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Full text of "Éloge de la folie"

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N HP 



M Anon. 



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-tJS/-~ , -• 






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THE NEW YOF.K . 
PUBLICiriBRAPY 



ASTOR, LENON • 
TILDEN l-OUNÛATiaJ' 



Fiio:frTis:picE . 




^.^..^. 



L' E L O G E i 

LA FOLIE, 

TRADUIT DU LATIN D'ÉRASME, ^- , 

PAR M.GUEUDEVILLE, 

Mouvelle Édition , tevuë & corrigée fur le Texte 
derÈditiondeBâle, 

£T ORNÉE DE NOUVELLES FIGURES, 

A V E C D E S N O T E Si 




a.T\s 



m, Dcc. ixji 



PUBL'.. ' '! .lY 

827359 

ASTOR, L-.MjX and 
TJ1-0EW FCUNDATIONS 

R 1918 L 



AdMOKSRX VOIUXMUS; KOK tJEDZKMl 

consvl£remoribvshominum,; 
Non officere. 

'tfofm. Epijl. ad Mort. Dorpmm Theolog; 



tmfm m mm m mmm 

EXPLICATION 

Des Figures, qui indique en mêmcr 
tesns leur place. 






Svîïv^v ^^fi^f^P^ ^ui accompagne le frontifi 
j/?itf#,, repre fente U lointain d^unc 
^ grande Ville. Minerve difiinguée 
^ par /es attributs eft de bout contre 
unfuft de colonne y & MoMusluiprefente fa 
Marotte. 

Le Fleuron repre fente ta Vêaite s*amit^ 
fant avec un Enfant ; fujet qui s'explique 
parTinfctiption qtCon lit au haut du Cartow 
che y & quijignifie : En badinant j on du la 
vérité. 

Page 1. VEftampe repre fente divers per^i 
fonnages ajfemblés pour écouter la Fou E. On 
y démêle une -figure diftinguée par des oreilles 
d'âne, La oliefous Vair d^une perfonne gra^. 
^e ,& décorée dtun chaperon de DoHeur , effi 
dans une efpéce de tribune. A côté d'elle eflun^ 
Singe ajjis furfon cul , & tourné v^rs elle d'un 
air attentif 

Même page. La Vignette ofie encore la 
Folie environnée des Ru fi» des JttlX fous /4| 
£ormç iEnfans badiqu 



*Page 10. ta Folie de f Enfance & de ti 

Vieille ffe , eji reprefentée par quatre Enfans ^ 
dont deux font des châteaux de cartes , um 
troifiéme eft à cheval fur un bâton ^ &te qua^ 
même s élance [urle Vieillard meli parmi eux^ 
pour lui reprendrefon moulin. 

Page 3f . La Folie de la Table. Le fond 
de rEftampe eft un bout dcjardinfi le devant 
^tre un berceau fous lequel font trois perfonnes 
Stable ; un quatrième renverfipar terre exprir, 
me l'effet de Tyvrep. 

Page 44. La Folie des Combats. On are» 
frefenti la Folie prefentant des armes à deux" 
hommes quife b)attent d'une façon ignoble avec 
celle de la Nature^ qui font les pieds ^ les 
mains , nos premières armes. 

Page 68. Les Folies amoureufesrZtf l^olie^ 
/bus la figure dune jolîe £emme bien prétirh- 
taillée , diftribue des flèches à deux Amours. 
On démêle àfes pieds les dépouilles desprinci" 
pales Divinitès,le Foudre de Jupiter, leTrîdan 
«Je Neptune , le Caducée de Mercure, la Maf^ 
fui it Hercule , 6v. 

Page 89. LaPaiïïon de la Chafte. rEflam- 
pe reprefente une Chaffe du Cerf On voit la 
Folie achevai à ta tendes Piqueurs. Cefujet 
qui eft copié dHolhen , aveu de chofeprès^efi 
hfeul qu^on ait confervL 

pAge^Of LaFoUe desBâtimens. VEflam» 






PRÉFACE 

z> ^ 

>^0»J[^ '^LOGE rf^ /^ Folie réimpri" 

Î^l^^t\ ^é tant de fois , & traduit 
^iç :jjï/ prefqu'en toutes les Langues 9 
*Ax3< ^^ ^^^ ^^ ^^^ iécrrVi confacris 
patlegok de huskstems& de toutes 
les Nations» 

Tout le monde eonnoît Érafine , & 

quand l'^envie de difiourir jur cet Écri" 

' vain pourroit me rendre Differtaceur ^ 

fm wmfeul me difpenferoit d'entrer dans 

a 



îj , PRÉFACE 

des détails inutiles, Tabiindonneraï donc 
t Auteur , pour ne parler rmc de VOuvn^ 
g€ ,&de U Ttaduiiion qu on redonne. 

Érafme nous aprend lui-même Vhif- 
toire de cette ingénieufe Déclamation, * 
A fon retour d'Italie à Londres, il était 
logé chex^ Thomas Morus , Chancelier 
d^ Angleterre^ & forcé de garder la cham* 
bre par im violent mal de reins , prove* 
nani des fatigues du voyage Jes travaux 
Théologiques étoient fujpendus , parce 
qitil navoit point encore reçu les Livres 
ftécejjaires pour les continuer. Jl falloit 
amujer fon loiftr , & faire diverfton à fon 
mal , par quelque gaieté qui lui coûtât 
peu : il imagina cette fpirituelle Folie , 
à laquelle il n'employa qu environ fept 
jours. A peine il l'eut communiquée à un 



* Voyez faPréfaceà Thomas Morus , & 
fa Lettre Apologétique à Martin Dorpius , 
Théologien de Louyain. 



DE L'ÉDITEUR. iîj 

petit nombre famis , qu'elle paffa en 
France^ où elle fut d^abord imprimée fut 
une capte informe & défeSueufe. Cette 
première Édition fut bien. tôt fuivié de 
fept ou huit autres , qui parurent prefquen 
mêmertems. 

Mais fi cette pièce fut goutèe de tous 
les Gensdefprit & des vrais Sçavans , 
elle Jàuleva contre l'Auteur les ïgno^ 
rans^j les faux Dévots & les M ines^ 
Jl faut avouer quelle vint dans untems 
critique , oà il étoit bien dangereux de 
badiner fur certaines, matières, il fé rf- 
pentit au^ plus d'une fois d'avoir ha*^ 
ç^ardé ce jeu d'efprit ; & dam un Écrit 
en forme de Lettre , adrejfè à tous les 
Amateurs de la vérité , U reconnaît 
qiiayant compojè cet Ouvrage dans un 
iems de calme & de bonace. ( Quuai 
Mundus altùm indormiret cœremoniis 
«c praefcriptis Iiominutn ) il fe ferait bien 
gardé de le faire , s^il avait pu prévoir 
les troubles qui ïélevérent bien^iot ^è^ 

a z 



W PRÉFACE 

aujùjet de la Religion. H nen falioitpas 
tmt en effet , fout faire crier à Ihéréti- 
aue y & les Moines toujours plus aigris ^ 
a proportion qu'ils font plus fuhordonnis , 
allèrent jufauà dire ^H'Érafme avoic 
pondu Tgeut , doi^ Lucher & les autres 
étoienc éclos^ 

Érafme fut donc otligé de faire Va- 
pologie de fa pièce , & ellefe trouve dans 
fa Lettre à Adaxiin Dorpius , célèbre 
Théologien de Louvain, C'efl là quil 
fait cette protefîation , qui , malgré taiv 
de paradoxe quelle offre d'ahprd , efi 
fvraie dans le fait. Qae le bue de TÉlo* 
ge de la Folie , couc frivole qu'il pa* 
jroit , efl au fond le même que celui 
de fon M A N u E t. On peut dire effec^ 
tlpcment que ce ri efi qu*une morale plus 
gaye , qui emprunte le mafque de la Fo^ 
lie , pour donner de s leçons de fageffe , 
fir c^efi la pcnfie de Gueudçville. 

Il Le plan de la pièce ^ dit-il , efl dir 



DE UÉDÏTEUR. v 

>* gne d'un grand Maître, Ériger la 
w Folie même en ARrice , qui fe moc^ 
M (lue ffavamment % judicieufement , 
^i finement delà vie hi$maine ; Pinven^ 
» tion ne pouvait être ni plus heureu- 
i>y&., ni plus fufle. La Folie étant la 
» fouveraine des hommes , elle a droit 
•3 de les cenfurer : la Folie étant leur 
w meilleure amie , elle étoit la plus 
» propre à leur dire leurs vérités ; enJ 
nfin [a Folie prêfidant aux plaifirs 
» des hommes , il lui apartenoit par 
» préférence de jouer avec eux & de 
» les divertir. Il riy avoit qu'un incon-' 
» vénient : les hommes croyent la Po" 
n lie tant qu*elle parle en folle ; & 
9y dès qu'elle emprunte la voix de la 
» raijbn , ils ne la reconnoijfent ni ne 
M Ventendent plus. Cefi aparemment 
» par cette ratfon que la Déclamatrice 
» d'ÉraJme n'a point réujjt dans /on 
f$ principal deffein , qui étoit de corri^ 
^> ger les mœurs. Les hommes ont les 
» mêmes travers qu'ils ont toujours 

a 5 



V) PRÉFACE 

» eus , & wraifemblabletnent les au^ 
j> ront toujours. Ce rCeft pas la faute 
$1 de notre Moralifte. Elle ne fou- 
99 voit s y prendre mieux pour convev'- 
w tir fes Auditeurs , & puifque la 
» Folie même rCa pu amener tes hom^ 
X mes à la fageffe , hélas l Ht n'y viefh 
,, dront jamais. 

Il y a lieu de s étonner qu*un Ou^ 
n)rage dont on pouvoit tiret tant de 
fruit , fi les Livres changeoient les 
hommes , ait eu befoin d'Jpologies , * 
& que l Mteur ait été réduit à juflî' 
fier jujqu*à Jes intentions. Mais qu*ont 
produit au fisrplus les Clabauderies de 
tous fes Cenfeurs f Si ce nefl d^infpim 
rer plus de goût pour un Écrit que les 



* Thomas Morus prit fa défenfe , & la 
Lettre de ce grand Chancelier au Théolo- 
gien Martin Dorpius , roule en partie fut 
.cet Ouvrage. 



DE L'ÉDITEUR. y\] 

Souverains , les dus grands Prélats » 
& les Papes mêmes ont honoré de 
leur eflime. * 

Tous tes Éditeurs ont , comme on 
ffait . leur Idole : feroit-ce donc ici 
la nôtre , & prétendrions-nous la fair^^^ 
adorer ? Nous Jommes bien éloignés 
de porter fi loin la prévention pour 
quoique ce foit , & nous foufcrivons 
'volontiers au jugement porté fur cette 
Satyre dans les Lettres jlrieufes & ba- 
dines imprimées à Atnfierdam. $ 

^y 71 y régne d'un bout à l'autre ^dip 
u l'Auteur dune de ces Lettres , un 



* Érafme dans une Lettre à Antoine de 
Bergues, Abbé de S. Bertin » raporte que 
Léon X. le lut tout entier* 

g Par MM. Janiçofi , la Barre de BûdMii 
«larçiUis & U Martioiéret 

«4 



viîj PRÉFACE 

»3 mêhnge , qui convient à la Folie. 
^^ feule , du langage & des chofes du 
n Chrifiiamflne , avec les exprejpons & 
f> le culte des anciens Payens» Il y a 
w des portraits trop chargés , & des 
>3 cenfures fauffes et outrées. Mais dans 
•» le refie , que de bonfens , de vérité » 
» d'ejprit , d'ertfoâment l 

Un témoignage auffi figement modi^ 
fié ne peut être fufpe^ , & c'efi lexm 
prejfion du nôtre. 

Les agrémens de Poriginal.fi capa^ 
lies de fe faire fentir dans la plus^ dém 
feSueufe copie, ont fait aplaudir une 
ver/ion que Gueudeville ^avec plus de 
goût y moins de licence & un meilleur 
fiyle , atéroit pu rendre encore plus éxA^e^ 
Ces défauts ne font pas les Jeids qu'on 
ait reprochés au TraduUeur. Quelques 
éloges que fon travail ait eu en HoU 
lande ^ on nous permettra de le dire , ce 
n^eji point là • qu'il pouvoit être jujle^^ 



DE L'ÉDITEUR. îx 

fuent aprécii. On l'a obfervè avant nous: 
les François d' j^mfterdam & des Pays 
étrangers , ne font pas des Juges bien 
Jïtri en fait de délicatejjè & de flyle. 
C^eft en France quil faut juger des 
Écrits François. La véritable Urbanité 
ne fe trouve guéres hors d'un pays oà 
elle efl en quelque façon concentrée dans 
la Capitale , comme ^Accieiffne /'é- 
toit a jithènes» Ain fi la veffion de 
Gueudcville a été vue ici d*un auÈfe 
ail que parmi fe s Concitoyens^ Ses iȎ- 
chantes plaifanteries , ou plutôt fis ifuo^ 
libets perpétuels , fis allufions forcées 
& conformes à fis préjugés de Religion , 
tSrfes hardie ff es d'expreffïon , tous ces 
faux (frnement , fi propres d'ailleurs i 
piquer les gens d'un gokt faux , ont 
déplu aux gens raifonnabtes qui ne veu^ 
lent point quon aperçoive dms un Ou^ 
vrage de pur agrément , la religion ni 
la profeffion de V Auteur. On defiroit 
donc depuis long^tems qu'une plume* au 
moins plus Frmçoife , efjayât de tm^m^ 



X PRÉFACE 

rdijèr la Folie d'Éraftne , & de lui 
faire parler le langage des bons Écri^ 
vains. C était une TraduSiion nouvelle 
gae le vœu du public fembloit deman-^ 
der. & l'on nbéfitoit point à l'entre» 
prendre. Mais les réflexions font ve» 
nues ; on a penje que la verfion de 
Gueudeville , maigre les défauts qu'on 
y rèconnoit , avoit pour elle la prévenu 
tion , fi ce n'efl de la plus faine partie 
du Public y au moins de la plus entêtée , 
& Jurement de la plus nombreufe. On 
a craint d'un autre coté quune verfion 
faite par un Écrivain moins connu par 
fa liberté depen(er, quelque fidèle qu'il 
pût être , ne fut fu/peéie à bien des Lee- 
teurs» Sur ces confidérations , on s'eft 
réduit à retoucher le travail de Gueu» 
deville fur le texte Latin d'Érafine. 
Cen efi peut-être encore trop pour ceux 
qui , pleins de leurs préjugés , ne croyent 
pas qu'on puijfe éviter une extrémité 
fans tomber dans une autre , &fe prefi 
crin de modération » fans affaiblir ou 



DE L'ÉDITEUR. xj 

altérer fon fujet. Mais fi l'on sefi con^ 
tenté de re&ifier le fens , aà mamfcjîe^ 
ment il était vicieux , d*annoblir /Vr- 
prejfion oà elle étoit hafje , de fitbfti-^ 
tuer le terme propre à l'impropre , d'ér 
laguer les fiéperfluîtés & les rédmdm^ 
tes . enfin de retrancher avec réflexion 
ce que la chaleur du Proteftancifme 
avait cru devoir ajouter au feu fage& 
réglé d'Érafme ; fi , dis- je , on sefi 
renfermé dans ces changemens y comme 
ilefl certain qu'on l'a fait :on n'a point 
de reproches à craindre. Cefl le plan 
qu'on a fuivi fctupuleufement : on ne 
ïefi rien permis au-delà des correSions 
indifpenfables ^ & tout l'Ouvrage a été 
revu fur la bonne Édition de Bafle , 
donnée en ï6j6 for Châties Patin , 
célèbre Antiquaire , fils du Médecin , 
& dédié à M. Colbert. 

Jl fe trouvera peut-être des gens qui 
accuferont de témérité un pareil projet ^ 
^ ce font ceux qui s'imaginent que de 



&i] PRÉFACE 

toucher à des Écrit f confacris pat Pim^ 
preffion , e'eft mettre la main à l'encen^ 
foir. Deux raijbns qu'on croit fans re- 
plique , fiêffiront pour le jufUfien 

1^. Gueudevîlle, jfuteur de laTro!^ 
duliion qu'on a pris la liberté de re* 
voir , 014 fi l'on veut , de remanier^ 
étant mort » il n"a plus iintèrét à cet 
Ouvrage. 

!•. Ce mifAe Owvtage , dont fa mi^ 
moire ne peut après tout tirer un gran^d 
luflre , dévolu aepuis long^cfns au pu^ 
blic , apartîent au premiet occupant qui 
voudra Paméliorer, 

. Cell en vertu de ce douiU droit i 
qu^on a porté la faux dans la motffon 
d* autrui ^fauf à référer tout l honneur 
du travail à Py^uteur primitif Qj^n^. 
quam » ô Superi » quid qR hoc ta* 
tum <juod Yulgô Glgriam yocanCt 



DE L'ÉDITE-UR. «ij 
iit(î tpmen ^nanlffimum ? ^ 

Les remarques qui accompagnent ta 
Tradu^im de Gueudeville , avaient be^ 
foin de la même lime qui a fafftfur 
tout l'ouvrage. On na pris à cet égard 
4jiie la liberté quil s*etoit lui-même 
fermife par rafort aux Njotes de Lyf- 
ter. On a feulement confervé celles 
^ui mt paru nécejfaires pour tintelli^ 
geme du Texte , & on en a fubflitui 
quelquesrunes à celles qUon a re.trd»'^ 
fhées^ 

Il manquât à POuvrage de GueUfî 
deville » dirai-je » un Jècours , ou un 
ornement qu^on aime à trouver dans 
tous les Livres. Je veux parler des di-^ 
nnfions qui fervent à Joulager le Lec^ 
teur , & fans lejquçltes il eft difficile 
que PÉerip le plus attachant nenniyc 

f Erafoi. Epift. a4 Dorpium. 



xîv PRÉFACE 

ou ne fatigue ^ la longer. Mais le 
moyen de mettre de Vordre dans les 
difiours de la Folie ! Cétoit la dégui^ 
fer au dernier poin$ : c^étoit aller di* 
re&ement cqntre tous les principes , 
& même contre l'intention d'Éfafine » 
qui s explique bien à cet égard. On 
a trouve un tempérament pour con^ 
cilier les convenances avec la commo^ 
dite du Le&eur. Comme la Folie ^ 
dans le defordre de fa Déclamation « 
conferve une image de tordre , en 
parcourant tous les états de la vie hu' 
maine ^ on a difiingué chaque objet 
par des Jommaires mis à la marge » & 
qui indiquent tous les pajfages qu'elle 
fait rapidement de l'un à l'autre. 
Toute la matière fe trouve ainfî par-' 
tagée fans divifion ; teffrit & les 
yeux fe repofent ^ & la Folie garde 
fin caraSiére. 

Nous voici au principal change^^ 
ment dont on eft comptable au Pu^ 



DE L'ÉDITEUR. xy 

blic ; c^efl le retranchement qu'on a 
fan des figures dHoi.BEN , il s'agit de 
le pflifier. 

Ces Figures , dont Charles Patin 
farle avec un peu denthoufiafine , 
font d'ailleurs bien dignes rf'Holben, 
de ce grand Peintre qu*on a placé pref- 
que à coté de Raphaël. Par cette rai-- 
fin , les Curieux rechercheront tou^ 
jo{trs P Édition de Safle , où elles font 
gravées diaprés les Originaux. Afais 
quelqu'efiime que nous ayons pour cet 
excellent Figurifie , fi dans fes grotef 
ques ou fes charges il y a dés finejfes 
de deffein , & quelquefois d^exprejfîon , 
en trouve-Von beaucoup dans Vallufton 
& le raport qu'ils doivent avoir avec 
les oljets quelles nous indiquent ? T 
voit' on même ces grâces que des Mo* 
dernes ont fçu fi bien concilier avec 
ks biT^rrerïes de ce genre ? Ofons le 
dire dans un fiècle , où les Partifans de 
la Caricatura femblent avoir entrepris 



xvj PRÉFACE 

i^kovffer le goût de la belle nature i ce 
genri dont tout Met efl d^amufer les 
yeux , efi peu fatisfaifant pourl'efprit^ 
& c'ejl principalement pour Pefprit que 
font faits les Arts du dejfein. On n'a 
donc pas crâ devoir faffkjettir au vieux 
goût i/'Holben ^&ona préféré de nou^. 
ve/iux deffeins à de médiocres copies. 

C*efl de Compte fait quatre-vingt 
Figures qu'on a Juprimées dans cette 
Édition j mais a-fon lieu de regretter 
une multitude de petits cadres qui cou^ 
pent bigrement le difcours , & qui 
pour la plupart ne difent rien ? Un pro* 
verbe , un feul mot fouvent amené une 
Figure , & elles rejfemblent prefque 
toutes aux Hikrogliphes de nos écrans. 
Enfin pour un petit nombre de carac^ 
thés , qui rendus aujî-bien quilsTont 
été mal dans toutes les Éditions fricé-^ 
dentés » pourroient être de quelque prix 
pour les connoijfeurs , le refie eft d'une 
infipidité dégoûtante. 

Les 



DE UÉDITEUR. xvij 

Les Figures qu'ion a flibflitiéées à 
telles la Jant du moins plus agrééLbles 
& mieux rai/ànnées. On.seflbomé à 
une doMT^ine d'Eflampes,^ qui expri'» 
ment les caraêléres généraux de la Fo* 
lie ^ & on fe flatte que le choix joint 
à la propreté de léxécution , dèdoin- 
magera bien d'unfuperfiu qui nefi qu'in* 
commode. 

Retranchant les Figures rf*Ho!ben , 
il étoit inutile de conferver la vie de 
ce Peintre , dont Gueudeville a donné 
un précis diaprés Charles Patin. Cefl 
par une raifon femhlable qu'on a de 
même fuprimé la Préface de ce Tra* 
duUeur , qui dans cette Édition étoit 
tout-à'fait hors d^œuvre^ 

Si ces changemens ne /ont pas éga^ 
lement goûtés de tout le monde > on 
croit du moins pouvoir efpérer que toutes 
les perjonnes raifonnables nous ff auront 
quelque gré d'avoir rétabli dans fa (im* 

h 



xvilj P R Ê F A C E. &c. 

plicité naturdle , un jeu (tefprit dont 
le TraduSeuT n^avoit pas con/èrvé toute 
t innocence. Notre but n'a été que celui 
rf'Erafme ; & pour rendre [es exprcffions 
au LeUeuf .nous n^a von s eu 

DESSEIN dV E d'instruire 
ET NON d'o F FEN S ER , D E 
CONTRIBUER AU BIEN DES 
JlSmU RS^ N N D^Y DONNER LA 
M OIN DRS ATTEINTE. 




l^ Mn^ ^n^ mW^ ^H^ Anr» ^ft^ ^r V* <*V^% ^n^ •^W* ^n^ An^ Art^ ^f 

PRÉFACE 

D^ÉrasmE , adrejpe à THOMAS 
Mo RU s fort j4mï. 

REVENANT il y a quelques jours d'I-* 
talie en Angleterre , pour ne pas per- 
dre à des entretiens où les Mufes n'ont 
aucune part , tout le tems qu*il falloit 
voyagera cheval, j'aimai mieux repenfer 
quelquefois à nos études communes , & 
jouir en efp^it de ces fçavans & agréables 
Amis que j'avois laiÏÏ'é ici. Vous qui tenez le 
premier rang entre ces Amis , Illuftre 
Morus , c'étoit vous dont le fou venir m'oc- 
cupoit le plus. Je vous rapellois fouvent 
dans ma mémoire , & j'eji recevois un 
extrême plaifir , m'imaginant être auprès 
de vous , & fentir réellement cette dou- 
ceur , que je puis jurer avoir été la plus 
grande de ma vie. 

Réfolu donc de me donner quelque oc- 
cupation , 5c le tems n'étant guéres pro- 
pre pour une méditation férieufe , je m'a- 
vifai de faire en badinant l'Éloge de la 
Folie. Quelle Minerve vous infpira ce 
bizarre deffein , direz-vous ? Oui , c'eft 
Minerve , & qui d'abord me fit remar- 

b % 



XX 

quer que les Grecs ayant nommé la Folié ; 
MoRlA,ce dernier mot aproche autant 
de votre nom de famille , que vous êtes 
éloigné de fa fignification ; car vous êtes 
connu par-tout pour un homme des plus 
fages du fiécle. D'ailleurs » i*ai crû que ce 
jeu d'efprit feroit de votre goût. Car en- 
fin j'ofe me flater qu'il y a de la littéra- 
ture & du fel dans le badinage que je vous 
prefente ; & je fçais que rien ne vous diver- 
tit tam que ces fortes de plaifanteries , vous 
fur-t<nit qui riez de la vie humaine comme 
I>émocrite. * Mais fi la fupériorité de votre 
génie vous élevé bienau-deffus du vulgaire, 
vous ne laifTez pas de vous mettre à la por- 
tée de tout le monde ; 6c pour employer 
Texpreflion de Tibère : Fous eus V homme 
de tous , & de toutes les heures. 

Agréez donc, s'il vous platt^ cette Dé-' 
clamation ; je vous l'offre comme le gage 
d'une amitié qui doit durer autant que nous. 
J'efpére que vous la prendrez fous votre 
proteôion ; car puifque ]'ai l'honneur de 
vous la dédier, elle efl bien plus à vous 
qu'à moi. Je m'attends bien qu'on ne man- 
quera pas de la cenfurer. Les Chicaneurs 
diront que ces badineries déshonorent la 
gravité Théologique , & que cette faty- 

* Erafme fait ici allufion à /'Utopie <ff 
Thomas Morus^ 



*5fT 

f€ efi tonte opofèe à la mocTération Chré- 
tienne : ils tn'accuferont de faire revivre 
l'ancienne Comédie , * & de mordre tout 
le monde comme un nouveau Lucien ; 
mais je prie d'avance ceux qui fe fcanda- 
Fiferont de la petitede du fuiet, & de l'air 
badin que je lui donne , de vouloir bien 
faire attention que je ne fuis pas l'inven- 
teur de cette manière d'écrire , & que je 
n'ai fait qu'imiter en cela les plus anciens 
& Tes phis célèbres Auteurs. Combien 
s*efl-il écoulé de fîécles depuis qu'Homère 
a écrit la guerre des grenouilles oC des rats ? 
Virgile ne s'eft-il pas exercé fur le mouche- 
ron , & Ovide fur le noyer ? Policrate a 
fait l'éloge de Bufiris , & Ifocrate l'a réfu- 
té ; GiaucotJ a loué l'injuilice , Favorin , 
TherùtQ & îa fièvre quarte ; Sénéfiusla 
tête chauve ; Lucien , la mouche. Séneque 
n'a-t'il pas badiné fur TApothéofe de l'Em- 
pereur Claude ?Plutarque n'en a-t'il pas fait 
autant dans le Dialogue de Gryllus changé 

* Celui qui V inventa y fut un certain Sufa» 
rîon de la Ville de Mégare. Ce Théâtre natj^ 
fant était fi libre y ou plutôt fi licentieux , 
qu'an y nammoit les Spectateurs enreprenant 
leurs vices. Cet ufage ayant été défendu par 
une loi faite exprès^ donna Heu à la nouvel* 
le Comédie. 



nij 

en pourceau , Sf, d'UUfle i Lucien & Apulée 
n'ont-ils pas fait leur Ane d'or, & un Ano« 
nyme enhn le teftament d'un cochon » cité 
par S. Jérôme même ? 

Si mes Cenfeurs ne veulent pas fe payer 
de cette monnoie , ils n'ont qu*à s'imaginer 
que je ioue aux Échecs pour m'amufcr^ ou 
à quelques jeux d'enfans. Il n'y a point de 
condition dans la vie à qui on ne permette 
quelque divertiffement : ce feroit donc 
une grande injuftice d'interdire aux Gens 
de Lettres un peu de badinage , pour Te 
déiafler l'efprit. On doit fur-tout leur per« 
mettre de badiner , lorfqu'ils le font utile- 
ment pour les Leâeurs. rour peu qu'on ait 
de génie , on profite ordinairement plus 
des bagatelles finement tournées , que des 
matières férieufes 6c brillantes. L'un célè- 
bre l'Éloquence ou la Pbilofophie , par un 
Éloee tout coufu de pièces de raport ; l'au- 
tre tait pompeufement le Panégyrique du 
Prince : celui-là prononce un beau dis- 
cours , pour porter les Princes Chrétiens 
à la guerre contre les Turcs ; celui-ci in- 
fatué de rAftrologie judiciaire , ou impof- 
teurde profeffion, prédit l'avenir ; l'autre 
forme de nouvelles difficultés fur des riens. 
Ces produâions font prefque toujours auifi 
înfruâueufes , que la badinerie eft profi- 
table. De plus , comme rien n'efl fi puérile 
que de traiter un fujet grave Scférieux d'u-^ 



ne manière badine , rien auffi n'eft plus 
agréable que de donner à des bagatelles un 
tour férieux & fplide. Au ïefle , c'eft au 
Public à juger du badinage que je lui don- 
ne ; mais à moins que Tamour-propre ne 
m'aveugle , l'Éloge de la Folie , à ce qui me 
femble , n'eft pas tout-à-fait Touvrage d'un 
foû. 

Maintenant pour me meure à couvert 
du reproche qu'on pourroit me faire tou- 
chant la faty re, je foutiens que de tout tems 
il a été permis de fe mocquer du train com- 
mun des hommes , pourvu que cela n'aille 
pas jufqu'à la licence ôi à la fureur. J'admire 
combien les oreilles font délicates aujour- 
d'hui ; on ne veut que des éloges flateurs : 
on en voit même qui entendent û mal la 
Religion, qu'ils foufFriroient plutôt les plus 
horribles blafphêmes contre Jefus-Chrift , 
que de pafTer la moindre raillerie contre le 
Pape c5u contre le Prince , fur-tout quand il 
y va de leur intérêt. Mais je voudrois qu'on 
répondît à une queftion : Celui qui fronde 
en général tous les hommes , fans en atta- 
quer aucun en particulier , peut- il avec juf- 
tice être apelé fatyrique ? Ne doit-il pas 
plutôt être regardé comme un guide , & un 
furveillant des mœurs ? D'ailleurs combien 
de traits , je vous prie , ne m'échape-t'il 
point contre moi-même ? De plus , qui 
déclame généralement contre toutes les 



XxiV 

conditions humaines , fait Sien yoîi' qtt*if 
n'en veut point aux hommes , mais feole- 
fnent à leurs défauts. Si c{UeIt{u'uh donc fe 
trouve offenfé dans ce badînage » s*it s'en 
pkint, qu'y gagnerà-t'il ? Il fera voir qti'il 
eft coupable, ou qu'il craint de paffer poiJt 
tel. S. Jérôme a badiné fur les mêmes ma- 
tières d'une façon bien plus libre & bien 
pluscauftrqoe, île faifantpas mêmefcru- 
t>ule de nommer. Pour moi' , outre que Je 
n'ai nommé perfbnne , J'ai tellement ména- 
gé mes expredions , que tout Leâeur judi« 
cieux controitra fans peine que mon but a 
plutôt été de divertir que de mordre. Je n'ai 

f>as , comme Juvenal , remué de criminel- 
es ordures , & je me fuis plus attaché au 
ridicule qu'au vice même. Si toutes ces raî- 
fons ne farisfont pas ,^n n'a qu'à confidé- 
rer qu'il éft gtorieux d'être cenfuré par la 
Folie, & que la fa^ifant parler, il a bien fal- 
lu que je me fois accommodé au caraâére 
du perfonnage. Mais pourquoi vous fuggé- 
rer mes moyens , vous qui êtes un fi ha- 
bile Avocat 9 que les Gaules qui ne font pas 
des meilleures , deviennent très-bonnes 
entre vos mains ? Adieu ,■ très- éloquent 
Morus , prenez foigneufement la défenfe 
d'un Ouvrage qui porte un peu vos livrées^, 
quant au nom & à la matière. 

ji la Campagne » /0 Juin isoS^. 

L'ÉLOGE 



-^S^:^ 






■-.i r^fisfev. 



f : 



PUBLltUBIURY 

^' 'ASTOR,.XgNÔX 
•T1L£>EN FOUip^ATIONS 












■■:-'. • ■ J' . 






;.>^ 










T. t^.J^ifu^nr rfi- . 




L'ÉLOGE 
DE LA FOLIE. 

DÉCLAMATION D'ERASME. 



( La Folie parle. ) 

iNAiRCMïNTinaréDU- Pro» 
[>n eft déchirée par la médï* priétés 



4A++++** RDiNAiRCMïNTina féou- 
^M'^^jJ tation eft déchirée par la rnédi»/,..*»- 
$^5Ï O^jj* fance ; & il n'y a pas jufqu'à mes 6» </^ 
JSpdîïi^^+ Favoris , qui ne parlent mal de nition 



V)^ fance ; & il n*y a pas jufqu'à mes é* </^ 
l^^^i'^^ià^ Favoris , qui ne parlent mal de nition 
******** moi : c'eft de quoi je fuis bien de la 
informée. Mais on a beau me noircir ; cette Folie. 

A 



t V ELOG E 

FonEcpje vous voyez, c*cft elle pour-- 
tant, qui aie pouvoii^dl remettre en belle 
humeur les Dieux & les Hommes. 

En effet , dès oue 'f ai paru devant cette 
nombreufeAiTemblée, la joie a commencé 
d*y édater. Vous avec marqué tous un air 
content , vous n'avez même pu vous empê- 
cher de rire en voyant ma figure ; enfin , de- 
puis que je fuis ici , on vous prendh-oit pour 
des Dieux d*Homére, enyvrés de Neââr & 
àt*:Néptnthe ; au lieu qu'auparavant vous 
aviez ie chagrin & llnquiétude peints fur le 
vifage. A vous voir mornes fie fombres com- 
me vous itiez dans vos places , on ne pou- 
voit mieux vous comparer qu'à des gens for* 
tk tottt-réeemment § de la Caverne de ^r<^* 
phonitu. Lorfqu'apres un Hyver affreux, le 
Soleil ayant repris fon éclat , nous ramené 
avec le Printems ces vents doux, qui fon- 
dent les neiges & les glaces , 6c rendent à la 
terre fa fertilité naturelle ; tout change de 

* Népenthe. ) Plante fabuteufi , dont Itfuc 
milàavtc le vin, excitait à Ui joie* Des Aur, 
Seurs préundent jue c*e(l la Bugloffe. 

§ L'Antre de Trophanius , dans la /,éba^ 
die , rendait des Oracles ; mais quati4 on V 
avait une fois d^fccfidu , on m riait pltu de 
fa vif fjuivant ia triëMn. 



DR LA FOLIE. y 

face à nos yeux , tout prend une couleut 
nouvelle & femble rajeunir. Tel efts^peu 
près rheureux effet c{ue j'ai produit fur vos 
perfonnes. Dès quej'ai paru , je n*ai plus vu 
que des vifages rians. Ainfi, par ma feule 
prefence , j'ai atteint le but où d'habiles 
Orateurs peuvent à peine arriver par des 
difcoujrs diffus , long^tems médités : ils fe 
tuent à parler pour diffiper vos chagrins ; 
&moi , pour faire encore plus qu'eux , je n'ai 
eu qu'à me montrer , fans ouvrir la bouche» 
Or , fi vous êtes curieux de fçavoir pour-, 
quoi je parois dans ce bizarre équipage , je 
vais vous le dire , bien entendu que vous 
ne vous lafferez pas de ni'écouter. Je n'exi- 
ge pas devons la même attention, que vous 
pourriez aporter à un Sermon : celle que 
vous avez coutume de donner aux Bate- 
leurs , aux Farceurs àc aux Charlatans dans 
les Places publiques ^ eft bien fuffifante. 
Ecoutez-moi comme autrefois Midas , qui 
itoit des n6tres , écoutoit la Mufique dn 
Dieu Pan. Car j'ai envie de faire un peu ^la 

* Sophifte & Philofophe étaient d'abord 
fynûnimes. Le nom de Sophifte fut enfuhe 
donné aux Rhéteurs , & enfin ne fiffiifia plus 
qu'un ^and & fùbûl dîfeur de rien. 



6 V E LOGE 

vent volontiers mes bienfaits ; )*ai tout fo^et 
de me flatter que je fuis leur meilleure amie ; 
avec tout cela , depuis tant de fiécles s'eft-îl 
jamais trouvé un feul homme qui ait daiené 
célébrer ma gloire , & compofer mon élo- 
ge } On a écrit fur les plus indignes fujets 
du monde. Les Bufiris , tes Phalaris , la Fié- 
vre-quarte , la Mouche , la Tête-chauve , 
tant d'autres pefies de<ette nature ont eu 
des Apologiftes qui ont confacré leurs veil- 
les à les illuflrer ; mais pour moi , pour la 
pauvre Folie , rien. 

Je fuis donc réduite à me louer moi-même^ 
& c*eft auffi ce que je vais faire ; mais je vous 
en avertis , ce fera fur le champ , & fans au- 
cune préparation : tant mieua^» }'en mentirai 
moins. N'allez pas vous imaginer qu'il y ait 
de Toftentation , ou de la hâblerie aans mon 
fait : je ne fuis pas comme bien des Orateurs* 
La plupart de ces gens-là, comme vous fça- 
vez , en donnant an Public u)i Ouvrage au* 
quel ils ont travaillé trente ans , ( encore 
n'eft-ce fouirent qu'une compilation ) pro- 
teftent avec ferment , qu'ils l'ont écrit ou 
diôé en trois jours , pour fe divertir. Pour 
moi , j'aime toujours à dire tout ce qui me 
vient fur la langue. 

Je ne fuivrai pas ici la méthode triviale 
deTEcole , qui prefcrit à un Logicien & à 



DE LA FOrLIE. 7 

on Rhéteur , de définir & de dîvifer fon fa- 
jet. II ne faut pas vous y attendre. Je ne tous 
donnerai ^oxnttOADefinuiont iam^Divifion 
£ins doute encore moins. Car , raifohnons 
un peu : qu'eft^ce aue c*eftt]ue définir FCeù: 
renfermer ridée dune chofe dans Tes )uftes 
bornes. Qu'eft-ceque t*t& c[aedhifir?Ce& 
ftparer une chofe en fes parties. Or > ni Tun 
ni l'autre ne me conviennent. Comment me 
borner ,puj^c Ina puiflance eft auffi éten- 
due^qtte le (renre-Humain ? Comment me 
. partager , pttifque généralement tout eft 
'd'accord^ pour , faire valoir ma Divinité i 
rVous voyez donc bien que toute Définitiça 
' & tCfUt^DivsJTon , {eroient pour moi dfuii: 
^ imauvaîv augure. D'ailleurs , dès tque me 
voici devant vous , dès que vous me voyez 
telle que je fuis, de quoi ierviroit*il de vous 
peindre mon ombre 6c mon image, dans 
une Définition ? 

Je fuis, & je vous en fais juges , je fuis 
cette diftrifautrice des vrais biens, reconnue 
la même fous divers noms par tous les An- 
ciens. Et même , qu'étoit-ilbefoin de le dire? 
N'ai-je pas le vilage parlant \ Ne portai- 
j^e pas fur le front tout ce que je fuis ? Si 

Juelqu'un pouvoit fe méprendre afTez grof- 
érement, pour foutenir que je fuis Minerve, 
ou la Sageffe, il n'a qu'âme regarder fixe- 

A4 



8 V E LOGE 

ment , Il m^ démêlera d'abord > fans que 
î'emplavé les paroles , qui font le fidèle 
mirorr cfe la penfée. Il n'y a chez moi , ni 
fard 4 ni déguifement: telle je parois, telle 
je fuis dans l'ame , toujours femblable à 
moi-même. Cela eftfi vrar, que ceux qui 
tîs parent le plus du mafque de la Sageffe , 
ne peuvent me cacher: ce font deshnges 
revêtus de pourpre « ou des ânes qui pro» 
mènent leur gravité fous la peau. du lion ; 
mais tiuelques foins qu'ils aportent pour fe 
contrefaire , on ne^s'y trompe jamais; 
toujours il s'échape par queloue endroit 
d'éminentes oreilles qui trahilient & dér 
couvrent Midas. 

Mais voyez leur ingratitude ! Us font à 
' moi autant qu'on peut l'être , & ils rougiffent 
. de porter publiquement mes livrées & mon 
nom. Bien plus «ils les reprochent aux au- 
tres 9 comme une infamie 6c un deshonneuv* 
Puifqu'il eft donc vrai , que « tout fous qu'ils 
font , ils prétendent être réputés Sages âc 
de nouveaux Thaïes , * ne ferons-nous pas 
bien fondés à les apeller d'un nom mixte, 
des Morofophes , ou des Sages-fous ? L'élo^- 
quence aujourd'hui la plus en vogue » eft 

* Thaïes. ) Un desfept Sages dp la Gricii 



D E L A F O L 1 E; $ 

ceHe de ces déclamateurs qui fe croient 
autant d'ApolIons , lorfau'ils s'efcriment de 
deux langues , comme * la fanefue , & qui re« 

Tardent comme quelque choie d'admirable , 
e mêler fouvent fort mal-à-propos , quel- 
ques mots Grecs dans un difcours latin , ce 
qui fait des difcours à la mofaïque , ou de 
marqueterie. Si les Langue s étrangères man- 
quent à ces Orateurs ; (î par exemple , ils 
ne fçavent ni Grec , ni Hébreu , quelle eft 
leur reffource , à votre avis ? Ceft de tiret 
de quelque livre moifi quatre ou cinq vieux 
mots , pour éblouir le Leâeur. Ceux qui les 
entendent ^ aplaudiflent i leur grand fa- 
voir ; & ceux qui k'y comprennent rien » 
admirent à proportion de leur ignorance* 
Car ce n'eft pas un de nos moindres plaifirs , 
à nous autres Fous » de regarder avec le der- 
nier étonnement ce qui vient de loin. Si 
quelques-uns de ceux qui n'entendent point 
ce vieux langage , ont Tambition de vou- 
loir faire accroire qu'ils Tentendent ; ils n'ont 
qu'à marquer un air content y ils n'ont qu'à 
aplaudir de la tête , ou même des oreilles » 
comme l'âne ; enfin , ils n^ont qu'à dire d'un 

■■■■■■"■■■^^^■■■'■■""'"^^^^"^"^'*' 
* Sangfuë. ) Pline dit qu'elle a ta tanguf 
fourchtiu 



lo V E LO G E 

ton important avec un ancien Valet de 
Théâtre : Ceft cela même. 

Je me fats écartée là , j e ne fçai comment ; 
les difparates &Ies digreffions ne fiéent pas 
mal à la Folie ; mais je reprens mon che- 
min . Vous fçavez donc â préfent mon nom . 
Auditeurs. . . . quelle épithétq^ajoûterai-je l 
Tranchons le mot. Auditeurs très-Fous^ 
Que vous en femble ?La Folie peut-elle trai- 
ter plus honorablement des gens initiés dans 
fes m3rftéres ? Maïs parce qu'il y en a peu 
d'entre vous qui connoiflent ma naiffanca 
& ma famille , je vais tâcher de vous en inf- 
truire , moyennant le fecours dès Mufes. 

Soyez donc avertis d'avance , que je ne 
fuis fille , ni du Cahos , * ni de Saturne ^ ni de 
Japet , ni d'aucun de cette efpéce de Dieux 
décrépits & comme ufés de vieillefle. Ceft 
'Orïgïnt Plutus , le Dieu des Richeffes , oui eft mon 
4e la pece : Plutus , qui, n'en déplaife à Héfiode ^ 
Folie. « Homère &au Seigneur Jtiptter lui-même , 
cfl le père des Dieux & des Hommes : P/tf- 
tus, qui à prefent tout comme autrefois, con- 
fond à fon gré le facré avec le profane > & 



* Du Cahos , &c. Citoient ^ félon Héfiode , 
les plus anciens Dieux , £» dont tous les 4»- 
iresétoient defcenduu. 



DE LA FOLIE. ii 

feouleverfe tout : Pfutus , fous le bon plaifir 
de qai font admitiîurés , la Guerre ^ la Paix, 
les Empires, les Confeils , les Tribunaux, 
les Afletnblées publiques , les Mariages, les 
Traités , les Alliances , les Loi* , le plaifant , 
le férieux ( oh je perds haleine , abrégeons) 
en un mot , toutes les affaires générales & 
particulières des hommes : Plutus , fansTaf- 
fiflance duquel tout ce Peuple de Divinités 
.Poétiques , & même les Dieux du premier 
ordre , *ou ne feroient plus du tout , ou fe- 
roient aflez maijzre chère : enfi|i ce Plutus^ 
dont la colère eft fi redoutable , dont la dif- 
grâce eft fi terrible, que Pallas mon enne- 
mie mortelle, toute lage, toute guerrière 
qu'elle eft , ne (j^auroit en garantir perfonne, 
& dont au contraire la faveur eft fi puKTan- 
te , que celui à qui il en fait part, peut tnca* 
guet Jopitér même & fa foiidre. 

C'eft d'un tel père que je me glorifie d'a- 
voir reçu le jour. Or, mon père m*ençendra , 
non pas de Ion cerveau , comme Tupitef en- 
gefidra cette bourrue & farouche Minerve, 
mais deî Néotete, la Nymphe du monde 

' * La Théologie Payennt admettok diffétifu 
ordres de Divinités. 
t Néotete« ) Cefi-â-dire ^ la JeùnefTe* 



lï V ELOGE 

k plus belle, la plus enjouée, la plus agr£a<^ 
ble. Mon père 6cma mère n'étoientpas ma- 
riés : je ne fuis pas née conune ce ooiteuz 
de Vulcain , fils légitime de Jupiter & de 
Junon , qui étoient mari & femme , à leur 

trand regret. Je fuis fiileduPlaifir: l'Amour 
bre a préfidé feul à ma naifTance ; & , pour 
parler avec nptre Homère , il avoit formé 
h tendre chaîne qui lia Plutus à fa mai* 
trèfle* 

Mais n'allez pas prendre le change. 
Quand mon père me donna l'être, cen'é-, 
toit pas ce Plutus courbé fous le poids des 
ans , & à qui l'âge avoit déjà éteint la vue , 
tel qu'eft le Plutus d'Ariftophane : mon 
père étoit alors dans fon printems , fans 
avoir aucune infirmité ; le fan g d'une ar* 
dente &vigoureufejeune(re pétilloit enco- 
re dans fes veines. D'ailleurs , certain fe- 
cours étranger ne nuifit point à la chofe* 
Mon père fortoit par hazard d'une dé- 
bauche divine » où il avoit fouetté le Nec- 
tar. 

