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r
N HP
M Anon.
1/
-tJS/-~ , -•
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THE NEW YOF.K .
PUBLICiriBRAPY
ASTOR, LENON •
TILDEN l-OUNÛATiaJ'
Fiio:frTis:picE .
^.^..^.
L' E L O G E i
LA FOLIE,
TRADUIT DU LATIN D'ÉRASME, ^- ,
PAR M.GUEUDEVILLE,
Mouvelle Édition , tevuë & corrigée fur le Texte
derÈditiondeBâle,
£T ORNÉE DE NOUVELLES FIGURES,
A V E C D E S N O T E Si
a.T\s
m, Dcc. ixji
PUBL'.. ' '! .lY
827359
ASTOR, L-.MjX and
TJ1-0EW FCUNDATIONS
R 1918 L
AdMOKSRX VOIUXMUS; KOK tJEDZKMl
consvl£remoribvshominum,;
Non officere.
'tfofm. Epijl. ad Mort. Dorpmm Theolog;
tmfm m mm m mmm
EXPLICATION
Des Figures, qui indique en mêmcr
tesns leur place.
Svîïv^v ^^fi^f^P^ ^ui accompagne le frontifi
j/?itf#,, repre fente U lointain d^unc
^ grande Ville. Minerve difiinguée
^ par /es attributs eft de bout contre
unfuft de colonne y & MoMusluiprefente fa
Marotte.
Le Fleuron repre fente ta Vêaite s*amit^
fant avec un Enfant ; fujet qui s'explique
parTinfctiption qtCon lit au haut du Cartow
che y & quijignifie : En badinant j on du la
vérité.
Page 1. VEftampe repre fente divers per^i
fonnages ajfemblés pour écouter la Fou E. On
y démêle une -figure diftinguée par des oreilles
d'âne, La oliefous Vair d^une perfonne gra^.
^e ,& décorée dtun chaperon de DoHeur , effi
dans une efpéce de tribune. A côté d'elle eflun^
Singe ajjis furfon cul , & tourné v^rs elle d'un
air attentif
Même page. La Vignette ofie encore la
Folie environnée des Ru fi» des JttlX fous /4|
£ormç iEnfans badiqu
*Page 10. ta Folie de f Enfance & de ti
Vieille ffe , eji reprefentée par quatre Enfans ^
dont deux font des châteaux de cartes , um
troifiéme eft à cheval fur un bâton ^ &te qua^
même s élance [urle Vieillard meli parmi eux^
pour lui reprendrefon moulin.
Page 3f . La Folie de la Table. Le fond
de rEftampe eft un bout dcjardinfi le devant
^tre un berceau fous lequel font trois perfonnes
Stable ; un quatrième renverfipar terre exprir,
me l'effet de Tyvrep.
Page 44. La Folie des Combats. On are»
frefenti la Folie prefentant des armes à deux"
hommes quife b)attent d'une façon ignoble avec
celle de la Nature^ qui font les pieds ^ les
mains , nos premières armes.
Page 68. Les Folies amoureufesrZtf l^olie^
/bus la figure dune jolîe £emme bien prétirh-
taillée , diftribue des flèches à deux Amours.
On démêle àfes pieds les dépouilles desprinci"
pales Divinitès,le Foudre de Jupiter, leTrîdan
«Je Neptune , le Caducée de Mercure, la Maf^
fui it Hercule , 6v.
Page 89. LaPaiïïon de la Chafte. rEflam-
pe reprefente une Chaffe du Cerf On voit la
Folie achevai à ta tendes Piqueurs. Cefujet
qui eft copié dHolhen , aveu de chofeprès^efi
hfeul qu^on ait confervL
pAge^Of LaFoUe desBâtimens. VEflam»
PRÉFACE
z> ^
>^0»J[^ '^LOGE rf^ /^ Folie réimpri"
Î^l^^t\ ^é tant de fois , & traduit
^iç :jjï/ prefqu'en toutes les Langues 9
*Ax3< ^^ ^^^ ^^ ^^^ iécrrVi confacris
patlegok de huskstems& de toutes
les Nations»
Tout le monde eonnoît Érafine , &
quand l'^envie de difiourir jur cet Écri"
' vain pourroit me rendre Differtaceur ^
fm wmfeul me difpenferoit d'entrer dans
a
îj , PRÉFACE
des détails inutiles, Tabiindonneraï donc
t Auteur , pour ne parler rmc de VOuvn^
g€ ,&de U Ttaduiiion qu on redonne.
Érafme nous aprend lui-même Vhif-
toire de cette ingénieufe Déclamation, *
A fon retour d'Italie à Londres, il était
logé chex^ Thomas Morus , Chancelier
d^ Angleterre^ & forcé de garder la cham*
bre par im violent mal de reins , prove*
nani des fatigues du voyage Jes travaux
Théologiques étoient fujpendus , parce
qitil navoit point encore reçu les Livres
ftécejjaires pour les continuer. Jl falloit
amujer fon loiftr , & faire diverfton à fon
mal , par quelque gaieté qui lui coûtât
peu : il imagina cette fpirituelle Folie ,
à laquelle il n'employa qu environ fept
jours. A peine il l'eut communiquée à un
* Voyez faPréfaceà Thomas Morus , &
fa Lettre Apologétique à Martin Dorpius ,
Théologien de Louyain.
DE L'ÉDITEUR. iîj
petit nombre famis , qu'elle paffa en
France^ où elle fut d^abord imprimée fut
une capte informe & défeSueufe. Cette
première Édition fut bien. tôt fuivié de
fept ou huit autres , qui parurent prefquen
mêmertems.
Mais fi cette pièce fut goutèe de tous
les Gensdefprit & des vrais Sçavans ,
elle Jàuleva contre l'Auteur les ïgno^
rans^j les faux Dévots & les M ines^
Jl faut avouer quelle vint dans untems
critique , oà il étoit bien dangereux de
badiner fur certaines, matières, il fé rf-
pentit au^ plus d'une fois d'avoir ha*^
ç^ardé ce jeu d'efprit ; & dam un Écrit
en forme de Lettre , adrejfè à tous les
Amateurs de la vérité , U reconnaît
qiiayant compojè cet Ouvrage dans un
iems de calme & de bonace. ( Quuai
Mundus altùm indormiret cœremoniis
«c praefcriptis Iiominutn ) il fe ferait bien
gardé de le faire , s^il avait pu prévoir
les troubles qui ïélevérent bien^iot ^è^
a z
W PRÉFACE
aujùjet de la Religion. H nen falioitpas
tmt en effet , fout faire crier à Ihéréti-
aue y & les Moines toujours plus aigris ^
a proportion qu'ils font plus fuhordonnis ,
allèrent jufauà dire ^H'Érafme avoic
pondu Tgeut , doi^ Lucher & les autres
étoienc éclos^
Érafme fut donc otligé de faire Va-
pologie de fa pièce , & ellefe trouve dans
fa Lettre à Adaxiin Dorpius , célèbre
Théologien de Louvain, C'efl là quil
fait cette protefîation , qui , malgré taiv
de paradoxe quelle offre d'ahprd , efi
fvraie dans le fait. Qae le bue de TÉlo*
ge de la Folie , couc frivole qu'il pa*
jroit , efl au fond le même que celui
de fon M A N u E t. On peut dire effec^
tlpcment que ce ri efi qu*une morale plus
gaye , qui emprunte le mafque de la Fo^
lie , pour donner de s leçons de fageffe ,
fir c^efi la pcnfie de Gueudçville.
Il Le plan de la pièce ^ dit-il , efl dir
DE UÉDÏTEUR. v
>* gne d'un grand Maître, Ériger la
w Folie même en ARrice , qui fe moc^
M (lue ffavamment % judicieufement ,
^i finement delà vie hi$maine ; Pinven^
» tion ne pouvait être ni plus heureu-
i>y&., ni plus fufle. La Folie étant la
» fouveraine des hommes , elle a droit
•3 de les cenfurer : la Folie étant leur
w meilleure amie , elle étoit la plus
» propre à leur dire leurs vérités ; enJ
nfin [a Folie prêfidant aux plaifirs
» des hommes , il lui apartenoit par
» préférence de jouer avec eux & de
» les divertir. Il riy avoit qu'un incon-'
» vénient : les hommes croyent la Po"
n lie tant qu*elle parle en folle ; &
9y dès qu'elle emprunte la voix de la
» raijbn , ils ne la reconnoijfent ni ne
M Ventendent plus. Cefi aparemment
» par cette ratfon que la Déclamatrice
» d'ÉraJme n'a point réujjt dans /on
f$ principal deffein , qui étoit de corri^
^> ger les mœurs. Les hommes ont les
» mêmes travers qu'ils ont toujours
a 5
V) PRÉFACE
» eus , & wraifemblabletnent les au^
j> ront toujours. Ce rCeft pas la faute
$1 de notre Moralifte. Elle ne fou-
99 voit s y prendre mieux pour convev'-
w tir fes Auditeurs , & puifque la
» Folie même rCa pu amener tes hom^
X mes à la fageffe , hélas l Ht n'y viefh
,, dront jamais.
Il y a lieu de s étonner qu*un Ou^
n)rage dont on pouvoit tiret tant de
fruit , fi les Livres changeoient les
hommes , ait eu befoin d'Jpologies , *
& que l Mteur ait été réduit à juflî'
fier jujqu*à Jes intentions. Mais qu*ont
produit au fisrplus les Clabauderies de
tous fes Cenfeurs f Si ce nefl d^infpim
rer plus de goût pour un Écrit que les
* Thomas Morus prit fa défenfe , & la
Lettre de ce grand Chancelier au Théolo-
gien Martin Dorpius , roule en partie fut
.cet Ouvrage.
DE L'ÉDITEUR. y\]
Souverains , les dus grands Prélats »
& les Papes mêmes ont honoré de
leur eflime. *
Tous tes Éditeurs ont , comme on
ffait . leur Idole : feroit-ce donc ici
la nôtre , & prétendrions-nous la fair^^^
adorer ? Nous Jommes bien éloignés
de porter fi loin la prévention pour
quoique ce foit , & nous foufcrivons
'volontiers au jugement porté fur cette
Satyre dans les Lettres jlrieufes & ba-
dines imprimées à Atnfierdam. $
^y 71 y régne d'un bout à l'autre ^dip
u l'Auteur dune de ces Lettres , un
* Érafme dans une Lettre à Antoine de
Bergues, Abbé de S. Bertin » raporte que
Léon X. le lut tout entier*
g Par MM. Janiçofi , la Barre de BûdMii
«larçiUis & U Martioiéret
«4
viîj PRÉFACE
»3 mêhnge , qui convient à la Folie.
^^ feule , du langage & des chofes du
n Chrifiiamflne , avec les exprejpons &
f> le culte des anciens Payens» Il y a
w des portraits trop chargés , & des
>3 cenfures fauffes et outrées. Mais dans
•» le refie , que de bonfens , de vérité »
» d'ejprit , d'ertfoâment l
Un témoignage auffi figement modi^
fié ne peut être fufpe^ , & c'efi lexm
prejfion du nôtre.
Les agrémens de Poriginal.fi capa^
lies de fe faire fentir dans la plus^ dém
feSueufe copie, ont fait aplaudir une
ver/ion que Gueudeville ^avec plus de
goût y moins de licence & un meilleur
fiyle , atéroit pu rendre encore plus éxA^e^
Ces défauts ne font pas les Jeids qu'on
ait reprochés au TraduUeur. Quelques
éloges que fon travail ait eu en HoU
lande ^ on nous permettra de le dire , ce
n^eji point là • qu'il pouvoit être jujle^^
DE L'ÉDITEUR. îx
fuent aprécii. On l'a obfervè avant nous:
les François d' j^mfterdam & des Pays
étrangers , ne font pas des Juges bien
Jïtri en fait de délicatejjè & de flyle.
C^eft en France quil faut juger des
Écrits François. La véritable Urbanité
ne fe trouve guéres hors d'un pays oà
elle efl en quelque façon concentrée dans
la Capitale , comme ^Accieiffne /'é-
toit a jithènes» Ain fi la veffion de
Gueudcville a été vue ici d*un auÈfe
ail que parmi fe s Concitoyens^ Ses iȎ-
chantes plaifanteries , ou plutôt fis ifuo^
libets perpétuels , fis allufions forcées
& conformes à fis préjugés de Religion ,
tSrfes hardie ff es d'expreffïon , tous ces
faux (frnement , fi propres d'ailleurs i
piquer les gens d'un gokt faux , ont
déplu aux gens raifonnabtes qui ne veu^
lent point quon aperçoive dms un Ou^
vrage de pur agrément , la religion ni
la profeffion de V Auteur. On defiroit
donc depuis long^tems qu'une plume* au
moins plus Frmçoife , efjayât de tm^m^
X PRÉFACE
rdijèr la Folie d'Éraftne , & de lui
faire parler le langage des bons Écri^
vains. C était une TraduSiion nouvelle
gae le vœu du public fembloit deman-^
der. & l'on nbéfitoit point à l'entre»
prendre. Mais les réflexions font ve»
nues ; on a penje que la verfion de
Gueudeville , maigre les défauts qu'on
y rèconnoit , avoit pour elle la prévenu
tion , fi ce n'efl de la plus faine partie
du Public y au moins de la plus entêtée ,
& Jurement de la plus nombreufe. On
a craint d'un autre coté quune verfion
faite par un Écrivain moins connu par
fa liberté depen(er, quelque fidèle qu'il
pût être , ne fut fu/peéie à bien des Lee-
teurs» Sur ces confidérations , on s'eft
réduit à retoucher le travail de Gueu»
deville fur le texte Latin d'Érafine.
Cen efi peut-être encore trop pour ceux
qui , pleins de leurs préjugés , ne croyent
pas qu'on puijfe éviter une extrémité
fans tomber dans une autre , &fe prefi
crin de modération » fans affaiblir ou
DE L'ÉDITEUR. xj
altérer fon fujet. Mais fi l'on sefi con^
tenté de re&ifier le fens , aà mamfcjîe^
ment il était vicieux , d*annoblir /Vr-
prejfion oà elle étoit hafje , de fitbfti-^
tuer le terme propre à l'impropre , d'ér
laguer les fiéperfluîtés & les rédmdm^
tes . enfin de retrancher avec réflexion
ce que la chaleur du Proteftancifme
avait cru devoir ajouter au feu fage&
réglé d'Érafme ; fi , dis- je , on sefi
renfermé dans ces changemens y comme
ilefl certain qu'on l'a fait :on n'a point
de reproches à craindre. Cefl le plan
qu'on a fuivi fctupuleufement : on ne
ïefi rien permis au-delà des correSions
indifpenfables ^ & tout l'Ouvrage a été
revu fur la bonne Édition de Bafle ,
donnée en ï6j6 for Châties Patin ,
célèbre Antiquaire , fils du Médecin ,
& dédié à M. Colbert.
Jl fe trouvera peut-être des gens qui
accuferont de témérité un pareil projet ^
^ ce font ceux qui s'imaginent que de
&i] PRÉFACE
toucher à des Écrit f confacris pat Pim^
preffion , e'eft mettre la main à l'encen^
foir. Deux raijbns qu'on croit fans re-
plique , fiêffiront pour le jufUfien
1^. Gueudevîlle, jfuteur de laTro!^
duliion qu'on a pris la liberté de re*
voir , 014 fi l'on veut , de remanier^
étant mort » il n"a plus iintèrét à cet
Ouvrage.
!•. Ce mifAe Owvtage , dont fa mi^
moire ne peut après tout tirer un gran^d
luflre , dévolu aepuis long^cfns au pu^
blic , apartîent au premiet occupant qui
voudra Paméliorer,
. Cell en vertu de ce douiU droit i
qu^on a porté la faux dans la motffon
d* autrui ^fauf à référer tout l honneur
du travail à Py^uteur primitif Qj^n^.
quam » ô Superi » quid qR hoc ta*
tum <juod Yulgô Glgriam yocanCt
DE L'ÉDITE-UR. «ij
iit(î tpmen ^nanlffimum ? ^
Les remarques qui accompagnent ta
Tradu^im de Gueudeville , avaient be^
foin de la même lime qui a fafftfur
tout l'ouvrage. On na pris à cet égard
4jiie la liberté quil s*etoit lui-même
fermife par rafort aux Njotes de Lyf-
ter. On a feulement confervé celles
^ui mt paru nécejfaires pour tintelli^
geme du Texte , & on en a fubflitui
quelquesrunes à celles qUon a re.trd»'^
fhées^
Il manquât à POuvrage de GueUfî
deville » dirai-je » un Jècours , ou un
ornement qu^on aime à trouver dans
tous les Livres. Je veux parler des di-^
nnfions qui fervent à Joulager le Lec^
teur , & fans lejquçltes il eft difficile
que PÉerip le plus attachant nenniyc
f Erafoi. Epift. a4 Dorpium.
xîv PRÉFACE
ou ne fatigue ^ la longer. Mais le
moyen de mettre de Vordre dans les
difiours de la Folie ! Cétoit la dégui^
fer au dernier poin$ : c^étoit aller di*
re&ement cqntre tous les principes ,
& même contre l'intention d'Éfafine »
qui s explique bien à cet égard. On
a trouve un tempérament pour con^
cilier les convenances avec la commo^
dite du Le&eur. Comme la Folie ^
dans le defordre de fa Déclamation «
conferve une image de tordre , en
parcourant tous les états de la vie hu'
maine ^ on a difiingué chaque objet
par des Jommaires mis à la marge » &
qui indiquent tous les pajfages qu'elle
fait rapidement de l'un à l'autre.
Toute la matière fe trouve ainfî par-'
tagée fans divifion ; teffrit & les
yeux fe repofent ^ & la Folie garde
fin caraSiére.
Nous voici au principal change^^
ment dont on eft comptable au Pu^
DE L'ÉDITEUR. xy
blic ; c^efl le retranchement qu'on a
fan des figures dHoi.BEN , il s'agit de
le pflifier.
Ces Figures , dont Charles Patin
farle avec un peu denthoufiafine ,
font d'ailleurs bien dignes rf'Holben,
de ce grand Peintre qu*on a placé pref-
que à coté de Raphaël. Par cette rai--
fin , les Curieux rechercheront tou^
jo{trs P Édition de Safle , où elles font
gravées diaprés les Originaux. Afais
quelqu'efiime que nous ayons pour cet
excellent Figurifie , fi dans fes grotef
ques ou fes charges il y a dés finejfes
de deffein , & quelquefois d^exprejfîon ,
en trouve-Von beaucoup dans Vallufton
& le raport qu'ils doivent avoir avec
les oljets quelles nous indiquent ? T
voit' on même ces grâces que des Mo*
dernes ont fçu fi bien concilier avec
ks biT^rrerïes de ce genre ? Ofons le
dire dans un fiècle , où les Partifans de
la Caricatura femblent avoir entrepris
xvj PRÉFACE
i^kovffer le goût de la belle nature i ce
genri dont tout Met efl d^amufer les
yeux , efi peu fatisfaifant pourl'efprit^
& c'ejl principalement pour Pefprit que
font faits les Arts du dejfein. On n'a
donc pas crâ devoir faffkjettir au vieux
goût i/'Holben ^&ona préféré de nou^.
ve/iux deffeins à de médiocres copies.
C*efl de Compte fait quatre-vingt
Figures qu'on a Juprimées dans cette
Édition j mais a-fon lieu de regretter
une multitude de petits cadres qui cou^
pent bigrement le difcours , & qui
pour la plupart ne difent rien ? Un pro*
verbe , un feul mot fouvent amené une
Figure , & elles rejfemblent prefque
toutes aux Hikrogliphes de nos écrans.
Enfin pour un petit nombre de carac^
thés , qui rendus aujî-bien quilsTont
été mal dans toutes les Éditions fricé-^
dentés » pourroient être de quelque prix
pour les connoijfeurs , le refie eft d'une
infipidité dégoûtante.
Les
DE UÉDITEUR. xvij
Les Figures qu'ion a flibflitiéées à
telles la Jant du moins plus agrééLbles
& mieux rai/ànnées. On.seflbomé à
une doMT^ine d'Eflampes,^ qui expri'»
ment les caraêléres généraux de la Fo*
lie ^ & on fe flatte que le choix joint
à la propreté de léxécution , dèdoin-
magera bien d'unfuperfiu qui nefi qu'in*
commode.
Retranchant les Figures rf*Ho!ben ,
il étoit inutile de conferver la vie de
ce Peintre , dont Gueudeville a donné
un précis diaprés Charles Patin. Cefl
par une raifon femhlable qu'on a de
même fuprimé la Préface de ce Tra*
duUeur , qui dans cette Édition étoit
tout-à'fait hors d^œuvre^
Si ces changemens ne /ont pas éga^
lement goûtés de tout le monde > on
croit du moins pouvoir efpérer que toutes
les perjonnes raifonnables nous ff auront
quelque gré d'avoir rétabli dans fa (im*
h
xvilj P R Ê F A C E. &c.
plicité naturdle , un jeu (tefprit dont
le TraduSeuT n^avoit pas con/èrvé toute
t innocence. Notre but n'a été que celui
rf'Erafme ; & pour rendre [es exprcffions
au LeUeuf .nous n^a von s eu
DESSEIN dV E d'instruire
ET NON d'o F FEN S ER , D E
CONTRIBUER AU BIEN DES
JlSmU RS^ N N D^Y DONNER LA
M OIN DRS ATTEINTE.
l^ Mn^ ^n^ mW^ ^H^ Anr» ^ft^ ^r V* <*V^% ^n^ •^W* ^n^ An^ Art^ ^f
PRÉFACE
D^ÉrasmE , adrejpe à THOMAS
Mo RU s fort j4mï.
REVENANT il y a quelques jours d'I-*
talie en Angleterre , pour ne pas per-
dre à des entretiens où les Mufes n'ont
aucune part , tout le tems qu*il falloit
voyagera cheval, j'aimai mieux repenfer
quelquefois à nos études communes , &
jouir en efp^it de ces fçavans & agréables
Amis que j'avois laiÏÏ'é ici. Vous qui tenez le
premier rang entre ces Amis , Illuftre
Morus , c'étoit vous dont le fou venir m'oc-
cupoit le plus. Je vous rapellois fouvent
dans ma mémoire , & j'eji recevois un
extrême plaifir , m'imaginant être auprès
de vous , & fentir réellement cette dou-
ceur , que je puis jurer avoir été la plus
grande de ma vie.
Réfolu donc de me donner quelque oc-
cupation , 5c le tems n'étant guéres pro-
pre pour une méditation férieufe , je m'a-
vifai de faire en badinant l'Éloge de la
Folie. Quelle Minerve vous infpira ce
bizarre deffein , direz-vous ? Oui , c'eft
Minerve , & qui d'abord me fit remar-
b %
XX
quer que les Grecs ayant nommé la Folié ;
MoRlA,ce dernier mot aproche autant
de votre nom de famille , que vous êtes
éloigné de fa fignification ; car vous êtes
connu par-tout pour un homme des plus
fages du fiécle. D'ailleurs » i*ai crû que ce
jeu d'efprit feroit de votre goût. Car en-
fin j'ofe me flater qu'il y a de la littéra-
ture & du fel dans le badinage que je vous
prefente ; & je fçais que rien ne vous diver-
tit tam que ces fortes de plaifanteries , vous
fur-t<nit qui riez de la vie humaine comme
I>émocrite. * Mais fi la fupériorité de votre
génie vous élevé bienau-deffus du vulgaire,
vous ne laifTez pas de vous mettre à la por-
tée de tout le monde ; 6c pour employer
Texpreflion de Tibère : Fous eus V homme
de tous , & de toutes les heures.
Agréez donc, s'il vous platt^ cette Dé-'
clamation ; je vous l'offre comme le gage
d'une amitié qui doit durer autant que nous.
J'efpére que vous la prendrez fous votre
proteôion ; car puifque ]'ai l'honneur de
vous la dédier, elle efl bien plus à vous
qu'à moi. Je m'attends bien qu'on ne man-
quera pas de la cenfurer. Les Chicaneurs
diront que ces badineries déshonorent la
gravité Théologique , & que cette faty-
* Erafme fait ici allufion à /'Utopie <ff
Thomas Morus^
*5fT
f€ efi tonte opofèe à la mocTération Chré-
tienne : ils tn'accuferont de faire revivre
l'ancienne Comédie , * & de mordre tout
le monde comme un nouveau Lucien ;
mais je prie d'avance ceux qui fe fcanda-
Fiferont de la petitede du fuiet, & de l'air
badin que je lui donne , de vouloir bien
faire attention que je ne fuis pas l'inven-
teur de cette manière d'écrire , & que je
n'ai fait qu'imiter en cela les plus anciens
& Tes phis célèbres Auteurs. Combien
s*efl-il écoulé de fîécles depuis qu'Homère
a écrit la guerre des grenouilles oC des rats ?
Virgile ne s'eft-il pas exercé fur le mouche-
ron , & Ovide fur le noyer ? Policrate a
fait l'éloge de Bufiris , & Ifocrate l'a réfu-
té ; GiaucotJ a loué l'injuilice , Favorin ,
TherùtQ & îa fièvre quarte ; Sénéfiusla
tête chauve ; Lucien , la mouche. Séneque
n'a-t'il pas badiné fur TApothéofe de l'Em-
pereur Claude ?Plutarque n'en a-t'il pas fait
autant dans le Dialogue de Gryllus changé
* Celui qui V inventa y fut un certain Sufa»
rîon de la Ville de Mégare. Ce Théâtre natj^
fant était fi libre y ou plutôt fi licentieux ,
qu'an y nammoit les Spectateurs enreprenant
leurs vices. Cet ufage ayant été défendu par
une loi faite exprès^ donna Heu à la nouvel*
le Comédie.
nij
en pourceau , Sf, d'UUfle i Lucien & Apulée
n'ont-ils pas fait leur Ane d'or, & un Ano«
nyme enhn le teftament d'un cochon » cité
par S. Jérôme même ?
Si mes Cenfeurs ne veulent pas fe payer
de cette monnoie , ils n'ont qu*à s'imaginer
que je ioue aux Échecs pour m'amufcr^ ou
à quelques jeux d'enfans. Il n'y a point de
condition dans la vie à qui on ne permette
quelque divertiffement : ce feroit donc
une grande injuftice d'interdire aux Gens
de Lettres un peu de badinage , pour Te
déiafler l'efprit. On doit fur-tout leur per«
mettre de badiner , lorfqu'ils le font utile-
ment pour les Leâeurs. rour peu qu'on ait
de génie , on profite ordinairement plus
des bagatelles finement tournées , que des
matières férieufes 6c brillantes. L'un célè-
bre l'Éloquence ou la Pbilofophie , par un
Éloee tout coufu de pièces de raport ; l'au-
tre tait pompeufement le Panégyrique du
Prince : celui-là prononce un beau dis-
cours , pour porter les Princes Chrétiens
à la guerre contre les Turcs ; celui-ci in-
fatué de rAftrologie judiciaire , ou impof-
teurde profeffion, prédit l'avenir ; l'autre
forme de nouvelles difficultés fur des riens.
Ces produâions font prefque toujours auifi
înfruâueufes , que la badinerie eft profi-
table. De plus , comme rien n'efl fi puérile
que de traiter un fujet grave Scférieux d'u-^
ne manière badine , rien auffi n'eft plus
agréable que de donner à des bagatelles un
tour férieux & fplide. Au ïefle , c'eft au
Public à juger du badinage que je lui don-
ne ; mais à moins que Tamour-propre ne
m'aveugle , l'Éloge de la Folie , à ce qui me
femble , n'eft pas tout-à-fait Touvrage d'un
foû.
Maintenant pour me meure à couvert
du reproche qu'on pourroit me faire tou-
chant la faty re, je foutiens que de tout tems
il a été permis de fe mocquer du train com-
mun des hommes , pourvu que cela n'aille
pas jufqu'à la licence ôi à la fureur. J'admire
combien les oreilles font délicates aujour-
d'hui ; on ne veut que des éloges flateurs :
on en voit même qui entendent û mal la
Religion, qu'ils foufFriroient plutôt les plus
horribles blafphêmes contre Jefus-Chrift ,
que de pafTer la moindre raillerie contre le
Pape c5u contre le Prince , fur-tout quand il
y va de leur intérêt. Mais je voudrois qu'on
répondît à une queftion : Celui qui fronde
en général tous les hommes , fans en atta-
quer aucun en particulier , peut- il avec juf-
tice être apelé fatyrique ? Ne doit-il pas
plutôt être regardé comme un guide , & un
furveillant des mœurs ? D'ailleurs combien
de traits , je vous prie , ne m'échape-t'il
point contre moi-même ? De plus , qui
déclame généralement contre toutes les
XxiV
conditions humaines , fait Sien yoîi' qtt*if
n'en veut point aux hommes , mais feole-
fnent à leurs défauts. Si c{UeIt{u'uh donc fe
trouve offenfé dans ce badînage » s*it s'en
pkint, qu'y gagnerà-t'il ? Il fera voir qti'il
eft coupable, ou qu'il craint de paffer poiJt
tel. S. Jérôme a badiné fur les mêmes ma-
tières d'une façon bien plus libre & bien
pluscauftrqoe, île faifantpas mêmefcru-
t>ule de nommer. Pour moi' , outre que Je
n'ai nommé perfbnne , J'ai tellement ména-
gé mes expredions , que tout Leâeur judi«
cieux controitra fans peine que mon but a
plutôt été de divertir que de mordre. Je n'ai
f>as , comme Juvenal , remué de criminel-
es ordures , & je me fuis plus attaché au
ridicule qu'au vice même. Si toutes ces raî-
fons ne farisfont pas ,^n n'a qu'à confidé-
rer qu'il éft gtorieux d'être cenfuré par la
Folie, & que la fa^ifant parler, il a bien fal-
lu que je me fois accommodé au caraâére
du perfonnage. Mais pourquoi vous fuggé-
rer mes moyens , vous qui êtes un fi ha-
bile Avocat 9 que les Gaules qui ne font pas
des meilleures , deviennent très-bonnes
entre vos mains ? Adieu ,■ très- éloquent
Morus , prenez foigneufement la défenfe
d'un Ouvrage qui porte un peu vos livrées^,
quant au nom & à la matière.
ji la Campagne » /0 Juin isoS^.
L'ÉLOGE
-^S^:^
■-.i r^fisfev.
f :
PUBLltUBIURY
^' 'ASTOR,.XgNÔX
•T1L£>EN FOUip^ATIONS
■■:-'. • ■ J' .
;.>^
T. t^.J^ifu^nr rfi- .
L'ÉLOGE
DE LA FOLIE.
DÉCLAMATION D'ERASME.
( La Folie parle. )
iNAiRCMïNTinaréDU- Pro»
[>n eft déchirée par la médï* priétés
4A++++** RDiNAiRCMïNTina féou-
^M'^^jJ tation eft déchirée par la rnédi»/,..*»-
$^5Ï O^jj* fance ; & il n'y a pas jufqu'à mes 6» </^
JSpdîïi^^+ Favoris , qui ne parlent mal de nition
V)^ fance ; & il n*y a pas jufqu'à mes é* </^
l^^^i'^^ià^ Favoris , qui ne parlent mal de nition
******** moi : c'eft de quoi je fuis bien de la
informée. Mais on a beau me noircir ; cette Folie.
A
t V ELOG E
FonEcpje vous voyez, c*cft elle pour--
tant, qui aie pouvoii^dl remettre en belle
humeur les Dieux & les Hommes.
En effet , dès oue 'f ai paru devant cette
nombreufeAiTemblée, la joie a commencé
d*y édater. Vous avec marqué tous un air
content , vous n'avez même pu vous empê-
cher de rire en voyant ma figure ; enfin , de-
puis que je fuis ici , on vous prendh-oit pour
des Dieux d*Homére, enyvrés de Neââr &
àt*:Néptnthe ; au lieu qu'auparavant vous
aviez ie chagrin & llnquiétude peints fur le
vifage. A vous voir mornes fie fombres com-
me vous itiez dans vos places , on ne pou-
voit mieux vous comparer qu'à des gens for*
tk tottt-réeemment § de la Caverne de ^r<^*
phonitu. Lorfqu'apres un Hyver affreux, le
Soleil ayant repris fon éclat , nous ramené
avec le Printems ces vents doux, qui fon-
dent les neiges & les glaces , 6c rendent à la
terre fa fertilité naturelle ; tout change de
* Népenthe. ) Plante fabuteufi , dont Itfuc
milàavtc le vin, excitait à Ui joie* Des Aur,
Seurs préundent jue c*e(l la Bugloffe.
§ L'Antre de Trophanius , dans la /,éba^
die , rendait des Oracles ; mais quati4 on V
avait une fois d^fccfidu , on m riait pltu de
fa vif fjuivant ia triëMn.
DR LA FOLIE. y
face à nos yeux , tout prend une couleut
nouvelle & femble rajeunir. Tel efts^peu
près rheureux effet c{ue j'ai produit fur vos
perfonnes. Dès quej'ai paru , je n*ai plus vu
que des vifages rians. Ainfi, par ma feule
prefence , j'ai atteint le but où d'habiles
Orateurs peuvent à peine arriver par des
difcoujrs diffus , long^tems médités : ils fe
tuent à parler pour diffiper vos chagrins ;
&moi , pour faire encore plus qu'eux , je n'ai
eu qu'à me montrer , fans ouvrir la bouche»
Or , fi vous êtes curieux de fçavoir pour-,
quoi je parois dans ce bizarre équipage , je
vais vous le dire , bien entendu que vous
ne vous lafferez pas de ni'écouter. Je n'exi-
ge pas devons la même attention, que vous
pourriez aporter à un Sermon : celle que
vous avez coutume de donner aux Bate-
leurs , aux Farceurs àc aux Charlatans dans
les Places publiques ^ eft bien fuffifante.
Ecoutez-moi comme autrefois Midas , qui
itoit des n6tres , écoutoit la Mufique dn
Dieu Pan. Car j'ai envie de faire un peu ^la
* Sophifte & Philofophe étaient d'abord
fynûnimes. Le nom de Sophifte fut enfuhe
donné aux Rhéteurs , & enfin ne fiffiifia plus
qu'un ^and & fùbûl dîfeur de rien.
6 V E LOGE
vent volontiers mes bienfaits ; )*ai tout fo^et
de me flatter que je fuis leur meilleure amie ;
avec tout cela , depuis tant de fiécles s'eft-îl
jamais trouvé un feul homme qui ait daiené
célébrer ma gloire , & compofer mon élo-
ge } On a écrit fur les plus indignes fujets
du monde. Les Bufiris , tes Phalaris , la Fié-
vre-quarte , la Mouche , la Tête-chauve ,
tant d'autres pefies de<ette nature ont eu
des Apologiftes qui ont confacré leurs veil-
les à les illuflrer ; mais pour moi , pour la
pauvre Folie , rien.
Je fuis donc réduite à me louer moi-même^
& c*eft auffi ce que je vais faire ; mais je vous
en avertis , ce fera fur le champ , & fans au-
cune préparation : tant mieua^» }'en mentirai
moins. N'allez pas vous imaginer qu'il y ait
de Toftentation , ou de la hâblerie aans mon
fait : je ne fuis pas comme bien des Orateurs*
La plupart de ces gens-là, comme vous fça-
vez , en donnant an Public u)i Ouvrage au*
quel ils ont travaillé trente ans , ( encore
n'eft-ce fouirent qu'une compilation ) pro-
teftent avec ferment , qu'ils l'ont écrit ou
diôé en trois jours , pour fe divertir. Pour
moi , j'aime toujours à dire tout ce qui me
vient fur la langue.
Je ne fuivrai pas ici la méthode triviale
deTEcole , qui prefcrit à un Logicien & à
DE LA FOrLIE. 7
on Rhéteur , de définir & de dîvifer fon fa-
jet. II ne faut pas vous y attendre. Je ne tous
donnerai ^oxnttOADefinuiont iam^Divifion
£ins doute encore moins. Car , raifohnons
un peu : qu'eft^ce aue c*eftt]ue définir FCeù:
renfermer ridée dune chofe dans Tes )uftes
bornes. Qu'eft-ceque t*t& c[aedhifir?Ce&
ftparer une chofe en fes parties. Or > ni Tun
ni l'autre ne me conviennent. Comment me
borner ,puj^c Ina puiflance eft auffi éten-
due^qtte le (renre-Humain ? Comment me
. partager , pttifque généralement tout eft
'd'accord^ pour , faire valoir ma Divinité i
rVous voyez donc bien que toute Définitiça
' & tCfUt^DivsJTon , {eroient pour moi dfuii:
^ imauvaîv augure. D'ailleurs , dès tque me
voici devant vous , dès que vous me voyez
telle que je fuis, de quoi ierviroit*il de vous
peindre mon ombre 6c mon image, dans
une Définition ?
Je fuis, & je vous en fais juges , je fuis
cette diftrifautrice des vrais biens, reconnue
la même fous divers noms par tous les An-
ciens. Et même , qu'étoit-ilbefoin de le dire?
N'ai-je pas le vilage parlant \ Ne portai-
j^e pas fur le front tout ce que je fuis ? Si
Juelqu'un pouvoit fe méprendre afTez grof-
érement, pour foutenir que je fuis Minerve,
ou la Sageffe, il n'a qu'âme regarder fixe-
A4
8 V E LOGE
ment , Il m^ démêlera d'abord > fans que
î'emplavé les paroles , qui font le fidèle
mirorr cfe la penfée. Il n'y a chez moi , ni
fard 4 ni déguifement: telle je parois, telle
je fuis dans l'ame , toujours femblable à
moi-même. Cela eftfi vrar, que ceux qui
tîs parent le plus du mafque de la Sageffe ,
ne peuvent me cacher: ce font deshnges
revêtus de pourpre « ou des ânes qui pro»
mènent leur gravité fous la peau. du lion ;
mais tiuelques foins qu'ils aportent pour fe
contrefaire , on ne^s'y trompe jamais;
toujours il s'échape par queloue endroit
d'éminentes oreilles qui trahilient & dér
couvrent Midas.
Mais voyez leur ingratitude ! Us font à
' moi autant qu'on peut l'être , & ils rougiffent
. de porter publiquement mes livrées & mon
nom. Bien plus «ils les reprochent aux au-
tres 9 comme une infamie 6c un deshonneuv*
Puifqu'il eft donc vrai , que « tout fous qu'ils
font , ils prétendent être réputés Sages âc
de nouveaux Thaïes , * ne ferons-nous pas
bien fondés à les apeller d'un nom mixte,
des Morofophes , ou des Sages-fous ? L'élo^-
quence aujourd'hui la plus en vogue » eft
* Thaïes. ) Un desfept Sages dp la Gricii
D E L A F O L 1 E; $
ceHe de ces déclamateurs qui fe croient
autant d'ApolIons , lorfau'ils s'efcriment de
deux langues , comme * la fanefue , & qui re«
Tardent comme quelque choie d'admirable ,
e mêler fouvent fort mal-à-propos , quel-
ques mots Grecs dans un difcours latin , ce
qui fait des difcours à la mofaïque , ou de
marqueterie. Si les Langue s étrangères man-
quent à ces Orateurs ; (î par exemple , ils
ne fçavent ni Grec , ni Hébreu , quelle eft
leur reffource , à votre avis ? Ceft de tiret
de quelque livre moifi quatre ou cinq vieux
mots , pour éblouir le Leâeur. Ceux qui les
entendent ^ aplaudiflent i leur grand fa-
voir ; & ceux qui k'y comprennent rien »
admirent à proportion de leur ignorance*
Car ce n'eft pas un de nos moindres plaifirs ,
à nous autres Fous » de regarder avec le der-
nier étonnement ce qui vient de loin. Si
quelques-uns de ceux qui n'entendent point
ce vieux langage , ont Tambition de vou-
loir faire accroire qu'ils Tentendent ; ils n'ont
qu'à marquer un air content y ils n'ont qu'à
aplaudir de la tête , ou même des oreilles »
comme l'âne ; enfin , ils n^ont qu'à dire d'un
■■■■■■"■■■^^^■■■'■■""'"^^^^"^"^'*'
* Sangfuë. ) Pline dit qu'elle a ta tanguf
fourchtiu
lo V E LO G E
ton important avec un ancien Valet de
Théâtre : Ceft cela même.
Je me fats écartée là , j e ne fçai comment ;
les difparates &Ies digreffions ne fiéent pas
mal à la Folie ; mais je reprens mon che-
min . Vous fçavez donc â préfent mon nom .
Auditeurs. . . . quelle épithétq^ajoûterai-je l
Tranchons le mot. Auditeurs très-Fous^
Que vous en femble ?La Folie peut-elle trai-
ter plus honorablement des gens initiés dans
fes m3rftéres ? Maïs parce qu'il y en a peu
d'entre vous qui connoiflent ma naiffanca
& ma famille , je vais tâcher de vous en inf-
truire , moyennant le fecours dès Mufes.
Soyez donc avertis d'avance , que je ne
fuis fille , ni du Cahos , * ni de Saturne ^ ni de
Japet , ni d'aucun de cette efpéce de Dieux
décrépits & comme ufés de vieillefle. Ceft
'Orïgïnt Plutus , le Dieu des Richeffes , oui eft mon
4e la pece : Plutus , qui, n'en déplaife à Héfiode ^
Folie. « Homère &au Seigneur Jtiptter lui-même ,
cfl le père des Dieux & des Hommes : P/tf-
tus, qui à prefent tout comme autrefois, con-
fond à fon gré le facré avec le profane > &
* Du Cahos , &c. Citoient ^ félon Héfiode ,
les plus anciens Dieux , £» dont tous les 4»-
iresétoient defcenduu.
