, le daim bondit tout a I'aise sur
)a pointe des rochcrs, et le bceuf se promcne gravement
parmi les paluroges, landis que le dromadaire se plait au
milieu des sables et que la baleine sejoue au sein des
eaux, la marmolte, dcstince a vivre pres des glaces et
sous le sol, a dii recevoir aussi une organisation assor-
tie a ce mode d'existence ct le prefere ni^me a celui de
lous Ics aulrcs animaux. Et piiisquc la region qu'clle lia-
bite ne pouvait lui olTrir aucune ressource alimentaire,
il fallait bien qu'elle put resoudie le probleme de passer
lout ce temps sans nourrilure et sans douleiir. Mais la"
possibility de vivre ne se concilie avec I'abstinence com-
plete qu'a une seule condition, c'est que toute cause de
deperdition soit momentan^ment suspendue, de telle sorte
que les forces ne s'epuisant pas n'aient pas besoin d'etre
par consequent renouvelees. Or, I'bibernationproduitd'au-
tant niieux ce resultat, qu'elle semble arreter menie les
fonctions qui ne doivent cesser qu'avec la vie. Du reste, le
sonimeil, qu'il ne faut pas confondre avec elle, nous en fait
ccpendant entrevoir et comprendre les elfets, car par lui
nous pouvons, apres le dernier repas de la veille, atten-
dre sans peine le premier du lendemain, supportaut ainsi,
sans meme y prendre garde, une diele asscz prolongee.
C'est dans ce sens que le proverbe qui dorl dine exprime
une verile, car n'allez pas croire que le sommeil puisse
veritablement faire ellipse du diner; seulement il rend
ralimentalion moins necessaire en diminuant les perles
que I'exercice fait ^prouver; mais comme il ne suspend
pas la digestion, I'estomac s'emeut bientot et determine
le reveil. La torpeur hibernale a une action infiniment
plus profonde, car elle va presque jusqu'a paralyser le
coeiir et les poumons. Cependant comme la vie continue
lentcment sous les apparences de la mort, comme les
fonctions essentielles ne sont pas tout k fait eteintes, il y
a necessairement une legere deperdition que repare peu
a peu la graisse amassee dans I'animal a I'arriere-saison.
Du reste, pendant sa periode d'activite la marmolte
eprouve le sommeil comme tons les animaux, quoiqu'elle
soit plus que tons les autres soumise a I'hibernation. Con-
sid6res done en elle seulement, ces deux phenom^nes out
des differences caracteristiques : I'un se reproduit cha-
que jour et ne prend que quelqiies beures, I'autre n'a
lieu qu'une fois Van et dure plusieursmois. Et s'il fallait
les distinguer encore sous un rapport plus important,
par exemple dans leur resultat, je vousdirais: lamarmotte
trouve dans le sommeil un refuge centre la fatigue el
dans rhiliernation un preservatif conire la faim. Ainsi,
mes enfanis, cet engourdissement hibernal, qui vous pa-
raissait peut-etre une condition fiicheuse pour la mar-
molte, est pour elle au contraire un plaisir salutaire, un
indispensable bienfait. Remarquons meme que ce phd-
nomene elrange est \\& dune nianiere si intime aux
circonstances dans lesquelles I'animal se trouve natu-
rellcment place, qu'il ne se manifesto plus des que la
niarmotte, devenue captive, n'a plus de diete a sup-
porter.
mm, RECITS, AVENTLiRES, EXTRAITS DES PLUS RECENTS VOYAGEURS, ETC.
FOI«F£IA ET HERCUI.ANUM.
En 1713 un ouvrier de Portici, qui creusaitun puits,
ventit de la resistance sous la pioche dont il se servait;
c'^taient des fragments de marbre qui t'amenerent a d6-
couvrir un petit temple et quelqiies statues. On ne donna
aucune suite a cette decouverte ; seulement, vingt-cinq
alls plus tard, le roi de Naples acheta ce terrain pour y
biUir son beau palais de Portici, etc'est alors que les tra-
vaux neressites par Ics fondations r^velerent I'existence
de toute une ville souterraine. Des fouilles furent ordon-
necs, i I'aide desquelles on put se mettre sur la trace des
nicEurs, des arts, des habitudes et de la civilisation des
habitants de cette ancienne citi5.
I'OMPEIA ET
C'etait bien la, en efTet, qu'exislaient dans I'antiquit^
trois villes, Herculannm, Stabia et Pompeia, ense\ clips
sous les cendres, le gravier et les piprres lors de I'erup-
tion du Vesuve qui eut lieu I'au 79 deJ. C. , sous I'em-
perpur Titus, et pendant hiquelle Pline I'ancien pcrit vic-
time de ?a curiosile. Seize ans ovant, ces memes villes
avaient beaucoup soufTert dun Iremblement de terie; les
traces en sont encore tres-apparentes a Pompeia, oil Ton
a reliouv6 des monuments qui n'elaient pas entierement
ripares. II est impossible de rendre les impressions qu'oii
eprouve devani les restes de ce ^rand dcsastre. Ces villes
celebres et malheureuses ont fourni au musce Bourbon,
a Naples, d'immenses et inappreciables richesses. Tout
cela y est enlasse; les peintures k frcsque, enlevfcs aces
cilfe detruiles, emplissent deux salles de cette vaste col-
lection.
Herculanum etait une jolie ville de la Campanie, a une
lieue et demie ^ Test de Naples, oil brillait tout ce que
I'art antique avaitde plusgracieux, de plusexquis. Puis,
quand d'aulres temps furent venus, et que le souvenir
de la calastrophe fut oublie, sur ce sol calcine qui re-
couvrail la»ville ensevelie s'^leverent deux villages, Por-
tici et Resina, dont les premiers babilanlsne sedoutcrent
jamais que sous leurs maisons, a une profondeur de
quatre-vingts pieds, avait existe autrefois une cite riche,
brillante et luxueuse. Les fouilles, commencees h la lin
du dernier siecle, furent abandonnees puis reprises,
et, en 1828, elles etaient deja fort avancees. Seulement,
comme la ville enterree se trouvait sous des habitations
et sous un palais, elle n'a pu ^tre deblay^e entierement;
a mesure qu'on faisait des fouilles, on comblait les exca-
vations apres avoir enleve les objets d'art. Aussi, il y a
quelques annees, il n'y avait plus qu'un |seul theatre de
visible. Le mfime fait s'est reproduit pour les mines de
Stable, dont on ne voit plus rien.
Neanmoins on a pu s'assurer que les rues d'Hercu-
lanum etaient tirees au cordeau et pavees avec des laves
du Vesuve ; elles elaient crarnies de Irotloirs, quelques-
unes etaient ornecs de colonnades. On a decouvert jus-
qu'ici a Herculanum trois temples, parmi lesquels deux
possedaient des fresques et des bronzes precieux avec des
inscriptions; un monument fun^raire avec piiSdestaux ; le
theStre, dont nous avons parle, situe sous Resina, orne in-
terieurenient de marbres de diverses couleurs et de sta-
tues de bronze representant des liommes et des chevaux :
ce ttieiitre est fort curieux en ce sens qu'il presente le
seul exemple d'un theatre couvert dans I'antiquit^ ; un
forum construit en rectangle avec des porliques elegants,
pave en niarbre, orne d'une foule de statues, parmi les-
quelles deux statues equestres en niarbre et des statues
en bronze de Neron et deGermanicus; des maisons riches
et somptueuses, avec des pavages en mosaique et en
marbres de couleur et des fresques nombreuses. C'est
parmi ces mines d'une ville qui n'est plus que Ton a re-
trouve la maison la plus grande qui ait ete habitee en
Italic par de simples particuliers ; elle se compose de beau-
coup de chambres disposees autour d'une cour inlerieure,
il'un gynecee ou appartement des femmes , d'un vaste
jardin qu'entourent des arcades et des colonnes, et des
salles hautes el larges ou se reunissait probablement la
famille.
Dans les villes de Tantiquilo, bicn plus encore i]ue
dans nos villes modernes, on etait expose h voirii cole des
HEU(,l]LANU.M. 87
palais de fort inodestes masures; c'est dans un pareil
voisinage que Ton apercevait, a Herculanum, la bouliqu
d'un barbier avec tons les instruments de -sa profession,
les bancs oil Ton s'asseyait en attendant son lour, I'etuve.
el les epinj;les dont on se servait pour coilTer les dames;
plus loin la maison d'un chirurgien garnie de plusieurs
instruments de I'art. Dix-buil siecles se .sont ccoules de-
puis la catastrophe, et la ville semble avoir ete deserlce
la veille; les objets sont presque tons dans un i'lat de
conservation merveilleux. Des choses parfaitement vul-
gaires conlirment a chaque pas cette opinion. Dans une
des maisons on a retrouve de la farine a I'clat do pale,
un torchon plie, et dans des vases de Icrre cuite des
graines, du ble, des lentilles, du grnau, une carafe avec
de I'huile (celle-ci etait dessechce), un pot a onguent et
un vase de verre contenant le rouge doiit les dames se
servaient pour leur toilette.
On n'a encore trouvfe dans Herculanum que quelques
squelettes Ce fail donne lieu de croire que la majorite des
habitants qui, selon toutes lesprobabilites, se trouvait la
au moment de I'emption , aura pu se soustraire a
la niorl. — Les plus precieux de tous les objets decou-
verts sont, sanscontredit, des manuscrits dont la matiijre
se compose defeuillesde Cannes de jonc, collees les unes
i cM des autres, el roulees sur un cylindie de bois,
places dans une armoire en marqucterie; qiielques-uns
avaient ete pourris par I'humidite, et, a peine exposes a
I'air, ils tomberent en poussiere; d'aulres etaient reduils
en charbon. Cependant, grJce h I'emploi d'un procede
ingenieux , on put en derouler plusieurs. Les premiers
manuscrits grecs ainsi deroulcs furent : un Traite de la
philosophie d'Epicure, un ouvrage de morale, un poeme
sur la musique, el un Traite de rheloriquc. D'aulres lexles
sont peut-elre destines a revoir le jour, peul-dlre une
oeuvre inconnue, egale en merite a celles desTacile, des
Ciceron, des Demosthenes et des Virgile, va-t-elle occn-
per au premier jour tout le monde savant.
Pompeia, ville situee au pied du Vesuve, etait autre-
fois celebre par son commerce ; elle fut decouverte en
1748. Les points les plus eleves des bailments etaient cou-
verts d'une lave deplus de dix-huit pieds d'epaisseur. Quoi-
que moins spacieuse qu'Herculanum, elle est neanmoins
fort bien decoree : elle est d'ailleurs plus avanlageuse-
ment siluee, altendu qu'il ne se trouvait au-dessus que
des vignobles ou des lerres cultiv^es. Depuis 1812, les
travaux de deblaiement permirent de penctrer dans
I'interieur, et Ton y trouva d'anciens edifices parfaite-
ment conserves. La ville ofTre a decouvert toule son en-
ceinte de murailles ; de sorte que Ton connail toute I'e-
lendue qu elle avait en realile et lout ce qui reste a faire
pour achever de decouvrir et de deblayer I'interieur. II
resulle qu'il y a encore cinq sixi^mes de la ville a des-
encombrer. Que de richesses doit-on trouver encore !
Les rues de Pompeia sont elroiles, les maisons fort pe-
tites aussi, k I'exceplion de quelques monuments publics
qui ne manquent ni de richesse ni d'elegance, a savoir:
huitrtemples, deux th(?atres, un amphilheaire magnifique,
deux places ornees de porliques, d'un forum , d'une
basilique et des thermos. L'ensemble est mesquin et est
loin de I'idce qu'on se fait loujours d'avance des habita-
tions romaines. Les chambres des maisons ne sont guere
en general plus grandes que des alcoves ; les boutiques
font egalement tres-petites, mais les peintures, ks ensei-
PETITS VOYAGES
gnes el les inscriptions, encore trts-lisibles, sont des ob-
jets vraiment dignes de remarque. Les tableaux qui or-
nent I'lnterieur des habitations sont d'une fraicheur re-
marquable. C'est en 4825 que Ion d^couvrit la belle
maison particulifcre appelee Casa del put'ta Iragico, lon-
gue de trente niMres et large de quinze, contenant dix-
neuf rhambres, un atrium et nn peristyle avec force ta-
bleaux et mosaiques de la plus grande magnificence.
Par un ordre du roi regnant, tons les objels antiques,
statues, nieubles, ustensiles, etc., etc., qui seront trou-
pes h I'avenir, devront etre lais.ses et conserves en place.
Cette mesure paralt d'abord sage et raisonnable ; mais
quand on considere quo tous ces objels precieux, places
directement au pied du Vesuve et a la porlee de la lave
en fusion, se trouveront encore exposes a un nouveau de-
sastre, semblable a celui qui les a enfouis il.y a dix-huit
cents ans, on se demande s"il ne vaudrait pas niieux les
voir transporter au Musee, conime cela a eu lieu dans
I'origine, sauf a lai.s<er a leur place des imitations, ainsi
qu'on I'a fait pour certaines statues.
En somme Pompe'fa, quoique ensevelie subilement
sous une pluie de cendros et de pieries, ne I'a pas ete
assez vite cependant pour que les habitants n'aient pu
se .sauver en emportant sans doute leurs etfets les plus
precieux. Le peu de cadavres qui a ete trouve jusqu'il
present (il n'y eut que cent soixante-dix viclimes) vient
^ I'appui de cette assertion. II parait egalement prouv^
qu'aprc's I'evenement les malheureux habitants revinrent
fouiller les decombres : ce fait est appuye sur plus d'une
observation.
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES HE FRVIE.
Ih SEINE, SES liORDS ET SES SOUVEMRS.
( DEeXIEME AUTICLE. )
En sortant do Chfitdlon, la Seine .se jette sur la gauche,
fait un grand detour et coule h travers des lieux soli-
taires; puis elle revolt a SainteColombe un endroit ha-
bit6 et regagne a Gourcelles la grand' route de Paris.
Alors ses flots vont caresser, du cMk de sa rive gauche,
les abords de Pothieres, ou s'el^ve une antique abbayc^
el recoivent k droite un petit ruisseau qui entoure, con-
jointemenl avec le fleuve et la grand' route, le village
de Charey, place ainsi d'une manii;re pittoresque comme
au .sein d'une presqu'ile. C'est au-dessous de Gommen-
ville que la Seine quitte le departemenl de la C6te-d'0r
pour entrer dans celui de I'Aube.
La premiere ville qu'elle arrose alors est Mussy, dont
les vins sont c61ebres et qui pos.s^dait autrefois un ch;\-
teau appartenant aux eveques de Langres, seigneurs
temporels de la contrte. Ce chAtoau, dont on voit encore
les ruines, fut detruit en 1793, mais la ville a gnrdd 16
nom de I'^v^que. Situee sur les confins autrefois de deux
provinces, mainlenantde deux departenienls, Mussy a ete
tour a tour rang6e par les gtographes dans le pays dit de
la MOntagne el de la Champagne. Unie par sa destinee k
celle du conite de Bar, elle en suivit toutes les vicissi-
tudes; or, le comt^ de Bar, quoique enclave dans la
Champagne, resta toujours r^uni au duche de Bourgo-
gne, depuis le trade d'Arras, en 1435, en verlu duquel
Charles VII fut oblig(5 de racheter, par la donation du
Barrels, I'alliance et la fid^lite int^ressee de Philippe le
Bon vciidu a I'Anglelerre.
En quiltant Mussy, la Seine laisse h sa droite une col-
line dont la cmio est couronnee d'arbres magnifiqnes ;
c'est une promenade plantee par les 6veques de Langres
el qui elait attenante au chJteau ; maintenanl elle appar-
SUU LES RlVlfeRES DE FRANCE.
81)
riillillon-siir-Sciiit.
Ul'IiI a la ville, qui ell a lalt nil emi)lacement reserve a
ses fetes. Du haut de celte pronienadp, on vuit loules les
sinuosites que decrit la Seine, pareille a un lony ruban
argonle, en entrant dans le deparlement de I'.Vube. La
route qui passe au pied de la colline dont nous avons
parlc est assez egale, mais elle devient bourbeuse par
suite de la mauvaise qualite des materiaux employes Ji la
construction et parce qu'elle sert k un roulage tri's-con-
siderable. C'est en effet la route qui m6ne de Paris a Di-
jon, a Besancon et k Geneve, et qui est d'une e.%tr6me
inifiortance, bien qu'elle ne soil que de troisieme classo.
.\ partir de ce point, les collines qui bordent \e fleiive ne
,sont plus couvertes de bois et de vignobles; le sol, qui
est de nature calcaire dans la Cole-d'Or, est alors com-
posa de craie et devient sterile ; neanmoins le pays trouve
encore IJi une grande ressource, et cette craie, appelee
communement blanc d'Espagne et dans le pays blanc de
Troyes, se debite par toute I'Europe.
Courteron, Gy^, Neuville, traverses par la route de
Paris, se touchent sur la rive droito de la Seine; sur la
gauche s'elevent Buxeuil, Polizy et Polizot; Polizy pos-
sede des vins et des fromages estimes, de plus un supcrbe
chateau qui se dresse, au confluent de la Laigne et de la
Seine, dans une position charmante au bout d'une ave-
nue dun quart de lieue de longueur. A Polizot, la Seine
vient baigner le pied du mont Chavet et devient floltable
pour les trains et les radeaux ; puis elle alimenie tinb
be)le papeterie et passe sous un pont que traverse la
grand' route de Paris; celle-ci se met alors a cotoyer la
rive gauche du fleuve qu'elle suit pendant trente lieues
jusqu'a Montereau. Avant d'enticr ii Bar, la Seine so
grossit, sur la gauche, de loutes les pelites rivieres que
rOurce, alors assez forte, lui apporle pres de Ville-
neuve. L'Arce vient aboutir au tneme confluent apres
avoir descendu les memes pentes, doii vient le dicton
populaire t
Ource, Arce, Laigne et Peine
Abordent ail pont Bar-sui-Seine.
Enliu le (leuve entre dans celte ancienne capitale d'un
comte devenue modcstement une sous-prefecture. La
Seine rencontre <i gauche, dans la ville de Bar, une belle
promenade dont elle arrose les abords, et .se contente de
franchir la partie orientale de la cile divisee par une rue
d'une extreme longueur. Bar est situee dans une vallije
etroite, entre deux coteaux escarpes, et elait autrefois
d'une grande importance dans des temps de guerre. Ses
comtes, heureux de possi;der une ville ainsi favoriste, I'a-
vaient fortifiee avec soin; aussi, h I'epoque de Louis le
Debonnaire, joua-t-elle un grand rdle pendant les guerres
dont la Bourgogne et la Champagne devinrent le theitre.
Nitard, le chroniqueur du prince dont nous avons parle,
la cite fort souvent dans seS r(5cits. Souvent assieg(5e et
meme prise d'assaut, elle eut eurtout beaucoup h souffrir
des ravages des Anglais en 13.59, alors que le roi Jean
elait captif en Angleterre. L'ennemi s'empara de la ville,
la bouleversa et en egorgea presque tous les habitants.
« II y eut, dit Froissard, plus de ncuf cents hostels brfi-
lez, et la Seine fut couvcrte de cadavres. » Sous
Charles \l, Charles VII et a I'c^poque de la Ligue, Bar
eut a subir encore bien d'autres vicissitudes.
Rendus plus pacifiques par cette trisle experience du
passe, les habitants abaltircnt d'eux-InCmes, et sans en
demander la permission a perSoiine, ces reniparls si re-
deutables 6t si funestes a la fois et ne furent pas long-
tempS S obienir, apres ce coup de tSte raisonnable, le
pardon du roi Henri IV. C'est de cette periode de son
histoire que date, dit-on, I'horreur de cette ville pour les
armes et par suite la decadence de la coutellerie, dans la
fabrication de laquelle elle avait eu jusque-la une cer-
taine c(jl('brile. Depuis elle s'adonna au commerce beau-
coup plus tranquille des vins.
Bar se trouve enserr^e entre deux coteaux ; celui qui
horde la rive droite de la Seine est aridc, I'autre est acci-
dpnle par des bois el des vignobles. C'est IJi que la cha-
pelle piltoresque de Notre-Dame produit un effet si d61i-
cieux au sein du bosquet qui I'entoure. Elle fut fondee
90
PETITS VOYAGES
apres iin miracle dont il a elo longtemps parle dans Ic
pays el au sujet diK|uel la tradilion raconte ce qui suit.
Derriere Tancien chateau , a la Garenne des comtes, et
au milieu du bois, s'elcvait jadis un vieux chene dans le
tronc diiquel, au milieu d'une cavite que le temps y avail
creusee, un bi'icheron Irouva une pelile image de la
Vierge grande comme la main et representant Nolre-
Dame de Pilie. Le pauvre honime I'emporta chez lui, oil
sa fille, souffranl d'une maladie dangereuse, etait toule
langLiissanle, abandonnee par les mcdecins. A partir de
ce jour, la malade alia beaucoup mieux et fut bienlot re-
lablie. Ce miracle fut tout naturellemenl attribue a I'i-
mage, et le comle, averli par le bruit public, ordonna au
bilcheron de replacer le prccicux talisman dans le ch^ne
oil 11 I'avait trouve. La nouvelle de celte guerison niira-
culeuse avail etc repandue en tous lieux par la renom-
mee, et les pelerins aecoururent en foule pour implorer la
faveur de la Vierge secuurable. Avec les otfrandes qui
abondaient, on bJitit une chapelle adossee au tronc du
cMne, et le bosquet qui I'environne, devenu sacri comme
ces bois mysterieux de rantiquit(5, fit loujours respecter
ce simple monument, m^nio en 93, au plus fort de la
terreur.
La meme tradition subsiste dans plusieurs autres vil-
lages de France, un miracle analogue y a donne lieu tr^s-
probablement. En tout cas c'est la une tradilion fort con-
solante. La Clianipagne possede une chapelle de Notre-
Danie ile I'f-pine, dont I'hisloire n'oflVe guere que cette
seule variante, a savoir que I'image sacree esl Irouvee
sous un buisson odorant d'aubepine.
Plus bas et sur une colline s'elevail autrefois le cbii-
leau des comtes de Bar, au bout d'une longue poinle de
terre, et dans une position charmante qui ne Ten rendait
pas moins imprenable. Ce chateau, de forme triangu-
laire, dominait Bar-sur-Seine. A la fin du dix-huilieme
siecle, le seul resle qu'on en ptil voir etait une tour oil
Ton avail encadre une grosse horloge; mais, depuis, la
tour el I'horlogen'ont pas ele plus respeclees que ['edifice
lui-mcme.
Apri's avoir quitlc Bar, la Seine, qui a coul6 jusque-la
au Nord, se dirige vers I'ouest comme pour se rapprocher
plus vile de Paris. A gauche, on voyait autrefois au mi-
lieu d'une plaine une chapelle appelee Cere, batie, di-
sait-on, sur les ruines d'un temple de Ceres; ce petit
monument fut dfetruil en 93. Aprfes avoir laisse derriere
elle Courtenot el Foucberes, la Seine recoil dans son
sein, a gauche, les eaux de la riviere de Sarcc. Les mon-
tagnes et les hauls escarpements dont elle a ele jusqu'ici
accompagnee s'inclinenl el viennent mourir dans celte lo-
calile. La vallee se trouve elargie et traverse un bon ter-
riloire pendant loute la duree du cours de ce fleuve bien-
faisanl. Alors meme qu'on est enlre dans celte partie de
la Champagne surnommce Pouilli'usc, la Seine est entou-
ree d'une lisiere de lerre v(5getale riche de ferlilile et de
culture et dont la largeur est loujours d'une demi-lieue
pour le moins. Le pays ressemblerait a la Brie si h cha-
que sinuosite du fleuve on n'apercevail des craies et des
terrc steriles, qui ne sonl pas fecondees par le limon
dont les campagnes de la vallee sonl inond^es en hiver.
La Seine, cpii appartienl pour quelque temps a la Cham-
jiasne, devienl alors la compatriote de Racine, de la Fon-
taine, des frijres Mignard et de plusieurs autres esprits
d'elite, bien capables de donnei un eclalant dementi au
vieux provcrbe. Or, il n'esl pas inutile de raconter id I'ori-
gine dp CI diclon dont Tetymologie, a tort insultante, est
en general pen connue. 11 y a bien longtemps, lesseigneurs
SUK LES RIVIERKS I>E lUANCE.
91
flu pays, pour aider le commerce des moutons, exemplerent
du droit de passage sur leurs lerres tous les troupeaux qui
seraient inferieursa cent tetes de belail. Aussltot lesber-
gers se concertcrent enire eux pour reduire leurs trou-
peaus au-dessous du chiffre fixe et ne pas payer. Blenldt
on t'dt cherclie en \ain dans toule la province cent mou-
tons reunis. Un berger qui en menait quatre-vingt-dix-
neuf se presenta pour passer; le seigneur I'arrota ; le
paysan pretendit qu'il ne devait pas le peage; une dis-
pute s'eleva; le seigneur, impatiente de voir (|u'un nia-
iKiut ne voulait pas lui ceder, declara quo qiialrc-viiigl-
dix-ncuf mmilons et un Champcnnis faisaienl cent
hrles, et fit Jeter, dit-on, dans le fleuvc le ruse et opi-
niiitre berger.
Le premier bouig qu'arroso la Seine en Champagne
est Saint- Parre, qui s'etend en ligne droite sur la grand'-
route voisine de la rive gauche. Pres de Villemoyenne,
le meme Deuve entoure un terrain assez vaste pour en
faire une ile, la plus importanle de toutes celles qu'il ait
formees jusque-la. Ses deux bras se rejoignent a Clerey,
puis il passe devant Saint-Aventin, village d'origine ro-
maine comme le nom semblerait I'indiquer, si Ton s'en
rapporte a la tradition. Or, il est bon de reniarquer que
tout monument antique, en France, remonte, d'apres la
croyance du peuple, au temps de C&ar et a I'epoque de
la conqui^le des Gaules. Enfin la Seine arrive h Verrieres
pour penetrer dans cette campagne bien rultivec, mais
basse et sujette aux inundations, oil s'eleve la ville de
Troyes. RAVKBtiiE.
{La suite au prochain numero.)
mils RECITS ET AVEXTURES DE L\ VIE MARITIME.
NAUFRAGE DE I.A I.EOFOI.OINE ROSA.
Depuis plusieurs annees, la lemp^te semble avoir pris
possession des mers. Ses fureurs se signalent cliaque fois
par des desastres dont la lamentable nouvelle va jetor la
conslernation dans les innombrables families de nos villes
marilimes. L'annee 1842 a ete la plus malheureusement
fcrlile en sinistres de ce genre ; le plus elTroyable est le
naufrage de la Leopoldinc Rosa, dont des temoins ocu-
laires nous ont trace Thorrible detail.
Dans les premiers jours de mai, ce navire partil de
Bayonne pour Montevideo, sous le commandement du
brave et infortune capitaine Frappaz. II avail i son bord,
outre son equipage, Irois cent trois personnes, hommes,
femmes, enfanls du pays des Basques, laborieux emi-
grants que I'espoir d'un avenir meillcur enlrainait hors
de leur patrie, vers les plaines incultes de I'Uruguay.
La traversee avait ete longue, mais la terre (Stait pro-
rhe, et deja raltente d'une heureuse traversee faisait ou-
blier les privations du voyage, quand, a I'atlerrissage, la
9!! SCfeNES, RtClTS ET AVENT
WopoWi'tie Roja fut assaillie par line tenipMe Sud-Siid-
Est, qui la portaif. en rote, vers laffuello Ja dressaient aiissi
Ips courants. Apres trois jours de lutto et Ji la fin d'unc
nuit dont I'obsrurilo doublait encore les dangers, sons
meme avoir eu connaissance dps brisants, le bAliment
toucha. U plait alors cinq heure? du matin. Au jour, on rc-
ronnut la terre; la Lcnpnidhie Rosti ('tail engngeo surlcs
rScifs nommi^s Los- Caslillos '.
Le navire elait perdu sans ressourres; on s'occupa de
sauver les liommes. Porle en cijte par le ressac, le navire
n'avait entre la terre et lui que la distance d'une eiicS-
blure et demie (environ 250 metres). Les enibarcations
t'lircnl) Siiccessivenient mises i\ la mer, toules furetit hri-
sees. Sans perdre courage, le capitaine ordonne d'etablir
un va et vieHt. Un homme se jelte it I'eau et parvient a
gagner la terre, tandis qu'eperdus, tremblants, osant c^
peine esperer, les passagers silencieux epienl chacun de
ses mouvements. Seul, il ne peut suffire a la violence
des llols. Sur un ordre du capitaine, trois niatelols s'e-
lancent, arrivent a terre apres mille efforts, vont en aide
h leur compagnon; rriais h peine ont-ils fde quarante
brasses du gros grelin qui doit .servir au salut comnuin,
que le courant lui fit faire un cercle si grand, que les
quatre matelots, cntraines par la force du gri^lin, hlclient
prise en se voyant dans les brisants et cherclient k se
.soiistraire a la mort. Pas un caillou, pas un arbre, pas le
plus simple pieu pour amarrer le bout sauveur. Un autre
moyen de salut se presente ; un radeau est construit, les
passagers refusent d'en faire usage; trois d'entre enx ont
.seuls le courage de s'y exposer; mais conduits par le cou-
rant isous le couronnement du navire. ou les vagues s'e-
levent effrayantes comnie des montagnes, les trois passa-
gers et le radeau disparaissent dans I'abinie. Acelte vue,
I'esperance fait place au desespo'ir, le desespoii- prodnit
de nouvelles resolutions. Plusieurs se jeltent danS la
mer; mais inhabiles a latter, saisis et roules par le rpssac
qui brisait avec fureursurles rochers, la plupartsedtbat^
tent peniblement et perissent sous les yeux de leurs com-
pagnons. Ceux-ci s'arr^tent inducis ct epouvantcs; ne
sachant pas nager, ils redouteut un pareil sort; mai.s eus-
sent-ils su nager, eusscnt-ils eu plus de courage, pou-
vaient-ils abandouner sans secours celte foule de femiheS
et d'enfants auxquels ce moyen de sauvetage etait intpr=
dit? Pouvaient-ils livrer a une mort rerlaine et alTrcusB
les Stres pour I'amour desquels ils avaient alTronte I'U-
cean et I'exil? Eli'rayeS dii .spectacle qui se deroule h
leurs regards, embrassant leurs families eplorees, ils .se
replient sur le navire, qui du moins lour promettait en-
core quelques beures d'exislence.
Une circonstance servit encore a les retenir a bord,
c'etait la sctne lamentable qu'olTrait le rivage. Le sinistre
avail attire'sur la plage une foule de ces miserables Gau-
rhos, race immonde et sanguinaire, qui, parcourant la
cdte, s'emparaient des debris, brisaient les nialles, pil-
laient leUr contfeuu et menacnient de leurs drmes qni-
conque paraissait voulbir s'opposer h ISurs rapines. Troife
perils itnmirierits s'olTraieht aux passagi^rs : la submer-
* Rescifs d.-ingereux situes sur la c jte orientale de 1 Unigiuiy, a
SIX lieues environ du cap Sainte-Marie, qui forme un des cutea de
I'emboacharfe de Rio dp. Ih Plata, et i qaaranle liedes de Mdntfevideo.
URES DE LA VIE MARITIME.
sion du navire, les brisaiits en fureur et I'a-vidit^ des
Gniichos. Les mallieureux naufrages choisirent celui qui
leur laissait encore un rayon d'esp^rance, ils restferent.
Opendant, avec le jour, la tempeto augmentait de vio-
lence ; la mer, qui venait Se bri.ser sur les llancs du b^ti-
ment en lui imprimant d'efTroyables secou.sses, deferlait
sur le pont ct le balayait d'un bout a I'autre. Tout ce
qui restait h bord chercha un refuge sur I'arriere, et 1^,
serres I'un centre I'autre, attendant la mort, les infortu-
nes ne donnaient signe de senlinient qu'alors que la voix
du capilaine faisait entendre des paroles de confiance et
de consolation. II elait du resteli son poste, jaloux de
niourir avec son bJliment, amarre sur la dunetle, infati-
gable, observant le temps, qui paraissait vouloir se cal-
mer en faisanl esperer un changemeril au coucher du so-
leil. Sa prevision s'acconiplit ; le vent se calma au large,
mais comme il arrive apres la tempfite, la lame devint
plus forte h terre, et les brisants n'en mugirent qu'avec
plus de fureur.
Pendant cet borrible jour, la Leopoldinc Ilosa avail
resist^, mais vers cinq lieures du soir un craquement
sourd se fait entendre : I'arriere cedait. La dunette a
I'instanl s'ouvre et la mer I'envahit. Alors, 6 douleur, 6
scene decliirante! plus de soixante individus, hommes,
femmes et cnfants, entasses pele-mele dans cet etroit es-
pace, se trouvent en un moment submerges! La terreur,
la douleur, la priere, dans leur plus poignante expres-
sion, elevenl leurs cris du milieu de cette foule qui se
debat dans une indicible agonie... Bienlot on n'entendit
plus rien que le clapotenient de la lame sur les parois de
la dunette. Tout avail peri h I'exception de quelques
personnes qui, restees sur le pont, parvinrenl ^ se hisser
sur le capot. II ^tait alors nuit close. Une parlie du pont,
rompu par la moilie, etait separee de I'arrifere, oil resis-
taient encore les survivants; la mer couvrait incessam-
ment ce dernier asile, et chaque lame emportait quel-
qu'uti de ces inforlunes. Bienl6t le malheur est h son
comble, le navire S'eiltr'ouvre de loutCs parts; ses di-
verses parties roulcnt epnr.ses dans les flols, et il ne reste
plus aux iidufrages que la trifle ressource de se cram-
ponner h I'liii de ses debris, dans I'espoir de gagner la
terre avec lui.
Le coeur se resserre eu depcignant des scenes qui,
dans I'espace de quelipics hcures, rasserablent tout ce
que la soufTrauce humaiue a de plus lamentable et de
plus horrible. Qu'est-ce que I'homnie? De celte multi-
tude en lutle avec la mort, quelques-uns se sauvent, le
plus grand nonibre peril; il en est qui louchenl la terre
et expirenl en la touchant. De ce nombre fut le jeune el
mallieureux capilaine Frappaz. .lete vivanl sur la plage,
il ne surv^cut que quelques instants k la perte de son
navire; il expira sans secours, glace par le froid, brise
par les contusions recues a bord pendant les dix-huit
heures ii I'agonie de SBril bilimsnt. Sa iflort fiit.lb prix
de son dcvouement.
On rendit Ji son corps les honncurs de la sepulture;
une main ahnie placa sur la terre qui couvre ses restes
une croix de bnis, deux simples branches d'arbre, signes
de sa foi conime de son esperance.
L'ahbe K.
JEAISNE D'ARC.
FAITS JIEMORAIILES DE L'HISTOIRE.
95
JEANNE D'ARC.
Apresavoir delivie Orleans, apres avoir fait sacreiaKeims
leroiCUarlesVll, Jeanne d' Arc, sacliantquesa mission etait
terminee, voulait retourner dans son villa2;e; on ne le lui
permit pas. En dijfcndant Compiegne, elle tomba au pou-
yoir desBourguignons, qui la li\rerentaux Anglais. Ceux-
ci, loujours battus par une I'emmc, buniilies, par conse-
quent, voulurent se \enger; leur vengeance fut une
ISchcte, ils fircnt le proces a celle dont le seul crime
elait d'avoir sauve son roi et son pays.
Aussi,a peinelalTaire fut-elleinstruite, qu'on prodigua
I'argent et les menaces afin den liiter la conclusion ;
mais un obstacle s'opposait au prompt accomplissement
de cette iniquite, c'etait I'interet que I'accusee avait su
inspirer a ses juges eux-memes. Cependant ceus-ci
avaient ete cboisis parmi ses ennemis. Jeanne eut a re-
pondce dans les ioterrogatoires qu'on lui fit subir plu-
sieurs fois sur sa premiere entrevueavec Charles VII ; elle
refusatoujoursdes'expliquersurce quelle lui avail revele
pour lui prouver quelle ne voulait pas lui en imposer.
Quaod elle fut conlrainte de s'expliquer, elle le lit d'une
maniere a pen pres inintelligible, et en eraployant I'alle-
gorie; elle raconla avec beaucoup de details tout ce qui
concernait ses apparitions et les voix qui la conseillaient ;
elle rapporta, avec la plus grande ingenuile, tout ce
qu'elle avait vu, entendu ou dit dans ses entretiens se-
crets avec les saintes qui, tous les jours, voulaient liien
lui apparaiire pour I'engager a repondre hardimenl.
Elle ne pensa jamais a nier les predictions qu'elle avait
faites dans ses lettres; bien plus, elle annonca ii ses juges
qu'avant sept ans les Anglais abandonneraient un gage
beaucoup plus important que la ville d'Orleans. Or
il faut remarquer que Paris fut repris par les Fran-
cais, le 13 avril Hi6, c'est-ii-dire six ans apres
que ron eul parle de cette prediction pendant le pro-
ces de Jeanne. Les inlerrogatoires devenaient chaque
jour plus frequents et le proces ne faisait pas un pas. Les
reponscs de I'accusee, le resuUal des visites auxquelles
on I'avait soumise, les renseignemenis pris dans le village
oil elle etait nee, tout tendait a prouver son innocence.
Tous les Iflchps artifices dont on se servit paur etablii*
sa culpabilitii resiiirent sans effel, il y eul menie (Ijius son
tribunal plusieursassesseurs qui, indignes de I'iniquU^.de
tous ces moyons, cesserent de prendre part au procijs. x,;
L'ev^que de Beauvais ne savait plus que faire, lors-
qu'elle lomba nialade; on soupconna d'abord le prelat
d'avoir voulu empoisonncr la prisonniere. Cependant le
projet du due de Bedfort echouait si Jeanne monrait d'une
mort ordinaire; des ordres furent donnes en consequence,
et les .\nglais eurent d'elle le plus grand soni pendant
tout le temps de sa maladie. On finit par se decider a re-
duire tous les chefs d'accusalion a douze seulement; puis
on ecrivit a I'universite de Paris pour avoir son avis sur
les questions generales. L'universile envoya une opinion
conforraeaux esperances du tribunal de Rouen, et la pro-
cedure fut poussee activement; elle ne fut pas nieme in-
lerrompue pendant la quinzaine de Piques. Les Anglais
poursuivaient de leurs menaces les juges et I'eveque de
Beauvais lui-meme, qui n'en finissaient pas assez vite. On
mit en usage la ruse la plus infilme.
Jeanne se laissa Iromper par les perfides conseils
d'un nomme I'Oyseleur. On I'avait persuadee que si
elle reconnaissait I'autorite de I'Kglise terre.stre ou
militante, .ses juges, qui se prelendaient inveslis de tous
les pouvoirs de cetle Eglise, la condamneraient aussitot a
mort. .\ussi, quand on I'interrogea sur cet article eile
ne voulut pas repondre et se contenta de dire : « Je crois
bien que I'Eglisn militante ne peut errer ou fnillir, mais
quant a mes dis et fais, je m'eii rapporle a Dieu qui
nieafait faire ceque jeay fait.)) Alorson luiannonca que
si elle ne faisait amende honorable a I'feglise, elle s'expo-
sait aux peines du feu eternel quant ^ I'ftme, et aux peines
du feu corporel quant au corps. • Vous ne save/, ja ce
94
JEANNE DARC.
que vous dicles, conlie nioy, reprit-elle, qu'il ne vous en
prenne mal au coips et h I'ame. » Le lendemain, I'ev^-
que de Beauvais se transporta dans sa prison ; elle pro-
lesta courageusement conlre tons les aveux qu'on pour-
rait lui arracher par la violence. C'est alors qu'on paria
de lui fairs donncr la question ; mais on craignit qu'elle
ne succombat, et ce projet affreux ful abandonne.
Le 24 mai U51, Jeanne d'Arc fut amende sup la place
du cimetiere de Saint-Ouen, pour y ecouter sa sentence.
Deux t^chafauds ^taient dresses ; sur I'un siegeaientle vice-
inquisiteur, le cardinal d'Anglelerre, I'eveque de Noyon,
I'ev^que de Boulogne et trenle-trois assesseurs ; sur I'au-
tre se trouvaient Jeanne et Guillaume firard qu'on avait
charge de la precher. Le bourreau. qui avait amene un
chariot h qnatre chevaux, se tenait prita enlever la vic-
time ct a la conduiro a la place du Vieux-Marche oil etait
le biicber. La place elait pleine de peuple. Guillaume
£rard, dans un discours violent, proftra les invectives
les plus grossieres centre I'accusfe, contre les Francais
restes fideles i» Charles VII, enfin contre le monarque lui-
m^me ; u C'est a toi, Jeanne, lui dit-il, que je parle et te
dis que ton roy est h^retique et schismatique. » Jeanne
fut encore assez courageuse pour interrompre ce forcene.
« Par ma foy, sire, repondit-elle, reverence gardee, car
je vous ose bien dire et bien jurer, sur la peine de ma vie,
que c'est le plus noble chrestien de tous les chrestiens, et
qui mieux aime la foy et I'figlise, et n'cst point tel que
vous dicles. > Alors le predicateur cria a I'apparitcur
Massieu : • Faites la taire! »
• Ce sermon achev6 (on I'appelle dans le proces predi-
cation charitable), Massieu lut une cedule d'abjuration et,
apres la lecture, on somnia Jeanne d'abjurer; elle re-
pondit qu'elle ne comprenait pas ce mot et demanda
conseil. L'apparileur Massieu se chargea de ce soin. Get
liomme, qui avait pour metier de conduire les condam-
nes en prison, au tribunal ou k I'echafaud, se sentait emu
de compassion en faveur de Jeanne; il lui fit comprendre
ce qu'on voulait d'elle, et lui conseilla de s'en rapporter
k rfiglise universelle : • Je me rapporte, dit Jeanne. Ji
rfiglise universelle si je dois abjurcr ou non. » — ■ Tu
abjureras, s'ecria I'odieux Erard, ou tu seras arse { bril-
lee ). • Elle declara de nouveau qu'elle se soumetlait^ la
decision du pape, en ripelant toutefois qu'elle n'avait
rien fait que par les ordres de Dieu ; que son roi ne lui
avait rien fait faire, et que s'il y avait eu quelque mal
dansses actions ou dans ses paroles, il venait d'elle seule
et non d'autre. Alors I'eveque de Beauvais se leva et lut
la sentence redigee diis la veille. II eut I'impudence de
dire que I'accusee refusait de se soumettre au pape, bien
qu'elle eut, un instant aupiiravant, allirnie le conlraire.
Cependant les temoins manquaient, Jeanne avait recuse
plusieurs chefs d'accusation, et la procedure se trouvait
ainsi entachee de nullile; la responsabilite devenait terri-
ble. Aussi les juges, fort inquiets, tenaient beaucoup ii
I'abjuration; menaces et prieres, tout ttait mis en usage.
Pour arriver Ji son but, I'eveque de Beauvais ne craignit
pas de remettre i un autre jour la lecture de I'actc de
condamnation; aussi fut-il injurie par les .4nglais indigni?s
de ce retard; mais il preferait aux injures et h la culerc
cette abjuration si desiree. Enfin, succombant a tant
d'instances, Jeanne annonca qu elle s'en rapportait sur le
lout a sa mere sainte Eglise et ses juges. Guillaume
Erard lui dit alors : a Signe maintenant , autre-
ment tu finiras aujourd'hui tes jours par le feu. » I
La cedulo dont on lui donna lecture cuntenait seule- '
ment la promesse de ne plus porter les amies, de laisser
croitre ses cheveux et de quitter les habits d'homme.
Elle avait ete entendue par une foule de temoms, et n'a-
vail que huit lignes, comnie plusieurs personnes I'aflir-
mferent. Or la piece que Jeanne signa apres qu'elle eut
(5te pr&enlee, non par le grelTier du tribunal, mais par
Laurent Callot, secretaire du roi d'Anglelerre, etait lon-
gue de plusieurs pages. Elle s'y reconnaissait dissolue,
heretique, seditieuse, invocatrice de demons, coupable
enfin des forfaits les plus contraires et les plus abomina-
bles. Cette infidelit(5 fut reconnue, on en trouva les preu-
ves les plus evidentes dans les declarations du gretfier
qui avait lu la premiere ccdule dans les depositions de
l'apparileur Massieu et de plusieurs autres temoins. En-
fin I'evt^que de Beauvais lut la sentence qui condamnait
Jeanne d'Arc, pour reparation de ses fautes, au pain de
douleur ct a I'cau d'angoisse, pour le reste de ses jours.
Jeanne pensa que desormais condamnee, elle allait ^tre
livree a I'Eglise qui avait obtenu sa condamnation : o Me-
nez-moi en vos prisons, disait-elle, et que je ne sois plus
en la main de ces Anglois. • Mais I'eveque de Beauvais
dtait inipuissant pour donner satisfaction h une si juste
requete, Jeanne fut rameni'e au chateau de Rouen.
Les chefs anglais devinrent furieux quand ils virent
leur victime leur echapper; quelques-uns d'entre eux
voulurent frapper de leur dpfe I'eveque et les juges. Le
comte de Warwick declara ^ ces derniers qu'il etait extr^-
mement prejudiciable aux interetsdu roi d'Angleterre de
sauver Jeanne du supplice : oN'ayez cure, dit I'un d'eux,
nous la retrouverons bien. • Les Anglais ne s'en venge-
rent pas moins sur elle et accrurent pour la malheureuse
les horreurs de la prison. Elle avait pour gardiens cinq
archers dont deux ne quitlaient pas la porte, et les trois
autres I'interieur du cachot oil ils s'etaient etablis. Pen-
dant la nuit on I'attachail par deux chaines de fer fixfes
au pied de son lit, et pendant le jour a un poteau par
une autre chaine qui lui passait aulour du corps.
Elle avait repris ses habits de femme et subissait tou-
tes les consequences de sa condamnation. On cherchait
en vain un priStexte pour une sentence plus severe; on
finit par arriver au but qu'on se proposait. Dans son som-
meil on lui enleva ses vetements, et Ton mit Ji !a place
des habits d'homme. Elle supplia ses gardiens de lui ren-
dre ses vetements de femme; on fut inllexible, elle fut
forcee de rester vfitue en homme. A I'instant niftme plu-
sieurs temoins, postfe \kk dessein, se montrerent pour se
porter garants de cette infraction prdtendue aux ordres
de I'Eglise. L'ev^que de Beauvais et quelques-uns des
juges entrent aussilot dans la prison, et font dresser pro-
ces-verbal. En sortant I'eveque prend a part le comte de
Warwick, et lui dit en riant : « Fare well, fare well,
faites bonne chere, il en est faict. » Le lendemain le tri-
bunal, pour conserver encore une apparence de forme,
interroge la prisonniere, delibtire et rend un arrdt qui
condamne Jeanne d'Arc « eomme relapse, exromimmiee,
rejelec du sein de I'Eglise el jugee digue par ses forfaits
d'etre ahandonnee a la justice sh-uliere. »
Dans la matinee du jour fixe pour le supplice (31 mai
1431), r(Svfque de Beauvais chargea frere Martin I'Ad-
venu de donner lecture a Jeanne d'Arc de la sentence qui
la condamnait ^ inert; d'abord elle temoigna la plus pro-
JEANNE
fonde douleur, et s'ecria avec des sanglots : « Dieu le
grant, juge des grans torts et ingravances qu'on me fait. »
Bientot elle se confessa k frere Martin, et demanda in-
stamment ii communier. Mais il se presentait une diffi-
culte : Jeanne avail ele declare heretique, excommuniee
et relranchee du. nombre des fideles, pouvait-on, devait-
on lui administrer le saint sacrement de I'Eucharislie?
Frere Martin dep^cha I'apparileur Massieu vers I'eveque
de Beauvais pour I'informer du desir de Jeanne. Alors se
passa quelque chose d'inouY, quelque cliose qu'on ne
voudrait pas croire si cela n'etait pas consigne dans le
proces ; I'eveque de Beauvais, apres avoir consulte quel-
ques-uns des juges, fit repondre i frere Martin, qu'il
pouvait donner a Jeanne d'Arc alesacrementde I'Euclia-
ristie ettoutes chosesquelconques quelle deinandcrait. »
Ainsi I'eveque de Beauvais, dans un moment de com-
passion, se laissa llechir, malgre la cruaute dont il avait
faitpreuvejusque-la.et nereflechit pas qu'il annnlaitain^i
sa propre seiftence et proclamaitl'innocence decelle qu'il
avait condamnee. D'apri.'sranlorisalion de I'eveque, frere
Martin I'Advenu fit communier Jeanne, qui reout ce saint
sacrement avec une grande huniilite et des larmes abon-
dantes. Son courage et sa fermele parurcnl se ranimer ;
elle apercut en ce moment I'eveque de Beauvais : « Evfi-
que, lui dit-elle, je meurs par vous; si vous m'eussiez
raise aux prisons de court de PEglise, cecy nenie fOt pas
advenu : pour quoy je appelle de vous devani Dieu. »
A neuf heures du matin Jeanne, revetue des liabils de
son sexe, monta dans le chariot du bourreau, assistee de
fr^re Martin I'Advenu etde here Isambard de la Pierre.
Le chariot etait entoure de huils cents soldats anglais,
armfe de baches, d'epeos el de lances. La place etait rem-
plie d'une niullitude immense. Soudain on apercoit un
homme, les trails bouleverses, la figure baignee de lar-
mes, penetrer ii Iravers la foule et les Anglais surpris,
puis monler sur le chariot de Jeanne : cet homme n'etait
autre que I'Oyseleur; les remords I'avaient mis en cet
etat, et il accourait pour supplier Jeanne de lui pardon-
ner. Sans le conite de \\'ar\vick, il eut ete massacri a
I'instant par les soldats anglais. II ne dut la vie qu'il I'ordre
donne par le comte de le chasser aussitfit de la ville.
Cependant les lamentations de Jeanne, sa douleur na-
vrante, la piete qua respirait dans ses paroles et dans son
maintien, avaient louche tons les assistans. A son arrivee
sur la place du Vieux-Marclie, le peuple avait dejJi laisse
echapper des larmes. Le biicher s'elevait sur une plate-
forme, lion loin de laquelle i'taient dresses deux ^cha-
fauds. Sur I'un siegeaient les juges ecclesiastiques et ci-
vils, lebailli de Rouen etson lieutenant Laurent Quesdon;
sur I'autre etaient les prelats. Nicolas Midy, docteur en
th^ologie, adressa d'abord a la condamnee un discours
d'admonition : apres quoi Jeanne s'agenouilla pour prier;
elle declara de nouveau que son roi ne lavait pas induile
aux choses qu'elle avait failes, rcprehensibles ou dignes
de louanges; puis elle se rccommanda a la piete de tous
ceux qui Etaient presents, et pria les pretres qui etaient
la de dire une messe pour elle. A cet instant non-seule-
ment le peuple, mais les juges, les soldats anglais, tous
enfin etaient attendris et fondaient en larmes.
L'eviSque de Beauvais se levant lut la sentence qui,
comme la premifere fois, renfermait pour Jeanne des
exhortations melees de calomnies et d'injures; elle finis-
sait ainsi ; u Nous vous declarons relapse et heretique par
D'AHC.
US
noire prfeente sentence; nous vous livrons ;i la puissance
s&uliere en la priant de moderer son jugement h voire
egard, en vous evitant la mort et la mulilaliun des mem-
brcs.. Formule pleine d'hypocrisie, car deja le bourreau
tenait la torche. Encore fallait-il que la justice seculi^re
prononrfl I'arr^t de mort, else charge^t d'ordonner I'exe-
culioii. Or le bailli de Rouen el sesofficiers ne prononcerent
aucune especede sentence, et ne donnerentaucun ordre.
Quand I'evt^que de Beauvais eut fini sa lecture, deux
sergents s'avanceient pour faire descendre Jeanne de
I'echafaud. Elle enibrassa ardemment une croix qu'elle
avail demandee et qu'on lui a\ait ajiportee d'une eglise
voisine,.et se laissa conduire par frere Martin I'Advenu:
mais elle fut saisie et entrainee au supplice par les sol-
dais anglais furieux. Elle s'ecriait en invoquant le ciel :
" Ah! Houen ! Rouen! seras-lu ma derniere demeure? .
Quand elle fut au pied du biicher, on la coiffa de la mi-
tre honteuse de I'inquisition, on y avait ecrit ces mots :
■ Heretique, relapse, apostate, ydolastre. . En face du
buchcr etait un tableau avec cetle inscription : . Jeanne,
qui s'est fait nommer la Pucelle, m'enleresse^ pernicieuse,
abuseresse de peuple, divineresse, superslilieuse, blasphe-
meresse de Dieu, mal creant de la foy de Jesus-Christ,
vanleresse, ydolastre, cruelle, dissolue, invocaleresse de
diables, scismatique et heretique. . Jeanne supplia qu'on
lui donnat un crucifix : un soldat anglais rompit un ba-
ton qu'il trouva et en fit une sorte de croix ; elle la prit,
la baisa et la mit dans son sein.
Se3 longs cheveux epars flottaient au gre des vents ;
Au pied de I'echafaud, sans changer de visage,
Kile s'avan9ait k pas lents.
Trancjiiille elle y monta : quand, debout sur le taite
Elle vit ce biicher qui Talhiit devorer,
Les bourreaui en suspens, la damme deja prete,
Sentant son cceur faillir, elle baissa la tele,
Et se prit a pleurer. c. Delavigme.
Une fois monlee sur le biicher, on la lia a une colonne
en piatre, construile k ce dessein, et on mit le feu au bois
amonceM. Frere Martin I'Advenu, tout enlier aux soins
qu'il donnaitpieusement a Jeanne, ne voyaitpasia flanime
qui s'approchait de lui ; mais Jeanne s'en elait apercue
et I'averlit; elle lui dit de se reculer en le priant de r'es-
ter au pied de I'echafaud et de lever sa croix devant
elle en lui parlant assez haul pour qu'elle pOt enlendre.
11 obeit avec ce zele el ce devouement dont il avait donne
dejii plusieurs preuves. Pour que personne ne pill doutcr
de sa mort, on avait elevij le bucher a une Ires-grande
hauteur; de celle mani^re lout le peuple pouvail aperce-
voir la viclime. Or I'eltivalion du biclier rendit son em-
brasemenl plus difficile et le supplice plus long et plus
cruel. Tanl que I'inforlunee conserva un peu de vie, on
lentendil prononcer, du milieu des flamnies et parmi les
gemissements et les sanglots, le nom de Jesus. Quand elle
eut ele consumee, le cardinal de Winchester fit ramasser
ses cendres et ordonna de les jeler dans la Seine. Celle
qui mourut ainsi apres douze mois de captivile, avait
sauve son roi et la France; son roi et la France ne firent
aiicun effort pour la sauvera son tour.
On assure qu'au moment oil les flammes etouflferent le
nom de Jesus dans sa bouche, une colombe s'eleva du
bucher, en presence des Anglais epouvantijs, et s'envola
vers le ciel. Telle fut du moins I'illusion produite, par le
remords, dans I'ame des bourreaux. Ravehgie.
90
INFULENCE DE LA LUNE SUU LE TEMPS.
INTIilTENCE SE IiA I.T7NE SUR I.X TEMPS
M. Arago a observe que dans la ijueition do savoir si
la lune a une influence sur le temps, il y a deux opinions
opposees. La majority des hommes ne doute -pas de cette
influence, et dans ce nombre se trouveiit : les marins, les
bateliers etles laboureurs; mais ties-peusehasarderaicnt
a predire si le changement de.teiniis aura lieu a lapleine
ou a la nouvelle June, ou aux quartiers, s'il y aura du
beau ou du mauvais temps; la plupart pensent ccpen-
dant qu'un changement do quelque espece aura lieu a
I'une de ces epoques. De I'autre cole les astronomes et
les savants en general atlribuent cette opinion a un pre-
jugiS populaire, et ils ne voient pas de raison dans la na-
ture des vicissitudes de Tatmosphiire pour croire qu'elles
doivent avoir lieu un jour de la lune plutot que I'autre.
Dans cet etat de choses M. Arago et d'autres savants
ont examine avec attention les observations pieteorologi-
ques faites dans des annees differentes, afin de voir quel
changement pouvait operer la nouvelle et la pleine lune.
Le premier etat atmosph^-rique auquel ils ontdirige leur
attention est celui dela pluie.
II y a Irois couples de periodes (si nous pouvons em-
plover I'expression) dans lesquelles on peut compa-
rer I'influence de la lune: 1" La nouvelle et la pleine
lune, c'est-a-dire les epoques pii la lune est alternative-
nient plus pres et plus loin du soleil ; S" le perigee et I'a-
pogee, c'est-a-dire les moments oil elle est le plus pres et
le plus loin de la terre dans le cours de sa revolution
mensuelle; 3° la dcclinaison nord et la declinaison sud,
epoques oil la lune reste plus ou moins longlempsau-des-
sus del'horizon dans la duree d'un jour. Les savants ont
tire leurs conclusions principalemont de I'elatdu temps a
ces phases. Le docteur Midler de Berlin a fait, pendant
seize ans, des observations six fois par jour; et il a lrou\e
qu'i Berlin il avait tombe un peu moins de pluie et de
neige, quand'la lune est Jison apogee, quo lorsqu'elle est
k son perigee.
Le professeur Schiibler, de Tubingen, a fait une serie
d'observations sur le temps pendant le long espace de
vingt-huit ans. II a trouvi, qu'en vingt ans, il yavaiteu
3066 jours de pluie dont 1609 avaient eu lieu pendant
que la lune etaitcroissanle, c'esl-a-dire dansle passage de
la nouvelle a la pleine lune, et 14o7 dans le decroissant,
c'est-a-dire pendant le passage de la pleine i la nouvelle
lune. Le plus grand nombre de jours pluvieux fut entre
le premier quarlier et la pleine lune, et le plus petit
nombre entre le dernier quartier cl la nouvelle lune; les
deux aulres epoques eun'ut de la pluie a peu preslememe
nombre de jours. Conime la plupart des annees prises
individuellement s'nccordaient assez bien avec le resuUat
total, cette observation conduisit a une conclusion assez
satisfaisant*, quedansr.\llemagne, il y a plusde pluie un
peu avant la pleine lune qu'un peu avant Vi nouvelle
lune dans la proportion de six a cinq. Schiibler \aria
ensuite ses calculs; il prit un k un les jours de la lune au
lieu de reunir sept a huit jours. II trouva que dans vingt-
huit ans il y avait eu 148 jours pluvieux A la nouvelle
lune, 156 au premier quartier, 162 a la pleine lune, et 130
au dernier quartier ; d'oii il parait resulter que le jour
de la pleine lune a eli, des quatre phases, le plus sujet a
la pluie; mais il trouva aussi que la chance de pluie etait
encore plus grande, trois jours environ avant la pleine
lune.
A Monlpellier, M. Poitevin est arrive a des resullats
differents de ceux que nous venous de rapporler. II a
trouve, en dix ans d'observations, qu'a la nouvelle lune
il y avait un jour de pluie sur quatre; au premier quar-
tier un sur sept; a la pleine lune un sur cinq; et au der-
nier quartier un sur quatre. Nous voyons ici qu'ii Monl-
pellier il est tombe de I'eau plus souvent iila nouvelle
qu'a la pleine lune ; tandis qu'un resultat contraire a ete
observe en Allemagne. D'apres les observations qu'il a
faites a Vjenne, M. Pilgrim a trouve que, s'il y avait
vingt-six jours pluvieux a la nouvelle lune, il y en aurait
vingt-neuf a la pleine lune, resultat qui s'accorde assez
bien avec celui de M. Schiibler. Un grand nombre d'ob-
servationsfaites a Geneve pendant unep^riode de trente-
ti'ois ans, montre que le nombre des jours pluvieux dans
celle yille aux quatre phases de I'age de la lune sont :
nouvelle lune 123 jours, premier quarlier 122, pleine
lune 132 jours, et dernier quartier 128 jours. Ici le
nombre est plus grand pour la pleine lune que pour la.
nouvelle, comme dans presquc toutes les autres suites
d'observations. Mais si Ton prend la quantite positive de
pluie qui est tombee, au lieu du nombre de jours seule-
ment, on trouve un resultat qui renverse toules les con-
clusions precedentes; car, si la quantite de pluie tombee
les jours de nou\elle lune est representee par i32, celle
du premier quartier sera de 430; a la pleine lune 416; et
dernier quartier 369 ; ce qui montre qu'il lombe plus de
pluie a la nouvelle qu'ii la pleine lune, quoiqu'il .serablit
y avoir plusde probabilite de pluie a la pleine lune qu'k
la nouvelle.
On a encore considere la lune, non plus sous le rap-
port de la quantite de pluie reellement tombee; rnais de
I'etat nebuleux du ciel. M. Arago appelle une belle j_qur-
nee celle ou le ciel est clair k sept heures du matin, deux
heures apres midi et k neuf heures du soir. 11 appelle
nebuleux les jours dans lesquels, a ces heures, le ciel est
obscurci de nuages. II a examine les observations faites
pendant seize ans Ji .\ugsbourg, et il a vu qu'il y avait
I u :
Bc.illx joins. Jmirs nelnileux.
.\ la nouvelle lune, 31 61
.\u premier quartier, 38 S7
A la pleine lune, 26 61
Et au dernier quartier, 41 53
Ces resultats s'accordent assez bien avec ceuif que
nous avons cites de Schiibler, dans lesquels on trouve
plus de jours pluvieux dans la semaine qui precede la
pleine lune que dans les trois aulres seuiaines du mois
lunaire, et ils s'accordent egalement pour la quanti(6 ab-
solue de pluie.
Typogr.ipliie I.Ar.n*MPR cl Ci^, i uc DamielU;, -2.
CHROMCLE DES IIOIS.
AVKII..
r-^Cr:
ui de vous, mes enfanls, aux
jours froitls et neigeux d'hi-
ver, n'a soupire pour le re-
tour de ce mois forlun6 ?
Mars a beau vous dire, par
I'orsane du calendrier, qu'il
preside a la renaissance du
printemps, au lieu du riant
berceau qu'il vous annonce,
vous ne voyez, helas! que des
givres et des brouillards-; il
a beau vous presenter un odo-
rant bouquet ^e violettes et d'hyacinlhes des bois, ou
une fraiche guirlande de paquerettes et de primeveres,
toules fleurs venues aux rayons d'un doux soleil, vous
n'cn avez pas moins la sage precaution de garder votre
manteau, car vous savez trop bien que la bise et la gelee
sont conime certains oiseaux de passage, elles s'en vont
et reviennent plusieurs fois avant leur dernier depart.
Mais en avril vous assislez au verilable reveil du prin-
temps; le soleil, degage des vapeurs pluvieuses de le-
quinoxe, monte jilus briUant surrhorizon, les collines et
les ]ilainps, les rives des rnisseaux et les rivieres des
chemins; tout reverdit a perle de vue; des vents tiedes
et parfunies fremisscnt dans les feuilles naissantes, entre
les blancs rameaux de I'amandieret les boutons de roses
qui s'ouvriront plus tard pour former la couronne de mai,
Dejala fauvette, lamiisange etle chardonneret gazouil-
lent dans les buissons,tandis que rhirondellebMitson nid
sous ravant-toitdesvillasetdeschaumieres ;le souffle dcla
vie fail bruirel'insecle sous I'herbe, chanter I'alouette dans
la nue, folitrer le poisson dansles ondes ; la nature, naguere
engourdie, se reveillefraicheetbrillantecommela chrj'sa-
lidedevenuepapillon.ou, si vousaimez mieux, comme la
Belle au Bois dormant, apresunlonget magique sommeil.
T. II.
Quel bonheur pour vous, mes enfants! Yoici revenir la
douce saison des promenades h la campagne, autour des
bales, au milieu des bois, ou Ton fait de si d^licieux gou-
ters, de si aimables causeries ; plus tard, sous les mfimes
ombrages,vousferezpeut-^lredesr^vesserieux,inquiets...
mais ne troublous pas la felicite de votre bel age...
Le mois d'avrd, que nous complonsle quatrieme dans
notre annfe, ^tait seulement le deuxifeme dans I'ancienne
annee de Romulus, laquelle navait que dix mois et com,
mencait avecmars. Environ 600 ansavant notreere.Numa,
second roi de Rome, retrancha quelques jours a chacuD
de cesdix, alors tres-longs, eten forma Janvier et fevrier.
II sera bon de savoir aussi que, sops la premiere race
de nos rois, le mois d'avril terminait Tannee civile, qui,
de la sorts, commencait avec le mois de mai. Nous trou-
verons dans ce fait I'explication la plus satisfaisante que
Ton puis.se donner sur I'origine du fameux poisson d'avril.
La voici eu peu de mots. Nos bons aieux ^laient
comme nous dans I'usage de se faire des cadeaux au re-
nouvellement de I'annee, seulement ces cadeaux consis-
laient d'ordinaire en poisson, iequel est excellent k la fin
d'avril, surtout la sole et le maquereau ; or, par une or-
donnance d'un roi de la deuxieme race, le premier mai
ayant cesse d'etre I'ouverture de Tannic, les presents de
poissons ce.sserent aussi , au grand di5sappointement des
personnes accoutumees k de pareilles aubaines. Depuis
lors compter sur une chose qui ne devait pas se r&liser
etait comme si Ton avail continue de compter sur un
poisson d'avril donne en etrennes, et, par extension,
donner un poisson d'avril a signifie attraper quelqu'ur*
en lui faisant accroire ce qui n'est pas.
Les Remains , qui avaient place chacun de leurs mois
sous les auspices de quelqu'une de leurs divinites, con-
sacrerent le mois d'avril a V|inus; c'est aussi pendant ce
mois qu'ils c^lebraient les cereales, les floreales et autre.«
7
98
K'les en I'huiineur de ki tene, commefeconde noiirrice
des peuples. lU \a nommerent aprilis, du ■verbo aperire,
ouvrir, pour foire entendre qu'en avril le sol, purge de
frimas, s'oitvre aux douccs inlhionces de la clialeur, ou
encore que ce meme mois ouvrc pour le cullivateur le
cercle des travaux et le tr^sor des esperances.
En effet, c'est en avril, et sous le signe du laureau,
embleme du laboura.qe, que commence I'annee agricole.
Malheur Ji I'liomme des champs qui, pendant la durce de
ce mois precieux, s'endormirait dans une coupable negli-
gence! il perdrait le fruit de ses peines, ou du moins
tout espoir d'une abondante r^colte, car pour recueillir
avec usure, il est indispensable de semer et de planter.
Avril est I'image fidele du temps de la jeunesse pen-
dant lequcl il importe de jeter dans les esprits et dans
les cceurs la semence des bonnes choses, les principes du
savoir et de la sagesse; plus tard viendra la moisson,
douce recompense des peines qu'on aura prises.
Malheur Ji celui qui ne comprend pas de bonne heure
une verite aussi claire et se laisse aller a une pernirieuse
paresse ! L'insense! H s'imagine ne perdre qu'un mois,
qu'une annee, et c'est sa vie enliere qu'il peid ; quelle
que soit la bonte do son fonds, il n'a pas seme h temps,
la recolte est manquee, incomplete, insuffisante. Que
d'fitres doues des plus heureuses dispositions se sontainsi
vou^s volonlairement a une inferiorite qui doit durer
toute leur vie !
Prevenonsdesterilps regrets, travaillonsardemmentlors-
que nous le pouvons encore, travaillons comme le culliva-
teur attentifafairecbaque chose en son lieu, en son temps,
selon le climat qu'il habite ou le terrain qu'il exploite.
Observez-le cet homme laborieux : des que les brises
d'avril ont caress6 les jeunes bles, il s'arme de la pioclie
ou de la pelle, de la faucille ou du secateur, parque son
troupeau ou attelle ses boeufs.
Dans certaines provinces, il seme I'orge ou I'avoine
derniere, il repique les choux <i grande dentelure en
planche et en ligne pour la facilite du labour ; il sarcle
les lins, les garauces, les moutardes, les pastels, les ca-
melines, les colzas et los pavots.
S.VIK'l' lilitGOlUE, Dl'l TOUKS.
.iilleurs il bine les vignes, les oli\i"is et les orangers,
decouvre les cipriers, seme les melons et les pasteques,
herse le froment, fauche les vesces en herbe, fait pro-
duire la brebis et la chtvre et eclore les vers a sole.
S'il est jardinier polagiste, voyez le comme il prepare
ses planches pour les hortolages, comme il repique avec .,
dexterite les aubergines, les tomates, les laitues et miUe '
autres plantes qui figureront sur nos tables; comme il
seme avec soin ses legumes et surtout des pommes de
terre, aliment aussi precieux que le pain, et que I'Europe
doit a Parmentier.
S'il est arborisle, vous admirerez son adresse a tailler
les arbres fruitiers depuis le p^cher precoce jusqu'au
pommier tardif; espaliers, plein-vents, quenouilles, py-
ramides, il salt tout disposer avec grJce et cependant
avec avantage.
Enfin s'il est fleuriste, c'est alors qu'il vous etonnera
par son babilete h dresser ses jeunes plantes, a obtenir
chaque annee de nouvelles merveilles que les amateurs
vont se disputer iiu prix de I'or; il ne dedaigne rien de
ce qui pent 6lre utile ; et landis que la serre protege en-
core les plantes rares de toutes les zones habilees, il n'en '
seme pas moins les balsamines, les reines-marguerites,
les modius, les coriopes, les belles girollees; il s'applique
a former de gracieux treillages ou grimperont les ipo-
mees, les liserons, les clematites, charmants berceaux qui
bientot se pareront de fleurs et d'umbre.
Saluons done avec transport ce mois si plein de doux
soleil, d'esperances dories et de salutaires lecons! Re-
connaissons que par le travail tout progresse, tout s'har-
monie.
C'est du sein du travail comme de celui d'une priere
que r&me intelligente, dominant I'inerte matiere, 616ve
son regard vers I'auteur de tout ordre et de toute sa-
gesse; c'est de ce sanctuaire que, fortifiee centre les
orages des passions humaines, elle s'explique mieux la
grandeur de sa mission et le terme consolateur revile par
le christianisme.
OiAKLES CH.4UBET. *
L'ELITE DES SAINTS FRANCMS.
SAIM'T GREGOIRX DE TOURS.
17 novemhre.
P NCORE un 6veque qui ouvre la
partie religieuse de notre qua-
trieme mois. Ici nous trouverons
unis et marchant de front les
labours de I'aposlolat chrctien et
coux de rintelligence, rhomme
qui civilise tout h la fois par la
croix et par la plume. Sans cette
derniere, que mania I'illustrepon-
=^. life dont nous essayons d'esquis-
ser la biograpliie, I'histoire des
premiers temps de noire monar-
gi'e dans les plus profondes teni;bres. Gre-
goire est done ceint d'une double aureole d'immortalile.
George Florentius naquit d'une des plus riches et des
plus nobles families de I'Auvergne, leSOnovembre S39. Sa
mere Armentaria etait petite-fiUe de saint Gregoire de
Langres, et c'est par respect pour cet illustre bisa'i'eul,
dont il cherissait si justeraent la memoire, que George
Florenlius prit par la suite un nom qu'il glonfia a son
tour. Saint Gal, ev^que de Clermont, frere de son pere,
fut son instiluteur. Sous la conduite d'un maitre si sage,
le neveu s'appliqua principalement a I'etude des sciences
eoclesiastiques, et fut bientot promu au diaconat. Gre-
goire, c'est le nom que nous lui donnerons desormais, fut
gueri d'une grave maladie par I'lnlercession de saint
Martin. Le desir de temoigner sa reconnaissance ii ce
saint le conduisil ii Tours, pour y visiler son tombeau
Ses qualites eminentes lui conquirent pendant un assez
court sejour I'e.stime du clerge et du peuple dp celte
ville, et apres la niort de saint Euphrone les suffrages
SAINT GREGOlUi;, UE TOUUS.
lies Tourangt'aux le dcsignerent pour occuper le siegp
metropolitam '. Gregoire elait dejJl parti de Tours. Les
deputes allerent h la cour d'Austrasie, oil il etait en ce
moment, pour hii notifier son election. Iln'accepta qu'a-
prts une longue resistance, et Gilles, evequc <le Ueims,
le sacra le 22 aotit de I'an 573. 11 n'avait que Irente-
quatre ans.
Sa presence dans la viUe cpiscopale fut bientotsignalee
par des actes importants. Son premier soin fut de rebatir
la cathedrale fondee par saint Martin, ainsi que plusieurs
autres eglises ; il sut braver les pretentions tyranniques
du roi Chilperic, qui voulait s'emparer de la personne
du due Gontran, auquel Feglise de Saint-Martin avait
ouvert un asile tutelaire. En ces temps a demi barbares,
les eglises offraient un refuge assure a ceux que poursui-
vaient la vengeance et I'injustice. Violer cet asile, c'etait
aux yeux des peuplesoffenser gravement Dieu et le saint
sous le nom duquel I'eglise etait dedi^e. Quatre ans apres
son intronisation, Gregoire fut appel6 h un concile tenu
a Paris centre Pretextat, evfique de Rouen, que la vin-
dicative Fredegonde, epouse de Chilperic, voulait abso-
lument perdre. Le crime qu'on imputait a cet ev^.que
i'tait d'avoir marie Merovee, fils du roi Chilperic, avec
Brunehaut, veuve de Sigebert, roi d'Austrasie, que Fre-
degonde avait fait assassiner pour delivrer son mari as-
siege dans la ville de Tournay. On accusait Prclextat d'a-
voir agi, en cetle circonstanee, surtout centre les canons
qui defendaient I'alliance matrimoniale d'un neveu avec
son oncle. Or, I'^v^que de Rouen n'avait celebre ce raa-
riage que pour eviter un commerce scandaleux. On ca-
chait le vrai motif de la haine centre I'eveque sous cette
apparenre de respect pour les lois de I'figlise. Le princi-
pal motif de la haine de Fredegonde etait la jalousie que
ce manage lui inspirait, puisque cette union mettaitdans
la maison royale une princesse qui pouvait contre-balan-
cer I'influence de I'epouse de Chilperic.
Le concile etait compose des ev^ques de Tours, de
Nantes, du Mans, d' Amiens, de Lisicux, de Chartres, do
Paris, de Bayeux, de Coutances, de Poitiers, de Senlis et
1 Le titre d'atcheveque n'etait point encore usite en France; ce n'est
guere qu'au huitieme siecle qu'on le trouve ajiplique aux 6veques me-
tropolitains, comme ceiix de Tours, de Besani^on, de Reims, etc.
de Bordeaux. Celui-ci presidait Tassemblfee, qui se tenait
dans I'eglise des saints apbtres Pierre et Paul, plus tard
Sainte-Genevieve.Dnappareilniilitaireentouraitl'enceinte
sacrde. Chilperic et surtout Fredegonde avaientappele ces
prelals plutotpour prononcer une condamnation que pour
deliberer avec maturite. Pre.«que tous ces evSques etaient
sous I'impression d'une vive frayeur. Gregoire de Tours,
indigne de la pusillanimite de ses coUegues, et d(5cid6 ii
juger la cause avec impartialite et sans acception de
personne, prit la parole : . Tres-saints pretres de Dieu,
• leur dit-il, surtout vous qui etes admis dans I'intirae
' familiaritc de notre roi, faites attention a ce que je vous
« propose. Donnez a ce prince des conseils de miseri-
« corde et dignes du caractere dont vous etes revMus.
■ Songez bien qu'il est a craindre que son acharnement
« centre un minislre du Seigneur n'attire sur lui la co-
« lere divine et ne lui fasse perdre son royaume et sa
. gloire. . Les i^vfiques cependant gardaient un morne si-
lence, qui n't'tait pas de bon augure pour les intentions
droites de I'evCque de Tours. Celui-ci, loin de se decoura-
ger, reprend la parole : . Seigneurs et confreres, souvenez-
. vous de ce qu'a dit le prophete Ezechiel : Si la sentinelle.
« voyant le glaive approcher, ne soiine point de la trom-
« pette, et si le glaive arrive et enleve la vie ii quel-
• qu'un, je redemanderai le sang de I'homme immole ii
' la sentinelle. Ne gardez point le silence dans lequel
- vous semblez vous obstiner. Parlez haut, et mettez dc-
« vant les yeux du roi son injustice, do peur qu'il ne lui
" arrive malheur et que la respon.sabilil6'n'en pese sur
« vous. •
Un discours si apostolique ne fit aucune impression .sur
les eveques. Nul ne se ha.sarda neanmoins a r^pondri'.
Les evL^ques de Bordeaux et de Paris, Bertramne et Rl -
guemod, allerent faire leur cour k Chilperic et lui an-
100
noncerent qii'il n'avait point dans I'assemblee de plus
dangereux ennemi que Gregoire. Le roj, saisi de colore,
oidonne qu'on lui amene I'eveque de Tours. Un courti-
san, charg6 de la commission, enjoint i Gregoire de lo
suivro, et celui-ci, toujours calme et assure, obeit. 11
ti'ouve Chilpiric sous une luitte construite en brancliages,
au milieu des baraques et dcs tentes de ses soldats ; a
droite et h gauche du roi fitaient les deux cvfiques denon-
ciateurs de leur coUegue. Chilperic, alTectant un air fare-
tieux, dit ^ Gregoire : « 0 ev^que, ton devoir est de dis-
• penser la justice k tous, et -voilJi pourtant que je ne
« puis I'obtenir de toi. Au lieu de cela, tu es en conni-
« vence avec I'iniquito et tu donnes raison au proverbo :
« Le corbeau ne cr^ve pas I'oeil du corbeau. » Gregoire
replique avec dignite : « Si quelqu'un de nous, 6 roi,
« s'fearte du sentier de la justice, il pent etre corrigd
« par toi, mais si c'est toi qui es en faute, qui est-cequi
« te reprendra? Nous te parlons, et si tu le veux, tu nous
« ecoutes; mais si tu ne le veux pas, qui le condamnera?
• ce sera eelui-la seul qui a prononce qu'il ^fait la jus-
« tice meme. » Le roi I'interrompt en s'ecriant : € La
« justice, je I'ai trouvee auprcs de tous, et je ne puis la
« trouver auprte de toi ; mais je sais ce que j'ai a faire
« pour que tout le monde sache que tu es injuste ; j'assem-
■ blerai les habitants de Tours et je leur dirai : filevez la
« voix centre Gregoire, criez qu'il est injuste et ne fait
« justice a personne. Pendant qu'ils crieronl, j'ajouterai :
« Moi qui suis roi, jene puis obtenir justice de lui, com-
■■ ment, vous autres qui otes au-dessous de moi, I'obtien-
« driez-vous? • Gregoire, semblable au rocher que la
tempete bat vainement, replique aussitit : « Si je suis
« injuste, ce n'est pas toi, 6 prince, qui le sais, c'est ce-
■ lui qui descend dans ma conscience et auquel on no
« saurait derober les secrets du cneur. Quant aux cla-
■ meurs populaires que tu veux exciter, elles ne produi-
« rent aucun effet, car on saura bien que tu en es le pro-
• vocateur. Mais cela suffit; tu possedes les lois et les
« canons, interroge-les avec soin, et si tu ne les observes
« pas, sache que le jugement de Dieu est sur ta tMe. »
Chilperic fit semblant de ne pas eprouver un mouvement
de colere et invita I'ev^^ue a prendre des viandes qui
etaient etalees sur une table. Gregoire fit un signe de
refus et repondit : t Notre nourriture doit ^tre de faire
. la volonte de Dieu et non de prendre plaisir a une
• ch^re di-licate. Toi qui accuses les autres d'injustice,
« promets d'abord que tu ne mepriseras pas les canons et
• les lois de I'figlise, et alors nous pourrons croire que
« c'est la justice que tu poursuis. » Cbilpi'ric, qui otait
intiressfe h ne pas rompre entierement avec I'^v^que de
Tours, leva la main et jura, par le Dieu lout-puissant, de
ne point transgrosser les canons. Alors Gregoire accepla
un peu de pain el de vin pour ne pas manquer au devoir
de la politesso el se retira dans son logenient aupres de
I'cglisc de Saint-Julien-le-Pauvre { aujourd'hui chapelle
de I'Hotel-Dieu).
Chilperic n'avait pu vaincre I'eveque de Tours; Frede-
"onde essaya, de son cote, de sele rendre favorable, mais
rien ne put flechir la droiture du pontife. Nous ne pou-
vons raconter ici en detail toute I'alVaire de Toviique Pr6-
textat qui, trompe par ses coUegues, s'etant reconnu
coupable, avail ote condamne. Mais apres cette decision,
qui (Hail le fruit d'une ruse infilme a laquelle Gregoire
n'avait pas pris part, comme on voulailaggraver la peine,
SAINT GREGOIRE, DE TOURS.
en depit des canons, noire saint ponlifo ('leva la voix avec
sa fermete tranquille, s'opposa icelle nouvelle injustice.
et du moins cetle fois le concile se rendil a ses avis.
Quant k Pretextat, comme ces debats se prolongeaient,
I'lmpatiente Fredegonde envoya dos gens armes dans I'e-
glise. lis enleverenl I'lSveque de Rouen et alliirent I'enfer-
mer dans une ctroite prison, au dedans des murs de la
ville. On sail que plus tard eel ev(^que, ayanl ilk reinle-
gr6 avec honneur sur son siege, I'implacable Fredegonde
le fit assassiner dans sa propre calhMrale.
Nous avons insisle un peu longuement sur cette cir-
constance de la vie de I'lSvdque de Tours, parce que Ik se
raontre dans lout son jour la magnanimity de ce grand
homme. Mais il fallait encore qu'il fi'it lui-meme victime
de la vengeance de Fredegonde pour faire ressortir tout
ce qu'il y avail de grand el de noble dons Gregoire. Fre-
degonde avail suborne Lendasle, comte de Tours, afin
qu'il accusal I'eveque de dilferents crimes. Chilperic con-
voqua une assemblee d'eveques k Berny, pres de Com-
piiigne. Gregoire y comparul. La calomnie ful decou-
verle, I'innocence de Gregoire fut haulemenl proclamee,
les accusateurs furenl Iraites comme ils le meritaient, et
Lendasle, qui en elait le promoleur, pi'rit mis6rablemenl
quelqucs annees apres.
Les travaux de son t^piscopal, au milieu de tant d'eve-
nements funesles qui signalenl ce siecle de fer, assignent
a Gregoire une place distinguee dans I'bistoirede I'Eglise
gallicane. 11 y avail en ce tcmps-li un Ires-grand nombre
dejuifs, dont racharncmenl centre la divinite de J&us-
Christ ne laissait aucunjrel<iche aux difenseurs du chrislia-
nisme. Les arien.s, quoique depuis longtemps condamnes,
levaient encore la tele else joignaienl aux implacables en-
nemis du divin Sauveur; d'autres heresies pullulaient
comme une pernicieuse ivraie dans la champ du pere de
famille. Gregoire confondit tous ces ennemis de la saine
doctrine et en ramena plusieurs au bercail du bon pas-
teur. Chilperic lui-meme, se piquant de thtologie, s'etail
avise d'ecrire sur les dogmes de la foi catholique el elait
lombe dans plusieurs erreurs. Gregoire le reprit et sut
resisler avec courage au m^conlenlement que le prince
lui exprimait. Celui-ci voulut dtayer de Tautorite de son
glaive la doctrine hcterodoxe dont il professait les dogmes
et redigea un edit qui enjoignail do les adopter. Gregoire,
aide puissamment par saint Salvi, eveque d'.\lbi, parvint
a detourner le roi Chilperic d'un projet aussi dfeaslreux
dans ses consequences que derai.sonnable et meme ridi-
cule dans son principe. Ce n'esl point aux rois de la terre
que .Icsus-Christ a confie le dep6t de la foi. L'autorittS des
princes ne pent s'exercer sur les choses spirituelles. C'est
bien pourtant une absurde anomalie de cetle esp^ce qui,
dans le siecle ou nous vivons, et avec les prStendues lu-
mi(?res dont nous .sommes si fiers, se fail remarquer dans
la Russie, dans la Grande-Brelagne, dans la Prusse. C'est
dans la secondede ces monarchies que Ton volt surtout une
femme jouer le role de pontife supreme de ffiglise etablie et
s'arroger la prijrogalivo de donner la mission spirituelle
aux archeveques, ev^ques el autres pasleurs de son em-
pire. Le dix-neuvieme siecle ne peut done s'egayer aux
depens du sixieme oil nous venons de voir un roi qui
dogmatise I'epee a la main... Chilperic n'est pas aussi
suranne qu'on sc I'imagine...
Gregoire, en resistant aux pretentions du prince el en
defendant la foi, montrail neanmoins, en beaucoup de
SAINTE RA
cii'conslances, une charil6 vraiment evangelique. Des vo-
leurs avaient pille I'^glise de Saint-Marlin. lis fiirent ar-
rdtes et condamnes k mort. On croirait que GK-goire de-
vaitlaisser a la justice uii libre cours, afiii d'iiUimider,
par une execution capilale, ceux qui seraient tentus d'i-
mitcr COS sacrileges spoliateurs. Ce fut pourtant lui qui
demanda leur grJce au roi Chilperic et qui I'obtint. 11 sut
muriter la confiance des rois Childebert et Gontran ; dans
toutes les missions iniportantes dont il fut charge, Gt&-
goire, en servant rinteret public de la society civile, n'en
Septra jamais les interets do la religion, toutes les fois
qu'il y eut conflit entre ces deux causes. Ce qui honore
beaucoup Gregoire, c'est I'estime qu'eut pour lui sainte
Radegonde, dont nous avons h dfcrire la vie. Ce fut Gre-
goire qui fut charge d'oBicier auxobsequesdecetle illuslre
peine, decedee au couvent de Poitiers. II eut le don des
miracles'des son vivant. Mais sa modestie les lui faisait
altribuer aux reliques de saint Martin et d'autres saints
dont il portait sur lui constamment des parcelles. Aprfes
un episcopal de vingt ans dans un siccle agile par tant de
commotions, et au milieu des cpreuves les plus facheuses,
Gregoire rendit son ame ci Dieu, le 17 novembre de I'an-
nee59o. Ilavaitordonno que son corps fCit inhume dans le
lieu que les pas des fideles foulaient le plus frequemment,
en entrant dans I'cglise. Son humilite lui avait inspire cette
disposition testanientaire, afin que son souvenir s'effacH
de la mdmoire des hommes. JIais apres sa mort, le clerge
de Tours n'eut point egard a ces intentions, et sa depouille
mortelle fut placee auprfes du tombeau de saint Martin.
Si le corps de Gregoire de Tours avait pu ^tre soustrait
au souvenir et k la veneration de ses diocesains, sa me-
moire, d'autrepart, ne pouvait se perdre dans le pays qui
s'honore de I'avoir vu naitre. Ses ouvragesont rendu son
noni immortel. Nous avons de lui deux livresde la Gloire
des Martyrs, un livre de la Gloire des Confesseurs, qua-
Ire livres des i)/iraf /c s de saint Martin, un livre des Vies
des Peres, et enfin le plus important de tous, VHistoire
des Francs, qui est divisee en seize livres. La partie ec-
clesiastique y niarche de pair avec la partie civile. Sans
cet ouvrage, ainsique nous I'avons di(, il serait impossi-
ble de connaitre I'origine de notre monarchie. On accuse
I'auteur de peu de melhode dans son plan et de beaucoup
de barbaric dans son style. Pour etre justes,, il faut se
reporter a I'epoque ou il ecrivait. La langue latine avait
d6g6nere. 11 s'y etait introduit une foule de termes cel-
tiques, allemands, etc. On a dit, avec raison, que I'outil
manquait a I'ouvrier. On I'accuse encore d'une excessive
credulitedans les miracles qu'il rapporte etd'un manque
total de critique. Mais ne pourrait-on pas aussi bien ac-
cuser d'une systematique exigence certains hagiographes
qui pretendent mesurer les temps anciens sur les temps
modernes. Un rationalisme outre n'entrerait-il pas pour
une bonne part dans ces appreciations severes'? N'est-il
pas certain que dans ces siecles plus rapproches du ber-
ceau duchrislianisme, les miracles etaient beaucoup plus
frequents que de nos jours? Et puis encore aujourd'hui
meme, lorsqu'ilsurvient des prodiges bien reels, n'est-il
pas trop ordinaire au scepticismo de notre ^poque, de les
attribuer, quand ils ne sent pas contestables, k d'autres
causes qu'a la puissance divine? Nous ne voulons pas
dire qu'onsoit strictement oblige de eroire, sans excep-
tion, toutes les merveilles que raconte saint Gregoire de
ours. Sa bonne foi a pu fitre surprise en ccrtaines oc-
DEGONDE. 101
currences. Mais nous combatlons cette tendance trop
commune il rejeter universellement tout ce que les anciens
historiens nous racontent des prodiges de leur temps. On
peut etre croyant sans etre credule, et, en somme, I'incre-
dulite absolue, loin d'etre une preuve de la force d'es-
prit, n'en accuse quel'extn^me faiblesse.
En un sieclc oil de toutes parts on erige des slatues aux
personnages qui ontillustrfe une contrfe, il est peu devilles
qui soient favorisees comme celle'de Tours. Saint Martin
et saint Gregoire meritent, certes, a tous egards , des
monuments dans la cite sur laquelle la gloire de ces deux
grands pontifes a jete un (5clat si durable et si pur : le nom
seul de ces eminents evSques a contnbue plus que tout
autre chose k porter le nom de cette capilalede la Touraine
auxextr^mites du monde catholique. L'abbe Pascal.
SAINTE HADXGONDE
REnSE ET FONDATRICE d'uN MONASTERE.
0 n ne saurait preciser I'annte oil
Radegonde vit le jour. L'histoire,
assez obscure de cette epoque,
la fait naitre de Berthaire , roi
"'' d'une partie de la Thuringe, en
Germanie. On pourrait nous de-
: mander pourquoi, dans ce cas,
nous placons au rang des saintes
nees dans la France celle qui fait
le sujet de cette biographie. On va
voir si notre patrie n'est pas en
droit de la revendiquer. Qui ne
salt qu'en ces temps recules la
race franque regardait comme son
berceau natal les rives du Rhin, et
que la fusion ne s'etait point en-
core accomplie avec la race gau-
loise? Berthaire, roi paien, ayant ete assassinii par son
frfere Hermanfride, et Thierry, roi d'Austrasie, avec Clo-
taire, roi de Soissons, ayant defait le meurtrier, emme-
nerent en France, comme prisonniers, les membres de la
famillede Berthaire. Radegonde, encore dansunSgetendre,
fut done au nombre des captifs, et le sort la fit tomber
en partage au roi de Soissons, qui professait la religion
chretienne. II est done permis, sous ce double rapport,
deconsiderer Radegonde comme appartenant k la France.
Tres-jeune encore, Radegonde sucant, pour ainsi par-
lor, avec le lait, la doctrine de I'fevangile, donnait des
preuves non equivoques des vertus dont elle devait etre
unjour le modele. Venance Fortunat, eveque dePoitiers,
nous la montre, k eel age, vacant deja a I'exercice d'une
pieuse charite envers les pauvres. De concert avec un
jeune clerc etplusieurs autresenfantsde son kge, la jeune
princesse se plaisail k former des processions precedees
de la croix, et Ton y chantail avec une pr(5coce gravite
des psaumes et des cantiques. Radegonde portait mSme sa
piet6jusqu'k nettoyer, avec ses v6lements, le parvis du
petit oratoire ou I'assemblee enfantine se reunissail, et
puis, recueillant la poussiere dans son mouchoir, elle"al-
lait la disposer horsdu niodesto sanctuaire. Que Ton ne
s'etonne point de nous voir mentionner ces traits si minu-
tieux dont I'historien pr^cile n'a pas dedaigne d'embellir
102 SALNTE U
la vie de cette illustrcprincessc, quolqu'on I'accuse quel-
quefois lui-mfime d'inmactiUide et de pucrilite. C'est dans
le domaine d'Aties, sur la Somme, qu'clle ulait elevee
avec soin par les ordrcs de son futur epoux. Aux ensei-
gnements religieux on joignait I'etude des lettres romai-
nes et des grands poeles de I'ltalie; nfeanmoins un attrait
invincible la portait a lire les divines Ecritureset les vies
des saints. Lerecitdes tortures que les martyrs avaient
endurees pour la foi de J&us-Christ lui inspirait un ar-
dent desir de repandre son sang pour la m^me cause, et
tandis que les larmes coulaicnt de ses yeux, soncoeur se
scntait vivement presse d'imiter ces heros de la magna-
nimite chretienne ; du moins, quoiqu'au sein des delices,
elle avait soin de mortilier son corps en se livrant a des
jeiines rigoureux, et en portant, durant tout le car^me,
un rude cilice sous ses v^temenls de princesse. Vivant,
VltEfiONDi:.
de plus en plus, dans Im entier detacliement des pouipes
de ce monde, et nourrissant le d^sir de consacrer au Sei-
gneur sa virginilc, Radegonde voyait avec terreur appro-
chor le moment oil elle allait devenir la femme du roi
Clotaire son ma'itre.
L'ordre arriva enfin au royal domaine d'Aties de e(m-
duire la princesse a Soissons.Plusieurs foison sevit oblige
de lui repeter une injonction a laquelle elle dosirait ar-
demment de se soustraire. Enfin, voyant qu'il n'y avait
plus de pretextes a alleguer pour se dispenser d'obeir,
elle se determine k la fuile. Jlais bientol elle est ramjnee
et forcee de donner sa main a un roi qui, selon la cou-
tume de ces princes derace franqne, vivait dans un etat
de polygamic. Clotaire vouluten vain, par les homniages
dont il ne cessait d'entourer sa jeune Spouse, capliver ce
coBur oil dominait une passion plus noble, celle qui, par
la purete, nous rapproche de la divinite. Radegonde ne
pouvait surmonter la repugnance qu'elle eprouvait pour
une union que son ;\me repoussait. L'heure des repas
qu'elle devait prendre en society avec son epoux la Irou-
vait presque toujours en retard. Les lectures instructives
et les exercices de piete absorbaient presque lous les mo-
ments de Radegonde. La nuit, sous divers pretextes, elle
quitlait la couclie de Clotaire et allait reposer sur une
simple natte ou un cilice. Longtemps, Clotaire montra
assez de patience, mais enfin, vaincu par lant de contra-
rietes, il lui ecliappait quelquefois de dire : « Ce n'est
point unereineque j'ai, mais une veritable nonne. » En
ellet, ce que le depit faisait dire ii Clotaire n'etait qu'un
hommage a la verite. Radegonde no soupirait que pour
lecloitre. Mais comment rompre son union avec un prince
qui, au milieu de ses traverses conjugales, ne pouvait
s'empecher d'estimer et d'aimer son epouse. Six ans s'e-
coulerent avant que le projet de quitter le monde pilts'ef-
fectuer. Un tragique evenement vint enfin lui offrir une
occasion de rompre ses chatnes. Le frere de Radegonde,
qui avait grandi danslacour deClotaireen qualited'olagc
de la nation thuringienne, fut mis ii mort par les ordres
du roi. Peut-^tre avait-il tenu quelques propos inconsi-
deres qui faisaient craindre de trop justes represailles, ce
qui, toutefois, ne pouvait justifier la barbaric du roi de
Soissons.Acette terrible nouvelle, Radegonde, apres avoir
en secret donne des larmes de regret a la perte d'un
frere que sa picte lui rendait cher, crut devoir user de
dissimulation pendant quelque temps. Enfin, un jour elle
se rend a Noyon aupres du saint eveque Medard, comme
pour y puiser les consolations dont elle Eprouvait le be-
soin. Clotaire, loin de s'opposer a ce voyage etd'en soup-
conner le but principal, avait donne l'ordre de conduire k
Noyon son Spouse. D^s qu'elle fut arrivee dans celteville,
son premier soin fut de serendre al'eglise. Elle y trouva
Medard olTicianta I'autel. Aussit6t les sentiments dont son
coeur 6taitplein depuis longtemps deborderent : « Tres-
• saint pretre, s'ccria-t-elle, je veux quitter lesiecleet
« changer d'habit. Je t'en supplie, tres-saint pretre, con-
« sacre-moi au Seigneur. )i Le pontile, a cette demande,
montra de I'liesitalion. II ne pouvait ignorer que Rade-
gonde etait Tepouse du roi. Vaincu enfin par les suppli-
cations de la princesse, il se rendit a ses instances reiti5-
rees et la fit diaconesse. .\ussit6t la reine couvrit I'autel
SAIMK HAllKGOiMJi;.
111!)
lie ses oinemenls dc lete, deses bracelets, de ses agrafes
eiirichies de pierreiies, de ses franges de robe tissues de
Ids d'or et de pourpre. De sa propre main, elle brisa sa
ceinture d'or massif en disant : « J'en fais don aux pan-
ic vres. » II fallait maintenant se soustraire au danger
d'etre encore forcee de reveniraupres de son epoux. Elle
dirige aussltot ses pas vers le midi de la France, arrive
^ Orleans, s'y embarque sur la Loire et la redescend jus-
qu'a Tours. Va. plongee dans de vives transes sur la de-
termination que prendroit Clolaire a son egard, elle cher-
che un refuge dans ies nombreux asiles que la piet^ si
populaire envers saint Martin avail menages aulour de la
basilique qui lui elait consacree. Elle envoyait cependant
au roi desdepeches pour le conjurer d'agreer sa fuite et
delui laisser la liberie d'enibrasser le genre de vie qui
avail loujours ete I'objeldeson unique ambition.
Clolaire fit d'abord la sourde oreille aux prieres de son
cpouse. 11 menacaitde temps en temps daller lui-meme
la saisir de vive force el la ramener dans son palais de
Soisson:. Uadegonde n'opposait d'aulre resistance a ces
menaces qu'un redoublemenl de ferveur. Elle macerait
de plus en plus son corps pour achever de perdre Ies
charmes qui avaient captiv^ le ccEur du roi. Celui-ci, ap-
prenanlqueRadegonde, pourmellrc enlre le prince etelle
une plus grande distance, s'^tail rcfugiee a Poitiers dans
I'asile de saint Hilaire, parlit aussilot clserenditaTours.
Le saint evequede Paris, Germain, parvint a I'empdcher
de passer outre, el, enfin, de guerre lasse, il finit par
consentir a ce que Radegonde fondiM un monaslere a Poi-
tiers. L'angusle fondatrice n'en ful pas neanmoins la .su-
perieure : une vierge pieuse nommee Agnes ful mise a la
tele dela communaute, et Ton vit une reinese plier.avec
la plus parfaite humility, aux exigences de la soumission.
Keanmoins, son influence sur le nouveau monaslere etait
digne de la royale fondatrice. Comme elle desirail perpe-
tuer I'ceuvre qui avail ^te le rdve ae toule sa vie, elle
pria Ies eveques reunisen concile, & Tours, en rann^e566,
deconfirmer la fondalion de cetle communaute pieuse.
Le concile obtempera k ses dfeirs. L'ceuvre de Dieu se
fortifia. Radegonde raffermissiit Ies vocations incerlaines
aulanl par ses exemples que par ses lecons. Comme elle
toil profondemenlversee dans Ies divines Ecriturps, elle
en expliquait Ies beauteselen developpait le sens moral
eH'onction sacrfe a ses chercs compagnes. . C'est moi,
« leurdisait-ellequelquerois,avec une effusion touchante,
• c'est moi qui vous ai choisies, mes clieres filles, vous
■ mes yeux, vous ma vie, vous mon repos, vous tout mon
• bonheur, vous le parterre plante de mes mains. » Clo-
laire avail cesse toule instance, Radegonde jouissait plei-
nemenl de sa liberie, ell'on voit quel usage elle en savait
faire. Le monde de nos temps modernes ne sail point ap-
precier un devouement si sublime, parce qu'il est etran-
ger aux veritables jouissances de TAme, telles que Ies sail
creer un amour ardent pour le Dieu qui en est si prodigue,
quand on Ies cherche dans son sein.
Depuis quinze ans, le monaslere de Poitiers ^ail en
possession de Testime generale. Sa renommee s'elendait
au dela des frontieres du royaume des Francs. En ce
temps-la, un homme distingue arriva du fond de I'ltalie,
oil il avail fail de brillantes eludes, el visila Ies contrees
dela Gaule. C'etail Venanlius Forlunatus, ne a Ravenne,
d'une noble faraiUe. Ilvinl a Tours et ful bientot lie d'a-
miliL' aver saint Gregnire, I'honneur de I'epi.scopal dans
ces temps oil la civilisation ctail encore si arricree en
dec^ des Alpes. Apres un sejour assez long dans la ville
que Ies reliques de saint Martin avaient tanl illuslrie,
Fortunat s'achemina vers Poiliers, et son premier soin
fut de visiter le royal monaslere. Radegonde raccueillit
avec une distinction flatteuse, elle que la culture deslet-
tres romaines avail passionnfe pour Ies poetesdu Latium,
dont Ycnance elait I'adm'iraleur et I'heureux emule. II
faudrail reproduire Ies pages oil cet illustre Italien decrit
tousles agrements que sul lui procurer Radegonde. Les
semaines, les mois s'ecoulaient avec rapidile, et enfin le
voyageur si splendidement traile dul songer au depart.
iUais la reine lui dit : ■ Pourquoi vous eloigner, pnur-
'• quoi ne pas rester pres de nous? » Fortunat ne put re-
sislera une aussi gracieuse Invitation. Aussi, dans un en-
droilde ses poesies, il dit: « J'etais venu dans lesGaules
« pour visiter saint Martin, et Radegonde m'a retenu au-
« pres d'elle, Radegonde que la lerre de Thuringe a en-
« fanlee pour le ciel. »
Des ce moment, Fortunat devint le conseiller, I'inlen-
danl, nous pourrions dire meme le protecteurdu monas-
lere de Poitiers. Pour peu que Ton connaisse les moeurs
rudes de ces lemps si feconds en oppressions el en rapi-
nes, on comprendra qu'il fallait une fermete toule virile
pour soustraire les proprieles k I'invasion des seigneurs
loujours arnies el en course pour se livrer aux plus iniques
spoliations. C'etail principalemenl aux proprieles de r£-
glise qu'en voulaienl ces fiers comtes dont plusieurs ne
connaissaienl de la religion chretienne quele nom.
Au siccle oil vivait Radegonde, on avail une grande
veneration pour les reliques des saints. Notre pieuse reine
parvint a en recueillir un grand nombre dont elle enri-
chit I'eglise qu'elle avail fait biilir. Mais elle eprouvait
un grand desirde possederun fragment de lavraie croix.
Pour celeffet, elle deputa a Constantinople, aupr^s de
I'empereur .luslin, quelques ecclesiasliques. Ceux-ci fu-
rent accueillis avec faveur par le religieux prince qui ac-
cueillit les demandes de Radegonde. Eileen recut »in mor-
ceau de la vraie Croix enchisse d'or el orne de pierres
precieuses. En outre, Justin lui envoya des reliques de
plusieurs saints et un livre d'£vangiles du plus magnifi-
que travail. Quand cesobjets veneres furenl arrives Ji Poi-
tiers, dans le monaslere de Radegonde, I'archeveque de
Tours s'y rendil pour en faire la translation solennelle.
On croil que c'est en celle circonstance que Fortunat
composa I'hymne : Veocilla regis prodeiinl, quel'onchante
encore dans le temps de la Passion. Ceci eul lieu versJ)67.
Radegonde avail alors atteint un age assez avance. Elle
se ressouvenait des temps deson enfance avec une cer-
taine amertumeque venaient lempi'rer les sentiments de
sa pi^le : « Je ne suis, disait-elle souvenl, qu'une pauvre
' femme enlevee. » Le poele Fortunat, depositaire des
chagrins de celle princesse, les a consignes dans les ou-
vrages que nous avons de eel ecrivain. On nous saura
gre de transcrire quelques fragments de ces Elegies, tra-
duites par M. Aniedee Thierry :
■ J'ai vu les femmes trainees en esclavage, les main.'^
• liees et les cheveux epars; I'une marchait nu-pieds
« dans le sang de son marl, I'aulre passail sur lecadavre
« de son frere. Chacun a eu son sujel de larnies, el moi
« j'ai pleurc pour tons. J'ai pleure mes parents morls, et
• il faul aussi queje pleure ceux qui sont resits en vie.
■ Quand mes larmes cesscnt de cooler, quand nics sou-
104
APPENDICE SUR SAINTE ENIMIE.
■ pirs se taisent, mon chagrin iie se tait pas. Lorsque le
« vent nuirinure , j'ccoute s'il m'apporte quelque nou-
. vellc, mais I'ombre d'aucun denies proches nese pre-
« senle h moi. Tout un monde me separe de ceux que
. j'aimc le plus. En quels lieux sont-ils? Je le demande.
• aux nuages qui passent ; je voudrais que quelque oi-
« seau vint me donner de leurs nouvelles. Xh ! si je n'c-
« tais retenue par la cloture sacree do ce monastere, ils
i< me verraient arriver pres d'eux au moment oiiilsm'at-
« lendraient le moins. .le m'embarquerais par lo gros
. temps -jje vogueraisavecjoie dans la tempete. Les ma-
" telols Irembleraient et moi je n'aurais aucune peur. Si
. le vaisseau se brisait, je ra'atlacherais a une planche,
« et je continuerais ma route, et si je ne pouvais saisir
« aucun debris, j'irais jusqu'a eux ennageant. »
Le monastere fond(5 par Radegonde, quoique confirme
par le concile de Tours, n'avail point encore une rfegle
fixe. La fondalrice ^crivit h I'abbesse de Saint-Jean-d'Arles
pour la prier delui envoyer unecopie des reglements ob-
serves dans cette communautii, afin de I'etablir dans son
monastere de Poitiers, qu'elle avait dedie sous I'invoca-
tion de la Croix, a cause des reliquos dont nous avons
parte. L'abbesse Cesarie, qui avait succede a la sffiur du
celfebre saint Cesairc, s'empressa desatisfaire ci la demande
de Radegonde. Outre une ropie des regies du monastere
d' Aries, elle lui envoya une lettre pleine d'excellents con-
seils. U y est dit que les personnes vouees a I'etat roli-
gieux doivent beaucoup aimer la priere, mediler la pa-
role sainle, chanter incessamnient les louanges du Sei-
gneur, faire I'aumone selon leurs facultes, et pratiquer
I'austerite avec discretion et en observant le prfeepte de
I'obeissance. Mais Radegonde voulut recevoir de lapropre
bouchede cette sainte abbesse des instructions plus inti-
mes, elle partit done pour Aries, accompagnee d'Agn(!s,
qui etait l'abbesse du monastere de Poitiers. Lorsqu'elle
fut de retour dans son couvent, elle y etablit la discipline
la plus exacte.
On voitqu'enfin Clotaire avait entierementcoiviescendu
auxvceux de son epouse, et que bien loin de la troubler
dans son nouveau genre de vie, il avait, auconlraire, au-
tantqu'il etait en lui, concouru a la fondation du mo-
nastere que Radegonde prel'i'rait aux delices de la cour.
Delices! est-il bien permis de donner ce nom aux plaisirs
d'une cour barbare, et ou elle ne pouvait voir que lesas-
.sassins de sa famille?D'adleursla piete si tendrede I'au-
guste reine I'avait toujours portee invinciblement a cette
vie de mortification et de relraite qui 6tait pour elle la
voie la plus sure pour arriver a un royaume dont les lar-
mes sont bannies, et m^me h une immortality mondaine
que son sfejour a la cour de Clotaire ne lui aurait jamais
procur6e.
Quel contraste en tre Radegonde etFredegonde! Aucune
langue humaine ne seraitcapable de I'exprimer. Les prie-
resde Radegonde avaient sans doule obtenu du ciel, en
faveur de son epoux, les graces du repentir. On vit ce
prince, sur la fin de son r^gne, partir pour la ville de
Tours, afin d'y honorer saint Martin et de corabler la ce-
lebre basiliquedes plus riches presents. Lh, il implora la
mis^ricorde celeste, apres avoir fait un humble aveu de
tons ses pi'ches. Puis il fonda a Soissons le monastere de
Saint-JIedard, etcnfin, reconcilie avec le ciel, il mourut
en 561, longtemps avant I'illustre reine dont nous retia-
rons la vie. Les successeurs de Clotaire se declarerent les
protecteurs et devinrent les blenfaiteurs du monastere de
Sainte-Croix de Poitiers, ou Ton comptait deux cents reli-
gieuses, parmi lesquellesse trouvaient plusieurs fiUes de
sfenateurs et des princesses du sang royal. Cette pieuse
demeure etait comme un paradis terrestre plante sur un
solque ravageaient partout ailleurs les guerres civiles ,
les depredations, les nionstruosites de tout genre. De ce
port do salut, la reine contcmplait avec .sdcuritt les agi-
tations de cette mer orageuse auxquelles elle avait eu le
bonheur de se soustraiic. Enfin I'lieured'allerdans le ciel
prendre possession d'une couronne si bien nierilee arriva.
En 587, le 13 aoilt, le divin epoux auquel Radegonde
avait ete .si fidelc, recut cette belle ame. Nous avons vu ,
dans la vie precMente, que saint Gregoire de Tours fit
la ciremonie des funerailles de notre sainte, en I'absence
de I'eveque de Poitiers. Dieu voulut illustrer par un mi-
racle ces obseques. Un aveugle qui avait implore I'inter-
cession de Radegonde recouvra la vue. Plusieurs autres
miracles s'opererent i sontombeau. L'eglise Notre-Dame
de Poitiers conserva ses reliques jusqu'au xvi* siecle, oil
les protestants violerent indignement cette sepulture et
brulerent ces restes sacr^s, ainsi que le corps du grand
saint Hilaire. C'est ainsi que dans tons les temps les he-
retiques ont pris k tilche de s'acharner, avec une fureur
fanatique, sur tout ce qu'd y a de plus auguste etde plus
venerable. Toutefois, leur rage n'a pu et ne pourra ja-
mais ravir a sainte Radegonde cette aureole de gloire dont
son nom est couronne, et qui perpetuera la memoire de
ses eminentes vertus jusqu'aux dernieres generations.
Plusieurs cglises sont placees sous rinvocation de sainte
Radegonde, principalement dans le diocese de Poitiers ,
oil I'uno des paroisses de la viUe I'honore comme sa pa-
truniie.
APPENDICE
SAINTE ENIMIE, FII.I.E DE CLOTAIRE II.
Nous ponsons qu'il ne sera pas hors de propos d'ajouter,
a la precedcnte biographic de sainte Radegonde, quclques
notions sur une princesse qui foula aux picds, elle aussi,
les pompes royalos pour aller s'ensevelir dans un monas-
tere. — finimie cut pour pere Clotaire II, petit-fils de
Tepoux de sainte Radegonde. Elle etait Olle dcRertctrude,
une des femmes de ce prince. Douee d'une rare beaute
et recherchee en mariage, Enimie, qui avait consacre au
Seigneur sa virginite, lui demanda comme une prccieuse
faveur d'etre delivree de ces charmes exterieurs aux-
quels tant d'aulres attachent leur premiere estime. Dieu
I'exauca, et bientot Enimie fut attaquee d'une hideusc
Ifepre. Un jour qu'elle etait en priere, un ange rayonnant
desplendeurs'ofi'rita ses regards. Le celeste messager lui
consciUa de partir pour les contrees miiridionales, oil elle
decouvrirait une fontaine dont les eaux lui rendraient la
santii. Fidcle aux paroles de I'ange, finimie partit. Ello
arriva dans une region couvcrte do hautes et rudes mon-
tagncs. C'est le pays qui portnit alorslo nom dcGabubim,
quo Ton norama plus tardle Gevaudan, et ijui forme au-
jourd'hui le diocese de Monde etle departenientde la Lo-
zere. C'est dans cette derniijre montagne que prend sa
SAINTE MARIE MAJEURE.
105
source le Tarn, un desprincipaux affluents de la Garonne.
Cette riviere couleavec fracas dans un lit extremeinent
resserre, surtout h I'endroit ou est la fontaine dont les
eaux dovaient guerir la princesse finimie. Apres avoir
traverse une haute plaine a laquelle on donne le non» de
Sauvelerre, on apercoit, tel qu'une immense crevasse, un
profond vallon dans lequel coule la riviere du Tarn. Les
tieux monts qui le bordentsont failles presque i pic, et
il faut descendre h une profondeur de plus de cinq cents
metres. Enimie fit cette descente perilleuse et decouvril
la fontaine de Burle,ou elle ne se fut pas plutot baignee
que sa lepre disparut. Apres avoir rendu grJces au Sei-
gneur, elleremonta cette apre et rude cote, mais a peine
arriveeausommet,elle fut atteinte du m^me mal. finimie
redescend et est de nouveau guerie. Elle se disposait au
retour, lorsque la lepre reparut. Alors elle s'ecria : • C'est
« en vain, 6 mon divin epoux, que je voudrais resister k
« voire douce voix qui m'appelle, je sens quevous ni'in-
« vitez avousservir dansce lieu. • Elle se baigna dans
les eaux limpides de Burle et recouvra encore la gueri-
son. Le roi Clotaire H, de concert avec son fils Dagobert,
frere d'finimie, 6tant instruit du voeu de sa fille, lui en-
voya des deputfe charges d'or. finimie y fit I'acquisition
de vastes propriety pour en doter le monastere qu'elle fit
biitir aupres de la fontaine de Burle. Saint Here, alors
ev^que du Gevaudan ou de Mende, la consacra abbesse
du nouveau couvent, et elle y termina ses jours dans
I'exercice des vertus du cloitre. Le petit village qui exis-
taiten ce lieu, sous le nom de Burlatis, s'agranditet de-
vint par la suite une petite ville, sous le nom de Sainte-
finimie. C'est aujourd'hui un chef-lieu de canton de I'ar-
rondissement de Florae, dansledepartementdelaLozere.
La memoire de sainte fininiie y est honoree le 6 du mois
d'octobre, et Ton accourt de pays tres-61oignes h une
chapelle construite sur la Baume ou Caverne oil sainte
£nimieseretiraitsouvent poury vivred'une maniereplus
solitaire que dans sa pieuse communaute. Enimie alia,
comme Radegonde, recevoir la palme de ses merites dans
le sejour des elus, vers le milieu du vii» siMe. Ses reli-
ques sent conscrv^es dans I'^glise de la paroisse. Cette
vie, moins feconde en evenemenls que celle de sainte Ra-
degonde, n'en fut pas moins agreable aux yeux du Sei-
gneur.
L'abbfi Pascai..
BISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIOUES DE ROME,
SAINTE MARIE MAJEURE.
Cette magnifique basilique , qui s'eleve sur le mont
Esquilin, au quartierditde Rioni, est connue sous divers
noms. On lui donne les litres de Ilusiliqiie liOvrienne. de
Sainle-Marie-de-la-Crechc , de Sainlc-Murie-des-Neirjes,
mais elle est plus habiluellemenl connue sous celui que
nous avons d'abord indique. Comme c'est le principal
temple de Rome edifie sous I'invocation de la Sainte-
Vierge, le nom de Sainle-Marle-Majeure lui convienl
tres-eminemment.
Une tradition constanle rapporte ce qui suit. Vers le
milieu du lye siecle, sous le poniificat du pape Libere, un
noble et riche Remain nomm6 Jean, duquel on croit que
t06
SAIMK .MAlilK llAJliUKK
descend I'illustre faniille de Patrizi, etait profondi'inient
afllige dp se voir sans enfants. Jean etsonepouses'adres-
sereiit avec fcrveur k la Sainte-Vierge, ct la prierent de
Icur indiquer une bonne oeuvre a laquelle ils avaient in-
tention d'eniploycr leurs grands revenus. Lours prieres
furent exaucees, et dans la nuit du 4 aodt 352, les deux
epoux, ainsi que le pape, eurent la mdme vision. Mane
leur ordonnait de lui batir une eglise sur lelieu oil, dans
la matinee de ce meme jour, ils verraient le sol convert
de neige, quoiqu'on fiit a cetle ^poque, et sous le ciel de
rilnlie, au milieu des plus ordentes chaleurs. En effet, ii
la premiere aube du 5 de ce mois, il tomba sur le mont
Esquilin une grande quantite de neige. Le bruit de cette
merveille se repandit aussitot dans toute la ville. Le pape
se renditprocessionnellementsur le lieu, etant accompa-
gni de Jean et de I'epousede ce dernier. II prit une pelle
afin dediviser la neige, mais aussitot un nouveau mira-
cle s'opera. La neige separlagead'elle-meme conimeennn
large canal qui environnait, en la circonscrivant, I'en-
ceintede I'eglise Ji edifier. Les deux epoux accomplirent
leur voeu, et en 333, le saint pontife Libere consacra cet
augustc temple. La duriede ce premier edifice ne futpas
longue, car 70 ans aprfes, le pape Sixte III en reconstrui-
sitla plus grande partie, et tres-probablement seconfor-
maau plan primitif. C'elait un quadrilatere a trois nefs.
Ricn n'egale la magnificence dps dons que ce dernier
pape fit a la nouvelle basilique. II y erigea un autel d'ar-
aenl pur, ou comme certains auteurs I'expliquent, un au-
lel reconvert de lames d'argent du poids de trois cents
livres. Mais I'ornement sanscontredit le plus precicux de
cetle eglise consacree k Marie, fut le portrait de cette
reine des anges et des saints peint par saint Luc, et ap-
porte de Jerusalem ou de Constantinople il Rome. Marie
y estrepresenlce tenant dans ses bras son divin fils. Cette
image fut, dans ces temps recules, I'objet d'une tres-
grande veneration, et on la portait processionnellement
avec celle du Sauveur.
II y a dans cette basilique un autre monument qui est
digne de la veneration des anges et des hommes. Nous
voulons parler de la Creche sur laquelle le Fils de Dieu
vintau nionde. On la porte en procession le saint jour de
Noel, et le lendemain elle est exposee aux hoinmages
publics. On y conserve des pierres de I'ctable de Betli-
leeni, du foin et des drops sur lesquels fut place le corps
de I'Enfant-Jesus apres sa naissance. II serait trop long
d'enumererlesreliques des saintsquepossiide cetle eglise.
Nous citerons seulcment les corps de saint Jerdme, de
saint Mathias, apotre, de saint Marcellin, pape et mar-
tyr, un bras de saint Malhieu, ap6tre et evangelisto, un
autre de saint Luc, evangelisle, des fragments considera-
bles de la vraie Croix etune portion du Saint-S(5pulcre.
L'edifice construit avec magnificence par le pape
Sixte III, au V siecle, recut une importante modification
au commencement du ix". Pascal I fit elever une abside
ou sanctuaire auquel on montait par onze marches. II en
enrichit le mobilierau point que I'historien Anastase porte
a cent quarante-neuf livres d'or et a douze cent vingt-
cinq livres d'argent le poids de ces mtoux que Pascal I
employa Ji la decoration de cette basilique.
Dans les sifecles suivants, on y a eleve de magnifiques
chapelles. En 137(i, Gregoire XI fit construire le superbe
clocher de Sainte-Marie-Majeure. Cancellieri dit que c'est
bien le plus grand clocher de Rome , mais que ce n'en
est pas le plus elegant. Nous souscrivons a son opinion,
et, sans vouloir deprecier le gout remain, il nous sera
permis, a nous Francais, de considerer comme tres-su-
pcrieurs en hardiesse nos merveilleux cfochers de Stras-
bourg, de Chartres, nos lours de Reims, de Paris, d'Or-
leans, etc. Les sommes considerables qui ontele depens6es
pour construire la grande fagade de ce temple n'oiit pro-
duit rien qui puisse se comparer au portail de Reims.
Au premier abord on croit voir un somptueux palais a
plu.sieurs etages, et cet aspect ne retrace ii I'a'il francais
rien qui puisse annoncer une eglise. La principale facade
est composee d'un peristyle inferieur forme de cinq ar-
cades qui conduisent a autanl de porles; ce qui est le
caractere des basiliques patriarcales de Rome. Une de
ces entrees est la parta sanla du jubile. Au-dessus des
frontons qui ornent les corniches de ce peristyle s'eleve
un autre prdre d'architecture, presentant une grande ni-
che flanquee de deux moindres. Cinq statues surmontent
ce portail auquel sont tres-certainement superieures, a
Paris, dans le meme style greco-romain, les facades de
Saint-Sulpice, de Saint-Gervais, de Saint-Paul, rue Saint-
Antoine. Nous ne voulons pas cependant lui preferer la
facade de la nouvelle Eglise de Saint-Vincent-de-Paul,
qui se fait rcmarquer par son excessive maigrcur. Ce
portail de Sainte-Marie-Miijeure est accompagn^ a droite
et a gauche de deux corps de batiments qui offrent I'as-
pectd'un palais perce de fenfires carrees, et dontcbacun-
de ces cotes ressemble assez au garde-meuble de la cou-
ronne ou au ministere de la Marine, 6 Paris.
L'interieur de I'eglise est forme de trois nefs separees
par deuxrangsde colonnes ioniques, avec plales-bandes
intermediaires couronnees d'une large corniche, que sur-
monle un attique perce de grandes fenelres dont le .sou-
bassement est orn6 de reliefs. Pour se faire une idee
assez exacte de cet interieur, il suffit d'enlrer dans I'liglise
de Notre-Lame-de-Lorelte k Paris. Ce temple si coquet
est une imitation, en petit, *de la basilique de Sainte-
Marie-Majeure. Nous conviendrons neanmoins que la
France ni sa capilalen'ofl'renl aucun edifice sacre aussi
richedemarbres,de sculptures, depeinturesde tout genre,
et surtout de si somptueuses chapelles. On y admire ses
fonts baptismaux. Leon XII, ^lu pape en 4 825, a voulu
faire eclaler sa magnificence dans ce baplistere. II serait
trop long d'en donner une description detailliSe.
Le grand pape Benoit XIV voulut aussi largement con-
trihuer a rembellissement de cette basilique. Carac-
cioli, dans la vie de cet illustrc pontife, raconte que Ton
employa un grand nombre d'ouvriers pour les travaux
projetes. Maisquand le travail fut terminfe et que le pape
eut ete prie de venir admirer les fruits de son zele, il dit
k I'architecte : ■ Ne nous vantons pas d'avoir fait cet ou-
" vrage, on nous prendrait pour des entrepreneurs d'o-
« p6ra ; elle a reellement Pair d'une salle de bal. » N'en
a-t-on pas dit autant de Notre-Dame-de-Lorette de Pa-
ris? N'est-ce point avec autant de raison ? Sans doule, la '
maison du Seigneur merite a tons ^gards que Ton y di-
ploic les richesses que la liberale munificence de I'auteur
de tout bien a raises a la disposition des hommes. 11 est
vrai pourlant aussi qu'uiie eglise doit admettre un genre
de decoration qui la distingue d un lieu profane. Tout
doit y parler le langage du cbristianisme, qui est destine
a isoler I'homme des objets terrestres, surtout quand il
vient prier et assister i la renovation du sacrifice du cal-
KSQUISSKS OK I.
v.iire. On ne parvieiidi'u par ces decorations mondaines,
par des chants d'orchestre thcatral, par un luxe, en un
mot, qui rcssemblc de tout point aux recliprches co-
quettes et fashionables des salons do la haute finance ; on
ne parviendra, disons-nous, qu'a produire unc sorte de
religiosite pretentieuse qui laisse le coeur sec et qui ne
saurait y cnfanter ce detachement interieur que la veri-
table piete est seule hidiile a produire.
Les grandes basiliqups de Rome ont toutes, par privi-
lege, un autel dit papal , parce que le souverain pontife
pent seul y celebrer. Sainte-Marie-Majeurea deux de ces
autels, d'abord I'autel principal de I'abside et puis celui
qui s'eleve dans I'admirable chapelle que Sixte V fit
construire, et oil I'on conserve la sainte creche dont nous
avons parle. C'est dans cctte basilique que fut chanlee
pour la premiere fois, en 1034, I'antienne Alma redemp-
toris, qui est affectee aux temps de I'Avent et de la Nati-
vite deNotre-Seigneur; elle est de la comoosition du moine
A VIK FI.AMAMIK
107
Hermann. Cctle eglise est encore, pour ainsi dire, le ber-
ceau de I'antienne du temps pascal ; Regina rwii , et
voici a quelle occasion. En 593, unc terrible peste affli-
gea la ville de Home. Le pape saint Gregoire le Grand,
riiunit dans la matinee du saint jour de Paques, le peu-
ple romain dans cette eglise, d'oii Ton partit procession-
nellement, en portant I'image sacree de la sainte Vierge.
Au moment oil le pieux cortege passait devant le. mole
d'Adrien, aujourd'hui chateau Saint-Ange, le pape vit au
sonimet de cet edifice un ange qui rengainait uneepee, et
aussitot on entendit un celeste concert faisant r^sonner
dans les airs les paroles : liegina cali lailare, Alleluia,
quia quern meruisli porlare, Alleluia, rcsurrexil sicul
dixi(, Allchiia. Le pape, frappe de ce prodige, ainsi que
tout lepeuple, s'ecria : Ora pro nobis Deum, Alleluia.
.\ussit6t la peste cessa, et, depuisce Icmps, on a chants
cette miraculeuseantienne pendant tout le temps pascal.
L'abbe Pascal.
ESQLISSES DE LA VIE FLAMAOE.
OlIAPfTRE Ilf.
QDI VEDT TROP S ELEVER, TOMBE SOUVENT
BIEN BAS.
Siska 6tait entree dans le pensionnat francais avec
un assortiment de robes, toutes en fort bon etat, et
une nialle pleine de linge neuf ; neanmoins, il ne se
passa pas longtemps avant que la jeune fills com-
mencat a adresser a ses parents, sous divers pr6-
textes, des demandes d'argent.
Sa premiere lettre etait ainsi concue :
« Ma tres-chere maman,
« Je suis la plus nial vctue de toutes les pension-
naires de cet elablissement; aussi mes compagnesse
moquent de moi et m'appellent paijsanne. Cela me cause tant de chagrin, que je ne fais
que pleurer, et certainement je finirai par tomber malade, si vous, mon excellente
maman, ne prenez pilie de votre enfant. La fille du barbier, qui rase papa, est dans
cette pension ; mais elle a, comme les autres eleves, de beaux ajustements en etoffe de
sole. Je suis la seule ici qui aille a la promenade avec une simple robe de percale et qui
n'ait point de chapeau ni de boltines. Cela me rend tellement honteuse que je marche
toujours la tete baissee, et, si cela continue, je deviendrai courbee comme une vieille
femme. Je palis et niaigris a vue d'cEil. Je vous le repete, chi;re maman, je ne tarderai
pas il tomber malade, si cette situation humiliante dure encore longtemps.
0 Je lis Telemaque, et je danse deja avec tant de grace, que mes compagnes deviennent
jalousfs de moi.
« Mes compliments bien respeclueux a papa.
« Jusqu'a la mort, votre fille devouee et fidi'lc,
n Eudoxie Vax Roosmael. »
Madame Van Roosmael n'osa pas montrer cette lettre a son mari. Elle voyait claire
menl que les fachcuses previsions du docteur Pelkmans commencaient a se realiser. Le ton de frivolity qui dominait
dans la missive de la jeune pensionnaire etait d'un mauvais augure, et la phrase par laquelle elle se terminait
semblait avoir ete empruntee a un billet d'amour. Quant b la signature d'Eudoxie, la bonne femme en cherchai'
vainement I'explicalion, et ellene put sortir d'embarrasSicet egard qu'en se disant que c'etait sans doute la traduction
en francais du nom de bapti^me de sa fille, Siska.
I'edu-
^"* ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE.
Touchee cepeiidant des plaintes do son enfant, coUe
lendre mais trop faible mere lui envoya une somme d'ar-
gent double de celle que la jeune personne pouvait s'at-
tondre k recevoir. Ces envois se renouvelerent plnsd'une
fois. Siska connaissait dejii I'art de fabriqner ce qu'on ap-
pelle des mcnsonges innocenis et de pressurer, par ce
moyen blamable, la bourse de sa mere commo on fait
d'une dupe. On s'etonnera sans doute de la rapide
transformation du caractere de cette jeune fille... Pour-
tant, cela elait-il reellementsi etrange? Sisica n'avait-elle
pas, parmi sescamarades de pension, plus d'une ccntaine
de pernicieuses amies qui , par leurs paroles et leur
exemple, lui donnaientle gout de la depense et du luxe?
Helas! la fille de Thonn^le et simple Van Roosmael no
profita que trop de son education a la frmicaise. Le pre-
mier mois qui suivit son entree au pensionnat, elle eut
une robe de sole k la mode la plus nouvelle; le second,
un chapeau d'etoffe orne de flours artificielles; le troi-
sieme, une elegante ombrelle; le quatrieme elle porta des
fichus qui laissaient k d(;couvert son col et une partie de
sesepaules; le cinquieme elle commenca a fa ire us,
de cold-cream et autres cosmeliques... £(ait-ce la
cation qui convenaita la (ille d'un bon bourgeois?
Le sixiememois s'approchait, et avec lui les premieres
vacanccs. Que dira le docleur, en voyant Siska avec son
Elegante parure, son maintien pr(5tentieux et maniere?
Les regards penetrants du judicieux praticien ne pene-
treront-ils pas jusqu'au fond du coeur de la jeune fille, et
n'y decouvriront-ils pas le germe d'une effrayanle dege-
neration morale? Mais madame Van Roosmael, qui re-
doutait les observations du dooteur, prit un jour Siska
a part, et lui donna I'avis suivant :
" Mon enfant, sois prudente, et quand tu viendras pas-
ser les vacanees aupres de nous, ne te monlre pas trop
fel^gante ni trop fiere, car si le docteur Pelkmans re-
marquait le cliangement qui s'est opere en toi, il influen-
cerait ton pere, qui ne te laisserait probablement pas re-
tourner a ta pension. »
Ces paroles ne furent point perdues pour Siska.
Done une apres-midi, elle descendit de voiture avec sa
mfere (qui etait alliie la chercher a sa pension) devant
la demeure de ses parents. Mais ce n'est plus cette
Siska coquette, minaudiere et pimpante, que nous
avons depeinte tout k I'heure k noslecteurs... En verite,
on ne saurait (5tre plus simplement et plus modestement
habillee; ses cheveux, naguiire parfumes et frises, se
partagent en deux bandeaux sur son front ; elle marclie
lesyeux baissfe, et, a la voir s'avancer ainsi dans la bou-
tique de son pere, on croirait qu'il n'y a pas au monde de
jeune fille plus timide et plus reservee. Le docteur lui-
mfeme le pense ainsi, et quand il lui adrosse quelques
questions pour I'cprouver, elle lui repond avec tant de
convenance, que les paroles de blame expirent sur les 16-
vres du bon medecin.
La consequence de cette petite comedie fut que Si.ska
eut la permission de retourner k son pensionnat, qu'elle
eCit 6te d^solee de quitter avant de s'ctre tout a fait fran-
cisie.
Tandis quo la fillo do I'c^picier Van Roosmael receVait
cette deplorable education, les affaires de Spinael nemar-
chaient pas trte-bien. Les jeunes /'as/iionaA/cs fran(;ais ne
lui soldaient que tres-rarement leurs meraoires, et a la
cl6ture de chaque saison Ih^itrale, les comediens decam-
paient, bien pourvus de bottes et de souliers non payes.
Hortense, de son c6t6, gaspillait beaucoup d'argent pour
sa toilette et pour la satisfaction de ses goClls frivoles. Le
pauvre Spinaiil se trouvait borriblement endelle , et sa
maison etait grevee de fortes hypotheques. Dans cette
triste position, lesyeuxdu cordonnier se dessillerent gra-
duellement. Le tableau que nous avons precedemment
decrit fut relegue au grenier, et il ne resfa sur I'enseigne
de la boutique que cette seule inscription, en francais et
en flamand : Depot de souliers.
Malheureusement les pratiques llamandes avaient ou-
blie le chemin de ce magasin si brillant; et Spinaijl, avec
son paletot, ses pantalons bariol^s et sa cbaine de chry-
socale, ne sut bieiilot plus de quel boisfaire tleche... Au
fait, c'etait un bomme ruine.
L'esprit du malestpar sa nature envahissantet despo-
tique; lorsqu'une fois il s'est glisse dans un cceur qui a
manque d'energie pour le repousser, il vent en etre le
seul maitre et en chasse bientot toutes les vertus qui y re-
gnaient avant lui. Rien ne pent resistor a ses attaques
incessantes; I'liomme qui tombe en son pouvoir devient
son esclave. Spinael en fit la triste expc'rience.
Le pauvre cordonnier, tombe par sa faute dans la mi-
sfere et i'isolement, esp^rait trouver quelque consolation
dans I'affection et la sympalhie de sa fille ; mais il ne re-
cut d'elle que des reproches injurieux, et malgre le de-
nfiment dans lequel cette perverse enfant vit son pfere,
elle n'en continua pas moins a se livrer a son goiit pour
le luxe et alia mSme jusqu'a contracter des dettes.
Pen de temps apres, Jean, ou si Ton veut, Jules Spina'el
revint de Paris. Mais au lieu de prendre place dans le
comptoir de son pere, et de venir en aide a ce dernier par
son travail, ce malheurenx jeune homme ne vouluts'occu-
per d'aucune autre chose que de s'habiller avec recher-
che, de flaner dans les cafes, de jouer au billard, de fu-
mer des cigares et de parler, d'un ton haut, en francais. II
se ligua avec sa sffiur contre le faible et malheureux cor-
donnier, et lorsque celui-ci eut vendu sa maison, ils n'e-
prouvaient pas le moindre scrupule k dissiper sous ses
yeux, en depenses frivoles, la legere somme que I'acque-
reur eut k lui compter, apres que lescreanciershypothe-
caires furent pay^s.
La situation de Spinael devintsi miserable, quesa vue
suffisait a inspirer la pitie. Ses habits rap6s, sa che-
velure en desordre, et la malproprete de sa personne,
prouvaient, non moins que sa figure, ainsi que sa de-
marche incertaine, qu'il n'avait m^me plus assez de
force et de courage pour essayer de cacher I'exces de son
indigence. Neanmoins , ses cnfants etaient toujours ele-
gammentvetus et continuaient leur train de vie babituel
avec une r6voUante impudence. Sans doute ils avaient
mis autrefois de c6te une partie de I'argent que leur pere
leur prodiguait pour leurs depenses particulieres ; et, de-
naturfe comme ils I'etaient, ils refusaient maintenant de
partager leurs epargnes avec le pauvre homme. Cepen-
danl, il ne fallait qu'une occasion pour que I'indignation
que Spinaijl ressenlait d'une si abominable conduite, et
qu'il renfermait au fond de son coeur ulcere, eclatat ter-
rible oomme doit I'etre la juste colere d'un pere offensS.
Un dimanche, SpinaiJl, qui n'osait pas se montrer
avec ses miserables vetements, etait rcste chez lui.
Immobile et sombre, il se livrait aux tristes reflexions
que lui suggeraient les chagrins du present et les inutiles
ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE.
regrets du pnsse...Tout a coup iin jeune merveilleux
entra dans la charabre doiit la porte se Iriiuvait ouverte,
et prenant ce pete afllige pour iin domestiq\ie de la mai-
son, il lui dit I'll mauvais francais :
WAfil^
• Allons, drole, levez-vous etcourez averlir M. Jules et
mademoiselle Hortense que nous sommes pretsa partir. »
Le cordonnier, stupelait, regarda sans bouger de sa
place I'etranger qui lui cria durement :
■ Ne te decideras-tu pas a m'annoncer, faquin? »
Une paleur livide se repandit alors sur les traits de
Spinael , et ses yeux 6tincelants fixerent hardiment ceux
de I'inconnu , qui , violemment irrile , leva sa canne sur
cc inalheureux pere, en accompagr.ant ce geste des pa-
roles suivanles :
• Miserable! il ne tient a rien quejete batonne. »
A cette menace, un cri de fureur sortit de la poilrine
de Spinael. II se leva brusquenient, saisit une courroie
qui se trouvait a sa portfe et en frappa au visags cet au-
dacieux insolent, qu'il poussa dans la rue, sans lui laisser
le temps d'articuler un mot. Ensuite, il ferma la porte de
sa demeure, et, encore tout tremblant de la violenle et
penible emotion qu'il venait d'eprouver, il se precipita
dans Tescalier et monta chez ses enfants. Depuis long-
temps, le malheureux pere avail perdu jusqua la force
de leur faire aucun reproclie; mais, en ce moment, Tin-
dignation dont il etait transporte lui rendit assez de har-
diesse pour qu'il osSt representer a ces ingratstoute I'in-
famie de leurs precedes envers lui.
Le frere et la scEur ^aient en grandc lenue et se dispo-
saient, dirent-ils , k aller joindre une sociele de jeunes
gens et de jeunes dames avec lesquels ils avaient forme
un projet de voyage dont Bruxelles (5tait le but. La re-
primande que leur adressa leur pere fut vive et amtVe;
mais ils I'ecouterent avec une dedaigneuse indifference!
Enfin, profitantd'un instant oil Spinael s'arr^ta, oppress^
par le chagrin jusqu'alors refoule au fond de son coeur,
ils lui souhaiterent le bonjour d'un air ricaneur, et se di-
rigerent vers la porte. Exasp(5re par ce nouveau manque
de respect, le cordonnier se jeta entre eux et la porte,
a6n d'empecher leur sortie, et s'&ria :
. Infimes que vous Stes! n'est-ce done pas assez que
vousayez reduit votre pere a la mendicite, sans que vous
I'accabliez de votre dedain ? N'est^ce pas assez que, par
faiblesse pour vous, j'aie dissipe ma modique fortune,
fruit d'un travail assidu, landis que j'endurais pour moi-
m^me toute sorte de privations? N'est-ce pas assez enfin
qu'un fat impudent, me prenant pour votre laquais, ait
ose lever sa canne sur moi?... Faudra-t-il encore, qu'i
cause de vous je descends dans la tombe sans qu'il me
reste un ami pour me plaindre et me pleurer?... Mais
sachez, enfants di^natures, que la raesure de vos torts
envers moi est comblee... Desormais, j'userai de mon
autorit<5 paternelle... Je vous defends de sortir, et vous
ordonne de quitter immediatement ces habits dont I'el^-
gance ne convient plus a votre position. »
Un sourire ironique fut la reponse de Jules et d'Hor-
tense k I'admonition de ce pere irrite, qui comprit que
ses enfants n'avaient point de foi en son pouvoir non plus
qu'en sa volonte de les punir. Le fils continua de se di-
nger vers la porte, repous.sa rudement son pere, qui vou-
laitl'empecherdel'ouvrir, etdescendit rapidementl'esca-
lier. La fille suivit I'exemple de son frere... Leur depart
jetale malheureux cordonnier dansun sombre desespoir.
Un mois apres cette deplorable scene, le pere Vaii
Roosmaijl s'occupait dans son arriere-boutique a faire
ses calculs sur son grand livre. Pour etablir la balance
de ses comptes, il lui manquait une .somme dont, depuis
plus d'une heure, le brave homme s'efforcait vainement
de relrouver I'emploi.
. En verile, s'ecria-t-il avec un mouvement d'impa-
tience, il faut que ces chiffres soient ensorceles ;... C'est
incomprehensible!... Voyons, essayons encore unefois..
Et Van Roosmael allait compulser de nouveau ses li-
vres, afm de retrouver ce qui manquait i son compte,
lorsque la porte de I'arriere-boutique s'ouvrit et livra le
passage a un Individu dont la demarche elait lente et
le maintien humble.
L'epicier, surpris de celte intrusion, tressaillit et exa-
mina attentivementle visiteur, sans toutefois liii adresser
un seul mot. Cet homme, qui s'etait arrete apres avoir
fait quelques pas dans la chambre, avail I'aspect d'un
mendiant, Une rongeur passagere colora son visage pale
et amaigri, et deux grosses larmes tomberent de ses pau-
pieres, quand le regard scrutaleur de Van Roosmael,
qui ne I'avait pas d'abord reconnu, se fixa sur lui :
■ Mattre Spinael , s'ecria soudain le boutiquier d'un
]IU
HKKTHANU DUG UESCLIN.
ton de mefiance, si vous veiiez ici puur m'emprunter de
nouveau de Targent, vous pouvez vous en relourner de
suite, car je nesuis pas chez moi pour ceux qui ont h me
proposer des afl'aires de ce genre.
— Monsieur Van Roosmael, repondit I'autre d'une voix
entrecoupce desanglols, je ne viens pas vous demander de
I'argcnt. Si vous saviez combien je suis a plaindre, vous
ne nie repousseriezpas ainsi... Tout le monde m'aban-
donne, et je n'ai pas m^me le soulagement de raconter
mes chagrins a personne. Je sais bien que je vous ai
Irompe, Van Roosmael... niaisau nom de notreancienne
amitie, je vous conjure de ne pas me refuser maintenanl
vutre pitiii. »
La voi.x suppliante de Spinaol attendrit I'honnele com-
merfant. Aucune idee interessee ne paraiasait avoir sug-
gere cette visile au pauvre cordonnier, et cvidemment
aussi le poids d'une douleur, d'autant plus amere qu'il
sentait qu'elle etait peut-etre merit^e, ocrasait niainte-
nant I'lionime qui avait ete jadis son intime ami. La ge-
nerosile naturelle de Van Roosmael I'emporta dans son
ame sur loul antre sentiment. Les larnies de la compas-
sion mouillerent ses paupieres. Approcliant un siege du
sien, et prenant la main de Spinaijl, il lui dit :
« Ami, je vois que vous files malheureux... Quo tout
soit done oublie ! Asseyez-vous et parlez... Que puis-je
faire pour vous fitre utile? N'hesitez pas a me le dire? je
suis resolu a vous venir en aide , quoi qu'il m'en puisse
coiter.
— Mon bon Van Koosmaiil , repondit I'artisan a demi
console par cet accueil cordial , je ne vous demande
qu'une grice, celle de vous faire le recit de mes infor-
tunes et de verser ainsi mes chagrins dans le canir du seul
ami sincere que j'aie jamais eu. Pendant plusieurs an-
nees, je vous ai fui , parce que ma conscience me repro-
chait ma coupable conduile, et que je n'osais pas braver
les regards desapprobateurs des gens honnetes et ver-
tueux... Mais aujourd'hui que je me vois reduit^ quitter
mon pays natal, pour aller cacher mes souB'rances et ma
pauvretedans une contree fitrangere, je viens vous prier,
mon ami, de me pardonner mes torts envers vous. »
Ces humbles paroles, prononceesd'une voix brisee, affec-
terent profondement Van Roosmael, et ce fut avcc une
synipathie plus marquee encore qu'auparavantqu'dreprit:
■ Je ne doute pas que vous soyez malheureux , mon
cherSpinael! mais pourquoi voulez-vous quitter votre
pays? Non, non! cela ne sera pas... Ne desesperons de
rien... ce serait olTenser Dieu, dont la bonte pour ses en-
fanls, un moment egares, mais ramenes a lui par le repen-
tir, est immense. Quant a moi, quoiquedans mes affaires
de commerce, je tienne a me rendre compte de I'emploi
d'un simple stiver, parce que sans ponctualitfi rien ne
saurait bien marcher, je n'abandonncrai assurfiment pas
I'homme auquel j'avais donne toulemon alToction, main-
tenant qu'il se Irouve dans la detresse. Parlez done, Spi-
naul, parlez ouvertement etcomptez sur votre ami. •
[La suite au prochain numero.)
m nmm illustres.
BERTHANB DUGUXSCI.IN.
'an 1338 fut celebre en
Bretagne pour les fetes
pompeuses qui eurent lieu
il I'occasion du mariage de
' Jeanne, comtesse de Pen-
thievre, avec Charles de
Chfitillon, eonite de Blois.
Ces fetus, rellet des mneurs
de I'epoque , consistaient
plulot en tournois et car-
rousels qu'en danscs et di-
vertissements. Tout ce que
la Brelagne avait de cheva-
liers s't-Hait rendu ii I'appel
du comtede Blois pour sou-
temr centre les etrangers
I'honneur et la bravoure
des Bretons. Parmi ceux
qui s'y etaient rendus avec le plus d'empressement,
on remarquait comme un des plus illustres en bra-
voure et en naissance messire Duguesclin, haut-bers
du chateau et de la seigneurie de la Motte-Broon prfis
de Rennes. Pere de dix enfanls, auxquels il avait donne
I'education mililaire de ces temps-la, ce seigneur avait
fait germcr dans leur 3me le courage hereditaire de
la famille. Son fils aine, Berlrand, alors Jge de di.\-
sept ans , elonnoit tout le pays par sa force corpo-
relle , son adresse et son audace a la chasse et dans
tous les exercices militaires. Des qu'il avait connu I'in-
tention de son pere de se rendre aux tournois donnfis
par le comte de Blois, il I'avait supplie de I'emmener
avec lui; mais le p^re, craignant une defaite pour son
fils si jeune et si inexpi?rimente, eu egard aux vaillants
chevaliers qui devaient cntrer en lice, non-seulement
avait refus6, mais lui avait defendu de s'y rendre meme
speclateur. Duguesclin se presenta done seul ponr soute-
nir I'honneur et la vaillance de son blason et entra un
des premiers dans le champ clos.
Jamais tournoi n'avait ete plus magnifique. La jeune
comtesse et .son mari, entoures d'une cour brillanle, ex-
DUGUESCLIN.
BRT. !SH
N'L'SFUN/.
7 \L'G i'J
NATURAL
HISTORY.
BEUTKAND
cilaienl pjr leurs encouragements Tardcur dos combat-
tanls plus nombreux que de coutume, et le peuple pous-
sait des oris de joie et d'admiration a chaque succes
remporte. Le tournoi durait dejk depuis une heure, lors-
que les trompettes se firent entendre ati bout de la lice
annon^ant un nouveau champion. Les barrieres s'ou-
vrent, et un chevalier, visiere baissSe et la lance en ar-
ret, se presente dans le champ. Aussitot un adversaire
se pose devaut lui; le combat commence, et du premier
coup de lance le chevalier inconnu renvcrse le champion.
UUGUK-SCLl.N. Ill
Un second lui succedo, il a le meme sort; un troisieme,
un quatri^me, mordent la poussiere; enfin, sans prendre
ni trfne ni repos, le nouveau venu abat de douze coups
de lance les douze champions qui viennent le combattre.
Get exploit rapide comme I'eclair porte I'enthousiasme
dans la foule k un tel point, que les barrieres sent fran-
chies k I'instant; la cour, le peuple, les juges du camp
se precipitent versle chevalier inconnu, demandant tout
d'une commune ■voix qu'il leve sa visiere et se fasse con-
naitre. Duguesclin, plus empresse«que les autres, arrive
llfl!, A ,-
le premier aupresde lui et le supplie de declarer son nom.
Alors, courbant la tile et tombant h genoux, le chevalier
dit d'une voix emue : « Mon pere, j'ai enfreinl voire de-
fense; pardonnez-moi. » Au m6me instant, il 6te sa vi-
siere, et Ton reconnatt Berlrand Duguesclin. Le pfere,
emu jusqu'aux larmes, releve son fils , I'embrasse, le
presse sur .son cceur et le conduit en triomphe devant le
trone de la comte.5se, qui brdlait de voir de pres un si
brave champion, et, ayant detache une fleur de sa cou-
ronne d'or, I'attendait pour la lui offrir. Mais k sa vue,
la comtesse s'arrete ctonnee et reste immobile. C'est
qu'en effet, on croit toujours a I'alliance de la beaute et
du courage, et Bertrand Duguesclin navait que la der-
niere qualite. Grand, bien fait, souple et fort, il avait sur
ses larges epaules, une tete demesurce, de gros traits,
uiie physionomleiipre et sauvage. 11 s'apercut de I'efTet
que sa figure produisait sur la comtesse, et, prenant aus-
sitot la parole sans se deconcerter, il s'ecria : « Je suis
fort laid ; je ne serai jamais bien venu des dames, mais
en revanche, je saurai toujours me faire craindre de
mcs eniiemis. ■ En disant ces paroles, ses yeux s'anime-
rent a tel point que sa figure parut illuminee d'une au-
reole de g^nie; sa laideur avait disparu, et ce fut avec
son sourire le plus aimable que la comtesse lui offrit la
tleur d'or, prix du vainqueur du tournoi. En reconnais-
.sance de ce don, le jeune chevalier prit pour son cri de
guerre \olre- Dame DiKjitesrliit.
Telle fut la premiere revelation du courage et du genie
de celui qui porta si dignement I'epfe de connetable de
France.
Duguesclin commenca sa carriere a une epoque favo-
rable i ses gouts , a ses talents et a son courage. Bientdt
la guerre eclata entre Jean de Montfort et Charles de Blois
pour la posse.ssion de la Brelagne. Sensible au premier
triomphe qu'il avait obtenu sous ses yeux, Duguesclin
prit parti pour ce dernier. La France etait alors ravag^e
par les .Anglais; Bertrand se porta il leur rencontre par-
tout oil il put les surprendre, faisant des coups de main
hardis et adroits a chaque occasion, guerroyunt en un
mot, selon I'expressiou employee a cette epoque, et rem-
porlant toujours des avantages marques. Parmi .ses ac-
tions les plus saillantes dans cette petite guerre, on cite
le siege de Vannes, qu'il soutint toute une nuit avec vingt
homnies centre deux ou trois mille Anglais, et le chiteau
de Fougeray, qu'il enleva par surprise en 1336.
Pendant le siege de Rennes que faisaient les Anglais,
il sort un malin de la ville h la t^te d'une faijile troupe
de cent hommes, mais tons determines comme lui. II pe-
netre dans le camp, culbutant, tuant tout ce qu'il ren-
contre sur son passage, s'empare aux yeux de I'armee
d'un convoi de deux cents chariots et rentre triomphant
dans la ville avec son butin. Frappe de ce trait d'audace
et de temerite, le due de Lancastre, qui commandait le
siege, fut curieux de le voir et lui envoya un lieraut
112 BERTRAND DUGUESCLIN
pimr le faire venir dans sa tonle. Duguesclin, flalte de
rette invitation, s'y rendit sui'-le-champ. La se trouvaient
parmi les guerriers qui jalousaient di'\k Duguesclin un
chevalier nomme Bembro, le plus remarquable de toute
I'arniee par sa force et son adresse a manier les armes.
II s'approclia insoleniment de Berlrand, et, apres lui avoir
roproche en style railleur d'avoir tuc un de sos parents
lors de la surprise de Fougeray, il demanda ii faire centre
lui trois coups d'cpee. « Six et plus, si voulez, repondit
Duguesclin en lui scrrant la main de maniere a le faire
crier ; ;i deniain, devant monseigneur el. les deux armies. •
Le lendeniain, en effet, le combat eut lieu entre la ville
et le camp au lever du soleil. Bembro ^lait un rude ad-
versoire, mais Bertrand, plus fort et plus de sang-froid
que lui, le renversa expirant d'un coup de lance, aux
yeux des Anglais conslernes et aux applaudissements des
assieges. Les Anglais, voulant venger cette espece de do-
faite dans la personne de leur plus redoutable combaltant,
resolurent de tenter un assaut ; mais Duguesclin se mit
a la tele des troupes, fit trois sorties nieurtrieres aux en-
neniis, les mit en deroule et les conlraignit de lever le
siege. II se montra ainsi dans cette journee aussi intre-
pide en champ clos que bon general sur un champ de
bataille. Ce furent toujours les deux caracteresdislinctifs
de notre h6ros, comme nous le vcrrons par la suite.
Aprte ces exploits, il obtint du roi de Franco Jean,
force de retourner a Londres, d'oii il n'avait (5tfe re-
13che que sur parole, le gouvernement de Pontorson et
une compagnie de cent lances. 11 reconnut celle faveur
en chassant enticremeut les .4nglais de la Normandie. De
la il se rejidit a Nantes pour se reposer des fatigues de
la guerre, et il epousa en premii.'res nooes Stephaine de
Raguenel, heritiere d'une ilUistre muison. A la mort de
cette femme, il se remaria avec. Jeanne de Laval, fille de
Jean de Laval, seigneur de ChStillon.
Mais la Normandie fut de nouveau cnvahie par les An-
glais ;i la rupture du traite par Charles de Blois. Dugues-
clin s'y porta aussitot, les battit et leur reprit les places
fortes dont ils s'6laient emparfe. Peu apres, il fut nomme
commandant de I'armee bretonne par Charles de Blois,
qui lui envoya comme insigne de ce grade un bSton d'ar-
gent seme d'hermine. Duguesclin se porta aussitot sur
Becherel, dont il poussa vigoureusement le si^ge, et defit
entierement Montfort, qui avail eu I'imprudence de venir
I'atlaquer dans ses lignes. La guerre en etait lii, lorsque,
par I'entremise des ev^ques, les deux pri'tendants con-
sentirent a partager entre eux cette province. Duguesclin
fut donnc en otage a Montfort, qui, lorsque la trfive fut
rompue, refusa de le rendre, mais celui-ci parvint h s'e-
chapper et se rendit a la cour de Charles V, qui venait
de succ(5der au roi Jean sur le tr6ne de France. Du.jues-
clin arriva au moment oii le roi de Navarre, Charles le
Mauvais, venait d'envahir la Normandie, C'elait en 1354.
Cette annee vit elever le heros breton a un rang digne
de son gfinie : Charles V lui donna le commandement en
chef de toutes ses troupes avec mission de reconquerir la
Normandie.
Louis de Navarre, frere de Charles le Mauvais, avait
ete laisse dans ce pays a la t^te des troupes. A la nou-
velle du commandement confi(5 a Duguesclin, il se crut
trop faible pour lui resistor et demanda du secours aux
Anglais. Ceux-ci lui envoyerent unearm^equi avait pour
chef un homme c61ebre, Jean de Grailli, captal de Buch.
Les deux armees se rencontrerent pres du village de
Cocherel, a trois lieues d'fivrcux. L'armd'eanglaise, outre
sa sup(5riorite en nombre, avait encore I'avantage de la
position. Elle etait cample sur une monlagne et pre.sque
inattaquable. Duguesclin , par une ruse de guerre, I'at-
tira dans la plaine en feignant de fair. Une fois qu'il vit
les Anglais volontairement debusqucs de la position, il
fit faire volte-face a son armee en s'^criant : « Le filet
est bien tendu,nous aurons les oiseaux. • Puis, encoura-
geant ses soldats, il leur dit : • Or, avant, mes amis, la
journ(5e est Ji nous. Pour Dieu soi;vi6gne-vous que nous
avons un nouveau roi en France et que .sa couronne soil
etronnee par vous. »
Et donnant aussitfit le signal de la charge, 11 se prtei-
pita sur les Anglais, qu'il ne tarda pas <i metire en d e
BEKTRAND DUGUESCLIN.
113
mute en [LJisaiit prisonnier le fameux cuptal de Buch,
ciu'il envoya en effel en etrennes a Charles V pour le jour
il(^ son sacre. Tout aussi iiiagnifique, le roi, en souvenir
lie la vicloire de Cochorel, lui confera le litre de mare-
I lial de Normandie et lui fit don du comte de Longue-
ville.
Jusqu'ici la carriers deDuguesclin n'avait etc traver-
-I'l.' par aucun revers. Cette carrifere, pour etre complete,
ilr\aitse ressentir des mallieurs inlierents a I'humanit^,
qui prouvent la fragilitc de ce nionde et font sentir la
puissance surnalurelle de Dieu, qui arrJte I'homme dans
son orgueil. La bataille d'Auray, livree le 20 septeinbre
1364, centre Monll'ort et les Anglais, fut entierement
perdue par Duguesclin. Deux guerriers celebres dans ces
temps combattaient dans les rangs ennemis : c'itaient
Cbandos et Olivier de Clisson, dont le courage et I'au-
dace halerent la victoire. Charles de Blois fut tue, et Du-
guesclin resta seul Ji ranimer le courage des troupes qu'il
voyait decimer autour de lui. Lui-mfime, arme do cette
terrible massue qu'aucun homme n'avait la force de sou-
lever, faisait dans les rangs ennemis des ravages ef-
frayants, et laissait autour de lui des traces sanglantes
de son passage. Enveloppe, presse de tous c6tes, il s'e-
tait fait un rempart des morts que sa terrible masse d'ar-
mes avait fait tomber devant lui. Soulenu par six che-
valiers qui ne I'avaient pas voulu quitter, il tenait en-
core avec antant d'audace et de sang-froid que s'il lou-
I'liait a la victoire. Chandos, qui le vit en si grand peril,
s'upprocha de lui Ji la portee de la voix , et lui dit :
" licndez-vous, messire Bertrand, cette journee n'est pas
la voire.
— Voici ma reponse, » repliqua Duguesclin en levant
sa massuo, qui d'un seul coup abattit deux hommes qui
venaient vers lui ; les deux hommes tomberent, mais la
ma.ssue vola en telats, et, desarme, ne possedant pour se
defendrc que des gantelets de fer, Duguesclin fut oblige
de se rendre prisonnier ii Chandos. 11 fut traits comnie
devait I'Stre un homnie de son imporlance et de son nie-
rite. La paix suivit la victoire d'Auray. La rancon de Du-
guesclin fut portee k cent mille francs. Ses amis se coti-
s^rent a I'envi pour faire cette somme, et il fut prompte-
ment delivri5. A son retour en France, le pays 6lait de-
soI(5 par les grandes cimipagtties. Charles V chargea Du-
guesclin de dclivrer la France de ce fleau soil par la
paix, soit par la guerre, comme il lejugerait convenable,
et mit h sa disposition les trcsors de I'Etat. Duguesclin
entraina les grandes compagnies en Castillo pour com-
battre Pierre le Cruel, et soulenir Henri son Irere. Dans
peu, en effet, il reprit toutes les places fortes qui 6taient
au pouvoir de Pierre le Cruel, le vainquit dans toutes les
rencontres, le chassa du royaume, salua, le premier,
Henri roi d'Aragon, de Seville et de Leon, et le fit en-
suite couronner k Burgos. Pour prix de ces exploits, Du ■
guesclinrecutles titres de due de Molina et de conn^abl
de Castillo, avec les comtes de Transtamare et deSoria.
C'est surtout dans cette campagne que Duguesclin put
deploycr son genie militaire et ses talents de tacticien.
Avant lui la guerre se faisait sans precision et se termi-
nait par la destruction d'une armce en bataille rangee.
II fut le premier qui songea a mettre et maintcnir garni-
son dans les viUes conquises et a proteger les derrieres;
sous ce rapport surtout Duguesclin restera comme un de
nos plus grands capitaines. II a le premier change I'art
de la guerre et pose les principes de la tactique militaire.
Pierre le Cruel s'etait refugi^ a Bordeaux, auprfes du
prince de Galles, aux secours duquel il en avait appele.
Celui-ci avait passe les moots avec une puissante arraei)
pour le retablir sur son Ironc. En outre, Pierre, avec
I'or des Anglais, avait detache du parti de son frere les
grandes compagnies et les avait prises a sa solde. A peine
T. II.
de relour on France, Duguesclin appril lout ce qui .se
piissail, c I, rL'unis.sanl ii la hate tout ce qn'il put lus-
lU
BEUTHANl) DUGUES(,I,1N
semblci- de soldats, counit de nouveau au secours de ce-
lui qu'il avail fait. roi.
Les deux armi'es, fortes chacune de cent mille hommes,
sc renconlierent en 1367 dans les plaines de Navarette.
L'armoo de Pierre avail besoin de combattre parce que
les vivres cnmmencaient ei manquer et que la famine me-
nacait le camp; celled'llenri, an contraire, etaitbien ali-
nienlee. Dans cet etat, I'avis de Duguesclin, pour ce mo-
tif et pour d'autrcs encore, fut de ne pas livrer balaille,
mais I'ardeur et la morgue castillanes remporterent.
En effet, la bataille fut livree; mais I'experience de
Duguesclin el son instinct d'homme de guerro obtinrent
un triomphe fatal aux armes d'Henri. Le combat fut san-
glant el acharne. Henri fit des prodiges de valeur, ral-
lia trois fois les siens qui commencaient k fuir et les ra-
mena k la charge. La quatrieme fois, il se precipita en
desesp^re dans la niMee et allait succomber, lorsque Du-
guesclin acoourut aupres de lui, et, renversant tout ce
qui s'oppusait ii son passage, le degagea et lui dit : ■ Sire,
otez-voHs d'ici; voire honneur est sauf; sauvez voire
' fortune Nous combattrons une autre fois plus heureuse-
ment. » Lui pr6sentant aussitot un cheval, il le forca de
quitter le champ de balaille et resta presque seul expose
aux attaques de nombreux assaillants. La foule des com-
baltants, I'ayant reconnu, so porta vers lui el I'attaqua
avec furie. Duguesclin, adosse a un mur, se defendait
avec une energie qui faisail parfois reculer ceux qui
I'assaillaient, lorsque Pierre, accourant tout k coup, s'e-
cria : « Point de quarlier pour Duguesclin. • Celui-ci
I'entendit el, quiltant lo mur centre lequel il s'appuyait,
se fraya un passage jusqu'k lui, le frappa d'un coup d'e-
pee el le renversa sans connaissance ; puis, regagnant le
mur protecleur, il conlinua de combattre, declarant qu'il
ne se rendrait qu'au prince de Galles en personne. Le
prince v int en effet lui-mSme recevoir son epiie.
Duguesclin f ut done prisonnier pour la seconde fois.
Cette fois encore il fut traitii avec honneur el respect ;
mais le prince de Galles, qui residait a Bordeaux, ne
voulail k aucun prix le relacher. CependaiU Ic secours de
Duguesclin etait plus que jamais necessaire k Henri.
Pierre ie Cruel, retabli sur le trone de Castille, avail re-
double de tyrannic et s'(?tail aliene le prince de Galles
lui-m^rae. Henri parvint, deguise en pelerin, a avoir une
enlrevuo secrfele i\ Bordeaux avec Duguesclin el I'instrui-
sit de toules ces circonstances. II s'agissail d'obtenir la
liberie du captif pour lequel le prince refusail toule ran-
con. On avisa alors un moyon qui reussit, parce qu'il
touchait a I'amour-propre du prince de Galles. On re-
pandit dans I'armee el dans la ville le bruit que c'etait
par la crainte seule que ce dernier ne voulail pas rendre
la liberie h Duguesclin. Piqu^ de ces propos injurieux
pour son courage, le prince consentit k rendre la liberty
au Breton moyennant rancon.
Une foislibre, Duguesclin entra en campagnc pour rela-
blir Henri sur le trone de Castille. II y parvint avec la ra-
pidile de I'eclair. II defit les rois maures qui soutenaient
Pierre le Cruel, le vainquit lui-meme et le fit prisonnier
a la balaille de Montiel. De retour en France, il recut des
mains du roi I'l'pee de conn^table, premiere dignite mi-
litaire. Sa carriere n'clait pas encore terminee et fut peiit-
^tre plusglorieuse que jamais. Mais I'espace nous manque*
pour la suivre dans tous ses details.
Nous nous bornerons a dire qu'apres avoir chas.se les
Anglais de la Normandie, il reprit la Guyenne, lePoitou,
la Saintonge, le Perigord , le Limousin , etc. Les Anglais
elanl revenus de nouveau a la voix de Montfort, Dugues-
clin lespoursuivil et lesbattit,les chassaju.squ'a Bordeaux,
oil il avail reduit lenr arm^e de .soixante mille hommes a
sixmille;enfinla prise de Lourdes.en 1373, danslecomte
de Foix, qu'il conquil, forca Montfort a demanderla paix.
A cette cpoque, le connelahle etait parvenu a I'apogee
de sa i;loire. Ainie du roi, adore de ses soldals, admire
de toule I'Europe, reviHu de la preniiciG dignite, il etait
arriv^' I'l un point oil, selon les regies de notre trisle hu-
inanite, il ne pouvait eprouver qo'un malheur. Ce mal-
heur ne lui manqua pas. Charles V s'empara de la Bre-
l>ETITi:s I'HOMK.WDES AU MUSliE DIUSTOIUE NATURELLE.
1J5
lagne, delruisant ses privileges et son ancien gouvernc-
ment ducal. Tous les nobles bretons se souleverent avcc
le peiiple et rappelerent Montfort, qu'ils avaient chasse
peu de temps avant. Dugncsclin, soUicito de prendre
parti pour le roi centre ses compalriotes, refusa et resta
neulrc. Cette neutrality fut inal interpr^t^e ; ses actions et
ses sentiments furent calomnife, et il recut du roi une
lettre de reprorhes. Indigne, Duguesclin lui renvoya I'e-
pee de connetable, en jurant de ne la reprendre jamais,
et resolut de so retirer en CastiUe. 11 etait deja en route,
i]ue Charles V, revenu a de meilleurs sentiments, en-
voya auprfes de lui le due d'Anjou. • Veez-ci I'cpee d'lion-
neur de votre service, \u\ dit le due; reprencz-la, le roi
lo veut, et vous en venez avec nous. » Duguesclin se
laissa'entrainer et recut de Charles V le meiUeur accueil
et la mi.ssion de purger les provinces meridionales des
.'Vnglais. Satist'ait de voir que le roi lui epargnait le dii-
plaisir de combattre contre les Bretons, il accepta, et lui
dit avant de partir ces paroles, qui annon^aient sa fin
prochaine : « .le ne sais si je retournerai du lieu oil
je vais : je suis vieilli et non pas las. Je vous supplie
Ires-humblement que vous fassiez la paix avec le due de
liretagne, et ainsi que vous le laissiez en pai.x, se soumet-
tant ^ son devoir; car les gens de c;uerre du pays vous
ont trte-bien secouru h toutes vos conqu^tes et pourront
encore [aire s'il plait de vous en servir. •
Ces nobles paroles, dans lesquelles respire I'amour du
pays , furent les dernieres du connetable au roi de
France. Apr6s plusieurs exploits, il arriva devant Ran-
don dans le Gevaudan, dont Clisson faisait le siege. II
prit des mesures telles que les Anglais promirent de se
rendre si dans quinze jours ils n'avaient pas de renforts.
.\vant I'expiration de ce terme, Duguesclin mourut sous
sa tente entourf- des guerriers ses amis. C'etait le 13 juin
1.380. II etait cige de soi\antc-six ans. Son dernier conseil
il ses amis fut d'epargner dans la guerre les gens d'£gli.se,
Ics femmcs, les enfants, les vieillards et tout le pauvre
peuple innocent de ces querelles. Donnant ensuite I'epee
de connetable a Clisson, il lui dit en le regardant fixe-
ment ; « Rendez-la au roi de ma part, il saura bien la
donner au plus digne. » Puis il expira.
Au jour marque, les Anglais rendirent la ville et
voulurent en deposer les clefs sur le cercueil de Du-
guesclin, dernier et ^clatanl hommage rendu au grand
homme.
Le roi voulut qu'il fCit en crre h Saint-Denis, au mi-
lieu des tombeaux des rois, au pied de celui qui devait
le recevoir lui-mSme; il fit clever le mausolee du con-
netable avec cette insciiplion : Ci git le connetable Du-
guesdin .
Telle fut I'existence de ce grand capitaine, I'une des
plus glorieuses des temps passes.
PETITES PROMENADES AU MUSEE D'fllSTOlRE NATURELLE.
IiE CASTOR
Le castor se distingue ais6ment des deux autres ron-
geurs. D'abord ses dents ant6rieures, plus vivement lail-
lees en biseau, sont par consequent plus trancbantes. L'e-
mail en est d'une belle couleur or.nnge, d'une epaisseur
remarquable, et surtoiit d'une durete qui prouve qu'elles
ne sont plus fades sculement pour ecorccr des fruits on
couper des racines, mais bien pour user le bois le plus
resistant, pour abattre les plus gros arbres; ensuite la
palmure de ses prttes posterieures annonce un animal
nageur, car la membrane qui setend entre les doigts,
donnant au pied plus de surface, lui permet ainsi de s'ap-
puyer sur Teau; mais les pattes anterieures sont restees
des organes de prehension, les doigts y sont libres, et
chacune d'elles forme une sorle de main dont Fanimal se
sert avec une adresse mcrveilleuse. Enfin de ses habitudes
aquatiques resultent d'autres caract^res qu'il suffit d'e-
noncer. D'apres la loi qui regit les mammifercs plus ou
moins destines h vivre dansl'eau, le castor doit avoir des
11G
i'ETrri:s imiomenaues au musee niiisToiiui natuhelle.
formes ampliliees, et, en efiet, vous voyez que ses pro-
portions sont grandes relativcnieiit a celles de la niar-
niotte el de Peciireuil. Deux conditions encore doivent
6tre remplics : il fadt que I'orifice nasal et le conduit au-
ditifsoient fermes au liquide et que la fourrure soil im-
permeable. Or, par une simple contraction rausculaire,
Toreille et le nez s'oblitiirent completement, et I'eau glisse
sur tout le corps sans le mouiller. C'est ainsi, mes en-
fants, qu'il y a toiijours liarmonie parfaite entre Torgani-
sation et les mcEurs, c'est ainsi que, dans les plus petits
details, les formes sont toujours admirablement appro-
priees aux ciroonstances exterieures.
Nous devons ^tudier le castor avec d'autant plus de
soin que, dans la biographic de ce ccMebre rongeur, I'oxa-
geration on nifme I'liypothcse s'est souvent mise a la
place de la verite.
Son corps est epais et court, sa fourrure fine et douce,
ses membres robustes, ses ongles loni;s et forts. Si vous
voulez juger de la puissance de sa mJichoire et do la du-
ret^ de ses dents, 11 me suffira de vous dire que celui que
possede le Museum use les plaques de fer qui protegent
le grillage et la porte de sa demcure. Tous les os du cas-
tor sont egalement d'une extreme duret^; leur poids est
aussi considerable. Mais ce qui le caract(5rise nettement
parmi les mammiferes , c'est la constitution lout excep-
tionnelle do sa queue. On la prendrait, en verite, pour un
fragment de poisson laiit ellc est couvertes d'teailles im-
briquees, c'esl-ii-dire disposees comme les ardoises de
nos toits. Elle parait meme d'abord faire une disparate
bizarre avec tout lereste du corps; niais quand on soiige
k I'office essentiel qu'elle doit remplir tour h tour sur le
sol et dans I'eau , on admire toutes oes modifications
qu'elle a subies en se revetant d'ocailles au lieu de soies,
en prenant une forme aplatie, en devenant large et mus-
culeuse, car dans I'eau c'est unu rame vigoureuse qui
nieut le corps.
N.
I.E HANKTETOSr.
Le liainK'ton est un coleoplerc presque
massif, qui ne se met guere en mouve-
ment qu'apres le coucher du soleil. Sa
marche est lente et difficile, son vol lourd,
roide et bruyant. Lorsqu'il veul prendre
son cssor, les (ilytrcs s'ouvrent ct se sou-
^levent pour laisser libre le jeu des ailes
membraneuses. Mais cclte dispo.sition ,
avantageuse comme moyen de protec-
tion, est defavorable pour le vol. 11 mange le matin,
1> soir et meme la nuit; raais, durant le jour, il rcste
immobile sur les plantes et comme endormi , s'abri-
tant sous le>i fenilles qui le raclionl, on bien dissimule
sur le rameau par sa propre couleur. 11 se nourrit ex-
clusivement de feuilles tendres, et c'est ainsi qu'il de-
pouille les arbres et surtout les arbrisseaux. Du reste, il
prefere certains cantons, et ne lesquitte que reduit enfin
a porter ailleurs ses ravages. Les migrations do I'insecte
sont parl'ois si nombreuses qu'elles forment comme un
uuago epais et tumultueux. Et ce n'est pas cependant h
I'etat d'insecte parfait, c'est-a-diie pendant sa vie
a^rienne, que le hanneton commet le plus de d^gSls,
mais bien k I'etat de larve; car alors, caclie sous le sol
durant pres de trois annees, il fait perir la plante dont il
ronge les racines les plusdelicates. .\u I'ontraire, devenu
insecte parfait, il ne vit guere qu'uno vingtaine de jours,
ct si la famille se montre pendant cinq ou six semaines,
c'est parce que tous les liannetons n'eclosent pas ensem-
ble, mais successiveraent : prevoyance admirable pour le
mainlien de I'espece, qui pout ecbapper ainsi aux caprices
nidme de la saison, puisquo, precoce ou tardive, la chaleur
doit evideniment favoriser ou ceux qui sont les premiers
eclos ou ceux qui naissent les dcrniers. La femelle ne survit
aum&le que deux ou trois jours, c'est-i-dire le temps n6-
cessaire pour placer ses ceufs dans les conditions les plus
convenables a leur developpement. La larve, naissant un
mois apres, trouve a sa portee les ladicules des plantes
qui croissent alentour; et quand, deja froides, les soirees
d'octobre lui annoncent la venue procliaine de I'hiver,
elle s'enfonce bien vite sous terre; car elle salt, a sa nais-
sance, ce que la physique du globe ne nous enseignc que
bien lard : qu'a une certaine profondeur, la eouche sou-
terraine demeure ctraiigere aux changements atmosphc-
riques, et que, par consequent, dans toutes les saLsons,
sa temperature est uniformc et modercc. La larve passe
ainsi toute I'epoque rigoureuse sans se nounir, sans se
mouvoir; mais le retour du printenips la rappelle vers la
surface du sol, aupres des nouvelles radicules qu'elle
mange encore a loisir, jusi]u'au moment ou elle devra
redescendre de nouveaii pour eviter les alteintes mortelle,-
dc I'hiver. Cependant, a travels cettc vie qui se dcrobe
periodiquemenl .sous les apparences d'une complete le-
Ihaigie, le developpement de la larve ne s'arrete point,
et des metamorphoses successives la rapprochont de
plus en plus de I'etat parfait qu'elle acquiert cnlin a
son troisieme prinlemps; de telle sorte que les lian-
netons qui doivent se montrer en 1846 sont dejii nes de-
puis 1843.
Pour ne pas retarder, par une remarque anticipee, la
biographic succinctc du hanneton, nous avons du parler
de ses ravages, comme si I'insecte clait essenliellenient,
nuisible. Or, il n'y a pas d'animal nuisible d'une maniere
absolue ; et, par exemple , le hanneton ne le devient que
dans une seule circonslance, et cette circonstance ne se
realise meme que par I'intervenlion malencontreuse de
Ihomme, qui se plaint ensuite des niaux qu'il doit le
plus souvent se reproclier. Et d'abord, un animal n'est
pas nuisible lorsqu'il ne detruit que pour se nourrir, et
dans la limite meme de ses besoins. Car une place lui
ayant ete faite dans la creation, il doit, comme tousles
autrcs convives, prendre sa part au banquet de la vie ; et
notons m6me ici, en passant, que, quoique le repas .soil
.servi pour ainsi dire a discretion, I'animal, laissiS h lui-
infme, ne commet jamais d'exces, et, jusqu'au milieu de
la profusion, un instinct sulfisant de temperance le gou-
vi'rne encore et le rclient. C'est quand il est domesliqne.
LA PUOVENCK
1|-
c'est-^-dire quand les habitudes nalurclles sonl profondu-
nicnl mndifiees par rinlluencederhomme, c'est alorsseu-
lement que I'animal se laisse aller a des ecarls. Ainsi le
hanneton ne niaiipe que dans la mesure de sa faim, et,
on restant dans cette limite, il nous est fort utile, car ii
emp^che la trop grande muUiplicite de certaincs plantes,
dont il est charge, en elTet, de dHruire les feuillcs et les
bourgeons. II nf peutdonc fitrenuisible quo s'il devient k
son tour trop nonibreux; mais cet equilibre n'est trouble
que par la faute de rhomme, qui detruit lui-m^me les
animaux destines acirconscrirela propagation del'inspcte.
Ainsi sans parler de cette foule de petils oiseaux insecti-
vores que le chasseur n'epargne gufere, le cultivateur lui-
nu^nie poursuit a outrance la taupe, qui le debarrasserait
d'une enornie quantite de larves du hanneton. II exter-
mine aussi sans pitie le carabe dore, actif coleoptere qui
respecte toiites les plantes et les protege surlout contre
I'insecle parfait, sans se faire payer, comme la taupe, de
ses discrets services.
Enfin, I'insecte est caloranie par le proverbe qui dit:
Elourdi romme un linniielon. Ce proverbe, en elfel, ex-
prime tout simplement une erreur. Le hanneton, qui a
le vol laborieux, sail asscz de geometric pouressayer tou-
jours d'executer son trajet en ligne droite : et si, le jour,
dans sa frayeur, il se heurte parfois centre les obstacles,
c'est que la dispbsition de ses ailes ne lui perraet point
d'avoir de la souplesse dans le vol ; mais, dans une lu-
mi(>re alTaiblie, comme son regard est plus k I'aise, il
peut alors diriger mieux ses 61ans.
Insecte crepusculaire, le hanneton ne devait interesser
ni par la grace de sa forme, ni par I'eclat de sa livree,
ni par I'elegance de ses mouvements. II fuit surtout I'ffiil
de I'homme, comme s'il pressentait que son plus grand
danger, peut-6tre, c'est de tombor aux mains de ces en-
fants mal Aleves qui, par une ignorance coupable, s'aniu-
.sent h tourmenter sa courte existence et a prolonger son
agonie. Nous disons mal eleves , car comment ne pas
avertir I'enfance et Fempecher ainsi de prendre pour
loisir la souffrance muette d'un insecte qui, extenue par
la difete et alourdi par le lien qui comprime sa patte et
g^ne son aile, ne peut se mouvoir et moins encore voler.
Teiiliebes.
LA PROVENCE.
UN JEDBTE FARISIESr A UK DE SES AMIS.
Mon cher Auguste, voici pr6s de six seniaines que je
suis en Provence; a ma sortie d' Avignon, j'ai suivi les
bords charmanis du Rhone aux verts ridcaux de peu-
pliers; j'ai vu Tarascon et les ruines seculaires de son
chateau; Aries encore grecque par le costume de ses
f'emmes et romaine par ses monuments; Marseille, reme
orientale du Midi, assise au bord d'une mer tiedie par
le soleil , et fifere de compter plus de mSts dans son port
que d'etoiles au ciel de ses belles nuits. Je me reserve de
te faire plus tard la description de cette ville.
.Maintenant je suis a Aix, splendidement loge sur la
place des Pr^cheurs ; de ma fenetre je vols .s'^lever de-
vant moi le beau peristyle du nouveau Palais de justice.
orn(i des statues de Portalis et de Simeon; an milieu do
la place , entre des ormes seculaires, surgit Tobelisque
d'une maguifiqup fontaine surmontec d'un aigle qui v
IIS
LA PltOVENCE.
prendre I'essor. Quatre lions ile pierre, couchfe sur le socle
du mouumenl, regardent quatre belles nappes d'eau
lomber a flols d'ecume dans un large bassin. J'ai, d'ail-
leurs, visite dans ses details la ville antique et severe
d'oii je t'ecris; j'ai fait connaissance aveo son cours et ses
boulevards, qui sent dignes d'une ancienne capitale de
la Provence ; avec les Thermes de Sextius, cause premifere
de la fondation de la ville; surtout avec la bibliolheque
Mejanes, qui ne coutient pas moins de cent miUe volumes
et douze mille manuscrils. J'ai vu dans la paisible cite
du roi Rene d'Anjou de magniliques eglises, de grands
palais, un assez riclie musee, dcs fontaiues d'eau cliaude
ct le fanieux autel de la Tarasque, atteint naguere par la
foudre.
Cependant rien de tout cela ne fera I'objet special de
ma lettre ; je veux t'entretenir, pour aujourd'hui, d'une
excursion que j'ai faite dans les environs de cette ville.
Je le parlerai de la monlngne de la Victoire, de Marius,
des Ambrons et des Teutons, de Teutobochus, ds la val-
lee de Vauvenargues, du GaraguaC, de Roquevafoui-.
A la seule enumeration de ces litres, je crois d'ici te
voir sourire et douter quelque peu d'une erudition si su-
bitement acquise. Je t' excuse, cher ami, tu n'as pas
voyage, toi, tu ne sais pas combicn on apprend vite et
beaucoup en voyageant; il suflit pour cela d'un peu
d'attention; un jour sans doule tu I'epronveras; en at-
tendant, ecoute mon recit; je te le fais pour t'instruire et
pour famuser selon le principe d'Horace : iiiile didci.
Un jour que, pour jouir de la fraicheur et de I'ombre,
je descendais vers le delicieux vallon de la Torse, silue a
un petit quart d'heure d'Aix, j'apercus du cote du levant
un bleuSlre pilon de montagne, plongeant alors sous un
ciel sans nuees et dominant avec majeste sur un groupe
de collines agrestes, rocheuses, entrecoupees de vallees
profondes. Un patre qui se rencontra sur mon chemin, e(
auquel je demandai le nom de ce roc gigantcsque, nic
r^pondit en provencal que c'etait/ou Drlubn de la Yic-
lort; je compris que ces mots signifiaient la Monlagnr
ou plutflt le Temple de la Victoire.
Je me souvins alors d'avoir lu dans mes livres au col-
lege que Marius, revenu d'Afrique et consul pour la se-
conde fois, avait defait les barbares dans la province ro-
maine etsauve la republique du plus grave peril qu'ellc
eiil couru depuis Annibal. J'eus la curiosite de voir de
mes yeux le theatre de ce memorable evenement, qui va-
kil a la montagne dont j'apercevais le sommet le nom de
Monlagne de la Victoire.
Pour executer mon dessein, je me munis de quelques
provisions de voyage, pris un guide avec nioi (car un
guide est necessaire pour ne pas s'cgarcr dans les gorges
profondes de la montagne) et me mis en route pour le pit-
toresque liameau de Beaurecueil, bftti sur les premieres
assises de la montagne de la Victoire. 11 me serait impos-
sible de te dire combien j'ai trouv6 charmantc cette pro-
menade dans la campagne d'Aix. Aussi loin que pouvait
s'etcndre ma vue, des centaines d'habitations blanches ou
jaunes pointaient sur les hauteurs, ou se derobaient dans
des vergers d'oUviers et d'amandiers; partout de jolies
tonnelles de mdriers, de longs cordons de figuiers et de
vigncs, de verts cerisiers charges de leurs fruits rouges
et projetant leur ombre sur les vieilles tours des puits.
Ce qui attirait surtout mon attention, c'etait des
sortes de maisonnettes en buis ou en bitisse que j'aper-
cevais sur presque toutes les hauteurs oil se trouvait
un bouquet de pins ou do chines ; autour de ces maison-
nelles des branches mortes elaient hissecs au bout des ar-
bres ou de quelques bignes fichces en terre.
Mon guide m'apprit que c'etait ce qu'on appelle dans
le Midi des posies a feu.
« La chasse au poste, me dit-il, est ici un des plaisirs
que les bourgeois recherchent le plus a la campagne; des
les premiers jours d'octobre, ces maisonnettes, que vous
voycz nues k present, sont revStues de verdure; ces
branches mortes, qu'on appelle cimeavx, sont fortement
I-A I'UO
consolid(5es : on dispose ca et Ici des appeaux vivants de
grives, de seires, de merles, de gros-becs et autres oi-
seaux. A la naissanee de I'aube, le chasseur est k son
poste, et quand la matinee est belle, c'esl-a-diresereine
avec un petit souffle dc mislral, la chasse est ordinaire-
ment assez bonne. •
Cependant , nous arrivAmes a Beaurecueil, oil je me
coucliai de bonne heure apri-s un souper cliampetre, ar-
rose de quelques verres de vin cuit de Langesse.
Le lendemain diss la pointe du jour nous commencSi-
mes notre ascension, et c'est alors seulement que je pus
•voir le front niajestueux de la montagne. Figure-toi une
masse de granit d'une hauteur gigantesque et de plusieurs
lieues de long, taiUee a pic comme un rempart; le cral^re
chauve et denude court vers le levant pour se relier aux
lointaines racines des Alpes.
Apres plusieurs heures d'une marche toujours ascen-
dante sur le c6le ouest de la montagne, nous atteignimes
enfin ii un endroit oil la cr^te rocheuse s'abaisse conside-
rablement. Apres I'avoir franchie, nous nous trouvilmes
sur le versant septentrional, qui, par une pente insen-
sible, descend vers la vallee de Vauvenargues. Nous
voyioiis sous nos pieds le chiteau carre de ce charmant
vdlage, tandis que, au-dessus de nos t^tes, s'elevait en-
core le sommet que nous voulions gravir et qui semblait
s'^loigner h mesure que nous avancions. U ne nous fal-
lut pas moinsde Irois heures pour y arriver.
Nous y parvinmes pourtanl au moment meme oii la
lumiere naissante commencait k safraner les cimes tehe-
velees du piton; rien de solennel, de radieux comme le
soleil se levant dans les embrasures bleuSlres des hautes
montagnes; des rubans vermeils et roses sillonnaient les
nuees qui voltigeaient dans I'azur, le ciel resplendissait
comme une tente doree, et la terre, tout a I'heure inerte
et niuette, offrait le tableau d'une sublime resurrection.
Ce spectacle me fit oublier ma lassitude, et tandis que
mon guide songeait a preparer le dejeuner, appuye centre
la sail lie d'un roclier, je ne pouvais me lasser de prome-
ner mes regards sur le ciel, sur la montagne et I'immense
plaine deployee a nos jiieds.
Quelques personnes arrivees avec moi m&dirent que
I'esplanade oil je me trouvais s'appelait la breche; on y
arrive par le nord-ouest, ct au midi elle se termine brus-
quement Ji la roche taillee a pic; une balustrade en ma-
connerie y forme une barriere de suret(5.
A droite et a gauche surgissent deux pointes gigantes-
ques au sommet desquelles on peut parvenir en grinipant
dans les dechirements de leurs flancs. Sur le point le
plus rapproche du ciel apparait une croix, doux symbole
d'esperance qui semble place la pour conjurer la foudre
et apaiser la temp^te.
Tl n'y a dans ce lieu d'autres ouvrages de la main dos
bommes qu'un ermilage ruine, une chapelle aujourd'hui
restaurie, et une petite citerne au milieu de I'esplanade.
Apres avoir, ainsi que mon guide, repare nos forces
au moyen du havre-sac que nous avions apporti^, je m'a-
vancai du bord de la Breche, oil je trouvai quelques
personnes qui venaient comme moi visiter ces lieux sau-
vages.
C'etait pour la plupart de bons cuUivateurs, des ou-
vriers et quelques enfants, venus de 'Vauvenargues avec
I'instituteur et le cure du pays, r.e venerable pasteup,
qui avail I'air d'etre un homme solidement instruit, don-
VENCE. ^'3
nait aux gens qui elaient autour de lui quelques expli-
cations sur les fails importants autrefois accomplis dans
cette plaine de I'Arc, deroul^e maintenant a leurs yeux
comme une carle gtographique.
. Mes amis, Icur disait-il, vous voyez devant vous un
ancien champ de bataille oii les Remains dont je vous ai
parle quelquefois, et les Teutons, nation barbare venue
du Nord, se disputerent I'empire du monde.
. II faut, mes enfanis, que vous sachie/. d'abord qu'a
cette epoque les barbarcs commenoaient ii se rendre redou-
tables ii la republique romaine. Les Cimbies, les Teutons,
les Ambrons et autres nations sorties des fortHs de la
Germanie, aujourd'hui TAIIemagne, se jeterent en masse
sur ritalie, defirenl une armee romaine el auraient pro-
bablement detruit Rome si, par un decret de la Provi-
dence, ces barbares, au lieu de continuer leur route, ne
s'elaient portes dans la p^ninsule iberique, autrement
I'Espagne, oil ils etendirent leurs ravages.
. Cependant, harceles par les habitants de cette contree,
ils revinrent vers I'opulente Italic, et taillerent successi-
vement en pieces dans les Gaules trois armies romaines
envoyees pour les combattre. U arriva, dans ces circon-
stances, deux choses sans lesquelles Rome eill ete perdue :
la premiere est que les barbares se diviserent en deux
bandes, I'une gagna la Suisse pour entrer en Italie par
les frontieres du nord, tandis que I'autre s'avancait i
travers la province romaine, marcbant egalement vers
rilalie. La seconde chance qui sauva Rome fut que le fa-
meux Marius elait revenu d'Afrique, oil il avail capture
Jugurtha, I'Abd-el-Kader de cette epoque. Marius, envoye
dans les Gaules ci la tete d'une nouvelle arm^e romaine,
se garda bien d'engager de suite la bataille avec des enne-
mis exaltes par leurs victoires.
« En habile general, il forma ses troupes a I'art de la
guerre et leur apprit k supporter les fatigues, la soif et
la faim ; il s'etait relranche dans un camp inexpugnable,
au quarlier, voisin du Rhone, appele aujourd'hui la Ca-
margue.
« Ala fin, les barbares, ennuyes de nepouvoir en venir
aux mains, laisserent Marius derriere eux et prirent la
route de I'ltalie, demandant aux Remains s'ils n'avaienl
rien a envoyer dire a leurs femmes.
. lis mirent six jours a defiler. Quand ils eurent passe,
Marius leva son camp et les suivit. Les deux armees ar-
riverent pres de la colonie d'Aix appelee alors les
Eaux de Sexlius; les Remains occupaienl les hauteurs
qui sont a la droite du Cinus, aujourd'hui I'Arc i les
barbares elaient a cheval sur le petit fleuve.
« Comme les Remains mouraient de soif, une partie
d'entre eux descendirent des hauleurs pour en puiser
dans la riviere. II y eut \k un combat terrible oil les Am-
brons furent maltraites, el qui ensanglaiita les eaux de
I'Arc au point que les soldats qui s'y desaltererent bu-
vaient plus de sang que d'eau.
« Cependant le gros de I'armee des barbares s'etait porte
dans les plaines de Pourrieres, la-bas dans ces champs de
vignes et de bles a perte de vue. Marius rangea son armee
en bataille en s'appuyant toujours sur les hauteurs pour
n'elre pas enveloppe. Les Teutons, briilant de venger
leurs allies, attaquerenl en masse les soldats remains des-
cendus dans la plaine par une habile laclique de leur
general, car a mesure que les legions, faisanl semblanl
de plier, regagnaient les coUines, le terrain devenait des-
120
LA PR
avantageux pour les barbares, et leurs coups n'avaient
plus de vigueur. Toutefois la victoire etait vivement dis-
putee, et I'on ne sail ce qui serait arrive, si un corps de
troupes romaines, place en embuscade, ii'eiit fondu tout ^
coup sur les derrieres des ennemis; ceux-ci, frappes
d'une terreur paniquc, se di'bandent de toutes parts et les
Roniains en font un cllVoyable massacre. Trois cent mille
bnrbares restereut, dit-on, sur la place.
1 Les femmes des vaincus combattu'ent clles-mSmes
avcc une h^roTque valeur, et, voynnt que tout etait
perdu, elles se firent ecraser, ellcs et leurs enfants, sous
les roues do leurs chars.
« L'armee romaine, qui avait peu soulTertdans la ba-
laille, eleva un trophee i son general, et il en reste en-
core quelques vestiges sur la rive gauche de I'Arc, pres
Ic pont de la Pugere.
« La quantite de cadavres ensevelis dans ces plaines fut
si considerable qu'elles leur firent donner le nom de
Campi pulridi, d'oi'i est venu celui du village de Pour-
rieres. •
Le cure ayant cess(5 de parler, chacun se mit en fiais
de refle.xions sur les 6vteements dont il venait de faire
le recit, et j'adressai moi-meme quelques questions au
pasleur sur I'histoire de Teutobochus, roi des Teutons.
• On ne sail presquc rien de ce personnage, me
repondit-il; les uns pretendent qu'il fut tue dans la ba-
taille Gomme semble I'altester une inscription trouvee a
OVENCE.
Tretz; d'autres, s'appuyant sur I'autorite de I'histoire,
souliennent qu'il fut conduit a Rome pour orner le
Iriomphe du vainqueur, et qu'il felait de si haute laille
qu'il depassait de toule la tete les trophecs de Marios. ■
J'(5tais si charm6 de I'erudition toute locale du bon
cure, que j'acceptai avec plaisir I'offre qu'il me fit de
parcourir une partie de la montagne pour m'en expliquer
les curiosites.
Nous montSmes done sur la crSte en nous dirigeant
vers le levant, promenantnos yeux sur un des plus vasfes
panoramas qui puisse charmer les regards du voyageur ;
des plaines accidentees, de vertes collines, des forfets de
pins et de chines verts, la vallee de la Durance avec sa
riviire large et turbulente, I'elang de Berre et les plus
bizarres horizons se deroulaient devant nous.
A nos pieds du cole du nord apparaissait un charmant
village avec un chjiteau de forme carr^e.
• Vous voyez Vauvenargues, dit mon cicerone; c'est
par cette vallee que Marcellus conduisit un d6tachement
romain pour se mettre en embuscade dans le bois de
la Peyrote, a une lieue d'ici, et pour tomber ensuite sur
les barbares. Plus tard, Marius distribua ces terres a ses
veterans, d'ou est venue la denomination laline do Vau-
venargues, vallis veteranica, vallee des veterans. >
En parlanl de la sorte, nbus arrivJmes a un endroit oil
la roche se creuse et s'ouvre en immense portique ; nous
descendimes dans un enfoncement semblable h une large
chaudiere. Parvenus a une profondeur assez conside-
rable, le gouffre se retrecit et devient inaccessible en
plongeant dans les entrailles de la montagne.
L'imagination poetique des Provencaux a invente mille
fables au sujet de cet abime, qu'ils appellent Garagay ou
(iailagay. La plusanciennc tradition dit que Marius, vou-
lant s'attirer les bonnes graces de la druidesse Galla, fit
immoler et precjpiler dans ce gouflre trois cents prison-
niers ambrons ; mais Marius a bien assez de ses sanglantes
proscriptions sans lui attribuer des crimes imaginaires.
Le fait est qu'on n'a jamais pu connaitre le fond du
Garagay, bien que quelques personnes s'y soient fait des-
cendre avec des cordes; la fraicheur du lieu et plus en-
core une secrete emotion de terreur les ont empfich^es
d'aller jusqu'au fond.
« Ce goull're, comme quelques-uns I'ont prelendu, n'est
pas le cratere 6teint d'un ancien volcan; il n'exi.ste par
loule la monlasne nucun debris de matiiires calcinees ;
CONSCIENCE
121
d'ailleurs, la seule inspection de son embouchure suffirait
a prouver qu'il n'a jamais vomi de tlammes ni de laves.
Son origine ne peut dire raisonnablement attribuee qu'i
I'evaporation de I'air central, a une epoque oil I'ecorce
du globe en feu commencait a se refroidir ct h passer de
I'elat de liqnide h celui d'une p3te de plus en plusconsi-
slante. Telle est, du moins, I'opinion du savant cure, et
tu penses bien que c'est aussi la mienne. ■
Cependant le jour baissait , il toit temps de regagner
la ville. Nous nous mimes done k descendre en prenant
la direction de Vauvenargues, par oil le cbemin devait
Hre plus facile, h ce que nous dit le cure, que nous ac-
compagnimesjusqu'cL I'entree du village.
L^, ayant pris conge de lui, nous nous dirige^mes i
trovers les collines qui nous separaient d'Aix du sommet
desquelles mon guide, avant d'arriver a cette ville, me
fit remarquer les hauls piliers qui soutiennent, a trois
lieucs de la, le beau viaduc de Roquevafour. C'est un
magnifique travail que vont admirer tous les voyageurs
([Ui passent 4 Aix. J'y suis alle moi-mSme ct I'ai trouv6
digne de sa renommee. Quinze pilaslres, d'une masse
prodigieuse, y ferment quatorze grandes arches, sous
I'une desquelles passe I'Arc tel qu'un faible ruisseau;
puis, les pilaslres contiiiuent k s'elever comme desgeants
pour atteindre au niveau de deux montagnes, et faire
passer de I'une a I'autre, dans les airs, le canal qui doit
conduire k Marseille une partie des eaux de la Durance.
Quant au site de Roquefavour, il est tout a fait pitlo-
resque; il y avail la dans le moyen Age un mouaslere oil
saint Honorat, eveque d'Arles, s'arri^lait souvent dans ses
voyages k L(!rins. Dans la suite la piet6 des Bdeles lui a
dedie un ermitage dans ce m6me lieu. Complelement
ruin6 par le temps ou la main des hommes, d a ete res-
taure depuis peu par un prStre espagnol el par les sacri-
fices de pieux Chretiens.
Voila, mon cher Auguste, ce que j'avais a te dire sur
la plus agreable journee que j'ai passce en Provence;
ma pensee s'est eleclrisee a I'aspect de lieux si riches en
souvenirs, et il est probable que I'image de Marius ct
des Teutons me suivra jusque sur les bords de la Seine.
Aix, V) mars 1840.
P. S. On me propose a I'inslant d'aller visiter le riant
Gemenos, chanli5 par Delille, et la belle vallee de Saint-
Pont; comme je sais que tu y tiens beaucoup, je te ren-
drai compteprochainementde mes impressions de voyage.
Charles Chacbet.
CO\SCIE\CE.
Quel tr&or plus doux que celui d'une bonne
conscience qui, comme un miroir fiilele, ne
nous repute rien dont nous puissions souffrir!
Quelle delectation intime et viclorieuse, d'a-
percevoir toute sa vie en un seul et merne
point, et de n'avoir pas k se reprocher le
malheur ou les larmes d'autrui! II est sans
doute des faiblesses inseparables de I'huma-
nit6; mais le .souvenir de ces fautes ne d(5-
truit pas la paix interieure, lorsqu'on peut se dire n'avoir
•offense ni les autres ni soi. L'homme de bicn s'absout et
forme le dessein de se perfectionner. Comparez cet eta t
heureux a la tempdte des remords, a la crainte, Ji I'effroi
qu'ijs trainent apri^s eux ; ct Ton verra se realiser I'image
vraie ct terrible des furies qui poursuivent le scelerat, et
qui jeltent le desespoir de I'enfer dans son ccBur.
Conscience derive de cum et scire, savoir avec ou dans
soi. En effet, la conscience est ce retentissement interieur
qui nous indique qu'une action est juste ou injuste, bonne
ou mauvaise. Une des proprietes les plus ^clatantes de la
nature de l'homme, qui atteslent sa haute prerogative au-
dessusdesanimaux.estcelle dela connaissancedu bien et
du mat moral par rapport aux autres etres et a ses sem-
blables. C'est un besoin de la vie intellectuelle d'exister
sans reproches ni remords de la conscience pour Hre
heureux.
Nil conscire sibi, nulla pallescere culpa.
"Con.science! consciences' eerie J. J.Rous.seau, instinct
divin, immortelle et celeste voix, guide assure d'un etre
ignorant et born^, mais intelligent et libre; juge infaillible
du bien et du mal, qui rends I'bonime semblable a Dieu ;
c'est toi qui fais I'excellence de sa nature et la morality
de ses actions; sans toi, je ne sens rien en moi qui m'e-
leve au-dessus des betes, que le triste privilege de ra'ega-
rer d'erreurs en erreurs, k I'aide d'un entendement sans
rdgle et d'une raison sans principe. »
m MILLE ET Ul IITS D'EUROPE ET D'AIIERIOIE
ClIOIX DES PLCS JOLIS CONTES FBANCAIS ET ETRANGEHS.
I.'OFTIBIISME.
SONGK.
J'avais rellechiunjouren-
, tier sur le bonheur qui est
le partage du mechant, et
sur rinfortune qui poursuit
rhomme vertueux; la nuit
I deployait ses voiles ; niais
! qui peut dormir sur le du-
y vet, tandis que le malheu-
reux soufTre, et que ses ge-
" r missements plaintifs accu-
yp.' sentnotrereposetreveillent
dans nos ccpurs I'invincible
sentiment de la pitie? Ce
n'est point le philosophe,
OH, pour mieux le qualifier,
ce n'est point I'ami des
hommes : son &me sensibin
est trop bien liee au sort
de ses semblables, pour
■ qu'elle s'isole comme celle
du mfchant. L'Sme de I'homme vertueux ne veut point
fitre heureuse , ou veut I'etre avec runivers.
Mes sens aifaiblis avaient cede aux pavots du somnieil;
mais ma pensee, libre et puissante , n'en suivit pas moins
le cours de ses meditations. Je ne perdis point de vue
les destins de I'intortune, mon coeur veillait et s'interes-
sait pour lui. J'etais encore irrile , quoiqu'en songe, du
spectacle que m'oll'rait cette miserable terre, ou le vice
insolent triomphe, oii la vertu timide est fletrie, per-
secutee. J'eprouvais ces tourments, dont ne peut se
defendre I'homme qui ne resserre point son hre dans le
point de son existence. Attriste, je traversais d'un pas
lent les belles campagnes d'Azora, mais la tranquillite
qui regnait sur la face riante de la nature ne penetrait
point jusqu'k mon coeur. Toutes les scenes d'injuslice,
de forfaits, de tyrannie,[s'o£fraient vivement k ma pensee.
D'un cote, j'entendaislescris de I'indigence affamee, qui
se perdaient dans les airs; de I'autre, la joie folle et
bruyanle d'bommes insensibles et barbares, regorgeant
de superfluity. Tous les malheurs qui accablent la race
humaine , tous les cha-
i^uns qui la ruinent et la
dfevorent, se retrac^rent
en foule 4 ma memoire;
je soupirai , et la pointe
douce et amere de la pitie
blesbidelicieusemeatmon
cosur Des larmes briilan-
■^ ruisselerent sur mes
ues : j'exhalai mes plain-
s etj'oubliai la sagesse
usqu'a murmurer centre
la main puissante qui
arrangea les evenements du monde. « Dieu ! m'ecriai-je,
que mon oreille n'entende plus les soupirs de la misere
et les gemissements du desespoir; que mes yeuxne tom-
bent plus sur I'homme egorgeant son seniblable; que je
ne sois plus t^moin du glaive etincelant du despotisme et
des chaines honteuses de I'esclavage ; ou donne-moi un
autre cceur, afin que je ne souffre plus avec un monde de
malheureux. H6lasl tu as donn^ la vie h tant d'innocentes
creatures qui ne te la demandaient pas! Etait-ce seule-
ment pour les voir naitre, souffrir et mourir? La dou-
leur parcourt ce triste univers comme un ouragan fou-
gueux, landis que le plaisir est aussi rare et aussi leger
que I'aile inconslante du zephyr. »
J'allais continuer mes plaintes, lorsque je me sentis en-
lev^ dans les airs par une force inconnue ; la terre trem-
blait ; le ciel s'allumait d'eclairs, et mon ceil mesurait
avec effroi I'espace immense qui se decouvrait sous mes
pieds. Je reconnus que j'avais peche ; je eriai : « GrSce,
6 mon Dieu, grSce a une faible creature qui t'adore, mais
dont le ccEur a ete trop sensible aux maux de I'huma-
nite! " Tout a coup je sentis mes pieds aflermis sur un
sol inconnu; je me trouvai dans une obscurite profonde;
j'y restai plongequelquo temps, et voici qu'un rayon plus
rapide et plus percant que I'eclair vint dissiper les
lenebres qui m'enveloppaient. Un genie, revetu d'ailes
brillantes, se presenia devant moi : a la llamme cilcst^
qui luisait sur sa t^te, aux caracteres de la Divinite em-
preints sur son visage lumineux, je le reconnus pour un
des anges de I'fiternel. • £cuule, me dit-il dun ton qui
me rendit le courage, ecoute, et ne censure pas plus long-
temps la Providence, faute de la mieux connaitre : suis-
moi. » Je le suivis au pied d'une montagne dont le sommet
fendait les cieux. Je monte, ou plutot je gravis. Figurez-
vous des rochers enormes, su^pendus les uns sur les au-
tres, qui a chaque instant menacent de tomber et d'ecra-
ser les plaines. Au milieu de ces points de vue efTrayants,
I'oeil cherchait en vain un arbre ou une planle qui lui rap-
peliit la nature animee
)
LliS MILLE ET UNE NUITS
des rocs a moilie calcines par les eclats de la foudre. Je
suivais en tremblant mon conducteur; et les hurlements
des (igres et des lions, rendus plus allreux par I't'clio,
epoiivantaient mon oreiUe : ii cluujue pas j'avais bcsoin
dii bras de eel ange secourable pour me soutenir, et je
voyais a mes cotes, 6 spectacle terrible! des compagnons
malheureux qui, voulant escalader ces rochers eleves, se
tenaientsuspendusaleurspointes, mais qui, bientbt lasses
de I'effort, chancelaient, appelaient en vain k leur se-
cours, roulaient, tombaient ecrases, et devenaient la
proie des tigres qui se disputaient dans les vallons leurs
mcmbres palpitants.
Je crus qu'un pareil sort m'attendail, lorsque I'ange
me dit : •< Ainsi la Providence punit I'audace temeraire
des mortels. Pourquoi rhonime veut-il penetrer ce qui
est impenetrable? Son premier devoir est de reconnaitre
sa faiblesse. Tout route invisiblement sous la main d'un
Dieu; ce Dieu veut te pardonner; il veut plus, il veut
t'eclairer. • A ces mots, il me toucha la main, et je me
trouvai au sommet de la monlagne. Quelle douce sur-
prise.' Le pencbant oppose oil nous descendinies, 6tait un
jardin tout a la fois agreable et magnifique, oil la ver-
dure, le chant des oiseaux,le parfum des fleurs, enchan-
laient tous les sens; un cbarme superieur y passionnait
l"^tre le plus indifferent. Mon divin conducteur me mon-
tra dans I'eloignenient un temple d'^tonnante structure;
la route qui y conduisait etait si mysttrieuse, que sans
guide il etait impossible d'y parvenir.
A notre approche, les portes du temple s'ouvrirent ;
nous entr^mes, et soudain elles se refermerent avec un
bruit de tonnerre sous une main invisible. « Personne ne
peut les ouvrir, personne ne pent les fermersi ce n'est la
voix puissante de Dieu, » me dit mon prolecteur auguste.
Saisi de respect, je lus ces mots ecrits en lettres d'or :
" Dieu est juste, sa voie est eacbee; qui osera vouloir
approfondir ses decrets? » Je jelai uu coup d'oeil sur la
hauteur magnifique de ce temple : tout cet edifice mnjes-
tueux reposait sur trois colonnes de marbre blanc ; au
milieu s'i'levait un autel; a la place de I'image de la Divi-
mte, monlait une funiee odoriferante, dont la douce va-
peur remplissaitle temple. A droite de I'aulel etait sus-
pendu un tableau de marbre noir, et vis-a-vis etait un
miroir compose- du plus pur cristal. L'ange me dit .
• Cestici que tu vas apprendre que si la Providence
rend quelquefois un homme de bien malheureux, test
pour le conduire plus sfirement au bonheur. » II dit, et
disparut. Ce n'est plus la froidc terreur qui glace mes
D'ELROPE ET DAMERiyiE. 125
sens; c'est une joie pure, douce, ineffable, qui reraplit
mon Jme. Je versai des pleurs d'attendrissemenl, mes ge-
noux llechirent, mes bras se leverent vers le ciel, et je ne
pus qu'adorer en silence la bonte supreme. Une voix ma-
jestueuse, qui n'avait rieu de terrible, me dit : « Leve-
toi, regarde et lis. »
Je porlai les yeux sur le miroir, et j'y vis mon ami Sa-
dak , Sadak, dont la vertu constante et courageuse m'a-
vait souvent etonne, qui savait braver I'indigence et
meme la faire respecter. Je le vis assis dans une cliambr
dont les murs etaient depouilles ; il appuyait ,sa tete lan-
guissanle sur le dernier meuble qui lui reslait, le cceur
consume par la faim, et par le dfoespoir plus cruel en-
core. Une seule larme s'echappait de sa paupiere, larme
de sang! Malheureux, il n'osait pleurer. Quatre enfants
criaientk leur pere et lui demandaient du pain; le plus
jeune, faibleet languissant, couche surun reste de paille,
n'avait plus la force de gemir; il exhalait les derniers
soupirs d'une vie innocenle. La femme de cet infortune,
aigrie par le malbeur, oubliait sa tendresse et sa douceur
naturelle, pour lui reprocher I'exces de leur misere. Ces
pbintes cruelles dechiraient son coeur, et ajoutaient ii son
supplice. Sadak se leve, detourne la vue de ses enfants,
et, tout malade qu'il est, se traine pour leur chcrcher
quelque secours. II rencoutre un homme, auquel il avail
autrefois rendu les plus grands services; cet homme lui
dcvait I'emploi honn^le dont il jouissait. Sadak lui expose
I'etat deplorable oil il se trouve ; il lui peint ses enfants
pres d'expirer dans ses bras faute d'un peu d'aliments...
Celui-ci rougit d'etre force dele reconnaitre, regarde d'un
ffiil inquiet si on ne I'observe point parlant ii un homme
qui porte la livree de I'indigence; il se debarrasse du
pauvre suppliant par de vagues promcsses, des politesses
froides, et tout a coup s'ecarte ix grands pas. C'etait au
moins pour la dixieme fois qu'il traitait avec inhumanite
celui de qui il tenait tout. Sadak, desespere, porte ses
pas au hasard, lorsqu'un de ses creanciers I'arrete, le
charge d'injures, rassemble le peuple aulour du malheu-
reux, le menace publiquement, et est pret a le frapper,
plus par mepris que par courroux. Enfin, je le vis, er-
rant de porte en porte, tendre une main supplianle, tan-
tot rebute, lantot recevant I'aumone qu'on donne a I'im-
porlunite. II achete un pain, le porte, le partage a ses
enfants, pleure dejoie en apaisant leur faim, et remercie
iU
l,ES MILLE ET UNE NUITS
a genoox la prnvidenci' des riclies benMictions qu'elle
vient de repandre sur lui.
Jejetai un cii de doulcur, d'otonnpnient et d'pfl'roi.
Mes yeux, charges de pleurs, se toui-nerent sur le tableau
de marble noir, et une main invisible y traca ces mols :
" Acheve de contompler Sadak, et condamne, si lu I'oses,
la Providence qui rtgle tout. - Jo repoi-tai la vue dans le
miroir, et j'y revis mon ami Sadak. Mais qu'il etait chan-
ge! que la sc6ne (5lait difVerente! Ce n'est plus I'indigent
Sadak, pauvre, il est vrai, mais tendre, vertueux, com-
pntissant, plcin d'honneiir et d'humanit(5; c'est Sadak
dans I'abondance, devenu opulent par un heritage inal-
lendu; c'est Sadak qui, dans le sein corrupteur des ri-
chesses, a mis en oubli les vertus qui lui elaient chores.
Assoupi dans le luxe, il est dur, il commande avec ai-
grenr, et ne souffrant plus, il ne se snuvient point qu'il est
des malheureux, et que lui-mfme I'a ete. Je lus aussilut
avec une admiration respectueuse re que le tableau mys-
lerieux m'enseignait. • Souvent la vertu souffre, parce
qu'elle cesserait d'etre vertu si elle ne combattait pas.
Lorsque I'auguste Providence fait descendre la misere sur
la tete d'uu mortel, la patience sa scEur I'accompagne, le
courage la soutient, et c'est par ce don que la vertu se
suffit k elle-meme, et qu'elle devient beureuse lors mi5me
que I'infortune semblel'accabler. ■
Mon ceil avide ne tarda point h se reporter sur le mi-
roir. Quel objet plus interessant pour mon coBur! C'est
ma patrie que j apercois, ma chere patrie, la ville beu-
reuse oil j'ai pris naissance! Mais, ciel, que vois-je 1
Tout a coup une armee formidable a inonde ses campa-
gnes, a environne ses fortes murailles, a prepare pour sa
ruine les machines infernales de la destruction. Le ferest
prct, la vengeance et la rage allunient leurs flambeaux. 0
superbe ville! tu trembles, malgre tes fiers defenseurs.
Tes tresors enllamment dans le cceur de I'ennemi la soif
du pillage. Tu veux lui opposer une courageuse resis-
tance. Vains efforts I il monte, il escalade tesorgueilleuses
tours ; le sang coule, la mort vole, la flamme ravage; tu
u"es plus qu'uu triste monceau de pierres que couvre une
epaisse fumee. Mes malheureux concitoyens, echappes a
lenibrasement, errent dans les bois : mais I'horrible fa-
mine les attend dans ces dfeerts; elle les d^vore lente-
ment, et prolonge leur suppHce et leur mort. Dieu juste!
m'^criai-je, un million d'hommes tomberont les victimes
d'uu seul ambitieux, les enfants serontegorges sur le .sein
de leurs meres, les cheveux blauchis des vieillards scrcn
Iratnt^s dans le sang et la poussi&re, I'innocente beaute i
deviendra la proie d'une foule meurtriere, une ville en-
tiere disparaitra, parce que la cupidite d'un monstre aura ,
convoite ses richesses! « Un pays rempli de prevari-
cateurs, r^pondit le tableau, merite le chMiment d'une
Divinite trop longlemps mt5pris6e. Ceux qui n'elaient
point coupables sunt arraches au danger de le devenir;
et si la main de la Providence les a frappfe, c'^tait pour
les preserver d'un naufrage bien plus horrible que ne Test
le tourment d'une mort passagere : leur refuge est dans le
sein de la clemence d'un Dieu cternel. ■■
Le palais du ministre Aliacin, dont les pyramides do-
rees percent la nue, s'^levait avec trop de magnificence,
pour qu'il ne vint point frapper mes regards. Que de fois
I'indignation avait saisi mon cceur a I'aspect de ce mons-
tre heureux qui, avec une ame venale, un C(i?ur barbare,
des moeurs depravtes et un g^nie despolique, avait
comme enchaine la fortune a son char! Son elevation
etait le fruit de ses bassesses, ses tresors le prix de sa
trahison. II avait vendu sa patrie pour de For. Une pro-
vince cntieregemissait sous son oppression. Tanlot il riait
du faible murmure d'un peuple ploye a I'esclavage -, lantfit
il traitait de cris de revolte ses gemis.sements etouffes.
Chaquejour il commettait un nouvel attentat, et chaque
jour le succes couronnait son audace.
Cependunt I'interieur de son palais n'offrait, lant sur la
soie que sur la toile, que des trails de gen^rosit^ et des
cxemples de vertus. Les busies des grands hommes de
I'antiquite ornaient la maison du plus laehe scelerat; et
ces marbres muets, loin de parlerason cceur, ne le fai-
saient pas meme fromir lorsqu'il les rcgardait. Je con.si-
derai ce mechant, rev6tu de puissance, 'entoure de Hat-
teurs, redoute de ses ennemis, encens6 publi(piement, et
maudit, maisseulement tout bas. MiUe rareles precieuses
D'EUUOI'E ET
(lecoraic'iit son cabinet, et chacune d'elle ne lui avail
coiite qu'une injustice.
La pourprc le couvrait aux depens de ccux qui allaient
nus, et le vin qu'on lui versait dans une coupe ornee de
pierreries, pouvait etre considere conime un extrait des
pleurs quil faisait repandre.
II sort d'une table fastueuse, et va mettre aux pieds
d'une concubine le patrimoine d'un orphelin. II se tient
avcc elle a la fenO-tie, et de li il voit tranquillement met-
tre a niort un citoyen sensible et courageux qui a ose lui
lepresentei' I'abus de son pouvoir. On etrangle rhomme
de bien, et un couirier vient une heure apres annoncer
nil ministie que le Sultan, pour reconnaitre ses services
signales, lui fait present d'une terre considerable. Le
nionstre sourit, et, devenu plus puissant, il songe a se ren-
dre plus terrible.
Ma liaine centre cet odieux tyran devint si forte,
qu'impatient, je tournai a plusieurs reprises mes regards
sur le tableau, comme pour liAter I'arret qu'il devait
prononcer ; mais I'ien n'y paraissait encore trace. Ma vue
relombe tristement sur le cristal uierveilleux. J'apercois
Aliacin entrant dans un cabinet secret. Quelle satisfaction
pour mon coeur ! La nature, les njalbeureux et la terre
sont venges. Cet homme puissant, qui semblait le plus
lieureux desmortels, lit une Icttre, palit, tremble, frappe
son front de cette meme main dont il egorgeait I'innocent.
Agile d'un desespoir qu'il ne peut vaincre, il va, vient,
erre en furieux, decliire par la crainte plus que par les
remords. 11 arraclie toutes les marques desa dignite, les
foule aux pieds, et dans sa rage il jileure comine un en-
fant. Je cherchais a deviner le sujct de sa fureur, lors-
qu'un de ses favoris, plus vil que son maitre, perce jus-
qu'i'i son cabinet; etj'apprends la cause deson desespoir.
Uii de ses confidents, espion a la cour, venait delui ecrire
qu'unorage nouveau s'ctait forme; qn'il allait perdreson
rang et son credit, s'il ne possedait pas assez d'adresse
pour detourner le coup. Aussitot ce honteux favori con-
seilla d'une voix ferme a son maitre ce que lout autre
n'aurait pu lui dire impunement. Ce conseil affreux plut
au barbare. 11 ordonua qu'on amenat sa fille en sa pre-
sence. Nouremi parut. Elle etait belle, et elle avail des
vertus. Dieu! avec quelle borreur elle entendit quo
son pere voulait la livrer au Sultan, conime une vic-
time immolte h son insatiable ambition I Elle londje
presque sans sentiment aux genoux de son pere ; elle fait
parlcr les pleurs de la beaute, de la nature, de I'inno-
cence Un regard severe lui commande d'olk'ir ; elle
obi'it ct nieurt.
U'AMEKlQliE. 12S
delicieux. On le croirait couche sur des epines. II crainl
pour sa vie, il se leve, il parcourt a pas Iremblants son
palais ; il tronve ses esclaves endormis, et envie leur pai-
siblc sommeil. Le jour luit ; toujours inquiet, toujours
soupronneux, il I'remit quand il mange, il pSIit lorsqu'il
boit, incertain s'il fait couler la nourriture ou la mort
dans son sein. Si quelqu'un s'eleve, mille serpents ron-
gent son sein : c'est I'adversaire qui doit un jour le ren-
verser; c'est I'homme redoutable qui doit s'asseoir a sa
place.
Plein d'une atlente respectueuse, je consullai la table
des augustes jugemenls de I'filernel, et je lus : « La ve-
rite est terrible au mediant; elle est sans cesse presente a
ses yeux,; c'est elle qui fait son supplice ; il ne voit que
ce iniroir redoutable, oil il lit son injustice et la difl'ormilo
do son Jme. »
Tout a coup un bruit sourd cumme celui d'un tonnerre
loiutain se fait entendre-, je tourne la vue sur le palais
d'.^liacin. Ses jardins, ses pyramides, ses statues, lui-
nieme, tout (ilait disparu. A la place de ce sejour, oil
tons les plaisirs etaienl rassembles, on ne voyait plus
Aliacin en devint-il plus heureux? Je le vis dans I'asile
du repos, etendu sur le duvel, ou plonge dans un bain
quuii repairo de couleuvres impures, rampant dans des
marais fangeux. Tel est le fondement des palais que le
crime a batis. Les mots suivanls, graves sur le niarbre
noir, me decouvrirentce (ju'Aliacin etait devenu : « 11a 6te
balayc de dessas la terre comme la vile poussiere, et les
races futures douleiont s'il a exislc. »
Cet effiayant tableau ne sortira jamais de ma memoire,
ct depuis ce temps je gemis en voyanl un bomme puissant.
On contemple ses ricliesses, moi je le vols expose au bras
de la justice divine. Mon ceil plus attenlif revola sur le
miroir, et j'apercus Mirza et Fatm^, amants tendres, ge-
nereux, etdans cet 4ge oil I'onconnait lentliousiasrae de
la vertu. Ce mfme jour venait de les unir, et leur ten-
dresse mutuelle leur proniettait une longue suite de jours
aussi fortunes. La douce ivresse du bonheur brillait dans
leurs regards, et Icurs sentiments se confondaient avec
une douceur touchante. Fatmi5 avail la beaule d'une
vierge, sa pudeur; ses graces, et ce doux incarnal dont
I'eclat est si fugiuf. Le plus beau corps renfermail le
ccBur le plus noble. Fatme recompensait la tendresse de
son upoux d'un aimable sourire; son front rougissait, et
ce rouge adorable etait I'cffet de I'amour le plus pur.
Comme leur silence exprimait bien ce que leur langage
ne pouvait rendre! Mon coeur tressaillit de joie au se-
duisant tableau dela vertu ri^compensee. Comment I'ami
de I'bomme pourrait-il voir deux ccBurs heureux, sans
6lre emu de plaisir et sans applaudir a leur bonheur!
Ccs deux epoux se felicitaient d'etre unis, parce qu'ils
126
LES MILLE ET UiNE NUITS
pouvaient faire le bicn ensemble. lis etaient riches et sa-
tisfaits de I'etre, parce qu'ils pouvaient soulager la foule
lies nialheureux. Le jour de leur hymen, ils voulurent que
des coEurs aussi scnsibles que les leurs goOtassent la mfime
felicite : ils niarierent de jeunes filles ^ leurs jeunes
amants, lorsquo I'infortune etait le seul obstacle qui s'op-
posaitaleur union. Mirza veut que tousles coeurssoient
a I'unisson du sien ; son Sme sublime voudrait soufller
surla nature entiere un bonheur universel et inalterable.
« Chere Fatme, disait-il, nous ne sommes pas les seuls
« heureux, el dans ce moment quelqu'un nous b^nit;
« nous avons fait descendre I'hymen dans de tristes chau-
11 mieres; des coeurs innocents se sont ouverts a la joie ;
« I'amour consolateur a efface I'image de leur misere;
« et nous, nous verrons leurs enfants sourire a notre ap-
II proche. Fatme, leurs caresses seront notre plus douce
11 recompense ! »
Ces limes tendres et vertueuses formaient le plan d'une
vie utile etbienfaisante : leurs enfanlsdevaient etreeleves
danslessaintesmaximesdelasagesse et dela religion, qui
leur enseignera, avant tout, a etre simples etbons, parce
que la simplicity et la bont6 sont le principe de toutes
les vertus; on nourrira dans leur ame flexible et tendre
les impressions d'humanite et de commiseration, parce
qu'il faut etre sensible, afin d'etre homme. Ce couple
charmant et respectable, s'enQammant aux transports
de leurs cCEurs, voyait deja leur posterit6 heriter du sang
genereux qui coulait dans leurs veincs. Dans ce ravisse-
ment qu'inspirent I'amour, la vertu, le bonheur, ils tom-
benta genoux devant I'fitresupr^me. « Grand Dieu ! s'e-
i< criaient-ils, donne-nous des enfanls dignes de toi !
(1 Qu'ils soient humains ; qu'ils marchentdans les voies
« de ta justice et de ta bonte supreme ; ou s'ifs doi-
11 vent s'ecarter des lois salutes que nous ch^rissons,
i< qu'ils ne recoivent pas une existence qu'ils aviliraient
11 <i nos yeux comme aux tiens ! » Leurs bras suppliants
etaient entrelaccs, lorsque le plafond de la chambre crie,
s'6branle. Fatme s'evanouit de frayeur, Mirza pouvait en-
core se sauver ; mais comment abandonner sa chere Fat-
me'? U veut I'enlever dans ses bras ; lemur chancele,
tombe, 6crase et ensevelit ces deux epoux. Le monde
perd son plus digneornement, et le genre humain, I'exem-
ple des plus rares vertus.
Je cachai mon visage pour pleurer librement. .le sou-
haitai d'etre accable sous ces tristes ruincs avec Mirza et
Fatm6. Longtemps immobile, je n'osai hasarder mos re-
gards sur le tableau; je levai enfin un ceil tremblant,et je
lus : « L'aveugle esprit de I'homme ne voit rien que dans
le present; la Providence seule connait I'avenir : la mort
la plus soudaine a ete la recompense des vertus de Mirza
et de Fatme; elle les a fait passer h un etat de delices
dont ce monde n'oCfre point d'idt'c, en nieme temps qu'elle
les a sauves de I'horreur do nicttre au jour des descen-
dants indignes d'eux. »
Je conclus que je ne devais rien decider dfeormais,
moi, faible alome, dont la vue bornt^ ne pouvait embras-
ser ma propre existence. En regardant encore I'incom-
prehensible miroir, j'eus un nouveau.sujet d'elonnement:
j'apercus Agc^nor, malheureux jeune homme adonne a
toutes sortes d'exces, etledissipateur le plus effrene d'une
ville dissolue. II etait pale, defait, violeniment agite ; il se
promenait a grands pas dans sa chambre, porlant en fu-
reur la nuiin a son front, et prononcant a voix basse
quelques imprecations. II resle un moment comme irri-
solu. Bient6t toute sa rage delate : il court a une armoire
secrete, en tire un papier, verse dans une tasse d'une
certaine poudre... u Qui, dit-il les yeux enllammes, ce
poison sera I'unique ressource que j'embrasserai : il me
sauvera de I'opprobre qui m'attend. Mon pere ne veut
plus payer Dies plaisirs; mes creanciers mo menacent
chaque jour de la prison : vengeons-nous a la fois de mon
pere et de mes creanciers. » 11 portaitla tasse a sa bouche,
et j'etais peu afllige de voir le monde perdre un debauche
furieux, lorsque tout a coupils'arr^te. « Quoi! s'ecrie-t-il
d'un ton sourd et ctouffe, je mourrais, et sans etre venge !
Perfides ennemis ! ah 1 je veux rougir la terre de votre
sang : vous tomberez sous ma main, et votre mort doit sa-
tisfaire a mafureurlii II dit, pose la tasse, prend son cime-
terre et sort. A peine est-il dans la rue, que son pire,
venerable vieillard, monte a la chambre de son fils. He-
las! il eiit ete heureux sans ce fils. On lisait sur son front
cette douleur vive qui abat une ime paternelle. II venait
repr&entera ce fils ingrat les lois de I'honneur, celle de
la probite et du devoir. II esperait toucher son cceur,
le ramener a la vertu. Ses rides, ses nobles rides et ses
cheveux blancs, les larmes qui baignaient son visage, tout
inspirait le respect et la pitie. En le voyant, I'Sme la plus
dure se serait emue. Ce vieillard infortund, fatigu6 des
mouvements qu'il s'etait donnas, etait altera. II apercoil
la tasse fatale : il boit, tombe a terre, et rend I'^me dans
les plus horribles convulsions. J'osai confier ma surprise
D'EUROPE KT
a la Justice supreme, et elle traca de son doigt invisible
les mots suivants sur le tableau rerloutable : « Le pere
d'Agenor s'^tait rendu, par sa coupable negligence, la
cause de la perte de son fils : il Had juste qu'Agiinor de-
vintusoii tour I'instrument de son supplice. 0 peres I
connaissez toute I'eteiidue de vos devoirs, et fremissez!
Tolerer le vice, c'est le commettre. »
A peine ces mots furent-ils traces, qu'ils disparurent,
et ccux-ci prirent leur place : « Considere le tout, alin
de ne point crrer. ■ Aussitut j'apercus dans le miroir
une grande ile, coupee en deux par un fleuve. La partie
droite formait une plaine tlorissanle, couverte de palais
somptueux, -de jardins magnifiques : elle etait peuplOe
d'hommes ricliement vStus. La gauche, au contraire,
pri'scntait un desert aride, oil quelques miserables caba-
nes enlr'ouvertes laissaient voir les indigents qui y me-
naient une vie obscure et penible. Cette ile pouvait Hre
consideree comme une image du globe de la terre. On
appelait le pays a droite, le pays des Heureux. Des chants,
ties danses, des festins, des spectacles, semblaient leur
unique occupation : leplaisirse peignait dans les yeuxdes
beautes tendresqui les accompagnaient ; elles se laissaient
mollement cntrainer vers des ombrages solitaires. Cepen-
dant je remarquai que la plupart d'entr'eux ne s'esti-
maicnt heureux qu'autant qu'ils elaient apercus des
gens qui liabitaient la rive opposee. Dans les repas les
plus splendides, ils paraissaient d'une joie extreme ; mais,
moi, qui decouvrais leur cceur a nu, jo le voyais devore
de vers rongeurs. Us semblaient a la table des dienxboire
le nectar, et I'enfer etait dans leur ame. Quoique au
sein de I'abnndance, leurs desirs otaient loin d'etre satis-
fails : ils n'avaient qu'une boucbe pour savourer les ali-
ments, et leur imagination active et insensee depeuplait
la terre et les mers pour fournir de nouveaux mets a un
palais use par des sensations trop frequemment repetees.
Varmi ces pretendus heureux, il en etait qui quittaient
tout a coup les plaisirs, pour courir apres un certain feu
/ollet, au bruit des tambours et du canon. Ils revenaient
lout .sanglants, quelquefois mutiles, et alois ils se faisaient
appeler heros. O'autres faisaient les plus grands efforts
pour monter au somniet d'un gradin qui etait occupe;
tandis qu'un pen plus bas ils aura lent pu trouver une
place fort commode. Us se tourmentaient d'une maniere
etrange. Quelquefois on se moquait deux, et le plus sou-
veut on les jetait au dernier rang. Rien ne les rebutait :
ils rcmontaient ; els'ils reussissaient, soit par adresse, soit
par importunite, alors ils n'avaient seulement pas le temps
de s'asseoir, assez embarrasses, assez occupesa repousser
I'ambitieux qui k son tour voulait usurper leur place. Plus
loin j'apercevais des tStes legeres qui couraient ca et la,
sans occupation comme sans affaires, semant des pieces
d'or sans plaisir, et finissant par mettre le feu a leui-
palais, pour rejouir un instant les yeux d'une femme ca-
pricieuse. Ensuite ils regagnaient a force de bras le pays
desert, dit le pays des Malhenreux. Dans ce miserable
sejour on n'entendait que des plaintes et des cris; tous les
habitants marcbaient courbes sous le fardeau d'une loupe
de chair qui opprimait le derriere de leur cou. C'etait
d'un regard triste etenvieux qu'ils contemplaient le pays
de la felicity. Qu'obtenaient-ils par ces vains desirs? La
bosse qu'ils portaient devenait beaucoup plus pesante.
.I'lls s'approchaient de ces hommes fortunes, ils enten-
daient les railleries piquantes, lancees A I'envi I'un de
D'AMEKIQUE. 127
I'aulre centre les miserables- porteurs d'une loupe de
chair. II n'etait pas facile, mais il n'itait pas absolument
defendu aux habitants du pays malhoureux de traverser
le fleuve h la nage, et de s'etablir dans le pays des ri-
ches; mais aprte avoir essay^ quelque temps de I'air du
canton, ils revenaient presque tous volontairement, ai-
mant mieux encore porter une bosse pesante, que d'etre
toujours en guerre avec leur propre conscience. Si qnel-
qu'un se plaignait de ce qne sa loupe etait beaucoup plus
lourdeque celle de son confrere, il avait le pouvoir de
I'echanger; mais il se repenlait ordinairement du troc,
et reprenait son premier fardeau. Ces masses de chair ne
me parurenl point aussi insupportables que le porteur
I'assurait. En general, il me sembia que, si dans le pays
de felicite Ton exagerait par air le sentiment du plaisir,
dans le pays de misere on exagerait par faiblesse le sen-
timent de la douleur : car c'est une ancienne manie, et
toujours subsistante, que celle de vouloir elre plaint. Je
remarquai que la maladresse de ces derniers rendait le
fardeau beaucoup plus difficile qu'il n'etait. Ceux qui
savaient le porter alegrement paraissaient contents et
dispos : I'habitude leur rendait a peine le poids sensible;
au lieu que ceux qui ne s'etudiaient pas ;\ savoir main-
lenir un juste equilibre chancelaient a chaque pas, et
rendaient leur marche trop penible. Un autre avanlage
du pays de misere, c'est que les habitants seconfiaient en
assurance aux vagues irritees. Leur bosse les soutenait
toujours sur la surface des flots; ils avaient beau 6tre
ballottes; les plus rudes secousses de la temp6te n'appor-
taienl aucun donimage h leur situation: au contraire, les
citadins du pays de felicite voyaient .souvent les plaines
unies do leurs belles campagnes tout a coup boulever.s6es
au moindre monvement del'empireliquide; eux-ni(^mes
emportes par les couranis, ne ponvaient surnager, et I'or
qui couvrait leurs habits ne contribuait pas peu a lesen-
gloutir. J'observai aussi que, dans le pays fortune, on
etait bien nioins habile, bien moins iudustrieux, bien
moins humain, bien moins charitable, que dans le pavs
des malhenreux.
Mon oeil avide chercbait quelque autre objet de rompa-
raison, Iprsque le ciel de I'ile se couvrit de sombresnua-
ges : le tonnerte se fit entendre ; des eclairs furieux de-
chirerent la nne ; une grtMo etfroyable fondit sur la
terre.
Tous les coeurs furent consternfe : mais soudain lamer
souleva ses abimes ; ses vagues impetueuses s'eleverent
jusqu'au ciel, assiegerent la double ile, et hientdt I'en-
gloutirent avec tous les habitants. Je ne vis plus dans le
miroir qu'une lugubreetpMe obscurite, qui couvrait un
amas immense d'eaux, d'oii perjaient quelques gemisse-
ments confus. ArinstantmSme, une lumiere surnaturelle
remplitle temple; lenuage odoriferant qui fumait sur
I'autel se transforma en une colonne de flamme ; et la
voatedel'edifice,subitementenlevee,m'offntle spectacle
d'un trono lumineux qui descendait lentement au bruit
majestueux du tonnerre. Je tombai de frayeur devant la
divuiitii de ce lieu redoutable : un bras divin daigna me
relever, et je revis aupres de moi I'ange qui m'avait servi
de guide. Sa voix me rendit le courage ; je lus ces mots
cents, en traits de flamme, sur le marbre myst^rieux :
« La mort rend les hommes egaux. C'est I'eternite qui
assigne h I'homme son veritable partage. La justice est
tardive; mais elle estimmuable : I'hnmme juste, rhomme
428 MAXIMES, PENSIJES, SENTENCES ET REFLEXIONS
bon se liouve a sa place, ot le michanl ^ la sienne. Mor
Ids! hi balance d'un Dieu cternel pcnche dans les abi-
nies de relernite. » Alorslemiroir redevinl parfailement
clair, etju vis une grande et belle femme, levitue d'une
maiosl(5 celeste, assise sur une demi-colonne : elle tenait
d'une main une balance, et de I'autre une epee llam-
boyantc. Des millions d'liommes de loute nation et de
lout a«e, elaienl rassemblcs autour d'clle. Elle pesait les
vertus et les vices, pardonnait aux defauts enfants de la
faiblesse : la patience et la resignation etaient r(;compen-
s&s, et les murmures indiscrets etaient pujiis. Je visavec
une joie inexprimable que les pleurs des nudheureux se
sechaient sous sa main bienfaisante. Ces infortunes be-
nissaient leurs maux passes, source de leur bonheur pre-
sent. Plus ils avaient souffert, plus grande etait leur re-
compense, lis entraient dans les demeures eternelles, oil
le Dieu de bonte se plait b exercer sa demence, le pre-
mier, le plus grand, le plus beau, le plus adorable de
lous ses attributs. Tons ceux que I'Eternel avait daigne
animer de son souffle divin, etaient nes pous etre heu-
reux. Les taches qu'imprime a rime le vil limon du corps
disparaissaient devant I'eclaldu vrai soleil : sa splendeur
absorbait ces ombres passageres. Le Createur de ee vaste
univers ^tait un pere tendre qui recueille ses enfants apres
un long et triste pf:lerinage, et qui n'arme point sa main
tonire leurs fautes passees. Ceux qui avaient ouvert leurs
cffiurs a la justice, a la douce piti6, qui avaient sccouru
I'innocent, soulage le pauvre, recevaienl un double dcgre
de gloire. Un cantique immortel de louanges, r^p^te par
la race entiere des hommes, annon(;ait la reparation des
choses.
Les temps de la douleur, de la crainte, du dcsespoir,
etaient a jamais ecoules ; les beaux jours de I'eternite s'ou-
vraient ; la figure de ce monde etait evanouie; aucun ge-
missement ne de\ait troubler la celeste barmonie de la
Micite universelle. Ce Dieu bon, dont la main magnifique
est empreinte sur toute la nature, qui a cmbelli jusqu'au
lieu de notre exil, embrassait dans son seiu toutes ses
creatures : le pere et les enfants ne faisaient plus qu'une
meme famille. Alors une voix tonnante se fit entendre.
" Va, faible mortel, esprit audacieux et borne, va, ap-
prends ;i adorer la Providence, lors m6me quelle te pa-
raitrait injuste. Dieu a prononce un seul et mdme decret :
il est elernel, il est irrevocable; il a tout vu avant de le
porter, fitres finis I vos systemes, vos vceux, vos pensees
entraient dans son plan : soumettez-vous, esperez, et
n'accusez point son ouvrage. » Le temple parut alors s'e-
crouler sur ma tete. Je m'eveillai, incertain si ce que
j'avais vu etait une apparition ou une realite. Dois-je en-
core m'indigner de la prosperite du mechanl? Dois-je
murmurer du malheur de I'homme juste? Ou plut6t, ne
dois-je pas attendre que le grand rideau etendu sur I'u-
nivers soit tir6 h nos yeux par la main de la mort? C'est
elle qui doit nous faire vivre, en d^couvrant la Verit6
immuable, elernelle, qui ordonna le cours des evenements
pour sa ]ilus grande gloire, et pour la plus grande felicite
de riiomme.
IIAXLIIES, PENSEES, SEMEIES ET REFLEXION'S
EXTRAITES DES MORALISTES ET DES fiCRlVAlNS ANCIENS ET MODERNIiS.
La premiere et la plus rare des qualit^s sociales est
I'abnegation de soi-meme.
L'exces des abus est prouvi^ par I'exces des ePforts que
Ton fail pour les caclier.
On s'elonne presque aulant d'une bonne action, que si
elle n'etail pas dans la nature.
Une bonne action est une Iccon insolente pour ceux qui
n'ont pas le courage de la faire.
Ne I'ais pas toi-meme ce qui te df'plait dans les autres.
Une ame basse suppose toujours de vils motifs aux ac-
tions les plus nobles.
Les jeunes gens disent ce qu'ils font, les vieillards ce
qu'ils ont fait, et les sots ce qu'ils ont envie de faire.
11 est plus facile de jeler du ridicule sur une belle ac-
tion que de I'imiter.
C'est en quelque sorle participer a une bonne action
que de la louer de bon coeur.
Louer une niauvaise action, c'est la commettre.
Une bonne action se passe de confidents ; une niauvaise
action ne saurait se passer de complices.
II fautlouer une bonneaction abstraction faite des motifs.
Le fruit des belles actions est de les avoir failes.
Ceux qui savcnt beaueoup admirent pen, et ceux qui
ne savent rien admirent lout.
Admirez un guerrier dans Taction, un pilole dans la
tempete, et la vertu dans les revers.
L'adversite conduit les esprits faibles au d6sespoir , elle
forlifie les 4mes elevees.
Quand l'adversite ne servirait qu'a nous faire connaitre
les faux amis des veritables, elle auraitbien son cote utile.
Ty|iograpliif LjcnAMi'K cl Ce, vui' namieue, 2.
CHRONIOUE DES MOIS.
MAI.
Mai s'avance frais et
riart sous les auspices
des Gemeaux; il 'vient,
dans nos climats, donner
a la nature sa robe de
fete, et, pour terminer
les luttes rivales de I'hi-
veret de I'et^, jeterentre
eux un bouquet de fleurs
sur la terre. Comme la
folatre jeunesse il est
riche de couleur et de
vie, comme elle, il a de-
cant lui de ravissants
lointains, des esperances
non encore decues. .. nul
autre mois n'aime autant que lui la verdure et les om-
bres dans les champs, au bord des lacs, sur les hauls
sommets des montagnes; a lui les guirlandes du rosier
d'amour, les blanches haiesd'aubepine, les rives bordees
d'iris etde marguerites, les bles et les seigles semes de
bluets; k lui les petits nids d'oisillons caches sous la
feuillee, les belles aurores sur la colline, les limpides
rosees dans la plaine ; i lui ces bruits harmonieux
d'ailes, de vents et de soupirs dans les oseraies.
Aussi lorsque les chaudes haleines de mai viennent
adoucir les derni^res rigueurs d'avril, I'hote des cites se
degoute des plaisirs monotones jie I'ipre saison, il sent
une voix inlerieure qui I'appelle aux champs; il veut y
T. II.
voir le mois des fleurs; ou si I'obligation du travail le
retient a la ville, il soupire apres le jour du Seigneur,
qui est aussi le jour des joies de la famille et des prome-
nades champetres. Alors, comme le papiUon aux ailes
d'azur qui perce sa coque et voltige de la rose au ser-
polet, il s'ehat, lui, dans son allegresse, par les mille.
labyrmthesde I'ombreuse et verte campagne.
A ce mortel fortune n'allez pas maintenant parler poli-
tique, concert ou theatre, car ilvous r^pondrait arrosoir,
riteau ou serpette. Tandis qu'il est a examiner ses pois
Deuris, ses fraises h demi eolorees , ses asperges nais-
santes, ou qu'il se promene delicieusement autour de ses
giroQees d'or ou de pourpre, de ses lis resplendissants,
de ses tajeles veloutes, asseyez-vous au bord de ces quel-
ques pieds de prairie hordes de si beaux hortensias et
de gtoniums eclatants, ou mieux encore'sur ce siege de
gazon, pres de ce filet d'eau fraiche qui tombe, murmure
et disparait sous un massif de pavots superbemciit fana*
ches... ficoutez!... vous allez entendre dans la haie voi-
sine un nuisicien aile, venu toutexpres de I'orient pour
charmer vos oreilles. Le voila qui prelude... quelles
suaves modulations! quelle douceur plaintive dans ses
accords! C'est un rossignol ; non pas celui que la IWte de
quelque Tulou s'est imagine de parodier, niais le vrai
rossignol, le bulbul des Arabes.
Le mois de mai a d'autres privileges encore. Sous son
influence I'air est plus pur, les herbages plus abondants,
le lait meilleur; pendant ce mois les agneaux bondissent
dans I'etable ; les jeunes essaims quitlent la ruche mater-
9
loO
SAINT SULPICE.
nelle pour alien au loin, comnie jadis les peuplades hel-
lenes, fonder de briUanlcs colonies; alors encore les foins
tombent sous la faux, les faneurs viennent apres avec
leurs chants rustiques et leurs danscs, tandis que d'un
ceil inquiet (caril faut bienun peudesouci au milieu de
tant de bonheur), le maitre du pre observe ces noirs
nuages qui montent de Test et nienacent d'une averse.
C'est encore la saison benieoii (iclosentlesvers-k-soie;
le mdrier, arbre privil^gie du centre et du midi de la
France, d6veloppe ses bourgeons; bientot ses tendres
feuilles scront cueillics ct donnees en pature a ces imper-
ceptibles vers qui vont grandir A vue d'ffiil ; distribues
dans de spacieuses magnaneries sur des claies d' osier ou
de roseau, ils vont depuis Lyon, jusqu'a la mer, depuis
les Pyr(5ntes jusqu'au Var occuper des milliers de bras,
faire I'esperance ou le desespoir de milliers de fa-
milies.
Quelques-uns font venir de Iflaia, mfere de Mereure,
I'^lymologie de mnr; de la vient qu'aujourd'hui encore
en Espagne aux premiers jours de ce mois, on habillede
blanc etl'on pare de fleurs une jeune villageoise -qui re-
presente MaVa, puis on fait une qu^tc pour feter la renais-
sance des beaux jours. II est plus raisonnable de tirer
cette (5lyniologie iemajores ou maiores, les ancienscom-
posant le si5nat remain, dont les stances s'ouvraient au
mois de mai ; aussi Rome I'avait-elle consacre specialf-
ment h la vieillesse, et pendant sa duree il ^tait d^fendu
de se marier.
Mai n'en ctait pas moins sous la protection d'Apollon,
dieu du soleil et des beaux-arts; on celcibrait alors les
fi-les de Cybele , la mere des dieax, appelee la Bonne
deesse, celle des Lares ou dieux pi5nales; de Flore et de
pUisieurs autres dieux.
Le cliristianisme, qui a change la face du monde et fait
disparaitre les superstitions paiennes, est aussi intervenu
dans ce beau mois pour appcler plus dignement les bene-
dictions du ciel sur les fruits de la terre, echappes a
peine auxgeleesd'avril; rien deplus naivement religieux
(]ue la procession qui se fait i cette occasion dans les
campagncs; c'est la voix de la prifere et de I'esperance,
c'est^-dire de deux soeurs, s'adressant k Dieu pour le con-
jurer de donneria rosi5eet le soleil auxmoissons et d'ecar-
ter de nos champs les ravages de la grSle et de la tempfete ;
en meme temps la piete des fideles a consacre le mois de
mai a la "Vierge, comme pour le mettre sous sa puissante
protection, et parce que le suave parfum des fleurs est
un embleme bien poetique deses douces vertus.
Charles Chaubet.
L'EIITE DES mm FR.\1A1S.
SAINT SULPICE,
SURNOMME LE DEBONNAIRE OU LE PIEUX,
iVEQliE DE BOUBGES.
Les annales chr{^tiennes recon-
naissent deux saints du nom de
Sulpice, tous deux evfeques de
Bourges. -^ L'un fut nonim6 le
Severe, I'autre le Pieux ou le De-
bonnaire; c'est la vie de ce der-
nier que nous aliens essayer de
retracer.
II naquit vers la6n du VI" sitele
dans la petite ville de Vatan en
Berry. Sa famille, I'une fles pre-
mieres dela province. I'envoya tout
jeune encore a la cour de Thier-
ry II, roi de Bourgogne. C'etait
alors un cloaque de corruptions
*etd? debauches i[ue le palais d'un souverain. Les femmes
y etaientsanspudeur et les hommes sans honte. Lemeur-
trc y dormait k c6te de I'aduUere. — Sulpice promena
son regard autour de lui, et voyant tant d'infamie, il en
eut horreur; neanmoins, nouveau croyant disrael, \\ fal-
laitqu'il resist dans cette foUrnaise. —Pour hitter centre
la licence qui menacait de le souiller , il appela a son se-
cours la priere, et quand, iftalgr6 cela, il sentit monter
jusqu'a lui les cxhalaisons d'un sitele corrompu, il cut
recoursauxmacerations austeres qui domptent I'espnt par
le corps. Sorti toujours victorieux de ces luttes int6rieures,
il forma le projet de se consacreriDieu. — H abandonna
la cour du roi Thierry II et revint dans la province du
Berry, chercher non une solitude monastique, mais une
retraite dans sa maison, oil en s'appliquant h loutes les
vertus dignes d'un disciple du Christ, et en pratiquant
les mortilications qui avaient maintenu son coeur dans la
voie dela perfection, il pourrait sortirde son silence pour
nourrir les pauvres, batir des 6glises, meubler des h6pi-
laux, delivrer lesprisonniers et catechiser les idol&tresde
la campagne.
Austregisile, devenu 6veque de Bourges apres la mort
d'Apollinaire, reconnut bientot les vertus ^minentes de
Sulpice. — Sans lui demandor son consentement il s'a-
dressa au roi Thierry, pour obtenir la permission de le
faire entrer dansle sein de I'^glise. — En peu de temps
Sulpice passa par tous les degri5s de I'ordination sacree ct
fut admis au sacerdoce. — Alors sa vie s'^coula plus quo
jamais dans tous les lieux oil la charite pouvait trouver
quelques larmes h essuyer, quelque secours b prodiguer,
etle clerge de Bourges, stimule parl'exemple deson zele,
s'empressa de I'imiter.
Ses jours fuyaientpaisibles comme ces voixm^lodieuses
quevousavez entendueschantantdeshymnesau Seigneur;
de mfime ils passaient, de mf^me ils monlaient vers Dieu.
Clotaire II, alors seul roi do France, vint pour quelque
temps arracher aux pauvres du Berry leur digne consola-
teur.
Pendant les vieux siecles de notre epoque, les rois avaient I
une singulierenianiere dese faire pardonner leurs desor-l
dres par les 'sentiments rel'gieux qu'ils atfectaiont. — La|
vengeance de Dieu leur apparaissait terrible et menacante j
pour la conjurer, ils employaientles prieres; mais leura
levres salies par la debauche ne pouvaient murmurcr dei
SAINT SULPICE.
131
paroles de mis^ricorde, leurs coeurs remplis par le ■vice ne
trouvaient aucune penseeaadresser auCrealeur. Ilss'ima-
ginferent que pour leur argent on pouvait prier pour eux,
et adjoignirent <i leur maison une sorte de monastere
qu'ils menaient a leur suite dans les armees ou dans leurs
excursions lointaines. Ce monastere, compose de clercs ou
de moines, avait pour mission de cel^brer I'office divin
dans le palais et de demander a Dieu les graces dont le
roi pouvait avoir besoin.
Clotaire II eut connaissance de la saintete de Sulpice.
Ilmanquait un cliefau monastere desa maison. II deman-
da k Austregisile de lui envoycr ce saint pour en faire
I'aumonier de son palais et I'abbe de sa chapelle roj ale.
Sulpice, connaissar.t la cour et se souvenant encore dcs
vices qui y regnaient, voulut refuserle titre et les honneurs
qu'on lui ofFrait, mais le desir d'un roi est une volonte.
U fut force d'accepler.
Revfitu de]sa nouvelle charge, sa pi^te toujours austere,
uniforme, sa vertu constante et pure, son evang^lique
humilite, vinrent contraster avec la depravation des cour-
tisans. Bientot ses discours et ses actions firent tant d'im-
pression sur les esprits, que la cour sembla comprendro
un instant ce qu'etait la vertu. — Le roi professait haute-
mentson admiration pour Sulpice. — Ce dernier devint
un modele pour les courtisans. — Sulpice etait doux et
humble, les courtisans firent abnegation de leur orgueil
et de leur duret<5. — Sulpice donnait aux pauvres les deux
tiers des sommes qu'd recevait du roi , les courtisans
donnerent aussi. — Sulpice jelait sa bourse au misera-
ble ivrogne qui I'avait insults, les courtisans pardon-
nferent les injures, et soil par imitation seulement, soit de
bonne foi, ces derniers etaient devenus Chretiens parce
que Sulpice etait acote d'eux.
Pendant qu'il se trouvait i la cour, le roi tomba dan-
gereusement malade. — La science m(5dicale, qui n'etait
pas tres-grande alors, epuisa tout ce qu'elle avait de pro-
fondeurs; tons les remedes furent employes, tons furent
impuissants. — Le roi allait mourir. — II vinta la pen-
see des courtisans que les prieres de Sulpice pouvaient
mieux faire pour le malade que les remedes de tous les
medecins du monde. On lui demanda d'adresser k Dieu,
au nom de la France, des priferes pour le roi.
Sulpice passa cinq jours en oraison, n'accordant a son
corps ni nourriture ni sommeil, et lorsqu'ti la fin du cin-
quieme jour oa viut lui dire que le roi mourait : AUez,
repondit-il, celui que vous croyez mort sera en ^tat de
sante avant que le soleil se soit levi sept fois ! Sa
prediction fut accomplie.
Peu de temps apres cet evenement, saint Austregisile
mourut. L'(;v6ch(5 de Bourges devint I'objet de bien des
intrigues et bien des ambitions. Les personnes pieuses
qui habitaient cetle ville Brent demander secretement k
Clotaire deleurdonner pour prelat.le saint homme qu'il
avait attache h sa cour. — Le roi, quoique dejii prevenu
en faveur d'autres sollicitants, n'eut pas de peine ,5i se de-
terminer dans SOD choix.
Sulpice fut nomme evcque de Bourges, et a peine fut-
il investi de sa prelature, que tous les habitants de son
diocese, mSme ceux qui avaient lutte centre son election,
rendirent gr^cea Dieu de leur avoir donne cet excellent
pasleur. Sulpice accepta avec empressement la dignite
qu'on lui ccuferait ; non pas parce qu'il devenait primal
d'Aquitaine, mais parce qu'il voyait dans sa nouvelle
grandeur une source de bienfaits pour ses pauvres, qu'il
aimait comme J&us-Christ a dit de les aimer. A la cour,
il vivait avec bonheur dans les privations et les soufl'rances ;
devenu eveque, sa vie fut la m^me, seulement ilredoubla
ses aust6rites.
Son mobilier se composait a peine du necessaire. —
Son lit n'etait qu'un peu de paille, et sous ses vStements
il y avait un cilice. Tout ce qui selon lui n'etait dans le
palais episcopal qu'un luxe mutile fut vendu et le prix
distribue aux pauvres. Ensuite, joignant i ses ceuvres une
perseverante predication, il s'elforca de convertir lesjaifs
de son diocese. Son Eloquence, ardente expression de sa
foi, sut toucher le coeur des descendants d'lsraijl. Bientdt
dans la ville de Bourges, il n'y eut pas unjuif qui n'eut
recu lebaplemeet abjure I'erreur.
Ce fut une grande consolation pour Sulpice que de voir
ainsi ses efforts benispar le Seigneur. Son humilit(i nefit
que s'en accroitre, et pour eviter les marques de venera-
tion que la foule lui temoignait, il allait par les rues, la
l^te baissee, comme un homme qui aurait eu pour lui-
mi^me grande misericorde k demander k Dieu.
Sabonte et sa douceur envers tout le monde etaient telles, '
que ce fut d'un elan unanime que son diocese lui donna
le nom de Debonnaire. Les_traits suivants feront mieux
encore comprendre son caractfere.
Pendant les nuits d'hiver, lorsque la neigo couvrait le
sol, Sulpice sortait de son palais et, s'enfoncant dans les
plus petites rues de la ville, il allait frapper aux chau-
niiires a la cheminee desquelles il ne voyait point de fu-
mee ; les pauvres qui le reconnaissaient se prosternaient
pour le recevoir, ceux qui ne I'avaient jamais vu le devi-
naient bientot k la generosite dg ses dons et aux paroles
pieuses et consolantes qui sortaient de ses Idvres. — Un
soir qu'il revenait de faire une excursion de ce genre, il
s'aperQutque deux hommes le suivaient, et au moment ou
il allait ouvrir la petite porte qui I'introduisait dans I'e-
v6che,cesmalheureux, la dagueau poing, seprecipiterent
surluienproferantce cridecruelle exigence que les bandits
nocturnes ne disent plus aujourd'hui. — Mes enfanis I leur
r^pondit Sulpice, vous files done bien pauvres pouretresi
mcchants ! Les voleursne surent que repondre ; enfin I'un
d'eux hasarda ces mots qui n'etaient.helas! que trop vrais :
— Nousn'avons pasmang6 depuis deux jours! — Pauvres
gens, dit Sulpice, venezchezmoi.il y avait tant de douceur
dans lavoix de I'evfique, tant de vertu enipreinte s"*' sa
1"2
physionomie, que les liandits se rendirentSi sa charitable
nvitation. Ea reconiiaiss;inl la maison dans laquelle ils
entraient, ilss'arriitiirentsubilcment. —Mais, s'ecrierent-
Is, c"esl chez Sulpice le Debonnaire que vous nous con-
duisoz. — Ne vous ai-je pas dit que c'etait chez moi ? et
illes invitadenouveau alesuivre. — Quoi ! vousCtes...
vous 6les notie pere !... le p4re des pauvres! Oh ! pardon!
Monseigneur, si nous vous avions connu , nous n'aurions pas
commis un si grand crime. Et ils touiberent a genoux en
versant deslarmes. Sulpice les contemplaun instant, puis
lendant une de ses mains a chacun d'eux : — Relevez-
vous, ditil, car non-seulement je vous pardonnc; niais je
vousbenis, a la seule condition que vous ferez penitence.
Le saint evfique conduisit ces pauvres gens dans sa mai-
son, et aprl's leur avoir donne des vivres et un peu d'ar-
gent, il les cong^dia.
11 fut nomme le pere du peuple, et ce fut sa conduite
energiquo alliee a sa grande douceur qui lui valut ce
litre precieux. Dagobert !»' venait de succ(5der a son pere
Clotaire II. Ce roi marqua son avenementau troneparde
cruels imp6ts ctablis sur le peuple. II d6p6cba un ofEcier
pour lever sur les pauvres habitants de Bourges une con-
tribution enorme, vu I'etat de misere oil ils se trouvaient.
Sulpice, au nom du peuple, declara a I'envoye de Dagobert
que la detresse generale ne permetlaitpas I'execution des
ordres du roi. Mais voyant qu'il ne pouvait rien obtenir
de roflicier, qui au contraire devenait plus intraitable, il
cnvoya dire ci Dagobert : « Les larmes des pauvres que
SAINT SULPICE.
vous faites si cruellement couler attireront sur vous I
vengeance deDieu! « Puis de son cots, se renfermantdans
sa chambreet se proslornant, il demanda au Seigneur ce
que les hommes lui refusaient. — Lelendemain la ville
fut delivree de I'impflt qui la menacait.|Et Dagobert, loin
desonger ade nouvelles exactions, commenca ^ faire pe-
nitence de ses pechfe. Dieu accorda ace venerable prelat
le don des miracles, mSme de son vivant; un jour il res-
suscita un pauvre homme qui venait de se noyer.
t'£3. saintet^ attirait auprcs de lui beaucoup de cbre-
licns repentants et d'idoliltrcs convertis; la vue de
I'evSque^elait pour eux un motif de perseverance dans
de bons sentiments ; aussi redoutaient-ils I'absence de
cet homme si vertueux. Sulpice reflechit au moyen de
niettre'ces'imes touchees deDieu h I'abri de toute crainte.
11 etablit quelques communautes de clercs et quelques
raonasteres religieux, dont il prit la conduite spirituelle.
Par ce moyen, ildelivradesembiiches du mondeungrand
nombre de personnes qui, en se consacrant k Dieu, don-
naient aux pauvres tons leurs biens. — Nouveau bien-
fait que recut le peuple, ef oouvelle cause de btoWictioa
pour Sulpice!
Ses travaux apostoliques et surtout les privations qu'il
s'etait toujours imposeesafin de pouvoirdonner, n'avaient I
point affaibli sa sante. Mais_lavieillesse, ce mal pr^curseur ;
lie la mort, vint lourdement s'abaltre sur lui. Sa grande
activite d'aulrefois, briseepar le manque de forces, ne lui
permit plus de vaquer en nieme temps aux fonctlons de
sa charge et aux devoirs incessants que lui imposait sa
charitable sollicitude. On lui donna un coadjuteur. II fit
entre ses mains une demission generale, ne se reservant que
le soin de ses pauvres. — Vieillard infirnie, pouvant se
trainer a peine, on lui vit continuer ses visiles chez les
SAINTE BATHILDE. 133
indigents. II s'asseyait a leur table qu'il avait enrichie
d'un pen de pain, et lorsqu'il les quittait il leur laissai
un adoucissement a leur misere ell'esperance en Dieu.
Enfin parvenu a I'ige le plus avance, il mourut en I'an-
nee 647.
Le peuple pleura sa mort conime un fils pleure son
pere.
J. B.
SAINTE BATHirDE.
%
").
'•i-
Originaire de la Saxe, elle ap-
partenait par la naissance a une
famille royale de Saxons. Elle
naquit dans la Grande-Brelagne,
oil bien jeune encore elle fut en-
levee par des pirates qui la ven-
dirent en France. Get evenement,
quelque malheureux qu'il filt,
devintpourBathilde le signal d'un
brillant avenir.
y<^ Elle fut achetee par Archam-
ff^ baud, honore peu de temps apres
^^^ de la charge de maire du palais,
^ sous le regno de Clovis 11. Get
homme avait cle touchc de I'cx-
treme jeuues^e et de I'air de douceur de la petite
esclave, il crut voir un excellent nalurel dans son aima-
ble figure et se fit un plaisir d'olfrir ii sa femme une si
gentille servante.
Sa raison et son esprit selisaient <lansses regards. Elle
parvint bientot k oublier ses habitudes e'langcres et
meme son langage pour prendre celui de ses maitres,
qu'elle parla en tres-peu de temps aussi bien qu'eux. —
Cette preuve d'intelligence jointe a la douceur qu'elle
mettait en loute chose et jusque dans les moindresactes
dela vie.sa profondesagessequ'oneut occasion de remar-
quer en bien des circonslances, sa modeslie surlout et
la grace infinie qu'elle savait employer pour obliger tout
le monde, lui gagnerent I'estime de tons ceux qui la
connurent et principalement de sa mailrcsse.
Archambaud, devenu maire du palais et par consequent
I'un des plus grands seigneurs du royaume, eut pour
Bathilde plus que de I'eslime et de I'amiti^. Sa femme
mourut presque subitement. II forma la resolution d'e-
pouser la jeune esclave. Mais celle-ci, dont I'Sme noble
et delicate repugnait a remplaccr dans le cceur d'Ar-
chambaud une epouse qui avait ete sa protectrice et
son amie, refusa le grand honneur que voulait lui faire
le maire du palais, et, pour ne lui laisser aucun espoir,
elle entra dans un convent. — Quelque temps apres ,
Archambaud epousa une autre femme. Ce qui permit a
Bathilde de sortir de sa retraite.
Mais si Dieu avait permis que cette jeune fille refusJt
I'honneur que lui ofTrait le maire du palais, ce n'etait que
pour lui r&erver un sort encore plus brillant. — Elle
venait de rentrer dans la maison d'Archambaud pour y
reprendre les fonctions qu'elle remplissait aupres de la
femme de ce dernier, lorsque le mariage du jeune roi
Clovis II devint une necessile. Les seigneurs qui connais-
saient Bathilde, persuades qu'elle elait la personne la
plus sage el la plus vertueuse d'alors, conseillerent au roi
de la prendre pour epouse. Elle ctait belle de celte pu-
diqne beaute que donne la modeslie, Clovis I'aima en la
voyant.
Ce roi, malgre ses vices, pent bienpasserpour lemeil-
leur de tons ceux qui le precederent sur le trone des
Franks. Sa vie, de courte duree il est vrai, ne fut pas
souillee par le crime comme celle de tous ses devanciers.
II avait une sensibilite remarquable pour loutes les souf-
frances de son peuple. Pendant une affreuse disette qui
vint accabler la plus grande partie de son royaume, il
epuisa ses tresors pour secourir les malheureux, et, ce
genereux sacrifice etant insuffisant, il fit enlever les lames
d'or et d'argent dont son pere avait reconvert I'eglise de
Saint-Denis et il en distribua la valeur aux plus necessi-
feux. Cette seule action lui valut a jamais I'eslime et I'af-
feclion de ses sujets.
Des qu'on apprit k Bathilde qu'il ne depcndait plus
que d'ello d'i^tre reins de France , sa modeslie concut
de vives alarmes. Ce ne fut qu'en lui representant tout
le bien qu'elle pouvait faire qu'on put la decider a accep-
ter une aussi haute position.
Les noces du roi furenl celebrees avec tout I'ap--
pareil et la magnificence possibles, il y eut pour la
mariee, quoique prise dans une condition obscure, des
honneurs serablables a ceux que recevaient les riches
filles des rois goths lorsqu'elles venaient s'unir a quelque
prince merovingien. Tous les seigneurs et guerriers
franks ou neuslriens lui jurerent fidelite comme au roi ;
ranges en demi-cercle, ils tirerent tous k la fois leurs
epees et les brandirenl en I air en repetant une vieille
134
SAINTE BATIIILDE.
formule qui dcvouait an Iranchant du glaive celui qui
Tiolerait son serment. Ensuile le roi Clovis prononca
solennellement sa promessc de constanco ct de foi conju-
gale : posant sa main sur une ch^sse qui contenait dps
reliques, iljura dene jamais repudier I'epouse qu'il rece-
vait dcDieu, et.tant qu'eile vivrait, de no prendre aucuno
aulre femnie. Ce serment avait encore son merite a ^tre
fidi;lenient tenu dans un temps oii la barbarie des cou-
tumes se joignait a une profonde dissolution morale.
II n'etait pas rare de voy; les rois epouser plusieurs
femmes en une seule annee.soit en repudiant celle-ci.ou
en faisant poignarder celle-lii. «
Bathilde se fit reniarqucr durant les fetes de son ma-
nage par la bonte gracieuse qu'eile temoisnait aux con-
nives ; elle les accueillait tous comme si elle les eiit
connusdepuislonglemps : auxuns elle ofTrait des presents,
aux autres elle adressait des paroles douces et bienveil-
lantes; tous I'assuraient de leur devouement, et lui sou-
hailaient une longue et heureuse vie. Cesvoeux I'accom-
pagnerent jiisqu'a la chambre nuptiale, et le lendomain
Jison lever elle recut leirrcsenldu nialin, avecia ceremonie
prescrite par lescoutumesd'alors.En presence de temoins
choisis, le roi Clovis II prit dans sa main droite la main
de sa nouvelle epouse, et, de I'autre, il jeta sur elle un
brin de paiUe, en prononcant a haute voix les noms des
villes qui devaient a I'avenir 6trela propriete de la reine;
I'acte de cette donation perpetuelle et irre vocable fut
aussitot drcsse en langue latine; en voici la traduction :
« Puisque Dieu a commande que I'homme abandonne
« pereet mere pour s'attacher i sa femme, qu'ils soient
« deux'en une m^mc chair et qu'on ne separe point ceux
« que le Seigneur a unis, moi, Clovis II, roi des Franks,
« homme illustre, h toi Bathilde, ma femme bien-aimee
« qui j'ai epousee suivaiit la loi salique, par le son et le
0 denier, je donne aujourd'hui, par tendresse d'amour
« sous le nom de dot et de morgunegliihu, les cites de
« Bordeaux, Cahors, Limoges, Beam elBigorre, avec leur
« territoire et lour population ; jeveux qu'ii compter de
« ce jour tu les tiennes et possedes en propriOle perp6-
« tuelle, et je te les livre, transfere et confirme par la
« presente charte comme je I'ai fait par lebrin de paiUe et
« par le handelang. »
A cette epoque de noire ere encore toutc barbare, la
foi chrelienne s'elancait par les mondes, laissant partout
pour preuve de son passage des monuments dont I'archi-
tecture gigantesque et elegante ^ la fois devait servir de
modele a toutes ies generations ; mais comme elle luttait
centre les vices des rois, elle ne pouvait que faibl^ment
operer sur les peuplcs. Bathilde, en devcnant reine, devait
fitre pour la religion une arche d'esperance et de salut.
Clovis II n'ayant pas atteint sa dix-seplieme annce
regnait en France depuis douze ans ; il avait deja alTaibli
sa force intellectuelle par des debauches que ses courti-
sans favorisaienU Les affaires publiques se trouvaient
dans une grande detresse, et tout le soin en etait laisse
aux maires du palais ; aussi le chuix qu'il fit en epousant
Bathilde fut un evencment heureux pour le peuple. —
Clovis n'etait pas cruel, mais sa douceur etait moins une
verlu que de la mollesse; car s'il ne perseculait pas Us
gens de bien, il laissait aux mechanls la liberie do faire
ie mal. Bathilde sut empecher les desordres qui avaient
eu lieu jusqu'alors. Elle mit toute sa soUicitude a etablir
uue harmonic arfaite entre les seigneurs et le roi, ct par
ses exhortations pleines de bonte elle r^ussit Ji inspirer
aux grands du royaume un pen de compassion pour le
pauvre peuple qui n'avaitete regardepar eux que comme
ijenl taiUablc il corrmble a merci.
Les ev6ques trouvi;rent en elle un appui centre les
empictements des nobles sur leurs droits. — Des ^glises
furent bdties sous son patronage et la religion commenca
a prendre son glorieux essor.
Une chose encore plus difficile aoblenir, c'ctait I'esprit
de paix parmi les nombreux seigneurs du royaume. Pour '
la moindre question d'interSt ou d'amour-propre ils met-
taient a feu et h sang des contrees entieres. La nouvelle
reine reussit a faire changer leurs barbares habitudes.
Bathilde s'ctait proclamee la mi;re des pauvres; c'ctait
principalement sur ces derniers sujets qu'eile exercait
son affection. Ses richesses, qui lui venaient du roi et que
tant d'autres reines avaient consacrees au luxe de la cour,
furent employees au soulagement des miseres publiques.
Les impots ne frappaient que la classe iaborieuse et
indigente; cetle vertueuse femme les fit diminuer. Un
grand nombre d'enfants abandonnes, ou prives de leurs
parents par la mort, couraient par la villecherchantpour
chaque jour un asilc et un peu de pain ; Bathilde fit con- 'M
struire une maison ou ils elaient recus. — Beaucoup de
pauvres filles sans talent ni fortune se trouvaient expo-
sees au deshonneur et k la seduction ; les soins et les
sacrifices de la reine leur ouvrirent un abri centre la
misere et la tentation. — Sur toutes les grandes souf-
frances de son peuple, ange consolaleur, elle versa le baume
de la charite.
De son roariage avec Clovis II elle eut trois enfants,
Clotaire HI, Childeric II et Thierry III qui ri^gnerent sue- .
cessivement sur la France. Le roi Clovis, son epoux,
mourut encore bien jcune : elle devint tutrice des trois
princes et regente de la couronne. — Elle avait su fitre
esclave et obeir, elle sut etre reine et commander. —
C'etail un poids enorme que de mener un empire convoitfi
par chaque seigneur, des qu'il devenait tant soit peu puis-
sant, souvent envahi par des peuples cnnemis qui s'abat-
taient alors sur la France comme une nuee d'oiseaux de
proie. II fallul k Bathilde toute sa sagesse et son energie
pour non-seulement gouvernerla nation, mais inspirer a la
courune admiration sans bornes pour son gouvernement.
La minorite des rois est ordinairenient pour les sujets
une dpoque de souffrance et de ve.xation ; la regence de
Bathilde fut au contraire un moment de prosperity et de
paix generale.
Son premier acte comme rigente fut un trait d'habilet6
en menie temps que de pacification. Elle sut r^unir aux
Francais les Bourguignons et les Austrasicns, dont la divi-
sion, arrivee apresla mort du maire Archambaud, avait
cause au royaume des mauxaussi grands que di'plo-
rablcs. — R^lablissant partout I'unionet la bonne intel-
ligence, elle voulait voir en ses sujets plutot des freres
qu'un peuple ennemi dans le mfime pays.
Son ame grande et sensible s'emut au souvenir de
rcsclavage. Elle avait ete esclave, mais Dieu lui avait
donne des maitres bumains, tandis que tant d'autres
pauvres victimes, arrachees par la violence ou la ruse
de leur pays natal, se trouvaient cxposees a la cruautedes
gens barbares qui s'en etaient rendus possesseurs. Elle
ordonnaque desormais il n'y aurait plus d'esclaves Chre-
tiens et que nul n'aurait le droit d'acheler la vie et la
SAINTE-CECILE
liberte de ses freres. II y avail sur lescdtes de France un
grand nombre de malheureux amenes par lespiratos; elle
employa des sorames considerables a leurrendrelalibertii,
Un nouveau trait, et qui merile d'etre mentionne, fera
comprendre tousles efforts dc B;itlnldR|contre I'esclavage,
qu'elle considerait comme une violation de la loi chre-
tienne et une affreuse inliumanite.
Les Gaulois etaient encore a cette epoque distingues
des Franks leurs vainqueurs, et ils etaient soumis envers
ces derniers a un impot qu'on nommait capitation. Cette
charge pesait sur tons les menibrcs de la famille et re-
duisait souvent les vaincus a vendre un ou plusieurs de
leurs enfants pour se bberer.
La reine vit avee horreur ce trafic rendu quelquefois
necessaire par la detresse du tributaire ; elle racheta pour
toujours les Gaulois et abolit Timpol qui les accablait.
Combien sa recompense dut etre grande meme en ce
nionde ! que de larmes elle avait laries, que de benedictions
durent nionter jusqu'a elle !
La simonie s'etait introduite dans I'figlise, elle sut re-
•medier a ce mal et le faire disparaitre totalement de la
France.
Elle fonda ou relablit les monasteres de Corbie, Saint-
Aandrille, Luxeu , Jouarre, Faremontier, Corbion et
Jumiegc ; I'abbaye de Cbelles fut tellement enricliie par
ses liberalites et reedifiee par cette magnificence nouvelle,
qu'elleen est regardee comme la fondatrice, quoiquesainte
Clotilde, epouse de Clovis F', ait protege cette commu-
naute alors naissante.
Bathilde, tant que son energie fut utile a la France,
conserva le pouvoir ; niais des qu'elle put renoncer a ce
surcroit de charges et de grandeurs, elle le fit avec plaisir.
— Par devoir elle avait cte reine, par gout elle se fit
religieuse; et ce fut I'abbaye de Cbelles qu'elle choisit
pour passer les annces que Dieu lu' accordcrait encore.
Dans la solitude du cloilre, sa premiere priere iut pour
ses enfants, puis ses premiers soins pour les jeunes
vierges qui I'entouraient. — Quelques-nnes d'entre ellcs,
effrayees de la couronne que Bathilde venait de quitter,
craignaient que sa presence ne vint troubler leurs pieux
exercices par les visiles de grands seigneurs qu'elle pou-
vait recevoir. Bathilde lesrassura, et pour prouver qu'elle
renoncait a jamais a toute sorte de grandeurs, elle prit
le voile de simple religieuse, et voulut se conformer aux
ordres de Bertile, I'abbesse du monastere, aussi bien que
la moindre liabitante de la maison.
EN TBAiNSTEVERE. 133
Elle se trouva plus heureuse de passer de la souverai-
netc a la soumission et a I'obeissance, qu'elle ne I'avait
paru aux veux du monde, en passant de I'esclavage au
tione. — Sun bumilite siparfaiteetait accompagneed'une
tendresse officieuse qui la portait i se faire la servante
de toutes les sosurs et principalement de celles qui etant
malades avaient U plus besoin de soins et de services.
Dieu voulut I'eprouver et lui envoya de longues ma-
ladies. Bathilde accepta ces epreuves avec une douceur
et une resignation admirables. — Elle se fit un bonheur
de=oulTrir;car elle oCfrait ses souffrancesaumailrede toute
chose; elle n'en n'eut que plusde confianc^ en lui.
Ce fut au milieu de ces douleurs qu'elle cndurait avec
tant de patience que la mort vint lui ouvrir les portes de
la beatitude celeste.
En se felicitant d'avoir fui le monde et les splendeurs
el en remerciant ses compagnes de I'hospitalite qu'elles
lui avaient accordee dans leur monaslero, elle mourut, a
la fin dumois de Janvier de I'annt'e 680.
Quelques jours avantsa mort, elle eut une vision qui la
combia de joie et d'esperance: elle vit une echelle mys-
terieuse qui semblait lier la terre au ciel. Des anges
descendaient par les degres de cette echelle, et,venant au-
devant d'ellc, I'invitaient a monter aveceux.
Les reliquesde cette sainte ont ete conservees a I'ab-
bave de Chelles. J. B.
HISTOIRE ET DESCRIPTIOX DES BASILIOL'ES DE ROUE.
SAINTE-££CII.£ EN TRANST£V£RE.
tjette eglise est une des plus anciennes qu'on puisse
vqir dans Rome. Elle fut batie sur rcmplacement oil
exista jadis la maison de sainte C.ecile. Cette illustre
sainte avait ete forc^ par ses parents d'epouser un
pai'en, sans respect pour le voeu de virginite qu'elle avait
fait des sa plus tendre jeunesse. Ce mariage aurait fletri
la purete de ce voeu, si Dieu n'eilt permis que, des la
premiere nuit de ses noces, ses prieres touchassent pro-
fondement le cceur de Tiburce son epoux. II se convertit
tout ii coup a la religion chretienne, et cet acte, signale
a la fureur du peuple, devint la cause du martyre, non-
seulement de sainte Cecile, mais aussi de Tiburce et de
Valcrien, frere de ce dernier. Almaque, alors prefet de
Rome, fit trancher la t^te a la jeune vierge dans sa salle
de bains; Tiburce et Valerien eprouvijrent le meme sort.
Pen de temps aprfes cette cruaute, saint Urbain, pape,
fonda une eglise sur les debris de la maison oil le martyre
avait eu lieu. Mais il faut croire que ce monument de
\56
piele eut encore a subir la devastation des idol&tres, car
il est dit qu'en 817, Pascal I=r, successeur d'fitienne IV,
fit reeonstruire I't'glise de Sainte-ttcile, parce que, pen-
dant I'office de nuit, il avail eu una vision qui lui rovelait
le lieu oil elaient cachees les reliques de Cecile, de Ti-
burce et de Valerien. Ce fut dans le cimeti6re de Calixte
que ces saints ossemenis furent trouves. On les apporia
dans I'eglise placee dcja sous I'invocation de la jeune mar-
lyre. Le pape Pascal I" y fit egalcment transporter les
corps de Tiburce et de Valerien, ainsi que ceux de neuf
cents victimes de la cruaute paienne, qu'on decouvrit
dans le citnetiere de PrcHextat. Clement VIII donna cette
egliseaux religieuses benedictines, qui y lirentconslruire
un magnifique convent. Le cardinal George.s Doria a sa-
crifie des sommes considerables k son embellissement.
SAINTE-CF.CILE EN TRANSTEVfeRE.
Dans la cour qui se d^veloppe devant I'eglise on voit un
ancien vase de marbre, trfes-remarquable par sa gran-
deur et par saj'orme elegante. Le portique cstd'un aspect
superbe; il estsoutenu parquatre colonncs.dont deux sent
de granit rouge.
Des colonnes divisent I'interieur en trois nefs.
La voCite est enrichie de peintures a fresque de Pierre
Cavallini; elles represeutent differentes scenes de I'An-
cien et du Nouveau Testament; on y voit des angos qui
deploient leurs blanches ailes au-dessus de la porte princi-
pale; ils ontete peints parMaclio CoUantonio. Lespaysa-
ges qui remplissent le reste de la voiite sent dus au pin-
ceau de Kabrice Parmesan.
La muraillc de la nef gauche est revalue de fresques
eclatantes, attribuees a dilKrents artistes, parmi lesquels
Vuc dc la Basilique de Sainte-Cccile.
on cite Tarquin, Viterbe et Jean Zanna dit le Pizzica.
C'est ce dernier qui a egalenient peint les ermites au-
dessus de la grille des benedictines; a cote, les papes Ur-
bain etBenoit, oeuvre de Vincent Conti.
Le maitre-autel, d'une rare magnilicence, estorno d'un
baldaquin de marhrc qui repose sur quatre belles colon-
nes aniiques de marbre blanc et noir.
Pres de cet autel s'eleve le tombeau qui renferme la
depouille mortclle de sainte Cecile ; c'est le plus beau
qu'on voit a Rome apres celui de saint Pierre. 11 est enri-
chi d'albStre, de lapis-lazuli, dejaspe, d'agate et de fi-
gures en bas-relief de bronze dore. Au mdieu, s'eleve la
statue de la sainte en marbre blanc, sculptee parfitienne
Maderne; elle est couchec, et dans la meme posture oil
eJle fut trouvte par Pascal I". Cette chapelle est fermee
d'une grille de fer a balustres dorfe; des lampes d'argent
hrWent sans cesse autour du tombeau.
A chaqne pas on rencontre dans cette eglisedes chefs-
d'oeuvre de I'art; Ji la Iribune on voit de magnifiques
peintures de Nicolas Pomarancio.
Apres la premiere chapelle du Crucifix, situee h drnil3
en entrant dans I'eglise, on voit la chambre oil sainte Cfe-
cile recut le martyre. Cette chambre servait aux bains
de .sueur en usage chez les Remains. Les luyaux qui
conduisaient la vapeur existent encore ; ils ont ete con-
serves comme un pr(5cieux indice de la saintete de ce
lieu. Sur les cotes, le martyre de la jeune vierge a ete
peint par le Zanna; au milieu, dans une petite niche,
on voit une image deNotre-Dame, qu'a produite I'immor-
tel pinceau d'Annibal Carrache.
Dans une autre chapelle, a droite, les tableaux de saint
Pierre et de saint Paul, ainsi que le martyre de sainte
Agathe sont attribues au Baglioni.
Le tableau de saint Benoit, sur I'autel de ce nom , est
de Gozzi, qui a egalement peint le saint fitienne du der-
nier autel du meme cote.
Aupii'sde la grandc porte, setrouvc une chapelle fer-
mee. C'est la qu'esl le tresor de I'eglise : des reliques
enchdssees dans I'or et I'argent, des poremenls d'autel et
un grand nomhre d'ornements sacerdolaux, de la plus
grande richcsse; la plupart sont des etcffes relevees en
broderii's d'or, et meme d'argent massif a feuillage.
BFin ISH
MUSEUM
"7 AUG 29
NATURAL
HISTORY.
JEAW SAMS mi
JEAN SANS PEUR.
137
Get edifice prescnte le modele le mieux conserve de la
disposition des premieres basiliques. Combien le chrislia-
nisme, a s;i naissance, parait grand et populaire, par celte
grave disposition qui olTre une double chaire pour la lec-
ture publique de I'epitre et de I'evangile ! On sent une
religion morale, positive, enseignanle, dont les preceptes
obligent tous et convnandcnt a tous indistinctement.
Quelquc chose de cetle primitive egalite religieuse sem-
ble s'^lre perpetue a Rome dans la pratique du culte ;
tout le monde s'y prosterne sur le pave niSme des tem-
ples, le pauvre a cote du riche, le noble seigneur a cote
du plebeien. On n'y remarque point ce conforlable devot
deq' elques paroisses qui indique la difference des rangs.
Seulenient on voit par la disposition des differentcs par-
ties d'une eglise, qu'il existait une distinction purement
morale entre les divers assistants a la mt^nie ceremonie.
Chaque eglise avail loutefois son airium, sorte de cour
environnee d'un petit portique soutenu par des colonnes.
C'est la que se tenaient les penitents et les pecheurs en
recidivc; ils etaient a genoux et se recommandaient aux
prieres des pa^sanls. La nef laterale la plus grande etait
destinee b recevoir les homlmes, puis les catecluimi-nes
(ceux qu'on instruisait pour les disposer au baplfme) et
les nouveaux convertis. L'autre r.ef laterale, ordinaire-
nicnt plus petite, etait destinee aux femmes; I'espace
clos dun petit mur de marbre etait occupe par les aco-
lytes, les exorcistes et autres clercs des ordres mmeurs.
Dans le sanctuaire en demi-cercle, il y avait des bancs
pour les prtHres et le siege de I'evfique.
C'est pendant les jours de grande fete qu'il faut voir
les Transteverins peuplerl'eglisede Sainte-ttcile. Le quar-
tier Transtevere, sur la rive gauche du Tibre , est re-
nomnie par le caractfere original de ses habitants. II n'est
pas rare de les voir passer subilement de la plus folle
gaiete h la tristesse la plus morne et la plus affreuse.
C'est ainsi qu'apres s'etre, pendant le carnaval, voues a
I'orgie la plus echevelfe, ils entrent subitement, et avec
une piete exemplaire, dans les abstinences du careme.
Autant ils auront ete cyniques et intemperants pendant
les jours de fevrier, autant ils seront penitents et devote-
ment courbes sur les pavfc de I'eglise pendant la semaine
sainte. Pasun des Transteverins des deux sexes ne man-
quera a la ceremonie; pas un mendiant, pas un cstro-
pie, gens plus hideux en Italie que partout aiUeurs, qui
fassent defaut a la lecture de I'office.
J. B.
JEAN SAXS PEUR.
i<'est avec du sang qu'ont
ete (icrites ces pages de no-
I tre histoire; on y lit tout ce
Ij qu'il y a eu de plus hon-
teux, de plus deplorable
dans ces luttes intestines
qui au XV siecle ont bou-
leverse notre beau pays.
Un roi insense , qui ne
retrouve rarement I'usage
de ses facultes que pour
sentir profondement lab-
joction oil il a ete plonge;
une cour corrompuf, lia-
bitee par des seigneurs de-
praves; une nation avilic,
tyrannisee, qui se plaint
en vain et souffre, la plu-
part du temps en silence,
^ lis odieuses exactions d'un
! Bsc insatiable et brutal ; une
^princesse trahissant ses de-
'voirs d'epouse et de mere,
suTispuiieui. sails ca>ur el sans enlrailles, vendanta I'el ran-
ger la coiironne de son epoux, I'hQnneur de sa patrie, el
'cs droits de son enfant; lo frere d'un roi malheureux,
jeune et insolent, ambitienx el immoral, perdu dans I'o-
pinion ; tin seigneur tout-puissant, d'aliord valeureux et
clievalere.<^que, sage et de bon conseil, sincere dans sa
piete comme dans i-on amour lilial , commetlant tout ii
coup, dans un seul jour, un sacrilege, un parjure et un
assassinat ; devenant (our ii tour I'ennemi ou I'allie de I'e-
tranger; en tout cas combattanl loujours centre un mo-
narque et un pays que ses serments, son lionneur et sa
religion auraient du I'engager it defendre : voila les prin-
cipaux personnages de ce drame ep.ouvantable, et que
nous n'aurons pas besoin de nomnier :.on a reconnu
Charles VI, Isabeaude Baviere, le due d'Orleanset le due
de Bourgogne.
Voici oil en elaientParis, la cour et la France, quandle
due Jean regnaiten Bourgogne. Lorsque Philippe le llardi,
son piM'e , vint h mouriren 1404, Jean avait dejii trenle
et un ans. On I'avait surfiomme sans pe«r a cause de I'in-
tiepidite avec laquelle il s'etait conduit a Montenai. Mar-
guerite de Baviere, qu'il epousaen1385, lui avait appor-
te en dot lescomtesde Hainault, deHollandeetdeZelande.
La Bourgogne put esperer d'abord la paix et la justice
sous un regno qui s'annoncail bien. II avait paye les dettes
les plus imporlantesdeson pere, il avait allege le fardeau
des impots, jusque-la ecrasant, etil avait promis denou-
veau I'exportation des vinset des cereales. Enfin il avait
force le"s Anglais k lever le siege de I'tcluse, il leur avait
pris Gravelines et il leur eilt meme enleve Calais, si de
miserables intrigues, ourdies a la cour, ne I'eussent tout
k coup, rappele. Un changement funeste ne tarda pas a
s'operer en lui. Neveu du roi de France, premier pair du
rovaume, possesseur de plusieurs grandes provinces, il
etait humilie quand il songeait que dans le conseil il n'oc-
cupait que la cinquieme place. Sa susceplibilite en fut
cruellement blessee.