. Si vous me demandez le lieu de ma naif*- 
fence , ( car c*eft aujourd'hui comme une 
preuve de Noblefle , que le Public fçache oii 
vous avez jette les premiers cris du ber- 
ceau ) je ne fuis née ni dans l'Ide mouvante 
de Délos , comme Apollon « ni dans le ieia 



DE LA FOLIE. ij 

A% la Mer orageufe « comme Vénus» ni dans 
des cavernes profondes ; mais dans ces Ifles 
fortunées , oU la Nature n*a nul bêfoinde 
l'Art. L'incomparable pays ! Le travail , la 
maladie , la vieillefle n'y entrent point : on 
ne voit dans les champs , ni mauve « ni lu- 
fûn , ni fève: loin de là toutes ces herbes » 
tous ces légumes, toutes ces racines, qui 
ne font qu'à l'ufage du petit peuple. Au lieu 
de ces viles produâions ,'la Terre raporte 
tout ce qui peut charmer les yeux , & em* 
fcaumer l'odorat :*le moly , la panacée, le 
iiépenthe,la marjolaine , l'amorplfie , le 
lotus 4 la rofe violette , l'hyacinthe ; en« 
£n , de quelque coté qu'on fe tourne , on 
s'imagine être dans les Jardins d'Efculape , 
ou dans ceux de Vénus. 

Naiflant dans un endroit fi délicieux , vous 
jugez bien que je n« commençai pas ma vie 

Eir des plenrs,tant s'en faut.Apeine ma mère 
t-elle accouchée de moi , que je me mis à 
lut rire au nez , comme une petite folle. Au 
refte , je n'envie point 'à Jupiter l'honneur 
d'avoir eu une chèvre pour nourrice , puis- 
que deux Dames des plus galantes m'ont al- 



* Le moly ^ le népenthe^ tambroifie^li 
lotMs , herbes fabuleufes. 



U V ELOGE 

laîtée: Pane eft ^ MtthiîkWt de Bacchus; 
Tautre § Afttâït , fille de Pan ; tous les 
Voyez 1 une & l'autre à ma fuite. 
«, » 11 eft bon xjue je vous faffe encore con^ 
^^P^\ noître mes autres Compagnes & mes Sui- 
,^*i. ^vantes. Voyez-vous cette belle au fourcil 
^^''^' arrogant & élevé ? C'eft PhïUutït , ou 1'^- 
mour'prcpre. Celle-ci, qui a la complaifance 
, peinte dans les yeux , & qui frape des 
mains , c*eft la Flatterie. Celle-là qui eft à 
moitié endormie , 6c qui femble dormir ef- 
feâivement , s'apelle rOublL Celle qui s'a* 
puye fur les coudes , les doigts entrelacés » 
c'eft la Haine du travail. Cette autre q«i eft 
copronnée , enchaînée de rofes , & qui a 
tout le corps parfumé ^ eft la Volupté. Ces 
yeux remuans , & que vous voyez dans un 
mouvement continuel , vops annoncent TjE^- 
gareinent d'efprit. Cette peau luifante , cet 
embonpoint , ce corps fi oien conditipnnét 
font les Délices en perfonné. Vous voyez 
parmi ces Nymphes , deux Dieux , dont 
l'un , qui eft Cornus , infpire la débauche, 
& l'autre enfévelit les Buveurs dans un fom- 
meil prefque léthargique, * 



fMéthé.)nvrejffe. ^ 

% Apadie. )Ld Groj/iéreté. 



n E LA FOLIE. ly 

Secondée & fervie âdëleiaent par cette 
foule de Domefiiques , ou plutôt d'EfcIa* 
res, je régne fur tput, & les Monarques 
mêmes font fournis à ma domination. 

Vous voilà donc inilruits de mes pa- 
rens , de mes nourrice^ â^ de mon train. 
Maintenant, afin qu'on ne m^ccufe pas 
d'ufurpe.r le nom de Déeffe, je veux vous 
faire voir coxnbien ie fui^ imU aux Dieux 
& aux Hommes ^ & jufqVoù s'étend ^ma 
puifTance divine : éc0utez'-moi l^ien» 

Quelqu'un a dit de très -bon fens, que 
c'eft être Dieu , que de contribuer au 
foulagement dés hommes^ dans leur mal- 
heureux pafTage fur la terre. C'eft fur ce 
principe qu'on a déifié ceux qui ont in- 
venté ie vin , le froment 6c les autres uti« 
lités femblables^ qui adoucirent la vie. 
Sur ce pied -là, pourquoi ne me donne- 
roit - on pas avec luftice le crémier rang 
parmi les Dieu3p î Pourquoi réfuferoit- 
on de me placer k leur tête $ moi <mi ré» 
pands toute ibrte de. biens fur les Hom-^ 
mes i 

Premièrement , vous ne dîfconvîendrez 
PJ^^AJWfijrijeçJî'fiôplHs ch?r mplusprécîjçux 
que la vie. Or , qui a plus de part que moi à 
>£pnn^ti0&; Ma conception des viyans^ 
^i \% ^9ce 4$ k fiér^ Pallas » V^ V^S^^ 



t6 V E L O C E 

de * de ^piter , n'influent point fur la pro- 
pagation humaine. Bien plus, ce terrible & 
loudroyant Jupiter , lui qui eft le père & le 
Monarque abfolu des hommes «lui , qui d*un 
coup d'oeil fait trembler le Ciel ; il faut four- 
vent , ne lui en déplaife \ qu'il mette bas fa 
foudre à trois pointes ; il laut , que Quittant 
cet air redoutable , qui fait tranfir de peur 
toute la Cour célefie , il defcende de fa gran- 
deur, qu'il Cadoucifle & prenne un autre vi- 
fage ; & quand cela ? Je n'oferois prefque le 
dire : lorlqu'il eft amoureux , & qu'il veut 
paternifery envie qui le prend fouvent chez 
lui & ailleurs. Ceft alors qu'il eft obligé 
de fe mafqner » pour ainfi dire « & de }ouer 
tan tout autre perfonnage que celui qu'il fait 
fur fon Trâne. 
Ne prenons que les Stoîciens:ces Philofo- 

Î)hes contrefontles Dieux ici-bas,& leur pré- 
emption va jufqu'à s'infatnet qu'ils font de 
tous les Mortels , ceux qui aprochent le plus 
de la Divinité. Mais donnez-moi un de ces 
vénérables Difciples de Zenon , fût-il mille 
foispliis Stoïcien encore, s'il ne coupejamais 

fa 

* Egide. ) Bouclier de fupîter , fait de U 
fcau de fa nourrice , la Cherre Amalthée» 



DE LAFOLIE. 17 

& badbe , parce qu'elle eft la marque &J*or« 
netnent de fa fageffe^ ( ornement néanmoins 
dont les boucs font auffi parés ) i] ne laifie- 
ra pas de tems en tems de s'humanifer , de 
mettre à part fa dure & auftére Morale, de 
dire enfin & de faire dan&i*occafion des fot* 
tifes, tout comme un autre. En un mot, un 
homme , de quelque fageiTê qu'il fafle pro- 
feffion , veut-ildevenir père ? C'eft moi , ouï 
c'eft moi qu'il doit apeller à fon fecours. 

Mais ppurquoi ne pas dire tout ? Auffi-bîen 
c'eft ma manière de parler librement. Dites«- 
moiyjevous prie, à quel înftrumenteft at- 
taché la vertu de produire les Dieux & lès 
Hommes ? Eft-ce à la tête , au vifage ^à là 
poitrine, à la main, à l'oreille , tous mem- 
Dfes afTurément fort honnêtes, aufquels on 
ne peut rien reprocher ? Si je ne me trompe , 
ce ne font point-là les outils de la Propaga- 
tion. Quel eft donc le ProduBeur , le Multi* 
plicauur du Genre- Humain ? Une certaine* 

J>artie qui ne fe nomme point, & qui eft fi fol* 
e, il ridicule > qu'on ne fçauroit la nommer 
fans rire. C'eft là cette Fontaine facrée^oi- 
les Dieux & les Hommes puifent là vie. 

Or , quel homme voudroit fubir le ipuedil* 
mariage,fi,comme font les vrais Philofopnes^ 
il avoir bien^ réfléchi auparavant fur lesin^ 
convéniens de cette condition ? Qqellefeaoi:;- 



x8 r p L (y G E 

me voudroit ]amaîs fefoumettre» au devoir 
conjugal, fi elle fçavoît, ou fè rapelioit le$ 
douleurs périlleufes de Taccouchement , la 
peine de nourrir, d'élever, &c» ?Si donc vous 
devez la vie au mariage , &1e mariage à cette 
aliénation du bon fens , qui e$ à ma fuite , 
jugez combien vous m'êtes redevables ! De 
plus , quand une femme , après avoir paiTé 
une fois parles épines de ce li«n indiflbluble, 
alahardieiTe d'y rentrer, n*eft-ce pas à la fa- 
veur de l'OaWi, qui m'accompagne encore ? 
Soit dit en dépit du Poëte ^ Lucrèce , Vénus 
elle - même n'oleroit nier , que fans notre 
puifTance & notre proteâion , fa force & fa; 
Vertu îanguiroient. ^ 

Oeft donc de cet aimable jeu , eu je fais 
entrer les Ris , les Plaifirs , l'Vvreffe amoo^ 
teufe , que font fortis les orgueilleux Philofo- 
phes, à qui ces Hommes Angéliques , que le 
•vulgaire apelle Moïses , ont heureufe- 
ment fuccédé. De là font venus les Princes^ 
18c les Rois 3 les Evêques , les Cardinaux , ôt 
les Saintetés <r Office ouïes Papes, Oeftde là 
)qii^eft au(E fortie crtte foule de Divinités» 



* Lucrèce. Il recoanQÙ Vinus b princift; 
}& toute génération» 



a E LA FO LIE. 19^ 

poétiques , foule (1 grande , qu'à peine le 
Ciel 9 tout vafte qu'il eft , peut les contenir. 
Mais c'efi peu qu on tienne de moi la four- 
ce & U perpétuité de la vie ^ fi je ne fais 
voir encore que généralement tous les avan- 
tages qui s'y trouvent , partent de ma libé- 
ralité. 

En eifet^qu'éft-ce que cette vie, fâas 
les plaifirs ? Mérite-t'elle le nom de vie ) 
iVous m'aplaudiûez » Meflîeurs 1 Vous avez 
laifon. Je fçavois bien qu'il n?y avoir ici per^ 
fonne aiTez fage , pour être de ce (entiment- 
là : vous êtes tous de trop bons fous ,( je me 
brouille ) au contraire , vous êtes tous trop> 
iages;car chez moi Jb/iec'eftS42|:^.Croyez« 
moi , les Stoïciens même ne mepcifent point 
la Volupté; Ik l'outragent , ils la dédirent 
en public ; mais ces diffîmulés ont leur but : 
ils ne font tant de peur duplaifir, qu'afim 
d'en avoir meilleure part. Mais qu'as mr 
dif«nt^ ces hypocrites» de par Jupiter » qu'ils 
me difenty s'il y a un jour dans la. vie oui 
ne foit trifte 9 défagriable^ ennuyeux , aé^ 
goûtant , fâcheux \ à moins que '\t ne m'en^ 
mêle , ôc que je ne l'affaifonne. J'en prens à 
témoin ce fameux Sophocle , qu'on ne fçan* 
roit aflez louer. Qu'il fçait bien me lendre* 
înfiice , lorfqu'ildk : // <h très^doux de vivre ^; 
mais point de fagejfe , eue gdte î^ vit» llifinir 
irons celà«n détail*. B^ar 



ad r E L O G E 

Folie Per fonnç n'ignore , que le premier âge- 
defEn-^^ THonTme eftie plus gai Sl le plus agréa- 
fanc9* ^'^' M,d!\s qu'^il-ce qui rend les enfans fi at:- 
mables ; pourquoi les baiibns-nous , les em- 
braflbns-nous^ les chériflbns-nous } Un en- 
nemi même s'attendrit pour eux, & lesaf- 
fifte dans le befoin. Encore un coup , d'ok 
TÎeni cela ? Cefique la niature, cette fage 
. ouvrière , a imprimé dans les enfans , un 
« charme ,. un attrait de Folie , afin que par- 
là, comme par une forte de récompenfe, 
ils puiffent adoucir les peines de ceux qui 
les. élèvent , & mériter par leurs carrefl^s 
la proteôton qu'on leur donn^ enfiiite. Cet- 
te première jeunefliequifiiccède à l'enfance, 
on l'aime , on fe fait un plaifir de lui être uti- 
le , de l'avancer , de la fecourir. Et de qui 
cette adoiefcence reçoit-elle fon agrément i 
Sinon de moi , qui la rend folâtre , qui la 
rend propre à plaire & à divertir. Je veux 
bien pafler pour une menteufe, fi, dès que 
les jeunes gens commencent à devenii 
hommes ; dès que, par les infiruôidns 6^ 
par l'ufage du monde , ils. entrent dans ce 
malheureux chemin de la. Sagefle , ils ne 
changent du blanc au noir*. Alors toute leun 
beauté fe fine , leur gaieté fe rallentit , il» 
9'ontplus la même gentilleffe , leui^feu^leuit 
Tiyaaté s'éteint.. 



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D EL Â FOLIE. %t 

Car enfin 5 Mei&eurs, plus l'homme s'i- 
toigne de moi , moins il jouit de la yie , & 
îl pourfuit ainfi ^riftement fa courfe jufqu'à 
ce qu'il arrive à cette fâcheufe & chagrine 
vieillefle , qui le rend infuportable aux au«- 
tres 6c à lui-même*. Puifque je fuis tombé 
fiir la vieillefle , il ne vous déplaira pas que 
je m'y arrête un peu. Sans moi , que les 
misérables humains feroient à plaindre à la 
fin de leur carrière ! Mais j*ai pitié d'eux , & 
je leurs tends la main.Les Dieux des Poëtes^ 
par le beau fecrec de la métamorphofe , ont 
coutume de. fecourir les infortunés , qui pé*- 
riflient: je les imite en quelque forte. Lorfr 
qu'une vieilleflie décrépite a mis les hommes 
iur le bord d'un tombeau , je les fais , autant 
.que je puis^reotrer en enfance. De là le Pro- 
verbe.: Let VuiUards font dtux fois. Eng^ 
fans. 

Vous me demanderez peut- être ,. comr 
snent jefais cela ? Vous l'allez voir. Je mène 
ces têtes caduques à notceX>ethé, (car ce 
Fleuve- prend fa fource dans les ides fortur 
nées , & il a'en^CQule dans ks Enfers qu'un- 
petit Ruifleau.) j^e fais boire à longs traits à 
mes bonnes gens de cette eau, d'Oubli ;. par^- 
là tous leur« foucis fe diffipent & ils ra]eup- 
ttifl*ent.. Mais, dit-on., ils extravaguent ^ ils; 
sadoteot déjà* D/accoxd ^ & n'efl - ce. ga»» 



%4 V E- L O G E 

Me juge à prefent cïoî voudra , & qu'oa^ 
mette dans la Dalan&e les bons offices que 
je rends aux hommes , avec les métamor- 
ptiofes des autres Dieux. Je ne veux point 
raporter ici les horribles e&ts de leur colè- 
re ; je ne parle que de leurs bienfaits. Quèl'<- 
le grâce font-ils aux mourans , qu'ils veulent 
bien honorer de leurproteâion^de chan« 
ger l'un en arbre , Tautre en oifeau , celui-là 
en cigale, celui- ci en ferpent ? Comme fi 
paffer d'un être à un autre , ce n'étoit pas 
proprement périr. Pour moi , je fais ren- 
trer le même homme dans le meilleur & 
dans le plus heureux âge de la vie. Si les 
hommes, s'abftenant de tout commerce avec 
la Sagefle , vouloient ne vivre que fous mes 
Ibix , la hideufe vieillefle leur feroit incon- 
nue 9 & ils auroient le bonheur d'être tour 
jours jeunes. 

Regardez-moi ces minesfombres , ces vi- 
fages abbatus 6c décharnés , qui s'enfoncent 
dans la contemplation de la Nature, ou dans 
d'autres- occupations férieufes ôc difficiles : 
ces eens-là fembient d'ordinaire avoir vieilli 
dès leur jeunefle , & cela parce qu'un travail 
detêteaffiduj pénible, violent «.profond., 
épuife peu-à-peu les efprits & deffeche l'hu- 
mide radicale^ D'autre part, confidérez at- 
tentivement mes fidèlerSajets :yoyez corn- 

mec^t 



DE LA FOLIE. a; 

ment ils font dodus , gras , frais » bien nour« 
ris , brillans de fanté ; vous diriez *' despour^ 
ceaux Acarnaniens, Aflurément ces heureux 
mortels ne fentiroient jamais les infirmités 
de la vieillefle , s'ils ne participoient un peu 
à la contagion des Sages. Cela n'arrive que 
trop : mais que faire ? l'homme n'eil pas né 
pour jouir ici-bas d'une félicité parfaite. 

J'ai encore pour moi le témoignage d'un 
fameux proverbe , qui dit: que la Folie feule 
peut retarder la fuite rapide de la jeunejfe , 
6» reculer de bien loin la fâcheufe vieillejfef 
Sur ce pied-là , ce qu'on dit des Braban- 
çons , n'efl pas fans fondement : au lieu que 
chez les autres hommes , l'âge aporte la 
prudence , plus ceux-ci aprochent de la vieil- . 
leiTe , plus ils font fous. Cependant on peut 
dire qu'il n'y a point de Nation , ni plus agréa- 
ble pour le commerce de la vie , ni qui fuc- 
combe moins fous le poids des années. Joi- 
gnons aux Brabançons , ces Peuples qui vi- 
vent fous le même climat , & qui ont à peu 
près les mêmes manières, je veux dire mes 
HoUandoîs: car je puis bien me vanter qu'ils 



* Les pourceaux Acarnaniens étoient ce'- 
libres^ comme font aujourd'hui ceux du Go- 

tinois^ _ 

C 



%6 V E L O G E 

m'apartiennent ; ils ont pour moi tant d'at- 
tachement , tant de zèle, au*on les a jugés 
dignes d'une épithéte dérivée de mon nom , 
& loin d*en rougir , ils s'en font gloire. 

Après cela,que les fots mortels invoquent 
Médée, Circé, Vénus & l'Aurore: qu[il» 
cherchent )e ne fçai quelle fontaine qui a 
la vertu de rajeunir , vertu qui n'a été don- 
née au'à moi , 6c dont je fais tous {les jours 
un uiage obligeant ! Je polTéde ce fuc mer- 
veilleux « avec lequel la fille de Memnon 
prolongea la jeunefle de Tithon fon aïeul. 
Je fuis cette Vénus ({ui fendît Phaon » de 
vieux qu'il étoit ,un jeune homme fi joli & 
fi galant , que Sapho en devint éperdûment 
amoureufe. A moi les herbes magiques , 
& les enchantemens , s'il y en a ; à moi cet- 
te fontaine , qui non - feulement rapelle la 
jeunefle paifée , mais ( ce qui vaut incompa- 
rablement mieux ) qui la rend durable au« 
tant que la vie. Si donc vous convenez tous 
de ce principe , que rien n'eft plus aima* 
ble que la jeunefle , ni plus haiflable que la 
TÎeillefle ; dès*là vous reconnoiflez,' Aief* 
(leurs , combien vous m'êtes redevables ; 
pùifque pour vous rendre heureux , je fçai 
prolonger un fi grand bien , & repoufler ua 
u srand mal. 
mais je m'arrête trop aux hommes : par** 



DELAFOLIE. 17 

courez maîntènant le Oel ; faites paffer tou- 
tes les Divinités en revue , je confens qu'on 
me fafle une injure du nom que je porte , s'il 7*^1^/^^ 
ie trouve quelque Dieu qui ne m*ait pas To- pig^x 
l>]igation de tout' ce qu'il vaut. Pourquoi $^gi*anr 
je vous prie, Bacchus a- t'il toujours le vifage^-^^-^^ 
£c la longue chevelure d'an jeune homme ? ^^^«-^* 
Ceft que paiTant toute fa vie dans la débau- ^^^-^.^^ 
che&danslîrjoïe,il n'a nul commerce avec . /^ 
Pallas , laiflant cette prude pour ce ^"*elle r. /• 
cft. Enfin , tant s*en faut que ce gros réjoui ^ 
ambitionne le nom de Sage, qu'au contraire 
il prend plaifir , dans fon culte , aux extra- 
vagances & aux foîies de fes Dévots. Il ne 
s'offenfe point du furnom Fallot que le 
proverbe lui donne , furnom qu'il a mérité , 
parce qu'étant affis devant la porte du Tem- 
ple , les laboureurs fe divertiffoient à le bar- 
bouiller de vin doux & de figues nouvelles : 
ce qui le faifoit rire de tout (on cœur. De 
plus , quels traits de fatire * la vieille Co- 
médie n'a-t'elle pa^s lancés contre Bacchus i 
Le ridicule Dieu ! s'écrioient-ils : il étoit in- 
digne de naître par la voie ordinaire. Mais 



^ * La vieille Comédie^ &c. Elle itoUfati^ 
tique jufquà nommer Us gens , ce qui obligea 
Us Magiftrats di la défendre. 



28 L' E L O G E 

de bonne foi , qui refiiferoit de fe charger 
de Tes extravagances ^ ou , il l^on veut , de 
fes ridicules , au prix d'être toujours agréa- 
ble 9 toujours jeune , toujours divertiflant ^ 
plutôt que d'être ce diffimulé Jupiter qui 
fait peur à tout le monde ;ou ce vieux rado- 
teur de Pan , qui par Ces bruits répand de 
faufles terreurs ; ou ce boiteux , ce cocu de 
Vukain , qui efl tout enfumé de fa forge ; 
ou cette Pallas fi formidable avec fa lance 
& fa tête de Médufe , qui ne regarde jamais 
que de travers? 

Venons à d'autres Divinités. Comment 
Cupidon fait-il , quel fecret a - t'il pour ne 
point fortir de l'enfance ? C'eft que fe mo- 
quant du férieux 6c du folide , il s'en tient 
uniquement au badinage. Et Vénus au blond 
ardent, pourquoi fa beauté reverdit-elle tou- 
- jours ? C'eil que nous fommes parentes de 
près;au{ri brille-t'elle comme Plutus mon pè- 
re , qui eft dérouleur d'or. De plus , s'il ea 
faut croire les Poètes, ou les Statuaires leurs 
imitateurs , la DéefTe des Alïiours eft fans 
ceiTe accompagnée des Jeux & des Ris* 
Flore qui eft la mère des plaifirs , n'étoit- 
ellepâs un des premiers objets de la Religion 
des Romains r 

Laiffons-là les Divinités amies de la joïe; 
iVoulez-vous fçavoir la yie desDieuxbourru; 



DE LA FOLIE. v^ 

8c cllagnns ? Demandez à Homère , & aux 
autres Poëtes ; Us vous aprendront , que 
ces Dieux font pour le moins auffifous que 
les Hommes. Jupiter quitte le foudre > il 
abandonne le foin de l'Univers, & fo déro- 
be du Ciel , pour aller courir la Grizette : je 
H*avance rien dont vous ne foyez inftruits. 
La fiére & inabordable Diane oublie fon fo^ 
xe , & perd fon tems à la chaffe : elle n'enefl 
pourtant pas moins folle d'£ndimion , juf- 
ques-là , qu'en qualité de Lune , elle prend 
bien la peine de defcendre tout exprès du 
Ciel , pour venir lui ofFrir fes faveurs. J'ai- 
merois mieux que ce fût Momus cpii les fît 
fouvenir de toutes leurs folies. Il le faifoit 
autrefois fort fouvent ; mais les Dieux qui 
n'ont pas Tante endurante , fe trouvant fa* 
ligués de fe^ remontrances , & ne pouvant 
fouffrir qu'il troublâtleirrjoye par fa fageffeà 
contre-tems , le firent fauter du Ciel en Ter- 
re , de compagnie avec Até, la Difcorde. 
Depuis ce tems ce pauvre exilé ne fait que 
Toder , & couche dehors , perfonne n'en 
veut chez foi , il n'y a hofpitalité qui tienne. 
A plus forte raifon n'e(l-il pas admis chez les , 
Princes ; car la Flaterie ma fuivante , ré- 
gne dans toutes les Cours : or , c'feft fon en- 
. nemi irréconciliable ; ils s'accordent comme 
le loup & l'agneau. 

Cj 



)0 V E L ù G E 

Âinfi les Dieux s'ëtant délirrés de ce 
cenfeur importun , s*en donnent à cœur* 
jbïe. Combien Prîape ne dit-il pas de ces 
mots énvelopés , qui faliffânt une chafie 
imagination } Combien Mercure iak-ilrire 
par Tes larcins & par fes preftiges ? Il n'y 
a pas jufqu'à * Vulcaifl qui ne s'en mêle. 
En fervant les Dieux à table , il les diver- 
tit par fon allure circonflexe : il plaifante , 
il jl^uffonne : enfin ^ il fait de fon mieux, 
pour échauffer la débauche , & pour met- 
tre la compagnie en belle humeur. Que di-> 
rai-je de Silène , ce vieux feâ , toujours 
amoureux , qui fe fait un plaifir de danfer 
•vcc Polyphème & avec les Nymphes ? De 
ces Satires chevrepieds, qui, dans leurs dan» 
fes , font cent jpoftures oofcènes ? Pan , avec 
fes fades & inupides chanfons» fait rire ces 
Dieux: ils écoutent de toutes leurs oreilles^ 
&ils aiment cent fois mieux la Muiique de 
Pan, que celle des Mufes ^ principalement 
lorfque les fumées du Neâar j leur montent 



* Vulcain. ) Homère dit qu'il fert à table 
dans lesfeftms, qu* il fait rire les Dieux par fa 
démarche hoiteufe , qt^il donné à boire à fa 
mère , & qiiil dit de bons mots, pour là rao^ 
commoder avec Jupiter fon mari. 



DE LA FOLIE, 31 

a la tête. A propos de Ne6èar , c'eft un vrai 
plaifir de voir nos Seigneurs & Maîtres les 
Dieux 9 lorfqu'ils ont pouffé la joïe d'un fef- 
tin jufqu'iaux rafades: ils difent & ils font 
alors tant d'impertinences, que toute accou- 
tumée que je fuis à toutes ces fottifes, je ne 
fçaurois m*empêcher d'en rire. Mais il vaut 
mieux mettre ici le doigt fur la bouche : 
quelque Dieu défiant & foupçonneux pour- 
roit nous entendre , 6c je craindrob pour 
moi le fort de Momus, 

Il eft tems de revenir aux hommes. Pi- 
mite ici le bon Homère » qui fans ceiTe mon- 
te & defcend du Ciel en Terre , & de la 
Terre au Ciel. Il eft tems, dis-je» de vous 
montrer en détail , que les bomtnes n'ont 
de bonheur & de joye , qu'autant que je leur 
en procure* Vous voyex d'abord avec quel- 
le prévoyance la Nature , cette mère À cet* 
te ouvrière du Genre-Humain , a eu foin de 
répandre par-tout le fel & TaiTaifonnement 
de la Folie. Suivant la définition des Stoï- 
ciens , être fage , c'eft avoir la raifon pour 
guide , & être fou , c'eft fe laiifer emporter 
au gré des Paflions. Or , de peur que la vie 
de l'homme ne fût trifte & remplie d'amer- 
tume, combien Jupiter lui a- t'il donné plus 
de Paffions que de Raifpn i Elles font tout, 
au moins comme vingt*quatre à un* Outre 

C4 



51 V E L O G E 

cela il a relégué cette Raifon * dans un coîit 
de la tête,abandonnant tout le refte du corps 
audefordre & à la confufion. Enfutte Jupi- 
ter a opofé à la raifon , qui eft feule de fon 
parti , deux Tyrans très-impétueux & très- 
TÎoIens. L'un eft la Colère , qui domine 
dans le cœur , dans cette fortereife des en- 
trailles ^ danscette fource de la vie ; l'autre 
eft la Convoitife, dont le vafte Empire s'é- 
tend dans les parties inférieures .Ce que peut 
la Raifon contre ces deux Tyrans , on le voit 
aflez par la conduite ordinaire des hommes. 
Elle prefcrit les devoirs de l'honnêteté ; elle 
crie contre le vice jtifqu'à Fenrouement ; voi- 
là jufqu'oâ s'étend fon pouvoir. Mais ils fe 
mocquent de leur Souveraine , ils crient en- 
core plus fort & plus aigrement qu*^elle ; en- 
forte que n'y pouvant plus tenir , elle eft 
obligée de céder , & confent à tout. 

Au refte , parce que l'homme eft né pour 
le maniment , pour l'adminiftration des af- 
faires 9 ôc qu'en conféc(uence il étoit jufte 
d'augmenter un peu fa petite portion de 
Raifon , Jupiter > pour né rien gâter *, me 



* Raifon. ) Platon la met dans U cerveau ^ 
la Colère dans le cœur ^& la Convoitife dans. 



D E L^A F O L I E. 33 

confultalà-deflus , comme far tout le refte. 
Je lui donnai un cônfeil digne de moi : Sei- £afolU 
gneur,|ltii dîs-)e ^ donnez une Femme à apellét 
FHomme. La Femme eft un impertinent & ^^ qq^^^ 
fot animal, j'en tombe d'accord : mais elley^^/ j^ 
cft douce , agréable , engageante ; & vivant Jupiter 
en communauté avec fon Mari , elle affaifon- ^^^^ /^ 
nera^'elle adoucir a,par fon enjouement, par formai 
toutes fes folies , le iérieux chagrin de Fefprit ^^^„ ^^ 

Quand Platon a femblé douter, s'il met-^^^ 
troit la Femme dans le genre des Animaux 
raifonnables , ou dans celui des brutes , il ne 
vouloit pas dire que la Femme n'eft qu'une 
bête ; il prétend oit feulement par-là défigner 
la grande folie de cet aimable Animal. En e£* 
kt , il eft fi eflentiel à la Femmed'êtrefoll'e, 

2ue celle qui veut paûer pour fage,ne fait que 
oubler fa folie ; a peu près comme qui vou- 
droit frotter un boeuf malgié lui , de cette 
mixtion qu'on réfervoit pour les Athlètes. 
Quiconque, allant contre la nature, employé 
Je fard de la Vertu , & tâche de détourner (on 
panchant , ne fait que multiplier fes vices. 
Rien de plus conformée l'expérience > que 
l'ancien Proverbe : Le Singe fut^il vt^U de 
fourpre, eft toujours un Singe. De même ^ 
la Femme a beau fe mafquer elle n Vn eft paa. 
moins Femme, c'eft-à^dire. Folle. « ': 



)4 V E L O G E 

Je ne crois pas que îe Beau Sexe preii^ 
ae afler mal les chofes, pour fe fâcher de 
ce que je dis là ; étant moi • même de leur 
fexe , il me femble que je ne fçaurois faire 
plus d'honneur aux Femmes que de leur 
taire partager mes attributs: fi elles veu- 
lent pefer les chofes à la balance de Téquî- 
té , elles me tiendront compte de les aroîr 
rendues beaucoup plus heureufes que le» 
Avan-- Hommes » 

tagesdc Le s Femmes ont Tagr ément de la beaut é ; 

la Ftm- qu'elles ont raifon de préférer à tout » & par 

mt /ttr les attraits de laqu^elle elles tyranntfent les 

VHom^ plus barbares Tyrans. Un homme a fouvent 

me* dans les yeux quelque chofe d'effrayant r 

cette peau velue « cette forêt de barbe ne 

font pas des avantag<?s à envier^ enfin, 2L 

porte, à k fleur de l*age, its marques pré-« 

maturées de vieUlefle.U^oii vient cela?De 1» 

prudence. Au contraire, les Femmes ont le& 

foues unies j la voix toujours grêle ^ la peaa 

délicate : oa diroît que toute leur vie n'eft 

qu'une imitation continuelle de la jeunefle* 

Attfii les Femmes ne s'étudient-elles à rien 

tant. qu'à plaire aux hommes. N'çft-ce pas 

là Tunique but des parures , du^&rd , du bain » 

de la fi-ifiire, des effences , des fenteurs , & 

de tant d'autres artifices (pi'on met en ceu* 

.vre , pour £ûce valoir la beauté 2 VouleaL* 



D E l A . F O L J E. 5f 

rous voir plus clairement , que la^FoKe fait 
l'afcendant des femmes fur les hommes } Les 
hommes accordent tout aux femmes , dans 
la feule vue du plaifir ; ôc par conféquent 
les femmes ne réjouiffent les hommes que 
par la Folie. On ne peut nier cette confé-^. 
quence , poUr peu qu*on réâéchifFe furies 
iotifes , fur les badineries qu'un homme fait 
uvec fa femme , toutes les fois qu'il veut 
éteindre fa flamme amoureufe. 
Je vous ai donc découvert la four ce du plus 
grand plaîfir de la vie. Je conviens que cer« - 
tainesgens, principalement |es vieillards qui 
préfèrent le lierre au myrthe , mettent la fou-* 
veraine volupté dans le vin. Sqzvoitii on La Fo» 
peut faire un bon repas fans feixime, c^efi ^^%iU i V4bk 
queftion que je laifie indécife : mais je pofe mt dté, 
en fait , que tout repas efl laneuifTant , s'ïVRepas^ 
ii'eft animé par la Folie. Cela eU fi vrai , que 
il aucun des Convives n*efl foû, ou du moins^ 
ne fait femblant de l'être , on fait venir pour 
de l'argent un bouffon , ou quelque parafîte 
affamé , qui , par fes bons mots & fes raille- 
ries piquantes, bannit de la table lefflence 
&la mélancolie* On a grande raifon en cela ;, 
car c'eft bien peu de chofe que d'avoir Fefto-j 
mach furchargé de viandes exquifes> démets^ 
délicieux & friands « Ci on ne nourrit auffi de 
jeux ^ de ris » de faillies plaifantes les jreux » 



3« V E l O G E 

les oreilles , refprit & le cœur. Or, c'eft moî 
ieulequiaiinventé ces délices. Tous les au- 
tres agrémens d'un feftin , comme tirer au 
fort à qui fera le Roi èa Repas , )ouer aux 
dés , boire à la ronde dans le même verre , 
chantertour à tour la branche* de myrthe à 
la main 5 danfer^ fauter « faire des poflures y 
font-ce les fept Sages de la Grèce , à Votre 
avis , qui ont trouvé ces plaiiirs ? Non fans 
douteâl n!y avoit que moi qui pût s'en avifer; 
& )e l'ai fait pour la confervation du Genre- 
Humain. Car plus les chofes à notre ufage 
renferment de folie, plus elles contribuent à 
nous faire vivre. Sans la joïe , la vie humaine '^ 
ne mérite pas le nom de vie ; & il fapt nécef- 
fairement que vous pai&ez vos jours dans le 
chagrm^ u vous ne diffipez'pas cet ennui 
^ui eft comme né avec vous. ; 

Il fe trouvera peut - être des gens , qui J ; 
comptant pour rien là volupté des fens,met- 
tent tout leur bonheur àavoir de vrais Amis ^ 



. ^ De myrthe^ ) Che^ tes Anciens , celui qtil 
commençait à chanter à table ^ prenait une 
branche de cet arhrijjeau , puis ayant fini fa 
€himfon , il donnait la branche a fon voifin ^ 
6» ellepaffoit ainfi de main en main jufqu*aw 
dernier convive^ 



F^ ^^' 








^AHVItfAr 



' THE KEW YORK 
PUBLIC LIBRARY 



ASTOR, LENOX 

TILDEN fOUNDATIONS 



DE LA FOLIE. 37 

ce font ceux qui vous répètent fouvent , 
que la douceur d'une tendre amitié {urpafTe 
tous lès autres plaifirs , & qu'elle n'çu pas 
moins néceïïaire à la vie , que fair , le feu 
& l'eau. L'amitié , ajoutent-ils , eu fi agréa- 
ble i que qui voudroit l'ôter.du monde , ce 
feroit en vouloir ôter le foleil ; elle eft , 
félon eux , £1 honnête , ( ce terme ne fi^nifie 
rien chez moi ) que les Philofophes n'ont 
pas héfité à la mettre an nombre des plus 
grands biens. Mais que dira - t'on fi je 
montre que je fuis , comme dit le pro- 
verbe , la poupe & la proue, c'eft-à-dire, 
la fource & l'auteur de ce bien dont on fait 
tant de cas ? Je veux pourtant vous le prou- LaFo^, 
ver,nonpar desfophifmes, ni par des ^r^Uefouri 
gumens captieux de Logique ; mais fimple- ce de 
ment & clairement. Voyons. VamitU^ 

Diffimuler les défauts de fes Amis , s'a- 
bufervolontaîrementôc s'aveugler fur leur 
compte , aimer même & admirer des vices 
effentiels, comme fi c'étoient des vertus,cela 
n'aproche-t'il pas de 1? folie ? Cet homme 
qui baife amoureufement un figne , une ta- 
che naturelle qu'il voit fur la peau de fa maî- 
trefie , ou qui prend plaifir à la mauvaife 
odeur de fon nez ; ce père qui ayant un fils 
louche , prétend qu'il a les yeux fripons ^ 
n'eft-ce pas une pure folie \ ConfeiTe^ hau* 



38 V E IQ G E 

tement que c'en eft une. Et moi j'ajoute , 
que c*eA: uniquement cette folie qui forme 
OL qui entretient Tamitié. Je ne parle ici que 
des hommes « dont pas un ne vient au pon- 
de fans défauts ; l'homme qui pafle pour le 
meilleur , n'étant au fond que le moins vi- 
cieux. Car pour ces Sages qui fe regardent 
comme des Dieux, * ou ils ne s'uniltent ja- 
mais du doux lien de Tamitié , ou l'amitié 
chez eux n'efl qu'une union défagréable & 
bourrue : encore n'ont - ils de liaifon qu'a- 
vec très-peu de gens. Car je me ferois un 
fcrupule de dire , qu'ils n'aiment abfolument 
perionne» & en voici la raifon. Prêt que 
tous les hommes font fous , à quoi bon ce 
prefque} Il n'y a pas un feul homme qui n'ex- 
travague de plus d'une manière : ) ils font 
donc tous femblables en ce point ; or , la 
xefTemblance efl le fondement de l'ami* 
tié. 

Si quelquefois ces Philofophes auftéres 
s'attachent les uns aux autres par une bien- 
veillance réciproque , cette liaifon eft bien 
fragile, & ne dure pas long- tems. Ils font 

* // veut parler des Stoïciens , dont le 
Sage , félon Horace^ rie cédoit qu'au feul 
Jupiter^ 



DE LA FOLIE. 39 

d*une humeur bizarre & difficile ; trop pé- 
nétrans d'ailleurs à Tégard des autres , ils 
ont des yeux d*aigle pour voir les défauts 
de leurs amis , & la vue très-foible pour fe 
voir eux-mêmes. Point de gens à qui la Fable 
de la Beface convienne mieux. Or, puifqu'il 
eft certain que tous les hommes font natu- 
rellement fujets à de grandes imperfeâîons^ 
fi vous joignez à cela la différence d'âge 6c 
de panchant , avec tant d'égaremens , tant 
de faux pas , & tant de revers dont efl rem- 
plie cette vie mortelle , comment l'Amitié 
pourroit-elle fubfifler une heure entre ces 
Argus « fi la Folie» ou la complaifance, 
comme on voudra Tapeller , ne s'en mêloit 
point ? Jugez de l'Amitié par l'Amour : c'eft 
a peu près la même chofe* Cupidon , l'au- 
teur 6c le père des plus douces liaifons de 
la vie , n'a-t'il pas fur les yeux un bandeau 
qui lui fait prendre la laideur pour la beauté i 
IV'efl-ce pas lui qui fait que chacun efl con- 
tent des fiens, & qu'un vieillard efl aufH 
épris de fa vieille, qu'un jeune homme Tefl 
^'une jeune fille ? Cela fe fait par-tout , ôc 
on s'en mocque : cependant c'efl ce ridi- 
cule qui efl un des plus grands noeuds de la 
Société ,& qui contribue le plus à fon agré- 
ment. 

Ce que nous venons de dire de TAmitié 9 



40 - V E LO G E 

f£^/*(,.peiifons-leà plus forte raifon du MarîagèJ 

lit pré' C'eft ( comme vous ne fçavez peut-être que 

fide au *^®P ) "** engagement qui ne doit fe rompre 

Maria-^^^ par la mort. Grands Dieux ! combien 

gf^ arriveroit'il dans cette condition - là de 

réparations , & bien pis encore, riTunion 

de l'homme avec la femme n'étoit foufenue , 

n*étoit fomentée par la flaterie » par les di- 

vertifTemens , par la complaifance , par les 

détours, par ladiffimulation, tous gens de 

mon efcorte 6c de ma fuite ? Ah ! qu'il fe 

feroit peu de mariages , fi l'amant avoit la 

prudence de bien s'informer du jeu que fa 

petite maîtrefle , qui paroît fi délicate , ii 

honteufe , H neuve , a joué long-tems avant 

les noces ! Pour les mariages déjà contrac- 

« tés , ce feroit bien un autre train. Que de 

réparations , fi la négligence ou la bêcife des 

maris ne les aveugloit fur la vie fecrete de 

leurs époufes 1 On traite cela de folie , & 

• on a raifon ; mais c'eft pourtant cette même 

folie , qui fait que la femme plaît au mari , 

Ôc que le mari plaît à la femme , que la mai- 

fon eft tranquille , & que les alliances fe 

maintiennent. On fait Us cornes à un mari , 

on le nomme cocu , commode , & je ne fçai 

3uel fobriquet on ne lui donne pas hors 
e chez lui ; pendant que le bon homme 
confole fa chère moitié , & boit par fes ten- 
dres 



D E LA F O L 1 E. 41 

'dres baifers , lés larmes hypocrites de l'adul" 
tére. Cela ne vaut-il pas beaucoup mieux , 
que de fe conCumer en chagrin , que de faire 
du vacarme & dutintamare , ens'abandon* 
nant à la jaloufîe ? Conclufion : fans moi 
nulle fociété , nulle union , nul agrément , 
nulle habilité dans la vie. Le peuple ne fu- 
porteroitpaslone-tems Ton Prince ; le Mai* 
trefon valet, la Dame fa fuivante , le Pré- 
cepteur fon élevé , Tami fon ami , le mari 
iâ temme , &c» fi tour à tour ils ne fe trom- 
poient , s'ils ne fe fla,ttoient, s'ils ne fe paf- 
foient bien des chofes ; enfin, il le tout n'é- 
toit affaifonné de quelque grain de folie. Je 
ne doute point que tout ce que je vous ai 
dit jufqu'à préfent , ne vous ait paru de la 
dernière importance ; car la Folie doute- 
t'elle de rien ? Mais vous allez entendre 
bien autre chofe y redoublez votre atten- 
tion. 

Dites-moi, Je vous prie, Meffieurs, un 
homme qui fe hait lui-même , peut-il aimer 
quelqu'un ? Un homme qui eft brouillé avec 
lui-même ,' peut-il s'accorder avec un autre ï 
£ft-on propre à infpirer lajoie, lorfqu'on 
fuccombe fous le poids du chagrin ? Il a'y a 
qu'on foû , pliu £oû que la Folie même «, qui 
puiffe prendre l'affirmative de cette qjjeftion*. 
Or ,.fi TOUS me banniiTez d'entre vous y uon^^ 



ï 



4« T E LO G E 

feulement un homme ne pourra jamais (vp^ 
porter un autre homme ; mais de plus , tou* 
tes les fois qu'il s'avifera de réfléchir fur 
lui-même » H le caufera du déeoût , ne pour» 
ra fe fouffijr & fe déteftera* La nature , qui 
en mille chofes eft plus marâtre que mère» 
a donné aux hommes » principalement aux 
plus fenfés ^ une malheureuie impreffioa 
par laquelle chacun eft mécontent de ce- 
[n'ila^& admire ce qu'il n'a point: d'où 
arrive que tous les avantages , tout l'agré» 
ment , tontes les commodités de la vie^ 
s'altèrent avec le tems & s'anéantiflenu 
En effet, de quoi fert un beau vifage» quL 
eft le plus précieux don ^e les Dieux faflent 
aux mortels » s'il eft fouillé d'une manvaife 
odeur ? Qu'eft-ce que la jeuneffe, lorf- 
qu'elle fe corrompt par le levain de la mér 
lancolie?^nfin, comment agirez-vous dans 
toutes les ifonâions de la vie , foît à l'égard 
des autres , foit par raport à vous-même ^ 
Comment agirez-vous , dis-)e , avec bien-» 
féance ; ( car l'effentiel • non-feulement de 
tout art, mais encore de toute aôion , eft 
que ce que l'on fait, foit fiiit de bonne 
grâce ) à moins que V Amour ^prçprc , que 
vous voyez à ma droite , & que j'ai rai- 
fon de chérir fraternellement , tant il 
eft dans mes intérêts» nte vous prête fo» 



D E .L A F L I E. 47 

feccmrs ? Au lieu qu'en fuivant fes impref- 
fions , vous êtes charmé de votre mérite , 
vous êtes ébloui de vos belles qualités , & 
dès-là vous avez le bonheur d'être parvenu 
à la plus haute Folie. Je le répète : fi vous 
TOUS déplaifez à vous-même , vous ne fçàu* 
f iei^ rien £iire de beau , d*agréable , & qui 
ne pèche contre la bienféance. Otez de la ^^ p . 
vie raffaifonnement de la fottife , TOra- .. ^ ^ 
teur languira'dans tous ks difcours; le Mu- p ^-1 
iicien avec fes tons & fes cadences , fera p\^ /^t 
tié ; on fiflera le Comédien & fon jeu ; on ." ^ 
tournera le Poëte & les Mufes en ridicule j '^* ^ 
le meilleur Peintre ne s'attirera que du mé- 
pris ; le Médecin mourra de faim avec fes 
remèdes ; enfin , de * Nirée vous deviens 
drez un Therfite , 6c de § Phaon un Neftor : 
au lieu qu'on iK>a$ eftimoit pour votre fça- 
voir, pour votre bien dire, pour votre po- 
litefle , vous ne palTerez plus que pour une 
l^ête » que pour un enfant , que pour un ruf- 
tre» Tant il efl néceflaire que chacun fe ca- 

* Nirée. ) Homère dit quit étoit le plus 
feau des Grecs qui affiégérent Troye , comme 
Therfite étoit le plm laid. 