DE LA FOLIE. ii
feouleverfe tout : Pfutus , fous le bon plaifir
de qai font admitiîurés , la Guerre ^ la Paix,
les Empires, les Confeils , les Tribunaux,
les Afletnblées publiques , les Mariages, les
Traités , les Alliances , les Loi* , le plaifant ,
le férieux ( oh je perds haleine , abrégeons)
en un mot , toutes les affaires générales &
particulières des hommes : Plutus , fansTaf-
fiflance duquel tout ce Peuple de Divinités
.Poétiques , & même les Dieux du premier
ordre , *ou ne feroient plus du tout , ou fe-
roient aflez maijzre chère : enfi|i ce Plutus^
dont la colère eft fi redoutable , dont la dif-
grâce eft fi terrible, que Pallas mon enne-
mie mortelle, toute lage, toute guerrière
qu'elle eft , ne (j^auroit en garantir perfonne,
& dont au contraire la faveur eft fi puKTan-
te , que celui à qui il en fait part, peut tnca*
guet Jopitér même & fa foiidre.
C'eft d'un tel père que je me glorifie d'a-
voir reçu le jour. Or, mon père m*ençendra ,
non pas de Ion cerveau , comme Tupitef en-
gefidra cette bourrue & farouche Minerve,
mais deî Néotete, la Nymphe du monde
' * La Théologie Payennt admettok diffétifu
ordres de Divinités.
t Néotete« ) Cefi-â-dire ^ la JeùnefTe*
lï V ELOGE
k plus belle, la plus enjouée, la plus agr£a<^
ble. Mon père 6cma mère n'étoientpas ma-
riés : je ne fuis pas née conune ce ooiteuz
de Vulcain , fils légitime de Jupiter & de
Junon , qui étoient mari & femme , à leur
trand regret. Je fuis fiileduPlaifir: l'Amour
bre a préfidé feul à ma naifTance ; & , pour
parler avec nptre Homère , il avoit formé
h tendre chaîne qui lia Plutus à fa mai*
trèfle*
Mais n'allez pas prendre le change.
Quand mon père me donna l'être, cen'é-,
toit pas ce Plutus courbé fous le poids des
ans , & à qui l'âge avoit déjà éteint la vue ,
tel qu'eft le Plutus d'Ariftophane : mon
père étoit alors dans fon printems , fans
avoir aucune infirmité ; le fan g d'une ar*
dente &vigoureufejeune(re pétilloit enco-
re dans fes veines. D'ailleurs , certain fe-
cours étranger ne nuifit point à la chofe*
Mon père fortoit par hazard d'une dé-
bauche divine » où il avoit fouetté le Nec-
tar.
. Si vous me demandez le lieu de ma naif*-
fence , ( car c*eft aujourd'hui comme une
preuve de Noblefle , que le Public fçache oii
vous avez jette les premiers cris du ber-
ceau ) je ne fuis née ni dans l'Ide mouvante
de Délos , comme Apollon « ni dans le ieia
DE LA FOLIE. ij
A% la Mer orageufe « comme Vénus» ni dans
des cavernes profondes ; mais dans ces Ifles
fortunées , oU la Nature n*a nul bêfoinde
l'Art. L'incomparable pays ! Le travail , la
maladie , la vieillefle n'y entrent point : on
ne voit dans les champs , ni mauve « ni lu-
fûn , ni fève: loin de là toutes ces herbes »
tous ces légumes, toutes ces racines, qui
ne font qu'à l'ufage du petit peuple. Au lieu
de ces viles produâions ,'la Terre raporte
tout ce qui peut charmer les yeux , & em*
fcaumer l'odorat :*le moly , la panacée, le
iiépenthe,la marjolaine , l'amorplfie , le
lotus 4 la rofe violette , l'hyacinthe ; en«
£n , de quelque coté qu'on fe tourne , on
s'imagine être dans les Jardins d'Efculape ,
ou dans ceux de Vénus.
Naiflant dans un endroit fi délicieux , vous
jugez bien que je n« commençai pas ma vie
Eir des plenrs,tant s'en faut.Apeine ma mère
t-elle accouchée de moi , que je me mis à
lut rire au nez , comme une petite folle. Au
refte , je n'envie point 'à Jupiter l'honneur
d'avoir eu une chèvre pour nourrice , puis-
que deux Dames des plus galantes m'ont al-
* Le moly ^ le népenthe^ tambroifie^li
lotMs , herbes fabuleufes.
U V ELOGE
laîtée: Pane eft ^ MtthiîkWt de Bacchus;
Tautre § Afttâït , fille de Pan ; tous les
Voyez 1 une & l'autre à ma fuite.
«, » 11 eft bon xjue je vous faffe encore con^
^^P^\ noître mes autres Compagnes & mes Sui-
,^*i. ^vantes. Voyez-vous cette belle au fourcil
^^''^' arrogant & élevé ? C'eft PhïUutït , ou 1'^-
mour'prcpre. Celle-ci, qui a la complaifance
, peinte dans les yeux , & qui frape des
mains , c*eft la Flatterie. Celle-là qui eft à
moitié endormie , 6c qui femble dormir ef-
feâivement , s'apelle rOublL Celle qui s'a*
puye fur les coudes , les doigts entrelacés »
c'eft la Haine du travail. Cette autre q«i eft
copronnée , enchaînée de rofes , & qui a
tout le corps parfumé ^ eft la Volupté. Ces
yeux remuans , & que vous voyez dans un
mouvement continuel , vops annoncent TjE^-
gareinent d'efprit. Cette peau luifante , cet
embonpoint , ce corps fi oien conditipnnét
font les Délices en perfonné. Vous voyez
parmi ces Nymphes , deux Dieux , dont
l'un , qui eft Cornus , infpire la débauche,
& l'autre enfévelit les Buveurs dans un fom-
meil prefque léthargique, *
fMéthé.)nvrejffe. ^
% Apadie. )Ld Groj/iéreté.
n E LA FOLIE. ly
Secondée & fervie âdëleiaent par cette
foule de Domefiiques , ou plutôt d'EfcIa*
res, je régne fur tput, & les Monarques
mêmes font fournis à ma domination.
Vous voilà donc inilruits de mes pa-
rens , de mes nourrice^ â^ de mon train.
Maintenant, afin qu'on ne m^ccufe pas
d'ufurpe.r le nom de Déeffe, je veux vous
faire voir coxnbien ie fui^ imU aux Dieux
& aux Hommes ^ & jufqVoù s'étend ^ma
puifTance divine : éc0utez'-moi l^ien»
Quelqu'un a dit de très -bon fens, que
c'eft être Dieu , que de contribuer au
foulagement dés hommes^ dans leur mal-
heureux pafTage fur la terre. C'eft fur ce
principe qu'on a déifié ceux qui ont in-
venté ie vin , le froment 6c les autres uti«
lités femblables^ qui adoucirent la vie.
Sur ce pied -là, pourquoi ne me donne-
roit - on pas avec luftice le crémier rang
parmi les Dieu3p î Pourquoi réfuferoit-
on de me placer k leur tête $ moi <mi ré»
pands toute ibrte de. biens fur les Hom-^
mes i
Premièrement , vous ne dîfconvîendrez
PJ^^AJWfijrijeçJî'fiôplHs ch?r mplusprécîjçux
que la vie. Or , qui a plus de part que moi à
>£pnn^ti0&; Ma conception des viyans^
^i \% ^9ce 4$ k fiér^ Pallas » V^ V^S^^
t6 V E L O C E
de * de ^piter , n'influent point fur la pro-
pagation humaine. Bien plus, ce terrible &
loudroyant Jupiter , lui qui eft le père & le
Monarque abfolu des hommes «lui , qui d*un
coup d'oeil fait trembler le Ciel ; il faut four-
vent , ne lui en déplaife \ qu'il mette bas fa
foudre à trois pointes ; il laut , que Quittant
cet air redoutable , qui fait tranfir de peur
toute la Cour célefie , il defcende de fa gran-
deur, qu'il Cadoucifle & prenne un autre vi-
fage ; & quand cela ? Je n'oferois prefque le
dire : lorlqu'il eft amoureux , & qu'il veut
paternifery envie qui le prend fouvent chez
lui & ailleurs. Ceft alors qu'il eft obligé
de fe mafqner » pour ainfi dire « & de }ouer
tan tout autre perfonnage que celui qu'il fait
fur fon Trâne.
Ne prenons que les Stoîciens:ces Philofo-
Î)hes contrefontles Dieux ici-bas,& leur pré-
emption va jufqu'à s'infatnet qu'ils font de
tous les Mortels , ceux qui aprochent le plus
de la Divinité. Mais donnez-moi un de ces
vénérables Difciples de Zenon , fût-il mille
foispliis Stoïcien encore, s'il ne coupejamais
fa
* Egide. ) Bouclier de fupîter , fait de U
fcau de fa nourrice , la Cherre Amalthée»
DE LAFOLIE. 17
& badbe , parce qu'elle eft la marque &J*or«
netnent de fa fageffe^ ( ornement néanmoins
dont les boucs font auffi parés ) i] ne laifie-
ra pas de tems en tems de s'humanifer , de
mettre à part fa dure & auftére Morale, de
dire enfin & de faire dan&i*occafion des fot*
tifes, tout comme un autre. En un mot, un
homme , de quelque fageiTê qu'il fafle pro-
feffion , veut-ildevenir père ? C'eft moi , ouï
c'eft moi qu'il doit apeller à fon fecours.
Mais ppurquoi ne pas dire tout ? Auffi-bîen
c'eft ma manière de parler librement. Dites«-
moiyjevous prie, à quel înftrumenteft at-
taché la vertu de produire les Dieux & lès
Hommes ? Eft-ce à la tête , au vifage ^à là
poitrine, à la main, à l'oreille , tous mem-
Dfes afTurément fort honnêtes, aufquels on
ne peut rien reprocher ? Si je ne me trompe ,
ce ne font point-là les outils de la Propaga-
tion. Quel eft donc le ProduBeur , le Multi*
plicauur du Genre- Humain ? Une certaine*
J>artie qui ne fe nomme point, & qui eft fi fol*
e, il ridicule > qu'on ne fçauroit la nommer
fans rire. C'eft là cette Fontaine facrée^oi-
les Dieux & les Hommes puifent là vie.
Or , quel homme voudroit fubir le ipuedil*
mariage,fi,comme font les vrais Philofopnes^
il avoir bien^ réfléchi auparavant fur lesin^
convéniens de cette condition ? Qqellefeaoi:;-
x8 r p L (y G E
me voudroit ]amaîs fefoumettre» au devoir
conjugal, fi elle fçavoît, ou fè rapelioit le$
douleurs périlleufes de Taccouchement , la
peine de nourrir, d'élever, &c» ?Si donc vous
devez la vie au mariage , &1e mariage à cette
aliénation du bon fens , qui e$ à ma fuite ,
jugez combien vous m'êtes redevables ! De
plus , quand une femme , après avoir paiTé
une fois parles épines de ce li«n indiflbluble,
alahardieiTe d'y rentrer, n*eft-ce pas à la fa-
veur de l'OaWi, qui m'accompagne encore ?
Soit dit en dépit du Poëte ^ Lucrèce , Vénus
elle - même n'oleroit nier , que fans notre
puifTance & notre proteâion , fa force & fa;
Vertu îanguiroient. ^
Oeft donc de cet aimable jeu , eu je fais
entrer les Ris , les Plaifirs , l'Vvreffe amoo^
teufe , que font fortis les orgueilleux Philofo-
phes, à qui ces Hommes Angéliques , que le
•vulgaire apelle Moïses , ont heureufe-
ment fuccédé. De là font venus les Princes^
18c les Rois 3 les Evêques , les Cardinaux , ôt
les Saintetés <r Office ouïes Papes, Oeftde là
)qii^eft au(E fortie crtte foule de Divinités»
* Lucrèce. Il recoanQÙ Vinus b princift;
}& toute génération»
a E LA FO LIE. 19^
poétiques , foule (1 grande , qu'à peine le
Ciel 9 tout vafte qu'il eft , peut les contenir.
Mais c'efi peu qu on tienne de moi la four-
ce & U perpétuité de la vie ^ fi je ne fais
voir encore que généralement tous les avan-
tages qui s'y trouvent , partent de ma libé-
ralité.
En eifet^qu'éft-ce que cette vie, fâas
les plaifirs ? Mérite-t'elle le nom de vie )
iVous m'aplaudiûez » Meflîeurs 1 Vous avez
laifon. Je fçavois bien qu'il n?y avoir ici per^
fonne aiTez fage , pour être de ce (entiment-
là : vous êtes tous de trop bons fous ,( je me
brouille ) au contraire , vous êtes tous trop>
iages;car chez moi Jb/iec'eftS42|:^.Croyez«
moi , les Stoïciens même ne mepcifent point
la Volupté; Ik l'outragent , ils la dédirent
en public ; mais ces diffîmulés ont leur but :
ils ne font tant de peur duplaifir, qu'afim
d'en avoir meilleure part. Mais qu'as mr
dif«nt^ ces hypocrites» de par Jupiter » qu'ils
me difenty s'il y a un jour dans la. vie oui
ne foit trifte 9 défagriable^ ennuyeux , aé^
goûtant , fâcheux \ à moins que '\t ne m'en^
mêle , ôc que je ne l'affaifonne. J'en prens à
témoin ce fameux Sophocle , qu'on ne fçan*
roit aflez louer. Qu'il fçait bien me lendre*
înfiice , lorfqu'ildk : // <h très^doux de vivre ^;
mais point de fagejfe , eue gdte î^ vit» llifinir
irons celà«n détail*. B^ar
ad r E L O G E
Folie Per fonnç n'ignore , que le premier âge-
defEn-^^ THonTme eftie plus gai Sl le plus agréa-
fanc9* ^'^' M,d!\s qu'^il-ce qui rend les enfans fi at:-
mables ; pourquoi les baiibns-nous , les em-
braflbns-nous^ les chériflbns-nous } Un en-
nemi même s'attendrit pour eux, & lesaf-
fifte dans le befoin. Encore un coup , d'ok
TÎeni cela ? Cefique la niature, cette fage
. ouvrière , a imprimé dans les enfans , un
« charme ,. un attrait de Folie , afin que par-
là, comme par une forte de récompenfe,
ils puiffent adoucir les peines de ceux qui
les. élèvent , & mériter par leurs carrefl^s
la proteôton qu'on leur donn^ enfiiite. Cet-
te première jeunefliequifiiccède à l'enfance,
on l'aime , on fe fait un plaifir de lui être uti-
le , de l'avancer , de la fecourir. Et de qui
cette adoiefcence reçoit-elle fon agrément i
Sinon de moi , qui la rend folâtre , qui la
rend propre à plaire & à divertir. Je veux
bien pafler pour une menteufe, fi, dès que
les jeunes gens commencent à devenii
hommes ; dès que, par les infiruôidns 6^
par l'ufage du monde , ils. entrent dans ce
malheureux chemin de la. Sagefle , ils ne
changent du blanc au noir*. Alors toute leun
beauté fe fine , leur gaieté fe rallentit , il»
9'ontplus la même gentilleffe , leui^feu^leuit
Tiyaaté s'éteint..
yng*T Jf'
Pj£^p,Me mT-
._ a; » . - ^
PUBLIC LIBRARY
ASTOR, LENOJl
'HLDEN ii OU N DATIONS
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•^"Uj^JI^^ I
D EL Â FOLIE. %t
Car enfin 5 Mei&eurs, plus l'homme s'i-
toigne de moi , moins il jouit de la yie , &
îl pourfuit ainfi ^riftement fa courfe jufqu'à
ce qu'il arrive à cette fâcheufe & chagrine
vieillefle , qui le rend infuportable aux au«-
tres 6c à lui-même*. Puifque je fuis tombé
fiir la vieillefle , il ne vous déplaira pas que
je m'y arrête un peu. Sans moi , que les
misérables humains feroient à plaindre à la
fin de leur carrière ! Mais j*ai pitié d'eux , &
je leurs tends la main.Les Dieux des Poëtes^
par le beau fecrec de la métamorphofe , ont
coutume de. fecourir les infortunés , qui pé*-
riflient: je les imite en quelque forte. Lorfr
qu'une vieilleflie décrépite a mis les hommes
iur le bord d'un tombeau , je les fais , autant
.que je puis^reotrer en enfance. De là le Pro-
verbe.: Let VuiUards font dtux fois. Eng^
fans.
Vous me demanderez peut- être ,. comr
snent jefais cela ? Vous l'allez voir. Je mène
ces têtes caduques à notceX>ethé, (car ce
Fleuve- prend fa fource dans les ides fortur
nées , & il a'en^CQule dans ks Enfers qu'un-
petit Ruifleau.) j^e fais boire à longs traits à
mes bonnes gens de cette eau, d'Oubli ;. par^-
là tous leur« foucis fe diffipent & ils ra]eup-
ttifl*ent.. Mais, dit-on., ils extravaguent ^ ils;
sadoteot déjà* D/accoxd ^ & n'efl - ce. ga»»
%4 V E- L O G E
Me juge à prefent cïoî voudra , & qu'oa^
mette dans la Dalan&e les bons offices que
je rends aux hommes , avec les métamor-
ptiofes des autres Dieux. Je ne veux point
raporter ici les horribles e&ts de leur colè-
re ; je ne parle que de leurs bienfaits. Quèl'<-
le grâce font-ils aux mourans , qu'ils veulent
bien honorer de leurproteâion^de chan«
ger l'un en arbre , Tautre en oifeau , celui-là
en cigale, celui- ci en ferpent ? Comme fi
paffer d'un être à un autre , ce n'étoit pas
proprement périr. Pour moi , je fais ren-
trer le même homme dans le meilleur &
dans le plus heureux âge de la vie. Si les
hommes, s'abftenant de tout commerce avec
la Sagefle , vouloient ne vivre que fous mes
Ibix , la hideufe vieillefle leur feroit incon-
nue 9 & ils auroient le bonheur d'être tour
jours jeunes.
Regardez-moi ces minesfombres , ces vi-
fages abbatus 6c décharnés , qui s'enfoncent
dans la contemplation de la Nature, ou dans
d'autres- occupations férieufes ôc difficiles :
ces eens-là fembient d'ordinaire avoir vieilli
dès leur jeunefle , & cela parce qu'un travail
detêteaffiduj pénible, violent «.profond.,
épuife peu-à-peu les efprits & deffeche l'hu-
mide radicale^ D'autre part, confidérez at-
tentivement mes fidèlerSajets :yoyez corn-
mec^t
DE LA FOLIE. a;
ment ils font dodus , gras , frais » bien nour«
ris , brillans de fanté ; vous diriez *' despour^
ceaux Acarnaniens, Aflurément ces heureux
mortels ne fentiroient jamais les infirmités
de la vieillefle , s'ils ne participoient un peu
à la contagion des Sages. Cela n'arrive que
trop : mais que faire ? l'homme n'eil pas né
pour jouir ici-bas d'une félicité parfaite.
J'ai encore pour moi le témoignage d'un
fameux proverbe , qui dit: que la Folie feule
peut retarder la fuite rapide de la jeunejfe ,
6» reculer de bien loin la fâcheufe vieillejfef
Sur ce pied-là , ce qu'on dit des Braban-
çons , n'efl pas fans fondement : au lieu que
chez les autres hommes , l'âge aporte la
prudence , plus ceux-ci aprochent de la vieil- .
leiTe , plus ils font fous. Cependant on peut
dire qu'il n'y a point de Nation , ni plus agréa-
ble pour le commerce de la vie , ni qui fuc-
combe moins fous le poids des années. Joi-
gnons aux Brabançons , ces Peuples qui vi-
vent fous le même climat , & qui ont à peu
près les mêmes manières, je veux dire mes
HoUandoîs: car je puis bien me vanter qu'ils
* Les pourceaux Acarnaniens étoient ce'-
libres^ comme font aujourd'hui ceux du Go-
tinois^ _
C
%6 V E L O G E
m'apartiennent ; ils ont pour moi tant d'at-
tachement , tant de zèle, au*on les a jugés
dignes d'une épithéte dérivée de mon nom ,
& loin d*en rougir , ils s'en font gloire.
Après cela,que les fots mortels invoquent
Médée, Circé, Vénus & l'Aurore: qu[il»
cherchent )e ne fçai quelle fontaine qui a
la vertu de rajeunir , vertu qui n'a été don-
née au'à moi , 6c dont je fais tous {les jours
un uiage obligeant ! Je polTéde ce fuc mer-
veilleux « avec lequel la fille de Memnon
prolongea la jeunefle de Tithon fon aïeul.
Je fuis cette Vénus ({ui fendît Phaon » de
vieux qu'il étoit ,un jeune homme fi joli &
fi galant , que Sapho en devint éperdûment
amoureufe. A moi les herbes magiques ,
& les enchantemens , s'il y en a ; à moi cet-
te fontaine , qui non - feulement rapelle la
jeunefle paifée , mais ( ce qui vaut incompa-
rablement mieux ) qui la rend durable au«
tant que la vie. Si donc vous convenez tous
de ce principe , que rien n'eft plus aima*
ble que la jeunefle , ni plus haiflable que la
TÎeillefle ; dès*là vous reconnoiflez,' Aief*
(leurs , combien vous m'êtes redevables ;
pùifque pour vous rendre heureux , je fçai
prolonger un fi grand bien , & repoufler ua
u srand mal.
mais je m'arrête trop aux hommes : par**
DELAFOLIE. 17
courez maîntènant le Oel ; faites paffer tou-
tes les Divinités en revue , je confens qu'on
me fafle une injure du nom que je porte , s'il 7*^1^/^^
ie trouve quelque Dieu qui ne m*ait pas To- pig^x
l>]igation de tout' ce qu'il vaut. Pourquoi $^gi*anr
je vous prie, Bacchus a- t'il toujours le vifage^-^^-^^
£c la longue chevelure d'an jeune homme ? ^^^«-^*
Ceft que paiTant toute fa vie dans la débau- ^^^-^.^^
che&danslîrjoïe,il n'a nul commerce avec . /^
Pallas , laiflant cette prude pour ce ^"*elle r. /•
cft. Enfin , tant s*en faut que ce gros réjoui ^
ambitionne le nom de Sage, qu'au contraire
il prend plaifir , dans fon culte , aux extra-
vagances & aux foîies de fes Dévots. Il ne
s'offenfe point du furnom Fallot que le
proverbe lui donne , furnom qu'il a mérité ,
parce qu'étant affis devant la porte du Tem-
ple , les laboureurs fe divertiffoient à le bar-
bouiller de vin doux & de figues nouvelles :
ce qui le faifoit rire de tout (on cœur. De
plus , quels traits de fatire * la vieille Co-
médie n'a-t'elle pa^s lancés contre Bacchus i
Le ridicule Dieu ! s'écrioient-ils : il étoit in-
digne de naître par la voie ordinaire. Mais
^ * La vieille Comédie^ &c. Elle itoUfati^
tique jufquà nommer Us gens , ce qui obligea
Us Magiftrats di la défendre.
28 L' E L O G E
de bonne foi , qui refiiferoit de fe charger
de Tes extravagances ^ ou , il l^on veut , de
fes ridicules , au prix d'être toujours agréa-
ble 9 toujours jeune , toujours divertiflant ^
plutôt que d'être ce diffimulé Jupiter qui
fait peur à tout le monde ;ou ce vieux rado-
teur de Pan , qui par Ces bruits répand de
faufles terreurs ; ou ce boiteux , ce cocu de
Vukain , qui efl tout enfumé de fa forge ;
ou cette Pallas fi formidable avec fa lance
& fa tête de Médufe , qui ne regarde jamais
que de travers?
Venons à d'autres Divinités. Comment
Cupidon fait-il , quel fecret a - t'il pour ne
point fortir de l'enfance ? C'eft que fe mo-
quant du férieux 6c du folide , il s'en tient
uniquement au badinage. Et Vénus au blond
ardent, pourquoi fa beauté reverdit-elle tou-
- jours ? C'eil que nous fommes parentes de
près;au{ri brille-t'elle comme Plutus mon pè-
re , qui eft dérouleur d'or. De plus , s'il ea
faut croire les Poètes, ou les Statuaires leurs
imitateurs , la DéefTe des Alïiours eft fans
ceiTe accompagnée des Jeux & des Ris*
Flore qui eft la mère des plaifirs , n'étoit-
ellepâs un des premiers objets de la Religion
des Romains r
Laiffons-là les Divinités amies de la joïe;
iVoulez-vous fçavoir la yie desDieuxbourru;
DE LA FOLIE. v^
8c cllagnns ? Demandez à Homère , & aux
autres Poëtes ; Us vous aprendront , que
ces Dieux font pour le moins auffifous que
les Hommes. Jupiter quitte le foudre > il
abandonne le foin de l'Univers, & fo déro-
be du Ciel , pour aller courir la Grizette : je
H*avance rien dont vous ne foyez inftruits.
La fiére & inabordable Diane oublie fon fo^
xe , & perd fon tems à la chaffe : elle n'enefl
pourtant pas moins folle d'£ndimion , juf-
ques-là , qu'en qualité de Lune , elle prend
bien la peine de defcendre tout exprès du
Ciel , pour venir lui ofFrir fes faveurs. J'ai-
merois mieux que ce fût Momus cpii les fît
fouvenir de toutes leurs folies. Il le faifoit
autrefois fort fouvent ; mais les Dieux qui
n'ont pas Tante endurante , fe trouvant fa*
ligués de fe^ remontrances , & ne pouvant
fouffrir qu'il troublâtleirrjoye par fa fageffeà
contre-tems , le firent fauter du Ciel en Ter-
re , de compagnie avec Até, la Difcorde.
Depuis ce tems ce pauvre exilé ne fait que
Toder , & couche dehors , perfonne n'en
veut chez foi , il n'y a hofpitalité qui tienne.
A plus forte raifon n'e(l-il pas admis chez les ,
Princes ; car la Flaterie ma fuivante , ré-
gne dans toutes les Cours : or , c'feft fon en-
. nemi irréconciliable ; ils s'accordent comme
le loup & l'agneau.
Cj
)0 V E L ù G E
Âinfi les Dieux s'ëtant délirrés de ce
cenfeur importun , s*en donnent à cœur*
jbïe. Combien Prîape ne dit-il pas de ces
mots énvelopés , qui faliffânt une chafie
imagination } Combien Mercure iak-ilrire
par Tes larcins & par fes preftiges ? Il n'y
a pas jufqu'à * Vulcaifl qui ne s'en mêle.
En fervant les Dieux à table , il les diver-
tit par fon allure circonflexe : il plaifante ,
il jl^uffonne : enfin ^ il fait de fon mieux,
pour échauffer la débauche , & pour met-
tre la compagnie en belle humeur. Que di->
rai-je de Silène , ce vieux feâ , toujours
amoureux , qui fe fait un plaifir de danfer
•vcc Polyphème & avec les Nymphes ? De
ces Satires chevrepieds, qui, dans leurs dan»
fes , font cent jpoftures oofcènes ? Pan , avec
fes fades & inupides chanfons» fait rire ces
Dieux: ils écoutent de toutes leurs oreilles^
&ils aiment cent fois mieux la Muiique de
Pan, que celle des Mufes ^ principalement
lorfque les fumées du Neâar j leur montent
* Vulcain. ) Homère dit qu'il fert à table
dans lesfeftms, qu* il fait rire les Dieux par fa
démarche hoiteufe , qt^il donné à boire à fa
mère , & qiiil dit de bons mots, pour là rao^
commoder avec Jupiter fon mari.
DE LA FOLIE, 31
a la tête. A propos de Ne6èar , c'eft un vrai
plaifir de voir nos Seigneurs & Maîtres les
Dieux 9 lorfqu'ils ont pouffé la joïe d'un fef-
tin jufqu'iaux rafades: ils difent & ils font
alors tant d'impertinences, que toute accou-
tumée que je fuis à toutes ces fottifes, je ne
fçaurois m*empêcher d'en rire. Mais il vaut
mieux mettre ici le doigt fur la bouche :
quelque Dieu défiant & foupçonneux pour-
roit nous entendre , 6c je craindrob pour
moi le fort de Momus,
Il eft tems de revenir aux hommes. Pi-
mite ici le bon Homère » qui fans ceiTe mon-
te & defcend du Ciel en Terre , & de la
Terre au Ciel. Il eft tems, dis-je» de vous
montrer en détail , que les bomtnes n'ont
de bonheur & de joye , qu'autant que je leur
en procure* Vous voyex d'abord avec quel-
le prévoyance la Nature , cette mère À cet*
te ouvrière du Genre-Humain , a eu foin de
répandre par-tout le fel & TaiTaifonnement
de la Folie. Suivant la définition des Stoï-
ciens , être fage , c'eft avoir la raifon pour
guide , & être fou , c'eft fe laiifer emporter
au gré des Paflions. Or , de peur que la vie
de l'homme ne fût trifte & remplie d'amer-
tume, combien Jupiter lui a- t'il donné plus
de Paffions que de Raifpn i Elles font tout,
au moins comme vingt*quatre à un* Outre
C4
51 V E L O G E
cela il a relégué cette Raifon * dans un coîit
de la tête,abandonnant tout le refte du corps
audefordre & à la confufion. Enfutte Jupi-
ter a opofé à la raifon , qui eft feule de fon
parti , deux Tyrans très-impétueux & très-
TÎoIens. L'un eft la Colère , qui domine
dans le cœur , dans cette fortereife des en-
trailles ^ danscette fource de la vie ; l'autre
eft la Convoitife, dont le vafte Empire s'é-
tend dans les parties inférieures .Ce que peut
la Raifon contre ces deux Tyrans , on le voit
aflez par la conduite ordinaire des hommes.
Elle prefcrit les devoirs de l'honnêteté ; elle
crie contre le vice jtifqu'à Fenrouement ; voi-
là jufqu'oâ s'étend fon pouvoir. Mais ils fe
mocquent de leur Souveraine , ils crient en-
core plus fort & plus aigrement qu*^elle ; en-
forte que n'y pouvant plus tenir , elle eft
obligée de céder , & confent à tout.
Au refte , parce que l'homme eft né pour
le maniment , pour l'adminiftration des af-
faires 9 ôc qu'en conféc(uence il étoit jufte
d'augmenter un peu fa petite portion de
Raifon , Jupiter > pour né rien gâter *, me
* Raifon. ) Platon la met dans U cerveau ^
la Colère dans le cœur ^& la Convoitife dans.
D E L^A F O L I E. 33
confultalà-deflus , comme far tout le refte.
Je lui donnai un cônfeil digne de moi : Sei- £afolU
gneur,|ltii dîs-)e ^ donnez une Femme à apellét
FHomme. La Femme eft un impertinent & ^^ qq^^^
fot animal, j'en tombe d'accord : mais elley^^/ j^
cft douce , agréable , engageante ; & vivant Jupiter
en communauté avec fon Mari , elle affaifon- ^^^^ /^
nera^'elle adoucir a,par fon enjouement, par formai
toutes fes folies , le iérieux chagrin de Fefprit ^^^„ ^^
Quand Platon a femblé douter, s'il met-^^^
troit la Femme dans le genre des Animaux
raifonnables , ou dans celui des brutes , il ne
vouloit pas dire que la Femme n'eft qu'une
bête ; il prétend oit feulement par-là défigner
la grande folie de cet aimable Animal. En e£*
kt , il eft fi eflentiel à la Femmed'êtrefoll'e,
2ue celle qui veut paûer pour fage,ne fait que
oubler fa folie ; a peu près comme qui vou-
droit frotter un boeuf malgié lui , de cette
mixtion qu'on réfervoit pour les Athlètes.
Quiconque, allant contre la nature, employé
Je fard de la Vertu , & tâche de détourner (on
panchant , ne fait que multiplier fes vices.
Rien de plus conformée l'expérience > que
l'ancien Proverbe : Le Singe fut^il vt^U de
fourpre, eft toujours un Singe. De même ^
la Femme a beau fe mafquer elle n Vn eft paa.
moins Femme, c'eft-à^dire. Folle. « ':
)4 V E L O G E
Je ne crois pas que îe Beau Sexe preii^
ae afler mal les chofes, pour fe fâcher de
ce que je dis là ; étant moi • même de leur
fexe , il me femble que je ne fçaurois faire
plus d'honneur aux Femmes que de leur
taire partager mes attributs: fi elles veu-
lent pefer les chofes à la balance de Téquî-
té , elles me tiendront compte de les aroîr
rendues beaucoup plus heureufes que le»
Avan-- Hommes »
tagesdc Le s Femmes ont Tagr ément de la beaut é ;
la Ftm- qu'elles ont raifon de préférer à tout » & par
mt /ttr les attraits de laqu^elle elles tyranntfent les
VHom^ plus barbares Tyrans. Un homme a fouvent
me* dans les yeux quelque chofe d'effrayant r
cette peau velue « cette forêt de barbe ne
font pas des avantag<?s à envier^ enfin, 2L
porte, à k fleur de l*age, its marques pré-«
maturées de vieUlefle.U^oii vient cela?De 1»
prudence. Au contraire, les Femmes ont le&
foues unies j la voix toujours grêle ^ la peaa
délicate : oa diroît que toute leur vie n'eft
qu'une imitation continuelle de la jeunefle*
Attfii les Femmes ne s'étudient-elles à rien
tant. qu'à plaire aux hommes. N'çft-ce pas
là Tunique but des parures , du^&rd , du bain »
de la fi-ifiire, des effences , des fenteurs , &
de tant d'autres artifices (pi'on met en ceu*
.vre , pour £ûce valoir la beauté 2 VouleaL*
D E l A . F O L J E. 5f
rous voir plus clairement , que la^FoKe fait
l'afcendant des femmes fur les hommes } Les
hommes accordent tout aux femmes , dans
la feule vue du plaifir ; ôc par conféquent
les femmes ne réjouiffent les hommes que
par la Folie. On ne peut nier cette confé-^.
quence , poUr peu qu*on réâéchifFe furies
iotifes , fur les badineries qu'un homme fait
uvec fa femme , toutes les fois qu'il veut
éteindre fa flamme amoureufe.
Je vous ai donc découvert la four ce du plus
grand plaîfir de la vie. Je conviens que cer« -
tainesgens, principalement |es vieillards qui
préfèrent le lierre au myrthe , mettent la fou-*
veraine volupté dans le vin. Sqzvoitii on La Fo»
peut faire un bon repas fans feixime, c^efi ^^%iU i V4bk
queftion que je laifie indécife : mais je pofe mt dté,
en fait , que tout repas efl laneuifTant , s'ïVRepas^
ii'eft animé par la Folie. Cela eU fi vrai , que
il aucun des Convives n*efl foû, ou du moins^
ne fait femblant de l'être , on fait venir pour
de l'argent un bouffon , ou quelque parafîte
affamé , qui , par fes bons mots & fes raille-
ries piquantes, bannit de la table lefflence
&la mélancolie* On a grande raifon en cela ;,
car c'eft bien peu de chofe que d'avoir Fefto-j
mach furchargé de viandes exquifes> démets^
délicieux & friands « Ci on ne nourrit auffi de
jeux ^ de ris » de faillies plaifantes les jreux »
3« V E l O G E
les oreilles , refprit & le cœur. Or, c'eft moî
ieulequiaiinventé ces délices. Tous les au-
tres agrémens d'un feftin , comme tirer au
fort à qui fera le Roi èa Repas , )ouer aux
dés , boire à la ronde dans le même verre ,
chantertour à tour la branche* de myrthe à
la main 5 danfer^ fauter « faire des poflures y
font-ce les fept Sages de la Grèce , à Votre
avis , qui ont trouvé ces plaiiirs ? Non fans
douteâl n!y avoit que moi qui pût s'en avifer;
& )e l'ai fait pour la confervation du Genre-
Humain. Car plus les chofes à notre ufage
renferment de folie, plus elles contribuent à
nous faire vivre. Sans la joïe , la vie humaine '^
ne mérite pas le nom de vie ; & il fapt nécef-
fairement que vous pai&ez vos jours dans le
chagrm^ u vous ne diffipez'pas cet ennui
^ui eft comme né avec vous. ;
Il fe trouvera peut - être des gens , qui J ;
comptant pour rien là volupté des fens,met-
tent tout leur bonheur àavoir de vrais Amis ^
. ^ De myrthe^ ) Che^ tes Anciens , celui qtil
commençait à chanter à table ^ prenait une
branche de cet arhrijjeau , puis ayant fini fa
€himfon , il donnait la branche a fon voifin ^
6» ellepaffoit ainfi de main en main jufqu*aw
dernier convive^
F^ ^^'
^AHVItfAr
' THE KEW YORK
PUBLIC LIBRARY
ASTOR, LENOX
TILDEN fOUNDATIONS
DE LA FOLIE. 37
ce font ceux qui vous répètent fouvent ,
que la douceur d'une tendre amitié {urpafTe
tous lès autres plaifirs , & qu'elle n'çu pas
moins néceïïaire à la vie , que fair , le feu
& l'eau. L'amitié , ajoutent-ils , eu fi agréa-
ble i que qui voudroit l'ôter.du monde , ce
feroit en vouloir ôter le foleil ; elle eft ,
félon eux , £1 honnête , ( ce terme ne fi^nifie
rien chez moi ) que les Philofophes n'ont
pas héfité à la mettre an nombre des plus
grands biens. Mais que dira - t'on fi je
montre que je fuis , comme dit le pro-
verbe , la poupe & la proue, c'eft-à-dire,
la fource & l'auteur de ce bien dont on fait
tant de cas ? Je veux pourtant vous le prou- LaFo^,
ver,nonpar desfophifmes, ni par des ^r^Uefouri
gumens captieux de Logique ; mais fimple- ce de
ment & clairement. Voyons. VamitU^
Diffimuler les défauts de fes Amis , s'a-
bufervolontaîrementôc s'aveugler fur leur
compte , aimer même & admirer des vices
effentiels, comme fi c'étoient des vertus,cela
n'aproche-t'il pas de 1? folie ? Cet homme
qui baife amoureufement un figne , une ta-
che naturelle qu'il voit fur la peau de fa maî-
trefie , ou qui prend plaifir à la mauvaife
odeur de fon nez ; ce père qui ayant un fils
louche , prétend qu'il a les yeux fripons ^
n'eft-ce pas une pure folie \ ConfeiTe^ hau*
38 V E IQ G E
tement que c'en eft une. Et moi j'ajoute ,
que c*eA: uniquement cette folie qui forme
OL qui entretient Tamitié. Je ne parle ici que
des hommes « dont pas un ne vient au pon-
de fans défauts ; l'homme qui pafle pour le
meilleur , n'étant au fond que le moins vi-
cieux. Car pour ces Sages qui fe regardent
comme des Dieux, * ou ils ne s'uniltent ja-
mais du doux lien de Tamitié , ou l'amitié
chez eux n'efl qu'une union défagréable &
bourrue : encore n'ont - ils de liaifon qu'a-
vec très-peu de gens. Car je me ferois un
fcrupule de dire , qu'ils n'aiment abfolument
perionne» & en voici la raifon. Prêt que
tous les hommes font fous , à quoi bon ce
prefque} Il n'y a pas un feul homme qui n'ex-
travague de plus d'une manière : ) ils font
donc tous femblables en ce point ; or , la
xefTemblance efl le fondement de l'ami*
tié.
Si quelquefois ces Philofophes auftéres
s'attachent les uns aux autres par une bien-
veillance réciproque , cette liaifon eft bien
fragile, & ne dure pas long- tems. Ils font
* // veut parler des Stoïciens , dont le
Sage , félon Horace^ rie cédoit qu'au feul
Jupiter^
DE LA FOLIE. 39
d*une humeur bizarre & difficile ; trop pé-
nétrans d'ailleurs à Tégard des autres , ils
ont des yeux d*aigle pour voir les défauts
de leurs amis , & la vue très-foible pour fe
voir eux-mêmes. Point de gens à qui la Fable
de la Beface convienne mieux. Or, puifqu'il
eft certain que tous les hommes font natu-
rellement fujets à de grandes imperfeâîons^
fi vous joignez à cela la différence d'âge 6c
de panchant , avec tant d'égaremens , tant
de faux pas , & tant de revers dont efl rem-
plie cette vie mortelle , comment l'Amitié
pourroit-elle fubfifler une heure entre ces
Argus « fi la Folie» ou la complaifance,
comme on voudra Tapeller , ne s'en mêloit
point ? Jugez de l'Amitié par l'Amour : c'eft
a peu près la même chofe* Cupidon , l'au-
teur 6c le père des plus douces liaifons de
la vie , n'a-t'il pas fur les yeux un bandeau
qui lui fait prendre la laideur pour la beauté i
IV'efl-ce pas lui qui fait que chacun efl con-
tent des fiens, & qu'un vieillard efl aufH
épris de fa vieille, qu'un jeune homme Tefl
^'une jeune fille ? Cela fe fait par-tout , ôc
on s'en mocque : cependant c'efl ce ridi-
cule qui efl un des plus grands noeuds de la
Société ,& qui contribue le plus à fon agré-
ment.