D'un autre cote, un motif plus serieux lui inspira une
haine implacable centre le due d'Orleans. Et ii ce sujet
lo8
JEAN SANS PEUR.
il est bon de rappeler que I'ambition ne fut pour rien
dans la rivalite qui eclalaenlre ces deux princes. Leduc
d'Orlearis avail fait ;ui due Jean un de ces aliVonts qui ne
se pardonnent pas. Jean ainiait tendrement sa femme, ct
les caloranies ou les indiscretions de son rival devaient
exciter sa colere. Un portrait niontre publiquement, des
couplets chantes, furent les motifs du projet concu par
un epoux furieux et jaloux. Cen est fait, Jean sans Peur
a fait le serment quo ;le due d'Orleans allait niourir, et il
s'appr&te, par la dissimulation et la feinte, h preparer les
voiesaux executeurs do ses sinistres volontes. Unemai-
son voisine de I'liotel de Nemours, le petit sejour de la
reine, a recu un nouvel h6te clandestinement, c'est un
gentilhomme normand, le capitaine d'Oclonville.homme
peu scrupuleux; avec lui ontele embusques les freres
Guillaumo de Seas, de Courteheuse ,de G nines, Courtensi,
valet de chambre du roi, et'd'autres gens, plus ou moins
ennemis de la famille d'Orleans. De la rue Barbette, d'Oc-
tonville allait communiquer frequemment a I'hc'itel de
Bourgogne avec Jean sans Peur.
Cependant le due de Berry avail fait tons ses efforts
pour reconcilier lesdeus rivaux'; ilttailmeme sur d'avoir
reussi, puisqu'un acte dans ce sens avaitele signe parl'un
et I'autre; ils avaienl couche une nuit ensemble dans le
meme lit ; le lendemain ils avaienl communie encore en-
semble, avec une meme hostie partagee en deux ; la memo
table les avail reunis chez le due de Berry, a I'hutel de
Nesle. Le due d'Orleans vivait dans la securite la plus
|)rofonde ; le mardi 2i2 novembre 1-i07, il se rendit au
petit sejour de la reine et y passa la soiree. Toutesa suite
etait partie, avec I'inlention de reveuir le cbercher a mi-
nuit. Mais ii neuf lieures, Courtensi, qui se pretend char-
ge d'un ordre du roi, survient et prie le due d'Orleans
d'aller sur-le-cliamp a I'hotel Saint-Pol, oii sa presence
estnecessaire , ils'agit d'une affaire imprevue, urgenteet
grave. Leducse fait seller une mule el part en compagnie
de deux nentilshommes et de trois pages portant des flam-
beaux. Prevenu par Courtensi , d'Octonville a embus-
que ses homnies dans plusieurs renfoncemenls de la rue
Barbette ; tous sent amies jusqu'aux dents.
A peine est-il arrive au milieu de la rue, que le due est
abandonne par ses deux gentilshommes, il n'a plus avec
lui que ses pages qui, avec leurs torches, guident la mar-
che de leur maitre.
Toutacoup d'Octonvilleetses complices s'avancent; le
due les prend pour des voleurs et leur crie : — Je suis 1 e
due d'Orleans! — C'est a toi que nous en voulons, — re-
pond d'Octonville, et d'un coup de sa hache d'armes, il
coupe la main que le prince appuyait sur le pommeau de
sa selle ; puis il lui assene un coup sur la tete ; le due lombe
alors; un troisieme coup lui fend le crane et faitjaillir
la cervelle. En ce moment un des trois pages ose prendre
la^^defense de sun maitre, il tombe pri.'s de lui mortelle-
ment blesse. D'Octonville tralne le corps du due aupres
d'une borne, et, allumant une torcliede paille a un falot,
il s'assure que le malheureux est bien mort et s'eloigne
JEAN SANS PEUR.
139
avec sa bande. — Des voisins utaienl accourus aux cris
du page qui se mourait ; mais dcs chausses-trappes, dres-
s^esal'avanceet i) dessein, avaient ralenti leur course. Les
meurtriers purent s'eloigner; on n'en reconnut qu'un.
Le roi jouissait alors d'un de cee rares instants oii la
raison remplajait la demence dans son esprit affaibli; il
aimait avec lendresse son frl-re, le duo d'Orleans. Aussi,
a la nouvelle desamorl, evenement inouietsi deplorable,
il fut en proie a la plus violente douleur. II ordonna a
loute sa maison dc se tenir sous les armes ; la reine Isa-
beau, epouvantee, s'enfuit a I'hdtel Saint-1'ol presdeson
epoux. Les assassins, tout en fuyant, avaientmis le feu a
plusieurs maisons de larue Barbette pour occuper les ha-
bitants du quartie.- et gagner de I'avance : toute la popu-
lation du Marais et de Saint-Antoine etait sur pied et se
pressait sur le lieu de I'evenement. Tons les seigneurs pre-
sents chez le roi ou chez eux, dans leurs hotels, avaient
arme tous leurs gens.
Jean sans Peur nia tout d'abord ; il avoua ensuite, et
pretendit qu'il n'y avait la que la juste vengeance de
I'afTront fait a son honneur ; enfin la chose fut celebree
comme une action meritoire par le cordelier Jean-Petit,
qui apparlenait a la maison du due de Bourgogne ; en
tout cas cet assassinat ne fut que le prelude des plus
epouvantablesexces. Les deux|partis, c'est-ii-dire les deux
factions d'Orleans et de Bourgogne, s'entre-tuerent dans
la capitale el dans les provinces. On avait d'abord soup-
conne le sire de Cani que le due d'Orleans avait cruelle-
ment'outrage, maisceseigneuravait et(5 bien vite reconnu
innocent.
Jean sans Peur poussa I'audace jusqu'a se presenter
dans la chambre ardente, oil gisait le corps du defunt;
bien plus, il n'avait pas hesite ii porter un des coins du
poele quand le cadavre fut Iransporte de I'eglise des
Blancs-Manteauxala chapelledesCelestins, construite par
lesordres du feu due, apres ce bal funesle oil le roi avait
failli perdre la vie. Ce fut le prevotde Paris, Tigmonville,
qui decouvril le vrai coupable ; le due de Bourgogneetait
au conseil quand on vint avertir les dues de Berri et de
Bourbon. Aussilot le roi et lous les membres du conseil se
retirerent. Le lendemain Jean sans Peur revint ; le due de
Berri remplacait le roi, comme president du conseil. On
refusa I'entree de la salle au due de 'Bourgogne, et on I'ac-
corda au comte de Saint-Pol, qui raccompagnait, mais
c' etait pour lui ordonner d'arreler I'assassin. Furieuxde
ce qu'il regarde comme un affront, Jean sans Peur s'eloi-
gne a grands pas de I'hotel de Nevers. II arrive k son hd-
tel, se fait amener un cheval sur lequel il s'elance, et se
fait suivre de d'Octonville et de ,ses hommes; il passe
les barrieres, galope sans s'arr^ter, et, apres unc course
de trcnle-cinq heures, se trouve en surele dans ses faats
du Nord. Brebant et plusieurs gentilshonimes de la maison
d'Orleans I'avaient vivement poursuivi ; ils I'eussent
meme rejoint etpris s'iln'eut eula precaution de rompre
le pont de Saint-Maxence, ce qui arreta la poursuite. A
une heure il arriva a Bapaume, et, enchanle de se voir a
I'abri, il ordonne quedesormais on sonnera I'AnLjelus dans
cette ville, tous les jours a la meme heure, h perpetuite.
De plus il y fait une fondation religieuse pour consacrer
la memoire de cet evenenient heureux et inespere.
Le chateau de Lens, protege par une nombreuse gar-
nison , recut dans ses murs d'Octonville et ses compli-
ces, qui Irouverent la un refuge. Jean n'avait sejourne
que quelques heures a Bapaume; il se rendit en toute
hate a Arras, puis a Lille. C'est la, qu'^ Tissue d'un con-
seil oil s'etaient reunis les principaux seigneurs de sa
cour, il resolut d'avouer hautement I'assassinat du due
d'Orleans. Peu de temps apres, dans le discours prononce
en son nom a rassembl(je des etats de Flandre, il fit re-
presenter le due d'Orleans comme un tyran, dontlui, due
de Bourgogne, avait cru, autant par justice que par piete,
devoir delivrcr le pays. II n'en resta pas la ; il se fit don-
ner par les tots de I'argent et des bommes. La cour de
France ne se crut pas en etat de lutter.
Jean sans Peur s'etait avance jusqu'a Amiens. La, Jl
recut les envoyes qui venaient lui apporter la promcsse
qu'on oublierait le passe, el des propositions de paix ; on
exigeait seulement qu'il livrSl les assassins. 11 repondit
par un refus. Les conferences durerent dix jours, puis on
accorda les lettres d'abolition ; il se rendit au conseil, et
le nioine Jean-Petit Et son apologie : il eut I'audace de
soutcnir cette these, a savoir que Jean sans Peur n'avait
ete qu'agreable au Seigneur et utile a la France en de-
barras.sanl la terre d'un tyran, et qu'il avait droit, de la
part du roi, a toutes series de recompenses, « a I'exem-
■ pie, dil-il, des remunerations qui furent faites a mon-
• seigneur saint Michel, pour avoir tue le diable , et au
« vaillant homme Phinees, qui perca Zambri. ■ L'assas-
sin fut absous; il etait le plus fort.
II niarcha aussitot au secours de son beau-frcre, Jean
de Baviere , conlre lequel les Li^geois, depuis longtemps
(^crasesd'impots, s'etaient revoltes. lis I'assicgeaient dans
Maii'stricbt. Jean de Bourgogne tombe sur eux et les met
en deroute. Vingt mille Liegcois reslent sur le carreau,
et le vainqueur ramene dans Liege I'ev^que delivre. Le
prince-i'veque • deshonora, dit Mezerai, sa victoire et son
« caractere, en faisant jeler dans la Meuse des milliers de
« ses diocesains, lies deux a deux, et en elevanl aulour
« de Liege des forets de roues et de gibels. ■ Cependant,
la duchesse d'Orlears , forte de I'absence du due Jean,
Tavait fail declarer ennemi de I'Elat. Toute la France
s'etait partagee en deux camps, les Bourguignons et les
Orleanais. Ccs derniers prirent le nom de d'.irmagnac,
qui s'elail place a la tele de ce parti. Le signe de rallie-
menl des Armagnacs etait une croix blanche h angles
droits; leur enseigne, un baton «o«ei(x. Le signe des
Bourguignons etait une croix rouge, oblique, nommee
140
JEAN SANS PEUR.
eroix de saint Andre; leur enseigne, un robot. La France
fut ravageo en tout sens par des bandes feroces, compo-
sees de brigands, servant indistinctement tons les partis,
rdpandant sur leur passage le nieurtre, I'incendie, et
cachaiit apres ces crimes, toujours impunis, leurs victi-
mes et leur bulin dans des chateaux oil personne ne son-
geait i les poursuivre.
La France elait done menacee d'une perte inevitable ;
la guerre civile et la guerre etrangere s'unissaient pour
devorer ce malheureux pays. Jamais, dans aucun temps,
chez aucun peuple, I'histoire n'ofTrit une pareille succes-
sion do crimes et de malheurs. Le desaslre d'Azincourt
avait enleve b. la France sa derniere armoe; les Anglais
parcouraient victorieusement toutes nos provinces, et au
milieu des calamites de la patrie, une odieuse princesse
se plongcait dans lout ce que le vice et le crime ont de,
plusscandaleux et de plus immoral. Desespcree de la mort
de Boisbourdon, la reine Isabcau avait decide, dans son
exaltation, la ruine de la France et la perte de sa famille ;
elle avait aussi enipoisonne le dauphin Louis et son frere
Jean ; et toute la race royale se fut Irouvee aneanlie , si
le troisieme prince, a la connaissance de ce double crime,
ne se filt enfui. Neanmoins Isabeau, a qui le nom seul
du due de Bourgogne inspirait une terreur indefinissable,
serapprocha de lui pour avoir son appuidans I'execution
de ses plans de vengeance et d'ambition.
Ainsi, la France seniblait toucher a son dernier mo-
ment, recelant un traitre dans son sein et foulee aux
pieds par un ennemi redoulable ; peut-elre allait-elle
cesser d'exister comrae fitat. Sans doute elle a tro^ive des
I'cssources iniprevues aux epoques les plus desastreuses,
et des grands liommes, dans des temps oil ils paraissaient
impossibles. Mais centre la trahison, lepatriolisme, le cou-
rage et le lalent sont impuissants. La France rassembla
done une armee presqu'egale a celle des Anglais. Toutes
les provinces de Bourgogne s'elaient levees centre I'en-
nemi conimun. Les Bourguignons niarchaient sous les or-
dres des deux fils de Jean sans Peur. Henri V, roi d'An-
gleterre, effraye a la vue de forces aussi considerables, ne
songeait plus qu'ii la rctraile. Deja mSme il gagnait la
ville de Calais ; la famine et la contagion desolaient son
armee. Bientot il n'allait plus rien en rester, et elle n'avait
pas encore combaltu.
Le conseil de la cour de France avait decide qu'on n'at-
taquerait pas ; on voulait laisser se consumer en detail
I'armee anglaise afTaiblie de plus en plus chaque jour. Mais
le connetable Charles d'Albret s'indigne centre ce qu'il
appelle une IJchele ; il s'ecrie « que c'est le faire de lii-
« ches homnies que surmonter une arm(5e par famine et
« non par armes. • Par malheur il enlraina la majority du
conseil, et la meme imprudence, commise h Poitiers et ii
Crecy, produisit la miime catastrophe. Les Anglais sou-
tinrent I'attaque avec sang-froid; le desospoir leur tint
lieu de force et d'ardeur. La melee devint furieuse; dix-
huil chevaliers s'elaient devours; ils avaient fait le ser-
mentde mourir ou d'aballre sous leurs coups Henri V au
milieu des siens. lis se lancent centre les bataillons an-
glais ; Henri est renverse de son cheval ; il va perir, quand
le fidfele David Game vole h son secours avec une troupe
d'elite et le degage. Les dix-huit braves succombent. Les
deux fr^res du due de Bourgogne perissent dans la ba-
taille. Jean les vengera !
Bientot, Chatillon voit se reunir sous ses murs une ar-
m^e nouvelle, aussi nombreuse que la premiere, et com-
posee presque tout entiere de Bourguignons. Elle se pro-
pose de se joindre a I'armee du roi pour marcher aux
Anglais; mais la maladroite et inipolilique conduile.de la
faction d'Orlfans rendit inutile ce dernier et admirable ef-
fort.
Peu importait a ce parti le malheur de la France, si
le due Jean elait encore battu. Le roi envoya un ordre qui
dut arrcter dans sa marche I'armee coalisee. Mais Jean
sans Peur, trop courageux et surtout trop indocile pour
obeir, marcha encore jusqu'^Lagni, oil il s'arrOta cepen-
dant : mais il y resta deux mois sans recevoir I'autorisa-
tion d'avancer.
D^ja le parti anglais dominaita Paris et jusquo dans
le conseil du roi. La halte forcee du due Jean a La-
gni lui avait valu le surnom de Jean qui n'a hale. La fac-
tion d'Orleans trioniphait k la cour et dans le parlement de
Paris. Le due de Bourgogne n'etait plus considir^ que
comme I'assassin du frere du roi. II eut I'audace, affron-
tant I'indignalion gen^rale, de donner publiquement sa
protection au due de Lorraine, exile pour cause de fclonie,
et de se presenter avec lui devant Charles VI, en plein
parlement et devant les pairs de France. A sa vue, I'avo-
cat general, Juvenal desUrsins, s'ecria : ■ De par le roi,
que tous ses bons et loyaux servileurs se rangent de son
cole! etque lesennemis du bien public sejoignent au due
de Lorraine!' Aussitot, tous les seigneurs allerentse ran-
ger autourdu roi ; Jean sans Peur lui-mcme, entrain^ par
leur exemple et obeissant a la force des choses, suivil les
autres ; el le due de Lorraine, resle seul, n'eut d'autre
ressource que de se Jeter aux pieds du prince et d'iinplo-
rer son pardon.
Pour plaire a leur souverain, les courlisans avaient faita
Jean sansPeur toutessortes d'outrages. Le traite d'Auxerre,
qui avail reroncilie les deux factions, est annule. Dte
lors, le due de Bourgogne ne songe plus qu'ii punir tant
d'insolence et qu'a venger tant d'affronts. II bridait de
combatlre les Anglais; il s'unit i eux dfes lors; il part
pour Calais et y conclut cet odieux trail6 de 1416 qui fut
le prelude d'autres traitfe pins odieux encore. Celle affaire
de Calais resia d'abord secrete ; le due de Bourgogne dis-
simulait; avant de se separer du roi, il ne voulait com-
promellre ni son influence ni son credit; il voulait avant
JEAN SANS PEUR.
Ul
tout se conserver les nioyens d'ouvrir a Tarniee anglaise
les portes de Paris.
Guy, seigneur dePresle,etrisle-Adam,secondes par des
traitres achetes dans la capitale avec I'argent du due Jean,
s'introduisent de nuit dans Paris le 29 mars 1418. C'est
P(5rinet Leclerc, qui avail derobe a son eclievin les clefs de
la porta de Bussi qu'il avail livrees. lis s'emparenl de la
ville, asseniblent leurs complices et ameutent celle foule
de gens sans aveu, d'etrangers sans foi qui pullullent dans
toules les grandes villos el qui prenncnl part a toutes les
revoites. Bientot, on veil entrer dans Paris les troupes
bourguignonnes. Alors commence un epouvantable mas-
sacre, une horrible boucherie qui dure trois jours.
On egorge le connctable d'Armagnac, le grand maitre
des arbaletriers , le mar&hal de Rieux, le chancelier de
Marie, delix archevtSques, dix evSques, trente seigneurs
de la cour, des presidents, des conseillers du parlement,
et une multitude de bourgeois. « 11 en fut tue, dit Fabert
• dans son Hisloire des dues de Bourgogne, plus de mille,
« incises sur le dos en forme de bande, en haine du parti
« d'Armagnac. ■ Certains auteurs portent ce chiffre a
trois mille. On en jeta une foule d'autres en prison.
A son entree, Jean sans Peur fut accueiUi par le cri de :
Aoi'l all noble due qui abolit les ittipots! Les rues, encore
rougiespar le sang, etaient jonchees de fleurs. 11 se rendit
a Saint-Euslache, ou Ton chanta solennellement le Te
Deum. II priten main les renes du gouvernement, rendit
a Eustache de Laistre les fonctions de chancelier, imposa
au parlement comme premier president Morvilliers,
■nomma I'lsle-Adam et Chambord marechaux de France,
et Pierre de Nedonchel grand veueur ; il donna une
somme enorme au boucher Caboche, chef des fecorcheurs,
et une poignee de mains au bourreau de Paris, Capeluche,
quilui rendu soudain cetle marque d'affeelion, touchante
intimite! Mais ces hommes ignobles lui etaient indispen-
sables.
Neanmoins il n'eut pas longlemps besoin de ces odieux
instruments, et quand ils devinrent inutiles il sut les
briser. Ces assassins et ces bandits ne pouvaient long-
temps dominer; Jean sentit que la moderation devait
avoir son tour, mais la moderation ne convenait pas k
ceuxquelepillageet I'assassinat faisaient vivre. Lesegor-
geursse plaignirent, etreprochercnt publiquement au due
de Bourgogne de menager h dessein les Armagnacs. Une
emeute etait imminente, lorsque Jean fit avancerde nou-
velles troupes qui en eurent bientot fini avec ces bandes
d'assassins. On pendit Capeluche, Caboche et vingt-six
chefs des emeutiers. Le reste ne bougea plus. Le lende-
main de cetle scene, la corporation des bouchers, qui
setait signalee par sa violence et sa cruaute, demanda
gr4ceet s'empressa de se soumettreauducdeBourgogne.
Jean el Isabeau etaient desormais allies, mais ils agis-
saienl sans but determine, sans aucune cspece de plan,
leur seule pensee etait celle de la vengeance. Et quelle
etait la cause de tons les crimes, de tous les desordres
commis a Paris comme dans les provinces? L'etat de
demence d'un monarque qu'une femme perdue et un
prince orgueilleuxetvindieatif menaient alors comme un
enfant. Or cette femme etait reiue et regente, et ce prince
etait plus riche et plus puissant que son roi. D'ailleurs
peut-on s'arreter dans la carriere du crime ? Le duo
Jean, apres avoir assassine le frere de son souverain,
devenait traitre a son pays, il allait livrer la France et ses
propres Etats a I'etranger, et la reineelle-nieme la secon-
dait dans tous ces forfaits ! Une pareille habitude du crime
devait depasser toutes les limites du possible.
Cependant entre Jean sans Peur et sa complice il n'y
avail aucun point de contact, aucune sympathie. aucune
conformited'instinctsetd'idees; cettealliancenionstrueuse
n'etait fondee que sur une seule base trop fragile pour
pouvoir durer. Quand le ressentimenldeJean futcalmeet
qu'il vit qu'au lieu d'un allie il avail un maitre, quelque
reste d'un ancien sentiment de pudeur luivenant en aide,
il se ressouvint qu'il etait Francais : bientot il ne dissimula
point son desir de se rapprocher du roi et de revenir au
sentiment de ses devoirs. II vit le dauphin dans une pre-
miere entrevue a Poissi-le-Fort pres Melon, en juillet
•1419. II baisa la main dujeune prince, qui I'embrassa
ensuite. On convinl d'un second rendez-vous qui fut fixe
h Montereau au 26 aoilt.
Le dauphin avail ete exact au rendez-vous, il s'elait
arr^te dans la ville oil il attendait. Jean sans Peur ne
partit de Paris que le 10 septembre. L'entrevue devait
avoir heu sur le pont de Montereau. On avail mis le
chateau a la disposition du due de Bourgogne; chacune
des extremites du pont devait ^tre gardee, I'une par des
soldatsdu roi, I'autre par dessoldats bourguignons; I'en-
tree du cote du chateau etait aupouvoir de ceux-ci, celle
du cote de la ville etait aux hommes du dauphin ; chaque
prince ne devait avoir pour suite quedix senlilshommes.
A son depart de Paris, Jean sans Peur y avail laisse une
nombreuse garnison commandee par Saint-Pol et I'lsle-
Adam ; puis il avail fait mener i Troyes Charles VI, la
reine Isabeau et la princesse Marguerite. Enlin il prevint
le dauphin de son arrivee au chJiteau de Montereau.
On placa les gardes comme on en etait convenu, el cha-
cun des deux princes arriva de son cote avec ses dix
gentilshommes. Le dauphin avail avec lui Tanne<;uy-Du-
chatel, Louvel, les sires de Barbasan, de Courvillon, le
vicomte de Narbonne et six autres seigneurs. Comme le
due Jean se levait pour parlir, ses familiers insisterent
pour qu'il n'aliat pas a ce rendez-vous : — Aliens, leiu-
142
JEAN SAN
dit-il, il faut marcher oil il plaira h Dieu de nous con-
duire; je ne veiix point qu'on me roproche que la paii
ait t'le rompuu par ma lii-hcie.
Et il marcha vers le pont, accompagne des sires de
Massorat, Saint-Georges, Thoulongeon, Montaigu, Noailles
et cinq autres officiers de sa maison. Un espa'ce restait libre
au milieu du pont, ferme par une double barriere. Les
deux princes furent en presence ; le duo s'agcnouilla et
dit : — Monseignenr, jo suis venu a votre commande-
ment; yous savez la desolation de ce royaume, votrc do-
maine a venir, et quant h moi, je suis prfet et appareilI6
d"y exposer les corps et les biens de moi et de mes vas-
saux, allies et sujets. — Le dauphin, se d^couvrant alors,
le remercia et I'aida ^ se relever. — Beau cousin, lui
dit-il, Tous savez que, par le traits depaix nagufere fait a
Melun (lors de I'entrevue de Poissi-le-Fort) , entre nous,
fumes d'accord que, au dedans dan mois, nous nous
assemblerions en quelque lieu pour traiter des besongnes
(affaires) duroyaume,et pour trouver maniere de resister
aux Anglais, anciens ennemis du royaume, et jurastes et
promistes, et fut elu ce lieu oii nous sommcs venus au
jour diligemnient, et nous avons altendu quinze jours
enliers; si vous prie que nous advisions, ainsi que nous
I'avons Ik jure et promis, si nous trouvons moyen de
resister aux Anglais.
Jean sans Peur repliqua qu'on ne pouvait Hen advi-
ser oil [aire sinon en la prrxence du roi son pire et qu'il
fallait qu'il yvint. « Et le dit seigneur (le dauphin) tres-
doulcement lui dit : — Qu'il irait vers monseignenr son
pere quand bon lui semblerait, el non mie a la volont6 du
due de Bourgogne, et qu'il scavoit bien que ce qu'ils
feroient tous deux, le roi en seroit content.
Et y But aucunes paroles, et s'approcha ledit Nouailles
dudit due, qui rougissait, et dit : Monscigneur, quiconque
le veuille voir, vous viendrez a present a votre pere; en
lui cuidant mettre la main sur liii, et de I'autre tira son
epee comme A moiti^. Et lors ledit messire Tanneguy-
Duchatel prit monseigneur le dauphin entre ses bras et
hors de I'huis de I'entree du pare (enceinte reserv6e au
milieu du pont), et y en eut qui frapperent sur le due de
Bourgogne et sur ledit Nouailles, et allerent tous deux de
vie ci trepassement. * »
Maintenant est-il vraisemblable que le dauphin ait ele
I'auteur ou ni6me simplement le complice de ce meurtre
qu'on peut regorder, du reste, avouons-le, comme une
represaille de celui du due d'Orleans? non, evidemment
non. D'aiUeurs le dauphin avail un int6r6t majeur a faire
alliance et cause commune aveo le due de Bourgogne.
Aussi Juvenal des Ursins, icrivaincontemporain, etranger
a toutes les intrigues, et qui n'etait d'aucun parti, est-il
le plus digne d'inspirer quelque creance parmi tous ceui
qui, souvent par passion, quelquefois par inter^t, n'ont
pas craint de publierau sujet de ce sinistre evenement les
versions les plus contradictoires. II ne faut ajouler que
mediocrement foi k ces recits, fabriques longtemps apres,
sur des traditions erronees. On ue sail meme pas si Tan-
neguy-Duchatel, bien loin d'avoir frappii lui-ni§me Jean
sans Peur, n'etait pas rentrfe de suite dans Montereau
avecle dauphin. Du reslecelui-cifutaussilot accompagne,
en s'en allant, du priisident Louvet, Robert-Loire, Fran-
cois de Grimaux, Pierre Frottier, Olivier Cayet et Pou-
1 ffiiloirt dc CluirliB f/, JuTcnal des Ur.-ins, p. ISO.
S PEUR.
chant de Namac, s^nechal d'Auvergne, tous venus avec
lui. Les quatre autres elaient restes sur le pont. Quand
aux seigneurs du due Jean, Nouailles seul avail ose le
defendre. Ses compagnons cependant etaient en nombre
suffisant pour le venger, or ils rentrerent tous au chateau
de Montereau. Toute la suite et I'escorle de Jean sans
Peur s'en retournerent aussitOt.
Le corps du due de Bourgogne etait reste sur le pont.
des valets I'avaient depouill(5! On ne I'enleva qu'a minuit
pour le deposer dans un moulin. Le lendemain on le porta
k rh6pital de Montereau, oil it fut enseveli dans une des
bieres destinees aux pauvres et enterre dans I'eglise 'pa-
roissiale aveo son jupon, ses hotisseaux et sa barrelte. Uu
an apres, par ordre de son fils Philippe, il fut transfer^ a
Dijon et inhum^ a la Chartreuse dans un lombeau splen-
dide. Sa veuve, la duchesse douairiere de Bourgogne,
distribua aux pauvres 3,000 livres, altendu que le due
n'avait pu pourvoir a ce legs par son testament.
Bient6t surgirent de toutes parts des accusations. On
mit d'abord I'assassinat sur le compte de la dame de
Giac, dont les instances, disait-on, avaient decide Jean k
se rendre k I'entrevue. Puis on accusa Philippe Jossequin,
favori du defunl. lis avaient Hi achetes tous deux, disait-
on, par les Armagnacs. Ce qu'il y a de certain, c'estque
les Dijonais rasferent la maison de Jossequin sur la place
Sainl-Jean, qui etait mouH notable. 11 se refugia dans le
Dauphinfe, oil il mourut d'une maniere miserable. Ses
biens avaient ^t^ conBsqufe, vendus, et avec le prix la
duchesse avail achete la chStellenie de Nevers. Quant a
la dame de Giac, elle donna plus de creance encore aux
bruits accusateurs en se refugiant aupres du dauphin ;
c'etait au moins une maladresse.
Jean sans Peur £lait partout dMest§ et maudit, excepts
en Bourgogne; k Paris comme dans ses ttalsdu Nord, il
s'^lait conduit comme un tyran, impitoyable et cruel.
Avec ses Bourguignons il ^tait affable et liberal. La reine
Isabeau en avail peur et I'Anglais le reduulail. Quoi qu'il
en soil, sa mort ne servit k personne en France, elle ne
fut utile qu'aux ennemis du pays.
A.-L. Ravebgie.
PETITS VOYAGES SUH LES RIVIEKES DE FRANCE.
143
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
LA SEL>'E, SES BORDS ET SES SOUVENIRS.
En presencedela villedeTroyes,
la Seine recoit, a sa droite et a
sa gauche, une foule de ruis-
seaiix, alimentes par des sources
voisines, et de petites rivieres
qui se dispersent Ji travers les
prairies pour les arroser. Dans
ce nonibre il faut noter le Lo-
zain, la Magre, I'Hurande et la
Profonde. Le fleuve se A'wise en
^ outre en une foule de bras dont
le plus gros se porte a droite et,
se detournant de la ville, va bai-
gner Pont-Saint-Ilubert et Pont-
Sainte-Marie, un des faubourgs deTroyes.De nombreux
courants p(5netrent dans la ville, la ceignent de toutes
parts et alimenlent ses usines. Ces canaux furent crea-
ses a grands frais par Thibaut IV, comtcde Champagne,
moius pour seconder I'induslne et I'activite de la cite,
que pour la fortifier et Tembellir.
Autour des remparts, des alltes d'arbres forment une
double enceinte de promenades qu'on appelle le Mail.
Dans les fosses, attenanls aux promenades du faubourg
Saint-Jacques, sent 3'autres allees basses en forme de
berceaux, arrosees non pas par ces eaux bourbeuses et
stagnantes qui croupissent au pied de beaucoup de nos
cites, mais par une onde limpide et courante formte en-
core par un bras de la Seine. Ces fosses preseutent I'as-
pect d'un petit vallon dont les coteaux sont des talus ver-
doyanls. Qji peut dire que les abords de Troves sont
charmanis, et ses longs faubourgs contribuent alui don-
ner I'apparence d'une belle ville. Mais Tespoir qu'on a pu
concevoir un moment est bient6t decu.
Des rues sales et etroites, des maisons de bois petites,
noires et mal bilties, voila ce qui frappe la vue; nean-
moins on y entrevoit certains edifices qui, tels que des
eglises nombreuses, un Hotel-Dieu remarquable, une
maison de ville avec une facade fort curieuse, consti-
tuent des monuhients dignes d'examen. Mais tout cela
est perdu au milieu d'une foule de maisons irr^gulieres
et disgracieuses. Comme il n'y a pas de carrieres dans la
localile et qu'on ne peut faire venir de la pierre que de
Chitillon avec les plus grandes diiliculles, puisque la
Seine, en cet endroit, n'est pas encore navigable, il en
resnlte que Ion n'emploje gutre pour construire que
la charpente et !a pierre de craie , ce qui donne aux
maisons un aspect noirilrc et sale.
La boucherie de Troyes est remarquable en ce qu'on
n'y voit jamais de mouches; il ne faudrait pas se hiter
cepeudant d'attribuer ce phenomene ou h des miracles
ou aux prieres de samt Loup, mais bien plulota I'obscu-
rite et k la fraicheur du lieu oil un courant d'air est sans
cesse entrefenu.
Nommfe d'abord Augmto-Bona, puis Trerassh, cnfin
Chiliin TricmsinoTvm sous Jules Cesar, Troyes etait dans
I'antiquit^ la capilale des Tricasses. Ce peuple, dans la
division romaine des Gaules, fit partic tour a tour de la
Celtique, puis de la dcuxieme et de la cinqui^me Lyon-
naise ; sous les Francs, il composa la Champagne, ainsi
nommee de ses vastes plaines. Ce nom de Trccnssis ou de
Treca, d'oii on a fait Troyes, remonte, s'il faut en croire
certains etymologistes hasardeux, a une colonie de
Troyens ; selon d'autres savants, k I'existence de trois
chMeaux anciens, dont le principal etait celui des com-
tes; le deu.xieme s'elevait derriere le couvent des Corde-
liers; le troisicme, ruine par un incendie en 15S4, ^tait
situe entre Saint-Nicolas et I'ancienne porte du Beffroi.
C'est \h que I'empereur Louis le Bfegue traita le pape
Jean VIII, apres avoir recu de ses mains la couronne im-
periale, au concile qui se tint dans la cathedrale de
Troyes.
Tons ces chateaux etaient reliiSs les uns aux autres par
une suite de remparts avec bastions, etde forts tres-rap-
prochfe. On attribue une origine antique k ces fortifica-
tions, comme I'attestent les noms de Tours de Paris
dUeelor et d'Andromaque, de Porle de Jules-Cesar,
qui leur furent donnes sous Francois I", quand elles fu-
rent reconstruites ou ri^parcps dans I'intention de repous-
ser I'invasion menacante de Charles-Quint. Ces denomi-
nations, tout a fait dans le goiit de la renaissance, mon-
trent que les beaux esprils du temps aimaient k rappeler
la parente fabuleuse de la capitale de la Champagne;
cela etait conforme d'aiUeursau gout gfeeral de la nation
qui faisait remonter son origine a Francus ou Francion,
fils d'llector.
D^s le cinquiime sitele, Troyes joue un grand role dans
I'histoire. En 431, Atlila se trouve en face de ses murs,
apres avoir ravage la Bourgogne. Saint Loup, eveque de
cetle ville, voulant la sauver, va au-devant du barbare
avec tout son clerge. On arrive au camp ennemi ; tout k
coup le cheval d'un chef des Huns, effraye par les rayons
lumineux du soleil que rellelent les habits pontificaux de
r^veque et les ornements sacres qu'on avait apportesen
grand nombre, se cabre et se renvcrse sur son maitre
qu'il ecrase dans sa chule. Furieux de celt« catastrophe,
Attila allait ordpnner le massacre de la deputation, quand
un sentiment soudainde respect lesaisit:il promitasaint
Loup d'epargner la ville, qu'il visita seulement comme
ami ; puis il descendit le tleuvejusqu'k M^ry et Pont-sur-
Seine.
Plus sauvages que les Hung, les Normands ravagererit
Troyes au neuvifeme siecle. En 1228, Thibaut, comte de
Champagne, y soutint un siege contre les barons qui
voulaient ravir la r^gence i Blanche de Caslille, dont il
etait le courrois chevalier. Saint Louis vint h son secours,
et fit en cette occasion ses premieres armes. En 1415,
Troyes fut prise par lo due de Bourgogne, et reprise,
treize ans apres, par Charles VII et Jeanne d'Arc.
Sous le regne et par les ordres d'Isabeau de BaviJre, ie
parlcment y fut transfere, en 1420; ce fut li que cette
reinemaria sa fiUe Catherine a Henri, roi d'Anglelerre
apres le traite infame qui livrait la France aux Anglais.
Charles VIH, Ji son depart pour lllalie qu'il allait con-
querir, fit k Troyes une enlrtesolennelle. Sous Charles IX,
1*4 , PETITS
la Saint-BartWlemi y laissa des traces cruelles. Enfin
Napoleon y etublit h trois reprises son quartier general
et le centre des operations par Icsquelles il repoussait
I'invasion des coalises. Attila et Napoleon sont le premier
et le dernier de ces personnages fameux dont nous ve-
nons de donner la liste et dont I'liisloire vient se lier a
celle de la cite Cliampcnoise.
ATroyes, deux choses sont dignes d'observation : d'a-
bord c'est la singularite remarquaUe d'une ville Mlie au
milieu deseaux et qui n'd pas une seule fontaine, les liabi-
VOYAGES
tants pr^ferant I'eau de puits a celle de la Seine, pourtant
plus salubre, et qui leur epargnerait les fievrcs dont ils sont
atteints. Ensuite c'est la frequence des incendies; il n'y
a pas de ville en France qui ait passe plus souvent par
I'epreuve du feu : en 1188 et en 1524, elle a cle brOlee.
Leolocher de la cathedrale a ete foudroye buit fois et
chaque annee la ville estravagee par les flammcs. lleu-
reusement que le nombre des pompiers y est considerable
et leur zele excessif.
Jadis la Seine etait navigable h la hauteur de Troyes ;
Vue de Troyes.
••elle ne jouit plus de cet avantage a cause des nombreu-
ses tranchees qui arrosent la ville et y alimentent une
foule d'usines. Depuis quelques annees Troyes possede un
canal qui sert h la navigation depuis Marcilly et est d'un
prix inappreciable pour le commerce et la richesse de la
tasse Champagne; la contrfe a maintenant un aspect ani-
me qui n'attriste plus le voyageur quand il suit la vallee
de la Seine depuis Troyes jusqu'a Mery. La se trouve un
petit port qui donne au paysage du mouvement et de
■la vie. On y apercoit tres-souvent une barque de p6-
cheurs ou une legfere nacelle, chargee de promeneurs,
dont I'aspect rejouit le regard qu'attristaient autrefois des
prairies monotones el des iles marecageuses.
De nombreux canaux de derivation penetrent de toutes
parts, nous I'avons dit, dans la ville de Troyes; ilssereu-
■nissent aprfes la porle du faubourg Saint-Jacques, nom-
raee aussi porte de Jules-Cesar. Mais ils se divisent en
line foule d'autres ramifications auxquelles se rattache le
bras qui s'est ^loigne de la ville et s'est grossi, en se de-
tournant, des eaux de la petite riviere de la Barse, dont la
source se trouve sous le chSteau de Vendoeuvre. Parmi
ces bras, les principaux ont des noms particuliers. Dans
la ville il y a le grand et le petit rii, nom gencrique des
ruisseaux dans la Champagne et la Brie. Bur la rive droile
de la Seine, au-dessous de Troyes, la Melda va arroser
Sainte-Maure, Saint-Benoit et Villecerf, prend a Chauchi-
gny le nom de Noue-des-Rondes et s'eoarte d'une demi-
lieue du fieuve. La Seine laisse echapper, dans tous les
sens, une foule de courants qui ferment un long archipel et
arrosent un grand nombre de villages, dont le plus impor-
tant possede au plus quelques centaines de chaumieres
d'un aspect cbetif et pauvre, sale et repoussant.
C'est qu'on ne possede dans celte localite aucune es-
pece de bois de charpente, ces materiaux ne sont abon-
dants qu'a I'extremile sud du deparlement de I'Aube. Ou
en est reduit h construire les maisons avec des carreaux
de terra preparfe k I'avance et durcis ii I'air, que Ton as-
seoit sur une maconnerie de blocailles ou de craie ^levee
d'un pied au-dessus du sol. Des lors ces cabanes peuvent
s'enlever facilement de leurs bases et deviennent pour
ainsi dire transportables. Aussi un plaisant proposait-il
la formation d'une compagnie pour monter i Troyes une
fabrique et un entrepot de maisons ; de cette fafon cha-
que habitant pouvait choisir sa demeure et se la faire
expedier ii domicile. En tout cas les possesseurs de ces
maisons auraient el6 forces de renouveler souvent leurs
achats, car, en depit des precautions prises contre les
invasions du fleuve, et I'attention que Ion a de ne con-
struire les fondations qu'avec la craie la plus dure et la
plus solide, les pluies et les inondations ont min^ bien
vite les constructions les mieux faites en apparence, et
celles qui durent une centaine d'annees sont consider&.s
comme de respectables reliques.
A gauche de la Seine, entre le fleuve et la route de
SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
1-4j
Paris qui coloie la vallee et s'eleve sur le haul des colli-
nes en commandant la plaine, coulent plusieurs petits
ruisseaux, et se trouvent des etangs parmi lesquels on
remarque celui de Megrigny. En cet endroit le fleuve
concentre ses eaux, son lit devient plus large, plus pro-
fond; il entreenfin a Mery pour y devenir navigable, en
\erlu dune ordonnance royale. Mais les bateaux ne re-
montent la Seine jusqu'a Mery que dans la saison des
hautes eaux.
Mery, chef-lieu de canton, est d'un agr^able aspect ;
son petit port a du mouvement, il est le premier qui
ait elk ouvert a la navigation sur la Seine-, on y em-
barque les produits qui arrivent de toys les points du
departement de I'Aube. Dans la ville on ne remarque
guere qu'un pit^ de maisons qui, sans ^tre mieux con-
struites, sont cependant plus neuves et plus propres que
les maisons de Troves; ceci est le resultat du dtsastre
qu'eprouva cette ville au mois de fevrier 1814. Bliicher
et ses Prussiens avaient ete battus a cette ^poque par les
Francais dans les plaines de Mery. Furieux de sa defaite,
Bliicher jura de s'en venger : il mit le feu a la ville et ne
laissa pas une seule de ses maisons debout.
La grande route de Paris passe assez loin de Mery et
s'eloigne encore, au dela de cette ville, de Romilly el de
Pont-sur-Seine. Elle eilt traverse cesdeux cites si Ton n'eut
consults pour cela que I'interSt des habitants et la curio-
site des voyageurs ; mais les inondations eussent rendu la
route impraticable pendant I'hiver. Aux environs de Me-
ry sont des pepini^res nlagnifiques; on y eleve les
abeilles avec succes. Le terrain commence a devenir
meiUeur, on s'apercoit que le plateau fertile de la Brie
n'est pas loin. Le bassin de la Seine, plus clendu, s'elargit
et s'entoure d'epaisses moissons reservecs il la capitale. La
p6che y est aussi plus abondante, on y trouve tons les
poissons d'eau douce, jusqu'a latruite.
A la sortie de M^ry, la Seine se dirige directement
VllC dc Culllljtli.
Test i I'ouest ; elle evite d'entrer dans le departement de
la Marne, le c6toie seulement un pen sur la droite et de-
tache le canal Sauvage, celui des moulins et d'aulres bras
qui s'avancent au-devant de I'Aube pour la recevoir. Le
terrain, incline, enlraine I'Aube qui va se jeter dans la
Seine a I'extremite sud du departement de la Marne, pres
de Saron et de Marcilly ; c'est co que disent les paysans
de la contree dans une de ces phrases rim^es qui seni-
blent avoir inspire au pere Huffier sa gtographie tech-
nique :
Sotre Marcilly et Saron
Le fleuTe d'Aube perd son nom.
L Aube a eu jusqu'ici un cours beaucoup plus etendu
que celui de la Seine, et depuis longtemps s'est trouvee
navigable ; aussi a-t-elle pu, en raison de son importance,
donner son nom i un departement. Mais elle se reunit
II.
d'une maniere trop ^videnle h la .Seine pour qu'on hesite
a croire que ce soil elle qui doive perdre et son nom
m4me et son existence.
Tout en recevant I'Aube a Marcilly par I'lnterm^diaire
de ses canaux, le bras principal du fleuve court toujour^
en appuyant sur la gauche, et laisse echapper'plusieurs au-
tres ramifications qui se rejoignent a I'un de ces nombreux
confluents dont la conlr^e est parsemee. Romilly, bourg
important, s'etend sur la rive gauche dans la longueur
d'une lieue. La principale source de sa richesse et la plus
imporlante branche de son commerce consistent dans la
fabrication des aiguilles et dela bonneterie. Son chateau,
vraiment remarquable, est entoure de beaux peupliers et
possede un pare coupe par des canaux richement umbra-
ges. Un riche banquier en est le proprietaire.
La Seine se dirige ensuite vers I'abbaye de Selliferes,
oil les cendres de Voltaire furent Iransportees en 1778
10
146
ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE.
par les soins de M. Mignot, son neveu, alors abb(5 du
lieu. Treize ans apres, I'asscmblee nationale, jalouse de
possdder les restes du philosoplie, los fit exhumer et
transporter k Paris au Panthion. A. L. Raveiioie.
ESQUISSES DE LA VIE FLAMAPE.
CHAPITRE III.
5ni VEDT TROP S'BLGVEB , TOMBB SODVENT BIEU BAS .
(Suite.)
tin sourire de gratitude eclaira la physionomie sou-
cieuse du cordonnier, qui s'^cria en levaut les yeux au
ciel :
« Je dois remercier Dieu de m'avoir inspire la pensee
de venir chercher aupres de vous , \'an Roosmael , ma
derniere consolation ! Vojci le seul moment heureux dont
j'aie joui depuis plus d'un an... Que Dieu vous recom-
pense, ami, de me I'avoir procure I Mais ecoutez-moi at-
tenlivement, et vous reconniitrez qu'il est impossible de
soulager les maux qui m'.ii cablent, autrement que par
une affectueuse compassion ! Vous savez ddija quelle
Strange folie me saisit tout a coup ct me poussa a vouloir
copier les manieres frangaises. En renoncanl ainsi aux
coutumes de mon pays pour cellos de contrees elran-
geres, j'ai hasarde les benefices certains do ma premifere
Industrie contre des apparences trompeuses. Le proverbe
qui dit : • micux vaut tin oiseau dans la main que deux
dans le buisson » est une verite irrecusable... Que n'en
ai-je ete convaincu plus tot! Maisle plus grand mal dans
tout cela, c'est que mes propres enfan(« ont partag^mon
erreur et suce le poison d'une education vicieuse. Ce fut
la principale source de mon extreme misere. Si je n'avais
pas mis ma fille dans un pensionnat fran^ais, je serais en-
core mailre Spinael... Mais que vois-je? Van Roosmael,
TOuspMissezl... vous tremblez!
— Nevous preoccufez pasdemoi... continuez, je vous
prie... Je pensais a Siska, qui est aussi dans une institu-
tion francaise.
— Rappclez-la, Van Roosmael... rappelez-la! A peine
pourrez-vous la reconnaitre maintenant!
— Peut-Stre avez-vous raison , men ami ; mais de
grace, conlinuez! Je suis impatient de savoir si je puis
vousserviren quelqvie chose.
-*-Ehbien! dono,Van Roosmael, lorsque le danger, au-
devanl duquel j'avais aveuglement couru, fut si proclie
de moi, queje ne pouvais faire autrement que del'aper-
cevoir, il me restait encore asscz de bou sens pour que
je fusse capable d'esquiver une ruine totale. Mais I'edu-
catioii (i la (ranfaisc qu'avaient recue mes enfants, ayant
etouffe dans leur cccur tout sentiment filial, ils dovinrent
bientdt les maitres dans ma marson, et moi, je fus leur
serviteur. .. Ils ont joue, danse, festoyij, jusqu'i ce qu'il
ne me resist absolument rien , et alors ils ont continue
leur vie de plaieirs, contracte des dettes, vendu mes biens
et mes meubles. Pour mettre le conible Ji leurs affreux
precedes, ils ontalTecte de me regaider comme un imbe-
cile et se sont railles de moi quand j'ai essay6 de les raji-
peler a leur devoir. Enfin, Van Roosmael, ils m'ont si
indignement traite que jp suis tombe malade... Alors, ils
m'ont abandonne k mon niallieureux sort, comme s'ils
eussent voulu hJterma mort par I'horreur de I'isolement
oil ils me lalssaient.
A cet endruit de son recit I'artisan se tut; sa voix, en
prononcant la derniere phrase que nous venons de rap-
porler.avaifprisdesintonationssourdesqui trahissaient la
souffrance morale que hii causait le .souvenir de la con-
duitedenatureedeses enfants. Son ami, lui aussi, demeura
silencieux... II etait comme atterr^ par cette triste reve-
lation. Cependant, apres une pause de quelques minutes,
Spinael rcprit :
« Et maintenant, ma maison est entlerement vide... lis
ontemporte toutce qu'elle contenait, tout jusqu'ii la cou-
verturede mon lit. Ma fille 1 quej'aimaissi tendreraent et
qu'en d^pit de sa coupable conduite, j'aime toujours, ma
Therftse est allte vivre a Bruxelles ! Mon fils John ,
voire filleul, est rctourne a Paris... Et a mon tour,
je vous le r^pete, ami Van Roosmael , je dois quitter
Anvers, ou chaque visage en face duquel je me trouve,
me semble devoir elre celui d'un creancierprfit k m'ap-
peler fripon ou mendiant. Avec la pauvrete, mes sen-
timents d'honneur me sont revenus... Je ne saurais
continuer de vivre ainsi... Et pourlant comment ame-
liorerai-je ma situation?... Personne ne voudra m'em-
ployer ; aucuii maitre cordonnier ne me prendra comme
simple ouvrier. Je n'ai plus d'babita propres pour me
v^tir, ni de couverture pour me garantir du froid dans
mon lit. II ne me reste plus d'argent pour me nourrir et
la chambre que j'occupais est loute a un etranger... il
faut quejelaquittc;apres-demain...hyas! Van Roosmael,
j'ai voulu prendre un essor trop eleve etje suis tombe
bien has, comme vous voyez. »
L'epicier avail ecoutS, la larme ^ I'fleil, I'histoire de son
ancien ami ; et quand ce dernier se tut pour la seconde
fois, il lui dit d'un (on fache :
« Spinael, je ne comprends pas pourquoi vous me
cachez ce que je suis le plus curieux de savoir. Vous
pretendez qu'il faut que vous quittiez le pays... Je n'eu
vols pas dutout la neoessite. Un veritable ami peut faire
beaucoup, lorsqu'il en a In ferme volonle. Apprenez-moi
done le chiffre auquel montent vos delles.
— Je devine! s'ecria I'artisan, pen6tre d'admiration et
de reconnaissance, je devine vos intentions charitables...
Mais je n'accepterai pas le sacrifice que vous meditez. Je
suis assez heureux d'avoir trouve un honnSte homme qui
ne me regarde pas comme indigne de sa sympathie et de
son assistance. Separons-nous, Van Roosemael. Je tra-
vaillerai desormais sans relache, et si je ne rfeussis pas cL
payer toutes mes dettes avant de mourir, ce ne sera pas
du moins la bonne volonte qui m'aura manque. Donnez-
I
ESQUISSES DE LA
moi votiemain, monbonami,en signe de parfaite recon-
ciliation et de consolant adieu, et priez quelquafois pour
raes enfants! •
Ed voyant Spinael a'opiniatrer ainsi dans sa resolution,
r^picier parul renoncer a son projet. 11 quitla soa siei^e
en disant :
« Je no puis vous Corcer a accepter mon assistance...
Mais vous ne refuserez pas, j'espere, de prendre un verre
de vin avec moi avaut ,de vuus en alter. J'ai encore dans
ma cave une bonne bouteiUe qui dale de I'annee de la
comete. Rasseyez-vous done, Spinael, et ne perdez pas
courage, je vous le repete encore une tois. Le malheur ne
vient toujoursquc trop vite, niais souvent aussi la fortune
arrive inopiaement. »
Ea aclievant ces mots, Van Roosmael sortit de la
chambre et descendit dans sa cave. Lorsqu'il reparut, peu
d'instaats apres, dans I'arriere-boutique, il tenait, outre
la fameuse bouteille de vin de la comete, deux gobelets
qu'il posa sur la table et emplit jusqu'au bord, en s'e-
criant :
« Aliens Spinael, puisqu'il faut absolument que nous
nous separions, buvons h. votre sante et a votre bonne
chance! Et,ajouta-t-il, apres que lecordounier eut, k son
exemple, avale le coutenu de son verre, puisque vous ne
Koulez en aucune manitjre accepter mes services, vous
pouvez bien au moins me dire ii combien se montent vos
dettes, et de quelle facon vous comptez vous y prendre
pour les acquitter. Le travail manuel ne rapporte pas
beaucoup, ainsi que vousle savez vous-meme, et si vous
n'yjoignez quelque petit negoce, vous parviendrez diffi-
cilement a amasser une somme suffisante pour vous liqui-
der.
— Cela n'est que trop vrai, dit Spinael avec un soupir.
Mais pour la satisfaction de ma conscience, j'economise-
rai sur mon pain quotidien, pour payer, chaque annee,
une partie de mes dettes ; et, qui sait? si Dieu m'accorde
une longue vie, peut-Mre r^ussirai-je a m'acquitter en-
tiereraent envers mes cr^anciers, car enfin il n'est pas im-
possible d'epargner, je suppose en vingt annfe, une
somme de six cents florins.
_ — Six cents florins, repela le boutiquier. Des flprins
de Hollande?
— Non, de Brabant. Je devais beaucoup plus que cela ;
mais lors dela rente de ma maison, ceux de mes crten-
ViE FLAMANDE. 447
ciers qui avaient pris leurs hypotht;ques sur cette pro-
priete ont ete soldes.
— Ab!.. Au reste .«ix cents florins de Brabant, ce
n'est pas une enorme somme. Allons, Spinael, buvons ua
autre verre de vin. Comme vous le disiez tout a I'heure,
il n'est nullement impossible de metlre de cote une sem-
blable somme.... Quant i vos enfants, il faut esperer
qu'ils se reformeront... Nous avons ete jeunes, nous aussi
Spinael, et . I'on ne pent placer une vieille tele sur de
jeunes epaules, • dit le proverbe. Mais je m'apcrcois que
nous n'avons rien i melt:resous la dent, en de^ustant notre
vin... Altendez-moi une minute, je vais chercher quel-
ques bi.scoltes. »
■V'an Roosmael, cesta absent beaucoup plus longtemps
qu'il n'etait necessaire pour s'acquitter de la commission
qu'il venait de se donner a lu!-m^me. Quand il rentra,
il tenait elTectivement une assiette deljiscottes, qu'il posa
sur la table avec une distraction visible; apres quoi, se
tournant vers le cordonnier, il lui dit d'un ton serieux :
• Spinael, votre pere etait le meilleur ami ot le plus
proche voisindu mien, nous avons grandi, vous et moi
a cote I'un de I'autre, nous avons joue ensemble, et nous
avons ete inseparables, non moins que si nous eussions
ete treres, jusqu'a I'Sge de quatorze ans. Vous n'avez
jamais ete mon ennemi, autrement vous ne m'eussiez
pas aujourd'buiconfie vos peines ; moi, jesnis toujours
reste votre ami, et la preuve c'est que le recit de vos
chagrins m'a arrache des larmes; je pense done avoir
le droit de vous assister dans votre detresse et de vous
prater au moins un peu d'argpnt pour le voyage que
vous allcz entreprendre. Toutefois, ■ comme les bons
Gomptes font les bons amis, je vous demanderai de me
donner un recu de la petite somme que je vais vous
; remettre : vtiyez, il est tout pret ; signez-le sans le lire ;
c'est une marque de confiance que j'ose atlendre de
monmeilleur ami, et qui m'epargnera toutenouvelleobjec-
tion de votre part a ce prSt indispensable;, car vous ne
pouvez reellement vous mettre en route avec huit ou dii
florins que vous avez peut-^lre dans votre poche...
Toujours est-il que je ne le .souffriroi pas. i>
Spinael. qui ne possedait pas seulement un cens, fut
interieurement charme de celte offre genereuse ; il serra
la main de I'epicier, prit la plume et signa. A peine eut-il
acheve d'ecrire son nom au has du papier que lui avail
presente Van Roosmael, que celui-ci s'ea empara. Puis
elevant sou verre, il s'ecria gaiement :
• A vos succes dans notre chere patrie, ami! et a la
prosperite de votre nouvelle boutique '. Allons, repondez
done k ce vceu sincere, et ne me regardez pas de cet air
effare... Spinael, mon ami, il faut en prendre votre parti ;
vous ^tes attrap^, attrape, attrape ! Hourab! hourah !
— Je ne comprends pasc&q,ue vous voulez dire, mur-
mura I'artisan, stupefait de cet acces dhilarite. Cepen-
dant vous riez de si bon coeur, que je ne puis faire autre-
ment quede me rejouir aveo vous. Maisvoyons.dites-moi,
qu'y a-l-il,?
— Ce qu'il y a? Regardez le recu que vous venez de
me donner. •
Ell parlant ainsi, le boutiquier, tout en tenant le papier
a quelque distance de Spinael, lui montrait du doigt la
ligne oil etait ecrit en gros caractere le nombre • niille. •
« Mille florins! s'ecria Spinael en essayant de saisir
le papier, ce k quoi il ne put reussir.
148 ESQUISSES DE LA
— Oui vraimentlreprilVanRodsmaeltl'un air de triom-
phe, oui vraiment, mille llorins, et les voici! ajouta-l-il
en jetant siir la table quelques leltres de change, et un
sac d'argent.
— Jenelos prcndrai pas! ditle cordonnier en pleurant
d'emotlon. Je ne les prendrai pas ! vous pourriez croire
que tel etait le but secret de ma visile.
— Cepcndant, objecta I'epicier, vous ne ferez pas la
sottise de me laisser I'argent dont vous m'avez donn6 le
recu... Je vous enprie, Spinael, causons serieusement et
raisonnablement. Ecoutez : je suis riche ; Siska, mon
unique enfant, ne connaitra jamais lo besoia, ou ce sera
assurement sa faute. Notre commerce nous rapporte an-
nuellement plusieurs milliers de florins ; outre cela nous
avons le revenu de nos proprietes... Qu'est-ce done pour
nous, je vous le demande a vous-m4me, la petite somme
que vous vous obstinez a refuser? Une bagatelle. Nous
voila d'accord lii-dessus, n'est-ce pas? A present, com-
prenez bien la marche que vous allez suivre. Vous satis-
faites immediatement vos cr^anciers. Ce sont autant
d'ennemis que vous aviez et qui deviennent vos amis.
3'ai une petite maison en ce moment inoccupee, oil vous
allez vous etablir, vous achetcz une provision de cuirs;
vous engagez des ouvriers ; je vous aiderai jusqu'a ce que
votre travail suffise a vos depenses. Au-dessus de votre
boutique, ferivezsimplenient : — Jean Spinael, cordon-
nier. Confectionnez des chaussuressoiides ; je vous recom-
raanderai a toules mes pratiques, et comme il n'y a point
sur le recu que vous avez signe, d'epoque fixe pour le
remboursement du pret que je vous fais, vous I'efl'ectue-
rez k votre aise. Si.ensuite, les lecons de I'adversit^ ren-
dent vos enfants plus sages et ouvrent leur coeur au re-
pentir, ils viendront, de leur propre mouvemeni, implorer
votre pardon. Et maintenant, ami Spinael, procurei-vous
des habits simples mais propres, car dimanche prochain,
apres vfepres, nous irons ensemble au pent de pierre, boire
une bouteillede forte biere et jouer aux carles une beure
ou deux.
VIE FLAMANDE.
— Ne m'offensez point par votre hfeilation prolong^e,
repliqua Van Roosmael. Soyez persuade que la joie que
j'eprouve aujourd'hui en me voyant en elat de vousren-
dre service est bien sup^rieure a celle que me causerait
un benefice de dix mille florins. Embrassons-nous, Spi-
nael, et demeurons toujours amis. »
Les deux hommes se precipiterent dans les bras I'un de
I'autre, sans prononcer un mot. Leur extreme Amotion
les privaitmomenlanement de I'usage de la parole. Enfin
Van Roosmael, ayant recouvr(5 Ig calme qui lui etait ha-
bituel, reprit :
• Vous me ferez plasir, Spinael, de ne point parler de
celte petite affaire a madame Van Roosmael; sansdoute,
les femmes'sont, elles aussi, obligeantes, meme g^nereuses,
mais a leur maniSre etsuivant leur fantaisie, el rarement
permellent-ellcs a leurs maris de I'etre selon leursidees...
Et permettez-moi de vous donner encore un autre avis...
Gardez-vousM'avenirdesjeunes gentUshommes francais I
— N'ayez point de crainte sur ce chapitre, mon bon
ami. Je connais ces oiseaux-lii... et dorenavant si un
Francais me commande une paire de souliers, je refuserai
de la faire.
— Arretez Spinael ; ne vous jetez pas toujours dans les
extremes : les Francais, commercanls ou bourgeois qui
se sont fixes dans noire bonne ville d'Anvers, sont, a ma
connaissance, de Ires-honnetes gens, et je comple m6me
plusieurs d'entre eux parmi mes meilleures pratiques.
Aliens, mon ami, metlez dans votre poche votre argent
et vos billets, et venez aveo moi visiter voire nouveau
logement. »
Peu de jours apres celui oil avail eu lieu celte scene
touchante, Spinael prit possession de la maison que lui
avail louee Van Roosmael. Deja la nouvelle boutique du
cordonnier toil bien approvisionnee de cuir et bien gar-
nie de souliers. Deux ouvriers compagnons travaillaient,
a.ssisi cotedu maitre. En quelques mois, Spinael parvint
;i se faire une bonne clientele, grice aux pressanles re-
commandations de Van Roosmael, et aussi k I'excellenle
qualile des chaussures qu'il confeclionnait. Tous les di-
manches, les deux amis allaicnt npres les offices se pro-
mener jusqu'au pont de pierre; la ils buvaient ensemble
une bouteille de biere, el dans la soiree, ils faisaient leur
parlie de cartes, soil dans un cafe, soil dans leur propre '
logis. En un mot, ils avaientrepris toules leurs anciennes
habitudes, et sans la deplorable conduile des enfants
de Spinael, ilsne se seraient souvenus du passe que pour
se r^jouir doublement de leur bonheur actuel.
— Dois-je profiler de sa g^nereuse bonte ? disait Spi
nael en se parlant a lui-meme.
LE CHEVAL.
149
eiSTOlRE NATURELLE.
I.E CHEVAI..
On ne saurait ecrire une
histoire complete ou abre-
gie du cheval sans la faire
preceder du magnifique
exorde de Buifon dans la
description de cet utile et
brillant qiiadrup&de.
. La plus noble con-
. quete que I'liomme ait
• jamais faite est celle de
- ce fier et fougueux ani-
• mal qui partage avec lui
. les fatigues de la guerre
« el la gloire des combats .-
aussi intrepideque son maitre, le cheval voitleperd et
TafTronte ; il se fait au bruit des armes, il I'aime, 11 le
cherche et s'anime de la m^me ardeur ; il partage aussi
ses plaisirs, ii la cliasse, aux tournois, a la course, il
; brille, il etincelle; mais docile autant que courageus il
ne se laisse point emporter a son feu, il salt reprimer
ses mouvements; non-seulement il ilechit sous la main
« de celui qui le guide, mais il semble consulter ses de-
. sirs, et obeissant loujours aux impressions qu'il en re-
« coit, il se prteipite, se niodere ou s'arr^te, et n'agit que
« poury satisfaire; c'est une creature qui renonce Ji son
« fitre pour n'existcr que par la volonte d'un autre, qui
« sail mime la prevenir, qui par la promptitude et la pre-
" cisionde ses mouvements I'exprimeet I'execute, qui sent
• autant qu'on le desire et ne rend qu'autant qu'on f eul,
« qui solivrantsans reserve, ne se refuse a rien, sert de
« toutes ses forces, s'excede et meme meurt pour mieux
« obeir. ■
A ces qualites brillantes developpees avec tant de
charme par le celebre naturaliste se joignent d'autres avan-
tages qui frappent moins les yeux et qui ont un haut de-
gre d'utilite.
Le cheval de labour, celui qui traine nos diligences ou
les lourdes voitures de roulage, ont des qualites moins
eclatantes, il est vrai, mais lis possedent une graade force
musculaire, une grande patience a supporter les plus
rudes travaux et le plus vifatlachement pour leur maitre.
On voit souvent, dans les campagnes, ces colosses de
Tespeoe obeir, avec une docilile parfaite, a un enfant
qui les guide. C'est un veritable triomphe de la force de
rintellisence dominant celle de la matiere.
Le cheval, comme tous jes animaux les plus utiles a
homme, est naturellement doux et dispose a vivre en
socltSte avec lui ; on le dresse facilement a tous les usages,
ses qualites naturelles se perfectionnent par I'educalion ef
il accepte avec plaisir I'autorite d'un maitre, orsqu'il
trouve en lui douceur et protection.
^°* LE CHEVAL.
II est tres-rare qu'un clieval .ibandonne a lui-meme nc
revienne pas a la niaison dhatiilation ; il y trouve, il est
vrai, la nourriture et le couvert ; mais ne trouverait-il
pas I'un et I'aulre dans hi profondeur des forels s'il s'y
jelait? II y a dans ce seul fait plus que de I'instinct, plus
que de Thabitudo, il y a de ratlachement pour le lieu
et les personnes.
Depuis les temps primitifs il y a eii des chevaux dans
presque toutes les contrees de I'ancien monde et sous
toules les latitudes; il semlile que la Providence, consi-
deranl son uliliK; pour les elablissements des bommes. I'ait
multiplie a dessein sur la surface du globe, ainsi que I'es-
pece canine que Ton rencontre du pole nord au pole sud
avec des qualiles et des instincts appropries a tous nos
besoins.
Cependanllecontinontamcricain,dont les savanessont
peupleesaujourd'hui declievauxsauvages, n'en possedait
pas lorsque les Espagnols en firent la facile conquete. Les
anteurs de cette epoque pei^nent en couleurs energiques
Tetrroi dont furent frappes les Piiruviens et les Mexicains
lorsqu'ils -virent les cavaliers espagnols montes sur ce
qu'ils prenaient pour des monstres, s'elancer dans leurs
rangs presses. Les amies ii feu, ce tonnerre de I'bomme
blanc, ne produisirent pas un ctfet plus terrible sur ces
inofTensives populations, que leschevaux ardents etrapides
qui etaient a leurs yeux les ministres des divinites infer-
nales. On comprend facilement par la terreur que cau-
saient cesetres surnaturels quels durent otre les massacres
qui signalerent les premiers pas des Europeens en Ame •
rique.
Maintenant les chevaux s'y sent tellement multiplies
qu'ilsyvivental'etatsauvageet par troupes innombrables
dans les vastcs pampas et les forets encore incxplorees.
BufTon se plaint des effets de la servitude sur les che-
vaux qui non-seulcmerit y perdent une partie de leur
fierte, mais ont la bouche deformee par le mors et sont
quelquefois blesses par les hariiachements qu'onleur im-
pose; malbeureusemenl ilcst impossible de les dompler,
de les guider, d'en tirer les boiis services qu'on en exige
sans employer ces moyens. Le cheval sauvage peut avoir
quelque chose de plus fier, mais aussi plus farouche que
le cheval prive, traile dansde bonnes conditions; mais il
n'en possede ni la grilce, ni I'elegance, car le basard seul
preside a sa reproduction. Be tous les animaux, le cheval
bien conforme est celui qui olTre les proportions les plus
parfaites, sa laiUc est elevee, il n'a nila courte grosseur
da bcEuf, ni la grosse tete de I'ftnc ; tout indique chez lui
I'agilite ainsi que la vigueur : il a la tete haute, I'oeil
intelligent et vif, desoredles petites et mobiles qui ajou-
tent une nouvclle expression ;\ sa physionomie; une longue
criniere orne son cuu ; sa queue trainaiite et touffue est un
utile et magnifique ornemcnt.
C'est au mouvement des orcilles d'un ctieval que Ton
peut juger le plus surement des sentiments qui I'animent
ou des passions qui I'agitent. Lorsqu'il marche, surtout
avec rapidite, ses oreilles se tournent en avant comme
pour percevoir les sons et pressentir ce qu'il doitrencon-
trer; dans la colere il porte les oreilles en arriere, en-
semble ou allernativemcnt; lorsqu'il est fatigue, les oreilles
s'abaissent.
Lorsqu'un cheval eprouve quelque forte passion, quel-
que dosir violent, il raontre quelque fois les dents, sur-
tout quand la colere I'anime etqu'ilalavolonte demordre.
M. de Buffon dit'que le cheval a cinq sortes de hennis-
sements diU'erenls, relatifs 5 differentes passions : I'alle-
gresse, I'amour ou I'atlachement, la colere, la crainte et
la douleur : il fait remarquer aussi, que les chevaux qui
hennissent leplus'souvent, surtout d'allegresse etdedesir,
sont les meiUeurs et les plus genereux.
Les chevaux dorment peu, quatre a cinq heures de
sommeil leur suffisent; encore apres etre restes deux
heures couches, se relevent-ils pour manger.
Quoique le cheval soil d'un naturel tres-donx, il est ce-
pendant sensible a ['outrage et s'il supporle longtemps des
mauvais traitements injustes, il n'en conserve pas mains
le souvenir, etil se venge crucUement lorsqu'il en trouve
I'occasion fa\orable. C'est une des preuves les plus pe-
remptoires de son intelligence; car s'ilaccepte une tSche
jusle et modcree, il ne supporte pas passivemcnt une in-
justice reitcree.
Nous voyons chaque jour un cheval atlele b une char-
relte lourdcment chargee faire tous ses efforts pour la
faire mardier, il ne s'arretc epuise et harasse que lors-
qu'il a reconnu I'impossiblite absolue d'avancer, muette
protestation centre la cruaute interessee dtson maitre ; et
presque toujours le charretier, plus brute que son cheval,
au lieu de comprendre la lecon, jure, crie, frappe cruel-
lement la pauvre bete et donne k la foule assemblee le
hideux spectacle de la force brutale venant en aide a la
slupidite. Comment serait-on etonneaprescela si le cheval
ainsi mallraite se venge de son bourreau? Et c'est a Pa-
rissurtout, dans la capitale du monde civilis^, que les
charretiers et les rochers offrent sans cesse aux regards
ce hideux et degradant spectacle, que Tautorite pourrait
faire cesser.
Une qualite que les chevaux possedent. c'est d'^lre
sensibles aux eharmes de la musique. Les chevaux aiment
le son de la trompette, elle les anime, les excite et les
pousse en avant en leur communiquant une ardeurnou-
velle; on voit dans les cirques oil se font des exercices
equestres, des chevaux qui marchent et evoluent en me-
sure; la main qui les guide y est sans doute pour quel-
que chose, mais le sentiment musical ne doit pas y 6tre
etranger.
II existe une loi k peuprfes generaleparmi les animaux,
c'est qu'ils peuvent vivre six ou sept fois le temps qu'ils
mettent a 'Operer leur croissance; celle du cheval s'efTec-
luant en qua:tre ans, il vit ordinairement de vingt-cinq
a t rente ans.
La cannaissance de I'Sge d'un cheval est une chose
tres-importante . mais des plus difCciles a acquerir, et
qui exige une assez grande habitude, par suite des ruses
sans nombres dont se servent les niaquignons pourdissi-
nuiler tous les vices et les d^fauls des chevaux qu'ils
menent en foire. Les salieres du cheval se creusent lors-
qu'il vieillit, mais .c'est un indice insuffisant; on arrive
plus positivement h la counaissance de son age par I'in-
spection des denls. II en a quarante : viagt-quatre iiiSi-
chelieres, quatre canines et douze incisives; les juments
n'ont pas de denls canines ou les ont tres-courtes. On
juge de I'iige en examinant avec attention les incisdves et
les canines qui sont plus ou moins usees , le palais dont
les rides s'effacent, et les sourcils dont les poils blan-
chissent avec le temps.
Herodole, Pline et d'autres anciens auteurs parlent des
nombreuses troupes de chevaux qui vivaient en pleijio
LE CHEVAL.
liberie dans plusieurs contrees de I'Europe et de I'Asie
oil il n'y ani tigres, ni lions, ni carnassiers assez forts pour
les meltre h morl et s'en repaitre. Les loups sans doute
et les ours pouvalent bien saisir de jeunes poulains, mais
ils y regardaient a deux fois avant que d'attaquer un
clieval sauvage, \if, ardent, impctueux et tres-capable
de se defendre. D'ailleurs ces animaux ■vivaient alors en
societe, comme ils le font aujourd'liui lorsqu'ils sont a
I'etat de liberie, et ils savaient parfaitement bien s'entre-
secourir.
En Ukraine et cbez les Cosaques du Don, ainsi que dans
les plaines de la Tartaric , on voit de tres-nombreuses
troupes de chevaux sauvages qui vivent ets'ebattent dans
des prairies sans bornes. A en juger par ceux que nion-
tent les cosaques russes, ces chevaux sont pelits , laidg,
mais ardents, infatigables el sobres. lis paraissent ^Ire
doues d'une intelligence tres-developpee , marchant en
troupes, et reconnaissant entre eux la supreniatie d'un
chef, qui est ordinairenient le plus vigoureux ; ceclief com-
ISI
mande une troupe qu'il dirige et guide avec soin, et qui
lui obeit avec docilite. Ce que Ton en raconte ne parait
pas improbable, quand on songe a la societi- des castors
et des abeilles, ou a rintelligence du chien de berger,
animaux qui ne sont pas plus eleves que le cheval dans
reehelle des 4tres.
En general les chevaux recherchent la society. Lors-
qu'ils ont cesse de paitre dans les champs, ils se rassem-
blent volontiers en groupes, en attendant I'heure de ren-
trcri la ferme.
Les jeunes chevaux aiment a courir, a bondir sur la
pelouse, mais ils s'eloignenl peu de leurs 'meres, qui sui-
vent du regard leurs ebats , et dont ils comprennent que
la protection leur est indispensable.
Dans le Leonnais, en Brctagne, oil on e!e\c de nom-
brcux chevaux, on se sert de jumcnts pour les charrois,
mais on en met trois ou quatre a une peite charrelte pour
ue pas les fatiguer ; on les voit alors suivies par un menie
nonibrede poulains qui trottent i leur cote.
L'Amerique meridionale, surtout les rives de rCru-
gay et les contrees habitees par les Patagons sont peuplees
de chevaux sauvages que les naturels prennent i I'aide
du lasso, dont ils se servent avec une nierveilleuse
adresse. L^, des qu'un cheval est fatigue, onl'abandonne;
il se sauve dans la plaine, et on en saisit un autre pour
continuer la route jusqu'a ce qu'il soil ausi rendu de fa-
tigue.
En France mfme, il y a peu de ancles, il y avail aussi
des chevaux sauvages. Dans les *astes domaines des vi-
comtes de Kohan, au milieu des solitudes dela Bretaqnp,
il existe une sombre et vaste fori^t qui etait encore plus
etendue aux quinzieme et seizifeme siedes; sous I'om-
brage de ces vieux chenes, qui avaient peut-etre tu les
mysteres des druides, dans les peliles vallees fraiches et
arrosees par de clairs ruisseaux, vivaient pres de mille
chevaux et cavales dont on ne connaissait jamais bien
exactement le nombre, et qui, comme les cerfs et les
daims, fuyaient la presence de I'homme. Lorsque le cor
des chasseurs faisait retentir les echos dela forft, on
Toyait se precipiter dans une course rapide, non-seule-
ment les sangliers nombreux et les loups, mais aussi ces
chevaux , dont on avail i>eine ii dompter I'humeur fa-
rouche et independante quand on reussissait a s'en em-
parer.
Mais quittons ces fougueux habitants des steppes et des
pampas, pour nous occuper des races diverses qui ont
acc^pte le protectoral de I'homme, et qui en ont recu de
grands perfectionnements dans la taille, la force ou la
rapidite, suivant les usages auxquels on les destine.
Les chevaux arabes ont ete de lout temps reput& les
meilleurs et les plus intelligents; ils sont de taille me-
diocre, Sns, vifs, plulol maigres que gras, et d'une admi-
rable Vitesse a la course. 11 faut qu'un Arabe soit bien
pauvre pour ne pas avoir un cheval, qu'il regarde comme
un veritable ami, qu'il (raile avec douceur, et qui lui
rend attachement pour attachement.PeupIe emineniment
pasleur et guerrrier, I'Arabe, n'ayant pour s'abriter que
sa tente, il y fait enlrerses chevaux qui y vivent avec sa
famille, y couchent, y mangent, sans jamais faire de mal
il qui que ce soit, mSme aux plus petils enfants, qui vont
souvcnt jouer avec eux , et tr&s-probablement ne leur
epargnent pas les espiegleries.
Nous connaissons aussi certaines parties de la France
oil les gens de la campagne aiment passionnement les
chevaux, les trailent avec beaucoup de douceur, et en
152
LE CIIEVAL.
oiU les plus grands soins. Ce sont ordinairement les pays
de production, et leur inter^t bien entendu fait compren-
dre auxcultivateurs que I'cxces de la fatigue et lesmau-
vais traitements font di^generer les races.
Apr^s le cheval arabe, les plus estimfe comme ohe-
vaux de selle sont les barbes, ils sont aussi tres-propres
a la course; mais il n'y a que c.eiix de premier choix qui
aient autant de nerf que les arabes.
Les chevauxd'Espagne, les andaloux particulierement,
forment une magnifique famille ayant beaucoup de sou-
plesse, de feu et de fiert^ , leur robe est ordinairement
noire ou marron fonce ; on pretend que ce sont les meil-
lours pour la guerre, et ceux dont I'allure majestueuse
pr6te le plus aux grandes ceremonies.
Les chevaux anglais, qui precedent en ligne directe des
arabes et des barbes, ont aussi une grande reputation ;
ils sont forts, vigoureux el hardis, mais lis laissent a de-
sirer du cote de la grace. Les Anglais ont d'aiUeurs ap-
porte une intelligence parfaite a croiser les races de ma-
niere a les perfectionner ; ils aiment les chevaux et les
trailent avec beaucoup de douceur, leur epargnant les fa-
tigues excessives et les brusques changements de tempe-
rature, cause d'une grande quantity de maladies qui font
perir ces animaux. C'est Ji ces soins minutieux, aces
habitudes de confort qu'ils 6lendent jusqu'aux animaux
domestiques, que nos voisms doivent leur belle espece
chevaline , plus encore qu'a I'usage des courses, qui les
passionnent et les interessent au plus haut point.
Ces courses, dont les plus celebres ont lieu a Epsom,
nous semblent peu propres k reveler les qualites reelles
des chevaux; ils y d^ploient il est vrai une vitesse ex-
traordinaire dont I'utdit^ est fort contestable; mais cette
Vitesse meme n'est pas I'^tat normal ; c'est I'exception ,
c'est la suite d'un regime en dehors des lois de la nature,
et que Ton norameenlrainemcnt. L'amelioration des races
est le pr^lexte, les paris sont le but; c'est un moyen de
se ruiner en ereintant de pauvrcs b^tes.
Nous ne parlous pas des steeple-chase ou courses au
clocher, il ne s'y trouve ricn pour rutilit(5 , ni pour le
ccEur, ni pour I'esprit. Le plus clair des resultals ce
sont des bras casses et des cotes enfoncees! pauvres gens!
Les Turcs et les Persans surtout ont de magnifiques
chevaux de selle, qu'ils laissent a I'air dans les campa-
gnes la nuit comme le jour, mais en ayant le soin de les
couvrir de tapis, surtout en hiver, pour eviter le trop
grand refroidissement.
Les chevaux que Ton prefere pour les equipages vien-
nent de la HoUande, et surtout de la province de Prise.
Les danois sont gen^ralement de forte taille et largement
etoffes, excellents surtout pour les attelages et pour la
guerre. lis sont de ces races vigoureuses que devaient
recberchei;les anciens chevaliers, lorsque, charges de fer,
ils entraient en eampagne.
La France possede aussi une grande variety de chevaux ;
mais elle a beaucoup k faire pour generaliser les belles et
bonnes races, pours'affranchirdu tributqu'ellepaye Si I'e-
tranger. Malheureusement on n'y comprend pas assezque
la bonne production est insuffisante, si lessoins hygi^niques
et les bons traitements ne viennent pas la seconder. Nos
nieilleurs chevaux de guerre et de carrosse viennent du
Limousin et de certaines parties de la Normandie ; la
Bretagne, r.4uvergne et le Morvan ont de bons chevaux
de trait, et des bidets, race peu distinguee, mais trapue,
vigourcuse et remplie d'ardeur.
Le cheval est herbivore etgranivore; il mange dupain
avec plaisir , se montre tres-friand de sucre et boit vo-
lontiersdu vin. Les chevaux que les Arabes destinent ^
etre des coureurs rapides pour la chasse , ne mangent
que rarement de I'herbe et du grain ; on les nourrit plus i
particulierement de dattes et de lait de chameau, qu'on
leur donne le matin et le soir.
En Basse-Bretagne, conlree oil on Sieve beaucoup de
chevaux, les paysans, pourvarier leur nourriture, pilent
et melangent avec I'orge les bourgeons tendresde Tajonc
marin ; ils pretendent que les chevaux nourris ainsi ont
le poll plus lisse et plus brillant.
S'il exisle parmi les chevaux de v^ritables colosses,
comme ceux dont se servent nos brasseurs, il y en a aussi
de trcs-petils, de veritables lillipuliens de I'espece; les
Anglais les nomment poneys. Une chose digne de remar-
que, c'est que ces petils chevaux naissent presque tons
dans des iles. Ainsi on en vuit dans les Orcades, en Corse,
et dans I'lle d'Ouessant. Quolquefois ils ne sont pas plus
grands qu'un gros chien de Terre-Neuve; mais ils ont en
general beaucoup de feu.
Nous avons dit que les chevaux avaientplusieurs sortes
de hennissements, ils ont aussi plusieurs allures, le ga-
lop, le trot, le pas et I'anible.
En general on parvient par I'Sducation a corriger les
defauls naturels d'un cheval, et a developper les qualites
cachees qu'un habile ecuyer sail dccouvrir. Nous, en
avons la preuve acquise et pour ainsi dire palpable par
LE BOA.
1S3
les resultats auxquels parvient M. Baucher. Ainsi un che-
val de lourde encolure peul acquerir de la ligferetc ; un
cheval r6tif devient docile; un cheval ombrageux entend
sans sourciller les coups de feu que Ton tire pres de lui.
II existe cependant une chose que Ton ne peut prevoir,
que Ton ne peut maitriser, ce sent ces paniques subiles
querien ne presage, cesvertiges nommes mors aux dents,
qui saisissent un cheval quand on y pense le moins,
qui se communiquent menie avec la rapidite de I'l^clair
et causent de cruelles catastrophes. Combicn de families
ont vu transporter pres d'elles, sanglants et mutiles, un
fils, un pfere, une mere, sortis peu d'heures avant pour
unejoyeuse promenaSe! Un recent ev^nement de cetle
nature a prouve que nu\ n'etait a I'abri, et qu'il frapp.iit
les plus eleves comme les plus humbles. Chaque jour nos
feuilles publiques enregistrent ces malheurs; on en parle
pendant quelques jours, puis on les oublie. Non-seule-
ment aucune mesure n'est adoptte pour les prevenir ,
mais les moyens proposes ne sont pas exp6rimentes; cela
cependant en vaudrait bien la peine.
L'un a propose un appareil qui delache le timon de la
\oitiire, ce qui ne garantit pas les passants; I'aulre offre
une bride qui peul resserrer inslantanementles narinesdu
cheval et I'arreler faute d'air ; I'autre, se fondant sur ce
qui se pratique dans les incendies pour faire sortir les
animaux indociles, dans les ports de mcr pour embarquer
les chevaux, en Espagne pour maintcnir les mules ef-
fray^es par I'orage, propose une visiere mobile qui puisse
ii volonte couvrir les yeux du cheval , et lui derober la
vue de I'objet qui I'effraye : on leur met dejb des visieres
laterales.
Enfin nous croyons que cette question interesse assez
I'humanite et la siirete publique pour attirer I'attention
des personnes qui ont le devoir et le pouvoir d'y veiller.
Olivier Le Gall.
I.E BOA CONSTRICTOR.
f' Un voyageur que
I'amourjle la science
conduitdansles pro-
fondeurs des deserls
de I'Afrique, dans
les parties les plus
brulantes de I'Afri-
^'(|ue, accabl^ de fa-
tigue et de chaleur,
croit quelquefois
"C. trouver un instant
' ',^de repos lorsqu'il
arrive dans une val-
leeoii vegetent quel-
ques arbusles k la
,<p ' - •■ verdure douteuse.
De hautes herbes, des joncs indiquent une riviere
ignoree, un ruisseau cache, dont un soleil devorant n'a
pas encore desscche le lit; quelle place plus propice pour
dresser une tcntc et passer la nuit? A I'aide de grands
fenx allumes on eloignera les betes feroces et les myriades
d'insectes aux piqCircs cruelles.
On prend des dispositions, on forme le petit camp pro-
visoire ; tout a coup un cri d'effroi se fait entendre ; un in-
digi-'ne a apcrcu parmi les broussailles un immense serpent
boa qui se reveille, deroule ses spirales d'acier, leve la
tSte, lance des regards flamboyants et se dispose a atta-
quer ceux qui sont venus troubler sa solitude ; alors, ce
n'est qu'en metlant le feu aux arbustes et en tirant sur le
monstre de nonibreux coups de feu que Ton parvient k le
determiner a la retraile, et longtemps on peut suivre du
regard sa marche rapide en voyant les ondulations des
herbes s^ches et des roseaux.
On comprend facilement les chaudes alarmes que doit
causer ce dangereux voisin, quand on songe h sa puis-
sance, a sa force irresistible, Ji son agilite sans 6gale.
Le serpent boa a communement de sept ci huit metres
de longueur; quelquefois m^me il parvient h un dcvelop-
pement plus considerable, mais ce sont des exceptions.
Son museau allonge offre, pour la forme, quelque res-
semblance avec la t6te du chien couchant ; le sommet de la
tJte est elargi, il a les yeux tres-gros et les orbites sail-
lantes, I'ouverture de sa gueule est enorme, elle est garnie
de dents nombreuses et tranchantes.
Mais si le boa joint i la plus grande force musculaire la
facilite de s'elancer, de nager on de grimper pour saisirsa
proie, la nature lui a refus^ les vesicules empoisonnees et
les crochets mobiles qui rendent si redoutables d'autres
serpents des contrees tropicales. Qu'en aurait-il besoin
d'ailleurs ? Quel animal feroce pourrait resister a ses
vigoureuses ^Ireintes?
Cet enorme serpent est aussi remarquable par les vives
couleurs de ses ecailles que par sa prodigieuse longueur;
il ne le cede, sous ce rapport, qu'au serpent Boiga, qui,
pour I'eclat et la beaute, est dans I'ordre des reptiles, ce
que I'oiseau-mouche et les colibris sont parmi les oiseaux.
Les couleurs de ces ecailles ne sont pas les menies dans
toutesles contrees oil vivent les boas; habituellementelles
sont d'un fauve dore, avec des laches noires ou rouges et
bordees de blanc, ou bien d'un chatain de divorses nuan-
ces, quelquefois meme d'un rouge tres-vif seme de points
noirs ou roux : cela depend des varieties. Leur forme varie
peu.
Les plaques sont luisantes, ovales, de deux ou trois pou-
ces de longueur, echancrees a chaque estremite en forme
de croissant et entourees de plusieurs petiles taches sy-
metriques de differenles couleurs vives et diaprees.
Le dessous du corps est d'un cendre jauniitre avec des
taches d'un beau noir.
Lorsque I'enorme serpent boa s'avance dans les deserts
brulanls oil il a elabli sa domination, on voit fuir des trou-
peaux de gazelles, d'antilopes et meme de singes qui se
precipitent epouvantcs dans les laillis les plus fourresou
ils esp(>rent vainement echapper.
II nes'arrete que lorsqu'il est parvenu ci saisir une vic-
time destinee a assouvir sa faim, et il prefere en general
154
LE BOA.
les pctits animaux, qui sont plus faciles a alleindre, i
vaincre eta devorer.
Ccpendant, lorsque c"est un gros animal qui se (rouve a
sa portee, s'il craint une resistance sericuse, au lieu de le
■saisir avec la queue, il Tenlace de tant de contours, il le
presse avec tanl de violence, qu'il lui brise les os et I'e-
touffe en meme temps en lui saisissant les narines avec
les dents ; son haleine d'ailleiirs, empestee et putnde
comme celle de lous les serpents, suffirait pour asphvxier
on cnnCDii.
Mais ce n'ost pas le tout que de saisir sa proie. il faut
la devorer ; et comme il n'a pas, ainsi que le tigre et le
lion , des griffes et des dents capables de depecer un
animal trop gros, il I'enlraine centre le Irene d'un gros
arbre qui sert de base pour le presser, jusqu'ii ce qu'il
ait allonge cette masse inertc et infornte ; puis,lorsqu'il
en a diminmi la grosseur, il I'imbibe d'une salive vis-
queuso et I'avale par de puissantes aspirations souvent
repetees ; c'est de 1^ que lui vient le nom de constrictor.
^1 '. 1( I 1 1 perdant momenlanemfint sa force et son
activite, tombc pour cinq ou six jours dans une sorte
de sommeil letbargique. Les negres et les sauvages pro-
fitent de celte circonstance favorable pour I'^trangler ou
Vassommer; ils y sont pousses par le desir naturel de se
debarrasser d'un aussi dangereux voisin, et par celui de
manger sa chair, qu'ils trouvent sans doute savouieuse et
delicate.
Le serpent boa est d'a\Unnt plus a craindre pour les
animaux qu'il veut atteindre, que sa locomotion est d'une
extreme rapidilc, malgre son enorme masse. lioule en spi-
rale sur lui-m6me, il se deloche avec vigueur comme un
ressort d'acier, et s'i51ance i leur poursuile; comme il
nage avec facilile, il ne peut etre arretc par un fleuve ou
un bras de mer, il so rouleavec promptitude jusqu'a la
cime des arbres les plus eleves, et lorsqu'il veut francliir
une grandc distance qui le separe d'un autre arbre, il
entortille sa queue autour d'une forte branche, et se main-
tient ainsi en suspens ; puis, se balancant par un mouve-
ment nerveux, rapide comme la pensee, il se jette .sur
I'arbre voisin et s'y accroclie.
II n'est done pas surprcnant que ce monstrueux ser-
pent ait inspire une profonde terreur i quelques peupla-
des sauvages de I'.Mrique, et aux habitants du Nouveau-
Mon^e avant sa decouverte. Dans plusieurs endroils
m^me, on lui voua une sorte de culte, on lui dressa de
grossiers autels, et, commek une divinity malfaisante, on
alia meme jusqu'a lui sacrifier des hommes. .4]ors on pre-
tendait que le serpent boa, on devin, annoncait par des
mouvements plus rapides et par des sifllements plus aigus
les grandes catastrophes qui menacaicnt les peoples. II
est fort possible, en effet, que I'air tres-charg6 d'electri-
cite, avant les trombcs, les tremblements de terre ou les
orages, iuflue puissamment sur les organes des serpents,
et leur cause des mouvements desordonnes.
On entoure volonticrs de merveilleux tout ce qui est
grand, fort, cruel et en dehors des lois ordinaires de la
nalure ; le boa ne pouvait y echapper.
Les historiens et les voyagcurs, frappes par sa grandeur
et sa puissance, ont souvent exagere I'un et I'autre, soit
pour emouvoir les imaginations, soit pour relevcr leur 16-
merite en exagerant les dangers qu'ils ont surmontfe.
Sur ce point, on ne doit adopter leurs recits qu'avec une
grande circonspcction.
Pline raconle que I'armee conduite parKeguIus sur la
c6te septentrionale de I'Afrique rencontra, pres du fleuve
Bagrada, enire Utique et Carthage, un enorme serpent
ayant cent vingt pieds de longueur; ce monstre surprit et
devora plusieurs soldats romains qui s'ctaient ecartes du i
gros de I'armee pour se baigner ou se desalterer dans ceJ
lleuve. On le combattit, mais les traits s'dmoussaientj
centre ses impenetrablesecailles; on ne parvinl a le tuer I
qu'cn lui lancant uue (?norme pierre a I'aide d'une ma- 1
LE CHASSEUH DE CHAMOIS.
tbS
chine de guerre ; alors il cut le dos tiise et expira. La
depouille. de ce redoutable enncmi fut suspendue dans
un temple ii Rome.
Tout porte a croire qn'il s'agit dans ce recit d'un ser-
pent boa, particulierement la circonstance de I'haleine
empestee dont il y est parle. Quant ii la longueur du rep-
tile, on peut raisonnablement penser que Pline I'aura
doublee, ce qui lui laisse encore une dimension capable
de satisfaire les amis du merTeilleux. N'en est-i! pas de
mfeme de renonne serpent dont parle Diodore de Sicile,
et qui (ut tue en E^'Tpte, non sans beaucoup de peine et
de dangers?
On peut placer au rang des fables le serpent dont parle
lie pere Gumilla dans I'histoire natUi-elle de I'Orenoque.
Ce serpent, dit-il, etait tellenient grand, que dix-huil Es-
pagnols s'assirent sur lui sans s'en apercevoir, le prenant
pour une longue et grosse poutre.
Owen pretend qu'il y a pres de Batavia des serfients
dont la longueur ne s'eloigne pas beaucoup de cinquante
pieds. Ccci se rapproche davantage de la verite.
Sledman, dans son expedition a Surinam, eutVoccasion
de reconnatire par ses yens toule la puissance et i'activito
du serpent boa. En suivant les boi-ds d'une riviere il ren-
<;ontra un serpent enroule sur iui-meme, et qu'il ne re-
connut parfaitement que lorsqu'il en fut a quinze ou dix-
huit pieds. Celui-ci releva xi\ement la t^te, agitant sa
langue avec rapidile et lixant sur Stedman des regards
flamboyants.
Ce dernier saisit son fusil et fit feu sur le serpent, qnil
atteignit desa balle. A ce choc inattendu, il s'agila avec
violence, brisant et coupant tons les arbustes qui se trou-
vaient a sa portee. Stedman, enhardi par le succes de sa
premiere atlaque, fit feu une seconde fois sur Tanimal,
dont la fureuret I'agitation devinrent extremes ; ce ne
fut qu'au troisieme coup que le serpent, attaint dans
une partie plus vulnerable, expira.
On lui trouva vingt-deux pieds de longueur, et les nfe-
gres declari-rent que c'etait un jeune serpent Age lout au
plus de douze ans.
La femelle du boa confie au sable ses oeufs, qui n'ont
que deux ou trois poucesdans leurplus grand diametre;
c'est la chaleur de Vatmosphere qui les fait eclore. Mais
il est hors de doute qu'une granrie partie de ces (Eufs
sent detruits par de petits animauxqui s'en nourrissent,
et que plusieurs des jeuncs serpents abandonnes ainsi
sans defense perissent, ou sont devores par des oiseaux
de proie et des animaux carnassiers.
Ces causes destructives empeclient la trop grande mul-
tiplication de ces enormes reptiles qui seraient si dange-
reux pour les populations. D'ailleurs, il en est des grands
serpents comme des crocodiles, des lions, des tigres et
autres betes feroces : la civilisation les refoule peu a peu
loin des habitations des hommes, dans les profondeurs
des deserts ou des monlagnes inaccessibles.
Olivier Le Gall.
LE CHASSEUR DE CHAMOIS.
J'avais fait un jour, dans mes voyages,
la rencontre d'un S'yrien , chasseur de
chamois. Pendant la route, il m'avait
raconte plusieurs aventurcs fort intcres-
santes qui lui elaient arrivees en chasse.
II remarqua par hasard que je prenais
des notes en i'ecoutant :
« Parbleu! me dit-d tout a coup en
s'interrompant, faites mieux; ^crivez en
entier rhistoire que je vais vous couter,
et soyez persuade que personne, avant
vous, n'aura entendu un pareil recit. »
J'acceptai avec empresscment et je
u^e^llmal bientot tres-hcureux d'avoir recueiUi une des
histoires les plus merveilleuses que j'aie jamais enten-
dues et que je livre, en substance, ii la curiosite des lec-
teurs :
L'annee precedente, c'est-a-dirc un an avant notre
rencontre, mon chasseur a\ait decouvert une femelle de
chamois prcle a mettre bas. Pendant huit jours, il la sui-
vit avec une perseverance inouie pour decouvrir I'endroit
oil elle deposerait ses petits. "Parfois, pour eviter lout
bruit qui eut pu trahir sa presence, il etait oblige d'oter
ses boltines et de marcher pieds nus; une fois meme,
force de gravir un rocher a pic, il coupa tous les boutons
de ses habits, afin d'eviler le leger frolement qu'ils au-
raient produit sur la pierre. Enfin il decouvrit que les
deux petits, mis au monde par la femelle, nichaient dans
, une espcce de grotte naturelle que le hasard avait placee
sur le sommet d'un rocher escarpe, pour ainsi dire inac-
cessible.
Des deu.x cotes du roc s'ouvraient deux precipices pro-
fonds, etfrayants, dont I'oeil ne pouvait sonder I'immen-
site! Une espece de pent naturel, forme par d'etroits
fragments de rochers reunis, s'elevait au-dessus de la
•grotte, asile des jeuoes chamois; passant au-dessus de
rabime, ce pont ratlacbait ce rocher a d'autres masses
de pierres aussi enormes. Ce passage naturel etait trop
eleve pour que les jeunes chamois pussent y monter ; il
J56 LE CHASSEUR
n'otfrait un moyen de salut qu'ci leur mere. Le chasseur
6tait enchante de celle disposition des iieux, si favorable
k ses projcts. U s'avanca pour prendre les petits, qui
semblaient ne pas pouvoir lui echapper. Tout h coup la
mere, qui I'avait apercu, se precipita sur lui avec cette
furie aveugle que I'amour maternel inspire quelquefois
aux plus faibles creatures.
Le danger qu'on pent courir dans ces attaques ne re-
sulte pas tant du choc lui-meme, qui est peu violent, que
de I'adresse avec laquelle ces animaux essayent de faire
entrer leurs cornes aigues et recourbees en hamecon dans
les jambes du chasseur, pour le faire tomber dans les
DE CHAMOIS.
precipices. Souvent meme il arrive que I'homme et I'ani-
mal, attaches ainsi I'un a I'autre, roulent ensemble au
fond de I'abime.
Notre chasseur ne pouvait tircr sur le chamois; il n'a-
vait pas trop deses deux mains pour se soutenir au-des-
sus du gouffre qu'il traversait. A peine eut-il le temps de
parer avec ses pieds et le mieux qu'il put cetto brusque
atlaque, et il continua d'avancer. Alors Tangoisse de la
mere fut a son comble; elle se precipita vers ses petits et
se mit a courir autour d'eux comme pour les preserver
de toute attcinte. Peu de temps apres, elle sauta en bon-
dissant sur le fragment de roclier en plate-forme auquel
s'appuyait le pont naturel dont nous avons parle, et voi-
sin de la grotte ; puis, du haut dc cetle position , elle ap-
pelaa elle, par des cris plaintifs, ses deux petits.
Mais les deux pauvres chamois essayerent en vain
de sravir le rocher, leur faiblesse les en empfechait;
ils dechiraient inutilement leurs jambes faibles et deli-
cates centre les asperites de la pierre. Leur mere les en-
courageait par des bonds et des sauts qu'elle paraissait
leur donner en exemple, mais les infortunes ne pouvaient
franchir un obstacle infranchissable pour eux. Quelques
minutes s'ecoulerent ainsi ; le chasseur avait gagne du
terrain. Quelques passeulemcnt le separaientdesa proie,
et il allait faire un nouvel effort pour s'enapprocher et,
la saisir, quand un spectacle vraiment extraordmaire
s'offrit a ses yeux. ,
Descendue de son rocher, la femelle avait appuye forte-
ment ses pattes de devant sur les parois du roc, tandis
que cellcs de derriere paraissaiont entrer dans lesol, tanil
elie y nicttait d'energie. Dans cette position, elle formal
M
LE CHATEAU DE VEAUCE.
137
one espfece de pont qui permettait a ses petits d'arriver
enlln h la plate-forme, d'oii ils pouvaient s'echapper par
une de ces arcades nalurelles menagees dans les rochers
et qui travcrsaieiit le precipice. Les chamois sem-
blerent comprendre le danger qui lesmenarait et I'inten-
tion de leur mere. En effet, en moins d'une seconde, ils
grimp^rent le long de ce corps protecteur, ainsi que
I'eussent fait des chats, et furent bientot en lieu sdr.
Au m^me instant, le chasseur mettait le pied sur la
plate-forme abandonn^c ; il trouva la grolte ogalement
dt'serte. Deux coups de fusil partirent avec un fracas
que I'echo repcta de rocher en rocher ; mais le bruit
sec de deux balles qui vinrent s'aplatir inoffensives sur
la pierre annonca que le chasseur avait manque sa proie.
LE CHATEAU DE VEAUCE.
T I
il'ancienne province du Bour-
bonnais, situee au centre de la
France, a forme le departe-
ment de TAllicr. Cette portion
de notre territoire fut habitee,
dansl'antiquit^, paries Eduens,
les Arvernes et les Bituriges.
A r^poque de la guerre des
Gaules, les Boi'ens, avec la
permission de Jules Cesar, vin-
rent s'y etablir; leur capitale,
nommee Gergovie, Gergovia,
a M confondue par quelqucs
savants avec la Gergovie des Arvernes, Gergocia A>ver~
norum, assiegeepar Vercingetorix et delivree par Cesar.
Plus lard, sous les empereurs, le Bourbonnais fut en-
clave dans la premiere Aquitaine; puis, au cinquieme
si^cle, il devint la propriete des Visigoths et des Bour—
guignons, auxquels les Francs le ravirent apros la bataille
de Vouille et la mort d'Alaric. Les sires de Bourbon en
rest^rent lesmaitres pendant tout le moyen age. Moulins
est le berceau de cette illustre maison. Louis l" transmit,
cette province a son successeur, et leur post^rite en con-
serva la domination. Ainsi les Bourbons y furent tout-
puissants jusqu'a la mort du fameux eonnetahle tue en
1527 au si^ge de Borne. A cette 6poque, le Bourbonnais
fut confisque et reuni h la couronne; depuis, il fut donne
en apanage ou en douaire i des princes ou a des prin-
cesses du sang.
Le costume des habitants de I'AUier est piltoresque;
leurs longs cheveux, qui tombent sur leurs epaules, leurs
larges chapeaux, leurs pantalons flottants, tout cela ne
manque ni d'impr^vu ni d'originalit6. Le patois parle dans
ce pays, qui separe ceux^ou la langue d'oil et la langue
doc ^taient usitfes, n'offre rien de remarquable, si ce
n'est la maniere dont les paysans font trainer dans la^pro-
im
LE JEU DES VINGT QUESTIONS.
nonciation Ics syllabcs fiuales. Parmi los grands hommes
auxq_aels le Bourbonnais a doune le jour, il faat compter
lemaxefhal de Berwick, le marecbal de Villars etle trop
celehre connetable dont nous avons parle. — Une cel6-
brit^ Don moins grande, mais d'une autre nature, s'at-
tache dans le meme pays aux eaux minerales de Vichy,
de Neris et de Bourbon-rArchambault.
L'AlIier possede peu de monuments druidiques, mais
beaucoup d'antiquites romaines. On en voit de reraarqua-
bles a Ncris. Le nioyen Sge y a laisse des traces encore
vivantes, une foule de chateaux, de forteresses, de nious-
tiers, d'egUses, d'abbayes; la revolution en a detruit
une grande partie, mais elie n'a pu tout abattre. Le voya-
geur admire encore le chiiteau de Moulins, celui de Bour-
bon-rArchambault, I'eglise d'Yseure, VEcce homo de
Saint-Pourcain, etc... Le chateau deVeauce, pres d'£-
breuil, dans le canton de ce nom, Tun des cinq dont se
compose Tarrondissement de Gaunat , est un monument
digne d'observation. Gannat £it autrefois partie de I'Au-
vergae et en fufc demembrt^c avec son territoire par Phi-
lippe-Auguste, qui donna la ville et le pays a Guy de
Dampierre, pour avoir vaiacu le comte d'Auvergne, re-
volte centre I'autorite royale. La Tallee qui Tentoure,
agreable et fertile^ est appelee la Limagne du Bourbon-
nais.
|C'est dans la vallee d'fibreuil que se trouve le chiiteau
de Veauce, dont nous donnons le dessin.
Biti en 1080, il est majestueusement assis sur une masse
de roches tres-elevees, pres desquelles viennent aboutir
plusieurs collines rangees en demi-cercle; ia partie de
cet arc, ouverte aux regards, laisse apercevoir une cani-
pagne admirable dont I'horizon s'etend au loin jusqu'a
I'immense chaine des niontagnes de I'Auvergne. Cette
belle -vallee d'£breuil, ainsi nommeedela petite ville dont
nous avons parle, et qui est un chef-lieu de canton, fut,
comme Gannat, enclavee dans la province d'Auvergne;
elle est arrosee par la Sioule, un des affluents de I'AUier.
LaSioule, apres avoir traverse un pays fort accidente, va
se Jeter sur la gauche dans la riviere qui donne son nora
k tout le departement.
Au pied du chateau s'entr'ouvrent de'profonds ravins
oil la Veauce se brise en grondant a travers des rochers
dont les formes pittoresques engagent I'artiste a s'arr^ter.
Restaure en 1844 et d^core dans le style de la renais-
sance, Veauce se trouve place au nombre des ch?iteaux
de France qui se font remarquer autant par I'interSt
historique qui s*y rattache que par le merite et la beaute
de leur architecture. II a inspire a un poete, M. Tudot,
les vers suivants :
Ricbe et noble castel oii la Veauce fougueuse
Fait raonter le bcuit sourd de son onde ecumeuse
LiUtant dans le ravin,
TU fais bieo d'etre assis sur la roche sublime,
Commandant a la plaine et dominant I'abime
De ton front soaverain.
Riche et noble castel ! d'oii la belle nature
Apparait imposante et pleine de verdure,
Quand sur la terre en deuil
Le dieu du printemps souffle, et, recbauffant les branches,
Jette des papillons. des chants et des fleurs blauches
Dans la plaine d'ifibreuil I
On aime autour de toi ces c6tes escarpees.
Par ta malD d'un geanl suhiiement coupees,
Cet espace oii I'ceil fuit
Jusqu'a ces monts lointains, horizon de myst^re,
Volcans niorts qui jadis firent trembler la terre
Et qui n'ont plirs de bruit;
On aime devant toi cette jeune riviere
Festonnant la prairie et la campagne cnti^re
De son filet d'argent,
Cet espace fertile oir des zones rayonnent,
Ces cicichers et ces toita auxquels les heures donnent
Un aspect si changeant.
Dans les jardins, la vie est parfumee et douce :
On estheureuK et calme au milieu de la mousse
Et des arbres joyeux ;
Et camme les jeta d'eau qui s'elancent sans trevc
Loin du gazoii, en jets de cristal, on eleve
Son ame vers les cieux.
Le befiVoi des vieux temps et les tours crenelees,
Que le passe rongea mais n'a point ebranlees,
Sur les murs gracieox
D'un moderne castel, fils d'uue main savante,
Projettent la noirceur de leur masse eloquente
Et Torahre des a'ieux.
Les deux chateaux sent la, hardis et magnifiques,
Avec les vieux sommets et les jeunes porliques
Qui n'ont point de passe :
Cclui-ci souriant dans sa fraiche parure ;
Cclui-la recueiili dans sa golhique armure
Comme un vieillard lasse.
Et la vieille tour dit tout bas : Chevalerie! *
Croisades! vieux blason ! religion L patrie 1
Et sainte loyaute!
Et lejenne castel dit : Noblesse, elegance,
Art moderne et savant, richesse, bienfaisance,
Noble securite!
Et tous ces souvenirs, ce beau ciel, ce beau site.
Font de ces lieux riants , ou le bonheur s'abrite,
Un sejour enchante.
Sejour rempli d'ivresse, et de calme et de joie !
Un vieillard, qui vit naitre et mourir sur sa voie
La grace et la beaute,
Disait de ce castel : « Oh I la premiere pierre
• C'est Dieu qui la posa dans un jour de lumiere
» Et dans un jour d'amour>
« Et depuis ce temps-la, non pas des chatelaines,
« Mais des anges d'en haut, sous des formes humaines,
a L'ont habits toujours! »
LE JEU DES VLIT (II^STIONS.
])i. Rusch, un des agents diplomaliques des £tats-Unis
qui residerenta Londres, de 1819 a 1825, etait recu dans
les cercles les plus distingues de cette capitale. II a pu-
blie une narration des principauxeveaemeots publics ou
prives qui ont eu lieu pendant son sejour en Angleterre;
nous en extrayons I'anecdote suivante, en laissant parler
I'auteur : il s'agit d'un diner donne par Canning.
11 n'aurait pas el6 facile de reunir une compagnie qui
pdt rendre un diner aussi attrayant, ni de ehoisir un
moment plus propice. Le parlement venait d'etre proro-
ge; M. Canning et ses deux co-minislres, M. Huskisson
et M. Robinson, ressemblaient ^ des oiseaax dont on vient
d'ouvrir la cage. Une aimable et piquante causerie nous
avait retenus h table jusqu'a dix heures, et M. Canning,,
voyant que nous ne temoignions aucun dfeir de lever la
seance, nous pcoposa de jouer aux vingt questions. Ce
LE JEU DES VINGT QUESTIONS.
159
jeu eiait nonvcau Innt poor moi que pour mes autres
collegues du corps diplomatique, bien que nous fussions
deji depuis Ion;;lemps ea Anglelerre. II s'agissait de de-
■viner la penseede qnelqa'un au moyen devingt questions.
Les questions, de mfeme que les teponses, devaient ^tre
simples et directes. La pcnsee ne devait avoir pourobjet
ni une idee abstraite, ni une chose occulte, ni un mot
scientifique ou technique ; 11 fallait que ce fill un sujet
bien connu de tout le monde ou se rattachant 4 I'bis-
toire universelle. Ce pouvait etre un nom celebre d'hom-
me ou de femnie, ancien ou moderne, ou bien quelque
(Euvre d'art ou quelque souvenir, generalement connus,
mais on ne de\ait penser aucun evenement isole, comme
une bataille, par exemple. Telles etaient les principales
regies de ce jeu original. II fut convenu que ce serait
M. Canning, assiste du chancelier de Vechiquier, son roi-
sin, qui adresserait les questions, et que je ferais les re-
ponses, en consultant egalement mon voisin, qui etait
lord Granville. Lui etmoi, en consequence, nous devions
avoir en conimun la pensfe qu'il s'agissait de deviner au
moyen d'inductionstir^esdenosr^ponses.Cespreliminaires
arrdtes, le jeu commenca :
Premiere question (par M. Canning) : Ce que vous
avez pense appartient-il au regne animal ou au regne ve-
getal? — Reponse : Au regne vegetal.
Deuxieme question: Est-ce manufacture ou non? —
Manufacture.
Troisieme question : Est-ce unsolideou un liquids? —
Un solide.
Ici, un plaisant s'6cria : Comment ce pourrait-il &tre
un liquide, a moins que ce ne fit une soupe aux le-
gumes?
Quatrienie question ; Est-ce une chose qui soil une, ou
qui soit composee de parties ? — Une.
Cinquieme question : Est-elle d'un usage particulier
ou public? — Public.
Sixieme question : Existc-t-elle en Angleterre ou hors
I'Angleterre? — En .\ngleterre.
Septieme question : Est-elle unique, on y en a-t-il
plusieursde la menie espi;ce? — Unique.
Huitieme question : Appartient-elle a I'histoire, ou
n'existe-t-elle quo de nos jours? — L'un et I'aulre.
Neuvieme question : Est-ce un objet d'omement ou
d'utilite? — L'un et I'autre.
Dixieme question : A-t-il quelque contact avec la per-
sonne du roi? —Non.
Onzieme question : Le porte-t-on, ou se soutient-il de
lui-meme'? — On le porte.
Douzieme question : se transmet-il par succession? —
(Comme lord Granville et moi nous I'igaorions nous-
mi!mes, nnus ne repondiraes pas a cette question ; mais
comme, d'un autre C(5le, notre hesitation m^me pouvait
jeter quelque lumiere snrnotre secret, il fut convenu que
la question oompterait comme si Ton y eiit repondu.)
Treizieme question : S'en sert-on au couronnement'
Oai.
Quatorzieme question : Dans la salleou dans I'eglise?
— Probablement dans toutes deux, mais 4 coup sur dans
la salle.
Oninzifeme question: N'cmploie-t-on cette chose que
dans la ceremonie du couronnement, ou bien s'en sert-on
a d'autres occasions? — On s'en sert egalement a d'autres
occasions.
Seizieme question : Est-elle cxclusivement vegetale de
sa nature. Ou bien est-ce un compost de vegetal et de
mineral? — Elle est cxclusivement vegetale.
Dix-seplieme question : Quelle est .sa forme? (Nous
repoussames cette question comme trop directe, et la com-
pagnie nous approuva; mais alors M. Canning seplaignit
de rinju.-,tice dont il serait victime) si I'on comptait cette
question au nombre des vingt; et, a cet egard, la com-
pagnie se prononca en sa faveur. )
Seconde dix-seplieme question.,: Est-elle ornee ou sim-
ple ? (Nous nous defendimes egalement de repondre a cette
question comme trop precise ; mais nous ne fiimes sou-
tenus de personne.) Je repondis alors : Simple.
Dix-huitieme question : S'en sert-on dans le ceremonial
ordinaire de la chambredes Communes ou de la cbambre
des Lords? — Non.
Dix-neuvieme question : L'uneou I'autre decescham-
bress'en sert-elle? — Non.
Vingtieme question : Est-elle immobile ou mobile?
Mobile.
Laliste des vingt questions setiouvant epuisee, il y eut
une pause solennelle. L'inter^t avait cruprodigieusement
a mesure que le jeu approchait de sa fin; et, quand on
en futa la vingtieme question, on eCitdit d'une course oil
deux chevaux rivaux approchent du but poitrail k poitrail.
M. Canning ^tait visiblement inquiet; on s'apercevait
qu'il craignait de perdre la partie, ce qui devait arriver
s'il ne devinait pas I'enigme. II garda le silence pendant
environ deux minutes, puis, promenant sur la compagnie
son ceil percant oiietincelaittant d'esprit, il s'ecria, mais
d'un ton qui n'etait pas trop assure : Jepense que ce doiC
etre la bagiette dd GRAND-SENtaiAL. — Et vraiment
c'etait le mot que nous avions pense. Cette baguette est
une sorle de baton blanc, long el sans ornement, ii peine
plus gros que le doigt du milieu ; elle justifiait parfaite-
ment lesreponses que nous avions faites. En repondanta
la neuvieme question, 'lord Granville et moi, qui nouscon-
certions a voix basse quand il s'agissait d'une reponse qui
n'etait pas toute simple, nous nous rappelames que cer-
tains vieux auteurs ont ecrit que le lord Grand- Seni5chal
portait un bJton pour chasser les intrus qui voudraient
penetrer dans le tresor de Sa Majeste. Quand on en vint
h la douzieme, M. Canning expliquala nature desa ques-
tion en citant la verge delordChambellan, laquelle, dit-il,
ne se transmet point liereditairement, chacun de ces fonc-
tionnaires ayant a se procurer cette verge a ses frais. Je
dis alors qu'il ne s'agissait pas de la verge de lord
Chambellan ; mais, comme disent les enfants, nos adver-
saires brulaient, et je dus prononcer ma reponse negli-
gemment, de crainte d'y fixer I'atlention. Le, questions
ICO
L'ANGE
ne furent point faites aussi rapidement qu'on pourrait le
supposer en les lisant : il y eut quelquefois d'assez longs
intervalles entre ellcs, lesquels furent egay^s par les sail-
lies des convives. Lejeu dura en tout uneheure, et il ab-
sorbait tellemenl I'attenlion de tout le monde, quele vin
cessa de circuler. Le succesdeM. Canning, qui fetaitun
DU CIEL.
des hommes les plus habiles que j'aie jamais connus, full
accueiUi par des applaudissements nombreux ; nousautres
diploniates lui dimes alors que cette epreuve nous servi-
rait de le^on, et que nous aunons soin de bien cacher nos
secrets pour qu'un observateur si sagace ne les d^couvrit
pas. L. M.
Un jour, le coeur brisS par la douleur am^re,
J'avais porte mes pas dans cet auguste lieu
Oil I'cime.recueillie en face du mystere,
Dtehire le lien qui I'attache a la terre,
Pour s'envoler a Dieu.
Etseulje contemplais dansun pieux silence
Cette foule a genoux, levant les mains au ciel;
Seul aussi j'ecoutais'la voix de I'innocence
Qui traverse la voiite et dans les airs s'^lance,
Douce comme le miel.
Et malgrS moi, mes yeux 6taient mouill^s de larmes,
Et sous ma faible main mon cceur battait plus fort,
Et tout mon etre entier, vainou par tant de charmes,
Implorait le Tres-Haut de calmer mesalarmes,
Oud'ordonner ma mort.
Tout i coup dans la nef une vierge se Ifeve,
Et vers les saints autels marche en baissant les yeux.
EUe etait jeune et belle, et sa demarche breve
La faisait ressembler h ces beautes qu'on r^ve
Quand on est amoureux....
Oh ! Je la vols encor dans la saintechapelle,
ficarlant des Chretiens les flotssilencieux :
J'entends encor son nom : elle avail nom Angele,
Et comme moi, chacun se disait : « Qu'elle est belle !
• C'est un ange des cieux 1 »
Oui, je la vols encor, quand sur I'humide pierre.
En croisant ses deux mains elle s'agenouilla ;
Je vols son oeil briller sous sa chaste paupiere,
Je vois battre son ccEur sous sa robe legere,
Pendant qu'elle pria!
Bient6t lo vieux pasleur, pour se rendre aupres d'elle,
Descendit les degres que lui seul pent franchir,
Ettrois fois il bcnit le vraipain du fidele,
Qui, nous rendanth Dieu, doit d'unefm cruelle
Plus tard nous affranohir.
Et la timide Angele unissait sa priere
A celle qu'adressait]lepr6tre du Seigneur;
Et levant ses beaux yeux, qu'elle fixait h terre,
Elle sentit soudain un rayon de lumiere
Se glisser dans son coeur.
L'homme de Dieu la vit, etdans sa bouche pure
II deposal'hostie.embleme de fervour ;
Puis il lui dittout bas : «Que cette nourriture
Te conserve, ma fdle, exempte de souillure,
L'amante du Sauveur ! »
Elvers sa mere, alors, ellerevint ^mue,
Cachant dans ses deux mains son beaufront virginal.
Moi, bientot je sortis en detournant la vue,
Et mon ame, un instant au doux espoir rendue,
Ne sentait plus de mal.
Alexandre S....
4
Typographic Lacr4MPB ni8 et (Je, rue Damielle , 2.
CHROXIOUE DES MOIS.
JUIN.
l-ia cigale chante, —
les bonspaysans sont
heureux si cetle dou-
teuse harmonie est
vive et continuelle,
car c'est pour eux le
presage d'une abon-
danle moisson. Les
champs etalent an\
brillants regards tlu
soleil tout ce qu'ils
onl de richesses ci-
reales. Le plus petit
arbrisseau se hite de
prendre sa plus belle
parureetde melanger
sa fleur atoulescellesqui couvrent la terre. Laroses'cpa-
nouit.on dirait qu'ii tous les yeux elle jette un gros rire.
L'ccillel de I'lnde, avanl de s'elancer, regarde par une fai-
ble ouverture si le jour est assez beau pour se faire voir ;
puis, per^ant sa corolle, il surgit rouge de sang ou blanc
de neige. Le chevre-feuille se tord autour du treillage;
il va cietla, capricieux ou vagabond; — le soir, li
toutes ces fdles du printemps coquettement ecloses, la
brise vient derober le parfum qu'elle vous apporie en
vous caressant. — Et alors le Iknive roule nonchalamment
sur sa couche de sable; le ciel purpure par le soleil
coucliant se rellete dans son sein ; de loin en loin sur la
limpidc surface sautdlent les carpillons ; unemoite vapeur
T. II.
blancliatre se degage des ondes, comme du bain ambre
d'une sullane, si bien que tout cela vous donne I'insur-
monlable desir de briser I'liumidemiroir, el, plongedans
la masse diaphane, de laisser I'eau se jouer dans vos che-
vcux dpars en faisant des perles sur voire front, — et,
comme un triton folatre, vous environner de I'ecume ar-
gentee, au risque d'effaroucher un peu des myriades de
petilspoissons. — La Colombo altardee passe silencieuse-
ment au-dessus de votre li>le, elle se hate de gagner le
vieux clifine sur les branches duquel sa compogne I'at-
tend ; — le rossignol, au contraire, gazouille joyeusemenlet
semble recherchcr avec une artistique fatuile la charmille
oil il poLirra trouver quclque admirateur ; les cloches
sonnent pieusenient Tangt^lus, que I'air balance jusqu'a
vous; — ctcette sublime poesie ne se termine qu'au mo-
ment oil, calme et majestuoux,rastre des nuils, montant
a I'horizon, semble venir dire : Silence, me voici 1 — Oh;
quand vousavez vu ces belles soir&s de juin, vous avez
rendu gri^ce k Dieu de deux choses, n'est-ce pas : de vous
avoir enloure d'une si merveilleuse creation, et puis de
vous donner pour I'admirer le silence meditatif qu'on ne
rencontre que loin des cites.
Mais voici la fete de saint Jean-Baptiste ; — des que la
nuit est venue, vous pouvez voir, pour peu que votre
perspective ait quelque etendue, les feux de joie allumcs
[lar chaque village et m^me chaque liameau. — C'est
une belle el ancienne coutume que celle-ci. M. Court de
Gebelin, dans son histoire du calcndrier, dit qu'elle a
reniplace les feux sacr6s que les Orienlaux allumaient h
11
102
SAINT
mimiil ail morrn'iit du solstice d'eU', alors qu'ils common-
^aienl le rcnouvelk-mont do leiir annee par un sacrifice a
leur divinity.
Les feiix dejoie elaient accompagncs en m^me temps
de Yceiix et dc prieres pour la prosperite dcs peiiples et
des bions de la lerre ; on dansait alentoiir comme on Ic
fait encore, car il n'y a pas de fete sans dansp, et les
plus agiles sautaient par-dessus, absoUiment comnie vous
pouvez I'avoir tu dans tout village du midi. En se reti-
rant, cliacun emportait un lison, et le resle elait jete an
vent, afin qu'il balayat tous les malheurs qui pouvaient
menacer le pays — comme il balayait ces cendres.
Plusieurs siecles apres, lorsque le solstice ne fut plus
I'ouverture de I'annee, on oontinua egalement I'us-age des
feux dans le rafme tfmps, par une suite de rhabitude et
des ideas religieuses qui's'y etaient attachees. D'ailleurs,
il eut ete btesn Irisle d'aniantir un jour de joie pnur le
pauvre peuple, surtout dans une epoque oil il y en a\ait si
peu; aussi cet nsage s'est-il maintenu jusqu'a nous.
On Irouve ces etinoelantes manifestations jusqne dans
le fond de la Russie. Les habitants de ces froides con-
trees, dans les erreursdu paganisme, celebraientle 2ijuin
la fete de la decsse des fi'uits qu'ils appelaient Rupal.
Aujourd'hui encore, ils passent la nuit qui precede la
Saint-Jean dans les divertissements et les festins; comme
nous, ils allument des feux de joie autour des(|uels ils
dansent. Et sans donte parce que Tesprit epais du va\-
gaire n'a pu abjurer tout d'un coup les croyances su-
perstitieuses qu'il s'etait faites, il a donnci le nom de
Bupal-Niza 5 la bienheureuse sainle Agrippine, dont la
iHe se c^lebre a cette (5poque.
Les jours de Juin sont les plus longs de toute I'annee'.
II est des pa\s oii, pendant ce mois, la nuit dure ^ peine
quatre heures. — En Islande, un phenomene remarqnablese
produit tous les ans a cette epoque : le soir de ce jour, le
soleil ne fait que toucher^ Thorizon et il reprend aussitot
sa course dans lo cicl, ce qui fait que pendant vingt-
quatre heures il n'y a pas de nuit. C'cst de la que ce mois
est appele Noll, Lapa Muniidr, mois sans nuit. Le mouve-
ELOl.
mcnt du soleil doit etre curieux Ji voir; Platon fit un
premier voyage en Sicilo pour jouir, sur la hauteur du
mont Etna, du spectacle du soleil levant ; moi je serais
bien capable d'aller en Islande, quelque beau jour de
juin, — pour voir le solstice d'ete.
Dans toutes les contrees de la France, depuis la fin de
Juin jusqu'en Novembre, on fait parquer les brebis sur
les terres qu'on vcut engraisser; c'est-i-dire qu'on leur
fait passer la nuit au milieu des champs, dans une en-
ceinte formee de claies, que Ton transporte oi) Ton veut,
Les bergers ont alors une cabane posee sur des roulettes.
lis la placent hors du pare, et pendant leur sommeil les
chieus font la garde autour du troupeau. Ce moyen d'en-
grais est generalement employ^ comme un des plus puis-
saBts.
Quant k I'histoire de ce mois, elle est pen longue. De
m6me qu'avant la fondation de Bome, le mois de mai,
maior, etait le dernier de I'annee, juin, Junius, etait le
premier; il etait consacre a la jeunesse, comme mai a
la vieilleseeet aux decrepitudes. Les fetes qu'il ramenait
s'ouvraient par celle d'une deesse, dont le nom, Came
ou Crane, signifie; tftte, commencement; eUe etait femme
deJanus^ dieu du Temps. La constellation de ce mois est
I'ecrevisse ; ceci avail fort bien son sens, dans lu langage
des signes; car, pendant ce mois, le soleil rctourne du
solstice a I'equatreur, et cette marche, pour ainsi dire retro-
grade, imite celle de ranimal de ce nono.
En 1748, I'annee a Pise commencait au 25 juin.
Cet usage remontait aux temps des fitrusques, de qui les
Remains I'avaient emprunte. Ce n'est que depuis 174(>
que les Pisans nous imitent ; ce fait est attests par une
longue inscription qu'on lit gravce en lettres d'or sur
la rive gauche de I'Arno; il y est dit que le grand-due
de Toscane ordonna ce changemeht par un edit.
Les travaux d'agriculture de juin con.sistent principa-
lement dans le fauchage des foins et le fanoge des prai-
ries.
Andr6 Thomas.
L'ELITE DES SAIMS FR.W'CUS.
SAIKT XI.OI, EVEgUE DE OTOYON ET BE TOBRWAY.
lOn^uos veillec's d iiivor
J 0 veux raconter
I'histoire d'Eloi , de
I'illustre patron des
forgerons et des or-
fcvres, de ce grand
saint dont I'espiit de
critique judicieux a
pass(5 a la posterity
sur les ailes d'une
tradition populairc.
Son nom est un de
ceux dont on garde
!a m(5moire; dans les
irand'mere raconte a ses
petits-enfants les Episodes de sa vie, et on le voit gra-
vement apparaltre dans les legendes miSrovingiennes.
Son existence est enipreinte d'une certaine couleur rc-
manesque qui plait ^i I'esprit, sa figure so pose largo-
mcnt au milieu de celles de ces premiers Gaulois qui'
vcnaient d'abandonner le gui de Teutates pour la croix'
de Jesus Christ.
Au nord de Limoges est un petit village perdu dan?
les bruyfercs, ot qu'on appelleCadalllac. En 388, vivaient
dans cette coutree Eucher ct Terrige, simples bourgeois
craignant Dieu et repandant autour d'eux d'ahondanles
aumoiies. Une nuit que Terrige etait endormie, il lui
sembla Voir un aigle planant dans les airs et fondant sur
etle Ji trois reprises differenles. Elle rapporta ce songe a
SALNT ELOI.
iCj
un bon pr^tre, qui lui pi'edit quelle aurail un fils qui
s'eleverait dans Ics voies du Seigneur, et serait appele a
une grande saintete. Aussi I'enfant que Dieu lui envoya
fut-ii nomine Eligius, ce qui veut dire citoisi de Dieu.
Ses parents ne negligerent rien pour lui procurer une
education chrelienne, et ils I'eleverent dans Ics exercices
d'une piOte qui d'uilleurs lui etait naturelle. Vers rjge
de quinze ans, on songea a lui faire embrasser une car-
ri^re. Remarqnant son adresse extreme, son pere le con-
fia k un ortevre de Limoges, nommii Abbon, qui consen-
lit i I'inslruire dans son iStat. La docilite el les char-
mantes qualites du jeune apprenti lui gagnerent tous les
cCEurs; pendant qu'il devenait habile dans I'art de tra-
vailler les metaux, il suivait avec une assidnile rigou-
reuse Ics instructions de I'Eglise, et ses longues medita-
tions les gravaient a jamais dans sa memoire.
A trente ans, £loi se decida i quitter sa terra natale et
se rendila Paris, oil regnait le roi Clotaire. Bobbon, tre-
sorier de I'epargne royale, etant informe de son babilete,
I'employa a frapper la monnaie et k divers ouvrages de
son ressort. C'est a cette epoque qu'un concours fortuit
devi'nements Tint mettre en relief le talent et la baute
probite du saint orfevre.
Le roi Clotaire, qui se passait maintesfantaisies, avail
imagine une chaise bizarre, ou plutut un trdne splendide
compose d'or et de pierreries. II s'agissait de faire exe-
cuter ce projet. Les ouvriers de Paris, consultfe par ce
prince, avaient declare I'oeuvre, sinon impossible, du
moins au-dessus de leur talent. Sur ccs entrefaites, Bob-
bon eut I'idee de parler h £loi du caprice royal, et de sa-
voir s'il oserait se cbarger de le satisfaire. Kloi demanda
E]i)i proseiile k CiuUire la seconde chaise.
(jue les mat^naux n^cessaires lui fussent remis, et se mit
sur-le-champ a I'ouvrage. Au bout de quelques semai-
nes, il fit privenir le roi qu'il etait pr6t Ji livrer la chaise
commandee. Clotaire, surpris et charmo de celte dili-
gence, se rendit chez lui et se montra enthousiasme de la
beaute de I'ouvrage. « Comment pourrai-je te recom-
penser, lui dit-il, si je proportionne le salaire au merile
du travail? — Attendez, repondit Eloi, il me reste, sire,
quelque chose b, vous montter. » En disant ces mots, il
preseiita k I'assemblie une seconde chaise, absolument
semblable k la premiere, et fabriqu^e avec I'or et les
pierreries qu'il avait eus de reste. L'etonnemenl du roi
fut a son comble, il se refusa a croire que les deux
sieges eussent ete formes avec les matieres fournies. On
fit apporter dcs balances, et leur poids seul parvint k le
convaincre de la verite. Le prince rendit soleniiellemcnt
homuiage ix la delicatesse d Eloi, et declara qu'une pa-
reille conduile dans les petites choses temoignait de ce
qu'il pourrait faire dans un poste plus eleve.
A partir de ce jour, £loi fut attach^ a la cour du roi
de Fiance. II etablit son atelier dans le palais mfme, et
devint I'orfevre a la mode. Ses qualites et sa modcstie,
encore plus que son talent, le faisaient rechercher des
giands et lui mi5ritaient la consideration g6neraie. Clo-
taire passait aupres de lui ses moments de loisir et se di-
vertissait k le voir travailler en causant des affaires de
son royaume. 11 lui devint bientfit si necessaire qu'il
ciaignit de le voir s'eloigner et qu'il voulut se I'attacher
par des liens indissolubles. Les promesscs qu'tloi lui fit
de oe pas le quitter ne purent lui suffire; il voulut I'en-
gagea- par serment. Pour cela, il le pria de venir k sa mai-
son de plaisance de Rueil, a deux lieucs de Paris, et U'l, il
le pressa de lui jurer fidelite sur une caisse remplie de
rdiques. £loi, se souvenant de la parole de Josus qui
proscrit lout jurement dans la bouche de ses disciples, se-
defendit humblement d'obeir, tout en proteslant qu'il
consacrorait k Clotaire tous Ics jours de sa vie. Mais
comme celui ci, qui ne cedait pas facdement, le prcssait
de plus en plus, le saint homme, reienu par le devoir et
sollicite par I'amilie, fjnit par fondre en larmes sans vou-
loir s'expliquer. Le roi vit alors ce qui se passait dans
son esprit, et, n'attribuant sa resistance qu'aux scrupulcs
de sa conscience, il prit autant do soin de le consoler
qu'il en avail mis a I'embarrasser d'abord. « Une sim-
ple parole detoi, dit-il, vaut mieux que le serment d'un
autre, u
C'est vers ce temps que se forma la liaison de saint
ftloi avec le jeune Dadon, plus tard eveque de Rouen, et
connu sousle nom de saint Ouen. Malgre leur diflfcrence
d'age, car filoi avait une vingtaine d'annees de plus que'
son ami, leur union fut toujours sincere, el, fondee sur
une estime r^ciproque, clle ne s'eteignit qu'avec leur vie.
Quoique son existence s'ecoulat au milieu de la cour,
ilne faut pas croire qu'filoien adoptatles habitudes cor-
rompues ; il entreprit au contraire d'y mener une vie plus
reglee qu'auparavant, et s'astreignit a des penitences
austeres. La purete de ses mcEurs, ses devotions conti-
nuelles faisaient I'admiration de ceux parmi lesuue's il
vivait, et dont il etait k la fois la critique et I'exemple.
Clotaire etant mort, son fils Dagobert, roi d'Au.<trasie,
reunit h sa couronne celle de France et vint s'etablir a
Paris. £loi, qu'il estimait beaucoup, garda dans sa mai-
son la place que Clotaire lui avait donnee, et le .louveau
souverain se montra egalement fort desireux de suivre
ses conseils. Ce fut en vain que des envieux, jaloux de celte
favour croissante, chercherent a le perdre dans son es-
prit; lescalomnies tomberent d'elles-memcs, etce prince
continua a banter son orfevre et a le consuUer dans
les affaires les plus importantes. — On assure que sainl
tloi contribua a corriger Dagobert de certains penchants
pernicieux, et le determina a vivrc d'une maniere chre-
lienne. II est clonnant, dit la chronique, que ce roi, qui
ne pouvait souffrir les remonlranccs des grands ni des
IGt
cvei|iies, ail ecoule :iu«si paliemment et aitsuivi les le-
cons d'un simple ouvrier. — Aiissi les nnnis de Dagobert
et d'£loi icslcront-ils lii5s ensemble jusqu'a la fiii dis
siecles. Qu'on nous pcinielte une figure :
SAINT ELOI.
II indique le mal et ne c6le point sa pensee ;
Lc bon roi Dagoliert
Mcll.ii( sa culotic k I'envers.
Le roi, en elTet, menait une condnile desordonnee, a
I'envers du bon sens et de la raison. JIais un reformaleur
Le grand
l.iii dil : .
,ainl Etoi
0 mon roi
o Voire M.ijes(p
n Est inal cu1ulli:e
Le roi, surpris d'abord, consent a revenirsur ses faules.
et annonce docilcnicnt sa louable dotermination :
<i Ell l.irii : liii illl lc mi.
<' Je vai.- la reiiielire a reiiiiroit. -
Cast ce qui prouve qu'il se cache prcsqiie tonjours un
peu de verite sous les fictions les plus plaisantes et les
plus grossiercs.
Eloi se dLfcnil hambleineiil de priler scrinenti
Eloi conlinua sous Dagobert ses travaux d'orfevrerie,
cl sa renommee devint immense. U puisail a pleines mains
dans les tri^sorsdel'fitat, sauf les ouvrages destines au roi,
il ne travaillait exclusivement qu'aux ornementsd'eglise,
et avec les liberalites de son maitre il eflt pu facilenient
amasser une fortune, si sa charite le lui eijt pcrniis. Mais
lout ce qu'il avait dans les mains passait aussitot dans
celles des pauvres, ou etait destine a racheter des captifs
el des prisonniers. II fonda en outre de ses propres de-
nicrs plusieurs mouasteres, qui devinrent c6lebres par
leur discipline ; entre autres, I'abbaye de Solignac, pros
Limoges, qui ful placee sous la regie de saint Colomban,
el le cloitre de saint Martial, oil il recut trois cents reli-
giouses, dont il confia la condnile a I'abbcsse sainle Aure.
Pour aider i, Telablissement de celte derniere niaison,
le roi lui avait accorde un certain cspace de terrain ;
les constructions i^lant avanctes , Eloi s'apercut qu'on
avait cnipiele au dela de la donation. Cela I'affccta telle-
mcnl quit courut sur I'heure au palais el se jeta aux
piedsde Dagobert pour lui en demander pardon. Celui-ci
se montra fort louche d'un pared scrupule, et le donna
pourexemple aux seigneurs de sa suite. « Voyez, dil-il,
quelle est la fidelile de ceux qui sont k Jesus-Chrisl!
mes gouverneurs el mes officiers no se font gu6re scru-
pule de m'enlever des lerrcs el des seigneuries onti^res,
et cescrviteur de Dieu n'a ose nous celer un pouce de
lerre au dela de ce que nous lui avons donnc. » En
finissant, il le releva afTectueusement, et, non-seulemenl
il lui pardonna, mais il doubia la concession qu'il lui
avail faile.
Eloi fit aussi batir a Paris I'eglisc de Saint-Martial, et
envoya chercher des reliques 5 Limoges pour la consa-
cror. Saint Ouen, son ami, raconte que, pendant qn'il les
portait au temple, il se senlil illumine par la foi, ct fit an
long detour qui le conduisit devaiit les prisons de laville.
Au moment ou il passait, les portes s'ouvrirenl d'elles-
memes, et les prisonniers virent leurs fers lomber k leurs , ,
pieds. k '
SAINT ELOI.
1G3
Bien que saint tloi ne se seiilit pa-i appde ;i vivredans
1,1 velraite, il avail pour les religioiix ilisciplinps line vive
I'^limeel line grande consideration. 11 lailiait de porler a la
MO intei'ieure ceux qui I'entouraiiMil, ctceux(|ui, pour la
I'lupart, i'taient sans feu ni lieu. Sa maison etait celle de
lout le monde en general, cl des mallieureux en parlicu-
lier. Des <iu'il savait qu'un esclaveelait a vendre, il I'en-
voyait de suite aehetcr el I'instruisail dans la vraie reli-
gion. On lui en offrait quelquefois de si grands nombres,
qu'il epuisait scs ressources avant de les avoir tous libe-
res. Alors il avail recours aux grands moyens, c'est-a-
dire qu'il faisait argent de tout, et vendait jusqu'i ses
souliers. Puis, il olTrait Ji sesaffranchis, ou de retourner
dans ieur pays, ou d'entrer dans des monasleres, ou de
rester chez luicn qualite de compagnons de travail. I. a re-
gie de son logis equivalait a celle d'une commnnaute, et
on s'y instruisait par I'exemple. Cettesainie ecole forma
d'admirab'.essujets; on en vitsortir le bienheureux Bou-
chain, abbe de Ferrieres en Giiliriais, et saint ThtJau,
qu'Eloi prit plaisir a rendre liabde ilans I'orfevrerie.
Du reste, jamais il n'abandonna son metier favori ;
mt^me apres sa nomination ii I'episcopat, I'eveque de
Noyon maniait le marleau et la lime ; il fabriqua ainsi
les chasses de saint Qncntin de Vermandois, de saint
Piat de Tournay, de saint Lucien de Beauvais, de saint
Cicpin et de saint Crepinien de Soissons. II avait fait
auparavant celles de saint Martin de Tours, de saint De-
nis, de saint Germain de Pajis, de saint Severin, de
sainte Genevii^ve et de sainto Colombe.
La tradition rapporle qu'filoi etait un des hommes les
mieux fails de son temps ; il avait un air de dignity natu-
relle qui luiseyaitadmirablement et un port majestueux
qui iniposait an premier abord. SuivKnl I'usage des sei-
gneurs de la cour, il portait dans Icfs commencements de
niagiiifiques velemenis de soie broiles d'or et de pjerre-
ries, cisa chevelure bouclee se deroulait en longs anneaux
. .iiat Eloi insuUi
sur ses enaulcs. 11 crut devoir socrilier a la mode plulot
que deheurlerdefrontles usages etablisdepuislonglomps.
Mais sous ses riches habits se cachait un rude cilice qui
mortifiait ses sens et le rappelait a- I'bumilite chretienne.
Lorsqu'il vit son credit a la cour asscz affermi pour se
permettre d'agir a sa guise, il abandonna tous ses colifi-
chetset vendil ce qu'il avait de precicuxpour Teinployer
en oenvres de rbai ite. II parut desormais habille avec une
simplicite modeste et severe. Et celte sinpularile ne de-
plut pas autant qu'il I'avait craint. Tout au contraire,
quelquesseigneurss'aviserent dele prendre pourmodele,
et au bout de quelques annees, il se trouva avoir inlro-
duit une reforme complete dans la parure des courtisans,
vraismoutons de Panurge.
La reputation de sagcsse du conseiller de Dagobertde-
vint bienlot universelle. Les ambassadeurs des princes
ctrangers sollicitaient une audience de lui avant de se
presenter au roi et s'en Iroiivaient toujours bien. Le sou-
verain I'employa plusieurs fois a des negorialions difliciles
dont il sut se tirer avec honneur. C'est ainsi qu'il fut
envoye comme ambassadeur au comle Judicael, roi de
Brelagne, qui s'etait empare de la couronne apres la mort
de sonpereet avait meconnu I'aulorile de Dagobert. filoi
conduisit cetle afTaire avec lant de prudence et d'habi-
lele qu'il desarma completcment les esprils irrites. II re-
pandit Ic long de sa ro\ite des auni6nes considerables, et
sut porter tous les cceurs vers la paix. Judicael, pen^tr6
de repenlir, accompagna le saint liomnie jusqu'a Paris et
fut recu par Dagobert, non comme un suppliant, mais
comme un allie. Ce prince lui accorda le pardon des Bre-
tons et ne le reuvoya que comble de presents.
De meme, dit saint Ouen , qu'on voit autour des
ruches bourdonner et s'agiter un essaim d'abeilles, de
nii'ine Eloi ne pouvait sortir sans se voir aussil6t en-
166 SAINT
tour^ d'line troupe de mendianls. II avail loujours a son
cole une large bourse destinee b subvonir a ses liberali-
tes. La sliicfe economic qti'il apportait dans lesautres dis-
penses lui permcltait de se moiitrer prodiyue dansees oc-
casions. La frugalite do sa table ^tait extraordinaire, etle
temperament de fer qu'il possedait lui donnaitla liberte
de rester quelquefois Irois et quatre jours sans rompre le
jeune. Ses aliments ordinaires etaienl le pain et I'eau. Ses
domcsliques ou plutflt ses compagnons avaient ordre
d'aller prendre, sur les chemins, les vagabonds et les
pauvres, et de les lui amener. H les faisait asseoir a sa
propre table, les servait lui-m6me, et atlendait souvent
qu'ils eussent fmi pour manger leurs restes. Celase renou-
velait journellement et ne laissait pas que d'embarrasser
de temps en temps le pieux pourvoyeiir. A I'heure de
midi, lorsque ses convives deguenille? s'apprttaicnt a
faire lionneur a son hospitalite, il s'apcrcut plus d'une
fuis qu'il ne pouvait les satisfaire, et que le pain et I'ar-
genl nianquaient egalement dans sa maison. 1! ne perdait
pasconfiance, et pendant qu'il leur faisait une instruction
pour tromper leur faim, le roi ou quelque seigneur, in-
forniedosa penurie, venait k son secours et lui adressait
les provisions necessaires. On le vit un jour arriver au
palais sans manteau et sans veste; il venait de vendre,
pour nourrirses pauvres, les vetements qui ne lui parais-
saient pas compl^tement indispensables. Dagobert, lou-
che de ce trait, lui donna son manteau royal el sa cein-
ture, el I'obligea ^ retourner chez lui dans ce splendide
<5(]uipage.
filoi consacrait beaucoup de temps ii I'oraison; il avail
recu du ciel le don des larmes et passail de nombreuses
nuits ^ plcurer sur les peches de ses fieres, 11 n'a laisse
que peu d'ccrils, il se conlentait de faire des exlraits de
rficriture sainte et de rassembler les passages qui le
frappaient davantage. Sa voix clail sonore et relentis-
sanle; lorsqu'il Iravaillaila I'orfvererie, il placail aupces
deson etabli un lulrin et un psaulier et il chantaitavee
sesouvriersles louanges de Dieu.
Son fidele ami, saint Ouen, mort vingt-quatre ans
apres lui, nous a laisse I'hislflire de la vie d'£loi, rappor-
tant avec detail un grand nombre de guerisons niiracu-
leuses qu'il a operees devant une multitude de temoins..
Mais sa modestie naturelle lui faisait craindre la recon-
naissance trop vive des populations ; aussi avait-il cou-
tume d'employerun pieux artifice et d'altribuer le mi-
racle a I'intercession d'un]saint ou a I'emploi de quelque
remede materiel.
Bien qn'a cette epoque il n'e.iU pas encore recu les or-
dres, filoi nes'en monlrapasmoins le zele defenseur des
interels ducatholicisme,el il employa son credit is pour-
suivre les heretiques qui chercliaient h inlroduirele mo-
nolhelisme en France et a egarer la bonne foi des pcu-
ples. II parvint h neutraliscr leurs efforts, et fitordonner,
en 638, lesixieme concile d'Orleans, qui les cxcommunia.
II traqua de mSme les lemonistes qui infestaient I'liglise
francaise depuis le rbgne do Brunehaut, et ses travanx fu-
rent couronn(5s de succfe.
C'est alors que niourut le maitre, on plutot I'ami d'fi-
loi, le roi Dagobert, laissanl lacouronnei son fils Clovis.
Les conseils de I'orfevre eussent elesans doutc d'un grand
prix pour le jeune prince ; mais Dieu en ordonna autre-
ment, et le venerable orfevre dut dire adieu & la cour
oil il avail passfi.ses plus belles annees.
£loi.
Saint Remain, (5veque de Rouen, el saint Acaire, ^ve
que de Noyon el do Tournay, venaient de mourir. Les
besoins de I'figlise appelaient dans ces dioceses des hom-
nies capables et eprouves; on jela les yeux sur filoi et
Ouen, qui durenl accepter ces pesanles charges. Mais ils
ne voulurenl mellre aucune precipitation dans cette af-
faire, et d'apres la discipline des saints canons, ils pri-
rent successivenicnl tons les degres des ordres, de-
puis la tonsure clencale jusqu'^ la priMrise. lis se rendi-
rent ensuite h Rouen, oil ils arriverent le dimanche 14
raai 640, el ils recurenl ensemble I'ordination episcopale,
le dimanche avant celui des Rogations, Clovis 11 etaiit
dans la Iroisieme annka de son regne.
feloi, des sa consecration, quitta son ami pour se
rendre au siege de son eglise. Le diocese de Tournay s'e-
lendail jusqu'en Frise, et une partie de ses habitants
etaient complelement idolatres. Le digne ('v^que n'(?par-
gna rien pour ramener ses brebis dans le bercail ; ii
I'exemple h^roique de ses vertus, il joignit une vigilance
et une perseverance k touleepreuve. II se fit accompagner
d'un grand nombre d'ouvriers evang^liques , enlre aulres
de Theau, son ancien eleve , et entreprit de saintes expe-
ditions pn Flandre et en Tournesis jusqu'a la Zelande el
le Brabant. Sa charile ne s'arrSlait m6me pas aux peu-
ples places sous sa direction ; il cherchail k gagner a la
vraie religion les Frisons et les Saxons qui venaient tra-
(iquer sur les cotes de France. Les barbares, gou%ernes
par leurs passions, accueillirent d'abord avec mepris un
culte qui enseignait h les combattre et a les dompter.
Maisia douceur et la patience d'filoitriompherent bienlol
de leur obstinalion et linirent par les arraclier aux gros-
sieres erreurs du paganisme.
Pour affermir les conversions nouvclles et les rendre
durables, il fonda des eglises et donna des pasteurs aux
pays converlis. Puis, dans le but de prevenir un retour
aux ancieuiies croyances, il fit disparailre tous vestiges
des temples et des idoles. — Mais ceta ne suffit pas, et
quelques habitants endurcis pesterent soards k la voix
qui leur annonrail la vi5ril^.
Malgre I'inGlinalion qui portait Eloi ci n'agir que par
des voiesd'indulgence et de persuasion, il possedait dans
le caract^re une fermole qu'il nionlra dans quelques occa-
sions difficiles. fibroin, niaire du palais, s'elant permis ■
d'usurper un domaine de I'Eglise, au mepris des re-
montrances du saint ^veque, celui ci le frappa d'excom-
niunication, et la fin Iragique de ce ministre fut consi-
derte conime relTet des foudres appelees sur sa tc^te.
Jamais, par une liche faiblesse, filoi ne transigea avec
lui-mfme, et il le monlra bien davanlage dans une autre
occurrence. Le jour de Saint-Pierre, prechant dans une
paroisse de Noyon, il s'eleva centre les danscs d^sor-
donnees auxquelleg se livrait la jeunesse, danses insti-
luees par le paganismeel que le culte du vrai Dieu n'avait •
pu faire abandonner. Au lieu d'ecouler tranquillement
ses remontrances, les habitants se revoUerent et ne re-
pondirenl que par de violents murmurqs. II fut averti
de cette effervescence el du danger qu'il courrait s'ilper-
sistail dans sa proscription. Loin d'besiter, il monta en
chaire dbs la premiere fSle el paria avec vehemence
de I'horreur que devaienl inspirer de pareils plaisirs.
AussitOt il s'eleva un concert d'injures el on se pr6cipita
vers la tribune pour s'emparer de lui afin de le massaCrer,
Mais devant la s^verite de son regard les mutins recu-
SAINTE ULPHE.
1G7
liTent en p&lissant. Pousse par un espiit de sainte ven-
geance, 6loi livra au demon les plus endurcis pour que
leur ame ful sauvee au jour du Seigneur et que leur pu-
nition ri-pandit dans le coeur de tous une terreur salu-
taire. Presde cinquante auditeurs fur.'nt ainsi a ladiscre-
lion de I'esprit du nial, qui pendant un an exerca sur eux
un pouvoir absolu. Au bout de re temps, le saint ev^que,
ayant vu revenir leurs compatriotes a de mcilleurs sen-
timents , accorda aux possedes la grice de leur deli-
vrance.
Saint feloi rerut du cicl a un tres-haut degre le don de
prophetie; il est constant, d'apreslesliistoriens, qu'il pr(5-
ditavcc beaucoup d'exactitude lamort de divers peison-
nages, entre autres celles d'Archambaud, maire du pa-
lais, de Simplice, eveque de Limoges, de Dagobcrt, de son
61s Clevis 11, et du roi d'Aquitaine, Charibert. II predit
enfin la sienne, qu'il vit s'avancer avec le calme et la pais
d'une conscience satisriile. Pendant son episcopal, qui
avait dure dix-neuf ans, les fatigues el les soutfrances de
loulessortes s'etaient enchainees pour lui faire une vie de
penitence et de mortifications continuelles. — 11 assisla
comme eveque au concile de Chalon-sur-Sa6ne, assem-
ble en 644 sous le regne de Clovjs.
On conserve quelques homelies que certains auleurs
lui attribuent, mais donl I'origine n'esl pasbienprouvee.
II (5tait en relation avec les premiers hommes de son
temps et monlrait une aptitude merveilleuse pour les tra-
vaux manuels et les alTaires les plus compliquees. La
veiUe desa mort, il rassembla ses disciples et lesfonjura
de perseverer dans les sentiments religicux qu'il leur
connaissait a tous. Enfin le 1''' decembre 639, il moiirut
paisiblement au milieu des larmes et des regrets de tous
ceux qui I'avaienl connu.
Son lilleul Clotaire, Ills de Clovis II, regnait alors de-
puis trois ans sous la tutelle de sa mere Bathilde, reine
rcgente. Cette pieuse princesse, des qu'elle eut connais-
sance de la fin prochaine de I'eveque, se mil en route
avec ses enfauts pour le voir une derniere fois. Ellearriva
un jour trop lard et ne put que verser des larmes sur sa
lombe. Le corps de saint £loi fut enterre avec ponipe
dans I'eglise de Saint-Loup, a Noyon, et le culle qu'on
lui rendit devint si populaire que ce temple finit par
prendre son nom.
Telle est la vie laborieuse et bizarre de cet homme re-
marquable, a la fois orfevre, ev6que et niinistre, et qui
monlra dans ces divers etals la vertu la plus eminente el
la plus inepuisable charite.
De Li FnEDiiiRE.
SAXNTX ULPHE.
v^e fut dans le Soissonnais et vers le commencement du
liuitieme siucle que naquit sainte Clphe. On i^jnore si sa
famille t'tait r.oble; ODsa't seu'enunt que dfes sa plus ten-
dre enfance celte jeune fille ctnsacra sa vir^initc a
Jesus-Christ, el fit voeu de n'avoir d'autre epoux. Elle
sut trouverun bonbeur reel dans lesacrili e qu'elle faisail,
pt sa jeuncsse sc pas-sa dans la retrjite, car elle fuyait
avecempressement tout ce qui eiit pu lui faire oublier la
resolution quelle avail formee. La douceur de ses moeurs,
raffabilile de toulesses paroles et la niodestie de sa con-
duite, signalereut bientot sa haute perfection. La pudeur
elait dans ses yeux, la verite dans sa bouehe, la bienfai-
sance dans ses mains, et la purele dans son ame. Avec
loutes ces verlus, elle etait belle, belle comme une blanche
fleur des champs qui vit des rayons du soleil — comme
elle vivait de I'amour de Dieu.
Ces precieuses qualites ne sont pas ordinaiiement esli-
inees ^ leur juste valeur par les gens du nionde ; ils sem-
blent mcme ne pas les rechercher ; mais la vertu est un
lie ces astres qui ne pent briller sans fasciner de ses rayons
tous les yeux qui I'environneiit. Plusieurs jcunes gens
concuront une grando admiration pour la jeune sainte,
et tous soUiciterent le bonheur de lui donncr le litre d'e-
pouse. L'un d'eux la demanda avec plus d'instances que
les aulres, el il peignit si bien la violence de son affection
aux [larents de sainle Ulplie, que sa main lui fut pro-
mise. .Mais lorsqu'ils sollicilerent leur fille de repondie a
rengagement qu'ils avaient pris, elle leur levula le vocu
1C8 SAINTE
qu'elle avail fail. La crainte de Dieu etait prorondement
gravte dans leurs rceurs ; nussi retirerent-ils la parole
qu'ils avaient donri6i', en declarant que jamais ils ne lal-
teraient conlre les sainles volonlfe de leur enfant.
Jusque-I^ , Ulphe avait trouve dans la retralfe qu'elle
s'ilait menogee cliez son pere line solitude precieu.se oil
rien ne troublait la douce continuitii de ses prieres et de
son amour pour loCivateur ; mais, en apprenant les pro-
jets qui avaient et(5 faits pour elle , sa piele s'alarma des
instances qu'on pouvait lui adresser, quoique le motif de
son refus eiil ^te considere comme tres-respectable par les
personnes qui avaient sur elle quelque autorite. Craignant
aussil'influence dun mondeoii malgre ses cIToits elle n'avait
pu passer sans eveiller des affeclions, sa determination fut
aussi energique que le but qu'elle se proposait etait diffi-
cile i alteindre. Elle quitla secrclement ses parents et son
pays ainsi que tous les avantagcs que le monde pouvait
lui offrir ; il lui sembla que la voix du Christ I'appelait,
et apres avoir longtemps marche h I'avenlure , elle ne
ULPHE.
s'arr6la qu'auprcVs d'Amiens, sur les bords frais et verts
d'un limpiile ruisseau oil se trouvait une belle fonlaine
qu'aujourd'bui on voit encore dans le jardin de I'ancien
couventdu Paraclel, fondiidepuispar Abeilard. Ce lieuen-
lourede taillis epais parut a saiiile Ulphe renfermer tou-
les les conditions qu'elle desirait Irouver pour y etablir
sa relraite. Son anie reconnaissante adressa au Seis^neur
une pri6re de remercicmcnt, et aprcs s'etre dcsall^ri^e a
I'e.iu de la fontaine, elle s'endormit dans I'endroit di»
bois le plus couvcit.
C'est une oeuvre sublime de la crealion qu'une foret;
et Ion comprendia que rien ne pouvait charmer une 5me
vraiment chretienne aulant que cetle immense solitude ,
si Ton songe a lous les elements d'admiration que devait
renfermer ce lieu : des arbres dont la cime orgueilleuse
semble s'clever pour rendre gloirc au Seigreur , et sur
leurs rameaux , asile cheri des blanches colombes, des
nidssuspendus comme leshamacsde I'ludien; ca et 1^, des
buissons sous lesquels se cache la violelte , modeste
; saiiilc Llpfce.
(leur, qui ne revelo .sa presence que par son suave pa.r-
fum; et puis, au IroiiC du vicil ormeau, le lierre qui ser-
pente, fidele image du coeur de lliomme : pour vivre, il
faut qu'il s'altacho ; sous vo.s picds, I'immense lapis de
velour.s vert, la mousse; el comme enchcAssees dans ce
gazon des forets, quelqucs (leurs dont les (endres Co-
rel les se referraent au nioindie rayon du soleil. Le jour,
e'est un harmonieux concert oi'i le gazouillement des oi-
seau.x se melange au bourdonnement des insecles. L'air
empreint de suaves senleurs y circule pur et frais.
La, loin des tenlalions du monde et dans le silence
de la solitude, sainle Ulphe comprit que ses prii-vesse-
raient plus vives, el que Dieu seul devicndrait I'uniquo
pensee de sa vie. II fallail un effort .sur elle-mi?nie pour
renoncer au souvenir de ses parents el de sa patrie; elle
(rouva dans son amc assez de force pour triompher de
toute faiblcsse huiraine. Chasle creature, I'amour de Je=
sus-Christ avait tellcmcnl cmbrase son coeur qu'il lui
seinblait que louto autre affection en devait etre a jamais
bannie. La muetle coiUemplation des a?uvres du Createur
devcnait pour elle une source de delices, de mcme que
pour les csprils celcsles la vue de Dieu est une inclfable
felicite.
Un songe vint bercer le sonimcil de sainle Ulphe : la
reine des vierges, paree de ses atlraits divins, lui apparut
cl lui proniit que le lieu meme ou elle selait arrelec serait
beni par la fondalion d'un monaslere defilleschreliennes
A son ri'ved, sans bleu conqirendre I'inspiralion qui la
SAINTE ULPHE.
1G9
fjisait agir, elle marctia dans un senlier, oil Dieu lui fit
rencontrer le sainl pii-lie Domicc, liomme que scs vertus
rendaicnt aussi venerable que son iiie. 11 serenilaita
I'office de la calhedrale d'Amiens, et il quiUait pour ce
pieux devoir le refuge qu'il s'elait erige dans la foret.
Sainte Ulphe comprit alors le sentiment secret qui I'avait
conduite, etse jetantaux pieds du vieillard ellele supplia
de bien vouloir devenir son pere spjrituel. Domice, un
pcu surpris de cette apparition, et ne connaissant pas la
jeune vierge, lui repondit que le lendemain il lui ferait
savoir la volonte de Dieu. Renlre dans sa cellule, il pria
et il ne tarda pas a reconnaitre par I'inspiration du Saint-
Esprit tous les merites de sainte Ulplie.
A peine le soleil avait-il dore les plus liaules feuilles
des grands clienes oil les oiseaux semblaienl chanter
un liymnc a Dieu, que Domice se rendit vers la fonlalne
voisine de la relraitede la sainte; il la trouva en priere, et
sans doule attristee par la solitude, car ellc versait des
larmes. II la consola, lui donna quelques vivres et lui en-
seigna I'eglise de Saint-Acheul conune un lieu oii elle
pouvait aller faire scs oraisons.
Quelque temps apres, I'eveque d'Amiens venait de
celebrer I'office des vierges; Sainte Ulphe et son vene-
rable protecleur se trouvaient dans I'eglise. L'fevi^que,
avant de celebrer le saint sacrifice de la messe, se relira
dans la sacrislie et se niit en prieres. Tout a coup il eut
uno de ces visions que Dieu accorde a ses serviteurs pour
leur manifester sa volonte. II vit Domice conduisant par
la main une jeune fille et venant lui demandcr sa bene-
diclion. II fit alors appeler Ic saint preire, qui lui raconla
rhiftoire de sa rencontre dans la foret. Le prelat voulut
voir la jeune fille, ct ayanl admire la femiete de ses
grandcs resolutions, il lui donna I'auneau ct le voile de
virginile; apres quoi, I'ayanl fait communicr solennelle-
nient, il lui fit elever une petite cellule aupres de la
fonlaine, an lieu nifme ou elle s'elait urretce dans la fo-
ret.
La jeune solitaire commencn des lors a recueillir le paisi-
ble fruit de sa piete. Les priercs qu'elle adressait an Sei-
gneur (ievinrent pour elle une source de joies aussi gran-
desqu'incomprehensibles pour les pcrsonnes qui negoutent
pas cette divine consolation. Sa vie s'ecoulait silencieu-
sement commo le petit ruisseau qui passait aupies de sa
cellule; et de memo qu'il savait Irouver des fleurs sur son
passage, elle trouvait des jours pleins d'allcgresse el de
bonheur. Un seul evcnement vint metire un nuage de
tristesse i\ son beau ciel d'azur. Le pieux Domice, son di-
recteur, remonla vers Dieu; elle lui ferma les yeux, et
pleura sur le modeste mausolee qui lui futeleve.
Privee des conseils do CO saint homme, elle redoubla
d'austerltes et de zele, so croyant d'aulant plus obligee
de veiller sur elle memo qu'elle ne pouvait plus se
fortifier des conseils salutaires de son guide. Dieu ,
pour la consoler de la perte qu'elle avait faite, toucba
le coeur d'une jeune fille d'Amiens, nommee Auree, et
lui inspira le desir d'imiler les vertus de sainte Ulphe.
Elle vint done trouver la jeune vierge et la supplia de lui
laisser partagcr sa solitude. Ulphe remercia le ciel de ren-
voi qu'il lui faisait d'une compagne et d'une amie, e(
cmbrassant Auree, elle lui ouvrit la porte de sa chaste
retraite. Elles vecurent ensemble quelques annees dans
les exercices de la devotion et de la penitence.
Le bonheur que ces deux femmes goutaient dans
la vie religieuse ne tarda pas S etre connu et veritable-
ment envie. Plusieurs jeunes filles d'Amiens s'adres-
serent a sainte Ulphe afiu qu'elle les dirigeSt dans la
Yoie du salut. Elle ne put enlierement s'y refuser, et
bientot elle se vit malgre elle a la tiile d'une assez nom-
breuse communaute. Dans un quarticr d'Amiens, elle fit
construire de petits logemenls sepaies, et comme elle ne
voulait pas quitter une solitude cliere a son coeur, ce fut
la bienbeureuse Auree qui se chargea de la conduite de
ce monastcre, h la seule condition qu'elle I'aiderait quel-
quefois de ses sages conseils.
Nolle jeune vierge avait edifie le monde. Les desseins
de Dieu a son cgard etaicnt reniplis. Une fievre tres-forte
fut I'avertissement de sa niort procbaine, et pour ne pas
afHiger des religieuses qu'elle regardait comme ses soeurs,
elle voulut mourir dans cetle cellule solitaire oil sa vie
s'etail passiea aimer el s'rvir le Seigneur.
Le lendemain, Auree et ses compagnqs vinrent pour vi-
siter leur amie; elles Irouverent uncorps inanime ; maisi
la fraicbeur et a la serenite de son visage, on eiit dit
qu'un paisible sommeil etait la seule cause de son immo-
bilite. Ses bras etnient croiscs sursa poitrine, et son front
semblait orne d'un nimbe celeste. On I'enterra dans le lieu
qu'elle avait tant aime. Plus lard, ses reliques furent
transportees, avec celles de saint Domice, dans la calhe-
drale d'Amiens.
J. B.
msYrm
Saitlle I l[ilie Iruiiv,;,: murle dans ia ce'lu'e.
170
SAINTE-SUZANNE.
IIISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIOUES DE ROME.
SAINTr-SUZANNE.
Sur le mont Quirinal, au lieu oil etait aulri'fois le vieux
Capilole et le cirque de Flore, se trouve aujourd'lmi la
place de Termini, Via Pia. Trois superbes monumenls
s'clevent a eel endruit : I'eglise Notrc-Daiiie-de-la-Vic-
toire, Saiiite-Suzanne, autre basilique doiit nous aliens
parler, et le palais Barberiui, construit sous le pontificat
c^'Urbain VllI de la famille Barberini, avec une telle
magnilicence qu'apres le Vatican c'est le plus beau des
palais de Rome. U est form^ de deux corps de logis en
ligne parallele ct joints ensemble par un troisieme. On y
compte jusqu'a quatremillechambres.el parmileschefs-
d'ceuvre qu'il renferme on remarque : — la voilte d'une
grande salle enrichie par la brosse de Pierre de Cortone
de I'bistoire d'Urbain VUI, — sur rundesescalicrsunlion
enpierre si bien execute qu'on le croirait vivant, — etdans
un salon la statue de Brutus tenant dans ses mains les
tetes de ses deux fils, qu'il a lui-nienje condamnes a la
peine de mort.
L'eglise de Sainte-Suzanne est tres ancienne. Cost
encore un de ces monuments dont les pierres noircies
par le temps redisent la fui des siecles passes. Sur I'em-
placenient ou clle a ete bSlie s'elevait anciennement la
maison de saint Gabin, frcre du pape Capius et pere de
sainte Suzanne, que Lafosse a nommee Gabinie dans
la tragedie dont il a tire le snjet du marlyre de cette
sainte.
Cette jeune vierge eut la tete trancliee dans la maison
de son pere par ordre de Diocletien, parce qu'cUe refusait
de rompre en se marianlson \<eu de virginite. L'an 270,
saintCapius fit transformer ce lieu encliapelle, qu'ilplaca
sous linvocation de sainte Suzanne. Leon III la restaura
au commencement du neuvieiue siecle, ct il y fit trans-
porter le corps d'lme mere bien sainlement celebre ainsi
que ceux de ses sept enfants. Cette mere qui, apres avoir
vu verser pour le triomphe de la foi tout lesang de sa
famille, s'estima beureuse et fiere d oDVir aussi le sien
a Jesus -Cbrist, c'est sainte Felicite ; elle vivait sous
I'empereur Marc-Aurele. Son mari, quoique paien, ne
s'opposait pas ^ ce qu'elle profefsit la religion clire-
tienne. Denieuree veuve, elle consacra a Dieu lous les in-
stants que ne reclamait pas sa tendre sollicilude pour ses
sept enfants: Janvier, Felix, Philippe, Silanus, Alexandre,
Vital etMarlial. Elle les avait eleves dans la voie duchris-
tianismeet elle eul la consolation de leur voir embrasser
avec ardear les saintes lois de I'fivangile. — Sa vie s'6-
coulaitcalme el heureuse, et Dieu voyant tanl devertus
voulut mettre le comble ^ la gloire de cette famille en
lui donnant la couronne du martyre. — Les pontiles paiens,
craignant que bientot la religion clirctienne ne chassJt
a jimiais les faux dieux de diez les Remains, se soule-
verent centre ceux qui en faisaieut profession et resolureut
d'employer les moyens les plus terribles pour cmpScher
la chute du paganisme. — II s'adresserent k I'empereur
Marc-Aurelo, lui representant qu'il y allaitdesonhoaneur
ct du salut de I'enipire que les Chretiens n'iusultassent
pas plus longlemps k la religion publiquo, et ajoutant
que, pour apaiser la colere des dieux, il etait indispen-
sable d'obliger tous ceux qui croyaient en Jesus-Christ a
BRi nsH
MUS1£.UV1
'Z AUG 20
NATURAL
HISTORY.
JEAi BART.
JEAN
leur sacrificr publiijuement. — lis avak'nt en outre si-
gnals Fiilicile comnie I'une des plus coupables parmi les
iiouveaux proselytes de la foi. Celto vcrtueuse femme fut
arrctee avec ses sept enfanls et piise au pouvoir de
Publius, prefel de Rome. Aprcs avoir employe les prieres
el les proraessesde recompenses, ce magistrat, qui tenait
a honneur de rendrc Felicite a Ia]religion dela palrie, lui
fit entendre qn'il fallait ob(5ir ouperir. Elle repondit que,
taut que Dieu lui conservcrait la vie, elle resterait vic-
torieuse; mais que parsa mort elle vaincrait encore plus
glorieusement. Le prefet monla le lendemain sur un tri-
bunal dans la place de Mars, et fit comparaitre Felicile
a\ec ses enfants. II lui dit que, si elle etait aussi in-
dilTerente qu'elle lui avail paru la veille pour ce qui la
regardail, elle devail au moins avoir compassion de I'elal
de sa famille, dont la jeunesse llorissanle promeltait beau-
coup pour la palrie. Felicite se lourna vers ccs ange-
lique creatures, et aux menaces de Publius elle ne re-
pondit que par ces mots ; • Levez vos yeu,\ au ciel, mes
fiis, et regardcz la-haul, Jesus-Christ vous y attend avec
ses saints I •
Le prefet, devcnu furieiix, condamna celte pieuse fa-
mille a la mort, et pour punir la sublime femme, il or-
donna qu'elle ne subirait son supplice qu'apres avoir ete
temoin de celui de chacun de ses enfanls. Au milieu
des soufTrances les plus atroces qui precederent sa deca-
pitation , on put entendre sortir de sa bouche des
actions de grices adressees a JCsus-Christ. — Qu'on nous
pardonne cette petite digression, mais nous n'avons pu
resisler au d^sir de parler d'une sainte dont les reliques
seules rendraieut a jamais ceR'bre le lieu qui les conlient.
L'an 1475, Sixle IV fit reparer I'eglise de Sainle-
Suzanne; et, depuis, la princesse Camilla Peretti, scEur
du pape Sixte V, y fit transporter de S?int-Jean-de-la-
liegne la moilie des curps des sainlr martyrs Genese el
Eleuthere. — On voil encore sous le maitre-autel les pre-
cieuxossemenlsde saint Gabin et de sainte Suzanne, en-
fermes dans une urneen stuc enricliie de mosaTques.
Le cardinal Rurbicuccio fit enfiu rebalir celte eglise
sous le pontiiicat de Clement VIIl, dont il etait vicaire.
BART. 171
— Charles Madorne lournil le dessin d'apres lequel elle
fut executive.
Deux rangees de colonnes en pierros liburtines sou-
tiennenl le portail, qui, sans clre d'une granrle magnifi-
cence, est cependant remarquable par larcgularite deson
architecture.
Dans I'inlerieur, les murs sonl couverts de superbes
fresques dues au pinceau de Balthazar Croce, qui s'est
acquis par ce travail une reputation immortelle. Elles
represenlent I'histoire de la chaste Suzanne, la plus
belle des femmes de Babylone, celle qui , placee entre
le deshonncur et la mort, repondit a deux infimes
vieillards : « Je ne vois que perils de toute part, car
si je fais ce que vous desuez je suis morle devanl
mon Dieu ; si je ne le fais pas, je ne puis m'echapp;r
de vos mains. Mais il vaul mieux que je succombe
sans avoir commis le mal que de pecher en la pre-
sence du Seigneur. • — Sa miso en accusation, son juge-
ment, sacondaranation, etson innocence miraculeusement
prouvfe par le jeune Daniel, tons ces diU'erents trails de
sa vie sonl developpes avec une admirable verile de phy-
sionomie et de costumes. On voit sur la colonnade qui
est au-dessous, apres la bordure dor(5e par le Iheatin
Pierre-Malhieu ZoccoUne , des statues en stuc de Valsoldo.
Un grand tableau k I'huile representanl sainte Suzanne
dans la beatitude celeste et plusieurs autrcs figures loutes
dues auSicilien Thomas Lamelti, decorenlle maitre-autel.
Cesar Nebbia a egalement jete quelques peinlures sur la
tribune; on y reniarque principalemenl son assoniplion
de la.Vierge. — Dans le chceur a droite, Paris Nogari a
execute i fresques le martyr de sainte Suzanne pour faire
pendant au marlyr de sainte Genevieve de Balthazar
Croce, qui a egalement fait les aulres peinlures sur
I'arcade de la chapelle de saint Laurent. Sur I'aulel de
cette derniere chapelle, Cesar Nebbia a peinl un tableau
de saint Laurent sur le gril. L'ellet de eel ouvrage est
aussi alTreux que son execution est belle ; mais il est
de ces tableaux, comme dans celui-ci, oU la verile ne peut
que faire fremir, et Ton saurait presque gre a Tartiste
d'avoir fail la part du coeuravanl celle de I'arl. J, B.
LES FRAXCAIS lUlSTJ
JEAN BART.
Jean Bart, fils do Cornel Bart,
corsaire de Dunkerque, naquil
en cette ville, Ie2l octobre IC-bO,
el non le 20, comrae le disent
tons les auleurs, excepleM. Van-
derest, qui a produit a I'appui
de ses recherches I'extrail de
bapleme de cet illustre marin.
II n'avait pas encore Ireize
ans lorsqu'il s'embarqua a bord
d'une pinque, commandce par
Jerome Valbue, puis ensuile sur
une caravelle montee par ce
contrebandier , devenu pilole
hauturier royal, grade equivalent a celui de capitaine
au long cours.
Au commencement de 1666, Valbue oblint le comman-
dement du Coclwii gras, brigantin servant de garde-cole
dans la Manche. Jean Barl, quoiqu'il neut encore que
quinze ans, y etjit second mallre, et Tequipage, outre le
capitaine ou maitre, et le second, etait compose de trois
mariniers, de cinq malelots et d'un mousse.
Dans rinler\"alle des trois annees qu'il passa sur ces di-
vers navires, Jean Bart, alors apprenli lamaneur, rem-
porla le prix decerne aux meilleurs pointeurs d'artiUerie
du port de Calais.
Le service de croiseur ne pouvant salisfaire sa bouil-
lanle ardeur, il solhcita et oblint de sa famille, vers le
172
JEAN BART.
niois dejuillel 1666, on le suppose, ta permission de pas-
ser en Hollande, oii il s'embarqua sur un vaisseau com»
mand(5 par Rnylei-, at Ton esl fonde a croue qu'il du-;
prendre part aiix celebres combats de rctiaite des 4, 5
et 6 aoOit qui immorlaliserent I'amiral hollandais.
La paix sigiii'e a Bieda, le 31 juillet IC67, Jean Bait
conlinuade scivir la llollande jusqu'au moisd'avril \bH,
oil la France ct rAnglolenc deilari-rent la guerre a celte
puissance. II etait alors second lieulcnant du bri-
ganlin flessinguois le Canard dore; le premier lieute-
nant etait Charles Keyser, son compafriole. Fidoles ii la
voix de la palric, et sourds aux ollros brillantes que leur
firent les Hollandais de rester au service des Etalscomme
lieutenants de brillot les deux Dunkerquois s'evaderent,
et arrives dans leur ville nalale, ils servircnt quelque
temps coni;ne seconds mallres et mailres d'equipage;
mais les preuves qu'ils ne tardijrent pas k donner de leur
intrepidity les oleverent promptement au-dessus de ces
emplois suballernes Nommes, Jean Bart, au conimande-
ment de la galiote le Rot David, et Keyser a celui de
V Alexandre , a leur premiere sortie ils firent ememble
une premiere prise, et Irois mois ne s'elaient pas ecoiilcs
que Jean Bart, navi;;uant i;olement, avait lamenedansle
port dc Dunkeique cinq naviressuccessivement captures.
Passe au commandementde la fregate(a Kinjnle, armee
de 10 canons, il remilii la mer, de conserve avec V Alexan-
dre, alurs raontc par William Doom. Cctle nouvelle crui-
siore ne fut pas nioins lieuieuse que la premiere ; deux
llules tomberenten son pouvoir.
.Slimule par ces succi?s, Jean Bart sillonnait la Manche,
oil depuis liuit jours il jvait pris deux LiJti.iients hollan-
dais, lorsquele 21 Janvier 1675, il rencontra I'Eiperance,
de 1 0 canons, qui convoyail troisnaviresmarchands. Aussi-
tot il disposa lout pour le combat, qui fut tres-vif et qui
ne dura pas moins d'nne heure, au bout dc laquello il
s'emparadela frcgale, qu'il emmena a Dunkerque. L'Es-
perance fut comme le present de noces qu'il fit a Nicole
Gontier, qu'il epousa le 3 fevrier suivant, elanl alors ?ige
de vingt-cinq ans quatre mois.
Jean Bartsavoura pendant six mois environ les douceurs
Prist! du /Neptune,
de la lune de miel, apres lesquels il se remit en campagne
avecla frigate la floj/dicTreize busses ' et deux fregates
furent cette annee prises encore par lui seul ou de con-
serve avec Keyser ou aulres.
L'annee 1676 ne fut pas moins feconde en exploils pour
notre heros. Monte sur la fregate la Palme, do 24 canons,
il s'empara le 26 mars d'une pina.sse de 1 0 canons ; le len-
demain 27, il apercul a la hauteur d'Ostende une flolte
convoyee par Iroisfregates. Jean Bart soulenu par Kcy,ecr
ct quelquesautres corsaires, se decida au combat, qui fut
1 BllimenU h Irois iiili^ eta Irois voiles cnrn-es, fori renllo; de I'avaiit, tii
usage pour la )i£cbe du Ipreng sur la mer du Nord.
Ires-chaud et qui ne dur.i pas moins de trois heures. De
part et d'auire les partes furent considerables; mais la
victoiredemeuraaux Dunkerquois, qui s'empaierent d'une
des fregates et de huit autres navires du convoi. Le 3 sep-
tpmbre suivant il captura, a la hauteur d'Oslende une
flute, I'Esperanec de Bremc, et, quatie jours apres, une
frcgale hollandaisc, /c Neptune, de 30 canons.
A celte epoque son nomconrncnca ii llxerserieusement
I'altenliondela cour. Louis XIV lui envoyaune niedaille
et une chaine d'or en recompense de scs beaux faits
d'armes etdes services qu'il avait rcndus.
L'annee 1678 fut aussi temoin de plusieurs exploits,
JEAN BART.
17-
djns I'un desquels Jean Bart eut le visage et les mains
bi'ules, et les i^ras desjanibes emportcsd'iin coup de canon.
A celle epoque, le celebre Vauban ayant concu une
haute idee du merite de notre marin, le rerommanoa vi-
vement au roi, qui le nonima le 8 Janvier 1679, lieutenant
de vaisseau, etdeux ans apres le cliargea d'une croisiere
contre les pirates de Sale, .lean Bart s'acquitta de cot'.e
mission avec le plus grand succi's, rpprit plusieurs biti-
ments qn'ils avaient captures, et s'empara d'une de leuts
corvettes, armee de 16 canons et ayant cent cinquante
hommes d'equipage.
En 1683 la guerre eclata enire la France et I'Espagne.
II obtint alors le comniandement de la Serpenlc, avec
I'ordre de croiser dans la Mediterranee. II fit bienlfit
la rencontre d'un vaisseau espagnol charge de trois cent
cinquante soldats, I'atlaqua, le prit et leconduisita Brest.
A son retour, il passa sur le vaisseau le Modere, pour la
campagne de Cadix, dans laquelle il contribua a enlever
deux vaisseaux espagnols. Jean Bart fit, dans cette occasion,
des prodiges de valeuretfut gricvenientblesse hla cuisse.
Au mois de seplembre 168S, la guerre ayant eclate de
nouveau, Jean Bart recul le comniandement de /a Railleuse,
de 24 canons, avec laquelle il captura d'abord, le 26 oc-
tobre suivant,une flute hollandaise ; puis, accompagnedu
comte de Forbin, qui commandaitune corvette de 16 ca-
nons, il escorta un convoi destine pour Brest. Us fi-
rent en chemin la rencontre dun corsaire hoUandais de
14 canons, dont ils s'emparerentapies un vifcombal, dans
lequel ce navire perdit plus de la moil.ie de son Equipage.
L'anne 1689 fut I'une dcs plus riches en fails divers
dans la vie de notre heros; car elle le vit a la fois com-
baltre avec le plus intrepide acharnement, faire des prises,
recevoir des blessures, eire fait prisonnier pour la pre-
miere et la derniere fois, s'evader de sa prison et puis so
remarier apres sept ans de veuvage.
Acette epoque, la reputation de JeanBarl, ditson histo-
rien Vanderest, que nous nous plaisons a suivre souvent,
avail tellement grandi a la cour que lorsqu'il s'agissait de
c nolle Je qLalri
quelqiie expedition avenlureuse ettemeraire oule genie et
la hravoure formaient les premieres conditions desucces,
, on chargeait de preference I'intrepide roturier de pareilles
executions, quoique alors la noblesse eilt deja produit une
foule de marins aussi braves qu'experimenles.
Au mois de mail 689, Jean Bart et Forbin eurentordre
d'escorter un nouveau convoi du Havre a Brest. Le pre-
mier montait une frigate de 28 canons et le second une
de 16.Le 22,a la hauteur del'ilede Wight, ilseurentcon-
naissance de deux vaisseaux anglais, I'un de 48, I'autre
de 42 canoni. Jean Bart fit alors ses preparatifs pour le
combat. II se chargea d'attaquer le plus fort avec Forbin,
.et ordonna b trois autres navires marchands les mieux
armesde combattre I'aetre vaisseau. Son dessein etaitde
s'emparer du premier el de s'en servir pour atta-
quer le second. La partie n'etait pas egale, mais I'audace
suppleant a la force, la fregate et la corvette franeaise se
trouverent bientot bord a bord et le combat .s'engagea.
L'action fut des plus chaudes. Dejii nos deux intrepides
capitaines avaient force I'ennemi k coups de mousquets ct
de grenades a quitter ses ponts et ses gaillards, ils
allaient se rendre maitres du vai.-seau, quand les trois na-
vires marchands prirent la fuile au lieu d'attaquer le
second. Les Anglais reunirent alors leurs forces, et
les deux petites fregates francaisesperdirenttoute chance
favorable. N&nmoins nos vaillants marins ne perdirent
pas courage, ils se battirent comme des lions pendant
deaxgrandes heures. A la fin, blesses I'un et I'autre el ne
Hi
JEAN BAUT.
pouvant plusdonner des ortlres, les deux Wgates fureiu
prises apres avoir perdu los deux tiers de leu rs equipages;
quand ellos tombercnl enire les mains de Tennemi, elles
etaient rasees del'avant a I'arriere et presque entierement
fracassees. Les Anglais firent en liommes des pertes bien
plus considerables. Pendant ce combat, le convoi fitbonne
route et porvint ii so mettre en surete.
Conduits a Plymoutli, nos dtux heros ne larderont pas,
aides par un matelot d'Ostende, ii s'cchapper dans un ca-
not norwegien avec lequel ils gagnerent un \illiige silue
^ six lieues de Saiut-Malo, oil ilsapprirenlquelebruit de
leur mort etait goniralement repandu.
Quinze h seize jours apres leur evasion, Jean Bart et
Forbin fureiit nommes par le roi capitaines de vaisseau.
Cetle nouvelle nomination de Joan Bart et scs exploits le
lirent naturellemcnt jouir de grands lionneurs dans sa villa
natale et lui inspirerent probablement la pensee de con-
Iracter un nouvel hymen. Le 16 octobre 1689, il ^pousa
apres sept annees de veuvage Jacqueline-Marie Tugge,
issue d'une des premieres families de Dunkerque. 11 ne
goula pas longtemps les joies de son nouveau mariagp,
car un mois apres, il etait dejk en mer, et caplurait le
19 decembre une Utile et une galiote chargee de soldats.
QueUjues jours apres, les 23, 24 et 25 du memo mois, il prit
trois dogres hollandais qu'il ranconna.
Tourville ayant ete charge en 1690, du commandement
en chef de I'armee navale destinee a agir contre I'Angle-,
terre, I'Espagne et la Hollande, Jean Bart fit partie de
la llotte avec la fregale I'Alcijon qu'il montait. II fut
done actcur dans la celtbre baitaille du cap de Bevesier,
que Tourville gagna le 10 juillet. II prit egalement
part a la fameuse campagne du Large de cet illuslre ami-
ral, en 1691.
Jean Bart avail soumis, depuis deja deux ans, un projet
d'expedilion pour miner le conimercedes Hollandais dans
le Nord, quand il recut I'autorisation d'agir. A cette
nouvelle, trente-deux vaisseaux anglais et hollandais
vinrenl bloquer le port de Dunkerque. Notre intr^pide
marin n'en sortit pasmoins, de nuit, le 26 juillet 1692,
avec sept frigates et un brWot. Lelendemain, il cnlevait
quatre navires anglais richemcnt charges, qui allaient en
Moscovie. Quelques jours aprfo, il mettait lefeu a quatre-
vingts busses, dogres et autres navires de commerce. II fit
ensuile une descente en Angleterre, vers Newcastle, oil
il biiila euviron deux cents maisons, et le 24 novembre,
il amena a Dunkerque pour cinq cent miUe livres de
prises.
Jean Bart ne fut pas plus t6t arrive qu'il fit mettre en
elat les trois meilleurs vaisseaux de son escadre, avec
lesquelsil alia croiser dans le Nord, ou il fit la rencontre
d'une flolteliollandaise venant de la mer Baltique, escor-
tee par trois navires de guerie. II altaqua les convois,
et s'etant rendu maltre du plus grand navire, les deux
autres s'enfuirent; ce qui lui donna lieu de prendre les
vaisseaux de la flotte, charges de bl^, de goudron et
d'autres marchandises qu'il amena h Dunkerque.
Le moment est arrive maintonant de renverser I'echa-
faudage sur lequel reposent los quelques anecdotes ab-
surdes que, soixante a qualre-vingts ans apies la mort de
notre cell'bre heros, d'ignares faiseursde romans histori-
quesont forgcessur soncomplo. Nous lespasscrons toutes
sous silence, nous contentaut d'en citer une seule, qui
somble avoir un peu de vraiscmblance « Pendant que
Jean Bart, dit Richer, etait i Bergen, un Anglais qui
commandait deux vaisseaux y aborda, alia dans un lieu
public, oil les eirangers avaient coutume de se rendre
pour se rafralchir. Aperccvant un hommedont I'air fier
et determine, la taille haute et robuste le frapperent, et
I'entendant parler facilement anglais, il eut la curiosite
de savoir qui il etait. Les gens auxquels il le demanda lui
repondirent quo c'etait Jean Bart. « C'rsl lui que je cher-
che, dit-il. — C'esl lui-memc, » lui rcpondit-on. Cet
Anglais lia conversation avec lui. Apres un entretien
assez court, il lui dit qu'il le cherchait, qu'il avait envie
d'en venir aux mains avec lui. . Celaesl tres facile, lui
repondit Jean Bart, j'ai besoin dc munitions cl partirai
missilol (juejen aurai rff«- — J" ^'"us altendrai, » lui
repondit I'Anglais.
.■ Lorsque Jean Bart eut tout prepare pour son depart,
il averlit le capitaine anglais qu'il mettrait h la voile le
lendemain. L'Anglais repondit qu'ils se battraient quand
ils seraient en pleine mer, mais qu'etant dans un port
neutre, ilsdevaient se traitor reciproquement avec amilie,
et I'invita a dejeuner le lendemain .'i son bord, avant de
partir. Jean Bart lui repondit : . Le dejeuner de deux
ennemis commevous et moi qui nous rencontrons, doit
ctrc des coups de canon^ des coups de sabre. • Le capi-
taine anglais insista. Jean Bart otait brave, par conse-
quent incapable de bassesse. II jugea du capitaine anglais
par lui, accepta son dejeuner, se rendit a son bord, prit
un peu d'eau-de-vie, fuma une pipe et dit au capitaine
anglais : • II est temps dc partir. » L'Anglais lui reparlit :
« Yous eles monprisonwer.j'ai promis devous prendre
et de vous amcner en Anylcterre. » Jean Bart jota sur
lui un regard qui annoncait son indignation et sa fureur,
alluma sa meche, cria : A moi! renversa quolques An-
glais qui etaient sur le pont, et dit : . Non, je ne serai
pas ton prisonnier, Ic vaisseau va sauler. > Tenant sa
meche allumee, il s'olanca vers un baril de poudroqu'on
avait, par hasard, tiri^ de la sainte-barbe. Tout I'^quipage
anglais, .se voyant pres de perir, fut saisi d'effroi. Les
Francais qui fetaient dans les vaisseaux de Jean Bart,
I'ayant entenda, so mirent promptement dans des cha-
loupes, monterent h I'abordage du vaisseau ou il elait,
taiUerent en pieces une partie des Anglais, firent les
autres prisonniers, s'emparerent du vaisseau. En vain lo
capitaine anglais representa-t-il qu'il etait daus un port
neutre, Jean Bart I'enleva et le conduisit h Dunkerque,
II laissa au port de Bergen I'aulre vaisseau anglais qui
n'etait pas complice de la trahison du capitaine- •
11 est bon dobserver cependant que pour tout marin
le baril de poudre qu'un avait , par hasard, lire de la
sainte-barbe, est une absurdite. Car il faudrait admettre
que CO baril fiit decouvert, ce qui seraitune absurdileplus
grande encore. Une autre version pri'tend avec plus de
vraisemblance que Jean Bart s'olanca h I'eau, et qu'ii scs
oris ses fideles malelots accoururent. Quoi qu'il en soit,
cette seule anecdote senible tout a fait, quant au fond,
dans les limites de la possibililo. II n'en est pas de meme
pour toules les autres plus ou moins burlesques que cite
Richer , et qui tendent^^ faire de Jean Bart un porson-
nage houffon et grossier.
En 1693, il se trouva commander le vaisseau le
Glorieux, de 62 canons, sous les ordres de Tour-
ville, et assisla a la brillante affaire de Lagos, qui
vengea la marine franciiso du dcsastre de la Hogue. II
JEAN BART.
173
se scpara ensuilc de la (lotic, et ayant fait, prfes de Faro,
la rencontre de six navires hollandais, il les fit cchouer
et les brilla.
Rentre h Toulon, il rerut bienlot I'lirdre de venir a
Duiikerque prendre Ic commandemont de six fregates
destini^es h ramener de Vlecker en France une tlotle
chargce de blii. II fut aussi heureux (ju'cn 1691 et con-
duisil heureusement son convoi a sa destination au travers
de nombreux vaisseaux ennemis. Le \o decembre de la
meme annee, il prit encore pres des bancs de Flandre
trois fregates anglaises qui escortaient des bJtimenls por-
tant des munitions de guerre de Norwege en Angle-
terrc.
Le 28 juin de I'annse 1C94, Jean Bart partit de Dun-
kerque pour aller au-devant d'une llolte chargee dc ble.
Le lenderaain, entre le Texel et la Meuse, il renconira, a
douze lieues au large, huit navires de guerre hollandais
dont I'un portait le pavilion de contre-amiral. La Qotte
de grains etait lombee entre leursmainsetdejii ils avaient
amarine tous les vaisseaux qui la composaient. Jean Bart
assembla son conseil k deux portees de canon des vais-
seaux ennemis ; le combat fut decide, bien que les
chances ne fussent pas egales, et Ini-meme aborda le
contre-amiral Hyde de Frise monte de 58 pieces de
canon. En une demi-heure il enleve ce navire apres lui
avoir tui5 ou bless(5 cent cinquante honimes. Le contre-
amiral rerut dans cette action un coup de pistolet dans
la poitrine, un coup de mousquet dans le bras gauche,
et trois coups de sabre a la tete. Deux autres navires de
50 et de 30 pieces de canon tombeient en son pou-
voir; les autres prirent la fuiterTiotre inlrepide marin
s'assurn aussilot du convoi, amarinases prises et rentra
glorieu-scment dans les ports do France.
Le roi, pour recompenser Jean Bart de cette action, lui
accorda des lettres de noblesse et lui permit de placer
une lleur-de- lis d'or dans I'ecusson de ses armes. II fit
aussi frapper une medaillepour transmeltre ^ la poslerite
le souvenir du combat du 28 juin IG94. On y voit la
proue d'un navire qui est au bord de la mer, et Cer&s sur
le rivage, tenant des epis. Apres la prise du convoi,
le ble. qui valait trente livres le boisseau, tomba a trois
livres. C'est ainsi qu'un seul homme fit renaitre par sa
biavoure la joie dans sa palrie, qu'une disette inouTe
avait plongee dans la desolation.
Voici un trait qui prouve le degre d'exaltation qui
ri'gna durant cette cclebre bataille; nous le rapporterons
d'apres Richer.
« Un jeune marin provcncal R^ dit-il, une action qui
merite d'etre rapportee. Joan Bart dil, en abordant le
vaisseau contre-amiral des Hollandais, qu'il donnerait
dix pistoles a celui qui lui apporterait le pavilion de
contre-amiral, et six k celui qui lui apporterait le pa-
vilion de poupe. Ce marin s'elance avec les autres sur le
vaisseau ennemi, monte au grand mat pour enlever le
pavilion; le contre-maitre I'apercoit, et lui tire deux
coups de fusil dont I'un lui perce la main, I'ailtre la
cuisse. Le marin d'un sang-froid presque incroyable en-
veloppe sa main avec son mouchoir, et sa cuisse avec sa
cravale, continue de monter, enlfevele pavilion, s'en fait
une ceinture, descend et va sur la dunette pour enlever
le pavilion de poupe. II I'a deja detacheSi moitie, lecontre-
maitre I'apercoit encore et lui porte un coup d'espoiilon.
Le marin se rolourne, prend une hacho d'armes qu'il
porle i son c6t(^', en donne un coup du pio au contre-
maitre, lui cr6ve un oeil, le renverse par terre, continue
de detacher le pavilion, I'ajoute a sa ceinture et va les
porlor tous deux i Jean Bart, qui lui donne la recom-
pense promise. •
Au mois de novembre suivant, Jean Bart partit de nou-
voau avec son escadre pour aller en Norwege chercher
un convoi de ble qu'il ramena a Dunkerque, sans ren-
contrer dans sa route un seul vaisseau ennemi.
Les Anglais et les Hollandais ayant, en 1693, fait des
preparatifs immenses pour renouveler leur tentative de
detruire quelques-uns des ports francais, leur armee
navale parut le 14 juillct devant Saint-Malo, qui lancait
chaque jour sur eux tant d'intr^pides corsaires. Le lende-
main, elle jeta sur la ville neuf cents bombes, dont cinq
cents porterent. Dix a douze maisons seulement furent
brulees, et trente-cinq ^ quarante endommagees. Jugeant
alors I'impossibilitederecueillir des resullats plusimpor-
tanls, I'escadre mit a la voile le 1 5 et vmt mouiller devant
Dunkerque. Mais Jean Bart etait Ik, qui par ses habiles
manoeuvres et le feu bien nourri qu'il entretint dans I'un
des forts, obligea bienlflt I'ennemiti seretirer, apres avoir
jetc dans Dunkerque douze cents bombes et tirt' deux
mille coups de canon qui ne firent pas pour cent pisloles
de dommage.
Tel est le tri.ste re.sultat que recueillirent, apres des
frais immenses, les Anglaiset les Hollandais pour se ven-
ger de la vdle celebre dont lesheroi'ques et terribles cor-
saires leur avaient cause tant de desastres depuis trois
siecles.
Louis XW, pour recompenser ses nouveaux services,
accorda a Jean Bart une pension de deux mille livres, et
eleva son fils au grade de lieutenant de vaisseau , ([uoi-
qu'il n'eut alors quedix-huit ans.
A cette epoque, Louis XIV voulut faire quelque diver-
sion en Angleterre en faveur de Jacques II; mais I'expe-
dition echoua. Jean Bart recut I'ordre d'aller croiser
avec son escadre dans le Nord. II sortit de la rade de
Dunkerque, Te 17 uiai , h dix heures du soir, malgre
quatorze vaisseaux qui s'y trouvaient pour emptVher sa
sortie. Apres trente et un jours de croisicre, il jnignit une
floUe hollandaise de quatre-vingls batimenls, escortee par
cinq vaisseaux de guerre qu'il attaqua aussilot et qu'il
enleva apres un combat tres-opinialre. 11 etait occupe k
capturer le convoi, lorsqu'une escadre de douze vaisseaux
de guerre hollandais arriva vent arriere. Jean Bart retira
alors ses equipages des prises qu'il avait amarinees, fit pas-
ser Ions ses prisonniers dans I'un des vaisseaux de guerre
qu'il renvoyacnHoIlande,mitle feuauxquatreautres;et ce
ne fut que lorsqu'il eut vu la derniere de ses quatre prises
consuinee jnsqu'k la quiUe qu'il mit & la voile devant
I'cnnemi confondu d'une telle audace. Pour rentier dans
les ports de France, il lui fallut encore passer h travers
trente-trois vai-sseaux anglais et hollandais. Louis XIV,
digne appreciaCcur des hommes qui illustr&ienl son rcgne,
cHeva Jean Bart, a la suite de cette campagne, au grade
de chef d'csradre. II etait alors age de quarante-six ans
et domi.
On a pretendu h tort ou a raison que ce fut Louis XIV
lui-meme qui apprit a Jean Bart cette nomination en lui
disant : 'Jean, llarl , je vntis ai fail chef d'cscadre, • et
que rinlrepide marin lui fit cette reponse devenue ccle-
bre : ■ Sire, vuiis avez bien fail. ■ Si Jean Bart a rcellc-
176 JEAN
ment fait cette reponse, cela prouvc qii'en homme supe-
rieur, qui a la conscience de ce qui! \aut, il a exprim^
avec une belle naivete rintime pressenlinicnt de ses
forces.
Quelques mois apr^s, le prince de Conii ayant ete elu
roi de Pologne, Jean Bivt seid fiit jugfi capable de la pe-
rilleuse mission de faire passer Ic prince ^ travers une
mer couveiie d'ennemis. A cet clTet, il fit armer six fre-
gates, les plus fines voilieres qu'il put Irouver, mil k la
voile dans la nuil du 6 au 7 septembre, et, le 26 du
BART.
nieme mois, cntra en rade de DaiUzick. A son arriv^e, le
prince de Conti apprit que son competiteur avail dejii etc
couronne ; il crut alors ne pas devoir poufser plus loin ses
pretentions, et fit inimediatement rcmcttre a la voile.
Jean Bart le ramcna en France avec autant de bonheur
qu'il I'avait conduit.
La paix signee a Riswick, en 1697, lermina la corriere
maritime de notre lieros , qui n'avait ete qu'une longue
suite d'exploits. II en profita pour se reposer , au
milieu de sa famille, des fatigues qu'il essuyait depuis
e-l/Ifl- t£«,1Ai'
Jean Bait s'elanci
ml haril de poiidri
un temps considerable. Mais la mort du roi d'Espagne,
Charles II, qui nomma par son testement le due d'Anjou,
petit-fils de Louis XIV, unique b^ritier de la monarchic
espagnole, amena une conllagration generale. « Le roi,
dit Faulconnier, qui s'attendait bien a une rupture, avail
envoye des ordres dans les ports de France d'armer les
vaisseaux de guerre qui y etaient, et particulierement ii
Dunkerque. L'on y travailla aussitot k armer une esca-
dre qui devait i^tre comniandee par M. Bart, a qui le
roi avail envoye un fort beau vaisseau de 70 pieces
de canon, appeli5 le FendanI, fort bon voilier, nou-
vellement construit au Havre, et sur lequel notre illustre
marin devait se meltre a la tSte de cette escadre. Ce
brave officier , ravi de monter ce navire, travailla avec
tant d'activite a mettre ses vaisseaux en etat d'aller en
mer, qu'il fut surpris d'une pleuresie qui le mil au
tombeau, le 27 avril 1702, a I'Age de cinquante-deux
ans, regrctte generalenient de tout le mondeet particulifc-
rement du roi, qui savait bien qu'il ne Irouverait qu'a-
vec peine un officier de sa capacity, pour remplir un
poste aussi difficile que celui de ce port. •
Telle fut la Rn de cet homme celebre qui, apres avoir
He respecte par le canon des bataiUes, mourut au foyer
domestique. • II avail, dit Faulconnier, son contempo-
rain, la taille au-dessus de la mediocre; le corps bien
fait, robuste et capable de resister a toules les fatigues de
la mer. II avail les traits du visage bien formes, les yeux
bleus, le teint beau, les cheveux blonds, la physionomie
heureuse el tout a fail revenanle. II avail bcaucoup de
bon sens, I'esprit net el solide, une valcur ferme et tou-
jours ^gale. II 6tail sobre, vigilant et inlrepide : aussi
prompt k prendre son parti, que de sang-froid k donner
ses ordres dans le combat, oil on I'a toiijours vu avec
cette presence d'esprit si rareet si necessaire en de sem-
blables occasions. II savait parfaitement son metier, el
il I'a fait avec tanl de desinteressement, d'approbation el
de gloire, qu'il n'a du sa fortune el son elevation qua sa
capacite eta sa valeur. »
Le corps de Jean Bart fut enterr6 dans le chceur de l;i
paroisse de Saint-Eloi de Dunkerque ; on y lit encore
cette epilaphe sur la pierre tuniulaire qui est adossee
contre la niuraille lalerale de cette eglise :
D : 0 ; M.
Cy gist messire Iban Babt,
en son vlvnnt eke/ d'escadre des nrmees novates dn Toy,
chevnlier de Vordre militaire de Saiiit-Louis,
nali/de cede viLle de Dunkerque,
decede le 27e d'avril 1702, dnns la 52e annee de son age,
don/ it a ete employe vingt-cifiq au service de sa Majesle ;
el
Dame Mahik lACftUELiSE Tuggb sa/emme
aussi native de cette ville,
qui mourut le i /eerier 1719, (igee de 5b ans.
Prie: Dieu pour leurs Cimes.
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FUANrt:.
i"
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
. 1 out a coup, apresavoir
J .lepasse Crancey, la Seine
Vieunit tous ses bras dis-
■? |ierses et devient un fleu-
ve imposant, des lors na-
■^ vigable; son courant ne ren-
contrant plus d'obslacle devant elleen
aval, elle coule desormais libre et
forte. Ello baigne, apres Crancey, le
bourg Ires-antique de Ponl-sur-Seine.
C'esI pres de cette localile que I'ar-
mee d'Allila fut delruile par Aelius. Chilpe-
ric y rampa quand il marcha a la rencontre
de Sigebert, campe lui-meme k Arcis-sur-
Aube. Pont-sur-Seine fut donne par Louis XIII h Louise
de Guise, veuve de Francois de Bourbon, prince de Conti;
elle le vendit au surinteiidant Bouthillier de Chavigny, qui
y fit bitir un chateau magnifique sur les plans de Lemuet;
il se composait de quatre corps de billimenl a deux eta-
ges synietriques, ayant aux angles des pavilions carres.
Sous I'empire, ce chateau appartenait h la mere de Napo
leon; cet honneur causa sa mine; il fut briile et detruit
par les allife, et le bourg n'echappa point aux fleaux de
I'invasion. Mais, comme Mery, il put se relever de ses
mines.
Pour reparer tant de mallieurs, Louis XVIII donna a
ce bourg important le titre de ville, et lui iniposa le noni
de Pont-le-Roi. Mais, en depit de lavolonte royale, Pont-
sur-Seine relint son ancien nom, donl il etait si fier, et
n'en conscrva pas moins, du reste, le titre de ville.
Non loin de la Seine, a Test de Pont-le-Roi, se trou-
Vuc Jti Pdraclel.
vent de grosses pierres brutes dont quelques-unes ont
jusqu'a vingt-quatre pieds de circonference. Ce sont ou
ill's autels druidiques, ou des monuments eleves par At-
liki sur le champ de bataille pour y faire des sacrifices.
On rencontre encore dans les environs des monuments
que Ton a preteiidu faire passer pour des tombeaux re-
mains; mais les armureset les medaillesqu'on y a trouvees
n'attestent pas une origine aussi reculee. Aprfes le village
de Marnay, la Seine envoie vers la droite le canal de Cour-
tavant, qui permet a la riviere de Villenose d'etre navi-
gable. Puis, se partageant en deux bras dont le moins
important prend le nom deVieille-Seine, elle se divise en-
core en plusieurs branches et inonde les vastes prairies qui
s'etendent au nord de Nogent et de Bray ; I'autre se di-
ll.
rigo vers Nogent et recoit I'Ardusson, petite riviere pleme
de souvenirs.
C'est sur les bords de ces eaux tranquilles que trouva
un asile, apres ses malheurs, le celebre Abeilard, qui
fut I'objet de tant de persecutions. II s'y bftlit une pe-
tite chapelle en feuillages qu'il nppela le Paraclel, .suit
en I'honneur du Saint-Espritauquelon I'accusait injuste-
ment de ne pas croire, soit par allusion au mot grec pa-
raclfsis, consolation, parce que c'(5lait le premier lieu
oil il eut pu trouver un refuge contre les poursuites do
ses ennemis. Mais la liaine et la mcchancete vinrent en-
core le tourmenler dans cet endroit, oii son talent ,
d'ailleurs, n'avait pas tarde a lui atlirer une foule de dis-
ciples.
I 12
178
J'ETITS VOYAGES
Oblige de qiiitler sa letraile, il appela Heloise, qui ac-
courut avec ses rcligieiises et y fonda la rtltbre abbaye
du Paradet. Apies la mort d'Abeilaid , HcloVse obtint
e corpi! de son epuiix, qu'on liii rapporla de Chalons, et
unjnieme tombeau reunit enfin apres lour mort deux iri-
fortunes que la falalili' avail loujours, pendant leur vie,
tenus sepaies.
Nogcnt-sur-Seine nous offre bion d'autres souvenirs.
C'est une petite ville, sur les confins de la Champagne, qui
apparlint au neuvieme sitcle aux abbes de Saint-Denis,
puis passa au doniaine royal, dont elle fut distraite par le
surinteudanl BoulhiUier de Chavigny, qui la vendit a la
famille de Noailles, dont le chef fut le dernier proprie-
taire de cette cite'.
Napoleon etait h Nogent en 1814 lorsqu'il apprit que,
dedaignant les negociations quidevaient servir de base
aux negocialions du congies de Cbatillon, les allies, a
I'insligalion de I'Angleterre, voulaient que la France ren-
tiat dans ses limilcs de 1792. Irrite de pretentions si
excrbitanles, Napoleon reprend I'offensive, defait I'ennemi
dans cinq affaires, le culbute partout, car a cbaque endroit
ou il clait, dans cette derniere et douloureuse lulte conire
la fatalite, la vicloire lui reslait fidele, ou plututsend)lait
^tre hon esclave. Mais il ne pouvait pas se multiplier, et
I'ennemi, repousse sur un point, revenait sur un autre.
.\vant de quitter cette ville pour secourir une autre po-
sition nienacee. Napoleon la mit a I'abri d'un coup de
main. Les maisons qui regardaient la campagne furent
crenelees, des artifices furent prepares pour faire sauter
les ponts au besoin Le general de Courmont fut charge de
la defense cts'en acquitla honorablement. Pendant trois
jours Nogent resista a I'armc'e du prince de Schwarlzem-
berg, et ses defcnseurs ne I'abandonnferent qu'a la der-
niere exireniile, c'est-<i-dire apres avoir fait sauter les
ponts, qiiand les maisons etaient cribleis de boulets et
que la vilJe n'etait plus qu'un inonoeau de ruines.
Les ponts de Nogent, ele\ es sur les dcssins de Peron-
net, Etaient remarquables par la beaute de lear construc-
tion et la bardiKise de lours \oul«s : on y voyait une
arche admirable, de trente-lrois metres d'ouverture. —
La ville a ele rebitic entierement, elle nolfre plus de
traces des ravages qu'ellc a souUerts. Elle a de jolies pro-
menades sur lesbords de la Seine, et un petit port plein
d'activite. Les deux bras du fleuve sont bordes de bois,
de jardiiis, de villas; la \erdure, les aibres el les maisons
de plaisance abondcnt siirtout dans une petite lie eutou-
r^e par ces eaux riantes et calmes.
Apres Nogent, la Seine presente le mJme aspect ; h
gauche ce sont des collines qui la retrecissent, a droito
-ce sont des plaines basses et aqueuses qui setendent jus-
qu'a Bray, et il travi-rs Icsquelles elle continue k se re--
paiidre sans obstacles. Ces lerres d'alluvion, larges de
plusieurs lieues, produisent de tres-bons fourrages dont
I'exc^dant est expedie par eau ii Paris.
C'est h Nogent meme que la gi-ande route de Dijon h,
^aris s'^corte du fleuve pour traverser Provins et le pla-
teau de la Brie. Mais la route royale de Mezicres it Or-
leans suit loujours la rive gaucbe de la Seine jusqu'a
Montereau, et sert de lisiere a une cbaine de coUines qui
borde la vallee sans interrirplion.
La Seine arrose ainsi la Molte-Tilly et Courceroy, quittc
a VilliiTS la Cbainpagne et le deparlement de I'Aube
pour entrer dans la Brie et dans le deparlement deSeine-
et-Marne. La petite riviere de Loirin .sert de limites a
ces divisions geographiques et so jette dans la Seine par
une double embouchure; I'un de sps bras arrose I'extre-
mitede ViUiers. X la bauleur de Noyen, le Oeuve forme
uno ile immense, ombragee par des bois, et s'elevant au
sein de prairies qui, comme toutes les plaincs d'alen-
tour, sont exposees aux inondations. Quelquefois mt^me,
la vallt^e, large de plus do trois lieues, offre I'aspect d'un
grand lac dont la surface est dominee par la cime des ar-
bi'es submerges.
La Seine va baigner ensuite le village de Jaulnes, dont
le nom indique peut-iHre la couleur du teirain oii jl est
situe. C'est la, disent les hisloriens, (jue se livra une
grande balaille entre Charles leXlhauve ct Louis le Ger-
nianique d'un cole, et Lotbaire, leur fiere a!ne, de I'au-
tre. Cette balaille fut suivie du combat de Fonlenay qui
finit la qucrelle. Le carnage fut horrible dans ces deux
journees; ou porle a cent mille hommes le nombre des
morts. La noblesse de Champagne y fit despertes enormes,
elle y p6rit presque tout entiere. Aussi est-ce depuis
cette epoque que fut introduile en cette province la cou-
tume que Ic ventir anoblit, bizarrerie asspz choquante
au point de vue legal, mais qui avail ioi une cause et une
application glorieuses.
Apres avoir quitte .laulnes, la Seine entre a Bray, la
premiere ville qu'elle ait rencontr^e depuis sa sortie de
la Champagne. La Brie, par laquelle elle passe, vers le
sud, etait rangee par les Bomains dans la quatricme
Lyonnaise. C'etail un pays renipli de for^ts, qui donnait
une grande quantite de bois de construction pour les na-
vires, et s'etendait du confluent de la Seine et de la Jlarne
jusqu'au ducbe de Bourgogne. Certains etymologistesont
reconnu avec Ducange que le pays de Bray et de Brie ve-
nait du latin corrompu Brata ou Braium, qui designe
le limon fertile depose par des eaux abondantes sur leur
passage ; mais il n'est pas possible de faire deriver ce
menie nom d'Abri, par allusion aux forets qui couvraient
le pays, et par opposition au nom de la Champagne, qui
signifie terre basse et ouverle. Cette seconde c'lymologie
u'esl pas plus applicable a la ville de Bray, qui a le m6me
nom latin que Brie-Corate-Rubert, silue au pied d'une
petite colline, aujourd'hui comme autrefois denuee de
lout ombrage.
Cette ville, dont I'origine remonte aux Remains, faisoit
partie du domaine des comtes de Champagne, ct depen-
dait de la Brie champenoise. Thibault, le quatrieme comte
de ce nom, la ceda a saint Louis, aux successeurs duquel
elle apparlint ensuite, jusqu'en 1404, oii elle futachetee
par le roi de Navarre a Charles VI. Puis, par une autre
venle, elle passa au comte de Dunois, el echut par un ma-
nage a la maison de Nemours; enfin, elle fut vendue au
president de Mesme, et passa par une alliance k la famille
de Morlemart.
Apres la ville de Bray, la Seine arrose Mony, ou elle
reunit tons les bras qui, avant Nogent, s'^taient ichap-
pes de sa rive droile. A ce confluent arrive la Voulzie,
petite rivifere qui n'cst pas sans mouvement, et qui ali
mente un grand nombre d'usines a Provins et aux envi'
rons. La valine du fleuve, moins marccageuse en cet en
droit, est aussi moins large. Entre laTonibe et Marolles,
la Seine recoit la petite riviere appelec la Vicilte- Seine
puis roule ses Dots dansun lit borde k droile de collines,
et h gaucbe de prairies assez etendues.
i
SCR LES UlYIERES DE FRANCE.
179
Enfin, nous entrons k Montcreau, oil I'Yonne vient se
reunir S la Seine ; aussi la ville recut-elle le surnom de
Faut-Ymine, du mot ftiiil, Iroisii'nie personne du siiigu-
lier du present de rindieatif du verbe faillir; on eflct,
c'est \k que I'Yonno vieiit a manquer. Quant au nom de
Montereau, on le fait deliver de Monasleriolum, pelit
monastere; telle est la double donoinination de la ville,
qui avail un convent h remboucliure de I'Vonne. Cette
riviere , qui descend de la pailie orientale du depar-
tenient de la Nievre, est deja tlotlable en trains depuis
Clamecy, et navigable depuis Auxerre ; elle baigne Jui-
gny, Sens, et entre a Villeneu\ela Guiard, dans le de-
partement deSeine-et-Marne, oil elle n'a pas cinq lieues
de cours.
Les environs de Montereau olTrent un beau pays de
cliasse : les rois de la premiere race y venaient tres sou-
vent pour se livrer ii ce divertissement. Us y avaient en
outre uiie maison de plaisance. Moret et Fontainebleau
ont ravi depuis lonsjlempstousjces honneurs a Montereau,
qui a conserve une autre espece de celebrite.
C'est, en effet, sur le pent de cette ville, terrain en-
sanglante plusicurs fois par de tragiqucs souvenirs,
qu'eut lieu la trop famense conference entre le dauphin
(Charles YII) et Jean-sans-Peur, due de Bourgogne.
Craignant quelque embiche, ce dernier hesita longtenips
i quitter Bray et a se rendre a Montereau. Mais les con-
seils de la dame de Giac et les soUicitations pressanles
du dauphin surmonlijrent ses scrupules , et il vint
i I'entrevue. II y fut assassine perfidement par Tan-
neguy Duchilel, lui qui n'avait pas craint d'en finir par
le m^me moyen avec le due d'Orleans.Tanueguy Ducha-
tel lui chercba querelle a l)insligation de Charles, et lui
fendit le cr^ne d'un coup de hacbe.
Pendant longtemps I'epee du prince resla suspendue
dans I'eglise de Montereau; elle disparut a la revolution,
et depuis cette epoque elle a ete remplacee par une au-
tre epee en bois. Les restes du due furent pcrtes a la
chartreuse de Dijon, et sa tf'te, donl le crJne moule fi-
gure au musee ou aux archives de cette ville, oCfrait en-
core au siede dernier les traces de son epouvantable
blessure. Francois I", en la voyant, reraarqua, dit-on,
que le Irou semblait bien grand. > C'est par ce Irou-lit,
« repondit un moine, que les Anglais sont enlrcs en
« France. » En effet, ce meurtre n'eut d'autre resullat
que de ranimer la fureur des guerres civiles et d'omener
une nouvelle invasion etrangere.
Le pent de Montereau a ete en quelque sorte purifie
par Napoleon. C'est la que le grand capitaine accomplit
un de ses actes les plus glorieux, et foudroya d'une ma-
nlere terrible les enneniis du p^iys, qu'il eorasait presque
en merae temps sur les bords de I'Vonne et sur ceux de
la Seine. Deja vainqueur a .Mormant et a Nangis, il vou-
lut pousser plus loin ses succes, et il atlaqua a Monte-
reau le prince de Wurteniberg, qui, apres la prise de Mo-
ret, avail concentre ses forces dans les plaines situ^essur
le coufluent de I'Vonne et de la Seine. L'ennemi recula
etonne et demanda la paix. Mais la mauvaise eloile qui
presidait depuis trois ans a sa destinee engagea Napo-
leon a rejeterces propositions qui pouvaient lout sauver
peul-fitre.
Quoique la Seine soil navigable depuis Mery, et bien
Cfu'elie ait recu I'Aube et la Voulzie, elle a encore si peu
d'imporlance qu'on la nomme dans ces localites Petile-
Seine, et que la navigation s'y trouve souvent inlerrom-
pue il I'epoque de la sechcresse. Elle ne devient reelle-
ment importante que par sa jonctiun avoc I'Vonne. Ea
cet endroit, sa rive droite est bordee de collines qui ca-
client anx yeux les plaines fertiles de la Brie, cou\crtes
de moissons jaunissantes. La rive gauche a un aspect
tout diilerent. Le sol y est aride, plein de rochers et
de bru;eres. De la le nom de Galine, donne ancienne-
nient i> la contree ; Gatine deriverait, diton, par corrup-
tion, du mot vaslo, vaslave, ravager. Mais le travail et
I'indnstrie ile Ihomnie ont \aincu celtc slerilile funeste, et
snr les cutcaux qui se succedent depuis Varennes et la
Grande-Paroisse, et qui semblaient destines par la nature
a ne produire que des ronces et des planles sauvages, on
voits'i'lever des treillesmagnifiques dont les fruits exquis
vonl couvrir nos fables les plus recherchees.
A trois lieues au-dessous du confluent de I'Vonne, la
Seine recoil le Loing, petite riviere qui vienl de Saint-
Sauveui, dans le departement de I'Vonne, et dont le
cours est de trenle lieues; elle alimaiite le canal de Loing,
qui joint la Seine a la Loire. Ce canal fut creuse sous
Henri IV, qui en eoncul lui-meme le projct. II commence
a Buges, au-dessous de Montargis, else forme de la reu-
nion des canaux de Briare et d'Orleans, qui viennent de
deux points diflerents de la Loire; il suit le cours de la
riviere du Loing, qui s'avance a droite ou a gauche, et
avec laquelle i! se confond souvent ; puis il entre dans le
ifcpartement de Seine-et-Marne ; tons deux pa-tent en-
suite a Nemours et a Moret, et se jellent ensemble dans
la Seine vis-a-vis de Saint-Mammcs.
Pri's de leur confluent on voit des fondations appelees
le Vieux-Morel, sur les anciennes limites du Gatinais et
du Hurepoix. Ces ruines sont peu apparenles, elles re-
monlent a plus de douze siecles. C'est li peut-6tre qu'etait
la villo, le bourg ou le liameau de Lulo-Fao ou Leucofao,
efface maintenant de la carte et presque des souvenirs de
I'histoire. Cette localile a ete confondue avec Dormelles-
sur-Orvane, ou Theodoric, roi de Bourgogne, et Theode-
bert, roi d'.\ustrasie, livrei-ent une bataillea Clotaire, roi
de Paris.
La Seine, grossie par le Loing, couleji travers une val-
lee i'troite bordee de coleaux dont la cime se couronne
de bois. A gauche apparait la lortH de Fontainebleau, k
droite s'elevent celles de Valence et de Champagne, vieux
restes de ces forets primitives dont jadis furent couvertes
les Gaules , principalement la Brie et le Gatinais. Sur
la lisiere de ces forets sont les villages de Champagne, de
Thomery, qui possede d'admirables treilles, et de Samo-
reau, qui domine le fleuve. En face de ce dernier, la
rive va en s'elargissant sur la gauche, et il s'en ^chappe
une etroite vallee qui semble d'abord se perdre au sein
de la forM, puis se prolonge et court jusqii'a Fontaine-
bleau, qu'on distingue dans le fond, entre deux coteaux
couronne de vignes.
L'horizon devient plus borne sur la Seine ; il se res-
serre encore quand le fleuve passe sous le pent de Va-
lois, monument du presque entierement a la munifi-
cence de Louis Will, qui'fournil tousles bois necessaires
a sa construction. Ce pent en a remplacc^ un plus ancien
dont les ruines apparaissent plus has, sous Samois et He-
ricy, villages situes a mi-route de Moi-et ii Melon. L'im-
porlance de leur position sur les deux rives du fleuve s'e-
tait fait sentir avanl la fondatiou de Fontainebleau ; elle
08
PETITS VOYAGES SUU LES lUVlERES DE FRANCE.
ful perdue qnnnd die dcrniere villc sorlil de terre.
Oil a donnc le nom de Samois a la plus anciennc porle
de Moret, ce qui a fait supposer ix ce village une anti-
quite fort reculoe. Quand Louis le .Icune fit bStir la cha-
pelle de Saint-Salurnin, qui fut I'origiiie de Fontaine-
bleau, il accorda a cetle fondalion, par une charte de
4169, six muids de vin, mesure de Samois, Ji prendre
dans son clos d'Hericy. Si le vin y ilrfmiK. dit la charle,
il sera supplee par celui d'Hericy. Cela prouve en tout
cas combien e-it anrienno la reputation de ces vignobles.
C'est pres de Samois que se noyerent en se baignant les
deux comtes de Sancerre, freres jumeaux de la race royale,
nes le mcme jour, morls dans la ni^me journee, el inhu-
mes dans la meme tombe, ii I'abbaye de Barlieau.
Le village d'Hericy fut autrefois une petite ville ornee
de mnrs dont il reste quelques traces. 11 communiquait
avec Samois par nn beau pont de pierre dont les ruines
subsistent encore. La construction en est attribute aux
Remains, el la demolition a Luuis XL qui I'aiirait fait ii-
(ruirc dans le but de se garantir des invasions des Bour-
Viie di! MoiiliTt'.iii
guijiions, avec lesquels il etait en guerre. L'ancicn clii-
teau d'Hericy appartenait a la famille d'Hcnriette d'En-
tragues, qui poss^dait aussi dans les environs le chateau
de Graville. On trouve dans ce dernier un tour de lit et
quelques nieubles dii temps.
Sur la rive droite de la Seine, a I'an^le forme par deux
coleaux, dont I'un suit le fleuve et I'aulre un petit ruis-
reau qui s'y jelte, s'elevait autrefois la celebre abbaye de
Barbeau, fondee par Louis 'VH ii Seine-Port, au-dessous
de Melun, et transferee en cet endroit sur les limites du
territoire d'Hericy et de Fonlaine-le Port. On ignore le
veritable motif de ce'.te fondation, qui fut faite avec une
magnificence toule royale. On a dit que Louis VH avail
eleve cette abbaye en memoire d'un barbeau pecbe en
cet endroit et dans les intestins duquel on trouva une
pierre precieuse. On a pr6tendu, d'un autre cote, qu'il
avait fait biUir Barbeau sur les instances d'Alix de Cham-
pagne, sa seconde femme, pour remercier Dieu de lui
avoir donn6 un fils, Philippe-Auguste; mais il y a la une
errenr, puisque ce prince est ne en H65, c'est-a-dire
vingtansapres la fondation de Barbeau.
L'eglise de I'abbaye poss6da le corps de Louis VII, qui
avait demande a ^tre enlerre. Charles IX eut la curio-
site de faire dteouvrir sa tombe, et on trouva le corps as-
sez bien conserve. Le cardinal de Fustemberg restaura
le lombcau avec le plus grand soin ; I'ubbe de Rastignac,
dernier titulaire de cetle abbaye, qui possedait bien d'au-
tre> monuments remarquables,le fitreconstruireensuiteen
entier. Mais, depuis, tout a 6te detruit et nivele. L'feglise
a i'tc demolie, et les b^timents du cloitre furenl donnes,
sous le regime imperial, a la Legion d'honneur pour en
faire une maison d'education dostinte aux orphelines de
cet ordre glorieux. Tout cela estdevenu la propriete d'un
simple parliculier.
Au nord de Barbeau commence la foretqui couronne la
coUine et s'etend jusqu'a Fontaine-le-Port, village situe,
comme I'abbaye, h I'emboucluire d'un petit ruisseau.
En cet endroit le lleuve change de direction ; il court
vers I'ouest, passe au liameau de Massoury, sur la lisiere
du JJuisson du m6me nom, et ^'a arroser Charlrettes. On
s'est ba.se sur uno prelendue etymologie fort pea eupho-
nique pour avancer que ce nom, qui signifiait toutsim-
plement pctil cliulcau, s'etait forme des deux mots cliere
relraile; ce qu'il y a de vrai en cela, c'est que rien n'est
plus agrfeable que ce village. De sa position elevte sur la
rive droite de la Seine, on jouit d'une vue delicieuse qui
s'etend ju.squ'^ la partie nord de la forfit de Fonlaine-
bleau. A Chartrettes, on voit le chateau du Pre, nne des
nombreuses maisons de plaisance que posseda Gabrielle
d'Estrtes. A. L. Ravergie.
LES AVENTCKliS BIZARRES DE M. DE COGNE-FETU.
in
m mmm mmu m i. m mmm,
COME IIOKAL.
CllAPlTRE I.
La am lie CoBne-FOio. — »I. de Cosne-F#Iu.
Je vous prosente M. de Cogne-Folu p6re.
C'est un petil liomme qui grisoniic et qui petille; il
couil, il va, il vient eomme une loupie, — et il i:orle
une grosse canne sous le bras.
Runlier depuis trenle ans, il s'est trouve fort cmbar-
rassi' du bcsoin d'activite qui le dihore. II a fini, faute
de micux, par TappUquer aux chases les plus communes
de la vie ; — s'il sort pour se promener, il renlre aprcs
avoir fait dix licues; — s'il gralte la terra avecsa canne,
il finitpar y pratiquer une fosse de six pieds.
Une fois, il a essaye d'un emploi quelconque dans un
ministere. II brisait par jour deux paquets de plumes,
rossait troisgarcons de bureau ct brouillait tous les folios
des registres. — Au bout d'une semaine, il avait otfert sa
demission.
Du roste, c'est le mcillcur homnie du monde; il a etc
eleve [dans d'excellents principes. — II se trouvait avec
I'oncleFrejus. On pau\re diable lesaccosle. M. de Cogne-
Fi'lii pcre.
Fetu avait oublie sa bouise, et, comme I'oncleFrejus
n'a jamais d'argent, — il lui donna le chapeau de I'oncle
Fit'jus.
Par exemple, si vous le regardez d'un air mechant, il
vous passera sa canne au tra\ers du corps.
Je vous en averlis.
Madame de Cosne-Ffin.
Madame de Cogne-Fetu est devant vos yeux.
M. de Cogne-Fetu I'a epousee I'liiver dernier, parce
qu'il n'avait pas autre chose a faire, — et qu'elle-ni^me
I'avait dcfie de lui offrir sa main.
C'est une femme de taille ordinaire. Henry Monnier a
fait d'elle vingt portraits. Bile se lient la tete haute ct les
pieds en dehors. Elle porle un chapeau a plumes les
dimanches et sait bon nombre de rccettes centre les
lirulures.
Sa vivacite est pour le moins aussi grande que celle
(le son epoux. Si bien que lorsque monsieur et madame
de Cogne-Fetu se prominent ensemble, I'oncle Fr6jus
a toujours le soin de so tenir a distance, de peur qu'en se
choquant ils ne viennent a prendre feu I'un I'autre et
que I'incendie ne se propage jusqu'a hii.
Or, I'oncle Frejus craint extremement les incendies.
Cette respectable dame, qui ne conipte pas moins que
quarante printemps.est sur le point dedonner un iKirilier
au nom desCogne-F^tu.
Mtijjmo (le Cu^iic-rulu,
L'uitcie Frejus.
Voici venir I'oncle Frejus.
L'oncle Frejus est le personnage le plus veitueux qui
se puisse e.\traire des nielodrames de I'empire. II a beau-
coup connu M. Marty, et il fait ses delices de la sociiSte
de M. Moessard, — artiste de la Porte-Saint-Mailin et
prix Montyon.
L'oncle Frejus est grand et sec. II porte une perruque
blonde qui lui descend sur les yeux. — En revanche, sa
physionomie respire I'onction et la niansuetude.
L'oncle Frejus ne manque jamais d'aller voir lever
I'aurore. — II fait peu de bien, mais il pourrail en fane
da\anlage. Malheureusement il ne met jamais d'argent
dans ses poches, il craint les voleurs. Les voleurs respec-
tent si peu la vertu, — quand elle est riche!
L'oncle Frejus n'a jamais contredit personne. II est
lonjours de I'avis de son beau-frere contre sa soeur, ou
de sa soeur contre son beau-frere, a moins cependant
qu'il ne soil de leur avis muluel sur chacun d'eux; ce
qui lui arrive maintes fois dans la nirme journee.
L'oncle Frejus a le nez barboudle de tabac, ce qui est
le propre des gens vertueux. II est eternellement mum
d'une tabaticre de corne, qui lui vient en ligne directe
du valet de chambre de I'abbe de I'ftp^e. — II ne lit
aucun journal, dans le but de conserver sa vue.
L'oncle Frejus n'a pas d'Sge.
182
LES AVENTUR
Expltcallonfi, que plusleurs jjii^eroni ii<>cessalres, Bur
rorigliie flu mot Cogiic-F^iu.
M:unlenant que vous connaissez les personnages do
cctte vciridique liisloire qui va sederouler sous vosyeux,
— je puis entrer librementen matiere.
Car je ne suis pas de ces auteurs qui vous racontent
tout simplcmpnt I'histoire de Pierre oil de Stanislas, sans
vous dire au juste de quel Stanislas ou de quel Pierre il
s'agit. Loin de la.
J'imagine done avec plaisir que lorsque \ous verrez
passer mes acteurs dans la rue, vous n'eprouverezaucune
hesitation k dire :
Voici monsieur de Cognc-Fetu ;
Voici madame de Cogne-Fetu;
Voici I'oncle Frejus ;
Bien qu'ils aient peu vieilli depuis ce temps-la ;
Car men liistoire date — de ce temps-la.
Un mot encore, je vous prie. II y aura des gens assez
taquins pour prctendre qu'on ne s'appelle pas Cogne-Fetu.
C'est parce que je connais la malice humaine que je dois
m'attendre ci tout do sa part; — aussi vais-je d^truire
cetle objection avant qu'on ne I'ait soulevee.
On ne s'appelle pas Cogne-Fetu, grand Dieu! Mais
comment s'appellerait-on, de grfice'? Cogne-Fetu a-t-il
quelquB chose de deplaisant en soi? Au contraire. Cenom
sent la boniiecompagnie a une lieue, et la particule qui le
precede en releve merveilleusement le gout. 11 n'est pas
vraisemblable, diles vous. Aliens done! Et que diriez-
vous, s'il vous plail, si je m'avisais de marcher sur les
traces de Voisenon, qui raconte avec un grand serieux
les avenlurcs du prince Je ne sais comment avec la prin-
cesse Nc vous y fiez pas, dans le royaumede A"?m;)oj7e
ou? Voila qui est bien autre chose. Cogne-Fetu est, ce
mesemble, infinimenl plus presentable que ces noms-la.
D'ailleurs, pour achever de vous convaincre, je vous
dirai que Cogne-Fetu prend son origine d'une terre sise
dans le Gevaudan.
Ceci pos^, — va done pour Cogne-Fetu.
Oft l'in»trOC coinniencc.
Depuis quelques mois, M. de Cogne-Fetu se laissait
bercer par les doux nives que faisaitnaitre dans son iime
Vapproche de la palernite. II regardait complaisamment
sa femme et causait avec I'oncle Frejus en lui 6pargnant
les invectives donl il raccablait d'ordinaire, — ce qui
fait que celui-ci ne laissait pas que d'etre visiblement
embarrasse de sa personne. Lui, I'elernel conciliateur
des deux puissances conjugales, se trouvait chfimer
d'emploi. II ecoutait benoUement les louanges adressees
de pait et d'autre au fulur nourrisson, et, dans un mo-
ment d'entrainement, it avait ete jusqu'a promettre de
lui acheter une carriole et un cheval de bois. — En
v6rit6, il ne pouvail faire moins pour sa filleule.
Je dis sa filleule, — parce que M. de Cogne-Fetu avait
decide que son heritier serait une herititre; et comme
sa femme, par extraordinaire, avait ete de son avis,
I'oncle Frejus s'etait range vitement k leur opinion. II
itait pret 5 le soufenir devant le monde entier.
— C'est une fillf^, avail dit M. de Cogne-Fetu, et comme
nous nous y altendons, elle sera la hienvcnue. Ah! si
c'etait un garcon, cela me plairait infiniment davan-
tage. Mais je ticns h ne pas etre desappointe ; je vous
ES BIZAUKES.
repfeledonc, Frejus, que c'estune fille et pas autre chose.
Et lorsque I'oncle Frejus, qui n'avait jamais compris
ce raisonnement, voulait hasarder la moindre reflexion,
M. de Cogne-Fetu ajoufait d'une voix terrible :
— Une fdle, Frejus, une fdle!
Et I'oncle pacifique se taisait, en jouant avec sa laba-
tiere de corne.
Tous les soirs, auprte du feu, se balissaient pour le
marmot d'innombrables chateaux en Espagne.
— 1 Ma fdle, disait le pere, ne fera point une pctite-
maitresse comme Ton en voit tant; ce sera une femme de
tete, et je veux lui montrer la geometrie.
— Pourmoi, dit I'oncle Frejus, si elle se conduit bien,
je Jui achi;(erai un cheval de bois el une carriole, vers
rSge de trois ans.
— Je pretends, disait la mere, qu'elle soit gracieuse
comme une grande dame et qu'elle fasse la r(''verence
comrae uneniailresse de piano.
— Pour moi, dit I'oncle Frejus, je lui achelerai une^
carriole et un clieval de bois, si elle se conduit bien, vers
I'Sge de quatre ans.
— Elle n'aura point de vapeurs, ajoulait le pere; une
education virile me plait; je lui ferai faire des armes, et
elle tirera le pistclet comme Saint Georges.
— La broderie, replii|uait la maman, sicd on ne peut
mieux aux jeunes fdles. Je lui montrerai le crochet et le-
plumetis.
— Pour moi, dit I'oncle Frejus, vers I'iige de cinq ans,
si elle se conduit bien, je lui achelerai une carriole et un
cheval de bois.
— J'aime h voir uno jeune personne s'^lever au-dessus
de son sexe. Elle expliquera Vauban a livre ouvert et
elle sautera les fosses sur un biilon.
— Je .serai sa premiere maitresse. Je suis siire qu'elle
mettra tous ses soins k m'obeir. Pauvre angel chere
\alhalie!
— Pour moi, dit I'oncle Frejus, je lui achetcrai, vers
rSge de six ans
Mais il fut interrompu par un soubresaut de M. de
Cogne-F(5lu.
— Nathalie! Nathalie! s'ecria -t-il ; el pourquoi Na-
thalie plut6t que Fm/f'jfonrfc, madame'? Me feroz-vous
I'amitie de me le dire? Nalhalie, un nom de sauleuse....
— He! de grJce, fit I'oncle Frejus.
— Et poiirquoi, dlt madanic de Cogne-Felu en s'ani-
mant, ne s'appellerait-elle pas Nalhalie? En quoi ce noni
cst-il si nialsonnant, je vous le deinande?
— Doucement, ma sceur.
— Je trouve asscz etiange, conlinua M. de Cogne-
Eetii, la pretention de disposer de ma fille sans men
consontement ; sans doule, ce n'est rien encore de la
noDinicr, vous I'eleverez dans vos priucipes et vous la
marierez a votre guise.
— PrecistMiienl, repliquait madame; Nathalie epousera
un avocat, et c'cst nioi qui ferai le mariage.
— Un avocat! Frt'j us, I'avcz-vous bien entendue? un
avocatl 6 extravagance des femmes ! Mon gendre sera
banquier ou je perdrai mon nnm.
— Un banquier! Fri'jus.coniprenez-vousbien'? Homme
interesse! il trafique de sa fdle pour de I'argent, il la
sacrifio au veau d'or.
— Ilola ! criait I'oncle Frejus, la paix, la paix !
— Madame de Cogne-Fetu, je vous montrerai que je
suis Ic maitre a la fin.
— Jlon clier beau-frere!
— Monsieur de Cogne-F(5tu, je vous ferai voir que ma
fille est il moi.
— Ma chere sceur I
I.'oncle Frejus eourait, essouffle, de I'un a I'autre,
comme un volant eritre deux raquettes.
— Ahls'erria madame dcCogne-Fetu, peut-on trailer
ainsi une femraedans un(^tat semblable au mien! Quand
je pensc, Frejus, que c'est vous qui m'avez conseille ce
mariage !
— Peut-on s" montrer deraisonnalile a ce point! Fre-
jus, je vous en voudrai toute ma vie!
— IJuclle union pesante I Frejus, le ciel vous en de-
mandora comple.
— Vous qui me vantiez sa douceur, FrSjns !
— Vous ne tarissicz pas sur son caraclfere. Voyez
maintcnant quelle tyrannie ! quelle cruaute! Alil mon-
sieur, il taut que vous n'ayez point de pitie dans I'iime.
DE M. DE COGNE-FETU. 185
bonnaire. SI. de Cogne Fetu se pendit ;i tons les cordons
de sonnette en gc^missant.
— Qu'ai-je fait? s'ecria-t-il; mon naturel m'a encore
emporte. Pauvre petite femme! Adele, Josephine, de-
lacez votre maitresse.... Ah! Frejus, c'est vous qui etes
cause de cola. Soignez votre sceur, man ami, et faites ma
paix avcc elle Je vais alter me promener. Ces scenes me
font ti-op de mal.
On emporia madame de Cogne-Fetu. — Son bouillant
epouv, re.sle seul sur le champ do bataille, jeta une der-
nifere fois autour de lui un regard oii le repentir le dis-
pulait ti la victoire, et apres s'etre muni de sa canne, il
quitta d'un air pourfendeur le theitre de ses exploils.
Une lieure apres cetle crise, madame de Cogne-Fetu
mctlait au monde le hcros de notre livre.
L'attiqnc de lerf?.
Une pareille scene, dans ma position... Je vais avoir
dcs attaques de nerfs, c'est sur... Ah I
— .iu noni du ciel, dit I'oncle Frejus, ne vous en avisez
pas!
— A'l'e... oh! ah! ah !
Et madame de Cogne-Felu, en se debatlani, alloni;ea
plusieurs coups de pomg dans le visage de I'oncle de-
Koire lioros nail irop (d(.
II naquit trop tot, — cefat son premier tort.
Jamais enfant nes'annonca par de plus feroces piaille-
ments. Jamais Jupiter n'ebmnla de plus de cris la voOite
azuree.
L'oncleFrfejus en fiit abasourdi.
Keanmoins, il le trouvacharmant.
M. de Coffiic-F*lH so dispute avoc un coolier. — II est
rejoiiil par Tonclc Frojus. — Cf qai sVusuil. — Epaiiclie-
menis du ewur. — Kcpi'iMC des liosiiliio*.
L'oncle Ff^jus courut toute la journee a la recherche
de M. de Cogne-Felu, pour lui apprendre I'evenement
heureux qui perpHuaitsa race. — II le trouva se dispu-
tant dans la rue avec un cocher de lutecienne auquel il
reprochait impelueusemeiit de lui avoir crie gare sans
ajouter I'epithele de monsieur.
— Concoit-on cela, Frejus, et avez-vous jamais rien
vu de comparable a I'impudence de ce drole?
— Ah ! Dieu suit loue , je vous trouve enfin.
— Laissez-moi lui donner de ma canne sur les reins.
C'est I'alfaire dedeux secondes.
— Si vous saviez
— Le maroulle I le ruslre! le belitre I
— C'est a nepasy croire....
— Mais je le retrouverai... nuniero 312... relenez-le
bien, Frejus.
— Je suis Of cle!
— Ilcin? fit M. de Cogne-Felu en le regardant de la
tete aux picds ; qu'est-ce que vous diles done? oncle de
qui, oncle de quoi?
— Parbleu ! de I'enfanl que le ciel vicnt de vous en-
voyer.
— Deja ! dit M. de Cogne-Felu stupefait; diable d'at-
la([uo de nerfs !
— Rassurez vous, loul le monde se porle a merveille.
18i
LES AVENTURES BIZARRES DE M. DE COGNE-FETU.
— All! Frejus, ah! nion ami! rcmolion me suffoque.
Comment, je serais pere! CoiiroiisI vite. Feiulex-vous,
fendez-vous, Frojiis, vous allez comme un hanni-'lcn.
— Un lianneton, un hannelon... nous couions comme
dcs gendarmes.
— Preparez-moilesprit. II faut vousarracher les mols
de la boiicho. Quel homme lerrible vous lailes! Vous ne
m'avez rien dit encore de cet enfant. Fst-ce une fille?
— Non.
— Un garcon?
— Non.
— Comment, non? serait-ce un enfant a deux teles?
— Non, miUefois non!
— Quoi done '! Quoi donc?Quoi done? fitM.de Cogne-
Fctu en pietinant d'impalience.
— C'est un rds! — Vous m'ahurissez, vous ne me
laissez pas le temps de parler. Hclas! oui, c'est un fils,
et vous vouliez une fille. C'est un mallieur.
— Mais au contrairc, vivent les fils!... Frejus, en Sles-
vcus bien sur ?
— Sans doute.
— Vous me le jurez?
— Certainemenl.
„1 1. lu
— Ah! courons. Mon cher Frejns, pr.'ssez le pas. Un
rds, quel lionheur! Chere femmel Cher oncle! — Je I'ap-
pellerai Clolaire.
— AVe ! aie !
— Qu'est-ce done?
— Ne contrariez pas ma soour; elle veut le nommer
Alphonse.
— Alphonso? jamais.
— Songez a son etat.
— Vous avez raison. J'aurai I'air de C(!der, — mais je
I'appellerai Clotaire.
On etait arrive. M. de Cogne-Ft^tn ne fit que troisen-
jamb^es de I'escalier. Unefois chezlui, il selaissa lomber
sur un fautenil, domin(5 par I'explosion des sentiments pa-
ternels, jusqu'alorsinactifs dans son cfeur.
Tout a coup uneporte s'ouvrit —et Josephine apparut
tenant dans ses bras, enveloppe de lange*, I'herilier des
CogneFetu. Dissimulant sa joiesous uneapparence digne
et ri5servi'e, I'heureux pere s'avanca vers le marmot.
Puis il le considera longuement.
— Frejus, ne Irouvez-vous pas qu'i! me ressemble?
— 11 y a le nez, dit I'oiicle avec bonhomie.
— Ft la bouche?
— La bouche aussi.
— Et le menton?
— Le menton encore.
— N'est-ce pas?
— II y a meme les yeux, ajouta I'oncle Frejus.
— Les yeux ! les yeux ! le pauvre petit ne saurait les
ouvrir. VoilS comme les fiatteurs t^garent les hommes.
Josephine! allez me chercher du vin et une gousse d'ail.
— Qu'en voulez-vous faire"?
— Frejus, si vous aviez lu la vie d'Henri IV.vousm'e ■
pargneriez cette question. — Venez le tenir unpeu.
L'oncle Frejus s'avanca avec precaution et rccut a son
tour le precieux fardeau. — M. de Cogne-Felu, ayant
pris unair solennel, frotta d'ail les Ifevresdu nourrisson. 11
voulut ensuite le faire boire, mais ce fut plus difficile, et
il ne reussit qu'^ I'inonder de vin. L'enfanI, trouvant la
sensation disagreable, se mit a beugler avec fureur. De
plus, et faisant preuve d'une vigueurpeu commune dans
un age aussi tendre, il donna du revers de la main dans
le verre que tenaitson pere et le fit choir sur le plancher,
ou il se brisa en plusieurs morceaux.
— Le petit driile aura du caraclere! s'ecria M. de
Cogne-Fetu enchante !
— Oui, ilest joli le caraclere! murmura sourdement
l'oncle Frejus, qui avait recu sa part du vin renverse.
En ce moment, madame de Cogne-Fetu ayant envoye
reclamer son fils, on se rendit dans sa chanibre et Ton fit
cercle autour de son lit. — L'oncle Frejus raconta I'epi-
sode du verre, en epongcant son habit marron avec un
mouchoir.
— Pauvre enfant! dit la mere. Cher Alphonse! que
cela est bien de sa part !
M. de Cogne-Fetu palit.
— Ne la contrariez pas, lui dit l'oncle Frejus en le li-
rant a part.
— Soil, repondit-il; mais vous, qui serez son parrain,
prometlez-moi de le nommer Clotaire.
— Eh bien.... jevousle promets.
— Je coniplesur votre parole.
— .Ah I mon Dieu ! dit madame de Cogne-Fetu en sur-
saut ; mais j'y pense, rien n'est pret, ricn n'est dispose
pour cet amour nous n'avons pas m^me de nourrice.
Frejus, mon bon frere, il faut que vous nous trouviezcela.
— II y a, dit M. de Cogne-Felu, des biberons fort
commodes qui sunt recommandes par tous les journaux.
— Voulez-vous un biberon"? demunda l'oncle Frc'jus.
— Point du tout, rt'pondit la mere, une nourrice, une
bonne nourrice jeuneetbienporlante, rien qu'une nourrice.
— Remus et Romulus, observa M. de Cogne-Felu, fii-
rent allait(!'s piir une louve.
— Preferez-vous lalou\e? dit l'oncle.
— Mon frere, ne I'ecoiitez pas. Nous n'avons que faire|
de tousces animaux. Une nourrice, je vous prie.
— Allons, Frejus, ce que femme veut, je le veux. Allezl
chercher une nourrice et promeltez-lui de bons gages.!
Rien n'est trop cher pour Clolaire.
Ici madame de Cogne-Fe'tu s'agita sous ses couvertures.i
— De quel Clotaire parlez-vous? dit elle.
— Paibleu ! de noire fils.
Mais un coup d'a'il de l'oncle Frejus arrela rindiscretl
beau-frere, qui, pour ne point sortir dcs goiids, s'esquival
prudemment de la chambre.
LES CROI
— Frejiis, dit gravemenL madame de Cogno-Fetu,
avjiit de partir il faut me proniettre une chose. Vous se-
rez le panain de mon enfant, jurez-moi que vous le nom-
merez Alplionse.
— Je vous le promets, repondit-il.
— C'est bien, je suis tranquiile, allez maintenant.
Et le congediant d'lin air inajestueux, madame de
Cogne-Fi'tu lira ses rideaux.
— Diable ! diU'oncle Fri'jus, en se gratlant I'oreille,
j'aurals pourlant bien voulu I'appeler Magloire.
Gomnieiil I'onrle Frtjus sordi d'euiliarraR.
Toutelait prepare pour la solennile du bapleme.
La matinee qui pr^ceda re grand acte religieux vH
I'oncle Frejus lout a fait en dehors deson assiette habi-
tuelle. II semblait doming par une preoccupation puis-
sanlequi I'isolaitdes evi^nemcnts ambiants. On eiit ditun
savant accable par I'obscurite d'un problfeme et s'aven-
turantau milieu dediverses routes pour en decouvrir la so-
lution. — Quelquefois un eclair illuminait son regard :
il croyait entrevoir le biais desire, mais un nuage obscur
lui succedait rapidement etie rcplongeait dans d'epaisses
l^n^bres. Les voituies arrivaient.
II se laissa conduire dans I'une d'elles. Mais h mesure
qu'on approchail de I'eglise, il 6tait facile de voir que
son inquietude allait en augnientant.
La ceromonieconimenca.
L'oncle Frejus faisail passer sa labatiere de sa main
' droile dans sa main gauche, el vice versa. II marmottait
SADES. 183
quelques mols de lalin d'un air plein d'effroiet s'clTacait
aulant quo possible derriere un pilicr.
Le prelre lui demanda :
— Comment nommez-vous I'cnfant?
L'oncle Frejus jeta les yeux autour do lui. Son beau-
frere priait devotieusement. II se remit un peu et s'em-
pressa de repondre :
— Je ne sals pas.
— Comment, dit le pr^tre, vous ne savez pas?
— Non, je vous assure.
— N'etes-vous pas son parrain?
— II est vrai.
— Quel est votre nom alors?
— Magloire... mais
L'oncle Frejus se pencha h I'oreille du prctre, et lui
paria bas.
— Bon! c'est facile i arranger.
Etil baptisa I'enfant.
M. de Cogne-FtHu arriva trop tard pour entendre le
nom qui lui avail ete donne. Mais quand, rentre chez
lui, il interpella Toncle Frejus d'un :
— Ell bien! comment s'appelle-t-il?
Celui-ci repliquasans hesiler :
— Clotaire.
II est vrai que lorsque sa sceur lui fit la mSme ques-
tion, il ne manqua pas de repondre avec aplomb :
— Alphonse.
En cela, lecher onclen'avail menti a personnc.
L'enfant s'appelait CLOTAiiiE-Ai.PnoNSE-MAGLomE de
Cogne-Fetu. Charles Monselet.
ETLDES SIR LE llOYEX AGE.
LES CROISADES.
CONSIDERATIONS GENERALES.
Les croisadrs sont un deschapitres les plus imporlanis de I'histoire du moyen age. Pour
les bien .comprendre, pnur se penetrer de rinlluence qu'clles ont cxercee non-seulement
sur I'epoque qui leur est contemporaine, mais encore sur les temps qui les ont suivies, il
f.iut, ou consuller les histoires parliculieres auxquelles elles sont melees, ou compulser les
autcursqui en ont fait le sujet special de leurs recherches et de leurs ouvrages. Dans le
pn niier ras, examinees an point de vue de I'histoire des pays qui y ont pris part, les croisades revelent des aspects
contradictoires, et elles nedeviennent que I'accessoire du sujet principal auquel elles se rallachent ; dans le second cas,
186
LES CROISADES.
rimmensitd des iWlails dans lesqurlsles historiens speciaux
des croisadcs out cru iiccessaire d'eritrer, elTraie le rommun
deslecteurs, el, quel que soil Ic lalent reconnu des auteurs,
empJche qu'une intelligence peu ,exereee ne saisisse les
causes, les elTels et les ev^nements principaux des guerres
saintes. C'est en vue d'eviler ce double ecueil que nous
avons entrepris ces premieres Eludes sur le moyen Sge.
Les dissentiments religieux ont entrain^ hors des limi-
tes du vrai lous les auteurs qui se sont occupes de I'ap-
pr&iotion des croisades. Les catholiques ont loue I'esprit
et les resultals de ces pieuses enlreprises; ils n'ont vu,
dans rimpulsiun donnee paries papes et dans le devouc-
ment passionne des princes d'Europe, qu'une sainle exal-
tation degagee de tout mobile mondain. Les protestanls,
au conlraire , et avec eux les ecrivains appartenanta 1'^-
cole de Voltaire, ont mis tout ensemble en question la
sinccrit6 et le desinteressement des uns et des autrcs.
Ceux-li font deriver des croisadcs une foule d'avantages
que rien ne contrebalance; ceux-ci leur denient toute in-
fluence favorable sur les temps qui les ont suivies. 11 est
malheurcusement dans la nature de I'homme d'exagerer
tout, le bien comme le mal, de niesurer a I'echellc de ses
preventions ou de ses prejug6s les causes et les effets,
d'exalter le principe qu'il defend, de rabaisser celui qu'il
attaque. Ne reverrons-nous done jamais apparaitre un
historien candide qui pese d'une main loyale le pour et
le centre, qui, ne se preoccupant que de la verite, m.ir-
cbe d'un pas ferme dans le droit chemui qui y conduit,
donne tort a ceux qui ont tort, raison a ceux qui ont rai-
son, sans acception des personnes, sans acception des
eroyances? Au defaut d'un plus digne, nous essaierons,
dans les esquisses que nous tracerons, de tenir la ba-
lance entre les divers auteurs que nous avons consultes'
et mis plus d'une fois h contribution.
Lorsque I'etendard de Jesus-Clirist se de.ploya pour la
premiere fois, un saint enthousiasme fut le seul mobile
des chefs et des soldals. Aucune preoccupation mondaine
ne se joignit k la pieuse exaltation des premiers croises.
L'Occident ne se pr&ipila point sur I'Orient pour obtenir
quelques avantages materiels, pour ob^ii a quelque n6-
cessite politique : delivrer le tombeau du Sauveur , ou-
vrir aux pelerins le libre acces des lieux saints, telle fut
1 unique pensee de la premiere croisade, de Termite qui
I'inspira comme du pape qui la precha , des princes qui
la giiiderent comme de la multitude qui les solvit en
arborant sur Tcpaule le signe de la Redemption. Diek le
VEUT ! lei fut le vcliicule, le cri de guerre, le mot de ral-
liement do tous. Slais si le desir de delivrer la Terre-
Sainte anima et domina exclusivement le premier et le
dernier des glorieux cbampions de la Croix, Godefroi de
Bouillon et saint Louis , d'aulres mobiles nioins purs di-
rigerent la plupart des chefs qui prirent part aux croLsa-
des intermediaires. Pour beaucoup denire eux, le Saint-
Seiiulcre fut le pretexte plutot que le but de leur devoue-
menl. L'ambition pour les uns, I'avide desir de la gloire
pour les autres ; la soif des richcsses pour ceux-ci , ou
des honneurs pour ceux-lk; une arriere-pensee pour
• Nons cIlLTons enlrc ;iiitres : aiifliaiid, Histoire des croisadcs; Mills liis.
lory of the Crusudcs ; Wilkeii's Gcscbiclit« der Kreuiziigu ; Becker's Wcll-cs-
chichlc; Bclim's Al>iiss dor Gcschichlc des Miltcldlcri ; HJlam's View ot
the sUleu of Europe during llie n'ddlc a^rcs ; Gilhiiiis'. Decline and fail of llie
roman empire; Guiiol, Essais tiisloriques ; Heereii, Voltaire, Daniel, Moiites-
ijiiieu. Capetigiie, Sismonde de Siimondi, Cartu, Roberlson, MachiftTct, Art
de verilier les dales, etc., elc.
tons : voilh k quoi fut dil cet ardent enthousiasme qui,
depuis la secondc croisade jusqu'ii la derniere exclusive-
ment, couvrit de tant d'ossements les rives du Jourdain.
En faisant abstraction des principes d'une saine politi-
que, d'apres lesquels les croisades, considertjes comme
entreprises miUlaires, utaient une lourde faute, un depla-
cement inutile, une sterile depense d'hommes el d'argent,
reconnaissons done que le sentiment religieux, pousst; &
ses plus extremes limites, guida seul les compagnons de
Godefroi de Bouillon et ceux de saint Louis. Les premiers
atteignirent le but : J(>rusalem fut d^ivree, I'etendard de
la Croix Holla sur ses murailles, le tombeau du Sauveur
fut rendu h I'adoration des Fideles. Mais ce qui devait
assurer le triomphe de la sainte cause, fut precisement ce
qui en prijpiira la mine. Godefroi, dans la puretii de son
zele , se retusa a porter la couronne royale dans les lieux
oil Jesus avait portt; la couronne d'fpincs. Celle sublime
abne'gation, ce noble desinteressement, ne furent point
imites par sessuccesseurs. Godefroi ne s'etait occupe que
d'un tombeau; les Bauduuin, les Amaury, les Lusignaa
ne se prcoecuperent que d'un royaunie : le Sainl-Sepul-
cre ne fut plus pour eux qu'un accessoire de leur cou-
ronne. Voyez quelles furent les consequences de ce chan-
gement dans les idees : les croises avaient triomphe des
Musulmans lorsqu'il ne s'etait agi que de delivrer la Pa-
lestine ; ils succomberent a diverses reprises lorsqu'ils ne
furent plus conduits en Asie que par le diisir d'y maintcnir
un royaunie.
Quanl les ambitions per.sonnolles eurent ete mises en
mouvcment par la fundtition du royaume de Jerusalem,
de la principaute d'Antioche, des comtes d'Ldesse, de Tri-
poli, etc., les croisades cesserent d obeir a une impulsion
unique. Des partis se formerent, la division se mit entre j
les chefs, ehacun voulut Iravailler pour soi, tout en fei-
gnant de Iravailler pour la Religion. La soif des honneurs J
et des richesses enfunta des trahisons. Apres s'etre cru j
dispenst; de tenir parole aux infidelcs, on en vint a man- j
quer defoi aux fideles. Alors, malgre les renforlsamenes'
par de nouveaux croises — et , peut-etre meme , h cause
de COS renforts, — chaquejouron perdit quelque portion
du lerriloire si cherement paye. Jerusalem letoniba au
pouvoir des Sarrasins; et, au point de vue du but primi-
tif, tout le sang chriJtien dont s'tjiait abreuve le sol de la
Palestine, se trouva avoir coule sans resultal, sinon sans
gloire. Puis, lorsque animii des mSmes sentiments qui
avaient conduit Godefroi de Bouillon a la victoire, saint
Louis s'elanca pieuscment, mais impolitiquemeiit, sur les
traces des premiers Croi.sfe ; lorsque, a deux reprises dif-
ferentes, ileonduisita la mortl'elite deses nobles etde ses
soldiits, il se tiouva qu'il elaitlrop tard pour que lasain-
tetii du but assiirul le triomphe de I'entreprise. Le pres-
tige etait detruit : les infidcles avaient apprisii vamcre les
Chretiens, etie saint roi paya de sa vie les falales erreurs
de ses devanciers.
Toutefois, on voudrait en vain le nier, si la cause ch»6-
tienne etait perdue en Asie, si le but des croisadcs nefut
pas atteint, d'immenses, d'inappreciables avantages diS-
coulerent des guerres saintes : on avait seme en .4sie, on
recueillit en Europe.
Al'epoque oil, a la voix de Pierre-l'Ermite, les popula-
tions so presserent sous I'etendard de la Croix, les habi-
tants de la vieille Europe etaient plonges dans les tt^nfebres
de I'ignorance, se debattaienl sous I'etreinte de la misere et
gcmijsaient sous 1e poids de leurs chainos. Le commerce
langnissait, ou plutot le commerce n'exislait pas. Venise
seule, erace a ses relations avec le Levant, concentrait
dans son sein et repandait parcimonieusement le peu
qii'ellc possedait de cotte source de la prosperilc des
Klals. Le rescau feodal, qui avait fini par s'eteiidre sur
LES CROISADES. «87
tonte I'Europe, livrait a la rapace ambition des grands
feirdalaires, d'un cole, le poiivoir imperial, d'un autre, le
pouvoir royal, parlout , enfin, cette multitude qui s'ap-
pelle le peuple. L'aulorite des papes, apres avoir servi
d'utile frein a celte licence, s'etait tellement accrue
dans la puissante main de Gregoire V'll, qu'aucunc li-
mile ne semblait plus la devoir borner. Places entre les
exigences toujours croissartcs du Sninl-Siege et les em-
piclements successifs des grands vassaux , les monarques
voyaient se retrecir de jour en jour davantage le cercle
lie leur influence. Les choses en elaient au poml que lout
semblait pres de perir en Europe, et que, s'appuyant
d'unp fausse interpretation d'un passage des Ecrilures,
chacim annoncail la fin prochaine du monde. Les croisa-
lies opererent seules le mouvement qui sauva la socieic
en la renouveljnt tout enliere.
Au son de la Irompelle sacrte, voyez la vieille Europe
snrtir de sa Iclhargie, briser I'cntrave feodale et se pre-
ripiler sur les pas de Gorlefroi. Toules ces populations
qui ne reverront plus leurs foyers appauvrissent momen-
lancmcnt, il est vrai, le sol de la patrie, qu'elles laissent
sans culture; mais qu'imporle oil le fer les moissonne,
puisqu'elles sont prccondamnees a perir par la guerre.
Mieux vaut encore que ce soil en Syiie, en Palestine,
plutot que daps les champs de leur pays, dans ces champs
dcvenus, depuis I'elablissement de la feodalite, le theatre
deseuerres qui ont desolechaquc royaume, chaque pro-
vince, chaquc ville, chaque bourgade. Au moiiis la
Eiance, rAUemagne, I'ltalie, rArgleterre se reposeront
de leurs longucs querelles, d'incessanis brigandages ne
les ccuvriront plus de sang et de ruine.<. Si les cpissont
plus rares, on les laissera du moins murir, et aux proprie-
taires des scmailles appartiendront les moissons. Cette
fculequi part pour la croisade, celte foule systematiqnc-
ment abrulie par I'oppression , va Irouvcr son al-
franchissemcnt sous la banniere de la Croix. En passant
a Byzance, elle rougira de son ignorance; en abordant
les splendides rivages de I'Euphrate, elle aura honte de
sa pabvrele ; a laspect des infideles, elle .sera fiere d'elre
chretienne, fiere de tirer I'epec pour la cause du Christ.
Les litains deviendront des gucrriers invincibles ; les
chevaliers, dis heros. Et, pendant que le sang des crui-
ses coule sur les bords du Jourdain ; pendant qu'un giand
nnmbre de leurs chefs succombe devant Solynie, le ri^seau
feodal voit ses mailles se briser Tune apres I'aulreen Eu-
rope. Cetle multitude de pelils fiefs que leurs proprielai-
res ont ete forces d'aliener ou d'cngager pour se mettie
en elat de fignrer dans les rangs des croises, les voila
qui font successivement retour a la couronne , car leurs
antiques possesseurs sont morts en Palestine. La feodalite
jelte d'ephemeres racines dans Tephemere royaume de
Jerusalem, et voila qu'en Europe ses vieilles racines
se dessechenl faute de seve, el mcurent: l'aulorite royale
s'enrichit de ses depouilles. Puis, lorsque les debris de
I'armee sainle reverront leur patrie, les seigneurs echap-
pes au fer des Sarrasins seronl animes d'un nouvel esprit.
Encore enivres des parfums de I'Orient. des delices ener-
vontesde cetlicureuxclimat.ils an ronl honte de leurs vieux
chateaux cri^neles, des maigres arbrcs de leurs forSts ;
c'est de Tor qu'il leur faudra, de I'or pour retrouver leurs
188 BOEIIF, TAUUE
delices el leurs voluples d'Asie ; et, poui- so procurer cot
or, ils vendront aux communes leur alTranchissement, aux
serfs leur liberie. I.es comtes, les barons, ces adversaires
redoutablesdu trone, lendronl maiiitenant les mains aux
chaines royales: a leurs vassaux ils ont vendu I'indepen-
dance, et les rois leur acheleront la leur.
A cote de ces avantages incontestables dus aux croi-
sades, placons les developpements donnes au commerce
et a la marine, I'amour des beaux arts, que Constanti-
nople inspira aux croises, en mSme temps qu'elle faisait
briller a leurs yeux leslumieres des sciences ct deslettres.
Les nations de I'Occident, separees depuis la chute de
I'empire carlovingien, se retrouvcrent en Asie, s'y rap-
procherenl et renoucrenl les liens brises d'une commune
origine. Ce furent les croisades qui enfanterent la cheva-
Icrie, sublime inslilution, gr^ce a laquelle la bonne foi,
la loyaute, la generosity devinrent les fidelcs compagnes
de la valeur : desormais les faibles ne seront plus sans
defenseurs. Ce fut a I'Orient que I'Occident dut les pro-
grte de sa civilisation : les chevaliers en rapporterent la
semence en Europe, etlarepandircnt dans les manoirs et
dans les chAleaux ; de la elle descendit parnii le peuple,
et, en s'y dfeveloppant, enta I'^lemcnt dt'^mocratique sur
relementmonarchiqueetaristocratique,seul,jusqu'a!ors,
en possession du pouvoir. Les antiques liberies commu-
nales rcQurentunenouvelle existence, crirentet fleurirent
h I'ombre des villes, gr4ee aux progres merveilleux du
commerce etdel'industrie. Lapropriete foncifere, acquise
et defendue par I'gpee, cessa d'etre runique source du
pouvoir et de la libei ti .- I'argenl enlra en partage avec
elle et lui fit equilibre.
Toutefois, on doit convenir que les avantages qui ri-
sultferent plus lard des croisades ne s'oblinrent qu'au
prix d'abus bien regretlables. Les generations qui prirent
part aux guerres saintes s'habituerent a repandre le sang ;
et une certaine fi^rocite s'introduisit dans les ma-urs eu-
ropeennes : apres avoir fait bon marcli6 de la vie des
AU ET VAC HE.
musulmans, on en vint a ne pas menager davantage
I'existence des Chretiens ; el, soil dans les guerres do
nation ii nation, soil dans les guerres intestines, la civi-
lisation qui s'infiltia graduellement en Europe ne suffit
pask neutraliserla barbarie des combatlants. D'un autre
cote, I'amour des richesses et des plaisirs descendit de la
haute classe dans la basse, et les tristes examples de de-
bauchfs (|ui' les croises rapport&rent d'Asie, exercerent
une funesle influence sur les moeurs de I'epoque, voire
nieme sur celles des epoques suivanles. L'agriculture eut
surlout a soull'rir de ces guerres (51oignees qui se prolon-
gerent en Asie pendant pies de deux siecles. On s'habi-
tua a preft^-er I'epee h la charrue; et ces habitudes belli-
queuses nuisirent plus qu'elles ne furent utiles au deve-
loppement de la prosp6rite publique. II fallut de tongues
annees avant que I'Europese remit du terrible ebranle-
ment cause par les croisades. Pendant bien des siecles
encore, la carriere des armes eut le dessus sur toutesles
autres, et le farouche soldat se crut bien superieur a
I'humble el utile laboureur, au paisible marchand et a
I'habile artiste. Disons done que les croisades ont fait
beaucoup de bien et beaucoup de mal ; mais que le mal
fut passager et que le bien fut durable.
Quelle difference entre ce que Thomnie s^me et ce que
Dieu lui fait recolter! Pour etendre leur influence, deja
si prodigicuse, les papes ont tentij d'assujeltir I'Asie a
leur domination ;et voila que, dans le million d'hero'i'ques
defenseurs qu'ilsont livres au glaive musulman, ils per-
dent les plusfermes soutiens du si(5ge pontifical. — Apres
avoir ete chercher sur des bords lointains les moyens
de peser plus lourdcment sur le trone, les grands vassaux
rapporlent a leur suzerain un coeur docile et des genoux
ob^issants. — Pour oblenir la remission de leurs peches,
d'humbies serfs s'etaient croises et avaientcouru delivrer
le Saint-Sepulcre ; et voilii qu'ils trouvent en Asie leurs
letlres d'affranchissement, et qu'ils rapporlent en e
le eerme de la liberie ! Cyprien de Lespan.
IIISTOIIIE XATURELLE.
BIEUF, TAUR.EAU ET VACHE.
Hloins vif, moins elegant, moins intelligent surlout que
le cheval , le bueuf est, sans contredit, pour I'homme,
le plus utile de lous les animaux, en comprenant la vache
qui est sa femelle.
Le bceuf et la vache font la richesse de noscampngnes;
ils sont les plus puissants auxiliaires de l'agriculture,
seule base d'une prospiSrite solide.
Pastourage el labourage sonl les mamellcs de I'Elal.
— Cette maxime de Sully ne sanrait etre trop meditce
par les hommes politiques ; elle est la regie de la sagesse ;
elle cree la puissance fondfe sur le travail.
Malgrt^ leur allure lourdeel rustique, peut-fttre nieme
i cause de cette allure, les bffiufs et les vaches don-
nenl aux paysages une grJice toute particuliere; soil
que, calmes dans leur force, ils chemincnt lentement dans
les gras paturages oil I'herbe s'^l^ve a mi-janibe; soil
que, couches k I'ombre des grands hclros, pendant les
ardours du jour, ils rumiiient avec impassibilile, landis
qu'nn petit pStre, un faible enfant, arme d'un scepire do
coudrier, veille sur ces redoulablessujets toujours deciles
a sa vois.
Lesvioux tableaux deWouwermans etde Paul Poller,
ceus de Brascassal, qui adectionnent surlout ces ani-
maux, sont generalenienl recherches.
De lous les quadrupedesdenosclimals lemperes, lebcEul
est celui qui poss^de au plus haul degre la force de trac-
tion -, son cou musculeux et court, sa large poitrine, s,i
masse ^norme, lui donnent une force irresistible, d'autani
plus puissante qu'il est plus patient et qu'il ne se decou-
lago jamais. Allele a une charrelte ou a la charrue, il
avance sans cesseet continue ses offorts avec perseverance j
jusqu'is ce que I'obslacle soil surmont^; sou seul d^faut
est dans la lenteur de ses mouvemonls.
Copendant, aux epoques paliiarcales on s'en .servait
pour voyager ; les rois de France eux-m^mes, dans les an-
BCCl'F, TAIREAU ET VACIIE.
18'J
ciens temps, Ics employerent 4 cet usage. Tout le monde
connalt lesvers de Boileou :
Quatre bffiuTs atfeli'S, d'ltn pas Urdifct V-iil,
Pru.inei'a'enl Jans Paris le monarijiie iiiJuViit.
En general, le joug que Ton impose au bopuf est place
sur le (los a la naissance du cou ; c'est la que reside sa plus
grande force, et c'est ainsi qu'il lire le plus utilement. II
existe cependiint plusieiirs provinces oil on place le joug
sur la tele, ce qui oblige le boeuf a tirer par les cornes.
Le boeuf a moins de docilite que le cheval, et 11 faut
bieii se gar.icr de le trailer avec rigueur lorsqu'on veut
I'habituer au labour; on doit, au contraire, le flatter de la
voix et de la main, lui donner une nourriture bien a son
goit, de I'orgo bouillie, des feves, en y ni^lant du sel, dont
il est tres-friand ; puis I'atteler pres d'un boeuf dejii dresse,
egal en force, avec lequel on I'habitue a vivre .i la mdme
mangeoire. Sans ces precautions, il deviendrait farouche
et indomptable, cc qui arriverait egalemeni si on se servait
Irop lot de I'aiguillon.
Les boeufs destines k la charrue ne doivent pas ^tre trop
gras ; on prefere ceux qui ont la tete courte, les cornes for-
tes, les yeux gros et noirs, le niufle camus, le front large,
la croupe ^paisse, la poitrine Ires developpee, lesjambes
nerveuscs. On s'en sert depuis trois ans jusqu'ii dix,puis
on les nourrit tres-largenient pour les engraisser.
Le laurcau que Ton conserve pour la reproduction de
I'cspece est fier, courageux, mais d'un earaclere farou-
che; il faut eviter de I'irriter par de mauvais traite-
ments et m6me de se presenter a lui avec des couleurs
qui lui deplaisent, parmi lesquelles le rouge tient le pre-
mier rang. On salt qu'en Espagne et en Portugal le peuple
est passioniie pour les combats de taureaux, exercices san-
glanls qui ont lieu dans de vastes cirques et qui ofifrent de
grands dangers pour les combattants.
Le taureau se developpe moins que le boeuf; il est
moins charge de chair; mais sa force musculaire est en-
core plus grande, do meme que ses mouvements sont plus
rapidcs et plus brusques.
Les vaches sont beaucoup moins fortes et plus dociles;
on les altelle tres-rarement h la charrue ; il faut paur cela
une necessite absolue. On pretend que les vaches noires
sont celles qui donnent le meilleur lait, et les blanches
celles qui en produisent la phis grande quantity ; mais il y
a lieu de faire des reserves Ji ce sujet. Les bonnes vaches
lailieres se rencontrent sous toutes les couleurs, lorsque la
nourriture est saine et abondanle, surtout quand on peut
y melanger un peu de sel, que ces animaux aiment pas-
sionnement, ainsi que le vin et le vinai?ie.
Une .seule vache est quelquefois la proviJence d'une
pauvrefamille, comme un nombreux troupeau est la vraie
source de riohesse pour une ferme. A combien d'usagcs en
effet peut servir le lait que Ton trait deux fois par jour!
Non-seulement, saine et douce liqueur, il rafraichit et
nourrit mais un morceau de presure le transforme en
cailles qui laissent pour residu le petit lait employe dans
la mi'decine ; la creme devient un beurre exquis comme
ceux de la Prevalais et d'Isigny; si Ton veut, elle se
transforme en jonchees et en fromage k la creme ; et les
homages aussi, quelle variete, depuis celui quise fabrique
dans les gras piturages de la Hollande jusqu'ii celui qui
nousvient desvallees de la Brie! II faudrait des volumes
pour enumercr lous les biens qui deeoulent de la posses-
sion de nombreux troupeaux.
La chair de la vache, moins recherchee que celle du
boeuf, n'en est pas moins un aliment tres-sain. Per-
sonne n'ignore la delicatesse de celle du veau. La peau de
ces animaux, tannee et corroyce, serta mille usages dans
le commerce et dans les arts; de leurs cornes on fail une
ecaille grossiere comme on en fit les premieres vilres
avant que I'usage du verre se filt eneralise ; les os ser-
vent a faire du noir animal, si utile our les raffineries et
I'agriculture ; I'huile de pieds de euf est du meilleur
emploi pour les mecaniciens qui;.-! lillent le fer.
190 BCEUF, TAUREAU ET VACHE.
Ces animaux sont de I'ordi'C des ruminanls, o'est-ii-dire
qu'ils out plusieurs cstomacs. Conlrairemunt au cheval,
ils mangent Irte-vite, et loi'squ'ils oat rerapli le premier
estouiac, qui se nomme panse, ilssecoucbentetruminent;
c'est-ii-dire que par una operaLion inlerue ils font passer
successivement !es aliments au deuxieme estomac, nomme
bonnet ; au troisienie, aomuu' feuUlel ; et enfiu au qua-
la digestiou se trouve par-
trjfeme, nomme caiUclIc ,
faite.
IlsalTeclionnent, ouire I'lierbe ordinaire des champs, la
luzerne, le sainfoin, la vosee, les navets, la pomme de
lerre, I'orgc bonilli*!, etc. On doit leur donner de I'eau
biea olaire, car ils n'aiment pas, comme les chevaux,
celle qui est trouble. La forte cbaleur les incommode
beauconp plus que les grands froids; aussi, vers le mi-
lieu du jour, les voit-<jn en general rechercher un abii
pres des liaies et sur la lisiere des bois. Pour les niainte-
nir en bon elat, il faut leui' donner de nombreui soins de
propret^.
C'est particulierement dans nos climals teuiperes, oil
les paluragcs sont abondants et gras, que les bceufs et les
vaches sesont multiplies; cependant, il y en a eu depuis
les epoques les plus reculees dans les pays les plus chauds.
La vieiUe figypte, non-seulement possedait denombreux
troupeaux dans la valluede Nil, maisles rois-pretrcs divi-
niserent meme I'espece en adorant le bceuf Apis dans les
temples de Memphis et de Thebes; une procession so-
lennelle a\ ait lieu avec pompc a I'equinoxe du printemps ;
probablement ils I'adoraient comme une image de la fe-
condite bicnfaisante, de m(5me qu'ils s'inchnaient devant
le crocodile, qui repr&enlait a leurs yeux le mauvais
genie.
Et comme les anciens usages se perdent rarement, quoi-
que changeant d'objetou de formes, plus tard, les satur-
nalessignalerent les memes epoques a Rome; et enfin, les
jours gras fuient adoptes chez les peuples Chretiens comme
pour saluer par les eclats de la joie le reveil de la na-
ture sous les rayons vivifiants du suleil. C'est ainsi que
la corporation des bouchers prom&ne avec pompe, dans
les rues de Paris, le boeuf gras, eleve dans la vallee d'Auge,
et que suit un cortege historico-mythologique.
Cette fdte populaire, qui cause tant de joie aux habi-
tauts, fut relablie le 23 fevrier 1 805 apres une longue in-
terruption ; c'est a pen pres tout ce qui nous reste des
foiles niasearades qui autrefois encombraient les boule-
vards de la grande viUe. Aujourd'hui, les curieux seuls y
abondenl et s'y coudoient ^ Tenvi ; mais chacun semble
dire k son voisin ; Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien
\euir?
iUais laissons la I'equinoxe du printemps pour revenir
a nos boeufs.
Buffon n'en signalc que deux espfeces : celle du taureau
et celle du buffle ; Pallas en (rouvequatre,et Cuvier elend
a plus de huit les races primilives.
Le bu/pe, originaire de 1 Asie meridionale, est aujour-
d'hui , et depuis un grand nomhre de si&cles, naturalist
dans \esmarcmmcs, vaste etendue de cole qui s'etend pen-
dant plus de cent lieues en Toscane et dans la campagne
de Rome oij se trouvent les maruis pontins. Ces vastes so-
litudes sont inhabitables pour les homjjies, par suite du
mat-ana qui y cause des fievres souvent niorteiles. La
maremme, lorsque I'epoque des fievres est passee, se voit
envahie par la population dcsmontagnes, qui cultive,seme
et recolte en pen de temps, puis rcgagne les hauteurs oil
elle est a I'abri de la pernicieuse influence du climat. Ce j
pays est cependant le plus favorable pour elever les buf- |
lies ; ils s'y trouvent en troupes innnombiables, mais k
I'etal presque sauvage. Cependant on parvient k lesdomp-
ter au point d'en atteler trois e' quatre paires a une seule
charrue, qui, tirce par une aussi grande puissance, de-
cbire profondenient le sein de la Itrre.
Les bullies sont d'une force extreme; leurs comes sont
BOEUF, TAURE
tres-longiipsetaccrees; ils sont d'un naturel brutal et ca-
pricieiix. Leurs gardiens, afin de l«s mieux diriger, les
altachent par les cornos, deux a deux, et mi^mc quatre a
<juatre; dans cette situation, I'un est tnaitnse par I'autre.
Lorsquo quelque biifile rebelle s'ecarte du treupeau, un
pdlreou contadino.montesur son cheval barbeet la lance
au poing, poursuit le fugitif, le pique jusqu'a effusion de
sang, et lui fail ainsi rcjoindre le troupeau.
On passe quelquefois un anneau de fer dans les nascau.x
de ce redoutable animal. C'esl un des meillenrs moyens
de le mallriser.-
Les immenses tronpeanx de bocufs qui se renconlrent
dans TAmerique meridionale et surtout dans les parages
de Montevideo, sont aussi gardes par dcs patres Ji denii
barbares, toujours a clieval , et que Ton nomme des
Pcom.
Lesbufllessauvages qui resident dans lesmaraisdu Ben-
gale et dans d'autres parties des Indes orienlales, sont ex-
ti'Smement dangereux par leur laille, qui s'eleve quelque-
fois h plus de six pieds , et par leur caractere irrilable.
Lps vieux surtout recherchent les rctraiies les plus ca-
. chees, oil ilsvivent dans une absolue solitude; malheur a
I'iniprudent qui vienl les y troubler, car il est rare qu'il
c'y laisse pas la vie.
L'auroch est tres-graiid , tres-fort et tres-farouehc ; sa
tournure ne dement nullcnient son naturel; il a la tete
large et courle, lair sauvage, une longue et rudecrinierc
qui lui pend sous le col, et une taille qui s'eleve quelque-
fois jusqu'a six picds. Get animal devient rare ; cepcn-
dant on en trouve eucoie dans les vastes forcts de la
Prusse ducale et de la Litliuanie.
Bory de Saint-Vmrent raconte que la menagerie de
■Vienne ayant ete inccndiee, presque tous les animaux
perirent dans I'enclos qui les contenait ; un anroch re-
dorte parsa force brutale avail ete mis ilans une enceinle
que Ton croyail Ji I'epreuve; mais, effraye par les llam-
mes, il fit desetTortssi violents, si desesperes, qu'il brisa
tous les obstacles, el qu'il se refugia dans les maiais du
Danube. Son gardion tut tres-surpris lorsque ayant ete k
sd recherche il le vit Tcvenir a lui avec une docililequi
ne I'abandonna plus.
Le i/ack est une vaiiete de I'espece du boeuf, originaire
de la Tartarie el du Thibet; il est de petite taille , re-
marquable par une criniere ondoyante qu'il porte sur le.
dos, et une queue pareiUea celle du cheval. On le voil
egalement dans quelques parties de I'Amerique du Nord.
Le bixtifdcs jongles est une espece r^duite a Tetat de
AU ET VACHE. igi
domcsticile dans les contrees du nord-esl de I'lnde. II
a tous les caracleres du boeuf domeslique, exceple les
cornes, qui sont longucs et aigues comme celles des buf-
fles. Sa robe est noire, exceple les janibes, qui sont blan-
ches.
Le bufpe du Cap est tres-grand, indomptable, arinc de
forniidables cornes, tellement larges ^ la base, qu'elles lui
couvrent et garantissent presque le front.
Le bwiif mnsque d'Amcrique a des cornes egalement
fortes a la base, au point de n'avoir enlre elles qu'une li-
gne extrememenl etroite ; il habile les parlies les plus
froidcs de I'Amerique septentrionnale, et passe d'une ile
il I'aulre lorsque les lacs et la mer meme sont pris par les
glaces. En ete , on le voil presque toujours se diriger
vers lenord. La nature, en mere prevoyante, lui a donne
une loison extri^mcmcnt fournie, qui lui perniet de sup-
porter sans frop de malaise les froids les plus violents
des regions polaires. Les Espagnols, frappes de la forme
de ses cornes el de son epaisse toison, le nommerenl
bteuf-mouton.
II existe a Madagascar une espece de bceuf ayant sur
le dos une protuberance tres-prononcec. Ce sonl ces
animaux qui, exportes aux iles de France et de Bourbon,
forment la base de I'alimentation des habitants de ces
deux iles; ils sonl .generalement tres-hauls sur jambes,
et de couleur blanche.
Dans rinde, si le boeuf ji'est pas adore dans des tem-
ples comme dans la vieille Egypte, il y en a cependant
qui sont I'objet d'une espece dc culte ; quelques-uns sont
consacres et on les nomme bceufs braiunincs ; ils circulent
librcset sans frcin dans les villages, prennent el mangent
ce qui leur convient, sans que les indigenes y trouveut a
redire ; souvent meme ceux-ci s'en approchenl et leur of-
frenl les aliments les plus propres a flatter leur goit.
Le 6('snn, qui se trouve dans I'Amerique, est regarde par
la plupart des naturalisles comme faisant partie de la fa-
mille des bceufs par suite de sa ressemblance avec Tau-
roch Cependant, il y a des caracleres Ires- tranches qui
forment leur difference. L'auroch a quatorze paires de
cotes et le bison quinze ; le premier est brutal, solitaire
et Iriste, landis que le second aime la societe; aussi le
reiicontre-t-on en troupes nombreuses dans la Louisiane,
et jusqu'au cercle polaire.
Nous avons aussi en France des bceufs presque sauva-
ges ; on les trouve dans les solitudes de la Camargue, en
Provence.
OUVIER IE GaU.
192
PETITES PROMENADES AU MUSEE D'HISTOIRE NATURELLE.
I'AUTRUCHE.
L'autruche est un oiseau des contrees les pUis chaudes
de I'Afrique et de rAmerique, si toutefois on peut nom-
mer oiseau un animal qui a des plumes qui ne lui serveiit
que d'ornement et des ailes avec lesquelles il ne peut
pas se detacher du sol. On la classe dans la famille des
brevipennesechassiers; elle a desjambes, en effet, d'une
"i-ande longueur, des ailes courles, des plumes Inches et
llexibles, qui ne s'aocroclient pas entre elles comme cellos
des autres oiseaux.
L'autrnclie, qui peso jusqu'J cent livres, a de sept a
huit pieds de hauteur; elle a le cou tres-long, la tfHe
petite, les yeux gr.tmlsel vifs avec de longs oils aux pau-
pi&res superieures, les pieds charn\is comme ceuxdu cha-
meau ; ce qui, joint a d'autres traits de ressemblance, la
fait nomnier par les Arabes Voiseau-chameau.
L'espcce aulruche n'a pas ces subdivisions infinies qui
ren.lent difficiles les classifications d'un grand nombre
d'animaux ; on en connait deux espoces, celle d'Afrique ,
qui estlaplusgrande, et celle que Buffon nonime(oi(i/oM,
qui habitel'Amerique mferidionale ; elles representent la
branche ainee et la branche cadette, rien de plus.
Les autruchesontdetres-nombreux rapports d'organi-
sation avec les quadrupedes. On les trouve en troupes
nombreusessur plusieurs points de I'Afrique et surtouten
Arable. Quelquefois les voyagcurs qui profitent descara-
vanespour traverser le desert, croient apercevoir a I'ho-
rizon un gros de cavalerie de ces Arabes pillards dont la
rencontre est si dangereuse ; ils preparent leurs armes et
s'avancent avec circonspection ; tout ii coup cette cavale-
rie s'ebranle, fuit avec rapiditc et disparait h I'horizon en
^levant un longnuage de poussiere. Ce sont des aulruches
qui,elles-memesefrrayees, ont fui vers quelque oasis de
ces contrees brdlantes.
On a fait plusieurs contes ridicules sur les autrucbes:
par exemple , on leur a attribuii a tort la faculte de di-
gferer le fer, les cailloux et d'autres corps durs ; on a
pretendu qu'elles lancaient des pierres, en se sauvant,
contre le chasseur qui les poursuit ; et Ton a exag(5re leur
slupidil6 en disant qu'elles se ligurent ne pas 6tre vues
du chasseur lorsqu'elles ne I'apercoivent pas. Rien de
cela n'existe.
Quelques-unes vivent solitaires, d'autres forment des
troupes nombreuses, de Irenle, q -rante et mSnie cin-
qu.inte individus. Avant la ponte, elles forment leur nid,
qui est une espece d'aire creuseedans laterre et dont les
rebords sont formes des produits de I'excnvalion ; elles
y di'posent les oeufs de maniere que le petit bout est
dirig(5 vers le centre ; quelquefois lo m^me nid en contient
jusqu'a soixante qui constituent le produit de la ponte de
quatre ou cinq femelles; mais habituellement ce d^pot
varie de vingt-quaire a trente-deux ; la duree de I'in-
cubation est de trente-six a quarante jours, suivanl la
chaleur de I'atmospbere. Dans certaines conlrte de la
zone torride, les rayons du soleil suffisent pour I'eclosion
des 03ufs depo.ses dans le sable; mais pendant les nuits
humidesou fraiches les autrucbes vienneut couver.