% Phaon% ) Rajeuni par Fcnus : Neflot 
vécuf^ trois âets S homme* 

D 1» 



44 r E LOG E 

joie , fe flatte & fe remplifle de la hotkti^ 
^ opinion de lui-même , avant d'ambitionnée 
celle des autres. Enfin, le bonheur confifte 
principalement à s*accommoder à fa condir 
tion , a vouloir être ce qu*on eft ; & il n'y 
a que ma chère Philautie , que VAmour-pro^ 
pre , qui puifTe nous.acquérir cette heureufe 
dirpomion. En vertu d'un tel bienfait ; cha- 
cun efl content de fa figure,. de fon efprit » 
de fa famille, de fon pof^e, de fon genre 
de vie , de fon pays ; Tlrlandois ne voudroît 
pas changer avec l'Italien ; le Thrace.avec 
l'Athénien ; le Scythe , ni le Lapon y avec 
un habitant des Ifles fortunées. Admirable 
prévoyance de la nature ! Dans une diver- 
flté inhnie , elle a fçû égaler toutes chofes» 
' A't'elle été avare de fes dons envers fe& 
enfans ? En récômpenfe^ e^e. leur prodi- 

fue VAmQur^prcvre, Que dis-je , défis dons l 
Z*e& parler follement , cet amour de foi- 
même n'efl-il pas le plus grand de tous les 
avantages naturels l 

Mais pour vous faire voir que tout ce qu'il 

y a parmi lès hommes d'éclatant , d'îlluftre 

6c d eftimé >. vient de moi , commençons par 

'Fo/ie la Guerre. On ne fçauroit difconvenir que 

'de la ce grand Art ne foit la fource des aâions 

^Gk^/t^. tes plus renommées.Cen'eft pourtant qu'une 

folie. Deux Partis fe battent^ Dieu fçait pûuc 




Y *iKjrj/v joi^-^ 







'ppjjclibSm,! 






/ 



%• 



ISlS: l A F L I Ei ^1 

^trelles ralfons y & tous les deux remportent 
bien plus de mal que de bien , de leur anime* 
fité : quoi de plus abfurde ! quorde pius fou P 
ceux qui périffent àla guerre , on les compte 
pour rien« De plus , lorfque les armées font 
«n ordre de bataille, & que l'air retentit du 
bruit des trompettes & des tambours , dites- 
moi y je vous prie , quel fervice peuvent ren* 
dre alors ces * Sages « qui épuifôs par l'étude 
& par la méditation ^.jouifTent à peii^e d'une 
vie , que leur fang dénué d'efprits & de fucs 
nourriciers repd infirme & languiffante ? Ce 
font ces homifies épais Scmatériels^robuftes 
& hardis , mdis peu fpirituels , ce font eux 
qu'il faut pour le combat. Ne faifoit-il pa» 
beau voir Démofthène fous le harnois ? Auffi 
fuivit-il le fàge confeil § d'Archiloque ; de» 
qu'il aperçut l'Ennemi , il jetta ion bou* 
clier , ÔL s'enfuit à toute jambe « auili lâche 
ibldat y qu'il étoit excellent Orateur- 



* Suivant Ariâote ^ un fang épais produis 
ta force & la bêtife ; & le fang fubtil produiP 
rèfprit^^ lafaiblejfe du corps , & la timidité'^ 

§ Les Lacédémoniens chaffénnt Archiloquc 
pour s^être vanté' ^ comme d'une. aÛion de fa-^ 
gejfe „ d'avoir xetté fon bouclier pour mieuM 



4$ U E L O G E 

Mabk Guerre,,dn-e2-Toas , demande une 
extrême prudence. Oui , dans les Générauxi 
^core eu*ce une prudence particulière aw 
aiétier des armes, & qui tt*a. rieade com-* 
œun avec la fagefle philofophique. Â cela 
près»^ les parafites ^ ceux qui trafiquent de» 
attraits du Sexe , les voleurs , les meurtriers,. 
les laboureurs , les banqueroutiers , & gêné 
ralement tous ceux qu'on nomme ht lie du 
Genre^Humsûfi ,':peuyent s'immortalifer par 
la valeur v ce qui ne convient nullement aux 
'Inunli' bpmmes apliqués aux iciences* Voulex^vou» 
âé de la un exemple fcapant de l'inutilité des Philo-* 
Philo-- ^ophes dans le monde ? Ceft le fameux So^ 
fipàie^ crate. L'Oracle d'Apollon l'avoit déclaré 
l'unique Sage ; déclaration très» folie : N'im* 
porte. Ge Philofophe ayant entrepris je ne 
£^ai quoi pour le bien public , s'attira les 
railleries de. fes concitoyens , ôc fut obligé^ 
d'abandonner fon projet. Il n'étoit pour<* 
tant pas fot , paiiqu'il refufa constamment le 
fiirnom de Sage ^ dïi^nt , qae ce titre n'étoit 
dû qu'àla Divinité. H étoitauffi dans le fen«- 
timent , qu'un Philofophe ne doit jamais fe 
mêler du Gouvernement. S'il avoit ajouté y. 
que celui qui. veut paffer pour homme, doit 
s'abiVenir de ce qu'bn apelle Sageflie, j'au«» 
vois quelque eftime pour bi ; car qu'efl-ce 
q^ui a cau£é la. mort à ce grand SMOcrate î, 



D E Z A F O L I E. 47; 

Pourquoi fiit-il condamné par Arrêt à s'ém* 
poifonner avçc de la ciguë i Pur tSet de fa; 
prétendue fagefie. Ce rhilofophe pafla & 
YÎe à rsûfbnner * fur les nuages &fur le» 
idées ; il s'amufoit . à mefurer le pied d'une 
puce y -à admirer le bourdonnement d*Une 
SQouche, fie il ignora toute (a vie fartnécef* 
£iire de fe conformef àfes femblables : voilà 
de nos gens» Platon qui avoit été Difciple de 
Socrate , voyant fon maître menacé du fu-* 
plice , s'ingéra de plaider fa Cau(e ; mais à 
peine il ouvrit la bouche, qu'étonné du bruit 
de l'Aflemblëe , il demeura court à la moitié- 
de fa premiérepériode. Que dirai-je deFA^'o-*^ 
fhmfle ,^ Difciple d'Ariflote , & qui mérita 
ce nom par fon éloquence ^ Voulant un jour 
haranguer le peuple, la voixlutmanqua : on 
eût dit i^ih avoit vu U /cw/?« N'étoit-ce pas 
un homme bien propre à encourager le fol- 
dat Mfocrate ,. qui compofoit de beaux dif-^ 
cours , ofa-t'il jamais parler en* public ? Ci* 
céron lui-même , ce père de l'éloquence Ro* 
maine». trembloit de bégayioit comme um 



-*■ Arîftophane introduit Siocrate adorant 
èis nuées comme des Dieux» 

^ Théophrafie veut dirt uà homme doué: 
d^unt élûquencc dlvint^ 



\fi V ELOGE 

enfant ,' au début de fes fameux Plaidoyers^ 
Il eft vrai que Quintilien dontoe un autre 
tour à cela \ il^foutient que cette tîmidité- 
eft la marque d'un Orateur pénétrant , 6c 
qui connoît le péril où il eft. Mais quand: 
»1 fait cet aveu , n'eft - ce pas comme s'il" 
tomboit d*ACCord , que la Phtlofophie n'^ft 
nullement compatible avec les affaires pu-' 
bliques ? Comment ces Sages foutiendroient- 
ils le fer & le feu delà guerre , eux^qui meu- 
rent de peur ,lorf qu'il ne s'agit qpe de com- 
battre de la langue } 

On ^it fonner haut , on* fait bien va- 
loir cette belle Sentence de Platon: Les 
Répuhliquts feroient heureufes , fi Us Phi^ 
lofophts gouvernoient , oi^â ceux qui gouver^ 
nent étaient Philofaphes^s 

Et moi je foutiens le contraire; Confultéz 
les Hiftoriens , & furement vous trouverez 
qu'il n'y a point eu dePrinces plus pernicieux 
à la République, que ceux qui ontaiméla 
> Philofophie ôclesBelles-Lettres.Mettonsles 
deux Catons^ à la tête d'un Gouvernement.: 
l'untroubla la tranquillité de Rome , par de 

follè s> 

* Caton le Cenfeur , qui fut accufé qua^ 
mnte fais\ & toujours abfous , fut auteur de: 
gius de Jpixante^dix condamnations^ 



D E L A F O L I Ë. 4} 

idWts & de contifiuelles dénonciations ;l'au- 
trfe , * pour vouloir défendre trop fagement 
les intérêts de la République , renverfa de 
fond en comble la liberté du Peuple Romain, 
Tels furent auflî les Brutus, § les Caffius « 
& les Gracques , i* fans oublier le bon Ci- 
céron , f qui , tout zélé , tout Hen inten- 
tionné qu'il étoit , n'a pas fait moins 'de mal 
à la République Romaine , que Démofthène 
à celle des Athéniens. Je veux que Marc-An- 
tonin ait été un bon Empereur : il ne me fera 
pas changer de thèfe, puifqu'ilétoi^ incom- 
mode à ies Sujets , & que même ils le haïf- 
foientà caufe à% fa Philofophie. Encore une 
fois, je veux qu'il ait été bon Prince :tou- 



* L'autre. Caton d'Utîque^ quî^ par fon 
'Opofition à Céfar ^ donna lieu au renverfe^ 
ment de la liberté. 

§ Les Brutus , les Caffius. Ces deux hom^ 
mes , qi^on a nommés les derniers Romains ^ 
tuèrent Céfar;puis étant vaincus ^fe tuèrent 
à leur tour, 

f Tibère & Caïus , tous deux éloquens ," 
tous deux féditieux , & qui périrent l'un & 
r autre dans une émeute populaire, 

ÎLe bon Cicéron. Il pouffa Marc^Antoî-- 
bout , au grand malheur de la République. 
£ 



50 V E LO G E 

jours eft-îl vrai , qu*iJ ne pouvait rendre un 

Î>lus mauvais office à la République , qu'en 
aiflant Commode Ton fils , pour fon fuccef* 
feur ; en quoi il a caufé un plus grand malheur 
à TEmptre , que fon adminiltration ne lui 
avoit été avantageufe* Cette efpéce de gens 
qui s'adonnent à l'étude de la oagefTe , font 
ordinairement très • malheureux en tout : 
mais principalement en enfans. Je m'imagine 
que cela provient d'une précaution de la Na- 
ture , qui par là veut empêcher fanls doute , 
que cette contagieuie fagelTe ne (e répande 
trop chez les hommes. Le fils de Cicéron 
dégénéra bien de fon père , 6c Socrate eut 
des enfans qui tenoient bien moiiis de lui 
que de leur mère , c*eft-à-dire , qui étoient 
ious , comme quelqu'un de Ison fens l'a 
écrit. 

On pafleroit cela , fi ces Philofophes n^é- 
toient incapables que des Charges & des Em- 
plois publrcs : maisils n'ont pas plus de dex- 
térité pour les fondions & pour les devoirs 
de la vie privée. Invitez un Sage à un repas ; 
ou il gardera un morne filence » ou il inter- 
rompra fans cefle la Compagnie par de fri- 
voles & d'importunes queftîons ; prenez -le 
pour danfer , il s'en acquitera avec l'agilité 
d'un chameau ; entraînez- le aux Jeux pu- 
blics , fa feule mine empêchera le divertifie* 



DE.LAfOLIE^ 51 

ment du Peuple» & le vénérable Caton, 
* refufant conâamment de mettre bas fa 
gravité» fera foxcé de quitter la place. En- - 
tre-t'il quelque part oii la converfation eft 
animée 9 tout le mondé iVtait « comme fi on 
* voyoit le loup. Faut - il acheter , vendre , 
paffcr un Contrat; enfin s'agit -il de quel- 
qu'une de ces aâions ordinaires , qui dans 
le cours de la vie font indifpenfables , vous 
le prendriez plutôt pour une Touche , que 
pour un homme. Ainfi ce Philofophe n'eft 
bon à rien, ni pour lui-même, ni pour Ton 
Pays , ni pour les fiens ; il ignore jurqu'auz 
ufages & au commerce de la vie : continuel- 
lement opofé aux opinions & aux coutumes 
du vulgaire , il eft fans doute.' prefqu'impof- 
fible que cette énorme différence de fenti»- 
mens 6l de manières ne lui attire une haine 
univerfelle. 

Tout ce qui fe fait chez les hommes, eft 
plein de folie : ce font des fous qui agiffeht 
avec des fous» Si donc une feule tête entre- 

"•C^xon. On raporte de ce Ctnfeur , qu af- 
fiflantaux Jeux Floraux ^comme aux quide-^ 
voient jouer n4>foknt le faire devant lui , à 
cau/e des femmes nUes &des danfes lafcives , 
ou lui ordonna de changer de vifage , ou defor'^ 
tir^ & qu'il prit le dernier parti» 

Ea 



y 



5* L*^ E L O G E 

pi'etid d'arrêter le torrent de la multitude , yt 
a*ai qu'un confeilà lui donner; c'eft qu'à l'e- 
xemple deTimon^^il s'enfoncedans undefert 
& qu'il y jouiffe tout à Ton aife de fa^fagefle» 
J'ai fait là unaflezbel écart : rentrons dans 
Ormnt\z chemin que nous avons quitté. Quelle ver- 
àts 5i7-tU9 quelle puiiTance a raflemblé dans l'enceîn- 
ciétés* te d'une Ville ces hommes naturellement 
durs , fauvages êc ruftiques ? Qu'eft^ce qui a 
pu aprivoifer ce« animaux fatouches ? \a 
Flatterie : c'eflce œie fignifiela Fable d'Am- 
phion & celle d*Orphee. g'Q^'^^'C^ ^^ ^ 
élevé le Peuple Romain à un tel degré de 
puifl^nce , qu'il ne vifoit pas moins qu'à la 
conquête de TUnivers ? La Flatterie. Mais 
qu'eft-ce qui a ranimé 6créuni£e vafle corps, 
lorfqu'il étoit fur le point de fe déchirer ? Fut- 
ce un difcours *philofophique \ Rien moins 
que cela. Ce fut la ridicule & puérile Fa«» 

* Ct Philofophe Athénien , fcandalifé des 
mctursdefes Concitoyens y fe Tttira dans une- 
folitude g & rompit tout commerce avec les 
hommes^ - > 

§ Selon lafàbU , au chant <f Amphion , les 

. pierres /arrangeoient d'elles- mêmes pourfor^ 

merdes murailles. Ainfifut hâtie la Citadelle 

d€ Thiféeé Orphée , par les fons de fa Lyre , 

entraînoit aprèjJui les arbres & les animauxm 



t> E L A FO Ll E. f 3 

l'tj'/î* '"Eftomac & des autres membres. 
9 fJifemiftocleproduifit le mime effet, par 
ton Apologue du Renard & du Hrfriffon. 
yue leSageempioyele plus profond raifon- 
nement delà PhiWoohie ; réuffira-t'il com- 
«ne Sertorius ^ avec fa Biche imaginaire, ou 
avec fes queues de Cheval ? Parviendra-t'H 

* Ze PtupU Romain fe trouvant abîmé de 
dettes, voulutfefiparerSavevle Sénat: on 
lut envoya tOrateur Menennius Agrippa . 

§ Le Peuple d^jithinesfe plaignant de ta- 
v^ncedes Maeiflrats , Thémiftocle conta, 
quun Renard fucé par tes Mouches, avoÙ 
rmercie le Heriffon gui s'offiroit â les chafTer . 
dtfantjue le remède feroit pire qmlemai 

%Ce Général Romain faifoit accroire aux 

Biche blanche qui Pavertijfoit de tout. Le mi. 
nu, pour montrer à fes foldats , que FeCprit 
vaut mieux que la force , fit venir un bln & 
un méchant cheval spuis il ordonna âun hom- 
me vigoureux, d- arracher la queue du méchant 
cheval; ce qud ne put faire, parce qu'il la 
prenouapoipiee tandis qu'un homme bien 
glusfoibU vint a bout d'arracher celle du ban 
eheval , en la prenant crin à crin. 



54 V ELOGE 

l\ Tes fins , comme ce célèbre LégiflateUr de 
Lacédémone , * avec fes deux chiens î Je ne 
dis rien de Minos ni de Numa, qui par des in- 
ventions fabuleufes , (içurent fi bien manier la 
crédulité des Peuple»; car c*eft principale- 
ment par ces niaiferiès , que cette énorme 
béte, apellé Vulgaire y fe laifle conduire* 

Je vous demande encore , quelle Ville a 
jamais reçu les Loix de Platon , celles d'Arif- 
tote & les maximes de Socrate ï 5 Quel mo- 
tif âvoîent les Décius» père 6c fils, pour fe 
dévouer aux Dieux des Enfers } Qui poufla 
Curtius à fe précipiterdans un gouffre , fino» 
Tattraijtde la vaine gloire» douce & très- 
douce Sirène ;mais qui déplaît fort à nos Sa- 
ges ? Quelleplus grande folie , s'écrient-ils? 
que de carefler le Peuple > pour monter aux 
Charges ; que d'acheter fa faveur par des 
largeiles ;que de fe plaire à fes sLcclamatlons; 
que de fe laiffer porter par la Y^^^^ comme 

^Licurgue voulant faire voir aux Lacidé^ 
monitns la force de V éducation , fe fervit dt 
deux chiens d'une même portée , dont fun cou'^ 
rut à lafoupe , 6^ Vautre au lièvre, 

^ Ces maximes font, qu* il vaut mieux /ouf' 
frir une injure , que de la faire / que la mort 
n'eft point un mal ; que la Philofophie n*efi 
que la méditation de la mort ^ &c» 



DE LA FOLIE. jj 

One image , ou fe laiffer élever comme une 
Statue fur la place publique , pour être en 
fpedacie à toute la canaille ? Ajoutez cet em« 
preflement populaire , à faire adopter par 
ion Idole des titres illuftres , des furnoms 
glorieux. Joignez-y ces honneurs (Uvins ren- 
dus à des hommes de néant , & ces cérémo- 
nies publiques * qui fe faifoient , pour mettre 
au nombre des Dieux les Tyrans les plus fcé- 
lérats. Rien n'eib plus foû que tout cela , & 
un feul Démocrite ne fuffiroit pas pour en 
rire. Qui dit que non ? En eft-il moms vrai 
que la Folie eil la fource de tous \^% exploits 
des Héros , que tant d'habiles gens on élevés 
fufqu'au Ciel ?Ceft cette Folie qui forme les 
Villes : par elle fubfiftènt le Gouvernement , 
la Magiftrature , ta Religion , tes Confeils » 
les Tribunaux ; & je ne crains point de le 
dire , toute la vie humaine n'eft qu'une efpé- 

* Lts Romains faifoient des Dieux de leuri 
Empereurs , quand ils étoient morts ; & voici 
comment. On élevoit une haute tour de bois , 
on la remplijfoit de paille & de parfums ; on 
âttachoitun aigle tout au haut : cet oifeau dé-^ 
lié par les fiammes , s*envoloit ; 6» comme en 
méme^tems ilfe répandoit une odeur fort agréa^ 
hle , le Peuple crédule s'imaginoit que c étoii 
rame du Prince qui montoit au CieU 

E4 



5« V E L O G E 

ce de )eu , une pure folie. Il en eft de même 
des Sciences & des beaux Arts. Qu*eft*ce 
qui a porté les hommes à inventer &àlaif- 
fer après eux tant d'excellentes produftions, 
à ce qu'on s'imagine ? N'eA-ce pas k foif de 
la gloire ? Us ont crû, ces maîtres fous, qu'ils 
ne dévoient épargner ni travaux , ni veilles , 
ni Tueurs , pour fe procurer je ne fçai quelle 
réputation , qui dans le fond n'eft qu'un beau 
fantôme. Quoiqu'il en foit , c'eft à la Folie 
que vous êtes redevables de tant d'utilités 
oui font dans le monde : vous jouiiTez de la 
iottife des autres ; c'eft une des plus gran- 
des douceurs de la vie. 
Après avoir établi mon Eloge fur ma force» 
& fur mon induûrie ; que diriez-vous ,Mef- 
fleurs, fi j'entreprenois de louer auffî ma pru- 
dence ? C'eft ,. me dira quelqu'un , comme fi 
vous vouliez concilier le feu Ôc l'eau, la Folie 
& la prudence n'étant pas moins brouillées 
que ces deux contraires. J'efpére néanmoins 
que j'en viendrai à bout : continuez feule- 
ment à me prêter votre attention.. 

Si la prudence confifte dans i'ufage des 
chofes ; qui mérite mieux d'être honoré du 
nom de Prudent : ou le Sage , qui moitié par 
modeftie , moitié par timidité, n'entreprend 
sien ; ou le Foû , que ni la pudeur, ( car il 
n'en a point , ) ni le péril , ( car il n'a pas l'ef- 
prit de le connoitre » ) ne détourne jamais, ' 



DE LA FOLIE. 57 

ifaucundeirein ? Le Sage s'enterre avec les 
anciens Auteurs ;^& queft^ce qu>*il aprend 
par fes leâures continuelles ? Des traits d^ef- 
prit , des penfées fines , de pures fadaifes» 
Mais le Foû , en effayant de tout , & en af- 
frontant les dangers , acquiert , fi }e ne me 
trompe, la vraie prudence. Honiére,tout 
aveugle qu'il étoit, voy oit bien cela. Le Foû » 
dit-il , devient fage à fes propres dépens ; il 
ouvre les yeux après Paàion» Deux chofes 
principalement empêchent Thomme de bien 
connoître ce qu'il doit faire ; la honte qui 
aveugle Tefprit , qui glace le courage & la 
crainte , qui , montrantle péril , faitpréféref 
Tinaâion. Or,iln'apartientqu'àla FoliedV 
plànir généreufement ces difficultés. Peu de 
gens comprennent combien il eft inutile, 
pour faire fortuore , de ne rougir jamais , dc 
de bazarder tout. S'ils font plus de cas de 
cette prudence, qui eft fondée fur le juge- 
inent , voyez , j eVous prie « combien tel qui 
fe vante de la pofTéder , en efl éloigné. Jf «^^ 

Toutes les chofes humaines ont deux face^^^^^'^'A 
comme les Silènes d'Alcibiade. * Ce qui vous^''"'^'^ 

* Ces Silènes HAlcibiade rCétoiemt proprement 
que des étuitsde Statues , ou des boites qui re- 
prefentoient des grotefques ; mais qui renfer^ 
moient au'dedans de jolies figures» Ceflàces. 
ajpices de Mafcarons qu*AJcibiadc comparait 



ç8 V E L O G E 

parokmort extérieurement , fi vous en per- 
cez récorce , eft tout plein de vie ; & ce qui 
vous paroit vivant , au contraire eft mort. 
Ce qui vous femble beau , eft la laideur mê« 
me : Taparence des richeffes cache la pauvre- 
té. Enfin l'honneur fe trouve fouvent fous 
Tenvelope du mépris , l'ignorance fous celle 
du fçavoir » la foiblefle fous l'extérieur de la 
force , la bafl'efle fous le mafque de la gran- 
deur , la triftefle fous celui de la joie , la dif- 
grace fous le voile de la faveur', la haine fous 
celui de Tamitié , & ainfidu refte. Ouvrez le 
Silène 5 vous trouverez toujours le contraire 
de ce qu'il vous prefente. Trouvez-vous que 
je m'explique ici trop philofophiquement ^ 
Hé bien , je vais me mettre à votre portée. 
Vous êtes tous perfuadés qu'un Roi eft fort 
riche, & qu'il eft le maître de fes Sujets. Mais 
fi ce Monarque n^a par lui-même aucune qua» 
lité eftimable; fi d'ailleurs il eft infatiable ; fi 
rien de tout ce qu'il a ne le contente : ne.mV 
vouerez-vous pas qu^it eft très-pauvre ? S'il 
fe laifle entraîner par les vices & par les paf- 
fions , il n*eft plus qu'un vil Efdave. On peut 
philofopber de la même manière fur toutes 
chofes; mais cet éxetnplefuffit. A quoi abou- 
tit ce raifonnement, dira quelqu'un? Un peu 
■■ ■ ; , 

Socrate , qui^ fous un extérieur fiupide fi* 
grojjier^ étohUplus btati génie d^Atldncsi^ 



DE LA FOLIE. 59 

de patience , vous Tallez voir* Si quelqu'un , 
s'aprochant d'un Comédien qui joue aâuel- 
letnent foti r6le, tâchoît de lui arracher fou 
mafque , pour faire voir fon vifage aux Spec- 
tateurs^ cet homme-là ne mettroit-ilpas tou- 
te la Scène en défordre ? Ne mériteroit-it 
pas qu'on le chaflât comme un infenfé , com- 
me un furieux ? Cependant des Comédiens 
démafqués feroient voir tout-d'un-coup une 
nouvelle Scène: la femme fe trouveroit être 
un homme; le jeune. homme un vieillard; 
le Roi un faquin ; & le Dieu même un mifé- 
rable. Mais vouloir détromper les Spe£hi- 
teurs , c'eft troubler toute la Reprefentation; 
leurs yeux font arrêtés par tous ces déguife- 
mens. Aptiquons la comparaifon. Qu'eft-ce 
qvie la vie humaine ?)Une Comédie ; chacun 
y joue fous un perfoniiage étranger , chacun 
tait fon râle fous le mafque , jufqu'à ce que 
le Maître de la Pièce les faffe fortir du Théâ^ 
tre. Ce Maître ne laifle pas ^e faire paroître 
fouvent le même Aâeur en différent équipa- 
ge : celui qui » paré fuperbement , étoit fur le 
Trône , tombe fous les haillons de Tefclava- 
ge. A la vérité , tout n'eft dans ce monde 
au'ombre 6c que figure; mais cette grande 
oc vafte Comédie ne fe joue pas autrement. 
Pourfiûvons. Si quelque Sage tombé. da 
Cul aparoUToit ici». & qu'il fe mitkctieri 



86 r ELO G E 

Non , celui que vous révère^ comme votfe 
Dieu & votre Seigneur , * rieft pas même un 
homme. C'eft une bête ^qut ne fuit que les mou* 
vemtns deja machine ; c'eft un efclave du der- 
nier ordre, put/qu'il s'ajfervit volontairement 
à ^aujjî indignes maîtres que font /es pajjîons. 
Si ce Sage s adreflant à un autre qui pleure 
hi mort de fon père , Texhortoît à fe réjouir » 
en lui difant y que cette vie-ci n*eft propre^ 
ment qu'une tnort continuelle, Ôc que par 
conféquent fon père n'a fait que ceflér de 
mourir ; fi s'élevant contre ce fat que fana- 
blefle rend fi vain, ille traite de roturier, 
de bâtard , parce qu'il a dégénéré de la vertu 
de fes ancêtres, fonrce unique de la noblefie; 
enfin fi notre Philofophe parcourt à peu près 
fur ce ton tous les ufages & tous les états de la 
vie : quel ferale fruit de fon déchaînement l 
Il paUera chez tout le monde pour un foû , 

^ Ce font les titres que Domitienfe donnoi't» 
Martial a dit , qu'il n'y avoitpas déplus mé^ 
chante bête qu'un mauvais Prince. Diogènt 
étant monté furla Tribune , comme pour haran- 

tuer y & criant à àiverfes reorifes , Hommes , 
coûtez : on accourut en pute ^ & on lui de- 
manda ce qu'il vouloit; à quoi il répondit:. 
Tai apell^ des Hommes , 6c non pas vous 
autres^ qui n'avez d'humain que la figure- 



DELA FOLIE. 6i 

four un furieux. Crôyez^moi; comme il n'y 
a pas de plus grande impertinence que .de- 
vouloir être fageàcontre-tems, rien auffi de 
plus ridicule « qu'une prudence mal entendue 
& hors de ikifon..£nYérité c'eilun grand tra« 
vers que de vouloir fe difiînguer du Genre- 
HumaiQ,& de ne pas s'accommoder au tems; 
On ne devroit jamais oublier cette loi , que 
les Grecs avoient établie dans leurs feflins : 
Buve^ , ou alUs^-vous-en'^ * autrement c'eft 
vouloir exiger que la Comédie ne Toit plus 
Comédie. Par la raifon des contraires ^ puif- 
que la Nature vous a fait homme , il efl de la 
véritableprudence de ne vous pas élever au- 
deflus de la condition humaine. De deux 
cho(es l'une-^ou difCmulez avec vos feimbla- 
blés , oufoyezaflez honnête pour vouloir 
bien courir les rifques de vous tromper avec 
eux. N'efl'ce pas la une autre efpéce de folie^ 
diront les Sages ? J'en conviens ; mais qu'ils 
m'accordent à leur tour , que c'eft faire fon 
perfonnage dansla Comédie humaine. 
.. Au refie... le dirai-je, grands Dieux» ou le 



♦Buvez, ou allez- vous-en. Ze/tf/i^ moral 
de ce Proverbe , eft qu'il faut s'accommoder à 
rjiumgur de ceux avec qui on vit ^ ou s'en fi^', 
farfiTm 



6a V E L O G E 

dî(lîtnulerai-)e ? mais pourquoi taire la vér!- 
té ? Je crois pourtant que je ne ferois pas mal 
de prendre un milieu. J'ai envie de faire def- 
cendre toutes les Mufes du Mont Hélicon. 
Pourquoi non ? Les Poëtes , pour de pures 
bagatelles , les apellent bien à leur fecours , 
au lieu que mon fujet eft de la dernière im- 
portance. Venez donc , pour un moment , 
Filles de Jupiter. Je veux raire voir que cette 
La 5ij-Sageffe tant vantée, & qu'on nomme avec 
geJlc emphafe le fort de la Félicité , n'eft adora- 
tmprim^^^ que fous les aufpices de la Folie. 
te fou» Î6 ibutiens d'abord , que^outes les convoi- 
vtf/2//'tf-tifes, que toutes les baffions défordonnées 
parence^^^^ du reflbrt de la Folie ; c'eft ce que per- 
jg la fonnenedifpute. En effet, quelle eft ladiffé- 
Folie, rence effentielle entre le Sage & le Foû?Ceft 
que celui-ci n'a point d'autre régie que fa paf- 
non , & que l'autre fe conduit en tout par les 
lumières de Tame raifonnable. N'eft - ce pas 
par cette raifon que les Stoïciens éloignent 
de leur Sages tontes les agitations , tous les 
troubles de l'efprit , comme autant de mala- 
dies ? Cependant , s'il faut en croire les Péri- 
patéticiens , les paflîons tiennent Keu de pi-, 
lotes à ceux qui fe hâtent d'entrer dans le 
port de la SagefTe: ce font pour les devoirs de 
la vertu, comme autant d*éperons , oui exci- 
tent à faire le bien. Il eft vrai que Senéque ^ 



DE LA FOLIE. 6$ 

ce Stoïcien opiniâtre , &te absolument au Sa- 
ge toutes les'paffions. Qu'il a fait là un beau 
chef-d'œuvre ! Ce n'eft donc pas un homme 
que ce Sage ? Ceft un pur être de raifon , qui 
ne peut jamais avoir éxifté , & qui n*éxiflera 
jamais. Difons mieuxj: c'efi un fimulacre de 
marbre , qui eft infenfible , 6c qui n'a rien 
d'humain. Permis à Meffieurs les Stoïciens , 
de jouir de leur Sage , de l'aimer fans rival , 
& de demeurer au large avec lui dans la Vil- 
le de Platon ; * ou s'ils l'aiment mieux , dans 
la région des idées ; § ou enfin , dans les Jar- 
dins de Tantale. ^Q^cHc efpéce d'homme , 
qu'un Stoïcien ! Q^^ °^ ^^ fuiroit comme un 
monftre ! Qui n'en auroit horreur comme 
d'un fpeôre ! Je veux vous le dépeindre au 

* Dans la Ville de Platon. // avait tracé U 
flan (Tune République ; maispnfonne ne vou^ 
ht en être* Lucien le raille agréablement lÀ" 
dejfus : Platon, dit-il , demeure tout feul dans 
fa Ville. 

§ Dans la région des idées. Le même Pla- 
ton admettait en Dieu lesfarmts humaines ^fé" 
parées de la matière. 

^ Dans les Jardins de Tantale. Proverbe 
. des Grecs, pour/îpiifier ce quit^eft nullepart; 
car ils regardoient comme une fable , ce que 
Us Poètes ont dit du Tartan* 



64 V É L O C E 

naturel. «» Il eft fourd au l^igage des fensmul- 
n le paffion , la pitîé ni l'amour ne font non 
9».plus d'impreffion fur fon cœur , que s'il 
» étoit de Diamant. Rien ne lui échape , il 
» ne fe trompe jamais ; c'eft un Linx * pour 
» la pénétration : il confldére tout avec la 
9i<lerniére éxaâitude,il ne fait grâce fur rien,' 
»> & n'eft content que de lui-même. Il tire 
^> tout fon bonheur de fon propre fond ; il fe 
ff croit fur la terre le feul riche , le feul fain , 
^ le feul Roi 3 le feul libre ; en un mot , il fe 
V <:roittout5 & il eft feul aie croire. Pour des 
9} amis , c'eft de quoi il fe foucîe le moins ; 
M auffi n'en a-t'il auçun« Il ne fe fait pas le 
» moindre fcrupule de plaifanter fur les 
» Dieux I enfin il prétend que tout ce qui fe 
n paiTe dans le monde efl pure folie, & il s'en 
» tnocque.M Voilà le portrait de cet animal, 
qu'on nous pr^ofe pour un modèle accom- 
pli de fageffe. Dites*moi , je vous prie , fi la 

chofe 



* Lynx, pfpè^t de cerf tacheté , qui a la vue 
fort perçante. Il y a dans le latin Lynceus ,' 
qui ne fignifie point un linx ^ mais lincée , un 
des Argonautes , dont la vue était fi perçante , 
qt^il voyoit au fond de la mer ; mais comme 
le linx a pajfé che^ nous en proverbe ^ on a crû 
Mvoir conferver Vidée du TraduSleufn 



2> E l'A FOL 1 E; €f 

tfiofe pouvoît être décidée par fuflrages , 
quelle Ville roudroit d'un tel Magiftrat ? 
Quelle Armée fouhaiteroit un tel Général ? 
Qui inviteroit ce Philofophe à fa table ? Je 
fuis fur qu'il ne trouveroit pas même une 
femme , ni un valet. On choifiroit plutôt par- 
mi la plus folle populace, quelque foû d'une 
autre efpéce qui fçauroît commander ou 
obéir aux fous ; quelqu'un qui f(it du goût de 
fes femblables ; c'eft-à-dire , de prefque tous 
les hommes , oui fût doux & honnête envers 
fa femme; agréable à fes amis , divertifTant à 
table , complaifant pour ceux^vec qui il vit ; 
quelqu'un enfin aui'diroït: je fuis homme ^ & 
par conféquent oblige à tous les devoirs dt Phu^ 
manité. Laiffons-la ce Sage bourru , il me fa- 
tigue, 6c )e n'en ai parlé qu'avec répugnance; 
Je pafTe aux autres avantages de la vie; 

Quand on réfléchit attentivement fur la 
Genre -humain ; quand on le voit en fpécu- 
lation comme: du haut d'uni» guérite^ a qtiOf 
Jupiter,. félon les Poëtes, paiTe une partie 
de fon loiûr , ) peut-on n'être pas^ touché du 
snalheor des hommes i Bons Dieux ! qu'eil^ 
ce que leur vie } Ils naiffent dans l'ordure ; on' 
sieles'éléve qu'avec bten de la-peine^'-^km» 
l'enfance , ils ne tiennent à rien ; la jeunçiTe- 
Ibur coûte des travaux innombrables ; la^ 
vîeilleiTe eft unefource d'infirmîtés ; fié pouç* 

B 



66 V E L O G E' 

conclufion , il faut mourir. Repaflbns encore 
une fois fur cette déplorable courfe. Que de 
dîverfes maladies l Que d'accidens & d*in-* 
commodités !: Pas un plaifir put y pasune doa«^ 
ceur , qui ne foit mêlée de chagrin ôc d'amer- 
ftime. Qui voudroit faire l'éfiumération des^ 
maux que THomme caufe à l'homme ; la 
pauvreté , la priibn , Tinfamie» la honte , les 
tourmens y. les embûches >, la trafaifon « les. 
outrages , les Procès , la fourberie , 6cc. De 
yous dire par quel crime THomme a mérité 
cette foule de difgraces, oaquel Dieu irrité 
L'a contraint de naître dans cet abîme de mi- 
Cires , c'eft ce qui nem'eft pas permis à pre« 
£snt< Mais vous m'avouerez que ceux qui 
auront examiné à fopd le malheur inexpri- 
mable de la condition humaine , ne blâme- 
ront pas. ^ les Miléûennes ^ quoique d'ail-« 
leurs cet exemple fafTecompaffion» 

Mais qui font les plus renommés de ceux 
qui par un dégo^ de U vie :,.ont avancé leuc 
mort ? N'étoi^ce pas des Sages , ou de& 
tommes réputés tels } Pour ne rien dire de* 
Diogène », ds Xénocrate,, des Catons » dea 



*I*es MilèGennes furentfaificsiPunefunm 
<2»i ItjgortQh Àjffairt mourir^. 



DE L'A FOLIE. «7 

Caffius, des Brutus , fouvetiez-yous de ce 
Chiron , * qui préféra la mort à rimmortalité 
qu'on lui of&oit. Jugez par là combien le 
Genre humain dureroit , fi le commun des 
hommes s*avifoit d'êire fage : on auroit bien- 
tôt befoin de nouveau limon , & d'un autre ^* ... , . 
Prométhée. § Mais Yy mets bon ordre ; c'eft ^^y^ 
moi qui entretiens les hommes dans l'igno- j^ ^. ^ 
rance ^ dans Tétourderîe , dans Toubli des ^^" » 
maux paiTés , dans Tefpérance d'un meilleur^^^'î^ 
fort ; mêlant ma douceur avec celle de la vo- ^^'^Jf^" 
lupté , j'adoucis ainfi la rieueur deleur defti'-^^^^'^ 
née. Non'-feulement prelque tous les hom- l^'' 
mes aiment a vivre , mais même ceux dojnt . " 
les Parques coupent la trame , ceux que la vie ^^"^** 
ouitte depuis un certain nombre d'années, ne 
iont nullement preffés d'aller chez les^morts : 
plus ils ont lieu de fe déplaire en ce monde ^ 
moins ils s'y ennuyent , bien loin de trouver 
leurs jours trop longs. G'eft par un efFer 
de ma >^onté, qu'on voit de toutes parts des 
Vieillards décrépits plus amoureux que ja-^ 
mais de la vie: à peine bégayant, radotant y- 
n'ayant plus de, dents , ni de cheveux , tous» 



*Ch\ron, Précepteur d^Athillc. 

% La fable dit | qu*il forma^ VHommv açw 



é8 VELO G\E . 

sidés , tout courbés, confervént«ils encore 
feulement la figure humame ; malgré tout ce-* 
la , ils veulent vivre* Ils foot plus , ces vieux 
];adoteurs \ ils imitent la» jeunefle . autant; 
qu'ils peuvent. L'un fait teindre fes cheveux 
blancs , l'autre, cache fa tête pelée fous une- 
perruque ; celui-là fs fert de dents artificiel- 
les , qu'il a peut-être empruntées de quelquef 
animal auquel il jefTemble ; celui-ci eu éper* 
dûment amoureux d'une jèui^e fille , qui luii 
fiait faire plus de folies que n*eneft capable ' 
un jeune homme. Il efl même à prefent ft: 
commun de voir un homme tout plié , 6c qui: 
ne peut plus regarder que la terre où il va* 
defcendre ; de le voir , dis-je, prendre fans, 
dot une jeune femme, qui ne fera qu'à Tufagc; 
des autrjss, qu'on en fait prefquettn fujet de: 
louang)î. Mâisvoici une peinture encorepius. 
divertiiTante. Ce font Içs vieilles amoureufes, . 
ces cadavres àpeine mouvans qui femblent . 
revenus des £nters,& qui puent déjà comme ^ 
des charognes, le cœur leur en dit encore v 
lafcives comme une chienne en chaleur,jelles- 
ne refpirent que les plaifirsfales ,.& vous di-i 
fent franchement,que (ans euxla vie n'eflpfus 
rieir.€e^vieiWesGhévres courent donciejeu* . 
ne bouc, ôc quand elles trouvent un Adonis ,. 
elles payent libéralement fa répugnance jSci 
&^.&tigtt^5. Cependant cèf carcauesfedoA^ 



\ 



^^tr . ^S. 




■J>. J^rt^>/-* 



ÎJfïVj^* *7Vw3% 



/ 



THE NEW YORK 
PUBLIC LIBRAi^Y 



-ASTOR, LSNOX' 
I TIL'DEX>I f eu i ,■ Dâ iiON if 



.^.^ s- 



B E L A F O L I E. j^ 

krent tous les foins imaginables pour retenir 
Tamant mercenaire dans le filet. Se plâtrer; 
le vifage de fard ; confuher à tout momenr 
le miroir ; montrer une gorge flétrie , ridée ,. 
& toute propre à exciter le vomiflementr 
tâcher, en chantant d'une voix tremblante ôt' 
cafTée, de réveiller la convoitife ; boire fou- 
Vent , danfer avec de jeunes filles ; écrire de^ 
billets doux ; voilà les moyens que ces lou- 
ves emploient pour tenir leurs champions- 
en haleine. Tout le monde crie après ces 
vieilles folles , &. l'on a raifon-, mais elles- 
»'en moquent ;.& plongées dans les délices,, 
elles profitent du bonheurquejeleur procu-- 
re. Je fais une queftion à ceux qui plaiiantent 
là-deffus. Ne vaut-il pas mieux êtrefoû , Se. 
vivre dans la joïe , que d'être foûà fe défef^ 
pérer & às'allerpendre?Mais^dit-on« ily 
a de la honte^à vivre comme vos vieux Ôcvos' 
vieilles. Soit. Hé, qu'importe à mes fous?' 
Us fontinfenflbles fur le déshonneur , ou s'ils^ 
le fentent,ils étojiflEent aifément les remords- 
Mes bons & fidèles Sujets philofophent à^ 
leur manière ; ils difiinguent très* bien le maL 
réeld'aveclemalimaginaireilJnepîerrevousv 
tombe- fur la tête , voilà ce qui s'apelleuii» 
mal ;niais la honte, l'infamie, le reproche ». 
les malédiâions^, tout cela ne bleffe qu'au*- 
taat^/oa veut» De» que vous, ne: vous, eiisr 



7d £^ E Z Q G E 

foucier point , cène font plus des maux. Le 
public me fifle & moi je m aplaudts., en quoi, 
donc Tuis-je malheureux ? Or , Il n'y a que 
moi qui puiffe vous élever à ce haut degré de 
perfeâion ; c'èft là comme ma dernière fa- 
veur. Quoi donc l fe récriera le Sage , eft-il 
rien de plus malhenreux que d'être atteint 
de foUe r N*eft*ce pas vivre dans l'erreur & 
dans rignorance i Point du tout: c'eftfimple* 
ment être homme. Je ne conçois rien à vo^ 
tre entêtement; vous traitez mes fous de mi<» 
férables , & vous êtes nés , élevés , înfiruits- 
tout comme eux ; c'eft le fort commun de 
votre efpéce. 

Il y a ce me femble» bien du ridicule h 
plaindre un être qui eft dans fon état naturel» 
Déplorez- vous le malheur de l'homme , ei» 
ce qu'il n'a point d'ailes pour voler comme les^ 
oifeaux ; en ce qu'il ne marche pas à quatre 
pieds comme les quadrupèdes ; en ce qu'il, 
n'eft pas armé de cornes comme les tau- 
reaux i Par la même raifon ,. déplorez ici le 
fort d'un beau cheval , de ce qtril n'a point 
apris la Grammaire , & de ce qull ne mange 
point de pâtiflerie : plaignez un taureau de- 
ce qu'on ne le drefle point aamanége ». aur 
exercices de l'Académie» Or>comme un che*< 
val qui ne fçait ni A ni jR , n'en eft pas plu» 
àpiaindipej^demême uafoÇ nefiauroit êtue» 



DÉ L A: ¥ O LI E. j% 

SKiathaireux , puifqtre îa falie eft naturelle & 
l'Homme. Les fubtils raironneurs , mes an« 
t3goniftes,mepaiiirent ici une nouvelle botte» 
L'Homme,. dHent-ils , a feul entre tous le» 
animfiux » le beau privilège de connoitre les 
Sciences & tes Arts « & il s'en fert pour fu- 
pléer par fon efptit àla nature. N'avîez-vous 
que cette flécherlà dans votre carquois? Vous, 
n'y penfez pas. La Nature donne aux mou* 
cherons, aux herbes , aux fleurs tout ce qu'il 
leur faut ;,aura-t'elle refufé quelque choie à. 
f Homme de ce qu'il lui convient ? Elle veille: 
\ la produâian de tous les êtres & elle fe fera 
endormie pour l'Homme, qui eft fon plus bel 
ouvrage ! Y a-t'il la moindre aparence à ce- 
la? ces Scîences^ces Arts que vous faites fon- 
ner fi haut , ne viennent nullement de la Na- 
ture. Ce fut un certain Génie>*nommé Theu^ 
tus « grand ennemi du Genre-Humain , qui 
tes inventa pour le malheur desHommes;car 
bien loin que les fciences contribuent à cette 

* VoicïcommtSocratt en parie dans Pla^ 
U>n. yy J^ai oui dire^près de NaucratU en E^'p- 
ff te ^ qîiit y avoiteu un des anciens Dieux à 
91 qui on a confacriVoifeau nommé Ibis^^ 6» que- 
it ce démon ou ce Dieu s*àpelloit Theuth; que-: 
1» ce fut lui qui nnvenPa Us Nombres , ta Géo' 
tkmétruyl'AJlrQaQmic J.ejileux.de.ha:;^td:& 



^T r Et acK 

filicîté pour laquelle on prétend qu'elles oiiT 

été découvertes , au contraire çUes y nuifent 

extrêmement. Il avoit bien raifon , ce Roi' 

qui dans Platon * blâme fi finement Tinven* 

tion de l'Alphabet. 