Ce que nous venons de dire de TAmitié 9
40 - V E LO G E
f£^/*(,.peiifons-leà plus forte raifon du MarîagèJ
lit pré' C'eft ( comme vous ne fçavez peut-être que
fide au *^®P ) "** engagement qui ne doit fe rompre
Maria-^^^ par la mort. Grands Dieux ! combien
gf^ arriveroit'il dans cette condition - là de
réparations , & bien pis encore, riTunion
de l'homme avec la femme n'étoit foufenue ,
n*étoit fomentée par la flaterie » par les di-
vertifTemens , par la complaifance , par les
détours, par ladiffimulation, tous gens de
mon efcorte 6c de ma fuite ? Ah ! qu'il fe
feroit peu de mariages , fi l'amant avoit la
prudence de bien s'informer du jeu que fa
petite maîtrefle , qui paroît fi délicate , ii
honteufe , H neuve , a joué long-tems avant
les noces ! Pour les mariages déjà contrac-
« tés , ce feroit bien un autre train. Que de
réparations , fi la négligence ou la bêcife des
maris ne les aveugloit fur la vie fecrete de
leurs époufes 1 On traite cela de folie , &
• on a raifon ; mais c'eft pourtant cette même
folie , qui fait que la femme plaît au mari ,
Ôc que le mari plaît à la femme , que la mai-
fon eft tranquille , & que les alliances fe
maintiennent. On fait Us cornes à un mari ,
on le nomme cocu , commode , & je ne fçai
3uel fobriquet on ne lui donne pas hors
e chez lui ; pendant que le bon homme
confole fa chère moitié , & boit par fes ten-
dres
D E LA F O L 1 E. 41
'dres baifers , lés larmes hypocrites de l'adul"
tére. Cela ne vaut-il pas beaucoup mieux ,
que de fe conCumer en chagrin , que de faire
du vacarme & dutintamare , ens'abandon*
nant à la jaloufîe ? Conclufion : fans moi
nulle fociété , nulle union , nul agrément ,
nulle habilité dans la vie. Le peuple ne fu-
porteroitpaslone-tems Ton Prince ; le Mai*
trefon valet, la Dame fa fuivante , le Pré-
cepteur fon élevé , Tami fon ami , le mari
iâ temme , &c» fi tour à tour ils ne fe trom-
poient , s'ils ne fe fla,ttoient, s'ils ne fe paf-
foient bien des chofes ; enfin, il le tout n'é-
toit affaifonné de quelque grain de folie. Je
ne doute point que tout ce que je vous ai
dit jufqu'à préfent , ne vous ait paru de la
dernière importance ; car la Folie doute-
t'elle de rien ? Mais vous allez entendre
bien autre chofe y redoublez votre atten-
tion.
Dites-moi, Je vous prie, Meffieurs, un
homme qui fe hait lui-même , peut-il aimer
quelqu'un ? Un homme qui eft brouillé avec
lui-même ,' peut-il s'accorder avec un autre ï
£ft-on propre à infpirer lajoie, lorfqu'on
fuccombe fous le poids du chagrin ? Il a'y a
qu'on foû , pliu £oû que la Folie même «, qui
puiffe prendre l'affirmative de cette qjjeftion*.
Or ,.fi TOUS me banniiTez d'entre vous y uon^^
ï
4« T E LO G E
feulement un homme ne pourra jamais (vp^
porter un autre homme ; mais de plus , tou*
tes les fois qu'il s'avifera de réfléchir fur
lui-même » H le caufera du déeoût , ne pour»
ra fe fouffijr & fe déteftera* La nature , qui
en mille chofes eft plus marâtre que mère»
a donné aux hommes » principalement aux
plus fenfés ^ une malheureuie impreffioa
par laquelle chacun eft mécontent de ce-
[n'ila^& admire ce qu'il n'a point: d'où
arrive que tous les avantages , tout l'agré»
ment , tontes les commodités de la vie^
s'altèrent avec le tems & s'anéantiflenu
En effet, de quoi fert un beau vifage» quL
eft le plus précieux don ^e les Dieux faflent
aux mortels » s'il eft fouillé d'une manvaife
odeur ? Qu'eft-ce que la jeuneffe, lorf-
qu'elle fe corrompt par le levain de la mér
lancolie?^nfin, comment agirez-vous dans
toutes les ifonâions de la vie , foît à l'égard
des autres , foit par raport à vous-même ^
Comment agirez-vous , dis-)e , avec bien-»
féance ; ( car l'effentiel • non-feulement de
tout art, mais encore de toute aôion , eft
que ce que l'on fait, foit fiiit de bonne
grâce ) à moins que V Amour ^prçprc , que
vous voyez à ma droite , & que j'ai rai-
fon de chérir fraternellement , tant il
eft dans mes intérêts» nte vous prête fo»
D E .L A F L I E. 47
feccmrs ? Au lieu qu'en fuivant fes impref-
fions , vous êtes charmé de votre mérite ,
vous êtes ébloui de vos belles qualités , &
dès-là vous avez le bonheur d'être parvenu
à la plus haute Folie. Je le répète : fi vous
TOUS déplaifez à vous-même , vous ne fçàu*
f iei^ rien £iire de beau , d*agréable , & qui
ne pèche contre la bienféance. Otez de la ^^ p .
vie raffaifonnement de la fottife , TOra- .. ^ ^
teur languira'dans tous ks difcours; le Mu- p ^-1
iicien avec fes tons & fes cadences , fera p\^ /^t
tié ; on fiflera le Comédien & fon jeu ; on ." ^
tournera le Poëte & les Mufes en ridicule j '^* ^
le meilleur Peintre ne s'attirera que du mé-
pris ; le Médecin mourra de faim avec fes
remèdes ; enfin , de * Nirée vous deviens
drez un Therfite , 6c de § Phaon un Neftor :
au lieu qu'on iK>a$ eftimoit pour votre fça-
voir, pour votre bien dire, pour votre po-
litefle , vous ne palTerez plus que pour une
l^ête » que pour un enfant , que pour un ruf-
tre» Tant il efl néceflaire que chacun fe ca-
* Nirée. ) Homère dit quit étoit le plus
feau des Grecs qui affiégérent Troye , comme
Therfite étoit le plm laid.
% Phaon% ) Rajeuni par Fcnus : Neflot
vécuf^ trois âets S homme*
D 1»
44 r E LOG E
joie , fe flatte & fe remplifle de la hotkti^
^ opinion de lui-même , avant d'ambitionnée
celle des autres. Enfin, le bonheur confifte
principalement à s*accommoder à fa condir
tion , a vouloir être ce qu*on eft ; & il n'y
a que ma chère Philautie , que VAmour-pro^
pre , qui puifTe nous.acquérir cette heureufe
dirpomion. En vertu d'un tel bienfait ; cha-
cun efl content de fa figure,. de fon efprit »
de fa famille, de fon pof^e, de fon genre
de vie , de fon pays ; Tlrlandois ne voudroît
pas changer avec l'Italien ; le Thrace.avec
l'Athénien ; le Scythe , ni le Lapon y avec
un habitant des Ifles fortunées. Admirable
prévoyance de la nature ! Dans une diver-
flté inhnie , elle a fçû égaler toutes chofes»
' A't'elle été avare de fes dons envers fe&
enfans ? En récômpenfe^ e^e. leur prodi-
fue VAmQur^prcvre, Que dis-je , défis dons l
Z*e& parler follement , cet amour de foi-
même n'efl-il pas le plus grand de tous les
avantages naturels l
Mais pour vous faire voir que tout ce qu'il
y a parmi lès hommes d'éclatant , d'îlluftre
6c d eftimé >. vient de moi , commençons par
'Fo/ie la Guerre. On ne fçauroit difconvenir que
'de la ce grand Art ne foit la fource des aâions
^Gk^/t^. tes plus renommées.Cen'eft pourtant qu'une
folie. Deux Partis fe battent^ Dieu fçait pûuc
Y *iKjrj/v joi^-^
'ppjjclibSm,!
/
%•
ISlS: l A F L I Ei ^1
^trelles ralfons y & tous les deux remportent
bien plus de mal que de bien , de leur anime*
fité : quoi de plus abfurde ! quorde pius fou P
ceux qui périffent àla guerre , on les compte
pour rien« De plus , lorfque les armées font
«n ordre de bataille, & que l'air retentit du
bruit des trompettes & des tambours , dites-
moi y je vous prie , quel fervice peuvent ren*
dre alors ces * Sages « qui épuifôs par l'étude
& par la méditation ^.jouifTent à peii^e d'une
vie , que leur fang dénué d'efprits & de fucs
nourriciers repd infirme & languiffante ? Ce
font ces homifies épais Scmatériels^robuftes
& hardis , mdis peu fpirituels , ce font eux
qu'il faut pour le combat. Ne faifoit-il pa»
beau voir Démofthène fous le harnois ? Auffi
fuivit-il le fàge confeil § d'Archiloque ; de»
qu'il aperçut l'Ennemi , il jetta ion bou*
clier , ÔL s'enfuit à toute jambe « auili lâche
ibldat y qu'il étoit excellent Orateur-
* Suivant Ariâote ^ un fang épais produis
ta force & la bêtife ; & le fang fubtil produiP
rèfprit^^ lafaiblejfe du corps , & la timidité'^
§ Les Lacédémoniens chaffénnt Archiloquc
pour s^être vanté' ^ comme d'une. aÛion de fa-^
gejfe „ d'avoir xetté fon bouclier pour mieuM
4$ U E L O G E
Mabk Guerre,,dn-e2-Toas , demande une
extrême prudence. Oui , dans les Générauxi
^core eu*ce une prudence particulière aw
aiétier des armes, & qui tt*a. rieade com-*
œun avec la fagefle philofophique. Â cela
près»^ les parafites ^ ceux qui trafiquent de»
attraits du Sexe , les voleurs , les meurtriers,.
les laboureurs , les banqueroutiers , & gêné
ralement tous ceux qu'on nomme ht lie du
Genre^Humsûfi ,':peuyent s'immortalifer par
la valeur v ce qui ne convient nullement aux
'Inunli' bpmmes apliqués aux iciences* Voulex^vou»
âé de la un exemple fcapant de l'inutilité des Philo-*
Philo-- ^ophes dans le monde ? Ceft le fameux So^
fipàie^ crate. L'Oracle d'Apollon l'avoit déclaré
l'unique Sage ; déclaration très» folie : N'im*
porte. Ge Philofophe ayant entrepris je ne
£^ai quoi pour le bien public , s'attira les
railleries de. fes concitoyens , ôc fut obligé^
d'abandonner fon projet. Il n'étoit pour<*
tant pas fot , paiiqu'il refufa constamment le
fiirnom de Sage ^ dïi^nt , qae ce titre n'étoit
dû qu'àla Divinité. H étoitauffi dans le fen«-
timent , qu'un Philofophe ne doit jamais fe
mêler du Gouvernement. S'il avoit ajouté y.
que celui qui. veut paffer pour homme, doit
s'abiVenir de ce qu'bn apelle Sageflie, j'au«»
vois quelque eftime pour bi ; car qu'efl-ce
q^ui a cau£é la. mort à ce grand SMOcrate î,
D E Z A F O L I E. 47;
Pourquoi fiit-il condamné par Arrêt à s'ém*
poifonner avçc de la ciguë i Pur tSet de fa;
prétendue fagefie. Ce rhilofophe pafla &
YÎe à rsûfbnner * fur les nuages &fur le»
idées ; il s'amufoit . à mefurer le pied d'une
puce y -à admirer le bourdonnement d*Une
SQouche, fie il ignora toute (a vie fartnécef*
£iire de fe conformef àfes femblables : voilà
de nos gens» Platon qui avoit été Difciple de
Socrate , voyant fon maître menacé du fu-*
plice , s'ingéra de plaider fa Cau(e ; mais à
peine il ouvrit la bouche, qu'étonné du bruit
de l'Aflemblëe , il demeura court à la moitié-
de fa premiérepériode. Que dirai-je deFA^'o-*^
fhmfle ,^ Difciple d'Ariflote , & qui mérita
ce nom par fon éloquence ^ Voulant un jour
haranguer le peuple, la voixlutmanqua : on
eût dit i^ih avoit vu U /cw/?« N'étoit-ce pas
un homme bien propre à encourager le fol-
dat Mfocrate ,. qui compofoit de beaux dif-^
cours , ofa-t'il jamais parler en* public ? Ci*
céron lui-même , ce père de l'éloquence Ro*
maine». trembloit de bégayioit comme um
-*■ Arîftophane introduit Siocrate adorant
èis nuées comme des Dieux»
^ Théophrafie veut dirt uà homme doué:
d^unt élûquencc dlvint^
\fi V ELOGE
enfant ,' au début de fes fameux Plaidoyers^
Il eft vrai que Quintilien dontoe un autre
tour à cela \ il^foutient que cette tîmidité-
eft la marque d'un Orateur pénétrant , 6c
qui connoît le péril où il eft. Mais quand:
»1 fait cet aveu , n'eft - ce pas comme s'il"
tomboit d*ACCord , que la Phtlofophie n'^ft
nullement compatible avec les affaires pu-'
bliques ? Comment ces Sages foutiendroient-
ils le fer & le feu delà guerre , eux^qui meu-
rent de peur ,lorf qu'il ne s'agit qpe de com-
battre de la langue }
On ^it fonner haut , on* fait bien va-
loir cette belle Sentence de Platon: Les
Répuhliquts feroient heureufes , fi Us Phi^
lofophts gouvernoient , oi^â ceux qui gouver^
nent étaient Philofaphes^s
Et moi je foutiens le contraire; Confultéz
les Hiftoriens , & furement vous trouverez
qu'il n'y a point eu dePrinces plus pernicieux
à la République, que ceux qui ontaiméla
> Philofophie ôclesBelles-Lettres.Mettonsles
deux Catons^ à la tête d'un Gouvernement.:
l'untroubla la tranquillité de Rome , par de
follè s>
* Caton le Cenfeur , qui fut accufé qua^
mnte fais\ & toujours abfous , fut auteur de:
gius de Jpixante^dix condamnations^
D E L A F O L I Ë. 4}
idWts & de contifiuelles dénonciations ;l'au-
trfe , * pour vouloir défendre trop fagement
les intérêts de la République , renverfa de
fond en comble la liberté du Peuple Romain,
Tels furent auflî les Brutus, § les Caffius «
& les Gracques , i* fans oublier le bon Ci-
céron , f qui , tout zélé , tout Hen inten-
tionné qu'il étoit , n'a pas fait moins 'de mal
à la République Romaine , que Démofthène
à celle des Athéniens. Je veux que Marc-An-
tonin ait été un bon Empereur : il ne me fera
pas changer de thèfe, puifqu'ilétoi^ incom-
mode à ies Sujets , & que même ils le haïf-
foientà caufe à% fa Philofophie. Encore une
fois, je veux qu'il ait été bon Prince :tou-
* L'autre. Caton d'Utîque^ quî^ par fon
'Opofition à Céfar ^ donna lieu au renverfe^
ment de la liberté.
§ Les Brutus , les Caffius. Ces deux hom^
mes , qi^on a nommés les derniers Romains ^
tuèrent Céfar;puis étant vaincus ^fe tuèrent
à leur tour,
f Tibère & Caïus , tous deux éloquens ,"
tous deux féditieux , & qui périrent l'un &
r autre dans une émeute populaire,
ÎLe bon Cicéron. Il pouffa Marc^Antoî--
bout , au grand malheur de la République.
£
50 V E LO G E
jours eft-îl vrai , qu*iJ ne pouvait rendre un
Î>lus mauvais office à la République , qu'en
aiflant Commode Ton fils , pour fon fuccef*
feur ; en quoi il a caufé un plus grand malheur
à TEmptre , que fon adminiltration ne lui
avoit été avantageufe* Cette efpéce de gens
qui s'adonnent à l'étude de la oagefTe , font
ordinairement très • malheureux en tout :
mais principalement en enfans. Je m'imagine
que cela provient d'une précaution de la Na-
ture , qui par là veut empêcher fanls doute ,
que cette contagieuie fagelTe ne (e répande
trop chez les hommes. Le fils de Cicéron
dégénéra bien de fon père , 6c Socrate eut
des enfans qui tenoient bien moiiis de lui
que de leur mère , c*eft-à-dire , qui étoient
ious , comme quelqu'un de Ison fens l'a
écrit.
On pafleroit cela , fi ces Philofophes n^é-
toient incapables que des Charges & des Em-
plois publrcs : maisils n'ont pas plus de dex-
térité pour les fondions & pour les devoirs
de la vie privée. Invitez un Sage à un repas ;
ou il gardera un morne filence » ou il inter-
rompra fans cefle la Compagnie par de fri-
voles & d'importunes queftîons ; prenez -le
pour danfer , il s'en acquitera avec l'agilité
d'un chameau ; entraînez- le aux Jeux pu-
blics , fa feule mine empêchera le divertifie*
DE.LAfOLIE^ 51
ment du Peuple» & le vénérable Caton,
* refufant conâamment de mettre bas fa
gravité» fera foxcé de quitter la place. En- -
tre-t'il quelque part oii la converfation eft
animée 9 tout le mondé iVtait « comme fi on
* voyoit le loup. Faut - il acheter , vendre ,
paffcr un Contrat; enfin s'agit -il de quel-
qu'une de ces aâions ordinaires , qui dans
le cours de la vie font indifpenfables , vous
le prendriez plutôt pour une Touche , que
pour un homme. Ainfi ce Philofophe n'eft
bon à rien, ni pour lui-même, ni pour Ton
Pays , ni pour les fiens ; il ignore jurqu'auz
ufages & au commerce de la vie : continuel-
lement opofé aux opinions & aux coutumes
du vulgaire , il eft fans doute.' prefqu'impof-
fible que cette énorme différence de fenti»-
mens 6l de manières ne lui attire une haine
univerfelle.
Tout ce qui fe fait chez les hommes, eft
plein de folie : ce font des fous qui agiffeht
avec des fous» Si donc une feule tête entre-
"•C^xon. On raporte de ce Ctnfeur , qu af-
fiflantaux Jeux Floraux ^comme aux quide-^
voient jouer n4>foknt le faire devant lui , à
cau/e des femmes nUes &des danfes lafcives ,
ou lui ordonna de changer de vifage , ou defor'^
tir^ & qu'il prit le dernier parti»
Ea
y
5* L*^ E L O G E
pi'etid d'arrêter le torrent de la multitude , yt
a*ai qu'un confeilà lui donner; c'eft qu'à l'e-
xemple deTimon^^il s'enfoncedans undefert
& qu'il y jouiffe tout à Ton aife de fa^fagefle»
J'ai fait là unaflezbel écart : rentrons dans
Ormnt\z chemin que nous avons quitté. Quelle ver-
àts 5i7-tU9 quelle puiiTance a raflemblé dans l'enceîn-
ciétés* te d'une Ville ces hommes naturellement
durs , fauvages êc ruftiques ? Qu'eft^ce qui a
pu aprivoifer ce« animaux fatouches ? \a
Flatterie : c'eflce œie fignifiela Fable d'Am-
phion & celle d*Orphee. g'Q^'^^'C^ ^^ ^
élevé le Peuple Romain à un tel degré de
puifl^nce , qu'il ne vifoit pas moins qu'à la
conquête de TUnivers ? La Flatterie. Mais
qu'eft-ce qui a ranimé 6créuni£e vafle corps,
lorfqu'il étoit fur le point de fe déchirer ? Fut-
ce un difcours *philofophique \ Rien moins
que cela. Ce fut la ridicule & puérile Fa«»
* Ct Philofophe Athénien , fcandalifé des
mctursdefes Concitoyens y fe Tttira dans une-
folitude g & rompit tout commerce avec les
hommes^ - >
§ Selon lafàbU , au chant <f Amphion , les
. pierres /arrangeoient d'elles- mêmes pourfor^
merdes murailles. Ainfifut hâtie la Citadelle
d€ Thiféeé Orphée , par les fons de fa Lyre ,
entraînoit aprèjJui les arbres & les animauxm
t> E L A FO Ll E. f 3
l'tj'/î* '"Eftomac & des autres membres.
9 fJifemiftocleproduifit le mime effet, par
ton Apologue du Renard & du Hrfriffon.
yue leSageempioyele plus profond raifon-
nement delà PhiWoohie ; réuffira-t'il com-
«ne Sertorius ^ avec fa Biche imaginaire, ou
avec fes queues de Cheval ? Parviendra-t'H
* Ze PtupU Romain fe trouvant abîmé de
dettes, voulutfefiparerSavevle Sénat: on
lut envoya tOrateur Menennius Agrippa .
§ Le Peuple d^jithinesfe plaignant de ta-
v^ncedes Maeiflrats , Thémiftocle conta,
quun Renard fucé par tes Mouches, avoÙ
rmercie le Heriffon gui s'offiroit â les chafTer .
dtfantjue le remède feroit pire qmlemai
%Ce Général Romain faifoit accroire aux
Biche blanche qui Pavertijfoit de tout. Le mi.
nu, pour montrer à fes foldats , que FeCprit
vaut mieux que la force , fit venir un bln &
un méchant cheval spuis il ordonna âun hom-
me vigoureux, d- arracher la queue du méchant
cheval; ce qud ne put faire, parce qu'il la
prenouapoipiee tandis qu'un homme bien
glusfoibU vint a bout d'arracher celle du ban
eheval , en la prenant crin à crin.
54 V ELOGE
l\ Tes fins , comme ce célèbre LégiflateUr de
Lacédémone , * avec fes deux chiens î Je ne
dis rien de Minos ni de Numa, qui par des in-
ventions fabuleufes , (içurent fi bien manier la
crédulité des Peuple»; car c*eft principale-
ment par ces niaiferiès , que cette énorme
béte, apellé Vulgaire y fe laifle conduire*
Je vous demande encore , quelle Ville a
jamais reçu les Loix de Platon , celles d'Arif-
tote & les maximes de Socrate ï 5 Quel mo-
tif âvoîent les Décius» père 6c fils, pour fe
dévouer aux Dieux des Enfers } Qui poufla
Curtius à fe précipiterdans un gouffre , fino»
Tattraijtde la vaine gloire» douce & très-
douce Sirène ;mais qui déplaît fort à nos Sa-
ges ? Quelleplus grande folie , s'écrient-ils?
que de carefler le Peuple > pour monter aux
Charges ; que d'acheter fa faveur par des
largeiles ;que de fe plaire à fes sLcclamatlons;
que de fe laiffer porter par la Y^^^^ comme
^Licurgue voulant faire voir aux Lacidé^
monitns la force de V éducation , fe fervit dt
deux chiens d'une même portée , dont fun cou'^
rut à lafoupe , 6^ Vautre au lièvre,
^ Ces maximes font, qu* il vaut mieux /ouf'
frir une injure , que de la faire / que la mort
n'eft point un mal ; que la Philofophie n*efi
que la méditation de la mort ^ &c»
DE LA FOLIE. jj
One image , ou fe laiffer élever comme une
Statue fur la place publique , pour être en
fpedacie à toute la canaille ? Ajoutez cet em«
preflement populaire , à faire adopter par
ion Idole des titres illuftres , des furnoms
glorieux. Joignez-y ces honneurs (Uvins ren-
dus à des hommes de néant , & ces cérémo-
nies publiques * qui fe faifoient , pour mettre
au nombre des Dieux les Tyrans les plus fcé-
lérats. Rien n'eib plus foû que tout cela , &
un feul Démocrite ne fuffiroit pas pour en
rire. Qui dit que non ? En eft-il moms vrai
que la Folie eil la fource de tous \^% exploits
des Héros , que tant d'habiles gens on élevés
fufqu'au Ciel ?Ceft cette Folie qui forme les
Villes : par elle fubfiftènt le Gouvernement ,
la Magiftrature , ta Religion , tes Confeils »
les Tribunaux ; & je ne crains point de le
dire , toute la vie humaine n'eft qu'une efpé-
* Lts Romains faifoient des Dieux de leuri
Empereurs , quand ils étoient morts ; & voici
comment. On élevoit une haute tour de bois ,
on la remplijfoit de paille & de parfums ; on
âttachoitun aigle tout au haut : cet oifeau dé-^
lié par les fiammes , s*envoloit ; 6» comme en
méme^tems ilfe répandoit une odeur fort agréa^
hle , le Peuple crédule s'imaginoit que c étoii
rame du Prince qui montoit au CieU
E4
5« V E L O G E
ce de )eu , une pure folie. Il en eft de même
des Sciences & des beaux Arts. Qu*eft*ce
qui a porté les hommes à inventer &àlaif-
fer après eux tant d'excellentes produftions,
à ce qu'on s'imagine ? N'eA-ce pas k foif de
la gloire ? Us ont crû, ces maîtres fous, qu'ils
ne dévoient épargner ni travaux , ni veilles ,
ni Tueurs , pour fe procurer je ne fçai quelle
réputation , qui dans le fond n'eft qu'un beau
fantôme. Quoiqu'il en foit , c'eft à la Folie
que vous êtes redevables de tant d'utilités
oui font dans le monde : vous jouiiTez de la
iottife des autres ; c'eft une des plus gran-
des douceurs de la vie.
Après avoir établi mon Eloge fur ma force»
& fur mon induûrie ; que diriez-vous ,Mef-
fleurs, fi j'entreprenois de louer auffî ma pru-
dence ? C'eft ,. me dira quelqu'un , comme fi
vous vouliez concilier le feu Ôc l'eau, la Folie
& la prudence n'étant pas moins brouillées
que ces deux contraires. J'efpére néanmoins
que j'en viendrai à bout : continuez feule-
ment à me prêter votre attention..
Si la prudence confifte dans i'ufage des
chofes ; qui mérite mieux d'être honoré du
nom de Prudent : ou le Sage , qui moitié par
modeftie , moitié par timidité, n'entreprend
sien ; ou le Foû , que ni la pudeur, ( car il
n'en a point , ) ni le péril , ( car il n'a pas l'ef-
prit de le connoitre » ) ne détourne jamais, '
DE LA FOLIE. 57
ifaucundeirein ? Le Sage s'enterre avec les
anciens Auteurs ;^& queft^ce qu>*il aprend
par fes leâures continuelles ? Des traits d^ef-
prit , des penfées fines , de pures fadaifes»
Mais le Foû , en effayant de tout , & en af-
frontant les dangers , acquiert , fi }e ne me
trompe, la vraie prudence. Honiére,tout
aveugle qu'il étoit, voy oit bien cela. Le Foû »
dit-il , devient fage à fes propres dépens ; il
ouvre les yeux après Paàion» Deux chofes
principalement empêchent Thomme de bien
connoître ce qu'il doit faire ; la honte qui
aveugle Tefprit , qui glace le courage & la
crainte , qui , montrantle péril , faitpréféref
Tinaâion. Or,iln'apartientqu'àla FoliedV
plànir généreufement ces difficultés. Peu de
gens comprennent combien il eft inutile,
pour faire fortuore , de ne rougir jamais , dc
de bazarder tout. S'ils font plus de cas de
cette prudence, qui eft fondée fur le juge-
inent , voyez , j eVous prie « combien tel qui
fe vante de la pofTéder , en efl éloigné. Jf «^^
Toutes les chofes humaines ont deux face^^^^^'^'A
comme les Silènes d'Alcibiade. * Ce qui vous^''"'^'^
* Ces Silènes HAlcibiade rCétoiemt proprement
que des étuitsde Statues , ou des boites qui re-
prefentoient des grotefques ; mais qui renfer^
moient au'dedans de jolies figures» Ceflàces.
ajpices de Mafcarons qu*AJcibiadc comparait
ç8 V E L O G E
parokmort extérieurement , fi vous en per-
cez récorce , eft tout plein de vie ; & ce qui
vous paroit vivant , au contraire eft mort.
Ce qui vous femble beau , eft la laideur mê«
me : Taparence des richeffes cache la pauvre-
té. Enfin l'honneur fe trouve fouvent fous
Tenvelope du mépris , l'ignorance fous celle
du fçavoir » la foiblefle fous l'extérieur de la
force , la bafl'efle fous le mafque de la gran-
deur , la triftefle fous celui de la joie , la dif-
grace fous le voile de la faveur', la haine fous
celui de Tamitié , & ainfidu refte. Ouvrez le
Silène 5 vous trouverez toujours le contraire
de ce qu'il vous prefente. Trouvez-vous que
je m'explique ici trop philofophiquement ^
Hé bien , je vais me mettre à votre portée.
Vous êtes tous perfuadés qu'un Roi eft fort
riche, & qu'il eft le maître de fes Sujets. Mais
fi ce Monarque n^a par lui-même aucune qua»
lité eftimable; fi d'ailleurs il eft infatiable ; fi
rien de tout ce qu'il a ne le contente : ne.mV
vouerez-vous pas qu^it eft très-pauvre ? S'il
fe laifle entraîner par les vices & par les paf-
fions , il n*eft plus qu'un vil Efdave. On peut
philofopber de la même manière fur toutes
chofes; mais cet éxetnplefuffit. A quoi abou-
tit ce raifonnement, dira quelqu'un? Un peu
■■ ■ ; ,
Socrate , qui^ fous un extérieur fiupide fi*
grojjier^ étohUplus btati génie d^Atldncsi^
DE LA FOLIE. 59
de patience , vous Tallez voir* Si quelqu'un ,
s'aprochant d'un Comédien qui joue aâuel-
letnent foti r6le, tâchoît de lui arracher fou
mafque , pour faire voir fon vifage aux Spec-
tateurs^ cet homme-là ne mettroit-ilpas tou-
te la Scène en défordre ? Ne mériteroit-it
pas qu'on le chaflât comme un infenfé , com-
me un furieux ? Cependant des Comédiens
démafqués feroient voir tout-d'un-coup une
nouvelle Scène: la femme fe trouveroit être
un homme; le jeune. homme un vieillard;
le Roi un faquin ; & le Dieu même un mifé-
rable. Mais vouloir détromper les Spe£hi-
teurs , c'eft troubler toute la Reprefentation;
leurs yeux font arrêtés par tous ces déguife-
mens. Aptiquons la comparaifon. Qu'eft-ce
qvie la vie humaine ?)Une Comédie ; chacun
y joue fous un perfoniiage étranger , chacun
tait fon râle fous le mafque , jufqu'à ce que
le Maître de la Pièce les faffe fortir du Théâ^
tre. Ce Maître ne laifle pas ^e faire paroître
fouvent le même Aâeur en différent équipa-
ge : celui qui » paré fuperbement , étoit fur le
Trône , tombe fous les haillons de Tefclava-
ge. A la vérité , tout n'eft dans ce monde
au'ombre 6c que figure; mais cette grande
oc vafte Comédie ne fe joue pas autrement.
Pourfiûvons. Si quelque Sage tombé. da
Cul aparoUToit ici». & qu'il fe mitkctieri
86 r ELO G E
Non , celui que vous révère^ comme votfe
Dieu & votre Seigneur , * rieft pas même un
homme. C'eft une bête ^qut ne fuit que les mou*
vemtns deja machine ; c'eft un efclave du der-
nier ordre, put/qu'il s'ajfervit volontairement
à ^aujjî indignes maîtres que font /es pajjîons.
Si ce Sage s adreflant à un autre qui pleure
hi mort de fon père , Texhortoît à fe réjouir »
en lui difant y que cette vie-ci n*eft propre^
ment qu'une tnort continuelle, Ôc que par
conféquent fon père n'a fait que ceflér de
mourir ; fi s'élevant contre ce fat que fana-
blefle rend fi vain, ille traite de roturier,
de bâtard , parce qu'il a dégénéré de la vertu
de fes ancêtres, fonrce unique de la noblefie;
enfin fi notre Philofophe parcourt à peu près
fur ce ton tous les ufages & tous les états de la
vie : quel ferale fruit de fon déchaînement l
Il paUera chez tout le monde pour un foû ,
^ Ce font les titres que Domitienfe donnoi't»
Martial a dit , qu'il n'y avoitpas déplus mé^
chante bête qu'un mauvais Prince. Diogènt
étant monté furla Tribune , comme pour haran-
tuer y & criant à àiverfes reorifes , Hommes ,
coûtez : on accourut en pute ^ & on lui de-
manda ce qu'il vouloit; à quoi il répondit:.
Tai apell^ des Hommes , 6c non pas vous
autres^ qui n'avez d'humain que la figure-
DELA FOLIE. 6i
four un furieux. Crôyez^moi; comme il n'y
a pas de plus grande impertinence que .de-
vouloir être fageàcontre-tems, rien auffi de
plus ridicule « qu'une prudence mal entendue
& hors de ikifon..£nYérité c'eilun grand tra«
vers que de vouloir fe difiînguer du Genre-
HumaiQ,& de ne pas s'accommoder au tems;
On ne devroit jamais oublier cette loi , que
les Grecs avoient établie dans leurs feflins :
Buve^ , ou alUs^-vous-en'^ * autrement c'eft
vouloir exiger que la Comédie ne Toit plus
Comédie. Par la raifon des contraires ^ puif-
que la Nature vous a fait homme , il efl de la
véritableprudence de ne vous pas élever au-
deflus de la condition humaine. De deux
cho(es l'une-^ou difCmulez avec vos feimbla-
blés , oufoyezaflez honnête pour vouloir
bien courir les rifques de vous tromper avec
eux. N'efl'ce pas la une autre efpéce de folie^
diront les Sages ? J'en conviens ; mais qu'ils
m'accordent à leur tour , que c'eft faire fon
perfonnage dansla Comédie humaine.
.. Au refie... le dirai-je, grands Dieux» ou le
♦Buvez, ou allez- vous-en. Ze/tf/i^ moral
de ce Proverbe , eft qu'il faut s'accommoder à
rjiumgur de ceux avec qui on vit ^ ou s'en fi^',
farfiTm
6a V E L O G E
dî(lîtnulerai-)e ? mais pourquoi taire la vér!-
té ? Je crois pourtant que je ne ferois pas mal
de prendre un milieu. J'ai envie de faire def-
cendre toutes les Mufes du Mont Hélicon.
Pourquoi non ? Les Poëtes , pour de pures
bagatelles , les apellent bien à leur fecours ,
au lieu que mon fujet eft de la dernière im-
portance. Venez donc , pour un moment ,
Filles de Jupiter. Je veux raire voir que cette
La 5ij-Sageffe tant vantée, & qu'on nomme avec
geJlc emphafe le fort de la Félicité , n'eft adora-
tmprim^^^ que fous les aufpices de la Folie.
te fou» Î6 ibutiens d'abord , que^outes les convoi-
vtf/2//'tf-tifes, que toutes les baffions défordonnées
parence^^^^ du reflbrt de la Folie ; c'eft ce que per-
jg la fonnenedifpute. En effet, quelle eft ladiffé-
Folie, rence effentielle entre le Sage & le Foû?Ceft
que celui-ci n'a point d'autre régie que fa paf-
non , & que l'autre fe conduit en tout par les
lumières de Tame raifonnable. N'eft - ce pas
par cette raifon que les Stoïciens éloignent
de leur Sages tontes les agitations , tous les
troubles de l'efprit , comme autant de mala-
dies ? Cependant , s'il faut en croire les Péri-
patéticiens , les paflîons tiennent Keu de pi-,
lotes à ceux qui fe hâtent d'entrer dans le
port de la SagefTe: ce font pour les devoirs de
la vertu, comme autant d*éperons , oui exci-
tent à faire le bien. Il eft vrai que Senéque ^
DE LA FOLIE. 6$
ce Stoïcien opiniâtre , &te absolument au Sa-
ge toutes les'paffions. Qu'il a fait là un beau
chef-d'œuvre ! Ce n'eft donc pas un homme
que ce Sage ? Ceft un pur être de raifon , qui
ne peut jamais avoir éxifté , & qui n*éxiflera
jamais. Difons mieuxj: c'efi un fimulacre de
marbre , qui eft infenfible , 6c qui n'a rien
d'humain. Permis à Meffieurs les Stoïciens ,
de jouir de leur Sage , de l'aimer fans rival ,
& de demeurer au large avec lui dans la Vil-
le de Platon ; * ou s'ils l'aiment mieux , dans
la région des idées ; § ou enfin , dans les Jar-
dins de Tantale. ^Q^cHc efpéce d'homme ,
qu'un Stoïcien ! Q^^ °^ ^^ fuiroit comme un
monftre ! Qui n'en auroit horreur comme
d'un fpeôre ! Je veux vous le dépeindre au
* Dans la Ville de Platon. // avait tracé U
flan (Tune République ; maispnfonne ne vou^
ht en être* Lucien le raille agréablement lÀ"
dejfus : Platon, dit-il , demeure tout feul dans
fa Ville.
§ Dans la région des idées. Le même Pla-
ton admettait en Dieu lesfarmts humaines ^fé"
parées de la matière.
^ Dans les Jardins de Tantale. Proverbe
. des Grecs, pour/îpiifier ce quit^eft nullepart;
car ils regardoient comme une fable , ce que
Us Poètes ont dit du Tartan*
64 V É L O C E
naturel. «» Il eft fourd au l^igage des fensmul-
n le paffion , la pitîé ni l'amour ne font non
9».plus d'impreffion fur fon cœur , que s'il
» étoit de Diamant. Rien ne lui échape , il
» ne fe trompe jamais ; c'eft un Linx * pour
» la pénétration : il confldére tout avec la
9i<lerniére éxaâitude,il ne fait grâce fur rien,'
»> & n'eft content que de lui-même. Il tire
^> tout fon bonheur de fon propre fond ; il fe
ff croit fur la terre le feul riche , le feul fain ,
^ le feul Roi 3 le feul libre ; en un mot , il fe
V <:roittout5 & il eft feul aie croire. Pour des
9} amis , c'eft de quoi il fe foucîe le moins ;
M auffi n'en a-t'il auçun« Il ne fe fait pas le
» moindre fcrupule de plaifanter fur les
» Dieux I enfin il prétend que tout ce qui fe
n paiTe dans le monde efl pure folie, & il s'en
» tnocque.M Voilà le portrait de cet animal,
qu'on nous pr^ofe pour un modèle accom-
pli de fageffe. Dites*moi , je vous prie , fi la
chofe
* Lynx, pfpè^t de cerf tacheté , qui a la vue
fort perçante. Il y a dans le latin Lynceus ,'
qui ne fignifie point un linx ^ mais lincée , un
des Argonautes , dont la vue était fi perçante ,
qt^il voyoit au fond de la mer ; mais comme
le linx a pajfé che^ nous en proverbe ^ on a crû
Mvoir conferver Vidée du TraduSleufn
2> E l'A FOL 1 E; €f
tfiofe pouvoît être décidée par fuflrages ,
quelle Ville roudroit d'un tel Magiftrat ?
Quelle Armée fouhaiteroit un tel Général ?
Qui inviteroit ce Philofophe à fa table ? Je
fuis fur qu'il ne trouveroit pas même une
femme , ni un valet. On choifiroit plutôt par-
mi la plus folle populace, quelque foû d'une
autre efpéce qui fçauroît commander ou
obéir aux fous ; quelqu'un qui f(it du goût de
fes femblables ; c'eft-à-dire , de prefque tous
les hommes , oui fût doux & honnête envers
fa femme; agréable à fes amis , divertifTant à
table , complaifant pour ceux^vec qui il vit ;
quelqu'un enfin aui'diroït: je fuis homme ^ &
par conféquent oblige à tous les devoirs dt Phu^
manité. Laiffons-la ce Sage bourru , il me fa-
tigue, 6c )e n'en ai parlé qu'avec répugnance;
Je pafTe aux autres avantages de la vie;
Quand on réfléchit attentivement fur la
Genre -humain ; quand on le voit en fpécu-
lation comme: du haut d'uni» guérite^ a qtiOf
Jupiter,. félon les Poëtes, paiTe une partie
de fon loiûr , ) peut-on n'être pas^ touché du
snalheor des hommes i Bons Dieux ! qu'eil^
ce que leur vie } Ils naiffent dans l'ordure ; on'
sieles'éléve qu'avec bten de la-peine^'-^km»
l'enfance , ils ne tiennent à rien ; la jeunçiTe-
Ibur coûte des travaux innombrables ; la^
vîeilleiTe eft unefource d'infirmîtés ; fié pouç*
B
66 V E L O G E'
conclufion , il faut mourir. Repaflbns encore
une fois fur cette déplorable courfe. Que de
dîverfes maladies l Que d'accidens & d*in-*
commodités !: Pas un plaifir put y pasune doa«^
ceur , qui ne foit mêlée de chagrin ôc d'amer-
ftime. Qui voudroit faire l'éfiumération des^
maux que THomme caufe à l'homme ; la
pauvreté , la priibn , Tinfamie» la honte , les
tourmens y. les embûches >, la trafaifon « les.
outrages , les Procès , la fourberie , 6cc. De
yous dire par quel crime THomme a mérité
cette foule de difgraces, oaquel Dieu irrité
L'a contraint de naître dans cet abîme de mi-
Cires , c'eft ce qui nem'eft pas permis à pre«
£snt< Mais vous m'avouerez que ceux qui
auront examiné à fopd le malheur inexpri-
mable de la condition humaine , ne blâme-
ront pas. ^ les Miléûennes ^ quoique d'ail-«
leurs cet exemple fafTecompaffion»
Mais qui font les plus renommés de ceux
qui par un dégo^ de U vie :,.ont avancé leuc
mort ? N'étoi^ce pas des Sages , ou de&
tommes réputés tels } Pour ne rien dire de*
Diogène », ds Xénocrate,, des Catons » dea
*I*es MilèGennes furentfaificsiPunefunm
<2»i ItjgortQh Àjffairt mourir^.
DE L'A FOLIE. «7
Caffius, des Brutus , fouvetiez-yous de ce
Chiron , * qui préféra la mort à rimmortalité
qu'on lui of&oit. Jugez par là combien le
Genre humain dureroit , fi le commun des
hommes s*avifoit d'êire fage : on auroit bien-
tôt befoin de nouveau limon , & d'un autre ^* ... , .