• Unjour, dit le voyageur le VaiUant, je me placai dans
« un buissou pour observer un nid d'autruche qui avail
« ete dfecouvert et d'ou on avail vusortir une femelle.
« Trois autres femelles se rendirent au mSme nid; elles
« se relevaient I'une apres I'autre; une seule resta un
• quart d'lieure k couver, landis qu'une nouvelle yenue
■ s'ctait mise a cote d'elle; ce qui me fit penser que quel-
c< quefois el pendant les nuits fraiches et pluvieuses,
« elles s'entendent pour couver a deux et nieme davan-
« tage. Le .soleil touchait a son declin, un niJile arrive
« qui s'approche du nid pour y prendre sa place, car les
« niMes couvent aussi bien que les femelles. »,( 1°'' voyage,
folio374.)
Les Africainsrecherchent lescoufs d'autruche, qui sont,
dit-on, assfi delicals; Iors;pi'ils sont vides, ou les ejifile
pour former des guirlandes que Ion suspend comme orue-
ments aux voiltesdes eglises et des mosquees en Orient.
Lorsque l'autruche est prise jeune, on I'apprivoise fa-
cilement. Les h;ibitants du Dahra cl de la Libye en pos-
sedenl de nombreux troupeaux qui sunt leur plus grande
richesse; c'esl d'aiUeurs un animal inofi'ensif, qui nese
defend qua la derniere extremil6 contre un agresseur in-
juste; alors elle I'accueille ^ grands coups de bee el a
coups de pieds.
La jeune aulruche a les plumes d'un gris cendre, mais
apres la premitjre annee ces plumes lombent, et il n'en
repousse plus surla tete, les cuisses etie haul du cou ; alors
elles sont allernativemcnt blanches et noires : les plus
belles, cellesenfin qui sont rechercliecsdanslo commerce,
sont les plumes des ailes et surtout celles de la queue.
L'autruche d'Amerique a des plumes de couleur grise,
beaucoup moins pricieuses que celles de la grande au-
lruche; elle en diEftjreaussi paries plumes ijui lui garnis-
sent la'.tae et par ses doigts au nombre de trois, tandis
que I'autre n'en possedeque deux.
Du reste, elles ont la m6me force musculaire dans les
cuisses, la m6me rapidite dans la course, le m6me aspect,
les m'fimcs moeurs et les mSmes habitudes.
Olivier Le Gall.
Typosroiiluc LicniJinB
ih el t;",
rue Damiulle, '2
CHRONIOUE DES MOIS.
JUII.I.ET.
Liors de la fondation
de Home, ce mois recut
le noBi de quinlilis,
c'est-ci-dire le cin-
quifeme ; et il fut ainsi
denomme jusqu'i la fin
de la republique. Jules
Cfesar ayant corrig^ les
erreurs du premier ca-
lendrier, Marc Antoine,
consul, ordonna, pour
perpetuer la menioire
de ce bienfait, que ce
mois s'appelSit desor-
mais Julius, du nom
de son reformateur.
Cliez les Athi^niens il
commen^ait I'annte, et
ramenait tous les quatreanslesjeuxolympiques, la plus
grande solennite de toulela Grece, dont nous n'avons pu
avoir qu'une faible idee par les ric'ds refroidis de I'liis-
loire. Les figyptiens cel^braient en juillet la fete de I'i-
nondation du Nil, demandant au ciel un grand debor-
dement, gage certain d'une superbe moisson. Ce mois,
comme tousceux de I'annee, donnait aussi un jour de re-
jouissance aux Romains. C'etait le jour des ambarvales.
Cette tete, qu'on avait instituee en I'lionneurdeCerte, est
magniquement d^crite par Virgile dans le premier livre
des Georgiques : on faisait d'abord des libations de lait,
de vin et de miel, qu'on mSlait ensemble; puis une Iruie
etait sacrifiee aprfes avoir et6 promen^e trois fois en
triomphe autour des blea que bienlot on allail couper.
Un homme, le front ceint d'une branche de ch^ne, pr4-
cedait la victime en executant force gambades et soubre-
sauts pendant que la foule cliantait les louangesde C&es.
Le reste de la journee (5tait consacr6 k la joie et aux di-
vertissements.
La constellation de juillet se compose de dix-huit etoi-
les. Son signe est le lion, all^gorie au soleil, dont la force
dompte tout sur la terre.
Le calendrier indique vers la fin de ce mois le com-
mencement des jours caniculaires, parce qua cette 6po-
que reparait sur I'horizon la plus brillante des 6toiles,
appclfee canw, ou chien; anriennement on lui sacrifiait un
de ces animaux. On la nommee ainsi probablement parce
que cette etoile se leve quelques instants avant I'liomme,
et semble par 1^ proteger son dernier sommeil.
Pendant les clialeurs de la canicule, la seve recoit de
la nature une commotion extraordinaire. Elle est si for-
tement agitee que, n'ayant pas le temps des'arboriser, la
verdure se fletrit, et plusieurs tiges sechent et meurent ;
mais vers la fin de ces jours oil
Sons les teax que vomit I'ardenfe canicule,
Le llcuve resserre plus lonlement circulc,
la seve reprend un cours plus tranquille, ramme les
plantes, les fleurs, et fait h yue d'osil reverdir la vigne
el les arbres.
Juillet, avecsesgrandeschaleurs, n'adevraimentagrea-
ble que ses nuits. Autant, pendant le jour, le ciel embrase
a lourdement pese sur la terre, autant. des que vient la
nuit, la brise court fraiche el douce jusqu'k ce que I'au-
rore soil saluee par le gazouillement des petits oiseaux.
Alors les villes deviennenl presque deserles, les berlines
13
191
SAINT LfiGER.
de voyage emporlent I'arislocralie vers la Suisse ou les
Pyrenees ;<i peine s'il reste quelques habitants qui se
contentent tie rombro des jardins du Luxembourg et du
mediocre bain d'cau de Seine, et c'est une Irisle saison
que celle-ci pour le Parisien ; 11 reste tard au sonimeil,
parM que la chalcur du jour passe ne lui a Iaiss6 d'aulro
repos que la somnolence du matin, et au momeol/ou il
s'eveille, le soleil, dejii monle a I'horizon, semble lul d6-
fendre la moindre promenade sur les paves deja.briilants-,
— il est prisonnier, vf^ritablement prisonnier, et pour lui
les beaux jours de juilletsont une veritable derision.
Cependant a quelques lieues de cette grande ville on
Irouve des bosquets ou I'ombre se plaiLa dormir eternel-
lement. de beaux, papillons aux ailes diapreesparcourent
en tous sens I'.arene alti'ree que le soleil biile de ses
rayons. Les moissonneurs chantent ^aiemenlenirecueil-
lant le fruit'<le leurtravail et d'uno ioDguesoUicitMde.Do
jeunes filles tressent des eouronnes -de: bluets pourteur
blanche madone, tandis que de gnos-gareons conduisenl
les bceufsilourdemenl alleles au char sur lequel sont cn-
tass^es les richesses du cultiiateur, et puis ca etJa une
perdrix au cou de lapis-lazuli, court epouvanfee.cher-
che ^ soustiaire ses pauvres^pelilsa I'avidile dujeuiiel
gars. — On vienl de la chasser 'de son'Biil quelle availi ca- 1
chfe dans le fond d-'an sl'Hon ; .maintenaul ou"vai-t-elle
trouver un gite'ponr elle el satcndro nichee ?
Juillet voit encore recueillir le miel dans les ruches,
au grand de-espoir des laborieuscs abeilles, donl on brille
souventl'asilepour les depouiller du fruit de leur travail.
Lorsque les chaleurs de I'^le sont fortes, c'est pendant
ce mois qu'ont lieu les grands ph(5nomenes eleclriques
de la nature. Les orages sont parfois cpouvantables ; en
quelques minutes le cultivaleur se voit arrarher une re-
coUe inagni Pique, — la S'ele a tout brise. Puis c'est un
vent qui deracine les arbres centenaircs, ou des coups de
foudie qui jelteront h has le cloiher du village; heureux
encore si ce n'cst pas sur vos propres maisons que s'abal
le fluide destructenr.
Je me Irouvais I'annee dernierc dans les Pyren(5es pen-
dant !e mois do juillet; mes compagnons de voyage et
moi laissions aller librcment nos pelils chevaux, tan-
dis que loute notre admiration s'attachait sur les rimes
escorpees desmontagnes queblanchissenl desglacescter-
nellcs. Tout il coup nous entendimes un bruit elTroyable,
pared a I'eclat d'un fort coup de lonnerre. Noire surprise
fut d'autant plus grande que le jour elail un des plus
beaux de I'ele, el qu'on ne voyait pas nu ciel le plus le-
gi r nuage. Ce bruit ayant duri quelques instants et etant
repete par les echos. je crus devoir m'cn tcnir a la pre-
miere pensoe quej'a>ais eue : ce devait elre un effel de
lonnerre renvoyeet repete par les monliignes. Tandis que
je regardais aulour de moi avec une surprise que je no
pourrais bien definir sans y mellre un peu de frayeur, je
vis de la cime la plus elevee se detacher une masse de
ncige. — Une parlie s'eleva commc une poussiere, I'autre
se precipita comme un rapide torrent sur un rocher qui
s'avancait en saillic. Ce choc fit 61ever encore une espece
de brouillard, et le reste de celte m:isse enornie lomba
aux pieds de la monlagnc ; la vapeur qui s'en eleva
pour la Iroisieme fois, ainsi quo I'^branlement de lair,
se fit senlir jusqu'Ji moi el a ,oies coBjpagnons de
voyage, quoique nous en tussiojis'ii un quart de lieue.
■ Ge phenomene se repeta duranLpJasieurs minutes, avec
•Je^meme bruit ct les monies circonstances. Nos guides
nous diretlt que ces Zapnujes.dopoussiere (c'est ain.si
qu'ils oomment ces brouillards deneige) lombcnt souvent
au mois de juillet. lis s'empressercnl en m6me lemps
de nous assurer que si nous eussions eli5 a deux cents pas
plus pres ou direclement devant la chute, I'ebranlement
de I'air aurait pu nous rcnverser, ou du moins nous don-
ner une forte sccousse, pour peu que nous ne nous fus-
sions promplcment detournes. — .4 leur manierc de par-
ler je compris que ces gens-li aimaient tant leur pays,
que meme ses phcnomenes les plus dangereux leur cau-
saienl quelque satisfaction ; et si je n'eusse aper(;u le petit
clocher de Bagnires, j'aurais craint que nos guides, pour
nous faire admirer leurs montagnes, ne nous fisscnt pas-
ser dans un senlier oil nous aurions ete sirs de rencon-
Irer une avalanche.
AsDBK Thomas.
L'ELiTE DES SAINTS FRAXCUS.
SAINT LEGXR.
Dame de Suissoiis
Ce saint (5vdque est di-
vcrsemenl nomme par les
Bollandisles, Mabillon, Ur-
sin et les autres historiens
qui out (5cril sa vie. En
latin, on I'appello Leo-
degarius ; en francais,
Leulgar, Lutger, Lcguier
et Leger.
11 naquit en Neustrie, de
parents nobleselv crtucux;
sa mere, Sigrade, devenue
veuve , se fit religiouse
dans I'abbaye de Notre -
U flit ament- des sa plus lendre en-
fance k la conr de Clolaire 11 ; ce roi Hail encore fort
jeune; il avail succede k son pere Chilperic I" en .58i,
alors qu'il n'Mait ag^ que de quatre mois. Sans I'energie in-
teressee de sa coupable mere, Fr^degonde, la faiblesse
de son age ct de ses acles aurait mis son royaume Ji la
merci delabrancho royale d'Austrasie, qui avail jure sa
perte en contestant meme sa Icgilimite. Mais a pres une
balaille sanglante livree i Droissy , dans le Soissonnais ,
oil 'Vinlnan, due de Champagne, que Childebcrt avail en-
voyi? centre son neveu, fut eiilierement defail, et son ar-
mee massarrec, Clotaire II, porte par sa more, prit posses-
sion de Paris et dela Bourgogre. Ala mortdeFr6dcgonde,
qui arriva vers 597, il fut bien obligt5 de rcslituer une
partie de ses conqii6tes; mais Thierry, roi d'Austrasie,
etant mort ("galement, les seigneurs auslrasiens so deli-
SAINT
rent de Bi'UDeliaut ct Jes fils de l«ur voi pour se mctlre
sous la puissance de Clolaire, qui aiusi se trouva posses-
seur de la France entiere.
Ce Mirovingien est un dcceux qui ont merile I'eslime
et raffection de leurs pcuples; it mainlint une Stride ob-
servation des lois sans affaiblir lesdroils de I'autorile
royale, el favorisa le clerge en assurant son sort.
Leger, eleve acettecourjuyait avec une sainte perseve-
rance loules les fetes et lous Ics plaisirs qui eussent pu se-
Juire son jeune Ige. A peine avait-il fait ses premiers pas
dans la vie, que deja il avail eu le bonheur de compren-
(Ire que sur cctle terre il ne pouvait y avoir de reellos vo-
liiples; Dieu seul devinl I'objel de son culle fervent, et la
priere son unique bonheur. II ful envoye a Didon, son
oncle maternel, cvequc de Poitiers; ce prelat le mil
sous la conduite d'un prc^lre vertueux et savant, el pour
achever ensuite son t^ducation, il le fit vcnir dans som
palais, oil il remarqua avec plaisir ses dispositions reli-
ijieuses.
La pratifjue du renoncement atoules les choses et la
profonde humilite que Leger ffi^rjail continufillement
confirmerent Didon dans ropinioniquiikavait du merile
extraordinaire de son neveu , a^ssi'l'^leva-l^ilau djaco-
nat, quoiqu'il n'e&t encore que vingt ans,en le dispen-
sant de lobservation des canonsUe lf]iHli.se. Peu do tejnps
aprfes, il lui confera rarchidiaoooal, et lui confia Je gou-
vcrnement de son diocese. La^-sasipsso, 'Wloquenee et les
vertus de Lfeger luiattiierent brwtifit'l'eslimo el I'amour
de lous ceux qui le connurent; .ah inort de I'abbe dc
saint Maixent, directenr du monastero de Saint-Mn-
xence, Didon ne crut pouvoir lui Jdanner un meilleur
successeur que son propre neveu ; et pendant six ans,
Leger consacra son zele et ni6me sa fortune h la prospe-
rile de cello communaute.
Pendant ce temps. Clevis II, roi de Neuslrie et de Bour-
gogne, avail succeile a Clolaire II ; en mouranl, il laissa
irois enfants en has, Sgo sous la tutelle de saiute Ba-
thilde Icur mere, insliluee regente du royaume. CeKe
vertueuse reine n'osa porler seule le fardeau du gou-
vernemenl de Tfitat, et elle s'envirGnna d'hommes capa-
bles de lui donner de sages conseds, tels que saint tloi
de'Noyon, saint Ouen de Rouen. Un autre pr^tre qui
a-vait .acquis une grande repulationtde sainlel^ fulappele
a la cour ; c'etail saint Leger.
L'eveche d'Autun devinl vacant en fiS'J. Nul mieux
que lui ne pouviiit remplacer le pr^at qui vcnait de
mourir; ausii fut-i!,a cetleepoquc. inveslide la plenitude
du sacerdoce qu'il devait exercer dans celte ville.
Quelques troubles 3'(5taient elevesi-lamort del'ev^que.
La presence do Leger eul bientot ramene la paix dans
lous les coeurs. II prodigua toute sorte de scoours aux
pauvres deson diocese; il instruisit le people, decora les
cglises, et les enrichit de vases precieux et d'ornements.
1-e baptisterede la calh6drale etaltassez delabre, it le fit
leparcr avec magnificence; et, grace k ses soins, les reli-
ques de saint Syniphorien y furent transferi-es. Enfin. il
asscmbia un sYnode a Aulun, eu 670, qui donna lieu k
divers canons concernant la roformalion des mcBurs; la
plupait eurenl principalement pour objet I'ordre mo-
nasti.]ue ; il nous en resle encore plusieurs.
En f)CO , apprenanl que Cloiairo III etail morl , il se
roiiditpromplement h la cour. Le gouvernement que Cliil-
deric excrcait avec beaucoup de prudence sur I'Austrasie
LEGER.
193
lui avail gagne une partiede la noblesse. Mais, d'un autre
cdl6, fibroin, se faisanl de sa propre autorile maire du
palais, prit le parti de Thierri qu'il fit proclamer roi. Ce
rtgne n'eul pas longue duree ; le..;cruaules exercees par ce
mini.stre eurenl bienlol renverse le faible parti qui le sou-
lenait. Childeric, devenuseul maitrcl'eul faitmourirsans
Leger et quelques aulrcs livdques qui obtinrent par leurs
prieres qu'il lui laisserait la vie. II ful cnfcrnie dans le
monaslere de Luxeuil apres avoir 6le. rase, et Thierry
ful envoye a I'abbaye de Sainl-Denis.
Childeric II mil toulc sa confiancu en saint Lt'ger pen-
dant les premieres annees de sa puissance, et ce pieux
evf'que prit alors tant de part aux affaires civiles, que
quelques hisloiii'ns lui ont donne le litre de maire du pa-
lais. Mais le roi, quijoignait a sou jeune age un caraclere
ardent ct imp6tueux,s'abandonnabienl6la loules .sorlesde
voluptcs el poussa le desordre jusqu'a epouser sa propre
niece.
Saint Leger lui adressa d'abord des rcproches secrets;
puis, voyant I'lnutililo de ses lenlalives, il eul la magna-
nime hardiesse de condamner publiquement la conduite
coupable du roi. Les calomnies de Wulfanid, depuis
quelque Icmpsrmatre du palais, jointcs aux rigueurs em-
ployees par saint L^ger, perdiieul ce dernier dans I'ami-
lie du roi, et.au lieu d'ecculer ses sages reprimandes, il
I'exila a Luxeuil, oii^lail enferme Lbioin.
Cepondanl en(.67.!, Childeric mourut assassine par Bo-
dilloii, quis'<itailmisii la tele d'uue conspiration, et qu'il
avail fail publiquement fuuelter. Dagoberi, lils de Sige-
bcrfll, ful rappele d'Irlande, oil il avail ele banni, et on
le profclamaroi. Gesevonements rouvrirent les portes de
lapris-jn de Ijjxeuil, et saint Leger s'empressa de re-
louriier i Autun, oil il fut recii par ses diocesains avec
les plus vives demonstrations dc joic. fibroin, egalemenl
delivre, ne revint a la cour de Dagoberl que pour
causer de nouvcaux troubles ; irrile de voir Leudese
maire du palais, il lui 6la la vie par tiahison et fit re-
connoitre pour roi un pr^tendu lils de Clolaire lit, qu'il
nonunait Clovis. — En nitoe temps i! fit avancer en
Bourgogne une armee qui marcha d'abord centre la ville
d'Aulun.
Certes, si Leger edt eu le moindre sentiment de crainte
ou dc faiblesse, rien ne lui ^lail plus fecile que de fuir ;
mais il [lensa que sa presence etait neccssaire, ct d'ail-
leurs il ne redoulait pas la morl. Neenmoins il fit
un leslamenl que Ton pent voir dans Mabillun (Annal.
1. 16, n" 26); il distribua aux pauvies lout ce qu'il pos-
S{!'dail, et le rcstede ses biens^tait donne a I'Eglise. Pour
conjurer le cicl sur les malheurs qui s'amassaient sur la
ville, il ordonna un jeiine de trois jours, et une proces-
sion g6nerale qui prec^dSt les reliques des saints por-
tees aulour des remparts. A cliacuno des portes, L^ger
se prosterna, priant le Seigneur avec larmes d'epargner
le troupeau dans le cas oii le pasteur viendiail a dire
frappt-. Puis, ayant fait assembler le peuple dans I'eglise,
il demanda pardon h tons ceux qu'il pouvait avoir of-
fensfe. — Le lendemain I'ennemi se presenia,- Ics assic^ds
fermerent les portes de la ville et concurent le plan d'une
vigoureuse resistance. Mais, helas ! leurs efforts ne pou-
vaienl qu'entrainer leur perte, el la vicloire leur elail
impossible. Alors Leger, sachanl que c'elait conire lui
principalement que se dirigcail la colere de I'armee en-
nemie : • Ne comballez pas plus longtemps, dit-il ii .ses
190 SAINT
diocesains : si c'est k cause de moi que les ennemis sont
venus, je suis prfit a leur donner satisfaction. Envoyons
quelqu'un de nos Wres savoir ce qu'ils demandcnt. »
Vaimer, due de Champagne, commandait les assie-
geanls; il rfpondit que.si on ne lui livcait L^ger, il allait
renverser la ville ile fond en comble. Alois le saint ev6-
que pi'it cong6 deson peuple, et, apres avoir recu la com-
munion, il sortit de la ville et ala se pr&enter a ses fa-
rouches ennemis. Ccs mis(5rables lui crevferent les yeux,
ct pendant lout le temps que dura cet affrcux supplicc il
ne cessa de chanter les louangesdeDieu. — Les habitants
LEGER.
d'Autun, pour sauver leur fortune et leurliberltS promirent
d'ob^ir k Clovis sur I'assuranoe qu'on leur donna que
Thierry 6tait mort. Quant A L6gpr, les menaces ni les tor-
tures ne parent le faire manquer de fidelite envers son
roi legitime.
Ebroin, qui se trouvait alors en Neustrie, envoya or-
dre de I'abandonner dans un bois, aprte avoir pris
les precautions necessaires pour qu'il y mourit de faim.
Mais Vaimer, un peu moins cruel que colui qui le fai-
sait agir, le fit porter dans sa propre niaison, et, profon-
d^ment touche de ses pieux discours, il lui restilua les
Didon, L^Lqiiedu Poiliers.
sommos qu'il avait enlevees k I'eglise d'Autun. Cet ar-
gent fut renvoyfe dans cette ville pour qu'on le distri-
bu&t aux pauvres. — Par malheur, fibroin, craignant que
Vaimer n'usat du pouvoir que lui donnait le commande-
ment de nombreuses troupes, le fit assassiner. Leger,
tomb^ entre ses mains, eut alors un affreux marlyre a
subir. D'abord il fut traine par des clieniins rudeset dif-
ficiles dont les pierres aigues lui dechiraient les pieds.
Puis il eut les levres et une partie de la langue coupecs,
el le comie de Vaneng fut commis a sa garde. Ce sei-
gneur, qui aimait la religion chretienne, eut pitie de ses
souffrances et le placa dans un monastere dont il etait le
fondateur. Dans cette retraile bien douce pour lui, le
saint ev6que passa trois ans. Ses plaies se gueriren-t, et,
ce qui fut regarde comme un grand miracle, il recouvra
I'usage de la parole.
IVIais la cruaute d'tbroin n'^tait pas assouvie : il s'clait
fait rendre par Thierry la dignite de maire du palais,et,
fcignant de vouloir venger la mort de Childcric, h la-
quelle il accusait faussement saint Leger d'avoir con-
couru, il le fit paraitre devant le roi et les seigneurs du
royaume pour I'accabler d'insultes et dereproches. Leger
se contenta de r^pondre k son infame calomniateur qu'il
ne conserverait pas longtemps I'autorite qu'il avait usur-
pee. — Sa condamnation fut differee jusqu'a ce qu'il e&t
cledepose dans un synode.Ilprofitade cet intervalle pour
i5crire u sa mere. Dans cettejettre que nous aygns en-
core, on voit bien I'effusion d'un coeur brdlant d'amour
pour Dieu, le style en est vraiment digne d'un martyr
pret k offrir k Jesus-Christ la consommation de son sa-
crifice. — II felicite sa mfere sur I'heureuse determina-
tion qui lui a fait preferer la retraite religicuse k toute
autre existence. II I'entretient de la disposition oil il est
do souffrir avec courage ; et afin qu'elle ne soit accessible
a aucun sentiment de haine ou de vengeance centre ses
persecutcurs, il s't'tcnd sur la ni5cessite oil nous sommes
de pardonner k ceux qui nous font du mal, et sur le bon-
heur que Ton trouve k imiter Jesus-Christ priant pour
ses bourrcaux.
Enfin , Ebroin, ayantgagnS quelques evSques, fit con-
duire saint Leger dans le lieu oil ils s'etaient assembles.
II avait conj-u le dessein de le faire deposer par une sen-
tence, quoique cette assemblee ne put fitre reellement re-
gardee comme un synode, n'ayant pas i5te convoquee par le
m^tropolitain. Les tortures qu'on eniploya de nouveau
pour lui faire avouer qu'il etait complice de la mort de
Childeric, n'exciterent quesa devotion et son amour pour
Dieu. Les assistants lui dechirerent sa tunique du hauti
en bas , ce qu'on etait convenu de regarder comme una
marque de deposition. Ensuite on le livra aux mains dd
Chrodebert, comte du palais, pour le mettre a mort.
C'est dans la foret dite aujourd'hui de Saint-L6-
ger, dans le diocese d'Arras, sur les confins de celui de
Cambrai , que ce saint bomme lermina sa glorieuso vie.
SAINTE COLETTE.
197
D"apres les ordres d'Ebroin, ce devait etre dans un lieu
secret que Leger serait execute , et son corps bien ca-
che, de maniere ti ce que lej Chretiens ne pussent
rhonorer comme celui d'un saint martyr. ,Chrodobert,
louche de sa conduite et de ses discours, ne put se
resoudre a le faire niettre a mort en sa presence ; il char-
gea quatre soldats de ce crime. La femme du comte pleu-
rait amerement; Leger la consola. Les quatre soliials le
menerent dans la foret dont nous avons parl6 , et aprfes
s'6tre jete a ses pieds en lui demandant pardon de I'ordre
affrcux qu'ils allaient executer , ils lui couperent la tete.
— Ce trait de cruaut(5 d'Ebroin eut lieu en 678.
La femme du comte Chrodobeit fit enlerrer le corps du
saint a Sarcin en Artois. Trois ev^ques, ceux d'Arras,
d'Autun et de Poitiers , se disputaient ses reliques, on
mit trois billets couverts d'un voile sur un autel, et Ton
convint que celui dont le nom viendrait le premier serait
possesseur des precieux ossements. Le sort fut favorable
a I'evdquedePoitiersjetles reliques desaint Leger furent
transporlees dans le monastere de Saint-Maxent.
Joel.
Les soldals dcmindjnt pardon A iaint LL-L:er.
SAINTE COLETTE.
Lj'etait une jeune fiUe
de Picardie, n^e vers
la fin du quatorzieme
siecle. Ses parents
jouissaient d'une hon-
nete aisance, et I'a-
vaient nommee Colette,
en raison de la devo-
tion particuliere qu'ils
avaient en saint Nico-
las. C'est ce qui fait
que plusieurshistoriens
I'ont aussi appelee Ni-
cole.
II cut ete difficile ,
au dire des contem-
porains, de trouver un
plus charmant visage, une grke plus ang^ique. Ja-
mais ame n'eut enveloppe plus suave. Quand elle pas-
sait, I'oeil modestement incline vers la terre , le missel
sous le bras, dans une reverie celeste qui la faisait sem-
blable aux vierges des peintres italiens , il n'etait per-
sonne qui ne s'arretit pour la regarder. Colette clait
belle, mais de cette beaute sereine qui traine toujours ii
sa suite le respect et I'admiration sanctifies. II semblait
quelle n'appartint pas a ce monde lorsque, devotemenl
agenouillee sur les dalles des sombres cnthedralcs , on la
voyait s'oublier dans les extases sans fin d'une foi ar-
dente. Sa voix s'elevaitalors, fraiche et m^lodieuse, dans
les fum^es odorantcs de I'encens.et I'on eiit cru voirquel-
quefois, au son de cette harmonie nouvelle, s'agiter les
ailes doreesdes grands anges qui planent sur I'orgue.
Colette . que ses altraits semblaient appeler i briller
dans un nionde de fetes, de joies brillantes, de parure
splendides, de plaisirs sans fin, mettait son unique bon-
heur dans la solitude. Au fracas de la cour elle preferait
le silence de la province ; au luxe des tournois, la simpli-
cite majestueuse des ceremonies du catholicisme. Lui par-
lait-on du cortege etincelant de soldals et de seigneurs qui
venait d'accompagner la rentree de madame la reine dans
sa bonne ville de Paris , des fanfares qui sonnaient en
IHe, des mules richement caparaconnces, des bannitres
qui elalaientdans les airsleursdiversescouleurs, — Colcttt
secouait la tiite, et repondait en souriant par le recit d'une
blanche procession qu'elle avait rencontree I'autre jour
sur son chemin ; le pave etait jonche de fleurs, les nitres
et les enfants priaient sur le seuil des portes. Ses eompa-
gnes lui depeignaienl-elles minutieusement le costume des
pages avec leurs crevees de satin et leurs toques de ve-
lours, ou celui des chevaliers dontlesarmuresreluisentau
soleil en s'enlre-choquant, — Colette ouvrait de grands
yeux, el d'un air incredule demandait si rien etait compa-
rable a la chape que monseigneur I'ev^que met au jour de
Piques.
Je vous le dis en verite, c'etait une sainte et belle jeune
Dlle, sainte aulant que belle — et que sans douteen nais-
sant, Dieu le pere avait marquee du sceau de sa grSce.
Ce qui la sauva tout d'.- bord des seductions du monde,
ce fut son pieux amour p ar la lecture. La chaste enfant
s'isolait au sein de sa famille pour appliquer son esprit
1'J8
aux fails merveilleux des Icgondes cliii'licnnes; ellere-
cliercliait particuli^rement les livies qui parlcnt dps mar-
tyrs, et sa jeunepensee s'exaltait en songcanl aux palmes
glorieuses cueillies dans raiicieniip Rome. — Pencliee sur
un missel patiemment mis en peinture par un de ces
moines solitaires qui font de k'ur vie un perpetuel liom-
niage au ciel, Colette se degageait peu a peu des liens qui
la retenaicnt encore au monde et ob^issait S la voix se-
cr(Slo qui I'appebit vers les choses de la religion. On vit
alors I'etrange spectacle d'uiio jeune fille assemblant ses
amies autour d'elle, cliaquo soir, aux lueurs de la lampe,
pour leur faire partager le fruitde se.s lectures. La nuit en-
tieres'ecoulaitsouvenldans ces graves recreations. Colette
lisait i voix liaute, s'arretant parfois pour commenter les
passages profonds et en decouvrir le sens, appelant toutes
les intelligences a son aide, clierchant assiduuient a
cliaqiie pas les sources de la vraie lumierc, puisant dans
la tradition un zijle infatijable, one force constante, un
espoir invinci!jle, et penetrant ainsi cbaque jourdavan-
ta,:;e dans les voi.=^s traccespar I'Esprit-Sainl.
Dirons-nous combion etait grande sa chsrite? Coklte
savait mieuit que personne la manierc de faire It bien ct
de roster inconnue. La main dr jilcignorait toujourscoque
SA.1NTE COLETTE.
la gauche avail donne, et la gauche clle-mdme n'avait
pas de mfemoire: Sainte fdle, couverle d'un long voile,
elle venait se courber sur le grabat du pauvre; bravant
I'aspecl do la niisere, elle s'asseyait au milieu des haillons
et des meubles verraoulus; sa parole avail d'lneffables
trcsors d'espSrance et de consolation, et jamais elle ne se
retira sans ctre' suivie des benedictions de chaque fa-
mille. — Colette avail alors dix-huit ans; c'esl d'un Sge
auFsi tendro que commence h daler sa carriere evango-
lique.
A cette epoque, elle prit en haino sa beaute, quelle en-
tendait a chaque instant vanter devant elle; et afin de
mieux se s^parer du commerce de la societe, elle s'ap-
pliqua ;i la detruire parune longueserio de mortifications.
Rien ne lui couta pour arrivcr h cebut, ni le jeiine, ni
les veilles, ni la discipline-, elle employa lout. Elle se fit
lenteinent, sourdemcnt, le bourreau de son propre corps,
consultant chaque joup son miroir par im raffinement
de cruaute, pour suivresur son visage les traces rapides
de la penitence. Pile fiancie du Christ, elle se depouillait
graduellemenl de sa roliede beaule ; el commeceux qui,
pour etre agri^ables auSeigneur, rejettcnt loin d'eux les
ornemcnts profanes, les colliers, les pierreries, les den-
La lecliiFc de Cuk'Uu,
telles, les habits de soie, Co'ette regarJait les chaimes
de son \isngecomme une parure immoueste a laquelle
elle avail hile de dire adieu. — Aussi sa joie fut sans
egale lorsqu'un matin elle p.it ofiiir au ciel des trails
amaigris, un teint sans couleur, un re^jardcreux et qui
ne brillait plus que d'un feu inlericur.
C'elait lii un allreux courage. De.sormais, elle pouvail
passer dans la rue sans entendre sur son chemin ce mur-
mure d'admiration qui I'lnquielait moins pour elle que
pour_,ceux qui le soulevaicnt. EUe pouvail plover a pre-
sent ses_deui genoux sur la pierre des c'glises sans ren-
conlrer un regard attache sur le sien. Elle avail ccsse
d'etre la cause involontaire d'une distraction, d'une pen-
sie frivole, d'un di-sir coupuble. Ce n'etait plus cette
Colette la belle, conimccn I'appclail autrefois i ce n'etait
UKiinlenant qu'une pauvre fille, humble, defsite; mahi-
divp, la premiere venue d'entre les filles du peiiple, qui
n'etait plus monlree au doigt qnand ille se mettail a sa
fenetre en ogive, qui pouvail impunement passer au mi-
lieu du monde sans y laisser d'aulres traces que cellos de
sa pieleel de sabien'faisance. Cerlcs, ce bonheur, tous le
coinprendront; mais en est-il beaucoup qui con.senlissent
a I'acquerir a un semblable piix?
Ses parents vinrenl ii mourirsur ces entrefaite.s, en lui
laissant uu peu de bien. Elle le dislribua presque tout
entier enlre les necessileux et les soutTrauls, et, se trouvant
absolumentseule sur la lerrc, elle songea plus que jamais
k realiser son va'u de toutes les heures, celui de se vouer
elernellement au culte de la Divinile.
Colette se retira en premierlieu dansune maisonde re-
SAINTE COLETTE.
193
ligieuscs, appelees Beguines, qui vivaient sous la direc-
tion dcs disciples de I'urdre de Saint-Francois. Mais die
n'y resta pas longtemps. Ce n'etait pas lii ce qu'il lui
fallail : la re.^le elail trup douce, ,trop simple, Irop rela-
cbce pour elle, raustere penitenle; les bruits du dehors
n'cxpiraient pas sulBsamnienl sur le seuil, Dicu n'y par-
lail pasassez du liautdeson ciel eloile. — Kile enlra chez
les Urbanislos, ainsi nommees du pape Urbain IV, qui
avait ri'dige leurs statuts. Mais la encore, elle ne trouva
point re qu'elle clierchait, et elle en sortit au bout de
quelque temps comme elle elait sortie de chez les Be-
guines. — Elle passa successivement dans quelquesmai-
sons de Benedictines, sans plus desucces.
Ce qu'il lui fallait, c'etait la regie etroite, severe, im-
placable, la meditation suns fin, le perpeliiel tSte-Ji-tete
avec I'ange de la mort ; c'etait la couronne d'epines sa.is •
cesse enfoncce dans le front.
Pourtant elle se decula ii revetir I'habil du tiers-ordre
de Saint-Francois. II n'etait poiiH de monasleres pour les
personnes de cette institution; elles se retiraient oil elles
voulaient, chacune a leur guise, les uncs au milieu du
monde, les autres dans les profondeurs des bois ; leur
regie conslstait seulement dans quelques pratiques au-
dessus de celles qui sonl imposees au commun des
Chretiens. Une fois sous cet habit penitent, Colette obtiiit
de I'abhe et des habitants de Corbie, sa ville nalale, une
relraite obscure qu'ils lui firent batir dans les environs, et
oil elle se renferma pour vivre d.ins un etat de reclusion
parfaite.
Elle n'avaitalors que\ingt-troisans elle avait pronon
ce, outre les trois voeux ordinaires de religion, celui de
cloture eternelle. Son dcsir le plus cher se trouvait done
enfin exauce. Oubliee de I'univers, seule en conlempl.ition
devant le ciel, que de vives eitases venaient parfois lui
entr'ouvrir, agenouillee vis-a-vis une sainle image, les
levres loujuurs collees sur le jaune ivoire d'un crucifix,
ses jours s'ecoulaieni dans leur uiiiformebonheur comme
les grains d'un rosaire; sa vie n'etait qu'un long elance-
nient, une supreme aspiration vers les beatitudes divines.
Dans les inter\allesde ses prieres, elle dechirailson corps
a coups de lanieres de cuir jusqu'a ce que .sa main s'ar-
rMal,et,vaincue par 1'epui.senH'ntettouteensanglanlee, elle
le recou\ ait onsuite d'un rude cilice. Ses jeiinesetaient con-
tinucls; la ferveur dont elle etait animee ne manquait ja-
mais de piolongerses veilles fort avant dans la nuit; on
€ut dit que son time etait une lampe a I'entietien de la
quelle 11 lui avail; ete prescrit deveiller incessaniment.
"Elle ne marchait qu'tn tiaiuant de pesantes fhaines de
fer. Elle couchait sur la dure, avec une pierre pour
oreiller. Jamais crrminel ne subit depareils chatimcnts,
rcunis, assembles avec unart plussaoguinaire; et ccpen-
dant e'elait une jeune fille, pure, douce, innocente,
blanche comme I'agneau des prairies, humble comme
la fleur des champs, donl les jours n'avaient ete jusque-
U qu'une longue suite de verlus paisibles et de bienfails
niysterieux, qui s'olTrait ainsi en holocauste, a la fois
victime resignee et bourreau inflexible. Tout ce qu'une
induslrieuse barbaric peut inveuler de res.^ources nou-
velles, etranges, terribles, etait aussitot mis en ffiuvre
par elle pour mortilier ses sens et exalter son esprit.
Avec quelle mansuetude infinie Dieu ne devait il pas
abaisser ses regards sur cette sublime enfant! — Sans
doute que pendant son rare sommeilil envoyait un de
ses anges pour panser ses blessures' eb lui monlrer en
rive la recompense de son noble sacrifice. O'clait devaol
ce touchant tableau, j'imagine, qu'il venait se reposen
du spectacle irritant des passions humaineset des erreuis-
de la multitude. Une larme de femnie, une priere incoii-
nue, un devoucmenl ignore, out peut-etre arrete bien des
fois la foudre entre ses mains!
Colette demeura trois ans au fond de la solitude de
Corbie. .4u bout de ce temps, elle ne put resister aux
supplications de tout le monde; malgrti ses sentiments
d'humilile profonde et le souverain mepris qu'elle avail
toujours eu pour elle-meme, elle se vit tellement engagee
a travailler ii la reformation de I'ordre des religieuses de
Saint-Claire, qu'elle dut ceder aux instances generales.
Eu consequcnje on obtint pour elle dispense de sa clo-
ture, et elle se mit immediatement en roule pour aller
trouver le pape Benoit XIII. — Elle avait commence par
le manyre, elle devait (inir par I'aposlolat-
Le pontile, qui avail entendu parler de son ascelique
vertu, la recut avec une bonle toule paternelle, et lui
accorda sans difficulte la permission de prendre le cos-
tume desClarisses, c'est-a-dire des religieuses de Sainte-
Clatre,-de I'ordre de Saint-Francois, avec obligation d'en
observer la i i-gle a la lettre. Mais on salt que Colette ne
desirait pas autre chose 11 I'autorisa done a entreprendre
la reforme de toutes les niaisons dcs filles de Saint-Fran-
cois qui ressentiraient le dcsir de rentier dans I'csprit
de leur premiere institution. — Munie de ces pouvoirs,
Colette passa sur-lechamp en Savoie, oil elle jeta les
fondements de sa reforme asec le plus grand bonheur,
appelant sous sa discipline des filles de toiite condition,
et beaucoup d'anclennes sceurs de son ordre. En pen de
temps, son zfele eut rallie les pieuses ames de la contiee
sous sa nouvelle banniere. Autant elle avait vecu jadis a
I'ecart, autant son ardent proselytisme allait mainlinant
recruter pour la foi chietienne; devant elles, point de
portes qui ne s'ouvrissent, point de visages qui ne lui fis-
sent bon accueil; elle avait la patience et la douceur au
plus hant degre; c'etait vraiment I'envoyee de Dieu.
Ses elforls raeritaient d'etre couionnes, ils le furent.
De la Savoie sa reforme s'etendit en Bouri.'ogne, el gagna
graduellement [ilusieurs autres provinces doKi'ance, qui
avaient des I'origine montre quelque eloignenient pour
ses desscins. Mais que ne peut une conviction sincere,
unie a la plus infatigable acti\ite ? — Colette, couplaut
beaucoup plus sur le ciel, d'oii lui venait toute sa force,
que sur les secours de la lerre, reussit k l(Jver les obs-
tacles qui s'elevaient devant son osuvre et aidi.'isiper les
sophismes de ses adversuires. Elle eut la satisfaction de
voirsa regie s'elablir -encore dans les Pays-*Bas et Ton
sail qu'elle fut poitee depuis au deladu.IUiin, des Alpes
et des Pyrenees.
Ainsi fut partagee en deux sa vie exemplaire. Dun
cole, I'extr^me solitude; de I'autre, I'extreme agitation
des cites. D'abord la relraite; ensuite le voyage. Apres
le combat avec soi-nieme, le combat avec le monde ;
apres son propre triomphe, le triomphe de I'figlise et de
rfivangile. Culette doit etre regardee comme une de ces
saintes personnes qui ont le plus fait pour la propagande
catholique, et qui se sont le plus elevees au-dessus de la
faiblesse de leur sexe par le courage moral et I'exemple
des vei tus hero'iques. — C'est surtout un modele k mettre
sous les yeux des jeunes personnes dont la vie s'ccoule
200
SAINT-ANDRE-DE-LA-VALLE.
au soin des frivolites, et que le (ourbillon des plaisirs
mondains emp^chc de descendre plus souvent au fond
d'elles-memcs. Pcut-ctre alors I'image de sainte Colelte
sur le lit de pierre de sa cellule viendra-t-elle les sur-
prendre quelquefois parmi le bruit et les ffites, et les
faire riflcchir salulaircment sur le n6ant des choses hu-
maines.
Ce fut en I'an 1447 que Dieu rappela vers lui sa ser-
vanle. Colelte mourut en grande odeur de sainlele, au
milieu de ses compagnes, plenrec de tout le monde, et
surtout des malheureux, qui connaissaient sop. coeur par
ses aumones.
Elle fut cnterrte h Gand, oil Ton rapporle que bcaucoup
de miracles eurent lieu depuis sur son tombeau, sans
doute pour recompenser la foi de ceux qui avaient eu
confiance en son intercession. Dc la Frediere.
/."
toUcli- J.1..S -a 'ill lie.
HISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIQUES DE ROME.
SAINT-ANDRE SE-L A-VAI.I E.
Cjette ^glise futd'abord dediee a somt Louis dc France.
Elle apparlint ensuile' aux Piemontais jusqu'en 1600,
epoque h laquelle la signora Constanza Piccolomini, du-
chesse d'Amalfi, donna aux percs th^alins le palais De-
la-Valle avec une magnifique chapelle en I'honneur de
saint Andr6. — Depuis elle est revenue en la possession
du couvent des clercs ri^gulicrs theatins, fond^ pari saint
Gaetan et par le pape Paul IV, de la maison Cnraffa.
Le cardinal Alphee Ge>ualdo, Napolilain, en fitjeler
les fondements d'apres les plans de I'architecte Pierre-
Paul Olivieri. Elle fut continui'e parle cardinal Alexan-
dre Montalto , et termince par le cardinal Francois
SAINT-ANDRE-DE-LA-YALLE.
201
Perrelti, son neveu. Piiul Olivieri, comme nous I'avons
dit , avait eleve le batiment a une cerlaine hauleur,
lorsque la mort !e surprit. Charles Maderno fit le
chfflur , la Toiile el le dome; et enfin le cavalier Char-
les Rainaldi execula la facade, qui est une des plus
belles de Rome. — Elle est toute de travertin a deux
rangs de colonnes corinthiennes, d'ordre composite. Les
entrK-colnnnemenlssont remplis par des niches garnics
de statues de la plusgrande beaute; celles de saint Gaijlan
et de saint Sebastien sontsoi ties des mains de Dominique
Guidi ; celles de I'apotre saint Andre et du bienheureux
Andre d'Avellino ont ele failes par Hercule Ferrata. Au-
dessus du portique on remarque deux anges du Fancelli.
L'interieur de I'eglise est magnifique. La premiere
chose qui frappe les regards c'est le maitre-autel ; il est
isole etn'aqu'un labernacleavecdeschandeliersdebronze
dore. Derriere se trouve le choeur, dont les murailles
peintes a fresque par le cavalier Pr.-ti , dit le Calabrois,
reprcfentent I'hisloire de I'apotre saint Andre. La voiile
du chosur se divise en plusieurs compartimcnts : on y
voit six Vertus, plus grandes que nature, peintes^ fresque
par le celebre Dominique Zampieri, connu sous le nom du
Dominiquin; los qualre evangelisles dans les quatre coins
du dome sont egalement sortis de son pinceau, et, avec les
peintures de la voule, ce sont les plus estimes de tous ses
ouvrages. La coupole, entierenientpeintc par Lanfranc, re-
presente les saints dans la gloire. — Le rafime sujet a ete
grave en huit feuilles par Charles Cesi.
Apres avoir admire celte superbepartie de l'interieur,
on ne peut resister au desir d'examiner en detail les
riches ehapelles qui s'elevent des deux coles.
La premiere a gauche appartient a la famille Ginetli,
qui a depense quatre-vingt mille ecus pour lafairebalir.
Elle est revclue de marbre, jaspe, agate et autres picrres
pricieuses. Le chevalier Carlo Fontana en a fourni I'ad-
mirable dessin. Lebas-relief de I'autel, taille par Anioine
Roggi, represenle un ange avertissant saint Jo.-eph de
fuiren Egypte; on s'extasie autant devant la sollicitude
peinle sur les traits du messager celeste que sur I'air de
confiance divine qui colore la figure du vieillard. Le
miime sculpteur a fait le buste du cardinal Ginetli, ainsi
que la Renommee portant les armes de cette famille. —
Alexandre Rondoni a laille les quatre statues qui decorent
les qualre coins de cette chapelle.
L'illustre maison Strozzi fit bitir la chapelle suivante
sur le plan donne par rimmorlel Michel-Ange Buonarotti.
La Notre-Darae-de-Pitie tenant Notre-Seigneur mort sur
ses genoux est un de ses chefs-d'oeuvre. Sur chaque cdte
de I'autel il y a une statue et un candelabre coule en
bronze. On y remarque, en outre, douze colonnes en
marbre dit pidocchioro el granilcllo oriental. Un descen-
dant de la famille Strozzi a fait elever les qualre tom-
beaux de basalte qui decorent l'interieur; ils rciiferment
lesdepouillesmorlelles des quatre fils de Philippe Strozzi,
mar^chal de France, c'est-a-dire du cardinal Laurent
Strozzi, de Leon Strozzi, general des galeres de France et
de Naples, Pierre Strozzi, general d'armee d'Henri II, et
de Robert Strozzi.
Les pelites ehapelles avoisinant le choeur possedent
des tableaux de la plus grande beaute : ici un saint Charles-
Borromee peint par Barthelemi Crescent! ; la un Andre
d'Avelino disant la messe, execute par lecavalier Lanfranc ;
puis dans celle du Crucifix une Assomption d'Antoine
Barba Longa, Messinois, (51eve du Dominiquin; I'autre a
cote de la sacristie possede un tableau de la Sainte Fa-
mille et des anges peints par le ra6me Lanfranc. Seule-
ment ilesta regretter que cette derniere production de
cet artiste ne soil pas comparable k celles qu'il offre
dans cette eglise a I'admiration de la posterity.
Un grand tableau de saint Caetan a ete peint par Andr6
Camassei dans la chapelle' dediee au saint de ce nom;
c'est ce qu'on y voit de plus remarquable avec la bordure
de (leurs de Laura Bernasconi.
A c6te de la porte laterale se trouve le tombeau du
comte Tieni Vicentin, en marbre noir. Deux statues
sculptees parDominiqueGuidi portent le buste du comte,
au- dessus du monument.
I.a chapelle de saint Sebastien est Egalement dotee de
plusieurs chefs-d'ceuvre : le portrait de ce saint, I'un des
meilleurs ouvrages de Jean de Vecchi, et le tableau de la
Viergeavec le petit Jesus mettant un anneau au doigt de
sainte Catherine. Cetle toile, oil Ton retrouve toute la
grace et la verity que Raphael savait donner a ses ceuvres,
est de Jules Remain, I'un de ses meilleurs Aleves et celui
qui a su I'imiter avec le plus de bonheur.
Non loin de cette derniere chapelle on voit celle qu'a
fait eriger la famille Oricella'i de Florence. Elle est tout
incrustee de marbre et de pierres fines. Matteo de la cite
de Castello en fut I'architecte. On y voit un tableau de-
saint Michel chassant les demons; il est d'une remarquable
beaute.
Le cardinal Maffei Barberini, depuis pape sous le nom
d'Urhain VIII, voulut aussi avoir sa chapelle dans celle
eglise oil de si illustres families en posseduient deja. II la
fit eriger par le m^me Malteo de la cite de Castello; sur
I'autel est un magnifique tableau represcntant I'assomp-
tion de la 'Vierge. Sur les cotes, la presentation au temple
et la visitation de sainle Elisabeth revetent les murailles.
Ces ouvrages, ainsi que les peintures de la voile, sontdus
au pinceau du cavalier Dominique Passignani. On y re-
marque encore plusieurs belles statues de marbre : sainte
Marthe de Francois Mocchi , saint Jean I'evangelisle
d'AmbroiseJIalvicino, saint Jean-Bapliste de Pierre Ber-
nino, et sainle Madeleine de Christophe de Bracciano,
qui a egalement sculpt^ en marbre un prelat de la famille
Barberini, qu'on voit a main gauche au-dessous d'un
saint Sebastien peint a I'huile par le cavalier Passignani.
II existe du mcme cote une chapelle tres-obscure et
prcsque souterraine ; on I'a dediee a saint Sebastien, parce
que son corps fut trouve dans ce lieu, oil le farouche
Diocletien I'avait faitjeter.
Pasquin de Montepulciano a fait les deux sepulcres qui
sont sur les arcades vis-a-vis des portes de cette eglise:
I'un est le tombeau du pape Pie II Piccolomini; I'autre, de
Pie III, son neveu. Us furenl eleves en ces lieux par les
soins du cardinal Alexandre Peretti. J. B.
2(»
MOLltCRE.
LES FRANCAIS ILLUSTRES.
MOI.IEB.I:.
Vj'est line liisloire' qui com-
mence a la maniere d'un ro-
man <le Scarroii, et qui finit
comme im drame melanco-
llque.
Moliere, ce grand poele, co
giand pliilosophe , ce grand
lionnSle liomme, — comme
I'appelle M. Viltemain, — na-
quit sous lespiliers dcsHalles,
dune famille de valets de
chambre tapissiersdu roi Louis
XIII. Son pere obliut pour lui
la survivance de sa charge,
et, jusqu'a I'Jge de quatorze
ans, celui qui devail fonder la
comedie parmi nous ne fut occupo que des soins d'un
apprentissage manuel.
On sail que son vrai nom otait I'oipielin.
Son grand-pere avait I'habitndo do le nicner voir sou-
vent les com^diens de I'hbtel de Bourgogne, — el il est
probable que c'est la que se sera developpe son gout na-
turel pour les spectacles. Toutefois est-il qu'il demanila
instammenl a ses parcjits, elqu'on lui accorda avec peine,
la permission d'aller faire ses etudes chez les jesuites du
college de Clermont.
Pendant les cinq annies qu'il y demeura, lejeune Mo-
liere contracta une etroite amitie avec le poete anacreon-
tique Cliapelle, et ce joycux niatamore, capitan de comedie
italienne, Cyrano de Bergcrac, I'auteur du Voyuije dims
la tunc. — Tous les Irois avaient le mime preccpleur,
qui elail Gassendi ; ot c'est sans doute aux Iccons du
philosoplie que I'ecrivain dramalique doit celte rectitude
de jugenicnt et cette raison profonde qui se relrouvenl
dans ses moindresceuvres.
II suivit ensuite la cour, en qualitc de tapissier, dans
son voyage ii Narbonne, et cette epoque ne fut absolu-
ment remplio que par les devoirs de sa charge, — qu'il
e.xerca du resle jusqu'a sa mort, en depit de ses aulres
travaux. On a pretendu qu'a son retour a Paris il avait
eludic pour etre avocat.
La. protection dont le puissant cardinal de Richelieu en-
(ourait alors les auteurs porlait a un tres-haut degre le
50UI de la nation vers I'art dramalique. Cegoiit s'elait in-
Iroduit jusque dans plusieurs societies particulieres, qui
jouaient de temps en lemps quelqucs pieces sous le man-
teau. Moliere se trouva, jene sais comment, prescnie dans
I'une d'elle.s, et uiijour qu'il senlaiten lui vibrer plus for-
tement la fibre comique, il s'essaya dans un divertis.se-
ment. De ce jour, sa vocation fut decldee. — II quilta le
nom desa famille, plus sans doute par regard pour die que
pour suivre I'exemple des premiers acteurs de I'liolel do
Bourgogne, qui avaient des nonis particulierspour chaque
especed'emploi qu'ils representaienl. C'est ainsi queTur-
lupin sappclait Belleville dans les rdles serieux, que Fle-
chellen'elait connu dans la farce que sous le sobriquetde
GautierGarguille, et que Robert Gucrinprenait tour a tour
les deux pseudonymes de La Fleur ct deGros-Guillaunie.
Celle socieli" acquit une sorte de reputation sous le
nomde VlUustrelhcalrc; elleparut d'abord sur les fosses
de Nesle el ensuile au quarlier Saint-Paul. Le prince de
Conti la fit maiuler deux ou trois fois dans son liolel el
s'amusa beaucoup de ses representations. Bienlot ccs
comediens improvises voulurent tirer de largent de leurs
succes, et ils s'elablirentdans le jeu de |iaume de la Croi.v-
Blanche, au faubourg Saint-Germain. Mais leur espoirne
fut pas rempli.
Les guerres civilesqni vinrent agiler Paris dans ce mo-
ment font perdre Moliere de vue jusqu'en 1652. II est a
supposer qu'il employa ce temps ^ composer ses premiers
ouvrages.
Resolu enfin Ji tout sacrifier pour entrer dans une car-
riere oil I'appelaitune voix irresistible, — celle du genie,
— ilsecoua les enlraves qui le retenaienl dans la capitalo,
et, s'arrachant aux supplications de ses parents, il partil
pour la province, apres s'etre mis a la tile de quelqucs
comediens de campagne. La commence celle elernelle
odysseedelaTlialie ambulante.qui ade lout temps inspire
des peinluressi boulloanes et si tristes, des pages pleines
de faiilaisie et de douleur. J'imagine un grand chariol
traine a grand'peine par deux rostes elllanquees, cou-
vert de mille choses sans nom, de decors, de paille. de
costumes; portanl cinq ou six pauvres diables clianlant
et deciamanl, bommes el femmes, le Tnvelin avec la
Colombme, Mascarille el Leiie, Jodclet enveloppe dans
le manleau du Docleur, tout un peuple semi-francais,
se.ui-italien, senii-espagnol. Babel dramalique. Devant
euxs'aliongeune route poudreuse.longue, pleinedesoleil,
semee de rares villages qui, tous, viennent se mellre aux
porles pour les voir passer. Les enfanls se cachent .sous
le tablier de leur mere,effrayes par le masque d'Arlequin ;
les chiens aboient apres les longues manches blanches de
Pierrot. C'est une toile de Callot. — Sculement, dans un
coin de la charretle il y a un homme qui reve : c'est
Moliere.
II parcourut surlout le midi de la France. A Lyon, il
joua sa premiere piece, VElourdi, et y oblint un succes
qui enleva presqtie tous les speclateurs au theatre d'une
MOLIERE.
7 ACG i9
NA■^^/'F..^U
HISTOP-V.
moliere:
205
trouperivale. Dans ses peregrinations a Iravers le Langue-
doc, il relrouva le prince de Conti, qui lenait a Beziers
les etats de la province, et qui, se rappcbnl les debuts
de Molicre sur [Iltuslre Theatre, le rrcul avec bonle et
lui fit donner des- appoinlcments, ainsi qu'a ses cama-
radcs.
La lialte de Beziers tut signalee par les reprcsenla-
tions du Depil amoureux et des Prccieuses. On voit
que Moliere commenrait deja a pou^ser la oomcdie dans
une voie nouvelle, abandonnant les canevas charges din-
tngaes pour entrcr dans la peinture des caracteres et des
mceurs. Cette tentative lui reussit. — Neanmoins il sa-
crifiaitau goiil de la multitude, ecrivant des farces ou
bastoniiades qui n'ont jamais ete imprimees, telles que le
Mailre d'Ecule, ]e Doctcur u>noureujc,\es Trois Vncleurs
rivuii.T, le Mi'decin valant, la Jalovsie de Darbouille el
Barbuuille dans le Sac. Ccs Irois dernieres renfer-
maient, dit-on, le germe du Medecin maUjrd lui, un ca-
nevas inl'orme du troisienie acte de Georges Dandin el
une scene des Fombcries.
Quant au i>urtcKr awoi/rcuj-, dont Boileau lui-meme
regrettait la perte, on se souvient de la decouverte mira-
1 e chano. lie Mcliere.
ciileuse que le theatre de I'Od^on pri'tendit en avoir faitc
et de la representalion qui s'ensuivit au mois de mars
1845. Le nianuscril, qu'on affirmail avoir ele retrouve
dans les papiers du comedicn Lagrange, etait depos^ au
foytr, oil chacun pouvait \enir en prendre connaissance.
Malgre cela, il s'cst Irouve des critiques pour nier I'au-
Ihenticite de celle decouverle et trailer de pastiche le
DoHeur amoureux de I'Odeon. Nous laissons a de plus
compelenis que nous le soin de se prononcer sur une
question si delicate.
Ces pieces, et quelques aulres empruntees aux Italiens,
formaicnt le reperloiie de Molitjre. De Beziers, on ne
sail Irop oil il dirigca sa troupe. On a prelendu qu'il
avail donne quelques representations a Buideaux, dans
une salle situee rue Monlmejan, aujourd'hui demolie. —
Dans ce tumps-la, le tambour annoncait le speclacle par
les rues de la ville, et la reprerenlation ne pouvait se pro-
longer plus lard que sept heures du soir. Les honneles
femmes ne s'y montraient guire et Ion n'y soulTrait pas
de juifs. Le parterre ne coulail alors que six sous.
Quoi qu'il en soil, il est certain que ses voyages dans
la province furenl coupes par de frequenles excursions a
Paris, oil il avail lambition de s'etablir. — Sur la fin
de 1C57, nous le relrouvons ii Grenoble, oil il demeura
pendant le carnaval de I'annee suivanle. — II vint ensuile
se fixer a Rouen et y passa Tele, sans doute dans le but
de se rapprocher de la capitale. A cette epoque, en effel,
ses demarches devinrcnt plus actives^ plus pressantes
que jamais; d'aprcs I'opinion de ses camarades eux •
memes, il avail des formes insinuanles el une sorle d'ha-
bitude innee des manieresde la cour; nul mieux que lui
nesavait concilier les qualitessi opposees de rhomme de
cceur et du courlisan. Dans sa troupe, il s'etail reserve
I'emploi de faire I'annonce des pieces el de haranguer le
public a I'occasion, emploi souvent difficile el dout il se
tirail toujours a son honneur. — II n'ejt done pas de
peine ii se creer de puissantes protections et a gagner
bienlot les bonnes giSces de Monsieur, qui lui fit avoir
acces aupri'S du roi et de la reine-mfere. Ce lad parfait
dans les diverses circonstances de sa carriere multiple
n'esi pas un des coles les moins curieux dece grand ca-
raclere.
II devait en venir a ses fins. Le 2i octobre <6o8, sa
troupe fut admise ii jouer la tragedie de Nicomrde devant
toule la cour, sur un theilre eleve dans la salle des gar-
des du vieux Louvre. — A la fin de la piece, dans un re-
merciment au roi, il demanda la faveurde representer un
de ses divertissements, el il robtint. Le Dectcur amou~
reux, qu'il avail choisi, excita la gaiety la plus franche
parmi la noble assemblee.
De ce jour, il fut accord^ a ces nouveaux-acteurs de
s'etablir k Paris sur le theatre du Petit-Bourbon, et de
20-i
MOLIERE.
jouer aUernalivement avcc les comddiens ilaliens, sous le
litre de troupe de Monsieur, — conimc I'indiquent ccs
deux vers do la Muse his(oriquc de Loret :
Celtc Irotipe de comedicnB
Que Monsieur avoue elre siens.
Le premier pas elait fait, Moliere ne tarda pas b se re-
viler par ses oeuvres sublimes ; il sentit que la scene
francaise allait lui appartenir, et il resolut d'en foire une
feole de philosophie. On sail comment il y parvint, et les
noms de ses chefs-d'cEuvre sent aujourd'liui dans toutes
les bouches. — Ce furent en premier lieu les Prccieuses
ridicules qui I'annonc^rent aux Parisiens ; jamais succes
ne fut si marque ; I'affluence des spectateurs I'obligea dfe
la seconde representation a doubler le prix des places.
La pifece se soutint ainsi pendant quatre mois de suite.
Le monde vint au Petit-Bourbon se reconnaitre dans ses
fagons de bel esprit et dans son langage emprunte au
style guinde des remans. Cela porta un coup funeste
aux Gillie, aux Alcandre, aux Mandane, aux Climanthor,
aux 'Artamfene; ct I'astre de la mythologie en houlette
menaca d'etre un instant obscurci par I'epaisse bedaine
de Gorgibus ; — « Courage, Moliere! lui cria-t-on du
fond du parterre ; voila la bonne comedie. »
Vraiment la reforme produite par cette piece est plus
grande qu'on ne saurait le croire. Mi5nage, qui assistait a
la premiere representation, dit en sorlant a Chapelain :
— « Nous approuvions, vous ct moi, toutes les sollises
qui viennent d'fitre cntiqueessi finement et avec lant de
bon sens; croyez-moi, il nous faudra briiler ce que nous
avons adorfi et adorer ce que nous avons briile. » Ce fut
h cette occasion aussi que Moliere essuya le premier feu
de la critique. On fit plusieurs parodies de sa piece, par-
mi lesquelles Saumaise doit Hre inscrit pour trois, qui
sent: — les Verilables Precieuses, le Proces des Prccieu-
ses et la Pompe funebre d'une Prfcieuse. Ce qui devait
toutefois attenuer la portee de ces diatribes aux yeux du
public, c'est que ce m^me Saumaise, chose singuliere,
avait mis en fort mauvais vers les Precieuses ridicules,
tout en decriant I'autcur de la facon la plus injurieuse
dans sa preface.
Sganarcllc vint ensuite et fut plus g^ncralement ap-
pricie des litterateurs. Depuis son sejour k Paris, Mo-
lifere avait corrige son style, — et Ton s'en apercut. Ce
nouvel ouvrage d'un auteur que les Precieuses avaient
rendu desormaisc^lebre, attira la foule pendant quaranle
soin!'es , bien que le mariage du roi retint la cour
hors de Paris. — .lusqu'i present, Moliere s'ilait refuse
k livrer aucun de ses manuscrits i I'impression. On fut
oblige de recourir a un subterfuge pour obtenir son con-
sentement, et Sganarelle fut imprim6 pour la premifere
fois, sans privilege et sans nom d'imprimeur, par le sieur
de Neufvillenaine, qui I'avait retenu en enlier apres en
avoir vu les cinq ou six premieres representations, et qui
le d^dia k Moli(!re. — Cette Edition est exlr6mement
curieuse par la peinlure qu'il y donne de la manicre
spiriluelle dont le principal r61e etait rempli par I'auteur-
acteur.
Vers ce temps, le theatre du Petit-Bourbon ayant i5te
dimoli pour construire la facade du Louvre qui est du
c6t6 de Saint-Germain-r.4uxerrois, Louis XIV donna a
Moliere et aux comedicns italiens la salle que le cardinal
de Richelieu avait fait bSlir dans son palais, el qui pril
le nom de Ihiitre du Palais-Royal. — Don Garcie de
Aararrc y fut represente en 1661. Ce fut sa premiere
chule. II courba la tSte sans murmurcr el se contenta plus
tard d'en faire passer les traits les plus dignes dans plu-
sieurs autres de ses comedies. — VEcule des Maris, qu'il
donna peu de temps apres, lui fournit I'occasion d'une
revanche brillante.
Cette c^poque peul ^tre regard^e comme la plus heureuse
de sa vie. II voyait naitresa gloire el ne pressenlail point
encore les persecutions dont il devait bientot etre I'objet;
la ville el la cour avaient les yeux sur lui ; le roi vcnait
de I'adnieltre rccemment dans son intimity, ct parmi les
courtisans, c'etait a qui s'empresserait de suivre I'exem-
ple du roi. Les gens de qualite, trouvant sans doute qu'il
etait de bon gout de faire rire a leurs depens, faisaient
pleuvoir.chez lui des memoires de toule cspece, pour I'in-
struire du caractere de tel et Icl, afin qu'il s'en servit
dans ses cadres et pour que ses tableaux fussentdes por-
traits. On le voyait souvent, apres le spectacle, entoure
d'une multitude de genlilshomnies, occup6 Ji chercher
partoul des tablettes pour recevoir leurs communications.
— . Ces messieurs lui donncnt souvent a diner, dit un
critique contemporain ', pouravoir le temps de I'inslruire
en dinant de tout ce qu'ils veulenl lui faire melire dans
ses pieces; mais comme ccux qui croient avoir du merite
ne manquent jamais de vanite, il rend tnus les repas qu'il
recoil, son esprit le faisantallerde pair avec beaucoupde
gens qui sont beaucoup au-dessusde lui. L'on ne doit
point aprte cela s'etonner pourquoi Ton voit lant de monde
^ ses pieces; tous ceux qui lui donncnt des memoires
veulenl voir s'il s'en serl bien ; lei y va pour un vers, tel
pourun demi-vers, tel pour un mot, et tel pour une pen-
see dont il I'aura prie de se servir : ce qui fait croire
justement que la quantity d'auditeurs interesses qui vont
voir ses pieces les font reussir, et non pas leur bonte toute
seule, comme quelqucs~uns se le pcrsuadcnt. r,
D'apres ces quelques lignes, on voit que Moliere se
Irouvaitdans ime position de fortune honorable, puisqu'il
rendail aux gentilshommcs tousles diners qu'il en rece-
vail. Combien d'hommes dc letlres, dans ce temps-l^,
n'en eussent pu faire autanl? Sa comedie des Faclieu.r est
le resultat de cet amas de notes, et l'on pcut dire que
tout le monde y a travaille. Elle fut representee k Vaux,
chez Fouquet, en presence du roi et de la cour, avec un
prologue de Pelisson. Plus tard Louis XIV donna ix Mo-
liere I'idee de la scene du Chasseur, qui fut ajoul(5e aux
representations de Saint-Germain et du Palais-Royal. —
Les personnages qui y etaient rallies en prirenl si bien
leur parti « qu'il s'en trouvait qui faisaient en plein th^S-
tre, lorsqu'on lesjouait, les m^mes actions que les come-
diens faisaient pour les contrefaire. • Le public de Paris
eut beaucoup d'indulgence pour un ouvrage concu ,
appris et represente en quinze jours.
Mais Moliere n'etait pas fait seulement pour ce me-
tier de courtisan rimeur. II sentait sourdre dans sa tHe
autre chose que des intermedes et des ballets. Le coeur
humain ofTrait un plus vaste champ d'clude h son re-
gard profond ; I'homme, et non I'honime de la cour ou
de la ville, voila ce qu'il voulait peindre. Au lieu de ces
bizarreries, de ces coutumes, de ces singularites, de ces
manies, de ces travers particuliers a son ipoque, qu'il a
I Donncau de Viii.
MOLIERE.
203
Stales dans les FAcheux, e'elaicnt les bizarreries, les cou-
tumes, les travers tie toujours qa'il voulait reproduire,
c'etaient les mceurs eternelles, les grandes passions au
lieu des petits vices. II voulait que son theSlre s'appelat
theatre du cceur, et non theeitre du Palais- Royal. — Cette
idee, il la realisa d'une facon aussi largo quo sublime
dans VEcole des Femmes, piece qu'il eut tout le temps
do parfaire, dans I'espace de dix-huit mois que sa troupe
fut delaissee pour les representations de Scaramouche,
recemment arrive d'ltalie.
Tarte it la crcme.
Scaramouche parti, Moliere eut son tour.
L'Ecole des Femmes fit beaucoup de bruit, quoique k
la premiere representation elle eiit ete generalement con-
damnee par les gens du monde. Pourmoi, je pensequ'elle
fut trouveetrop vraic, quele rirequ'ellechercheparuttrop
douloureux, que les plaies qu elle expose semblerent trop
saignantes. On n'^tait point habitue k voir dans la come-
die un SI fidele tableau de la misere morale ; on en fut
effraye. Jamais poete n'avait pousse plus avant ses ex-
plorations dans la vie intime ; nul autre que lui n'avait
mis rime plus a nu. C'est que Moliere ecrivait alors avec
son ame el avec son sang, c'est qu'il s'est representi5 lon-
guement, patiemment, cruellement, dans le role d'Ar-
nolphe ; c'est que ce drame est son histoire, I'histoire de
sa vie conjugate avec la comedienne Bejart, cette femnie
de si peu de cceur qu'il avait ^pousee par amour et qui
le trompa par vanite. Pauvre grand homme! quel cou-
rage il lui a fallu pour se mettre lui-mSme en scene et
pour servir en pature a la foule assemble le propre spec-
tacle de ses tourments, de ses inquietudes, de ses soup-
50ns, de son supplice de tous les jours et de toules les nuits !
— Ainsi fait le pelican lorsqu'il dechire ses entraiUes
et qu'il les partage k ses petits affames :
Les declamations sont comme les epees :
Elles Iracenl Hans Tair un cercte cblouissanl,
Mais il y pend tonjours qucique goulle de sang.
On a dit que la malignite infame abusa de ses infortunes
domestiques pour jeler sur lui le ridicule qu'il avait si
souvent joue dans les aulres. S'il en est ainsi, la posterito
I'a bien venge maintenant. Elle n'a laiss^ que la honte a
la Bejart. — Comme toutes les plus admirables de ses
pifeces, VEcole des Femmes souleva une nuee de critiques
dont pendant six mois entiers I'horizon lilteraire fut
obscurci. C'est ce qui fait que Loret en parle de la sorte
dans sa gazette :
Pie;e qu'en plusieurs lieux on fronde,
Mais oil pourlani va lant de monde
Que jamais sujel important,
Pour le Toir, n'cn altira tant.
Toutefois Moliere ceda au desir de repondre h ses ad-
versaircs, et ce fut ce qui le perdit. Des lors commenca
pour lui une lulte mesquine, inces;ante, acharnee, a la-
quelle il laissa son repos, et qui ne contribua pas peu a
repandre sur ses jours cette teinte de melancolie qui de-
puis ne I'abandonna jamais. Sa Crilique de I'Ecole des
Femmes ouvrit le feu, et bientot il se vitbafoue par Bour-
saultdans unecomedie representee k I'hotel de Bourgogne
.sous le litre du Porlrail du PeuHre ou la Contic-Criti-
(Jiie. — Moliere repliqua parVImpromplit de Versailles;
mais sa colore etant tombee en mSme temps sur les co-
medicns de I'hotel de Bourgogne et sur les marquis, la
guerre ne tarda pas a ^tre d^claree et k devenir generale.
L'hotel de Bourgogne fit coup sur coup reprt^senter I'/m-
promplu de I'Bolel de Conde et la Vengeance des mar-
quis, I'une en vers et I'autre en prose, I'une de Mont-
fleury et I'autre de de Villiers, qui tous les deux avaient
^te tournes en ridicule dans VImpromplu de Versailles.
Mais un trait qui est oublie peut-etre et qui doit vivre
eternellement pour la honte de son auteur, c'est celui que
.206
MOLl
je vais rapporter. — Le due de '** s'elait niontrc un
des plus inipitoyablcs censours de I'iVo/c dcs Fcmmes.
— « Qu'y trouvoz-vous ij redire? lui demanda un con-
.naisseur. — All! parbleu, ce quo j'y trouve a redire est
plaisant : Tarle a la rrfme! — ^Jlais (iiile a la cretnc n'est
point un defaut, repondil le bel esprit , pour le decrier
comme vous faitcs. — Tarle a la crciiie csi execrable, ri-
pondit le courtisaii ; laric a la crcme, bon Dieu '. Avec du
sens conimun, pcut-on soutenir une piece oil Ton a mis
laric a la crcme! — Celte conversation, sVHant r^pandiie,
ful bientot dans toutes tes bouches, ct dans sa Ciiliquc
ilcl'Ecole dcs Femmcs, Moliere n'eut garde d'oublier le
tarle a la cremc, qui toil passe en proverbe. Le due
fut si vivcment pique d'etre mis sur le Iheillrc, qu'il
s'avisa d'une vengeance indigne d'un homme de son
rang. Un jour qu'il vit passer Jloliere, il I'aborda ;avec
les plus alVables demonstrations, el, profitant dui mo-
ment oil celui-ci s'incliDait, il lui prit la teleentrc 'les
mains et lui frotta le visage conlre les boutonsde son' ha-
bit, qui etaient durs et tranchanls. — Moliere eut la fi-
gure ensanglanlee. — On ne peut trop s'iiidigner d'une
alrocite pareille, et I'expression manque pour fletrirune
aussi stupide IJchete.
On comprend des lors combicn sa position dut dtre
difficile, et conibien elle I'eiit encore 6te da-vantage sans
la puissanle protection dont Louis XIV I'-entourait hau-
lement. II scniblait que le grand roi eut pris a tache de
faire oublier au grand ecrivain les injures de ses enne-
mis en le comblant de bienfaits ct d'honneur. — Nul
doute que ce ne fiit pour rcconnaitre cetle auguste ami-
tic que Moliere composa la Princesse d'Elide et le Ma-
nage force ou liallcl du Roi, ainsi nomme parce que le
roi y dansa une entree dans la representation qui en fut
faile au Louvre.
Deux ans apres I't'co/f dcs Femmes. Moliere revint a
des travaux plus s^rieux et plus digncs de son gi^nie. II
donna le Fcstin dc Pierre. L'etrangele du sujet, la har-
diosse des nioycns dramatiqiies, I'inlerdt d'un genre tout
nouveau, ne trouverent point grSce vis-a-vis le public.
Le Feslin de Pierre tomba. — Louis XIV choisit ce
moment pour venger son poete de I'opinion et devancer
le jugemont de la posterite. Dc m^me qu'apres VEcole
des Femmes il s'etoit empresse de le comprerdre dans
I'litat des gens de leltres qui eurent part a ses liberalites,
de meme, apresl'insucc&s du Feslin de Pierre, II auto-
risa ses comediens k prendre le titre de Comcdiens du
Roi et leur accorda une pension de sept mille livres. —
Pendant ce temps, Moliere 6tait outrageusement traitede
corrupteur de la jeunesse et d'alhi^e, dans un ecrit signe
du sieur de Rocliemont.
.le passe rapidement sur V Amour medecin, fait et re-
presenle dans cinq jours, et qui commenca la croisade
centre la Faculte, — pourarriver pluslol au Misanthrope,
cecri sublime d'une trislesse amere, celte ardente satire
de la socicte, cet honiiSte courroux d'un homme blessiS
au coeur. .Sous I'habit aux rubans verts d'Alcesle comme
sous le manteau d'Arnolpbe, qui ne reconnaitrait encore
Moliere'/ — Le croirait-on? le Misanthrope eut ii peu pres
dans le principe le meme sort que le Feslin de Pierre.
A laquatricme representation, il n'y avail dcja presque
plus personne.
II estvrai qucle Jodelel deScarron faisait alors furcur.
Le grand homme ne se rebuta point. II essaya de rap-
feRE.
peler les spectateurs par un ouvrage de nioindre porlec,
— par une farce. .4u Misanthrope, il joignit le Medecin.
malgrc lui, et de cetle facon Alceste put passer a la fa-
vour de SganarcUe. — II supnrima ensuile cetle derniere
piece, quand le merite de la premiere fut suflLsamment
reconnu.
Mais nous voici arrive a I'episodele plus orageux de sa
laborieuse carriere. Laissons de cole Melicerle ct le Siri-
lien, et venonsen de suite a ce drame de Tarlufe qui
souleva, avant et apres son apparition, tanl de declama-
tions ct lant de baines. Bien que des prelats et le 16gat
lui-m^me en eussent juge favorablement a la lecture, il
•■n'en eut pas moins Ji e.«suyer tout ce que le zele exogere
ebiice devotion mal entendue ont de plus dangcreux.
'G« n'^lait cependant que sous le tilre de Vlmposteur
qu'il s'etait hasarde a le produire sur la scene, et en de-
guisanl le principal personnage sous I'ajuslement d'un
homme du monde, c'esta-dire en lui donnant iin pelit
chapeau, de grands chcveux, un grand collet, une epce
et des denlellcs sur I'habit. Toutes ces precaulions furenl
inuliles. Le lendcniain de la premiere repr&enlalion,
ordre lui fut envoye de siisperdre Ics suivantcs. — En
vain dep^chat-il sur-le-champ ses camarades La Grange
et La Thorilliere au camp devant Lille ou elait le roi, afin
de revoqucr ccl arrSl; le fanalisme devait trioniphcr. Ce
ne fut qu'au bout de deux ans que Louis XIV, desibuse.
donna une permission aulhentique de renieltre cette piece
au theatre. II avail enfin compris que c'elait rcndre ser-
vice a la religion elle-meme que de demasquer ses faux ser-
viteurs. — En recompense des peines qu'il s'etait donnees
et des tracasseries sans nombre qu'il avail cues a subir,
les camarades de Moliere voulurent absolument qu'il eilt
double part, sa vie durant, toutes les fois qu'on jouerait
Tarlufe.
Dans I'inlervalle compris entre la defense et la reprise,
au milieu de ses demarches el de ses sollicitalions, il ne
s'cn clail pas moins remis h I'ouvrage avec une ardeur
nouvelle. II semblail que les persecutions n'eussenl d'aulre
effel en ce moment que d'allumer sa verve. La meme
annce vit p.iraltre successivcmenl Amphilryon, Ceorges
Dandin et VAvare, — Irois chefs-d'oeuvre. Le dernier
c^da loulefois pour quelque Icmps h la prevention g(5nt^-
rale. C'elait alors une singularile, un defaut meme pour
une comedie en cinq acles, que d'i5lre ecrile en prose. '
Aussi l',4i'arc parlagea-l-il la mauvaise fortune du Feslin
de Pierre. II fut retire i la seplieme represenlalion.
Qu'on ne s'ctonne done pas si Moliere y fit succi^der
immMialement M. de Poureeangnae. II ne serail pas
descendu a un pared comiqiie s'il n'avait eu jamais pour
spectateurs que des Condii, des La Rochefoucauld , des
Montausier, desBcauviUiers, des dames de Monlespan et
de Thianges. Mais le peuple exigea de lui des Shrigani et
des Scapin, ct ses occup.ilions de direclcur de troupe
remp^cherent de porter plus loin qu'il I'aurail voulu les
bornes de I'art dramatique.
Neanmoins, cetle annee vit rassociafion de Moliere et ;
de Corneille dans la IragMie ballet de Psyche. L'atiteur
du Cid voulut bien s'assujeltir au plan de I'auteur de
Jir de Pourceaugnae. Quinault se joignit a eux pour
tourner les couplets que LuHi mil en musique. La magni-
ficence di'ployee dans la represenlalion qui en eut lieu '
au palais des Tuileries pendant le carnaval, ct le concours
de ces qualre homines ci51ehres, ajoul^renl un nouveau
MOLIEUE.
207
lustre a cette piece, qui sera toujours renomm(!'e pour un
grand nombre de trails, et surlout par le tour ncuf et de-
licatdo la declaration de I'Amour a Psyche.
Louis XIV donna ensuiteaMulierc le sujet dcs Amanls
mugnifigues, qui ne furent repr^senles qu'a Saint-Ger-
m.iin-en-Laye, et qu'il s'ubstina toujours a gardcr en
manuscrit nialgre Ics ^loges des courtisans. Ceux-ci, pi-
ques sans doute du peu de succes de leurs instances, fu-
rent inoins favorables au Uuiirgeois gcndthomme ; niais
Paris applaudit a la virile du tableau qu'on meltait sous
sps yeux, el la foule imposa bieiilot silence aux detrac-
leurs,
Les Fourberies de Scapin ct la CviiUeste d'Escarba-
gnas, — celte peinture des ridicules de la province, —
furent suivies des Femmcx savunles, qu'il travailla plus
a loisir. L'aridite apparentc du sujet nuisit d'abord au
succfo de la piece, mais le public ne tarda pas a revenir
deson indifTcrence. L'actualite de queiques scenes, enire
autres celle de Trissotin et Vadius, — qui fut vraiment
ecoutce aux portes du cercle de Mademoiselle, au Luxem-
bourg, — lui fit obtenir une vogue dont elle est tou-
jours restee en possession. C'esI evidemment une de^ses
(Eiivrrs les plus cbaliees ct les mieux conduites.
La dernicre comMie de Molifere fut le Malade imagi-
naire, — ce fut aussi son dernier soupir. C'cst un triste
recit. A la troisicme representation, il se scnlit plus souf-
frant que d'habilude. — Molifere itait poilrinairc. Depuis
longtemps il suivait un regime et elail astreint a I'usage
frequent du lait. — II pria ce jour-la .ses camaradesde
commencer le spectacle k quatre heures precises. Vaine
ment sa femme et Baron le presserent de prendre du re-
pos et de ne point jouer. — "Eh! que feront, dit-il, tantde
pauvres ouvriers? Je me reprocherais d'avoir neglig^ un
seul jourdeleur donncr du pain." — .4yant dit cela, II eu-
tia dans sa loge et s'habilla. A peine se fut-il montrfe sur
les planches, qu'un hoquet violent vint lui couper la pa-
role. II s'arrcta, et poursuivit au bout de queiques minu-
tes; on savait que cette iiifirmUe lui etait habiluelle. De
temps en temps il se detournait pour crachcr le sang. II
vint ainsi a bout des deux premiers actes. — .\u troi-
sierae, les elTorls qu'il fit pour achever son role augnien-
lerent son oppression, et I'-on s'apcrcutau divertissement
quen prononcant le mot jam il lui prit une convulsion
qu'il lijcha en vain de de^uiser aux spectaleurs par un
rirc forc^. II tomba dans les bras' de ses camarades.
■ On le porta chez lui, danssamaison rue de Richelieu,
— du cole qui donne .sur le Palais-Royal. La, sa loux
iaugmenla considerablement et fut .suivie d'un vomisse-
.ment de sang qui le sulToqua. II mourut entre les bras
.de deux de ces soDurs reli^ieusps qui viennent qu^lcr ^
Paris pendant le careme, et qu'il avail letiriies chez lui.
Pauvre comedien!
Louis XIV fut vivement louche de cette parte. II enga-
gea I'archeveque de Pans a ne pas lui refuser la sepul-
ture dans un lieu saint. Ce prelat, apres une enguile
exacte sur la religion et la probite de Moliere, permit
qu il fill enlerre duns le cinieliere de la petite chapelle de
Saint- .loseph, au faubourg Montmartre. — Le convoi se
fit Iranquillement, le mardi, 21 fc-vrier 1C7 !, a la cJorte
de plus de cent flambeaux portes par ses amis.
Moliere avail vecu cinquante-trois ans.
II avail trenle-huit ans lorsqu'il commenca 4 ecrire.
Apres sa mort, le Iheitre resla ferme pendant quioze
jours. — Peu do temps ensuite, Lulli oblinl la salle du
Palais-Royal pour la faire servir au spcclacle de I'opcra.
Mademoiselle Poisson, fille de DuCioisy, nous a laisse
ce portrait de Moliere : • II n'etail ni trop gros, ni trop
mai^re; il avail la taille plus grande que] petite, le (xirl
208 MOLIERE
noble, la jambe belle ; il marchait gravcment, avail I'air
serieux, le nez gros, la bouche grande, les Ifevres 6pais-
ses, le leint brun, les soiircils noirs el forls, el les di-
vers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la pliy-
sionomie exlrSmemenl coniique. A I'egard de son carac-
tere, il elait doux, complaisanl, g^nereux. II aimait fortk
haranguer, et quandil lisailses pifeces aux com6diens, il
voulait qu'ils y amenassent Icurs enfants, pour tirer dcs
conjectures de \eurs mouvements nalurels. ■
On a.pretendu dgalemenl qu'il lisailses pieces k sa ser-
vanle , nommee Laforet , pour juger, par rimpression
qu'elle en recevait, des passages accessibles aux intelli-
gences les moins cullivees. — Je me represenle aisemenl
les grands eclats de rire de la servanle aux dialogues
Lj =t:i^diitc I.afurC-l.
cnormesdeM. Jourdain et de Nicole, — el peul-ftre aussi
une larnie furtive au sombre dfeespoir du luleurd'Agnes.
Je ne m'etendrai pas sur le genie de Molifere. II res-
pire k chacune de ses pages ; personne encore ne I'a rem-
plac6. — Molifere n'est pas Frangais, disait un Anglais; il
est de tous les pays.
Malgre une voix sourde et une cerlaine volubilite de
langue, c'etait un comedien consomni6 dans les r61es de
haul comique, lels que ceux d'Harpagon, d'Orgon, de
Mascarille, d'Arnolphe. — II jouait avec une telle verite,
que le public ne distinguait plus I'acteur du personnage
qu'il repr^sentait. Le sieur de Vize lui-mfime, qui ne le
trouvait qu'une « copie de Triveliu et de Scaramouche, •
ne laisse pas que de dire en parlanl de VEcole des Fem-
mes : ■ Jamais comedie ne fut si bien reprt'senlfe, ni
avec tant d'art ; ohaque acteur sail combien il y doit
faire de pas, et toules les ceillades sonl comptees. Apres
le succds de cette piece, on peul dire que son auteur me-
rite beaucoup de louange pour avoir sibicnjoueson role,
pour avoir si judicieusemenl distribu^ tous les aulres, et
pour avoir enfin pris le soin de faire si bien jouer ses
compagnons, que Ton peul dire que tous les acteurs qui
jouenl dans sa piece sonl des originaux que les plus
habiles mailres de ce bel art pourront difflcilemenl
imiter. •
Moli^re etait ador6 de ses camarades. On a vu qu'il
^tait mort pour n'avoir pas voulu leur faire perdre le
produit d'une representation. — Ce fut lui qui servit de
p^re k Baron, rest6 orphelin a I'ilge de douze ans. —
S'il poursuivait les medecins au theitre, dans la vie
privee il lui arrivait de leur rendre d'importanls ser-
vices, comme le prouve le canonical qu'il fit obtenir
au lils du docleur Mauvilain. — Chcri de ses plus illus-
Ires contemporains, de Boileau, qui I'appelait le contcm-
plateur, de Chapelle et de Lafontaine, il n'etail pas moins
estime des grands ; il vivait avec le mar^chal duo de
Vivonne dans cette familiarite qui egale le merite k la
naissance, el le grand Conde assurait que sa conversa-
tion lui apprenait toujours quelque chose de nouveau.
Nous avons ecarl6 a dessin de ces pages les anecdotes
trop connues et celles donl I'aulhenticile nous a semble
contestable. — C'est un travail sferienx que nous avons
voulu faire, el non un MolUrana.
L'Acad^mie francaise, pour se consoler, par uneesptee
d'adoption posthunie, de ne I'avoir pas admis au milieu
d'elle pendant sa vie, fit placer son buste dans la salle de
ses stances, avec cette inscription :
Itien nc manque k sa gloire, il inanijuait h ]a noire,
Une souscription nalionale lui a elev6 en outre, dans
ces derniers temps, un monument digne de son genie, du
aux ciseaux de Pradier, au coin de la rue Richelieu et de
la rue de la Fontaine-Moli6re, — presque en face de la
maison oii il est mort.
II n'a laiss^ qu'une fille; — et sa veuve ^pousa en se-
condes noces le comedien Eustaohe-Francois Detrich6,
plus connu sous le num de GuMn.
Charles Monselet.
PETITS VOYAGES SUR LES niVIEUES DE FRANCE.
209
PETITS VOYAGES SUR lES RinERES DE FRANCE.
LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVENIRS.
fSDITE.)
(juand nous avons passo Chaitreltes et le chJteau du
Pri, nous apercevons plus loin, toujours sur la menie
hauteur, le village de Livry, dontle chateau a eu pendant
i|uelquetemps pour proprietaiie la famille de la Ferron-
nays. En face de Livry, et sur sa rive gauche, la Seine
baigne la longue terrasse d'un autre chateau ; c'est celui
de la Rochette, village dont le nom significatif annonce
combien le terrain en estaride. En effet,le sol elait couvert
uniquementde biuyeres steriles, quand M. Moreauforma
leprojel, en 1760, d'en operer le defrichement. Le gou-
M'rnomcnt lui confia pour ce travail les enfants des hos-
I'lces, et bientot ces landes infertilesdisparuront sous des
liois magnifiques. Aujourd'hni les promeneurs de Melun
se donnent rendcz-vous a la Rochette.
Puis, quand nous arrivons a Melun nous voyons, sur
les coUines qui dominent la rive droile de la Seine, le
chiteau de Peny, qui jadis fut le lief seigneurial du vil-
lage de Vaux ; le village a pris son surnom du chateau,
(llette propriete resta longtemps en la possession d'une
famille du mSme nom qui se trouva eteinte au milieu du
quinzieme siecle, en la personne de Pierre ou Perrinet
de Peny. .\lorslaseigneurie passa, parsuile d'unmariage,
dans la ninison de Guerchy et devint, en 1 538, I'acquisi-
tion de Tristan, marquis de Rostaing, gouverneur de
Melun. Le marquis aimait beaucoupsa terre de Vaux-le-
Peny, h laquclle il lit des additions considerables. Apres
la mortdu deinier enfant mile de cette race, tue dans le
duel malheureusoment celcbre du due de Nemours centre
le due de Beaufort, le domaine echut a madaine deLavar-
din, illustree par I'amitie de madame de Sevigne. Enfin,
en 1728, cette terre futachettepar M.Freteau, secretaire
de la grande chancellerie; son fils fitabattrel'ancien cha-
teau eteleva en 1766 celui quise voit maintenant.
C'est la que M. Freteau de Saint-Just, conseiller au Par-
lemcnt de Paris, fut exile i sa sortie de la citadella de
Jioullens oil on I'avait enferme. C'est encore en ce lieu
qu'il se retira apres la dissolution 'de I'assemblee consti-
tuante, ou il avail ete envoye, conime depute, par la no-
blesse de Melun et de Moret, et oil il reniplit ^ deux re-
prises les fonctions de president ; c'est de la enfin qu'il
sortit pour enlrer dans les prisons de la terreur, qu'il
ne quitla ensuite que pour monter sur I'^chafaud.
Le proprietaire actuel du chSteau de Peny est M. Fre-
teau, baron de Peny, pair de France, conseiller a la cour
de cassation. Get Edifice s'eleve au milieu d'un pare im-
I mense que M. Freteau a embelli d'apres les dessins des
plus habilespaysagisles; il domine tous les environs. Des
lenetres du salon et de la terrasse, qui sert de toiture en
quelques endroits, on jouit d'un des plus beaux coups
d'ceil que presente la Seine dans son cours. On apercoit
lefleuve, a gauche, qui sort des profondeurs de la forSt
de Fontainebleau, puis qui coule h travcrs d'agr^ables
II.
prairies encadrees dans des collines que couronnent des
bois et des vignes, ou que parsement de charmantes
maisons. Vis-k-vis, les rives de la Seine, plus basses,
laissent h decouvert une plaine immense couverte ca et la
aussi loin que le regard peut s'en assurer, de hameaux
et de villas. Sur la droite on voit le fleuve s'enfoncer, a
Melun, sous les arches de son double pent, et reparaitre
encore au sortir de la ville pour s'enfuir vers Paris.
A son entree dans Melun, la Seine se divise en deux
bras et partage cette ville, comme la capitale, en trois par-
ties : la Cite, le quartier Saint-Ambroise et le quartier
Saint-Aspais. Aussi certaines personnes ont-elles la pre-
tention de prouver que Paris a ete construit sur ce plan
et citent-ellesa tout propos leproverbeassez impertinent :
Apres Melun, Paris, qui ne tendrait a rien moins qu'a
fairedu chef-lieu de Seine-et-Marne la premiere des vilies
de France.
II est vrai de dire que I'origine de Melun remonte ii
une antiquite recul6e; Cesar, qui, dans les'ptieme livre
de SOS conimentaires, Tappelle Melodunum, y clablit
pendant un certain temps le centre deses operations mi-
litaires. Du mot b.tin Mclodimum est derive le nom fran-
cais Melun. On n'a aucun document certain sur les com-
mencements de son histoire ; il serait absurde de repeler
avec conviction qu'une reine d'figypte, nonimee lo, se
serait arrSlce, dansses voyages a travers le nionde, dan.s
rile formee par la Seine en ce lieu pour y fonder une
ville qui se serait appelee d'abord Isis, nom sous lequel
on I'avait deifiee. — Comme on pensait que cette deesse
6gyptienne avail obtenu autrefois des anciens habi-
tants de Melun les honneurs d'un culte special , on
youlut s'assurer s'lln'y avail pas quelques traces d'edifices
construils dans cette intention. On ]iensa que ces vestiges
elaient les Testes memesd'un batimentsituepr^sde Notre-
Dame. Mais ce n'etaient lout simplement que des mines
du dixieme siecle.
Autrefois Melun ctait une ville fortifiee que defendait
unchiteau situe au nord de I'lle. Ce cbiteau servit sou-
vent de residence k nos rois; ses murs furent temoins de
bien des evenements graves enregistrcs par I'hisloire.
C'est la que se refugia Isabelle de Baviere, de deplorable
memoire, quand I'approche des Armagnacs la contrai-
gnit de quitter Paris. Le chateau-fort, en depit du r6Ie
important qu'il joua a plusieurs reprises, a eu le sort de
taut de monuments elevespar la feodalite. Le dernier roi
qui I'ait habite est Charles IX. Depuis le rdgne de ce
prince, I'entFetien de cette forteresse fut neglige. Lorsdu
sejour de Louis XIV a Melun, elle fut regardee comme
inhabitable, et le monarque fut oblige d'aller chercher
un asile dans une maison de Fouquet, alors vicomte de
Melun. Les dernieres traces de ce monument ont disparu
il y a quelques annees, on n'v voit plus que le bas d'une
a
'J 10
PliTirS VOYAGES
tour qui scit iiuiinlouant au bureau Je I'aJmiuistratiou
des cochos.
Melunfutplusd'uue foisassie^e. On ritn'es combats que
cetle villo eulii soutenir, en 1419, eonire le roi d'Angle-
terre et le due do Bourgogne trainanl avec eux le pauvre
roi de France Charles VI, quand ils entreprirent leur
guerre infJme contre le Dauphin. La ville, bien defendue
par Barbazan qui n'avaitavcc lui qu'une fad)le garnison,
sut resister pendant six mois h tous les efforts de rarm(5e
coaliseo. Ce siege eut un inlerfit tout paj-liculier. Juvenal
desUrsins nous a raconte ces comb its corps a corps que
se livraicnt Ics chevaliers anszlais et franrais dans les
mines pratiquees sous le faubourg de Bifevre, A Tepoque
de la Ligue, Melun rcsta (idele au roi et eut alors h re-
pousser plusieurs fois les attaques des ligueurs. F,u
1814, le canon des armees etrangeres tonna h ses portes.
Depuis un dcmi-sieele, la population de Melun, qui
s'accroit rapidemeut, a presque double. Unc administra-
tion active el nitclligenle a dole la villo de quais magni-
fiques, de rues larges, de vastes places, qui ont rem-
place des ruelles oil I'air penetrait h peine, ou la cir-
culation t'tail difficile et que d'ignobli's masures avaient
encombrees jusqne-la. C'est dans celte vdle ijue se croi-
sent les deux grondes routes de Geneve et d'flalie, qui
viennenl la vivifier et donner une facilile et une activite
nouvelles Ji son commerce.
Melun a deux ponts sur la Seine et une prefecture d'uu
bel aspect, quin'est autre (lu'uneancienne abbave de be-
nedictins dont le dernier litulaire fuU'abbe de Calonne,
lefrere du minisire de Louis XVI. On y voit en nulre un
hotel de ville, une bibliotheque as^cz riche , un tribunal,
autrefois convent des Carmes, une salle de thi'atre, un
hopilal, une maisou de reclusion oil peuventf^tre renfer-
mes donze cents condamnes, une fabrique de sucre de
belleravcs, une caserne de cavalerie et deux eglises :
Notic-Dame et Saint-Aspais. Cette derniere possede de
tres-beaux vitraux et des sculptures remarquables par
leur goiit etleur leg^rete.
Kntre la ville et le faubourg Saint-Liesne coule rAlmonl
qui, venantde Nangis, vase Jeter dans la Seine a Tangle
du pare du chateau du Peny. Cette riviere, peu impor-
tante d'aiUeurs, setrouve neanmoins, quand elle arrue a
Melun, augmi'ulee des eaux des canaux et des cascades du
celehre chateau de Vaux (maintenant Vaux-Praslin), bati
par Fouquet, et que La Fontaine a celebre dans son elegie
adressee aux uympltes de Vaii.r; morceausuperieurcment
ecrit, oil respire, a cote d'une philosophic douce, un senti-
ment profond, et qui d'adleurs etait presque un acte du
courage.
On pent fttresilr de faire froncer le^ sourcils au pre-
mier habitant de Melun auquel on s'adressera, si on lui
deaiande a manger une angiiille; ce niouvement d'irrita-
tion nous est exp'ique, dit on, parl'origine de I'existence
d'on ancien proverbe. Mille versions ont circule a ce
sujel, \oici la plus vraisemblable ; Un uomme l.angnille,
de .Melun, avail ete charge de jouer le role de Saint-Bar-
ihclcmi dans un mystere qu'on representait. .\ la vue
du couliau ct des pinres dont on allait se jcrvir pour
donner une idte, par imitation, du supplice du saint
liomme, noire pauvre acteur, efTrayi, prit la fiction
pour la realile el se mit it pousser des cris elTroyables.
De la vint le dictun populaire : o II est comnie Uinijiiilte
de Melun qui rrie aianl qu'on I'rcorilie. »
En sorlanl de Melun, le Reuve arrose le hameau des
Pourncaux, qui se Irouve conligu i la ville et possede
plusieurs maisons do plaisonco tros-agreables, ainsi
qu'une superbe manufacture de faience. Ce hamcuu est
dependant du Mce, .village place comme lui sur la rive
SIR LKS RIVIICr.E.S DE FHANCE.
211
droite (le la Seine, quoiqu'un pen an dessous. Le Slec,
jadis le jVWis, veut (lire mi'lairie. La levrasse liu pare el
ceHesdes autrt•sjardin^i qui doniinent le lleuve preseiilent
le plus charmanl conp d'ueil.
A uiie certalne distance de la Seine, a gauche, on voit,
adossi?9 aux bois, deux agreablea V]lla.;es, Dammerie-les-
Lys et Farcy, peuples d'une foule d'elegantes demeures.
Le premier de ccs villages tiie son noin de I'abboye du
Lys, fondee parla reine Blanche, dont lecoeur y fut long-
<emps conserve. Ct-Ue abbaye, renommee par les deregle-
ments de scs religieuses, et oil dos refoimes devinrent
soirveiit necessaires, exista jusi^ua la lin du dix-liui-Ciume
siecle. EUe fut delruite a lepoque de la terreur. Aujour-
d'hni on vo!t a la place une jolie villa dont le pare, s'est
■cnvichi des ruines de lancienne abhaye ; son proprielaire
actuel est M. le marquis de Lalour-Maubourg, pair de
France, ancien gouverneur des Lnalides, dont le nom
■enoque les souvenirs les plus chevaleresques et les vertus
les plus pures ; 11 se repose dans cet agreable sejour de ses
fatigues et de ses combats en cultivant les Oeurs. Ses ser-
Teset ses jardins, soigni'sala maniere des Hollandais, sent
aJinirables et dignesde toute I'attention desconnaisseurs.
Entre le Lys et la Seine se trouve Belle-Ombre, situee
fort agreablement. Vis-a-vis est Boissctte, village dont le
nom est un diminulif, par contraction, de Boississe ;
voihi pourquoi ce n'elait jadis qu'un hameau dependant
■de Boississe-la-Bertrand, place a I'ouest, sur le m^me
coteau. Ces deux villages sunt situes pri's de pinsieurs
bois il'elymologiedelenr nom n'a done riendesurprenant:
•cela signifie un lieu d'habitation sise dans une localite
planteedebois. Riississe-la-Bertrand'estiia des plus char-
mants villages de Seine-et-Marne, gricea sa situation sur
le flenve et surlout ii ra.^i'eabk' aspci-t de ses nombreuses
■et jolies maisonsqui, groupeesen amphitheatre, ofli'eM une
vuc di's plus remarquables. A I'opposile s'efevont deux
jolies habitations, les Vives-Eaux et Vauves, Le chateau
et le |)arc des Vives-Eaux ontete construibs etdessines par
(iondoin, I'architeete qui a eleve la colunne de la place
Vendome et I'Ecole de Medecine. Les Vives-Eaux sont
•entourees d'admirab'es fulaies; les arbres qui bordent la
propriete en face de la Seine sont egalement dune ma-
guilique vegetation et olfreiit des masses de feuillage les
plus belles.
En face du liameau de Larre, qui depend de la com-
mune de Boississe-la-Bertrand, et un peu au-des»ous de
Vauves, s'eleve Boississe le-Uoy. Situe sur lo penchant
de la culline qui dumine la Seine, Boisisse-le-Roy est un
sejour charmant, grace aux sources d'eaux vives qui
vont porter lafertilile dans une bonne partiedeson terri-
loire, giiice surtout a la culture de .sa vigr.e, a laquello
la bonte du terroir donne une qualile Ires-eslimee.
Un peu au-dessous de Beaulieu, jielit village qui de-
pend encore de Boississe la-Bertrand, nous apercevons le
«haleauetle pare de Seine-Assise (par corruption Sainte-
. Assise). Cette magnifique demeure eut pour proprie-
taire le duo d'Orleans, grand -pjjre du roi actuel ; c'est la
■qtie ce prince, en compagnie de madame de .Montessun,
passa les dernieres annees de son existence. A [>artir de
cette epuque, Sainte-Assise a ele la propriete de plusieurs
personnes.qui toutes ronteinbellie au prix d'enormessa-
crilices. MamtenanI, elle appartientau prince Charles de
Beauveau, qui y reside habituellement et se plaits I'en-
tretenif avec un godt exquis el une attenUon remarquable.
.Sainte-Assise est situee dans la commune de Saint-Port,
oil lecourant va bientot nous porter. Ce beau chateau, bit'
ti en amphitheatre a I'extremite d'une vaste pelouse, ap-
parait de Ires-loin, avec sa facade blanche, etseniontr*
pendant longtemps au voyageur qui navigue ou passe pa'
la rive gauche sur la route de Pont-Thierry.
Sur cette memerive gauche et vis-a-vis d'eSainte-Assisa
on rencontre rembuuchure de l"ficolle. Avant de se per-
dre dans la Seine, cette petite riviere alimenle plusieurs
mouliTis. Bientot nous aliens decouvrir, loujoursa ;'auche,
le hameau de Tilly, tout pres de Alaison-Rouge, oil Ton
voit encore les ruines des anciens bains de la charnianle
et hisloriqup Gabrielle. Ce qui en est resle pcut donner
une idee de ce qu'etait cette ravissante habitation. En
avant subsisle encore une terrasse soutenue par desepe-
rons dignesd'attirerratlenrtion. Tilly, Slaison Rouge et Si-
tanguelte, que nous voyons aupres. sont des dependances
du villagedeSaint-Eargeau oil nous sommesenlin, etdont
leclocher nous apparaissait depuis longtemps.
En face, c'est-a-dire sur la live droite, a une lieue en-
viron deSainle-.\ssise,se trouve Saint-Port ou mieux Seine-
Port I port sur laSeine), convert demaisjnsdelicieuses, par-
mi lesquelles il en est dont les jardins se prolono'ent
jusque sur lesbords du lleuve et secontinuentjusquedans
les lies qui bordent la rive.
En hautde Saint Port on voyait se dresser, au dernier
siecle, le fameux pavilion Bonret, construitpar le fermier
general du mime nom pour y recevotr Louis XV. Un de
nos plus elegants ecrivains, M. LeonGozlan, nous a la-
contedans nnecharmante nouvelle, inOitBlee Ccquccoiila
une perhe, les tribulations et la ruiiie de cette espi'ce de
bourgeois-gentilhomme a qui un caprice royal litperdre
sa fortune et presquela raison. Cette somptaense demeure
eut ensnite pour proprietaires le due dt Bassano et
MM. Moreau, de Paris, qui I'onl feit demolir. 11 en reste
seulemcnt deux cavaliers, en avant de la foret de Ruu-
geaux d'oii Ton a une admira-ble voe.
Vi.s-a-vis la ferme de VUlers, un peu au desjous de
Saint-Port, se tcuuve Croix-FoBl'aine, chorniante habita-
tion, la dermere que noosrcncontcerons dans le depai te-
aient de Setoe et-il»rne. En elTet, c'est la que nous quit-
tons' ce territoire fertile et riche, parseme de toutes les
construclions qu'une aristocralie opulente a su y relever
ou y creer depuis peu.
Bientot nous entrons dans Seine-et-Oise. Le premier
village qui s'offre a nous est celui duCoudiay, dont le ce-
liibie Chilean, au milieu d'unparc immense, fut ipiehpie
temps en la possession du marechalJourdan. Plus bas, le
Plessy-Chenet livre passage ii la route de Fontainebleau.
Sur la rive droite, nous voyons se deployer la ferme de
Saint-Guildar el le village de .Mosans sui-Scine, vis-a-
vis duquel se Irouve la fermede Pressuir-Punt. Puis, apres
avoir cotoye Saintery el lemagnilique chateaudeChamplii-
Ireux, sijourde M. le comte Mole, qui eut rhonneur d'v
recevoir le roi il y a quelques annees, nous arrivons en
vue de Corbeil.
La Seine pavUige en deux cette petite ville, chef-lieu
d'arrondissement du de|iartemcnt de Seine-et-Oise etsiege
d'un tribunal de premiere instance. II y'a a Corbeil une
bibliolheque publique, un petit theatre, un hospice civil,
un depot de farines con.sideraUo, et de magnifiques mou-
lins mis en mouvement par la charmante riviere d'Essonne,
que formenl celles de Juignes el d'Elampes.
212
PETITS VOVAGF.S
Un pont mollis en pierre et moitie en fer rclie les deux
quartiers I'un a r:uitre. Le vieux Corbeil , ou quartier
Saint-Leonard, doit son nom ^ une egiise qui mirile
peu de fixer les regards ; il se trouve sur la rive droite
et fait parlie de la Brie francaise. Le nouveau Corbeil, ou
quartier Saint-Spire, est divise en deux parties par la
riviere d'Essonne. On y voit une cglise sous I'invocation
de saint Spire, que fonda, dit-on, au onzii'me siMe,
Aimon,Ie premier conite de Corbeil. Detruite entiijrement
par un incendie enlliO, on la rcconstruisitdepuis, mais
les derniers travaux ne furent aclieves qu'en 1 437.
L'origine de Corbeil remonte ci une liaute antiquite.
Ce fut une place de guerre, importanle par sa position.
N^anmoins, et en d6pit de son anciennct^, nous nous
dispenserons de faire deriver son nom de celui de Corbu-
lon, gouverneur dcs Gaules, ainsi que Font fait certains
6tymo!ogistes pour le moins avenlureux. Cette ville fut
assi^gee en vain par les Bourgaignons et les Anglais a
I'epoque de lenr ligue centre le dauphin, depuis diar-
ies VIL Sous le regne de Charles IX, les calhcliques su-
rent s'y defendre avec courage conire les liuguenots, dont
ils repousserent les attaques. Plus tard, devenue hugue-
note par un de ces retour.s dont la fortune possede seule
le secret, elle se laissa prendre par le due de Parme, qui
vint I'attaquer avec les ligueurs et les Espagnols.
A r^poque de I'invasion etrangere, le pont de Corbeil
fut coupe pour arreter les allies dans leur niarehe sur
Paris. Les deux arches qui sautercnt ont cte remplacees,
le fer y tient lieu de la pierre.
Aujourd'hui , Corbeil a perdu sa gloire miUlaire et
s'en console en augmentant chaque jour son importance
commerciale. N'oublions pas que la creation][^d'un chemin
Vilc (Ic Corbeil.
dc fer a et^ pour cette ville une source nouvelle de mou-
yement et de prosperity.
A la sortie de Corbeil commence pour nous une char-
mante navigation au milieu de villages agreables et do
chateaux magnifiques. Sur la gauche, nous laissons les
chateaux de Lagrange-feu-Louis et de Mousseaux, le vil-
lage d'Ery et le chJteau de Petit-Bourg, bili par le duo
d'.4ntin, qui y recut fr^quemmenl Louis XIV etmadame
de Montespan. Petit-Bourg devint sou.s Louis XV un ren-
dez-vous de chasse, qui eut tour i tour pour habilanls,
depuis cette epoque, la duchesse de Bourbon, Perrin,
administrateur des jeux, et, il y a quelques annees, un
riche banquier espagnol, M. Aguado; c'est maintenant le
sejour d'une colonic d'enfanls, analogue, sous quelques
rapports, h la colonic agricole dc Metlray.
Viennent ensuite les chateaux de Grand Bourg, de
Trousseau et de Fromonf, dont les jardins, de caract^re
si romantique, viennent finir sur les bords du fleuve-, ^
droite, nous voyons s'^lendre le village d'litiolle, dont le
chateau fut la propri^te de M. Lenormant, le mari' de la
celebre madame dc Pompadour; enfin le chMeau \le
Bourlanger et Soisy-sous-Iitiolle.
Depuisquelques instants nousapercevonsun pont magni-
fique suspcndu sur la Seine; c'est le pont de Bis, superbe
ouvrage qui a pris la place du bac et a ^tc hiiti par I'an-
cien et genereux propri^taire de Petit-Bourg, feu M. le
marquis de Las Marismas. II relie le charmant villnge de
Bis, que nous laissons a gauche dans I'inl^rieur des
terres, ainsi que le hameau de Laborde, au village de
Champrosay, que nous voyons a droite h une petite di-
stance, et qui renferme un grand nombre de niaisons
de plaisance. Bientfit nous avons d(^pass6 a gauche le
hameau du Petit-Chatillon el celui du Giand-Chatillon ;
alors nous decouvrons a droito, au sein de la plaine el au
bas d'un groupede collines, !e joli village de Draveil.
A une lieue de Ris et au-dessus d'Athis, avant Ablon,
SL'R LES RIVIEU
nous voyons une petite riviere, I'Orge, se joter dans le
neuve apres avoir arrose Dourdan et Montlhery, deux
villus qu'ont rendues illustres les mines respectables do
leurs rhiteaux feodaux. Situee sur une hauteur dont elle
occupe le sommet, la tour de Montlhery, semblablo au
plumetqui orne le bonnet d'un grenadier, attire les regards
du voyageur. Des hauteurs qui eiitourent Corbeil, on
I'apcrcoit conime on peut la voir, h Par[S, du haul de la
coupole de Sainte-Genevieve; cette tour, que M. Viennet
a pris pour sujet d'un ronian historique a la fois interes-
saiit et serieux, embrasse un horizon d'au moins quinze
lieucs.
Depuis les guerres religieuses, Ablon occupe un rang
important parrai les villes des environs de Paris. Les
huguenots y eurent un temple oil ils exercerent leur culte
librement, en vertu des ordres de Henri IV et en depit
des clauses du traite qui avait preside a la reddition de
Paris, clauses par lesquelles on exigeait au moins une
distance de cinq lieues ; or, Ablon ne se trouve qua qua-
Ire lieues et demie de la capilale.
La Seine ne larde pas a recevoir I'Vonne, dont les
sources sent a ViHegagnon, non loin de Provins, pres de
ES UE FHAXCE. 213
celles de la Voulzie. Cette riviere coule sur un terrain si
poreux et y decrit tant de detours que, bien qu'elle soit
alimentee par de nombreux ruisscaux, assez abondants
pour mcttre des moulins en mouvement, clle reste a sec
pendant les trois quarts deTainiee dans presque louteson
etendue. Sculemcnt, au-dessus deBrie-Comle-Robert, grJce
a des sources importantes, elle devient assez forte pour
alimenter un grand nombre d'usines qui ne s'arriHent
jamais, quelle que soit la saison. La route de Melun a
Paris traverse I'Vonne sur un charmant petit pent, puis
entre a Villeneuve-Saint-Georges, place sur la rivedroite
du fleuve, au confluent aes deux cours d'eau. Un grand
nombre de jolies maisons donnent a ce village quelque
chose d'attrayant.
Arrive a Choisy-le-Uoi, la Seine passe sous un pont
large et splendide dont la construction remonte a I'annee
1610. Ce bourg renfermait jadis une maison de plaisance
construite pour mademoiselle de IMontpensier. A la mort
de cette princessc, la niaison appartint au dauphin, fils
de Louis XIV ; on I'eehangea alors contre le chiteau de
Meudon, que madame de Louvois possedait. Toute trace
de ce Chilean a disparu. C'cst lii que Louis XV faisait de
Vue Jc Bcc..
si frequents voyages avec madame de Pompadour. Les
bosquets et les jardins delicieux n'ont pas laisse de ves-
tiges, la charrue a tout boulevers^. Sur cette terre, na-
guere consacree au plaisir, on a etabli des fabriques de
maroquin, dc fa'i'ence et d'acides mineraux. .4u-dessus de
■ ce bourg est une petite ile d'un elTet charmant, qui entre
bien pour quelque chose dans la splendour du panorama
offert par la Seine en cet endroit.
Kous laissons sur la gauche Vitry et ses riches pepi-
nieres, puis nous apercevons deux iles assez importantes
et le Port-a-l'Anglais, derri^re lequel se deploie une im-
mense plaine. Le nom de ce petit village indique sa trisle
origine. Pendant le regne de Charles VI, les Anglais, que
la trahison avait rendiis maitres de Paris, etablirent eii
ce lieu un camp pour surveiller la capitale et pour cou-
per les communications que le dauphin aurait ete lente
de nouer par le moyen de la Seine avec les Parisiens. A
I'extrimite de la plaine, sur le penchant d'une petite col-
line qui derobeij nos yeux Tallreux Bicelre, nous voyons
un village : c'est Ivry avec ses jolies maisons de plai-
sance, au nombre desquelles il faut citer celle de M. le
comte Jaubert. Le lerritoire dlvry s'etend jusqu'au.x
murs de Paris et renferme les hameaux de la Gare et
d'Austerlilz.
Devant nous s'eleve, sur une chaine de collines, le
triple bourg dc Charenton , au pied duquel passe la
Hi
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
MarnCj tlonl nous n'avions pas encore soupronne 1e voi-
sinage, Ci\v ju-^qu'ici elle s'est caclice derrieie U's nom-
breuses iles qu'elle furiiie ii rextrcniile de son confluent
avec la Seine. La Maine prcnd sa source dans le depar-
temenl de la Haule-Marne, aux environs de Langres (ii
la Marnotle), arrose I'exlremile sud du deparlement de
I'Aisne, penetre dans celui de Seine-et-Marne pres de la
Ferte-sous-Jouarre, baigne Meaux et La.;ny, et sans s'ar-
riMer dans le depart°nient de Seine-ct-Oise, elle attaint
celui de la Seine, oil elle se joint a ce dernier lleuve au
pied des carrieres de Cliarenton. La Marne a un courant
rapide qui rend sa navigation difficile; dans plusieurs
localiles 11 a fallu etablir des pertuis etdcs barrages pour
Jivlser et alTaiblir son cours. Apres sa reunion a la Seine,
on distingue longtenips encore ses eaux, a leur rapidile,
a leur nuance j auni\tre, et au limon epais qu'elles char-
rient avec elles.
Au qualorzieme sierle, les rois de France possedaicnt
un chateau a la pointe de ce confluent. C'est la que
Jeanne do Navarre fut niariee ^ Pliilippe, comte d'fi-
vreux ; cetle priucesse habita ce chateau jiisqu'a sa mort.
On appclait alors cet endroit le Srjouv du roi ou les
Carrierex; c'est ce dernier noni qui est reste a la localile
apres la destruction de la royale demeure. A I'epoque
des troubles qui suivirent la captivite du roi Jean, son
(ils, le Dauphin, jela la un pont de bateaux sur la Seine
pour aller assieier Paris. C'est a I'exlremile de ce pont,
du cote de la plaine d'lvry, qu'il fut force de livrer aux
revoltes, vcnus ^ sa rencontre, un sanglant combat.
A gauche dps carrieres de Charenlon nous voyons les
premieres maisons du village de Conflans, contigu au
premier. Pendant longtemps les dues de Bourgogne y
possMerent un beau ebSleau. A I'issue de la guerre it hi-
quelle donna lieu, sous Louis XI, la IJiiiie du bien pu-
blic, il y ent un tiaile conclu a Paris, qui porte le nom de
tra te de Coullaus, paroe que la negocialion s'ovivrit dans
le chJleau des dues de Uourgogne, oil le comte de Cha-
rolais (J«j»uis Chai'les le Temeraire) s'etait retire avec
ses pai ti^saflB, jKHiUaiit que le roi elait maitre de la plaine
d'lvry.
Lc ministre "Villeroi a fait construire une superbe niai-
son de plaisance sur reniplaccment de ce chateau ; de-
puis pres de deux siecles elle est la propti^le des ar-
chcveques de Paris, qui, dans la belle saLson, y vont chtT-
cher la solitudeetie repos. Sur la bauleur .selrouvent des
reservoirs dans lesquels une machine hydraulique fait
nionter I'eau du fleuve, qui, de la, se rcpand par des ra-
naux multiplies dans les bassins du parterre, puis s'e-
chappe encore pour alimenter les fonlaines du voi-sinage.
Une petite plaine de quelques arpents separe senle la
niaison de I'archcveque de Bercy. Le chiteau des sei-
gneurs de ce nom, que Ton voit de la rive, fut repare et
embelli sous Louis XIV, et c'est d'aprcs les de-sins de
Le Noire que I'on arrangea lesjardins. Dans cetle admi-
rable propricte le botaniste truuverait d'inappreciables
tresors; mais il y a la un garde inipitoyable i|ui en d(5-
feiid I'entree a tous, excepte aux induslriels riverains
qui ont acquis ii prix d'argent le droit d'y faire des de-
pots. La terrasse louge la Seine pendant un quart de lieue
a pau pres, et Ton y jouit d'un point de viie niagnifique.
Le village de Bercy, qu'on pent considerer comme un
• des fauliourgs de Paris, cimsisteenunelongue suite debii-
-tiraents vastes et uniformes qui bordent le lleuve ; ce .sunt
des entrepots pour les vins. Jadis on passait la Seine dans
un hac, aujourd'hui on la traverse sur un pont construit
en eel endroit, et appele pontde Bercy. Nous lais^onssur
la rive gauche le hameau d'Austerlitz, qui tire son nom
d'un des ^venements les plus glorieux de notre histoire,
et celui de hi Gare, qui pos.sede une importante verrerie,
et nous pi'n^trons enfin dans Paris, entre le quai de la
RJipee a droite, et le Uigubre edilice de la Salp^lriere a
gauche, pour passer plus loin, en face de I'Arsenal.
Laissons le bateau qui nous porte desccndre le cou-
rant du fleuve aux eaux vertes, et resumons un peu la
partie de noire voyage qui se trouve iri terminee. Sans
doute nous aurions pu desirer de passer a travers des-
villes plus riches et plus elendiies, de traverser des con-
trees plus pittoresques et plus varices; mais, en somme,
nulle part rimagination n'aurait ornt^ de souvenirs plus
charmants les rives d'un lleuvp ; nulle part elle n'aurait
pu retracer des bords qui excilassent aulant d'emolions
profondes, autant de sentiments graves ou touchants. Pour
qui voyage dans la haute Seine lout a un cbarme sur-
prenanl. on ne resiste pas ii I'altiait ,de ces rives, a leur
grice indefinissable; mais jusqu'ici rien n'indique en-
core i'imporlance et la majeste que doit acqiierir plus
tard ce fleuve puissant, et pourlant on doit avoir deja de-
vini' ,sa grandeur future.
Les premiers, parnii les voyagours qui ont explore le
cours de la Seine, nous Tavons prise a sa source ; nous
avons ob.serve peu a peu son accroissement, ^ chaque pas
nous avons nolc raiigmentalion de son lit, do ses undes;
nous avons vu , pour ainsi dire , nous servant d'une
figure du bon vicux temps, cetle nymphe, d'abord en-
fant, grandir et devenir une fenime accomplie, aux
formes arrelees. Maintenant la Seine va nous presenter le
spectacle d'nne bien auire activite ; devenue large et
forte, elle Iraversera des ciles puissanles, riches et peu-
plces, et s(!mera sur ses bords un mouvement et des in-
cidents mille fois plus varies; les souvenirs bisloriques
vont surgir en foule; cependani elle va perdre ce charme
allache aux e.ssais el aux elTorts d'une jeunesse qui tra-
vaille et qui lulle.
Les rives que nous allons voii' sunt pai'Uiut etudi^es et
reproduiles; ces villes. que nous allons traverser ne sunt
plus dc celles oil le voyageur ne s'arrfte que s'il y passe
une .grande route. Nous voyons un fleuve sans cesse sil-
lonne par des emharcations ou par des bateaux k va-
peur cJjarges de curieux ou dartistes; un fleuve qui a
une histoire, chronique vivanle decrile en mille et mille
volumes. En un mot, la basse Seine est en quelque sorte,
comme di.sait Napoleon, la grande rue d'une ville im-
mense, dont les trois quartiers principaux seraient Paris,
Rsuen et le Havre.
Cependani noire embarcation a franchilePonl-\euf,et
nouscherchons en v.iin sousladeuxieme arche, du cotedu
quai de I'ficole, ce pelit chateau qui avait son gouver-
neur, el qui s'appelait la Samaritaine, nom cht'ri pen-
dant longleiiips des Parisiens, loiijonrs assembles sur le
pont pour ecouler les .sons aigres et percaiils de son ca-
rillon. Le baliment tombait de vetuste, la pompe avait
et6 reconnue inutile, on se decida a lout aballreen 1813.
Mais nous voici au sein de la capilale, abordons un
inflanl, f t examinons un peu le vieux Paris du haul de
ce terre-plein sur lequel s'appuio le Pont-Neuf.
A,.-L. Bayehghc.
ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE.
its
ESOUISSES DE LA VIE FLAMAOE.
CUAPITRE III.
eni VEUT TROP S'ELEVEB, TOMBE 800VENT BIEN Bas.
(Suit?.)
Le pert- Van Roosemael profila du
trisle exemple d'lloitense Spinael
pour declarer a sa femme la ferme
volontt' oil il elait de retirer Siska
de pensiou. Le dock'ur Pelkmans
so joignit i lui pour faire sentir
la Docessite d'une telle rt'solulion.
Comme Irois ans s'elaienl ecoules
depuis quelle n'avait vu sa tllle,
m.ndame lioosemael.se ranqea plus
lacilenient a leur avis qa'iU ne s'y alleinlaient.
En consequence, iwe leltre fiitecrile a la direclrice de
pension pour la remcrcifr des soins dunnes a Siska et
pour prevenir cetle deniiere que le 15 couranl, a qua'lre
hi-urcs de I'apres-midi, madame Van Roosmael Idllendrait
a la station du chemin de fer.
Ce jour-Ik, en effet, une demi-heure environ avant
I arnvee du convoi, m vit entrer dan. le deharcadere une
dame d'un iige mftret d'un air respectable. Elle avail un
manteau de drap fia, et son bonnet, a la verite, de forme
on pen antique, elail garni d-unedentelledeprix \ coup
'ur ce devait ^tre la femme de quelque bon bour.-eois qui
..vau profile du beau temps pour se paror de ses habits
Ju dimancbe. Neanmoins die sY-lait munie d'uu immense
parasol qui pouvail lui servir de parapluie en cas do-
rage.
Le cceur de madame Van Roosemael, — nos lecteurs
1 ont surementdeja nommee,-battait b,eu fort en ce mu-
msnt, car elle allait pre.sser sur son sein maternel .sa Sisk-,
son enfant cherie, et Irouver dans ces lendres embrasso-
nients h compensation de toutes les querelle.s, de tons
le-s ennu,s, de lous les chagrins qu'elle avail supporles
Jans son menage po„r parvenir a lui donner une bril-
lanle education... Quelle joie elle allait eprouverl
Mais voil6 qu-on entend les rusis,sements du convoi
M-oi npproche. Les employes de radministration se pre-
cipitent hors des bureaux et des ma.aasins, et accourenl
.la debarcadere. Le bruit succede au silence, et c'esl au
mii.eu d'une foule tumullueuse que s-arrele la machine
uionstre. La bonne dame, tremblante d emotion, va se
poster alors sur lepas.sage desvoyag-urs, el elle examine
curieusement chaque visage de femme...
Deja lesbrillanls Equipages sunt partis, les lourds om-
nibus se mettenl en mouvemenl; en moins de cinq mi-
nutes la voie de fer se trouve libre ; le. employes retour-
nenta leurs bureaux; la foule se disperse. La mere Van
Roosemael voit les porles se fermer; I'inquielude s'empare
de son ume ; elle reste immobile a I'entree de la station,
comme si un pouvoir occullc la clouait k cells place. Tout
& coup elle tressaille ; elle vienl d'a|iercevoir h quelque
distance, pres d'un cabriolet de louagp, unejeune per-
sonne debout, dans I'attitude d'une personne qui en at-
tend une autre.— Serait-ce Siska'/... Oh ! non. c'e.st im-
po.ssihle !... A I'elegance de sa toilette, on juge que cettc
jeune dame appirtienta h haute classe de la sociele. Sa
robe de soie, d'une couleur eclatante, laisse a decouvert
une grande parlie de son ecu qu'un chaie de barege ne
suffit pas a cacher. Le long de ses joues lombenl dcsgrap-
pesdecheveux.el deux plumes se balancenl sursoncha-
peau. Elle tient a la main une jolio petite ombrelle ; a ses
pieds sont enla.sses deux grandes malles et une douzaine
de cartons. Ce ne pent 6tre son enfant!
Telle etiiit la conclusion desremarqiies de mailame Van
Roosemael, lorsque la jeune fille, elanl venue a se reiourner
avec un monvemenl d'impalience, elle recounut alors
parfaitemont les trails de Siska.
— Ml fille I s'ecria-l elle; el en prononcinl ce peu de
mots elh s'elance avec la vivaoite de lajeunesse. Des
lanncs de joie mouillent ses paupieres; un sourire feclaire
saphysionomie, elle ouvre les bras, et s'ccrie de nouveau
avec Taccent du bonheur : . Siska I mon enfant! »
^ La jeune personne parul bien un peu meconlente de
s'cntendre app 'ler da ce nom vulgaire; mais, cedant
pvomplemenl n I'lmpulsion de son coeur, elle seprecipita
v.rs sa mere en s'emparant deses mains, et, les pressajil
foitemenl enlro les siennes, elle lui dit d'un ton etran-
gemenl de^nge :
— R)njour,mamnn, comment va voire sant«? el papa se
porte-t-il toiijoursbien?... Oh! preftezgardBl vonsalkz
2IG ESQUISSES DE L
ecraser nies cartons... Savez-vous queje \ous altcnds ici
depuis fort longtemps?
Dans cl'aulrescirconstances, ces paroles n'eussent peut-
felre point laisse de trace sur I'csprit decette mere indul-
genle -, niais en ce moment, elles blesserent son cceur,
comme aulant de coups de poignard. fctait-ccla, en effet,
le langage qu'elle avait ie droit d'attendre de sa lilie,
apres une aussi longue separation? Quoi ! pas uii baiser,
pas un elan de tendresse ponr relle qui, afin de satisfaire
ses desirs, avait non-sculcmcnt repousse les conseils,
mais encore lutte avec lavolonte de son epoux? Combien
cette froideur immeritge devait I'affliger ! EUe s'efforca
pourlant de contenir sa douleur.
Pendant ce temps, les valises et les cartons avaient ete
places dans le cabriolet, qui se trou\ ;Mt maintenant si en-
eombr6, qu'il n'etait plus possible que deux personnes
pussents'y asscoir. Mademoiselle Van Roosemael ordonna
au cocher de partir devant, parce qu'elle preferait, dit-
elle, se rendrc h pied chcz son pere. Nous ne nous trom-
perons certainement pas en atlirmant que la vanite eut
une grande part dans cette determination, ct que la co-
, quette jeune fille 6tait surtout desircuse de se montrer
avec son elegante toilette aux Anversois de sa con-
naissance qui habitaient le meme quartier que sa fa-
mille.
Siskaouvrit done son omb'relle, etd'un pas leger elle se
mit en marche sans accorder aucune autre marque d'af-
fection a sa pauvre mfere. Celle-ci ne pouvaits'empSclier
desentir maintenant la justessedesavisdu docteur. L'es-
prit absorbe par ces tristes reflexions, elle semblait plil-
tot une servante qui suit sa maitresse, qu'une mere qui
accompagne sa fille.
Les deux fenimeschemiraient depuis quelque temps en
silence, lorsque mademoiselle Van Koosemael, exominant
sa mere de la tete aux pieds avec la plus inconvenante
curiosite, lui dit tout a coup :
— Mais, maman, comme vous Ues etrangement babil-
lee avec cet atfreux bonnet et ce manteau h la vieille
mode! on vous prendrait pour une femme du peuple. Je
vous en prie, cachez re parasol campagnard, car nous
avons absolument I'air de paysannes arrivant de leurvil-
lage.
Madame Van Roosemael repondit d'une voix brisec qui
trahissait sa soufl'rance :
— Men enfant, je suis hatillee comme ma mere s'habil-
lait avant moi, et on ne peut s'attendre a ce qu'k mon
Sge je change ma manifere de me vetir.
Mais Siska n'avait pas attendu sa reponse ; elle s'occu-
pait en ce moment a regarder les passants, afin de jouir de
I'effet qu'elle produisait sur eux. Comme on traversait le
march(5 de la ville, un jeune homme s'opprocha d'elle
avec un visage si riant et un air de si parfaite intimite
qu'on les aurait volonliers pris pour la soeur et le hire.
Madame Roosemael ouvrit ses yeux aussi grands que pos-
sible, pour tacherde le reconnaitre. Quant a lui, loin de
se laisser deconcerter, il se mit a marcher a cote de Siska
ct lui dit en francais d'unton cavalier :
— Eh I bonjour, mademoiselle Eudoxie! Vous voila
done sortie de pension!... Anvers auia le bonheur de
posseder dans ses murs une personne aussi accomplie!
En yinli, c'est une bonne fortune pour nous autres jeu-
nes gens, qui rencontrons rarcmcnt un tel assemblage de
perfections.
\ VIE FLAMANDE.
A ce compliment emphatique, Siska repondit en afl'ec-
tant une confusion qu'elle n'eprouvaitpas :
— Vousplaisantez, monsieur Georges... Mais comment
so porle votrescEur Clotilde?
— Oh! tres-bien, dit-il negligemment. Puis il ajouta
avec une expression ironique el en designant madame
Van Roosemael :
— C'est sans doute votre femme de chambre?
A cette question, Siska devint toute rouge, moins de
colore peut-6tre que de honte, et I'exces de son embar-
ras lui ota pendant quelques instants I'usage de la parole;
enfin, faisant un effort sur elle-meme :
— Non... c'est ma mere, dit-elle.
— Ah! vraimcnt! s'^cria !e jeune homme. Et se re-
tournant vers la bonne dame : Pcrmettez-moi de vous
faire mon compliment, madame. Vous avec la une ado-
rable hlle!
En achevant cos mots, il salua I'epiciere avec une po-
litesse si exageree, qu'elle touchait de bien pres a I'im-
pertinence. Madame Van Roosemael avait assez de bon
sens pourle comprendre; aussi ne repondit -elle que par
une legere inclination. Encore tout emue de cette scene
inconvenante, elle demanda h sa fille :
— Pour qui done nous prend ce jeune Francais? II a
certainement cru s'adresserSi quelque autre, car il vous a
appelee Eudoxie; comment pouvez-vous ecouter les sols
propos d'un freluquet qui vous est inconnu?
Ces observations ne parurent nullement du gout de
Siska, qui prit un air renfrogne.
— Vous imaginez-vous par hasard, maman. qu'apres
avoir passe trois ans dans un pensionnat francais, j'en
sortirais aussi gauche et aussi sauvage que lorsque j'y
etais entree? Ce jeune homme ne m'est pas inconnu... II
venait voir frequemmcnt k ma pension sa sceur Clotilde,
qui est mon amie d'enfance.
■ — Quoi! s'eeria la mere ctonnee, scrait-ce Pierre Van-
derlangen?
— Eh ! oui, maman, c'est M. Vandertangen.
— Et tu n'es pas honteuse, ma fille, de faire tant de
bruit avec un faineant qui ne sail que gaspiller I'argent
de sa famille!
— Mais, maman, cela n'enip^che pas qu'il ait acquis a
Paris, oil il a vecu, de fort bonnes manieres; c'est un
jeune homme qui connait le.'' usages du monde.
— Est-ce done pour suivre les usages du monde qu'il
passe son temps a baguenauder dans les rues et a vexer,
par ses impertinences, des personnes respectables?..,
Quoi que vous en pensiez, je vous diifends do lier desor-
ESQUISSES DE L
mais conversation avec des drfiles aussi impudents. Je
vous dirai encore que vous vous appelez Siska et non Eu-
doxie.
Tii's-mortifiee de celle reprimande, Siska repartitavec
un pen d'aigreur :
— Esl-ce ma faute si les dames de ma pension ontjuge
a propos de djanger mon nom Ijourgeois centre un plus
convenable?
En entendant sa fille s'exprimer de la sorte, la nial-
heureiise mere songea inxolonlairement a Ilortcnse Spi-
nael, et, sous I'impression d'une si ficheuse pensee, elle
lui eiit assuremenl dit quelques dures Veritas, si elles
ne fussent alors precisement arrivees devant la porte de
leur boutique, oil VanRoosemaelelaitoccupe a moudredu
cafe. Comme line se trouvait la aucun etranger, la jeune
fille n'hesila pas a embrasser affectueusement son p^re;
le brave homrae etaitravi de revoir son enfant brillante
de sanle et de grace, et il en temoignait assez bruyam-
ment son allegresse, lorsque ses demonstrations furent
intcrrompues parSiska, qui s'ecriaen francais :
— Mes cartons nepeuvent rester ici... 11 faut que je les
fasse monler dans ma chambre... — Cocher! ajoula-t-elle,
prenez-les et suivez-moi dans I'escalier.
Une beure apres qu'elle se ful ainsi retiree dans sa
cliambre, elle etait encore occupee a deballer ses cha-
peaux et ses robes, a ranger ses llacons de cosmetiques
et k mettre ses clieveux en papillotes. Pendant qu'elle
se livrait a ces travaux importanls, elle chanlail le re-
frain d'une romance franraise :
a O ma belle,
" Soii-moi fidele !
et aulres du meme genre, d'une voix si eclatante qu'on
I'enlendait dans la boutique.
Le pere Van Roosemael restait immobile d'etonnement
derriere son comploir; sa main droite se reposait- sur la
manivelle de son moulin a cafe, tandis que de lagauclie
il se graltait, ou plulut s'ecorchait la tete avec la distrac-
A VIE FLAMANDE. 217
nees de ma femme ! Le doctcur Pelkmans avail raison
quand il disait qu'un jour je m'en repentirais...
La situation de la pauvre mere etait aussi bien digne
de pitie. Torturee par ses craintes malheureusemcnt trop
molivees, et par les reproches de sa conscience, elle s'e-
tait assise dans un coin obscur de la cuisine et pleurait
solilairement.
Les plcurset les plaintcs ne produisirent pas plus d'ef-
fet sur Siska que les remcntrances et les priires. Rien
ne pouvait la detourner de la mauvaise voie dans la-
quelle elle etait entree, si bien que la tendrcsse maler-
nelle de I'epiciere finit un beau jour par Temporler dans
son ccDur sur son juste mecontentcment, et qu'a force
de chercher des subterfuges pour apaiser I'irrilation de
son niari, elle en vint a ne rien voir de reprehensible
dans la conduite de sa fdle : ■— Tout au plus pouvait-on
lui reprocher quelques caprices, un peu d'obstination;
mais voili tout. D'ailleurs I'enfant etait encore bien
jeune... avec le temps, elle se corrigerait. <
Par cette excessive indulgence, madame Van Roose-
mael oblint quelques marques de tendresse de la pairt
de Siska, qu'elle ne cessait de vanter i ses pratiques : .
— Noire fille, leur disait-elle, est fort instruite... Elle
comprend lefrancais mieux que le ilamand... elle danse
commeune Parisienne... elle chante comme au theatre...
enlin, c'est un vrai bijou.
Etfectiveiiient, Siska avail rccu une fort jolie educa-
tion. Elle savait assez de francais pour etre en etat d'e-
changer dans cette langue de fades compliments; a la
vcrile, elle commetlait dans la conversation plus d'une
faute grossiere centre les regies; mais son assurance et
sa vivacite emp^chaient ses auditeurs de s'cn apercevoir.
Elle avail bien oublie d'apprendrerarithmelique, science
d'ailleurs trop aride pour une jeune personne delicate et
nerveuse ; mais quoiq+i'elle fill incapable de dresser une
facture, elle etait en etat de calculer que si sur Irois pre-
tendants elle venait k en perdre un, il lui en resterait
encore deux.
De ses lecons de geographie elle n'avait retenu qu'une
chose, h savoir, que Paris est la plus belle villedu monde,
le paradis Icrrestre des femmes, qui y passent leur vie
dans des fetes continuelles. Quant a la mythologie
grecque, elle se souvenait fort bien que Venus etait ia
deesse de la beaute et que Cupidon etait son tils. De
lion d'un homme dont les idees sent toules boulever-
sees. Ses yeux erraient vaguement dans la boutique, et
de tristes previsions assombrissaient son esprit. Lui
aussi pensait en ce moment k Hortense Spinael, tout en
cnurmurant de temps en temps :
— Quel imbecile ai-je ^te de ceder aux volontes obsti-
plus, elle connaissait tous les noms francais des diffe-
renles especes d'etoffes, des diverses facons de robes,
des nombreux genres de coiffures dont se servent les
218
grandes dnmos. — VoilJi en quoi consislail la hellp Edu-
cation de la fillc de I'honnJto (Spicier onversois El main-
tenant, nouslo domanrlons, elail-elle iin vrai bijou, oom-
n>e sa rflire cherrhait a se \>; pprsuadrr, ou seulement
une poupee liabillee h la mode du jour?
II est vraisemblable que le pere Van Roosemael n'au-
rail pa5 repondu ;i la question que nousvenons de poser
lie maniere a satisfaire I'orgueil maternci de sa femme.
On doit du moins le supposer, d'aprfe les reflexions sui-
vantes que vers ce temps-li il communicpia a son confi-
dent, le docteur Pelkmans :
— Si nous avions profile de vos a\'is, docleur, noire
Siska serait i present installee a noire comptolr, egale-
ment salisfaile de sa position el de la noire. Elle aurail
pour nous autant de tendresse que nous lui en portons,
el nous serions a peu prfes certains de lui hiisser, a
noire morl, une belle fortune et des affaires florissanles.
Au lieu de cela, voyez ou en sont les chosesaujourdbui !
Noire fi He est assise, 11 est vrai, dans la boutique; mais
evidemment elle ne prend nul inler6t ii noire rommerce.
Elle a dcvant elle un tablier de soie qui lui tomboa peine
jusqu'aux genoux; quant aux bonnets, elle n'en porle ja-
mais, et persiste a se coiffer en cbeveux conime si elle
ilevait parattre h quelque assemblee. Toute la journee,
•elle ne fait que rire et babiller avec un tas de freluquets
qui n'ont pas un sou dans leur pocbe, et qui, sous pre-
lexte d'essayer des ngares, envahissent mon magasin et
i"n eloignent les lionnAtes bourgeois. J'ai deja perdu la
moilie de mes pratiques... Ami Pelkmans, quaod je ne
^erai plus de ce monde, cette maison que je liens de mon
p^re, et que je comptais transmeltre a ma Hlle, sera
promptenient ruinee , car elle ne consenlira pas a
epouser un homme de noire classe ; et a quoi sont bons
les frivoles jeunes gens dont elle recherche la .societe"?
Ab! vous aviez raison, docleurl Une education solide,
mais simple, eut fait de ma Siska une bonne meiia;;ere,
une femme d'inl^rieur. Elevee dans la crainte de Dieti,
elle aurail pris le gout des occupations utiles et de la vie
domestique. Hclas! c'est ainsi que I'on raisonne toujours,
docteur, et que les .sages reflexions n'arrivent qii'apres
Tinfortune : — C'est quand leveau estnoyc qu'on couvre
le puits.
ESQUISSES DE LA YIE FLAMANDE.
eS.APITnE TV.
MIEDX VAUT TARD QUE JAMAIS.
Depuisle premier jour de sonrelour sous le toil pater-
. nel, Siska desapprouvait, ou pour mieux dire critiquait
lout ce qui s'y faisait. Pas une seulo habiluile de scs pa-
renls ne trouva grioe a ses yeux ; lout lui parajssait vul-i
gaire ou inconvenant. D'abord elle s'etonna qu'on pfil di-
ner avant trois heures. Quant a elle, ce lui serait lout h
fait impossible. Elle n'avait pas un appetil de paysaune.
A celle declaralion, le pere se facha, la mi^re se desola.
Alors Siska eut des violenles attaques de nerfs ; m^me elle
toniba en syncope. Un medecin francais, tres-expert dans
'"art de guerir les maladies de fanlaisie, ayanl etc ap-
pM par la famille, raconta tant d'elTets etrane.es et
effrayants produits par la surexcilation des nerfs, que ces
bons parents demeurerent persuades de la nocessite de
diner seulement k trois beures. Leur estomac dut pour-
tant soulTrir de ce retard, car ils se levaient re;;uliere-
menltous les m-alins a qnalre beures, au lieu que la pa-
resseuse Sislm ne descendail jamais dans la boutique et
ne sorlait pas souvent de son lit avanl neuf.
Api-es la critique de I'henre des repas vint celle des
mels dont ils se composaienl. II fallait absolument mellre
exprespnur elle a la broche, tantot un pigeon, tanlot nn
poulet. Ses pocbes Maient toujours pleines de pastilles au
rdron, et d'autres bonbons pecloratix. Elle ne voulait pas
non plus cnnsenlir a aller le dimancho avec sa mere a la
messe de six heures; dansl'hiver, ellese seraitenrbum^e;
dans I'ele, elle ne pouvait resler au milieu de gens du
peuple sans en etre malade. La grand'messe durail Irop
longlemps ; on gagnail froid aux pieds sur les dalles. Mais
la messe de midi, a la bonne heure. La, on voit de belles
toilettes, et, apresleservicedivin, on pent faireun tour de
promenade sur le gazoii du cimeliere afin de nionlrerson
manlelet neuf.
Voyezlellearlecidesa mere 5 quitter son bonnet garni de
denle!le pour mellre un cbapeau d'etofTe, et ses souliers
hilniiblr rniihire pour des boUines larees ; autremenl la
vanileuse enfant eftt refuse de sortir en sa conipagnie.
Mais comme la mere Van Roosemael paratt mal ii I'aise
dans son nnuvel accoutrement ! Son cbapeau lui ecorclie
les oreilles, et de plus la rend h moitie sourde. A peine
fail-.'lle trois pa.s de suite sanssarreler pour serouer son
pied, comme s'ii setrouvail smbarrasse dans un filet, tant
les lacets qui serrent sa chaossure a la mode lui engour-
dis.sent le bas de la jambe. Pauvre femme ! sa conlrariele
est si vi\'c en voyant les passant se moquer d'elle, que des
goutles de stieur perlent sur son front.
Le brave epicier n'elait pas moins lourmente qne sa
femme par la fantasque Siska. Jusqu'alors, ii avail ete le
maiire dans son interieuT et avail gouverne ses affaires
avec tant de prudence que son commerce prosperait ad-
mirablcment. Maintenant il n'en ttailplus ainsi. Le dfe-
.ordre rggnait dans la maison, (out ce qu'il considerait et
ESQUISSES DE LA
proposait conime cnnvenable et utile, etait dedaigneuse-
mentrcjele parsa lille; souvent mSine, celle dyrniere lui
donnait a cnlendre qu'elle Irouvait ses idees etroiles et
stupides. Si alors le bonliomme se mettait en colere, la
discoide eclalait aussilot dans cetle famille. Siska et sa
mere se tenaient d'un cote ; le pei'e restail seul de I'autre.
(Juant ail dciclciir Pelknians , il se vil si nial ac-
cueilli par les deux femmes, qu'il prlt bienlot en degoiit
ieur mai^on an point de n'y plus vouloir mettre Ics
pieds.
Cepondant, le pere Van Roosemae!, qui n'avail pas 6l6
(5leve au milieu des dissensions domestiquos, et qui, par
nature non muins (|uc par habitude, ainiait h voir ru-
gner au'onr de lui la paix et le contentement, so resigna
, h lolerer une infinite de changenjenlsdont la plupart lui
etaient fort desagreabli's. Mais il souffrait beaucoup de
ce boulever-ementsubit dans sa maniere de vivre. Aossi
s'entendait-il dire plus d'une fois par ceax de ses anciens
amis qui le rencontralent dans la rue :
— Comme vous maigrissez,VanRoosemaelI Seriez-vous
malade"?
Sur un seul point, le bonhonime n'avait point voiiUi
I'eder, ;i sa', oir : les attaques dirigees par Siska contre la
boutique m^nie de son pere. Selon elle, cetle tiouti.jue
ne devail, ne pouvait pas rester comme elle etait. Mais
l)Ourenvenir a ses tins, la jeunc lille rompril qu'il lui
faulrait beaucoup de perseverance et de ruse. En effet,
i-'etait derriere ce coinptoir que Van Roosemael avait
grnndi. Au fond du magasin, on voyait le vioux fauleuil
sur lequel s'asscyaitsa grandmere. En un mot, celtc bou-
tiiiue.clait son pays natal, son univers.et a la conservation
lie toules les dioses qui s'y trouvaient semblait 6trp at-
tachre une parlie de son existence. Aussi, pour vaincre
rohstiiiation de son pere a ne point vouloir decorer sa
biuitique a la fran^aise, Siska eul nen-seulement recours
au\ larmes, aux crises de nerts; mais encore elle feignit
ira\oir perdu I'appetit et le sommeil. Tout ce manege
dura un an, oui, m\ an, an bout duquel Van Roosemael, a
la fois fatigue et afilige de cette incessante persecution,
dit enfin d'une voix aussi Irisle que .sa pliysionomie :
— Ell bien ! done, failes ce que vous voulez.
Helas! ces paroles, que d'iniportunes instances lui
avaient arrachecs, rctenlirent a son oreille aussi lugu-
brement que si on TeQt force do prononcer lui-ui^uie sa
sentence de mort. II se sentil phjsiquemenl et morale-
inent brise. Des lors il commen^aadepi5rir et a s'aclienii-
ner lenlement vers la lombe.
Plus d'une fois, Siska, en rencontrant son regard,
I'prouva un trouble iudefinissable, une sorte de vague
pressentiment de mallieur. Mais le mouvcment de re-
pentir dont elle se sentait alors comme in\incit)lemcnt
.saisie travcrsait son esprit comme un eclair. Van Roose-
mael, morne ct abattu, ne lui ailressait nul reprucbe ;
silencieux et immobile, il suivait des yeux les ouvriirs
ni-rupes a mettre sens dessus deseous sa vieille boutique,
ct a ancantir ses plus chers souvenirs. Les etioits car-
naux du vitrage cederent la place i des glaces magnifi-
i|ucs, el les lampes furent remplacees par de brillanis
bees de gaz. Deux garcons de boutique .se tenaient les
bras croi.ses derriere le comptoir, tandis que Siska, ou
plutot mademoiselle Eudoxie Van Rooseniael, dont la
chaise el.iit placee sur une petite estrade, pres de la fe-
nelre, lisait des remans francais.
VIE FLAMANDE.
219
Le nialheureux vicillard en etait venu a un tel degr^
d'accablemenl que toutes choses, sans en exceptor la so-
ciete et la conversation de Spinael, semblaient lui *tre
devenues indilTerentes.
L'honnete cordonnier avait fait (juelques speculations
sur les peaux, qui I'avaient mis en position de pouvoir
lui rembour-ser le prMde mille florins.
Ceppndant, la negligence et le desordre regnaiont plus
que jamai.= dans la boutique de Van Roosemael, qui, de
plus en plus soufTrant, sn vit enfin force de garder d'a-
bord sa chanibre, puis son lit. Comme il ne se plaignait
que d'un grand atlaiblissement, sa famille, persuadee
qu'il n'avail besuin pour se retablir que d'nn profond
repos, se borna a I'entourer d'attentions et de soins. Un
matin pourtant le malade manifesta le desir de voir le
docteur Pelkmans et son voisin Spinael. Madame Van
Roosemael les envoya chercher tous les deux.
Le medecin arriva le premier. II demeura longlemps
seul aupres de son ancien client. Quand il redescendit, il
elait pSIe et Iremblant. Du moment ou il se trouva ea
presence des deux femmes, il lixa ses regards courrou-
ces sur Siska, et s'avanca vers elle d'un air sombre.
Torturec paries angois.ses de I'mquietude, et dominie
par un indicible sentiment de terreur, la jeune lille ^ten-
dit ses mains devant elle, comme pour repousser cette
sinistre apparition. Le docteur saisit son bras, et, le pres-
sant fortement, s'ecria d'une voix sourde :
— Voire perese meurt. perverse enfant! etsans les cha-
grins dnnt vous avez abreuve sa vie, il aurait peut-^tre
encore bien des jours h vivre!...
En achevant cetle intcrpellalion foudroyante, il rejeta
Siska a demi evanouie sur son siege et sortil priTipilam-
ment pour aller chercher un prStre, avec lequel il ne
tarda pas h rcvenir.
Apres qne le monrant eut recu les consolations de I'fi-
glisp, il murmura d'une voix gemissante :
— Oiisontma femme et ma fille?... Je voudrais les voir
Tunc et I'autre, docteur. ..Mais, je vous en prie, soyez in-
dulgent pour la pauvre Siska... Ne I'accablez pas de re-
proches trop severes!
— ,le vais la chorclier, repondit simplement le doc-
teur.
Assises a cole I'une do Vaulre dans I'arriere-boutique,
la t^te cachee dans leurs mains, les deux femmes san-
220 ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE
glotaient convulsivcmcnt. Le desespoir auquel Siska etait
cn proie aurait attendi-i un cosur de pierre. Les paroles
accusatrices du docleur resonnaient encore a son oreille
comme une malediction divine, elles avaienl dechire le
voile qui lui couvrait les yeux... Siska se reconnaissait
coupable -, mais, lieias! il etait trop tard, le mal quelle
avait fait ne pouvait plus etre repare.
A re spectacle deux larmes roulerent sur les joues de
Pelkmans, sa physionomieperdit un peude son expression
de severite pour prendre celle d'unc affliction profonde,
et s'approcliant de la repentante jeune fille :
— Malheureuse enfant! vous avez pi'clie contre la loi
de Dieu... Au lieu de suivre ce saint comniandcment :
Tes pere et mere honoreras qu'avez-vous fait?...
Mais je ne veux pas vous jeter dans le desespoir. II vous
reste encore un moyende salul... Repentez-vousetamen-
dez-YOUs ! Tachez de vous r^eoncilier avec Dieu et avcc
votre peremourant qui vous appelle.,. Allez vers lui....
Mais prenez garde ! s'il quitte ce monde lerrestre sans etre
convaincu de votre repentir, s'il racurt sans cette derniere
consolation, la mal6diction de Dieu vous poursuivra eler-
nollenientdans cetle vie et dans I'aulre.
Siska baisa en pleurant les mains du docteur, ct so
rendil en tonte hJte dans la charabre de son pere. Main-
tenant assistons aux dernicrs moments du malheureux
Roosemael. Au chevet deson lit, nous voyons, treniblants
d'cmotion, Spinael et le docleur. A I'extremilfe opposee,
Siska, agenouillee, entoure sa mere de ses deux bras, et
supplie le vieillard do lui accorder son pardon. Le mori-
bond, dont la figure s'eclairesoudainemeni d'une expres-
sion de bt^atitude celeste, leve sa faible main, I'etend sur
la t(He de son enfant, puis il murmure d'une voix faible :
« Je te bonis, ma fille. • Et aussilot son 4me, deployant
ses ailes, prend son ossor vers les cieux...
Aujourd'hui, la boutique d'epicerie que les Uoosemael
avaient tenue de pere en fils depuis pres d'un siecle, est
fermee. En se retirant du commerce, la mere et la fille
ont egalement rcnonce a tout plaisir, a tout amusement.
Leur vie solitaire estentierementconsacreea dese.\ercices
de piete et a des acles de charile. — Et si vous visitez, un
vendredi matin, I'eglise des Dominicains, ouvrez la porle
k droite et p6netrez dans le vieux cimetiere , jusqu'a
la muraillesur laquelle se trouvent representes les tour-
ments des 4mes qui sent dans le purgatoire , \h vous ver-
rez une jeune fenime prosternee, enveloppee dans un
nianteau brun et le visage convert d'un voile. Si vous
I'examinez altentivement, vous remarquerez les grains
d'un rosaire que font glisser ses doigts, et de temps en
temps vous entendrez un soupir de contrition sincere
sorlir de sa poitrine oppressee. Toutefois, son immo-
bilite est telle que, dans le demi-jour oil elle se trouve,
vous la prendriez pour une statue. Et si ensuite vous la
voyez se lever, s'incliner respectueusement devantun torn-
beau place en ce lieu, et s'eloignera pas lents sans vous
avoir seulement apercu, vous pouvez etre sir que cetle
jeune femme est Siska Van Roosemael.
Nous n'osons plus vous entrelenir. des enfants de Spi-
nael, qui continue a prior Dieu chaque jour de les retirer
de I'abime du vice oil ils se sent volontairement plonges.
Esperons toutefois que les prieresdel'lionnfite artisan se-
ront enlin exaucees.
L'OURS.
m
niSTOIRE NATURELLE.
I.OURS.
Ijiii n'a vu dans nos villages, surlout a I'approche des
foires, un animal de graiide laiUe, couvei't d'une epaisse
fouriure brune ou noire, d'apparence fort lourde, et
dont le grognement sourd indique assez que la muse-
liere n'est pas une garantie inutile?
Un homme cependant guide, ^ I'aide d'une chaine, ce
sauvage compagnon, qui a sa voix se redresse sur ses
patles de derriere, etale de larges griffes et s'appuie d'une
maniere grotesque sur un long bJiton qui lui sert dans ses
exercices. Le son d'un tambourin et d'un fifre aigu lui
donne une cadence douleuse; il saute pourleroi, il
saute pour la ligue, absolument conime un civilis6 ; il
tient un cliapeau et salue la compagnie en lui montrant
les di'nis.
Ce danseur recalcitrant est un sauvage habitant des
montagnes, un ours, puisqu'il faut le nommer parson
nom, qui deploie sesgricesdouleuses devantune reunion
ou les enfants sont toujours en niajorite.
La famille des ours est r^pandue dans toules leshautes
Diontagnes de I'Europe, de I'Asie et du nord de TAnK^'-
riquc; on en trouve aussi dans certains pays de pliiine oil
il y a de grandes for^ts qui lui servent de relraite.
On connait I'ours gris, le brun, le noir , et le blanc,
qui ne se trouve que dans les regions polaires et liabite
surle rivage de Id mer.
L'ours gris est le geant de I'espece ; on le rencontre
dans les for^ts les plus pri:fondes de rAm(5rique du Nord,
pres des lacs ; aussi feroce que fort, il attaque intr^pide-
ment les plus grands animaux, le bison m6me, qui sou-
vent succombe apres une vigoureuse defense. Aucun
ours n'est d'une humeur plus insociable que l'ours gris ;
il aime la solitude, et malheur a qui passe h la portee de
sa griffe ! 11 faut une grande resolution aux chasseurs
pour I'attaquer, car les blessures I'irritent et, quel que soit
le nombre de ses agresseurs, loin de fuir, il s'avance
bravcment contrc cux.
L'ours brun est le plus commun dans les montagnes
de I'Europe; sansetre aussi redoulable que l'ours gris, il
faut prendre de grandes precautions pour le chasser, car
c'est un animal adroit, qui ne manque pas d'agilile et
qui est doue d'une grande finesse ; c'est uri rus6 mon-
tagnard qui a plus d'un tour dans son sac et qui est dau-
lant plus dangereux qu'il cache sa ruse sous une appa-
rence de lourde bonhomie. Comnie ces animaux habilent
les sommets les plus inaccessibles, ils ne desccndentdans
les valines que lorsqu'ils sont presses par la faim ; et
ils regagnent promptement leurs tanieres apres avoir
ravage les pares de moutons ou enleve quelque jeune
veau. Les montagnes oil ils se retirentdans des cavernes
sont ensevelies sous la neige pendant les trois quarts de
I'annfe ; les sentiers, a peine traces, y sont peu surs, mcme
pour les chamois, et longent des precipices sans fond ; il
faut done prendre des guides et s'aventurer au risque
de s'egarer , de p^rir sous des avalanches , de rouler
dans un gouffre ; et lorsqu'ii la suite de ces dangers, qui
naissentdela nature des lieux, on se trouve en face d'un
ou de deux ours alTamcs, il faut encore un admirable
sang-froid pour ne pas les manquer, car ils marchent
volontiers sur le feu.
On pretend que dans le Nord, en Lithuanie et en Sa-
mogitie, quelques paysans les chassent d'une maniijre
qui exige une grande resolution , mais ^ laquelle ils
sont portes par le desir de soustraire leurs troupeaux et
leurs ruches Ji ces redoutables depredateurs. L'un d'eux
armi d'une hache tranchante se hasarde en avant des
autres chasseurs vers les lieux ou l'ours doit setrouver;
il s'avance avec precaution, retient m^me son haleineet
marche comme un ^claireur en pays ennemi , de crainte
d'une surprise qui lui scrait falale. Lorsqu'il apercoit
I'animal, qui I'a senti de loin, surtout s'il est an vent,
il grimpe avec agilite dans un pin ou lout autre arhre.
L'ours arrive a son tour, alleche par la proie qu'il con-
222
LOURS.
voile, il lourne aulour do I'arbre, se dresse sur ses pat-
tes de derriere, leve Ic museau et examine le terrain de
tous les cotes ; car sa mefiance habiluelle est eveillee et
combat son natuiel carnassier ; enTin il se decide et
monte h I'arbre assez peiubk>ment jusqu'au moment ou
il atteint les premieres branches. C'esl alors que I'liomme
assene vigoureusement des coups de bache sur ses pattes,
coups qui le font rouler a lerre; puis, au signal conveiiu,
les chasseurs accourent et achevenl leor eoQemi desor-
niais sans defense.
Les pieds de I'ours sont an mets assez estime par quel-
ques habitants du Nord; mais la chair en est niauvuise;
ce que Ion recherche le plus, c'est sa fourrure, qui se
place tres-facilement dans le commerce et sert parlicu-
liereinent h confectionner des coiffures mililaires, kol-
backs et bonnets d'oursun.
Les ours ne mangent pas spulement de la chair, ils
sont aussi tres-friands de fruits, de chiilaignes et surtout
de niiel ; lorsqu'ils trouvenl une ruche, ils la devorent
avec tant d'avidile que tout y passe, miel, cire et meme
les abeilles, qui ne sont pas toujours assez aleites k
prendre leur vol. Que pourrait I'aiguillon de ces insectes
contre leur impenetrable toison'.' Les yeux et le nez
peuvent seuls en elre atleinls.
Pendant une grande parlie de I'hiver, Tours, refugie
dans sa caverne, apres s'itre bien engraisse, y passe le
temps a dnrmir ou a se lecher laplante des pieds, ce qui
i'aide.a ce qu'ilparait, k supporter ces mois d'abstinence.
Dans quelques coutrees des Iiides orienlales il exisle
de pelils ours noirs, qui nesont pas plusgrosqu'unboule-
dogue et qui ne manquent pas de vivacite.
L'ours blanC, qui, conime bolis I'avons dit, babite les
regions polaires, est ineonlestablement le plus grand du
genre. En lo96, le voyageur Baremls, qui, le premier, a
frequenteles regions rapptocheesdu pole, emporla commo
tropUee de son voyage les peaux de deux de cesaniniaux
qu'il avail lues : I'une avail douze pieds de long, Tautre
plus de ooze. Quoique lours blano se nourrisse particu-
lierementdephoques et de poissonsi|u'il parvient hsaisir,
il n'en est pas moins un objet de terreur pour les insu-
laires et les habitants du littoral, dont il decime les Iroii-
poaux lorsqu'il peul arriver parmi eux sans fetre apercu.
Sa subsistance est encore plus precaire etsujelle a plus
d'mcerlitudesquecelle de lours des niontagi»es. Les pho-
qiics, toujours suit la defensive, se precipilenta I'eau du
plus loin qu'ils I'aper^oivenf; les poissons lui sont encore
plus difliciles a saisir ; et raiemenl il se risque il altaquer
les habitations des liommes. Cependanl il est arrive que
des naviros detenus par les glaces se sunt vus lilleralp-
meiit assieges par des ours blancs affanus dont la faim
duublait I'intrepidite. Les coups de feu ne les iirriitaient
pas, ol les matelols etaieiit reduits a les combatlre de la
hache et de la pique. Dans un des deriiiers salons, le
peintre Biard a expose un tableau saisissant de verite,
representant une barque altaijuee par une troupe d'ours
blancs.
Les matelols des equipages baleiniers, lorsqu'ils se ha-
sardentsur les glaces, ont quelquefoisiise defendredeces
rudes assaillanls; on en cite un qui, si' trouvant face k
face avec un ours blano dontl'aspect elail terrible, pensa
que la relraite etait chose des plus prudenles ; mais il
n'osa pas engager une fuite precipitee sur un tenain oil
le moindre faux pas pouvail lui devenir fatal en deter-
minant une chute. I! se retira dune pas ii pas, mais suivi
de pros par lours; alors it eut la pensee de jeler la gafe
qu'il portait : I'aninial s'en empara, la tourna et la re-
lourna enlre ses pattes avec curiosite,puis, la laissant k
lerre, conlinuasapoursuile plusrapidemeiit, car le malelot
avail gagne pied. Celui-ci sacrifia successivemenl ses gros
gants de laineel son chapeau, chaque fois avec le tnfeme
succes, carl'ourss'arrilait pour les examiner en lout .sens
et les llairer. Ce manege donna le temps auxhommesdo
I'equipage de venir k son sacours et de le debarrasser de
son importun conipagnon.
On cite plusieurs traits de la sagacile des ours blancs;
en voici un enlre aulres : un phoqno se reposait sur la
glace pres d'un trou destine a assurer sa fuite s'il aper-
cevait quelqne dangereux ennenii. ITn ours, qui I'avarl
vu, s'enapprocha le plusdoucement possible, puis, a une
certiune distance, plongea dans la mer, gagna la reliaite
sur la(|uelle il se fiait et s'empara de lui.
il arrive quelquefois qu'un ours imprudent, allant d'llol
en ilot (t do glacun en glacon, se Irouve conipromis lors-
qu'une debacle arrive; emporle lout ii cou|), il voit fuir
au loin le linage d'oii il elail parti, et s'd ne succombe
pas k la faim, plus il s'avance vers le siid, plus il voit !e
glacon qui te porte se fondre et dispar'aitre, jusqn'a cc
qu'eulin, entraine par une vague, il aille tiiiir au fond Je
la mer son aventureuseodyssee. •
Olivikii Lf. G.1LI..
LA MORT DUN ANGE.
223
LA HORT D'ra mi^
Y^fW-Jr-
Le plus (entire, le meifleur
de lous les anges, auc|uul nous
avonsdonne ITiorrible nom de
L V MOKT, a pour mission d'en-
lever doucemenl noire ta'ur
au moment ou it se brise dans
noire poitrine et de le porler
d'une mam leg^re dans ce
chauJ et delicicux Eden qui
flcurit par-dela les nues : c'est
I'aii^e de la derniere heurc. II
a pour frere I'ange de la pre-
miere heure, qui donne a
riionime deux baisers : le pre-
mier, pour qu'd commence ia
vie; ie second, pour qu'il se
reveille la-haut sans blessure,
et qu'il enfre en souriant dans
la vie nouvelle, comme il est
entre en picurant dans I'autre.
Ators que les champs debataille se trempaient de sang
et de larincs, et que I'ange de la derniere heure y faisail
une riche moisson d'Smes, son oeil se mouilla, et il dit :
• Ah! je veux aussi mounr une fois comme meurent les
« hommes, afia de connaitre leur derniere douleur, etde
« pouToirl'adoucirqiiandje tranchcrai lefil de leurvie. ■
L'iiicommensurable cercte dcs anges qui s'entr'aimenl
l^-liaul se resserra autour de I'ange compatissanl, el its
promirenl a leur ami de I'entourer de leurs rayons de
feu a son dernier moment, afin qu'il Tiit bien sdr que ce
serait la morl. — Et son freie, dont !e baiser entr'ouvre
nos l&vres glacees, comrae Taurore entr'ouvre le calico
glace des tleurs, appuya tendreme lit son visage centre le
sien, et s'ecria : « Qu-jud jc t'embrasserai de nouveau,
« 6 mon frere, ,tu seras deja morl la-bas, et tu habi-
ler.is de nouveau parmi nous, o
Tout palpitant d'eniolion etd'amour. I'ange de la der-
niere heure descendilsur un champ de balaille ou, seul,
reipirait encore un jeune et beau soldat dont la poitrine
mulilee ne se suule\ait plus que faiblement. Le heros
n'avait aupresdelui que sa fiancee qui pleurait; mais ses
larmes briilantes qui lombareBl sur son visage, il ne les
sentail plus; et ses gemissomenls n'arrivaient a son
Oreille que comme un bruit lointain du combat. L'ange
se penclia surlui, et aspira dans un loug baiser son ^me,
qui s'echappait de sa poitrine brisec*; il conGa cetle
4me a son frere, qui la bniia une secouiJe fois, — et elle
sourit.
L'ange de la derniere heure, [lenetrant conime un
rapide eclair dans cette demeure inhabilee, rechauffa le
cadavre, rendil le mauvemenl au cffiur el lui insullla une
nouvelle vie. Maiscombieu il eula soulfrir do cettefatale
inrarnalion! Le lourbillon du nouveau fluide nerveux
submergeait la lumiere si vive et si puissante qui bril-
lait na^uere dans ses yuux,; — ses idees, si vastes, si
libres tout a I'heure, se Irainaient, lourdes et lentes, dans
I'etroite et brumeuse enceinte du cervcau; — tous les
objets exterieurs avaient perdu leurs formes vaporeuses,
leors couleurs suaves ut veloutees ; ils arrivaieiit a lui,
sees, an;;uleux, diiTormes, lacbeles de couleurs sales et
ternes, penibles a voir, plus peinbles a toucher; les sen-
sations s'aheurlaient a son moi", plus obscures, plus in-
times, plus bruyaiiles ; — la faim commencait a le ron-
ger, la soil a le briller; — la douleur mordait ses nerfs.
— Alors, sa poitrine sanglante et brisej se souleva p?-
niblement ; il rcspira, et sa premiere aspiration fut un
premier soupir d'angoisse vers le ciel qu'il avait quitle.
« Ne serait-ce pas ce que Thomme appelle la mort? ■
pensa-t-il. Mais comme il n'apercutpoint de rajon de feu,
comme il nesentitpointle baiser de son frere, il vit qu'il
se trompait, etque c'elait ce que Ihomme appelle la vie.
Le soir vint. L'ange perdil ses forces et sentit comme
un voile de plonib descendre et peser sur sa lete ; — c'e-
taient Ics avanl-coureurs du sommeil. De leur clarte so-
laiie, les ima:.;es exterieures passerenl dans une eloutTante
atmosphere de feu, — les ombres projelees dans le ccr-
veau par le jour se diviserent et revetirent des formes
colossales; un nouveau monde sensuel s'ouvrit devant
lui, bizarreetfantaslique : — c'ctaient les avant-coureuis
des songcs. Enlin, le froid linceul du sommeil I'envclop-
pa dans ses plis; et, plonge dans une epaisse nurt, il dc-
meura engoutdi et seul comme nous aulres hommes.
Mais, alors aussi, vous voltigeSles devant son cime.songes,
enfanls du ciel, avec vos mille prismes capricieux, cl
dans I'un de ces prismt's vous lui raontiates un cercle
d'anges etdescieux rayonnants. II lui sembia que de son
corps se delachaient, I'une apres I'aulre, les epines de la
douleur. — • Ah ! s'eiria-t-il dans I'elan d'une trompeuso
« joie, mon sommeil etait done la mort I » — Mais, lors-
qiie, lecoeuroppresse, les veinescharg'es dun sang epais
et lourd, il se revedla; lorsqu'il apercut la lerre et la
null: — ■ HolasI ditil, ce n'etait pas encore la mort, ce
« n'en elait que I'image, quoique j'aie entrevu les anges
" cl li'S rayons de feu I •
La fian ee du soldat ne s'elait point apercue qu'un
ange avait pris les traits de son amant. Elle continua
d'aimer cetle statue vivanle dont I'Smes'elait envolee; et,
joyeuse, elle serrait dans sa main la main de celui qui
elait deja si loin d'elle. Mais l'ange, a son tour, aima, de
toule I'energie d'un coeurd'homme, ce coeur abuse ; puis,
devenu jaloux du corps qu'il animait, ilse prit h souhai-
ler de ne point mourir avant elle, afin de pouvoir I'aimer
assez longtemps pour qu'elle lui pardonnSt plus lard,
dans le ciel, de lui avoir fait presser dans ses bras un
ange et un amant tout ensemble. Helas! elle mourut la
premiere! Sa derniere douleur avait courbe trop has le
calice de cette fleur; la lige s'elait brisee, etelle ne pon-
vait plusse nlover, Elle se coucha, la tendro fleur, noii
comme le soleil , qui se plonge dans la mer en semant
pour adieux des (locons de pourpre dans les nuees ; mai>
comme la chaste lune, qui , k minuit, argente le firma-
ment, et se couche en se derobant modestement a nos
2-24
LA MORT DTIN ANGE.
yeux dans les longs plis de son voile blanc. La Mort se fit
pr(5ceder desa soDur, plus tendre qu'elle, — la Defaillance.
— Celle-ci touclia le coeur de la fiancee, ct son visage
brilant se glaca, — les roses de ses joues se fanferent, —
la p^le neige de I'liiver, sous laquelle verdit le prinlemps
de I'eternile, couvrit son fronlet ses mains Unelarme
d'amour s'cchappa alors de I'ccil altendri de I'ange, et il
lui sembla que son coeur ilail pass6 dans cette larme,
comme la perle qui se detache du coquillage Irop miir.
— Puis, la bien-aimee, se reveiUant encore une fois avant
de se rendormir pour toujours, ouvrit les yeux, altira
I'ange vers elle, I'embrassa.... el mourut en disant :
u Maintenant. je suis avec toi, frere! » — Lui, alors,
s'imagina quec'etait son Wre celeste qui lui avail donnd
dans ce baiser le signal de la mort; — mais il ne vil
point de rayons de feu, et il soupira en pensant que ce
n'etait pas encore la mort, mais bien I'ineffable douleur
que cause a I'bomme la peile d'un etre aim(5.
« Pauvres bumains que la souffrance accable, s't5cria-
« t-il, comment, fatigues que vous 6les, pouvez-vous at-
« teindre la vieillesse, apres avoir vu disparailre, I'un
« apres I'autre, tons ces jeunes et frais visages qui vous
« entouraient au printemps de votre vie; apres avoir vu
" les tombeaux de vos amis se poser devant vous comme
« autant de marches de I'escalier funebre que vous au-
« rez un jour a descendre ? Et, aprfes tout, cette vieillesse,
« qu"est-elle autre chose que la muette et morne soiree
« qui eclaire un champ de bataillejonche de cadavres
. glacfe? Pauvres humains, comment voire coeur pcut-il
• porter ce fardcau sans se briser? »
Le corps auquel avait appartenu I'ilme du soldat qui
babitait les nuages, conduisit I'ange parmi les hommes,
si froids, si durs, et le mit en contact avcc leurs injus-
tices, avec leurs vices, avec leurs querelles, avec leurs
passions. Autour de ce corps se serra la ceinture d'6-
pines que tressent les rois, et dont ils etreignent les
[leuples pour que les grands en enfoncent chaque jour
les pointes plus avant. — II vit les talons aigus des aigles
armoriales dechirer le fianc deplumd de leur proie; el il
entendit celle-ci gemir en battant faiblement de I'aile. —
II vit le vice, tel qu'un gigantesque serpent, envelopper
le monde de sessouplos et noirsanneaux; il vitsa langue
empoisonn^e s'insinuer dans le sein de I'homme et y de-
poserson venin. — Le tendre coeur de I'ange, qui, pen-
dant toute une eternity, avait baltu centre les cosurs ai-
mantsdes autres anges, sentit alors pour la premiere fois
I'aiguillon de la haine ; et cette blessure fut si douloureuse
pour cette i\me toule remplie d'amour, qu'il en eut peur,
et qu'il dit : « Comme Thomme souffre a mourir! » —
Mais ce n'elait point la mort, car il ne parut pas d'ange
ni de rayons de feu.
Au bout de pen do jours, il fut demesurenient las d'une
vie que tant d'hommes supporlent pendant plus d'un
demi -siecle, et il soupira ardemment apres sa celeste pa-
trie. — C'elaitle soir.etson 5me se senlait sympalhique-
ment altiree vers le soleil couchant. Les poignanles dou-
leurs qui dechiraient sa poitrine blessee pesaient sur son
coeur et I'oppressaient. Les joues colorecs d'une rougeur
febrile, il gravit lenlement la coUine qu'occupait lecime-
tiere, ce vertarriere-plan de la vie, — asileoii dormaient
tant de corps dont il avait libere les ames. II s'assitsur la
torabe froide et nue de la fiancee qu'il avait si tendre-
ment cherie, et, de celte tombe, ses yeux se reporterent
sur I'astre du jour qui s'eleignait. Puis, ramenant son re-
gard sur son corps amaigri : . Poitrine mutilee! s'ecria-
« t-il, tu nesouffrirais plus mamlenant, tu dormirais
« aussi la, pres d'ELLE, si je ne t'avuis pas forcee de con-
« tinuera vivrel» — Sespenstes se reporlerent alors sur
I'existencesi tourmentee de I'homme; et les angoisses de
sa blessure lui rappelerent celles au prix desquelles
I'homme achete la verlu et la vie, et qu'il avait ep:)rgntes
a Time qui naguere babitait son corps. La vertu lui sem-
bla un effort tellement sublime, qu'il ne put se defendre
de verser des larmes de compassion sur ces hommes d'e-
lile qui, nonobstant les exigences de leurs besoins, non-
obstantles tentalionssemees k plaisir devant eux, non-
obstant I'epais brouillard qui couvre la route de la vie,
niarchent d'un pas ferme, les yeux sans cesse fixes sur
I'etoile polaire du devoir, 6lendant leurs bras au milieu
des tenebres pour attirer sur leurs coeurs les coeurs qui
soulTrent, et n'ayant pour eclairer leurs pas que la pale
et vacillante damme de I'esperance, semblable au soleil
qui se couche dans une partie du monde pour se lever dans
I'autre La force de I'eniotion rouvrit sa blessure; et
son sang, — ces larmes de Time,' — arrosa I'herbe de la
colline ; — son corps defaillant chancela, puis tomba,
toujours saignant, sur la tombe dc la fiancee. — A tra-
vers les pleurs qui voilaient ses yeux, le soleil couchant
lui apparaissait comme une flottante mer toule rose ; —
de luintains echos bourdonnaienl Ji son Oreille comme le
murmure de voix aimees; — puis.un sombre nuagepassa
devant ses yeux, — il lui sembla que la nuit venait, et
avec elle le sommeil... Soudain, un ciel resplendissant
s'ouvrit devant lui, et il apercut des milliers d'angesaux
ailes etincelantes : — • Ah I s'ecria-t-il faiblement, c'est
i< encore loi, songe Irompeur!... » Mais I'ange de la pre-
miere heure parut entoure de rayons de feu, et, lui don-
nant le baiser liberateur, lui dil : € Non , c'est bien la
(I Mort, cette fois, 6 mon frfere I » ^- Et le jeune soldat
et sa fiancee sourirent en r^p^tant : « Oh! oui, cette fois
« c'est bien la morl ! »
Joseph Bernier.
Tyji. L-champb 111, cl Comp., ric Daiui.lle, 2.
CIIROMOUE DES liOiS.
AGUT.
L/a toiTp voit jaunir sa robe
de verdure. Le soleil sem-
blo epuiscr louto la force de
ses layons pour accomplir
rocuvie de la malurile. A la
place des epis qui forn;aienl
sur les champs iiu ocean do-
re, on ne voit plus que quel-
ques ronccs se Irainant epui-
sees et privecs de I'onibre qui
protegeait leur existence. Lcs
Wucls sunt louibOs, I'ardent
coquclicot a laisse fjner ses
quaire feuilles! — La pelile
glaneuse parcourt seulo I'a-
rene isolee, sa main forme un
anneau aux maii^res epis qu'elle peul recucillir; Irisle,
elle reviendra vers sa cliaumiere, car les moissonneurs
I'ont oubliee et les oiseaux du ciel ont derobe la moitie
du pen qu'elle puuvait amasser. «01i! pense-t-olle, les
homnies ne ni'ont rien laisse, ils n'ont pas eu pitie de
moi dans leur abondante moisson. Cumbien il y a plus
de bonle dans le ccEur de ces petites fourmis que jc vois
sur ce sillon ! I'une d'elles traine une enorme provision
vers son asile souterrain, niais lout ii coup elle s'arr^le
haletante, les forces manquent a son courage ; alors une
de ses compagnes accourt vers elles, el, prenant la moitie
du pesant fardeau, elles le transportent ensemble vers le
logis conimun. •
T. II.
Les arliresconimencent a laisser voir lears fruils ver-
millonnes ; la p6che veloulee cchange sa couleur vert pale
conlre une nuance janne et pourpree. II semble que, faite
pour I'liomme, elle veuille allirer ses regards par une belle
apparence. La poire jaunil aussi son satin, et la pomme
cboisit une des trois couleurs, rouge, blanclie ou verle,
pour s'en parer.
Pendant ce niois, les villes perdent tout ce que la
bonne socicte conipte d'liabilants. II est de mode, lors
memo que ce ne scrait pas par sante, d'aller chercher au
join les bains de mcr. On va a Dieppe ou a Boulogne,
d'aulies se liatent de gagnei' la Suisse ou rAllemagne.
Los routes du nord comme celles du midi sont sillonnees
par de brillantcs chaises de posle.
Ce qu'on nppelle simplcment le bourgeois de Paris
ne fait pas d'aussi loinlaines excursions. II se conlente
d'aller le di.nandie ouvrir les volets verls de sa blanche
maison d'Auteuil oudcRoinaiiiville, et munid'uncljapeati
de paille ainsi que de I'in-eparable gilet rond de toile
grise, il fait mille fois le lour de son petit jardin, qu'il
prci:d pnur un nianoir seigncuiial. II est alors fort rare
que sur les piliers qui forment sa porte d'entiee on ne
vole pas deux lions ou deux cliiens en faience.
Apres le bourgeois, le prolclaire prend sesplaisirsd'ele
d'unc autre facon. 11 ainie les promenades aux bois de
Boulogne el de Vincennes, les voyages a Saint-Cloud et a
Meudon. Ne parlons pas ici de ceux qui s'arr^tent k la
verdure poussiereuse des boulevards exterieurs, ni de
ceux qui chercbent un adoucissement a la brulante tem-
15
•l-ll)
SAINT BE
est convenu de
pcrature dans le rloaque boisc qu'on
nommor los bains h qiiade sous !
Le quinzieme jour du niois d'aoOt est line des plus
grandes files chritionnes, c'cst I'Assomption dc la bicn-
lieureuse vierge Marie. L'Eglise cclebre alors la inort de
la mfere de Jesus-Christ ct son gloi'ieux enlevement dans
le royaunie celeste, oil elle regne au-dessus de tous les
clioeurs des anges ct dps saints. C'est la plus belle des
fetes inslituees en son honneur, la consoninialion de tous
les myslferes de son admirable vie; c'est enfin la que
commence pour elle sa veritable gloire elernelle.
Le mois d'aoul, appele anciennement sexlilis ou le
sixieme, parre que tel etait son rang dans le calendrier
de Romulus, recut sous le onzibme cnnsulat d'Augiiste
une autre denomination. Macrobe nous a conserve, dans
le premier livre des Salurnales, I'Mit suivant publie par
• le senat : » Parce que, dans le mois sextilis, Cesar Au-
gusta a commence son premier consulat, a eu trois fois
les honneurs du triomphe, a vu marcher sous ses auspices
les legions du Janiculc, a reduit I'Kgyptesous Tobeis-sance
du penple roniain et termine la guerre civile, 11 plait et
il plaira an senat que ce mois, le plusheureux pour I'em-
,ijre, soit desormais appele Auguste. •
C'est de ce mot que nous avons fait aout, nom aus.si
lourd el barbaro que le premier est noble et harmonieu.N.
Le soleil entre alors au signe de la Vierge, compose de
vingt-huit etoiles. Les peintres et les poe'.es figurent colte
ronstellalion sous les traits d'une jeune fille qui porle en
ses mains des epis.
Les Egyptiens celebraient pendant ce mois la fete de
Nephvlis.
Les Grrcs,sans doule par imitation, y avaieut une fete
semblable 'a celle des Tabernacles chez les Hibreux. Les
uns et les aulres elevalent des tentes couronnees de feuil-
lage et y vivaientcomme dans un camp. On y remarquait
cependant quelque diflference. Chez les Juifs, toute la
nation c'tait obligee a ce genre de vie, et chez les Grecs
il n'y avait que neuf tentes destinees a des deputes de
chaque tribu ; celte solennite durait neuf jours chez les
(irecs, taudis que pour les Juifs elle finissait au bout du
septieme.
Dans la Provence et le Languedoc, I'arbousier se cou-
RiNARD.
vre au mois d'ao6t d'un grand nombre de fleurs blanches
et de gros fruits coulcur dc pourpre ; mMes a sa feuiUe
d'un beau vert et elegamment dentelee, ils offrent un
aspect brillant. Dans certains villages voisins de Mont-
pellier, les paysans appellcnt ces fruits fraises des mon-
lagnes, ^ cause de leur ressemblance avec les fraiscs or-
dinaires.
Ce n'est pas de la m^me maniere ni ii la meme I'poque
qu'on bat le ble dans toute la France. Dans le Midi on
le bat, au mois d'aodt, des qu'il a ^te coupe, sur une
grande aire elablie en plein champ et qui se renoiivelle
chaque annee. C'est un terrain qu'on prend soin d'apla-
nir et de consolider pour en fernier les fentes ou le grain
pourraitseperdie et les insectesse cacher. On y etend une
couchc lie gerbes qu'on frappe avec des fleaux. — Les
Grecs pratiquaient cet usage ; seulement, au lieu de bat-
tre les gerbes, ils faisaient passer sur I'aire des chevaux
dont les pieds detachaieut le grain en le foulant. Homere
parle de cette coutume dans I'une des plus belles pages
de Vlliade. En voici la traduction par Cabanis :
. . . Dans les juursqui siiivent tos ni«U$on5,
Lccitoycn rusliqiie, enrivlii dc leiira doiu,
Sous les iikds des clievniix scpare dans une aire
L'orgc et lepur froinenl de In poillc l^ii;ci'C<
Nous devons k ce mois des fleurs aussi nombreuses que
celles du printemps, comme la tubereuse et les roses
musquees; niais, il taut I'avouer cependant, I'arriere-sai-
son ne donne guere que des fleurs inodores; on dirail
que la lerre s'est ^puisee en faveur du printemps de tous
les sues dont elle compose ses parfums. Les principes co-
lorants eux-m^mes sont moins vifs et moins animes. Les
rayons affaiblis du soleil n'auraient-ils plus la force de
les murir, et la terre le pouvoir de les elaborer? Nous
voyons du moins que les fleurs d'automne sont beaucoup
moins riches en couleurs que celles du mois de mai.
C'est a cette ^poque qu'on achfeve la moisson desdivcr-
ses cen'ales et qu'on recueille les graines. — Vers les der-
niers jours il n'esl pas mal de rentier les orangers afin
d'feviter les pliiies de seplembre qui sont tongues et
fVoides.
Andre Thomas.
nilTE DES SAINTS FRAXCAIS.
SAINT BERNARD.
sans iJ guile, n
Oiiiit Boinard, I'une des
unineiites gloires del'Eglise
fiancaise, naquit a Fontaines
en Bouigogne, en 1031. II
occupa le premier rang dans
llesdebats religieux qui bou-
nverterent I'Europe au dou-
zieme sifecle, :'t sa seule vo-
cnte imprima souvent une
direction nouvelle a la poli-
Itqiie des etats. .Sans ordres,
vi?tu d'une laiiie giossiere ct ceint d'une
eolde dech3n\re, il fit retentir sa parole dans loule la
chretiente et trembler les rois do la terre. Le defaul
d'espace nous oblige k tracer il traits rapides I'histoire
de sa vie. Regarde comme I'un des plus grands homines
de son siecle, dans les pages de 1 histoire est consigne le
nom du redoutable abbe de Clairvaux.
Bernard descenduit d'une famille noble ; son pere, Te-
cein Sorus, portait un nom celebre et respecte, etsa mere,
Ali.\deMonlbard,elail alliee aux dues deBourgogne. Quel-
que temps avantsa naissance, elle crut entendre dans .'iOn
sein unchien qui aboyait etellerevela ce fait k son conl'es-
seur, qui lui predit que I'enfant qu'cllc mettrait au monde
S.VINT BERNARD.
se distingucrait par sa fiJi'lilc religicuse ot pai- I'eiiergie
avec laijuelle il repandrait les doc fines evaiigcli(|ues.
Cette ve:tueuse mere nourril avec amour ce fils piedes-
line, et ne permit pas cpie, commeses deux aines. il em-
brassSt la carriere des armes. Elle le placa chez Ics moi-
nes de Clialillon-sur-Seine, oil il se forma dans les sciences
et dans lapiete. Sa penetration etoitsi remarquable.qu'il
depassa bientottous scscondisciples et fit I'admiration de
ses mattres cux-memes. II (5tait pour cliacun d'une affabi-
lity et d'une complaisance a loute ^preuve, et niontrait
une vive aversion pour les choses lerrestres qui plus tard
devaient, mali;rc lui, occuper ses instants .
.\u sorlir do I'ccolc, Bernard perdit sa mere; il avail
dix-neuf ans a peine et les occupations de son pere lui
donnaient enlifcre Iibcrtt5. De faux amis cherchercnt a
I'entrainer dans les cgarenients communs a la jeunesse;
il leur resista et rompit avec ceux qui lui avaientadrcsse
de perfides conseils. Des lors il seconsacra interieurement
a Dieu et lui fit un vocu de chaslete imiolable. Cost au
point qu'ayant un jour arrete ses yeux sur une femme
avec trop de curiusile, il fut aiiime d'uQ tel repentir, qu'il
alia se plongor dans un etangjusqu'ii ceque le froid I'eut
engourdi dune maniere complete. Craignant de nouvelles
tentations, il abandonna sa famille else rendit a la mai-
son de Cileaux qui veuait d'etre fondee a Cliulons sur-
Sa6ne par le bienheureux Robert, abbe de Molesme. Ne-
pouvant y elre admis de suite comme il I'aurail desirfe, il
travadla a gagner des proselytes Ji la vie monastique. U
lui avait ele_ accorde a un si haul degre le don de I'elo-
quenceet de la persuasion, que la plupartde ceux qui I'e-
coutaient ne pouvaient plus se detacher de lui, et le sui-
vaienl comme des disciples. .Vussi, lorsque Bernard s'ap-
prochait dun village oucommencait un discours, on voyait
les femmes entrainer leurs maris, et les meres leurs fils,
dans la ciainte qn'ils ne les abandonnassenl aprfes I'avoir
enle).du. Ses freres enx-mi>mes, elant venusle voir, subi-
rentcet ascendant et renoncerent d'un rommun accord a
tons leurs biens lemporels. Ilsse rondiront ensemble aupres
de leur pere, et, les larraes aux yeux, le vieux Tecein leur
donna sa benediction, ne gardant aupres de lui que sa
fille Humbeline et son plus jeune enfant Nivard. Gui ,
I'aine dela famille, ayant dit a ce dernier, en le quittani,
qu'il aurait tons les bicns de la maison : « Vous prcnez
done le ciel pour vous, repondit I'enfant, et vous ne me
laissez que la terre? » Peu de 'temps apres, il suivit leur
exemple, et rien ne fut capable de le retenir dans le
monde. Quant a Bernard, il se vit aborde a Cliilillon par
une deputation de femmes auxquelles ses exhortations
avaient enleve leurs epoux. II les engagea hse cloilrer, et
fonda pour elles le monaslere des Billettes dans le diocese
de Langres. N'ayant plusaucun inter^t que celui du sa-
lut, il conduisitses freres et ses proselytes ^ Citeaux, oil
I'abbe saint fitienne les re^ut avec unesainte effusion.
Bernard avait alors vingl-deux ans. La vie de mortin-
cations qu'il adopla, et qui paraissait Sire au-dessus des
forces humaines, lui fit perdre ii peu priis I'usnge de ses
sens; son esprit s'isela lellemeiit de ses impressions cor-
porelles, qu'il voyait sans regarder, et mangeait sans
goilter les aliments. Le silence et I'oheissance, ces deux
puissantcs vertus, furent loujours praliques par lui avec
la plus austere severitiS. Les travaux utiles el peniblesaux-
quels se livraicnt les moincs de labbaye, ne pouvaient
lasser son courage infaligable, et ce n'etait pas sans afflic-
tion qu'il voyait quelquefois I'abbe reprimer son anleur
el lui ordonner le repos. ,\ ces exercices i! joignait sans
ccsse la prifere et la meditation, et il a plus tard avou6
que c'elait dans Tes champs qu'il avait rccu du ciel ses
principales lumiercsct sa haute intelligence des ecritures
sacreis.
L'exemplc de Bernard el de ses compagnons attira tant
de .monde a Cileaux, que I'abbe de cette maison songea a
lui donncrdessuccursales. Ildirigea un premier essaim de
religieux sur la Ferle-sur-Gr6ne, I'a-utre sur Pontigny, et
le troisieme, sous la conduile de Bernard, sur Langres.
Sans argent el sans protection, le nouvel abbe et les douze
ficres qui I'accompagnaient, partirent a la garde de Dieu
dans la direction qu'on leur avait indiquee. lis arrivc'rent
dans un veritable desert, qu'on appclail la vallee d'Ab-
sinlhe, et qui 6lait cclebre par les vols et les brigan-
dages qui s'y commellaient. Resolus a s'y elablir, ils fi-.
rent leurs preparatifs en consequence. Pendant que Ics
uns defrichaient les champs , les autrcs coupaidnl du
bois pour construire de polites cellules. Les habitants du
pays, touches de leur pauvrete, If s assistferent de leurs
aumoues. Bernard nomma son fi ere Gerard cell^rier, son
frere Andre portier, et alia se fuire benir ii ChMons-sur-
Marne, par I'evique Guillaume, comme premier abb(5 de
Clair\aux, nom qu'il donna a son naissant monaslere. Ce
ne flit point sans entraves quo cetelablissements'affermit.
La misere des moines futsouventsi uffreuse, que, denues
detout, ils formerentle projet de rentrer dans le monde.
LespressantessollicitatioDsde I'abbe Ics ramenerent 5 de
meilleurs sentiments, et vers I'annee 1116, de grands
secours d'argent mirent Clairvaux en etat de fournir de-
sormaisaux besoins de ses religieux. Sa prosperite devint
avee le temps si considerable, que du vivantde son fonda-
leur, on vit se fonder cent suijcaiilc succursales de cette
abbaye.
Lorsque Bernard se vit superieur d'une communaute,
.son inclination pour les austerites se sjtisfit tellement,
qu'il fut alteint d'une maladie cruelle et desesperec. On
. le mit entre les mains d'un charlatan, soi-disant mede-
cin, qui le soumit a un traitement absurde. II ne se con-
tentait pas de le medicamenter a tort et ^ '.avers; il le
nourrissait de viandes malsaines et se faisait rendre par
lui les plus ignobles services. Guillaume, abbe de Saint-
Thierry de Reims, s'en elant apercu, fit eclater son in-
dignation et demanda au nialade s'i! ne songeait gas a
-se plaindre : ■ Je vis parfaitement bien, repondit-il, et
je suis traite selon mon merile. Car auparavant des
homines raisonnables m'obeissaient , et mainlenanl je
suis rMuit, par un juste jugement de Dieu, a oheir a une
bSte qui est sans raison. ■ 11 avait coutume de dire que
si les moincs savaient a quelles obligations Dieu les as-
treint, ils ne mangeraient pas \in morceau de pain qui ne
flit trempe de leurs larmes. Ce qu'il aimait dans la pra-
tique des mortifications, c'elait le myslere dont elles de-
vaient 5tre entourees. Aussi repugnait-il a se distinguer
des aulres, et lorsqu'on sut qu'il portait un cilice, il le
quitia pour ne point s'en faire un nitrite aux yeux de
ses disciples.
Bernard rentra dans sa communaute apres un an de
souffrance; il eut le bonheur d'y recevo'ir son propre
pere, qui suivit I'exemple de ses enfanis en embrassant la
vie interieure. II fonda vers cette epoque le monastfere
des Trois-Fontaines dans le diocese de Chilons, et en-
ais
SAIM BERNARD.
voya en 1 1 19 une colonic de nioines en Porlugal, oil ils
^lablirenl I'abbaye de Taronca. 11 fut convoque par saint
tliennc, abbe de Citeaux , a uno assemblee generale
dans laqnolle il redigea avec lui le dtilnil des coutumes
de leur ordre sous le nom de Livrc dcs i's, — modele de
legislation i-cligieiisc.
A la priei'c de ses amis, el mil par un vif senliraent
d'amour divin, Bernard prit la plume el composa divers
ouvrages qui eurent beaucoup de relentissement dans
rJiglise. De ce nombre, on cite les Votize dcgn's d'hu-
miiile et les Uomelics de iincarnalion du Verbe. Le don'
des miracles ne lui fut pas nun 'plus refuse, et I'un des
plus celebies ful cclui de la malediction des mouclies de
Poigny. Les liberalites d'Enguerrand de Coucy lui ayant
permis de biMir un clottre dans ce vilUige, cet edifice fut
eiivalii des les premiers jours par une innombrable quan-
tite d'insectes bourdonuants qu'on ne pouvait par\enir a
disperser. Bernard les excommunia publiquement, et le
lendemain on les trouva jonchant le pave et en si grand
nombre, qu'il fallut les ramasser avec des pelles et des
cliariots.
Clairvaux recut une fois la visile d'une troupe de gen-
lilsliommes qui se disposaient a courir les fetes, les tour-
nois et les passes d'annes. Bernard les engagca i s'arre-
ter, mais ils refuserent et repartirenl aussilot, craignant
de se laisser seduiro par ses discouis. L'abbe les suivit et
. I)u..iaiii cl .-r, d:,
sD present;! ii eux comme ils avaient le pied sur retricr.
11 leQr otiVil de la biijre en leur disant ; « Buve/. a la
santc des iimes ! • Puis, il les laissa aller. — A quelqucs
lieues de la, les voyageurs scntii-cnl dans leurs cccurs des
mouvonients si extraordinaires, qu'ils rebrouiserenl die--
min et vinrentse jetcr aux genoux du saint homrae, qui
rccut leur sermeir de vivre dcsornuis au service de
Dieu.
BLM-nard fit un voyage i Paris en M22, el y prononca
son sermon sur la Conversion dcs mwtus. qui pasiepourun
clief-dceuvre. II revint au convent suivi dcs plus illuslrcs
membres du clerge el de I'universite qu'il avail subju-
^ucs par son eloquence. II parvint en outre ii ramener a
la vieaposloliquequeKiuesprelatspuissanlsqui, jusqu'a-
lors, avaient mene une conduite pen legulieie. Sugcr,
abbe de Saint-Denis, filienne, evequo de Paris, el Henri,
arclicvcque (le Sons, abandonneient la cour da|)rcs-ses
conscils, el devinrent I'edificalion de I'tglise.
La repulalion de l'abbe do Clairvaux commcncnil h
ac rcpaiidre; Rome die inenie avail enlendu relenlir
son nom, et il (5tait en correspomlance rcglee avec les
plus grands cardinaux du siecle. C'esl alurs, en 11'i7,,
qu'il commenca 6 jouer un role actif dans IcsafTaires pu-
bliqucs. La retiaile de I'ev^que de Paris, dont nous ve-
nons de parler, avail fort indispose le roi Louis le Gros,
qui aimait eel- ecclesiaslique et son huineur enjoueo.
Bernard, aiileur de sa conversion, ful charge d'apaiser le
ressentimenl de ce prince, auquel il remit une lettre
d'exciises du cbapilre general de Citeaux. 11 ne craignit
pas de se proslerner a ses pieds, en le conjurant d'ou-
blier sa colcre. Mais Louis restanl inflexible, lambassa-
deur changea de ton, et, an nom du sacerdoce qu'il repr^-
sentait, il lui fit entendre desevereset|iienacanles paroles.
Le pape Ilonorius II, obligi d'intervenir , envoya en
France son legal, le cardinal Mathieu, qui coavoqua un
concile k Troves, en Champagne. Le roi fut coiidamne
par I'assemblee, et se soumit a sa d(5cision.
Bernard composa, pendant ces debals, son Trait' de
la Grctce et du Libre Arbitre, et le concile le chargea de
donner une constitution au nouvel orJre des Templicrs,
SAINT RERNAIiP.
220
ijui on avail faitlaclemaniic par rcnireniise de son granil
maitre, Ungues dePaganis, et du palriarche de Jerusalem.
L'estime qu'on faisait du saint abbe lui suscita de nom-
breux ennemis, au uombre desquels on place Henri, eve-
(]ue de Verdun, qui, pour le noircir aupres de la cour de
Rome, ne eraignit pas d'ernployer les plus noires calom-
nies. Sans examiner la validite de ses accusations, un bref
arriva d'llalie, signe du cardinal Ilaimery. qui condam-
nait Bernard sans explications. Celui-ci, entraine par I'a-
mour de la veiite, repondit d'une nianiere si claire et si
precise, que .son innocence fut glorieusement reconnue, et
que la honle des outrages qu'on lui avail fails retomba
surses calomnialeurs.
Le siege de CluMons elant vacant, on choisit pour pas-
tour le saint fondaleur de Clairvaux. Mais son luiniilile.
naturelle ne s'accommodant pas de cetle charge, ilia re-
fusa comme il le fit plus lard a Langres.aRcims, a Milan
et a Genes.
Honorius II etant mort le 14 fevrier 1130, le sacre
conclave se reunit, et. elul pour papeGregoire de Saint-
Ange sous le nom d'Innocent II. Le cardinal Pierre de
L^on, dont Tambition aspirait au trfine pontifical, fit
agir ses amis qui prolesterent centre I'clection de Gr^-
goirc, et le proclamerent h son tour. II prit le nom d'.V-
naclet II, etsnt attirer dans son parti Rome, le Milanais,
la Guyenne et la Sicile. Ayant un pouvoir plus i'lendu
que celui d'Innocent, il le forca h se refugier en France,
et le poursuivit de ses decrets et de ses anathenies. Le
papo fugilif s'arreta k Etampes, oil il convoqua un pre-
mier concile. Le roi Louis le Gro.-; y assisla, et Bernard,
a la demande des princes de I'tglise, fut force de s'y
rendre. Cumme il demandait ce qu'avail h faire un pau-
vre nioine comme lui dans une si noble reunion, on de-
cida que le choix du pape regnant serait remis a sa seule
sagesse. EITraye d'une telle commission, il fit de vains
elforls pour s'en dispenser; mais, coutraint d'obeir, il se
prononca en favour d'Innocent. Le concile proclama aus-
sit6t ce dernier pape legitime; le roi el les eveques de
France se rangerent de cet avis, ct le roi Henri d'Angle-
terre suivit le mouvement general.
La voix du saint abbe donnait done un pape au monde.
A parlir de ce jour, il devenait rhommo le plus influent
de la chrotient^. Le due de Guyenne, Guillaume, prince
violent ct debauche, persislait a mepriiSer le jugement de
I'assemblee. Bernard entra dans ses lerres, et le fit venir
au monaslere des Chitelliers, ou il le garda buit jours
pour lui faire abjurer ses erreurs. II y fill parvenu sans
les evcnements qui le ramencrentpremalurement a Clair-
vaux.
Iimoce!;l II, pendant le car^me de 1131, se disposa h
visiter la ville de Liege, ou Lolbaire, roi des Remains, de-
vait le recevoir. II n'est sorle de complaisances que ce
prince n'employa pour s'atlacher le cceur du souverain
pontife. Lorsqu'il crut y avoir reussi, il le pria de lui
rendre les investitures des eveques que son pere avail
codecs a la cour de Rome. Le pape, cntoure d'clrangers,
craignait de les irriter par un refus; Bernard, qui I'ac-
compagnait, voyant son ombarras, prilsur lui de rpjoter
la demande de la facon la plus formelle. Lolliaire n'osa
pas insister, et Itmoccnt Ten recompensa en le couron-
nant quelques jours aprfes roi de Rome et de Germanie.
De retourdans son monaslere, I'abbe de Clairvaux eut
I'honneur d'y recevoir Innocent lui-m6me et les cardi-
naux les plus eminents. .V Taspect des murs de I'abbaye,
ils se sentirenl tons atlendris. lis virent s'avancer an-de-
vant d'eux la sainle compagnie, porlanl une croix do bois
grossieroment equarrie, et chantant de pieux canliqnes.
V^tn de bure comme ses freres, I'abbe n'avait rien qui
put le dislinguer. Les grands dignilaires recurent une lo-
con profitable en voyant la mis^re el la vie laboriouse de
ces pauvres moines, et en faisant dansleur esprit la com-
paraison de lour ^tat el de leur faste.
Le pape, en parlant , emniona Bcrnird au concile
de Reims , oil fut couronne Louis le .leune. Le .saint
abbe dirigea vers ce temps , en Angleterre , une co-
lonic de roligieux qui fonderent les abbayos de Revesley
el de Fonl.-iines, dans le diocese d'A'ork. — Innocent le
condnisit ensuitea Plaisance, et le chargea de pacifier les
Genois e; les Prsans qui etaient en dcsaccord. Apres avoir
relabli la bonne harmonic entre ces pouples, il accompa-
gna le pontife a Rome, oil I'ambitieux .\naclet s'etail re-
tire dans le chaloau de Saint-Ange. II ecrivit au roi'
d'.ingleterre pour lui dern:inder dessecours, et ce monar-
que se hiila de lui envoyer des troupes el de I'argent,
Mais ces forces nesuQirenl pas a reduire Tanlipapo, qui
demeura enferme dans sa forteresse.
De graves dissensions s'elant eleveos enire Tempercur
Lolhaire et le due de Souabe, Conrad, Bernard se rondit
en .411emagne comme legal, et parvint a calmer le res-
scnliment mutuel de ces princes. II converlit en passant
la duchesse Alcide de Lorraine, et revint il Pise, oil le
pape convoquait un concile nouveau. On le recut avcc de
si grands honneurs, qu'on out dit que c'elait lui qui
commandait 'd la chrelicnte et qui presidait cot augusle
cunseil.
An.selme, archeveque de Milan, s'clait declare pour
Anaclel, et avail attire cello ville dans son hercsie. L'abbe
de Clairvaux fut charge de la tirer d'crrcur et I'e la re-
concilier avec le pouvoir spiriluel. II partit, accompagne
des cardinaux legats Guy de Pise et Malhieu d'Albe, et
de Pevique de Cliarlres, Geofl'roy. A deux lieuos et de-
mie de la cite, ils virent arriver une foule de ciloyens qui
poussaient des oris de joie. Chacun voulait baiser les
piedsdu saint bommc ou couper un morceaudesa robe.
Les autoriles recurent en grande pompe la deputation,
qui fit son entree au milieu d'un peuple enthousiaste et
des acclamations universelles.-
II no fut plus question d'heresie. L'archevcque recon-
nut sa faute el la pleura sincerement. Bernard, louche de
son repentir, le rctablit sur son siege, et, pour echapper
aux hunnours qu'on lui rendait de tons coles, il revint
dans son convent, apres avoir fonde, dans le Milanais,
un cloitre tiiJ il laissa quelques-uns de ses disciples.
Les interets de I'tglise ne lui permircntpas de mener
longlemps une vie obscure. Le due de Guyenne, Guil-
laume, seduit par I'evC'que d'Angoulome, chaud partisan
d'Anaclel, commenca a perscculer sans mesure les prelats
qui roconnaissaient Innocent. II donnait un libre cours
a sa furcur, lorsque Bernard lui assigna un rendoz-vous
a Parthortay , en Poitou. La, dans la conference qu'il
eut avec lui, il ebranla forlement son cceur, mais comme
I'esprit faible de ce piince n'osait pas enibra.'ser les inte-
rets de la verite, il Ten punit d'une maniere terrible.
Apres avoir celebre le saint sacrifice, il placa sur la pa-
tene une hostie consacree, el prononca un analhi^me cen-
tre sa d&obeissauce. .\u mcme instant, le due, fiappe de
230
SAINT BERNARD.
verliges, mesura la lerre ctse roula comme un frenelique
avec de grandes convulsions. Bernard lui ordonna de se
lever, et lui prescrivit un plan de conduile. GulUaume
montra la plus grande soumission, et promit de demeurer
fidele a I'avcnir. Mais, des le ik-parl du saint homme, il
retomba dansses egaremenls. Du fond de son monaslcre,
celui-ci lui adressa un Icltre foudroyante. La murtsubile
de revequo d'Angoulfirae, son niauvais genie, qui arriva
en nicme temps, decida de son entiere conversion. Pour
cxpier ses pechcs, ce seigneur renonca h tous les bicns
de la terre et entreprit un pelerinage au lonibeau de saint
Jacques, en Galice. Pend inl le Irnjct, il disparut, et ja-
mais on ne sut ce qu'il etait devenu.
I Bernard publia en 11.36 ses Disserlations sur leCan-
tique (les Canliques qu'il dedia au pricur do la char-
treuse des Portes. Mais le schisme qui divisait I'tglisevint
troubler sa tranquillite; il se mit en route pour I'llalie
. et fulmina contre Anaclct dans ses predications. Rcger,
roi de Sicile, qui soutenait re dernier, avail plusieurs fois
ravage les terresdu saint-siege , il lui preJit qu'il serait
ballu par le due Ranulfe, et le fait arriva comme il I'a-
vait annonce. Ce prince, afin de fixer ses irresolutions,
voulut voir plaider devant lui la cause de lapapaute;
Auaclet lui envoya pour legal le cardinal Pierre de Pise,
qui sefaisait fori deterrasser Bernard par ses arguments.
Mais celui-ci lui donna de telles rai.sons, qu'il lui fit aban-
donner le parti donl il etait I'avocat el reconnaiire la
souvcralnele du veritable pontife. L'anti-pape mourul
sur cesenlrefaites, et cct evenement semblail devoir lout
concilier lorsque les srbismaliques lui donnerenl un suc-
cesseur dans la personne de Victor IV ■ Fatigue de cetle
persistance, I'abbe deClairvaux se rendil aupres de Vic-
tor lui-mcmc et le conjuisit aux pieds dlnnocenl qui lui
pardonna son ephemere rLvalile.
Le saint homme commencait ^ 4tre si connu et si vc-
nere qu'il ne pouvait faire un pas sans si voir accueilli
par des acclamations generales. Son crMit n'avait pasde
homes, el il en usail avec fermete quand il croyait agir
il il.in5 line njSctiiltlcc.
pour la gloire de Dieu. Ayant appris qu'on sacrait un
^veque de Langres qu'il jugeait indi,^ne de eel hoiuicur,
il Iraversa son election. Le ducde Bourgogne et I'abbc de
Cluny la sDutinrent ; il en ecrivit au pape, qui d6posa sur-
le-champ ledil evSque et le rcmplaca, d'apresses conseils,
par Godefroy, prieur de Clairvaux. — Innocent lui mcme
ne fut pas i I'abri de ses censures. Bernard le fit ployer
dans les discussions qu'il eut avec lui, el I'obligea a re-
tablir dans la charge de cardinal Pierre de Pi.^e, qui
avail perdu ses litres et ses dignites par son altachemenl
passager a I'herfeie.
Un celehre docleur contemporain, donl le noni el I'his-
toire sont devemis populaires, Pierre Abailard, a la suite
des mallieurs qu'il avail eprouves dans le monde, se re-
lira dans le diocese de Troyes, et y fonda Tcrmilage du
Paraclel. Beaucoup de facilile et une erudition superfi-
cielle lui parurenl suffisants pour juslifier les dogmcs bi-
zarres qu'il prona dans .sp-s Merits. Bernard alia le voir
dans sa relraile pour I'engager a revoquer ses proposi-
tions; Abailard dcmauda au conlraire a le.s exposer dans
un concilc qui fut convoque a Sens. La dispute fut vi\e
el se terniina par la coudamnation du novateur, qui en-
appela au siege aposlolique. Le pape, instruitde celle af-
faire, ordonna que les livres incriminps seraient jetes au
feu, et que I'auleur serait enferme dans un nionaslere.
Mais Bernard tempera une pareille rigueur ; il sul tou-
cher par la persuasion I'espr t du savant rebclle, el sefit
de son adversaire I'ami le plus devoiie. .Abailard entra de
plein grc dans le cloitre do Cluny, ou il passa le reste de
ses jours.
Le fondaleur de Clairvaux joua dans bien d'aulres cir-
constances le rile de media teur; le roi de France, le
pape et le comte de Champagne ayant vu s'^lever entre eux
de graves difficulles causees la plupart par de simples
affaires de famille se mela de pacifier les trois puis-
sances, et n'y reussil qu'aprcs des peinos incroyables.
SAINTE ISABELLE.
251
Ses efforts furent pourtaiU couronni's de succes, el
Louis VII conclut avec le comte uii trailc qui fut ratifie
par son manage avec Alix de Champagne.
Le pape Innocent II niourut en 1143 et ses succes-
seurs Celeslin 11 et Luce Un'ayantgouverne I'fe^lise qu'un
an et demi a peu pres, le sacre conflave placa sur le
trone pontifical un disciple de Tillustre moine, Merre
Bernard de Paganelles, aljbe desTrois-Fontaines, qui prit
le nom d'Eiigene 111 et donna I'ordre a stm ancion niailre
de pri'clieren tous lieux une croisade que medilait le roi
de France. Bejnard cbeit avec ferveur et enj;a,:;ea dans
cette entreprisB l'eni|jereur d'Allemagne, Conrjd, et les
principaux seigneuis d'lla!ie. Le troisieme dimanclie
aprfes Piques de lannee 1 1-47, le concile de Chartres se
rtunit et nomma le pauvre et puissant reli.^'ieux chef
supreme de la croisade. II n'accepta ce litre qu'en ce qui
regardait la preconisation de cetle guerre sainte, et des
le depart des troupes pour I'Orient il I'abandonna tout a
fait.
Gilbert de la Porrfe, ev^que de Poitiers, ayanl voulu
joindre a I'explication des fecritures des vaines subtilitcs
theologiques, Bernard I'appela au concile de Reims, oil il
confondit ses fausses connaissances. — Plus tard au con-
cile de Treves, le saint abbe defenditla verluderabbessc
sainte llildcgarde qui avail etc injustement ascusee. —
En le quittant, le pape Eugene U' pria de hii faire un don
utile ipi'il put ;^ardcr pour I'amo ir de lui. 11 ecrivit alore
lescinq livresrfc/« Comideiation que Ton regardeconime
'e meilleur de ses ouvrages, et les lui dedia. La croisade
ayant eu des suites d^sastreuscs, le credit de Bernard en
fut vivement ebranle. II ne se vengea des invectives dont
on I'accabln que par le plus rigourcux silence. Sa vie ac-
tive et ses austerites avaient ruine son corps, et vers la
fin del 1 5i, il annonoa ^ ses disciples sa'mort prochaine.
II eut cepcndaiit la foree de faire un voyage a Metz, a la
priere d'lllin, archev^que de Treves, et il reconcilia cello
ville avec qui'lqucs princes qui la nienacaient. Le roi de
Sardaigne,Guniard,apprenan; son etat dangcreux, vint ii
Clairvaux pour I'entretenir encore. Bernard le pressa de
renonccr a son royaume et de prendre I'habit de son
ordre. Commece prince resistait, il n'insisia pas; niais II
lui dit qu'un jour il reviendrail prononcer ses vOBux daas
son monastere. La prediction se verifia.
Apri's avoir fourni la carriere la plus nicritoire tt la
plus gloneuse, aprei avoir pacific Tfiglise et les rois, —
Bernard niourut le 20 aout I15:i, a I'llge de soixante-deux
ans. Les nornbreux miracles qu'il avail opereslui valurent
de son vivant une renommde de saintetc qui s'elenJitpar
loute I'Europe. Ce moine miserable, expirant sur un gra-
bat, avail tenu danssa main les destinees des royaumes;
son -genie est de ccux que Ton admire et qu'on ne rem-
]ilace pas; — on dit le sieclc dc suiiil Ucrnard conime on
dit Ic sieok' de Louis XIV.
DE LA FREDli'.Rli.
SAiKTE iSAB!:i.z.s:.
f ille. sccur et tanle de rois,
fa pieusc el modeste IsaboKe
se cache au milieu de ces
grandeurs comme line simple
vio'.cttcegarcei^ansun champ
de lis. Fflle de Louis Vlll,
cemonarqueaucoeur delion,
et de madame Blanche de
(iaslille, — soeur de saint
Louis (t pelite-fille de Phi-
^'; lippe-Augu.-le, — Isabelle
*:' iccut du ciel, avec la plus
J haute naissance, tous les dons
ct tuules les qualites que Ton
iidniire sur la lerre. Comme
^" les filleules des fees des le-
gendes, die joignit aux trc-
sorsdu ccBur et de I'espril une beaule qui n'aval point
d'egale. Cetle Glle unique de la familb- eut sept frcres,
tous plus Sges qu'elle, et devint I'objet common do
I'alTection de ses parents et de tous ceux qui I'enloure-
rent. — Elle naquiten mars 1223, pour la gloire de Dii u
et I'edification de la France.
L'educalion de la princcsse fut confiee -i mailame Louise
de Boisemont, gouvernante d'une piele et d'une sagesse
admirablcs. Blanche ne cessa pas pour cela de surveiller
\a jeunesse de sa fille, et I'inslruisit elle-meme des prin-
cipes et des devoirs sacres de la religion. Sous de pa-
reilles instilutrices, Tenfant vit se d^veloooer dans son
ame 'es inclinations les plus pores. Ses seuls penchants
lern sires avaient pour olijet les sciences abslraites, eta
(|uinz_' ans elle parhiit le latin comme les ckicleurs les
plus i\ nommes. On la vit sonvent corriger les manuscrils
des sainles Ecritures, lorsqu'i s avaient ^1^ Iranscrits par
de^ copisles inexperimenles. Elle acqu t en menie temps
une grande habilele dans les travauN d'aiguille, el consa-
cra les ouvrages de ses mains a Icrnemenl des eglises.
A peine dans I'adolescence, elle pi it la ro-olution d'ap-
partenireternellemeiU a Dieu el de ne jamais s'allacher a
la lerre par les liens du rnaiiage. Des la morldn roi sou
pere, la princesse, agee de viiigt ans, fc fit une regie im-
muable de conduile qui peut se lesumer en Irois mots :
la priere, I'etude et le Iravail.
Sa position a la cour I'obligea, pendant un temps, a
garder un certain decorum et a se vctir d habits co:ifor-
nies au rang qu'elle occupait. Mais elle ne faisait cela
que pour obeir k samere, et monlrait I'eloignement
qu'elle avail pour le mondc en refusanl de prendre part
aux divertissements et aux fetes oil poiaissaient sesbelles-
swurs et les dames de haute naissance.
Le projet qu'elle avail form^ de ne point conlracler
dalliance lui valut. non pas des persecutions, mais des ini-
porlunites sans nombre, auxquclles elle eut beaucuup de
peine a resisler. Sa beaule celi^bre, et ce que Ion racon-
lait de ses rares vertus, alliierent une foule de prelen-
dants, qui se flatlerent successivement de vaincre sa
repugnance. Frederic II, empereur d'Allemagne, demanda
sa main en I21i pour son fils, le prince Conrad, alors
23-2
SAINTE ISABELLE.
Age de seize h dix-sept on?, ct souvcrnm des roymimos
de Sicile, de Jerusalem et dc Souabp. I.e roi Louis IX se
rendit aupres de sa sopur pour intorccdcr en faveur du
jcune homme, et le pipe lunorent IV lui ocrivit pour
I'engager a souscrire a uii hymen qui donnerait la pai.x ;i
I'Europe. Maislsahelle deuionra inebranlable. ctrepondit
& reux qui la sollicit.iieut que la dcruicre des viergfs
chreticnnes ctait au-dossus de la prejuiere femme clu
monde. Son irrevocable decision clanl counue, on cessa
de la pressor, et le souverain ponlife lui adressa une se-
ronde Icltre, cu il ralTermissait dans sa resolulion, et lui
dcmnndait pardon d'avoir cberche a Ten dctourner dans
un but Icmporel.
La princesse, (5lant sortie vicloricusedecelteredoulable
i'preuve, continua a vivre dans le palais dc son Hero
comme sous les grilles d'un cloilro, s'enlourant de fillcs
sa.i;es qu'elle diri.;eait par ses conseils et par ses exem-
ples, nionlrant pour clle-meme une rigueu:' extreme
jeunant conliuuellement, ou prenaut si peu dc chose qu'on
ne pouvait comprendre comment elle avail la force de se
soulenir. Ses auslerites ne s'arretaient point la; elle so
frappaitjournellement avec une discipline, se levaitavant
rauiore et s'imposait de longs silences qu'elle ne rom-
pait sous aucun pietexte. Lorsque sa table ctait garnie,
elle en faisait enlever les plats les plus dclicals et les
adrcosait a quelquo bfipilal ou quclquc couvcnt sans re-
venus.
Le roi Louis, la voyant uu jour occupte a coudre un
bonnet de bn qu'elle avait fil^, I'engagea a lui en fa're
present, ajoulant que toules les fois qu'il s'en coilTeraitil
se rappclloraitsa complaisance. Isabelle hesila, et, voyant
qu'il insistait, elle lui avoua qu'elle le destinait a Jcsus-
I,..l,L'lk- d I.I.IM., I\.
Christ. Le roi ne la pna pas davantage. Lorsqu'il fut parti,
e'.le envoya son ouvrage a une pauvre fenime qui vivait
de ses cha rites.
— Ce qie vous fcrez pour les pauvres, avait dit sen
divin maltre, c'esl pour moi que vous le ferez. — Me.:
dames de Montfort, qui avaient assisSe a cette scfene, so
rendirent sur le-champ auprfes de la pauvresse et lui
achelcrcnt re bonnet pour une souime considerable. II
fut plus tarj conserve comme une relique par les reli-
gieuses de Saint-.\ntoine.
La fortune de la princesse, quoique fort elcvce, ne
laissait pas que de diminuer beaucoup par I'abondance
de ses liberalites. Parvcnue a un certain 5ie el voulant
se preparer une retraite paisible, d'apres le conseil de son
confesseur Hemery, chancelier de I'Universite, elle jela
Jes fondements du monaslere de Lon^jchamps, desline i
des fillcs del'ordre deSaiiite-Clairc. Pendant les travaux,
elle reunit six docleursen Ibeologie, au nonibre desquels
etait saint Bonavcniure, et les pr'a de lui composer une
regie. En 1200, elle fit son cnlrce dans la ,'ininte maison
avec vingt religieuses qu'elle devait diriger dins les voies
spiriluelles. l.a pieuse fondatrice donna d'abord au con-
vent le nom de \'Hiimilite ^'olre-Dame, qui ful plus lard
remplace par colui de Lougchamp's. C.el elablissemeut se
trouvait a une bene et demie ile Paris, du rote du cou-
chant. La pompe des ceremonies qui s'vpraliquaicntp"n-
dant 1 : seniainc sainle y attira louglemps la ville et la cour.
La ferveur des disciples d'Isabelle ne put longlenips
s'accommoder de la regie trop auslcre qu'elle avait ct.-i-
blie, etellesle luiavouerent franchoment. Isabelleeu donna
avisau roi saint Louis, qui en refera au pape Uibain IV,
el celui-ci y apporia de majeures modifications. C'est
SAINT-JEAN -DE S-FLORENTINS.
depuis ce temps qne les fillcs de Sainte -Claire se sont op-
pelees Uibanislcs.
II est a remarquer que la princesse, quoique retiree
ilans le clollre et y pratiipianl li's plus rudes austeritos,
no voii'.ut pas prendre riiabit ni faire profession de la vie
monastiqiie. Elle donna pour raison les nombreuses infir-
mites auxquclleselleetait sujelle, etqui I'eussent obligee
d'uscr ("e dispenses frequences. Ses six derniercs annees
fiircnl en diet remplies par de cruelles maladies et de con-
tinueiles soiillVanres. Apres avoir purifie una derniere
255
fois sa vertii dans ce purgatoire anlicipe, Dieu la rappela
a lui, et le 22 frvrier 1270, elle moiirut au milieu de la
conimunaule reunie. Saint Louis, en revcnant du parle-
nient de Tours, voulut assister a la ceremonie de sa se-
pulture. — Rev^tue de I'uniforme du couvent, elle fut
deposee dans lescaveaux funeraires, et le roi adressa aux
religieuses un discours plein d'onction pour les consoler
de cette perte.
Agnes d'Harcourt, qui fut depuis abbesfe de Long-
champs et qui vecut dans I'intimite de la princesse ,
S.iiiite liabelle au milieu de ses relisiense?.
rcri-vit I'hisloire de sa vie i) la prii-re dii roi de Sicile.
Elle y piirle d'un grand nombre de miracles, attestes
par di's temoins di;,'nes de foi, etdusa son'intercession.
Leur eclat el leur multitude ayaiit rempli bientot le pays
de la icnommee d Isabelle, le pape Lean X, sollicite de
toutcs parts, rend t un bref par lequel il la declara
bieiilieiireiise et permit de lui rendrc un culte religieux.
Isiibelle seniblait depuis son enfance avoir ete piedcs-
tini'c a une pareille gloire. Sa pii'te etait tellement admi-
ree, que lor-qu'on la peignait, ses demoiselles d'honnenr
ramassaient ses clieveux et les gardaient precieusement.
— Pourquoi de semblables soins "? leur demaiida-t-elle
un jour. — C'est, repondirent-elles , que nous voulons
avoir de vosrcliques lorsque vous serez sainte.— Isabelle,
dit Agnes, rit beaucoup de la reponse et plaisanta de bon
ccBur sur cette precoce veneration.
DE LA FrEDIEI\E.
IIISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIQUES DE Ml
SAINT-JEAN DES-rZ.ORENTIN'S.
Florence, cette villc des nobles el dc In force indh-i-
duelle, ainsi que I'appelle M. de Sismondi, fut autrefois
la cile du pillage et en meme temps de la devotion,
comme elle est aujourd'hui I'asile drs arts et des pl.nisirs,
ou, si vous prcferez, la ville des fleurs, pour (larler le Ian-
gage gracieuxde I'un de nos meiUeurs ccrivains. — Siluee
Ji une petite distance des Apennins, elle senible reposer
sur des coussins dc verdure.
Anciennement, ce fut une ville bien malheureuse. tou-
jours tyrannisee parlesMedicis ou incendiee par des ban-
des de bravi qui prenaient le nom de Gibelins, et lors-
qu'elle pouvait ecliapper a I'une et I'autre de ces perse-
cutions, ravagec par la peste, ce lleau terrible que Dieu
crea dans un juur de colere contre les honimes.
Florence, qui, un beau jour du quinzifeme sii'cle, d(5-
creta Jc'sus-Cbrist son roi perpeluel , et dans un cn-
thousiasme guelfe Gt placer sur la porte duPfl/fl;:o T«-
chio une inscription constatant cette election, a toujours
-2J4 SAINT- JEAN-DES
eu line grande devotion pour saint Jean I'evangeliste.
C'cst a saint Jean qu'un Florenlin demamle protection,
c'est par lui que se fait un sorment. Cliarles Vll[ a, dans
cetto ville, jure par ce saint; laissons parlor Pliilippe de
Coniines :
« Le roi entra en la cite de Florence ; et luy avoit ledit
Pierre fait haljiller sa maison, et ja estoit le seigneur de
Balasat (de Balzac) pour fairo ledit logis : Icquel quand
il sceut la suite dudit Pierre de Medicis, se prit i piller
tout ce qu'il Irouva en ladite maison, disant que leur
banque a Lyon lui devoit grande somme d'argent : et
entre autre chose il prit une licorne entiere (qui valaitsix
ou sept mille ducats), et deux grandes pieces d'une autre,
et plusieurs autres biens. D'autres firent comme luy : ea
-FLORENTIiNS.
une autre maison de la \ille y avoit retire tout ce qu'il
avoit vaillant:le people pilla tout. La seigneurie eut par-
tie des plus riches bagues, et vingt mille ducats conlaiis,
qu'il avoit son ban a la ville et plusieurs beaux pots
d'agate et lant de beaux camayeux bien lailles,que mer-
veillos, qu'autre foisj'avois veus, et bien trois mille me-
dailles d'or et d'argent, bien la pesanleur de quaranle li-
vres : et crois qu'il n'y avoit point lant de belles me-
dailles en Italie. Ce qu'il perdit ce jour en la cite valoil
cent mille ecus, et plus. Or, estantle roy en la cite de
Florence, comme dit est, se fit un traiste avec eux, el
crois qu'ils le firent de bon coeur. lis donnereiit au roi
six mille vingt ducats, dont ils emporterent cinquante
mille Gonlant et le reste en deux pajemens assef briefs :
i
S.iinl JcaiwlL's-I-lmuiil,,
ft porterent au roy toutes les places dont j'ai parle ; et
chargerenl leursarmes, qui csloient la fleur du lis rouge
et en prirent de ci'lles que le roy portoit, lequel les prit
en sa protection et garde, et leur promit et jura sur /'o«-
let saincl Jclum, de leur rcndre leurs places qiiatre mois
apres qu'il seroit dans Naples, ou |ilus tost s'il retournoit
en France : mais la chose prit autre train, dont sera parte
cy aprfes. »
Afin de ne pas laisser en pays etranger un roi auquel
nous devons nous interesser comme Francais, je dois
vous dire que son expedition fut assez malheureuse.
Ses pretentions au royaume de Naples n'eurent aucun
bon resuUat pour lui. A son relour il s't'lait forme une
confederation pour I'emp^cher de rentrer dans ses fitats,
et la douteuse vicloire qu'il gagna dans la plaine de For-
noue ne put que lui ouvrir le passage qu'on lui dispu-
tait. — C'est il regard de cette batadle que Coniines nous
fait do Charles VIII un portrait qui ne sent en rien la
llatterie du courtisan :
« Je le Irouvai aime de toutes piei-es ot nionte sur le
plus beau clieval que j'ai vu de mon temps, et sembloit
que cejcune liomme fust lout autre que sa nature ne por-
toit en sa laille et sa complexion. II eloit ties craintif a
parler, ctl'est encore aujourd'hui ; aussiavoit-il etenourri
en grande crainte ct avec petiles personnes, et le cheval
le niontroit grand et avoit le visage de bonne couleur et
la parole audacieuse et sage. • (si ce n'ctail,M. de Co-
mines, on pourroit croire que c'est le cheval qui parle.)
Jacques de Pergame racontela harangue qu'il fit a ses
soldats : « Chevaliers, soldals, considerez que vous etes
Francois, dcsquels la nature et propriele est de souffrir
force choses comme lesGauIois, ayant toujours tenu Stre
plus glorieux de mourir en bataille que d'etre pris. Si
nous vainquons, tous les Itoliens sont k nous, et si nous
sommes vaincus, ne vous chaille, France nous recevra
qui defendra assez son pays. Bief noire cas seurement :
si vous avez autre courage qu'a vaillammentcombattreet
qu'ainiiez mieux honteusement par fuile vons relirer et
SAINT-JEAN-DES-FLORENTINS
voirvotre roi et naturcl .-itisnour dolent et captif te-mains
de ses ennemis, ditos-lc de bonne heure. •
Qiiillons Florence el roinoue, oil nous nous sommes
peiit-elre arreles Uop lon^temps, el renlrons a Romep:ii'
la Strada Giulia.
La Sliada Giulia est line Ires-belle rue, tiree au cor-
deau a perle de vue jiisqu'au I'onle S/s(o, clle parcourt
I'espace d'un miUe environ. On y voil de beanx edifices,
notamment le palais des Sachetii, oil Ton admire une
Viergp du Tilien, et I'e^lise de Sainl- Jean-des-Florenlins,
balie sur les bords du Tibre, h cole de I'ancien pont Ja-
niculrinus lerait par Sixle IV.
C'esl en 1588 que fut construile aux depens de la na-
tion florentine, sur les dessins de Jacques de La Porte,
IVgli-se dont nous avons h parler. Le portail qui, dans I'o-
rigine, n'avait aucun ornenienl, fut reedifie par Alexan-
dre Galilee, qui orna egalenienl la facade de colonnes
d'ordre corinthien. — Les peres de lOratoire de Saitit-
I'hilippe Neri en ont eii longtempsla desservance; c'est
aujourd'liui une paroisse de Rome.
L'inlerjeur est diviseen trois ncfs avec de pcliles cha-
■ pelles oroees de marbies et de Ires-belles peinlures.
Le niailre-autel ful eleve aux frais de la faiiiille Falco-
nieri par Pierre de Corlone, les sculptures qu'on y re-
marque sont toutes dues a d'excellenls artistes. Cclle de
marbre blanc, representant leBaptemede noire Seigneur
Jesus-Christ, a ele taillee par Antoiiie Rag^i ; celle d« la
Foi, par lUrcule Ferrala; el celle de la Cliarite, par Do-
minique Guidi. Les niedaillons et Verlus en slue, qui
garnissent les cotes, sonl dune belle ixeculion. On y
voit deux sepulcres : I'uri, celui (!e M. Corsini, fail
par I'Algardi, el celui de M. .\cciaioii, par Hercule Fer-
rala. Les peinlures du mailre-aulel ont ele tracees par
Lanfranc et Baccio Ciarpi. Uessous reposent les saints
martyrs Proie et Jacinthe. Lcur fele se celebre dans celle
cglise le 1 1 soptembre, el leur transUilion le 21 jnin.
Sur I'aulel, a doite, dans la cliapelle dite de la Croi-
see, on voit un lablead de saint Come et saint D.imien
condaninesaux flammes ; il fut pcint par Salvator Rosa,
eel liomme peintre et poele donl on a dit que I'exislence
romanesque avail commence parmi les brigands des
Abruzzes et qui, arrive ii Rome, oil I'appelait Lanfranc,
clone sur un grabal par la misere et la fievre, s'ecriail :
' Point de IrJve avec le soucil Point de re!4che a la dou-
leur ! La fortune, tuujours mon ennemie, semble avoir
oublie que jc vis, que je sens dans chacun de mes mem-
bies des nerfs, des muscles ; que j'ai un esprit, un pools,
un coeur, que je fremis et souffre dans chaque pore. Des
le premier soupir que j'exhalai en cette vie, je fus en
butle aux eteriielles injures du sort. Soumis & de rudes
travaux sans recompense, j'ai courlisc les arts ; car, lan-
dis que je m'attaclie ii un lointain espoir, je puis a peine
gagner nion pain journalier. Pour moi, vainement le so-
■leil brille, et la Icrre fertile donne du ble el du vin. Si je
lance a la mer ma barque fragile, la iempjle vient I'as-
saillir; si, pour secher nies voiles, je les deploie, le ciel
envoie un nouveau deluge. Si j'allais cbercher cos cam-
pagnes de I'lnde oil les sables sont nieles d'or, sans doule,
pour prix de mes peines,je les trouvcrais transformesen
plomb! — fiveille, mes pensees sont ameres ; endormi,
mes reves sonl des chateaux en I'air. — Ma richesse est
seulement en esperances, el, quand ellesserontevanouics,
un hopilal me reserve le lit de I'indigence! — Grand
Dieu ! cependant , et moi aussi je suis peinire I Ne pour-
rai-je done trouver une riante couleur pour raviver la
teinte sombre de ma vie, oii lout est efTort, nialheur et
combat! — Des voix amies me crient encore : « Espere
• et travaille! ■ Toujours travailler et toujours mourir
de faim! • Oh! que Ion comprend bien, apres avoir lu
ces lignes traduiles dune canlate composecdans des jours
de malheur, la Irislesse profonde et niJme Tamer deses-
poirque, dans loutessesd'uvres, il a laisse parailre comme
la pensee constanle on le souvenir affreux qui frappait
son ccBur ! — Son tableau de saints Come et Damien est un
chef-d'oeuvre.
Sous la nef droile, ii I'aulel de la premiere chapelle, il
y a un tableau de saint Antoni'n, qu'on attribue au Pas-
signani. A cote, on en voil un aulre oil saint Jean-Bap-
tisle plane dans les airs, au-dessus de la viUe de Flo-
rence; Pieri en est I'auteur.
La deuxieme chapelle possede une Notre-Dame, de
Charles Marata.
La Iroisieme, un saint Jerome, avec paysages et plu-
sieurs figures, duFlorenlin Toussaint Titi; puis,quelques
fresqucs assez peu gracieuscs d Elienne Pieri.
La qualrieme renfermc une Xolre-Dame-de-Pilie, de
Jerome Sermonette.
Fontebuoni el Auguslin Ciampelli ont decore la cha-
pelle de la Vierge, dune Nalivile et d'une Assomplion.
Sous la nef gauche, le premier autel erige par la famille
Sachetii renferme un crucifix niodele par Prosper Bres-
ciano, el jete en bronze par Paul de Saint-Quiris, le Par-
mesan. Dans la voCite, la vie de Nolre-Seigneur, peinte
par Lanfranc.
De ce cole, I'autel de la croisee offre un tableau de
sainte Marie-Madeleine portee par des anges. Celle ceuvre
est de Baccio Ciarpi, maiire de Pierre de Corlone el eleve
de Toussaint Titi, qui a decore la chapelle suivanle d'un
tableau de saint Francois. Nicolas Pomarancio a aussi
travaille a ces autels.
Les deux dern^eres chapelles, I'une dediee a saint An-
loine, abbe, I'aulre a sainte Anne, sont enrichies de
fresques el peinlures de Ciampelli, d'Antoine Temp^te,
de Colci et de Jean-Baptisle Vanni, Florentin.
Le grand tableau de la predication de sainl Jean-Bap-
tiste au desert, qui avoisine la petite porle lalerale, est
siane Nardini.
J. B.
236
LE GRAND CONDE.
LES FRAKAIS ILLUSTRES.
Z.-E GRAM'S C09TDE.
I.
Dno illuslre naissance, iin
courage indomplable, une
comprehension sure et ra-
pide, un coeur niagnanime
et clievaleresque, — lout
scmlila se reunir pour don-
nerun illuslre copitaine au
iecle de Louis XIV. Tanlot
' ■ combaltant pour defendre
ou s^lorificrla France, Ian-
lot allumant dans son pays
TO une guerre civile el desas-
treuse, Louis de Bourbon,
- par ses lalenis militaires,
acquit dis litres inconlestables a I'admiration de la pos-
terile. Ileurcux si, moderant la fierte de son carartere,
il n'eit point demande h I'etranger des armes cnntre sa
patrie ! Rival et conipagnon d'armes de Turenne, s'il
marcha souvent h ses cotes, il le vit souvent a la lele des
Krancais lui disputer le champ de hataille. Presque aussi
celebre par ses erreurs que par son g'enie, il remplit de
son nom I'liistoire du dix-scplicmesiecle, et, pour le dis-
tinguer des princes de sa famille, on dit — le grand
Conde.
Louis de Bourbon, due d'Enghien, et plus lard prince
de Conde, vint au monde a Paris vers I'annee 1621. On
le placa tout enfant chez lesjesuiles de Bourge.s, oil son
pere surveilla d'un oeil severe les progres de son educa-
tion. AstreinI a la ponclualil6 universitaife, et n'ayant
rien qui le distinguSt de ses condisciples, le jeune eleve
fit a I'ecole I'apprenlissage de I'egalite des camps, ou de-
vait s'ecouler sa vie. Mais ses disposilions brillanles I'ele-
■verent bienlol au-dessus de la foule; a hull ans, il ter-
mina ses classes de laHn; h onze, il composa un Iraile de
rhelorique et soutint des theses de philosophie, a dix-
sept, il fit son entree ii la cour.
C'etai tun beau jeune hommeiil'ceil impetueuxetb la d--
marche fi^re. II accueillit avecreconnafssancelesavanccs
du monde qui le rcelamait, mais son Jme independanle
fut violemmenl choquee du dcspolisme de Richelieu-,
la princesse sa mere evila de I'exposer a la colere du vin-
dicatif cardinal et I'introduisit a I'holel de RanibouiUet,
oil regnaient le be! esprit el la quintessence des modes.
Dfe I'annee suivante, le due d'Enghien parlit et fit sa
premiere canipagne sous le marechal de la Meilleraje. II
se distingua aux sieges d'Arras, de Ciilliduro, de Perpi-
gnan et de Salce. Pendant qu'il travaillait ainsi i sn
renommpe, son pere le fit monder pour epouser la niece
de Richelieu, mademoiselle Claire Clemenre de Maille-
Breze. Malgre relnignemcnt profond qu'il rcssentait pour
cetle jeune personne et pour sa famille, \e due n'osa re-
sistor et conclut cet hymen par obeissance filialc.
Richelieu meurt; — Louis XIII nomme le due d'En-
ghien general de I'armee de Champagne el de Picardio ;
— les Espagnols entrent dans la premiere de ces provin-
ces el mellent le siege devant Rocroi ; — le roi suit au
toniheau le cardinal-ministre; — on presse le due d'a-
bandonner la fronliero et de marcher vers Paris pour
s'emparer de la regence; — il sacrifie son ambition h I'in-
lerit du pays, et vole au secours de la ville assiegee.
L'armee qu'il conduit a marches forci'es traverse un de-
file, el dans la nuit se range en balaille devant les enne-
mis. La journee de Rocroi fut inscrite dans les fastcs glo-
rieux de la Fiance ; seize mille Espagnols y perdirent la
vie, et le vieux comle de Fuent^s, qui commandait lenr
infanlerie, peril sur le brancard qui servait a le. Iranspor-
ter. — A genoux, au milieu de I'armi^e, le general de
vingl ans rendit giice a Dieu de sa premiere victuire.
Apres aVbir chasse I'etranger, le due d'Enghien voulut
le punir; et, se dirigeanl vers la Moselle, il s'elabht de-
vast ThionviUo. La resistance heru'ique des assieges lou-
cha son coeur, il manda le commandant de la place et
le conduisitaux remparts exlerieurs. «Voyez!» lui dit-il
en lui monlrant les mineurs prSls a faire .sauler les forti-
fications. Le goHverneur se rend et d'Enghien enlre dans
la ville, ii qui il a su epargner les horreurs d'un assaut.
— De relour a Paris, il recoil le gouvernement de Cham-
pagne, el Slenai pour recompense.
Au commencement de la campagne de IC'i'i.le due fut
adjoint il M. de Turenne , qui commandait l'armee du
Rhin opposee aux Bavarois. Le general Mercy vcnail k
leur lele de s'emparer de Fribourg, et il s'elait forlifii^
dans une position aupres deses murs. Le pays, convert de
hois, de rochers el de ravins, lui paraissait devoir arreter
I'intrepidite franraise. Mais il comptaitsansnos geueraux.
Au moment oii il y songe le moins, il enlend batlre la
charge; il court aux armes et sa vigoureuse resistance ne
permel pas de prevoir lissue du combat. Les Francais,
fatigues, hesitenl el se replient, lorsque le due arrive a
la lele du regiment de Conti, et jelle dans les rangs stran-
gers son baton de commandement. Ses troupes exaltees
puisenlde nouvelles forces dans leur enthousiasme, et se
pi ecipilenl comme la foudre.— Mais lesoleil, lombant sous
I'horizon, mil un ternie Ji la balaille, et cen'est que trois
jours apres qu'une nouvelle atlaque, en debusquant
Mercy, le plus illuslre general du temps, fit passer ce
litre ci son vainqueur.
Jaloux de profiler de ret avanlage, dEnghien marche
vers Philipsbourg el enleve cclle place apres onze jours
de tranchee onverte, avec cinq mille liommes et dix pie-
ces de canon. Cet cvcnement incroyable eut a Paris le
plus grand relentissement. > La chose est vraie, dit ma-
dame de Sevigne, mais elle nest pas vraisemblable. »
Cetle conquele fut suivie de celles de Guermesheim,
de Spire, deWornis, d'Opperiheim,de Mayence, deCreulz-
nach, de Landau et de Manheim. Suivant I'liabilude
LE GRMD mu.
BR I lISH
LE GRAND CONDfi.
tiu temps, Varmee reiUrait en France passer les quarliers
(I'hiver, et re n'elait qua la belle saison que I'on lepre-
iiait les lios'ilites.
Ell l6io, Ic duo d'Enghien entra en Allemagne.oul'at-
tendalent Mercy el les Bavarois. Apr&s quelques affaires
d'avant-gardo, les deux armees se Irouverent en pre-
srrice devanl Norliiigue. L'eiinemi occupaitun village oil
il avail pris une position fonnidaljle. Le due veul alla-
quer; — c'est en vain que Turenne Tarretc; I'audace
fut celte fois mieux inspiree que la prudence. — Apres
avoir fail des pertes considerables, Mercy bat en retraite,
et les Francais s'emparenl de Norlingue. de Dnnlcespiel
et d'Heilbron. D'Enghien commeiicait deja a iMre popu-
laire; une grave Tiialadie qui pensa I'enlever lui monlraa
quel point il elail aime, par les transports que Ton fit
eclater a sa convalescence.
Le cardinal Mazarin, qui dirigoait alors les affaires pu-
bliques, voulutdonnerau diiclecommandementderanneo
de Flandre ; mais Gaslon d'Orlcans, qui par parentlii'se, la
coiiduisail asscz mal, iie voulut point ceder ce qu'il ap-
pelait ses droits. Le vainqiieur de Uocroi trouva unbiais
pjur arranger I'affaire, et offrit a ce prince de. servir
sous ses ordres. Sa proposition fut acceptee avec em-
pressement, et I'illustre capitaine donna a rarniee I'exem-
ple de la soumission el du respect dus a la liierarchie
militaire. II pril part au siege de Courlrai , et maudil.
plus dune fois les eternelles indecisions de son general,
qui se laissail mener par I'abbe de La Riviere. C'est
par cette faiblesse de caractere et par celte hesitation
que fut manque I'eng.igenient de Bruges. Les armees
francaise et espagnole s'etant rencontrees dans la pluine
de ce nom, la balaille fut renvoyee au lendemain par
I'ordre du duo d'Orleans. Pendant la unit, les enne-
mis apprircnl que d'Enghien commandait I'avanl-garde,
el, profilant des tenebres, ils battiient en retraite pour
evilcr le combat. — Au lieu de les poursuivre, les Frau-
cais meltent le siege devant Mardick; une vigoureuse sor-
tie les surprend et leur enleve beaucoup de monde ; d'En-
ghien accourt aussitot, rallie les troupes et repare eel
echtc. — La place s'etant rendue, d'Orleans rendit justice
Conde jclte dans les rangs ennemis son l>aloD de commandeiacnt.
a son valeureux subalterne, et le replaca au poste su-
preme, qu'il tant de litres, il etait digne d'occupe.'.
.Malgre la saison avancee, le nouvcau general concut
une enlreprise inspiree par son genie hordi et a\entu-
reux. Dunkerqne passait pour une des plus importantes
forleresses de lEurope. Avec une armee epuisee et r6-
Inile a dix mille hommes environ, il r^solut de s'en
einiiorcr. Ranirnanl par son assurance la confiance de
se.-. soldals, il repousse les Espagnols et s'empare de
Fnrnes en deux heures. II etablit ses magasins dans celte
^ille; el, pour la mellre a I'abri d'un coup de main, il
la forlifie en moins de quinze jours; — bizarre occupa-
tion d un conquerant qui, pour parvenir a delruire une
place, e(; it oblige d'en conslruire une autre. — L'ennemi
s'inquiete d'une pareille activile, et s'avise d'assieger
I'assiegeant liii-nieme; — mais il est force de se replier,
el Dunkeique abandonnee ouvre ses porles au vainqueur.
Qiiinzc jours apres ce trioinphe, Henri de Bourbon,
prince de Conde, expirait a Paris dans les bras de son
fils. Le due d'Enghien, cruellemenl eprouve par cede
perte, lui siicceda dans ses charges de chef du conseil
de la regence, de grand maitre de France el de gouver-
neur de la Bourgogne et du Berry. Dapres la coulume de
sa famille, il echangea ses lilres conlreceux de son pere,
et fut connu depuis sous le nom de M. le Prince.
La campagne de 1647 venait des'ouvrir, Mazarin of-
frit a noire heros la conduite de I'armee de Catalogue. —
Confiant en son eloile, le grand Conde parlit pour I'Es-
238
LE GRAND CONDE.
pagne ct fiit recu par scs troupes avec acclamation. Mais,
Irop enfant gJte de la victoire pour ne pas i'tre prcsonip-
tueux, il crut n'avoir qu'i se baisser pour r^coUcr cle
nouveaux lauriers. - Qi'i! qu'on appelle les violons, et
qu'on me prenne Wrida en mesure! • Sur un air de sa-
rabande et musiciens en l^le, les Fran^ais ouvrent la
tranchee. Mais ils se lasscrent de chanter. Andre Britt,
gouverneur de la place, se defendil avec une telle opi-
niatret6, que la fanfaronnade resla sans jesultat, et que
les danseurs payi'rcntcux-memesles violons. — Le prince
abandonna I'expiilition sur ces entrefaites, et revint il la
cour, ou commencaient ;i s'agiter d'etranges interSls.
Les vexations du cardiual-ministre avaient cree k Paris
un parti de meconlents qui fomcntaient la discords et
qui devinrent le noyau de la Fronde. Cond6 eniploya son
influence a calmer les troubles civils, mais avanl qu'il
eilt pn y reussir, les ihterfts de I'fitat I'appelerent'en Pi-
cardie. — A la tete de trente mille hommes, il met le
siige devant Ypres, et repousse I'arciiiduc, qui le voit
entrer dans cctle ville sans pouvoir I'en emperher. En
guise de represaiUes, celui-ei s'empare de Lens. Le prince
le poursuit et le joint sous les murs de cette citi5, dans la
plaine du mJraenom. L'espiit entreprenant du general
ennemi rendait TalTaire decisive; une defaite pcrdait la
France et entrainait I'invasion. Conde, penetr^ de la gra-
vitt5 descirconstances, joignit k son intrepidilc ordinaire
lesconseils de la prudence. — Au milieu de la nuit, il or-
donne la relraite; rarchiduc s'emeut du mouvcment qui
regno dans le camp fran^ais et, des I'aurore il s'apercoit
de cette niarche retrograde. Le general Beck s'ebranle
avec la cavalerie lorraine, se precipite sur les fuyards;
mais, en un clin d'cuil, une conversion s'opere, et I'armee
francnise se Irouve rallite sur une eminence qui com-
mando la campagne. Les Lorrains, attires dans la plaine,
combattcnt avec une energie qui rend la victoire daur
teuse; I'infanterie espagnole, immobile comme unrochei',
resiste ci toutcs les atlaques; — mais, enivrees de gloireet
rapides comme les balles, les troupes de Cand6 finissent
par entamer leurs bataillons et les battent sur tons les
points. Dans cette memorable journee , qui coiJta cinq
cents hommes a la France, I'ennemi perdit cent vingt
drapeaux et laissa dix. mille corps sur- le champ de ba-
taille. — Deux heurcs avaient sulfi pour tout decider.
M. le Prince, rappele a la cour, y fut recu en Iriom-
phateur; la reine lui donna, comme temoignage de satis-
faction, le pays du Clermontois i titre de possession h6-
r^ditaire.
Ici s'arr^le la premiere periode de la vie du grand
Conde. Nous allons maintenant le voir jouer un rile ac-
tif dans les troubles interieurs du royaume et dans les
auerres civiles de la Fronde.
n.
Madame de Longueville, la belle et galante duchesse,
I'intre^ide frondeuse, recul M. le Prince, son frcrc, avec
un etalage de sentiments qui n'(itaient pas desinteresses.
Mais c'est en vain qu'elle chercha ii le gagner au parti
des rebeiles ; il repondit k toutes ses prieres : « Je m'ap-
pelle Louis de Bourbon, et je ne veux pas ebranler la
couronne. •
La reine, de son cote, eniploya les supplications les
plus pressontcs pour le decider a appuyer le ministere.
Conde ne sut point lui resister; el, abandonnant son per-
sonnage de mediatcur, il se declara pour la cour et porta
ainsi un coup terrible a sa popularity. Les ennemis du
cardinal occupaient la majeure parlie de la capilale; — le
prince dresse un plan de campagne, el veut faire investir
la ville par I'armee. La maison royale se refugie a Saint-
Germain, et Ton commence le blocus de Paris.— Les Pa-
risiens, h cette nouvelle foudroyanle, maudissent mille
fois le nom du heros et nomment le prince de Conti ge-
neralissimo de la Fronde, h I'instigation de sa scEur, ma-
dame de Longueville. Ainsi, ces dissensions intestines,
appelees avec raison la guerre ties [emmcs, commencaient
par mettre en presence les deux frferes dans les camps
opposes.
Le projet d'affamer la capitale rencontra des obstacles
insurmontables, vu I'lnsufTisance desressources desassie-
gcants. Pendant qu'ils s'occupaient Ji des miseres, la
Fronde recrutait des d^fenseurs en province, et faisait
tous les jours de nouveaux proselytes. Le due de Longue-
ville, k la tJte de dix mille hommes, le due de la Tr6-
moille et le vicomie de Turenne se joignent aux rebeiles;
— Mazarin commence i trembler. — Dans cetle situation
desesperee, Conde prend la plume; — a sa voix, Longue-
ville, la Tremoille et Turenne rentrent dans le devoir. —
II ne se contente pas de cette victoire, et fait conclure le
traite de Saint-Germain qui met un tcrme a ces premieres
hostilit^s.
Le peuple a la memoire courte. — Le prince ramene au
Palais-Royal, la reine et son miiiislre, et la I'oule salue
d'acclaniations celui qui venait de I'exposer anx horreurs
d'un pillage. — Une telle affection parut dangereuse a
Mazarin, et d63cejour, le perfide Ilalien entoura Conde
d'un i5|iais resea\i d'intrigues et le mit au ban de sa po-
litique astucieuEe;
L'ame noble et genereuse du prince ne pouvant pene-
trer les ruses du cardinal, il crut a scs prolestations, et
par I'appui qu'il lui- fournit, il se fit detesler des chefs
principaux de la Fronde. Ce minislre ne fut conlent que
lursqu!il vit le grand capitaine on guerre ouverte avec
tous ses amis; il ne craignit point alors de le faire toni-
ber dans le piege qu'il lui preparait depuis longtemps.
Le lundi, 18 Janvier 1649, Conde se rend au conseil de
regence qui se tenait au Palais-Royal. Le capitaine des
gardes de la reine, Guitaul, le salue profondement et lui
reclame son 6pee. Le prince devine tout et sourit ame-
rement : — C'est done la le prix de mes services ! — II
demande a voir Anne d'Autriche ; on nc le lui permet
pas. — Mes amis, dit-il aux soldats qui I'accompagnent,
ce n'est pas ici la bataille de Lens. — Plus loin, on ren-
contre un couloir obscur. La trahison insigne dont il
est victime lui fait craindre qu'on n'en veuille a ses
jours. — Guitaut, dit-il h son guide, ceci ressemble bien
aux etats de Blois. — Ne craignez rien , monseigneur,
repond le capitaine, je ne m'en serais pas charge. — . Le
prisonnier etant arriv6 au passage Richelieu, une voiture
se presente. Conde reconnait son fiere de Conti et son
beau-frfere de Longueville. II les complimente sur cette
reunion de famille, et Ton se met en route pour Vin-
cennes.
Tout a coup, la voiture so brise ; grande rumour.
M. le Prince, I'homme le plus leste do son temps, en-
jambe la portiere et prend ses jambes a son cou. .Mais il
s'cntrave, un soUlut le rejoint, ct il est laniene vers scs
compagnons, le pislolet sur la gorge. — On entre dans \n
forteresse ; Conii demande une Imilution do Jesus-Chiisl.
— Donnezmoi, dit Conde, rimitalion de M. de Beaufoit,
ijiii s'est evade I'aulre semaine.
Ce n'elait point assez pour Mazarin de s'etre empare
lies princes, il vouhit avoir en son pouvoir la (jfincessc
d(^ Conde, la princesse mere et le jeune due d'Enghien.
Mais , prevenues par un avis fidele, elles trompenl la
surveillance de ses espions et se refugient a Monlrond.
Poursuivios de pres par ses agents, elles traversent la
France, et, le 31 mai, font a Bordeaux une apparition so-
lennelle. — Le cliirurgicn de M. le Prince, a qui I'entree
de Vinucnnes itait permise, alia lui porter celte nouvelle
et le trouva qui arrosait des oiillets el des giroflees. —
Men ami, repondit le prisonnier, aurais-tu jamais pense
que j'arroserais men jardin pendant que ma femrae ferait
la guerre?
Le minisire, apprenant que le parlenient de Bordeaux
venait de rendre un arret en faveur des prisonniers, as-
siegea celte ville qui resista opiniilrement. Pour dejouer
les projets d'evasion que formaient les amis des captifs,
il les transfera pendant ce temps au cliMeau de Mar-
coulTy, et de la au Havre-de-Gr4ce. Le comte d'Harcourt
ayant ele charge de les escorter pendant la route, Conde,
cine sa gaiete n'abandonnait jamais, tit sur lui cette
rlianson qui courut bienlut par les rues :
Cel tiomnic -^rO; cl conrl.
Si rameiix dans riii«toirc,
Ce grand lomti- d'HarconrI,
Tont rayoiinaiil de ^loire,
Qi.i sernurut Ca?at cl qui repril Tnrin,
Est mainlenint rccors de Jnles Mazarin.
\nne de Gonzague , princesse palatine et amie du
^i.ind Conde, pai'vini 41ui gagnerla Fronde, qui reclama
■:i mise en librrte. Le parlement de Paris agit dans le
iiii'me sens, et le chef des faetieux, Paul de Gondi, cardi-
nal de Relz, appele communement le Coa'ljuteur, y tra-
\ailla de tout son pouvoir en excitant le peuple centre le
ministre. Le due d'Orleans et la noblesse, indignes a la
fill de I'injure faite par un Ilalien sans nom au premier
prince du sang, exigerent une delivrance immediate. Ce
dechainement general terrifia Mazarin qui voulut du
moins avoir I'air de ceder de bonne grJce. II se fit ou-
vrirla prison d'fitat et sejeta aux gonoux de Conde, dont
il baisa la botte en le conjurant d'oublier le passe. — Le
prince sortit sans le regarder en lui jetaiit un : — .idieu,
monsieur le cardinal.
La reine recut le prisonnier avec une amabilite sans
egale ; elle lui fil la reparation la plus eclalanle et le re-
tablit dans ses biens, ses charges et ses gouverncments.
Pendant qu'il remontait au faite de la puissance, son
persecuteur, honni et bafoue, etait chasse de Paris et
dressait dans I'onibre les plans de ses intrigues pro-
chaines.
La fierte de notre heros fut la premitMe cause de ses
nouvelles disgraces; elle le brouilla avec le Coadjuleur,
VAme de la Fronde. Dun autre cOte, Anno d'.iulriche,
secritement dominee par le cardinal, ne rSvait que la
perte de son enncmi. — Pendant la nuit du .5 au 6 juillet,
I'hdlel de Cond6 est cerne par les gardes-francaises ; le
prince leur echappe par une fuite precipitee et se refngie
LE r.IlVND CONDE. 250
a Saint .Maur. — Le levain qui, depuis sa captivile, s'e-
lait amasso dans son coeur, y avait fait germer de vifs
ressenlinienis conlre une palrie qui reconnaissait si nial
ce qu'il avait fait pour elle. Comme le Remain Coriolan,
il denianda a des ctrangers,.vengeance de ralTront qu'il
avait recu, onbliant qu'un enfant doit tout savoir souffrir
de sa mere !
IIL
II y a dans les jardins de Versailles une blanche Re-
nommec qui inscrit les fails d'armcs de Conde au livre de
riiisloire. A ses pieds sont epars des feuillets arraches ;
— lis portent des noms glorieux ; ils parlent desvictoires
de I'Espagne; — et c'est Conde qui les a remportees, —
et c'est la France qui les a perdues.
M. le Prince, rappele a Paris, crut devoir y reparaitre
avec une cour tres-nombreuse.
Des son arrivee, la reine rend centre lui une declara-
tion foudroyanle.
Ce prince se justifie et autorise en secret son ami Sil-
Icry a traiter avec les Espagnols. Le parlement dfilibere
el somme Conde et le Coadjuteur de comparaitre devant
lui. — Les deux adversaires se rendent au Palais-Royal
avec une suite de mille hommes chacun. Une querelle
s'engage entre leurs gens; Paul de Gondi, effraye du
tumulte, prend la fuite; il est surpris par La Rochefou-
cault qui le saisit par le cou entre les deux baltants d'une
porte, et ne le liche qu'au moment ou il allait etre as-
sassin^. — La balaille s'arrete et le conseil donne gain
de cause a Conde. — Quclqiies jours apres, son carrosse
se trouve arr^le par une procession. II met la tete a la
portiere, reconnait Gondi, se jetle a g'noux dans la rue
et lui dcmande sa benediction. Le cardinal le benit fort
gravement et conlinue sa route; — le peuple, louche de
cette humilite envers un prelat dont on connaissait les
exces, crie bravo pour M. le Prince et suit M. de Retz en
I'apostrophant et en I'accablant d'injures.
Les ceremonies de la majorite de Louis XIV se prepa-
raient, et M. le Prince fut prevenu qu'il y serait ar-
r^le. II prit la fuite sans retard apres avoir vainement
chercheas'accommoder avec la reine; et comme il apprit
qu'elle envoyait centre lui d'.4umont avec les ordres les
plus rigoureux, H se decida isoutenir la guerre civile. —
II leve dix mille hommes en Guienne et s'empare de
I'Angoumois, du Perigord el de laSaintonge. — Le comte
d'Harcourt, general de I'armee royale, entre dans Bourges
et fait prisonnier le prince de Conti. — Mazarin profite
de ces troubles pour rentier publiquemcnt au ministere.
— Le due d'Orleans leve une armee et s'allie a Cunde;
le due de Nemours et le due de Rohan-Chabot , gou-
\erneur d'.\njou , suivent son exemplc ; — I'Espagne
fournit des homines et de I'argent.
Madi-moisflle d'Orleans fait declarer conlre le roi la
ville qui porte son nom. — A son tour, I'armee de la
cour s'empare d'.4ngers, et le general Turenoe bat a Ger-
geau Sirot et le due de Beaufort.
M. le Prince, en apprenant ces nouvelles, abandonne
le camp d'.4gen en Guienne, oil il s'etait retire ; — sous
I'habit d'un simple courrier, et sous le nom de Motle-
ville, il traverse sans escorte une partie de la France,
passe a travers les troupes ennemies et rejoint son armee
240
LE GRANn CO.NDl!:.
ii Lorris. — II s'enipnre lie Montai'gis et de ChJteau-
Gaillard ; — il bat le mareclial d'llocquincourt a Claicau
et le poursiiit jusqu'a Auxerre. — Mais il est oblige d'a-
Landonner ses soldats pour so lendio a Paris.
Iiiterrogi'^ par le parlement, Conde consent a se sou-
mettre, si Mazarin quitte le royaume. — Cppendant son
general, Tavannes, s'empare d'fitampes. — On lui ol'fre
d'assassiner le Coadjuteur et le cardinal; il refuse avec
horreui'. — Son armee recoit en triomphe mademoiselle
d'Orlcaus et mesdames de Fiesque et de Funlenac; ces
■deux dernii;res dames sont creees militairement marc-
cltales de cuiiip devant les troupes assemblees.
Pendant que Turenne bat Tavannes aux portes d'Or-
leans, Conde prend Saint-Denis, qu'il ne garde que quel-
ques jours. — Mademoiselle d'Orleans fait une levee de
troupes. — Turenne , k la t^te de soldats eprouves ,
marche sur Pans, et Conde, retranche dans cette capi-
tale, se range en batailla le long du faubourg Saint-An-
toine ; — les deux armees fondent I'une sur I'autre ; —
apres un horrible carnage, les regiments de M. le Prince
se replient; — mais les Parisiens se barricadent et leur
coupent la rctraite; — Turenne les onveloppe, les ac-
cule contrc les remparls et va les lailler en, pieces, lors-
qu'on entcnd rctcntir le canon de la Bastille...
Au m6me instant, la porte Sainl-.\ntoine roule sur ses
goods; I'armee de Conde rentre dan* la ville et sur les
remparls de la vieille prison d'Etat, mademoiselle d'Or-
leans, nouvelle providence, dirige un feu soutenu centre
les soldats du roi.
Turenne, trompepar la fortune, ordonne la retraile, et
Conde, rccu par sa liberatrice, ne pent que s'ecrier en
versant un torrent delarraes : • — Ah! Mademoiselle, j'ai
perdu tous mes amis. »
C'est alors que quelques partisans presserent vivcment
le prince de s'emparer de I'autorite souveiaine ; il rejcta
cette idee avec indignation ; — il refusa en meme temps
le tr6ne de Naples, qu'on lui offrait avec inslance. — Le
besoin de la paix se faisant senlir, des tentatives de con-
ciliation furent faites, et le renvoi de Mazarin decide ; —
Conde deinanda a negocier : • II n'est question que de
vous soumctlre, • repondit la fiere Anne d'.Autnche; —
et le sujet revolte se jeta dans les bras de I'eti anger.
Allie ii Charles de Lorraine, !\L le Prince chassc Tu-
renne de son campde Villeneuve Saint-Georges, et s'em-
pare de Chiileau-Porcien, de Rhetel, de Mouzon, de
Saint-Menehould, de Ligny, de Bar-leduc, de Void etde
Commercy. II est nomme generalissime des armees d Es-
pagne. — Les troupes royales lui roprennent le Barrois,
et une partie de la Champagne. — L'archiduc lui accorde
des secours, mais la lenteur et I'hesitation des generaux
places sous ses ordres compromettent gravement ses in-
ter6ts. La Bourgogne et la Guienne lui sont a peu pres
■enlevees, et Mazarin en plein conseil le fait declarer traitre
et prive de ses biens, de ses honneurs et du droit desuc-
ceder a la couronne.
Battu par Turenne dans les plaines de Picardie, Conde
se retire a Cambrai, apr6s avoir op6r6 une glorieuse et
savante rctraite. — L'armee du roi s'empare du Quesnoy
et ravage le Hainaut. — 11 la chasse de cette province,
mais il eprouve des revers dans les plaines de Buuchain.
L'Espagne nomme don Juan d'Autriche general de ses
armees. — Turenne invcslit Valenciennes ; — M. le Prince
d6livre cette ville ct bat completcraent les Franjais, qu'il
poursuit jusqu'en Artois. A la lete de qualre niille ca-
valiers, il defiit qualorze miUe paysans attroupiis clans
le.s Pays-Bas et s'empare de Saint-Guillain. — Au milieu
des travaux de la guerre, il trouve le temps d'aecui illir
le roi Charles II detrone par Cromwell, et rend hommagc
h sa noble misere. — II se porte ensuite sur Candirai, as-
sicge par Turenne, et le debusque; — mais il perd Mont-
medy, par la negligence de ses subalternes. Comnie le diii
d'Yurk, (|ui suivait le roi d'Angleterre , lui lemoignail
sa surprise ace sujet : — Ah! vous ne connaissez pas les
Espagnols, lui repondit Conde ; pour voir des fautes a la
guerre, c'est avec eux qu'il faut la faire! — Les sucto
de Turenne conlinuent par la prise de Saint- Venanl et cie
Mardick ; il met enlin le siege devant Dunker'fue. —
Cond(5 et don .luan d'.4utriche s'avancent vers cette ville ;
ce dernier propose de s'engager dans les dunes el de
presenter le combat. Le prince .s'y oppose do toules ses
forces, maisvoyant que don Juan ne tenait aucun compte
deses remontranccs, il demande au due de Glocester s'ii
a jamais vu de batailles. — Non, repond le jeune homme.
— Eh bien , jioursuit-il , vous allez en voir perdre
une sous une demi-lieure. — Comme il I'avait pr(?dit, les
Espagnols furent repousses, et cclle defaite entraina la
prise de Dunkerque, de Bergues, de Furneset de Dun-
dermonde. — Don Juan seretira kla suite de cet echec,
apres avoir disperse .son armee dans les |ilaces de la Flan-
dre. — Les troupes royaless'emparerentaussilotde Gra-
\elines, d'Oudenarde, de Menin et d Ypres. — Le nil
d'Espagne, Phili[ipe IV, se rcsolut enfin a propoter la
paix.
Elle fut debattue dans les conferences de Tile des Fai-
sans, entre Mazarin et don Luis do Haro. — Pendant que
le piince, si vivement iiiteresse a la question, en atten-
dait Tissue, des anibassadeurs lui vinrent offrir le tr6ne
do Pologne, qu'il ne voulut point accepter sans le conseii-
tement de son souver.iin.
Lb trail(5 des Pyrenees, en pacifiant I'Espagne cl la
France, remit Conde en possession de tous ses biens et
de tous ses litres. II fut recu par la cour et par le loi
avec la bienveillance la plus affectueuse, et la satisfait.on
qu'il en ressenlait ne lui permit pas de refuser I'ai'colade
de Mazarin.
Ici so terniine I'liisloire de la rebellion de cc granil
homme. La murt du caiilinSI minislre, airivee quelqne
temps apres sa rentreeii Paris, fut le conible des bienfails
celestes et le debarrassa de son plus cruel ennemi.
IV.
Nous voici arrives a la dernii;re phase de ['existence du
vainqueur de Rocroi. Son esprit aventureux s'accordait.
tout il fait avec I'amour des conquf'tes qui devorait
Louis XIV, et le jeune roi s'entendit a merveille a\ee le
vieux general.
En 1607, M. le Prince, depuis quelques annees dans
I'lnaction, forma le projet de .souir.ellre laFranche-Comle
el le presenta ii Louvois, qui I'appuya vivement. II pailit
au commencement de 1668 et s'empara de Besancon, de
Salins et de Dole. II Iraversait les champs de bataille et
s'aventuraitdansia mt^lee, conduisantson fils par la main
el lui expliquant la tactique niililaire. Noble ettouchani
spectacle qui monlre comment on pent unir au plusma!e
LE GRAND C0ND£.
2il
courage Ics plus tendres sentiments de la nature. — En
(juatorze jours, la conquete fut lerrainee et Condi' nomme
guuverneur de la pro'^ince qu'il avail soumise.
A cette epoque, la couronne de I'olo;;ne lui fut offtrte
Jenouveau; mais, surl'ordredu roi, il la refusa, sacri-
liant son ambition aux devoirs de I'obeissance. — C'est
vers ce temps qu'il se sepnra puljliqucnient de madarae
Je Conde, niece de Richelieu, p(iur laquelle il avait lou-
jour:^ ^prouve une aversion insurmontable.
Louis XIV, se plaisnant un jour des outrages de la
llollande et cherchant le moyen de la punir : — Je n'en
connais qu'un, sire, lui dit Conde, c'est de la sounietlre.
— I! n'en falUit pa« davantage et la guerre fut resolue. —
On se mit en maiche a la tfile de cent dix mille liommes.
— Pendant que le roi et Turenne agissent de leur cole,
Conde prend Wesel, rcprime la revolle des Suisses, et
s'lnqiare successivement d'Emmerick, d'Hults, deDorkel,
d'Huessel et de Rees. — Le prince d'Orange defen lait
rissel. Pendant qu'on I'DCcupe par des escarmouches,
Conde ordonne le passage du Rhin, et cette habile ma-
noeuvre est couronn^e de succes. Le heros recoil a celle
occasion une balle dans le poignet ; cette blessure I'oblige
a abandoifner le commandement et ii subir une retraite
niomentanee.
Mais les prospcrites de la Fiance nous suscitcrent de
nombreux ennemis, et les frontieres furent envahies. —
Le piiiice, encore souffrant, vole k la defense de sapatrie,
ravage I'ilectorat de Treves, et fait lever le siege de
Charleroi.
II ouvrit la rampagne de 1(373 en parcourant la Hol-
lande, qu'il 6tait charge de conlenir ; la negligence du mi-
nislre Louvois le placa dans une situation critique, et ce
ne fut qu'a I'aide de savanets manoeuvres qu'il echappa
aux coups du prince d'Orange.
La Franche-C :mte, qu'un traite de pais avait remise
a I'Espagne, redevint I'objet de la convoitise du roi de
France. En 1674, ce prince marclie a sa conquete; —
Conde occupe les Pays-Bas et opere devant les Imperiaux
Ctitidti a ClianliilT.
sa jonction avec le marechal de Bellefonds. — Le prince
d'Orange rassemble les allies et les decide a aitaquer le
grand capilaine, qui avait pris position pres de Charleroi.
■Le II aoiit, les ennemis presenlent la bataiUe; les
Francais les prenncnt en (lane, et les lailleut en pieces
en leur enlevant cent cinq elendards.— On raconle nean-
moinsqueles Hollandaischaiiterenl un TeOcumalaHaye,
s'attribuant qnand mime I'honneurde la victoire.
Apres avoir fait lever le siege d'Oudenarde, le prince
rotourna a la cour de Versailles pour rendre ses respects
a Louis XIV; mais comme la goulte ei les rhumatismes
le retarJaicnl et qu'il voulait s'en e.vcuscr aupres de lui:
— lion cousin, repondit le roi, ne vous pre^sez pas;
quand on est aussi charge de. lauricrs que vous I'eles, il
est tout simple que Ton ail de la peine a marcher. .
En 1673, le grand Conde partit poursa derniere cam-
pagne a la IJle de soixante mille hommes. — Ilenlredan^
les Pays-Bas, s'cmpare de Tirlemont et de Saint-Tron,
bat les allifo sur tous les p .ints, ct piedit par ce mot la
II.
destlnee deCrequi, qui venait d'etre defait a Consarbruck :
— II ne lui manquait que d'etre battu pour dtre un grand
capilaine. — II entre enfin en Alsace et prend position
en face de Montecuculli apres I'avoir oblige a lever le
siege d'Hagueneau. — L'ennemi repasse leRhin, et Jl. le
Prince rcntre a Paris, apres avoir ravage leBrisgau.
Conde ne reprit plus les amies.— Ici se lermine la bril-
lante carriijre qui le place au rang des plus grands capi-
taines connus, et assure a son nom une immortalite glu-
rieuse. — .^pres avoir quelque temps aide deses conseils
I'inexpericnce du monarque, il abandonna tout h fuit la
cour et se retira a Chantilly. Cet asile champetre deviul
le rendez-vous des hommes les plus remarquables du
temps. — D'Estrade, Barillon, Polignac, Bouclierat, Le
N6tre, Bossuet, Bourdaloue, Labruyere, La Rochefou-
cault, Boileau, Racine, Sanleuil, Lafare, mesdames de
Scudery et de Lafayette y avaient leurs grandcs entrees.
L'csprit du prince, naturellement vif, se perm'ettait
quelquefois I'epigramme. — Comme un grimaud vint un
16
242
PETITS VOYAGES
joui' lui presenter I'l'-niUiDhe (!e Muliere : « All ! mon ami,
lui dil-il, je I'avouerai lianclieme.it que i'ainiciais bien
mieux que Muliere rae pieseiitiU la tienne! »
A soixanle-quatre ans, Ic vicux s;enci'al, trop longlcmps
oublieux dcs devoirs (le la religion, modifia ses principes
etimbrassa a\ec fermete la pratique de ses croyances.
Vers la fin de 1686, il seutit a la faiblesse de scsoiganes
qu'il allait bienlot quitter la terre. — Comme le pere Ber-
gier rassislait et I'eiigageait a pardonncr a ses ennemis :
• All! pourqiioi me parlez-vous de pardon? lui dil-il.
Vous savez que je n'ai jamais conserve le plus li'ger res-
sentiment cojilre personue. » Le due d'Eni;Iiien eiitre et
sejelte dans ses bras. « Mon cher fils, lui dil-il, vous n'a-
vez plus de pere! » Le 11 deeembre, ii midi, il rendit le
dernier soupir".
Louis XIV, en apprenant cette funesle nouvelle, s'e-
cria : « J'ai perdu le plus grand lionime de me.-ifilats ! -
Et Bossuet le lepeta dans uu paneg; rique celebre.
C'est ainsi ([ue niourut le grand I'.onde.ce guerrier il-
lustie qui fut, d'apres I'expression du pliilosoplie de
Eeincy,
l'.iIi[i;u (Ii; SOI) iiiuih'i:.
tiABillKI. RlcilABD.
PETITS m\m m m iiniEiiEs pe fr.\\'ce.
LA SEINE, SES BOUDS ET SES SOUVENIRS.
(suite.]
Ui;e foule de souvenirs bistoriques el illustres out dej;i
accompagne la Seine jusqu'ii Paris; une fuis parveuue ii
celte immense cite, elle reveille parlout de nouvelles
idees, de nouvelles impressions.
Tout en traversant le centre de noire capitale, le fleuve
se divise en deux bras pour eiivelopper trois ties, voisines
les unes des aulres; ces trois lies ont ete leduites il deux
depuis que le bras qui separait I'lle I.ouviers du quai de
I'Arsenal a cte conible. Plus de vingt pouts, presqiie tons
d'une admirable conslruction , font comiiiuniquec ces
quartiers dont la population est immense. Les arches
de quelquesuns d'entrc eux lie sont plus sunliargees de
ces maisons golbiques dont les Iwhitiinls vivaieni au mi-
lieu d'inressants dangers. C'est Louis XVI qui a com-
mence cette destruction si utile; il.fil d'abord demoUr
les bicoquesdonl le pont Marie etait encombre; le pout
Saint-Michel vit disparaiire, en 1811 , ses deinieres mai-
sons. Depuis le jardin du Roi jusqu'au champ de .Mars,
on comple quarante-neuf quaisspacieux, ombrages pros-
que tons darhres nouvellemenl plautes; les quais se
prolongent sur les bonis du fleuve dont ils emprisonnent
les eaux pendant deux lieues , et dont ils encaisseut
le lit.
La Seine baigiie les pieils d'une foule de monuments
que nous ne decrirons pas niinutieusement ; tons les In-
dioateiirs rcgorgent de ces descriptions. Neanmoins nous
allons jeler un regard en arricre et fuuiller un peu I'his-
toire de la grande ville pour y relrouver I'origine des
changements qu'elle a subis, et y relire les evenements
imporlauts dont le fleuve qui la traverse a ete le te-
moin.
Ce qu'on nppelail le vioux Paris comprenait, au moyen
age, trois quartiers bien distincls : au nord la viile, au
centre la Gite, et au sud de la Seine rUuiversite. L'en-
ceintc des murs commencait h la hauteur du canal de
rOurcq, au-de.s.sous du pont d'Aiistcrlitz. A droito, le
llcuve laissait ei hopper un embranchemont qui aflluait
dans les fosses de la ville, et venait ba:gncr les murs de
^ Ba-lille. Ce lugubre edifice, eleve pendant le legne de
.wiailes V, par ie prevot des maichands Aubriut, fut le
tbeitre dcvenemenlsreniarquablesou sanglanfs; sa plus-
graude celeliril* et sa ruiiie appartiennent h I'bistoire de
notre premiere revolution.
11 y a dix ans, les fondations de cette ancienne fortc-
resse, qui scr\it anssi de prison d'fital, cxistaicnt en-
core; I'reil pouxait penetrer dans ces caves obscures oil
s'accompliient des crimes nombreux que les exagerations
et la cnyulite populaires ont su rendre encore plus af-
i freux. Sur son emplacement s'est elevee la colonne de
Juilk't et s'est ouveite une gare; cette gare, ainsi que le
commenceinent du canal de I'Ourcq, ne sont que les an-
ciens fosses du chateau. Un terrain assez etendu et inha-
bite le separait de la ville ; ce terrain, appele Champ au
Pl^tre, s'etendait de la rue Saint-Antoine a la riviere.
L'an 1396, le due d'Orleans fit bJlir, au bout de ce
champ, vers la rive du fleuve, un superbe hotel, achete
plus lard par la ville, qui y logea son arlillerie. II fut
emprunte h diverses reprises par Francois I"', qui y fit
fondredes canons. Voyant couibien ces batimcntsetaient
commodes, il finit par les conserver en depit des recla-
mations des Parisions, qui ne manquaicnt pas de justice.
Une parlie du jardin, celle du sud, etait occupee par le
mail qu'on voyait se di'vclopper le long de la Seine dans
la direction du quai Morland.
A Tangle deceit paries fosses de Paris, se dressail la
tour de Billy, semblable a la garde avancce de la Bas
tille. En \r>3S elle fut detruile par le tonnerre. Sou,
Charles IX les granges d'artillerie furent clles-mt^mes
detruites par un terrible incendie. La poudri^re fit ex-
plosion ; des pierres, lanc&'s dans les airs, retombiTent
jusque dans le faubourg Saint Marceau ; dcs poissons, si
Ton en croil la chronique, furent atteiiits dans la Seine
et reparurent sans vie ii la surface de I'eau. On s'em-
pressa, bien entendu, de faire letomber la cause de cet
alfreux evenemeiil sur les huguenols. Ilebiiti sous le re-
gne d'Henri III, i'Ar.senal fut, h parlir de ce moment, lai
residence du grand maiire de I'arlillerie ; c'est en cettei
qualile que Sully I'habitait. Les curicux ue manquent
pas de vi.'iiler le cabinet oil ce grand niinisire recevaiti
Henri IV. Les balimcnts furent uugmente- par le regent
SUP. LES RIVIEUES 1)E ElUNCE.
243
c'est lui qui lour a donne la forme qu'ils onl actiiclle-
nient ; nous nous garderons Liien de lui eji faire nulre
compliment. L'Arsenal contient aujourd'lmi une biblio-
tlieque donl dairies Nodier, get aimable penscur el ce
charmant ecrivain, elait un des conservaleurs. C'est sous
la regence que lo mail fut rcmplace par un quai large et
vraiment ulile.
N'oublions |ias de mi.'nlionner en cet endroil I'existence
de ces vastes batinienls, construits par Napoleon, et
coiinus aujouid'hui sons le nom duGrcnier d'abondance;
construclions enonnes lesleessans but et sans deslina-
tion, qui prouvcnt senloment combien les idees chan-
gent en politique I'onime on econoniie. En I'jce du quai
doiit nous parlous exislait, comnie nous I'avonsdil, une
lie, nommee I'ile Louvicrs, couverle de clianlicrs, el qui
s'est trouvee reunie a la lerrc ferine; le bras du lleuve
qui laseparaitdu quai, el oil sejournaiontdes caux vertes
el eroupissanlcs, a (ile comb e, ce qui a rendu a la ville
un immense terrain qu'on n'a pus encore employe.
L'Ai'senal louehail jadis au vaste et trop fameux liolel
Saint-Paul, achete par Cliarles V, alors dauphin, pen-
dant la caplivile de .lean, son perc; on tient a conscrver
a ce prince le magnifiqne surnom de Sage, et cependanl
il n'est pas de folies qu'il no fit pour embellir son nou-
veau sejour, qu'il nomma I'llustct des grunda Esballe-
tncnls. C'est la qu'lsabeau de lia\iere, d'odiouse momoire,
termina ses jours dans la douleuc et dans les remord?, a
ce qu'onl dil quelques chroniqueurs; reduile, par les in-
sulles de la populace et des.lugiaiseux-meines, a pas.ser
sesjournees loin des fenotres de son liutel, auxquelles tl
lui etait inler.Jit de se raontrer, elle compril, mais trop
lard, qu'un traitre est loujoursmeprise, et de ceux qu'il
a veudus et de ceux qu'il a servis. Quand elle niourut,
son corps fut descendu en secret dans une modeslc eni-
barcatiun, et deux moines de Saint-Di'nis vinrent rece-
Toirses depo'iiilles pii's du pout au Change.
Non loin de Fhotel Saint-Paul s'elevait utie masse d'e-
difices qui ne deparaienl nullemont ce dciTiier : nous
voulons pailer des monumenis rebgieux de I'Ave^Mm'ia
(celui-ci est aujourd'hui une caserne d'infaaterie), el de
I'eghse Saiiit-Gervais, refaite au siecle deniier dans le
plus alTrcux de totts les sljles. Ces edifices etaieiit miles
a de magnifiques tiulelsaa nuuibrti desquels on distin-
geait I'bdtet de Seus, habile par le cbancL-ber Diiprat,
aujourd'hui envahi par une entreprise de roulage et re-
convert d'uu bauiguoii aussi b'.anc que ridicule.
Les rives du Henve out otl'ert pundant longlcmps en
cet endroil une pente naturelle qui exposait frequem-
nienl les quais et tout le quartier aux degats causes par
les debordoniLUits ii I'epoque de la foiile des neiges ; nous
avofis vu des baluaux, seul mo\en de circulation alors
possible, sillonner bien souvunl les abords de ces rives
si longlemps oubliocs. Apres plusieuis sie^des d'une ex-
■ perience deplorable, on s'est decide, il y a dix ou douze
aiis, a elever ces terrains et a les proleger par d'admira-
bles quais.
Ensuite les regards du voyageur embrassaient la place
oe Greve aux sanglanls souvenirs, oil les bourgeois do
Paris eleverent, au qualorzieme sierle, leur hotel de ville.
Jusque la ils n'avaient eu qu'un pai loir, on mai.son com-
mune, dans la vullec de Misere oil se trouve I'ancien
quai de la Ferraille. .A parlir de cette place, les bords
de la Seine ne constituaieat encore, au commenceuient
du legne de Louis XIV, qu'un terrain incline sur lequel
s'oiivraient deux ignobles ruelles. souvent inondees, et
oil se cacliaient des ecorclieries. On donna au marquis
do Gevres la permission d'y elablir des maisons jusqu'a
la premiere pile du pont Nutie-Dame et du ponl au
Change, i In condition que ces construclions auraienl
pour assises des voiiles percees par des arcades.
C'est au milieu de ce pale repoussanl do g ;thiques dc-
ineures que s'elevait le grand ChJilelet, fcrin,:iit I'enlree
du pont au Change par si vasle et epoiivanlable masse.
.\ la place de celle forleres.se se drcssail, au douzieme
siecio, une tour de bois conslruile, dil-uii, par Jules Ce-
sar, oil dcmeurait le pievoL de Paris, el oil Ton empri-
sonnail les scelerats qui de\aient monler sur rechafaud it
la Greve. C'est par une feriHre ce ce monument qu'on
jcli dans la Seine Bois-Bouidon, I'amant u'Isabeau de
Bavicre, apres ra\oir enferme dans un sac, sur lequel
avail ele ecrile la foraiule judiciaire : Luii:cz passer lit
justice dii mi.
Ce qu'on appelait la Vallee de Misi-r.; coinnunCMit au
Graud-Chalelet et allait aboulir au Louvre. Cuii\erl d'a-
bord de marais, ce terrain fnt bienlot oicupr pjr des
maisons; puis, sous Charles V, on se mil a cjiislruiro le
quai de la Ferra-Hle ou de la Megisserie, alinquc le Lou-
vre pill comniiiniquer avec le reste de la viHe. Pliilippe-
Aiiguste s'etait fait balir, hors des murs d'enceinte, un
cbaleau appete iwpara, donl on a fait le Luuvie. Celie
deaieure, comme tons les chalenux d'alors, servail a la
fois de residence, de forieresse et de prison. On y lint en-
ferme pendant longlemps Feriand , comle de Flandre.