Incon-' Difons-le fans héfiter;lcfçavoir& rinduf* 

yénuns trie fe font gliffés dans le monde , comme le* 

duSça- autres peftes de la vie humaine ; ils ont été- 

voiu inventés par ces mêmes Efpritsqui ont in* 

troduit tous les maux , je veux dire , par lés 

Démons » qui ont même tiré leur nom de 

leurs connoiflances.gOn neconnoifibitpoinr 

tout 

I *m 

f> l'Alphabet. Thamus régnou alors fur toute 
» r Egypte , . 6» dans une puijfante Ville que» 
» les Grecs apellent la Thébes £ Egypte* 
» Theuth étant venu trouver ce Monarque , lut 
» montra fes inventions ,,6« dit qtûilfalloit les 
v> communiquer aux Egyptiens, ( Lyfter )1 
K * Aumêmù endroit qu* on vient de citer. Le 
Koi demanda à Theuth dé quelle utilité feroient. 
ces Lettres Alphabétiques F pour foulagerla 
mémoire^ répondit^ il.i. le Prince répliqua que- 
ce ferait tout le contraire ^parce quelles hom- 
mes s'apuyaat fur lefecours de ces.caraâéres y, 
mettroient tout fur le papier f.& ne retiendroienV 
rien,. 

§ Les Grecs apellôient lès Sçavans^Uémons^ 
diuavieux mot quijîgnifie j'aprens , ou]^S<i^u- 



DE LA FOLIE. 73 

tout cela dans l*âge d'or ; les hommes d'alors» 
fans méthode, fans régies, fans înftruâions , 
vivoient heureux fous la conduite de la Na- 
ture , & par Ton feul inflind. En effet , de 
quel ufage la Grammaire eût-elle été en ce 
* tems-là r II n'y avoir qu'un feul langage , & 
on ne parloir que pour fe faire entendre. Il 
n'étoit pas befoiri de Logique , puifqu'ayant 
tous la même façon de raifonner , la contra- 
riété des opinions ne produifoit point de dis- 
putes. De quoi auroit fervi la Rhétorique y 
puifqu'il n'y avoir ni procès , ni plaidoyers ? 
Un Légiflateur eût été alors fort inutile ; car 
n'y ayant point démauvaifes mœurs,lesLoîx 
n'étoient pas néceffaires. * Au refte , ces heu- 
reux mortels avoient § trop de Religion , 
Îour fouiller par une curiofîte impie, dans les 
fcrets de la Nature , pour mefurer les diftan- 
ces &les mouvemens des aftres ; enfin pour 
rechercher les effets & les caufes cachées des 
Qhofes. Ils croyoient qu'il n'eft pas permis à 



* Ce font Us mauvaifes mœurs qui ont don* 
né lieu aux bonnes Loix , comme les maladies 
à la Médecine. 

. g Ils avoient trop <le Religion , &c. Socra^\ 
te s en alftenoit^ difant que ce qui eft au- 
deflus de nous • ne nous regarde point* 

G 



74 V E LOG E 

un être auffi firaigiie i{ae l*kofnine , de vos- 
loir pailer les bornes de fa portée. Quant à 
Fenvie de fçaTcîr ce qui eft au-delà do Gel » 
cette extravagance ne leur entroit pas même 
dans refprit. 

Tel étoit le Siècle d'or. Les hommes per- 
dant peu à peu cette heoreufe innocence , les 
Génies, comme j'ai dit, inventèrent les Arts, 
inais en petit f\pmbre, & encore furent-ils 
reçus de peu de gens. Dans la fuite * les 
Chaldéens^par leur fupeTiHtion»& lesGrecs, 
par leur oiûve légèreté , en trouvèrent mille 
autres, tous admirables po or tourmenter l'ePi 
prit ; la Grammaire feule étant plus que fuffi- 
Sinte» pour faire pafler toute la vie dans la 
torture. De tous ces Arts , les plus eftîmés 
lont ceux qui aprochent le plus du fens com- 
mun, c'e{l-à-dire> félon moi, de la folie. 
Mais quel fruit en tire-t'on ? Les Théolo- 
mens crient famine , les Phyûciens fe mor- 
fondent, on fe moque des AArolognes , on 
mèprife les Dialeôiciens : il n'y a que le Mé- 
decin qui fafle autant lui feul, que tous les 



* Les Chaldéens. Ils inventèrent TAfirolo^ 
f^&lA Magie : Eraffle les traite de fuperfti^ 
ticiix^ parce qu'ils attribuoieni la Divinité 
aux Etoiles. 



DELA FOLIE. 75 

autres enfemblet D'ailleurs cette profeffion 
a un grand avantage , c'efi que plus celui 
qui 1-éxerce eft ignorant , hardi , téméraire ^ 
plus il ed eflimé des Grands. J'ajoute que la 
Médecine , principalement de la manière 
qu'elle fe pratique aujourd'hui , n'eft qu'une 
portion de la Flatterie, qui lui eft afluré* 
ment commun avec la Rhétorique. 

Après les Médecins, marchent immédia- 
tement les Légiftes 6c les Jurifconfultes. Je 
ne fçai même , fi ces fupôts de Thémis ne de- 
vroient pas avoir le pas fur les Enfans d'Ef- 
culape : entr'eux le débat. Ce qu'il y a de 
vrai, c'eft que les Philofophes preîque unani- 
mement le moquent des Doâeurs en Droit » 
dont la profemon^ félon eux, n'exclut pas 
la plus crafle ignorance.Ânes tant qu'on von^ 
dra, c'eft ppurtant par ces interprètes des 
Loix que font réglées toutes les affaires : ces 
Meffieurs s'enrichiflent à leur métier, pen* 
dant que le pauvre Théologien eft réduit à 
fon maigre ordinaire , & à laire une guerre 
continuelle à la mifére qui l'aftiége. 

De tant ce que vous venez d'entendre , je 
conclus que les Arts les plus utiles font ceu* 
tjui ont le plus de raport avec la Folie : d'où 
il fuit que les hommes les plus heureux font 
ceux , qui n'ayant nul commerce avec les 
Sciences & les Livres, prennent lafeule Na- 

Ga 



f6 V E L O G E 

ture pour guide. Car elle n*^ défeâueufeeif 
rien , & on ne peut s'égarer en fuivant fes 
impreiTions , à moins qu on ne veuille fran-»" 
chir les bornes de la condition humaine. Là 
Nature hait Tartifice , & ce qu'elle produit 
d'elle-même, ed toujours ce qui yient le 
plus heureufement. 

Dévelopons cette vérité. Parmi tant de 
différentes efpéces d'animaux, ceux qui vi- 
vent le plus agréablement > font à coup (ûr 
ceux qui ne font fujets à aucune forte de dif- 
cipline , & qui n'ont que la Nature pour maî- 
treffe. Quoi de plus heureux 6c de plus ad- 
mirable que les abeilles ! ces infeâes , qui 
n'ont pas même tous les fens de l'homme ^ 
bâtifTent mieux que les plus habiles Architec- 
tes.LeurRépublique eft fi bien entendue,que 
jamais aucun Philofophe n'en a établi de 
pareille. Opofonsle cheval aux abeilles; cet 
animal qui femble avoir quelque chofe du 
fentiment humain , que gagne-t'il à paffer fa 
vie avec l'homme ? C'eft d'avoir bonne part 
aux calamités & aux difgraces de fon maître* 
Souvent ce fidèle domeuique , plutôt que de 
reculer dans une bataille , bat des flancs , fe 
met hors d'haleine^fic lorfqu'il marque le plus 
de courage , comme s'il étoit fenfible à l'am- 
bition de vaincre, il reçoit un coup mortel ^ 
qui renverfe le cavalier & le cheval , âcleui 



DE LA FOLIE. fj 

ïaît mordre la pouffiére. Je ne diralrîen des 
rudes mors , des éperons aigus , des fouets ^ 
des gaules , du licol, de l'écurie qui lut fert de 
prifon , du poids de Thomme qu'il eft obligé 
cle porter ; enfin de tous les maux de la fer- 
TÎtude 9 à laquelle, à Téxemple de plufieurs _ 
Princes , le cheval s'eft livré volontairement 
par un trop grand defir de vengeance contre 
le cerf fon ennemi. La vie des mouches 6c~ 
des oifeaux eft beaucoup plus digne d'envie. 
La Nature qui les a fait libres , a foin dé les 
nourrir , & ils n ont rien à craindre qjie les 
embûches des hommes. Lorfqueles oifeaux 
en cage s*accoutument à parler, combien ne 

Îerdent-ils pas de leurs agrémens naturels ? 
'ant il eft vrai qu'à tous égards les produc- 
tions de rOuvriére commune font bien fu- 
périeures à celles de l'art 6c de l'invention. 

Sur ce pied-là ,)e ne puis trop louer Py tha- ' 
gore transfoi:mé en coq. Par la vertu de la 
Métempfy cofe » il avoit paffé par toute forte 
de conditions : Philofopl^, Homme de guer- 
re 9 Femme , Roi , particulier , poiffon , che- 
val, grenouille, )e crois même qu'il avoit 
été éponge. * Après toutes ces tranfmigra- 

* Parce que des Philofophes ont cru que /*««• 
ponge était une forte de poijfon. Pline y en^ 
tr'uiures^ le croit tris*férieufement. 

G 3 



7« V E L O G E 

tions , il déclara que Thomme étoit \& plus 
malheureux des animaux : tous les autres s'en, 
tiennent à la Nature ; Thonime feul veut al- 
ler plus loin. Le même Pythagore faifoit in- 
comparablement plus de cas des ^ens fans 
efprit & des ignorans , que des Sçavans jSc 
des Grands du monde* ôrillus, un des Com- 
pagnons d'Ulyfle» penfoit à peu près de 
même : changé en cochon par Circé , il aima 
mieux grogner en repos & à fon a>fe dans une 
étable, que de courir avec fon Héros de nou<* 
veaux hazards. Homère , Tinventeur du 
commerce prétendu des Dieux de la Fable ^ 
paroît être dans le mênie principe : il^apelle 
généralement tous les hommes miférabUs ; . 
n dit que la. mort les environne de tous cô- 
tés ; il n*en excepte pas même Ulyffe fon 
Héros , ôc le £ivori de Minerve , dont il fait 
un modèle de prudence. Ce Poëte lui donne 
fouvent répithéte d'infortuné ; mais il ne 
parle pas de même de Paris , d*A)ax , ni d'A- 
chille , qui étoientades fous ; au contraire , 
parce qu'UlyfTe étoit fin & ingénieux , qu'il 
avoit l'oreille de Pallas , & qu il préféroit en 
toute occafion le confeil de cette Déeiïe à 
l'impulfion de la Nature , Homère déplore 
fon malheur. 

J'en reviens donc toujours à ma thèferceux 
qui s'apliquent à l'étude de laSageffe, font 



DELA FOLIE. 79 

frès-éloignés de la félicité : doublement fous, 
«n ce qu*ils oublient leur coQdition naturelle» 
en ce qu'ils voudroient vivre comme les 
Dieux, & qu'à l'exemple *desGéans, ils font 
k guerre a la Nature , avec les machines des 
Arts. De là je tire cette conféquence : Donc 
les hommes vraiment heureux, font ceux qui 
aprochent le plus des bêtes , & qui n"entre- 
prennent rienau-deflus de l'homme «Voyons 
fi on pourroit apuyer cela , non par des rai- 
Ibnnemens à la Stoïcienne, mais fans y cher« 
cher tant de façons. Eft-il en effet d'hommes 
plus heureux que ces gens qu'on apelle ordi- 
nairement fous, infenfés, faquins & bélîtres ? 
Que ces noms-là font beaux , félon moi ! It 
vais fur cela vous dire^une chofe : vous la 
prendrez d'abord pour une extravagance & 
pour une abfurdité l qu'importe r Je ne 
la dirai pas moins y parce qu'elle èft très- 
vraïe. 

Ces hommes qui paflent pour être dépour- ^0/2- 

vus de fens , ne craignent point la mort ; & heurat" 

cette crainte en vérité n'eft pas un petit mal. taché à 

De plus , ils font éxemts des cruels remords la Fo^^ 

__._, .^ ^^^* 

* Géans* Cicéron explique la Fable dts 
Gians qui firent la guerre aux Dieux , des 
efforts qu^on fait contre la Nature* 

G 4 



«ô V E LO G E 

de la confdence : les Fables des Mânes & des 
Ombres ne les épouvantent point ; ils n*ont 
nulle peur des fantômes , des loups-garous , 
des Lutins , des Efprits ; point d'inquiétude 
fur les malheurs dont ils peuvent être mena- 
cés ; point d'impatience fur l'attente des 
biens a venir: enfin pour renfermer tout en 
peu de mots , ils ne font point rongés de 
mille foins aufquels la vie kumaine eft fu<- 
îette ; la honte , la crainte , l'ambition , l'en- 
vie» l'amitié, rien de tout cela n'a d'accès 
chez eux ; & ils ont le bonheur de ne diffé- 
r<|: des bétes que par la figure : ils ont enco* 
ré l'avantage d'être impeccables, demandez- 
le aux Théologiens. Cela fupofé, rentrez en 
vous-même , infenfé partifan de la Sagefle ; 
pefez , examinez attentivement combien de 
peines d'efprit vous tourmentent le jour & 
la nuit ; remettez-vous devant les yeux , 
comme en perfpeâive, tous les défagrémens 
de votre vie , & jugez par-là du bonheur 
que je procure aux fous. Non -feulement 
leurs plaifirs font continuels, puisqu'ils rient, 
jouent & chantent toujours : mais même ils 
portent la joïe par-tout oii ils vont : il femble 
que les Dieux ont la bonté de les donner aux 
nommes, pour adoucir les chagrins de la vie 
humaine. Remarquez encore une diftinûion 
^ui fait honneur à mes Sujets* Les hommes 



D E LA F 6 L I E: 8i 

Ibnt différemment dîfpofés d'inclination les 
uns pour les autres : mais pour les fous, 
prefque tous les hommes fe font un plaifir 
de les avoir, comme s'ils apartenoient né- 
ceflairemeiit à la Société ; on les fouhaite 
avec paffion^ on les careife, on les entre- 
tient , on les nourrit, on les fecourt dans les 
«ccidens ; enfin oh ne permet qu'à eux de 
tout dire & de tout faire. Non-feqlement 

Eerfonne ne cherche à leur nuire , mais les 
êtes mêmes, comme par un fentiment na* 
turel de leur innocence , * répriment devant 
eux leur férocité naturelle. La Religion de- 
mande cela : les fous étant confacrés aux 
Dieux , & principalement à moi> il eft ]ufle 
de les refpeâer. 

MesSeâateurs ont encore d^autres préroga- 
tives , &)'aurois grand tort de les fuprimer» 
Les plus grands Princes ne font-ils pas leurs 
délices de ces gens-là? Les Rois n'ont pas de 
plus agréables momens, que ceux qu'ils paf*- 
lent avec les fous. Quelle différence ne met- 
tent-ils pas entre leurs Bouffons & ces Sages 
fades & bourrus, qu'ils entretiennent pour 

* On voit tous les Jours que les chiens ipar* 
gnent les en fans & les fous ^ comme s* ils rejr 
peHoient en eux lajimplicité de la Nature. 



9i r E LO G E 

fe faire honneur ? La raifon de cette différen- 
ce faute aux yeux. Les Phî4ofophes ne difent 
ordinairement rien que de trifte ; & fe con- 
fiant en leur fçavoir , ils prennent même 
quelquefois la liberté de dire des vérités qui 
ne plaifent pas. Il en eft tout autrement des 
fous : ils donnent ce que les Princes fouhai- 
tent le plus ; de bons mots , des railleries , 
des traits fatiriques, & des faillies à faire 
éclater de rire. Remarquez en chemin fai-* 
fknt » le beau privilège des bouffons : txxt, 
fêuls font en droit de parler fmcérementfans 
offenfer. Quoi déplus eftîmable que la vé- 
rité 1 On l'attribue communément au vin & 
\ Ten^ince ; on fe trompe : c'eft à moi , oui à 
moi , qu'apàrtient par une prérogative par- 
ticulière , la gloire de la fincérité. Chez celui 
qui a l'honneur d'être foû , Tefprit , le cœur, 
le vifage , la bouche , tout eft d*accord. Les 
Sages au contraire ^ ont deux langues: l'une 

{>our dire ce qu'ils penfent , l'autre pour par- 
er félon le tems & les eens. Ils ont le talent 
de changer le noir en blanc, & Je blanc en 
noir ; ils foufflentle chaud &ie froid ; leurs 

- ' .. • ' ' ■* 

* Deux langues. Ce/? nnt penjec d'Euripide ; 
C^tfCtt/i, dit-il, a deux langues ; l'une pour dire 
la vérité. Vautre pour s'accommoder awtems. 



D E L A F O L I E. 8> 

paroles font de faufles fie infidèles images 
de leurs idées & de leurs fentimens. 

Je ne puis n^'empêcher ici de plaindre les 
Princes ; qu'ils font malheureux dans le feia 
de la fortune ! inacceffibles à la Vérité ^ ils 
n'ont que des flatteurs pour amis. On me 
dira qu'ils ne doivent s'en prendre qu'à 
eux-mêmes* Pourquoi l'Amour -propre 
leur fert - il de retranchement , contre la 
fincérité de ceux qui leur parlent ^ N'eft^ce 
pas par cette raifon qu'ils ne peuvent fouf- 
frir la compagnie des Philolophes ? Les 
Rois craignent que parmi ces Sages , il ne 
s'en trouve quelqu'un qui vife plus à les 
corriger qu'à les divertir. Je conviens que 
ies Princes ne peuvent fbufFrir qu'on leur 
dife leurs vérités ; mais c'eft auffi ce qui fait 
le plus d'honneur aux fous ; car ris ne diffi-* 
mulent point les défauts & les vices des 
Rois. Que dis-ie^ ils s'échapent fouvent 
jufqa'à les infulter , & même jufqu'à leur 
dire des injures , fans que ces Maîtres du 
Blonde s'en fâchent ^ ou s*en ofFenfent. Des 
paroles qui feroient pendre Monfieur le 
Fhilofophe , s'il les proféroit ; fortent-elles 
de la bouche d'un foû ? le Prince en rit de 
tout fon coeur. Naturellement la vérité fait 
plaifir, auand elle ne bleffe point : or, il 
a'y a qu aux fous, que les Dieux ont doa- 



84 V E L O G E 

né le privilège exclufif de moralifer & de 
reprendre fans choquer. Ceft à peu près 
par les mêmes raifons , que les femmes fe 
plaifent tant avec les bouffons « ce fexe 
étant plus enclin au plaifir & au badinage. 
D'ailleurs quelque liberté que les femmes 
fe permettent avec ces eens-là (& quel- 
quefois elle va loin ) elle ne leur paroît 
Qu'une badinerie & un pafle-tems : car la 
femelle de l'animal raifonnâble ou plutôt raî- 
fonnant , eft ingénieufe à pallier fes fottifes* 
Pour revenir donc au bcmheur des fous, ils 
paflent leur vie avec beaucoup d'agrémens ; 
après quoi, fans craindre ni fentir la mort^ ils 
vont tout droit dans les Champs Elifées , où 
leurs âmes pieufes, mais défœuvrées, recom- 
mencent de plus belle à fe divertir. Compar- 
iez à prefent la deflinée de quelque Sage que 
ce foit avec le fort d'un fou. Pour mettre le 
contrafte dans tout fon jour, figurez-vous un 
Sage du premier ordre,un vrai modèle de fa- 
geUe, quelle vie méne-t'il fur la terre ? At- 
taché depuis fon enfance àrétude^commetin 
forçat Tefl à la chaîne , il confume fes plus 
agréables années dans les veilles & dans les 
efforts du travail. £fl-il hors de cet efc lavage? 
il n'en efl pas plus heureux : toujours forcé de 
vivre d'épargne, pauvre, trifte, bourru, dur à 
loi-même » &iDfuportable aux autres ^ p aie 



DE LA FOLIE. 8ç 

maigre, îofirme,chaflieux,uré avant le temsj 
& prefque enterré avant que d*être mort ; 
qu'il meure jeune ou vieuk , que lui impor« 
te ? Qu'apelle-t'on vivre ? Vivre , n'elt-ce 
pas jouir de toutes les douceurs de la vie i 
Or , on peut dire que cet homme n'a jamais 
vécu. Que vous femble de ce beau portrait 
de Sage? 

Ces Grenouilles^Stoiciennes n^manque* 
ront pas de revenir à la charge. Mais quoi ! 
diront-ils 9 une infigne Folie aprochebien de 
lafureur même.Carqu'eft-ce que c'eft que d'ê- 
tre furieux ?N*eft-ce pas avoir Tefprit égaré? 
Lesfottes genSyquecesPhilofophesiils ne fçar 
vent le plus fouvent ce qu'ils difent* Allons; 
je veux encore ruiner cette batterie-là. Je 
paiTo à ces Stoïciens leur fubtilité ; mais s'ils 
veulent qu'on les croye de bon fens, ils doi- 
' vent diûinguer deux fortes de Folies , à peu 
près comme on diûinguoit autrefois deuxVé* 
nus 5c deux Cupidons. Toute fureur ne rend 
pas malheureux.Si cela étoit,Horacen'auroit 
pas nommé une fureur aimable , cette verve 
qui emporte les Poëtes« & qui leur découvre 



* On apelloit les Sophiftes Grenouilles d'É^ 
gypte j à cai^t dt leur babil imfonm% 



88 V E L G E 

fait ? vous prétendez m'avoir guéri ? Abus ; 
abus ; vous m'avez tué. Plus de plaifir pour 
moi : on m'a tiré par force d'une erreur qui 
faifoit toute ma félicité. Ce' convalefcent 
avoit ratfon ; & ceux qui , par l'art des Mé- 
decins , lui rétablirent le cerveau , aroient 
plus befoin d'ellébore que lui. 

Après tout , |e n'ai point encore décidé fi 

on doit nommer Jo/i^ tous les égaremens des 

fens & de l'efprit. Si quelqu'un, pour n'a voir 

pas bonne vue , prend un mulet pour un âne; 

li , faute de difcernement, il admire de mé<» 

chans vers » on^it auHî-tôt : il eft foû. Si un 

homme eft afTezfingulîer^ours'imaginertoih» 

joursr,lorfqu'un âne brait , entendre une fym* 

. phonie agréable , ou pour fe croire,dans rin- 

digence , auffi riche que Créfus , ohne man* 

que pas de le traiter de foû. Mairfi cette folie 

«il joyeufe , comme elle Teft ordinairement, 

elle divertit, & ceux qui l'ont, & ceux qui la 

voyent.Aurefte,ce genre d'extravagance eft 

. beaucoup plus étendu qu'on nlTtroit. L'expé<< 

'rience fait voir aufti que toujours un foû fe 

inocquede rautre,& que tousdeux fe divertif?» 

fcnt réciproquement : fouvent même é*eft Iç 

plus foû qui rit de meilleur cœur du moinsfoû« 

Quoiqu'il en foit , voici ma décifiôn. Plus un 

homme peut réunir de diôérentes folies,plus 

il eft heureux ; pourvu néanmoins qu'il ne 

forte 



1 mpE .î^£'^"' .''^*^^- i 

[ PIÎBLIC UBRA; . 



I 







U% - J^ûrtUf dei- 



^. I^. Jkrtéf^Tf ^^ulp. 



,V E L^A F O L I E. 89 

forte pas du genre d'extravagance cjuî nous 
eft particulier ; genre fi vafte oc général, que 
je cloute qu'on puiffe trouver dans toute l'ef* 
péce humaine un . individu , qui foit fage à 
toutes les hieurés , & qui n'ait pas foh 
grain de folie. 

On n'héfite pas à traiter de foûun homme 
quîypar ledéréglement derimagination^prend 
une citrouille pour une femme- Pourquoi ? 
Parce que cettemaladie de cerveau eft très- 
rare. Mais qu'un fot époux adore fafemnîe ; 
quoiqu'elle lui plante fur le front une forêt 
ae cornes,qu'il lacroye auffi chafle quePéne- 
lope , & qu'il fe félicite en lui-même, ou au'fl 
beniiFe fon deftin d'avoir trouvé uneLucréce, 
on ne s'a vi fera point de le taxer de folie.Pour* 

Suoi ? C'eft qu il n'y a rien de plus ordifiatre. 
1 faut mettre dans la même clafle ceux qui ^ 
méprifenttout^hors lachaiTé, ôcqui ne con- r* /• 
çoivent pas de plus grand plaifir , que celui' >^t 
d'entendre l'affreux fon du cor ^ ou les cris " V/^ 
des chiens. Quand les fumets des bêtes fauves^/»""*^ ^* 
frapent l'odorat du chaffeur, je me figuief ^'^!.'^'* 
qu'il croit femir les plus doux parfums. S'a-^^'^''^* 
git-il de mettre fa proye en pièces I Quelle 
volupté l Aflbminer , égorger, démembrer 
des bœufs & des moutons , c'eft le métier de 
la canaille; pour la vénaifon c'eft autre chofe: 
il xv'eft permis qu'aux riches d'en être les bo^ 

H 



^ r^ E L O G E 

chers. Aufli la diffeâion s'en fait-elle avec cé*^ 
rémonie. Le Maître de la chaiTe eft nuë tête ,; 
& à genoux ; il prend le coutelas confacré à. 
ce facrifice, car ce ferottofFenfer Diane,que 
d'en employer un autre : armé de ce glaive ,. 
il coupe relîgieufement les membres de l'ani-* 
mal i le tout par ordre , ôc en faifant certains 
geftes* Pendant cette pompeufe opération ^ 
toute la troupe environne le Prêtre de la 
Déeflf^ : tous gardent un profond (ilence, & 
paroiflent aum étonnés de ce fpeâacle qu'il» 
ont vu mille fois , que fi c'étoit une nouveau-* 
té pour eux. Celui qui a le bonheur déman- 
ger fa part de la chafle , ne s'en tient pas 
peu honoré, & regarde cette diftinâioQ. 
comme un nouveau titr€ de NoblefTe. Enfin « 
quoique les chalTeurs qui ufent leurs jour^ 
à pourfuivre & à maneer des bêtes fauvages,'. 
ne tirent point d'autreiruit de ce pénible & far 
tiguant exercice, que de devenir eux-aiême$ 
iauvages ^ ils s'imaginent qu'ils .vivent en: 
Rois. 

Une autre efpéce de gens qui reflemblent 
bien à ceux que je viens de dépeindre, ce font 
les£4i;f//^«rx«Unefois poffédés de cette aâive 
paŒon , ils ne font jamais^ contens : leur 
occupation continuelle eft de faire & dé-* 
feire, de conftrùire & d'abattre ; de changer,,, 
commedit Horace ,, le. quàrré en rond ,, le 




t~'.Ji^r^n iJvt' 



jj:. /*» ^tw/k/ tA' , 






ASTOR, LlÇNOX 
TILDEW JPOUNDvMtONS 



\ i 



i PUBLIC LîBR A ï^vî . 






pAf j3i ■ 




DELAFÔllE. 91 

rond en quarré , jufqu'à ce qu'enfin îl ne leur 
refte plus ni maifon , ni pain.Que leur refte- 
t'il donc ? Le fouvenir d'avoir pafle agréa- 
blement un nombre d'années. 

Venons aux Souffleurs. Ce font de hardis 
fous ^ ceux-là ; la tête toujours pleine denou- . 
veaux & de miflérieux projets, ils ne vifent 
pas moins qu'à confondre & qu'à changer 
toi2telaNature;ils cherchent parterre ôf par 
mer une quintefTence , qui n'éxifte que dans 
leur imagination toute chimérique.Ne croyez 
pourtant pas que les mauvais fuccès les rebu- 
tent : ennyvfes d'une folle, mais douce efpé- 
rance , ils ne regrettent jamais ni la dépenfe, 
ni le travail ; ingénieux à s'en impofer , à fe 
duper eux-mêmes par leur entêtement : quel- 
le eft ordinairement leur fin ? Après avoir ré- 
duit tout leur bien en cendres , ils n'ont pas 
même de quoi bâtir un petit fotkrneau. Ces 
adorateurs dufeu,cependant,ces coureurs de 
fumée , ne s'en repaiflent pas moins deleprs 
vains projets : plutôt mourir que d'ouvrir les 
yeux ; & fi on vouloit les en croire , il n'y 
auroit que des chimiftes dans le monde.Lorl- 
qu'iU font enfin contraints de renoncer aur 
oécouvertes, ils ont une grande confolation, 
c'eft de pouvoir dire qu^l eft au moins bieii' 
glorieux d'avoir formé un deffein fi noble: 
mais en même-temi ih s'eaprennent iia Na<^ 

H %- 



9* VELO as 

tare, d*avoir donné à Thomme une vie trop 
courte pour un ouvrage de cette importance* 
Quant aux Joueurs de profefuon, j*ai 
quelque fcrupule de les ifaire entrer dans 
monFmpire Jls font û paffionnés pour le jeu» 
<(u'au feul bruit des dés le cœur leur faute de 
)oye. Lorfque, par la trompeufe efpérance 
de regagner » ils ont perdu tout , &<iue leur 
vaifTeau s'efi brifé contre Técueil au jeu » 
écueii aufli dangereux que Malée/trop heu- 
reux d'être échapés tout nuds du naufrage ; 
s'ils ont envie de duper quelqu'un , ils ne s'a* 
drefTer ont jamais à celui qui les a dépouillés ; 
§ de peur de pafler pour malhonnêtes gens» 
Que dirons-nous de ces Vieillards, qui,pief- 
oue aveugles par le grand âge , ne lailTent pas 
ce jouer avec des lunettes , ou lorfqu'ils ont 
la goutte aux mainSyChoiûfTent un fécond qui 



* Que Malée. Promontoire fort dangereux 
de la Laconie-^ Province du Péloponeje, Ofr 
difoit en proverbe : Quand tu naviges devant 
Malée , oublie ta maifon^ 

§ Madame Dtshouliéres a eu à peu pris Ul 
rn^mc penfée fur le jeu ,. ou félon elle , 

On commence par être dupe^ 
.Oa£nlt par être fripon» 



pf , 




PQBLIC LIBRARY 

ASTO^, LENO.\ 



DE L'A FOLIE. JJf 

lette les dés pour leur compte ? Ne font<-ce 
pas là desfons de bon aloi i Ils ont certaine- 
snent du plaifir à jouer ,.& par cet endroit ils 
m'apartiennent. Mais d'un autre c6té , le jeu 
tourne fi fouvent en rage & en fureur,que je 
ne feroîs pas mal de ies renvoyer aux Fu- 
ries. 

Voici d^autres gens qui^fans contredit font 
encore de ma dépendance* Ce font les Men- 
teurs,les/^^/^«r^,& généralement tous ceux 
qui fe plaifent à dire ou à entendre des Êauffe- 
tés. Le croiroit-on,aue le goût du faux donne 
un plaifir , dont les oages ne font pas dignes» 
Les Prodigues, les Fantômes, les Lutins, le& 
Efprits , ou les Revenans , & tant d'autres 
viuons femblables font ce qui fournit le plus^ 
aux conveffation^ du vulgaire» Quiconque 
avance quelque chofeau-deflus des caufes 
fécondes & des Loisç immuables du mouve- 
ment , fait ouvrir agréablement les oreilles 
de fes auditeurs ignorans. Ne traitez point 
cela, s'il vous plaît de fimple amuiement : 
la matière eft devenue très-férieufe , grâces 
aux pieux Charlatans qui abufent de la cré^ 
dulité des hommes. 

Il en eu à peu près de même d^un autregen-^ 
rede fuperûitieux. Dès^ que ceux-ci cm eu le. 
bonheur devoir ou une uatue de bois , ou 1» 
peinture gigantefque de. S.Cbrifiophe|ie Fa^ 



$4 V E L OGE 

Ivphême des Chrétiens , ils fe tiennent f&rs 
ee ne point jpérir ce jour* là. Qu'un mate* 
lot ait fait fa prière devant la figure de 
SainteBarbe,il n'a plus de dangers à craindre. 
Il y a même des Saints qu'on invoque pour 
obtenir des richefies, teleftS. Erafme. Us 
donnent à S.Georges les attributs d'Hercule 
& d'Hyppolite en méme-tems. On -les voit 
dévotement parer jufqu'à fon cheval , & i! 
ne leur manque que de lui rendre le même 
culte qu'au faint Cavalier , dont ils achètent 
la proteâton par des offrandes & des voeu^. 
IIs]urent encore par fon carque,& c'eftpour 
eux un ferment inviolable. 

Mais dans quelle claffe mettrons - nous 
ceux qui fe croyent quittes envers Dieu , 

3uand ils font munis de Pardons 6c dln- 
ulgences ? gens qui par ces faufles rémif- 
ftons , mefurent géométriquement , comme 
avec la Clepfydre * ou le fable^ & fans crain- " 



* Horloge d'eau. // y en avoit de plufieurs 
^péces; mais toutes avoient cela de commun » 
que l'eau tomboit infenfihlement par un petit 
trou d*un vaijfeau dans un autre , dans lequel 
eh s*élevant peu^à^peu , elle élevoit un mor-^ 
ceau de liège qui marquait les heures par des' 
Ug^s tracées de dijlançe €n difiance^ 



D E \L A POLIE. 9f) 

dre la moindre erreur de calcul « les fiécles», 
les années ^ les mois , lés femaines , les jours 
& les heures duPurgatoire?Une autre elpécer 
d'extravagans,ce font ceuitqui s'apuyant fur 
certaines marques extérieures de dévotion ^ 
fur quelques courtes prières , qu'un pieux 
impofteur a inventées pour fon plailir ou- 
par intérêt,comptent fur une félicité accom* 
plie: richefles, honneurs , volupté, bonne 
ohére , fanté jamais interrompue, verte & vi- 
goureufe vieilleffe^longues années^pas un de 
ces biens ne leur peut manquer. De plus , ils 
s'attendent à avoir les premières places dan& 
lé Ciel , à condition pourtant qu'ils n'iront, 
chez les Bienheureux , que le plus tard qu'il 
leur fera poffible , c'eft-à-dire , lorfque les 
douceurs d'ici-bas , auxquelles ils font forte-» 
ment attachés, les quitteront à leur grand je*~ 

fret ; c'eft alors qu'ils confentiront à jouir 
es délices inconcevables duParadis.Les Mi?- 
niftres même du Sanâuaire , les plus perfua* 
dés & les plus zélés , n'en veulent qu'à ce 
prix*là ; le Paradis eft leur pis aller. 

Avec ces Pardons & ces indulgences , un- 
Négociant, un Soldat, ou un Juge, n-a 
qu'à jetter une petite pièce d'argent dans le: 
baffin^, il fe croit net ôc auffi<»bien rebian- 
chi , que lorfqu'il fortit du Baptême. Tant de 
Barj.ures,d'impur€té$,d'y.vrogncries,deq^e*- 



96 V E LO G É 

relies , de meurtres , d'impoftures , de perfi-^ 
dies & de trahifons , tout cela , félon eux , 
£e rackette par un peu de monnoye , & fe 
rachette fi bien , qu'on fe croît en droit de 
recommencer fur nouveaux frais* 

Maiseft-il des hommes *plus fous , ou? 
pour mieux dire, plus heureux que ces Dé- 
vots, qui s'imaginent qu'en recitant chaque 
jour certains verfets desPfeaumes, ils entre- 
ront immanquablement dans leRoyaumedes 
Cieux ? C'eft pourtant un Diable, dit-on , 

2ui a fait cette riche découverte , mais ua 
)iablefot , & qui avoit plus de vanité que de 
fineffe , car il eut l'imprudence de vanter fo» 
fecret magique à S. Bernard, qui en fçavoit 

plus^ 
>*"■'■ 

* Eft-il des hommes , &c. Le Diable , dit 
une Légende apocryphe, rencontrant un jour $. 
Bernard , fe vanta de fçavoirfept verfets de^ 
Pfeaumes]^ qui avoient une telle vertu , qu'en 
hs récitant tous les jours , on étoitfûf de fort 
falut, V homme de Dieu fut curieux de connoi" 
tre ces verfets ;mais le Diable s'obftina aie lui 
cacher. Je Rattraperai hien^ dh le Saint, car 
je reciterai tous les jours le Pfeautier , & par 
eonfèquent tes fept verfets. Sur cela ^ le Diable 
craignant d'avoir donm*Heu à une fi belle di^^ 
, rption , aima mieux révéler fon fecret^ 



DELA F-0 LIE. ^ 

plus long que lui JNe font-ce pas là de grandes 
folies, puîfque moi-même j'en ai prefque 
honte i Cependant, ce n'eft pas feulement le 
vulgaire qui aprouve ces extravagances y ce 
font même des Profefleurs de la Religion , 
des Maîtres en IfraëL 

Difons quelque chofe auf& des abus qui fe 
font introduits dans Tinvocation des Saints. 
Chaque Pays n*a- t*il pas fon Patron, fon 
Saint titulaire ? Chez un même Peuple , on 
dlilribue à ces Grands de la Cour célefte^ 
les diverfes fonûions du ProttSlorat. L'un 

J guérit du mal de dents; l'autre foulage les 
emmes enceintes dans les douleurs de l'ac- 
couchement ; celui-là fait retrouver ce qu'on 
a perdu ; celui-ci veille à la confervation & 
à la fureté des troupeaux ; l'un fauve du 
naufrage ; l'autre procure la viôoire dans 
les combats. Je fuprime le reft^ .; car je ne 
finirois point. 

Il en eft , dont le crédit & le pouvoir s'é- 
tendent généralement furtout.Telle eft prin- 
cipalement la Mère de Dieu , à laqueHe le 
vulgaire ignorant attribue,en quelque façon, 
plps de puiflknce qu'à fon Fils même. 

Mais ce que les hommes demandent aux 
Saints , n'eft - il pas auffi de mon reflbrt ? 
Car enfin, dites- moi, je vous prie, parmi 
tous ces pieux monumens de reconnoiflan* 

I 



98 V E LOGE 

ce , dont les murailles & les voûtes des 
Temples font toutes couvertes, en avez- 
vous jamais vu quelqu'un qu'on ait fufpendtt 
comme. une marque, ou un figne d'avoir 
été mira culeufement guéri de la Folie ? C*eft 
fur quoi on n'importune pas les Saints , & , 
quelque dévotion qu'on ait pour eux^ on 
n'en devient pas tant foit peu plus fage. 
Ces offrandes , ces vœux qui pendent aux 
Autels , font pour toutes fortes de fujets ^ 
excepté pour la Folie. L'un près de périr , 
s'eftl^eureufementfauvéà la nage; l'autre 
après avoir reçu un coup d'épée au travers 
du corps , en eft rechapé \ un autre rend 

traces de ce que dans le fort d'un combat, 
lloxiojll^Sn étoit le plus aux prifes avec l'en- 
nemi ^vil s'eft enfui avec autant de bonheur . 
Que de bravoure; celui-ci condamné pour 
iîes bonnes oeuvres à être pendu 6c étran- 
glé , tombe de la potence par ïa faveur de 
quelque Saint propice aux gens de fon mé- 
tier , & recommence de plus belle à foulager 
charitablement ceux qui ont la bourfe un 

λçu trop pefante : celui-là en forçant fa pn- 
on a recouvré fa liberté : cet autre eft bièft 
guén de fa fièvre, au grand chagrin deMtin- 
iieur le Doâear , qui comptoxt fur une cur^e 
plus longue 6c plus lucrative ; un amrô-^ 
au lieu, de trouver la mort dans un poifo» 



DE LA FOLIE. pj 

qu'on lui a donné , y a trouvé un remède ; 
fa femme , qui vouloit fe défaire de lui , & 
qui fe félicitoit déjà de fon veuvage ^ eft au 
dêfefpoir d'avoir manqué fon coup ; un as- 
tre encore dont le char a verfé , en a été 
quitte pour la peur , & a ramené fes che- ' 
vaux fains & faufs ; celui-là qui a été acca- 
blé fous les ruines d'un bâtiment , n*en eft 
point mort ; celui-ci , pris fur le fait par le 
mari de fa maîtreffe , s'eft heureufement tiré 
d'un fi mauvais pas. 

En voilà , comme vous voyez , de toutes 
les façons ; mais nulle offrande , nulle ac- 
tion de graces,pour être délivré delà Folie : 
elle a tant de charmes pour les hommes , 
que de tous les maux , c'eft le feul qui leur 
paroifle un bien. Mais à quoi bon m'embar- 
gùer fur cet Océan de fuperftitions ? Quand 
J*aurois,fuivant les expreffioris de Virgile , 
cent languesjcent bouches, une voix de fer ; 
je ne pourrois jamais dénombrer toutes les 
efpéces difFérentes,ni parcourir tous les noms 
de la Folie. Je renfermerai tout dans cette 
feule idée : c'eft que dans toute l'étendue dti 
Chrîftianifme, * on trouve abondamment de 
pareilles extravagances, reçues & fomen- 



^ Il efi de foipur&faïnt ; maïs la folie a 

1% 



82y359 



lOD L'ELOGE 

tées par ceux mêmes qui devroîent en arrS« 
ter le cours , s'ils n'avoient intérêt à les laifr 
fer établir^ 

Si quelque odieux Moralifie^s'érigeant es 
Apôtre^venoit faire ici cette exhortation pa- 
thétique;» Joignez à votre dévotion pour 
» tel ou tel Saint , une vie chrétienne , vous 
33. ne ferez point une fin malheureufe. Outre 
a» la petite pièce de monnoye que vous don- 
» nez pour les Pardons &les Indulgences,' 
M haïflez le mal, pleurez, veillez; priez, 
» jeûnez ; enfin changez de conduite , & 
» pratiquez l'Evangile; alors vous rachèterez 
M infailliblement vos péchés. Vous avez con- 
» âance en tel Saint r Suivez fes exemples , 
>3 vivez comme il a vécu; 6c par- là vous 
»i mériterez fa proteâion. « Ce fage Pr/- 
cheur auroit raiion dans le fond , entre nous 
foit dit : mais d'un autre côté ne tireroit-il 
pas les hommes d'un état heureux, pour les 



tellement défiguré ce culte , qu'il ny a prefi. 



que rien de f acre où il ne fe Joi^ glijje quel^ 
que fuperftition* Ces abus font en fi grand 
nombre , qu*on pourroit en faire un Livre 
plus gros que l'Hiftoire de Tite^Live ; & ils 
font fi ridicules^ qu'il vaut mieux nen points 
parler, {^hyiker*) 



Ù E LA F t i E. tôt 

ploiiger dans la peine & dans le chagrin ? 
Il eft une autre claffe de Fous , qu'on 
peut aflbrtir avec la précédenter Je parle de 
ces riches orgueilleux , qui fe voyant à la 
fin de leur carrière , ordonnent de grands 
préparatifs , pour faire magnifiquement le 
Voyage de Tautre monde. Il ett plaifant de 
les voir , entre lesi)ras de la mort, s'apliquer 
férieufement à régler leur pompe funèbre ; 
ils marquent , article par article , combien 
il y aura à leurs funérailles de flambeaux y 
de gens en deuil^de Chantres, de Pleureurs à 
gages 5 & enfin tout lliumiliant apareil de 
leur.faftueufe mortalité. *Ne feront -ils pas 
bien glorieux , d'aller en terre avec un fu^ 
perbe convoi ? Ils s'en font du moins un plai- 
fir d'avance 5 comme s'ils nV^ent pas bien 
perfuadis que la mort leur ôtera toute con- 
noiflance & tout fentiment , & qu'il y eût du 



* Le Comte du Lude étant à Fextrémité^ 
après, avoir réglé la dépenfe de fon Convoi 
dans le plus grand détail , fit tirer d'une ar^^ 
moire une grande pièce de toile d'Hollande 
toute neuve , & ordonna quelle fut employée 
À Venféveiir r car ces coquins-là , di/bit-il , en 
parlant de fes Valets-de-chambre , auroient 
bien l'air de me laiiTer enterrer à cru. 

I3 



102 r E L G E 

deshonneur pour eux , fi leur cadavre étok 
inhumé fans ce luxe inutile & ridicule. On 
dîroit qu'ils regardent la mort comme une 
Charge d'Edile 5 Magiftrature de Tancienne 
Rome , qui donnoit infpeâion, fur les feftins 
&fur les divertiffemens du Peuple. 