Prométhée. § Mais Yy mets bon ordre ; c'eft ^^y^
moi qui entretiens les hommes dans l'igno- j^ ^. ^
rance ^ dans Tétourderîe , dans Toubli des ^^" »
maux paiTés , dans Tefpérance d'un meilleur^^^'î^
fort ; mêlant ma douceur avec celle de la vo- ^^'^Jf^"
lupté , j'adoucis ainfi la rieueur deleur defti'-^^^^'^
née. Non'-feulement prelque tous les hom- l^''
mes aiment a vivre , mais même ceux dojnt . "
les Parques coupent la trame , ceux que la vie ^^"^**
ouitte depuis un certain nombre d'années, ne
iont nullement preffés d'aller chez les^morts :
plus ils ont lieu de fe déplaire en ce monde ^
moins ils s'y ennuyent , bien loin de trouver
leurs jours trop longs. G'eft par un efFer
de ma >^onté, qu'on voit de toutes parts des
Vieillards décrépits plus amoureux que ja-^
mais de la vie: à peine bégayant, radotant y-
n'ayant plus de, dents , ni de cheveux , tous»
*Ch\ron, Précepteur d^Athillc.
% La fable dit | qu*il forma^ VHommv açw
é8 VELO G\E .
sidés , tout courbés, confervént«ils encore
feulement la figure humame ; malgré tout ce-*
la , ils veulent vivre* Ils foot plus , ces vieux
];adoteurs \ ils imitent la» jeunefle . autant;
qu'ils peuvent. L'un fait teindre fes cheveux
blancs , l'autre, cache fa tête pelée fous une-
perruque ; celui-là fs fert de dents artificiel-
les , qu'il a peut-être empruntées de quelquef
animal auquel il jefTemble ; celui-ci eu éper*
dûment amoureux d'une jèui^e fille , qui luii
fiait faire plus de folies que n*eneft capable '
un jeune homme. Il efl même à prefent ft:
commun de voir un homme tout plié , 6c qui:
ne peut plus regarder que la terre où il va*
defcendre ; de le voir , dis-je, prendre fans,
dot une jeune femme, qui ne fera qu'à Tufagc;
des autrjss, qu'on en fait prefquettn fujet de:
louang)î. Mâisvoici une peinture encorepius.
divertiiTante. Ce font Içs vieilles amoureufes, .
ces cadavres àpeine mouvans qui femblent .
revenus des £nters,& qui puent déjà comme ^
des charognes, le cœur leur en dit encore v
lafcives comme une chienne en chaleur,jelles-
ne refpirent que les plaifirsfales ,.& vous di-i
fent franchement,que (ans euxla vie n'eflpfus
rieir.€e^vieiWesGhévres courent donciejeu* .
ne bouc, ôc quand elles trouvent un Adonis ,.
elles payent libéralement fa répugnance jSci
&^.&tigtt^5. Cependant cèf carcauesfedoA^
\
^^tr . ^S.
■J>. J^rt^>/-*
ÎJfïVj^* *7Vw3%
/
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRAi^Y
-ASTOR, LSNOX'
I TIL'DEX>I f eu i ,■ Dâ iiON if
.^.^ s-
B E L A F O L I E. j^
krent tous les foins imaginables pour retenir
Tamant mercenaire dans le filet. Se plâtrer;
le vifage de fard ; confuher à tout momenr
le miroir ; montrer une gorge flétrie , ridée ,.
& toute propre à exciter le vomiflementr
tâcher, en chantant d'une voix tremblante ôt'
cafTée, de réveiller la convoitife ; boire fou-
Vent , danfer avec de jeunes filles ; écrire de^
billets doux ; voilà les moyens que ces lou-
ves emploient pour tenir leurs champions-
en haleine. Tout le monde crie après ces
vieilles folles , &. l'on a raifon-, mais elles-
»'en moquent ;.& plongées dans les délices,,
elles profitent du bonheurquejeleur procu--
re. Je fais une queftion à ceux qui plaiiantent
là-deffus. Ne vaut-il pas mieux êtrefoû , Se.
vivre dans la joïe , que d'être foûà fe défef^
pérer & às'allerpendre?Mais^dit-on« ily
a de la honte^à vivre comme vos vieux Ôcvos'
vieilles. Soit. Hé, qu'importe à mes fous?'
Us fontinfenflbles fur le déshonneur , ou s'ils^
le fentent,ils étojiflEent aifément les remords-
Mes bons & fidèles Sujets philofophent à^
leur manière ; ils difiinguent très* bien le maL
réeld'aveclemalimaginaireilJnepîerrevousv
tombe- fur la tête , voilà ce qui s'apelleuii»
mal ;niais la honte, l'infamie, le reproche ».
les malédiâions^, tout cela ne bleffe qu'au*-
taat^/oa veut» De» que vous, ne: vous, eiisr
7d £^ E Z Q G E
foucier point , cène font plus des maux. Le
public me fifle & moi je m aplaudts., en quoi,
donc Tuis-je malheureux ? Or , Il n'y a que
moi qui puiffe vous élever à ce haut degré de
perfeâion ; c'èft là comme ma dernière fa-
veur. Quoi donc l fe récriera le Sage , eft-il
rien de plus malhenreux que d'être atteint
de foUe r N*eft*ce pas vivre dans l'erreur &
dans rignorance i Point du tout: c'eftfimple*
ment être homme. Je ne conçois rien à vo^
tre entêtement; vous traitez mes fous de mi<»
férables , & vous êtes nés , élevés , înfiruits-
tout comme eux ; c'eft le fort commun de
votre efpéce.
Il y a ce me femble» bien du ridicule h
plaindre un être qui eft dans fon état naturel»
Déplorez- vous le malheur de l'homme , ei»
ce qu'il n'a point d'ailes pour voler comme les^
oifeaux ; en ce qu'il ne marche pas à quatre
pieds comme les quadrupèdes ; en ce qu'il,
n'eft pas armé de cornes comme les tau-
reaux i Par la même raifon ,. déplorez ici le
fort d'un beau cheval , de ce qtril n'a point
apris la Grammaire , & de ce qull ne mange
point de pâtiflerie : plaignez un taureau de-
ce qu'on ne le drefle point aamanége ». aur
exercices de l'Académie» Or>comme un che*<
val qui ne fçait ni A ni jR , n'en eft pas plu»
àpiaindipej^demême uafoÇ nefiauroit êtue»
DÉ L A: ¥ O LI E. j%
SKiathaireux , puifqtre îa falie eft naturelle &
l'Homme. Les fubtils raironneurs , mes an«
t3goniftes,mepaiiirent ici une nouvelle botte»
L'Homme,. dHent-ils , a feul entre tous le»
animfiux » le beau privilège de connoitre les
Sciences & tes Arts « & il s'en fert pour fu-
pléer par fon efptit àla nature. N'avîez-vous
que cette flécherlà dans votre carquois? Vous,
n'y penfez pas. La Nature donne aux mou*
cherons, aux herbes , aux fleurs tout ce qu'il
leur faut ;,aura-t'elle refufé quelque choie à.
f Homme de ce qu'il lui convient ? Elle veille:
\ la produâian de tous les êtres & elle fe fera
endormie pour l'Homme, qui eft fon plus bel
ouvrage ! Y a-t'il la moindre aparence à ce-
la? ces Scîences^ces Arts que vous faites fon-
ner fi haut , ne viennent nullement de la Na-
ture. Ce fut un certain Génie>*nommé Theu^
tus « grand ennemi du Genre-Humain , qui
tes inventa pour le malheur desHommes;car
bien loin que les fciences contribuent à cette
* VoicïcommtSocratt en parie dans Pla^
U>n. yy J^ai oui dire^près de NaucratU en E^'p-
ff te ^ qîiit y avoiteu un des anciens Dieux à
91 qui on a confacriVoifeau nommé Ibis^^ 6» que-
it ce démon ou ce Dieu s*àpelloit Theuth; que-:
1» ce fut lui qui nnvenPa Us Nombres , ta Géo'
tkmétruyl'AJlrQaQmic J.ejileux.de.ha:;^td:&
^T r Et acK
filicîté pour laquelle on prétend qu'elles oiiT
été découvertes , au contraire çUes y nuifent
extrêmement. Il avoit bien raifon , ce Roi'
qui dans Platon * blâme fi finement Tinven*
tion de l'Alphabet.
Incon-' Difons-le fans héfiter;lcfçavoir& rinduf*
yénuns trie fe font gliffés dans le monde , comme le*
duSça- autres peftes de la vie humaine ; ils ont été-
voiu inventés par ces mêmes Efpritsqui ont in*
troduit tous les maux , je veux dire , par lés
Démons » qui ont même tiré leur nom de
leurs connoiflances.gOn neconnoifibitpoinr
tout
I *m
f> l'Alphabet. Thamus régnou alors fur toute
» r Egypte , . 6» dans une puijfante Ville que»
» les Grecs apellent la Thébes £ Egypte*
» Theuth étant venu trouver ce Monarque , lut
» montra fes inventions ,,6« dit qtûilfalloit les
v> communiquer aux Egyptiens, ( Lyfter )1
K * Aumêmù endroit qu* on vient de citer. Le
Koi demanda à Theuth dé quelle utilité feroient.
ces Lettres Alphabétiques F pour foulagerla
mémoire^ répondit^ il.i. le Prince répliqua que-
ce ferait tout le contraire ^parce quelles hom-
mes s'apuyaat fur lefecours de ces.caraâéres y,
mettroient tout fur le papier f.& ne retiendroienV
rien,.
§ Les Grecs apellôient lès Sçavans^Uémons^
diuavieux mot quijîgnifie j'aprens , ou]^S<i^u-
DE LA FOLIE. 73
tout cela dans l*âge d'or ; les hommes d'alors»
fans méthode, fans régies, fans înftruâions ,
vivoient heureux fous la conduite de la Na-
ture , & par Ton feul inflind. En effet , de
quel ufage la Grammaire eût-elle été en ce
* tems-là r II n'y avoir qu'un feul langage , &
on ne parloir que pour fe faire entendre. Il
n'étoit pas befoiri de Logique , puifqu'ayant
tous la même façon de raifonner , la contra-
riété des opinions ne produifoit point de dis-
putes. De quoi auroit fervi la Rhétorique y
puifqu'il n'y avoir ni procès , ni plaidoyers ?
Un Légiflateur eût été alors fort inutile ; car
n'y ayant point démauvaifes mœurs,lesLoîx
n'étoient pas néceffaires. * Au refte , ces heu-
reux mortels avoient § trop de Religion ,
Îour fouiller par une curiofîte impie, dans les
fcrets de la Nature , pour mefurer les diftan-
ces &les mouvemens des aftres ; enfin pour
rechercher les effets & les caufes cachées des
Qhofes. Ils croyoient qu'il n'eft pas permis à
* Ce font Us mauvaifes mœurs qui ont don*
né lieu aux bonnes Loix , comme les maladies
à la Médecine.
. g Ils avoient trop <le Religion , &c. Socra^\
te s en alftenoit^ difant que ce qui eft au-
deflus de nous • ne nous regarde point*
G
74 V E LOG E
un être auffi firaigiie i{ae l*kofnine , de vos-
loir pailer les bornes de fa portée. Quant à
Fenvie de fçaTcîr ce qui eft au-delà do Gel »
cette extravagance ne leur entroit pas même
dans refprit.
Tel étoit le Siècle d'or. Les hommes per-
dant peu à peu cette heoreufe innocence , les
Génies, comme j'ai dit, inventèrent les Arts,
inais en petit f\pmbre, & encore furent-ils
reçus de peu de gens. Dans la fuite * les
Chaldéens^par leur fupeTiHtion»& lesGrecs,
par leur oiûve légèreté , en trouvèrent mille
autres, tous admirables po or tourmenter l'ePi
prit ; la Grammaire feule étant plus que fuffi-
Sinte» pour faire pafler toute la vie dans la
torture. De tous ces Arts , les plus eftîmés
lont ceux qui aprochent le plus du fens com-
mun, c'e{l-à-dire> félon moi, de la folie.
Mais quel fruit en tire-t'on ? Les Théolo-
mens crient famine , les Phyûciens fe mor-
fondent, on fe moque des AArolognes , on
mèprife les Dialeôiciens : il n'y a que le Mé-
decin qui fafle autant lui feul, que tous les
* Les Chaldéens. Ils inventèrent TAfirolo^
f^&lA Magie : Eraffle les traite de fuperfti^
ticiix^ parce qu'ils attribuoieni la Divinité
aux Etoiles.
DELA FOLIE. 75
autres enfemblet D'ailleurs cette profeffion
a un grand avantage , c'efi que plus celui
qui 1-éxerce eft ignorant , hardi , téméraire ^
plus il ed eflimé des Grands. J'ajoute que la
Médecine , principalement de la manière
qu'elle fe pratique aujourd'hui , n'eft qu'une
portion de la Flatterie, qui lui eft afluré*
ment commun avec la Rhétorique.
Après les Médecins, marchent immédia-
tement les Légiftes 6c les Jurifconfultes. Je
ne fçai même , fi ces fupôts de Thémis ne de-
vroient pas avoir le pas fur les Enfans d'Ef-
culape : entr'eux le débat. Ce qu'il y a de
vrai, c'eft que les Philofophes preîque unani-
mement le moquent des Doâeurs en Droit »
dont la profemon^ félon eux, n'exclut pas
la plus crafle ignorance.Ânes tant qu'on von^
dra, c'eft ppurtant par ces interprètes des
Loix que font réglées toutes les affaires : ces
Meffieurs s'enrichiflent à leur métier, pen*
dant que le pauvre Théologien eft réduit à
fon maigre ordinaire , & à laire une guerre
continuelle à la mifére qui l'aftiége.
De tant ce que vous venez d'entendre , je
conclus que les Arts les plus utiles font ceu*
tjui ont le plus de raport avec la Folie : d'où
il fuit que les hommes les plus heureux font
ceux , qui n'ayant nul commerce avec les
Sciences & les Livres, prennent lafeule Na-
Ga
f6 V E L O G E
ture pour guide. Car elle n*^ défeâueufeeif
rien , & on ne peut s'égarer en fuivant fes
impreiTions , à moins qu on ne veuille fran-»"
chir les bornes de la condition humaine. Là
Nature hait Tartifice , & ce qu'elle produit
d'elle-même, ed toujours ce qui yient le
plus heureufement.
Dévelopons cette vérité. Parmi tant de
différentes efpéces d'animaux, ceux qui vi-
vent le plus agréablement > font à coup (ûr
ceux qui ne font fujets à aucune forte de dif-
cipline , & qui n'ont que la Nature pour maî-
treffe. Quoi de plus heureux 6c de plus ad-
mirable que les abeilles ! ces infeâes , qui
n'ont pas même tous les fens de l'homme ^
bâtifTent mieux que les plus habiles Architec-
tes.LeurRépublique eft fi bien entendue,que
jamais aucun Philofophe n'en a établi de
pareille. Opofonsle cheval aux abeilles; cet
animal qui femble avoir quelque chofe du
fentiment humain , que gagne-t'il à paffer fa
vie avec l'homme ? C'eft d'avoir bonne part
aux calamités & aux difgraces de fon maître*
Souvent ce fidèle domeuique , plutôt que de
reculer dans une bataille , bat des flancs , fe
met hors d'haleine^fic lorfqu'il marque le plus
de courage , comme s'il étoit fenfible à l'am-
bition de vaincre, il reçoit un coup mortel ^
qui renverfe le cavalier & le cheval , âcleui
DE LA FOLIE. fj
ïaît mordre la pouffiére. Je ne diralrîen des
rudes mors , des éperons aigus , des fouets ^
des gaules , du licol, de l'écurie qui lut fert de
prifon , du poids de Thomme qu'il eft obligé
cle porter ; enfin de tous les maux de la fer-
TÎtude 9 à laquelle, à Téxemple de plufieurs _
Princes , le cheval s'eft livré volontairement
par un trop grand defir de vengeance contre
le cerf fon ennemi. La vie des mouches 6c~
des oifeaux eft beaucoup plus digne d'envie.
La Nature qui les a fait libres , a foin dé les
nourrir , & ils n ont rien à craindre qjie les
embûches des hommes. Lorfqueles oifeaux
en cage s*accoutument à parler, combien ne
Îerdent-ils pas de leurs agrémens naturels ?
'ant il eft vrai qu'à tous égards les produc-
tions de rOuvriére commune font bien fu-
périeures à celles de l'art 6c de l'invention.
Sur ce pied-là ,)e ne puis trop louer Py tha- '
gore transfoi:mé en coq. Par la vertu de la
Métempfy cofe » il avoit paffé par toute forte
de conditions : Philofopl^, Homme de guer-
re 9 Femme , Roi , particulier , poiffon , che-
val, grenouille, )e crois même qu'il avoit
été éponge. * Après toutes ces tranfmigra-
* Parce que des Philofophes ont cru que /*««•
ponge était une forte de poijfon. Pline y en^
tr'uiures^ le croit tris*férieufement.
G 3
7« V E L O G E
tions , il déclara que Thomme étoit \& plus
malheureux des animaux : tous les autres s'en,
tiennent à la Nature ; Thonime feul veut al-
ler plus loin. Le même Pythagore faifoit in-
comparablement plus de cas des ^ens fans
efprit & des ignorans , que des Sçavans jSc
des Grands du monde* ôrillus, un des Com-
pagnons d'Ulyfle» penfoit à peu près de
même : changé en cochon par Circé , il aima
mieux grogner en repos & à fon a>fe dans une
étable, que de courir avec fon Héros de nou<*
veaux hazards. Homère , Tinventeur du
commerce prétendu des Dieux de la Fable ^
paroît être dans le mênie principe : il^apelle
généralement tous les hommes miférabUs ; .
n dit que la. mort les environne de tous cô-
tés ; il n*en excepte pas même Ulyffe fon
Héros , ôc le £ivori de Minerve , dont il fait
un modèle de prudence. Ce Poëte lui donne
fouvent répithéte d'infortuné ; mais il ne
parle pas de même de Paris , d*A)ax , ni d'A-
chille , qui étoientades fous ; au contraire ,
parce qu'UlyfTe étoit fin & ingénieux , qu'il
avoit l'oreille de Pallas , & qu il préféroit en
toute occafion le confeil de cette Déeiïe à
l'impulfion de la Nature , Homère déplore
fon malheur.
J'en reviens donc toujours à ma thèferceux
qui s'apliquent à l'étude de laSageffe, font
DELA FOLIE. 79
frès-éloignés de la félicité : doublement fous,
«n ce qu*ils oublient leur coQdition naturelle»
en ce qu'ils voudroient vivre comme les
Dieux, & qu'à l'exemple *desGéans, ils font
k guerre a la Nature , avec les machines des
Arts. De là je tire cette conféquence : Donc
les hommes vraiment heureux, font ceux qui
aprochent le plus des bêtes , & qui n"entre-
prennent rienau-deflus de l'homme «Voyons
fi on pourroit apuyer cela , non par des rai-
Ibnnemens à la Stoïcienne, mais fans y cher«
cher tant de façons. Eft-il en effet d'hommes
plus heureux que ces gens qu'on apelle ordi-
nairement fous, infenfés, faquins & bélîtres ?
Que ces noms-là font beaux , félon moi ! It
vais fur cela vous dire^une chofe : vous la
prendrez d'abord pour une extravagance &
pour une abfurdité l qu'importe r Je ne
la dirai pas moins y parce qu'elle èft très-
vraïe.
Ces hommes qui paflent pour être dépour- ^0/2-
vus de fens , ne craignent point la mort ; & heurat"
cette crainte en vérité n'eft pas un petit mal. taché à
De plus , ils font éxemts des cruels remords la Fo^^
__._, .^ ^^^*
* Géans* Cicéron explique la Fable dts
Gians qui firent la guerre aux Dieux , des
efforts qu^on fait contre la Nature*
G 4
«ô V E LO G E
de la confdence : les Fables des Mânes & des
Ombres ne les épouvantent point ; ils n*ont
nulle peur des fantômes , des loups-garous ,
des Lutins , des Efprits ; point d'inquiétude
fur les malheurs dont ils peuvent être mena-
cés ; point d'impatience fur l'attente des
biens a venir: enfin pour renfermer tout en
peu de mots , ils ne font point rongés de
mille foins aufquels la vie kumaine eft fu<-
îette ; la honte , la crainte , l'ambition , l'en-
vie» l'amitié, rien de tout cela n'a d'accès
chez eux ; & ils ont le bonheur de ne diffé-
r<|: des bétes que par la figure : ils ont enco*
ré l'avantage d'être impeccables, demandez-
le aux Théologiens. Cela fupofé, rentrez en
vous-même , infenfé partifan de la Sagefle ;
pefez , examinez attentivement combien de
peines d'efprit vous tourmentent le jour &
la nuit ; remettez-vous devant les yeux ,
comme en perfpeâive, tous les défagrémens
de votre vie , & jugez par-là du bonheur
que je procure aux fous. Non -feulement
leurs plaifirs font continuels, puisqu'ils rient,
jouent & chantent toujours : mais même ils
portent la joïe par-tout oii ils vont : il femble
que les Dieux ont la bonté de les donner aux
nommes, pour adoucir les chagrins de la vie
humaine. Remarquez encore une diftinûion
^ui fait honneur à mes Sujets* Les hommes
D E LA F 6 L I E: 8i
Ibnt différemment dîfpofés d'inclination les
uns pour les autres : mais pour les fous,
prefque tous les hommes fe font un plaifir
de les avoir, comme s'ils apartenoient né-
ceflairemeiit à la Société ; on les fouhaite
avec paffion^ on les careife, on les entre-
tient , on les nourrit, on les fecourt dans les
«ccidens ; enfin oh ne permet qu'à eux de
tout dire & de tout faire. Non-feqlement
Eerfonne ne cherche à leur nuire , mais les
êtes mêmes, comme par un fentiment na*
turel de leur innocence , * répriment devant
eux leur férocité naturelle. La Religion de-
mande cela : les fous étant confacrés aux
Dieux , & principalement à moi> il eft ]ufle
de les refpeâer.
MesSeâateurs ont encore d^autres préroga-
tives , &)'aurois grand tort de les fuprimer»
Les plus grands Princes ne font-ils pas leurs
délices de ces gens-là? Les Rois n'ont pas de
plus agréables momens, que ceux qu'ils paf*-
lent avec les fous. Quelle différence ne met-
tent-ils pas entre leurs Bouffons & ces Sages
fades & bourrus, qu'ils entretiennent pour
* On voit tous les Jours que les chiens ipar*
gnent les en fans & les fous ^ comme s* ils rejr
peHoient en eux lajimplicité de la Nature.
9i r E LO G E
fe faire honneur ? La raifon de cette différen-
ce faute aux yeux. Les Phî4ofophes ne difent
ordinairement rien que de trifte ; & fe con-
fiant en leur fçavoir , ils prennent même
quelquefois la liberté de dire des vérités qui
ne plaifent pas. Il en eft tout autrement des
fous : ils donnent ce que les Princes fouhai-
tent le plus ; de bons mots , des railleries ,
des traits fatiriques, & des faillies à faire
éclater de rire. Remarquez en chemin fai-*
fknt » le beau privilège des bouffons : txxt,
fêuls font en droit de parler fmcérementfans
offenfer. Quoi déplus eftîmable que la vé-
rité 1 On l'attribue communément au vin &
\ Ten^ince ; on fe trompe : c'eft à moi , oui à
moi , qu'apàrtient par une prérogative par-
ticulière , la gloire de la fincérité. Chez celui
qui a l'honneur d'être foû , Tefprit , le cœur,
le vifage , la bouche , tout eft d*accord. Les
Sages au contraire ^ ont deux langues: l'une
{>our dire ce qu'ils penfent , l'autre pour par-
er félon le tems & les eens. Ils ont le talent
de changer le noir en blanc, & Je blanc en
noir ; ils foufflentle chaud &ie froid ; leurs
- ' .. • ' ' ■*
* Deux langues. Ce/? nnt penjec d'Euripide ;
C^tfCtt/i, dit-il, a deux langues ; l'une pour dire
la vérité. Vautre pour s'accommoder awtems.
D E L A F O L I E. 8>
paroles font de faufles fie infidèles images
de leurs idées & de leurs fentimens.
Je ne puis n^'empêcher ici de plaindre les
Princes ; qu'ils font malheureux dans le feia
de la fortune ! inacceffibles à la Vérité ^ ils
n'ont que des flatteurs pour amis. On me
dira qu'ils ne doivent s'en prendre qu'à
eux-mêmes* Pourquoi l'Amour -propre
leur fert - il de retranchement , contre la
fincérité de ceux qui leur parlent ^ N'eft^ce
pas par cette raifon qu'ils ne peuvent fouf-
frir la compagnie des Philolophes ? Les
Rois craignent que parmi ces Sages , il ne
s'en trouve quelqu'un qui vife plus à les
corriger qu'à les divertir. Je conviens que
ies Princes ne peuvent fbufFrir qu'on leur
dife leurs vérités ; mais c'eft auffi ce qui fait
le plus d'honneur aux fous ; car ris ne diffi-*
mulent point les défauts & les vices des
Rois. Que dis-ie^ ils s'échapent fouvent
jufqa'à les infulter , & même jufqu'à leur
dire des injures , fans que ces Maîtres du
Blonde s'en fâchent ^ ou s*en ofFenfent. Des
paroles qui feroient pendre Monfieur le
Fhilofophe , s'il les proféroit ; fortent-elles
de la bouche d'un foû ? le Prince en rit de
tout fon coeur. Naturellement la vérité fait
plaifir, auand elle ne bleffe point : or, il
a'y a qu aux fous, que les Dieux ont doa-
84 V E L O G E
né le privilège exclufif de moralifer & de
reprendre fans choquer. Ceft à peu près
par les mêmes raifons , que les femmes fe
plaifent tant avec les bouffons « ce fexe
étant plus enclin au plaifir & au badinage.
D'ailleurs quelque liberté que les femmes
fe permettent avec ces eens-là (& quel-
quefois elle va loin ) elle ne leur paroît
Qu'une badinerie & un pafle-tems : car la
femelle de l'animal raifonnâble ou plutôt raî-
fonnant , eft ingénieufe à pallier fes fottifes*
Pour revenir donc au bcmheur des fous, ils
paflent leur vie avec beaucoup d'agrémens ;
après quoi, fans craindre ni fentir la mort^ ils
vont tout droit dans les Champs Elifées , où
leurs âmes pieufes, mais défœuvrées, recom-
mencent de plus belle à fe divertir. Compar-
iez à prefent la deflinée de quelque Sage que
ce foit avec le fort d'un fou. Pour mettre le
contrafte dans tout fon jour, figurez-vous un
Sage du premier ordre,un vrai modèle de fa-
geUe, quelle vie méne-t'il fur la terre ? At-
taché depuis fon enfance àrétude^commetin
forçat Tefl à la chaîne , il confume fes plus
agréables années dans les veilles & dans les
efforts du travail. £fl-il hors de cet efc lavage?
il n'en efl pas plus heureux : toujours forcé de
vivre d'épargne, pauvre, trifte, bourru, dur à
loi-même » &iDfuportable aux autres ^ p aie
DE LA FOLIE. 8ç
maigre, îofirme,chaflieux,uré avant le temsj
& prefque enterré avant que d*être mort ;
qu'il meure jeune ou vieuk , que lui impor«
te ? Qu'apelle-t'on vivre ? Vivre , n'elt-ce
pas jouir de toutes les douceurs de la vie i
Or , on peut dire que cet homme n'a jamais
vécu. Que vous femble de ce beau portrait
de Sage?
Ces Grenouilles^Stoiciennes n^manque*
ront pas de revenir à la charge. Mais quoi !
diront-ils 9 une infigne Folie aprochebien de
lafureur même.Carqu'eft-ce que c'eft que d'ê-
tre furieux ?N*eft-ce pas avoir Tefprit égaré?
Lesfottes genSyquecesPhilofophesiils ne fçar
vent le plus fouvent ce qu'ils difent* Allons;
je veux encore ruiner cette batterie-là. Je
paiTo à ces Stoïciens leur fubtilité ; mais s'ils
veulent qu'on les croye de bon fens, ils doi-
' vent diûinguer deux fortes de Folies , à peu
près comme on diûinguoit autrefois deuxVé*
nus 5c deux Cupidons. Toute fureur ne rend
pas malheureux.Si cela étoit,Horacen'auroit
pas nommé une fureur aimable , cette verve
qui emporte les Poëtes« & qui leur découvre
* On apelloit les Sophiftes Grenouilles d'É^
gypte j à cai^t dt leur babil imfonm%
88 V E L G E
fait ? vous prétendez m'avoir guéri ? Abus ;
abus ; vous m'avez tué. Plus de plaifir pour
moi : on m'a tiré par force d'une erreur qui
faifoit toute ma félicité. Ce' convalefcent
avoit ratfon ; & ceux qui , par l'art des Mé-
decins , lui rétablirent le cerveau , aroient
plus befoin d'ellébore que lui.
Après tout , |e n'ai point encore décidé fi
on doit nommer Jo/i^ tous les égaremens des
fens & de l'efprit. Si quelqu'un, pour n'a voir
pas bonne vue , prend un mulet pour un âne;
li , faute de difcernement, il admire de mé<»
chans vers » on^it auHî-tôt : il eft foû. Si un
homme eft afTezfingulîer^ours'imaginertoih»
joursr,lorfqu'un âne brait , entendre une fym*
. phonie agréable , ou pour fe croire,dans rin-
digence , auffi riche que Créfus , ohne man*
que pas de le traiter de foû. Mairfi cette folie
«il joyeufe , comme elle Teft ordinairement,
elle divertit, & ceux qui l'ont, & ceux qui la
voyent.Aurefte,ce genre d'extravagance eft
. beaucoup plus étendu qu'on nlTtroit. L'expé<<
'rience fait voir aufti que toujours un foû fe
inocquede rautre,& que tousdeux fe divertif?»
fcnt réciproquement : fouvent même é*eft Iç
plus foû qui rit de meilleur cœur du moinsfoû«
Quoiqu'il en foit , voici ma décifiôn. Plus un
homme peut réunir de diôérentes folies,plus
il eft heureux ; pourvu néanmoins qu'il ne
forte
1 mpE .î^£'^"' .''^*^^- i
[ PIÎBLIC UBRA; .
I
U% - J^ûrtUf dei-
^. I^. Jkrtéf^Tf ^^ulp.
,V E L^A F O L I E. 89
forte pas du genre d'extravagance cjuî nous
eft particulier ; genre fi vafte oc général, que
je cloute qu'on puiffe trouver dans toute l'ef*
péce humaine un . individu , qui foit fage à
toutes les hieurés , & qui n'ait pas foh
grain de folie.
On n'héfite pas à traiter de foûun homme
quîypar ledéréglement derimagination^prend
une citrouille pour une femme- Pourquoi ?
Parce que cettemaladie de cerveau eft très-
rare. Mais qu'un fot époux adore fafemnîe ;
quoiqu'elle lui plante fur le front une forêt
ae cornes,qu'il lacroye auffi chafle quePéne-
lope , & qu'il fe félicite en lui-même, ou au'fl
beniiFe fon deftin d'avoir trouvé uneLucréce,
on ne s'a vi fera point de le taxer de folie.Pour*
Suoi ? C'eft qu il n'y a rien de plus ordifiatre.
1 faut mettre dans la même clafle ceux qui ^
méprifenttout^hors lachaiTé, ôcqui ne con- r* /•
çoivent pas de plus grand plaifir , que celui' >^t
d'entendre l'affreux fon du cor ^ ou les cris " V/^
des chiens. Quand les fumets des bêtes fauves^/»""*^ ^*
frapent l'odorat du chaffeur, je me figuief ^'^!.'^'*
qu'il croit femir les plus doux parfums. S'a-^^'^''^*
git-il de mettre fa proye en pièces I Quelle
volupté l Aflbminer , égorger, démembrer
des bœufs & des moutons , c'eft le métier de
la canaille; pour la vénaifon c'eft autre chofe:
il xv'eft permis qu'aux riches d'en être les bo^
H
^ r^ E L O G E
chers. Aufli la diffeâion s'en fait-elle avec cé*^
rémonie. Le Maître de la chaiTe eft nuë tête ,;
& à genoux ; il prend le coutelas confacré à.
ce facrifice, car ce ferottofFenfer Diane,que
d'en employer un autre : armé de ce glaive ,.
il coupe relîgieufement les membres de l'ani-*
mal i le tout par ordre , ôc en faifant certains
geftes* Pendant cette pompeufe opération ^
toute la troupe environne le Prêtre de la
Déeflf^ : tous gardent un profond (ilence, &
paroiflent aum étonnés de ce fpeâacle qu'il»
ont vu mille fois , que fi c'étoit une nouveau-*
té pour eux. Celui qui a le bonheur déman-
ger fa part de la chafle , ne s'en tient pas
peu honoré, & regarde cette diftinâioQ.
comme un nouveau titr€ de NoblefTe. Enfin «
quoique les chalTeurs qui ufent leurs jour^
à pourfuivre & à maneer des bêtes fauvages,'.
ne tirent point d'autreiruit de ce pénible & far
tiguant exercice, que de devenir eux-aiême$
iauvages ^ ils s'imaginent qu'ils .vivent en:
Rois.
Une autre efpéce de gens qui reflemblent
bien à ceux que je viens de dépeindre, ce font
les£4i;f//^«rx«Unefois poffédés de cette aâive
paŒon , ils ne font jamais^ contens : leur
occupation continuelle eft de faire & dé-*
feire, de conftrùire & d'abattre ; de changer,,,
commedit Horace ,, le. quàrré en rond ,, le
t~'.Ji^r^n iJvt'
jj:. /*» ^tw/k/ tA' ,
ASTOR, LlÇNOX
TILDEW JPOUNDvMtONS
\ i
i PUBLIC LîBR A ï^vî .
pAf j3i ■
DELAFÔllE. 91
rond en quarré , jufqu'à ce qu'enfin îl ne leur
refte plus ni maifon , ni pain.Que leur refte-
t'il donc ? Le fouvenir d'avoir pafle agréa-
blement un nombre d'années.
Venons aux Souffleurs. Ce font de hardis
fous ^ ceux-là ; la tête toujours pleine denou- .
veaux & de miflérieux projets, ils ne vifent
pas moins qu'à confondre & qu'à changer
toi2telaNature;ils cherchent parterre ôf par
mer une quintefTence , qui n'éxifte que dans
leur imagination toute chimérique.Ne croyez
pourtant pas que les mauvais fuccès les rebu-
tent : ennyvfes d'une folle, mais douce efpé-
rance , ils ne regrettent jamais ni la dépenfe,
ni le travail ; ingénieux à s'en impofer , à fe
duper eux-mêmes par leur entêtement : quel-
le eft ordinairement leur fin ? Après avoir ré-
duit tout leur bien en cendres , ils n'ont pas
même de quoi bâtir un petit fotkrneau. Ces
adorateurs dufeu,cependant,ces coureurs de
fumée , ne s'en repaiflent pas moins deleprs
vains projets : plutôt mourir que d'ouvrir les
yeux ; & fi on vouloit les en croire , il n'y
auroit que des chimiftes dans le monde.Lorl-
qu'iU font enfin contraints de renoncer aur
oécouvertes, ils ont une grande confolation,
c'eft de pouvoir dire qu^l eft au moins bieii'
glorieux d'avoir formé un deffein fi noble:
mais en même-temi ih s'eaprennent iia Na<^
H %-
9* VELO as
tare, d*avoir donné à Thomme une vie trop
courte pour un ouvrage de cette importance*
Quant aux Joueurs de profefuon, j*ai
quelque fcrupule de les ifaire entrer dans
monFmpire Jls font û paffionnés pour le jeu»
<(u'au feul bruit des dés le cœur leur faute de
)oye. Lorfque, par la trompeufe efpérance
de regagner » ils ont perdu tout , &<iue leur
vaifTeau s'efi brifé contre Técueil au jeu »
écueii aufli dangereux que Malée/trop heu-
reux d'être échapés tout nuds du naufrage ;
s'ils ont envie de duper quelqu'un , ils ne s'a*
drefTer ont jamais à celui qui les a dépouillés ;
§ de peur de pafler pour malhonnêtes gens»
Que dirons-nous de ces Vieillards, qui,pief-
oue aveugles par le grand âge , ne lailTent pas
ce jouer avec des lunettes , ou lorfqu'ils ont
la goutte aux mainSyChoiûfTent un fécond qui
* Que Malée. Promontoire fort dangereux
de la Laconie-^ Province du Péloponeje, Ofr
difoit en proverbe : Quand tu naviges devant
Malée , oublie ta maifon^
§ Madame Dtshouliéres a eu à peu pris Ul
rn^mc penfée fur le jeu ,. ou félon elle ,
On commence par être dupe^
.Oa£nlt par être fripon»
pf ,
PQBLIC LIBRARY
ASTO^, LENO.\
DE L'A FOLIE. JJf
lette les dés pour leur compte ? Ne font<-ce
pas là desfons de bon aloi i Ils ont certaine-
snent du plaifir à jouer ,.& par cet endroit ils
m'apartiennent. Mais d'un autre c6té , le jeu
tourne fi fouvent en rage & en fureur,que je
ne feroîs pas mal de ies renvoyer aux Fu-
ries.
Voici d^autres gens qui^fans contredit font
encore de ma dépendance* Ce font les Men-
teurs,les/^^/^«r^,& généralement tous ceux
qui fe plaifent à dire ou à entendre des Êauffe-
tés. Le croiroit-on,aue le goût du faux donne
un plaifir , dont les oages ne font pas dignes»
Les Prodigues, les Fantômes, les Lutins, le&
Efprits , ou les Revenans , & tant d'autres
viuons femblables font ce qui fournit le plus^
aux conveffation^ du vulgaire» Quiconque
avance quelque chofeau-deflus des caufes
fécondes & des Loisç immuables du mouve-
ment , fait ouvrir agréablement les oreilles
de fes auditeurs ignorans. Ne traitez point
cela, s'il vous plaît de fimple amuiement :
la matière eft devenue très-férieufe , grâces
aux pieux Charlatans qui abufent de la cré^
dulité des hommes.
Il en eu à peu près de même d^un autregen-^
rede fuperûitieux. Dès^ que ceux-ci cm eu le.
bonheur devoir ou une uatue de bois , ou 1»
peinture gigantefque de. S.Cbrifiophe|ie Fa^
$4 V E L OGE
Ivphême des Chrétiens , ils fe tiennent f&rs
ee ne point jpérir ce jour* là. Qu'un mate*
lot ait fait fa prière devant la figure de
SainteBarbe,il n'a plus de dangers à craindre.
Il y a même des Saints qu'on invoque pour
obtenir des richefies, teleftS. Erafme. Us
donnent à S.Georges les attributs d'Hercule
& d'Hyppolite en méme-tems. On -les voit
dévotement parer jufqu'à fon cheval , & i!
ne leur manque que de lui rendre le même
culte qu'au faint Cavalier , dont ils achètent
la proteâton par des offrandes & des voeu^.
IIs]urent encore par fon carque,& c'eftpour
eux un ferment inviolable.
Mais dans quelle claffe mettrons - nous
ceux qui fe croyent quittes envers Dieu ,
3uand ils font munis de Pardons 6c dln-
ulgences ? gens qui par ces faufles rémif-
ftons , mefurent géométriquement , comme
avec la Clepfydre * ou le fable^ & fans crain- "
* Horloge d'eau. // y en avoit de plufieurs
^péces; mais toutes avoient cela de commun »
que l'eau tomboit infenfihlement par un petit
trou d*un vaijfeau dans un autre , dans lequel
eh s*élevant peu^à^peu , elle élevoit un mor-^
ceau de liège qui marquait les heures par des'
Ug^s tracées de dijlançe €n difiance^
D E \L A POLIE. 9f)
dre la moindre erreur de calcul « les fiécles»,
les années ^ les mois , lés femaines , les jours
& les heures duPurgatoire?Une autre elpécer
d'extravagans,ce font ceuitqui s'apuyant fur
certaines marques extérieures de dévotion ^
fur quelques courtes prières , qu'un pieux
impofteur a inventées pour fon plailir ou-
par intérêt,comptent fur une félicité accom*
plie: richefles, honneurs , volupté, bonne
ohére , fanté jamais interrompue, verte & vi-
goureufe vieilleffe^longues années^pas un de
ces biens ne leur peut manquer. De plus , ils
s'attendent à avoir les premières places dan&
lé Ciel , à condition pourtant qu'ils n'iront,
chez les Bienheureux , que le plus tard qu'il
leur fera poffible , c'eft-à-dire , lorfque les
douceurs d'ici-bas , auxquelles ils font forte-»
ment attachés, les quitteront à leur grand je*~
fret ; c'eft alors qu'ils confentiront à jouir
es délices inconcevables duParadis.Les Mi?-
niftres même du Sanâuaire , les plus perfua*
dés & les plus zélés , n'en veulent qu'à ce
prix*là ; le Paradis eft leur pis aller.
Avec ces Pardons & ces indulgences , un-
Négociant, un Soldat, ou un Juge, n-a
qu'à jetter une petite pièce d'argent dans le:
baffin^, il fe croit net ôc auffi<»bien rebian-
chi , que lorfqu'il fortit du Baptême. Tant de
Barj.ures,d'impur€té$,d'y.vrogncries,deq^e*-
96 V E LO G É
relies , de meurtres , d'impoftures , de perfi-^
dies & de trahifons , tout cela , félon eux ,
£e rackette par un peu de monnoye , & fe
rachette fi bien , qu'on fe croît en droit de
recommencer fur nouveaux frais*
Maiseft-il des hommes *plus fous , ou?
pour mieux dire, plus heureux que ces Dé-
vots, qui s'imaginent qu'en recitant chaque
jour certains verfets desPfeaumes, ils entre-
ront immanquablement dans leRoyaumedes
Cieux ? C'eft pourtant un Diable, dit-on ,
2ui a fait cette riche découverte , mais ua
)iablefot , & qui avoit plus de vanité que de
fineffe , car il eut l'imprudence de vanter fo»
fecret magique à S. Bernard, qui en fçavoit
plus^
>*"■'■
* Eft-il des hommes , &c. Le Diable , dit
une Légende apocryphe, rencontrant un jour $.