Ce ifut, dans I'origine, un paraltelogramme ayanl ^ ses
cijli's et il ses angles vingt trois lours reliees ensemble
comme en faisceau. Une d'elleseta'.tappplee la tour de la
Librairie ; Charles V y avail renni quelques iivres, et ce
noyau a sirvi a fonder la bibliolheqiie Royale.
On a demd'i sncee.ssivemeal les diverses parlies de ce
vieux tfldvre poutr le reconstniire comme il est aujour-
d'hui. Cos travaox comnienciirent sous Francois I"' et se
conlinuerenl jusqu'a Louis XIV, qui avait coi;cu le proji t
de rouiiir ce palais a celut des rtifleries. Ces travaux fu-
rcnl abandonnt's a diverses rep is-s, mais Xapoleon les
fit ponsser acthement ; espL-rons q ic dans pen d'annees
tout .".era lermitie.
C'est une ocdonnanrede Charles VI qui fait, poiirla pre-
miere fois, menlioi des Tuileries; celle ordoniiance de-
clare que les luei ies el ecorcheries devront eire Iranspor-
lees au delii des fosses du Louvre, hois Paris, pres d'une
fubrique de tuiles, nominee la Sablonniere, siluee on bord
de I'eau. CenI ans apri;s, Nicolas de Nenfville de Ville-
roy avait fait elever un petit chateau siir cet emplace-
ment. Francois 1"' vouliit I'acheter el le donna k sa mere,
Louise de Savoie, qui avait recon; u malsain le chilrau
des Tournelles. Catherine de Medicis, trouvant cet holel
au-de-ssous dune leine, le fit abaltre, et Ton comnienca il
construire a sa place le chaleau des Tuileries.
Dans I'origine, I'edifice etait separe du jardin par une
rue; Lenotre bouleversa tout le plan des bosquets el
du parterre; la rue disparul el on conslrnisit deux ler-
rasses inagniliqiies, depuis la place ie.-i Bastions, siliiee
aux porles du jardin, jusqu'anx alios du chateau. Si Ion
sortail par la porle de la Confeience, qui s'ouvrait du
ciile du quai el oil abouli.-sail lenreinle .«eplenlriunalede
la ville, on enlrait dans le Coi;rs-la-Ueine ; celle proine-
2a
PETITS VOYAGES
nade fut pendant lon,;lcnips fprmeeaii public; c'est pour
son agiemeiU personnel quo Maiie de Medicis I'avail fait
planter.
Deux lies sculement sunt comprises aujourd'hui dansle
milieu dc la Seine et au centre dc Palis; jadis on en
comptait six. L'ile Lonviers dependait aulrefois de I'hfitel
Saint Paul, en face duquel ellc elait siluee; ombragee
d'abord par dcs arbres magnifiqucs, ellc avail ete- plus
lard occupi'e par des cliantiers de hois. Plus loin, on
voyait l'ile auxVaclies, I'ameuse parses excellcnis palura-
gesetscparec, par un petit bras du llcuvc, de I'lle Nolre-
Dame, qui appartenait aux e\Sques de Paris. Henri IV
avail concu le projet de joindre ces deux iles; ce fut
Louis XIII qui I'executa, el lu terrain, nomme alors ile
Saint-Louis, se couvrit en peu de temps d'ateliers, de mai-
sons, et pril I'aspecl sous lequel nous le voyons aiijour-
d'hui. Par le moycn de deux ponts, on elablit une com-
munication de cetle ile avec les deux rives; im troisieaie
pont, qui s'eleva a rextremite occideiilale, \int gagncr la
Cite.
Lo Grand-Ch,"ili
L'ile de la Cite, plusetendue que les trois aulres, a ete,
en quelque sorle, le berceau de Paris. .\ scs rues tortueu-
ses el sales, on reconnait I'anlique Liilclia, la viUe de
boue. La forme de la Cite represenle assez bicn celle
d'un navire enfonce dans des sables el amarrc au bord
par des ponis noml reux. C'est la probableinent I'oriiJSine
du vaisscau que la ville dc Paris porle dans ses arnioi-
ries.
11 y a trois siecles, la Cile offrait un bizarre a.specl.
Celte masse cunipacle, sans quais ni place publique.iHait
herissee de lours etde clocbcrs; la Cile a rcnfcrme jn.squ'a
soixanle-dix-sept eglises ou chapelles; une population,
trop nombreuse pour un si petit espace, y etouffait; la
Seine y elait couverle de ponls, les ponls elaienl sur-
cbarges de maisons, et le voisinage du lleuve etait seule-
ment annonco par des exiialaisons infccles qui s'ccliap-
paienl par de degoutanls abreuvoirs.
A Test, on voyait I'llotcl-Dieu, la basilique de Notrc-
Danie, el conime une gerbe de monuments religieux, donl
la forct de clochers et de clochetons semblait onibiager
l'ile entiere ; dans la parlie ocidenlale, on voyait Taiiti-
quc palais habile succe^sivement par les rois Faineants,
les comics de Paris et par les premiers princes de la dy-
naslie Capclienne. En rendant le parlemenl sedentaire,
Philippe le-Bel lui lit cadcau de la moilie de son palais;
Charles V, lasse de rallluence des gens ii proof's, quilla ce
sejour pour celui de I'holel Saint-Paul. Les plus \ieilles
conslructions que Ton puisse reconnaitre encore aujour-
SUK LES RIVIKRES DF. FRANCE.
-2lo
(I'liui, (Inns le paUiis dc Justice, renionlenl au roi Robert.
A I'anglc lie la rue de la Barillerie et ilu pout au Cliani^e,
selevc encore la tour oil Ion placa, en 1370, la premiere
grosse liorloge qu'on aitvue a Paris. Au-dessus du lan-
ternin se Irouvait, avant la revolution, la cloche du palais,
qui ne sonnait que pour annoncer la naissance oula mort
des rois et iles dauphins. Elle eut la trisle mission de
donner le signal pour la Saint Bartlielenii.
A une rerlaine distance se dressait latourde JIonl.:;om-
mery, oii 1 infurtune gentiUiumme de ce noni alia e.\pier.
dans une longue captivite, la mort qu'il avait invoIont.Ti-
rement doiinee a Henri II; e'eot aussi la que Ua\aillac
flit eiiferme avant son supplice.
Derriere le palais de Justice, et dans une ile qu'un ca-
na', creuse expres, separait de la Cite, se trouvaient Ics
jardins oil les magistrals, apres de fuliganls Iravanx, ve-
naicnt souvenl se reposcr. Le lerre-plein du ponl Nenl',
cette langue de terre oil s'eliive la statue d'Henri IV, elait
une lie habilee par des jiiifs et occupce par un moulin
()ui leur apparlcnait. AprCs leur e^pulrion du royaiinie
:ij .. /.v-s^
Lc rcUl-CI-.ile
par Philippe le Hardi, I'ile et le moiilin des jiiifs prirent
le nom de Bussy ou de lilot du Pasteur. [Is s'ahinierent
tons deux sous le terre-plein du pent Neuf quand
Henri III, is la saison des basses eaiix, ordonna de rom-
bler le bras du fleuve qui les sc'parait de lile du PaUiis,
afin de commencer la construction du pont. Ces travaux
furent interrompus pendant Ics giierresde la Ligue; on ne
put les achever que vers la fin du ri^gne d'Henri IV, dont
la statue fut erigee, qnelques annees .-ipres la mort de ce
prince, sur le milieu du pont. C'cst non loin de lii quese
trouvait la Samarilaine, dont nous avons parte.
AvanH que le ponl Neuf existM, la Cite communiquait
par le moyen de six ponts avec les autres quartiers de
Paris. Au nord se trouvaille pontNotre-Dame, construit
en bois d'abord, puis rebJlti en pierre il y a trois siecles.
Le pont aux Changeursou au Change, et le pont aux .Meu-
niers, venaient ensuite, si proches I'un de I'aulre, que,
sous le ve^ne de Louis \HI, ils furent consumes par le
mSme incendie. Le pont aux Meuniers ne fut pasrebiti,
il etait devenu inutile depuis la construction du font Neuf,
et il obstrua t d'ailleurs la naviyatiou a cause des ba-
teaux de moulin amaires a ses arches. Au sud se Irouvait
le punt aux Doubles, nom d'une petite monnaie donnee
a cette i'poque comme pcage. Cc pont, nomnie aujour-
d liui petil pont de IHotel-Dieu, a ete debarrasse, il y a
quelques annees, des constructions dependantes de I'ho-
pital, qui ne laissaient aux pietons qu'un passage fort
etroit. Maintenant les voitures y circulent.
2(0
PKTITS VOYAGES
Aii-'ie-sous rill fO'tl S linl-riii-rlcs ronslniit pour le
service [Wi-liciilicr de rHcMi'I-Dieii, le Pelil-Pont abou-
ti.«sait n la rne S;iinl-facqMe>: pniir nl'rr s'etvj:oiifrrcr sous
le porclie entr'niiverl ct liicleiix du pelil CliAlclct. Depuis
le Iroiziemesierlo il fill emporte tlouzc fois par les inon-
dations, el doiizi' foisilfiit rcconslriiit. C'esten l72()(|u'on
I'a rebSlirommcil csl aiijounl'lmi. Enfin, il y availlepont
Saint-Michel, aii:si iiommi^ de I'antique cliapelie silu6e
dans levoisinage.et oil Philippe Aii;j;nsle avail reculehap-
t6me. Cclle chiipclle s'olevail a lanjle de la rue de la
Barillerie, ('IfiitalialUif apiesic fam^>nx incendiede1776,
(juand on voulul dej^agor el emhollir les abonls du Pa-
lais.
Mais nous n'avons encore rien dil de la rive gnurhc, oi'i
nousallons fairo cependant, cii fails et souvenirs interes-
sants, une nioissoii non moins ahondanle que sur la rive
droite.
De ce cole reiiccinle de Paris commonrait il In haiilcur
de la rue des Kosscs-Saiiit Boinard et des Fosses-Saint-
Victor, qui, commy Icur nom I'indiqup, etaient voisines
dosremparls dela rnpilale. Sur le bord de la Seine, en
face I'holel Saint-Paul et la forteresse Barbette, on
voyait la Tournollc, qui defendait rentrcc dc la ville et
piGtegeait la navigation du lleuve. Sur lennplar-emerl de
la barriere qui s'y tronvait atiossce, Louis XIV avail
fait edilier un arc dc Irinniplie analogue a celui dela porte
Sainl-Denis, plus pelit seulenicni. Mais Ics arc, ides de ce
monument, etroites et basses, elaient incommodes et
qtielquefois mftme danp;ereuses pour les p'C'loiis ct Ics
gens en voiture; Louis XVI prit le parti de le I'aire de-
molir; neanmoins, I'usage s'est maintenu d'appeler porle
Saint-Bernard remplarement de ret edifice.
Un peu phis loin s? Ironvait la Tournclle des Bernar-
dins, ou lour Saiul-Beinard, dent I'oiigine elait plus an-
ciemie que celle du hord de I'eaii. C'ist la que commen-
cait le quaidela Toaraclle,au boutduquel.verslarue des
Grands-Degres, la pelite riviere dela Bievre .sejelait dans
la Seine. Les moiucsdeSai II t-Virtor, qui vonlaientaniener
cctte petite riviere dans riulerieur ie lour abbaye, avaient
acliele ce droit au couvent dc Sainle-fJeneviovo, dont elle
■baignait les tones. Eii conslruisantud certain nnnibro de
digues, ils deloiiv! erent la Bievre dc son lit; mais, par
malheur, cetle \r tile ri\ icrc est sujelle a cies ini nAilions
qui rendentson voi.sinaw f'llal ; o-n lui permit de revenir
a son ancien lit, ct elle alia lepi'cndrcson embouchure au-
des.sus de Piiris.
Ce rnisscau, pen ciirsiderable d'aillcuis, n'cst impor-
tant que parce qu'il met en mouveinent de nomhreuses
usincsqui conslil;!cnl Ics re.ssources du faubourg S^iinl-
Marcel. Parnii cis maiuifiiiniTS, la plus consideralile,
coinme la plus renommeo, car sa cel.'britc est enropeennp,
est celle ou s:" fabiiqiicnt cos niaeniriqnes tapisscriesdites
tapis des Gobelins, nom que prend la Bii'vre en cet en-
droit.
Apres les lieux que nous venous dc diirrire, on tron-
vait au bord de I'cau une grove oil Ton voyait, amonce-
lees sans ordip, sans legularile, des maisons que les gros-
ses eaux envabissaient a chaqiie instant, puisq'je rien nc
les prntegenit, jii.squ'a I'mdroit oil Ics fond,!, inns des
bltimenls de I'llol 'inicu ont re.«serre ce bras dc la Seine.
Eiisuile s'elevail le petit Chi'itelet, au.s.si aneien que le
grand. Ces deux monunien's, selon toiite probabilite,
Etaient deux cbilcaux furts b<\lis sur cbacune des deux
rives par les Romans ipriir pio'ifcr la file; en ne
pouvait penctrerdans i'ilequo paries deux ponlsdoni ces
forlercssesi'taicnt les gardes avanrccs. Pendant Ion. temps
le petit Chfitelel fut une prison oil Ton renfermait lesga-
leriens et oil logeail le prevol des man-hands ; on y payait
un droit avant d'iiitriiduire n'imporle quelle deiiree dans
Paris. Ce chateau elait moins vaste ct moins allieux h
voir que le grand Chililelet, mais il eliiit encore plus in-
commode; le seul chemin qu'il laissSt libre aux passants
(5l3it line arca.'le ^Iroite et obscure, et qui devint tout a
fiiit iuipralicablc pour les pielons quand Paris eiit vu les
voitures se miilliplicr; aiissi, b la lin du dernier siecle
I'avait-on abaltu.
.\ parlir du pelit Cliidelet s'etendail le quai de la Glo-
rietle, ronslniit par les galeriens renfermes dans cefort.
OiilebMit pour donner un support aux fondations des
batimcnis qu'on cleva plus tard enlre la Seine et la rue
de la Iluclielle. On a dctruit une partie des maisons, et
Ic quai s'est elargi en prenant le nom de Saint-Michel.
Nous arrivoas ensnit;' au quai des Angnslins, le plus
ancien de tons ceux (|ui .snient a Paris. Sous le r^gnedc
saint Louis, cequai n'ctait pas autre chose qu'une petite
place oil croissaient des sanies, et oil, pendant Tele, on
voyait les bourgi-ois se promencr. Dans les aulressaisons
cet endroit etait toujours faugeiix. Chaqiie hiver les mai-
sons du voi-sinage etaient envahies par les inondalions,
qui di'gra.laicnt leurs fondations et Ics mcnacaient tou-
jours de mine. Ce fut par ordre de Philippe le Bel que
flit conslruit le quai acliiellemeut exislant et qui c6tnyait
le couvent de-; Augustins pour aboutir a la porte Dau-
pliine.
En fare de la rue Giienegand se Ironvait le chiitpaii
Galllard, sur remplaccnient occupe aujourd'hui par la
desrente <t Tarihc de I'abreuvoii-. Cetle con.strurlion iso-
lecetait garnie d'ur.e liuirnnde dont les fondations plon-
geaient dans I'eau ; loojlemps on hesita Ji delriiire ce
monument inutile ; c'e.st a ce sujet que Tauleur de la
Chroniqiir bnrlcufjuf dit q^ielqne part :
J'-ijici-fnii l,\-biis sitr la rive
J.C bean [wMit Cli,"iloiiii-GiiiIlard.
ti ilnni .=(,-r5-'ii ('.ails e^ IioihImlt V
E^I-L-c JiiUt-i, ill' f olomfciev ?
Esl-r Jc i.liHiH! on dc lanlurnc 1
Do (jrini? (Il'I.ohI ..ii du SOUlioiit
Jl 1 foi, »i Jiicii ;c Ic ili^ccrnc,
Jc ci'iiis que 111 nc sets h ricn.
C'l'lait l!i, ne I'ouhlions pas, que Brioche montrait ses
marionnetles;cetteconstriicl ion fut abattuc .sous LouisXlV.
II est possible, en tout cas, qu'elle ait fait paitiede I'ancicn
hotel de villi', qui s'etendail depuis cet emplacement
jiisqii'a la porte de Nesle, et s'elevail par consequent a
I'endroit oil se Iroiivent maintenant I'hotel des Monnaies,
la bibliotheque Mazarine et rin.slitul.
Cost encore la qu'on remarqiiait celle lour avancee,
baignee par la Seine, en un mot, celle trop fameuse tour
de Nesle qui. si Ton en croit la rhroniquc, ful temoin des
crimes les plus effioyahles et des desordres les plushon-
teux ; repaire dans Icqiiel Marguerite de Bourgogne et
.leanne de Navarre faisaient vcnir, en Ics y atliraut perfi-
dement, les pa.s.sants, qu'elles faisaient, apres une nuit
d'orgie, precipiler dans la Seine. Ces deux feninies rccu-
S! U Li:s RIVIEKES DK FRANCE
rout enfin le clijlinicnl. de lours infamies; on !cs jo!a
dans nne bassu-fusse de la prison des Andelys, puis on
les enfcrma onsuiledans le bour_' voisin, au chAlcaii Gail-
lard, en Xormandic; Marguerite v fuL ctrang'.ee avcc ses
propres clieveux, et Jcinne de Navarre ne sorlit de pri-
son que pour entrcr dans un cluilre.
Les fosses du chateau de Nesleorcupaient le t'jrrain cii
a ete percce la rue de Seine ; puis, en parlant de la, on
rencoii trait de vasles pres qui s'elen laient depuis TabbMyo
Saint Germain jusqu'a res;ilanadedeslnvalides. Lespr^ii-
I'ies etaicnt coujiees en duux par un bras du tleuve pour
m
former le jrand ct le petit Pre-aux-Cleres. Ce dernier,
silue enire la rue do Seine ct celledes Saints-Peres, fi:t
rouverl, au seiziemj sii'de, de maisons, et le canal fut
cornble. Sur cet emplacement, Marguerite de Navarre,
feinmcilo Henri IV, s'l'tail fait balir nn grand el magnifi-
i]ue liolel, l.ixe ho:;tenx et insense que son m:iri lui re-
p:ocl'.a si souvcnl. Lcsjardins qui en dependaientsede-
ployaienl le long du quai Malaqnais ju^qu'au borU de la
Seine.
Dins la vuc de Paris, prise du pont Neuf, tel qu'H
existait en ICG!, et qn'on a eu scin de joindre a cet ar-
Vuc Jf Pjiii fvsc du ronl-Ne.if,
tiele, on pout voir reproduils la plujiart dcs lieux et des
monuments dor.t nous avons povle.
Le grand Pre aux-Clcrrs oluint une ronommi'-e plus
durable; b;^tuns-nous(!e dire que son histoireest suffisnp.i-
ment origeusc. A partir du onz!e;ne siecle, ce fut le ren-
dez-vous des etudianis de ruui\ersile de Paris. D'abord
on s'y rendit pour s"y peomener; le nonibre des pro-
meneurs s'aecrut , et dans celt;; loulc ardonte , les
querelles ne lardercDt pas a dcvenir quotidiennes. En
vain on essaya d'arreter dcs exces devenns intolerables;
les habilants du bourg Saint-Germain et les moines de
I'abbaye essayerent d'interdire au public Pacces do cettc
promenade; I'lTniversite leur intenta un proies. On en
appela au saint-pere, mais la justice papale n'allait pas
assezvite au gre des parties; on cut recours a Ij force,
on en vint aux mains : les ecoliers, avec leurs poings,
soutinrent I'arret du souverain ponlife et durent se
maintenir par ce mo en dans les droits qu'ils recla-
maient. Depuis cctte cpoque, cefameux pre fut eonslam-
ment le lemoin des emeutes populaires ou le theatre des
tuniulles universitaires; on s'y doina aussi des rendez-
vous salm'.s, on y vida des affaires dbonneur, on y fit des
orgies, et les prolcstanls y tinrent leurs asseuiblees
b;uyantcs.
Ce ne fut que sous Louis XIV que cet emplacement se
convrit de construclions; on abandonna la promenade;
puis on sentit le be-oin d'avoir de nonvellos communica-
tions, .ilorson construisH different;- ponts, le pout Royal,
le pent Louis XV et le pont des Arls; jusque-la il n'y
avail que le pout du Lou. re ou pent Rouge, situe a [leu
pres aumdmc endroit que le pont dcs Saints-Peres. Onse
rappelle le meurlredu raareelial d'Ancre, accompli sur ce
port; le capilaiue dcs garde.', Vitry, n'hesita pas a tuer
d'un coup de pistolet le favori qui refusait de lui rendre
son e|)t-e.
C'est au coin do la rue de lie.iune et du quai auquel il
a donnc son noni, que se trouve la maison de Voltaire ;
ellc est aujourd'liui meconnaissable i cause des repara-
tions quelle a subies el de Peievalion dusol.
La construction du quai d'Orsay remonte au commen-
cement du dix-liuilienie siecle ; .seulemeni elle fut plu-
sieurs tois commencec pour ^Ire prcsque aussitot aban-
248
PETITS VOYAGES SUR LES UIVlfeRES DE FRANCE.
ilonnce. C'est en attendant sa construction prochalne, que
de beaux hfilels s'etaient elcves ri.''giilierement sur la li-
gne que forment les bords de la Seine.
Or, en 1801, il n'y avail encore la qu'une borge
fangeuse, nommee la Grenouillfere, accidentee par les
tranchoos de quelques egouls a docouveii, qu'on ne
pouvait traverser quo sur des planches glissantes, qui
tremlilaieni au moindre mouvement du passant sur leurs
assises imparfaites; puis, ck et Id, s'elevaient de me-
ehantcs auberges, aux abordi perilleux, qui avaicnt ce-
pendant le privilege d'attirer les promeneurs les jours de
Kle.
Aujourd'hni Paiis po;sede lii un de ses quais les plus
magnifiques, remarquable autant par ses belles propor-
tions, que par la suite d'eleganis edifices qui s't'tendent
depuis la caserne d'Orsay jusqu'i I'esplanade des Inva-
lides ell'ficole Militn're.
A son enlr(^e dans la capilale, la Seine a confie a la gare
de Bercy une partie des arrivages nombreux que le
commerce lui envoie; a sa sortie de Paris, elle s'avunce
dans la gare de Crenelle, pour y prendre d'aulres far-
deaux dont elle va enrichir loutes les parlies du monde.
Cette gare, de construction loute reoente, fut cepcndant
briseepar lesglaconodansl'liiversi rude de 1829 ii 1S30;
elle a clc reconstruileaussil6l; un pool, appuye sur I'lle aux
Cygnes, fait conimuniqner la plaine de Crenelle a\ec les
vill.-iges de Passy et d'Auleuil, que Ton voit (ous les deux
se dresser sur une hauteur, cnlre Chaillot, le bois do Bou-
logne et la route de Versailles qui culoie la Seine.
Ces deux villages renferment une quantite immense de
maisons de campagne ; parmi elles, il en est qui rappellent
d'historiques souvenirs; en elTet, elles serviieut dhabi-
talionsaBuileau,HeIvelius,Francldin,Lafuntaine,Moliere,
Racine et d'Aguesscau.
La Seine arrose ensuite le village d'Is.sy, qui s'eleve, ii
peu de distance de la rive gauche, sur une colline ; on y
trouve de charmanles maisons de plaisance avec des jar-
dins reguliercment dessines, des eaux linipides et deli-
cieuses.
I. a niaison habilee maintenant par les el(;ves du semi-
naire Saint-Sulpice eut autrefois pour habilante la reine
Marguerite. Ses caves nous offrent encore les re.-les d'un
edifice que Ton a pris, h tort, pour les restes dun temple
d'lsis d'oii quelques savants ont tire rctym'.logie d'lssy.
Or, jamais on n'adora Isis dans les Gaules.
La Seine va servir ensuite de limite aux deux dep:)rte-
mentsde la Seine elde Seine-el-Oise. Elle semble quitter
Paris a regret; aussi la voiton ralenlirsa course et de-
crire ces contours multiplies qui font qu'elle parcourl
une longueur de trente lieues pour arriver a Poissy, qui
n'estpourtant qu'a six lieues de la capilale. Sur la carle,
elle resseniblo a un serpent nouant et denouant ses replis
tortueux, dont la tele serait de Poissy a Rolleboise et la
queue a Paris.
Arrivee au Das-Weudon, la Seine se divisc en deux
braset forme plusieurs iles couverles d'omhrages oil des.
cendent, pour y manger de Ires-bonnes matelotes, les
Parisiens qui naviguent I'ete sur le ficuve. Sur la rive
gauche s'eleve la fabrique d'oii sortcnt les bouteilles
dites de Sevres.
Sur ces eminences, qui se deroulent tnujoursa I'occi-
dent, apparait une suite de charmants paysages. Nous
avonsd'aliord Meudon, avec ses inmienses bois et son ihS-
teau bill pour le fameux cardinal de Lonaine, pjr Phili-
bert Delorme, et que Louis XIV echangea pour Choisy-
le-Roi. Du haul de cetle belle lerrasse, nous plongeous du
LES AVENTURES BIZARRES DE M. DE COGNE-FETU,
reaard siir Paris, sur le bois Je Boulogne et sur le fleuve
219
dont les sinuosiles, ornces sur leurs deux rives de pr^s
en flcur, de campagnes ferlilos, de villas, de chateaux
etde superbes jardins, rappellent a I'amateur de souve-
nirs classiqucs la ci'lebre valleede Tempe.
Toulefois, il ne faut pas quitter Jleudon sans avoir vu
rhumble eglise, dont Rabelais fut le cure ; nous verrons
ensuite Bellevue, sur la meme eminence; Bellevue eut
aussi son chateau, con.^lruit pour madame de Pompadour
et dont les restes ont survecu k la destruction. Redes-
cendons a Sevres pour visiter ses manufactures, ses por-
celaines, ses emaux, ses faiences, ses vitraux, et admi-
rons son pont si solide. C'est lii quen 1814, une poignee
de Francais baltirent lesPrussiensquiavaient pour eux le
nombre et I'avantage de la position.
Enfin nous voda en face d'un pare admirable qui s'e-
tend sur la rive gauche du fleuve et s'eleve on un amphi-
theatre verdoyant jusqu'au sommet descollincs que nous
avons parcourues: c'est le pare de Saint-Cloud avec sa
charmante cascade, sesgerbesjaillissantes et son gracieux
belvedere, nomme la lanterne de Diogcne. Ses eaux
vives, ses bassins etlcurs groupes, ses statues et ses bos-
quets, ses massifs, ses pentes et ses pelouses, tout y pre-
sente un delicieux coup d'ceil ; il est a reinarquer que la
symetrie de ce pare n'engendre pas , comme aiUeurs,
I'uniformite et lennui.
Le chateau de Saint-Cloud, toujours decore d'unenia-
niere sompliieuse, a successivement ser\i de maison de
campagne aux Gondi et de palais aux princes du
sang; c'est dans ses murs qu'Henri III fut assassine,
^ I'endroit mJme oil Ton avail decide le massacre de la
Saint Barthelemi. C'est paries fenotres de son orangerie,
alors disposee en salle des seances legislatives, que les
mcmbres du conseil saulerent pour la plupart afin
d'eviter les bai'onnetles et les grenadiers du general
Bonaparte.
Al'extremite de ce pare niagnifique, lepont de Saint-
Cloud, dont une arche a ete reconstruite en fcr, sert de
communication avec Paris, par le village et le bois de
Boulogne. C'est un spectacle curieux a voir pour 1'^-
tranger que les masses de cetle population parisienne qui
roule ses (lots sur ce chemin, au mois de seplembre, a
I'epoque de la foire celebre.
En lui-menie le bourgn'est pas sans inleret au point de
vue de I'histoire. Sous nos premiers rois, il s'appela d'a-
bord Xogent-sur-Seine, il renfermait un monastere qu'y
avait fonde Ciodoald, ce jeune et inforlune prince qui
se fit tonsurer et se laissa declarer incapable de rcgner,
pour evilerle poignarddesesonclesCliildebcrt etClotaire.
Apres sa mort, on rendit k Ciodoald les honneurs qu'on
rend ii un saint: desormais on I'appela saint Cloud, nom
qui resta celui du bourg dont le jeune prince devint le
patron.
A. L. Raveugie.
m wiwm \i\mm m ii. de cog\e-fetl
ClIAPITRE II.
De riiiflucnce de Pamotir palcrucl 6ur la pro»p^rl(^ dcs
Ijgurs d'omuibus.
JJe meme que Dieu se reposa
apres avoir cree le monde,
lorsque M. et madame de
Cogne-Fetu se virent a la
leted'un Ills, ilsse croiserent
les bras et ils attendirent.
Ce bambin au maillot resu-
mait leur orgueil, leur joie,
leur esperance. L'amour des
parents est quelque chose
de si puissant que dans eette
.^commune affection ils ou-
blierent souvent leurs dicor-
des intestines. Tous les re-
gards ctaieiit attaches sur la
frfile creature, et Ton de-
battait la foinie de ses bonnets ou de ses baveltes de
lair dont on eut discule les interSts d'un empire.
L'oncle Frejus avait trou\e une nourrice qui s'appelait
* Voir la page 181.
Martine. Elle fut trcs-bicn accueillie par la famille, —
et mieux encore par le nourrisson. I.a manian lui fit
niille recommandations intimes, et Ic papa lui fit entendre
un discours sur les devoirs de son (5tat et les obligations
qui lui etaienl imposecs.
Un moment avantla separation, l'oncle Frejus, se sou-
venant encore de la gousse d'ail et du viu d'Heuri IV',
voulut se distinguer par un acte analogue. Dans le but
230
d'eclaircir tie lionnc liciiio les idees tie son ncveu, i! lui
mil le nor sur sa labalii-i-e, et le mninlint dans cede po-
sition jusqu'k ce que l"on fill accouru aux t'tcrniiompnls
rciteres dii pauvre pctil.
Ce fiU en vain que le coupablo dissimula sa mons-
trueuse boite sous un pan de sa redingote, son irascible
beau-frfre le secoua par la cruvale et liil prcdit — qu'il
finirait mal.
Wartine demeurait. liors barriire. — On n'avait poinH,
voulu priver I'enfant de I'air pur de la banlieue. Mais
lous les matins, le pere, la canne au port d'armes, dovo-
rait la petite lieue qui leseparait de sa progtfnituce. — Le
soir, la famille au coinplet faisait le m6me pelerinage, et
revpnait ensuite au logis apr^s avoir enregistr^ les fails
et gnstes de noire heros.
Ce que voyant, — un voilurier, qui demeurait sur la
route, demanda I'autorisation d'y etablir une ligne d'om-
nibus. Les viiyagi^s des Cogne-Fetu devinrent alors plus
frequents. L'entrcprencur y gagna q\ielque argent, se
lanca dans les speculation?, fit d'exrellentes affaires et
p'us tard fut nom:ne mcmbre du conseil municipal de la
Seine.
Mais 16 n'est pas la question.
I\olre IM^ros parle trop lOt.
La vivacite de I'heritier presomptif des Cogne-Fctu
donna bienlot les plus belles esperances- Dt-s qu'il eut
la conscience des sons, il se livra a des bredouillages im-
petueax, capables de mettre un avocat .sur les epines.
Ses premieres dents liii vinrent avant I'J^e, et il s'en
sorvil pour mordre cruellement sa nourrice.
A peine sevre; il manqua s'i5trangler par la precipita-
tion qu'il mit a devorcr les choux du jardin.
II lanca d'indicibles soufflets a son frere de lait Blaise,
un gros garcon rond comma une boule et rouge comnie
un coq. De la naquit entre eux une elroite amitie.
Blaise et Clotaire mangeaient la mcme bouiUie et se
roulaient sur le meme gazon. Mais si leurs sentiments
etaient reciproques, Icurs caracleres nc s'accordaient nul-
lement. Pour un rien, pour une fadaise, pour une mou-
cbe envolee, Clotaire tombaitii coups de poing sur son
camarade, — stnpcfail.
II est vrai que des qu'il le voyait pleurer, ses pau-
pieres s'humeclaient d'elles-memes, — et bientot le^ deux
marmot.';, se frotUint les yeux, faisaienl chorus de la-
LE.S AVENTIRE.S BIZARRES
liiBtoire (In rltarioi de i'oiicic Frt^ju<t.
mentations, sans savoir au juste le motif de leur dou-
leur.
Pi^'ir nini, vers I'jsc dc Irojs
an-, jo liti iK-IiMeini une rarriole ot nil
rliL'v,,! do |j(,i,.
L'oMCLB Fniijus. Cliip. I.
Mais il faut absolument que je vous raconte I'histoire
du chariot de I'oncle Frejiis.
> II ne faul rien promeltre quo Ton ne veuille tenir »
a d it la sagessedes nations. Lemoins ricbe desoncles fai-
sait jnurnellement d'ameres meditationssiircettemaxime. '
Lui qui avait un comple oineit chez les fournisseurs de
son beau frere, el qui ne fermail jamais ledit comple,
pnuvait-il serieusement se livrcr Si I'achat d'une car-
riole et d'un cheval de bois? Un homme d'iige pent s'en-
detter cbez un tailleur, chez un marchand de tabac ; —
mais chez un fabricant dejoujoux, quelle apparence !
Aussi avait-il cliercho d'ahord a etouffer le souvenir
de sa promesse. far malheur, son malicieux ennemi ,
M. de Cogne-Fetu ne I'avait pas soulTert, et cbaque fois
qu'ils passaieut ensemble devant un etalage il ne man-
quait jamais de lui crier d'une voir pcrcante :
. — Ell bien I Frejus, et ce cheval de bois? et cette car-
riole'?...
Le plus sourd des oncles entamait aussildt une disser-
lalion snr lagriculture coniparee.
Mais si son terrible adversaire le poussait ^ bout :
— Soil, disait-il, je ne d mande pas mieux que de faire
les frais de ce vehicule enfanlin. Pourtant, nion reveu
connait-il bien encore la valeur deschoses, et nioi m6me
devais-je lui faire ce present avant quatre ans revolus?
— Quatre ans? vous avez dit trois.
— Point du lout.
— Vous avez memc dit deux. J'en suis sur, ne repli-
quez pas. Mais vous n'avez rien dans ISuie! Vous riez
des devoirs les plus sacres. Vous verricz votre fdleul, au
fort de I'hiver, courant par les chemins, — nu, pieds nus !
que vous ne quitteriez pas pour lui voire enveloppe mar-
ron. Que dis-je ? vous lui oteriez le pain de la bouche !...
Allez, Frejus, vousetcs un niechant hommc. Tenez,vous
me failcs horreur !...
Et le plus conspne des oncles n'osait repliquer h ces
viulentes philippiques.
Enfin, il s'arma de resolution.
II sorlil un matin ( t peneira dans diverses boutiques,
afin de se fixer sur le prix des equipages de carton. 11 les
examinait longucmenl, sous tuules les faces, s'en faisait
expliquer le mecanisme ; el, lorsque le marchand, apres
avoir cole rarticle, attendait obsecpiieusementsa rejionse,
— il ouvrail sa labaticre, bumail une large prise et sor-
tait silencieusement.
On conrail apres lui, — il prcssait le pas.
Un commis t'appela melon. II ne se delourna pas, il
aimait ce legume.
Pendant une semaine, il poursuivit ses peregrinations i
travers les magasins de jouels d'enliants,
A la fin, sans en rien dire a personne, on 1« vit s'en-
firmer dans son appartement. Qnand il en sortit, son re-
gard etait gros de my.steres, ses paroles Irahissaient une
preoccupation evidenle.
Ce manege dura trois jours, — pendant lesqnels lepluS
discret des oncles ne cessa de se barricader chez lui.
On I'epia.
[IE M. DE C
I.e premier joiir, on cnlendil le bruit d'unescie.
Le second jour, on distingua le son d'un marleau.
Le Iroisieme jour, on senlit rodeiir de la peinture.
.M:iis il ful impossible de ricn voir, — les Irons de
Idules les serriires ayant etc liermetiipiement boufhes.
Eiifin le soir du qualriemo jour, le plus triomphant
il<>s oneles olTriten grandc pompo, a son filleiil Mauloire,
— un cliariol, — iin veritable chariot, aver roues, bran-
rard el lout ce qui s'ensnil.
In cliariol qu'il aviiit fabriquc — lui-meme.
Un beau cliariol, vraimeni!
Le jeune (loyne-Felu ne put s"enip''cher de faire ecla-
ter sa joic, et cassa plusienrs assicttcs a celle occasion.
Puis, il s'cmpara de Toulou, le chat de la rnaison, et
I'allela de vive force au petit carros<e. Enfin, et poor
couronner I'ljcuvre , voulaut se faire traii.er par ledit
Toulon, il s'assit lourdenienlsur la machine, — qui s'a-
plalit el se brisa en mille niorreaux.
Toulou s'enfuit a loutespallos; Clotaire versa una cru-
clie (.'c larmes, — et le plus indu^lricux dcs oncles, doiit
les idees elaient complclement boulcversees, fonrra dans
sa bouche la prise de laljac qn'il ilestinail ii son ner.
Le lendeniain, il ne craiynil pas de dire a M. de Cogne-
Fetu lui-meme :
— Eh bien ! vous a\e7. absolunient voulu que je donne
line carriole a Magloire, et vnns nvcz vu ce que Clotaire
en a fait. Jc ne lo lui reproclie pas, — rertes, non, —
inais je ne lui en arhelerai d'aiilre maintenant que lorsque
je le verrai raisonnable et. capable de Tapprecier.
— Vive Dieu 1 et a i|uel iV^e, s'il vous plail ?
— Nous verrons, beau frere.
— A sa majorile"?
— Peul-Stre.
La-dessiis. 'e plus economc des oncles sorlitea pous-
sant un profond soupir d'invenleur meconnu.
Telle est I'hisloire du chariot de rondo Frejus.
Uu romaii vaccine.
Je no m'elendrai p.is davanlage sur les premiers ans
do mon bcrcs, — non phis que sur les trails piquanls qui
reveleronl .sa brilianle ct precoce intelligence. Quelqne
inleret que presentent les e.vploils d'un bambin qui a cu
plusicurs maillots lues sons lui, et si ingenieuses que
soicnt les inductions qu'on puisse tirer de son beroYsme a
monlrer la langne aux I'lrmigcrs, — im m'excusera de ne
point m'appesiHilir sur ccl!eph;;s? premiere de I'exislencs
encombree du jeune Cogiie-Feln.
D'autres eveuemenls plus imporlanls alt'ndcnt noire
plume, evenerncnlsxlunt la bizarrerie n'anra d'egale que
laulhonlicite. II sevait done parfailement ridicule do
larder plus loiiglemps a vaccincr ce ronian aRn de le faire
entier dans la ralei;oric des in-oc!avo en iigc dc rai.«on.
En consequence, et par loulis ce.< caufe.=, — suppliant
neanmoins le lei'ti'ur de vouloir bien' un pru fermer les
ycux siir la bardic^se de ce (las de gfoiit, —
Je donne, .sans Iransilion, sepl ans a mon lieros.
^ouve;lHX |!erso:inase§.
A celle I'po jue, la famillr Cogne-Fetu se reunil en as-
•scmblee .solennello, dans le bul de debaltre la question
OGN'E-FETU. 251
d'avenir de son unique hcrilier. — Crmmo on I'a d^ja
vu, madame en voulait faire un avocat; monsieur pen-
chait pour la banque; el I'oncle Frejus preferait le voir
rcsler — celibataire.
C'est CO qui (it qu'on derida de le meltre ;^ I'ecole.
Nalurellement ce fnt I'oncle Frejus qu'on chargea de
Irouver une inslilulion convenable. II se souvint par ba-
sard d'un de ses anciens amis, nomnie Traqiienard, le-
quelremplissait depuislronle anneesrolVice de surveillant
dans la pension lienoit, II alia lui rendre visile, et apres
une hcure d'entretien Taffaire ful lerminee.
Voici les diverses recommandalions que I'oncle Frejus
crut de son devoir d'adresser au professeur :
Iiiculquer ii son filkul des principes verlucux, — et
lui donner un accent comme il fant-,
Ne pas lui laiss^ r faire de mauvaises connaissances, —
et lui apprendre les fables de Ginguene ;
Veiller a ce qu'il melle rortlio;;raphe — et son bonnet
sur les yenx en se couchant ;
Enfin, le rendre ;i la fcis Ires savant et Iresbeureux.
Siir quoi, le jeune Clotaire de Cogne-Fclu fut inscrit en
qualile de pensionnairc, et place sous la surveillance im-
mediate du bonhomnieTiuquenard, — avecia permission
de lout apprendre et mtniede loutsavoir.
Chers leoleurs, — car la reconnaissance m'unil pro-
fondement a eeux qui nie font I'lionneur de me lire, — je
puis vous parler savammenl de celle rnaison d'cducalion
oil moi-memej'ai passe ce qu'on est convenu d'appcler
les plus belles umires ue nia vie. J'ai connu ce Co^ne-
Fetu, je lui ai pnile, — je I'ai vu comme je vous vols.
Et si CO conle arrive tot ou tard sous les yeux de mon
ancien maitre, qu'il me pardonne mon indiscrelion a.
I'endroit d'un de ses eleves et qu'il agree le .souvenir que
je lui consacre ici comme le Icmoignage de ma reconnais- ^
sance sine e:e.
Pa.ssons.
Pes son installation dans la pension Benoil, Clotaire
reniarqua a quelque distance de son banc un enfant du
nienie a..;e que lui, relleclii et studieux, et dont la figure
lui plulparliculieremenl. Onl'apiielait Sanche II I'aborda
pendant la recreation el le trouva fort dispose a accueil-
r.2 LES AVEML'nES BIZARUES
lir SOS avanCL's. lis ne sc diieiU point : • Soyniis amis, >
inais ilsse prirerit p;ir lu bras el dovinreiit iiisfparablcs
Sanclie etait un trfes-bon enfant, d'une famille aisee et
respeclable. II etait, non pas I'oppose de son nouvel ami,
mais son edition revue et corrigee. II savait conime lui
de temps en temps jcter son cliapeau par-dessus Ics mou-
lins et faire au besoin du bruit comme quatre; — mais
il reflei-liissait qiielquefois, et avaiit de saiiter le; fosses
il nViait pas rare de le voir s'cnqu^rir de leur largour
afin de no point se rompre le cou.
Deja sa prudence et sa laison commencaicnt a exeroer
une influence saliilaire sur Cogne-Fetu, — lorsqu'un nou-
veau venu peni'tra dans leur classe et atlira bienl6l tous
Ifs regards.
C'clailTitube.
Titube, — vousn'enconnaissezpasd'autre, — etait le plus
intrcpiJe loiislic du pensionnat, la personnification du ta-
page, de I'espieglerie et de la faini!antise; — la niche in-
carnee, le complol en chair et en os. II jonglait h trois et
fabriquait des cocottes les yeiix fermes. II etait le |rlus
fort k tous les jeux et lo raisonneur le plus impertiirha-
ble qui se pit voir de neuvieme en scconde, depuis I'Zi-
pilome jusqu' aux harangues de Cicejon. Aussi ne I'a-
bordait on qu'avecces paroles sacrameutellcs : . Titube!
fais-nous rire. •
La diversile de ses talents frappa d'admiration no!re
heros, qui se prit d'abord a lourner autour de lui avec
une avide euriosite. Titube s'en apercut, et se proposa
d'en faire son second, son acolyte, son claqueur en chef.
Mais Cogne-Ketu ne tarda pas a lui montrer qu'il etait
digne de figurer au premier plan, et il le depassa meme
dans plusieurs circonstances. Mors Titube lui olTiit son
amitie, — et le ciiur de Clotaire se trouva des lors par-
Iag6 entre Sanche et Titube, c"est-a-dire, entre I'etude
et la dissipation.
Profoud symbole !
Per plexites dc Traqiipiiarfl. — le jcuiie Cosiie-FOlii recoil
diicrses roiileos.
Le caractere du jeune ecolier ne laissait pas que de
surprendre un peu ses maitres. Des qu'une nouvolle etude
lui etait propos^e, il I'enibrjssait immediatenicnt avec
tant d'ardeur, qu'il faisaitd'incroyablcs progres, et lais-
sait bieu loin derriere lui la totalile de ses condisciplcs. —
Mais, au bout de quelques semaines, cette ferveur toni-
bait d'elle-mfime, et I'ouvrage 6tait abandonniS pour un
caprice imprevu ou quelque travail nouveau. En se con-
duisant de la sorte, il etait clair qu'il ne pouvait acquerir
de solides connaissances, — et e'est ce que Traquenard,
excellent homme du reste, lui representait oordialement.
Clotaire s'armait alors d'une ferme resolution, — qui
pouvait durer de vingt-quatre <i quarante huit heures.
Alais Titube faisait si bien les grimaces! — II avail dans
la tt'te des idees si bouffonnes, des tours si curieux! —
Abandonnant Sanche, qui travaillait comnieun brave es-
prit qui salt la valeur du temps, Clotaire se ropprochait
peu a peu de son espiegle confrere, et concerlait avec lui
de perpetuelles machinations deslinees li jeter la venet'e
au coeur du surveillant irifortune.
Celtc spontaneite qu'il appliquait aux choses les plus
ordinaires de la vie' lui avail neanmoins suscite quel-
ques desagrements. Pour un mot, pour un sobriquet, le
bouillant pensionnaire administrait des claques a tort el a
travers, sans distinction de force ni egalite de taille.
.4ussi rentrait-il le plus souvent en classe avec un bleu
sur I'oeil ou une bosse au front.
El lorsque ses excellenls parents, — qui ne s'etaient
point separes de lui sans un grand dechirement de coBur,
— venaienl lui rendre visile sur ces entrefaites, il en
etait quilte pour incliner sa casquelte sur la bosse ou pour
blanchir son bleu avec de la craie, — tons moyens indi-
ques par Titube pour I'assurance centre les coups de
poing et les risques el perils des dommages physiques.
On s'elonnera peut-etre que Sanche n'adress&l pas
quelques remontrances ii son ami. — Je dirai d'abord
que dans les republiques enfanlincs on souffre rarcment
la censure d'un camaradi'; ensuite Sanche, pour ctre stu-
dieux, n'en sacrifiait pas moins k la faiblesse humaine,
el les extravagances de Clotaire, bien qu'd y trempiit
raremenl el loujnurs presque malgre lui, le faisaient sou-
vcnl rire aux larmes.
Ce fut ainsi que ces messieurs imaginerenl tour a tour :
Un projct de frilure dans leurs pupitres;
Un concert au moyen d'une ligne de fd d'archal, —
avec embranchemenls ;
Une illumination fanlastique du dorloir, par le plios-
phore ;
Un vol de hannelons en pleine classe ;
Une fiole de puces dans le lit de Traquenard;
L'equilibre de la chaise de Traquenard sur quatre pois
fulminants ;
L'assujritissementde la meme chaise au scant de Tra-
quenard par une decoction de glu ;
Le rembourrage de la meme chaise en epingles d .4-
lencon ;
Lesciago — et I't'croulement dela susdile chaise;
Et finalemcnt une corde tenduo, dans un bulgY™"''^"
lique, sur le passage du malheureux Traquenard.
Cel iuje est sans pitiv ! a dil La Fontaine ; et nous ver-
rons plus lard Cogne Felu porter la peine de ses premieres
dissipations, qui, malgre leur frivolite apparente, n'en
doivenl pas moins exercer une grande inllueiice sur sa
vie future.
Ici se place nalurellement une des premieres aventures
de noire heros, — avenlure bizarre, s'il en ful jamais, — et
qui mil en rumeur ses camarades et sa famille.
II faut dire que le chef del'instilulion possedait a quel-
ques lieues de Paris une Ires-boUe propriete, ou il se
plaisail de temps a autre k conduire ses eleves pendant
la belle saison.
DE M. DE COGNE-FETU,
PrciiiKTc avciiiurc bizarre de Cogiic-F^di.
255
Or, dcpuis quelques jours, le jeune Cogne-Fetu se
montruil \ isiblenieiit ocf upe d'une icli'e secriHe qui le la-
lonnait en tous lieux. Sanche et Titube avaient eu vain
essayi' d'ubtcnir de lui dos eclairi'issemfnls a cct cgani.
II clait sombre, iuqniel,soupconneux, — el enipruntait de
I'argonla droitc et a gauche.
Cogne-Kelu Ihesaurisait.
LejoUr de sorlie oil Ton devaitserendrea la canipagne
elant arrive, il ne crut pas devoir neanmoins hesiter plus
lon;;temps.
II pritTitubea part :
— Aj-tu \\i Ruhinson Ci'Hsof? lui demanda-t-il.
— Oui.
— Eh bipn! j'ai eu uiie idee.
— Laquelle?
— C'elait un fameux homme, celui-la. II se bSlissait
des maisons, ilcoupait son blc, il elevaitdes perroqucts,
il allait a la chasse,...
— Apres?
— Apri's?... Comment lu ne devines pas?
— Quoi?
— Je fais comme Robinson.
— Tiens! tiens! tiens! dit Titube en le regardantd'un
air etonne.
— Demain, a la canipagne, je m'esquive et je me con-
struis une cabane. .I'ai beaucoup d'argent :'lrente sous.
J'acheterai en passant des provisions pouf les premiers
jours...
— De la galetle?
— .le verrai. Cela ne (e regarde pas. II faut que jo sois
soul. Robinson elaiiseul.
— Et Vendredi?
— Venilredi e'tait un negre.
— Cela ne fait rien.
— Tu crois?
— C'est moi qui suis Vendredi. C'est convcnu.
— Soil. II faut mainlenant decouvrir unc ile deserle.
— Nous en trouverons.
— Et des perroquets?
— J'emporlerai celui de la portiere, fit Titube. JIais
voilb le mriitre. N'ayons pas I'air.
— A demain !
— A d'eniain I
Et la recreation finissant, les deux interlocutcurs re-
gagnerent leurs places respectives.
Lc lendemain fntvraimentun beau jour; sousun chaud
.■^oleil do printemps, I'ecole se mit en marclie en poussant
des oris joyeux. Titube et Cogne-Fetu echangercnt des
signesd'iutelligence, — et lorsqu'il leur deviiil possible de
se rappiocher, celui-ci remarqua que le chapeau deson
complice s'agilait sur sa tete d'une singuliere facon, el
(ju'il semblait en sortir parfois d'etranges croasseinents.
— Que porlcs-tu la? lui demanda-t-il.
— Le perroquetde la luge. II est pbe dans mon niou-
choir, au fond de ma coiffc.
— .Mais il etoulTe.
— Non, puisqu'il crie.
lis co;itinuerent a marcher. Au bout de quelque temps,
Titube examina a son tour Cogne-Fetu de la tfite aux
pieds.
— Qu'as-tu sous ton habit?
— Du pain d'^pice.
— Je ne I'ainie pas, dit Titube en faisant la moue.
— N'aie pas peur, je le mangerai.
— Et moi, de quoi vivrai-je?
— Tu iras a la chasse.
— .\vec quoi ?
— Avec un arc et des Qeches.
— Hum !
— Motus. On nousespionne.
Les eleves arriverent^ la propriete. La jouineesepassa
en f^tes et en divertissements de loules sortes : barres,
paume, cheval fondu. Ce ne furent jusqu'au coucher du
soleil que folles courses, eclats de rire et gambades.
A la tombce de la nuit, le direcleur rassenibla tout le
monde pourle retour. Mais deux noms manquaicnt a I'ap-
pel : — Titube et Cogne-Fetu. — On les chercba dans
toutes les directions, on baltit les allees, on les appela.
Pcrsonne. Sanche etait desole decette nouvellu escapade.
Qiielques-uns se souvinrent de les aioir vus disparaiire
s'jbitement au milieu de la journie ; depuis on ne savait
ce qu'ils etaient devenus. — L'heure savancait, on fut
oblige de partir ; raais le jardinier recut des ordres expli-
ciles touchant les deux fugitifs.
Vers deux heures, en efTet , Titube et Cogne Fetu,
voyant regner autour d'eux I'animation la plus complete,
crurent I'instant favorable et decamperent. lis coururent
une grande heure sans regarder derriere eux, — et s'arre-
teient fort essouffles. Pour se remettre le moral, Clotaire
tira de sa poche un volume de Robinson, el en parcou-
rut quel(|ues page.;. II scntit renaitre son ardeur, et es-
saya de ranimer celle de Titube, qui semblait ne poursui-
vre la route qu'ii regret.
— Vols, lui disait-il, quel plaisir est le notre i le che-
min tourne aprt-s ce grand cb(5ne; oii.va-t-il nous con-
duire? Que verruns-nous apres I'avoir depasse? Et cet
arbre... Ob ! regarde cet arbre ! Et ce mur... Oh! le beau
murl C'est ainsi qu'on fait desdccouvertes en voyageant.
— Tant pis, dit Titube, fatigue, en se laissant tomber
sur un tas de picrres. Je n'irai pas plus loin.
— Parbleul puisque nous sommes arrives, dit Ccne-
Fetu en regardant a travers une haie.
— Comment?
— Porte les yeux autour de toi. Que vois-tu?
LES AVEMTIHKS BIZAURES DE M. DE COG.NEFETU.
— Un fosse plein d'eau.
— Ell liien ! c'est line ile.
-^ Des broussaillcs, dcs arbiisles... voila lout.
— Uiie ile (Jcserte. (Jue te disiiis jeV Eiiti'ons.
Uiie bieche facilila le passage do nos aveuluriers. Us
visitferciit aussilot leur possession. C'etait mie piece de
lorre mal close et depiiis longlemps ne,^ligee par son pro-
prielaire. — Ellc leiii- parut tout a fait conveiiable a
leurs desseins.
— Mainlenant, dit f.o.i^ne-Eelu a son compa-non, lu
es chez moi ; tu t'appelles Vendredi, et je suis Ion mai-
tro. — Vendredi !
— Que me veux-lu?
— D'abord Vendredi nc tutoie pas Robinson; ensuite
il liii paile ni'gre. — Vendredi?
— Mailre?
— II s'ogit de batir notre niaison.
II est Irop tard. H vaat mieux niangor quelqne
chose. Nous bitircns demain.
— Soit. Veux-ta dn pain d'epice?
— Nod.. Robinsoa ni'eD avail pas.
— Je le sais bien, dit Clolaire; mais il en aurait mange
s'il en avait eu. D'aiUeurs, je n'ai pas autre chose.
— II faudra done que je ineure de faiiu ?
— Une idi'B !... miin..;e te perroquet.
— Le peiTOquet de la portit>rr f
— Qu'est-C3 que ceta fail"? L'ile est a moi, done le
pccroqiiet m'appartii'nt. Mange le penoquel.
— .le' n'aiiiie pas le perroquet cm.
— .Mors fai»-le caLre.
— Avec quoi ?
— Imbecile! avec du feu.
— Ou est le feu ?
— Puisque tu fais Vendredi , tu devrais le savoir.
I'rends deu,\ morceaux de bois.
— Les voila.
— Frotte.
— Ell bii'n! quoi? dit Titube en I'roltaut.
— Frotte toujours — et lougtemps. Us finiront par s'en-
tlammer.
— Ah ! ma foi ; j'y renonce, dit Vendredi, apies s'(5tre
livrc pendant un quart d'heure a cct e.xeicice. — A la
guerre conime a la guerre! Donne-moi du pain d'epice.
— II n'y en a plus, dit Robinson, la boucUe pleii.e.
— Comment! tu as tout mange '!
— Tu n'en as pas voulu.
— Sans boireV
— Le fait est que la soif me de\ore.
II s'avanca vers le fosse pour se desallerer. Mais quel-
ques grenouiUes elfrayees par son approclie, du gazoitoii
ellesetaient recueillios s'clancerent la tile premiere dans
I'eau xerte, qui se referma sitr elles en boudlonnant. Ce
tableau champetre le fit reculer de deux ou trois pas, —
et il ne put se resoudre ii elancher sa soif dans nn li(|i;ide
aussi habite.
Le soleil tombait sous I'liorizon. Le vi ut fraicliissait, el
le ciel assombri commencait a se piipier d'uii million
d'elincelles. — Le gosier en feu etl'espnt decourage.Co-
gne-Fetu ecoutait dun air contril les jeivniiades dc Ti-
tube, qui criait famine et ne pouvait envi.-ager .sans effioi
I'idee de passer la nuit sur un arbre. Dans le cceur de.''
deux coupahles se glissait dejii le rrpentir. Et Clotairc .
saisi.ssant tout ii coup le \ olume tie Robinson Crusoe, le lan-
fa avec colere dans le fosse, (4 ildis[iarntenuiiclind'oeil.
En ce moment, un bruit de pas et do voix se fit en-
leiidre derrieie la haie.
— Alerle! alerle! s'eciia Tilub;', cesoni lescannibalesl
— Defendons nous! dit Cognc-Velu.
Mais avant qii'ils eussent le temps de .'•e leconnaitie,
ils se sentirentvigoureu.'sementempoignes par (|uatie bras
robusles, orncs du paremeiitsjaunes.
Us rSvaient de cara'ibes, — c'etaieat des gendai m. s
qu'ils avaient .sous les yeux.
0 civilisation! voila de les coups!
Malgre leurs larmes el leurs supplicalions, force leur
fut de suivre les represenlanls de la loi. Heureusement
qu'4 moitie chemin ils renconticront Pierre le jardinier,
qui, se portant caution poureir , obtintle^.rdeliMance el
les ramenaau chJieau. Titube etCogiie-Felu nese le Brent
pas dire deux fois et revinrenta grands pa.'^,run pour man-
ger, I'autre pour boire, — et tous lej deux pour dorniir.
Le lendemain, ils furent leconduils a la pi'nsion, ou
leurs camarades les roiisidererent avec un profond eba-
hissement. Clolaire sentit son creur se sorrcr au regard de
reproche que lui adressa Saiiche. — Le directeur les lit
appeler, et sans autre forme de pro es les cundaniua
a huit jours de cacliot.
Chaque cacliot etait une petile cbambre niie, dont la
fenetie, soigneusement grillee, donnaitii une grande hau-
teur sur la coiir des recreations. S.mf quelques gamins
ignoi'ants du ."-espect que Lon doit ii riiifoitune, la pUi-
partde leurscondisciplesplai.:;nirent leur. sort mallieiireux
oladmirerentla resignation heroiiiUL'ipie uuntraient da: s
les fers ces deux illuslrcs voyagenrs.
CllAllLEr .MO.NSELET.
LANE.
253
HISTOIRE NATURELLE.
I.'ASrE.
On a loiiglcmps discule la qiieslioii de savoir si l'4ne est
de la meme famiUe (|uo le clieval.
Buironliii-mi'nie, aprcsl'avoirassczlongiiement agitee,
est conduit a conclure que I'ane est uiie espece bien dis-
liiitte el lion un clieval de^enere. En elTet il differe essen-
tiellement de cet animal par la taiUe qui est plus petite, la
tetoqiiiesl plus grosse, les ore i lies qui sont plus longues;
d'ailleuis il est plus patient, moins Tier, moins ardeni,
nioins impetueux, mais aussi plus obstine.
II cxis'e encore enlre ces deux esperes d'animaux des
diiriTences plus tranchees. Le clieval hennit etl'Ane brait;
tout leiuonde connait cecri aigre, discordant, passant du
grave il I'aigu sans la moindre transition, it qui pour nos
Orcilles est excessiveinent desagreable. L'ine cependant
paraits'ycomplaire, ct lorsque levant .e museau et rabat-
laiit en aniere ses longues oreilles, il rrpete ce cri, il
SL'iiible le faire avec complaisance et s'i5couter.
Ain-i que lebueuf, I'ine neboitque I'eau la plusclaire;
on a pnHendu qu'il n'enfoncait pas son ncz dans I'eau,
paice qu'il avait peur de ses oreilles; c'esl encore 1^ un
conte fait a plaisir et adopte avec empressenient comme
lout ce qui est absurde ; le fait est qu'il craindrait en
enl'oncant son museau de troubler I'eau de la fontaine
oil du ruisseau oil il se desSltere. Sa sobriete est
aussi proverbiale que son obstination, il se contenle de
la nouirilure la plus grossiere et mange avec phiisir des
cliarduiis; ce que le chcval se garde bieu de faire, car U
clioisit nii5me I'hcrbe la plus tendre et la plus delicate des
palurages.
Lesines ont ele calomnies, et c'est a tort qu'on Icsre-
prc'sente conime des animaux slupides; ils son! au con-
traire douesd'une intelligence assez developpeeetsuscep-
tiblesd'altachcmentpour le maitre qui les trade avec dou-
ceur. Ce qui, par nialhcur, arrive rarement pour e x
comme pour le clieval.
Lorsqu'on volt un ane se rouler surle gazon ou la fou-
gere, meme quand il est charge dequelqucs olijels, on est
dispose il altnbuercetaclea la stupiditiSde son caraclere,
tandis qu'il ne le fait en realite que parce qu'on r;cg'ige
de I'elriller et de le mener a 1 abrcuvoir comme Ics clie-
vaux. II supplee done comme il le pent au manque de st ins
de son maitre.
C'est lesouffredouleurde la ferine et du nionliii, oil il
rend crpendantles plusulilos services. Plusieuis fois nolic
grand I'abuliste a laisse percer dans ses ingenienx apo-
logues ce qu'il pensait du caractore de I'ane, et il a par-
faitement dislingue la dilfcrence qui existe enlre I'ineplie
et la bonte jointe ii trop de candeur. Qui ne s'cst intvressi-
au pauvre line des Jn/Mi.(i;,rma/«(Zps deUi pcsic, lorsque:
I'll loup, qnjliiiie pen cleir, pniiira jijr »a lnr.ini;iii;
Qu'il fallail dcVdUtir cc nuudit animal,
Ce pele, cc falciK, cause de IimiI le m.tl.
Tou'tes proportions de taille garddcs, I'ane possede au-
tant de force musculaire que le cheval; il a I'oeil boii, I'ndo-
asfl
L'ANE.
rat excellent et I'ouYe d'une extreme delicatosse, ce que la
conformation de ses oreillcsexplique parfaitement. Unede
scs qualiles les plus remar(|uables, c'est d'avoir le pied
tres-sur, de ne pas broncher et do passer fans hesiter dans
deschemins bordesde precipices oil un cheval ne se hasar-
derail pas. Cetle faculte existe aussi chcz le mulct,
produit de line et de la jumcnt, qui possede d'excel-
lentes qualiles pour le transport des fardcaux , lequel
toutefois ne peut se reproduire : preuve que le cheval et
I'Ane sont deuxespeces bien distinctes.
Les cines originaires de I'Arabie sont d'une taille
beaucoup plus grande que dans nos climats; lis ont plus
de liertc, marclient la tJte haute et ne sunt pas sans grace
dans leurs allures. Cela pro\ient sans doute de ce que les
pays chauds leursont favorables et de ce que les Arabes,
les ligyptiens ct d'autres peuples pasteurs les traitcnt
avec douceur, les soignt'nt bien et ne les excedent pas
comme le font beaucoup de paysans en Europe.
Le voyageur Chardin dit : ■ II y a deux series d'ines
• en Perse : lesancs du pays, qui soul lenls et pcsanls, et
. dont on ne se sert que pour porter des fardcaux ; el une
" race d anes d'.4rabie, qui sonl de fort jolics betes et les
« premiers Jines du monde : ils ont le poll poli, la t^te
c. haule, les pieds legers; ils les levent avec action, niar-
< chant bien, et Ton ne s'en sert que pour monlure. Les
« selles qu'on leur met sont comme des bals ronds et
" plals par-dessus; elles sont de drap ou de tapisserie
« avec les harnais ou lesetriers ; on s'assied dessus, plus
« vers la croupe que vers le cou. •
Nous avons vu des peintres qui, voulant representer
I'entree du Christ a Jerusalem, le peignaient monte sur
un iiiie.chetif animal, la tete et I'oreille basse. C'eUit un
veritable anachronisme de lieu; carl'ane de .ludce est un
animal qui ne manque ni de lieite ni de distinction.
C'csl en comni^moralion de cette cntriie soleunells ct
de la fuile en fegyple, que nos bons aieux instituereiit la
I'ete de I'Ane, qui se celebrait avec une naivete digne de
la fete des Fous, dont elle faisait partic, assemblage gro-
tesque di: chosps sacrces et boulTunnes.
L'i:ie qui avail porte le Christ, disail la tradition, a\ant
fui la Judce, passa la mer comme sur un pout, a pied sec,
vint prendre terre a Aquilfe, ct mourut a Verone, oil la
Kle de I'Ane fut etablie. — Dans quelques villes on con-
duisait h. I'eglise un ano revStu d'une chape et d'un sur-
plis; dans d'autres, comme Beauvais et Autun, une jeune
fdie belle etbienapparentee, vetue des plus beaux a tours,
elait montee sur un ane richement caparaconne; elle
lenait un joli enfant enlre ses bras, el le cortege, compose
de prelals, prelres et habilants, musique en tele et
bannieres deployees, parlant de la cathedrale, se rendait
a I'e^hse designee. L'ane alors elait place du cole de I'e-
vangile a I'aulel; on disait la inesse, et a certains endroils
couunele Gloria, le Credo, etc., le priilre s'ecriait: hi liaiiJ
hi han! Puis, lepeuple rcpelailen chcEur le miime cri. —
La pro^e Je celle niesse fut composee par Pierre de Cor-
beil, archevcque de Sens. Chaque strophe finissait ainsi :
Hocz sire ajne, car clutilez
Belle bouclie rcclii;;iiez;
Ou aiiia du foiii ai,e£
£1 do I'avoine a planle (en abondiiice}.
Ces fetes furcnt en vogue aux treizieme, qualorzieme
et quinzieme siecles; elles elaienl suivics de folics inde-
cenles, qui les firent condamner par les Peres el les con-
ciles. La dcrniereenl lieu a la naissance de Louis XIV.
II cxisle en Asie, depuis le Senegal jusqu'en Chine,
des lines sauvages qui viventen troupes assez nombreuses
el que les anciens nommaient onagres; ils sont vifs, le-
xers ii la course, el ordinairemenl d'unerobe un pcu plus
claire que I'Ane domeslique.
Avant la conquiJle du nouveaumondeparles Espagnols
on n'y connaissait pas plus les lines que les ohevaux;
aujourd'hui ils y sont tres-mulllplies, surlout dans les
conlrfcs les moinshabi lees de rAuieriquemeridionale, ou
ils marchenl en troupes el repoussenl les autres anunaux
qui cherchenla se meler parmi cux.
Le lail d'Anesse est rcpulii comme un excellent spcci-
fique dans certaines maladies, et ce remede elait connu
des anciens Grecs; mais on I'avait complelemenl oublie,
lorsqu'une circonslance vint le remellre en vogue. Fran-
cois I"' se trouvait reduit a un etat de marasme et de
langueur, suite des fatigues de la guerre et encore plus
des exces auxquels il se livi ait. Toule la science des mede-
cins elait impuissante pour conibattre ce mal qui mena-
caitla vie du roi. Alors on lui appritqu'un jiiif de Con-
stantinople, plus habile que les medecins de I'Occident,
trailail avec succes ces maladies et ohlenait des gueri-
sons merveilleuses. On fit venir ce medecin, qui ordoniia
I'lisage du lail d'Anes.^e, re.iiede doux, qui, joint a un re-
gime severe, renditauroi lasanlc; iln'en fallutpasdavan-
tage pour meltre en honneur le medecin et le remede.
L'exemple venail de haul, la mode s'en«nipara, et, de-
puis cotte 6poque, on a toujours ordonne I'usage du lait
d'Anes=e dans les maladies de poitrine et de langueur.
Pour avoir ce lail de bonniu|ualile, ilfaulque Ifmesse
soil jeune, saine, leiiue tres-prupre , nourrie de foin, d a-
voine, d'orge el des herbages les plus elficaces a conibattre
les funesles inlluences de lj maladie; il faul aussi eviter
que le lail .se refroidisse et aulaiit que possible ne pas le
laisserexposea Fair. Dans les giandcs villes, nous voyons
des aniers conduire au pas de course des troupeaux
d'inesses qui sont nourries de cianiere a produire la plus
grande qiianlitfe mais non la meilleure qualile de lail, et
qui, echauffees par de longs Irajets, remplissenl mal
I'objet auquel on les destine.
Un malade gueri par ce remede naturel temoigna sa
reconnaissance par les vers sulvants que Ton a derniere-
ment rajeunis :
Par sa bniitO, par sa substance,
D'une rincfse le l.iil m'a rendu la saute;
Et je dois plus eu cette circonslance
Alls ines qu'a la Faculte.
La peau de I'ijno est tres-dure, serree et en nK'me
lemps elasliquc; les Orienlaiix en font le sagri, que nous
ncmmons chagrin ; on en fait aussi de tres-bonnes ta-
blelles de portefeuiUe el d'excellenles peaux de lambour,
car elle possede plus do sdcheresse et de sonorile que
toutes les autres.
Olivier LE Gall.
Typographic Lalkampb Tils el L', rae Damiclle, 2.
mm\m DES iiois.
s---V,.---c s^i'j,t:^.
SEFTEMBRE.
r lus de flcurs ! — L'orange
montre son enveloppe d'or
pur, la grenade en s'ouvrant
etale aux yeux de I'homme
ses symetriques rangees de
rubis, I'arbre dont la feuille
fit le premier velement d'A-
dam se cliargo de fruits, le
noyer jette ses richesses sur
la terre, et I'orme se dc-
pouille de sa verdure au
souffle inipetueux du vent,
tandis que sur le ciel courent
de blancs nuagos , etrange
cohorts de corps vapeureux, se poursuivant et se heur-
tant, parfois aigus et gigantesques, puis ronds et diss(5-
mines en lacs de neige et d'azur I — C'en est fait de
. r(5ti5 ; il passe, mais, a ses derniers instants, pour se
faire regretter davantage, il nous doane, a de rares in-
fervalles, quelques beaux jours avec un soleil si doux
qu'on croirait au retour du printenips.
Le 'I" septembre , epoque ordinaire des vacances,
est impatiemment attendu par les jeunes habitants du
college. — Alors, la porte de fer s'ouvre. Ah ! comme
on s'elance joyeux au-devant d'une tendre mirel heu-
reuse de vos succ^s, elle s'empresse de compter vos
couronnes et d'admirer les magnifiqucs volumes si bien
disputes a maint camaradeet si bien remportespar vous,
k son grand depit. — Alors, tout semble beau et nou-
it.
veau ; I'air de quelque province que cesoitestau moins
un parfuni en comparaison de celui qu'on respirait na-
guere ; les arbres du jardin paternel , fussent-ils souf-
freteux et bienlot morts, deviennenl admirables des qu'on
se rappelle ceux de la cour du college; les paves d'une
rue, enfin, si Ton ne voit que cela, prennent quelque
chose du jaspe et du porphyre. — 0 liberie ! ton prestige
n'existe pas pour ceux qui te possedent toujours, et ceux
que tu ne visites que rarenient te goCltentavec delices ;
— ce serait a vous donner envie d'fitre prisonnier quel-
que temps pour bien sentir, apres, les charmes d'etre
libro !
Ce mois portait, chez les figyptiens, le nom de Pao-
phi; chez les Grecs, celui de Broedomion : ces deux
mots efaient, I'un et I'autre, une allegoric.
Cost pendant I'^quinoxe que la mer se dechalne avec
le plus de fureur. Combien de freles barques brisees par
sa colore ou de vaisseaux engloulis dans son immensite !
Pauvres pecheurs! pauvres niatelols ! Les uns ont em-
brasseleursenfants le matin, ilssont partis le coeur plein
d'esperance, et le lendemain on n'a trouve que leur cada-
vre sur la greve; les autres ont dit adieu b leurs vieux
peres, et cet adieu est devenu eternel; pas memo une
lombe pour eux, pas une petite croix noire, pas une fleur
plantte sur levert mausolee par la famille en pleurs, on
I'aniiti^ en deuil.
Septembre etait le second mois de I'annee egyptienne,
et le Iroisieme du calendrier des Grecs; chez ces der-
niers, a cette Epoque, se celubraient lous les ans les petits
17
-2;;8 SAIN
mystdrcs, et tous les cinq ans les grands myslferes A't. ■
leusis. Romulus lui assigna une autre place: il en fit le
septieme uiois de son annee ; de la, cette designation nu-
nierique de September, qui lui fut conservce par Ce.-ar.
De nn>mc qu'ils avaient cliange le nom de Se.vlilis et
de Quinlilis, le senat el los empereurslenlercnt pliisieurs
fois de clnn^cr celui do Seplembcr. — Du nom de Tibere
on le nomnia Tiberius, puis Germaniciis en I'lionneur de
Domiliou qui avaitadople cesurnom; A)i(onimis,en me-
moire d'Antonin Ic Pieux ; Hcreiiles, pour flatter Com-
mode, qui aimait ii prendre le nom et la parure d'Uer-
cule , enfin Tacilus, sous I'empirc de Tacite. — Ces
dilTerenles tenlatives fuvent inutiles; le peuple remain
avalten horreur les noms de lant de monslres cmironnes,
et ce u'etait qu'ave.; degoiit qu'on se les rappelait. An-
tonin seul, entre tous, meritait une exception; on re la
lit pas, tandis que le Uirlie Octave, parvon-u, a force de
politique, a faire oublier le triumvir, avait«u I'lionneur
de placer son nom d'Auguste dans Ic calendrier. Que
conclure de celte iaijuste preference, simon que In gloire
se dislribue soQvent comme la fortuoe : — au hasard ?
A Rome, septcmbre elait consacr6 i Vulcain, dieu dos
forgerons, a qui le labourcur, duntrannee recommence,
est redevable du soc et <}«s autres instruments necessaires
ii I'agrlcuUure. De plus, il ramcnait tous les ans la ci5-
rcmonie da clou sacre, que le grand preteur, mapstrat
qui renilaitia justice, planlail au Capitole, dans le tem-
ple de Mincrve.
Home chi'clienne renouvelle cette ceremonie toutcs les
fois que le pape fait I'ouverture de rannce sainte ou d'un
jubile. (>l usage remonte a la plus haute antiquite. Pline
nous enseigne que les Remains I'avaient rccu des pre-
miers habitants de I'llalie, des Volsiniens, qui planlaient
annuellement un clou dans le temple de la deosse Norlia.
On pourrait supposer que ce clou etait fait, dans son ori-
gine, pour marquer le nombre des annces, d'autant plus
que plusieurs nations plucaient a I'equinoxe d'automne la
T UEMI.
creation de I'univers. Les Remains I'atteslaient eux-m6-
mes, puisqu'au 23 de septembre ils celebraient la lete de
Venus generatrice, de Venus, le symbole do la pui?sance
qui cree. — Une autre observation, non moins curieuse,
c'est que I'ancien calendrier de Rome marque, au 13 sep-
tembre, le depart des birondelles, tandis que dans nos
contrees, bicn plus froides que I'ltalie, nous voyons cos
oiseaux plus tardifs a partir. Ils ne s'eloigneut de Franco
que vers la fin do septembre.
On a souvent revoque en doute ce fait de I'emigratioii
des hiiondelles, et parmi les naluralistes modernes deux
opinions tout ii fait contraires, eniises par les anclens
ecrivains, trouvent encore des partisans. Glaus Magnus
crut avoir decouvert et s'empressa de conslaler quo ces
insectivores passaient la saison rigoureuse dans un 61at
dasphyxie au fond de I'cau des marais. L'hypothi'se du
savant ^veque d'Upsal semble avoir ele parlagee par
Linnceus et meme par Klein, dans sa dissertation de hi-
bernaculis hirundinum ; Cuvierlui-menvo, dans son hi.s-
toire du Begnt animal, dit, en parlant de rhirondelle :
« tl parait certain que cet oiseou s'engourdit en biver, et
pssse cet etat au fond de leau des marais. » Mais Mau-
duyt, Spnllanrani et Natleres, onl proiive, par une
espcrience dobservation, que cette hypothcse n'elait
nullemont fond^. L'emigration des hii ondelles , tout
iiK'xplicable qu'elle soit, est encore I'opinion qui compte
)e plus de partisans en histoire naturelle.
Septembre, enfin, voit recolter le sarrasin, espeoe de
bl6 noir qui nourrit le pauvre de quelques provinces du
Nord, et le niaVs, destine a engraisser le fin chapon du
Maine. — .4pres avoir plante les fraisiers, ecussonne les
jcunes p6chers et les amandiers, on recolte encore, pen-
dant ce mois, un autre aliment du pauvre, la pomnie Je
terre, vulgaire mais utde tuberculc que planta Parmen-
tier.
Andue TiioM.ts.
L'EllTB DES mU Fil.WCUS.
SAIETT HEUSr.
Vers le milieu du rin-
quieme siecle, les afi'aires
de rfiglise se resscniaient
dans les Gaules de la deca-
dence de I'empire remain;
mais la Providence, qui salt
tirer le bien du miil par
des lessor's inconnus a la
prudence humaine, dispo-
sait une eclalante revolu-
tion, qui contribuit ega-
lement ^ I'lionneur de la
religion et ci la civilisation
d'une des plus belles par-
ties du globe terrestre.
Pour crla elle se servit
des Franrais, people belliqu'.ux qui se fixiit dans les
Gaules apies de tongues excursions sur les bords du
Rliin , et qui jclait ainsi le germe de la monarrliie
francaisc. Renii, archev6que de Reims, fut le prin-
cipal instrument de ce bienfait providentiel , et c'est
avec raison que nous, enfants de ces vicux Gaulois et
de ces braves Fracks , nous le venerons comme nolie
apotre.
De frequentes inondations jointes aux descentes des
Rarbares avaient ravage le sol gaulois. Treves avait ete
prise et saecagee plus d'une fois. Reims avait vu tousses
habitants disperses par la fuite ou massacres par les
Huns et les Vandales. Cette derniere ville, que saint Je-
rome appelle une puissante cite, avait en ce tcmps-lii un
saint evfque, nomme Nicaise. Ce bon pasleur, dans cette
exiremile, n'abandonna pas son Iroupcau; il resolut, s'il
ne pouvail le delendre, de mourir pour lui ou avec lui :
il sut inspirer ci tout le monde le courage de mouiir pour
SAINT REMI.
Jesus-Clirist, el il y eut clans une seiile rue un tel car-
nage, que tons ses habilanls furent egorges. De lii le nom
de la rue des Martyrs que porlait cette rue. Baruch, suc-
cesseur de saint Nicaise, recueillait avec peine les debris
de celte eglise desolee, quand le Seigneur vint meltre
un tefme a tant de maux par la naissance de saint Remi.
Cel evenement eut quelque chose de miraculeux. Un so-
litaire, nonirae Monlan, s'etail fait un lieu de retraite
aux environs de Laon. Ce saint liomme elait aveu^le,
mais dans celte epreuve, parfaitement soumis a la volonle
de Dieu, sa charite le rendait plus sensible aux cala-
mites publiques qu"a ses propres maux ; il ne cessail de
conjurer le Seigneur, avec larmes, de se laisser enfin lou-
chcr des miseres de son peuple. Un jour, entre autres, que
dans la ferveur de son oraison il se plai^nait avec dou-
leur de Tetat pitoyable oil se trouvait la religion dans les
Gaules, il se sentit doucemcnt assoupi , et Dieu, qui,
coranie on le voit dans les saintes ficritures, se commu-
nique parfois dans les songes, lui fit connaitie pendant
son sommeil le dcssein oil ii elait de souloger son peuple
en lui envoyant un eveqne, nomme Remi, qui, devenu
riionneurdelareligion.reduiraitla nation desFrancks sous
le joug de i'Kvnngile ; que Cilinie etait de^tinee a metlre
au monde ce nouvel apotre, etqu'ileut a Taller incessam-
menl Irouver pour lui apprendre cette heureuse nouvelle.
Cilinie elait une charitable dame qui habitait le cha-
teau de Laon, elle servait Dieu de concert avec son
epoiix Kmilius, seigneur de haute quality et de merite
reconnu, ainsi que le dit Sidoine Apollinaire dans une
leltre qu'il (5crit a Principe, d\«que de Soissons, cgale-
ment fils d'Emilius et de Cilinie.
Ces vcrtueux epoux etaient avances en 3ge lorsque
Montan vint leur reveler la vision qu'il avail eue, et de
meme que Sara, la femme d'Abraham, Cilinie se'prit a
rire on refusant d'ajouter foi h une semblable nouvelle
— Les cvenemenls juslifierent la prediclion ; au bout
de neuf mois, elle mil un enfant au monde, et on le
nomma Remi.
Monlan ne fut pas le seul qui concourut aux desseins
de Dieu sur Remi. Toule sa famillefut remplie des bene-
dictions du ciel. On lui donna pour nourrice une femme
nommee Batiamie. Celsin, fils de celte derniere, frere de
lait et par la suite disciple de saint Remi , Principe son
frere, Loup son neveu, Tun et Tautre ^veques de Sois-
sons; sa m^re, Cilinie, sans parlor de son pere Emilius
otaient d une rare verlu ; tons sonl reconnus parTEglise
commo jouissant de la celeste beatitude.
Los parents de Remi n'eurent rien plus a coeur que de
.•seconder par leurs soins les vues que le ciel avail sur lui
Ilsn epargnerent rien pour cela, elRemi, repondant par-
laitement aux soins de ses parents, croissait en grke et
ensagesse devant Dieu et devant les hommes. Ilincmar
du que ses progr6s dans la vertu etaient relTet de la
Mnctification qu'il avail recue des le venire de sa mere
II s inslruisit dans les s-ciences et belles-lellres avec un
succes qu'on ne pouvait atlendre de son jeune bge el
pour prouver que son education fut soignee sous t'ous
les rapporls, je crois devoir rappoler qu'il exisle encore
des vers de sa facon. Son esprit naturel, la capacile qu'il
avail acquise, sa douceur, la sainlete de ses mceurs, et
enfin son extreme polilesse joinle a une sagesse extraor-
dinaire, lu. gagnaienl I'oslime et l'amiti<5 de lous ceux qui
avaient le bonheur de le connaltre.
239
Mais Remi ne se sonlait pas appelo a vivre pour le
moiide. Docile aux impressions du Saint-Esprit il cher-
cha dans la solitude ces celestes>olulpes qui 'vous 66-
goiilenl si vile des plaisirs de la terre. On voyail encore
du temps de I'archev^que Hincmar, un ondroit solitaire
:^ cole du chateau de Laon, ou il aimait k se relirer
pour prier.
Cost par ces exercices de la retraite que Dieu forme
ses saints aux fonctions apostoliques jusqii'au jour de
leur mamreslalion. Remi ne put si bion se cacher que
1 o'clat de sa verlu ne se repnndtt bionlol au dehors et le
temps marque par le Trcs-Haut pour la consolation des
Gaules arrive, on offiit a noire jeune saint l'archev6che
de Reims devenu vacant.
L'usage des premiers siocles elait que les ev^ques des
metropoles civiles fussenl o.dinairement honoriis dans
radministration ecclesinstique du litre de melropolitain
Celui de Reims a joui de ce privilege avec une distinc-
tion qui lui donnaitun plus grand nombre do suffra^ants
qu'a I'eveque de Treves. Ilincmar fixe a douze le nombre
dcsvilles qui lui etaient subordonnoes.
Remi ne voulut point d'abordaccepler lesliaules fonc
lions qu'on lui ofTrail, et il fallut tout I'empire que pou-
vaient avoir sur lui ses directeurs spirituels el les prieres
de lous les habitants de la ville pour le conlraindre a
revenir sur sa resolution.
La graced la nature avaient concouru !. former ce nou-
vel apotre : il elait d'une haute laille qui aurail paru ex-
c6der la grandeur naturolle, si celte taillen'eiilele tout a
fait propoi tionnee en loules ses parlies ; c'est cequ'a jus
tide, au milieu du dix-sepliemesiecle, I'ouverture de sa
chisse. II avail le front large et eleve, le nez aquilin les
yeux vifs, la barbe longue, les trails du visage beau.x et
r.:.gul,ers. Enfin tout son exlerieuravaitquelque cho.e de
grave et de doux qui inspirail de I'amour et de la venera
tionpoursapersonne.Lesqualitesdesonamorepondaient
parfaitement k celles du corps : a un esprit vasle, eminent
solide et delical tont ensemble, il joignait une profonde
sagesse et un hero'i'que courage qui le mellait en elat
d'executer avec succes les grands desseins qu'il fcmait
pour la gloire de Dieu.
Devenu arcbev^que, il Irouvait dans la medilation des
sa.nles Ecntures ces grands sentiments qui op,Vaionl des
changemenfs merveilleux dans son diocese par le minis
leredela parole ; ou bien il arracliait a I'arianisme ou
aupaganismelesGauloisetlosFrancks. Gre-oiredeToui-
fail I'eloge de son eloquence; Sidoine Apollinaire Hib 9
ep. 7) le compare tanlot ;\ un fieuve, tant3t h la foudre ■'
il ne juge de cette eloquence que par ce qu'il en avail
vu dans que ques-uns de ses ouvrages; que devait-ce
cHre quand elle etait animee de cette action vive el de
eel air de majeste donl les rois memo ne pouvaien't sou.
tenir tout leclat ?
Persuade, suivant la maxime du Sauveur, que plus if
elait grand, plus il devait s'humilier, il s'adonnaa uno
parfaite humihte ; il enlretenail le mepris qu'il faisail de
lui-m^me par les haules idees qu'il lirait de la grandeur
de Dieu dans la priere. Ella etaient toules sesjouissanoos
On raconle que I'apolre saint Paul apparaissait a >aint
e^an-Chrysoslome, pour lui expliquor les passages de
ficrilure les plus obscurs. •Remi jouit d'une semWable
favour, car plus d'une fois il fut, dit-on, honore pendant
ses ferventcs oraisons de la visile des princes des apfi-
200 SAIM
trcs saint Pierre et saint Paul. La tnulilion a conserve
I'ideede cet insigne privilege; on le voitrepresente dans
le tableau de la belle chapelle de Sainl-Ilcmi au monastere
de Sainte-Claire.
Soignoux d'assujetlir la chair a I'esprit, c'elait par
le jefiiie , les veilles et de continuelles mortifications
qu'il s'en rendait maitre absola.
Les pauvres et les malades le trouvaient toujours dis-
pose h les assisler, les consoler et les soulag'er par I'au-
moiie, qu'il accompagnait de salulaires instructions. A
I'excmplc du saint patriarche Joseph, il amassait du grain
dans les annees d'abondance pour le distribuer aux pau-
vres dans les jours de disette et de stt'rilile.
En outre des predications qu'il faisait tousles jours
aux paYens, Dieu a\ait accordiS par des miracles la con-
firmation des sainles veriles qu'il annoncait, et la plu-
parl des gentils qui I'avaient entendu ne pouvaient re-
REMI.
sister k la grace. Lo seigneur de Ketliel eut un jour I'a-
vantage d'assister avec son epouse a une predication du
saint 6vcque. lis furent I'un et I'autre si fort touches de
ses paroles, qu'ils resolurent de renoncer a I'ldolatrie,
et d'embrasser la religion chrelienne. Us vinrent le trou-
ver dans cetle intention et Ini demandcrent le ba|)leme.
Le saint, apres les avoir inslruits, leur confera ce sacre-
nient. Et ces nouvtaux Chretiens concurent tant de con-
fiance en .ses prieres, qu'ils le supplierent de demander
poureux unegrSce^ Dieu. Depuis plusieursanneos qu'ils
elaient maries ils n'avaient point d'enfanis, et cepen-
dant ils souhaifaient ardemment d'en avoir : c< Saint
pcre, dirent-ils h Remi, vous voyez notre affliction, il ne
tient qu'a vous de nous consoler; employez vos prieres
aupres du Seigneur, si vous nous oblenez un enfani, nous
vous I'abandonnerons, vous en serez le pere en esprit, et
vous I'eleverez vous-meme dans la religion de Jesus-
ianijmc aii\ G.iuluis.
Christ. » Remi, sensible a leur peine, oflrit ses voeux au
ciel pour obtenir co qu'ils desiraient, et il fut cxauc6 : ils
eurent un Ills I'annee sulvante, ils lui donnerent le nom
d'Arnoul, et Dieu I'apiiela par la suite a la vie apostolique,
a I'episcopat, et mJnie a la couronne du martyre.
En ce temps-lb, Clovis, jeune prince en qui la nature
avail reuni toutes lesqualites propres 'i former un de ces
heros que le ciel destine aux plus glorieux evenements,
resolut dans la vingt-cinquieme annee de son age de
I'ranchir enfin la barriere qui avait arrete jusque-la les
rois ses predecesseurs. Honteux des vaines tenlativcs que
quatre de ses devanciers avaient failes duns les Gaules,
il s'avanca des environs du Rhin, a la Icte dune armee
formidable, jusqu'au milieu de la Gaule-BeU-e. Son projet
etait d'exterminer ce qui pouvait rosier de I'empire re-
main dans ces belles contrOej el d'y etablir son Irone sur
es ruines. La fortune seconda ses projels, il pous-a ses
conquetes jusqu'a Soissons, lieu de residence ordinaire
de Syagrius, chef des armees romaines, il mil ses soldats
en fuite, obligea Alaric, roi des Visigoths, cliez qui ils'e-
tait refugie, a remetlre cntre ses mains eel infortune ge-
neral, qu'il imniola ii la gloire de ses armns el au salut
de sa conquete. Clovis avait d'abord fixe sa residence
dans Soissons; maiscomme il ecoulait aulant la prudence
que la hardiesse, il resolut de gagner le ca>ur des pcuples
qu'il venait d'assujetlir, et pour ccla, sans abjurer encore
ses erreurs en niatieie de foi, il voulut respecter la reli-
gion des Gaulois. Et, a I'exemple des rjis visigotlis el
bourguignons, non-seulement, il laissa une enliere liberie
il ses nouveaux sujets en maliere de croyance ; mais en-
core, il montra et exigea de tons le plus profond respect
pop.r les eveques calholiques. Cela est encore prouve
par ce trait que racontent lous le= historiens : Le roi
franck so servait de la victoire avec toute la moderation
possible et faisait tout ce qu'il pouvait pour reprimer la li-
cence eH'avidili deses soldats; mais ces dcrniers, habi- j
1
SAINT RE MI.
201
!ues an pillage el i la devastation, ne.'oniprenaient nulle-
nicnt les poliliques intentions de leur chef, et partout oil
ils passaienl ils laissaient qnelque trace de leur naturel
vanJale. Pour eviter ces violences, Clevis imai;ina de ne
jilus leur faire traverser les villes; c'est ainsi qu'i) la
consideration de saint Rcmi , il en nsa a I'egard de
Ruinis; il marclia le long de la ville, par le chemin
interieui que, du temps d'Hincniar on nommait en-
core cheniin harbnresque. Cependant malgre les ordr.s
qu'il avail donnes, quelques solilats qui dtaient sortis
des rangs trou\erent moyen d'enlrer dans la ville; ds
y pillerent une eglise , emporlerent Ees ornenients
et ses vases sacr^s. Parmi les objels enleves par ces
pillard^, ily avail une coupe d'une lieaule extraordinaire.
Saint Remi,connaissanl les bonnes dispositions de Clovis,
la lui fit redemander par quelques-wns de ses ecclesias-
tiques. II lesrecut avec beaucoupdebonle: « Saivez-moi,
leurdit-il, jusqu'a Soissons, c'est 15 quejedois faire le par-
tagedubulin; je feral en sorte que le vase tombe dans mon
lot, et je vous le remellrai en main, pourle rendre a I'li-
vSqiicRemi. • II execula toutce qu'il venaitdepronielire;
maislorsqu'on fut sur le point de tirer au sort tout ce qui
devait se parlagcr du butin, il temoigna le dosir qu'il
avail de voir mettre de cote le vase qu'on lui reclamait.
Tous les soldats se faisaient un plaisir de contentur le
prince ; mais un soul exprima sa cupidile par une bru-
tale exclamalion, disanl insolcmment que le roin'aurait
que ce que lesort lui donnerait. L'armeeentiere fut surprise
decotte grossierete. Clovis se contenta de prendre le vase
el dele remettreentre les mains d'un des envoy^s de saint
Remi, pour qu'il lui fiit rendu de sa part. On salt
comment, I'annee suivante, Clovis fit au malheureux sol-
dat un sanglant souvenir du vase de Soissons. (Greg.
Tur., Hist, franc, liv. 2. ch.27.)
Clolilde, fille de Chilperic, niece de Gondebaud, qui
avail le bonheur d'etre chr^tienne, elait devenue I'epouse
de Clovis, et son d&ir le plus vif ^tait de faire embras-
ser sa religion asonipoux. Deux choses vinrent lui donnur
espoir de voir realiser ce desir : Clovis avail assez de lu-
mieres pour reconnaitre que la mulliplicite des [dieux
en detruisait la nature et que les vices infames dont ils se
faisaient honneur etaient incompatibles avec la saintcle
qui est inseparable de la divinite. D'un autre cole, ellc
s'etiit liee avec le venerable ev^que de Reims, dont les
\(£i\\ les plus ardents s'adressaient au ciel, pour la con-
version de Clovis.
Clolilde ne fulpaslongtempssansparlerduchristianisme
au roi son epoux, avec le succes qu'on pouvait atlendre
d'une jeunefemme, tendrement chcrieetpleincde merite.
Le roi fut d'abord ebranle el conrut la plus haute eslime
de la foi chrelienne; mais il ne parlait pas de changer,
ces grandes ocuvres n'etant pas le pur etfel dela convic-
tion et nes' operant qu'avec les graces victorieuses que le
Seigneur donne quand il lui plait ; Clovis permit cependant
a la reinede faire baptiser ses enfants. Malheureusement
le premier, nommelngomer, mourutdanslasemainemfme
deson baplfime. Le roi eclala en reproches el ne manqua
pasd'altribuer cetle morta la colore de quelqu'un de ses
dienx. La reine, aidee des exhorlalions de saint Remi,
soulint cetle epreuve a\ec un courage digne de la foi
qui I'animait. Des I'annee suivante, elle mit au monde
un second enfant, qu'elle fit encore baptiser. II tomba
aussilot dangereusement malade, et deja, le roi, outre de
colC'ro, menacait de chasser tons les Chretiens de son
royaunie, quand celte fois Dieu, louche des prieres de la
vertueuse mere, rendit lasantea I'enfant; les preventions
du roi se dissiperent avec son chagrin, et il commenca
d'avoir quelque confiance au Dieu de Clolilde. Celte der-
niere, quin'avait d'autre ambition qued'i'tcndre le regno
de Jesus-Chrisl, vitavecjoie les nouvelles dispositions de
son mari, et lorsqu'il voulut, dansun de ses moments d'a-
mour et de liberalite, lui assurer un douaire digne d'elle
et de lui : « Seigneur, lui dit-elle, le bonheur d'une chre-
lienne est pour la vie future ; je ne vous dcmande d'au-
2G-2
SAINT KEMI.
tre faveur que la liberto de vous eulrctenir souvcnt de
celtc felicile suprfime que je ne desire pas nioins pour
vous que pour moi. •
Elle ue cessa plus de ruxlioi'ler i quitter les idoles pour
adorer le Dion veritable; le seul, lui repelait-elle, qui,
d'une parole, a tire la lerre ct la mer du neant.
Un jour qu'il partait pour aller faire la guerre aux Al-
lemands, nation redoutable de la Germanie, et dont tou-
tes les autres out depiiis pris le iiom : • Seigneur, lui
dit-elle, si vous voulez vous assurer la victoire, invoquez
le Dieu des clireliens; c'esl le dieu dcs armees, le niaitre
des succes et des rovers! N'oubliez pas la parole qua ce
moment je vous engage en son nom : si vous recourez i
lui, rien ne pourra vous resister. » Clovis s'en souvint un
peu lard. Ses troupes pliaienl de tous cotes, et il se voyait
au moment d'une deioule complete, quand il s'ecria, en
gemissant ct en se prosternant h la vue de toute son ar-
infe : « Dieu de la vertucuse Clotilde, c'cst a toi que j'ai
recours. Fais-moi vainqueur, et je n'aurai plus d'autre
Dieu que toi ! » Tout change a cos mots; un courage im-
provu et tout divin aninie les Krancks. Les Allemands,
fi'appes d'une terreur panique , liohent pied de toute
part; leur roi tombe entre les morts, et le champ de ba-
taille reste a Clovis. — Ce glorieux evenement se passa
dans la plaine dc Tolbiac, aujouid'liui Zulpich, entre
Bonn et .lulicrs.
Clovis tint parole. Dans la route m^me, en repassant
par Toul, il cmmena avec lui un saint et savant prfetre
nommc VeJasle, dcpuis eveque d'Arras, afin de se faire
instruire. Saint Remi joignilses soins ii ceux desainl Ve-
daste; ei bicntot le bapteme du roi dut etre celebre.
Le jour de Noi'l de I'annee 49i>, les rues de Reims
etaient lapissees depuis le palais jusqu'a I'l^glise, le bap-
tistere magniriquemcnt oriie , les cloclies sonnaient a tou-
tes volecs; les cierges jelaient dans le temple des (lots de
lumiere, et I'encens enibauraait les airs. — Clovis, le roi
des Francks, marcbant au bapleme, entrainait a sa suite
toute uno hierarchic de rois dans la religion chretienne.
Sa femme, ses soeurs, les offioiers de sa maison, ses
soldats et le peuple le suivaient. Ce fut une de ces fMes
dont les oris d'allegresse devaient nionter jusqu'au ciel
pour se melangcr aux chants de gloire des archanges.
Mais ce qui frappa surtuut ces barbares idolilres, ce
futsurtout le norabre et la modestie dcs ministres sacres
et I'appareil niajestueux dcs ceremonies catholiques. Le
roi, transporte d'admiralion etcomme hors de lui-m6me,
(lit a saint Remi qui le conduisait par la main : • Mon
i-hre, est-ce la le royaume de Dieu que vous m'avez pro-
mis? — Mon prince, repondit I'evdque, ce n'en est que
Tombre; et, lui montrant les flots sacres : Voilb, poursui-
vit-il, la porte qui vousy conduit. • (Ilincmar, Vit. S. Re-
mig., I. 1, p. 327.)
Clovis demanda le bapl6me avec empressement; alors,
Remi prenant ce ton d'eloquence qui faisait si bien en-
trer chacune de ses paroles dans le cceur de la multitude :
. Courbez la t^le, fier Sicambre, sous le joug du Tout-
Puissant ; adorez ce quevons avez blaspheme, et foulez
aux pieds ce que vous avcz adore jusqu'ici. » Lui ayant
faie ensuile confesser la foi de la Trinite, il le baplisa.
Trois mille Fran<;ais voulurent aussi recevoir I'eau
sainte dcs mains du vertueux evSque. Alboflede et
Lentilde, soeurs de Clovis, suivirent celte religieuse im-
pulsion. Quelle joie durent eprouver les principaux au-
teurs de cette regeneration desGaules ; Clotilde et Remi !
Apres le bapteme de Clovis, notre vertueux prelat ccn-
tinua d'iustruire le premier roi chrctien qui enlrait dans
le cathohcisme avec toute I'impetuosite de son imagma-
lion de feu. Un jour qu'il lui faisait lecture de la passion
duSauveur : « Ah! s'i'cria le prince, que n'etais-je \h
avec mesFrancais I • (Fredeg. ep. c. 21.)
Depuis cette ipoque la religion chretienne se repandit
avec une merveilleuse rapidite dans toutes les Gaules, et
Clovis, protegeant plusquejamais une loi qu'il avail adop-
tee, se laissa diriger par saint Remi d.ms presque toutes
ses actions. A propos dela guerre qu'il venait de declarer
a .41aric, nous voyons cette lettre que lui ecrit le saint :
« Unegrandenouvelle, seigneur, est venue ju.squ'a nous,
c'est celle de votre seconde expedition; elle ne .m'a point
surpris etje vols par \k que vous ne degenerez pas dela
verlu de ces genereux ancfitrcs dont vous sortez. »
Puis continuant avec cette autorite queson age, son me-
rite et son caractere lui donnaient a I't^gard de ce prince :
« Prenez, dit-il, la craintede Dieu pour principe et pour
base de voire conduite, soulenez, par votre Constance dans
le bien, ce que le Seigneur attend de vous apres vous avoir
porte au degr4 de I'honneur oil vous vous trouvez eleve.
Clioisisscz ensuile des conseillers et des ministres qui fas-
sent honneur i la dignile royale dont vous etes revStu,
dignite que vous devez remplir avec une certaine grandeur
d'iimeet qui vous niette au-dessus de tout interjt. Jamai.^
vous ne saurez trop honorer les pretres du Seigneur,
ccouliz done leurs conseils avec plaisir, persuade que le
bien de Tfitat proviendra toujours de la bonne intelligence
que vous eiilretiendrez entre le sacerdoce et I'enipire. —
Soulage?, protcgez votre peuple, etendez specialement
voire cliarile sur les veuves et lesorphelinset coniportez- ^
vousde telle maniere que tous vos sujels vous regardeiit ■
commc un piire plulot que comme un ma'itre ; ce qui ar-
rivera si on voit que vous aimez la justice et qu'elle sort
de voire bouche ; que la porte de votre palais soitouverte
k tout le monde, puisque vous devez la justice il tous,
(ju ainsi personne ne sorte mecontent d'aupres de vous.
N'cmploycz les grands biens que vous avez recus de la
main de Dieu que pour les repandre avec joie sur ceux
qui out droit d'attendre ce soulagement de vous dans
leurs besoins; que cette g(5nerosite eclate surlout dansla
delivrancc des caplifs en les affranchissant du joug de la
.servitude. Enfin, si vous voulez rcgner en grand foi ct
passer pour 6tre vcritablemeut et noble et magnanime,
admettez votre jeunc noblesse a vos plaisirs; parl^ vous
I'affectionnerez a votre personne, etvous vousl'attachercz
loujours davanlage ; mais ne traitez d'affaires qu'avec
ceux qui ont mt^riti5 voire consideration par leur ■'ige ft
leurs services. » (Sirmond. t. 1, Concil. Gallic.)
De si b'.aux, de si grands sentiments furent recus de
Clovis avec lout le respect qu'il avail pour le saint qu'il
considerait commo un maitre et un pferc en Jesus-Cbrist,
et tant qu'il les suivit on put dire que la main de Dieu
leconduisail jiour la gloire de I'tglise el de la nation.
Saint Remi avail accompli la grande oeuvre de con-
version qu'il mMilait depuis longlemps et qu'il avaitde-
mandee au Seigneur avec tantd'instance;ils'occupa apres
cela d'etendro le bienfait du cathohcisme a tous les peu-
ples des environs. Dans la premiere Relgique, a Melz,
a Toul, a Treves, dans les Vosgcs, sa charity et ses predi-
cations laiss^rent de tcls souvenirs, qu'aujourd'hui encore
SAIME ADELAIDK.
21.'-.
on ti'ouvedans ces differcnU pays un culle tres-rervent
pour ce saint. M. Diissaussoy, dans pon hisloire de saint
Kemi, alTirme ce failot place au noinbre de liuit cents les
cliapellcs qui, dans ses conlrces, lui sont dediees.
Remivecut trcs-longtcnip^, ct ccpendant on I'enlendait
s'ecricr avcclopropliele : « Mon Anie ne peut pliissoulenir
I'aideur avec laquelle elle suiipire apres la demeure du
Seigneur I — Mon ame laiiguit a foroe d'atlendre que vous
la delivriez de ses peines, 6 mon Dieu ! — Men Jinie, en-
tljiTimee du divin amour, soupireapres vous aNec ardeur,
ardeur si violenle.qn'elleseri'pandsouventj usque sur mon
corps ! » — II avail pies de qualre-vingt-seize ans lorsqne
le Seigneur accomplit les veeuxde ce grand saint. Ce mo-
ment qui le fit passer de son exil dans la celeste patrie
I'ut pour lui un instant de paix et de beatitude, il avail
perdu la vue depuis quelqucsjours, mais avant de mourir
il la recouvra miraculeusement ; On eiit dil qu'avant de.
I'atlirer a lui Dieu voulait qu'il sentit et vit une derniere
fuis le bonheur qu'il avail su repandre autour de lui. II
venaitdes'ecrier : «Quand, Seigneur, irai-jeau-devant de
vous? il n'y a que vous, 6 mon Dieu, qui puissiez remplir
la capacite du mon coeur et me rassasier. • La parole ex-
pira sur ses levres decolor^es, etia mort en passant laissa
toule rempreiute du bonheur sur la figure venerable de
ce servileur de Dieu.
Ses funeraillcs se firent avec grandc ponipe ; d'abord il
fut enterre dans le ciineliere de Saint-Ciiristoplie dans la
cbapelle. De grands miracles se firent sur son tnmbeau el
pendant la translation do ses cendres qui a ele operce
plusieurs fois. — Hincniar lui fit fane cette inscription :
Uuc lihi, Hrmiiji, ptbricmit,
maijne, se[nilchnim
Ilinciiianis, prwsul dueliis uiiiore
lui.
El icjiiicm Demintis Iribual
milii, sancle, prcculu.
El di(jiiis iiurilix, mi vciierandc,
lids.
J. B.
SAINTE ASiSLAIBE.
Un dit qu'cKe desiendait
de Charlemagne, par les fem-
mes; son pore elait Rodol-
plie II, roi de la Buurgogiie
superieure, qui la fianca de
bonne heure au fils du roi
d'llalie, vers le coinnience-
menl du dixieme siecle. Les
traditions manquent sur ses
premieres annt'es, mais les
prcuvesd'ardcniepieleet d'e-
nergie morale qu'elle donna
dans la suile font supposcr
qu'elle recut une education
en harmonie avec les dis-
positions religieuses que le
ciel semblait avoir mites au fond de son amc.
Ce fut en 947 qu'eut lieu son mariage avec Lothairo.
Adelaide n'avail alors que seize ans, mais deja ses vertus
lui avaient concilie le ccEur de son people. Devenue
reine d'llalie, e!le ne fit emploi de la loule-puissance que
pour etendre davanlage ses bienfaits ; son influence s'e.ver-
caitde la facon la plus hrureusc sur le caractere de sun
(ipoux. II fallut que les sourdcs menees d'uu ambitieux
vinssent Iroubler la paix de oe regno. Berenger, marquis
d'Yvree, convoitail depuis loagtemps le troiie de Lo-
tbaire; une goulle de poison versee dans la coupe de ce
dernier favorisa son desir. II se fit couronner a sa place
par la force des armcs; et, comme pour revclir son usur-
pation d'un soniblant de legalilc, il demanda pour son
■fils Adalbert la main d' Adelaide, lajeune veuve.
Cellc-ci ne put s'empeclier de montrer son indignation.
■Le menrlrier de son iqioux lui faisait horreur. Ne i>ou-
.vantesperer de jamais vaincresa resistance, il la fit Je-
ter,, elle et sa fiUe Emma, pauvrc pelile creature, agee de
Irois ans a peine, dans un afl'rcnx rachot de la fortcresse
de Garda, au bord du lac du mcnie nom. La, privee de
lout, fans commuiiii ations, sans cspoir, objel d'une
cruaute jalouse et inventive, Adelaide atlendait la moit
avec I'angelique resignation des im.es pu res.
Deux hommesccpendautveillaieiit sur elle etsongeaient
aux moyens de la dclivrer. C'elaient Tevcqiie de Eeggio
et Alberto Azzo, seigneur de Canossa. Grace ;i I'orqu'i Is
firent reluire aux yeux des gardes, ils viment a bout de
se creer des intelligences dans la place et a crcuser un
souteriain aboutissant de la campagae a la tour oil elait
renfermeeleur ex-souvcraine. Par une nuit ob.-:cure, Ade-
laide s'evaJa, njui sans passer a travers mille dangers.
Elle altondit le jour, cacbce dans les roseaux du lac, et
rtjoignit, dans une barque de pfecheurs, ses protccteurf
qui raltciulaient sur I'autre rive.
IMaliieurcusement I'liveil n'avait pas tardea etre donne
h la forlerosse, des cavaliers venaient d'etre lances dans
toutes les directions. Cercngcr lui-meme s'elait mis .i la
letu d'une cscorle nonibreuse. On raconte que, blottie
dans un champ de bles, .Adelaide I'entendit passer il vingt
pas d'elle. Un cri, un gestc, unmouvement, eussent sufii
pour la trahir et causer sa mort peut-etre. Apres miUe
dangers, miilc angoissrs, elle parvint cependaiit ii se re-
fugicr chez le fidele Alberto Azzo, qui la recul dans son
cliileau de Canossa, dout la posilion, sur un roc inac-
cessible, la mettail a I'abri des alleintes de son persecu-
te ur.
Peu de lemp.^ apri;s, Dieu lui eiivoya un partisan dans
la personne d'Otlioii de Sa.ve, que les seigneuis ilaliens,
lasses de la lyraunie de Berenger, avaient apjiele a leur
secours. Otliou deposa I'assa.-sin de Lothaire, et, louche
des verlus el des malheurs d'Adelaide, il la supplia de
venir paitagcr son trone. Le mariage ful celebic avec
pompe pendant les f^les de Noel de I'annee 9oI , et
2Gf
SAl.ME AnELAinE.
les deux nouvr.niix i'poux parlircnt pour I'Allemagnp.
Dans son ncuvel empire, Adelaide n'ent pas d'eH'orls a
fairo pour s'allirer ]es benediclions qui accomp:ignaient
scs pas. Son ini'puisable charite fil le lionhcur de ses su-
jels; aussi les plus sineeres manifeslalions eclalerent-elles
ti la naissance de son fils Othon 11. Elle s'applii|ua a I'en-
lourcr des meillenres lecons, el a faire germer ilans son
jeune cocur les prineipes inimualdes de I'amour divin.
Ce fut a celle epoqne que son epoux fut nonime empe-
reur d'Oecident et reeut la eonsecralion des mains du
pape Jean Xll. Parvenne au falle de la grandeur hu-
niaine, elle fit regner la paix et la foi au sein de son
royaume.Les hisloriens ccnt(mporains affirment qu'elle
s'entendait parfaitenient aux affaires difficiles do Ifilal,
et que son adminislralion laissa de fecondcs traces de pro-
gres sur le sol germanique.
A onze ans, Ollion 11, que ses qualit^s sludieuses tem-
blaienl. recominander , fut juge digno d'etre associii a
Tenip're, el, bienlut apres, il epousa la fille de I'empe-
reur de Constantinople, belle et vertucuse princesse, mais
;i qui Ton a reproclie un peu de liauleur a I'egard do sa
sainte belle-mere.
Les choses en etaient IJi, lorsque le vieil Otbon descen-
dit au tonibeau, aprbs avoir merile, par sa sagesse et
I'eclat de ses armes, le surnom de Grand. Cetle perte
laissa un vide immense dans I'Allemagne, et .idelaido
n'eut pas Irop de loule sa puissance et de lout son zfele
pour le conibler. Ses pieux conseils parvinrent cepen-
dant ^ gnider I'inexperience de son fds; mais, au bout do
quelque lemps, celui-ri, ^gare par des flatteurs, seduit
par des courtisans qui firent briller a ses yeux les spler-
deurs mondaines d'un pouvoir absolu, essaya de secouer
ie joug de rautorile malernelle. Adelaide supporia lout :
la desobeifsance, le n.cpris et, gradiiell(n ei,t les Ivailc
S.uiMc AdcUJc caclifC dans Ici bloi.
menis odieux. Elle passait ses jours h prier le ciel pour
la conversion de son fils; puis, enfin, forcee de quitter
une cour que menacaient d'envahir les deporlements et
I'iniquile, elle se retira chez Conrad, son frere, roi des
deux Bonrgognes.
Othon II reconnut trop lard la faute qu'il avail com-
mise, et bient6t la voix publique, qui est presque tou-
jours la voix de Dieu , se dcclara hautement contra lui.
Lesalfaires du royaume se resscniaient de I'absenced'.A.-
dolaide, et les grands dignilaireseommencaienta se plain-
dre. L'enipereur vittotnber cnlicrement le voile qui cou-
Trait sa raison , et fit faire des diMiiarcbes pressanles
auprcs de .«a m6re, dans le but d'oblenir d'elle qu'elle
rentnita la cour, pour y occuper le rang qu'elle lenaitde
DIeu et du vceu de r.Xllemagne tout enti^re. Adelaide no
crut pas devoir sarrifier d'aussi grands intertls au dou-
loureux souvenir dei offenses qu'elle avail recues; elle
coda done. L'entrevue et la reconciliation se firent dans
Pavie, en presence de saint JIayeul, abb(5 de Clugny, et
du roi Conrad. L'enipereur, gagne par le repentir, se jeta
a ses genoux ; elle le releva en I'cmbrassant, et tout fut
oublie.
Mais le ciel voulut sans doule le punir d'un moment
d'erreur, en abregeant la duree de son regne. II niourut
trois ans apres, laissant I'empirea son fils, sous la double
tulelle de sa femme et de sa mere. Malgre celle precau-
tion, la minorite d'Olhon III fut marquee a son debut par
d'orageuses dissensions, qui faillirent ebranler .son lr6ne;
la prudence de sa mere les dissipa heureusement. .Ses pre-
mieres annees annoncaient des qualilcs eminenles ; elle
les d(5veloppa avec un soin loutparliculier. Les sciences et
les leltrcscaptivaient principaU'mctill'csprit du jeune mo-
naique, qui fit venir auprcs de lui le moine Gerbert,
lorsque la perseculion I'eut oblige a quitter le diocese de
Reims.
Ses premiers pas dans la carriere des armps ne furent
pas moins couronnes de sucres. Les hordes barbares de
I'Elbe et de I'Oise furent repoussees par lui jiisqu'au fond
de leurs mariVages, et il preta au pape I'appui de son
epee pour le delivrer des obsessions de ses voisins. Enfin,
SAINTE ADELAIDE.
203
a I'ilge prcroce tie seize ans, il recut la couronne impeiiale
aux acclamations unanimes do son peiiple.
L'heui't' etait sonnee pour Atlelaide de recueiUir main-
lenanl le fruit de ses Iravaux et de ses peines. Tranquillo,
heureuse, honoree, elle ne s'occupa plus qu'a repandro
le bien aulour d'clle et h faire eclore les fleurs de reli-
gion sur celto lerre allemande que Ton a nominee terre
de mysticile. Qiioiqiie dans un age assez avance, sa
cliarite ne fut jamais trouvee en defaut. Elle institua dcs
mon.isteres, decora les eglises, envoya des missionnaircs
sur It's frontiferes septentrionales de I'empire. Attentive
au\ moindres souffrances, elle allait humljicment votue,
ct ohsorvait rigourcusement les pratiques des jeunes et
dcs \eillcs.
On raconte que, de son vivant, Dieu lui accorda le
privilege d'operer dcs miracles, ct il en est phisieursque
Ton cite h I'appui de cetle assertion. Un rcligicux avait
rccii d'clle une certaine somme pour etre distribueeaux
pauvres, surle seuil de son palais. Au moment de la re-
partition, il s'apercut que le nombre des pauvres etait
beaucoup plus considerable que le nombre des pieces
d'argent, et il jugea a propos de Ten informer. — Allez,
lui repondit Adelaide, et ayez confiancecn Dieu. — Le
frere, connaissant la haute saintcte de I'impcratrice, sor-
tit sans repliquer, et dans ses mains il vit alors sc rcnou-
veler le prodige de la multiplication merveilleuse dont
parle I'Evangile. Cliaque pauvre se retira avec une
piece d'argent.
Sjiiite .\cle!aldc p.ii-()onnanl .*i son lil3,
Une autre fois, ce fut un paysan boiteux qu'elle guerit
avec le seal secret d'une oraison. Chaque matin, il avail
I'habitude devenirlui oCfrir une corbeille de fleurs et do
fruits, et elle le recevait avec cette aimable bonte qui
rendait son approche si facile. Unjour, entre aulres, qu'il
avail laisse echapper ses bequiUes, elle lui ordonna, apres
s'etre prosternee devanl les reliques de son oraloire, de
les ramasser et de se mettre a marcher sans leur appui.
Dieuexauca son desir, et le premier usage que le pauvre
homme fit de ses jambes fut de se prosterner aux genoux
de sa liberatrice.
L'avenir, dit-on egalemcnt, n'avait pas de voiles Ji ses
regards. A un grand festin, oil se Irouvaient rasscmbles
les principaux seigneurs de la cour, elle se prit tout a coup
a annoncer lesmalheursdu royaume et lamort prorhaine
de I'empereur. « Helasl helas! s'ecria-t-elle, beaucoup
mourront bicnlot ; Othon lui-m^nie sera du nombre. Ah !
enlevez-moi aux doulours de cette vie! • Les eVenements
justifiereiit plus tard sa prediction, mais le ciel lui ac-
corda la fa\eur de n'en pas cHre temoin.
Dans la derniere periode de sa vie, elle accomplit de
nonibreux pelerinages, afin de se preparer a la mort. Elle
contribua puissamment a la r^edificalion de I'cglise de
Saint-Martin de Tours, et y fit don d'une parlie du ma-
gnifiquemanleaud'Olhon le Grand. Saint Adelbert, saint
Mayeul ct saint Odilon furent tour a tour les directcurs
de cetle ame pieuse, ct sa reconnaissance pour eux ne
connut point de bornes. Le dernier a ecrit I'histoire de
sa vie, qui a ete rapporlee ensuite par Canisius et par
Leibnitz.
Un dernier eclair signala la fin de celle existence si
bien remplic. Un de ses neveux, roi de Bourgogne, avait
perdu I'afl'ection deses sujets qui s'elaient souleves centre
son autorile, et menacoient de s'allier aux Sarrasins qui
savancaient du cote dcs Alpes. N'ecoutant que son zele,
malgre son grand .age et la longueur de la route, Adelaide
se rendit dans le camp des rebelles, et di!'ployant cetle
cnergie dont elle avait jadis donne tant de prcuves sur le
tr6ne d'Allemagne, elle fitrentrer dans le devoir ccs fa-
rouches revokes. Une faible fcmme fit ce que la force des
2f'f> SAINTE'
araies n'avait pu faire. II est vrai que ccltc femme elait
femmeel mereil'cmperour.
Mais col effort avail epuise ses forces, et sa fin devait
^tre prochaine. An jour de I'anniversaire de la naissance
de fon fiis, en depit des souffrances aigues quelle ressen-
tait, elle voulut sorlir pour dislribuer elle-meme ses au-
mones. Ce fut ee qui Taeheva. La mort vint etendre ses
deux ailes noiressur sacouclie. Jamais derniers moments
ne furent empreints d'une plus divine serenite ; un sou-
rire qui n'appartenait dejJi plus aux sensations de ce
nionde llottait sur ses leyres pales ; sa pensee s'eclairait
AGNES.
interieurement; un feu celeste animait son rcL^ard , elle
avait de ces paroles pleines do beatitude cl d'aspiration
qui sont leproduit do laseconde vuecpie Dion diinneases
serviteurs aux portes de I'eternite. Cji aiige prit son ame
au sortir deson corps, et I'alla porter imnu'dialement aux
regions des splendours sans fin.
Ainsi s'eteiguit sainte Adelaide, imperatricc d'Occi-
dent, le 16 decembre 999, dans son monaslore de Seltz,
sur lesbordsdu Rhin.
De la ri!i;[ ii-;!'.E.
iiiSToiRE ET mmmm des basiliqies de boie.
SAISITE-AGNES.
'-•'est une belle place que celle de Navona. Elle est bii
tie sur les ruines du cirque Agonalis de I'empereur
Alexandre Severe; icil'eglise Sainte- Agnes , la le palais
du prince Paniphile, puis celui des seigneurs de Cupis, et
enfin dans le lointain la tour du palais d'Altomps. — Au
milieu, devant Sainte-Agnes, se trouve une admirable
fontaine qui est regardee comnie le chef-d'ceuvre du
cavalier Berriin. C'est un grand rocher perce a jour,
d'ou I'eau sort en abondance par plusieurs ouver-
tures et se repand dans un grand bassin. Quatre sta-
tues de marbre etalent leurs formes colossales sur ce
rocher: ce sont les quatre principaux fleuvesdu monde:
le Gauge de Francois Baratia, le Nil d'Antoine Fancelli,
le Danube de Claude Franc et le Rio do la Plata d'An-
toine Raggi. — Sur ce rocher s'eleve encore un obe-
.lisque de pierres ^gyptiennes seme d'hieroglyphes ; ce
mouolithe fut trouve dans le cirque de Caracalla sous le
pontificat d'lunocent X ; il a quatre-vingts palmes de
haut, sans compter sa base ni sa pointe de bronze dore
oil se trouve uuecroix surmontee d'une oolombc. — Aux
deux bouts de la memo place deux belles fontaines a plu-
sieurs jels versent I'eau de la Trevi dans deux grands
bassins de forme octogone. La plus prochc de Saint-
Jacques est enrichie d'un triton el d'un d;i'.iphin de
marbre tallies par Michel-Ange h cote de la belle statue
de Neptune par Bernin. — C'est au pape Grogoire XIU
que sont dues ces fontaines.
L'eglise Sainte-Agnes est d'une ffiagnificence bien rare
quoiquc d'une mediocre grandeur. Elle fut constiuitepar
ordre du pape Innocent X. Le chevalier Barromini fut
I'architecte de la facade et de la coupole, le resle avait
etc preeedemment construit sur les dessius de Jeroma
Rainaldi. Elle est surmontee de deux clocbers dont I'un
possedeune horlyge d'un singulier travail fade par M. Rio-
SAlNTEAGNfeS.
207
chv , pretre Savoyard. — Lc portique a trois portesaux-
qviellcs on monto par un magnifique escalier. Un grand
iiombre de colonnes, en pierre de taille, d'ordre corin-
Ihien, ornent cette partio do Fextcrieur.
L'intcricur osten forme de croix grecquc ; huit colonnes
coiinthiennes tout incrustecs de beaux marbrcs, soutien-
nent la voute de slues dores et de peintures de Baciccio.
Sous les quatro ares qui fornient la croix grecque, il y
a trois grandes chapelles ornees de bas-reliefs et de sta-
tues desmeilleurs sculpteurs. — Tous les sept aulelsque
renfernie cette eglise ont un grand tableau de relief en
marbre blanc tresOn, ciseli par I'elite des artistes.
Le maitre-autel est tout incruste d"alb!itre et orn6 de
quatre colonnes de vcit antique, supporlant un baldaquin.
Le bas-relief, de Dominique GuiJi, represente une Sainte
famillo. ~
k droite, enentran', le premier autela un bas-relief de
Francois Rossi, dont le sujet est tire do rhistoire de saint
Alexis trouve mort sous un escalier, ayant encore dans
la main le billet qui le fit reconnaitre et qu'il ne se lairsa
arracher qu'aux pieds du pape Innocent [.
Hercule Ferrala a execute en marbre bhno dans la
chapclle suivanle la statue de sainte Agnes, sous une
perspective en forme de niche. Le bas-relief de I'autel
Sainte-Emeranliane representant le martyr de cette sainte
est aussi du memeauleur.
Celui de I'autel suivant a etc taille par Antoine Raggi :
i)ny voit sainte Cecile en conference avec le pape saint
Uibaiji en presence de Tiburce son mari et Valiirien son
beau- Il ere.
Le Saint Sebastien que renferme la cliapelle consacree
au saint de ce noin ctait une slalue antique que Paul
Lamp! metamorpliosa en saint. On voit h c6le un bas-
relief de marbre blanc qui reproduitle martyre de saint
Euslache et desesconipagnons. Ce travail, commence par
Melchior Maltais, fut termine par llcrcule Ferrala.
Le tonibeau qui s'el^ve au-dessus de la porte princi-
pale de I'egUse est celui d'Innocent X. II a ete sculple
par Jean-Biiptiste Maini. Du cote gauche de la chapelle
Sainte-Agnes est un escalier par lequel on descend dans
lessouterrains, ou corridors qui soutenaient lesgradins de
I'ancien cirque d'Alexandre Severe; c'est la que la sainte
dont cetle eglise porte le nom fut exposee; mais, pour
satisfaiie ii cet egard la curiosite du lecteur, nous aliens
lui raconter un peu en quelles rirconstances.
Sainle Agnes etait ciloyenne de Rome. Sa rare beaute
la fit recliercher des I'&ge de Ireize ans par les jeunes gens
des premieres families de la villc. Mais die repondit que
son ca'ur appartenait a un epoux invisible qu'ils ne con-
^^iM
naissaient pas. Cetle reponse et la profession publique
qu'elle faisait du christianisme, alors que les empereurs
remains avaient declare la guerre St I'feglise, servirent de
prelexte aux plus passionnes de ces jeunes gens pour la
faire a^-r^ter. — Son plus cruel accusateur fut celui qui
avail temoignii I'aimer davantage.
Conduito devant le juge, elle tut trouvie si jeune et si
delicate, que le magistrat crut pouvoir se flatler de la sc-
duiro par des caresses. Mais il trouva dans Agnte un
cceur forme, impenetrable, et une force d'ame qui n'est
pas toujours donnee a I'age mCir :
Les menaces succederent aux caresses, on crut qu'on
pouvait effrayer celle qu'on ne pouvait emouvuir. On lui
fit voir d'impitoyables bourreaux qui portaient k leurs
mains des instruments de mort. Agnfes a leur aspect de-
meura inebranlable. Les chaines les plus lourdes, les tor-
tures, les supplices n'eurent pas plus d'effet que les se-
ductiims.
Le magistrat, confondu par tant de fermelc dans u:i
cffiur qu'il avait cru facile ^ vaincre, jugea que cette
sainte enfant serait plus sensible aux outrages fails k sa
pudeur qua la perte de la vie. II la menaca de la con-
duire dans un lieu infJme pour punir, par la plus barbare
prostitution, I'affront qu'elle faisait a Diane et a Minerve,
dont elle refusail de reconnaitre la virginite.
Agnes fut plus epouvanli-e a cette menace qu'a toutes les
autres ; neanmoins sa confiance en Dieu, loin del'abandon-
ner, lui dicta cette reponse : K'sus-Christ est trop jaloux
de 1.1 purete de sesepouses pour soulfrir que je sols des-
honoree ! — Offen.se de cetle nouvelle hardiesse, lejuge
la fit a I'instant conduire dans un lieu de debauche oil on
la depouiUa de ses vetemcnts. — Aussitot Dicu permit
qu'elle fut entiferement couverte de ses cheveux et im-
prima dans I'esprit de ceux qui assistaient a cette horri-
ble scene un si grand respect pour elle, qu'ils n'oserunt
la regarder sans une sorle de frayeur. — Un jeune de-
bauche eut la hardiesse de fixer sur elle des regards
immodestes; aussitfit on vit briller le feu du ciel, qui,
semblable h un Eclair, vint frapper ses yeux, et le ren-
verser par lerre, apres I'avoir aveugle.
Tant de mcrveilles panirent au juge de la sainte au-
tant desujelsde confusion et de honte. Transportc- de co-
lere, il condamna Agnes i avoir la tele tranchee. — On
voit sur I'autel de cette jeune vierge un bas-relief oii elle
est representee nue et niiraculeusemenl couverte de sa
chevclure, c'est un des plus beaux ouvrages de I'Algardi.
J. E.
MA7UE DE MEDICIS.
VARIETES IIISTORIOl'ES.
MARIE DE KESICIS.
V oici un tie ces sin-
giilicrs caprices du sort
W\:"- iu' feit commoncer une
ra- i' vie dans un palais, sur
' '' un trone , el. qui veut
W& fill 0" I'afh^ve dans une
chaumiere, sur un gra-
bat. — Marie de Medi-
cis a M reine, puissante,
ct heureuse ; die est
morte ignoree, pauvre,
'&'}i et abandonnee. — Hen-
[Ji?*' ri IV venait de ripudier
' * Marguerite de Valois, et
vous savez le peu de cha-
grin que cetle derniere
rcssenlit de cet'.e sepa-
ration. Lc roi n'avait pas d'herilier, les interets de la
Erance le forc^rent h sp remarier, il jela les yeux ducole
de la Toscanp, et IJi il \it la fille du grand due Fran-
cois II et de Jeanne, archiduehesse d'Autriche. Elle etait
nee le 26 avril 1573. II I'epousa au mois de deccm-
bre 1600. Le traite de niariage tut ccmmence par M. de
Sillcry, et conclu par le due de Bellcgarde, qui elait por-
teurde la procuration d'Henri IV.
Ce fut h Lyon que les deux epoux s'entrevirent pour
la premiere fois.
Marie etait belle. « A Paris, dit un auteur conlempo-
rain que j'accuserai peut^tre d'un peu de llatlerie, elle
est admiree, sa maiesl6 y triomphe, elle y faict voir au-
lant de vertus que sa corone a de fleurons, une devo-
tion sans feinle, une gravite sans orgueil, une modestie
sans contrainte, une magnificence sans dissolution, vne
beaut(5 sans artifice, vne bounte qui rauit it emporle les
cceurs, vne pudicite qui ne pevt souffrir autoiir d'elle
que ce qui a de I'amour pour la vertu, do la liaino pour
le vice : rien de souille n'approche I'aulel de I'union. La
premiere annee de son niariage porte aux Francois une
ioye si rare qu'ils n'en ont en qu'une pareille en un siecle,
et qui merite que le mois qui la leur a donnee change lo
nom de seplerabre en celui de dauphin. Comme elle n'a
voulu eire lemme qu'cn portant le nom de Royne , elle
a trop de courage pour vouloir eslre mere a moindre
tiltre que d'vn dauphin. >
Conime on le voit, la premiere annee de cetle union
fut b^nie par la naissance d'un enfant qui devait etre
plus lard Louis XIII. A celte occasion, et pendant quel-
que temps, le roi, a qui elle donna cinqaulresenfanis, ne
cessa de rcpondre aux sentiments d'alTection que lui te-
moignait sa femme, et vraiment leur amour reciproque
elait grand.
Un jour allanf a Saint-Germain avec Henri IV, le co-
cher fut assez maladroit pour faire verscr la voilure dans
la riviere, al'endroit d'un bac. Sans M. de la Chalai-
gncraie, qui, au peril de sa propre vie, se pr^cipita dans
I'eau et en relira la reine par les cheveux, e'en elail fait
de Marie de Sledicis ; mais k peine put-e'le pronnncer
.une parole que sa premiere inquietude fut pour le roi,
— et elle ne voulut en croire que ses yeux lorsciu'on lui
afTirma qn'il elait sauve.
Malheureusement son epoux n'etoit pas constant d.ins
ses alTeclions; elle, s'adonnant a son caractere jaloux ,
laissait paraiire dans se.s moindres aclions les chagrins
que lui caiisaient ces iMfidelites. Peut-etre avec plus
de douceur, elle eftt pu rappeler le roi a de meilleurs
sentiments; mais sa nature ilalienne etait inconipalible
avec cette vertu. — Henri fitpartirde Paris la marquise
de Verneuil, sur I'avis qu'il avail reou des tentatives que
la reine devait faire coiitre la liberte et la vie de cetle
femme.
Le due de Sully aflirme qu'a partir de ce:ie ^poqiio il
n'avait jamais vu les deux epoux vivre huit jours ans
se quereller. Une fois memo, au comble de rirrilaliiHi,
Marie, levant la main, auraitfrappe leroi, — si le venerable
ministre n'eut arrete son bras. — Ces moments de colore
n'elaient , il est vrai , causes que par les desordres
d Henri IV; mais neanmoins ils ne pouvaient qu'excitcr
le scandale. Aussi apres un nouvel accos de fureiir qu'elle
eut le matin avant de partir pour Fonlainebleau, le roi
lui fit dire que si elle ne voulait vivre avec plus de dou-
ceur et changer tolalement de conduite a son egard, il
serait contraint de la renvoyera Florence avec tons ceux
qu'elle avail amenes de ce pays. — Par ces derniersuiols
il voulait sansdoute parlerde la marechaled'Ancre et de
Concini, pour qui la reine avail l^raoigne une vive ami-
tie. — Comnieon lepense bien, cetle menace n'eut aucune
suite ; ces instants de trouble ecoules, le ciel redevenait
toujours calme pour les deux ^poux, et memo apres la
mort d'Henri IV, la reine nippi'lait avec des larmes de
regret les jours heureux qu'elle avail passes aupres de
lui. Tant il est vrai que Ton se rappclle les instants de
bonhcur plus facilement encore que les heures de souf-
france.
On reproche a Marie de Medicis d'avoir conserve tons
les defnuts des femmes de sa nation : on a dit qu'elle
etait altiere, entelee, grondeuse, irascible, violente meme
et jalouse a I'exces ; on a oublie de dire qu'elle etait
sensible et bonne; il senible cependant qu'au milieu de
tant de defauts il devait bien y avoir qnelques qualiles!
Dans un ouvrage public sous le tilre Hisloire de la mere
el du /Us, et que Voltaire affirnie avoir ili fail par Riche-
lieu, il e-t dit qu'elle a demande au roi la giJcedu mare-
clial do Biron, el cependant ce dernier avail manifeste
rintention de la chasser du tr6ne el d'arracher le sceptre
k son fils ; il raconte la reponse d'Henri en ces termes :
« Les crimes du marechal sent Irop averfe et de trop
grande consequence pour I'Etat pour que je pnisse le j
sauver. Si j'elais assure de vivre autant que ce mare-
chal, je lui accorderais volontiers sa grSce, paice que J8
saurais me garantirde ses mauvais desseins; .niaisj'ai Irop
III
MARIE DE MEDICIS.
260
d'affection pour vous et pour mes enfants. pour que je
vous laisse une telle epine au pied, dont je pouvais vous
delivrer avec justice. 11 a ose conspirer rontre moi, dont
il connait le courage et la puissance, il le ferait bicn plus
volonliers centre mes cnfanls! »
Lorsque le roi avail quelque alTliclion, il aimait sou-
veiit is'en cntretenir avec la reine, quoiqu'il no put ren-
contrer en elle toutes les consolations qu'il eut recnes
d'un esprit experimente dans les affaires ; il lui Irouvait
parfois tant de douceur el de complaisance, qu'il parlait
longlemps avec elle de clioses que proliablement elle'
ne compreiual pas. Ce fut a la suite de I'une de ces
conversations que, lui temoignant de la douleur de ce
qu'il I'appelail madame la r^gente, — « 'Vous avez
raison, dit-il, de dfeirer, que nos ans Solent egaux, car
la fin de ma vie sera le commencement de vos peines;
vous avez p'eure de ce que je fouettais voire fils avec un
peu (le severile, mais quelque jour vous pleurerez beau-
coup plus du mal qu'il aura ou de celui que vous rece-
vrez vous-meme .... D'une chose vous puis-je assurer,
qu'etant de I'humeur que je vous connais, et prevoyanl
celle dont il sera, vous entiere, pour ne pas dire tetue,
madame, et lui, opinialre, vous aurez assurcment niaille
h departir ensemble. »
Cerles on serait lente de croire que le roonarque lisait
dans I'avenir; — sa prophelie ne devail que Irop rece\oir
un accomplissemenl.
Marie elait avide de gloire et de triomphe, elle eut la
faiblesse de solliciter avec chaleur son couronnement ii
Saint-Denis. Le roi s'y etait longtemps refuse, car il
ne voulait pas arracher au tresor les somnies inimenses
que coutaient les fetes publiques en pareille occasion ; il
se laissa vaincre enfin, et cetle ceremonie eut lieu le
13 mai de I'annee 1610.
(t Jamais, ditMezeray, assemblce de noblesse ne fut si
grande qu'en ce sacre, jamais de princes mieux parez.
jamais les dames et les princesses plus riches en pierre-
ries, les cardinaux el les eveques en troupe lionorant
I'assemblee, divers concerts remplissanl les oreilles el les
charmanl, on lit largesse de pieces d'or el d'argent, avec
la satisfaction de lout le monde. Cependant on prepare
son entree pour le dimanche suivant avec une grande
magnilicence, on ne voit qu'arcs triomphals, que devises,
que figures, que trophees, que theatres qui doivenl re -
tenlir de concerts. Parloiit on trouve des fontaines arli-
ficieJes pour marque de grjces representees par les eaux,
gland nonibre de harangues se preparent, les coeurs se
dispusent a parler plus que les langues, tout Paris se mel
en armes, nul n'epargne la depense pour se rendre digne
de parailre devanl celte grande princesse, qui, vraimenl
triomphanle pour elre femme d'un roi revere et re-
doute de tout le monde , doit enlrer en un char de
triomphe. •
Oui, tons ces preparalifs de (Mes se font dans I'lm-
mensecite, — loules les bannieres se deploienl, — eties
cloches vonl sonner des voices de fete, — lorsque tout a
coupuncridedeuil retentit dans toute la France, — Henri
le Grand vient d'etre assassine I
Cel honihie evenemenl jeta partout I'effroi et la con-
sternation. II y eul dans I'ame de quelques honimesun
de ces soupcons alTreux qu'on ose a peine ecrire. Sully
s'enferma dans son arsenal, et ne fut point voir la reine,
ce qui est explique par les insinualions qu'il a glissees
dans ses memoires el par celles de ses secretaires. — 11
crut que Marie de Medicis avail trempe ses mains dans
le sang dc son epoux.
270
MARIE DE MfiDIClS.
Cela, peut-ctrc, parce que la pauvre fcmme eut dans
cet alTrcux moniunt loule I'energie qu'il Tallait avoir pour
mailriser les larmes de la veuve tt se sacrifier ii son triple
devoir de reino, de mere el de regente.
« II y avoit, dit I'auteur de I'liislorial de Marie de Me-
dicis, partout tant d'elonnemcnl, quo si elle, par son cou-
rage, n'eCit releve les autres, la tourmente faisoit tlotler
les plus fermes. L'esprit de Dieu donne de la lumii;re a
son entendement el de la force ci sa Constance pour la
resoudre a faire revivre le pere en son fils. Passant cou-
rageusement et prudeniment sur les formes scrupuleuses
du dueil des roines et de la solitude des quarante jours,
elleconduisit le roy au parlement, la puissance pour lors
la plus entiere de I'fitat. Quand il sortit du Louvre pour y
aller, on avoit oommande aux gardes de crier vive le roy!
mais il n'y avoit partout que des pleurs, et n6annioins
ce ieune prince remarqua bien que de Vic, enseigne des
gardes, auoit crie le premier. Sur les dix heures, le roy
vestu de vioUet, nionte sur un petit clieval blanc, vint
aux Auguslins : tons les princes, seigneurs et officiers de
la corone estoientii pied, il fut receu ii la porte par deus
presidents et quatre conseillers. 11 est assis au throne de
la iustice souueraine des roys, en I'auguste temple de leur
maieste. 11 est reconnu roy, et elle priee par les princes,
pairs et officiers de la corone de mettre la main au ti-
mon du vaisseau si serieusement battu et agile, prendre
la regence et administration du royaume durant le bas
aage du roy son fils. — Le mesme bruit qui porte parle
monde la mort du p6re asseure le r^gne du fils, le pou-
uoir de la mere ! •
La conduite de la reine, dans ces circonstances, etait
d'autont plus justifiee, que I'Espagne alors avail fait se-
cretement olWr au prince de Conde, qui se trouvait h
Milan , un chemin facile pour arriver a la royaut6 en
France; on n'en resia mC-me pas la, I'ambassadeur d'Es-
pagne essaya de piinetrer a cet ej;ard les sentiments du
pape Paul V, et, quelque fou que put etre le projct de
detroner la dynastie de Henri IV, toujours est-il que de
grands troubles auraient pu naiire d'lm manque d'encr-
gie et de promptitude dans raccomplisscment des pre-
miers actesdela regence; car si, depuisle traile de Vcr-
vins, la France goiitait une paix qu'elle n'avait jamais
connue, les factions calholiques et proteslantes u'(5tant
plus contenues parun roi ferme et puissant, pouvaientde
nouveau se heurter au pied du trone et peut-elre I'e-
branler. Le prince de Conde, irrit(5 centre la France,
parce qu'il avail b. se plaindre d'llenri IV et du parle-
ment, I'Autriche, blessee de la protection accordee aux
pctits felals d'AUemagne et d'ltalie, I'Espagne encore fu-
rieuse des desseins, pour elle hostilcs, du monarque de-
funt, lout cela n'etait que trop de motifs pour hiiter
l"6tabli3sement de la r('gence. Du reste, le parlement avail
compris I'urgence d'une prompte decision, et quoiqu'il
ne fiU pas accoutnm^ a I'honneur dejuger des questions
de cette importance, il sut encore s'entendre assez pour
n'obeir qua ses lellexions, et non, comme on I'a dit, aux
impertinentes bouladesdu due d'Epernon. Toulefois, rcn-
dons justice a ce dernier : il etait de son inter^l de voir
nommer Marie de MMicis a la r('>gence, el il a pn man-
quer de respect a une assemblce pr6te a statuer sur do
semblables questions, ma-is il dit, au milieu de scs soUcs
declamations, une chose qui prouverait encore rinterft
qu'il prenail a la palrie : • Ce qui pcut se faire aujourd'hui
sans peril ne se fera peut-elre pas demain sans carnage ! »
La reine, devcnue ri'genle, fut la cause de bien des ■
mallieurs, — cela est vrai ; — mais, il faut le dire, le parle-
ment, la noblesse, les princes du sang et les miuistres
contribuereiil bcaucoup au desordre qui signala I'epoque
de sa puissance.
Henri IV avail dit a son Spouse : — La fin de ma vie sera
le commencement de vos peines! — En effet, a peine les
funt^railles du grand roi eurent H& faites, qu'une confu-
sion inexprimable el tumuUueuse devint le fruit d'un
gouvernement inhabile a reprimer les machinations des
principaux corps du royaume. Marie de Medicis etait
faible de caractiare ; on I'egara davanlage en lui faisant
enlrevoir des complots el des crimes qui n'existaient pas.
Elle eloigna les ministres sur lesquels elle devait s'ap-
puyer : Sully, Jeannin et ViUeroy furentdisgracies; tan-
dis qu'elle prodigua sa favour au due d'fipernon , au
nonce du pape, au pere Cotton, et surtoul aux epoux Con-
cini, couple italicn, dont le man dcvenail niarechal de
France sans avoir jamais commando une bataillc, el dont
la femme savait, nu milieu de la detresse gencrale, amas-
ser deux fois plus d'or que n'en possedaient alors les dif-
ferents rois d'Europe. — Les triors mis en reserve par I'au-
guste victime de Ravaillac furcnt bieulot epuises. — II
fallut multiplier les impots et rendre ainsi le people rcs-
ponsable des malheurs de la regence et des dilapidations
commisesparConcini. — C'etait en servant I'humeurjalouse
de la reine que ce dornior el sa femme s'etaienl eleves,
ce fut en I'irrilant centre les princes et les minislresqu'ils
conservferentleurautorile. — Partout ilslui avaient failen-
trevoir des conspirations et des attentats centre son gou-
vernement; tout seigneur qui n'etait pas leur ami dcve-
nail un ennemi de la reine. La pauvre femme, Irahie
ainsi par tout le monde, faible dans les moments oil il
fallait le plus de force, et exer^ant la rigueur lorsqu'il
cilt fallu employer lout autre moyen, vit bientot son
royaume tomber dans un etat de desordre et de depr(5da-
lion universelle. — Les Concini mettaient tout a prix; les
graces, les privileges, les ditferentes charges' du royaume
furent vendus au plus offranl et dernier cncliiTJsscur.
Au milieu de ce bouleversemenl general, la reine se vit
forcec d'achcter ses sujcls plulot que reprimer leur re-
volte. M. le prince de Conde etait arrive h Paris accom-
pagne d'une nombreuse escorle de princes, seigneurs et
gentilshommes, la plupart ayant abandonne lacour pour
venir au-devaut de lui ; ce ne fut qu'au moyen d'une
forte pension a lui donnee qu'elle crut apaiser son alti-
tude menacanle. — Le memo precede fut employe envers le
prince de Conti, le comle de Soissons, les dues de Guise, -
deMayenneetplusieurs seigneurs etofficiersdelacouronne.,"
— Neanmoinselle nepulempfcher que les nobles desertas^
sent de nouveau la cour pour allcr sejoindreauxmenibrel
de la famille royale armes contre elle, et pour empiVheif
la coalition de la revolte elle descendit jusqu'a la priereS
ainsi, apprenant que le prince de Conde el le comte da
Soissons s'elaient reunis i Droux, oil ils parlaicnt liaulej
ment des torts de la reine et de leurs meconlentementi
personnels, elle leur deptkha le marquis d'Ancre pour le|
supplier de vouloir bien revenir a Paris, oil elle s'ef-j
forcerail de les satisfaire en tout ce qu'ils pourraienl de-^
mander raisonnablemenl.— Ces messieurs se rendirent
scs supplications, et elle regarda cet acte de soumis;iorl
inleressee comme une beurcuse circonstance.
'270
Cela, peut-etre, parce que la pauvre fcnime eut dans
cet alTreux momi'nt loule I'energic qu'il fallail avoir pour
maStriser les larmes de la veuve et se sacrifier a son triple
devoir de reini ' "'".
« II y avoil, •* Marie de iU-
dicis, partout
rage, n'eiit r
les plus Term
son cnlender
resoudre ii fi
rageusement
du dueil de;
elleconduisi
la plus entie
aller, on av
niais il n'y
ce ieune pr
gardes, aui
vestu de i
aux Augus
la corone
presidents
la iustice
maieste.
pairs el >
nion du "<ent 1
la regenc \
aage du
monde 1;
uoir de
La CO
d'autan'
creteme
Milan ,
France
pagne
pape r
detron
grand:
gie et
miers
vins,
conn
plus
nou'
brar
pan
mei
peti
riei
fur
I'e
con.
ne fut J
de celte importance, ii au^ ^-..^ - ,
n'obt'ir qu'a ses reflexions, et non, comme on I'a dit, aux
impcrtinenies bouladesdu due d'Epernon. Toutefois, rcn-
dons justice a ce dernier : il ctait de son inter^l de voir
nommer Marie de MMicis a la ri5gence, et il a pu man-
quer de respect a une assemblee prfile a statuer sur de
semhlables questions, mais il dit, au milieu de scs soltcs
declamations, une chose qui prouverait encore I'interSt
qu'il prcnail a la palrie : « Ce qui peul se faire aujourd'hui
MARIE DE MfiDICIS.
sans peril ne se fera peut-utre pas demain sans carnage ! »
La reine, devenue regente, fut la cause de bien des
mallieurs, — cela est vrai; — niais, il faut le dire, le parle-
ment, la noblesse, les princes du sang et les minislres
contribuerent beaucouD au desnrdre nni o;„.,..i- i' ^
• ''I'Mnieur jalousi
taient eleves,
linistresqu'ils
vaient faiten-
intre son gou- *
eur ami deve-
femnie, trahie
moments ou il
gueur lorsqu'il
vit bienlot son
e et de dcpriSda-
tout h prix ; les
rges' du royaume
;r enclicrisseur.
1, la reinc se vit
reprinier leur re-
fe h Paris accom-
(nces, seigneurs et
Jonne la cour pour
ju'au moyen d'une
t apaiscr son atli-
it employe envers le
, les dues de Guise,
iciersde la couronne.
le les nobles dusei tas-
(joindreaux menibres
je, et pour emp^cher
litjusqu'a la priere;
IConde et le comie de
Buissu.io lu ils parlaicnt haute-
nient des torts de la reine et de leurs meconleiitcmcnts
personnels, clle leur dep^cha le marquis d'Ancre pour les
supplier de vouloir bien revcnir Ji Paris, oil elle s"cf-
forcerait de les salisfaire en tout ce quMlspourraient de-
mander raisonnablement.—Ces messieurs se rendirent i'
scs supplications, et elle regarda cet acte de souniission
interessee comme une beurcuse circonstance.
ikP^--^^'^^
LOUIS XIII,
BRn ISH
7 AU'J 2'J
NAT'JR/M-
H!Sr0P.Y.
MARiE DE MEDICIS.
71
Ce flit a cede epoque (1610] que, profilant d'un mo-
ment de calmo, cUe [it ordonner le sacre et le couronne-
meiit do son fils Louis Xlll. On donna ^ cette ciiremouie
tuule la mngnificence qu'elle avait cup sous les regnes pas-
sis. Elle eul lieu le 17 octubre, un dimanche. Le cardinal
de Joyouiof,iis;iit function d'arclieviicjue de^Reims et^air
de France; apres lui venaient tousles autres pairs eccle-
siastique?. — M. le prince de Conde, de Conti, le comte de
Soissons , les dues de Nevers et d'Epernon y reprcsen-
taient les pairs laiques. — M. le marechalde la Cliatre fai-
salt I'onice de conncHable; M. le mareclial de Lavordin
celui de grand niuitre; — le due d'Aiguillon, grand cliara-
bellan, etM. de Uellegarde, grand ccuyer, reniplissaient
Icurs functions de premiers gentilshonimesde laclianibre.
— La grande couronnedu roi etail porleeparM. de Mont-
liazon, le sceptre par M. le due de Roanez, la main de
justice par M. deCrequi; — le chevalier de Vendome por-
laitla queue du manteau royal. Les barons qui allerent
tlierclier la Sainte-Ampoule, elaicnt le marquisde Sable,
Ills de M. le maiechal de Bois-Daupliin , le comte de
Clieboutonne, de Birou et M. de Nangis. — M. de Ram-
bouillot prcsenlait la bourse qui contenait les trei/.e be-
/ins d'or, de I'eauvais-Nangis le paind'or, M. le vicomte
ilAucliy les pieces d'argent, et M. de llontigny le verre
jui doit contenir levin. — Lcsducs, coiiites, marquis, clie-
Md:eis du Saiiit-Esprit, arcbeveques, eveques, prelals, el
'■nfin presque toute la noblesse du royaume assistaienta
' elle solennili-, qui excit:;it les acclamations et les en-
lliousiastesapplnudissements de la foule.
IJuelque temps apres cette niaje tuense ceremonie le
liiuit courut dans la province de Guicnne que le roi
(■[ la reine elaicnt morts. — Cette fausse nouvelle fut
-uscitee par les partisans de la religion reformee, pour
l.ivoriser un mouvenient qu'ils firent en Albigeois. Mais
. ;ie n'eul aucuiie suite. — La reine fit preuve d'un
i'.u d'autoiile, el mcme nous iie pourrions aliirmer
qu'elle lie la poussat alors presque jusqu'au ridicule;
i ar, sur le rcfus que fit Sully de reprendre le ministere
• Il's finances et la capitainerie de la Bastille, oil elaieut
lenfeimes les tresors de la Fiance, Marie s'en declara
e'lle-meme capitaine, nonima, pour son lieutenant, M. de
Oliateaurieux, el donna la direction du tresor aux trois
|ii incipaux conseillers d'Etat, Chate.iuvieux, Jouy et do
Tiioa. Pourquoi se faisail-elle capitaine de la Bastille,
lursqu'elle lie conscrvait pas la charge qui de tout temps
■ nail etejoinlc ace grade?
Un seul acte de rigueur inutile faillit lui attirer la re-
doutable colere des Guises, au moment oil le prince de
Condj s'irritait du refus qu'elle avait fait de lui donner
a Bordeaux le chuleau Trompettc. — M. de Lus, sorlant
ilu Louvre a I'heure do niidi et retournant en carrosse i
son hotel, fut rencontre par M. le chevalier de Guise dans
la rue Saint-Ilonore. Celui-ci le pria de mettre pied a
terre, disant qu'ildesiraits'entretenir avec lui. M. deLus
se rendit au desir du chevalier, niais apiesquelques pro-
pos injurleux, 6changes de part et d'autre, ils mirent tous
deux I'epee h la main, et le baron fut etendu mort sur la
place. .Marie de Jledicis exigea quele parlemcnt fit justice
dece mcurlre que tout le monde regardait comme le re-
sultat d'une rencontre fortuite, et ce ne fut que sur les
representations que lui firent quelc[ucs peisonnes qu'elle
cunipi it le danger de lulter sans motif centre une aussi
puissaiite faniille.
Lejeune roi, d'un naturel sombre ctniefiani, entrait
dans cet age ou il pouvait comprendre les faules de sa
mere, surtout lorsque des courtisans, habitues a la calom-
nie, glissaient daus son coeur faible et craintif toulo
sorle de soupcons contre sa maniere de gouverner. Elle
etait, disaicut-ils, a\ide de puissance, et cependant inca-
pable de diriger I'Etat; c'elait [lOur s'assurer la haute
main dans ks affaires du royaume qu'autant quo possible
e:ie en eloignait le roi; el enfin, ils I'accusaient, non en-
liurement sans motifs, de toute I'ambition etde toutesles
intrigues qu'on a\ait rejirocbees ii une autre femme de
la maison Medicis, — malbeureuseraent celebre pour la
France.
En ICI i, au moment ou la regence allait finir, tout le
royaume etait en etatde revolte. Les princes du sang qui
auraient dii en etre les souliens, employaientau contiaire
tous les moyens possibles pour bouleverser leur patrie. Ifs
avaient le\e des troupes ets'etaient empares de plusieurs
places, surtout en Bretagne oil MiM. de 'V'endome et de
Retz faisaient fortifier Blavet; puis, pour mieux trou-
bler les provinces, ils repandirent des bruits alarmanls
sur la sante du roi. Selun eux il etait d'une complexion
delicate. II avait continuellenient besoin de remedes, et a
cause de cela il lie pou\ait s'eloigiier d'un palaisoii 11 ne
vivrait pas longtemps. Ces perlides insinuations s'accor-
daient avec les ineptes el mechantes proplielics de V Al-
manack de Maurefjard. Louis Xlll eut beau traverser
les rues et les villes a cheval et en bonne sante, on se li-
gurait voir un spectre qui regagnait sa tombe.— Les hu-
guenotsct les sei-neursdu royaume annoncaient ouverte-
ment I'intention oil ils etaienl de rallumer la guerre civile.
— A Paris, I'etat des esprits n'etait guere plus ra-siirant;
il se tenail des asscmblees secretes en divers endroits de
la ville. Le marechal de Bouillon, M.M. de Nevers, de
Longuevi.lle, de '\'end6nie et du Maine, ne rougissaient
pas de prater eux-memes leurs propres maisons a ces
concihabulcs de ronspiratcurs. On murniurait publique-
ment contre !e roi, la reine et leurs conseillers; I'espril
d'clfervcscence fut a tel point, qu'un historien raconte que
M. de Luxembourg lira le poignard contre un maitre de.s
ie(iudtes, a I'occasion d'un proies qu'il etait menace de
perdre, et qie M. de Nevers, en Champagne, fit enfermer
comme fou un tresorier qui lui avait refuse d'exerctr
d'ignobles concussions sur sa province.
Pour enipechcr la guerre civile d'eclater, Marie de Me-
dicis conclut le trailc de Sainte-Mcnehould, etce fut pour
ainsi dire le dernier acte de .-a regenc<>, car, quelques
niois apres, Louis Xlll faisait reconnaitre sa niajorile par
le parlement.
La reine vcut conserver son pouv,oir; Richelieu, alors
simple ev^que de Lucon, charge par les elats geneiaux
de haranguer le roi, se fait adroitement aimer de la
mereetdu fsls, ilsupplie le jeune monarquedeperseverer
dans sa sage conduite et d'ajouter au litre augusle de
mere du roi, le nom de mere du royaume. Marie se
laissa prendre S ces demonstrations, et elle crut trouver
en Richelieu un soutien ferme et eclaire. De son cole, le
roi dut prendre k son profit la miJme opinion. — Le mare-
chal d'.4ncro et sa femme etaiciit encore dans toule leur
puissance. Richelieu sut les fiatler;— Concini fit iiommer
secretaire d'fetatde la guerre et des affaires etrangeres
celui qui, par la suile, devint son ennemi mortel.
La reine avait ele ja'ouse de son mari, die fut jalouse
MARIE DE MEDICIS.
de son fils. Les actes d'aulorile quecedernierdevait faire
commo roi lui seinblaient aulant d'arrache b sa puis-
sance. Des lors, il faut I'avouer, son humeur devint in-
supporlab'.ea Louis XIII, qui d6ja n'avaitaucune amitic
pour elle.
La cluite on plulotl'assassinat du marochal d'Ancie fut
le signal do la grandedefaveur de la reine mere. Ce mal-
heureux niinistre auqnel on ne pouvait rpprocher aucun
crime capital, fut tue pardoVitry, capitaine des gardes,
cl sur lorecit de ce crimp, Louis XIII, ditle Juste, s'(5cria :
Dieu soit loue, mon ennenii est mort! Et an m6me in-
stant il envoya prendre la marecliale pour la faire conduire
dans I'une des cliambresgrillees du Louvre. Un historien,
qui semble partisan de ces actes d'iniquite, ose meme
avouer que le roi « flt avcrtir sa mere, qui eloit encore
dans le lit, parce que commo ellese vouloit levei-, on lui
\int dire la mort du marecbal, ce qui la fit remettre au
lit pleurantet soupirant {Mi'moires conccrnant la rcijcncc
de Marie de Medicis, t. 2. p. 499 ). »
Vous savez comment la malheurcuse Leonore GaligaV,
vouve du marecbal d'Ancre, fut accuseo de magie et de
sorcellerie et sur quelle place ses membres brises furcnt
livresau bOcher de I'infaniie et de la cruaut^!
Le jour meme ou ces evenemenis avaicnt eu lieu, on
fit, parordre du roi, sortir les gardes de la reine mere du
Louvre , et on lui donna qnejques gardes de son fds
avec ordre de ne laisser entrer ni sortir pcrsonne qui ait
pu voii- Marie de Mi'dicis, sans une permission expresse du
roi.-^Les portes de ses appartements furent mur^es; on
lui 6tam&me le droit d'allerse promener dans les jardins
du Louvre.
Cette journee changea tolalement la face des choses ;
la regenle n'e\islait plus; et si elle parvenait h apaiser
la cruautedu roi, ce ne pouvait ctre que pour sortir de la
prison oil elle etait renfecm^e.
Sans doute pour recompenser leur maniere d'exe-
cutor ses ordres, le roi donna i de Vitry la charge de
mar6ehal de France et a M. de Luynes le poste de pre-
mier gentilhomme du roi ; c'etait juste, les assassins se
sonl de tout temps partage les depouilles de leur \ic-
tinie!
La reine mere ne put soufTrir longlemps I'etat de
captivite dans laquelle on la tenait ; elle demanda la
permission de se retirer au cbMeau de Blois. Louis XIII
lui accorda ce lieu de detention ; mais ce fut a peine s'il
•voulut la voir un seul instant avant son depart, et s'il
permit a ses sffiurs d'embrasser leur mere.
Richelieu, soit pourservir une reine qu'il pensait de-
voir rentrer en faveur, soit pour plaire au roi en adou-
cissant par 1& les rigueurs qu'il eroyait utiles enverssa
mere, suivit Marie de Medicis a Blois; il y resta peu de
temps. — On le relegua dans les fetats du pape h Avignon ,
ou il ecrivitson livre de la Perfection du Chretien.
La prisonnif're du chSiteau de Blois ne put voir tombor
ainsile sceptre de ses mains sans s'efforcor de reprendre
par tous les mqyens ce que ses.ennemis lui faisaient
perdre. Trompant le roi sur ses vi^rilables intentions,
pour obtenirplus deliberte, elle feignit dodesavouerceux
qui travaillaient h sa cause. Puis demandantla permission
d'allerkMouIins, elle sepreparaa ce voyage, qui enrealite
n'etait qu'une fuite dissimulee; mais on decouvrit son
projet,etsa captivite n'cn devint que plus etroite. Alorselle
eul recours h un moyen dnergique et dangereux : la nuit
du 21 fevrier 1619, elle s'^vada du chateau par une
fenelre. Ce fut M. le due d'fipernon qui la recut dans ses
bras et qui laconduisit immediatemenl i Loches, ou I'at-
tendait uno escorte de gentilshommes et d'archers.
Get evenemcnt causa Ji la cour de Louis XIII une
grand« rumeur ; on supposait que de hautes intelli-
gences existaient entre Marie de Medicis et les ennemis
du roi, — on crut des lors que la guerre civile si long-
temps contcnue allait devorcr la France.
La fugilive pour justifier sa conduite se plaignit
dans ses ecrits des mauvais Iraitemenls qu'on lui avail
faitsubir et de I'intention oil avail etc le roi de resserrer
encore sacaplivile. Maintenant,ajoulait-elle, son fils pou-
vait trailer avec elle, ce qui n'asail pu tMre fait jusqu'a-
lors.
C'est a compter de ce moment, qu'on peut reprocher
a cette reine d'avoir arme des soldats centre son fils et
de n'avoir pas songe que, pour le salul de la France,
elle devailoublierses rancunespersonnelles. Leroi avanca
avec une armee formidable.; on se battit au pent de Ce, et
la France sembia vouloir se detruire elle-mfime. — Cette
affreuse discorden'eut deresultatsavantageux que pour Ri-
chelieu, quimenageantun raccommodement entre la mere
et le fils, reussit a faire signer un trade, le 1G aout 16211.
La reine revenait enfin a la t(5te du conseil ; elle employa
tout son pouvoir a y faire entrer rev6.qiie de Lujon, quelle
venaitdecreer cardinal, ctparvenanta son but, elle eutun
acces de joie comme si cedevait etre pour elle le commen-
cement d'un avenir plus heurcux. Le cardinal devint nii-
nistre, Marie le favorisaitloujours; — ellerrut qu'clle allait
gouverner par lui, jusqu'au moment oil elle s'apercut
qo'ilexeculait regulierement tout ce qu'ello pouvait exi-
ger, mais qu'il savait aussilot, pardesmoyens imprevus,
atlenuerreti'etdcsesvolonles. — Louis XIII devait avoir un
maitre : des que ce n'etait plussa mere, ce ne pouvait etre
que Richelieu. — Au retour de I'expedition de La Rochelle
tout le monde put s'apercevoir de la mcsintelligence qui
coramen^ait h s^parcr le cardinal de la reine, et lorsqne
des lellrcs patentcs le nommi;rent premier niinistre, un
ordre de la reine lui ola la surinlendance de sa maison.
Quelquei anneesapres, Marie, qui haissaitle rival qu'elle
s'etaitdonn^ auprte du roi, obtint de celui-ci une pro-
messe de defaveur pour Richelieu, il devait etre renvoye
de la cour pour n'y plus reparaltre; mais au moment oil
tout le monde eroyait a la chute de I'ancien eveque de
Lucon, il y eut, aucontraire, une nouvelle fortune pour
lui. Son pouvoir sur le roi fut a jamais assure, et Marie,
I'une des premieres viclimes de cette journee qu'on ap-
pela cede des Dupes, fut arretiiede nouveau par ordre de
son fils et conduile ii Compiegne, pour y etre detenue l||,
dans le chateau. Bsg
Le mallieur qui la frappait s'appesanlil sur tous ceuxSm
qu'elle avail proteges jusqu'a ce jour, et la Bastille ou
d'aulres prisons s'ouvrirent pour tous ses amis el servi
viteurs.
Pendant longtemps la veuve d'Honri IV avail et^ lai
mattresse du royaume. A la l^le d'une armee h Angers,
k Angoulenie, a Tours ou k Loudun, donnanl des ordres
a ses geni?raux Mayenneet d'Epernon, ou bien dirigeant
les volontes deson fils et meme cellesdesesministi'cs, elle
avail jusque-la, excepts pendant son court sejour a Blois,
.senli ployer sous sa mamlesdeslinees dela France; mais a
compter de ce jour ou celui qu'elle avail eleve vcnait
I
MARIE DE MEniCIS.
273
d'abjurcr ^ tout jamais la. gralilude qu'il lui devait et
d'exi^er du roi une ordro d'incarreration, la pauvre reine
rommenra cctle triste existence q\ii descend pen h pen au
milieu dcs souffrances et des humiliations jusqu'au grabat
qui la vit mourir.
De m6me qu'elle s'etait 6vad6e de sa prison de Blois
die rcussil^ s'ouvrir les portes du chMeau de Compiegne,
etnesetrouvantpasen sdrcte dans le royaume commande
par son fils ou plutol par son rival aupres de lui, elle se
rendit a Bruxelles.
A la mfme (^poquc, Gaston, Wre unique du roi,m(5con-
(cnt de Richelieu et de Louis XIII, quilta la France et se
iclira en Lorraine. Alors le cardinal ministre publia une
declaration dans laijuelle tous les amis et les domestiques
de Monsieur, qui I'avaient suivi dans son lieu de retraite,
I'Inient regardes commecriminels de lese-majesti5. En en-.
registrant cet Mit, le parlement cruttrouver au moins de
la severite dans cette mesure, et, aprfrs avoir longlemps
debattu la question, il y eut un arr6t de partage. Le roi,
indigne de ce qu'on avaitose s'etablir juge de ses propres
volontes, nianda le parli'mont au Louvre et lui ordonna
de venir.b pied. Tous les membres humblement proster-
nes recurent la royole reprimande. M. de Cbateauneuf,
garde des sceaux, leur dit qu'ils etaient sortis des bornes
deleur juridiction, et quant a tout cela le roi leur eut
ajoute un reproche outrageantsurleurd&obiissance, il prit
rarri)t qu'ils avaient rendu et le d^chira. — On comprend
alors le peu de cas que durent faire ces m^mes bommes
des lettres, requites, et suppliques que leur adre.?sait
Marie de Jledicis centre le m^me Riclielieu, — I'une de
ces requetescommencait :
a Supplie Marie, reinedeFranceetde Navarre... disant
t^lM'ii^iifi, ,
w \\ '^^^-iiiiy '11'
Marie de Mcdicis, dnns un grabat ^Cologne, retail le nonce du pape.
qu'Armand Jean Du Plcssis, cardinal de Richelieu, par
loutessortesd'artifices etde malices etranges, tacbed'alte-
rer, comme ilavaitfail deja I'annce passee, la sanle du roi,
I'engageant par ses niauvais conseds dans la guerre, I'o-
bligeant a se trouver en personne dans les armees picines
de contagions, aux plus grandes cbaleurs, et le jetaut tant
qu'il peut dans des passions et apprehensions extrjordi-
naires centre ses plus proclies, et conlre ses plus fideles
serviteurs, ayant dessein de s'emparer d'une bonne partie
de I'etat, remplis.^ant les charges les plus imporlantes de
ses creatures, et etant sur le point d'ajouter un grand
nombre de places niaritimes et frontieres au gouverne-
ment de Bretague et de Provence, pour tenir la France
assiegee par cos deux extremites et pouvant par ce moyen
avoir le secoursdes etrangers chez lesquels il a des intel-
ligences secretes. •
Cetle requele finissait ainsi : • Ladite dame reine voiis
supplie de faire vos tres-humbles remontrances, tant sur le
scandale que produisent les violences qui sont et pourrout
etre faitos a la personne de ladile dame reine, centre I'lion-
neur du k son mariage et naissance du roi, par un scrvi-
teur ingral, ciue sur lout ce qui est contenu en la presenle
requete sur la dissipation des finances et achats d'armes,
II.
places fortes et provinces enlii.'res , violementsdcs lois de
I'etat, et autresfaits quivous sontconnus et publics a tout
le royaume, et vous fcrez bien. Marie. >
Non-seulement le parlement venait de recevoir un af-
front pour s'etre occupe de semblables affaires, mais en-
core la reine, qui alors le suppliait en femnie infortunec,
avait jadis use de rigueur envers lui et I'avait insults au
moins aussi bien que Louis XIII.
Les plaintes r^ilerees qu'elle avait adressees au roi
centre le cardinal Richelieu contenaicnt des accusations
fondees, mais malheurcusement les personncs qui les re-
digeaienty glissaient, avec une haine aveugle, des men-
songes qui annulaient la force des assertions sericuses.
De la le mepris que fit Louis XIII do toutcs cclies
qu'elle lui envoyait, et I'animosile de Richelieu centre
celte pauvre reine desormais obligee de cherclier un re-
fuge comme un vagabond cherche I'hospitalile. Dans Ics
Pays-Bas, la bienscance et un reste d'amour pour la
France la forcent a quitter Bruxelles parcc que la guerre
vient d'eclater entre I'Espagne etle royaume de son fils;
elle va en Anglcterre, et, si elle n'y est pas repoussee
sans secours et sans pilie, c'est que Charles 1" n'a pas
t'coute les barbarcs conseils de Richelieu. louche de com-
18
274 PETITS
passion pour sa belle-inerc, non-scu!cmont il lui donne
line retraite dans ses filals, mais encore il adresse les
inslances les plus pressantes pour que lo peu qu'elle dc-
niande h Louis XIII lui soil occorde. Ce dernier fit re-
pondre qu'il s'en rapporlait ii la decision de son conseil,
ct cninme son conseil olieissait h Richelieu, ce fut h cet
impitoyable minislre que !o sort de la veuve d'un grand
roi fut encore une fois confie. Vous devinez ce qu'il ad-
vint, il n'y eut pas une voix pour elle. Tous voulaient
qu'elle fiit rel^S"^6 f" Toscane, comme si ce n'eCit pas
6te pour Marie une horrible humiliation que d'etre ren-
voy^e du pays oil elle avail droit de denieure.
Les troubles qui regnaient en Angleterre ne permcl-
taient plus a Charles de conlinuer I'hospitalitiJ qu'il lui
avait accordt^e. Elle se refugia a Cologne, et, cette fois,
ce ne fut plus du manque d'egards et de faste qu'elle eut
a se plaindre, mais bicn de la misere. — Elle se vit forc^e
de congedier ses valels un a unjusqu'au dernier. — Pour
vivre, elle vendit sou argcnlefie, ses nieubles, m6me ses
VOYAGES
hardes.et quandelle neposscda plusrien,la fille du grand
due de Toscane, la veuve d'Henri IV, la reine de France,
la mere de Louis XIII connut la faim, car le pain lui
manqua ! Le nonce du pape vint la voir i Cologne ; il I'a-
vait prcsque reconciliee avec son fils, il la trouva malade
et denuee do tout; alors il la supplia de pardonner J) Ri-
chelieu ; elle y consentit; mais lorstjue, pour gage de ce
pardon, renvoy(5 demanda le bracelet qu'elle porlaittou-
jours a son bras : « Ah ! e'en est trop! » dit-elle; et elle
ne voulut plus revoir le nonce.
Quekjues hcures apres, elle succombait h une maladie
de langueur. Son dernier soupir s'e.\hala dans une chau-
miere, sur un lit qu'eul refuse le moindre de ses valets.
Pauvre reine! malgre tout, le blame trouve une large
place dans votre histoire; mais, quand on a suivi le noir
sentier que vous avez parcouru, depuis le trone jusqu'au
grabat de Cologne , on s'ariele sur votre tombe pour
plaindre et non pour maudirc!
Andre Thomas.
TETITS VOYAGES SIR lES RIVIERES DE mm.
LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVENIRS.
(suite.)
A un quart de lieue environ, plus loin que Saint-Cloud,
on voit se detacher, sur Ic fond de I'horizon, lemont Va-
lerien. Cette monlagne, qui s'eleve comme un dime a
travers les airs, poss6dait jadis un humble ermitageque
les missionnaires surent loujours embtllir. Ce fut long-
temps le rendez-vous des pelorins qu'une curiosite peu
evangcliquc altirait en ce lieu autant pour leur plaisir
que pour leur salut.
Au bas du mont consacre, le village de Surene donnait
a'jx bu'.curs peu difficiles son petit vin rendu celebre
par un proverbe ; c'est l<i que s'arr^taicnt, a moilie chc-
min, ceux qui, d'abord ardents k accomplir le pelcri-
naee, sentaient leur enthousiasme dccroitre a I'aspect
d'une cote rapide oil il fallait reellement porter sa croix
pour alteindre son calvairo. On a vendu a I'encan ce lieu
v6ncre, mais Surene n'a rien perdu de son aiiti(]ue repu-
tation, liien des curieux et des promeneurs vont visiter
les lieux oil s'accomplit la conversion du proteslant
Henri IV ; et Ton aime a se rappeler I'anecdole de Sullyifai-
sant cadcau it sonsouverain et ami de quelques bouleilles
<Jc son ion vin dc Surene.
Sureac a conserv6 cette cer^nionie, autrefois touchante
et gracieuse, de la rosiere qui a immorlalise Salency.
Sur la rive droite, avec laquelle on communiquait au-
trefois par un bac, remplace depuis quelques annees par
un pont de fer, s'^levait jadis I'abbaye de Lonchanips
dont il ne reste plus qu'un vasle bitiment servant de
grange. C'est la qu'une musique religieuse et des voix de
femmes, dont tous lesmemoires du temps ont parle, afti-
raient a I'ofTice des tenebres, pendant toute la duree de la
semaine sainte, le peuple de Paris.
La promenade qu'on suit maintenant pour se rendre
en cet endroit est parfaitemcnt mondaine ; on y rencontre
d'elegants cavaliers qui galopent sur la chaussee ct les
avenues du bois, au milieu de somptueux equipages.
Plus modesle, la bourgeoisie s'en va errer b pitd le long
des contre-allees, h travers les taillis ou sous les rares fu-
taies. II faut dire que si le nombre de rendez-vous de
chasse donnes dans cette partie dubois n'a pas diminue,
en revanche celui des rencontres beaut oup plus se-
rieuses qui jadis y avaient lieu si frequemment ade beau-
coup decru.
Au-dessous de I'ancienne abbaye de Longchamps, et
I'l I'endroit ou se trouvait I'ancien bac, la Seine se par-
SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
tuge en Jeux bras, dont I'un passe devant le village de
Put^'ain, qui traverse la route du Normandie, et qu'em-
bellisscnt une fuulo de maisons de campague loules plus
splendiJes les unes que lesaulres. La plus digne d'allen-
tion, peuWtre, appartlenl a madame de Coislin. L'aulre
bras de la Seine s'avance j arailelement au buis de Bou-
logne pour passer devant BasaluUe. Ce petit clialeau oil
pliisieurs de nos princes se livrorcnt, soil a loules les
folies de la jeunesse, soil au\ amuscmenls plus innocents
•de renfonce, resta longtempscn vente faule d'acquereur.
II a ete enfin acliele, il y a quelquesannees, par lord Yar-
moutli, qui a fait d'enomies depenses pour son embellis-
scment.
Nous arrivons a Neuilly, oil un pent magnifique de
cinq arches, aussi elegant que solide, se fait remarquer
par sa hardiesse. On se rappelle qu'llenri IV et sa fa-
niiUe furent sur le point d'etre noyes dans la Seine en la
Iravcrsant dans un bac ; c'est au malheur qui faillit me-
nacer la France en cette circonslance qu'on doit la con-
struction du ponl de Neuilly.
Au bas de ce pent, en aval, on voit une ile magnifique
se niirer dans les eaux du fleuve; cette ile depend du
pare de Neuilly et du chateau , appartenanl a la famille
d'Orleans, qui s'etend sur la rive droile de la Seine.
Vis-a-vis de ce cliarmant sejour, nous apercevons, sur
une hauleur, Courbevoie et ses immenses casernes; nous
laissons tout cela sur la gauclie et nous arrivons a Cli-
chy-la Garenne, village dont I'existence remonte a une
haute antiquite. Dagobert y avail un clijlcau qu'il ai-
mait liabiter, oil son manage fut celebre, et oii se tint
un concUe provincial en sa presence. Le prelendu primal
•d'unecertainefeglise francaise, Pabb^ Cbatel, n'avait pas
craint d'installcr son collegue, Auzou, dans cette cure de
Clichy, et dechoisir pour patron saint Vincent de Paul,
I'ancien pasteur dece village.
Autrefois, pour se rendre a Asniere, il fallail traverser
la Seine dans un bac ; ii la place de ce transport, souvent
■dangereux, on a construit un pont a la pointe de deux
pelites lies oil se trouvent quelques paluiages. Dans une
situation agreable, et I'un des rendez-vous des canotiers
parisiens, ce village d'Asnierespossede plusieurs maisons
de campagnede belle apparence, et un chateau dont M. le
comte d'Argenson fut le proprietaire.
Au-dessous de Clicliy el du ni^me cote, se trouve Saint-
Ouin, oil radministiation a fait conslruire une gare im-
porlanlE il y a quelques annees; ce village possede deux
puits art&iens, de nombreuses et splendides maisons de
canipagne, au nombre desqiielles on distingue celle de
M. Ternaux, batie sur un terrain occupe autrefois par
un palais de nos premiers rois. Ce village fut le siege de
I'ordfe de I'feloile, ciee par Jean le Bon ; malgre sa de-
vise si pompcuse, monslriiiil rcijihus aslva ciam, eel
Oidre lomba dans un tel discredit, qu'on I'abandonna ex-
clusiveinentaux chevaliers du Guet. En eel cudroit, I'ile
Saint-Ouen, l!le Saint-Denis et quelques autres forment
un petit archipel qui ne manque pas d'agreraent, et a
travels lequel les canotiers parisiens vont error a la belle
saison.
Au milieu de ces iles on distingue, vers la droite, la
Ville et le clocher de Saint-Denis; son antique abbaye,
oil nos rois recoivent la sepulture, possede une admi-
rable collection des plus curieux monuments. Son eglisa,
devastOe pendant la revolution, resta quelque temps sans
autel et sans toil ; elle a dte restauree, et depuis les der-
nicrs travaux accomplis, jamais elle n'a ete aussi ma-
gnifique, aussi attrayante pour I'antiquaire que pour le
curieux.
L'eglise de Saint-Denis est desscrvie par un ehapilrc
de dix chanoines, que Ton choisit parmi des anciens
eveques. Ajoutons que I'ancicnne abbaye serl maintenant
de maison d'education aux filles des membrcs de la Le-
gion d'honneur.
La ville, qui est une des deux saus-pri-fectures du de-
partement de la Seine, est arrosee par plusieurs petits
ruisseaux qui, apri's a\oir reuni leurs eaux, se rendeni,
sous le nom de liouillon dans la Seine, ii I'embouchure
oil va aussi s'embi anchor le canal de I'Ourcq, nomme en
cet endroit canal Saint-Denis.
.\riivesau pont de la Briche, il nous faudra visiter
son chilteau, qu'habila jadis Gabrielle d'Kstrees.
Le hameau de la Bridie depend, a vrai dire, du village
d'Kpinay que nous voyons devant nous, eiitre la grande
route de Rouen et le Ileuve. Epinay etait une ville du temps
des rois de la premiere race, qui y avaie it un chateau.
Dagobert y avail lenu une assemblee de leudes ou sei-
gneurs; c'est lb qu'il fit son testament et qu'il finit
ses jours peu de temps apres. 11 ne resle plus aucune trace
do I'ancienne splendeur de cette ville effacee ; on y voit
seulement un assez grand nombre de belles maisons de
plaisance qui longent la Seine, parmi lesquelles on
remarque celle de madame de Montmoreiicy-Luxcm-
bourg, et une autre construction qui a la forme d'un T-
c'est probablement la lettre initiale du nom de son pre-
mier proprietaire.
Plus bas, apres fipinay, la Seine riunil tous ses bras
et fait un coude pour servir de limile, jusqu'a Chalou, au
departemeiit de Seine-et-Oisc, comme elle a deja fait de-
puis Meudon jusqu'b Surenc.
Le Deuve va baigner d'abord Argenleuil que ses vins
et ses p!atrit;res out rendu populaire, et oil sont les
mines de I'ancien prieure, refuge d'Heloise, epouse infor-
tunee d'Abedard, avant son depart pourle I'araclel. Sur
le territoire d'Argenteuil s'lileve le chateau du Marais,
oil Ton admire ces jardins, si bien distribues, si bien par-
lages pour les irrigations, qu'on voit se developper jus-
que sur la rive du fleuve, en face dos deux petite= iles
et de la charmante propriety nomine le Moulin-Jolv. La
Seine passe ensuite a Bezons, oil la grande foire de
Saint- Fiacre reunit la foule chaque anneo; ce village
a livre passage a la nouvelle route de Paris k lUaisons."
La Seine va baigner alors les carrieres de Saint-Denis,
puis, apres avoir passe sous le pont de Cliatou, char-
mant village que Ton rencontre sur la nouvelle route de
Saint-Germain, par Nanterre, elle va arroser, de sa rive
droite, la belle foret de Vesinet, nommee autrefois bois
de la Trahison, a cause des horribles perfidies des An-
glais et des Normands; laissant Uuel et sa grande ca-
serne sur sa gauche, puis le cliijtcau de la Malmaison, ce
charmant .sejour si aime de I'impcratrice Jojephine, elle
coule au pied d'une suite de collines quelle [.va!
quitlees ii la hauteur de la route de Normandie.
C'est suf le penchant de ces coteaux que sontsitues le
chJteau de la Fonchiire et le hameau de Bougival. Au-
dessousse trouve le village de la Chaus^ee qu'on appelait
Charlevanne sous lesCarlovingiens. On y avail eUibli une
pecherie par les ordres de Charles Marlel ; apres s'en etre
276
PETITS VOYAGES
emparcs, les Norniands en firent une place forlifice d"ou
Charles le Chaiive les ch.issa i grand'peine.
Toutes les iles qui, depuis Bezons jusqu'^ Marly, par-
semenl en grand nombre le cours de la Seine, furont
aussi , pendant longlemps , dcs points de ralliement ,
des refuges ou les pirates normands allaicut passer
I'hiver.
Les eauxdu lleuve^laienl ameneos, auporlde Marly, iuine
hauteur de six cents pieds par une machine celebrequ'un
homme ingenieux, du nom de Rennequin Sualem, avait
inventee; elle passa pour un chef-d'ceuvre, quoique tres-
compliquie, jusqu'a ce que la vapeur et la science hy-
draulique enssent accompli leiirs progres rccenls. Celts
machine cofitait fort cher a enlretenir ; aussi Uii a-
t-on subsli(u6 une pompe h feu. Une fois sur la hauteur,
les eaux passcnt par le magnifique aqueduc, d'une lon-
gueur de 380 toiscs, et dont les arches sveltes et ^16-
gantes commencent ii se montrer a partir d'Argenteuil.
De la elles se repandent dans les reservoirs du pare de
Marly pour se rendre h Versailles.
Sur une hauleur voisine on apercoit Saint-Germain-
en-Laye, agreable ville, bien peuplee, que le voismage de
la capitale et la creation d'un chemin de fer ont dolee de
la plus charmante societe ; des environs magnifiques, la
Vus Jc Marly.
proximite d'une forot, des sites admirables, un air pur,
feront toujours de cette ville un des sejours les plus at-
trayants de noire pays. Louis le Gros et les rois qui le
suivirent y avaient une residence ou on les vit souvenl.
C'est ce que prouvent plusieurs chartes datdes de Saint-
Germain. FranQois l" y avait fait bStir ce qu'on appelle
le vieux chSleau, a la place ou s'elevait la maison du m^-
decin de Louis XL Jacques Coitier. C'est ce palais que les
curieux vont visiter sur le hautde la montagne, qui ca-
cha les amours de la belle La Valli&re et sorvit d'asile
aux Stuarls presents : aujourd'hui il se Irouve convcrti
en penitencier mililaire.
Ce qu'on appeile le chateau Neuf, conslruit par
Henri IV, sur le penchant de la colline, n'e.\iste plus, ou
plulot quelques debris des fondations ont seuls survtku.
Ou trouve une magnifique [iromenade sur la terrasse qui
longe la foret ; le panorama qu'on decouvre de celto po-
sition est d'une elenJue et d'une richesse remarquables.
On raconteque Louis XIV se decida b. quitter le cliiiteau
de Saint-Germain a cause de I'impression dcsagreable
qu'il eprouvait chaque fois qu'il apercevait, du haut de la
terrasse, le clocher de Saint-Denis oil sont inhumfe les
corps de nos rois : I'auleur des dragonnades Halt bien
capable d'avoir de semblables faiblesses.
La Seine n'arrose que la ville basse, ce faubourg ap-
pele commnnement le Pec, ou passe, sur un pent eleve
il y a quelques annees, la nouvelle route de Paris qui
commence au chateau et descend en serpentant le long de
la montagne.
Puis elle va longer la terrasse du pare et la for^t;
de Saint-Germain k Maisons, elle n'a pas rencontr^ d'au-
tre village que le dernier dont nous parlous, c^lebre
parson chSleau conslruit , au commencement du ei-
gne de Louis XIV, sur les dessins de Mansard. Dans
I'origine, une route devait partir de Maisons pour aller
communiquer directement avec la route de Neuilly, ce
qui evilait un detour de trois lieucs. Mais cette route fut
a peine comraencee qu'on I'abandonna. Un bateau a va-
SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
277
peur allait deMaisons a Rouen, et procurait uii moyen de
transport aussi facile q' e peu coilteux, enlre P.iris et le
Havre. M. Parquin, qui cntreprit cetle affaire, n'avaitrien
neglige pour rendre ce voyage agreable au.\ tourisles et
aux artistes qui aiment a faire ce trajet a la belle saison,
alors que les rives de la Seine sont parsemecs des plusjo-
lis points de vue. Les chemins de fer ont bouleverse tous
ces modes de communication.
Nous apercevons ensuite sur la rive droite du lleuve
Sartrouville, la Frette et Herblay, puis, nous arrivons a
Conllans-Sainte-Honorine. Ce village renferniait jadis un
convent oil elaient conserves les restes sacres de sainte
Hunorine, dont la vie el les actes sont restes parfaitement
inconnus. Mjisquand apparurent les pirates normands,
naviguant sur Paris en longeant les bords de la Seine, la
lerreur fut grande parmi les moines du monastere ; ils
prirent la fuite, eniportaut les reliques de la Vierge-
marlyre, qu'ils confierent, conime un precieux depot,
aux habitants de Graville pres de Hardcur.
Bientot, grace a la presence de la sainte, des miracles
se manifeslerent ; elle rendait, si Ton en croit une an-
cieune chronique, la liberte aux captifs; aussi les pala-
dins, les archers, les gens d'armes y venaient-ilsen grand
nonibre. Le diocese de Paris devint jaluux de la pro»perite
de Graville, et il voulut avoir pour lui les reliques, que
Ton rapporta tres-pompeusement ii Conllans; mais bien
que le sarcopbage fiit reste seul ii Graville, la multitude
continua d'y atlluer.
Le village, dont nous avons parle, s'appelle ConQans a
canse du confluent de I'Oiso; cette tranquiUe riviere, qui
prend sa source dans les Ardennes, va baigner Guise,
devient Qottable a La Fere, et, navigable a son point de
jonction avec r.A.i3ne, plus haut que Compiegne, arrose
Pont Sainte-Maxence, Creil, Beaumont et Pontoise, et
vient meler ses eaux a celles de la Seine, au-dessous de
CoEiilans Sainte-Honorine, apres avoir decritdes circuits
multiplies entre deux coles qui la bonlentet sur lesqucUes
on trouve quelquefuis de bons vignobles.
Vis-a-vis Conllans, sur I'autre rivede I'Oise, nous aper-
cevons, sur la pente de la colline, le village d'Andresy,
occupe tour a tour par Jules Cesar, les Xormands et les
Anglais, qui en firent tous un poste forlifie qui leur assu-
rait la navigation de la Seine, de I'Oise, de la Marne et
de tous les affluents qui se reunissent dans ces bassins.
Derriere Andresy, sur la cote, se trouve un vignoble qui
produit lemeilleur vin du canton etdonl la reputation est
loin d'etre usurpee. Nous serious bientot arrives a Triel,
mais la Seine, toujours fidele a ses habitudes de vagabon-
dage, decrit, avant d'arriver 1^, un immense detour pour
aller visiter Poissy.
Poissy, petite ville fort ancienne, placee entre la foret
de Sa'nt-Germain et la rive gauche du fleuve, n'est qu'a
une distance de six lieues de Paris, et cependant on en
fail Irenle, si Ton veut arriver par eau. Les premiers sou-
verains capetiens y possedaient un palais oil saint Louis
vint au monde et fut baptise ; ce prince se plaisait a se
faire appeler Louis de Poissy. X la place de co chlteau,
Philippe le Hardi fit elevir une eglise magnifique et pla-
cer le maitre-autel a I'endroit mijine da lit sur lequel la
reine Blanche donna le jour a son illustre fils. Voila
pourqiioi, centre une coutume, autrefois generale,leche-
velde I'eglise ne se tourae pas vers I'Oi'ient.
278
PETITS VOYAGES
Poissy a jouc un rflle important dans I'histoirc a I'epo-
que oil le cardinal de Lorraine plaida la cause dcs callio-
liques, et I-' fameux Tlieodore de Beze celle des proles-
tanls (colloque dePoissy). Mais ce fut en vain qu'on de-
ploys la plus admirable eloquence; le resuUat de celle
eiitrevue fut d'aigrir deux partis deja fori animfe I'un
centre I'autre, et qu'on avail espere concilier.
Chaque seraaine il y a a Poissy un niarche de bestiaux
destine a approvisionner Paris. II y existe aussi une caisse
commerciale k I'aide de laqiielle les bouchers penvent
acheter a credit, moyennant un modeste inlcr^t, el sous
la responsabiliti5 de tous les membres de la corporation
qui deviennent solidaircs.
Place ^ rextremitd de la ville, le pont est d'une lon-
gueur remarquable et pr&ente une vue non moins digne
de fixer ratlention. II est a rcgretlcr que, depuis des an-
nies, on n'art pas enlev6 les masures qui surchargcnt les
arches du milieu.
Autrefois, une galiote partait du bout de ce pont pour
aller Ji Rolleboise, et etait au nombre de ces transports b
bon marche qui vous mcnaient, par le moyen des bale-
lets et des mazeltes, de Paris a Rouen.
Sur la gauche, nous laissons les villages deVilbine, de
Verneuil, et une multitude d'iles couvertcs de palurages;
le ileuve se parlage continuclloment, jusqu'a Rouen, en
plusieurs bras.
Nous apercevons , a droite , Triel, qui s'eleve sur le
penchant d'une colline. Si nous penetrons dans I'eglise,
nous y verrons un tableau du Poussin, original, dont le
sujet est I'Adoralion des Mages ; ce tableau avail cle donne
par le pape a la reine Christine de Suede, pendant le s6-
jour de cette princesse k Rome; a la mort de Christine,
un de ses valets de chambre, nomnie Poiltenet, en fit
hommago a Triel, ou il etait ne. Nous remarquerons en-
core le chocur de celle eglise, construit, dit-on, par Fran-
cois I", et sous lequel on a fail passer une rue, par le
moyen d'une vouteservantde support;! cetleconstruction.
Puis, la Seine, suivant son cours, va baigner Vaux-
les-Moustiers, ou Caillault, ragriculteur, a fait, il y a
quelque temps, dei cssais qui intcressaient presque toutes
les branches de I'^conomie agricole. Le nom de ce village
a fait faire unjeu de mots fort repandu dans la contreo,
et qui consists a dire : Triel, Vmix, Meulan ; d'aprcs
cette enumeration, il semblerait quf Triel a beaucoup
d'iniportance.
Nous remarquerons, en vue de Meulan, parmi toutes
les lies dont la Seine est couverle, celle qu'on nomme
rile du Fort, oil s'elevait jadis une tour dont il re-te
quelques debris; au dela du pont, nous verrons I'ile
Belle, nonimee encore ile de Delos, a laquclle un mem-
bre savant de I'academie, M. Bignon, ojouta tant d'em-
bellissemenls au dernier siecle; constructions elegantes,
admirables plantations, rien n'y manque.
On peut vi.-iter, dans cette ile curieuse, une niaison de
plaisance dont la situation excite ratlention el dont les
appartements sont distribues d'une nianiere originale et
nouvelle; chacun d'eux a recu le nom du sujet qui s"y
trouve represente. On veil se dresser du milieu des jar-
dins, b travers dcs rideaux de feuillage, des pavilions le-
.gers et coquets qui contribuent a faire de ce coin de terre
quelque chose de vraiment charmant. Par malheur cette
delicieuse proprietc^ est bien dechue de sa splendeur
d'autrefois.
Conslruite en amphitheMre sur la rive droite de la
Seine, la ville de Meulan fut jadis une place Ires-forfe
dont les maitres etaient comtes. Quand le comt6 de ce
nom fut rcuni a la couronne sous Pliilippe-Augusle, Meu-
lan n'en resta pas moins la capitale du Pincerais, conlree
comprise enlre Poissy et Mantes. Meulan fuLsouvcnt ra-
vagee par les Normands, qui la prirent, egorgercnt le
comte et les seigneurs du pays, et massacreronl la garni-
snn ; ses malheurs out inspire lespo'e'tesdel'epoquejWace
a dit dans son ronian du Ron :
Done onl porpris Mcullent et toiiU l.i conli-e,
Lts barons ont occis el la terre gastoc.
La ville de Meulan esl traverseepar une petite riviere
nommee la Viourne qui,ausortir des mursde fa cite, va
se reunir a la Seine. Puis le Ileuve va baigner, pendant
plusieurs lieues, des ties nombrenses au riant aspect, et
nous conduit a Mantes, dont nous avons vu de loin les
tours imposantes; jusquc-lii nous n'avons renconfri" que
deux villages sur la droite, .lusiersel Porcheville, elMezy
sur la gauche.
Mantes, grScc a sa charniante position, a merite le sur-
nom de Julie : .ses environs, avec leurs maisons de cam-
pagne, sont tout a fait altrayants. A son entree dans Man-
tes, laSeine recoil la petite rivic'rodeVaucouleurSjet forme
plusieurs lies ilont la plus gracieuse s'appelle I'ile d'.4-
mour, nom qu'elle merite sous tous les rapports. Des allees
plantees d'oimes y dcssinent une sorte de cours ou pro-
menade qui ne manque pas d'agremeni, et vonl abou-
lir a I'un des ponls les plus remarquables France. II se
compose do trois arches longues chacune de cent vingt
pieds, et conduit, sur la rive droite, a Limay, qui n'est
pas autre chose qu'un faubourg de la ville.
Mantes i!'tait jadis protijgee par une forleres.se qu'Hen-
ri IV fit d^molir sur la prii.'re des habitants; le curieux
ne manqttera pas de visiter les mines de certaines forti-
fications et celles de quelques vieux murs dont se com-
posait autrefois son enceinte; JIantes fut fondee, au dire
de la clironique, au temps des druides; pour doitnerune
certaine apparence hisloriijue a cette tradition, on rap-
pellc ses anciennes armoirics, oil figurait le guy de chene
auquel le roi Charles VII voulut ajouler la moilie de ses
armes, composees d'une fieur de lis.
Mantes ful inccndiee par Guillaume le Conquiirant,
prise par Charles Ic Mauvais, reprise par Duguesclin ; elle
a joui3 un role important k I'epoque des guerres de la
Ligue.
La Seine, en sorlant de Mantes, se met k cofoyer ces
boisimmenses vendus par Sully, qui sacrifiait tout pour
aider son noble maitre h affermir son ti6ne. C'est au
sein de ce pays boise que se cachent le village et le cha-
teau de Rosny, possede d'abord par M. Archambaul de
Perigord, puis par la duchesse de Berri. Madame n'e-
pargna rien pour embellir cette propriete; elle y fit bjtir
une eglise on a et^ depose le copur de rinforluni; due,
et ('leva a c6t6 un hospice. II y a dans ce rapproche-
ment , avouons-Ie , quelque chose de touchant et de
senst! a la fois; car y a-t-il un meilleur moyen de se
consoler que de faire le bien?
A peu de distance de Rosny se trouve' Rolleboise; an-
trefois sa galiote faisait le service jusqu'a Poissy, et ses
SUR LES RIVltRES DE FRANCE.
putaclics menaient h Rouen; oujourd'liui on admire \'i-
tonnante longueur de son tunnel, sous lequel les convois
du clierain de fur reslent ensevelis si longtemps dans une
obscuriti5 profonde. Do la route ordinaire qui ni^ne de
Mantes Ji Vernon, sur Ics tords du fleuve, on jouit d'un
admirable panorama.
La Seine s'est i5cartec de la route de Norma ndie, qu'elle
avait longee dopuis Poi.<;sy ; elle a fait un immense detour
pour revenir cotoyer cette mi^me route h Bonnieres, qui
n'est qu'a une lieue de Rolleboise. Elle se trouve forcce de
deciire cette sinuosite a cause d'uue roche (5levje h la-
quelle on parvient
Sill' un i^liemin monlant, sahlunneax, malaise,
Et de tous les cules au sol&ii c\faa^,
comme a dit La Fontaine.
Du haul de la monlagne, (M apercoitla plaineqai s'e-
lend, di'puis Mantes et Rosny, jasqu'a la Rocte-Guyon,
place a I'extremite de la presqu'Ue formeeen cetendroit
par un detour de la Seine, qui revient sur elle-raf'me,
laissant sur sa gauche Mousseaus et Moissoa, et sur sa
droite Saint-Maxtin et Verneuil; enfio, nous apercevons
Ilaute-Ile, doal BoUeau nous a donne la descriplaan dans
ces vers :
Cast im petit vitKiiie oo jiTuliit nn Iiauuiaay
BJfci sur 1« pesuliMkt d'un lunf rang de calllnes,
D'lMi raii'l s'ei^iie au leia daiis les |fl.iiiies voisines.
La Seme, an piad. its monls i^ue sun Hut vicnt lan«
Voit du seili it ses eaux sin^t itee s'dever.
Le Tilbirc au-dessus forme un amjiliillieatre ;
L'habilanl ne connait ni la cliaiix ui le [lUtre,
El dans Ic roc qui cede et se coupe aiscment
Chacnn salt de sa main creuscr un logement.
On a encore qiielques rcstcs de la maison seigneuriale
de llaute-Ile, qui eut pour proprietaire un neveu de Boi-
leau ; cet ccrivain, qui y resida souvenl, ne pouvait man-
quer d'en parler.
A une demi-lieue de distance, sur la pente de la col-
line, nous \oyons apparaiire la Roche-Goyon, bourg
charmant qui s'eleve en forme de croissant et s'appuic
sur la rive menie du fleuve. Construit avec solidite au
pied de la roclie, son chSleau est fortifie par dcs tours, et
entoure par des fosses. II est fort irregulicr ; on y voit des
constructions anciennes et des corps de batiments mo-
dernes eleves a trois ou quatre epoques differentes.
Sur le haut de la roche, et balie dans le roc vif, on
voit se dresser, au-dessus du chiteau, une grosse tour;
c'cst une forteresse dont un capitaine anglais, le cerate
de Warwick, s'empara sous le regno de Charles VL Fran-
cois de Bourbon, comte d'Engliien, qui trionipha i Ceri-
solles, y perit, assomme par un coffre que ses enncmis,
envieux de sa gtoire, firent tomber sur sa tete du haut
d'une fcn^tre du ch?ileau. Un seigneur ilalien futsoup-
conne d'avoir commis ce meurtre abominable; mais,
comme le Dauphin et le marquis d'Anmale, de la maison
do Lorraine, auraient pu figurer dans cette affaire, le roi
Francois I" se garda bien d'auloriser des poursuites.
La Seine, revenanl alors sur elle-meme, va baigner
Freneuse, qui s'est illustree par ses excellents pelits na-
vets, dont I'ecorce jaune rappelle la couleur de son sol
sablonneux; puis, nous passons a Bonnieres, dont I'im-
279
portance, qui ne consistait gnere autrefois que dans
rexislence d'un rclais de la route de Rouen, s'est accrue
dcpuis I'i'lablissement d'une station du chemin de fer.
C'est ii Bonnieres qu'on prend maintenant, par corres-
pondance, la voiture d'Evreux. Nous aperccvons ensuite
Jeufosse, oil les Normands ont campe plus dune fois; en
cet cndroit, o'eat-i-dire a Limcts, le fleuve recoit I'Epte,
qui va s'y precipiter par une double embouchure, en face
de Port-Villez.
Cette petite riviere de I'Epte prend sa source dans les
montagnes situees entre NeufcluMel et Gournay; elle
passe par cetle derniere ville, puis par Gisors, et limite,
dans presqae toute sa longueur, la Normandie et le de-
parlement de I'Eure.
Augmentee par I'Epte et dcvenue normande, la Seine
arrose d'aboTd Oiverny; c'est le premier village qu'elle
troupe sur sa rotite, depuis sa sortie de rancienne pro-
Tince de I'lle-de-France. Nous entrons, apres, dans la
petite vilte de Vernon, remarquable par son anciennete
ct son commerce, et qui communique avec Vernonnet, un
de ses faubourgs, par u,n pont de vingt-dcux arches.
La ville de Vernon etait jadis tr^s-forte ; il lui rcste
encore une grosse tour ou sont cooser\ees les archives.
Situee juste snr la limite du territoire des rois de France
et de ceux d'^lngleterre, elle eut beaucoup a toulTrir
pendant lout le temps de ces interminablcs rivaliles.
C'est sous le rcgne de saint Louis que fut rendu, centre
un seigneur de Vernon, cet arret celebre par lequel le
sire de cette ville etait condamne a desinteresser un niar-
chand qu'on avait, en plein Jour, vole dans le ressort de
sa juridiction seigneuriale. Une loi, dont I'origine re-
monte aux capitulaircs de Charlemagne, ordonnait aux
seigneurs de garder leschemins, depuis I'aurore jusciu'a
la tombee du jour, en consideration du droit de pcage
qu'ils percevaient.
Le lleuve suit la grande route pendant plusieurs lieues,
puis il la quitte tout 6 coup au Goulet, et il si." remet ^
serpenter comme S sa sortie de Paris.
Nous distinguons sur sa rive droite plusieurs villages :
Pressaigny, Courcelles et Bouaffe, et entre les deux pre-
miers Port-Mori, le seul remarquable. C'est dans son
eglise que se celebra le manage de Louis VIII el de Blan-
che de Castillo ; les Flats de son pfere, frappe d'une in-
terdiction, ne pouvaicnt lui fonrnir un lieu plus propice
pour acconiplir cette union, a laquelle 6taient ^galement
inleresseesla France et I'Angleterre.
Nouslaisserons sur la gauche Thony ou Tocny, oil re-
sida jadis Bertrade de Montfort, I'une des quatre femmes
de Foulques, que sa laideur fit surnommer le Rechm ou
le Recliigne ; cet homme, peu scrupuleux et tres-complai-
santmari, ceda Bi'rtrade a Philippe le Gros, rui de France,
qui I'avait enlevi^e.
En cet endroit, nous decouvrpns biea distinctement,
devant nous, la masse si imposanle des ruines de Cha-
leau-Gaillard, dont le nom indique une place forte et
audacieusement situee. Construil| par Richard Coeur-de-
Lion, qui \oulait avoir dans sa main la navigation de la
Seine et proteger sa province de la Normandie, ce cha-
teau a joue un rule important dans nos annates civiles et
militaires. Le sang de braves guerriers arrosa ses murs
bien souvenf, et de royales victimes verserent le luur
dans ses fosses profonds et ses obscurs cachets.
C'est la qu'on Otrangia, avec sescheveu.x, une reine de
280
Li;S AVE.MLRES BIZARUES
Franco, Marguerite de Bourgogne ; on pretend aussi que
les bourreaux employerent un linceul. Quoi qu'il en soil,
I'epoux de cette femme depiavee, Louis le Hutin, put se
C.'Oire suffisamment vengt5. La rancune du cardinal de
la Ballue, qui ne pardonna jamais a ses protecteurs de
Tavoir aideh grandir, y poursuivit 6galement Charles de
Melun, qu'elle lortura par les pHis horribles supplices.
Quaiid vous descendez les lumleurs de ChJtoau-Gail-
lard, vous apercevcz les Andelys, dans une plaine char-
manle arrosee par le Gambon. II y a dans cette ville,
plus, iigreable k voir k I'exterieur qu'a visiter interieure-
ment, deux parties bien distinctes, encadrees chacune
dans un beau paysage : le petit Andeljs, sur le bord du
lleuve, au confluent du Gambon, et le grand Andelys;
une chaussee d'un quart de lieue les fait communiquer
lous deux. Les Andelys ont donne naissance a plusieurs
grands hommes, entre autresa I'areonaute Blanchard, au
Poussin, dont on y voit plusieurs pages magnifiques;
Thomas Corneille, le frere de I'illustre tragique, y resida
souvent ; on montre toujours aux curieux une maison
qui lui a, dit-on, appartenu.
Dans le voisinage des Andelys se trouve la source mi-
raculeuse de Sainte-Clotilde, a laquelle on a voue pen-
dant loiigtenips un culte vraiment religieux. L'eau de
cette source avait, dit-on, la propriete de guerir toutes
sortps de maux.
A. I. R.VVERCIE.
LES AVENTURES BIZARRES DE M. DE COGl-FETU
CHAPITRE in.
Un peu de morale, r'11 xoaa plall.
Ne vous y tronipez pas, — cetle histoire cache un
baut enseignement sous une forme badine et quelque
fois railleuse. C'est la sagesse en habit couleur de rose.
11 ue faul pas m'en vouloir pour cela. — Laissez faire
• Voir les pafcs I SI el 294.
le temps, et Cogne-F(5tu jportera cruellement la peine de
la dissipation deses premieresannees, si foUes, sijoyeuses,
si etourdies — et en mtoe temps si vivos. L'&lat de
rire d'ii-presentsera bien expie par lalarnie de plus lard.
Aujourd'hui, le chemin est Deuri, feuille, gazouiUant,
plein de chansons et de couleurs; c'est que 'c'est le
printemps. Uepassez dans si\mois; il n'y aura plus que
des ronces IJi oii il y avaitdes roses, de la neige a la place
du gazon, des rameaux noirs, seches, d&oles. — Pour-
tant c'est le meme chemin; mais cen'est plus la mcme
DE M. DE COGNE-FETU.
281
saison : I'hiver est vcnu apres le prinlcmps ; mai s'est
fand devant rhaleino de decembre.
Mon roman est au moisde mai.
La petulance irrcd^cliie de Cogne-Fetu sera la cause
premiere de ses tribulations. La vivaciten'est pas un de-
faul bion horrible, elle est m^me preferable ^ ccrtaines
torpeurs; mais son excos pout avoir des suites funestes,
et c'est I'exemple que j'en offrc dans ces pages. Je sais
bien queles enfanls eprouvent un certain plaisir a enten-
dre dire d'eux : C'est un papiUon ! c'est un ora;;e! il est
vif comme I'eclair! — Sansdoute leurs teles blondes au-
raicnt niauvaisegrSce 5 montrerde bonne licure unegra-
vite qui ne peut exisler reellenient dons leurs esprits;
j'aime a les voir bal'.re les champs dans quelque bruyante
parlie de course ou de paume; la blouse el la collerctte
s'accordent mai avec la raison, et les enfanls pedanls sent
do Irisles enfanls, sur ma parole. — Mais de ce qu'il est
bon pour eux de ceder parfois au vccu de la nature qui
semble avoir gonlle leurs veines d'une mousse pelillanle,
ils ne doivent point pour cela se faire une habitude d'un
laisser-aller qui devient dangereux avec I'Sge, — sous
peine de vivre, d'agir et de raisouner comme un Cogne-
Ketu.
— Avez-vous compris deja ce que c'esl qu'un Cogne-
Felu?
Un Cogne-Fetu, — c'esl-a-dire un excellent cocur, un
cceur d'or comme dit le bon peuple, un cocur pave du haul
en has des meilleures inlenliuns, — mais egalement im-
pressionnableau bien comme aumal.
Un Cogne-Fetu, — c'est-a-dire un caraclere gi'nereux
mais inconslanl, sensible mais emporle, doue d'une com-
prehension ardenle, d'un amour subit, — chez qui la re-
flexion ne precede jamais I'aclion.
Un Cogne-Fetu c'est-a-dire une inlelligence eprise de
loule folic, de toute nouveaute, de tout appeau ; qui s'en
va donnant de tSte, comme une abeille, centre tons les
usages, les moeurs, les^venements; un moucheron qui se
bride il la flamme; une alouelte qui se prend au miroir.
Un Cogne-Fetu, — c'est-h-dire un hurluberlu, qui ferait
peul-6lre un excellent garcon et un homme de merite, s'il
voulait fire auparavant un homme d'etudeel un homme
de sens.
Un Cogne-Fetu, — c'est-a-dire
Un Cogne-Fetu, enfin !
Franchement, si j'avais cu quelque aulorile sur mon
heros, je me serais phi Ji lui adresser de ces conseils sur
lesqucls je viensde m'elendreavec une complaisance digne
des moralisles qui en font leur Hal, — et qui me vau-
dron', je I'espere, un resle d'indulgence pour le rccit de
ses dernieres escapades a la pension.
llais s'ilm'eillecoule, — queseraitdeveuuelapresenle
hisloire!
Celle idee, — en me consolant un peu, — me donne la
foice de reprendrele fil de ses aventures.
Nous I'avons laisse en prison.
RCiiiIiilscciices d'Heiirl M,isers lie I.aliide, de Silvio Pellico
c( du barou de Trcncli.
II geraissait sous les verrous. II suivait d'un ceil pen-
sif le vol des hirondelles, i traversles barreaux de sa fe-
nelie. C'est ainsi que Ton nous represenle les plus illus-
tres captifs de I'iiisloire. C'est ainsi que Vincennes, — la
Bastille, — les plombs de Venise et les ciladelles du Spilz-
bergenfcrmaient des soufTrances inconnues, des douleurs
impuissanles. II mangeail un pain mouille de ses larmes.
En vain, pour Ironiper les ennuis de la captivile, avait-il
essaye d'apprivoiser une araignde, — & I'exemple de Pe-
lisson; — les araignees sont bien d^chues depuis ce
temps-lJi.
II evoquait avec effroi le souvenir d'Ugolin dans' sa
lour, d'Arlhur de Brelagne el de Richard Coeur-dc-Lion,
musique do Grclry. Sa douleur ne faisait que s'en accroi-
Ire. Alors il tenia de s'evader, et II se prit a songer sc-
rieuscment aux moyens de meltre son projet a exOculion.
Celle idee, une fois aiicree dans sa tele, lui sourit telle-
ment qu'il finil par s'en enlhousiasnier el a ne plus rever
qu'il cela, — ii ce point qu'on lui eiil, je crois, cause un
tres-sensible deplaisir en lui annoncant sa delivrance.
II avail commence a sender les muis, — le plancher,
le plafond ; ii inspector minutieusemenl la serrure et les
ferremenls de la porle. II s'elait mis en quele d'un clou,
pour creiiser un souterrain, — a I'inslar deCervanles. II
avait effile les draps de son lit pour en faire des echelles
de corde, et il se proposail de soulever une dalle dans le
but de les souslraire aux visiles du porte-clefs; en at-
tendant il les cachait dans sa paiHasie.
— Je choisirai une null bien sombre pour mon evasion,
s'elait-il dil, une nuil pluvieuse. tjnand tout le monde
sera endormi, je descellerai un des barreaux de la fcnetre
qui est dejii forlement ebranle ; aux autres, j'allacherai
mon echelle de corde. Sur la plale forme, pas de senli-
nelles. En bas, un fosse k franchir. C'est bien. II ne me
reste plus ensuile qu'i passer devanl la loge de la por-
tiere. La est I'obslacle ; mais je le franchirai avec de I'au-
dace
Tel elait le plan de Cogne-Fetu, lorsqu'un evenemenl
imprevu vinl lout h coup en varier quelques dispositions.
Un matin, Ji I'heure du dejeuner, comme il enlendait
grincersur ses gonds la porte de son cachol, — a la place
de la portiere preposee aux soins de sa subsistance, il ne
ful pas peu surpris de voir apparaitre une figure placide
et rougeaude.
— Blaise! s'ecria-t-il.
282 LES AVENTURES BIZARRES
Blaise, — c'etaitlui en cffet, — laissa tomber Icpanier
iju'il avciit au bras.
— Fetu! dit-il pelrifie. Commant ! c'est vous qu'ils en-
ferment !
— Helas ! mais que viens-lu faire ici?
— .le suiscommis a la cuisine.
— Marmilon'i ta m'apporteras des cerises.
— Faudra done ies -voler, Cogne?
— Tu ne Ies voleras pas, Blaise ; tu Ies prendras seule-
ment.
— Alors, je veui bien.
En ce moment uiie idee perca subitement I'csprit de
Cogne-Fetu, — qui faillit en sauter de joie.
— Tu m'es dcivoue, n'est-ce pas ?
— Oui.
— Donne-moi ton bonnet.
— Oh ! oh ! fit Blaise, avec un gros rire.
— Donne done.
— Le voila, Fetu.
— Et Ics sabots !
— Oil ! oh ! — Ies voila, Cogne.
— Et ta blouse! et ta culotte! et ton panier! je m'en
vais ! je decampe ! je me ddguise! Preuds mes habits 1
— Et moi, Fetu?
— Tu prends ma place.
— Non pas.
— Si fait! C'est un beau trail. On te meltra dans la
Morale en action.
— Mais, Fetu...
— Fetu, Fetu, depeclie toi ; tu raisonneras plus tard.
Adieu. Ne t'impatiente pas, je reviendrai tout a I'heure.
— Mais, Cogne...
Et sans donnur audience aux scrupules dii marmiton, le
prisonnier disparut dans le corridor, — emportant le
trousseau de clefs oublid a terre.
II etait libre !
Blaise se mit tranquillement a plearer.
Sulle du pr^c<'ienl.
A peine le fugitif elait-il parvenu au bout du corridor,
qu'il fut pris en meme temps d'un remordset d'une bonne
pensee. II songca que pour s'opargner quelqucs jours
d'ennui, iloompromeltait I'avenir deson frere nourricier,
en risquant de le faire renvoyer pour abus de confiance.
II hesita, Ct un pas cu arriere, — et la raison allait Tem-
porter, lorsqu'il entcndit riisonnerune voix bien connue.
C'elaitcelle de re.\-Vendredi qui fredonnait un motif fan-
ta;tique sur des paroles de sa composition.
Alphonse bondit, — il cssaya une clef dans la Siorrure,
— puis une autre, — puis une troisieme, et enfin il se
trouva dans Ies bras do son lamentable ami Titube, —
en compagnie duquel il se prit <i e.xecuter une danse pleine
d'ivresse.
Lorsqu'il lui eut raconte lescirconstances deson evasion :
— Ah fa! lui dit Titube, il fautque tu mefasses sauver,
a mon tour.
— Comment cela?
— Je ne sais pas, ca te regarde. Je m'en vais sortir
avec toi.
— Du tout. On nous rcmarqucrait. ]
— Je vols ce que c'est : tu cs un ego'i'sle ; lu m'aban-
donnes. '
— Si Ton pent dire!
— Eh bien ! reprit Titube, parlageons le deguiscment.
Donne-moi la blouse et le bonnet, et garde Ies sabots.
Noussortirons I'un apres I'autre. Je pars le premier.
— Kon, nOD, c'est moi.
— C'est moi!
— Alors, dit Cogne-Fetu, tirons au sort.
Un sou fut jete en I'air.
— Je demaude pile ! cria Titube.
Le sou lomba pile.
Titube etait deja hors de son cachot.
Ainsi qu'il etait convenu, Ccgne Felu devait laisser
ecouler quelques instants avant de le suivre. II Ies em-
ploya avec resignation a parcourir la superbe collection
debonshommes dont son ami avail diicore la muraille.
Pendant ce temps, Titube avail gagne d'un bond le pa-
lier voisin, — et il se disposait i le fcanchir, lorsque la
curiosite le fit s'arreter devanl une porte d'ou s'echap-
paient d'enormesgemissements.
— Encore une victime de la Ijrannie des niaitres, se
dit-il.
Puis, prelantde nouvoau rorcille:
— Ma foi I voyons qui ce peul ctre.
Et il entra.
DE M. DE OOG.NE-FETU.
28"i
Mais il nc fiit pas plutot en presence de Blaise, — car
on I'a dej^ reconnu, — que celui-ci luisaula h la gorge.
— Ousque vous avez pris cc bonnet et cette blouse?
cria-t-il?
— Tais-toi, brute, In vas me faire ducou\rir, dit Ti-
tube en se debattant.
— Rondez-moi mon bonnet el ma blouse!
— Veux-lu bifen me lacher...
— Ncnni !
Aux oris ponss6s par le paysan, la portiere accourutet
separa les deux champions. Apri's quoi, elle ordonna une
visite exactede toules les cellules du corridor, — enfer-
niant soigneusement Titiibe dans celle de Cogne-Felu et
Cogne-Felu dans celle de Titube.
Lelendemain, Traquenard, en faisant sa rondeaccou-
lumee, crut s'apercevoir que quelque chose avail ete
change dans les prisons do I'ecole. Mais ce fut vaincment
qu'il se creusa la iSte : il ne put jamais se rendre coniple
de la cause d'une pareiUe impression.
Dullcliii de la faiuille Cogno-F^tu.
Pendant que cos choses se passaient a la pension Be-
no'it, la famille Cogue- Fetu nourrissait les reves les plus
eelalanls h I'egard de son herilier.
M. de Cogne-Fclu, — qui voulait en faiie un banquier,
— lui meublait deja un coniploir avec grillages verls, car-
tons verts et registres verts.
Madame de Cogne-Fetu, — qui persistait a le voir a\o-
cal, — lui achetail des livres de droit en cachelte.
L'oncle Frejus, — qui ne dcsiralt rien lant que de le
voucr au celibat, — occupail ses loisirs a lui confectionncr
une labatiere-modele.
Du resle.aucun d'euxnc mellait ses progres en doule.
— Ce cher Clolaire! disait M. de Cogne-Fclu.
— Ce cher .41phonse! disail madame de Cogne-Felu.
— Ce cher Magloire ! murmurail l'oncle Frejus.
Et c'etait ainsi que la famille Cogne-FOtu descendait le
lleuve de la vie.
Phases UUCralris de Cognc-F«la.
Ce fut aa miliea de ees divers incidents, qu'Alphonse
de Cogne-Felu enlra dans la classe de rhelorique fran-
caise et fut initie aux beautes de nos meilleursecrivains.
Selon son habitude, — le petulant garcon fut alleint
d'un violent acces de filteralure.
II prepara une douzaine de plumes, se munit d'une
bouteille d'encre, el commonca un roman en 4 vol. in-li,
— comme c'elait alors la mode. Le sujel elail emprunle
a riiistoire de France, et Taction se passait au leuips des
croisades. Rien de plus clair quo rintric;ue : — Un che-
valier partait pour la lerre-sainte; — pendant son absence,
un seigneur felon pen^lrail dans ses domaincs el (aisait
main-basse sur sa famille, ses biens et ses vassaux; —
au bout d'un certain lemps, revenait le brave chalelain ;
il rossait comme il faut le ravisseur, et pas^ail le reste
des ses jours dansime Iranquillile parfaile.
Tel ctait le plan de I'auteur. Pour animer ce canevas,
il se proposait d'y inlroduire bon nombre d'ermiles, de
pages et fauconniers. II se mil a I'oeuvre avec courage, —
mais vers la seconde feuille un scrupule I'arrela. L'epouse
delaissee s'adressail h son mari :
« Pourquoi, lui disail-elle, m'abandonner seule dans
■ ce pays'?... .\u lieu d'aller combattre sur de loinlains
« rivages, pourquoi ne pas rester au milieu de nous pour
« nous defendre el pour nous prot^ger? Ah! crois-moi,
« le... »
— Le fait est, dit I'ecrivain en inlerrompant son recil,
que celle pauvre femme a raison. Que peut lui repondre
le chevalier? Rien qui vaille. II ne sera pas plu'ot parti
que le fcroce Bruckaert va tomber sur tout ce monde. Et
alors, Dieu sail oil cela nous conduira!... Tandis que s'il
ne partait pas, rien de tout cela n'arriverait. II ne partira
pas. L'hiiloire est finie, cela ni'cst egal. •
Et, pour I'acquil de sa conscience, Alphonse de Cogne-
Felu conlinua de la soile :
« II est vrai, ma chere Bathilde. AUons, je me rends a
« les voeux.
" Le chalelain ne songea plus a quitter son epouse, et
« il vecut heureux avec elle pendant de longues aimees. «
Aprcscecorollairc, I'auteur ecrivit en grosses letlresle
mot Fi>', — et I'orna d'un paraphe qu'il trouva de fort
bon gout.
II tut gueri du roman.
Son deuxieme acces littcraire se manifesta a la lecture
des tragedies de Racine, — que commentaienl vers ce
temps-la les elcves de la division Traquenard. Vivemenl
impres-ionne par les splendours de la scene, el le cer-
veau rempli de coups de theatre, — il eulreprit un melo-
drame du plus grand effet, qu'il decora d'un litre pom-
peux, dans le gout du jour :
MORB.iCK, CHEF DE BRIG.\NDS,
MELODBAME E>- TliOIS ACTES.
Au lever du rideau, on apercevait une fort^t, — oil ro-
daient plusieurs figures a polence. — Morback, envelopp(5
dans un manleau rouge, avec un arsenal de poignards et
de pistolets a la ceinture, arrivail en jelanl des regards
sombres aulour de lui ; — el, apres un instant de silence,
il disait d'un ton sinistre :
« Amis, il fait beau ce matin. •
A quoi il etail nature! que les voleurs repondissenl oui
ou non, selon I'tlal de I'atmosphere ou leurs impressions
personnelles. — Mais le dramaturge, ne Irouvant pas sans
doule celle reponsc a la hauleur des circonslances, mil
dans la bouche de I'un d'eux I'expression d'un doule
narquois :
■ Tu crois? " demandait Bras-de-Fer.
Morback repartait : ■ Oui.»
Son interloculeur disail : ■ Ah! >
Ici, I'auteur ne Irouvant plus rien a ajouter, laissa ces
messieurs fort satisfails d'avoir constate la beaute de la
temperature.
II fut gueri du drame.
Enfin, un cours de versification vint encore faire lour-
ner celle bonne t^le d'etourdi. X peine connut-il les pre-
' mieres regies de la poesie, qu'il resolut de mener ii fin un
poeme epique en I'honneur de Xapoleon. — Le premier
vers lui arriva si vile; qu'il crul deji I'avoir lu quelque
part. Nonobstant cette consideration, il ecrivit au haul
de son papier :
284
CHANT PBEMIER.
El il commenca de la sorte :
LES AVENTURES BIZAURES
a I'avenant. — Cogne-Fetu
Jo cIliiiIc ce lii-ros qui i-cgna sur la France...
La suite n'arrivait pas aussi facilement. — II passa une
heure a se graltcr le fronl el a murniurer enlre ses
dents : " Qui regna sur la France... sur la France... Qui
fit... qui dit... qui... » Rien ne vint. — Sanclie s'elait ap-
procliii de lui depuis quelques nionieiUs, et le rcgardait
d'un air doucement moqueur :
— Voila une heme que tu chanles, lui dit-il; as-tu
bienldt fini ?
— Tout a I'heure, repondit le poi'te qui venait di.'
dScouvrir un biais pour en sortir a son honncur.
Et, mettant un point apres Fiance, sous cet unique
vers il ecrivit :
FIN DU ClUNT PREllIKIi.
Puis, sous le regard sourignt de Sanche,— il coutinua
immedialement a la suite :
CHANT SECOND.
A la fin, impatient^ de n'etre pas plus fecond que pour
le precedent, — il griCfonna :
J'ai clianlu ce Iiltus qui regna sur la France.
Et il lermina par de superbes majuscules.
FIN DU POEME.
II fut gueri dela litteratureen geni-ral, — et des pol'uies
epiques en particulier.
En se jetant ainsi a corps perdu dans le trop ou dans
lo Imp peu, Alphonse g;Ua, gaspilla, ruina completement
ses plus heureuses qualites et ne put acqu(;rir que des
coiinaissanccs superficielles, les pires des connaissances.
L'e.xemple de Sanche fut impuissant h le raniener ; I'ami-
tie, qui les unissait lous les deu.x, lui faisait rendre jus-
tice ;i sa perseverance et prendre part h ses succes ; mais
s'il Tadmirait sincerement, il ne sentait pas la force de
marcher sur ses traces.
Premiere represeiil.illon de S »i\t-A!\«k i;t V ii.ixcotn r
ou les EFFI':T»i DE I. A r(»KTI \l':.
II lui arriva peu de temps apres une autre aventiire.
Le professcur Traquonard, qui, sous de modesles de-
hors, cachait de liautes pretenlions, concut le projet de
faire represenler a I'une des distributions de prix — une
piece de sa composition. Le dircctcur y donna les mains.
Les eleves accepterent la proposition avec enthousiasme,
et Cogne-Felu avec frenesie. Pour obtenir du boii-
homine un r6le important dans I'ouvrage, il lui voua su-
bitement un culte fanatique, ramassa cent fois son niou-
choir etveilla avec un soin scrupuleux a la nettele de ses
verres de lunette. — Sa flatlerie fut recompensi-e. Tra-
quonard luiconfia le personnaj;e d'un rauscadin de I'eni-
pire, superieurement frise et I'csprit empanachedes llcurs
les plus superbes du jardin de rhelorique, tellcs — que
melaphorcs, apostrophes, oalachreses, syiiecdoques , li-
lotes, antitheses, metonymies, etc. La charpente du dranie
etait du reste d'une simplicity extreme et d'une moralite
sous le nom de Saint-Ange,
s'etait lie au college avec le jeune Valincourt, represonte
par Sanche ; il le retrouvait plus lard dans le monde, el,
remarquant sa position pivcaire, feigiiait de ne point le
reconnaitre. La roue dr, la fortune tournait sur cesentre-
faites, et Valincourt, pussesseur d'une brillanle fortune,
venait fiualement au secours de Saiiit-.4nge, plonge dans
une alTreuse misere.
HA P,
Cette vertueuse peripetie etait d'un excellent excmple,
et Traquenard coniplait beaucoup sur un succes.
Alphon.se niangeait et dormait en repetant les scenes de
son emploi. Non seulement il ne se contenta pas d'ap-
prcndre son role, mais il apprit aussi la pifece eutiere,
afin, disait-il, de se bien penetrer des situations. — Le
vieux surveillant 6tait evidemment flatte d'un tel zele. —
Les repetitions se succederent rapidenient. Cogne-Felu
soufflait a gauche, a droite -, il soufllait loiijour.s, il souf-
flait partout, — il soulTlait lesoulileur lui-ineme.
Enfin, le grand jour apparut.
Un iheitre avail ete dresse dans la cour de retablisse-
ment. Des guirlandes, melees aux draperies, lui donnaient
un aspect coquet et de fort bon gout. Les parents so pres-
saienl en foule. II y avail la un veritable public, — mais
'«C^
un public indulgent et sans facon, qui arnvait les mains
pleines de braves el qui avail oublie les sifllelsa la porte.
Ileureusement pour Cogne-Fetu !
Mais n'anticipons pas. — Notre heros, a la vue de cette
multitude dc teles curieuses et attenlives, sentit naftre en
lui une emotion qu'il ne put mailriser. Incapable de se
roidir centre un sentiment quelronque, il s'abandonna au
dccouragement et s'exagera les difficultes de sa position.
— Ce fut avec un tressaillement nerveux qu'il entendit
commencer I'ouverture. — II fallut que Sanche rentrai-
n;U sur la scene; il sentit en entrant ses jambes flageoler
sous lui.
DE M. DE COGNE-FETU.
283
La loile se leva,
Le silence le plus parfait regnait dans I'assemblee.
Le modesle Yalincourt abordait le biillant Saint-Ange,
et clierchait vainement k s'en faire reconnaitre.
— Comment te portes-tu? lui demandait-il.
Un plail-il dedaigneux etait la reponse de Cogne-Felu;
— mais il se trouvait alors tellement bouk'vorse que,
roulant dcs yeux effares autour de lui, il repondit sans
savoir ce qu'il disait :
— Pas mal, et loi ?
Traquenard bondit sur son siege et, de la coulisse ou
il se tenait dans I'anxiete d'un auteur que Ton joue, — il
lui envoya un plail-il furibond.
— Plait-il ? lui dit egalenient Sanche lout bas.
Et le souffleur repeta k diverses reprises, sur divers
tons :
— Plail-il... Plail-il... Plait-il...
Cogne-Fetu se relourna en m^me temps vers la cou-
lisse, vers Sanche et vers le souffleur. 11 ne coniprenait
rien. Tout k coup, pousse par le coude de Sanche, la me-
moire lui revint, et il s'ecria avec .'olubilite :
— Eh quoi I mon cher Sainl-Ange, lu nenie reconnais
pas, tu ne reconnais pas Valincourt, ton camarade, ton
ami, ton Pylade? Est-ce ma mauvaise fortune qui en est
cause? Tu sais quelle fut ma destinee : je suis n6 de pa-
rents pauvres, mais honnetes; a quinze ans...
Traquenard tomba aneanti.
— Mais tu n'y pcnses pas, dit Sanche en le tirant par
I'haliit, c'est mon r61e que tu declamcs. C'est moi qui
suis Valincourt, c'est toi qui es Saint-Ange ; c'est moi qui
dois le center celte hisloire.
Cogne-Fetu resta — bouche beanie.
On fut oblige de passer la scene premiere; cela lui
donna le temps de se remettre pour les suivantes, — el,
sauf quelques empi(5tements sur les r6les de ses camara-
1 des, il put enlin achever le sien d'une maniere a peu
prte convenable. — Lorsque Traquenard vit son ceuvro
marcher a la satisfaction generale, il se remit un peu de
I ses alertes, et les bi-avos qui accompagnerent le denou-
I ment lui firent entieremcnt oublier ses angoisses dcs pre-
mieres scenes.
Alphonse de Cogne-Fetu fut plusieurs fois couronne.
Son pere et sa mere, de concert avec I'oncle Frejus, en
' pleurerent d'attendrissement.
Pendant les dernicres vacances qu'il passa au sein de
ses parents, — il lut attentivement une feuille progressive
a laquelle ils s'etaient recemment abonnes.
Pour son maUieur!
Co(?ne-F<^ui roiide un journal rl^volulfonnairc. — II do-
mande la ICte de Traquenard. — II peint i fresque. —
Violoiite pOri|i<^lie.
L'anmie suivante devait voir se terminer I'education
de notre heros. On remarqua, des sa rentree, qu'il ap-
portait une certaine arrogance dans ses actions, et qu'il
se monlrait plus retif a I'endroit de la discipline. — Le
vieux Traquenard crut alors devoir redoubler de seve-
vile, et se montra d'autant moins indulgent, que son
eleve avancait d'autant plus en 4ge. Pour la premiere
fois de sa vie, Cogne-Fetu apprit I'art de dissimuler, il
se soumit aux punitions, il alia nieme jusqu'a sourire 4
son persecuteur. — Mais, quelques jours apres, de sour-
des rumeurs semblerent agiter I'ecole. On se faisait pas-
ser de petits papiers, on en prenait des copies, on fo-
mentait evidemment quelque machination. — Alphonse de
Cogne.-Fetu vonait de publier le premier numcro d'un
journal qu'il intitulait :
L'lNDfiPENDAXT !
Ce specimen ne contenait que deux articles. Le pre-
mier, du redacteur en chef : — Mori aux profisseiirs!
et le second, du jovial Titube : — ^1 bas Traquenard !
Alphonse, pousse k bout, ne gardait aucune mesure. II
comparait le respectable surveillant k fison, et emetlait
I'avis de le faire bouillir avec de certaines herbes, sous
le specieux pretexte de le rajeunu-. — Titube proposait
des moyens plusdoux : il s'agissait de garrotter la victime
et de lui chatouiller la plante des piedsjusqu'hce qu'elle
mouriit de rire, — (rcpas excessivement plaisant et qui
n'a rien de cruel en lui-meme. Mais un hasard, le plus
funeste des hasards, fit tomber cette proclamation incen-
diaire dans les mains de Traquenard en personne.
II en fut allerre, — et courut auprcs du directeur, —
qui decida sans delai le renvoi des agitaleurs et fit pre-
venir leurs parents. En pleine classe, et d'une voix for-
midable, le vieux professeur interpella les deux publicis-
tes, et leur fit connaitre I'arret par lequel ils (5taient
chassesde la maison.
Chasses 1 ! I
Cogne-Fetu pAIit. — Titube ricana.
— Dans une heure, ajouta le professeur, vous ne screz
plus ici. Voici I'instant des recreations; vous allez rester
enfermes dans la salle.Vos families sont prevenucs. Adieu,
messieurs ; tachez de profiler de celte lecon.
Les cloves sortirent en silence, frappes de stupeur.
Seul, en passant aupres de son ami, — Sanche se jeta
dans ses bras, fondant en larmes. Force de suivre ses
condisciples, il ne le quilta qu'apres lui avoir longuement
serre la main.
Lorsque les deux complices se trouverent seuls, — Al-
phonse secoua la l^te, comme pour chasser les Iristes
pcnsees quil'assi^geaient.
— Titube; s'6cria-t-il, une derniire vengeance!
— Qa va.
— Donne-moi du charbon.
— En voila.
— Et mainlenant, prends garde!
286
Une heure aprcs, I'onclo Frejus nrrivail, epouvanIO ; —
ol, i» la suile d'une longue altercation avec Traqueiiaid,
— il partit avec son neveu, vis-h-vis duquel il se renfcr-
ma dansun morne silence.
Uii roulement de tambour rappelle Ics ecoliers en
classe. Le front baigne de sueur, ilsrajusteut leurs vele-
meiits et s'apprctont Ji reprendre leurs etudes. — Tout h
coup, les premiers arrives font relentir un grand ^clat de
riro. On se pressc, on se bouscule, on penetre dans la salle,
et I'hilarite devient generate. — Traquenard arrive avec
un visage inquiet. — A sa vue, les eclats de rire redou-
blcnt; onse pamc, on se roule, on se tord sur les bancs.
— II jetle les yeux autour de lui. Sur les mursblanchis a
la cliaux, des fresques an charbon forment une galerie fan-
tastique. — C'est bien lui, Traquenard, avec son nez k
corbin, sa perruque et sou habit vort-pomme. Le dessi-
aaleur n'a point permis d'i'quivoque : on lit en gros ca-
racteres :
Extslencc ecolastlqiic el inylliologifitie dc Traquenard.
Puis on distingue successivemenl de rapidesebauches,
— avec ccs inscriptions :
Traquenard son du sein deR oiides.
Traquenard esl bf rce par les MoHei^.
Traquenard est nourrl par la chevrc Ainallb^e.
Traquenard jnue a\ec un pjntjn.
La premiere dent de Traquenard.
Les IneoDeeqneuces de Traquenard.
LA FRliGATE LURANIE.
Et finalcmenl :
Traqueuardeslplact auraug des cousUllallODs.
Le professeur s'affaissa sur une cliaise. Tant de sc-
cousses avaient ^branle sa constitution. On le mit au lit,
et quinze jours durant il fut ties-gravement malade.
Cogne-Fetu s'elait trop venge.
CU.VBLES MONSELET.
mil REMITS ET A\ ENTIRES DE L.\ VIE IIARlfll.
XA FBXSATS IL'SKANIX.
I.
Le chateau de Penmarek est une vieille demeure feo-
dale, situee pr6s de la cute en Basse-Brelagne ; malgrii
plusieurs degradations qu'il a subies pendant lesguerres
de la ligiie et des factions qui signalerent la minorite de
Louis XKI, il conserve encore un aspect assez imposant.
On voit avec interet ces tours mutilees, la guelte qui
domine le donjon, et la chapclle, qui seule rappelle des
idces de grice et d'elegance au milieu do cet appareil
de force.
C'est la, que vivait dernieremont, dans une solitude
presque absoluc, M. Penmarek qui s'y etait retire aprfes
la perte cruclle de sa femme, morle a Saint-Pol de Leon
quelques annecs auparavant.
M. Penmarek avait deux fils, son cspcrance et sa con-
solation, et ii avait reporte sur eux toute la tendresse
qu'il avait vouee h leur mere ; de lour cote Arthur et Ber-
trand se montraient digncs en tout de I'amour de leur
pere, par leur passion pour le travail, Icurs prevenances
et Ui docilite avec laquelle ils ecoulaienl et suivaicnt ses
avis.
Arthur, I'aine, avait toujours temoigne la volenti de
devemr marin, ce qui allaitbienavec son caractere ferme
LA FREGATE
ct rosolu; Borlrand, au conlraire, rSveur et coiilemplatif
voulailetre medecin. Comrae ricn ncs'opposaitii coqu'ils
suivisscnt ccs deux honorables carrieres, 11. Peiimarek
y consentit facilenient.
Pendant une belle soiree du niois de juin, les deux
freres assis pies de la barriere verte qui ferme I'avenue
etaient occiipes h trier des champignons, des ceps et
des mousserons qu'ils avaient cucillis dans le bois; leur
p4re marchait lenlement enlisant un ouvrage qui parais-
sait bcaucoup I'inleresser.
Tout a coup Arthur pousse un cri, se leve priScipitam-
ment et s'elance sur la route oil il venait de voir un jeune
marin Irebucher et tomber, son frere le rejoiL;nit rapide-
ment ainsi i[ue M. Penmarck, et ils Iransportirent sur un
banc le jeune homnic, qui dans sa chute s'etait foule le
pied droit.
Une foulure sans doule est rarement dan^ereuse ,
mais elle faiteprouver de \ives douleurs, rend la marcbe
impossible gtneccssite un repos absolu pendant plusieurs
jours.
Lorsque .M. Penmarek se ful assure qu'il n'y avait pas
de fracture, aide dequelques paysans qu'il avait appeles,
il placa sur une civiere le jeune homme, quilui exprimait
LURANIE. 287
avec vivacit6 sa reconnaissance, et il le fit transporter au
manoir, ou des soins empresses luifurent prodigues; pen-
dant ce temps, Arthur, montanl sur Favori, son cheval,
s'etait elance bride abattue vers Lannilis, d'oii il reviat
deux heures apres, avecledocteur Guillou.
La reponse du medecin ful des plus tranquillisantes: il
annonca un peu de (ievre, mais une prochaine guerison.
11 exigea le repos le plus complet pendant quelques jours.
Celte fJcheuse circonslance avait rompu la monotonie
de la vie de famille cliez M. Penmarek ; c'etait tout un
evenement. Les jeunes gens, avec celle curiosite iuquiete
qui est presque toujours I'apanage de lajeunesse.auraient
voulu aller fuire de longues causerics avec leuj- nouvel
h6tc, Arthur surtout, dont le costume du jeune marin
avait reveille toutes les emotions el les espoiances.
Mais leur pcre s'y opposa, afin de ne pas faliguer ce
jeune homme ; seal il le vit et appril de lui qu'il elait
novice a bord de la fregale I'Uranie qui avail peri dans
la Mediterranec, qu'a la suite de cet evenement il avait
eteembarque sur un brick de Saint-Malo et dirigede ce
port sur Brest, oil etait sa famille ; il s'y rendait, lors-
que dc>ja fatigue d'une penible journee de marche, il heurta
une pierre, tonibaet sedemil le pied.
Sespapiers, qu'il lira del'etui en fer-blanc oil ils etaient
Toules, confirmdrent pleinement son recit.
Comme il paraissait etre d'un caraclfere fort doux et
qu'il lemoignait beaucoup de reconnaissance des bons
precedes que Ton avail pour lui, M. Penmarek ecrivit a sa
famille el oblint qu'il passerait quinze jours de convales-
cence au manoir. Lui-nieme, n'ayant k Brest que quelques
parents eloiL;nes, y adhera facilement, quelques jours de
plus ou de moins n'avaient pas la mi^me importance que
s'il eiit ele allendu par un pere et une mere.
Enfin apres une scmaine de souffrances qu'il sup-
porta avec courage, le jeune liorame se trouva assez bien
retabh pour pouvoir descendrc aujardinet s'y promener
en s'appuyant sur une canne. Alors commencerent les
tongues caaseries et les interminables interrogations sur
la mer, les vaisseaax, les ev(5nements maritimcs, enfin
toat ce qui pcut frapper etsaisir des imaginations jeunes,
iTides de recits merveilleux.
M. Penmarek, voulant arr^lercel elan auquel du reste
son hole se pretait avec une parfaite complaisance, temoi-
gnaitquelque meconlentenient, lorsque cedernierprit I'en-
gagemcnt de raconter ses aventures de mcr a ses deux jeu-
288
LA FHEGATE LllRANlE.
lies amis, au jardinier Jean el au fils du formier, Yvon
Braoiiezec, qui savalt asscz de francais pour pouvoir com-
prendre et suivreavec inlert^t sesrecils.
Le lendemain pendant la soiree, toute la famille 6tanl
riunie au salon, le jeune homme prit la parole en ces
tennes :
VISITE AU PORT, CONSTRl CTION ET LANCEMENT.
Je Tous ai dejiidlt, messieurs, queje me nomme Yves
Tlialouarn et que je suis fils uni([ue d'un brave officier
quo j'ai eu le mallicur de perdre, il y a quinze mois.
Mon p6re, qui est mort capitainede vaisseau, elaitdans
toute I'acception du mot ce qu'on appolle un oflicier de
fortune : sorti des rangs les plus humbles de la marine,
il avait commence par etre mousse, et, tres-probablemeiit
sans la revolution il ne se fiit jamais elevi5 au dela du
grade de chef de timonnerie; mais les circonstances vin-
rent seconder son calme courage et developperent des
qualiles qui le placerent au premier rang parmi nos offi-
ciers pratiques. Je ne puis mieux couronner son dioge
qu'en vous disantque I'amiral WiUiaumcz I'avait en con-
sideration loute particuliere et que le commandant le
Bozec le reconnaissait 'comme un digne rival dans la
science du pilotage; il faisait passer un coiivoi et sa fr(5-
gale djns les sinuositesdesecueilsou unchasse-maree'ne
s'aventurait qu'en Ireniblant.
Mon pere pussedait une embarcation dans laquelle nous
faisions tous deux de vt^ritables voyages de long cours;
car nous allions dans cette coquille de noix visiter
Ouessant, Camaret et I'tlede Sein, en bravant les redou-
tables courants du Raz et les milliers de rochers qui he-
rissontles abor Js de la bale des Tropasses. Nous pouvions
dire il juste tilre comrae les pScheurs de la cote lorsqu'ils
se trouvent dans ces redoutables parages :
7a Doutr .' va iicourit da tremenat ar Has,
Rac va lettr a so bihan, hag ar mor asobras
0 mon Dicu ! aidcz-moi \ passer le Raz,
Car mon navire oat pelit, et la mer est bien ^ranile.
Nos amis regardaient comme des imprudences ces sor-
ties qui nous conduisaient m^me jusqu'a Lorient et a Saint-
Brieuc; mais mon pere trouvait du charme k braver le
danger eta m'habituer i voir la mort face a face sans
baisser les yeux : c'est necessaire dans notre elat.
1 Petit navirc ile commerce en u?a;;e sur les cftles de Brctagnc; sa m.Uure
el sa voilure soiit lout ce qn'il y a de plus simple, n'ayanl ni liaiibans, m liiines,
ni perroquets. Suuvcnt les voiles son! leiotcs d'une couleur rougwUre.
Lorsque nous rcstions en ville, il me conduisait
dans le port et me faisait suivre pas a pas les travaux
de construction des vaisseaux et les rtparations de ccux
qui entraient dans les formes' pour 6tre refondus-; nous
allions dans les corderies voir commettre ' les nombreux
cordages necessairesen marine depuis ies plus gros cAbles
jusqu'au bilord.
Nous allions d'autres fois il I'atelier des boussoles, k la
sculpture, a I'avironnerie, h I'arsenal, dans les magasins
g(,'iieraux eljusqu'6 la manutention oiise coiifectionnent
les masses enormes de biscuit ndccssaires aux equipages.
Ilvoidait m'initierde bonne hcureaux plus petils details
d'une carriere a laquelle il me destinait et pour laquelle
je monlrais une vocation decidte. Je n'^prouvais pas de
plus grand plaisir qu'ii voir exdculer les manceuvrcs
des voiles, passer ou depasser les niAts, manocuvrer le ca-
non de mer ou le metlre Ji la serre '.
Quelquefois, dans nos excursions, nous suivions le
cours d'Ajot dans toule sa longueur en admirant celle
magnifique promenade; puis, Iraversant les cours du
sombre et vieux chateau qui domine I'entree du port,
nous netardions pas a y rejoindre quelques anciens amis
de mon pere installs sur cette partie du rocher, que les
Brestois nomment la pointe aux Blagueurs, expression
moins eli5ganle que piltoresque. De la la vue plane, vous
le savez, sur la rade immense si bien defcndue par I'art
et la nature; on d^couvre le goulet '^, les galerics de la
pointe espagnole, le fort Berthaume sur son rocher d'un
aspect ("trange, et au loin les eaux blcues de I'Ocean. Ce
spectacle, que nos vieux marins contemplent avec boii-
heur, y attire tous les jours ces invalides dela mer. Dela,
al'aided'une longue-vue, ilssuivent du regard les navires 1
qui paraissent ii I'horizon ou qui s'engagent dans les 1
passes du goulet : longtenips avant leur arrivije ils IcsJ
nomment par leurs noms, car un niarin exp^rinicnle re-j
connait non-seulement la classe d'un navire, mais son
nom ou celui de son capilaine a la hardiesse, I'habiletc ou
la timiditiS d'une manoeuvre, ainsi qu'ci sa mature ou ;
sa niarche.
1 Formct, bas^ins rcvctus en pierre de laille oil Ton fait enlrer un vaiiscaa
jKuir rinspecter, le rcparer ou le rcrondre. — Quand il y est entrc on ferme
les porles d'echise, et i I'aide de pompes on retire I'cau.
2 Rpfandre un vaisseau, c'est retirer les parties qui le composcnt et les re-
placer successivement afin de conserver son gabarit.
s Comm«ttro, terme de corderie. Faire les cordages, aussiires, dblos,
grcHns, dnsscs, itagucs, etc., elc.
4 Scrre. C'est uu amarrage .1 I'aide de la brague, des palans , de raiguiUellc
fortemeiil soucques on serriis, puur maintenir les canons pendant le niauijis
temps. On met i la serre comme premitire et deuxi^me batterie.
5 Entree de 1ft rade de Brest, lougne, elroite et prutegce par de m.m-
brenses batteries.
Typ. LacnAMPB QI= et Cump., rue Damietle, 2.
CflROMQUE DES MOIS.
OCTOBRE.
L ne fait plus chand et il ne fait pas
encore froid. Voilii le mois d'oclobre.
C'est un mois de transition, tout sim-
plement. II acheve et il commence; il
acbeve de cueiUir ses fruils et il com-
mence a labourer ses terres arables. II
coupe les vendange^ en deux. II jelle
■&t^ sa ligne a pteher dans un coin et arme
son fusil Lefaucheux pour la cliasse
h travers buis.
Qa, mon genlilliomme, mettez voire
habit anglais, votre casquette anglaise,
vos bottes anglaises, et montez sur
votre clieval anglais, aveo votre cravache anglaise a
la main. Voicila meute quijappe, qui lourne, quiaboie;
voici les piqueurs, les veneurs et toule celte bande
bruyante qui n'attend plus que votre signal pours'elancer
comme un caucliemar poursuivi par une fanfare. Les
poetes nous ont chante bien souvent les plaisirs de la
chasse, el'h mon avis ils ne I'ont pas fait encore autant
qu'elle le merite. Songez done quels grands souvenirs
hisloriques reveille le son Gerement melancolique du cor
dans les forets! L'avez-vous jamais ontendu sans vous
rappeler le cortege eblouissant des dames de haul lignage
posees sur de blanches haquenees, des faucunniers avec
la plume k la toque el I'oiseau sur le poing, de Vhallali
furieux et des torches flamboyanles, seniant derriere elles
des sillons d'etincelles ? Un beau et splendide spectacle que
celui-la et dont le Jockey's-club devrait bien un jour ou
I'aulre, dans un de ses caprices princiers, ressusoiler la
pompe toule royale :
La chasse nous fait tomber dans le banquet, et le ban-
quet c'est surtoutetprincipalement le mois d'oclobre. On
goute alors celte_^boissou qui n'est plus du raisin el qui
T. II.
n'est pas encore du vin. C'est a qui s'en ira lourner le
robinet de la cuve, oil da sourds grondements annoncent
une fermentation d'heureux presage; et il n'est pas rare,
dans ce cas que le choc des verres ne devienne le pro-
logue d'une de ces conversations petiUantes et enjouees,
oil I'esprit fait lui aussi sa vendange. GrJce i. I'edit
19
290
OCTO
pr^fectoral, le gibier se promfene impunement sur les
tables, nart;uant le corps entier de la gendarmerie.
Aprosle banquet, la danse; aprf-s le Qacon, la musette.
Mais la danse au grand air, avec la lunepour lustre unique,
ou, a defaul de June, un quinquet entre les feuilles d'un
arbre ; un piquant melange des kermesses de Teniers et des
befories de Boucher ; la ferme et le chateau qui se donnent
la main. Le classique tonneaude I'orchestreest dressedans
le fond ; le menetrier joue en aveugle et comme doiventjouer
biencertainemenllesmusiciensdamnesdel'£'«/i'rduDante.
Mais qu'importe a ce monde joyeux qui saute plulot qu'il ne
niarche, qui bondit plut6t qu'il ne saute? La joie eclate
dans lous les youx, et c'est sans '.nul souci de la mesure
que les groupesse croiscnt ct s'entrelacent. La rcnde est
le denofimont du banquet, comme le banquet est la suite
de la vendange et de la ohasse.
Mais qui sera le diinoiiment .fie la ronde maintenant?
fitendez unrpeu Ininvahi et .ecoulfizle ventse taine. C'est
la pluie, la jplui&qui procode d'abord.par larges^outtes,
puis par gotfttesiplus fines-ellplus sorrees, et ertfin par un
abat d'eaa violent, general. En peu d'instants, I'alarme
cstau milieu des danseurs, et c'est aussitcU un sauve-qui-
peivt elTroyable parmi lasoHc de bal. Les granges sont
envaliies de m^-me que les hangards;; tout est bon pour
lesjeunes filles qui abritent leurs charmants visages sous
leur mouchoirouleurtalilier. Leplaisir n'a que le temps
d'ouvrir ses ailes et de s'envoler vers nos antipodes.
Chacun ne songe plus qu'a regagner sa mai^an, a travers
les flaques ri'ccntes du chemin et les sentiers boueux qui
conduisent au village ; heureux encore si Ton y arrive sans
autre inconveuient que celui d'etre mouille jusqu'auxos,
et si un bon feu de sarments pent conjurer h temps les
symptomes d'une fluxion ou d'un rhuniatisme !
La pluie ! — c'est une des pages les plus tristes du
mois d'octobre. La pluie, qui scintille a travers les der-
niers ravons du soleil, comme une lamie dans un regard !
.4vco la pluie, gemissent les girouettes au bord des tolls
d'ardoises; avec la pluie tombent aussi les sapins de nos
belles monlagnes sous le fer de la hache. Pauvres arbres,
ils esperaient long-temps encore sans doute voir des oi-
seaux suspendus a leurs branches et des reveurs assis a
I'ombre de leurs vicux troncs!
Les supeibes rhetoriciens de la revolution avaient de-
baptise le mois d'octobre pour lui donner le nom de ven-
demiaire, qu'il partageait avec le mois de septembre; el
si nous remontons dans le passe, nous lui verrons bien
d'autres transformations et bien d'autresbapt'emes encore.
Laissez-moi done deshabiller ce mot, essuyer.lapoussiere
des siecles qui le recouvre et vous le montre.r dans son
enfance romaine, tout herissii de piques et de faisceaux.
Mors il s'appelait or (o imber, le buitieme Sans le ralen-
drier de Romulus et le dixi6me depuis'Numa. C'est a ce
dernier rang qu'il s'est d^finitivement maintenu, sans
BUE.
qu'aucun almanach liegeois aitessayi5 de le lui contesler,
mais non sans avoir failli bien des fois perdre son nom a
defaut de son rang. Ce fut ainsi qu'Antonin I'appela/'dMs-
tinus, en I'honneur de sa femme Faustine ; Commode,
inviclus, en I'honneur dudieu de la guerre; et Domitien,
domitianus, en son propre honneur. Comme on le volt,
ce n'ost pas la faute des empereursTomains si octobre "
s'oppelle encore octobre aujourd'hui, et continue a s'ap-
peler octobre jusqu'a la fin des siecles.
Des fetes presque aussi nombreuses que ses jours le
signalaient dans la ville paienne. C'etaient celles de
Bacchus, le dieu couronne de pampres; et, par un bizarre
rapprochement, celles drs morts ou cleiilheries. Les cypres-
se melangeaicnt ainsi fatalement avec les roses, et les
larmes de deuit ne servaient qu'a faire gresiller davantage
le feu de joie. Maisle pagonisme aimait, onle salt, & s'en-
tourer de pareils contrastes, et il y avail loujours un de
ses yeux pour la gaiete et un autre pour la tristesse.
De ces f^tes nous n'avons cortserve que la danse en
I'honneur dps vendanges, sans les bacchanales pourprees
qui I'accompagnaient chez lesanciens. Les laventellesdes
Napolitams et les valaqucs des Grecs modarnes ont perpe-
tue iusqu'a present cet usage immemorial, qui est loin de
menacer des'eteindre et qui durerasan^ doute autant que
les vignes du 'Pausilippe et de la Bourgogne, aulant que
les frais Champenois et les brunes villageoises du Medoc.
C'est 1^ une sorte de joyeux remerciments adresses a la
nature, el un devoir dans un plaisir.
Done, Mathurine.etvous.Gros-Pierre.termezlescontre-
vents et niettez la "premiere buche au feu ; que le chtMie
vionne changer sa robe de verdure pour une autre de
braise ; et tenez bien surtout la porte close, afin que I'lui-
niidite du dehors ne penetre pas ici. Nous ne nous chauf-
fons pasencore ii cause du froid, mais seulement k cause
de la pluie. Entendez-vous comme ellebat aux vitres de
la fenelre? .-Vllons, grand'mere, approohez voire rouet de
ratrequillamboie, etdiles-nous un de ces rccitsd'autre-
fois que vous savez si bien, pendantque, groupes autour
de vous, nous murmurerons ces deux vers du chantre-
d'Eioa :
Qu'il est doux, qu'il est doiix d'ecouter des histoire5),
Des higtoircs du temps passe !. ..
"vlOJL
SAINT ELZEAR ET SAl.NTE DELPIILNE.
291
L'ELITE DES SUMS FRAXCUS.
SAUTT XI.ZEAS , comte d'Arian , et SAIW TE DELPEINE , sa femme.
e saint personnage dont nous al-
"loDs retracer la vie fournira une
preavc iirefragable de la possibilite
du sahit dans les hautes positions
du monde, apres surtout que le
divin Sauveiir a declare dans son
Evangile, qu'il etait plus difficile a
uc I'iche de se sauver qu'a un cha-
meau de passer par le trou d'une
•^<J^^y ajgujllg_ iiais, comma on voit, la
^S= difficuUe n'est point une impossi-
bilite, quoique trop souvent les gens du monde confon-
dent I'une avec I'aulre.
Elzear, dont le veritable nom est Auaias, sorlait de I'il-
luslre et ancienne famille de Sabran , en Ptovence. Son
pere avail ete cree comte d'Arian dans le royaume de
Naples. Sa mere, Laudune d'Albcs, sortait pareillement
d'une maison dijtinguoe. Notre saint naquit en 1283, a
Robians, pres du chateau d'Ansois, ou diocese d'Apt. •
Apres sou bapteme, telle que la mere de saint Louis, la
bonne comlesse d'Arian (c'est le titre que le peuple se
plaisait a lui donner), prit dans ses bras le jeune Elzear,
et Toffrant a Dieu, elle le pria de le lui eiilevor plulot que
de jamais le voir souille d'un peclie morlel.
L'enfaut parut en eEfetsingulierement predestine Jitous
les genres de vertus. La vue d'un malheureux excitait
vivement la commiseration de ce jeune coeur, et il ne se
bornait pas k une piti6 sterile, tant que les personncs
chargces de son education lui accordaient la facility de se
livrer a celte inclination de bienfaisance. Guillaunie de
Sabran, son oncle, abbe du celebre monastere de Saint-
Victor a Marseille, fut charge de completer cette educa-
tion si bien conimcncee. Dc;s ce moment, et ii peine age
de neuf ans, Elzear portaitune ceinturearmee de pointes
aigues sur la chair. Son oncle, en blimant cet exces d'aus-
lerite, ne put s'empecher d'admirer un zele si vif et si
piecoce pour la mortification, dans un Sge aussi tendre.
I. .innee suivante, Charles II, roi de Sicile et comte de
I'i'ivence, voulut qu'on fiancat Elzear avec Delphiue de
Glandeves, qui avait ii peine douze ans. Le pere de celle-
ci etait Sinba, seigneur du Puy-Michel, dont la fortune
egalait la noblesse, et puis Delphine ttait fille unique.
Celle-ci meritait k tous egards, par ses qualites excel-
lentes, d'avoir un epous aussi accompli. Au bout de
quatrcans, le mariagefut celebre dans le chateau de Puy-
Michel. On ne pouvait se lasser d'admirer ce couple qui
semblait ne s'etre uni que pour s'edifier, dans une sainte
emulation, par les pratiques de I'austente chretienne,
C.'elaicntdeux anges qui, sous une forme morlelle, et fou-
laiit aux pieds les plaisirs meme permis, n'avaient d'autre
sollicitudc que de marcher constamment dans la route
qui devait les reconduire a la celeste patrie dont ils etaieut
momentanement exiles. Elzear et Delphine passerent ainsi
sept ans dansle chateau d'Ansois, qui apparteuaitau comte
d'Arian, et se retirerent ensuite , afiu d'etre plus libres
dans leur goiit pour la solitude, dans celui du Puv-Michel.
Leur vie commune etait celle d'un frere avec sa soeur.
Elzear n'avait que vingt-trois ans quand il perdit son
pere et sa mere. Maitre absolu d'une grande fortune, au
lieu d'y attacher son ca>ur, il n'y vit qu'un moyen de
plus pour secourir les indigents et se livrer plus largement
aux bonnes oeuvres de tout genre. A force de mediter la
loi du Seigneur, il concut un si grand mcpris pour tout
ce qui passe et un amour si ardent pour les biens im-
perissables de I'eternite, qu'il semblait ne plus tenir a la
terre. La journee etait, en tres-majeure partie, employ^
a la prifere et a la recitation de I'office de I'Eglise, el pen-
dant la semaine il parlicipait souvent a la sainte eucha-
ristie. Une grande partie de la nuitsepassaitdansl'oraison
mentale, et pendaut tout ce temps il se tenait k genoux.
On croirail qu'une vie pareille devait rendre Elzear mo-
rose, de mauvaiso humeur, incommole aux personnes
qui I'environnaient : on serait dans I'erreur. La vraie pietii
est loujours gaie, accessible, douce, accommodante. Elzeai
etait d'une conversation aimable , sans aigreur en repre-
nant, et faisant loujours eclater c'ans ses paroles cetle chn-
rite qui, selon 'rApotre, est paliente, humble, toleranle,
benigne. II donnail pareillement ii la geslion de ses afTaire*
temporelles le soin qu'elles exigeaient. A la guerre, il da
ployait une grande bravoure : I'epoque ou il vivait lui en
fournit trop frequemment I'occasion. C'est encore a tort
qu'on se figurerait impropre aux combats ou.au gou-
vernement d'une maison considerable et d'une grande for-
tune, I'homme voue a la plus tendre piete. II faut ici rappe-
ler les paroles de I' Apotre. La piete est utile a toules choscs.
Un reglement que le comte Elziar fit pour sa maison est
une preuve eclalaute de la haute sagcsse que pent inspirer
a un Chretien la profonde piete dont il fait profession.
Nous devons ici le transcrire, parce qu'il pent servir de
modele, et qu'il est d'ailleurs une eloquenle preuve de cc
qui vient d'etre dit sur les effets d'une devotion toul a la
fois sincere et eclairee.
« 1" Que tous ceux qui composenl ma maison assistcnt
a chaque jour a la me.sse quelque aSaire qu'ils puissent
« avoir. Si le Seigneur est bien servi chez moi, rien n'y
n manquera.
i( 2° Si quelqu'un de mes domestiques jure ou blas-
(1 phcme, il sera sevdrement puni et puis honteusemenl
« expuUe. Je ne puis esperer que Dieu repande sa bene-
« diction sur ma maison, s'il s'y Irouve des homnies qui
11 se devouent au demon. Pourrais-je soufTrir chez moi des
« bouches infectes qui portent le poison dans les ames?
« 3" Que la pudeur soil respeclee. La moindre atleiulc
II quelle pourrait souffrir ne saurait restcr impunie dans
II la maison d'Elzear.
« 4° Les hommes et les femmes doivent aborder le tri-
0 bunal de la penitence une fois par semaine. Que per-
i( Sonne ne soil assez malheureux que dene pas communier
« aux principales solenniles de I'annee.
» ij« L'oisivete sera bannie de ma maison. Le matin,
c< chacun elevera son coeur a Dieu par une fervenle priere
u et lui offrira toules les actions de la journee. Les hommes
292 SAINT ELZEAU ET
et les femmes iront ensuite a leur ouvrage. Dans la ma-
« tinee, ils auront quolque temps pour vaqiior a la niedi-
« tation, mais je ne vcux pas de ccux qui sont perpeUiel-
« lemenL k Teiilise. lis agissent ainsi, non par amour de
« la contemplation, mais par repugnance pour le travail.
« L'Espril saint, en nous decrivaiil la femme pieuse, nous
« apprend que , non-seulement elle prie , mais encore
« quelle est modeste, docile, assiducau travail, etqu'elle
<( prend soin de sa maison. Les femmes de mon service
« prieront le matin, ct emploieront le reste do la journee
« au travail.
« 6" Je ne veux pas que Ton joue a des jeux de hasard ;
i( il est facile de prendre une recreation innocente, sans
« se livrer a la paresse. Je ne veux pourtant pas que moii
(c chSiteau ressemble a un monast^re, et que mes gens
« vivent oomme des ermites. Je ne leur defends pas de
« se rejouir, mais j'entends qu'ils ne fassent rien contre
« leur conscience, et qu'ils ne s'exposent pouit a offenser
« Dieu.
« 7° Que la pais ne soil jamais troublee dans nia fa-
« mille; IJi oil rfegne la paix Dieu liabite. Une famille est
« divisee par Tenvie, la jalousie, les soupgons et les rap-
« ports, comme en deux armfees qui cherchent continuel-
(I lement k se surprendre , et qui, aprte avoir assi^ge le
« maitre, le blessent et le devorent. Je cherirai ceux qui
« seront fideles au service de Dieu, mais je ne souffrirai
« pas ceux qui s'en declareront les ennemis. Ceux qui ne
« craignent pas Dieu ne peuvent acquerir la confiance de
0 leur maitre, et ils dissiperont sans scrupule sa fortune.
« Un maitre entoure de pareils domestiques est, dans sa
« maison, comme dans une tranchte assi^g^e par les en-
« neniis de toutes parts.
« 8" Qnand une dispute s'elfevera, je veux qu'on observe
« inviolablement le precepte de I'Apotre, qui veut que la
« reconciliation se fasse avant le couchcr du soleil. Qu'on
« oublie, a I'instant mfime, la faute commise, et que Ton
0 ^toulfe loute espece d'aigveur. Jesais qu'il est impos-
<i sible de vivre avec les liommes sans avoir quelque
<i chose h soulTrir. Rarement un homme est d'accord avec
0 lui-menie pendant un jour. Qu'il ait un accesd'huuieur,
« il ne salt plus ce qu'il veut. Ne pas condesccndre a par-
u donnera son prochain est uneconduile diabolique; mais
« aimer ses ennemis et leur rendre le bien pour le mal,
« est le caractere distinctif des enfants de Dieu. Si jeren-
« contre de lels domestiques, mon cceur, ma bourse et ma
« maison leur seront toujours ouverls ; je les considererai
« comme mes maitres.
« 9" Tous les soirs, ma famille se reunira pour assister
i< k une conference oti I'on parlera do Dieu, du salut, des
■' moyens de gagner le ciel. 11 est bien honteux pour nous
i < que places sur la terre pour meriter le Paradis, nous y
« pensions si peu, et que nous n'en parlions jamais que
« d'une mani^re superficielle. 0 vie del'homme, comme
« tu es employee! 6 travaux, que voire objet est peu
« digne d'une hne immortelle! Que de fatigues, que de
a sueurs pour des folies! Les discours sur le ciel nous
« excilent a la vertu el nousinspirentdu mepris pour les
« plaisirs dangercux du monde. Comment apprendrons-
V nous k aimer Dieu, si nous ne parlous jamais de lui?
« Que pcrsonne, parmi mes domestiques, ne s'absente de
■a celte conference, sous prelexle de vaqucr h mes affaires.
« Un'ya point d'affaires quimesoienlaussi precieusesque
« le salut de ceux qui sont attaches a mon service. lis se
.SAINIE DELI'lllNE.
« sont donnesa moi, etje remels loul^ Dieu, maitres et
« domestiques, et generalement tout ce qui est en mon
« pouvoir.
« 1 0" Je defends h tous mes officiers, sous les peines
« les plus scvi;res, de causer le moindre tort a qui que
« ce soit, dans ses biens ct dans son honneur; d'oppri-
« mer les pauvres et de ruiner le prochain, sous pretcxte
« de maintonir mes droits. Je ne veux point m'enrichir de
« la substance de I'indigent. Des officiers cruellement
« zeles pour leurs maitres se damnent et les damnent
(c avec eux. Comment peut-on s'imaginer que quelqucs
« l^geres aumones effaceront les crimes des officiers qui
« di^cliirent les entrailles des pauvres dont les crismon-
« tent au ciel pour demander vengeance? J'aime mieux
« aller nu en paradis, que de tomber dans I'enfer avec le
« mauvais riche couvert de pourpre et d'or : la crainte de
« Dieu est une richesse suffisante. Les riches.ses acquises
« par I'injustice et la fraude sont comme un feu cach6
« sous la torre et qui tot ou tard fera eruption et devorera
« tout. S'il arrive qu'on aitenleve quelque chose au pro-
II chain, je veux qu'on lui rende qualre fois autant. Je
« pretends que tons les (oris faits k mon occasion soient
II r6pares. Un homme qui place dans le ciel ses tresors
II pourrait-il se pnssionner pour ceux dela terre ? Je suis
8 sorti nu du sein de ma mere et nu je renlrerai dans le
II sein de la terre, notrc nifere commune. Serait-il possible
« que pour un moment de vie que je passe enlre cos deux
« tombeaux,je voulusse hasarder mon salut oternel? Pour
« agir de la sorte, il faudrait que j'eusse perdu I'usage
« de ma raison, que je ne connusse pas ce que c'est que
II la vertu et que j'eusse renonc6 k la foi. »
Tel est ce regloment, que Ton pent considerer comme
un vrai chef-d'oeuvre de sa^esse chretienne, digne d'etre
pr&ente aux chefs de famille qui ont un grand etat de
maison. Les prescriptions qu'il renferme sont marquees
au coin des vrais principes du christianisme, el si elles
etaientob-servees avec ponctualile, nous demandons si on
verrait souvent ce qui afllige lesiecle actuel dans un Irop
grand nombre de families oil la foi n'est pas la premiere
regulalrice de I'ordrequi doit y regner. Lereglementd'El-
z&ir tirail surloul sa force de I'exempleque donnait celui
qui I'avait redige el impose. LTn maitre aura beau prodi-
guer les plus exccUents conseils a ses domestiques, s'il se '
se met dans le cas de so faire appliquer ces paroles :
« Medecin, commence par te guerir toi-mime... » sesavis
et ses ordres ne seront qu'un vain son.
Delphine secondait admirablement son cpoux et se I'ai-
sail gloire de lui ob^ir en toules clioses. Jamais la plus
16gere disunion ne vint troubler celte harmonic, qui,
meme humainement parlant, est le premier charme du
mariage'; la pieuse comtesse savait triis-bien que la femme
mariee ne doit pas exclusivemenl vivre en religieuse, et
que le soin de son menage entre pour une bonne part
dans I'fconomie de sa sanclificalion. Elle avail avec
elle une sceur nommee Alasie, qui enlrail dans loulcs ses
vues de pi6t(5 el de bonnes a>uvres.
Que dirons-nous surloul de la charile du comte d'Arian ?
Ses visiles les plus douces elaient celles qu'il faisail dans
les h6pitaux, surtoul dans ceux qui etaient pcupli'-s de
k'preux, dont le nombre etail si grand dans ce sifecle.
Chaque jour, illavaitles piedsidouze pauvres et lesser-
vait froquemment k table. En 1310, survint une cherte
extraordinaire. C'etail pour Elzi^ar une occasion de de-
SAINT ELZEAR ET SAINTE DELPHINE.
293
velopper I'immense amour dont son coeur (5lait embras^
pour le prochain. Aussi il versa de tres-abondantes au-
mones dans le sein de I'indigence. Comme on s'etonnait
de cette tendresse pourles pauvres, il repondait : « Com-
« ment pouvons-nous demander a Dieu son royaume si
« nouslui refusonsun verre d'eau, dans la personue de ses
• amis los plus chers?Ne nous fait-il pas trop d'honneur
« en daignant recevoir quelque chose de notre part? »
Apres la raort de son pere, Elzear fut oblige de passer
dans le royaume de Naples pour prendre possession du
comle d'Arian. II n'y Irouva qu'un peuple rebelle qui
prenait parti pour lamaison d'Aragon, centre les Francais.
II n'employad'autresarmesque la douceur et la patience
pour \aincre ses resistances. Son parent, le prince de Ta-
rente, lui disait : » Laissez-moi chJlierlesrcvoltes; j'en
« ferai pendre un certain nombre et lour exeniple pro-
■ duira son effet. Contentez-vous de prier pour moi ; je
« ferai le reste. • Elzear lui repondait : . Eh quoi: vous
' voudriezqueje prisse possession de mon gouvernement
■ par des massacres? Les bons offices produiront plus
" d'eOet. II n'y a pas de gloire pour un lion de mettre en
" p eces desagnenux. Mais il ya quelque chose deverila-
• blement grand a voir unagneau triomphant des lions. «
Le peuple, emerveille d'une douceur si extraordinaire, eut
honte de sa rebellion, se soumit etinvita le comle a pren-
dre possession deson autorilo.
Un exemplesuffira pourprouver combien I'amede notre
saint etait grande. En parcourant divers papiers, il trou-
va des lettres qu'un officier servant sous ses ordres ^cri-
vait i son pere. Elzear y ^tait traite de la maniere la plus
indigne. L'officicr s'clTorcait de persuader au p^re qu'il
n'avait rien de mieux a faire qu'i; d&heriter un fils
plus propre a faire un moine qu'un guerrier. Delphine
ellc-mcme elait indignte et disait a son marl qu'il etait
impossible de pardonner unfourbe qui cachait une haine
aussi violentesous un dehors d'attacbement etde fidelile.
29i
SAIM ELZEAR ET SAINTE DELPIIINE.
Elzeai' riipondit quo Jesus-Clirist proliibait la vengeance
ifit orJonnait de pardonner Ics injures, ot qu'en conse-
quence il allait jelcr cos Icttrcs accusatiices au feu. II
n'hesita pas a le faiie, et le coupable ne recut jamais au-
cun reproclie. L'Idstoire de la vie dc saint Elz^ar ne dit
point si jamais I'officier fut informc de cette admirable
gcnerosile de son maitre.
Elzcar fit administrer exactement la justice dans son
comte et les ofTiciers coupablcs n'eurent point a se felici-
ter de sa condescendance, qui en ce cas aurait ete blima-
ble. Maisquand Icsnialfaiteurs etaientcondamnesa mort,
il allait les visiter, les consoler, les exciter au repen-
tir. Quand des biens avaient ete confisquds, il les rendait
sccretemcnt aux veuves et aux enfants. Apres avoir et6,
pendant cinq ans, en Italic, il obtint dii roi Robert, frere
de saint Louis evfiquc de Toulouse, la permission de re-
tourner en Provence. Ses vassaux du chiteau d'Ansois
lui firent une brillante reception, dont il elait si digne.
Quelque tempsapri-s, Elzearet Delpliine se firent recevoir
dans le Tiers Ordre de saint Francois, en s'engageant a
porter sous leurs liabits du monde ccux de eetle congre-
gation, et a reciler cerlaines prieres, sans toutefois que
leur omission les rendit coupables de peche.
Depuis deux ans, Elzear i'tait en Provence, lorsque le
roi Robert le rappcia en Italic^ oil il le crea chevalier
d'honneur, titre qu'on reservait aux plus braves et aux
plus meritants. La veille de sa reception, il passa la nuit
en prieres, etie jour niemeil communia avec une ferveur
si touchante que tout la cour en fut singulierement edifice.
Robert donna a notre saint une eclatante marque de sa
confiance, en le choisissant pour pr^sider h I'cducation de
Charles son fils, due de Calabre. Elzear dissimula, pen-
dant quelque temps, les defauts de son eleve, afin de
bien connaitrela trempe desoncaractfere; puis, ill'avertit
avec douceur, en lui I'aisant envisager la necessite d'acque-
rir les vertus auxquelles I'obligeaient sa haute naissance
et son avenir de prince et surtout de cbi'etien. Le jeune
prince, touche des discours de son saint precepteur, se
jeta a son cou en lui disant : « II est temps encore de
« commenccr, dites-moi ce que je dois faire. » Des ce mo-
ment le royal disciple fit des progres rapides dans les
sciences et'dans la vertu, et devint plus tard un prince
recommandable par ses excellentes qualites.
Le roi Robert, voulant passer en Provence, laissa la re-
gence de son royaume ii son fils Charles, sous la conduite
d'Elz^ar, qui devint chef du conseil. Voyant les pauvres
dans I'abandon , notre saint postula comme une grace la
charge d'etre fait leur avocat. « Quel office me demandez-
« vous la! dit le prince en riant, vousn'avez pasacrain-
« dre des competiteurs; je mels sous votre proteclion tous
n les pauvres de mes £lats. » On vit alors Elzear charge
d'un sac et parcourani les rues de Naples pour recevoir
les requites des malheureux si Irgitimement places sous
son patronage. II ecoutait leurs plaintes, leur dislribuait
des aumones, et ne laissait peisonne sans consolation.
Comme le hautposte qu'il occupait fai.sait necessairement
passer par ses mains les nominations aux places et les fa-
veurs qui decoulaient du troue, les ambitieux voulaient
acquerir son amilie par des pr&enls. Elzear les refusa
toujours. « II n'est pas, disait-il, facile h un bomme qui a
c( commencd it prendre, de savoir oil il conviont de s'ar-
« r^ter. Les pr&ents enllamment la cupidite. »
Une occasion memorable fit surtout eclater la valeur et
la prudence guerriijres d'Elzear. L'empereur Henri VII,
malgre I'opposilion du pape Clement V, rcsolut d'envahir
le royaume de Naples. Robert envoya centre lui son friire
Jean et le comic Elzear. En deux batailles, Henri VII fut
complelement battu, et les Napolitains firent honncur de
la victoire surlout au comte d'Arian. Le roi Robert dota
levainqueur de riches presents, qu'il accepta par bien-
seance, et qui aussilot dcvinrenl le domaine des pauvres,
auxquels il les dislribua.
En 1323, Elzear, accompagne d'un grand nombre de
seigneurs, vinta la cour de France en qualite danihassa-
deur extraordinaire pour dcmander Marie, filledu comie
de Valois, deslinee a epouser le due de Calabre. La ni'-
giicialion roussit pleiuemcnt, et Elzear fut comble d'hon-
neursa Paris. Mais ce devait etre le lerme de .sa carrii're
mortelle. II y lomba dnngereusement nialade. Depuis
longtemps il avait fjiit son leslament, par lequel il leguait
ses biens-meublesii sa digne t'pouse Delphine, et ses terres
a Guillaume de Sabran, son frere. On pent bien penser
que les pauvres n'y elaient point oubhes, non plus que
les nionasli;res, les h6pilaux et ses domesliqups. Quoique
sa vie eilt (■1(5 celle d'un saint, il voulut, en ce moment
solennel, faire uue confession generate. II recut le saint
viatique et I'extrome-onction avec une ferveur digne de
sa foi, et enfin, etant tomb(3 dans une p(5nible agonie, il
rendit i\ Dieu sa belle ame, le27septembre 1323, n'(5tant
encore Jg(! que de trente-huit ans. Les cours de France et
de Naples t(>moign6rent a I'envi leur doulcur de la perte
d'un homme aussi {'minent sous tous les rapports. Pour
se conformer a ses dernieres volontes, on tiansporla son
corps en Provence, ou il fut inhume dans I'eglise des
Frauciscains de la ville d'.\pt. Plusieurs miracles s'op^-
rerent par son intercession sur son tombcau. Le pape
Clement VI les fit constaler, Urbain V signa le d(:>crct de
sa canonisation, etGrt'goire XI le publia en 1369.
Delphine surv(icut longtemps a son (^poux , et elle cut
le bonheur bien rare de pouvoir I'invoquer comme saint,
du moins la derni(;re ann(;e de sa vie, puisqu'elle mourut
le 26 septembre, en ladite ann(.''e 1369. Cette veuve ("'tait
resttie a la courde Naples jusqu'Ji la mort du roi Robert ar-
Tivie en 1343. Alors la reine, nomm6e Sancie, renonranf
aux grandeurs humaines, s'^lait retiree au convent des Cla-
risses de Naples, accompagnfe de sa chere Delphine. Cette
reine etant morte, Delphine revint dans le chateau d'Ansois
en Provence, oil elle vecut dans la pratique des plus h(j-
roiques vertus jusqu'i samort, arriv^e, comme il a (ni' dit,
en 1369, dans la soixante-seizieme annce de son ^ge. Ses
reliques se gardent avec celles de saint Elzear son (•poux.
Ainsi la mort ne si-para ni leurs corps ni leurs iimes. II est
difficile de trouver dans I'histoire des saints de la Franc(5,
un couple pareil ii celui dont nous venons de retracer suo-
cinctement la vie. Aussi leur mcmoire y est-cUe honorte
des b(;n(idictions les plus meritiies. L'abbe Pascal.
LA BIEi\HEl5REUSE MARIE DE L INCARNATION.
295
BIENHECREUSi: MARIE SE I. INCARNATION'
conuuti, dans I e mondL-, .-^ous le nom
DE MADAME ACARIB, VICOMTESSE DE VILLEMOR.
Vers le milieu de la scconde nioilie
du seiziemesiiicle si tiistemunt fa-
meux par les dechirements reli-
gieux et politiqucs, an moment oil
la pernicieuse ivraie de I'heresie
croissait dans le champ myste-
rieux du pire de famille a\ec
une telle vigueur, quale pur fro-
ment semblait devoir en elre com-
pletement ctouffe, Dieu siiscila des
imes remplies de son esprit qui,
par une ijminenle piiile, proleslaient contre les lion-
leiises defections dont I'Eglise catholique elait al'fligee.
C'est surtout dans le sexe faible que se manifesta cet
lieroisme de la foi, el il ful vrai de dire avec I'Apolre :
Dieu a clioisi ce qu'il y a de plus debile dans lo monde
pour contoiidre ce qu'il y a de plus furt. Trois femmes
illustros etoiinerent alors le monde par une saintete d'au-
tiint plus admirable et meriloire, qu'ellcs occupaient
dans la sociele un rang distingue, et que leur etat d"e-
pouses et de meres de ramille semblait devoir les de-
tourner, non pas de I'obsorvation des preceptes Chre-
tiens, mais des voies de la perfection evangtlique. Cos
trois femmes furent madume Acarie, vicomlesse de Ville-
mor, madame la baronne de Chanlal et madame"Le Gras,
nee Louise de Marillac, dont un des onoles elait garde des
sceaux, et I'autre uiarechal de France.
Nous avons a retiacer aUjOurd hui la \ie de la pre-
miere.
Barbe Avrillot, connue sous le nom dc bienheureuse
Mane de I'lncarnation, naquit a Paris le I''' fevrier 1366.
Son pere, Nicolas Avrillot, etait maitre des comptes de la
cliambre de Paris (aujourd'hui Cour des compte.s) et chan-
celier de la reine de Navarre , premiere eponse de
Henri IV. Par sou pere elle tenait aux maisoiis desUuraut
de Gheverny, des Yaudelard, des Bruslart, des Sillery, et
par sa mere Marie Lhuillier, aux families des Vignacourl.
M^m-
des Menin, des Mesgrigny, des Brochart, des Xicolai, des
Loiigueil. Dans la suite, la famille Avrillot s'allia a la
maison des Mole de Champlatieux, dont un descendant
I'sl aujourd'hui pair dc France et a occupe avec distinc-
liuu un miuislere. Certes. nous savons bien que tous ces
lionneurs ne peiivent ajouler un rayon de plus a I'aureole
d'linmortalile cbietieiine dont est eeintle front de la bien-
lieureuse Marie de rinearnation. Mais ceci corrobore ce
qui a ete dit sur le choix que lit ic S.'igneur de celte
illustre dame, pour edifier ses contenipoiains places au
sommetde la socicHe.La maison paternelle de uotrebien-
licureuse ofl'rait le modcle des verlus chreticnnes , et se
distinguait surlout par un attachement inviolable a la re-
ligion catholique. en un moment oil, comme nous I'avons
deja expiime, I'heresie de Luther et de CaKin recrutait
un trop grand nombre de zelateurs fanatiques. La jeune
Barbe Avrillot vint au monde apres plusieurs enfanlsque
ses parents perdirent au bcrceau. Sa mere la placa sous la
protection de la sainte Vierge, et quajid sa lille cut sept
ans, elle la presenta a Nutre-Uame de Liesse, cclebre pe-
lerinage de la Picardie.
En ce temps c\islait sur les bords de la Seine , aux
portes de Paris, une illustre abbaye connue sous le nom
de Long-Champ , et dont il ne subsiste en ce moment
d'autre souvenir que la promenade frequenlee, dans la
seraaine sainte, par les pei'sonnes dun certain monde dit
298
LA BIENHEUREUSE MARIE DE LINCAUN ATION.
fashionable, ct qui assurement n'a ricn de commun avec
la perfection evangelique. Cost dans ce couvent que Barbo
ful placee, a I'&ge de onze ans, pour y 6lre clevee sous les
yeux de sa lanle malernelle, filisabetli Lliuillier, rcligicuse
d'une grande vertu. La jeune pensionnaire se fil bientot
distinguer par sa douceur, sa docilit6 envers les institu-
■ trices ct son amabiliti envers ses compagnes. Quoique
dispensee des austeritfe des religieuses, elle se livrait dejh
h certaincs pratiques de mortification que son 3ge sem-
blait devoir lui interdire. Souvcnt on dut la roprimander
sur cet exces d'amour et de zele pour la penitence. II est
aise de coniprcndre combien fut fervente la premiere
communion a laquelle elle fut admise. Ce jour devint
pour elle le plus memorable et le plus fortune de sa vie,
bien differente en cela de tant de jeunes personnes qui
oublient si facilement, dans la dissipation deleur jeunesse,
cet acta dont le precieux souvenir devrait a jamais vivre
dans leur ccEur.
La pieuse pensionnaire aurait tres-volontiers consenti
a consacrer toute sa vie au service de Dieu dans cetle
communaute, aupres d'une si vertueuse tante et dans
une maison qui avail pour elle lant d'attraits. II lui
fallut neanmoins rcntrer dans le sein de sa famille, a
I'Age de quatorze ans. L'on vit dans le monde une jeune
personne riclie des dons de la nature, do la naissance et
de la fortune soupirer, avant tout, pour la rctraite, ne
vivre dans une. brillante societe qu'ii regret, ct iinportu-
ner continucllement sa mere pour en oblenir la permis-
sion de se devouer aux soins des nialadcs. L'Holel-Dieu
de Paris etait le sujet favori de son ambition, et elle biii-
lait de s'associer aux humbles scrvantes des pauvres qui,
dans celte maison, Irouvent leur bonheur h soigner les
malades les plus degoiilanls. Mais Barbe etait fille uni-
que; lui laisser embrasser I'etat rcligieux semblait h ses
parents, quoique Ires-pieux eux-m6mes, un sacrifice to-
talemcnt impossible. La mere combatlait les penchants
de sa fille avec une obstination telle, que trop souvent
elle alia jusqu'Ji la durele: On eiit dit qu'elle souffrait de
se voir surpassee en piete par sa fille, ct Barbe etait ac-
cablee de mauvais traitements. On a peine a comprendre
un scmblable travers d'esprit. Dans le grand hiver de
1581 a 1.58:2, il ne fut pas permis a la jeune personne de
s'approcher du feu. Elle en eut les pieds geles, et, pour
la gui'rir, il fallut exiraire des os caries par le froid.
Barbe supporla tout avec une patience admirable, et c'e-
tait la servir h son gout que de lui procurer le' moyen de
soulfrir beaucoup pour son Dieu. Elle ourait consenti a
vivre ainsi, dans une gene conlinuelle, plulot que d'etre
obligte do ceder a des sollicilations d'une autre nature,
et qui, pour tout autre, auraient sembl^, en y accedant,
un moyen sCir de s'affranchir de cetle tyrannie malernelle.
On voit flue nous voulons parler de son etablissemeni,
mais le mariage lui rcpugnait infinimenl plus que tout
autre chose. II fallut nc^anmoins ecouter les propositions
qui lui furcnt faites a cet egard.
Pierre .\carie, vicomte de Villemor et seigneur de Mon-
berrault, fut I'cpoux propose par les parenls de notre
bienheureuse. II avuit fait ses etudes dans le c(5lebre col-
lege de Navarre, ;i Paris, et y avait puise lesprincipcs de
foi sans lesqucls la science ne sert qu'^ enfler ou b per-
dre. Sa mere venait d'acheter pour lui, corame cela se
pratiquail alors, une charge de mallre des comples, qui
lui assurait un Hnl distingue dans la haute magistrature.