Quoique dans un fujet fi fécond, je foie 
obligée de gtiffer légèrement fur chaque ob- 
jet , je ne puis pafler fous filence rentête- 
ment ou la manie de cette frivole préroga- 
^^/^•^tiveapellée NobUJfe. On voit des hommes 
'de la ^"' » ^^^^ ""® ^^^ ^^ boue , avec les in- 
jy^^^^ rclinations de la plus yile canaille, vous étour- 
ij^ ^ diffent continuellement de leurstitres.Faut-tt 
^ * prouver l'ancienneté de fa race ? L'un fe fait 
defcendre du pieux Enée, l'autre remonte 
jufqu'aux premiers Confuls de Rome, & 
celui-ci*)ulqu*auRoi Artus. Us vous étalent 
les portraits & les figures de leursancêtres : 
ils font toujours fur leurs ayeux , fur les 
lignes difeâes & collatérales de leur arbre 
généalogique ; ils vous citent à tout mo- 
ment les noms & les furnoms ufés de leurs 
pères, oubliés depuis plufieurs fiécles. Exa« 
minez bien celui- là avec fes titres enfumés » 
rongés, déchirés ; il eft lui-même comme 
une véritable idole , & ne vaut guéres mieux 
que ces figures qu'il vous montre toutes 
effacées par le tems. Ce fat cependant ne 



DE LA FOLIE. 103 

laifle pas d'ayoîr une haute idée de faper- 
fonne ; 5c toujours plein de fa naiflance , il 
fe repaît de cette chimère , & il vit content. 
Ce qui contribue auflTi à lui faire aimer fon 
Êintôme, c'eft qu'il troure des gensauffi fots 
que luij qui refpeâentce genre de brutes » 
ces Nobles ignobles & fans mérite » comme 
s'ils étoient au*deflus des hommes , eux qui 
font fouvent au-deffous. 

Mais,puifque je fuis tombée infênftblement 
fur le chapitre de Y Amour-propre , pourquoi 
meborneràune ou deux efpéces oe Fous ? 
Que de reffource.dans TAmour-propre pour 
le bonheur de la plupart des hommes ! Jettez 
les yeux fur ce vifage ; il n'y a point de 
finge , fi laid , fi difforme , & pourtant il fe 
croit un Adonis. Celui-là eft*il parvenu à tra- 
cer affez jufte deux ou trois U|;nes avec le 
compas ? Il s'aplaudit 6c fe croît au - deiTus 
d*£uclide. Celui-ci chante un peu plus mal 
que le coq le plus enroué , & n'en efl pas 
moins charmé de fa voix. Voici encore un 
genre de folie bien réjouiflant : un homme 
a nombre de gens à lui, qui ont chacun quel- 
que talent : il s'imagine les réunir feul ; il 
s'en forme un tout en idée, 6c fe l'aproprie 
comme un bien réel qui lui apartient. Tel 
eft chez Séneque , ce riche doublement 
heureux, qui voulant compter une hiftoire » 

I4 



104 V E L Q E 

avoît toujours auprès de loi des efclaves 

Î>our foulager fa mémoire , & lui fuggérer 
es noms-propres. Cet homme qui d'ailteurs 
étoit fifoible, qu'il ne falloit qu^m ibuffle 
pour le renverfer, * n'en étoit pas moins tou- 
jours prêt à fe battre à coups de poing» 
comptant fur la vigueur de fes efclavesycom- 
me n c'eût été fa propre force. 

Il eft inutile de parler ici de ceux qui font 
profeflion des Arts: on peut les nommer les 
mignons de Philautït , ma chère compagne,: 
ou les Favoris de VAfitour-vropre, Ces gens- 
là idolâtrent leur petit mérite^ &ils céde« 
roient plutôt tout leur patrimoine, qui d'or- 
dinaire eft aufli léger , que de rabattre en fa- 
veur de qui que ce foit , de la bonne opi- 
nion qu'ils ont d'eux-mêmes.Les Comédiens, 
les Aluficiens , les Orateurs & les Poètes, 
voilà ceux qui font les mieux partagés d'A- 
mour-propre. Plus Us ibnt médiocres , plus 

* Cétoit un riche fiyit. Il avait fi peu de 
mémoire , qu'il oubliait les noms les plus cort" 
nus, comme ceux d*ffeSlor& d'Achille: Sur 
ce qu'il croyait, bormemèrtt jouir de tous les 
talens de fes efclaveSy on lui conjeilloît de 
fe battre auj/i avec leurs forces , car pour luk 
il ri en avait points ' 



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DE LA FOLIE. lOf 

as s'imaginent exceller , & leur vanité 
ne tarît jamais fur leur compte. N'allez pas 
croire pour cela qu*ils manquent d'aproba- 
teurs: car point de fottife , queîquegroffiére 
qu'elle foit , qui n'en trouve, Ceft dire trop 
peu : phs une chofe eft opofée au bon fens » 
plus elle rencontre d'admirateurs. Deman- 
dez-vous pourquoi î Je vous l'ai déjà dit ; 
prefque tous les hommes font fous. L'igno- 




de partie du Genre-Humain. On ieroit bien 
fimple^^de vouloir s'élever au- deffus da 
vulgaire, par un fçavoîr folidej car outre 
qu'il en coûte beaucoup y ce fçavoir fait que 
tout le monde vous fuit , & que vous foy^ 
tout le monde ; enfin , vous ne trouvez pref- 
que perfonne capable d'entrer dans votre 
goât & dans vos fentimens. 

Je fais une autre réftéxion fur /'^A»o»;»f/;^ VA-^ 
pf€. Chaque homme en ^ reçu fa dofe en naif- mouf" 
fant , comme un préfent de la Nature : mais propre j 
cette mère commune ne s'en eft oas tenuelà , enfant^ 
elle a fait la même combinaifon à l'égard des de la 
fociétés ; enforte qu'il n'y a point de Nation, jp^^/i^i} 
Ai même de Ville , qui n'ait fon goût parti- 
culier , ou fa portion ^Amour-propn. Les 
^nglois ie piquent de beauté ,. de Muûque» 



to6 V E LO G E 

& de bonne chère. Les Eeoffoîs vantent lenr 
NobleOe^fic principalement Iqrfqu'eUe prend 
fa fource dans le fang de leurs Rois : ils fe pi» 
quent auf& beaucoup d'être fubtils Dialecti- 
ciens. Les François s'attribuent la politefle ; 
les Parifiens vantent leur Théologie; les 
Italiens leur Littérature & leur Eloquence ; 
enfin, chaque Nation fe félicite foi -même 
d'être la feule qui ne foit point barbare. Oit 
peut dire que les Romains l'emportent en** 
coredansce dernier genre defélicité. Rome 
moderne conferve toujours comme d'agréa- 
bles fonges les frivoles prétentions de l'an- 
denne.LesVénitiens^enflés de leurNoblefle» 
fontfort contens d'eux-mêmes; les Grecs s'a- 
plaudîffent d'avoir inventé les Sciences , & 
d'être la poftérité de ces fameux Héros , qui 
curent autrefois tant d'éclat, les Turcs, fie 
• tout ces amas de Peuples barbares, qui ont 
fnbi le joug de rAlcoran,pri^tendent pofféder 
ienls la vraye Religion , 8c fe mocquent des 
fuperftîtions des Chrétiens. Les Juifs vivent 
encore bien plus agréablement dans l'attente 
du Meflle>euxqQi, fans fe rebuter d'un fi long 
délai , comptent (ûrement , & fans vouloir 
en démordre, fur raccompliffement des pro- 
-meffes de Moyfe.LesEfpagnokfeplaifentà 
prôner leurs prouefles fie leurs exploits. Les 
Allemandsfe font honneurde leur taille gl- 



DELA F O LIE. 107 

gantefque » & de leur Science magique. 
Demeurons-en là , je ne finirois point. 
Vous voyez à prefent , fi je ne me trompe > 
combien VAmour^propre caufe par-tout de 
plaifir , tant dans le général , que dans le 
particulier. A côté dePàilautie, marche tou- 
jours fa fœur, UFlatur'u ou la baffe corn- 
plaifance. Car à auoi connoit - on TAmour'* 
propre , fi ce n*eâ quand quelqu'un fe fiatte , 
le carefle ou fe cajole lui-même ? Or, quand 
on cajole les autres , cela s'apelle Flatterie* 
La Flatterie a le malheur d'être aujourd'hui 
un peu décriée; mais par qui? Par des gens 
qui dans le fond s*Ottenfent plus du nom 
que de la chofe. On s'imagitie que la corn- 
plaifance ne peut pas s'accommoder avec la 
. bonne^foi : grand abus l Les bétes mêmes 
nous font voir le contraire. Nul .animal «fi 
careflant que le chien ; en eft*il aucun d'auffi 
fidèle ? L'écureuil aprivoifé ne demande qu^à 
Jouer: en eft-il moins ami de l'homme? Si 
la Batterie éxcluoiit la probité , il faudroit 
conchire de là 9 que les lions féroces , que 
les tigres cruels , que les léopards furieux , 
auroient le plus de raport avec l'efpéce 
.humaine. Je n'ignore pas au'il eft une flat- 
terie criminelle , Scc'eft celle qu*employent 
les fourbes , pour duper les iots. Mais ce 
n'eft pas^là ma chère Flatterie : aux Dieux sle 



W8 V E L G E 

!»laîfe , que je Tadopte i La mienne part d'iit^ 
bnd de douceur ^ de bonté, de droiture 
d'ame ; & elle aproche autant de la vertu , 
qu'une humeur rude , fauvaee , brufque ,im[- 
polie» en eft éfoignée. Ma Flatterie redonne 
du cœur à ceux qui font découragés ; elle 
éga^e les méiancolîaues , aiguillonne les pa- 
refleuxy réveille les uupides, foulage les ma^- 
lades, apaife les furieux » fait naître Ta* 
mour,&l entretient. Ma Flatterie fait goûter 
aux enfans le travail de Tétude , elle réjouit 
les vieillards , & fous Timage delà louange» 
elle infiroit les Princes , fans les ofFenier. * 
Enfin, ma Flatterie fait que tous les hommes 
font épris plus ou moins d'eux-mêmes , elle 
en hàx prefau'autant de Narcifles ;. & c'eft 
en oooi coRlme principalement le bonheur 
de ut vie. 

Sepcut-irrfen demeHleur é^xempre & de plu» 
attendriflant , que de voir deux oons & hon- 
nêtes mulets s entregratter obligeamment i 

* Erafme lui-même ahhnfçûfaîrc ufage 
de cette Ftaturie inpru&îve , dans fin Pané^ 
gyrique aw Duc de Bourgogne , ou Von voit 
que le but de l'Orateur itoit plus de donner 
l^idée d*un bon Prince , /[ue de feindre Phhr 
^pc au natuHk 



î 



DELj4 FOLIE. 10^ 

De ce fervlce mutuel dépendent l'Eloquen- 
ce en partie , la Médecine un peu davanta- 
;e, & la Poëfieplus que ces deux enfemble* 
e dis plus : cette Flatterie réciproque fait 
la douceur 5c toutraflaironnement du com- 
merce humain. On a beau dire , que c'eft ua 
grand malheur d'être trompé ; je foutiens 
qne de n'être pas trompé , c'eft au contraire 
le plus grand des malheurs^ Il y a une ex<» 
travagance outrée à mettre le bonheur de 
l*homme dans les chofes mêmes ; il ne dé- 
pend que de l'opinion. Tout eft il obfcur 
dans la vie , tout eft fi variable & fi opofé ^ 
qu'on ne peut s'aflurer d'aucune vérité. Ç'é- 
toit le premier principe de mes Académi- 
ciens, tes moins préfomptneux de tous les 
Phîjofophes. S'il y a des chofes bien con- 
nues y éc dont on ne doit pas douter , com- 
bien trod^^lent- elles la douceur & le re- 
pos^ de la vie î Enfin les hommes aiment 
qu'on les trompe; toujours prêts à quitter 
le vrai , pour courir après le faux. En vour 
lez-vous une expérience fenfible & incon- 
teftable ? Allez dans les Temples & affiftez 
aux Sermons* Si l'Orateur traite férieufement 
fa matière, on dort, onbaille^ on toufie^on 
fe mouche, on s'ennuye : ù au contraire la 
clameur ( je me trompe , j'ai voulu dire la dé- 
signation ) eft égayée par quelque conte d^ 



114 V E L O G E 

ry bienfait; on voudrolî mime ne Tavoir pas 
r / " f^Ç"' ^^ ®" ®^ ^^^^ *" contraîre du bien que 
j ^^ je fais aux mortels* Je les enyvre , je leur 
plus ^jg même la raifon ; mais mon y vreffe eft 
^''v- bien différente de celle de Bacchus : la mien- 
fantt^^^ caufe la joïe, les délices, le bonheur ; 
la plus ^}^^ dure toute la vie, ocelle ne coûte m 

5 n- ^''8^"^* ■*' remords. 
dts Di-^ Lç5 hommes m*ont encore une obtigation 
finîtes, q^j m'eft particulière, c'eft qu*il n*y en a pas 
un qui ne fe fente plus ou moins de ma libé- 
falité. Les deu;c autres partagent inégale- 
aient leurs faveurs entre les hommes. Il n^ 
croit point par-tout de ce vin agréable 6c 
fort, qui remplit Tame la plus mélancolique 
^ de plaifir ^ de courage & d'efpérance. Vénus 
accorde rarement le don de la beauté ; Mer- 
cure fait encore moins d^éloquens, de Hercu- 
le de riches \ Jupiter met peu de gens fur le 
trône ; Mars re^fe fouvent fon fecours aux: 
deux partis qui Tapellent de leur côté ; Apol« 
Ion fait des réponfes affligeantes à quantité 
de ceux qui confultent fes Oracles ; Jupiter 
lance fouvent fa foudre ; Phébus envoyé 
quelcniefois la pefte ; Neptune fait périr 
plus d'hommes qu'il n'e» fauve^ Quant à ces 
noires Divinités qui ne fontd^aucunfecours^ 
comme Pluto», les mauvais Génies , la Fié- 
.vre qui a eu des Temples à Rome , fic^ar 



DE LA FOLIE. rry 

f eils ob)et$ d'un faw culte » qui font plutôt 
des bourreaux que des Dieux , ils ne méri- 
tent pas qu'on en parle. Il eil donc vrai que 
les autres Dieux ne font pas bons à tout le 
monde ; mais pour la Folie , pour moi , dis- 
|e, qui fuis l'unique de mon rang, mon in^ 
clination à obliger , ^ mon humeur bien- 
faifante, embralient généralement tous les 
faommes» Mon déilntéreffement d'ailleurs 
«ft égal à ma générofité ; je ne demande ni 
vœux y ni ofE^ndes : ^ene fuis point Déeffe 
à me fâcher y ni à ordonner des viôimes 
d'expiation , dès. qu'on a omis quelque cé- 
f émonie de mon culte : je ne bouleverfe 
point le Ciel & la Terre pour me vanger de 

Seique Dévot , qui ayant invité toute la 
mt Divine , m'a laiffé morfondre che£ 
moi» fans daigner m'apeller à fon facrîfice , 
pour prendre ma part 4e l'odeur & de la 
liimée des viâimes. Il faut donc que \% le 
^ifeen paffant , & la honte de la condition 
immortelle : les Dieux font fi bizarres & fi 
l>ourrus , qu'il vaudroit prefque mieux les 
laii&T là j que de leur rendre un cuite : ce 
feroitaumoinsle plus {îa. On devroit en 
agir avec eux ,. comme avec ces Hommes- 
intraitables y & qui querellent fur tout^:: 
point de comnierce avec eux y leur aoiitié^ 
soàtetrop chec*- 



ti6 V E LO G E 

Maîs,difent les ennemis de mon nom Jl 
perfonne îufqu'à prefent ne s'eft ayifé de 
rendre à la Folie les honneurs divins : on ne 
lui confacre point de Teoœles , on ne 1a^ 
nourrit point de la vapeur aes vîâimes. A 
vous parler franchement » & je crois vous^ 
Favoir déjà dit , tant d'ingratitude m'éton* 
ne. Après tout , je ne m*en foucie giiéres ; 
& fuivant ma complaifance naturelle , je 
prens la ohofe du bon c6té. Il y auroit mé* 
me delà fagefleàmoi, &je ferais indigne 
d*étrè la Folie, fi j'ambitionnois les hon« 
neurs divins. Quoi , Ton m'of&ira fur un 
autel un grain d'encens ,. des eâteaux falés , 
un bouc ,.un cochon , ÔC ces bêtes innocen- 
tes feront égorgées pour me réjouir l'odo- 
rat ! Abus que tout cela. J'ai un culte , moi ^. 
suffi étendu que le monde» & tons les hom* 
mes me le rendent. U n'y a pas jufqu-aux 
Théologiens qui ne Paprouvent & ne Tau* 
torifent» Je n'ai pas la cruelle & barbare 
ambition de Diane ,. qui veut des viâimes^ 
humaines :. je me crois révérée & fervie- 
trës-religieufement , quand je vois que de 
tous côtes on me porte dans le cœur même , 
en m'exprime par les mœurs , on me re-r 
prefente par la conduite. 

A propos de culte, celui que les Ghré*^ 
tiens tendent aux Saints, conufle rarement 



D E L'A f O Ll E. tî5f 

S le» imiter. Onvoitbieniinefoulede gen» 
attacher des cierges- aux pieds de la Vierge 
mère de Dieu, &cela; en plein midi ;-mais 
pour ceux qui fuiTent fes exemple» de chaf^ 
tet é , de modeftie , & de zèle pour les chofes- 
du Ciel» il n*y en a prefque point. Ce feroit 

Eourtant-là le vrai culte dû aux heureux ha«^ 
itans du: féjour célefte,. & celui qui leur 
plairoit davantage*^ 

Après tout , qu'ai^je à faire d*un Tem* 
pie particulier ? J'en ai un fi vafle & fi beauV 
qui eft toute la tefrre. Je ne manque de Prê- 
tres & de Miniftres> que dans les lieux où 
ii n'y a point d'hommes. Car ne me croyez 
pas affez extravagante , pour me foncier de* 
natues & de tableaux : ces figures fonr 
d'une conféqnence bien dangereufe pour 
notre culte. Il arrive fouvent que ces Dé- 
vots de chair & de fang ^. prennent la 
fiatue- pour le Saint ;r & alots nous nous 
trouvons honteufement dans le cas d'un. 
homme qui fe. voit fupltnté par fon vice^ 

Sérent. Tous les mortels font mes fiatues,. 
L Us me reprefentent au naturel ^ quand 
ils ne voudraient pas. Je confehs donc 
très^^olontiers que les autres Dieux ayent 
leurs Temples- en> diiFéreiB goîas de 1» 
Terre-, & qu'ils foient célébrés cercainsr 
JQpur^. de Tannée»^ Qu'x)n adore Phébu;»' » 



Il» r E L OG E 

Rhodes y Vénus en Ooy^re , Junén à Ar^os^ 
Minerve à Athènes, Jupiter fiir le Mont 
Olympe , Neptune à Tarente , Priape à 
Lampûiqae ; mon fort divin fera toujours 
plus glorieux que le leur , tant que là Terre 
fera mon Temple , & tous les hommes mes 
viâxmes» 

Il femble qu'en cela î'asvance mipudem^ 
ment un menfonge ; vous allez voir que 
non» RéfiéchilTons un peu fur la vie hu- 
maine ; ôc fi je ne viens point à bout de 
/prouver que je fuis la Divinité à qui les 
hommes ont le plus d'obligation , £c cel- 
le auffi qu'ils eftiment le plus depuis le 
fceptre jufqu^ la houlette^ )e veux bien 
renoncer à mes droits. Je ne m'engage 
pas néanmoins à parcourir toutes les con- 
ditions , la carrière ferolt trop longue >: 
îe me contenterai d'indiquer les principar 
les , d'où ii fera facile de juger du refte. 

Pour commencer par le Peuple ^ vous ne 
doutez pas qu'il ne foit tout à moi : car vous 
Y voyez d'un coup d'oeil tant de genres dif- 
lérens de folie y 6^ il en invente encore tous 
les purs tant de nouvelles , que mille Hé-^ 
mocftites ne pourroient fuffire à tant de ris 
dont ilfburnit la matière V encore ces intré^ 
pides rieurs aufoient-ils befoia à leur tour 
dTua autre Démocritepourfefnoqjaer d'éux^ 



DE LA FOLIE, itj 

On ne fçâur oit exprimer cotnbien ces pe^ 
tits hommes* là divertiffeRt les Dieuxv 
Pour bien entendre ce que je veux dire ^ 
il eft ban oue voas fçachiez une chofe» 
Les Dieux tant fobres jusqu'au dîner ; ils 
employent ce tems-là à délibéiser en fe 

Suerellant , ou à écouter les vœux des 
lortels. Au fortir de tablé, comme le 
fieâar , dont ils ont bû largement , leur 
jenvoye des fumées au cerveau » ib ne peuK 
vent s'apliquer aux af&ires» Que croyez-*» 
vous qu'ils taflent pour fe remettre la tête f 
Ils fe raffemblent tons au plus haut du Ciel t 
c'eft de là , qu'aflis fort à leur aife , ôc re- 
gardant en bas , ib examinent les difFéren» 
tes aâions des hommes, ôcibn'om point 
de fpeâacle plus réjouiiTant. Grands Dieux, 
quelle agréable Comédie pour vous , que 
tous ces tnouvemens aucune poignée de- 
fous fe donnent fur la Terre ! Car )e me 
trouve auflî quelquefois au sang des Di*» 
vinités Poétiques. 

L'un aime éperdâment une femmelette ;: 
.& moins il eft aimé , plus l'amour le tour* 
snente & le rend farîemc. L'autre épouf^ la; 
dot, & non pas la fille. Celui«-là profHtue- 
ion époufe. Cleliii-ci pofTédé du Démon de 
la)aloufie, n'a point affez d'yeux pour re<» 
garder lafiennew Quelles fottifes ne dit:*oiK 



f w T E L OG £ 

yoint & ne fait-oir point dans le deuH , jnf? 
qu'à payer des pleureurs à gages , qui (ont 



comme les Aâêurs de la iarce ! Beaucoup 
de joïe dans le cœur , & de douleur fur le 
▼ifage ; c'eft comme les Grecs difoient en 
proverbe , pUurtrfur le tombeau de fa hellf 
mère. L'un , ramaffant de tous c6té^ de quoi 
fatisfaire fa gourmandife , donne tout à fûn 
ventre, au rifque de mourir de faim après- 
s'être contenté : l'autre met (on bonheur à 
dormir & à ne rien faire. Il 7 en a quiv 
toujours- siSàh pour les affaire» d'autrui , 
négligent les leurs. On en voit oui emprun» 
tent pour s'acquiter , & qui le trouvent 
abîmes de dettes , lorsqu'ils fe croyent ri^ 
ches. Cet avare qui vit pauvrement , ne 
conçoit pas un plus grand bonheur que d'en- 
richir fon héritier. Cetafiamé de biens courr 
les mers pour un profit léger &fort incer*- 
tain , abandonnant aux vagues & aux vents 
une vie qu'il ne peut racheter de tout Tor dn* 
monde jGe Guerrier» qui pourroit jouir chez 
lui d'un fur & agréaJble loifir , aime mieux 
chercher fortune à travers les dangers & les 
horreurs de la guerre.On fe flatte d*unegrof-^ 
fe fuce(£on ,. (Ton peut s -emparer de l'efprk 
de ce Vieillard qui va mourir fans héritiers y 
•u fiona l'adrefle de gagner les bonnes gra^ 
•es^decetteriche Vieille : mais que les Dieinc* 

lieatf 



DE LA FOLIE. lit 

rient de bon coeur , quand ces pêcheurs d'arr 
gent font pris dans leurs propres filets. 

Les plus fous 5 les plus méprifables Ac- 
teurs du Théâtre de la vie humaine , font 
les Marchands. Rien de plus bas que leur 
profefTton , & ils l'exercent plus bafTement' 
encore : ils font ordinairement menteurs , 
parjures, voleurs , trompeurs, impofteurs , 
& malgré tout cela fort confidires , à cau- 
fe du cofFre-fort. Ceft principalement à 
ces mauvais riches , que les Moines , & 
fur-tout les Portes-befaces , font fi dévote- 
ment la cour : ils les abordent avec un ref^ 
peâ doucereux , & leur prodiguent les bé- 
nédiâions , pour attraper une petite por- 
tion d'un bien mal acquis. Vous voyez^dans 
un autre endroit les feaateurs dePythagore, 
qui tenant avec ce Philofophe que tous les 
biens font communs, regardent comme un ' 
cafuel légitime , tout ce qu'ils peuvent dé- 
rober. Il y en a qui ne font riches que d'ef- 
pérances : ils font d'agréables fonges , ré vent 



- * Erafme parle icifuivani la prévention de 
■fon tems qui ne fubjîfie plus» LaprofeJJîon de 
Marchand eft èftimée aujourd'hui par- tout ; la 
honttde ceux qui la déshonorent f ne retombe 
foint fur elle. 



111 V E L O G E 

de fortune , & cela leur fuffit pour vivre heth' 
reux. Qeelques-uns veulent pafler pour fort 
opulens 9 quoiau*ils n'ayent pas même le aé- 
ceiTaire. L un le hâte de fe ruiner « l'autre 
amafTe à toute main. Cet ambitieux s'agite 
pour entrer dans les Charges ; & cet indo-. 
lent n'aime que le coin du feu. Les Plaideurs 
s'irritent par la longueur des pourfuites ; 6c 
les Parties femSlent difputer aTenvi, à qui 
enrichira le mieux un Juge oui ne viîe qu'à 
prolonger \q% Procès i & un Avocat prévari- 
cateur. Le brouillon & le féditieux courent 
après les nouveautés ; l'inquiet médite de 
grandes entreprifes. Tel va àjérufalem^ à 
Rome , à Sa'mt Jacques y où il n'a que faire , 
pendant que fa femme & fesenfansauroient 
grand befoin de fa prefence* 

Enfin, it vous pouviez découvrir du Moa« 
de de la lune , les agitations infinies des hom^ 
mes , vous verriez une grofle nuée de mou» 
ches & de moucherons qui fé querellent , fe 
battent , fe tendent des pièges , s'entrepil- 
lent , jouent , folâtrent , s élèvent, tombent 
& meurent. Vous ne pourriez jamais vous 
imaginer les moavemens , le vacarme , le 
tintamarre que l'homme, ce petit animal, qui 
par raport à une durée infinie , n'a qu'une 
minute à vivre, exdte fur la fur&ce de 
votre Globe. Encore n'eft-elïe pas aiTurée^ 



D E L A FO LIE. iijf 

C6tt€ minute : combien la maladie, la guerre,' 
& une infinité d'autres accidens en avan- 
cent^iis la fin ? Mais je ferois extravagante 
au dernier point , & )e mériterois bien de 
faire rire détnocrite à gorge déployée , fi 
i'entreprenois d'achever le détail des folies 
populaires. Pafibns à ceux qui gardent chez 
tes hommes l'aparence de la fagefle , & qui 
courent après le rameau d'or , comme ilsLaPo'^ 
l'apellent avec emphafe. lie fous 

Les premiersqui fe preféntent ,font les vé- le maf» 
nérables Doâeurs en. Grammaire» on les Pé« que de 
dans ; gens nés dans la difgrace du fort » & /^ Sa^ 
dans la colère des Dieux ; gens dont on ntgeffe. 
pourroit afiez déplorer le malheureux deftki, ' 
fi moi^qui ai pitié d'eux,)e n'adouciflbis leurs 
peines par un certain genre de fWie. Ges Pé-* 
dâgogues font comme livrés aux Furiesrtou- 
jours affamésytoujours fales dans leurs Eca« 
les, ou plutôt dans leurs galères, lieux de 
faplice & d'exécution ; au milieu d'une trou- 
pe d'en^ns» ils vieilliiTent dans le travail , ils 
deviennent fourds à force de crier , la puan* 
teur & la malpropreté les rendent étiques. 
Ne les plaignez- vous pas ? Gardez- vous- en 

* Mélanchion a fait à cefujet unpmt Ouvra-t, 
gé intitulé: De Miferiis Psdagogorum* 



ti4 V ELOGE 

bien : )'ai remédié à leur mal , & par mon 
moyen , les Pédans fe croient les premiers 
hommes du monde. Ils goûtent un fi grand ^ 
plaifir à faire tremblerleurs timides Sujets , 
par un air menaçant , par une voix tonnante l 
Armés de férules & de verges^ ils n*ont qu'à 
décider fur le châtiment ; ils font à la fois ~ 
Parties , Juges & Bourreaux ; ils relTemblent 
à l'Ane de la Fable qui fe crojoit toute la 
valeur du Lyon , parce qu'il en avoit la peau. 
Ils font gloire de leur craiTe: leur faleté eft 
une efpéce de parfum pour eux, &fe regar- 
dant comme des Rois', dans le plus malheu- 
reux de tous les efclayages,ils ne y oudroient 
Eas changer leur defpotifm^ contre celui des 
)enis &L des Phalaris. * Ce qui les rend 

'• Phalaris étoit tyran (TA^igente , Ville de 
Sicile : Il pajfoit pour être extrêmement crueL 
Cependant nous avons de lui deux portraits 
hièn differens. La Tradition du taureau £ airain 
eft peut' être ce qu'il y a de plus fort contre lui : 
mais rej/hi qu'il en fit fur Pinventeuf même^ 
marque au moins quelque équité de fa part. 
Denys étoit tyran de Siracufe. Ses Sujets 
rayant chajfé paries cruautés , il alla à Co* 
rittthe, où ilfefit Maître d^ Ecole ^ pour con* 
ferver quelque image de domination. Il fût aujfi 
mauvais Pédant qu'il avoit été méchant Roi» 



DE LA FOLIE. Uf 

principalement heureux , c'eft la haute idée 
qu'ils ont de leur érudition : ils ne fément 
que des impertinences, que des fottifes dans 
refprit des enfans ; & cependant ils font 
tellement prévenus de leur habileté , qu*li< 
méprifent même ceux de leur Ordre qui 
ont eu 1^ plus de réputation. Ils pafient 
auffi chez les crédules parens de leurs dif- 
ciples , pour des hommes d'une fcience pro- 
fonde ; ce qui n'eft pas un petit ayâdtage. 
Ils jouiffent encore d'une autre forte de plai- 
fir : quelqu'un d'eux a-t'ii trouvé dans un 
vieux manufcrit tout rongé de vers, quel- 
que mot inconnu ? A-t'il déterré quelque 
vieux débris , auelque fragment de pierre , 
fur lequel ily aaes lettres tronquéesPGrands 
Dieux ! quel treffaillement de )oye , quel 
triomphe j quel aplaudiflement ! Scipion ne 
fut pas plus utisfait d'avoir terminé la guerre 
d'Afrique , ni Darius d'avoir fait la conquête 
de Babylone. Quelle volupté pour ces Sco^ 
liaftes , lorsqu'ils vont de porte en porte lire 
leurs pitoyables vers , & qu'ils trouvent des 
admirateurs l Alors ils ne fe croyent pas 
moins que de nouveaux Virgiles : ]e ne A^ài 
même s'ils ne fe flattent point crue tout l'ef- 
prit de ce grand Poëte a paffé chez eux. Le 
meilleur de tout ^ eft quand ils fe rendent 
xéciproquement louange pour louange» ad? 



ti6 r ELOGE 

miratîon pour admiration , gratterie pour 
gratterie» Si un homme du métier s'eft trom» 
pé fur la Syntaxe , & qu'un autre plus claire- 
voyant s'en foit aperçu , que de bruit auffi*» 
tôt pour une vétille \ Que de difputes , d'in- 
veôives & d'injures ! Ecoutez, je vous prie 
ce trait : le fait eft véritable , & je veux avoir 
tous les Grammairiens à dos fi je mens ; cot»- 
cevez toute la force du ferment ! Je connois 
un homme qui fçait tout , le Grec , le Latin , 
les Mathématiques , la Phîlofophie ^ la Mé- 
decine : il excelle en tout ceh , & il a déjà 
foixante ans. Devineriez^vous bien à quoi 
s'occupe depuis environ vingt ans cette ma* 
chine encyclopédique ? II a laiffé là toutes 
fes acquittions : il s'attache uniquement à 
la Grammaire» qui le tient fans ceife à la tor* 
ture. Il n'aime la vie , oue pour avoir le 
tems d'éclaircirunedesdîtncultés de cet Art 
important ; & il mourra content , dès qu'il 
aura inventé un moyen (ûr , pour diftinguer 
les huit Parties du difcours , de quoi , félon 
lui,ni les Grecs ni les Latins n'ont pu encore 
venirà bout. Le fujet,comme vous voyez, eft 
de la dernière conféqoence pour le Genre- 
humain. Quoi ! être toujours en danger de 
prendre une conjonôion pour un adverbe i 
Cela mérîterpit une guerre fanglante. Or , 
;irous remarquerez qu il y a autanjc de Gratu- 



DE LA FOLIE. iij 

maires que de Grammairiens. Aide » un de 
mes favoris dans ce genre , n^en a donné qne 
cina pour fa part. Notre entêté les lit toutes , 
quelques heriiTées , quelques rebutantes 
qu'elles puiiTent être » ils les examine toutes 
l^fond, jaloux de tous ceux qui fe mêlent 
^'écrire fur cette matière ; & tremblant tou- 
jours qu'on ne lut dérobe la gloire & le fruit 
de fes longs travaux. Que vous femble de 
ce bizarre Sçavant ? Eft^ce folie ? Eft*ce fu- 
reur ? Ce fera tout ce ou'il vous plaira , pour- 
TÛ que vous m'accordiez que le Grammai*- 
rien , cet animal furchargé d*infortuiies, eft 

rirun effet de ma bonté feule , fi content , 
fatisfait de lui-même , qa*il ne voudroit 
pas changer de condition avec les plus ri- 
ches & les plus puiffans Rois de l'Orient. 

LesPoëtes ne m'ont pas tant d'obligation. 
Ce n'eft pas qu'ils ne foîent auffi fous cfle 
qui que ce foit ; mais c'eft qu'ils font en droit 
& en poiTeffion de l'être, il y a long^tems 
qu'on l'a dit : Les Poètes & les Peintres font 
une Nation libre. Les faifeurs de vers tout 
confifter tout leur Art à débiter de pures 
fottifes » des contes ridicules , des tables 
abfurdes pour divertir les fous. Ced pour- 
tant fur toutes ces fadaifes ^ qu'ils fe pro- 
mettent l'immortalité, & qu'ils la promet- 
tent aux autres. L* Amour-propre & la Fiat-' 



ift8 V E L O G E,. 

terie , font leurs fidèles Conieilléres : 8c pour 
moi , }e n'ai point de Sujets ni plusfincéres , 
ni plus conftans* 
LaFo' '•^^ Orateurs {ont auffi des nôtres. Ce 
lie pré- "^ ^^^^ P^' ^^' P^^^ fidèles Sujets » je Ta- 
fide à voue 9 car ils s'entendent un peu avec les 
tous les Ptit^ofophes : mais , outre qu'étant auffi ini^ 
genres ?^^^^ ^^ l'Amour- propre & de la Flatte- 
de Lit"^^^* ^^^ ^^^^ ^^^^ féconds %n fottifes « les 
tératU'P^'^ célèbres d'entr'eux n*ont-ils pas écrit 
^^ lérieufement fur la manière de plaifanter ? 
L'Auteur , quel qu'il foit , qui adfreffe à He- 
rennius l'An de parler , ^ compte la Folie 
même entre les différentes efpéces de raille- 
ries. Quintilien^ le Coriphéedes Rhéteurs » 
a fait fur le Ris un Chapitre auffi ample que 
riliade d'Homère. Selon ces Ecrivains , h, 
Folie a plus de vertu, que la Raifon ; & il ne 
Êiut qu'une bonne plaifanterie, pour détrui- 
re le meilleur raifonnement. On ne peut 
donc me difputer y que l'art de faire rire ne 
foit purement de mon reflbrt. 

Voici d'autres gens à peu près delà mé- 



* Cet Ouvrage , qiûon trouve ordinairemen» 
parmi les Œuvres de Cicéron , n'efifûrement 
pas de cet Orateur , fuivant les meilleurs cri^ 
tiques. 



DE L A F OL lE. mj 

ime étoffe : ce font ceux qui cherchent SLs^ao- 
quérir par les ouvraees qu'ils mettent au )our 
une réputation durable » 6c qui vifent à l'im- 
mortalité. Généralement tous ces Ecrivains 
m*apartiennent ; mais principalement ceux 
quine publient que deslottifes. Quant à ceux 
qui ne fe piquent d'écrire que pour un petk 
nombre de gens d'un goût iûr , & qut ne ré- 
cufeht point le jugement des bonsOitiaues 
qui font fi rares,ils font plus de pitié qued çtus» 
vie : toujours dans des efforts de téte^ils pen* 
fent & repenfent , aj^outent & changent , re» 
tranchent & remettent^oreent & reforgent^ 
font 6c défont > confultentUns cefle ; & avec 
toutes les peines qu'ils fe donnent « il fepafle» 
ra peut-être neuf ou dix ans avant que le ma* 
nufcrît forte de la prefle. Qu'ils font à plain- 
dre , ces malheureux Ecrivains , jamais con- 
tens de leur travail! Etauelleeft leur récom- 
penfe ? Un peu de fiimëe , l'aprobation d'un 
très-petit nombre de leâeurs. En bonne foi ^ 
cela vaut-il la peine de facrifier fon fommeil ^ 
fon repos > fes plaiûrs , enfin toutes les dou- 
ceurs de la vie \ ajoutons que ces chercheurs 
d'immortalité ruinent leurfantè , deviennent 
pâles , maigres , quelquefois aveugles ; qu'ils 
s'attirent beaucoup d'envie » fansiortir de & 

1>auvreté ; qu'ils avancent leur vieillefle & 
eur mort , car c'eftà ce prix que le prétend^ 



i30 V E L O G E 

Sage* croit devoir acheter Thonneur d'être 
loaé de deux on trois personnes de fa forte» 

Parlez-moi d*an Auteur qui écrit fous mes 
aufpices, & dont )e fui»^la Minerve. Il ne 
connoît ni méditation , ni tranchée de cer- 
veau , ni veilles : tout ce cm! lui vient dans 
Fefprit , lui femble admirable , & fa plume 
peut fuivre à peine le torrent de ion imagi- 
nation. Il met toutes les impertinences qui 
fe prefentent ; & il n*a point regret au papier, 
fur qu'en ne publiant que des fottifes , il au- 
ra pour aprobareurs tous les fous & tous les 
ignorans. Cet homme-là n'eft-il pas vraiment 
heureux ? II faut donc , direx-vous , qu'il re- 
nonce abfolument au fuifrage des habiles 
«ens i Apurement , le facrifice e(l fort grandi 
Lareinentces finslgc fça^ans Critiques lifent 
mon homme ; mais quand ils voudroient tous 
le lire , le theiilenr parti eft de méprifer des 
leâeurs fi difficiles,pour ne s'attacher qu'aux 
fous &aux ignorans ; c'eft perdre feulement 
quelques fuffrages pour gagner tout le Gen- 
re-Humain : y a-t'il là à balancer? 

Les Plagiaires * néanmoins l'entendent 
encore mieux : il leur eft fort aifé de s'apro- 

* On dpnnoït aùtnfou ce nom aux voleurs 
^Jtenfans 6» (Tefciaves. Les produêi'wns d*efprk 
font des Enfam bien chers , & quand ^uelqu'uà 




O-^Az-ffï i/îl' , 



Gravé à /jou/vf^/iw* /irXéifntf'f . 



THE ^•E\v YORK 
PUBLIC LIBRARY 



ASTOR, LE FOX 



DE tA POLIE. 151 

|>r!er les Oavrages des autres , & de jouir 
d^une glbire que céux*ci n'ont acquife qu'à 
force de travail. Ils n'ignorent pas, maigri 
toute letrr îfmpuden-ce , que tôt ou tard oh 
découvrira (eur brigandage: tnais ils efpérent 
€n profiter^du moin:» pendant quelque-tems. 
C'eft un plaifir de voir leur air (atisfait quand 
ils entendent dans la rue : Tene;^ , le voilà 
luî^ntime , c^eft lui; quand ils fe voyent bien 
reliée , bien conditionnés, dans la boutique 
^un Libraire. Leurs noms font pompeufe- 
ment à la tête de chaque Tolnme. Je dis leurs 
nomsf parce qu*il eft beau d'en mettre plu- 
fieurs & de leur donner même un air étran* 

5er ou barbare , qui les fait prendre pour 
es termes' magiques. * Ces noms au refte 
ne fignifient rien, 6c ne font en effet que 
des noms : d'ailleurs,eii égardà la vafte éten- 

nouslesenléviyOn a raifon de reclamer les droits 
de la paternité. Mais eft*on plagiaire aujour» 
tthui? Puifqu*on ne peut guires voler que des 
roleurs , & qu'on peut dire avec La Motte » 
que dans le Monde littéraire : 

• *— Toute la vie , 

N'eft qu'un cerdé de volerîè. 
* Erafme fronde ici tuf âge bigarre ^ quis*e* 
tùït introduit dans le /ei^iéme fiécle parmi les 
Sfayans t Allemagne & eT Italie « de traduirt 



ty% L'ELOGE 

due de la Terre » il y a très-peu de gens qui 
pQi{rentlesconnoitre,& encore «oinsqtM 
s'enfoudent^legoûtn'étvitpasplusuniforme 
chez les ignorans , que chez les lettrés. Sou- 
vent même ces noms font forgés , ou em- 
pruntés des Anciens , comme Télémaquef 
dthélénus, Laërce,Pohrcrate ,Thrafimaque» 
&c« Nos Plagiaires fe U>nt honneur, de uire 
revivre ces beaux nomsâc de les adopter* 
Ils feroient tout auffi-biend'infcrire leurs Li- 
vres Caméléon , Citrouille , ou fuivant Tufa-* 
fe de quelques Philofophes » Alpha ou Etta* 
lais rien au monde n'eft-plus plaifant que de 
voir ces ânes s'entregratter , foit par leurs 
lettres , foit par des vers & des éloges 
qu'ils s'adreiTent mutuellement fans pudeur* 
vous furpadez Alcée , dit Tun : ôe vous Cal* 
limaque» répond l'autre; vous écUpfez TOr^i- 
teur Komam , & vous , vous effacez le divin 
Platon. Quelquefois auffi ces champions fe 
défient au combat, & entrent ea lice pour 

leurs noms^proprcs en Latin , en Grec^ & quel^ 
éiuefois en Arabe. Pour nen donner ici qu*un 
exemple f qui rrco/wiof^i/ Jean- VincentRofli, 
JanjJsMUS Nîcius Ery thraeus. On en trouvera 
de bien plus barbares dans PHifloire des Pfeu^ 
donymes , dont nous avons plufieurs Traités^ 



DELA FOLIE. 13J 

augmenter lear renommée par Témulation. 
Le Public en fufpens ne fçait quel parti pren« 
dre :mats la conclufion ordinaire , c'elc que 
ces braves antagoniftes ont fait merveilles , 
& qu'ils méritent tous deux les honneurs du 
Triomphe. Vous vous mocquez de ces Fous^ 
Gens Sages, & vous n'avez pas tort : mais 
vous ne (çauriez me contefler aue c'eft moi 
qui fais tout le bonheur des méchaos Ecri- 
vains & des Plagiaires , bonheur qu'ils pré- 
fèrent à la véritable gloire. Ces habiles gens 
que je vois rire , 6c qui jouiiTent de l'extra- 
vagance des autres, croient -ils donc ne 
m'avoir eux-mêmes aucune obligation ? Il 
faudroit qu'ils fuffent , ou bien aveugles , 
ou bien ingrats. PafTons légèrement en re- 
vue les Profeffions les plus fçavantes. 

Les Jurifconfultes prétendenti'emporter 
fur les autres , & il n'y a pas de gens qui 
prifent tant leur Art. Cet Art n'eft pourtant 
dans le fond , qu'un travail pareil à celui de 
Sifyphe. ^ Us font quantité de Loix qui n'a- 

, * Comme ce damné des Poètes pajfe tout 
fon tems à rouler^ jufqu'aufommet d'une mon» 
tagne , une groffe pierre , qui retombe aujji-tot 
fur lui ; de mime les Jurifconfultes fe donnent 
J^caucoup de peine pour rien. ( Lywer. ) 



IJ4 V E L O G E 

boutiflent à rien* Qu'efi-ce que le Dlgefte ; 

le Code , & tant d'autres volumes énormes i 

Un fatras de Commentaires , de Glofes & 

de Citations. Par- là ils font accroire au Pea- 

pie ignorant » que la Jurifpnidence eft de 

toutes les connoiffances humaines» celle 

qui demande le plus de génie & le plus de 

travail ; & comme on trouve toujours beau 

ce quiparoit difficile , les fots admirent fin» 

pidement cette fcience-là. 

La To- Les Logiciens & les Sophiftes viennent 

IteMaî'îci fort à propos* Ces gens-là font plus de 

trejffe bruit entr'eux que tous les chaudrons de 

des Dodone : ^ un feul caufe plus que vingt fem- 

Sciea" mes enfemble , quand on les choiflroit pour 

ces» exceller en babil. Il feroit à fouhaiter pour 

eux qu'ils n'euffent que le défaut d'avoir trop. 

de langue : mais comme s'ils étoient pétris 

de bile « ils querellent , ils s'échauiFent pour 

rien » & à forée de difputer pour le vrai » 



* Il y avoit à Podone dans le TempU 
de Jupiter , un endroit ou plupeurs. chaw^ 
drons ^airain étoient uiliment difpofes ^ 
qu*en frapant fur le premier , le fim Je com^ 
muniquoit fuccejjiv entent jufqu'au dernier ; 
ce qu*on a pris pour le fymboU des querel^^ 
leurs. (Id.) 



^iif . jXj . 