Bernard , fe vanta de fçavoirfept verfets de^
Pfeaumes]^ qui avoient une telle vertu , qu'en
hs récitant tous les jours , on étoitfûf de fort
falut, V homme de Dieu fut curieux de connoi"
tre ces verfets ;mais le Diable s'obftina aie lui
cacher. Je Rattraperai hien^ dh le Saint, car
je reciterai tous les jours le Pfeautier , & par
eonfèquent tes fept verfets. Sur cela ^ le Diable
craignant d'avoir donm*Heu à une fi belle di^^
, rption , aima mieux révéler fon fecret^
DELA F-0 LIE. ^
plus long que lui JNe font-ce pas là de grandes
folies, puîfque moi-même j'en ai prefque
honte i Cependant, ce n'eft pas feulement le
vulgaire qui aprouve ces extravagances y ce
font même des Profefleurs de la Religion ,
des Maîtres en IfraëL
Difons quelque chofe auf& des abus qui fe
font introduits dans Tinvocation des Saints.
Chaque Pays n*a- t*il pas fon Patron, fon
Saint titulaire ? Chez un même Peuple , on
dlilribue à ces Grands de la Cour célefte^
les diverfes fonûions du ProttSlorat. L'un
J guérit du mal de dents; l'autre foulage les
emmes enceintes dans les douleurs de l'ac-
couchement ; celui-là fait retrouver ce qu'on
a perdu ; celui-ci veille à la confervation &
à la fureté des troupeaux ; l'un fauve du
naufrage ; l'autre procure la viôoire dans
les combats. Je fuprime le reft^ .; car je ne
finirois point.
Il en eft , dont le crédit & le pouvoir s'é-
tendent généralement furtout.Telle eft prin-
cipalement la Mère de Dieu , à laqueHe le
vulgaire ignorant attribue,en quelque façon,
plps de puiflknce qu'à fon Fils même.
Mais ce que les hommes demandent aux
Saints , n'eft - il pas auffi de mon reflbrt ?
Car enfin, dites- moi, je vous prie, parmi
tous ces pieux monumens de reconnoiflan*
I
98 V E LOGE
ce , dont les murailles & les voûtes des
Temples font toutes couvertes, en avez-
vous jamais vu quelqu'un qu'on ait fufpendtt
comme. une marque, ou un figne d'avoir
été mira culeufement guéri de la Folie ? C*eft
fur quoi on n'importune pas les Saints , & ,
quelque dévotion qu'on ait pour eux^ on
n'en devient pas tant foit peu plus fage.
Ces offrandes , ces vœux qui pendent aux
Autels , font pour toutes fortes de fujets ^
excepté pour la Folie. L'un près de périr ,
s'eftl^eureufementfauvéà la nage; l'autre
après avoir reçu un coup d'épée au travers
du corps , en eft rechapé \ un autre rend
traces de ce que dans le fort d'un combat,
lloxiojll^Sn étoit le plus aux prifes avec l'en-
nemi ^vil s'eft enfui avec autant de bonheur .
Que de bravoure; celui-ci condamné pour
iîes bonnes oeuvres à être pendu 6c étran-
glé , tombe de la potence par ïa faveur de
quelque Saint propice aux gens de fon mé-
tier , & recommence de plus belle à foulager
charitablement ceux qui ont la bourfe un
λçu trop pefante : celui-là en forçant fa pn-
on a recouvré fa liberté : cet autre eft bièft
guén de fa fièvre, au grand chagrin deMtin-
iieur le Doâear , qui comptoxt fur une cur^e
plus longue 6c plus lucrative ; un amrô-^
au lieu, de trouver la mort dans un poifo»
DE LA FOLIE. pj
qu'on lui a donné , y a trouvé un remède ;
fa femme , qui vouloit fe défaire de lui , &
qui fe félicitoit déjà de fon veuvage ^ eft au
dêfefpoir d'avoir manqué fon coup ; un as-
tre encore dont le char a verfé , en a été
quitte pour la peur , & a ramené fes che- '
vaux fains & faufs ; celui-là qui a été acca-
blé fous les ruines d'un bâtiment , n*en eft
point mort ; celui-ci , pris fur le fait par le
mari de fa maîtreffe , s'eft heureufement tiré
d'un fi mauvais pas.
En voilà , comme vous voyez , de toutes
les façons ; mais nulle offrande , nulle ac-
tion de graces,pour être délivré delà Folie :
elle a tant de charmes pour les hommes ,
que de tous les maux , c'eft le feul qui leur
paroifle un bien. Mais à quoi bon m'embar-
gùer fur cet Océan de fuperftitions ? Quand
J*aurois,fuivant les expreffioris de Virgile ,
cent languesjcent bouches, une voix de fer ;
je ne pourrois jamais dénombrer toutes les
efpéces difFérentes,ni parcourir tous les noms
de la Folie. Je renfermerai tout dans cette
feule idée : c'eft que dans toute l'étendue dti
Chrîftianifme, * on trouve abondamment de
pareilles extravagances, reçues & fomen-
^ Il efi de foipur&faïnt ; maïs la folie a
1%
82y359
lOD L'ELOGE
tées par ceux mêmes qui devroîent en arrS«
ter le cours , s'ils n'avoient intérêt à les laifr
fer établir^
Si quelque odieux Moralifie^s'érigeant es
Apôtre^venoit faire ici cette exhortation pa-
thétique;» Joignez à votre dévotion pour
» tel ou tel Saint , une vie chrétienne , vous
33. ne ferez point une fin malheureufe. Outre
a» la petite pièce de monnoye que vous don-
» nez pour les Pardons &les Indulgences,'
M haïflez le mal, pleurez, veillez; priez,
» jeûnez ; enfin changez de conduite , &
» pratiquez l'Evangile; alors vous rachèterez
M infailliblement vos péchés. Vous avez con-
» âance en tel Saint r Suivez fes exemples ,
>3 vivez comme il a vécu; 6c par- là vous
»i mériterez fa proteâion. « Ce fage Pr/-
cheur auroit raiion dans le fond , entre nous
foit dit : mais d'un autre côté ne tireroit-il
pas les hommes d'un état heureux, pour les
tellement défiguré ce culte , qu'il ny a prefi.
que rien de f acre où il ne fe Joi^ glijje quel^
que fuperftition* Ces abus font en fi grand
nombre , qu*on pourroit en faire un Livre
plus gros que l'Hiftoire de Tite^Live ; & ils
font fi ridicules^ qu'il vaut mieux nen points
parler, {^hyiker*)
Ù E LA F t i E. tôt
ploiiger dans la peine & dans le chagrin ?
Il eft une autre claffe de Fous , qu'on
peut aflbrtir avec la précédenter Je parle de
ces riches orgueilleux , qui fe voyant à la
fin de leur carrière , ordonnent de grands
préparatifs , pour faire magnifiquement le
Voyage de Tautre monde. Il ett plaifant de
les voir , entre lesi)ras de la mort, s'apliquer
férieufement à régler leur pompe funèbre ;
ils marquent , article par article , combien
il y aura à leurs funérailles de flambeaux y
de gens en deuil^de Chantres, de Pleureurs à
gages 5 & enfin tout lliumiliant apareil de
leur.faftueufe mortalité. *Ne feront -ils pas
bien glorieux , d'aller en terre avec un fu^
perbe convoi ? Ils s'en font du moins un plai-
fir d'avance 5 comme s'ils nV^ent pas bien
perfuadis que la mort leur ôtera toute con-
noiflance & tout fentiment , & qu'il y eût du
* Le Comte du Lude étant à Fextrémité^
après, avoir réglé la dépenfe de fon Convoi
dans le plus grand détail , fit tirer d'une ar^^
moire une grande pièce de toile d'Hollande
toute neuve , & ordonna quelle fut employée
À Venféveiir r car ces coquins-là , di/bit-il , en
parlant de fes Valets-de-chambre , auroient
bien l'air de me laiiTer enterrer à cru.
I3
102 r E L G E
deshonneur pour eux , fi leur cadavre étok
inhumé fans ce luxe inutile & ridicule. On
dîroit qu'ils regardent la mort comme une
Charge d'Edile 5 Magiftrature de Tancienne
Rome , qui donnoit infpeâion, fur les feftins
&fur les divertiffemens du Peuple.
Quoique dans un fujet fi fécond, je foie
obligée de gtiffer légèrement fur chaque ob-
jet , je ne puis pafler fous filence rentête-
ment ou la manie de cette frivole préroga-
^^/^•^tiveapellée NobUJfe. On voit des hommes
'de la ^"' » ^^^^ ""® ^^^ ^^ boue , avec les in-
jy^^^^ rclinations de la plus yile canaille, vous étour-
ij^ ^ diffent continuellement de leurstitres.Faut-tt
^ * prouver l'ancienneté de fa race ? L'un fe fait
defcendre du pieux Enée, l'autre remonte
jufqu'aux premiers Confuls de Rome, &
celui-ci*)ulqu*auRoi Artus. Us vous étalent
les portraits & les figures de leursancêtres :
ils font toujours fur leurs ayeux , fur les
lignes difeâes & collatérales de leur arbre
généalogique ; ils vous citent à tout mo-
ment les noms & les furnoms ufés de leurs
pères, oubliés depuis plufieurs fiécles. Exa«
minez bien celui- là avec fes titres enfumés »
rongés, déchirés ; il eft lui-même comme
une véritable idole , & ne vaut guéres mieux
que ces figures qu'il vous montre toutes
effacées par le tems. Ce fat cependant ne
DE LA FOLIE. 103
laifle pas d'ayoîr une haute idée de faper-
fonne ; 5c toujours plein de fa naiflance , il
fe repaît de cette chimère , & il vit content.
Ce qui contribue auflTi à lui faire aimer fon
Êintôme, c'eft qu'il troure des gensauffi fots
que luij qui refpeâentce genre de brutes »
ces Nobles ignobles & fans mérite » comme
s'ils étoient au*deflus des hommes , eux qui
font fouvent au-deffous.
Mais,puifque je fuis tombée infênftblement
fur le chapitre de Y Amour-propre , pourquoi
meborneràune ou deux efpéces oe Fous ?
Que de reffource.dans TAmour-propre pour
le bonheur de la plupart des hommes ! Jettez
les yeux fur ce vifage ; il n'y a point de
finge , fi laid , fi difforme , & pourtant il fe
croit un Adonis. Celui-là eft*il parvenu à tra-
cer affez jufte deux ou trois U|;nes avec le
compas ? Il s'aplaudit 6c fe croît au - deiTus
d*£uclide. Celui-ci chante un peu plus mal
que le coq le plus enroué , & n'en efl pas
moins charmé de fa voix. Voici encore un
genre de folie bien réjouiflant : un homme
a nombre de gens à lui, qui ont chacun quel-
que talent : il s'imagine les réunir feul ; il
s'en forme un tout en idée, 6c fe l'aproprie
comme un bien réel qui lui apartient. Tel
eft chez Séneque , ce riche doublement
heureux, qui voulant compter une hiftoire »
I4
104 V E L Q E
avoît toujours auprès de loi des efclaves
Î>our foulager fa mémoire , & lui fuggérer
es noms-propres. Cet homme qui d'ailteurs
étoit fifoible, qu'il ne falloit qu^m ibuffle
pour le renverfer, * n'en étoit pas moins tou-
jours prêt à fe battre à coups de poing»
comptant fur la vigueur de fes efclavesycom-
me n c'eût été fa propre force.
Il eft inutile de parler ici de ceux qui font
profeflion des Arts: on peut les nommer les
mignons de Philautït , ma chère compagne,:
ou les Favoris de VAfitour-vropre, Ces gens-
là idolâtrent leur petit mérite^ &ils céde«
roient plutôt tout leur patrimoine, qui d'or-
dinaire eft aufli léger , que de rabattre en fa-
veur de qui que ce foit , de la bonne opi-
nion qu'ils ont d'eux-mêmes.Les Comédiens,
les Aluficiens , les Orateurs & les Poètes,
voilà ceux qui font les mieux partagés d'A-
mour-propre. Plus Us ibnt médiocres , plus
* Cétoit un riche fiyit. Il avait fi peu de
mémoire , qu'il oubliait les noms les plus cort"
nus, comme ceux d*ffeSlor& d'Achille: Sur
ce qu'il croyait, bormemèrtt jouir de tous les
talens de fes efclaveSy on lui conjeilloît de
fe battre auj/i avec leurs forces , car pour luk
il ri en avait points '
r
1:'
li
'V
. *.i
DE LA FOLIE. lOf
as s'imaginent exceller , & leur vanité
ne tarît jamais fur leur compte. N'allez pas
croire pour cela qu*ils manquent d'aproba-
teurs: car point de fottife , queîquegroffiére
qu'elle foit , qui n'en trouve, Ceft dire trop
peu : phs une chofe eft opofée au bon fens »
plus elle rencontre d'admirateurs. Deman-
dez-vous pourquoi î Je vous l'ai déjà dit ;
prefque tous les hommes font fous. L'igno-
de partie du Genre-Humain. On ieroit bien
fimple^^de vouloir s'élever au- deffus da
vulgaire, par un fçavoîr folidej car outre
qu'il en coûte beaucoup y ce fçavoir fait que
tout le monde vous fuit , & que vous foy^
tout le monde ; enfin , vous ne trouvez pref-
que perfonne capable d'entrer dans votre
goât & dans vos fentimens.
Je fais une autre réftéxion fur /'^A»o»;»f/;^ VA-^
pf€. Chaque homme en ^ reçu fa dofe en naif- mouf"
fant , comme un préfent de la Nature : mais propre j
cette mère commune ne s'en eft oas tenuelà , enfant^
elle a fait la même combinaifon à l'égard des de la
fociétés ; enforte qu'il n'y a point de Nation, jp^^/i^i}
Ai même de Ville , qui n'ait fon goût parti-
culier , ou fa portion ^Amour-propn. Les
^nglois ie piquent de beauté ,. de Muûque»
to6 V E LO G E
& de bonne chère. Les Eeoffoîs vantent lenr
NobleOe^fic principalement Iqrfqu'eUe prend
fa fource dans le fang de leurs Rois : ils fe pi»
quent auf& beaucoup d'être fubtils Dialecti-
ciens. Les François s'attribuent la politefle ;
les Parifiens vantent leur Théologie; les
Italiens leur Littérature & leur Eloquence ;
enfin, chaque Nation fe félicite foi -même
d'être la feule qui ne foit point barbare. Oit
peut dire que les Romains l'emportent en**
coredansce dernier genre defélicité. Rome
moderne conferve toujours comme d'agréa-
bles fonges les frivoles prétentions de l'an-
denne.LesVénitiens^enflés de leurNoblefle»
fontfort contens d'eux-mêmes; les Grecs s'a-
plaudîffent d'avoir inventé les Sciences , &
d'être la poftérité de ces fameux Héros , qui
curent autrefois tant d'éclat, les Turcs, fie
• tout ces amas de Peuples barbares, qui ont
fnbi le joug de rAlcoran,pri^tendent pofféder
ienls la vraye Religion , 8c fe mocquent des
fuperftîtions des Chrétiens. Les Juifs vivent
encore bien plus agréablement dans l'attente
du Meflle>euxqQi, fans fe rebuter d'un fi long
délai , comptent (ûrement , & fans vouloir
en démordre, fur raccompliffement des pro-
-meffes de Moyfe.LesEfpagnokfeplaifentà
prôner leurs prouefles fie leurs exploits. Les
Allemandsfe font honneurde leur taille gl-
DELA F O LIE. 107
gantefque » & de leur Science magique.
Demeurons-en là , je ne finirois point.
Vous voyez à prefent , fi je ne me trompe >
combien VAmour^propre caufe par-tout de
plaifir , tant dans le général , que dans le
particulier. A côté dePàilautie, marche tou-
jours fa fœur, UFlatur'u ou la baffe corn-
plaifance. Car à auoi connoit - on TAmour'*
propre , fi ce n*eâ quand quelqu'un fe fiatte ,
le carefle ou fe cajole lui-même ? Or, quand
on cajole les autres , cela s'apelle Flatterie*
La Flatterie a le malheur d'être aujourd'hui
un peu décriée; mais par qui? Par des gens
qui dans le fond s*Ottenfent plus du nom
que de la chofe. On s'imagitie que la corn-
plaifance ne peut pas s'accommoder avec la
. bonne^foi : grand abus l Les bétes mêmes
nous font voir le contraire. Nul .animal «fi
careflant que le chien ; en eft*il aucun d'auffi
fidèle ? L'écureuil aprivoifé ne demande qu^à
Jouer: en eft-il moins ami de l'homme? Si
la Batterie éxcluoiit la probité , il faudroit
conchire de là 9 que les lions féroces , que
les tigres cruels , que les léopards furieux ,
auroient le plus de raport avec l'efpéce
.humaine. Je n'ignore pas au'il eft une flat-
terie criminelle , Scc'eft celle qu*employent
les fourbes , pour duper les iots. Mais ce
n'eft pas^là ma chère Flatterie : aux Dieux sle
W8 V E L G E
!»laîfe , que je Tadopte i La mienne part d'iit^
bnd de douceur ^ de bonté, de droiture
d'ame ; & elle aproche autant de la vertu ,
qu'une humeur rude , fauvaee , brufque ,im[-
polie» en eft éfoignée. Ma Flatterie redonne
du cœur à ceux qui font découragés ; elle
éga^e les méiancolîaues , aiguillonne les pa-
refleuxy réveille les uupides, foulage les ma^-
lades, apaife les furieux » fait naître Ta*
mour,&l entretient. Ma Flatterie fait goûter
aux enfans le travail de Tétude , elle réjouit
les vieillards , & fous Timage delà louange»
elle infiroit les Princes , fans les ofFenier. *
Enfin, ma Flatterie fait que tous les hommes
font épris plus ou moins d'eux-mêmes , elle
en hàx prefau'autant de Narcifles ;. & c'eft
en oooi coRlme principalement le bonheur
de ut vie.
Sepcut-irrfen demeHleur é^xempre & de plu»
attendriflant , que de voir deux oons & hon-
nêtes mulets s entregratter obligeamment i
* Erafme lui-même ahhnfçûfaîrc ufage
de cette Ftaturie inpru&îve , dans fin Pané^
gyrique aw Duc de Bourgogne , ou Von voit
que le but de l'Orateur itoit plus de donner
l^idée d*un bon Prince , /[ue de feindre Phhr
^pc au natuHk
î
DELj4 FOLIE. 10^
De ce fervlce mutuel dépendent l'Eloquen-
ce en partie , la Médecine un peu davanta-
;e, & la Poëfieplus que ces deux enfemble*
e dis plus : cette Flatterie réciproque fait
la douceur 5c toutraflaironnement du com-
merce humain. On a beau dire , que c'eft ua
grand malheur d'être trompé ; je foutiens
qne de n'être pas trompé , c'eft au contraire
le plus grand des malheurs^ Il y a une ex<»
travagance outrée à mettre le bonheur de
l*homme dans les chofes mêmes ; il ne dé-
pend que de l'opinion. Tout eft il obfcur
dans la vie , tout eft fi variable & fi opofé ^
qu'on ne peut s'aflurer d'aucune vérité. Ç'é-
toit le premier principe de mes Académi-
ciens, tes moins préfomptneux de tous les
Phîjofophes. S'il y a des chofes bien con-
nues y éc dont on ne doit pas douter , com-
bien trod^^lent- elles la douceur & le re-
pos^ de la vie î Enfin les hommes aiment
qu'on les trompe; toujours prêts à quitter
le vrai , pour courir après le faux. En vour
lez-vous une expérience fenfible & incon-
teftable ? Allez dans les Temples & affiftez
aux Sermons* Si l'Orateur traite férieufement
fa matière, on dort, onbaille^ on toufie^on
fe mouche, on s'ennuye : ù au contraire la
clameur ( je me trompe , j'ai voulu dire la dé-
signation ) eft égayée par quelque conte d^
114 V E L O G E
ry bienfait; on voudrolî mime ne Tavoir pas
r / " f^Ç"' ^^ ®" ®^ ^^^^ *" contraîre du bien que
j ^^ je fais aux mortels* Je les enyvre , je leur
plus ^jg même la raifon ; mais mon y vreffe eft
^''v- bien différente de celle de Bacchus : la mien-
fantt^^^ caufe la joïe, les délices, le bonheur ;
la plus ^}^^ dure toute la vie, ocelle ne coûte m
5 n- ^''8^"^* ■*' remords.
dts Di-^ Lç5 hommes m*ont encore une obtigation
finîtes, q^j m'eft particulière, c'eft qu*il n*y en a pas
un qui ne fe fente plus ou moins de ma libé-
falité. Les deu;c autres partagent inégale-
aient leurs faveurs entre les hommes. Il n^
croit point par-tout de ce vin agréable 6c
fort, qui remplit Tame la plus mélancolique
^ de plaifir ^ de courage & d'efpérance. Vénus
accorde rarement le don de la beauté ; Mer-
cure fait encore moins d^éloquens, de Hercu-
le de riches \ Jupiter met peu de gens fur le
trône ; Mars re^fe fouvent fon fecours aux:
deux partis qui Tapellent de leur côté ; Apol«
Ion fait des réponfes affligeantes à quantité
de ceux qui confultent fes Oracles ; Jupiter
lance fouvent fa foudre ; Phébus envoyé
quelcniefois la pefte ; Neptune fait périr
plus d'hommes qu'il n'e» fauve^ Quant à ces
noires Divinités qui ne fontd^aucunfecours^
comme Pluto», les mauvais Génies , la Fié-
.vre qui a eu des Temples à Rome , fic^ar
DE LA FOLIE. rry
f eils ob)et$ d'un faw culte » qui font plutôt
des bourreaux que des Dieux , ils ne méri-
tent pas qu'on en parle. Il eil donc vrai que
les autres Dieux ne font pas bons à tout le
monde ; mais pour la Folie , pour moi , dis-
|e, qui fuis l'unique de mon rang, mon in^
clination à obliger , ^ mon humeur bien-
faifante, embralient généralement tous les
faommes» Mon déilntéreffement d'ailleurs
«ft égal à ma générofité ; je ne demande ni
vœux y ni ofE^ndes : ^ene fuis point Déeffe
à me fâcher y ni à ordonner des viôimes
d'expiation , dès. qu'on a omis quelque cé-
f émonie de mon culte : je ne bouleverfe
point le Ciel & la Terre pour me vanger de
Seique Dévot , qui ayant invité toute la
mt Divine , m'a laiffé morfondre che£
moi» fans daigner m'apeller à fon facrîfice ,
pour prendre ma part 4e l'odeur & de la
liimée des viâimes. Il faut donc que \% le
^ifeen paffant , & la honte de la condition
immortelle : les Dieux font fi bizarres & fi
l>ourrus , qu'il vaudroit prefque mieux les
laii&T là j que de leur rendre un cuite : ce
feroitaumoinsle plus {îa. On devroit en
agir avec eux ,. comme avec ces Hommes-
intraitables y & qui querellent fur tout^::
point de comnierce avec eux y leur aoiitié^
soàtetrop chec*-
ti6 V E LO G E
Maîs,difent les ennemis de mon nom Jl
perfonne îufqu'à prefent ne s'eft ayifé de
rendre à la Folie les honneurs divins : on ne
lui confacre point de Teoœles , on ne 1a^
nourrit point de la vapeur aes vîâimes. A
vous parler franchement » & je crois vous^
Favoir déjà dit , tant d'ingratitude m'éton*
ne. Après tout , je ne m*en foucie giiéres ;
& fuivant ma complaifance naturelle , je
prens la ohofe du bon c6té. Il y auroit mé*
me delà fagefleàmoi, &je ferais indigne
d*étrè la Folie, fi j'ambitionnois les hon«
neurs divins. Quoi , Ton m'of&ira fur un
autel un grain d'encens ,. des eâteaux falés ,
un bouc ,.un cochon , ÔC ces bêtes innocen-
tes feront égorgées pour me réjouir l'odo-
rat ! Abus que tout cela. J'ai un culte , moi ^.
suffi étendu que le monde» & tons les hom*
mes me le rendent. U n'y a pas jufqu-aux
Théologiens qui ne Paprouvent & ne Tau*
torifent» Je n'ai pas la cruelle & barbare
ambition de Diane ,. qui veut des viâimes^
humaines :. je me crois révérée & fervie-
trës-religieufement , quand je vois que de
tous côtes on me porte dans le cœur même ,
en m'exprime par les mœurs , on me re-r
prefente par la conduite.
A propos de culte, celui que les Ghré*^
tiens tendent aux Saints, conufle rarement
D E L'A f O Ll E. tî5f
S le» imiter. Onvoitbieniinefoulede gen»
attacher des cierges- aux pieds de la Vierge
mère de Dieu, &cela; en plein midi ;-mais
pour ceux qui fuiTent fes exemple» de chaf^
tet é , de modeftie , & de zèle pour les chofes-
du Ciel» il n*y en a prefque point. Ce feroit
Eourtant-là le vrai culte dû aux heureux ha«^
itans du: féjour célefte,. & celui qui leur
plairoit davantage*^
Après tout , qu'ai^je à faire d*un Tem*
pie particulier ? J'en ai un fi vafle & fi beauV
qui eft toute la tefrre. Je ne manque de Prê-
tres & de Miniftres> que dans les lieux où
ii n'y a point d'hommes. Car ne me croyez
pas affez extravagante , pour me foncier de*
natues & de tableaux : ces figures fonr
d'une conféqnence bien dangereufe pour
notre culte. Il arrive fouvent que ces Dé-
vots de chair & de fang ^. prennent la
fiatue- pour le Saint ;r & alots nous nous
trouvons honteufement dans le cas d'un.
homme qui fe. voit fupltnté par fon vice^
Sérent. Tous les mortels font mes fiatues,.
L Us me reprefentent au naturel ^ quand
ils ne voudraient pas. Je confehs donc
très^^olontiers que les autres Dieux ayent
leurs Temples- en> diiFéreiB goîas de 1»
Terre-, & qu'ils foient célébrés cercainsr
JQpur^. de Tannée»^ Qu'x)n adore Phébu;»' »
Il» r E L OG E
Rhodes y Vénus en Ooy^re , Junén à Ar^os^
Minerve à Athènes, Jupiter fiir le Mont
Olympe , Neptune à Tarente , Priape à
Lampûiqae ; mon fort divin fera toujours
plus glorieux que le leur , tant que là Terre
fera mon Temple , & tous les hommes mes
viâxmes»
Il femble qu'en cela î'asvance mipudem^
ment un menfonge ; vous allez voir que
non» RéfiéchilTons un peu fur la vie hu-
maine ; ôc fi je ne viens point à bout de
/prouver que je fuis la Divinité à qui les
hommes ont le plus d'obligation , £c cel-
le auffi qu'ils eftiment le plus depuis le
fceptre jufqu^ la houlette^ )e veux bien
renoncer à mes droits. Je ne m'engage
pas néanmoins à parcourir toutes les con-
ditions , la carrière ferolt trop longue >:
îe me contenterai d'indiquer les principar
les , d'où ii fera facile de juger du refte.
Pour commencer par le Peuple ^ vous ne
doutez pas qu'il ne foit tout à moi : car vous
Y voyez d'un coup d'oeil tant de genres dif-
lérens de folie y 6^ il en invente encore tous
les purs tant de nouvelles , que mille Hé-^
mocftites ne pourroient fuffire à tant de ris
dont ilfburnit la matière V encore ces intré^
pides rieurs aufoient-ils befoia à leur tour
dTua autre Démocritepourfefnoqjaer d'éux^
DE LA FOLIE, itj
On ne fçâur oit exprimer cotnbien ces pe^
tits hommes* là divertiffeRt les Dieuxv
Pour bien entendre ce que je veux dire ^
il eft ban oue voas fçachiez une chofe»
Les Dieux tant fobres jusqu'au dîner ; ils
employent ce tems-là à délibéiser en fe
Suerellant , ou à écouter les vœux des
lortels. Au fortir de tablé, comme le
fieâar , dont ils ont bû largement , leur
jenvoye des fumées au cerveau » ib ne peuK
vent s'apliquer aux af&ires» Que croyez-*»
vous qu'ils taflent pour fe remettre la tête f
Ils fe raffemblent tons au plus haut du Ciel t
c'eft de là , qu'aflis fort à leur aife , ôc re-
gardant en bas , ib examinent les difFéren»
tes aâions des hommes, ôcibn'om point
de fpeâacle plus réjouiiTant. Grands Dieux,
quelle agréable Comédie pour vous , que
tous ces tnouvemens aucune poignée de-
fous fe donnent fur la Terre ! Car )e me
trouve auflî quelquefois au sang des Di*»
vinités Poétiques.
L'un aime éperdâment une femmelette ;:
.& moins il eft aimé , plus l'amour le tour*
snente & le rend farîemc. L'autre épouf^ la;
dot, & non pas la fille. Celui«-là profHtue-
ion époufe. Cleliii-ci pofTédé du Démon de
la)aloufie, n'a point affez d'yeux pour re<»
garder lafiennew Quelles fottifes ne dit:*oiK
f w T E L OG £
yoint & ne fait-oir point dans le deuH , jnf?
qu'à payer des pleureurs à gages , qui (ont
comme les Aâêurs de la iarce ! Beaucoup
de joïe dans le cœur , & de douleur fur le
▼ifage ; c'eft comme les Grecs difoient en
proverbe , pUurtrfur le tombeau de fa hellf
mère. L'un , ramaffant de tous c6té^ de quoi
fatisfaire fa gourmandife , donne tout à fûn
ventre, au rifque de mourir de faim après-
s'être contenté : l'autre met (on bonheur à
dormir & à ne rien faire. Il 7 en a quiv
toujours- siSàh pour les affaire» d'autrui ,
négligent les leurs. On en voit oui emprun»
tent pour s'acquiter , & qui le trouvent
abîmes de dettes , lorsqu'ils fe croyent ri^
ches. Cet avare qui vit pauvrement , ne
conçoit pas un plus grand bonheur que d'en-
richir fon héritier. Cetafiamé de biens courr
les mers pour un profit léger &fort incer*-
tain , abandonnant aux vagues & aux vents
une vie qu'il ne peut racheter de tout Tor dn*
monde jGe Guerrier» qui pourroit jouir chez
lui d'un fur & agréaJble loifir , aime mieux
chercher fortune à travers les dangers & les
horreurs de la guerre.On fe flatte d*unegrof-^
fe fuce(£on ,. (Ton peut s -emparer de l'efprk
de ce Vieillard qui va mourir fans héritiers y
•u fiona l'adrefle de gagner les bonnes gra^
•es^decetteriche Vieille : mais que les Dieinc*
lieatf
DE LA FOLIE. lit
rient de bon coeur , quand ces pêcheurs d'arr
gent font pris dans leurs propres filets.
Les plus fous 5 les plus méprifables Ac-
teurs du Théâtre de la vie humaine , font
les Marchands. Rien de plus bas que leur
profefTton , & ils l'exercent plus bafTement'
encore : ils font ordinairement menteurs ,
parjures, voleurs , trompeurs, impofteurs ,
& malgré tout cela fort confidires , à cau-
fe du cofFre-fort. Ceft principalement à
ces mauvais riches , que les Moines , &
fur-tout les Portes-befaces , font fi dévote-
ment la cour : ils les abordent avec un ref^
peâ doucereux , & leur prodiguent les bé-
nédiâions , pour attraper une petite por-
tion d'un bien mal acquis. Vous voyez^dans
un autre endroit les feaateurs dePythagore,
qui tenant avec ce Philofophe que tous les
biens font communs, regardent comme un '
cafuel légitime , tout ce qu'ils peuvent dé-
rober. Il y en a qui ne font riches que d'ef-
pérances : ils font d'agréables fonges , ré vent
- * Erafme parle icifuivani la prévention de
■fon tems qui ne fubjîfie plus» LaprofeJJîon de
Marchand eft èftimée aujourd'hui par- tout ; la
honttde ceux qui la déshonorent f ne retombe
foint fur elle.
111 V E L O G E
de fortune , & cela leur fuffit pour vivre heth'
reux. Qeelques-uns veulent pafler pour fort
opulens 9 quoiau*ils n'ayent pas même le aé-
ceiTaire. L un le hâte de fe ruiner « l'autre
amafTe à toute main. Cet ambitieux s'agite
pour entrer dans les Charges ; & cet indo-.
lent n'aime que le coin du feu. Les Plaideurs
s'irritent par la longueur des pourfuites ; 6c
les Parties femSlent difputer aTenvi, à qui
enrichira le mieux un Juge oui ne viîe qu'à
prolonger \q% Procès i & un Avocat prévari-
cateur. Le brouillon & le féditieux courent
après les nouveautés ; l'inquiet médite de
grandes entreprifes. Tel va àjérufalem^ à
Rome , à Sa'mt Jacques y où il n'a que faire ,
pendant que fa femme & fesenfansauroient
grand befoin de fa prefence*
Enfin, it vous pouviez découvrir du Moa«
de de la lune , les agitations infinies des hom^
mes , vous verriez une grofle nuée de mou»
ches & de moucherons qui fé querellent , fe
battent , fe tendent des pièges , s'entrepil-
lent , jouent , folâtrent , s élèvent, tombent
& meurent. Vous ne pourriez jamais vous
imaginer les moavemens , le vacarme , le
tintamarre que l'homme, ce petit animal, qui
par raport à une durée infinie , n'a qu'une
minute à vivre, exdte fur la fur&ce de
votre Globe. Encore n'eft-elïe pas aiTurée^
D E L A FO LIE. iijf
C6tt€ minute : combien la maladie, la guerre,'
& une infinité d'autres accidens en avan-
cent^iis la fin ? Mais je ferois extravagante
au dernier point , & )e mériterois bien de
faire rire détnocrite à gorge déployée , fi
i'entreprenois d'achever le détail des folies
populaires. Pafibns à ceux qui gardent chez
tes hommes l'aparence de la fagefle , & qui
courent après le rameau d'or , comme ilsLaPo'^
l'apellent avec emphafe. lie fous
Les premiersqui fe preféntent ,font les vé- le maf»
nérables Doâeurs en. Grammaire» on les Pé« que de
dans ; gens nés dans la difgrace du fort » & /^ Sa^
dans la colère des Dieux ; gens dont on ntgeffe.
pourroit afiez déplorer le malheureux deftki, '
fi moi^qui ai pitié d'eux,)e n'adouciflbis leurs
peines par un certain genre de fWie. Ges Pé-*
dâgogues font comme livrés aux Furiesrtou-
jours affamésytoujours fales dans leurs Eca«
les, ou plutôt dans leurs galères, lieux de
faplice & d'exécution ; au milieu d'une trou-
pe d'en^ns» ils vieilliiTent dans le travail , ils
deviennent fourds à force de crier , la puan*
teur & la malpropreté les rendent étiques.
Ne les plaignez- vous pas ? Gardez- vous- en
* Mélanchion a fait à cefujet unpmt Ouvra-t,
gé intitulé: De Miferiis Psdagogorum*
ti4 V ELOGE
bien : )'ai remédié à leur mal , & par mon
moyen , les Pédans fe croient les premiers
hommes du monde. Ils goûtent un fi grand ^
plaifir à faire tremblerleurs timides Sujets ,
par un air menaçant , par une voix tonnante l
Armés de férules & de verges^ ils n*ont qu'à
décider fur le châtiment ; ils font à la fois ~
Parties , Juges & Bourreaux ; ils relTemblent
à l'Ane de la Fable qui fe crojoit toute la
valeur du Lyon , parce qu'il en avoit la peau.
Ils font gloire de leur craiTe: leur faleté eft
une efpéce de parfum pour eux, &fe regar-
dant comme des Rois', dans le plus malheu-
reux de tous les efclayages,ils ne y oudroient
Eas changer leur defpotifm^ contre celui des
)enis &L des Phalaris. * Ce qui les rend
'• Phalaris étoit tyran (TA^igente , Ville de
Sicile : Il pajfoit pour être extrêmement crueL
Cependant nous avons de lui deux portraits
hièn differens. La Tradition du taureau £ airain
eft peut' être ce qu'il y a de plus fort contre lui :
mais rej/hi qu'il en fit fur Pinventeuf même^
marque au moins quelque équité de fa part.
Denys étoit tyran de Siracufe. Ses Sujets
rayant chajfé paries cruautés , il alla à Co*
rittthe, où ilfefit Maître d^ Ecole ^ pour con*
ferver quelque image de domination. Il fût aujfi
mauvais Pédant qu'il avoit été méchant Roi»
DE LA FOLIE. Uf
principalement heureux , c'eft la haute idée
qu'ils ont de leur érudition : ils ne fément
que des impertinences, que des fottifes dans
refprit des enfans ; & cependant ils font
tellement prévenus de leur habileté , qu*li<
méprifent même ceux de leur Ordre qui
ont eu 1^ plus de réputation. Ils pafient
auffi chez les crédules parens de leurs dif-
ciples , pour des hommes d'une fcience pro-
fonde ; ce qui n'eft pas un petit ayâdtage.
Ils jouiffent encore d'une autre forte de plai-
fir : quelqu'un d'eux a-t'ii trouvé dans un
vieux manufcrit tout rongé de vers, quel-
que mot inconnu ? A-t'il déterré quelque
vieux débris , auelque fragment de pierre ,
fur lequel ily aaes lettres tronquéesPGrands
Dieux ! quel treffaillement de )oye , quel
triomphe j quel aplaudiflement ! Scipion ne
fut pas plus utisfait d'avoir terminé la guerre
d'Afrique , ni Darius d'avoir fait la conquête
de Babylone. Quelle volupté pour ces Sco^
liaftes , lorsqu'ils vont de porte en porte lire
leurs pitoyables vers , & qu'ils trouvent des
admirateurs l Alors ils ne fe croyent pas
moins que de nouveaux Virgiles : ]e ne A^ài
même s'ils ne fe flattent point crue tout l'ef-
prit de ce grand Poëte a paffé chez eux. Le
meilleur de tout ^ eft quand ils fe rendent
xéciproquement louange pour louange» ad?
ti6 r ELOGE
miratîon pour admiration , gratterie pour
gratterie» Si un homme du métier s'eft trom»
pé fur la Syntaxe , & qu'un autre plus claire-
voyant s'en foit aperçu , que de bruit auffi*»
tôt pour une vétille \ Que de difputes , d'in-
veôives & d'injures ! Ecoutez, je vous prie
ce trait : le fait eft véritable , & je veux avoir
tous les Grammairiens à dos fi je mens ; cot»-
cevez toute la force du ferment ! Je connois
un homme qui fçait tout , le Grec , le Latin ,
les Mathématiques , la Phîlofophie ^ la Mé-
decine : il excelle en tout ceh , & il a déjà
foixante ans. Devineriez^vous bien à quoi
s'occupe depuis environ vingt ans cette ma*
chine encyclopédique ? II a laiffé là toutes
fes acquittions : il s'attache uniquement à
la Grammaire» qui le tient fans ceife à la tor*
ture. Il n'aime la vie , oue pour avoir le
tems d'éclaircirunedesdîtncultés de cet Art
important ; & il mourra content , dès qu'il
aura inventé un moyen (ûr , pour diftinguer
les huit Parties du difcours , de quoi , félon
lui,ni les Grecs ni les Latins n'ont pu encore
venirà bout. Le fujet,comme vous voyez, eft
de la dernière conféqoence pour le Genre-
humain. Quoi ! être toujours en danger de
prendre une conjonôion pour un adverbe i
Cela mérîterpit une guerre fanglante. Or ,
;irous remarquerez qu il y a autanjc de Gratu-
DE LA FOLIE. iij
maires que de Grammairiens. Aide » un de
mes favoris dans ce genre , n^en a donné qne
cina pour fa part. Notre entêté les lit toutes ,
quelques heriiTées , quelques rebutantes
qu'elles puiiTent être » ils les examine toutes
l^fond, jaloux de tous ceux qui fe mêlent
^'écrire fur cette matière ; & tremblant tou-
jours qu'on ne lut dérobe la gloire & le fruit
de fes longs travaux. Que vous femble de
ce bizarre Sçavant ? Eft^ce folie ? Eft*ce fu-
reur ? Ce fera tout ce ou'il vous plaira , pour-
TÛ que vous m'accordiez que le Grammai*-
rien , cet animal furchargé d*infortuiies, eft
rirun effet de ma bonté feule , fi content ,
fatisfait de lui-même , qa*il ne voudroit
pas changer de condition avec les plus ri-
ches & les plus puiffans Rois de l'Orient.
LesPoëtes ne m'ont pas tant d'obligation.