Le mariage fut celebre, a Paris, le 24 aoijt 1582. La nou-
velle epouse eut bient6l conquis I'estime de tout le monde
par les belles qualites dont elle etait douce. On la nom-
mait ordinairement : la belle Acarie. Neanmoins, tou-
jours eloignee du faste mondain, elle negligeait la pa-
rure et les nouvclles modes, et il semblait que son rang
en souffrait. Sa belle-mere et son epoux, quoique eux-
memes reniplis de piete, furent obliges de la conjurer de se
rendrc aux exigences de sa position. La jeune vicomtesse
crut devoir acc6der h leurs desirs, tout en gemissant en
elle-ni^nie de ne pouvoir suivre ses inclinations de simpli-
city. II serait impossible d'enumerer en delail les bonnes
ceuvres anxquelles elle se livrait. Qui pourrait peindrc sur-
tout la charity dont elle ^tait remplie pour les indigents, et
son zeleasecourir toutes series d'infortunes? On avait en
elle une confiance si grande qu'en peu de temps elle se
vit comme la distributrice officielle des aumones des per-
sonnes charitables. Henri de Navarre lui-mi^me, a qui
l'on avait tres-avantageusement parle de madame Acarie,
lui envoyait vingt-cinq ecus, chaque fois qu'il faisait sa
partie de jcu, pour eire distribues par elle. Les hopitaux
fetaient pour elle des lieux de di'lices. Elle y faisait en <
m^me temps les fonctions d'apolre par ses exhortations
aux malades, qu'elle finissait par converlir, s'ils avaient
eu le malhcur de vivre jusqua ce moment dans I'oubU
de Dieu. On calcule que son zijle a converti au mollis dix
mille pecheurs obstincs. On cite surtout un gentilliomme
de province, vrai barbare, tyran de son epouse qu'il avait
forcee de se confesser 5 un garcon d'ccurie doguise ei
pri^tre. II avait envoye h Paris cette mallieureuse epou.si
pour y suivre un proces. Madame Acarie, ayant eu oc-
casion de la connaitre, repandit dans cetle iime les plus'
deuces consolations. Bientot le gentilhomme arriva,ct dut
faire connaissance avec la nouvelle amie de sa femme. II
fut tellement louche de la vertu si aimable de madame
Acarie qu'il devint un tout autre homme.'II abjura com-
pletement sa perversite, se converlit, et ne cessa, jus-
qu'a son dernier soupir, de parler avec admiration de
celte femme benie dont la charile I'avait retire d'un si
profond abime.
M. Avrillot, pere de notre bienheureuse, Halt deja vieux
eteloigne de sa fille; il vivait dans sa terre de Monber-
rault, en Champagne. Madame Acarie I'appela dans sa
nlfeison d'lvry, pres do Paris, et liti prodigua les soins les
plus tendres et les plus empresses. Elle eut la consolation
de le voir rempli des sentiments les plus cluetiens, daii!
les derniers jours de sa vie, qu'il termina dans ce village,
Notre bienheureuse ne complait encore que dix-huit
ans, et en avait passe deux dans I'elal de mariage, quand
son mari enlra dans le parti de la Ligue. Mais, en 1o9i,
lorsque Henri IV se fut rendu mailre de Paris, il exila
SI. .\carie de la capitale, sans le priver de la liberie. Sa
charge de mailre des comptes lui fut enlevee. II avail
contracle des dettes immenses en favour de son parti.
Ses creanciers, sans ^gard pour sa jeune femme, qui avait
pu rester a Paris pendant que son ^poux vivait aupres
de Villers-Cotlerels, firent tout saisir dans le domicile
conjugal. Tandis que, entourte de ses six enlanls, elle
elait a table, les huissiers pen^trtrent dans la maison, lui
enleverent lout son mobilicr, jusqu'Ji la chaise sur la-
quelle elle etait assise. Ce cruel evenement ne put allcrer
la tranquillilc do celte belle Sme. Livr^e au besoin, et ,
pouvant a peine procurer un morceau de pain b ses en-f
ait
']
isel
c-|
:i
LA BIENHEUREUSE MARIE DE LINCARNATION.
297
fants, elle se soiimit, sans murmurer, k une position si
penible. Apres tHro parvenue, avec des peines inoui'es, a
placer ses enfanis, deux au college, deux au couvent de
Long-Cliamps, et les deux plus jeunes chez des parenls, ,
elle trouva un asile chez madame de BeruUe, mere du
saint cardinal de ce nom. Ses ennemis I'avait inipliquce
dans un proces criminel oil son honneur et sa vie, ainsi
que ccux de son ^poux, etaient gravement menaces. On
la vit se renfermer dans un cabinet, compulsant des pa-
piers, reglanl des niemoires, puis sollicitant aupres des
magistrals, devorant Ics refus et les humiliations, se trou-
vant ipielquefois mise a la porte par d'insolents valets,
et toujouis calme, patiente, resignee. Que Ton se figure
dans une position pareille une dame naguere riche et
n'ayant point un moyen de ressource dans la foi qu'elle
aurait repudiee, et Ton sera convaincu que le plus vio-
lent desespoir serait la seule consolation qui Uii resterait.
Oh ! que la piele est vlilc a lout! selon les paroles de
I'ApoIre, dejii citees!! !
Os terribles epreuves devaient ^tre accompagnecs de
nouvcaux malheurs. En 1596, comnie elle rexenait de
Luzarches, oil son mari avait obtcnu la permission de
resider, elle se cassa la cuisse, et deux fois encore le
mOme. accident devait se renouveler en d'autres circon-
slances. M. Acarie avait ete enfermc dans la forleresse de
Pierrefonds. Son epoute, en revenant de lui faire virile,
tomba de cheval et se cassa pour la deuxieme fois la
cuisse. Elle resta deux heures etendue sur la terre sans
aucun serours. Deux villageois, enlin, la placi'rent sur une
mauvaise charrette, et la ranienerent a Paris dans ce triste
equipage. Un eleve en cbirurgie manqna la premiere
operation de la cure. Pendant deux heures que dura la
seconde, elle ne poussa pas un seul cri, a tel point que
roperaleur fut oblige de lui demandersi elle elaitmorte...
Quatre mois de soulFrance la retinrent au lit. Enfin, I'an-
nee suivante, revenant de voir son fils aine au college,
elle se cassa encore le meme membre. Trois nouveaux
mois de vives douleurs la clouerent sur son lit, et ne pu-
rent point allerer la sainte resignation de cetle victime
eprouvce par les sonffrances morales et physiques.
Enfin M. Acarie, k force de soUicitations, obtint de se
rapprocher de .sa sainte compagne et vint habiter Ivry.
Plus tarcl, il reconquit une partie de .sa forlune, et les
deux epoux purent s'occuper d'elablir leurs enfanis.
L'aine fut allach^. dans la suite, a la cour de Louis XIII.
Le second embra.ssa I'eint ecclesiaslique et devint cha-
noine de Rouen el grand vicaire a Ponloise, qui appar-
tenait alors ii ce diocese. Le troisiijme futun mililaire de
■dislinclion, el un de ses descendants est mort, il y a quel-
qnes annees, a Strasbourg. Les Irois fille-; se lirent Car-
melites. Nous verrons que la mere avail fonde eel ordre
en France.
Les bornes dans lesquelles nous devons nous renfermer
non-i empechent de raconter les d-marches innombrablcs
que madame Acarie dut faire pour arrivcr Ji fonder eel
elablissement. La verlueuse Calherine d'Orleans, du-
chesse de Longueville, fut choisie par la Providence pour
s'associer au zele de noire bienheureuse Celle-ci fut ap-
pelcc i communiqucrses plans d'instifution dans une as-
semblee de giands et pieux personnagcs. Saint Francois
de Sales e.vamina le projet el I'approuva. L'autorisation
fut demandee au pape, el Ton decida quil fallait sans re-
lache s'occuper de la fondation des Carmelites, sur les-
quelles sainte Therese,'en Fspagne, avait fait rejaillir un
si grand eclal. On choisil I'emplacement de Nutre-Dame-
des-Champs, dans le faubourg Saint- Germain, lieu isolo
beaucoup plus encore a cette epoque que de nos jours.
Le local elait trouve, mais il fallait le peupler, et ce n'e-
lait pas la moindre difficulle. On avait jete les yeux sur
les carm^liles d'Espagne, et Ton voulail que quelques-
unes de ces sainles filles vinssent a Paris inaugurer la
fondation. Les superieurs s'y opposerent. En attendant,
madame Acarie reunissait chez elle plusieurs dames et
filles pieuses pour preluder a I'installalion de la nouvelle
communaute. La duchesse de Longueville elablil enfin,
aupres deSainle-Genevieve, une communaute qui devini,
pour ainsi dire, le germe de I'institution naissanle. Ma-
dame Acarie en etait la direclrice, I'Ame et le modele,
quoique encore ce ne fut poinl un vrai convent de Car-
melites.
On negociait lonjours pour obtenir des carmelilesespa-
gnoles. Henri IV lui-meme avait vu ses instances rep'ous-
sees. II fallut menacer d'excommunication le superieur
general de ces carmeliles pour obtenir quelques soeurs
qui vinssent a Paris. On parvint enfin, avec des peines
incroyables, i en faire arriver quelques-unes, qui furenl
inslallees dans le nouvcau couvent du faubourg Saint-
Germain ; encore memo elles ne s'etaient decidees qua
condition de pouvoir revenir en Espagne lorsquc la com-
munaute serait enfin constituce et qu'elle aurait reuni un
assez grand nombre de religieuses francaises. Nous ne
pouvons dire I'accueil qu'elles recurent et raconter la
pompe de leur installation. Madame Acarie jouissait en-
fin de la recompense de tant de peines qu'elle s'etait
donnees. Quel bonheur pour elle de visiter cetle commu-
naute, qui en peu de temps elait devenue florissante !
Le zele de madame Acarie ne se borna pas a Paris ;
elle voulut encore fonder une maison pareiUe k Ponloise,
et elle y r^ussit. Le 14 Janvier 1 60-5, le nouveau convent
s'ouvrit en presence de la sainte fondalrice accompagnee
de ses Irois filles, de M. de BeruUe, de sa mfere, qui avait
jadis recueilli madame Acarie dans Tinfortune, de plu-
sieurs autrcs personnages el de dames pieuses. Dijon,
Amiens, Tours, Rouen, etc., virent surgir dans leur sein
des communaules du meme ordre, et toujours on voit
madame .4carie ii la l^te de ces fnndations. Ce fut encore
elle qui provoqua I'inslilution des religieux oraloriens,
dont M. de Berulle , dcpuis cardinal, fut le premier su-
.pcrieur.
L'epoux de noire bienheureuse descendit dans le toni-
beau le 17 septcmbre 1013. Dcgagee du lien conjugal, la
veuve ne s'occupa plus, comme on le pense bien, que de
se retirer dans le cloilre. Apres s'y etre preparee, quoique
loute sa vie eCit cle si pure, si pleine de devouement a
toutes les bonnes ceuvres el de renoncement^ sa voloiite,
elle entra dansle monaslt-re d'Aniiens, y fit son noviciat,
sans vouloir se dispenser des exigences d'un ri'glement
qui est fait surtout pour eprouver les vocations, et le
7 avril 161 i elle pril I'habil sous le nom de Marie de
I'lncarnalion. Ici il faudrait beaucoup plus d'espace que
celui qui nous .est fourni par un simple prC'cis de cetle
belle vie, pour decrire toutes les merveillesdont I'histoire
nous presente le detail, au sujet de la nouvelle carm^lite
du couvent d'Amiens. Madame .4carie elait enfin arrivee
au terme des voeux qu'elle avail formes des sa plus tendre
enfance. La maladie vint frequeniment eprouver de plu.s
298 UASlLiyUE DU PANTHEON, A HOME
en plus cette kme absorbee en Dicu ot la trouva de pins
en plus fuli'le. Son elat faible et languissant avail elTrayi-
ses amis, qui la (Jftermineifnt LMilin h se lappiodiei' cle
la capitalo pour y recevoir plus lacilenient Ics secours tic
I'art. Eile I'ut dune tiansferi'e au couveiil. de Poiitoise. En
arrivanl dans cette cumniunaute, le 7 dorembre 161-6,
ellc se jela aux piedsde la supeiioure : • Ma mere, se-
« pria-t-elle, je vieas ici vous donner bien de la peine,
f! car j'en donne beaucoup partuut oiije vais. ■
Lb sejour de la mfere Maiie de I'lncarnation fut tres-
utile a la communaule de Pontoise. Elle en tennina la
construction et enricbit la cliapelle des plus riches orne-
nients. Neanmoins les carmeliles de Pontoise ne jouiient
pas longtenips du bonheur de posseder la sainte fonda-
tiice de leur ordre en France. Le 7 fevrier 1618, elle
tomba malade pour ne ])lus se relever. Les souUrances
les plus aignes pendant deux niois firent eclaler do plus
en plus la haute piete de cette illustre carmelite. Eiifin le
48 avril de la meme annee, elle echangea une vie d'a-
mertume contre les joies ineffables du ciel pour lequcl
elle avail conslamment soupire. Elle elait agee de cin-
quante-deux ans et deux mois. Son corps fut inhume
dans la cliapelle du convent, et un peuple innombrable
ne cessait de sV'crier : « La sainte est inorte, la sauile est
« niorte! » On se disputait le moindre objet qui avait pu
lui apparteuir. On a vu saint Francois de Sales, sainle
Jeanne do Clianlal, Marie de Medieis, ia reine Marie The-
rese d'Autriche et une fouie de nobles personnages venir
humblement prier aupres du lombeau qui recelait ses
pieusos depouilles. M.. le garde des sceaux Michel de Ma-
rillac, qui avait si bien connu notre bienheureuse, obtint
de Louis XIII raulorisalion de prendre dans les ateliers
de riitat les marbres necessaires pour lui eriger un mau-
solee. Mais comme ce monument elait plulot considere
eonime une chisse que comme un tombcau, il fallait I'au-
lorisation du souverain pontife pour y deposer le corps
de Marie de I'lncarnatioh. II elait regie a Home qu'on ne
rendrait un honneur religieux aux corps des personnes
mortes en odeur de sainlete que cinqnante ans apres leur
dt'ccs. 11 fallait cet intervalle avant de proceder aux in-
formations relatives a la beatification. Neanmoins il fut
permis de placer ce corps dans le mausolee en 1642, mais
ce n'a ele que le 24 mai 1791 que le pape Pie VI, apres
uu murexamen des miracles opores par I'intercession de
Marie de rincarnalion , la declara BIENHEUREUSE. 11
ne man(|ne plus qu'une canonisation pour la mettre au
rang des SAINTES.
Pendant les troubles reAolutionnaires de 1793 et 94, le
corps de cette bienheureuse fut soustrait presque mira-
culeusement a la profanation. Ses reliques furent reinle-
grees au convent de Ponloise le 7 mai 1822. Le comte de
Monthiers avait jusqu'h ce jonr conserve precieu.scment ce
saint depot, Une parlie oependant fut remise a I'evfeque
de Versailles, qui en euricliit la paroisse de Saint-Merri,
a Paris, ou tons les ans on celebre en I'honneur de la
bienheureuse Marie de I'lncarnation une solennite qui y
altire beaucoup de monde. L'abbe Pasc.vl.
IIISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIOUES DE ROME,
EASII.IQDX SU PANTHEON, A HOME,
NOTBE-OAME HE L.4 nOTUNDE.
Lorsque le voyageur croil, apres avoir admire Saint-
Pierre du Vatican, ne plus devoir rejicontrer dans Rome
rien autre chose qui soit capiible de J'etonner, il est le
jouet d'nne grande erreur. Qu'il repa.sse le pont Saint-
Ange, et bientdt ses yeux seront frappes, au milieu du
rioiie Pigna, d'un vaste dome qui lui donnera une haute
idee de ranciennc grandeur roniaine. C'est en ell'et le
plus magnifique veslige qui rcste sur les bards du Tibre
de tant demerveilles architocturales donl lesol remain se
couvritsous le regno d'Auguste.
Un quart de siecle avant la naissance de Jesus-Christ,
Marc Agrippa, qui avait epouse la fillede Tenipereur que
nous venous de noniracr, erigea cesomptueux monument
h la gloire de son beau-pi're. Quand il fut termiue, \u-
guste n'en voulut point accepter la dodicace. Alors il le
consacra au dieu Mars et a Jupiter vengeur, en memoire
des vicloires remportees sur Marc-Antoine et Cleopatre.
Plus tard, la destination en fut chan.5ee. Cybele, la mere
des dieux, en devint la principale divinite. On y erigea
une.stalne en I'honneur de chaque dieu de I'Olympe. Cha-
cun y avait son effigie soit en bronze, soit en argent, soil
en or, et quelques-unes de ces statues etaient meme de
pierres precienses. C'est pour cela que les Romains, em-
prunlanta la langue grecque une harmonieuse denomi-
nation, donnerent a cet edifice le nom de I'anlkton, qui
signifie le temple de tons las dieux. Au moment oil loute
la splendeur paienne elait inauguri'e dans ce riche mo-
nument qui sorlait a peine des mains des habiles archi-
lectcs qui I'avaienl eleve, naissait au loud de la Judee,
BASILIQUE DU PANTHEON, A ROME.
dans une pau\re elable, un debile enfant, qui venait ren-
299
Terser la superbe idolatrieet se preparait a faireservir le
Pantlicon a son propre culte. 11 est exlremement digne de
remarqiie, en elfel, que ce grand monument soil le scul
qui ait survecu aux ruines dont le christianismc trioni-
plialeur couvrit le sol de I'ancicnne capitale du monde
paien.
On montait priniilivenient au parvis ou portique de ce
temple par sept marches: cinq d'enire elles sont aujour-
d'liui cachees sous le pave. Le portique est soutenu par
seize enormes colonnes d"uneseule piece de granit orien-
tal. Huit sont rangees de front sur le devant et portent la
corniclie, snr laquelle etait un bas-relief representant Ju-
piter fuudroyaot les geanls. Les huit autres colonnes sou-
tiennent I'interieur du portique; toules ont dcs bases et
dcs chapiteaux de marbre blanc, d'ordre corinthien. Les
solives qui portaicnt le plafond du portique etaient cou-
vertes d'epaisses lames de bronze. A la suite de ce parvis
grandiose s'eleve redifice, qui est de forme ronde elsur-
monte dun ddme. A Paris, on peuts'en faire une idee en
considerant la halle anx farines dans le quartier Saint-
Euslache; mais il n'existe aucune parite cnlre les deux
edifices sous le rapport de la magnificence. La coupole est
percee a son centre d'une grande ouverture qui donne le
jour dans I'interieur du monument. Cette coupole est la
plus grande qui existe dans le monde, puisqu'elle a une
circonference superieure, il estvrai de tres-pou, au dome
de Saint-Pierre du Vatican. Le celebre arcliitecte Bra-
mante, qui fit le premier plan de Saint-Pierre, disait, en
montrant le Panthi^on : « Je veux le placer en I'alr sur
« ma nouvelle wlise. • Le diametre de cette coupole est
de cent trenle-quatre pieds, soil quarante-cmq metres a
peu pres. Le dome de Sainte-Genevieve a Paris (connu
aussi sous le nom de Panth&n), n'a qu'iin diametre de
soixante pieds environ. Mais ici, comme a Saint-Pierre,
le genie chretien a montre une hardiesse tres-superieure a
celle des paiens. Le Pantheon dWarippa est lourdement
pose sur le sol, tandis qu'ii Rome et k Paris la coupole
des deux edifices est lancee dans les airs, A Rome, les
quatre grands piliers qui souliennent la coupole du Va-
tican ont une liauteur de cinquante-six metres.
.ivant de passer a une description plus detailloe de ce
monument, nous devons faire I'histoire de sa destination
chretienne.
Quand la liberto eut ete rendue a TEglise par le grand
empereur Constanlin, ct qu'apres Irois siecles de pers(5-
cutions affreuses la croix eut enlin triomphe, les temples
du paganisme furent de toutes parts renverses. Constan-
tin fit batir a Rome plusieurs eglises, et ue voulut point
faire servir au culte catholique les somptueux monuments
de ridolatrie. II emp^cha neanmoins la destruction du
Pantheon d'Agrippa. Les papes, comme on sait, n'etaienl
point encore maitres de la ville de Rome. Xv commence-
ment du vii« siecle , le pape saint Boniface IV demanda a
I'enipereur Phocas I'autorisation de consacrer au vrai
Dieu ce monument, qui etait reste a peu pres intact. II
ohtint la faveur qu'il sollicilait. Les statues des divinites
paiennes furent enlevees. Boniface y fit eriger un autel it
Dieu, sous I'invocation de la sainte Vierge et de tous
les martyrs. II fit creuser une vastecrypte sous cet autel,
et y fit porter plus de vingt charretees d'ossements des
saints confesseurs de la foi, dont il avail fait exhumer les
restes dans les divers cimetieres de Rome. C'est aloi-s que
le Pantheon prit le nom de Sainle-Marie-aua--Martyrs.
Saint Gregoire IV, en 834, ayant etabli la fete de tous les
saints, qu'il fixa au 1 " novembre, et que Boniface IV avail
bornee a la ville de Rome et dans le Pantheon purifie,
cette (?glise devint comme le berceau de la solennile con-
nue sous le nom de la Tou.ssaint. Plus tard, Saiulo-Marie-
aux-Marlyrs devint un titre cardinalice. Vu chapitre
800 , BASILIQUE DU PA
y fut elabli, et Ton cslimc que c'cst le plus ancien tie
Rome.
Avant la cons&ration de cet bdifice au vrai Dieu, il
s'y etait fait quelques changements. Caracalla avail rem-
place par dos pilastres de niarbre les cariatidos de bronze
qui exislaicnta Tinterieur dans les espaces qui separaienl
les quatorze fenfires , depuis tres-longtemps niurees.
L'empereur Constance II, en 663, lorsque deja le Pan-
theon etait une eglise, fitenlever les tuiles de bronze dore
qui couvraicnt la coupole et le portique, et les fit trans-
porter a Conslantinople. Bcaucoup plus tard, au commen-
cement du dix-septiome siecle , le pape Urbain VIII fit
enlever les plaques de bronze qui recouvraient les gros-
ses poulres du portique, pour en fairc le superbe balda-
quin de I'autel papal de Saint-Pierre. Mais, en compen-
sation, ce pape y fit construire deux clocbers qui ornent
les extremiles du portique. Avant ce pontife et depuis ce
temps, on a fait plusieurs reparations a cet edifice.
Au sujet de la coupole on raconte un fait curieux.
Lorsque I'empereur Charles V visita, en 1 536, la ville
NTHEON. A ROME.
de Rome que ses troupes avaient si horriblement sacca-
gco en 1527, il voulut monter sur cette coupole acconi-
pagne seulement d'un chevalier remain nomme Crescen-
tius. Le monarque elant arrive sur les bords de I'ouver-
ture qui eclaire I'^glise se penchapour en voirl'interieur,
sans qu'il lui arrivfit aucun nial. Qiiand on fut descendu,
Crescentius rapporla a son vieux pere ce qui venait d'a-
voir lieu et lui dit : « Au moment oil I'empereur etait
t incline sur les bords de I'ouverture, j'aiete teiit^ de le
(( pousser pour le piecipiter et venger ainsi I'affieux pil-
« lage de Rome. » Le pere lui repondit : « Mon Ills, ce
« sent de ces choscs que Ton fait et que I'un ne dit pas. o
Nous lisons ce fail dans le Dizionario di eriidizione ,
nouvellement public par le chevalier Moroni, et dont plus
de trcnte volumes out d6ja paru.
II estlempsde faire la description de cette somptueuse
basilique noiumee aujourd'hui vulgairement Nolre-Dame
de la Rotondc ou la Ronde, a cause de sa forme. On a
vu que la sommite de cette coupole etait perc6e d'une
large ouverture qui n'est surmontee d'aucun toil. Au
milieu du pave qui correspond a cette ouverture est un
bassin du mfme diametrc destine a recevoir les eaux
pluviales. Le grand autel est dans un enfoncement semi-
circulaire , qui a ete pratique dans I'epaisseur du mur,
yis-ii-vis de la porte d'entree. L'arcade qui y donne ac-
cf-s est soutenue par deux grosses colonnes de marbrc
jaune antique. D'autres enfoncements creuscs dans les
murs prodigieusenienl epais de cet edifice forment autaiit
de chapclles qui sont au nombre de six, trois k droito el
trois k gauche de I'autel principal. Chacune de ces cha-
pelles est ornee de deux colonnes de marbre antique et
de deux pilastres. Ces colonnes, egalement espacees dans
le pourtour, soutiennent une magnifique corniclie de
marbre blanc, qui regne sans interruption autour du mur
circulaire sur lequel s'appuie la voute do la coupole.
Celle-ci est decoreede cinq rangi5es de caissons encadife.
Entre les aulels creuses dans le gros mur, on remarque
huit aulres aulels adosses k ce mur et dccores de colonnes
corinthiennes d'un seul morceau, en divers maibres an-
tiques. Enfin le mur, aux endroits unis, est reconvert de
riches marbres jusqu'a la corniclie, ainsi que le pave de
la basilique.
Jusqu'au ponlificat de Pie VII , un grand nombre de
petites niches ovales, dans le pourtour de I'eglise, etaient
ornees des busies d'arlistes celebres qui y avaient leur
sepulture, ou dont on avail voulu honorer ainsi la me-
moire. En 1820, lous ces busies et plusieurs portraits
peints furent honorablement places dans une galerie du
Capitole. Nous ne voulons nommer que quelques artis-
tes fameux inhumes dans ce temple. Le grand Raphael y
NAPOLEON.
301
repose. Par son testament, il avail regie que sursa tonibe
on ^leverait un autel decore d'une statue de la Vierge,
sculptec par Laurent Lotli. Ces dispositions furent exe-
cutoes en 1520, cpoque de sa mort. Le cardinal Bembo
fit graver le distique suivant sur le cole droit de cet
autel :
Il!e hie est Raphat-l, tiiTiuit quo sospite vinci
Eerutn magna parens et moriente mori.
« Ci-git Raphaiil, par qui la nature craignit d'etre vaincue
« pendant qu'il vivait, et de s'eteindre quand il raourul. »
On a critique avec juste raison eel eloge du cardinal
Bembo, a cause de son extreme exageralion. En 1833, la
confri'rie dile des Virluosi , donl lont parlie les chanoi-
nes qui desservent cette basilique, voulut s'assurer si les
cendres de I'illustre Raphael reposaient dans le Pan-
theon. On fit des fouilles le 14 septembre de ladile an-
nee, et Ton Irouva en elTet lesossements de Raphael dans
une biere de bois, sous Tare que surmontait la statue de
la vierge de Lotli. On les deposa dans une belle urne de
marbre. A cote de Raphai.'! repose Mengs, autre fameux
artiste qui, neannioms, ne merite pas les pompeux eloges
par lesquels on a cherche a le comparer a Raphael. Le
celebre compositeur Sacchini, qu'immorlaliseson OEdipe
a Colonne , repose dans la m^nie basilique. Nous ue
pouvons omettre un tombeau qui doit singulierement
interesser les Francais. On y lit ; . Nicolas Poussin, pifc-
lor gallus. » Les Romains revendiquenl pour leur patrie
ce grand peintre, parce qu'ils pretendent que, quoique
ne en France, c'est en Italie qu'il s'esl forme. Honneur au
Francais qui a grave ce dementi sur les murs d'un des
plus magnifiques monuments de la ville eternelle !
Au maitre autel de cette eglise on v(5nereune image de
la sainte Vierge, qui fui portce de Jerusalem a Rome, et
que I'on croit peinte par saint Luc.
Tels sont les documents qu'il nous est permis de four-
nir sur cet 6difice, dans une simple esquisse qui suffira
peut-etre pour en donner une idee aux personnes qui
n'ont pu I'admirer de pres.
L'abbe pascal.
ITAPOL^OH,
I.
// Hail une fois —
ainsi doit, en elTot, com-
mencercettemerveilleuse
histoire, qu'on ne se las-
sera jamais de redire et
d'ecouter.
Peut-tilreest-ce une grande hardiesse a nous de pren-
dre la plume, — pour retracer cette page eclatanle, au
has de laquelle s'6lalent les glorieuses signatures de Be-
ranger, de Victor Hugo et de tant d'autres encore qui
ont fait de leur gloire — un bouquet a Napoleon.
N'importe. Plus d'un humble ouvrier a mis les mains k
I'ceuvre sublime de la Colonne; plus d'un artiste obscura
taiUe un chant dece poemeen bronze, — qui, de sa base
colossale, lournoyant sans reliche a travers les canons, les
chevaux, les tambours, les ponts renverses, les villes en
llammes, les rois vaincus, le monde fibloui — sen vient
aboutir a une capote grise et a]un petit chapeau.
Poeme splendidement populaire!
II est des masuresde village qui ne connaissent la figure
de celui qu'ils appellent tout simplement Vempereur, —
que par une lithographie ou une statuette en pl4tre.
L'liomme des champs ne Ten regarde pas mains avec emo-
tion etrespect, non pour ce qu'elle est, mais pour ce qu'elle
lui rappelle. — N'est-ce pas son cteur qui fait la ressem-
blance?
Ceci pose, — enlronsdans noire recit.
11 elait une fois un enfant qui naquit sur un tapis de
batailles, dans une ile de rochers et de taiUis, d'un pere
orateur et d'une mere qui avail fail la guerre, selon I'ex-
pression de M. de Las-Cases ; cet enfant ne marqua ses
premieres annees par aucun deces traits qui font crier au
prodigc et au phenomene ; il fut au contraire silencieux et
reflechi, et, dans son sejour ^ I'ecole, prefera toujours sa
seule sociele, si je peux m'cxprimer ainsi ,a cellede ses
camarades. On eilt dil, Ji le voir se promener, reveur, dans
lejardin de Brienne, qu'il s'oocupait deja i fouiUer sa
jeune pensee et k la tourner vers les choses profondes de
I'avenir; ses paroles avaient cette fiere brievete qui fut
plus lard le signe [distinctif de son eloquence. Le mot
jaillissait avec I'idee.
Cet enfant fut vile un homme. — Tout en mangeant
des cerises a Valence avec une jeune fille, il reniporta un
prix de philosophie au 'concours de I'academie de Lyon.
La revolution grondait alors sourdement comme un lon-
nerre lointain, etsansdoute il I'&outait venir en compri-
mant les battements de sa poitrine. Sans doute il se disait
que son heure etait pres de sonner, et que c'est dans ces
tourmentes populaires qu'un homme fort pent trouver.
place Jise produire — ou jamais. II vit done, avec ce pale
sourire qui lui etait habituel, planter le premier arbre de
la liberie. II entendit done arriver la voix terrible de Mi-
rabeau,avec ce regard froidement ardent qui nel'a jamais
quitle. Mais quand un bomnie dupeuples'envint poser un
bonnetrougesuria t^teduroi LouisXVI, il fronca le sour-
ed — et il attendit.
Napoleon retourna en Corse. II laissa faire la grosse be-
sogne de la Republique a ceux qui s'appelaient des noms
de Robespierre, Marat et Danton, remettant a un autre
moment son voyage a Paris. II laissa passer la trombe,
.sans vouloir ni la pousser ni I'empecher. Seulement, comme
il fallait un aliment k celte time de feu, a la t^te d'une
poignfe de ses compatriotes il s'essaya energiquement k
repousser I'invasion anglai.se. Le premier adversaire avec
lequel il se mesura fut Paoli, — un adversaire k sa taille,
celui-lij, et qui avail ete sa premiere idole. Un jeune
NAPOLtON:
homme.contre un vieiUard. Mais quel vieillaril, et surlout
quel jpune homnie !
L'heure avanrait cependant ou son g^nie allait enfin
ponvoir se reveler. Toulon etait k prendre. On jeta les
yeux sur lui et on en fit un commandant d'artillerie. II
n'est personne qui ne sache par cceur ce premier feuillet
de son liisloire, qui di^cidade son avenir et(iue lui-meme
aimait lant a se rappeler plus lard. La gravure a maintes
fois retrace I'arrivee de ce Corse maladif, — aux chcvcux
longs et plats, la main dans son large habit republicain,
— parmi lesrepresentantsdu peuple et les g^n^raux, suti-
jugues par son audace. Dednigncux et ferme, il balaya
I'ineplie etforcases chefs k lui loisser faire so>i mclier,
comme Hdisait; on fit alors im cercle autour de son
sang-froid, et le premier boiilet qui s'elanca du canon
pointe par lui fut le signal qui I'annonra au nionde.
Son prestige venait de conimenccr. — U forme son etat-
major k la batterie des hommossans peur. Ce simple of-
licier dont il serre la main, c'cst Duroo; ce seigent qui
sable une leltre avec les fclals d'un obus, c'est Junot. II
en fera des dues et des princes a^ant peu. . Avancez ce
jeune homme, ecril lo general Dugommier au comite de
salut public, ou bien il s'avancera tout seul. . Oette pa-
role fut retenue par le comit(?, qui essaya deux ou trois
fois de faire couper la t6te a Napoleon, niais toujours en
vain. II n'etait plus temps.
Apr(!S une premiere excursion en Italic, il centre a Pa-
ris et refuse un commandement en Vendee. II ne veut pas
faire la guerre civile. Dansun petit logement de la rue de
la Michodii?re, seul avec Junot et Sebastiani, celni qui
doit etre emporeur et roi, la clef de voiite d'un siccle
nouvean, I'arbilre des souvcrains de I'Europe, est en ce
moment accoud^ sur une lable grossifere, I'ceil fixe sur
des plans et des livres de tactique, I'esprit nagcant en
pleine conquijte — Qt -n'altendant qu'une seconde occa-
sion pour rcmonter sut la scene. AUendre, ce fut la le
premier secret de Napok'on.
II n'altcndit pas longlemps cette fois. Un jour qu'il fal-
-lait ecraser une emeute et defendre le grand principe re-
volutionnaire, la Convention le nomma general de I'armee
de I'interieur. Ce fut dans ce poste important qu'il s'oc-
cupn d'organiscr I'armee parisienne et qu'il put 6tudier
de prcs la population des faubourgs, dans les relations
directes qu'il eut souvent avec elle. — Plusiears de ses
harangues, et m&me de ses saillies, soht encore resides
dans la mi^moire de quelques bonnes gens. A cetle epoque
il ^pousa Josephine Tascber de la Pagerie, veuve du conite
de Beauharnais, general en chef de I'armee du Rhin,
one des femmes les plus belles et les plus ainiables de son
temps, et la seule qui lui ait donne ces instants heureux qui
I
etaient pour lui rnmmc les entr'actes de sa
Et quelqne temps apri's son mariiige, il partait pour
cetle immortelle ciimpagiic il'ltalic, oil il devait jetcr les
fondemcnts do sa domination, et oil dcvaient elre aussi
renouvelcs et surpasses les prcdiges les plus fameux de
I'antiquite guerrii-re.
La, chacun de ses pas est une epopee, — soil qu'il re-
NAPOLEON.
;loire. —
SOS
Ifeve le courage ahnttu de trente mille soldals manquant
deteul; — soit qu'en moins d'une seninine il detruise
deux armees et s'ouvre un roj'aume defendu par les
Alpcs; — soit qu'avec douze cents homnies, et sur
une seule menace, il on amene quatre mille a reddi-
tion; — soit que sous le feu de IVnnemi il lance un
drapeau au milieu d un pont foudroye; — soit enfin.
que lour h tour et a la fois oapitaine, diploinate, n6go-
ciateur, il jelle I'epouvante au sein de la cour de
Vienne, force le pape a capituler, abatte le lion de
Saint-Marc, refuse deux millions d'une toile du Domini-
quin, ou signe, en dernier lieu, au fond d'un modeste
village, un traite sans exemple dans les fastes liistoriques,
— magnifique denoument de ce drame improvise, qui
commenca pour les puissances etrangeres cette immense
stupefaction de vingt annees, et pour la France ce fana-
ti«me d'entliousiasme dont elle ne s'etait jamais pris pour
aiicun triomphateur!
Plus rapide quel'eclair qui dechire le ciel, sa renom-
mee eblouissait le monde, a lueurs soudaines et precipi-
tees. A peine ^ge de vingt-sept ans, il elait devenu un
demi-dieu pour ses soldats, et, de cette premiere campa-
gne dale ce culte solennel qu'ils lui ont toujours voue.
Un mot de lui etait electrique. Sa parole heurtee, brisee,
saccadec, allait de rang en rang frappcr droit au ccEur de
ces homnics li^ro'iques et les transfigurer en geants de la
fable. — Ilsavaientsurtouten lui cette foi ardentequi fait
accomplir des miracles, et je crois qu'ils eussent marchi
sur des (lots, persuades qu'a sa voix,*comme a'cellc dun
504
NAPOLtON.
autre Moise, les flols allaient s'entr'ouvrir pour leur li-
vrer passage. N'avons-nous pas tous connu de ces types
energiques, et n'en savons-nous pas encore qui ne par-
lent jamais de leur jeune chef d'aulrefois sans passer la
main sur ieurs yeux, k travers un sounre nielancoli-
que? Est-il un de nous qui soil passe indifferent devant
ces tableaux populaires, oil de vieux grenadiers gisant
sur le sable, coupes, troues, morceles, se trainent en
rampant sur son passage avec un en de victoire dans un
dernier soupir !
Paris sejeta sous son char; — mais Napoleon n'accepta
de ces honneurs que tout juste ce qu'il lui en fallait pour
attendre. Car il attendit encore. II se deroba aux accla-
mations qui le poursuivaient dans les rues et dans les
thiitres , et courant au-devant des d&irs secrets du
Directoire , il tourna ses regards vers I'Orient , —
et partit bienlot pour cette expedition fabuleuse, dont le
projet etait sans doute eclos dans sa tete h la lecture des
conquetes Diocletienncs.
Cette phase de sa vie est etrangement superbe. EUe
donne a Napoleon cette aureole poetique qu'il recliercba
sans cesse. Celui qui avail fait clever un monument a
Virgile, devait aspirer Ji relever les statues cnl'ouies des
Pharaons et a planter I'etendard francois a cote des ai-
gles roniaines. La brulante majeste du desert avail quel-
que chose qui atlirait ses pas; et peut-ftre aussi venait-
il demander au passe des lerons pour I'avenir; peut-tHre
venait-il, etranger hardi, dans ce nionde muetde sphynx,
de colosses, de pyramidos, de cimetieres et de villes de-
sertes, demander le secret de la vie h la mort, de la
grandeur au neant. — Nul doute alors que le cadavre de
I'ancienne Egypte ne lui ait repondu.
Ses deux ennemis furent le soleil et la peste. lis ne
I'emptehferent pas cependant d'imprimer son pied puis-
sant sur le Mont-Thabor, et d'etonner une galcrie home-
riquede quarante siecles — au spectacle d'un combat de
dix-neuf heures qui restera comme une consecration
eternelle des armes de la France :
/"\
Mais alors, le moment approchait a grands pas oil la
France allait avoir besoin dun chef supr6me, par suite de
raffaissement d'un gouvernement debile. Une crise im-
minente appelait un coup de mailre audacieux. Napoleon
remit a Kleber le commandement de I'armee d'fegypte,
et s'empressa d'accourir ii Paris, — oil il arriva tout expres
pour assister aux dernieres convulsions delarepublique. —
Ce fut alors que son ambition laissatomber ses voiles etap-
NAPOLF.ON.
parutdanssafierenudite. — Apresavoir,dan6la journijedu | fenStre, il s'installa aux Tuileries
303
18 brumaire, faitsaulcr la representation nationale par la | qu'il
et, la premiere nuit
y passa, on raconte que le talon de sa botle ne cessa
de relentirsurles dalles sonoresdu palaisde la monarchie.
Le voila done premier consul ! — Une fois a ce
faite, il prelude a ses destiuees futures par I'etablis-
sement d'une autorite forte et puissante. II rappelle
les emigres, organise les prefectures, les tribunaux, la
banque, ouvre h I'industrie des -voies nouvelles , et com-
aience au sein de la capitale ces travaux d'embellisse-
qicnt si souvent interrompus par le canon. Aussi cette
:iclivite dans ce repos est-elle une des faces les plus sur-
prenantes de ce genie multiple, qui r.e se dt'lassa de la
;;uerre que dans la legislation. — Napoleon avail trente
.ins alors. Les pompes et les fetes dont la nation 33 plaisait
,1 I'enlourer n'avaient point entame sa nature spartiats.
.11 savaitlavaleurdes vanites, et regardait plutot une ova-
lion comnie un moyen que commeun but. Chez lui cliaque
;ias en poussait un autre. II comptail avec I'enthousiasme
.1 lisait une virtoire prochaine dans les acclamations qui
■aluaieut sa voiture attelee de six chevaux blancs.
Copendant, il ne faut point croire pour cela que lame
de Napoleon se tournal impatiomraent vers la guerre.
Son reve, comme celui de tons les esprits superieurs, fut
le reve de la paix universelle, et plusieurs fois il cssaya
des ouvertures avec le cabinet de Londres. — « La
« guerre qui, depuis huit ans, ravage les quatre parties
« du monde, doit-elle ^tre 6ternelle"? n'est-il done aucun
• moyen de s'entendre? » 6crivait-il a cette 6poque au
roi d'Angleterre. Et, certes, sa moderation ne sera point
suspectee ; trop souvent le vainqueur de I'Europe fut I'es-
clave des circonstances. Alors ses propositions pacifiques
ne furent point entendues, et r.\utriche, associant sa poli-
tique a la politique haineuse de la Grande Bretagne, prit
de nouveau les amies conlre la France, comme si depuis
Arcole la memoire lui etait cchappee. — Force d'obeir ii
sa deslinee, Napoleon fit nn appel aux Fraiicais, qui ac-
coururent en foule aux accents de cette voix si connue,
qui leur avait toujourspromis lagloireet qui avait toujours
506
NAPOLEON.
tenu parole. Unc armee tie reserve fut formee ^ Dijon et
(lirig(5e vers Geneve ; ct, tandis qu'on croyait le premier
consul au scin dc la rapilale, occupe des afl'airos du gou-
vernement, il venait, aiix cris de surprise et d'enlhon-
siasme general, se nieltre un beau matin a la t^te de cette
nouvelleot non moins glorieuse armee d'llalie.
Des Tuileries, il s'elanca done sans effort sur le mont
Saint-Bernard, — et les hauts faits recoramencerent. La
vieille garde, elite des guerriers de Tornite d'ltalie et
d'figypte, date fa renomniee du jour de Marengo;
placee comme une redoute do granit au milieu de la
plaine, elle appelle I'attention de Napoleon par sa coura-
geuse immobilile. En peu de temps, il reconquiert tout
ce qu'il a perdu en Italie et dicte de nouveau des lois a
I'Autriche. — Puis, il revient applaudir a I'Opera ses
chanteurs et ses musiciens favoris.
L'admiration de la France ne connait pins de bornes.
D'un coup d'oeil, Napolton pent mesurer son espoir. En
vain les conspirations
I de partis essaient-elles
\ \ d'entraver sa marche ;
fort de I'appui general,
il ne s'arrete plus, il
va, il va toujours. —
Oil va-t-il? Nous allons
\oir. — Mainlenant il
resume la France tout
entiere : il est I'neil,
a pensee et le bras de
ce vaste corps. Rien
no se fait sans lui, rien
ne sefait que par
lui II absorbe et
ronccnlre en un
seulpouvoirlous
les pouvoirs
le I'Etat. II
realise ce
-N mot de
1
v
Sieyes a Boulay, Talleyrand, Cabanis et Rcrdercr epou-
vantes :
0 — Nous avons un maitre. Napoleon veut tout fairc,
sait tout faire et peut tout faire I ■
II couronne I'oeuvre de sa politique par le concordat,
— ce grand acte religieux qui est la transition solen-
nclle de la republique a I'empire, — parce qu'il com-
prend que I'ordre parfait en France ne peut ctre achettS
qu'au prix du retour des croyances catholiques. Et
seulement alors, le monde commence ii voir clair dans
celtc pensee, et a se reprendre a suivre pas a pas celte
longue ecole buissonniere de la gloire aulour de la reli-
gion...
Voilii done oil il voulait en arriver! — C'est done a
ce resultat que viennent se reunir et ses efforts gigan-
tesques , et ses bataiUes, et ses troph6cs,et ses reve-
ries, et ses Etudes de guerrier, de diplomate et de le-
gislateur. — Sortis du giron de I'Eglise, c'est par les
chemins victorieux de I'llalie et de I'figypte qu'il nous y
fait rentrcr!
II voulait eire un homme complet. II le fut. Pour cela,
il s'appiiya sur les trois pouvoirs qui font le pouvoir su-
preme: I'epee, la croix, le sceptre. — Napoleon est sur-
tout grand par le concordat, quoiqu'il en ait pu faire un
moyen d'ambition. Le retablissement du culte est sa plus
belle victoire, parce que c'est a la fois une victoirc sur
le passe et une victoire sur I'avenir. C'est la reconstilu-
tion eclatante du principe divin. Et il lui appartenait de
mcner a bout ce hardi projet et de s'entourer du prestige
de I'apdlre, a lui, a qui nul prestige n'a jamais man-
que.
Done, coninie jadis Henri IV, Napoleon alia a la messe,
et, qui plus est, il y conduisit son annee.
Le lendemain, il se faisait nommer, — disons mieux,
il se nommait consul a vie. C'etait raser deja la royant6
de bien pres. Mais il avait resolu de passer par tous les
echelons qui y conduisent. Avant de mettre le pied sur
le dernier, il fonda I'egalit^ de la gloire
dans I'institution des recompenses na-
tionales, telles que sabres, fusils, etc.,
remplacees definitivement quelque
.y^
NAPOLEON. 307
fondation de I'ordre de la Legion I civil, ce monument legue a I'admiration des peuplcs. De
beaux preludes, — et de beaux litres aussi a la toute-
temps apres par la
d'lionneur; et, aide des conseils de Merlin (de Douai),
(ie Begouen et d'autres savants legistes, il cr^a le Code
puissance !
Enfin, le 18 mai 1804, le vcea du senat appela Napo-
leon au trone et declara la dignite imperiale heredilaire
dans sa famille. — C'en est fait. La France bat des mains a
son avenement. Son rSve est accompli. II fonde une dy-
nastic nouvelle! — Lui-meme a raconl^ sa fortune en
quelques lignes qui parlent plus baut que tout ce que
nous pourrions dire ici. « La France, qui voulait se
" preserver a toutprixde la contre-rcvolulion,se rappro-
« chait de moi, parce que je prometlais de Ten garantir ;
- elle voulait dormir h I'ombre de mon epee. — La forme
« republicaine ne pouvait pas durer, parce qu'on ne fait
" pas des r^publiques avec de vieilles monarchies. Oe que
•1 voulait la France, c'elait sa grandeur. Pour en soutenir
" redifice,il fallailaneantirles factions, consolider I'ttuvre
« de la revolution et fixer sans retour les limites de I'fitat.
• Seul.jepromettaisala France de remplir cos conditions.
. — Je ne pouvais pas devenir roi. C'elait un litre use, il
• portait avec lui des idees recues. Mon liire devait Sire
• nouveau comme la nature de mon pouvoir.... Je pris le
« nom d'empereur, parce qu'il etait plus grand et raoins
■ defini. »
Empereur ! en effet, — empereur comme Cesar, qui
avail, ainsi que lui, elonne le monde par son genie et ses
conqu^lesl Empereur comme Charlemagne qui avail, lui
aussi, unpied surl'Orient et Taulre sur rOccident! Em-
pereur ! il ne pouvait pas elre autre chose qu'empo-
reur! — Et certes, si jamais vanile dut elre amplemenl
satisfaile, a coup sir ce fut celle de ce monarque de frai-
che date, aux pieds duquel s'inclinaient, non-seulement
la France, mais encore I'Aulriche, I'ltalie, I'Espagne,
avec leur cortege de princes, de rois et d'empereurs
aussi ; — ce fut celle de ce soldat d'hier qui se reveillait
avec un nianteau d'hermme sur I'epaule et un globe entrp
les mains ; — de ce jeune officier de fortune a qui i! fal
lail un pape pour son couronnement; — de cet etranger
qui venait refaire une sociele nouvelle avec des homnies
nouveaux, el qui, mieux que Louis XIV', pouvait s'^crier,
sanscrainte d'etre dementi, non plus cetle fois : — « L'filat
c'est moi, » mais bien : « — L'Europe, c'est moi ! «
Cri qui fut entendu de toutes parts, — et que I'Europe
ne devait pas lui pardonner .'
Charles MONSELET.
508
CAUSEIUES AVEC MON FILS SUR LANATOMrE ET LA Pll YSIOLOGIE.
CAUSERIES AVEC MOI FILS SUR L'AMTOlllE ET LA PflYSlOlOfilE.
Combien je suis hcurcux, inon clier
Ernest, de te voir prendre un si vif in-
tcret a nos p&tites causcries intimes au
cofn du feu ! Le temps est si pi^cieux
et passe si vile, et les peincs de la vie
sont si longues parfois, que les heures
consacrces a I'etude sont en quelque
sorte unc victoire remport^e sur I'ennemi.
Combien je suis heurcux encore, mon enfant, de te
voir ^viter la compagnie de ton camarade Adolphe, qui,
jcune rlietoricien comme toi, mais eleve fort mediocre,
alTecte dejil dans les salons les allures d'un homme fait,
cruyant que I'bomme se reconnait k unbabil effemine et
dans I'art dc.jouer aux cartes! Passe-temps bien vide,
surtout lorsqu'il n'offre aucun intercH; mais passion ter-
rible et funeste lorsqu'il devient une speculation.
Avant de retourner a ton grec, a ton latin et it ta phi-
losophic... de college, occupons-nous d'un sujet s6rieux,
utile, et qui peut etre un complement k ta bonne educa-
tion.
Jeconnais les sentiments rcligieux, ta naive etpoetique
admiration pour les merveilles del'artet de la nature. —
]e connais ta raison et ton coeur, aussi j'ai vu hier sans
etonnement avec quelle ardeur, quel devouement tu
portals secours b ce pauvre vieux Baptiste le jardinier,
qui a failli succomber a une hemorrhagic aprcs s'etre
bless^ avec sa faucille.
Cet evenenient, q\ii t'a cause nne si grande Amotion t'a
aussi supgere une pensee que j'approuve, c'est-a-dire de
pouvoirdans I'occasion, etsans pour cela te faire disciple
d'Esculape, donner des secours plus prompts, plus utiles,
et mieux entendus.
Pour cela, il faut audier Ihomme. U f.iut apprendre
cette admirable machine echappi5e des mains de la Pro-
vidence, et donl les rouages et le mecanisme sont tel-
ement partaits qu 'un souffle peut tout ddranger.
« L'homme, a dit Platon, est une Aine qui se seri d'un
eorps. »
Je neveux point ici cheroher h p6netrerces mysteres sa-
cres de I'ame et del'intelligcnce, ce sont des articles defoi
dontl'explicalion echappe a nos recherches, et qui prou-
vent notre faiblesse u I'egard dc la puissance du Createur.
aissons I'ame a Dieu, elle appartienl ii Uii seul, et ta-
chons de la lui conserver toujours pure et sans lache.
Occupons-nous simplement du corps. Etudions danscelte
soiree c miment est fait ce corps, de quels elements d se
compose; et quandnous connaitronschacune de ses par-
lies, nous verrons ensuite comment elles se component, et
comment elles fonctionnent.
Le corps se compose do parties diires et dfe parties
molles. Les premieres sont les os, dont la reunion foiuie le
squelette.
Quelques-uns s'arliculent enlre eux par une espece
d'enyrenage immobile, comme par exemple ceux de la
t(Sle ; les autresj'lels que les os des menibres, sont recou-
verts a leurs extrcmites d'une matifere solide et glissante,
qu'onnomme cartilage, qui tapisse egalementdes cavit^s
particulieresdanslesquelles ces os ontleur point d'union.
Cescavites, ditesCapsules articulaires, sontconstamment
humectees par un liquide appele synovic. Outre ces
capsules qui mettent les os en rapport les uns avec les
autres et favorisent leurs divers mouvenienis, ils sont
encore retenus et attaches, pour ainsi dire, au moyen
d'un tissu appele ligament dont tu comprcndras I'utilite
lorsque nous etudierons leur mode d'action.
On distingue des os longs qui torment les menibres e(
les parois de la poitrine ;
Les OS larges qui circonscrivent les cavites;
Les os courts qui se trouvent aux parties du squelette
partout oil uno grande solidite se trouve jointe a des
mouvemenls parliels tres-born&.
Sauf un trfes-petit nombre, tons les os sont generale-
ment doubles, c'est-k-dire qu'une ligne droite sfparant
le squelette en deux parties fegales, chaque os a son sem-
blable du coto oppose.
Le squelette, examine de haul en has, peut etre divise
ainsi :
r La tete.
Col.
Poitrine.
Abdomen.
Bassio.
„„ , . f superieurs,
d Les membrcs I . ^, .
i. inferieurs.
Les parties molles recouvrent immMiatement les os,
d'aulres sont contenues dans les cavites formees par les os.
Outre cela, diversliquides de nature spcciale et particu-
liere circulentincessamment et en abundance dans toutes
les parties du corps.
Les parlies molles qui recouvrent immediatemeut les
OS sont, enprocedantdel'exterieur a I'os lui-meme :
La feau, sorte de vetement qui enveloppe le corps,
toile pour ainsi dire parsemee de petits trous, ouver-
tures microscopiques appelees fores, dont la propriete est
ou d'absorber ou d'exhaler, c'est-k-dire, on bien de
pomper les fluides qui doivent pdnetrer dans le corps, ou
bien de rejeter au dehors ceux que le corps ne doit pas
conserver interieurement.
La partie interne de la peau que j'ai comparce a
une espece de toile ou vetement est doublee pour ainsi
dire par une membrane mince, d'une sensibilile extreme,
dite membrane muqueusc, qui est a la peau interieure-
ment ce que I'epiderme est exterieurement.
Sous la peau est une couche, rescau ii mailles contigui's,
mais sqiarees, qu'on appcUe tissu celluhiirc graisscux,
qui donne a la peau sa configuration particuli(>re et di-
verse, selon les parlies qu'elle recouvre.
Dans ce tissu cellulaire sont de petits vaisseaux appeles
veines, urteres o\xvaisseauxlym]>haliijuts, scion la quality
du liquide qu'ils renfermcnt et que nous etudierons en
temps et lieu.
CAUSERIES AVEC MOX FiLS SLR LHYOIENE.
309
Puis vicnnent les mtisclcs, masses rouges fibreuses, en
quelque sorle t'lastiques, servant a I'execution des mou-
vements ct s'lmplantantf aux os par le moyen de cordons
fibreux appeWs tendons. Les muscles sont par insertion,
par intersection ou par enveloppes, separes les uns
des autrcs et terminespar une membrane lisse, resistante
etluisanle, appelee aponeuroses.
Dans les interstices des muscles, de leurs fibres, etc.,
ck et la sont les vaisseaux dont je t'ai parle dejb, —
les nerfs. cordons blancs, qui de la tete ou de la co-
lonne vertebrale se ramilient dans toutes les parties dii
corps.
Les veincs, conduits k valvules destines ii rapportcr le
sang vers le centre oil il doit etre elabori, et qui est le
coEur.
Les arteres, conduits sans valvules destines au con-
traire ii porter de ce raeme centre, le ctpur, et a toutes
les parties du corps, lesang qui a subi cette elaboration.
Quant aux parties molles qui sont contenues dans les
cavites osseuses, elles'sont de plusieurs sortes.
On entend par orgtine, une partie du corps qui fonc-
tionne d'une facon particuliere, et qui a une forme et
une structure qui lui sont propres.
On appelle visceres tout organe contenu, soit dans le
crane, soit dans la poilrine, soit dans le ventre ou abdo-
men. Le mol parcnchijme indique un tissu propre aux
organes glandulcux ., composes de grains agglomeres,
unis par du tissu cellulaire et se dechirant avec plus ou
moinsde facilile.
Sous le titre d'apjiureil, on coniprend la reunion d'un
plus oumoius grand nombre d'organes concourant simul-
tanement h une seule et m^me fonction.
On designe par le mot voies les canaux ou r&ervoirs
que traverse un des liquides du corps, ou dans losquels
ce liquide est contenu.
Un sijsteme est I'ensemble de toutes les parties d'un
m^me tissu, qui, n'importe sa position sp^ciale ou rela-
tive, a la m6me organisation, '.es memos proprietes el les
mi^mes fonctions.
Le mot vconomie signifie I'ensemble de toutes les par-
ties qui constituent le corps.
Je n'entrerai pas , mon cher Ernest, dans de plus
grands dcveloppcments en ce moment sur ces principes
elementaires de I'anatomie humaine, cette petite descrip-
tion bicn imparfaite te donnera I'idee generate de la
composition du corps, ct lorsque nous arriverons a I'ex-
plication des divers phenomcnes dela vie, deja familiarise
avec les termes techniques, tu comprendras plus facile-
mentlesd^monstrations>anatomiques, moinssuperficielles,
etles donneus explicatives sur les fonctions geni^rales, par-
ticulieres, spteialcs ou relatives de I'oiganisme.
C'est ce qui formera le sujet de nos prochoines cau-
series, en un mot, notre etude de la pliysiologie.
J. PovEK, d. m. P.
CAUSERIES AVEC HON FllS SUR L'HIGIENE.
L'hygiene, mon cher fils,
est I'artde conserver la .sanl6.
EUe esla I'homme bien por-
lant, ce que la m6decine est
i I'homme malade.
Elle fait connaitre tout ce
qui pent direclement ou in-
direclementtroubler les fonc-
tions naturelles, renverser
leur ^quilibre et amener la nialadie. Elle apprend les
regies a suivre pour maintenir, autant que possible, I'exis-
tence dans son etat physiologique et pour defendre le
corps contre les atteintes du mal. Enfin elle demontre,
basee sur la morale et la raison, le juste milieu qu'il faut
observer entre I'abus et la privation.
Elle est hygiene publique, lorsque ses regies sont rela-
tives aux masses selon les climats, les habitations com-
munes, les coutumes, les mceurs et les lois.
Elle est hygiene pHvee lorsqu'elle s'applique h I'homme
individuellement ; aussi ses regies varient-elles selon les
3ges, les sexes, les temperaments et les individualites.
En UD mot, l'hygiene est une etude facile et indispen-
sable que trop souvent le vulgaire dedaigne; et dont il
restreinta son propre prejudice les sages applications.
L'hygiene a son resultat materiel comme son resullat
moral. Hcureux qui sait en 'apprecier I'importance, car
les regies qu'elle impose pour le corps peuvent reagir
sur I'intelligence, et I'agrandir en apportant un frein aux
passions.
— Vois cet ivrognc, ce d^bauche, ce joueur; tous trois
ort commence par desfautes contre l'hygiene': alors tout
a ete poureux uue suite de desordres qui les ont conduits
a la miscre, au deshonneur, h la mort.
L'hygiene permet qu'on use desbiensque la Providence
a confies a I'homme, mais elle defend qu'on en use avec
exces. Elle repousse egalement comme immorale ot odieuse
la privation volontaire, qui est un crime ertverssoi-meme,
envers son prochain et envers Dieu.
Au lieu d'aller respirer, ce so;r, I'air infect d'un
esCaminct, de gorger ton estomac de substances agreables
un moment, mais susceptibles de bouleverser ta sante
et ta raison , tranquille d'cspril et de corps, tu rccueilles
en te promenant sous ces fraichesallees les bons avis que
ton pere te donne : c'esila, mon enfant, prendre une bonne
lecon d'hygifene physique ct morale.
L'hygiene coniprend :
1° Les objets qui nous entourent.
Ce sont fair, la lumiere, I'electricite.
Ceux a I'influence desquels nous sommes assujeltis :
Ce sont les saisons, la temperature, les climats.
2° Les objets qui nous couvrent :
Les vetements.
Ceux qui nous scrvenl pour le repos.
Par exemple, les lits.
dIO
CAUSEIiiES AVEC HON FILS SLU LllVClENE.
Ceux enfin solides ou liquides par lesqueU nous ontre-
tenons la souplesse et la pioprele de notre corps.
3° Les objels qui nous alimenlent, quels qu'ils soient.
4° Puis les secretions, les mouvements, les sensations
el les tonctions intellecluelles.
Nous examinerons cliaque chose en son lieu ; mais
avantd'enlrer dans aucun dcvcloppement, je crois conve-
nable, men fils, de te faire prealablement I'explicalion
sucoincte de ce qu'on enlend par temperament, alin que
tu saches i'tablir la diHerence qui existe entre chacun
d'eux.
Bien des gens du monde confondent la consliltilioii
avec le lemperamcnl.
La constilulion est rassemblagc de toutes les parties
quicomposent rorganisation parlieuliere de diaqueindi-
vidu. Ainsi, une bonne constitution est celle ou tous les
organcs, tous les systt:mcs, tous les appareils, developpte
avec egale force, agissent avec Ogale eneigie et fonc-
tionnent avec la meme aisance.
Les (empirammls sont les ditKrences qui resultent
de la predominance marquee de tel ou tel systeme-ou
appareil special, avec les autres systemes ou appa-
reils.
Ainsi- la pr(?dominance gencrale des liquides sur les
solides donne I'idee du tcniperanienl mow, qui se recon-
nait a des chairs boursoullees et sans vigueur quoique
volumineuses.
Si le contraire a lieu, on dil le lempiTanient solide ou
sec.
La lytnphe est un des lluides de notre corps qui cir-
cule dans un appareil de vaisseaux parliculiers. Ce Iluide
est incolore et tres-abondant. II acquicrl dans le lorrent
de la circulation des proprietes nouvclles, lorsqu'il se
trouve en contact avec d'autrcs fluides dont la combinai-
son concourt a la formation du sang.
Eh bien ! les individus chez lesquels la lympho circule
avec execs ont un temperament qu'on appelle lympha-
tique, etqui se reconnait aux signes suivants :
Peau blanche et molle.
Cheveux blonds, lisses etsoyeux.
Formes arrondies, epaisses, sans elaslicite ni consis-
tance, ni energie decontpactdite.
De li, paresse naturelle dans les fonctions, dans les
mouvements; faiblesse dans les sensations; absence des
passions fortes et exaltees.
En general lelfemperanientlymphatiquocst hereditaire ;
il est tri's-frequent dans les conlrees humides ou froides,
et nousverrons, plus tard, lesmodificateurs que I'hygiene
pent lui ofl'rir.
Dans les grandes villes en general, le temperament
lymphatiquedomineche?. la plupartdcs enfanls qui nais-
sent; I'exces de la tendresse materndlc, I'exces des pre-
cautions de tout genre, au lieu dele modifier, ne font que
I'accroitre, landis que chez les gens de la campagne la
faiblesse native ne tarde pas a se tonifier.
Ce temperament est un de ceux qui afHigcnt le plus
I'espece humaine, on ne saurait I'^tudier avec assez d'at-
lention, car I'hygiene, dirigee avec/tact et combinee avec
un pcu de medecine,[peut le modifier enormement.
Lorsque le sang propremcnt dit circule en plus grande
abondance que la Ij raphe, dont je vions de t'entretenir,
il constitue le temperament sanguin.
ta peau est d'une coloration vermeille, les cheveux sont
durs et d'une teinte foncee, le visage est sec, les yeux
ouvcrts etbrillants, les muscles fortement prononcfe, les
formes saillantes et peu arrondies.
A ce lemp^rament appartiennentia vivacitddes mouve-
ments, I'activite de I'intelligence, I'energie des passions.
C'est le propre de la jeunesse, principalement chez
I'homme, et qui existe presque toujours dans les contrees
oil regno une temperature chaude et seche.
Le temperament nervcux dilTere du temperament lym-
pliatique en cela, que la peau e.st d'un blanc mat, qu'au
lieu d'etre boursoullee et arrondie.elleestmaigre et seche.
Les cheveux participont a celle esp(."Ce de surexcitation,
ils sont d'une teinte plus ou moins foncee, ils sont plus
ou moins durs et peu boucles.
Le Iluide nerveux prMomine sur tous les aulres d'une
maniere Iranchee, et son intluence est immense sur les
fonctions physiques, morales et intellectuelles.
Ce temperament s' observe dans I'enfance et principa-
lement chez les femmes. C'est lui qui leur donne cette
exquise finesse de tact et de sensibilite qui leur tient lieu
de force et surexcite leur Anergic.
Les mouvements sont rapides, exaltes, el parfois peu
durables: la prostration suit de pres relfervescence.
II engendre les arts, la poesie, et Ji c6te des plus fortes
passions, il donne naissance aux plus nobles et belles
pensees, aux plus grandes et louables actions.
II s'observe dans toutes les conlrees, mais principale-
ment dans relies oil la temperature seclie domine.
Le tempt'rament alhlcliijue est caraclerise par la pre-
dominance du systeme musculaire, dont le volume, la
durete sont considerables. La tfteest petite; les cheveux
crdpus, rudes et courts; les epaulessont largement dcve-
loppees, le tronc est durement dessine; les membressoni
courts et trapus.
Les mouvements sont d'une puissance extreme; mais
les facultes intellectuelles sont en raison inverse.
Ce temperament se remarque en general dans les pays
froids et sees, chez I'horame adulle.
Le temperament bilieux esl en quelque sorle un tempe-
rament mi.xte ayantquelquechose des temperaments san-
guins et nerveux.
Une peau si'che etbrune; peu d'embonpoint, durete
dans les formes, grande vivacite dans les mouvements,
violence dans I'emporlement des passions : lels sont ses
principaux signes.
II se remarque chez I'homme fait etchez les individus
quiselivrent aux travaux reguliers de cabinet; son exces,
son exaltation produisent la melancolieetses consi?quences.
Telles sont h peu prfes les diverses series principales de
temp^ament. Mais il peut se faire que deux ou iroi.s
espijces de temperament se trouvent prSdominer en-
semble sur les autres, et alors ils forment autant d'es-
pL'ces composees et speciales a I'individu, et, dans leur
appreciation, il faut tenir compte des causes suscepti-
bles de les modifier nalurellement, par exemple I'agc, le
.sexe,lesclimats etlemilieu dans lequel I'individu est place.
Tu vols deja, mon cher fils, par cette enumeration ele-
nientaire des temperaments, que les rfegles de I'hygifene,
qui peuventetregen6rales pour une classeenlierede tem-
peraments de meme nature, ne ^ont poinl applicables a
tous les temperaments; qu'il est done utile de bien ela-
blir les bases de ses appreciations et de ses applications,
selon les climats et les individus.
LE IMU.NCE CHAIII.ES STUAUT.
511
L'liygienc est done encore une science d'observation et
de tacl qui vous fail connaitre que telle chose convient a
Tun, qui est uuisible a I'autre, et reeipioquenient ; etqu'il
ne faut pas, d'apres un syslenie general, poser des regies
nvariables et placer tous les individus sur un seul et
mftineplan. J. I'oveb, d. ni. P.
VARIETES UISTORIOIES.
I.E PRIIVCE CHARIiES SXIART
VllGAlHEMEM N0MM£ LE JEL.NE PRfiTENDAST.
L ' mallieureuse destin(5e dcs Stuarts
(Tre un sujet non nioins triste
u'interessant a mediter. S'il est
rai qu'une grandc partie de la
ataiile qui s'cst atlachce a leurs
as doive etre altribuee^i leur
naniere de pcuser et d'agir, tou-
tefols, apres avoir fait la part de leurs faiblesses, de
leur ('goisme et de leur imprudence, I'observaleur sans
prevention sera force d'admettre qu'ils eurent des temps
bien diHiciles a traverser, et que leur chute fut due non
nioMis aiix circonstances exterieures qua un manque de
conduite. De tous les Stuarts, le plus interessant a nos
yeux est, sans contredit, le royal martyr Charles Pre-
mier. I.orsque nous parcourons le recit de ses'longues
nlTrances, notre pitie, notre sympathie, noire amour,
i! tour a lour excites; et nous spnlons s'allumer notre
iiiiiurialion, quand nous voyons calomnier sa memoire,
ti (lonner une interpretation mensongere et mechante a
-I - pensees, a ses paroles, a ses actions., De son temps,
iV,]]rit (Je parti, I'ardeur de la lulle, le froissement d'in-
trivis opposes, pouvaient fiiire excuser les ecarts d'une
1 vollantepartialite;mais,de nos jours, lorsquela tombe
;iliiile les dernicrs rejetons de cette famille infortunee,
(111 a peine a eoncevoir racharnement avec lequel cex-
tjiiis ecrivains poursuivent, apres tant d'aiinees, I'oeuvre
(','-■ la liaine, et fouiUent avec leurs puignards dcs cendres
que le malheur cut du rendre sacrees.
.\pres Charles Premier, le hcros que nous avons sous
f les yeux est, sans doute, de tous les Stuarls, le plus
[ digne de notre interSt. Le romanesque a ele tellement
m^le Ji la vie de ce prince, son caractere offre tant de
nuances opposees, que son histoire ne saurait manquer
de capliver I'atlcntion des lecteurs de tous les pays. Les
idees ctroites de Jacques II etouffent I'amouret le respect
que ses malheurs poiirraient lui meriter. L'inertie el la
lourdeur d'esprit de son fils. le vieux pretendant, n'ont
aucun droit a noire sympathie. Le jeune chevalier, au
contraire, .se recommande a nous tout d'abord par son
caractere chevaleresque, son inlrepidite, sa conduite si
digne d'un prince, et sa male beaute. II deploya tant de
genereuse audace lors de son premier debarquement en
Eccsse, tant demagnanimite envers sesennemis vaincus,
que nous ne saurions nous defendre de nous inleresser a
lui, ni mime dedesirer soulriomphe, i mesure que nous
parcourons le recit de laventureuse entrcpnse qui fadlil
replacer son peve sur le Irone dc ses ancelres. Cela n'est
point surprenant : ilest dans la nature de rhommo de se
ranger du parti du plus faible, de meme que Ton favo-
rise de ses vceux un joueur centre lequel la chance sc
declare opiniAtrement. II est peu de lecteurs, — de ceux
du nioins qui ont un ccEur genereux, — qui n'aient desire
que les Troyens triomphassent des Grecs, qu'llector
I'empoital sur son arrogant adversaire ; il en est peu qui
n'aienlpas sympathise avec .innibaldans ses gigantesques
efforts pour ecraser la tyrannic romaine ; qui n'aient pas
cpouse la cause dc I'inforlunee Rose rouge, en parcou-
lant les annales des guerres civiles qui dechirercnt I'An-
gleterre. Ainsi, nous le repetons, il n'esl pas elonnant
qu'un prince jeune, brave et malheureux, ayant de sou
cole les droits de la legiliniite, faisant des efforts qui
tiennent du prodige pour alteindre le but de sa noble
ambition, et ne succombant, en dehnitive, que par la
lachete morale do ses compagtions, fasse vibrer les cordes
les plus d^licates de notre coeur lorsque nous lisonsl'his-
loire de ses hauls fails, et alors meme que nous sentons
cjmbien il imporlail au bonheur du pays que la maison
. d'llanovre deraeurat en possession du trone. La raison el
le sentiment n'adoptent pas le meme drapeau dans celle
lutte de deux principes; mais k present que toute possi-
bilite dc succes pour les Sluarts est a jamais disparue,
nous pouvons donner un libre cours i nos senereuses
sympathies, el souhaiter que ce qui ne se peul pas se
puisse.
L'ouvrage que vient d'ecrire M. Ch. L. Klose, ecuyer,
sous le litre de Memoires du Prince Charles, est palpitant
d'interet. Les fails qui y sent relates ont ele puises aux
meilleures sources, et le style de la narration est simple,
sans pretention, coulant el anime. La plupart des choses
qu'on y rencoiy.re sont, il est vrai, deja connues du pu-
blic, grace aux romanshisloriques de Walter Scott; lord
Mahon, de son cole, dans son histoire d'Angleterre, a
rendu pleinement justice acet episode si romanesque des
annales de I'Angleterre. Neanmoins , le nouvel ou-
vrage a pris une place qui n'etait pas encore occupee, et
Ton peul le considerer comme un livre qui manquait.
L'hisloire de cette memorable entreprise est en sui une
chose sicomplelemenl a part, qu'elle meritait d'etre trai-
tee de la maniere que M. Klose a choisie. II a donne,
comme introduction a son recil, un resume lucide et bien
ecrit des aventures des Stuarts jusqu'a I'apparition du
jeune Charles dans I'arene politique ; il y a joint une
courte relation de la rebellion de 1715, qui eul lieu sous
les auspices de Jacques III, pere de Charles. II nous a
fourni, en outre, l'hisloire de la vie privee du jeune pre-
tendant, etdeses aventures obscures durant les quaraule
-.12
LE PRINCE CHARLES STUART.
ilerniercs annues de soncxislcnce. Mais le veritable inle-
nHdu livrese conrentro sui rannec 1745; et, pour notre
part,Tious duclarons avoirlu les di'tailsde cftle rebellion
roijale avec presquc aulant dinlerct que si Ics fails prin-
cipaux ne nous eusscrit pas ete connus.
Parcouronsrapidemcn I les passages les plusdramatiques
de I'aventureuse et courte carriere niilitaire de Charles,
a partir du moment ou il r§solut, seul et sans appui, de
se confier a la generosite de ses partisans ecossais. A cette
epoque, la France et les' aiitres gouvernements d'Europe
se tenaienl k I'ecart et refusaient de porter aucun secours
ace dernier rameau d'un Ironc illustre, pour I'aidcr a
reconquerir les possessions de ses aioux'. Son p^re lui-
mfime etait eoQtraire a uiic entreprise si hasardeuse, et
s'opposait h ce qu'on fit aucune demarche active sans la
rooperation de la France, cooperation que, comme le
avenl, les pcrso\ines familieres avec la politique de cette
epoque, le jeune Stuart n'avait auciin motif d'esp6rer. II
y cut plus : ses adherents ecossais furcnt unanimes pour
le dissuader d'enlrer enEcosse, declarant I'entnpprise in-
sensee Ji moins quelle no tut appviyee de toutcs les forces
de la France. Enrin,lorsquc, nialgre tout, il cut debarquo
dans les Hebrides, le premier partisan de sa maisonqu'il
rencontra, Jlacdonald, le supplia d'abord, et lui recom-
manda presque ensuite de relourner en France ; puis, le
prince ayant refuse de renonccr a sa tentative, le fidele
Macdonald dcserta sa cause, refusantde sacrilierles guer-
riers de son clan pour une cause desesperee. Plus tard,
lorsque d'autres adherents le joignirent, le m6me langago
fut tenu avec aussi peu de succcs : Charles pcrsisla dans
son dessein, et les chefs ecossais prirent conge de lui.
Seul, un jeune Highlander ', enflanime par la noble per-
siHeranceet le courage indoniptable du prince, manifesia
I'intcntion de servir sa cause. — « Vous voulez-donc
« me suivre, vous? » s'eeria vivementle jeune Stuart que
toutle monde abandonnait. — « Je le veux, rc'pliqua le
« Highlander; nul autre ne tirilt-il I'epee •pour vous. je
« mourrai pour mon prince! i> Charles recompensa ce
g^nereux elan par des elogcs (]ui furcnt autant de coups
de poignard pour les chefs qui avaient recul^. Une ar-
dente Emulation saisit aussitot loutes les ames ; la fidelite
I'emporte enfin, et, pcrcant la triple ecorce de I'interet
personnel, lenlhousiasine qui avait fait baltre un c(EUr
trouve de I'echo dans tons les autrcs. Ainsi se forma le
noyau de I'armee du chevalier, liienlot ce ruisseau prit
son cour et devint riviere. Des chefs puissants accoururent
en foule sous la banniere des Stuarts. Cope, general des
troupes royales, bat en retraite dcvant cette armee im-
provisee. Le prince entre dans Edimbourg et occupe le
palais de ses ancfitres. Oh! ce fut la une heure d'orgueil
pour I'antique Edina, lorsqu'un Stuart rentra dans ses
murs pour donner a I'Anglcterre un monarque ecossais!
Alors on reconnut la justcsse des previsions de Charles,
alors il fut clair qu'une aide ctrangere aurait detourne
les sympathies, excite des jalousies, affaibli les affections
du peuple. Oui, Charles avail eu raison, en d(5pit des
doutes de ses amis, des pressentiments de son pere; seul,
sans appui, il etait entr6 en ficosse, n'apportanl pour
triomphcr que le prestige d'une vieille el noble cause,
qu'un zelo ardent, qu'un bras jeune et intrdpide. Les
scmhlables s'attircnt : I'enthousiasme avail enfante I'en-
thousiasme. Maintenant, la capilalede .ses ai'eux elait en
son pouvoir, loute une nation triomphait de son triom-
phe. Dejoyeuses reunions, quen'elTrayail point la rapide
a|iproche des ennemis, eurent lieu dans le palais. Un
infaillible pressentiment de virtoire jaillis.^ait de chaque
parole, de chaque regard du royal aventuricr. Sa cheva-
leresque bravoure lui avait gagno les coiurs des femmes',:
rficosse etait a lui.
Toulefois, il ne laissa pas le temps se consumer en di-
1 Habitant des monlagnes.
\ertissenienls frivoles; des iiles 11 vola aux combats, et
se pr^para, anime du pins fervent espoir, a se mesurer
avcc I'armee royale qui s'approchalt. Pour la premiere
fols, k Prestonpaii.s, les forces rlvales se trouvercnten pre-
sence. L'avantage du nombre etall du cute des royalistes;
mais que peut-11 centre I'enlhousiasme dont briilent les
coeursde leurs adversaires? Cbarles, tout palpitant d'une
LE PRINCE CHARLES STUART. 313
genereuse ardeur et ne doutant pas de la victoire, com-
munique son assurance a tous les siens. La bataille s'en-
gage. Les glorieux pressentimcnts du prince se r^alisent ;
dans moins d'un quart d'heure {miruhile dichi .') I'armee
anglaise est defaite, Charles est vainqucur. Les Highlan-
ders, par I'impetuosite de leur attaque, jettent le desordre
dans les rangs de leurs ennemis, les taillcnt en pieces.
les dispersent. Cope fuit. Sept cents prisonniers demeu-
rent dans les mains des vainqueurs. Charles deploie alors
toute la magnaniuiite de son Anie : les blesses des deux
partis recoivent les memes soins. Le jeune conquerant
rentre en triomphe dans la ville de ses anc^lres; il y est
accueilli par les [ilus vivos acclamations : la beaute cou-
ronne la valeur. Mais Charles, conser\ant la nieme egalite
d'ame, ne se laisso point enivrerpar I'orgueil du succes;
loin de la, il refuse d'allaquer le chateau d'/idimhourg,
pour ne pas esposer les habitants de la ville aux repre-
saiUes de la garnison. 11 ne veut pas meme se venger sur
ses prisonniers de la mort inlligee 4 ceux de ses soldats
qui sont lombes au pouvoir de i'ennemi, bien que ses
adherents insistent pour que, dans leur inter^t comme
dans le sien, il maintienne, en rendant le mal pour le
mal, un^pied d'egalite entre le gouvernement et lui. Un
repos glorieux succede a res premiers triomphes. Mais
bienlot laugmenlation de ses troupes lui permet de pe-
nelrer en Angleterre. Charles n'hesite pas. .4 la tetejd'une
armee d'environ six miUe homraes, il quitte fedimbourg
3li
I.K I'UiNCE ClIAr.M'.S STUAUT.
ct cntre en campa!;nc. Nous tlisons i la l.6te d'unearni^c!
S'll on eilt cU' vraiment ainsi, pcut-elre le succes aiirait-
il couronno son cnlicprise. Mais non ! Les chefs erossais
et ii'landais qui faisaicnt paitic dc cctto armce en claipnt
k's veiitables commandants, lis formaient Ic conscil de
guerre du prclendant, ol, par le dt'saccord de leurs.vucs,
cmpi'clianl toule unite de direction, ilsamenerent la ruine
de la cause qu'ils soutenaient. Non que lord Georges
Murray (hi un general inhabile; loin de la ; mais son ir-
resolution, son dcoouragement au moment le plus dfeeisif
de la campa^nc, firent evanouir les briUuntos esperanccs
de son maitre.
MalgriS quclques dissensions de peu d'importanre, en
avant, neanmoins, marclie I'armt'C rcbclle, qui pouvait
devcnir I'armee royale, si elle elait favorisee par la for-
tune, ou plutot par la Providence. A la fin, Derby est oc-
cupe par elle. On n'est plus qu'i cent trente niilles de
t.ondres (environ 209 kilometres). Deja I'epouvante saisit
la capilale; deja Georges II a mis scs tresorsi I'abri sur
un vaisseau h I'ancre dans la Taniise. La victoire semble
s'offrir au t(?nieraire chevalier, pourvu qu'il s'avance
pour la saisir. Lui-m6me ne doute pas du succes. 11 va
triompher... mais non; il va faire naufroge en vue du
port, et ce ne seront point scs ennemis qui lui arrache-
ront la victoire, ce seront ses propres amis, ses plus M-
voiuis partisans! Les chefs ecossais ont peur de pousser
plus avant. Le peuple, di.sent-ils. ne s'tst pas souleve en
assez grand nombre en faveur des Stuarts ; de puissantcs
armees les attendent pour les diitruire d'un seul coup. En,
faisant retraite sur I'tcosse, on pent au moins conserver
cette province. Une marche de plus en avant metlruit
tout en peril. Stupide raisonnement! Alors ou jamais de-
vait sooner I'heure de la victoire. Charles le sentait bien :
. Reculer, disait-il , c'est briscr notre talisman ; moi,
« victorieiix jusqu'ici , je seniblerai dejii vaincu! Le
« monde croira notre cause perdue, et, si on le croit
• unefois, elle lesera en elTet. On nous suppose invinci-
• bles, c'est \h le prestige qui nous a donne ju.squ'Ji prc^-
• sent la victoire. Reculez, ne filt ce que d'un pas, et je
> puis m'appr^ter a m'enfuir de ma patrie. » Ces ar-
guments si logiques ne lirent aucune impression. Les
.iaa'iRiilllil
chefs ne voulaient pas recevoir de lecons d'un jeune
homme impetueux qui no demandait qu'a se precipiter
au milieu du danger. La prudence Itur convenait. lu-
senses, la prudence est votre arret de mort! Le prince
delirait de rage et versait des larmes de de.sespoir. Tout
dependail de la resolutign qu'allait adopter le conseil de
guerre; Charles commando, — sujiplie; — vains efforts !
Losort en (itait jete. Alors brilla manifestcment la fatale
eloile des Stuarls; le destin .semblait intervenir lui-nii5me
el dire: « Ju.sque-la, mais pas plus loin! •
On commenca done la retraite. Les soldats <5taienl hors
d'eux-mfimes. La confiance irresistible qu'ils avaient
montree jusqu'alors s'^tait changec en un sombre decou-
lagemenl. Alors, aussi, pour la premiere foi.s, Charles ne
montra plus en public cet enthousia.snie qui avait donne
lant d'energie aiix efforts de ses soldats. 11 temoignait de
la niauvai.sc humeur, etiaissait voir, par sa taciturnite,
combicn cello retraile lui repugnait. En cela il cutevi-
demment tort; .sa situation elait difficile, il est vrai, mais
nous croynns qu'il cut du paraitre cederde bonne grSce,
et dcmander ensuite aux chefs dc rassenibler I'armee,
pour qu'il fit comprendre aux soldats la necessile de la
relraite. Alors, dans le cours dc sa harangue aux trou-
pes, ilauraitdit : « Soldats! vos nobles chefs n'ont point
■ peur pour oux, mais pour vous; c'est vous qu'ils veu-
" lent mettro a I'abri du danger ; c'est pour vous qu'ils
• ordonnent la retraite: Us ne respirent, eux, qu'esp^-
« ranee et courage; lis appellent de tous leurs voeux
" le combat. Oh ! plut a Dieu qu'un serablable enthou-
• siasme cnnammiit vos cceurs! » Puis, quand des mil-
liers d'acclamationsauraient prolesle du desir de I'armee
de risquer la bataille, le prince, tirant au.ssilot avantage
de ce gen(ireux mouvement, se serait tourne du cote des
chefs en s'ecriant : "En est-il vraiment ainsi? 0 mes
" amis, voyez comme vous vous eles trompes ! vos sol-
• dais parlagent votre hero'fque ardeur; rangcz-les done,
• placez-moi h leur l6te, etcourons ii la victoire! • Cette
ruse, bien excusable, aurait cu, nous n'en doutons pas,
un succes complet. Mais en cut-il eteautrement, le prince
n'en aiirait pas moins dCl paraitre satisfait de la retraite;
il aurait dO publierune proclamation dans laquelle ileut
(lit qu'il regardait cette pretendue marche retrograde
comme la route la plus sure pour parvenir au triomphe.
i:t, mailrisant ses sensations, commandant a son visage,
une .satisfaction plus qu'ordinaire eut du briUer dans ses
I raits.
Quoi qu'il en soil, si son armce eiit pu itre de^ue, le
pays ne I'aurait pas ele. Le talisman litait efi elTet brise ;
desormais on regarda comme perdue la cause du pre-
lendant. Ni habilete, ni bravoure, ni succes meme, ne
purent faire recouvrer I'avantage neglige. Une fois en-
core, I'armee du prince entre en ficossc. La retraite s'ef-
iectue dans le plus grand ordre. A FalUirk, une seconde
armee ruyale est defaite. Tout est inutile. Le prince,
pourlant, sort de son decouragcment. Chaque fois qu'il
se trouve en face de ses ennemis, loute son enorgie se
reveille. Mais Ic gouvernement anglais reconnait enfin
la necessile de plus vigourcuses mesures. I'n Cope, un
Hawlev ont ete battus ; mainteTuuit un membre de la
famiUe" royale, le due de Cumberland, prend la direction
de la guerre. Les deux armees se rencoiLtrent a Calloden.
Le prince Charles est encore uiio fois tout confiance, tout
entliousiasme. Le miime esprit anime la majorite de ses
troupes; elles se croient invincibles. Mais uiie fatale at-
taque nocturne, une surprise tenteo qui lichoue, ebran-
Li: I'RINCE CII
lent la confiance. L'armee du prince, apres avoir effectue
de nuit une marche de plusieurs miUes pour e^ecuter un
mouvement concerte, est contrainte, au point du jour,
de rejoindre ses anciens quartiers, at de livrer bataille.
Comme on devait s'y altendre dans de telles circonstan-
ces, les ficossais sent defaits. Ce conibal, sar lequel re-
posaient les destinees de la Grande-Brctagne, est perdu,
et Charles n'est plus, encore unc fois, qu'un vagabond
sans palrie.
Le suivrons-nous dans sa fuite aventureuse, a travers
des perils qui ont tout I'interet d'un ronian? Le montre-
rons-nous ecliappant, comme par un miracle, a une
poursuite ob^linee'? Non; assez d'aulres avunt nous ont
trace ce tableau. Enfin, le jeune pruendant parvient a
s'embarquer sur un petH batiment, et retourne, pauvre
ct sans espoir, dans le pays d'oii il s'est elance a une con-
qucte qui fut un instant possible. Pauvre il en etait parti,
plus pauvre encore il y revint. Mors, du moins, s'il etait
pauvre en soldats et en argent, il etait riche en zele, en
courage, en esperances, en audace; maintenant la ba-
taille a ete livree, la bataille a Hi perdue : son zele s'est
attiedi, son courage I'a abandonnc, ses esperances sont
detruites, et il n'a plus le droit d'etre audacieux. Par une
ISchete que les exigences de la politique ne peuvent faire
excuser, la France renferme dans la Bastille le royal
aventurier qui a joui5 une couronHe et qui I'a perdue.
Be'idu a la liberte, il retourne en Italic pour y achever
sans gloire une vie qu'il avail si vailiamment et si teme-
VRLliS STIAKT. - r^l^i
raircment exposce. Malheureiix dans ses affections do-
mestiques, il chercha un dedommagemcnt dansd'ignobles
plaisirs. Enfin, il tomba dans une sorte de lethargic mo-
rale; mort pour le monde, maisjctant encore, a I'occa-
sion, quelques dclairs de vie. Visite un jour par un voya-
geur anglais qui lui parla de 1745, le vieux prince se ra-
nima one fois encore. Son ardeur de jeune homme, son
enlhousiasme chevaleresque, se reveilliirenten lui quand
il se retrouva, par I'entrainement du r6cit, au milieu de
ses fideles monlagnards, livrant encore et gagnant des
batailles; puis, se rappelant tout h coup I'affreuse desti-
nee de ceux de ses partisans qui etaient morts sur le
champ d'honneur ou sur I'echafaud, il poussa un faible
cri dagonie ets'evanouit. llexpiraen 1788, etson frere,
le cardinal d'York, dernier rejeton des Stuarts, mourut
vingt ans plus tard. Ainsi s'eteignit obscurement une
race royale, image de ces larges ct rapides fleuves qui se
perdent dans le sable avant d'atteindre UOcean.
Nous n'avons donne qu'une rapide esquisse de cette
histoire romanesque, et nous avons neglige les noms
aussi bien que les dates ; nous renvoyons ceux de nos
lecteurs qui les voudraient connaitre a I'ouvrage de
M. Klose. Maintenant, le Guelfe le plus fanatique ne sau-
rait s'empScher de laisser tomber unesympathique laime
sur la trisle destinee d'une famille ainsi condamnee par
le sort ; peut-etre mSme la jeune souveraine qui regne
aujourd'hui sur la Grande-Bretagne a-t-elle songe plus
d'une fois avec Amotion a cet aventureux pretendant,
dont le triomphe eiit arrache a ses anc^tres une cou-
ronne qu'cUe porte avec taut de grlce, de bonheur et de
di"nite.
-^Coa,..^. _r_ —
516
LES MILLE ET L'NE NUITS
LES MlllE ET L'l MITS D'EUROPE ET D'AllERIQLE
CnOIX DES PLCS JOLIS CONTES FBA^•CAIS ET ETKANGEBS.
IiXONARD I.E JOAII.I.IER
00 LES DEUX MOSIIES.
onT voyageur que ses affai-
res ou ses gouts appellent h
Bayonne, est dans I'usage
d'admirer d'abord I'heureuse
position de I'ancienne capitalc
des Basques, sur les rives
charraantes de la Nive et de
I'Adour ; il ne manque pas
ensuite de s'extasicr devant
les imposantes fortifications
dues au genie de Vauban, et illustrees par le fameux
siege de 181i; il lieut aussi a se promener, le long des
remparts, dans ccs magnifiques AUees marines ornees de
si belles pierres taillees, et qu'uue foule Elegante et fashio-
nable envahit tons les diniancbes; il est surtout curieux de
■visiter, aux heurcs du reflux, cette grotte mysterieuse oii
les patrons des barques, les poetes du lieu et les flols de
rOcten viennent briser, r^veret dormir tour ^ tour.
.Mais apres ces premieres visiles, toules fecondcs en
impressions (style de tourisle), si I'idee lui vient de par-
courir les trois quarliers de la ville formes par les deux
rivieres, il avisera mainles curiosiles plus ou moins di-
gues de son attention. La plus remarquable est une bou-
tique de joaillier situee au milieu de la rue d'Espagnc,
et dont I'etalage, etincelant de bijoux d'or et d'argent or-
nis de fines pierreries, pourrait avec honneur prendre
place a Paris, dans le Palais-Royal ou au boulevard des
Italiens. Jusque-lb, rien qui sorte de I'ordre nalurcl des
choses : on con(;oit facilement qu'un orfevre opulent cher-
che, S Bayonne comme ailleurs, h ^clipser ses rivaux;
mais ce qu'on ne comprend pas aussi facilement, c'est un
groupe sculpt^ en relief place au-dessus de la porle de
la boulique, et repr&enlant les attributs de I'orfevrerie,
soutenus en apparence par deux figures ^gypticnnes tel-
lement s6clies et noires, qu'a leur premier aspect il est
impossible de ne pas reconnaitre deux verilablcs mo-
mies.
II y a quelques annees, un savant eleve de Champol-
lion, passant a Bayonne, trouva si (Strange ce monument,
qu'il lui parut devoir necessairement renfermer un sens
myst^rieux doni, ^ defaut de signcs hiSroglyphiques, le
joaillier ou ses amis pouvaient seuls lui donner I'expli-
cation.
Voici ce que lui raconla une pcrsonne digne de foi, et
qui etait au fait de toutes les aventures de Leonard le
joaillier, car telselaient le nom et le titre inscrits en let-
tres d'or sur I'enseigne rouge-cerise du riche marcband.
II y a dix ans k pen prfes qu'on voyait encore a Bayonne
un bon vieuxbatelier gagner sa vie a p6cher kla mer ou
dans r.\dour, h passer les commis des marchands d'un
quai du port Ji I'autre, ou ti promener les oisifs sur la ri-
viere. Or, ce batelier avail un fils unique nomme Leo-
nard, au(iuel il deslinait pour lout heritage ses filels et
sa barque, celle-ci, munie dedeux belles rames, d'un petit
mSl peint en vert et d'une voile latine.
Toute I'ambition du brave homme etait de voir son fils
lui succeder dans le metier qu'il lenait lui-meme de son
pere ; sa femme d'ailleurs, et quelle femme de menagel
parlagcait toutes ses manieres de voir, el ils se disaient
souveiit I'un i> I'autre : Quand on n'a qu'une petite bar-
que il ne faut pas gagner le large; Leonard sera prehear
comme moi, et ses enfanls seront pMieurs comme lui.
Cependant, par une beureuse derogation a leurs princi-
pes, quoiqu'ilsne sussent lireni I'un nil'aiitre, ils avaient
envpye leur fils a I'ecole gratuite des Freres, et le petit
Leonard, tout espiegle qu'il etait, fit des progres si rapi-
des, qu'en peu de temps il savait bien lire, avail une
belle plume,' connaissail passablemcnt son arilhmetique
et son orthographe. Mais ce qui rinteressoit plus que tout
le reste, c'etait la geographie el I'liisloire nalurelle, sur-
tout celle des pierres precieuses. II savail par ccEur lout
ce qu'en disaient les petits abreges mis entre ses mains;
ce n'etait pas grand' chose, mais pour siippleer a leur in-
suffisance il s'arrJtail souvent devant les tHalages des li-
braires et des bouquinistes, et il trouva de la sorte le moyen
de fairoun coursgratuit de gi5ographie sur de belles car-
tes illustrees et enluminees.
Bref, il etait clair que Leonard pouvait pretendre a au-
tre chose qu'il 6tro patron de barque; il se plia pourtant
aux exigences de ses parents, qui etaient un peu aussi
celles de la nccessite ; il apprit a manier les rames, a di-
riger le gouvornail, a ferler et deferler la voile, Ji jeleret
retirer les filels; mais aprijs un certain temps il fut aise
de s'apercevoir que celte viene lui allaitpas du tout; au
moindre prelexte il esquivail la corvfe, courait llaner par
les rues, ou stationner devant une nouvelle carte du
ruyaume deGolconde, au grand risque, pour ses epaules,
de pousser enfinaboiit la longanimite palernelle.
Les choses allaient de ce train, lorsqu'un beau jour en
passant sur le port, il s'apercut que la fregale h vapeur
I'Orenoque faisail ses prepaiatifs de depart; ce navire,
qui venait du Havre, avail reliche a Bayonne pour r^pa-
rer quelques avaries ; maintenant il allait faire route pour
rP.gypte; d^ja la vapeur s'echappait des soupapes avec un!
silTlement horrible, etsa haute cheminee, semblable a une
tour de I'enfer, s'enveloppait d'une noire vapeur. Loin
d intimider Leonard, ce speclable formidable ne fit qu'aug-
D'EUROPE ET DAMERIQUE.
ZI-,
menter le desir qu'il nourrissait dcpuis longtemps de faire
iin voyage de nier. Conime il ouvrait de grands yeux, a
travers les ondiilalions de la fum^e il apercut une pan-
carte imprimee suspendue 5 la poupe du vapeur; il par-
Tint avec peine a tire ces mots :
L'Orhwque est de parlance pour Alexandrie. On de-
niandc un jeunc homme dc bonne lolunte. sachanl lire el
ecrire, pour scrvir an salon el a la lablc du eapilaine.
Leonard se sentait quinze ans, une grande envie de
voyager et un plus grand degoilt de ramer sur la Nive et
I'Adour. La deliberation ne fut done pas longue : sans
prendre le temps de consuller son pere qui se fut peut-
etre oppos^ a son dessein, il monte par Techelle de corde
dunavire, qu'il saisit, ivre de joie, comme rechellememe
de la fortune.
Les connaissances que possedaient le jeune homme, et
son air ouvert, convinrent au capitaine, qui, sans plus de
formalites, I'admit h son service, et fit inscrire son nom
sur le livre de I'equipage.
• Leonard, lui dit-il en lui frappant legerement sur
I'epaule, tu auras dix ecus par mois et la table ; fais ton
devoir, etje ne t'oublierai pas. »
Quelques heures apres I'Orenoque avait perdu de vue
la cote francaise. La fregate,excellentemarclieuse et favo-
risee encore par le vent, volait, en quelque sorte, sur les
ondes, ce qui encourageait Leonard k se livrer aux plus
beaux reves qu il eut fails de sa vie.
La navigation fut d'abord des plus heureuses; le vais-
seau doubla sans aucun obstacle le cap Finistere, longea
les rivages du Portugal et de I'Espagne, et entra dans le
detroit de Gibraltar, oil les courants quijportent a Vest
augmenterent encore la rapidite de sa course. Mais par-
venu dans les parages de iles Baleares, au milieu m^me
de la nuit, il fut oblige de s'arreter, car le vent selait
calme, et quelques-unes des pieces de la macbine a va-
peur venaientde se deranger; pendant que le mecanicien
travajllait a les remettre en jeu, trois ou qualrc matclots
harasses par la clialeur, car on etait alors au mois de
juillet, eureut la folle idee de descendre dans la clialoupe
et de se mettre a I'eau; Leonard, toujours un peu espie-
gle, ne manqua pas de faire comme eux. Un coup de sif-
ilet avertit bientut. les nageurs de remonter ^ bord. lis
obdissent a I'instant, et Ton retire la clialoupe, personne
De s'apcrcevant de I'absence de Leonard. Le jeune impru-
dent s'ctait trop ecart^ du vaisseau... Quand il vit qu'on
■ I'oubliait il poussa des cris percants, mais le bruit des
roues remises en mouvement empecha de I'enlcndre, et le
navire reprenait sa premiere vitesse... Leonard le suivit
quelque temps des yeux a la clarte des etoiles, puis il ne
le vit plus... Vous figurez-vous quelque chose de plus
horrible qu'une situation pareiUe? Le jeune homme na-
318
LES MILLE ET UNE NUITS
geait comme un poisson; niais de quoi lui servait-il? Les
forces devaient enfiii lui manquer, il allail dcscendre
dans ces tOnebreux abimes ou jamais I'ancre n'a trouve de
fond, et oil les monstres marins eux-memes redoutent de
penetrer.
Deja sa vigueur s'affaiblissail el I'espoir d'echapper k
une mort affreuse ne lui etait plus permis; alors, se rcsi-
ynaiit k sa destin^e, il confia son Sme ii Dieu, et lui de-
manda paidon d'etre parti sans avoir seulenient dit adiea
k son vicux pere, ci sa mere qui I'aimait tant!
Puis, se tournant sur le dos, il se eoucha, comme dans
un cercueil, entre les vagues, qui de temps en temps le
couvraient de Icur 6cume. II ne tarda pas a tomber dans
une sorte de lijtliargie, pendant laquelle il cessa d'avoir
conscience de ce qu'il faisait.
Plusieurs heures se passerent ainsi, quand il se scntit
subitemeiit saisi aux cheveux par une main vigourcuse.
II ouvrit les yeux et vit le solcil levant qui semblait sorlir
de la mer comme d'une vaste couche etincelanle d'or et
de pourpre.
Leonard, recueilli par I'cquipage d'un brick francais
qui faisail e:alemcnt route pour I'Egypte, fut traite avec
<ant de soin qu'il oublia bienlot les fatigues, mais non pas
les angoisses qu'il avait eprouvcesen sevoyant si pres de
la mort.
Arrive dans le port d'Alexandrie, le capitaine du brick
n'eut rien de si empresse que de se rendre k bord de 10-
renoque, accompagne do Leonard. Quand le capitaine et
les matelots de la fregale virent paraitre devant eux, frais
et colore comme une rose, le jeune servant qu'ils croyaient
au fond de la Mt5diterranee, tons braves gens qu'ils
etaient, ils ne purent reprimer un certain mouvement de
surprise et presque d'etTroi.
Toutes choses ayant ete expliqu^es, le maitrc de Leo-
nard, qui I'avait sincerementregrette, le relablit dans ses
fonctions, et s'apercevant que ce jeune homme s'en acquit-
tait toujours mieux de jour en jour, il ameliora sa posi-
tion, et finit par lui accorder une entiere confiance.
Ccpendant la bonne eloile de Leonard devait lui faillir
encore plus d'une fois : au moment ou le capitaine, de
retour d'un voyage au Caire et k Saint-Jean-d'Acre, se
disposait a retourner en France, d tomba malade et mou-
rut d'une fievre typhoide qui desolait alors Alexandrie.
Leonard pleura ce bon niaitre, et ne pouvant se resou-
dre a reprendre du service apres une telle perte, il ima-
gina d'acheter, du monlant de ses ^pargnes, quelques
marcliandises d'Jgyple qu'il pourrait revendre avec pro-
fit sur Ic littoral de la France. II fit done divers achats
de Sucre, de riz, de cafe venu deMoka, de dattes, de co-
ton, et trouva le moyen de s'associer avec un marchand
de Marseille, pour le nolissement d'un petit navire mar-
chand sur lequel ils s'embarquerent tous deux.
lis n'avaient pas encore perdu de vue la pointe de la
pyramide de Cheops, qu'un violent coup de vent les ac-
cuelllit en mer et les poussa vers les rives desertcs de
I'ancienne Lybie, oil ils relicherent dans une petite anse
tout k fait abritee. La Leonard etson associe descendirent
k terre pour explorer cetle citte et voir si le sable n'y con-
tenait pas des emeraudes, comme ils I'avaient entendu dire
i quelques voyageurs; mais, sur cette ari'ne bruleo du
soleil, ils ne trouverent rien, si ce n'est I'ombre de quel-
ques dunes oil ils s'assirent pour se reposer. Le bruit mo-
notone des Hols qui deferlaient sur le bord, autant que la
fatigue, endormit bientot Leonard ; etendu sur le sable,
il eut alors un songe merveilleux oil il lui semblait qu'il
ramassait sur le rivage des diamants, des rubis, des sa-
phirs, des topazes, des emeraudes, toutes sortes de pierres
preeieuses melees au plus belles perles de I'Orient. Mais
quand il se reveilla, non-seulement toutes ces richcsses
s'etaient fondues dans ses mains, mais encore le vaisseau
qui portaitses pacotilles avait gagmS le large; ill'apercut
au loin sur les flots, semblable a un point noir prctadis-
parattre derriere I'horizon. Son perfide associe, jugeaiit
qu'il y aurait plus de profit k vendre toule la cargaison
pour son compte, avait cede k une tentation ; voyant Leo--
nard profondement endormi, il s'etait bate de regagner
le navire, et avait de suite fait remettre a la voile, faisant
accroire a I'equipage que son associe venait d'etre devorS
a ses yeux par une lionne.
Abandonne sur une cote doserte et prive de toute res-
source, Leonard ne perdit pas courage ; il ne voulut pas
eteindre le faible espoir qui lui reslait de ressaisir son
bien et de se venger de la perfidie du marchand , car il
ne pouvait douter que celui-ci ne I'eut volontairement
delaisse dans ces lieux sauvages. 11 marcha plein de re-
solution vers le sud-est, ses souvenirs geographiques lui
indiquant cette direction comme eelle de I'Egypte. Pen-
dant le jour, il se guidait sur le soleil, et pendant la
nuit sur les eloilcs, car dans ces solitudes a perle de
vue, pas un sentier pour se diriger. Lorsqu'il nen pou-
vait plus de lassitude, de sommeil, de faim et de soif, il
se ranimait par I'csperance de rencoutrer enfin quelque
dattier charge de fruit, quelque ruisseau d'une eau claire,
borde d'un peu d'herbe. Quelquefois son rfive se realisait,
mais plus souvent un mirage trompeur abusait son regard.
Au lieu de I'oasis ravissante qu'il apercevaitau lointain, il
ne trouvait que du sable et du soleil.
Ce qui I'effrayait le plus, c'est que' des traces qu'il
rencontrait de loin en loin ne lui permettaicnt pas de
douler du frequent passage des betes feroces par ces
disserts. II eut bientot I'occasion d'etre confirme dans ses
craintes.
lln jour qu'il se dirigeait vers un niagnifique dattier
charge de ces belles grappes mures qui brillent comme
de I'or au soleil , il apercut assez pros de lui un animal
etrange, tenant a la fois du cheval et de la chevre, mais
dont le col et les jambes de devant lui parurent d'une
longueur demesur(5e. Leonard n'eut pas de peine a re-
connaitre I'original d'un portrait de la girafe qu'il avait
vue dans un de ses livres. II allait done se rassurer, sa-
chant que cet animal n'est pas k redouter, lorsqu'il vit
venir une autre bete qu'il reconnut cette fois pour un
superbe lion; il etait a la poursuite de la pauvre girafe.
Celle-ci, I'avant apercu k temps, se mit ii fuir comme un'
trait vers I'horizon, et son ennemi la suivait k la trace.
Si Leonard etait reste tranquille, il est probable que le
roi des forcHs ne se U\t pas formalist de sa presence;
mais, soit humanite, soit audace, le jeune homme voulut
intervenir. En un clin d'oeil il deroule sa longue ceinture
rouge, qu'il deploie au vent, pousse des cris aigus et fait
voter des poignfes de sable dans I'air... Le lion surpris
rugit d'abord effroyablement , cesse de poursuivre sa
proie et semble sur le point de prendre lui-meme la fuite.
Mais, presse par la faim, il revient, et se dirige cette fois
sur le jeune homme, auquel il montre deja les dents (er-
ribles qui vont le broyer.
D'EUROPE ET DAMERIQL'E.
519
Aussi rapide que la gazelle, Leonard s'elance vers
le dattier qui seul peut le sauver, il grimpe en un instant
au haul do I'arbre.Le lion, qui s'elait clance sur lui, alia
louler sur le sable, lagueule ecumanleet les yeux rouges
de fureur.
Notre jeune imprudent so rejouissait d'avoir echappe
aux grilles leonines, quand il s'apercut que tout n'etait
pas fini. La maudite biMe, aussi intelligente qu'elle etait
affamee, se coucha au pied du dattier, relevant de temps
en temps sa tete enorme, ct attachant ses yeux fauves ct
brillanis sur le jeune homme comme pour I'inviter a des-
cendre.
Trois jours et trois nulls se passerent ainsi. Leonard se
nourrissait dcs dattes qu'il avait sous sa main, et la nuit,
embrassant etroitement le tronc de I'arbre a la naissance
de ses longues feuillcs, il se livrait a un sommeil inquiet
et souvent interrompu par les rugissements du lion, re-
duit h fa ire ses repas de quelqucs fruits que le vent fai-
sait tomber, et qu'il devorait comme un avant-mets en
attendant I'autre proie.
Cependant la position de Leonard devcnait cliaque jour
plus critique, les dattes diminuaient, et le lion neselas-
sait pas. Un nouveau tourment vint d'ailleurs I'affliger : ce
fut la soif; celle qu'il ressentait etait d'autant plus ar-
dente qu'il voyait et enlendait couler au pied du dattier
un ruisseau frais et limpide a defier I'imaginalion des
poi'tes.
N'en pouvant plus, il allaitdcscendre pourse livrer aux
dents du lion et en avoir plus tot fini, lorsque les rugisse-
ments de son alTreux gardien, regardant cette fois vers un
point de la plaine, I'averlirent qu'il venait d'apercevoir
une proie nouvelle ou un ennemi. En effet, quclques mo-
ments apri's, Leonard vit une troupe d'Arabes a cheval,
amies de leurs yatagans et de leurs longs fusils ; ils ve-
naient droit vers le dattier. Le linn marcha k leur ren-
contre et les attaqua , mais il ne tarda pas a tomber sous
une grele de balles.
Pendant ce combat, Leonard ayant oberve les Arabes,
reconnut que ceux qui venaient de le delivrer de son en-
nemi etaient d'insignes voleurs, qui ne manqueraient pas
de le vendre comme esclaves'il tombait entre leurs mains.
II se cacha done le mieux qu'il put dans le plus epais de
son arbre, et y denieura immobile.
Les Arabes, vainqucurs du lion, descendentbienlot de
cheval, s'approcbent du dattier et se mettent a se d&al-
terer.eux etleurs betes, dans le petit ruisseau. Celle ope-
ration tcrminee, quelques-uns font le tour de I'arbre, dont
leurs regards savourent deja les beaux fruits; I'un d'eux
fait deja mine d'y mooter lorsqu'un enfant, laisse en sen-
tinelle sur un cheval, pousse lout a coup des cris per-
rants, et tons les Arabes s'eerient dans leur langue : ■ La
caravane! la caravane!... »
II en passait une reellement; on la voyait au loin ser-
penter comme une ombre bizarre dans la plaine de .sable.
Le dattier, ou plutot la source qu'il signalait, etait ac-
tuellement le but vers lequel elle s'avancait. Les voleurs
I'avaient compris; eux et leurs chevaux, ils se couchent
ventre a lerre et restent immobdes jusqu'au moment oil
ils voient la caravane se rapprocher de la source. Alors,
a un signal donne, ils se levent, remontent a cheval et
fondent sur les pelenns et les marchands.
La mel^e fut vive et sanglante , mais la victoire resta
aux voleurs, qui, apres avoir massacre ou devalise tout
ce qui tomba sous leurs mains, s'emparerent des cha-
meaux charges des bagages et des marcliandises. Sans
perdre de temps, ils s'enfoncerent dans le desert, prenant
la direction du midi.
Leonard, ne les voyant plus, descendit enfin de son
dattier, ct commenca par etancher la soif ardente qui le
devorait. II parcourut ensuite le champ de bataille, con-
vert de morts, et s'avisa qu'un chameau qui n'avait au-
cune blessure avait ete oublie par les .4rabes, ainsi que
diverses pieces de belles etoffes et autres objets de prix.
11 disposa le tout sur le chameau , se hissa lui-m^me sur
I'animal et reprit .sa marche vers I'Egypte. Nous devons
dire qu'au prealable il s'etait coifTe d'un vieux turban
qu'il avait trouve parmi les depouilles, son intention
etant de se faire passer pour musulman en arrivant en
Egypte, afin d'echapper aux avanies dont les Chretiens
sent toujours I'objet dans ce pays. Quelque connaissance
qu'il avait de I'arabe lui permettait ce stratageme.
Ces previsions n'etaient que trop fondees : lorsque, apres
plusieurs journees de marche de son chameau, il arriva
pres du Caire, il fut regarde comme un voleur et d^pouille
du riche butin qu'il avait glane sur les pas des voleurs
arabes. Son turban et la croyance qu'il etait musulman
le sauverent tout juste de la prison et de la bastonnade.
Dans ce bel etat, notre avenlurier, qui regreltait plus sa
pacolille que la perte de ses etoffes et de son chameau,
se rendit a Alexandrie dans I'espoir d'y trouver quelqu'un
de connaissance, qui I'aiderait a retourner a Bayonne.ou,
en gouvernant sa barque sur I'Adour, il pourrait a pre-
sent raconter de belles aventures aux oisifs de son pays.
Comme il faisait ^ pied , et tout en cdloyant le Nil , la
route qui separe le Caire d'Alexandrie, il s'arretait sou-
vent au bord du fleuve, soil pour s'abreuver de ses eaux
deuces, soit pour s'y reposer i I'ombre des syconiores et
des palmiers. 11 arriva qu'un jour, en voulant penetrer
dans un massif d'arbustes epineux pour y cueillir quelques
fruits sauvages, il engagea de telle sorte son turban dans
les rameaux d'un lentisque, qu'il ne put le retirer sans
dechirure. Ceci, dans la penurie oil il etait, lui parut d'a-
bord un nouveau malheur. Mais qui peindra la surprise
du pauvre jeune homme lorsque par le trou qu'il vient
de faire a son turban , lequel il aurait donne volontiers
pour une pi(;ce de vingt sous, il voit sortir a la file une se-
rie des plus belles pierres, des dianianls, des rubis, des
saphirs, des topazes, des emeraudes, et tout le beau rdve
desbords de la mer!.., II se frotte les yeux pour voir si
ce n'cst pas un reve encore. .Xssure qu'il est bien ^veille,
il renferme son tresor, rajusteson turban et gagnelaville
d'Alexandrie. dont il n'etait plus qu'iiune demi-journee.
320 LES MILLE ET UNE NUITS
Sa premiere chose en y arrivant fut d'aller chcz un
lapulaire, auquel il eut la pruJence de ne faire voir qu'un
beau (liamant qu'il dit avoir trouvii sur les bords du Nil ,
ce qui, apres tout, n'etait pas uu mensonge. Celui-ci exa-
minu la pierre et la trouva si fine, qu'il pretendit que
ie porteur I'avait certainement volee a quelque ' pa-
cha; Leonard eut beau protester, Ie marchand n'en vou-
lut pas demordre, seulement il consentait de ne pas
denoncer cetle affaire au cadi , si Ie porteur du dia-
mant voulait Ie lui laisser pour la somme de cinq cents
sequins (il en valaitau moinsdix niille). Leonard, pensant
au reste de son tresor, crut qu'il ne devait pas insister
davantage et se tirer i tout prix d'entre les mains de cet
homme. Les conditions acceptees de part et d'autre, Ie
marchand I'introduit dans son arriere-boutique pour lui
reraettre Ie prix convenu, ce qu'il ne fait qu'apres lui
avoir demande son nom et sa demeure, comme si Ton
devait faire chez lui une prochaine perquisition.
Ce n'est pas tout, quand Ie marchand eut compt^ jus-
qu'a la somme de Irois cents francs, d s'arrdta tout
court :
« Une idee ! dit-il au jeune homme : puisque vous
voyagez comme ca, j'ai la deux objcts de commerce dont
■vous devriez vous charger. >
En disantres mots il montrait del'index deux grandes
momies adossees contre Ie mur.
" A combien me les passez-vous ? fitLfJonard, qui ve-
nait aussi d'avoirune idee.
— En France , vous revendrez facilement cela pour
une valeur de quatre cents sequins, vous m'en donnerez
done deux cents; la proposition vous va-t-elle?
— C'est cher, mais je tiens si fort a vous obligor que
j'accepte Ie march^.
— Dansce cas, cela fait tout juste les cinq cents sequins
queje vous devais pour votre diamant. »
Leonard , rentre dans sa demeure avec I'cmplete sin-
guliiire qu'il venait de faire, donna cours a son idde. II se
hata de taire avec un canif une incision dans Ie ventre
de chacune des momies, et placa dans ce creux toutes ses
picrres, soigneusement enveloppees dans du coton pour
eviler qu'elles ne fissent Ie moindre bruit. II recola par-
faitement Touverture et altendit I'^venement.
Comme il I'avait prevu , Ie marchand ne manqua pas
de revenir avec un officier de la police pour faire une vi-
sile domiciliaire.
D'EUROPE ET DAMfiUlQl'E.
« Jeune homme, fit-il en entrant, Ie bruit se repand
([ue vous avez decouvert un tresor ; la justice vient s'in-
forraer de la verity. •
A ces mots, les deux visiteurs se mirent a fouiller par-
tout, jusque dans Ie turban du jeune homme. Us ne trou-
verent nan que les trois cents sequins comptes la veille.
Le marchand n'eut garde, comme on Ie pense bien, d'in-
specterles momies par lui vendues assezcherement.
Cc fut la le terme des tribulations de Leonard. Sa mau-
vaise ^toile venait enfin de se coucher, et la bonne se Ic-
vait toute brillante.
Par I'effet du hasard, le m6me vapeur qui I'avait pris
a Bayohne, et qui devait un pen plus tard se perdre sur
les cotes d'Afrique, le ramena dans sa patrie apr6s six ans
d'absence.
II retrouva son vieux pere ramant sur I'Adour, et .sa
mere, qui, n'esperant plus le revoir, I'avait longtemps
pleure, puis avait repris sa quenouille et filait chaquc
jour sa t^che de chanvre.
Mais bienlot tout changea do face : revenu dc Paris, oil
il etait alle pour realiscr la vcnte de ses pierreries, il se
vit possesseur d'une fortune qu'on n'a jamais connue au
juste, mais qui certainement depas.sait plusicurs mdlions.
Aussi ne songea-t-il guere h inquieter Ie malheureux qui
lui avait vole sa pacotille d'figypte.
II prefera faire construire le bel hfitel qu'il possede ac-
tuellement a Bayonne dans la rue d'Espagne. Pendant cc
temps, il a etudie I'art du lapidaire, dans lequeUil a fait
tant de progres qu'il est actuellement en etat de diriger
un des plus beaux (;(ablissements qui existent dans co
genre. Son immense fortune, qui augmcnte sanscesse, le
met a m^me d'avoir h sa disposition les productions les
plus pr&ieuses de la mineralogie. Du rcstc, il aime toutes
les sciences, et sa maison est le rendcz-vous des artistes
et des savants de tout Ie pays.
Une epouse aimable , associde h son bonhcur, en aug-
mente encore le prix.
Quant a son pere et a sa mere , il leur a donne une
belle maison, des champs et un enclos, sur les bords dc
leur riviere. C'est !a qu'il vient lui-meme bien souvent de-
viser de ses souvenirs d'enfance avec sa mi;re, Slant au
beau soleil d'automne, ou avec son pfere, parcourant en-
core d'un regard complaisant ces ondes riantes de I'A-
dour que ses rames ont frappees tant de fois.
Charles Cuaubet.
Tsposrapliii; licn.iMPE el C^-, rue Damijllc, 2.
CORONIOUE DES MOIS.
NOVEMBRE.
liies feuilles sont tombees. —
Hier il en restait une sur le
sycomore que vous voyez au
bord de ce ruisseau gonfl^;
mais est venu le \ent, une
frenetique rafale a suffi pour
enlever a ce pauvre arbre sa
dernifere preuve d'exislence.
— Comme il est triste avec ses
■ quelques rameaux tordus! ne
dirait-on pas un immense spec-
tie qui montre ses bras et ses
doigtsdecharnL's! Qu'a-t-il fait
de sa robe de sole Terte, et
pourquoi n'a-t-il aujourd'hui
qu'un pan de burepour se cou-
vrir? Serait-il mort, cet arbre? non, silence! — il dort.
— 11 a fait comme ces grandes coquettes que vous ne
connaissez certainement pas, ces belles dames, qui le
soir, deposent sur un meuble discret leurs beaux che-
veux d'emprunt, leurs blanches dents de William Rogers,
avec des Qots de velours et de cachemire qu'elles foulent
du pied en allant vers la couche que le sommeil va venir
bercer. Ainsi I'arbre laisse tomber ses feuilles jusqu'^ la
derniere ; gisantes k terre, il semble qa'il les regarde
presqueaveod^dain, qu'il leur dit ces mots cruels: Allez,
■»Ousetesvieillesetpass^es demode! Puis pourattendre le
jour oil son superbe fournisseur, le printemps, lui apporte
une autre parure, il s'endort. — Eh bicnl bonsoir,
monsieur le sycomore, dormczbien.
T II.
Aliens! roses enfants aux teles blonde's, quittez voire
sourire joyeux et votre giise blouse de lln, reboutonnez
voire habit ci collet bleu. Novembre vient d'apparaitre
avec sonSaglttaire, et deja le tambour du college a battu
le rappel. Un dernier regard au lac qui vit tant de fois
dans ses ondes votre ligne si fatale aux ableltes. Dites
bien a Jasmin, le jardinier, de donner tous ses soins au
petit arbrisseau que vous avez plante I'autre jour; i
Justine, la cami5riste, recommandez les scarab^es et les
papiUons que vous avez si impiloyablement transperces
dans vos jours de cruaute entomologique. Une dernifire
caresse a ce pauvre Medor, qui a une goutle d'eau dans
le coin de I'asil et qui remue lentementla queued la t^le.
Ilacompris votre depart. II vous accompagnera bien sur
jusqu'a la grille du pare, et quand les roues du wiski
feront voler la poussiere de la route il y atlachera son
regard mi'lancolique aussi longtemps que possible.
Et pour vous, jeunes filles, la cloche sonne aussi. Sceur
Marlhe a deja demande a soeur Isabelle si vous n'etiez pa.s
de retour. Aliens! unbaiser^ votre grand'mere, unelarme
a votre maman et depSchez-vous de lui dire un mot dans
lecreuxde I'oreille ; car les clefsa la main, dame tourriere
attend.
Demain, sera le deuxiferae jour de novembre, — la f^te
des moits, — scene sublime de poesie religieuse lorsqu'on
la voitau village, — dans un de ces villages oil Ton croit
il Dieu.
Le soleil a I'horizon dort encore dans un nuage; ses
rayons, pJlispar lebrouillard, n'arriveront pasaujourd'hui
jusqu'ii la lerre.
i\
PETITS VOYAGES
Leglas fun^bre commence la solennit^ de deuil.
Les porles de I'^glise sont b^antes. — Pauvre ^gliec a
vodte de cliene ! pauvre clocher qui n'a d'autre orgueil
que de di'passer en hauleur loules les maisons d'alen-
tour.
Chaque scntier, conduisant des hameaux au temple,
voit venir un a un les villageois vfitus de noir ; ne dirait-
on pas les grains d'ebone d'un cliapelet a chaine grise ?
Ce sont de bonnes et vieilles fommes, aux figures bfilees
par le soled, aux reins courbes par le travail; de robustes
paysansdontles doigtscalleux et forts cr^veraient le gant
d'un gentilhomme du boulevard pour lui donner une
poignee d'amitie, — si le gentdhomme demandait un ser-
vice aux paysans. Puis des vieillards qui semblent regar-
der a terre les troas que forment leur b;Uon, enfin de
belles jeunes filles tnstes et pales aujourd'liui que tout le
nionde a une larme dans le coeur, parce qu'on se souTiont
que naguiire un cercueil passait sur ce meme chemin.
Le glas funebre a cesse de se fairo entendre. — Le
pretre commence la messe desmorts. — Ensuitedeux fois
il fait le tour du catafalque et deux fois il le benit.
Les portes du .temple se Touvrent, la cloche jette par
les airs sessonoresvolees. On fait la procession desmorts.
— Dans mon village le luxc.du bedcau est inconnu comme
les (Epaulettes aa;Fos grains, Kpre a dr^agonne d'or, et la
pique a fer decoupe. — Ce n'est qu'un enfant qui ouvre
le cortege, seulement la croix qu'il porte est trois fois
grande comme lui. Puis vie/inent d'autres cnfants vetus
aussi de robes blanches, quelques m(5diocres amateurs de
plain chant, — et le pretre ; — derriere ce dernier les fidi-des,
c'est-il-dire : tons les assistants.
Cetle modeste procession se dirige vers un cimetiere oil
on ne voit point de marbres de Carrare, mais bien des
cypres, des saules aux branches qui pleurent, et des ga-
zons. — Devant une croix de pierre qui s'c'leve au milieu.
le prdtre s'arr(Slc. — II parle; son discours commence par
cos mots, qu'il ne dit pas en latin : — Bienheureux ceux
qui seront morts dans la foi !
Sa voix a fait coulee les larmes silencieuses de la resi-
gnation. — La c<5remonie religicuse est finie. La foule se
divise dans le champ de la mort, chacun va vers une
tonibe. Ce malheureux vieillard, comme il vient baiser
cetle pierre sur laquelle on lit: 18 ans! — Et cette femme,
qu'il y a d'espiSrance et de douleur a la fois, dans les
larmes qu'oUe repand sur ce monticule de terre ! — Plus ]
loin, ces enfants, qui joignent leurs petites mains it qui
prient parce qu'on leur dit de prier, et qui regardent le
ciel parce qu'on leur dit que leur mere est 1^ haul, — '
lorsqu'ils s'eloignent, lepluB jeune dit b son frere : Si
maman ne revicnt pas demain c'est qu'elle ne nous aime
plus!...
Voilii ce '^u'est novembre : un instant €e deuil, deux '
jours de froid, trente nuits de vent, d'un vent qui dans"
vos corridors viendra hurler pourvous faire peur. Et puis J
c'est le mois qui voit sur I'aire diSpooJIler le ble de sai
robe d'or. Aprts qubi on entend la -hache du bilcheron
frapper a mort les vieux chenes de la fori^t; vous les
verrez ces arbres, jadis si Tiers de leur taiUe giganlesque,
rentrer dans le moindre grenier eu humbles fractions, —
qu'on appelle fagots. Puis a la place de leur suuche ver-
moulue on planteraun jeune ormeau ou un petit h6tre que (
le vent fora bien longtemps grelottcr avant qu'il ait la I
force de se dresser devant I'ouragan et de le df'lier.
Une chose essenlielle que j'oubliais de vous dire, c'est I
que novembre est le onzieme mois de I'annee d'aprfes le
calcndrier julien ou gregorien, et comme I'indique trfes-
savamment, tout almanach redige par un arri^re-petit-
neveu de Mathieu Laensberg.
Andre Thomas.
PETiTS mm m les rivieres de frmce.
LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVEMRS.
jBn quittant les Petits Ande-
lys, la Seine arroso les vil-
^^K lages de Roquetteet deMuids,
sur la m^me rive, et coule
en droite ligne vers Louvicrs,
qu'elle semble avoir I'inten-
tion d'aller visiter; mais,
comme par une reflexion sou-
ddine, elle fait un brusque de-
tour, abandonne k Vironvay
la direction qu'elle suivait, et court de.nouveau vers le
nord, laissant i sa droite Ande etHcrqueville, a sa gauche
Portcjoye, Tournedos et Pose ; ces derniers se trouvent
dans une presqu'ile entour^e par la Seine et I'Eure. C'est
vis4-vis le village appele Pose que debouche la jolie ri-
viere d'Andelle k travers un charmant vallon, vari6 par
divers genres de cultures, peuplo de hameaux, au milieu
desquels s'elevcnt les agreables fabriques d'Amfreville-
es-Monts. Des hauteurs voisines on apercoit I'Andelle et
la Seine, qui bientut va I'emporter dans son sein, se d6-,
tourner I'une de I'autre, puis se rejoindre, enfin se mijler
en.semble en descendant vers Pont-de-l'Arche.
Le village de Pitres s'eleve k I'ouest sur la poinlc de la
coUine arroste par I'Andelle. On y voyait jadis un ch5-
teau royal oil I'empereur Charles le Cliauve tint une as-
semblee de seigneurs et d'6vi^ques que nos faistoriens ont
appelfe concile.
Au confluent de I'Andelle se trouve la c6te celebre oil
une histoire tragique et touchante donna naissance a une
construction dont il ne reste plus rien aujourd'hui. La
chapelle fun(5raire elevi5e sur le lieu oii expira le coura-
geux jeune homme sous le poids d'un precieux fardeau,
avait H6 chang^e en un vaste moutier qui lui-mf-me a
fait place a une maison de plaisance. Aujourd'hui on ne
voit plus rien de ces debris tOuronn& de lierres, qui in-
spir^rent a Ducis les vers oil il deplore la fin lamentable
de deux etres a qui la falalite semblait avoir refuse toute
espece de bonheur sur cette terre.
SUR LES RIVIER
Le fleuves'eloigne d'Amfreville etde la c6teaux regret-
tables soavenirs, puis recoit I'Eiire sur la riie oppotee.
Sortie des 6tangs situes entre Mortagne et Verneuil, sur
les limites du d^partement d'Eiire-el-Loir, I'Eure tra-
verse ce territoire dans toute sa largeur, baignoChartres
et Louviers , arrose Notre-Dame-de-VaTidreuil , que Ion
voit h gauche, et s'unit a la Seine en face du village du
Manoir; puis le fleuve se dirige vers Pont-de-l'Arche,
dont on apercoit deja les tours demantelees, les vieux
remparts et les clochers. Cette ville a ete fondee par I'em-
pereur Charles le O.hauvc, et c'est ce prince qui a donne
k cette ville ce nom de Pont-de-l'Arche, dont I'ttyniolo-
gie, quoiquetres-simpIe,a toujours embarrassi5 les savants.
Pont-de-l'Arche a ete pendant longtemps I'une de nos
meilleures places fortes; cette ville n'est pas sans gloire
dans nos fastes militaires, elle a soutenu plusieurs sieges
justement c^lebres. Ses habitants s'honorent d'avoir les
premiers ouvert leurs portes h Henri IV lorsqu'il fut oblige
de reconqut'rir ses Etats les armes a la main. On y voit
un pent de vingt-deux arches sur lequel passe la route
de Rouen. Cette route, descendue de Louviers h travers
la forfit, remonte la cole pour aller retrouver le fleuve il
Sainl-Ouen. A I'extremitd du pontse trouvent encore les
debris du chateau et de la tour qui en protegeaient I'en-
tr)5e. Ajoutons que la mariie se fait scntir jusqu'a Pont-
de-l'Arche.
Apres avoir depasst' cette ville, la Seine alimente le
petit port de CriqueboBuf, puis se divise en une foule de
bras pour enceindre des iles verdoyantes. Enfin, a Fre-
neuse, elle penetre dans le departement de la Seine-Infe-
rieure, qu'elle ne quitte plus et s'empresse d'aller porter
le mouvementet la vie dans la ville d'Elbeuf. Cette ville,
aujourd'hui commercante et riche, constitua pendant
longtemps un duche-pairie qui' appartenait a la famille
de Lorraine. Depuis elle est descendue au rang de chef-
lieu de canton.
L'une des lies que forme la Seine pres d'Elbeuf s'appe-
lait Oscelle ou Oissel, h I'epoqueou les pirates normands
ravageaient la France, et leur servit souvent de refuge;
on n'a pas encore pu savoir quelle 6tait celle de ces iles
qui fut ainsi choisie pour retraite; cependant bien des
nienioires ont ete lus, a ce sujet, a I'Academie des inscrip-
tions et belles-lettres. C'est peut-etre pour cette raison
qu'on n'est pas pins avance.
A I'cxtremite de la petite plaine d'Elbeuf, on apercoit
une SL'rie de rochers roides et escarpes couronnes d'ar-
bres toujours verdoyants et qui se succedent sur la rive
d.ins une etendue considerable en cachant, comme der-
riere un impenetrable rideau, la foret de Rouvray. Quel-
quefois ces rochers sont tallies en forme d'etages au sein
desquels les hommes se sont creuse des maisons ; dans
d'autres endroits sont suspendus des quartiers de roc qui
semblent toujours prcts a rouler au milieu des eaux.
Quelques-uns de ces accidents de terrain offrent mfime
quelque chose d'effrayant, spectacle que le voyageur est
etonne de rencontrer le long d'un Ueuve aux eaux si
paisibles.
Sou.s ces rochers mSmes, et sur les bords de la Seine,
s'elevent le village d'Orival, dont lis ont prislenom, puis
celui d'Oissel-la-Riviere et celui de Saint-Etiennc, ou
s'ouvre aux regards I'immense plaine de Sotteville, qui se
prolonge jusqu'ii Rouen, dont les clochers peuvent tHre dis-
tingues ;» Elbeuf.
ES DE FRANCE.
525
Si Ton considerc la rive opposee, on sent son Jme sou-
lagee de ces horreurs pittoresques; de ce c6ti, la vue se
repose sur des bords verts et anim6s, sur des iles om-
bragiies , semees de quelques chaumiijres aux couleurs
et a la construction bizarres. Entre les eoteaux et la ri-
viere se multiplient des villages bien plus agriables ,
bien plus nombreux que sur la rive gauche. Nous voyons
d'abord Saint-Aubin en face d'Elbeuf, dont il devien-
drait un faubourg grilce a la construction d'un pont;
plus loin apparait le port Saint-Ouen, oil, pour la mo-
desle somme de vingt centimes, on s'embarque sur le
bateau de Rouen ; plus loin encore s'^leventSaint-Crespin,
.Amfreville et lilaville, qui ont tons trois de eharmantes
maisons de plaisance.
C'est au-dessus du village de Port- Saint-Ouen qu'ap-
paraSt la cdte qu'une hero'iue cc'lebre gi'avit chaque jour,
pendant quarante ans, malgre la neige, la glace, la oha-
leur ou I'orage, pour deniander et attendre sur la route
celui qu'elle avait perdu dans de lointaines contrees. C'e'"
du haut de la colline que, pour la premiere fois, en
venant de Paris par la route d'en bas, on decouvre la ville
de Rouen ot ses vastes alentours. La Seine forme alors
un veritable archipel au milieu duquel elle semble vouloir
seperdre : c'est un nombreinfini d'llesdetoutesles formes
et de toutes les 6lendues. Les roches de Saint-Adrien, qui
confinent h. la cote de Port-Saint-Ouen , sont tres-pitto-
resques d'aspect; puis c'est la montagne de Belbeuf cou-
ronnee par le chateau et le pare du meme nom, aux jar-
dins immenses, du haut desquels le curieux, place ciubord
des terrasses, jouit de-la vue la plus "magnifique; enfin
les hauteurs se succedent jusqu'i la roche de Sainle-Ca-
therine, dont la Seine baigne le pied avant de penetrer
dans la ville de Rouen.
Pendant que le fleuv»^e laisse aller a la pente qui I'en-
trainc, mettons-nous a gravir la cote Sainte-Catherine, et
tilchons de nous y reposer un peu. Puis il nous faudra
faire une abondanle collection des coquillages fossiles que
possede la montagne, et nous rendre apres au bout du
Cours-Dauphin, nomme maintenantCours-de-Paris; alors,
du haut de la terrasse situee sur le bord de I'eau, pres de
I'eglise Saint-Paul, nous aurons un admirable speclacle.
A gauche, I'horizon est borni par de beaux eoteaux, et la
Seine, formant une foule de replis tortueux, decoupe une
chaine d'iles vertes et riantes, qui semble se noyer dans
un lac immense; de I'autre cfitfe du fleuve, une suite de
prairies interminables se prolonge depuis Saint-Etienne
et Sotteville, dont on apercoit les clochers et les maisons
piltoresques.jusqu'au Cours-de-la-Reine ou Grand-Cours,
situe a I'entiee du faubourg Saint-Sever, dont on voit les
casernes, la vieille eglise et les maisons de bains.
A droite, la vallee du Robec et de I'Aubelte nous an-
nonce dans le fond le bourg de Darnetal, et livre passage
<i ces deux petites riviiresqui alimentenl, dans I'interieur
de Rouen, de nombreuses' manufactures et vontsejeter
dans la Seine vis-a-vis I'ile de la Croix, en passant sous
les quais au moyen d'une longue voOte.
Enlin, voila Rouen, 16,devant nous, entre deux chaines
de collines, le voila qui se di^ploie avec ses vastes boule-
vards, ses larges faubourgs et tous ses monuments qui
semblent lever la t6te, comme pour respirer a leur aise,
au-dessus des pStes de maisons enta.ssees autour d'eux.
D'abord, an-dessous de nous, nous avons les casernes de
Martainville qui s'allongent sur le Champ-de-Mars , puis
S21
PETITS VOYAGES
I'eglise de Saint-Paul , bStie sur] et avec les resles du
temple d' Adonis; puis celle de Saint-Maclou, petit chef-
d'oeuvre de sculpture ciseli5e et denlelte h jour, trop
ignorfe des voyageurs qui ne s'y arr^tent pas, et dent la
toiture absurde semble regretter la fleche legere dont sa
lanlerne elait jadis surmontt'c. Derriere Saint-Maclou sur-
gissent les deux tours de la calhedrale, Notre-Dame, qui
en eurent une troisieme ppndant longtenips pour com-
pagno. Cette derniere, la plus grande des trois, pyramide
Elegante et gracieuse, fut incondiee en 1822 et a ete re-
conslruite en fer, en fevrier 1836.
La tour carree, appelee tour de Saint-Romain, possedait
autrefois une sonnerie, composee de onze cloches, remar-
quable par son harmonie; il ne lui reste plus que trois de
ces instruments'; I'autre tour, terminee par une galerie,
avail recu le nom de la tour de Beurre, parce qu'on I'avait
bAtie avec les aumbnes recueillies dans le diocese et qui
avaient fait obtenir la dispense |du beurre pour le ca-
r^me. C'est dans cette tour que se trouvait la c^lebre
cloche Georges d'Amboise, ainsi nommie du cardinal qui
en fit le don. Cette masse enorme, du poids de quarante
milliers,sefelaquand Louis XVI, au retour de Cherbourg,
passa par Rouen. Plus tard, on la fondit, sous la Repu-
blique, pour en faire des canons. C'etait la plus grosse
cloche que Ton connit, apres celle de Moscou, dont on ne
put jamais se servir. Quoi qu'il en soil de toutes cesmer-
veilles, et en depit de la richesse de son porlail, la calhe-
drale de Rouen n'est comparable ni a Saint-Ouen pour
I'elegance, ni pour la delicatesse des details a Saint-
Maclou, dont le seul tort est d'elrecachee dans un quar-
tier sale et peu frequente.
Plus loin, 'nos regards*s'arriitent sur la nef elevee et
pleme de distinction de I'eglise Saint-Ouen et sur son
petit clocher qui attend toujours qu'on lui construise des
tours. Saint-Ouen a titc restauree, debarrasseedes masures
qui I'etouffaient, etentouree d'arbres ducdte de la mairie.
Rien de plus admirable, au point de vue de la liardiesse
et de la grace, que les arceaux et les voiites de son inte-
rieur. — Dans le fond de ce panorama, sur la droite, nous
verrons se grouper ensemble la tour de Saint- Laurent,
qui appartient au gothique delicat et fin du quinzieme
siecle, le clocher deSaint-Godard, I'eglise de Saint-Vivien
et bien d'autres encore dont le plus grand nombre sent
transformees en magasins. A Rouen on marche en quelque
sorte sur les debris les plus curieux de I'ar'chitecture ogi-
vale ; le gothique et la renaissance s'y rencontrent h .
chaque pas; au ^detour de chacunc de ces rues aux an- .
liques maisons, aux pignons historiques, on a quelque
mine curieuse , quelque pierre sculptee a admirer.
Toutefois n'allons pas confondre avec ces edifices pure-
ment religieux deux monuments que nous decouvrons
dansle quartierdu sud-ouesttl'un est le palaisde justice,
construit sousle minislere du cardinal d'Amboise, quand
riiehiquiereutet(S declare permanent Ji Rouen; cet edifice,
elegant etriche, a eli restaure dans un systeme que nous
nesaurionsapprouver. L'autreestl'ancien hotel de villeet
la tour du Beffroi, ou se trouvent la principale horlogede
Rouen et la cloche d'argent .sonnee chaque soir a iieuf
heures, comme autrefois le couvre-feu; ancien usage
qu'on aime a retrouver parce qu'il rappelle un pas.se et
inille souvenirs dignes d'etude.
Maisjusqu'ici nous n'avonsvu Rouen qu'ii vol d'oiseau.
Descendons de notre observatoire, pen^trons dans I'inte-
rieur de la vieille cite, engageons-nous dans .ses rues
^troites, tortueuses, aux maisons irr(5gulieres et curieuses
en m^me temps, et oil le mouvement et I'activite sont
perpetuels. Nous traversons la place de la Pucelle, ou
Jeanne d'Arc fut brillee, rinfortuneel oii les Anglais n'he-
siterentpas h se deshonorer par la plus lache et la plus
alroce vengeance; a I'ouest de la place, entrons dans
I'ancien hotel de BourgtherouUie , construit au quinzieme
siecle, et oil ,logea Francois I'' quand il se rendit h
I'entrevue du campdu Drap d'Or, ev6nement represents ,
dans les bas-reliefs qui ornent la cour. C'est dans cetle
SUR LES RlVlfeRES 0E FRANCE.
523
maison remarquable par sessculptureset habitee aujour-
dhui par un Beige, representant du commerce de sa na-
tion, que fut detenue rheroique prisonniere. Aussi I'ap-
pelle-t-on conimunement la maison de Jeanne d'Arc. A
I'un desesangless'elevait encore, il yaquelquesannees, una
tourelle d'oii les cardinaux et eveques anglais assislerent
a rcxecution de la victime dont la statue, aussi ridicule
par parenthese que celle dont la place du Martroi est allli-
gee a Orleans, se dresse sous la forme d'une fontainc
lourde et disgracieuse, devant cette demeure interessante.
De la nous irons voir' la Bourse, I'hotel des Monnaies,
celuide la Prefecture, etnouspourrons visiter ce quiresto
du chateau de Philippe-Auguste. — Voila pour les monu-
ments de pierre ; mais n'y a-t-il pas autre chose k con.
naitre a Rouen?
Or I'histoire civile de cette cit^nous dira que Rouen est
une des plus anciennes villes de la Gaule et qu'on n'a
jamais pu avoir letymologie de son nom latin Rothomagus.
Quelques savants le font remonter au roi Magus, fonda-
teur de laville; d'autres le rapportent aux mots celtiques
Rolh , fleuve, et Magus, bourgade. Les Commentaires de
C^sar ne disent pas un mot de Rouen ; un siecle apres,
cependant, Ptolemee la donne pour capitale aui Velocasses.
A Tepoque oil les druides gouvernaient ces provinces'
Rouen leur resta longtemps soumise; les Remains la
comprirent dans la deuxieme Lyonnaise. Sous les Francs
elle se fit chretienne et devint une des villes de la Neus-
Irie. Ellesubit toutes les vicissitudes de cette province et
passa avec elle sous la domination des Normands, quand
Charles le Simple sevit contraint de donner a Rollon sa
fille et une portion de ses Etats.
Souslespremiersducs normands, Rouen fut tres-agran-
die du cote de la Seine. .41ors le lit du fleuve s'avancait
jusqu'au port Morand, au pied de la catht;drale,etentou-
rait plusieurs iles oil Ton avail construit des eglises. Les
successeurs de Rollon comblferent le canal qui separait ces
iles de la rive, et les iles disparurent en resserrant le lit
du fleuve; puis on entoura de fortifications la cite
normande , qui devint une des plus fortes places de
lepoijue. Ce fut GuiUaume le Conquerant qui unit le
duch^ de Normandie k la couronne d'Angleterre; par
suite de cet 6v6neraent, les souverains anglais devinrent
vassaux des rois de France. 11 nous a fallu bien du
temps, bien des combats, bien du sang verse pour re-
conquL'rir cette province riche et puissante sur nos voi-
sins d'outre-mer. Enfin, sous Charles VII, et apres I'ex-,
pulsion des Anglais , nous en sommes restes les maitres.
A partir de cette epoque, Rouen ne soutint plus que
des guerres de religion. C'est en ouvrant la tranchee de-
vant cette ville huguenote que le roi de Navarre, Antoine
de Bourbon, fut blesse a niort. Son fils Henri IV, apriis
son abjuration, y entra sans combat.
Une solennite bizarre, autrefois celebree a Rouen, i5tait
la f6te de la GargouiUe, ou la Fierte, dont on ne connalt
pas I'origine. Le jour de 1' Ascension, on portait en grande
pompe, par les rues de la ville, limage du dragon la
GargouiUe. Le chapitre de Notre-Dame conduisait, au
milieu d'une procession , un des criminels condamnes i
mort, sur le premier palier de la chapelle de Saint -Ro-
main, a I'entree des llalles, oil etait deposee la chisseou
fierte du saint que le criminel soulevait comme pour ini-
plorer sa grice ou sa delivrance. D'apres la chronique,
cette ceremonie aurait ete instituee pour celebrer la vic-
toire remportee par saint Romain sur un dragon redou-
table qui desolait la campagne autour de Rouen. Le saint
alia I'altaquer dans la forjt de Roumare, sa retraite; et,
apres I'avoir vaincu, le precipita dans la Seine, oil il fut
englouli. 11 est plus simple et plus raisonnable de eroire,
avec les annates religieuses, que cette fete rappelait la
conversion du pays au christianisme. L'erreur, on le sail,
a toujours ete representee sous la forme dun dragon, et
cette ceremonie, toute symbolique, avail lieu d'ailleurs
dans plusieurs localites de la France.
Revenons vers les bords de la Seine que nous avons
326
PETITS VOYAGES SUR LES IllVIEllES DE FRANCE.
quitt6s a I'exlremito de I'lle de la Croix. Le fleuve passe
sous les' arches du poiU de pierre conslruit tout ricem-
ment, appele pour cette raisonlePont-Neuf, et surniont6
de la slatue de Pierre Cornerlle ; puis le fleuve gagne le
port, oil un nonibre considt'ralilc de navires, raiigfe sur
une longue file, attcste rimportance do cette \ille qui
commerce avec le monde entier.
Avec la maree arrivent dans lo port de Rouen des M-
timents de deux et trois cents tonneaux, apporlant les
produils des pays les plus lointains pour les echanger
contre ceux de notre Industrie. De telles facililes dun-
nent un essor immense aux relations commerciales de
cette ville et un debouche considerable h ses articles de
rouennerie.
Un peu plus bas, et apres le Pont-Neuf, se trouvait
autrefois le pont de bateaux qui E'elevait et s'abaissait
avec le flux et le reflux pour laisser passer les navires.
C'est k un religieux auguslin, du Icnips de Louis Xlli,
qu'6tait due I'invention de ce pont ingenieux, unique
dans SOD genre, et dont on admirait la longueur, la soli-
dit6 et surtout la facilile qu'il avait d'etre demonte. II a
ete remplace, il y a quclques ann<5es, par un pont de fcr
^l^gant, oil Ton paye un centime conime droit de peage.
C'est le dernier pont que I'on rencontre sur la Seine, et
il ne laisse pas que d'etre fort din"erGnt de celui qui s'e-
leve a Courceaux.
A peu pres a la memc hauteur existait autrefois, sur
la rive du fleuve, la vielle tour ou I'infortune Arthur de
Bretagne fut enferme par les ordres de son oncle Jean
Sans-Terre, alors roi d'Angleterre. Pendant sa longue cap-
tivite, le jeune prince se plaisait a contempler les ondes
du fleuve et enviait la liberie de ces eaux tranquilles qui
coulaient au piied des muts de son cachot pour se rendre
majestueusemerat a la mer. Tout k coup-, pendant la
nuit, le roi J*aa debarque au bas de la tour, en fait sortir
le pauvre eniant, I'entralne dans son bateau, I'cgorgo de
sa propre main, et jetle dans le fleuve le corps iiianimfe
de son neveu dont rexistonce genait son ambition. Shaks-
peare a poetiquement retrace cette histoirc lamentable
et la fin tragique de I'innoccnte victime.
La Seine, conlinuantson cours, passe devantla Bourse,
la douane et la place du Vieux-Palais, dont on n'a con-
' serve aucun debris ; puis elle cotoie I'avenue du Mont-Ri-
boudet, se partage en plusieurs branches pour entourer
le Petit-Gay et plusieurs autres iles, el, au sortir de
Rouen, se remet' k serpenter. C'en est fait, nous avons
quitl6 la ville aux flancs buisfe, aux frais boulevards, au
vaste port, le Paris du vieux Bollon; noble ville, musee
gothique de la France, Herculanum vivant et populeux
du moyen ftge; si nousjetons un regard en arrifere, nous
la voyons encore de loin confondre les Heches de ses
eglises avec les mils de ses vaisseaux, elever au-dessus
de ses vieilles maisons les ogives traiispariiiles de ses
tours, fouillte avec tout I'esprit it loute la grJico dcs*ir-
listes d'autrefois, et ses campaniles brodcs avec une co-
quetterie presque mondaine. Mais, le courant nous em*
porte, adieu Rouen ! adieu louchants souvenirs de I'infor-
tunce Jeajinel adieu!
Tout n'est pas fini ccpendant; car, on descendant le.
fleuve, le voyageur va dteouvrir encore, et a chaque pas,,
d'admirables sites et des mines grimdioses. En. cet en-
droit, une belle pelouse s'elend le long des rives de la.
Seine ; a droite, s'cR^vent les jji-andes montagnes de Ba- .
paume et de Carrteleu, que couronrient avec magnificenc2
le pare de la maison Lecoulleux et celui de I'ancien cha-
teau de Ganteleu, qui apparlient a ]\1M. the Lef^bure.
Au pied de la c6te, ou se trouve le village deCroisset, le
fleuve re<,'oit dans son sein la charmante petite riviere de
Cailly ou de Bapaiime, qui, apres avoir apporte la ferti-
litii dans la vallee de Devillu et avoir alimente une fotile
d'usines, va se joindro a la Seine et concourira la n-
chosse du coup d'oeil enmontrant partoul les apercus les,-
plus varies.
Les herds du fleuve, orn& d'agreables villas ou de fa-
briques, continuent a attirer les regards par I'inatlendu
el le pittoresque des rochers qui cotoient la Seine jus-
qu'aux villages de Brantot et de Sahm's, vis-ii-vis la
Bouille. Derriere ces montagnes roifles et dures, s'etend
la foret de Roumare, oil le grand Rollou allait chasser
frdquemmenl. La tradition pretend meme qu'il y atta-
cliait ses bracelets d'or aux branches des chenes, sans
avoir a redouter les voleurs, tant il avait su, par sa se-
verit6 et sa justice, r^primer leurs mefaits.
La rive gauche de la Seine n'est pas non plus sans n-
chesses, elle ofl're egalement de beaux sites, de piquants
tableaux. Au dela du Petit et du Grand-Quevilly, assis
tons deux au milieu d'une plaine immense, s'etend la
foret de Rouvray que nous avions pu voir dejJi au sortir
d'Elbeuf. La grande route de Ilonfleur cotoie les bords de-
la Seine; elle se prolonge a notre gauche, passe a Petit
et il Grand-Couronne, et se cache derriere les maisons de
Moulineaux qui apparaissent devant nous. Plus loin, nous
avons il examiner des coteaux reniarquables par une
forme toiile particuliere; ce sont des cdnes nombreux,
mais parfailement seniblables, sepaies par des gorges
res.serrees qui scrablent glisser entre leurs bases. D'cn
haul, a vue d'oiseau, leurs sommels presentent une ligne
sinueuse de cercles rentrants et sortanls qui, comme un
fcslon, .s'cn vont serpentant,et finissent par enceindre la
plaine d'une ceinture elegante.
(
SAINT VINCENT DE'PAUL.
327
L'ELITE DES SAiXTS FRAIAIS.
SAINT VINCXNT SE PAUL.
ll esl de ces noms qu'oa ne saurait
proDoncer qu'avec amour et recon-
naissance, lis traversent les temps,
enloures de la. pure aurfeole que leur
a decernee la pieie des genoralions.
Quelle renommi'e fut plus populaire
que celle de Vincent de Paul? A
osn seul souvenir, il semble voir
1 s'eveiller un essaim de pensees gene-
! reuses et bienfaisanles. Apotre de
' I'bumaiiite, il eut des larnies pour
tous ses malheurs, des consolations
. , .- .- 1-. '■':■)"'■ pour toutes ses souffrances ; il sembla
- ,*. ' n elre sur la terre que pour taire un
holocauste de sa vie. Aussi sa menioire est-elle entouriie
de la veneration, universelle. Le monde lui-meme Tad-
mire, et la philosophic s'incline devant les miracles de
son inepuisable charite.
Vincent de Paul fut le contemporaui da meilleur des
rois; conime Henri, IV aimait les Francais, Vincent aima
tous les hommes. La poslcrite rapprochera ces deux gloires
qui n'ont pas trouve de d^tracteuis et ne separera plus
leurs deux noms ;
Dear noms de qni !e penpic a garde la uiemoire.
Vincent de Paul naquitle 24 avril 1576, dans un pelit
village de Gascogne. Si vous passez par une belle journee
d'ete sur la route de Bordeaux a Dax , penchez votre lete
aux portieres de la diligence ; vous verrez du cute de
I'ouest, perdue au milieu des champs , une maisonnette
blanche; un grand chfine I'ombrage; le conducteur etend
la main : Voila la maison de Vincent de Paul. 11 ne dit
rien davantage, etl'on respire plus longuemcnt.
Savez-vous ce qu'on raconte dans le pays ? Ce chene
qui couvre de ses rameaux la petite chaumiere est un
arbre beni entre tous les arbres, Dieu n'a pas faitd'hiver
pour lui; a peine a-l-il perdu ses dernieres feuiUes d'au-
tomne, que les bourgeons du printemps le coiironnent de
leur verdure. N'est-ce pas une touchantc croyance.et
savez-vous beaucoup de legendesplusnaives que cette his-
toire d'hiar?
Le pere de Vincent s'appelait Guillaume et sa mere
Bertrande de Sloras. Simples cultivateurs, faisant regner
dans leur famille la purete des raoeurs primitives, ils ele-
vaient leurs enfants dans la crainte de Dieu. Vincent, leur
lroisii;me ne,.gardait les troupeaux de son pi;re, et trou-
vait encore le moyen de prelever des aumomes sur sa
mince fortune. II revenait un jour du moulin avec un sac
de farine ; il rencontre des pauvres sur son chemin -,
comme ils paraissentmiserables!... Vincent ouvre machi-
nalement le sac, il leur en dislribue le conlenu par poi-
gnees, et ne songe que trop tard qu'il doit le porter 'a
son pere..
Les heureuscs dispositions de I'enfant frapperent les
yeux et exciterentrambilion de Guillaume. S'astreignant
a des privations pour lui procurer une education distin-
■»uee, il le fit entrer a douze ans au college de Dax. Ses
progres furent rapides, et sa vocation s'etan't declaree, il
recut les ordres et la tonsure a I'dge de vingt ans.
Pour subvenir aux nouvelles depenses de son fils, Guil-
laume fut obUge de vendre une pairs do bceufs. G'est avec
cet argent que Vincent se rendit a Toulouse pour suivre
un cours de theologie ; il se fit maitre d'ecole en mfeme
temps, et tour a tour eleve et professeur parvint a se
suffire a lui-meme.
Vincent, devenu pretre, fit quelques voyages par I'ordre
de ses superieurs, et c'est en revenant de Marseille a
Toulouse qu'il lui arriva I'aventure la plus romanesque
de sa vie. 11 la raconte lui-meme avec beaucoup de grice
dans une lettte adressce a un ami :
. Je m'embarqnai, dit-il, pour Narbonne, pour y etre
. plus tot et pour epargner , ou, pour mieux dire, pour
. n'y etre jamais et pour tout perdre. Le vent nous fut
. autant favorable qu'il fallait pour nous rendre ce jour-
. lii a Narbonne (qui etait faire cinquante lieues), si
. Dieu n'eiit pcrmis que trois brigantins lures qui c6-
. toyaicnt le golfe de Lyon pour attrapcr les barques qui
• venaient de Beaucaire, ou il y a une foire que Ton
. estime des plus belles de la chretiente, ne nous eussent
. donne la charge et attaques si vivement, que deux ou
• trois des notres etant tues et tout le reste blesse , et
. m^me moi qui eus un coup de fleche qui me servira
. d'horloge tout le reste de ma vie, n'eussions ete con-
. traints de nous rendre a ces felons. Les premiers eclats
« de leiir rage furent de hacher notre pilote en mille
. pieces pour avoir perdu un des principaux des leurs,
. outre quatre ou cinq forcats que les n6tres tuerent.
. Cela fait, ils nous enchainerent , et apres nous avoir
• grossierement panses , ils poursuivirent leur pointe,
• faisant mille volenes, donnant neanmoins liberte h
• ceux qui se rendaient sans combattre, apres les avoir
328 SAINT VINCE
« Toles; et enfin , charges de marcliandises, au bout
« de sept ou huit jours, ils prirent la route de Bar-
• barie , taniere et spelonque de voleurs sans aveu du
« Grand-Turc , oil, etant arrives, ils nous expos^rent en
• vente avec un proces-verbal de notre capture, qu'ils
• disaient avoir ete faite dans un navire espagnol, parce
« que, sans ce mensonge, nous aurions Hk delivres par
» le consul que le roi tient en ce lieu -IS pour rendre libre
• lo commerce aux Francais. Leur procedure a noire
• vente fut, qu'apres qu'ils nous eurent depouilles, ils
• nous donnferent i chacun une paire de calecons, un
« hoqueton de lin avec une bonnetle, et nous promenerent
a par laville de Tunis, oil ils etaient venusexpressement
■ pour nous vendre. Nous ayant fait faire cinq ou six
« tours par la ville, la chaine au col, ils nous ramenerent
« au bateau , afin que les marcliands vinssent voir qui
« pouvait bien manger et qui non, et pour montrer que
« nos plaies n'elaient point niortelles. Cela fait, ils nous
« ramenerent a la place, ou les marchands nous vinrent
« visiter tout de m^me que Ton faitji Tacliat d'un cheval
« ou d'un boeuf, nous faisant ouvrir la bouche pour voir
• nos dents, palpant nos ciites , sondant nos plaies, nous
« faisant cheminer le pas, trotler et courir, puis lever des
n fardeaux, et puis latter pour voir la force de cbacun et
« mille autres series de brutalites, etc., etc. »
Vincent raconte ensuite comment il fut vendu k un
pecheur, puis a un medecin, et enfin k un fermier rene-
gat qui I'envoya travailler aux champs. La femnie de
son maitre, Turque de naissance, venait souvent causer
avec lui, et un jour elle lui commanda de chanter les
louanges de son Dieu. Les yeux de Vincent se remplirent
de larmes, le souvenir de la palrie vint I'oppresser, et
songeant aux enfants d'Israel et h Icur captivite, il com-
menra le psaume Super fltimina Babylonis. Le coeur de
I'^trangfere fut cxtreniement emu, et le soir elle fit tant,
par ses discours auprSs de son mari, qu'elle le ramena a
de meilleurs sentiments et lui fit rcgrelter sa religion pre-
miere. II se rendit aupres de Vincent, et les paroles de
celui-ci acheverent de le toucher. Dix mois apres , le
maitre et I'esclave se sauverent sur un esquif et arrivt;-
rent heureusement en France, oil le renegat abjura pu-
bliquement ses erreurs.
Get episode bizarre, plac^ si singulierement au milieu
de la vie active du grand saint, nous fait voir par quelles
NT DE PAUL.
^preuvcs il plait quelquefois h Dieu de faire passer
ses k\\>s.
Andr6 Montorip , vice-l^gat d' Avignon , qui avait ac-
cueilli Vincent i son retour d'Afrique, le conduisit avec
lui a Rome, oil il le logea dans son palais. Lh, il reprit le
cours desesetudes interrompues.et, quelque temps apres,
se rendit en France, porteur d'un message secret pour le
roi de France, Henri IV, qui le refut et I'entretint en par-
ticulier. Des lors il ne quilta plus sa patrie, et commenca
a se livrer h la predilection de son ?ime en visitant les
hopitaux de charit(5. — II fut, h son retour, victime d'une
vivacile deplorable ; on I'accusa publiquement de vol, et
la voix qui s'elevait etait celle d'un homme integre, mais
abuse par les apparences. II se contenta de repondre que
— « Dieu savaitia virile.- — Elle fut en elTet plus tard pu-
blic, et son accusateur au diisespoir soUicita un pardon
qui lui avait ete depuis longtemps accord^.
La reine Marguerite de Valois, inslruite du merite de
Vincent, le nomma son aumonier. II quitta ce poste ci la
mort du roi, pour prendre possession de la cure de Cli-
chy. II v^cutuneannee entieredansce petit village, ador^
de ses paroissiens et r^pandant des bienfails autour de
lui. On I'arracha k cette heureuse paix pour lui confier
I'Mucation de MM. de Gondi et de Joigny, encore fort
jeunes ; • Quand je m'eloignai de ma petite eglise de Cli-
• chy, dil-il, mes yeux etaient mouilles de larmes, et je
■ benis en sanglolant ces hommes et ces femmes qui ve-
• naicntvers moi etquej'avais tant aimes... »
Dans sa nouvelle position, I'ex-cure se trouva un pcu
contrarie des honneurs et des deferences dont il ^tait
I'objet.
Une mission qu'il fit vers celte (5poque et qui eut les
rfeuUats les plus admirables, accrut encore son credit et
I'indisposa davantage centre le monde. II en fit la confi-
dence h son ami M. de Berulle, et sans pr6venir personne
autre, il parlit a I'improvisle pour aller occuper la cure
de ChJlillon-les-Dombes en Bresse.
Les instances de la famille de Gondi nepurenlle decider
Jilaisserses nouveiux paroissiens -,11 trouva I'etatreligieux
de ces contrces veritablement deplorable; le relachement
du clerge et le voisinage de Geneve I'aggravaient de jour
en jour. Assiste d'un ouvrier evangelique , nomme Louis
Girard, il entrcprit une reforme, et ses courageux efforts
furent couronnes de succ6s. II fonda la premiere confrerie
des dames de la charite, et posa la premiijre pierre de
cette institution qui devait etre plus tard la providence
des mallieureux. Sa reputation lui amena un jour
le comte de Rougemont, un des plus celebres duellisles
du temps, qui, touch^ de repentir par les paroles du
saint, confessa ses fautes, vendit ses biens, les distribua
aux pauvres et passa le reste de sa vie dans une peni-
tence austere.
En arrivant h Chatillon, Vincent avait installe son pres-
byt^re dans la niaison d'un protestant nornm^ Beynier.
Ses seuls exemples loucherent tellement son hole, que
non-seulemcnt il abjura, mais qu'il devint encore un de
ses fervcnts acolytes.
La maison de Gondi, qui n'avait jamais cesse de le rap-
peler , finit par vaincre ses repugnances. Sollicite de
toutes parts, Vincent de Paul fut contraint de ceder, et
quitta Cliillillon , escort^ par la ville entiere pleurant
comme un seul homme. Revenu chez M. de Gondi, alors
general des gaR-res, il profita de la charge de ce seigneur
SMNT VINCENT DE PAUL
MUSF'JM
NATUR/'.U
HISTtmY,
SAINT VINCE
pour se rcndre comple de I'^tat des forcals qui depeii-
daient de lui. II en fut effrayo, et entroprit de les tirer de
cet abime. Scs tiavaux furent benis par le Seigneur, et le
roi Louis Xlll,sur le rappoil qu'on lui (it, le nomma
grand aumonier des galeres de France.
Un trait de la vie de saint Vincent, que nous ne pou-
TOns passer sous silence, est celui qu'il accomplitii iMar-
seille, oil il s'elait rendu incognito. II remarqua, des les
NT DE PAUL.
329
premiers jours, un galericn qui s'abandonnait au deses-
poir et rofusait toute esptjce de consolations. Celait un
contrebandier condamne a trois ans de caplivite. Crai-
gnant de le voir succomber a sa doulenr, et enflamme par
la charite, Vincent obtint par son credit la permission de
prendre sa place. 11 resta enchaine pendant plusieurs se-
niaines, et lorsque ses amis le firent delivrer, il porlait la
trace ineffacable des fers dont il avait He charge.
La vie de ce grand saint est, a parlir de ce momeni,
occupee par des cntreprises jusqu'alors jugees impossi-
bles, el dont sa perseverance el son infaligable amour de
rhumanile viennent aisement a bout. A Macon, il elablit
la confrerie de Saint-CharIes-Borromee,destince a secou-
rir les pauvres indigenes et Strangers. A Bordeaux, et de
concert avec le cardinal de Sourdis, il opera une revolu-
tion morale dans les galeres de I'faat. Un mahomelan,
qui I'entendit, se fit bapliser et ne se s^para jamais de
son liberateur.
A^anl de s' eloigner de celte ville, il alia revoir ses pa-
rents et leur fit promellre de vivre toujours dans I'hurai-
lite d'une vie obscure. II les abandonna dans les larmes,
et poursuivit sa carriers aposlolique. A I'aide d'une pen-
sion offerte par niadame de Gondi, il fonda, en 1624, le
college des Bons-Enfants, dont il fut nomme principal.
Cette institution etait consacree a rcunir des ecclesiasli-
ques ^prouves qui, aux frais de la compagnie, devaient
se repandre de temps en temps dans les campagnes pour
instruire el calechiser les paysans.
Elle prospera tellement et acquit une telle reputation,
qu'elle fut designee comme lieu de relraite aux jeunes
pLctres avanl leur ordination.
Vincent de Paul, par lettres patentes du roi, fut, eti
1632, mis en possession du seminaire de Saint-Lazare. II
elablit le plus grand ordre dans celte maison, et oblint en
outre un local suffisant pour loger les galeriens de Paris.
II demanda plus tard une audience a Richelieu, et ce
cardinal, qui appreciait siirement les hommes, se rendit
aussitot a ses vues. Avec son concours, il jela a Marseille
les fondemenls d'un hospice dcsline aux prisonniers dont
il connaissait les souffrances pour les avoir parlagees. II
^i] lUMMi
est impossible de continuer I'histoire de Vincent sans
s'exposer a tomberdans des rediles. Faisantsucceder les
bonnes oeuvres aux bonnes (ruvres, et niulliplianl aulour
de lui les missions religieuses, il complait ses minutes
330
SAINT VINCENT DE PAUL.
d' existence par le nombre des proselytes qu'il ramenait !i
lafoi.
C'est ainsi que dans la foule des retraites lesplus lieu-
reuses qu'il dirigea ou dont il fut I'insligateur, on cite
celle du faubourg Saint-Germain, a Paris, et celle do
Saint-Lazare, oii il regul tous Ics fideles qui se pr6-
senterent Ji lui, bien que ce logis fiit specialement af-
fect^ aux conferences theologiques.
II elablit ii Paris la premiere congregation des Filles
de la Charity ; les regies qu'il leur donna sont regardees
comme un chcf-d'ceuvre de sagesse. Elles furent toujo^irs
les enfants de sa predilection. « Elles n'ont, disaitnl, pour
monastercs que les niaisons des malades, pour cellule
qu'une chambre de louage, pour chapelle que I'eglise de
leur paroisse, pour cloitre que les rues de la ville ou les
salles des hopitaux, pour cloture que I'obeissance, pour
grille que la crainte de Dieu, et pour voile qu'une sainte
et exacte modestie. •
Lesi5venements politiques qui bouleversaient la France
fournirent alors aux missionnaires I'occasion de montrer
toute I'ctendue de leur devouement. La maison de Saint-
Lazare fut changeo en une -veritable cascnie, et chaque
prStrepartagea sa demcureavecun soldat.Maisla famine,
suite inevitable de la guerre, vint desoler les provinces
fran(;aise=, et la Lorraine cntre autres fut decimee par la
misere. A ce fleau, se joignircnt la peste et le pillage des
compagnies errantes. Vincent, a la tHe de scs prfitres, so
transporta dans ces contrees pour arrcter le cours de ces
desordres. A I'aide des auradnes qu'ils obtenaient des
gens riches, ils nourrirent une immense population que
les desastres dn temps avaient riduile au deniiment le
plus affreux. Toul, Metz, Verdun, Nancy el plus de vingt-
cinq villcs ressentirent les effets de leur charite admira-
ble. Ce n'etait pas seulement sur leurs compatriotes que
s'etendait leur sollicitude ; les Anglais refugic^s furent ac-
cueillis par eux comme des frercs, et partagerent le pain
du missionnaire, alors que, repousses par leur pays,, ils
ne trouvaienl pas d'asile sur un sol etranger.
Penetre de douleur par ces ev^ncmenls terribles, Vin-
cent prit une soudaine resolution. 11 Toulut s'adresser au
minisire meme ; lui, I'humblepr^trc ne craignit pasde re-
garder en face le front redoutable de Richelieu : « Monsei-
gnetir, lui cria-t-il, donnez-nous la paix! Ayez pitie de
nous! Donnez la paix a la France! • Et Richelieu, qui
connaissait I'homme ([ui plenrait a scs pieds, regretla
peut-6tre les s6veres conseils que lui avail dictes sa ri-
goureuse politique.
Ce c^lebre cardinal, juge trop s6verement par la pos-
l^rite, mourut apri^s avoir pacific I'Europe, et le roi ne
tarda pas Ji lesuivrc. Vincent de Paul assista Louis XIII
a ses dernicrs moments. II le fit sans faiblesfeetsans com-
plaisance, ct sut faire passer dans rime du monarque
une sainte confiance et une pieuse fermete.
Malgre les intrigues de la cour a la mort de ce prince,
Vinc<>nt ne prit aucune part aux troubles de la regence.
Le cardinal de iUazarin, qui prenait les renes du gouver-
nement sous le patronage de la reine Anne d'Autriche,
le nomma membre du conseil eccl^siastique. Ce tribunal
examinait les affaires religieuses et decidait des titres des-
candidats aux dignitfede I'figlise. Quoique, dans ce posts
eleve, ilfiil ledispensateurdes graces, jamais il n'accorda
rien a ses proches nik ses amis, persuade que Ihumilite
d'une vie ignoree est le don le plus pr^cieux que le ciel
puisse nous faire. II etait si peu courtlsan que, pour se
presenter a la cour, il ne voulut jamais acheter une sou-
tane neuve. — Etles pauvres? repondait-il.
Vers la fin de sa vie, Vincent, comme s'il cut compris ■
qu'il allait quitter le monde, multiplia autour de lui ses
CEuvres de bienfaisance. II fonda les Orpheliiiesau Pre aux-
Cleicset placa cet etablissement sous la main de mademoi-
selle de rfetang ; il institua la maison des filles de la Croix,
destinces a elever les jeunes personnes, puis les filles del
la Providence, les fdles de Sainte-Genevieve et enfin lef
premier hospice des enfantstrouves.il sut si bien interesser i
a cette derniere fondation, les dames de la cour, qu'a la
suite d'une pathelique exhortation qu'il leur avail adrcssee.
dies dolerent celieude refuge de 40,000 francs de rentes.
C'estla le plus beau titre de Vincent a rimmortalite.
Les troubles de la Fronde furentquelque temps pourlui
un objet d'inquietude; pour prevenir les liorreurs de la
gnerre civile, il osa serendre aupres do Mazarin et I'en-
gager a quitter le pays. Cette genereuse audace surprit
fort le ministre, mais la repulation de Vincent elait si
populaire, qu'il n'osa le disgracier lorsqu'il eut apaise
I'orage.
Les fatigues de toutessortes, dont la viedu saint liomme
n'aiait ele qu'un enchainement perp<ituel, le rendirent
infirmeavant I'Sge. Ses amis pour le soulager lui don-
nerent une \oiture tres-simple dont il refusa longtemps
de se servir. Lorsqu'il y fut tout a fait oblige, il le fit ave&
repugnance. « Voyez-vous, disait-il, je suis fils d'un pau-
" vre paysan et j'ose me servir d'un carrosse 1 ■ II fant
dire que ce carrosse etait celui de tout le monde; il y
faisait monter les vieiUards qu'il rencontrait dans les roea
et s'en servait pour transporter lesmalaUes il'Hdtel-Dieu.
SAINT VINCENT DE PAUL. 5,il
fonda a Paris I'hopital du nora de Jfeus consacre aux
pauvres artisans et plus tard I'hSpital general et celui
de Sainle-Reino. Ce furent la ses derniers bienfaits. A
r^'ige do qualre-vingts ans, pcrclus de ses membreset ce-
pendant .se livrant journellemement a des travaux au-
dessus de ses forces, il coniprit qu'il n'avait que peu de
temps a vivre, et linil par tomber dans un ^tat d'insomnie
el d'extrerae faiblesse. Le 27 scptemlire 16G0, il mourut
au milieu de ses enfants, nom qu'il donnait a ses chers
missionnaircs, avec le calme ct la conliance des bienheu-
reux. Ses restes venerables reposent dans la chapelle des
Filles de la Cbarite, a Paris.
La guerre s'etant ralluniee, les pretres de Saint-Lazare
furent forces de se nourrir d'orge et d'avoine. Qui le
croirait? Vincent, tombant une fois outre les mains de la
populace, fut soufflete el charge d'injujes. 11 parvinta ob-
tenir des magislrats la grace de ceux qui I'avaient ainsi
traite et, par ses d-marches, contribua puissamment au
r6tablissement de la paix.
Le saint, avec I'agrement et I'asssilance de la cour.
Telle fut la vie de cet liomme, si grand dans sa simplici-
te, si sublime dans son abnegation et dont les bienfaisantes
vertus onl acquis sur la terre la plus auguste des renoni-
mees;
Dep'jis, aucun de ses grands i?nseignemenfs n'est reste
infructueux. La Propagation de la foi et I'oeuvre de la
Sainte-Enfance continuent de nos jours sa mission evan-
gelique. Cette derniere institution, fondee par M. de
Forbin-Janson , est une des pcnsees les plus genereuses
et les plus dignes de celui qui I'a inspirce. C'est une armee
de petils enfants qui, par I'aumone et la priere, combat-
tent pacifiquement pour la grande conqufite des cieux. U
6tait difficile de rendre un plus bel hommage a la memoire
de saint Vincent de Paul. Comme le confesseur de
Louis XIII, M. de Forbin-Janson n'a pas hesite a vouer sa
fortune et meme sa vie entiere a I'extension des principes
de moralisation et de charite; etson liolel de la rue de
Grenelle-saint-Germain, qu'il a mis a la disposition de
I'ceuvre de la Sainle-Enfance, rappelle les traits les plus
pbpulaires de son bienhcureux predecesseur.
De la Fuediere. m
SAINTE JEANNE DE ClIAMAL.
SAINTX: JEANNE DE CHANTAI..
Jeanne naquit a Dijon, le 23 Janvier 1572.
Elle etait lille tie Marguerite de Berbiny
el de lienigne Freniiot, president au par-
lemont de Bourgogne, si connu par son at-
tachementa Henri IV pendant cette guerre
civile qu'on nomma la Ligue.
Sa jeunesse s'(5coula calme et heureuse
dans la maison de son pere. A I'Jge de cinq
ans,elleentendil un gentilhomme quiniait
la presence deDieu dans I'eucharistie. Elle
vint a lui, et le tirant par son velement:
• Monsieur, dit-elle, vous croyez done que Jesus-Christ
est un menteur, car vous niez la verite de ses propres
paroles? . Le gentilhomme pourtoute reponse lui donna
des bonbons. —Jeanne, indignee, courut lesjeter au feu.
Ce trait ne donnail-il pas a presager une foi grande et
sublime. Enfant, sa foi lui faisait oublier I'enfance; de-
venue femme, sa foi lui ota jusqu'a la derniere faiblesse
humaine.
Plus tard, a I'Sgeou la seduction lutte si souventavec
succes centre le peu de forces d'un cceur de jeune fille ,
une malheureuse essaya de corrompre cette virginale en-
fant. Mais, grSce a I'amour qu'lle avait pour Dieu, le
souflTe de Satan passa sur son ^me sans la ternir.
A vingt ans, son pere la maria au baron de Chantal,
I'alne de la maison de Babutin. C'elait un brave et loyal
militaire qui partageait toutes ses affections entre sa
femme, son epee et son roi. Ilpossedaitune terre h Bour-
billy, il y amena la nouvelle baronne de Chantal. Peu de
lenipsapres, il fut force de relourner 6 Paris, ou la cour
reclamait sa presence. Restee seule, Jeanne s'occupa de
remedier aux abus qui e.\istaient dans la maison de son
mari.. Sa residence a la cour laissait a ses valets une
pleineetentiere liberte. — Or, vous savez cequesontdes
laquais devcnus maitrcs. Au pillage intcricur, 'au petit
vol adroitoment dissimule, s'etait joinle une depravation
morale coloree par une hypocrite apparence de vertu.
Madame de Chantal vit le mal tel qu'il etait. Deux
raoyens s'offraient a elle. Le premier : renvoyer toutesa
vicieuse valetaille; le second : reprimer lesabus, et faire
naiire des vertus dans ces Smes corrompues. Ce qui paralt
le plus difficile lui sembia reellement chretien. Sa pre-
miere sollicitude fut pour leur salut. Elle les obligea de
pratiquer la religion qu'ils avaient negligee depuis bien
longlemps, les faisant assistcr, le soir, a la priere qu'elle
disait elle-mSmea haute voix; le matin, a la messe qui
se celebrait dans la chapelle du chAteau ; et le dimanche,
au simple et patriarcal office de la paroisse. Tout cela
se faisait, non pas parce qu'on avaitcrainte d'etre chasse,
mais bien parce que, de sa voix douce et affable envers
les plus pelits, la baronne I'avait conseille.
Lorsque U. de Chantal revenait dans sa terre de Bour-
billy , I'extrSme amenite de Jeanne pouvait seule dissi-
per I'ennui profond que faisait naiire chez lui son sejour
a Pans. Elle employait tons ses instants a distraire le
baron, et lui procurer toutes les douceurs d'une vie chre-
tienne. Alors rien ne manquait a leur bonheur, car Jeanne
aimait tendrement son mari, etson amour etait partage.
Dieu ne permit pas que ces instants heureux fussent
bien longs. M. de Chantal, invite par un de ses amis, se
renditil une partie de chasse revfitu d'un surtout couleur
de biche. Au moment oil il se cachait derriere desbrous-
sailles, I'ami qui I'avait invito, le prenanl pour une b6te
fauve.lui envoyaune balle dans la poitrine. — Lecoup fut
mortel. — Neanmoins le baron vecut encore quelques jours,
etavantd'expirer,ilfitecriresuriesregistres de la paroisse
le pardon reitiire qu'il accordaita son inconsolable ami.
La baronne de Chantal n'elait alors igee que de vingt-
huit ans. Elle avait eu six enfants, quatre vivaient encore,
un garcon et trois filles. A la mort deson epoux, sa dou-
leur s'exliala dabord par des larmes; puis, prcnuntbien-
tot avec resignation I'epreuve que lui envoyaitle Seigneur,
elle pria; et pour prouver qu'elle p'ardonnait au meur-
trier involontaire du baron , elle lui donna son dernier
enfant ii tenir sur les fonts de baplSme. .4 cette epoque,
et se voyant veuve , elle fit voeu de chastete perpi^tueilc.
Ici commence la vie asc^tique de madame de Chantal.
L'ascetisme est un sentiment que, dans le monde, on de-
finit fort mal pour ne lui laisser que sa couleur de spi-
ritualisme non depourvu des vertus humanitaires , mais
ne s'exercant que rarement k les pratiquer. L'ascetisme,
c'est la vie interieure consacree a I'amour de Dieu , a la
priere. Certes il n'exclut pas I'amour des pauvres, il ne
defend pas de songer aux souffrances de I'indigent pour
les soulager ; mais comme son exercice est entierement
int^rieur et spirituel , il ne fournit pas les nombreuses
occasions de charitequetoute autre vie religieuse peut of-
frir. Quel est son but?dire2-vous, quelle est son utilite'?
Croyez-vous que Dieu posscde la clef desamcs? et des
lors ne comprenez-vous pasqu'en priant le Seigneur pour
autrui, on lui demande d'inspirer la cliarile a ceux qui
dans le monde peuvent ^tre charitables'/ N'est-ce pas une
maniere indirecle de faire le bien ; et si Ton ne peut elre
la main qui donne , n'est-on pas le coeur qui a eu pilie"?
L'ascetisme seulement demande une foi vive pour etre
pratiqu(5 et pour ^tre compris.
Madame de Chantal avait une ame ardente et passion-
nee; les choses de la terre lui semblerent indignes de son
coeur. Tout son amour fut au heros de la croix. Quelques
liens I'attachaient encore au monde, elle sut les rompre
peu a peu. — D'abord elle etait mere. Jusqu'a ce que sa sol-
licitude fut inutile a ses enfants, son bonheur fut de leur
prodiguer ses soins maternels. Elle les aimait avec ar-
dour ; pouvait-elle d'ailleurs aimer autrement. Une voix
interieure I'appelait a la vie monastique, il lui semblait
entendre cette cloche du cloitre qui dit : • licoutez et
venez! > Elle eut la pensee d'aller finir ses jours en terre
sainle ; — mais ses enfants etaient trop jeunes encore!
Saint Francois de Sales vint a Dijon precher le careme
de I'annee 4 604. Elle quitta Monthelon, oil, depuis son
veuvage, elle habitait la maison de son beau-pere, etvint
entendre I'livfque de Geneve. Elle pensa que mieux que
tous les pretres qui avaient jusque-14 dirigeson coeur, ce
prelat lui indiquerait la voie qu'elle devait prendre en
obeissant a Dieu. Francois de Sales rerut sa confession
et lui dit : • N'ecoulez que I'impulsion de votre ame, car
c'est le Seigneur qui vous appelle. »
Peu de temps apres, madame de Chantal maria I'ainee
SAINTE JEANNE DE CHANTAL.
de ses filles an baron de Thorens , et recommandant au
•prtsident Fremiol le jeune baron de Chantal, alors age
de quinze ans, elle annonca sa determination irrevocable
de se retirer dans une nouvelle consjregalion qu'elle fon-
dait sous le nom de la Visitation de sainte Marie.
Un cri de douleur dechirant et unanime accueillit celte
nouvelle. Ses enfants se tordaient a ses pieds; son
vieux pere la baignait de ses larmes en s'ecriant : « 0
mon Dieu! il ne m'est paspermis de ra'opposer a I'exe-
rution de vos desseins ; quoiqu'il doive m'en coilter la
vie, je vous ofTre, Seigneur, cette chfere enfant; daignez
la reccvoir et ftre ma consolation I » Puis il la serra dans
ses bras et la benit. Le jeune baron de Cbantal, siiffoquo
parses ssanglots, arrachait de sa poitrine les motsles plus
toueliants pour retenir sa mere; enfin, voyant I'inutilile
de ses, efforts, il se coucha sur le seuil de la porte par cii
madam.' Cbantal devait passer. Frappee, elle aussi, jus-
qu'aux larmes, elle s'arrfite, besite en regardant son fils,
puis tout a coup, levant ses yeux vers le ciel, elle fran-
chit la derniere barriere que I'amour maternel luj oppo-
sait. — Dieu I'avait appelee!
Ce fut dans Annecy qu'elle commenca I'etablissement
de sa congregation. Deux femmes pieuses qui I'avaient
suivie, composerent d'abord avec elle la modeste commu-
naute fondce en I'anni^e 1610, le dimancbe de la Trinite.
Peu de temps apres , dix aiitres dames sollirilerent leur
admission, et le cardinal de MarqnemonI, archev^que, fit
par ses conseils changer la congregation en ordre reli-
gieux. Alors madame de Chantal et ses compagnes pro-
noncerent des voeux solennels.
C'elait a la fondatrice de ce nouveau monastiire qu'en
apparlenait la direction. Elle recut le litre de m&re, et,
en cette qualite, secroyant responsable detoutesles irre-
gularites commises contre la rfegle, elle priait continuel-
lement, demandant au Seigneur bien des graces qu'elle
possedait deja. Ses prieres et ses oraisons jaculatoires
etaient faites avec une si grande fervour, qu'il eri resulta
pour son corps des inflammations lelles que plusieurs
fois elle faillit en perdre la vie. Pour repondre aux
conseils que Francois de Sales lui donnait & cet egard,
elle disait : « Le monde enlier mourrait d'amour
pour un Dieu si airaable, s'il connaissait la douceur que
goilte une Sme a I'aimer. • A ces maux physiques vinrent
se joindrc des malheurs de famille, sans pouvoir un in-
.stant ebranler sa pieuse resignation.
Le president Fremiot mourut. — Lejeune baron de Chan-
tal fut luc, laissanl de son recent mariage avec Marie de
Coulonges une petite fille qui devait 6tre plus tard la mar-
quise de Sevigne. — Le comte de Toulonjon, son gendre,
qu'elle aimait tendrement, et qui etait gouverneur de
Pignerolle, fut aussi frappe par la mort. —Ces diffcrentes
douleurs survenues coup sur coup, et qu'elle ressentit
vivementdans le fond de son ame, lui fournirent occasion
d'offrir k Dieu le sacrifice de toutes ses affections. De la
ces lecons qu'elle donnait si souvent k ses sceurs sur la
necessite du renoncement aux choses creees. • Notre-Sei-
gnour, disait-elle, a attache le prix de son amouret de la
gloire eternelle a la vicloire que nous remporterons sur
nous-memes. Voire intention, en venant a la Visitation, a
du i^tre de vousdesunir de vous-m6mes pour vous unir
it Dieu ; c'est un petit champ ou si Ton ne meurt Ji soi-
meme on ne portera point de fruit. Vous ne serez Spouses
de .lesus-Cbrist qu'autant que vous crucifierez votreju-
gement, voire volonte et vos inclinations pour vous con-
former k lui. »
Elle fonda diverses maisons de son ordre, notamment a
Bourges, Dijon, Grenoble, Moulins, Nevers, Orleans et
Paris. Dans cette derniere ville, elleeut a lutter contre la
persecution. Mais .saint Vincent de Paul la fit sortir vic-
torieuse ck>s combats que lui suscitait la jalousie.
33* CAUSERIES AVEC MA FILLE
Madame la duchesse de Savoie la fit venir h Turin, en
1638, pour fonder une communaule de la Visitation de
sainte Marie.
Anne d'Aulriche, reine de France, I'appela a Paris, et
ce fut en atlant a Saint-Germain-en-Laye , pour faire
visile a I'augDste personne qui desirait la voir, qu'elle
fut frappce de rinflanimation de poitrine qui devait finir
ses jours.
Des qu'elle s'aper^ut que son heurc elait venue, elle
donna ses dernieres instructions k ses compasnes, recut
les sacrements avec une evangelique piiile ct toutle calme
que donne une vie sanstache. — Elle monla vers le Sei-
gneur confiante en lui. — Pouvait-ellecraindre d'etre jugee
par celui qu'elle avail tant aime?
J. B.
CAUSERIES AVEC MA FIllE SUR lA CHIIIIE LA PLUS ELEMEXTAIRE
ET SES APPLICATIONS.
Dans I'ancienne et
savanle Egyple, la
science se transmet-
tait du pere aui en-
fants.
Je ■vais faire de
mtoie avec toi, nia
bonne Marie; je pren-
drai -sorn de ne pas
fatiguer ton esprit,
et do ne fe presenler
que des; fails degages
de I tout I'attirail des
hypotheses preten-
tieuses qui, souvent,
en obscurcissent le
sens. J'espere ainsi te
econcilier avec la
chimie, que, comme
les gens du monde,
tu OSes a peine abordcr, de memo que si c'etait une
science aride, barbare ou abstraite, et beaucoup au-des-
susdelon intelligence.
11 est vrai qu'autrefois, quand elle meritait a peine le
nom de] science, elle n'etait lo plus souvent raise en pra-
tique que par les philosopties et les raisonneurs, qui
avaientune facon de dogmaliser tout a fait occulte, etqui
lui avaient conserve les caracteres hieroglyphiqucs de la
vieille Egypfe, ou elle a certainement pris naissance du
temps d'Hermfes, qui existait probablement avant le de-
luge. La civilisation semble vraiinent avoir suivi le mou-
vcment du soleil ; elle a marche d'Gccidcnt en Orient : la
Chine, laChaldee, I'Epypte, la Grece.l'empire remain, etc.
Avant de se constituer, la science oscille ordinairemcnt
entrela theorieetla pratique. Trois epoques la dominent :
dans la premiere, I'intelligence observe les fails et est
libre des enlraves de la superstition el des prejuges systo-
matiques. Dans la seconde, la pensee domine le champ
de I'exp^'rience pour se rt'fugier dans le domaine de la
speculation mystique et surnalurelle. De la I'origine do
tant de doctrines fanlastiques des adeptes de I'art sacre
et del'alchimic.
Dans la troisteme, qui est la noire, la lumiere semble
apparaitre apr^s les tenebres, la raison se manifesle en-
touree de ses formes severeset des preuves propres k con-
vaincre.
Nos pocjles el nos anliquaires chimisles ont fouiUe dans
lous les recoins de I'histoire sainte et de I'histoire profane;
ils se sent empares des fables les plus anciennes, que, par
des efforls inouTs, ils ont souvent di'tournees de leur veri-
table sens pour les appliqucr J> leur objet.
Qu'('tait-ce k lour avis que la toison d'or qui occasionna
Ic voyage des Argonaules? Un livre ferit sur des peaux,
qui enseignail i\ faire de I'oraumoyen de la chimie.
N'ont-ils pas eu aussi quelque raison de relrouver cetle
science dans la fable d'Esculape qui revwifie les morts,
dans celle de Jupiter transmuc ' en pluie d'or, de Gorgone
qui lapidi/ie ^ tout ce qui la veil, de Midas Ji qui Bacchus
accorde le don de convertir en or tout ce qu'il louche, du
ph('nix qui renaitde ses cendres, etc., elc.
Les anciens Grecs admetlaient rindestruclibilile de la
matiere, sur laquelle reposent aujourd'hui les doctrines
fondamentales de la chimie. Us admetlaient qualre ule-
mcnls : la terre, I'eau, I'air et le feu, lesquels cntraienl
dans la conslilulion de lous les corps.
En 1 2t 4, naquil Roger Bacon, auquel on atlribue I'hon-
neur d'avoir introduit la chimie en Europe. Ses manu-
scrits contiennenl la recelle de la poudre h canon, qui a
remplace le feu gr^geois ', dans lequel entraient aussi du
nitre el du soufre, et peul-elre une huile volatile, ainsi
qu'un metal appele potassium.
De cetle epoque du moyeu age datent reellenienl les
alchimistes, ou cbercbeurs de la pierre philosophale, qui
pr^tendaient transformer en or et en argent les metaux les
plus communs.
lis ont voulu qu'on les dislinguat, par le litre special
de fliilosophes liermeiiques, des philosophes vulgairos,
des profonds melaphysiciens, des Descartes, Newton,
Leibnitz, etc. Ils se croyaient les philosophes par excel-
lence ctles seuls sages; ils traitaienl leur philosophic de
divine, et regardaient la chimie propiement dite comme
une science indigne deux.
Les plus celebres des alchimistes furent : Arnault de
ViUeneuve, c^lebre nnSdecin, qui, le premier, a icpandu
I'usage de I'eau-de-vie. On pretend qu'il a recllement eu
la pierre philosophale.
R. Lulle, ne en 1239, fut son disciple. II fut un des nie-
decins les plus habiles.
1 Transform*!.
5 Transrormcjcn (tiorre.
S Invenlc, dil.^11, par les Grecs, avail la prtipricle de IrOler dans I'eau. ^
SUR LA CHIMIE.
335
Basile Valentin, moine bcncdiclin, qui nous a laisse
quelques ouvrages. Isaac et Jean Isaac furentses contem-
porains.
Paracelse, 6Ieve de Tun de cos demiers, a change ia face
de la medeciue. 11 mourut en 1541. On Ta appele ie.mon-
arque desarcanes. Ses ouvrages, sontpourlaplupart, peu
intelligible^, de raeme que six miUe traites au moins, dans
lesquels est deposee la science du grand ceuvre, comme
on I'a auasi appelee.
Nicolas Flamel, dont les immenses richesses ont fait
croire qu"il avail reellement possede la piorre philoso-
phale. Pour suivre I'ordre chronologique, j'aurais du le
placer avant Paracelse *.
1 Nicoli? FiaincI eta.it un paarre emvain pnblic qui lozfiaJt rne des Ecri-
vains, pr^s I'cglisc S3iat-Jarque«-ia-Bouc))<:ri« (donl il ne nous regie plas au-
jourd'ltui que la tour).
It raconte <on histoire en style tre^-sinple et tr^s-naturel, qui fecait croix£
4 la Tcrite cnliere de ses assertions.
Le hasard lui fournit I'occajion d'acheter d^no jnif od Tienx-tivre dore, doat
es fuuillcts etaient en eniirc grace au barin.
I) mil vingl anilines h. ctudier ce manuscrit ; nais Be ponvant point r^ussir a
coinprcndre ses emblf^mes et sei carictercs bicro^lypliiques, il fit un vceu i Dieu
et a Saint-Jacques en Galice, puis il parlil pour rE^-paguc.
La il ri^nroulra uii medcciii qui lui donna I'explication des principales figures,
et lous dcuK revinrent en France. En passant i Orleaus, Flamel perdit son
compagnon.
De relour sous le loit conjugal aapres de dame Pernelle, son epouse, il fit,
coDJoinlenient 3Tecelle, de nonvelles eludes qni dur^rent trois anneeE; eofin ili
parvinrenl, ooiame il ledit, • k accomplir le magittere, »
Ce fut le lundi 17 Janvier 1382, qu'il cnnvertit une demi-livre de mercure
en argent Ires-pur, et le 25 arril de la meme aooee, qu'il lit de Tor avec « la
piflire: rouge. •
Apres CCS Iransmulations opcrt-es, il eprouva de bien grandes craintes sur la
discretion de son epouse; ni.»s il eut la preuve, ait-il, qu'elle clatt aussi dis-
ctUb que ohaslc; et il a rimpertincace d'ajouler a qu'dle diffcrdit en ccla de
beaucoup d'aulres reinmes, »
N'ayaot point eu d'enTiDls, ils fond^rent qualorte bospices dans Paris (an
nombredesquels on doit compter I'Hutel-Dieu), etleurassurcrenl des revenus;
iU b&Lireul trois cbapejles, decort^rent et eouibl^Kst ile dons .el de rejatei
sepl e^lises.
Wicoi ,s Flamel Gt peindre 3ur la qiiatrieme arche du cimeliere des lano-
<eiiis, entrant par la grande porta de la rue SainL-Denis « Ics plus vriies et ies
plus essentielles marques de I'arl, rependant sous les voiles bierogWphi^ues, a
1 imitation du livre donj du juif Abraham. » Ces figures servirenl comme deqx
ohCDuns, I'lrn poor mener a la \ic celeste, fit I'mtre enseignant a lout houime
« la Yoie lineaire du grand auvre.s
On a tenement an.plifie I'liistoire de Flamel et de sa femme, qu'on leur l
suppose a lous deux le poavoir de prolen^er la vie elernellemcnl. Des ?oya-
gflUTi prrtondircal les aioir vm ani Indes oricntolcs au commencement du
siecle di;rnit;r.
La ne de cet ecrivain panrre, qui posseda des richesses immenges par la
SDite, est on poisiaat argunrent dual se servent les alcbimiitci.
Enfin Agricole, Ercker, Fachs, Bernard PaUssy, Leba-
viiis, Vanlu'lmont, Glauber, Becher, Boyle, etc., etc.
Ces hommes, pour la plupart extraordinaires, leurs
adeptes et ceux qui se trainaicnt sur leurs traces, par le
mystere et le prestige dont Us entouraient leurs travaux,
par les idees cabalistiques et astrologiques qui y etaient
attachees, par ieur jargon mystique, les caracleres bizar-
res et enigmatiques qui rejjresentaient leurs operations,
ont et6 et seront pour nos faiseurs de legendes et nos
chroniqueurs une source bien feconde a exploiter.
Les chimistes de noire epoque se sont montres bien ri-
goureux envers les alchimistes, qu'ils ont regardes comme
des imposteurs, ou comme des r^veurs et des fous.
Depuis quelques amiees, cependant, les progres de la
science ont du appurter quelques modiftciitions a ce ju-
gement. 11 y aurait outrecuidance b. nier qu'on ait pos-
sede la pierre philosophale ; il est seuleraent permis aujour-
d'hui de douteb.
Quoi qu'il en soit, les alchimistes ont rendu de tres-
grands services h la chimie metallurgique, car leurs infa-
tigables recherches ont amene la decouverte d'un tres-
graud nombre de corps et de la plupart des metaus.
Dans la seconde moitie du siecle dernier, une ere nou-
Quoiqu'en disenl les se-iaUnrs de la'philoaopliie heriiiL-lique. la forlone de
N. Flamel pent s'espliquer par des rapporls intimcs qn'il cnlrclenail arec \ei
jmfs £1 persecutes au moyen age, et qm tour i lour claieiit eiiles ou rappeles
iclon Je caprice des rois.
L'hisloire de son iirre d'or du juif Abrahflm eet peul-eire nneallegorie oMir
rappeler Torigine de sa fortune.
Charles VI .-nvoya son matlre des re^ielcsanpris^ Flamel. On aaiti(at U
science cibalisliqoe, les fantasma5ories de la magie, les operations altfiimiqua*
elaient mises en usage pour dUhaiwle'BglheorcM-prnice alitue.
o36
CAUSERIES AVEC MA FILLE SIR LA GIIIMIE.
velle se preparait pour faire de la chimie une scienco
leelle. Les (luides oeiicns, qui, pendant tant de siteles,
s'etaient souslraits S I'invcstigation dcs cxperimentateurs,
sont saisis, renfermi'S el i'tudies comrae s'ils etaient solides
ou liquides.
f riestley en Angleterre, Srheele en Su6de, Lavoisier en
France, partagent la gloire de cette memorable epoque
des sciences experimentales.
Notre compatriote surtout cril'o do nouvelles theories,
fondtes uniquement sur les resultats de Texperience ; pour
lui, I'air, I'eau, le feu, la terre, ne sont plus des |il(5ments.
II renverse la th6orie de Stahl sur le phlogistique • qui a
retard^ si longtemps les progres des sciences ; il comprend
le phenomene de la transpiration, et par la il fait connaitre
une des principales sources de la chaleur animate.
La hache rcvolutionnaire de 1793 trancha la t6le de cet
iUustre savant, lequel eutle malheur d'etre fermier gene-
ral.
La veille memo de sa mort, il recut une deputation du
Lycee, dont il fut un des plus illustres membros. Cette so-
cietf'scientifique eut le courage de confier a Berlbolet, a
Lalande, a Parmentier, a Lebrun, h Darcet, a Vicq-d'Azir,
la perilleuse mission de frapper olTiciellement a la porle de
la Concicrgerie pour offrir a Lavoisier une couronne d'im-
mortelles.
Toutes les sciences naturelles se lient et ne sont qu'une
scule et m^me science. II est done tres-dillicile de bien di'-
finir la chimie.
On pent dire qu'elle comprend la constitution iutime
des corps materiels, et Taction qu'ils exercent les uns sur
les autres. Ellc penetre dans leur interieur pour en isoler
les principes qui les composent, et pour reformer ces corps
ou en composer de nouveaux. On pent dire aussi qu'elle
est la science des substitutions el des transformations.
La piivsiouE, au contraire, n'altere poinlles corps; elle
comprend I'etude de leurs proprietes exirrieures.
Par exemple, pour le soufre , ses proprietes physiques
sont : sa couleur, sa transparence, sa tenacite, sa fragi-
lite, son odeur, sa pesanleur relative ou comparee & celle
d'autres corps, la forme de ses cristaux, sa vertu de pro-
duire de Telectricite par le frottenient, de conduire ou dis-
sSminer dans sa masse cette ^lectricite, de conduire plus
oumoinsle calorique ou principe de la chaleur, etc., etc.
L'Hude de ses proprietes chimiques comprend : son ac-
tion sur I'air a diverses temperatures et les composes qui
en resultent, son action sur le mercure, avec lequel il
s'unit a la temperature ordinaire , sur le fer , I'etain
1 SUhl VMM df 1660 a 1734. II aJmit l'exislen«d-|in.priMipe inOammable
n.i'll afpelle pMoji.lnu.. II (nil qV]l tiisUil dans le! melaul Ic saufre, Ic
.■harbon, les builci, Its combiisliblej, at. ; cl c'esl 1 I'aidc de ce llulJe ,n,ai-
ilsiable, invisible, imaginaire enlln, q..e ce thimisle ejpliqnail les pnocipaiu
phcnomcnes de la science. Si, par ejcmple. on calcinait du plomb pour le re-
duirc en litharge ou cbaui melalliqne, il n'arrivail J eel i-lal qu'e" f'"''^^ »»"
phlosiamue. Si ensuilc on calcinail ccllc ehaux avec do charbon ou un aulro
corabuslible, ellc reprcnail son pblogisliqoe el rcvenail a I'ilal melallique.
Si Slahl s'elail scrvi d'unc balance, il aurail vu : qu'un corps que Von brO-
lail, un meUI que Ton calcinait an contact de I'air, anjmcniaicnt de poids; il
ii'eul done point eu I'idtie de cette fatale tlicoric.
legercment humides, son action enfin sur tous les corps
de" la nature avec lesquels il peut former de nouveaux
corps.
On voit quel est le domaine de la science qui nous oc-
cupe, quelle est son importance et quelle est son immense
^tendue. Trop peu de gens se livrent h. son aude parce
qu'ils n'en connaissent point I'importance ou qu'ils n'ont
point le courage del'aborder; cependant, dans I'elat ac-
tuel de notre civilisation, lorsqu'on voit la medecine,
I'bygiene publique, les beaux-arts, I'industrie, les besoins
domestiques, I'agricuiture, les sciences naturelles, etc.,
ri-clamer son secours et rijclamer continuellement ses en-
seignements, on n'est plus excusable d'en ignorer les pre-
miers principes.
On appelle aujourd'hui elements ou corps simples, tous J
ceux qu'on ne peutalterer en aucune fagon sans augmen-J
ter leur poids, c'est-ii-dire tous les corps dont on ne peut (
nen extraiio par les moyens connus; par exemple, eft
NAPOLfiON.
o3T
soumettant dii fer on du carbone (principe pur de cliar-
bon) «i loules les epreuvcs possibles, on n'en retire rien
que du fer ou du carbone.
On connalt aujourd'hui cinquante-cinq corps simples,
qui, isolement ou unis entre eux en diverses propor-
tions, forment tons les corps qui existent dans lanature.
Nous commencerons Telude, dans notre prochain en-
tretien. des principaux elements et des cQmpos& qu'ils
peuvent former.
V. T. R.
MAFOLEOHc
II.
xjne fois empereur, — Napo-
leon devint roi. Une deputa-
tion de la republique ita-
lienno s'empressa de venir
mettre ascs pieds la cou-
ronne de celte nation. Rome
et Paris, telles furent ses
deux capitales. — II traversa
son nouveau royaume en
laissant partout derri^re lui
eette longuo trainee d'entliou-
siasme k laquelle il etait ha-
bitue.
Et puis il recommenca la
guerre ; car I'armee de la coa-
lition \fnait d'envahir Munich et de chasser I'electeur
de Bavi^re de sa capitale. II passa le Rhin a la t^tede
quatre-vingtmillehommes, avant-garde dugrand peuple,
qui, comme il le disait lui-meme, se leverait toutentier
a sa voix, s'il etait necessaire, pour dissoudre les ligues
nouvelles tissues par I'nr des Anglais. — La capitulation
d'UIm fut le prologue de ce grand drame qui allait inau-
gurer sa carriero imperiale. Uue arm^e de cent mille
hommes en derouto et la moitie prisonniere, ne Tempi-
cherent pas neanmoins de protester devant les generaux
autrichiens par ces nobles paroles: — Messieurs, votre
maitre me fait une guerre injuste; je vous ledis franche-
ment, je ne sai.s pas pourquoi je me bats; je ne sais pas
cequ'on veutde moi.
La grande armee entra dans Vienne. Napoleon etablit
soo^quartier general au palais de Schcenbrunn, bati par
Marie-Th(5rese ; ce fut la qu'il recut les autorites de la
.3 58
NAPOLEON.
grange capitaleet qu'il disposalcs plans d'une autre et plus
resplendissanle vicloire, — qui dcvait surpasser toutes
celles du general et du premier consul. Pendant celemps,
una division s'avanea dans le Tyrol et ne tarda pas k
prendre position ainspruck, — oiide vieuxsoldats ourent
le bonheur de relrouver, les larmes aux yeux, les-dra-
peaux de la republique perdus dans la derni^re guerre.
Au tour des Russes mainlenant. Le jour de I'anniver-
saire du conronnement fut celui ou les deux armees se
trcuvferent face h face. L'alTaire allait 6lre decisive.
Ce jour-la les soldats s'etaicnt dit qu'ils offriraient leur
bouquet. 'i I'Empereur; et un d'entre eux s'etant approche
de lui, pendant qu'il parcourait les bivouacs, s'etait eerie
dans ce langage forlemcnt image dont il avail etc le pre-
mier a leur donner Texemple: — Sire, tu n'auras pas be-
soin de t'exposer; je te promets, au nom des grenadiers
•de I'armee, que tu n'auras a combaUre (]iic des yeux. —
'Que de choses, apres cela, n'eut-il pas failes avec depa-
reils liommes? Aussi la bataiUe d'Austerlitz est-elle de-
meuree dans nos souvenirs comme una balaille de lions et
de grants; I'armee francaise y chargea constamment aux
oris de ; Tive I'Empereur! — et des milliers d'hommes
furent engloutis dans des lacs immenses, qui relentirent
longtemps apres de clameurs d'autant plus epouvantables
qu'elles elaient invisibles. Des trois empereurs de I'Eu-
rope, un seul resta debout sur le champ de bataille : —
■Napoleon!
Ceci est la page d'or de son eblouissante histoire. — II
tient en ce moment di.v couronnes dans sa main. [1 1'ouvre,
etellesvont se repandresur ceux de sa famille, dont ilpre-
tendetayerson pouvoir : — sur Joseph, dont il fait unroide
Naples; — sur Louis, dont il fait un roi de Hollande; —
et puis aussi sur Murat, Berthier, Talleyrand. II rentre
dans Paris au bruit des fanfares universelles, reconnu par
toutes lespuissances de I'Europo ; et pour mettre le comble
h sa gloire, le senat decrete qu'il a merito du peuple
francais le surnom de grand et qu'un monument triom-
phal lui sera consacre. — Le monde, dit le corps legis-
latif dans une de ses adresses laudatives, so croit re-
venu h ces temps oil la marche du vainquenr etait si
rapide, que I'univers semblait plutot le prix de la course
que celui de la victoire.
C'est de cette epoque que da lent I'univcrsite imp^rialc,
la restauration de Saint-Denis, la fondation de la confe-
deration du Rhin — ce large projet depuis longtemps
miiri — el enlin le traitc avec la Porle-Ottomane
Mais encore une fois la coalition s'est reveillee comme
un serpent engourdi, et dejasessifflemenls sesont faiten-
tendre au loin. Cette fois, c'est la Pnisse qu'cUe pousse en
avant sur la garde imperiale, — et cetle fois, ce sera dans
Berlin que la garde impej-iale fera son entree. On dirait
qu'elle a jure de pofer le pied sur le sol do toutes les ca-
pitales. — En vain Napoleon cherche-t-il a ressaisir la
paix jusqu'au dernier moment, etde meme qu'il ecrivail
au roi Georges, fcrit-il mainlenant au roi Frederic-Guil-
laume : • Pourquoi faire egorger nos sujets? Je ne prise
« point une victoire ^qui sera achelee par la vie d'uii
« bon nombre de mes enfants, Si j'etiis a mon debut
« dans la carrifere militaire, et si je pouvais craindre
' /fs /iosnrds rfcf comfcnLs, ce langage sorait lout Ji faitde-
t place. Sire, VoTnEMAJESTE sera VAiNCiiE.» — Les rodo-
montades de Frederic et de la reine araazone ne lui per-
mettent point de laisser plus longlemps son e\i6e au four-
rcau. l\ marche droit au ccBur de la Prusse, eta cole du
livre d'eternel souvenir ou s'etale le motde Rosbach, —
il en inscrit un autre : lena!
Quelques jours apres, il elait i Potsdam, — grave <t I ckiu'c, — rel'eil'un cont|uerar.l comme lui, d'un homnie S
son"eur, aufond d'un caveau sans ornemenis, qui en- do bataille et de fatalUi',<iexecre par les uns, admire par
fermailune des cendres les plus illustres d'un sitcle [ les autres, et ii qui bien souvent on a essaye de le com-
NAPOLEON.
359
parer, parce que [ous les grands capilaines se res=emblent
plus ou moins funestement aux laches de sang qui ecla-
tent sur leur diademe!
A present, Napoleon ne s'arr^te plus. — II va cher-
cher les Russes jusque dans la Pologne. On sail la san-
glantc journee du cimetiere d'Eylau. Pendant deux
heures trois cents pieces ne cesserent de vomir la niort
dans son propre asile. Une neige epaisse obscurcissait
I'almosphere et faisait un linceul a chaque cadavre. Rus
ses et Francais, on compla plus de dix miUe homnies
qui rest^rent ensevelis sous son blanc manteau.
Les dates glorieuses se multiplient : Dantzick, Friedland,
Kcenigsberg. L'Empereur est la foudre. — .4u milieu de
ces evenements accumules, sa pensee est toutefois occupee
des interets les plus divers et les plus opposes, et un
trait servira k le peindre merveilleusement. Du fond de
Finkenstein, au milieu des neiges et desglaces, dansun
pays de paysans, il rend un decret sur les theatres de Pa-
ris, par lequel il les divise en grands theatres et en
IheJlres secondaires. — L'homme n'est-ilpas toutentier 1^-
<dedaDs ?
L'entrevue du Niemen, et le traite de Tilsitt qui en fut
la consequence, — terminerent ceite memorable campagne
de 1806. Mais les traiies ne deriient plus Jtre que deri-
sion. L'incendie etait allum^ aux quatre coinsde I'Europe.
Napoleon devait obeir k sa destinee, et il y obeit. Une
autre capitale s'ouvredevant lui, c'est Madrid; il n'en
oubliera aucune. La patrie du Cid est ruinee, le sceptre
des Pelages passe entre les mains de sa dynastie ; il abolit
I'inquisition, les droits feodaux, et essaye de faire pour la
constitution de I'Espagnece qu'ilafait pour la constitution
delltalie. Malheureusement I'Espagne voit le capitaineet
ne voit pas le legislateur; Napoleon laisse un pan de son
manteau de gloire dans les gorges lortueuses des sierras.
Encore TAutriche, encore la civilisation! — C'est une hy-
dre giganlesque qui se redressedes qu'on I'abal. Toujours
des croisades et toujours des batailles. Ah ! I'Autriche a
I'haleine longue et elle ne meurt pas d'un premier coup.
540
NAPOLEON.
C'est bien. L'AiUriche payera pour I'Espagne. EHe veut le
bombardement, lo massacre, ia fuitc; elle aura tout cela
et d'autrescliosesavt'C. Lespasde I'Empereur s'appellcnt
Batisbonne, — Essling, — Wagram ! Voyez-vous ces tor-
rents dc feu qui font d'une ville une bouehe de volcan,
c'est Vienne qui secoue dans !cs airs le panachede flammes
que vientd'allumcra son front son advcrsaire gcant. line
tient qu'a lui que I'Aulriche n'ait plus de capitale; il ne
tient qu'a lui que la capitale n'ait plus d'emporeur. Mais
il sera grand comme la victoire, il laissera sa capitale a
rAutriche et son empercur i la capitale. II fera grSice, —
lui a qu'il n'a pas et6 fait grace; il pardonnera, — lui i
qui il n'a pas Hi pardonne ; il ne tuera pas, — lui quia
ete tu^.
Seulemcnt il prendra sa fille a Francois, — et Si ce
grand reve de la pais continentale il sacrifiera son bonlieur
intime et domestique: — la iiere Marie-Louise dMronera
la bonne et douce Josephine. Bon gre nial gre, il fera de
I'Autriche une soeur a la France. Et quelle sceur, grand
Dieu ! Certes, c'etait Ik uu coup de politique i^clatant et
qui devait faire croire en elVet a Napoleon que I'heurc de
son apogee etait enfin sonnoe; il tcnait par les liens du
sang k son plus implacable ennemi ; la trahison 6tait ame-
nee k merci, et I'Europe, haletante, sc couchait sur les
marches de son tr6ne en repliant ses ongles, comme fait
un lion que la fatigue accable. — Enfin un roi naissait
de lui, saluB par cent un coups de canon.
Mais si le lion elait assoupi, le tigre commencait a ru-
gir de nouveau dans son autre loinlain. C'etait la Russie
qui avait vu cette alliance avec un oeil d'cffroi, ct qui se
soulevait sur son lit de glaces, en essayant de decrocher
du raurson fer casse. Alexandre, ceGrec du Bas-Empire,
oublia bien vite I'accolade de Napoleon, et lui aussi il se
mit i braver la France et a \-ioler le serment qu'il lui
avait jure. Ainsi faisaient-ils tonjonrs ces monarques,
une fois que la peur s'(5tait retiree de leurs Ames, lis
avaient te courage de la honte, I'audace do la liichete.
— La Russie se dressa done conire la France, comme
un de ces pMcs fant6mes des ballades du Nord; avec
cctte difference que le fantome etait grand de millecou-
dc^es et occupait la plus vaste (Hendue de I'Europe.
Eh bien! soil. NapoWon ira jusqu'au boul. Sellez
mon cheval et donnez mon epce. Aussi bien il manquait
une capitale i mon compte; il n'en nianquera plus. —
Et le voili qui marclie sur le fantome, a travers les plai-
nes, les forots, les lleuves, les montagnes. Et i mesure
qu'il s'avance, I'apparition semble s'eloigner ct se dissou-
dre en nuageuse vapeur. La Russie fuit encore une fois
devant ses armes victorieuscs, mais olle fuit en allumant
dcrriere elle I'incendie, I'incendie dans la neige ! Ce ne
sont chaque jour que funebres processions d'habitants d6-
sertant en silence leur ville assiegee, et faisant de leur
berceau un tombeau ii la France. Pour la premiere fois
de sa vie, I'Empereur a pili. Mais il n'a pas recule. —
Allez toujours, dit-il, ct voyons ce que les Russes vont
faire. — Les Russes feront un feu de joie de la ville et du
palais de Pierre-le-Grand, sire; et ils ne laisseront rien
de ta victoire. Comme Samson qui so venge, ils s'englou-
tiront sous les debris de leur Kremlin afm de t'engloutir
avec eux. Mais ils ignorent que la flamme et le glaive
sont impuissants h. t'atteindre, et qu'il n'y a que la main
de Dieu quipuisse s'appesantir sur loi. — Le fantome est
devenu un squelette, qui a depouille la robe de glace
pour la robe de feu; ce squelette, c'est Moscou qui
briile !
L'Empereur regardait cela d'une croisiSe.
C'cHait la premiere fois qu'il etait etonne; c'etait la
premiere fois qu'un bomme avait eu une idee que lui,
Napoleon, n'aurait pasose concevoir. Et Napoleon etonne,
c'^lait presque Napoleon vaincu. En vain les (lammes
I'environnent-elles de toules parts, il rcste immobile, a
celtc fen^tre qui encadrel'aulo-da-fe d'une capitale. Sos
yeux ne pouvcnt se detacher de ce tableau inoui; il com-
prend qu'a cctte terrible Intte II vient de perdre ii jamais
son prestige d'inviilni'M-abilitc. L'avenir se divoile Ji son
regard, et c'est sur le rouge horizon que .se dessine la fa-
tale prophetie I
De ce jour, I'astre de Napoleon va se dipouillcr pcu J>
NAPOLEON.
541
Peu de scs rayons, comme le solcil lorsqu'il est sur le
point de se coucher. — La Russie triomphe, mais d'un
trioniphe feroce et sans precedent dans les annales de la
guerre. Le froid lui vient en aide, comme elle s'y alten-
dait sans doute; la main gele sur le fcr, les larmes se
glacent sur lesjoues; on dirait qu'il picut non pas de la
neige, mais de la mort. Trisles, mais sans murmures, nos
[ilialangos hero'iques se couclient sur leur dernier lit, con-
liantes jusqu'au supifime moment dans le genie de leur
chef, et se disant encore en expirant : — Laissez faire, il
saura bien nous tirer de li).
Napoleon ne devait pas les en tirer. Que pouvaient son
eoeur et sa tete centre un danger qui ne venait pas des
hommes, mais qui lui etait suscite par la nature seule?
Lutterait-il centre les Elements, ces ennemis invisibles?
Seul, oui, sans doute. II irait tonjours droit devant lui,
et droit devant lui, il rencontrcrait Saint-Petersbourg.
llais ses soldats furent les premiers a le detourner de ce
projet; ses lieutenants reculerentdevant I'idee d'aflronler
de nouveaux perils, dans un paysde fiimas, a la poursuile
de ces hordes faruuches qui poussaient I'heroisme jusqu'a
I'atrocite. Napoleon dut cesser [devant leurs instances.
« — Vous savez, dit-il, dans uue proclamation, I'histoire
de nos di'sastres et combien est petite la part que les
Russes y ont prise. lis peuvent bien dire comme les Athe-
niens de Themistode : nous etions perdus si nous n'eus-
sions ete perdus! Quant a nous, notre unique vainqueur
■c'est le froid, dont la rigueur prematuree a trompe les
habitants eux-memes Vit-on jamais plus de chances
favorablcs derangees par des contrarietes plus imprevues"?
La campagne de Russie n'en sera pas nioins la plus glo-
rieuse, la plus difficile etia plus honorable dont I'histoire
moderne puisse faire mention. »
II se decida done a la retraite, et laissant a Murat le
commandcment de cette armee a moitie detruite, il reprit
la route de Paris, etcouruta son tr(ine desTuileries comme
si un pressentiment secret lui cut dit qu'il allait bientut lui
echapper. Uue levee solennelle detroiscentcinquantemille
hommes fut ordonnee a la nouvelle de la defection prus-
sienne,et peudetenipsaprte, unesecondede cent quatre-
\ingt mille. — Mais deja la trahison lecernaitde tons les
coles. La coalition, reveillee en sursaut par les desastres
du Nord, secouait sa chaine. La France elle-m^me etait
lasse de batailles , saturee de conqu^tes; un indicible
^puisement pesait sur elle et arretait I'elan de son pa-
triotisme. Elle ne suivait plus les pas de son empereur
qu'avec resignation ; I'obeissance avail remplace I'en-
thousiasme ; la oil il y avail eu fanatisme autrefois, il n'y
avail plus maintenant que doute et froideur. Les temps
etaient venus enfin oii Napoleon etait monte si haul qu'il
ne pouvait plus que descendre, — et il descendit.
Deux clfurts encrgiques encore : Lutzen et Bautzen! —
Dernier eclair de ce tonnerre dechu qui va gronder dans
les niurs de Dresde pour la derniere fois ! Car le cercle
des puissances etrangercs se retrecit chaque jour davan-
tage autour de lui. C'est effrayant. Son beau-pcre est le
premier parmi ceux qui s'apprJtent a I'ecraser et qui
I'ecraseront. II n'y a pasjusqu'a deux enfants de France,
— lloreau et Bernadotte, — qui ne prennent les amies
conlre lui, lui par qui ils etaient tout, sans qui ils
n'eussent ete rien.
C'est uue ligue immense enlre les potentats de I'Europe,
un hourra formidable cohtre cet homme dont ils s'occu-
pent a creuser la lombe. L'avcnir refusera de croire Ji ce
duel cirange de vingt centre un, de vingt epees centre une
epee, de vingt bourrcaux pour une seule tete. La gran-
deur de Napoleon prend a cette 6poque un caroctfere de
sublime fatalite ; son 5me trompee dans les revers briUe
d'une energie nouvelle et plus forte. Mais son ^nergie
doit suecomber sous le nombre. II tombera sous le poids
de I'Europe entiere, comme un de ces Titans auxquels il
ne fallait rien moins qu'une montagne pour les broyer.
Napoleon s'etait fait Titan, I'Europe sefit montagne.
Leipsick est le signal de cette grande deroute, qui ne
s'arrete qu'ii Francfort. Desormais I'ivresse des ennemis
est au comble, et precipitant catastrophes sur catastro-
phes, ils regardent deji comme abattu le parvenu hautain
dont ils ont eu si souvcnt a subir les lois. — Seul, sans
escorle. Napoleon rentre au sein de Paris silencieux; il
trahie dcrriere lui I'Europe et tons ses souverains, et c'est
ce moment-la que choisit le corps legislalif pour imposer
des conditions k sa demande d'une nouvelle levee d'hom-
mes. Mais lEmpereur n'est pas tellement accable, que
sa fougue ne se reveille au contact d'un obstacle intem-
pestif. 11 casse le corps legislalif. — « Moi seul, dil-il, je
suisle represenlant du peuple. Etqui de vous pourrait se
charger d'untel fardeau?Le tr(ine n'estquc du boisrecou-
vert de velours.... E»t-ce queje ne sacrifiepas mon or-
gueil ct ma fierte pour obtenir la paix? Oai,je suis tier
parce que jc suis courageux; je suis fier parce que j'ai
fait de grandes choses pour la France Relourncz dans
vos foyers. »
Cet acte d'absolutisme ne retarda pas sa chate. — Deja
les allies debouchaient par tous les points de la France h
la fois. Les cosaques traversaient les campagnes de I'Est,
la lance au poing, brulant et pillant toutsurleur passage.
— Alors commenca pour lEmpereur cette guerre de ha-
meaux, pleine de surprises, de hasards, de virements, de
contre-manoeuvres, d'embuscades ; guerre sans reUche,
plus rapide qne le vent, allant de Test a I'ouest, du nord
au midi ; hier ^ Champaubert, aujourdhui aMoiilmirail,
demain a Montercau ; oil le terrain etait dispute pied k
pied, corps a corps; oil I'Empereur couchait tantot dans
la chambre d'un cliarron, tantot sur la paille d'une grange,
d'autres fois sur le seuil d'un presbytere, — se multi-
pliant sur tous les points et dans toutes les occasions,
courant mille fois au-devant du danger qu'il semblait
defier par son elrange audace ; faisant face a tout et 4
tous, a la ruse, i la trahison incessante, aux propositions
des ennemis, aux murmures de son etat-majur; semblable
a un lion accule, terrible, fin, ecumant, attentif, essouffle,
qui salt qu'il joue sa vie centre plus forts que lui, et qui ^
pourtant ne desesperc que lorsqu'il se sent frapp6 ii
mort.
Ses lieutenants n'etaient guere plus heureux. Soult se v
rctirait sur Toulouse. Augereau allait evacuerLyon. Bor-
deaux ouvrait ses murs aux Anglais. Le comte d'Artois
cntraitdans la Bourgogne. C'etaita chaque pas une porte
vendue, une ville forcce, par oil debouchait a chaque in-
stant un peuple autrichicn, russe, allemand. prussien. La
France etait percee a jour et debordee par tous ses fleu-
ves et toutes ses frontiercs. Plus de salut nuUc part ; I'in-
vasion etait partoul. Le torrent roula de la sorte jusque
devant Paris, — oil Napoleon arriva trup tard pour se met-
tre en travers de ses Hots tumullueux. Malgre I'h^ro'ique
defense de la garde nationale sous le commaadement du
342
NAPOLEON.
vieux Moncey, et le eonconrs des braves et des citoyens rcddition vengea d'un seul coup, ce jour-la, toutes les ca-
de loute classe, Paris ful livr6 le 31 mars lisU, et sa ' yiitales liaineuses de I'Europe.
IMlM'!!;i!,;
-r';'
Napoleon tomba de toiile sa hauteur, et avec lui ce
grand ceuvre de I'enipire, auquel il avail vou6 sa vie en-
tiere. Tout croula en mSme temps sous ses pas, son
peuple, son tronc, sa dynastie; et ainsi se realisa ce mot
cilebre : 11 est venu rcfaire le lit des Bourbons. — Le
poignet meurtri par les ]tliissances alliees, il signa k Fon-
tainebleau I'aclede son abdicalion, — il soufda lui-meme
sur sa race afin que sa race s'cleignit, — et apres avoir
dit adieu a ses soldats et embrass^ I'aigle de France, il
partit pour lile d'Elbe, oil le monde I'exilait, en cvilant
toutefois de passer par Avir^non,oii I'atlendaitle poignard
des futurs assassins de Brune.
Charles Monselet.
X. '^ — :_-r
^^iBSSSi-^*'-^*^'*-"
LA TRINITE DU MONT, A HOME.
313
HISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIQL'ES DE ROME.
I.A TRINITE DU MONT.
u bas du mont Pincius se I
trouve la place d'Espagiie.
An milieu s'i'levent un obe-
lisqueet une fontaine; I'obe-
lisque est le meine qui resta
longtemps dans les jardins
de la villa Medici, doiit on
apercoit le palais a rcxtremi-
te septentrionale. — Le cardi-
nal Alexandre de Medici, titulaire de saint Pierre arf vincu-
la, I'y fit transporter avecdeux conques, qui venaientdes
thermes de Titus. La fontaine, erigee en forme de barque,
fut comniandee parlepape Urbain VHL en memoire de
la prise de Lo Rochelle {1628); — ce fut un honiniage
rendu aux armes du roi Louis le Juste , et en m^nie
temps un monument eleve a la cliute du calvinisme en
France.
A cote du convent des Minimes, on voit leur eglise : la
Trinite-du-Mont. Ce fut le roi Charles VIII qui en jela
les fondements, en 1494, lorsqu'il passa par Home pour
aller a la conqu^te du royaume de Naples. Francois de
Paule, fondaleur de I'ordre des Minimes, vivait encore.
Aux disciples de ce saint, fut confie le culte de la Trinite-
du-llonl. llss'en acquitterent avec le soin religieux qu'ils
apportaicnt a toute chose; et, prolegee par les cardinaux
de Macon, de Lorraine, d'Eslrees, leur eglise devint une
des superbesbasiiiques romaines.
Comme toutes les feglises de Rome, celle-ci olTre ce
prestige de grandeur que la foi des peuples et le genie de
I'artisle jetaient a profusion dans les temples sacres. —
Immense bienfail de la religion qui donna aux espritsune
crande et sublime emulation. — Au sortir de I'ere bar-
bare , lorsque la poussiere d'une epoque vieillie com-
mencail de tomber sous le soleil de la foi, chaque lieu
saint devint aussi le but vers lequel tendaient les ceuvres
de genie. Les papes, premiers et grands civilisateurs,
avaient compels quelle impulsion les arts pouvaient at-
tendre de leur preponderance. lis di'clarerent que toute
ceuvre digne de I'adrairalion generale serait offerle a
Dieu et placee dans les egUses. — Us firent plus. — La
miscre pouvait tuer le genie, lis ne voulurent pas que
I'art veritable pilt connaitre la pauvrete : leurs tr^sors
furent ouverls aux peintres et aux sculpteurs qui vou-
urent consacrer leurs travaux i I'histoire de la foi.
Alors de tons cotes I'ltalie enfanta des hommes, des
hommes au coeur brOlant et passionne, Ji la main puis-
sante et bardie, et ces hommes leguerent tant de chefs-
d'oeuvre a la posterite qu'on edt dit un defi jet6 aux
siecles a venir. — Tout cela se fit avec une seule pens^e,
la foi ! — Voila ce qui fit I'ltalie des quinzieme et seizieme
siecles, cequi enfanta celts multituded'artistes si grandsel
sinombreux,qu'ilssemblenta euxseuls former un univers!
De meme que I'ltalie avait ete le berceau du catholi-
cisme, ellc fut le sol cheri des arts. Ses mines avaient
ete rougies par le sang des premiers martyrs, ses temples
les premiers ouverts, furent aussi remplis par les pre-
mieres productions du genie. — Ses enfants furent les
premiers croyanls. lis furent aussi les premiers artistes.
— De mfme que les peuples athees n'ont produit que
mine et vandalisme, les nations chrotiennes out apport6
Ji la gloire leur tribut de chefs-d'ceuvre et de monuments.
On monte a la Trinite par un double escalier en forme
d'eperon, borde d'une balustrade en pierre. Le portail,
style en ordre corinthien, a pilastres, est devanc6 par
344
LA TRINITE DU MONT, A ROME.
deux colonnes qui s'^levent de cliaque cote. Au-dessus
sont sculptees les amies de France soutenues par dcs
anges. — Deux clochers surmontent ce portail.
L'eglise n'a qu'une nef. Le mailre-aulel, plusieurs fois
rec'onslruit, fut elabli dans son etat acUiel, par les plans
de I'architecte fran^ais Jean de Champagne. — II y a fait ,
enstuc, le inyst^re do la sainleTriiiitfe entouri-e d'anges,
ainsi que saint Louis et saint Vincent de Paul. — LaFuite
en ligypte, par Piccioni -, le Couronnement de la Vierge,
par Fredt'ricZuccaro,remplissentruades cotes. — L'autre,
peint par Perrin del Vago, reproduit divers traits de la
vie de la mtre du Christ, et deux proplietcs en grand :
Isaie et Daniel. — Au milieu, et presque dans la voute, on
voit des anges portant les amies du cardinal Pucci. Puis
I'Assoniption , fresque commencee par Tadeo Zuccaro,
finie par Frederic, son frere, qui a aussi peint les pro-
phetes et les orueinents places Cii et lii avec une admi-
rable protusion.
Aux deux cotes du choeur se trouvcnt deux petitescha-
pelles qu'on doit ^galement k I'architecture de Jean de
Champagne.
Apres le maitre-autel, restent a examiner les chapelles
qui ornent si ricliement chaque llanc de la nef. On en
compte dix, etcliacune possede quelque chef-d'oeuvre de
peinture, au has duquel briUe un nom celebre que
Ton devine toujours sans avoir lu.
Dans la premiere chapelle, h droite, on voit le tableau
a I'huile du bapl6me de Notre-Seigneur, execute par Le
Naldini; les fresques qui revetent les cotes et la voiite
sont dues au meme pinceau. — C'est la vie de saint Jean-
Baptisle qui a fourai lesujetdeces fresques. — On remar-
que surtout la decollation du saint et la danse de I'impure
Herodiade.
La deuxieme chapelle ne possede qu'un tableau repre-
sentant le bienheureux saint Francois de Sales. — Oul'at-
tribue h Fabrice Chiari.
Dans la chapelle suivante, un Christ niort est olTert a la
veneration. II y a aussi quelques figures k I'buile. Les
douleurs de la Passion font le sujet des fresques de la
voiite. — Ce travail est tout entier de Paris Nogari.
Les deux chapelles qui viennent apres celle-la n'ont
r^ellement que leurs fresques de tres-rcmarquables. Ces
peintures sont anciennes mais bonnes. La premiere, qui
reproduit la Nalivite de Jesus-Christ, n'a pas laisse a I'art
le nom de son auteur, neanmoins c'est une osuvre de nie-
rile. La crois^e du meme c6t6 est partout peinte egalo-
ment k fresque. On y voit entre autres le Jugement der-
nier, par un eleve de Michel-Ange, qui cut I'ambition
vanitouse de deveuir I'emule de son maitrc, lorsque ce
dessin avait ^te commande par le papc pour la chapelle
Sixtine.
La cinquieme chapelle, fondee par la signora Lucretia
della Rouijrc, a ete peinte sur le dessin de Daniel de
Vollerre. — Non-seulement ce peintre y a mis son g^nie,
maisaussi celui deseseleves. — Le tableau del'Assomption
sur I'autel, et la presentation au temple, sortentdu pin-
ceau de Jean Paul Rossetti. Dans les arcades, I'annoncia-
tion etlanativite du Christ; dans lesangles, les prophetes,
sont de Daniel mSme. — Marc de Sienne el Pelerin de Bo-
logne ont illustre la votite, de cette bistoire subl'ime de
la "Vierge. — Chaque facade a un cbef-d'oeuvre: — I'une, la
nativiledeNotre-Dame,deBi2zerorEspagnoI, — et l'autre,
le massacre des innocents de iVIichel Albcrti ; — tous Aleves
de Daniel de Vollerre.
A gauche, dans la premiere chapelle, on voit Notre-
Seigneur en jardinier, apparaissant a Madeleine. Ce ta-
bleau est un de ceux devanl lesquels on s'arrete longtemps
avec bonheur : le pinceau nous offre sur cette toile des
chairssublinies de^ton et de verite ; voyez la pileur rayon-
nante du Christ et I'etonnement de Madeleine. Ce chef-
d'oeuvre ainsi que les histoiresa fresques dans les demi-
ronds, sous les arcades, et la voiite, sont de Jules Ro-
main, etde son beau-fr6re,.Iacques Francois, ditleFacteur;
tous deux el6ves de Raphael d'Urbin comme Perrin del
Vago, k qui Ton doit la piscine de Siloe et la resurrec-
tion de Lazare qui ornent aussi le mime lieu.
La signora Helena Orsini a faitconstruire la deuxidme
chapelle par Daniel de Volterre qui a passe sept ans a ce
travail. Sur I'autel, ladescente de la croii^ les fresques de
la voute, les peintures^de sainte HelAne, les ornements,
compartiments en stuc, et bas-reliefs, sont dus a Daniel
de Volterre.
La troisifeme chapelle n'offre rien de comparable aces
inerveilleuses productions du genie qui semblent s'fitre
entassees les unes sur les autres.
La quatrifeme possede un tableau de la nalivite et la
creation del' bom me avec unpaysagede Cesar Piemontais.
La voute est enrichie de fresques represeotant I'histoire
de Marie : ce travail est dij k Paul Ledapse, ainsi que les
prophetes qui sont si hardiment jetes sur les piliers.
La derniere chapelle a appartenu au prince Borghese;
— Cesar-Nebbin, Jacques de I'lndago, Perin del Vago et
Lorenzelto I'ont dolee de plusieurs chefs-d'cBuvre.
J.B.
CAUSERIES AYEC M,ON FILS SUR LA PHYSIOLOGIC.
34S
tACSERlES AVEC HON FILS SUR LA PDYSIOLOGIE.
II.
a physiologic, mon cher Er-
nesl, est la science qui nous
apprend le mccanisme de
toutes les fonctions dont I'en-
semble constitue la vie mo-
fMelle.
Or, mainlenant que tu as
une idee de ce que Ton
entend par appareih, je vais,
en me placant au niveau de
(on premier degre d'instruc-
tion k ce sujet, examiner
avec toi chacun d'eux en
particulier; et pourrepondre
a la question que tu m'adres-
sais ce matin, jevais essayer
de fexpliquer les rouagcs de
Vuppnrcil digestif, si je puis
m'exprimer ainsi, ct I'acte de la digestion
DE LA DIGESTION.
Au fur el !i mesure que les aliments solides ou liquides
sont intioduils dans telle ou telle partie des voies diges-
tives, ils y subissent un travail d'elaboration particuliere
et des alterations successivcs.
Tout cela c'est la digcslion.
Pour que tu comprennes plus facilement I'etude mcca-
nique de I'appareil, voici un apercu succinct et general de
ia fonction :
Les a(»«cH/ssont introduits dans la bouche.
C'est la pri'hension.
Ils y sont broyes par les dents.
C'est la maslicalion.
lis y sent reduits en une masse appelee bol alimen-
tuire, et humectes par un liquide destine h leur faire
acquerir des proprictes essenlielles.
Cela forme Viyisalivation.
Bientot ils francliissent la bouche et passent dans I'o!-
sophagc, sorle de tube allong^ qui doit les transmettre
jusqu'a Vcflomnc.
Ceci se nomme la di'gbtlilinn.
Arrives dans Testomac , poche plus large, plus ihs-
tique que I'cesophage, ils y subissent une transformation
nouvelle et sont rdduits, au bout d'un certain la'ps de
temps en une p5te, qui a recu le nom de chyme.
De la le mot chymificulion.
Tout ce 4"! est irapropre h passer a I'^tat de chyme
est rejete par le vomisscment.
Cet estomac, cette poche, ce sac en quelque sorte, se-
crete un liquide particulier qui est dit sue gaslrique, dont
la propriety est de concouri^ h la formation du chyme.
Quand cette Elaboration est termince, quand a eu lieu
■la chymificalion, I'ouverture infirieure de I'estomac (le
pylore) livre passage au chyme, qui vase repandre dans
Vinteslin grcle , longue continuation du canal digestif,
connu sous le nom general dc lube inlrsdnal, sauf quel-
ques denominations diverscs selon sa position, son trajet
et ses usages, et dans toquel ce chyme passe a I'etat d'un
liquide blancliitre nomme chyle, mf-le lui-m6me avec la
bile, liquide s6crLHe par le foic.
Ce phenoraene de la fonction est la chylificatioti.
Tout ce qui est impropre a former le chyle est rejete au
dehors par les voies naturelles inferieures ; mais ce qui
est chyle est absorbe par une innombrable quantity de
petits vaisseaux lui servant de vEhicule jusque dans I'in-
terieur d'une sorte de tuyau dit canal Ihorucique, situe
au-devant de la colonne vertebrate. Par ce canal Ihora-
cique, le chyle arrive dans une veine qui communique
au cccur, puis du cceur est reporte dans le poumon, oil il
acquiei^t par le contact de lair des proprietes nouvelles et
vivifiantes; et enfin du poumon revlcnt k une autre par-
tie du cceur, oil il est devenu iu sang, et sous cette forme
est lance dans le torrent general de la circulation pour
servir a I'entretien de la vie.
Comme tu le vois d6ja, tout I'appareil digestif pourrait
^Ire compar(5 a un long tube presentant dans son par-
cours diverses formes completeraent dissemblables, agis-
sant de facon differente, mais qui n'en sont pas moins
un seul et mime canal, dont quelques organes voisins
sont auxiliaires pour Vaccomplissement de la fonction.
La bouche est une cavite dont I'ouverture est formte
par les levres; son plan superieur est la votiic palatine ;
son plan inferieur, la langue; 'son plan bi-lateral, les
joues; elle est bornee anterieurement par les dents, pos-
terieurement par le voile du palais.
Les levres sont distinguc'es en superieure et infi^rieure,
se reunissant par des angles aigus que Ton nomme com-
missures ; plusieurs muscles concourent k I'execution
rapide et ties-vari^e de leurs mouvements.
Les mdchoires sont egalement doubles. Deux os forment
la michoire superieure; celle-la est immobile; un seul
OS constitue la mJchoire inf(?rieure, et c6lui-la pent au
contraire executer de forts mouvements d'elevation et
d'abaissement, mais aucun de rotation.
Le palais est le resultat de la voute formee par la reu-
nion des OS maxillaires superieurs.
Le voile du palais est ce prolongement membraneux
qui fait suite a la voiite palatine; il separe posterieure-
ment la bouche du pharynx, que nous ctudierons plus
tard ; a cliaque cote il se termine par deux autres prolon-
gements appelcs piliers, pr'es desquels sont deux glandes
nomm^es amygdales, et enfin, dans son milieu, il donne
naissance encore a un prolongement allonge, qui est la
luelle.
Enfin I'ouverture posterieure de la bouche, qui a re^u
la denomination : isthme du gosier, est I'espace compris
entre le voile du palais, ses piliers et la base de la langue.
La langue est un muscle compose de faisceaux parti-
culiers, dont la direction est differente, ce qui lui donne
une extreme mobilite. Elle est retenue a sa face inferieure
par un repli membraneux appelE frein ou filet, ce qui
3«6
CAUSERIES AVEC MON FI
empfiche ses mouvemenls desordonnes. Voila pourquoi,
d'apres le dicton populaire, on dit d'un bavard, qu'il a
eu le filet bien coupe.
Les joues sont deux cloisons chaniues tr^-elasliques
ayant leui- point d'altache aux maxillaires superieur et
inferieur, el sont constitute par la reunion de plusieurs
muscles dont Taction et les divers mouvements, combines
avec ceux dcs li?vres, formcnt les traits du ■visage et I'ex-
pression do la physionomie.
Les dents sont au nombre de seize Ji chaque mJchoire.
Ce sont de petits os fort durs encli&sses dans une serie de
trous appeles alveoles que I'on rcmarque au bord inferieur
des maxillaires sup^rieurs et dune fa(;on inverse aux
maxillaires inferieurs.
La partie conlenue dans I'alv^ole est la racine; le tissu
qui I'y retient est la gencive. Au-dessus de la racine est
le collet, qui separe cctte derniere de la coitroniie, et la
CQuronne est recouverte d'une substance blanche solide,
inalterable au contact de I'air, Vemail.
Les dents sontdestintea couper, k dechireret abroyer.
Aussi sont-elles distinguees en incisives, en canines et en
grosses et petites molaires.
Les dents incisives ont une racine simple: elles sont
nu nombre de 'quatre, et situees au milieu de I'arcade
dentaire.
Les canines, au nombre de deux, une de chaque cole
par niSclioires sont cor.tigU(?s aux incisives; elles n'ont
cgalement qu'une racine et sont vulguirement appelees
dents de I'ceil.
Les molaires, divisees en petites et grosses molaires,
viennent ensuite terminer I'arcade, Elles ont plusieurs
racines, et la derniere dent molaire , qui forme de
chaque cote I'extremite de I'arcade, est ce qu'on appelle
dans le monde la dent de sagesse, parce qu'elle nc parait
que dans un <ige avancc'. Que de gens ont la dent, et pour-
tant qui n'ont pas encore la sagesse!
Le pharynx, vulgairement arriire-bouche ou gosier,
est separe de la bouche, par le voile du palais, et se con-
tinue inferieurement avec Vwsophage; c'est un conduit
museulo-membraneux, qui donne passage a une certaine
quantity d'air pendant la respiration, et recoil lebol ali-
mentaire au moment de la deglulilion. II ne faut pas le
confondre avec le larynx, que nous etudierous en temps
etlieu, et derriere lequol il est immediatement place: a son
ouverturesuperieure.ilexiste une valvule sitiieeau-dessous
de la base de la langue, susceptible de resserrement, et qui
recouvre compl^tement I'ouverture du larynx pendant la
deglutition, et empeche de celte facon que quelques par-
celles du bol alimentaire s'inlroduisent dans les voies
aeriennes.
Vcesophage fait suite au pharynx ; c'est en quelque sorte
le porte-manger du tube digestif. C'est un long conduit
etroit, place au-devant de la colonne vertebrale, descen-
dant le long du cou, traversantlapoitrineel \f diaphragme ,
muscle que nous apprendrons, et vient s'aboucher avec
I'ouverture supferieure de I'estomac.
Veslomac est un viscere creux, de la forme d'une cor-
nemuse, une poche qui semblerait n'ctre autre chose que
la tres-grande dilatation de I'oesophage ; il presenle deux
Ouverlures: la premiere, faisant suite b I'oesophage, se
nomme oardi'a; rinferieurecommuniquant avecl'intestin,
est appeleepi/?orc; sa grosse extremite, lournee en haul et
a gauche, avoisine la rale; sa petite extremite, dirigee en
LS Sim LA PHYSIOLOGIE.
bas el k droite, est recouverte par le foie. On donne a son
bord superieur le nom de petite courbure, et i son bord
inferieur celui de grande courbure.
II se compose de trois sortes de membranes, une in- j
lerne , dite muqueuse, une moyenne, musculeuse, et une 1
exlerne, sereuse dont les functions ont chacune leur sp^
cialitc.
Apri?s I'ouverture pylorique de I'estomac se trouve I'in-
leslin, quichezriiommeformerait hull fois environ la lon-
gueur du corps.
Ce paquet intestinal est subdivise en deux parties, Tune-
I'intestin grele, I'autre le gros inlcstin.
L'intestm grcle est forme par le duodenum le jejunum
el I'ileon ; le gros intestin, par le colon, le caecum et Ic^
ledum.
Le duoilenuni offre trois courbures depuis I'estomac
jusqu'a I'ileon ;sa longueur est de .33 centimetres envi-
rons.
Le jejunum et I'iliion se succedent et presentent une
certaine quantite de contours, nommes circonvolutions : au
momeiit oil I'ileon se termine pour donner naissance au
gros intestin (le caecum}, on trouve une valvule de separa-
tion appelee valvule ileo-coecale, qui mainlient les matieres
dans le gros intestin et les empeche de refiner dans I'intes-
tin grele ; c'est pour ccla que les injections failes par I'anus
ne peuvent franchir cette communication d'un intestin a
I'autre; on lui donne par plaisanterielesurnora proverbial
de barricre des apolhieaiies.
Lecofon est le plus long des grosintestins;il se subdivise
en quatre parties : celle qui fait suite au ccecuni e-.t le co(on
ascendant; celle qui est situee en travers au-dessous du
foie et de I'estomac, est le colon transverse.
LecofondfscenrfanI est la partie qui est situee dans la fosse
iliaqne gauche, et enfin on designe par I'S-iliaque les deux
courbures que presente cette partie avant desereunir dans
le dernier des intestins le rectum, qui termine tout le tube
digestif par une ouverture inferieure, qui est I'anus.
Ainsi que I'estomac, les intestins ont trois membranes :
d" sereuse, 2° musculeuse, el 3" muqueuse. Cette der-
niere, surtout, dans I'intestin grfele presenle des replis plus
ou moins saillants, des boucles appelees valvules eonni-
vetites, qui ont pour propriete de se modeler en quelque
sorte sur la masse alimentaire, dont elles ralentissent le
cours, eld'augmenterde toutleurdeploiemenlladilatalion
de rinteslin.
Les vaisseaux chyli feres sonl i pen pres du m^me genre
que les vaisseaux lymphatiques, quoique destines h un
aulre usage. Cesonteux qui absorbent le chvle dansl'acle
de la digestion; celle absorption commence a la fin du
duodenum et finil vers la valvule ileo-ccecale. D'apres di-
verses experiences, on a trouve que ractedelachylification
dure trois heures environ , et que 1 90 grammes de chyle sont
lances dans le torrent de la circulation pendant cette du-
ree; et qu'apres I'acle de la digestion et apres une
longue abstinence, c'esl-Mire une vingtaine d'heures, ces
vaisseaux ne conlicnnent plus que do la lymphe.
Pour terminer cette enumeralion'anatomique des diverses
parlies qui composenl le tube digestif, il faut mentionner
encore trois appareils annexes dans lesquels il trouve de
puissants auxiliaires : ce sont les appareils salivaire et bi-
liaire, le pancrf'asel la rate.
L'appareil salivaire est forme par six glandes situees dans
la cavite buccale s^crclant un fluide destine h humecter le
JEANNETON.
347
bol alimentaire et a lui communiqucr les premieres condi-
tions essentielles a la digestion.
L'appareil biliaire est forme parle foie, viscere glandu-
Jeux situe a droite et s'etendant vers I'epigastre et I'liypo-
condre gauche, compose de trois lobes ; le plus gros situe
i droite, le moyen a gauche, le petit en dessous; Si la
face iiiferieure du lobe droit du fuie se trouve une petite
poche appellee vesictile liilinire, qui est le rejervoirdu fid,
lluide secrete par le foie.
La bile est une maticreverdiitre indispensable a la diges-
tion, et qui, apres avoir passe parplusieurs canaux par-
ticuliers, finit par elre versee dans le duodenum pour se
m^ler a la masse alimentaire qui a subi I'elaboration de
I'estomac et lui communique des proprietes nouvelles.
La rale est un organe mou, spongieux, situ^ profonde-
nient a gauche au dessus du colon ascendant, pres la grosse
tuberosite de I'estomac, et au-dessuset au-devant du rein
gauche.
Ses usages ne sont pas bien connus; on ne sail pasbicn
encore si [elle concourt precisement a I'acte de la digestion
ou non ; mais un fait probable, c'est qu'elle agit mecani-
quemcnt en servant de reservoir a une grande quantity
de liquides, lorsque dans les mouvements extremes comme
dans la course, cesliquidessont violemment refoules dans
les parties inferieures.
C'est pource motif que dans les exercicesgymnastiques,
alin d'eviter I'cxces d'un afflux extreme dans cet organe,
on a soin d'employer des ceintures serrees qui portent
olistacic a son developpement.
Le pancreas est une glande situiVderriere I'estomac, au
milieu des courbures du duodenum. Elle secrete un fluide
nomme sue pancrealique presentant beaucoup d'analogie
avec la salive, et se melangeant avec la bile dans le duo-
denum.
Voila, mon fds, la simple enumeration des organes qui
constituent l'appareil digestif. A notre prochaine causerie,
nous ^tudierons leur mode d'action en particulier dans
I'accomplissement de la fonction. Nous etudierons les di-
verses series d'aliments, leur classification ; nous revien--
drons en dt'tail sur leurs decompositions essentielles pour
arriver a devenirl'undesprincipcsles plus actifs de notre
existence. Poyer, D. M. P.
JEAWETON.
I.
''-^\ .- ar un matin d'une belle
'"i^Stps journ^e , Jcanneton olait
^?3^^ allee faire une battue de
""-'•'^ pommes dans le verger de
Rene Seguin, un des plus
riches fermiers du hameau
de Cliamp-les-Loups.
Le hameau de Champ-
lesLoups, baigne par la
Marne, a tout I'aspect d'un paysage du Lorrain. C'est la
mfime fraicheur dans les eaux et dans le feuillage, dansle
ciel etdans les pres. Le malin y a lesmemes transparences
et le soir les memes brumes. A peine dix ou douzo maisons
le composent dans son entier; encore sont-elles voil(5es
par d'^pais rideaux de peu[iliers et de frfnes. Le reste, ce
sont de grandes plaines cultivees et accusant en tous
li_eux rintelligence active du paysan; des prairies qui
ressemblent a des mers de verdure, confuses et agilees.
On dirait un pays beni, tant y est pure I'atniosphere
qu'on y respire, tant y regno un calme profond et bien-
faisant; a peine si Ton entend au loin le son vague des
clochetles siispendues au rou des vaches ou la molopfe
trainanle d'un palre qui faille grossieremcnt un au-
bier.
Jeanneton ^tait la plus joliefille du hameau de Champ-
les-Loups. Elle avait dix-huit ans et pas davanlage. On
n'aurait pas rencontre sa pareille, a dix lieues k la ronde,
pour la vivacite et la joyeuse humeur. Son reg.ird brillait
d'autant d'esprit que celui den'importe quelle dame de la
ville, et son eclat de rire avait la sonoril6 d'un Hot de
cascade qui tombe en eclaboussures d'argent sur un csca-
lier de picrre. A la danse, Jeanneton etait toujours celle
qui sautaitle plus haul et dont les gars les mieux tournfe
se disputaient sans cesse la preference. C'etait celle aussi
qui savaitle mieux leur faire des niches, les pincer sour-
noisement, attacher un bouquet de fleurs a la basque de
leur habit. Pourlant il n'y avait personne qui ne I'aimJt,
aulant pour ses beaux yeux que pour son bon occur; car
sa gaiete lui venait toute de \b.
Depuis deux ans, Jeanneton 6lait entree au service de
son parrain, a qui sa pauvre mere I'avait recommand^e
avant de mourir; et depuis deux ans la prosperite etait
descendue sur la maison de Rene Seguin. Jamais ordre
plus parfait n'avait resplendi de la cave au grenier et de
la cuisine 11 la basse-cour; jamais proprete plus flamande
n'avait embelli de son lustre les planchers vermoulus et
les meublcs gothiques du ferniier. Ce n'etait pas celte fois
del'iril du maitre qu'emanait ce miracle, c'etait de I'oeil
de la servanle, disonsplutot de la filleule. Jeanneton etait
toujours levee avant I'aurore, et son chant commen^ait a
babiller avant celui du coq ; elle allait alors, Turelaiit du
haut en bas de la maison, trainant partout sa jupe de
laine rouge sans que sa jupe de laine rouge en atlrapat.
un seul grain de poussiere. Puis, qu'a cetteheure mali-
nale, quelques mendiants vinssenl frapper discretement a
la porle, de cetto maniere qu'elle leur avait elle-mt'me
indiquee, et vite Jeanneton descendait avec un gros mor-
ceau de pain bis dans son tablier et un sourire dans les
yeux. Aussi la maison de Seguin etait-elle citee dansle
hameau, quoique Rene Seguin n'eut jamais passe pourun
homnie charitable, bien au conlraire.
C'etait un lourdaud. On le disait aussi riche qu'iletait
sordide, aussi sordide qu'il etait brutal. Tout dans ses
traits et dans son langage decelait ces deux cotes de son
caraclere, et en nieiiie temps un autre defaut que nous
saurons pUn tard. Peut-6tre murmurait-il interieurement,
348
JEANNETON.
centre lesaum6nes de Jeannetoa; mais comme apres tout
elle faisait I'ouvrage de trois personnes au moins, en ce
sens qu'elle lui tenait lieu dune servaute pour le me-
nage, d'une fcmmc pour raffeclion et d'un commis pour
I'intelligence des affaires, il se laisait et avait lair de ne
rienjvoir. Qui suit d'ailieurs s'il n'etait pas Qatte, dans le
fond, d'entendre dire autour de lui : Rene Seguin n'esl pas
si diable qu'on le pense, il fait du bien et il nen soullle
mot
SeguiD laissait done faire sa filleule. 11 agissait sineu-
lieremont en ccla comme vous voyez. Seul, il ne se fut
preoccupe de rien au monde que de sa ferme ; avec
Jeannelon, il se souvenait qu'il y a auire chose et tole-
rait la cliarite chcz lui, en I'additionnant avec ses gages.
II ressemblait a ces gens qui n'ont ni la force ni I'intelli-
gence necessaires pour entreprendre eux-mSmes leur sa-
int, mais qui se le laissent faire volontiers par un direc-
teur. Jeanneton elait ledirecteur de son pairain.
Or, ce jour-1^, Jeanneton etait alleeabattre despommes
dans le verger de Rene Seguin. II faisait un temps et un
soleilniagnifiques, avec une chaleur un peu vivetoute-
fois. Le vent s'elait endormi dans lus plis des feuilles,
dans Ics calices des fleurs, dans Ics fra\igos des vagues,
dans les ailes des insectes et des oiseaux. 11 n'y avait pas
un bruit dans les buissons. La nature scmblait une de ces
princesses orieiitales aux pieds de laquellese serait endor-
mie I'esclave chargee d'agiter devant elle un eventail a
plumes.
La jeune fille allait d'arbreen arbrc, malgre la chaleur,
emplissant un panier pose par tcrre. Ses cheveux, lordus
en cable k la facon des Italiennes, etaient nouos negU-
gemmentparderriere el laissaientflotterde grosses boucles
sursosepaules. Elle frednnnaitune chanson bien des foisin-
terrompue et bien des fois reprise, une de ces chansons
campagnardes, qui sont un peu comme les herbes du
jardin de la poesie. Quand elle eut fait sa provision, elle
s'assit sur un banc et se mit en devoir de trier les pom-
mes, en jetant les mauvaises en dehors du verger.
Au moment ou, cettc operation terminee, elle se dispo-
sait ^ retourner a la ferme, ses regards furentattirfe tout
^coup par un bizarre incident. A demi cache par lahaiede
clfllure, unhomme,jeuneencore,|vcnaitderamasser undes
fruits jetes par Jeanneton et y mordait avec aviditc. II
etait pauvrement vi^tu et son regard honteux tnihissait
une misere recente plutflt qu'une misere de longue date ;
unchapeaude paille tombait en bords fletris sur son front,
et une mechante veste dechirce 6lait posee ii la housarde
sur son epaule. Une chemise grossiere, un pantalon de
toile, formaicnt le reste de son costume. Un pauvre cos -
tume, comme vous vovez. — Jeanneton s'arr6ta deux
ou trois minutes a le considerer ; puis, une expression de
surprise se peignit sur son visage, et elle fit quelques pas
de son cole.
— Thierry! s'ecria-t-elle doucement.
L'inconnu tressaillit, etreleva la tete en rougissant. Sa
main laissa echapper la pomme a moilie entamee qu'il
tenait, et comme s'il eut ele irrite de se voir decouvert, il
lit niinedes'en allcrsans ri'pondrc. La voix de Jeanneton
le retiiit une seconde fois.
— Ne m'avez-vous dune pas reconnue, Thierry, ou ne
voulez-vouspasmereconnaitreVDansce cas,ce serait bien
mal a vous, ajouta-t-elle avec un accent du reproche.
L'inconnu se pritala regarder plus allentivement. Puis,
une larme tomba de sa paupiere sur une lleur du buisson.
— Jeanneton, dit-il, ma sffiurde lait...
Les levres de Jeanneton avuieut deja repris leur sourire
accoutume.
— Entrez, entrez, lui dit-elle; suivez la haie et poussez
I
la porte au tournant du pont de bois. Venez, Thierry, je
suis la maitrcsse dans ce beau jardin, dans cette belle
niaison, dans ce beau colombier. Venez, ily a si longtemps
qu'on ne vous a vu dans le pays et j'ai tant de plaisir a
vous retrouver! dites-moi ce qui vous est arrive depuis un
an; nesuis-jcpas votre s(Euretn'avons-nouspasete Cloves
ensemble? Venez, Thierry, venez!
Thierry obi5it machinalenieut. Un moment aprfes, il
elait as^is dans une salle basse de la ferme, devant une
lableabondamnicntservie.il mangeait etbuvait. Jeanne-
ton, debout devant lui, le regardait faire avec une Amo-
tion curieuse.
— Bonne petite soeur, disait-il, en lui prenantla main,
quels remerciments ne vous dois-jepas! Sans vouscepen-
dant qui sail ce qui serait advenu de mon sort? Quelques
moments plus tard et la riviere sans doute en aurait eu le
dernier mot!
— Ne parlcz pas comme cela, Thierry dit la jeune
fille cffray^e.
— lion ! reprit-il avec un sourire nielancolique, ce n'est
qu'un jour de retard apres tout. Ce devait etre aujour-
d'hui, ce sera demain. Est-ce ma faute, petite? Tu saissi
Thierry avait de I'instruction, de I'energie, dela volonte
lorsqu'il parlit de Champ-les-Loups pour aller cliercher
du travail dans I'atelier dun mecanicien de ChJIons; eh
bien! demande-lui ce qu'on a fait detoutci-ln? Ily a trois
mois qu'on ni'a renvoye sur les dcnonciations de jo ne
sals quels imbeciles et de quels laches, — des traitres
1
JEAN
vois-tu, Jeannelon, que je briserais comme ce gobelel si
je venais jamais a lesconnaitre!...
oiO
Jcanneton arrcta vivement son bras, au moment ou il
allait casser le verre.
Thierry conlinua, plus tranquille :
— Tedireles raisons qu'on m'a jetees au nez pourcela,
ma foi, je n'en sais plus rien. II parait seulement que
j'avais la voix trop hayte, lesbras trop prompts et le go-
sier trop allere, trois qiialiles dont lis m'ont fait trois
defauts. Mais le monde estainsi.Et puis, mes connais-
sances ne leur plaisaient pas, a ce que j'ai cru dem^ler;
parce que, Petit-Ponce, mon camarade, ne posscde point
a un degre superlatif les facons distinguees d'un agent de
change, ils ont essaye dele noircir k mesyeux. Un tas de
betises, enfini Si bien que, j'ai fourre mcs oulils dans
mon sac et que j'ai souhaile le bonsoir a monseigneur
de la forge et a sa compagnie. Yoilh. Donne-moi a
boire.
— Mais apres? demanda Jeanneton.
— Apres? J'ai ete trouver Petit-Ponce et nous avons
passe la nuit au cabaret. Une belle nuit, Jeanneton ; des
bouteilles dcssus et dessous la table; du vin a foison, du
vinpartout! Jemela rappellerai longtemps !
— Et le lendemain?...
— Ah 1 par exemple, ce fut autre chose. Je vendis mes
outils ; et quand je n'eus plus d'outils, je vendis ma vesle,
ma montre, la chaine de mon pere, quoi plus encore? Et
quand je n'eus plus rien 4 vendre, je promenai philoso-
phiquement ma misere de long en large, vivant au jour le
le jour, tanldt bien, tantot mal, grSice t I'amitie de Petit-
Ponce, de cfilui-la qu'ils avaient calomnie et injurie. Un
tel manege ne pouvait durer longtemps nt'^anmoins, et un
jour que je vis bien qu'il n'y avaitplus d'ouvrage possible
pour moi a Chalons par suite des mauvais cancans de la
forge, ce jour-la jcdis a Petit^Ponce : — Yiens-t'en avec
moi au village; j'ai partag^ ton pain, tu partageras celui
de mon pere, et le reste sera pour moi pour peu qu'il y
nit (hi rcste...
— Pauvre Thierry!
— Ah bien! oui ; — va-l'en voirs'ih vicnnent, comme
dit la chanson ; — quand j'ai eli pour frapper a la maisou
de la petite place et que j'ai demande a voir le vieux
bonhomme, on m'a repondu : La troisi^me allee du cime-
tiere, ^ gauche, en entrant. Excusez! I'annt^e a ete mau-
vaise. Nous sommes voles comme dans un bois, a mur-
mure Petit-Ponce. — Ca ! Jeanneton, tout le monde
mei'.rt done depuis qaelque temps aChamp-les-Loups?
NETON.
Cette fois Jeanneton ne repondit pas. Une profonde
tristesse s'etait empan^e d'elle a la vue du changement
apportepar un an d'absence dans lesmanieres et la con-
duile de son frere de lait. Jadis Thierry elait renomm6
dans le village comme im des plus honnStes garcons ; sa
bonne figure, fraiche et rose, indiquait h merveille I'heu-
reusetranquillitedesaconscienc<'.Aujourd'huiladebauche
avail rendu Thierry presque meconnaissahle. — C'est co
qui fit que Jeanneton ne repondit pas d'abord.
Thierry but un dernier coup, et se leva.
— Petite sopur, merci, lui dil-il ; tu m'as rendu un ser-
vice signale que je n'oublierai pas. Compte sur ma recon-
naissance si cela peut f^lre agreablo, et adieu maja
tenant.
II I'embrassa cavalierement sur le cou, et se disposa k
sorlir.
— Ou allez-vous done? lui demanda Jeanneton, qui avait
fremi sous son baiser.
— Parbleu I a la recherche de Petit-Ponce, qui ne doit
pas se trouver loin, j'imagine.
— Est-ce qu'il est reste a Champ-les-Loups? dit-elle
avec une vague terreur, dont elle ne se rendit pas compte
sur I'instant.
— Oil veux-tu qu'il soit alle, par hasard? Ne suis-je
pas son seul espoir, absolument comme il eslmon unique
providence I
— Mais.... .si vous en aviez... une autre?
— Une autre providence ?
— Oui.
— Alors, jenedispas. Mais en attendant qu'elle vienne
a moi, je vais rejoindre Petit-Ponce. Adieu.
— Thierry!
— O'loi encore?
— Tenez, vous allez sans doute me trailer de folle et
d'enfant. mais cethommequejen'ai jamais vu, dont hier
j'ignorais le nom, — eh bien ! il me fait peur.
— .\ toi aussi ? ,
— Thierry, abandonnez cethomme qui vous a dcja ^te
falal et qui vous le sera peut-etre encore, j'en ai \bi
comme un pressentiment.
— Bon!
— Restez ici, je vous en conjure.
— Rester, cela est facile a dire sans doute...
— Ecoutez, fit-elle, comme si une inspiration lui ve-
nait d'en haut. Bene Seguin a besoin de quelqu'un d'in-
telligentetde sur pour lui tenirses comptes de fermages.
Moi, je ne suis qu'une pauvre fille trop ignoranto pour
lire autre part que dans un livre de priferes. Thierry,
voulez-vous accepter cet emploi modeste aupres de mon
mailre? vous etes mon frere de lait, il ne lui en faudra
pas davantage pour mettre sa conGance en vous.
Thierry parut hesiter,— et regarda quelque temps le
bout de sessouliers ferres.
— Au fait, dit-il, en se parlant k lui-mdme, rien ne me
lie avec Petit-Ponce. Nous sommes quittes I'un covers
I'autrc. D'ailleurs, ce n'est pas une vie de chretien que
je miint depuis quelques mois.... et ma foi, puisqu'une
occasionsepresente,jeserais bien betede lui lournorledos.
— Eh bien ! fit Jeanneton.
— Eb bien ! lope la, petite seeur. J'accepte.
Jeanneton sautadejoie. Ellecourut dans Tappartement,
chantant et battant des mains; et en attendant le retour
du fermier, elle s'occupa de mettre Thierry k mi^me de se
350
LE SERPENT A SONNETTES.
presenter (levant lui sous une toilette convenable. Une
blouse propre remplaca le \ Element decliire qu'il por-
tait k r^paule, sans tloutc parcc qu'il ne pouvait plus le
porter que de cetle faron. Elle-m^me voulut nouer sa
cravate; et la metamorpliose une fois accoraplie, il lui
sembla revoir le Tliierry d'autrefois qui redevenait Ic
Thierry de toujours, — I'honnete et naif paysan quelle
avail bien des fois regarde passer en soupiiant et qui ne
s'en etait jamais apercu, bien silr.
Thierry, de son c6t6, vit s'en aller ses dernieres hesila-
tions aux Eclats de cette joie franche et bruyante.Il sentit
bientut son aneienne nature reprendre le dessus, et sous
cette lieureuse influence son coeur se reveilla aux douces
emotions de sa jeunesse. II vecut la une lieure de sa
premiere vie, une lieure de bonne gaiete, de folle etourde-
rie, de bavardage sans queue ni tSte. II oublia tout, pour
ne pluspenser qu'au calme du present et a la seriinitti de
I'avenir. On aurait eu grand' peine alors a reconnaitre ea
luilo mendiant du matin.
Quaiid Ren(5 Seguin arriva, — Jeanneton lui presenla
Thierry avec force eloges et compliments. Et pour linir
tout Ji faitde decider le fermier a Iraiter cette acquisition
si precieuse, disait-elle, pour le bien desesintferfils.ellelui
souflla dans I'oreille que ses pretentions etaient loin sur-
tout d'egaler son m^rite et qu'il otait disposi5 d'abord h se
contenter de gages extrcmementminimes. Cette assurance
en effet achcva de persuader le ladre campagnard, et
Thierry se trouva le soir mSme installe dans la maison.
Et Jeanneton passaune bonne nuit, comme vous le pen-
sez. Gabbiel Richaud.
mmu mmui
XE SERPENT A SONNETTES.
_ estde tousles serpents le plus dangereux, car sa mor-
sure cause une morlcruelle, assez prompte puisqu'elle a lieu
en cinq ou dix minutes, mais avec des douleurs atroces et
presque toujours iniivitable.
Ce serpent n'est pas tres-grand, car le boiquira,
qui est le geant, atteint rarement six pieds de longueur
ct dix-huit pouces de circonterence; il peut done assez
faci lenient se cacher parmi les herbes, les fleurset les plus
petils arbustes.
On le trouvedanspUisieurs contreesbrulantes del'Afri-
que, eten Amerique surtout, depuis le lac Cliamplain jus-
qu'au detruit de Magellan, c'est <i-dire sous toutes les la-
titudes de ce vaste continent.
En Ami'riqiie, le voyageur n'entend pas le rugissement
du lion errant dans le desert pour y chercher sa proie;
il ne craint pas de so trouver face a face avec un tigre
toujours altere de sang; aussi le voit-on s'avancer avec
plus de contiance dans ces forets vierges oij I'incendie
seul, causi5 par la foudre, a pu faire quelques eclair-
cies; la il marche ou s'arrSte en admirant, car il n'existe
pas sur la terre un spectacle plus imposant, plus riche et
plus varie. Cetle immense voute de verdure, ces arbres
secnlaires debout comme de fortes colonnes ou renversfe
par un ouragan tropical , ces fougeres arborescentes au
feuillage dentele, ces lianes, gracieuses guirlandes natu-
relles; quelle forte et puissante vegetation! el ces my-
riades d'etres animis plus briUants les uns que les autres,
.perroquets, oiseaux de paradis, cardinaux couleur de feu,
oiseaux mouches et insectes lumineux, veritables dia-
mants mobiles, qui ravissent I'oeil, et dont la fuite laisse
dans I'iime un sentiment de regret.
Mais au milieu de cette feerie naturelle qui I'enchanle
■et le cliarme, le voyageur recule tout a coup ^pouvanle,
car pres d'un tronc noueux ou parmi des pierres recou-
vertes de mousses, il a apercu un serpent dont tes yeux
suivent tons ses mouvements. Inquiet, frapp^ de stupeur,
il hesite; fuira-til? s'avancera-t-il pour attaquer le rep-
tile? est-ce un serpent venimeux ou inoffensif? bientot le
doute n'est plus permis, un bruit sec, prolonge, pareil Ji
celui que ferait un fort parchemin froissb avjc violence,
I'avertit qu'il a en sa presence le plus redJutable des
serpents, le serpent i sonnettes. La rapidite de cet animal'
est si grande, que la fuite est impossible; il ne faut done
chercher d'auxiliaire que dans le sang-froid et le courage.
C'est le seul moyen d'attaquer et de vaincre cet ennemi.
C'est surtout lorsque I'orage eclate, quand les eclairs
sillonnent la nue, que le serpent a sonnettes est dange-
reux par la fureur qui semble I'animer; jamais son ha-
leine n'est plus empestee, son venin plus actif, sa mobi-
lite plus grande ; ses silTlenients aigus se joignent au bruit
sinislre des sonnettes et portent I'eirroi dans les coeurs les
plus intrt'pides.
Ces .serpents aiment en general la pente meridionale
4es montagnes etie voisinage des fontaines ou des ruis-
seaux, car ils y trouvent en abondance les lezards et les
grenouilles, dont ils se nourrissent, ainsi que de souris,
musaraignes, taupes et ecureuils ; la legerete de ces der-
niers ne peut les sauver, car la rapidite de leur ennemi
est sans egale.
On conipte quatre especes de serpents a sonnettes:
Le bniqiiira, qui est le plus grand, et celui dont le ve-
nin est le plus actif. II a sur le dos une longue chaine de
laches noirJtres bordecs de blanc.
Le millet a trois rangs longitudinaux de laches noires,
nuees de rouge sur le dos.
Le durissus ou teulhlaco, que les Mexicains ont sur-
nomme le vent, a cause de la rapidite de sa locomotion ; il
est nue de jaune el de brun.
Le muet, ayant sur le dos une chaine de grandps taches
noires rhomboidales et une raie noire derriere les yeux ;
il doit son nom b ce qu'il n'a k la queue que de petiles
ecailles pointues, qui n'ont que peu de sonorite. On le
trouve surtout aux environs de Surinam.
Tels sont les caracteres particuliers des membres de
cette dangereuse famille de reptiles ; mais il y en a qui sont
generaux et communs a toute I'espece; ils se retrouvent
chez tous a des degres plus ou moins developpes ; nous
prendronsle boiquira pour exemple.
Nous avons dejh dit que ce serpent peut atteindre jus-
qu'a six pieds de longueur; sa ti^le est aplatie et couverle
prds du museau de six ecailles plus grandes que les
aulres ; ses yeux elincelants luisent dans les tenebres et
LE SERPENT A SONNET.TES.
351
jettent un eclat phosphorique ; sa gueule s'ouvre deme-
surement, ce qui provienl d'une disposition toute particu-
iiere des os de la machoire infcrieuro; les dents soiit cro-
chues el recouibces en ariierc, et contribuent ainsi a re-
tenirla proie ; le poison s'amasse dans des vesicules sous la
peau de la machoire et sort par deux crochets , sorte de
dents tres-longups au-devant de la mjichoire superieure,
creusees en rigole k I'interieur, qui penetrant profondii-
ment et deposent dans la]plaie le venin que la pression
fait sortir.
C'est a I'extremite de la queue du boiquira que sont
situees les ecailles creuses el sonores dont I'appareil porle
le nom de sonnettes ; elles sont d'une matiere cassanle,
elaslique et demi-lransparente ; leur nombre varie selon
les individus et pout s'elever jusqu'a trente ; elles sont
emboitees I'une dans I'autre et ferment comme des bour-
relets qui diminuent progressivement jusqu'ij I'exlreniite
■de la queue; elles ont assez de jeu pour se froisser I'une
conlre I'aulre, et produire ce bruit parliculier qui s'entend
jusqu'a plus de soixanle pas; les ecailles du serpent a
sonneltes sont d'ailleurs mobiles, et se iKTissent lorsqu'il
est agile par la fureur ou par quelque passion violente.
Dans les contrecseloignees de la ligne, oul'hiver se fait
ressentir, les boiquiras se relirent en grand nombre dans
des cavernes ou de vieux arbres creuses par le temps;
c'est la qu'ils passent la mauvaise saison, engourdis par
le froid, incapables de nuire et m6me de se defendre, en
attendant que les tiedes brises du printemps viennent
leur rendre la vie et reveiller leurs mauvais instincts.
Les Indiens, qui savent parfaitement profiter de la cir-
constance, les recherchent alors et les tuent, pour se de-
barrasser de ces h6tes dangereux et m^me pour se nourrir
de leur chair.
Ce serpent ne pond qu'un petit nombre d'oeufs; mais
comme il vit longtemps, son espece est tr^s-muUipliee.
On sail que les serpents ne sont pas insensibies aux
charmes de la musique; les jongleurs indiens tirent sous
ce rapport un parti admirable d'une flute particuliere
dont les sons doux et melancoliques attirent les serpents
et les font sortir desirous ou ils se retirent. C'est ainsi que
ces psyllesdelruisentles serpents capelles, espece des plus
dangereuses, munie de crochets empoisonnes.
Le serpent a sonnettes lui meme , malgre son naturel
farouche, aime la musique et I'dcoule avec plaisir. Le
plus grand ecrivain de noire epoque decrit ce merveilleux
efTet dans Ic Gvnie du Clirislianisme. Nous ne pouvons
resister au dcsir de transcrire cetle admirable page.
• Au mois de juiUet 1791, dit M. de Chateaubriand:
• nous voyagions dans le haul Canada avec quelques fa-
• milles sauvages de la nation des Onontagues. Un jour
« que nous elions arretes dans une grande plaine, au bord
« de la riviere Genesie, un serpent a sonnetles enlra dans
' notre camp. II y avail parmi nous un Canadien qui
• jouait de la flile; il voulut nous divertir et s'avanca
• conlre le serpent avec son arme d'une nouvelle espece.
« A I'approche de son ennemi, le reptile se forme en spi-
■ rale, aplatit sa tete, enOe ses joues, contracte seslevres,
• decouvre ses dents empoisonnees et sa gueule sanglante ;
• il brandit sa double langue comme deux Uammes ; ses
• yeux sont deux charbons ardents ; son corps, gonfle de
• rage.s'abaisseets'eleve comme les soufllets d'une forge;
■ sa peau, dilatee, devient terne et ecailleuse, et sa
(I queue, dont sort un bruit sinistre, oscille avec lant de
■ rapidite, quelle ressemble a une legere vapeur.
a Alors le Canadien conimenca a jouer sur sa llille; le
• serpent fait un mouvenient de surprise, et retire la tele
• en arriere. A mesure qu'il est frappe de I'effel magique,
• sesyeux perdent leur iiprete; les vibrations de .sa queue
• se ralenlissent, et le bruit qu'elle fail entendre s'affai-
o blitet meurt peu a peu. Moins perpendiculaires sur leur
• ligne .spirale, lesorbes du serpent charme s'elargissent.
• et viennent tour a tour se poser sur la terre en cercles
■ concentriques. Les nuances d'azur, de vert, de blanc et
• d'or reprennent leur eclat sur sa peau fremissanle ; et,
. tournant legcrement la tefe, il demeure immobile dan*
• Tallitude de ratlention eldu plaisir^
332 LES MILLE ET UNE NUITS
« Dans ce moment, le Canadien marche (juelques pas,
« on tirant de sa llule dcs sons doux et monotones ; le rep-
« tile baisse son cou nuanc^, enlr'ouvre avec sa l^te les
« herbes fines, et se met h ramper sur les traces du mu-
« sicien qui rontraine, s'arretant lorsqu'il s'arrete, et
« rccommen^ant a le suivre, quand il recommence a s'e-
BEUROPE ET D'AMERIQUE.
B loigner. I\ fut ainsi conduit hers de notre camp au mi-
« lieu d'une foule de spectateurs, tant sauvages qu'euro-
(c peens, qui en croyaient a peine leurs yeux. A celte mer-
« veille de la m^lod^e, il n'y eat qu'une voix dans I'as-
« seniblee pour que Von laissiitlemerveilleux serpent s'e-
« chapper. • Olivier Le Gall.
lES MULE ET Ul KUITS D'EtROPE ET D'AMERIQUE.
M. BROWTf OU I.'EOTEI.I£B. S' AI.B ASTT.
Ifle 21 juillel 1846, deux in-
(lividus fort elegamnient velus,
(loscendirentdansun hotel d'Al-
liiiny,ely rirentunexcellentsou-
per. Le lendemain matin , apres
,i\oir demande leur note, lis
s unquirent de I'hote, qui s'em-
pressa de se rendre pres d'eux.
— J'ai un caprice pour la
grande horloge que vous avez
la-liaut, lui dit le plus iig(5
des deux voyageurs, tandisque
le plus jeune allumait un ci-
L'are et parcourait negligem-
iinMit unjournal. Vous plaira-t-
il denie la cedcr?
Le niaitre de I'hfitel, qui,
jiisqu'alors , n'avait pas fait
ts^rt^n-^ -r i«Ai«-6 -- srand cas de ce vieux meuble
^^pi2:<fti«tif^^ de famille, s'imagina tout a
co\ip qu'il renfermaitpeut-etre
quelque tresur, et hesita d'abord i repondre.
— Allons la voir, dit le voyageur.
Et les trois personnes mont^rent dans la chambro
qu'occupait I'horloge.
— Savcz-vous, dit le gentleman, qu'une borloge toute
pareille m'a d6jji valu cent dollars? (5i0 francs.)— Cent
dollars? r^petal'aubergiste en ouvrantde grands yeux.—
Oui. Ilyenavait une de ce genre dans une auberge
d'Essex, et quelqu'un offrit de parier cent dollars que,
pendant une heure, il imitorait avec sa main droite le
mouvement du balancier, en disant tout le temps: Elle
va par-ci, elle va par-Id, sans ajouter un autre mot. J'ac-
ceptai la gageure, et, dans nioins d'lin quart d'heure, les
cent dollars passcrent de sa poche dans la mienne. Je me
suis promis alors d'acheter une pareille horloge d^s que
j'en renconlrerais une, afin de m'en scrvir en racontant
cette aventure. —Ah! vous avez gagne cette gageure?
Sic'eut ete a moi que vous eussiez eu affaire, vous auriez
perdu, foi de Brown! dit I'bote. — Tiendriez-vous le
mi^me pari? demanda le voyageur. — Assurement. —
Cent dollars? — Cent dollars. — Tdpe I
A ce moment, I'horloge sonna huit heures et I'auber-
giste s'assit en facedu balancier, le dos tourn^ a la porle.
Samain suivit reguliiirementlebalancemenlde lapendule,
ea repetant : Elle va par-ci, elle va par-la.
Le voyageur I'interrompit :
— Mais oil est votrc enjeu?
L'hotelier n'etait pas homme a se laisser prendre a ce
piege: samamdroitecontinua a se balancer, et, de la gau-
che", il lira son portefeuille, qu'il jeta par dessusson epaule.
— Faut-il que je depose les enjeux dans les mains de
votregarcon?Est-ccunepersonne si^re? — Elleva par-ci,
elle va par-la, fit I'aubergiste.
Les deux etrangers quitt^rent I'appartement, et M.
Brown continua llegmatiquement son operation.
Au bout de quelques minutes, le garcon parut.
— Monsieur Brown ! s'ecria-t-il, on vous demande en
bas. Mais a quoi done vous amusez-vous la? Avez-vous
perdu la tete? — Elle va par-ci, elle va par-la, continua
I'hote eu faisant aller sa main.
Le garcon descendit I'escalier quatre i quatre, appela
un voisin et le pria de venir voir ce qu'avait son maitre.
— A quoi penscz-vou5 done, monsieur Brown? clama le
voisin en le secouant par le collet, ficoutez la voix de la
raison — Elle va par-ci, elle va par-1^. — II est foil;
il faut bien vite aller chercher lemedecin, dit le garcon.
Le pii^ge etait trop grossier, I'hote n'y donna pas.
— Je crois que nous ferions mieux d'appeler sa fem-
me — Elle va par-ci, elle va par la.
Sa femme arriva toutcploree.
— Monami, luidit-elle tendrement, sors de cette inex-
plicable distraction : regardo-moi , voyons, ne me boude
pas ainsi; que peux-tu reprocher h ta Catherine? — Elle
va par-ci, elle va par-la. — Mais, mon cheri, tu tetrom-
pes ; jenequittejamaisla maison. — Etellefondit enlarmes.
Le medecin vint : il s'arrcia devant I'aubergiste, et le
regarda attentivement pendant quelques minutes en se-
couant la tete.
— C'est une monomanie fixe, dit-il ; il faut uneeonsul-
tation. Que Ton coure chercher le docteur Howard.
Ce cijlebre medecin arriva bientot, en compagnie d'un
confrere.
— C'est un bien triste spectacle! fit le nouveau-venu.
Comment cela lui est-il venu? — .4 I'improviste, il a
perdu la raison tout d'un coup. — Elle va par-ci, elle va
par la, continua tranquillement le maniaque suppose, en
fuivant toujours de la main I'oscillation du pendule. —
II parait qu'il a la conscience de son etat, dit M. Howard,
c'est rare chez les alienes.
Les medecins se consulterent, etconvinrent qu'il etait
indispensable de pratiquer une copieuse saignee, et de
raser la tele du malade, afin d'y appliquer de la glace.
Qu'on appelle le barbier!
— Mon pauvre mari ! cria la femmeen sanglotant ; que
ferai-je de la vie maintenant? — Elle va par-ci, elle va
par-Id, poursuivit I'hdtelier en souriaot d'un air de
triomphe. — Allons, barbier, ne perdez pas un moment,
et rasez-lui la tfilel — Elle va par-ci, elle va par-la...
pour la derni^re fois! s'6cria I'aubergiste, au moment oil
I'horloge sonnait neuf heures. Puis, se levant dans un
' transport de joio : J'ai gagn6! j'ai gagncM dit-il. —Quoi?
s'^crierent ensemble les spectateurs. — Mon pari de cent
dollars. J'i5tais sir de moi. Tiensl ou sont;donc mes deux
jeunes gens? — II y a pres d'une heure qu'ils sont par-
tis dans lour pha6ton, repondit le garden.
La v6rit6 se fitcnfin jour dans I'epais cerveau de M.
Brown : il avail eu affaire i deux escrocs, et son porte-
feuiUe renfermait pour cinq cent dollars de billets de
banque ; il eut tout le temps de s'ecrier, en songeant ii la
forte somme qu'il avait perdue :
— Elle va par-ci, elle va par-lii.
Tvp. 3dm. LAClLkVFB IJls et Comp ., rue Damictte, 2,
ClIRONIOUE DES MOI^.
SECEMBRE.
yj'en est fait, nous voil^ au beau
milieu de I'hivcr, et quand nous
' disons beau, n'allez pas nous croire
sur parole : le vent souffle comnie
un furieux, chassant devant lui la
neigecn epais tourbillons. La terre
a revetu un large mantcau d'her-
mine, et plus n'est le temps ou
les verles jalousies se soulevent
pour montrer de gais et sourianis
visages, qui viennent recevoir la
brise du soir parfumee de ses lar-
,.■* cins aux orangers du balcon. Plus
d'indolentes seances sous la ton-
" nelle du jardin ; plus de pro-
menades sous les arcades feuiUees, au chant du rossi-
gnol, de la m^sange et de la fauvette ; plus une hirondelle
qui passe pres de vous comme une fleche et aille former
tin point noir dans le ciel ; plus d'oiseaux gazouillant;
plus de fleurs biillantes. — Au loin voyez venir ces noirs
corbeaux, cercle funebre qui va s'abattre sur quelque
champ devasl6 ; enlendez-vous leur croassement mono-
tone et lugubre -, c'esl bien I'oiseau d'liiver, triste comme
la saison qui le ramene.
C'est une froide aurore qu'une aurore de decembre!
Une pale lueur rougeitre reniplace le soleil a I'orient; ce
n'est dans la ville qui s'eveiUe que silence endolori et
fremissement glacial. De pauvres gens, appelis par la
faim au travail matinal, passent devant les volets de vos
maisons encore soigneusement fernies. Comme leur face
est violacee, comme leurs membres grelottent sous I'indi-
gente exiguity de leurs vSlements , tandis que I'echo
repele lourdement le choc de leurs sabols sur les pavi's
glissants. — Vous, quelques heures apres, rev^tus de la
II.
chaude robe de chambre, pres d'un foyer cmbrase. vous
direz encore; Qu'il fait froid I — Vous osprez a peine
entr'ouvrir voire fenelre ou regarder au travers des bi-
zarres arabesques decrites sur les vitres par de nocturnes
congelations. — Mais attendez , bientot le soleil , k force
d'efforts, est parvenu a briser le voile de nuages amonce-
les autour de lui. Aliens ! il est si doux de surprendre en
hiver un rayon de cet astre ; armez-vous de vos patins et
venez sur ce beau lac si fier aujourd'hui de ressembler a
un immense miroir de Venise; tracez sur son cristal de
longues rainures, des lignes rondes, droites, brisees; —
etranges, gigantesques dessins ! — A moins que vous ne pre-
feriez prendre un plaisir encore plus russe, et, qu'atlelant
un fougueux clieval a voire traineau, -vous vous (5lanciez
sur le soyeux tapis de neige, rapide comme un boulet,
sifflant comme un demon, faisant voler autour de vous un
blanc tourbillon, de maniere k vous faire prendre pour
Neptune traversant I'Ocean sur son char !
Le mois de d&embre n'a qu'un beau jour, ou plutot
qu'une belle nuit, — c'est la nuit de Noiil , — nuit
sublime qui donna le Christ aux nations. — Celte f^te
vous rappelle la messe de niinuit, ceremonie sninte et
douce, releguee aujourd'hui dans le paisible interieur des
cloitres ou des comniunautes religicuses. — Voussouvient-
il d'avoir entendu la cloche annoncant la cekMjration
nocturne de la naissance du Messie; avez-vous vu la
pauvre nef de cette eglise modestement eclairee par
quatre cierges qui ont I'air de soupirer, et le vieux pr^tre
k tete blanche et son petit discours au moment de la
communion? — C'etait alors une pieuse nuit de Noel que
chaque annee decembre ramenait.
Ce mois a loujours ele froid et neigcux depuis son in-
vention romuleenne ; mais les anciens avaient compris
qu'un temps si incommode pour los travaux devait avoir
23
3M
LE VENERABLE JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE.
un emploi exccptionnel ; ils en avaient fait leurs jours de
saturnales. — II elail principalcment consacre i la decsse
Vesta, ce qui n'empecliait nullemcnt d'en diHourner
quelques instants que Ton placait sous I'invocation de
Bacchus, de Saturne ou de Faunus. — Ces abrutissantes
devotions, qui ne se composaient que de ffttes et de plai-
sirs, commencaientdans lesvilla^es des Ics premiers jours
de deccmbre. — Le maitre s'y faisait uue obliealion d'ad-
mctlre h sa table ses valets et ses esclaves. Epoque de
singuliere egalil^: si le maitre buvait a ivresse, I'esclave
devait boire dte son ccite tout autant que lui ; et si le
premier roulait sous la table, le dernier elait tenu de le
suivre. — II est vrai que de loutes les charges de I'escla-
vage d'alors, celie-cipouvait bien ne pas etre la plus dure.