THE NEW YORK 
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ASTOR, LENOX 
ITILDEN i=OUKDATION>: 



DE LA FOLIE. 13$ 

(à ce qu'ils prétendent ) ils laiflent échaper 
la vérité. Ces chicaneurs éternels n'en (ont 
pas moins contens d'eux-mêmes : armés 
d'areumens redoutables , & prêts à difpu- 
ter lur toute matière , ils défient tout le mon« 
de au combat. L'opiniâtreté eA pour eux 
comme un bouclier invincible : ils ne cèdent 
jamais , quand ils auroient à faire à Stentor ^ 
Suivent les vénérables Philofophes. Ne 
manquez pas au refpeâ dû à leur barbe & 
à leur manteau. Ils fe vantent que toute la 
fageiTe efl renfermée dans leur tête: excepté 
nous» difent-ils fiérenient , tous les hom- 
mes^ne font que des ombres. Mais tirons un 
peu le rideau qui couvre leur orgueil & leur 
préfomption. Que font les Philofophes? 
D'agréables Fous. On ne peut tenir fon fé- 
rieux , lorfqu'on les voit bâtir une infinité de 
Mondes femblables au nôtre ; § le Soleil , 
la Lune , les Etoiles « tous ces vaftes corps 
leur font connus , comme s'ils les avoient 
mefurés avec le pouce , ou avec un fil : ils 



* Ceft un des Héros d* Homère , dont la voix 
êgaloh celle de cinquante hommes. 

§ Erafme fuit les préjugés de fon tems , & 
on verra par la fuite de cet Ouvrage qtCilétoit 
nfjtilleur Théologien que Philofophe. 



13« V E L G E 

vous rendent raifon des tonnerres » des 
yents» des éclipfes, & de tous les autres 
iniftéres de la Phyfiqne ; ils n'héfitent fur 
rien : on s*imagineroît qu'ils étoient du 
Confeil des Dieux & les Secrétaires delà 
Nature , lorfcjue tout paffa du Néant à l'Etre. 
Cependant cette habile ouvrière fe mocque 
de leurs .conjedures. En effet , il fuffit de 
réfléchir fur l'étrange contrariété de leurs 
opinions pour tomber d'accord « qu'ils n'ont 
aucune connoiflance certaine. Ils fe vantent 
de fçavoir tout , & ne s'accordent fur rien. 
Les Philofophes ne fe connoifTent pas eux- 
mêmes : pendant qu'ils s'élèvent aux plus 
hautes fpéculations , ils tombent dans une 
foHe qui efl à leurs pieds , ou/e caflent la 
tête contre une pierre. Quoiqu'ils fe foient 

fâté la vue, à torce de regarder la Nature 
e trop près , 6c que leur efprit foit tou- 
jours aux champs , ils ne laiflent pas de 
bien diftinguer les Idées ^ les Univcrfaux^ 
les Formes Jubflantîelles , la Matière première^ 
lés Ecceïtés^les Quiddités , les Entités , tous . 
pbjets fi imperceptibles, qu'on ne pour- 
roit pas les apercevoir avec des yeux da 
Lynx. Mais jamais ils ne marquent plus 
4e mépris pour le profane vulgaire, que 
dans les Mathématiques : ici ce font des 
triangles , des quarrés , des cercles « & 

d'autres 



D É LA T L^I E. 137^ 

ïjiutres figures qu'ils mêlent & confon- 
dent comme une efpéce de laByrinthe ; là 
ce font des lettres rangées ^ comme un 
Bataillon fé{>aré en pluheurs Compagnies. 
* C'eff par ces momeries qu'ils éblouif- 
fent les fots» N'oublions pas les Aftrolo- 
gues : ces heureux claifvoyans ont lé Ciel' 
pour bibliothèque , & lès Aftres pour li- 
vres. En vertu de cette étude , ils font- 
fûrs de l'avenir, ils l'annoncent , & îlspré- 
difent des chofes dont les meilleurs Ma- 
giciens n'oferoient fe mêler : le bon de 
' r affaire , c'eft qu'ils trouvent dés difciples ,^ 
& qu'ils font de? dupes. 

Parlerai-je des Théologiens ? Du moins- 
ce ne fera pas fans crainte ; la matière efi: 
frès-délicate, & il vaudroîtpeût-êtr'ençiieux 
ne pas toucher cette corde-là. Ces Inter- 
prètes de la Langue céléfle prennent fea^ 
comme le f^lpêtre; ils font terriblement 
fourcilleux , 6c ce font de dangereux enne- 
mis. Avez-vous encouru leur difgrace ? f'u- 
rieux,ils fe jettent fijrvous comme des 
ours. ; ils s'y acharnent^ ne lâchent prife' 
qu'après Vous avoir obligé par une enfi-- 
kdé dé çonféquencesbonnes ou mauvaifes »» 



*'£rafine viui garlir ici de t Algèbre^' 



:iî8 V ELOGE 

\ chanter la palinodie. Re&fai - je clé tne 
dédire ? Tout auiTi-tôt la Folie eft hé- 
rétique , mais non brôlable heureufement » 
attendu mon brevet d'immortalité. C'eft en 
montrant cette foudre , c*eft en criant 4 
THéréti<|ue , à l'Athée , qu'ils font trembler 
ceux qu'ils n*aiment pas. Quoiqu'il tCy ah 
pas de gens au monde qui alFeâent plus de 
méconncrïtre mes bienfaits , Us m'ont pour- 
tant bien des obligations. Pai ordonné à ma 
PAilautic f* ZVL bienheureux Amour' propre ^ 
de les fervir mi«ux que les autres hommes » 
& effeôivement , ils font Tes mignons. 
Comme il ces Anges corporels étdîent 
^établis dans le troifiéme Ciel , du faite de 
leur élévation > ils regardent tous les mor^ 
tels comme des animaux rampans qui leur 
font pitié. Munis de Définitions magiurales» 
ûe Conclufions p de Carollaires j dePropoU" 
tîons explicites & implicites ( ce qui com« 
i>ofe la Milice de TEcole facrée ) ils trouvent 
tant d'échapatoires , qu'ils fe tireroient des 
mains de Vulcain lui-même , eÛt-il le filet 
dont il fe fer vit , pour rendre tous les Dieux 
témoins de fon déshonneur. Il n'y a point 
de noeud que ces Meflieurs ne tranchent 
du premier coup avec un Diftinguo ; r«-> 
doutable couteau formé de tous ces termes 
monftrueux qui font éclos du fein de la 
Scholafiique» 



DE L A P t 1 E. 139 

Voyons âiaintenant ces Oracles dans lèt^r 
plus fublime fonâion ; èntendons<-les inter- 
préter les tniftéres de la Doârine du falut. 
5'aeit-il de la Création , du Péché origiilel « 
de 1 Incarnation , de TEuchariftie i Ces ma- 
tières font trop rebattues } Il fiaut les laifler 
aux aprentifs Théologiens. Mais voici les 

Sueftions dignes des grands Maîtres , des 
aîtres Illuminés , comme ils difent : aoffi 
dès qu'ils tombent fur ces fujets-là^ils fe 
réveillent & fe raniment. Or , les voici 
ces fublinies & imoortantes Queftions. 

»> Y a-t'il un inuant dans la génération 
■•Divine ?Jéfus-Chrift a-t'il pltiUeurs filia- 
étions ? Cette propofition : Dieu le Fere 
9» haitfon Fils^ eft-elle poffibie ?Dieu a-t'il 
9>pû s'unir perfonnelléihènt à une femme» 
i> au Dénfioh « à un âne , à une citrouille , à 
n un Caillou ? En cas que Ûien fe commi^ni- 
91 auàt à la nature cucurbitiqUe , c'omfne il à 
» »it à la nature humaine , èo'mmerit cette 
t»heareufe & divine citrouille prêcheroi^ 
V elle , feroit-elle des miracles , ferà^t-eHè 
» crucifiée ? Qu*eft»ce que Saint Pierre au» 
9» rott con^iacré , s'il avoit dit la MeiTç f lorf- 
9> que le Corps de Jefus-Chrift étolt en« 
Ki core fur la Croix ? Pouvoit-on dire dans çé 
n tems-là , que le Sauveur étolt vraiment 
lt Homme î Sera r t*il permis de boh:e gç 
M^ 



140 VELO G E 

39 de manger aprè» la Réfurreâion ? fi 

La folution de ce dernier problême leur 
tient fort à cœur y ôc l'afErmati ve les acTcom*- 
moderoit bien. 

Us ont bien d'autres fubtilités encore (>lus- 
pointues ; les inflans de la génération. Di- 
vine f les notions , les relations , les forma- 
lités, les quîddités, les eccéïtés, & tant' 
d'autres chimères de cette nature : car je dé- 
fie qui que ce foit de les apercevoir , à 
moins qu'il n*ait la vôe afliez; perçante pour 
diilinguer, à. travers les ténèbres lesjplù»^ 
épaifles, des objets qui n'ont nulle forte: 
drexiflence. Joignons a tout cela leur mo«^ 
raie outrée , & fi contradiâbire ,. que les^ 
Paradoxe» des Stoïciens n'étoient en com— 
paraifon que de la drogue de Charlatans.. 
Far exemple : Ce feroit^jelàn eux , un moin' 
dfe crime iT égorger mille hommes^ que de 
raccommoder le fpulier et un Pauvre le' Di" 
manche. * // vaudrait mieux làijfer rentrer . 
4*»3 le niant tout V Univers 6» fes dépendant 
C£s^ que de, dire, le moindre menfange. Ce, 



*La raifort dîL ces bî^çarres Cafuiftes étoit,' 
fttt rhomicide ne regarde que le Prochain ;: 
mais que violtr U Dimanche , eft un crimes- 
^regard€k Dieiiimmédiatement^. 



r>E LA F ai I E. ^4P 

qt i fubtîHfe encore plus ces profondes fub* 
tilîtés , cefont toutes ces différentes routes 
de- l'Ecole : vous fortifiez plus aifément dû 
^labyrinthe de Crète ou de celui d'Egypte ,. 
que vous ne pourriez vous débarraUer des 
enveloppes à^9 Réaux y des Nominaux, dès 
Thomiftes , des Alhertîfles, des Ockamiftes.^ 
des Scotiftcs^ • • • ah- T-je pers< haleine , & 
cependant ce ne fbnt-là que les principales 
Seules de l'Ecole : vrainient il' y en a bien* 
d'autres ; & combien penfez-vous qû^lly 
ait dans celles-ci d'épines & d'érudition i 
Si les Apôtres defcendoient icî4)as , & au'il» 
fuflent obligés de difputer avec lès Tnéo«^ 
logiens modernes fur ces hautes manières., 
je crois qu'il leur faudroit tout un autre e(- 
prit que celui qui les faifoit parler toutes* 
fortes de Langues. Saint Paul avoit de là 
fbi : mais quand il nous dît que la Foi eft lâ^ 
fuhftance des objets que-nous avons à e/pérer,. 
& la preuve de tout ce quine tombe point fous 
les fens , fa définition n'eft pas affez ma- 
gîArale. Le même Apôtre étoit embrafé du 
feu de la Charité : cependant il n'a ni défi- 
ni , ni divifé cette vertu en Bon Logicien». 
£es Apôtres célébroiènt avec dévption & 
avec piété le Sacrement de l'Euchariftie ;r 
mai&s^filleur e&t fallu édaircir le. mouvecr 



t4» V E L O C E 

ment local de là Confécratîon , la Tran- 
iubftantiatîon , la RéproduÔîoa » c'eft-à- 
dire , coininent un même corps peut-être en 
inème-tems en plufîeuts lieux ; s'il leur eût 
&Ilu difiinguer les dtfférens Modes d'éxiP 
tence félon lerquéls Jefus-Chrift a été fur 
la Croix , iBc fe trouve dans le Sacrement ; 
s'il leur falloit détetminer l'inilant où la 
Tranfubftantiation peut fe faire par les pa- 
roles facramentàles , qui étant compolées 
de mots & de fyllabes , ne peuvefnt fe pro- 
noncer que fucceffivemeht ; fi , dis-jè , ces 
prçfniers. Théologiens du. Chriftianifme 
avoient eu à réfoudre ces difficultés, je 
^rois qu'ils auroient eu grand befoin du 
fecours des Scotiftes , qui font de vrais 
Argus en fait d'Ergoti/me» Les Apôtres 
aypient l'honneur de cônnoître la Mère de 
ïéfns : aucun d'eux en a-t'il fçu amant que 
nos Théologiens ? Ils ont prouvé géomé- 
triquement , qu'elle avoit été préftrvie de 
k contagion du péché d'Adam. Saint Pierre 
a reçu les Clefs de Jefus-Chrift même, qal 
n'étoit pas pour les mettre en n^auvaife .* 
main. Mais je doute que ce bienheureux 
Pêcheuf f^ut bien ce que c'étoit que ces 
Clefs métaphoriques : toujours eft-il cer- 
tain qu'il ne denvandà pas à fon Maître > 



^ 



D E L A F L I E. 145 

tomment il étoit jpoffible qa*un pauvre Pé* 
cheur, aufn,gromer& ignorant quilétoit, 
eût la Clef ides Sciences divines. Les ApS^ 
très haptifoient de tous côtés ; pourquoi 
ti*ont-ils pas enfelgfié ce que c'eft que \z 
Xaufe formelle , matirieUe & efficiente da 
Baptême ? Pourquoi ne point faire men- 
tion des caraâéres effaçables & ineffa- 
çables? Us adoroient Dieu, ces pieux Fon* 
dateurs de la Religion Chrétienne : mais 
leur adoration ne rouloit que fur ce prin- 
cipe fondamental de TEvangile ; Dieu efi 
efprit , & il faut que ceux qui V adorent , Pa^ 
dorent en efprit & en vérité. Or , cela ne 
fuffifoit pas : ils dévoient prêcher en même* 
tems que le culte de Latrie ^ comme oii 
Papelle dans TEcole , n*eft pas plus dû à 
Jefus-Chrift en perfonne , qu à la moindre 
de fes images charbonnée contre la mu- 
taille , pourvu qu'elle le reprefente les 
deux doigts du milieu étendus , comme 
donnant la bénédiâion , fa tëtè ornée 
d'une longue chevelure 8c toute brillante 
âeces rayons , qu'on apelle Gloire ^ en 
terme de TArt. Mais à queMe fource les 
Apôtres auroîent-ils puifé cette érudition 
ialutaire i Avoient-tls blanchi fous le har- 
«ois î Avoient-ils fenailU trente ans dans 



r44 2? E LOGÉ' 

FArène phyftque , ou métaphvfique d^A^- 
riftote & des Scotift^s ? Les Apôtres parlent 
quelquefois de la Grâce : maïs ils ne diftin- 
guent point la Grâce gratuite, d'avec là 
^ Grâce gratifiante. Ils exhortent aux bonnes 
oeuvres : mais ils ne mettent aucune diffc* 
rence entre Taftion méritoire & raÔion 
qui opère fa propre vertu. Us recommandent 
la Charité^ fur tous les autres préceptes : mais 
ils neféparent point l'infofe d'avec racouifc; 
ils n'expliquent point fi cette aimable oc di- 
vine vertu efl une fubftance, ou un accident; 
fi elle eft créée ou incréée. Ils veulent qu'on* 
détefte le Péché : mais l'auroient-ils pu dé- 
finir auffi fçavamment que les Scotîftes l" 
Si Saint Paul, par qui on doit juger de tous- 
les Apôtres , avoit eu une bonne théorie du- 
Péché^ auroit-il condamné tant de fois les 
contentions, les débats, les queftions, les 
difputes de mots?Franchement il n'entendoit- 
rien aux finefles,ni auxfubtiiités de nos Scho- 
lafiiques. Et en effet , les Controverfesquî 
s*éle voient dans TEglife naiiTante , n'étoient 
que des vétilles en comparaifon de celles qui 
Citent nosSophiftès modernes. Chryfippe le* 
^ot de fon tems, tout Grec qu'il étoit, n'eût" 
pastenu long-tems cçntr'èux. Rendons pour-* 
mntjiiftice àieur modeftiçâls ne condamnenr 



DE LA F Ù L l E. 145 

pas abfolument ce que les Apôtres ont écrit 
avec un peu de juftéfle & de précifion ; il» 
fe contentent de l'interpréterfavorablement,' 
& veulent bien avoir cette complaifance , 
partie pour la vénérable Antiquité , partie 
pour l'honneur de TApoftol^^.^ Il feroit d'ail- 
îeiiVs fort déraifonnable , de demander conr-; 
pte aux Apôtres de ces hautes matières i 
vu que leur divin Maître ne leur en a ja- 
maîs dit un' mot. 

On ne fait pas la même grâce auxChryfof- 
tômes, aux Bafiles, aux Jérômes, en un 
mot , aux Pères de TEglife ; on leur met fort 
bien en apoftille : Ctla nejlpas reçu» tes an», 
ciens Doâeursavoîent à combattre les Phi- 
Ipfophes Payens 6c les Juifs«gens fort o^iniâ*- 
très de leur nature; mais ils les réfutoient! 
plus par de pieux exemples & par des mira-' 
clés 9 que par des argumens : de plus^Ies pre- 
miers ennemis du Chriflîanifme étoient d'un 
génie fl borné , qu'ils n'auroient jamais pâ 
concevoir aucun principe de Scot. Mais à 
prefent Payens , Infidèles « Juifs , Héréti- 
ques , paroifTez tous 5 fi vous ofez ;on vous 
en défie.Qui ne bàiflera pas la lance , qui lie 
le convertira pas , après avoir éfé couvert 
& comme criblé des traits de Scot ? Il n'y 
aura que des hommes , ou trop flupides pour 
comprendre ces fubtilités» ou allez impru* 

N # 



146 . V ElOGE 

dens pour s*en n>oc,quer, on munis des mS- 
mes armes^qui reiuféront defe rendre : alors 
^i en feroitdes derniers, comme fl vous met- 
tiez au]C prifes unMagicien avec unMagicien, 
ou comme fi quelqu'un fe battoit avec des 
armes enchantées , contre un ennemi pourvH 
de pareilles armts. * Or, en ce cas-là , ce fe- 
roit la toile de Pénélope. À propos de com- 
bat y il me femble. que les Chrétiens , dans 
leurs guerres contre les Infidèles , devroient 
e<nployer d'autres Tronpjes que celles dont 
on le fert ordinairement. Au lieu de cette Sol- 
4^terque ignorante, qu'ils efpployent depuis 
fi long^teins daps toutes les .Croifades , que 
n'envôyep.t-ils contre les Turcs & les Sar- 
rafins » les br^vans Scotiftes, les Ockamiftes 
à tête de fer ,le$ invincibles Àlbertides , &. 
toute la Milice Sophiftique qui foutiendroit 
ces Troupes réglées. Ce feroit , je crois , un 
combat biep curieux à voir , & on n'auroit^ 
jamais vaincu avec de telles ârmes.Qui pour* 
foit éitre ajOfeZi^deglaçefPOur ne pas s'enflam- 
mer au feu à^ ces difputes i Qui feroit aflez 



* Ces fortes de combats font fréquens dan^ 
FAriofte:, jjS» fans le citer , Erafme y fait 
allufion. 

% \. 



D E L AF O LIE. 137 

piefant,poar être inf^nfible à lapiquûrede^^ 
ces éperQns ? Quiauroit la vue aUei^fernm, 
pour ne pas être ébloui par tant de fubtilités i 
Vous prenez cela pour un badinage » v>ous^ 
ayez raifon. CÀte Armée ne feroit pafrinême 
il nombreufe que vous penfez. Il y a dans- 
l'ordre des Théologiens, <i^ hommes d'un. 
fçavoir )U(^^cieuxÔL falide« à qui ces £rivo<- 
les' fubtilités font mal au coeur; il en eft. 
même d'une coi^cieixce fi tendre , aa'ils en 
ont horreur , comme d'uaeefpéce ae faon- 
lége. Quelle hQrrible impiété , s'écrient^ils ! 
Au Heu d'adorer la^ profondeur de nos Myf« 
.tires , puifqu'ils ne A>nt Myftéres qae pour 
être ignorés , on cherche à foiider les fei- 
crets de Dieu 1 £t comment encore l Pi^r des» 
]pintillerie5 auffi* frpidês que toutes cellesi 
des Payens: on s'arroge infolemment le dcoifr 
de définir & de diyifer^des vérités incom- 
préhenûbles ; on profane la majefté de la 
Théologie, par des termes 6c par des expref- 
fioâ$ qui nont rien que d'infipide oc de 
bas. 

Doucement , re&gteux critiques, jnodéfezr 
votre zèle; auffi.^bien.voiis^y perdrez vo- 
tre latin. Ces Ergouun font fi enflés de 
leur érudition verbaTe , qu'ils n'en àèrnot'^ 
dront point* Occupés- )out & nuit des^ fo^^. 
phifmes qu'ils fe plaifént. à forger,' ils n» 

N a 



14« V E L O G E 

fe donnent pas même le tems de lire une 
fois l'Evangile , ou les Epitres de Saint 
Paul. Apliqués dans leurs Ecoles à tou- 
tes ces iottifes , ils s'imaginent que TE- 
^iie tomberoit bien^tôt , s'fls ceflbient de 
la foutenir ^ ils s'en croyent l«s plus fermes 
apuis. Autre fujet de félicité pour nos dtf- 
puteuf s : TEçriture * eft entre leurs main» 
comme un morceau dedre;4ls donnent à ce 
Livre, rempli d'Oracles» telle forme qu'il 
leur plait. Ils prétendent que leurs décifions 
fur les Livres facrés , pour être reçues de 
quelquesScholaftiques^foient plus refpeé^ées 
oue les Loix de Solon , 6t qu'elles prévalent * 
fur celles desPapes:ils s'érigent enCenfeurs§ 
du Monde , & dès qu'on s'éloigne un peu de 
leurs concluions direâes Se indire^es , ils 
vous contraignent de vous rétraâer. Vous 
les entendez prononcer d'un ton d'Oracle : 

* Erafme en veut ici à ceux qui , au dieu 
Raccommoder leur fens à l'Ecriture , accom^ 
modem l'Ecriture à leur feus* 

§ Le Cenfeur de Rome étoit maître & juge 
des mœurs : à fa requifition , un Sénateur 
étoit chajje du Sénat , *un Chevalier perdoit 
fon rang^ & le Plébeyen étoit condamné à 
l'amende. (Ljrfter.) 



•• r*" 



DE LA FOLIE. 149 

Cette Propofition efl fcandaleufc ; celle-ci efi 
téméraire; celle-là fent Vhéréfie ; cette autre 
fonne mal, Âinfi, ni le Baptême , ni l'Evan- 
gile , ni Paul , ni Pierre , ni Jérôme , ni Au- 
guftin , non pas même Thomas d'Âqain , 
tout Péripatéticien qu'il eft , tous ces Saints* 
là 9 dis-je , enfemble , ne fçauroient faire un 
Orthodoxe , fans l'agrément des Sieurs Ba- 
cheliers;tant leur doârine efl néceffaire pour 
bien juger de l'Orthodoxie! Quife feroit ja- 
mais déné qu'un homme ne fût pas Chrétien, 
pour foutenir que ces deux Propoûtions^So- 
crate^ tu cours^u, Socrate courte éteient éga- ^ 
lemerit bonnes, s'il n'avoit plu aux fçavans 
Bacheliers d'Oxford de nous l'aprendre y en 
foudroyant ces deuxdamnablesrropofitions? 
CQmment l'Eglife auroit-elle été purgée de « 
tant d'erreurs , puifau'il n'étoit pas permis 
de les lire , ayant qu on eût apliqué fur les 
Propofitions condamnées le grand Sceau da 
rUniverfité i N'aDelle2>vous donc pas cela 
des gens heureux r Pourfuivons. Ces Doc- 
teurs^quant à la fourure, débitent de fi belles 
chofes fur l'Enfer : ils en connoiflent lesdi- 
rers apartemens , la nature & les différens 
degrés du feu étemel , les divers emplois 
des Démons ; enfin , ils parlent,de l'état des 
Damnés 9 comme s'ils avoient été long-tems 
parmi eu^* De plus , ils créent de nouveaux 

N 3 



^5« V E L Ô G E 

Cîeux, lorfqa'îls le jugent à propos* Ité 
t)ot».pnt fait un dixième Ciel ^ qu'ils nom* 
ment Empyréc , ■& ^ont bâti tout ei^èt 
pour les Bienheureux. N'étoit^il pars jufte 
en etfet y que les Ames glorifiées eufTent u» 
féjour à part pour prendre commodément 
leurs ébats , faire des feAms » & jouer à ki. 
paume ? 

£o€n»ces graves contemplatifs ont la cer« 
yellefi rempue de toutes ces âidaifes, qve 
Jupiter n'étoit pas phis gros âucerveau,lorf* 
que voulant accoucher de Pallas , il tmplort 
k hache de Vulcain. Ne vous étonnez dofK 
pas j fi , dans les difputes publiques , ils om 
fi grand fom tle fe garnir la tète: c'eft pour 
empêcher oue leur cervelle «iurchargee ait 
fcience , n'éclate & ne rompe de tous côtés*. 
Je fie puis m'empêchér de rire , ( jugez on 
peu si! y en aft^et, puifquela Folie trbu^ 
ve rarement du ridicule) je ne puis , dis-^e ^ 
tn'empêcher de rire , quand j'écoute ces 
grands Eerfonnages ; ils bégayent plutôt 
qu'ils ne parlent; ils ne fe crojcnt Théo- 
logiens , {{ue lorfqulh fçavent parfaitement 
leur baiisare 6c viiaun jargon , qui ne peut 
être entendu que par ceux qui font du mé- ' 
tier , & ils s en font gloire , en dîfant 
qu^ls ne parlent point pour le Peuple. C'eft: 
avilir j félon eux , la dignité de T^criturer 



D £ LA F 1 1 E. \^\ 

Sainte , qtfè 4è -râfinjettir aux régies de îa 
Graiiimatre ,& aux vétilles du Purifme. Ad- 
mirez le beau ^jfrivilege* Il n*cft permis qu'à 
eux feùls de fiatirè des fautes dans le lan-^ 
gage , & il n^ â tout au pltis itfUe la- vile 
pôpulate , qui ait drbit de leur dabuter cette 
préirogative. A celattrès , îlsft placent îm^ 
inédiatement au-défflous dés EMeux ; & lot A* 
que 9 par une vénéi'ation prefqut rdigieufe» 
on les apeUe nos Maîtres , ils ^l^agîliéMt 
Toir dafns ce titre quèlquiarTthoft de te NàWl 
înèffaMe cotojp^ôttde quatre Icftttcs, ^nî éfoit^ 
« rfefpeôé chefe le^ ïtrîtis. Dans cette prévfen*^ 
tïOn,il5 ptéteiidetrt'rfù'ôH doîttôUjbui's écHffe 
NOTRE MAISTREttiRVifs ctfraâé^ 
res : ce titre eft iwême fi tnyttëtî^ux, qufe 
il en Latin on fenveWbit 1 btdris dé ces 
deux mots , & (fifcfti mh tfojter avant Ma^ 
fifler , tout feroft petdn , ou ll^ohneur tfti 
Kom Théologiqûe feroit du tnoiitë bieli ei- 
pofé. 

A là aitê dé ceux-là, païbît la tnèîftéttye 
efpéce du genre animal : ce font ces liom-^ 
mes féqueftrés qu'on apelle Religieux & 
Maints. Ce ne peut être aprefeht qUèpar un 
grand abi)is,qu*oh lés nomme ainfi. OmMnii- 
uément parlant 9 tl n'y a p^iut de geiis)^i 
ayent tkVOihs de ReligioÀ que teux xfttiki 
nomme aujourd'hui Religieux ; 8c puifqtfe 

N4 



(152 VELO G E 

^Moine fignîfie Solitaire , à oui ce dom-là peut^' 
il convenir plus mal, qu'à des hommes qu'oa 
rencontre pa^ tout? Mats que deviendroient* 
ils fans mon fecours ? Car ils font tellement 
/hais 5 qu'oa les prend pour des oifeaux de 
mauvais préfage, & qu'on craint de les ren- 
contrer. Malgré cela i]s s'aiment » ils font 
fous d'eux- mêmes. Premièrement , * leur 
principale dévotion eft de ne rien fçavoir \ - 
non pas même lire. Enfuite^fans fe mettre 
«n peine d'entendre leurs Pfeaumes » ils fe 
croyent aflez fçavans ,. quand ils en ont re- 
.tenu le nombre ; & lorfqu'ils les chantent au 
,Chœur , ils s'imaginent charmer le Ciel par 
leur Muûque Ârcadienne. Dans cette biga.- 
^re Monachale , il y en a qui font para- 
'ide de leur craÏÏe & de leur mendicité : on 
]es voit demander aux portes , mais d'un 
^ir auffi hardi que s'ils demandoient une 
dette; Hôtelleries, Cabarets , Barques , 
ÎVoitures , ils portent par-tout leur imporr 
Jhine beiace , au grand préjudice des Men- 



* Les Moines ttoïentfon ignorans autrefois; 
î/ y en avoit même encore du tems d'Erafme , . 
qui r^gardolcnt toutes fortes d* études , commje 
une infraflion aux vœux de leur faint énat^^ 
\& une ^fpéce (firreligion. 



D E L A F O L l E. ijj 

<dians ordinaires. Au moyen des bénédic- 
tions Qu'ils dîfiribuent Hbérarement , ils 
prétendent, par leur faleté , leur igno- 
rance , leur groffiéreté , & leur efFronte- 
rie , nous reprefenter les Apôtres. Rien ne 
me divertit davantage , que cet ordre éxaâ 
.& précis qu*ils obfervent dans tout ce qu'ils 
font : tout va chez eux par compas & par 
mefure. Tant de nœuds au foulier , la fan- 
gle d'une telle couleur y la robe bigarrée de 
tant de pièces, la ceinture de telle matière & 
de telle largeur ^ le coqueluchon de telle for- 
me & de tel volume , ta couronne de telle 
largeur ; manger règlement à telles heures 
de tels alimens, & en telte Quantité ; ne dor« 
inir que tant de tems , &c. Vous jugez bien 
que cette grande uniformité ne fçauroit s'ac- 
corder avec la variété infinie des efprits & 
des c^rps. Cefl pourtant par ces dehors ré- 
glés,que non-feulementlesMoinesfé crovent 
en droit de méprifer ceux qulls apellént 
Mondains, mais qu'ils fe font encore en^ 
tr'ëux de férieufes querelles ; & ces fain- 
tes âmes, qui font profedion de la cha- 
rité Apoiloliq^ae , fe déchirent faintement 
entr'eux pour une ceinture un peu diffé- 
rente , ou pour une couleur plus ou moitis 
. brune. 

Il eneft parmi ces RévérendSytpi montrent 



^^ 



Thabit de pAiîtence & de mortification'; 
mais <jui fe gaixient bien de laîffer voir leur 
chemife fine ; d'autres au contraire portent 
la chemife fur l'habit, & la laine deffous* 
Les plus réjouiffans , à mon avis , font ceux 
qui, à la vue d'une pièce d'argent, reculent 
comme à l'afpedld'une plante venimeufe : 
Oiti , 6t€i cela , crient-ils , naus ne touchons 
point l'argent.OhUs CafFards I Donnez-leur 
des Femmes & du vin , vous verrez comme 
ils font difficiles. Enfin , vous ne fçauriez 
croire comme ils s'étudient à fe diffînguer en 
toutlesuns des autres. Quant à imiter Jefiis* 
Chrift , c'eft de quoi ils fe foucient le moins» 
Mais on les chagriner oit fort,fi on leur difoît: 
Vous ave^pris cela de tel ou tel Ordre. Dou- 
tezFVOus auffi que cette grande variété dé- 
furnoms & de titres ne Tes chatouille pas 
beaucoup? Les uns fe glorifient d'être apel- 
lés Cordeliersf & ce tronc a pour branches ,. 
Us RécoletSfles AÙneurs ^\t$ Mîninus y &c* 
hesuns {ont Sénédiâiins , les autres Sernar-^ 
difiss ceux-là de Sainte Brigitte , ceux-ci de* 
Saint jimtftin ii*AutTts {e, nomment Guil'' 
bmins^ aautres Jacoéins : car il ne fufïit 
pas à toute cette Milice enfroquée , d'avoir 
recule nom de Chrétiens. La.pl^art de ces^ 

fens4à compteotfif ortfur leurs cérémonies,* 
c fur des petites traditionsbumaines , qu'ils; 



DE LA F 0,L1 £• t^ 

crojrent le Paradis au-deflbus de leurs mé- 
rites. Dieu cependant , fans avoir égard à 
foutes ces lingeries , ne jugera les hommes 
«{ue fur la Charité , qu'il apelle par excel- 
lence Ton commandement. Au terrible jour 
au jugement^ ils prefenteront en yam leurs 
bedaines engraifl^ des meilleurs poiffons ; 
ils feront yaloîr îmitiîemeht le chant ée$ 
Pfeaumes ^ & ces jeûnes avûéres qui ont mis 
leur vie en danger : l'un produira un tas de 
pratiques monach^es, qui feroient la charge 
defept yaiffeaux;, Tautre fe vantera d'avoir 
ité foixante ans fans toucher d'argent , qu'a- 
vec deux doigts bien envelopés : celui «* ci 
montrera fon &oc fi fale & fi gras » qu*un ba* 
telier ne voudroit pas le porter \ celui-là. 
fe glorifiera d'avoir vécu cinquante-cinq ans 
comme une éponge , * toujours attaché ail 
même Qoîtrerun autre fera voir, qu'il a 
perdu la voix à force de chanter ; cet autre » 
que la grande folitûde lur a démonté la cer*^ 
velle;& untroifiéme, que le filence lui a 
ôté Tùfage de la langue en l'épaiffiflknt.Mais 



* Erafmecompare Us Moines qui ne ch/m» 
9ent jamais de 'Maifpn , comme les ChartreuXy 
. par exemple , â l'éponge qui efi toujours attot 
€MeJ.{pnrochcr*. 



t^^ V E LO G E 

Jefus-Chrift interrompant cette kîrtelle, q«H 
fans cela ne finir'oit point : De ouel pays 
vient donc , dir^-t'il, cette nouvelle e(pécô 
de Juifs , avec toutes leurs cérémonies } Je 
n'ai donné aux hommes qu'une feule loi, que 
je reconnois pour être vraiment la mienne ; 
& tout ces gens-ci n'en difent pas un mot ? 
J'ai promis autrefois ouvertement & fans 
figure l'héritage de mon père , non à des 
firpcs , non à de petites oraifons , & à de 
cert^nes abftinences , mais aux devoirs de 
1^ chanté bien remplis» Je ne connois point 
ées gens qui connoifTentfi bien leurs œuvres 
prétendues méritoires , & qui veulent paf- 
1er pour plus faints que moi* Qu'ils cner- 
chent j s'ils veulent >vn Ciel à part ; qu'ils fe 
faflent bsLtir un Paradis » par ceux dont ils 
ont préféré les traditions trivoles.-à la fa'm- 
teté de mes préceptes. A cet Arrêt épou^- 
vantable» & fe voyant préférer d'ailleurs 
des matelots & de$ charretiers , quelle fera 
leur confiernation ! Il fe fatisfont toujours 
à bon compte , ils jouiffent de leur folle 
efpérance ; & c'eft moi qui là Icar donne , 
& oui l'entretient. 

Il eil bon pourtant de vous en prévenir. 
Quoique cette génération bâtarde foit fé« 
parée de la République , il efl dangereux de 
la méprifèr , fur -tout lès Mendiahs.; caç 



DE ZA FOLIE. 1^7 

ifs fçavent tous les (ecrets , par le canal de la 
ConfeJJîon. Il efl vrai qu'ils fe font un crime 
capital de la révéler , mais ils ne laiflent pas 
de le faire quelquefois , lorfque le vin leur 
échauffe le crâne 6c les met en belle humeur; 
leur bouche indifcréte laifle échaper une 
partie de <:e qui leur eft entré par les oreillesî^ 
mais en prenant certains détours , & fan^ 
nommer perfonne* Si quelqu'un encore a le 
malheur d'avoir irrité ces Frelons, la ven- 
geance eft prompte Scfanglante :dè$ le pre- 
mier Sermon , pas plus tard , la guêpe darde 
fon aiguiMon; ôcle Prêcheur, dansfes in- 
veâives morales , dépeint fi bien fon enne- 
mi, quoiqu'à.mots couverts, qu'il faudrdît 
être oien aveugle pour ne pas reconnoître ' 
l'original. Et comptez que le dogue mona- 
chalne lâchera pas prife,jufqu'à ce que vous 
l'ayez apaifé, comme Enée apaifa Cerbé- 
i-e , c'eft-à-dire , en lui jettant dequoi man** 
ger & de quoi l'endormir. Puifque nous te- 
nons ces bons Apôtres en Chaire,n'eft'il pas 
vrai qu'il n'y a point de Comédien , point 
4e Bateleur , que vous ne quittaffiez pour 
leurs prédications } On pourroit les nommer 
les finges des Rhéteurs, tant ils imitent plai* 
famment les régies de l'éloquence , & de 
Tart de parler. Regardez- les , je vous prie , 
gefticuler > haufler , ou baifler la voix, chan^ 



t^8 C ELOOE 

t^r^ &tout*d^ù]ircoup bour<]x>nnerjr prendre; 
im. nouveau vifage , lelon le r&le , fe déme^ 
aer comme des pofTédés^Sc faire retentir tout 
le Temple de leur voix tonnante. Ceft dans 
,1e Qoitre qu'ils aprennent cette manière vé- 
kémente d'évaneelifer , & les Moines fe la 
4;(»mmuniquent les uns aux autres , comme 
1UI grand leeset. En qualité de femelle , if 
«em*apartienrpa» d'être initiée à ce myfîé- 
re: mais je ne laiflerai pas de vous dire ce 
que j'en ai pu conjeâurer* 

Ils débutent par une Inyocatiop; ( ce qu'ils 
ont emprunté des Poètes ) enfuite ib font un, 
éxorde, qui n'a nulle liaifon avec le fujet 
qu'ils ont à traiter. Vont-ils prêcher la Char 
'rite? Ils commencent par le fleuve du Nil: 
le Myftére de la Croix? par Bel , ce fabuleux 
dragon deBabylone:rabilinence duCarême? 
par les douze Signes du Zodiaque : la Foi K 
{4ar la quadrature du cercle , ainfl du refte. * 



* Quoique tout fpk chargé ici , comme dont, 
toute la fuite de cette Déclamation , la raille** 
rie d! Erafme a urhobj et, tris-réel , & parte fur 
ces anciens Sermonaires , quifaifçient un mê^ 
lange bi^^arre d' érudition, facrée & profane. Un. 
célèbre Cordelier effaya de ramener ce méchant 
gftûtily, a dix'huitans ydàns un Panégyri^e 



VELA T L lE. is% 

Moi , qui vous parle , j*ai entendu un de ces . ' 
Prêcheurs , homme d'une folie confommée^ 
(pardon» je m'y raéprens toujours , je vou- 
lois dire d'une doârineconfommée5)cetOra- 
rteur deyoit aprofondir le Myftére impéné-? 
trahie de la Trinité ; mais pour étaler tout 
fon fçavoir , & flatter les oreilles théologî- 
ques , il dédaigna de fuivre le chemin battu ; 
vous ne devineriez pas- le. tour qu'il prit^ 
& en efFet , il n'y avoit qu'un Sçavant de 
fon ordre qui pût s'en avifer. Il ouvrit fon. 
difcours par l'alphabet 'y après avoir recité 
£dèlement,&avecunemémoireprodigieuret 
fon. A. B. C. jufqu'au bout , il pafia des let-^ 
tres:aux fyllabes , de5fyllab:e6 aux mots,des 
mots à l'accord du nom avec le verbe , & du 
fubftantif aveciTadjeâif. Tout l'Auditoire, 
étoit dans le dernier étonnement : qvielques- 
uns s*entre->demandoient avec Horace : 

Quel peut être le but de pareilles fottifes ? 

LePrédicateur mit bien-t&t fon monde hors 
de peine , il montra que les élémens de la 



de S. François , que Us Curieux conferverU 
^Qmpe^ un< f.iifc de Cahinet. 



*«o V E L O C E 

Gramiiiaire étoient le fymbole de la SaîAtô 
Trinité , & le montra auffi évidepiment » 
qu'aucun Géomettrepuiffe faire fes démonG- 
trations. .Auffi eft - il vrai que cette pièce 
très-théologîqae avoit extrêmement coûté 
à cet aigle des Théologiens : il avoit mis 
de compte fait huit bons mois à la compo- 
fer; le pauvre homme s*en'fent encore;8c les 
grands efforts qu'il fut obligé de faire pour un 
tel chef-d'oeuvre,ront rendu aveugle, fonef- 
prit ayant attiré à foi toute la fagàcité de fa 
vue. Au refte , l'extinâion de fes yeux ne lui 
£iit pas la moindre peine 4 6c il trouve même 
qu'il a acquis fa gloire à trop bon marché» 

J'ai eu encore le plaifir d'entendre un autre 
Sermonneur de la même trempe : c'étoit un 
vénérable barbon de quatre-vingt ans , mais 
fi rompu dans la Théologie , qu'on croyoit 
voir reyivre Scot en perfonne.Ce bon Vieil- 
lard ^toit monté en chaire , pour expliquer 
le myftére adorable du Saint Nom de J£su$* 
Il y réuffit admirablement. Il démontra fub- 
vilement , que tout ce qu'on pouvoit dire à 
la gloire du Sauveur » fe trouvoit dans foii 
augufteNom** Sçavez-vous tous le latin » 

Meffieurs l 



^ Cette Apoflrepke h eft point dans le tfxtf 



DE LA FOLIE. 161 

Kieffieurs ? Ceux qui ne le fçavent pas, n*ont 
qu'à dormir un moment. En premier lieu , 
Ae vieux Cathtdrant fit remarquer , que le 
fubflantif Jefus n*a que trois cas diftérens 
dans fa déclinaifon, le nominatif « Taccu- 
ûtif & Fablatif, (rare & curieufe doâri* 
ne ! Que je plains ceux qui n*y entendent 
rien i ) Or , au'eft-ce que ces trois cas figni» 
fient ? Cela le peut-il demander ? On reconr 
noît-là bien vifiblement les trois Perfonnes 
Divines ,. en une même nature. Mais voici 
bien autre chofe. De ces trois cas » le pre- 
mier finit par une S , JefuS ; le fécond , par 
une M , JcjuM; & la troifiéme , par un U « . 
JefU. Grand Myftére,mcs Frères ! Ces trois 
finales veulent dire , que le Sauveur eft tout 
à la fois dans Tordre des chofes divines > le 
zénith , le centre , & l'extrémité de la pro- 
fondeur « Summus , Mèdinus, 272/i/7Wj. Il ref- 
toit à rélOi:dre une difficulté plus é[uaeu{e 
qu'aucun problême dé Mathématique : on en 
vint, à bout néanmoins. Le vieux routier eut 
^adreflfe de divifer ce même nom de JESUS^ 
en a portions égaleSjainfifiguréej/^-^-r/lS^. 

'^**— — ——————— —*■—— I ' I U I 

VErafme;mais nous l'avons confcrvée avec 
quelques autres^ parce que nous Favons-crànè' 
tjjaircygçur donner plus de Uaifon aux idécsr 



t6% r E L G £ 

mais que (aire de cette S ifolée « qui eft tonte* 
étonnée de fa folitude } Patience » on va bief^ 
la dédommager. Les Hébreux nomment cet^ 
te lettre Syn : or Syn fignifie , ce me femble » 
en bon Ecoffois» Péchék Après cela conclnoît 
le fubtil Prêcheur, quel homme eftaflez in- 
crédule , pour nier que le Sauveur ait ôté les. 
féchés du Monde ? A cette explication , auffi^ 
profonde qu*imprévûe,lesAuditêurs^fur-toiit 
les Théologiens , furent frapés d*un fi grand- 
étonnement , qu'on les auroit crû pétrifiés. 
Pour moi y je riois fi fort, que je tombai, 
prefque dans l'inconvénient de Priape. * En . 
effet^les Orateurs Grecs & Romains iefont-^ 
ils Jamais fervi dans leurs harangues d'unet 
infinnation fi détournée? Chez ces grands- 
hommes , quand TExorde étoit trop éloigné 
dufiijet, on cenfuroit leur peu de jufieue;: 
& la Nature a fi bien enfeigné cette métho* 
tde aux hommes , qu'un porcher même , qui 4 



* Horace contt^ que le Dieu des Jardins- 
nfoyatn les cérémonies magiques de deux Sor^ 
ciéres , qui evoquoieMddnsmi Jariin Us Fu^ 
ries^ enfui fi ejfrayé , ,qu*il laijfa aller p^ar ba^ 
un gros vent : à cetruit lesMagictenneseuréAt ^ 
'peur à. leur [tout , 6» laîffant-là ' tout VaparellL 
dfla diaUeric y elles prirent la fuites. 



D E^ HA' PÔ £ I E. i«3 

a' quelque chofe à dire , ne dômàieticé ^às 
par s'égarer , 6c va droit au fsiit. Mais nés 
fçavaiï^ Moines s'ima^neroîent êtte delhau- 
vais Rhéfgriciefts, fi le préartibule*, 'Ct>mMe 
ils parlent, avoit la inoindre tbnnekioïl avec 
le fujét, de s'ils ne mettoient pas les àildi- 
teui-s dans la néceflité de dire- : ^h và^t*il 
dont par et th<min*lâ ? 

Entrôifiémélieu; ilst>t6]poniAten{bttâe- 
de narration , quelmi'endroit dé TEvangllév 
mais légèrement , à fa hite ; &. quoique ce 
dût être là leur ]^Hncipal objet, ils s'en ^ 
rent au plus vite , comme d'un xttauvais paé. 
Quatrièmement , comme s'ils feifoient Un< 
autre perfonnàge , ils entament une quef- 
tibn Thédlogique , qui vient àuffi mal à 
propos qu'Aie puiffè î mai* è^tte dîgréf- 
îion leur paroît néceffaîre , & ils Croiroîéttt 
pécher contre l'Art , s'ils né la âifoient 
pas. G'eft ici que nos Prêcheùri pi-éHsirtr 
un ton de confiance, étt)Urdiffent r AfTeixi- 
. Wée des magnifiques épithétes qu'ils pro-- 
diguent à leurs Doâeurs : ils les nomment' 
fiïemntls , fuhtiU , fuBHliJîntts , firaphi*' 
quts-fainti^ ifréfhagabtes , 6^t. Ceît î<5' 
qu'on voit tomber , comme ,\îft;Cn^!', une* 
grêle defylîùgifmiss At majturtf^At rklhtn^- 
res, de côndufions ^ de cùrollaireiy àefiê^' 
{fiMo^ ;^6cil$ fom valoir 9 en bons chtria^- 



l«4 V E L O G E 

tans » à la multitude ignorante ces froides & 
impertinentes bagatelles de leur Ecole. 