Ce n'eft pas qu'ils ne foîent auffi fous cfle
qui que ce foit ; mais c'eft qu'ils font en droit
& en poiTeffion de l'être, il y a long^tems
qu'on l'a dit : Les Poètes & les Peintres font
une Nation libre. Les faifeurs de vers tout
confifter tout leur Art à débiter de pures
fottifes » des contes ridicules , des tables
abfurdes pour divertir les fous. Ced pour-
tant fur toutes ces fadaifes ^ qu'ils fe pro-
mettent l'immortalité, & qu'ils la promet-
tent aux autres. L* Amour-propre & la Fiat-'
ift8 V E L O G E,.
terie , font leurs fidèles Conieilléres : 8c pour
moi , }e n'ai point de Sujets ni plusfincéres ,
ni plus conftans*
LaFo' '•^^ Orateurs {ont auffi des nôtres. Ce
lie pré- "^ ^^^^ P^' ^^' P^^^ fidèles Sujets » je Ta-
fide à voue 9 car ils s'entendent un peu avec les
tous les Ptit^ofophes : mais , outre qu'étant auffi ini^
genres ?^^^^ ^^ l'Amour- propre & de la Flatte-
de Lit"^^^* ^^^ ^^^^ ^^^^ féconds %n fottifes « les
tératU'P^'^ célèbres d'entr'eux n*ont-ils pas écrit
^^ lérieufement fur la manière de plaifanter ?
L'Auteur , quel qu'il foit , qui adfreffe à He-
rennius l'An de parler , ^ compte la Folie
même entre les différentes efpéces de raille-
ries. Quintilien^ le Coriphéedes Rhéteurs »
a fait fur le Ris un Chapitre auffi ample que
riliade d'Homère. Selon ces Ecrivains , h,
Folie a plus de vertu, que la Raifon ; & il ne
Êiut qu'une bonne plaifanterie, pour détrui-
re le meilleur raifonnement. On ne peut
donc me difputer y que l'art de faire rire ne
foit purement de mon reflbrt.
Voici d'autres gens à peu près delà mé-
* Cet Ouvrage , qiûon trouve ordinairemen»
parmi les Œuvres de Cicéron , n'efifûrement
pas de cet Orateur , fuivant les meilleurs cri^
tiques.
DE L A F OL lE. mj
ime étoffe : ce font ceux qui cherchent SLs^ao-
quérir par les ouvraees qu'ils mettent au )our
une réputation durable » 6c qui vifent à l'im-
mortalité. Généralement tous ces Ecrivains
m*apartiennent ; mais principalement ceux
quine publient que deslottifes. Quant à ceux
qui ne fe piquent d'écrire que pour un petk
nombre de gens d'un goût iûr , & qut ne ré-
cufeht point le jugement des bonsOitiaues
qui font fi rares,ils font plus de pitié qued çtus»
vie : toujours dans des efforts de téte^ils pen*
fent & repenfent , aj^outent & changent , re»
tranchent & remettent^oreent & reforgent^
font 6c défont > confultentUns cefle ; & avec
toutes les peines qu'ils fe donnent « il fepafle»
ra peut-être neuf ou dix ans avant que le ma*
nufcrît forte de la prefle. Qu'ils font à plain-
dre , ces malheureux Ecrivains , jamais con-
tens de leur travail! Etauelleeft leur récom-
penfe ? Un peu de fiimëe , l'aprobation d'un
très-petit nombre de leâeurs. En bonne foi ^
cela vaut-il la peine de facrifier fon fommeil ^
fon repos > fes plaiûrs , enfin toutes les dou-
ceurs de la vie \ ajoutons que ces chercheurs
d'immortalité ruinent leurfantè , deviennent
pâles , maigres , quelquefois aveugles ; qu'ils
s'attirent beaucoup d'envie » fansiortir de &
1>auvreté ; qu'ils avancent leur vieillefle &
eur mort , car c'eftà ce prix que le prétend^
i30 V E L O G E
Sage* croit devoir acheter Thonneur d'être
loaé de deux on trois personnes de fa forte»
Parlez-moi d*an Auteur qui écrit fous mes
aufpices, & dont )e fui»^la Minerve. Il ne
connoît ni méditation , ni tranchée de cer-
veau , ni veilles : tout ce cm! lui vient dans
Fefprit , lui femble admirable , & fa plume
peut fuivre à peine le torrent de ion imagi-
nation. Il met toutes les impertinences qui
fe prefentent ; & il n*a point regret au papier,
fur qu'en ne publiant que des fottifes , il au-
ra pour aprobareurs tous les fous & tous les
ignorans. Cet homme-là n'eft-il pas vraiment
heureux ? II faut donc , direx-vous , qu'il re-
nonce abfolument au fuifrage des habiles
«ens i Apurement , le facrifice e(l fort grandi
Lareinentces finslgc fça^ans Critiques lifent
mon homme ; mais quand ils voudroient tous
le lire , le theiilenr parti eft de méprifer des
leâeurs fi difficiles,pour ne s'attacher qu'aux
fous &aux ignorans ; c'eft perdre feulement
quelques fuffrages pour gagner tout le Gen-
re-Humain : y a-t'il là à balancer?
Les Plagiaires * néanmoins l'entendent
encore mieux : il leur eft fort aifé de s'apro-
* On dpnnoït aùtnfou ce nom aux voleurs
^Jtenfans 6» (Tefciaves. Les produêi'wns d*efprk
font des Enfam bien chers , & quand ^uelqu'uà
O-^Az-ffï i/îl' ,
Gravé à /jou/vf^/iw* /irXéifntf'f .
THE ^•E\v YORK
PUBLIC LIBRARY
ASTOR, LE FOX
DE tA POLIE. 151
|>r!er les Oavrages des autres , & de jouir
d^une glbire que céux*ci n'ont acquife qu'à
force de travail. Ils n'ignorent pas, maigri
toute letrr îfmpuden-ce , que tôt ou tard oh
découvrira (eur brigandage: tnais ils efpérent
€n profiter^du moin:» pendant quelque-tems.
C'eft un plaifir de voir leur air (atisfait quand
ils entendent dans la rue : Tene;^ , le voilà
luî^ntime , c^eft lui; quand ils fe voyent bien
reliée , bien conditionnés, dans la boutique
^un Libraire. Leurs noms font pompeufe-
ment à la tête de chaque Tolnme. Je dis leurs
nomsf parce qu*il eft beau d'en mettre plu-
fieurs & de leur donner même un air étran*
5er ou barbare , qui les fait prendre pour
es termes' magiques. * Ces noms au refte
ne fignifient rien, 6c ne font en effet que
des noms : d'ailleurs,eii égardà la vafte éten-
nouslesenléviyOn a raifon de reclamer les droits
de la paternité. Mais eft*on plagiaire aujour»
tthui? Puifqu*on ne peut guires voler que des
roleurs , & qu'on peut dire avec La Motte »
que dans le Monde littéraire :
• *— Toute la vie ,
N'eft qu'un cerdé de volerîè.
* Erafme fronde ici tuf âge bigarre ^ quis*e*
tùït introduit dans le /ei^iéme fiécle parmi les
Sfayans t Allemagne & eT Italie « de traduirt
ty% L'ELOGE
due de la Terre » il y a très-peu de gens qui
pQi{rentlesconnoitre,& encore «oinsqtM
s'enfoudent^legoûtn'étvitpasplusuniforme
chez les ignorans , que chez les lettrés. Sou-
vent même ces noms font forgés , ou em-
pruntés des Anciens , comme Télémaquef
dthélénus, Laërce,Pohrcrate ,Thrafimaque»
&c« Nos Plagiaires fe U>nt honneur, de uire
revivre ces beaux nomsâc de les adopter*
Ils feroient tout auffi-biend'infcrire leurs Li-
vres Caméléon , Citrouille , ou fuivant Tufa-*
fe de quelques Philofophes » Alpha ou Etta*
lais rien au monde n'eft-plus plaifant que de
voir ces ânes s'entregratter , foit par leurs
lettres , foit par des vers & des éloges
qu'ils s'adreiTent mutuellement fans pudeur*
vous furpadez Alcée , dit Tun : ôe vous Cal*
limaque» répond l'autre; vous écUpfez TOr^i-
teur Komam , & vous , vous effacez le divin
Platon. Quelquefois auffi ces champions fe
défient au combat, & entrent ea lice pour
leurs noms^proprcs en Latin , en Grec^ & quel^
éiuefois en Arabe. Pour nen donner ici qu*un
exemple f qui rrco/wiof^i/ Jean- VincentRofli,
JanjJsMUS Nîcius Ery thraeus. On en trouvera
de bien plus barbares dans PHifloire des Pfeu^
donymes , dont nous avons plufieurs Traités^
DELA FOLIE. 13J
augmenter lear renommée par Témulation.
Le Public en fufpens ne fçait quel parti pren«
dre :mats la conclufion ordinaire , c'elc que
ces braves antagoniftes ont fait merveilles ,
& qu'ils méritent tous deux les honneurs du
Triomphe. Vous vous mocquez de ces Fous^
Gens Sages, & vous n'avez pas tort : mais
vous ne (çauriez me contefler aue c'eft moi
qui fais tout le bonheur des méchaos Ecri-
vains & des Plagiaires , bonheur qu'ils pré-
fèrent à la véritable gloire. Ces habiles gens
que je vois rire , 6c qui jouiiTent de l'extra-
vagance des autres, croient -ils donc ne
m'avoir eux-mêmes aucune obligation ? Il
faudroit qu'ils fuffent , ou bien aveugles ,
ou bien ingrats. PafTons légèrement en re-
vue les Profeffions les plus fçavantes.
Les Jurifconfultes prétendenti'emporter
fur les autres , & il n'y a pas de gens qui
prifent tant leur Art. Cet Art n'eft pourtant
dans le fond , qu'un travail pareil à celui de
Sifyphe. ^ Us font quantité de Loix qui n'a-
, * Comme ce damné des Poètes pajfe tout
fon tems à rouler^ jufqu'aufommet d'une mon»
tagne , une groffe pierre , qui retombe aujji-tot
fur lui ; de mime les Jurifconfultes fe donnent
J^caucoup de peine pour rien. ( Lywer. )
IJ4 V E L O G E
boutiflent à rien* Qu'efi-ce que le Dlgefte ;
le Code , & tant d'autres volumes énormes i
Un fatras de Commentaires , de Glofes &
de Citations. Par- là ils font accroire au Pea-
pie ignorant » que la Jurifpnidence eft de
toutes les connoiffances humaines» celle
qui demande le plus de génie & le plus de
travail ; & comme on trouve toujours beau
ce quiparoit difficile , les fots admirent fin»
pidement cette fcience-là.
La To- Les Logiciens & les Sophiftes viennent
IteMaî'îci fort à propos* Ces gens-là font plus de
trejffe bruit entr'eux que tous les chaudrons de
des Dodone : ^ un feul caufe plus que vingt fem-
Sciea" mes enfemble , quand on les choiflroit pour
ces» exceller en babil. Il feroit à fouhaiter pour
eux qu'ils n'euffent que le défaut d'avoir trop.
de langue : mais comme s'ils étoient pétris
de bile « ils querellent , ils s'échauiFent pour
rien » & à forée de difputer pour le vrai »
* Il y avoit à Podone dans le TempU
de Jupiter , un endroit ou plupeurs. chaw^
drons ^airain étoient uiliment difpofes ^
qu*en frapant fur le premier , le fim Je com^
muniquoit fuccejjiv entent jufqu'au dernier ;
ce qu*on a pris pour le fymboU des querel^^
leurs. (Id.)
^iif . jXj .
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRAR y:
ASTOR, LENOX
ITILDEN i=OUKDATION>:
DE LA FOLIE. 13$
(à ce qu'ils prétendent ) ils laiflent échaper
la vérité. Ces chicaneurs éternels n'en (ont
pas moins contens d'eux-mêmes : armés
d'areumens redoutables , & prêts à difpu-
ter lur toute matière , ils défient tout le mon«
de au combat. L'opiniâtreté eA pour eux
comme un bouclier invincible : ils ne cèdent
jamais , quand ils auroient à faire à Stentor ^
Suivent les vénérables Philofophes. Ne
manquez pas au refpeâ dû à leur barbe &
à leur manteau. Ils fe vantent que toute la
fageiTe efl renfermée dans leur tête: excepté
nous» difent-ils fiérenient , tous les hom-
mes^ne font que des ombres. Mais tirons un
peu le rideau qui couvre leur orgueil & leur
préfomption. Que font les Philofophes?
D'agréables Fous. On ne peut tenir fon fé-
rieux , lorfqu'on les voit bâtir une infinité de
Mondes femblables au nôtre ; § le Soleil ,
la Lune , les Etoiles « tous ces vaftes corps
leur font connus , comme s'ils les avoient
mefurés avec le pouce , ou avec un fil : ils
* Ceft un des Héros d* Homère , dont la voix
êgaloh celle de cinquante hommes.
§ Erafme fuit les préjugés de fon tems , &
on verra par la fuite de cet Ouvrage qtCilétoit
nfjtilleur Théologien que Philofophe.
13« V E L G E
vous rendent raifon des tonnerres » des
yents» des éclipfes, & de tous les autres
iniftéres de la Phyfiqne ; ils n'héfitent fur
rien : on s*imagineroît qu'ils étoient du
Confeil des Dieux & les Secrétaires delà
Nature , lorfcjue tout paffa du Néant à l'Etre.
Cependant cette habile ouvrière fe mocque
de leurs .conjedures. En effet , il fuffit de
réfléchir fur l'étrange contrariété de leurs
opinions pour tomber d'accord « qu'ils n'ont
aucune connoiflance certaine. Ils fe vantent
de fçavoir tout , & ne s'accordent fur rien.
Les Philofophes ne fe connoifTent pas eux-
mêmes : pendant qu'ils s'élèvent aux plus
hautes fpéculations , ils tombent dans une
foHe qui efl à leurs pieds , ou/e caflent la
tête contre une pierre. Quoiqu'ils fe foient
fâté la vue, à torce de regarder la Nature
e trop près , 6c que leur efprit foit tou-
jours aux champs , ils ne laiflent pas de
bien diftinguer les Idées ^ les Univcrfaux^
les Formes Jubflantîelles , la Matière première^
lés Ecceïtés^les Quiddités , les Entités , tous .
pbjets fi imperceptibles, qu'on ne pour-
roit pas les apercevoir avec des yeux da
Lynx. Mais jamais ils ne marquent plus
4e mépris pour le profane vulgaire, que
dans les Mathématiques : ici ce font des
triangles , des quarrés , des cercles « &
d'autres
D É LA T L^I E. 137^
ïjiutres figures qu'ils mêlent & confon-
dent comme une efpéce de laByrinthe ; là
ce font des lettres rangées ^ comme un
Bataillon fé{>aré en pluheurs Compagnies.
* C'eff par ces momeries qu'ils éblouif-
fent les fots» N'oublions pas les Aftrolo-
gues : ces heureux claifvoyans ont lé Ciel'
pour bibliothèque , & lès Aftres pour li-
vres. En vertu de cette étude , ils font-
fûrs de l'avenir, ils l'annoncent , & îlspré-
difent des chofes dont les meilleurs Ma-
giciens n'oferoient fe mêler : le bon de
' r affaire , c'eft qu'ils trouvent dés difciples ,^
& qu'ils font de? dupes.
Parlerai-je des Théologiens ? Du moins-
ce ne fera pas fans crainte ; la matière efi:
frès-délicate, & il vaudroîtpeût-êtr'ençiieux
ne pas toucher cette corde-là. Ces Inter-
prètes de la Langue céléfle prennent fea^
comme le f^lpêtre; ils font terriblement
fourcilleux , 6c ce font de dangereux enne-
mis. Avez-vous encouru leur difgrace ? f'u-
rieux,ils fe jettent fijrvous comme des
ours. ; ils s'y acharnent^ ne lâchent prife'
qu'après Vous avoir obligé par une enfi--
kdé dé çonféquencesbonnes ou mauvaifes »»
*'£rafine viui garlir ici de t Algèbre^'
:iî8 V ELOGE
\ chanter la palinodie. Re&fai - je clé tne
dédire ? Tout auiTi-tôt la Folie eft hé-
rétique , mais non brôlable heureufement »
attendu mon brevet d'immortalité. C'eft en
montrant cette foudre , c*eft en criant 4
THéréti<|ue , à l'Athée , qu'ils font trembler
ceux qu'ils n*aiment pas. Quoiqu'il tCy ah
pas de gens au monde qui alFeâent plus de
méconncrïtre mes bienfaits , Us m'ont pour-
tant bien des obligations. Pai ordonné à ma
PAilautic f* ZVL bienheureux Amour' propre ^
de les fervir mi«ux que les autres hommes »
& effeôivement , ils font Tes mignons.
Comme il ces Anges corporels étdîent
^établis dans le troifiéme Ciel , du faite de
leur élévation > ils regardent tous les mor^
tels comme des animaux rampans qui leur
font pitié. Munis de Définitions magiurales»
ûe Conclufions p de Carollaires j dePropoU"
tîons explicites & implicites ( ce qui com«
i>ofe la Milice de TEcole facrée ) ils trouvent
tant d'échapatoires , qu'ils fe tireroient des
mains de Vulcain lui-même , eÛt-il le filet
dont il fe fer vit , pour rendre tous les Dieux
témoins de fon déshonneur. Il n'y a point
de noeud que ces Meflieurs ne tranchent
du premier coup avec un Diftinguo ; r«->
doutable couteau formé de tous ces termes
monftrueux qui font éclos du fein de la
Scholafiique»
DE L A P t 1 E. 139
Voyons âiaintenant ces Oracles dans lèt^r
plus fublime fonâion ; èntendons<-les inter-
préter les tniftéres de la Doârine du falut.
5'aeit-il de la Création , du Péché origiilel «
de 1 Incarnation , de TEuchariftie i Ces ma-
tières font trop rebattues } Il fiaut les laifler
aux aprentifs Théologiens. Mais voici les
Sueftions dignes des grands Maîtres , des
aîtres Illuminés , comme ils difent : aoffi
dès qu'ils tombent fur ces fujets-là^ils fe
réveillent & fe raniment. Or , les voici
ces fublinies & imoortantes Queftions.
»> Y a-t'il un inuant dans la génération
■•Divine ?Jéfus-Chrift a-t'il pltiUeurs filia-
étions ? Cette propofition : Dieu le Fere
9» haitfon Fils^ eft-elle poffibie ?Dieu a-t'il
9>pû s'unir perfonnelléihènt à une femme»
i> au Dénfioh « à un âne , à une citrouille , à
n un Caillou ? En cas que Ûien fe commi^ni-
91 auàt à la nature cucurbitiqUe , c'omfne il à
» »it à la nature humaine , èo'mmerit cette
t»heareufe & divine citrouille prêcheroi^
V elle , feroit-elle des miracles , ferà^t-eHè
» crucifiée ? Qu*eft»ce que Saint Pierre au»
9» rott con^iacré , s'il avoit dit la MeiTç f lorf-
9> que le Corps de Jefus-Chrift étolt en«
Ki core fur la Croix ? Pouvoit-on dire dans çé
n tems-là , que le Sauveur étolt vraiment
lt Homme î Sera r t*il permis de boh:e gç
M^
140 VELO G E
39 de manger aprè» la Réfurreâion ? fi
La folution de ce dernier problême leur
tient fort à cœur y ôc l'afErmati ve les acTcom*-
moderoit bien.
Us ont bien d'autres fubtilités encore (>lus-
pointues ; les inflans de la génération. Di-
vine f les notions , les relations , les forma-
lités, les quîddités, les eccéïtés, & tant'
d'autres chimères de cette nature : car je dé-
fie qui que ce foit de les apercevoir , à
moins qu'il n*ait la vôe afliez; perçante pour
diilinguer, à. travers les ténèbres lesjplù»^
épaifles, des objets qui n'ont nulle forte:
drexiflence. Joignons a tout cela leur mo«^
raie outrée , & fi contradiâbire ,. que les^
Paradoxe» des Stoïciens n'étoient en com—
paraifon que de la drogue de Charlatans..
Far exemple : Ce feroit^jelàn eux , un moin'
dfe crime iT égorger mille hommes^ que de
raccommoder le fpulier et un Pauvre le' Di"
manche. * // vaudrait mieux làijfer rentrer .
4*»3 le niant tout V Univers 6» fes dépendant
C£s^ que de, dire, le moindre menfange. Ce,
*La raifort dîL ces bî^çarres Cafuiftes étoit,'
fttt rhomicide ne regarde que le Prochain ;:
mais que violtr U Dimanche , eft un crimes-
^regard€k Dieiiimmédiatement^.
r>E LA F ai I E. ^4P
qt i fubtîHfe encore plus ces profondes fub*
tilîtés , cefont toutes ces différentes routes
de- l'Ecole : vous fortifiez plus aifément dû
^labyrinthe de Crète ou de celui d'Egypte ,.
que vous ne pourriez vous débarraUer des
enveloppes à^9 Réaux y des Nominaux, dès
Thomiftes , des Alhertîfles, des Ockamiftes.^
des Scotiftcs^ • • • ah- T-je pers< haleine , &
cependant ce ne fbnt-là que les principales
Seules de l'Ecole : vrainient il' y en a bien*
d'autres ; & combien penfez-vous qû^lly
ait dans celles-ci d'épines & d'érudition i
Si les Apôtres defcendoient icî4)as , & au'il»
fuflent obligés de difputer avec lès Tnéo«^
logiens modernes fur ces hautes manières.,
je crois qu'il leur faudroit tout un autre e(-
prit que celui qui les faifoit parler toutes*
fortes de Langues. Saint Paul avoit de là
fbi : mais quand il nous dît que la Foi eft lâ^
fuhftance des objets que-nous avons à e/pérer,.
& la preuve de tout ce quine tombe point fous
les fens , fa définition n'eft pas affez ma-
gîArale. Le même Apôtre étoit embrafé du
feu de la Charité : cependant il n'a ni défi-
ni , ni divifé cette vertu en Bon Logicien».
£es Apôtres célébroiènt avec dévption &
avec piété le Sacrement de l'Euchariftie ;r
mai&s^filleur e&t fallu édaircir le. mouvecr
t4» V E L O C E
ment local de là Confécratîon , la Tran-
iubftantiatîon , la RéproduÔîoa » c'eft-à-
dire , coininent un même corps peut-être en
inème-tems en plufîeuts lieux ; s'il leur eût
&Ilu difiinguer les dtfférens Modes d'éxiP
tence félon lerquéls Jefus-Chrift a été fur
la Croix , iBc fe trouve dans le Sacrement ;
s'il leur falloit détetminer l'inilant où la
Tranfubftantiation peut fe faire par les pa-
roles facramentàles , qui étant compolées
de mots & de fyllabes , ne peuvefnt fe pro-
noncer que fucceffivemeht ; fi , dis-jè , ces
prçfniers. Théologiens du. Chriftianifme
avoient eu à réfoudre ces difficultés, je
^rois qu'ils auroient eu grand befoin du
fecours des Scotiftes , qui font de vrais
Argus en fait d'Ergoti/me» Les Apôtres
aypient l'honneur de cônnoître la Mère de
ïéfns : aucun d'eux en a-t'il fçu amant que
nos Théologiens ? Ils ont prouvé géomé-
triquement , qu'elle avoit été préftrvie de
k contagion du péché d'Adam. Saint Pierre
a reçu les Clefs de Jefus-Chrift même, qal
n'étoit pas pour les mettre en n^auvaife .*
main. Mais je doute que ce bienheureux
Pêcheuf f^ut bien ce que c'étoit que ces
Clefs métaphoriques : toujours eft-il cer-
tain qu'il ne denvandà pas à fon Maître >
^
D E L A F L I E. 145
tomment il étoit jpoffible qa*un pauvre Pé*
cheur, aufn,gromer& ignorant quilétoit,
eût la Clef ides Sciences divines. Les ApS^
très haptifoient de tous côtés ; pourquoi
ti*ont-ils pas enfelgfié ce que c'eft que \z
Xaufe formelle , matirieUe & efficiente da
Baptême ? Pourquoi ne point faire men-
tion des caraâéres effaçables & ineffa-
çables? Us adoroient Dieu, ces pieux Fon*
dateurs de la Religion Chrétienne : mais
leur adoration ne rouloit que fur ce prin-
cipe fondamental de TEvangile ; Dieu efi
efprit , & il faut que ceux qui V adorent , Pa^
dorent en efprit & en vérité. Or , cela ne
fuffifoit pas : ils dévoient prêcher en même*
tems que le culte de Latrie ^ comme oii
Papelle dans TEcole , n*eft pas plus dû à
Jefus-Chrift en perfonne , qu à la moindre
de fes images charbonnée contre la mu-
taille , pourvu qu'elle le reprefente les
deux doigts du milieu étendus , comme
donnant la bénédiâion , fa tëtè ornée
d'une longue chevelure 8c toute brillante
âeces rayons , qu'on apelle Gloire ^ en
terme de TArt. Mais à queMe fource les
Apôtres auroîent-ils puifé cette érudition
ialutaire i Avoient-tls blanchi fous le har-
«ois î Avoient-ils fenailU trente ans dans
r44 2? E LOGÉ'
FArène phyftque , ou métaphvfique d^A^-
riftote & des Scotift^s ? Les Apôtres parlent
quelquefois de la Grâce : maïs ils ne diftin-
guent point la Grâce gratuite, d'avec là
^ Grâce gratifiante. Ils exhortent aux bonnes
oeuvres : mais ils ne mettent aucune diffc*
rence entre Taftion méritoire & raÔion
qui opère fa propre vertu. Us recommandent
la Charité^ fur tous les autres préceptes : mais
ils neféparent point l'infofe d'avec racouifc;
ils n'expliquent point fi cette aimable oc di-
vine vertu efl une fubftance, ou un accident;
fi elle eft créée ou incréée. Ils veulent qu'on*
détefte le Péché : mais l'auroient-ils pu dé-
finir auffi fçavamment que les Scotîftes l"
Si Saint Paul, par qui on doit juger de tous-
les Apôtres , avoit eu une bonne théorie du-
Péché^ auroit-il condamné tant de fois les
contentions, les débats, les queftions, les
difputes de mots?Franchement il n'entendoit-
rien aux finefles,ni auxfubtiiités de nos Scho-
lafiiques. Et en effet , les Controverfesquî
s*éle voient dans TEglife naiiTante , n'étoient
que des vétilles en comparaifon de celles qui
Citent nosSophiftès modernes. Chryfippe le*
^ot de fon tems, tout Grec qu'il étoit, n'eût"
pastenu long-tems cçntr'èux. Rendons pour-*
mntjiiftice àieur modeftiçâls ne condamnenr
DE LA F Ù L l E. 145
pas abfolument ce que les Apôtres ont écrit
avec un peu de juftéfle & de précifion ; il»
fe contentent de l'interpréterfavorablement,'
& veulent bien avoir cette complaifance ,
partie pour la vénérable Antiquité , partie
pour l'honneur de TApoftol^^.^ Il feroit d'ail-
îeiiVs fort déraifonnable , de demander conr-;
pte aux Apôtres de ces hautes matières i
vu que leur divin Maître ne leur en a ja-
maîs dit un' mot.
On ne fait pas la même grâce auxChryfof-
tômes, aux Bafiles, aux Jérômes, en un
mot , aux Pères de TEglife ; on leur met fort
bien en apoftille : Ctla nejlpas reçu» tes an»,
ciens Doâeursavoîent à combattre les Phi-
Ipfophes Payens 6c les Juifs«gens fort o^iniâ*-
très de leur nature; mais ils les réfutoient!
plus par de pieux exemples & par des mira-'
clés 9 que par des argumens : de plus^Ies pre-
miers ennemis du Chriflîanifme étoient d'un
génie fl borné , qu'ils n'auroient jamais pâ
concevoir aucun principe de Scot. Mais à
prefent Payens , Infidèles « Juifs , Héréti-
ques , paroifTez tous 5 fi vous ofez ;on vous
en défie.Qui ne bàiflera pas la lance , qui lie
le convertira pas , après avoir éfé couvert
& comme criblé des traits de Scot ? Il n'y
aura que des hommes , ou trop flupides pour
comprendre ces fubtilités» ou allez impru*
N #
146 . V ElOGE
dens pour s*en n>oc,quer, on munis des mS-
mes armes^qui reiuféront defe rendre : alors
^i en feroitdes derniers, comme fl vous met-
tiez au]C prifes unMagicien avec unMagicien,
ou comme fi quelqu'un fe battoit avec des
armes enchantées , contre un ennemi pourvH
de pareilles armts. * Or, en ce cas-là , ce fe-
roit la toile de Pénélope. À propos de com-
bat y il me femble. que les Chrétiens , dans
leurs guerres contre les Infidèles , devroient
e<nployer d'autres Tronpjes que celles dont
on le fert ordinairement. Au lieu de cette Sol-
4^terque ignorante, qu'ils efpployent depuis
fi long^teins daps toutes les .Croifades , que
n'envôyep.t-ils contre les Turcs & les Sar-
rafins » les br^vans Scotiftes, les Ockamiftes
à tête de fer ,le$ invincibles Àlbertides , &.
toute la Milice Sophiftique qui foutiendroit
ces Troupes réglées. Ce feroit , je crois , un
combat biep curieux à voir , & on n'auroit^
jamais vaincu avec de telles ârmes.Qui pour*
foit éitre ajOfeZi^deglaçefPOur ne pas s'enflam-
mer au feu à^ ces difputes i Qui feroit aflez
* Ces fortes de combats font fréquens dan^
FAriofte:, jjS» fans le citer , Erafme y fait
allufion.
% \.
D E L AF O LIE. 137
piefant,poar être inf^nfible à lapiquûrede^^
ces éperQns ? Quiauroit la vue aUei^fernm,
pour ne pas être ébloui par tant de fubtilités i
Vous prenez cela pour un badinage » v>ous^
ayez raifon. CÀte Armée ne feroit pafrinême
il nombreufe que vous penfez. Il y a dans-
l'ordre des Théologiens, <i^ hommes d'un.
fçavoir )U(^^cieuxÔL falide« à qui ces £rivo<-
les' fubtilités font mal au coeur; il en eft.
même d'une coi^cieixce fi tendre , aa'ils en
ont horreur , comme d'uaeefpéce ae faon-
lége. Quelle hQrrible impiété , s'écrient^ils !
Au Heu d'adorer la^ profondeur de nos Myf«
.tires , puifqu'ils ne A>nt Myftéres qae pour
être ignorés , on cherche à foiider les fei-
crets de Dieu 1 £t comment encore l Pi^r des»
]pintillerie5 auffi* frpidês que toutes cellesi
des Payens: on s'arroge infolemment le dcoifr
de définir & de diyifer^des vérités incom-
préhenûbles ; on profane la majefté de la
Théologie, par des termes 6c par des expref-
fioâ$ qui nont rien que d'infipide oc de
bas.
Doucement , re>eux critiques, jnodéfezr
votre zèle; auffi.^bien.voiis^y perdrez vo-
tre latin. Ces Ergouun font fi enflés de
leur érudition verbaTe , qu'ils n'en àèrnot'^
dront point* Occupés- )out & nuit des^ fo^^.
phifmes qu'ils fe plaifént. à forger,' ils n»
N a
14« V E L O G E
fe donnent pas même le tems de lire une
fois l'Evangile , ou les Epitres de Saint
Paul. Apliqués dans leurs Ecoles à tou-
tes ces iottifes , ils s'imaginent que TE-
^iie tomberoit bien^tôt , s'fls ceflbient de
la foutenir ^ ils s'en croyent l«s plus fermes
apuis. Autre fujet de félicité pour nos dtf-
puteuf s : TEçriture * eft entre leurs main»
comme un morceau dedre;4ls donnent à ce
Livre, rempli d'Oracles» telle forme qu'il
leur plait. Ils prétendent que leurs décifions
fur les Livres facrés , pour être reçues de
quelquesScholaftiques^foient plus refpeé^ées
oue les Loix de Solon , 6t qu'elles prévalent *
fur celles desPapes:ils s'érigent enCenfeurs§
du Monde , & dès qu'on s'éloigne un peu de
leurs concluions direâes Se indire^es , ils
vous contraignent de vous rétraâer. Vous
les entendez prononcer d'un ton d'Oracle :
* Erafme en veut ici à ceux qui , au dieu
Raccommoder leur fens à l'Ecriture , accom^
modem l'Ecriture à leur feus*
§ Le Cenfeur de Rome étoit maître & juge
des mœurs : à fa requifition , un Sénateur
étoit chajje du Sénat , *un Chevalier perdoit
fon rang^ & le Plébeyen étoit condamné à
l'amende. (Ljrfter.)
•• r*"
DE LA FOLIE. 149
Cette Propofition efl fcandaleufc ; celle-ci efi
téméraire; celle-là fent Vhéréfie ; cette autre
fonne mal, Âinfi, ni le Baptême , ni l'Evan-
gile , ni Paul , ni Pierre , ni Jérôme , ni Au-
guftin , non pas même Thomas d'Âqain ,
tout Péripatéticien qu'il eft , tous ces Saints*
là 9 dis-je , enfemble , ne fçauroient faire un
Orthodoxe , fans l'agrément des Sieurs Ba-
cheliers;tant leur doârine efl néceffaire pour
bien juger de l'Orthodoxie! Quife feroit ja-
mais déné qu'un homme ne fût pas Chrétien,
pour foutenir que ces deux Propoûtions^So-
crate^ tu cours^u, Socrate courte éteient éga- ^
lemerit bonnes, s'il n'avoit plu aux fçavans
Bacheliers d'Oxford de nous l'aprendre y en
foudroyant ces deuxdamnablesrropofitions?
CQmment l'Eglife auroit-elle été purgée de «
tant d'erreurs , puifau'il n'étoit pas permis
de les lire , ayant qu on eût apliqué fur les
Propofitions condamnées le grand Sceau da
rUniverfité i N'aDelle2>vous donc pas cela
des gens heureux r Pourfuivons. Ces Doc-
teurs^quant à la fourure, débitent de fi belles
chofes fur l'Enfer : ils en connoiflent lesdi-
rers apartemens , la nature & les différens
degrés du feu étemel , les divers emplois
des Démons ; enfin , ils parlent,de l'état des
Damnés 9 comme s'ils avoient été long-tems
parmi eu^* De plus , ils créent de nouveaux
N 3
^5« V E L Ô G E
Cîeux, lorfqa'îls le jugent à propos* Ité
t)ot».pnt fait un dixième Ciel ^ qu'ils nom*
ment Empyréc , ■& ^ont bâti tout ei^èt
pour les Bienheureux. N'étoit^il pars jufte
en etfet y que les Ames glorifiées eufTent u»
féjour à part pour prendre commodément
leurs ébats , faire des feAms » & jouer à ki.
paume ?
£o€n»ces graves contemplatifs ont la cer«
yellefi rempue de toutes ces âidaifes, qve
Jupiter n'étoit pas phis gros âucerveau,lorf*
que voulant accoucher de Pallas , il tmplort
k hache de Vulcain. Ne vous étonnez dofK
pas j fi , dans les difputes publiques , ils om
fi grand fom tle fe garnir la tète: c'eft pour
empêcher oue leur cervelle «iurchargee ait
fcience , n'éclate & ne rompe de tous côtés*.
Je fie puis m'empêchér de rire , ( jugez on
peu si! y en aft^et, puifquela Folie trbu^
ve rarement du ridicule) je ne puis , dis-^e ^
tn'empêcher de rire , quand j'écoute ces
grands Eerfonnages ; ils bégayent plutôt
qu'ils ne parlent; ils ne fe crojcnt Théo-
logiens , {{ue lorfqulh fçavent parfaitement
leur baiisare 6c viiaun jargon , qui ne peut
être entendu que par ceux qui font du mé- '
tier , & ils s en font gloire , en dîfant
qu^ls ne parlent point pour le Peuple. C'eft:
avilir j félon eux , la dignité de T^criturer
D £ LA F 1 1 E. \^\
Sainte , qtfè 4è -râfinjettir aux régies de îa
Graiiimatre ,& aux vétilles du Purifme. Ad-
mirez le beau ^jfrivilege* Il n*cft permis qu'à
eux feùls de fiatirè des fautes dans le lan-^
gage , & il n^ â tout au pltis itfUe la- vile
pôpulate , qui ait drbit de leur dabuter cette
préirogative. A celattrès , îlsft placent îm^
inédiatement au-défflous dés EMeux ; & lot A*
que 9 par une vénéi'ation prefqut rdigieufe»
on les apeUe nos Maîtres , ils ^l^agîliéMt
Toir dafns ce titre quèlquiarTthoft de te NàWl
înèffaMe cotojp^ôttde quatre Icftttcs, ^nî éfoit^
« rfefpeôé chefe le^ ïtrîtis. Dans cette prévfen*^
tïOn,il5 ptéteiidetrt'rfù'ôH doîttôUjbui's écHffe
NOTRE MAISTREttiRVifs ctfraâé^
res : ce titre eft iwême fi tnyttëtî^ux, qufe
il en Latin on fenveWbit 1 btdris dé ces
deux mots , & (fifcfti mh tfojter avant Ma^
fifler , tout feroft petdn , ou ll^ohneur tfti
Kom Théologiqûe feroit du tnoiitë bieli ei-
pofé.
A là aitê dé ceux-là, païbît la tnèîftéttye
efpéce du genre animal : ce font ces liom-^
mes féqueftrés qu'on apelle Religieux &
Maints. Ce ne peut être aprefeht qUèpar un
grand abi)is,qu*oh lés nomme ainfi. OmMnii-
uément parlant 9 tl n'y a p^iut de geiis)^i
ayent tkVOihs de ReligioÀ que teux xfttiki
nomme aujourd'hui Religieux ; 8c puifqtfe
N4
(152 VELO G E
^Moine fignîfie Solitaire , à oui ce dom-là peut^'
il convenir plus mal, qu'à des hommes qu'oa
rencontre pa^ tout? Mats que deviendroient*
ils fans mon fecours ? Car ils font tellement
/hais 5 qu'oa les prend pour des oifeaux de
mauvais préfage, & qu'on craint de les ren-
contrer. Malgré cela i]s s'aiment » ils font
fous d'eux- mêmes. Premièrement , * leur
principale dévotion eft de ne rien fçavoir \ -
non pas même lire. Enfuite^fans fe mettre
«n peine d'entendre leurs Pfeaumes » ils fe
croyent aflez fçavans ,. quand ils en ont re-
.tenu le nombre ; & lorfqu'ils les chantent au
,Chœur , ils s'imaginent charmer le Ciel par
leur Muûque Ârcadienne. Dans cette biga.-
^re Monachale , il y en a qui font para-
'ide de leur craÏÏe & de leur mendicité : on
]es voit demander aux portes , mais d'un
^ir auffi hardi que s'ils demandoient une
dette; Hôtelleries, Cabarets , Barques ,
ÎVoitures , ils portent par-tout leur imporr
Jhine beiace , au grand préjudice des Men-
* Les Moines ttoïentfon ignorans autrefois;
î/ y en avoit même encore du tems d'Erafme , .
qui r^gardolcnt toutes fortes d* études , commje
une infraflion aux vœux de leur faint énat^^
\& une ^fpéce (firreligion.
D E L A F O L l E. ijj
<dians ordinaires. Au moyen des bénédic-
tions Qu'ils dîfiribuent Hbérarement , ils
prétendent, par leur faleté , leur igno-
rance , leur groffiéreté , & leur efFronte-
rie , nous reprefenter les Apôtres. Rien ne
me divertit davantage , que cet ordre éxaâ
.& précis qu*ils obfervent dans tout ce qu'ils
font : tout va chez eux par compas & par
mefure. Tant de nœuds au foulier , la fan-
gle d'une telle couleur y la robe bigarrée de
tant de pièces, la ceinture de telle matière &
de telle largeur ^ le coqueluchon de telle for-
me & de tel volume , ta couronne de telle
largeur ; manger règlement à telles heures
de tels alimens, & en telte Quantité ; ne dor«
inir que tant de tems , &c. Vous jugez bien
que cette grande uniformité ne fçauroit s'ac-
corder avec la variété infinie des efprits &
des c^rps. Cefl pourtant par ces dehors ré-
glés,que non-feulementlesMoinesfé crovent
en droit de méprifer ceux qulls apellént
Mondains, mais qu'ils fe font encore en^
tr'ëux de férieufes querelles ; & ces fain-
tes âmes, qui font profedion de la cha-
rité Apoiloliq^ae , fe déchirent faintement
entr'eux pour une ceinture un peu diffé-
rente , ou pour une couleur plus ou moitis
. brune.
Il eneft parmi ces RévérendSytpi montrent
^^
Thabit de pAiîtence & de mortification';
mais <jui fe gaixient bien de laîffer voir leur
chemife fine ; d'autres au contraire portent
la chemife fur l'habit, & la laine deffous*
Les plus réjouiffans , à mon avis , font ceux
qui, à la vue d'une pièce d'argent, reculent
comme à l'afpedld'une plante venimeufe :
Oiti , 6t€i cela , crient-ils , naus ne touchons
point l'argent.OhUs CafFards I Donnez-leur
des Femmes & du vin , vous verrez comme
ils font difficiles. Enfin , vous ne fçauriez
croire comme ils s'étudient à fe diffînguer en
toutlesuns des autres. Quant à imiter Jefiis*
Chrift , c'eft de quoi ils fe foucient le moins»
Mais on les chagriner oit fort,fi on leur difoît:
Vous ave^pris cela de tel ou tel Ordre. Dou-
tezFVOus auffi que cette grande variété dé-
furnoms & de titres ne Tes chatouille pas
beaucoup? Les uns fe glorifient d'être apel-
lés Cordeliersf & ce tronc a pour branches ,.