— Les I'lltes, encore plus orgiaquesdans les vllles, s'y
c^lebraientversle ndecembre : ellesduraient Irois jours,
avant I'inepte Claude et cet autre empereur qui donnait a
un cbeval de I'avoine dorcSe ; mais ces deux personnages,
trouvant que c'ctait peu dte trois jours de saturnales, de-
creterent qu'a I'avenir, au lieu de trois, il y en aurait
cinq. Les trois premiers jours remplacaient le carnaval
chez les Remains. Le peuple courait par les rues accoutre
de v^tejnenls grotesques; apres une longue course
bruyante et folle, ii renlrait dans sa maison pour com-
mencer un repas fabulcux, semblable a ceux qu'Honiere
inventa pour ses heros. — Le jour arrivant ne surprenait
Rome tout entiere dans le sommeil de I'ivresse et de la
debauche que pour I'inviter a recommencer. — La derniere
periode des saturnales recut la denomination de sigilla-
ria, du nom de petites figures en relief que les parents
donnaient a leurs enfants et les mailres a leurs -valets ;
origine evidenle de ces cadeaux qu'on appelle etrennes
aujourd'hui, et dont on a seulement retarde la distribu-
tion jusqu'au premier janvier.
Maintenant et dans nos grandes cites deccmbre a ses
plaisirs et ses fetes mondaines. Plus que dans tout autre
mois de I'annee, les rues des riches quartiers sont pieti-
nees par de magnifiques chevaux attelcs ii de royales
voitures. Cost alors que de frileux orangers etalent leur
feuillage odorant sur les larges marches de I'escalier oil la
lumiere des llambeaux devient leur unique soleil ; et
tandis que les salons s'illuminent de candelabres, de gi-
randoles, de torcheres etincelantes, les plafonds voient
tomber I'etofTe dans laquelle dormait un luslre, qui tout
A coup scintille de mille feux ; les fauteuils, ouvrant
leurs larges bras, montrent I'ecarlate de leur velours.
Puis de belles jeunes fdles aux robes blanches viennent
former dans I'interieur du salon une guirlande de Hours.
— Quelle joie se manifesto sur les figures virginales de
celles-ci ; elles ont seize ans k peine, heureuscs de se re-
trouver ainsi dans un monde si longtemps rfive, elles par-
lent encore de la pension qu'elles ont quittee de|mis peu.
Voyez comme le rire vient se jouer sur leurs levres; ne
dirait-on pas que c'est pour laisser voir souvent la blan-
cheur de leurs dents, petites et mignonnes ainsi que des
perles de nacre. — Mais le piano sort enfin du silence
auqnel I'avaient condamnfe les excursions i Baden-Baden ;
un harmonieux orclieslre se joint a ses accords, et la
Terpsichore des salons sourit en s'ev«iHant.
Pour vous, Iranquilles et insouciants cultivateurs, dans
votre chaud vSlement de bure ou de niolleton, vous ecoutez
le cri-cri du grillou ^ cole de la biclie qui petille et flam-
boie ; vous repassez mentalement le travail du jour
ecoule, de m^me que vous faitcs le plan de celui du len-
demain. — Vous savez combien votre serpe a taille de
poiriers ou de pommiers ; vous comptez les arpents de
terre qui doivent encore Sire laboures avant la fin du
mois ; — vous pensez a ces petits arbres que, s'il ne gele
pas domain, vous transplanterez de la pepmiere dans
voire jardin; vous r^llechissez aux couches de fumier
qui doivent preparer la germinalion des graines et baler
la vegetation , vous ordonnez h Petit-Jean de terminer
celte operation avant la fin de la semaine. Heureuses et
simples orcupalions de deccmbre , qui doivent tou-
jours avoir leur fruit et non jiasscr steriles comme ces
longues heures qu'on a vu s'ecouler dans un splendide
salon!
Andre Thomas.
L'ELITE DES SAINTS FRASCMS.
IE VXIffXRABLE JEAN-BAFTISTE DE I.A SAI.LE.
tnfanis de la ville et du
chaume, et vous, hon-
nStes proletaires, artisans
ou cultivateurs, Ecoutez
I'hisloire de celui qui
vous sacrifia sa fortune,
et sa vie! — Oh! c'est
une douce et agr^able
mission que d'avoir a
parler des verlus de
I'homme dont on voil par-
tout lescpuvres de pieuse
^ humanite.Quelque plume
que Ton puisse tenir
dans les doigls, quelque noires pages qu'on ait [^6criles,
on retrouve encore de vivos (^motions a passer dans le
paisible sentier qu'a parcouru I'homme de bien. — Aux
pauvres il donna la premiere instruction, cette instruction
dont la societe fait a tous un besoin imperieux et
dont on pleure I'absence souvent avec des larmcs ami^res
lorsqu'on ne pent la possMcr. — II initia le jeune ouvrier
a la vie de I'esprit, le conduisant avec une ^vangelique
patience jusqu'^ I'Sge oii il pnuvait prendre I'outil de
son pere, pour en faire sa modeste fortune, ou bien em-
brasser h jamais la carriere intellectuclle ; faisant revivre
les temps ou Athenes el Sparte avaient des cours sp6cia-
lement ouverts aux enfants du peuple, il brisa la loi
cruelle de I'indigence qui frappait le fils du pauvre et
menacait de I'asservir. Que d'hommes c^lebres dans les
arts, que de poiJtes et d'artisles lui doivent les premiers
LE VENERABLE JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE. 353
icologre el oblenir le grade de doc-
elements de la science! Combien de gens arrivfe au faite
des grandeurs humaines, ont pout ^Ire senti une l.irme
mouiller leurpaupiere, lorsque leur superbe voiture ecla-
boussaitrhumblev6tementdel'undesdisciples de M. de la
Salle ; alors ils se sont souvenus que sans la charitable
institution 'qui les avait accueillis, ils n'auraient eu pour
heritage que le rabot ou la charrue de leur pere!
Jean-Bapliste de la Salle naquit a Reims, le 30 avril
1651, deM. Louis de la Salle, conseiller au presidial de
cette ville, et de madame Nicole Moet de Brouillet, son
Spouse.
Cette famille, originaire du Beam, remonte k Ta plus
haute antiquite. Quelques genealogistes la font dcscendre
d'un nommeSalla, qui, combattant aux cotes d'Alphonse,
dit le Chaste, roi de Navarre, eut les jambes fracassees
par un eclat de pierre lancee par une machine (818).
Le prince voulut qu'en memoire de cet evenement, ce
guerrier portit sur son boucl'er trois chevrons brises; de
1^, les armes de la famille de la Salle. Les descendants de
S3llasedistin;:uerenlaussi sous differents ro's de France,
el notamment sous Charles VIU et sous LouisXII pendant
lesexpMltionsde Bretagne etde Naples. En 1496, c'elait
un membrede cette famille qui gouvemaitleSoissonnais;
un autre fut gouverneur de Navarreins en 1620 ; ce der-
nier recut de grandes recompenses de Louis XIU pour
avoir favorisi d'une maniere eflicace son expedition en
Beam, lorsqu'il soumit cette contree a son autorite
royale.
t,\e\i avec le plus grand soin par ses parents aussi
vertueuxqu'eclaires, le jeune de la Salle sentit de bonne
heurese divelopper en lui les germes de la plus grande
piete et les plus heureusesdispositions pour les diSerentes
sciences auxquelles on I'appliquait.
Des quil eut atteint un 4ge convenable, 11 !ift envoyS
au college de Reims. II y devint bientot un module d'ap-
titude pour ses condisciples et un snjet de gloire pour ses
maitres.
La studieuse ardeur du jeune ^tudiant, ainsi que I'in-
telligence precoce dont il fit preuve, donnerent h ses pa-
rents les plus brillantes esp^rances. Dcja ils voyaient en
lui un honorable membre de la magistrature, qui porte-
rait dignement le nom qu'avaient illustre ses nobles an-
c^tres. Mais a mesure que le jeune de la Salle avancait
en 5ge, sa piet6 devenait plus 'vive, et bientot il comprit
que ce n'itait pas aux choses de ce monde que Dieu
I'avait destine. II fit connaitrekses parents lesdispositions
qu'il ressentait pour la vie ecclesiastique. Ceux-ci con-
curent bien quelque chagrin de se voir priver d'un fils
aine sur qui reposaient leurs plus chores esp^rances;
mais ils etaient parfaits chr^tiens, et, aprfes une courte
hesitation, ils autoriserent leur jeune enfant h ^couter les
inspirations de sa conscience. — Dks lors, il se consid(5ra
comme attach^ a la carriere qu'il desirait entreprendre,
et plus que jamais ses prieres el ses oeuvres furent une
expression de la purel^ de son &me.
A I'iige de dix-sept ans, il fut pourvu d'un canonical
dans la m(5tropole de Reims. Sa modestie et en mdme
temps son exterieur ang^lique lefirent remarqucr par tout
le monde, dans les fonctions qu'il remplissait. Pendant
les ceremonies rellgieuses, sa figure prenait une telle ex-
pression d'extatique devotion, qu'on eut dit un serapbin
envoye par Dieu au service de I'autel.
Sa philosophie terminfie, ses parents I'envoyferent i
Paris pour faire sa
teur.
De tout temps, la granJe ville fut .in sejour bien
dangereux pour les jeunes gens. — Que d'iimes nobles
et pures n'ont pu resistor aux seductions qui sembient s't'tre
entassees dans la moderne Babylone ! — Le jeune de b
Salle ne tenia mi'>rne pas d'affronler le danger, et, se rap-
pelant les paroles de I'fivangile, il se mil a I'abri de toule
lentation pour n'avoir mfrme pas la crainte d'y tomber.
II enira comme pensionnaire dans le seminaire de Saint-
Sulpice , certain qu'il etait d'y rencontier de dignes
emules dans la voiedela perfection.
M. de Bretonvilliers, homme d'une rare pi^tt^, 4lait
alors suporieur dece seminaire. MM. Tronson, Lesehassier
etBouin en dtaient les principaux directeurs.
Ses progresdans la science furent rapides; tout annon-
cait en lui un homme de hautys esp^rances, lorsque la
mort vint lui ravir son p^re et sa mere. Ce fut ane
epreuve bien cruelle pour le coeur sensible du joune de
la Salle ; il eut besoin pour la supporter de toute sa foi en
Dieu et sa chretienne resignation.
Cet evenement le rappela a Reims aupres de ses freres
et soeurs, dont il devenait le tuteur. Sessoins etsasolli-
citude a I'egard deces enfants furent le prelude du 6i-
vouemenlque, par la suite , il devait montrer pour la jeu-
nesse.Neanmoins, il sut, au milieu des preoccupations de
la famille, conserver la pensee du but sacre qu il se pro-
posait d'atteindre.
En 1672, il recut le sous-diaconat. M. Roland, theolo-
gal du chapitre de Reims, qui dirigeait lo jeune Invite,
ne putle decider a rerevoir la pretrise qu'en 1678. II se
croyait indigne de cette grAce, quoique ses vertus lui eus-
sent morite I'admiration de toutes les peisonnes qui le
connaissaient.
Devenu pretre, son Sme semblaitne tenir queduciol;
les affections de son creur et son amour pour Dieu se pei-
gnaient si sensiblement sur son visage, que des pecheurs
furent ramenes h, la religion apres lui avoir seulement
vu oflfrir le saint sacrifice de la messe.
Sa reputation de saintete s'elendit au loin, et jusque-
la 11 n'eut rien a souffrir de la calomnie, ce poison subtil
jetant sur la vie d'un homme sans reproche une amor-
tume qui le fait se souvenir que la justice n'appartient
qu'a Dieu. II fut choisi par ses superienrs pour diriger
une societe d'ecclesiastiqnes envoyes dans une petite
ville, oil la negligence des pasteurs avait enfante la plus
affreuse depravation. — Ses discours et surtout son
exemple produisirent un salutaire repcntir dans I'ame
des pecheurs; el bientot il eprouva la douce consolation
de voircesmemes hommes, qui avaient ele jusqu'ii renier
Dieu, mouiller des pleurs de la penitence les dalles de
leur modeste eglise et solliciter la grace qu'ils avaient un
instant meconnue. Les habitants de ce lieu lui vouerent
depuis une pieuse veneration, et ils le regarderent comme
le plus grand de leurs bienfaiteurs.
La cure de Saint-Pierre, i Reims, devint vacanle.
M. Roland, directeur de I'abbe de la Salle, lui conseilla de
permuler son canonical pour devcnir le pere spirituel
de cette paroisse oil son zele el sa piete pouvaient ope
rer unbien immense. Quel(]ue disproportion qu'il existAt
entre ces deux benefices, il n'hesila pas i suivre lescon-
seils de celui qui sur la terre lui lenait place de Dieu.
Mais son archeveque ne consentil point ii ce que son
356
LE VENERABLE JEAN-BAPTIST E DE LA SALLE.
tions; onl'accusa de rigidity cruclle cnvors sps freres et
on les d('si.^na comme d'innorentes victimes de sa piete
chapitrcfiU prive d'une aussi grande lumiere; le jeune
protie n'cut celte fois que le nierito de I'lmmilite et de
la soumission.
La communouledessoeurs dile de I'EiifanI Ji'sus, foii-
dee par M. Roland, pour I'education des pauvres fdles,
a-vaitbesoin d'un directeur. L'abbc de la Salle, se sentant
partieulierement appele a I'inslruclion de la jeunesse,
accepta cet emploi; son zele et son courage sauverent
cette coramunaute de la suppression qui la menaca apres
la mort de M. Roland. Les autorilcs de la viUe de Reims
conrurenlla crainle devoir I'institulion de I' Enfant Jesus
tomber h la charge de la ville. Des lors, il fut forlemeut
question d'aneantir cette ceuvre. M. de la Salle redigea
undiscourssi touchant et oii ilexposaitsi bien les avan-
tages immenses que la religion et la morale retiraient de
la charitable institution de M. Roland, que non-seulement
les autorites ne songerent plus k la supprimer; mais, de
plus, elles firent dclivrer des leitres palenles qui assu-
raient son existence, en la garantissant d'une trop grande
pauvrete.
Ce futpeut-etre dans la direclion deces ecoles de filles
que I'homme genercux dont nous(5crivons la -vie trouva
sa premiere pensee des ecoles cliretiennesi. 11 voulut
essayer dans sa propre maison et sur ses jeunes freres
Teffet de la regie qu'il se proposait d'etablir dans son in-
stitution. 11 leur fit observer un rigoureux silence, qu'in-
terrompaient seules les priisres et les lectures. La paix
profonde, et I'esprit de meditation qui en furent le re-
sultat , lui prouverent que ses plans etaient parfaitement
en harmonie avec les besoins des coeurs religieux.
Cette conduite aurait du lui meriter les eloges de tout
le monde; elle devint au contraire une source de tribula-
mal cnli-ndue. II courba bumblement la liile devant
d'injustc.sreproches, cherchant a peine ase justifier-,scu-
lement, il comprit des lors que Dieu lui reservait une
longue suite d'epreuves, et que dans cc monde le b'en
qu'il voulail fairc ne lui attirerait que des soulTrances et
des humiliations. Fidele imitatcurdu Christ, il s'en rcjouit
en se rappelant que son divin mailre n'avait reQu des
hommes que douleurs et outrages en echange de ses bien-
faits. — Sa force morale ne fit que s'en accroitre; aylint
reuni^uelques hommes de bonne volonte, il ouvrit les
6coles chretiennes et gratuites. Une pauvre maison, dont
il payait la localionde ses propresdeniers, devint le ber-
ceau de cette pbilanlhropique Institution qu'on voit au-
jourd'hui dans toutes les villes de France, avec cette de-
vise evangelique : Laissez venir a nous lespelils enfanis!
La premiere ecole fut oaverte sur la paroisse Saint-
Maurice, J) Reims. La paroisse Saint-Jacques posseda la
seconde.
Des obstacles sans nombre et des inimities auxquelles
il n'aurait pu s'attendre, s'elevferenl au-devant desoii in-
stitution. Les gens du monde I'accablerent de mepris,
parce qu'il s'occupait trop probablement de cette cla.^se
d'hommes, jusqu'alors vouee it I'ignorance et au denii-
ment. — Les chanoines, sans songer au zele charitable
qui le faisait agir, pretendirent qu'il deshonorait le cha-
pitre, en se faisant maitred'ecole. — Ses amis I'abandon-
nirent presque tous en taxant sa piete de folle extrava-
gance. — Enfin les corps enseignants crurent voir dans
cette cpuvre uneatteintea leurs'privil^ges ; ilslui vouijrent
la haine la plus implacable. — Pauvre serviteur de I'en-
Lcpiiie de It S;iI1u di^lribuant ion bien .iiixpaiivres.
fant de Nazareth, se debattant au milieu d'un monde
inique pt ego'iste, n'ayanl pour consolation que la voix
desa conscience, qui lui disait; tes actions montent \ers
Dieu!
Et pendant qu'on I'insultait, pendant qu'on I'abreuvail
d'outiages et de calomnies, un recevait I'immcnsc^ bien-
fait de son institution! Les monies hommes, ameules par
quelqucs voix puissantcs , qui le suivaient dans les rues
LE VENERABLE JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE. 357
bit qu'il avail fait prendre aux freres de cps (5coles, (out
en le bafouant et en souillant de boue son visage et ses
vStemenls, envoyaient leursenfants dans ses ecoles : trou-
peau de betes immondes ([ui, en recevant le pain qu'on
leur donnait, jelaienl du venin ii la face !
Lcs calonmies infimes, comme les insultes et les huees
de la populace, n'avaient pas altere I'ardeur chretienne
de M. de la Sallo pour ses ecoles; aux invectives, il rcpon-
dait par un sourire de bienveillance et d'humilite; aux
huees et aux mauvais traitements, il repondait par des
aumones. — En 1684, une affreuse disette frappa le peu-
ple ; I'homrae insulte et bafoue par le peuple, vendit son
patrimoine, et ce fut au peuple qu'il en dislribua jus-
qu'a la derniere obole 1
Ses disciples avaient eu quelques craintes sur I'avenir
de leur institution; ils ne pouvaient s'empeclier de les
exprimer ii M. de la Salle, et Ms lui faisaient comprendre
que la chose qu'ils redoutaient le plus etait la misere,
tandis que lui n'avait pas une seniblable crainte a c6t6
dela fortune que lui donnait sa naissance. Devenu pauvre
comme eux, il les reunitautour de lui, et leur montrant
le ciel : Notre fortune, dit-il, elle est IS, c'est notre foi
en Dieu ! — A compter de ce jour, les pauvres freres fer-
merent les yeux sur un avenir qu'ils avaient mis entre les
mi'insdu Seigneur.
Les ecoles clireliennes eurcnt dans Reims un resullat
si heureux, que leur reputation s'etendit dans toute la
France. Les villes de Guise, de Rethel, de Laon et Cliil-
teau-Portier, reclamerent leur part de ce bienfait. Les
cures de diverses campaynes sollicilerenl pour leur com-
mune renvoi de quelques-uns de ees disciples, mais
il fut impossible do les satisfaire, vu le petit nombre
de freres instituteurs que possedaient alors les ecoles.
Les cures, qui avaient senti tout le prix de I'enseigne-
ment institue par M. de la Salle, lui adrcsiirenl des
H'unes gens pour qu'il les formAt a I'art precieux
d'elever chretiennemenl la jeunesse.- C'est ainsi qu'il
devint non-seulement le fondaleur de renseignemerit
primaire en France, mais qu'il elablit aussi le modele et
leplan des ecoles normales, et que plus tardil donna nais-
sance aux ecoles d'adultes, sous le nom d'ecoles domini-
cales. Independamment de ces diverses institutions, il
crea son premier noviciot preparaloire dans sa maison. II
y admit un certain nombre d'enfants de quatorze ou
quinze ans, qui annoncaient des dispositions pour la vie
religieuse. — Tel fut leprincipe desetablissenients de ce
genre qui ont depuis ete retablis en 183S; il en existe a
Paris, a Lyon, k Avignon, ii Toulouse et dans diffeientes
aulres villes.
En 1688, M. dela Bannondiere, cure deSaint-Sulpice,
a Paris, fit demander a M. de la Salle de venirdiriger lcs
ecoles desa paroisse. Dans I'interet de son ceuvre, et pen-
santqu'a Paris plus qu'ailleurs il pouvait lui donnerune
extension convenable, il se rendit au VOBU de M. de la
Bannondiere , et quelques mois apres les fr&rcs qu'il
avail amenesaveclui purent prendre possession des ecoles
de la paroisse Saist-Sulpice.
C'est alors que, pour AL de la Salle, il n'y eut plus ni
paix ni repos. Le calice d'amertume que le Seigneur pre-
parait ji sa sanctification devait etre vide jusqu'a la lie.
Les cures, apres I'avoir pris sous leur protection, I'aban-
donnaient tout ii coup en lui reprochant des torts imagi-
naires, ou en se faisanl I'ecbo de la calomnie dont il etait
victime. Les sages reglements qu'il avail instilues, llia-
devinl unsujet de critique etde malveillance, etbiendes
fois sa pauvre communaute se vit reduile h la misere la
plus affreuse.
Tant d'ameres douleurs, jointes aux jeiines el aux
privations que s'imposait I'abbe de la Salle, porterent
unegraveatteinle ii sa sanle. II conlracta un rhumatisme
qui le priva de tout mouvemenl. Le mat etait si violent,
qu'ayant resiste a tous les moyens ordinaires de I'art,
on fut force de couclier le malade sur une sorte de gril
place sur des cbarbons ardents et de lui causer une dou-
Lc pert' dc Id Salle sur Ic gril.
leur plus grande que lemalmeme. Si ce supplice rappelle
celui de suint Laurent, la patience et le calme admirable
dont le pauvre pretre fit preuve rappellent aussi les ver-
lusdu saint martyr.
Quelque temps apres, lorsqu'il fut rendu k la vie,' la
persecution rcrommenca, loujours plus acharn^e centre
lui. Le clerge de Paris, sans doule abuse par quelque
infernale machination, descendil jusqu'Ei ordpnner une
enquete dans sa maison. On interrogea ses disciples et on
voulul donner a leurs reponscs une interpretation defa
vorable pour lui. — Xa milieu de ces humiliations, it
paraissait calme et heureux ; trois fois, il avail voulur6-
signer son litre de superieur des ecoles chretiennes, et
Irois fois on I'avait force a le reprendre; mais apres I'in-
digne precede dont on venail de I'accabler, aprfes le juge-
ment inique qui le declara incapable de conduire une
congregation qu'il avail creee et dont il avail jusque-la
dirigela niarche ovectanldeprudence etdesagesse, ilsolli-
cilader.ouveau la nomination d'un autre superieur. Sesen-
nemistriompherent, I'archeveque de Parisdonnaun direc-
teur de son choix aux disciples de M. de la Salle ; mais
ces pauvres gens s'etaient accoutumes ei sa charitable
aulorile, ils en avaient reconnu lout le prix el ils refu-
serenl celte fois d'obeir a I'archeveque. — M. de la Salle,
alarme de la lournure serieuse que prenait un evenement
dont il etait la cause involontaire, se rendit en personne
chez le prelal qui avail acceple sa demission. II le vilet
lui paria pour la premiere fois; il le suppliad'assumer sur
lui toute la responsabilile de la desobt'issance de ses dis-
ciples et de ne faire retomber que sur lui le chatiment
que cette faute pouvait meriler. Tant d'liumiliteet d'ab-
negation ouvrirenl les yeux de I'archevjque; il compril
qu'il a vail mal juge un liomniedehien ; mais lesinimilies
auxquelles il avail obei sans le savoir etaienl trop puis-
santes et il s'etail trop avance pour reculer. Le nouveau
3o8
LE VfiNfiRABLE JEAN-BA PTISTE DE LA SALLE.
superieur ful maintenu; seulemcnt son avitorilu se borna
h une superiarite de nom, car les frt'res avait'iit manifesto
rinlenlion dese retirersion leur olait leiir pferespiriluel.
Acette epoque (1705), monscignoni- Colbert, archfivS-
que de Rouen, voulut introduire dans son diocese Ics
nouvelles ecolcs chretiennes ; il en fit etablir une h Dar-
netal et Irois a Rouen. M, de la Salle lui envoya quel-
ques-uns de ses instituteurs, et ce no furent pas ceux qui
souffrirent le moins des tribulations de la misere et de la
calomnie.
Au moment oil le venerable de la Salle croyait pouvoir
jouir de quolque repos, une nouvolle accusation vint
fondre sur lui. Un jcune ecclesiastiquc, M. Roger, consa-
cra une partie de sa fortune h I'achal d'une niaison a
Saint-Denis, et 11 I'olTrit au fondateiir des ecoles chre-
tiennes pour en faire un noviciat. Le pere du jeune abbd
eut connaissauce de cette donation, et il osa accuser leser-
viteur de Dieu d'avoir suborne un mioeiir.
La persecution dont il etait I'objet le forea a s'eloigner
pour quelque temps. 11 se dirigta vers le niidi do la
France et vint a Marseille. Dans celJte <ic™ere viUe, il se
\'it honore et entoure d'une protection qui paraisj-ait ne
rien laisser h desirer ; mais il ne tarda pas a s'apercevoir
qu'on n'en agissait ainsi que pour Tattirer dans un parli
condamne par le saint-siege. — Fidele scrviteur deDieu,
chacune de ses vertueuses actions etait payee par un ou-
trage, et s'il recevait une seule parole do bienveillance,
il y avait sous cette parole une laclie trahisonl 11 se hJita
de se separer de ses dangereux protecleurs.
Les diffamations qui le poursuivaient n'avaient pn
existersans Irouver acces chez quelques-uns des mem-
bres credules de sa famille. II lui etait reserve d'en ac-
querir Uii-nieme la douloureuse certitude. A Mende, un
de ses freres lui refusa rbospilalite. II fut plus sensible
Ji cet outrage qu'ii tons ceux qu'il avait essuyes jusqu'a-
lors et il se sentit pris de cette tristesse auiere qui de-
niande le sein de Dieu seul pour epancbor ses krmes. II
se retira pres de Grenoble dans une solitude protonde,
Ji laquelle vinrent encore I'arracUer les sollicilations et
le desir de ses disciples. Dans sa retraite, il avait trouve
le repos et la joie de I'ame ■, Dieu le rappelait a la croix,
il se data d'obeir. 11 revint, ii Paris pour y souffrir en-
core, mais cette fois il cjut comprendre a I'affaiblisse-
ment d-e son corps que son lieure .serait bienlot venue ; il
fit part a ses disciples de la crauite ou plulol de I'espe-
rance qu'il concevait, et il les pria de lui nommer un sue-
cesseur. 11 re issit enfin h faire nommer le fiere Bafthe-
lemy, — h Sainl-Yon, en 1717.
Peu apres eel 6venement, M. dc la Salle fut encore
rappele a Paris pour recevoir, sous le titre de legs, une
vraie restitution que lui faisait M. Roger pour reparer le
tort qu'il lui avail caus6 ii I'occasion de la maison ache-
lee a Saint-Denis. Cette circonstance donna une nouvelle
occasion au venerable abbe de montrer sa profonde ri-
gi Jite. Le testament le qualifiait du litre de superieur des
ecoles chretiennes ; il refusa absolument de signer aveo
ce titre qui, disait-il, ne lui appartenait pas et qu'il ne
pouvait prendre sans alterer la verile. Le notaire declara
qu'il ne compterait la sonime qu'apres I'appojition de
la signature et du litre exiges. M. de la Salle prefera
sacrifier le legs quo de faire la moindre atteinte a la ve-
rite. Ce ne fut que Irois mois apres que, considerant que
la signature rielle du legalaire nietlaita couvert sa res-
ponsabilile, le notaire n'exigea pas que la qualile de su-
perieur fiil exprimee.
Peu de temps apres, et toujours obsede d'incessantes
persecutions, cet homme vertueux tomba malade, epuise
qu'il etait par les jeunes et les macerations. II demanda
Ics derniers sacrements; on s'empressa dc les lui faire
administrer. Lorsque le saint viatique entra dans sa
cliambre, il se jeta a genoux par lerre pour I'adorer et
le recevoir. Ses enfants, qu'il avail tant aimes, et ses
disciples environnaient son lit, qu'ils mouillaient de leurs
larmes; lis voulaient avanl sa mort recevoir ses derniers
avis et sa benediction. ■ Je recommande premierement
mon eime a Dieu, leur dit-il, et ensuite tons les freres de
la society des ecoles chretiennes auxquels il m'a unis. Je
prie ces derniers, sar toule chose, d'avoir toujours nne
enliere soumission i I'figlise, et, pour en donner des mar-
ques, de ne se desunir en rien de notre saint-pere le pape,
se souvenant toujours que j'ai envo\e deux freres a
Rome pour demander it Dieu la grace que leur societe y
soil toujours enlifirement souniise. Je leur recommande
aussi d'avoir une grande devotion envers Notre -Sei-
gneur , d'aimer beaticoup la sainte communion el d'avoir
une devotion particuliere envers la Ires-sainte Vierge et
envprs saint Joseph, patron et protecleur de la societe;
qu'ils s'acquittent toujours de leur emploi avec zele et
desinteressement, qu'ils aient entre eux une union in-
linie et une obcissance aveugle envers les superieurs, ce
qui est le fondement et le soutien de la perfection dans
toute communaute. » En prononcant ces derniferes pa-
roles, sa voix s'affaiblit; les freres, se jelant a genoux,
lui demanderenl sa benediction, et le vertueux patriarche
leva les mains vers le ciel en disant : - Que le Seigneur
vous bi^nisse lous! > puis il remit son ame entre les mains
Seigneur, le 7 avril 1719.
L'abbe Xavier Mcsoeolle.
I
I
SAINTE J5ERTIIE.
3S0
SAINTX dZRTHE , ABBESSX Bl; BtANGY, BN ARTOIS.
Aje seul nora de Berthe nous rcporte
au lemps du mojen age, a cette bril-
lante tipoque de toiirniiis, de gucr-
res et de croisades. II evoque de
blanches statues, coujhees sur les
pienes des tombeaux et dont les
clieveux lissesencadrentsilencieuse-
mentle visage de marbre. Mais ce
nom est hereditaire en France, et
celle dont nous voulons raconler la
vie est ant^rieure h ces iiges he-
roiques oil les cours d'amour pro-
fessaient la gale science et oil des
tribunaux de dames s'assemblaient
pour juger les chevaliers. Certlie
est une fille primitive, issue d'un vieux sang gau-
lois, et qui vecut parmi les Fredegonde et les Brune-
haut, ces lerribles descendantes de Merovee. Certaines
parties de son existence sent entourees d'un profond
mystere, et la tradition, en passant par la bouche des ge-
nerations, est devenue, sinon mensongere, au moins exces-
sivement douteuse.
Berthe naquit h la cour de Clevis II, et peu de femmes
pouvaicnt revcndiquer une plus haute origine. Son pere,
le comte Rigobert, s'etait iUustre dans la corriere des ar-
mes, et sa mfere Ursane elait proche parente du roi de
Kent, en Angleterre. On ne nous a point conserve de de-
tails sur sa jeunesse ; certains auteurs alTirment qu'elle
aima un chevalier nomme Raoul, et qu'elle saerifia cette
inclination ii lobeissance qu'elle dut monlrer aux ordres
de son pi-re. Celui-ci lui donna pour epoux un grand sei-
gneur, allie independant du roi de France, et qu'on ap-
pelait le comte Sigefroy. Berthe, pcnetree de ses devoirs
d'epouse, se consacra tout entiere au bonheur de son mari
et a I'education de ses enfants. Une logende romanesque
nous montro le fidele Raoul rempli d'admiration pour la
vertu de celle qu'il avait tant ainiee, lui consacrant sa vie
et I'entourant d'une protection etrange et mysterieuse.
Mais quelques historiensdementent ce fait chevaleresque
comme- peu confornie aux mcKurs des guerriers de cette
epoque, beaucoup moins forts sur les beaux sentiments
que sur les grands coups depee.
Berthe fut mariee a I'Jige de vingt ans, vers Tannee 666,
et de cette union naquirent cinq filles, dont les deux
ainees se firent plus tard une grande reputation desain-
tete sous les noms de Gertrude et de Deotile. Sigefroy
etant mort apres vingt annecs de bonheur conjugal, la
sainte veuve forma le projet d'abandonncr le monde et de
se renfermer dans un monastere qu'elle avait fait bStir
sur la riviere de Ternois.
Ses deux plus jeuncs enfants lui ayant ete enlevees par
leciel, elle crut pouvoir se consacrer a Dieu sans trahir
ses obligations de mere. Ses filles Gertrude et Deotile ma-
nifesterent I'intention de la suivre, et dies se retirerent
Sjiitle BtrUic (fLfeiitl,int sa fillc.
loutes Ics Irois dans I'albaye de Bla igy, dont Berthe fut
nommee abbesse. Mais elles eprouverent bientSt, de la part
d'un seigneur appe:e Roger, une assezvive persecution.
La beaute de Gertrude Sigefroy etait celebre dans le
pays ; sa figure angclique respirait Tinnocence, et sa taille
elait souple et svelte comme un roseau. Roger ne put la
voir sans I'aimer, et les passions des Francs de ce temps-
lii, encore a demi barbares, elaicnt indomptables comme
leur carartere. II demanda Gertrude a sa mere ; mais la
timide jeune fille refusa de la quitter pour suivre un epous
500
SAINTE BEUTHE.
qu'elle ne connaissait pas. Elle se croyait a I'abri de ses
poursuiles dans le clotlrequi lui scrvait d'asile, lorsqu'on
apprit que Roger s'avancail avec des homnics d'armes,
et pr^tendait assiegor le monaslere et en arracher Ger-
trude en di'pit de I'abbesse et d'elle-meme. Que pouvaient
opposer a ces forcenes des femmes isolees et sans moyens
de defense? Bientot on aperroit un nua;^e de poiissifere, on
entend distinctement le pietinement des clievaux; les
portes sont frarassces et les pas des cavnliers lesonnent
surlesdallesdescoriidors. fiperdues, lesreligieuscs fuient
de toutes parts et se precipileiit danslancf. Edessepres-
sent les uiies centre les autrcs corame un troupeau de bre-
biselTrayi'Cs.etl'on n'enlend sous les vodlesdu temple que
le bruit etoulTe de leur respiration haletanle. Gertrude et
Deotile embrasseut les coins de I'autel. Seule, conservant
sa fermetc et son courage au milieu de la desolation uni-
verselle, Berthe est debout et attend en silence. l,a porle
s'ouvre, Roger apparjU Tadl en feu ; a I'aspect du lieu
saint, ses compagnons, frappes de respect, se decouvrent
et s'arrelent. Berthe elcnd la main vers le ravisseur; elle
lui montre Gertrude agcnouiUee, elle s'ecrie : ■ Vous voyez
Gertrude qui a recu le voile de la main des fev(^ques, elle
appartient ii Dieu; auriez-vous bien la hardiesse de la lui
disputer? • A ce discours, a I'accent inspire de I'abbesse,
^ la majeste de sa pose, Roger hesite : il recule devant le
sacrilege qu'il a jure d'accoinplir, et ses soldats qui I'en-
tourcut I'enlrainent loin des murs de I'abbaye.
Mais le volcan qui biidait dans son cceur jetait encore
des llanimes ; excite par le ressentiment, il se presenle ;i
la cour de Thierry 111 et accuse Berthe d'infidelile el de
haute trahison. Son credit, son air de sincerite, rendent
ces charges accablantes ; tile est mandee a la cour de
France pour avoir a se defendre des niefaits qui lui sont
imputes.
Ce n'est point sans regret ni sans apprehension qu'elle
quitta son cher monaslere. ■ Priez pour moi, dit-elle k ses
filles, qui salt les epreuves que Dieu pent nic rfeerver? •
Coninie elle I'avait prevu, son voyage ne s'effeclua pas
sans encombre. A une journee deTernois, on vit arriver
une bande de soldats commandes par Roger, lis entoure-
rent la petite caravane et firent I'abbesse prisonnicre.
Mais un envoye du ciel, ou plutot un ami de la tcrre
veillait; Rooul apparait a la tele d'une nonibreuse com-
pagnie. A sa vue, la troupe de Roger cherche son salut
dans la fuite, etcelui-ci, oblige de battre en retraite, s'e-
loigne, le depit dans r6me, et formant de nouveaux pro-
jets de vengeance, qu'il no put jamais acconiplir.
Raoul s'offril pour escorler Berthe jusqu'ii Paris, et
elle crut pouvoir accepter ce secours de celui qu'elle re-
gardait mainlenant coninie un ami. 11 la conduisit jus-
qu'aupres du roi Thierry, qui reconnut combien on I'avait
caloniniee. line put s'empficher d'admirer ses vertus ,
et lui en donna un eclatant temoignage en I'assurant de
sa royale protection. Ainsi, les intrigues que Roger avail
destinees h la perdre n'avaient servi qu'a la glorilier el
k rendre impuissantes desormais les perfides meuees de
ses ennemis.
De retour ii Blangy, Be] the travailla a donner a sa
communaute une constitution reguliere et definitive ;
elle fit construire dans I'inlericur du monaslere trois dif-
ferentes egliscs, I'une sous le patronage de saint Omer;
I'autre, sous celui de saint Waast, evSque d'Arras, et la
troisieme, sous celui de saint Martin de Tours. Elle avail
pour ce dernier saint une affection particuliere, et fit
bllir en son honnenr jusqu'a sept eglises sur divers
points de ses lerres. La constitution de son cloilre, qui
renfermail alors soixanle religieuses, elanl bien elablie ,
elle_fil connuitre sa resolution de se demetlredela charge
d'abbesse en faveur de sa fille Deotile, et la forca d'ac-
cepler ce litre , malgre ses pricres et cedes de toutes les
soeurs.
A partirdece moment, Berthe so renfermadansune cel-
lule ou elle demeura loute sa vie, et qui ne lui permeltait
pas de communiquer avec I'interieur du couvcnl. La, elle
passait desjourneesentieres el quelqucfois des nulls dans
I'oraison et la contemplation, conlinuanlcependantjusqu'i
sa morl i faire a la communaute une instruclion journa-
licre par une pelile fenetre pratiquee a sa chambrelle et
donnant dans une chapelle oil lout le monde se reunis-
sait. A une cerlaine heure, I'abbesse Deotile, accompa-
gnie de sa soeur Gertrude et de ses religieuses, venait
saluer Berihe qui paraissait et adressait de sages conseils
a ses filles d'adoption. Puis, la fenetre se rel'ermail, et
elle retombail vivanle dans ce lombeau dont elle avait
scelle volontaircment la pierre.
Berthe pratiqua ces exercices de picte avec une fer-
vour qui ne se dcmeutit jamais ; elle mourut a I'ige de
soi\aiile-dix-neuf ans, vers I'annee 725, et emporla avec
elle I'amour des sainles femmes qu'elle avail dirigees.
Vers la fin du neuvieme siecle, I'invasion des Normands
rcpandit la tcrreur dans I'abbaye, et les religieuses pri-
rcrit la fuite, emportant avec elles les reliques de sainle
Berihe et de ses deux filles. Elles remonlerent le Rhin
jusqu'a Jl.iyence, el s'arrSterenl d ms cette ville, ou Ton
tenait alors un coni^ile auquel assistait Arnoul, roi d'Alle-
magne. Elles y rencontrerent Rotrude, abbesse dErstein,
qui leur offrit un asile et so mil complelement a leur dis-
position , fondant pour ces pauvres refugiees le mona-
slf?re d'Alziac, pres Strasbourg.
Quant & I'abbaye de Blangy, en .\rtois, elle fut rebitie
au onzienie siecle et donnce k des religieuxde I'oidrede
saint B'jnoit par le comte ('e Flandre qui les mil en pos-
session de ses anciens revenus.
Malgre I'opposilion des religieuses d'Alziac, lis Trent re-
venirles reliques qu'elles avaient empovteeset qui furerit
conservees tres soigneusement jusqii'au scizieme siccle,
oil Id guerre qui eclata entre Francois \" et Char-
les-yuint obligea Ics lienedictins a prendre la fulte. Les
reliques de la sainle furent placees provisoirement dans
SAINTE-CROIXEN-JEBUSALEM. 361
riiospice de Saiiit-Jean-du-Mont, et, dte que la paix fut
relablie, revinrenl a Blangy, ou elles demeurerent jus-
qu'a I'epoque de la Kevolution. — La f^le de sainle
Berthe se celebre le quatrieme jour du niois de juillet.
DE LA FlIEDlkltE.
ui^ToiRE ET mmmm des basiliques de roue.
SAIVTE-CROIX-EN-JERUSAIEM.
'-'ette basilique n'ayant ete bStie que pour recevoir una
partie de la sainle croix, il n'est pasinutile pour en con-
nailre I'histoire de remonler aux evenemenls qui pre-
cederent, en le provoquant, cet acle de picte.
Constantin le Grand venait d'abjurer le paganisme
npres la visible protection qu'il avail rerue du cici, et
pour la premiere fois la religion du ("lirist s'elait assise
sur le trone des Cesars.
D'apres saint Eusebc, I'imperalrice Hclene, mere de
Constantin, n'cmbrassa pas le catliolicisme en meme temps
que son fils. Mais si die ne rcrut le baptcnie qu'apies la
miraculeuse vicloire remportce par celui-ci, die sembia
I'avoir depasse de bcaucoup dans la perfection evange-
lique. Sa conversion, quoiquc tardive, fut si parfaite que
depuisellcpratiquatoules lesvertus avec la plushuroique
rigidile. — C'lHaicntsurtoutsa foi en Jesus-Christ et son
amour pour les pauvres qui la dislinguaicnt.
Constantin eut a reprimer la jalousie de Licinius, qui
venait de prendre les armes centre lui. II le rencontra
dans la Pannonieetle delit en 31 1 pres de Cibale. Satisfait
d'une promple victoire, et du resle n'ecoutant que la
clemence a laquelle il elait naturellement porte, il lui
laissa la vie en lui accordant la paix. — Mais Licinius,
que I'ambition devorait sans cesse, oublia bientot la ge-
nerosite de son bienfoiteur, et pour I'outrager une nou-
velle fois d'une maniere sanglante il persecuta les Chre-
tiens, quel'empercur avail mis soussa protection.
Cet acte de cruaute devait etre puni, et apres avoir
employe vainement les voics de pacification, Constan-
tin lui declara la guerre. — De chaque part les armees
etaient nombreuses ; Licinius comptaiit sur la valour de
ses soldats et peut-^tre prenant en lui-meme son orgueil
pour de la force, disait haulcment qu'apres la victoire
qu'il etait sur de remporter il exterminerait jusqu'au
dernier des Chretiens. Constantin, mettant en Dieu sa con-
fiance, sedisposait au combat par le jcune etia priere; il
se contenta d'ordonner que le Labarum fiit porte de\ant
son armee. Licinius redoutail rette banniere, il n'ignorait
pas que la victoire I'avait constamment suivie, et il crut
s'affranchir de la puissance de celte cgide chretienne en
defendant a ces troupes de diriger leursattaques ducote
oil ellese trouverait, et en leur conseillant de nc pas mfme
56S
NAPOLfiON.
la regarder. Ces vainespr&autions ne purentle soustraire
au ch&timent que Dieu lui reservait. Deux fois il fut
vaincu; d'abord pres d'Andrinople au raois de jiiiUctde
I'annee 351, ou il perdit plus de trente-quatre mille
hommes, puis pres de CalceJoine, oil, de toutesonarmie,
troisniille liommes a peine purcnt echapper a la moit. —
II fut lui-meme fait prisoniiier (jar Constantiu, et ce ge-
nereux conquerant lui eiit loujours laisse la vie et la li-
berie, s'il n'eilt ete convaincu qu'iltravaiUaitsourdement
h exciter de nouveaux troubles.
Cette -victoire avail fail de Constantin le maitre de
I'Orient. — En 325, le concile general de Nicee fut
assemble par ses soins, et I'annee suivante il ecrivit k
Macaire, eveque de Jerusalem, que sur le mont Calvaire il
voulail faire eleverune masnifique eglise. Saiiite Helene,
quoique deja fort avanceo en Sge, se cliargeade I'execu-
tion de ce pieux monument et ellese rendit en Palestine,
Oii I'appelait aussi un autre desir non nioins saint et
louable. Elle voulait decouvrir lacroix sur laquelle le Fils
derhomme avail accompli rarlesublinie dela redemplion.
Pour en venir a son but, elle devait eprouver d'innom-
brables difficultes ; mais rien iie put la rebuter, tant elle
6lait sure qu'elle ne ferait qu'accomplir la voloiite de
Dieu.
C'^tait la coutame chez les Juifs de creuser une fosse
aupres.du lieu oil le corps des personnes condamnees^
morl etait enterre, et d'y jeler lout ce qui avail pu servir
a leur execution.
Apres avoir fail fouiUer dans les divers endroits du
Calvaire qu'on lui iadiqua, la pieuse imperatrioe trouva
le saint sepulcre. II y avail aupres trois croix, avec les
clous qui avaient perce les pieds et les mains du Sau-
veur, el rinscription que les Juifs avaient fait attachcr
au-dessus de sa iHe. Cette inscription etanl separfe, on ne
savait comment distinguer la veritable croix ; on les ap-
pliqua separ(5menl Tune apres Tautre sur le corps d'une
femme qui etait mourante; les deux premieres, quietaient
celles des deux larrons, n'opererent aucun effet; mais
lorsqu'elle fut louchee dela troisieme, elle se trouva par-
faitement guerie.
Sainte Helene lemoigna la joie la plus vive k I'occasion
du miracle qui lui faisait connaitre le saint instrument de
la redemplion. Elle fonda une chapelle 5 I'endroit oil ce
precieux tresor avail etelrouve. Avant de parlirde la Pa-
lestine, elle visits tons les lieux que noire religion a mar-
ques de si venerables souvenirs, et elle les orna de somp-
tueux edifices. Elle rappela les cbretiens exiles, rendit la
liberie k ceux qui gemissaient dans les prisons ou qui tra-
vaillaienl aux mines. Puis ayanl fail assembler lesvierges
consacr6esau Seigneur, elle leur donna unrepas oiielle les
servit de ses propres mains.
De retour a Rome, sainte Helene fitconstruire I'eglise
de Sainle-Croix-en-Jerusalem. Une portion de la croix
de Notre-Seigneur y fut deposee dans un Hm de la plus
opulente magnificence. Mais les siecles en passant sur cet
Mifice le detruisirent. Le pape Benoil XIV en confia la
reconstruction a I'architecte Dominique Gregorini. Le
porlique est soutenu par des colonnes el des pilastres
dant qualre en granit. Le maitre-aulel isole est orne
de qualre belles colonnes de marbre qui soutiennent un
magnifique baldaquin. Au-dessous de cet aulel, il y a une
belle urne antique de basalle dans laquelle sont conserves
les oorpsdes saints marly rsCesari us elAnasta.se. La voule
de la tribune est dfecoree de fort belles fresques de Pin-
turiccliio.
J. B.
HAPCLEOF.
III.
i ous ces evenements
se succedent et s'accu-
mulent avec une rapi-
dite sans egale. Jamais
bomme ne mena I'his-
toire plus grand train.
II est lombc, et cepen-
dunt le monde liesite
encore k croire a sa
chute. Qui voudrail en
effet reconnaitre dans
cette voilure k peine
escorlee, qui galope
tristement sur la route
de Provence, celui qui
mit I'Europe a ses pieds apres en avoir distribue les
royaumes k ses proclies et ii ses generaux? Qui verrait
un empereur dans ce proscril? Le voil^ qui repasse par
son premier chemin, temoin de ses premiers triomphes, de
ses premieres ambitions; et, sans doute qu'en traversant
cesvilles aujourd'hui muettes, il se prend a recommencer
savie d'aulrefois, au temps oil le people s'empressaitsurle
passage dujeune general d' Hal ie,oulesferamessemeltaient
aux fenfires pour voir le piile el fier vainqueur de I'E-
gypte., qu'elles saluaient de leurs sourires el de leurs
mouchoirs? Que de souvenirs ! Lk est Lyon, theatre de sa
gloire naissante; ici Valence, oil il se rappelle avoir cueilli
des cerises avec mademoiselle du Colombier ; c'esl Frejus
qui le vit debarquer pour alter culbuler le Direcloire ;
Frejus, oil il s'embarque aujourd'hui pour alter occuper
les quelques pieds de terre que I'Europe lui accorde en
soupirant.
II s'en va, le grand empereur, — et la nation consternte
le regarde partlr, empkdiee qu'elle est par les hordes
etrangeres qui sont venues la b&illonner jusque dans sa
propre capilale. II part en fugitif, traversant la France
d'un boul a I'autre, cl emporlanl avec lui le secret de cet
enthousiasme qu'il savait si bien allumer dans toutesles
BRn !SH
7 AUG 29
NATURAL
KfSTORV-
\
•as H
NAPOLEON.
3C3
l^tes, car c'est en vain que sur sa route rarmee cherche
a lire dans son regard el k deviner dans son geste, cnmme
si elle n'attendait de lui qu'un signal pour tenter encore
!e sort desbatailles. Napoleon, le front courbfe sur sa poi-
trine, ne commandc plus au destin.
Ce fut pendant que Louis XVllI rentraitdans sa bonne
ville de Paris, qu'il mouilla dans la rade de Porlo-Ferrajo.
Sa cour se composa de sa mere, de sa sceur et d'une
poignee de braves de la vieille garde, la veritable cour de
France, celle-la. On elait alors au mois de mai 1814.
Jusqu'au mois de fevrier de I'annee suivante, Napoleon
rongeason frein en silence, trompant son besoin d'activite
par des travaux imporlanls qu'il fit executer dans I'ile,
par des quais qu'il fit construire, par des routes qu'il fit
percer. Mais sapenseeconslante elait attacheesur la France,
et, redevenu spectateur ottentif, il suivaitdans les feuilles
publiques la marche du gouvernement de la coalition, dont
chacune des faules elait un enseignement pour lui.
Les Bourbons n'avaient pas voulu accepter le trait-
d'union de I'empire. Brusqueraent, sans transition ils
avaient ramene I'Elat au regime d'avant la republique.
Entre Louis XVI et Louis XVIIL ils avaient ecrit sur le
registre de la monarchie ;Ci, uue lacune. — Une lacune
quia nom Napoleon. — El le roi datait tranquillement
ses edits de la dix-neuvieme annee de son regnc. II fallait
que les Bourbons s'abusassent etrangementsur la lassitude
de leurs sujels, et la hardiesse elait grande a venir faire
si bon march^ du passe de 93. Peut-etre aussi I'emigra-
tion voulait-elle prendre sa revanche, mais on ne prend
pas de revanche avec le peuple. Les factions qui vinrent
a se former le prouverenl bientdt; enpeu de temps, etmal-
gre I'egide raenacanle des allies, un orage s'amoncela de
Douveau autour du trone. L'agitalion elait extreme ; la
presse se debatlait violemment sous le pied de la cen-
sure grossierement travestie.
Ce fut ce moment-la que Napoleon choisit pour jeler
au hasard un decesdefismerveilleux, — auquel le raonde
elait habitue, maisqui devail pourtant etonner le monde.
II voulut essayer de renouer son avenir aux acles mala-
droiU des Bourbons, et il y reussit. De telleshardiessescon-
fondent moins peul-eire par leur succcs que par leur
conception; mais Napoleon elait I'homme des hardies-
ses. Sans avoir prevenu personne, un matin, portant sa
conspiration toute dans sa tele, il avertit sa garde de se
tenir pr^te a quitter I'ile d'Elbe. Cette nouvelle fut ac-
cueillie par une acclamation unanime, et I'ivrcsse des
soldals ne connut plus de bornes quand il leur dit en
mettant le pied sur le brick qui portal t sa fortune: —
Grenadiers! nousallonsen France, nous aliens a Paris I
Cette fois c'elait une grande et decisive parlie qu'il se
preparait a jouer a\ ec renlhousiasme. II allail avoir enfin
le mot supreme de son prestige. C'elait un homme qui
venait conquerir un royaume, non pas avec une armee,
mais seul, et rien qu'avec son nom. 11 debarqua dans le
golfe Juan, et se mil resoliimenl en marche sur Paris a
la t^te decinq cents hommes de sa garde, de deux cents
chasseurs et de centlancierspolonais. C'elait un spectacle
inoui, sans exemple, qu'un coup d'Etat ainsi tenle ;
mais Napoleon avail jete dernere lui toute relenue et
toute prudence, et il s'avancait^avec cette audace, dont
les resullats font de la folie ou du genie. Un fait le mon-
Irera. Devanl Grenoble, un bataillon lui barrait le passage
et avail pris position j instruit de ce contre-temps, il
s'empresse de mettre pied a terre, et suivi par sa garde,
I'arme baissee, il decouvre sa poitrine et s'ecrie : — Si
parmi les soldals de Grenoble, il en est un qui veuiJle tuer
son general, son empereur, il le pent ; me voici ! — Le
cri de T'it-e I'cmpereurl est la seule reponse du bataillon,
Joueur hardi. Napoleon en etail venu a ce point d'enga-
ger sa fortune sur une carte.
De ce moment, et a parlir de Grenoble, oil la popula-
tion, a defaul des clefs qu'clle n'avait pu arracher aux
chefs militaires, vint metlre i ses pieds les portes de la
ville apres les avoir abaltues, de ce moment la question
ful a peu prfes decidce. Les proclamations firent le reste.
Jamais I'empereur n'avait parle un langage plus mogique,
plus enliainant ; — ■ Soldals, y disait-il, dans mon exil
j'ai entendu voire voix ; je suis arrive a Iravers tons !es
obstacles ettous les perils. Votre general, appeleau tr6ne
par le choix du peuple, vousest rendu : venez le joindre...
Soldals ! venez vous ranger sous les drapeaux de voire
chef. Son existence ne se compose que de la voire ; ses
droits ne sont que ceux du peuple et les volres ; son in-
ter^l, son honneur, sa gloire, nesont aulresque voire in-
teret, voire honneur et votre gloire. La victoire marchera
au pas de charge; I'aigle a-vec les coulears nationales vo-
lera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-
Dame : alors vous pourrez monlrer avec honn.eur vos
cicatrices, alors vous pourrez vous vanter de ce que vous
aurez fait, vous serez les liberaleurs de la palrie... Dans
votre rieillesse, entoures et consideres de vosconcitoyens
ils vousentendront avec respect raconter vos hauls fails;
vous pourrez dire avec orgueil : El moi aussi je faisais
parlie de cette grande armee qui est entree deux foisdans
les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de
Madrid, de Moscou, qui a deli\re Paris de la souillure
que la trahison et la presence de I'ennemi y ont em-
preinte I •
Pi'ecede par ces paroles. Napoleon entra dans Lyon en
avant de ses troupes, porle en Iriomphe par mille bras.
La, il s'arreta un instant pour casser les deux chambres
et convoquer exlraordinairement les colleges electoraux
de I'empire ; puis il repril sa marche k Iravers la Bour-
gogne, au milieu de I'enivrement general. Pendant ce
temps, lecomted'Arlois fuyait accompagne d'un seul ser-
viteur, el Louis XVII!, frappe d'effroi gagnail precipi-
tamment la fronliere beige, apres avoir mis tons les deux
sa tete a prix, el au mSme instant oil la presse arislocrale
annoncait leslermination probable du lemeraire usurpa-
leur.
Cefut le 20 mars, versJe soir, que Napoleon arrivaaux
portes de Paris, a la suite d'une longue journce de mar-
che. Comme a Lyon, comme a Grenoble, la population se
rua sur lui. On ne faurait donner une idee de cet im-
mense empressement qui lenait presque du delire. Na-
poleon ful porle dans le palais des Tuileries, oil Talten-
daient les grands dignitaires de I'empire. — Cette nuit-IS,
le bataillon sacre bivouaqua sur la place du Carrousel.
Des le lendemain, I'empereur se remit a I'cBuvre.
Le congres de Vienne ne lui laissait plus aucun es-
poir de paix. La coalition avail jure de ne pas deposer
les armes qu'elle ne I'eut mis hors d'etat de troubler
desormais le repos de I'Europe. Apres avoir done re-
constitue le gouvernemeni, proclame la liberie de la
presse, appele Benjamin Conslant au conseil d'£lat, il
s'occupa de preparer activement la France a une nou-
564 NAPOLEON
velle guerre qui devait resumer toutes les autres et ren-
dre pour jamais au pays le rang niosnifiqiie qu'il avail
conquis sous son regne. II arma les places fortes, fit fa-
briquer des canons, rappela sous les drapeaux les anciens
mililaires reformes ou en relralte; et deu\ mois apres il
se trouvail a la tete d'une armee de plus de qualre cent
Le balaillon sacre Livouaquant stir la place (In Carrousel.
cinquante mille lioninies, pietea soutenir le chocdel'Eu-
rope et a se laisser conduire a la vicloireparcelui qui en
connaissait si bien les chemins.
Deu\ combats brillanls, ceux de Ligny et de Fleurus,
ouvrircnt cette nouvelle campa^ne. II en fut renipli d'es-
poir. BUicher elaitbatlu, rennemi refoule. Napolton crut
qu'il allait ressaisir la fortune et balayer une fois encore
devant ses pas les puissances reunies, ^ la jouruee de
Mont-Saint-Jean. Ce fut sous ces auspices favorables que
s'entama cette derniere et terrible parlic; jusqu'au soir
I'avanfnge resta du cot^ des Fiancais; onseballail avec
furie etlccanon labouiail profondementlesniassesserrees
des .\nglais, que leur immobilite sculpturale faisait
rosscmbler ^ des machines de guerre plut6t qu'k des
soldals; — la nuit venue, per.sonne ne doulait de
rentier trioinpbe. II fallut qu'a ce moment des circon-
slances d'une nature tout inipr^vue vinssent changer
souiiainement la face des choses et creuser un largo
tombpau h celui qui revait dejji sons doule le char du
conquerant.
lin de Fleiinu.
NAPOLEON.
On sail la funesie issue de cette fatale tragediede Wa-
terloo. Ce flit sur ce champ de balaille que vinrent s'a-
bimer les dernieies esperances de rhonime du siecle.
Le nombre, la trahison, les lenebres, lout se reunit pour
I'accabler. Sombre et les poings serres, il pas^ait rapide
comme un eclair dansune lempi'ae.et se jetant au milieu
de la melee furieuse il essayait en vain de rallier les
fuyards et d'arreler le desordre. L'aiglc d^chiree flottait
devant ses pas et semblait lenvelopper d'un solennel
iinceul. Aulour de lui, ses vieux grenadiers m^chaient
silencieusement leur cartouche et se serraient aupres de
son cheval. Enlrafne dans la deroute, 11 ceda a la neces-
site et il se retrancha sur Charleroi, aprfes avoir vu litte-
ralement ccraser sa garde heroique.
Celte fois I'empire elait mort et bien mort. La France
ne devait pas pardonner une defaite ^ celui qui lui avait
fait tant de victoires. La chambre dcs represenlants se
d^clara contre Napoleon vaincu, et c'est a peine si quel-
ques voix s'eleverent pour lui, en presence de Tiniraense
desastre oil dix-neuf mille Francais avaient laisse leur vie
et sept niille leur liberie. On prefera rouvrir pour la
deuxieme fois les portes de Paris aux etrangers, sans ba-
taille, sans condition, avec une armee esale en forced la
leur. — Napoleon en versa des larraes de sani», du fond
de la Malmaison, ou il s'etait retire. Mais ce fut tout.
Quelques jours apies, il partit pour Rochefort, comme il
etait parti pour I'iled'Elbe, dans la voiture d'un de ses
officiers etavec linlention de passer aux £tats-Unis.
Sesadieuxa la France furent iternels.
Alors commenca pour le grand homme cetle periode de
vexations sans nombre, de tyrannies etroites, de con-
trari^tes tour a tour absurdes ou atroces, — toujours
Hches. Au lieu de respecter cetle figure imposante d'un
empereur decouronne, les souverains s'eflorcent de la
rabaissera leurs propres yeux. C'est par d'odieux prece-
des qu'ils se vengent de celui dont !a magnanimile a leur
6gard ne se dementit jamais; et leur rage avilissante ne
5GS
doit plus s'arreter maintenant que sur le seuil d'un toni-
beau. — Celte autre histoire demande un cruel sang-
froid dela partde I'ecrivain qui la raconte, et plus d'un v
a deja brisesa plume en sentant le rouge de I'indignntion
monter a son visage, Pourlant nous irons jusqu'aii lerme
de noire tiiche.
Napoleon atlendit quelques jours k I'ile d'Aix les sauf-
conduits du gouvernement. Las de ses retards, et sur la
proposition du capitaine Mailland, il se decida a s'em-
barquer a bord du vaisseau le Sellcinphon, afin d'aller
demander une hospilalile genereuse a I'Angleterre, —
idee noble et encore haulaine qui ne pouvait germer que
dans une semblable t^te ! « Altesse Royale, ecrivait-il
au prince regent, en butle aux factions qui divisent mon
pays et a I'inimitie des plus grandcs puissances de lEu-
rope, j'ai consomme ma carriere politique. Je viens,
comme Themistocle, m'asseoir sur le foyer du peuple bri-
tannique ; je me mels sous la protection de ses lois que je
recl.ime de Voire Altesse Royole, comme celle du plus
puissant, du plus constant et du plus genereux de mes en-
nemis. »
La reponse ne se til pas attendre. Ce fut un ordre de
deportation a Sainle-Helene !
Cejour-la, I'Angleterre se couvrit d'une honte eclatante.
En consequence. Napoleon passa du Ucllerophon sur
le IS'orlliumberlatid. Un amiral eut le soin prcalable de
visiter ses effets, aide d'un employe des douanes; on se-
questra son argent, on desarma les personnes de sa suile,
et si on lui laissa son epee, en dehors de I'ordre ministeriel,
c'est que sans doule il ne se trouva personne d'assez hardi
pour aller la lui demander. — Je le crois bien,
Le lundi, 7 aout 181.5, le navireappareilla pourSaintc-
Helene. La suite de I'empereur avait ele reduite it qualre
personnes dont les noms sont dans toutes les memoires :
Rprfrand, Las-Cases, Gourgaudct Montholon. — Soixanle-
dix jours apres, I'equipagese Irouvait en vue d'un rochcr
africain. — Tout etait fini.
=^^^=""^"^■^1^/ t'l
-,^=!'\ .:^.„,],J"
Napoleon s'einbarquant sur le vaisseau U BelltTophon.
^/\\\
366
IV.
nien de plus sinistre, au
dire des voyageurs, queTas-
pect de Sainte-llSl^ne. Qu'on
se figure une vall6e tres-
etroite, resserree entre deux
chaines de montagnes i pic
et tout ci fait st^riles. Lb est
Ichameau. Plus loin, le clie-
min est coupfepard'horribles
pr(;'cipices, par des abimes
sans fond. Nulla verdure,
aucuno trace de v^gfetation,
un volcan ^teint: voila lout.
— Un de ces gouffres a ete
nomm^ Bol de punch dudiable par les habitants da pays.
Des vents continuels, violenfs, invariables; un soleil rare
et qui atlaque le foie lorsqu'il se montre ; des pluies abon-
dantes entretenant une humidite permanenle dans le sol;
une eau malsaine, dont on ne peut se servir qu'apres
I'avoir fait bouillir : voilb pour le climat. — La vne de la
mer qui s'^tend des hauteurs de Longwood entretient
rjme dans une melancolie profonde.
■ Une cahute s'^leve sur ce pic prometheen, expos6e k
toutesles influences d'une atmosphere empoisonnce. Des
senlinelles en habit rouge sont placees sous les fenetres et
se promenent de long en large. Parfois, des malelots ve-
nusdel'Europe.eten relirhe dans cette ile, s'aventurent
Ji braver une consigne severe et s'avancent avec precau-
tion vers cetic maison solitaire pour tacher d'apercevoir
derri6re les rideaux une ombre, une forme. 11 n'est pas
rare alors do les voir se retirer les larmes aux yeux et
leur bonnet b la main.
Souvent, vers I'heure demidi, un homrae sort de cette
maison. II estvfttu de loile comme un planlcur cl convert
d'un chapeau de paille' grossifere ; ses mains sont croisSes
derriere le dos, son ceil est fixe a la lerre; les traces de-
NAPOL
la maladie se lisent d{'ja sur son visngo. Revcur et abattu,
il s'arrSte devant un negre qui b^clie et qui sourit en le
regardant, ou bien il lient un enfant entreses genoux et
cause avec lui. D'autrcs fois il nionle a cheval, et, dans
un espace de quelques pieds carres, levoilji qui « tourne
sur hii-meme ronime dans un manege. » S'il veut fran-
rhir la limilcdu camp anglais, lasendnellea I'ordre dele
couclier en joue.
Chez lui, eel honime est force de vendre son argen-
terie pour vivre, etc'est a peine s'il peut se procurer une
nourrilure sullisante. Uo agent du gouvernement est 1^
pour elever d'odieuses reclamations au sujet de quelques
bouteilles de vin ou de quelques livres de viande. Ce
fiON.
567
sbire, dont I'histoire n'a conserve le nom que pour qu'il
fiit eternellement (16tri, I'assassine chaque jour, longue-
ment, en detail, ii coups d'epingles. II lui interdit d'entrer
dans aucune maison, et de parler a aucune dcs per-
sonnes qu'il rencontre dans ses promenades, soit a pied,
soit a clieval ; il deporte au Cap un de ses serviteurs les
pluscliers; il renvoie son medecin en Europe ; il place
des espions aupres de lui pour Yoler ses papiers. Puis,
un jour, h bout de ses infamies, et netrouvant plus rien
pour hater I'agonie de son prisonnier, il lui ecrit une
lettre pour exiger « des excuses, a cause du langage peu
modert5dont il s'etait servi dans leur derniere entrevue. »
Des excuses, — Ji Hudson-Lowe!
Hudfon-Lo^'e.
Lm, pourtant, senlantsa fin venir, il dicte ses campa-
gnes et decouvre un a un les voiles de sa pensee. II passe
en revue les fails de son hisloire et les resume en larges
traits : « ,I'ai reforms le gouffre anarchique, dit-il, et
dobiouille le chaos. J'ai dessouille la revolution, ennobli
les pcupk's et raffermi les rois. J'ai excite les emulations,
recompense tons les merites et recule les limites de la
gloire. Tout cela est bien quelque chose. Sur quoi pour-
rait-on m'atlaquer, qu'un historien ne puisse me defen-
dre? Seraient-ce mes intentions? mais ilesten fond pour
m'absoudre. Mon despotisme? mais il demontrera que la
diclalure ^(ait de toule necessile. Dira-t-on que j'ai gene
la liberie? Mais il prouveraque la licence, I'anarchie, les
grands desordres elaient encore au seuil de notre porte.
M'uccusera-t-on d'avoir trop aimc la guerre? Mais il
montrera que j'ai toujours 6le aftaque. D'avoir voulu la
monarchic universeWe? Mais il fera voir qu'elle ne fut que
I'cEuvre fortuitc des circonstances, que co furent nos cn-
nemis eux-mf'mes qui m'y conduisirent pas a pas. Enfin,
sera-ce mon ambition ? Ah! sans doute il m'en trouvera.
et beaucoup ; mais la plus grande et la plus haute qui fut
peut-(Jtre jamais: celle d'etablir, de consacrer enfin I'em-
pire de la raison et le plein exercice, I'entiere jouissance
de toutes les facultes huniaines? Et ici I'historien peut-
fitre se trouvera reduit a devoir regretter qu'une telle
ambition n'efit pas Hi accomplie, salisfaite.... En bien
peu de mots, voilfi pourtant toule mon hisloire. »
C'est ainsi que parle, sur ce roeher, ce moribond illus-
tre, — dans une chanibre pauvre, entre quatre cloisons,
enloure de deux ou trois amis de sa mauvaise fortune.
Celui qui donna des couronnes aux uns, qui replaca les
autres sur leurs trones briscs, est lachement abandonne
k la niort a deux mille lieues de la patrie. On emp^che
d'arriverun seul Franrais jusqu'h lui ; on leprive des nou-
velles de son fils et de sa femme ; quatre grandes puis-
sances donnent le spectacle inoui d'enchainer un homme
sur un ecueil. — Et de loin.'le monde regarde avec effroi,
selon I'expression energique d'un poete,
Cctic grande figure en sa cage accroupic,
Ployee, el les genoux aux deals.
368
NAPOLEON.
Mais il est pres de sa mort, le grand capitaine. Le cli-
mat meurtrier du tiopique \a finir ce que la torture
d'Hudson-Lowe a commence. — Un pr6tre est a cote de
sa chambre. ■ 3e suis ne dans la religion catholique, dit-
il, je \eux remplir Ids devoirs qu'elle impose, et recevoir
les .secours qu'elle adminislre. » — Le 3 mai, k deux
heures de I'Hpres-midi, il demando le saint viatique, et,
tout le monde s'etant eloigne, il demeure seul avec le
pr^tre.
Seul avecDieu !
Napoleon ri-ceianl le lutujiie.
II lui appartieni, en effel, de donncr ce haut exemple
<i cetle societe qui, en depit du concordat, pcrsiste k le
regarder comme le chef de I'ecole incrcdulc du dix-neu-
\i6me siecle. II lui apparlient de prevenir jusqu'au bout
ses detracteurs et d'erapecher que leurs dents entament
son granit. Au moment d'cxpirer, c'est a Dieu qu'il rend
sa force, i lui qu'il rapporte sa puissance et ses revers.
II ne veul pas que la posterite lejuge comme un fl'^au, et
c'est h Dieu qu'il ratlache son oeuvre grandiose et ses
projets inacheves.
Deux jours apres, il avait cesse de vivre. — On I'en-
terra sous les saules, comme on aurait fait d'un simple la-
boureur. On tourna ses pieds vers I'orient et sa t6te vers
I'occident, — et une garde anglaise fut placee aupres de
son tombeau.
Ainsi finit Napoleon.
Je ne terniinerai point cetle rapide esquisse sansm'ex-
cuscr sur les lacunes que peut-etre elle renferme. Ce n'est
ni uneliistoire ni un poeme quej'aivouUi ecrire, quoique
j'aie parfois emprunle I'emphase du poiite ou suivi les
regies de I'hislorien. Mon but, ainsi que je I'ai dit en
commencant, a ile de fairc un conte historique et pas
autre chose. Je n'apprendrai rien aux hommesd'aujour-
d'hui, je le sais; niaischez les honimes d'hier j'^veillerai
peut-ltre un souvenir attendri, chcz les hommes de de-
main une pensee de courage et d'honneur, — cliez tons
I'admiration ! ce noble sentiment qui tend de jour en jour
a s'eloigner de nos Smcs, sans doute faute d'aliment.
11 est des sujcts qui debordent Tecrivain et renlrainent
souvent au delji de sa volonte. On ne pent impuncment
parler de I'empereur, sans arriver h enfler sa voix, et a
la monter, sanss'en douter, au diapason de I'ode en pre-
sence de telle ou telle bataille, on prend alors ses phrases
pour des escadrons et on les precipite les unes sur les
autres; mais I'enthousiasme est seul coupable et merile
qu'on lui pardonne. — D'ailleurs, cet homme qui fut lui-
m6me une exageration de gloire, n'a-t-il pas rendu toutes
les exagerations de style impossibles?
L'opinionpubliqueestaujourd'huicompletementedifiee
sur le corapte de Napoleon. Le retour de ses cendres au
bord de la Seine, selon sa derniere volonle, et I'immense
explosion de joie qu'a soulevee leur passage ^ travers la
France, onlconsacre desormais sa memoire parmi cepev-
ple qu'il avait lanl aime. II repose maintenant au milieu
de ses braves compagnons d'armes, et son cercucil est le
meillcur palladium que nous puissions jamais invoquer
aux jours des tempetos.
On salt la mort de son fils, — pcile elegie autrichienne,
qui s'eteignit dans le sombre palais de Schoenbrunn
CuiRiFs Mn-vsFi.rr,
CAUSERIES AVEC MON FILS SUR LA PHYSIOLOGIE.
369
CAl'SERIES AVEC MON FILS SUR LA POYSIOLOGIE.
II'.
Avant de revenir avec plus de de-
tails sur le mecanisme de tous les
organes qui consliluent Vappareit
digestif, examinons, mon cher Er-
nest, les divers plienonienes precur-
seurs de la digestion elle-m^me ;
nous verrons ensuite ceux qui lui
succedent.
Les premiers sont la faim et la
soif, qui nous font pressentir la ne-
cossite de prendre des aliments so-
lides ou liquides.
L'appelil precede la faim; c'estun
disir modere, une sensation agrea-
ble qui semble principalement s'annoncer en determi-
nant dans la bouche une certaine excitation de la kingue,
et aussi des glandes salivaires donl la secretion devient
plusabondanle en ce moment.
La faim est au contraire un besoia irresistible, impe-
rieux, qui a son siege dans I'estomac.
La soi/est i^galement un besoin qui se fait sentir de la
bouche au pharynx, se produit par uu sentiment de
clialeur et de secheresse, qui, s'il dure au dela de cer-
taines limites, est susceptible de causer les plus graves
desordres dans toute I'economie.
L'4ge, le sexe, les habitudes, les professions, les tem-
peraments, les saisons, out une influence diverse sur
I'appelit.
Ainsi, chez I'enfant, ce desir est vif et presque con-
tinuel; car I'erifant, pour se developper,a besoin des nia-
teriaux nutritifs, et ses organes dans leur etat de fraicheur
primitive n'eprouvent d'orjinaire aucun enibarras dans
leurs fonctions.
La femme a moins d'appetit que I'homme, car elle de-
pense moins de forces et, par consequent, a moins de
pertes i reparer.
Les gens dont la conduite est d^reglee, ceux qui se
laissent emporter h la violence de leurs passions, ceux
qui cedent nonchalamment Ji leur paresse, sont presque
toujours depourvus d'appetit.
U en est de m^me des personnes sedentaires qui se
livrent aux travaux de I'esprit et de Tinteliigence, tandis
que la locomotion, I'activite, en d(5veloppent le frequent
retour.
Les temperaments nerveux et bilieux ayant les diges-
tions fort promptes a cause de la qnantite de bile qu'ils
secretent, eprouvent cette sensation plus que les autres
sortes de temperaments. Dans les saisons froides I'appetit
est plus vif que dans les saisons chaudes, par la raison
que I'air exterieur faisant perdre au corps beaucoup de
calorique, I'organisme a besoin d'une reparation plus
prompte, pour que I'equilibre soil mainlcnu.
Jetons un voile sur les cffets lerribles de la faim et de
la soif; ne revenons pas sur ces recitslugubresdepauvres
soldats victimes des desastres de la guerre, d'infortun^s
niarins perdus au milieu d'un abime de Hots, de voya-
II.
geurs ^gares, et enfin de ces malheureux eprouves pa
la Providence et quelaffreuse misere conduit premature-
ment au tombeau.
Jamais, mon fils, ne laisse devant toi ton semblable
souffrirde la faim ni de la soif; si tu as plus qu'il (e faul
a toi-meme, donne beaucoup ; si tu as h peine ton ne-
cessaire, parlage encore: la privation que tu fimposeras
sera plus que compenste par lebonheur quete procurera
ta bienfaisance. Cette morale n'est pas si eloignee qu'elle
le parait dune description physiologique dela digestion.
Le bien-etre que donne le plaisir d'une bonne" action
aiguise l'appelil et doit rendre la digestion facile.
L'egoiste est malgre lui honteux de lui-meme, il se
cache pour jouir tout seul, mais il jouit mal k son aise
toujours. II estaffecle, nondu chagrin des aulres, maisde
ce quesajoieesttroublee. Cette influence morale produira
sur ses organes digestifs un etat maladif inevitable, si
momenlami qu'il soil, et, par suite, la digestion s'era
lente et laborieuse.
Lorsque les aliments ont (5le porles h la bouche et ac-
ceptes en quelque sorte par le sens du gout (que nous
^ludicrous plus tard ), la langiie les ramasse et les ras-
semble ontre les deux arcades dentaires. La, ils sont
soumis h une trituration qui cesse lorsque la salive et les
diverses mucosites de la bouche les ont completement
penetres et ramollis. Puis, les joues se dipriment, la
langue les saisit de nouveau et, de sa pointe, parcourt
les sinuosiles de la bouche pour ivunir toutes les parcelles
qui doivent conslituer le bol alimenlaire ; alors s'opere
la de^lulilion.
La mJchoire inferieure se rapproche de la superieure.
La langue se place sur la voule palatine de faconii former
une gouttiere inclinee sur laquelle glisse ce bol ahmen-
taire jusqu'a Tisthme du gosier qu'il doit franchir.
Le voile du palais prend une direction horizontale qui
s'oppose au retour des aliments par les fosses nasales.
D'un autre c6te, I'epiglotte pressee par la base de la
langue s'abaisse sur I'ouverture superieure du larynx, et
les emp^che ainsi de penOtrer dans les voies aeri'en-
nes.
Le pliarynx pouss6 en avant par ses muscles eleva-
teursse presenteiUaredcono-edu bol alimentaire, ctpar
ses contractions successivesfacilite son inlroduction dans
XwsophcKje.
Ces premiers temps de I'acte digestif exigent une cer-
taine precision, car il pourrait arriver que parsuited'une
precipitation exageree , I'epiglotte n'ayant pas cu le
temps d'etre abaissee, quelques parcelles d'aliments
vinssent a penetrer dans le larynx, ce qui occasionnerait
de la toux et mftme des vomissements. II est done de
precepte reconnu qu'ii faut manger lentement et boire
de m6me, afin que sulides et liquides, convenablement sa-
tures de salive qui les rend bien digestibles, cheminent
ensuile jusqu'ii roesophago sans devier de leur route na-
tuvelle.
L'ffisophage n'a d'autro fonclion que de transmeltrc le
2i
570
CAUSERIES AVEC MON FILS SUR L'HYGi&NE.
bol alimcntaire Ji restomac qui le recoil par son ouvor-
turc supei'ieure, le ciirdia.
Ici nous anivons au travail rod et principal de la di-
gestion. Lorsque les aliments sont parvenus dans I'es-
tomac, cet organe, qui s'est dilate, augmente tous les dia-
metres de sa cavite, et de cette faron soulii'C les visceres
de la poitrine et refoulc les viscferes contenus dans I'ab-
donien. Sos deux ouvertures, le cardia et le pijlore, se
resserrent.
Les aliments ainsi empruonnrs sont en quelque sorte,
pendant plusieurs lieures, selon leur quantite et leurs
qualites plus ou moinssubstantielles.-broyes une seconde
fois paries contractions repetees de I'estoniac.
Toutes les forces semblent rayonner vers cet organe.
Un frisson general s'cmpare du corps, mais il cesse bien-
tot, et peu h pen, selon la duree et la facilite du travail
slomacal, la circulation generale reprend son activite, la
chaleur se retablit, la respiration devient plus facile et le
cerveau participe k cette surexcitation sympathique.
Or, que s'est-il passe penda.nt ce temps'? La cliymifi-
calion a eu lieu. Le bol alimcntaire a ete reduit en une
pate homogene completement bumectee par les sues gas-
triqucs.
Ce qui n'a pas subi I'assimilation, c'est-a-dire n'a pas
eu les conditions esseutielles h la digestion, est rejete
par le vomissement. Au contraire, touto la masse assi-
Tnilee, le chyme, franchit alors I'ouverture inferieure de
restomac, lep!/(o)e, et se repand dans le duodenum, ou elle
se trouvc en contact arec la bile et le sue pancreatique.
Par ce nouvcau melange, le chyme acquiertdes qualites
nouvelles; il forme deux espcces de matieres : I'une qui
doit etre absorbee, I'autre qui doit ilre rejetee au dehors
apres avoir parcouru tout le tube intestinal. La premiere
est le chyle, Huide que nous connaissons dejJi ; la seconde
est, si je puis etablir cetle comparaison, le noyau de ce
cbyle qui, apres avoir lentement chcmin^ dans toute la
longueur de ce tube, n'en sort qu'apres y avoir laisse
tout oe qui otait susceptible d'etre absorbe dans son
trajet.
Je t'ai parte des vaisseaux cliylifferes, de lours fncuiltes
absorbantes, des valvules conniventes des iatestiosi, et
tu sais, mon oher Ernest, que le chyle arrive dans son
reservoir general, le canal thoracique, est verse dans
une veine, la sous-claviere gauche, oil il se mfile avec
le sang veineux, vient au cceur, puis dansle poumon, oh.
il est mis en contact avec lair pour devenir enfin du
veritable sang.
Pour me mcttre a la port6e de ta jeune intelligence,
je n'ai fait qu'effleurer blendes details scientifiques qui
peut-elre auraient pu te sembler fastidieux. Je n'ai pas la
pretention de te rendre aussi savant qu'un docteur
devrait I'etre; je veux, mon fils, t'instruire en t'amusant,
et puisque tu as si raisonnablement suivi notre petite
causerie sur la digestion, ce soir apres souper, j'intfi-
resserai ton attention par une seconde causerie sur la
classification, rbistoire, les propriiiles et I'liygiene des
aliments.
J. POVER, D.-M.-P.
CAUSERIES AVEC HON FILS SCR L'flldlEAE.
DES ALIMENTS.
Je t'ai dit, mon cher Ernest, que toule substance so-
lide ou liquide susceptible de servir a la nourrilure du
corps, lorsqu'elle a ete introduilc dans le tube digestif,
est designee sous le terme generique d'alimcnls.
Les aliments sont tires du regne animal et du regne
vcgelal. L'homme est omnivore, c'est-a-dire, apte a se
nourrir egalement avec les produils de I'un ou I'autre de
ces deux regnes.
II y a plusieurs especes d'aliments ;
1" On nommo fibrineux tous ceux qui out pour base
la fibrine , ou autrcment dit le sue extrait de la masse
du tissu musculaire. — Ainsi, les chairs de boeuf, de
moulon, etc., sont rangees dans la classe des fibrineux.
2" Les aliments gilalineux ont pour base une sub-
stance de consistance variee, fade, s'epaississant par Tac-
tion de la chaleur formant une gelce tremblotante, par
le refroidisseinent, et qui se trouve en assez grande abon-
dance dans les chairs blanches des jeunes animaux, tels
que le veau, le poulet, etc.;
3° Les albumineux ont une certainc analogic avec les
gelatineux, en cela qu'ils conticnnent une substance blan-
chStre susceptible de coagulation sous I'inCluence de la
temperature k laquelle on les soumet. —Les ceufs, par
exemple, contiennent une grande quantite d'albumine; le
sang egalement.
L'albumineest fort utile comme contre-poison, surtout
lorsque ce sont des solutions mctalliques, comme le cui-
vre ou le mercure, qui compromettent I'existence. —
Ainsi, un melange de blancs d'oeufs avec de Tcau peut
sauver la vie d'une personne enipoisonnee par I'une des
causes deletercs que je viens de te citer.
4° Par aliments mixics on comprend ceux qui possfe-
dent en proportions a pen pres cgales toutes ces propri^tes
diverses, comme los poissons, qui dilV^rent cependanl des
autres chairs en cela qu'ils manquent d'osmazome, priu-
cipe brun, savoureux, que Ton reniarque dans le bouillon
auquel il communiqueunecolorationplusoumoinsfoncee.
5° Les aliments feculenls ont pour principe Vamidon,
substance blanche, seche, insoluble dans I'cau froide,
mais trfes-soluble dans I'eaubouillante. Cette f(5culeamyla-
cee se trouve aboudamment dans toutes les graines ce-
reales : le froment, le seigle, I'orge, le riz, les pommes J
de terre, les chStaignes, etc.
D'apr^s I'opinion du philosophe Posidonius, on com-
menca par se nourrir des grains tels que la nature les pro-
duit; puis bientdt, en voyant la mastication les reduire
en une sorte de pJte, on concut I'idee de les broyer entre
des meules et den faire du pain.
CACSERIES AVEC MON FILS SUR L'HYGltNE.
37)
6" Les mucilagineux coiitienncnt une espece de gomme
peu susceplibk' de fournir dcs materiaux k la nutrition.
Dans cette classe sont les fruits et les legumes frais.
T Les oUuijineujc ont pour base la fecule et I'huile;
ce sont les graines huileuses et certains fruits, comme les
amandes, les noix, etc.
8° Les aliments casceux sont le lait et toutes ses pre-
parations, telles que le beurre, les fromages, etc.
Maintenant que nous avons i'tabli la classification de
toutes les especes d"aliments, il conyient dexaminer leurs
proprietes.
Les aliments /Ibrincux sont les plus nourrissants : leur
digestion est plus lenle a s'accomplir, et par suite leur
«fticicite nutritive plus durable.
Les chairs roties ou grillees alimentent mieux que les
"viandes bouillies.
Celles que fournissent les jeunes animaux se digferent
plus facilement, mais ne nourrissent pas autant que les
chairs d'aniniaux adultes el miles.
La chair des bJtes fauves est completement impropre
•^ la nutrition et a la digestion.
Le f/ibier excite plus I'estomac qu'il nele nourrit.
Les oiseaux qui vivent de grains et de fruits ont une
chair facile k dii^erer; ceux qui vivent d'insectes, de
poissons ou de la chair d'autres animaux, sont depourvus
de qualiles nutritives.
Les poissons se digerent facilement et nourrissent peu ;
quelques-uns sont lourds et pesants a I'estomac; d'autres
ne peuvent etre aucunement employes pour la nourriture.
Le lail peut etre classe parmi les substances alimen-
taires. — C'est un liquide opaque, blanc, plus pesant
que I'eau, d'une saveur douce, et que secretentlesglan-
des mammaires des animaux. — Celui qui a la meil-
teure qualile doit presenter cette particularite : qu'une
seule goutte placee sur I'ongle, au lieu de s'etaler et de
couler, y reste presqu'immobile et sous forme arrondie.
Ce liquide se divise en trois portions. — La premiere,
epaisse, destiniie k former le fromage; c'est le caseum.
La seconde,'verd5tre etmoins compacte, c'est le sHrtim
ou petit lait; la troisieme cnfin est huileuse et se solidi-
fie facilement : c'est la partie bulyrcuse destinee a for-
mer le beurre. — Ainsi, en laissant reposer dans un vase
le lait extrait de la mamcUe d'une vache, par exemple,
on obtient trois couches en quelque sorte de natures dif-
ferentes. •
La superieure est la ci'f me, — la seconde, plus liquide,
est le caseum , et — la derniere, completement liquide,
est le pelH lail.
Ces trois conditions existant dans des proportions di-
\'erses selon I'espece k laquelle appartient la femelle qui
produit cette secretion alimentatre.
Le lait de vache fournit un beurre tre.'i-consistant. Ce-
lui d'Snesseau contraire en donne fort peu. — Le lait de
femme est tres sucr^ et ne contient point de qualites bu-
tyreuses; il ne convient qu'a I'alimentation des .enfants
nouveau-nes.
Le lait de vache sert comme aliment ; celui d'2inesse et
de chevre comme medicament.
Trop souvent la fraude se glisse dans la composi-
tion du lait. — Pour que I'on puisse s'en apercevoir, il
faut que le miSlange d'eau, par exemple, soit dans la
proportion d'un quart environ, et I'instrument appele
pese-Uqueur aidera a la coastater. — Quand il est fal-
sirie par des substances amylacees, on peut decouvrir la
fraude par la remarque des gouttes huileuses qui s'elfe-
vent a sa surface apres I'ebuUition.
Les aiifs se composont de blanc et de jaune. — Le
blanc est de I'albumme pure, il est diflicilea digC'rer; le
jaune au contraire est digestible, et d'aulant plus uour-
rissant, qu'il est d'autant nioins cuit.
Le sang est completement indigeste, quand il n'estpas
fortement assaisonne et soumis a une longue coction.
Le boudin, par exemple, compost de sang de pore,
etc., est un mets que ne peuvent supporter beaucoup
d'estomaes, et qui serait fort nuisible aux temperaments
delicats.
Si nous examinons les diverses sortes d'aliments que
nous fournit le regno vegetal, nous trouvons:
1° Les racines, — Ce sont les poeimes de terre, les ca-
rutles, etc.
2" Les liges et les feuilles, qui ont des proprietes sp6-
ciales.
Ainsi les unes sont rafralchissanles et peu nourrissan-
tes, telles que les asperges, \.;s 6pinards, les choux; etc.,
les autres sont eg dement peu nourrissantes et amines,
comme la chicoree, ou piquantes comme le cresson.
3» Les fruits J peu nourrissants en general.
On les distingue en fruits acides, sucres et acerbes.
Lespreniiersdesalterentet rafraichissent, comme lesceri-
ses, les groseilles, les pommes. — Les seconds etaiichent
la soif, ce sont: les abricols, les figues, les raisins. —
Enfin, ies derniers sont plus loniques; on les classe par-
mi les olives, les coings, etc.
i" Les graines, qui sont de trois sortes ;
Les cerea'cs, dont la culture et I'emploi sont en usage
presque partout, telles que le froment, le riz, I'orge, le
seigle.
Le pain est form^ par la farine oblenue de la mouture
de ces graines, et au moyen d'un m^'lange d'eau dans des
proportions convenables, lorsqu'apres une certaine fer-
mentation on a fait subir ci la pate un certain degre de
cuisson.
Toutes les sraines qui contiennent du gluten et de la
fecule sont propres a faire du pain; mais la farine de
froment est plus speciale que les autres, p.irce qu'elle
contient plus de gluten et se digere plus aisement.
Le pain d'orge et de eeigle purs est plus pesant a
I'estomac ; ce melange bien fait le rapproohe neanmoins
du pain de froment, qui est toujours le meilleur.
Les graines Ingitininciiscs, soit les pois, les haricots,
les lentilles, forment autant d'aliments d'autant plus di-
gestibles qu'elles sont moins seches.
Enfin les graines ('-m-ulsives, telles que les rhataignes,
sont assez nourrissantes, mais difficiles a digerer pour
les estomacs dobiles.
Vols, mon clier Ernest, combien la Providence a entoure
I'homme de moyens utiles k son existence, et combien est
coupable celui qui en profile sans lui en rendie gra-
ces ou qui en abuse pour satisfaire une avidite degra-
danle.
Dans notre prochainecauserie, je t'espliquerai comment
il faut userde toutes ces richosses, et comment il faut on
diriger I'emploi selon les individualiles pour repondre a
la sagesse prevoyante de celui qui a tout cree.
J. POYEB, D.-M.-P.
37-2
PETITS VOYAGES SUR LES RlVlfellES DE FRANCE.
PETITS VOYAGES SIR LES RIVIERES DE FRAXCE.
LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVENIRS.
(suite.)
Sur lo plaleau de ce niont qui domine Moulineaux, exis-
tait autrefois un ehJteau d'iiifei-nal rciiom, celui de Ro-
bcrt-le-Diable ; des ruines informes, vagues comme ses
les^endes, voila tout ce qui nous e:i reste avcc de mer-
veilleiix recits. Ces masses de pierres amoncelees, que
ie teuips a surcliargtes d'arbrisseaux nombreuxet d'une
vegetation pleine de vigueur, indiquent ^ peine I'exis-
lence de quelques constructions. Ce qu'il y a de certain,
c'est que vers Ie nord une tour devait s'elever, et vers le
midi le terrain accidente annonce qu'il |y a eu let un
pont-levis et des fosses.
Ces ruines vous font eprouver de singuliiMCs impres-
sions; il semble que vous assistez a un encliantement, a
une scene de fees, a I'un de ces mysteres dont le chMeau,
au temps de Robert, devait etre le theatre. Cet etrange
monument etsa topographiesont plonges, au point de vue
lies souvenirs historiques, dans I'obscurite et I'indecision
les pluscom|iletos; c'est Ji peine siun fragment de legende,
UB modesle tableau, le recit d'un vieillard ou d'un berger
peuvent fournir sur le pass^ quelque donnte confuse.
Ce qu'il y a de certain seulement, c'est qu'il exista
dans ce chateau, et fort anciennement, un Robert dont les
desordres, les avcntures, les prouesses, et le repentir que
suivit une penitence rigoureuse, ont ete le sujet d'une
foule de recits popuUiires. On salt avec quel liclat I'O-
pera francais a fait revivre cette vieille chronique de nos
peres.
A gauche de Moulineaux, la cote de la Bouille commence
h s'elever; cette cote, au revers siescarpe, que les maisons
paraissent superposees comme sur une etag^re. C'est a ce
village que s'arr^te le bateau qui fait le service de Rouen
h. la Bouille, c'est aussi la que le voyagcur parlant pour
Caen, doit faire charger son bagage sur des chevaux pour
aller prendre, au haul de la cote, la route de Honfleurqui
penetre alors dans I'interieur des terres.
Mais continuous a suivre la Seine dans son cours, et
nous arriverons <i Caumont, dont les carrieres occupent
deux lieues sur notre gauche. Dans une de ces carrieres se
riv.Ms.
Vuc di! I'abltayc dc Saint-Georges de Boclicrville.
trouve une grolte extremement curicuse : c'est une petite
chambre, de forme elliptique, au plafond de laquelle des
stalactites aiguijs et fines pendent ct presentent les cou-
leurs les plus varices, depuis un jaune noii-atre jusqu'a
un blanc eblouissant. La Seine decrit en cet endroit un
immenso circuit, pour envelopper Si gauche la for6t de
Manny ; elle forme alors une presqu'tle et baigne le char-
maut village do Beaulicu, placi5 sur le bord des bois, et
SLR LES RIVIERES DE FRANCE.
575
QueviUon, situfe vis-a-vis, sur la rive opposee ^ renlree
de la foret de Roumare.
C'est aussi sur la lisiere de celle forfit hislorique, a
deux lieues de Rouen, prts de la rive droite de laSeineet
de Saint-Martin, non loin de Quevillon, que se trouve la
cclebre et imposante basilique de Saint-Georges de Bo-
clierville, dans le village de BoclierviUe, dont I'etymologio
a flotte entre Baucheri-Villa et bien d'autres.
Fondee au XI' siecle par Raoul de Tancarville, gou-
verneur et chambellan du conquerant de I'Angleterre, et
I'un de ses compagnons d'armes, ceite basilique, apres
huit cents ans de revolutions, est dans un etat de conser-
vation elonnant; on y remarque surtout un ensemble,
une unite vraiment snrprenante dans le style; iln'estpas
sans interet non plus d'exaniiner les details et le luxe bar-
bare de ses antiques sculptures. — Le style de Saint-
Georges de Bocherville est severe; les arches sent con-
struites dansle syst^me du plein cintre; certaines voutes
ont ete remaniees vers le XU" siocle.
Celte abbaye a joue un role important dans I'histoire de
la Normandie. On Irouvera quelques documents qui s'y
rapportent dans YEssai hislorique et descrijjlif sur I'e-
glise ct Vablmye de Saint-Georges de lioelierville pres
Rouen; in-i". Achille Deville, 1827. Au nombre de ees
pieces figurent des chartes de Guillaume le B4tard, due
de Normandie, de Guillaume de Tancarville, dit le Jeune,
de Richard Coeur-de-Lion, roi d'Anglelerre, de Philippe
leHardi, roi de France; une liste des abbes de Saint-Geor-
ges de Bocherville de 1114 ii 1790, et une autre liste des
sires et chambellans de Tancarville, fondateurs ct bien-
faiteurs de I'abbaye.
Passant ensuite a gauche, devant Bardouville, situe
comme Beaulieu, et Amblouville, oil il fait un nouveau
delour, le fleuve change encore de direclion pour al-
ler absorber les eaux de la riviere de Saint-Austreberte,
non loin d'un bourg h I'aspect agreable et tranquille,
nomm6 Duclair, construit d'une I'acon toute piltoiesque
au sommet des collines qui empechent les eaux de se
reunir trop tot. Le petit quai de Duclair, les navires qui
s'arretent devant ses maisons, le mouvementqui y regne,
font de cetendroitun tableau fortanime.
Depuis Duclair, les bords de la Seine sent semes des
souvenirs des rois de la premiere race. Les Merovingiens
y revivent a chaque pas. A gauche, dans la foi^t de
Mauny, qui attenait autrefois a celles de Bretonne et de
Rouvray, les successeurs de Clovis elablirent plus d'une
fois leur tente sous d'epais ct antiques orabrages. Sur la
droite, dans la presqu'ile opposee formee par la Seine,
s'elevaicnt une grande foret et I'abbaye de Jumiegcs, vi-
sitee fivqiiemment par nos premiers monarques. Aujour-
d'hui , a la place de la fori^t, on ne voit plus qu'un site
marecagcux presque entierement change en tourbiere,
et qui nevaudrait pas la peine qu'on y fit attention, s'il
ne contenait pas les restes de la superbe abbaye de
Jumiegcs.
La Seine s'est dingee en droite ligne depuis Duclair;
mais, arrivee a la Roche, elle fait un coude et revientsur
elle-meme pour baigner le bas des montagnes au som-
met desquelles se trouve le joli chateau du Landin ,
situiS dans un des plus beaux points de vue, sur la rive
gauche. Le Landin a des bosquets et une situation qui le
rendent digne d'etre visile. De ce bel endroit on voit les
clochers et les tours de Jumicges qui s'elfevent surl'autre
rive et etalont les debris de leur anlii|ue splendeur. Plus
pres de nous , en face du Landin pour ainsi dire, nous
pouvons distinguerla charmante maison de Jleiiil-ki-Belle.
Le carartere de mystere et de douceur empreint dans
cette habitation altiredeja le voyageur avant meme qu'il
sache quels en furent les premiers mailres.
C'ejt ici le Mcnil, qui loiijotirs se surnninme
Du nom d'A^^nes Sorcl, que sa beaute reaotnme.
C'etait le manoir d'Agnes, dont vous voyez les rhiffres
sculplessur tous les niurs. Pendant le siege de Caudebec,
Charles VII y vint assister, a son lit de mort, sa jeune et
interessante amie , a laquelle il fit constiuiie un mauso-
lee dans I'eglise de .lumieges. C'est dans celte gracieuse
solitude du Mesnil que les conseils de la chatelaine avaient
raninie le courage du roi et I'avaient excite a reconque-
rir son royaume.
Celte vieille abbaye, fondle en 640 par saint Phili-
berl, fut longlemps pour les cantons des environs une
source d'abondance et de prosperite. Les moines, savants
agricuUeurs, niirent en honneur dans le pays cet art bien-
faisanl, source de toutes les richesses, et surent par d'in-
genieux travaux arreter devant leurs terres ensemencees
les invasions d'uu fleuve quelquefoismenacant. Milleindi-
vidus environ elaient rassembles dans celte sorle de re-
publique que les rois aimaient h visiter. Jlaintenant tout
est desert ; ces plaines couvertes de riches moissons sont
abandonnees, I'abbaye est tombee en mines, mais sur
CCS mines memes sont graves de precieux souvenirs.
Ainsi quand Thomme du Nord, venu celte fois sur les
rives de Normandie pour y enlretenir un commerce paci-
fique, passe devant cet antique monastere d architecture
saxonne,etloutsurpriss'arr6tek en demander les revolu-
tions, on lui repond que ce vieil edifice fut d'abord de-
triiit par Rollon quand il conquit la Neuslrie ; puis, comme
le fils duConquer3nt,Guillaume-Longue-Epee,craignant
les menaces de I'abbe et la colore du ciel , promit, pen-
dant une partie de chasse, de relever de ses decombres
I'abbaye detruite. C'est a Jumieges que Tassillon, due de
Baviere, fut force, pour obeir a Charlemagne, de pronon-
cer, ainsi que son fils, les voeux que lui imposait I'ctal de
moine auquel on le condamnait. C'est encore a Jumieges
qu'on vit aborder la barque chargee des corps muliles des
deux fils de Clovis II, exposes sur le lleuve pour crime de
rebellion, par ce pere inflexible. Depuis Paris, d'oii elle
clait parlie, remborcation fragile, qui porlait les enerves
de Jumicges, descendil lenlenient le fleuve, suivanl le cou-
rant qui I'entrainail ; les pauvres princes furent accueillis
par le saint fondateur du mon.nslere, avec une charilc et
une compassion vraiment chreliennes; el la, dumoins,
les malheureux trouvcrent un exil apres leur supplice.
N'oublions pas de menlionner que les restes magnifi-
ques de celte abbaye, oil eclalent louteslesmerveilles de
I'arcliiteclure religieuse n'ont ete sauves d'une ideitruc-
lion totale et iniminenle que par la soUicitude presque
royale d'un proprielaire a la fois artiste et homme de
coeur.
A partir de Jumieges, la Seine devient deplus en plus
large et, a tous les coudes de son cours, est marquee de
vasles anses semblables k de vrais golfcs qui paraissent
s'(5tendre jusqu'a I'horizon. La niaree se fait de plus en
plus sentir ; deja on enlend ses mugissements, deja on
la voit se briser en barres ecumeuses conlre les collines
374
PETITS VOYAGES
qui enveloppent le llciive. Sur les coleaux tie la rive
gauche se deploie la for(>tde Brelonne I'n un bel amphi-
theatre; elle flit nominee, en vortu d'un (li'crct dela Con-
vention, forSt de I'Unite-Nalionale; mais depiiis elle a
repris son ancien nom. Sur la lisiere dcs hois on apercoit
d'abord Houiteauville, vis-a-vis de Yainville, puis le
chJtcau dc la l!cilleraye;sa belle situation, son pare ma-
gnifique et tous les embellissemenls que ses divers pro-
prietaires y ont ajoutfe tour a tour en font un des plus d^-
licieux sejours qu'on piiisseliabiter. II appailcnait, il n'y
a pas longtomps, & madame de Nagn, (|ui lit d'enormes
depenses pour ajouter aux agremenis de celte demeure
que les voyageurs et les clrangers visitent sans discon-
tinuer.
Mais il nous faut mainlenant un pilote experimenti^,
car la navigation devient de plus en plus dangereuse.
depuis que nous approchons de Caudebec. Nos regards
peuvent contompler dej^ un agrealile vallon oil vient se
Jeter le Fontenelle. C'cst sur los bords de celle petite ri-
viere que s'elevait aulrefoisl'abbayedeSaint-Wandiille,
dont le fondateur, du ni^me nom, etait parent par alliance
des membres qui composaient la fameuse maison de Pe-
pin. Les ruines ne rappellcnt peut-^tre pas des souvenirs
aussi grands que Jumieges, mais elles ofTrent quelque
chose de plus pittoresque. Nous ne rctrouverons la ni
les traces d'actions lieroiques ou cbevaleresques, ni la
place oil I'exil retint des grands hommes enchaines, ni le
sejour des monarqucs, ni le Iheitre d'avcntures mon-
daines; ccs ruines ne nous parleront que de solitaires et
de saints personnages qui n'eurent tous qu'un dfeir,
qu'un but, celui de mcurir ignores.
Dans les mines de Saint-Wandrille lesjeunes filles de
Caudebec ont imagine de transporter le mys(erie:ix se-
jour des fc^es, dont elles se racontcnt, pendant lessoirees
d'hiver, les faotastiques histoires, C'est que ces fragments
d'architecture, ces pans de mur qui menacent mine, ces
piliers et ces arceaux elances, ces voules si hardies, sur-
tout quand le vent vient mugir a Iravers les decombres,
sont bien capables d'elTrayer des imaginations feminints.
Tout cela est si fragile, si prfet k s'ecrouler, que I'hiron-
delle, en efileurant ces ruines de son aile, en fait tomber
a tout moment une pierre, un fragment, dont la chute
sublle trouble le silence profond de I'abbaye. Le temps
n'est pas loin oil ces restes sculptes, comnie suspendus
dans les airs ct mutiles chaque jour par 'a fureur des
orages, cesseront de Jeter la crainte dans V!\me du voya-
geur curieux et de la timide jeune fille.
Sur le versant occidental de la vallee de Saint-Wan-
drille, ou de Fontenelle, se dresse une petite chapelle d6-
dii^e k saint Satiirnin. Le coteau oil elle estsituee, nom-
me par certaines rhartes Mont-des-Vignes , fut autrefois
renomme pour ses vins. Du hant de cette colline on a une
Tue charmante sur le vallon de Caubecquet ; on aperce-
vait jadis I'ile Belcinac, entre Saint- VVandrille et Caude-
bec, lie oil se trouvait I'abbaye de Saint-Coude. Un jour
on cliercha vainement les tours antiques de ce monaslere
et les bois verdoyants qui I'enveloppaient ; tout avait
peri, abime sous les eaux. Puis deux siecles apres , en
I6i'l, on vit rtle reparailre, chargee dequelques ruines;
mais elle ne s'etait remontree que pour peu de jours, car
la maiee vint une seconde fois I'engloutir. Aujourd'hui
on ignore menie la place ou elle etait situee. Seraientce
par hasard les restes de cetle ile errante et mobile que
promeneraient, dans les parages dangereux de Quille-
beuf, des ^cueils caches sous les (lots et toujours de-
places par le (lux et le reflux?
Quant au versant oppose du Mont-des-Vignes, vous le
descendez h travel's des maisons demarinierset quelques
fermcs eparses cJi et la, s'elevant au milieu d'un massif
d'arbres, parare obligee des habilalions charmantes du
pays de Caux dans lequel nous venons d'entrer. Alors
vous voyez s'^tendre sur les rives du fleuve les maisons
pitloresques dune delicieuse petite ville, dontl'origine est
une simple bourgadede p^cheurs. Voila Caudebec, toute
SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
fiere d'avoir dans ses armoiries trois eperlans d'argent sur
fond d'azur. Les niaisons du pcirt, avec leurs terr-jsscs
chargees d'arbustes et de lleurs, rappellent assez cerlaines
villcsdltalie ; le vieux marin deCaudebec, retire sur la
rive de la Seine, oil il voit passer les pavilions qu'il ren-
conlra sur tmt de mors, tient a s'assurer tous les matins
quil n'a pas quitte le sol natal, en regardant avec amour
les roses et les (pillets dont il a orne sa fenetre.
Un mot de Henri IV, devena populaire dans les en-
virons de Caudebec, a rendu celebre Veglise de cette
petite ville : • C'est ici, dit le Boarnais, la plus belle
chapelle que j'aie jamai-; vue. • Cette eglise est en elTet
une des plus remarqnablcs de la France, par le luxe et
la delicatcsse de son architectuie. Le clocher est en py-
ramide, entour^ de couronnes superposees les unes sur
les autres, ce qui au premier coup d'oeil lui donne assez
d'analogie avec les minarets des viUcsd'Orient.
Si Ton passe Caudebec, et qu'on s'arr^te.an pied des
rochers dont le fleuve est borde en cet endroit, le re-
gard se dirige sur un petit edifice de forme carree, dont
la simplicile ne soUicite guere I'artiste, dont I'obscurite
n'atlire pas I'historien, mais auquel les matelols ontvoue
un culte venere et qu'ils s'empressent d'orner de leurs
offrandes apres en avoir fait de loin I'objet de leurs
prieres. Nous parlous de I'ermitage de Notre-Damf-de-
Barre-Y-Va, dont les murailles disparaissent sous une
foule d'ex-voto; on y voit des tableaux voues par les
pilotes k la Vierge au plus fort de la template ; a la voute
sontsuspendus ces petits navires naivement sculptes dans
le bois, que pendant les annees d'une longue et lointaine
captivile, de pauvresmarinsont executes de leurs propres
mains et dedies h la Vierge, comme t^moignage dc leur
gratitude apres la delivrance.
Apres Caudebec, le lleuve fait un brusque detour, et se
partage en deux bras qui formcntune ile,Ia derniere que
Ion trouve jusqu'au Havre. Le bras droit gagne Ville-
quier, dont le chateau, tout moderne qu'il soit, merite-
rait, grikc a sa belle position, a sa structure elegante et
a ses jardins, une visile detaillee ; la rive gauche s'en va
arroser Vatleville, un des anciens fiefs du chateau de la
Meilleraye. Enfin la Seine a reuni ses deux bras, etbaigne
le basdelacote de Norville, que nous voyons sur la droile
etduhaut de laquelle on a un panorama admirable. Au-
dessous de Norville sont situes, surl'autre rive, le village
d'Aizier et celui de Vieux-Pont; c'est 1^ que commence
I'embouchure dela Seine. Le lit du lleuve devient tour i
coup plus large, et Ton distingue au loin le rocher de
Quillebeuf qui s'avance dans la mer, semblable a un fa-
nal destine a guiderles pilotes.
Quillebeuf est la capilale d'un petit pays appeTe le
Roumois, silue entre le fleuve et la villi', qui allait jusqu'u
Elbeuf et constituait autrefois une des subdivisions de la
Normandie. Silue S I'e.xtremite nord du departement de
I'Eure, dont il est le seul etablissenient maritime, ce port
consiste toutsimplement en unroclierlong etetroit, coupe
par des rues en pente, assez mnl bAties, en face duquel
on a construit une jet^e. L'origine de (Juillebeuf, ce mo-
de.'<te Bt^jour, remonte a Henri IV. Jusqu'a ce prince, ce
n'etait qu'un hameau habite pardepauvres pecheurs qui
veg(5taient sur un rocher aride, separes du resledumomle.
Henri TV augments le nombre de ces habitations, fortifia
Quillebeuf, lui accorda des privileges et lui rmposa le
nom de Ilcnriqueville ; mais en cela il echoua comme
Francois I'', qui voulut appeler le Havre Francoiseville.
Quand le mari^chal d'Ancre cut pressenti sa disgrUce,
il pcnsa a lever I'filendard de la revolte et k se rendre
independant dans son gouvernement de Quillebeuf; mais
il fut tu^sur le pont du Louvre. Le martehal avail dejk
commence h construire des retranchements au sud de la
presqu'ile ; et encore aujourd'hui on montre les restes de
fortifications nommes dans le pays la trancMe du mare-
chal d'Ancre. Quillebeuf figura dans I'histoire du regno
suivant par la tentative d'un aventurier, Latreaumont,
qui voulut livrer cette petite ville aux Hollandais.
Presque tous les biitimentsqui naviguent sur la Seine
sont obliges de poser h Quillebeuf, de sorte que ce port a
une importance reelle. En amont, c'est-a-direen remon-
tant le fleuve, si les navires ont un vent et une mar^e
favorables, ils peuvent se dispenser de s'arr^ter a Quille-
beuf et alleindre Villequier; mais en aval, c'est-a-dire en
descendant , forces de passer la traverse d'Aizier a la
pleine merouunpeu plustard, ils ne gagnent Quillebeuf,
qu'a la mer basse et sont forc6sparconEL^quentd'y sejourncr.
Des brouiUards regnent presque conslamment dans ces
parages; malgre cela, de la pointe de Quillebeuf on de-
couvre sur la rive opposde le M^nil et les prairies im-
menses de Bolbec, qui courent depuis les bords du fleuve
jusqu'au bas du chJteau de Lillebonne. Tous les jours, a
I'heure de la maree, un bateau fait le service de Quille-
beuf au Menil.
Lillebonne (Juh'o-Bono des anciens) recut son nom Je
Cesar, qui I'appela ainsi en I'honneur de sa fille Julie.
Ce grand capitaine avail fonde ce poste militaire dans lo
double hut d'avoir dans sa main la navigation du fleuve,
et de pouvoir jouir d'un point de vue delicieux. Ce poste,
vu son utilile , s'accrut rapidement. Bientot il devint la
capitale des Colfetes, dont le pays forme aujourd'hui celui
de Caus; I'empcreur Augusle y avail eleve, pour s'y r^-
creer dans les dilTerents sejours qu'il y fit, un thMtre fort
remarquable dont, tout rccemment, on a decouvert les
traces. Apres avoir ravage Lillebonne, les pirates nor-
mands s'occuperentdelaretirer dusein de ses ruines,une
fois qu'ils furent devenus les proprielaires dela Neustrie.
C'est a Lillebonne que Guillaume-le-BAlard decida la
conquele de I'Angleterre. Aprfes avoir eu pendant de lon-
gues annees pour seigneurs les h^roiques d'Harcourt, le
comte de Lillebonne devint par les femmes la propriety
des dues d'Elbeuf, dont la maison se trouva eteinte en
1702. Celte ville n'est plus aujourd'hui qu'un bourg
assez chetif, avec neuf cents habitants environ, tous tan-
neurs ou filateurs.
Non loin des mines du Iheaire remain, on trouve la
route de Caudebec qui vient les separcr des mines plus
imposantes encore du chateau de Lillebonne, dont la con-
struction remonte au douzieme siecle. On pent monter sur
la plate-forme du grand donjon par un escalier ii vis, et,
de Ih, une vue admirable so dtploie devant vous. On voit
se developper sous ses pieds la vallee delicieuse de Bolbec,
qui va se jeter, avec son ruisseau, dans les flols de la
Seine qu'animent des barques nombreuses aux voiles rou-
geitres agitees par le vent. Bernardin de Saint-Pierre
disait en voyant cet aniiquo castel , autrefois habite par
des petits tyrans qui opprimaient leurs vassaux et pil-
laient les voyageurs : « 11 me semble voir la carcasse et
les ossements de quelflue bSte fi5roce. » Ce manoir a pour
proprielaires actuels les princes de Cro'i.
CAUSERIES AVEC MA FILLE
De Lillebonne a Tancarville il y a une distance raison-
nable ; ces chemins ont le caraclere qu'avaient les envi-
rons de toiile habitation fOodale : dcscollines semblables h
desremparts, des gorges qui ont I'air de fosses; puis d'^-
paisscs brouss:iilles bien propres a caclier quelque er.i-
buscade.des clairieres rares il est vrai, niaisou Ton pou-
Taitse rejoindre el metier les mamsaqui avail plus belle
amie. A mi-chemin, nous voyons sur la hauteur un
moulin, celui-la probabjcment qui, du temps de Philippe-
le-Bel, fut cause de combats sanglants cntre les deux sei-
gneurs du pays.
Enfin, sur lapointe du promontoire,et sur un roc coupe
presqu'i pic et dominant le fleuve. se dresse le chiiteau
de Tancarville avec scs ruines majeslueuses qui r^velcnt
encore son ancienne splendeur. Co chateau eut longtemps
pour botes les comtes de Tancarville ; puis il fut vendu
au fameux ficossais Law, de financiere mt'moire , passa
plus tard dans les mains du marechal .Suchet et entra en
dernier lieu dans le domaine des Montmorency, qui en
sontaujourd'hui les proprietaires. C'est, nous a-t-on dit,
au sein de ses murailles toujours bruyantes et sous ses
vieuxarceaux,quundenospoctes,M.Lebrun, a esquissi5
le plan et les scenes de sa tragedie de Marie Stuart.
A partir de Quillebeuf, Tembouchure de la Seine a une
largeur qui lui donne, k la maree haute, quelque chose
de majestueux ; en revanche, k la marine basse, elle n'of-
fre plus k I'ceil que quelques canaux qui rostent libres au
milieu de bancs de sable fenormes, deplaces chaque jour
par le flux. Apres chaque reflux, d'intrcpides pilotes es-
sayent de deviner lequel de ces canaux peut servir
de passe le plus sfirement; et des que le flot est venu, ils
fechargent de diriger les navires qu'on vient leur con-
fier, il serait de la derniere imprudence de s'engager
dans ces parages sans Hre bien pilote.
A I'opoque des hautes martes , aux equinoxes, aux
pleines et aux nouvelles lunes, quand le Hot arrive, s'il
est pousse par un fort vent d'ouest , le lit de la Seine se
remplit tout a coup d'une masse d'cau enorme qui atteint
quelquefois jusqu'a vingt pieds d'elevation, et s'avance
avec une telle rapidite qu'un cheval lance au galop
pourrait k peine I'eviter. On donne a celte montagne hu-
mide le nom de Barre ; el, comme elle arrive en sens
contraire vers le courant du fleuve, elle engage avec lui
une lulte dont les effets soni souvent epouvantables.
En arrivant a Quillebeuf, les flots de la maree mon-
tanle, enlles, amonceles, roulent avec fureur dans le lit
de la Seine dont ils refoulent au loin les eaux. On en-
tend, k deux lieues de distance, un bruit sourd; les bes-
tiaux cessent de paitre et abandonnent les frais rivages.
L'epouvante est generale sur les deux rives du fleuve, et
le cri bien connu de la barre! la barre! r^pele par des
milliers de voix pleines de terreur , avertit le pro-
pri^taire riverain que le flot menace sa maison, ses
champs ou ses usines.
Cette barre remonte jusqu'^ Rouen, oil elle se fait
sentir quelquefois assez forlemcnt pour que les vais-
seaux, trop rapproches les uns des autres, s'entre-cho-
quent et rompent leurs amarres; elle se manifesto jusqu'a
Pont-de-l'Arche. Dans son cours imp^lueux , ce pheno-
mene funcste degrade les rives du fleuve, ravage et em-
porte tout ce qui se pri^sente, et roule bien loin sur les
plaines basses un gravier sl^rile et un limon inutile. On
lui a oppose les digues les mieux cimentees, il a tout ren-
verse, tout detruit. A. L. Ravergie.
CAUSERIES AVEC MA FILIE SUR LA CHIMIE LA PLUS ELEIIENTAIRE
ET SES APPLICATIONS.
"-■'est un gaz qui forme environ
la cinquieme parlie de Pair que
nousrespirons et les huit neu-
viemes de I'eau. II fait partie de
presque tous les corps qui exis-
tent; de lui dependent les phe-
nomenes de la vie chez les ani-
maux et les vcgetaux, les phe-
nomenesde la combustion, de la
fermentation, de la putrefaction,
etc., etc.
De tous les elements qui con-
stituent le monde que nous habi-
tons, I'oxygene est done un des
plus repandus et des plus im-
porlants k etudier.
II fut isole et d^couvert par Priestley, en 1774, mais
c est Lavoisier qui fit connaitre le roleimmense qu'iljoue
dans la nature. C'est de la que date la chimie moderne.
II est sans couleur(peut-etre,vu en grande masse comme
I'air, pri'senlerait-il comme lui une faible coloration
bleue). II est probablement sans odeur. II est plus pesant
que I'air. II entrelient la combustion avec une ^nergie
excessive, car un morceau de fer ou de zinc assez mince
que Ton y plonge, portant a son extr^mite un petit mor-
ceau d'amadou allume, brdle dans ce gaz avec une lu-
miere dont la vue ne peut pas supporter I'eclat. Les glo-
bules fondus penetrent souvent a travers le vase en verre
dans lequel on fait I'experience.
Un courant d'oxygene dirige sur la flamnie d'une
lampe, produit un jet dont la chaleur est sufTisante pour
fondre le crislal de roche ainsi que plusieurs pierres pre-
cieuses ; le platine ' lui-mSme]semble y briiler en scin-
tiUant.
Lorsque les animaux le respirent degage de tout autre
gaz, leur circulation s'accelere, ilsparaissent tres-vifs et
tres-animes, et semblent etre fortement surcxcites. II se M
produit dans leurs poumons une violente inflammation 1
1 Le plaline est im mcUl blanc. infusible au plus violent feu de forge. Pou
d'agenls ont de Taction sur lui. II a moins de valeur que I'or.
i
SUR LA CIIIMIE.
377
qui les desorganise et produit la mort. Nous verrons
plus tard que la respiration est uno veritable combus-
tion.
II tend k s'unir ii presque tons Ics autres elements, et
cetle union a recu le nom gen(?ra\ de combuslinn, qui ne
s'opi're toujours qu'avec un degagenient de choleuret de
lumiere.
Tu n'ignores pas que quand tu allumes une bougie ou
du charbon, ces phenonifenes se manifestcnt et que la
bougie ou le charbon disparatt. lis ne sont point an^antis
pour cela, car rien ne se perd dans la nature; niais ils
s'unissent avec I'oxygene sous forme de gaz et de vapeur
que nous etudicrons bicniot, et si Ion recueille ces gaz et
cetle vapeur, on retrouve exactement le poids de I'oxygene
et des corps avec lesquels il s'cst uni.
L'oxygene a ele appele air dc feu, air vital, air
pur, etc. II rallume une bougie que Ton y plonge, si elle
presenic seulement quehjues poinis oi'i d y avail du feu.
Tous les corps de la nature pouvant done s'unir avec
I'oxygene ont recu le nom de corps combustibles, etceux
unis avec I'oxygene ont ete appeles corps brules ou oxy-
gencs.
On partage ces corps brules en deux classes. Ceux de
la premiere ont ordinairemeni une saveur aigre plus ou
moins prononcee, et font rougir plusieurs couleurs ve-
getales bleues ou violettes, nolamment la teinture bleue
de tournesol '. On les a appeles acides. Ceux de la seconde
classe, qui ordinairemeni renfernient nioin; d'oxygene
que les precedents, font au contraire le plus souvent
bleuir les couleurs que les acides onl rendues rouges; on
les appelle oxydes.
Un mi5me corps simple pent, en s'unLssanten quanlites
diverses avec I'oxygene, former plusieurs acides et plu-
sieurs oxydes.
On donne a I'acide qui renferme le moins d'oxygene,
une terminaison en eux , et a I'acide qui en renferme le
plus, unelerminaisonen t'^i/f ; parexemple, pour Icsoufre
et le pbosphore, ou dit dans ces cas : acide sulfureux,
acide phosphorcux , oxyde sulfurique , oxyde phospho-
rique.
La manierede designer les oxydes est encore plus simple,
car on le fait par leur numero d'ordre. Le plomb, par
cxemple, forme trois composes avec I'oxygene ; le moins
oxygene s'appelle protoxyde, le second deuloxyde, et le
troisieme tritoxyde.
Vols combien est simple le langage ou la nomenclature
moderne qu'ont fondee Guyton de Morveau, Lavoisier,
Fourcroy et Bertholet. Quand, par exemple, je dis oxyde
de zinc, on comprend que ce compose est forme d'oxy-
gene et de zinc. On le dcsignait autrefois sous les noms
tres-insignifianis pomphalix nihil album lana pliiloso-
phica. D'aulres corps recevaienljusqu'a six noms, qui ne
pouvaient que charger inutilement la memoire sans ex-
primer leur composition.
Aujourd'hui, la plupart des composes qui pourrontStre
decouverts ont leurs noms assignes k I'avance.
L'oxygene a peu d'usage. On en a essaye I'emploi dans
des cas dasphyxie.
Appareili pour preparer I'oxygene.
On prepare le plus souvent I'oxygene en chauffant un
oxyde, nolamment celui de manganese.
A Cornue dans laquelle on met Toxide.
B Fourneau dans lequci on place cetle cornue, au col de
laquelle on ajuste un tube C, par lequel le gaz se rend
dans une cloche ou eprouvette, remplie d'eau elrenversee
iur ce liquide.
D fiprouvelte vue isolement.
E Tfet perce d'un trou, et dont le bord est echancre
pour le passage du tube qui conduit le gaz de ce l^t a
I'eprouvette.
Chaque bulle de gaz qui entre dans celle-ci s'cleve a
sa partie superieure et en chasse un volume d'eau egal a
celui de cette bulle. L'eau se trouvedonc entierement rem-
placee par le gaz.
1 Se Iroiive dans le commerce en petits pains de forme cnl.iqne dont on
erlrail l» maliere coloranle en les mellanl dans Teau. On prepare ces pains aiec
le lichin rocella o.i asec la mousse de Suede, que ron melange aiee de la cliau J,
de I'uriue et de la pntasse.
UVDBOGENE.
On I'appelait air inpammahle. II n'exisle pas libre
dans la nature et n'a ijlc bien connu qu'en 1777.
C'est le plus Itjger de tous les gaz ; il pese plus de qua-
torze fois moins que I'air. II est sans couleur, sans saveur
et sans odeur. II brule avec une lumiere tres-peu visible.
Aucungaz inflammable ne pouvanl entretenir la combus-
tion, il ijtcintdonc les corps allumes que Ton y plonge. II
donne des composi>s qui ont beaucoup d'analogie avec les
melaux, eton est en droit de le regarder comme un corps
metailique gazeux.
Deux \olumes, par exemple deux litres d'bvdrogene me-
langes avec un litre d'oxygene, s'unissent direclement si
Ton y met le feu et disparaissent en entier. II en resulte
une violente explosion et de l'eau. C.clle-ci est done formee
de deux volumes d hydrogene et d'un volume d'oxygene;
ou en poids de 12 1|2 d'hydrogene et de 100 d'oxygene
combiitrx ensemble '. Le mot hydrogene veul dire gene-
raleur de l'eau.
378
CAUSERIES AVEC MA FILLE
11 ne peut s'unir dircclcmcnt qu'a-vec un autre gaz ap-
pele chlore.
II existe dans la composition do tous les vSg^taux et de
tons les animaux.
Le fer cliaulTe au rouge dans un courant d'hydrogene
devient tres-dur. 1,'argentct le cuivre y deviennentau con-
traire fort mouset pi-esque aussisoiiplesquedii plomb. On
devrait dans les arts mcttrc h profit ces proprietes remar-
quables.
Son poids exlrjmement leger le faitservir pour emplir
les aerostats, mais il passe a (ravers los tissus; on lui pre-
ffere, surtoutpour les voyages d'une certaine duree, le gaz
d'eclairage estrait de la distillation de la houiUe quoique
beaucoup nioins leger.
1 hectolitre d'air pese ^ 29 gr. 95 c.
1 hectolitre d'hydrogeno 8 gr. 93 c.
Difference 1 21 gr. 02 c.
Un ballon rempli de 1 hectolitre d'hydrogene et plongii
dans I'air, peut done soulever un poids de 121 grammes
y compris le poids de son enveloppe qui, pour les grands
ballons, se fait ordinairementen soie recouverted'un ver-
nis dont la base est le caoutchouc. Une enveloppe bien
faite pese environ 23 grammes par hectolitre. Depuis pen
de temps, on fait un emploi tres-avantageux d'un me-
lange d'hydrogene et d'air pour souder le plomb avec le
plomb lui-meme, c'est-a-dire sans aucun autre metal
Btranger. On dirige un jet enflamme sur les parties du
metal que Ton vcut reunir.
L'hydrogene, melange avec I'oxygene dans les propor-
tions qui peuvent former I'eau, et employe en forme de
jet, produit, quand on I'enflamme , une des plus haiiles
temperatures. Pour empecher la flamme de se communi-
quer au melange explosif , on place dans le conduit un
certain nombre de toiles metalliques tres-serrees.
En Angleterre, on a employe ce melange endainm^, di-
rige sur un corps solidc, qui, chautle au blanc, devient
1 CombiTtaieon veiil ilirc union intimc des corjis, qui alors forjrent des
corps nouveun\. Lorsqiie ilos ludlieres nc sunLqiie mtiUnijiiea, ellos ne suliia-
sent ancuno lransfonn.ition. Awtujt d'enlLunmer le melange d'liydrof;enc ab
d'oxygene, lis restenl a reUt de gaz-LeuD ccMnbtnauon produil de I'eau, qui ne
resscmble ccrlaineminl en rien aux pt'emenh qui la romposenl.
Nous verrons que Tair c^l foiinii d'un melange de gaz ovv^^ne et d'nn autre
gaz appele azote. S'il arrivail qnc ces deux gaz se combinaesent, nous serions
iinmediateinent aspliyxies , car de cette combinaison resulteraient des osydes
d'azote, des acides azoliques (xapeurs nitreujes et eau forte).
assez lumineux pour des tel^graphes de nuit. Un kilo-
gramme d'hydrogene qui brule produit une chaleur qui
mettraiten ebullition 344 kilogrammes d'eauou quifon-
drait 430 kilogrammes de glace.
Un meme poids de charbon produit trois fois moins do
chaleur.
On pri^pare ordinairement I'hydrogfene avec un melange
d'eau, d'acide sulfurique et de debris de fer ou de zinc
dans les proportions qtii suivent : Pour obtenir 10 litres
de ce gaz, par exemple, on prend 268 grammes d'eau,
88 grammes d'acide sulfurique, 58 grammes de zinc ou
1 9 grammes de fer.
On lobtient encore en meltant de la tournure de fer
dans un tube que Ion chaiilTe foptement, et ii travers le-
qucl on fait passer lentement un courant de vapeur d'eau.
Celle-ci, dans I'un et I'autre cas, se trouve decomposee.
Son oxygene s'unit au metal, et l'hydrogene devenu libre
se degage.
PREiMIER PROCEDE.
A 'Vase danslequel on met de la grenaiUe de fer ou de zinc.
BTubeplongeant dans I'eau par lequel on verse I'acide.
C Tube pour I'licoulement du gaz.
D Epiouvelto que Ton emplit J'cau, qui est remplacei;
par le gaz.
nmiTTT
A{i[>iri;ils pour preparer I'hyilrc
SUR LA CIIIMIE.
379
SCCOND PROCKDE.
E Cornue dans laquelle on fait bouillir de I'eau.
F Tube traversant un fouineau.
G Tube pour I'ecoulement du gaz.
H Cloche pleine d'eau, dans laquelle se rend le gaz.
Nous venons devoir qu'elleest. fornice de deux volumes
d'hydrogene et de un d'oxygene, combines. Cetk'grande
decouverte a H6 un pas immense.
L'eau est unedes parlies constituantesles plus conside-
rables de noire globe. Elle forme plusdes troiscinquiemes
desa surface. Son role est immense dans tous les pbeno-
menes de la nature ; elle est indispensable a I'exislence
des animaux et dcs plantes, qu'elle conslitue en partie.
La plupart des mineraux out ete formes dans son sein.
Elle e.xisle sous toutes les formes. X I'etat solide, elle
conslitue vers les terres polaires des montagnes de glaces
perpetuelles au niveau des mers ; mais, a d'aulres lati-
tudes, ce n'cst qu'ii une hauteur assez grande qu'on les
trouve.
Lesbauteursou les neigess'acrumulent successivement
augmentent rapidement eu allaut du pole ^Tequatcur.
Vers le 70° degre de latitude elles commencent a 1030 m.
Vers le 43= id. ill. 2930 m.
Vers I'equateur id. id. iSGO ni.
Ces amas de neigcs eternelles et celles accumulees dans
les bassins et les valleeseleves, constituent d'immenses
glaciers permanenls. Les avalanches forment des glaciers
accidentels a des hauteurs beauceup moins grandes. Ce
sont ceux quo Ton a le plus visiles. On les a sou-
vent compares h une mer agitee par la lempete, et ils for-
ment I'un des plus effroyables spoclaclcs de la nature.
Les glaciers les plus remarquables dans nos climats
sont au Mont-Blanc et dans les Alpes. Pres Chamouny on
trouve le glacier des Bois, qui a cinq lieuesde long. Au
nord-ouest de saint-Gothard on remarque I'immense gla-
cier qui forme la source du Rhone. On trouve aussi do la
glace dans des grottes et dans dcs caverncs.
L'eau forme enfin lagelceblanche, legivre.lagr^le, etc.
A I'etat liquide, elle forme les mers, les lleuves, les
lacs, etc.
Aretatdo vapeur, cllepcoduit dans ratmosphere celle
humidite invisjble qui se condense par le refroidissement
etdonnela rosee, ou ocwsionne lesnuages, les brouillards
et les brumes quand cette condensation n'est qu'incom-
plete et que l'eau y existe sous forme de vesicules Ires-
tenues , suspendues dans ratmosphere comme de
pelits aerostats. Le diametrede ces vesicules aqueuses est
d'environ 1/133 de millimiitre. Elles ne pcuvent etre re-
gardecs comme de la vapeur aqucuse (qui est toujnurs in-
visible), mais comme de l'eau tres-divisee et alTectant
un ^tat particulier. On les appelle cependant vapeur ve-
siculaire.
La quantite d'eau contenue dans ratmosphere est con-
siderable, car, en 24 heures, une masse d'eau quelcon-
qiie diminue de 1 millimetre de hauteur en moycnne,
h la temperature ordinaire. Un metre carre 6vapore done
1 litre (ou 1 decimetre cube) d'eau en 24 heures, et un
seul kilometre carr6 de la surface de la mer (5vapore
dans ce court espace de tj'mps 10,000 hectolitres.
On doit ajouter k cela l'eau en vapeur qui s'exhale de
la lerre humide et celle que produit la transpiration des
vegetaux et des animaux. Elle est pour chaque arbra
d'environ 12 kilogrammes en 2i heures, et la transpira-
tion d'un homme donne environ 1 kilogramme de vapeur
(ou 1 litre d'eau). J'appelle ici transpiration, non-seule-
menl celle qui a lieu par les pores de la peau, mais sur-
tout celle qui s'effectue par le jeu des poumons. II y entre
par jour environ 18,7S0 Hires d'air, qui en sort a la tem-
perature du corps ou 37 degres, et eel air en sort entiere-
ment charge d'humidite.
Get immense reservoir d'eau suspendue dans I'almo-
sphere a I'etat de (luide elastique, ne forme cependant en
nioyenne que la soixante dixieme partie de son volume.
Dans les ouragans, la vitesse de I'air est d'environ
26 lieues & I'heure et de 6 lieucs en temps ordinaire. Ce-
lui de I'equateur et celui du p61e ne mettraientguere que
8 jours pour se rencontrer. Cette vitesse produit dans les
couches atmospheriques un equilibre d'humidite qui n'est
trouble que dans quelques circonstances.
La quantite d'humidite contenue dans I'atmosphere est
(onjours en rapport croissant avec sa temperature.
Tu sais bien qu'en ete, lorsqu'on apporte une bou-
teille de la cave, I'air q;,ui vient la frdpper y laisse
de I'humidite ; et qu'en hiver, I'air chaud de nos appar-
temcnts depose sur nos vilres refroidies des dessins cris-
fallins en forme de feuilles de fougere, ou une quantity
d'eau souvent fort incommode.
Cela t'explique le phenomene de la rosee, qui se pro-
duil lorsque.sous un ciel pur, la lerre, operant son rayon-
nement, c'est-ii-dire cedant sa chaleur k Tespace sans en
recevoir en echange , les couches atmospheriques qui
viennent fiapper a ces parlies refroidies se refroidissent
elles-memes et deposent I'humidite qu'elles ne peuvent
plus contenir.
Par un ciel convert il ne se forme point de rosee, parce
que les nuages empechent le refroidissement de la lerre.
Si celle-ci leur envoie de la chalfiur, elle en recoil d'eux
a son tour.
Quant a la pluie, elle est produile par des courants
d'air froid qui, se m^langeant ii des couches d'air plus
chaud:, condeosent une partie de la vapeur qui y est con-
tenue eteu fbrmenl de la vapeur vesiculaire, qui ensuite
se condense complelement.
Ce que je viens de I'exposer cxplique pourquoi il pleut
bcaucoup plus dans les pays meridionaux que dans les
autres. Par exemple, a Cumana (Colombie), oil la temp6-
perature est de 27 a 34 degres, il lombe par an une
couche d'eau de 2 metres 43 centimetres. A la latitude
de Paris, celle couche n'est que de 0,48 a 0,50 centi-
metres, ou environ cinq fois moindie.
3S0
L'AIGLE.
UlSTOIRE NATURELLE.
Ii'AIGIiX.
Ucbout sur la cime escarpoe d'lin pic desAlpesoudes Py-
renees, le V05'a.;;pur contemple aver ndmiialion la nature
toujours belle, meme lorsqu'elle n'offreaux yeuxque mines
et desolation. Les hautes montagnes couvertesd'une neige
eternelle, les roehers dcchires, les torrents qui bondissent
en ^cumant, quelquessapins hardiment jetessur les bords
d'un abime, captivent tour i tour ses regards; mais il
manque la vie a ces scenes sublimes, il y recherche la
presence de quelques etres animes.
Toutk coup un chamois parait, il bondit avec legerele
sur la corniche d'un roclier, d'autres le suivent et sem-
blent se jouer pres du gouffre, oii lemoindre faux pas peut
les precipiter ; mais un d'entre eux a leve la t^le, il fuit,
il se pr^cipite, tous les autres le suivent ; qui peut causer
cette Icrreur soudaine?
Un aigle a paru dans la haute region des airs, et, rapide
fomme I'eclair, il s'elancait sur la proie facile qu'il aper-
cevait, lorsque le chamois agile a fui dans une relraite im-
penetrable; et c'est un lievre retardatairesur la cimeplus
humble d'unecolbne que le tyran des cieux portera dans
son aire pour servir de pature b 'ses petils alTames. Telles
sont les scenes qui se repetent dans les bautes montagnes,
et qui sont en harmonie avec I'horreur el I'aprete des
sites.
L'aigle a de tout temps ete nomme le roi des oiseaux et
les naturalistes en comptent Irois especes : Vaigle royal
ou grand aigle, l'aigle commun et le }>e(il aigle. Tous pos-
sedent certaine pliysionomie commune qui les place dans
t.'ai^le po'iituivant im lie
la meme famiUe, maisilsse distinguentles uns des autres
par la taille et par des particularites de caraclere;
car le petit aigle ne partage pas le courage brillant des
deux aulres, et au lieu de planer en silence dans les cieux
comme dans son empire, il fait entendre souvent un cri
plaintif que repetent les cchos des montagnes.
Dans les aigles, comme dans presque toutes les families
d'oiseaux de proie, la femelle est plus grande que le mb\e,
mais celi/i-ci est plusimpetueux, plus farouche et plus in-
traitable.
La femelle de l'aigle royal a jusqu'a trois pieds et dem
de longueur depuis la pointe du bee jusqu'a I'extreniite
des pieds, et jusqu'a huit pieds et demi ou neut pieds
d'envergure.
Le bee de l'aigle. est fort, crochu, de la couleur d'une
coriiebleuatre, dales ongles noirs el Iranchants; sa force
est telle qu'il enleve facilement les li^vres et m^me les
jeunesagneaux : lorsque les animaux dont il fait sa proie
sont trnp lourds pour elre transporles, il les devore en
partie et abandonne souvent le reste.
SCfcNES, RfiClTS,
II n'habite pas seulement les montagnes de I'Europo,
mais aussi cclles de I'Asie et des parties froides de I'A-
merique; il parait nieme qu"il esl peu sensible aux va-
riations de la temperature, car, son vol etant extrSme-
nient elevc', lorsqu'il descend dans les plaines il passe
presque sans transition des regions ijlacees de I'atmosphere
dans celles on les rayons du soleil se font le plusvivenient
senlir.
L'aigle royal a le cri fort et percant, son regard est
d'une extreme vivacitii ; on a mc^me pretendu, mais sans
apporter d'autres preuves qu'une tradition populaire, qu'il
regarde le soleil en face sans etre.febloui par sa lumiere,
mais on nous permettra d'en douter. Get oiseau, quoique
d'une extreme terocite, n'a pas les instincts bas du vau-
tour, qui s'acharne sur des charognes infectes; l'aigle,
quelque presse qu'il soit par la faim, n'y touche pas,
mais il chasse seulement alors avec plus d'activite le gi-
bier vivanl ; c'est surtout lorsque ses petits sent trop
jeunes pour pouvoir par eux-memes suffire a leur sub-
sistance, que le pere uu la mere poursuiventa outrance
les animaux.
L'aigle est I'oiseau dont la vue est la meilleure, et elle
lui sert plus que I'odorat pour la chasse a laquelle il se
livreavec ardeur; lesvautours, au contraire, sentent ad-
mirablement, et les moindres (Emanations apportees par les
vents les guident vers la proie.
L'aigle fait son nid, que Ton nonime aire^ sur la cime
de quelque rocher inaccessible, dans un lieu sec autant
que possible et garanti des vents ; il est compose de petites
perches de cinq ou six pieds de long, qui sont entrelacees,
puis recouvertes de pluiieurs couches de bruyere et
d'herbe seche. II parait que I'aire, une fois construile, de-
vientson domicile habituel et de toute la vie.
Comme lous les grands animaux carnivores, il est in-
sQciable, et c'est lout au plus s'il s'astreint a la vie de fa-
mille; jamais il ne se reunit en troupes nonibreuses, la
mesinlelligence s'y mettrait trop vite, les bees et les ser-
res ne larderaient pas a ensanglanter I'arene jusqu'a ce
((ue le plus fort reslat seul roi et mailre absolu par droit
de comiuele.
L'aigle change de couleur avec I'age; il est d'abord d'un
jaune pale, puis il devient fauve, et en vieillissant, ses
plumes blanchissent en partie. Dans le Nord surtout, il y
en a qui sont presque blancs.
AVENTURES, ETC. 381
L'aigle commun est de couleur brune ou noire, il
existe une moins grande diflerence de taille enire le mSle
et la femelle (|ue dans l'aigle royal; il a Tins des yeux
couleur noisette, la peau qui couvre la base du bee d'un
jaune vif, le bee couleur de corne bleuSitre, les doigts jau-
nes et les ongles noirs.
lU'duit en captivite, l'aigle devient triste et de plus en
plus farouche, il accueille du bee et de la griffe tout ce
qui I'approche; la servitude I'irrile, il lui fautses monta-
gnes neigeuses, ses pics desol^s et les sonibres nuages
au-dessus desquels il aime a planer en liberte.
Les peuples anciens, qui I'avaient presque divinise,
en faisaient le compagnon du maitre des dieux, dont il te-
nait la foudre dans ses serres ; les augures consuUaient,son
vol et en tiraient des presages, qu'ils trouvaient toujours
moyen de justifier d'une nianiere phisou moins specieuse.
Personne n'ignnre que les Remains prirent ce roi des
airs pour embleme de leur nationalite ; les aigles romaines
parcoururent viclorieusement les trois parties du monde
alors connues ; comme depuis les aigles de la France gui-
derent la grande armee jusqu'an jour oil ils furent arr^-
tes dans leur vol par la trahison.
Olivier Le Gall.
SCEIS, RECITS, AVE\TCRES EXTR.\1TS DES PLUS REGENTS VOY.IGES.
UNE VISITS A ISPAHAN'.
Le 5 fevrier 1833, nous quittames le toit hospitaller de
I'ambassadeur d'Anglelerre ' a Teheran ; et nous nous
mimes en route pour Ispahan. Notre suite formnit un
cortege d'un aspect assez imposant : elle consistait en
nn Mehmandar ^, un Jellowdah ', un Pischkimoud *;
1 Sir J.lin Camplifll.
2 tin Mi'limandar est tin officier charge d'accomp,ignerle3 voy.ii,'eurs en Perse,
itc \iauy%t)[r a leiirs besoins el de les prolcgcr.
3 Ln Jellov\dnli, est un groom en cbef.
* Lc Piiclikidiiioiid est un doniestique cliarge du service exclusif du raaitrc.
un cuisinier (natif du Bengale), et deux Metliers ', pins
un mulctier charge de conduire nos quatre mulels por-
tant nos bagages. A I'exception du cuisinier et du mu-
lelier, qui etaient perchtjs sur les bagages, le resle de la
troupe etait a cheval. La plaine de Teheran f^tait couverte
d'une neige tres-epaisse ; il n'y avait de praticable^que
le sentier que nous suivions.
Le soir nous arrivames a Karinogird, vaste caravanse-
rail situe a environ six fursuks de la capitale; nous y
passames la null, car nos bagages, que nous avions de-
1 Un .Mellier est un palcfrenicr ordinaire.
3B2
SCENES, RfeCITS
passes en chemin, se trouveront retardes et n'arrivereiit
point. II s'ensiiivit que nous fumes obliges de dormir sur
le sol avec nos seuls manlcaux pour couveiture. Ce fut
k I'obligeance d'un autre \ayageur que nous fumes rede-
vables de quelqucs vivrcs. Notre muletier n'arriva quo le
lendemain dans lapr^s-midi, parce qu'il avait jiige a pro-
p06 de s'arreter chez quelqucs amis qui habitaient un vil-
lage sur la route. II rcrut du Mehmandar une bonne cor-
rection qu'il n'avait pas vol6e.
Le 7, nous quittfinies le caravcnserail, et, vers le mi-
lieu du jour, nous sortimes de la region des neiges pour
entrer dansle desert sale, oil nous cheminamesjusqu'au 9,
jour auquel nous arrivames a Koum, de grand matin.
Koum est une grande ville, quelque peu en ruine, bien
que le schali Tail restauree de son mieux depuis qu'il est
monte sur le trone. A son avenement au pouvoir, il
exempta les habitants de I'obligation de payer aucun tri-
but, etilleuraccorda,enoulre quelqucs autres privileges;
c'fetait le resullat d'un voeu qu'il avait fait lorsqu'il etait
prince royal. Cette ville est bien plus grande que Tehe-
ran, et, vue du nord-ouesl, elle olfre un aspect trfes-pitto-
resque. Elle est renommee pour sa poterie. La principale
mosquee est cel^bre comme lieu d'asile; ceux qui s'y re-
fugient ne peuveiitelre inquietes, quel quesoit le crime
qu'ils aient conimis.
Le 10, nous passimesla nuit dans un caravanserailap-
pele Passangoune. A partir de cet endroit la route rcde-
vint rooheuse et fort en pente,; elle tjtait, en outre, cou-
verte de neige. Depuis que nous avions quitte Teheran,
la contr6e que nous avians parcourue fetait la plus nue et
la plus monotone qu'on se pursse imaginer, un triste de-
sert borne par des montagnes, et que n'egayait I'aspect
d'aucun arbre, si ce n'est ii I'approche des villages, les-
, AVENTURES
quels jusquc-lJi n'avaient et6 qu'en petit nombre. Les
caravanserails sont, a peu d'exceptionspres, les seuls en-
droils oil le voyageur puisse se rcpaser sur la route; on
les rencontre, en general, a une distance de six a liuit fur-
suks ' I'un de I'autre. Maisil faut bien se gardor de con-
fondre ces caravanserails avec des auberges ou I'liflte et
ses garcons se disputent I'honneur de vous servir. Un ca-
ravanserail est un b.itiraent rectangulaire a un 6tage, oil
Ton trouve de nombreuses cellules qui d'ordinaire sont
toules remplies d'ordures. Ces refuges sont inhabit6s, si
ce n'est par les voyageurs qui s'y arrCtent pour y passer
la nuit. On ne pent s'y .procurer d'aliments, et il faut que
cliacun transporte h dus de mulct les vivres et les objels
de couchage dont on a besoin.
Le 11, nous arrivSmes ^ Seinsin, oil, par une coinci-
dence assez etrange, dontj'eus la preuve par une inscrip-
tion quejelus sur une parlie de mur, sir Hartford Jones,
ambassadcur d'Anglelerre h la cour de Perse, s'elait ar-
rete preciscment a pared jour, vingt ans auparavant.
Apr^s une longue traite, le 1'2, nous atteignimes Kas-
chan, petite ville ruinee, qui ne m'offrit rien de reniar-
quable, si ce n'est une longue et I u-ge rue pavi-e qui tra-
verse la ville d'un boutti I'autre. Dans I'apres-dinte, trois
hommes rcrurent une rude bastonnade en face du caravan-
siirail. lis (Staient coupables de vols : I'un d'eux ne recut
pas moins de neuf cents coups sur la planle des pieds ; la
chair etait presque re Juite en bouillie, et je suis siir que
le pauvre diable restera estropie toule sa vie.
Le 1.3, a quelques quatre fursuks de Kaschan, nous
commencames de gravir quelques collincs assez t'levees,
et, apres que nous eiimes suivi un sentier tournant, nous
arrivAmes en vue d'une magnifique chute d'eau d'une
grande hauteur, alimentee par un petit lac et situee ti mi-
montagne entre deux gorges. L'eau de ce lac etait d'une
belle couleur bleu-clair ; je n'avais pas encore rencontre
en Perse d'endroit si delicieux. Deux fursuks plus loin,
nous vimes se deployer devant nous une vallce bien cul-
livee, richement boisee, et du milieu de laquelle surgis-
sait un village nomni^ Kohroud. Ce doit ^tre, en et6, un
bien agriSable s6jour ; maisl'hiver, le froid y esttres-vif.
J'y ai aperju les plas jolies femmes qui se soient jamais
offcrtes i> mes regards; leurs grands yeux d'un noir
fonc6 jelaient un tel eclat, qu'on en etait comme trans-
perce. Cette vallee renferrae dinnombrablcs varielfe
d'arbres fruitiers, et elle produit en outre ;,une grande
quantile do grain, nolamment de I'orge.
LeJendemainmalin , lorsque r.ous nous apprfitions k pour-
1 Lc furau^ oil p.M'as3ntji: cgalo 3,005 mulrcs.
EXTRAITS DES PLUS
suivre notrc voyage, nous apprlmes qu'une ricente chute
de imige avail si complelemcjit bloque ia route, qu'elle
6taitimpi'alicable.Toutefois, une couple dcvillageois s'of-
frireiitci nous guider par un sentier delouine qui traver-
sait la monlagiie, et oil, selon eux, la neige lie devait pas
f tre epaisse. Ces guides nous precederent a pied, eu son-
daiit le clieminavec de grands batons. Mais, au bout d'en-
\iron un demi-fursuk, ils s'arreterent et nous assure-
rent qu'il etait impossible de pousser plus avaiit, a cause
de I'epaisseur de la neige. Neanmoins, il force de promes-
ses et de menaces, nous liniuies par les decider ^ conti-
nuer leur ticbe, et, apres beaucoup de difficullfe, nous
parvSnmes a nous frayer un passage, lequel nous conduisit
dans la plaine qui s'elcnd au pied de la montagne; lii,
nous primes conge, tout ensemble, de nos guides et des
regions neigeuses. Le soir du jour suivanl, nous ariivi-
mes Ji Mourehaulhaut, caravanserail silue k neuf fursuks
d'Ispahan,
Le 1 (i , longtemps avant I'aurore, nous nous remimes
en route. Au lever du soleil, nous atteignimes Gez, petit
village oil nous dejeunimes, et oil nous fimes une halle
d'unc hcure. Le temps 6lait tres-clair, et la temperature
fort douce; on n'apercevait pasun vestige de neige. Nous
arrivimes asse;« de bonne heure en vue de I'ex-capitale
de la Perse. Cette ville est d'une bien plus grande etendue
que Teheran, ot, de toutes les citfo persanes, c'est celle
dont I'aspect m'a paru le pluspittoresque. Ses nombreuses
mosquees, dont les domes dores elincelaient sous les
rayons d'un soleil d'Orient, lui impriment un cachet de
grandeur et de magnificence qui laisse de beaucoup en
arriere la capitale actuelle, si insignifiante en comparai-
son de sa rivale.
Nous entrames dans la ville par la porte de Teheran, et
nous nous dirigeames incontinent du cote de Julfa, fau-
bourg situe vers le sud et habits par une colonie d'Ar-
meniens. Nous nous y procurames un logement dans une
niaison placee au milieu d'un magmfique verger. A peine
etions-nous arrivi§s, qu'un vieux pr^tre italien vint nous
faiie une visite. Ufetait, a ce qu'il parait, le chef des ca-
tholiquesde Julfa, lesquelsne sent pas aussi nombreux que
les Arineniens; ceux-ci ont un evfique particulier. Nous
trouvilmes dans le Padre Johannes — c'6lait le nom du
prctre catholique — un homme excellent el tres-obligeant,
qui nous ful bien utile pendant notre sejour.
Le 17, nous nous occupjimes a parcourir Ispahan, et
le bon pr6tre nous accompagna. Nous \isitimes d'abord
le palais du roi, vaste edifice situe Ji I'extremite d'une
avenue de grands arbres, les plus beaux qu'il y ait dans
le pays. L'interieur merite surtout d'etre vu. Plusieurs
des appartemenls, uolamment les salles ci manger, sent
ornfe d'anciens tableaux persans representant pour la
plupart des batailles oil, comme de juste, les Persans ont
toujours I'avantage. Les figures le plus en vue sont tou-
jours celles des rois, qui sont representes, invariable-
ment, au moment oil, par la seule puissance de leur bras,
ils mettent en fuite de nombreuses legions d'ennemis. Le
coloris de ces tableaux est supcrbe; niais les artistes, h.
ce qu'il parait, pratiquent un profond m(5pris pour les lois
de la perspective; car, dans plus d'une de ces peinlures,
les rois victorieux pourfendent des ennemis 6loign&
d'eux de plusieurs milles.
Indepeiidamment des tableaux de batailles, il y en a
d'auties qui repr&entent des divertissements ti I'oriea-
RECENTS VOYAGES. 383
tale, oil figurent de dilicieux groupcs de danseuses. On
rencontre aussi des portraits de certaines habilanles des
harems de Shah Abbas et de ses successeurs; il y a
vraiment la d'adorables visages.
Vue du palais, I'avcnue est magnifique : ces rangees
d'arbros furcnt plantees par Shah Abbas; mais, comme
on laisse mourir les vieux sans les remplacer par de
jeunes plants, avant qu'il soit longtemps il ne reslera
plus de celle splendide avenue quo quelques troncs
decouronnfes. Dans cette Perse , jadis si florissante, on
laisse lout lomber en ruine, el le palais nieme n'esl pas
exempt de cette commune deslinee.
Aprcis avoir quitti; la royale demcure, nous parcouru-
mes les rues d'Ispahan : quelques-unes, quoique egale-
menl en ruine, du moins en partie, soni encore tres bel-
les et offrenl des resles d'une antique splendeur. Le bazar
est spacieux, mais le petit nombre de niarchandisesqui y
sent exposees ne temoigne que Irop du pen de prosperity
commei'Cialequ'olTre le pays. De tons les edifices, ce sont
les mosquies dont on soigne davantage la conservation ;
leiirs domes d'or, sur lesquels frappenl les rayons du so-
leil, font un ctTel charmant.
Pendant que nous parcourions la rue principale, un
soldat .s'approcha de nous et nous informa que le com-
mandant niilitaire d'Ispahan desiiait que nous I'honoras-
sions d'une visile. Nous nous hatimes de nous acheminer
vers la demeure de ce personnage , laquelle ^tait tout
proche de I'endroit oil nous nous trouvions, el nous y
fCimes recus de la facnn la plus hospitaliere. Ce com-
mandant mililaire 6tait Georgian, et il ne le cede, en rang
et en pouvoir, qu'au prince-gouverneur. Son coslumc of-
frait un melange de modes asiatiques et europeennes :
son habit, espece de frac en diap rouge, etail orne de
deux enormes epaulettes d'or; il portail un panlalon a
la turque, none a la lurquc par une Lande de cichemire
rouge; a son c6ti5 pendail un cimeterre de Khorazan, et
un poignard georgien brillait a sa ceinlure. Ainsi que la
gen^ralile de ses compatrioles, c'elail un homme d'une
beaule remarquable. Son second dans le commandemenl,
Gtorgien comme lui, 6tait aussi present. Apres une vi-
site assez courle, pendant laquelle on servil h la ronde
du kalianus, du the et des conserves, nous primes conge.
Lejour suivanl, nous nous proraenions encore dans la
grande rue, quand nous apercumes le peuple qui s'a-
massail. Nous nous enquimes de la cause de ce rassem-
blenient, et Ton nous appril qu'il allait y avoir une execu-
tion. Les victimes 6laient un homme el une femme : le
premier etait Juif et I'autre Musulmane. lis avaient ete
pris en flagrant delit d'adultere, el comme ce crime aux
yeux des Persans fetait singulierement aggrav6 par la
religion que professait le coupable, I'epoux s'clail abs-
lenu d'en lirer une vengeance sommaire el il en avail ap-
pele k la justice, laquelle avail condamne les deux crimi-
neU ilre pendus aurailieu de la grande rue. En considera-
tion de ma qualite de Franc, lafoule me fit place et je me
trouvai tout prfes du lieu d'ex^cution. Une polence de
forme grossiere, avail He dressee, et, gardes par six co-
quins a face palibulaire, les deux condamnes se lenaient
debout au pied du gibet. La femme etait voilee, mais d
etail facile de voir le Iremblement convulsif dont la pour
availsaisi lous ses niembres. Tout presd'elleeiaitson mari,
vieillard de soixante ans etdeforlmauvaise mine. Le Juif
etait un beau jeune homme, et monlrait une grande
384
SCENES, KfiCITS,
ferme[6 au milieu de ces terribles apprets. De toules parls
retentissaienldes maledictions dontili'lait I'objet : «Mau-
« dit Juif ! chien impur! Comment un animal aussi im-
■ mondea-t-ilosest!permettieilesouiller nos foyers! etc.«
Le jeune liomme ne repondait i ces vociferations de la
foule que par un regard empreint du plus profond mepris.
On pouvait dire de lui qu'il etail isole au milieu de cetle
multitude, car il n'avait aupres de lui aucun de ses co-
religionnaires. Et bien en prenait a ceux-ci ; dans I'elat
d'exasperation oil se trouvait le peuple, si un Juif s'etait
montr(5, on I'eiit infailliblement massacre.
Peu de minutes aprfes notre arrivee, les bourreaux
s'occuperent h ajuster une corde autour du cou du Juif,
puis ils soumirent la femme ci la mfinie ceremonie : dfes
que Icurs mains la toucherent elle poussa des cris af-
freux. Pendant I'espece de lutte qu'elle essaya, son voile
et son tchoder tomberent et nous laissa voir son visage
et ses formes. Je ne crois pas avoir apercu une plus belle
creature. Elle n'avait pas seize ans. Je me tournai du
c6te du padre Johannes, etje lui demandai s'il n'exislait
aucun moyen de lui sauver la vie; le digne homme, qui
pleurait ii chaudes larmes, secoua tristementla tele et
me repondit a voix basse : « II n'y a pour elle aucun es-
poir! » — La corde fatale fut enfin plac^e autour de son
l-iulidi..
cou, et on la liissa, ainsi que son complice, sur les epau-
les de deux bourreaux, tandis que les autres ajustaient
les cordes au haul de la potence. C'etait une scene a
fendrc le cosur ; les cris de la femme etaient epouvan-
tables a entendre, et si grande etait sa lerreur, que peu
de moments avant quon la lancit dans I'eternite, des
Hots de sang jailUrent de ses narines. Tout etait pret : le
voile et le tcliuder furent replaces sur la tSle et sur les
epaules de la jeune femme, et les deux infortunecs victi-
mes perdant tout 'i coup leur point d'appui sur le dos
des bourreaux, se trouverent suspendues par le cou.
Les (raits du Juif, que rien ne voilait, se contracterent
aussitot d'une fajon si horrible, que je n'y pus tenir plus
longtemps et que je m'enfuis sans savoir oil.
Le 23 du m^ine mois se termina le jeiine du Raraazan,
k la grande joie des habitants de la ville, qui consacre-
rent toute la journee a des fites et ii des r^jouissances. Je
ferai observer ici que ce jeune est le plus rigoureux qu'on
se puisse imaginer, et que cette penitence dure tout un
AVENTURES, ETC.
mois lunaire. Aucun musulman, du lever du soleil a son
coucher, ne doit prendre la moindre nourriture ni boire
la moindre goutle d'un liquide quelconque ; il lui est
meme interdit de fumer. 11 en resulte que, pendant toute
la journee de ce jeOne, on fait de la nuit le jour et qu'on
la consacre h la debauche et h livresse. Conime I'annte
est lunaire chez les mahometans, le mois de Ramazan
parcourt le cercle des saisons ; aussi, lorsqu'il tombe au
milieu des chaleurs de I'et^, la penitence est-elle tene-
ment rude que beaucoup de personnes souffrent horri-
blement de la soif.
II y eut toutcfois a Ispahan un homme qui n'eut pas
a se rejouir de voir commencer un nouveau mois •■ ce fut'
notre Jcllowdah, qui se trouva atteint et convaincu de
nous avoir largement voles. 11 avait de plus, soumis nos
chevaux h une telle diete, que, si nous ne nous en (5tions
pas apercusa temps, le mal eiit ett; sans remede. Nonob-
stant le temoignage des dilTerentes personnes auxquelles
il avait vendu les rations de nos chevaux, le miserable
n'en persista pas nioins a nier de toutes ses forces. Nous
le traduisimes en consequence par-devant Dawoud-
Khan, le commandant militaire, qui ne fut pas longtemps
a decider le cas : il fit administrer au Jeltowdah une si
rude bastonnade qu'il ne tarda pas a faire laveu com-
plet de ses m^fails. Nous le chassames, bien enlendu, de
notre service; mais son cliMiment ne se horna pas a la
bastonnade prealable qu'il avait recue : on le retintquel-
que temps en prison et, quand il en sortit, on le gratifia
d'une seconde edition de coups de biton, comme coupable
d'avoir vole un deses co-detenus.
Le faubourg de Julfa. oil nous residSmes durant notre
sejour a Ispahan, est entierement habite par des Arme-
niens, qui, au prix d'un certain tribut qu'ils payent au
roi de Perse, out obtenu divers privileges. lis sent tous
Chretiens et se divisent en deux scctes, de Tunc desquel-
les, — lescatholiques romains, — notre pwrf/'c Johannes
etait chef il I'epoque oil de notre visite. Un (5vfque arme-
nien est a la tele des autres, qui appartiennenfii I'figlise
armenienne.
Ispahan etait alors gouvernee par un des plus jeunes
fils duShah, qui, bien qu'iige seulement de dix-neuf ans,
avait dejii une famille composee de huit cnfants que lui
a\aient donnes plusieurs fenimes.
L'elevation de la plaine sur laquelle est siluee Ispa-
han n'atteint pas celle de Teheran , car elle n'est que de
trois mille cinq cents pieds anglais (1,067 metres) au-
dessus du niveau de la mer. II s'ensuit que I'hiver est
bien moins rude dans la premiere de ces deux villes : il
n'y tombe comparativement que trcs-peu de neige, et il
y croit diverses especes d'arbres qui sent inconnues a
Teheran.
Pour jouir de la plus belle vue d'lspahan, il faut en
clre cloigne de trois niiUes (.5,828 miitres) ; a cette di-
stance on domine la ville et Ton en embrasse I'ensem-
ble : elle offre alors un coup d'ceil magnilique. Quant a
raoi, je n'ai pu la contempler sans tristesse, car j'aperce-
vais de douloureux presages de sa decadence : encore
quelques annees, et le voyageur qui traveisera cette
plaine u'aura plus devant lui que les ruincs d'lspuhan.
C. Stuart-S.willi:.
Tjp. Lie BAMPa lils et Coinp., rue Damictte, 2.
BRn !SH
7 AUG 29
NATiJR.'^,!,
JHSTOnv.
-^■^PKEijHOWr
CHARLEMAGM
I
LE LIYRE DES FAMILLES
A NOS LECTEURS.
rourquoi ne ferions-nous
pas nos complimenlsde bonne
f ann^e a nos lecteurs, — ct Ji
nos leclrices? Leur sommes-
nous done tout k fait in-
^dilTerents? Ne tenons-nous
pas i la famille par notre
•'tilre d'abord, et ensuite par
'nos sympathies profondcs
"pour tout ce qui se ratla-
cbe aux traditions de morale
. ~ et d'harmonie interieure? —
A ce titre, nous avons place
dans les reunions de la soi-
ree , pres du fou , entre deux paravenls. A ce tilre
aussi, nous croirions manquer a I'un de nos devoirs les
plus doux si nous laissions passer le Jour de I'An dans un
dedain superbe ou dans un silence egoYste, lorsque lant
de gens se font une obligation de ce qui n'est qu'un acle
de convcnance, qu'une formalite de convention.
Les vceux et les complimenls d'un journal vis-a-vis ses
abonnfe risquent toulefois de faire naitre plus d'un sou-
rire sur des levres malicieuses. Une demonstration sem-
111.
^^^r
blable peut ne pasparaitre cntierement d^sinteressee aux
yeux de bien des personnes; nous le savons, — et c'est
pour cela justemcnt, parce que nous nous sentons fort de
notre conviction et penelre de la bonte de notre CEuvre ,
que nous ne craignons pas de marcher le front haut et
de nous mettre au-dessus de la raillerie.
Oil done est le cas etonnant qu'au milieu de la presse
passionnee, tumullueuse et induslrielle, il se presente un
organe probe, de bonne foi, — une publication qui ait
fait son chemin et qui n'ait dil son succes qu'a son pro-
pre m^rite, a sa seule valeur, et cela en dehors de lout
cliarlatanisme et de toule reclame? lit qu'y a-t-il d'ex-
traordinaire a cequecette publication prenne aujourd'hui
son rang, le rang qui lui a ^ti; arcorde par I'eslime du
nionde et en general de toutes les classes de la socielc?
Le Lime des Families vient d'entrer dans sa troisieme
annee. C'est done avec des fails qu'il peut parler aujour-
d'hui.
Le Livre des Families a realise ce probleme difficile
d'un journal selon la religion et selon le monde. Konde
dans ce double but, il ne croit point avoir failli a sa fa-
che, et chacun de ses pas a el6 niarqu6 profondemont
dans la voie du progres. Tout en 6voquant les choses et
1
UN AN A PARIS.
les hommes du passe, 11 n'a point delourne scs regards
de I'avenir; les iiges anciens n'ont ele pour lui que la le-
con dcs iges futurs. II salt qu'il est avant tout journal
du dix-neuvi^me sifeclc, et que le chrislianisme a lou-
jours marelie en avant dcs idees et dcs evenements.
Nous ne sommes plus au temps des persecutions et des
guerres religieuses, alors que le champ de la foi se fcrti-
lisait du sang des martyrs. Ce n'est plus par I'epee qu'on
enseigne, mais par la plume. Les dcrivains ont remplace
les soldats. La propagande d'autrefois, la propagande ^
coups de haclie ou de mousquet, devenue plus paticnie
ct plus raisonnee, ne se fait plus aujourd'hui que par le
livre et par le journal.
C'est par dc mutuelles concessions que la religion et le
nionde peuvent arriver ^ une union souhaitable. Ces con-
cessions, le Lime des Families s'est impost la tache de-
licate d'en definir les limiles. Sa morale a rev^lu les cou-
leurs les plus riantes, ses lecons ont emprunte la forme
du ronian; ses cxeniples, il a ete les chercher au sein
m6nie de cette societe ^ laquelle il s'adrcsse. II s'est sou-
venu que Bossuet et Fiinelon elaient a la fois hommes
d'cglise et hommes du monde.
Le Livre des Families a aborde les sujets les plus di-
vers, avec unegal bonheur. C'est ainsi qu'il a raconte en
meme temps la vie du saint et la vie du comedien, les
batailles du capitaine et les tolles du grand peintre, — com-
prenanl que les unes comme les autres ctaient fecondes
en hauls enseignements, et qu'il n'y a pas une page de
I'existence humaine oil ne se montre le doigt de Dieu.
C'est a celte ligne de conduite, a cette franchise d'a-
percus, a rette impartialite d'examen, que le Livre des
Families a dii tout d'abord une parlie de son succ^s.
Aujourd'hui, le Livre des Families a gagne ses epe-
rons. II s'est conquis une place honorable, solide, dans
Ic monde litteraire comme dans le monde religieux, dans
le salon comme dans I'eglise. II marche seul, il n'appar-
tient h aucune coterie; sa banni6re se dt'lache hardi-
ment des autres bannieres de la presse. II a su faire son
profit des erreurs et des fautcs dans lesquelles sont tom-
bees la plupart des publications mensuelles, pour eviter
d'y tomber h son tour.
La deuxidme annee a f5te surtout signak% par des pro-
grfes notables, tant dans le choix de la redaction que par
le d^veloppement apporl6 a I'illustration du texle. A pre-
sent, le Livre des Families pent soutenir dignement
sous ces deux rapports la concurrence avec les meil-
leures revues fran(;aiscs et etrangeres.
L'art ancien et moderne dans ses plus beaux monu-
ments, I'histoire dans ses pages les plus rcsplendissantcs,
les lettresdans leurs livres les plus celfebres devaicnt na-
lurellement avoir droit de cite dans nos colonnes. La
science n'a pas ele moins bien traitee dans ce charmant
tournoi de I'intelligenoe. Des plumes exercees et speciales
I'ont depoiiillee de cequ'ellepouvait otfrir d'abslrait aux
yeux des gens du nionde. GrSce h eux, I'hisloirc natu-
relle, I'hygi^ne, la physiologic n'ont plus trouve de lec-
teurs rebelles ou fatigues.
Le Livre des Families est appele, par I'esprit de sa
fondation, i parconrir une belle etfeconde carriere. L'a-
venir ne sera pas en resle avec le pass^. Nous niarche-
rons toujours en avant dans la voie lumineuse que nous
nous sommes tracee; on jugcra de la valeur de nos ame-
liorations progressives par le numero dece mois, qui ou-
vre dignement notre troisiime annee. Cela vaut loutes
les proniesses possibles, et cela parle plus haut que tous
les prospectus du monde. — A ce compte, et dans les
conditions de la presse actuelle, metlre sous les yeux de
nos souscripteurs un livre de morale et de plaisir, d'a-
grement et d'inslruclion, de luxe et de bon marche, n'est-
ce pas leur donner les meilleures etrenncs qui se puis-
sent rencontrer par le temps qui court?
Tii. IloilZE
UN AN A PARIS.
I.
La preface ne sera pas
tres-longue. — II ^lait
minuit quand j'entrai
dans Paris. Paris alors
dormait comme un seul
honime. Malgre ma bonne
volonte, comme il ne fai-
sait pas de lune, il me fut
impossible de lui trouver
une physiononiie quel-
conque, belle ou laide,
bourgeoise ou dramati-
que. Paris rondait com-
me un cent-suisse. Voila
tout. — Autant que je
pus en jnger, le som-
mcil de Paris me parut
fort pai*ible et parfaitement ressemblant au sommeil
d'une ville de province. II y avait bien par-ci par-la
quelques gens altardes qui (ilaient le long des rues,
quelque croisee de mansarde lente k s'etcindre, une chan-
son d'ivrogne au coin d'une borne, des voitures qui se
croisaient a de rares intervalles; mais ce sont cboses qui
se voient partout. — La diligence qui m'apporlait galo-
pait bruyauiraent, allegrement, preslement, le cou plein
de grelotset de hennissements, lespieds chargfede rua-
des et d'^tincelles, au milieu de I'ebranlement general des
vitres des portieres. Pans ne s'en imouvait pas, el la
laissait passer.— D'abord un tel silence vint troubler mes
idees, et jo crusun moment que ma montre retardait. II
fetait bien minuit. Non pasce minuit auquel s'attendaient
mes yeux et mes oreilles, ce minuH tHincelant, rempli dc
jets de gaz et de foule, ce minuit parisien que j'avais
r6ve bien des fois dans le minuit de la province, digue
enfin de la moderne Babijlone ,—ma\s un minuit placide,
rangi5, pas trop noir, qui n'inspirait ni curiosite ni ter-
UN AN
rear, un minuit en bonnet de colon. A I'encontre de ceux
qui ecrivent I'histoire, Babylone me sembla parfaitement
faire de la nuit la nuit et du jour le jour. Done, ma pre-
miere deception en arrivant fut de trouver Paris au lit,
la cbandelle soufflee.
Mon Dieu ! oui, Paris dort. C'est une verite qu'on ne
pent longtcmps se dissimuler. Polypheme fcrme son oeil;
la fownaise eteint ses charbons; la cuve cesse de bouil-
lonner. Cela est triste h dire, — et quel.jues esprits r6-
tifs a la realite se riivolteront peut-elre conire celte as-
sertion ; mais, dece que les maraichers, les boulangers,
les poetes, les compositeurs de journaux et quelqucs au-
Ires constituent une exception qui se retrouve egjlcment
dans chaque sous-prefecture, il ne s'ensuit pas que Paris
soit ce pcrpetuel enfer, aux soupiraux toujours ardents,
aux cavernes sans cesse rougies, a travers lequel nous
ont promene tant de plumes railleuses. — Voir de la sorle,
c'est prendre tout simpleiuent la boutique d'un forgeron
pour la gueule du Tartare.
La diligence s'arriila. — Uu commissionnaire chargea
ma malle sur ses epaulos et me conduisit a un hulel, le
premier yenu, je lui en laissai le choix. Quoiqu'il me fit
passer par de petites rues passablement etroites el deser-
tes, il ne manifesta aucunement I'intenlion de me pren-
dre a la gorge et de mc laisser pour mort sur la place,
apres m'avoir devalise. La Gazette ilv:> Tribunaux en
baissa beaucoup dans mon esprit. — Pendant le trajet
nous ne fimes non plus aucuoe rencontre ficlieuse, si ce
n'est celle d'une patrouille. Cinq ou six hommes, parta-
g& en deux sections, enveloppes de longs manteaux gris,
muels, sombres, "mysterieux, marchant avec d'inGuies
A PARIS. 5
precautions, embrassaient les deux cfitfa de la voie publi-
que. On les eut pris volontiers pour des voleurs.
Chose elrange; dans ce Paris nouveau, reg^nere, pur»e,
ncltoye, comble, pave, brosse, civilis6, ce n'est plus le
crime qui fail peur, c'est la justice. II y a eu mutation de
r6les. Le crime a fait sa barbe, il a peigne ses chevcux, il
a mis des gants a ses mains, il a renonce ^ la vieille rou-
tine de riutimidation ; pen s'en faut qu'il n'ait I'air de
tout le monde et mSme mcilleur air que tout le
monde. Par contre-coup, la police s'est affublee de toute
la fantasmagorie du m(5lodrame : manteaux sombres, feu-
tres espagnols, loques bizarres; elle s'est prise a burler
avec les loups quand il n'y avait plus de loups; elle s'est
inslallee dans les souricieres quand il n'y avait plus de
souris 6 prendre ; elle s'est cnfarinee comme le chat de la
fable, mais trop grossierement pour ne pas laisser de-
couvrir le minet sous le minot; — de sorte que la police
est aujourd'hui la seule chose un peu pittoresque que Ton
soit expose ^ rencontrer la nuit.
11 y a loin de ce Paris dormant, et dormant bien, au
Paris flamboyant ou lugubre que je m'elais figure. — J'a-
vais vingt ans. Paris avait ele jusque-lci mon desir uni-
que, mon reve impatient, I'aliment corrosif de mon am-
bition, une autre Chanaan cnfm. De loin, Paris m'appa-
raissait comme une merveille lesumant toules les mer-
vellles et toules les magnificences, centre etourdissant,
faite verligineux, ville fcerique, a la fois Tbebej, llem-
pbis, Tyr, Ninive, Athenes, Rome, Venise, LonJres; uns
accumulation de tous les rayonnements et de toules les
prudigiosiles ; quelquo chose qui ressemblait a tout et ne
ressemblalt a rien, que je coiip;e.iais conlusement
comme un aveugle comprend la lumiere, et qui devait
m'eblouir en se r(5velant en moi. C'elait le Paris de Char-
lemagne, de Louis XIV, de Napoleon; le Paris gros de
rbistoire du monde, dont chaque pierre est un evcne-
menl, dont chaque maison a reiifermo un hommeouune
chose cclebre, dont chaque rue a vu passer une revolu-
tion ; vasle pandaemonium fail de boue, de sang et.d'or;
le Paris du giierrier et du preire, du philosophe et de la
fommc r — cite fumeuse, inquiete, active, terrible au
mourtre, terrible ii !a joie, brulant I'existence comme on
briile le vin pour en faire de I'eau-de-vie, comme on
brtlle I'eau-ilc-vie pour en faire du punch. — C'^lait le
Paris de Sainte-Foix, de Regnier, de Moliere, de Crebil-
lon le fils, de'Jean-Jacques, de Voltaire, de Sleriie, de
UN AN A PARIS.
Mercier, de Balzac,— et peut-Hre aussi le Paris d'Eugfene
Sue. J'avais habille mon geant de satin et de velours,
brode sur loutcs les coutiires; je lui avais donnfe la levre
insolenle, le regard spirituel, la chevelure en coup de
vent, la botte vernie avec le talon rouge; je I'avais ap-
pele du nom de tons les grands, beaux, heureux et effron-
tt^s esprits de tous les siecles : Bassompierre, Granimont,
Richelieu, Saint-Georges, Beaumarchais, — ou bien, de-
lournanl I'aile de ma fautarsie, — comme on fait d'un
mannequin complaisant tour a tour empereur ou chif-
fonnier, je I'avais salue Clopin-Trouillefou, Mandrin, Car-
touche, Poulailler ; des favoris roux encadraient sa face
hideuse et deformee; d'enormes pistolets garnissaicnt sa
c.einture ; il se tenait sous un porche de calhedrale ou
■sous un auvent de cabaret,, laid, cynique, etrange, gri-
macant, trisle ou souriant, honteux ou goguenard, gro-
tesque de Callot, boh6nie de Hugo, mendiant de Murillo,
bandit de Le Sage. — Ainsi faisais-je de Paris I'infiniment
beau ou rinliiiiment laid, I'infMiiment riehe ou I'infini-
ment pauvre, souvent tous les deux a la fois, mais toujours
I'infiniment grandiose. Rien de rachitique, de malade, de
soulTreteux, de rapetisse, de ridicule. Un grand seigneur
ou un escarpe ; — pas uu bourgeois. Un pourpoint galonne
ou une veste tachee de vfn ; — pas un paletot.
H^las! — le lendemain, j'avais vu le Paris reel.
Je vous dirai done, si vous le voulez bien, ce que e'est
que Paris et m^me aussi ce que c'est qu'un Parisien, —
chose plus dillicilel Si vous lesavez, vousne me lirez pas,
el tout sera dit. Je saisquej'arriveapresbeaucoup d'au-
tres, c'est ce qui me desole; mais je sais que beaucoup
d'autres viendrontapriismoi, c'est ce qui rae console. 11 en
est de Paris comme de I'Ocean : les poetes et les peintrcs
en feront le sujet eternel de leurs toiles et de Icurs pa-
.ges, de leurs croules et de leurs chefs-d'a'uvre. Paris est
un iiwdi'lc qui pose pour tout le monde. Les uns le pei-
gnent en pied, les autres en buste; ceux-lk en font une
academie, ceux-ci une miniature; il en est qui le nion-
trent de face, de profit, de trois quarts; j'en ai rencon-
tre qui se contentaient d'un ceil ou d'un pied, de moins
encore.
On me demande d'etre vrai. Je le serai ; — a cela pres
cependant que je ne reponds pas des dislraclions de
mon niodele. Si mon modele biille ou fait la grimace ,
s'il a les yeux rouges ce jour-lJi, s'il ne se souvient plus
aujourd'hui de la pose d'hier, la faule n'en sera jelee que
sur lui. — Peut-6tre adviendra-t-il, par suite, que le Paris
de tel chapitre sera lout oppose au Paris de tel autre.
Pour cela, que Ton ne crie pas a la contradiction, ou,
pire encore, au parado.\e. D'ailleurs, Paris m'a tout I'air
lui-mSme d'un paradoxe effrene.
Ceux qui sent venus avant moi ont adopte pour la
plupart des formes convenues, un cadre precis. Les ti-
mides, les ingenieux, les amusants et quelquefois aussi
les philosophes, se sont deguises en Persans, en Turcs,
en Tartares, en Mogols, en Armeniens, en Japonais, en
Chinois et en Cochinchinois. Dans ce cas, Paris s'appe-
lait Lspahan, Bagdad, Constantinople. Le dix-huitieme
siecle lout entier s'est longtenips amuse de cetle masca-
rade; le severe Montesquieu et le turbulent Diderot se
sont tous les deux airubl(?s du turban et de l.i robe bario-
loe aux tongues manches pendantes : ■ Que Mahomet
vousdonne la prudence des lions et la force des serpents I ■
ont-ils dit il M. Jourdain, le bourgeois de Paris. — En-
suite est arrivee la mode des spectaleurs, des observa-
UN AN
leurs, des crmiles. Quelques ecrivains privilegies ont
rencontre des fees, des genies, des ombres illusli-es qui
se sont fait un veritable plaisir de leur servir de cicerone
et dc leur fournir la clef des charades de la rue et des
logogriphes du salon. De plus humbles se sont contentes
d'un petit vicillard ou d'une petite vieille, centcnaire
pour ritabitude, a I'ceil vif, a la voix eassfe, au sourire
malin, au nez barbouille de tabac, porlier ou marquise,
gentilhomme ou fcmme de chambre, ayant bcaucoup \u,
beaucoup entondu, bcaucoup retenu, — un debris du sie-
cle passe, qui, entre deux acces de toux, crachait une
epigramme ou un portrait contemporain.
De ces formes, je n'en ai voulu aucune ; il m'a semble
qu'il etait plus simple, plus facile et beaucoup moins ce-
remonieux dc s'en aller tout seul, par son etroit senlier,
avec sa fantaisie pour compagne. Je n'ai pas menie voulu
du nous conslilutionnel, — car il se peut faire que de
temps a autre je sois seul do mon avis. C'est un voyage
sans lacon que j'entreprends, non le biton ferre, ma is la
badine b, la main, un cigare enlre les dents, risquant tout
au plus une telaboussure de cabriolet ou un mechant di-
ner hors de mon hotel De celle facon, j'ai I'air de tout
le monde, — ce qui, aujourd'hui, en lilterature, est la
meiUeure maniere de ne ressembler a personne.
Pans n'est pas une ville, c'est dix villes. On dirait une
mosaique immense, ici vcrle, ici blanche, ici bleue. Je
parle du Paris plastique, materiel, du Paris de pierre,
le seul dont j'eus a m'occupor des les premiers jours-, —
c'est untoutfaitde morceauxdifrerentsetcoususlantbien
quo mal les uns aux aulres, et puis passes a la teinture de
chaux et de plMre. II y a plusieurs Paris dans Paris, les-
quols hurleni d'effrol de se voir accoiiples et sont par-
faitemenl divers de mo?urs, de costumes, d'habiludes, de
figures et delangage, comnie aulant de contrees differen-
tes et lointaines. — II y a d'abord le Paris du Palais-Royal
et des boulevards, un Paris leste, coquet, brillant, tout
resplendissant de beaux magasins, de belles glaces et ile
belles dames; le Paris des ihcMres et du luxe, des mini-
steres, des restaurants aux plafonds dor^s, des dandyset
des hommes de bourse, de la finance en gantsjaunes, des
niaisons bien aerees, largement distribuees, meublees ri-
chement; le Paris du comfort, qui dine bien, se porte
bien, ctale des breloques sur son gilot, — qunnd c'est la
mode des breloques, — et un diainant a sa chemise; le
Paris qui a un buffet a la place du ventre, un coupe h la
place des pieds, un chiffrc ci la place du cocur, un opera
A PARIS. 5
nouveau dans la t^^le et des actions de toules les lignes
de fer dans loutes les poches de tous ses habits. Celui-li
c'est Paris I", premier par la grSice de Dieu et de la piece
de cinq francs.
II y a le Paris du Marais, — un Paris mort, endolori,
fabuleux ; quelque chose comme une momification, une
necropole, un grand vide, unenorme bSillement. L4,cha-
que porte a son guichet , chaque guichet son suisse,
chaque Suisse son dogue, chaque dogue ses crocs. Les fe-
nC'lres sont pourvues de barreaux comme des prisons
d'elat. On y respire une insoutenable odcur de parle-
ment, de robes rouges, de victimes cloitrees; — et aussi
de quincailliers retires du commerce, de vieilles filles de-
meurant au troisieme litage, de celibataire, de rhuma-
tisme, de barbel en laisse, de parties de boston, d'abat-
jour vert, d'enfants prccoces, de pots a fleurs, de roman
moisi et de porlier chauve. — Du Marais aux Boulevards,
il n'y a que cent pas. II y a cent lieues.
II y a le Paris qui n'est qu'une ile, — la Cite, — ile
grouillante, active, rev^che, boueuse, la veritable Lutcce,
le veritable Paris peut 6tre, le Paris de Nolre-Dame et
du palais de Justice. — La Cite, c'est la vieille ville histo-
rique dont le noni ^voque h I'imagination une foret de
clochelons, de pignons, de tours, de fleches, de donjons,
de toits de plomb ; c'est surlout la ville du bourgeois pur-
sang, de ee bourgeois de la Cite qui a traverse les sie-
cles; sage et riche orfevre, expert en vaisselle plate et
en gobelets d'argent, I'homme des comedies qui s'appelle
Gcronle, Orgon, Sganarelle ; qui a une belle fille k ma-
rier, — et qui fait une garde vigilante autour d'elle.
Quand le bourgeois avait fernie sa boutique, ce qui arri-
vait toujoursde bonne heure, la Cite devenait autrefois
un repaire d'assassins et de tire-laines, un coupe-gorge,
un egout qui roulait du vin et du sang. — Le progr^s a
fait bonne justice de toutes ces abominations. Un bee de
gaz est aujourd'hui dans la rue aux Ffeves.
Tout a cote, — separe par ce peu d'eau qui est la Seine,
— il y a le Paris latin. Celui-la n'est pas le moins curieux
de tous ni le moins tranche. C'est le Paris du tabac et
des longs cheveux, de la queue de billard et du livre de
droit, de la Sorbonne et du restaurant h 22 sous; un V^.-
ris jeune, alerle, joyeux, de bon appelit, mauvaise t^le,
bableur, intelligent, — la ressource de la France scienti-
fique, politique et litteraire.
Le quatrieme Paris, salucz-le! c'est le faubourg Saint-
Germain. On pourrait I'appeler Paris-le-Grand, car nulle
part il ne se decore de plus de fierte, de plus de dedain
royal; nulle paitla pierre n'affecte un quant d sot plus
vaniteux ; en aucun endroit le pilastre ne s'eleve plus
severement eli^gant, le balcon ne se rehrousse d'une facon
plus massive et plus pompeuse. Au besoin, ce Paris-la
pourrait se passer de blason. — C'est le Paris des hotels
illustres, de la pairie et des ambassades; des dessus de
porte peints par Boucher, des lambris magnifiques, des
glaces, des fauteuils Louis XV, des consoles, des mar-
bres, dcspanneaux, des porcelaines de Sevres, des toiles
de Greuze, de loutes les choses vraiment belles et conse-
quemment un peu vieilles;— c'est le Paris des dernieres
marquises et des dernieres duchesses, de Telegance vraie,
de I'esprit souriant ;— le Paris qui commence au Luxem-
bourg pour finir au palais Bouibun, en passant par I'Ab-
baye-aux-Bois.
il y a encore le Paris des Halles, cclte terre classique
UN AN A PARIS.
doi tropes de Vade ot de L&luse ; le pays dcs forts et dcs
dames, du celeri el des poings sur la harjclie, de Manon
Giroux et de Cadel-Butcux.— II y a le Paris de Tile Saint-
Louis, qui ne risqueraitrien i s'appeler Vanncs ou Mon-
tauban, et ou, Its soirs d'ete, cliaque famille vient respi-
rer le frais sur le devant de la porte. — 11 y a le Paris des
Juifs, un endroit sombre, etroit, sansprogrfes, unghcllo des
sieclespassesetde toujours,barbesblanclies, nezrccourbes,
regards inquiels, noirs cheveux. — II y a le Paris des
barrieres et de la banlieue encore; le Paris des Batignol-
Ics, un Paris d'hier, propre et battant neuf, avec une po-
pulation de trenle miUe ilmes; — le Paris deBercy, qui est
un cabaret giganlesque; — le Paris du Gros-Caillou, la ville
des invalides , — le Paris de Belleville, de Montmarlre, de
Montparnasse, delaRapte.de laCourtille,de la Villette et
tant d'autres que j'oublie, et qui sont aulant de villes
bien distinctes et bien caracleristiques, dont pas une ne
ressemble a celle d'i c6l6, ct qui, toules, malgrfe leur
individualitiS criante, — serrees,pressfes, entasstes,reliees
en botte par le cordon dcs fortifications, — fornient ce
grand corps que Ton nomnie Paris.
C'cst la ce qui fait que Paris manque d'unit(5 dans
son ensemble. — Paris n'a pas do pliysiononiie gene-
rale, il n'a que des pliysionomies paiticulieres. 11 n'a
pas une originaliti, mais cent originalites, — Par suite,
aussi difficile a peindrequeleProtee antique, dont il eni-
prunte loutes les mclamorphoses.
Et c'est un rude empruntcur que Paris! II emprunte
h tout le monde, au monde de gauche ct au monde de
droite, au monde qui n'est plus et au mcnde qui est en-
core.— Je parle toujours du Paris de pierre.— II emprunte
h Florence son palais Pitti pour en faire le palais du
Luxembourg ; il emprunte a Septime-Severe son arc de
Iriomphe pour en faire Tare de triomphe du Carrousel ;
il emprunte la colonne Trajane pour en laire lacolonne
Vendome ; il emprunte Rome entiere et la Grece avec elle
pour en faire ses eglises, son Panthdon, .ses Catacombes,
ses octrois et ses corps-de-garde : quoi de plus en-
core?— Je vous le dis en verity, rien n'est moins parisien
que Paris.
Encore, si c'etait tout ! Mais le Paris de chair et d'os
n'imite-t-il pas en cela le Paris de mocllon? Le Paris
liumain, si je puis parler de la sorte, n'emprunte-t-il pas,
lui aussi, son costume, comme ses monuments emprun-
tent leur architecture — non pas a Rome, celui-la, mais i.
Londres? Non-seulement son costume, mais encore son
langage, sa nourriture, ses demarches, ses mceurs, sa vie
cnliere ! — Paris n'est-il pas le grand imitaleur par excel-
lence, peut-eiro rien que Fimilateur? Et quand je par-
courrai le Paris de la pensee, de I'industrie, des arts,
qui salt jusqu'oii pourra me conduire ce fil de I'imilation,
et si je ne retrouverai pas encore et toujours I'imitatioa
a chaque pas et sous toutes les formes? — Vs je verrai le
Paris poijte imitant Sophocle et Tacite, jouant des pieces
renouvelees des anciens, intitulees Virginie et Lucrcce ; —
le Paris musicien, imitant I'ltalie et I'Allemagne, s'appe-
lant Rossini et Meyerbeer, Donizetti et Liszt ; — le Paris
peinire imitant les artistes byzantins, badigeonnant de
fresqucs primitives les porches de ses temples, avec un
ciel d'indigo piqu6 d'^toilesd'or; — le Paris savanl-com-
mercant-marchand, imitant le feu, le vin, le diamant,
lotoffe, la poudre, la sante, la jeunessc, lout ce qui pent
ctre iniite, et aussi et plusparticulierement loutce quine
pent pas I'hve.
Qu'on se rassure pourtant. — Je promets, d'un autre
cote, di! reunir tous mes efforts pour decouvrir que ce
Paris n'a pas imite ce qui est bien et dument ct lui, ce
qui est soncEuvreet sa creation; et, pen t-6lre en cherchant
bien, finirai-je par mettre la main sur cette chose rare,
sur cet heureux phenix. — C'cst anjourd'hui que je me
mots en route pour ce voyage.
— Portiere, voici la clef de ma chambre.
— Quand rentrera monsieur?
— Le 1"fevricr.
Chakles Monselet.
LES DOUZE APOTRES. — SAINT PIERRE.
LES DOUZE APOTRES.
INTRODUCTION.
Le monde parcourait son quaranlieme siecle. — Les
enfaiits dcs liommes, n'ayanl plus souvenir de la foi de
I'Eden, avaient eleve un autel ii toutes leurs passions.
Athfenes avec ses sages, Alexandrie avec ses philosophes,
<i. Rome avec ses guerriers, n'avaient produit qu'eneurs ou
dfevaslations. — Le paganisme, vieilli, voyail tomber ses
vulgaires croyances ; colosse il avait vecu, colosse il
s'ecroulait, jelant au loin sa poussiere. Le siege sanglant
du druide et de I'aruspice; le trepied de la sibylle; Jupi-
ter, dieu dont la st(5rile puissance ne s'exercait, comme
I'esprit d'un voleur, qu'a la seduction, au viol etau rapt;
Bacchus, ineple deito, crei5e par I'orgie, tuee par la rai-
son ; puis la blonde deesse, h la face sans honte et sans
pudcur; enfin, loules les autres creations de Salan, de-
venu poete drolatique, ne formaient plus qu'une epaisse
Duee qui montait versle neant. Les nations, ^puisees de
k'ur course a\eugle, dormaient a I'ombredela mort.
Tout i coup il se lU un grand silence sur la terre; la
Toix de Jean de Bcthanie, s'ilevant des dfoerts de Judee,
disait : — « Faites penitence! le royaume de Dieu est
proche ! ■
— Les mages de I'Orient virent en meme temps une
etoile prophctique, et, se rappelant les paroles de Balaam,
ils marchferent vers Betlileem, emportant avec eux I'or,
lencens et lamyrrhe.
La grande lumiere venait de paraitre ; le Messie etait
ne.
Dans les memes dfeerts, la meme voix se fit entendre
denouvcau ; ■ Pharisiens etSjdduceens, race de viperes,
disait-elle, confessez vos peches et les lavez dans leseaux
du Jourdain, car celui qui vient apres moi tient un van
en sa main; iPnettoiera parfaitement son aire, ilamassera
son ble dans le grenier, mais il brulera la paille dans un
feu qui ne s'eteindra jamais. •
Et celui qui etait annonce, etant venu vers rhomme au
vctement de polls de chameau et a la ceinture de cuir,
lui dit : — ■ Baptisez-moi !
— Pourquoi, Seigneur, voulez-vous que je vous bap-
tise, quand c"est moi qui dois ^tre baptise par vous?
— Laissez-moi faire pour cette heure, rt'pondit J^-
sus, carc'est ainsi que nous devons accomplir toute jus-
tice. •
Jean baptisa le Messie.
Et Dieu le Pere laissa tomber sur la terre ces mots d'a-
mour : — . Celui-ci est men Fils bien-aime, en qui j'ai mis
toute mon affection. •
Jesus-Christ baptise se retira dans le desert, jeuna
quaranle jours; il vit le tentateur s'approcher de lui et
cssayerde le faire tomber dans le peche; mais il lui re-
pondit : • — Retire-toi, Satan! car il est ecrit : Yous ne
tenterez point le Seigneur votre Dieu. •
Tout cela etant accompli, I'heure de la regeneration du
monde vint k sonner, et, pour la premiere fois, les hom-
mes ^tonnis recurent la parole de vie. Mais, k ces niaxi-
nies nouvelles et sublimes, leur esprit grossier se cabra.
Les enfanls de Nazareth, qui entendiiient le prelude des
predications du Christ, s'emurent aux reproches qu'il
adressait a leurs coeurs incredules ; s'etant saisis de lui,
ils I'avaicnt entraine sur la montagneouest batieleurville
pour le precipiter du haul des rochers ; mais, par la
toute-puissancede son Pere, Jesus, s'ouvrant un chemin
au milieu d'eux, les avait laissesdans I'elTroi etla stupeur.
LES DOllZE APOTRES.
U se dirigea vers Capharnaiim, il allait chercher scs
jiremiers disciples.
Levez-vous, pauvres et simples p^cheurs, abandon-
nez vosfilols et vos barques, oublioz le chaume paisible
sous lequel vous dormiez; la voute de voire lente estde-
sormais la voule du ciel; vos sueurs, lombant goutte a
goulle dans le lac de Genesaretli, vous donnaienta peine
Ic pain de chaque jour ; vos paroles jelees aux nations,
vont leur donner la vie eternelle. Levez-vous, car vous
avez ele choisispour devenir les apolres de la resurrec-
tion! C'est vous qui allez recuedlir les preceptes de la
nouvelle loi pour les porter a tous les points de I'univers ;
maximes divines, dont la sainte induence conduira le
riche au grabat du pauvre, et arrachera la haine du
coeur de lennemi pour y laisser le pardon et I'oubli de
I'injure. C'est vous qui apaiserez les larmes de la dou-
leur et de la niisere ; c'est vous qui remplirez le vide im-
mense de I'ame en lui montrant la croix I
Votre mission a et^ grande, sublime, hero'i'que; votre
gloire s'est assise, majestueuse, a c6le de votre maitre, et
le souvenir que vous avez laissi5 parmi les hommes fait
encore battre le coeur qui vous benit. Vous avez rendu la
sant6 aux malades, ressuscite les morts et gueri les le-
preux ; vous avez chasse les demons et donne graluite-
nient ce qui vous avail ct(5 donn^ graluitement; vous ne
vous ules point mis en peine d'avoir de I'or, de I'argent
ou d'autre monnaie dans votre bourse; vous n'avez ore-
pare ni un sac pour le voyage, ni deux luniques, ni sou-
liers, ni baton, car vous saviez que celui qui travaille
merite d'etre nourri.
0 peuples de Corinlhe, d'Athenes et d'fiphese, sortez
SAINT PIERRE.
de vos vieux tombeaux et venez nous dire quelles lar-
mes creuserent vosjouesen entendant la voix de mise-
ricorde el de grice qui, vous arrachant au neant, vous
plongeait dans un ocean de felicile ; rouvrez avez nous les
porles de ces premiers temples, si simples et si naive-
ment religieux, que vous elevates h Jesus-Christ; nion-
trez-nous les places arrosecs par le sang de vos pre-
miers martyrs et les ruines scculaires de vos dieux de-
lioues.
Et toi, Rome, veuve des Cesars, loi qui, la face tournee
centre leurs sarcophages, pleures surles iniquites de tes
epoux, nous gravirons ton Capilole en chercliant ton Ju-
piter Capitolin ; sur le Forum, nous demanderons le senat
et les peres conscrits; nous irons au Palalin demander it
quelque pretorien la maison dor de JVf'ron ou le sepli-
zonium de Vespasien ; et alors que tu nous auras vus
chercher en vain tes grandeurs passees, tu redresseras
ton front encore majestueux, et tp etaleras a nos regards
la croix qui le decore si royalement. — Ton opulence ler-
restre, creee par les hommes, a vccu ce que vivcnt les
hommes ; mais ta bcaule d'aujourd'hui, celte oeuvred'uu
Dieu, qu'apporterent vers toi ses apolres, tu I'asposs^dee
ettu la possederas toujours. — C'est I'histoire de tes douze
heros que nous aliens ecrire.Nous avons hesite, et peut-
etre eussions-nous recule devant le r(?cit d'aussi grandcs
gloires ; mais une seule chose est venue nous rendre le
courage, nos yeux se sont arr^tes sur ces mots ecrils au
livrede vie : • Q)uironque aura donneseulement a boireun
verre d'eau froide a I'un de ces plus pel its comme etant
de mes disciples, je vous le dis et vous en assure, il ne
perdra point sa recompense. •
SAINT PIERRE (LE PRINCE DES APOTRES),
Li'etait un pauvre pecheur;
il avail nom Simon, et son
pcreetaitappele Jonas. Avec
Andre, son frere, il liabitait
d'abord Bethsaide.remplis-
sant les devoirs de sa mo-
deste profession, rcndant h
Dieu le culte qui lui est di'i;
il vivait dans une ferme
.'UtenteduMessie. Ilssefirent
Ions deux disciples de Jean-
liaptiste, et Andre, ayant
entendu son maitre appeler
.lesus I'agneau de Dieu,
s'attacha au Fils de I'hom-
me , et, selon saint Au-
gustin, passa avec lui le reste du jour et la nuit. Les pa-
roles que le Christ lui fit entendre lejelerentdans I'admi-
ralion, il courut vers Simon el lui ditqu'il avail vule Mes-
sie. Le cceur de celui-ci, deja prepare par la gr&ce, s'emut
d'amour a cette nouvelle, et, pour apaiser la soif qu'il
avail de voir le Sauveur, il conjura son frere de le con-
duire immediatement vers Ji'sus.
Le Christ, les voyantvenir, appela Simon parson nom,
puis, en langue syro-chaldaique, il le nomma Cephas, qui
signifie pierre ou roc. De 1^, les Grecs firent Petros, les
latins Petrus, et les Francais Pierre.
lis passerent quelques jours auprte de Je.sus-Christ ;
mais, I'heurede leur vocation n'etant pas encore venue, ils
rotournerent vers leurs barques, en se promettant de re-
venir entendre ses instructions.
Pierre se maria, et, loujours avec Andre, il quilla
Belhsaide, bourg de la tribu de Nephtali, dans la haute
Galilee, et il vint habiler Capharnaura, oil residail sa
belle -mere. Ndanmoins, il n'avait change que de patrie,
il etait toujours pecheur.
Un jour qu'il lavait ses filets sur le bordde la mer Tibe-
riade ; il vit Jesus entrer dans sa barque pour eviter le
tumulte quefaisait la foule autour de lui, et de la il con-
tinua de parler au people. Ayant terming son discours,
Jesus dita Pierre de Jeter ses filets pour pScher. II avail,
pendant toulela nuit, fait de values tentatives pour prendre
des poissons, et ce ne fut que par respect et ob^issance
qu'il e.'isaya de nouveau. Cette fois, Andre et lui virent
leurs filets tellement charges, qu'ilsiHaientprctsh se rom-
prc. Ils appelerent ii leur aide Jacques et Jean, fils de Zii-
bedee, qui se lenaienta quelque distance, el ils rcmpli-
rent non-seulement leur barque, mais encore celle de ces
derniers, qui elaient pechcurs comme eux. — Avant ce
miracle, Simon avail bien une grande veneration pour
LES DOUZE APOTRES. — SAINT PIERRE.
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celui qu'ilsavait dlrel'agneaude Dieii, maisson Jmen'e-
tait pas encore eclairee par celte foi ardente qui devait
bientot le subjuguer. L'acle de puissance divine dont il
venait d'etre tenioin sembla dessiller ses yeux, et, lout h
coup, il sejetaaux pieds du Christ en s'ecriant : « — Eloi-
gnez-vous de moi, seigneur, car je suis un homme plein
d'iniquiles. • Cette profonde humilite lui merita !es gra-
ces immenses qu'il devait oblenir. — ■ Suivez-moi, vous
et votre frere, lui repondit Jesus, je veux vous faire p6-
clieurs d'liommcs. ■
Ilsne comprirent certainement pas ces paroles, car leur
inlell gence n'avait pas encore ele epuree au feu de I'a-
mour divin; niais ils obeirent sur-le-champ, et I'obeis-
sance ainsi aveugle n'a-t-elle pas un double nierile? —
Leurs barques, leurs filets, leur cbauniiere, lout, ils I'a-
bandonnaient a la voix de Jesus-Cbrist.
La belle-mere de Simon etait malade ; I'bomme-Dieu
la guerit, el ce bit elle qui viiil servir le premier repas
qu'il fit dans la maison et a la table de son premier dis-
ciple.
Des lors, lecffiur del'apolre futouvert, il senlit que le
Messie ^taildevant lui, et que pour toujours il I'avait at-
tache a lui. — II n'a pas encore la perfection chrelienne,
mais il en a le principe, la foi. Et lorsque son niai-
Irp I'aura nourii de ses divines lecons, el que, meme par
les faules qu'il pourra commettre, il lui aura enseigne le
moyen d'eviter I'ecueil, il en sortira grand, sublime; car
toutes les fois qu'il aura lombe, il se sera releva mnjes-
tueusement. — Le voici traversant la mer pour revenir
ii Oipharnaiim avec lc« disciples. Jesus, apres avoir mul-
tiplie les pains, est resle dans le desert; mais, tout h coup,
Pierre voit une ombre qui marche vers eux sur les eaux;
il ne reconnaitpas encore J(5sus, mais il comprend que cq
ne peut ^tre que lui; emporte par son amour pour son
divin maitre, il saute hors de la barque et va a sa ren-
contre en s'avancant, comme lui, sur les eaux; le vent
souffle, une faiblesse humaine assaillit son coeur, et la
grice fuyant avec son courage, les (lots s'ouvrent pour
I'engloutir. — II jette un regard effraye vers le Christ, il
va perir, mais une main est tendue vers lui, et il se re-
levc ^ cote de Jesus. La crainte et le manque de force
morale ont failli le faire succomber; mais I'amour et la
foi I'avoient mis dans le p6ril, Tamour et la foi devaient le
sauver.
Quelque temps apres, le redempleur annonce une nourri-
ture plus spirituelle que celle de la pilque; le peuple, au
cffiur lourd et epais, repousse cette doctrine ; quelqucs
disciples meme suivenl la foule qui fuit Jesus-Christ. ■ — Et
vous, demande-t-il a ceux qui restaient, ne voulez-vous
pas aussi m'abandonner'? — Oil irions-nous, Seigneur ?
s i'crie Pierre, vous avez les paroles de la vie eter-
nelle ! • — Quelle force son coeur et son intelligence ont
acquise!
Sur la route de Cesarce, Jesus demande ce que disent
les Jutfs du Fils de I'homme. On lui repond qu'il est Jean-
Baptiste, £lie, Jeremie ou un propbele; ils'adresse aux
apotres en leur disant : — ■ Et vous, qui croyez vous que
je suis? > Simon-Pierre prend la parole et lui repord
par ces mots : -—Vous Stes le Christ, le fils du Dieu vi-
vant! ■ — Confession eclalante, qui, pour recompense,
lui attire ces autres paroles: «— Vous etesbien heureux,
Simon, fils de Jonas, parce que ce n'est point la chair et
le sang qui vous ont revele ceci, mais mon Pere, qui est
dans les cieux ; et moi aussi, je vous dis que vous 6les
iO LES DOUZE APOTR
Pierre, et que sur celte pierre je biitirai mon ^glise, con-
tre laquelle les porlcs de I'cnfer ne pr^vaudiont point. Je
vous donnerai Ics clefs du royaume des cieux, et tout ce
que vous lierez sur la lerre sera nussi lie dans les cieux,
comme tout ce que vous d(5lierez sur la tcrre sera aussi
deli(5 dans les cieux. » — Confinualion claire et ividenle
de la primauto de saint Pierre, du pouvoir spirituel des
apotres, et creation divine de la liierarchie papalel
Mais le pecheur de Capharnaiim n'avait pu depouiller
encore toute sod enveloppe charnelle, il aimait la vie
terrestre et redoulait la mort ; aussi, lorsque le Christ
predit les souffrances qui I'atlendent a Jerusalem, il le
supplie de fuir un lieu si fatal pour lui, et d'eloigner, autant
qu'il elait en son pouvoir, le calice de douleur dont il doit
s'abreuver. — « Uetirez-vous, Satan ! s'ecrie J^sus, vous
m'files h scandale, vous n'avez de goi\t que pour les die-
ses de la terre ! » — L'amour dunt le Christ brulait pour
I'humanitS causait cette sainte irritation conlre un senti-
ment de crainte ou de pitie qui cut eloigne le sacrifice
qu'il devaitacconiplir. Combien Pierre, en entendantces
paroles, dut comprendre que la loi nouvelle elait line loi
^'abnegation et de renoncement a soi-mcme I quelle le-
•con pour le preparer, lui aussi, h la croi.\ dont il devait
^tre charge plus tardi
La bonne foi de Simon-Pierre est probablement I'une
des verlus qui lui meritcrent I'affection du Christ. Sou-
vent il revolt deseveresreproches, mais toujours c'estlui,
plus parliculierement, que Jesus choisit pour rendre te-
moignage des actes desa vie humaine.
Sur une haute montagne, Pierre, Jacques et Jean sont
conduits par le Christ, et, auxyeux deces troiihommes,
le visage duFils deDieu deviant brillantcomme le soleil,
et ses vetements preunent la blancheur eclatanle d.e la
neige. En meme temps ils voient paraitre Moise et Elie,
qui viennent s'entretcnir avec lui. Et Pierre, extasie de
Oct instant delueur celeste, dita Jesus: .—Seigneur, nous
sommes bien ici ; faisons-y trois tenles, une pour vous,
une pour Moise et I'autre pour £lie. » N'y a-t-il pas dans
ces paroles, oil il s'oublie lui-meme, une touchanle nai-
vete, et, en mi5me temps, un commencement d'oubli de
la terre ?
Mais I'heure du sacrifice allaitbient6t sonner. Jesus, le
cceur plein de tristesse, avail dita Pierre : « — Jevousdis
«n veriti5 que, dans cette meme nuit, vous me renonce-
rez trois fois avant que le coq chante. » Et Pierre, suc-
combant au pech6 de la presoniption, avait r^pondu :
« — Seigneur, quand il me faudrait mourir avec vous, je
ne vous renoncerai point. » Aprfe la priere au jardin de
Gethsemani, oil Pierre s'etait endormi pendant que son
maitre avait souffert, Judas vintaccomplir par un baiser,
I'ceuvre inf^me de sa trahison. Pierre, pour defendre la
celeste victime, lira son epee et en frappa I'un des servi-
teurs du grand-pretre ; mais il remit son arnie dans le
fourreau, selon que Jesus le lui ordonna, et il suivit le
Fils de Dieu que Ton menait ehez Caiph^ II enlra dans
la cour de la maison du grand-pretre, pour savoir ce qui
allait arriver. — C'est dans celle cour que trois fois il
eut peur, que trois fois il menlil, et [qu'aulant de fois il
fit serment de n'avoir jamais connu le Christ. Cruel cha-
timent d'un inslant de presomption ! Dieu permit cette
iniquite afin que, par la suite, le pauvre apotre ne
comptiU pas autant qu'il I'avait fait sur sc\-propres forces.
— Oh; que de larmes coulerent sur ses joues pour ra-
ES.
SAINT PIERRE.
cheler ce peclie! combien dut Mre poignant pour lui le
regard que Jesus lui jela lorsque, pour la Iroisieme fois,
le chant du coq se fit entendre ! — Les souffrances san-
glanles qui prerederenl le crucifiement, la marclie vers le
Calvaire, le dernier cri de I'humanile, tout cela dut bien
torturer le cceur de Simon, surtout lorsqu'il se rappela la
prediction qui lui avait He faite. — Saint Jerome dit que
les joues de saint Pierre furentcreus^es par ses larmes de
repentir.
Tout elait consomm^.
Le troisieme jour le Christ ressuscita d'entre les morts
et apparut aux sainles fenimes. Ce fut Jean qui vint ap-
prendre cette confirmation des prophelies il Simon-Pierre,
lis coururent vers le tonibeau, ils n'y vireiit que des
linceuls. — Mais I'ange qui avait apparu ;i Marie-Madeleine
fit dire aux apotres de se rendre en Galilee, oil Jesus se
ferait voir a eux, ainsi qu'il le Icur avait annonc6 avant
sa mort.
Quelques jours apres,sur les bordsdela mer Tiberiade,
Simon-Pierre, Thomas Didynie, Nalhana(_-I, qui etait de
Cana en Galilee, les fils de Zebedije, et deux autres des
disciples de Jesus, se prcparaient a pecher; ils entrerent
dans une barque, mais pendant toule lanuil ils ne prirent
rien. Le matin etant venu, le Christ parut sur le rivage,
sans que ses disciples I'eussent reconnu; il leur demanda
s'ilsn'avaientaucunenourriture. « — Non,r^pondirent-ils.
— Jetez le filet du c6l(5 droit dela barque, etvous en trou-
verez. • lis le jeterent aussitot, et ils ne pouvaient plus le
retirer, tant il elait charge de poisson. Alorsledisciple que
Jesus aimait dit a Pierre : « — C'est leSeigneur. ■ Pierre le
reconnaissant mit un vetement, car il elait nu, et se
jeta dans la mer pour fitre plus tot aupres de lui, et
pour se prosterner a ses pieds. Jesus dit aux apotres :
« — Apportez de ces poissons que vous venczde prendre. »
Simon-Pierre rcmonta dans la barque et lira i lerre le
filet qui etait plein de cent cinquante-lrois grands poissons.
J&usdit ensuileaux apotres : « — Venez diner, » etayant
pris le pain il leur en donna ainsi que du poisson. Apres
qu'ilseurentdini',Jesusdila Simon- Pierre: • — Simon, fils
de Jean, m'aimez- vous plus queue font ceux-ci? — Oui, Sei-
gneur, i'6pondit-il, vous savez queje voiisaime. » Jesus lui
dit : I — Failes paitremes agneaux. • II lui demanda de
nouveau : • — Simon, fils de Jean, m'aimez-vous? » Pierre
repondit: «—Oui, Seigneur, vous savez queje vous aime. »
Jesus lui dit: • — Faites paiire mes agneaux. » — Pour la
troisi&me fois il lui demanda: « — Simon, m'aimez-vous? »
Pierre, louche de cette troisieme demande sur la m^me
question, craignit d'avoir dejci trop parl^ de son propre
amoursans bien connaitrecelui qui pouvaitexisterdansle
coeur desaulresapotres, et, baissant la ISle, ilgarda le si-
lence. Jesus lui repela : • — Faites paitre mes agneaux. •
Sublime naivete du p£-cheur de Capharnaiim I Une fois
il a d^jJi trop compte sur sespropres forces, et, se rappe-
lant ses fautes, il evite en tremblant la presomption qui
en avail ete la cause.
C'est a la suite de cetle sci;ne louchaiUe que Ji5sus
preditii Pierre lessouffrances qu'il doitepiouver et m6me
son genre de mort : • — Lorsque vous eticz plus jeune, lui
dit-il, vous vousceigniez vousmeme, et vousalliezou vous
vouliez ; mais lorsque vous serez vieux, vous(?lendre2vos
mains, et un autre vous ceindra et vous miMiera ou vous
ne voudrez pas. » Saint Pierre se rejouit en ecoulanl ces
funi.'bres paroles, car il compril dte lors qu'il boiraitdans
LES DOUZE APOTRES. —SAINT PIERRE.
II
le calice de son niailreet qu'il aurait occasion de faire une
reparation publique de son premier peche.
Une dernieie fois assembles sur une montagne de Gali-
lee, les onzeapotres virent apparailre Jesus-Christ; quel-
ques-unsd'enlreeuxavaientencoredesdoutes, maisil leur
dit: « — Toute puissance m'a ete donnee dans lecieletsur
la terre; allez done et instruisez tous les peuples, les
baptisant au nom du Pere, du Fils et du Saint-Esprit! »
Le Messieavait accompli les propheties, 11 etait remon-
te vers son Pere.
Maintenant voici ces liommes pauvres, illettres, de-
nu^s de tous secours humains, charges d'accomplir la
civilisation universelle, — et leur chef, celui qui a recu
mission de les conduire dans la voie de gloire, c'est un
p^cheur, un simple pScheur. Oh ! ou done serait leur force
et leur couragesi le Saint-Esprit n'allait bientot descend re
sur eux !
Le jour dela Pentecole, r^unis dans un meme lieu, ils
entendirent tout a coup un grand bruit; on eiitdit le vent
soufflant avec toute la violence et limpetuosite que lui
donne une tempSte. En niAme temps de petites flammes
s'arreterent sur chacun d'eux, et aussitdt, aninies de I'es-
prit de Dieu, aucune langue ne leur fut etrangere. II y
avail alors dans Jerusalem dcs Juifs de toutes les nations
qui sont sous le ciel. Des que ce miracle fut connu, ils
s'asseniblerent en grand nombre et furent epouvantes de
les entendre parler ainsi tous les langages humains. — Les
Parlhes, les Medes, les filamiles, les peuples dela Mesopo-
taniie, de la Jud^e, de la Cappadoce, du Pont et de I'Asie,
les Cretois et les Arabes s'anfitaient ebahis en se deman-
dant d'oii venait un evenement si extraordinaire. Quelques-
uns, peu sens(5s dans leurs sarcasmes, pretendirent que les
apotres etaient ivres et pleins de vin nouveau; alors Pierre
se pr&enlant^leva la voix et leur dit : « — 0 Juifs, et vous
tous qui demeurez dans Jerusalem, ^coutez ce que je
vais vous dire, et reflechissez sur mes paroles. Ces per-
sonnes ne sont pas ivres, conime vous le pensez, puisqu'il
n'est encore que la troisi^me heure du jour, niais c'est
06 qui a et6 annonce par le prophbte Joel : « Pour les der-
• niers temps, ditle Seigneur, je repandrai de mon esprit
• sur toute chair : vos fils et vos fiUes prophetiseront;
' vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards au-
« ront des songes. En cejour-laje repandrai de mon esprit
. sur mes serviteurs et sur messervanles etilsprophetise-
■ ronl;jeferaiparaitreenhautdesprodigesdansleciel eten
« bas des signes extraordiriaires sur la terre ; du sang, du
« feu et une vapeur de fumee; le soleil sera change en
« tta^bres et la lune en sang, avant que le grand jour
« du Seigneur arrive et paraisse avec eclat. Et pour
« lors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera
« sauvfe. »'0 Israelites, ecoulez les paroles que je vais vous
dire : vous savez que Jesus de Nazareth a ete un
homme que Dieu a rendu celebre parmi vous par les
merveilles, les prodiges et les miracles qu'il a faits par
lui au milieu de vous. Cependant vous I'avez crucifie et
vous I'avez fait mourir par les mains des mechants, vous
ayant ete livr^ par un ordre exprcs de la volonte de Dieu,
et par un decret de sa prescience. Mais Dieu I'a ressusciti5
en arretant les douleurs de I'enfer, elant impossible
qu'il y fut retcnu, car David dit de lui : i< J'avais toujours
le Seigneur prfeentdevant moi, parcequ'il est a ma droite
afin que je ne sois pas ebranle; c'est pour cela que mon
coeur s'est rejoui, que ma langue a chante de joie et que
ma chair mfeme reposera en esperance, parce que vous ne
laisserez point mon coeur dans I'enfer et ne permettrez
point que votre saint eprouve la corruption. Vous m'avez
fait connaitie le chemin de la vie, et vous me remplirez
de la joie que donne la vue de votre visage. » Mes freres,
qu'il me soit permis de vous dire hardiment du patriarche
David qu'il est mort, qu'il a ete enseveli, et que son se-
pulcre est parmi nousjusqu'a ce jour. Comnie il etait
done prophele et qu'il savait que Dieu lui av;iit promis,
avec scrment, qu'il ferait naitre de son sang un fils qui
serait assis sur un trone, dans cette connaissance qu'il
avait de I'avenir il a parle de la resurrection du Christ en
disant qu'il n'a point ^t^ laiss6 dans I'enfer et que sa
chair n'a point eprouve la corruption. C'est ce J^sus que
Dieu a ressuscito, ct nous sommes tous temoins de sa re-
surrection. Aprfesdonc qu'il a i5ti5 61eve par la puis.sance
de Dieu et qu'il arefu I'accomplissement de la promesse
que le Pere lui avait faite d'envoyer le Saint-Esprit, il a
repandu cet Esprit saint que vous voyez et entendez
maintenant. Car Da\id n'est point monle dans le ciel : or,
il dit lui-meme : Le Seigneur a dit h mon Seigneur :
Asseyez-vous a ma droite, jusqu'a ce que je reduise vos
ennemis a vousservir de marche-pied; que toute maisou
d'Israel sache done tres-certainenient que Dieu a fait
Seigneur et Christ ce Jesus que vous avez crucifie. »
Les Juifs, en enlendant ce discours, furent emus de
coniponction, et ils direnta Pierre et aux autres apotres :
« — Mes freres, que faut-il que nous fassions? » Pierre leur
repondit: • — Faites penitence, et que chacun de vous soit
baptise au nom de Jesus-Christ, pourobteniria remission
de ses peches, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. »
Trois mille personnes recurent ainsi la parole et le
baptijme.
Le mfime jour, ^ la neuvifeme heure, Pierre el Jean
moutaient au Temple pour assister h la priere; ils virenl
a la porte un homme boiteux des le ventre de sa mere,
que Ton mettait la tous les jours afin qu'il demandSit
I'aumone h ceux qui enlraient; cet homme ayant vu Pierre
el Jean les pria de lui donner quelque secours. Pierre
s'arretant lui dit : « — Regardez-nous. » 11 lesregardait at-
lentivement, esperant recevoir ce qu'il avait demande; I'a-
polre lui dil : • — Je n'ainior ni argent, mais ceque j'aije
vous le donne ; levez-vous, au nom de J6sus-CUrist de Na-
zareth,etmarchez. • Le boiteux selevaaussitotet commenca
i marcher. Le peuple etonne vint s'attrouper autour
des deux disciples, etilsemblait leuratlribuer le merilede
cette action; mais leur chef, saisissant avec ardeur toute
occasion de glorifier son divin maitre, dit : « — C'est par
la puissance de Jesus que nous avons gu^ri cet homme. »
Les priilres, le capitaine des gardes du Temple et les
Sadduceenss'etaientirritesenvoyantque,parleurssimples
discours, les apotres convertissaient k la nouvelle loi des
populations tout entieres; mais lorsqu'ils eurent connais-
sance du miracle que Pierre et Jean venaient d'operer,
leur colore n'eut aucune borne, et ayant failvenir ces deux
hommes, ils leur demandcirent par quelle puissance ou
au nom de qui ils avaient agi. Pierre prit hardiment la
parole, et toujours c'esl la foi ardente qui deborde de son
coeur: • — Puisque, dit-il, on nous demande raison aujour-
d'hui du bien que nous avons fait ij un malheureux,
nous vous deelarons, a vous tous eta tout le peuple disrael,
que c'esl par le nom de notre Seigneur Jesus-Christ de
Nazareth, crucifie par vous etressuscile par Dieu d'entre
12
LES DOUZE APOTIIES— SAINT PIERUE.
]es morts, que cet homme a cti^ gueri ct qu'i! est debout
devant vous. C'est eetle pierre que vous autres architerles
avoz rejelt^o, et qui cependant a ele faile la prinripale
pierre de l'ani;le.
La fermct6 el I'eloquonce de cet apdtre, que I'oii con-
naissajt pour un homme du peuple, ne firent qu'augmen-
ter I'etonnement de ceux qui I'entendaient, et dej'a
les enfants d'lsrai'l qui ne croyaient pas en Jesus-Christ
commenrferent a sentir dans leur ca'ur le trouble el
I'incerlitude. Neanmoins les Sadduceens firent defendre;i
ces nobles athletes de parler a I'avenir au nom de Jesus-
Christ. Impuissante prohibition, qui ne pouvait qu'au<;
Sa t r tr t e r 1 un bo teux
menlerleur rele, tant leur foi elait devenue inebranlable !
Le nombre des fideles allait croissant, et il n'y avait
point depauvres parmi eux, parceque lous ceux qui pos-
sedaient des fends de terre ou des maisons les vendaient
et en rnetlaient le prix aux pieds desapolres. Un homme
nomme Anaiiie, etSaphire sa femme, vendirentainsileur
patrimoine. lis vinrent en deposer le prix entre les mains
de saint Pierre, s'en reservant secrelement une porlion.
Mais le pasteur du Iroupeau chretien eut a I'instant con-
naissance du mensonge qui lui elait fait, elayant denian-
de, d'abord ^ Ananie, puis^Saphire, s'ils n'avaient vendu
leurfondsde terre que pour celle somme, ils repondirent
oui I'un apres I'autre, et I'un apres I'autre ils rendirent
i'esprit, frappes par la colere de Dieu. — Terrible et juste
repression de I'esprit du nial qui se glissait deja dans le
berceau du christianisme.
Tourraente par les pro^resde la nouvelleloi, epouvanle
par les miracles que faisaient les apotres et surtout par
les nombreuses guerisons qu'op(5rait seule I'ombre de
Pierre, le grand conseil fit metlre en prison les douze
disciples du Christ ; mais un ange leur ouvrit les portes
de fcr et leur commanda de sorlir pour aller de nouveau
pr^cher en liberttj la doctrine de \ie. Le capitaine des
gardes du Temple et les princes des prf tres s'assemblerent
pour d(5lib6rer sur le sort de ceux qu'ils croyaient encore
leurs prisonniers ; mais, au moment oil ils exprimaient
leur grand embarras sur ce point, on vint leur dire que
ceux qu'ils avaient ecroues dans la maison publique
etaient a cette heure dans le Temple, oii ils enseignaient
le peuple. Transportes de rage, les puissants Sadduceens
les firent de nouveau conduire devant eux; mais celle
fois ils se virent forces de les trailer avec douceur,
dumoins dans les rues de Jerusalem, car la foule eiit la-
pide les soldals el le grand conseil. Un pharisien, nomm(^
Gamaliel, sut tirer le conseil de I'embarras oil il elait en
lui disant ces paroles : • — Ne vous melez point de ce qui
regarde ces gens-lJi, et laissez-les faire ; car si ce conseil
ou cette ceuvre vient des hommes, elle se delruira, tandis
que si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la d^lruire, et
vousseriezen danger de comballre conlre Dieu mdme. •
— Ils se rendirent a cet avis, et ayant fait fouetter les
apotres ei leur ayant dcfendu de parler k I'avenir au nom
de Jesus, ils les rcnvoyirent. — Race de viperes, chaque
outrage que vous faisiez eprouver b ces defenseurs de la
foi, chaquo coup doni vous les frappiez, elait un nouvel
ebranlement donn^ au vicil edifice de vos anciennes
croyances!
Peu de temps aprte, une grande persecution se souleva con-
lre I'eglise, et lesbrebis, effrayecs des hurlementsdesloups,
se disperserent dans la vallee. Les pasteurs seuls reslerent
inebranlables, protegeant leur fdible Iroupeau conlre les
coupsdontraccablailunjcune homme nomme Saul. Pierre
et Jean furentenvoyesen Samarie pour imposer les mains
et donner le Saint- Esprit a ceux qui avaient reeu la pa-
role de Dieu; et, dans la ville de Samarie, un niagicien,
nomme Simon, ayant ele baptise, offrit de I'argent h
Pierre pour qu'il lui donnJt le droit de faire des miracles
comme lui. Mais Pierre, indigne, le repoussa en lui di-
sant : « Que voire argent perisse avec vous, vous qui
avez cru que le don de Dieu put s'acquerir avec de I'ar-
gent ! »
Saiutfilicnne avail donne savir pour Jesus-Christ, ilve-
nait de prendre dans le ciel la premiere couronne,rougiedu
glorieux sang des marlyi's; Saul, arrele sur le chemin de
Damas, apres avoir domande le ba|ileme au disciple Ana-
nie, confessait lenom du I'ds de Dieu el le redisait ii J^-
LES DOIZE APOTRES. — SAINT PIERRE
rusalem.L'£)glise, dans un instant de calme, etendait ses
salulaires influences dansloute la Judee, la Galilee et la
Samarie. Pierre, parti deJLydde.oii il avail gueri Ic para-
lylique Enee, ressuscitait a Joppe la vertueuse Tabilhe,
et, dans la maison de Simon le corroyeur, il recevait la
visite d'un ange qui lui disait d'aller a Cesaree bapliser le
centurion Corneille. Ensuile il avail vii celle nappe
13
mysterieuse par laquelle Dieu avalt voulu lui faire com-
prendre que Toeuvrede redemption ne s'adressait pas seu-
lement aux Juifs, mais bien aux gentils et k tous les idu-
laties de I'univers. — Le lendemain, il suivail les deux
domestiques de Corneille et le soldat qui etaient venus le
chercher, el, arrive a Cesaree, dans la maison du centu-
rion, qui, a sa vue, se jetail a ses picds, il lui disait :
Ln ange vient ordonner j saiut Ficrre d'aller bapliser le cenluiiun Corneille.
• — Relevez-vous, car je ne suis qu'un iiomme comme
vous !« et il le baptisait.
De Cesaree il se rendit a Antioche, oil I'Evangile faisait
de nombreux proselytes qui commencaient a porter le
noni de cliretiens. Les douze apotres s'etaient partage le
monde; Pierre etait destine a porter la parole de Dieu
<lans la capilale du monde remain. Ce fut apies avoir,
pendant sept ans, gouverne I'eglise d'Antioche, en repan-
dant la foi dans loule I'Asie, le Pont, la Galatie, la Bi-
thynie et la Cappadoce, qu'enrichi de tant de depouilles
arrachces au demon, il entreprit de Taller terrasser a
Rome, oil il semblait avoir fonde le Ir6ne deses inimilies
centre le genre humain. — Ce meme homnie, qui avail
recule en face d'une servanle, el qui avail renie son Dieu
parun sentiment de crainlc futile, ne liemblait plus au-
jourd'bui devant les empereuis et les legions de la cile
paienne.
Claude r^gnait alors dans ce centre de I'idolJitrie oil
Pierre venail de planter I'etendard sacre de I'fivangile.
Le senateur Pudenlius fut un des premiers Remains qui
recurent le bapteme. De la il revient a .lerusaleni. Dans
cette ville il y eut bienlot un si grand nombre de
Chretiens qu'Herode Agrippa, pour arreler celle sainle
impulsion , fit jeter dans les fers le chef de I'figlise
naissante. Seize soldals le gardaient charge de chaines;
mais que sent les efforts des honimes centre la puis-
sance de Dieu I Un ange delivra raputie, et apres lui
avoir fait traverser les portes de la prison, il le laissa
dans une rue de Rome. C'est alors que Pierre va Trapper
a la porle de la maison de Marie, mere de Jean Slaic, oii
un grand nombre de fideloi elait en prii;res. Uneser\anle
reconnul sa voix, et dans son transport de joie, oubliani
d'ouvrir h celui qui s'etait nomme, elle court dire aux
Chretiens: • — Pierre est a la porle ! » On ouvrit, il entra,
on le reconnut, et la joie des fideles se melangea aux ac-
tions de graces.
Pcu de temps apres, il ecrivit sa premiere epilre aux
Chretiens duPonl, de la (lalalie, de I'Asie el de la Cap-
padoce. On y trouve loule la dignile el la viguour du
prince des apotres.
L'an 51 de Jesus-Christ il assemble le concile de Jeru-
salem, el il y fail decider que les gentils converlis a la
foi ne seront pas tenus de se soumellre aux observances
mosa'i'ques, comme le voulaient les Jui fs deveuus Chretiens.
Enfin saint Pierre, parvenu a un age avance, voyaitap-
procher pour lui la couronne du marlyre, que le Sauveur
lui avail promise. Unefois,esl-il dit, il eutencoreunmou-
vemenl de faiblesse charnelle, et pour evilerla perseculion
que Neron exercait a Rome, il sorlail de celle ville; mais
il renconlra Jesus sur son chemin, el ayant Oemande .
• — Seigneur, oil allez-vous"? ■ il lui fut repondu : • — Je
vais il Jerusalem pour y elre erucifie une seconde fois. •
!1 compril le sens de ces paroles, et revint dans la
ville idolalre, oil Neron le fit jeler dans un cachot.
u
NOTRE-DAME DE PARIS.
Avanl de triompher de ce barbare empereur par une
mort gloricuse, Pierre, qui fut martyrise avec Paul, rem-
porta une cclalante victoire sur le plus grand ennemi que
Vfegliseeut en ces premiers temps. Simon le magicien,
qui, loin d'avoir profile du severe exemple qui lui avail
6i& donne a Samarie, employail tous scs efforts k decrier
et ruiner I'fleuvreevang^lique, pretendait, lui aussi, avoir
le pouvoir de faire des miracles, et il avail annonce pour
en donner une preuve que, devanl tous les citoyens et
I'empercur lui-mSme, il s'clfeverail dans les airs. — C'^-
lait par le secours des demons que Simon esperait accom-
plir .<;on ascension; mais Pierre et Paul ayantappris celle
odieuse tentative se mirent en priere, et Simon, s'etant
effectivement enlev^, fut subitemenl abandonne par la
puissance infernale et tomba lourdemcnt sur la lerre; ses
jambes furent bris6es, el son sang rejaillit jusque sur le
pavilion d'uii Neron le regardait. On Temporta; mais ar-
rive dans sa maison, il se precipila du haul d'une fenfire
el se lua.
Lejourdu marlyre de Pierre et de Paul 6tait venu;
on les conduisil ensemble hors la villo jusqu'au lieu ap-
pele les Eaux Sahnennes. On preseuta a saint Pierre
I'instrument de son supplice : c'elait une croixl A celle
heure supreme, la joie inonda son visage, il leva les yeux
au ciel, heureux de mourir comme son maitre, mais
voulanl faire un dernier acle d'humilite, il demanda
qu'on le crucifiSl la tete en bas. — Ses bourreaux se
rendirent a sa priere. — Saint Paul, comme citoyen ro-
main, eut la iSte tranchSe.
Quelle mort pouvait couronncr plus majeslueusement
une vie consacrie k I'enfanl de Nazareth?
Andre Tuomas.
BISTOIRE ET DESCRIPTION DES CATHEDRALES DE FBANCE.
NOTRE-SAME BE PAHIS.
Les peuples, suivant leur genie, se sont plu dans tous
; es temps a prodiguer aux monuments religieux les acces-
soires d'une architecture toujoursen rapport avec les idees
dominantes.
Ainsi dans le polylheisme sensuel des Grecs , les
formes arrondies, elegantes, riches, prevalurent avec
I'ordre corinlhien ; tandis qu'avec le chrislianisme la s6-
verile el la hardiesse du style gothique ligurent la foi
qui s'eleve, spiritualis^e, vers le ciel. La foi vitdans ces
fenelres ogivales, qui supporleraienl des niontagnes; dans
ces voilles sombres, myslferieusemenl suspendues au-des-
sus de la lerre, dans la pose et le Ion de ces statues d'oii
s'exhalent ^ flots la sainte poesie el I'ardente priere. II
n'apparlient qu'a des epoques negatives de transformer
les temples Chretiens ea boudoirs r,elui§ants de doru,res et
tapisses de tableaux, oil les hardiesses d'un art profane
ont remplac^ les formes s^veres del'art chretien.
C'esl principalemenl dans nos vieilles calhedrales quo
nous pouvons esperer de rctrouver encore ces caract^res
imposants et en quelque sorte divins que I'espril mo-
derne, renforce de badigeonnage, s'efforce de faire dis-
paraitre de nos temples.
Dans celle intention nous passerons en revue les plus
remarquables eglisesde France, non point sans doulepour
nous laisser allcr h un examen arlistique, hors de saison dans
ce journal, mais pour donner a nos lecleurs une idee juste
el suflisante de ces magnifiques poeniesduraoyen age.
Nous commencerons par Notre-Dame de Paris, cette
imposaiite reine de nos cathMrales.
Combien ce seul nom ne reveille-t-il pas de sou\enirs
NOTRE-DAME DE PARIS.
IS
dans le pass6 ! que de grands evenements se sont accom-
plis autour de ces tours geanles, qui dominent fierement
la capitale, et semblenl se dresser par- dessuslescombles
des hauls (Edifices pour mieux conlemplcr le cours pai-
sible et les mcandres de la Seine! Voyez-les, avec leurs
neurons, leurs ogives, leurs sculptures dentelees.leursgale-
ries etieurscreneaux; voyez-les, noircies par I'haleinedcs
siecles, plonger dans les regions celestes, comme une im-
muable pensee d'immortalile!
L'une d'elles, la plus nieridionale, porle ce fameux
bourdon, qui a resiste a toules les lempetesr^volulionnai-
res, et dont la voix solennelle semble venir du firmamenl.
Cette cloche p6se seize niiUe kilogrammes, et son baltant
quatre cent quatre-vingt-huit. Elle eut pour parrain et
marraine Louis XIV etia reine Marie-Therese.
Debout aux deux angles de la grande facade, lesdeux tours
voient s'^lever, a leur piedet dans I'espace qui les separe,
troisportiquesin^gaux, decores d'ornenients et de statues
gothiques ; au-dessusestune ligne devingt-huit niches oc-
cupees autrefois par les statues des rois de Franceet vides
depuis 1792. Cette ligne de niches est surmonlee d'une
rose monstrueuse, ciseleeh jour, et qui n'a pas nioins de
quatorze metres de large, ouvrage aussi colossal que
merveilleusement elabore. Sur la rose s'eleve audacieu-
sement une galerie allant d"une tour a I'autre, et dont les
sveltes colonnettes sont d'une grice admirable.
Qu'on se figure la splendeur exti5ricure de cetle entree,
surtout lorsqu'un grand escalier de onze marches I'ex-
haussait au-dessus du sol, et que la main du vandalisme
n'avaitpasmulileses ornementsetdepouillesesportiques !
L'interieur de I'eglise, qui a la forme d'une croix la-
line, impose par ses larges et belles proportions. La nef
du milieu, soutenue par vingt piliers gothiques, repond h
la majesle de la facade exterieure ; de chaque cote sont
deux rangs de nefs moins elevees, mais remarquables en-
core, et qui soutiennent de vastes galeries que remplit la
foule aux jours des grandes solennites.
Notre-Dame est eclairee de cent treize vitraux, mais qui
n'egalentpas en beaute ceuxde Saint-Germain-l'.Auxerrois.
Elle contenait aulrefciis un nombre prodi-ieux de statues
et de tableaux qui ont disparu dans les revolutions poli-
liques.
.4u rond-point de Tcglise on admire la chapelle de la
Vierge, que decorait jadis le fameux lanipadaire compo.se
de sept lampes d'argent. Louis XIV en avail donne six.
La seplieme, en forme de vaisseau, etait un don de la
viilede Paris.
Le cha:ur, avec ses niajeslueuses fenetres, est d'un
aspect lout a fait grandiose. Lemaitre-autelest decore de
six anges de bronze poses sur des socles de marbre blanc.
Derriere cet autel, sousl'arcade du milieu, est une descento
de croix en marbre, appelee le Twu de Louis XIII, et
qui fut execulce, en 1753, par Couslou. C'est une grande
croix sur laquelle estjeleeune draperie; au bas est la
Vierge Marie, tenant sur ses gcnoux le corps mort du
Christ ; de chaque cotti ^taient placees sur des piedestaux
les figures a genoux de Louis Xlll et de Louis XIV, mais
ces deuxstatues ontele enlevces en 1831.
La longueur de cette calhedrale est d'environ cent
cinqiianle-huit metres dans son oeuvre ; sa longueur,
entre la nef et le choeur, est de quaranle-six metres.
et la hauleur de la voiite de trenle-lrois metres.
II faut le dire, les orages politiques, et bien plus encore
ce qu'on appelle I'art, et qui n'en est que la profanation,
ont porle de rudes altcintes h I'eglise de Nolre-Dame.
Chaque siecle en passant a voulu toucher a cet edifice et
n'a fait que diminuer sa splendeur primitive.
Mais une chose qui s'est trouvce au-dessus des atteintes
de la main des hommes, une chose h laquelle le temps
lui-mfme ne fait qu'ajouter une consecration nouvelle,
ce sont les grands souvenirs que reveille I'auguste en-
ceinte de ce temple.
Apres s'etre incline devant le formidable sanctuaire de
la divinity qui le remplit, s'il est permis de laisser alter
sa pensee aux evenemenis divers qui se sont accomplis
sous les voiites de cette metropole, quelles emotions n'e-
prouvcrons-nous pas!
C'est li qu'au douzi^me siecle Henri Heraclius,
grand palriarche de J^usalem, precha la troisifeme croi-
sade centre les ennemis du nom Chretien et de la civili-
sation. II fut le premier qui officia dans celle eglise.
C'est 1^ que Philippe le Bel inaugura sa victoire de
Cassel par des monuments el des solennites memorables.
Sur ces paves que vous foulez se sont agenouilles tous
les grands rois, tons les grands capilaines, toules les illus-
trations de la France : ce Louis IX, qui mourut en com-
baltant pour la foi ; ce Henri IV, aux souvenirs guerriers
et populaires; ce Louis XIV, dont on ne rappelle ici que
la grandeur et la piete.
Puis vient un interregne, sombre comme un jour d'o-
rage au coeur de I'ete : prSlez-l'oreille, n'entendez-vous
pas"? la foule est a la porle du temple ; non pas la foule
pieusc qui vient k la priere, mais celle qui mugit comme-
une mer, qui brise les statues des saints, profane la tombe
des morls, declare la guerre a Dieu et le proscrit de son
temple. Tout ce qui est sacre a disparu : la priere, le
prctre, la divinite. Je me trompe, la Raison recoil la de-
dicace du temple ; elle y est solennellement inauguree,
comme si la raison pouvait exister oti Dieu n'est plus!
Mais, par une loi providenlielle, les grandes folies sont
comme les violentes lempeles, elles durent peu. Deja la
basilique est redevenue chrelienne : une multilude im-
mense, composeede toules lesgrandeursdu siecle, encom-
bre ses porliques; quel eclat, quelle pompe guerriere,
quels decors, quelle solennite sans e.xemple dans I'histoire!
C'est Napoleon qui fait benir par Pie VII une couronne
d'empereur else la metlui-meme sur le front!
Apres un tableau si resplendissant, nous n'irons pas
plus loin... Xous laisserons le champ libre aux reflexions
de nos lecleurs, persuades qu'ils penseront comme nous,
que les grandes choses ici-bas sont les plus voisines di s
grandes miseres, et que I'avenir a pour les maitres du
monde de lerribles peripeties, des retours effrayants.
Nous n'ajouterons qu'un mot : si vous demandez I'ori-
gine de cette grande calhedrale oii ont relenti les voix des
plus illustres predicaleurs, oil i, cette heure meme I'elo-
quent Lacordaire attire une foule d'elile, nous vons dirons
que la date de sa fondalion, qui ne renionte pas cepen-
dant au dela du onzieme siecle, est environnee de bien
des tenebres. II en est ainsi de la plupart des grands mo-
numents; I'ombre du mystererecouvre leurberceau.
Ch. Chaubet.
^^^^a^ftP^^^-^^
10
CHARLEMAGNE.
m FRANCMS IllOSTBES.
<ig.^
Chnrlemagne arriva au Irone, precede par line loiiS"e suite
(laieux, dontuii seul out le litre de roi, mais qui tous avaient
exerce una auloi'ile vraiment royale.
Dans les premieres annees du septieme siecle, les loudes
d'Auslrasie s'etaient ligues centre la reine Bruneliaut, sous la
conduite de saint Arnold, eveque de llelz, et de IVpin de Lan-
den, les premiers qui illuslrerent la race carlovingienne. — L;i
politique de cette puissanle famille fut bientot tracee. Elle sc
placa du premier coup assez pres du Irene pour qu'un jour
un de ses membres essayat de ravir la couronne qui cliancelait
sur la tete d'un monarque faineant; usurpation prematuree el
promptement punie, mais dont I'audace fit la fortune de cette
famille.
Un pelit-fils de Pepin le Vieux p3r sa mere, Begga, et de
saint Arnold [lar Ansegise, son pere, reunit I'herilage des deux
families, et les pretentions de la nouvelle niaison d'Heristal
furent doublccG avec sa puissance. I.e second Pepin se trouva
le chef do toute I'Austrasie, el, qnelque temps apres son ^lu-
''^^''•^">^^'^t^^r^
CHARLEMAGNE.
17
valion au pouvoir, le champ de bataille de Testry deve-
nait le tombeau de la royaute des Merovingiens et de la
mairie neuslrienne; une illustre race succeda a des rois
abcitardis, que Ton ne montrait plus qu'une fois par an k
leurs guerriers.
Charles Martel alTermit sa puissance en repoussant I'in-
vasion arabe. Onze ans apres la mortdu vainqueur d'Ab-
derame, Pepin le Bref se fit ^acrer par saiiU Boniface, el
le pape Zacharie approuva cetle usurpation necessaire,
qui reg^nerait la royaute.
Une nouvelle dynaslie commence done ; avec elle de
nouvelles destinees s'ouvreni, une nouvelle tJche parait.
Deux grands homnies, des le debut, se chargferentdel'ac-.
complir. II s'agissait d'arreter I'invasion germaine et
d'immobiliser la conquete , enfin de r^unir sous une
m6me loi le territoire de la Gaule. Les vues setournaient
aussi de deux autres cotes : \ers TEspagne, centre les
Sarrasins; vers I'llalie, centre les Lombards, ennemis de
la papaute, qui dut aux Carlovingiens sa grandeur nais-
sante.
Pepin le Bref laissait done un immense heritage de
gloire ct de conqu^tes ; la main puissante de Charlemagne
pouvait tout contenir,et le genie du filsne relevapasme-
diocrement la reputation du pere. Avant de mourir, re
roi prudent avait eu soin de faire sacrer ses deux fils,
Charles et Carloman, par le pape Ktienne II, et de faire
un parla;:;e solennel du royaume : I'Occident fut assigne
a Charles, I'Orient a Carloman. Le premier fut couronne
■d Noyon, le second recut a Soissons les insignes de la
royaute (9 octobre 768).
Charles, I'aine des deux fils de Pepin, avait huit ans de
plus que son frere : il elaitne dans I'annee 742, qui sui-
vit la mort de son illustre a'leul Charles Martel. L'union
conslante qui avail fait la force de Pepin et de Carloman,
le pere et I'oncle des deux jeunes princes, ne regna pas
longteraps entre eux, et une rupture ne tarda pas a eclater.
Apres avoir fait un voyage autour de ses fitats pour
ttudier le pays et la nation, Charles, I'esprit deja plein
de sa grandeur future, tourna les yeux vers I'Aquitaine,
oil remuait un redoutable rival, le vieil Hunold ; le de-
fenseur de I'Aquitaine venait de quitter tout k coup sa
relraite de \ingt-lrois ans, pour venger sur des princes
inhabiles la mort de son fils Waifre, assassine par Pepin.
Tout le pcuplese leva i la voix de son ancien maitre, et
Hunold put se (latter, ii cet enthousiasme de la nation,
d'avoir deja reconquis son duche.
Charles et Carloman passent la Loire, mais la discorde
lessepare; Carloman renimcne ses soldats, et Charles
reste seul charge du poidsde la guerre. 11 eut une victoire
pour son coup d'essai. Hunold fut battuetpris;<nais, par-
venu a s'6chapper, il s'en alia revelller la haine des Lom-
bards.
Malgre ce brillant d^but, Charles avait encore de grands
embarras : Carloman etait mecontent, les Lombards s'a-
gilaient et menacaient; une femme, cependant, veillait
dans le palais du jeune roi ; c'^tait Bertrade, sa mere,
qui cherchait tons les moyens d'assurerla paixau dedans
et au dehors. Elle reconcilia les deux frercs, tant bien
que mal, et presque malgre eux ; elle maria Charles k
Hermengarde, fille de Didier, roi des Lombards. Restait
une derniere inquietude, un neveu de Pepin, Tassillon,
ducde Bavicre ; Bertrade le forca aussi a la paix.
Enfin, Carloman vint a mourir; Charles assemble a la
III.
hAte les barons d'Austrasie, usurpe le domaine de Carlo-
man et se fait reconnaitre comme chef unique de la mo-
narcliie franque, pendant que la veuve de Carloman et
ses deux fils depossedes allaiont augmenter en Italic le
nombre des conspirateurs. C'eiait Didier qui les accueil-
lait tons, pour se venger de ce que Charlemagne avait
repudie sa fille apres un an de mariage, pour s'allier a
Hildegarde. de la nation des Sueves.
Aux inimities des deux princes et des deux peuples se
joignait une necessite politique •, la guerre ne tarda pas a
eclater. Le pape, Adrien 1"', denonca a Charlemagne les
projels hosliles de Didier, qui lui conseillait de sacrer les
fils de Carloman, et de donner ainsi un desaveu .<;olen-
nel a son usurpation ; il etait bien aise d'appeler le
grand roi des Francs en Italie, tontre les armes niena-
cantes des Lombards. Charles accueillil favorablement
les ambassadeurs du pape ; et, assemblant a Geneve ses
barons et ses guerriers, il passa les Alpes par le mont
Cenis, tandis qu'une autre armfe franchissait le grand
Saint-Bernard. Pavie, capitale des Lombards, fut as-
siegee.
Pendant le siege, qu'il confia k un de ses barons, Char-
lemagne fit un voyage a Rome pour y cclebrer la fete da
Paques. II y fit une entree triomphale, au milieu d'une
multitude loujours avide des pompes les plus frivoles,
toujours curieuse des grands hommcs. C'est alors qu'il
entreprit de fonder la pnissarlce temporelle des papes. 11
confirnia la donation faile par son pere, et qui consistait
dans I'exarchat de Ravenne, en y ajoutant encore de
nouveaux privileges.
Le retour de Charles a Pavie termina d'un seul coup la
conquete du royaume lombard. Didier finit ses jours dans
un mona.slere ; son fils Adalgise s'enfuit a Constantinople,
pendant que le roi franc recevait la couronne de fer des
rois de Lombardie. Nous ne terminerons pasl'histoire de
celte guerre si importante pour les commencements dela
puissance du saint si^ge, sans faire remarquer ici rhabilete
des deux allies. Au nom du senat et du people, Adrien 1"
nomme Charlemagne patrice remain, en attendant un
litre plus glorieux, qu'il meritera par de plus belles con-
quetes et de plus grands services envers le saintsi^ge.
Forts de leur appui mutucl, Charles et Adrien, la royaute
franque et la papaute vont marcher dans une longue
vole de succes et de conquetes. Le bonheur du saint-
siege fut d'avoir des princes dignes de leur rang et de
plus en plus jaloux de leur puissance, tandis que Charle-
magne n'eut que de faibles et limides heriliers.
Ce n'etait pas toulefois I'ltalie qui inquietait le pluj
Charlemagne : une fois libre de ce cote, il revint k I'uni-
que pensee de sa vie, la guerre des Saxons. Les expedi-
tions nonibreuses qu'il entreprit durant celte longue
guerre de trente-trois ans, qui occupa tout son regne,
furent ses moments de repos et ses diversions dans cette
perpetuelle campagne centre les Germalns envahissants.
C'est ici le cote vraiment politique et vraiment serieux
du regne de Charlemagne. C'est surtout par sa lutte ac-
tive centre une continuelle invasion qu'il merita le sur-
nom de Grand. Par ses victoires centre les Saxons, il ar-
rSta ce (lot de barbarie qui partait du Nord pour inonder
les campagnes situees au dela du Hhin ; il fallait mettre
un terme a ces fluctuations des peuples, ^ ces changements
inouis, qui r&ultaient de I'invasion. La race carlovin-
gience avait ete portee au pouvoir par I'usurpation de al
2
18
CHARLEMAGNE.
race austrasienne sur les Neustnens, dt's Francs gcr-
mainssur les Francs lomains. EUedevait craindre d'cHre
h son tour refoulee et deposscdee. Aussi vojons-nous
Charlemagne se fixer sur les bords du Ithin, y placer scs
campements, y Wtir ses palais, y lejiir enlin ses asscm-
blees ; de la, il avail la main sur la Saxe, d'oii sortait
une pepiniere de gucrriers barbares, que I'Ocoan cliassait
toujours devant eux. De la, il arrStait le torrent a sa
source. Ce fut I'oeuvre importante de civilisation qu'il ac-
complit, et c'est a ce litre qu'il nous apparait comme la
plus grande figure du moyen age.
La guerre centre les Saxons euldeux grandes periodes:
depuis leur premiere agression jusqu'au bapteme de
Wittikind (770-785), depuis lour seconde rebellion jus-
qu'au pacle solennel de Saltz, qui termina la guerre (793-
803). Une treve de huit ans separe ces deuxgucrres, dont
la premiere fut la plus sanglante el la plus glorieuse pour
les amies de Charlemagne.
La predication de saint Librin, qui venait annoncer le
Dieu des chrfetiens aux adorateurs d'Odin, fut I'occasion
de cette guerre. Le saint faillit etre massacre, et les guer-
ri'irs saxons brulerent I'eglise de Deventer, nouvellement
construite. Tois les chri5tiens qui s'y trouverenl furent
egorgfe. VoWk sous quels auspices commen^ait la predi-
cation du christianisme.
Charlemagne assemble un champ de mai & Worms et
s'olance sur la Saxe. C'etait presque une guerre civile,
car les Francs aussi etaient d'origine germaine. Les re-
presailles furenl cruelles : les Saxons avaient brule une
(■glise; on leur inrendia le temple d'Ehresbourg; on
abattit leur Irmensul, statue gigantesque, le palladium
de la liberie saxonne, el qui rappelait les glorieux com-
bals d'Arminius.
Mais ce n'etaitpas Varus, c'etait I'Augusle en persoime
qui presidail k la f^le et qui conduisait le bras de ses
guerriers!
Pendant cinq ans la guerre Iratne en longueur. Charles
faisait sans cesse de nouveaux progres. Mais tovijows
une diversion I'aiTetaitau milieu de sa conqu^te; tant6l
c'elaient les Lombards mal chflties, lant6t les Sarrasins.
Le grand roi, que I'on derangeait dans sa course, se re-
luurnait irrite el brisail d'un coup d'epee tous les obsta-
cles. En Espagne, toutefois, I'afTaire elait s^rieuse. La
malheureuse campagne de Roland a laiss6 de profonds et
tristos souvenirs. II faut entendre Turpin, le chroniqueur,
raconter ce grand desastre ^de ^Roncevaux, qui ne fut
La moil de UulaiiJ.
nialgre tout qu'une affaire d'arriere-garde, les craintes et
les pressentiments de Charles, la trahison du Saxon Ga-
nelon ; les exploits de la terrible Durandal, qui partagcait
en deux les rochers; puis, quand il I'eut brisee, Roland
sonna son chant de mort. Une chanson milit.iire, que les
soldats de GuiUaume repelaienl 4 la bataille d'Haslings,
conserva le nom et la memoire du neveu de Charlemagne :
TaiUefur ki moU bicil cliantoit
Stip un cl>c«.il ki lost alloit
Dovaiil ax s'eu alloil CHnUnt
Dc Carlcniainc el dc Roland,
Et d'Olivier, el de vaasaus
Ki raorurcnl i Baiiisolievau',
C'est Robert Wace qui nous a Iaiss6 ces vers dans son
roman de Rollon.
Cette bataille de Roncevaux esl ce que Ton a le mieux
retcnu du regne de Charlemagne. La guerre d'Espagne
n'tjtait pourtanl qu'une affaire de minime importance,
car I'invasion sarrasine tarissait, et ce Hot longtemps
\ictorieux venait mounr au pied des Pyrenees.
Le grand roi s'liloigna tri,stement de I'Espagne; il re-
tint aupres de lui son armfe epuisee et lanca centre la
Saxe de nouvelles troupes. Co furent les Saxons qui paye-
renl cette d^faile et qui e.^suyerent la colere de Charle-
magne. Deux balailles mcurlriiiies apaisercnt la fougue
des Germains, Badenfeld el Buckholz; les baplfimes et les
CHAllLE
soumissions se multipliaient, mais un heros restaita la
Saxe epuisee ; Wiltikind, dont la fortune el le patriolisme
balancaient les destiniies de Charles; Tassillon, I'eteiiiel
ennemi des descendants de Pepin, dont il etait parent,
s'etait soumis. Cependant Wittikind rassemble ses guer-
riers dans la vallee du Soleil, en un lieu nomme Sonne-
tlial, et les entraine contro les Francs. II est battu et
s'cnfuit pendant que Ton decapite quatre mlUe cinq
cents prisonniers.
Celte cruelle exteulion ne brisa pas la r&istanoe du
heros saxon. II revint duNord avec de nouvelles recrues
et se fit batlre deux fois encore par le roi en personne.
Enfin, lasse de ses malheurs et des massacres de ses com-
pagnons , il preta serment et se fit bapliser a Paderborn.
Un grand nombre de guerriers, suivis de leurs femmes et
de leurs enfants, imiterent son exemple ; on en vit, dans
I'enlliousiasme de leur recenle conversion, qui se pr'ci-
pilaient au devant du cheval de Charlemagne, en recla-
mant le bapleme h grands cris. Us paraissaient tellement
las de la guerre et de ses ravages qu'ils le regardaient
conime leur sauveur, comme un nouveau Messie. Cette
souniission mil fin i la premiere periode de la guerre
saxonneet procura huitansdepaixa cescontreesravag^es.
Pour Charles, la paix elait aussi occupee, aussi remplie
que la guerre. Ce gi5nie merveilleux ne connaissait pas le re-
posetsedtlassaitau milieu destravauxinterieursde loutcs
les fatigues des combats. II roulailalors dans son esprit de
vastes projets. Deja, pendant que ses lieutenants combat-
taient en Saxe, il avait fait en Italie plusieurs voyages. II
s'etait mis en relation avec I'empire d'Orient. II passa
a Rome les fetes de Paques de I'annee 781 . Aprfes la vic-
toirc de Buckholz, Cailoman, son fils, y recut le bapt^me
et changea son nom en celui de P6pin ; puis il fut sacre,
par le pape, roi de Lombardie ; Louis fut sacr^ roi d'Aqui-
taine. C'elait .sagesse de la part de Charles d'enlretenir
ainsi ralllance que son pere avait commencee et fondle
avec la papaule , il pr^parait aussi par ce nioycn les voies
k ses deux fils, et s'il ne lui ^tait pas permis de leur le-
guer son genie avec son royaume, du moins il leur assu-
rait un appui et legitimait leur avcnemcnt.
Cette mSme annee, I'imperalrice Irene lui demandait sa
fiUe ainee pour son fils Conslantin. Charlemagne accepta
de bonne grlce. L'alliance fut eonclue et juree. Charles
etait bien le grand monarque de I'Occident, et des lors
il songpait i reconstituer ce glorieux empire dont il reu-
iiissait lous les debris, dont il protegeaitsi hcureusement
les frontieres. Quand Wittikind eut recu le bapleme et
que la Saxe fut accablee, sinon soumise, le roi retourna
a Rome. Lk etait son espirance, son allies fidele. Le pape
Adrien le recut a bras ouverts; car lui aussi trouvait son
coniple a cette amilie du monarque franc. Ses negocia-
lions et son habilele politiq\ie furent d'un grand secours
a la papaule, qui conimcnca des lors a compter parmi les
puissances royales, apres que Charles I'eut d^barrassee
des Lombards et affranchie de la domination imperiale.
De Rome le roi regagna Worms, y recut le serment des
Bretons de I'Armoriqne et convoqua son ban et son ar-
riere ban pour la guerre de Baviere. Tassillon, toujours
battu et toujours rebelle, fit cette fois une complete sou-
mission ; condamne a la diete d'lngelheim, il alia niourir
dans un couvent. C'etait la prison ordinaire des ennemis
de Charlemagne. Son duche fut reuni Ji I'empire et sou-
mis b la juridiction que Charles avait etablie dans tous ses
MAGNE. W
fetats. Les Bavarois vaincus, il fallut battre les Avares,
leurs voisins et allies. Ce fut I'affaire d'une courte cam-
pagne; une guerre de huit ans les avail epuisfe.
Charlemagne n'en avait pas fini avec les Saxons.
Wittikind etait a la verile soumis, mais les courages n'e-
taient pas encore partout abaltus, et le fier Saxon regret-
tait peut-fetre, en voyant ses anciens compagnons courir
aux combats, les serments qui engageaient sa fidelite.
Charles, pour dompter plus silrement ses ennemis, se fit
des allies parmi eux, et alluma la guerre civile. Mais les
allies douteux niassacrerent un beau jour ses collecteurs
d'inipots. A cette nouvelle inattendue, Charles fonda
Neufheristall sur les bords du Weser, jurant qu'il ne
quitterait pas ses campemonts avant d'avoir brise la li-
berte saxonne. II executa a la letlre cet arret de mort.
Un nouveau massacre de quatre mille guerriers le di-
barraisa des plus rebelles. Enfin, dansl'annee 803, il tint
a Saltz une diele celebre oii furent publies les capitulaires
qui complelerent sa conquJie. Chaque tribu conserva ses
lois et la liberty civile; mais toutes furent soumises aux
^vSques et aux juges royaux. Une dime fut imposce aux
habitants.
Les moyens de colonisation furent aussi employes par
Charlemagne avec quelque succJs. II transporia dix mille
Saxons dans I'Helvelio et dans la Belgique, et corobla
tous ces vides par des colonics de moines, de serfs et d'ar-
tisans. La blessure mortelle une fois portee a la Saxe, il
fallut la cicalriser, et celte fois encore ce fut I'Eglise qui
vint au secours du grand roi. C'est par le clerge qu'il ef-
faca jusqu'aux traces de cette sanglanle guerre. Des villes
furent bities, et septev^ches elablis enSaxe. Les moines
se chargerentdedefricher lesboisetde cultiver cette terre
fecondee par le sang des heros.
La Saxe se trouva done non-seuleraent conquise, mais
transformee. C'est le prnpre des grands hommes de pa-
railre crt^er ce qu'ils ne font que changer, et Charlemagne
revela dans cette conquete tout son genie createur. Les
Saxons ne firenl plus qu'un seul peuple avec les Francs-
Austrasiens, et la limile du Rhin ne fut plus une barriere
entre les deux nations, reunies par la main d'un grand
roi.
On comprend a peine comment ce prince pouvait suf-
fire h tant de guerres. Pendant qu'il pacifiait la Saxe, il
combattaitau Midi contre les Sarrasins. II avait k coeur
de venger la defaiteet la mort de Roland sur les Basques,
qui I'avaient accable, etsur les Sarrasins, qui I'avaient
chasse devant eux et enferm^ dans les gorges de la Vas-
conie. Le jeune roi d'Aquitaine luttait avec succes contre
ces deux nations et parvint a relablir les marches cspa-
gnoles jusqu'aux bords de TEhre.
Toutes ces guerres, qui appelaient sans cesse Charle-
magne du nord au midi de son empire, avaient un grand
sens. Les Francs defendaient alors leur empire, leur re-
ligion, leur nationalite, triple interest que Charlemagne
comprit et soutint par son cp^e. Ces guerres systemati-
ques, qui furent au nombre de cinquante-trois, ^(aient
commandees par des necessites politiques. Elles eurent
un immense resultat : d'arr^er la decadence du nionde
qui continuait depuis Auguste.de niettre fin au desordre
universel oil I'humanite tout entifere 6tait plongee. Char-
lemagne apparatt a la t6te de la societe moderne, comme
son fondateur et son pere. « C'est sous sa main, dit
M. Guizot, que s'est op^ree la secousse par laquelle la
20
CHARLEMAGNE.
soci(5le europeenne, faisant volte-face, est sortie des voies
de la destruction, pour entrcr dans celles de la crea-
tion. >
C'est \k le veritable mot de Charlemagne : il fut crea-
teur, qu'il I'ait voulu ou non, qu'il I'ait su ou ignore.
L'histoire de ses guerres nous le niontre assez clairement,
le dtHail de son administration va nous en convaincre.
Nous avons dej^ indique, en passant, que I'avenement
de la race carlovingienne fut comme une deuxieme in-
vasion de la France germaine sur la France romaine-,
le fait est constant ; la Neuslrie et la Bourgogne , ou
Brunehaut, deux siecles auparavant , avail chcrche a
relablir I'ordre romain, furent sacrifices sous Charlema-
gne ^ I'Austrasie ; 1^ ctaient la jeunesse el la vie ; la
ctaient les guerriers conqu^rants. Tout avec Charlemagne
devient tudesque, jusqu'aux habillements du grand roi.
C'etait done I'psprit de I'Austrasie qui dominait dans ce
vastc empire, depuis I'febre jusqu'a I'Elbe, depuis le Uhin
jiisqu'au Vulturne. Que de peuples renfermes dans I'en-
ceinte deces fleuves, el, pour lesgouverner tous, un seul
h(mime, une seule volonle!
II fallait done une puissante administration, et Charle-
magne ne crul pas pouvoir mieux faire que de revenir
aux formes romaines. Esprit d'ordre avanl tout, homme
de la civilisation, il nepouvait supporter ce chaos de tou-
tes choses, et travailla k tout regulariser. Gouvernement
Dci guerriers saxons, leurs feniinos et leurs enfjnl', vienneiil se jeler aux pieds de Cli.uK
tclamanl le bapl^ine.
local et gouvernement central, il organisa tout avec une
rare sagesse, un admirable accord. II eut ses dues, ses
comles, ses viguiers,ses cenlcnicrs, qui composaient une
hierarchic complete; c'est par eux qu'il levait des trou-
pes, adiiiinistrait la justice, percevait les impots. La fut
tout le secret de sa superiorits^, surtout dans la maniere
dont il sut former son armee; a la bande indisciplinee de
Clovis, il substitua un recrutement territorial d'hommes
libres, qui atteignait jusqu'aux plus pauvres ; le clerge
lui-m^me dut fournir son contingent, seulemenl il lui fut
defendu de paraitre a la guerre ; c'etait du reste une inno-
vation priidente.
La justice elait rendue, dans los assembleesprovincia-
les, selon les us et coutumes de chaque nation ; leshom-
mes libres y etaient admis, mais ils abandounerent pcu <i
peu leur privilege, et le roi rendit enfin la justice par ses
commissaires ou echevins. Du reste, tous les pouvoirs
ressorlissaient du sien ; lui seul itait le centre du gou-
vernement el de la puissance, I'Sme de ce grand corps.
Ce n'etait pas tout encore pour le gouvernement local ;
il avail iiistitue les missi dominici, envoy^s royaux char-
ges d'inspecter les provinces, d'en recherchcr les besoins,
de lui rendre compte du bien el du mal; par eux, d
connaissait son empire, ses comtes et ses dues. Comment
d'ailleursdonner au systfeme monarcbique qu'il avail cre6
un peu de rcalite et de consistance, au milieu de peuples
etrangers les uns aux autres, et hostiles pour la plupart?
Le gouvernement central recevail .son impulsion du roi
lui-m^me ; il etait k pcu pres rempli par les assem-
blees nalionales, qui furent plus uombreuses sous Charle-
magne que sous aucun des rois qui I'ont precede ou
suivi. Le prince les presidait toutes ; on y decidait la paix
et la guerre; du reste, los plus considerables de I'assem-
blee n'y avaicnt qu'une voix consultative ; la decision ap-
parlenait a Charlemagne seul ; seul il elait I'arbitre tout-
puissant. C'est lui qui proposait lesloisel qui les sanction-
nail, et la representation nationale n'^lait guere qu'une
forme ; le peuple y etait admis dans la personne de
douze delegues nommes par le comte.
Le nombre des lois promulguees par Charlemagne d^-
passe toute croyance ; soixanle-cinq capitulaires, renfer-
mant onze cent cinquante et un articles, parurent a diffe-
renles epoques, et comprennent la legislation morale,
polilique, p^nale, civile, religicuse, canonique et domes-
CHARLEMAGNE.
21
tique. Un seul autre grand homme que ['humanity atten-
dit pendant mille ans eut, comme Charlemagne, cctte
puissante organisation de legislaleur, et pour tons deux
ce fut leur plus beau litre de gloire.
C'etait merveille de voir ce genie actif se portant par-
tout oil ^tait sa place; s'elTorcant de se rabaisser au ni-
veau de ses sujels, de n'etre sage qu'autant qu'il le fal-
lait pour ^tre utile ; a toute heure de la nuit il entendait
les plaintes de ses sujets, sacrifiant au bien et a la justice
les heures necessaires a son repos. Aussi la vie de ce
grand homnie resume-t-elle toute son epoque.
Que manquait-il a ce prince, mailre d'un si vaste em-
pire? Un litre qui fut a la hauteur de son genie : il I'ob-
tint enfln ; une revolle de.la populace romaine, qui mutila
le successeur d'Adrien, appela Charlemagne a Rome, et
li, le monarque franc recut le prix de son amilie fidele.
Aux fetes de Noel de I'annc'e 800, Charlemagne fut cou-
ronne cmpereur d'Occident. Le Saint-Siege savait bien
ce quil prenait en echange de ce beau litre; en posant
la couronne imperiale sur le front du grand roi, le pape
s'arrogeaitun droit superieur a celui de Charles, etcom-
menrait la monarchie universelle de r£glise, des-lorsele-
\ie au-dessus de toule puissance temporelle, puisqu'elle
seule sanctionnait par liniposition d'une couronne I'ave-
nement au plus grand trone de la chretiente.
L'annee m^me oii il recevait la couronne imperiale,
Charlemagne ctait monle a I'apogee de sa puissance. II
faillit regner a la fois sur les deux empires, et des nego-
ciations furent entamees a la cour de Constantinople,
pour lui faire epouser Irfene , I'heritiere des Cesars.
Tous les rois, cependant, faisaient hommage au grand
empereur d'Occident, et lui-mSrae prenait son litre au se-
rieux; Alphonse II, les 6cos.=ais, le calife d'Orient, Ha-
roun-al-Raschid, s'honoraient de son amilie ; mais il sut
resi^ler a lant d'enivrenient et entrcvoir sous ces bril-
lantes apparences un plus sombre avenir. II pressentit
sur ses vicux jours la temp^le qui commencait a mena-
ceret qui devait balayersa race. C'est en vain qu'il faisait
un parlage solennel de son empire enlre ses fils, qu'il pu-
bliaitses capitulaires de Thionville. La falalite qui devait
bienlut s'attacher a son oeuvre commenca par I'atteindre
dans ses affections. Ses deux alnes moururent a un an de
distance; el, pour herilier dune si grande domination, il
ne lui resta qu'un prince faible et timide. Tout le monde
semblait en vouloir a son empire; mais ce n'etait pas lui
qui devait expier sa puissance.
Au dela de I'embouchure de lEbre, aux confins de la
Germanic, vivait un people guerrier, destine a prendre
bienlot sa part de depouilles et de gloire reservee aux
barbares; il avail pousse lous les autres devant lui, en
attendant que son tour arrival. Ces North-Men ou Nor-
mands, profitant de la vieillesse de Charlemagne, alta-
quijrent, sous la conduite de Godefrid, les Saxons, allies
de I'empereur. Charles I'aine de ses fils, vivait encore et
les repoussa. Us revinrent avec une flolle de deux cents
vaisseaux, insultant les cotes de la Frise, el glissant sur
la surface des mers, semblables a des oiseaux de proie
prels a fondre sur un cadavre. A cette nouvelle preuve
d'audace, levied empereur sortit desa sombre melanco-
lie et chassa ces ecumeurs de mer. II essaya de re-
medier au mal dej^ fait, comme on porte la main a une
blessure recue, en etablissant deux flottes, a Gand et a
Boulogne.
Louis, de son cote, elablissait aussi deux stations de
navircs, sur la Garonne et sur le Rh6ne, pour arnHerles
pirateries des Musuhnans.pour proteger la Corse, la Sar-
daigne el les Baleares: efforts qui n'empSchaient pas le
vieux roi de pleurer ^ I'aspecl de ces barques insoli'ntes;
la mine de son oeuvre ^tait prochaine, el I'audace meme
de ses ennemis la lui faisait pressentir. Ainsi, il avail
combattu quarante ans pour la paix, el c'etait encore la
guerre et la dissolution qu'il laissait a ses descendants.
Un roi pieux, un saint, allait mourir immole pour un
monde social qui ne pouvail plus exister.
A tant de gloire, qui aurait suffi pour immorlaliser plu-
sieurs heros, Charlemagne en joignit encore une autre :
partout nous le trouvons k la tSte de son siecle ; impatient
de tout retard el gourmandanl les plus lenls. Comme II
avail regenere le monde social et politique, il voulul re -
generer le monde artistique et litleraire. Dans cetle noble
entreprise, il eut le bonheur d'etre dignement seconde.
Au fort de I'invasion, alors que la plus cruelle incertitude
pesait sur tous les esprils, que la dissolution des liens so-
ciaux ^tail complete, toute litteralure avail et6 impos-
sible ; au milieu des preoccupations d'inleret personnel,
il n'y avail pas de place pour un travail qui demandail
un paisible loisir. Le clerge seul eutpu cultiver les letlres
el les arts; mais le clerge lui-mSme s'etait fait guerrier.
Charlemagne voulut angler cette decadence intellectuelle,
et y reussit. On ne saurait trop admirer son active soUi-
citude eties soins qu'il prenait a appeier aupresde lui les
erudits de tous pays. Lui-mfme, comme en toutes choses,
d'ailleurs, elalt a la lele du mouvement ; il revoyait les
livres de la Bible, composail une grammaire tudesque,
un traile sur les eclipses et les aurores boreales ; il ecri-
vail aux papes et au clerge de nomh reuses letlres.
Sa principale institution fut I'ecole palatine, sous les
auspices d'un moine anglican, nomme Alcuin. Par une
circulaire de 787, il etablit des ecoles dans chaque dio-
cese et a Salerne une ecole de medecine, qui acquit une
grande et longuecelebrite. Lui-meme surveillait ces to-
les, promettant des evtehes aux enlanis laborieux. EnfJn,
la langue fit un tel progres que deja elle commencait a se
formej, et dans trente ans au serment de Strasbourg, pa-
railra le premier monument de langue romane. Egin-
hard, son secretaire, Alcuin, son conseiller, tous deux ses
amis, elaient les arbitres de la litteralure contemporaine.
Mais c'etait la quelque chose de premature et I'enfan-
lement de la societe commencait a peine , quand Charles
croyait tout fini. L'oeuvre la plus durable qu'il ait fondee
fut la puissance du clerge. La race carlovingienne etait
essenliellenient clericale : les premiers de la famille
avaient occupe des eveches. Comme son pere, Charlema-
gne favorisa beaucoup le clerge : nous avons vu comment
il avail traile la papaute, comment il lui avail presque
subordoun^ I'empire : de m6me il subordonna les leudes
et les hommes libres au clerge de ses etats, etendit la
juridiclion ecclesiaslique, ^leva des eveques au-des.sus
des comtes et forca ces derniers a payer a I'figlise la dime
de leurs biens. Voyons comment il donna a son fils ses
dernieres instiuctions, lorsque le pere et le fils devant
les autels se virent pour la derniere fois. C'est Thegan,
I'auteur de la Vie de Louis le Debonnaire, qui raconte
cette touchante solennite et les paroles de Charlemagne :
■ Empereur, vous ites le protecteur nalurel des egli-
ses et \ous devez veiller k leur bon gouvernemenl, les
22 CAUSERIES AVEC HON FILS SUR L'HYGIENE
difendre centre I'audacedes impiesetleur mcchancelc...
honorcz les eveques comme vos pcros. » Voila Ics der-
niereslecons du monarquei) son pieux successeur.
C'<5lait peut-i^lre un bicn que cetle soumission h I'figlisp,
et de la part de Charlemagne un acte de reconnaissance.
Persoiine ne I'avait mieux seconde dans sa lutte contrc
la barbaiie, personne ne I'avait mieux secouru dans ses
projels de civilisation. Cette socicle regulieremenl con-
stitute, avec une hierarchic complete, conquit pour Char-
lemagne le monde e.xterieur; c'est ce qui explique I'al-
liance de I'empereur et du pape, alliance qui fit leur
force a tous deux. Des deux cotfo, il y avait un pareil
esprit de proselytisme ; en s'associant ils doublerent leur
puissance.
L'homme n'est pas moins curieux h ctuJier et a con-
naitre que le heros et le roi. Pour etre grands et eleves
par la main de Dieu au-dessus des aulres niortels, pour
ne nous apparaitre qu'au milieu dc leur majesty, ces ^tres
sont des hommes comme nous, aussi faibles, aussi sujets
a I'erreur. Charlemagne fut pcut-(Mre un des roisles plus
heureusement dones, et aussi di:ino de nofre admiration
dans le sein de son palais qu'a la tele de ses armees.
Bonl(5, clemcnce, justice, tempt^rance, il semblait fait
pour toules le^; vertus. Surveillant avec une rigoureuse
sollicilude I'interieur de sa maison, I'education de ses tils
et de ses fdles, s'adonnant assidiWent aux excrcices du
cheval et de la chasse; le rcste de son temps, il I'cm-
ployait en pratiques religieuses.
Les remans de chevalerie du dixieme et du onzieme
sifecle prirent pour texle les a-ventures de Charlemagne
et de ses parents : La Mori de Roland, le Mariage
d'Emma el d'Eipnhard. Tous onl a I'cnvi celebre les ex-
ploits de Joyeuse comme ceux de Durandal; ma is ces
episodes sont du domaine de I'histoire anecdolique. C'est
une nc^ccssite des grands noms de subir cette celebrity
fabuleuse.
E. DOTTAIN.
CAUSERIES AVEC MON FILS SIR L'HYGIEM \
CES ALIMENTS.
Uans notre dernifere cau-
serie, mon fils, nous avons
passe en revue les diverges
espfeces d'oliments solides;
et, pour completer noire
classification gi5nerale , il
nous resle S examiner au-
jourd'liui les diverses sortes
d'alimenls liquides ou bois-
sons.
Ces aliments compren-
nent Vcau et les substances
aux quelles ellc sert de vehi-
cule, puis les liqueurs fvr-
menlees et alcooliques, et
enfin les bouillons.
L'eau est uuiversellemcnt employ(5e comme boisson;
mais elle est rarement k I'etat pur, a cause de sa pro-
priete dissolvante, et presque toujours elle se combine
avec des matieres qui inlluent sur sa qualite primi-
tive.
Les eaux de pluie, de neige, de riviere, de lac, de fon-
taine ou de puits sont dites eaux cconomiques, et peuvent
etre alterces par certains sels et les debris de substances
animates.
L'eau de pluie est plus saineque l'eau de neige, parce
qu'elle est plus saturee d'acide carbonique et d'air; ce-
pendant l'eau de pluie est d'un usage peu salubre, lors-
qu'elle a etc recueillie au moment mJme ou elle
commence a tomber, car elle entraine alors avec elle
• V.ir 1. n, p. 370.
difTerenls principes heterogenes dissemines dans I'atmo-
sphere.
L'eau de riviere ou de fleuve est d'autant plus saine
qu'elle coulesur un lit de sable; — legirement secoute,
elle absorbe de Fair, ce qui la rend fort digestible.
L'eau de lae, de cilerne ou de marais est mauvaise et
indigeste, h cause des matieres salines etvegelaUs qu'elle
contient et qui s'allerent par suite de leur quasi-immo-
bilite dans une masse de liquide slagnante.
Les eaux de puils sont moins insalubres que celles de
marais, niais ne sont pas aussi digestibles que les eaux
de riviere. Ellesse purifient en passant a Iravers plusieurs
couches de sable ou apres avoir ete fdtrc'es.
L'eau dislillee est la plus pure ; mais elant privee
d'air ct d'acide carbonique, elle devient insipide et indi-
geste.
L'eau la meilleure doit titre claire, sans odeur ni sa-
veur ; elle doitdissoudrele savon promptcment et cuireles
legumes en les ramoUissant.
Les eaux medieinales sont ou naturelles ou artifi-
cielles.
Ellessontde plusieurs sortes et ont des proprielfe di-
verses. — Toutes ne servent pas de bois.sons.
Les eaux minerales sulfurensrs sont tres-excitantes ;
elles conviennent aux temperaments mous et lympha-
tiques , dans les maladies de la peau qui ne sont pas
inllammatoires, ainsi que dans les alTections chroniques
de la poilrine et du systemenerveux.
Ces eaux sont chaudes ou froidos.
Les eaux sulfureuses (ftprmnfcs sont celles de :
Bareges (Hautes-Pyrenees).
Aigues-Bonnes (Basses-Pyrenees).
Cauterets (Hautes-Pyrentes) .
Luchon ou Bagn6res-de-Luchon (Haute-Garonne).
Bagnols (Lozere).
CAUSERIES AVEC MON
Aix-la-Chapelle (provinces Rh^nanes).
Ail (Savoie).
. Baden (Aulriche).
Les eaux sulfureares froidcs sont celles de :
Enghien (Seine-et Oise).
La Roche-Pusay (Vienna).
Gamardes (Landes).
Les eaux niin6rales alcalines sont proprcs aiix tempc-
ramenls que nous avons appeles mixies, ct dans les ma-
ladies chroniques des •visceres contenus dans lo bas-
venlre. — Ce sont celles de :
Vichy (AUier).
Bourbon-ArchambauU (Allien).
Mont-Dore (Puy-de-D6me).
Ems (duche de Nassau).
Saint-Alban (Loire).
Carlsbad (Buhcme).
Saint-Laurent-les-Bains (Ardeche).
Neris (Allien).
Plombiires (Vosges).
Les eaux acidvles gnzeuses sont d'un grand 'jsage
comme boissons, et employees soit a I'elat naturel, soil ^
I'etat artificiel.
En premiere ligne \iennent comme eaux naturelles
celles de :
Seltzou Sellers (duche de Nassau).
Sainte-Marie (Cantal).
L'eau de Seltz arlificielle, la limonade gazeuse, etc.,
calment la soif, excitent I'appelit, sans nuire h la diges-
tion; mais, dans les pays chauds, ilserait imprudent d'en
faire un trop frc5quent usage, carelles sont debilitanles ; el
si Ton n'y ajoulait quelque liqueur toniquc, ellesamcne-
Taient du tiouble dans les fcmctions digestives.
Les eaux ferrugineuses ou marliates conviennent aux
temperaments lymphaliques ot dans cerluines conva-
lescences :
Les principales sont celles de :
Spa (Belgique).
Pyrmont (Weslphalie).
Contrexeville (Vosges).
Passy (Seine).
Les eaux salines Ihermales sont affecl(5es aux mala-
dies chroniques de la peau, aux temperaments mous,
etc. — Elles sont a :
Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne).
Luxeuil (Haute-Saone).
Wisbaden (duchfe de Nassau).
Baden-Baden (grand duche de Bade).
Niderbrounn (Bas-Rhin).
Saint -Amand (Nord).
Chaudcs-Aigues (Canlal).
Aix (Bouches-du-Rhone).
Les eaux salines purgatives sont celles de :
Sedlitz(Boheme).
Fully (Boheme).
Enfin, l'eau de mer, — qui a une action purgative vio-
lente, — est une boisson indigeste et nuisible ; elle ne
pent etre employee que sous forme de bains, dans cerlai-
nes maladies et pour les temperaments lymphatiques.
Apres avoir jete un coupd'oeil rapide sur les eaux m^-
dicinales, je reviens, mon fds, a la combinaison de l'eau
simple avec diverses substances pour former certaines
boissons.
FILS Sl!R L'HYGlfeNE. 25
1° I.e cafe, — qui convient aux tempframents faibles,
mais est nuisible aux temperaments nerveux; en gs^neral
utile dans les pays Iiiimides et dans les pays chauds, re-
parant, parson action tonique, la deperdilion causee par
les secrelions excessives, et retablissant I'^quilibre enlre
le calorique int(''rieur et I'almosphere ambiante; bois-
son dont I'usage mod6re facilile la digestion, sur-
excile le cerveau, donne du nerf a I'imagination, et dont
I'exces produit les effets completcmenl opposes.
2° Le (he, qui convient dans les pays oil I'atmosph^re
est brumeuse, — dont I'usage modere produit h pcu prfes
les mtoes resullals que le cafe, mais dont I'excte aussi a
de graves inConv(5nients, surtout pour les temp(5raments
nerveux.
3° Le chocolal, qui forme un aliment liquide de facile
digestion et agreable au gofit.
Les boissons fermentees se composent des liqueurs
contenant du sucre dissous dans l'eau et des substances
susceptibles de fermentation. Ainsi le fin, la biere, le
cidre et Vhydromel.
Le vin est le resullat de la fermentation du sue de
raisin ; — ses principes immedials sont de l'eau, de I'al-
cool, quelques acides, une matiere extractive, colorante,
aromalique, etun mucilage sucre.
Selon la predominance de I'un ou I'autre de ces prin-
cipes imm(5diats, on divise les vins en plusieurssortes :
Les vins alconliques, tels que ceux du Roussillon, sont
stimulants et produisent rapidement I'ivresse.
Les vins acides, comme les vins de Champagne, sont
agreables au goOt, dfealterent, produisent une surexcita-
tion promple, maisde courle duri^e.
Les vins de Bordeaux acquiereni, apr&s avoir vieilli,
des proprii'tes ^minemment favorables pour laguerison
des maladies dont la convalescence est lento et difficile.
Les vins colores sont generalement indigestes.
Les 1,'iiis sucres, comme ceux du Midi de la France et
de I'Espagne, sont nourrissants et reparent I'epuisement
des forces lorsqu'on en use moderement.
Je ne fais ici, mon fils, que t'ipdiquer les principaux
caracteres des differentes sortes de vins; je me reserve,
dans une prochaine causerie, de trailer ce sujelavectoule
I'allention et les details qu'il m^rite ; — je me borne au-
jourd'hui ci le donner un apercu g^n6ral des bois-
sons.
La biere est le resullat de la combinaison de l'eau avec
de la farine d'orge et du houblun ; elle contient de I'alcool
et de I'acide carbonique ; c'est une boisson fort nourris-
sanle, mais dont I'usage trop absolu et trop constant
amene le relichemenl et la moUesse.
Le cidre s'oblient par la fermentation du sue de poni-
mes; jl contient de l'eau, de I'alcool, de I'aeide carbo-
nique, forme une boisson rafraichissante, pris modere-
ment, mais susceptible de causer I'ivresse, ainsi que le
poire, resultat de la fermentation dusuc depoireset dans
lequel I'alcool existe en grande quantite.
L'hydromel est un melange d'eau etde mieldans lequel
on ajoute quelqiiefois du vin. Cette liqueur est assez en
usage dans les pays du Nord. Elle peut enivrer forte-
ment.
En general, toutes les boissons fcrmenti5es, mon fils,
sont letombeau materiel et moral de celui qui ne salt
se contenir dans leur usage. L'abrutissemenl, la degra-
dation du corps et de I'ame en sont la funeste consequence.
24 LA PRO
Leur emploi tres-modere, s'il n'e^t pas ulile, au moins
nest pas nuisible.
L'eau-de-vie esl une lii:|uem' alcoolique. Celle que Ton
exlrait du vin est la meillcure ; celle de grain et de sucre
et celle de fruits, comme le kirsch-wasser, sont tres-irri-
tantes. Cependant, apres le repas et prises en quantite
tres-moderce, elles fortifient les estoniacs paresseux et
excitent le travail de la digestion d'une maniere favorable.
Lesboissonschaudesou tiedessontdebilitiinles; froides,
elles sont toniques et plus facilement digestibles, lors-
(ju'ellessont melees surtout aux aliments solides.
— La preparation des atimenis consisle a lesrendredi-
gestibles, soit par le ramollissenient, soil en y ajoutant
des assaisonnements propres a exciter I'estomac et a re-
veiUer le sens dugout.
Dans le rodssuge, les chairs exposecs h Taction du feu
se raccourcissent d'abord, et leurs sues se trouvent ainsi
concentres a I'interieur, ce qui les rend aussi succulentes
que facilement digeslibles.