Nous/roici ennn au cinquième Ââe de là 
Pièce, oii par conféquent il s'agit de Te fur- 
pafler. Us vous tirent ici de leur mémoire 
un pitoyable conte de Légende » tiré peut- 
-être du Miroir Hifiorial , ou des Gcftes des 
Romains; ils tournent & contournent cette 
.Pable, ils la manient allégoriquement ytro'^ 
pologiquemcm f'anàgogiquemeni ; & àinii fi- 
nit leur difcours , qui par l!étra|ige diverfité 
.de fes parties 9 eft plus monArueux que la 
Chimère peinte, par Horace à la tête. dé. fon 
ArtPoëtiaue. lettons maintenant uacoup 
d'oeil fur 1 enfemble de leurs Sermons. Nos 
Moines ont apris par tradition ,. que Ten^- 
. trée d'un diicpurs doit être paiûble & cal- 
me , & qu'il faut bien fe garder d'y élever 
la voix. 5ur ce, pTJnclpe^,^ils parlent fi bas 
dans leur éxorde , q\x à peine s'entendent-:- 
ils eux-mêmes parlej*, pour ne point fé- 
faire entendre ; le plaifant contraire ! Us ont 
auffi oui dire» que pour repauer les coeurs ^. * 
l'Orateur doit employer de tems en tems la 
véhémence des ej^clamation^^ Fidèles , mai^r 
]!na4ivats pWervateurs de cette, régie, lorfr 

2u'on lesLc-.^ liforltranqulllessilscrient toutr 
'unrcoup comme de^forcenés^ &cela fan9- 
aucune raifoo. Qn les j^rendroit ea véirit^* , 



V E LA F II E. xSjf: 

pour des furieux qui ant befoin d'ellébore ;. 
car enfin il n'y a qu'un infenfé qui crie Cé- 
rîeufement , pour crier. Outre cela , parce 
qu'ils font imbus que l'Orateur doit s'animer 
dans le progrès du difcoufs , après chaque 
paufe du Sermon , ils prononcent aflez tranr- 
quillement lès premières périodes , mais ea- 
niite, & fouvent pour rien , ils hauflent la 
voix d'une fi grande force, que Ibrfqu'ils fi- 
niffent on^roiroit qu'ils vont s'évanouin 
Enfin comme ils fçaventpar là Rhétorique, 
qu'il éft bon de réveiller ràuditeur par quef- 
ques traits enjoués , ils fè mêlent auffi de 
^ plaifanter. Mab ik le font auffi legéremeat ^ 
' auffi à propos que l'âne de la Fàblç, qui 
voiiloit pincer un luth. Ils mordent auffi 
quelqi^etois, mais fans faire mal ; ils chatouil- 
lent plutôt qu'ils ne bleffent , & quand ils af- 
feélent Ye plus une liberté Apoflolique , en 
criant contre les mœurs dii fî!eclé ,. c'èftalors 
qu'ils flattent le mieux. Que vous diraî-j>eda*- 
vaptage Mhçrêchenbcomme des Bateleurs,. 
& vous jureriez que ceux-ci ,"qW en fçavent 
beaucoup plus qu eux , ont été leurs maîtres.. 
Ténons-nons-en à la déclamation : elle eft fi 
fembhblte de part & d*autre,-que fûrement,, 
ou les Charlatans .ontapris la Rhétorique de; 
nos Prêcheurs , ou nos Prêcheurs ont étudié: 
^éloquence chez les Charlatans» 



t66 È" £ £ O 6 JF 

Avec tout cela, ils ne tnaâct^ent polnr 
'd*auditettrs : j'ai foin de leut en procurer, 
& il y en a qui les admirent autant que les 
Dëmofthènes 8t les Cîcérons. Ils font cou- 
rus , fur-tout dès marchands & des femmes : 
auffi s'àpl\quent-ils foigneufement à gagner 
les bonnes eraces des uns 6c des autres. Xes 
marchands 4poaryû au*ils foient flattés , leur 
font volontiers part aun bien n:\^I acquis , & 
regardent ces pieufes largeffes comme une 
reltitution bien faite* Les femmes ont de 
leur oôté de fecrettes raifons pour aimer les 
Moines , quand ce ne ferolt qu'elles trou- 
vent toujours avec eux une huile , un bau- 
me de confolation pontre les amertumes du^ 
lien conjugal.. Je vous ai fait voir évidem- 
ment , ce me. fembte «. combien ces* têtes à 
capuchon me font redevables : c*eft moi qui 
his gue par de vaines dévotions, par de 
pîeufes mommerles, par des clameurs & 
des menaces , ils exercent fur le menu peu-- 
pie une efpéce de tyrannie , & qn'ih ofent 
fe comparer aux Pauls , aux Antoines. Mais 
)e ne me fuis que trop arrêtée fur ces fépuK- 
chres blanchii , fur ces ingrats , qui fçaveat : 
aqffi-bien dii&muler mes bienfaits ,<que fe- 
parer d^n fauit zèle pour la Religion: 

Il y a long-tem«<me je dîflfére à vous di- 
re .qttelqi^e.cnofe.desrriAces& des Grands» - 



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A5TOH, LENQX 
TILt)EN fOUNDATlONS 



^sl/r J^7 




DE LA rtytTE. \^ 

Cèux«Ià font tout opofft aux fourbes & tut PoUè^ 
hxipofteursdont)e viens de parler : ils tatàts 
cultivent fatis fard,. fans déguifement, St Cours 
avet toute la. franchife qui convient à leur â* dts 
rang. Si ces heureux habitans des CoxmGraads 
avoiem feulement une demi «once de bon 
fens , y auroit-il rien de plus trifte, rteta de 
plus à évitier que leur état } Quiconque fe 
donnera la peine de réfléchir attentivement 
fur les devoks d'un bon Monarque » loin dé 
Vouloir fe procurer , par quelque crime que 
ce foit,.un fardeau U pelant» il tremblera 
à la vâe d'une couronne^ Car en quoi con- 
fident les engagemens d'un homme oui com* 
mande à tonte la Nation ? Travailler jout 
â& nuit pour lé bien commun ^ & ne jouir 
jamais de foi-même ,.ne s'écarter en rien 
des Loix ; connokre pu pair foi-mefhe , ovl- « 
pzx dés yeuxbiens ffirs ^ 1 intégrité des Offî* 
ciers 6c des.Magiftrats^féfouventr qu'on 
eftenfpeâacleau-dedans&'au-dehorsy & 

3ue , comme un aftre falutaire, on peut par 
es nksurs bien réglées influer utilement: 
fur celles ^^s hommes & faire le bonheur 
des peuples , ou , comme Une comète funef- 
te , càufer les plus grands maux du monde : : 
n'oublier j amais , que lesviees & Jes crimes - 
des Sujets font inflniment moins contagieux^ 
que.Cieux.dtt Maitreu fe redire.cHacgie.jçttr:^, 



W5Ï V E LOGE 

eue le Prince eft dans une élévation ob , s'H 
donne mauvais exemple, fa conduite eft un 
mal qui fe communique^ Ci, qtiîiatt du rava^ 

ge : faire réflexion , qpe «i fortune â*un 
fonarque l'expofe continuellement aux oc? 
cafions de apitter le fentier des vertus v 
qu'il a les délices , l'impunité , la flatterie y 
le luxe à combattre ; & qu'il ne fçauroit 
trop vçi)lc- , *ji trop fe roidir contre tout 
ce qui p^ut o féduire : enfin fe rapellec 
fouvent 9 qu*out're les pièges , les haines ». 
les craintesc, les dangers aufquels le Prînce- 
eft à tout moment expofé de la part de fe» 
Sujets , il doit tôt ou tard comparoître de? 
vant le Roi des Rois y. qui lui demandera un* 
compte éxa6^ de toute la conduite , & avec 
une rigueur proportionnée à Tétendue-de fa 
domination : voilà une partie de$ devoirs 
ou des charges de la Royauté. J%. le répète 
donc,.û un Prince faifoit attention a tout 
cela, (& il leferolt fans doute, s'il étoit 
/âge) il n'auroit aucun repos dans la vie, 
Imis j'y ai pourvfi : grâce a l'indolence que 
je leur infpire, les Princes fe repofent de 
tout fur le deffin & fur leurs Miniftres, ils 
vivent danslamo]le(re,&n admettent auprès 
d'eux que des eens propres à les divertir, & a 
les préferver de tout chagrin & de toute in«- 
c^ieiude^ Us crojrent remplir fuffifamment 

lés* 



DELA FOLIE. 169 

les obligations d*un bon Roi , en prenant 
tous les jourjs le divertifTement de la chafle ^ 
en nourriflant de beaux chevaux , en ven- 
dant à leur profit les Charges & les Em- 
plois , en mettant en œuvre des expédiens 
pécuniaires y pour dévorer la fubftance des 
Peuples , & s engraifier du fang de leurs Su- 
jets. Il eft vrai qu'ils gardent quelques me- 
lures fur le dernier article , allèguent des 
raifons de befoin , des prétextes de nécefll- 
té ; ôc quoique dans le fond ces éxaâions 
foient un pur vol , on leur donne une aparen- 
ce de juftice & d'équité ; on dit des douceurs 
aux Peuples^ on les nomme fes ions 8l fidèles 
Sujets ; pendant qu'on les dépouille d'une 
main , on fçait tes carrefler de l'autre , pour 
prévenir leurs juftes plaintes , & les accou* 
tumer peu-à-peu à la tyrannie. 

Sur ce piea-là, je vous fais une fupofi- 
tion : figurez-vous fur le Trône, ( & le cas 
n'efl que trop réel & que trop ordinaire ) 
figurez - vous un homme ignorant dans la 
connoiflance des Loix , prefque ennemi du 
Jbien public , & qui ne vife qu'à fon intérdt 
perfonnel ; qu'il loit efclave de fes plaifirs ; 
qu'il méprife toutes Iles fciences ; qu'il ne 
puifTe fouffrir la vérité ; qu'il ne s'embarrafle 
de rien moins que du bonheur de fes Sujets ; 
qu'il ne fuive que fa paillon & mefure tout 



170 V E L OG E 

à fon utilité propre. Mettez à cet homme le 
collier d'or , ornement Royal qui fymbolife 
l'afTeitiblage des vertus nécefTaires aux Prin- 
ces ; mettez-lui la Couronne enrichie de 
pierres précieufes , dont Tattribut l'avertit 
au'il doit furpafler les autres en tout genre 
ae vertus héroïques;mette2r-lui dans la maîa 
le fceptre qui eft le fymbole de la Jufti- 
ce 9 & d'une ame incorruptible ; enfin don- 
nez-lui>la robe de pourpre , qui défigne fon 
amour pour les Peuples , & fon zèle ardent 
pour leur félicité. Si après cela ce Mo- 
narque vient à comparer ces habits Royaux 
avec fa mauvaife conduite « doutez-vous 
qu'il n'ait honte dé fa parure» & qu'il ne crai- 
gne que quelque railleur ne tourne en ridi- 
cule un ajuftement , qui par lui-même eft 
très-férieux ? 

Venons aux Grands de la Cour. Quelle bi- 
zarre efpéce d'hommes ! il n'y a point d'efr 
davage plus rampant & plusméprifable que 
le leur ; cependant ils regardent avec mépris 
les autres mortels. Us ne fontmodeftes qu'en 
un point : c'eft que contens de porter fur 
leurs habits l'or , les pierreries > la pourpre , 
& tous les autres fimboles de la fagefle & de 
la vertu , ils cèdent généreufement aux au- 
tres le foin d'être fages & vertueux. Ils ne 
^conçoivent point de félicité plus grande,» 



DELA FOLIÉ. iji 

Îue d*avoir la facilité de parler au Prince , 
ele traiter de Souverain oc de Maître abfo- 
lu , de lui faire un compliment court & bien 
tourné , de lui prodiguer à chaque infiant les 
fiaftueux titres de Majefié,d'Mtefe Royale^ 
de Sérénité , &c. être avec cela toujours 
propres , magnifiques , bien parfumés , & 
lur-tout fçayoir flatter délicatement, c'efl 
toute la fcience des courtifans. Quant à i*ef« 
prît & aux mœurs, ce font de rmhPhJacUns : 
* tels étoient les amans de Pénéhne, § vops 
içavez ce que le bon Homère en dit ; la Nim- 
phe Echo vous le redira mieqx que moi; Le. 
vil Efclave d'un Monarque , ( qui Couvent 
eft lui-même chargé de fers d'une paflion aui 
le maîtrife ) ce vil Efclave dort juiqu'à midi^ 
pourvu qu'il n'ait pas à faire la cour , car 
alors il feléy eau premier chant du coq, A 
peine Monfeigneur efl*il éveillé , que fofi 

* Les Phéaciens , félon Homère , étoient fi 
p^oJJiers&fifliqfides^qu'UliJfe leur fit accroi- 
re autant de prodiges qu il voulut leur en dé^ 
biter. x* . 

§ Homère nous repre fente les Amans de Pé- 
nélope , comme des gens qui donnaient tout 
auxplailîrs fenfuds. Après qu'ils eurent fait 
bonne chère , dit ce Poète , ils ne p^nférent 
plus qu'à chanter & à danfei^ 



tjt r E L O G E 

Chapelain 4 qui épioitce moment, lui dît en 
pofte une Melfe bien dépêchée. On déjeûne 
enfuite » & le dînet fultlde près. Au fortir de 
table , viennent le Jeu ,1es Filoux , les Bouf* 
fonsj les Courtifans, les mauvaifesplaifan- 
teries , 6l tous les autres paffe-tems apellés 
plaifirs. Ces dévots exercices ne fe font pas 
fans quelque intermède de friandife ; oit lou- 
pe , oC on paffe la nuit à boire. Ainfi fans 
s'apercevoir qu'on n'eft né que pour mourir , 
la vie s'envole rapidement^ les heures, les 
jours , les mois , les années s'écoulent , & 
paflent comme des minutes. Pourmoi^quand 
je les ai vus une fois « je fuis rafiafiée comme 
il je fortois d'un grand repas. Eh\ qui pour- 
roit foutenir plus long*tems la vue de tous 
les ridicules qu'offre la Cour ? cette Nimphe 
fe croit prefqoe une Divinité , parce qu'elle 
traîne une plus longue queue que les autres* 
Quand ce Grand a donné bien des coups de 
coude pour fendre la foule , il s'imagine qu'il 
y a moins de diftance entre le prince & lui* 
Ce Courtifan fe félicite de ce que la chaîne 
d'or qu'il porte au coû eft plus pefante 

Î[u*aucune autre , faifant en cela pàraae non- 
eulement de~ fon opulence , mais auffi de 
fa force « qui lui eft commune avec le plus 
vrlpofte-faix. 
La vie des Princes & des Grands du fié« 



DE LA FOLIE. tyj 

de , m'a conduit nâttirellement à celle des 
Papes « des Cardinaux , des Evêques, Il y a 
déjà long- tems que cetOrdre imite , par une 
louable émulation , & Rois 6c Satrapes , & 
jju'on peut mçmedire qu'il lésa fupafles. Or, 
Je feroiscurieufe devoir un Evêque méditer^ 
un peu fur fon éauipage , ou fur fonharnois 
Pontifical: ce rocket , qui par fa blancheur y 
cTéfigne l'innocence^cétte coiffure a deux cor- 
nes attachées par un feul nœud , & qui mar- 
quent la profonde connoiflance qu'il doit 
avoir des deux teflamens ; ces mainsgantécs 
qui fignifient un cœur épuré de toute conta- 

tion mondaine , dans Tadminiflration des 
acremens ; cette croffe qui l'avertit de veil* 
1er fur le troupeau qui lui eft confié ; cette 
Croix qui eft le figne de la vi&oire qu'il doit 
avoir remportée fur toutes (es pâmons. Si 
jiotre Prélat fe rempliiFoit Fefprit de toutes 
ces idées, & de plulieurs autresquejefupri- 
me , n'eft-il pas vrai qu'il deviendroit maigre, 
pâle , rêveur & trifte ^ Mais ne craigfiezrien^ 
j'y ai mis bon ordre : j'ai confeillé a ces pré- 
tendus SuccefTeurs des Apôtres , de prendre 
une route toute opofée à celle de ces bonnes 
gens , 6c jamais on n'a mieux profité de mes 
avis. Nofleigneurs font leur principale affai- 
re de paffer leur vie agréablement. Quant 
SU troupeau , c'eft à Jelus-Chrift d'en prea** 

P3 



174 V ELOGE 

dre foin : & d'ailleurs n'a«t'on pas des Ar* 
chîdiacres , des Grands- Vicaires , des Péni- 
tenciers , des Moines , & tant d'autres bons 
&|fidèles SupÀts? Les Evêques ont oublié 
que leur nom fignifie à la lettre , travailyfoin 
& folUcitudi. Mais ils ne fe fouviennent 
que trop de leurs droits » quand il s'agît d'ar- 
gent. 

J^es vénérables Cardinaux fe vantent d'ê- 
tre defcendus en droite ligne de l'Apoilolat, 
S'ils alioients'apoftropher ainfi : » Pourquoi 
» ne fais-je donc pas ce qu'ont fait les Apo- 
9» très ? Je ne fuis pas le maître des eraces 
9» fpirituelles,)e n'en fuis que le difpenlateur, 
79 & bien-tôt je rendrai compte de mon ad- 
31 miniftratioa. Que veut dire ce rochet 
M blanc , fî ce n'eft la pureté des mœurs ? Que 
» fignifie cette Souune de pourpre , fmon 
91 un ardent amour de Dieu ? Pourquoi ce 
» manteau rouge qui eft fi ample & (1 large ,. 
» qu'il envelope jufqu'à la mule du Rivérenr 
» diffimc^ & qu'il coqvriroit encore un cha- 
9) meau « s'il etoit befoin l Ce vade étalage 
91 défigne*t'il autre chofe que l'étendue delà 
9» Charité , toujours prête a tout , c*eft-à-di- 
9> re, à enfeigner 4 corriger , exhorter , à cal- 
9> mer la fureur des guerres , à réfifter aux 
9> mauvais Princes^àrépandreauffi volontiers 
» fon fang que fes richeflies pourTEglife ) 



DE LA FOLIE. 17? 

91 Mais à quoi bon ces gros revenus ? Ceux 
f> qui prétendent reprefenter l'ancien Cot- 
»lége des Apôtres, ne devroîent-ils pa» 
» imiter leur pauvreté ? « Un Cardinal oui 
feroit ces réflexions , ou remettroît bien vite 
fon Chapeau , ou menerost une vie auftére 
& laborieufe , remplis de chagrins & d'in- 
quiétudes ; en un mot , il viyroit en Apôtre. 

Profternons-nous à prefent aux pieds dq Folie 
fouverain Pontife » & baifonsreligieufemenf </«Ao/i- 
fa mule. Les Papes fe difent les Vicaires deneurs&^ 
Jefus-Chrift '^mais s'ils s'apliquoient à fe con- des di^ 
former à la vie de leur divin Maître; s'ils gnire^» 
pratiquoient fa pauvreté , fes travaux , fa 
doârine , fa Croix , fon mépris du monde ; 
s'ils vottloient feulement bien penfer à ce 
Beau nom de Pape , c'eft-à-dire de Père , & 
au titre de Très-Saint dont on les honore , 
quelles gens feroient plus malheureux ? Qui 
Tondroit acheter au prix de tout ce qu'il a 
ce Poile fuprême ? Ou quel homme y étant 
élevé , employeroit Tépée » le poifon , & 
toute forte de violences pour s'y maintenir ? 
Ils perdroient des biens innombrables , fi la 
Sagefle s'emparoit une fois de leur efprit : 
( que dis-je , la SageJJe ? S'ils avoient feule-* 
ment un grain de ce fel dont parle le Sau- 
veur. ) Ces richeiTes immenfe$,ces honneurs 
«Uvias . cette vafte domination , ce puiflanb i 

P4 ' 



176 V E L O G E 

patrimoine, tant de Dignités, de Charges fit 
d'Offices à donner ; tant de Taxes au* de- 
dans & au-dehors , tant de Difpenfes & d'In- 
dalgences , une Maifon fi nombreufe en do- 
meltîques , tant de délices & de plaifirs. En 
voilà beaucoup , & ce n'eft pourtant qu'une 
foible ébauche de la félicité Papale. A tant 
de biens fuccéderoîent des veilles, des jeû- 
nes, des larmes^des priéresydes fermons, des 
méditations , des ioupirs , & mille autres 
maux de cette nature. Et aue deviendroient 
tant d'Ecrivains , de Copiites , de Notaires , 
d'Avocats, de Promoteurs , de Secrétaires, 
de Bananiers , d'Ecuyers , d'Entremetteurs. 

falants ? . • • N'allons pas plus loin , il faut 
pargner les oreilles chaftes ; enfin une mul- 
titude infinie d'hommes de toutes conditions 
attachés au S. Siège à titre onéraire (j'ai vou- 
lu dire honoraire. } 11 feroit donc barbare & 
abominable de vouloir remettre à la beface 
les Saints Monarques de TEglife, ces vérita- 
bles Lumières du monde. Cétoit à Pierre & 
Paul à vivre d'aumône & de leur travail ;aufll 
fe repofe-t*on fur eux de tout ce qu'il y a de 
pénible ; ils ont le loifir d'y vaquer. Mais 
toutlefafte & l'éclat du Trône Eccléfiafti- 
que , nos Saints Pères , avec raifon^ l'ont 
gardé pour eux. 

Il jeit donc arrivé par mon moyen , qu'il 
Ji*y a pas de gens qui vivent plus dans la moU 



D E LA F OLl E. \rr 

lefle & dans rîndolence que les Papes ; & 
pourvu que leurs fondions fe réduifent à des 
ornemens tnyAérieux & qui fentent l'apareit 
du Théâtre ,à des cérémonies & à de vains 
titres , enfin à des bénédié^ions ou à des ma- 
lédiârions, quand lecas Téxige , ils fe croient 
quittes avec J. C. & ne voient pas ce qu'il 
auroit à leur demander. Ce n'eft plus le tems 
de £aire des miracles , ni de prêcher le peu* 
pie ; ce feroît trop de fatigues pour eux que 
d'expliquer l'Ecriture Sainte,cela fent la craf- 
fe de l'Ecole ; de prier , il faudroit avoir bien 
du tems de refte ; de pleurer , cela ne con- 
vient qu'aux femmes ; de vivre dans la pau- 
vreté , la t rifte condition 1 de céder à la vérité 
êcà la raifon^cela feroit honteux & peu digne 
d'un homme qui croit accorder une faveur 
aux plus puiffans Monarques « lorfqu'il lut 
permet de lui baifer le pied ; de mourir , c'eft 
fa chofé du monde la plus défagréable ; d'être 
attaché à une Croi» il y a de l'infamie. Il ne 
refte donc aux Papes pour toutes armes , que 
ces douces bénédiâions dont parle Saint 
Paul , ( & affurément ils n*en font pas avares) 
que les interdits , les fufpenfions , les aggra». 
rations , les anathêmes , les pemtuf es venge- 
f effes * & cette foudre redoutable par laquel- 

^OnexpofcâRQmcUtMcauiTuntxcûmsi 



17« V E LO G E 

le le Saint Père livre à fon gré les âmes aux' 
Démons, & leur fait faire un faut fi rapide ^ 

5|u*elies vont même quelquefois par-delà l'en- 
er. Il faut convenir cependantque nos Très- 
Saints Pères & tes Vicaires de }efus - Chrift 
n*employent jamais avec plus de zèle cet 
épouvantable châtiment^que contre ceux qui 
^ l'infiigation de Satan « tachent d'écorner ou 
de rogner le patrimoine de Saint Pierre. Cet 
Apôtre difoît à fon Maître : Nous avons tout 
éhandonnipour tefuhvnMskh depuis ce tems« 
là il a fait fortune , puifqu'il pofTéde en propre 
des Terres^de^ Vill«s,de5 Impôts^des Doua- 
nes , des Domaines , &c. Ceft pour défendre 
& pour conferver toutes Tes acquifitîons^que 
l<»s Saints Pontifes , embrafés du zèle de Je« 
fus-Chrifl, déployent fétcndart de Bellone, 
& employent fansmiféricorde le fer ôclefeu.* 



munie peint fur la toile , & nprefenié d'une 
manière hideufe : il eft affis y & a le vifage 
d un furieux / deux Diables Àfes c&tés lui met-- 
tent une couronne dt flammes y ^ d a du feu 
fous les pieds : les infcriptions font horribles ^ 
& cependant les fptEtatewrs trouvent cela fort 
divertijfant. 

Ventredieu , lés biens de TEglife ! difoi^ 
Sreie Jean des Entamurcs , sefcrimaat dm 



DE LA FOLIE. 17^ 

Vous jugez bien qu'une telle guerre ne peut 
fe faire fans effufion du fang Chrétien: qu'im- 
porte , répondent les Papes l Nous foute* 
nonsapoftoliquementla caufe dei'Eglife, & 
nous ne poferons point les armes , €|ue nous 
n'ayons vengé l'Epoufe^e Jefus-Chrift. Mais 
foit dit fans ofFenier l^s vrais Succefleurs de 
Pierre,r£glife a-t'elle de plus dangereux en^- 
nemis que les mauvais Papes, euxquianéan- 
tiflent le Sauveur en ne le prêchant point ;. 
eux qui le tiennent comme enchaîné , par le 
trafic honteux qu'ils font des grâces del'E^ 
elife ; eux qui altèrent fa Doârtne , par des 
interprétations forcées ;eux enfin qui l'égor* 
gent en quelque façon par leurs exemples 
contagieux \ 

Au refte, comme TEglife Chrétienne ei{ née 
dans le fang , s'eA confirmée par te fang» & 
augmentée par le fang , les Papes la gcuver-^ 
sent auiB par le fang , comme s'il n'y avoît 
plus de J..C. pour la protéger & pour la dé-« 
fendre. La guerre^d de fa nature quelque 
chofe de fi cruel , qu*^elle conviendroit mieux 
aux bêtes féroces qu'aux hommes ; c'eft avec 
raifon que les Poètes la font fortir du Tar- 



hâton de la Croix , contre tes Soldats de Pi^ 
fhrocole ^ quipilloient le clos de [on Abbaye^, 



lïo V E LOGE 

tare ,d'oli les Furies l'envoycnt fur laTcrre ' 
les defordres infinis qu'elle entraîne , font 
d'ailleurs fi contagieux « que les meilleures 
moeurs en font infeâées ; elle eu effentielle^- 
ment fi înjufte , qoe les plus grands fcélérats^ 
font ceuxquî l'entendent le mieux , & fi im- 
pie f qu'elle n'a nul raport avec Jefus-Chr. ni 
avec la morale. Gepcindant certains Pontifes^ 
quittent toutes les fondions paftorales pour 
M donner ennérement à la guerre. On voir 
même jparmi ces Papes guerriers des Vieil- 
lards aaift ^ ^i ont toute la vigueur des jeu- 
nes gens 5 qui ne plaignent point la dépenfe , 
qui luportent courageufement la> fatigue , & 
qui ne fe font pas le moindre fcrupule de bou- 
leverfer les Loix « la Religion & l'humanité. 
Ils ne manquent pas d'haniles flatteurs , qui 
pour faire leur cour, s'accommodent à Thu- 
meur fougueufe & fanguinaire du Très^ Saint. 
Ce qui ell manifeficment une fureur , ils 2e 
nomment zèle , piété , valeur : ils tr-ouvent 
ëes raifons pour prouver , que tirer l'épée 6c 
f enfoncer dans le cœur de fon frère , ce n'eft 
pointenfraindre le grandCommandementde 

* On croit qu*Erafmt en veut ici à Jules IL 
qui était paffionné pour la guerre j & qui fit 
ikndumaf^ 



DE LA FOLIE. i8i 

la charité envers le prochain. Je ne fuis pas 
encore bien informée , fi en fait de guerre « 
les Papes ont pris l'exemple far quelques 
Evéques d*Allemagn« , ou fi ces Evêques 
n'ont fait en cela que s'autorifer par la con- 
duite des Papes. Toujours il eft certain que 
ces Prélats Crermaniques y vont encore plus 
rondement. Sans s'embarrafler du Service 
Divin y des Bénédiâîons , ni de toutes les 
autres fondions de TEpifcopat , ils ne ref- 
pirent que les armes ; & ils prétendent mê- 
me qu'un Evéque doit, pour Thonneur de-fii 
dignité, rendre Tame à Dieu dans un combat* 
Les Prêtres font ordinairement animés du 
même efprit : pour ne pas dégénérer de la 
faînteté'de leurs Prélats , avec quel courage 
n'endoflent-ils pas le harnois , quand il s'agit 
de leurs dîmes ? Epées , javelots « pier« 
res , &c. ils fe font des armes de tout. Ces 
fiers Lévites font ravis , quand par quelques 
paflages des Anciens ils peuvent allarmer 
les confciences, & faire voir au peuple « 
qu'on leur doit bien autre chofe que la dîme ; 
mais de penfer à ce qu'on lit en tant d'en- 
droits fur les devoirs de leur état « c'eft ce 
3ui ne leur entre jamais dans Tefprit. Us 
evroient bien au moins fe fouvenir , que 
leur tonfure les avertit qu'ils ont rompu avec 
le Monde « fie qu'ils ne doivent s'occuper 



i8i V E L O G E 

que des chofes da Ciel ; mais ces gens tout 
dévoués au plaiAr , s'imaginent avoir fatis- 
ùXi pleinement à leurs obligations , à Voficc 
^ du hiruficc; comme ils parlent quand ils 
ont dit le Bréviaire. Et comment encore le 
difent-ils ? Entre les dents & à toute bride : 
en vérité je ne fçaurois croire qu'aucune 
Divinité les entende ni les comprenne , 
puifqu'ils ne s'entendent pas eux-mêmes, 
ni en recitant , ni en chantant. Mais les Prê- 
tres &les Laïques font également bien ins- 
truits fur le grand article de la récolte ; & 
on répète fi fouveot en chaire , au confeffion« 
nal à ailleurs» que les Prêtres font dignes 
Sun double honneur , que les Miniftres dt 
t Autel doivent vivre de t Autel \ on répète , 
dis-)e y fi fouvent ces maximes facrées , que 
pas une femmelette ne les ignore. Pour ce 
qu'il y a de pénible , ces Meffieurs fe ren- 
voyent la balte les uns aux autres. Il en eft - 
des Eccléfiaftiques , à peu près comme des 
Princes : les Rois abandonnent à leurs pre- 
miers Miniftres le foin du Gouvernement , 
& ceux-ci ont fous eux quantité de Subalter- 
nes, auxquels ils confient Tadminiflration 
de l'Etat. De même» les Officiers du Sanc- 
tuaire fe déchargent par modefiie fur le 
Peuple , du fardeau de la dévotion & de la^ 
piété : le Peuple le renvoyé à ceux qu'ilnom-^ 



DE LA FOLIE. 183 

fne Gens ^Eglifc^ comme fi à titre de Chré- 
tien , la Morale Evangélique ne fe regardoit 
pas , ou comme fi les vœux du Baotême n'é- 
toîent pour lui qu'une chanfon. De plus les 
Prêtres qui fequalifient du nom de Séculiers^ 
comme s'ils etoient initiés au monde , non 
à J. C. laiflent aux Régulitrs l'ouvrage dif- 
ficile delà piété ; les Réguliers en font l'oc- 
cupation des Moines; les Moines relâchés 
s'en repofent fur les réformés ; tous préten- 
dent d*un commun accord , que la dévotion 
n'apartient qu'aux Mendians ; 6c les Men- 
dians renvoient la balle aux Chartreux , chez 
qui l'on peut dire en effet que la piété eft 
enfévelie ,, tant ils ont foin de fe cacher au 
monde. Telle eftauffila conduite des Géné- 
raux dans la Milice Cléricale : les Papes , 
fensaâtfs & infatiguables à moifibnner l'or 
L l'argent , fe déchargent fur les Evêques 
de ce qu'il y a de rude dans l'Apoftolat ; les 
Evêques fur les Curés , les Curés fur les Vi- 
caires , les Vicaires fur les Frtres Mendians , 
& les Mendians renvoient l'éteuf aux Ber- 
gers fpirituels , qui fçavent bien tondre les 
brebis, & profiter de la laine. 

Mais , où m'emporte la matière ) Il n'eft 
pas.tr op de mon fujet d'examiner à fond la 
vie des Prélats & des Prêtres : j'ai pour bue 
de faire mon éloge ^ & noo de fatirifer les 



««4 r £ L G E 

autres. Car ne croyez pas que les louangei 

3ue j'ai données aux mauvais Princes , ten- 
ent à cenfurer tacitement les bo^s. Je ne 
<ionne une idée fuperficielle de chaque con- 
dition, qu'afin de montrer clairement qu'au- 
cun homme ne peut vivre heureux , s'il n'eft 
initié à mes myftéres , & s'il ne participée 
mes faveurs. J'en prens la Fortune à témoin* 
Cette béeffe qui difpenfe aux hommes les 
maux & les biens , toute capricieuie qu'elle 
«ft, prend plaiilr à me féconder. N'ell-elle 

Sas auffi-bien que moi , l'ennemie mortelle 
es Sages , puifqu'elle prodigue aux Fous 
toutes &s grâces , Se vient même fou vent les 
trouver dans leur lit } Vous avez fans doute 
oui parler de Timothée , Général Athénien i 
Il fut le plus fortuné des hommes , jufqu'à 
prendre des Villes en dormant : or , dès qu'il 
voulut attribuer fon bonheur à fon propre 
mérite » il tomba dans la dernière infortune. 
r£^ Ne dit-on pas communément^ que tout réuf- 

ïbr/tt- ^^ ^^^ ^^^' ' ^ ^^ ^^ ^^^ même leur tourne 
à bien ? Il en eft tout au contraire des Sages : 
c*eft pour eux que font faits ces anciens Pro- 
•^*^ verbes : // efi né comme HercuU , le quatrième 
v^^ dt la Lune , & nà que la ptinif à efpérerm 
Il efl monté fur le cheval Séjan » il fe rompra 
le cou. Son or eft de Touloufe , U lui porura 
malheur* Mais nniffons , car on pourroic me 

foupçonner 



D E LA FOLIE. iffy 

Ibnpçofiirer de piller Erafme. * Je reviens à* 
fiipiifujet. La Fortune aime les gens qui ne 
réfléchiflent point; elle fe plait à faire dif 
bien aux étourdis & aux téméraires , à ceux;: 
quidifent comme Céfar , enpaflant le Rubi^ 
con : Le fort en eftjette. La Sagefle ne fert? 

Su'àinfpiter delà timidité. Auffi la condition 
'un vrai Phiiofophe fait-elle compaffion auir 
gens fenfés : car auand fa tête eft remplie de^ 
^éculations phyuques ôc morales, fon efto-. 
inachcrie famine, & lenéceflairelui man«^ 
que ; ce qui fait qu'on le néglige^ qu'on le 
snéprife , qu'on le fîiit , qu'on l'a enhorreur.- 
Les Fous ont abondamment de ces précieux: 
métaux qui font l'ame de la fociéte civile ;• 
en les élevé aux Emplois publics , ils font 
fioriflans. Quant à celui qui met fon bon^' 
beur à être bien-venu chez les Grands , chez- 
ces Idoles parées de pierreries, qui font mes: 
principaux Éfclaves, à quoi lui ferviroit la'- 
Sagefle , puifqu'il n'y a rien de plus détefié: 
dans les Cours & dan» les Palais ? 

Voulez- vous vous enrichir par le Corn-* 
flnerce ? Renoncez encore à la Sagefle. Pour*' 
tiezvons farts un violent remords , fair« u» 



* Erafme a fait un ampU Recueil des Pt^ 
^gjffàcs Grecs o» Latias^ 



ii6 V ELOGE 

violeAt remords , faire un faux (èrment f 
Dès qu'on vot^s furprendra en meafonge 
vous rougirez : & pour peu que tous écôu» 
tiez les fcrupufes importuns des Sages fur 
le vol & Tuflire , vous ne vivrez jamais» 
en repos. 

Si vous afpirez aux dignités & aux biens- 
de TEglife y les chevaux & les ânes r éui&flent 
mieux encore ici que les gens de mérite» 
Aimez*vous les plaifirs l Les femmes, qui 
en font le principal objet ^ courent aprè^^ 
les Fous & fiiyent les Sages comme des ani«* 
maux venimeux. Enfin quiconque veut jouir 
agréablement de la vie » doit commencer par 
renoncer à tout commerce avec les Sages ^ 
& ^équenter plutôt des gens de la lie dur- 

}>euple. £n un mot y teurnez-vons de tous^ 
es côtés : Papes ^ Princes, Juges,. Magif- 
tiats,>Amis, Ennemis ^ Grands & Petits^ 
tout ne roule. que fur l'argent comptant ;. 
& comme le Philofophe , au néceflaireprès , 
ne fait pas plus de cl» de cette matière que 
de la boue , il ne faut pas s.'étonner fi. tout le 
saonde le fuit» 

Quoique mon Eloge foit un fend inépuî^ 
fable ,iln'eft pas jufie cependant que j'abufe- 
de votre patience , & que je poufie ce dif-^ 
cours plus loin. J« vais donc le terminer ;; 
mabi accordez - moi yjte vous grie^enconei 



D E L A F a L I E. i«y 

m înftant ; il y va de mon honneur. Il y aura 
ici des Sages, ( car les mauvais font toujours 
mêlés parmi les bons j) qui diront que je ne. 
fuis belle qu'à mes yeux ; & Meilleurs les 
I^égiftes ne manqueront pas de me repro- 
cher que je ne cite point. Citons donc com- 
me eux , à tort & à travers. Premièrement , 
on ne peut révoquer en doute, cette maxime 
connue : Que quand on manque de quelque 
thofe , il eft bon de feindre quon ta. Elle iip' 
confirme par cette autre, quVn enfeigii& 
même aux enfans : Ceft une grande fitgejjl.y 

Îue de fçavoir contrefaire U Seû à propos. 
ugez de là s'il ne faut pas ifue la Folie foit 
un grand bien , puifque les Sç^vans ont do9- 
né tant de louanges à fon ombre feule 6c à 
fon image. Hora4re , qui s'apelle lui-même 
un pourceau d'Epicure des mieux condition- 
nés , dit la chofe plus naturellement , Jor f- 
-qu'il ordonne de mêler la Folie avec la Sa^ 
geffe. Il- veut, je l'avoue , que cette Folie 
foit courte; mais en cela il n'en apaspli)s 
^*efprit. LeméftiePoëtedit dansfes Odes: 
Qiitil eft doux d^epctravaguep à propos L Et 
-ailleurs , qu'i/ aime mieux pajjer pour un hoi^* 
me en délire & fans nul talent , que d'être' 
fage & enrager tout fon faouL Homère ,. qpr 
ëonne tant de louanges à {on Télémaque ^ 
jie laiffe jgtas de le nommer quelquefois ']fm^ 



i88 r E LO Ù E 

étourdi ; & les Poëtes tragiques donnent 
volontiers le même nom aux )evnes gens | 
comme s'il étoit de bon augure. Quel eft le 
fijjet de la divine Iliade ^ Ne font-ce pas les 
foreurs & les folies des Rois& des Peuples? 
Cicéronn*a jamais penfé plus heureufement 
que lorsqu'il a dit : Que tout le monde étoit 
plein de Fous. Or , vous n'ignorez pas , que 

1>lus un bien eft général , plus il eft ezcet- 
ent. 

Mais peut-être que ces Auteurs ne feront 
«d'aucune autorité chez les Chrétiens. £h 
bien , fi vdus le trouvez bon, j'apuyerai , 
ou pour m'expHquer théologiquement , j'é- 
tablirai mon Èlogéfur le témoignage même* 
de l'Ecriture , j'enten^avec la permifTion 
de nos Maîtres. L'entréprife eft très-diffi- 
cile , & demanderoit pour le ûioins une bon- 
ne Invocation des Mufes. D'un autre côté 
H y auroit de l'injuftice à faire^ defcendre 
une féconde fois les neuf Sœurs , du^baut de 
leur Hélicon ; le voyage eft un peu long 
pour elles, & d'ailleurs la matière que je*: 
vai» traiter , n'eft pas du reiTort d'Apollon». 
Or , puifque je vais faire ici la Théologien- 
ne > & m'embarraifer dans les épines de h 
SchoUftiaue, ilferott, ce me femb]e,plu$ 
convenable que TeTprit de Seot, ce bien^ 
lUmeiix efprit^fltts goiatu que le pqrc^éptt^ 



DELA folie: iS^ 

{Tus piquant que le hériflbn y quittât fa Sor- 
onne, & vint m'animer. Quand j'aurai 
£ni ^ qu'il s'ényole 06 il voudra , même à 
tous les diables. Plût aa Ciel qu^il me fâc- 
permis de changer auflî de vifage , & de 
prendre un habit de Doâeur. Je ne crains Avan* 
ou'une choTe : c*eft que , quand' on me verra tagesdc 
débiter tant de Théologie , on ne me foup- laFolie 
çonne d'avoir pillé les porte^-feuilies de Nos prouvés 
Maîtres. Mais il n'eft pa» fort étonnant ce par les^ 
me femble , qu'y- ayantdepnis tant de fiéeles autori^ 
une amitié fort étroite entre nou» , j'aye at- tés Us^^ 
trapénn peu de leur fcience ; puifque Vrhpe^plusrefi 
dont la forme eft enfoncée dans la matière , peSia'- 
&qui n'eft intrinféquement qn*un tronc de bles.^ 
figuier , écoutant un )our fon Maître « qui li<» 
Ibit tout haut du Grec , enr fourra quelques 
mots dans fa tête , 6c tes retint prefque com« 
me un livre. * Jepourro^s encore citer le coq 
de Lucien , qur après avoir vécu lopg-tem» 
avec les hommes , articula tout-d'un-coup & 
parla comme- eux^ Mais revenons à notre 
&jet 9 Recommençons fous les meilleurs auf*^ 
pices qu'il fera poffibte. 

* Erafme fait ici allujiàn à l'Epigramme ffS^ 
'tes Priapécs , qui commence aïnji : Rùftîcusi» 
^2doâè/i-q.uid dixifle. yid^bof », &Ct. 



^§y^ V E L<rG E 

. A l'ôaTerture de l'Ecclifiafte , on ttouvi» 
cette y^rîdiqae Sentence, LE NOMBRE 
DES FOUS EST INFINI^ mïk en for- 
me d'Infcription au premier Chapitre , corn* 
me celle qu on Hfoit en entrant dans le Tem- 

fie de Delphes. ^ Or , ce nombre infini de 
bus n'embrafle^t'il pas généralement tous 
ks hommes, û Ton en excepte bien peu ) 
Encore doutai - )e fort qu'on les ait jamais 
▼ûs. Mais Jérémie avoue lachofe plus ingé« 
numeiit : Tous Us hommes , dit-il ,. Chapi^ 
tre lo tfa'^f devenus /ous , â force de /agejfem- 
Il attribue la Sageffe à Dieu foui, & laiiTe à- 
tous les honunes la Folie en partage* Un 
peu plus haut il dit :Que rhotnme ne£t glorifie 
point dans fa SageJTe. Et fi. nous lut demau'? 
dons pourquoi rC'eft , répondra«>t'il , parte 
que rhomme ne doit point fo glorifier de ce 
qu'il n'a point. Revenons à l'Eccléfiafte: 
lorfqu'il fait cette exclamation Pathétique , 
Vanité des vanités I tout eft vanité; à votre 
avis. Meilleurs , Salomon oui étoit éclairé 
du Ciel , ne déclaroît-il pasuuis biaifer , que 
la vie humaine , comme je l'ai infinué tant 
de fois , n'eft qu'une Folie ? N'étoit-ce pas- 
dire précifément ce que Cicéron a répécé- 



' Coanoik-toi taMD&ne» Flutar^ 



n 



DELA FOLIE. tf% 

fliepuis à tna louange : TouteflvUin de Fous T 
Quand le même Ëccléfiafte ait encore : i> 
F où change comme la Lune y U Sage eji fiable 
€omme le Soleil ^n^e&^ce pas dire clairement 
[ue tous les hommes font fous , & qu'à Diea 
3ul apartient le titre de Sage ? En efFet , les^ 
Interprètes entendent par la Lune , la Na« 
ture humaine ; & par le Soleil , ils entendent 
Dieu , qui eft la fource de toute lumière. Le 
Sauveur apuye cela dans fon Evangile, lorf»^ 
qu'il dit y 4"e Tépithéte àerSon ne convient 
qu*à Dieu« Or ,.lelon les Stoïciens , Sage Se 
Son font deux termes réciproques , & qui 
fignifient U même chofe : ainfl tous les hom-» 
mes, étant mauvais , par une confécpence 
aécefTaire , ils font tous fous» 
. De plus , Salomon dit au Cbap. 17 : X^ 
Folie efi pour le fou une fource de joye ; pan 
•ùilconreire ouvertement que fans la Folie 
il n'y a rien d'agrëable en ce monde-ci. Oo 
lit ^ns un autre endroit : Quepliu on ajoute 
à nosconnoifjances , plus on rend notre condi" 
don trifte ^ & qu^où il y a. beaucoup de/ens ^ 
il y a. bien des/ujets de mauvaifi humeur^ Cet 
excellent Moraliile répète encore la même 

fenféeau Chap* 7 : La triftejfe logie^,^ dit-il ^ 
ans te cœur des Sages- ^ 6^ la joye dans /a 
€aur des Fous. Ainfi , non content d'avoir 
aprofondila-fageffe^ il a été. curiett» de me 



»$« r E LO G E 

conooitre. Vous croyez peut- être que)*éir 
ifnpofe ? Ecoutez fes propres paroles , Cha^ 
pitre I. Je me fuis apliqui ^ dît-il , âconnoùrf 
non-feulemeni la Prudenct &' ta Dodrine , 
mais avffi Us Erreurs & la Folie. Vous' re- 
marquerez, s'il vous plaît, qu'en cet endroit-^ 
H c*eft pour me faire plus d'honneur , qu'it 
me nomme la dernière ; & que dans Tordre' 
de l'Eglife , le premier en dignité eft au 
dernier rang , conformément au précepte 
de Jefus-Chrift. 