Us RécoletSfles AÙneurs ^\t$ Mîninus y &c*
hesuns {ont Sénédiâiins , les autres Sernar-^
difiss ceux-là de Sainte Brigitte , ceux-ci de*
Saint jimtftin ii*AutTts {e, nomment Guil''
bmins^ aautres Jacoéins : car il ne fufïit
pas à toute cette Milice enfroquée , d'avoir
recule nom de Chrétiens. La.pl^art de ces^
fens4à compteotfif ortfur leurs cérémonies,*
c fur des petites traditionsbumaines , qu'ils;
DE LA F 0,L1 £• t^
crojrent le Paradis au-deflbus de leurs mé-
rites. Dieu cependant , fans avoir égard à
foutes ces lingeries , ne jugera les hommes
«{ue fur la Charité , qu'il apelle par excel-
lence Ton commandement. Au terrible jour
au jugement^ ils prefenteront en yam leurs
bedaines engraifl^ des meilleurs poiffons ;
ils feront yaloîr îmitiîemeht le chant ée$
Pfeaumes ^ & ces jeûnes avûéres qui ont mis
leur vie en danger : l'un produira un tas de
pratiques monach^es, qui feroient la charge
defept yaiffeaux;, Tautre fe vantera d'avoir
ité foixante ans fans toucher d'argent , qu'a-
vec deux doigts bien envelopés : celui «* ci
montrera fon &oc fi fale & fi gras » qu*un ba*
telier ne voudroit pas le porter \ celui-là.
fe glorifiera d'avoir vécu cinquante-cinq ans
comme une éponge , * toujours attaché ail
même Qoîtrerun autre fera voir, qu'il a
perdu la voix à force de chanter ; cet autre »
que la grande folitûde lur a démonté la cer*^
velle;& untroifiéme, que le filence lui a
ôté Tùfage de la langue en l'épaiffiflknt.Mais
* Erafmecompare Us Moines qui ne ch/m»
9ent jamais de 'Maifpn , comme les ChartreuXy
. par exemple , â l'éponge qui efi toujours attot
€MeJ.{pnrochcr*.
t^^ V E LO G E
Jefus-Chrift interrompant cette kîrtelle, q«H
fans cela ne finir'oit point : De ouel pays
vient donc , dir^-t'il, cette nouvelle e(pécô
de Juifs , avec toutes leurs cérémonies } Je
n'ai donné aux hommes qu'une feule loi, que
je reconnois pour être vraiment la mienne ;
& tout ces gens-ci n'en difent pas un mot ?
J'ai promis autrefois ouvertement & fans
figure l'héritage de mon père , non à des
firpcs , non à de petites oraifons , & à de
cert^nes abftinences , mais aux devoirs de
1^ chanté bien remplis» Je ne connois point
ées gens qui connoifTentfi bien leurs œuvres
prétendues méritoires , & qui veulent paf-
1er pour plus faints que moi* Qu'ils cner-
chent j s'ils veulent >vn Ciel à part ; qu'ils fe
faflent bsLtir un Paradis » par ceux dont ils
ont préféré les traditions trivoles.-à la fa'm-
teté de mes préceptes. A cet Arrêt épou^-
vantable» & fe voyant préférer d'ailleurs
des matelots & de$ charretiers , quelle fera
leur confiernation ! Il fe fatisfont toujours
à bon compte , ils jouiffent de leur folle
efpérance ; & c'eft moi qui là Icar donne ,
& oui l'entretient.
Il eil bon pourtant de vous en prévenir.
Quoique cette génération bâtarde foit fé«
parée de la République , il efl dangereux de
la méprifèr , fur -tout lès Mendiahs.; caç
DE ZA FOLIE. 1^7
ifs fçavent tous les (ecrets , par le canal de la
ConfeJJîon. Il efl vrai qu'ils fe font un crime
capital de la révéler , mais ils ne laiflent pas
de le faire quelquefois , lorfque le vin leur
échauffe le crâne 6c les met en belle humeur;
leur bouche indifcréte laifle échaper une
partie de <:e qui leur eft entré par les oreillesî^
mais en prenant certains détours , & fan^
nommer perfonne* Si quelqu'un encore a le
malheur d'avoir irrité ces Frelons, la ven-
geance eft prompte Scfanglante :dè$ le pre-
mier Sermon , pas plus tard , la guêpe darde
fon aiguiMon; ôcle Prêcheur, dansfes in-
veâives morales , dépeint fi bien fon enne-
mi, quoiqu'à.mots couverts, qu'il faudrdît
être oien aveugle pour ne pas reconnoître '
l'original. Et comptez que le dogue mona-
chalne lâchera pas prife,jufqu'à ce que vous
l'ayez apaifé, comme Enée apaifa Cerbé-
i-e , c'eft-à-dire , en lui jettant dequoi man**
ger & de quoi l'endormir. Puifque nous te-
nons ces bons Apôtres en Chaire,n'eft'il pas
vrai qu'il n'y a point de Comédien , point
4e Bateleur , que vous ne quittaffiez pour
leurs prédications } On pourroit les nommer
les finges des Rhéteurs, tant ils imitent plai*
famment les régies de l'éloquence , & de
Tart de parler. Regardez- les , je vous prie ,
gefticuler > haufler , ou baifler la voix, chan^
t^8 C ELOOE
t^r^ &tout*d^ù]ircoup bour<]x>nnerjr prendre;
im. nouveau vifage , lelon le r&le , fe déme^
aer comme des pofTédés^Sc faire retentir tout
le Temple de leur voix tonnante. Ceft dans
,1e Qoitre qu'ils aprennent cette manière vé-
kémente d'évaneelifer , & les Moines fe la
4;(»mmuniquent les uns aux autres , comme
1UI grand leeset. En qualité de femelle , if
«em*apartienrpa» d'être initiée à ce myfîé-
re: mais je ne laiflerai pas de vous dire ce
que j'en ai pu conjeâurer*
Ils débutent par une Inyocatiop; ( ce qu'ils
ont emprunté des Poètes ) enfuite ib font un,
éxorde, qui n'a nulle liaifon avec le fujet
qu'ils ont à traiter. Vont-ils prêcher la Char
'rite? Ils commencent par le fleuve du Nil:
le Myftére de la Croix? par Bel , ce fabuleux
dragon deBabylone:rabilinence duCarême?
par les douze Signes du Zodiaque : la Foi K
{4ar la quadrature du cercle , ainfl du refte. *
* Quoique tout fpk chargé ici , comme dont,
toute la fuite de cette Déclamation , la raille**
rie d! Erafme a urhobj et, tris-réel , & parte fur
ces anciens Sermonaires , quifaifçient un mê^
lange bi^^arre d' érudition, facrée & profane. Un.
célèbre Cordelier effaya de ramener ce méchant
gftûtily, a dix'huitans ydàns un Panégyri^e
VELA T L lE. is%
Moi , qui vous parle , j*ai entendu un de ces . '
Prêcheurs , homme d'une folie confommée^
(pardon» je m'y raéprens toujours , je vou-
lois dire d'une doârineconfommée5)cetOra-
rteur deyoit aprofondir le Myftére impéné-?
trahie de la Trinité ; mais pour étaler tout
fon fçavoir , & flatter les oreilles théologî-
ques , il dédaigna de fuivre le chemin battu ;
vous ne devineriez pas- le. tour qu'il prit^
& en efFet , il n'y avoit qu'un Sçavant de
fon ordre qui pût s'en avifer. Il ouvrit fon.
difcours par l'alphabet 'y après avoir recité
£dèlement,&avecunemémoireprodigieuret
fon. A. B. C. jufqu'au bout , il pafia des let-^
tres:aux fyllabes , de5fyllab:e6 aux mots,des
mots à l'accord du nom avec le verbe , & du
fubftantif aveciTadjeâif. Tout l'Auditoire,
étoit dans le dernier étonnement : qvielques-
uns s*entre->demandoient avec Horace :
Quel peut être le but de pareilles fottifes ?
LePrédicateur mit bien-t&t fon monde hors
de peine , il montra que les élémens de la
de S. François , que Us Curieux conferverU
^Qmpe^ un< f.iifc de Cahinet.
*«o V E L O C E
Gramiiiaire étoient le fymbole de la SaîAtô
Trinité , & le montra auffi évidepiment »
qu'aucun Géomettrepuiffe faire fes démonG-
trations. .Auffi eft - il vrai que cette pièce
très-théologîqae avoit extrêmement coûté
à cet aigle des Théologiens : il avoit mis
de compte fait huit bons mois à la compo-
fer; le pauvre homme s*en'fent encore;8c les
grands efforts qu'il fut obligé de faire pour un
tel chef-d'oeuvre,ront rendu aveugle, fonef-
prit ayant attiré à foi toute la fagàcité de fa
vue. Au refte , l'extinâion de fes yeux ne lui
£iit pas la moindre peine 4 6c il trouve même
qu'il a acquis fa gloire à trop bon marché»
J'ai eu encore le plaifir d'entendre un autre
Sermonneur de la même trempe : c'étoit un
vénérable barbon de quatre-vingt ans , mais
fi rompu dans la Théologie , qu'on croyoit
voir reyivre Scot en perfonne.Ce bon Vieil-
lard ^toit monté en chaire , pour expliquer
le myftére adorable du Saint Nom de J£su$*
Il y réuffit admirablement. Il démontra fub-
vilement , que tout ce qu'on pouvoit dire à
la gloire du Sauveur » fe trouvoit dans foii
augufteNom** Sçavez-vous tous le latin »
Meffieurs l
^ Cette Apoflrepke h eft point dans le tfxtf
DE LA FOLIE. 161
Kieffieurs ? Ceux qui ne le fçavent pas, n*ont
qu'à dormir un moment. En premier lieu ,
Ae vieux Cathtdrant fit remarquer , que le
fubflantif Jefus n*a que trois cas diftérens
dans fa déclinaifon, le nominatif « Taccu-
ûtif & Fablatif, (rare & curieufe doâri*
ne ! Que je plains ceux qui n*y entendent
rien i ) Or , au'eft-ce que ces trois cas figni»
fient ? Cela le peut-il demander ? On reconr
noît-là bien vifiblement les trois Perfonnes
Divines ,. en une même nature. Mais voici
bien autre chofe. De ces trois cas » le pre-
mier finit par une S , JefuS ; le fécond , par
une M , JcjuM; & la troifiéme , par un U « .
JefU. Grand Myftére,mcs Frères ! Ces trois
finales veulent dire , que le Sauveur eft tout
à la fois dans Tordre des chofes divines > le
zénith , le centre , & l'extrémité de la pro-
fondeur « Summus , Mèdinus, 272/i/7Wj. Il ref-
toit à rélOi:dre une difficulté plus é[uaeu{e
qu'aucun problême dé Mathématique : on en
vint, à bout néanmoins. Le vieux routier eut
^adreflfe de divifer ce même nom de JESUS^
en a portions égaleSjainfifiguréej/^-^-r/lS^.
'^**— — ——————— —*■—— I ' I U I
VErafme;mais nous l'avons confcrvée avec
quelques autres^ parce que nous Favons-crànè'
tjjaircygçur donner plus de Uaifon aux idécsr
t6% r E L G £
mais que (aire de cette S ifolée « qui eft tonte*
étonnée de fa folitude } Patience » on va bief^
la dédommager. Les Hébreux nomment cet^
te lettre Syn : or Syn fignifie , ce me femble »
en bon Ecoffois» Péchék Après cela conclnoît
le fubtil Prêcheur, quel homme eftaflez in-
crédule , pour nier que le Sauveur ait ôté les.
féchés du Monde ? A cette explication , auffi^
profonde qu*imprévûe,lesAuditêurs^fur-toiit
les Théologiens , furent frapés d*un fi grand-
étonnement , qu'on les auroit crû pétrifiés.
Pour moi y je riois fi fort, que je tombai,
prefque dans l'inconvénient de Priape. * En .
effet^les Orateurs Grecs & Romains iefont-^
ils Jamais fervi dans leurs harangues d'unet
infinnation fi détournée? Chez ces grands-
hommes , quand TExorde étoit trop éloigné
dufiijet, on cenfuroit leur peu de jufieue;:
& la Nature a fi bien enfeigné cette métho*
tde aux hommes , qu'un porcher même , qui 4
* Horace contt^ que le Dieu des Jardins-
nfoyatn les cérémonies magiques de deux Sor^
ciéres , qui evoquoieMddnsmi Jariin Us Fu^
ries^ enfui fi ejfrayé , ,qu*il laijfa aller p^ar ba^
un gros vent : à cetruit lesMagictenneseuréAt ^
'peur à. leur [tout , 6» laîffant-là ' tout VaparellL
dfla diaUeric y elles prirent la fuites.
D E^ HA' PÔ £ I E. i«3
a' quelque chofe à dire , ne dômàieticé ^às
par s'égarer , 6c va droit au fsiit. Mais nés
fçavaiï^ Moines s'ima^neroîent êtte delhau-
vais Rhéfgriciefts, fi le préartibule*, 'Ct>mMe
ils parlent, avoit la inoindre tbnnekioïl avec
le fujét, de s'ils ne mettoient pas les àildi-
teui-s dans la néceflité de dire- : ^h và^t*il
dont par et th<min*lâ ?
Entrôifiémélieu; ilst>t6]poniAten{bttâe-
de narration , quelmi'endroit dé TEvangllév
mais légèrement , à fa hite ; &. quoique ce
dût être là leur ]^Hncipal objet, ils s'en ^
rent au plus vite , comme d'un xttauvais paé.
Quatrièmement , comme s'ils feifoient Un<
autre perfonnàge , ils entament une quef-
tibn Thédlogique , qui vient àuffi mal à
propos qu'Aie puiffè î mai* è^tte dîgréf-
îion leur paroît néceffaîre , & ils Croiroîéttt
pécher contre l'Art , s'ils né la âifoient
pas. G'eft ici que nos Prêcheùri pi-éHsirtr
un ton de confiance, étt)Urdiffent r AfTeixi-
. Wée des magnifiques épithétes qu'ils pro--
diguent à leurs Doâeurs : ils les nomment'
fiïemntls , fuhtiU , fuBHliJîntts , firaphi*'
quts-fainti^ ifréfhagabtes , 6^t. Ceît î<5'
qu'on voit tomber , comme ,\îft;Cn^!', une*
grêle defylîùgifmiss At majturtf^At rklhtn^-
res, de côndufions ^ de cùrollaireiy àefiê^'
{fiMo^ ;^6cil$ fom valoir 9 en bons chtria^-
l«4 V E L O G E
tans » à la multitude ignorante ces froides &
impertinentes bagatelles de leur Ecole.
Nous/roici ennn au cinquième Ââe de là
Pièce, oii par conféquent il s'agit de Te fur-
pafler. Us vous tirent ici de leur mémoire
un pitoyable conte de Légende » tiré peut-
-être du Miroir Hifiorial , ou des Gcftes des
Romains; ils tournent & contournent cette
.Pable, ils la manient allégoriquement ytro'^
pologiquemcm f'anàgogiquemeni ; & àinii fi-
nit leur difcours , qui par l!étra|ige diverfité
.de fes parties 9 eft plus monArueux que la
Chimère peinte, par Horace à la tête. dé. fon
ArtPoëtiaue. lettons maintenant uacoup
d'oeil fur 1 enfemble de leurs Sermons. Nos
Moines ont apris par tradition ,. que Ten^-
. trée d'un diicpurs doit être paiûble & cal-
me , & qu'il faut bien fe garder d'y élever
la voix. 5ur ce, pTJnclpe^,^ils parlent fi bas
dans leur éxorde , q\x à peine s'entendent-:-
ils eux-mêmes parlej*, pour ne point fé-
faire entendre ; le plaifant contraire ! Us ont
auffi oui dire» que pour repauer les coeurs ^. *
l'Orateur doit employer de tems en tems la
véhémence des ej^clamation^^ Fidèles , mai^r
]!na4ivats pWervateurs de cette, régie, lorfr
2u'on lesLc-.^ liforltranqulllessilscrient toutr
'unrcoup comme de^forcenés^ &cela fan9-
aucune raifoo. Qn les j^rendroit ea véirit^* ,
V E LA F II E. xSjf:
pour des furieux qui ant befoin d'ellébore ;.
car enfin il n'y a qu'un infenfé qui crie Cé-
rîeufement , pour crier. Outre cela , parce
qu'ils font imbus que l'Orateur doit s'animer
dans le progrès du difcoufs , après chaque
paufe du Sermon , ils prononcent aflez tranr-
quillement lès premières périodes , mais ea-
niite, & fouvent pour rien , ils hauflent la
voix d'une fi grande force, que Ibrfqu'ils fi-
niffent on^roiroit qu'ils vont s'évanouin
Enfin comme ils fçaventpar là Rhétorique,
qu'il éft bon de réveiller ràuditeur par quef-
ques traits enjoués , ils fè mêlent auffi de
^ plaifanter. Mab ik le font auffi legéremeat ^
' auffi à propos que l'âne de la Fàblç, qui
voiiloit pincer un luth. Ils mordent auffi
quelqi^etois, mais fans faire mal ; ils chatouil-
lent plutôt qu'ils ne bleffent , & quand ils af-
feélent Ye plus une liberté Apoflolique , en
criant contre les mœurs dii fî!eclé ,. c'èftalors
qu'ils flattent le mieux. Que vous diraî-j>eda*-
vaptage Mhçrêchenbcomme des Bateleurs,.
& vous jureriez que ceux-ci ,"qW en fçavent
beaucoup plus qu eux , ont été leurs maîtres..
Ténons-nons-en à la déclamation : elle eft fi
fembhblte de part & d*autre,-que fûrement,,
ou les Charlatans .ontapris la Rhétorique de;
nos Prêcheurs , ou nos Prêcheurs ont étudié:
^éloquence chez les Charlatans»
t66 È" £ £ O 6 JF
Avec tout cela, ils ne tnaâct^ent polnr
'd*auditettrs : j'ai foin de leut en procurer,
& il y en a qui les admirent autant que les
Dëmofthènes 8t les Cîcérons. Ils font cou-
rus , fur-tout dès marchands & des femmes :
auffi s'àpl\quent-ils foigneufement à gagner
les bonnes eraces des uns 6c des autres. Xes
marchands 4poaryû au*ils foient flattés , leur
font volontiers part aun bien n:\^I acquis , &
regardent ces pieufes largeffes comme une
reltitution bien faite* Les femmes ont de
leur oôté de fecrettes raifons pour aimer les
Moines , quand ce ne ferolt qu'elles trou-
vent toujours avec eux une huile , un bau-
me de confolation pontre les amertumes du^
lien conjugal.. Je vous ai fait voir évidem-
ment , ce me. fembte «. combien ces* têtes à
capuchon me font redevables : c*eft moi qui
his gue par de vaines dévotions, par de
pîeufes mommerles, par des clameurs &
des menaces , ils exercent fur le menu peu--
pie une efpéce de tyrannie , & qn'ih ofent
fe comparer aux Pauls , aux Antoines. Mais
)e ne me fuis que trop arrêtée fur ces fépuK-
chres blanchii , fur ces ingrats , qui fçaveat :
aqffi-bien dii&muler mes bienfaits ,<que fe-
parer d^n fauit zèle pour la Religion:
Il y a long-tem«<me je dîflfére à vous di-
re .qttelqi^e.cnofe.desrriAces& des Grands» -
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
A5TOH, LENQX
TILt)EN fOUNDATlONS
^sl/r J^7
DE LA rtytTE. \^
Cèux«Ià font tout opofft aux fourbes & tut PoUè^
hxipofteursdont)e viens de parler : ils tatàts
cultivent fatis fard,. fans déguifement, St Cours
avet toute la. franchife qui convient à leur â* dts
rang. Si ces heureux habitans des CoxmGraads
avoiem feulement une demi «once de bon
fens , y auroit-il rien de plus trifte, rteta de
plus à évitier que leur état } Quiconque fe
donnera la peine de réfléchir attentivement
fur les devoks d'un bon Monarque » loin dé
Vouloir fe procurer , par quelque crime que
ce foit,.un fardeau U pelant» il tremblera
à la vâe d'une couronne^ Car en quoi con-
fident les engagemens d'un homme oui com*
mande à tonte la Nation ? Travailler jout
â& nuit pour lé bien commun ^ & ne jouir
jamais de foi-même ,.ne s'écarter en rien
des Loix ; connokre pu pair foi-mefhe , ovl- «
pzx dés yeuxbiens ffirs ^ 1 intégrité des Offî*
ciers 6c des.Magiftrats^féfouventr qu'on
eftenfpeâacleau-dedans&'au-dehorsy &
3ue , comme un aftre falutaire, on peut par
es nksurs bien réglées influer utilement:
fur celles ^^s hommes & faire le bonheur
des peuples , ou , comme Une comète funef-
te , càufer les plus grands maux du monde : :
n'oublier j amais , que lesviees & Jes crimes -
des Sujets font inflniment moins contagieux^
que.Cieux.dtt Maitreu fe redire.cHacgie.jçttr:^,
W5Ï V E LOGE
eue le Prince eft dans une élévation ob , s'H
donne mauvais exemple, fa conduite eft un
mal qui fe communique^ Ci, qtiîiatt du rava^
ge : faire réflexion , qpe «i fortune â*un
fonarque l'expofe continuellement aux oc?
cafions de apitter le fentier des vertus v
qu'il a les délices , l'impunité , la flatterie y
le luxe à combattre ; & qu'il ne fçauroit
trop vçi)lc- , *ji trop fe roidir contre tout
ce qui p^ut o féduire : enfin fe rapellec
fouvent 9 qu*out're les pièges , les haines ».
les craintesc, les dangers aufquels le Prînce-
eft à tout moment expofé de la part de fe»
Sujets , il doit tôt ou tard comparoître de?
vant le Roi des Rois y. qui lui demandera un*
compte éxa6^ de toute la conduite , & avec
une rigueur proportionnée à Tétendue-de fa
domination : voilà une partie de$ devoirs
ou des charges de la Royauté. J%. le répète
donc,.û un Prince faifoit attention a tout
cela, (& il leferolt fans doute, s'il étoit
/âge) il n'auroit aucun repos dans la vie,
Imis j'y ai pourvfi : grâce a l'indolence que
je leur infpire, les Princes fe repofent de
tout fur le deffin & fur leurs Miniftres, ils
vivent danslamo]le(re,&n admettent auprès
d'eux que des eens propres à les divertir, & a
les préferver de tout chagrin & de toute in«-
c^ieiude^ Us crojrent remplir fuffifamment
lés*
DELA FOLIE. 169
les obligations d*un bon Roi , en prenant
tous les jourjs le divertifTement de la chafle ^
en nourriflant de beaux chevaux , en ven-
dant à leur profit les Charges & les Em-
plois , en mettant en œuvre des expédiens
pécuniaires y pour dévorer la fubftance des
Peuples , & s engraifier du fang de leurs Su-
jets. Il eft vrai qu'ils gardent quelques me-
lures fur le dernier article , allèguent des
raifons de befoin , des prétextes de nécefll-
té ; ôc quoique dans le fond ces éxaâions
foient un pur vol , on leur donne une aparen-
ce de juftice & d'équité ; on dit des douceurs
aux Peuples^ on les nomme fes ions 8l fidèles
Sujets ; pendant qu'on les dépouille d'une
main , on fçait tes carrefler de l'autre , pour
prévenir leurs juftes plaintes , & les accou*
tumer peu-à-peu à la tyrannie.
Sur ce piea-là, je vous fais une fupofi-
tion : figurez-vous fur le Trône, ( & le cas
n'efl que trop réel & que trop ordinaire )
figurez - vous un homme ignorant dans la
connoiflance des Loix , prefque ennemi du
Jbien public , & qui ne vife qu'à fon intérdt
perfonnel ; qu'il loit efclave de fes plaifirs ;
qu'il méprife toutes Iles fciences ; qu'il ne
puifTe fouffrir la vérité ; qu'il ne s'embarrafle
de rien moins que du bonheur de fes Sujets ;
qu'il ne fuive que fa paillon & mefure tout
170 V E L OG E
à fon utilité propre. Mettez à cet homme le
collier d'or , ornement Royal qui fymbolife
l'afTeitiblage des vertus nécefTaires aux Prin-
ces ; mettez-lui la Couronne enrichie de
pierres précieufes , dont Tattribut l'avertit
au'il doit furpafler les autres en tout genre
ae vertus héroïques;mette2r-lui dans la maîa
le fceptre qui eft le fymbole de la Jufti-
ce 9 & d'une ame incorruptible ; enfin don-
nez-lui>la robe de pourpre , qui défigne fon
amour pour les Peuples , & fon zèle ardent
pour leur félicité. Si après cela ce Mo-
narque vient à comparer ces habits Royaux
avec fa mauvaife conduite « doutez-vous
qu'il n'ait honte dé fa parure» & qu'il ne crai-
gne que quelque railleur ne tourne en ridi-
cule un ajuftement , qui par lui-même eft
très-férieux ?
Venons aux Grands de la Cour. Quelle bi-
zarre efpéce d'hommes ! il n'y a point d'efr
davage plus rampant & plusméprifable que
le leur ; cependant ils regardent avec mépris
les autres mortels. Us ne fontmodeftes qu'en
un point : c'eft que contens de porter fur
leurs habits l'or , les pierreries > la pourpre ,
& tous les autres fimboles de la fagefle & de
la vertu , ils cèdent généreufement aux au-
tres le foin d'être fages & vertueux. Ils ne
^conçoivent point de félicité plus grande,»
DELA FOLIÉ. iji
Îue d*avoir la facilité de parler au Prince ,
ele traiter de Souverain oc de Maître abfo-
lu , de lui faire un compliment court & bien
tourné , de lui prodiguer à chaque infiant les
fiaftueux titres de Majefié,d'Mtefe Royale^
de Sérénité , &c. être avec cela toujours
propres , magnifiques , bien parfumés , &
lur-tout fçayoir flatter délicatement, c'efl
toute la fcience des courtifans. Quant à i*ef«
prît & aux mœurs, ce font de rmhPhJacUns :
* tels étoient les amans de Pénéhne, § vops
içavez ce que le bon Homère en dit ; la Nim-
phe Echo vous le redira mieqx que moi; Le.
vil Efclave d'un Monarque , ( qui Couvent
eft lui-même chargé de fers d'une paflion aui
le maîtrife ) ce vil Efclave dort juiqu'à midi^
pourvu qu'il n'ait pas à faire la cour , car
alors il feléy eau premier chant du coq, A
peine Monfeigneur efl*il éveillé , que fofi
* Les Phéaciens , félon Homère , étoient fi
p^oJJiers&fifliqfides^qu'UliJfe leur fit accroi-
re autant de prodiges qu il voulut leur en dé^
biter. x* .
§ Homère nous repre fente les Amans de Pé-
nélope , comme des gens qui donnaient tout
auxplailîrs fenfuds. Après qu'ils eurent fait
bonne chère , dit ce Poète , ils ne p^nférent
plus qu'à chanter & à danfei^
tjt r E L O G E
Chapelain 4 qui épioitce moment, lui dît en
pofte une Melfe bien dépêchée. On déjeûne
enfuite » & le dînet fultlde près. Au fortir de
table , viennent le Jeu ,1es Filoux , les Bouf*
fonsj les Courtifans, les mauvaifesplaifan-
teries , 6l tous les autres paffe-tems apellés
plaifirs. Ces dévots exercices ne fe font pas
fans quelque intermède de friandife ; oit lou-
pe , oC on paffe la nuit à boire. Ainfi fans
s'apercevoir qu'on n'eft né que pour mourir ,
la vie s'envole rapidement^ les heures, les
jours , les mois , les années s'écoulent , &
paflent comme des minutes. Pourmoi^quand
je les ai vus une fois « je fuis rafiafiée comme
il je fortois d'un grand repas. Eh\ qui pour-
roit foutenir plus long*tems la vue de tous
les ridicules qu'offre la Cour ? cette Nimphe
fe croit prefqoe une Divinité , parce qu'elle
traîne une plus longue queue que les autres*
Quand ce Grand a donné bien des coups de
coude pour fendre la foule , il s'imagine qu'il
y a moins de diftance entre le prince & lui*
Ce Courtifan fe félicite de ce que la chaîne
d'or qu'il porte au coû eft plus pefante
Î[u*aucune autre , faifant en cela pàraae non-
eulement de~ fon opulence , mais auffi de
fa force « qui lui eft commune avec le plus
vrlpofte-faix.
La vie des Princes & des Grands du fié«
DE LA FOLIE. tyj
de , m'a conduit nâttirellement à celle des
Papes « des Cardinaux , des Evêques, Il y a
déjà long- tems que cetOrdre imite , par une
louable émulation , & Rois 6c Satrapes , &
jju'on peut mçmedire qu'il lésa fupafles. Or,
Je feroiscurieufe devoir un Evêque méditer^
un peu fur fon éauipage , ou fur fonharnois
Pontifical: ce rocket , qui par fa blancheur y
cTéfigne l'innocence^cétte coiffure a deux cor-
nes attachées par un feul nœud , & qui mar-
quent la profonde connoiflance qu'il doit
avoir des deux teflamens ; ces mainsgantécs
qui fignifient un cœur épuré de toute conta-
tion mondaine , dans Tadminiflration des
acremens ; cette croffe qui l'avertit de veil*
1er fur le troupeau qui lui eft confié ; cette
Croix qui eft le figne de la vi&oire qu'il doit
avoir remportée fur toutes (es pâmons. Si
jiotre Prélat fe rempliiFoit Fefprit de toutes
ces idées, & de plulieurs autresquejefupri-
me , n'eft-il pas vrai qu'il deviendroit maigre,
pâle , rêveur & trifte ^ Mais ne craigfiezrien^
j'y ai mis bon ordre : j'ai confeillé a ces pré-
tendus SuccefTeurs des Apôtres , de prendre
une route toute opofée à celle de ces bonnes
gens , 6c jamais on n'a mieux profité de mes
avis. Nofleigneurs font leur principale affai-
re de paffer leur vie agréablement. Quant
SU troupeau , c'eft à Jelus-Chrift d'en prea**
P3
174 V ELOGE
dre foin : & d'ailleurs n'a«t'on pas des Ar*
chîdiacres , des Grands- Vicaires , des Péni-
tenciers , des Moines , & tant d'autres bons
&|fidèles SupÀts? Les Evêques ont oublié
que leur nom fignifie à la lettre , travailyfoin
& folUcitudi. Mais ils ne fe fouviennent
que trop de leurs droits » quand il s'agît d'ar-
gent.
J^es vénérables Cardinaux fe vantent d'ê-
tre defcendus en droite ligne de l'Apoilolat,
S'ils alioients'apoftropher ainfi : » Pourquoi
» ne fais-je donc pas ce qu'ont fait les Apo-
9» très ? Je ne fuis pas le maître des eraces
9» fpirituelles,)e n'en fuis que le difpenlateur,
79 & bien-tôt je rendrai compte de mon ad-
31 miniftratioa. Que veut dire ce rochet
M blanc , fî ce n'eft la pureté des mœurs ? Que
» fignifie cette Souune de pourpre , fmon
91 un ardent amour de Dieu ? Pourquoi ce
» manteau rouge qui eft fi ample & (1 large ,.
» qu'il envelope jufqu'à la mule du Rivérenr
» diffimc^ & qu'il coqvriroit encore un cha-
9) meau « s'il etoit befoin l Ce vade étalage
91 défigne*t'il autre chofe que l'étendue delà
9» Charité , toujours prête a tout , c*eft-à-di-
9> re, à enfeigner 4 corriger , exhorter , à cal-
9> mer la fureur des guerres , à réfifter aux
9> mauvais Princes^àrépandreauffi volontiers
» fon fang que fes richeflies pourTEglife )
DE LA FOLIE. 17?
91 Mais à quoi bon ces gros revenus ? Ceux
f> qui prétendent reprefenter l'ancien Cot-
»lége des Apôtres, ne devroîent-ils pa»
» imiter leur pauvreté ? « Un Cardinal oui
feroit ces réflexions , ou remettroît bien vite
fon Chapeau , ou menerost une vie auftére
& laborieufe , remplis de chagrins & d'in-
quiétudes ; en un mot , il viyroit en Apôtre.
Profternons-nous à prefent aux pieds dq Folie
fouverain Pontife » & baifonsreligieufemenf </«Ao/i-
fa mule. Les Papes fe difent les Vicaires deneurs&^
Jefus-Chrift '^mais s'ils s'apliquoient à fe con- des di^
former à la vie de leur divin Maître; s'ils gnire^»
pratiquoient fa pauvreté , fes travaux , fa
doârine , fa Croix , fon mépris du monde ;
s'ils vottloient feulement bien penfer à ce
Beau nom de Pape , c'eft-à-dire de Père , &
au titre de Très-Saint dont on les honore ,
quelles gens feroient plus malheureux ? Qui
Tondroit acheter au prix de tout ce qu'il a
ce Poile fuprême ? Ou quel homme y étant
élevé , employeroit Tépée » le poifon , &
toute forte de violences pour s'y maintenir ?
Ils perdroient des biens innombrables , fi la
Sagefle s'emparoit une fois de leur efprit :
( que dis-je , la SageJJe ? S'ils avoient feule-*
ment un grain de ce fel dont parle le Sau-
veur. ) Ces richeiTes immenfe$,ces honneurs
«Uvias . cette vafte domination , ce puiflanb i
P4 '
176 V E L O G E
patrimoine, tant de Dignités, de Charges fit
d'Offices à donner ; tant de Taxes au* de-
dans & au-dehors , tant de Difpenfes & d'In-
dalgences , une Maifon fi nombreufe en do-
meltîques , tant de délices & de plaifirs. En
voilà beaucoup , & ce n'eft pourtant qu'une
foible ébauche de la félicité Papale. A tant
de biens fuccéderoîent des veilles, des jeû-
nes, des larmes^des priéresydes fermons, des
méditations , des ioupirs , & mille autres
maux de cette nature. Et aue deviendroient
tant d'Ecrivains , de Copiites , de Notaires ,
d'Avocats, de Promoteurs , de Secrétaires,
de Bananiers , d'Ecuyers , d'Entremetteurs.
falants ? . • • N'allons pas plus loin , il faut
pargner les oreilles chaftes ; enfin une mul-
titude infinie d'hommes de toutes conditions
attachés au S. Siège à titre onéraire (j'ai vou-
lu dire honoraire. } 11 feroit donc barbare &
abominable de vouloir remettre à la beface
les Saints Monarques de TEglife, ces vérita-
bles Lumières du monde. Cétoit à Pierre &
Paul à vivre d'aumône & de leur travail ;aufll
fe repofe-t*on fur eux de tout ce qu'il y a de
pénible ; ils ont le loifir d'y vaquer. Mais
toutlefafte & l'éclat du Trône Eccléfiafti-
que , nos Saints Pères , avec raifon^ l'ont
gardé pour eux.
Il jeit donc arrivé par mon moyen , qu'il
Ji*y a pas de gens qui vivent plus dans la moU
D E LA F OLl E. \rr
lefle & dans rîndolence que les Papes ; &
pourvu que leurs fondions fe réduifent à des
ornemens tnyAérieux & qui fentent l'apareit
du Théâtre ,à des cérémonies & à de vains
titres , enfin à des bénédié^ions ou à des ma-
lédiârions, quand lecas Téxige , ils fe croient
quittes avec J. C. & ne voient pas ce qu'il
auroit à leur demander. Ce n'eft plus le tems
de £aire des miracles , ni de prêcher le peu*
pie ; ce feroît trop de fatigues pour eux que
d'expliquer l'Ecriture Sainte,cela fent la craf-
fe de l'Ecole ; de prier , il faudroit avoir bien
du tems de refte ; de pleurer , cela ne con-
vient qu'aux femmes ; de vivre dans la pau-
vreté , la t rifte condition 1 de céder à la vérité
êcà la raifon^cela feroit honteux & peu digne
d'un homme qui croit accorder une faveur
aux plus puiffans Monarques « lorfqu'il lut
permet de lui baifer le pied ; de mourir , c'eft
fa chofé du monde la plus défagréable ; d'être
attaché à une Croi» il y a de l'infamie. Il ne
refte donc aux Papes pour toutes armes , que
ces douces bénédiâions dont parle Saint
Paul , ( & affurément ils n*en font pas avares)
que les interdits , les fufpenfions , les aggra».
rations , les anathêmes , les pemtuf es venge-
f effes * & cette foudre redoutable par laquel-
^OnexpofcâRQmcUtMcauiTuntxcûmsi
17« V E LO G E
le le Saint Père livre à fon gré les âmes aux'
Démons, & leur fait faire un faut fi rapide ^
5|u*elies vont même quelquefois par-delà l'en-
er. Il faut convenir cependantque nos Très-
Saints Pères & tes Vicaires de }efus - Chrift
n*employent jamais avec plus de zèle cet
épouvantable châtiment^que contre ceux qui
^ l'infiigation de Satan « tachent d'écorner ou
de rogner le patrimoine de Saint Pierre. Cet
Apôtre difoît à fon Maître : Nous avons tout
éhandonnipour tefuhvnMskh depuis ce tems«
là il a fait fortune , puifqu'il pofTéde en propre
des Terres^de^ Vill«s,de5 Impôts^des Doua-
nes , des Domaines , &c. Ceft pour défendre
& pour conferver toutes Tes acquifitîons^que
l<»s Saints Pontifes , embrafés du zèle de Je«
fus-Chrifl, déployent fétcndart de Bellone,
& employent fansmiféricorde le fer ôclefeu.*
munie peint fur la toile , & nprefenié d'une
manière hideufe : il eft affis y & a le vifage
d un furieux / deux Diables Àfes c&tés lui met--
tent une couronne dt flammes y ^ d a du feu
fous les pieds : les infcriptions font horribles ^
& cependant les fptEtatewrs trouvent cela fort
divertijfant.
Ventredieu , lés biens de TEglife ! difoi^
Sreie Jean des Entamurcs , sefcrimaat dm
DE LA FOLIE. 17^
Vous jugez bien qu'une telle guerre ne peut
fe faire fans effufion du fang Chrétien: qu'im-
porte , répondent les Papes l Nous foute*
nonsapoftoliquementla caufe dei'Eglife, &
nous ne poferons point les armes , €|ue nous
n'ayons vengé l'Epoufe^e Jefus-Chrift. Mais
foit dit fans ofFenier l^s vrais Succefleurs de
Pierre,r£glife a-t'elle de plus dangereux en^-
nemis que les mauvais Papes, euxquianéan-
tiflent le Sauveur en ne le prêchant point ;.
eux qui le tiennent comme enchaîné , par le
trafic honteux qu'ils font des grâces del'E^
elife ; eux qui altèrent fa Doârtne , par des
interprétations forcées ;eux enfin qui l'égor*
gent en quelque façon par leurs exemples
contagieux \
Au refte, comme TEglife Chrétienne ei{ née
dans le fang , s'eA confirmée par te fang» &
augmentée par le fang , les Papes la gcuver-^
sent auiB par le fang , comme s'il n'y avoît
plus de J..C. pour la protéger & pour la dé-«
fendre. La guerre^d de fa nature quelque
chofe de fi cruel , qu*^elle conviendroit mieux
aux bêtes féroces qu'aux hommes ; c'eft avec
raifon que les Poètes la font fortir du Tar-
hâton de la Croix , contre tes Soldats de Pi^
fhrocole ^ quipilloient le clos de [on Abbaye^,
lïo V E LOGE
tare ,d'oli les Furies l'envoycnt fur laTcrre '
les defordres infinis qu'elle entraîne , font
d'ailleurs fi contagieux « que les meilleures
moeurs en font infeâées ; elle eu effentielle^-
ment fi înjufte , qoe les plus grands fcélérats^
font ceuxquî l'entendent le mieux , & fi im-
pie f qu'elle n'a nul raport avec Jefus-Chr. ni
avec la morale. Gepcindant certains Pontifes^
quittent toutes les fondions paftorales pour
M donner ennérement à la guerre. On voir
même jparmi ces Papes guerriers des Vieil-
lards aaift ^ ^i ont toute la vigueur des jeu-
nes gens 5 qui ne plaignent point la dépenfe ,
qui luportent courageufement la> fatigue , &
qui ne fe font pas le moindre fcrupule de bou-
leverfer les Loix « la Religion & l'humanité.
Ils ne manquent pas d'haniles flatteurs , qui
pour faire leur cour, s'accommodent à Thu-
meur fougueufe & fanguinaire du Très^ Saint.