Les bouillons, surtout cehii de viande de bcBuf, sont
d'un usage excellent, Ires-nulritifs, et conviennent par-
faitementa la plupart des estomacs. Le bouillon de bceuf
froid.depouilledesagraisse, apres avoir ete passe aulamis,
est fortiliant, nourrissant etagreableaugoit.
Melanges avec des graineset des pates, ils forment les
potages, dont I'usage est parfait pour la sante.
Les fiiliins avec I'buile, les graisscs ou le beurre, sont
en general de difficile digestion et faliguent les esto-
macs delicats, par les gaz acides qu'ils occasionnent.
Les assa sonncments sont salins (le sel de cuisine), aci-
des (levinaigre), aroma(((/ucs (la cannelle, legirofle), acres
(lepoivrc, la muscade), amer (le laurier) tlnux, (le sucre).
Employes adose moderee, ils aidenta la digestionjautre-
ment ils sont la source de beaucoupde maladies inllamma-
toires : leur usage devra ^Ire varie selon le temperament.
Plus ils seronl utiles aux estoniacs faibles et delicats, plus
ilsserontnuisiblesaux estomacs irrilables, ei vice versa.
VENCE.
II faut autant que possible apporter de la regularite
dans I'ordre des repas et de lasobriete danschacun d'eux,
afin de ne point surcharger I'estomac par les difficult^s.
d'un travail trop constant.
Les personnes adonnees aux travaux intellectuels, qui
necessitent le repos et une grande liberte des fonctions
cerebrales, doivent dejeuner nioderement.
Le repas du soir doit ?tre plus copieux. Deux repas
suffisent dans une jouinee.
Ceux que leur profession oblige k un grand d^ploiement
d'activite et de forces peuvent prendre une nourrilure
plus substantielle et plus abondanle. Trois repas sont ne-
cessaires : — un le matin, un au milieu du joui:; le dernier
dans la soiree ; celui du jour doit etre le plus copieux.
Dans un ni^me repas, la diversite des mets n'est point
nuisible, lorsqu'une sage direction y preside.
Le melange des substances animales et vegelalcs im-
prime a chacun reciproqucment une modification parti-
culiere favorable i la formation du chyme.
Mais il faut bien segarder de gorger I'estomac de quan-
tite de mets assaisonnes de plusieurs facons diverses, car
alors il se forme dans I'estomac un developpenient consi-
derable de gaz vicieux qui entravent les forces gastriques
et bouleversent la digestion.
Le travail de la digestion dispose au sommeil; il est
plus convenable de ne se livrer au repos qu'apres un
exercice modere a la suite du repas.
De toules ces premieres notions, mon fils, i! resulte
que la Providence n'a rien cree d'inutile; qu'il est per-
misci I'homme d'user, pour ainsi dire, de lout, niais qu'il
ne doit jamais abuser de rien ; que la temperance et la
sobriete sont indispensables a I'entrelien de la sante, et
que les exces non-seulement avilissent le ccEur, mais de
plus detruisentle corps. L'etude del'hygiene est si feconde
en grandes et utiles lecons, que, dans notre prochaine
causerie, je veux encore t'entretenir a ce sujet.
J. PoTEK. d. m. P.
LA PROVENCE.
detail:
faaut:
VN JEUNE FARISIEBT A SON AMI.
Voila bien deux grandes
semaines que j'ai quitte la
ville d'Aix, un jour qu'elle
etait carcssee S la fois
par le soleil et le ifiistral ;
je suis actuellement a Mar-
seille , la vieille colonie
pboceenne; Marseille, jadis
lerreur de Carthage, la
rivale d'.Xthenes, la sfeur
de Romp, aujourd'hui tout
siniplement le Paris du
Midi. Comme je te I'ai pro-
mis, mon cher Auguste, je
•vais te donner quelques
: sur mon itineraire, queje reprends d'un pen plus
c'est le moyen le plus siir de I'interesser.
Je le dirai d'abord que ma bonne 6toile m'a fait ren-
conlrer I'occasioa la plus favorable pour visiter I'opulente
cite provencale; j'ai fait la connaissance du fils d'un ri-
che proprietaiie marseillais, lequel, ayant termine ses
etudes au college d'Aix, s'en rctournait dans sa famille
avec son pere, arrive tout expres pour le ramener. Tu pen-
ses bien que je n'ai pas refuse la proposition qui m'avait
etc faile de parlir ensemble.
Done, par la plus belle matinee du monde, la diligence
Paban-Avon nous emportait legerement sur cette large
voie blanche et poussiereuse qui ceint comme d'un bau-
drier les pittoresques collines de Bouc, village que, depuis
dessiecles, un immense bloc de rocher menace d'ecraser.
A droite et a gauche de la route, de ravissantes lichap-
pies par les montagnes nous laissaient voir des formes,
des villas, quelquefois des bosquets et des fontaines, plus
souvent des vignobles et des olivieres, ou des champs
converts des plus riches cultures; le tout sous la voute
d'un ciel bleu, transparent, oil floltaient de rares flocons de
vapeurs.
LA PROVENCE.
25
Nous nous trouvions dans cette partie de la voiture, ap-
pelee in(erieur ou bcrline, et nous y avions loutes nos
aises, attendu que pour occuper six places nous n'etions
quequatre personnes : M. Mercier (c'est le nom du pro-
prietaire marseillais), son fds, a peu pres de mon age,
avec unesceur uii peu plusjeune, et moi.
M. Mercier paraissait un honime bien eleve et de bon
sens, quoique d'un caractere un peu fac^lieux; il etait a
la fois complaisant et comraunicatif, n'omettant rien de
tout ce qui pouvait egayer la monotonie d'un voyage en
diligence ; tous les sites qui passaient sous nos yeux
^laient pour lui I'objet d'observations tantot plaisantes,
Iant6t serieuses, et presque toujours instruclives. C'est
ainsi qu'il nous expliqua les souvenirs historiques qui so
rattachcnt aux plaines d'Aillanes et les limites proba-
bles des territoires salien et massilien ; puis la ma-
niere dont s'y prennent les Provenjaux pour faire avec la
Ifeque et la chouette une chasse lucrative aux molteux
et_ la meilleure methode pour pendre \i\anls les pr-
pillons de jour et de nuit ; il passa do la aux prece-
des employes pour obtenir la soude, et ce sujet lui fut
sugg^re par la presence des noires et fumeuses fabriques
de Septemes.
Comme je lui disais qu'il devait avoir beaucoup lu
pour acquerir une erudition si variee.
■ — J'ai assez lu , me repondit il , mais j'ai beaucoup
voyage, et me suis fait une habitude de prendre des
notes sur ce qui attirait le plus mon attention; ce mode
d'etude m'a plus servi que tous les livres. »
Je te promets, mon cher ami, que je vais plus que
jamais suivre une methode si Kconde en resultats.
Enhardi par I'extreme urbanite de M. Mercier, je
I'accablai de questions plus ou moins excentriques, aux-
quelles il repondit avec une parfaite justesse.
— Monsieur, lui dis-je enlin (et celte question m'elait
inspiree par le site que j'avais sous les jeux), je serais
bien aise de vous demander la cause principale de cetetat
de denudation oil se trouvent les pentes de ces collines
qui n'offrenti noire vue que des cimes rocheuses; il me
semble qu'ii defaut de vignes et d'oliviers qui ne sau-
raient venirpartout, une foret de pins ou de chencs verts
ne ferait pas mal sur ces crateres decharnes.
— Non-seulement cela ne ferait pas mal pour le re-
gard, reprit M. Mercier, mais encore ce serait un remede
centre les secheresses qui desolent si frcquemment nos
conlrees; les arbres et les vegetaux soulirenl par leurs
feuilles I'humidite de I'air, et par leurs racines la trans-
mettent au sol; I'ombre des bois amortit les rayons so-
laireset neutralise I'aclion des vents, qui font larir nos
sources. La Providence avail ainsi dispose les choses, I'a-
vidite mal enlendue des particuliers a cru faire mieux : les
boisonti-learrarhes, les terrains remuesjusqu'ii la roche,
ce qui a donno quelques maigres recoltes de froment ou
de seigle. Bicnlot Taction des pluies est survenue; les
terres ont ete peu a peu entrainees dans les vallons, et la
roche, depouillee de la couche vegetale, n'a plus offert
qu'une croite sterile. C'est ainsi que chaque annee, des
millicrs d'hectares sont enleves au budget forestier et a
la depaissance des troupeaux, sans que rien ne s'oppose
a ce ravage, que les voeux impuissants des agronomes
senses.
— Etles conservateurs des eaux et forets... vous les
passez sous silence ! s'ecria une voix qui venait d'une des
portieres du coupe II me semble, monsieur, que vous
ne devriez pas ignorer conibien ils s'occupent du reboise-
mcntde nos monlagnes.
— Les conservateurs des bois et forets, reprit froide-
nient le Marseillais, en elevant la voix, n'ont jamais
rien conserve que les sinecures lucratives qu'ils occupent.
L'interrupleur du coup6 allait sans doute riposter i
26
LA PROVENCE.
cetle poiale, lorsque vingt cris parlirent a la fois des di-
vers compailiments et de rimpSriale de la voiture, qui
dans le mcme instant se pencha brusquement sur iin coic,
etpuiss'arriJla.
Get accident provenait du choc d'une large roue de
charrctte centre une dos pelitcs roues de la dili^'ence.
Celle-ci avait eu le sortdu pot de terre piiregrinant avec
le pot de fer.
Je te laisse a juger des alTreux jurons des postilions et
rouliers provenfaux !... lis s'y entendent cnrore mieux
' que nos Parisiens, qui cependant sent assez forts sur cet
article.
Pour les voyageurs, ils n'eurent rien de si press6 que
de descendre.ettandisqu'on etait allechercherle charron
du tillage voisin pour raccommoderia roueendommagee,
chacun, selon sesgouts, allase promener dans la rampagne
ou s'asaeorr devant un pot debiere dans les cabarets atte-
nants.
Je suivis le Marseillais et sa famille dansle pare, d'une
jolie maison de campagne qui bordait la route; il y avait
la de somptueux batiments, de beaux marronniers, de
grands bassins ; mais ce qui m'interessa le plus fut
une petite foret bordee de saulcs, oii M. Mercier nous dit
qu'avait eu lieu le fameux duel entre le g(^neral L...et
le commandant I'A..., duel atroce oil ce dernier perdit la
Tie.
Nous nous eloignAmes bienlot do ce lieu funeste pour
nous promener dans un parterre charmanl borde de mas-
sifs de buis ; la, j'eus I'idee beureuse et galante de faire
un petit bouquet des fleurs les plus jolies et de I'ofrrir h
mademoiselle Pauline Mercier, qui laccueillit non sans
quelquo timidile.
Au m(Jme moment, la trompette enrouee du conducteur
nous annonca qu'il fallaitremonter en voiture. Nous re-
gagn^mes done la diligence, qui, artisloment raccommo-
dfe,se mit a rouleravecla meme v61ocit6 qu'auparavant.
Bientot nousatleignimes la risic: c'est un point ciilmi--
nant de la route oil, pour la premiere fois, on jouit de
I'aspect de la mer.
Jelavisalors, jelasaluai avec enthousiasme, celte belle
Meditcrranee aux antiques rivages. Ce n'est pas, comme
I'ocean brcton, une plaine brumeuse el plombc^e; mais
un clair miroir ondulant gracieusement au soleil, et qui,
la nuit, reflcchit des milliers d'(5loiles.
De la Vislc k Marseille la distance est encore assez
longue ; pendant le trajet, on perd et Ton retrouve plu-
sieurs fois la vue de la mer; enfin, apres avoir traverse
un interminable faubourg sur une route toute dallee, se
trouve ce qu'on appelle la Poite dAix, bien que de-
puis la demolition des remparts de la ville, il n'existe la
aucune espfece de' porte, mais seulement une large entree
de rue,
Depuis ce lieu, qui est un rond-point decor6 d'un bel
arc de tnoniphe, le regard s'etend a perte de vue jusqu'a
I'obelisque de la porte de Rome ; c'est une des rues les
plus longues et lesmieux align^es qui existent au mon-
de; elle traverse unbeau cours, orn^jadis d'assez beaux
arbrcs.Prfcdelase trouve la Canebitre, grand forum mar-
chand, et la Place Royale avec sa fontaine, qui serait
aussi belle que celle de la place Louvois a Paris, si elle
etait alimentee par une plus grande masse d'eau.
Presde las'ouvre leport, manche longue mais utroite,
tournant a roucst, et couverte de tant de vaisseaux,
que c'est Ji peine si Ton peut voir I'eau qui les porte.
L'obligeant M. Mercier, a qui j'avais dit le but de mon
voyage, voulut absolumont m'beberger dans sa maison ; je
me trouvai done installe dans une charmante petite cbam-
bre, au premier avec balcon, sur le Quai aux HnUes.ya-
vais devant moi un des plus beaux spectacles du monde
civilise. Une fortH de mats portant les flammes de toutes
les nations du globe, un people d'etrangers, revStant tous
les costumes, parlant tons les idiomes, resumant tous les
typos, toules les coulcurs, toutes les attitudes. Les uns
decbargeaient des grains, du sucre colonial, du caf6,
du colon, du sesame, des epices, toutes les productions
du Levant, de I'lnde et des Ameriques ; les autres em-
barquaient des huilcs d'olive, du savon, des vins, de la
soude faclice, de I'alun, des cnis.ses pleines d'ouvrages
d'orfcvrerie, de parfumerie, do quincaillerie.
Souvent M. Mercier m'acconipagnaitpar la ville et sur
les quais, avec son fds Theodore, devenu mon ami ; il
m'expliquail en detail tout ce qui excitail ma curiosile et
pouvaitservirh mon inslructlDn ; etjedois favouer que,
plus d'une fois, en explorant ces prodiges du commerce,
sous la noire et perpctuelle fumee des bateaux a vapeur,
je me serais cru dans laTyr merveilleuse du Telemaque,
^coutant les cxplicalions d'un autre N'arbal.
Du reste, Theodore et moi passions nos journte en
courses et en promenades. Rien deremarquable que nous
n'ayons visile. Nousavons vu les belles allees de Median,
ou se tient la grande foire dcSaint-I.azare; lePrado, vaste
promenade au bord dela mer; Aren,rendez-vonsdes bai-
gneurs et des promeneurs du dimanche ; Longrhamp,
construction nouvelle et grandiose; le jardin des Plantes;
la Lege, le plus beau monument d'archileclure de Mar-
seille; la Bourse, vaste temple, aujourd'hui en bois, mais
qui sera prochainement remplace par un bel edifice en
pierre ; la tour Julienne, qui va voir un nouveau port se
former a ses pieJs; la Major, belie catliedralegolliique,et
vingt autres eglises remarquables, sans I'^treaulant que
cellos d'Aix.
Un jour, avec Theodore, nous nous mimes h gravir
I'ancien filysfe Napoli5on-, c'est une montagne mctamor-
phosee en parterre; des senliers torlueux, parfaitement
sables et bordes de pourpier marin, conduisent a des
massifs de fleurs, a des belveders, a des ronds-points
charmants, a des sieges aussi commodes que charinants.
A mesure que Ton nionte, le panorama de la mer,
de la ville et de la campagne s'etend comme un
tapis sous vos pieds. Mais pour jouir d'une vue qui a
pcu d'egales au monde, il faut, par un beau jour, gravir
le somniet de la montagne appelee Notre-Dame-de-la-
Garde; Ih est une antique cliapelle consacree Ji la Vierge,
protectrice des marins; des milliers d'ex-volo appcndus
au niurs de I'oraloire allcstent la foi et la piete des
Marseillais, pcuple generalement religieux. C'est du haut
de cetle montagne qu'on aperQoit Marseille, assise sur le
penchant d'une colline et dans la plaine qui s'etend le
long de la mer, au fond d'un golfe couvert ctd(5fendu par
plusieurs lies ; du c6te de la terre, de pittoresques coteaux
de pinsou d'oli\iers etplusicurs milliers dcbastidesenvi-
ronnent d'une cemture champeire I'orguedleuse reinede
la .Meditcrranee. La partie neuve de la ville a des quar-
ters d'une grande beaule, des maisons avec domes ou
terrasses, des toils reluisanls d'airain ou deludes rouges.
€ — La voilk, me dit alors Theodore, qui venaitde passer
LA PROVENCE.
27
son examen dubaccalaureat, lavoilacelteJIarseille autre-
fois surnommee magistra sludioriim, \a'mailressc ties
scietices, fondce 500 ans avant I'ercchrctienne. Quelle ville
a 6l6 plus ceiebre aux jours anciens, plus llorissante aux
temps modernes? Carthage, Athenes, Numance, Corinlhe,
sesconteniporaines, ont disparuplus ou moins dela scene
du monde. Rome politique n'est plus que I'ombre d'clle-
mtoe, Marseille est immortelle... AmiedePompee.epar-
gnee par Jules Cesar, ruiru^e par les Sarrasins, soumise it
Charlesd'Anjou,objetde co'.fere ct de mefiance pour Louis
XIV, ravagee par la poste de 1720 et par le cholera de
1832, lapatriedesPytheas,desMascaron,desBelzunce, des
Rigord, des Feuillee et de tant d'autres savants, n'est
pas encore arrivi'e au comble de sa prospiSrite; la coloni-
sation de r.4lgerie lui ouvre une telle soiircederichesse,
qu'elle menace dedepasser debienloin la fortune de Lyon
et de Bordeaux, qu'elle cgale depuis longtemps. C'est
peut-etre un vain reve, mais son avenir ne lui promet
de rivalile que celle de Londres et de Paris!
Cependant, le tcrme fixe pour mon d(?part de Marseille
ctait arrive, et, nialgre les instances de M. Mercieretdesa
famille, il ne m'elait guere possible de le differer, ayant
promis a mon pere de le rejoindre k Toulon vers la fin
de juin. Tout ce que j'ai pu faire avant mon depart a He
d'accepler une promenade au chciteau d'lf, situo dans
I'ile du m^me nom, la plus orientale des trois qui sont
devant le port de Marseille.
Cette derniere promenade me fournit I'occasion de
rendre a M. Mercier le service le plus signale ; voici
comment.
Notre i\6§ante embarcation, favorisee par un beau
temps, paradaitfierementsurlegolfe sillonn6 devaisseaux
niarchands ; nous laissions le fort Saint-Nicolas et la tour
du Phare se mirer dans I'azur verdatre de la mer, ou vol-
tigeait un essaini de go<?lands , lorsque tout a coup le
vent fraichit avec tant de rapidite, que lebatelier,malgre
toules ses manceuvrcs, ne put pas empecher la barque de
chavirer a demi ; nous nous jetames tous du c6te opposu
il lamer, afin de rctablir I'equilibre; mais, dans cemouve-
nient, la pauvre demoiselle Pauline se laissa choir dans
I'eau; le patron etait trop occupe du salut commun pour
allcr h son secours; et apres lui, dans la barque, j'etaisle
seul qui sOt nager. Tu pensesbien que je ne balancai pas
a me jeter a I'eau. Je fus assez hcureux poursaisir made-
moiselle Pauline par un bras au moment ou elle allait
plonger pour toujours. Remonte avec elle dans I'embarca-
lion, ilse trouva que le vent se calma aussi subitement
qu'ils'etait courrouce; etcomme mademoiselle Merrier en
avail ete quitte pour la peur et pour se mouillcr un peu,
elle voulut continuer la promenade, ct nous visitamcs le
chateau d'lf et lenouveauport qu'on y a construit. lequel
pr&ente un excellent mouillage pour les vaisseaux de haut
bord qui ne vont jamais jusqu'a Marseille. A noire rctour
nous nous arretames chez Polycarpe, qui tient sur les
bords de la mer une ^l(5gante guinguette, frequentee de
tous les amateurs de coquillages, et principalement paries
clovisses de la Reserve. C'est le Cancale du midi.
En un mot, cette promenade fut riche en emotions de
tout genre; mais, je te I'avouerai, la plus agrcable a H&
celle que j'pprouvai lorsque mademoiselle Pauline, s'ap-
prochant tmiidement de moi, me remercia de lui avoir
sauve la vie.
Dans I'effusion de leur reconnaissance, son pere et son
frere m'avaient embrasse et meconjuraient d'ajourner en-
core mon voyage a Toulon ; mais le devoir etait la qui
m'obligeait de partir : j'ai done pris conge de mes nou-
veaux amis, maisnon sans promcssc et sansespoir de nous
retrouver un jour.
Charles Chaubet.
LE PfeRE MATTHEW.
IE PERE MATTHEW.
LEGENDE DU DIX-NEUVIEME SIECLE.
Le poll da ma cliairse h^rissa; jc senlis
iin [iiilil soiifllc, el un esprilpassa Jtvadt
ma face. Job.
Li'Irlande est la terre des
vastes vallees et des le-
pcndes fantastiques.
Dans rile d'Emeraudc,
pasuneruine, un lac, une
source qui n'ait sa tradi-
tion, sa fee proteclrice, ou
son trcsor cache ; or, si,
grace a Dicu, I'lrlande est
riche en lacs et en sources,
grSice a ses niiile levolu-
lions qui ont jele a terre ses
vieux chaleaux et ses riches
abbayes, nullecontieen'est
plus riche en ruines jiilto-
resques, en merveilleux recits. II ne manque a I'lrlande
qu'un Walter Scott; niais en attendant la venue de ce
messie politique, peut-ijtre ne me saurat-on pas trop
niauvais gre de donner ici un specimen de ces fictions
naives. Je choisis, pour la redire, conime elle m'a etc con-
tee, une hisloire dont la date est moderne, et dont le he-
ros, vivant encore, partage, avec M. O'Connell, I'enlhou-
siasle alVection du peuple iriandais', en ayant soin do ne
lien ajouler u ce recit, qui m'a ^le fait par un paysan du
comte de Clare, tcnancier de sir Lucius O'Brien, baron-
net et seigneur de Dromoland, un soir que, menace par
un orage, j'etais venu me refugier sous son toil.
11 y a cinq ou six ans environ, me dit mon hrlte, une
femme p:Me, les yeux egares, se presenia de grand matin
a la porte du couveut des capucins de Cork, demandant
avec de vives instances ;i parler au revi^rend pere Mat-
thew. Conduite en sa presence, elle se jela a ses genoux,
le suppliant de I'entendre sur-le-champ en confession. Le
pere fut frappe de son agitation. II es^aya d'abord de la
calmer, de la rassurer par de douces paroles; mais il
rcconnut bienl6t que ses efforls etaient vains , et il se
decida i ecouler patiemment I'etrange confession que sa
penitente lui fit a peu pies en ces termes :
■ Hier, dit-elle, elait un vendredi ; fatiguee du travail de
la journce, je m'etais endorniie dans un coin de la cha-
pclle du monastere , cachee dans I'ombre des piliers, de
sorte que , rolficc du soir termine et les fideles retires, le
sacristain ne m'apcrciit pas et , sans m'6vciller , fernia sur
moi les porles pour la nuit. Je dermis longlemps nialgre
le froid, malgre la gSne de ma position ; etj'aurais ainsi
dormi jusqu'au matin, si la voix de I'orgue, remplissant
tout il coup les profondeurs de la nef, n'eiil brusqiiemen'
dissipe le lourd sommcil qui pesait sur mcs sens. J'ou-
vris les yeux : un surprcnant spectacle s'ofi'rit a mes re-
gards. L'eglise ctait resplendissanle de lumiere; I'autel
pare de lleurs comme aux jours des grandes fetes; les
parfums de I'encenss'iSlevaient vers la voute, des choeurs
mysterieux faisaient entendre les chants sacres; puis le
portes s'ouvrirent avec fracas , 'et une foule somptueuse-
ment paree vint i-emplir les bancs et les tribunes. Je ne
pouvais revenir de ma surprise, je m'expliquais difficile-
mentune pareille ceremonie celebree a une telle heure,
contrairement k tons les usages de I'liglise catholique.
Cependant mes yeux se familiarisaient avec la scene dont
je me trouvais ainsi le temoin involonlaire, et un senti-
ment d'cffroi, d'horreur profonde, commenca i penetrer
dans mon iime a mesure que je considerais avec plus
d'attenlion les membres de celte nocturne congregation.
Les vetements splendides, mais d'une forme antique,
exhalaient une odeur de sepulcre; les broderies, les plu-
mes elaient souillees de terre; lesepees, richement cise-
lees, elaient ternies ainsi que les eperons dores. Tons ces
homnies, toules cesfemmess'avanoaientsans bruit; leurs
pas ne resonnaient point sur lapierre; leurs levres elaient
sans voix et sans soullle, leurs yeux sans regards. En ce
moment, les portes s'etaient refermees d'elles-memes ;
I'orgue et les choeurs se taisaient ; un silence d'altenle
s'clait etabli, — quand un prelre, revetu d'habits sacer-
dolaux, sortit a pas lenls de la sacristie, les trails piles,
amaigris, le front courbe, la tete chauve, semblant glis-
ser plutot que marcher, et porlant dans ses mains le
saint saerement. II monta en chancelant les degres de
I'autel, se prosterna profondenient et parut se disposer a
celebrcr le saint sacrifice de la mcsse ; mais aucun diacre
ne se presenlait pour I'assister. Alors, se rctournaut vers
son auditoire, il demanda d'une voix desespiiree s'il ne
se tioiivait personne dans cette assemblee qui voulut I'ai-
der h accomplir son pieux ofiice. Trois fois il repeta cet
appel sans qu'aucune voix rcpondit a la sienne. Enfin,
m'apcrcevant et fixant sur moi son regard terrible :
« Femme, m'ordonna-t-il, va trouver dans son couvent
le pere Matthew, et dis lui que vendredi prochain, a pa-
reille heure, je I'attendrai ici! •
■ La lumiijre s'eteignit aussilot, un nuage descendit
sur mes yeux, et je tombai sansconnaissance. »
Ce recit termine, le pere Matthew crut d'abord avoir
aHaiie a une folle. Cependant elle repondit avec, une rai-
son parfaite a ses queslions miillipliees, et repeta son re-
cit sans trouble comme sans hesitation, sans rien omeltre
ou ajouter a sa relation precedente. Avail elle r6ve ce
qu'elle pretcndait avoir vu '? Mais alors comment admettre
qu'un leve eiil pu laisser dans son esprit des traces aussi
profondes'/ D'un autre cole, le pere Matthew possedait
assez de notions scientifiques pour peiiscr que le cas ac-
tuel pouvait etre un elTet de cette all'ection morale a la-
quelle les liommes de I'art ont donn6 le nom de fausse
liercepliim des sens, maladie terrible, feconde en visions
alfreuses ; mal cruel dont les atteintes reiterees conduisent
iilafolie. ■ Et pourlant, pensa-til, cette femme n'est 6vi-
demment ni nialade ni folle. •
La penitente, qui paraissait plus calme apres sa con-
fession, refut I'absolution et s'eloigna. Le pere resolut a
LE PERE
toul liasard de (enter I'aventure ; li attendit done le re-
tour du vendredi, decide a ne pas manquer au rendez-
vous du pri'tre, et medilant ce passage du saint livre :
Mes desseins ne sonl pas vos dcsseins, dit I'tternel, ct
mes voies nc sonl pus vos iwics.
La semaine s'ecoula : au jour fix^, le p6re Matthew,
fiddle i sa resolution, s'enferma apres les vepres dans la
chapelle du couvent, convaincu a lavance de rinutilit(5
de sa demarche, et cependant pousse par un de ces mou-
vements de I'ame, vagues, mais en quelque sorte irr<>
sistibles, auxqucls le vulgaire a donne le nom de pres-
sentiments; — force mysterieuse, rellet lointain dela pres-
cience divine!
La soiree etait triste, pluvieuse, car on etait au mois
de novenibre, epoque de pluies torrentielles en Irlande ;
le vent gemissait sous les voiites, frappait contre les vi-
traux ; de-i ombres gigantesques s'agitaient aux yeux du
reverend pere, des formes ind^cises semi 1 lient surgir de
MATTHEW. 29
lerre ; des sons etranges, sans nom, le faisaient tressail-
lir; la chapelle, plongee dans I'obscurite, avail rev^tu ee
caractere iniposant, presque menacant, propre la nuit
aux etifices gothiques. II se sentit accable d'uno
trislesse sans cause, un leger frisson parcourut ses mem-
bres, il eut peur enfin pour la premiere fois de sa vie.
Cependant, les heures s'ecoulaient sans amcner aucune
vision ; le jour ne pouvait tarder a parailre. Le pere
Matthew se prit done a sourire de ses pueriles lerreurs ;
puis, comme la fatigue commencait a le dominer, il ra-
battit son capurhon sur sa tele, ferma les yeux et s'en-
dorniit profondement.
Son sommcil ne fut pas de longue durce; les accords
de I'orgue I'interronipirent bientot, et la vision annoncee
s'offritaux regards du moine confondu. La pauvre femme
arait dit vrai : ellc avail va, et ce qu'elle avait vu, elle
I'avait raconte sans rieii omettre, sans rien exagi^-rer!
La porte de la sacrislie s'ouvrit devant le pretre, qui
a cliapellc dti couveiil des Capucins de Cork.
gravit lentement les degr6s de I'autel ; le pere Matthew,
pousse alors par une force inconnue, alia s'agenouiller
pres de lui,et le saint sacrifice commenca : le pere don-
nant les repons, son coeur battail, sa voix tremblait,
mais la foi ne I'abandonnait pas. Puis, quand la niesse
fut dite, I'orgue se tut, les chants s'^teignirent, et le pre-
tre se tourna versle pere Matthew :
« ficoute, lui dit-il ; en expiation d'un sacrilege com-
mis il y a deux cents ans, la justice divine m'avait con-
damne a errer sur la terre jusqu'au moment oil un saint
consentirait 'i m'aider dans la celebration du sacrifice de
la messe. Ma penitence a dure longlemps, et je com-
mencais Ji la croire elernelle quand le renom de ta sain-
tete est venu jusqu'a moi : je t'ai appele, tu es venu.
Grace h loi, ma penitence est accomplie; mon expiation
terminee, la justice de Dieu satisfaite; gr;^ce a toi, le re-
pos m'est enfin accorde. Mais tu ne resleras pas sans re-
compense; forme un voeu, et, quel qu'il soil, apprends
que le pouvoir m'a ete donne d'cxaucer mon liberateur.
— Si ton pouvoir est tel, repondit le moine, et s'il vient
de Dieu, je ne rcjelterai pas ton otTie, mais je n'accepte-
rai rien pour moi : c'est pour I'lrlande asservie, pers^cu-
tee, que j'eleve mes mains au ciel. L'fiternel a donn^ h
celte terre esclave la resignation et la foi ; mais a quoi
lui servent .sa foi et sa resignation, quand ces vertus
chretiennes ont & lutter sans cesse centre I'influence
toute-puissante du plus odieux, du plus degradant des
vices? N'est-il pas cruel de voir les enfants de la verte
firin, divises entre eux de village h village, de paroissea
paroisse, preparer, par leurs m&intelligences interieures,
le triomphe de leurs ennemis; et n'est-ce pas rintompe-
perance traditionnelle du peuple iriandais qui a enfante
ces factions innombrables, ces rivalites contre nature,
cetle diversite d'opinions, ces haines parricides entre les
enfants de la meme patrie, que la mime inforlune et une
religion commune devraicnt r6unir sous !e meme dra-
peau? Grace a la passion de ses fils pour les boissons en-
ivrantes, I'ile des Saints a forgi^ ses propres chaines, noire
riche patrie a ele livreo par ses enfants au joug inipi-
toyable de Telranger!
« Donne-moi le pouvoir d'arrachcr mes freres k la ma-
lediction qui pese sur cux ; qu'k ma voix les Iriandais,
50
LA TORTUE.
reunis sous le drapeau de la temperance, ne forment
plus qu'un seul tioupcau soumis h un seul pasleur, mar-
chant du m^me pas au memo but!
. Alors le cliarme sera rompu, et cclte noble contriie
reprendra sa place parmi les nations.
— Que ton va^u soil exauce au nom du Dieu vivant !
repondit le pretre reconcilie. Parcours lesliameaux et Ics
villes, la plaine et la monlagnel va, pr6che la temperance
et I'union, c'est-^-dire la force ; Dieu sera avec loi, et la
victoire t'est promise I »
La vision disparut aussitot. Aux premieres lucurs du
jour naissant, le pere Matthew regagna son convent, et,
des lo londemain, I'lrlande saluait I'avenement d'une ere
nouvelle ; aux accents du moine inspire, les populations
s'emurent et se convertirent; I'usage des liqueurs fortes
fut abandonn^, les fds rfegSncres do I'antique Hibelniese
presserenten foule sous la pacifique banniere de ce nou-
veau Pierre I'Ermite. Chacun prenait I'engagement d'une
vie nouvelle, personne ne viola son serment. L'Irlande
recueille aujoiird'hui les fruits de ce retour salutaire a la
sobriete : bien dirigee, bien unie surtout, clle a vu I'fi-
ternel benir les elTorls du p^re Matthew, et, si elle n'a pas
encore completement secoue le joug du Saxon, du moins
le triomphe est prochain, et I'heure de la liberie ne peut
tarder a sooner.
Ce que des siecles de guerres acharnees n'avaient pu
faire, laparoled'unmoinedesarmel'a faitenquelquesmoisl
Voila ce que mon bote me raconta. II etait dfeore lui-
menie de la medaille que le pere Matthew impose aux
pecheurs converlis, symbole de force et d' union qu'on
rencontre aujourd'hui sur toulcs les poUrines irlandaises,
labarum nouveau sur lequel le doigt de la Providence
semble avoir inscrit, comme autrefois sur I'etcndard de
Con-tantin, cette legende faraeuse qui estune promesse :
In hoc signo vinces !
Le dug de Rovigo.
IIISTOIRE NATUREllE.
Autant la gazelle est rapide a la course, autant la tor-
tue est lento ^ se mouvoir ; et comment irait-elle viler la
pauvre bete qui emporte avec elle et sa maison et son
bouclier? Mais les pieds legers de la gazelle la defendent
moins bien centre ses ennemis que la carapace de la tor-
lue contra les siens. II est positif que, sans I'homme, qui
appelle I'intelUgence en aide au g^nie de la destruction,
la tortue serait un des animaux les niieux preserves cen-
tre la dent et la griffe des carnivores.
L'ecaille qui recouvre son dos se nomme la carapace ;
elle est fortement bombee, tandis que eelle qui defend
les parties inferieuresl'est beaucoup moins, et se nomme
le ptefroti; c'estenlre ces deux boucliers que I'animal
retire sa t6te et ses pattes, seules parlies vulnerables
quoique couvertes de petites teailles.
Les tortues n'ont point de dents, mais leurs machoires
sent revCtues d'une corne dure comme le bee des oiseaux,
exceple la toilue a gucule ou chelide, dont la bouche res-
semble a cellc des batraciens.
On compte vingt-qualre especes de tortues, et proba-
blemenl toutes ne sonl pas encore connues; elles diffe-
rent par les moeurs, puisqu'il y en a qui ne s'eloignent
pas du rivage de la nier, d'autres qui preferent le voi-
sinage des eaux deuces, courantes ou slagnantes; d'au-
tres enfin qui aimenl les terrains sees el Aleves ou les
plaines couvertes de broussailles.
Les unes ont leur carapace d'ecaille tres-bombee, ce
qui leur pcrmet de se remettre sur pied lorsqu'elles sont
renversees, d'autres I'ont beaucoup plus plate, de ma-
niere que, placees sur le dos, elles ne peuvent plus
quitter cello position. Quelques-unes mSme sont privees
d'ecaiUes, mais revalues d'un fort cuir visqucux.
On en voit qui ont des pieds avec des doigts palmes;
d'autres, des especes de nageoires ressemblant assez i
des extremites de rames qui seraient recouvertes de pe-
tites &ailles.
Leur taille varie aussi extr^mement, depuis la tor-
tue marine gigantesque, qui pfese pres de mille livres,
LA TOUTUE.
31
jusqu'ii celles de la plus petite espece, qu'un enfant
eniporteiait dans sa main. La tortue marine habile par-
ticulieremcnt les reijions equaloriales de I'ancien et du
nouveau monde, oil on la trouve en troupes innombrables
sur le rivage de la mer, dans les lies et dans les conti-
nents. Comnie sa chair est saine, substanlielle et agrea-
ble au gout, les marins en font une grande consommation,
ce qui fait diversion aux salaisons qui sont la base de la
nouri'iture de bord.
Elles se voient par miUiers sur les rochers et les
bas-fonds converts d'algues marines qu'elles paissent
sans cesse; quelquefois aussi elles brisent et mangent
des coquillages. Elles ne sont pas, k ce qu'il parait, ex-
clusives dans leurs gouts; car, apres avoir broute dans
leurs paturages marins, elles aiment a se rassembler Si
I'embouchure des grands fleuves, oil elles restent plon-
gees dans I'eau douce, n'ayant que la tfite dehors.
Les marins nommcnt cette espece lorlue franche ; c'est
au commencement d'avril qu'elle va deposcr ses ceufs
sur le rivage ; pour cela elle se rend sur une partie oil
le sable est fin, mobile, et hors de I'atteinte des plus
hantes marees ; elle y creuse plusieurs trous et y place
ses oeufs au nombre de plus de cent. Ces ojufs spheri-
ques, ayant plus de deux pouces de diametre, sont re-
converts d'une membrane qui ressemble a du parchemin
humide.
Dans les regions torrides ou la tortue habile, le sable
estassez fortement echauffe par les rayons du soleil pour
faire eclore ses ceufs apres vingt ou vingt-cinq jours;
alors les pelites lortues, ayant au pins deux ou trois pouces
de longueur, sorlent else dirigent vers les eaux voisines;
mais loutes n'y parviennent pas, car les animaux car-
nassiers en delruisent considerablement.
II y a dans les eaux de la Mi'diterrande une grande
tortue a peau, connue sous le nom de luth; eWc est de
forme allongee, et sa carapace presente trois aretes lon-
gitudinales formant saillie.
Quant a la tortue franche ou gigantesque, elle a une
carapace composee de treize larges ecailles verdjitres,
disposees sur trois rangs, celle du milieu formant des
hexagones prcsque reguliers.
Ces grandes lortues ne viennent jamais dans nos cli-
mats que par suite de quelques accidents de mer. En
<7S2, il y en eut une qui vint s'echouer dans le port de
Dieppe; elle pesait environ neuf quintaux; en 17Si, une
autre, de taille gigantesque, fut prise dans le Perthuis
d'Antioche enlre la Rochelle et I'ile de Rhe.
Le Card, autre tortue marine, est moins grande que la
precedente, et elle a le museau plus allonge ; on la trouve
aux Antilles, oil on la recherche pour ses oeufs et surtout
pour son ^caille ; quant a sa chair, elle est beaucoup moins
bonne que celle de la tortue Tranche.
Les devastations causees dans les algues qui couvrent
les recifs servent d'indices pour trouverles grands trou-
peaux do lortues, quand on en veut faire une pSche
abondante. On les prend de plusieurs manieres : avec la
folle, grand filet h mailles tres-forlcs; en les retonrnant
sur le dos avec des leviers, quand on les trouve sur le
rivage; en lesharponnant, lorsqu'elles paraissent Ji lasur-
face de I'eau, avecun instrument nomme varre, qui enlre
dans recaille; une cordelette est attachee ace harpon,et
permet de Tattirer a bord; le seul obstacle qu'on puisse
rencontrer est le poids enorme de I'animal.
La p6che de la tortue se fait habituellement de null, a
la lueur des torches, et offre un spectacle des plus pilto-
resqnes, surlout lorsquela tortue est surprise sur la plage.
La bourbcuse est une espece qui affectionneparticulife-
remenl les eaux douces; elle est beaucoup plus petite que
celle de mer el que la plupart de celles de terre. Sa ca-
rapace est noirJlre, sa queue est longue comme la moiti^
du corps; ses doigts, ties-distincis, sont reunis par une
membrane, elle en a cinq aux piedsde devani, et quatre
i ceux de derriere; elle se trouve dans lesclimats tem-
peres et cliauds de I'Europe , en Asie, particulierement
dans les Indes.
Dans les pays situ^s sous une latitude un peu elevee
elle creuse des trous en terre pourhiverner; aux premieres
chaleurs du printemps elle sort de ce trou et passe
presque tout son temps dans I'eau douce. Elle depose ses
ceufs dans la terre ou dans le sable, comme celle de mer.
Cette tortue devient facilement domestique , on la place
dans Its bassins des gardiens, qu'elle delivre des vers, in-
secles et limacons; on en trouve beaucoup en Provence et
en Languedoc.
La molle, la plus grande des lortues d'eau douce, se
rencontre surlout dans les rivieres du sud de la Caroline
et pcse souvent desoixante a qnalre-vingis livres; sa cou-
leur est brun-fonce, et elle estcouverte d'une forte peau
qui ressemble a un cuir de boeuf tannd.
Cette lorlue est farouche et mord avec violence ses as-
saillanls ; elle a les paltes garnies d'ongles crochus ; sa
chair est delicate.
La grecqiie, ou lortue'commune, est celle dont les mou-
vements sont le plus lents ; elle a beaucoup de ressem-
lance avec la tortue d'eau douce, mais son dos est plus
bombe : si on la relourne, elle ne tarde pas, par un le^er
mouvemenl d'oscillatlon, areprendresa position premiere.
Ellesenourritd'insecles, de limacons, d'herbes, de fruits
et Ton en fait facilement un animal domeslique. Dans
les latitudes elevees elle se creuse un soutenain pour
I'hiver. C'est au soleil d'ele qu'elle confie le soin de faire
More ses oeufs, qu'elle depose dans le sable ou dans une
terre legere.
Comme tons les ovipares, les lortues tiennent un rang
assez important dans Techclle des etres; lemouvementde
la locomotion nes'etfectue pas cliez elles comme chez les
vivipares, en porlanl lesjambes en avant ; mais elles les
plient el les ecartent de maniere a former un mouvemenl
de levier quiporlele corpsp!us loin que le point de depart.
La tortue est longlemps Ji elTectuer sa croissance ; ce qui
indique une vie Irfe-longue. Aucun animal d'ailleurs n'a
ce que Ton nomme vulgairement la vie plus dure : on
s'est livre ^ eel ^gard a des experiences qui ont produit
des rcsulats presque incroyables. On a vu dqs torluespri-
v^esdesorganesindispensables^ la vie chez tousles a ulres
animaux, et qui vivaient encore pendant des mois entiers.
L'ecaiUe du caret est la plus rechercliee de loutes dans
le commerce; car elle est plus cpaisse, d'un tissu finet
d'une couleur tres-belle ; celle de la tortue franche,
moins volumineuse, doit une partie de ses beaux reflets
aux lames m(5talliques ou aux aulres mati^res sur laquelle
on I'applique. Olivier Le Gall.
32
TABLETTES PARISIENNES.
TABLETTES PARISIENNES.
Le LivRE DES Familles a pris Tengagement de tenir
seslecteurs au courant des nouvdles artisliques du monde
parisien et aussi des meilleures productions de la liKera-
turc et de la science contemporaines. Cest una mesure
dont on nous saura d'autant plus de gre, que I'impartia-
lile la plus severe guidera toujours nos jugements, et que
notre plume ne trempcra jamais qu'apres mir esamen
dans I'encre de la louange ou du blilme. On comprend
que nous eloignerons de cette revue les productions trop
frivoles, et que notre critique ne s'atlaquera qu'aux oeu-
vres de resistance. Mais il est des oeuvres nouvelles et
des noms nouveaux quo nous irons souvent chercher;
heureux plus tard si nous avons pu nous faire I'eloile
d'une gloire naissante ou I'annonciateur d'un livre 11-
lustre. — Cette sorte de profession de foi nous a paru
utile a placer en quelques lignes.
— L'ancien hotel du cardinal Fesch vientde s'ouvrirk
I'exposition annuelle de I'association des artistes. Cest
une charmante reunion des toiles de tous les mattressou-
verains, un riche assemblage des chefs-d'oeuvre des
temps passes et des temps modernes, un fouillis pittores-
que de toutes les ecoles. Le ravissanl Gillcs, de Walleau,
y coudoie la niagnifique llalaille des Cimbres, de notre
poele Decamps. Greuze, Prudhon, Vanloo, Leopold
Robert, Eugene Delacroix, s'y sent fait dignement repre-
senter; des statues etdesdessins completent ce nierveil-
leux ensemble. II n'y a pas jusqu'a niadame la duchesse
d'Orleans qui n'ait detacbe un tableau de sa galerie, en
faveur de Tassociation des artistes. Si nous disons en
outre que cette exposition est 6golement une osuvre de
bienfaisance, nous sommes certains que tout Paris ne
peut manquer de se diriger imm^diatement vers I'hotel
de la rue Saint-Lazare.
— Les predications de M. Lacordaire ont recommence
cette annee b Notre-Dame,
et continuent toujours a attl-
rer la meme affluence de
monde.Cbaque dimanche.un
auditoire Elegant, serieux,
penseur, s'empresse autour de
la chaire du r^v^rend domini-
; cain pour recueillir les fruits
dores de sa parole. Un tel
succfess'explique facilement.
M. Lacordaire a vecu de la
Me du dix-neuvieme siecle;
ivant de fouler d'un pas si-
lencieux les dalles des cloi-
res, il a pos(5 son pied dans
es miUe sentiers divers de la
foule, il s'est mele aux pas-
■^ions de la multitude. Le Ian-
gage qu'il parle aujourd'hui
seressentun peu du voyage .(u'll a fait a traverslesplaines
humainespour arrivcr aux colUnos divines; s'il Shrank' les
masses aussi forlement, c'est qu'il leur parle en hommo
recemment convaincu, en homme convaincud'hier et non
pasde toujours; s'il arrive a persuader le monde, c'est que
c'est avec le langage du monde qu'il liabille la religion;
enire lui et ses auditeurs la rhaire ne larde pas a dis-
paraitre, el bienlot ce n'est plus qu'un des leurs qui les
iiistruit et les exliorte; sa voix a cet entraincment pro-
fond qui n'apparlient a nul autre; il jelte des regards a
droite et a gauche dans I'hisloire moderne; il interroge
les cendres des grands homnies d'hier; il demande leur
secret aux inventions et aux decouverles les plus recen-
tes ; il analyse les livres nouveaux pour les llclrir ou lej
exalter. — Voila pourquoi M. Lacordaire, homme de
coeur et de haute inspiration, pr^tre du present et de I'a-
venir, a toutes les sympathies de la foule. — Plusieurs
feudles politiques ont donne des extraits remarquables de
ses derniers discours.
— Parler du bey deTunis,c'estvenir un peu lard sans
doute; aussi n'en parlerons-nous que pour rendre bom-
mage i sa fastueuse bienfaisance. Dans un temps oil la
misere se dcbat douloureusement sous Thaleiiie ghicee de
riiiver, apres avoir survecu h I'inondalion, il est beau de
voir un de ces princes qu'il y a peu d'annces encore nous
traitions de barbares, donner le premier I'exemple de
I'humanUe. — Le nom d'Abnied-Pacha ne sera pas perdu
pour le people, et les pauvres de Paris comme ceux de
Roannc garderont precieusement le souvenir de ses bien-
faits. C'est un beau voyage qu'a entrepris la Sa Majeste
tunisienne, avec la charite pourcompagne de route!
— Un de nos plus renommes voyageurs, qui a su con-
stammentallierlapoesieariiistoire. et le charmed unarra-
teur au sens profond du pliilosophe, a publie ces jours-ci
deux volumesd'un interSl puissant, auxquels I'actuulite va
prater beaucoup de vogue. Nous voulons parler de
M. Poujoulat et de ses Eludes africaines. — Cetouvrage,
Merita un haut point de vue et dans le cadre le plus ge-
neral, est a la fois une description et un recil, un roman
et une histoire ; I'Algerie vient s'y refleter tout entiere
avec ses paysages brCiles, ses mceurs originales, ses gucr-
res sanglantes, son passe plein de souvenirs religieux, sa
physionomie morale et I'avenir de ses races. Les grandes
figures de saint Auguslin, de Cervantes, de Jugurtlia et
d'Abd-el-Kader projettcnt leur ombre sur ce tableau ; et
I'cEuvre francaise y est plusieurs fois caracterisee d'une
manii.'re serieuse et capable de faire rellechir les hommes
de gouvernement. — Nous signalerons plusieurs chapi-
tres, tcls que le recit de I'assaut de Conslantine , la
celebration de la messe sur une colline d'Hippone, les
considerations finales sur I'lniluence du prCtre en Algerie,
qui seront lus par lous les esprits reellement prtoccupes
de ce c6te grandiose de notre histoire. Les Etudes afri-
caines resleront, non comme une tentative imparfaite,
ainsi que le pense la modestie de leur auleur, mais
comme un livre national et aussi complet que possible. —
A ce litre, nous le recommanderions avec empressement,
si le nom et le merite de M. ''oujoulat ne le recomman-
daient encore mieux que nous no pourrions le faire.
Pai'l Serv.\is.
Typoiraphic LAciiiMPB nis el C', rue Damielle, 2.
BKlliSH
7 aCG >!)
NATURkL
hlSTOF.Y.
LA FOKTMM.
UN AN A PARIS'.
11.
Le lendcmain de mon
arrivee, Paris s'est de-
guis6 des talons a ux epau-
les et est parti pour le bal.
On elait en hiver. C'est
tout au plus s'il me fut
possible de le reconnaitre
sous I'elegant habit noir
qu'il avail rcvStu. S'il
est une epoque de I'annee
oil Paris est le moins
semblable a lui-mSme ,
c'est surtouten carnaval.
Tout le reste du temps,
il etale un sans-facon de
costume et une oisivete
d'esprit, qui le font parfois considerer, de I'une et de I'aulre
maniere, comme le plus pauvre horame du monde. liln
carnaval seulement, il tire de sa commode son frac le
pluslustreet ses bons mots les plus spirituels, pour montrer
qu'il n'est mort ni pour I'elegance, ni pour les traditions
du beau langage. Autant il etait a I'aise dans sa robe de
cliambre et dans son pantalon a find de tout a I'heure,
autant le voila maintenant serre dans sa cravate et bus-
que dans son gilet. Tout a I'heure, il n'aurait su que re-
pondre aux soUicilations les plus vives et aux instances
1 Vcir la paje 1.
HI.
Ics mieux expiimei'S ; i present il abonde en apercus in-
genieux, en paradoxes elourdissants ; il parle k la fois dcs
choses les plus serieuscs et lej plus futiles ; il discute po-
litique comme pas un conseiller d'etat, et va vous tour-
ner un madrigal qui eiit fait pAlir Saint-Aulaire de ja-
lousie.— Ca, quel est le vrai Paris, est-oe celui de la
veilleou celui d'aujourd'liui? Est-ce sa placidite ou son
esprit qui fait son deguisenient?
Vraiment, il y a une difference enorme entre le Paris
de I'ete et le Paris de I'hiver. L'hoinme que vous saluez ,
dans le salon ne ressemble en rien au meme homme que
vous avez salue dans la rue, la derniere semaine. Telle
femme qui vous paraissait laide et maussade, vous inonde
a present de sa nierveilleuse beaute et de ses sourircs
flamboyants. — A la bonne heure, au moins. Tous ceu\
qui verront Paris encadre par le bal, a la lueur des bou-
gies, au son de la musiquc harmonieuse des quadrilles,
ne pourronl manquer d'en eire eblouis la premiere fois;
et ceux-la Tauront vu verilablement sous son beau cote.
— Les bals de la liste civile, ceux des ambassades d'Au •
triche et d'Anglelerre sont surlout renommes parmi les
plus eclatantset reunissent les illustrations de tout genre.
— Un choix arislocralique preside dans les soirees du
faubourg Saint-Germain, qui chercbe par tous les moyens
en son pouvoira rappeler les souvenirs dun passe galant,
maitre aux choses du gout et de I'elegance. La encore,
retentissent quelques-uns des beaux noms de I'ancieune
noblesse et se groupent les rares heritiers des grandes
3
Zi
UN AN A PARIS.
maisons, pour prolcsler silencieusement contre k's enva-
libsemcnls de la sociole nouvelle. — Lcs bals de la finance
et de I'induslrie appellont a eux la richesse, qui souvent
leur tient lieu de tout; I'or et I'argent empruntent mille
formes, et j'ai vu des toilottes de femnies qui semblaient,
dcs vitrines delacheesdes magasins d'orfevrerie. — Les
fetes de M. de Rothschild font mal aux yeux, disait un
invito qui savait garder sa vue tres-nelte chez lui.
Restons un moment dans cette region, dont le triple
Element constitue ce qu'on nomrae le raonde parisien. —
Lepointde vuesuperficiel en est tout sMuisant, sans con-
tredit; et si ce n'etait le deplorable abandon, par les
hommes, des modes francaises du dix huilieme siecle,
rien n'cmp^cherail de se croire h h coar de Lo\iis XVI,
dans le salon d'un Montmorency on chez un fcrmier-ge-
n^ral. Le costume noiret Wane, qui nous rend uniforme-
menl pareils k des avocats, est le senl obstacle S cetle
illusion. — Pour ce qui est do la conversation et des grSces
de I'esprit, ne croyez point ces ccrivains quinteux qui
\ous disent que nous ne savons plus causer ni medire,
que le bel art du madrigal s'en est alli5 dans hi pocJre des
derniers gentilshommes, et que nous ne sommes bons tout
au plus qu'b discuter du merite d'un cheval. Je vous dis
que nous ne sommes pas plus beles que nos peres; el que
pour ne pas avoir conserve leurs culottes de velours, et
leurs habits de toile d'or, et leurs gilets a fleurs etranges,
nous n'en avons pas moins adopts leur facon de faire et
de dire en ce qu'cUe pouvait avoir de bon. Comme eux,
nous savons assez d'art et de poesie pour renvoyer pen-
dant une lieure le volant d'un paradoxe sur la raquotte
de la discussion. Le plus grave de nos hommes d'affaires
peut au besoin parler romance et barcarole, comme un
maitre de guitare des ruelles disparues ; et il est bien peu
d'actionnaires, parmi les plus actionnaires, qui se hasar-
dent a causer des derniferes fluctuations de la Bourse en
presence d'une joliefemme, qui fait sourire ses dents der-
ri^re un ^ventail a franges.
Onjnue; le whist etlo lansquenet sontparticulieremenl
en vogue. — Quelquefois un concert est intercalc daus le
bal. — 11 y a deux ou trois ans, singulier caprice! qtiel-
quesmaitresses demaison avaient imagine de faire venir
Neuville ou Levassor, pour entendre cespelites rhanson-
nettes normandes que les doux artistes eiicellenl h execu-
ter — D'autres fois, c'est une grande partie de com(^die,
que I'on organise sur un pied royal : une partition nou-
velle de M. de Flottovv ou une piece in^dite de M. AVa-
lewski. Cette annfe, le prince de la MosUowa vient de
se faire construire une salle d'opera dans la Chaus-
see-d'Antin ; on ne salt quand en aura lieu I'inaugura-
tion. — Au nombre des plus charmantes comediennes
de salon, on cite principalemcnt madame la vicomtesse
Duquesne et quelques-unes de nos fcmmes de lettres dis-
tingu(?es.
Paris en carnaval est tout au plai.sir et a la belle hu-
meur ; cette atmosphere joyeuse qui s'echappe du premier
etage, se repand egalemenl dans le magasin et nionle
dans la mansarde. — Les bourgeois ont leur bal qui ne le
cede a aucun autre pour I'entrain et la franclie gaiele.
Onze heures sonnies et la bjrre de fer mise en trovers de
la devanture, on n'entend plus que lebruit du violon dans
toute la longueur de la rue Saint-Martin et de la rue Saint-
Denis. C'est l'6poque des gros brillanls a la chemise et de
la guerre du dessous-de-pied avec le panlalon. — Plus
haul, c'est la crepe qui chante etqui saute dans la po^le;
c'est la chaise 'qu'on brise en eclats pour enlretenir le
feu; c'est I'accordeon quiglapitun nocturne sentimental.
Maintenant le quinquet 'i I'huile a remplace le candcla-
bre; une seule veilleuse est placee sur un tabouret au
somniet do I'escalier en sp'rale. — Pan, pan. — Entrez,
s'il vous plait. — Vous ^tes aunonc^.
II y a aussi le bal des artistes, qui possfcde une physio-
nomie a part. La, un habit trop beau serail conspu^; ur>
habit trop sale ne serait point de mise. II faut ce milieu
qui caraclt'rise justemenl le peintre ou le musicien. Ce
n'est guere qae la d'aiUeurs qu'on peut trouver I'origina-
lile individuelle avec I'esprit quand nifme. — Je ne parle
pas du talent; M est convenu qu'il court les rues. Mais la
conversation y est compos(5e des Elements les plus fantas-
que? et des pensees les plus conlradictoires ; le plaisir
y revet les formes les plus saugrenues. — Les bals d'ar-
tistes sonlrares malhenreusement, et Ton en pcrcoit faci-
lemon-t la causp. Celui qui a ci peme de quoi se loger, lui
et son merite, dans une espare de quelques pieds carris,
ne peut pas se permeltre de trancher de ramphitryon et
d'offrir chaque semaine un raoit a ses confreres. — Bon
a Horace Vernet et a Alexandre Dumas.
Rpsle pour tout le monde le bal masqu^, cette grande
hotellerie pitloresque ou Paris s'emprcsse, les derniers
jours de carnaval. Reste le bal masque, c'cst-a-dire le
bruit, la foule et Teclat ; et la plume rouge au-devant du
feutre, et les dentelles au poignet, et le ealon sur toutes
les coutures, et la sole, et le .■satin, et I'elegance et le bel
air ; ces choses qui se loue.nt pour un soir et qui vous font
pour un soir homme d'un autre siecle ou d'un autre pays.
Le bal masque est a peu prte la seule chose curieuse qui
ne se voie qu'a Paris, depuis que Vcnise a vu mourir son
carnaval lant renomme. C'est le veritable niveau social,
le joug de lleurs rdve des phalansteriens; I'^galite en est
la premiere loi, le plaisir en est la seconde. Imaginez une
cohue, un tuniulte, une masse de gens desoeuvres qui se
heurtent, se pressent, se coudoienl, s'apostrophent, s'in-
jurient et s'embrassent. — Le bal masque d'aujourd'hui
appelle a lui la rue el le salon, ou pour mieux dire il les
reunit tous les deux ; il fait passer I'une h travers I'aulre,
la rue eclaboussant le salon et lui meurtrissanl le pied
sons son epais Soulier de cuir; le salon laissant tomber
sur la rue quelque peu de sa poudre et de son tabac d'Es-
pagne, et lui piquant les jambes de sa fine t'p^e de vi-
comte ou de pair ; la rue et le salon, bras dessus bras
dessous, riant et chantant, I'un s'abaissantjusqu'ou I'au-
lre peut monter, I'un s'elevant jusqu'ou I'autre peut des-
cendre; tous les deux arrivant a une sorte d'esprit im-
provise, demi-masque, demi-braillard, trivial autant que
le salon peut le faire, a'ambique comme la rue comprend
I'alambic, I'espril de I'un dans le corps de I'autre, le
corps de I'autre dans I'esprit de I'un, Mascarille sous I'ha-
bit de Moncade, Moncade sous I'habit do Mascarille. —
Ne croyez pas d'ailleurs elre oblige a venir y faire pa-
rade de I'esprit que vous pouvez avoir, ou de celui que
vous n'avez pas; non, le monde ne vous liendra comple
que de ce que vousvoudrez bien lui donner, rien de plus,
rien de moins. Vous Stes libre d'y venir avec voire es-
prit du dimanche ou votre sottise de tous les jours; si
vous etes b^le, rien de plus naturel aux yeux du monde;
si vous otes spiriluel, tant mieux pour lui comme pour
vous ; vous 6tes riche, quoi de surprenant ? vous f tes
UN AN A PARIS.
35
pauvre, quoi de plus simple ? Soyez jeuneou vieux, beau
ou laid, ayez de la grSce, du bon ton, de la polllesse, ou,
si vous I'aimez mieux, livrez-vous h votre nonchalance,
a votre franc-parler, prenez vos coudees larges; qui
que vous soyez enfin, soyez sOr que le bal masque vous
accucillera sans contesle, sage ou fou, trisle ou gai, He-
raclite ou Democrite.
Le bal masqu^ a des temples nombreux situ^s k chaque
coin de Paris et des barrieres. Le people qui veut une
petite part de toutes les joies, par cela nieme qu'il a une
grande part dans toutes les niiseres, route ces jours-lii sa
gaiete malsainedanslesguinguettesdu Chcmin-Vert etdes
boulevarts exterieurs. — Ici la philosophie du carnaval
commence h devenir un peu plus soucieuse; on se prend
malgr^ soi ^ regarder derriere les coulisses, et quels
ignobles mystferes ne decouvre-t-on pas alors! — Le
Mont-de-Piel^ est le moindre des sacrifices auxquels le
peuple achete ses plaisirs des jours gras, plaisirs qui se
resument d'ordinaire dans rabrulissement par le vin
bleu. — Ces peintures ont tenl6 I'imaginalion ardente de
quelques ^crivains; a notre avis elles sont plulot faites
pour inspirer la tristesse que la curiosite. Notre plume
les indique seulement, mais elle ne s'y arr^tera pas.
Le bal est done la grande occupation de Paris pendant
le mois de Janvier. — Ajoutons-y egalement, lorsque la
saison le permet, les parlies de potin aux bassins du
La rue el le salon.
Luxembourg et des Tuileries ; — e( puis la ttte des rois,
cette naive tradition de la famille. — C'est aussi I'^poque
fructueuse des Italiens, dont les repr&enlations sont
comme les entr'actes des bals du grand monde, et ou les
loges rem plies de femmes ricbement values presentent
un coup d'oeil etincelant a I'admiralion du nouveau de-
barqu^. La musique ilalienne n'est dans ce cas qu'une
facon de prMe-^ite, un motif de rendez-vous ; on y vient
surlout pour essayer relTel d'une robe nouvclle ou pour
faire de la chronique scandaleuse.
C'est aussi, — nous alliens presque I'oublier, — le mo-
ment des pluies supr^mes etde la boue continue. Or, s'il
y a un chapitre h ecrire, c'est principalement sur la
fange proverbiale des trottoirs parisiens. Apres I'eau, I'air
et le feu, la boue peut Stre classee, du moins sur cette
partie du globe essentiellement crottee, comme un nouvel
Element et prendre place en cette qualite dans les ma-
nucls de physique. Comment la boue se produit d'un in-
stant ^ I'autre, c'est un phenom^ne, une enigme. Dix mi-
nutes d'une pluie volante .suffisent pour changer en
cloaque le quartier tout a I'heure le plus net et le mieux
entrelenu. — Mais peu importe au bourgeois de Pans !
au contraire; le bourgeois va k la pluie comme le fer k
I'aimant et le papillon k la chandelle. C'est sa glu, i lui.
C'est juste au moment ou le ciel se rembrunil, qu'il songe
a I'alTaire imporlanle qui I'appdle ^ I'autre quartier de
la ville; et point ne remettrail si belle partie au lende-
main. Neanmoins comme le bourgeois de Paris est un
liomme prudent et de precautions, il se munit du para-
pluie qui fait ses delices, du parapluie, ce roi des meu-
bles ; et le voilk qui se met en route, apres avoir declare
que cette pluie ne serait rien. — Remarquez bien qu'il
est persuade du contraire; sans cela il ne serait point
sorti. — Mais quelle jouissance pour lui et quelle noble
eonquSte de choisir le pave le plus propre au milieu do
ces paves engloutis par I'averse ; de dispuler aux plus
opiniitres le trottoir du cote des maisons; de hausser et
de baisser alternativement son parapluie selon la taille
des passants, tout en risquant de I'accrocher dans les cn-
seignes ou d'eborgner ceux qui sortent des magasins ! II
ferait dix lieues de la sorte, sans s'apercevoir qu'il est
trempe jusqu'aux os. De temps en temps, el pour I'acquit
de la conscience, il h^le un omnibus qui I'eclabousse,
mais il a bien le soin de ne s'adresser jamais qu'au plus
complet. S'il a I'occasion de passer par la place du Car-
rousel, il la saisit avec empressement, dut-il meme Otre
force de faire un detour pour cela. II peste centre le vent,
il maudit les gouttieres et les ruisseaux, mais cu n'est
pour lui qu'un theme purement de convention. Examinez
plutijt I'aimable expression de sa figure, lorsque la vio-
lence de la pluie le force a se refugier sous une porte co-
cliere. — Ah ! messieurs, quel abominable temps ! s'i-
56
LES DOUZE APOTRES. — SAINT ANDRE.
crie-t-il en saluant avec urbanite. — Vient-il a monter
chez un de ses amis, la scene prend alors un aspect plus
heroVque ; c'esl avec une orgueilleuse salisfaclion et un
sourire de conquerant qu'il s'entend adresser des repro-
ches sur son imprudence : — Comment avc/.-vous pu
vous decider a sortir par une pluie semblable? C'est de
I'entetement, de la folie! vous en ferez une maladie, bien
certainemenl; voyez un peu conime I'eau ruisselle de
voire redingote! — C'est vrai, repond-il ; et demon cha-
peau aussi. — Ainsi fait le Parisien, cet homnie souve-
rainement heureux, qui prend le temps comme Dieu le
lui envoie, et qui ne se plaint autrement que pour la
forme; etre a demi aquatique qui passe ci travers les
plus grandes tempeles, sans en presque rien sentir. —
Pour un Parisien qui allrapera un rliume de cerveau a
s'etre mouille les pieds une demi-journee, trente provin-
ciaux gagneront une fluxion de poitnne. Mais le Parisien
est une plante qui a souvent besuin d'6lre arrosee par
I'eau du ciel.
Charles Monselet.
m DOUZE APOTRES.
SAINT ANDRE.
Andre est le frere de
Simon-Pierre, comme lui
fits de .lonns ou .lean, ne
a Bethsa'ide. — La mSme
profession les attache sur
la meme barque jusqu'au
moment ou, ayant recu
leur mission bi'ro'i'que,
ils vonl chacun de leur
Cute porter la loi nouvelle
et monrir en temoignage
deleur fni.
A la voix de .lean-Bap-
tiste qui prechait en Ga-
lilee, les Juifs avaient pu
comprendreleniysterieux
^venemoiil quu Dicu |.Lrparait a la re,:;encration du monde;
quelques Ames douses de fervour et d'une sainte penetra-
tion se tenaient immobiles dans I'attenle d'un prochain
accomplissementdes propheties. Convaincu de la veritti des
discours de Jean, Andre s'elait fait son disciple, el pour
rpcueillir ses paroles il le suivait ainsi que quelques pieux
enfanls d'lsrai^l. — Sa foi et sa bonne vo!onl6 lui valurent
uneri^compense : il fut I'un des premiers qui reconnurent
le Messie en la personne du Christ. Une expression d'aniour
et de veneration prononcee par Jean-Baptiste a la viie de
lesus devint pour lui le rayon de lumiere c6leste qui Ini
fit entrevoir la verit*. Jean avail dit en montrant le divin
Fiis de Marie ; 'Voici I'agneau de Dieu. Andre avec un
autre disciple, que differents peres croient 6tre Jean
I'fivangelis'.e ou I'opolre Philippe, s'attacherent presque
furliveraent aux pas de Jesus-Christ. — Une croyance
confuse agilait leur iime en ce moment ; ce no ponvait etro
deji la foi, maisc'elait I'csperance. El en recompense de
cede sainte avidile de voir le Reilempteur, lui meme va
se reveler a eux.
Jean en disant : 'Voici I'agneau de Dieu, avail fait allu-
sion k I'agneau pascal qui arrachait a la mott les pre-
miers n& des enfanls d'lsrael : soil qu'il prophetisH ou
qu'il conniit dejJi ce qu'6tait Ji5sus, il rendait hommajie
a I'augusle victime qui bienlot devait racheler le monde
entier. Andre et son compagnon, frappes d'une subile ap-
prehension, n'ont pu s'empecher de suivrele Christ, mais
ils n'osent encore I'approcher. Le Fils de Dieu les aper-
coit, et alors sur la question qu'il leur adresse : Rabbi !
r^pondent-ils, nous cherchons voire demeure. — Pre-
texte naif oil se point I'hesitalion et la simplicite de ces
deux hommes. — Alors celui a qui ilss'adressaient voyant
la puret6 de leur Sme, s'ecrie : Venez et voyez! — lis
passerent plusieurs heurcs avec le Christ. Quelle joie An-
dre dut ressenlir en se voynnt I'un des premiers a qui il
etaitdonnede contempler leSauveurdu monde. Combien
il y eut pour lui de consolation dans les maximes celestes
qu'il entendit pour la premiere fois. — II sentit des lors
qu'un irresistible lien rallachait au divin reformaleur :
les resolutions qu'il forma durent lui faire entrevoir ses
glorieuses destinees ; mais les temps n'etaient pas encore
venus oil les ap6tres devaient marcher avec le Christ,
recevoir leur mission heroique pour ne le quitter qu'a
son premier pas sur la montagne du Calvairo.
Apres avoir acquis une conviction presque certaine
que rottente d'Israi?! Mail comblee, Andre se h.'ila d'aller
vers Simon-Pierre pour partager avec lui le tresor pre-
cieux qu'il venait de decouvrir.
Une amilie lendre et devouee existait enlre ces deux
freres. Pierre aimait Andre, Andre aimait Pierre. Leurs
Iravaux etaienlcommuns, leurs joies devaient I'filre aussi.
Simon ayant entendu les recits de son frere, voulut k
I'instant contempler, lui aussi, le regeneraleur du monde.
Ce fut sur les bords du Jourdain, sur ce Heuve celebre
pour avoir mouilie le Christ de ses eaux, que saint An-
dri renconlra celui a qui Simon voiilait eire presente. —
Vous savcz comment en le voyanl Josus-Clirist changea
le nom dei'imonen celui de Pierre. A celle circonslance,
Andre doit sans doute le tilrc qu'on lui donne, d'hitro-
chirfeur mipfes de Jrsiis-Christ.
Plusieurs peres de I'l^'gli-se disent que les deux fils de
Jonas furent lomoins, aux ncce? de Cana, du premier mi-
racle qu'ait fait I'Homme-Dieu. Le troisieme jour d'une
noce, — el en cetemps-l^ ces fetes duraienl huit jours, —
.Jesus y vint avec quelques personnes qui le suivaient
deja presque liabiluellemenl pour entendre ses discours:
LES DOUZE APOTRES. — SAINT ANDRfi.
37
Ic vin venanl h manquer, Marie de Nazareth, qui se Irou-
vaitaussi a ce festin, dit i son divin fils ; lis n'ont plus
de vin. — Le Christ ne se rendit pas immcdialement au
riesir manifesle par sa m^re devoir accomplir un miracle
qui pouvait ouvrir les yeux de tous ceux qui I'enlou-
raiont. II differa, pense saint Chrysostome, parce que le
besoin de vin n'elait pas enrore assez connu de tous Ics
convics et que dans un instant la soif allait Ics rendre
bicn plus attentifs au prodige qu'i! allait arcomplir, car
son intention n'('tait pas autant de procurer du vin que
de donner la foi h ces enfarils d'lsraijl. Dans la salle oil
se celebrail la fc^te, il y avait six grandes urnes do pierre
pour scrvir aux purifications en usage parnii les Juifs.
Jesus les fit reniplir d'eau; puis ayant invoque le nom
de son p^re ; Puiscz mainlenant, dit-il aux scrvilcurs, et
portez en au maitre d'hotel. Ce dernier, apies avoir
goule I'eau qui venait d'etre changee en vin, ne sachant
d'oii venait cette liqueur, appela I'epoux ct lui dit : Tout
homme sert d'abord le bon vin, et lorsqu'on a beaucoup
bu il sert le moins bon ; mais vous, pourquoi avez-vous
reserve jusqu'a cetle heure ce que vous aviez de nieiUem?
A la stupefaction de I'epoux et a sa grande satisfaction,
succeda I'etonnenient de la foule qui par ce miracle au-
rait dQ comprendre la puissance divine de Jesus.
Apres ces fetes que le Christ semble partager pour
montrer aux hommes que les rejouissances paisibles et
legitimes sont agreables k Dieu, Andre et Pierre retour-
nent a Capharnaiim.
Quelques jours se passferent; puis, la m6me voix qui
appela Simon ordonna a Andri d'ahandonner ses filets.
La vocation de ce dernier est absolument la mSme quo
cello de Pierre. Jesus etant venu sur le bord du lac de
Genesareth, se Irouva accablc par la foule qui se pressait
autour de lui pour entendre sa parole. II entra dans
une barque arretee au bord de I'eau. Lorsqu'il eut
cesse de parler au peuple, et apres la peche miraculeuse
qu'il avait faire aux fils de Jonas, il leur dit : Vousn'etes
plus desormais pfecheurs de poissons, mais bien pficheurs
Sjinl Aiiiln!' rencoiilrai:eliii li qui SiiDiiii voiiUil olre pri^sente.
d'hommes, suivez-moi. — Ilsobeirent et marcherent avec
leur nouveau maitre, sans songerau sort qui pouvait les
attendre.
Dans cct acte d'abandon de tout ce qu'ilspossedaienl,
il y a une abnegation d'autant plus sublime, que leur foi
n'etait encore ni assez vive ni assez eclairee pour leur
donner la sainte persuasion que les biens a la conqucte
desquels ils allaient, elaient infiniment preferables h la
pauvre existence qu'ils laissaient avec leurs barques et
leurs fdets. Car quoiqu'il soil dit qu'Andre et Pierre,
ainsi que plusieurs enfanis d'Israel, eussent deja reconnu
le Messie en la personne de Jt'sus, ils durent malgre tout
conserver leur caractfere d'hommes et surtout de juifs. —
Nul peuple de ces temps ne fut plus incredule, et si par
moments les oeuvres du Christ venaient ^tablir sa divinitij
d'une nianiere evidenle, I'efTet produit par ses miracles
^tait bientdt detruit par I'espritde scepticisme qui aveu-
glait tous les enfants d'Abraham. — C'etait la derniere
lulte de Satan centre Dieu ; au moment d'etre vaincu et
de porter sa tSte sous les talons de la femme qui devail
I'ecraser, il tiut employer loute sa science tenebreuse J
obscurcir lesoleil de regeneration qui venait rendre la yic
a I'univers; c'est alors qu'il inspire aux scribes et aux
pharisiens les blasphemes qui n'attribuent a J^sus d'autre
puissance que celle du prince des demons, et que plus
tard, dans sa rage impuissante, il donne aSimonle magi-
cian le droit de faire des miracles pour effacer ceux des
apfitres. — Andre et Pierre etaient par moments 6claires
38 LES DOUZE APOTR
d'un rayon de foi; puis vcnait rinstant de doute et de
decouragcnienl, I'a'uvre de Satan a cdt^ de celle de Dieu.
Cependant, il faul le dire a la gloire d'Andre, sa foi n'ei'it-
elle pas He aussi vive que celle de Pierre, son instant d'in-
credulite ou de faiblesse ne I'a pas conduit jusqu a renier
son niailre.
La fci do saint Andre se manifeste d'une maniere evi-
dente, lorsque sur la monlagne qui borde le lac de Ti-
bLM iade le peuple , qui avail suivi Jesus pour entendre
scs discours et etre temoin de ses miracles, vint a man-
quer du pain necessaire a sa nourriture.
La foule s'etait tenue longlemps dans un etat de niu-
tisme et de comteniplation ; elle venait de recueillir ces
paroles que la bouche d'un Dieu pouvait seule prononcer
pour la premiere fois : — Aimez vos ennemis; faites du
bien il ceux qui vous haissent ; benissez eeux qui font
des imprecations centre vous, et priez pour ceux qui
vous calonuiient. Si un homme vous frappe sur une joue,
presentez-lui encore I'autre; et si quelqu'un vous prend
votre mantean, ne I'empSchez point de prendre aussi
voire robe. Donnez a tous ceux qui vous demanderont, et
ne redcmandez point votre bien a celui qui vous I'emporle,
trailez les hommes de la meme maniere que vous voudricz
quils vous traitassent. Si vous n'aimez que ceux qui
vous aimcnt, quel gre vou? en aura-t-on, puisquo les
gens de mauvaisevie aiment aussi ceux qui les aiment?
Et si vous ne faites du bien qu'a ceux qui vous en font,
quel gr6 vous en aura-t-on , puisque les gens de mauvaise
vie font la m^me chose ? Et si vous ne pr^'lcz qu'^ ceux
de qui vous esperez recevoir la mtoe gr5ce, quel gre
vous en saura t-on, puisque les gens de mauvaise vie se
pretent aussi de la sorle pour recevoir le meme avantage?
Pour vous, aimez vos ennemis; faites du bien h tous et
pretez sans en rien esp^rer, et alors votre recompensesera
grande et vous serez les enfants du Tres-llaut.
Quelle plume pourrait decrire I'etonnement et I'admi-
ration des peoples qui Scoutaient ces maximes? Depuis
truis jours ils suivaient Jesus, ct dans le desir et I'avidite
oil ils etaient de I'entendre, ils oubliaient meme les be-
soins de leur corps.
J^sus levant les yeux et voyant cette foule immense,
dit : Oil aclielerons nous du pain pour donner ^ manger
h tout ce monde. Si je les renvoie en leur maison sans
leur avoir donne de quoi se soutenir, les forces leur man-
queront en cliemin parce que plusieurs d'cntre eux sont
venus de loin? Philippe repondit : Quand on auraitpour
deux cents deniers de pain, cela ne pourrait suflire a en
donner ^ chacun la plus petite part.
JIais .\ndre, qui avait enlendu celle question du Christ,
comprit que celui qui avait commande h la fievre d'aban-
donner sa mere, qui avail ressuscile le fils de la veuve
de Nairn , change I'eau en vin aux noces de Cana et
gueri le paralylique a la piscine de Bethsaide, pouvait
bien rassasier la foule seulement par la puissance de sa
volont^. • II y a ioi, dit-il , un petit garcon qui a cinq
pains d'orge et deux poissons. » Ces paroles, sans prou -
ver d'une manifere evidente I'apprehension qu'avait An-
dre du miracle qui allail etre opere, expriment I'allenle
oil il etail d'une reponse qui devait apaiser I'inquielude
de la foule. — Jesus lui dit; Faites asscoir tout le monde.
Et commo il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu, cinq
millfe hommes s'y assirenl. — Puis il prit les pains, et
ayanl rendu graces, il en dislribua a tous ceux qui etaient
ES.— SAINT ANDRE.
assiselleur donna aussi des deux poissons aulant qu'ilscn
purenl desirer. — Lorsque le peuple se fut rassasie, les
apolres remplirent douze paniers des morceaux qui rcs-
laient des cinq pains d'orge. La foule se retirait, et pour
rendie t^moignage de ce miracle , elle n'eut qu'une
pensee : • C'csl 1^ vraimenl le prophete qui doit venir
dans le monde. «
A Bcthanie, dans la maison de Lazare, la curiosite des
Grecs sert i prouver la deference que le Seigneur avait
pour saint Andre : attires a Jerusalem par la f^le de Pii-
ques, ils entendirent parler des miracles que faisait Jesus
et surtout de la resurrection toute recente de I'homme
chez qui il halitait alors k Betbanie. Ils s'adresserent a
Philippe qui etait de Bethsaide en Galilee, et lui dirent
quils voudraient bien voir Jesus. — II semble que celui-
ci ne croit pas pouvoir oblenir par lui-m6me ce qu'il doit
demander a son maitre pour satisfaire le desir des Gen-
tils, d communique a Andre sa crainte, et ce dernier se
joignant a Philippe, obtient de son divin maitre la grace
qu'il vient lui demander pour des etrangers. — L'heure
est venue, leur repond J6.'<us, que le Fils de I'homme doit
^Ire glorifie; et s'etant rendu au milieu de Gentils ; Oui,
repril-il, je vous le dis et vous en assure, si le grain de
fromcnt ne meurt lorsqu'on I'a jete en tcrre, il demeure
seul; mais s'il meurt, il poite beaucoup de fruits. Celui
qui aime sa vie la perdra, mais celui qui n'en prend nul
soin en ce monde, la conserve pour la vie 6ternelle. Si
quelqu'un me sort, qu'il me suive, et partout oil je serai
soil aussi mon serviteur, car mon Pere honorera celui qui
m'aura servi.
La faiblesse humaine d'Andre Vint lui dieter une ques-
tion qui prouve combien il y avait chez les apotresd'at-
tacheraent i la terre, jusqu'a l'heure oil le Saint-Esprit
enflamma leur coeur ; lorsque Jesus predit la destruction
du temple de Ji5rusal'em, il demanda au divin prophete
vers quel temps s'accomplirait cette prophetic, afin qu'il
prevint ses freres d'echapper au danger. II n'avait pas
encore cette supreme confiance en Dieu qui devait lui
faire tout remettre en sa volonle.
Pendant la passion, les disciples se disper.serent dans
Jerusalem, vojant avec douleur les soufTrances de leur
maitre, mais n'ayant point assez de force pour reconnaitre
dans les tortures qui prectderent sa mort, I'accomplisse-
ment de ce qu'il avait dit lui-mJme ou de ce qui etait
terit dans les livres sarr^s. — Ce fut pour eux un instant
de trouble et d'epreuve , ils atlendirent avec une impa-
tience toute humaine la resurrection glorieuse qu'il leur
avait annoncce, et peut-^fre plusieurs d'entre eux com-
mencerent a douter de la divinite du Christ. Andre fut-il
exempt de cet instant de faiblesse"? doil-il 6tre range dans
le petit nombre de ceux qui avaient la certitude qu'apres
trois jours le Christ ressusciterait ? A ces questions les
peres de I'Eglise n'ont pas repondu.
C'est apres I'ascension de Jesus-Christ et lorsque le
Saint-Esprit leur a conffer(5 une partie de la puissance di-
vine, que, suivant Origfene, Andre s'61ance a la conquele
du monde et va pour sa part porter I'fivangilejusque dans
le fond de la Scythie. Sophione, qui a ccrit en grec le
catalogue des hommes illustres, lui donne egalement le
tiire d'apotre de la Sogdiane et de la Colchide. La Grece
mSme, selon Theodoret, le vit pendant quelque temps
baptiser ses enfants et fermer les temples de ses faux
dieux. L'fipire, selon saint Gregoire deNaziance, lui doit
SAINTE-CROIX DORLEANS.
ses premiers chreliens. Selon saint Jerome, il a porte le
flambeau de la foi en Achaie ; enQn d autres peres de
rtglise, historiens iilustres dcs premiers combats du chris-
lianisme centre I'idolatrie, aflirment qu'il reduisit au si-
lence les pliilosophes d'Argos, qu'il parcourul le Pont et
la Grece, el que la ville de Sinope se faisail un titre de
gloire de posseder non-seulement son portrait veritable,
mais encore la chaire dans laquelle il avait annonte la
parole de Dieu et rendu un eclatant temoignage des mi-
racles et des oeuvres qu'il avait vus.
Aujourd'hui les Moscovites, jusqu'a I'emboucliure du
Borystene , sont persuades que saint Andre a poi le
■chez eux les bienfaits de la loi chretienne. Si les Peres
qui le font I'apotre de Scytbie out voulu parler de la
Scythie europeenne, ils s'accordent parfaitement avec les
traditions encore eonser\ees chez les peuplcs de la ville
■de Kiow el des frontieres de Pologne. Quoique les Grecs
•disent qu'il s'agit de la Scytbie au dela de Sebastopolis,
il pourrail aussi elre question de la Scythie d'Europe,
puisque ces memes Grecs reconnaissent que saint Andre
pr&ha dans la Thrace et surtout a Byzance , cetle vieille
59
cile, qui a aujourd.'hui changd son nom centre celui de
I'enipereur qui I'a rebStie. De ces differentes assertions
sur les travaux evangeliques d'Andre, il est impossible
de reconnaitre celles qui merilent plus ou moins d'etre
regardees comme certaines; I'antiquite ne fournit k cet
egard aucuu renseignement positif.
C'est a Palras en Acbaie que cet apolre donna sa vie
pour Jesus-Christ. Saint Suphi one, saint Gaudenceet saint
Augustin disent qu'il futcrucifie sur une croix qui avait
la forme d'un X. D'aussi loin qu'd put apereevoir I'in-
slrument de son supplice : ■ Je vous salue, s'ecria-l-il,
croix prccieuse qui avez ete consaciee par le corps de
Dieu et ornee de ses membrcs comme de riches pierre-
ries. Je m'approche de \ous avec de vifs transports de
joie, recevez-moi dans vos bras. Croix salutaire, je vous
ai ardemment aimee! II y a longtemps que je vous desire
et que je vous cherche ; nies vojux sont accomplis, arra-
chez-moi du milieu des liommes et presenlezmoi i. mon
Maitre. Que celui qui s'estscrvi de vous pour me racheter
puisse me recevoir par vous ', •
A. T.
HISTOIRE ET DESCRIPTION DES C:\T11EDR.\LES DE FR.WCE.
SAINTE-CROIX P'OBI.EANS.
L'eglise d'Orleans remontea la plus haute antiquile et
fut gouvernee par une foule d'eveques recommandables
pour leurs talents et leursvertus. De nombreux conciles,
oil se deciderent les plus importantes questions de disci-
pline religieuse et seculiere, etousetrou\erent reunis les
plusaugustes pontifes, ajoutferent encore un nouvel eclat
ason illustration. Orleans a vu plusieurs fois dans saca-
thedrale I'imporla iite ceremonie du sacre des rois : C harles
leChauve, Eudes, Robert, Louis le Gros, Louis le De-
bonnaire et Louis le Jeune y recurent solennellcment la
couronne, en sanctifiant leur puissance par les prjeres
de la religion. Dans des temps desastreux, ou la France
gemissait sous I'empire d'odieux elrangers, une heroine
a jamais immortelle par son courageux patriotisme et par
son ardente piete, Jeanne d'Are, vint ajouler encore au
prestige de sa gloire.
La basilique calhedrale de Sainte-Croix est I'une de
celles qui imposent le plus par la magnificence de son
ensemble, sinon par les details de son execution trop
souvent interrompue, et trop lentement accomplie pour
ne pas ofTrir de grands dcfauls. Nous allons suivre les
phases chronologiques de sa construction, en prenaiit
soin d'emprunter noire recit au savant M. Touthard La-
fosse auquelnous renvoyons tout le merilede cet article.
Vers Ian 330, et sous leregne de Conslanlin le Grand,
selon les traditions legendaires, un sous-diacre de l'eglise
de Rome, nommeEuverte, fut nomme eveque d'Orleans,
et s'assit apres saint Denisian sur le siege de cetle ville.
II n'existait alors intra el exira muros que deux paroisscs:
Saiut-Etienne et Saint-Marc. CependanI, sainto Uelene,
mere de Conslanlin, avait decouvert la vraie croix a Je-
rusalem : cet evenement remplissait le monde chretien
d'admiration, et bienlot I'figlise inslilua une fetesolennello
sous le nom iiiiveHlion de la Croix. A celte aurore du
christianisme dans les Gaules, il se montra fervent sur
plusieurs points; tandis que sur d'aulres, le paganisms
se deballit longtemps sous la main de plus en plus puis-
sanlsdes eveques. A Orleans, le nombre dcs fideles s'ac-
crutrapidement au milieu du IV° siecle; les deux egliscs
cesserent de pouvoir suffire ; alors saint Euverle resolut
de consacrer a Dieu un temple plus vasle, dont I'empla-
cement, selon Ics ecrivains sacres, fut indique miraculeu-
sement. Les memes auleurs rapportent qu'encreusant les
fondationsde I'edifice, on trouva plusieursamphores rera-
plies de pieces d'or a I'effigie de Ni'ron. Euverle envoya
ce tresor k Conslanlin; mais le pieux empereur le lui
renvoya, grossi encore de ses liberalites, pour I'aider a
butir son eglise. Decet episode est venue la tradition qui
fait a Conslanlin I'honneur de la fondalion de l'eglise
episcopale d'Orleans. Quoi qu'il en soil, Euverle mil la
bas'.lique en construction sous rinvocation de Sainte-
Croix, determine sui lout par un miracle qui s' opera le
jour de I'inauguralion... Au moment ou il celebrail la
messe, une nue resplendissante parut au-dessus de sa
tele, et de cetle nue sorlit une main qui benit par trois
fois le temple, le clerge et le peuple. Un cri d'admiration
s'echappa de loutes les levros. Depuiscelte epoque, la ca-
lhedrale d'Orleans, pluiieurs fois reconstruile, a toujours
conservela m^me consecration el le nu^me vocable.
Saint .4ignan, successeur de saint Euveite, selon la tra-
40
SAINTECROIX DORLEANS.
dilion, fitaugmenler I'^glise deSainte Croix, qui demeum
telle qu'il I'avait laisse, jusqu'en 865.Briilee par lesNor-
raands a cede epoque, elle le fut de nouveau en 999 ; I'e-
\'fique Arnould la fit rfiparer; des 1277, elle tombait ce-
pendant en mine. Ce fut I'annee suivante que Robert de
Coiirtenay, eveque d'Orleans, concut le projel de rebitir
Sainle-Croix; mais les moyens d'entreprendre cette con-
struction no furent realises qu'en 1287. Gilles Pastay,
successeur de Robert, posa la premiere pierre de I'eglise,
le il aoiiL de cette anni-e. Elle est comprise dans h
base du pilier place h droite de I'arcade qui lerniine la
grande cbapelle de la Vierge. Le plan donne par I'archi-
lecte du douzieme siecle, et qu'on a suivi dans les tra-
vauxdesepoques postcrieures, en le modifiant,claitconcu
avec autant d'elegance que de gout. S'il cut ete suivi en-
tieremenl, I'eglise serait assurementplus rfeguliere qu'elle
n'est aujourd'hui. Dans la composition de cette epoque,
le vaisseau presenlait la forme cruciale; le porlail et les
lours se Irouvaienti peu prfes ^ la moitie de la nef. L'c-
difice etait loin d'etre terming, lorsqu'en 1562, les calvi-
nisles vouUirentle devaster ; il fut sauv6 alors parce qu'il
servait decaserneauxreilres auxiliairesde ces dissidents;
le tresor seulement fut pille. Mais cinq ans plus tard, cl
malgre la defense du prince deConde, qui avail fait mu-
rer les portes de I'eglise, les prolestanlss'y introduisirenl
nuitammenl par les fenfires, minerenl les qualre piliers
qui soulenaienl le clocher, haul de 324 pieds, et cctle
enorme masse, en s'&roulant, entraina dans sa chule une
partie de Tedifice. Cependant les lours, le portail, le
choeur, onze chapelles dispostes h I'entour et six piliers
de la nef, reslerent debout.
Charles IX et sa mere, lorsqu'ils passerent k Orleans,
en I5S0, ordonnerenl de faire quelques reparations a
Sainle-Croix ; elles furent cffecluees a leursfrais. Dix-huil
ans apres, Henri IV promit de faire retablir cette eglise
calhiidrale et accorda des fonds a cot effet. Ce subside
prcvinl d'un droit de Irois sous neuf deniers, preleve sur
chaque minot desel vendu dans les generaliles de Tours,
Bourges, Moulin et Orleans. Les Iravaux furent repris en
1601 : le roi el la reine Marie de Medicis, s'elanl rendus
11 Orleans, posfcrent une nouvelle premiere pierre. Hen-
ri IV, i cette occasion, ajouta une somme de trenle
mille livres a ce qu'il avail accordt^, et quelques mois
apres il abandonna, pourla construction de la charpenle,
quaranle arpenls des plus belles futaies de la forit d'Or-
leans. Louis XIII, en 1612, ajouta cent arpenls aux qua-
ranle premiers.
En 1642, el moyennanl une allocation de cent cin-
quante mille livres, M. Barbel s'engagea ^ faire bitir uno
partie de la nef; mais il ne construisit qu'un clocher ele-
ve que Mansard fit aballre en 1691. Le transsept du
midi date de I'annee 1662. Les Iravaux continuerent
SAINTE-CnOIX DORLEANS.
i\
sur divers points en 1676. 168S, 1690; i cetle derniere
epoque, on construisit sur les dessins de Mansard, iin
Ires beau jube a I'entree du cliCBur; il a ele detruit
en 1791, pourdemasquer le mailre-aulcl de I'eglise, de-
venue paroissiale. En 1703 el 1706, les cliapelles furent
fermees de belles grilles, et lesslalles du choBursculplees;
en 1707, on termina le clocher en forme d'obelisque-,
en 1708, on commenca a demolir les anrienncs lours et le
portail pour entreprendre rexecution d'un nouveau por-
tail et de nouvelles tours, sur le plan de M. Cosle.
En 1713, le celebre Gabriel, architecte du roi, presenta
un autre projet qui fut suivi jusqu'en 1764; en 1766,
M. Trouard, inlendant des bJtiments du roi, modifia le
plan de iM. Gabriel, et aux vivos sollicitaliuns de M. de
Jarente. or. conlinua les travaux avec activile. En 1773,
il fallui consolider les tours encore inachevees, qui avaient
eprouve du tassemenl, et laissaient remarquer des le-
/ardes. L'archilecte Legrand, sur I'avis de trois archi-
lectes du roi, fit operer ces travaux desirete. M. Paris,
qui avail remplace M. Legrand en 1787, changea le der-
nier ordre des lours, qu'il eut I'heureuse idee de rendre
circulaire, de carre qu'il elait : cetle partie de la con-
struction y gagna beaucoupen grjce otcn legerete. Entin
on regarda, en 1790, I'edifice comme acheve, parce qu'il
presontail alors I'enliere execution du plan.
Mais les travaux etaient loin d'etre finis, puisque, soil
pour reparer les degradations survenues depuis 1790,
soil pour achever ce qui, interieurement ou exlerieure-
mr-nl, n'avait ele qu'ebauche, il a fallu travailler h ce
monument jusqu'en 1828, et qu'il resle encore quelques
ilfluils ii parfaire. L'honneur des travaux de restauration,
qui otaient devenus d'une extreme urgence en 1816, est
clu a M. Paget, architecte de la villeetdu deparlement,qui,
par des moyens aussi puissants qu'iugenieiix, est parvenu
a prevenir la ruine imminenle de Sainte-Croix.
Si Ton totalise les sommes depensees pour la construc-
tion de cettc eglise depuis le treizeme siecle, on Irouve
qu'elles se sont elevees a vingt-un millions huit cent cin-
quanle-huil mille cinq cent trente-huit francs, en reduisant
les monnaies de tous les temps au taiix de noire monnaie
acluelle.
Le monument, lei qu'il est aujourd'hui, Halle le regard
ot I'imagination, surlout a I'exterieur. La facade, parses
cinqarcades majeslueuses, par les formes sveltes,eiancees,
delicales, de ses tours -decoupees a jour a leur parlie
sup^rieure, a quelque chose de feerique qui s^duil gen(5-
ralement et subjugue au premier moment la critique elle-
meme. Cetle facade a le merile rare de ne ressembler a
aucune autre; etcela se conceit : elle est le resullat d'une
suite de modifications du plan primilif dans lequel plu-
sieurs artistes de gout ont inlroduit quelques-iines de
leurs inspirations parliculieres, sans trops'eloigner pour-
lant de la donnee admiseprimitivement. Aussi le style de
cetle partie de I'edifice n'appartient-il precisement a au-
cune desepoques de I'art : vous n'y verrez ni legolhique
lleuri, ni le goiit de la renaissance dans leur parlie c!as-
sique ; et cependant I'execution olTre un peu de lout cela,
sans qu'on puisse se plaindre de I'intolerance des genres
qu'on y a combines. Malheureusement, si de I'cnsemble
du portail on passe aux details d'ornemenlation, il cstaise
de reconnaiire que les archilectes auxquels on ne peut re-
fuser le talent d'avoir resiste a la dcgenerescencedu der-
nier siecle, n'ont pas Irouve de ciseaux assez habiles pour
rendre avec bonheur leur pensee arlistique. Le porlail
olTre beau coup de sculptures d'une grande imperfection,
particulierement au-dessus des arcades. Ce travail im-
parfait echappe a la vue dans la decoration des tours, qui
sont si legeres, si gracieuses, que Ion se preoccupe peu,
en les admirant, de ce qu'elles peuvent presenter de de-
fauts, vuesa la loupe de I'examinateur scrupuleux. La
hauteur de ces tours, y compris les anges qui les cou-
ronnenl, est de deux cent soixanle-deux pieds.
Examinee sur chacun de ses c6les et derriere I'abside,
la basilique de Sainte-Croix offre a peu pres sans altera-
tion, le caraclere de la plus riche epoque ogivale : gale-
rie, arcs-boutants, contreforts, clochelons, lout rappelle
ici I'architeclure de la fin du quinzieme siecle. Cependant
il faut le dire, on relrouve sur les murailles du sud et
du nord quelques sculptures de mauvais goiit et par
mallieur ambilieuses; niais les porlails lateraux nous ont
paru irreprochables.
L'inlerieur de Sainte-Croix so compose de cinq nefs,
divisees par qualre rangs de piliers : celle du milieu seu-
lement est vasle, haute et majeslueuse; les antres sont
etroiles et peu elevees. Au-dessus des piliers de la ncf
principale, regno une galerie dont les colonneltes ne
manquent pas de legerete; aulour du chteiir, auquel on
peut reprocber d'etre un peu etrcit, sont disposees, dans
une abside d'une longueur mieux enlendue, Ireize rha-
pelles qui ne se recommandent pas par leur ornementa-
lion. Dans la derniere, ensorlantdu rond-point au nord,
on lit I'epitaphe de Pothier. dont les restes mortels trans-
feres h Sainte-Croix en 1823, atlendent encore un monu-
ment dignedecelte illustration orleanaise. Quant aux cha-
pelles disposees le long des derniers bas-cotes, elles sont
d'une nndile qui repond mal a la majeste de I'edifice. En
general, ce n'est pas par le luxe des ornements interieurs
que se distingue I'eglise episcopale d'Orleans: on doit
citer pourlant le mailre-autel, donne par Louis XV,
en 1729 ; le tableau place au-dessus, peint par Jouvenet,
et representant Jesus au jardm des Oliviers; la statue en
marbre blanc qui decore I'autel de la Vierge, et que Ton
attribue a Michel Bourdin, slaluaire orleanais ; un christ
sculpte en bois, que Ion croit d'Hubert, autre artiste
d'Orleans; enfin la chaire, dont la forme vivenient criti-
quee, dit un historien moderne, estracheteepar les sculp-
tures de M. Homagnesi. Les vieux amateurs regretlent
encore le jube de Mansard, detruit en 1691, et surlout les
sialics du choeur, dont les dossiers elaient d'une excellente
sculpture, .due a Jules Dugoullon, artiste qui fiorissait
dans les premieres annees du dix-huitieme siecle. Les
vilraux de Sainte-Croix, peinls par Levied pere el fils,
ont egalement disparu durant la revolution : ils elaient,
dit-on, du plus beau travail.
La longueur de Sainte-Croix est de cent trente metres,
sur une largeur de vingt-huit metres soixanle-six centi-
metres, le transsept est long de cinquante-quatre metres
.soixant« centimetres; les mailresses voiites s'elevent au-
dessus du pave de trenle-deux metres cinquante centi-
metres.
L'abbe Mi'SY,
aumJiDier de la marine royale.
ii
LA FONTA-IINE.
LES FRANCAIS ILLUSTRES.
I.A FONTAINE.
Je ne veux pas ici
donner une appr(5-
cialion des iiuvres
lilteraiies de La
Fonlaine; sur ce
point je ne dirai
qu'un mot : — c'tst
La Fontaine !
Les evencmenls
ne remplissent [loitit
cetle vie , qui s'i-
coula nonchalante
et paisible au mi-
lieu de I'agilation
de tous. C'est une
sorle d'idylle entre un ruisseau et un hdtre, avec
des moutons, des lapins et des renards pour compa-
gnons de la solitude. II semble qu'il n'y ait eu ni
cour, ni grands' seigneurs pour ce rSveur sublime dont on
s'est tant moque , parce qu'il preferait la societe d^ sa
muse a toute autre. Jamais pcete ne s'est mieux peint
que lui dans cet homme qui attend indolemment la
fortune, couche dans son lit; sculement la fortune ne
vint jamais frapper au seuil de La Fontaine : c'est la seule
variante a dire. Ce Tut un veritable berger a la cour du
grand roi, et je ne jurerjis pas qu'il ne lui soil arri\c'
d'y pousser quelque baillement pcuconvenable, — comme
Jean Bart qui se surprenait a bourrer sa pipe dans les
antichambres du paUiis.
II s'appelait Jean, — Jean tout court, — et il elait ne
le 8 juillet 1621, a Chateau-Thierry, ville de la Brie,
situee sur la Marne. Son pere y exercait la charge de
maitre particulier des eaux et forfits ; et sa mere, Fran-
^oise Pidoux , etait EUe du bailli de Coulommiers, aux
environs de Paris. — L'unique ambition de son pere etait
de voir se manifester en lui quelque gout pour la lilte-
rature et les vers, qu'il aimait passionnement , quoiqu'il
fut d'ailleurs incapable d'en composer et meme d'en ju-
ger. Mais enfm telle elait la nianie du maitre particulier
des eaux et forets; et celle-ci vaut tout autant qu'une
autre. Seulement elle ne parut pas d'abord trouver un
aliment dans les inclinations du jeune La Fontaine ; ja-
mais enfant ne manifesta une plus parfaite indifference
• pour les choses du monde el tout ce qui lend aux travaux
<Je I'inlelligence ; on eOt presque di.t un disciple stoicien.
Son education fut a peine ebauchee ; on lui apprit un pcu
de lalin et ce fut lout. Sur ces entrefaites, la vie monas-
tique et contemplative venant <i le seduire, il forma le
projet d'entrer h I'Oratoire; ses parents crurent voir une
vocalion religieuse dans ce qui n'etait absolument qu'une
fantaisie de son caractere paresseux, et ils ne voulurent
en rien contrarier ses d&irs. — Mais au boutde dix-huit
mois, Jean La Fonlaine revint 4 la maison pafernelle.
Comme il ne se diicidait pour aueune carriere et qu'il
eiil volontiers passe ses jours k rcgarder couler I'cau, si
on I'eijl abandonn(5 4 lui-mfime , son pfere resolut de se
defaire de sa charge en sa faveur. On le maria en mfme
temps avec une fort belle personne du pays de Racine,
SLirie Hericart, fdle d'un lieutenant au baiUiage rojal de
la Ferte-Milon, a qui Ton a prete une humeur acariatre
et processive ; mais c'est une loi pour la plupart des
grands hommes d'unir leur deslinee a des femmes inca-
pables de les comprendre. — La Fontaine la subit comme
Moliere. — II se laissa marier avec la meilleure grSce du
monde ; et une fois marie, voici leseul trait de sa vie odd
paraitsongerqu'ilaunefemme, non-seiilemcnt jeune, mais
jolie. Parlage entre son goiit d'etudier et de ne rien faire, il
passait des jours enliers hors desa maison. Unvieuxcapi-
tainede dragons, nommePoignan, retire a Chateau-Thier-
ry, avail pris en affection le foyer de La Fontaine et con-
sommait aupresde sa femmeleloisir etl'ennui qu'il nesa-
vait oil porter. L'^ge de cet officier devail le mtttre 4 I'a-
bri de lout soupcon. Cependant la malignite publique sut
jeler dans le coeur simple et criidulcdu pcele une jalousie
ridicule. II crut que son honneur lui faisaitun devoir dese
battre avec Poignan. II va ehez ce dernier de grand ma-
tin, reveille, et le prie de s'habiller et de le suivre. Sur-
pris d'une visile aussi matinale ot sans en deviner le but,
I'dlicier fit ce qu'il voulait. Arrives dansun lieu ecarle:
Je veux me battre avec toi, dit La Fonlaine, on me I'a
conseille ; et apres lui avoir cxplique ses motifs, il mit
I'cpee h la main sans atlendre la ri'ponse de Poignan. Le
combat fut de courle duree. Son ami, loin d'abuser de
I'avantage que lui otfrait I'habilude des amies, se con-
tenta de le desarmer en lui faisant sentir toute la faussele
de ses soupcons. — Ce duel se lerniina par un dejeuner.
Cherchanl des distractions en dehors de son menage, il
renconlra la poesie. II avail vingt-deux ans. — Mieux
vaut tard que jamais.
■Voila done les voeux du maitre particulier des eaux et
forets enfin exauces! On raconte que le bonhomme en ;
pleura de joie. Ce ful a'.ors une grande rumeurdans la fa-
niiUe. —Jean faisait des vers! — Quel evenement et
quelle decouverte en effet! Jean se mit en ehemin sans
retard pour soUiciter le suffrage d'un de ses parents; ex-
pert connaisseur en malieres semblables, et de plus pro-
cureur du roi au presidial de Chiiteau-Thierry, I'honnele
homme ! Le procureur du roi prit ses besides, et apres
ra\oir feiicile de ses heureuses di.^posilions, il lui mit
entre les mains les oeuvres de Virgile, d'llorace el de Te-
rence. Quelques autres persoiines y joignirent Rabelais,
Boccace, I'Arioste, et I'educalion de La Fontaine fut re-
cumniencee de cetle maniere '.vcc de nouveaux fruits.
La Fontaine sut trouver dans les ennuis assez frequents
que lui causait sa femme, un prelexte pour venir it Paris
aussi souvenl qu'il le diisirait. — Paris etait alors le grand
salon de la lilterature francaise. Tous les talents s'y
elaient donne rendez-vous pour se renconlrcr aux pieds
LA FONTAINE.
43
de ce roi qui fut peut-^lre plus grand de la sublimite de
son siecle quede son propre merile. La noblesse combine
d'opulence, les arts encourages par les honneurs y faisaient
cette solennelle seance qui dola noire pays d'une epoque
\r3imenl litleraire et radieuse.
Ce fut a Paris que noire c61ebre fabuliste rencontra
son parent Jeannart, dont le nom est resle en recom-
pense des services qui! rendit ^ La Fontaine. C'etait
le favori de M. Fouquet, le surintendant des finances ce-
iebre par sa haute fortune et sa mysliirieuse disgrace.
Jeannart prufila de son credit aupres de ce ministre pour
lui presenter son parent, qui sut pluire cette fois, si bien
■que M. Fouquet lui fit une pension. — C'etait la coutume
de ces temps de faste et de munificence que la noblesse,
assise sur des nionceaux d'or, patronnJl le genie, presque
toujours infortune ; egalile proclamiie de I'aristocialie de
I'csprit et de celle de la naissance, I'une aidait I'autre
comme si elles eussent ete soeurs. — La Fontaine n'avait
presque rien a donneren ecbange des ecus de Fouquet;
mais ce qu'il avail il le donna : ce fut de la poesie.
Cliaque fois qu'il recevait un quarlier de sa pension, il
remeltait une piece de vers a la dedicacedu surintendant,
Poete naif dans sa fierte, ilcomprenait quel'honneur qu'il
pouvait faire devait valoirle bien qu'il recevait. Sa recon-
naissance pour son premier bienfaiteur ne s'eteignil pas
avec le soleil d'or qui cessa d'eclairer Fouquet, et lorsque
le ministre di-gracie gemissait dans une prison oil les
nomsde sesamisne lui arrivaient plus. La Fontaine eleva
sa voix genereuse, et, dans un poiime gracieux de hardiesse
el de regrets , il osa rappeler au roi que Dieu ne met
pas un sceptre en la main d'un homme pour en faire la
clef d'une prison.
LaFonUine ct Puiijnaa.
Les ressources que la favour du ministre lui avaient
procurues disparurentavecleur dispensatcur. Une charge
de gentdhomme chez la celebre Henriette d'.\ngleterre,
premiere femme de Monsieur, devait remplacer la pen-
sion qu'il venait de perdre; mais cette princesse, dont
Bossuet a celebre la mort par des paroles immortelles,
disparut prematuremcnt et avec elle I'esperance du
poete.
De nouvelles faveurs durent venir k son secours. Ses
oeuvres lui avaient gagne I'estime et I'amilie de I'elite de
la noblesse: Monsieur, M. le prince de Conli, M. de
Vendome, mesdamcs de Bouillon el de Mazarin et surtoul
madame de la Sabliere, femme d'espritet demerite. — Cette
derniere eulla delicatesse de I'attirer chez elle, sous un
pretexte ingenieux et de le dispenser ainsi de ces menus
details de son entretien personnel, soins qu'il elait d'ail-
leurs incapable de prendre.
LaFonlaine elait insouciantcomme lout hommed'esprit:
quand les bienfails de ses protecteurs ne fournissaient
plus non-seulemeut a son existence, mais a ses caprices et
aux pcrtes incalculables que lui faisaient faire ses distrac-
tions, il allait a Chiteau-Thierry, d saluait un nolaire,
donnait un coup de plume et revenail avec de I'argeut ;
c'etait son maigre palrimoine qu'il \endait pen a peu.
Bonnier lui enseigna la physique chez madame de la
Sabliere ; Racine, Boileau et Chapelle parlageaient ses
lectures favorites avec Homere el d'autres poiites grecs
dont il s'etait procure d'excellenlesversionslatines.
La Fontaine elail sujet a de singulieres distractions,
et chez lui c'etait une sorle de maladie, n^e peut-
etre de sa preoccupation poetique; elle se poursuivait
jusque dans ses sentiments inlimes: il eiail distrait en
amitie ouen admiration comme on pcut I'^lre en maliere
de raisonnement, et si un nom quelconque ou une lecture
frappait son imagination surprise dans un deses moments
de rfiverie, il avail peine a s'en detacher eulierement.
u
LA FONTAINE.
C'cst ainsi que conduit i I'eslise par Racine, pendant la
semaine sainte et trouvant I'office un pen long, il se mit
a lire un volume de la Bible qui contenait Ics Prophetes ;
iletait tombii par liasard sur la priere des juifsdans Ba-
ruch. II trouva les pensees sublimes et le style majcs-
tueux, et s'approchant de Racine il lui demanda ^Mi elail
ce Baruch ? savez-vous que c'clait un beau genie ! Un cn-
tliousiasrne etrange s'empara de son esprit pendant pUi-
sicurs jours, et il n'accostait aucune desesconnaissances
sans leur reiterer sa question : Avez-vous hi Baruch?
c'eluit unbcau genie!
Dans les salons il ignorait ce qui se disaitautour de
lui ; mais ce qu'il y a de plus singulierc'est qu'il ne sa-
vait point ce qu'il disait lui-mfeme a moins qu'il ne se
rencontr^t avee despersonnesde saconnaissance et qu'on
y Iraitat quelque sujet agreable et de son gout. Alors les
traits de sa physionomie qui, dans loule auire occasion,
n'annoncait rien moins qu'un homme d'esprit, se paraient
des graces de son genie. Scs yeux s'animaient, parlaient
le langage de sesdesirs. C'esta ces instants precieux dent
jamais il ne s'apercevait lui-m6me qu'il dut I'empresse-
ment que I'elitede la cour et de la ville exprima toujours
de I'admellre a sa table et de jouir de sa conversation.
N^anmoins il n'etait pas aimable et gracieux chcz tout
le monde; I'aventure rappoitee par 'Vigneul Marville
dans scs melanges de litteralure en est une preuve co-
mique :
« Trois decomplot, dit-il, par le moyend'un qualrieme
qui avait quelque habitude aupres de cet homme rare,
nous I'attirflmcs dans un petit coin de la ville a une mai-
son consacr^e aux muses, oil nous lui donnJimes un repas
pour avoir le plaisir de son agreable entrcticn. II nese fit
point prior, il viut a point nomme sur le midi. La compa-
gnie etait bonne, la table propre et delicate, et le bulTet
bien garni. Point de compliments d'entree, point de fa-
cons, nulle grimace, nulle contrainle. La Fontaine garda
un profond silence, on ne s'en etonna point parce qu'il
avait autre chose k fairs qu'ci parler. II mangea comma
quaire et but de mftme. Le repas fini, on commenca a
fouhaiter qu'il parUM; mais il s'endormit. Apres trois
quarts d'heurede sommeil il revinta lui. II voulait s'ex-
cuser sur ce qu'il avait fatigue. On lui dit que cela ne de-
manda'it point d'excuse, que toutce qu'il faisaitetait bien
fait. On s'approcha de lui, onvoulut lemettre en humeur
et I'obliger h laisser voir son esprit; mais son esprit ne
parut point, il etait alle je ne sais oii et peut-etre alors
animait-il ou une grenouille dans les marais, ou une ci-
gale dans les pr6s, ou un renard dans sa tanniere; car
duranl tout letemps'que La Fontaine demeura avec nous,
il ne nous sembia ^tre qu'une machine sans ame. On le
jeta dans un carrosse oil nous lui dimes adieux pour tou-
jours. Jamais gens ne furent plus surpriset nous nous di-
sions les uns aux autres : Comment se peut-il faire qu'un
homme qui a su rendre spiriluelles les plus gros^ieres
b^tes du monde ct les faire parler le plus joli langage
qu'on ait jamais oui, ait une conversation si riche et ne
puisse pas pour un quart d'heure faire venir son esprit sur
leslfevres et nous avertir qu'il est U. »
Une autre fois, invite h diner par un de ces hommes
qui presentent h leurs convives un homme d'esprit comme
la chose la meilleure et la plus estimable de son diner,
La Fontaine mangea comme quatre, mais nedii pas un mot.
11 se retira meme de fort bonne heure sous le pretexte
qu'il devait se rendre a I'Academie. — Mais, lui objecla-
t-on ce n'est pas encore I'henre des seances, etd'ici, vous
n'avez qu'un tres-court chemin i parcourir. — Je pren-
drai le plus long, repartit-il, en s'echappant.
II se trouvait un jourchezDesprdaux au milieu de plu-
sieurs personnes d'une savanle erudition. II etait assis
entre Racine et Boileau le docteur. On parlait de saint Au-
guslin en commenlant longuement ses ceuvres. La Fontaine
n'avait pas encore prononce une parole. On eut dit qu'il
elaitseulau mdieudecette society I'loquemmentbruyante.
Tout h coup entendant prononcer le nom de I'iUustre
^crivain sacre : — Croyez-vous, s'ecria-t-il en s'adressant
a rabhc Boileau, que saint Augustin ait plus d'esprit que
Rabelais? Lc docteur slupefait ci une somblable qucslion
et le parcourant des yeux avec une sorle d'inquittude :
Prenez garde, dit-il, monsieur de La Fonlaine, vousavez
un de vos has a I'envers. — Le fabuliste prit une position
plus rassurante et rentra dans sa lethargie morale.
Dans un repas auquel assistaient Moliere ct Despreaux
on discutait sur la science dramatique. La Fontaine con-
damnaitle monologue." Rien, disait-il, n'est plus conlraiie
au bon .sens. Quoi! le parterre enlendra ce qu'un actenr
n'entend pas, quoiqu'il soit bf aucoup plus pres decelui qui
parle. » II exprimait cette criliqued'unejuslesse naive en
termes abondantsetchaleureux. — 11 faut,disail Despreaux
a haute voix, que La Fontaine soit un grand coquin, un
grand maraud! Et il repetait ces paroles sans que celui
a qui elles s'adressaient cessiitde disserler. Tout le monde
eclata de rire. — De quoi riez-vous done? demanda-t-il.
— Comment, reparlit Despreaux, je m'epuise a vous in-
jurier lout haut et vous ne m'entendez point, quoiqueje
sois assez pres de vous pour vous toucher, et vous etes
surpris qu'un acteur sur le llieiltre n'entcnde point un a
par(e qu'un autre acteur dit a cote de lui. — C'elait ainsi
que ses illuslres amis quiravaientsurnomme lc honhonimo
s'amusaient souvent a ses depens. — S'il n'en riait pas, it
ne s'en fachait jamais.
Puisque nous sommes entres dans la s^rie curieuse des
anecdoctes ou il joue toujours un r61e si comique, n'en
privons pas le lecleur.
On affirme qu'il nublia d'avoir assiste h renterrement
d'une personne, et qu'un beau jouril arriva chez elle avec
quelqnes-uns'de ses amis pour etre invite ii son diner.
— Mais lc portier lui dit que son maitre etait mort dc-
puishuit jours. — Ah I fit La Fontaine avec surprise, je ne
crovais jias qu'il y eiit si longlemps.
Presse par des creanciers, le bonhomme se reposait sans
scrupule sur la caution qu'un de ses amis avait donnee
pour lui. — II a r^pondu pour moi, il faudra qu'il paye,
disait-il, j'en fcrais aulant i sa place. —II faut avoir
le cocur bien pur ou professer les maximes interessces
de ,Iohn Bull pour compter ainsi sur !a communautt' des
biens.
Des voleurs m^me dans la rue ne I'etonnaient pas. On
lui demande la bourse ou la vie. il n'elait que six heures
du soir. — Messieurs, leur dit-il, vous ouvrez de bien
bonne heure.
La Fontaine ilaitdu petit nombre d'ecrivains plus v^ri-
tablement heureux par leurs talents que par leurs succfe.
Pauvre , mais sans humeur , n'aimant que le repos
et ses douces reveries, ses jours coulaient negligemment
comme ses vers. II jouissait de la nature et du plaisir de
la peindre, du travail et du loisir, de ses sentiments, de
LA FONTAINE.
ses idees etdu plaisir de les ripandre ; enfin il elait si bien
avec lui-meme qu'il n'avait pas besoin des autres.
II elait estime de lout lemondc, noii-seulementcommo
homme, mais comme gfenie poHique. L'opinion de Moliere
le place au rang qui lui est du, lorsque ce dernier dit A
Descoleaux en montrant Racine, Boileau et d'aulres :
— Nos beaux esprils ont beau se treniousser, ils D'efTace-
ront pas le bonhomme.
La preoccupation poetique qui rarrachait i la vie or-
dinaire, sans fermer enliferemeut sonccEur auxsentiments
genereux, le rendait presque insensible aux affections
d'un homme ordinaire. Pendant qu'il vivait il Paris, sa
I'emme s'etait retiree a Chateau-Thierry. Ses amis lui
firent remarquer I'inconvenance de celte separation et lui
43
conseillerent un raccommodement. Sans he.siter, il partet
se rend chez sa femme. Le domestique de la maison ne
leconnaissant pas, lui dit que madamede La Kontaine elait
au salut. Ennuye d'atlendre, il va chez une vieille con-
naissance qui le retint a souper. Bien fete, lege et regale,
il oublie le motif qui I'a conduit a Chiteau-Thierry. Le
lendemain, sans songer a sa femme, il prend la voituie
publique et revient a Paris. Ses amis s'empressferent de
lui demander s'il avail 6le heureux dans sa tentative con-
jugale. — J'ai 6te pour voir ma femme, repondit-il, mais
je ne I'ai point trouvee, elle elait au salut.
II avail eu un fils en 1660; il le garda fort peu de
temps aupres de lui. M. de Ilarlay, premier president, le
d6barrassa des inquietudes paternelles en adoplant cct en-
La FynljiiiL- aniile pai
fant et se chargeunt de son education et de sa foilune. II
y avail longtemps que La Fontaine n'avait vu I'herilier de
son noni, lorsqu'il le rencontra dans une maison oil on
voulait jouir de sa surprise. II I'entendit parler et lui
trouva de I'esprit; sans se douter du lien qui I'allachait
a ce jeune homme, il fit part a la societe des bonnes dis-
positions qu'il lui reconnaissait. On s'eniprcssa de lui ap-
prendre que c'elait son fils ; mais sans s'cSmouvoir le moins
du monde : — Ah ! repondit-il, j'en suis bien aise.
Cetle indifference en nialiere de sentiments ne pcutsur-
prendre personne, si Ton songe que pour lui-meme et
pour ses propres besoins il i-tait d'une insensibilite vrai-
mcnt extraordinaire; c'est ainsi que, velu dopuis deux
jours d'un habit neuf sanss'en etreaperru et renconlrant
dans la rue une personne qui lui en fit compliment, il se
rcgarda tout etonne en reconnaissanl la proprete'inaccou-
tumee de son v^lement. — La Fontaine etait rcdevable de
ret habit kl'amicale bienveillancede niadame d'llervard,
qui I'avait fait metlre dans sa cliambre k la place de
celui qu'il portait ordinairement.
Un autre trail fera mieux comprendre son naturel in-
souciant. Madame de Bouillon, allant ii Versailles, le ren-
contra le matin r^vanl sous un arbre du Cours. Le soir,
en revenant, elle le vit dans le memo endroit el dans la
mfime attitude. Cependant, non-seulement il fjisait un
froid fensible, mais encore la pluie n'avait pas cesse de
lomber pendant lout le jour. — II avail Iravaille sous eel
arbre: celaildevenupour un instant son cabinet d'eludes.
— Qui salt s'il n'y avail pas compose le Gliind el la Ci-
Irouille, le Chcne ct le Roseau on la VunH el le 15u-
ehcron ?
Son c;;racl(;re le portant a une abnegation complete de
lui-meme, il ne pouvait ressenlir les affections qui I'eus-
sent rattache a sa femme ou a son fils. Chez lui ce n'etait
pas durete de occur et egoisme, c'elait encore une distrac-
tion ; sculement conimencee k vingt ans, elle ne devait
finir qu'aveclui.
On est vraimenl etonne, lorsqu'on parcourt la vie de cet
homme elrange, de n'y rencontrer qu'un jour de colore et
de fiel : Lulli, le compositeur llorentin, se pril subilement
i6 LA FO
de belle passion pour la po^sie de La Fontaine; il se rendit
clicz lui et demands un opera. Le bonhomme promit,
niais ne s'en souvint pas. l.ulli revint deux fuis, trois fois,
ions les jours. Impaliente, obsede, tourniente, il fit ce
qu'on reclamail de lui avec tant d'ardeur. Mais lorsqu'au
bout de quatre raois, ayant abandonn^ ses grenouilles,
.ses agneaux et ses chiens pour faire chanter Lucas ou
Zcphyrine, il eut enfin termine son libretto, Lulli, ces-
sant tout a coup ses faligantes visites, mil en musique
VAIcesle de Quinault, et le fit jouer devant la cour ^
Siiint-Germain. Aussi sensible a la perle de son temps
qu'Ji I'alTronl du musicien, La Fontaine composa uue sa-
tire centre Lulli. — Ce fut la colere d'un enfant. — In-
capable de hair et de senlir \ivement une injure, il se
repentit, pen de jours apres, d'avoir confie a sa muse le
soin de sa vengeance, et il accusa ses amis de I'avoir irrite
pour une offense qui ne meritait quel'oubli, — il aurait
du dire Ic dedain.
II y avail dans ses nianieres el dans toutes ses actions
une telle simplicite, une si grande naYvet^; il avail des
surprises si (5lranges devanl les chos"s les plus ordinaires,
son caractere avail tant d'ingenuil(5 enfanline, que ceux
qui ne le connaissaient pas le regardaient comme un
imbecile, ou, s'ils elaienl indulgenls, comme une ma-
niere d'automate qui parlait a heure fixe el agissail.
P irmi ses plus grands ailmirateurs, il jouissail d'une sin-
guhOre reputation de genie et d'ineptie en mSme temps.
On se rappel'.e ce mot de madame de la Sabliere qui,
apres avoir congedie tous ses domesliques en un seul jour,
disail : Je n'ai garde avec moi que mes trois animaux,
men chien, mon chat et mon La Fontaine.
Une scule fois La Fontaine temoigna une ambition, un
ilesir, une volonte. II voulut entrer 'a I'Acadcmie. La mort
de Colbert y laissait une place vacanle. Boileau, le c^-
lebre critique, devint le concurrent du fabulisle. A cause
de son rare genie el de son immense reputation, plusieurs
mcmbres de 1' Academic d^siraient avoir ce dernier pour
confrere; mais quelques pages badines qn'il avail ecri-
les, donnaient des craintes sur son admission. II obtinl
seize voix conlre sept. U fallail pour sa rfeption le
consentemenl du roi, et un instant on crul que Desprfaux,
connu de toule la cour et favoris^ de la bienveillance de
Louis XIV, supplanterait La Fontaine dans la seule af-
faire oil il semblail s'^tre laisse pousser par laiguillon de
la gloire. Mais la mort d'un autre academicien vinl mellre
un lernie a I'anxiele de ses amis. Boileau fut nomme en
remplacement de M. de Bezons, et lorsque le depute de
I'Academie rendit compte au roi de cetle Election : . Le
choix qu'on a fait de M. Despreaux m'est agreable, dit-
il, el sera generalemenl approuve. Vous pouvez, ajoutail-
il, recevoir incessamraent La Fontaine ; il a promis d'etre
sage. »
Cmle approbation fuT recueavec joieet La Fontaine en-
tradans cette illustreassemblee le 2 mai 1684. L'opinion
qu'on avail de son genie et la satisfaction generate fut
exprimee par les paroles que lui adressa publiquement
M. I'abbede la Chambre, alors directeur : . L' Academic
reconnait en vous, monsieur, un de ces excellents ou-
vriers, un de ces fameux artisans de la belle gloire qui
va la soulager dans les Iravaux qu'elle a entrepris pour
Tornemenl de la France et pour perpi5tuer la m(^moire
d'un regne si fecond en merveilles. EUe reconnait en vous
un genie aise el facile, plein de delicatesse et de naivele,
NTAINE.
quelque chose d'original, el qui dans sa simplicite appa-
rente, el sous un air neglige renferme de grands tresors
et de grandes beautes. »
L'estime et I'amitie de ses confreres fut une juste r(5-
compense de .son affable simplicite. Avec aucun d'eux il
n'eut la moindre mesinlelligencc, el lorsque Furoticre dut
encourir I'arrSt d'exclusion qui le rayait de la lisle des
academiciens, La Fontaine, toujours indulgent et bon, vou-
lut donner sa voix pour lui el mettre sa boule blanche;
mais helas! ilmit la noire. — C'etait encore une distraction,
Furetiere ne la lui pardonna jamais.
La Fontaine n'avait jamais brigu^ les faveurs de la
cour. II avail un eloignement invincible pour lout ce qui
sentait I'assujeltissement ou la contrainte de la haute so-
ciel(5; a la mort de madame de la Sabliere, il resta sans res-
sources. En perdanl cette illustreamie,ilperdil les douceurs
dela viequi lui 6laien ties plus chores el les plus prdcieuses:
la table, le lit, et le bon feu en hiver ; son repos et sa
tranquillity en furent troubles. 11 se vit pour la premiere
fois contraint de pourvoir a ses besoins. C'est b cetle
epoque de sa vie que Voltaire reproche h Louis XIV d&
n'avoirpas fait k ce grand hoinme une part proportionnee
Sson merite dans ses liberalites. La Fontaine, prcsse par la
n&essite, fit un voyage h la cour pour y presenter ses
fables au roi. II fut recu avec bonte, et Bontems, le pre-
mier valet de chambre, eul ordre de lui monlrer lui -meme
tout ce qu'il y avail de curieux h Versailles, de le faire
bien dtner, el delui donner une bourse de mille pistoles.
Les ordres du roi furent executes. Enivr^ de si grandes
faveurs, le fabulisle remonte dans sa voilure de louage,
arrive Ji Paris, descend aux Tuileries, paye le cocher et
gagne k pied la rue d'Enfer. Le soir mfeme M. d'Hervard,
contr6leurgen6ral, vilLa Fontaine. — Eh bien! comment
cela s'esl-il passe? — A merveille ! le roi m'a dil les
choses du monde les plus gracieuses. — Oui, mais ne
rapportez-vous que des compliments? — Je rapporte une
grosse bourse toule remplie d'or. — Oil est-elle? — Elle
est... et le bonhomme cherchant dans ses porhes ne
Irouva rien. Ah! reprit-il, elle est sans doute restee dans
le carrosso qui m'a men^. — Fort bien ; el oil I'avez-vous
pris? Comment est-il fait? Ou I'avez-vous laisse? — Je
I'ai pris sur la place du Palais- Royal : il est fait comme
un carrosse de fiacre; il m'a dcscendu aux Tuileries. —
Voila de bons renseignements; si vous n'en avez psinti
d'aulres, la'bourse court grand risque d'etre perdue pour
vous. — Attendez. .. il me semble que I'un des chevaux
cHail noir el I'autre blanc. M. d'Hervard monle sur-le-
champ dans sa voitureavec La Fontaine el se failconduire
au plus vile sur la place du Palais-Royal. II s'informe \h
si un cocher donl les chevaux Haienl de deux couleurs
n'avait point fail le voyage de Versailles. On lui dit que
oui, el que eel homme demoure rue Fromenteau. On y
va; ce cocher, qui avail encore eu du monde dans sa
voilure aprfes avoir Iransporte noire poete, venail de ren-
trcr. Par un bonheur inesp6r6, la bourse se trouva der-
riere le coussin oil personne licureusement ne s'etait avi-
so defouiller.
C'est pen de temps apres la mort de madame de la Sa-
bliere, que ce fleau des poiites, qu'on nomme la n^cessit^,
faiUil exiler de sa patrie et d^rober honleusemenl ci la
France I'un des genies qui lui fait le plus d'honneur. La
Fontaine ^tait aussi cilebrea Londresqu'Ji Paris. Madam*
de Bouillon, madame de Mazarin, M. de Sainl-Evrcmont,
LA FONTAINE.
47
qui SB trouvaient alors sur les bords do b Tamise, se joi-
gnirent i madame Harvey, au due de Devonshire, h mi-
lords Montaigu et Godelphin pour engager le bonhomme
a abandonner une patrie coupableenvers lui eta accepter
lasubiislance honorable que lui assuraient les genereux
sentiments de ses protecteurs d'oulre-Manche. — On pre-
tend que, sans les grandes diSicultfe que le fabuliste ren-
conlra dans I'etude dn la languc anglaise, il serait parti
pour Londres. — C'eilt ete nn affront bien nitrite h celte
belle France qui vcut avoir des grands hommes et ne pas
les nourrir; coquette, aimant ^ se parer de bijoux pre-
cieux san« vouloir en payer le prix!
Une autre circonslance plus tristement vraie peut-etre
que toute autre, retint La Fontaine dans ce Paris qu'd
aimait avec passion. 11 tomba dangereusement malade,
et cetle fois le reveur insouciant, incapable de la moindre
inquietude materielle, jeta lesyeux un pen plus loin que
le cercueil , el il vit Teternite. — Ca lui prit au coeur
comnie le reveil subit d'une pcnsee ensevelie depuis long-
temps. — Ce fut dans cette situation d'esprit qu'il recut
la visite du venerable M. Poujet, vicaire de Saint-Roch.
Cethomme d'esprit etde religion, afin dedonncr a sa pre-
miere demarche I'air le moms funebre possible, se fit pre-
senter a La Fontaine par un de ses meilleurs amis, et sous
le pr^lexle bien simple de I'interft que lui inspirait son
etat maladif. Insensiblement le bon pri^tre fit tomber la
conversation sur la religion, sur les preuves evidentes de
sa divine institution et sur I'authenticite des livres saints.
■ Je me suis mis, dit La Fontaine avec sa naivete ordi-
naire, & lire depuis quelque temps le nouveau Testament,
•le vous assure que c'est un fort bon livre ; oui, par ma
foi, c'est un bon livre. Mais il y a un article sur lequel
je ne me suis pas rendu : c'est I'eternite des peincs. Je
ne comprends pas comment cette eternite peut s'accorder
avec les bontes de Dieu. > L'abbe Poujet refuta cetle ob-
jection par des raisonnemenls pleins de douceur et de
verite, et apres une discussion tout h fail innocenle. La
Fontaine fut si satisfait des reponses du bon pr6lre, qu'il
le pria de revenir. — Oa peut bien penser que ce der-
nier n'y manqua pas. Bientol remplissant aupres de lui
celte consolante mission que le Christ legua misericor-
dieusementa ses ap6tres, M. Poyjeln'eut plus qu'a I'ame-
ner a condamner lui meme les quelques ecrils tombes de
sa plume dans un instant de gaiete licencieuse. — Ce
fut un peu dilTicile, mais il y parvint. — La Fontaine
n'avait jamais pense faire une oeuvreimmorale et nuisible
en riniant ses conies. Dans son etrange simplicile, il s'etait
figur^ que, si I'homme portail un velement, c'etait par
luxe ou par raison almosphcrique. Jamais, a table ou dans
toule autre situation, on ne lui avail entendu faire des re-
cils que la pudeur condamne. S'il en avail ecrit, seton
lui, c'etait lout simplement pour faire rire ses amis.
Apres des conferences assidues el peut-^tre un peu
laborieuses de la part de M. Poujet, La Fontaine, con-
vaincu et resign^, recut le saint viatique avec des senti-
ments dignes de la candeur de son Sme et des vertus du
meilleur chrelien. — Ce fut 'a cette heure solennelle de sa
vie, qu'en presence des membres de I'Academie, il refuta
les vers licencieux qu'il avail Perils. — C'etait un
sacrifice, car ses ouvrages etaienl peliUanls d'esprit el de
genie ; mais il elail Chretien avanl d'etre po'ete. — A sa refu-
tation il ajoula une protestation authentique den'employer
ses talents i> I'avenir, s'il recouvrait la sanle, qu'^ des
sujets moraux ou pieux. C'est pendant celte maladie qu'il
faul raconter le mot si piquant de la domeslique qui le
gardait. — Ah ! dit-elle un jour en voyanl les soins assi-
dus de M. Poujet, ne vous occupez pas tant de lui, il est
plus bSle que mechant. Et une autrefois, elle s'ecria
avec un air de compassion ; Dieu n'aura jamais le cou-
rage de le damner.
Notre bonhomme vecut encore. — II put, ainsi qu'il le
dil lui-mcme, relourner h I'Academie, parce qu'il s'y amu-
sait. Mais la mort qui I'avail menace de si prte semblait
visiblemcnt pour lui planer encore sur sa tele. Une lettre
qu'il ecrit a M. de Maucroy et que nous rapporlons ici a
cause des sentiments de foi qui y sonl si vivement expri-
m&, prouve d'une maniere evidente I'apprehension falale
qui avail assombri sa vie, autrefois si rose el bleue ; • Tu
le Irompes assurement, ecril-il en 1695, s'il est bien vrai
comme M. de Soissons me I'a dil, que tu me croies plus
malade d'esprit que de corps. II me I'a dil pour tacher de
m'inspirerdu courage; maiscen'esl pas dequoije manque
Je I'assure que le meilleur de lesamis n'a plus a compter sur
quinze jours de vie. Voila deux mois que je ne sors point,
si ce n'est pour aller a I'Academie, afin que cela m'amuse.
Hier, comme je m'en revenais, il me prit au milieu de la
rue une si grande faiblesse que je crus verilablement
mourir. 0! mon cher, mourir n'est rien, mais songes-lu
que je vais comparailre devanl Dieu? Tu sais comment
j'ai \6cn. Avanl que tu recoives ce billet, les porles de
I'eternile seronl peut-etre ouverles pour moi. »
Sa crainle elait proph^tique. Au mois de mars de la mi^me
annce il mourut. II avail passe soixanle-treize ans sur la
lerre. II fut enterri dans le cimetiere de Saint Joseph,
dans le mfenie sepulcre oii, vingt-deux ans avant, on avail
place son iUuslre ami Moliere, autre feuille tombee comme
lui de I'ai'bre du genie et que nulles aulres feuillesnesont
venues remplacer. Lorsqu'on deshabilla le poete pour le
metlre dans son lit, qui n'etail plus quo I'anlichambre de
son cercueil, on le Irouva convert d'un cilice.
A?iDRE Thomas.
48
PETITS VOYAGES
PETITS VOYAGES SLR LES RIVIERES DE FRAXCE.
LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVENIRS.
(suite.)
Une plaine immense el marecageuse, pour le dess6che-
ment de laquelle on a fait plusieurs fois d'inutiles sacri-
fices, entoure QuiUebeuf ; c'est a son exlremite que se
trouve le village du Marais-Vernier, baigne par la Seine.
Au-dessus des maisons du Marais-Vernier s'elevele cha-
teau qui appartient au marquis de Mortemart, bati i mi-
cole sur le revers de la montagne longue et resserree
qui forme k son exlremite la pointe de la Roque. Cette
montagne, coupee perpendiculairement, presente h Toeil
une serie d'assises composees de rochcs horizontales ;
depouiUee et sterile, elle domine cependant uii territoire
fertile et couvert de gras paturages. Dans les Danes de la
Roque on trouve un grand nombre de fossiles de tout
genre ; pi es du chiteau de Mortemart, une crypte pro-
fonde, d'oii Ton a extrait jadis Ics pierres qui ont servi k
construire Saint-Ouen-de-Pont-Audemer, est formee par
une carriere depuis longtemps abandonnee.
En gravissant le point le plus eleve du plateau de la
Roque, nomm6 dans le pays le Camp-des-Anglais, vous
jouissez d'une vue magnifique. Alors se presente a
vos regards la scene la plus variee : au nord, la pointe
oil est QuiUebeuf, celle de Tancarville et les cotes du pays
de Caux ; a Test le grand Marais-Vernier et des collines
couronnees de bois ; au sud, la vallce de la RiUe avec
Pont-Audemer, qu'onentrevoit dans le fond; enfin a I'oucst
I'embouchure de la Seine, large, imposante, vivifiee par
le raouvement des ports du Havre et dellonfleur, et par
les vaisseaux qui enlrent dans le Deuve ou qui le quit-
tent.
Si vous aimez les souvenirs d'autrefois, en quittant la
pointe de la Roque vous devez aller visiter la grolte de
Saint-Geremer, devenue populaire sous le nom de Saint-
Beranger. Ce pieux cenobite y passait sa vie dans la so-
litude, lorsque la direction de I'abbaye de Penlalle, situee
sur les bords de la Rillo, lui fut confiee, bien malgre lui,
par Sainl-Ouen, i5veque de Rouen. Les moines de I'ab-
'baye, jaloux et haineux par excellence, durent cacher le
■ressentiment que cctte decision leur avait inspiree; un
soir m^me, ils depeciierent verslui quelques uns des leurs,
sous prelexte de le presser d'accepter I'lionneur qu'on lui
-decernait. Le lendcniain, au lever de I'aurore, quand on
vint a la grolte, Geremer elait absent, la relraile etait
inbabitee; loutes les recherches furent vaines. Les moines
firent courir le bruit que le saint liomme etait monle mi-
raculeusement au ciel; cependant des peclieurs des en-
virons retrouverent le froc du pauvre solitaire qui llutlait
sur les eaux ; le corps avait disparu.
Au-dessous de la pointe de la Roque, la Seine recoil
la RiUe, qui arrive du deparlement de I'Orne, apri;s avoir
baignii I'Aigle , Beaumont , Brionne et Pont-Audemer.
Dans sa vallee, d'une etendue de vingl-deux lieues, on
voit des sites admirables, et les ruines de la magnifique
abbaye du Bee, celles du chJleau de Montforl, de celui de
I'amiral d'Annebaut et du monaslere de Pentalle. A I'em-
bouchure de la Rille, la Seine a forme, par des alluvions
successives, un herbage immense, appele Bancdu-Nord.
Ce terrain, qui a atteint un diametre d'une lieue, n'a
plus aujourd'hui que le dixieme de son ancienne'^elendue.
Le fleuve, fatigue de fuir loin de ses bords, est devenu
moins vagabond, et il s'occupe chaquejour dereconquerir
ce qu'il avait perdu.
Derriere le Banc-du-Nord on voit s'etendre les marais
et les prairies de Conteville. Le village eul jadis ses
comtes; I'un d'eux , du nom de llellouin, aiina Arlette,
qui avait longlenips vecu au chciteau de Robert-le-Diable,
I'epousa et devint par celle union le beau-pere de Guil-
laume le Conqueranl. Conleville se trouve appuyiS au re-
vers du mont Courel , dont le plateau est couvert de
bruyeres immenses. Au pied de ce penchant, si Ton re-
vient par la Seine, on apercoitBerville, dont le fleuve ar-
rose Icsextremiles. Ce village tire sa seule iniporlance de
la posf'e qu'y font, depuis 1812, par suite du deplace-
menl des vases, les biliments qui, descendant vers le
Havre ou montant vers Rouen, s'y reposent pour prulitei
des vents lavorables ou des marees de syzygie.
Sur laulre versanl du mont Courel , sur les rives de
la Seine, on voyait s'elever autrefois I'abbaye de Gres-
lain, construite par Arlette el son epoux sur les ruines
d'une antique chapelle, pour remercier Dieu d'avoir rap.
peli5 la jeune femnie ij la sante et b la vie. Les fondaleur.'
de ce monaslere y recurentleur sepulture; par malheur,
on n'a conserve aucune trace du tombeau d'Arlelle; I'ab-
baye elle-meme ne presente plus a I'observaleur qu'uni
masse de debris inl'ornies. Acbeti5e par un ancien arma-
teur de Honlleur, M. Lalleman, elle a cto changee en
une habitation fort agreable. Quelques cabanes de doua-
niers, voila tout ce qui reste du village de Greslain, qu
s'etait fundi pen a peu aupres de I'abbaye, et que nous
voyons figurer dans le diclionnaire geographique de Vos-
gien comme un gros hour;; de Normaiidie.
Au hanieau de Jobles, le fleuve va recevoir le ruisseaii
de la Vilaine, encaisse dans un vallon a la fois sauvage ei
pilloresque,ii travcrslequel il precipile ses eaux rapides.
Sur les bords de ce ruisseau s'eleve le village de Carbec,
dont on voit deja les maisons. Carbec possede une soured
qui attire une foule de pelerins; ceux-ci accourenl se
purifier dans ses eaux merveilleuses pour y recouvrer la
sanle. Puis nous allons passer devanl le plateau de Falou-
ville-sur-mer, couronnii de bruyeres comme le mom
Courel, el nous alleignons enfin Fiquefleur, sur le revers
dela colline, arembouchure de la petile riviere d Orange
c'est en eel endroit que finit le deparlement de I'Eure e'
que commence celui du Calvados.
Du haul de la cole de Fiquefleur on jouit de la vue la
plus agreable. La route qui arrive de Paris, passant pat
Rouen et Pont-Audemer, court sur les flancs de la mon-,
tagne ou elle serpenle, cotoie I'eglise balie en forme dflj
croix grecque, non loin de laquelle habitail autrefois une
SUR LES RIVIE
conimunaut^ monaslique, dontlesmembresseconsacraient
au soulagement des pauvres el des pelerins.
G'est a Fiqucfleur que commence la petite plaine tra-
versee par la petite riviere de Morel. Non loin de son em-
bouchure, on trouve le village de Saint-Sauveur, qui
n"esl, a vrai dire, qu'un faubourg de Hontleur, oil Ics ba-
teaux viennent prendre du bois et de la brique en echange
des moulei et des poissons qui forment leur cargaison.
Le long de ce rivage paissent les beaux et gras troupeaux
designes sous le noni de moutons de Beuzeville ou de
Presale. Enfin nous voila tout pres des jeleesde HonOeur
qui, s'avancant dans la mer, semblent inviter les navires
a se refugier enire leurs bras.
Rien de moins brillant que I'enlree du port h HonQeur ;
le commerce est aujourd'hui sans acliviledans cette ville
di'chue. Depuis que la traile des noirs est abolie, que
tout s'est centralise au Havre, et que les harengs, dont les
bancs frequenlaient autrefois la cole, ont disparu, Ilon-
lleur a ele frappee d'un coup mortel. Son port s'avance
RES DE FRANCE. 49
de plus en plus chaque jour vers sa decadence; la vase,
parlout amoncelee, encombre ses bassins, et le gouverne-
nient rests indifferent a tant de niaux. Les bois du nord
et la houille continuent seuls a entretenir les derniers
restes de la vie commerciale dont la ville de Honlleur a
joui pendant longlemps '.
On ne possede aucun document sur I'origine et la fon-
dation de Ilondeur; tout ce qu'on sail, c'est que Guil-
laume le Conqucrant y fit un sejour avant sa mort. Hon-
lleur put jouir obscurement de sa prosperite jusqu'aux
guerres de religion. Alors elle eut a soutenir deux sieges
centre Henri IV, qui assista en personne i I'une de ces
attaques. La canon d^truisit a celte epoque les forlifica-
tions, qu'on n'a pas relevees ; quelques debris qui en res-
lent font juger de I'importance de la place. Dans des
lemps plus rapproches du noire, Honfleur a recu les vi-
siles de I'enipercur Joseph, de Louis XVL de Napoleon,
du duc'd'Angouleme el de la ducbesse de Berri.
Honfleur est une ville assez triste et mal consliuile; il
Vuc dc Honfleur.
laul consacrer quelques heuresa son examen pour y d^-
1 ouvrir quelques maisons passables et I'entree; par la
route de Caen dont plus d'une grande ville serait fiere.
I'ne cliose cependant est bien digne d'arrfiler le cuneux
ou le voyageur : c'est le pelerinage de Notre-Dame-de-
lirace; cette chapelle s'eleve sur la montagne siluee a
loucst, qui commandep'-esque a pic la ville dc Honfleur.
On y monle par une route que des Iravaux toutmodernes
ont rendue carrossable. Sur le haul de cetle colline, tout
pres de la chapelle , se dresse un christ colossal , a I'un
des carrefours formes par la route. Du sommet de cetle
elevation, termineeen plate-forme, I'oeil enibrasseun ad-
1 I n cvcnemcnt fdclieui esl encore tcdu tout reccmment empirer la position
ilrjA dc?c5peree de cette ville. Le quai du bafsin neuT, p.ir suite du tassemcnt
lies terres et de I'action des eau», a subi un ecarlemenl de trois metres et devra
clre reconslruit enti^rement. Or c'est une depcnse de 100,000 Tr. eu,iroD.
rommciit fera la pauvre ville d'Honllour?
III.
mirable panorama. Le plateau de la montagne se teimine
brusquement au pied de la croix mt^me, du ctjle de la
mer; des eboulements considerables s'en dc'tacbent do
lemps en lemps, et roulent sur le rivage oii, du haul du
rocher, le pti'cheur, atlcnlif a ses filets, nous apparait
comme un point sur la greve.
Au has de la montagne se trouve un chemin qui con-
duit a Vasony el au charmant chAlel de Blosseville. Der-
riere Honfleur, sur la rive gauche du fleuve, on voit d'ini-
menses prairies et des bois epais s'avancer au sein des
flols; puis, par un conlraste bizarre, apparait le pays de
Caux avec sa serie de falaises blanchalres s'elevant a pic
au-dessus de la Seine, et n'offrant au regard que des ro-
chers decharnes jusqu'k Tancarville, dont nous aperce-
vons la pointe a rextiemile de I'horizon.
Cependant rien ne peut donner une idtje dela richesse
de ce pays de Caux queccs falaises, dont nous venons de
no
PROMENADES AU MUSEE DE GEOLOGIE.
parler, caclicnt anosyeux. Parlout des campagnes coii-
vcrles de moissons jaunissaiiles ou d'arbres charges de
fruils; dans les palurages, des bestiaux de la plus admi-
rable race ; aulour des chateaux et des fermes, ties arbres
magnifiques pour les ombrages, voila le pays de Caux.
Mais une chose merite suitout d'atlirer-raltention : c'est
la populalion forte et belle de ces campagnes, ce sonl ces
cliarmantes Cauchoises aux yeux bleus, au frais visage, h
la laille ^lancte, et dont I'eclatante beaute se trouve en-
core rehaussee par une coiffure elevee qui, en depit de
certains detracteurs, ne manque pas d'elegance.
Au-dessous de Tancarville et citoyant les falaiscs du
pays de dux, la Seine va douMer le cap du Ilode, coule
devant Saint-Jacques, Saint-Vigor, Sandouvi lie etOudales,
relraites pittoresques des pechenrs de la cote, et baigne
le pied du chateau d'Orcher, dont nous apercevons les ave-
nues sur le haut de la colline; massif et sans art dans sa
construction et son architecture, ce chateau a ete bSti h
la place d'une ancienne forteresse qui defendait ancien-
nement I'entrce du lleuve.
Ce manoir est fort connu de tous les marins qui fre-
qucntent ces parages, il leur sert en quelquesorte de fa-
nal poursc garer des ecueils et des bancs dont le bassin
de la Seine est parseme a sa hauteur. Entre tous les sei-
gneurs auxquels appartint ce domaine dans I'origine, un
seul uniqueraent a survecu k I'oubli, cost Robert d'Or-
cher, qui suivit Robert le Diable en Palestine. Dans des
temps bien post^rieurs, eette propriete d'Orcher fut un
des qualorze domaines que posseda dans notre pays \'ii-
cossais Law, qui, apres avoir acquis des milliards,
alia mourir ii Vonise dans la misere. Nagufere encore,
ce caslel.qui depend du village de Gonfreville, situ6
par derriere, avait pour proprietaire la bonne et cha-
ritable marquise de Nagu, qui, a Orcher comme i. la
Meilleraye , marqua tous les jours de sa vie par des
bienfails. Elle aura aupres do Dieu de puissants inter-
cesseurs dans les pauvres, dont elle prit toujours b tichc
d'adoucir les soufTranees.
A. L. Ravergie.
PROMENADES AU Ml SEE DE GEOLOGIE.
INTRODUCTION.
I.
Alfred, vous connaissez dejk
I'histoire naturelle de quel-
ques animaux, mais vous
ignorez encore celle du globe
que vous habitez.« Au com-
mencement, Dieu crea le ciel
et la tcrre." Ces paroles si
sMiiples,qu"on lit dans toutes
les histoires saintes et dans
le catechisme , contiennent
la matiere d'une grande
science. La g(^ologie (ainsi
nomnide de deux mots grecs,
dont I'un signifie terre, et
I'aulre', discours) embrasse
tous les Siges de la planete oil le Crealeur nous a places.
II faut, en effet, nous representer le globe terrestre
comme un Mre qui a eu sa formation, sa croissance,
et qui est parvenu maintenant h son 6tat viril. Vous
ne vous etonnerez done plus si vous m'entendez par-
lor de I'enfance de la terre : vous songerez seulement
a la votre, a ces premieres annees qui ont suivi votre
naissance , et dont le souvenir est pour vous en-
vironne de ten^^bres profondes. Quand vous voulez acque-
ri, des renseignements sur cet Sge oublie, vous vous
adressez a votre mere. Puisant dans sa m^moire, elle en
tire une response a toutes vos questions. Souvent elle vous
■raconte m^mc dos rv^nements qui ont precede voire
naissance, et dont la trace serait a jamais perdue pour
vous si elle n'avait pris soin de la conserver.
— Voilii qui est bien pour obtenir des instructions de
ma mfere ; je lui demande : ■ Oii les choses en ^taient-
elles avant que je fusse au monde? » et elle me r6pond
toujours juste ; mai^, comment faire pour tirer de la terre
le recit des evenements qui ont devancS la naissance du
genre humain?
— On s'y prend absolument de la mjme maniere : il
faut I'intorroger.
— Comment? la terre parle done?
. — Oui, mon ami; ce n'est pas un langage articulfi,
comme celui des hommes, ni meme comme la voix des
animaux; mais c'est une forme de langage que les savants
coniprennent , et que vous comprendrez comme eux
quand je vous en aurai donne la clef. Lai.s.sez-moi d'abord
vous faire quelques questions bien simples. En jouant
dans le jardin avec vos caniarades, n'avez-vous pas re-
marque un amas de rocailles, qui ont servi i batir une
espece de grotte? dans ces pierres n'avez-vous pas re-
marqu6 des incrustations de coquiUages?
— Oui, nous en avons m^me detache des fragments
qui avaient la forme de colimacons allongiis.
— Comment ces coquiUes d'animaux appeles moUus-
ques ont-elles pu s'envelopper dans la substance dure de
la pierre? n"est-il pas raisonnable de supposer qu'a I'epo-
queou cet amalgame eut lieu, la densite du calcaire qui
empAte aujourd'hui ces coqudles n'cxistait pas? C'etait
une espece de vase, tenue en dissolution par la presence
des eaux, et qui s'est durcie sous I'influence de I'air sec,
quand les eaux se sont retirees. Ne voit-on pas encore
tous les jours des terres glaises, d'abord huraides, qu'on
piitrit dans la main comme de la cire, prendre bient6t,
sous I'aclion du feu, ou simplement sous celle de I'atmo-
splierc, une consistanco tresgrande"? Supposons mainle-
cant que des corps ctrangers, comme des debris de pois-
sons, des coquilles ou des os de niammiteres, soient en-
gages dans cette boue sedimenleuse ; qu'en resuUera-t-il '?
— U arrivera ce qui arrive lous les jours quand je
marcUe sur une (crre liumide et molle : la forme de mon
pied s'imprime dans la malii;re argileuse.
— Precisement. Le iiom qu'on donne a ces empreintes
vegftales ou animales, couservees depuis I'origine des
choses dansle sein de la terre, est celui de fossiles.
— Ainsi, les figures cylindriques que nous avonstrou-
vces dans les rocailles dujardin etaient des- fossiles de
moUusques.
— Continuons. Ces picrres ont ele lireesd'une carriere
dans les environs de noire demeure. 11 faut done que les
lieux oil nous habitons aienl ete envahis autrefois par
les eaux.
— Ce sonl sans doule les Deuves ou les riv ieres du pays
qui ont di'borde.
— Non, mon ami; carles mollusques dont \ous parlez
sont des mollusques marins, qui ne pourraient pas vivre
dans des eaux donees.
— Est-ce que par hasard la mer serait venue autrefois
se promener dans notre jar Jin?
— Comme vous dites; les eaux de la mer ont occupc
non-seulement votre jardin et les environs, mais encore,
«l sans doule a plusieurs reprises, toule la surface du
globe.
— Y a-t-il de cela bien longlemps?
— Ce sont des eveneraentsdont ni moi, ni voire pere,
ni aucun des hommes qui ont vecu sur le monde, n'ont
ete les lemotns.
— Je vols maintenant commenl on arrive a deviner par
le raisonnement ce que vous appelez I'histoire de la terre.
— Ce n'est pas tout. Je vous ai dit, et vous comnien-
cez a voir par vous-m^me, que les choses ont plu^ieurs
fois change de face sur le globe terrestre. La creation a
eu ses epoques. Youssavez qu'en liistoire on designe par
epoque une mesure de temps, durant laquelle s'accomplit
un ordre limite de fails. On a encore donne a ces chan-
gementssuccessifs, qui ont amene I'achevement de noire
planete, le nom d'Jges de la terre, par allusion aux pe-
riodes humaines, I'enfance, la puberte, I'adolescence, la
jeunesse, qui ferment les diverses epoques de la vie.
— J'ai pourtant lu dans mon hisloire sainle que Dieu
crea le ciel, la terre et ses habitants dans I'espace desix
jours.
— Cela est vrai : mais il faut bien segarder desert'pre-
senter les jours de la creation comme nos jours actuels,
qui commencent avec le lever du soleil, et finissent avec
soncoucher. Moise, I'auteur inspire, n'a point voulu dire
que ces grands evenements, dont la suite constitue I'his-
toire de la formation du globe et cells des etres crees,
fussent I'ouvrage de six fois vingt-quatre heures. Le mot
liebreu yom, que Ion a traduit par jour, signifie epoque,
reiohUion. Chacun de ces jours a done pu avoir plusieurs
siecles.
— Voili des jours bien longs! Comment se fait-il que
Dieu, qui est tout-puissant, n'ait pas fait inimediatemcnt
toutes ces choses?
— Dieu est tout-puissant sans doule ; mais il a voulu
nous enseigner par lui-m^me la loi du travail et de la
patience. C'est une image grossiere, il est vrai, que de
I'llO.MEiNAUES AU MISEE DE GEOLOGIE.
I
51
comparer I'ouvrage du Crealeur a celui d'un arlisan ;
mais Bossuet n'a pas dedaigne cetle comparaison, etnous
pouvons bien nous en servir apres unsi grand ecrivain.
Or, une niaison ne se construit pas subilemenl de toutes
pieces ; olle s'eleve, pour ainsi dire, pierre a pierre, etage
par etage ; quand une fois la bitisse a recu son couronne-
mcnl, on y inslalle les personnes qui doivent I'habiter.
Celte image nous donne une idee bien relrecie du travail
de developpement qui a perfectionne, a Iravers les Sges,
la demeure actuelle de I'liomme.
— Je ne me faisais point cetle idee des six jours de la
creation, et je ne sais trop si mon professeur y souscrira.
— Oui, mon enfant : lorsque Sa Saintete Pie Vil vint
a Paris, il eut une entrevue avec les savants de I'lnsti-
lut; or, dans ce concile d'un nouveau genre, il n'hesita
point ^ reconnaitre, comme orthodo.xe, rinterpretation
que je vous ai donnee. Lesjoursjf'nf'smqucs sont des revo-
lulions seculaires, qui se succedent entre elles pendant
de longs inlervalles, et qui marquent comme des temps
de repos entre les grandes operations de la nature.
— Qu'entendez-vous par la nature, s'il vous plait?
— Jo suis content de celte question, et je vais la re-
soudre. Les savants ont attache differenls sens au mot
nature : sans nous arrOler a leurs interpretations, qui ne
sont pas loujours conformes i la foi calholique, nous en-
lendrons par la nature I'ensemble desloisquele Crealeur
a elablies, et dont il se sert, soil pour former, soil pour
conserver lout ce qui existe.
— Ainsi done, nous allons au musee de geologie : y a-
t-d beaucoup de tableaux et de statues dans ce musee-
la?
— Je vols ce qui cause votre erreur, mon jeune ami.
Vous avez ete aux musces du Louvre, vousy avez vu des
ouvrages de I'art, et vous en cnncluez que lous les mu-
si'es doivent ^tre destines a recevoir les creations de la
peinlure et de la slatuaire. Detrompez-vous ; la nature a
aussi ses monuments, qu'il est juste de recueillirdans des
elablissemenls publics. Nesontce pas, en effet, des mou-
lures, des sculptures veritables, que ces empreintes au
moyen desi|uelles la nature a garde les formes des animaux
anlediluvicns, comme 'on conserve sur le plaire les trails
cheris et venerfe de grands hommes que la mort en-
leve.
— Qu'entendez-vous, je vous prie, par animaux ante-
diluviens?
— Je vous ai parle des ages de la terre ; chacun de ces
3ges avu une population d'animaux, aujourdhui eteints,
dont les debris servent a caracteriser, je dirai meme i) re-
conslruire I'elat general du globe durant leur periode
d'existence. On nonraie ces Hres anU'dilui'iens, pour les
distinguer de ceux qui vivent maintenant a U surface du
globe : ils sont elTectivement anterieurs a la derniere ca-
tastrophe qui a change Petal primitif des choses, et que
les sain les ftcritures designent sous le nom de deluge. Ce
sont les resles, les empreintes de ces animaux delruitsque
nous allons visiter tout a I'heure dans le musiie de geo-
logic.
— D'oii a-t-on recueilli ces debris des creations antedi.
luvienncs?
— Ces medaillesde la terre sontrepanduespresque par-
tout a la surface du globeetdanssoninterieur; onleslrouve
dans les carrieres. dans les mines, dans les feiiles et ca-
vcrnes des rochers, ou mi>me a peu de distance de la
PARALLfeLE DE JUGUUTIIA
superficie du sol. En 1799, un marchand devindela rue
Daupliine, a Paris, en faisanl dcs fouillcs dans sa cavo,
di'couvritunepit^ce osseuse, d'une grandeur considerable,
enfouie dans une glaise jaunJlre et sablonneuse. Ce frag-
ment voluniineux clait une tele debaleine. On a decouvcrt
plusieurs ossements fossiles dans les carriercs de Mont-
uiartre.
— Pourquoi nommez-vous ces debris, des niedailles?
— C'est un usage Ires-ancien que celui de frapper des
niedailles d'or, d'argent ou decuivre, pour fixer le souve-
nir d'un cvenementnalional, conimoune victoire, la nais-
sance d'un prince ou I'avenement d'un souverain au
Irone. L'art de decliiffrer les inscriptions marquees sur
ces medaiUes, de les rapporter a des (5poques certaines, de
reconstruire par ce moyen I'histoireella chronologie des
faits, constitue une science qu'on appelle la numismnlique.
Cette science offre des traits de similitude avec la geolo-
gic. Les geologues sc servant aussi des cmpreintes trou-
vees dans le sein de la terre, veritables mMaillesfrappees
par la nature, pour retablir la miSmoire des ivenements
qui sesout passes tr^s-anciennemcnt a la surface de noire
globe.
— ConiEnent se fait il que je n'aie rien lu sur cesmi-
dailles-la dans les anciensauteurs?
— La geologic est une science moderne. Les anciens
avaient biendecouvert des debris d'aniniauxantediluviens;
mais, dans leur ignorance de I'anatomie compar^e, ils
avaient rapporli I'existence de ces fragments cnormes k
telle d'une an,tique race de gcants qui auraient vecu au-
trefois sur la terre. C'est amsi qu'ils placaient des tom-
beaux partout oii ils rencontraient des os d'elephant.
— Qui done a creelffgeologie?
— Une science ne se cree pas tout de suite et par I'ef-
fo:t d'un seul homme ; elle croit et se developpe avec le
temps, au moyen d'une suite de d(5couvertes ajoutees les
unes aux autres. II serait trop long de vous raconter toute
I'bistoircdelageologiejje vaisprcndre seulementquelques
noms qui marquent les grands progres decelte histoire du
monde. Bernard de Palissy, simple poller de terre, qui fut
un grand artiste dans son metier, deduisit de I'ob.serva-
lion des coquilles fossiles quelques idees pleines de jus-
lesse et tout a fait etonnantes pour son siecle, sur la for-
mation des couclies du globe. Mais I'homme auquel la
geologic est vraiment redevable de son existence, celui qui
, porta le flambeau de la philosophic naturelle sur les mines
des anciens mondis, c'est BuBfon. U vit que I'histoire de
notre planete avait eu ses epoques, ses mouvements, ses
revolutions, etqu'iletait possible d'en retrouver les traces.
Apres lui, le savant qui a le plus fait pour determiner le
caractere des ages du globe, fut Cuvier. Au moyen d'un
principe nouveau, celui de la correlation dcs organismes,
il reslilua, pour ainsi dire, a la lumiere les anciens ani-
maux que le Createur avait formes et detruits Un artiste
celebrc, M. David (d'Angers), s' est charge de transporter
sur le marbre les traits de Georges Cuvier. Vous allez voir
cette statue dans le musee de geologic. — Le statuaire a
mis a cole du savant un globe troue, et, dans ses mains
un fragment du monde, voulant exprimer par cette belle
image que le genie de Cuvier avait en quelque sorte per-
ce k jour I'ecorce de notre planete, et en avait fait sortir
par cetle ouverture la revelation des faits qui consti-
tuent I'histoire des six jours.
Le DOCTRun N...
PARAUELE DE JLGLIlTllA ET D'ABD-EL-KADER.
Il y a quelque chose d'im-
mense et d'ete:nel dans I'hom-
me qui est inslruil el qui pense.
.4u lieu de n'occuper qu'un
point elroit du globe, il habile
lout runivers; au lieu de ne
vivrequedans I'heurefugitive,
il vit dans les siecles, il a I'age
du monde, I'ige de I'histoire;
il rcprcsento tout le passe du
genre humain ; il n'est pas sim-
plemcnt un homme, ce sont les
lionimes qui vivent etrevivent
en lui. Cette possession des
lemps et de I'espace par I'elude
est merveilleuse comme la me-
moire qui lege dans un coin du cerveau les cieux, les
mers, les montagnes, lous les grands tableaux de la crea-
tion.
Un Numide, il y a dix-ncuf sikles, soutint le choc de
la puissance romaine; on s'en est plus d'une fois souvcnu
depuis qu'un marabout resiste avec tantde perseverance
aux amies de la France en Afrique. Essayons done d'cla-
blir un parallele delaille, motive, complet, qui nous fasse
bien comprendre Jugurtha el Abd-el-Kader.
Jugurtha, le neveu, le fils adoplif de Micipsa, ne passa
point son jeune ;^ge dans de niolles frivolites-, beau, ar-
dent et fort, il domplail les coursiers, lancail le javelot,
disputail le prix de la course avec les jeunes gens de son
Age, goiitaLl sans fatigue les joies de la chasse, el nul ne
frappail plus l6t que lui le lion, le ligre ou la pantli^re
dans les montagnes ou les forels de la Numidie.
Abd-el Kader i {I'esclave du Tout-Puissant), homme
aux formes charmantes, a la figure grave .et reveuse,
aux belles mains et aux jolis pieds, apprit sans mattre a
monler a cheval des ses premiers ans ; toujours il se
monlra solide sur le dos des chameaux ; bien jeune encore,
il elait adroit a lirer le fusil, nionle sur un coursicr; en
poursuivantau galop un cavalier, il raballait a unegrande
distance.
Micipsa, pour deharra.sser ses fils i'un rival inlrepide,
biiilanl el populaire, I'avail envoye commander un corps
en Espagne, dans la guerre do Numance ; mais au lieu
d'y tiouvcr la morl, Jugurtha y Irouva la gloire, une
1 Abd-cI-kiiJer e = [ ni; en 18US, (l.iris le vnisiiLige tie Madeira.
ET DABD-1
belle rcnommee, et Tamitie de Scipion. II dit dans son
coeur : a moi le royaume de Nuniidie! Apres la mort de
Micipsa, il ne recula point devant un crime pour ecaiter
de son clieniin lliemsa! qui importunait le plus son am-
bition. Lorsque Adherbal, \cngeur de son frere, prit Ics
armes, Jugurtha commenra par lo vaincre et finit par lui
faire arracher la vie a t^irtlia (Constantine) au mepris des
lois de la capitulation. Maiire de la Nuniidie, il se niain-
tenail par la vigueur de sa volonte, I'liabilele de sa di-
plomatie, le courage de ses troupes diivouees a I'indepen-
dance africaine.
Abd-el-Kader , en entrant sur la scene, n'a eveille la
EL-KADER. S5
jalousie dans I'Jime d'aucun chef musulman ; son iiaissan'
genie n'a derange autour de lui le plan d'aucun dmir,
d'aucune puissance arabe. Aussi n'a t-il pas eu besoin de
precipiter personne dans la mort pour se delivrer d'une
rivalile remuante. Le cadi Sidi-.\hmed qu'il fit mourir a
Azzew elait plutot un traitre qu'un competiteur. PrOlra
et guerrier, fils de Mahi-Eddin repute saint, lequel conip-
tait lui-nieme plusieurs marabouts parmi ses a'leux, Abd-
el-Kader, environne de bonne heure de respects pieux et
de brillants pr&ages, s'est presente commo I'apotre et le
defenseur de I'islamisme menace par la France ; les
croyants d'.ifrique I'ont accepte pour guide et pourap-
Aba-el-KaJcr parUiil Je Id reli;
pui. • Quand il parte de la religion, dit un de sespoetes,
■ il fait pleurer I'oBil qui n'a jamais \erse une larme. •
Ce fut en 1832 que les Francais entendirent pour la pre-
miere fois prononcer le nom d'Abd-el-Kader. Successeur
de son pere dans le bcylik de Mascara, il parut a la tSte
d'intrepides bandes arabes qui se precipiterent inutile-
ment sur la ville d'Oran devenue francaise depuis le mois
de juillet 1830 par la soumission de Hassan-bey. Pro-
clame sultan des Arjbes le 28 septembre 1832, son elec-
tion fut consideree comme une ffiuvre du ciel. Les visions
merveilleuscs et les signes prophetiques ne manquerent
pas au berceau de sa grandeur. Lorsqu'il s'en alia visiter
le tombeau de Mahomet, les saints de la Mecque lui di-
rent : ■ Tu regneras un jour! »
Jugurllia, dans les mauvais jours de sa fortune, pou-
vait a force d'argent, d'activite et de genie, retrouver des
troupes, reconstituer un parti contre Metellusou Marius.
Mais il n'avait pas I'immense ressource du fanatisme re-
ligieux qui ranime ^ternellement la bravoure, rassemble
les debris et lance des forces nouvelles; Abd-el-Kader,
toujours vaincu par nos armes, est toujours debout parce
qu'il est puissant comme une croyance, mvsterieux comme
le destin, et qu'il est profondement enracineausol comme
I'idee musulmane au coeur de lArabe indonipte. Tout
sentiment qui a Dieu pour mesureet pour butprend dans
son energie quelque chose d'imperissable. Abd-el-Kader,
banniere vivante, personnification belliqueuse de I'isla-
misme africain, ful-il reduit a n'avoir que sa natte de
palmier ou de jonc , que son cheval ou son chameau,
serait encore redoutable. A un signal du marabout guer-
rier, le desert pourrait s'ebranler; chaque vallon, cliaque
plateau, chaque detour de montagne pourrait vomir des
milliers de cavaliers.
Jugurtha avail appris^Numance que tout etaitci vendre
a Rome, et c'est avec I'or autant et plus qu'avec le fer
qu'il atlaquait les Remains ; il acheta la moitie du senat,
il fit main basso sur les consciences des bords du Tibre ;
les belles quahtesdeCalpurnius et d'Albinus, la verlu de
Scaurus elaient -venues echouer contre I'or de .lugurtha ;
sauf de rares exceptions, le peuple seul etait alors hon-
nete et pur a Rome, et les richesses du Numide avaient
pour les nobles d'irresistibles seductions : la cupidite
romaine fut pendant longlemps tout le secret de la puis-
sance de Jugurtlia.
I'AllALLtLE DE JUGURTllA ET D AI5 D-EL-KADE R.
54
Dans riige oil nous sommes, I'or n'a rien perdu de son
ponvoir, et loules les consciences ne sont pas inlrailables.
Pourtant Abd-el-Kader , qui sail re qui se passe dans
noire pays, n'y a achete personne : I'emir n'a pas les
tresors de Jugurlha , et puis, disons-lo, les Francais ne
vendent pas la France.
Autant qu'on peut en juger par les recits de Sallusle,
les batailles de Jugurtha, avec les elephants de plus, res-
semblaient assez aux batailles d"Abd-el- Kader; elles se
coniposaient de ruses, de pieges, de fuiles simulees; les
chevaux africains, accoutumes aux asp^riles des lieux,
s'echappaienl a travers les focbers el les broussailles. Les
Numides avec leurs javelots blessaienl ou tuaient de loin
conime aujourd'liui les Arabes avec leiirs longs fusils,
.lugurlha Irompait, faliguait, harcelait Icnnemi ; c'est
encore aujcurd'hui la tactique du chef arabe. On corrom-
pait les sources, on enlevait ou on d^truis;iit les vivres a
Tapproche des domains ; on lombait sur les Iratnards, les
imprudenis, sur tons ceux que ne protegeail pas le corps
principal de I'armee. Les premieres victoires de Metellus
raltrislaient parce que les inepuisables ruses du Numide
les lui faisaienl payer beaucoup trop cher; il n'alteicnit
forlement Jugurtha qu'en livrant les champs h la devasta-
Uon el en livranl au glaive tous ceux qui s'offraient h
lui en age de porter les armes. Ces especes de razzias,
que nous avons imilees en ce qu'e'lcs ontde moinsatroce
pour atleindre dans ses interelsrArabe qui vousechapppe
toujours , avaient.decourage Jugurlha, epouvanle la Nu-
midie.
Nous ne croyons pas que Jugurtha ait rien emprunti h
la discipline des armies romaines. Apres une bataille les
soldals Numides se dispersaient, reprenant chacun le che-
min de sa cabane, et cela ne s'appelait pas une desertion.
Uien de r^gulier n'exislait dans les forces de Jugurlha;
peut-ctre n'cut-il pas ose soumeltre a une organisation
pcrmanente la farouche energie d'hommes accoutumfe a
I'independance. Abd-el-Kader a montre plus -d'aulorit^
ou plus de giinie ; il a etabli des troupes regulieres ; nous
avons les lois eties reglements qui forment son code mi-
litaire. L'armee d'Abd-el-Kadcr, un peu fictive, caril n'a
pas toujours les premiers elements pour appliquer sa le-
gislation militaire, rarmcede I'l'niir, disons-nous, .separ-
tage en yntini (cavalerie) ou Inia/las (cavaliers) , en askars
(marcheurs ou fanlassins), en Uibiljius (canouniers). II a
determine I'uniforme de chaque arme el de chaque grade,
le mode d'avancement, I'adminislration des vivres, (Stabli
des decorations el des recompenses. La bravourp, la piete,
la palience,voila les conditions ducommandement. . L'of-
• ficier, dit Abd-el-Kader, est a sa troupe ce qu'osl le
• coeur au corps de I'homme. > Les chefs des cavaliers et
des fanlassins portent des insignes en gui.se d'epaulettes;
on lit sur ces insignes des inscriptions arabes donll'une
exprime I'idee que la patience dans le commandement
est la clef de I'assislance divine.
Jugurtha devail etre eloquent; Sallusle nous ditqu'au
moment d'une grande affaire le chef numide parcourait
les rangs de tous sos balaillons et les echaiilTait de scs dis-
cours. Lorsqu'il allaa Rome plaider sa cause dcvanl le
senat, il ne lui fut point permis de se faire entendre de
I'illustre as.semblee, mais les senateursqui s'etaienl repus
de son or avaicnt senii aussi le pouvoir de .sa parole. Un
grand charme s'attachait a la personne de Jugurtha; la
belliqueuse jeunesse de Numidie s'eljit passionnee pour
lui, ct dans Texpcdilicn dE-pagne,il claitdevenu, d'aprcs
Sallusle, I'idole de l'armee comme la Icrrcur des Numan-
tins. Jugurtha exer(;ait done beaucoup d'empire par son
prestige personnel ; mais nous croyons qu'Abd-el Kader
en oxerce bien plus encore. Telle est .sa seduction que
parfois meme les officiers francais n'ont pas pu s'y dtVo-
bcr '. L'emir joint a I'attrail des formes cxquises et au
double litre de marabout etdeguerrier les qualitesde sa-
vant el de poi^te. Ses amis nous apprennenl que, quand il
monteson coursiernoir, il paratt modesle comme un petit
enfant, el se couvre a moilie la figure ; ce qui n'emp6che
pas qu'on ne compare sa vigucur a celle du lion. La
poesie arabe conlemporaine nous repdte que I'espril de
l'emir est plus vaste que la mer, qu'il est le savant des
savants, le savant des marabouts, et que les pins grands
lalcbs (c'crivains) s'inclinenl dcvanl son genie; qu'une
lelire qu'on lui adresse ne reste jamais une heure sans
reponse, et qu'il eniploie toujours les plus belles, les plus
pures expressions.
• Noire mailre, disent les po(?les de l'emir, est comme
« la ros(!e qui lombe du ciel, comme la biise du prin-
> temps qui parfume les jours des esclaves de Dieu ,
« comme le soleil des beaux mois dont lout le monde veut
« avoir un rayon, comme le jpune jasmin qui embaume,
« comme la rose qui se balance an lever du soleil, comme
■ la violelle appuyec sur une frfi'e tige et qui ne change
« jamais, comme la cotomhe qui rouconle des le matin el
« que les oiseaux viennenl ecouter, enfin comme une pe-
• tile vague de la mer qui bat sans cesse les tiancs des
• rochers , cat sans cesse noire mailre frappe I'oreille
- du doux bruit de I'explicalion du livre divin (le
• Coran). ■>
Les vers d'Abd-el Kader sonl connus sous les tentes el
les gouibis de I'Afiique; plus d'un cavalier les chante
pour charmer I'ennui de ces longues courses ou parfois
on fait des lieues sans rencontrer un seul arbre. L'emir a
consacrS par des vers le souvenir de ses principaux fails
d'armes; aprcs a\oir pris Tlmecen , il comparait la c\li
arabe a une araic dont il aurait eonquis I'alTection. « En
■ me voyant, disait I'emir-poete, Tlmecen m'a donne sa
■ main a baiscr ; je I'aime comme I'enfanl aime le cceur
■ de sa mere: j'enlevai le voile qui enveloppail son long
« visage, el je palpitai de bonheur : ses Jones 6taient
« rouges comme un charbon ardent. Tlmecen a eu df»
<i mailres , mais elle ne leur a montre que de I'indifTe-
« rence; elle baissait ses beaux et long's cils en delour-
. nant la t^le ; ^ moi seul elle a souri et m'a rendu le
« plus heureux des sultans. •
Dansun chant oi'ije ne sais quelle autre muse du desert
celebrail la prise de Tlmecen par l'emir, Tlmecen, s'a-
drcssant a son vainquour, lui disail :
« 0 Abd-el Kader, loi qui sauvps les esclaves de Dieu,
" qui sauvcs meme les naufrages de la plus forte tem|iete
« au milieu de la mei', je t'ai donne mes clefs de bonne
" volonte; il faul que lu me donnes .\Iger, ses biens et
• son people pour me servir; il me faut aussi Oran, sa
« fortcresse el ses canons. Quand lu liendras ces deux
« places, ajoute-telle, quand m n 'auras pas bcsoin de
• le deranger pour oblenir la souuiission de tout 1;;
« pays. "
1 Co clt;ipilre otiiit L-fril loi'.:i[iic le massacre dcf prisonnicrs rr.in5aii ie l.i
ncini. c\6ciile par Torjr'! d'Al»tl-c!-Kiidor, esl vciui souiller ].i renoinTuei in
LE SANPIfiTRINO.
55
C'est souvent par Irahisons que s'achfevc le role dcs
grands hommes de guerre. Boniilcar, deux fois I'instru-
ment de mauvais desseins, avail promls a Mt'tcllus de
lui livrer Jugurtha mort ou \if. Un jour qu'il triiuva le
chef numide triste et se plaignant de sa dcstinee, il le
pressa de terminer la guerre et de se confier dans Metel-
lus : deja les conditions de la soumission etaient remplies;
mais quand Jugurtha, depouille d'hommes et d'argent, fut
somm^ d'aller entendre son arret de la bouche du general
remain, il recula devant la crainte de la servitude et se
replongea dans I'air libre de la Numidio, rcnniant tout
par son genie atin de se refaire ane armee. Mais ret elan
d'une ame energique fut hientot trouble par la decouverle
fortuite du complot de Boniilcar. Delivre du tiaitre, il ne
put se dolivrer de ses sombres inquietudes. Plus de rcpos,
de confiance, de securite! Toute figure d'homme lui sem-
blait cacher un ennemi , il tressaiUait au moindre bruit,
ne passait jamais la nuit au ni^me ondroit, et parfois, au
milieu dcs lenebres, il se revcillait en sursaut et se sai-
sissait de ses armes en poussantd'elTroyablescris. Agite,
melancolique, il changeait cbaquejour ses plans et ses
choix, et Qottait nialheureux entre I'ennemi et le desert.
Un roi faible et IJche se rencontra pour accomplir I'oeuvre
de Boniilcar. On sait comment Bocchus, roi de Maurilanie,
fit tomberson allie entre les mains deSylla et de Marius.
Nous avons vu 'a Rome le cachot (le Tullianum) oil una
vengeance, indigne d'un grand peuple, laissa mourir de
faini Jugurtha.
Abd-el-Kader n'a pasde Bomilcar a rcdouler. La lasji-
tude de la guerre, notre justice, nos victoircs repetees qui
seront pour les niusulnians une manifestation de la volonto
de Dieu, diniinueront le nonibre des honimes attaches a
sa mission de defcnseur et de r(5paraleur a I'islamisme,
mais la liberie et la vie d'Abd-el-Kader n'ont rien a
craindre de I'Arabe. Abd-el-Kader est marabout, il brille
de la triple auieole du la religion, du genie et des ba-
lailles; il pent dormir en p;iix sous la garde du premier
Arabe venu. II pent manger sans frayeur le kouskoussou
sous toutes les tentcs, boire a tons les ruisseaux, a toutes
les coupes, et suivre les pas du musulman sans redouter
une embuscade. Mais le sort des combals pent le livrer a
la France. Quel que soit le coup qui nous I'amene, il ne
tfouvera chez nous ni le cachot ni le supplice de Jugur-
tha. Notre civilisation est plus gcnereuse que celle des
Homains.
Ainsi, dans le nieme pays, deux hommes de genie, a
de longs iiges d'intervalle, auront conquis une immortelle
renommee en combattant deux grandes nations. La prolon-
gation de la resistance d'Abd-el-Kader ne doit pas exciter
notre surprise : sachons bien que ce sultan des solitudes
est rhoninie d'une croyance, et deplus, qu'il est superieur
a Jugurtha.
La vapeur, ce prodigieux instrument donne au genre
huniain pour hjiter sa marche vers I'unite, nous assure
la possession de I'Algerie en la faisant toucher a nos rives.
L'Afiique, au temps des Romains, etait plus facile a
conquerir qu'ellene I'aele de nos jours, a cause du grand
nonibre de villes qu'il y avail alors et qui permeltaient
d'atteindre de grands inlerets. Mais calculez le temps
qu'il fallait pour que jadis des troupes parties d'Ostieou
de Brindes arrivassent sur les cotes africaines. Que do
seniaines, de mois perdus dans une navigation soumise Ji
toutes les incertitudes des vents et des flots! Que d'iuevi-
lables lenteurs pour porter des secours, des ordres, des
idees ! Grike a la vapeur, I'oeuvre francaise en Afrique
sera infmiment plus prompte que I'oeuvre romaine. Aveo
la vapeur la France pent, en dix ans, faire en Afrique ce
qui coutait un siccle i Rome. La Providence a voulu que
la civili^alion chretienne eiit de plus puissants moyens
de propagation que la civilisation paienne. Elle a donne
aux peuples, charges de porter I'unite morale, des oiles
plus rapides qu'aux nations anciennes chargees de porter
I'unite politique. Toutefois, prenons garde aux illusions
en de tels sujets! Les illusions, ces poetiques enchante-
nients de la vie, nesont que des travers ou des faiblesses
d'esprit quand elles s'appliquent aux grandes questions
de I'avenir. 11 y a loin, bien loin de la conquete matj-
rielle d'un pays k sa conquete morale ; h I'une peuvent
suflire les jours et les annees, a I'autre il faut les sieclcs.
On a bicntut fait de saisir le corps du I'lionime. mais I'amo
humaine est bien autrement dilTicile a prendii.
POIJOULAT.
(Exlrail des fitudcs africaines.)
LE SA\PIETRI\0.
Au moment ou le dix-hui-
tieaie siecle finissait, une de
ces commotions tenililes pour
les monarchies partait d'un
point de I'univcrs et al!ait
ebranler toutes les nations. L'l-
talie, qui devait etre bientut
frappee au cODur, semblait a
peine s'apercevoir de I'orage
qui grondait aupres d'cUe ; on
cOt dit qu'elle dormait. Dans
le Piemont, Victor- Amedee III, desespere de I'inferiorite
deses troupes, venait de mourir en laissant la couronne ii
sonfils, Emmanuel IV, que lesPiemontais bonoraient d'une
bienveillanteatfeclion.G^nes, la villeduccumerceeternel,
se mirait paisiblenient dans sa Mediterranee et dans ses
masses d'or. Parme, cette pauvrecite si longtemps iour-
mentee parjes Visconti, les Scaligeri et les Rossi deSan-
Secondo, n'echappant a la tyrannie de ces maitres que
pour tomber entre les mains avides des Estensi, des To-
relli, des Sanvitali, desTerri ou desSforzeschi, puis prise
par Paul HI, qui la donna a Louis Farnese, et enfin pas-
s(5e sous I'autorite de Ferdinand, fils de I'infant don Phi-
lippe, se reposaitun instant deses longuesetdouloureuses
alternatives. Venise, sans oser tourner sa brune tele vers
la France, en agrandissant la puissance dogale avait di-
56
LE SANPIETRINO.
minue celle dcs in;]iiisilours d'felat, et par IJi, faisant un
pcu reluire I'epee de saiiil Marc, die coupait les cour-
roies ensanglantees qui retenaient le poignard au llanc de
scs espions. Ferdinand IV, a Naples, malgre Textrenie pu-
niiriedeses finances, faisait, selonl'expressionde M. Botta,
couler le lleuve de sa royale bienfaisance sur la niallieu-
reuse Calabre, encore fremissante des crises volcaniques
de son sol. Ferdinand III, second fils de Pierre L(5opold,
gagnail I'estime de ses sujets par de bonnes institutions.
Lucques se drapail fiferement dans son aristocratique
manteau. Milan, apres avoir appartenu aux Visconti ct
aux Sforza, vendue par les rois d'Espagne a la niaison
d'Autriclie, el successivement gonvernee par Joseph 1",
Charles VI, Marie-Therese, Joseph II, Leopold II, rece-
vait les deuces lois de Pierre-Leopold. Modene admirait
avec bonheur ses fertiles provinces, laissant a Ilercule III
le soin de la gouverner. La petite republique de Saint-
Martin jouissait de son ind^pendance; Monaco de-
meurait une naine souverainele; et Rome, la vieille
maison dcs C^sars, etait gouverneepar Pie VI, qui luttait
avec une heroique perseverance conire les tendances im-
pies de I'esprit prelendu philosophjque envoye par la
France a loules les nations. Dansce dernier royaunie une
revolution venait d'etre faile: un roi etait mort sur I'e-
chafaud ; le sang coulait; si bien que peu S peu I'ltalie
crut entendre la hache qui frappait sur le billot fatal, et
le canon qui disail ; La victoire ou la mortl — .^lors il y
cut un fremissement general dans lesccEurs, oil restaient
malgre tout quelques goultes de sang remain ; ct quand
NapoK'on eut repousse I'arm^e auslro-sarde, qu'il eut en
triomphaleur parcouru les rues de Milan, de Veroneet de
Mantoue, les Italians se demanderent s'jIs devaientapplau-
dir ou frapper d'anatheme celui qui venait ainsi planter
chez eux un drapeau qu'il disait Stre celui de la liberie.
L'habitant de ces contrees meridionales est toujours ex-
treme dans sfcs opinions comme dans ses croyances; que
ce soitia haine ou I'admiration qui naisse dans sonJmc,
elle y demeure si bien que la mort seule peut Ten arra-
clier. Aussi, h cette epoque d'envahissement par lessol-
dats du directoire, les sentiments du peuple conquis se
dessinerent ; les uns, croyant voir la gloire et I'indepen-
dance dans leur patrie, vouercnt une faiiatique admira-
tion au general corse; les autres, s'apercevant des dilapi-
dations commiscs, et comprenant qu'aprds tout le pays
devenait la proie de I'etranger, repeterent avec une joie
homicide ces terribles paroles : • L'ltalie est le tombeau
des Francais. • — C'esl a I'un dcs effels de ces passions
soudainement allumees que nous devons I'histoire du
sanpietrino Salviati.
Dans une osteria de modesle et honnete apparence du
quartier Saint-Pierre, unedouzaine d'hommes, qu'a leur
costume peu riche il etait facile de reconnailre pour des
plebeiens, buvaient de manitre ^ faire grand plaisir k
rh6te et parlaient assez fort pour lui causer parfois de
gros gestes d'impalience.— C'etaient pour la pluparl des
gens d'Sge raisonnablo, el on efit pu s'etonner de ren-
contrer au milieu d'eux troisou quatre visages imberbes,
«i Ton n'avait reconnu, au silence presque continuel que
gardaientces dernierset ^1 aird'auloriteque les plusSges
prenaient avec eux, une meme societe appartenant a la
mcme profession, dont les jeunes apprenlis ne savaient
qu'obi'ir aux immuables volontes des praticiens.
Le sujet de la conversation, pour ne pas dire de la dis-
cussion, elaitentierement politique. — La nialadiede ces
entretiens exisle chez lous les peuples; pourquov n'exis-
terait elle pas en llalie, et pourquoi n'aurait-elle pas
toujours exisli? — Bonaparte!... le Corse!... I'incen-
diaire!... la France! le saint-pere !... tels elaient les
LE SANPlETtilNO.
."7
sculs mots qu'une oreille altentive out pu saisir au tra-
vels des phrases entrecoupees que Ics assistants laissaieiit
cchapper souvent.
Un homme qui faisait partie du conciliabule se leva,
et d'un geste plein d'une muette i51oquence reclama
la parole et le silence. Oes deux choses elaient diffi-
cjles a ohtenir; mais il faut cioire que pour lui I'asseni-
blee avail une estime et une veneration toute particu-
lieres, car ce qu'il demandait lui fut instanlanement
accorde. — Dieu, commonca-t-il, ait en sa sainle et digne
garde et protection notre saint-pere le pape Pie VI, et
opres, qu'il accorde anos souliails selon sa tres-sage vo-
lonte :
Ce langago, cette maniere d'invocalion prrparatoire a
I'exorJe reveleraient bien des choses il un auditour per-
spicace; nnais n'interrompons pas I'orateur.
— Napoleon vient d'entrer en Italie, il marche vers
Rome ; c'est un malheur pour noire patrie ; mais je vols
un moyen de rangier. Jadis un barbare surnomme le
fleau de Dieu s'avancait vers eetle ville pour la piller el
I'incendier; le. pape futau-devant delui et ne luiadressa
que ces paroles : Au nom dc Dieu , arrctc-tui! et le bar-
bare s'arr^la.
A cette cilation historique, celui qui parlail elcndil le
bras el leva les yeux vers le ciel. — Dans son regard il y
avail autanl de foi qu'il en avail fallu pour accomplir
I'acte encrgique qu'il venail de raconlcr.
Un nouvel crateur se leva :
— Moi, dit-il, je n'ai pas, comme Jeronimo Brimbello,
profile pendant Irente ans des sermons du pere Granelli,
duniinime Gherardo Degli-Angeli, oudemonsignor Dieu-
donne Tuschi, I'eveque deParme; mais j'en sais assez
pour allirmer qu'on n'arreterail Bonaparte qu'avec de
bons canons et deux cent mille baionnelles.
— El moi, dil un Iroisieme, je serais Irfes-fiche qu'on
I'empikhSl d'arriver jusqu'a nous !
— Mauvais ciloyen! Iraitre! carbonaro ! s'ecritrent
presque lous les auditeurs.
— Vous criez centre une parole avant de comprendre
son sens, rcpela celui Ji qui s'etaient adrcssees ces in-
jures; mais qu'une seule explication vous suffise : Ua
fds ne peut pas faire de mal a sa mere, Bonaparte est Ita-
lien I
— II est Italien'. c'est faux, il est Corse !
— II est originaire de Florence, n'est-il pas vrai, Jero-
nimo Brimbello?
Ce dernier, accepte par lous comme juge dans toutes
sortes de questions, parul un instant r^flechir; puis ;
— II estilalien, repondit-il, mais qu'importe?
— Qu'importe! Vous ne comprenez pas le respect
sinon I'amour qu'inspire la patrie! Vous n'admetlez pas
qu'on puisse traverser en conquiirant le pays donl on ne
veut 6tre que le bienfaileur, et vous vouicz que dans un
coeur oil il y a lant de gloire et de genie il y ait aussi la
trahison '
A ces mots prononces d'une voix peu forte, mais ferme
el veritablement enthousiaste, il se fit un mouvemenl de
surprise parmi I'assemblee, et lous les yeux s'arrSlerent
ebahis sur celui qui venail de parler.
C'etail un loul jeune homme a figure pale el allongee,
aux regards vifs et hardis. Ses cheveux elaient noirs
comme ses yeux, et ses cils arques a la milanaise; son
menton rond et blanccommencail i s'ombrer d'un duvet
encore douteux. — II avail vingl ans, — une taille gra-
cieuse, el, comme vous venez de le voir, une sorle A'k~
loquence dans la declamation.
Pendant qu'il avail prononce les paroles qui excitaient
une sensation au sein du petit conciliabule, un nouveau
personnage enveloppe dans un manleau 6tail entre dans
la salle, mais, au lieu de .-e placer du cote oil se traitaienl
les questions de haute politique, il fut s'asseoir dans le
fund a une table assez eloignee. — L'liote seul s'apercut de
I'entree de I'hommeau manleau ets'enipressa d'alleralui.
— Salviati, reprit le vieux Jeronimo Brimbello, de-
puis quand lesjcunes ramiers osenl- ilsvoler duns les airs
plus haul que les vautours?
— Depuis qu'on a coupe les ailes au.-^ vautours, repon-
dit Salviati.
— Quoi ! pauvre enfant, loi qui vis et travailles avec
nous, toi qui n'as recu d'aulre instruction que la noire,
tu veux avoir presque une autre opinion?
— Non, mais un autre gout.
— Que parles-tu d'autres goiits? es-tu propre ;i une
autre profession que celle que tu as embrassee'? n'as-lu
pas ele pendant sept ans, pour ainsi dire, notre elevo'? et
mainlenanl que tu sais un peu aller tout seul, tu reiiierais
tesmaitres! Oil! Salviati , heureusement il n'y a pas de
concurrence possible, et un autre etablissemenl ne peul
t'otTrir le pain journalier que tu gagnes dans celui oil
nous travaillons tons.
— Oui, tout ce que vous diles est vrai... mais ce pain,
avant d'arriver a mon eslomat, s'arrete longtemps sur
mon coeur !
— Que ne bois-lu de I'eau fraiche?
— Oh I ne me raillez pas! Mon Dieu! si vous saviez
tout ce que je soulTie dans ce metier que Ion m'imposj
et que je dois garder par respect el par reconnaissanco
pour I'homme qui m'a servi de pijre! oh! si vousvoyiez
la null, quand je suis bien seul, comment mes yeux se
mouillent de larmes en songeant que moi, moi inconnu
de tous et enchaine dans celle ville, je suis le fils d'un
brave! — Mon peresenommait JeanCarbone! — elc'esl lui
qui, en 1745, ayant a peine alors I'Sge que j'ai aujour-
d'hui, chassa les Autrichiens de Gdncs, el aprcs avoir
ss
LE SANPIETRINO.
commande le mouvement populaire qui les expulsa, c'est
hii qui ditau prince Doria ; . Voilhlos clefs qu'avcc tant de
facilite Vos Seigneuries ont remises h nos ennemis, tichoz
a I'avenir de les mieiix garden, ces clefs que nous avons
recouvrfes au prix de notre sang! ■ Oui, mon pere ii
vingi, ans fit cette memorable action; puis, mourantpau-
^re et ignore dans la Calabre, il me confia a I'homme
miserable qui a fait de moi ce que je suis.
— Un sanpi^ti'ino.
— Oai, je suis sanpietrino!
Et la voix du jeune homme devint aussi triste qu'elle
avail ete animee dans le commencement de son recif. —
II mit sa tele dans ses mains, et, s'appuyant sur la table,
il pleura peut-etre!
Ces liommes etaient tous sanpietrini, et ce nom, pour
peu qu'on melle un pen de bonne volonle ii le compren-
dre, dit ;i lui seul tout le metier. Ce sont les gens em-
ployes a la conservalion de la superbe basilique de Saint-
Pierre. La vie d'un sanpietrino, pour peu qu'il soil
constant, s'c'coule entre ciel et terre. Toiijours suspen-
dus aux cordes ou aux bois des divers agres qui les
maintiennent au-dessus des abimes du dome, ils doivent
avoir I'adresse et I'agililede nos plus intrepidesmalclols.
Des leur enfance, on les accoutume b ne jamais fremir
devant I'epouvantable profondeur qui les separe de la
terre. C'est sur la galerie extericure d'un pourtour, a
cent soixante pieds du pave, qu'ils font les premiers exer-
' ciccs de leur profession. Dans le petit escalier qui conduit
a la boule, entre les deux coupoles, ils font leurs pre-
miers jeux, et sur la frise de I'entablenient interienr ils
cxecutent leurs premiers travaux. Depuis la basejusqu'au
sommet, ils parcourent la coupole inlericurement et exte-
riourement , se Irouvant conlinuellement au moins a
deux cent dix pieds au-dessns des piliers. Aux grandes
solennites, ils placenl de lourdes tapisseries sur les cor-
niches les plus elevees tl leur vie est alors suspendue
pendant des jours entiers a une simple chaine de corde,
quelquefoisji un niinre morceaude bois. Ce sont eux qui,
aux jours de grande solennile, disposent sur la coupole,
sur la facade, et enfin sur les colonnades de la place,
I'illumination la plus eclatante et la plus grande qu'on
j^uisse voir. Trois mille hult cents lanternes dessinent
toutes les lignes des coupoles au premier signal, et au
nord, ces lignes sont coupees horizontalement par six
cent quatre-vingt-dix flambeaux. C'est un de cos metiers
oil I'adresse ne suffit pas, il faut aussi du courage, je
dirai plus, dela lemerite passte h Vital normal. — Mal-
heur au sanpietrino qui aurait oublie de resserrer un cor-
dage, ou de graisser une poulie ! La mort est la pour le
punir horriblement de son oubli.
Les confreres de Salviati Carbone avaient asset mal
compris ce qu'il avait voulu leur dire, lis jelerent sur
lui un regard de compassion, puis ils soitirent tous, cx-
cepte le vieux .leronimo Brimbetto.
— Salviati, dit ce dernier des qu'il se vit seul avcc lui,
tu te laisses egarer par tes illusions; prends garde a ce
mal-la, pauvre enfant! il vous frappe souvent h mort!
— Oui, vous dites vrai, fit lo jeune sanpietrino, et vous
seul, qui Stes bon , savez apaiser cette maladie; all!
voyez-vous, ca gonlle bien le coeur parfois... Mais j'ai
tort, je ne veux plus y songer... Allons, je devrais depuis
deux heures avoir embrasse mon pere adoptif et me voici
encore daoscet'e auber:;e.
— 'Votre pere adoptif, le bon Matteo Turbi, et sa fille,
votre soeur!...
— All! oui, ma soeur I...
Le fils de .lean Carbone prononca ces derniers mots avec
une indiirOronce glaciale. Puis, conime il relevait ses yeux
qu'il avait tonus baisses depuis quelqups instants, il ren-
contra le regard de I'homme au manleau. Ce dernier
n'occupait plus la place qu'il avait choisie dans le fonJ
de la salle, 'et sans que .leronimo ni I'hole s'en fussent
apercus, il jeta un petit papier au jeune homme. — Puis
il sortiten se ployant dans les plis de drap qui ruisselaieut
sur ses epaules.
Salviati avait trouve quelque chose d'etrange dans le
regard de cet inconnu ; son etonnement ne put que s'ac-
croilre a la vue du billet qu'il lui avaitjcte, el je renonco-
a peindre sa surprise lorsque, b force de precautions, H
parvint, sans que Jeronimo put rien soupconncr, a liro
ces mots traces au crayon :
• Ce snir, a onze heures, au monle Pincin, snus leporclie
dc la Trinilc des Monls. »
II venait de cacher ce mysterieux ecrit, lorsqu'un
homme aux cheveux gris penetra dans Tosteria et, se di-
rigeant vers lui, s'ecria :
— He bien, Salviati?
— Je me suis oublie, mon pere.
— .le lui faisais un pea de morale, dit .k'roninio en
frappant dans la main de Matteo Turbi.
— Pauvre enfant! s'il savait combien nous I'aimons, il
n'en aurait jamais besoin... Mais, viens done, Salviati!
Ils sortirent tous trois. Arrives sur le seuil de la porte,
une jeune fille, que I'obseuritS empcchait de voir, ac-
courut au devant du reveur sanpietrino.
— Enfin, vous voici, mon frere I vous meriteriez que
jo ne vous dise pas un mot pour avoir ainsi passe votre
soiree dans ce vilain endroit.
.4i)ri>s avoir prononce sa petite boutade avec une moue
charmante, elle attendit un mot, une excuse, une reponse
au moins. — Salviati, en proie a une profonde preoccu-
pation, detourna la tete, absolument comme s'il n'eut pas
entendu.
— Mon pere, adressa-t-elle ci Matteo Turbi, voyez done
comme il est triste, toujours triste!
Le vieillard hocha la tete en regardant Salviati.
— Ahljene serai jamais gail murmura le jeune homme
en essuyant une larnie.
Jeronimo dit bonsoir b la famiUe Turbi. — Et Salviati
Carbone, sans prononcer une parole, suivit son pere et
sa sceur d'adoplion.
C'elait dans le faubourg Traslevero quo demeurait
Matteo Turbi. II occupait une pelite maisun, presque une
chaiimierp, et avec le peu qu'il gagnait comme batelier
sur le Tibre, il se fit trouve heureux si Salviati, par son
caractere sombre et mysterieuse.-nent taeiturne, n'eOit
trouble ses esperances et ses ri^ves de boiilieur.
Ils cntierent done tous trois dans cette n aisonnette, et
la jeune fi'le, ayant allume une modeste lanipe, vint la
placer sur uno table oil trois couverts, proprement eia-
les sur une nappe blanche, indiquaient I'heure du repas.
LE SANPIETRINO.
59
Cliacun pril un-.siege. — A la faiblc lueur de la lampe
nous poiwons mainlenant regaider les deux personnages
i]ue nous ne connaissons que de nom.
MatteoTuibi elait vieux, nous I'avonsdit ; il avail des
clieveux gris.quelquesridescouraientsur son from, sui van t
les differentes impressions qu'oxprimait sa pliysionomie;
ses joues n'etaient pas revelues de ce coloris de force et
de sante qui semble stereotype sup les faces prolelaircs ;
an contraire, une teinte assez pile indiquait quolquo fai-
blesse de temperament, ou plulot une l'iitij;»e prcsqnc
maladivc, caus(5e par un travail long et peniblc. Nean-
moifis, II y avail sur ses trails un air de douceur et do
bonte inalterable.
Virginia, sa fille, qu'il avail surnommce A'irgo el que
nous continuerons a nomnier ainsi , par respect pour le
caprice paternel, elait au moins jolie. Son front tanl soil
peu bruni par une indiscretion du soleil, ses joues lege-
rement purpurines, ses dents blanches bien encadrces
dans ses levres de corail, la disaienl Italienne ; mais une
bizarrerie de nature s'etail plu in lui donner deux types,
car son nez decrivait une ligne prcsque droile avec son
front, et son menton, aussi parfaitement arrondi qu'un
ovale geometrique, reclamait pour la Grece la gloire
d'une aussi charmante creation. Je ne vous ai pas parii
desesyeux; ils etaient noirs certainement ; — mais
ce qui fait mal a dire, c'est qu'en ce moment ils avaient
un petit cadre rouge qui indiquait que des larmes les
avaient mouilles.
Un silence parfait regnail au sein de celle innocente
famillo. Matleo Turbi regardail Salviali, puis sa fille.
Parfois il arrivait qu'apres s'clre arr^tes en m6m»
temps sur le sanpi^trino, les yeux de la jeune fille et
du pere se renconlraient, et alors, si Ton eiit pu lire
dans leur occur, on aurait vu la m6me pensee. — Sal-
viali ne detachail point ses regards de la nap[ e qui
s'etalail devant lui; seulement, immobde par moments,
il scmblait se prefer tout enlierasa conlinuelle preoccu-
pation, ou bien, la main dans son vetement, il froissait
avec inquietude le billet que lui avail remis le niysli'-
lieux inconnu.
Malleo cherchait un ingenieux moyen de rompre la
monolonie de ce silence. II n'en trouva aucun ; alors sa
parole dul franchenn nt exprimer sa pensee :
— Salviali, dit il, ne vois-lu pas que tu nous allrisles
lie la trislesse et que ton silence nous fait mal?
Le sanpietrino releva la iSte. Ce reproche, fail avec
line anpelique douceur , venait de frappor vivement son
extreme sensibilile. — 11 vit une larme dans les yeux de
Virgo et une douleur reelle sur les traits du vieux Turbi.
Sa trislesse el sa pr(5occupalion, quoique presque ind^-
pendanlesdesa volonte, lui semblerent une faute d'autant
plus grave qu'elle avail trouble le repos de sa famille
adoptive. »
— Ob! s'ecria-t-d, pret a fondre en larmes, mon pere,
Virgo, pardonnez-moi ! — Je vous donnedespeines et des
inquietudes, a vous qui m'avez donne du pain et I'liospi-
lalile! .le n'ai que de I'ingratilude pour vous qui avez eu
pour moi lant d'amilie! Oh! c'est afl'reux ! voyez-vous,
il faul que je sois fou ! car uii homme en etat de bon sens
ne se comporterait pas comme je le fais depuis deux ans.
— iMiin pere, ma sceur, pardonncz a un malheureux !
Et le sanpietrino sc jela aiix genoux de Malleo Turbi.
-^Mun fils! fit le vieillard en le relevant , dune simple
observation lu veux faire un reproche, et quand je t'accuse
dune velleite, lu veux I'accuser d'un crime! mon enfant,
ne pleure pas ainsi.
Salviali cclatail en sanglots.
Virgo s'etail levee, el prenant un des bras du jeune
homme :
— Man fiere, s'ecria-l-clle, mon bon frere, qu'as-tu
done?
Et la pauvre enfant fit un cITort, pour, elle aussi, em-
peclier son emotion d'eclater en sanglots.
— Oh! lenez, reprit Salviali, je suis un miserable, je
ne sais quel demon est enlre dans mon ciEur ; mais lorsque
je devrais ^Ire heureux de la modeste profession que par
vos soiiis on m'a donnce k Saint-Pierre, lorsque par mon
amitie pour vous tous je devrais vous payer du bien que
vous m'avez fail, eh bien ! il me vienl dans I'ame des
pensees maudilcs. Je m(i figure que mon p6re, Jean Car-
bone, doit, du haul des cieux, voir avec douleur son fils
devenu sanpietrino, et il me semble qu'une force irresis-
tible m'appelle sur uu champ de bataille, le sabre k la
main ou le m ousquel sur I'epaule, vers la gloire, la gloire,
cette deite sublime qui devient alors I'unique soleil de
ma \ ie !
— Salviali, lu nous quitterais done ?
— Tu oublierais ton vieux Matleo Turbi?
— Tu ne voudrais plus penser a la petite Virgo?
— Et quand je mourrais, tu ne serais pas au cbevet de
mon lit!
— El un jour, moi je courrai seule par les rues de
Home I
— Ah ! ne me parlez pas ainsi ! non, non, ce n'est pas
possible ! Je n'ecouterai jamais ces maudites illusions, je
suis sanpietrino elje resterai sanpietrino.
— Ne dois-tu pas, reprit Matleo Turbi en radoucissant
sa voix, devenir un jour le mari de Virgo?
Virgo laissa lorober le bras de Salviali qu'elle serrait
dans ses mains, et un mouvemenl de pudour inclina sa
tele vers la terre.
— Oui! prononca le fils de .lean Carbone , nous nous
marierons et nous vivrons heureux.
— Aliens! il revient a lui. Pardonnons-lui ses distrac-
tions, et pour le lui prouver embrassons-le.
Et ils ^changerent tous Irois le saint baiser de la recon-
ciliation.
— Puisque nous voici revenus h la gaiele, je vais vous
center quclque hisloire, n'est-ce pas, Virgo? dil le vieux
Turbi.
La jeune fille sautail de joie.
— Oh! fit Salviali, si vous voulez me donner un mo-
ment de consolation, raconlez-moi cette epouvantable ca-
tastrophe qui vit mourir mon pauvre pere.
— Mais c'est trop trislel s'ecria Virgo dejh alarmee.
— Cela seul a le privilege de me charmer.
— Mon Dieu! mon Dieu! que je suis malheureuse;
pour faire plaisir a mon futur mari, il faudralui faire de
la peine !
— Non , une derniere fois, racontez-nous cela , mon
bon Matleo, et puis jamais plus nous n'en reparlerons.
— 11 le veut , murmura celui-ci; allons, Virgo: la
femme doit obeissance a son mari.
Le vieux batolier, apres avoir rappel^ ses souvenirs par
un instant de reflexion, commenca son recil ;
— Jai ele temoin des evenemenls que je vais ruconter;
GO
LE SANPIETRINO.
aussi, qiielque surpronants qu'ils soient, croycz que ma
parole ne pent Ics f;iire qu'au-dessous de leur effroyable
realite. — Cetoit en 1788, j'habilaisla pclile ville de Mi-
lelo et ma maison tnuclinit celle de nioii augusle ami
Jean Carbone ; il etailvenu habileria Cahbre pour vivre
liiin de sa patrie, qui n'avait ete qu'ingrate envers lui.
Vous etiez bien jeunes lous deux; loi, Virgo, tu parlais ^
peine, et toi, Salviati, quand tu te dressais bien, la l6le
depassait celle d'un chevreau. — L'ete de 1782 avail eu
des chaleurs lorrides; I'hiver, comme I'automne, vil
tombertantde pluiequ'une inondalion ccuvritles plaines,
et alors bien des amis et des parents separes par leseaux
ne devaicnl plus se revoir sur la terre. J'ai oui dire que
le moisde fevrier avail loujoursete fatal ;'i quelque partie
du monde. C'esl pendant ce mois qu'Herrulanum el Pom-
pei furenl ensevelies sous les laves du Vcsuve. En Sicile,
la ville de Catane, qui s'etait tanl de fois reconstruile
apresavoircte si souvent renversoe par de^ Iremblemenls
de Icrre, fill encore delruile au mois de fevrier. Nous
vimes se lever le cinquieme jour de ce mois funeste; le
ciel (ilait beau, il faisait presque froid ; lout a coup, vers
le milieu du jour, les animaux se prirenl i pousser des
cris extraordinaires ; leur instinct venail de deviner la
calamite qui allait fondre sur le pays. Les chiens don-
naienl un hurlcmenl long el conlinuel ; les chevaux hen-
nissaienl el se cachaienl avec frayeur; les chats, le poil
herisse, I'oBil injecte de sang, gontlaienl leur dos en joi-
gnanl leurs qualre pattes, comme si un ennemi terrible
les avail menaces. Les abeilles s'agitaient inquietes et
Iroublees; on vil m6me un sanglier saisi de terreur se
prfecipitcr du liaul d'un rocber. — Un bruit semblable a
celui de la foudre grondail dans les entrailles de la terre,
et bienldt on ciit dit que d'immenses calaractes brisaient
les masses de granil ou tombaienl du haul des montagnes;
Vuu de MileLO.
la mer rendait un mugissemenl plus epouvanlable encore,
el le peuple de la Calabre, les bras tendus vers le ciel,
implorait la misericorde de Dieu. En ce moment il n'y
avail plus ni fortunes ni rangs ; les meres emportaient leurs
enfanls dans leurs bras; les hommes, leurs vieux peres, el
tout le monde s'arrelailau milieu des plaines, prevoyanl
que les viUes allaienl s'ecrouler. — En effet, en moins de
vingt secondes, cent villes ou bourgs ne purenl resister
au dechirement de la terre. II y eul sur le sol des mouve-
ments si ternbles que Ton ne pouvail rester debout. Tan-
tot on eul dit que le globe so retournail sur lui-m6me,
tantot on fremissait d'horreur en le voyant s'entr'ouvrir
en abimes hideux. — Monteleone venail de disparaitre !
Parghilia avail vu lous ses Edifices s'ecrouler en ecrasanl
ses mallieureux habitants; dans la petite ville de Miloto, a
peine si deux maisons restaienl encore debout. Le bourg
de Poleplene avail broy6 deux mille personnes en se ren-
versant de fond eu comble, el d'un couvent de religieuses
une oclogenaire seule s'etait sauvce. — Tout cela, je I'ai
dit, etail arrive eu moins de vingt secondes. — Alors on
enlendit parlout une clameur de delresse el de supplica-
tions, lei, sous des murs prets & lomber, une mere tenait
ses deux enfanls contre son sein; la, un vieillard porlail
sa vieille epou.se dans ses bras el il ne pouvail avancer ni
rcculer, car aulour de lui la terre avail ouvert une fis-
sure qui vomissait de la boue el du feu. — Les citoycns
qui n'avaient pas ete lues ou blcses durenl chercher a
sauver quelques viclimes. Ton pcre Jean Carbone, tou-
jours brave et audacieux, vinl a moi te conduisanl par la
main: « Tiens , me dit-il , garde nos enfanls, tandis
queje vais sauver quelques malheureUx! — Je lui ob-
jeclai que moi aussi je voulais concourir a une ceuvre si
LA FREGATE L'URANIE.
61
sainte. — Et nos enfanls, s'ecria-l-ill — Je vous prcssais
tous deux sur mon occur, il vousembrassa, etau moment
de vous quitter pour ne plus vous revoir : Matleo, me
ciit-il, si je meurs, ale pitie de mon fils! ct il partit en
faisant un signe de croix. — Une lieure apres, en voulant
arracher un vieillard a la mort, ilfut i'crase par I'ebou-
lement d'une muraille.
Le vieux batelier suspendit un instant son recit pour
accorder quelques larmes a la memoiie de son ami. Sal-
viati et Virgo pleuraient aussi.
— A cole de Mileto s'elevait lecouventde Saint-felienne
del Bosco; les cliarlreux qui j'liabilaient s'i'taient fait
aimer de tout le pays par leur inlarissable bienfaisance.
La catastrophe ducinq fevrier renversa la maison ; mais
ils s'etaient refugies au milieu de leur grande cour, et
ainsisauves, ils mouraient de faim, bloquespar les ruines.
Deux ou trois jours apres, le bruit se repandit qii'on avail
enlendu leurs oris, qu'ils n'etaient pas morls; alors quel-
ques citoyens se devouerent; au travers des dangers les
plus grands on put leur apporter des vivres et les sous-
traire a leur cruelle destinee. Parghilia n'etait peuplee que
de femmes, de vieillards, d'enfants, car tous les habitants
valides exercent le metier de terrassier, et, suivant leur
usage, ils ^laient partis pour la France, I'Espagne ou I'Al-
leraagne, d'ou ils ne devaient revenir qu'a la fin de I'au-
lomne. Les malheureuses Parghiliennes ne pouvaient ni
deblayer les rues de lour ville, ni eiiterrer les cadavies
qu'on trouvait sous chaque monceau de debris. On leur
prodigua les premiers secours. Beaucoup d'enire elles
etaient devenues folles el couraient les cheveux epars en
demandant leurs peres ou leurs nourrissons.
Le 7 fevrier, il y put un nouveau tremblement de lerre,
et cette fois les habitants de cet horrible pays ne pou^
vaient plus reconnaitre le sol, tant les sentiers, les
routes et les cheniins avaient ete bouleverses. Une viUa-
geoise, agee de neuf ans, fut surprise au milieu des
champs par la seconde catastrophe: la pauvre enfant ne
savait oil porter ses pas, elle ne voyait que precipices
ou dechiremenls de la terre ; ellepleurait etlevait vers le
ciel ses deux petiles mains, lorsqu'elle vil venir h elle une
chevrequi se prit^b^ler. L'animal avail reconnu lenfanl,
carc'elait la chevre dela maison. Hegardant la petite fille,
elle semblait lui dire : Suis-moi. Celle-ci compril et fut
asscz heureuse pour ^tre conduite chez son pere, oil deja
Ton pleurait sa mort. A Jerocarne, un carme nonime
Agazio avail cherche le salut dans la fuite; mais un do
ses pieds resla pris dans une crevasse qui se referma, et
ses oris ne pouvaient etre enteiidus de personne ; un
nouveau tremblement rouvrit la crevasse et lui rendit
ainsi la liberie et la vie. Je ne finirais pas aujonrd'hui si
je devais vous repeter tous les evenements que j'cntendis
raconler a la suite de ces malheurs inouYs.
Salviali ne voulait entendre que ce qui avail rapport a
son pauvre pere.
II se fit un instant de silence, apres quoi le vieux Mat-
leo chercha par une conversation moins Irisle h egoyer
un peu ses enfants ; puis, conime il se faisait lard, chactin
moRta dans sa petite chambre.
Quand le jeune sanpietrino se vit seul, il prit le billet
qui lui avail ete remis dans I'osteria, il y sttacha long-
temps son regard. L'horloge de Santa-Maria-in-Traste-
vere sonna; il se leva, hesita un instant, puis :
— Oh I dit-il, je veux seulement savoir ce que ce per-
sonnage pent vouloir de moi et je reviendrai. Je vais des-
cendre par la fenetre dont I'auvenl ne ferme pas ; a mon
relour je rentrerai par le m^me endroit, sans que Matloo
se doute quo je suis sorli. Aliens.
Sahiati III tout ce qu'il veiiait de dire; mais au mo-
ment oil il referniait I'auveiit de la fenetre, il lui sembla
entendre du bruit dans la maison. II s'arrela comme s'il
eiit commis un crime. Puis, n'entendanl plus rien, il se
dirigea vero le monle Pincio.
Joel.
SCEAES, RECITS ET AVEXTLRES DE LA VIE llARITlilE.
XA FRXGATE I.'DRANIE ■.
II.
C'est \k aussi qu'il faut entendre les interminables
recils de voyages, de combats, de naufrages, d'evene-
ments de mer si varies el si dramatiques; rinterSt y est
toujours soutenu ; maislorsque les imaginations s'echauf-
fent, la verile y recoit de cruelles cntorses. De la le nom
significatif de ce forum maritime.
Acelteepoque, VUrunie, magnifiquefrcgatedesoixanle
pieces, etait encore sur leehantierdeRecouvrance presdes
belles cales couvertes ^ ou d'autres vaisseaux se trouvaienl
a des degres plus ou moins avancfc.
I Voir 1. II, p. 286.
5 line c.ile coiiverte csl une vasle ncf au-de?siis d'une ca'e inclinoe;
'l-'iiDrmes coloiine:, L'lcii;;nccs de 70 3 80 pivdi rune dc I'aulre, soulienncnt
line loiture hemispliericiue qui s'elive aisez liaut pour laisser I'air ct le jour y
ponelrcr, louleii garantisiant de: cllels de i'intcnipcric 'c navire cu coustruclion.
J'avais vu poser la quille et la fausse quille, I'elrave
qui se courbait gracieusement a I'avant, retambut qui
s'elevait a I'arriere oil se place le gouvernail; puis les
membres recourbes qui faisaient ressembler la fregale ;'i
un grand squelette avant que les bordages ne fiissenl
veiius s'y joindre, ne laissant de vide^ que les sabords
prets a recevoir ies canons.
Man pere me fit meme etudier les dilferentes qualites
des bois de construction, suivant qu'ils avaient ele con-
serves sous des hangars, en plein air, ou dans la vas&
rccouverle d'eau. Cette etude etait indispensiiMe ; insi
que la connaissance du chanvre,et meniedu fer qui joue
aujourd'hui un si grand role dans la marine.
Je n'ai jamais cprouve un intcr^t plus vif et plus ;Cu-
62
LA FUEGATE LURANIE.
tenu qu'a suivre tous les details de celte fregate que je
devais luouter, el i laquelle moii existence semblait s'i-
dentitier.
Eofin, les travaux ayant etc pousses avec une grande
activite, lu fregate se trouva termiiiee ct a meme d'etre
lancie pendant une gr.inde mareed'autant plus favorable
qu'il etait a presumer que levent, soufflant du largo, con-
linuerait et la rendrait extraordinaire.
Tandis que I'on travaillait a I'exterieur, les menui-
siers preparaient les emmenagements interieurs ; on
voyaitse dessiner, la cliambre du commandant, le carre
des officiers ; les soutes' ^ pain, iicliarbuu, ^voiles ; celles
des maitres^ la fosse aux lions', la fosse aux Ccibles, la
cambuse et la sainte-barbe pj^te a recevoir les poudres.
La scie, le rabot etla verloppe agissaient au dedans, et le
long nijrteau des calfats'repondaiti leurs bruits, par mille
coups destines a presser les bordages de maniere ^ faire
du navire un tout homogene comme une seule piece de
bois.
L'ing6nieur etait fier de sonceuvre et il avait raisonde
I'etre, carle gabaritdcsa fregate etaitun raodelede bonne
facon. Deja les vieux officiers de marine et les matelots
dissertaient de ses qualites futures ou de ses defauts
presumes. Sera-t-elle bonne marcheuse ? obeira-tellebien
a la voile et au gouvernail dans les virements de bord?
fendra-t elle bien la lame ? quel sera son tirant d'eau?
etc., et cent autres questions qui etaient postes, com-
baltues ou resolues souventavec temerite; car la mature.
Biitimetit cii reparalioD.
la voilure et I'arrimagc exercenl aussi une grande in-
fluence sur les qualites d'un navire. On a vuun vaisseau,
mediocre marcheur sous un capitaine, prendre plus d'ac-
tivite sous un autre qui decouvrait la cause de cetto
Ifinteur et la faisait disparaitre.
Les pr^paratifs curieux de la mise b I'eau furent faits
avec une extreme activite.
1 Cases en menuiscrie pour niellre le pain, le Liseiiit, tes voiles, etc.
i Muttrit. — On connait sous le iiom de maislcance les niuitrus culfals,
tanonnicr, d' equipage, voilier, etiarpenliers, etf., el aiHsi le capitaine d'artnes
soiia-orricier t\n\ a soin des amies et qui est le commissaire de police du bord.
S Foeie aux iiona, cacliol oil on met ]«^ 1 o isine^ r ca'< I'ranls.
On Hablit sur le plan incline de la calle de construction
un appareil en cliarpente et en cordage, nomme her ou
berccau, qui devait glisser et emporler amsi la frtigate a
I'eau sans qu'elle perdit sa position perpendiculalre. II
consistait a placer dans la longneur de la quille une
piece de bois nommee coijtte et puis des pieces verticales
nommees colombiers et ventrier.s. — La clef debout, les
saisines et une s^rie de cordages roidis, Irop longs k decrire,
se joignirent k cat 6chafaudage pour maintenir la frigate
4 Calfitf, ouvriers qui cli.iulTenl le navire,
enloncent retonpe dans les coulurei.
surveillent Ici Toics d'eau ct
LA FREGATE LURAME.
65
alaquclle on enlevasuccossivement, avec des precautions
infinies, les supports qui la soutenaient.
Cetle delicate operation etant terniinee, des ouvriers
armes de longs pinceaux, frotlerenl de suif fondu toutes
les rainuresetles parties de I'appareil dont on passa I'in-
speclion la plus niinutieuse.
Le lendemnin, jour de K-te et de trioraphe, le soleil se
levant radioux dissipa la brume qui pesait sur la ville et
la rade, comme un lourd voile gris. On avail craint la
pluie, mais le ciel nous favorisa.
Des le matin le rappel retentissait dans les casernes
de la marine, les officiers en grande tenue circulaient
dans les rues; les dames dans leurs plus brillants atours
se dirigeaient vers la grille du port; les ouvriers aussi
avaient leurs habits de fete, la joie brillait sur toutes
les figures. C'est qu'il y avail dans la mise ii I'eau d'une
belle fregate, plus qu'un interet de curiosite ; tous eprou-
vaient aussi un sentiment de fierte nalionale en faveur de
notre belle marine.
Les abords de t'l'ranie ayant ele d^barrass^s de lout
f e qui pouvail faire obstacle el gener les manoeuvres, on
avail erige un amphitheatre pour les autorites maritimes
€t les personnes invitees; d'un autre cole les quais etaient
converts d'une foule mobile, agitee, bruyanle, landis que,
cent embarcations diverses, ornees de drapeaux flotlants
fendaienl les eaux calmes du port etoffraienl le spectacle
le plus anime et le plus pitloresque. La Iregate, veritable
geant, dominait toute cette scfene etl'on pouvail juger de
ses formes elegantes etgracieuses. Deux immenses pavil-
ions, developpes par la brise i sa proue el h sa poupe,
monlraient avec orgueil les couleurs de la France.
Bienlot la mar^e etant arrivee au plein, le bruit du
tambour et de la musique mdilaire cessent de reteotir;
cette fouli-', tout a I'heure si agitee, se calme comme
par cnchantement ; on eilt enlendu le fremissemenl d'une
feuille agitee par un vent leger. C'est que le monienl
soleimel approche el tous les ca'urs sont emus des
mcmes crainles et des memes esperances. Le porte-voix
fait entendre un commandemenl que repelenl les echos
du port, et le bruit sourd des masses annonce que I'ordre
est execute ; quelques pieces de bois tombenl avec fracas,
de nouveaux commandemenis se succedenl precis, impe-
rieux et aussitot executes. Tous les yeux sonl fixes sur
I'enorme masse : lout a coup on croit la voir s'ebranler,
un cri longlemps comprime s'echappe de la foule; la fre-
gate marcheen effet.lenlement d'abord, puis avec rapidite,
entrainant et renversanl tousles obstacles dans sa course.
En moms dune seconde , elle s'elance dans la mer, sa
preceinte fend lesvagues, laissant a sa suite un long sil-
lage, elle se balance gracieusement sur les llots donl elle
semble prendre possession et dont elle augmenle I'agita-
tion ; sans les cables de relenue elle irait se briser contre
le quai oppose.
Plusieurs fois deja, lemoin de cet imposant spectacle
jamais il ne m'avait aussi vivemeatimpressionne que dans
cette circonslance.
Ce beau navire en effet allail voir mes premiers pas
dans la cairiere maritime; je devais affronter avec lui
les tenipfeles de I'Ocean , les calmes souvent plus dange-
reux encore , peut-i^tre aussi les chances de la guerre et
visiter des contrees lointaines dont j'avais entendu tant
de recits eblouissants.
/-'(>ani'c,ayantetelancce, fulimmediatementconduite
sous la niAture pour y recevoir ses bas mils ; alors on put
voir cette coque svelte et gracieuse qui annoneail la reine
des mers ; un de ces beaux vaisseaux enfin, que les An-
glais semblent douer de sentiment el d'intelligence en les
nommant a man of ll'ar.
Quelle difference des formes coquettes d'une fregate
aveccelles des galiotes hoUandaises pesanles elcarrees;
desbalaourds prussiens, des chasse marees el dogres, y6-
ritablesportefaixde la mer, qui, lourds etsans graces, ont
toujours I'air essouffles sous leur charge pesante, el plon-
gent peniblemenl dans la mer leurs faces barhouiUees de
galipot.
Cependant, le commerce possede parfois de jolis navi-
res; lels que les trois-mals de Bordeaux et du Havre, les
somptueux paquebots americains, les briks elegants el
les fines got'letles. Je dois le dire , car il faut rendre jus-
lice il loul le monde.
La fregate n'i:tait pas encore lancee que le comman-
dant s'occupait avec un soin tout particulier de la com-
position de son equipage, el il etait merveilleusement
seconde par le commissaire des classes qu'il complait au
nombre de ses amis intimes. II recherchail autant que
possible les maitres etniatelots ^prouves, vigoureux, in-
gambes. II voulail enfin un equipage d' elite.
Au nombre des maitres engages pouria campagne, nion
pere vil avec plaisir Pierre Raban, surnommc pere Gar-
celte; ce vieux loup de mer avail longlemps navigue
sous ses ordres et lui avail voue une affection toute parti-
culiere. Maitre Raban venait de debarquer depuis pen de
mois, apresavoir faitun voyage de circumnavigation; il
n'en fut pas moins empresse de s'embarquer de nouveau-
car il s'ennuyait morlellementa terre.apres Irois moisde
sejour auConquet, son pays natal; sejour pendant lequel
il courait la grande bordee , c'est-Ji-dire qui etail em-
ploye a visiter tous les cabarets du pays et des envi-
rons.
Slaitre Raban etait un matelot de la vieille roche, avec
tous les defauts el toutes les qualiles qui distinguenl ces
braves gens ; c'elait le type de I'insouciance et de la pro-
digalile, mais il etait brave jusqa'a la temerite, honnete
el ami devoue. Grossier dans ses habitudes et dans son
langage, loutcherlui sentait le goudron. £tanl mousse, il
navigua dans I'lnde avec le celebre capitaine Surcouff' ;
plus tard il fut prisonnier sur les pontons de I'Angleterre,
aussi avait-il pour les .4nglais unehaine vigoureuse ^ga-
leeseulement par celle qu'il portaitaux bateaux a vapeur.
Un pareil homnie etait un guide precieus pour moi, el
j'ai tenu i vous le faire connaitre parce que je lui dois
plusieurs des recits que je vous transmettrai.
Olivier le Gall.
I Pameiix capitaine Ac corsairc dc Sainl-Malo, qui fut la icrreur du cam-
merce aoglai, pendant Icj gucrres de I'Empire.
ot
TABLETTES PARISIENNES.
TABIETTES PARISIEl'ES.
I 'ouverlure ties cham-
bres et Ics bals du
monde constituent le
principal element de
la clironiqne du iiois
dernier. — Les salons
de madame DucliStel
etde madame de Ram-
buteau sont parlicii-
lierement rccberches,
a cause de I'amenite
;j;racieuse et del'esprit
eharniant qui y pre-
sident. — Au dernier
bal Aonnk par la du-
chesse de Galiera, un
LOmmcncement d incendie est venu jeter le trouble au
milieu des quadrilles; un instant on a pu croire a une
calastrophe; par bonheur il n'en a ricn cle ; et quelques
robe.s froissecs, quelques bijoux perdus, lei est seulcmcnt
le rcsullat de cetle panique.
La diplomatic est tout entiere acquise aux fetes de
M. le prince de Ligne, — absolument comme les beaux
noms de la science et de la litlcrature se donnent rendez-
vous aux soirees de M. de Salvandy. Parnii les holes ha-
bituels et alTectionn^s du ministre de I'inslruclion publi-
(]ues, nous devons citer M. Ponsard en premiere ligne. -r-
MM. Victor Hugo, de Lacrelelle et Augustin Tliierry ri'u-
nissenl ^galenient une fois par seinaine I'eiite des homnies
d'art et de poesie. Lepere des Burgraves a lu I'aulre jour
une piece de vers inedile sur les harmonies de la cam-
pagne. Inutile de dire si I'on abattu des mains.
A I'Academie, nous avons eu la reception de M. Ch.
deRemusat, — ^ homme de politique, de philosophic etde
lilterature ; esprit grave el superieur, appele au fauleuil
de Royer-Collard. Le discours du noble recipiendaire est
digne d'etre remarqu^, et il a ete vivement applaudi. —
Mainlenant les trente-neuf immortels s'occupent a cher-
eher un successeura M. de Jouy. L'opinion publique ap-
pelle de tons ses vopux M. de Balzac, M. Alfred de Musset
ou M. .lanin.
Pendant ce temps, la mortfaitsa moisson d'hiver; deux
ecrivains s'en sont alles, a peu de jours d'inlervalle I'un
de I'aulre. Ce sont M. Theodose Burette et M. Jacques
Chaudesaigues, un historien et un critique. — Des voix
eloquenles sc sont fait entendre sur leur fosse et ont pro-
nonce quelques paroles pleines d'un regret bien senti.
Un monument par souscription doit i'lre uleve a iM. Th.
Burelte.
Le monde des rrtisles se lieil dans une sphere plus
discrete, ou il faut aller chercher les nouvelles pour les
savoir. — M. Eugene Delacroix termine en ce moment
une tele de Christ pour le prochain salon. — On parle
aussi d'un superbe buste de Saint-Just, par David d'.An-
gers. — L'autre semaine, M. Guizot a recu de la reine
d'Espagne une toile de Murillo, reprcsenlant saint Jean
Baplisle. .4u-de.ssous sont ecrits ces mots : « Offert h
M. Guizot, ministre des affaires ^trangcres de France, par
S. il. C. dona L«abella secunda.. •
On vient de frapper,a I'liotcl desMonnaics, unemedaille
grand module, destinee a Stre dclivree en ri'compense aux
ciloyens dont le zele s'est le plus manifeste lors des re-
centes inondalions. — D'un cote, on voit la Charite ve-
nant au secours d'une pauvre femme ensevelie sous des
decombres, avec celle inscription : o SecouEs apportfs
aux inondes de la Loire, 1846. » — Le rovers porte, au
milieu, dans un cercle d'eloiles : « Honneur et reconnais-
sance. » Puis alentour : «.4u courageux devouement, aux
sympathies genereuses. » — Cetle medaille est une desplus
belles qui soient sorties depuis longtcmps des ateliers de
la Monnaie.
Le premier concert du Conservatoire a eu lieu vers le
milieu du mois. Haydn, Mendelssohn, Beethoven, Jomelli,
Weber et tout le cortege des grands niailres, ont fait les
frais de cette soiree, ou le violon de AL Alard et la voix
de M. Alexis Dupont ont ete parliculierement applaudis.
— Les choeurs sont en voiede progres. — II y avail la
I'elile des amateurs el des gens du monde; on eiil dil
une representation aux Italiens, et des plus brillantes, je
vous assure.
Apres Robert Uruce, ce pastiche de la Dame du Lac,
el dont aujourd'hui on ne parle presque plus, un nou-
veau compositeur s'est revel(5 d'une heureuse facon a
rOpi-'raComique. — Nc louchez pas a la Heine parlage
aujourd'hui avec Gibby In Corneimisc les sympathies du
public. Le succes de I'un vaut le succes de l'autre.
M. Boisselol n'a rien a envier a M. Clapisson. — Quel-
ques niorceaux de celte partition nelarderont pas a deve-
nir populaires, entre autres un bolero d'une couleur
excessivement coquette, el un duo ravissanl qui se Irouve,
je crois, au deuxiijme acte. Le debut de M. Boisselol est
un evenemenl, par ce temps de pclites romances et de
barcarolles (|ui lapissenl plus que jamais les vilres des
marchands d'harmonie.
La science a applaudi ces jours derniers a la nomina-
tion deM. Leironne comme direclcur de I'i'role des Char-
les. — La France entiere applaudira a la petition que so
propose de deposer a la chambre la Socict(5 des gens de
lellres, pour reclamer I'achevemenl du Louvre.
Pail Sebv.ms.
Typographic Lacrampb fils el Cf, rue DamleUc, 2.
BP.n !SH
MOSFLV,
7 ACG J!)
NATURAL
HISTORY.
UN Ai\ A PARIS
ii 1
Inltneui d'lin rt;>l,iuranl.
111.
Un dcs spectacles les plus
attrayanls pour nioi , dans
nion enfancc, — lorsque \e-
nait a passer une menagerie
furaine, — c'elait d'assister
au repas des animaux. Ce
plaisir, dont j'etais privfi de-
puis qnelque temps, je viens
d'en relrouver la sensation
en voyant Paris a table. Una
[lage ou deux, ce n'est pas
trop pour retracerun tableau
si digne d'altenlion. Avant
de dire comment noire beros
pense et parle, lai?sez-moi
done vous dire de quelle ma-
niere il mange, — quoique rien ne soil moins romanes-
que, assurement. Mais c'est de I'hisloire que nous avons
la pretention d'ecrire.
II y a quatre facons de manger : — chez soi, — chez
les autres, — dans les restaurants, — dans la rue. Si Ton
m'en trouve une cinquieme, on sera bien avis^. — Gene-
ralement parlant, on se nourrit moins bien a Paris que
partout aiileurs. Cela depend de plusieurs causes. Les
uns n'ont pas le temps ; les autres n'ont pas les moyens.
Pour ce qui est des aliments indigenes, il n'en existe pas ;
• Voir pages 1 et 35.
Ill
a moins que vous n'appeliez de la sorle cesracinesvenues
au milieu des platras de la banlieue, ou ces fievreux ani-
maux qui paissent dans les fossesdes fortifications. Le sol
parisien est le plus pauvre de tous ; la vigne n'a jamais pu
y prendre : c'est comme un crSne de soixante ans sur le-
quel il ne pousse que des cheveux de perruque. En fait
de vignes, sur le sol de Paris il ne pousse que des echa-
las en boisde teinture.
On comprend que le pauyre diable reduit a un pared
regime se prenne d'un amer regret pour les paturages de
sa Normandie ou du Languedoc. Peu a peu, il arrive par
la repugnance a un exces de sobriete qui le fait sem-
blable aux ^ruminants de la plus maigre encolure; les re-
pas homeriques de la province s'elTacent graduelleraent
de S3 memoire, et sa plus vive esperance est de realiser
un jour le probleme du vivre sans manger. Tristeespoir!
diront quelques-uns. — Mais je ne parle ici que du mal-
heureux que ses faibles ressources obligent a se sub^tan-
ter exrlusivement des produits fabuleux du departement
de la Seine.
II en coile done assez cherpour diner passablement, —
et fort cher pour bien diner. Nous ne nous appesantirons
pas sur les repas du monde et de la famille, qui sont les
plus connus, quoiqu'ils soient les moins communs. Le
piltoresque n'est pas \h. ^ Ou nous le trouverons, c'est
dans les restaurants et au coin des bornes, non dans les
salons de la Chauss^e-d'Antinnidans les inlerieurs bour-
5
66
geois quolidiennemcnl voiics au poiilol el Ji la salade ;
inais un peu dans la niansarde, et parlout aussi ou se
rencontre un grand appetit, mile b une grande missjre.
II y a des restaurants do loutes sortes el de tout prix ; il
y en a de fort beaux a bon marcW, il y en a de tres-chers
qui sont tr^s-laids; I'oeil d'un Parisien ^pur-sang est in-
dispensable pour Ics discerner. A la jeunesse dor^e et a la
fashion appartiennent la Maison d'Or et le Cafe de Paris;
aux Turcarets de la Bourse el aux ^lecteufs en vacances,
Y6ry el Vefour, les deux jumeaux des cuisines parisiennes,
les classiques du genre. — Apres eux un abime.
Ce serail une erreur grossiere de croire que ces four-
neaux illustres ne brulent absolumenl que pour les eslo-
niacs millionnaires et pour les fils de famiUe cousus d'ar-
eent. Les pauvres enont aussi leurparl, — el nousn'enten-
dons point par IJi ces bouliquiers qui se font une fSte d'aller
chez Vefour une fois dans leur n>. — Non. Ce sont mille
de ces jeunes fous, sorlis de Clicliy par une porte pour y
rentrer par I'aulre, trou^sdedottes, doubles deniemoires,
cribles d'assignalions, .et qui seraient fort embarrass^
' de manger autre part qu'au boulevard des Italians, ou le
credit a ou\erl domicile. lis dinent a vingl francs lors-
qu'ils n'onl pas de quoi diner a vingt sous. C'eslcet indus-
triel qui vienl d'acUeter sa ruine dans une poignee d'ac-
lions,et,qui faisantsauter unbouchondeSiUery.lraile au
toin d'une table la vente de sa fabrique ou de son usine;
— ce sont lous ces Titans du commerce et de I'exploita-
tion, prets b tomber ecras6s sous le rocher de la faillite,
pauvres gens dont la chute entrainera demain celle de
cinquanle aulres, el dont la derniere rasadeajoule encore
un dernier billetdebanque au passif de leur bilan!
Et puis aussi, ces piles rejelons des grandes families
ruinees, fiers et modestes hidalgos de la Bretagne ou de
la Touraine, qui \iennent noblement el melancolique-
menl diner d'une colelette, parce qu'ils croiraienl dero-
ger en portanl ailleurs leur blason mutiW. — Combien
en ai-je yu de ces tristes jeunes gens, parmi ceux-la qui
portent les plus grands noms el qui cherchent encore in-
Yolontairement a leur cote la garde d'une epee absenle,
s'eleindre lentement comme des fleurs d'un autre pays,
en eardant jusqu'Ji la fin le rang hfereditaire, el pour n'a-
Yoir pas voulu mordre au pain du peuple, — ce pain qui
les aurait si bien nourris !
Les restaurants de haul lieu sont, dans les nuits de
carnaval, le IhiiSlre de joyeuses el folles comedies aux-
quelles noire moralile nous empeche de faire assister nos
lecleurs. Avec un peu plus d'eclat chez noire jeunesse,
ce seraient les petits soupers de la Regence ; mais allez
done imaginer les petits soupers habilles de noir et en
pantalon !
Parlez-nous du premier ^lagc du Palais-Royal et des
restaurants k prix fixe. La, point de pretention, de folie,
de chapeaux jeles par-dessus les moulins. C'est sufEsam-
menl Elegant et sullisamment nutritif. Des glaces, une
tapisserie rouge, des tabourets en velours. Trois plats,
pas plus, pas moins. Nous entrons sans transition dans la
region des diners k deux francs cinquanle, k deux francs
et 'd un franc soixante. — C'est qu'en effet, il n'y a
aucune transition du Minaret k Tavernier. — Le pre-
mier 6tage du Palais-Royal est parfailemenl constitulion-
nel ; lout le monde y dine el tout le nionde y est k son
aise. L'employ6 y salue son chef de bureau que la faim a
sutptis loin de son menage; on y a vu des pairs de
I'N AN A PARIS.
Vrance et des carabins. — Lk, verilablemcnt, les hommes
sont egaux, non plus devanl la charte, — mais devant la
carte.
Le diner a un franc vingl-cinq estl'exlrfme limite du
diner (Equivoque. — En dehors de cela, il n'y a plus que
les restaurants qu'on n'avoue pas el qui pour celle raison
so derobcnl dans les rues les plus obscures sous les en-
seignes les moins voyantes. II faut un peu les chercher
pour les trouver; et cependanl la galerie en est innom-
brable. Mieux yaudrail compter les grains de sable du
rivage ou les romans d'Alexandre Dumas. — II en est
m6me quise passenl d'enseignes eld'annonces; on monte
un ^lage ou deux, on pousse une porte, on s'assoit si-
lencieusemenl devant unelable; au bout decinq minutes
el sans que vous ayez pris la peine de rien demander,
I'ombre d'un garcon vous apporte I'ombre d'un potage, el
successivemenl jusqu'a I'extinction de I'ombre de voire
appetit. — II est honteux de dire le peu d'argent que
cela coiUe, et voili pourquoi on n'a pas ose I'aflkher.
Pourlant il n'est pas un pauvrediable, ouvrier ou artiste,
qui ne connaisseune soixantaine d'etabUssemenlspareils
dans chacundes arrondissemenls de Paris, — On appelle
cela une pension bourgeoise.
II y a quelque chose de curieusement penible dans
I'aspecl des restaurants de bas etage, — aussi mal ^clai-
res dans le jourparlesoleil, qiiele soir par les quinquets.
Ce n'est pasla qu'il faut chercher le bruit, lanimation, la
gaiele ; les convives ont de bien plus graves et de bien
plus serieuses preoccupations. lis sont \k pour manger, el
pas pour autre chose. C'est brutal, mais c'esl comme ce-
la. — Examinez-les plutot; le front avidemenl penche
vers leur assiette et la main sans cesse plongee dans la
corbeilledu paind discretion. Ce sont bien eux. ma foi !
qui s'inquiiSleraient de leur voisin el de la lournure de
cliaque nouveau-venu. — Le dlneur k dix-huit sous
ressemble au sage d'Horace ; la foudre lombant sur sa l^le
ne parviendrait pas k I'^mouvoir. — II s'agil pour luide
prolonger son existence d'un jour encore. Un tel repas
est done une chose austere el solennelle ; ce n'est pas un
plaisir, c'est une affaire.
Celui qui a examine les physionomies de ces h6tes
agiles et muets, y a lu bien des drames el bien des mys-
leres, — sans abuser de ce dernier mot. Pour moi, je n'ai
jamais pos6 le pied dans ces temples (Sieves a la Faim,
sans m'y sentir cloue irr&istiblement. — Au miheu de
ces hommes de peine, de ces artisans, de ces lailleurs sans
ouvrage, on decouvre ck el la une tSle de vieillard, noble,,
blanche et inclinfe ; ou bien encore quelque jeune fille,
maigre et mal vStue , qui devore dans un coin — triste '
poeme ! jeunesse ^teinte sous des haillons! blonds che-
veux arrachfe par la maladie! doux regard creuse par la
misferel — souvenl aussi une redingole uste jusqu'ii la
Irame , qui monlre une decoration fanee enlre les fenles
de la boutonniere. Que de douloureu.ses histoires, que de
romans ignores, que d'avenirs brises des leur aurore ! —
Mais k c6le de cela, lout pres de la porle, alerte et ^pa-
nouie, il y a la jeunesse, la sante, I'espdrance, c'est-a-dire
quelque brave enfant de dix-huit ou de vingl ans, vile
enlri, vile sorli, qui a lestemcnl expMif son repas sans
presque y songer, musicien ou poi^tc, peintre ou sculpteur,
poui\qui le temps a des ailes, et qui, du fond de sa sou-
riantc el active pauvrele, reve les splendeurs sans fin de
1 la gloire et le Iriomphe du genie ! — C'est I'endroit cclaire
UN AN A PARIS.
67
du tableau, le pan de ciel azure dans les brumes, un
rayon qui se leve sur des murs qui Yont s'ecroulant.
Le quarlier Latin, entre tons, a reduit a sa derniere
expression la question de Insistence a bon march^. — II
n'est pprsonne qui ne connaisse, de reputation du moins,
les officines de Viot et de Fliroteaux. Les Viot particu-
lieremcnt y ont fail dynastie; ilspullulent aujourd'hui de
telle sorle que les etudiants sont obliges pour les recon-
naitrede lesnumeroter comme des omnibus, ou d'ajouter
ci leurnom uu sobriquet assez analogue pour I'ordinaire a
celui dont un celfebre satirique a immortalise le restaura-
teur Mignot :
Hi dins Ic monde cntier
Jamais empoisonneur ne GtmicQX son mdtier.
Anssi, k cote de Viot Vempoisonneur, y a-t-il Viot
l'ftom('ci'dc,et puis encore Viot \'aquatiqite,\e plus celebre
Un diner dans la rae.
des trois. — Ce qui n'emp^che pas ces philanthropiques ins-
titutions de regorger de monde du matin jusqu'au soir, et
de se \enger de leurs blasph^mateurs un peu a la manifere
du soleil, — c'est-k-dire, non pas en les eclairant, ce qui
serait trop dire, mais en les nourrissant.
Maintenant, s'il vous plait, prenons noire vol vers les
mansardes, ces nids sans mousse et souvent sans fenftre,
oil le soleil entre comme il peut, et I'orage comme il veut.
Les oiseaux de ces cimes, vous les avez nommes ; ce sont
pour la plupart desouvriferes a I'aiguille, ou bien les en-
fants prodigues delamMecine eldu droit. On y vit beau-
coup k I'aventure et a la facon des cigales : on y cbante
iternellement , on n'y amasse jamais. — La Providence
des mansardes, c'est le cr(5mier, c'est le rStisseur, c'est
I'epicier : deux sons de lait el una fliite, voila pour le de-
jeuner ; une aile de volaille et une fliite , voila pour le
diner; si I'on soiipe, une finite et un neufchStel font I'af-
faire. Mais qui a jamais soupe dans une mansarde? — La
cuisine y est maintenant pass^e Si I'^tat d^risoire ; le cabas
a m depuis longtemps rejoindre le pot-au-feu; on a une
cheminee comme meuble d'agr^ment, pour se chauffer la
plante des pieds, voilk tout. Avant qu'il soil longtemps,
esperons-le , les femmes ne toucheront plus S ces abomi-
nables legumes , et ne prepareront plus de leurs doigts
ces sauces naus^abondes, au parfum desquelles s'^vanouis-
sent lout prestige et loute poesie. — C'est li un progrfes
que les esprits delicals appellent de tous leurs voeux.
Pour moi, — si incomplet et si frugal qu'il puisse
paraitre, — mieus vaul le diner de la mansarde que
celui du restaurant. Je n'ai jamais pu manger un beef-
teack ou un civet sans ^tre poursuivi par le souvenir des
chroniques de Montfaucon ou le fantSme d"un angora sans
sepulture. Les plaisanleries des petits journaux sur le
caoutchouc applique i I'art culiuaire me reviennent en
memoire Ji chaque coup de fourchelte; et I'eau m'est un
nectar aupres du Micon le plus authentique ou du Chi-
blis le mieux certiEe. — C'est encore I'histoire du^ratdes
champs qui ne mange bien que chez lui, mais du rat des
champs egar4 dans les fourneaux de la rue de la Harpe
et de la rue Saint-Jacques. — Fi d'un festin que la crainte
assaisonne!
De la mansarde a la rue, il n'y a que la distance de
cinq etages. Franchissons-les. — Ceux qui dinentdans la
rue, c'est le commissionnaire, c'est le voyou, c'est le men-
diant, ce sont les inBniment petits enQn. Pour ceux-1^
ont^te invent&s les fritures en plein vent et lespommes
crues. Mauvais repas! dites-vous; el pourtanl, voyez-les
y mordre a belles dents , le long des boulevards et des
quais ; misere ambulante et cynique, qui s'essuie la bou-
che du rovers de la main lorsqu'elle a Gni, et entre cbez
le marchand de vin pour s'y bruler la poitrine avec de
I'alcool. — Ceux qui dinent dans la rue, ce sont encore les
rSveurs et les Qaneurs, classe moins nombreuse, qui s'en
vonlemiettanlun petit pain sous leurs pas, le front perdu
dans la contemplation et dans I'aspiration. — Cesoiit aussi
ces infortunes arrives k leur dernier sou, el qui roulent a
I'heure de leur derniere bouchee une pehsee mauviise
de vol ou de suicide.
68
LES DOUZE APOTRES. — SAINT JEAN-
Apres ceux qui dinent dans les rues, — il y a ceux
qui ne dinent jias du tout.
Mais nous voila, je crois, au lerme de notre relation,
nous avons parcouru tour a tour les diffcrenls cercics de
ce voyage enlrcpris Ji Iravers les flammes des fourneaux
et les grincenients des tournebroches. L'idee ni'en est
venue a I'approche des jours gras, etl'on conviendra que
le moment pouvait ^tre plus mal clioisi. — J'ai cru devoir
^ dessein en ecarter quelques peintures, telles que celles
des tables d'hote qui caclient derriere elles un tapis vert
ou pis encore. — Dieu suit loue! nous rcvoyons enfin la
lumiere, ct nous allons rentier dans une atmosphere plus
sereino et plus .suave. Le temps seulement de laisser faire
la digestion a ce Garganlua qu'on nomme Paris, et nous
lui denianderons a son reveil les secrets de son organisa-
tion intellectuelle, comme nous venous de lui demander
a present les secrets de son organisation materielle.
CllABl.ES IIONSELET.
LES DOUZE APOTRES.
SAINT JEAN.
Il I'ut le disciple bien- •
aime Fri^re de Jacques et
fils de Zeb^dee, il elait p^-
cheur. Le miracle qui rem-
plit de poissons les barques
de Pierre, d'Andre et de
leuri compagnons Jacques
et Jean, fut le signal de
sa vocation. Jesus lui dit
ces paroles , qu'il avait
adress^es deja a Pierre et a
Andre : oSuivez-moi, je
vous ferai devenir pecheur
d'hommes. » II abandonna
tout ce qu'il poss^dait pour
_ suivre le divin mailre. —
Jesus-Christ, dit saint Marc, surnomma Jean et Jacques
son frere Boanerges, c'est-a-dire enfants du lonnerre.
On ne connait pas la signification synibojique de cette
appellation.
Jean etait le plus jeune des aputres. Sa virginite de
coRur et de corps est supposee d'une inaniere presque
irrecusable par les Pt;res de I'figlise. C'est sans doute
cette vertu .sublime qui lui valut I'amicale preference de
Jfeus-Christ. Certainement le Suuveur aimait tous ses
apotres, mais il eut pour celui-ci vine tendresse particu-
liere, autorisant de la sorle cette affection si noble et si
jpure qui fait la veritable amitie.
Avoir 6te ainsi aime du Fils de Dieu est le titre de
cloire le plus grand qu'un honime puisse posseder. Jean
n'en connut peut-etre pas d'abord lout le prix, II ne com-
prit pas que sur la lerre sa purete lui mi^ritait de lemplir
la celeste niis.sion d'ange consolatcur; mais quand il eut
vu lumber le voilequi, jusqu'a la croix. obslruait ses yeux,
c'est alors que le souvenir de la haute distinction a la-
nuelle il avait ete appele dut lui donner cette energie qui
feconda ses 03uvrcs. Aussi combien de fois, dans le cours
de S3 carriere, le surprenons-nous attendant avec impa-
tience le moment ou il pourra se reunir a celui qui la
aime, a celui qui I'a honore parmi les homnies de ce tilre
d'ami de Jesus Christ!
Comme tous il aura ses instants de mesquine huma-
nite il ne verra \a lumiere que lorsqu'elle sera remontco
vers le ciel ; maisdesqu'il la connaitra, il deviendra reelle-
menl digne de sa vocation.
Les premiers acles de la vie de saint Jean sont enla-
ches, comme ceux de tous les apotres avant qu'ils aient
recu le Sainl-Esprit, de cette faiblesse terrestre qui 6tait
quelquefois inspiree par leur altachement pour leur mai-
tre. C'est ainsi que Jean, ayant vu un hommequi chassait
les demons au nom du Dieu sauveur, vinl dire : « Maitre,
nous avons empeche les exorcismes de ce disciple, parce
qu'il ne nous suit point et qu'il ne vient pas avec nous. »
J&us lui repondit: • Ne Ten emp6chez point, car celui qui
n'est pas contre vous est pour vous. .
Une autrefois, voulant aller a Jerusalem, le Christ en-
voya devant lui quelques uns de ses disciples, parmi les-
quels se trouvaient les enfants de Zebedee, pour lui pre-
parer un logement dans un bourg samaritain. Mais les
habitants ne voulurent pas le reeevoir, parce que, sachani
qu'il se dirigeait vers Jerusalem, ils avaient peur de se
compromettre en lui accordant I'hospitalit^ qu'il denian-
dait. Jacques et Jean, irriles de cet acte de durete,
vinrent dire k Jesus : ■ Seigneur, voulez-vous que nous
commandions que le feu du ciel descende et qu'il les de-
vore? • Ces pauvres pfiiheurs, dans leur jiigement encore
tout materiel, croyaient que I'outrage devait etre chAlit'
par la malediction. Jesus leur adressa quelques paroles
qui durent leur apprendre combien ses maximes ^laient
dilTerentes de I'ancienne loi, qui eut favorise leur pre-
miere impulsion : « Vous ne save?, pas, leur dit-il, h quel
e.sprit vous etes appeles. • — II vaut sans doule leur parler
de I'esprit de giSce et de misOricorde, preueux tresor
pour rhumanile, donl bientot il va les enricliir. — « Le
Kils de riiomme, ajoute-t-il, n'est pas venu pour perdre
les honinies, mais pour les sauver." — Jeanet Jacquesalle-
rent cherclier dans un autre Icu j I'hospilalile qui leur
^tait refusee.
A Jerusalem, la mere des enfants de ZebWees'approche
du Gil) ist avec ses deux fils, et I'adore en lui laissant voir
qu'elle detire lui demander quelquo chose. • Femme, que
vonlez-vous? • lui demanda !e Ki!s de Dieu. ■ Ordonnez,
dit-elle, que mes infanls que voi' i soii;nt assis dans votre
royaume, I'un a voire droite, I'autre^ voire gauche. » —
Jesus, s'adressant a Jacques et il Jean, leur repondit :'
« Vous ne savez ce que vous dcuiandez ; pouvez-vous
LES DOUZE APOTRES. — SAINT JEAN.
boire !e calice quo je dois boire? — Nous le pouvons, »
repondirent ceux-ci. — II leur repartit : • II est vrai que
vous boirez le calice que je bolrai ; mais pour ce qui est
d'^(re assis a ma droite ou b ma gauche, il ne depend pas
de moi de vous I'accorder; mais cela sera donne k ceux
pour qui mon Pere la prepare. • Les dix aulres ap6tres,
ayant enlendu les paroles des fils de Zebedee, en concu-
rent de I'indignation. Mais leur maitre les appela et leur
liit : « Vous savez que les princes doniinent les peuples
et que les grands les traitent avec hauteur. II n'en doit
pas etre de m^me parmi vous; car celui de mes disciples
qui veut devenir le plus grand dolt etre le serviteur des
autres, et celui qui veut etre le premier doit etre votre
esclave; ainsi que le Fils de I'Homme n'est pas venu pour
(Jtreservi, mais pour donner sa vie pour la redemplion de
plusieurs. »
Jesus aimait Jean : c'est celte predilection particuliire
qui fait assister cet apotre avec Pierre et Jacques a la
glorieuse transfiguration sur le mont Thahor, et qui lui
donne pendant la C6ne I'inefrable bonheur de reposer sur
le sein du Christ, au moment mSme oil il prononcait ces
m
paroles ameres : — 'En verile, en vcrite, je vousle dis,
un d'enire vous me trahira. » — Les disciples so regar-
daient entre eux, cherchant quel pouvait filre le traiire
Simon-Pierre fit signe h Jean de demander a Jesus que
etait celui qui devait commeltre une action aussi lache.
Le disciple que Jesus aimait lui adressa la question que
lui dictait .Simon. Jesus r^pondit : • C'est celui h qui je
presenlcrai du pain quej'aurai trempe. ■ Et ayant Irempe
du pain, il le donna Ji Judas Iscariole, fils de Simon. —
Mais les apotres ne comprirent pas que c'elait ce mal-
heurcux qui, pour Irenle pieces d'argent, devait vendre
son mailre.
C'est encore I'altachement que le Redempteur a pour
.lean qui le fait temoin de son agonie au jardin do Gethse-
mani : Jesus, etant arriv^ dans un lieu ainsi nomme, dit a
ses disciples: ■ Asseyez-vous ici pendant quejevais prier. •
Iln'emmenaavec lui que Pierre et les deux filsde Zebedee,
et devant eux il tomba dans cette affliction sublime qui
s'exprime par ce cri d'humanite : « Mon iinie est trisle
jusqu'i la mort ; demeurez ici et veiUez a\ec moi. » Et il
s'eloigna un pcu, se prosterna le visage centre terre»
Sdii.l Jean c-l |i;.,ii^.' J,ii
priant et disant : « Mon Pere, s'il est possible, faites que
ce calice s'eloigne do moi : neanmoins qu'il en soit, non
commeje le vcux, maiscomme vous le voulez. ■ — II re-
vint vers ces trois disciples, il les trouva endormis. ■ Quoi I
leur dit il, vous n'avez pu veiller une heure avec moi?
Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la
tenlalion : I'esprit est prompt et la chair est faible. • En-
core une fois il s'eloigna pour prier, et, revenant bienlot
aprcs vers Jacques, Pierre et Jean, il les trouva encore
endormis, parce que leurs yeux elaient appesantis de
sommeil. Pour la troisieme fois Jesus s'eloigna et adressa
a son Pere la m^me priere et les memes paroles. Et celte
fois revenant vers ses disciples : ■ Dormez mainlenant,
leur dit-il, et reposez. Voici I'heure qui est proche oil le
Fils de I'Homme va ^tre livre entre les mains des pe-
cheurs. Levez-vous, allons, celui qui me Irahit doit eli e
pres dici. • — L'instant d'aprfes, Judas arrivait avec une
troupe de gens, arm^s d'epees et de batons, qui avaient
ete envoyes par les princes des pr6tres et par les anciens
du peuple. — Le traitre baisa le Christ, en lui disant :
« Je vous salue. » J^sus ne lui repondit point par des re-
proches ou des maledictions : • Mon ami, lui dit-il, qu'e-
tes-vous venu f.iire ici? ■ — Jesus fiit conduit chez Caiphe ;
tous les apotres I'avaient abandonne, un seul le suivit :
saint Jerome et saint Chrysostome croient que c'est Jean,
fils de Zebedee. — En effet, lui qui aimait son maitre et
qui en etait aime, lui qui avait lecu des preuves d'alTec-
tion, comment ciit-il pu s'arracher 6 rinqnietuJe de sa-
voir ce qu'on allait faire soufTrir au Messie! Les memos
Pferes de I'feglise pensent que c'est encore cet apotre qui.
70 LES DOUZE APOTR
usanl du credit qu'il pouvail avoir aiiprfes du grand pr6tre
eomme en ^tant connu, avail introduit Pierre dans le lieu
oil trois fois il renia son maitre.
Jean dut Hre le temoin des outrages et des supplices
que les Juifs firent eprouver au Fils de rHomme. Ses
larmes durerit couler en voyant I'accomplisscment des
propheties dont il ne comprenait pas encore toute la con-
solanle verite. 11 vit les gouttes de sueur ct de sang qui
mouillferent le cliemin qui conduisait au Calvaire; et IJi,
i cole de la paiivre nii>re de douleurs, il frcniit en entcn-
dant les coups de niarleau quienfoncaient des clous dans
les membres du Sauveur.
Quelle joie au milieu de son desespoir vint inonder son
anie lorsque, du haul de I'instrument de sacrifice, le
Christ, voyant Marie qui restait seule sur la terre, dit :
« Femme,_voilci voire fils! » puis a lui, disciple bien-aimi5 :
« Voila voire m6re! • Avec bonheur il accepta celle mis-
sion de devouement, et jusqu'a la derni^re heure il la
reraplit.
Tout etait consomm6 depuis trois jours. .lean fut I'un
des premiers k qui la resurrection fut rdvelee. — Marie-
Magdeleine 6tait venue depuis le malin au sepulcre, ou
le corps de Jesus avail il& depos6 : la pierre tumulaire
etait olee. Elle courut Irouver Simon-Pierre et I'autre dis-
ciple donl nous ecrivons la vie ; elle leur dit : . lis ont
enleve du sepulcre le corps du Seigneur, et nous ne sa-
vons oil ils I'ont mis. » Les deux apolrcs se halerent d'ac-
courir, mais Jean courut plus vile et arriva le premier.
En se baissant il vil les linceulsel le suaire, mais il n'osa
cnlrer qu'apres Simon-Pierre. — C'est lui-mcme qui, dans
son Evangile, raconte ce fait, et il dit ces mots : « Get autre
disciple qui etait arriv6 le premier au sepulcre y antra
aussi. » — II vil el il crut, car ilsr.esavaient pas encore ce
que I'Ecritureenseigne, qu'il fallait qu'il ressuscilit d'enti e
les morts, »
C'est le soir de ce mSme jour que Jean eut le bonheur
de voir le Christ ressuscite : il se trouvait dans le lieu ou
les disciples elaient assemblies. Les portes etaient fermecs,
parce qu'ils craignaient les Juifs. Jesus vint au milieu
d'eux, leur dit : « La pai.t soil aveo vous I » puis leur
monlra ses mains et .son cote encore stigmatises des sainles
prcuves du crucificmont.
Une autre fois sur le bord de la nier de Tib^riade, il
put contempler le Sauveur. C'est alors que Pierre, desi-
gnant ce disciple, demanda : « Et celui-ci. Seigneur, que
deviendra-l-il? • J^sus lui repondil : a Si je veux qu'il
demeure jusqu'^ cequeje vienne, que vousimporle? Pour
vous, suivcz-moi. « II courut sur ces paroles un bruit parmi
les apotres : ils crurent que Jean ne devait point mourir.
Cependanl le Christ n'avait pas dit : « II ne mourra pas ; »
mais : « Si je veux qu'il demeure jusqu'a ce que je vienne,
que vous imporlel •
C'est saint Jean lui-mSme qui a 4crit la plupart des
fails qui le concernent, et j'ai cru ne niieux pouvoir les
raconler qu'en employant autant que possible ses propres
paroles. II termine son livre de verity par cetle naive af-
firmation de bonne foi : « C'est le^m^me disciple qui rend
temoignage de ces choscs, qui a feril ceci, et nous savons
que son temoignage est veritable. »
Apres I'ascension du divin Mailre, Jean precha I'livan-
gile dans la Judee et la Samarie. II cut pour champ de
bataiile le vaste pays occupe par les Parthes, lorsque le
moment fut venu de combaltre les erreurs des Gentils.
ES.— SAINT JEAN.
C'elait alors le seul peuple qui osat dans I'univers disputer
aux Remains I'empire du monde. L'histoire n'a pu con- I
server les traces des merveilles que Jean fit pour ce pays.
Nous savons seulement que, repassant dans I'Asie Mi-
neure, il vint babiter la ville d'Ephfese avec la Vierge
Marie, qui mourut dans sa maison. Toutes les eglises de
r,\sie etaient gouverni5es par I'apotre bien-aime. Ses ver-
tus et ses miracles I'avaient environiie de la v^n^ralion
des Chretiens el du respect des idolatres.
II passa ainsi de nombreuses annees dans les travaux
de I'aposlolat, allant dans les provinces voisines pour y
ordonner des ev^ques, ou pour y former des chr^lienles
nouvelles, et distribuant a lous ce qu'il possedait. Quoi-
queXimothee ait 6le institue par saint Paul ^veque d'E-
phese, et qu'il ail &lh reconnu par le concile de Calc6-
doine, saint J(5r6me regarde Jean comme I'apdlre qui a
gouvern6 d'une maniere loute speoiale les eglises de I'A-
sie, elTerlullien le reconnail comme ayanl etabli I'ordre
episcopal dans ce pays.
Mais la vie d'un enfant de la croix ne devait pas s'e-
couler sans quclques jours de souffrances sanclifianles :
Fan 93 de Jcsus-Chrisl, Doniitien le fit arreter el conduire
a Rome. Le farouche empereur ordonna qu'on I'amenat
en sa presence, et, loin de se laisser toucher par la vue de
ce venerable apotre, dont les cheveux avaient blanchi au
service de Dicu, il eut la barbaric d'ordonner qu'on le
jetM dans une chaudifere d'huile bouillante. En enlen-
danl prononcer cetle sentence, saint Jean eut un mouve-
menl de joie. II allait done retrouver son Maitre, qu'il
avail lant aim(5, et lui rendre eternellement amour pour
amour. — Dieu ne voulut cepcndant lui accorder que le
mi5rite et I'honneur du marlyre. Jete dans la chaudiere
d'huile bouillante, il ne ressentit auiJune douleur, ct, ci la
grande consternation des spectateurs, il en sorlil sain el
sauf.
Domitien, epouvante de ce miracle, n'osa faire mourir
celui en faveur de qui il s'etait accompli. II se contenta
de I'envoyer travaillcr aux mines dans I'ile de Pathmos,
I'une des Sporades, situees dans la mer Egee ou I'Ar-
chipel.
C'est la que, martyr, apalre et prophfete de la foi nou-
velle, saint Jean (5crivitson .Apocalypse. Ce mot signifie re-
velation ; et en effet, ce livre mysterieux n'a cle fait que
pour devancer proph^tiquement I'execulion des ceuvres
des temps derniers. Saint Jean esperait que le rude tra-
vail auquel il etait condamne finirait bient6t sa vie
par la gloire du marlyre, mais son esperance fut encore
decue. Domitien ayanl ete assassine, Nerva, homme d'un
caraclere doux el pacifique, fut elevii k I'empire; ce qui
permit ii I'apotre de retourner h Ephese.
C'est vers cetle epoque de sa vie que, dans une ville
voisine d'Eph^se, ayanl confie k un ^vdque le soin d'un
jeune homme qui, aux graces du corps, joignait un na-
turel vif et ardent, il vint peu de temps aprte demander
.son jeune proU'ge. Mais I'^vfique, baissant les yeux, lui
dit avec larmes ; « 11 est morU — Comment? repril le
venerable apotre, et de quel genre de mort? — Mort k Dieu ;
et au lieu d'etre k le servir dans I'Eglise, il s'est cm-
pare d'une monlagne ou il exerce le brigandage avec une
troupe de gens semblablcs a lui. » A ces mots, saint Jean
dechira ses velemcnts el exprima son dese.-poir par ses
larmes. « Qu'on m'am(>ne un cheval, dil-il, et qu'on me
donne un guide. » Bienlot arrele par les sentinelles des
LES DOllZE APOTRE
voleurs : « Menez-moi a voire chef, » leiir dit-il. — On
le conduit vers le jeune homme, qui attendait les armes a
la main.. Mais, saisi de frayeur en reconnaissant saint
Jean, il prit la fuite. Alors le vieillard oublia son grand
3ge etses infirniites, et il se prit a eouiir pourrattcindre :
« Mon lilsl mon fils! lui cn'ait-il, pourquoi me fuyez-
vous? pourquoi fuycz-vous votre pe. e? qi e craignez-vous
d'un vieillard faible et sans armes".' Mon fils, ayez pitie de
moi : ne craignez point, il y a encore esperance pour
votre salut. Je repondrai pour vous k Jesus-Christ, je
souffrirai tres-volontiers la moit pour vous. Demeurez,
S. -SAINT JEAN.
71
croycz-moi, c'est Jesus-Christ qui m'envoie vers vnus. •
Le jeune homme ne put r(5sisler a ces tendres paroles;
il s'arreta, jeta ses amies loin_delui, et, tombanl aux pieds
de I'apolre, il fomliten larmes.
Glorieux d'avoir arrar h6 cette brebis au loup, .lean prit
ce jeune homme par la main et I'amena dans I'osseniblee
des fidelps, et le leur presenla. II ne se sopara de lui
qu'aprcs I'avoir retabli dans I'eglise par I'absolulion de
ses peclies et la participation aux sacremenls.
Ce fut aussi dans la ville d'liphesc, en revcnant da
Pathniis, que saint Jean ecrivit son Evangile pour i'
S.iii>t Jeji] coiuuilit iin jeiioe liLtmirie i^iii s'clait Tail ctief de brJijJnds.
pondre au desir manifeste par ses disciples et par loules
les eglises d'Asie, qui voulaicnt posseder un temoignage
aulhentiquedela verite. Dans son oeuvre, saint Jean nous
deoouvre la divinil6 du Sauveur, les aulres evangeli&tes
en avaienl fait connailre I'humanile. II Ecrivit aiissi trois
lettres que nous avons encore; ellos sont dignes ilu Cis-
■ciple favori de celui qui est lout amour.
Saint Jean vecut jusqu'i une exlii5me vieillesso. C'est
i cette epoque de sa vie que par son propre e.xemple , et
par un trait admirable de simplieite, qu'on lui allribue,
il autorise les na'i'ves recreations prises dans le but de re-
poser lV.spi'/( cl Ic preparer ainsi ii de nouvcaux travaux.
II possedait une perdiix qu'il avait apprivoisee, et sou-
vent il se promenait hors la ville en llaltant et caressant
cet oiseau. Un jour, il fut rcncontri par un chasseur qui
parut s'etonner de voir un homme desi grande rcnommee
se Uvrer it un divertissement si pueril: « Que teni'Z-vous
a la main? lui demanda saint^Jean. — Un arc, repondit
le chasseur. — Pourquoi ne le laissez-vous dans une ten-
sion conlinuelle? .— Parce qu'il perdrait sa force. — C'est
precisement pour la mfme raison, dil I'innocent vieillard,
que je permels a mon esprit de se detcndre un inslant.v —
Cette prufondesagesse coiifondit le chasseur; ilsecourba
devant I'apiilre en lui rendant hommage.
Kiiiluit, a cause de ses infirmites, a ne pluspouvoir se
rcndre li I'eglise, ses disciples I'y portaient. II n'avait plus
assez de force pour faire de longs et savanis discours
comme il en faisait autiefois; alors il se resumailen cette
maxime de charite qu il repelait sans cesse : « Mes chers
enfants, aimez-vous les uns les autres. »
Par\enu enfin a sa centieme annce, il remit son ime
entre les mains de celui qui I'avait laisse reposer sur son
sein. Il ful eiitejre dans la ville d'fiphese.
72
LE MUNSTER.
HISTOIRE ET DESCRIPTION DES CATOEDRAIES DE FRANCE.
CATHEDnAI.E SE STRASBOURC.
Cette fameufe cathedrale, le Munster, dont la lour
passe pour la premiere des merveilles de I'Allemagne, et
qui a inspire a Goethe des pages si ^loquentes, esl un des
monuments les plus etonnants dont I'art chrelien puisse
s'enorgueillir. Avant lere chrelienne, s'elevait , sur {'em-
placement de cette construction grandiose, un bois sacr6
i]ui fut coupe par les Romains pour faire place ci un tem-
ple d'Hercule. Clovisy fit eriger une eglise en bois, a la-
quelle on adjoignit plus tard une chapelle souterraine et
un choeur construit en pierre. Tout cela fut incendi6 au
onzieme sifecle par Hermann, due d'Alsace; ce qui en
reslait fut detruit, en 1007, par le feu du ciel.
Ce fut I'evfique Werner qui jeta, en 1015, les pre-
mieres fondations de la cathedrale, achevee en 1275. L'e-
vfeque Conrad de Lichtemberg fit construirelatourqu'on
Toit aujourd'hui; comraencee par I'architecte Erwin de
Steinbach, elle fut terminee par Jean Hiilz, de Cologne,
en U3!l. Charlemagne avail fait .reb&tir, avant les tra-
vaux accomplis sous I'episcopat de Werner, redifice eleve
du temps de Clovis.
L'horloge placee au has de la lour superieure esl con-
sidcrce par les hisloriens comme la troisieme merveille
de I'Allem^igne. La cathedrale rf unit deux styles : elle
rappelle dans beaucoup de ses parties I'archileclure by-
zantine, qui a cree Saint-Sernin de Toulouse, else ralla-
che, sous bien d'autres rapports, a I'archilecture gothi-
qne, qui a produit Notre-Dame de Paris, les calhedrales
de Reims, d'Amiens et de Chartres; ccs deux styles ont
line beaule et une grandeur qui charmcnt Ics \eux ct elc-
vent rima;^ination.
Le clocher du Munsler est le plus eleve des edifices con-
nus, si on en excople la plus gratide des pyromidcs d'K-
livpte, qui est plus haute de douze pieds qualre ponces
seulement. Sa hauteur e^l de cent quaranle deux metres
onze cenlimelres (soit quatre cent trente-sept pieds et
demi), ti Ton son rapporte au resultat des operations
triyonometriquesexeculcespiirdes ingenieursgeographes.
De la base au sommet, on comple six cent trcnte-cinq de-
gres : la Notre-Dame de Paris n'atteindrait pas la moitie
de ce clocher; les deux tours de cette basilique, hautes
de deux cent deux pieds, ne depassent que d'un pied et
demi la plate-forme de la tour restee a I'etat de projet, et
que rccouvre une simple toiture.
En examinant avec attention la facade de I'eglise, on
distingue ses cinq etages. Lepreniiei s'eleveaudessusdes
porlads que recouvrent des figures et des scenes reli-
gieuses; e'est la quese voient les quatre statues equestres
de Clovis, de Dngobert, de Rodolphe de Hapsbourg et de
I.ouis XIV. Celle ci fut erigee au commencement de la
restauralion. Le deuxieme etage compreiid la rose en vi-
trauxpeinls, de cent cinquanle pieds de diametre, et deux
galeries, I'une a droite, I'aulrc ii gauche. Au-dessus de la
rose sont des niches oil s'elevaient jadis Ics statues du
Christ, de la vierge, et des douze apotres. Les corniches
de la galerie de droile sont orneraenlees d"une foule de
sfeaes de demons et do sorciers auxquelles on a donne le
nom de Sabbat; ii gauche se dresse un hercule a demi
nu, ancienne idole trouvee dans les decombres du vieux
temple qui occupait autrefois I'emplacement de leghse.
Le troisieme etage comprcnd le clocher et la plale-forme
oil commence le quatnenie etage.
C'est la que s'eleve crlte tour dentelee, merveilleuse,
dont I'audace, la legereti*, I'elegance, sont au-dessus de
loute idee; percee ii jour dans toule sa longueur, elle
nest soulenue que par la maconnerie de ses angles. A cet
etage la tour est entouree de quatre tourelles hexagones,
percees dememe a jour, avecdesescaliersenescargot. Les
communications avec celte partie de I'edifice out lieu par
le moyen de ponis en pierre plate. Le cinquieme etage
est forme par la Heche, pyramide octogone, evidee, ac-
compagnee de huit escaliers tournants avec des rangees
de petiles tourelles. En hant s'eli.'ve' la lanterne avec sa
I'ouronne et ses roses ; enfin la croix, terminee par une
pierre octogone qu'on appelle le bouton.
C'est un spectacle effrayant que de voir des curieux,
avides d'emotion, gravir la tour jusqu'a cetendroit pour
arriver a re boulon, d'un pied de liaut et de quinze pou-
ces de diametre. Aprfes avoir atteint la couronne, il faut
grimper en dehors en s'accrochant ^ des barres de fer.
(Juelques individns, d'une temerite sans egale, debout
sur ce boulon, out vide, dil-on, des bouteilles d'un vin
genereux a la gloire de la ville de Strasbourg; d'autres
y ont lire un coup de pislolet ou bien s'y sont tenus en
eijuilibre, la lete en bas. 11 ne leur arriva aucun malheur.
I.E MUNSTER. "3
Un Anglais fut moins heureux au siecle dernier: par suite
d'un pari, il accomplissait un troisieme tourde la plate-
forme sur la balustrade qui la borde, lorsque son pied
glissa : le malheureux tomba sur le pave d'une hauteur
de deux cents pieds. Son chien, le voyant perdre I'equi-
libre, poussa des cris plainlifs et se jeta en avant pour le
relenir : de son premier elan il tomba ct vint expirer a
cote du cadavre de son maitre.
L'abbe Grandidier a donne une His(oire de I'cgb'se lie
Strasbourg (2 vol. in-i", 1776} ; c'est une (Euvre recom-
mandable. On y lit que le moine Ermoldus Nigellus, dis-
gracie par Louis le Debonnaire et retire il Strasbourg, fil
un poeme pour regagner les bonnes graces de son souve-
rain ; il rentra bientot en faveur;et c'est dans cctouvrage
qu'on trouve une description detaillee de I'eglise telle
qu'elle existail a I'epoque des premiers Carlovingiens. On
peut voir aussi de precieux renseignemenis sur la ca-
Ihedraleactnelle dans les Ei/lises Francaises, de MM. Cha-
puy et de Jolimont (2 vol. in-folio, 1829), qui ont am-
plement traile tout ce qui est relatif a I'historique , a
I'exlerieur eta I'interieur de cette admirable eglise. Hile
servif, apartir duseizieme siecle, a deux cultes differcnls,
et entendit par consequent resonner sous ses voCiles ks
voix des plus grands predicaleurs des temps modernes.
Cetle construction etonnante excila dans les premiers
temps un si grand enthousiasme en Allemagne, qu'elle
donna naissance a une confrerie connue dans I'histoire
sous le nom d'ficole destailleurs de pierre de Strasbourg,
et dont les chefs etaient les architectes de la calhedrale ;
celte association s'occupait de la reception des apprentis,
des ouvriers, des maitres, et avail etabli des regies et des
signes qui constituaient entre ses membres une sorle de
franc-maconnerie.
Le Munster ne compte pas dans son histoire toutes ces
fables merveilleuses qui semblent s'Stre atlachees comme
ii plaisir a la catbedrale de Cologne, dont on ignorcrait
la chronique si Ton ne cunnaissait pas la legende de
Sainle L'rsule el des onze miUe vierges, ainsi i|ue celle
du DiaOle vole. Tontefois celte histoire eternelle et popu-
laire du demon, tentateur ne des justes et des saints, se
Irouve sculptee en pierre sur les murs el dans les bas-re-
liefs du Munster, comme nous I'avons vue reproduile
sur tousles monuments du moyen Sge religieux. M. Saint-
Marc Girardin [Xotiers poliliques et litteraires sur I' Al-
lemagne), s'est appesanli avec raison sur cette apparition
du demon dans la vie des saints ; il ne faut pas y cher-
cher aulre chose, evidemment, que la lutte de la passion
conlre la vertu. Ces moines et ces legendaires, grossiers
redacleurs de la vie des saints, personnifiaient sous la
forme du malin e-sprit celte resistance necessaire des
mauvais penchants, et, au lieu d'une analyse melaphy-
sique des passions, mettaient ces dernieies en action ;
c'est ce drame aux mille peripeties, souvent grotesques,
toujours naives, qui se trouve represente sur les pierrcs
de nos vieilles eglises.
A.-L. Ravergie.
CONKAD DE SOUABE.
COXBAD DE SOUABB.
^mL Je ne me pardonnerais pas,
Dilri lecleurs, de vous introduiie
dans la classique Forfil-Noire
Alii-" '
~j= SI J ecnvais un ronian mo-
2 derne destine a potter le nom
de nouvelle nouvelle; mais
ayanH'intentiond'etaleravos
yeux une de ces brumeuses
pages d'AUemagne, contcm-
[loraine de ce royal croise
que Leopold d'Autriclie fit
(.■nfcrmcr et du fidele Blon-
de), connu de vous peut-elre,
par les accents que lui a pre-
li's Gri'try, je ne me fais nul
scrupulede vous faire fouler
le tapis de feuiiles seches, donneausol des forets par leurs
diL-nes secu'aircs, et gainelS ca et la des taches de sang
que le malheureux voyageur a laissees tomber sous le fer
de I'assassin.
Dans la Souabe, sur les bords du Danube et au milieu
t'elaForet-Noire, on voyait, en 1190, ii deux cents pasdu
neuve, une pauvre chaumiere dont les murs n'etaient que
branches et terre delayee, sous un toit de paiUe, comme
durent etre les premiers toils du monde et comme sont
aujourd'hui les toils 'des pauvres seulement. C'etait la
demeure d' Albert et Hermann Durkhartr, deux freres de-
venus biicherons, malgre une naissance noble qui eut pu
les appeler aux grandeurs. lis elaient en cela victimes de
la haine de Conrad, due de Souabe, qui, apres avoir fait
condamner teur pere comme coupable d'attentat contre
la vie de I'empereur Frcideric II , avail profited de la con-
fiscation des biens de cclte famille. Albert plus age que
son frere, qu'il aimait d'une sainte amitie, jura de con-
sacrer sa vie a la vengeance ; mais la premiere fois qu'il
voulul accomplir son fatal serraent, au lieu de tuer Con-
rad, il tua un de ses olliciers, vieil ami de son pere. On
ne put decouvrir d'oii parlait la lUcbe qu'il deslinait au
due, et qui avail si cruellemcnl tromp6 son adresse. II
regarda le crime qu'il venait de commettre comme une
preuve que le ciel n'approuvait passa resolution, et y re-
noncant par desespoir, il se fit bucheron, amenant dans
une chaumiere son jeune frere, seul objel desormais de
ses alTections.
Peu k peu il s'accoutuma a la vie laborieuse qu'il
avail embrassee, et il s'efforca d'y habiluer Hermann.
Dans les palais des margraves, il avail, quoique jeune en-
core, compris la nullile d'une existence passee dans les
voluptes seigneuriales. Chaque jour consacr^ au travail
cuanuel lui apporlait aucontraire une sorte decalmeetdc
delicesdansle repos qu'il goulait la nuit. Comme le philo-
sophe grec, il jela dans la mer ses richesses qui I'eussent
emp6che d'etre heureux, etrenoncanti jamais ilia fortune
qui aurait pu lui etre rendue et i> ses litres de noblesse ,
il fil voeu de rosier dans Thumble condition de bicheron.
— 11 alteignait sa trentieme annee, son frere avail dix-
huil ans. — A ce dernier qui n'elait qu'un enfant lorsque
les evencments que nous avons racontes s'accomplis-
saient, il fit enlrevoir les douceurs que promettait leur
indepcndance. Hermann ecouta bien Albert, mais il ne se
rendita son raisonnemenl qu'en voyautKimpossibilile de
recouvrer le rang auquci sa naissance lui donnait droit.
Albert se maria; il epousa la fille d'un pauvre batelier
du Danube, qui ne lui apporta en dol que sa beaule, sa
verlu et son amour. Cel evenement ne changea rien dans
I'cxistencepresque sauvage des deux frferes; la chaumiere
fut un peu agrandie, voilil tout. Alors, et pendant quel-
qucs jours, Albert crut avoir trouve ce bonheur parfail
apres Icquel court I'humanile tout entiere. II Iravaillait
le jour durement peut-Stre; mais le soir, k son rustique
foyer, il lelrouvail sa jeune femme, sa lendre Marguerite,
el son hire, son rSveur Hermann , k qui il evitailaulant
que possible les abondantes sueurs du metier. Pour ces
deux etresquiseparlageaienlsoncoeur.il ei'it donno savie,
pour leur c^iargner une douleur il (.Citdonne de son sang.
Marguerite le payait de retour el laimail comme il mc-
ritait del'elre; mais Hermann, devenu sombreeltacilurne,
availprcsqucmalgrelui-memejetc un regard honteuxsurle
passe oil, a la place de I'epee posee en pal sur le blason de
son pere, il ne voyait plus qu'une hachc de bucheron.
La conduite de son frere lui semblail alors indigne de la
haine qu'il concevail contre la societe lout entiere.
],a Souabe etait en ce temps-lb saccagee par des hordes
de bandits qui choisissaient pour refuge, aprte leurs san-
glanlesexcursions.les cavernes immensesde la For6l-Noire.
Hermann avail souvent rencontre ces hommcs etranges
qui scmblent vivre aussi tranquiUcmeut que toutle monde,
quoiqu'ils soient continuellement au pied de la potence
qui doit les pendre. II s'etait familiarise avec leurs figures
smislres et leur air souverair.ementorgueillcux; lesarmes
qu'ils porlaient fascinerent ses yeux ; il rrut qu'entre eux
el Us soldals de Tempereur, il n'y avail d'aulre dilTerence
que le costume el le chef.— Bienlot, si on lui eiit demandt5:
Que preferez-vous entre un biicheron et un bandif? il eul
certainemcnt repondu : Un bandit.
Le soir d'une chaude journee d'et6, Albert remontait
paisiblcment le Danube, se dirigeanl vers sa chaumiere,
oil il esperail trouver le baiser de son epouse et I'amilie
d'llermann pour se d^lasser. Ce jour-lb, il s'etail eloigne
plus que de coutume de I'endroit qu'il habilail ; unebeue
dedistancerenseparailencore; il lui prit tout b coup une
telle faiblesse causee par la fatigue el la chaleur, qu'il ne
put resister au be^oin de se reposer un instant; quittanl
le sentier qu'il .^uivait, il enlra dans la (otH et s'etendit
sur I'herbe fratche et la mousse qui tapissait les berceaux
d'arbustes que la nature avail fails plutut pour les lezards
que pour les hommes. — La, bienlot enivre du parfum
sauvage qu'exhalaient les planles et les cht^nes verts, fas-
cine par la lueur rose qui courail dans le feuillage et qui
temblait lutter avec les ombres de la nuit, il s'endormit.
— Son sommeil ne dura qu'une heure, il fut subilement
interrumpu par des eclats de voix asscz bruyanls. 11 allait
1
CONRAD DE SOL'ABE.
75
se relever el chercher a decouvrir quels pouvaient Stre Ics
personnages qui chuisissaient ainsi le milieu d'une foret
pour salle de conciliabule, lorsque quelques mots qu'il
saisit distinclement lui firent reconnaltre le genre d'en-
tretien etlaclasse d'individusquivenaient de le reveiller.