Que la Folie ait plus de dignité que la Sa*' 
gelie , c'eft ce que l'Auteur de VEccUfiajlique^ 
( quel qu'il foit ) montre évidemment au* 
Chapitre 4. Mais avant de vous raporter 
l'endroit, je veux que vous répondiez préci-- 
ftment à toutes mes ({ueftions , pour faciliter 
les induâions^ aue je veux tirer : c'efl mar 
méthode , auffi-bien que celle de Platon ,. 
qui fait toujours interroger par Socrate lesr 
Interlocuteurs de Tes dilnogues. 

Je demande , que doit*-onle plus ibigneu-' 
Jément tenir fous-la clef, & renfermer chez* 
fei, ouleschofes rares & précieufes, ou cel-- 
Its qui font viles & communes ^ Vous ne di-' 
tes rien , 6c vous voilà tous à metegarder y 
comme des ftatue». Mais vous avez beatr 

farder le filence , les Grecs répondront eir 
minois e4)ur ¥011$^ : On ne çmnpgoim , dit 



DE LA FOLIE. 1^5 

vu de leurs proverbes , dt laijjirfa cruche À 
Importe. Et de peur que quelque impie ne s'a« 
viie de rèjetter cette Sentence, je vous ayer- ^ 
tU que c*eft ^riftote, ce Dieu ienos Mai' . 
lr/^,qui I4 raporte. Continuons. Y auroit-ii 
ici quelqu'un affez foû, pour laiiTerfon or 
& fes bi]oux à la merci des paflans ? Je n'en 
crois abfolument rien. Car vous me paroif- 
foz; tous gens . à ne pas laifler traîner vos 
effets , & à. les : ferrer dans le coin le plus 
fi^cret dttcof&é^ort ; vous n*«xpofez quQ ce 
q^e vous ^e vous fonciez pas de perdre» 
Qr , fi la prudence veut qu'on mette en fu- 
reté les chofes de prix^ôcqu'on abandonne au 
lîMzard ce qui coûte peu , je gagne ma cau- 
fe.. V EccUfiajliqut ordonne de découvrir la 
Sageffe , & de cacher la Folie* Voici le texte: 
l^hotnme. qulcach^ fa Folie y vaut mieux qtu , 
c^l^iqui cach^faSageffe. Bien plus, l'Ecri- 
ture -Sa^lte attribue au Foûune générei^fe 
inodefiiej dont le Sage, qui fe croit toujours 
meilleur que les autres , n'eft point capable. 
Ç'eil le lens que je donne à ce paflagede 
VEccléfiafie , ch. 10. Quand le Fou fe pro^ 
méne^ il croit que tous ceux qu'il rencontre, 
font Fous cùn\me lui. Admirez, je vous prie, 
ce^te candeur,^çttefmcérité : naturellement, 
tot^ les hommes ont grande opinion d'eux-* 
mêmes ; mais la Folie rend Thomme fi hom- 
^ R 



s 



194 V E L O G E 

ble , qa*il veut bien partager ik vertu aveâ 
tous les autres hommes , £ leur communi« 
qner les louanges qu'elle mérite. En feriez* 
vous autant ? Point de flatterie ; je ne vous 
crois pas encore à ce degré de perfeâion.' 
Salomon fe flattoit d'y être parvenu : Je 
fuis , dit-il , au chap. 30. h plus Fou des 
hommes. Saint Paul , le Doâeur des Gen- 
tils , n*a pas dédaigné le beau nom de Foû : 
ne dit-il pas aux Corinthiens: Jt le dis cvm" 
me foû , & je le fuis plus qiieux ? Parce 
tt'aparemment ^ fuivant fa pen(<ée , il y a 
ie la honte à fe laifler furpafler en folie. 
J'entens s*élever ici contre moi quelques 
Erudits, de ceux qui veulent redrefler vos 
Théologiens, & qui vous mettent devant les 
yeux les obfervations qu'ils ont faites , com- 
me un nuage pour vous garantir , à ce ou'ils 
prétendent^ des faufles lueurs du Sophiime : 
ces gens» dont mon Erafme eft le Porte- 
enfeigne, ou du moins le Chef en fécond , 
vont aparemment s'écrier, que cette citation 
eft folle & bien digne de la Folie ! la penfée 
de FApôtre n'eft rien moins que celle que 
vous nous forgez àplaifinll ne vifenullement 
àperfuader qu'il elt plus foû que les autres : 
mais après avoir dit , ils font Minijlres du 
Chrift & moi aujfj^ fentant bien qu'if ne di- 
foit pas aflezyil ajoute : Jt le fuis plus qu'eux^ 



D E L A F L I E. ipj 

<5c pour oter je fcandale , que le témoignage 
avantageux qu'il fe rend lui-même auroit pu 
caufer , il s'accufe de folie en' cela , parce 
qu'en effiet il n'y a que les Fous qui ayenc 
permiffion de tout dire. 

Oh ! difputez tant qu'il vousplaira^Sc chi- 
canez tout votre faoul fur le fens de ce paffa* 
ge:pourmoîiefuis l'interprétation deces gros 
bonnets , de ces bedaines théologiques dont 
f embonpoint garantit l'autorité , & avec qui 
ia plupart des Doâeurs aimeroient mieux fe 
tromper,que de penfer mieux avec ces gens 
qui fçavent trois langues : * car on en fait 
amant de cas ç^ue des pies & des perroquets. 
D'ailleurs, j'ai pour moi un glorieux Théolor 
gten 5 que je ne veux point nommer , dans la 
crainte de donner lieu à nos Sçavantaffts § de 
luiapliquerle Proverbe, ^ VAmtàha Lyrt^ 

♦ L'Hébreu, , U Latin , * le Gree^ 
§ Cette épithéte eft équivoque , ^fignifie i 
lit fois un homme qui Je vante y&un homme 
qui aie la réputation* 

. 5 Ce Théologien & Nicolas de Ltra^ quia 
fait une glofe perpétuelle fur tous les livres de 
r Ecriture ; glofe finguliére , peu lâe^ ouplêtôt 
fort ignorée aujourd'hui» On voit fa tombe, 
dansîe Chapitre des Cordeliers de Parie, 



^ r E LO G E 

Ce Doâeur explique magiftralement & théo^ 
logiquement ce paUage ; Je le dis avec moins 
4.e $agej[fèf je le fuis plus qu'eux* Il en fait 
vin nouveau Chapitre,âc ce qui demande une 
Dialeôiqueconiommée, il ajoute unenou- 
itelle Seôion.Voicitbn raifonnement en for- 
me ÔC en fubftance m Je le dis moins fàge^- 
» ment^ c'eft-à-dire, fi je vous parois fou 
» lorsque je me compare aux faux Apôtres, 
»1 vous me trouverez encore plus foû de me 
n préférer à eux. « Puis le Doâeur, comme 
s'il extravaguoit lui-même/e jette tout-d'un- 
coup fur une autre matière. Mais pourquoi 
m'arrêter à unfeul Interprète? Nos Théo- 
logiens n'ontrils pas le -droit d'étendre le 
Ciel , c*eft*à-dire , l'Ecriture-Sainte , com- 
pote une peau ^ s'il faut en croire Saint Jé- 
tome , qui fç^voit cinq langues ? Saint Paul 
lui-même ufoit de ce droit ; il y a dans fes 
divins Ecrits , des chofes qui femblent con- 
traires aux livres facrés , 6f qui né paroif- 
£ent plus telles , quand on lit ces citations 
à leur fource. Jugeons des pieufes fraudes 
de ce grand Apôtre , par celle-ci. Les Athé- 
aiens avoient coofacré un Autel , avec cette 
Infcription:-^t^x Dieux de l*Asie^ 

t>E L Eu ROP E ET DE J^AfRIQU£; 
^ U X D l E U X Z (f C ON NU s £T 

£T R.jNGEtiS'. Saint Paul tronque Unfi^ 



D K LA f Ô LIE. Ï97 

'trlptïon; \\ en prend ce qu'il croît avan- 
tageux à la Religion Chrétienne , & laifTe 
le refte : encore ces deux mots : A v Dieu 
INCONNU, qui font le texte de fon dif- 
cours,ne font-ih pas raport es fidèlement ?Les 
Théologiens d'aujourd'hui veulent aparem- 
ment fuivre cet exemple : rien de plus ordi- 
naire que de leur voir arracher dans quelque 
endroit d'un Auteur,cinq ou fix mots» & d'en 
altérer le fens^pour l'ajuder au leur. Cepen- 
danc , quand on vient à confronter la copie 
avec l'original , & à remettre la citation à fa 
place, on trouve que ^Auteur cité n'a rieii 
dit de ce qu'on lui fait dire,& Couvent même 
qu'il a dit tout le contraire. Cèft pourtant ce 
aue font nos Maîtres , ôc cela avec autatrt 
oe bonheur que d'imprudence ; enforte que 
lès Jurifconfultes y qui aiment à citer bien 
ou mal , leur portent envie. 

Comment cette rufe ne réuffiroit - elle 
pas \ Et que ne doit-on pas bazarder aprè^ 
ce grand Théologien , dont le nom, m'alloit 
échaper y fi je n'avois craint d'être payé da 
Proverbe ? Ce Doâeur , en interprétant un 
endroit de Saint Luc , s'accorde avec l'ef- 
prit & la lettre , à peu près comme le feu 
s'accorde avec l'eau. Je m'en raporte à 
irotre difcernement* Dans le tems d'un ex- 
trême danger y tems auquel tous les bons- 



?98 V E L O G E 

CUeçs font plus a/Sdus nuprès de teurs Pa» 
trons, pour leur oiFrir leurs (erviceSyle Sau- 
veur voulant élever Tes Dlfciples aii-deflns. 
de toute confiance dans les fecours humains, 
leur £ait cette demande : Quand je vous ah 
envoyés y vous i^t'U manqué quelque chofi? 
Ils n^avoieat pourtant ni foulters , pour (t^ 
garantir des épines & des caillons qu'ils 
rencontreroient fous leurs pieds « ni pro- 
vîfion quelconque de vivres, ni viatique 
pécuniaire. Le$ Apfttres ayant répondu y 
qu'ils avoient trouvé leur néceflaire par- 
tout : A prtftnt » * dit le Sauveur , celui qui 
a un fac ^ petit ou grand « qu*il le laijfe là ;. 
& celui oui n a point d^épet^ qu^^il vtnde fa, 
robe ou fa chemife ^our en acheter une. Or » 
comme toute la Uoârine Evangélique ne 
roule que fur la douceur , la patience & le 
m épris de la vie^il faut s'aveugler volontaire»- 
ment , pour ne pas entrer ici dans les vues 
& dans l'intention de Jefus-Chrifl. Ce divin. 
Légiflateur voulant mettre fesLieutenans^ou. 
iesDélégués dans une difpofition touteApof- 
tolique, chercheà les détacher généralement 
de toutes les chofes d'ici-bas. €e n'étoit pas 
aflez pour eux de fe pafler de fouliers & de 
biflac,ils dévoient auffi fe dépouiller de leurs 
vétemens ; image du parËut dégagement dcL- 
cceur avec lequel ils dévoient entrer dans.bi 



DE 1 A F O l I E. t99 

trarriére de l'Apoftolat; Il eft vrai que 7. C^ 
ordonne à fes Difeiples d'acheter une épée ;^ 
Riais queMe (forte d'épée ? Quoi ! ce fiinefte 
kiftrumeiit du brigandage , du meurtre^IUeii! 
moins , non pas même un inftrument de dé- 
fenfe. Mais c'eftce glaive fpîrituel qnipea^ 
ce iufqu'au fond de Tame , & qui tranche* 
tellement toutes les pàflions^ que ht piété 
domine & régne féale.' dans le «cenr. Or^ 
voyez, >e vous prie, comme notre célé-^ 
bre Ane à la Lyre , a fçu tordre cet endroit- 
là : il entend par l'épée , le droit defe dé-^ 
fendre dans la perfécution , & par le fac » 
de -vraies provifions de vivres, * comme fi 
le Sauveur, ayant changé de fentiment , ou , 
s'étant aperça qu'il n'avoitpointaSez^poarva- 
J^rédat 6c à la dignité de tes Miffionnureis -, 
eùtrétraâié fos ordres.CeLépiflateur avoit-il 
4onc oublié toute fa morale fil avoit déclaré 
fi formellement à fesDifciples,^u'ils ferotent 
heureux, s'ils fouffroient patiemment les 
•probres, les outrages & les fuplices ; il leur 
avoit défendu toute réfiftahce contre les ag« 
erefleurs ;il leur avôit dit que le vrai bon* 
neur étoit pour les doux & les Amples, & - 

* RaUaîs dirait en fon langage : ici Nico*" 
Iks de Lyra délire*. 

R4 



^* Z* ELOGE 

iiullemei^t pour les fopefbes ; enfin » il les ^ 
avoit exhortés par l'exemple des moineaux 
& des lys , à s'abandonner entièrement à 
la providence. Ne fe fonvenoit •< H plus de 
toutes ces maximes ? Eft- ce par un efprit 
contraire qu'il commande aux Apdtres de 
prendre Tepée , de rendre leur habit pour 
s'en:paurvoîr, & d'aller ^ plutôt tout nuds, 
que drmftrchcr fans.drmes* Comme notre 
fubdl commentateur comprend fous l'idée 
du glaire tout ce qui peut fervir àrepoufler 
laifio^ce, il entend auffi. par laboorfe, tout 
ce qui concerne les commodités de la vie» 
Aînii cet interprète de l'efprit de IKéu fait 
paroître fur le Théâtre » les Apôtres armés 
de pied en cap, pour prêcher lefiis-Chrift 
cruci£é rit les charge comme des Sobiats^de 
biflac , de paquet , de ralife ^ en un mot ^ de 
tout ce qu'il faut pour ne pas jeûner en che- 
min* 

Mais pourquoi Jefus-Chrift , après avoir 
commandé à fes Difciples de vendre jufqu à 
leur cheniife(exclufivement àce qoeje croîs) 

5 tour achetek" une épée,leurordonne*t*il en- 
uite»avec réprimande , de la remettre dans 
le foureau ? Pourquoi les Apôtres (au moins 
que je fçacfie) n'ont-ils jamais employé le fer 
contre la violence des Païens ? lîs éioi^nt 
pourtant obligés en confcîence de iouer 4fifi 



DELA FOLIE, aw 

Couteaux , s'il eft vrai qu'ils ea avoient 
reçu un commandement formel. Le fameux 
Théologien dont il -s'agit , ne s'eft nulle- 
ment embarrraffé de toutes ces objeôions.» 
Il y a un antre Doâeur , dont je tairai en*- 
core le nom par refpeâ , quoiqu'il ne foit 
pas de la canaille fcientifique : ce bon hom^ 
me fait le plus plaifimt fault qu'on puiiTe 
imaginer. Le Prophète Habacuc a dit : Lts 
peaux de la terre de Madian feront en cori'* 
fufion* Il eft dair comme le Soleil , que l'info 
pire parle des tentes du Camp des Madianip* 
tes; mais ce*Théologien s'abufantfur le mot 
àeptau , explique ce paiTage du fuplke de 
Saint Barthelemî, qui, comme on fçak» 
/ fut écorché vîL 

raffiftoisFantre jour i une Thèfe deThéo» 
Iogfe,( car je manque très-rarement ces bon* 
nés aubaines* ) Qnel^'un ayant demandé 
comment on pourroit prouver par l'Ecriture 
fainte , qu'il faut employer contre les Héré- 
tiques la voye du fagot & du £ett, plutôt que 
celle du raifoonement ; un vieillard , qu'à ion 
air fufHfant & rébarbatif on reconnoiffoit 
aîfément pour Théologien^réponditen fron* 
çant le fourcil: €'eft Saint Paul, oui Saint 
Paul lui-même ^ qui a fait cette Loi fi jage., 
H'a-t'il pas dit expreffément ^ évite^ rhJré» 
ti^ut^aprks l'avoir repris um 6f diuxfois.i; 



^M L' E tO G E 

Comme Urépétok foulent à haute, voix le» 
SDéffl«s paroles, tout le monde le crut faifi 
d'un accès de frénéfie ; maïs enfin il donna 
le mot de TEnigme: n Etes «vous donc,. 
»s'écria-t'il« d'une ignorance affezcrafle^ 
» pour ne rçayoir pas que ceterme devita, 
9» Mm^ 9 fe ferme en latin de la prépofi- 
» non de, 6l dn nom fiibftantif vita , cooh* 
»» me qui diroit, hars de la vie? Ergo r 
99 Saint Paul a commandé de brûler lesHé- 
»> rétiques , & de jetter leurs cendres aa< 
9» vent. >3 

Une étimologie il neuve fit rire quelques- 
uns des Auditeurs : mais d'autres là trouvé^ 
rent profonde, & vraiment Théologique.Ce 
barbon » s'apercevant que tous les fuffrages 
de l'Aflemblée n'étalent pas pour lui , lança 
fargument décifiCt II eu encore écrit, dit-il , 
Nelaiffe pohu vivre le nudfaifant : Or , tout 
Hérétique eft malâûrant; Erp^^ &c«^Al6rf> 
chacun d'admirer l'efprit du Doâeur;fon ju- 
dicieux Erfn fiit univerfellement aplaudi , 
& même ancun des Auditeurs ne (Oefouvint^ 
que cette loi regardoit ^iniquement les Sor- 
ciers , les Enchanteurs, les Mî^ciens^ genre 
d'hommes que les Hébreux défignent par le 
terme de maîfaifant. Il Êiudroit donc auffi 
condamner au feu tous les coupables & tous 
tes. pécheurs» Mais ne fuis-)e pas folle.», de. 



B E Z A F ù L I E. aoj 

mVmi^er à ces bagatelles i Car le nombre 
en eft fi grand > qae Chryfippe & Dy dime 
aux entrailles de fer, n ont pas écrit plus 
de Cottifes , quoiqu'ils ayent Êiit une quan* 
tité pfodigieufe de volumes > llin fur la 
Dialeâique^ l'autre fur la Grammaire^ Je 
vous prie donc feulement de me rendre 
^uàice fur une chofe : s'il eft pern»s à ce» 
divins Maîtres de s'écarter ainh du bon fens 
& de la vérité > à combien plus forte rai- 
fon , n'étant qu'une Théologienne en dé- 
trempe , doit*on me pafier mon peu d'é«» 
xadtitude dans les citation^ i 

JeTeviens. à Saint Paul* Cet Apdtre dit», 
parlant de lui-même : Vous fuportt;^ volon- 
âiers Us Fous. • « • » Receve^-moi comme um 
Foû «.•.«.. Et ailleurs : Je ne parle pasfelon> 
Dieu , mais comme fi j étois FoA. ..^. Nour 
femmes Fous noue autres pour Jefus^Chrift^ 
Un Auteur de ce poids-là y dire tant de bien 
de la Folie? Quelle gloire pouc moi? Saint 
Paul n'en demeure pas-là;il va jufqu'à ordons- 
ner la Folie» comme une des choies les plus 
néceflaires au falut : Cehà à* entre vous qui fe 
croit fa^ ^quHl embraffe la Folie pour trouver 
la Sagejffe, Jefus-Chrift .traite de Foi^r dans. 
Saint Luc, les deux Difciples qu'il joignit en\ 
chemin après fa Réfurreaion? Cela me fur*^ 
l^rçad beaucoup moins^qiie ce que ditFApâ^ 



ao8 r EZ O G E 

défendît, fous peine dcmort, aux premiers 
époux qoTil venoît de créer & d'unir enfem- 
hle , de toucher à l'Arbre de Science: preu- 
ve certaine que la Science eft le poifon de hi 
félicité. Auffi Saint Paul la rejette-t'il com* 
me pemicieufe , & propre feulement à en- 
fler le cœur. Jç crois que Saint Bernard pen- 
foit coRMne cet Apôtre ; car il nomme 1^ 
Montagne où Lucifer a voit fixé fa réfidence, 
li Mont du Sçavoir. Autre preuve qui n'eft 
pa»à négliger : il faut aflurement que j'aye 
du crédit oans lé Ciel , puifqu'on y obtient 
grâce fous mon nom, au lieu qu'on n'ofe- 
roit employer le feçours de la Sageffe« Un 
homme a-t'il péché avec connoiflance de 
canfe ? Ne croyez pas qu'il s*avife d'alléguer 
fes lumières \ il eft trop heureux de prendre 
la Folie pour prétexte & pour prote^rice* 
Ceft ainuqu Aaron, au xtl. Chapitre des 
Nombres, demandant pardon pour fa fem- 
me , s'écrie humblement : Daigne^ , Sri- 
gneur, ne pas nous imputer une faute que nous 
avons commife par pure folie, Saiil s'excu- 
fant à David : // paraît bien , lui dît-il , que 
fai agi en fou. David lui-même, tachant 
de fléchir la vengeance divine : Seigneur , 
dit-il,/V vous fuplie d^ effacer cttît iniquité 
du compte de votre /erviteur ^ car c^eft la Folie 
qui m^ a fait agir. Vous voyez bien qu'il 

craignoît 



DE LA FOL I E. 209^ 

craî^OTt de n*êtf e ];>oînt exaucé , s'il n'allé^ 

gioit fa folie & fonignorancer Mais rien ne 
it tant pour moi , que la prière que le 
Sauveur ht fur la Croix pour fes ennemil : 
Mon PtTt , pardonnez-leur , dit -il; & il 
n'employé d autre. raifo& pour les excùfer» ' 
que celle de leur imprudence , para qu'ils 
ni fçavent ce qu'ils font. Saint Paul écrit de 
même à Timothée : Dieu m' a fait miféricor" 
de , parce que mon incrédulité était t effet de 
l'ignorance, Qu'eft-ce que cette ignorance ?' 
N eft-ce pas la Folié & non la malice f Quel 
eft le fens de ces paroles : Diew m^ a fait 
miféricorde , &c, ? N'eft-ce pas infmuer clai- 
rement que fans le crédit & la recomman- 
dation de la Folie y il n'y auroit point ea 
de miféricorde pour Saint Paul ? Le Pro- 
phète Roi s'exprime de même dans ce 
pafTa^e , que )'ai* oublié de placer en foa 
lieu.: Ddîgne^ ,. Spigneur ^ oublier les éga» 
remens de ma jeunejfe y. & mes ignorances. 
Vous remarquerez ici , que ce divin Chan* 
«re s'éxcufe par deux endroits : par Ik'- 
];eune{re, âg^ dont je fuis la fidèle âc infé- 
parable compagne, & par l'ignorance ; 8t 
pour montrer l'excès de fa folie y il fe fer«: 
du: nombre pluriel. 

Mais pour me tirer d'iin détailqurire fin£-- 
voit-goint ^yous allez voir en racourci ,; qiia* 



]a Religion Chrétienne femble s'accordër- 
parfaîtement avec la Folie , & n'avoir nnl» 
raport avec la Sageffe. Comme c'cft-là an 
vrai paradoxe, je ne veux point en être 
crae fur ma parole, & je viens aux preuves* 
Premièrement, les jeunes gens» les vieil- 
lards , les femmes & les fots prennent plus, 
de plaifir que les gens fenfés aux facrifices ». 
'8ç aux autres cérémonies de TEglife, ce 
qui fait qu'ils tâchent de s'aprochèr de TAu- 
tel le plus près qu'ils peuvent. Et qui leur, 
lionne, je vous prie, ce zèle & cette dé-^ 
votion ? L'impreffion toute machinale de.* 
la nature. En (econd lieu , les fondateurs de. 
la Religion Chrétienne , qui faifoient pro--- 
feflion d'une fimplicitémerveilleufe, étoie&t. 
les ennemis déclarés de Tétude des Belles*^ 
Lettres. Enfin il n'y a point de fousquipa-- 
ToiiTent porter plus loin l'éxtraïKagance ^ 
que ceux qui fe font livrés tous entiers & 
avec ardeur à la Piété Chrétienne : ils répan- 
dent leur argent comme de l'oau; ih meprî-^ 
fent les injures ; ils fe laiflent tromper ; ils« 
ne mettent aucune différence entre les amts 
& les ennemis ; la volupté leur fait horreur ;. 
rabftinence,lesveîlle$> les larmes, les tra- 
vaux ,. les outrages femblent les nourrir ; ils. 
ont un grand dégoût pour la vie , & une gran». 
^ împ/tience. dr mourir.; enfio.on.&olfe 



DE ZJt rO tlK. «ti. 

ijaMIs font abfolument privés du ftos com- 
mun, ou que ce font des corps fans ame & 
dépourvus defentiment. Quel nom trouve* 
Tons-nousàcette pieufe manie , fi le nom- 
de Folîe ne lui convient point ? les Juifs n'é- 
toient-ils pas bien fondes à croire que leS' 
Ap&tres avoient'trop bû ? Le Ju^e Feflus> 
ii'avoit-il pas raifon de prendre &int Paul i 
pour un extravagant ? 

Mais puifque ]e me fois érigée ici ^jenc^ 
fçais comment, en fçavante & en raifonneu- 
fe, je veux foutenir la gagûre. Reprenons ^ 
courage; foutenons devant cette illuftreAf- 
femblee de Fous, une thèfe nouvelle, & à^ 
laquelle on ne s*àttend pas. Oui, Mei&eurs ,. 
\à vais vous montrer que le bonheur des> 
Chrétiens-, qttex^ette félicité quHls cher- 
ehent avec tant dé peines & de travaux»', 
n'eft qu'une efpéce de folie & de fureur. 
iVous me regardez de travers , & l'indigna- 
tion fe peint fur votre mine ? Doucement , , 
ne nous arrêtons point aux expreffiom ^ ce 
ne font que des fons arbitraires ; mais atta-* 
chons-nous'àlMen examiner la chofe. 
, Le fyftême du Chriflianifme fur le yraîi 
bonheur de la vie , eft prefque la même cho- 
fe que le phn des Platoniciens. Suivant le - 
principe fondamental de ces deux partir » ^ 
lîafxiej eft eafoncée^ dans le corps, elle eff^ 



31« r E L 06 E 

cnvelopée des liens de la mktiëre, elle e(S 
tellement entraînée par la pefantear de 1» 
machine organique » qu'eUe a uhe peine ex-» 
tréme à coonoître le vrai , de .encore plus à 
en jonîr. Ceft par cette raifôn que Platon 
définiffott la Philo fophîe , la méditation de la 
mort ; car la mort ainfi qoe la Phîlofophîe rer 
tire l'ame des objets rîTibles & matériels. Su£ 
ce pied-là y tant que Tame employâmes orga? 
&e».du corps , félon féconomie naturelle de 
ces deux mbftamres fi diftînâes entr'elles^ 
l'ame eft faine &iaee : mais lorfque'l'amev 
rompant fes liens , tache-de forcer fa prifon^ 
& de.fe mettre en.liberté y on apelle cet^état 
Folie ; & fi par hazard ce dérangement vient 
de maladie & de l'altiratioa des organes , 
alors tout le monde conjûen^ que c*eft une 
fureur. Nous les voyons pourtant ces trop 
heureux Fous , nous les voyons prédire l'a- 
venir , pofTéder des Langues âidesSciences 
qu'ils n*ont jamais aprifess, & faire voir eh 
eux quelque chofe de divin* P'oiipeut venit 
un tel prodige ? Ceft fane doute que l'ame»: 
plus dégagée de la fervitude ditcorps , com^ 
mence a déployer fa force naturelle. Ne fe-* 
soit-ce point la raifon qui finit qaelquefoia 
parler les mourans, * comme dés inipit^s i^ 

* Sfiifruù condamné.txèsTinjufi€m€nl:à.m(iU^ 



DE t A FOL I E. * arj 

Si le zèle & Pardenr de la piété produifent 
cet effet extraordinaire, ce^n'eft peut*être 
pas le même genre deFolie y mais il enapro* 
che fi fort, que communément on lui donne 
ce nom-là. En effet, qui ne traiteroitpas de 
fous , ôc de maîtres fous , un très-petit nom?? 
bre di pauvres d'êjprit^^m^^^ix leur condui* 
te, font le procès à tout le Genre-Humain l 
L*i4ée de Platon ne fera pas ici hors d'ioeu;» 
irre : cePhilofophe a feint une caverne rem^ 
plie de gens qui font arrêtés malgré eux ; un- 
. de ces captifs s'enfuit, ôc après s'être prome- 
né long-tems , il revient : mes amis , s'écrie*- 
t*il en. rentrant, que vous me faites pitié l 
Vous ne.voyez ici que des ombres & que des 
fantômes^ en un mot vous êtes des Fous» 
Pour moi , je n'ai rien vô que de très-réel , 
sien que de folide & de bien éxifiant. D'un 
autre côté , les gens de la caverne qui ne font 
jamais* fortis de leur fouterrain ,. difent en fe 
regardant les uns les autres : Que veut donc 



ùrparla ciguë ^ dït.auxjuges.quiavûitntvro^ 
nonféfa SenUfue : Je fouhaite d'être bon PrO" 
phête pour vous quiin?avezrcondamné, ca» 
|e fuis dans la conjonâure où' les. hommes 
«ntrevoyent l'avenir., c'eft*à-dire, auziigra»- 
«besdfiilkmott*. 



»♦ ; r El OGE' 

ëirecefoû-U?Sériea(!^iiient'fa cerveHe eft 
démontée. Il en eft ainfi da commun des* 
hommes : ce qaî tombe le plus fous les fens , 
occupe le plus leur efprit ; ils ne connoiflenr 
prefque. point d'autres êtres que les êtres 
matériels & fenfibles. Au contraire > ceux> 

Jii fe font dévoués entièrement à la piété ,, 
ns cefle auadiés à la contemplation des^ 
cfaofes invtfibles » .méprifen t un objet à pro- 
portion qu'il les touche déplus près ^ je veux* 
cure » qu'il eft palpable & corporeL* 

Les Mondains font leur première & prin* 
cîpale occupation d'amaffer du bien , enfûite 
ils s'apliquent à contenter le corps ^ & le 
dernier foin feréferve pour Tame, dont la 
plupart ne croyent po^t Téxiftence, parce 
«'elleVeft pas vtfible* Les gens embrafés 
ou feu de la Religion >. prennent une route 

S^ofée ; ils mettent toute leur confiance en 
ieu ^ qui eft le plus fimple des êtres ; après 
kiif ilspenfent à leur ame, comme -à la chofe 

Si aproche le plus de la Divinité. Us ne fe' 
iicient nullement du corps : non-feulement^ 
iU méprîfent la fortune,, mais même ils la 
ftiyent:; & s^s font obligés par devoir , &• 
comme pères de famille, à veiller for leur 
temporel , ce n'eft qu'à regret & avec dé^ 
goûtvparcequ'ils ont comme s'ils n'avoient 
B^>ûuv,parce qu'ils yoffident coiame ne Rofr 



2rr LA rtttiw. 4tf 

ffidàntpoinn li y a plufieurs autres degrés^ 
de différence entre les hommes qui ne s'oc*> 
cupent que du corps» & ceux qui fe livrent, 
uniquement à. la pteufe culture de l'ame: 
pour mieux diftinguer ces degrés, pofoos 
«n principe inconteftable. 

Quoique tous les fentimens de Tàme 
ayent une liaifonnéceflaireL avec le corps , 
il y en a pourtant de deux fortes; les uns 
font plus matériels , comme le toucher , 
Tôuïe , la vue, l'odorat, le goût ; les autres 
ont moins de raport aux organes , ôc ce font 
la mémoire ^J'emendenàent & la volonté. 
H s'enfuit de laque Eàme a plus ou^moins de- 
force , à. proportion qu'elle s'aplique plus, 
ou moins a ces divers fentimens. MtiUons. 
maintenant furcette hypothèfe. Ceux dont: 
là piété abforbe routes les puiffances, à for- 
ce de s'élever^ .autant qu'il-leur eilpoffible,. 
au-deflus dés fens corporels , parviennent - 
,àles émouiFer^tellement qu'à la fin ils ne- 
fententplusrien. Tel étoit , par éxemple^un^ 
S. Bernard, qui» fi Ton en croit.fa Légende y , 
fauvoitdel'huilelpour du vin. Au contraire,, 
tes fenfuels ont une grande vigueur cfame 

Eour les ièns du corps ^. &.une grande foi- 
leflepour les fentimens de-r^kme^ De plus». 
Ermi les paffions il y. en a qui touchentc 
corgs^ de. plus près y, coiiune. le&^ défisse 



kif V ELO G E 

amoureux ^ la £iim & la foif , Tenvie ît 
dormir , la colère « l'orgueil & Tenvie : (es* 
vrais Dévots , s'il y en a , font une guerre 
irréconciliable à ces paffions ; au lieu que 
les pattifans de la Nature ne croyent pas 
qu'on puiiTe vivre fans elle. Il y a d'autres 
paffions qui tiennent le milieu , & qui font: 
auffi naturelles , comme , par exemple « 1'^-. 
mour de la patrie, de fes pères & mères > 
de fes enfans , de Tes proches » de fes amis : 
le commun de» hommes accorde quelque 
chofe à.ces paffions-là ; mais les gens pieux 
travaillent à les. arracher de leur cœur , ou 
du moins à les fpiritualifer» Un fils chez eux 
aimefon per^ ; mais ne croyez, pas que c'eft 
la paternité qu'il honore ôc qu'il aime « dans 
celui dont.il a reçu la vie* Quelpréfent moa 
père m'a-t'il fait , vous dira ce >aint ? O'ua 
corps miférable , & qui eft mon plus danger 
teux ennemi ? Encore efl-ce à Dieu que.je 
le dois, .il e& l'Auteur de mon être : mais 
j'aime mon père comme un homme, ea 
gui brille l'image de cette intelligence 
iuprême:, qui elt U Souverain Bien , 6c 
hors de laquelle il n'y a rien d'aimable^, 
cien qui foit digne de nos defirs. C'eft 
par cette même ride » qpe les gens à. 
mortification jugent de tous les devoirs de U 
Kie^.en.ibrte qpe ^ s'ils ne méprifentpas g^ 

nérâlemensi 



DELA FOLIE: «7 

«éralement toutes les chpfes vifibles ; aq 
jnoins les mettent-ils infiniment au-deflbus 
de celles qu'ils ne font qu'imaginer. Ils dî- 
ient même que dans les Sacremens , & 
dans les autres objets du Culte , ]a matiè- 
re ne feroit rien , fans Tefprit. Les jours 
de jeûne, ils comptent pour peu de chofe 
Tabftinence de la viande , & de quelque re« 
pas y quoique la multitude fafle confifler 
en ces deux points toute l'obligation du pré- 
cepte. Les perfonnes pieufes^ vousdifent» 
qu'il faut jeûner fpirituellement , c'efl- à-di- 
re , dompter fes paffions , mortifier fa co- 
lère & fon orgueil 5 afin que l'ame étant plus 
dégagée de la mafle du corps , foit mieux 
en état de goûter les chofes du Ciel. Il en 
cft de même de la MefTe. Nous ne mépri- 
sons pas 9 difent-ils, ce qu'il y a d'extérieur 
& de vifible dans le faint Sacrifice : mais les 
lignes & les cérémonies feroient inutiles , 
où plutôt nuifiblesy fans l'efpritqui les rend 
^fiicaces. Comme ce Myftére reprefente 
la mort du Sauveur , il faut que le Fidèle 
la reprefente auffi en lui-même , en mou- 
rant à fe« paifions , afin de reflufciter & 
de reprendre une nouvelle vie ^ pour s'u^ 
nir à J. C' & à fes membres. C'eft dans 
cette difpofition , que les Saints afliftent à la 
lA^S^. Le Vulgaire n'eafait pas de même ; 



«rt r E LO G E 

comme U ne conçoit dans ce Sacrifice, que le 
commandement d'en être témoin^il segarde, 
il eft atèentif au chant , aux cérémonies ; & 

{>ui$ c'eft tout. Ce n'eft pas feulement dans 
es chofes que je viens d'aporter pour éxem«- 
pies y que les Anges mortels rompent tout 
commerce avec la matière & les corps ; c'eft 

Sénéralement dans toutes celles de la vie , 
c par^tout ils prennent un rapide eflbr vers 
les biens éternels , invifibles oc fpirituels.Or 
puifque les Dévots , & les Indévots diffé* 
rent en tout , vous jugez bien qu'ils fe re- 

Î ardent les uns les autres comme des Fous, 
lais en vérité , les plus matériels ont la rai«- 
fon de leur côté ; & ce font les Dévots qui 
méritent le titre de Fous. Vous ne pourrez en 
difconvei^ir , dès que je vous aurai fait voir 
en peu de mots, que cette récompenfe infi- 
nie , après laquelle ilscourent fi ardemment, 
n'eA qu'une efpéce de fureur. J'apuye mon 
fentiment/ur un Oracle du divin Platon : Ls 
fureur des Amans yAix^t Philofophe énthou- 
£aile , efl la plus heureufe de toutes. En effet , 
un Amant bien pafTionné ne vit plus en 
foi , mais en la perfonhe qui s'eft emparée de 
fon cœur ; & plus il fort de lui*ménte , pour 
fe transformer dans l'objet de fon amour, 

flus il fent redoubler fon plaifir. Ainfi quand 
ame d'un Dévot , quîbrulô de parvenir à U| 



» £ L'A F O LI E. %x$ 

Iperfeâîon évangélîqae, travaille à fortir de 
Ion corps , en nefailant point Tufage qu'elle 
doit de fes fens & de fes organes , n'a«t'on 

{>as raifon d'apeler cela une fureur ? Râpe- 
ez-vous ces façons de parler fi en vogue s 
îl eflhors de foi.»* Rentre^ en vouS'mêm€..i 
Il ejl revenu à foi. Si, fiiîvant l'idée dePla« 
ton, l'excès de la Folie, & pSù* conféquent 
du bonheur ,femefure à celui de l'Amour v 

Juelle fera donc la vie des Bienheureux 
ans le Ciel , après laquelle les Dévots fou- 
Îirent avec tant d'empreflement ? Dans cet 
tat de félicité , qui fe renouvellera fani 
cefle , l'ame viâorieufe abforbera le corps i 
cette parfaite domination , loin de caufer 
la moindre peine « deviendra toute natu« 
relie : l'efprit fera comme dans fon régne « 
& il jouira du prix des efforts qu'il a faits 
dans fa vie mortelle , pour réduire fou 
corps en fervitude.De plus^ l'ame feracom* 
me eaeloutîe d'une manière incompréhen* 
£ble,dans cette fupréme intelligence qui 
la furpafle infiniment ; en forte que tout 
l'Homme fera hors de foi , & il ne fera Bien^ 
heureux ^ que parce que,féparé de lui-même^ 
il recevra une volupté inexprip:iable du foa«- 
verain bien qui attire tout a foi. Au refie , 
quoique cette ^félicité ne doive fe confom* 
mer que par la réunion de Tame avec le 

Ta 



^%0 V E L G E 

corps,cependant,parce que la vie des Sainte 
fur la Terre n'eft qu'une méditation conti- 
nuelle, & comme Tombre des joies du Para- 
dis 9 ils ne laiiïent pas de goûter d'avance, 
& de fentir dès ce Monde la récompenfe 
qui leur efl promise. Il eft vrai qu'en com« 
paraifon de la béatitude éternelle , ce qu'ils . 
éprouvent, n'eft qu'un foible écoulement de 
cette fource divine ; cependant il furpaffe 
toutes les voluptés corporelles réunies en- 
femble , tant les biens fpi rituels & in via- 
bles l'emportent fur les biens corporels & 
vifibles. C'eft ce que nous promet le Pro* 
phête , lorfqu'il dit : Vail na point vu , Po^ 
uilU n'a point entendu i & le cœur de l koni'* 
me rCa jamais gouti les délices que Dieu a 
préparées à ceux qui l'aiment. Et c'eA le par- 
tage de la Folie qu*on ne perd point , & 
qu'on perfeâionne au contraire, en chan- 

feant de ^ie. Or ceux qui font dans cet 
tat , ce qui eft un rare bonheur , éprouvent 
tine forte d'extafe qui reiTemble bien à la 
Folie. Us parlent fans fuite , ils battent îst 
campagne , ôc ne s'expriment plus comme 
des nommes , mais rendent des fons vuides 
de fens« & toute leur figure eft altérée. Vou9 
les voyez fucceffivement gais â6trifies,pleu« 
rcr, rire &foUpirer presque en même-tems;^ 
.enfin ils font tout hors d'eux-mêmes. Auffi^ 



DE LZt FOLIÉ, ait 

\ht qu'ils font revenus à eux , ils vous jurent 
qu'ils ne fçavent point où ils ont été , fi c'eft 
en corpy ou en efprit , s'ils étoient endor-* 
mis 011 éveillés. Ils ne fe fouviennent point 
de ce qu'ils ont vu ou entendu , encore 
moins de ce qu'ils ont dit ou de ce qu'ils ont 
fait , fi ce n'eft comme d'un fonge confus. 
Tout ce qu'ils fçavent , c'eft qu^ls fe font 
trouvés très-heureux dans cette efpéce de 
délire. C'eft pourquoi voiH les voyez pleu- 
rer de regret d'être revenus dans leur bon 
fens, & defirerfincérement que leur Folie 
eût duré toujours » parce qu'elle cft effeftt- 
yement un léger eflai ou un avant-goût de 
la félicité future. 

Mais îe ne m'aperçois point que fe fran- 
chis les bornes ; quoique , s'il m eft échapé 
quelque impertinence , ou fi l'envie de dif» 
courir m'a emporté un peu trop loin « il 
fuffit de fe rapeler que je fuis la /"a/i^ , & 
Femme > qui pis eft. Cependant fouvenez* 
vous du Proverbe Grec qui dit, que quelque* 
fois un Fou a dit des chofesfort raifmnahles ; 
à moins que vous ne penfiez qu^l n'eft pas 
fait pour les Femmes. Finiflbns , je vois àt 
TOtre mine que vous attendez de moi un 
Epilogue ou une Récapitulation de tout ce 

?ue j'ai dit : mais en vérité , vous êtes bie» 
our^ fi vous vous imaginez que je me fourt 



«is V E L O G £, &c: 

Tienne de tout le fatras & de toutes les Fo^ 
lies que j*ai entaiTées dans ce difcours.Vou» 
fçavez le mot des Anciens : Je hais un Con^ 
vive mémoratif. Et moi )e dis : Je hais un At^ 
diteur qui a de la mémoire* A.inri9très-illuftres 
Fous , tous tant que vous êtes , aplattdifieï ^ 
allez en paix ^ vivez & buvezi 

PIN, 




pt remtfentt un Vieillard apayé pefammeni 
furja canne ^& qui raifonne avec fon Archl' 
teBe. On voit en profil un Bâtiment qui î* élève f, 
& quelques Ouvriers en aBion dans desattitW' 
^es vraies & naturelles. 

Page 91. Les Souffleurs. Veflampe repre* 
fente un laboratoire de Chymie. On voit vis-^ 
à' vis un grand fourneau un homme armé d'un 
foufflet , 6» fort attentif â confidérer un ma* 
iras y&un autre qui pUeMs drogues. ' 

Page 91. La Folie du Jeu. EJle efi carac-» 
térifée par trois perfonnages ajjîs autour ^une . 
table de Jeu. En face eft une femme qui déta* 
che une de fes boucles a oreilles pour la mettre 
fur une carte ; à côté ielle eft un mauvais 
Joueur , qui tak furieux fe mord les doigts 
de Mge , & le tiers a la main fur un tas d'ar»^ 
gent, 

P^ge 104. La Folie de rAmour-propre; 
£lle eft repref entée par un jeune Hoàime quift 
regarde dàtns un miroir avec les yeux complai" 
fans deNarciJfe. On voit dans le lointain deux 
Anes quifeg/rattent , fimbole de l'ignorance & 
4U la flatterie. 

Page lo^o. La Folie de l'Avarice. Vef-' 
gampe repre fente un Ufurierenlunettes^pefani 
des efpéces 4» trébuchet. 

Page ïj4. La Folie des Sciences. Une été" 
^ante imë de Jardin qui fait le fond de Fefr. 



tampt , ftrt à égayer lefujtt. On voit fur le 
devant un Géomètre apUqué à tracer des /i- 
^nes^ ou , fi on veut , à chercher les Infi<« 
niment petits. 

Page 167. La Folie des CovLts.DeuxCour^ 
ii/ans , efpéces de Satrapes^ fe tiennent em* 
hrajfés. L*un avance la main , pour accueillif 
un Fou qui eft devant eux ; Vautre montre au 
doigt un Philo/ophe qu*on aperçoit au haut 
d'un perron tourrîé vers eux d^un air de mépris^ 
Le Cul de lampe fepre fente la Folie apuyée 
fur le Globe du Mor^e t &^ajfifefur un tro» 
phée compofé de f cep très , de couronnes , & de 
flufieurs autres attributs. Les mots Italiens 
qu^on lit au bas du cartouche figni fiera : La ForL 
lie eu la fouy eraine du Monae« 



j4 vis intéressant. 

CEUX qui croiront fe reconnôitre dans 
quelques-uns de ces difFérens portraits» 
enfe reprefentant aux Libraires , oc en jufti- 
6ant de la reflei^blance^ auront fur le prix 
de chaque Exemplaire , une remife hon- 
nête & proportionnée à la conforniité qui 
ije trouvera entre la copie Se l'originàU ' 



t'ÉLQGE 



•^ 



■.> 



DEC 1 - 1943