— II ecouta : c'etaient des bandits, mais de Qers et vrais
bandits, comptant le nombre des morts qu'ils devaient la
nuit mOme envoyer dans I'autre monde, et les sommes
que probablement ils se partageraient en honnetes cama-
radcs. Ils parlaient assez souveut tous a la fois, et ne se
taisaient que pour entendre les reflexions ou les ordres
d'un homme qui devait etre leur chef. — La discussion
s'etait animee peu a pou ; il s'agis-ait de savoir si I'on
tuerait ou ne tuerait pas les trois ou quatre habitants du
cliiteau de lianherst, qu'on devait piller la nuit meme.
Parmi les redoutables discutants, les uns exprimaient le
d&ir f^roce de s'assurer par leur poignard du silence de
leurs victimes ; d'autres, aussi feroces pent etre, mais
plus speculateurs, ne voulaient tuer que ceux qui ne
pourraient fournir une rancon convenable. — Ils ne pu-
rent s'entendre amiablement sur cet effroyable sujct, ils
en vinrent aux voix ; il y eut parlage. — Alors le chef,
usant du droit que lui donnait son titre et invoquant les
coutumes etablies, nomma I'un des bandits, et, I'avertissant
que sa reponse mettrait fin a la discusion, lui demanda
ce qu'il croyait utile de faire. — Albert ecoutait avec un
sentiment d'horreur dont il ne pouvait se dtfendre ; mais
tout i coup illuisemblaqu'unserpentlemordaitaii'cccur ;
des paroles vinrent resonner a ses orciUes comme des
coups demarteau frappessur sa t^te; ilentenditla reponse
du bandit inlerroge: — c'etait la voix de son frere!
Cette revelation foudroyante paralysa completement les
forces du malheureux Albert. La horde sanguinaire a\ait
pousse un hurlement feroce en recevant I'arret de mort
prononce par celui a qui le chef s'etait adresse. Puis ils
s'etaient precipites vers une barque amarrie au rivage,
pour traverser le lleuve et alter porter le meurtre et la
devastation au chateau de Manherst. Albert n'avait pu
s'elancer i leur poursuite, arracher son frere au crime
qu'il devait commettre ou se faire massacrer par ses
infames complices. II essaya de se redresser en appelant
Hermami de sa voix brisee par la stupeur ; mais comme
en ccs moments affreux d'un reve oil toutes les forces
employees ^ pousser des oris n'aboulissent qu'^ une sorte
de rSilement inarticule, il ne put sortir de sa poitrine
qu'un gemissement douloureux et sans force; il retomba
sur la mousse, froisse, brise, aneanti. — II eut un instant
devertige indicible. Ce qu'd venait d'entendre lui parais-
sait si horrible, qu'il fit ainsi que ces pauvres gens qui se
trompent eux -memos sur leur position d&esperee, il crut
qu'il venait d'etre la victinie d'un songe, mais d'un songe
sanglant et infernal. — Enfiu son sang refroidi reprit un
instant son cours dans ses veines, il put se lever et mar-
cher. II vinta I'endroit oil devait s'etre tenu le concilia-
bule des bandits, I'herbe etait coucheesur la terre ; a la
lueur de la lune, il put se convaincre qu'elle avail ete
foulee rccemment par les pietinemenis de plusieurs per-
sonnes. II s'approcha du Danube qui miroitait paisible-
ment les astres du ciel dans sa limpide transparence,
et il vit au loin la barque fiJant sur I'eau ; elle n'apparais-
sait plus que comme un oiseau noir aux ailes deployees,
choucas volant vers un cadavre.
Albert ne pouvait plus arreter cette bande maudite, seu-
lement il lui etait peut-etre possible d'empecher le crime
qu'elle allait commeltre. 11 se jeta dans le fleuve pour le
traverser a la nage ; mais il n'eut pas fait vingt brasses
que les forces lui manquerent de nouveau, el il n'aurait
eu d'autre tombeau que les eaux du Danube, s'il eiil ete
plus eloigne du bord. Ainsi, vaincu dans ses tentatives,
il se precipita k genoux sur le sable ; ■ Mon Dieu ! s'^cria-
l-il, je ne puis done empecher un crime! oh I venez a moa
secours: » Et il s'elanca verssa chaumiere, oil il elail sur
-6
CONRAD DE SOUAlJf;.
de trouver line harqiip pour traverser le ileuve si, ainsi
iju'il I'esperoit encore milgre tout ce qii'il avail entemlii,
Hermann nc se troiivait pas a la place qu'il occupait or-
dinairemenl a la table du bi'icheron.
Sa fenimc otait seule; Hermann avail disparu depuis le
matin. Albert jeta fa hache, et, sans repondre aux ques-
tions que Marguerite lui adressait, il se pr^eipila vers le
lieu ou il ?avait pouvoir passer le fleuve.
Le batelier, voyant sa paleur et le desordre de ses vele-
ments, fit un mouvement de surprise.
— Qu'est-il done arrive au brave bucheron Albert?
donianda-t-il.
— liien, lien, r^pondil .-ilbert en saisissant une rame
pour hater le passage.
— Quand il n'arrive rien, reprit le batelier avec cette
persistance curieuse, si commune h tous les gens de basse
condition, on n'a pas une figure comme la voire!
— Que voit-on sur ma figure? demanda Albert in-
quiet.
— La frayeur au moins.
— Depecljons-nous, maitre Brandergolli! s'^cria le bi'i-
cheron, depi'chons-nous, au nom de Dieu 1
— Je voisbien que vous n'allez pas de I'autre cote du
Ileuve pour rouper un arbre ou en planter un.
— Vous etes paye pour passer les gens dans votre
barque, el non pour lire sur leur vivage!
El en prononcant ces paroles oil s'exprimail sa colere
douloureuse, Albert saula sur la greve; il avail enfin tra-
verse le fleuve.
II courut, il bondil de senlier en senlier, s'ecorchant
les pieds et decliirant son visage aux ronces qu'il ren-
conlrail.
II arriva trop lard.
Le chSiteau de Manlierst elait pille et ses habilants gi-
saicnt dans la cour, elendus sans mouvement dans une
mare de sang. .Albert tordit sesbras de desespoir, il essaya
de rendre la vie a ces viclimes des bandits; ses efforts
furent inutiles, les cadavres elaient dc^ja froids. — .4lors
il repril le chemin de sa chaumiere, niaisses traits avaient
vicilli de dix ans.
— Kli bien ? lui demanda Brandergoth en le voyant re-
prendie place dans sa barque, ^tes-vous plus Iranquille?
Albert mil sa ti^le entre ses mains et ne repondit pas.
— Par la sainle Mere de Dieu! reprit le batelier, vous
n'avex pas I'air gai.
— De grdce, laissez-moi ! murmura Albert.
— Voila qui me semble bien etrange! pensa Brander-
goth.
Marguerite vit revenir son ^poux ; elle se tordil a son
ecu pour iScber de le consoler, car elle lisait sur ses traits
unepoignantedouleur. Elle tenia lous les moyens possibles
de surprendre en mSnie temps la cause de son desespoir.
— Serail-il arrive malheur h ton frere? dilelle.
Albert devint plus pSle encore qu'il ne retail; mais il
ne repondit que par un hochemenl de t^te.
— Esl-il mort? un animal feroce I'aurait-il devore?
— II n'esl pas morl.
— Mais alors, au nom de Dieu I reponds, Albert, qu'as-
lu? ne dois-je pas parlager les soulTrances comme les
joies?
— II est de ces douleurs trop fortes pour un homme,
s'ecria celui-ci, qui briseraient le coeur d'une femme rien
qu'en le louchant.
— Mais c'cst done un bien grand malheur que lu me
caches?
Albert pril les deux mains de sa femme, el les serra
centre sa poilrine en levant les yeux vers le ciel : — Mar-
guerite, dil il, Dieu nous a mis sur la lerre pour souffrir!
Marguerite se detacha avec frayeur de celte elreinte
tendre, mais si horriblement triste.
— Oil est done Hermann ? dit-elle ; il n'esl pas dans sa
chambie, son lit est vide I Cependanl 11 m'a dit a I'heuie
oil le soleil se eouchail qu'il avail grand sommeil, et il
s'ctail retire dans sa ehambre pour dormir. — Oh ! il est
sorti par eetauvent qui est encore ouvert ! Sainle Vierge!
que signifie lout cela?
En ce moment, I'auvenl que Marguerite venait de de-
signer se rouvril, Hermann parul; it sedisposaila rentror
dans la chaumiere, maisil s'arrJta en voyant son fierect
la femme de ee dernier qui allachaient sur lui leurs regards
accusateurs.
— Mon frere! s'ecria Albert d'une voix qu'il ne put
empi'cher d'exprimer ses angoisses, d'oii viens-lu?
Hermann, a ces mots, demeura comme frappe de la fou-
dre, il lui sembla que le crime qu'il venait de commetire
etait grave sur son front en caraeleres de feu. — Tout k
coup il fit quelques pas en arriere ; puis, sans repondre a
ces paroles d'amilie el de lerreur a la fois, il disparut ra-
pide comme un jeune cerf epouvante.
— Mon frijre I mon frere! prononca Albert en se pre-
cipitant sur les traces d'Hermann.
Puis il I'appela par son nom, et r^peta vingl fois ses
exclamations oil percail le desespoir. Mais la fortt elait
noire, Hermann avail disparu.
Albert tomba epuise, halelant et presque sans connais-
sance dans les brasde Marguerite.
Ce ful une null terrible pour le biicheron et pour sa
femme ; ils attend irent Hermann jusqu'ii I'aurore, Her-
mann ne revint pas. II allail faire grand jour, el Albert
n'avail pas dormi un seul instant; lout ii coup on frappa
a la porte de la chaumiere : il allaouvrir,croyantenfin que
c'etail son frere, mais il ne vit que des hommes d'ormes
avee un officier de police.
— Le bCicheron Albert Durkhard? demanda ee dernier.
— C'esl moi, repondit celui a qui s'adrcssaient ces pa-
roles.
— Au nom de I'empereur, vous etes mon prisonnier!
Et les soldals se jeterenl sur lui pour le garrotter.
Marguerite, echevelee, poussa un cri de lerreur et
tomba evanouie.
— Laissez-moi embrasser ma pauvre femme et la voir
revenir a elle, s'ecria le bucheron. Vous m'emmenerez
apres oil vous voiidrez.
— La loi n'atlend pas, repondiU'homme de justice.
— Pauvre .Marguerite! dit Albert. Les sanglots brisii-
rent sa voix.
Les soldals enliaiiierenl leur prisonnier.
C'etail Conrad, due de Souabe qui, en sa quality de
seigneur vassal immediat de I'Empire, jugeail les crimes
commis sur le territoire de son duche. Albert fut accuse
devant lui d'avoir assassine les habitants du chateau de
Manhersl. Le batelier Brandergoth s'etait fait son denon-
cialeur; il I'avait vu se diriger en courant vers le chS-
leauet revenir un instant apres, pale, el les mains souillces
de sang.
En effet, en youlant arracher les viclimes a la mort.
CONRAD D
s'il en etait encore lemps, Albert n'avait pas songe a
prendre des precautions indignes de son devouement.
— Combien de temps suis-je reste au chateau de Man-
lierst? demanda le bucheron a son accusaleur.
— Autant de lemps qu'il men aurait fallu pour tra-
verser une fois le Danube.
II elait de toute evidence quAlbert n'aurait pu com-
niettre les trois nieurlres et le pill.ige qui lui elaient impu"
lessansavoir a luttercunlreies victimes. Or quelques mi-
nutes ne pouvaient suffire a la perpetration de ce triple
crime. Conrad de Souabe, malgre sa durele b.ibituelleet
I'envie qu'il avait de condamner le fils de I'un de ses an-
ciens enneniis, ne trouvait encore dans I'arcusation au-
cune preuve sudisantC' a I'anet de mort qu'il voulait
rendre.
— Si vous n'alliez pas pour commettre un crime an
cbateau de Manherst, demanda-t-il a Albert, qu'y alliez-
vous faire?
— J'allais prevcnir le conite de Manherst de Tallentat
E SOUABE. 77
qui devait 6lre dirige centre sa personne et ses biens.
— Vous connaissiez done le crime avant qu'il eClt 6le
accompli ?
— Qui, repondit .\lbert; et il raconta ce qui lui etiit
arrive dans la foriH.
— Vous avez du, reprit Conrad, reconnailre quelques-
uns des bandits que vous pouvicz apercevoir.
— Je n'en ai reconnu aucun.
— Pourquoi done alors n'avez-vous rien repondu a
Brandergotli lorsqu'd vous a demande oil vous alliez? Si
vous aviez reellement I'inlention d'enip6cher un crime
sansaucune crainle de compromettreses auteurs, vous ne
pouvicz garder le silence sur votre resolution, et la pre-
sence on le secours de Brandergotb ne devait pas vous
sembler inutile.
Albert, en presence de cetle logique serree, diflicile a
combaltre, chercha vainement une reponse convenable.
— Vous redoutiez done la presence de Brandergotli?
Ceci ne prouve qu'une chose : c'est que, ou vous avez ete
complice du crime, ou vous connaissez ceux qui I'ont
commis, car de toute maniere vous avez temoigne I'inleret
que vous prenieza garder le secret. Dites-nous le molif
qui vous a fait agir ainsi.
Le malheureux Albert garda le silence; il Cr3i:.:nait en
disant un seul mot de faire deviner la terrible verite qu'd
voulait cacher, mfme au prix de sa vie.
Conrad, qui ne demandaitqu'un pretexte pour exercer
sahaineenvers celte faniille Durkbard, dont il relrouvait
un des membres sous sa main, considera le silence d'AI-
bert comme une preuve incontestable do sa culpabilite.
II rendit un jugement qui declaiait Albert consalncu
de crimes, ou de coniplicite dans les crimes qui cliaque
jour ensanglantaient la Souabe. Et, faute par lui d'avoir
fait connaitre en trois jours les noms des devastateurs et
meurtriers qui avaient devasle le chateau de Manherst, il
la condamnait a dtre pendu.
En entendant cetle inique sentence, Albert se leva : —
I'enju ! dit-il; je suis noble, et si Conrad de Souahe la
oublie, il n'a qu'a demander a son intendai.t oil elait la
baronnie de Durkbard.
— .\u lieu d'une potence le bourreau preparera sa
haclie, repondit le juge.
Le jour de ['execution arriva bienl6l. Un echafaud fut
dresse sur la granJe place d'Augsbourg.
Albert avait refuse de repondre aux nouvelles questions
que lui adressaient les gensde justice; il avait fait le sa-
crifice de sa vie, et en I'oHrant il Dieu, il demandait griice
pour son frere, voila tout.
Le peuple hurlait aulour de I'instrument de supplice;
les fenfires des maisons elaient transformees en cadres oil
s'empilaient des tetes. Enfin le condamne sortit de la pri-
son pour marcher vers I'echafaud. II s'avancait d'un pas
ferme et courageux, seulement de lemps en temps il le-
78
PETITS VOYAGES
vait les yeux et semblait cliercher quclqu'un parmi la
foule.
Conrad de Souabe, monli' siir un clieval richemenl ca-
paraconnf, avait aussi voulu jouirdela vue du supplice.
En ce moment, Albert mettait le pied sur la premiere
marche de Techafaud. Une femme, les cheveux ^pars, les
traits horriblement contractfe par la douleur, vint se jeter^
aiix pieds de Conrad, en criant : — GrSce! grdce pour
jDon dpoux ! il est innocent.
C'dtait Marguerite.
Conrad detourna la tcte en faisant un geste d'impa-
lience.
Albert, arrive sur le hant de I'^chafaud, baisait en ce
moment le christ que lui presenla'it un prfitre. Le bour-
reau, appuy^ sur son instrument de mort, attendait le
signal que Conrad devait lui faire pour finir d'un coup
d'espadon le drama dont .Albert elait le heros. — Tout h
coup un bomme s'ouvrit pa.ssage au tra\ers de la foule, et,
se dirigeant •vers Conrad, il lui remit un parchemin sur
leqiiel on voyait le sceau du grand justicier. Conrad leva
son epce h la bauteur de sa tete et lui fit decrire un demi-
cercle; aussitot le bourreau laissa tomber son arme de sa
main etdelia les mains d'Albert.
Conrad avait disparu.
— Monseigneur le due vient de faire pour vous un si-
gn il de vie et de liberie, dit le bourreau en s'adressant Ji
Albert.
— Que Toulez-YOus dire?
— Vous teniez done beaucoup k voir comment je tra-
vaille? Aliens, il faut y renoncer.
— Mais qui done m'a fait grace?
— Le due lui-mi5me.
.41bert descendit de rechafaud et \int se pr^cipiter dans
les bras de Marguerite, qui faillit niourir de joie comme
elle avait failli mourir de douleur.
Le peuple hurla beaucoup plus fort que jamais. Tigre,
priv^ subitement de sa proie, il prouva, par son feroce
mccontentemcnt, que quand il venait pour s'emouvoir de
la mort d'un bomme, il n'aimait pas a ^tre trompe dans
son attente.
Un geolier s'approcha d'Albert, et lui frappa sur 1'^-
paule pour I'avertir de sa presence, en disant k voix basse :
— Suivcz-moi, un bandit veut vous parler dans son ca-
cbot.
Albert devint livide comme un cadavre et suivit le geo-
lier. On le condulsit dans une cellule oil un prisonnier
gisait etendu sur la paille.
— Albert! murmura une voix mourante.
— Hermann! prononca le b&cheron en se precipitant
vers son frere.
— Je vais mourir! pardonne-moi !
— Oh ! non, tu ne mourras pas lorsque pour te sauver
je m'etais moi-mSme condamn^ a la mort.
— Je suis blessi;! dans quelques minutes j'aurai cess6
de vivre!
— Mais qui done t'a ainsi meurtri?
— Les bandits avec lesquels j'avais eu le malheur de
me lier. lis m'ont appris ce matin le sort qui t'ctait re-
serve, alors le desespoir le plus affroux s'est enipare de
moi. lis voulaient m'emp^cber de venir me jeter aux pieds
de Conrad pour lui tout avoucr; je me suis battu avec
eux, ils m'onl blessc, mais pas assez pour m'arrfiter dans
ma course. Maintenant que je t'ai sauvi, je puis mourir!
Adieu!
— Mon frere ! mon pauvre frere !
Albert ne pressait plus dans ses bras qu'un cadavre !
PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE.
LA SEINE, SES BOUDS ET SES SOUVENIRS.
(suite et fin.)
Apres avoir quittele chateau d'Orcher, le fleuve donne
naissance a une petite bale, et recoit dans ses eaux celles
de la Lizarde, jietite et faible rivifere qui coule k tra-
vers une riante vallee et va baigner la ville d'Harfleur,
dont nous apercevons de plusieurs lieues le clocher aigu,
fleche curieuse, qui constitue, ains'i que le portail de I'e-
glise paroissiale, un morceau prteieux de I'architeclure
normande. Cette jolie petite ville d'Harfleur, appelee par
Monstrelet le souvcrain port de Normandie, ^tait flo-
rissante autrefois comme centre du commerce maritime
de la province dont elle ^tait un des principaux boule-
vards, grSice h ses fortifications. Aujourd'bui elle est bien
decbue de son ancienne importance, et n'est plus que
I'ombre d'elle-m^me ; elle n'a pas conserv6 plus de trois
h quatre cents maisons. La fondation du Havre, la revo-
cation de I'iJit de Nantes, les guerres itrangeres et les
guerres de religion ont amene sa ruine. Aujourd'bui ses
remparts sont demolis, et son port, autrefois si plein de
vie, est remplace par des plaines ou paissent des bes-
tiaux.
Ainsi il semble que la nature elle-m6me ait pns a tJ-
cbe de contribuer Ji cette dteadence complete et irreme-
diable. Au commencement du seizieme sifecle, HarfleuT
voyait ses murs baign& par la Seine; a partir de cette
epoque le fleuve s'est 41oign4 cbaque jour davantage, et
la ville s'en trouve separ^e maintenant par une demi-
lieue de marais longtemps infects et improductifs, mais
aujourd'bui cultiv^s et changes en jardins agr&bles et en
fertiles prairies.
II ne reste done plus Si Harfleur que le souvenir de ses i
malheurs imm^rites, un passi5 glorieux, les restes inipo-
sants de ses fortifications, la Deche et le portail Elegant
de son ^glise; les flammes de quelques barques de pS-
cheurs qui viennent, h rembouchure do la Lezarde,
cherclier un abn, rapiiellent seiiles aux Harfleulais que
leurs aieux ont vu longtemps llotler sous leurs murs les
pavilions d'Espagne.et de Portugal.
L'endroit qui fit naitre le projet de la conquSle de
I'Angleterre est encore un probleme pour les historiens,
qui lie s'accordenl pas a ce sujet ; les uns pr(?(pndenl que
Guillaumele BJitard \int recevoir & Harfleur tldouard le
Confesseur, et lui confia une flolte pour reconqu^rir son
trone que lui avail enleve Canut ; les autres racontent
que I'entrevue se passa a Barfleur. On n'a jamais su i
quoi s'en tenir sur un ev(?nemenl non moins important,
niais plus funeste, sur le fameux naufrage a la suite du-
quel perirent tous les enfants de Henri I", roi d'Angle-
terre, avec cent cini]uanle jeunes gens de la cour; ce de-
sastre, corame on sait, fut occasionne par I'iniprudence
des niatelols qui, apres s'elre enivres, engagerent la
lllanche-Ifefel ses mallieureux passagers au sein de cer-
tains rochers a fleurd'eau, en un lieu nomnie alorsRaz-
de-Catte, maintenant Raz-de-Catteville.
SUR LES RIVIERES DE FRANCE. 7-1
On ignore encore si ce sinistre arriva a la sortie de Bar-
fleur ou a celle d'Harfleur ; M. Augustin Thierry (Ilis-
loire (le la conque'lc de I'Angleterre par les Aormands) a
adople la seconde version.
Quoi qu'il en soil, cette petite ville d'Harfleur joua, ^
partir de cette epoque, un grand r61e dans I'liistoire de
nos rivalites et de nos guerres avec les rois d'Angleterre;
ses habitants opposerent alors aux coups du malheur qu
les accabia trop souvent tout ce que rintclligence peut
indiquer de ressources, et tout ce que le patriotisme peut
donner de courage et de fermete. Nous aliens en citer un
exemple.
Dans I'annee lilii, h I'epoque de la demence de diar-
ies VI, I'ambitieux Henri V vint debarquer devant Har-
fleur et s'en empara; puis il la detruisit de fond en
comblc. Enfin, pour s'en assurer la ccnqu^te a jamais, il
eut I'idee d'en bannir les habitants, et de la rcpeupler
avec une colonie d'Anglais. Alors on declara toutes les
maisons de la ville propri^tes du vainqueur et, le mfme
jour, on exila aCalaisseize cents families, qui n'eurent la
permission d'emporter qu'une parlie de leurs vetements
et cinq sols p^r t^te. Avant de partir, ces infortunes
avaient eu la" douleur de voir brtiler sur la place publi-
que leurs charles et tous leurs tilres de proprictes, ter-
riers, etc Quelques-uns, ne pouvant se decider a
quitter leur patrie, obtinrent d"y rester, mais aux plus
dures conditions : ainsi il leur fut k jamais interdit d'ac-
querir et d'heriter. — Puis, une fois sa colere assouvie,
le monarque anglais Bt relever les fortifications qu'il avait
en partie detruiles.
N'oublions pas de mentionner qu'avant de publier et
d'accomplir cet acte de barbaric, I'excellent monarque
alia processionnellement, pieds nus et le cierge au poing,
dcpuis la porte de la ville jusqu'a I'eglise paroissiale,
I'our rcndre grace a Dieu de sa noble entreprise. Enfin,
Henri Vcrut se fairepardonner pirleciel tanldebarbarie,
en lui consacrant un faslueux monument qui a surv^cu
aux ravages de la guerre et a ceux du temps. Ce monu-
ment, comme I'a dit CasimirDelavigne,
C'est le clocber d'H.irQcur, debout poor nous apprendre
Que I'ADglais i'a bill mais ue i'a su defendre.
En effet, vingt ans apres, cent quatre Harfleutais oserent
concevoir le dessein de rendre, nouveaux Thrasybules, la
liberie a leur patrie ; on sut se menager des intelligences
avec quelques milices des environs; les conjures du de-
hors s'approcbferent de la place pendant la null, et au
point du jour on donna le signal de I'allaque. La garnison
anglaise fut egorgee, et les porles furent ouvertes a Char-
les VIL — Par malheur, Ihistoire ne nous a pas conserve
les noms de ces citoyens courageux. Cepeadant, pendant
80
PETITS VOYAGES
deux siecles, a I'heuro mime de I'assaut, on sonna clia-
que malin cent qualre coups de cloche en souvenir de
celte action memorable et de scs auteurs.
Quoi qu'il en soil, Hartleiir ne fut pas heiireuse et joiia
de mallicur ; car die lomba une seconde fois au pouvoir
des Anglais, el Charles Vll fut oblige de la reprcndre une
seconde fois, en 1449, sur le roi Henri VI. Le roi Charles
prit part en personne a ce siege, oil il s'exposa beaucoup,
conime le raconle Monslielel, cs fosse's cl is mines, sa su-
lade sur la tele el son piivois en main.
A Harfleur on colebre, le mardi-gras, la fete de la Seie,
ceremonie ou pluldt mascarade assez semblable a la fele
des Anes de Bcauvais, des Coinards d'livreux, de la
Merc-Folk de Dijon et des Sous-Diaercs de Paris, qu'on
appelail par derision les DiacrcsSous. 11 est a regretler
que les gens qui ont mis lant d'cmpressement a relablir
la ridicule mascarade de la.Scic, imaginee pour la plus
grande gloire d'une seule faniille, n'en aient pas mis au-
tant a faire revivre une coutume bien autrement natio-
nale, celle de ces cent qualre coups de cloche qui rap-
pelaient une action eclatanle et un heroique devoue-
nient.
Tons ces dereglements de I'imaginalion s'etaient, au
douzii^me siecle, empares de toules les tetes en France, et
semblaient par leur nature tirer leur premifere origine
des saturnales du paganisme, pendant lesquelles les mai-
tres elaient forces de servir leurs csclaves. Le jour des
F<ilies d'Uarlleur, une troupe de gens masques, compo-
sant une cavalcade, marchenljusqu'au Havre, oil ils por-
tent une scie en grande pompe. On se rend d'abord en
procession chez les autorites.auxquelles on accorde I'hon-
neur insigne de baiser les dents de chacune des extre-
mites de I'instrument ; le milieu est reserve au maire
d'Harfleur. La lame dentel^e est porti5e par deux mas-
ques; ils sont suivis de deux autres, armi5s d'une sorte
de sceptre orne de rubans, et qu'on nomme le baton fri-
seux; ce sont les montants en bois sur lesquels la scie
doit Streemmanchee. Alors on revient a Harfleur, oil Ton
va charivariser le mari reconnu pour le plus brulal
parmi les maris de la ville; ensuile on le contraint a re-
cevoir et a garder dans sa maison le baton friseux, dans
le but de le faire rougir h chaque instant de sa brutalile
envers sa femme. On terniine la journee par des rejouis-
sances et des galas.
Maintenant montons sur cette colline charmante qui
avoisine Harfleur et d'oii la ville s'ofVre aux yeux soiisun
aspect assez pittoresque pour avoir fixe I'atlention et fait
travailler les pinceaux d'un cclebre paysagiste , de Bour-
geois. Nous revcrrons, a rembouchure de la Lezarde, dont
nous avons deja parle, le port de I'lleure , jadis impor-
tant, mais qui depuis longtemps n'est plus qu'iin petit
hameau assez malsain. Le (leuve s'est retire de la rive,
et I'entree de la Lezarde a ete envahie par les sables et les
alluvions qui viennent de la pointe du Hoc , vieux mot
qui signifie crochet et d'oii ce rivage a tire son nom, en
raison de sa courbure en ce lieu. C'est sous ce petit pro-
montoire de Hoc que les navires qui manquent leur en-
tree au Havre viennent se refugier ; mais cet abri est
quelquefois peu sur, a cause des bancs de sable formes en
cet endroit par les vents du sud-sud-ouest. C'est la que,
dans le siecle dernier , s'&houa et s'abima le Rouen ,
vaisseau de ligne de soixanle-dix canons. Pendant une
vinglaino d'annees on vit s'elever encore au-dessus des
eaux I'extremite du grand mJl de ce bitiment, signal fu-
neste et exprcssif qui avertissait les niarins d'eviter cet
ecueil rcdoiitalile.
Mais avant darriver a celle pointe du line, nous
voyons une ferme s'elever pres du rivage; elle a ele con-
struite sur romplacemenl nifme oil, en 1 294, fut bitie
une chapelle dediee ii Notre-Dame-des Vosges, en sou-
venir d'une neige abondanle qui tomba au niois d'aoftl,
par consequent au Cffiur de I'ute.
.4vant de quitter Harfleur, n'oublions pas do mention-
ner qu'ellc a di)nn(^ naissance ii deux hommes dont I'illus-
tration n'a pas etc, par malheur, imperissable : nous par-
Ion^ du capitaine Gonneville, marin celebre du quinzieme
siecle, qui decouvrit une partie des terres australes; et
de Thomas Diifour , ecrivain religieux, dans. les oeuvres
duquel on distingue une paraphrase du Cantique des
cantiques, que les vers de Vollaire ont fait toniber dans
I'oubli.
Nous decouvrons ensuile sur la hauteur Graville , dont
nos plus ancienncs chroniques nous ont parle sous le nom
de Gerardi- Villa. Au neuvieme siecle, sa position com-
mandait une bale oil les pirates normands vinrent souvent
se refugier avec leurs vaisseaux au moment des tempetes.
Pendant longtemps Graville eut a conserver les reli-
ques de sainte Honorine, rendues depuis au monastere
de Conflans, ainsi que nous I'avons raconle; malgre cela,
bien que les reliques eussentele restituees et que le sar-
cophage fiit reste vide, la foule n'en continua pas moins
d'affluer a Graville, oil Ton voyait encore, dans les pre-
mieres annte de la revolution francaise, six chanoines
reguliers qui touchaient bel et bien leurs 40,000 livres
de revenu par an, petrissanl ainsi le tranquille embon-
point du canonical.
Au-dessus du sarcophage on pouvait voir, dans la mu-
raille, une ouverlure circulaire dans laquelle les pMerins,
moyennant un droit a payer, acqueraient celui de plonger
leur tele; excellent moyen, disait-on , de guerir la sur-
dite. 11 y a quelques annees, un cure desinteresse et rai-
sonnable s'est trouve 'a Graville ; S(?parant la veritable
religion du Christ des superstitions absurdcs du moyen
Sge, il fit murer cette excavation si propiceaux miracles.
On voitencore deboutdes lestes niagnifiqucsde I'eglise
et du monastere, situe a mi-cole sur une terrasse elev^e
qui domine les bosquets de I'aulre rive, et d'oii Ton jouil
d'un admirable coup d'ceil.
Apres avoir longtemps appartenu a d'illustres seigneurs,
la lerre de Graville eut pour proprielaire le cardinal de
Bourbon, arclievequede Rouen, proclanieroi de France par
la Ligue sous le nom de CharlesX. Ensuile elle fut acquise
par le cardinal de Richelieu au prix de 215,000 livres.
II y avail jadis a Graville une baic siluee au pied de
la c6te; elle a disparu. Au pied de Graville mtoe se
trouve mainlenaiit un largo banc forme par des fiboule-
menls qui, se reunissant aux sables amonceles , encom-
brent chaque jour de plus en plus les abords de la Seine,
et ont force les eaux du lleuve a fuir ces parages.
II y avail aussi en cet endroit un chateau destine a de-
fendre la bale, il a disparu de nienie il y a plus de cin-
quanle ans. Quelques vieillards du pays y onl encore vu,
il celle i'poque , des anneaux de fer d'une grosseur
i^norme, scelles dans les murs, et auxquels on amarrait
les barques de picheurs el les navires.
Li c6;e d'lngouville commence a la droite de Graville ;
SUR LES UlVlfcRES DE FRANCE.
cVst un liclie faubourg du Havre, habile principalement
par (!es Anglais. Les Grangers et I'habitant du pays lui-
nx^me admirent ces teiTasscsconstruitfs en amphitlieSlre
et d'un elTet si pittoresque. Un poete celebre, Casimir
Pelavigne, contemplant du haul de ces collines celte vallce
.nix Hants paysages, cette cile herissee de mats et d'an-
lennes, re panorama si etendu et si variii a la fois, s'ecria
dans son enlhousiasme :
Apris Constantinople il n'est ricn de plus Lean.
Delavlgne, comme chacun sail, elait n^ au Havre.
Nous voyons alors successivement apparaitre, de der-
riere la cote qui nous les cachait, la jetee du port, la ci-
tadelle et les maisons du Havre. Voila bien la ville la plus
remarquable de la Normandie, par son commerce et son
activite, I'une des cites les plus splendides du royaunie;
nous voyons se d^rouler devant nous ses rues larges et
81
reguliftres, ses quais magnifiques et ses bassins qui se
rroisent et se replient dans toutcs los directions. Son port
pent contenir.sans qu'ils y soient g^nes, sept a Iniit cents
vaisseaux. La ville est traversee par la rue de I'aris, qui
en est comme I'arlere pi incipale ; cetle rue est tres-fre-
quent(?e; it y pas.«e bien par jour autant de pcrsonnes que
la ville a d'habitnnts.
L'origine de la prosperite du Havre remonte a Fran-
cois I", mais c'est k tort qu'on a attribue a ce prince la
fondation de celte ville; c'est LouisXlI quien est le veri-
table fondateur; ilen posala premiere pierreen 1509 pour
remplacer le port d'Harfleur, que les sables comblaient do
plus en plus chaque jour. Pour donner de la vie et de
I'illustration aux chantiers du Havre, Francois I" y en-
treprit une construction maritime d'une proportion co-
lossale , et qu'il nomma La Grande-Framboise ; on y
trouvait h la fois tout ce qui pent rendre la vie commode
et agreable; on y voyait jusqu'ei un moulin et un jeu do
, ail me assez etendu. Mais on ne put jamais lancer et faire
irtir du port ce chiteau naval sur lequel on voulait aller
jmbatire les Turcs.
A I'epoque des guerresdela Ligue, le prince de Cond6,
lef des protestants, livra le Havre aux Anglais, qui
vaient pour chef le comte de Warwick; cette ville fut
iconquise par Charles IX. Visiltje par Henri HI et
.'lenri 1\', sa citadtlloservitde prison, pendant les guerres
;•! la Fronde, au grand Conde, au prince de Conti et au
ic de Longueville, qu'un ministre passablement adroit
. lulut punir de lui avoir dispute le pouvoir. Dans des
mps plus rapproches du notre, Louis XV, Louis XVI et
ipoltion ont visile cette ville qui s'est immorlalisee par
■ n heroique dMense conlre les Anglais el leur amiral
dney Smith.
Quand la mer alimente ce port si important, elle a d^ja
sorbe les eaux de la Seine. Cependant nous ne sommes
j s arrives au terme de notre voyage pittoresque.
U nous faut d'abord gravir les hauteurs qui, au nord
;: -vent de limites ^ la ville. C'est le cap de la lli;ve, dbnt
III.
nous avons racont^ l'origine empruntee h la mythologie.
Son sommel est surmonte de deux phares visibles de fort
loin, el qui annoncent aux piloles qu'il y a des passages
dangereux a ^viler. Ces deux phares ont ete conslruits
sousLouis XV.et, chose etrange, ilsne rappellenlen rien
ce .style maniere et lourmentij de I'arGhileclure h laquelle
madame de Pompadour donna son nom. Ces phares sonl
garnis de fanaux qui , k I'aide de douze n^flecteurs pla-
quiis en argent el de vingt-qualre bees a I'huile, tjclairent
I'embouchure de la Seine el la pleine mer depuis )e jour
de I'avenement au tione de Louis XVI.
Du haul des plates-formes de ces phares, eleves a trois
cent qualre-vingt-cinq pieds au-dessus du niveau de la
mer, nous decouvrons a la fois quaire des plus riches
departenients de France.
Mais interrogeons nos souvenirs, ils nous repondront :
ce point noir, a I'horizon, c'est Barfleur, oil debarqua le
roi d'Anglelerre fidouard III, quand il vint pour ravir k
Philippe de Valois le trone de France el battre ensuile
notre QoUe k I'ficluse. Plus loin, c'est la Ilougue, oh, six
6
82
LE COLONEL STAMER.
ans aprte, le m6me fidouard vint encore se ruer sur noire
nialheureux pays el nous ecraser ^ Crecy. Mais ici les
choses changcnt d'aspect; nous apercevons le clocher do
Fourmigny, oil les Anglais furent baltus par Charles VII
et expulsfe de la Normandie.
Plus loin, ronimcncela chaine des rocliers du Calvados,
qui tirent lour nom d'un vaisseau espagnol qui s'y perdil
au milieu des recifs. En face de nous, le paysage est em-
belli par I'embouchure de la Dive ct celle de la Touque;
la Seine vient terminer ^ nos pieds son cours imposant,
en se perdant au sein de la rade. II devient impossible de
croire que ce bras de mer provienne de ce faible ruisseau
que nous avons vu sortir obscurement de lerre dans la
commune de Saint-Germain-la-FeuiUe. II n'y a que les
noms qui se ressemblent.
Nous avons fini noire voyage, puisque la Seine a cess6
de couler ; nous n'avons pas cberche a surcharger d'orne-
ments inutiles ce simple recit d'historiques souvenirs,
celle modeste copie de delicieux paysages ; c'est sur les
bords de ce (leuve majestueux qu'il faudra relire les uns
et viriDcr les autres : nous n'avons voulu fire qu'exacts,
et nous esp^rons bien que nos scrupules en fait dexacti-
lude attenueront la si5verite de la critique. Le fleuve aux
ondes capricieuses, aux poetiques legendes, \a se perdre
dans rimmensite ; nous, son hislorien ignor^, nous ren-
trerons dans le cours bien moins solennel de nos travaux
silencieux. Et cependant, la encore, il y a bien des oragcs
h essuyer, bien des ecueils k i5viter ! Mais a I'homme de
courage la philosophie n'a jamais fait d^faut, et nous nous
empresserons de dire avec le poete remain :
I quo le mpient pedes et aurs.
A. L. Ravebgie.
LE COLONEL STAMER.
NOUVELLE IRLANDAISE.
Celui qui frappe de I'epee perira par repee,
(Saist Mattoieu.)
, ^ La grande route qui con-
duit de Limerick i Gal-
way traverse a peu pres
a moitie chemin le petit
village de Clare, tapi sur
la rive gauche du Fergus,
le plus pittoresque peut-
Hre de tous les affluents
du royal Shannon. Le vil-
lage est domine au nord
par un antique chciteau
dont les murailles, six fois
centenaires et couronn^es
de lierre, renfermenl une
garnison anglaise. Ce ma-
noir a de tout temps ap-
parteuu aux descendants de la race jadis royale des
O'Brien, el ce n'est que par suite d'uu arrangement par-
ticulier avec le proprietaire actuel, sir Lucius O'Brien,
que le gouveruenient a pu s'en assurer la disposition.
Silue dans une tie du Fergus, sur les confins des
deux comtes les plus remuanls de I'lrlande, sa forte po-
sition lui assure une grande importance stratigique, et sert
h. expliquer le role qu'il a constammenl jou(5 pendant les
guerres civiles; c'est dans ses murs que commandait
I'homme dont je vais entrotenir le lecteur.
Aucun r&it ne peul donner une idee exacle des atroci-
tes oxerceesh une cerlaine epoque, et sous le mauleau de
la religion, par les catholiques et les protestants, les uns
envers les autres, et a tour de role, selon les alternatives
de defaite ou de succ^s que pr&entaient aux deux par-
tis les phases diverges de la guerre. La victoire est defini-
tivement restee aux protestants, moins nombreux, mais
plus habiles, mieux conduits et surtout plus unis. Sous
la direction de Cromwell et de Guillaume d'Orange, des
armees anglaises ont detruit des multitudes irlandaises
avec une facilite qui a accredile dans le Royaume-Uni
I'opinion basee sur des fails, que les enfanis de la Verte
Erin sont des heros parlout aillcurs que chez eux. Nous
rcprouvons de toute la force de noire indignation les ex-
ces dont les bandes proteslantes ont mainles fois souillc
leurs Iriomphes ; mais la j uslice nous force k conslater que
leursadversaires catholiques ne leur cedaienl en rien sous
le rapport de la cruaut^. L'esprit du temps, empreinl de
barbarie et de fanalisme, le voulait ainsi; et pour ne
citer qu'un seul exemple, I'lrlande n'a-t-elle pas vu en
1G45 le massacre de cinquanle mille protestants de lout
sexe et lout 5ge, egorges en un seul jour de la maniere
la pi as horrible ?
A la suite de la conqu^te de I'lrlande par Olivier
Cromwell, une garnison protestanle occupaitau nom du
parlement le chateau de Clare. Elle avail pour chef le
colonel Stamer, dont les descendants poss^dent encore
aujourd'hui la demeure seigneuriale situSe dans le voisi-
nage, et connue sous le nom de Carnelly-Hall. Ce chef
redoule avail loute rinflexibilit6 de caractfere d'un soldat
puritain, nourri dans les pratiques de la guerre civile.
Enloure d'enuemis implacables et de perils sans cesse
renaissanls, expose aux tenlalives les plus hardies, le
colonel SlamerTdeployait dans I'exercice de son comman-
dement une rigueur impitoyable, ordonnait des repre-
sailles terribles , et donna quelquefois des preuves d'une
veritable ferocit(5. Un jour, entr'autres, il altaquaun parti
de catholiques retranehe dans I'abbaye de Quin. La re-
sistance fut acharn^e du cote des assieges, qui n'esp^raient
aucun quartier ; et ce ne fut qu'apres avoir avoir perdu
un grand nombre de ses meilleurs soldals, que William
LE COLONEL STAMER.
83
Stamer put enfin penetrer dans I'enceinte sacree. Une
scene epouvantable suivit immediatement la victoire.
Unefoule de moines, de religieuses.defemmes, d'enfants,
de \ieillardsetde blesses s'etait refugiee dans la ehapelie
du monastere : les vainqueurs effrenes en briserent les
portes et s'y livrerent jusque sur les marches de I'autel,
aux exces les plus revoltanls. Cette population desarmee
fut egorgee sans merci ; les pierres tumulaires furent bri-
sees, la froide depouille des morts jetee au ven', les
chevaux s'abreuverent dans les fonts baptismaux, les
ornements des prfelres, les images des saints furent trai-
nfe dans la fange. L'incendie vint ensuite reclamer sa
part, el la terre fut jonchee de ces ruines imposantes qui
^tonnent depuis des slides I'ceil du ^oyayeur, et qui sent
tout ce qui resle desormais d'un des plus beaux edifices
monastiques de I'lrlande.
William Slamer voulut, maistroptard, arrSterle cours
de ces atrociles. La fureur dont une lutte opiniStre I'a-
vait transporte ne put tenir devant des actes aussi sau-
vages. Ses sentiments de gentilhomme et de chrfetien sin-
cere, quoique fanatique, reprirentle dessus; il eut honte
de lui-meme, il eut horreur de sa victoire, 11 s'elan^a
pour arracher ^ des furieux une religieuse dfeja frappee
et qu'ils se pr(5paraient h achever ; cette femme elait
mourante. « William Stamer, lui dit-elle, regarde au-
• tour de toi, ecoute ces cris de femmes et d'enfanls, de
■ vieillardset de bless(5s : leurs voix vonts'eteindresurla
« terre sous les coups de tes soldats ; mais au jour solen-
« nel de la retribution, elles parleront bien haul conlre
« toi. Je te maudis, toi, la femme de ton amoiir et I'en-
« fant nouveau-ne ; je te maudis dans ta race, qui s'e-
« teindra a la dixieme generation sans que le pere ait
• jamais vu son fds arriver a lAge d'homme! Tes
« mains sont sanglantes, William Slamer, ta fin le sera
■ aussi! La religieuse se tut, elle etait morte.
Mais ses paroles ne devaient pas tomber ^ terie ; sa
malediction s'est attachee a la maison de Stamer comme
la tunique du centaure aux epaules d'Hercule I
Quelques mois apres le sac du monastere, le chiteau
de Clare fut surpris la nuit par les catholiques et empor-
tfe d'assaut. La garnison protestante fut passee au fil de
I'epee, et le colonel Stamer massacri^ sur le seuil de la
grande salle ; il avail vu, avant d'expirer, son enfant nou-
veau-ne arrache aux bras de sa femme et jete au fleuve;
il avail vu la pauvre mere, folle de d^sespoir, s'^lancer a
sa suite. L'enfant fut sauvS miraculeusement et recueilli
par des mains fideles; car sa race ne devail s'^teindre
qu'Sila dixieme generation; mais la prediction s'accom-
plit dans son entier. Tous les Stamer sont morts jeunes,
avant d'avoir vu leur fils depasser la einquieme annee,
aucun n'a eu deux fils : aujourd'hui celte ancienne fa-
miUe n'est plus representee que par deux fiUes, dont le
pere, le colonel Georges Stamer, dixieme et dernier des-
cendant male de William Stamer, est mort a trente-trois
ans.
Le chateau de Qare, theatre de tant de scenes falales,
temoin de tant de sombres Episodes, en a conserve un
renom sinistre. Ses murs soul, dit-on, hantes par le
speclre d'une femme desol^e qui, a certains jours, vient
gemir sur le rempart et jeler la lerreur dans I'Sme des
senlinelles, Un officier de la garnison m'a m6me assure
qu'on a ^te plusieurs fois oblige de doubler les faction-
naires sur les points que le fantome parait affectionner.
Ce spectre inconsolable, c'est celui de la dame Slamer
Le due de Rovico.
84
LE SANPIETRINO.
IE SAXPIETRIXO'.
(suite et fin.)
III.
Cost sur ce mont que
s'cleve la Trinita-riei-
Monli. Salviali se pro-
niena sur la place d"Es-
pngne, d'ou il pouvait
voir Ires-distinclement le porche (lel'egUse.
Onze heures sonnerent; et je puis direainsi,
carl'horloge de la Trinity sonne tout a fait a
, la francaise, ce qui differe beaucoup de la
■ mode ilalienne, regli'e sur le lever du soleil,
et par consequent changeant tous les jours.
Au moment ofije metal jetait son dernier son, I'homme
au manteau arriva sur la place du cote de la villa Me-
dicis. Le fils de Carlione marctia droits lui, et, pour
resumer toutes les questions qu'il avait a faire en une
seule, il lui presenla le billet ecrit au crayon.
— Je ne vous ai entendu parler qu'un instant, et je ne
vous aivnqu'iine fois, dit I'etranger; niaisje ne doulais
pas que vous sericz exact au rcndez-vous.
— De quoi s'agit-il ?
— Voire profession ne vous plait pas, vous etes le fils
il'un brave et ^ous sentez dans votre ccrur toute I'ambi-
lion qu'a pu avoir voire pere. Un moyen vous est olTerl
de sortir de la position que le sort vous a faite; mals,
avant de vous inilier aux secrets qui vont vous etre revi-
les, failes serment de ne divulguer ^ pcrsonne ce que
vous aurez vu ou entendu.
Ce n'cst pas ordinairement pour faire le bien qu'on
s'environne do tant de precautions. Cette pensee vint
naturellement ^ Salviati; mais la curiosity, sinon son am-
bition, I'eut bienlot dissipee. II fit ce qu'on exigeait de
lui, et se laissa conduire vers la villa Medicis.
Ce palais, construit dans le seizifeme siecle par le car-
dinal Jean Ricci de Montepulciano, a prfes d'un mille et
demi de circonference, ycompris ses jardins, qui s'eten-
dent jusqu'Ji la niagnifique promenade entreprije par les
Francais et continuee par le cardinaPGonsalvi. Aujour-
d'hui c'est le siege de I'Acadtimie francaise des beaux-
arts a Rome. Dans ce palais s'assemblaient, en 1796, tous
les ennemis secrets du pape. Salviati y fut introduit, et il
remarqua, non sans une sorte de frayeur, que son nou-
veau prolecteur avait donnc plusieurs foisun motd'ordre
aux gens qui se trouvaient places en manifere de senti-
nelles dans les vastes corridors et sur I'escalier qu'il avait
parcourus. Jusque-Ui , toiijours dans I'obscurite, il n'a-
voit pu voir les traits du myst^rieux personnage, qui,
niiJme dans I'osleria elait continuellement \o\\& d'un
pan de son manteau :aussi se promeltail-il de satisfaire
1 Voir page 55.
son desir dans un vestibule qu'annoncait h I'avnncc une
lumiere au moins suffisante. Mais, au moment ou ils n'a-
vaient que quelquos pas a faire pour y arriver, deux
hommes masques se presentcrent. Son introducleur leur
repela le mot d'ordre, et aussitot ils pr^sentfrent deux
masques. Celui-ci cn^prit un, et Salviati fut invito a se
LE SANPIETIUNO.
8S
couvrir la figure de cet uslensile cabalislique ou car-
navalesque.
Uiie porte s'ouvrit a un pelit bruit do sonnette, et,
apres avoir traverse le vestibule, le fils de Jeun Carbone
et son compagnon entriirent dans une grande salle. Je
laissea penser quelle fut la surprise du sanpietrino lors-
i(u'il se vit au milieu de Irois cents personnes qu'on eiit
crues muettes, absolunient masquees comme lui, symetri-
quement rangees sur des sieges. Un peu en avant du
carre forme par, ces singuliers clubistes, quatre person-
nages, revetus d'insignes incomprehcnsibles pour lui,
etaient tournes de maniere a pouvoir Stre entendus de
tous les assistants lorsqu'ils parlaient : la table recouverle
d'un tapis rouge, qui s'etalait devant eux, indiquail d'une
maniere positive que ces derniers occupaient un rang
eleve dans I'asseniblee. Salviati se vit I'objet de la curio-
site generate, tous les regards se tournerent vers lui; il
fut conduit a la table de la presidence, et on le laissa de-
bout absolument comme un temoin devant un tribunal.
— ttes-vous dispose a servir itotre cause/ lui adressa
I'un des hommes masques.
— Oui, repondit Salviati, pourvu que cette cause soil
lionorable et juste.
— Qu'entendez-vous par juste?
— Tout ce qui ne serait pas centre ma conscience.
— Quelles sont vos ambitions comme citoyen?
— J'ai eu longtemps I'envie d'etre soldat, non pas dans
{es troupes du pape, mais dans I'armee francaise.
— Pourquoi preferiez-vous les troupes francaises a
celles du pape?
— Parce que les Francais sont toujours en guerre, et
que cbez eux il n'est pas rare de devenir officieren com-
mencant par la plus basse position.
— Que n'avez-vous obei a votre gout"?
— J'ai un vieux pere et une jeune sceur ! s'ecria le san-
pietrino. llais cependant si vous vouliez... si je no crai-
gnais oh! non, non, je ne partirai pas, ce serait une
lachele !
— Des liens que nous n'avons pas besoin de connaiire
vous enchainent a Home, et cependant vous avez un irre-
sistible desir de vous arracher a la mediocrite de votre
position; voulez-vous, sans sortir de cette ville, occuper
un posteavanlageux qui peut vous conduire ii la fortune
et aux honneurs'/
— Si je le veux: maisc'est un rfive!... Et ce poste, ce
serait?
— Dans ]■?. service intericur du palais pontifical.
— Auprte de notre saint-pere? Mais je suis pret a
vousobeir.
— Ce poste vous est donne , mais a une condition.
— Laquelle?
— Tousles soirs.au coucher du soleil, vous ecrirez sur
une feuille de papier tout ce que le pape a fait pendant
lajournee, et vous jetlerez cet ecrit dans la boite qui vous
sera indiquee.
Salviati resta muet un instant. Puis tout a coup :
— Vous me proposez la, dil-il,le r61e d'un espion! Je
ne vous connais pas, monsieur; mais c'est sans doute
parce que vous ne me connaissez pas non plus que vous
m'avez si mal juge. — Jamais je neme metlrai au service
d'un homme pour le trahir 1
— Vous parlez ainsi a cette heure, prononca toujours
le mJme homme sans s'emouvoir, parce que vous n'avez
pas reflechi ; mais d'ici huit jours, je vous le pradis, vous
accepterez nos propositiODS.
— Jamais !
— Si vous vcneza changer de resolution, en songeant
aux avantages qui s'attacheraieut a votre nouveKe for-
tune, souvenez-vous d'ecrire simplement : • J'acrepte •
dans une leltre que vous viendrez jeter avant huit jours
a la boilede la villa Medicis.
— Je n'acceptcrai jamais!
— Souvenez-vous que vous avez hull jours.
Linterrogateur fit un signe, le personnage qui avail
inlroduil Salviati vint lui frapper sur I'epaule en lui fai-
santgesle de le suivre. Arrives h quelques pas de la salle,
les hommes qui avaient offert les masques se presentiirent
pour les reprendre. Salviati voulut parler, mais celui qui
I'accompagnait ne lui repondit pas. A la porte exterieure
de la villa il adressa une nouvelle question ; mais il eut
beau chercher autour de lui, il n'y avail plus personne.
Puis la grille s'etant refermee, il se vit seul sur la place
des Espagnes.
— Oh non! s'ecria-t-il,en dirigeanlses pas lentement
comme un homme accable par de profondes reflexions ,
non, je ne cederai jamais a une semblable tenlation. —
Moi, cfficier du palais !... Non , il faudrait Irahir le pape;
je prefere (Stre soldat de Napoleon et aller avec lui en
Autriche ou en Allemagne!...
— Tu ne preferes done pas rester avec ton vieux pere
et ta jeune sODur? murmura une voix qui fit fremir Sal-
viati.
— Vous ici 1 s'ecria-t-il.
C'etait Matteo Turbi.
— Je t'ai suivi, je t'ai vu entrer dans la villa Medicis,
et j'ai attendu que tu en sorlisses , car j'avais peur qu'il
nel'arrivM malheur. yueviens-tu done de faire, pauvre
enfant?
— Ce que je viens de faire... mais... mais rien, mon
pere! Oh! ne m'interrogez pas! j'ai faitserment de carder
le silence, comme je puis aussi faire serment de n'y re-
tourner jamais.
— Tu me le promets... tu le jures?
— Oui , mon pere!
— Que Dieu te benisse !
Et tous deux se hiterent de gagner la maison oij dor-
mail Virgo.
IV.
II connaissait le coeur humain, celui qui avail dit ii
86 LE SAN
Salviati: ■ Rellfechissez, vous avez hiiit jours pour r6-
pondre. » II savait bieii qu'en pareille circonslance il ne
fallait pas s'en tenir au premier moiivement. — Que de
bonnes resolutions ont ele emportees par le temps, ce
grand deslructeur do toutes clioses!
L'ambitioii avait jet6 le trouble dans Vlime du jeune
sanpietrino; il lui semblait qu'en acceptant la deslinee
que le sort lui avait faite, il derogeait i son nom et a la
gloire que son pere avait acquise. Mais depuis la nuit ou
il avait eu devant les yeux I'etrange spectacle du conseil
masque, et depuis que sa volonte seule I'attachait Ji sa
mediocre profession, ce ne fut plus le trouble qu'il y eut
dans son coeur, mais bien une continuellc tenipete, lulte
terrible et sublime de I'honneur contre la deloyaute. Plus
que jamais Salviati se laissait absorber par de noires pen-
sees, et quand ses preoccupations I'agitaient, il devenait
insensible h tout ce qui se passait autour de lui, il etait
muet, sourd, aveugle: son existence tout enliere, son in-
telligence, semblaient suflire a peine pour peser une a une
les reveries qui passaient devant lui comme des nuages
noirs. S'il se trouvait alors aupros de Matteo Turbi et de
Virgo sa soeur et sa fiancee, on eiit pu penser qu'il ne les
voyait pas. Les provenances, les douces paroles, les ca-
resses etaient impuissantes ; ou s'il s'arrachait un instant
a sa mMancolie, il y retombait bienlot.
II y avait quatre jours que la fatale proposilion avait
ele faite i Salviati, il lui semblait qu'un an s'etait ecoule ;
il venait de sortir de la maison de son pere adoplif, lors-
que Virgo, tout en larmos, se rendit aupres du vieux
Matteo.
« MonDieu! dit-elle, Salviati ne m'aime plus.
— Tais-toi done, ma fille, dit le batelier, n'ajoule pas
a la tristesse naturelle qui le d^vore, la douleur que lui
causerait un semblable reproche.
— Tout a I'heure, il sorlait, et je lui demandais pour-
quoi il ne venait pas, avant, vous dire bonjour; il ne me
repondait pas; ellorsque, lui voyant ouvrir laporte,je me
suis elanc6e vers lui en disant : ■ Salviati, vous ne m'ai-
mez plus! • 11 a disparu comme s'il n'ciit pas enlendu
ma voix.
Et en disant ces paroles, Virgo laissa deborder ses san-
"lols.
— Mafille, reprit Matteo, il vient un i\ge dans la vie oil
de sombres penseesvoustourniententmalgrO vous-mfime;
attendons encore quelque temps, et tu verras bientfit
changer le naturel de Salviati. Quoi qu'il arrive, il t'aime,
il a toujours dit qu'il ne pourrait vivre sans loi.
La fenStre de la chambre de Matteo etait ouverle, et,
par un de ces caprices de ternpt^rature frequents en Italic,
lesoleil, quoiqu'en hiver, so promenait majcstueusement
sur un ciel bleu.
— Vousserez unis et heureux, continuait le vieillard,
qui ne parlait ainsi que pour consoler sa fillo, comme
ces deux blanches colombes qui traversent le Tibre en ce
moment.
Virgoregardal'endroit que lui designai t son pere, et elle
vit en effet deux de ces oiseaux ^ une petite dislance du
bord; mais au moment oil ils allaient avoir accompli leur
trajet, un coup de feu se fit entendre, et au lieu de deux
colombes, une seule resta dans les airs.
— Mon pferel s'fecria la jeune fille haletante et glacce.
— Mon enfant !
PIETRINO.
Et Malteo soutint Vir^o dans ses bras, car elle scrait
tombee sans cela.
— Pas de superstition , disait-il , quoique la pilcur de
son visage temoignSt que lui-mSme n'en etait pas exempt.
Necroyons jamais pouvoirlire les desseins de Dieu dans
un evenement que fait naitre le hasard.
II mit tous ses efforts a effacer le douloureux effet de
ce sombre presage. — Virgo ne pleurait plus, mais a
compter de cet instant la tristesse vint pilir les roses de
sesjoues.
Au moment oii cet evenement se passait, Salviati s'as-
seyait dans le dome de Saint-Pierre sur la plinthe ou com-
mence la concavite de la coupole, a six cents palmes du
pave; il venait de disposer sur la lanterne divers instru-
ments de I'illumination qui se preparait pour la solennite
du carnaval remain.
— Malheureux! lui cria une voix qu'il reconnut bien-
tot pour celle de Jeronimo Brimbetto, tu avals oubliO de
nouer la corde a laquelle ta vie etait tout a I'heure at-
tachee.
— J'avais oublie, dit froidement Salviati ; il faudra que
j'y songe une autre fois.
— Mais tu ne sais done pas que si tu n'es pas maintc-
nant broye sur le pav6, tu ne le dois qu'Si la protection
de saint Pierre, notre bienheureux patron?
— J'allumerai un cierge sur son tonibeau.
— Quelle indifference! Tiens, Salviati; mon pauvre
garron, tu n'etais pas fait pour ^tre sanpietrino; et si tune
chassesles reveries qui t'absorbenl, tu auras avant long-
temps une distraction qui te coiilera la vie.
— Oh! bon Jeronimo, repondit Salviati, merci de re-
connailre que je n'etais pas fait pour vivre ainsi , tu es le
seul qui ait quelque compassion pour le fils de Jean Car-
bone.
— Mais je ne le dis pas cela pour le degoiitcr de ton
metier; au conlraire, je voudrais te voir, a force de re-
montrances, changer de caractere en chassanl tes vaines
illusions.
— Tu as grand tort, Jeronimo, de revenir sur tes pro-
pres paroles; je ne suis pas un bon sanpietrino et je ne
pourrai jamais I'etre.
— Mais alors que veux-tu faire?
En parlant ainsi ils etaient descendus sur le balcon en
pierre qui borde I'interieur de la voOte. A leurs pieds se
mouvait Rome entiere, et un regiment de hallebardiers
suisses rentrait, musique en lete, dans les casernes du Va-
tican. Le son des instruments militaires causa un instant
de vertigo a Salviati ; il s'arreta immobile, on eut dit
qu'il voulait Ji lui seul aspirer toute cette harraonie, tant
il y trouvait de rharmes.
— Salviati , lui cria Jeronimo, s'apercevant que celui-
ci ne le suivait plus, Salviati, viens done.
Le jeune sanpietrino, palpitant de bonlieur, suivait des
yeux la masse rouge et blanche qui s'engouffrait dans une
des portes du palais.
— Tu n'entends done pas? demandait Jeronimo en ap-
prochant de lui et laissant tomber sa main sur son Opaule.
Les soldats avaient disparu.
— Ah! fit Salviati, je m'oubliais... Puis, s'animanl
tout a coup et le visage illumine d'un irrfeistible bon-
heur : — VoilJi comment doivent i^lre les Francais, s'ecria-
til; seulement lours habits sont bleus, leurs pliimets rou-
ges, et leur drapeau tricolore! Ah! vois-tu, pour etre soldat
LE SANPIETRINO.
87
de Bonaparte un jour, je donnerais dix ans de ma vie!
Comprends-tu avec quelle gloire ils ont di entrer dans
les villes d'AUemagne et d'Autriche? Comprends-tu com-
bien les blesses devaient 6lre fiers en voyant leur sang
arroser la (erre vaincue?
— Pauvre Salviati ! interrompit Jeronimo, qui afait
croise ses bras en ecoutant cette belle heroide. II faut
done decidement que tu sois soldat du Directoire?
— II le faut !
Dans ces (rois mots Salviati mit un ton si solennel et
si r&olu que Jeronime ne put s'empecher de faire un
gesle de douleur.
— Eh bien, reprit-il, puisque tes destins fappellent
si irrevocablement vers le drapeau francais, je te facili-
terai les moyens de t'enrbler dans un regiment de ligne ;
je me souviens maintenant qu'un cousin de ma femme est
capilaine dans le vingt-deuxifeme..... Mais que dis-je
done! s'ecria Jeronimo, en changeant de ton tout a coup,
et ton pere, malheureux, et ta sceur!... tu les abandon-
nerais?
Salviati, qui avait accueilli les offres du vieux sanpie-
trino avec des transports de joie, changea subitement en
entendant ces derniferes paroles; ses bras tomberent sans
force, son regard plaintif se leva vers le ciel.
— C'est vrai , dit-il , vous avez raison, ils en mour-
raient.
— Enfant, bannis tes illusions, tu dois rester sanpie-
trino !
Et en disant ces mots, Jeronimo disparut.
— Sanpietrino! loujours sanpietrinol et cependant je
n'aurais qu'un mot a ecrire pour entrer dans le palais du
pape, et la, avantageusement place, pouvant de mes ga-
ges nourrir Matteo et sa fille, honore, silr de parvenir, et
maitre aprfa tout de tenir ou non un engagement crimi-
neU... Oh non, je ne puis pas accepter une faveur queje
devrais payer d'une infamie ; promettre dans ce cas, c'est
tenir i. moitie. Jamais!... Et cependant, si je reste san-
pietrino. je mourrai avant peu victime d'une distraction,
dit Jeronimo... Oh! il vaut mieux mourir ainsi que vivre
comme un traitre !
C'etait le jour du carnaval a Rome ; en aucun pays du
monde on ne voit de plus merveilleuses rejouissances. Le
Teslaccio, coUine artificielle formee des debris de la po-
terie romaine, avait de bonne heure ouvert ses immenses
osteries, ses guinguettes si joyeuses, si pittoresqucs, a
lout ce que la ville peut compter de franche et gaie po-
pulace. Les femmes et les Biles, pour arriver et resider
sans scandale au Teslaccio, portent le chapeau dhomme
enrichi de fleurs et de rubans, ce qui ne donnait qu'un
nouvel attrait a leur physionoraie deja si passionnee. La,
les tambours basques, les guitares et les harpes sonnaient
le saltarelln, que dansaient les MinenU, sorte de fashio-
nables des faubourgs, et I'orcheslre ne suspendait ses ac-
cords de danse voluplueuse que pour accompagner quel-
que vive et gaillarde canzonette. La place Navone, an-
cien cirque d'.41exandre Severe, etait transformee en un
limpide lac oil les courses des chars, sur le sol convert de
trois pieds d'eau, allaient donner le spectacle d'une bi-
zarre naumachie. Le satirique Pasquin et son compere
Marforiofaisaient bien eerlaineraent leurpartie ce jour-la.
Le soir, force saltimbanques, charlatans et polichinelles
offrirent au joyeux public toutl'esprit qu'ilsavaient ^co-
nomis^ pendant un an pour le depenser k cette fSte ; puis
la girandole du fort Saint-Ange s'^lanca comme un vol-
can en remplissant les airs de feux menacants et d'une
effrayante detonation , au moment oil la basilique de
Saint-Pierre dessina en traits de feu ses gigantesques pro-
portions.
Lesoleil tombait a I'horizon, il y avait dans Rome cetle
clameur que forme tout un peuple se remnant, criant et
attendant.
Salviati sortait de sa chambre ; il ^tait pile, il serrait
un papier ploye sous son v6tement, et en descendant vers
la petite salle oil I'attendaient Matteo et sa fille : — J'irai
ce soir, apres rilluminalion ! murmurait-il.
Virgo lui prit la main, Matteo jela sur lui un regard
dans lequel il y avait des larmes.
— Salviati, dit-elle, mon pere et nioi nous ne sommes
pas sortis d'aujourd'hui. Les fetes n'ont pu avoir aucua
charme pour nous, et savez-vous pourquoi"?
— Parce que je suis un fils barbare et ingrat ! prononca
le sanpietrino, parce quo mon affreux egoisme n'a pu
preferer votre tranquillite a mes reveries insensees ! Oh !
tout cela est fini, pardon, pardon de vous avoir causS-
tant de chagrins!... ficoutez, a compter d'aujourd'hui je-
vais reprendre la gaietii de mon jeune ilge ; toi, ma Virgo,
bientot ma femme, tu n'auras qu'k me rappeler la pro-
messe que je fais a cette heure pour que jamais je ne re-
tombe dans la tristesse qui vous a donn^ tant de peines ;
et vous, mon p^re, car je vous doisce nom, me pardon-
nez-vous?
— Si je te pardonne, cher enfant !
Et Matteo Turbi pressa le sanpietrino sur son coeur.
— Je savais bien, s'teria-t-il transporte de joie, que
ce nuage ne devail pas loujours peser sur ta tele. Je con-
naissais ton coeur bon et innocent, et je disais b ma fille
que, n'ayant aucun remords sur la conscience, tu ne pou-
vais ressembler k ceux qui ontcommisun crime. Allons,
Virgo, le bonheur revient pour nous ; revets-toi de tes
plus beaux habits ; moi, je mellrai mon chapeau neuf, et
nous irons voir la Giraiidola. Puis, tenez, si vous voulez
m'en croire, mes enfanls, il faudra vous marier bientit.
— Quand vous voudrez ! dit Salviati avec precipi-
tation.
ss
LE LIEVRE.
— Dans huit jours vous vous apparticndjez I'un ii
I autre.
Apres les deinonslrations de joie et d'amour que de-
vaient causer ces paroles, le sanpiclrino prlt conge de
Malteo ct de sa fiancee, et en sortant de la niaison:
— Peinain, niurniurait-il, je serai au ser\icc de Sa
SaintettS !
II lul sombla entendre une voix qui dit a son oreille :
— Deniain tu seras trailre et deloyal.
— Oil DOn!... nonl...
I'uis, prenanl une resolution irrevocable:
— Ce soir j'irai k la villa Medicis.
nuit lonibait ; ello semblait descendre des collines
•* Tionie pour s'amasser sur le sanctuaire du monde chre-
i.en, oil lout etait tumulte et niouvement. Les sanpie-
Irini le parcouraieuten tous sens, depuis sa basejusqu'au
I'aite, et ils ne se rencontraient sur les etroits escaliers
des coupoles que pour se recommander I'un a I'autre la
vigilance et le sang-froid. — L'beure de la fabuleuse illu-
mination de Saint-Pierre allait sonner. Chacun se dispo-
sait a gagncrson posle.
— Qui done, demandait.Ieronimo Brinibetto, est charge
dallumer les feux de la boule?
II faut savoir que ce qu'on appclle la boule est le der-
nier morceau del'edifice, sur lequel s'eleve la croix, et
quo re point du dome se Irouve a quatre cents pieds
du sol.
— C'est Salviati Carbone, repondirent quelques vieux
s:irp:clrini, qui, de nieme que Briinbetto, n'avaient, sans
fioule a cause de leur grand ige, que des functions peu
p.'rilleusesa remplir.
— Salviali ! s'ccria Jeroninio, niais c'est impossible. II
c<l a inoitie fou, et c'est a peine s'il sail nouer la corde
qui le suspend ! Marroccliio, ajouta-t-il, en s'adressant k
I'un de ses caniarades, faitcs nion service, je cours pour
surveiller ce malheureux enfant.
Un coup de canon resonna, et la cloclie de Saint-Pierre
jela dans les airs son premier son d'allcgresse ; c'etait le
premier signal de rilluminalion.
Jeroninio essnuffle arrivait au sonimel du dome, et it
niontait ie premier degre qui conduit de la lanternoa la
boule, lorsqu'avec une hideuse expression de terreur 11
enlendit une voix qui criait ; — Salviati, ta corde n'est
pas nouee I
Get borrible cri fut aussitot r^pete a\ec un itidicible
mouvenient de terreur. — Jeronimo sentit faillir sesjam-
bes, une sueur froide glaca son front, il regaidait par une
des fenetres de la boule; tout a coup un son guttural,
etouffeconinie un rJle de mort, passa sur sa ttite; en nienie
temps un corps traversant I'espace avec la rapidite de la
foudre, puis apres quelques craquements alTreux, — le
bruit sourd d'une masse en frappant une autre.
Une exclamation d'horieur reniplit les airs : un sanpie-
trino venait d'etre precipite du sommet du dome.
Et ce sanpietrino, c'etait Salviati Carbone !
II fut tue sur le coup. — On trouva sur lui une letlre
cacbetee; onl'ouvrit; ilyavaitce mot ecrit: J'acccjrfc. —
Ce fut un niystiire pour tout le monde.
Deux jours apres, un vieillard et une jeune (ille, piles,
et les yeux baisses vers la terre, revenaient du cimetiere
de San-Spirilo. Ces deux personnes etaient lellenienl
cbangees par I'expression de douleur qui regnait sur leur
physionomie, que I'on eut a peine reconnu Malteo Turbi
et sa fille.
— Mon enfant, disail le vieux balelier, maintenani,
quand je ne vivrai plus, que deviendras-tu?
La jeune fille leva la main et niontra la porle d'un cou-
venl qui so trouvail devanteux.
flISTOIBE NATURELLE.
IX IIEVBE.
Le lievre est un mamniifere de I'ordre des ronj;eurs, et
sa fecondife est si grande que, sans I'inimense destruction
qu'cn font lesliommes, les animaux carnassiers etles oi-
seanx de proie, il ravagerait les cultures. Ces ravages
s:? coiiipreanent quand on songe que la femdle met bas
lous les mois trois ou quatre petits, qui eux-niemes, p?u
(Ij temps apres, concoivent et produisent.
Le lievre est d'un naturel douxettimide, ilnesemontre
rolero que pendantla saison des amours; alors seulemeni,
quelques combals ont lieu dans leurs elans pacifiqucs;
mais hiertot leur naturel debonnaire reprend le dessus.
C'est batiiluellement le soir ou le matin (le bonne lieure
que le lievre sort et quitte son gite {car il n'a pas de ter-
rier comme le lapin). Alors il cherclic des racines, des
graiiics, des herbes, des fruits, et particulierement les
p'.anlesdon! la ^idveest laiteuse ; et miinie pendant I'hiver,
lorsque la'faim le presse, il ronge volontiers I't'corce la
plus tendre des jeunes arbres. II ainiea s'ebatire pendant
unbeauclairde lune, ou lorsque, le malin, les herbes char-
gees de gouttes de rosee semblent couvertesde diamants
et de perles; mais au moindre feuillage, la troupe epou-
vantei prend la fuite et disparait avec rapidite dans les
huissons.
Le pelage ordinaire deilievres est roux, mais on en voit
qui tirent sur le noir et d'aulres sur le blanc, suivant les
latitudes oil ils se trouvent, car cet animal est ropandu
sur presque I oute la surface du globe; il a lesjambes de
derrif-re bcaucoup plus longues que celles de devant, et ses
cuisscs sont tres-musculeuses ; il en resulte (ju'il saute el
s'tlance par bonds prodigieux, mais ne court pas ; mal-
gre sa vivacite, il echappe difficilement aux renards et
aux chats sauvages qui lui font une guerre active.
LE LI
Le lievrea le muscau arrondi, recouvert de polls longs
el soyeux ; scsyeux sont grands, lateraux etsaillants, re-
couverts d'une membrane clignolaiite; sesoreilles longues
cl molles.couvcrles depoilsau dehors sont presque unies
all dedans ; sa levre superieure est fendue jusqu'aux na-
rines; sa queue ties-courte est rclevee; il a i cliaque
pied cinq doigls ga:nis dans leurs inlervalles de polls
Iros-rudes ettoulTus.
On a pretendu que Ics lievres dormaient les yeux ou-
verls. C'est un conle ridicule, car on a observe des lievres
domesliquesqui dormaient les yeux fermes; mais comme
les lievres ont une grande finesse dans les organes de
t'ouie, il en i'(5sulte qu'il est Ires-difficile de les surprendre
cndormis. Des chasseurs ou des paysans s'approchant du
gite oil un lievre so reposait immobile et I'oeil au guet,
auront conclu de cette inimobilite quel'animal dormait;
c'est d'autant plus ticile a comprendre, qu'un lievre ne se
derange qu'a la derniere exlrcmile ; si une personne passe
tVRE. 80
pres de lui avec rapidite et d'un air insouciant, il la si..'
dn regard, mais ne bouge pas. Si au conlraire on marche
avec precaution ellentenienl, sa defiance estde suite eveil-
lee et il part comme un Irait.
Les lievres sont doues d'une grande intelligence pour
derouter leschiens; mais leurs ressources sont peu varices.
■ J'ai vu, dit du Fouillouxdans sa Vcncrie, un lievre si
• malicieux, que depuis qu'il voyait la trompe, il se le-
• ^ait du gite; et eCil-il ete a un quart de lieue de la. il
• sen allait nager en un elang, se relaissant au milieu
« d'icelui sur desjoncs, sans 6tre aucunement chassfedos
• chiens ; qui, apr^s avoir couru, venait pousser un au-
■ tre, et se mettait en son gite. J'en ai vu d'autres qui,
• apres avoir ete bien courus I'espace de deux heures, en-
« traient par-dessous la porte d'un toil a brebis et se
« relaissaient parnii lebetail. J'en'ai vu, quand les chiens
• lescouraient, qui s'allaient mettre dans un troupeaude
t brebis qui passait par les champs, ne les voulant aban-
« donnerni laisser. J'en ai vu d'autres qui allaient par un
II cote de haie et retournaient par I'autre, en sorle qu'il
• n'y avait que I'epaisseur de la haie entre les chiens et
« lelievre. J'en ai vu d'autres qui, quand ilsavaient cou-
« ru une demi-heure, s'en allaient monter sur une vieille
« muraille desix piedsde haul ets'allaient relaisser en un
« pertuisdechaufTantcouvert delierre. J'enai vu d'autres
" qui nageaient une riviere qui pouvait avoir huit pas
1 de large, et la passaient et repassaient en longueur de
« deux cents pas, plus de viiigt foisdevant moi. »
Du Fouilloux, a vu sans doute de merveilleuses choses;
mais il ne dit pas tout ce dont il a ele tenioin, car nous
connaissons des chasseurs qui en ont vu bien d'autres.
Le lievre parait Stre un animal ami des pays froids;
0:1 a observe qu'il esl plus grand, mieux nourri et meil-
leur dans le Nord que dans le Midi.
Le lievre commun, qui se trouve dans les climats tem-
pcres, ne mue jamais; son pelage est melange de roir, de
roux etde blanc, suivant I'^ge. LemSle a la teteplus ar-
rondie que la femelle, les oreilles plus courles, la queue
plus longue, et le derriere tiranl sur le blanc.
Les lievres font de longues Iraites et entreprennent quel-
quefois de veiilables voyages; mais c'est toujours pen-
dant la nuit qu'ils s'eloignent du gite habituel. Pendant
I'cte ils habitent volontiers les bruyeres et les vignes ; I'hi-
ver, ils recherchent et savent tres-bien choisir les lieux
abriles, exposes au- midi, oii la concentration des raycns
developpe un pcu de chaleur.
On nomme bouquin, le lievre mile; haseh femelle, et
levreaux, les pelils.
M. Isidore Geolfroy a observe au Bengale le lievre ,i
queue rousse.
A Java il en existe une espece qui a un collier de cou-
leur brune dont un appendice s'etend un peu sur le
dos.
M. Ehremberga decrit une race de lievre qui setrou\e
en Egypteet en Libye, remarquable par des oreilles ex-
tremcmenl longues, un pelage roux-grisatre au-dessus et
blanc au-dessous.
Le lievre du Cap, ou lievre des rochers, qui a ete etudie
par MM. Isidore Geoffroy et F. Cuvier, habite la par-
tie meridionalede I'Afrique; son nom indiqueenpartie scs
habitudes: c'est un habitant descontrees chaudes; tandis
que le lievre tolai vit et prospere dans les regions les
90
FAITS MEMORABLES DE L'HISTOIRE DE FRANCE
plusglacees du Greenland etprfesdii d^lroit du Barrow. U
estordinairementd'unbruD grisJtre.etquelquefoisblanc.
Les lifevres se chassent tres-souvent ci lafTut ; car les
bons chasseurs connaissent parfaitement leurs habitudes,
leurs petiles ruses ct une multitude d'indices qui de-
■viennent des certitudes pour un oeil exerce ; qnelquefois
aussi, en plainc, on les force a la course avecdes levriers
agiles qui les atteignent et les etranglent.
Iln'est pas besoin de dire que la chair du lieTre, quoi-
que lourde et indigeste, est generalement recherchee;
elleetait cependant defendueaux Juifs, comme elle le fut
plus tard aux mahomelans; il y avait probabletnent
quelque cause hygieniquedans cette prescription, qui fut
sanctionnee par la loi religieuse.
Le lapin, plus petit que le life-vre, hii ressemble jusqu'a
un certain pciintetparattfaire partie de la mfeme fannille;
mais les essais infructueux tentes par Buffon pour obtc-
nir des produits niixles semblent mililer en favour de la
distinction des deux espbces. La fecondite des lapinsest
encore plus grande quecelle des lievres, de sortequ'ils ne
tarderaient pas a tout ravager si on ne leur faisait pas une
guerre des plus actives. lis ne se contentent pas, comme
les lievres, d'etablir un g!te, asile a tous les vents et n'of-
frant aucune espece de security-, ils se creusent des ter-
riers oil ils sont a I'abri de I'altaque des hommes, des
oiseaux de proie, ou 'ils elfevent leurs petits avec .soin et
sanscrainte, ayant m^me soin de creuser ces terriers en
zig zag pour y deposer leurs petits sur des polls qu'ils y
cnlassent.
Le lapin sauvage ou de garenne est d'une couleur
fauve, noire et cendreo comme le lievre ; mais parmi les
lapins de clapier ou domestiques, il y en a de blancs, et
mfime de noirs, ces derniers en moins grande quantity.
Generalement les lapins domestiques n'ont pas autant
d'intelligence que les lapins sauvages, sans doule parce
que, n'ayant pas les m^mes besoins, ils n'ont pas a se suf-
fire k eux-mSraes et k se preserver de raille dangers.
La multiplication des lapins est sans doute considerable ;
mais ce que Ton a dit de leurs ravages en Espagne etdans
les Baleares du temps des Ibferes, de la destruction de
Taragonna par desmyriadesde ces animaux, nous semble
entach^ de beaucoup d'exageration.
La femelle, feconde a cinq ou six mois, pent produire
jusqu'4 cent vingt lapcreaiix par an. Leurs plus dange-
reux ennemis sont les belettes qui chassent pour leur
compte, el les furels que dressent les braconniers.
Les personnes qui elfcventdes lapins dans des garennes
closes ou dans des tonneaux pour en faire le commerce,
doivent les tenir dans un grand Mat de proprete, si elles
veulent les voir prosperer. Lorsqu'ils sont jeunes, il faut
les nourrir d'orge et d'avoine, on ne leur donne que plus
tard de la laitue et des herbes fraiches.
Le lapin-lih're est une espece tr^s-grosse, dontla chair
eslexcellente,et quiestnouvellcmentacclimal^eenFrance.
Le lapin-argentens donne une belle et bonne fourrure
d'un gris argent^. Le duvet en est prteieux et cher.
Le lapin des sables ressemble beaucoup au lievre du
Cap; it habile d'ailleursles memes regions, et M. Dela-
lande I'a observe au pays des Hollentots. Celui de Magel'-
lanie fut signale par Magellan, en 1520; depuis,
MM. Lesson et Garnot ont reconnu la verity de C3 qu'a
dit I'illustre voyagour; il est d'un noir violacfi avec quet-
ques laches blanches ; ses oreillcs sont d'un brun roux.
Le tapUe du Bresil est noir et roux, il a une tache
blanchatre sur le cou, et au lieu de se creuser un terrier,
il seloge dans les vieux troncsd'arbres ronges par le temps.
Le /ajomi/s; habile la Sib^rie; ses oreilles sont petiles
et arrondies, ses jambes sont egales ; il terre.
On connait encore, comme faisant partie de la nom-
breuse famille des lapins, le pika, qui habite les Alpes
Siberiennes et qui fait pour I'hiver de grandes provisions
de foin dont il ne profile pas loujours ; car les indigenes-
recherchent ces tas de fourrages et les enlf-vent.
Vogolon, observe par Pallas, prfes du lacBaithal el en
Mangolie, est d'un gris pale; ses pieds sent jaunes et soa
venire est blanc. Olivier le Gall.
FAITS ME1I0R.\BLES DE L'HISTOIRE DE FRAIE ET DES .\RMEES FRA\'CMS
DEPUIS 1789 JUSQU'A NOS JOURS.
bous ce litre, nous aliens
offrir a nos lecleurs le ta-
bleau des evenements les
plus remarquables qui se
sont acconiplis dans noire
pays depuis les premieres
annees de la Revolution
francaise, c'esl-ci-dire de-
puis la fin du t^gne de
Louis XV,jusqu'^ I'^poque
contemporaine. Notre in-
tention n'est pas de com-
poser une histoire, encore
moins de donner un pre-
cis; nous nevoudrions pas
qu'on nous accusal d' avoir
oullie noire programme, qui consiste a instruire et k
amuser en mftme temps, fl faut avoir a soi bien dut
temps pour pouvoir lire les livres sdrieux, detaiUes
et complets qui nous ont fait connaitre notre histoire
depuis soixanle ans ; d'un autre cole les prteis ont I'in-
conv^nientde trop resserror, delrop abreger, etun aper-
f u trop rapide, par consequent sec et aride, des fails les
plus saillants de nos glorieuses annales, n'eCit pas rempli
notre but.
Nous avons done prefer(5 nous en tenirkun recit, dra-
malis6 autant que possible et rendu vivant, en quelque
sorte, a I'aide des illustrations dont le concours nous a
paru indispensable. Tel qu'il sera, du resle, notre travail
n'en comblera pas moins une lacune importanle, laissee
par I'universite dans renseignement hislorique. Les pro-
grammes universilaires, comme on salt, s'arretent, dans
I'hisloire moderne et dans lliisloire de France, a la con-
vocation des Hals generaux. Or, c'est justement 1^ que
ET DES ARMEE
nous prenons notre point de depart pour arriverprogres-
sivement jusqu'aux temps les plus rapproches du nfilre.
Toutefois, et nialgr6 les difficulles que nous aurons a
surmonter, nous comptons bien rester impartiaux , et
nous nous proposons de laisser la passion, ainsi que les
enthousiasmes fanatiques et les haines systematiques, a
ceux qui ne craignent pas de faire de I'hisloire, cette
science si sainto, si respectable, Tinslrument d'un parti.
Dans nos tableaux, oil seront retraces tous les fails qui
ont rapport particuliijrement k nos armees, nous reste-
rons Bdeles, autant que le comporte la raison humaiiic, ci
la verity et a la justice. Nous aurons h raconter, k une
epoque k la fois sanglante et heroTque, bien des crimes,
bien des infamies. Souvenons-nous que I'indignation
excitee par les forfaitsde quelques-uns ne doit pas faire
nublier lesvertus des autres.
En effet, depuis les temps oil Tacile lletrissait les
crimes des empereurs et du peuplede Home, i toutes les
epoques, sous tous les regnes, sous tous les regimes, on
a vu des hommes, anibitieux et vils, sans vcrtus, sans
talents, so faire avec les choses les plus saintes, avec les
mots les plus sacr^s, avec la gloire, la liberie, des armes
sanglantespourconsonimer les forfaits les plus execrables,
les meurtres les plus inutiles. Oui, invoquons sans cesse,
invoquons les lumieres et I'instruction pour cesbarbares,
opprobre de toules les civilisations, pullulant au fond
des societ^s et toujours prfits k les souiller de tous les
crimes, a I'appel de tous les pouvoirs et a la honte de
tous les partis. Mais gardons-nous bien, dcgoiites que
nous serions par tant d'abus et par tant d'exces, de
prendre toutes les choses d'ici-bas en horreur ou en
pitie; car il exisle, soyons-en persuades, une eternelle
Providence qui, par une compensation juste etconsolante,
a mis le bien a cote du mal, et I'expiation a cole du crime.
SEBMENT DU JEU DE PALME.
L'impulsion 6tait donnee, et la Revolution devait s'ac-
complir. Maurepas, Turgot et Necker avaient lour a tour
occupe le ministcre, et aprfes eux de Calonne ; de Brienne
avail succi5de ace dernier, puis Necker avail ete rappele,
etk tous ces changements dans le cabinet le pays n'a\ait
riengagne, car son malaise n'avail pas disparu et sa mi-
sere n'avait fait que s'accroitre. Une convocation des
etats gen^raux parut nticessaire ; mais cetev^nement, qui
semblait d'abord ne devoir amener que d'heureux resul-
lats, donna bienlot naissance aux plus graves compli-
cations. Ce furenl en premier lieu des discussions sur la
verification des pouvoirs et sur le vole par ordre et par
iHe, qui manquerent d'exciter entre ces trois castes, la
noblesse, le clerg6 et le tiers clat, les plus facheuses
temp^tes. Puis, il y eut dus imprudents, des amis Irop
irreflecliis de la royaut^, qui conseillerent la persecution
centre ce Iroisieme ordre, deja si puissant et qui venait
de se declarer assemblee nationale.
De son c6te le parlement avail fait offrir au roi de se
passer des etats, et avail promis de consentir k tous les im-
pels. Ce fut a Marly qu'on decida une des resolutions qui
furenl les plus fatales i la royaute.
La seance royale avail ite fixce au 21 juin. Le20, on fit
fernier la salle des etats, en pretexlant certains preparatifs
exiges par la presence du roi. Tout cela pouvait s'accom-
plir en moins d'une demi-journee ; mais on avail appris
S FRANgAlSES. 9«
que, la veille, le clerge avail manifeste I'intention de
s'unir aux communes, et on crut devoir empecher a tout
prix celtc union. Un ordre, signe du roi, suspendit les
seances jusqu'au 22.
Bailly, que ses vertus etses talents avaient placi a la
l^te du tiers elat dont il ^tait le chef, croit de sor>
devoir d'obeir i I'assemblee, qui, le vcndredi 19, s'^tait
ajournee au lendemain saraedi, et s'avance jusqu'a la
porte de la salle. Les gardes francaises avaient recu la
consigne de ne laisser entrer personne. Bailly est surpris
de cet entourage inaccoutume ; mais il est rei;u avec de
grands egards par I'officier de service, qui lui permet
d'entrer dans une cour pour y ccrire une protestation.
Surviennent quelques jeunes deputes qui, emporles par
la fougue de leur age et par la colere qu'ils ressentent a
la vue de cet outrage, veulent penelrer de vive force.
Ueureusement Bailly se bite d'aceourir; il les calme, il
les emmene en les suppliant de ne pas compromettre, par
de I'imprudence, I'officier plein de courloisie qui s'est
monlre si modere, lout en faisanl respecter les ordres
de ses superieurs. Inutiles remontrancesl
La foule augmente, le tumulte s'accroit; on resiste aui
summations faites par la troupe, onveut a toule force se
reunir ; les plus exaltes vonl jusqu'a proposer de s'assem-
bler en seance sous les fenetres monies des appartemenls
duroi. D'aulres, plus raisonnables, se contenlenl depar-
ler de la salle du jeu de [paume ; aussitot la foule s'y pre-
cipile, le proprielaire s'empresse de la mettre a la disposi-
tion de I'asseniblce.
Bien souvent nous avonsvisite cette salle, a Versailles,,
ruede Gravelle, pres celle de I'Orangerie, monument c6-
lebre et bien modeste de I'un des evenements les plus
decisifs de la Revolution franfaise el qui, il y a quelques
annees, scrvaitd'atelier a un peintrede batailles fameux.
Cette salle etait vasto, aeree, mais les murailles elaient
tristes el nues ; il n'y avail pas de sieges : on veut faire
asseoir sur un fauteuil le president qui refuse, et declare
qu'il reslera debout comme loute I'assemblee. Le bureau
est un simple banc ; a la porte veillent deux deputes,
I'assemblee se gardail elle-mSme. Mais bient6t arrive la
prevoto de I'hotel qui offre ses services et releve de leur
poste les deux gardiens improvises.
Le peupleetail accouruen grand nombre; il Staitmonle-
dans les tribunes, il garnissait les murs et les toils voi-
sins. La deliberation est ouverle.
On est unanime pour bikmer I'ordre de la cour, on
s'eleve centre cette suspension arbilraire, et plusieurs
moyens sont proposes pour arri^ter kl'avenir les empieie-
ments d'une pareille prerogative que rien ne legitime.
Les esprits deviennentde plus en plusexaltes, on s'agite,
on en arrive deja aux partis extremes, on va jusqu'Jt
proposer la motion de se rendre i Paris en corps el a
pied. On accueille avec explosion cet avis imprudent, on
le discute, lorsque Bailly, toujours modere, toujours de
sang-froid, elTraye d'ailleurs des malheurs qui peuvent
fondre pendant le chemin sur I'assemblee, exposee ainsi
a la violence, craignant aussi la division, combat de
toutes ses forces la motion et la fail abandonner.
C'est alors que Mounier prend la parole et propose i
tous les deputes de jurer, parun sermentsolennel, qu'on
ne se separera pas avant qu'une constitution n'ait kii
donnee a la nation. On accueille avec acclamation la
proposition de Mounier, et la formule da serment est ar-
92
FAITS MEMORABLES DE L'lllSTOIRE DE FRANCE
lee seance lenante. Bailly reclame I'honneur tie jurer le
premier, et doniie lecture de la formulesuivaiile: « Vous
« prelez le serment solennel de ne jamais vous separer,
« dj vous rassembler partout oil les circonslaiices I'e.xi-
« geront, jusqu'a ce que la constitulion du royaume soil
• etablie etalTermie sur dps fondemenls solides. » Bailly
avail prononce ce serment d'uiie voix liaule et retenlis-
sante, qu'on avoit enlendue du dehors. Tout le mcmJe
ii la f jis, repete. ■ Nous lejuronsl ■ tous'les^bras selevent
tendus vers Bailly, qui, debout, impassible, recoit le
serment profere par loules ces voix. Aussilot le peuple
qui enloure le jeu de paunie pous^e les cris de Vive I'as-
semblec! Vice Ic roi! et montre par la qu'il ne fait que
reprendre un droit qui lui apparlient. Ainsi un engnge-
ment solennel, dont une foule immense, sans colere et
sansliaine conire la royaute, elaitle temoin, allait assu-
rer, grace h des lois, I'exercice des droits les plus sacres.
Les deputes s'occupent ensuite de signer la declaration
qui vient d'etre adoptee. Parmi eux, un seul, Martin
d'Aucb, fait suivreson nom'de la qualification d'opposant.
A linstant mfeme, il estl'objetde plusieurs interpellations ;
on s'atlroupe aulour de lui en tumulte. Poui se faire en-
tendre, Bailly est obligii de monler sur une table; il in-
terpelle tranquillcment le depute et lui fait observer que
s'il a le droit de ne pas si.gner, il n'a pas celui de former
opposilion. Le depute opposant mainlient le mot ajoute,
et I'assemblee, donnant un exemple admirable de respect
^>our la liberte, admet la qualification, et permet quelle
subsislesur le proces-verbal de la seance.
Ce n'etait la que le premier coup porte il un ordre de
clioses qui avait fait son temps; mais il etait serieux, il
devail avoir un retenlissement plus serieux encore. Par
malheur pour la royaute, la noblesse lui fit parler un
langa^e qui n'elaitplusde circonstance,et, dans la seance
du 23, Mirabeau, par sa foudroyante apostrophe au mar-
quis (le Breze, indiqua claircment la marche qu'allait
suivre le niouvement revolutionnaire, que rien desormais
ne pouvait arreter.
PBISE DE L.\ BASTILLE.
Apres la seance royale du 23 juin, I'assemblee avait
continue ses deliberations malgre les ordres du roi ; cetto
desobeissance audacieuse etait deja un commencement
dhostilites; la reunion definitive des trois ordres futun vrai
triomphe pour le tiers etat. Les premiers travaux de I'as-
seniblee, nommec plus tard constituante, etaien! graves; il
nc s'agissaitde rien moins quededonner une constitution
a I'Etat qui n'en avait pas. Mais il y avait 1^ des horames
fernies, energiques, en ineme temps que prudents, et qui
ne se laisserent alter ni a la colure ni au decouragemenl.
en presence de toutes les humilialions dont ils lurent
jouri;ellement abreuves.
Cependant des agitations populaires eclataient chaque
jour a Paris. Le peuple avait delivre des gardes fran-
caises, enfermes pour cause d'indisciplino, a I'.Abbaye; le
jardin du Palais-Royal devenait le rendez-vous des agi-
tateurs, qui I'avaient transform^ en un vaste club oil ils
peroraient, montes sur des chaises. La cour, pour parer
il tons ces dangers, commettait imprudence sur impru-
dence. Comme tous les gens qui ont peur et qui ont
recours aux moyens extremes parce qu'ils savent que
leur cause est niauvaise, elle se rejetait sur de dangereux
complots, armes perfides qui se tournent toujours, dans
des circonstances semblables, centre ceux qui s'en ser-
vent, et faisait approcher des troupes de Paris. Bienlcit le
renvoi de Necker est decide; cet eviinement et le depart
du niinistre congedic font perdre a la cour les dernieis
restes de la popularite que lui avait value cet liomme
d'fitat.
Les journees des l'2, 13 et 14 juillet ont marque dans
riiistoire. On ne peut nior que la provocation ne soit ve-
nue de la cour: le prince de Lambesc chargeant aux Tui-
leries,avecle Royal -Allemand, une population inoffensive,
avait excite dans tous les cceurs I'lndignation et le desir
de la vengeance. Camille Desmoulins, haranguant le peu-
ple au Palais-Royal, avait ete I'auteur de I'emeute. Bien-
tot le peuple se dechaine, brule les barrieres, pille les
boutiques des armuriers, et les brigands, armes de pi-
ques, reparaissent. Les bons citoyens, les electeurs se
reunissent alors a I'hotel de ville; ils appellent a eux le
prevot des marchands et Ic lieutenant de police, et on
precede sur le papier, c'est-k-dire en projet, a I'arme-
ment de la milice bourgeoise.
La milice est en effet instiluee ; du moins on s'occujie
dans cliacun des districts de Paris de I'organisation de
cetle garde civique, qui fut I'origine des gardes natio-
nales. Dans la matinee du lundi 13, le peuple avait de-
vaste Saint-Lazare et pille le garde nieuble pour y prendre
des amies. Les gardes francaises et les milices du guel
avaient ete enrolees dans la garde bourgeoise.
Cependant le prevot Floselles avait piomis des armes;
il attendait, disait-il, douze cents fusils, et plus encore les
jours suivants- Le soir, on conduit a I'hotel de ville les
caisses d'artillerie annoncees; on les ouvre, elles sont
pleines de vieux linge. Le prevot court les plus grands
dangers; le peuple crie a la traliison. Pour le satisfaire
on ordonne la fabrication de cinquante mille piques. Des
bateaux charges de poudie descendaient la Seine, on les
arrele, et leur contenu est aussitot distribue a la muUi-
tude.
La plus grande confusion rcgnait a I'hotel de ville; oa
ne savait a quel parti s'arreter : on avait a craindre hois
Paris les troupes etrangeres du niarechal de Broglie, et
dans la ville des hordes de brigands. Puis il fallait a
chaque instant calmer le peuple et detruire ses soupcuns.
Dans les rues avoisinantesle desordre etait a son conible.
tout le quartier prfcentait I'aspect d'une ville en etat de
siege. La nuit fut pleine de perils. Des brigands me:ia-
cerent I'hotel de ville, qui fut sauve par Moreau de
Saint-Mery. Ce courageux elecleur avait fait d'avance
apporter quelques barils de poudre, auxquels il menaca
de mettre le feu : la foule s'enfuit epouvantee.
Cependant on avait depave les rues, creuse des fosses ;
on prenait enfin tous les moyens de rfeister a la force.
Paris avait dejii une milice, dirigee par le regiment des
gardes francaises avec I'arlillerie de ce regiment. Deji le
mot de Bastille etait prononce, tout indiquait que de ce
c6te-la les evenements seraient decisifs.
La situation de cette forteresse, au milieu d'un quar-
tier trfe-populeux, devait attiier I'attention de la cour;
dun autre cote, on avait pris toule sorte de precau-
tions pour mettre la place a I'abri d'un coup de main. A
peine les troubles avaient ils commence, qu'on avait fait
sortir une partie des prisonniers; six k huit seulement
reslaient, il n'y avait plus de revolte k craindre L'un
ET DES ARME
J'eux, du nom'de Tavernier, avait ele enferme dans une
.nulro clianibre. Dans celle qu'il avait quillee, on avail
oijvcrt une meurlriere qui commandait I'enlree inli-
rieure, et on y avait mis un fusil de rempart; on
y iivait renforce la garnison, qui se montait k cent
qualorze liommes. De plus, le chclleau conlenait quaire
rents biscaiens, quatorze coffrets de boulcts saboles,
quinze niille cartouches, un grand nombre de boulets,
ileu\ cent cinquante barils de poudre du poids de cent
vingt-cinq livres chaque. On avait transporte ces barils
(le I'Arsenal a la Bastille, dans la nuit du 13 au 14, et on
les avait deposes dans le cachot de la tour de la Liberie et
ii la sainte-barbe sur Ta plale-forme.
De phis, on avait transporle sur les tours, le 9 et le 10,
une ^norme quantile de paves et de vieux ferrements.
Pendant la nuit on avait taille de nouvelles embrasures
de canons. En face de I'hotel du gouverneur on avait
braque deux pieces.
Evidemment ce plan de defense devait se relier ^ I'at-
laque qui devait avoir lieu dans la nuit du 14 au 13
conlre Paris, et pour laquelle trente mille hommes avaient
'He rt'unis aulour de la capilale. Cetle arniee, ou Ton ne
es franc;aises. 93
voyait que des regiments etrangers k la solde de la
France, etait sous les ordres du marechal de Broglie.
D'ailleurson ne pouvait pas supposer que la Baslille put
^tre allaqu(?e, bien loin d'Hre prise, avant I'altaque pro-
jetfe, pour laquelle devaient concourir des troupes noni-
breuses. Le baron de Besenval, commandant I'armee
royale sous les ordres da marechal de Broglie, avait
adress^ deux billets a M. Delaunay, qui lui ordonnaient
de tenir le plus longtemps possible, en lui annoncant de
prompts et puissants secours. Les deux billets furent sai-
sis et lus a I'hotel de ville. En depit de ces contre-lemps,
le projet de la cour eut probablement rfussi sans I'im-
prudence du prince de Lambesc, dont la brutale echauf-
fouree amena les consequences les plus desastreuses.
Cependant I'assemblee etait plongee dans la consterna-
tion. En vain fit-on supplier le roi d'ordonner le renvoi
des troupes et I'organisation des gardes bourgeoises; I'as-
semblee, neanmoins, ne perdit pas courage, fit adopter
les arrStes les plus encrgiques, et se choisit M. de La-
fayette pour vice-president. Les nouvelles les plus alar-
mantes ne cessaient de lui arriver; les bruits les plus
siniitres couraient sur les projets de la cour, l'as.=embke
devait rester livree a des regiments etrangers. On avait
vu les princes et les princesses se promener a I'Orangerie,
flatter les officiers et les soldats, et leur fairs apporler du
vin et toules sortes de rafraichissemenls. On preparait
ainsi h I'avance I'execulion du grand projet. Paris allait
■'•tre altaque pendant la null, le Palais-Royal devait ^Ire
enveloppe, I'assemblee dissoute; puis on allait satisfaire
aux besoinsdu tresor en faisant banqueroute et en emet-
tant des billets d'Elat.
Ce qu'il y a de bien certain, c'cst que les chefs avaient
rccu I'ordre de faire marcher leurs troupes du 14 au 15,
les billets d'fetat etaient prets, les casernes des suisses
etaient remplies de munitions, et le gouverneur de ',;. bas-
tille avait demenage, ne laissant dans le chateau que Ic
choses dont on ne pent pas se passer.
L'assemblce, toujours inqui<;le, altendait tonjours im-
patiemment des nouvelles de Paris. Le sang coulait. di-
sait-on; lout etait perdu. Enfin le roi avait consenti a ce
que I'armee s'eloignat; mais il etait trop tard, et bienlot
on apprit les evenemcnts de la journte du 14.
Deja, dans la nuit du 13, une foule immense de peuple
s'etait acheminee vers la Bastille. On avail deja tire
quelques coups de fusil, on avait crie plusieurs fois : A
la Baslille! On sitail habitue deja a I'idce de delruire
ce monument caractcrislique, dans lequel se personni-
iiail un '.ong despolisuie. On deniandait sans ceise des
u
FAITS MEMORABLES DE L'
armes et de la poudre. Le bruit courail qu'il y en avail
un d^pflt immense a I'hotel des Invalides. Le comman-
dant, M. de Sombreuil, en defend I'entree; il repond
qu'il lui faut des ordres de Versailles. La multitude ne
veut rien comprendre; elle se precipite, force les portes,
se saisit des canons et d'un grand nombre de fusils.
Cependant un people immense assiegeait la Bastille. On
donnait pour pr^texte que le canon de la forteresse etait
tourn^ contre la ville et qu'on devait empteher qu'on
ne tirat sur Paris. Le depute d'un district demande la
permission d'entrer dans la place, le commandant y con-
sent. En la visitant, il compte trente-deux Suisses et
quatre-vingt-deui invalides; on lui promet sur I'honneur
de ne pas faire feu avant d'etre attaqu6. Pendant que ces
pourparlers ont lieu, le penple, qui ne voit pas paraitre
son depute, s'irrite, et celui-ci, pour calmer la foule, est
forc^ de se montrer. Enfin il se retire vers onze heures.
Une demi-heure apres survient une autre bande avec des
armes, criant : a Nous voulons la Bastille! • Alors la
garnison enjoint aux assaillants de se retirer; ils persis-
tent dans leur dessein. Deux hommes, plus intr^pides
<jue les aulres, escaladent le toit du corps de garde, ar-
mes chacun d'une hacbe, et brisent les chalnes du pont,
qui tombe, et livre passage k la foule.
On se pr&ipite; on court ii un second pont, pour s'en
rendre maitre comma du premier ; tout Ji coup la mous-
<jueteric telate et arrfete les assaillants, qui so retirent
mais en faisant feu i leur tour. Onsebat pendant quelque
temps.
Cependant les aecteurs, rassembles k I'hotel de ville,
ont entendu le bruit des decbarges de la mousqueterie ;
leurs alarmes augmentent, ils envoient deux deputations
coup sur coup, qui somment le gouverneur d'admettre
dans le chSteau un detachement de la milice bourgeoise,
sous le pr^texte que touts force militaire existant dans
Paris doit relever de la ville. Les deux deputations se
succedent. Une foule de citoyens avaient penetr6 dans la
premiere cour. Au milieu d'un pared siege, execute par
le peuple, il ^lait presque impossible d'entrer en ac-
commodement, on ne pouvait d'ailleurs se faire en-
tendre. N^anmoins, le tambour bat, un drapeau s'ileve,
et le feu cesse. Les deputations s'avancent ; la garnison
va les recevoir, mais on ne peut s'eipliquer.
Quelques coups de fusil sont tires on ne sait par qui.
Le peuple, convaincu qu'on le trahit, se precipite pour
jnccndier la forteresse. Cette fois la garnison tire a mi-
traiUe. Le regiment des gardes francaises arrive avec
de I'artillerie et commence une attaque en r^gle; les
canons sont mis en batterie sur lo boulevard Saint-An-
toine.
C'est sur ces entrefaites que les billets du baron de
Besenval h Delaunay, commandant de la Bastille, sont
interceptes et lus. On se battait toujours avec acharne-
ment, le terrain ^tait dispute pied a pied. Au bout de
quelques heures, Delaunay, ne se voyant pas secouru et
la fureur du peuple augmentant, pour ne pas tomber vi-
vant entre les mains de I'ennemi, saisit une meche allu-
mee pour faire sauter le chateau et s'ensevelir sous ses
ruines. Un canonnier lui arrache la meche, et la earnison
HISTOIRE DE FRANCE, ETC.
I'oblige k se rendre. II est difficile de prevoir les conse-
quences terribles de I'acte que voulait accomplir le gou-
verneur. La premiere enceinte etait deja au pouvoir des
assiegeants. On donne les signaux, on baisse un pont, les
assaillants s'avancent en promettant de ne faire a\icun
mal ; mais au raSme instant une foule enorme se precipite
comme un torrent et envahit toutes les cours. C'en est
fait, tout est perdu.
Les Suisses peuvent s'^chapper. Les invalides sont ac-
cables par le nombre, et ne sont sauves d'une mort cer-
taine que par le courage des gardes francaises, qui se
d^vouent pour eux. En cet instant s'offre aux regards de
la mullitude une jeune et belle fdle', toute tremblante; on
la prend pour la fiUe de Delaunay; elle est saisie, et elle
allail 4tre brdlee vive, quand un brave soldat se jette au
milieu de la foule, I'arrache de ses mains, s'empresse
d'allcr la mettre k I'abri et revient se baltre.
II 6tait cinq heures et demie. L'assemblee de I'hdtel de
ville etait dans une affreuse inquietude, lorsqu'elle en-
tend un long murmure, puis des cris ; au mSme instant
une foule fait irruption en criant vittoire. La salle est
envahie, un garde francaise, cribM de blessures et cou-
ronne de lauriers, est porti5 en triomphe par la multi-
tude. Quelqu'un porte au bout d'une baionnette les clefs
et le reglement de la Bastille. Une main sanglante, qui se
dresse au-dessus de la foule, agite une bouclc de col;
c'est celle du gouverneur Delaunay, qu'on vient de deca-
piter. Le malheureux ne s'etait point trompe dans ses ap-
prehensions ; au milieu de I'escorte qui le menait k I'hotel
de ville il avail ete frappe du coup morlel, malgri I'he-
roisme de deux gardes fran^'aises, Elie et Hullin, qui I'a-
vaient defendu jusqu'a la derni^re extrtoit6. On avail
eu a deplorer bien d'autres malheurs, bien que les victi-
mes eussent ete defendues avec le plus grand devouement
contre la fureur du peuple.
Le combat avail dure quelques heures ; mais en ad-
mettant que la resistance eiit M plus longue, rien n'eilt
pu arr^ter la marche rapide des ^vinements. On aban-
donna le projet d'altaque pour la nuit du 14 au ISjuillet.
Toute la journee et unepartie de cette nuit furent emploj ees
k se fortifier dans Paris, k dc5paver, a barricader; on il-
lumina les fenfitres. On deposa a chaque elage des amas
de biiches, de ferrements, des paniers de cendre^ des
vases d'eau bouillanle ; toute la population, en armes, bi-
vouaquait aux barriferes. L'attaque projetie ne pouvait
d'ailleurs r^ussir que par surprise. L'armee de Broglie se
dispersa dans la nuit, abandonnant ses tentes, ses bagages
el une partie de ses canons.
On proceda immediatemenl a la demoUtion de la Bas-
tille ; des artisans imagin&renl de sculpler, avec des pierres
provenant de la forteresse ddmolie, de peliles Bastilles
qui se vendirent parfaitement, avec lout le succfes de la
vogue. — La prise de la Bastille fut suivie du meurlre du
pr^vflt Flesselles. — L'6v6nemont, auquel d'abord on ne
voulul pas croire a la cour, fit ensuite une sensation pro-
fonde. Le roi en fut trouble : « Quelle revolte ! dil-il au
due de Liancourt. — Sire, r^pondil le due, diles revo-
lution! >
A.-L. Ravergie.
=<^<^^^^i^iM^>^?^
LA FREGATE L'URANIE.
95
SCENES, RECITS ET AVENTURES DE LA VIE MARITIME.
I.A FREGATE Ii'URANIE >.
m.
Vous savez que la miture de Brest, une des plus belles
que Ton connaissp, est situee au pied du chateau. Un
massif de maconnerie en granit lui sert de base ; elle est
composee de trois hauts mSts ou bigues qui sont assem-
bles i leur extri^mit^, se terminant h angle aigu par une
sorte de hune qui se Irouve elevee ^140 pieds au-des-
sus de la nier vers laquelle elle est fortement inclinde ;
des clefs ou traverses maintiennent I'appareil, qui en outre
est retenu en arriere par de solides haubans, Irte-forte-
ment roidis par des caps-de-moutons ' ferres.
En tSte'des bigues, des gros palans et des calicornes ' avec
des rouets en fonte sont frappt^, et la manoeuvre d'en bas
se fait a I'aide de treuils ou cabestans *.
Les bas-m^ts furent promptement i^levcs perpendiculai-
rement au-dessus de I'^lambrai , trou par lequel on les
Introduit dans le pont, de maniere que I'extr^miti^ basse
aille s'assujettir dans des pieces de charpente nommees car-
lingues, etablies dans la cale.
Les mats sont perpendiculaires, comme vous le savez,
excepts le mdt de beaupre , plac6 k I'avant horizontale-
ment.
Les autres sent : le grand m&t, au milieu ; le mSt de
misaine a I'avant, et le m4t A'artimon a I'arriere. Cha-
cun d'eux est couronn^ d'une htme, plateau demi-circu-
laire au-dessus duquel s'elevent les niAts de hune; puis en-
core plus haut, les perroquels. Ces derniers mSts peuvent
se depasser, c'est-h-dire etre amenes le long des bas-mits
comme des tubes qui glisseraient centre unecolonne; le
beaupr^ a un boule-dehors qui fait le m^me office.
Horizontalement aux mJts etappuyees centre eux, sont
les vergues destinies k porter les voiles.
Des balancmes suspendent et dirigent les vergues.
Des drisses hissent ou amfenent les voiles qui sont eten-
dues et presentees au vent par des eeoutes et des bouli-
nes.
Je ne toqs parlerai pas de la voilure de la fregafe et de
son elegant Edifice de cordages, qui se croisent dans tous
les sens et dont pas un seul n'est inutile. De ces corda-
ges si multiplies que le vent fait fr^mir ou sifSer, selon
qu'il sounie avec plus ou moins de violence, comme une
immense harpe ^olienne , les uns sont places k demeure et
servent de point d'appui pour maintenir la mSture : ce
sont les manoeuvres dormanlcs ' du gr^ement ; les autres
sont les manoeuvres courantes ', c'est h. dire qu'ils agissent
h I'aide des poulies pour donner le mouvement et la vie
aui vergues et k la]voilure '. En faire le detail serait trop
1 Voir t. 11, p. S86; (!( I. lit, p. 61.
' CapB-de-moutoni. — Poulies en forme ie spTiereaplalie, avec Irois Irons
el une rainure lur le aens circutaife ; leur wage principal esi de rider le
bout d'en bas des Uaubans.
8 Co^icorne. — Reunion de deui grosses poulies ou monflles i trois rouets.
* TrntiU et cabeatans. — Tout le monde connait le trenil, car it sert i
manceuvrer la ch^Trc qui est d'un usage general. Le cabestan est une sorte de
treuil pcrpendiculairc oil I'cHort se fait Iioriiontalemeat par lea kommcs ranges
SIU los leviers.
long, trop tecbnique surtout. Mais les occasions d'en
parler, ainsi que de toutes les autres parties constitulives
des navires, se reprfeenteront ; car les recils detaches
que je vous ferai seront ceux des aventures qui me sont
arriv^es h. moi-meme ou qui m'ont ^te racontijes par des
marins qui en ont ele les acteurs. Comme presque tous
ces 6venements se sont passtjs en mer, le navire y jouera
naturcUement le premier role.
Enfin, la fregate bien griie, armee, montee par un
brave tiquipage , se rendit en rade, et peu de jours apres
nous mimes k la voile.
DEUXIEUE PABTIE.
Lorsque nous partimes de Brest, longtemps nos regards
s'attacbferent au rivage ; la brise itatt fraiche, et nous
vfmes disparaitre successivement nosamis qui nous adres-
saient du rivage un dernier adieu, les tours du cli&teau,
puis enfin les cotes escarp4es qui dominent I'Ociian. La
null arrive, et le jour du lendemain n'eclaira aulour de
nous que I'immensit^ des mers.
La fregate devait se rendre sur les cotes du S^ntjgal
pour y reprimer la traite des negres qui s'opi5rait clan-
destinement malgre la stivfere surveillance des croisieres,
et en meme temps pour prolt'ger nos comptoirs ou lo
commerce des gommes s'y fait stir une grande ^chelle.
Notre traversee eut lieu sans incidents remarquables,
et avec une rapidite qui vint confirmer la bonne opinion
cpie Ton avail de noire fregate. En ma qualite de pilotin,
j'litais attache h la timonerie, ce qui me donnait de lon-
gues heures pour r^ver, lorsque j'etais a mon poste prfe
de I'habitacle , et quand le mal de mer voulait bien me
le permeltre.
Arrives sur les cotes da Senegal, quelqnes ^vdnements
de mer saisissants, qui vinrent nous frapper coup sur
coup, fprouverent la sohdittj du navire et I'energie de nos
hommes. Nous avions pass6 quelques jours a Goree, ilot
volcanique, qui, par sa position et sa rade, est un point
important de la cote occidentale de I'Afrique; nous n'y
avions trouve qu'une chaleur ^louffante, des negres peu
propres et des mulAtresses surcbarg^es de bijoxix, ayant
K ifanc&urres dorfflantea : haubans ; galhanbans ; £tais des mitts majenr et
d'arlimuD, des mils de bone et perroquels de fuugue , des perruquets et per-
rucbes , drailles des foes et \oiIea d'etai.
6 UantBUvrea courantes: drisses; ytagues; balaocines, bras; eeoutes; boa-
lines.
A\itree ccirdages : cables; grelins ; baussi^res; cayomes; palans.
*1 Potture. Grand mdt : grande voile; grand hunier; grand perroquel; grand
perroquet volant.
SIi4aine : petit bunier; petit perroquet; petit perroquet volanL
ArtimnK : perroquet de fougue ; perrucbe.
Beaupr^ : civadiere ; contre-civadi^re.
Puis les bonnettes et voiles d'etai Iriaugulaires et les foes; ces Toiles ne
sont pas etendues sur les vergues comme les voiles carrees: c'esl avec del
eeoutes et des boulines qu'elles sont d^ploy^es on serrcet.
96
LA FREGATE LURANIE.
nn madras autour de la iHe, et qii'on ne pouvait trouver
jolies qu'Ji I'aide d'une graiidc bonne volonte.
Vers lo soir. nous aperciimes unegoeletio loule peinle
on noir, qui glissait sur la mer unie comme une glace,
prit chasse des qu'elle nous appr^ut, et se couvrit cle
toile, en s'orientant au plus pres , ce qui lui elait favo-
rable; aussi la vimes-nous bienlot disparaitrea rhorizon.
Le temps etait calnie et lourd, le ciel etincclant, la mer
bleue refletait nos mJts et notre greement, en vain cher-
chait-on quelque trace de vent ; nous etions enchaiiies,
pourainsi ilire, a notre place. L'olTicier de quart referma
sa longue-vue avec humeur.ct se mil h marcher a grands
pas, ce qui etait de mauvais augure. Tout 4 coup, ccpen-
dant, il s'arr^ta, se passa la main sur le front, examina
I'horizon, puis se porta rapidement vers I'habitacle, ou
I'aiguille de la boussole, au lieu de rester tremblotlanle
et fixee vers le nord, tournait et retournaitsur clle-mJme
comme si, devenue animee, elle eiit et^ en proie a une
Vive inquicl'tude.
Aussilut, le vigilant officier fait monter le nionde, ser-
rer les voiles, amener les perroquets, prendre toutes les
dispositions comme si nous etions assaillis par une vio-
lente tempSte. J'avoue que ces dispositions m'intriguferent
beauconp, car je nevoyaisqu'un ciel pur, et, a I'horizon,
un petit nuage blanc qui, semblable a une legero loison,
s'avancait dans le ciel. Le pere Kaban, en passant pres
de moi, me dit Ji I'oreille : .Nous aliens danscr, men
camarade.'
Les previsions de rolRcier ne tardi;rent pas h elre jus-
lifiees, et bien nous arriva que ce fut un homme d'expe-
rience. Ce petit nuage s'avanca avec une rapidite extra-
ordinaire, grossit a vue d'eeil, et un coup de vent affreux,
un grain blanc enfin, lomba sur nous comme la foudre.
.4utant nous etions calnies quelques minutes auparavant,
autant les elements dechaines nous secouerent alors avec
violence; la mer devint horrible, la mature craquait,
quelques voiles qui n'etaient pas encore serr^cs furent
dcralingu(5es et emportees Dieu salt ou. Ballottes par les
flols, pousses avec rapidite par le vent, inondes par une
pluie battante, nous courumes un grand peril, car nous
range;\mes k honneur une chaiue de recifs ou nous nous
fussions perdus corps et bims, si la Providence n'eut pas
veille sur nous. Nous apercevions les lames onfirnies qui
se brisaient sur ces roches aiguiis, et leur ecume pUos-
phorescente qui etait emporlee au loin par les vents.
Une heure apres, le ciel avait reprissa srrenite, la mer
son calme trompeur, et tout I'equipage travaillait a re-
parer lesavaries caus(5cs par le grain blanc. Ces oragcs
sont aussi courts que violents, d est vrai ; mais, comme
dans les mers tropicales ils tombent a I'lmprovisle sur un
navire, ils sont excessivement dangereux; c'est pour eux
surtoutquel'on doitappliquerledicton : ■Veilleaugrain.>
Nous venions de subir une rude epreuve; mais, dans
la vie de marin, on en a lel'ement, et de loutes nature;,
que Ton finit par voir le danper avec une sorte d'insou-
ciance; on ne peut jamais compter sur le leiidemain, on
dort paisible, n'^lant sepnre de la mort que par quel-
ques planches. Le lendemain, i peine parlail-on de cet
episode; mais bienlut un nouvel ev(5nemcnt vint captivcr
notre attention , et fairo oublier ce grain blanc si brutal.
Deux ou trois tronibes passerent pres de nous vjrs la
fin de lajournee et nous olTrireiit un spectacle tellement
merveilleux , que nous oublii'iniei qn'il y avait un grand
dcnteri le conlemplcr de Irop jrjs.
Tj(>. ? . c lAVPE I}l3 ct Comp., me Dairielle, ?.
BRITISH
MUSEUM
7 AUG 30
NATURAL
HISTORY.
,
m AJf A PARIS \
PromeDade de Longcbam^is.
IV.
Les predications, — la
piomenade de Longchamps,
— les concerts, — I'ouver-
tureduSulon etiesgrappes
de lilas signalent les der-
iiiers jours de I'hiver et
I'aurore du printemps.
■'^ C'est une epoque animee,
- j bruyaute, pleine de phy-
- -sionomie; les rues se net-
i - toient, le ciel s'ouvre aux
:J_ rayoDs tiedes, et de toutes
parts voici que les oiseaux
et les Parisiens reviennent
s'abattre dans les prome-
nades, la oil les grjnds arbres poussent de petits bour-
geons, les uns dessus, les autres dessous. Les carrosses
ne sont plus crottes jusqu'au ventre ; el si quelquefois
encore une giboulee creve sans ditB gare, au moins le
soleil a-t-ii la galanterie de fralerniser avec elle et d'a-
doucir par la I'inclemence de son precede. On se surprend
a laisser 6leindre le feu de sa cheminee, on sort sans
manteau, on marche d'un pied plus siir; — oij va-t-on?
vous le savez bien , oil va lout le monde : a I'eglise, au
sermon, au Siabat.
Quelques oraleurs Chretiens, — parmi lesquels on dis-
tingue M. Lacordaire, M. de Ravignan et M. Cffiur —
onl le noble privilege d'allirer une foule elegante autour
I Voir [..jei 1, 33 el 65.
UI.
de leur cliaire. C'est parfois injustemenl que I'on crie a'
la frivolite de noire epoque : ceux qui jettenl un bliime si
prompt sur la generation actuelle ne Tout pas vue grou-
pee, un jour de la semaine sainle , sous les voutes dun
temple retentissant d'une parole eloquente et grave.
La France est le pays oil il ne faut desesperer de rieu ,
c'est I'arche des Iradi lions ; et, croyez-moi, la piele est en-
core aussi vivace a Paris qu'au fond de la province, ou
sembleraient vouloir la releguer quelques esprils sou-
cieux.
Parce que Ton bStit de coquettes eglises, toutes relui-
santes d'.icajou et d'or, d'un aspect mondain, ce n'cslpas
une raison pour crier a la desolation el a la decadence du
catholicisme. — La dedans, jene vols tout au plus qu'une
question d'architeclure,le joli d^trfinant le beau, le slylf
grec remplacant le style gothique. Les clochers coiitaient
Irop cher, et & defaut du genre solennel on a adopl(5 le
genre gracieux, — quand on pouvait s'entenira la sim-
plicile. Sancta simplicilas! — Ce n'esl pas seulement
aux edifices religieux que ce faux gout s'applique. L'af-
feterie est parloul, a chaque coin de rue, au fronton de
tons les hotels finis d'hier.
HeureusBmenl qu'il reste encore a Paris assez de vieux
etseveres monuments, — Notre-Dame, Saint-Euslache,
Saint-Germain-l'Auxerrois, — pour se consoler du luxe
moderne inlroduit dans I'arl chrelien. Les ceremonies du
culte onl conserve la lout leur prestige et leur majesty ;
el sous les arceaiix noirs des piliers, il semble voir quel-
quefois Hotter des ombres d'anges. — Une veritable fete
de car^me, c'est lejour desRameaux. Je ne sais rien de
OS
plus charn ant que ce bruit de branches et de feuilles
qui se fait autour des egliscs, sous Ics ponhe?, dans les
rues avoisinantes. C'esl la religion qui c^iebre le prin-
lemps. Si vous n'avez cntendu courir, dans les dMaJes
obscurs ettortueux dela Cite, ce fr(5missemcntjoyeux des
ranieaux, vous iiinorcz uue dos plus donees et des plus
ravissantes emolioiis doiit celle pieuse coulume est la
source.
La nuisique qui se fait le soir du jeudi saint est sou-
vent execulee par des fenimes du munde, — et c'est une
inspiration dont on duit leslouer.LeS(n6(i<eniprunlea!ors
au cliarme de leurs voix une inexprimable et suave liar-
nionie, qui, loin de ramener la pensce aux i hoses de la
terre, lend au coiitraire a I'elever vers les spheres celestes
par des sentiers plcins d'encliantemeiils. — Cetle epo-
que, loute ^ la devotion, suffiraH a prouver que la gan-
grene n'est pas tant au eosur de notre sieole qu'on veut le
dire. La divine table voit approcher, a I'iques, un nom-
bre toiijours croissant de jeunes homnies et d'liommes
I'aits; etce matin-la Jes cloches ontbien raison de sonner
i) toules volees et de dire aux nuages leurs plus belles
chansons, car c'est tele au ciel et sur la terre, joiesplen-
dide, bonheur universel.
Aiivoisinagedes offices de la semaine sainte, j'altribue
la profonde desolation dans laquelles'en va lonibanl d'an-
nee en annee la promenade de Longchamps. II n'en reste
plus aujourd'hui que le nom, demain il n'en restcra plus
que le souvenir. — A peine les anibassades de Naples
etdeRussie y envoienl-ellcs prendre lair a leurs equi-
pages. Par-ci par-li, on essaye un cheval, uncarrosse, —
et puis c'est tout. Quelques tailleurs, ne pouvant chasser
unresle d'habitude, errent au milieu de la foule, en re-
vant aux modes nouvelles qu'ils ne voient que dans leur
cervea.u. Des coupes, des citadines, voire des omnibus ,
defilentimperturbablement devarit les chaises a peu pres
vides de I'avenue des Champs-Elysees. C'est moins gai
qu'un dimanche. Aussi n'cst-ce que la fashion de contre-
bande qui hasarde a Longchamps sa botle vernie et ses
ganls paille ; les veritables princes du royaume de rele-
vance s'enferment hermetiquenient chez eux, ou restent
a devisrr de choses de sport et d'Opera.
Cetle fraction brillante de la populalion parisienne estun
vaste champ — ivraie etepisd'or — ouvertaux poscurieux
de I'ecrivain et de I'analjste. II est rare que le poete qui
s'enfonce courageusement dans ses sillons, n'en rapporte
pas un livre, roman ou peeme, plein d'une couleiir spiri-
tuelleet d'un interet etincelant. N'est-ee pas, en elTet, le
paysde la fantaisie, ,de Ihuiiwur, des dentelles depnx,
des soupers, des chevaux, du plaisir extravagant et sans
fin? Oil r^ncontrer ailleurs cette vie impetueuse, folle ,
musquee, vivace, sans sommeil, jouant toujours, couranl
toujours, buvanttoujours'; C'est teste, c'est vif,c'estjeune.
On se prend a r6ver des pelits grands seigneurs d'au-
trefois, des mar(|uis evapores en talons rouges eten man-
chettes de malineij, des Lauzun, des Fronsac, de toute
cette geut fringaiite.fretillante, pimpante, qui babillaient
si bien au bas des grands escaliers de Versailles et qui
etaientil la royaute d'alors ce que les rayons sontau so-
1p,1. Ce sont les memes allures sous des habits plus
"raves, le meme dedain du banal et de la vie commune ,
les mSmes madrigaux un peu plus rarcs, la memo imper-
tinence un peu plusexageree; et cela frise tellement le
dix-huitieme siecle qu'apies les avoH- lour a tour appeles
UN AN A PARIS.
dandys, fashionables, //on.
on en est vonu I'annee der-
niere a les bapliser du nom de yenlitskommes. — Vapour
gentilhomme.
Legentilhomme — d'aujourdhui — eslun cire parfai-
tement desoBuvi^, dit-on de loutes parls. Profonde er-
reur ! Sa vie est au contraire une occupation per|ieluelle
et de tous les instants,''!! ne s'apparlient pas, il apparlient
a tout le monde. La femme a la mode n'a pour pnscr que
les quelques pieds carres d'un salon ou I'allee des Tuile-
ries ([uand il fait soleil. L'homme^la mode a la rue tout
entiere, depuis le trotloir jnsqu'au ruisseau; il a de plus
le (afe, — leclub — eti'ecurie. Sa vie est une exhibition
permaneiile des produits de son lailleur, de son bottler et
de son chapelier. [C'est la vie dune figure de cire dans
une vitrine ou de I'Jiommo qui purte une affiche sur son
dos. — Le gentilhomme ne se proniene jamais ■. il promene
son pantalon, ilfuit prendre I'air a son gilet, il habitue sa
cravate au grand jour.
N'allez pascroire qu'il s'ennuie pour eela. Un gentil-
homme n'a pas.le temps de s'ennuyer. — II (st tropoc-
cupe b se conduire lui-meme par la bride. Quand il
marche, et si vite qu';il marche, il doit veiller scrnpuleu-
sement .at ce que la symWrie de sa toilette ne soit point
froissee par leconlact dt la foule. II nelui est pas permis
de faire un faux pas ; — oelui qui s'elalerail sur I'asphalle
du boulevard serait perdu de reputation et force des'expa-
trier le lendemain. — La revolution de .luillet barre un
jour le chemin a un gentilhomme emerite; apres quel-
ques minutes d'indecision, 11 va se decider a reveiiir sur
ses pas, lorsqu'un de ses amislesuisit violemmenl et I'en-
traine :
— C'est au nom de la liberie que nous conibattons, s'6-
crie t-il.
— Saprisli! laisse-moi le temps alors de bais-er mes
bretelles, — repond notre heros.
L'etat de gentilhomme exige un apprentissage plusou
moins prolong^, siiivant I'intelligence du sujet. D'or-
dinaire, on le prend jeune. Aprescela, s'il ^lait vieux, ce
serait absolument la m^me chose. On lui apprend cinq a
six mols d'anglais, comme jadis on apprenait cinq a six
mots de latin aux fits de bonne raaison ; on lui met un
regalia entre les levrcs; on le forme ^ bien se lenir en
selle et h parler haras comme un eleveur du Limousin.
L'habitude et I'esprit d imitation font le reste. — 'Legen-
tilhomme a conserve des anciennes iraditionsfrancaises,
outre Tamour des detles qu'il apporte en naissant, I'a-
mour de la danse et celui du duel. C'est :la-son bon cole'.
11 ne jure i|ue par Grisier et par Cellai ius. II a inlrunise la
polka en France; apies la polka, la mazurka; aprte la
mazurka, la redowa, — mais ne -vous avisez pas de sou-
rire en le regardant; car, apres avoir reconduil sa dan-
seuse, il est homme a venir vous demander voire heure
et vos armes pour le lendemain. Quo voulez-vous! le
gentilhomme a les oreilles promptes a echaulTer; il est
brelteur et spadassin en diable, il ne demande que sang
et massacre. Un'bon duel.morbleu! 11 neeonnailquecela.
C'est un delicieux pretexle pour dejeuner.
Au total, sauf un peu d'anglomanie dans ses manieres,
— la fashion parisienne reprcs.'nte fort bien le rotefri-
vole, elegant et moqueur dela sociele actuelle , avecj
moins de vicesque dons le siecle poudre, et plus depo- |
pularite reelle dans le speclacle de ses folies, — je me
Irompe, — de ses csiiiili kilt's.
UN AN A
ai la chute deLongcUamps I'a jjrive d'une Je scsscencs
autiefuis favoriles, I'accroisscment prodigieux des salles
de concerts doit Ten avoir ampleiiieBt dedommage. II est
inoui combien le dilettanlisme a fait de progies dans ces
dcrftiiires simees. Lcs oreiUes me tinteiit encore des sj'm-
phonics ct des melodies, des nocturnes et des barcarolles
(jue j'ai enlenducs ce mois d'avril. — Le printemps est
la saison par excellence des oiseaux et des virtuoses ; ii
ceus-ci, Herz,£rard,Plejel, le Conservatoire et tanl d'au-
Ires que j'oublie, ouvreut des cages hospilalieres, k dix
francs la slalle. — Pendant que dure ce ramage universel,
on n'enlcnd parler de lous cotes que de Mozart et de We-
ber, de Beethoven et de Palcslrina ; des reputations s'e-
cbafaudent, des noms nouveaux i^clatent; executants et
compositeurs sollicitent lattenlion a force de reclames,
d'affiches, de feuiUetons ; c'est un brouhaha qui rappelle
le finale du deuxieme acte du Barbicr de SecUle : — Ce
vacarme va m'ilomdir.
PARIS. !)it
Les musiciens de concert sont, comme de raison, en
quaulite bien plus nombreuse que lcs musiciens de llieiS-
Ire ; — pour une partition, on a trois cents romances. La
monnaie d'Auber se retrouve dans une multitude de ce-
lebrites hautes seulcment de quelques pouces. — En de-
hors de ces pygniees gazouillant et rossignolant, il faut
distinguer toutefois [ilusicurs individualites neltement
Iranchecs et incontestablement originales, — Hector Ber-
lioz elFelicien David, — deux esprits serieux, pnoccupes
I'un et I'aulre du sens intimc de leur art, clierchanl I'idee
dans le son, la pensee dans la note; horames de lulteet
d'activile tousles deux, qui n'ont pasdit encore leur der-
nier mot, elauxquels I'avenir reserve sans doute de noa-
veaux succes, — sinon de glorieuses defaites. II ne manque
a leurs symphonies et a leurs legendes, pour en faire des
oeuvrcs tlieSitrales, que deux ou tiois fonds de loile fifc-
rement brossos et de riches costumes sur le dos de quel-
ques chanteurs. Mais I'jmagiiia ion n'est-elle pas, elle
I^ jour des Rameaux.
aussi, une habile metteuse en scene, et lcs decors qu'elle
nous fait voir ne Talent-ils pas souvent les plus splendi-
des feeries de Ciceri ou de Dielerle?
Mais ne me parlez pas des instrument istes. — Laissons
Je cote les rois du cornet, les princes du hauibois: c'est
a ne pas savoir oil donncr de la It^te, tant le talent court
les rues et lant les grands noms abondent. Tout le monilo
est maUre, pas un el6ve. En p ano seulement, — Lislz est
un maitre, Thatberg est un maitre, Chopin est an mai-
tre, et DoiHiler, et Prudent, el Lacombe. — Qui sail mieux
que Vieuxtemps faire passer son 3me dans un violon, si
ce n'cst Allard, a moins que ce ne soil Sivori ou peut-6tre
Ole-Bull? — Balta est le rival de Servais, qui est le rival
de I'ranchomme, qui est le rival de Seligmann. — II fau-
draitla patience de M le baron Charles Dupin pour dres-
ser une statistique des fliitistes, harpisles, violoncellisles
qui couvrent le pave de Paris a I'epoqiie des prcmieies
pousses et du renouveau.
Les femmes, — qui passent pour mieux seutir que
nous la musique, — sont en majorite ^ chaque concert.
On ne se fait aucnn scrupule d'y amener de jeunes per-
sonnes, aux cheveux ornfe de fleurs, aux bras cou\erts
de pierreries, en robe de bal, I'cSventail ii la main. On ne
lcs conduirajt pas a I'Academie royale de musique, — on
les entraJne chez trard. L'ennui est une chose si souverai-
nement morale 1
Pour ce qui est de Texposition annuelledes peinlrcs et
des sculpteurs dans les salles du Louvre, — que vous en
dirai-je que vous ne sachiez deja? Deux mille toilcs, oeu-
vres de talent (selon le jury), sollicitent pendant trois mois
lcs regards de I'amaleur, du marchand et du critiiiue. Les
noras lcs plus flamboyants coudoient les noms les plus
im
obscurs ; les systemes les plus contraJictoiies, les ecoles
les plus Iranchees y out leur place ou soleil, — lorsquelou-
lefoisle jury n'a pas mis son bounetde traversoumalfroi-
It les verres deson binorle, — ce qui lui arrive de temps
en temps, etce qui souleve alors des tempetes de recrimi-
nations dans I'ocean dela presse. C'esl surtouten peinlure
que le fanatisme des partis s'est conserve dans loute son
ardeur et dans loute sa francliise d'expression. La, plus
qu'ailleurs, on bait et on aime cordialement. Certains ra-
pins en remonlreraient aux conscillers des£tat-Unis pour
I'entliousiasme eleve a sa derniere puissance, et porle-
raient I'auteur de la Slralonice en triompbe, — si les par-
tisans d'Uorace Vernet les laissaient foiie.
En tcte de toutes les expositions bnlle inevitablement
'Ce nom tombe sous noire plume, I'auleurde la Smala et
de la Uataille d'hly, — le Donizetti de la pcinture, — ce
grand seigneur cosmopolite, aujourd'hui chamarre de
poignards el coilfe de turban, bier enveloppe de fourrures
moscovites et sillonnanl les Champs-filysoes dans un trai-
neau, magnifique present de I'empereur de Russie. 11 est
de ces fecondilcs qui commandent I'adrairation, alors
qu'elles sent le fruit de I'union du genie et du travail.
Ainsi de Vernet, dontla verve hereditaire ne s'est jamais
ralentie un seul instant, et dont les oeuvrescbaleureuses
ont loujours force la critique la plus acbarnee a baisser
pavilion devant elles. — Temerite fougueuse, inspiration
inquiete, brosse bardie, lels sent les qualiles el les de-
fauts de cot autre poele fievreux qu'on appelle Delacroix,
el pour qui ont ete eclianges et s'ecbangent encore les
plus terribles coups de lance de la critique. — .4 cote de
lui ou plus loin, k des places diversenient contestees, se
groupent et s'etagent pele mele Robert Fleury, Coignet,
Paul Delaroche, Isabey, Jacquand, Papety, Ziegler, Flan-
drin, Bellange; et ce nouveau venuqu'une loilegigantes-
que, VOifiic romaine, a fail si vile et si bien connaitre,
— Thomas Couture; — elGudm,^ qui Ton pourrajt appli-
quer ces paroles celebres de Louis XV a propos d'un au-
tre Vernet, de cette grande et toujours celebre dynaslie:
— Sire, vous n'aver pas de marine, lui disail un mi-
nislre severe.
— Et Vernet? repondil le monarque.
Louis-Phdippe peut en dire autant de Gudin.
Apres cela, il y a le pays de la fantaisie, du r^ve, du
conle bleu et rose, du genre enfin. Plus d'histoire, de
conventions, de choses et de visages connus; mais le pre-
mier drame qui frappe nos regards ou qui vient a passer
dans la rue de noire imagination, ficole splendide, celle-
1^ I pleine de beaux noms et de grands noms ; voyez plu-
tot : — Decamps, Ary Schcll'er, Diaz, Muller, Roqueplan,
Winterhalter, Vidal, Baron, tons si vifs, si ardents, si
gracieux, si toucbants, si melancoliques, si pares des
fleurs du prinlenips et des roses de I'automne; plus ro-
manciers que les romanciers eux-memes, qui excellent
a coucher de jounes fenimes et de brillants cavaliers sur
un gazon louffu, a raconler les miseres et les grandeurs
de rOrient, a faire gemir des coussins brodes d'or sous
le poids des odalisques, h faire soufller des buUes de sa-
"von il des enfants de carrefour, a detacher une page de
Boccace el a nous rendre alors deux chefs-d'oeuvre pour
un ; a cliiffonner des etoflesde satin, ei egrener lesperles des
colliers, h fouler les epais tapis, les denlelles de Flandre,
UN AN A PARIS.
ou bien encore a nous faire songcr des heures entieres
devant une jeune fille maigre, simplement v^tue et accou-
dee dun air Iriste au milieu d'un paysage nu, plat, sans
berbe et sans rayon. — Saluons ces magiciens du pinceau,
si fantasques souvent, mais si sympathiques toujours.
Les paysagistes e.xclusil's sont h leur suite. Ceux-la ne
vivent absolument que de lair du temps, pour ainsi dire,
de la pluie et du soleil, de la neige et de I'aubepine, du
froid et du cbaud, de I'ouragan et de la brise. lis ont de
beaux arbres, jeunes ou seculaires, pour se reposer a
1 ombre; des rivieres qui babillcnt etoii viennenl semirer,
lesoir, un petit million d'etoiles; des cbiileaux en mi-
nes, des prairies, des (leurs, des oiseaux, des nuages, —
I'infini. Trouvez-moi de plus heureuses gens. Aussi n'a-
vons-nous pas besoin de cherclier pour nous souvenir;
Dupre, Rousseau, Corot, les freres Leltux, etc., bruissent
dans notre mfemoire comme des abeilles dans une ruche.
— Ne troublons pas le repos de ces faciles artistes, qui
trouvent le bonheur en cheraliant la gloire, rSveurs in-
souciants, dont la vie s'ecoule au milieu de la campagne,
et qui ne meltent le pied dans Paris, une fois par an, que
pour venir accrocher aux mursdu Salon I'enivrant spec-
tacle de leur felicile.
Et arrStons-nous devant les portrailisles. — C'esl une
classe plus nombreuse peut-6tre que celle des instrumen-
tistes en musique. La aussi le talent est noye, perdu, tu-
mullueux. II faut une plume de sauvelage pour lui venir
en aide. — Mais a quelque point de vue que Ion se melte,
on distingue loujours maitre Dubuffe; Dubulfe le coquet,
le delicieux, I'adorable; Dubuffe, le peintre essentielle-
ment parisien de toutes les parisiennes du faubourg Saint-
Germain et du faubourg Saint-Honord. llors DubulTe,
point de beaute, point d'elegance, point de sourires,
point de cheveux noirs relombant en cascades sur de
blanches epaules. Dubuffe est le Napoleon du portrait. —
Viennent apii?s lui ses generaux, ses aides de camp, ses
mameluks, ses grands officiers, la plupart hommes de
nierite et de reputation, — mais que nous ne nommerons
pas plus cependant que nous ne nommerons les minia(u-
risles, les aquarellistes, les carkaiuristes et les nalure-
morlisles, — parce qu'il nous faudrait copier la moitie du
livretet que nous regrelterions de porter prejudice a la
venle qui s'en fail au pied du grand escalier du Louvre.
Quant a vous, pales et rares statues de cette galerie
loinlaine oil le jury vous exile, — dormez de votre som-
meil de marbre, blanches Cieopatres, folles Venus, deu-
ces Callirhoes, deesses evanouies d'un passe my thologique
eteclalant. Le siecle n'est plus aux grandes choses, aux
grandes ceuvres de pierre, auxParlhenons sublimes, aux
Jupiters Olympiens. On n'elbve plus de palais, on ne
sculpte plus de temples; le comfortable a remplace le
grandiose. Que feriez-vous dans le vestibule bourgeois de
I'bolel d'un banquier.o Pbebus-Apollon, 6 Silene, oNar-
cisse? La slatuaire s'en va dans cette epoque d'econo-
mie. Sous Leon X ou sous Francois I«', David, Pradier,
Clesinger, eussenl gagne la fortune de trois princes a pe-
trir le marbre de leurs puissanles mains. C'esl a peine
aujourd'hui si les commandes du gouvernemeut sulBsent
a payer leurs frais d'alelier.
ClIAHLES Mo;«SELET.
LES DOUZE APOTUES. — SAINT JACQUES LE MAJEUR.
ICJ!
lES DOUZE APOTRES.
SAINT JACQCES LE MAJEUR.
Get ap6tre elait ainsi
nomme pour le distinguer
de Jacques, Ills d'Alphce,
dit le Mineur. II fulappeie
a I'aposlolat avant ce der-
nier; il elait pliisAije et de
plus haute taille; ces dille-
renles raisons furent les
causes probohles de sa de-
nomination. Son pere se
nommail Zebedee;sa mere,
Salome, nonis que I'onpeut
reconnaltre pour les avoir
deja vus altribues aux au-
teurs des jours de Jean
r£vangelisle, frere de Jac-
ques le Majeur. Sa voc.ition
remonte, comme cclle de Jean, a I'cpoque de celle de Pierre
t Andre. Denieme que ces deniiers, detail pecheur.et se
Irouvait dans .«a liarque avec son fr^re lorsque le Christ
dit a ces futurs conqiierants de Tunivers ; t (Juittez vos
filets. ■ Ce fut dans cctte classe infime de I'humanite que
leVerbe fait chair voulut choisir les heros de la rege-
neration morale; il etait ne dans la creche de Belhleem,,
sur la paille foulee aux pieds des bestiaux ; il avail re-
v^lu ses premieres langcs dans une etable, et prononce
les premieres paroles adressees a son Pere eternel dans
I'atelier du bon Joseph le charpenlier; oeuvre de gran-
deur divine et non terrestre, sa vie devait eire pauvre
comme sa naissance, et ses premiers propagateurs hum-
bles comme lui.
Saint Jacques le Majeur se leva done b I'appel du Sei-
gneur, et, imilantson frere et ses dignes camarades de
travail, il abandonna sa barque.
Pendant le temps qui s'ecoula depuis sa vocation jns-
qu'i I'ascension de son divin maiire, son nom ne se ren-
contre pas souvent d'une maniere apparenle et acti\e
dans les acles qui precedent la Passion, et qui durent
presque loujours avoir pour temoins ou pour heros les
douze elus places aupres du Christ.
Une seule fois nous le voyons envoye avec Jean, son
frere, a un bourg desSamaritains, pour preparer un lo-
gement a Jesus-Christ, qui >edirigeait alors vers Jerusa-
lem. Les Samarilains refuserent de donner un asile au
fils deDieu, etl'evang^liste saint Luc, auquel nous devons
le recit de ce fait, met dans la bouche de Jacques,
comme dans celle de Jean, ces paroles d'indignation conire
les habitants du bourg impie et inhospitalier: • Seigneur,
voulez-vous que nous conimandions que le feu descende
du ciel et qu'il les devore? > — Cerles, cette terrible de-
mande prouve la force des passions encore humaines de
CCS deux hommes; mais combien aussi elle attesle chez
eux la colere nee de leur amour pour leur divin maitre!
Ainsi que tous lesaulres apotres, saint Jacques le Ma
lOi
LES DOIZE APOTRES.— S
jour assisia h ce rcpas soloniicl pcmlaiil leqiicl ful elublie
I'institiilion de la divine eufharislie; niais il fut I'uii des
trois seulonioni que Jesus conduisit apres la cene au jar-
din de Gellisemani at auxquels il dit : • Mon Sine est
trisle jusqu'a la niort; demeurez ici-el vcillcz avec moi. •
Vous savez comment, s'elant un pen eloigne et s'etant
alors proslern61e visage centre terre, leChrist poussa vers
son Pere un long cri de douleur, et comment, revenant
vers ses disciples, il les trouva endormis. Trois fois il
s'eloigna d'eux, Irois fois il les vit succomher sous I'ap-
pesantissemcnt du sommeil.Enfin, illeur dit : « Dormez
mainlenanl et vous reposez; voici I'heure qui est proche,
AIM" JACQLES EE MA. IE UP..
le Fils de I'liomme va etre livre entre les mams des pe-
clicurs. » Judas Iscariote s'avangait en etfet pour accom-
plirl'ceuvre des tenebres.
Ce qui advinl alors pour Jacques le Maj, jr fut, lielas I
un acle de faiblesse el d'abandon. Pierre et Jean seuls .
de pres ou deloin, suivirent leur maitre; les autresapo-
tres s'enfuirent. Parmi ceux-ci se trouvait done Jacques,
fils dv Zeb^dee.
Apres sa resurrection, Jesus-Cbrist se montra sur le
bord de la merde Tiberiadeh plusieurs de ses disciples ;
saint Jacques se trouvait avec Simon Pierre, Tliomas, ap-
pele Didyme, Natbanael qui etait de CaD» en GaliK'C, el
Siipplivjilp saiiil J,if<]Lie3 le Majeiit.
Jean, fils de Zebedee ; IJi il put contenipler leSaiiveur,
marque des sligmates de la croix, et il entendit confier ^
Pierre les agneaux et brebis du divin pasteur.
Le Fils derhomme^lait rcmonte vers son Pere, lais'ant
a chacun de ses disciples une partdu monde a defricber.
La mission de Jacques s'etendit aux douze tribus d'Israel
dispers(5es en divers lieux de la lerre. II porta la nouvelle
loiauxpeuplesmaUieureuxquig^missaientdansl'esclavage
du paganisme. Ses ceuvres secondaicnt par I'excmple ses
saintes predications; il ne portait qu'une seule tunique et
un simple nianteau de lin. II ne mangeait ni viande ni
poisson, et il est dit a sa grande gloirc qu'il conserva une
virginite perpctuelle (Eusebe, livre li, 6, 9). LeglisedEs-
pagne, s'appuyant f •• I'autorite de saint Isidore de Se-
ville, al'ribue il sail 'acq'ies leMajeur les premieres con-
versions opcr6es sur an lerri'oire a la religion du Christ.
Apres avoir longlemps comballu pour la gloire de son
mattre, et avoir enrichi la nouvelle foi de nombreusesct
pr(5creuses conqu^les, rap6tre revint a Jerusalem, d'on
il etait parti poi- alleraccomplir sa mission, et la il n'at-
tendit pas longtemps lejour deson trromphe.
Agrippa, pe' H-fils d'Hi'rode, (Sieve h Rome sous I'empe-
reur Tibcre, nourri dans les vices et les monstrucuses
cruaulesdu paganisme, connudecelteanomaliebumaine
qui eut nom Caligula , avait su , en flaltant Ulcliement
les passions de ce dernier prince, meriter sa confiance et
son amitie. A peine parvenu & la pourpre imperiale, Ca-
ligula, voulant t^moi^ner son attachement pour Agrippa,
le cr& et lui donna le titre de roi des Juifs. Le farouche
et nouveau souverain s'empressa de venir monter sur le
Irene qu'il d'evait souiller de ses crimes. II etait roi des
Juifs; it crut done devoir atfecter un grand zele pour la
loi de Moise, et il suscita contre les disciples de Jfeus-
Christ une persecution qui devait lui gagner le cccur des
Juifs. Faisant un voyage de Jerusalem h Cesart'e, dans le
but d'y celebrer la f^te de Paques de I'annfe 43, il leur fit
la promesse formelle d'employer toute sa puissance a
eleiudre le flambeau de la chr^tiente, dej^ leve sur I'uni-
vcrs comme un soleil qui bienl6t devait I'envahir.
Saint Jacques le M.ijeur futunedes premifcres viclime-s
de cctlehideuse politique. II le fit arrfeler qnetques jours
avant la solennilc de Pilqucs, et il ordonna qu'on lui
tranchSt la (^lo.
Dapres Clement d'Ale^andrie, Eu^Stle rapporte qne \e
ECr.lSK I)E
denonciaic'ur de I'aiiotre ful si vivement Louche du cou-
rage et de la. consUince inebraalablo qu'ilopposa aux bai-
baries exeicees contru lui. que subilemeiU il se declara
chretieu lui-meme, demandant comme mie gr&ce d'etre
decapile avecia viclimedc'sa debition. On pensc bienque
le farouche Ayrlppa ne refusa pas S ce malheureux la fa-
veur qii'il solllcitait. Conduit au supplice avec saint Juc-
qjjes, ii lui deuianda pardon do I'avoir jeleainsi enlre les
mains duses bourreaux. L'apulrelui ouvrit ses bras, etie
serrant coiitre son coeur : > La paii soiLaYec vous, » lui
dil-il.
SAINT-DSNIS. <0''
Au mSme lieu et a la nieme heure, la mort les delia
tons deux pour les laisser montur glorieusement vers le
iJieu qu'ils venaient de confesser.
Saint Jacques le Majeur est le premier des ap6tres au-
quel ail ele doiinee la conronne du mnrtyre.
Agrippa, qui I'avaiL fait uiourir, estle premier roi p?r-
secuteur de I'fi.^ilife. Dieu le frappa conune il meritait de
I'etre : il mourut sons le poiils de la colore divine , pas-
sant subitement du falle des grandi-urs etdes voluptes du
triomphe pnieii aux douleurs el a I'elTroi de voir, meme
avanl de mourir, son corps devore par des vers.
iiisTOiRE ET mmnm des cataeorales de frwce.
EGI.ISE DE SAINT DENIS.
Au milieu des lies dont
■ I Seine est parscmee, a
-£ lest de Paris, on voit s e-
--- lever un hardi clocher
4 lui domine le pays d'a-
|;j!^ 'eiilour et rcparait long-
; I emps encore apres qu'on
; a quitt^ la ville dont il
[est Tantique et illustre
Iparure; ee clocher est
celui d'une admirable
: eglise oil nos rois trou-
j verent jadis leur scpul-
I lure, dont la vue inspi-
Irait i Louis XIV de si
' Iristes apprehensions, et
danslaquelle la toiirmente
r6volutionnaire vint bou-
leverser les merveilles de I'art chretien et profaner la
cendre des morls.
L'eslise abbatiale de Saint-Denis reveille en nous des
souvenirs puissants, dei emotions profundes ; son impor-
tance, au point de vue de I'art, nous attire et nous re\t;!e
de- precieu.x enseignements. Lorsque, sous I'empiie et
sous la reslaiiration, on repara les. ravages de 93, dont
I'auteur du Genie du Christianisme oous a laisse une si
curieuse et si eloquente nomenclature, on pensa moins a
fake de ce monument un temple ou un asile pour les
lombeaux qu'un museo ; puis il fut question d'ouvrirles
porte* de cette enceinte sacree aux grands hummes de
tout genre, parnii lesquels on devait choisir les gloires
dignes du Pantheon; on en aurail fait un lieu d'uttente
«u, a des epoqiies fixees, les representants du pays de-
vaient nommer, comme dans un concours, ceux qui au-
iai«nt le mieux merite, par des services rendus, I'hon-
neurd'eatrer dansle dernier asile de Voltaire et de Rous-
seau.
L'execution d'un paied plan elait-elle possible? c'esl
ce que Ton ne saurait dire -, toujours est-il qu'il prenait
sa source dans un sentiment honorable. Un Pantheon
manquant, on aurait eu du moins une abbaye de West-
minster.
Un passage des Anliquilis, d'AnJre Duchesne, jette
(luelquejour sur I'ori^iiie do I'eglise de Saint-Denis :
• Saint-Denis n'elait, au commencement, qu'une ferme
• appelee CaluUiacus, du nom de la bonne dame Calulle.
■ qui y enlerra et lionora d'une chapelle les glorieux
■ corps de saint Denis et de ses compagnons EleuUiere
« et Rustic, apres que, pour ne vouloir reudre de faux
« honncurs a; I'idole de Mercure, on leur eut abattu la
> teste sur la pente de Mont-Mar re. Pepiiis, e'.lc creul
■ en Uameau, et de liameaii en village, que sainte Gene-
■ viefue, du lemps de Cliildiiric, quatriesme de nos roys,
« enrichit du retablissemcnt de la chapelle susdile, qui
« tombait sous ses propres ruines, et lejuel demeura
« sans graiide celebrile jusques au regne de Dagoberl,
• I'espace de cent quarante annees. — Saint Denys a bien
« toujours este grandement revere en France. Nous I'ap-
« Ions nostre aposlre, et nos roys I'ont toujours advoiie
• pour patron et protecteur de leur couronne. •
II y eut dabu.d en oet endroit un oratoire oil venaient
prier les peleiins attires par le renom et le souvenir des
truis martyrs; a la fin du cinquieme siecle, cet oratoire
fut agrandi, gr3i e aux aumones des Parisien5,par sainte
Genevieve et le pr^tre Genes. Le tombeau de ces trois
martyrs, qui, plus turd, devint celui des rois de France,
s'enrichit alors et excila plus vivement encore la curio-
site des fideles. On y voyait de petites pyramides couver-
tes d'un grand voile de sole rehausse de broderies d'or
et de pierres pcecieuses. Au-dessus se voyait une cclombe
d'or qui servait piobablement, comme cela etait I'usage,
a cimtenir la sainte Eucbari.^tle. Plus taid,cette construc-
tion fut encore uiodifiee et reijut de nouveaux orne-
meiits.
Parini les fondatcurs ou les bienfaiteurs de I'abbaye et
de I'eglise de Saint-Denis, il faut compter, apres saiuli"
Genevitive et Genes, saint Eloi et Dagoberl (629), Pepin
le Bi.ei', Charlemagne et le moine Airard (a la fin du hui-
tieme siecle), Suger et Louis le Gros vers H31. Vers
I'an 4'281, el en 1327, on apporta des changemenis im-
poclants dans la construction de I'eglise, el on y fit des
ie[iarations considerables. Aussi, I'etat actuel de redilke
pre»eule-t-il les traces diverses de plusieurs epoques de
I'architecture du nioyeu %e. Le huitieuie siecle nuos a
104
fiGLISE DE
lais'e Ics cryples on chapelles souferraines. Le porfail et
les deux lours qui existent acluellement, ainsi que les
deux premi&ros arcades avec les \oiltes en ogive du ves-
tibule dc IVijlise, remontent au douzieme ou au treizieme
siicle. A celle ^poque, on refit le chevet et le cliceur, et,
apr^s tous ces Iravaux, on s'aperQut que I'alignement,
dans la nef, ^lait tr^s-defectueux.
La facade du monument a cent qnatre pieds de lar-
geur, y compris les conlre-forls des faces laterales; elle
est percee de Irois grandes portes ; au cintre de celle du
milieu se trouve un bas-relief repr^sentant Jesus-Christ
au milieu des anges et des sainis ; au-dessous on voit
Dieu avec I'agneau pascal ; au chambranle de la porte se
SAINT-DENIS.
Irouvent, sculptees, les vierges sages et les vierges foUes.
Lh s'elevait jadis un pilier de pierre avec la statue dc
saint Denis; tout cela fut detruit en 1771. C'est cettean-
nee que le mauvais goit particulier au dix-buitieme si&-
cle priva I'eglise de Saint-Denis d'objels d'art vraiment
precieux, et ne reussit qu'a abStardir le style primitif,
vraiment caracteristique. C'est ainsi qu'elle se trouva
privee de celle statue de Dagobert, revetue de la chla-
myde, sculptee peu apres la mort de ce monarque, et qui
s'elevait sous le grand clocher; c'elait un monument
trte-ancien de la statuaire du moyen age.
C'est encore en 1771 qu'on badigeonna I'int^rieur de
I'eglise, oiisevoyaicnt avant des traces d'or, de bleu.
de rouge et de violet, signes curieux qui monlraient
comment ^taient peintes les murailles et les colonnes
avant I'cpoque oil elles furent ornees de lapi^series reprc-
senlant des sujels religicux. On voit (|ue laTerreur ne fut
pas seule a devasterce beau monument.
Au treizieme siecle, les facades d'eglise etaient encore
tres-severes ; bion que modifiee au qualorzienie siecle,
celle de Saint-Denis est imposante parsa simplicite.Con-
slruilo par I'abbc Sugor, rile a conserve des traces d'ar-
chilecture romane, comme le l^moigncnt Ics arcs en
plein-cintre; c'est de I'epnque de la transition. Les cre-
neaux que Ton remarqiie au milieu de celte facade indi-
quent suffisamment quelle devait Hre la puissance des
moines. Ces creneaux sont pOslerieurs au reste de la
construction.
C'est derri^re le mur de cetto facade qu'un porclie fut
elabli quand lesorgues, ce perfectionnement du culte,
eurent ^l^ etablies dans I'eglise.
La facade elle-mdme est siirmonlte de deux clocliers de
hauteur inegale; le plus grand a deux cent soixante-dix-
sept pieds de haut ; I'aulre n'on a que cent qualrc-vingts.
Celni-ci olTre a I'ceil des arcs en plein-cinlre qui indiquent
I'anriennele de son origine ; celui-li porle, autour de sa
pyramidc, sept clochelons perces d'arcs en ogives, sou-
lenus par des colonnes Ues-legeres; scs conlre-forts sp
riivisent en deux ('■loLes de fenJtressans menenux; ccmme
dans I'autre, on y remarqne des croix grecques scnlplees
dans un cercle. Les clochelons en pierre de celle belle
tour, couroiinee p;ir la flechp principale, ont ete conslniils
d'apres les inspirations de I'lirchilecliire romane; les (le-
ches en charpente ne prevalurent que dans une epoque
postcneure. Enire les deux tours se voit le pignon de
I'eglise, indi(|iiant la pente du grand comble, et orne d'unc
rose decoupt'C comme une denlello. Get ornement admi-
rable date du regno de saint louis, dont il ra[pclle Ic
style.
Ce fut I'abbe Suger qui alia choisir lui-meme dans les
forets Ics bois destines Ji couvrir I'eglise de Saint-Denis;
on apporia un soin exlri^me dans celle parlie imporlanle
des conslructions. Les plomhs qui recouvraient ces char-
KGLISE DE S
pentes etaient rehau«scs, en phis d'un endroit, de figuros
en relief, d'ornements incrustes tres-varies, et qiielquefois
meme de dorures.
Un fait, dipne de remarque, merite line mention lonle
particuli^re. Des briques, dont la forme et la fabrication
rappellent celles des monies maleriaux employes dans
I'anliquile, ont ^le trouvees a des epoques rapprochees de
la notre dans les substructions des e<;li>es de Paint-Denis
et de Sainte-Genevievc de I'aris, fondees au cinquieme
siecle. Or, ce miMange de la briqne et de la pierre ile-
monlre que le mode de construction employe par les
jtreniiers Chretiens a line ressemblnnce etonnante aver
celui que les Rnmains avaient adopte dans les derniers
siecles de i'Empire.
L'edlfice a trois cent trente-cinq pieds dans sa lon-
gueur, et cent vingt-cinq dans sa plus grande largeur;
sa hauteur est de quatre-vingt-huit pieds ; la nef en a
cent quatrc-vin£:t-onze dans sa longueur, depuis la porle
principale jnsqu'au dernier pilier, et a trente-cinq pieds
sept pouces dans sa largeur, y compels I'epaisseur des
piliers. A droile sont deux bas-cotes; a gauche il s'en
trouve un autre avec un rang de chapelles. I. a croisee
de I'eglise, dans I'intervalle de la nef et du chcpur, est
ornee de deux grandes roses Ires-finement sculptees el
dont chacune a Irenle-sept pie de diamelre. A la place
des anciens \itraux il y en a di t 'jrnes, en verre blanc,
avec des bordures a comparti ^n verre de couleur.
— De la nefjusqu'au chopur on i>Sple dix marches on
ruarbre blanc ; le chcnir a qualre-vingis pieds de long
<nr cinquante-cinq pieds six pouces de large.
Parmi les sculptures exterieures, dont nous avons di'ja
parle, on remarque celles du portail de la facade repre-
<enlant .Ifeus-Chiist qui apparait a saint Denis et li scs
deux compaenons enfermes dans un cachot ; puis, b la
porte meme, des bas-reliefs conlenus dans des orncmenis
circulaires. et oii Ton dislingue des letes de lions; ces bas-
reliefs represenlont les trovaux de la campagne pendant
les douze mois de I'annee, la moisson, la vendange, la fe-
naison, I'arboricullure, la chasse, etc... Au-dessous du
grand clocher, dans le bas-relief du portail, nous remar-
quons les trois saints sorlant de prison, et dans des coni-
partiments, neuf des figures du zodinque : la Vierge, le
I. ion et le Cancer out ele oniis.
La tradition des cryptes ou chapelles souterraines et
des catacombes remonte aux premiers temps du christia-
nisme. C'elaient des galeries bashes, obscures, d'un style
severe, approprie a la destination de ces asiles de la foi
perserutee. I.a plus celebre de ces galeries .souterraines
est celle de I'eglise de Saint-Denis, placee sous le clicpur;
on y entre a gauche par cette parlie m^me de I'edifice.
('ette galerie, ii laquelle se rallachent tanl de souvenirs,
est anterieure a tons les caveaux qui I'entourent ; c'est
une voiile en berreau, posee sur des chapileaux sculptes.
I^a se trouvent des statues et des pierres tumulaircs
dignes presque toutes d'inspirer I'interet; les restes des
rois et des reines qui y trouverent leur sepulture ont etc
meles ou aneantis a I'epoque de la Terreur; uu decreet de
la convention nationale, du mois d'anut 1793, avait auto-
vise cet abominable sacrilege. Les monuments les plus
interessanis de I'art du moven age et des temps modernes
I'urent aussi enlevcs ii cetle epoque, brises ou disperses ;
plusieurs cependant purent i^tre recueillis pour eire con-
serves au musee des Petits-Auguslins. En 1806, Napoleon
AINT-DENIS. 103
fit restaurer I'eglise et batir dans les souterrains une cha-
pelle expiatoire; H fit en m&me temps elever six statues pour
six monarqHPsqui, touten regnant sur la France, ont porte
le litre d'emperPKr, & savoir : Charlemagne, Louis I" (le
Debonnaire), Charles II, Louis II, Charles III, Charles IV;
elles sont re.stees dans les cryptes; une seule d'entre elles
a (^te laillee en marbre.
En 1814, Louis XVIII comp!6ta ces reslauralions; on
riMinit dans les souterrains les cercueils ou pierres tumu-
lairesdes rois des trois races. Plusieurs de ces pierres et
la plupart des statues, en marbre blanc, sont dignes d'e-
tudc et ne manquenl pas d'exriter la curiosite. Mais il est
bien difficile de s'arrf'ler pour examiner ces sculptures et
ces monuments; un alfreux cicerone, plus importun cent
fois que celui dont la voix appelle la nymphe Echo dans
les caveaux du Pantheon, voiis fait passer au pas de course
devanttoutes ces chosesou saintes ou curieuses,en accom-
pagnant voire passage de quelques explications dont la
niaiserie peut bien passer pour un sacrilege.
C'est 1^ qii'ont ete transportes un bas-relief du caveau
des Bourbons, trouve en 1806, et un fragment de mo-
sai'que gallo-romaine.
Dans I'eglise superieure, le visiteur ne peut manquer
de s'arreter devant bien des olijets precieux, aux hislo-
riques souvenirs. Ce sont d'abord les peintures de quel-
ques vitraux; c'est sur ces pie:es cuneuses qu'on voit
ligurer I'entrevue fabuleuse de Constarlin et de Charle-
magne a Constantinople, racontce fort au long dans la
chronique de Tiirpin, tiree des grandes chroniques de
Saint-Penis. Cclte fable est probablement fondee sur ce
fait, que Haroun-al-Raschid, un autre souvcrain d'Orient,
donna a Charlemagne, par I'entremise de ses ambassa-
deiirs, les clefs du Saint-Sepulcre.
Puis une foule de sculptures ou de bas-n liefs don-
nent naissarce a chaqiie pas aux remarqurs les plus in-
tcressantes. C'est ainsi qu'on passant devant certain or-
nenient de la porle des Valois, il est impossible de ne pas
reconnaitre I'importance de ce detail pour I'histoire de
I'art. Les parlies d'ornemenlation semblables a celles dont
nous parlous prouvent, jusqu'i I'evidence, b Saint-Denis
comme ii Saint-Remi de Reims, que la tradition des for-
mes antiques n'etait pas encore compl^lenient abandon-
nee aux treizicme et qualorzifeine siecles.
Dans I'eglife m^me, ou-dessous de la rose de droite,
entre le chteur et la nef, sont deux colonnes elevees, I'une
il Henri IV, I'aulre au cardinal de Bourbon; au-dessous
de I'autre rose s'elevent deux colonnes fiineraires : I'une
conslruite par Germain Pilon, pour Francois 11, elle a h
sa base des petils genies en marbre blanc ; I'autre erigee
a Henri HI, par Birthelemy Prieur.
Dans la nef se trouve un monument d'un style tout
particulier, c'est la chapelle s^pulcrale de Dagobert; elle
s'eli>ve, a gauche, au-dessous des qualre piliers servant
de soutien a I'une des tours. Cette construction remon-
terait, dit-on, au regno de saint Louis, qui aurait fait
restaurer le mausolee. Trois bas-reliefs, d'une forme sin-
guliere, y representent une legende dont nous emprun-
tons le recit ii Montfaucon : ■ Un nomne Ausoalde, reve-
• nant de son ambassade de Sicile. aboida ii une petite
" lie oil il y avait un vieux anachoiele, nomme Jean,
. dont la saintete allirait bien des gens dans cette ile,
. qui venaient se recommander ii ses prieres. Ausoalde
■ entra en conversation avec ce saint homme; et clant
lOtJ EGLISE Dr. SAINT-DENIS
• lombe sur les Gaiiles el s\ir le i-oi Dagobert, Joan lul
• lilt qu'ayant ele averti de prier Uieu pour I'ume de ce
■ prince, il avait vu sur la mcr des diables qui tenaient
■ le roi Da^obert lie sur un esquif, et le mcnaient, en se
• batlant, aujc manoirs dc Vulcain ; que Dagoberl criait,
• appelant a son secours saint Denis, saint Maurice et
« saini Martin, les priant de le delivrer et de le conduire
« dans le sein d'Abraliam. Les saints coururent apiei les
" diables, et leur arracherent cette Sme, el I'emmenercnt
• nu ciel en cbantant des versets et des psaumes. »
C'est au-dessus de la statue coucbee du roi que se
tcouve, sous une voilte, cette. remarquable legende sculp-
tee sur la pierre. Prcs du choBur, au fond des bas-c6tes,
on Toil trois morceaux de sculpture admjrables; ce sont,
a gauche, les mausolees ii deux etages de Louis XII et de
Henri II, et a droite celui de Francois I", tons trois en
niarbre et d'un art vraimenl mcrveilleux. Ces magni-
fiqiies tombeaux avaient ete transpocles pendant la revo-
lution au nuisee des Pelits-Augustius.
Ce fut Francois V", siendre de Louis XII, qui fit clever
le premier. II n'est pas inutile de relever, au sujcl de ce
monument, I'erreur dans laquelle dom Germain Millet a
fait tomber la pUipart des savants; rarcliitecture a elc
faito a Tours, en tUll, par Jean Juste et Francois Gentil ;
les figures onl ete executi'-es, a Paris, en 1318, par Ponce
Treliati. Sur le soubassement sont sculples en relief dif-
ferents evenemenis d)i regne de Louis XII; ses victoires
en Italic, dans le Milanais, la balaille d'Agnadel, et le
siege de Genes avec Tentri^e du roi de France dans cette
ville. Snr le milieu du niausolee, les figures nues de
Louis XII el d'Anne de Brelagne, sa femme, sont etendues
sur un sarcopbage de niarbre ; les ouvertures qui existent
au ventre sont celles que Tembaumement a necessilees.
Entre les arcades sont, assises, les stalups des douze
ap6tres, d'un mauvais style d'ailleurs et assez peu con-
servees. Les arcades, par exemple, sont d'une elegance
charnianle ; leurs arabesques, delicates et fines, sont du
go&t le plus exqiiis de la Renaissance. Sur un socle,, au-
dessus de I'entablemenl, on veil Irs slatues du roi et de
la reine, en niarbre coninie lout le rcsle et a genoux de-
vant un prie-Dleu. Aux angles du soubassemcnt se trou-
vent quuire slatues encore assises, et plus grandes que
nature, represcnlanl les quatre vertus cardinalcs; elles
■ont ele eolevees et posees sur quatre des, en une mi^nie
ligne, a I'entree daclioeur, lournees vers la neL
Le tombeau de Francois l'^' a ele erige a ce prince par
Henri II, son fils et son successeur, en I'annee ISijO ; il
est en niarbre bbnc. Francois 1" et sa femme, Claude de
France, y sont figures comme ils elaienl apres leur mor.l,
et plus grands quo nature; ces deux slatues, dues a
Pierre Bonlemps, sonl ilendues sur une estrade. Sur la
Frise est sculptee en relief la bataille de Marignan, dite
aussi balaille des Geanls; plus loin la balaille de Ceri-
zoles; on remarque dans les admirables bas-reliefs de ces
soubassemenls une scene curieuse de vivandieres qui,
chargees de leurs batteries de cuisine, de vivres et d'en-
fants, se biitent de suivre rarraee. Sous une voute d'ara-
besquesetde bas-reUcfs due i Germain Pilon, desgenies
eteignent le flambeau de la vie; d'auties representent
I'lmmortalile do I'inie, celte divine luniierc qui I'em-
porte sur le royaume des tencbrcs; puis d'aulres stalues
figurent les quatre propheles de IWpocalvpse.
Tous les- bas-reliefs sont fins comme des camees anti-
ques ; on dislingue, dans les scenes de balaille, les ca-
nons, les costumes du seizieme sifecle, les arbalijtes dont
on sc fcrvait des ro|)oque de Pliilippe-Augiiste; puis ce
sont les portraits des heros de Marignan. On voit le due
de Guise, a cheval pri's de Francois I" el cbargeant I'en-
nenii, sur une des faces du monument; on y trouve en-
core le poilrait de Trivulze, celebre par ses exploits et
par I'originalite de son epitaphe. Les cwnemenls de oe
mausolee sonl dus k Ambroise Perret, a Jacques Chan-
Irel, a Bastion Galles, a Pierre Bigoigne et a Jean de
Bourges. Ponce Jacquio, Ambroise Perret et Pierre Rous-
sel travaillerent avec Germain Pilon et Pierre Bonlemps
aux admirables bas-reliefs du soubassement.
Le tombeau de Henri II a ete construil d'apres les
dessins de Pliilibert Delorme, sur la plate-forme. On
voit le monar(|uo et Catherine de Medicis, sa femme, ii
genoux ; ces deux slatues sont en bronkie. Au-dessous, au
milieu de douze colonnes d.'urdre composite, Henri II e-l,
la reine de France sont couches sur un sarcopbage; ce
sont les deux plus belles slalues de Germain Pilon. Le
soubassement est ornii de bas-reliefs; aux angles, quaire
figures de bronze, de grandeur colossnle, d'un style a la
fois severe el gracieux, representent les quatre vertus
car.Iin'ales avec leurs allributs. D'abord le mausolee fut
depose au sein d'un petit edifice circulaire construil e.x-
pres en dehors de I'eglise, et divise eii six pelites cha-
pelles en Irefle oil devaient se trouver des statues de
bronze ou de marbre.
Joachim du Bellay a fail une tr^s longue epitaphe ii
Henri II; nous rappoilons la fin de celte piece curieuse,
gravee sur un grand tableau expose k la cloture du
cheeur, prfjs du mausolee de Francois l".
Viiils qui sur Ions avo7 [a gloire dii pinccnii,
L'.irlilire du cuivn; el' I'buiiiiciir du ci^tau,
Aniiituz dc Huiirj Id viv<! poi jraiUu-c,
Et eii liroiu.c' el en injriji'e oleve/ sa lip-iire ;
D'nr luilcs-ll pliilot, piiis^ine le sii^elc ll'ur
Tin Fr.iiieu le premier il a r.iil iiaiJre diii'or.
Viiu, siii'liiul, de Pliebui la pliii lini^'iietisc ciire»
Qtii d<i la I de U Prance avcz prrs nourriture,
llelebrex a I'ctlvi ce rwjei\ moimmeut,
El vuns seil re >iijet nil ccmni in argument.
Mais vuns, princes du saUi;. el lei qui dc Id FraticG
£s Ic seni arncniflnl el lascHle c.perancc,
Fils d'iiivnicililc pere, invincilile Kraiifuis,
Qui as au sceplrc lieiijninl le sccplrc ccussais,
fiilissez ,i HenrT des loinUes Ciiricnnes,
£i'ii;ez h Ueiiry dea puinli» plianennec.
El, eomine au liiin Tuns les bnns pi;res roinaiiis
Di>nncrciil ce surnuni : Deljces des liumains,
lUeltex sur son tombeau eii ijravure profonde ;
Cj-ijil le ruy Henry, qui ful I'amuur du inouiie.
Le mausolee de Turenne a subi des vicissitudes nom-
breuses. On sail que le corps du grand honime fut tratis-
portii du niusee des Monuments fianciiis et place, au mi-
lieu d'une cerenionie iinposanle, dans une chapelle du
dome des Invalides, en 1S00. II fut retire de eel asile en
1815 el roporte a Saint-Denis.
On sail au.^si ([.tic presqueloules les abbayes possedaient
une fontaine, ordinairement placee d.iiis une des cours
du cloilrc el servant a une foule d'usages. La fontaine de
I'abbaye de Saint-Denis en a ete enlcMJe, et ce monu-
ment, ties-curieux du reste, est aujourd'bui place dans
deuxii;ine cour du palais de I'eculedes Beaux-Arts.
Kous lie termiuerous jias sans mcnliunner le sjrcopliage
Chretien servant d'aulcL, dans une chapelle du cliceur,
el iuiiLe des sarcophages romains les plus simples; celui-
ci est eu maibre blanc, avec des pilastresel des caniie-
"/
Ff-.TE NATIONALS DE SAr^T JEAN A FLOUENCF,.
lOT
kirps ondulees conime pour utie corbeilli". An milieu, on
y voit une crnixaii-dessiis d'un vase.
La piprre tombale de Freilesronde, qui rrmonto h I'an
60fl, a ete troiivet' a Saint-Gcrmain-des-Prps, et' est main-
lenant dans les cavpaux de S.iint-Denis. Les pJOTrpstom-
bales constUuaient une mode bien differentede celle des
siecles precedenis qui ont laissp dans les egliscs chre-
tiennes une foule di' sopnitures couvprles d'ornements,
de sculptures et dp relii'fs; lapirrre lomba'e n'offre pas
de saillie; celle dp la reine di" Neustrie est une espere de
mosaique composee de marbres de couleur et d'emaux ;
tout cela est scelle par un mastic dans' les cavites d'une
plojjne de cuivre; la rpine estde grandeur nalnrelle; son
visa;j;e, ses picds et ses mains sont liguri'S seulement par
le contour sur la plerre : aussi doit-on supposer qu'ils
etaient peinis, el la peinture aura disparu , ou qu'ils
etaient recouverts de plaques d'un metal precieux et
grave, el; le melai aura etc enleve. On lit sur la pierre
cette inscription, gravee i> une epoque posterieure :
Fredegnndia regina, usnr Chilperici regis.
Ces pierres tombales formaient un dallage somptueux
etavaient Tavaotage de ne point gfener la circulation dan*
les 6glise9.
A. L. Ravebgib.
FETE mmm m mi jeax a florexce.
CEREMONIE DES OFFnA>DES.
Nul peuple ne ressembia peut-^fre aulant aux Athii-
■niens que les Florcntins pour le gofit des fetes, des jeux,
•des divertissements publics, comme aussi pour le senti-
ment vif des arts, qui semblent en relour avoir fait de la
patrie des Medicis leur sejonr de predilection. Florence
offre encore de nos jours I'expression la plus complete
de ritalie letlree et artisti'. La se pnrle I'lhilien le plus
pur ; les chefs-d'oeuvre de I'iirt antique et moderne y
ahonilent, soit dnns' les musees et les palais, soil dans
les eglises et sous leurs portiques, soit enfin sur les places
publiques ; ajoutons que dans la riante vallee oil coule
I'Arno, qui la baigne de ses eaux limpidcs, la nature a
multiplie comme a plaisir ses aspects les plusgracienx.
II y a IS une sorte d'anisson du genie de I'homme et de
la nature, qui s'est reproduit plus d'une fois sous I'in-
Buence d'heureux climats ou de localites privilegiees.
Les fJles populaires de Florence etaient nombreuses et
magnifiques aux jours de la puissance et de la splendeur
de cette celebre r^publique du moyen Age ; mais nulle n'e-
galait en ^clat celle de saint Jean, patron du peuple Oo-
rentin, celebree, suivant la coutume de I'liglise , le
24juin. Originairement cette fete ^tait, comme en gene-
ral les f^tes des patrons celestes des villes, purement re-
ligieuse, bien qu'ii Florence elle eilt une pompe parlicu-
lierement notable; mais vers la findu qualurziimesiecle,
elle se compliqua dfs manifestations solennelles de la
nationality, de I'esprit commercial et de la puissance flo-
rentine, dans la brillante ceremonie de la presentation
des offrandes que les villes, les seigncuries et les bour-
gades soumises par les Florentins envoyaient a I'eglise
<?rigee sous I'invocation du saint, comme un gage d'hom-
niaje a la republiquc. Nous laissons un chroniqueur
qui vivait vers 1100, Goro Dati, dccrire lui-meme ce
merveilleux spectacle -, nous abregeons seulement quel-
ques longueurs du r4cit.
• Celui qui so rend a la place des seigneurs, le matin
« du jour de eaint Jean , croit voir quelque chose dc
« triomphal, de magnifique et de merveilleux. Tout au-
■ tour de la place sont cent tours qui paraissent d'or,
• les unes portees sur de petits chars, les autres b bra-.
• Ces tours, faitcs de bois leger, de carton et de cire, el
• orn^es de figures en relief dorees et coloriees, sont
■ creuses ; mais au dedans soul des hommes charges de
« faire mouvoir les 6gures represenlant , soit des cava-
■ liers brandissant la lance, soit des pietons qui courent
■ avec leurs boucliers, soit des jeunes filles qui dansent
• en rond. Sur les parois exterieures des tours, se des-
« sinent des figures d'animaux, d'arbres et de fruits de
• loule espece, et d'antres objets propres a recreer la
« vue et a charmer I'esprit. Pres la tribune du palais,
■ cent petits drapeaux ou plus, passes dans des anncaux
« de fer, forment des faisceaux. Ces drapeaur sont les
« enseignes des villes payant tribut a la republiquc,
■ comme Pise, .4rezzo, Pistoie, Volterre, Cortone, Luci-
• gnano, Castiglione, etc., ou de certaines seigneuries
« placees sous la protection de Florence, comme Poppi,
« Piombino, etc. L'elofTe des drapeaux est de velours, de
« sole, ou d'autres tissus precieux, diversement bigarres; ■
■ c'cst merveilleux ci voir. La premiere offrande se fait le
« matin, par les capitaines du parti guelfe, suivis de
« leurs chevaliers, de seigneurs, d'ambassadeurs et de
• citoyens honorablesde Florence. Tous marchenl sous le
• goufalon (enseigne) du parti guelfe. Viennent ensuite les
« drapeaux, portes chacun par un homme a clieval ;
• I'homme et le cheval sont couverts de sole. Les porte-
■ drapeaux marchent dans I'ordre oil ils sont appeles,
■ pour les olTrir a I'eglise de Saint-Jean; les drapeaux
■ representent les tributs que les villes soumises poyent
■ a Florence. Les tours qui expriment les taxes des terres
• plus anciennement conquises par la republique sont
108
FfiTE NATIONALE DE S
« aussi offertcs, suivant leur rang,- h I'eglise de Saint-
• Jean, et le lendemain on les suspend aux murs du
• temple. Chaque annexe on enleve les anciens drapeaux.
■ r.eux qui sont le mieux conserves ou les plus pr^cieux
• servent ii orncr I'autcl, le resle est vendu a I'encan. A
« leur tour, les habitants des villes citees viennent olTrir
■ une quantili' innombrable de cierges, qu'ils portent al-
■ lumes; quelques-uns de cos cierges sont d'un poids
■ considt'rable.
• On Toilensuite paraiire los seigneurs de la Monnaie,
■ venant presenter un cierge magnilique porte sur un
■ char que Irainent deux bcpufs pares aux amies de la
• Monnaie. Les chefs de cet etablissement sont entoures
• de pres de quatre cents porsonnes, ayant brevet de
■ charges, syndics de I'art de Calimala et changeurs; tous
• portent a la main un cierge du poids d'une livre.
■ Apr^s eux viennent les seigneurs prieurs, marchant
i( avec leurs collegues, auxquels president les recteurs,
■• asavoir.un podestat,un capitaineetunexecuteur. Ccux-
" ci ont encore leur suite, composee de domestiques et de
■ musiciens, jouant de la cornemuse ou de la trom-
• pette.
« Les seigneurs, de retour a leur palais, presententles
" chevaux deslinfe k la course, dont un mantcau est le
1 prix. Apres eux vient le corps des tisscrands en laine,
« puis dou7e prisonniers, delivres de lours fers en I'hon-
• neur de saint Jean.
• Tout cela fail, et toutes les offraniles terminees, cha-
■ cun des assistants s'en relournc chez soi pour diner, et
• il se donne des feslins, des concerts, des bals, des f^tcs
" en si grand nombre et ou r^gne une telle allcgresse,
• que Florence ce jour-la semble le paradis. »
Un autre chroniqueur italien donne les details suivanis
sur la fele de saint Jean, celobreeen 1514. C'est I'^poque
du d^clin de la republique. On pourrait en trouver les
symplonies dans ce qu'on va lire.
« Pendant que se faisaient les offrandesdes niagislrats,
■ acconipagnes des Six et des chefs d'arts, une galere
" pleine do boulTons, entouree de diables ^ pied faisant
" mille extravagances, courut par la ville. lis rencon-
" Irferent un certain homme qu'ils conduisirent au pa-
" lais des Prieurs; puis, le faisant mooter dans la galere,
• ils le couvrirent de velemeiits qu'ils se niirent a dcchi-
" rer avec des crochets qu'ils portaient a la main, apres
" qnoi ils le revJlirent d'anlres habits, lis renconlierent
■ ensuite un porteur de laiiie, qui n'avait janiaissu exer-
« cer que cello humble piofession, el I'ddexerent avec un
• haniecon dans la galere; puis, liii meltant a la main
" un aviron, ils le forcercnt(!e ranier, en lui donnant des
" coups de bJton en cuir creux. »
AINT JEAN A FLORENCE.
Citons mainlenanl, en dernier lieu, une curleuse des-
cription de noire Montaigne, qui assistait a une de ces
fcHes en liJSO, sous le ri>gne du grand-due Francois \".
' La fJle de saint Jean est celebree avec la plus grande
« pompe, en sorle qu'on voit jusqu'aux jeunes lilies en
« public ce jourlii. Le nialin, le grand-due, place sous
• undais, parut sur la place du palais, dont les murs
« ^taienl ornes des plus riches tapis. Le nonce du pape
■ etait a sa gauche, et plus loin I'ambassadeur de Fer-
" rare. Devant le prince passerent toutes ses villes et ses
• forteresses, h mesure qu'elles etaient appelees par un
« heraut. Quand on nomma Sienne, par exemple, on vit
« se presenler un jeune homme, vetu de velours blanc et
« noir, portant a la main un grand vase d'argent et la
" louve siennoise. II fit son ofTrande au grand-due et lui
" dcbila un petit discours. Apres celui-la en vinrenl
" d'autres, scion qu'on les appelait, mais c'elaienl de
« petits garcons mal v^tus, encore plus mal monies sur
<■ des chevaux cu des mules, I'un donnant une coupe,
« I'autre une bannifere rompue ou dechiree. Une bonne
« parlie passa assez loin, sans dire un mot, sans montrer
• de re.'pecl, et parfois meme ayant fair de se moquer.
" Tous ces derniers representaient les chMeaux eloigncs
« et qui dependent de Sienne. Tous les ans celle cere-
« monie .se renouvelle pour la forme.
" II passa aussi un char et une pyramide de bois, au
" pied de laquelle etaient do pelils enfants, fijurant des
• saints et des anges, et a son sonimct, un homme de-
• guise en saint Jean et attache a une branche de fer.
« Tous les officiers, et particulierenient ceux de la Mon-
« naie, suivaienf. Derriere ce cortege, vcnail un auire
• char, portant des jeunes gens, depositaires des Irois
« echarpes, prix reserves pour la course des chevaux
• barbcri, que les cavaliers, portant les armes de leurs
. patrons, Icnaient a h main. Les chevaux sont petits,
■ mais beaijx. Le palais du grand-due etait ouvert et
« plein de paysans a qui on nionlrait tout ; dans la grande
« salle on dansait; enfin, il seniblait que ces gens, pen-
ce dant cetic grande fjte, se rafraichissaient la memoire
• de la liberie qu'ils ont perdue. •
Ces solennites subirent les alterations nalurelles du
temps et des circonslances ; on peul dire qu'elles varic-
rent comme les niceurs et le caraclere de la nation floren-
tine. On a repre.senle dans la gravure qui accompagrie
cet article la lete de I'annee 1766, qui subit la derniere
reforme. On y reniarque un carrou.sel. Elles ont enti^re-
ment ce.sse en 1808, avec la destruction des chars et de
tousles objets qui servaient a leur celebration.
A. BoiTBUCIIE.
C/CO
•KJ^^O^^cX--
LA PROVENCE.
109
LA P110VE\XE.
LETTRE D UN JEUNE PABISIEN A SON AMI.
Je ne sais pas pourquoi, nion cher Auguste, la route
parcourue de Marseille it Toulon n'a pu me distraire de
certaines preoccupations secretes. — Cela tient-il a un
vague desir de revoir Paris, a mon humeur un peu me-
lancolique, ou bien aux souvenirs de mademoiselle Pau-
line Mercier? Je te le laisse a deviner.
Je parcouraii pimrlant un charmant pays ; les bords
de rUuvcaune etalaienl a mes yeux leur luxe de vertes
pelouses et de frais ombrages; les stores releves de ma
berline m'ont permis de voir la rianle ville d'Aubagne,
avec son haul clooher et ses fabriques de poterie; puis
Cujes an bord d'uiie plaine sans issue , dont I'hiver fait
uu lac et I'ete une verte prairie ; puis encore le Beausset,
avec ses maisonsgrisesetsesdebrisde fondalions romaines.
Mais rien ne m'a plus vivement impressionne que I'aspect
romanesque des vastes gorges qui se trouvent entre ce
village et Toulon.
Figure-toi des masses de roches a perte de vue, les lines
couronnees d'une epaisse foret de pins, les autres nues
comme des cous de vautour. Une route etroite, obscure,
caverneuse, serpenle par la, de compagnie avec un tor-
rent qu'elle passe et repasso sur plusieursponts. On croi-
rait descendre la route desolee de I'enfer du Dante; et les
sourds giimissements des puis de ces niontagnes, meles a
I'ecbu du torrent, font penser aux cris des damnes qui
ont lajsse I'espeiance a la porle de leur noire demeure.
Tu auras pu quelquefois, mon ami, Jeter les yeux sur
une Vue de Toulon d'apres Joseph Vernet ; et, au-dessus
de la ligne que dessinent, parallelement a la mer, la ville,
I'arsenal, le fort, la rade, toutes ces merveilles dont j'es-
sayerai tout a Iheure de te donner une idee, tu auras
remarque des montagnes rondes, chauves et noiritres,
qui furment le fund du tableau. Je cheminais precisement
au fond de ces montagnes, que des feux volcaniques onl
iivT^ii d Uliyii e
violemment dechirees, pour y former cet affreux vallon
qu'on nomme Ics gortjes d'Olliouks.
La, dans les anfracluosites du roc, une eau noire et
profonde semble dormir. .4pres quelques detours dii
110 LA PROVENCE.
chemin sinueiix, on la relrouve ecumcuse et bondis-
sante, mais il lie faut pas s'y fier. Vienne la pluie, et ]e
torrent, descendant des hauteurs d'Evenos, avec la tem-
pete, remplira la gorge, nous roulera comnre des fetus de
paille ou comme de faibles iosectes jusqu'au fond <t"abt-
mes insondables. II a Lien apporte ici des quarlicrs de
pierre de la grands ur d'uue maison !
Quo I'homme se sent peu de cliose, mon ami, en pre-
sence de cette nature austere, qui poite encore la trace
noire du combat des elements! Quelle est puissanle la
maid qui salt a son gre Ics dichatner et les contenir!
Toici ttn monotilhe qui barre le couranl ; en \oici d'au-
tres di^a submerges. L'oade en culere bondit dans soa
lit illegal.
frkt'ill' »' '.("^^flfcnK
La montiignc est formce d'un mineral pyi iteux qui tient
du cuivre et du (cr. II semble que la Providence ait 70ulu
que riiomme profitit encore du cataclysme qui a produit
ce dechirement ; il semble qu'elle ait •voulu ouvrir ici une
carriere de pierre dure, parfaitemenl propre aux con-
structions. Des debris de rochers de mfeme nature que
ceux de la vallee, de niiime nature que ceux du torrent,
ont servi a batir la ville d'OIIioules, les pouts et les murs
des jardins.
Ricn no venait faire diversion aux solennetles pens&s,
maitrcsses de nos esprits, pendant que nous nous voyions
si completement entre Ics mains de celui qui a sur la na-
ture un tel pouvoir de creation et de destruction. C'etait
autour de nous une niuraille de montagncs, muiaille h
pic, sur laquelle n'avait pu mordre la moindre racine de
giroflee, la plus petite de ces plantes cliLHives qui pr^tent
un pa',, ourire aux plus tristes mines; c'ftait devaut
nous un cnemin sinueux dunt nous n'apeicevions point
d'issue ni les accidents. Comme la vie, comme I'avenir,
(lent une haute sagesse s'est r6scrv6 les secrets, c'etait
un chemin oil nous rencontrions h chaque instant I'im-
pr^vu. Le mugissement du toirent ne faisail tii^ve que
pour nous laisser entendre le cri discordant des oiseaux
de proie. Les vautours avaient faim. lis attendaient peut-
^tre qu'un accident leur fournit en nous une pSture con-
voitde. Le vautour, comme dit la ballade allcmande, aimo
h mangwles yaux du voyageur tombe dans Ic prticipice,
et les cheveux arraches a la l6te des cadavres font un nid'
moelleux a ses petits.
Kos chevuux allaiont lentement, pour ne pas glisser
sur les cailloux, ce qui perraetlait a quelqucs voyageurs
de raconter a demi-voix de tragiques et rfcentes his-
toiree de meurtres et de vols accomplis dans ces memos
lieux ou dans les environs de Toulon.
Je vais tetranscrire celle qui m'a fait le plus d'impres-
sion, et dont les details, tout k fait tragiques, sont du resle
d'une parfaite authenticity.
Celui des voyageurs qui tenait le d6 de la conversation
etait un homme de nioyon Age, habitant de Toulon, oil il
^tait fournissour de la marine. Des qu'i! eut annonce qu'il
avait une histoire funedte a nous raconter, un grand si-
lence se fit autour de lui, et le narrateur commenca dans
ces termes :
0 II y a quelqucs mors, une honnele famille de culti-
valeurs habitait encore le vi'lage de Six-Fours ,que ces
eollines nous empfecheiit de voir, et qui s'^leve lui-memo
£ur des hauteurs "voisines de la mer. Le pere et la nifere ,
tous deux d'un fige miir, Tu'icule pre que cei.tonaire, un
filsde vingt-deux ans ctunefillc de dix-huit, en forniaienl
tout le personnel.
t L'aisance plus que modesto de ces paysans, vivant
d'un travail quotidien et des produits d'un petit champ,
semblait devoir les prcser', er i tout jamais de la convoi-
lise des voleurs.
i
LA PROVE J! CE.
Ill
> U n'en fut molheureuseriieiit lien.
« Par exiraorilinaire, une K'lo devail avoir lieu chej le
lalioursur : il allail marier sa fiHe, et, en k'llc ocrurrpnce,
la plus pauvTe chaumhere se met en frais et attire les
regards,
« Or, un soir denov^'mbr^, soir humideet froid, comrne
I'hiver i[ui s'avanc.iil, la fille du payan, acccmpagnee de
son frere, elait allee passer la veillee dans le voisinage
cliez une de ses amies qui I'aidnit ii cimfectioimer ses lia-
ttllements de no™. Pour le pere de faniille, fatigue des
travaux tie la jouniee , il s'elait couclie de bonne hcure ,
ainsi quesa femrne elsa vieillemere. Mais a peine elait-il
a son premier somme, que deux coups assez ruJement
I'lappfe ^ la porle le r^veillerent en sursaul.
• — Cesont lesenfants, sedit-il, elj'aioublie de tirer
le verrou.
•> II se leva done, et, sans defiance aucune, ouvrit la
porte oil Ton venait de heurtcr. Mais au lieu de la fraithe
figure de ses enfants, Irs vis.ngos sinisfres de quelqucs
hommes armes se monlrerenta lui. Le maltieureux allait
demander la vie sauvc pour lui et les sicns, mais les vo-
loiirs ne lui en laissereiit pas le temps ; un coup de feu
I'elendit roide mort a Icurs pieds. Cl'I horrible meurtre
ne suffil pas aux brigands. Us nionlerept dans les ihani-
brcs, massacrferent sans pitie la femrne el la mere du pay-
san, et s'emparerent dune somme de cent francs, qui
iHait tout le tresor de la famille; puis, ayant mis Ic feu
dans riuterieur, ils se relirereut, fermant bicn la porte de
la maison a[)res eux.
« Ils avaient Tespoir que liucenJie ferait disparailre
les traces du crime; mais le feu s'eti'ignit bienlot, faute
d'un courant d'air suflisanf, et lorsque la justice, atlirre
par les plaintesdesesperees des enfants du fjaysan, accou-
rut anr les lieux, elle put avoir sous les yeux le spectacle
le plus horrible.
. On fit des arrestations, et I'pn ^'e^lpara du fameiJx
Ferrandin, chef suppo.st; d'une bande de malfaileurs ex-
ploilanl les communes des environs. Bienlot des indices
nombreux ne permirent plus de douter qu'on avail la
main sur le principal auleur du Iriple meurlie de Six-
Kours, et II semhlait que le denoiimenl de ce drame el.iit
dcsormais du ressorl de la cour d'as.sises.
. Un incident imprevu est venu lui donner une autre
is.sue. Une confrontation de Ferrandin avec les traces
laissees sur los lieux etant devenue necessaire, I'accuse
I'ut conduit a Six-Fours, menollcs aux mains, au milieu
d'une troupe nombreuse de gendarmes et de soldats; I'o-
peralion etait terminee elle cortege regagnaitpaisiblement
Toulon, lorsque Ferrandin, s'apercevanl qu'il etailpresque
unit, resolut de teirter un audacieux moycn d'evasion.
|{(Iectivement, au passage d'un bois assei fourre, il pousse
rudementdans un fosse le gendarmeqnise trouvait le plus
presde lui; puis, avec la rapidite du chamois, il se lance a
lorps prrdu dans la foret, franchit les ravins et les roches,
ettrompe si bien Icspoursuiles des gendarmes, qu'il finit
l>ar leur echapper completenient.
■ Le procureur du roi, inslruit de oe fait, exp6die
quatre cents hommes de la garnison, quibatteiU les forils
el les montagnes voisines, jusqu'a onze heures de la nuit,
sans oblcriir aucun resullat.
« Ce['endanl I'al.irme est dans loute la campagnede
Toulon; des que le soir avance, chacun se barricade
clicz soi, rcdoutjut la visile du brigand, qui est parvenu.
dil on, it se procurer un fusil et des munitions en d^sar-
mant un chasseur qo'il a surprjs dans un poste aux
grives.
• Mais Ferrandin, au lieu de fuir vers la fronliere, ne
songe qu'a rallior .>^a troupe et a se signaler par de nou-
vcanx exploits. 11 est fier sans doute de lenir lui scut
loute une pop\ilalion en halcine, et de montrer ce que
pent I'auilace d'un scelcrat determine. Ce n'est pas la
fuitp, c'est Tjne bataille qu'il lui faut La bataille s'est
donnee, horrible et sanglante.
" Un homme h qui Ferrandin avail rendu quclque .ser-
vice ^ I'epoque de I'incendie du MouriHon, et que main-
tenant il allait voir chaque noil pour se procurer du pain,
averlit la police de ce qui se passait el donna quelqucs
indications sur les lieux oil Ton pouvait espercr de ren-
conti er I'assassin.
« Sur CCS indications, quatre vingis voll'geurs, loute la
gendaimerie de la ville, des commissaires de police et
uu certain nonibre de bourgeois armes de fusils a deux
coups, se meltent en niarche vers une hauteur escarpee
qu'on Icurdesigne commele repairedu brigand.
" Le chef du d^tachcmerit dispose son monde avec in-
telligence; les lieux sont fouilles el cerncs de toules parts,
et bienlot on apercoit Ferrandin saulant d'une roche a
I'aulre, lanlot nieltant de profonds ravins enire la troupe
et lui, lanlot gravissant des hauteurs a pic, comnie un ve-
ritable sauvage; et tout en courant de la sorto, il char-
geait et dcchargeail son arme, et faisail le coup de fusil
avec les plus rapproches.
« C'est en ce moment que I'infortane Honoral, chef des
commissaires de police, s'etanl avance pour sommcr le
brigand de se rendre, recut un coup de feu en pleine
poitrine... La population toulonnaise tout entiere a re-
gretle ce brave homme, martyr de ses devoirs, et qui n'a
laisse h sa veuve d'aulre moyen de subsistance que la
oharite publique et la commiseration du gouvernemcnt.
" Gependant Ferrandin, serre de plus pres, cnlend les
balles sifller autour de lui, et s'apercoit qu'on a renonc6
a le prendre vivanl. II redouble alorsd'energie, s'applique a
bien viser el blesse plusou nioinscinq ou sixdesesagres-
seurs. Eufin, un vieux paysan, ancien chasseur, arrive b
porlee et lui liiche son coup de gros plomb ; le voleurest
alleint a la l^te, s'alfafsse un instant, mais se releve bien-
lot pour ajuster un volligeur qui fondait sur lui ; le vol-
tigeur, plus teste, le pievieni etiui diicoche une ballequi
I'atteint ii I'epaule. Lablessure est legcre; mais Ferrandin,
etourdi, tombe de nouvcau. On s'empare de lui. II ne re-
prend coiinaissance que pour se voir place sur un tom-
bereau a cute de sa victime.
• C'est ainsi que le lugubre cortege rentre dans Toulon.
« On fit au Gommissaire de police des funerailles ma-
gnifiques.Ouant au bri.gand, il est mort quelques semaines
apres des suites de la bicssure qu'il avail recue ^ la lile.n
Tu penses bien, mon cher Augu^te, que cetle hisloire
n'clait pas faite pour egayer mes idees. J'elais inquiel,
pensif, soulfrant comme dans un mauvais rdve. Cette
route commencait recUeuient a m'etTrayer, lorsque lout
a coup, au lieu de I'enfer que je me cro\ais pres d'at-
tuiiidre, je vis un verilable paradis terrestre.
C'etaieul les jarJins d'OUioules.
Noiisovions, autour de nous, de verts bosquets d'oran-
gers couverts de leurs pommes d'or, de jolis pavilions
enloures de fonlaines el se cachant avec grace sous des
112
LA PUO
massifs de grenadiers, de jujubiers et de palniiers. La
vue de ces juidins, dignes de Grenade el de Seville, dis-
sipa notre humeur sombre; la gaiete reparut sur le visage
ties voyageurs, et nous arrivimes, saluies des parfums
et des souvenirs d'Ollioules.
La, J3 nie suis trouve dans les bras de mon pere : c'est
te dire qu'en un moment j'ai ressenti plus de bonheur que
dans les six mois de voyage.
Quetedirai-jedeToulon.quemon pere m'a fait parcou-
rir dans ses moindres details? C'est actuellemenl une vdle
de guerites, encombree de marins et detrangers. Depuis
la conquete d'Alger, la population de Toulon s'accroit avec
rapidile; c'est au point qu'elle ne pout plus tenir dans
les murs : aussi, pour nia part, je donne ma sanction au
projet d'agrandissement adopte par la niunicipalito de la
VEiNCE.
ville, et qui doit faire de Toulon une cilede premier rang.
En ellet, c'est peut-felre un spectacle unique dans le
monde que celui de celle rade immense qui sallonge
dans les terres et vient expirer sur les quais de Toulon.
Une belle escadre est a I'ancre sur les eaux bleues, et
voil passer de nombreuses embarcations venant des coles
d'Afrique ou d'Ualie.
Autour de la rade s'^levent des villages ou des cta-
blissements dignes de fixer rattention du voyageur :
Le nouveau port de la rade et le MouriUon, vaste fau-
bourg renfermant de beaux cliantiers et de Ires-belles
casernes, dominees par le fort Lamalgue-,
Saint-Mandrier, grand liopilal de la marine, situe dans
une presqu lie, au pied d'une vaste colline qui est ii pro-
prement dire un bouquet de lleurs. (le dois a I'obligeance
'^ ,. -SSSV'.t
■de I'excellent M. Roux, directeur des travaux, d'avoir vi-
sit6 tousces lieux en detail. Je me suis bien amuse, sur-
tout du fameux echo de la grandecilerne) ;
La Seyne, job village, oil sonldes fabriquesde bateaux
a vapour ;
Enfin I'arsenal, aussi spacieux que la ville, et dont les
chantiers pourraient , chaque annee, livrer a la mer une
flotte de ving-cinq vaisseaux de ligne. La corderie, les
forges, les usines ii vapeur, la salle des modeles, celles
des cuivres, le cabinet, les boussoles, les bassins de caie-
nage, les bagnes des formats, les approvisionnements en
canons, obus et boulets ; six a huit mifle ouvriers qui
travaiUent 1^, sans compter trois mille condamnes, sont
toules choses qui surprennenl le voyageur. Mais ce qui
le ravit d'admiration, c'est la nouvelle salie d'armes, veri-
table temple de la guerre, oil I'on peut se promener sous
de longues nefs de sabres et de mousquels, voir des
vases, des harpes, des lyres, des tleurs, des lustres el
des palniiers aux longs rameaux, construits avec des
pistolels, des poignards, des grenades, des lames de sa-
bre, des baguettes de fusil et autres engins de guerre.
Ce sonl de vrais chefs-d'ceuvre dus i des artistes de re-
nom, et qui relevent les trophees enges au souvenir de
nosgrandes victoires.
Aprt's nos instructives promenades de I'arsenal, nous
alliens souvent avec mon pere nous rcposer dans lesval-
lons d'Ollioules etdans les sites pitloiesques de ces moii-
tagnes, entourees de si beaux jardins. Je sentais mon ame
plus ii I'aise, mon ca'ur plus beureux, car il y a dans les
oeuvres dela nature une sMuisanle mugic qu'on ne trouve
pas dans les ccuvres de I'art.
\.\-: MO.NT SAlMMIClllCL.
11j
IE 1I0\'T SAI\T-MICIIEL.
Dans une vaslc baic sablonneuse cnire la Brclagne el la
Norniandie,ayantGranvilleaunordetSainl-Malo;i I'oucst,
on voit s'elever comme ua geant lo mont Saint-Michel et
la cclebre abbaye qui le couronne.
Ce rocher, dont la masse granitiqiie a deux cents pieds
J'elevationj surmontii par une multitude de biUimenls,
lours crfnelees, monaslere, cglise elanceo, clooliclons
de la plus gracieuse archilecture golliique, frappe Ics
regards et excite autant de surprise que dadmirallon.
Isole au milieu d'une plage unie que la mer recouvre
deux fois par jour de ses nols,on d Ira it la sentinelleavan-
I'ee, le genie prulecleur de nos rivages.
La situation du mont Saint-Michel, les fortificalionsqui
I'enlourent, sa plage dangereuse, leflux, les courants, en
font une place forte du plus difficile acces. Les pelerin
pacifiques qui venaient y prier, le voyageur curieux qui
y cherche des souvenirs, etaient etsont encore obliges de
prendre des guides du pays pour eviter les lisses , gouf-
fres invisibles , d'un sable mobile qui se derobe sous les
pieds.
Ces dangereuses fondrieres se rencontront particulie-
rement dans le voisinage des ruisseaux qui tracent deux
cours sinueux dans la bale; il s'en forme d'autres quel-
quefuis apres les temp^les, et ilfautl'oeil exerce des gui-
des pour disliii^uer le sable ferme et solide do celui qui
engloutirait le voyageur.
La plage au milieu de laquelle se trouve le mont Saint-
Michel est tellement unie que la maree y monte avec la
rapidite dela foudre, et par suite de la disposition des co-
tes, elle s'y cl^ve a une hauteur double des autrcs points,
c'est-a-dire a quarante-cinq pieds, et meme plus lorsque
les vents viennent du large. C'est surtout dans les grandos
marees d'equinoxe que ces effets se fontsenlir avec uno
extri^me violence, el telle est alors la rapidite duflux, que
le cheval le plus agile ne pourrait sauver son cavalier.
La constitution geologique des rivages voisins, d'accord
avec la tradition et des vestiges de forets sous-marines, ne
laisse aucun doute sur I'ancienne position du mont dans
lesterres. Quelque terrible calaclysme, cause parun trem-
blement de terro ou un affaissement du sol. Ten aura
separe dansdes siecles recules ; n'a-l'on pasvu, le 17 avril
III.
1446, la mer, rompant ses digues & Dordrecht en llol-
lande, engloulir pres do cent millc personnes!
Au bas du mont Saint-Michel, on trouve un village as-
sez sombre, d'une physiononiie qui sent son moyen Age,
c'est-a-dire avec des ruelles etroiles, irregulicres, el des
maisons plus pitloresques que commodes. Ce village est
compris dans les fortifications qui enlourent le mont ; le
principal commerce des habitants y elait autrefois celui
des chapelets, des medailles,deslivrets, etc., que lespcle-
rins achetaient pour t^moigner de leur devotion au_bien-
heureux archange.
Pour arriver sur le plateau du mont, on franchit une
porte pres de laquelle sent deposees deux pieces de canon.
8
114
LE MONT SAINT-MICHEL.
prises sur les Anglais lors du siege de 1 423. Pour arriver
auchileau il fautparcourirun veritable labyrinlhed'esca-
liers trfes-roides, de couloirs voiites, d? soulerrains, de
magasins Ji boulets; I'enlrfc est protegee par deux tours
engranit.
On y voit,entreautrescliosestris-curieuses, unemuraille
de soixantc-dix pieds de hauteur, le long do laquelle on
peut hisser les vivres i» I'aide d'une machine; les soutor-
rains de Monlgommery etdu refectoire, qui ont deux cents
pieds de longueur sur dix-huit de hauteur ; les in-pace
ou oublielles avec les voiltessurmontees de trappi's qui y
communiquent;
La salle voiitce ou se tcnaient les assemblees generales
de I'ordre de Saint-Michel, fonde par Louis XI en 1463.
L'eglise, remarquable par la hardiesse de .son arrhi-
leoture, est en partie soutenue par des piliers souter-
rains^ longue de cent-soixante-dix pieds, elle est large de
cent cinquante pieds dans sa plus grande largeur , et en
compte soixante-huit de hauteur sous voiitc. Autrefois ses
richesses etaienl considerables, car les rois et les grands
seigneurs qui y venaient en pelerinage se faisaient un hon-
neur d'y laisser des temoign.iges de leur picte.
On y montrait, entre autres ehoses curieuses : une statue
de saint Michel que Ton a pretendu I'^lre d'or massif, niais
"^ui probablement etait seulement recouverte de feuilles
Our;
Une 6pee et un bouclier dits de saint Michel ; le hou-
clier en cuivre, presque ovale, avec des croix aux extre-
mites, et I'^pee ou poignard d'une forme bizarre. La tra-
dition pretend que I'arcbange, ayant vaincu un monstre
idesolait r[rlaiJ<l6, vint deposer ces amies dans I'ab-
baye, oil elles Curent conservi5es.
On montrait aussl dans le reliqiiaire un morecau de
la vraie croix; des chcveux dela Vierge et de M:irie-M3g-
deteine ; an fragment de la tunique que saint Michel lais-
sa tombersurle mont Gargan, etie corps de saint Aubert,
^v6que d'Avranches.
C'est ce mime saint Aubert qui, a la suite d'une vision,
fonda I'abbaye en 718. Di'truite en partie par un inccn-
die en 992, elle fut pcu Ji peu reedifiee conime on la voit
de nos jouis; mais il est facile de reconnalti'e que le ca-
price et les neci'ssites momentanees ont preside k ces con-
structions; regli.se actuelle fut commencee en 1004 par le
duo d« Normandie, Richard U.
Lors de I'etahlissement de I'abbaye, elle elait desservie
par des chanoines qui, s'elant relaches de la regie, furcnt
remplaces en 966 par trente benediclins que le due Ri-
chard I'' y installa.
La situation du mont Saint-Michel aux- confins de la
Normandie et dela Bretagne, sa force et son importance,
firent qu'il cut h subir plusieurs sieges; mais les assaillants
y rencontraienl tant de dilTicultes par suite de I'invasion
des marees, qu'ils renoncaient promptement a leur en-
treprise.
Un des sieges les plus remarquables eut lieu en 1423,
sous Charles Vll. Centdix-neuf gentilshommes bretons et
normands vinrentau .secoursde la place, et forcerent par
leur inlrepidite les Anglais a deguerpir. Au nombre des
guerriers bretons on distingua les sires de Combotirg,
Beaufort, Coetquen, Monlauban, etc. Les armoiries des
cent dix-neuf furent peinles dans une des chapeltes de l'e-
glise en commemoration de ce fait de guerre.
Le mont Saint-Michel, ayant et6 pris par surprise, fut
repris sur les Anglais en 1 575 par le sire de Vieques. Un
petit poeme de Jehan Vitel, imprime en 1388, raconte ce
fait avec toute la naivete du temps. Le sire de Vieques,
voyant ses soldats hesiter, s'ecrie :
Hj ! si le grand Giitllaiime esrh.ippe du lomlicaii
Vous voioyl tous couards au pied de pe cliasteaii,
Saus user rafTionter et ^ai;^ner la muralllo
Pour liasi'licr en lupins eesle tasclie canaille,
II vons eaaserail tons de ses soldats vaillan.,
Disant que vous seriez des bastards nonolialtans
De vns nol)les ayeux, dont la force guerriere
A f.rit trembler soubs soy la campaigne estrangere.
Dans les derniers temps de lamonarchie, le mont Saiat-
Michel devint une prison d'Etat oil Ton enfcrmait descou-
pables de l(:se-majestti etdesacriU'ge. Outre les oubliettes,
on y voyait alors une cage de fer qui a acquis une triste
celi!'brile. Dieu seul salt toutes les larmcs qui out ete re-
pandues sur ce rocher, toutes les existences qui s'y sont
douloureusement eteintes.
A I'epoque de la Terreur on y renferma plas de trois
cents pr(>tres vicux et infirmes, qui ne pouvaient etre dc-
portes it cause de leur grand ^ge et de leur taiblesse. Au-
jourd'hui, le chateau, I'abbaye et l'eglise servent demai-
son centrale de ri?clusion; ify existe un quartier pour les
condamnes politiques. L'air salin, les vents violeats, les
brumes et rhumidit6 des graves en font une prison fatalo
pour beaucoup de condamnes; il fauk csperer que dans tin
temps peu ^loigne on y renonccra.
Du sommetduraonastere, qui est a environ quatre cents
pieds au-dessus du niveau de la mer, on a une vae extrS-
memcnt etendue sur la Manche et sur une longue zone des
cotes de la Normandie et de la Bretagne.
Olivier LE Gall.
[L'aLeiysTTE.
1,'alrnietfe, au matin, 3Vvuille avec I'aurore,
Et, par ses chants joyetut, eile aoi:once aux hameaux
Lejeune astre du jour qui de pourpre colore
Le riant sommet des cot«aux.
L' ombre s'elface alots et Tuit sur les montagnes;
Tous les clujeurs des oiseaux co.Tmencent leurs concerts,
El le parfum des flours s'eleve des cacnpagQes
Avec la muaique des airs.
Mais lorsque la nature, alTaiss^e et muette.
Sous les feux du nrridi succombe au po^is du jour,
Sue Tor flottant des bles, seule encor I'alouette
Voltige avec des chants d'amour.
Scule enfin; quand le soil demL-voile s'avance,
Et qu'un calme profond regne aux champs, dans les hois,
L'alouette 6veillee, au milieu du silence.
Fait encore entendre sa voiK.
Et sa voix rt'jouitraine innocente et pure
Qui, dans un donx transport, fnin du monde et du tfuil,
Va dn jour expirant recueilhr le murmure
EC les beaux accords de la uuit.
FAITS MEMOUABLES DE LlIISTOmE DE FUANCE, ETC.
iHS
FAITS MMORABLES DE I'DISTOIRE DE FRANCE ET DES ARMEES FRWCAISES
DEPUIS 1780 JISQU'A NOS JOL'US.
REPAS DKS OABDES DII COUPS ET DKS OFKK.IERS DU
REGIME.NT DE KLANDBES A VERSAILLES.
Cedant a de bons conseils, Louis XVI avail consenii a
se rendie a I'assemblee nationale aprfo la prise de la Bas-
tille; eel acle de confiaiice avail provoque une explusion
decrisd'enthousiasmc, el le relourduroiautliiteau avail
ete un verilahle tiiomplie. A Paris, ou avail pris des nie-
sures imporlanles apres le premier moment d elonnement
eldestupeur causes par une n icloirc^laquelle on s'atten-
dait si peu el donl les consiSijueni es avaienl inspire d'a-
bord une vague lerreur. Bailly venait d'etre nomme
maire de Paris, Lafayette commandant de la milice. C'est
alors que le roi so decida it faire lo voyage de Paris, oil
Bailly leregut el le conduisit a I'holel de ville. Cette
demarche et le rappel de Nicker rameuereu! pour quel-
qucs momonls I'esprit pulilic, et la confusion des ordres
au sein de Taiseniblee acheva d'aceuiiiplir la revolution.
BientuI des Iravaux serieux, et avant tout la question
desapprovisiouneraenls. si diflieiloa resoudre pour Paris
qu'une inressante disctte tourmen'ait, ocruperent nuit et
jour les inembres de l.i municipalile. Lafayette, eel
bomme au caractere honnOle etpur, el donl le rule, pen-
dant deux ans, rdle glorieux. consista a faire respecter
les lois, organi'sa en pen de temps la garde nationale.
L'inlluence tMle donl il jouissait n'empecha pas, nean-
mom.s , les massacres de Foulon et de BerlUier. Le
relour de Ni cker a Paris fut une lungue ovation. La si-
tuation des partis deVenait inquielanle et leur division
in6vitable; si d'un cot^ les parlements, la noblesse, le
clerge, la cour, agissaicnl de concerl, puisqu'ils repre-
senlaient les mSmes inlerils, defendus tanlot par le jeune
Cazales, tantot par 1^ celebre abbe Maury ; dun autre
cdte.leparli populairecommenraitase diviser parce qu'il
allait vaincre, paroe qu'il avail vaincu deja ; la, Barnave
etles deux Lamel^i exercaieni imc influence reelle et si-
rieuse. Mais le plus audai i'-u.\ comme le plus influent
les chefs pop'alaires elail Mir:ibeau, donl nous raconle-
•ons la vie extraordinaire, en faisaut connailre son carac-
vere, son. gi^nie etses dessi ins.
Ce Mil en cetle annee (1789) que la terreur, excilee
Y ■' la fausse nouvelle de I'arrivee des brigands, ceselres
immondcs qui paraissaient deja dans les emcules popu-
laires, fit armer tcule l;i nation el rendil generale la re-
volution du lijuillet. Les brigands venaieni, disait-on,
incendier les campagnes et couper les moissons avanl
leur inalurite! On soupconna avec raison le parti popu-
laire d'avoir fait semec ees bruits; ce qu'il y a de cer-
tain, c'est que le r&ulial en fut pour lui decisif. Bienlut
les provinces et les caiupagnes furent en proie aux trou-
bles, a rincendieeti toulesles alroeUes donl elaientca-
pables les paysars abrulis par le long servage de la leo-
dalite, exasperespar la misere. II devenail evident qu'une
mcsure seule pouvail arracher le pays a eel etat deplo-
rable; cetle mesurepou\ ail e.le tilreaulre chose que lare-
nonciation sponlanee, par lous les privilegies, aux droits
pretendus legaux qu'ils liraienl d'une longue possession?
Dans la nuit du 4 aoul, I'aboUlion des droits feodaux et
de tons les privileges fut decielee; et cetle reforme, dejii
accomplie de fail, recut la sanclion de ia loi.
La declaration celebre des Droits de IHomme, placee
en tete de la constitution de 91 , occupa plusieurs sean-
ces de I'assemblee, conjointemcnt avec les discussions
sur la conslitulion et sur le veto, cetle arme fragile donl
la royaule pouvail faire usage pour suspendre momenta-
nemenl les volonles de la representation nationale. Pen-
dant ce temps I'agilation augmenlaitii Paris, des rassem-
blenienls tumullueux avaienl lieu au Palais-Royal, et
Camille Desmoulins conlinuait a s'y dislinguer par son
originalile, son audace el le cynisme de ses idees. Necker,
en entrant aux alfaires, avail trouve -400,000 francs seu-
lement dans la caisse du tresor ;des mesuresdesesperees,
decretees d'urgence, n'avaienl reussi qu'ii faire entrer
queli|ues millions a grand'peine ; le roi et la reine avaient
fail poller leur vais.sellea la Moniiaie.
Cependanl, lagiavite de la situation ne faisail qu'em-
pirer. Place eiitre un people qui voulait lui faire babi-
ter Paris pour s'assurer de sa personne, et une arislo
cratie qui eiit voulu I'amener ii .Metz, au sein d'une place
forte, pour le gou\erner, le roi elail en proie aux plus
vives anxieles. Les intiigues de la cour ne respeclaicnt
plus rien, el la Itltre du tomte d'Estaing ^ la reine ne
conjura pas le danger que devaienl faire naitre ces ma-
chinations. Un poste avail ele 6tabli a Sevres pour defen-
dre la route de Paris a Versailles ; bientol le regiment de
Flandre fut appele, et son arrisee causa des murmures
dans la ville; les courtisans gagnerent les otTiciers, et, le
2 oclobre, les gardes du corps donnerenl un repas aux
chefs des principaux corps delagarnison. Des fetes en pre-
sence dela misere generale ne pouvaient qu'irriter lepeu-
ple. La cour se laissail aller ii des esperances dangereuses.
La salle du theatre servil au feslin. Les courtisans, des
speclateurs d elite remplissaient les galeries et les loges
Parmi les invites on remarquait les officiers de la gardi
nationale de Versailles. Le repas fut Ires-gai, et bientol
la gaiete, excilee par I'ivresse, exalla les esprits. C'est ce
moment que Ton chuisil pour faire entrer les soldals des
regiments de la garnison. Les officiers, levant leurs ver-
res et I'epee a la main, portent un toast k la famille
royale. On refuse ou tout au nioins on oublie de boire a
la nation. Alors, les trompettes relenlissent, on sonne la
charge, el les convives prennent les loges d'assaut avec
de grands cris. L'entliousiasme degiinere en delire ; I'air si
connu : 0 Hkhard! 6 mon roi! I'univers I'abaiidunne!
est chanle par des cenlaines de voix qu'aniinenl le \in et
la folic. Tuus jurent de d^fendre le souverain jusqu'a la
derni(;re goulle de leur sang, el appellenl a eux, [Our le
braver, dis daubers encore imaginairei.
U6
FAITS MfiMORABLES DE L'll ISTOIRE DE FRANCE
C'est alors qu'on disliibiia des cocardcs d'une seulc
couleur, blanches on noircs. Tout co qu'il y a de jeune
dans la reunion, hommes el femmes, rherrlie a s'exaUcr
encore en se rappelant dos souvenirs glorieux, des recits
chevaleresques. Puis, lout a coup, la cocarde tricolore,
couleur qui deja etait cclle de la nation, est, comnie on
I'a depuis assur^, fouK-e aux pieds. En depit de certaincs
negations, ne peut-on pas croire quo I'ivresse ait conseille
une pareille inconvenancc ? en lout ras, ne pouvait-elle
pas s'excuser? Les vrais coupables, d'ailleurs, n'ctaicnt-
ils pas ceux qui avaicnt provoque une de cos reunions oil
eclatent, au milieu de renlrainement, des devouements
I'phemferes, el dont le rcsnllat est d'aigrir, par une com-
paraison funeste cntre la joie des uns et la douleur des
aulres, des esprits deja Irop irriles?
Sur ces enlrefaitcs, quelqucs courtisans volent cliez la
reine et la supplieiit de so rendre dans la salle du festin ; die
resisle d'abord, puis elle se deride. Le roi revenait de la
cliasse; on le presse a son tour, on I'entraine. A leur en-
tree, ils soul enlourcs ; les plus animes se jetlcnta leurs
pieds, des cris incroyables eclatent de toutes parts, et les
princes sont ramenes chei eux en triompbe. On concoil
aisement I'espoir el la satisfaction profonde dont ces ma-
nifestations durent penelrer le occur d'un roi et d'une
reine que la volonte d'une assemblee puissanle avail deji
depouilles, el que les menaces d'un peuple souleve ve-
naient incessammcnt troubler; mais y avail il de la pru-
dence a interpreter ainsi ses droits, a compter de la so'lo
scs forces?
Bientol cclle fete ful conniie; on en exagi'ra les details ;
ce devouenient olTert au roi fut regarde comme une
insulte faile-au peuple; ce repas somptueux contrastait
Uep.i> de
d'ailleurs mallicureusenient a\ec les be;oins d'une popu-
lation affamee. Les violences contre les personnes reconi-
raeiicerenl ; le peuple tralna par les rues, a Paris, un jeune
bomme qui avail afl'LCte de porler une cocarde noire.
Le lendemain de ce fameux frslin, les gardes du corps
diinni:rent un dejeuner dans la salle du Manage; la memo
scene se renouvela. On alia encore cliez la reine, qu'il
etait ais6 d'engager plus facil-mcnt que le roi dans une
demarcbe provocaute. Marie-Anloinclle repondit que la
journee de la vcille Uii paraissait decisive, et de-ira en
resler lii; n(:>anmoins le coup etait porle ' Le people el
la cour, egalemenl irriles, ne songi'ient plus, Tun ((u'a
s'assure'r die la pcrsonnc du roi, rautre qu'i I'enlrainer
h Melz.
III.
JOUHNEES SANGLANTES DES 4, 5 et G OC.TOBRE. LE PEtPLE
ATTAQUE LE CHATEAU DE VEHSAILLES.
dependant la niiserc elail au comble; en depit des me-
surcs prises d'urgence par Bailly et pnv Necker, les farines
mamiuaient et la faim se faisait c'rue'.lement sentir. Le i,
uue agilation extraordinaire se manifcsta; neanmoins les
palrouilles, renforcecs, purent contencr la muUitude.
Mais le lendemain 5, au matin, les groupies devinrent
plus nombreux, la journt5e allail 4tre plus se.rieuse ; les
femmes, ne trouvanl pas de pain chez les bou langers,
coururent is I'hdtel de ville, et repoussant de leurs-. -in^s
les bommes, parce que, disaienl elles, les hommes na--
gi.ssent point, elles firent reculcr, a coups de pierre, un
batailhm de la garde nalionale en bataille sur la place.
On enfonca une porte, et les brigands, armes de piques,
envabirent I'holel pour lincendier; on les repoussa, mais
ils avaient eu le lemps de monter a la grande cloche el
de sooner le tocsin. L
Aussilot la population des faubourgs accourt ; le nomm*
Maillard, I'un des beros de la BasliUe, pour delivrer 1^
commune assiegee et la dcbarrasser de ces femmes ma-
nacanles, prend un tambour et entiaiiie rette horde fa-
rieuse, qu'il a reunie comme pour la conJuirei Versailles,
ET DES AUMEES FRANOAISES.
in
II avail le projet de les abandonner en route. A la t6te de
cesfuricuses, armeesde IjJIons, demancliesa balai, quel-
ques-unes de fusils et de coutelas, il traverse le Louvre et
les Tuileries, bien malgre lui; aux Champs-£lys(!es il
reussit h leur faire abandonner leurs armes, sous pretexle
qu'il vaut mieux pour elles se presenter a I'asseniblee
comme des suppliantes ; mais il devenait plus que jamais
impossible de les dissuader d'aller a Versailles. Dcja des
bandes affreuscs s'ebranlenl, elles traineiit des canons;
la foule pressail la garde nationale qui, a son tour, pres-
sait Lafayette de I'emmener ii Versailles. Ainsi tout le
monde formait les memes vceux, avail les memes desirs.
Tout elait calme au chileau, mais I'assemblce elait
orageuse; le roi venail de lui reuvoyer, au lieu d'une
simple acceptation du projet de constitution et de la de-
claration des droits, des observations et des promesses a
long terme. Celte hesitation pouvait, a la rigueur, se jus-
tifier; mais les circonslances itaient trop pressantes et
devaient I'emporter sur loute autre consideration. Robes-
pierre et Duporl se plaigoent ameremenl; Potion rappelle
les repas des gardes du corps el les vociferations des con-
vives enivres. Gregoire apprend k ses collegues qu'un
meunier a ete invito, par lettre, k ne pas moudre, et
qu'on lui a olTeit pourcela deux cenls livres par semaine.
Le lumulte devient affreux; ii onze heures on recoil la
nouvelle que Paris marclie sur Versailles. Mirabeau con-
seille il Mounier, elu tout recemment president, d'aller au
chateau pour engager le roi a accepter sans observations ;
I'asseniblee se range it I'avis de iMirabeau.
Au moment oil Mounier allailsorlir, on annonce I'arn-
vee de Maillard et de sa horde; .Maillard est introduit,
les fenimes se precipilent dans la salle ; il raconte alorset
la di»elle de Paris el le desespoir de sa population; il
parle de la lettre ecrite au meunier. Une voix accuse
Juigne, I'eveque de Paris; on repousse avec indignation
celte calomnie. Maillard est rappele a I'ordre avecsa de-
putation ; on finit par leur persuader quelcs niesures sent
prises pour reniedier a lout. Mounier se rend au chateau ;
il est entoure par les femmes et force d'en emmener six
avec lui. II s'avance a travers les bandes armees de ba-
ches, de piques, de biitoni ferres. Une pinie abondante
tonibait depuis quelques instanls. L'allroupement est dis-
sipe par un detachemenl des uardes du corps ; mais
Mounier est rejoinl par les femmes et trouve au cbaleau,
en ordre de balaille, les dragons, les Suisses, le regiment
de Flandre et la garde nationale de Versailles. Six au-
tres femmes se reunissenl aux aulres; elles sonl accueil-
lies par le roi, qui leur adresse de bienveillantes paroles
et s'apiloie sur leur misere. L'emotion les gagne ; une
d'entre elles, une jeune et belle crealuie, est tellement
iQterdite ii la vue de Louis XVI, quelle trouve a peiue la
force de dire en picurant : Du pain' Le roi, aussi (5mu
quelle- meine, Teri^brasse, et celte depulation le quitte
avec des larmes dans les yeux.
Ces femmes atlendries vont raconter aux aulres I'ac-
cueildu roi: celles-cin'en veulentriencroire, reprochenta
leurs compagnes d'avoir ete seduites par I'or de la cour,
el se disposent a les metlreen pieces. Le comte de Guicbe
el quelques gardes du corps volent ii leur secours; au
ni4me instant quelques coups de fusil parlenl on ne sail
d'oii ; deux gardes sonl atleints ainsi que plusieurs fem-
mes. A quelques pas plus loin un des agitateurs, suivi da
plusieurs fenimes, se fait jour a travers les troupes et
s'avance jusqu'a la grille ; il est poursuivi par M. de Sa-
\onnieres, qui a le bras casse par une balle.
L'irrilatiou elait extrtoe. Le roi envoie a ses gardes
II •
lAITS Ml'.MOIiABLKS l)K L'UISTOU'.E [)K KRANC.K, ETC
I'onlrc dc ne pns liror et de renlror h I'hotel. Dans cu
moment des roups de fusil Icursont envoyes par la giirde
n:i(ionale de Versailles, et ils y repondent.
Le roi ne donnnit anrune ri^ponse a Moiinipr, qui le
faisail supplier de sc hiler; sa sanction devait calmer
toils les esprils. Le president de I'asseniliU'e avail hJlte
do re^agncr son posle. Pendant re temps le conseil agi-
lait la qneslion dii dep:irt du roi; rela dura depuis six
Ijeures jusqu'Ji dix lieures du soir. Le roi resistait. Les
vnitures qui allaient emniener la reinc etses enfanis fn-
rent arretees ; daide^irs la reine elle-nifme refusal t de
quitter son epoux.
Mounier finil pnr ohtenir I'arreplntion si lon;>temps at-
lendueet Irouve In salle des seanres abandonnee par les
deputes, mais garnie de femmes qui demandent du pain
apres avoir ap|ironv6 tout ce qui venait d'etre fait. Mou-
nier leur fit donner tout le pain qu'on put trouver. La
plus graude faute commise dans celte nuit fut d'avoir
laisse sans assislonre res handes affam6es, que le besoin
avait poussecs hois de Paris.
Sur ces entrefaitcs arrive Lafnyelle; il avait pendant
longtemps lulle conire la milire parisienne qui voulait
aller a Versailles. Les troupes etaient d'avis de s'assurer
de la personne du roi, de le plarer au milieu d'ellcs, et
d'en oblenirl'execution de ses promesses. Lafayette avait
reussi a relenir son arm^e jusqu'au soir; mais la niulti-
lude augmentait toujours et travaillait la milire; elle
avait plus d'une fois dejh essaye d'atlenler aux jours du
general. Des bandes armees se rendaiont encore ci Ver-
sadles, il fallait y suivre I'insurreclion pour tScher de
s'en rendre maitre. La commune ordonna a Lnfayetle de
partir, il partit ; en chemin il fait preter a son armee ser-
ment de fidehle au roi, et entre a Versailles vers minuit.
II rourt chez le roi, lui fait part des precautions prises,
el lui olTre son devouement. Le roi se calme et se retire
dans ses ^ppartements.
On n'availronfie h Lafayolle que les posies extrrieurs;
la garde du cbaleau et d'autres points iniporlanis avait
ele laissee aux Snisses, aux gardes du rorps et au regi-
ment de Flandre dent la fideliteelait doiiteuse. On avait
d'abord ordonne aux gardes de se i-etiier; puis on les
avait rappeles; mais ils n'avaient pu se rendre qu'en
petit nondjre a leur poste. D'ailleurs le trouble t'tait si
grand qu'on avait oublie de defendre tousles lieux abor-
dables; on avait laisse une grille ouverte. Quofqu'il en
soit, aucun des postes donncs a Lafayette ne fut ni at-
laqiie ni enleve.
L'assenib'ee, en depit du desordre cxlerieur, avait re-
pris sa stance, que la multitude interroriipait detemosen
temps .en criani : Du pain! Impaliente, .Mirabeau s'^crie
d'une voix formidable que I'assemblee n'a d'ordj-e ii re-
cevoir de personne et menace de faire ovaruer les tribu-
nes : il est couvert d'applaiidisscments. Mors Lafayetle
assure Mounier que la tranquillile e.'-t relablie, et I'as-
.semblee, apres s'etie ajournee au lendemain, se sopare
au ni
Le peuple, disperse de lous cotes, semhlait calme; La-
fayette comptail, etavec raison, sur Ic devouement ctl'o-
bei.ssance de son armee. II avait mis rhfilcl des gardes du
corps a I'abri de loule tentative; rl avait commande de
nombreases palrouilles. A cinq lieures du matin il s'e-
. lendit tout haliille sur un lit.
Le peuple sortait de son repos momenlan6 et se mon-
trait dej;"i aux abords du cliiVcau. Un garde du rorps, ii
la suite d'une rixe aver quelques bommes de la popu-
lare, fait feu d'une fenfire. Les brigands poussent des
liurlemenis, penelrcnt par la grille qui elait ouverte, et
gravissent un cscalier que personne ne dr^'fcnd. Mais tout
^ coup deux gardes du corps se presentent, arrolent les
assaillants, et ne se retirent qu'apres la plus courageuse
resistance, apres avoir defendu chaque porte, chaque
issue. «Sauvezlareine! ■ s'ecrie lebrave Miomandre,run
de res bommes hr^roVques. La reine enlend ce cri et n'a
que le temps de se refugier dans la cliambre du roi. Pen-
dant sa fuite les brigands sont enln's dans les apparte-
menls de la reine ; sa rouche est deterte ; ils veulent aller
plus loin, mais les gardes du corps, plus nombreux, ont
eu le temps de se retranrher : les assaillanis h&itent.
C'est alors qu'au bruit de ce lumulte, les gardes-fran-
caises, pas.s^s dans les rangs de Lafayette, quitlent leur
poste et courent disperser les brigands. lis trouvent les
gardes du corps relrancli(?s dernere une porte : ■ Ouvrez,
« s'ecrient-ils, ce sont les gardes-franraises, qui n'ontpas
" oublie qu'a Fontenoi vous avcz sauve leur regiment! •
La porte s'ouvrc, et tons fiaternisent et se scrrent les
mains.
Au dehors tout ^tait confusion. Lafayette n'avait pu
se reposer qu'une demi-heure, il n'avait pas eu le temps
de s'endo'rmir, quand il entend des cris; il s'elance sur'
un cheval, et rencontre une foule furieuse qui allait mas-
sacrer plusieurs gardes du corps; 11 les arrache a la mort,
envoie ses soldats au secours du chSleau, et se trouve
soul pour ainsi dire au milieu des brigands. Un de res
derniers dirige contre lui son fusil; sans se deconlenanrer,
Lafayetle ordonne au peuple de lui amener cet bomme;
on le saisit et on lui brise la t^te sur le pav^. Lafiiyette,
suivi des gardes qu'il a snuves, vole au cbSleau et y re-
trouve ses grenadiers. On I'entoure, on lui jure de mourir
pour le roi. Les gardes du rorps crinicnl ; vice Lafayette!
Toule la rour, qui lui devait la vie, lui expriniail avec
transport sa reconnaissance. Madame AdelaYde, tante du
roi, s'ecrie en serrant Lafayetle dans ses bras : « General,
• vous nous avez sauves! »
Le peuple voulait que le roi \int a Paris; un conseil
.s'assembia, et le depart du roi fut deride. On jetle par
li's fen^tres des billels qui annoncent rette nouvelle.
I.ouis XVI se montre au balcon avec Lafayetle, on crie
vioe le roi! Mais des menaces accuciUent la reine, qui s'est
approchee." Que voulez-vous faire. marfame?. lui demande
le general. — Accompagncr le roi, repond courageuse-
ment la princesse. — Sui\e7-moi, n reprend Lafayette,
et il I'aniene toute surprise sur le balcon. Des hommes
du peuple rerommencent leurs cris menacants; un conp
do fei pouvait parlir. D'ailleurs on ne pouvait se faire en-
tendre, il fallait parier aux yenx. Le general s'incline,
prend la main de la reine et la baise avec respect. Alors
(les transports eclalcnl avec les cris de piiv la reine! vive
Lafayette! La reconrilialion est faile. Le roi prie La-
fayetle de faire quelque chose pour ses gardes. Le ge-
neral en prend un , le conduit au balcon et lui met sa
liandouiibre en I'embrassant ; les applauilissemenis du
I'.enple montrenl aussil6t que la paix est faite avec les f
gardes, et que de ce c6le aussi il n'y a plusrien ii craindre.
L'assemblee, apprenant le depart du roi, rendit un dii-
oret qui la dedarait inseparable de la personne du sou-
verain, et le fit acoompagner par cent deputes. Lafayette
axaiil fait suivre, par un diitaiUement de ses troupes, la
plupart des bandes lieja parties et auxquelles il inlerdi-
saitaiDsi le rotour. Oil avait arrache aux tirig.inds qui les
portaient au bout de leurs piques les letcs de deux gardes
Ju corps egoges. Louis X\ I tut re^u par Bailly a I'Hotel-
de-ville. « Je reviens, dit-il, avec conliance au milieu
de mon peuple de Paris. • Bailly repete ces mols a ceux
qui ne pouvaient entendre, el oublie le mot confiance. —
IE SANGHER. JI'J
. Ajoulez avec confiance, dit la reine. — Vous ttes plus
heureux, rcpoiid Bailly, que si je I'avais dit moi-mSme. •
La f.iniille royale alia liabiler les Tuileries, deserles de-
puis un sieclc, et on en confia la garde a la milice pari-
sienne; aussi Lafayette fut-il regard^ par les courlisans
comme un ge6lier : il n'eut pourtant jamais qu"un seul
desir, celul de proteger son roi.
A.-L. Ravebcie.
lilSTOIIlE NATI'REILE.
X.E SANGLIEH.
Le sanglier est, ainsi que le cochon, un animal brutal,
n'ayant que des appelils grossiers, et dent rinlolli.i;ence
se borne a peu pres a raccomplissement des actes les plus
materiels de la vie.
Le sanglier, n'etant autre chose que le coclion a I elat
^sauvage, a la mSme grossierete dans les habitudes, les
nieniesgoutsimmondes, la mi'ine voracile que cet animal,
auquel il ressemble presque de tous points , ayant comme
lui le poil rude el grossier, la pcau epaisse et peu sen-
sible aux influences exterieures.
Cependant le sanglier possede des defi'nses plus gran-
des et plus tranchantes, un boutoir plus fort el une hure
plus longue. On remarque aussi qu'il a les pinces des
pieds plus separces ct le poil loujours noir.
La disposition ties pieds, la maniere dont la terra a
ete fouillee. des pctites branches cassises, sont autant
d'indices qui revelent a un piqueur experimenle I'age^
la force, les habitudes dun sanglier. Le cochon, par
excniple, fnuille la terre ca et la, mais superficiellement,
landis que le sanglier trace presque loujours un sillon en
ligne directe el tres-profondement creuse.
Lorsque les sangliers sont jeunes, on les nomme en
lerme de chasse belts dc conifiagnie, car alors ils sui-
vent souvcnt leur mere et marchent en troupe ; au moin-
i:o
LF. SANCLIER.
dre bruil, ils se reunissenl do maiiiere a pouvoir se de-
fondre coiitie renncmi qui les menace; on pretend
mjme que les plus gros se metlent en avaiil cl forment
une petite plialange au milieu de laquclle les plus faibles
sont a I'abri. Ce qu'il y a de certain, c'e^l que la femelle
devient furicuse quand on lui enleve ses petils, et que,
dans ce nioment-lJi, elle est redoutable pourle chasseur.
On croirait difncilemcnl qu'un animal aussi gros, aussi
peu taille pour la course, puisse s'elancer avec une rapi-
dile si grande, qu'elle egale celle des mcllleurs chlens :
aussi ne faut-il pas se fier a cette pesanteur apparente.
Lorsque lesanglier devient vieux, II fait comme Tours,
ui redierche les cavornes solitaires ; lul, so refugie alors
dans les parlies les moins frequenlees lies furels, pros de
quelque marecage oil II trouve une nourriture de son
gout. Lii, vivanlscul, ce sauvage ermile devient encore
plus rude, plus intrailable qu'aupniavanl : ce recoiii de
I'or^t devient .-a propriete ; ils sont a lui, les vieux clienes
couverts de mousse, les enorni schutaigniersau feuillage
touITu , le lioux piquant, le myrlille, les roseaux qui
s"clevent dans les bas-fonds; 11 trouve dans cet endroil
ecarte la solitude qu'll aime, des glands, des chitaignes,
des raclnes tendres qui font ses delices. Malheur done a
qui viendra le Iroubler dans son bnnheur I C'est un pro-
prietaire jaloux, et la nature lui a donne des defenses
Iranchantes.
Ccpendant le bruit lointain du cor se (ait entendre; ce
sont des fanfares dont les sons, apportes par les brises,
arriveiil jusqu'ii lui; il se souleve dans la bauge oil il
elait accronpi, son poll se herlsse, ses ycux ardents
semblent Jeter des llammes; c'est qu'il a senti I'approche
des chasseurs et des cbiens.
Bienlot de jeunes sanglicrs, menes baltant par la
meute, traversent la forOt dans leur course rapide; quel-
ques-uns sont lues par les chasseurs, d'aulres s'echap-
pent; le vieux solitaire aussi estenfin relance. Use retire
d'un pas alourdi par I'age; sa retraite estlente, mais ha-
bile; les plus bardis ni;1tins n'approchcnt de lui qu'en he-
sitant, car il se retourne souvenl et a propos pour leur
faire tete; alors, d'un coup de defense, il ouvre le venire a
Tun, tandis qu'il brise les cotes de I'autre; le cercle des i
assadhiiits s'elargit, les chasseurs eux-memes hesitcnt
quelqucfois en tirant, car le \ieil habitant des forels a la
peau dure, presque impcni^lrable & la balle, et une bles-
sure douloureuse ne ferait que redoubler sa furie.
C'est done un veritable triomphe pour le chasseur
adroit qui parvient ii abatlre un sanglier de premifere j
force, car cette victoire n'est jamais sans dangers serieux.
Aussi, lorsque les chasseurs out tue quelquesuns del
ces animaux, font-ils retenlir la furet do joyeuscs fan-
fare-;; et, lorsque le soir ils rentrcnt en ville avec leuij
conquete, cette entree Iriomphale se fait souvent a
clarle des torches et au bruil des vivals.
Les sangliers iiesont pas aussi dangereux pour les cul-J
livateurs que les lonps et les renards, qui ravacent leurs
troupeaux el leurs poulaillers; cependanl lorsqu'ils se
muUiplient outre mesure, ils traversent, en se vautrant,
les champs de ble et y causent du notables degSts.
La chair du marcassiii ou jeune sangher n'est pas mau-
vaise, quoiquelle ait un gout sauvage dont loutes les
LE RENARDJ 121
pri-paralions culinaires ne peuvent la debarrasser. QuanI
au vieux, on n'en mange guere que la hure, qui est
d'aillenrs regardee comme la piece d'honneur.
OuviEH L£ Gall.
1.1: RENARD.
Nous aliens nous occuper d'un fin matois, mailre re-
nard, si connu par ses ruses, le Cagliostro, le Figaro des
quadrupedcs.
I.orsqu'un renard rode aulonr d'liii poulailler, ce sera
miracle s'il ne trouve pas quelque poulu a croquer; car
si son esprit est fertile en stralagemes, sa gourmandise
en stimule I'activite, et sa patience est a toute epreuve.
Le loup, sanguinaire et brutal, ne connait d'autre
droit que celui de la force; niais le ren.ird comprend et
pratique la diplomalie, ni plus h'. moins qu'un Talley-
rand ; s'il tue, s'il cgorge, c'est du moins avec des formes
moins acerbes ; et certaincment, s'il pouvait parler, il
invoquerait la legalite et le fait accompli
Le renard ressenible beaucoup a certains chiens, niais
ii a proportionncllement la l6te plus grosse ; le poll roux,
plus long, plus touflu ; les oreilles plus courles, la queue
plus grosse et plus garnie de longs polls, le regard sour-
nois, les mouvemenis brusques et in(|uiets.
Comme ces animaux aiment beaucoup les oiseaux de
basse-cour, ils se rapprochent volontiirs des fernies si-
tuees a proximite des laiUis; la ils se creusent de pro-
fonds terriers, qu'ils disposent avec beaucoup d'art, de
nianiere a en cacher I'entree le plus possible; c'est I'en-
droit oil ils se refugient lorsqu'iU se sentcnt trop vive-
nicnt poursuivis, et oil ils elevent leurs petils jusqu'6
I'age oil ils peuvent sortir sans trop de danger.
II arrive souvent que les chasseurs, ne pouvant forcer
un renard avec leurs cluens, bouchent I'entree du terrier
lorsqu'il est sorti, et se tiennent pres de li) en enibuscade.
Le renard, presse par la meute, rabat vers son domicile,
el, trouvant I'entree obstruoe, recoit le feu des chasseurs.
S'il n'est pas atteint, il fuit avec precipitation, niais ne
tarde pa-; a y revcnir pour essuycr une seconde decliarge ;
alors, comprenant I'impossibilile absolue de rentrer chez
lui, il se sauve ii travcrs champs jusqu'a ee que, harasse
de fatigue, il soit atteint et tue. On fait aussi entrer dans
le terrier des bassets a jambes torses, qui se glissent jus-
qu'au fond du repaire; niais on envoitqui sent plus pres-
ses d'en sortir que d'y entrer, car le renard a la m^choire
forte et les dents acerees ; sa morsure, des plus cruelles,
emporle la piece.
Quelquefois, un promeneur solitaire, jaloux de jouir
des beautes de la nature h son reveil, parcourt lenlemcnt
les alleesfraiches et tortueuses d'un laillis. Le calme, les
jeux de I'ombie et de la lumiere, les guutteletles de rosce
tremblanles sur les feuilles, tout lui presente des images
de bonheur, lorsque tout a coup 11 enlend de longs gla-
pissemenls, un cri semblable il celui du paon ; c'est un re-
nard qui chasse des lievres, des lapins, et seme la des-
truction sur son passage; ses levies sont souillees de
sang et \l cherche encore une nouvelle pioie.
Le renard ne se contente pas de chasser a la course, il
emploie mille ruses pour garnir son gaide-nianger; infa-
tigable mineur, il travaillera longucment a se creusei
une issue pour penetrer dans une basse-cour ; puis, proli-
tant d'une nuit sombre, il renversera les derniers obsta-
cles. .\lors, arrivant a I'inproviste, il tuera tout ce qui se
trouvera sous sa dent, enlevera ses victinies, lescachera
ou les transportera dans son terrier, niais toujours de nia-
niere k les eloigner du theitre du carnage et a pouvoir les
retrouver au besoin.
Lorsqu'il a remarque des plages, des pipees, disposes
pour piendre de pctits animaux ou des oiseaux, plus dili-
gent que le chasseur, il fail sa ronde avant le jour, en-
leveles animaux qui se sontlaisse prendre, les tue et les
cache, soit parmi de hautes fougeres, soit sous la mousse,
en attendant le moment favorable de venir les reprendre
sanacrainte.
. Je fis un jour, dit Buffon, suspendre ii neuf pieds de
hauteur, sur un arbre, les debris d'une haltede chasse, de
la viande, du pain, des os; des la premiere nuit les re-
nards s'etaient si fort exerces a sauter, que le terrain au-
tour de I'arbre etait battu comme une aire de grange. •
11 est probable que ces renards de BulTon se seront re-
tires avec dedain, en disant que la \iande etait trop
cuite et le pain trop rassis.
Du reste, les renards mangent de tout, non-seulement
des animaux, mais aussi du fromage, des oeufs, des insec-
(28 LA FR-EGATE LUnANIE.
tes, du miel, des fruits, dn raisin surtoiit, dont ils sont
tres-frianda. Leur goiit pour le miel est tres-prononce,
mais n'est pas toujours facile a satifaire, car Icsabeilles
sont vigilantes et leurs. aiguillons causent des blessures
cuisantes; alors ils se roulent par terre avec leurs enne-
mis, qu'ils (5crasent; manoeuvre qu'ils repetent plusieurs
fois avec la plus grande patience ; puis, s'elan^ant sur la
ruche, ils emporlent le miel et la cire qu'ils pcuvent saisir.
S'agit-il de s'emparer d'un herisson, expedition peril-
leuse: le renard leguette; mais celui-ci, des qu'il I'aper-
50il, se met en boule et se h^risse do piquants ; y mordre
n'est pas chose facile, mais le renard lepousse, le tracasse,
le fatigue si bien avec les pieds de devant, quit le force k
s'ctendre, non sans en avoir recu mainte blessure : c'est
alors qu'ille saisil.
« Un jour, dit un observateur, je me promenais dans
un taillis tres-fourre, voisin d'une ferme, et ou plusieurs
sentiers se croisaient. £tanl arri\e prfesd'uncarrefour, je
vis un renard qui se glissait parmi les genSts et les ajoncs ;
comme il marchait avec d'infinies precautions, je vou-
lus voir quelle grande affaire le conduisait en ce lieu, et
je me cachai dans un buisson pour mieux examiner.
Apres quelques minutes d'atlente, je le vis sauler sur la
route, du lieu ou il etait blolti. 11 repcia trois ou quatre
fois ce niancgp, dont je ne comprenais pas le but; mais
bientdt le mysleie fut teluirci lorsque je le vis bondir sur
un lapin qui passa b portee, juste a la place ou il s'etait si
bien exerce a tomber dans son elan. •
On pretend que si des dindons ou des poules poursui-
vispar un renard se refngiaient dans un arbre, ils ne Uii
echapperaienl pas pour cela. le renard tourne autour de
I'arbre, tanlot lentemenl, tanlot avec rapidity ; il fait la
roue, saute, cabriole, se met sur le dos, et captive telle-
ment Tattenlion des pauvres volaliles, que plu-ieurs, fati-
gues, elourdis, se laissent tomber et sont saisis par le-
maiire sycophanle.
II parait que le renard est un objet d'horreur pour les
oiseaux, car, (lit BufTon ; • Les gcais et les merles, des
qu'ils I'apercoivent, font entendre des ciis et expriment
leur antipathic en fuyant au plus loin.
A I'elatde domesticite et enchaine, le renard perd una-
partie de sa ferocite, et ne detruit pas la volaille qu'on
laisse error pres de lui.
II existe, dans le Nord surtout, des renards de toutes
les couleurs, noirs, bleus, gris-argenli^, blancs, etc., dont
plusieurs fournissent des pelleteries eslim(5es; mais I'es-
pfece commune ou rousse est la plus g^neralement r^-
pandue.
Olivier i.e Gall.
SCENES, RECITS ET .\VE\TIRES DE LA VIE IIARITIIIE.
I. A FRrCATE 1,-UAAIVIE >.
IV.
On voit en mcr deux especos de tronibcs : les unes sont,
dit-on, le produit des attractions et des repulsions clcc-
triques qui impriment une forte impulsion gyratoire a
des masses d'air entratnees de la circonforence au centre;
les nuages ebranles suivent ce monvement, et descendent
en forme de c6nes jusqu"a la surface des caux. Les aulres
sont evidemment proJuites par des feux souterrains; on
en voit les premiers mouvemenlsdans la mer, qui surun
point donne parait comme en ebullition ; ce bouillonne-
ment, qui d'abord se produit sur un point tres-restreint,
etend sensiblement son cercle. Alors, de temps en temps
on apercoit comme une vofite de cristal qui s'eleve, puis
s'abaisse; des vapeurs sulfureuses remplissent I'atmo-
sphfire; enfin , une colonne d'eau s'eleve comme un
tube immense jusqu'aux nuages, et marche en tour-
billonnant suivant limpulsion du vent, jusqu'a ce que,
rompue par un obstacle , ou s'affaissant sous son
propre poids, elle laisse retomber avec violence la masse
I Voir 1. II, p. 136 ; tl I. 111. p. 61 d 93.
d'eau qui la compose, et qui ferait sombrer un navire.
La trombe qui nous occupa le plus, par son eclat et les
phenomenes qui I'acconipagnferent, fut une de ces der-
nieres. Nous etions menaces d'un calme plat comme celui
que nous avions eprouve la \eille, la chaleur etait etouf-
fante ; mais maitrc Raban nous montra au loin une partie
du ciel couvcrte de nuages ponimeles ; et, comme il ne
manquait jamais de placer des provcrbcs de marin a
lout propos et hors de tout propos, il nous dit avec
gravite, en pr^parant le siBlet suspendu a sa cliaine d'ar-
gcnt :
■ Tumps pomiiivli', fille Tirilee,
e Nu soul p.is (le loiigue durtic. »
A peine eut^il ladie son provfrbe, que la briae s'eleva
avec force, comme si le bonhomnie Eole avait perce une
de ses oulres. On fut oblige de prendre deux ris ' dans
les hunierssous lesquels nous naviguions.
Le ciel, cependant, conservait sa sereuiti ; I'ocoident
etait en feu, et les nuagis blancs, se colorant allernalive-
LA FRf.GATE
inent de pourpre, de rose el de jaune, offraienl un admi-
rable spectacle en se redetanl dons les (lots mobiles qui
roulaient en larpes lames. Sur un point cependani, la mor
i'tait^cumeuse ct blanchatro comme si une immense four-
naise I'eit mise en ebullition; de cet endroits'eleva peu a
peu, avec un ijrnndement sourd, iinecolonne d'eau de la
plusparfaite linipiilite qui montait en toiirnani avec rapi-
dity, et que les rayons du soleil coloraient des plus vives
conleurs du prisme et de Parcen-ciel. Tout Tequipage
admirait celte magnifique trombe, qui s'eloigna rapide-
ment du point oil elle s'ctait formee. Le commandant lui
fit envoyer deux ou trois boulcts qui ne I'atteigniient pas;
LURANIE. 123
il voulait experimenter par lui-meme si la trombe at-
teinle par un projectile se dissoudrait; c'esl un fait, da
reste, que j'ai eu I'occasion de constater depuis plusicurs
fois.
A peine cetle trombe eut-elle disparu qu'il s'cn forma
deux aulres pres de nous ; mais celles-ci elaient d'une na-
ture differente; elles parlaientdes nurges, qui, s'elant
avances au-dessus de nous en moins d'une heure, cou-
vraient deji une parlie du ciel ; une nuee epais^e seuibla
se condenser et former un lourbillon noir qui prit une •
forme eylindriqiie, diri'geant vers la mcr sa pointe ex-
treme el altirant I'eau avec une grande violence comme-
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le ferait une pompe puissante ; le vent devenait impeluoux
etsoufflait par rafales avec lant de furie, qu'il nous fai-
sait donner une forte bando ' tl compromellait une pai-
lie de la miilure; lelonnerregrondaitet de sinislres eclairs
siUonnaient la nue sombre. Cetle trombe passa pres de
nous avec une elTrayanle rapiilite, et son mugissement
t'tait si fort que Ton entendait h peine le porte-voix du
commandant et le sifllel aigu des maitres d'equipage.
.\pres avoir couru pendant quelques minutes, le meteore
se rompit avec bruit, et un veritable deluge s'epancha
du nuage; jecrus que nous allions (>tre engloutis.
Apres ccs epreuves qui se suivirent de si pres, et qui
1 Prendre un Tie. — Le* ris soni des bandes Je la loile a »oile, zarmei
d'otilleU el garceltes pour diminuer la voile lor^qiic le veiil c-l Irop fori. On
prend un, deux, trois ris, rle., siiitaiil le cas. — La garcette est une trcsse
failc de trois, cinq, sept on neuT fils de caret ou bitord. Celles des ris sunt
plus grosses an milieu qu'aui eitremites.
* La bande, — In navire doune la hande a triliord ou a liaLord, c'est— a—
dire qu'il pencbe plus ou moins furlement sur le cole droit ou sur le colc
^auehe.
nous avaicnt fait oublier le n^grier, il fallut songer a re-
lourner J Goree pour visilcr loules les parties do la frii-
gate et faire de I'eau fraiche, cor nos coisses en l6le com-'
mencaientii se vider. La mer etant redcvenue belle quoi-
que un peu houleuse, le commandant eu profita ^our
faire faire lesercice; malheureusement, dansun coup lie
roulis. un matelot qui se trouvait a I'empoinlure ' de la
grande vergue IJclia prise el tomba dans la mcr. Aus-
silijt le cri sinislre ; L'n homme a la mer! relenlit, I'an-
xicte se peignit sur toutes les figures, et les mesures de
sauvelage furent rapidemeiitcommandecset execulijes; la
bouce ', ayant elelancee, flolta dansle siUage du navire,
I Empnintum. Ellremites des vergues.
9 ffotii^c, ordin-aircment en !ic;:e, surmontee d'un pa\iilon. II en eiiste one
auire qui ptfut rendre plus de serriccs ; elle est conipnsije de dena ^-loltea crenx
en ciiisre, rapables de soulenir un grand poids. Lne barre de fer lionzonlale
les unit, et une autre placee au milieu s'elese vcrlirale .\ I'aide d'un lest de
plomb p'aee a sa liase La partie la plus clevce hors de I'e.itl est raunie d'un
appareil qui fait jaillir une hiniiire lors.jii'on jette la bouee, c'ejt uu petit
pbare qui pendant la nuit pent guider rbomnie qui se noie elle cannot qui se
Jiri^c vers lui.
124 SCfcNES, RECITS
montrant son petit pavilion rouge, derniere espcrance du
malheureiix qui s'elTorrait de I'atleindrc, mais il est dou-
teiix qu'il y fiit parvenu. Ah ! combien nous sembli'rent
longues ces quelcpies minutes pendant lesquclles nous
apercevions seulement la tele ct quolquefois un des bras
du matelol, qu'il elevait pour implorer du secours. Le
canot qui avait etc promplement mis h I'eau, et que six
homnics comniandes par un eleve dirigeaient avec peine,
arriva au moment ou cet honinie, dont les forces ctaient
epuisees, allait disparaiiro pour loujours.
Un cri dc joio s'ecliappa de loutes les poilrines lors-
, AVENTURES,
qu'on le vit saisi par ses camarades et depose dans le ca-
not. .lamais je n'ai eprouve une Amotion plus saisissante
quo pendant cette scene, qui ne dura que quelques mi-
nutes.
Le matelot, transporte a bord, recut lous ies soins que
necessitait son elat; on cut quelque peine Ji le rappeler ii
la vie, et les premiers niols qu'il prononra en pressant hi
main d'un de scs camarades furent pour exprimer le de-
sir de boire une ration deau-de-vie, ce qui lui fut oc-
troye.
Olivier Le Gall.
SCE\ES, RECITS, AVEMIRES, E\TR\1TS DES PLUS RECEXTS VOYAGES.
VOYAGE DU VAI.FARAISO A CAI.I.AO, A I.IMA, A Ii'ARCHIFEI. GAI.AFAGOS.
Nous trouvons dans une correspondance inlime, dont
une hcureuse indiscretion nous a permis de percer le
mystere, de curieux details sur des contrees aujourd'luii
peu explorees, et dont limporlance a ete grandealors que
rEspagneetaitparvenue,gr3irea la possession etaux tiesors
duMexiqueet du Perou.a se faire I'arbitrodes dcstincesdu
nionde. Un voyage de 'Valparaiso a Callao, a Lima, a I'ar-
chipel Galapagos , est une cbose nssez rare pour exciter
Vinteret, surlout quand on saura que I'auteur, jeune aspi-
rant de marine, n'a pas pense le moins du monde a ecrirc
pourle public. N'oublions pas qu'ilabien voulu devenir
lui-mfime complice de I'indiscrction qui a trahi sa con-
fidence, en nous permettantde rtWeler lesdelailssuivanls:
Quelques jours apres I'airivee de I'anural Hamelin a
Valparaiso, le navire de M. R... de M... se trouvait sous
voiles et se dirigeait vers Callao, le Piree do Lima, cette
ville des ruis qui commei;cait a s'clever du temps de Pi-
zarre, et dans laquelle cet aventurier se relira apies le
meurtre du dernier des Incas de Quito.
Au Pcrou, le voyageur peut observer une race toute
nouvelle. Les liommes, de taille moyenne,ont le tcint
cuivr6, le nez epate conime les sauvages, etlcs yeux fen-
dus en amande comme les Andalous; a ce type on de-
vine leur origine mixle. Maisccs Peruviens ont aussi de-
geriere de leurs ancetres, remarque qu'on peut appliqucr
a tous les peuples de lAmeiique du Sud.
En voici un exemplc remarquable em[irunto a la vie
politique des Peruviens : — Callao a un port magnifique,
compose de deux batteries circulaires pouvant porter
quatre it cinq cents pieces de canon. Les Espagnols, qui
comprenaient I'importance de ce point forlifie, y entrete-
naient le materiel d'artillcrie nccessaire. Mais, dans la
guerre qu'ds euienta soutcnir avec les Chiliens, la fregale
\ Estramudure leur ayant ^te enlevee pendant une nuit
par I'escadre ennemie, sous les ordres de lord Cochrane,
ils se virent obliges de livrer au vainqueur le port de
Callao. Alorsle Perou se fit republi(iue; la republiqueeut
ses presidents; I'un d'eux, plus avide que les aulres, Rl
aux Peruviens un discours magnifique, tendant a demon-
ker I'lnulilite ce ces canons et I'inleret considerable que
feur vente rapporterait au tresor, speculation qui nepou-
vait qu'augmenter la confiance de leurs voisins, encore
amis de la paix. Le president, dont j'ignore le noni, ful
ecoulc ; lesuperbo armementfutvendu. Les Peruviens eu-
reiit dc I'argent, mais ils perdirent leur force et leur di-
gnite. Aujourd'hui le fort s'cleve sur des fosses conibles .
les murailles tonibcnt en mine, et une cinquantaine de
mauvais canons armcnt quelques embrasures. Aussi
qu'arrive-t il? Les Anglais menacent des qu'on leur re-
fuse quelque djmande ; aux menaces succedent les de-
monstrations : ce sont des navires briiles, des villes bom-
bardees II ya un an encore, un vaisseau de qualre-vingls
canons, le Coliinijunod , ctait embosse devant la ville,
canons prets a tirer; force fut d'acquiescer aux reclan.a-
tions, et ainsi sera toujours ce pauvre pays.
Lima, a deux lieues de Callao, se voitde loin , grace a
ses soixantedix-sept clcchers qui se dressent a I'horizon
comme des minarets. Pour arnvcr a cette ancienne resi-
dence de la splendeur espagnole, on suit une route dif-
ficile, sablonueuse; on entre dans la ville par une porle
peinte en vert, el, nialgre de hautes et nombreuses forti-
fications , il est difficile de se croire dans une place for-
tifiee.
Comme la pluie est cliose rare dans le pays, les maisons
sont couronnees de terrastes avec bon nombre de lleurs
et d'arbuslcs. A vol d'oiseau, la ville ressemble a une
vjste plaine jaune, emaillee, coupee dechemins noirs ct
droits. Prcsque lous les edifices sontbas, n'ont en general
qu'un etage; mais ils ont un certain air de grandeur. Le-
cours d'entree possedent presque toutes des fresques,
scenes du moyen Sge, .scenes de religion ou de la gueric
d'independancc; ces peintures sont generaleraent d'uiir
execution grotesque.
Les couvents y sont nombreux. Dans I'un d'eux, ap-
pele Santo- Domingo, on remarque un plafond sculple
sur bois, representant des rosaces et des couronnes sem-
blables, sauf les dorure-, aux plafonds ciselesdeVersaille^
et du Louvre. Au milieu d'une cour s'elance un jet d'eau
qui arrose tout I'enclos; les colonncs ct les mors sont re-
vctus d'une coucbe tres-mince de faience peinte. Au des
sous d'un certain nombre de tableaux, representant le:
extases, la mission ou les miracles du saint, on peut lire:
des inscriptions en langiie caslillane. Sous le portrait
d'un ancien moine de I'ordre, une de ces legendes don
I
EXTRAITS DES PLUS RfiCENTS VOYAGES.
lis
nait au religieux represenle le nom de saint Napoleon.
Parnii les groupes qui ajsislaienl a I'office dans la cha-
pelle du mona«tere, on distinsuait des nalurels, descen-
dants sans melange des anciens sujets des Incas. I.eur
lournure, leurs habdiements , leur figure, les font dif-
lerer beaucoup des aulres Peruviens, issus de ces indi-
;^enes et des Espagnols. Les fenimes sonl pelites, bonnes
et sericuses; leurs cheveux sont relevei ou pendent sur
leurs epaules; plusieurs sont coifTees d'un liirse chapeau;
iput puncho est fait en lama. Ce qui caraclerise surlout
leur costume, c'est un tablier de couleur noire qu'elles
portent sur le cote gauche, signe national de deuil adopte
depuis la mort du dernier des Incas.
Avant d'arriver a V Alameda, promenade publique, on
pnssa devant un monument fort connu , les bains de la
Perirltoli, femmc celebre par ses vices et sa beaute,
et qui, dans sa folie orgueilleuse, obtint d'un vice-roi de
faire paver en or un chemin qu'elle avait coutume de
prendre. Inutile de dire qu'il ne reste pas un vestige de ce
pavage splendide.
Sur I'Alameda, on pent voir les femmes porter le saya
et le manto, ce capuclion avec lequel clles s'enveloppeni
la tele, les epaules et la figure, et ne laissent voir que I'oeil;
ce qui rappelle I'u.sage ancien du masque dans la joyeuse
et brillante Venise.
Lima, la ville des enfants du soleil. est, du reste, dans
une decadence complete; on la quitte avec le sentiment
dune Irislesse profonde.
ri<lllh,jj II Md'dig.
Bientot I'hydrograpliie ties Galapagos, ordounee par le
.^ouvernement, appela notre voyageur vers ces groupe-
d'iles, dont plusieurs elaieiit inconnues, et qui se trouvcnt
roupees par la ligne ; ces iles apparliennent a la repu-
blique de I'tquateur, el constituent en tout cas une trisle
possession; il n'y a de centre dhabilation que dans trois
d'entre elles. La premiere, file de Chatam, po^sede, au
sud, une riche verdure ; mais ^ I'ouest, exposee qu'elle
est au soleil, sans brise qui tempere les brulanis rayons
de cet astre etincelanl, elle n'olTre plus aux regards ces
beaux arbres qui, plonges dans un leger brouillard, grou-
pes, serres, enlaces ensemble par des lianes flexibles, for-
maient dans la partie nieridionale un si verdoyant ta-
bleau. On ne rencontre la quequelques massifs depouilles,
blanchis par la chaleur, une nature morte ; le haul des
collines estcependant moins aride que le bas, grace aux
brumes conlinuellcs qui s'y condcnsent.
Le navire mouilla a la Uaie du yaufiage, qu'on vcuail
explorer.
Au fond de cette bale etroite s'elevent, sur une plage
de sable, quelques mauvaises habilalions construites en
paille de mais et en branches d'arbres. Ces maisons sont
habitees par une vingtaine de personnes parmi lesquelles
se trouve le general Meyna, gouverneur de rile,exil6 de
Guyaqud pour avoir trouble I'fitat.
Ce general etait le chef du parti oppose au president
Flores. Ce dernier, I'ayant emporle sur son rival, exila les
niencurs de I'opposilion vaincue, les uns au Perou, les
autres au Chili, et plusieurs aulres aux iles Galapagos.
Une fois exile de son triste gouvernemenl, Meyna se prit
a changer d'etat ; de general qu'il elait, il se fit marcliand
de torlues, animaux dont cet arcliipel abonde.
Au boul de huit jours, I'hydrographie de file etait
terminee; on n'avait pas rencontre de grandes difficulte.s.
120
SCKNES, nECIT
CepiMidant, ea sondaHl pour maiqiicr k's diverses profoii-
deurs do la mor, nous I'limos obliges do passer, dit noire
voja^eur, sur un resell'; Ic fond oUiit dp deu\ metres et
demi, el nous nous Irouvions a un uiille de luule terre.
.La lame brisait aveclant deforce, que notre embarcation
se levait vcrlicalement el relombait ensuiledans le cruux
oil la mer, eii se precipitant, uu'na(;ait de la remplir;
c'esl la seule fols que je me sois trouve dans une position
un peu difficile... Lo soplitMne jour, au matin, llbre, jc
parlis a I'aventure, marchant sur dos pierres spoiigieuscs,
sur des debris de roclics et des scories de volcans. Tout a
coup, un cri rauqne, assez semblable i celui dun chien
enroue, se fit entendre derriere mui. La mer venait de
bSuillonner. .\ltentif, le fusil arm6, j'examiuai aux envi-
f ons, el bienlfil je vis, k quelques brasses, un phoque a
S, AVENTDRES.
barbe grise, dont la gueule, couleui de sang, s'ouvrait
par i[itervalles et laLssait ecliapper un cri de lecreur ou de
colere. Je le mis en joue. Mes deux balles partireulpres-
que en m^nio temps et riiocliiireul avant darriver; uue
d'elles ralti'iyiiit au cou, I'autre a la joue gauche. L'ani-
mal fit un bond extraordinaiie, puis s'allongea sur la sur-
face de I'eau et rcsta sans niouvemeut. Jo me jclai il la
mer, esperanl le conduiie jusqu'a lerre; mais, a peine
I'eus je louclie, qu'il glissa lenlemenl et disparut. Je le
laissai servir de prole aux requius qui diya s'avancaient.
Dansces pays, les requins, quoique fort nombreux, ne soni
pas dangereux, a cause de la quantito de polssous qu'il.--
y trouvent.
Le Icndemain, on gagnait une autre ile; c'esl une lerre
rouge, refielant sans cesse les rayons du soleil. On n'y
trouve pas une seule (race de verdure. Ton y aperroU
de Uautcs monlngnes couvertes de cicatrices lungues et
-noires; tout y est seche par les feux du soleil; on n'y
ti'ouve plus de vt'gctation, ni de terrain pmpre h la cul-
ture; le sol est compose de blocs de rocbers brises qui
laissent passer par leurs crevasses des arbustes rabougris
etendant au hasard quelques branches saus feuilles, sans
mousse, comme dans la parlie ouost de I'ile Chalam.
Mais OB apercoit un veritable chaos, une grande plaine
rouge semblable ii une terre nouvellement labouree , et
dont les moltcs compactes n'auraient pas encore ete
broyees par le r;'iteau.
De grandes dalles de pierre , au 'son metallique,
riivolent I'absence de tcrre vegetale et la profondeur de
I'abimc qui exisle sous les pieds du voyageur ; ces dalles
«ont jetees pcle-niele les unes sur les autros, coupees en
biseau ou brisics par des cho.s alTreux. Ea luut tas, ce
sont la presque autant d'obstiicles iiisurmontables quand
on marche dans cette vallee silencieusi", dont rien ne
vient Iroubler la monotonie et le deuil. On y eprouve un
vague sentiment de tristcsse et de terreur, comme dans
ce grand champ de lave doniie par Mdlon pour palais a
ses demons.
Quelques oasis de sable, siluees au milieu dece desert
d'un nouveau genre, deviennont, pour quelques instants,
un chemin moins fatiguant. Alors, il faut marcher avec
les plus grandes precautions, en meltant un pied devant
I'autre apres avoir sonde et s'ljlre a.ssure de la solidite
du terrain. (Juelques ruisseaux de la\e eteinte, sembla-
bles a une coucbe de hone grise , coupee par de larges
fissures, semblent s'lilre ele\es en vagues sous le souffle '
du vent; ilsont forme des courants, comme cela esl ma-,
nife>te aux endjoits oil la lave en fusion a change de
roule. La on voit.la lave boursoullcc, compacle el tour-
PROFIL ANGLAIS.
ii-
montee; le cratfere n'est par ronsfquenl pas eloigne. Mais
il elait trop lard pour aller jusquo-li) ; on rcpril le cho-
min du mouillage.
L'expciditjon laissa sans regret ccs lerres descries oil
Ton ne trouve que des lorlues, des veaux marrns, el ou
I'on n'a pas rn^me la chance de rencontrer un de ces
sauva.^cs rendus ctlebrcs-par le Vendirdi de Robinson.
Dans un procliain voyage, le jeune niarin auquel nous
devons ccs renseignements curieux \isiler3 la Polynesie;
nous aurons de nouvelles iudiscr^tions a offrir '3 nos lec-
teurs.
Ravebgie.
PROFIL iWGLAIS.
U s'euibarqua sou.s Londo[i-Bridge, a bord du paquo-
bot Vlismcrald, et prit terrc ii Boulogne par un soir de
printemps. QuanJ \'Esmcral(l s'ungagea enlre les jetees,
les faquins du port aperrurcnl de loin sur le pont (|uel -
que chose d'infornie et de rouge qui reluisait aux rayons
de la lune. En mOnie temps, la brise de mcr leur ap-
porta un infernal pu'fum de caoutchouc sans odeur, im-
permeable i) I'eau du ciel, mais permeable ii la transpi-
ration.
Les faquins se froll(;rent Ic.^ mains avec allegresse. Us
lavaient reconnu.
C'^tait lui , en effet. Plus le paquebot approchait ,
micux on voyait sa large face ecarlatc, encadree de fa-
\ oris chamois, son nez busque, sa levre plated son front
ogival, couronmi d'un cliapcau conique i longs polls re-
brouss6s.
C'etait bien lui. Comment Ic meconnaitre? Vit-on ja-
mais a un autre qu'i) lui ces cols de clienaise en cime-
terre, aigus, ligides, ^chancres, tcrribles? Un autre
put-il etaler jamais sur I'hemisphere d'un abdomen plus
exorbitant des brelojues aussi temeraires? Non, non !
Fiez-vous-en d'ailleurs aux porteurs de Boulogne. lis le
connaisscnt dcpuis leur plus lendrc cnfance. Us vivent
de lui. Boulogne entier \ it de lui. Sans ce gros homme,
la colonne napoleonienne no dominerait bientdt plus que
les ruincs de quatre cents holels gariiis.
II est 15, sur le pont, les jambes ecartees afin d'elargir
sa base. II se dandine et gSne imperturbablemcnt la raa-
ncEuvre en devorant les restes d'une gigantesque boite
<ie pastilles au cition, vendues, by appoinlment , dans
Piccadilly, comme un preservatif certain centre le mal de
mer.
Et, de fait, malgre ces pastilles, il n'a point eu le mal
de mer.
Le bateau s'alTale conire le mole ; I'tehelle descend ;
les passagers, impatienls da prendre terre, convergent de
tons les points du paquebot vers le pied de celte bien-
heureuse echelle Mais nul ne pent y nionter : un obsta-
cle infranchissable en defend les abords. — Get obstacle,
c'est lui!
Lui n'e.-t point impatient : il nese presse pas; il ne se
presse jamais. John , son groom , lequel lui ressemble
comme un roquet ressemble ii un molosse , porte ses
trois Cannes a pommes de rubis, de cornaline et de cris-
tal , son vaste neces-saire de voyage , sa boite a longue-
vue, son pliant, sa machine a faire le th6, un atlas des
quatre-vingl-six d^parlements de la France et douze dou-
zaines de cure-dents.
II nes'ehranle pas encore. John et lui encombrcnt par-
fuitenient le passage.
■ Monsieur veut-il bien permcttre?... dit un voya-
geur en cherchant 5 se glis.ser jusqu'au pierl de I'^chelle.
— Oh 1 no , » repond le gros homme avec naturel et
bonte.
Puis il ajoute solennellement:
n John! poussez le dos de moi sur le montement; je
pri6 voel
— Yes, sir. ■
Le groom, charge comme voussavez, fjitde sonmieux,
et le monlpinenl commence. Rude et Icnle ascension s'il
en fut! — Derriere, la foule niurmure. Pour la calmer, le
gros homme fait halte a moitie route.
« Pour Dicu, monsieur, avancez! s'ccrie-t-on.
— Je voleavancer, diabel! r^plique doucement legros
homme ; mais j'ete cssullle, veritabment.
— .\lors, laissez-nous passer!...
— Oh! no.
— Pourquoi ?
— PdfpiS... / don' I know what you mean... John,
poussez, je prie vos, le dos de moa sur le montement...-
Tout prend fin en ce monde. Le montemrni s'arheve,
et le gros homme, au lieu de repondre aux porteurs qui
I'assiegcnt de toutes parts, ordonne a John d'installer son
pliant sur le m6le, s'assied, met le lorgnon i I'oeil, et re-
garde paLsiblement defder ses viclimes en repetanl avec
conviction :
■ Oh ! yes... J'ete, voye vos, essfiffle veritabment ! »
On ne se (Sche point trop. On passe, moiti^ riant, moi-
tie grondant. II n'y a pas d'exemple qu'on ait brise la tSte
du gros homme entre deux paves.
(j'est Strange' — Que voulez-vous? on est b Boulopne.
Chaque pays a comme ceta ses dcsagrements. En Es-
pagne, on rencontre des brigands i foison et quelques
romanciers francais en quSle de la couleur locale -, en
Portugal, la croix du Christ menace votre boutonniifre
a chaque rarrefour; en Allemagne, chaque buisson ca-
che un Cobourg h raffiit de sa rcine ; en Turquie, vous
avez la peste; aux Antilles, ia fievre jaune et les mous-
tiques.
Boulogne a des Anglais : Boulogne est une cite con-
quise.
On y tolere n^anmoins quelques Francais, afin que sa
colonne puisse les contempler ct ^tre fiSre.
Le gros homme est un .\nglais ; il a un nom, mais ce
nom importe peu. C'est quelque ch'jse comme Smithson,
Johnson ou Anderson ; ce pourrait 6tre lord Clanricairn ;
1-28
PUOFIL ANGLAIS
ir TOemachus
il ne seroit pas impossible que co fi'it
BloomfieUI.
Quant a sn profession, il n'en a plus. Autrefois il 6lait
alderman, clergyman, commoner, sollicitor ou spnrtman.
Maintenant il a cinquante ans.
Cinquante ans, le spleen, la goutlc et cinq paletlcs de
sang de trop.
C'est un Anglais miir pour la France : Boulogne va le
cueillir. — Boulo.^ne ! ville blnnchi'itre et hospilalifere!
cit6 a louer I sons-prefecture qui loge a la nuit et tient
lable d'hutes! Bouloijne ! pnradis it des prix moderes,
i^racieux bouquet de guin^uettes jcl4 sur la falaise pour
idlecher les appctils deDouvrcs, qui pourrait dire. la fasci-
nation que vous exercez , Sirene h la carlo, sur les lon-
gues-vues brilanniques, lorgnant vosappis de I'autrc cole
(hi dctroit!...
II y avait cinquante ans que le gros bonime rdvait Bou-
logne lorsqu'il y est vcnu pour la premiere fois.
Ce fut un delicieux voyage. — Sir Tclcmnchus venait
desefaire raser. II aperfut a sa fenC-ire miss Speedwell,
la maitresse de lannues de Poultry. Sir Telemachus fut
pris incontinent d'un soudain et fougucux desir d'^pou-
ser miss Speedwell.
Sir Telemacbus parle anglais anx Frnnc.ais, niais il ba-
ragouine aux Au;;lais un francais prodigieux.
« Medem , dit-il a miss Speedwell, \6le-vos eposer
M. Anderson ?»
Miss Speedwell niouilla de ses birnios un Ires-grniid
moucboir, et repomlit :
« Quel est ce M. Anderson, mijn-ieur?
— Medem, c'etc moa.
— Mais, mon.sieur...
— .le v6le eposer, medem.
— .Te dois vous dire que j'ai pen de fortune.
— C'ete ('gliel, ri'pliqua M. Jobnsnii.
— Je suis veuve de deux maris.
— C'ete ioune beghelelle : reparlil M. Snutbson.
— Et j'ai neuf enfants, monsieur!
— CM tres bienne! s'ecria le nieme sir Telemacbus
avec chaleur ; je vole 6p6ser.
.le vous prie de vouloir bien remarqiier. ..
— Je rfemaque, medem!... .le v(Me enlever...
Mais vous m'aimez done bien, mon cher monsieur
Anderson? dit la maitresse de langues, emue par del^ les
sanglots.
— No, reponditM..lobnson; — maisjevole eposefvos,
medem, et enlever, diab . ! »
Comment resister davanlage?... ba mailresse de lan-
- ."ues, veuve de deux maris et comblee de neuf enfants en
bas age, donna immedi' ament son coeur a M. Smitlison,
(lui acheta un omnib i-; dela banque et enleva toute la fa-
niille.
Ainsi se maria sir Telemacbus Bloomfield. II vint en
France avec sa femme. — Ce fut lui qui, I'an dernier,
loua un bateau h vapeu • lout enlier pour descendre la
Seine avec milady. — f:e tut lui qui retint loutes les pla-
ces du grand Iheitre l a Havre pour s'y meltre ii I'aise
avec milady.
C'elait la lune de raiel.
Ce printemps, le gros homme revient soul , seul avec
Jobn, qui porte ses (rois Cannes, son necessaire de vovage,
sa boile a longue-vue, son pliant, sa machine a faire le
tlu\ un atlas des qualre-vingt-six departements de France,
et douze doiizaines de cu''c dents brevetes.
A lui loutes les voluples francaises, I'obese sybarite!
A lui les festins d'auberge a Irois francs par Ifite, le ca-
hot des diligences, le bordeaux frelate ! A lui Pari?,
apres Boulogne !
Car Boulogne et Paris se valent.
Les neuf enfants de sa lady croissentsur le sol de la pa-
trie; — lui inslalle son pliant sur le boulevard de Gand,
et pose, roide, rouge, boursoufle, en face de la Maison-
d'Or. — Johnson e.st debout derri&re le pliant. Les pas-
sanls sourient, les gamins applaudissent, le gros bomme
lunne la poussiere et le soleil. C'est un Anglais heu-
reux.
De sorts que sir Telemacbus connalt son Paris comma
vous et moi ; il connait les femmes, le bordeaux, la pous-
siere et la Maison-d'Or. Qu'apprendre d&ormais h ce
gros homme? — Helas! Tautomne jaunit les feuilles du
boulevard. Reflexions failes, le porter de Paris ne vaut
paslediable; les cure-dents n'y ont pas le sens com-
mun. — Ainsi trouve-t-on sondain des defauts, inaper-
cus jusqu'alors, a ce que Ton commence i) n'aimer plus.
Lc gros homme a comme un vague regret des niaisons
noir^lres de Londres, des brouillards accoutumes de la
Tamise, de la savoureuse fumte du coke, et des neuf en-
fants de sa femme.
Boulogne I'attend encore au passage; Boulogne lui sou-
rit au depart comme a I'arrivee. Que ne peut-on tran.5-
planter une ville a I'instar des oignons de tulipes? Bou-
logne passerait le detroit.
Co qui porterait Calais i) danser la pollca des salons
durant trois jours consecutifs , en signe de rejouis-
sance.
Qu'est-ce a dire"? Le gros homme a revu Londres, et
son front ecarlate ne se ;dt'ride point! II regretle Paris
peul-^lre, maintenant qu'il voit le dome de Saint-Paul. —
Ce qui est certain, c'est qu'd a cinquante et un ans, le
spleen, la goutle et one palelte de sang de plus.
Sa lady et les neuf enfants le recoivent ranges en baie
dans le parloir de sa maison. Ce tableau touchant n'a
pas le don de I'^mouvoir. II met le pied sur la pre-
miere marche de son escalier, et dit avec decourage-
ment :
n How do you do, milady and sons?... Jobn ! poussez
le dos de moi sur le mo..tement, je prie vos... »
Au printemps prochain, il s'embarquera pour London-
Bridge, et reverra Boulogne, la ville aimiSe etsi digne d'e
Ictre.
Au printemps suivant, il fera de mf-me.
Jusqu'a ce qu'il meure, un beau jour, d'un cure-
dent avale, entre les dix-buit bras des neuf enfants desa
femme.
Fbancis TnoLOPP.
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Typograpliic LiCBiMi'S nis el <_ , rue Dam die, i.
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