Ce qui ell manifeficment une fureur , ils 2e
nomment zèle , piété , valeur : ils tr-ouvent
ëes raifons pour prouver , que tirer l'épée 6c
f enfoncer dans le cœur de fon frère , ce n'eft
pointenfraindre le grandCommandementde
* On croit qu*Erafmt en veut ici à Jules IL
qui était paffionné pour la guerre j & qui fit
ikndumaf^
DE LA FOLIE. i8i
la charité envers le prochain. Je ne fuis pas
encore bien informée , fi en fait de guerre «
les Papes ont pris l'exemple far quelques
Evéques d*Allemagn« , ou fi ces Evêques
n'ont fait en cela que s'autorifer par la con-
duite des Papes. Toujours il eft certain que
ces Prélats Crermaniques y vont encore plus
rondement. Sans s'embarrafler du Service
Divin y des Bénédiâîons , ni de toutes les
autres fondions de TEpifcopat , ils ne ref-
pirent que les armes ; & ils prétendent mê-
me qu'un Evéque doit, pour Thonneur de-fii
dignité, rendre Tame à Dieu dans un combat*
Les Prêtres font ordinairement animés du
même efprit : pour ne pas dégénérer de la
faînteté'de leurs Prélats , avec quel courage
n'endoflent-ils pas le harnois , quand il s'agit
de leurs dîmes ? Epées , javelots « pier«
res , &c. ils fe font des armes de tout. Ces
fiers Lévites font ravis , quand par quelques
paflages des Anciens ils peuvent allarmer
les confciences, & faire voir au peuple «
qu'on leur doit bien autre chofe que la dîme ;
mais de penfer à ce qu'on lit en tant d'en-
droits fur les devoirs de leur état « c'eft ce
3ui ne leur entre jamais dans Tefprit. Us
evroient bien au moins fe fouvenir , que
leur tonfure les avertit qu'ils ont rompu avec
le Monde « fie qu'ils ne doivent s'occuper
i8i V E L O G E
que des chofes da Ciel ; mais ces gens tout
dévoués au plaiAr , s'imaginent avoir fatis-
ùXi pleinement à leurs obligations , à Voficc
^ du hiruficc; comme ils parlent quand ils
ont dit le Bréviaire. Et comment encore le
difent-ils ? Entre les dents & à toute bride :
en vérité je ne fçaurois croire qu'aucune
Divinité les entende ni les comprenne ,
puifqu'ils ne s'entendent pas eux-mêmes,
ni en recitant , ni en chantant. Mais les Prê-
tres &les Laïques font également bien ins-
truits fur le grand article de la récolte ; &
on répète fi fouveot en chaire , au confeffion«
nal à ailleurs» que les Prêtres font dignes
Sun double honneur , que les Miniftres dt
t Autel doivent vivre de t Autel \ on répète ,
dis-)e y fi fouvent ces maximes facrées , que
pas une femmelette ne les ignore. Pour ce
qu'il y a de pénible , ces Meffieurs fe ren-
voyent la balte les uns aux autres. Il en eft -
des Eccléfiaftiques , à peu près comme des
Princes : les Rois abandonnent à leurs pre-
miers Miniftres le foin du Gouvernement ,
& ceux-ci ont fous eux quantité de Subalter-
nes, auxquels ils confient Tadminiflration
de l'Etat. De même» les Officiers du Sanc-
tuaire fe déchargent par modefiie fur le
Peuple , du fardeau de la dévotion & de la^
piété : le Peuple le renvoyé à ceux qu'ilnom-^
DE LA FOLIE. 183
fne Gens ^Eglifc^ comme fi à titre de Chré-
tien , la Morale Evangélique ne fe regardoit
pas , ou comme fi les vœux du Baotême n'é-
toîent pour lui qu'une chanfon. De plus les
Prêtres qui fequalifient du nom de Séculiers^
comme s'ils etoient initiés au monde , non
à J. C. laiflent aux Régulitrs l'ouvrage dif-
ficile delà piété ; les Réguliers en font l'oc-
cupation des Moines; les Moines relâchés
s'en repofent fur les réformés ; tous préten-
dent d*un commun accord , que la dévotion
n'apartient qu'aux Mendians ; 6c les Men-
dians renvoient la balle aux Chartreux , chez
qui l'on peut dire en effet que la piété eft
enfévelie ,, tant ils ont foin de fe cacher au
monde. Telle eftauffila conduite des Géné-
raux dans la Milice Cléricale : les Papes ,
fensaâtfs & infatiguables à moifibnner l'or
L l'argent , fe déchargent fur les Evêques
de ce qu'il y a de rude dans l'Apoftolat ; les
Evêques fur les Curés , les Curés fur les Vi-
caires , les Vicaires fur les Frtres Mendians ,
& les Mendians renvoient l'éteuf aux Ber-
gers fpirituels , qui fçavent bien tondre les
brebis, & profiter de la laine.
Mais , où m'emporte la matière ) Il n'eft
pas.tr op de mon fujet d'examiner à fond la
vie des Prélats & des Prêtres : j'ai pour bue
de faire mon éloge ^ & noo de fatirifer les
««4 r £ L G E
autres. Car ne croyez pas que les louangei
3ue j'ai données aux mauvais Princes , ten-
ent à cenfurer tacitement les bo^s. Je ne
<ionne une idée fuperficielle de chaque con-
dition, qu'afin de montrer clairement qu'au-
cun homme ne peut vivre heureux , s'il n'eft
initié à mes myftéres , & s'il ne participée
mes faveurs. J'en prens la Fortune à témoin*
Cette béeffe qui difpenfe aux hommes les
maux & les biens , toute capricieuie qu'elle
«ft, prend plaiilr à me féconder. N'ell-elle
Sas auffi-bien que moi , l'ennemie mortelle
es Sages , puifqu'elle prodigue aux Fous
toutes &s grâces , Se vient même fou vent les
trouver dans leur lit } Vous avez fans doute
oui parler de Timothée , Général Athénien i
Il fut le plus fortuné des hommes , jufqu'à
prendre des Villes en dormant : or , dès qu'il
voulut attribuer fon bonheur à fon propre
mérite » il tomba dans la dernière infortune.
r£^ Ne dit-on pas communément^ que tout réuf-
ïbr/tt- ^^ ^^^ ^^^' ' ^ ^^ ^^ ^^^ même leur tourne
à bien ? Il en eft tout au contraire des Sages :
c*eft pour eux que font faits ces anciens Pro-
•^*^ verbes : // efi né comme HercuU , le quatrième
v^^ dt la Lune , & nà que la ptinif à efpérerm
Il efl monté fur le cheval Séjan » il fe rompra
le cou. Son or eft de Touloufe , U lui porura
malheur* Mais nniffons , car on pourroic me
foupçonner
D E LA FOLIE. iffy
Ibnpçofiirer de piller Erafme. * Je reviens à*
fiipiifujet. La Fortune aime les gens qui ne
réfléchiflent point; elle fe plait à faire dif
bien aux étourdis & aux téméraires , à ceux;:
quidifent comme Céfar , enpaflant le Rubi^
con : Le fort en eftjette. La Sagefle ne fert?
Su'àinfpiter delà timidité. Auffi la condition
'un vrai Phiiofophe fait-elle compaffion auir
gens fenfés : car auand fa tête eft remplie de^
^éculations phyuques ôc morales, fon efto-.
inachcrie famine, & lenéceflairelui man«^
que ; ce qui fait qu'on le néglige^ qu'on le
snéprife , qu'on le fîiit , qu'on l'a enhorreur.-
Les Fous ont abondamment de ces précieux:
métaux qui font l'ame de la fociéte civile ;•
en les élevé aux Emplois publics , ils font
fioriflans. Quant à celui qui met fon bon^'
beur à être bien-venu chez les Grands , chez-
ces Idoles parées de pierreries, qui font mes:
principaux Éfclaves, à quoi lui ferviroit la'-
Sagefle , puifqu'il n'y a rien de plus détefié:
dans les Cours & dan» les Palais ?
Voulez- vous vous enrichir par le Corn-*
flnerce ? Renoncez encore à la Sagefle. Pour*'
tiezvons farts un violent remords , fair« u»
* Erafme a fait un ampU Recueil des Pt^
^gjffàcs Grecs o» Latias^
ii6 V ELOGE
violeAt remords , faire un faux (èrment f
Dès qu'on vot^s furprendra en meafonge
vous rougirez : & pour peu que tous écôu»
tiez les fcrupufes importuns des Sages fur
le vol & Tuflire , vous ne vivrez jamais»
en repos.
Si vous afpirez aux dignités & aux biens-
de TEglife y les chevaux & les ânes r éui&flent
mieux encore ici que les gens de mérite»
Aimez*vous les plaifirs l Les femmes, qui
en font le principal objet ^ courent aprè^^
les Fous & fiiyent les Sages comme des ani«*
maux venimeux. Enfin quiconque veut jouir
agréablement de la vie » doit commencer par
renoncer à tout commerce avec les Sages ^
& ^équenter plutôt des gens de la lie dur-
}>euple. £n un mot y teurnez-vons de tous^
es côtés : Papes ^ Princes, Juges,. Magif-
tiats,>Amis, Ennemis ^ Grands & Petits^
tout ne roule. que fur l'argent comptant ;.
& comme le Philofophe , au néceflaireprès ,
ne fait pas plus de cl» de cette matière que
de la boue , il ne faut pas s.'étonner fi. tout le
saonde le fuit»
Quoique mon Eloge foit un fend inépuî^
fable ,iln'eft pas jufie cependant que j'abufe-
de votre patience , & que je poufie ce dif-^
cours plus loin. J« vais donc le terminer ;;
mabi accordez - moi yjte vous grie^enconei
D E L A F a L I E. i«y
m înftant ; il y va de mon honneur. Il y aura
ici des Sages, ( car les mauvais font toujours
mêlés parmi les bons j) qui diront que je ne.
fuis belle qu'à mes yeux ; & Meilleurs les
I^égiftes ne manqueront pas de me repro-
cher que je ne cite point. Citons donc com-
me eux , à tort & à travers. Premièrement ,
on ne peut révoquer en doute, cette maxime
connue : Que quand on manque de quelque
thofe , il eft bon de feindre quon ta. Elle iip'
confirme par cette autre, quVn enfeigii&
même aux enfans : Ceft une grande fitgejjl.y
Îue de fçavoir contrefaire U Seû à propos.
ugez de là s'il ne faut pas ifue la Folie foit
un grand bien , puifque les Sç^vans ont do9-
né tant de louanges à fon ombre feule 6c à
fon image. Hora4re , qui s'apelle lui-même
un pourceau d'Epicure des mieux condition-
nés , dit la chofe plus naturellement , Jor f-
-qu'il ordonne de mêler la Folie avec la Sa^
geffe. Il- veut, je l'avoue , que cette Folie
foit courte; mais en cela il n'en apaspli)s
^*efprit. LeméftiePoëtedit dansfes Odes:
Qiitil eft doux d^epctravaguep à propos L Et
-ailleurs , qu'i/ aime mieux pajjer pour un hoi^*
me en délire & fans nul talent , que d'être'
fage & enrager tout fon faouL Homère ,. qpr
ëonne tant de louanges à {on Télémaque ^
jie laiffe jgtas de le nommer quelquefois ']fm^
i88 r E LO Ù E
étourdi ; & les Poëtes tragiques donnent
volontiers le même nom aux )evnes gens |
comme s'il étoit de bon augure. Quel eft le
fijjet de la divine Iliade ^ Ne font-ce pas les
foreurs & les folies des Rois& des Peuples?
Cicéronn*a jamais penfé plus heureufement
que lorsqu'il a dit : Que tout le monde étoit
plein de Fous. Or , vous n'ignorez pas , que
1>lus un bien eft général , plus il eft ezcet-
ent.
Mais peut-être que ces Auteurs ne feront
«d'aucune autorité chez les Chrétiens. £h
bien , fi vdus le trouvez bon, j'apuyerai ,
ou pour m'expHquer théologiquement , j'é-
tablirai mon Èlogéfur le témoignage même*
de l'Ecriture , j'enten^avec la permifTion
de nos Maîtres. L'entréprife eft très-diffi-
cile , & demanderoit pour le ûioins une bon-
ne Invocation des Mufes. D'un autre côté
H y auroit de l'injuftice à faire^ defcendre
une féconde fois les neuf Sœurs , du^baut de
leur Hélicon ; le voyage eft un peu long
pour elles, & d'ailleurs la matière que je*:
vai» traiter , n'eft pas du reiTort d'Apollon».
Or , puifque je vais faire ici la Théologien-
ne > & m'embarraifer dans les épines de h
SchoUftiaue, ilferott, ce me femb]e,plu$
convenable que TeTprit de Seot, ce bien^
lUmeiix efprit^fltts goiatu que le pqrc^éptt^
DELA folie: iS^
{Tus piquant que le hériflbn y quittât fa Sor-
onne, & vint m'animer. Quand j'aurai
£ni ^ qu'il s'ényole 06 il voudra , même à
tous les diables. Plût aa Ciel qu^il me fâc-
permis de changer auflî de vifage , & de
prendre un habit de Doâeur. Je ne crains Avan*
ou'une choTe : c*eft que , quand' on me verra tagesdc
débiter tant de Théologie , on ne me foup- laFolie
çonne d'avoir pillé les porte^-feuilies de Nos prouvés
Maîtres. Mais il n'eft pa» fort étonnant ce par les^
me femble , qu'y- ayantdepnis tant de fiéeles autori^
une amitié fort étroite entre nou» , j'aye at- tés Us^^
trapénn peu de leur fcience ; puifque Vrhpe^plusrefi
dont la forme eft enfoncée dans la matière , peSia'-
&qui n'eft intrinféquement qn*un tronc de bles.^
figuier , écoutant un )our fon Maître « qui li<»
Ibit tout haut du Grec , enr fourra quelques
mots dans fa tête , 6c tes retint prefque com«
me un livre. * Jepourro^s encore citer le coq
de Lucien , qur après avoir vécu lopg-tem»
avec les hommes , articula tout-d'un-coup &
parla comme- eux^ Mais revenons à notre
&jet 9 Recommençons fous les meilleurs auf*^
pices qu'il fera poffibte.
* Erafme fait ici allujiàn à l'Epigramme ffS^
'tes Priapécs , qui commence aïnji : Rùftîcusi»
^2doâè/i-q.uid dixifle. yid^bof », &Ct.
^§y^ V E L<rG E
. A l'ôaTerture de l'Ecclifiafte , on ttouvi»
cette y^rîdiqae Sentence, LE NOMBRE
DES FOUS EST INFINI^ mïk en for-
me d'Infcription au premier Chapitre , corn*
me celle qu on Hfoit en entrant dans le Tem-
fie de Delphes. ^ Or , ce nombre infini de
bus n'embrafle^t'il pas généralement tous
ks hommes, û Ton en excepte bien peu )
Encore doutai - )e fort qu'on les ait jamais
▼ûs. Mais Jérémie avoue lachofe plus ingé«
numeiit : Tous Us hommes , dit-il ,. Chapi^
tre lo tfa'^f devenus /ous , â force de /agejfem-
Il attribue la Sageffe à Dieu foui, & laiiTe à-
tous les honunes la Folie en partage* Un
peu plus haut il dit :Que rhotnme ne£t glorifie
point dans fa SageJTe. Et fi. nous lut demau'?
dons pourquoi rC'eft , répondra«>t'il , parte
que rhomme ne doit point fo glorifier de ce
qu'il n'a point. Revenons à l'Eccléfiafte:
lorfqu'il fait cette exclamation Pathétique ,
Vanité des vanités I tout eft vanité; à votre
avis. Meilleurs , Salomon oui étoit éclairé
du Ciel , ne déclaroît-il pasuuis biaifer , que
la vie humaine , comme je l'ai infinué tant
de fois , n'eft qu'une Folie ? N'étoit-ce pas-
dire précifément ce que Cicéron a répécé-
' Coanoik-toi taMD&ne» Flutar^
n
DELA FOLIE. tf%
fliepuis à tna louange : TouteflvUin de Fous T
Quand le même Ëccléfiafte ait encore : i>
F où change comme la Lune y U Sage eji fiable
€omme le Soleil ^n^e&^ce pas dire clairement
[ue tous les hommes font fous , & qu'à Diea
3ul apartient le titre de Sage ? En efFet , les^
Interprètes entendent par la Lune , la Na«
ture humaine ; & par le Soleil , ils entendent
Dieu , qui eft la fource de toute lumière. Le
Sauveur apuye cela dans fon Evangile, lorf»^
qu'il dit y 4"e Tépithéte àerSon ne convient
qu*à Dieu« Or ,.lelon les Stoïciens , Sage Se
Son font deux termes réciproques , & qui
fignifient U même chofe : ainfl tous les hom-»
mes, étant mauvais , par une confécpence
aécefTaire , ils font tous fous»
. De plus , Salomon dit au Cbap. 17 : X^
Folie efi pour le fou une fource de joye ; pan
•ùilconreire ouvertement que fans la Folie
il n'y a rien d'agrëable en ce monde-ci. Oo
lit ^ns un autre endroit : Quepliu on ajoute
à nosconnoifjances , plus on rend notre condi"
don trifte ^ & qu^où il y a. beaucoup de/ens ^
il y a. bien des/ujets de mauvaifi humeur^ Cet
excellent Moraliile répète encore la même
fenféeau Chap* 7 : La triftejfe logie^,^ dit-il ^
ans te cœur des Sages- ^ 6^ la joye dans /a
€aur des Fous. Ainfi , non content d'avoir
aprofondila-fageffe^ il a été. curiett» de me
»$« r E LO G E
conooitre. Vous croyez peut- être que)*éir
ifnpofe ? Ecoutez fes propres paroles , Cha^
pitre I. Je me fuis apliqui ^ dît-il , âconnoùrf
non-feulemeni la Prudenct &' ta Dodrine ,
mais avffi Us Erreurs & la Folie. Vous' re-
marquerez, s'il vous plaît, qu'en cet endroit-^
H c*eft pour me faire plus d'honneur , qu'it
me nomme la dernière ; & que dans Tordre'
de l'Eglife , le premier en dignité eft au
dernier rang , conformément au précepte
de Jefus-Chrift.
Que la Folie ait plus de dignité que la Sa*'
gelie , c'eft ce que l'Auteur de VEccUfiajlique^
( quel qu'il foit ) montre évidemment au*
Chapitre 4. Mais avant de vous raporter
l'endroit, je veux que vous répondiez préci--
ftment à toutes mes ({ueftions , pour faciliter
les induâions^ aue je veux tirer : c'efl mar
méthode , auffi-bien que celle de Platon ,.
qui fait toujours interroger par Socrate lesr
Interlocuteurs de Tes dilnogues.
Je demande , que doit*-onle plus ibigneu-'
Jément tenir fous-la clef, & renfermer chez*
fei, ouleschofes rares & précieufes, ou cel--
Its qui font viles & communes ^ Vous ne di-'
tes rien , 6c vous voilà tous à metegarder y
comme des ftatue». Mais vous avez beatr
farder le filence , les Grecs répondront eir
minois e4)ur ¥011$^ : On ne çmnpgoim , dit
DE LA FOLIE. 1^5
vu de leurs proverbes , dt laijjirfa cruche À
Importe. Et de peur que quelque impie ne s'a«
viie de rèjetter cette Sentence, je vous ayer- ^
tU que c*eft ^riftote, ce Dieu ienos Mai' .
lr/^,qui I4 raporte. Continuons. Y auroit-ii
ici quelqu'un affez foû, pour laiiTerfon or
& fes bi]oux à la merci des paflans ? Je n'en
crois abfolument rien. Car vous me paroif-
foz; tous gens . à ne pas laifler traîner vos
effets , & à. les : ferrer dans le coin le plus
fi^cret dttcof&é^ort ; vous n*«xpofez quQ ce
q^e vous ^e vous fonciez pas de perdre»
Qr , fi la prudence veut qu'on mette en fu-
reté les chofes de prix^ôcqu'on abandonne au
lîMzard ce qui coûte peu , je gagne ma cau-
fe.. V EccUfiajliqut ordonne de découvrir la
Sageffe , & de cacher la Folie* Voici le texte:
l^hotnme. qulcach^ fa Folie y vaut mieux qtu ,
c^l^iqui cach^faSageffe. Bien plus, l'Ecri-
ture -Sa^lte attribue au Foûune générei^fe
inodefiiej dont le Sage, qui fe croit toujours
meilleur que les autres , n'eft point capable.
Ç'eil le lens que je donne à ce paflagede
VEccléfiafie , ch. 10. Quand le Fou fe pro^
méne^ il croit que tous ceux qu'il rencontre,
font Fous cùn\me lui. Admirez, je vous prie,
ce^te candeur,^çttefmcérité : naturellement,
tot^ les hommes ont grande opinion d'eux-*
mêmes ; mais la Folie rend Thomme fi hom-
^ R
s
194 V E L O G E
ble , qa*il veut bien partager ik vertu aveâ
tous les autres hommes , £ leur communi«
qner les louanges qu'elle mérite. En feriez*
vous autant ? Point de flatterie ; je ne vous
crois pas encore à ce degré de perfeâion.'
Salomon fe flattoit d'y être parvenu : Je
fuis , dit-il , au chap. 30. h plus Fou des
hommes. Saint Paul , le Doâeur des Gen-
tils , n*a pas dédaigné le beau nom de Foû :
ne dit-il pas aux Corinthiens: Jt le dis cvm"
me foû , & je le fuis plus qiieux ? Parce
tt'aparemment ^ fuivant fa pen(<ée , il y a
ie la honte à fe laifler furpafler en folie.
J'entens s*élever ici contre moi quelques
Erudits, de ceux qui veulent redrefler vos
Théologiens, & qui vous mettent devant les
yeux les obfervations qu'ils ont faites , com-
me un nuage pour vous garantir , à ce ou'ils
prétendent^ des faufles lueurs du Sophiime :
ces gens» dont mon Erafme eft le Porte-
enfeigne, ou du moins le Chef en fécond ,
vont aparemment s'écrier, que cette citation
eft folle & bien digne de la Folie ! la penfée
de FApôtre n'eft rien moins que celle que
vous nous forgez àplaifinll ne vifenullement
àperfuader qu'il elt plus foû que les autres :
mais après avoir dit , ils font Minijlres du
Chrift & moi aujfj^ fentant bien qu'if ne di-
foit pas aflezyil ajoute : Jt le fuis plus qu'eux^
D E L A F L I E. ipj
<5c pour oter je fcandale , que le témoignage
avantageux qu'il fe rend lui-même auroit pu
caufer , il s'accufe de folie en' cela , parce
qu'en effiet il n'y a que les Fous qui ayenc
permiffion de tout dire.
Oh ! difputez tant qu'il vousplaira^Sc chi-
canez tout votre faoul fur le fens de ce paffa*
ge:pourmoîiefuis l'interprétation deces gros
bonnets , de ces bedaines théologiques dont
f embonpoint garantit l'autorité , & avec qui
ia plupart des Doâeurs aimeroient mieux fe
tromper,que de penfer mieux avec ces gens
qui fçavent trois langues : * car on en fait
amant de cas ç^ue des pies & des perroquets.
D'ailleurs, j'ai pour moi un glorieux Théolor
gten 5 que je ne veux point nommer , dans la
crainte de donner lieu à nos Sçavantaffts § de
luiapliquerle Proverbe, ^ VAmtàha Lyrt^
♦ L'Hébreu, , U Latin , * le Gree^
§ Cette épithéte eft équivoque , ^fignifie i
lit fois un homme qui Je vante y&un homme
qui aie la réputation*
. 5 Ce Théologien & Nicolas de Ltra^ quia
fait une glofe perpétuelle fur tous les livres de
r Ecriture ; glofe finguliére , peu lâe^ ouplêtôt
fort ignorée aujourd'hui» On voit fa tombe,
dansîe Chapitre des Cordeliers de Parie,
^ r E LO G E
Ce Doâeur explique magiftralement & théo^
logiquement ce paUage ; Je le dis avec moins
4.e $agej[fèf je le fuis plus qu'eux* Il en fait
vin nouveau Chapitre,âc ce qui demande une
Dialeôiqueconiommée, il ajoute unenou-
itelle Seôion.Voicitbn raifonnement en for-
me ÔC en fubftance m Je le dis moins fàge^-
» ment^ c'eft-à-dire, fi je vous parois fou
» lorsque je me compare aux faux Apôtres,
»1 vous me trouverez encore plus foû de me
n préférer à eux. « Puis le Doâeur, comme
s'il extravaguoit lui-même/e jette tout-d'un-
coup fur une autre matière. Mais pourquoi
m'arrêter à unfeul Interprète? Nos Théo-
logiens n'ontrils pas le -droit d'étendre le
Ciel , c*eft*à-dire , l'Ecriture-Sainte , com-
pote une peau ^ s'il faut en croire Saint Jé-
tome , qui fç^voit cinq langues ? Saint Paul
lui-même ufoit de ce droit ; il y a dans fes
divins Ecrits , des chofes qui femblent con-
traires aux livres facrés , 6f qui né paroif-
£ent plus telles , quand on lit ces citations
à leur fource. Jugeons des pieufes fraudes
de ce grand Apôtre , par celle-ci. Les Athé-
aiens avoient coofacré un Autel , avec cette
Infcription:-^t^x Dieux de l*Asie^
t>E L Eu ROP E ET DE J^AfRIQU£;
^ U X D l E U X Z (f C ON NU s £T
£T R.jNGEtiS'. Saint Paul tronque Unfi^
D K LA f Ô LIE. Ï97
'trlptïon; \\ en prend ce qu'il croît avan-
tageux à la Religion Chrétienne , & laifTe
le refte : encore ces deux mots : A v Dieu
INCONNU, qui font le texte de fon dif-
cours,ne font-ih pas raport es fidèlement ?Les
Théologiens d'aujourd'hui veulent aparem-
ment fuivre cet exemple : rien de plus ordi-
naire que de leur voir arracher dans quelque
endroit d'un Auteur,cinq ou fix mots» & d'en
altérer le fens^pour l'ajuder au leur. Cepen-
danc , quand on vient à confronter la copie
avec l'original , & à remettre la citation à fa
place, on trouve que ^Auteur cité n'a rieii
dit de ce qu'on lui fait dire,& Couvent même
qu'il a dit tout le contraire. Cèft pourtant ce
aue font nos Maîtres , ôc cela avec autatrt
oe bonheur que d'imprudence ; enforte que
lès Jurifconfultes y qui aiment à citer bien
ou mal , leur portent envie.
Comment cette rufe ne réuffiroit - elle
pas \ Et que ne doit-on pas bazarder aprè^
ce grand Théologien , dont le nom, m'alloit
échaper y fi je n'avois craint d'être payé da
Proverbe ? Ce Doâeur , en interprétant un
endroit de Saint Luc , s'accorde avec l'ef-
prit & la lettre , à peu près comme le feu
s'accorde avec l'eau. Je m'en raporte à
irotre difcernement* Dans le tems d'un ex-
trême danger y tems auquel tous les bons-
?98 V E L O G E
CUeçs font plus a/Sdus nuprès de teurs Pa»
trons, pour leur oiFrir leurs (erviceSyle Sau-
veur voulant élever Tes Dlfciples aii-deflns.
de toute confiance dans les fecours humains,
leur £ait cette demande : Quand je vous ah
envoyés y vous i^t'U manqué quelque chofi?
Ils n^avoieat pourtant ni foulters , pour (t^
garantir des épines & des caillons qu'ils
rencontreroient fous leurs pieds « ni pro-
vîfion quelconque de vivres, ni viatique
pécuniaire. Le$ Apfttres ayant répondu y
qu'ils avoient trouvé leur néceflaire par-
tout : A prtftnt » * dit le Sauveur , celui qui
a un fac ^ petit ou grand « qu*il le laijfe là ;.
& celui oui n a point d^épet^ qu^^il vtnde fa,
robe ou fa chemife ^our en acheter une. Or »
comme toute la Uoârine Evangélique ne
roule que fur la douceur , la patience & le
m épris de la vie^il faut s'aveugler volontaire»-
ment , pour ne pas entrer ici dans les vues
& dans l'intention de Jefus-Chrifl. Ce divin.
Légiflateur voulant mettre fesLieutenans^ou.
iesDélégués dans une difpofition touteApof-
tolique, chercheà les détacher généralement
de toutes les chofes d'ici-bas. €e n'étoit pas
aflez pour eux de fe pafler de fouliers & de
biflac,ils dévoient auffi fe dépouiller de leurs
vétemens ; image du parËut dégagement dcL-
cceur avec lequel ils dévoient entrer dans.bi
DE 1 A F O l I E. t99
trarriére de l'Apoftolat; Il eft vrai que 7. C^
ordonne à fes Difeiples d'acheter une épée ;^
Riais queMe (forte d'épée ? Quoi ! ce fiinefte
kiftrumeiit du brigandage , du meurtre^IUeii!
moins , non pas même un inftrument de dé-
fenfe. Mais c'eftce glaive fpîrituel qnipea^
ce iufqu'au fond de Tame , & qui tranche*
tellement toutes les pàflions^ que ht piété
domine & régne féale.' dans le «cenr. Or^
voyez, >e vous prie, comme notre célé-^
bre Ane à la Lyre , a fçu tordre cet endroit-
là : il entend par l'épée , le droit defe dé-^
fendre dans la perfécution , & par le fac »
de -vraies provifions de vivres, * comme fi
le Sauveur, ayant changé de fentiment , ou ,
s'étant aperça qu'il n'avoitpointaSez^poarva-
J^rédat 6c à la dignité de tes Miffionnureis -,
eùtrétraâié fos ordres.CeLépiflateur avoit-il
4onc oublié toute fa morale fil avoit déclaré
fi formellement à fesDifciples,^u'ils ferotent
heureux, s'ils fouffroient patiemment les
•probres, les outrages & les fuplices ; il leur
avoit défendu toute réfiftahce contre les ag«
erefleurs ;il leur avôit dit que le vrai bon*
neur étoit pour les doux & les Amples, & -
* RaUaîs dirait en fon langage : ici Nico*"
Iks de Lyra délire*.
R4
^* Z* ELOGE
iiullemei^t pour les fopefbes ; enfin » il les ^
avoit exhortés par l'exemple des moineaux
& des lys , à s'abandonner entièrement à
la providence. Ne fe fonvenoit •< H plus de
toutes ces maximes ? Eft- ce par un efprit
contraire qu'il commande aux Apdtres de
prendre Tepée , de rendre leur habit pour
s'en:paurvoîr, & d'aller ^ plutôt tout nuds,
que drmftrchcr fans.drmes* Comme notre
fubdl commentateur comprend fous l'idée
du glaire tout ce qui peut fervir àrepoufler
laifio^ce, il entend auffi. par laboorfe, tout
ce qui concerne les commodités de la vie»
Aînii cet interprète de l'efprit de IKéu fait
paroître fur le Théâtre » les Apôtres armés
de pied en cap, pour prêcher lefiis-Chrift
cruci£é rit les charge comme des Sobiats^de
biflac , de paquet , de ralife ^ en un mot ^ de
tout ce qu'il faut pour ne pas jeûner en che-
min*
Mais pourquoi Jefus-Chrift , après avoir
commandé à fes Difciples de vendre jufqu à
leur cheniife(exclufivement àce qoeje croîs)
5 tour achetek" une épée,leurordonne*t*il en-
uite»avec réprimande , de la remettre dans
le foureau ? Pourquoi les Apôtres (au moins
que je fçacfie) n'ont-ils jamais employé le fer
contre la violence des Païens ? lîs éioi^nt
pourtant obligés en confcîence de iouer 4fifi
DELA FOLIE, aw
Couteaux , s'il eft vrai qu'ils ea avoient
reçu un commandement formel. Le fameux
Théologien dont il -s'agit , ne s'eft nulle-
ment embarrraffé de toutes ces objeôions.»
Il y a un antre Doâeur , dont je tairai en*-
core le nom par refpeâ , quoiqu'il ne foit
pas de la canaille fcientifique : ce bon hom^
me fait le plus plaifimt fault qu'on puiiTe
imaginer. Le Prophète Habacuc a dit : Lts
peaux de la terre de Madian feront en cori'*
fufion* Il eft dair comme le Soleil , que l'info
pire parle des tentes du Camp des Madianip*
tes; mais ce*Théologien s'abufantfur le mot
àeptau , explique ce paiTage du fuplke de
Saint Barthelemî, qui, comme on fçak»
/ fut écorché vîL
raffiftoisFantre jour i une Thèfe deThéo»
Iogfe,( car je manque très-rarement ces bon*
nés aubaines* ) Qnel^'un ayant demandé
comment on pourroit prouver par l'Ecriture
fainte , qu'il faut employer contre les Héré-
tiques la voye du fagot & du £ett, plutôt que
celle du raifoonement ; un vieillard , qu'à ion
air fufHfant & rébarbatif on reconnoiffoit
aîfément pour Théologien^réponditen fron*
çant le fourcil: €'eft Saint Paul, oui Saint
Paul lui-même ^ qui a fait cette Loi fi jage.,
H'a-t'il pas dit expreffément ^ évite^ rhJré»
ti^ut^aprks l'avoir repris um 6f diuxfois.i;
^M L' E tO G E
Comme Urépétok foulent à haute, voix le»
SDéffl«s paroles, tout le monde le crut faifi
d'un accès de frénéfie ; maïs enfin il donna
le mot de TEnigme: n Etes «vous donc,.
»s'écria-t'il« d'une ignorance affezcrafle^
» pour ne rçayoir pas que ceterme devita,
9» Mm^ 9 fe ferme en latin de la prépofi-
» non de, 6l dn nom fiibftantif vita , cooh*
»» me qui diroit, hars de la vie? Ergo r
99 Saint Paul a commandé de brûler lesHé-
»> rétiques , & de jetter leurs cendres aa<
9» vent. >3
Une étimologie il neuve fit rire quelques-
uns des Auditeurs : mais d'autres là trouvé^
rent profonde, & vraiment Théologique.Ce
barbon » s'apercevant que tous les fuffrages
de l'Aflemblée n'étalent pas pour lui , lança
fargument décifiCt II eu encore écrit, dit-il ,
Nelaiffe pohu vivre le nudfaifant : Or , tout
Hérétique eft malâûrant; Erp^^ &c«^Al6rf>
chacun d'admirer l'efprit du Doâeur;fon ju-
dicieux Erfn fiit univerfellement aplaudi ,
& même ancun des Auditeurs ne (Oefouvint^
que cette loi regardoit ^iniquement les Sor-
ciers , les Enchanteurs, les Mî^ciens^ genre
d'hommes que les Hébreux défignent par le
terme de maîfaifant. Il Êiudroit donc auffi
condamner au feu tous les coupables & tous
tes. pécheurs» Mais ne fuis-)e pas folle.», de.
B E Z A F ù L I E. aoj
mVmi^er à ces bagatelles i Car le nombre
en eft fi grand > qae Chryfippe & Dy dime
aux entrailles de fer, n ont pas écrit plus
de Cottifes , quoiqu'ils ayent Êiit une quan*
tité pfodigieufe de volumes > llin fur la
Dialeâique^ l'autre fur la Grammaire^ Je
vous prie donc feulement de me rendre
^uàice fur une chofe : s'il eft pern»s à ce»
divins Maîtres de s'écarter ainh du bon fens
& de la vérité > à combien plus forte rai-
fon , n'étant qu'une Théologienne en dé-
trempe , doit*on me pafier mon peu d'é«»
xadtitude dans les citation^ i
JeTeviens. à Saint Paul* Cet Apdtre dit»,
parlant de lui-même : Vous fuportt;^ volon-
âiers Us Fous. • « • » Receve^-moi comme um
Foû «.•.«.. Et ailleurs : Je ne parle pasfelon>
Dieu , mais comme fi j étois FoA. ..^. Nour
femmes Fous noue autres pour Jefus^Chrift^
Un Auteur de ce poids-là y dire tant de bien
de la Folie? Quelle gloire pouc moi? Saint
Paul n'en demeure pas-là;il va jufqu'à ordons-
ner la Folie» comme une des choies les plus
néceflaires au falut : Cehà à* entre vous qui fe
croit fa^ ^quHl embraffe la Folie pour trouver
la Sagejffe, Jefus-Chrift .traite de Foi^r dans.
Saint Luc, les deux Difciples qu'il joignit en\
chemin après fa Réfurreaion? Cela me fur*^
l^rçad beaucoup moins^qiie ce que ditFApâ^
ao8 r EZ O G E
défendît, fous peine dcmort, aux premiers
époux qoTil venoît de créer & d'unir enfem-
hle , de toucher à l'Arbre de Science: preu-
ve certaine que la Science eft le poifon de hi
félicité. Auffi Saint Paul la rejette-t'il com*
me pemicieufe , & propre feulement à en-
fler le cœur. Jç crois que Saint Bernard pen-
foit coRMne cet Apôtre ; car il nomme 1^
Montagne où Lucifer a voit fixé fa réfidence,
li Mont du Sçavoir. Autre preuve qui n'eft
pa»à négliger : il faut aflurement que j'aye
du crédit oans lé Ciel , puifqu'on y obtient
grâce fous mon nom, au lieu qu'on n'ofe-
roit employer le feçours de la Sageffe« Un
homme a-t'il péché avec connoiflance de
canfe ? Ne croyez pas qu'il s*avife d'alléguer
fes lumières \ il eft trop heureux de prendre
la Folie pour prétexte & pour prote^rice*
Ceft ainuqu Aaron, au xtl. Chapitre des
Nombres, demandant pardon pour fa fem-
me , s'écrie humblement : Daigne^ , Sri-
gneur, ne pas nous imputer une faute que nous
avons commife par pure folie, Saiil s'excu-
fant à David : // paraît bien , lui dît-il , que
fai agi en fou. David lui-même, tachant
de fléchir la vengeance divine : Seigneur ,
dit-il,/V vous fuplie d^ effacer cttît iniquité
du compte de votre /erviteur ^ car c^eft la Folie
qui m^ a fait agir. Vous voyez bien qu'il
craignoît
DE LA FOL I E. 209^
craî^OTt de n*êtf e ];>oînt exaucé , s'il n'allé^
gioit fa folie & fonignorancer Mais rien ne
it tant pour moi , que la prière que le
Sauveur ht fur la Croix pour fes ennemil :
Mon PtTt , pardonnez-leur , dit -il; & il
n'employé d autre. raifo& pour les excùfer» '
que celle de leur imprudence , para qu'ils
ni fçavent ce qu'ils font. Saint Paul écrit de
même à Timothée : Dieu m' a fait miféricor"
de , parce que mon incrédulité était t effet de
l'ignorance, Qu'eft-ce que cette ignorance ?'
N eft-ce pas la Folié & non la malice f Quel
eft le fens de ces paroles : Diew m^ a fait
miféricorde , &c, ? N'eft-ce pas infmuer clai-
rement que fans le crédit & la recomman-
dation de la Folie y il n'y auroit point ea
de miféricorde pour Saint Paul ? Le Pro-
phète Roi s'exprime de même dans ce
pafTa^e , que )'ai* oublié de placer en foa
lieu.: Ddîgne^ ,. Spigneur ^ oublier les éga»
remens de ma jeunejfe y. & mes ignorances.
Vous remarquerez ici , que ce divin Chan*
«re s'éxcufe par deux endroits : par Ik'-
];eune{re, âg^ dont je fuis la fidèle âc infé-
parable compagne, & par l'ignorance ; 8t
pour montrer l'excès de fa folie y il fe fer«:
du: nombre pluriel.
Mais pour me tirer d'iin détailqurire fin£--
voit-goint ^yous allez voir en racourci ,; qiia*
]a Religion Chrétienne femble s'accordër-
parfaîtement avec la Folie , & n'avoir nnl»
raport avec la Sageffe. Comme c'cft-là an
vrai paradoxe, je ne veux point en être
crae fur ma parole, & je viens aux preuves*
Premièrement, les jeunes gens» les vieil-
lards , les femmes & les fots prennent plus,
de plaifir que les gens fenfés aux facrifices ».
'8ç aux autres cérémonies de TEglife, ce
qui fait qu'ils tâchent de s'aprochèr de TAu-
tel le plus près qu'ils peuvent. Et qui leur,
lionne, je vous prie, ce zèle & cette dé-^
votion ? L'impreffion toute machinale de.*
la nature. En (econd lieu , les fondateurs de.
la Religion Chrétienne , qui faifoient pro---
feflion d'une fimplicitémerveilleufe, étoie&t.
les ennemis déclarés de Tétude des Belles*^
Lettres. Enfin il n'y a point de fousquipa--
ToiiTent porter plus loin l'éxtraïKagance ^
que ceux qui fe font livrés tous entiers &
avec ardeur à la Piété Chrétienne : ils répan-
dent leur argent comme de l'oau; ih meprî-^
fent les injures ; ils fe laiflent tromper ; ils«
ne mettent aucune différence entre les amts
& les ennemis ; la volupté leur fait horreur ;.
rabftinence,lesveîlle$> les larmes, les tra-
vaux ,. les outrages femblent les nourrir ; ils.
ont un grand dégoût pour la vie , & une gran».
^ împ/tience. dr mourir.; enfio.on.&olfe
DE ZJt rO tlK. «ti.
ijaMIs font abfolument privés du ftos com-
mun, ou que ce font des corps fans ame &
dépourvus defentiment. Quel nom trouve*
Tons-nousàcette pieufe manie , fi le nom-
de Folîe ne lui convient point ? les Juifs n'é-
toient-ils pas bien fondes à croire que leS'
Ap&tres avoient'trop bû ? Le Ju^e Feflus>
ii'avoit-il pas raifon de prendre &int Paul i
pour un extravagant ?
Mais puifque ]e me fois érigée ici ^jenc^
fçais comment, en fçavante & en raifonneu-
fe, je veux foutenir la gagûre. Reprenons ^
courage; foutenons devant cette illuftreAf-
femblee de Fous, une thèfe nouvelle, & à^
laquelle on ne s*àttend pas. Oui, Mei&eurs ,.
\à vais vous montrer que le bonheur des>
Chrétiens-, qttex^ette félicité quHls cher-
ehent avec tant dé peines & de travaux»',
n'eft qu'une efpéce de folie & de fureur.
iVous me regardez de travers , & l'indigna-
tion fe peint fur votre mine ? Doucement , ,
ne nous arrêtons point aux expreffiom ^ ce
ne font que des fons arbitraires ; mais atta-*
chons-nous'àlMen examiner la chofe.
, Le fyftême du Chriflianifme fur le yraîi
bonheur de la vie , eft prefque la même cho-
fe que le phn des Platoniciens. Suivant le -
principe fondamental de ces deux partir » ^
lîafxiej eft eafoncée^ dans le corps, elle eff^
31« r E L 06 E
cnvelopée des liens de la mktiëre, elle e(S
tellement entraînée par la pefantear de 1»
machine organique » qu'eUe a uhe peine ex-»
tréme à coonoître le vrai , de .encore plus à
en jonîr. Ceft par cette raifôn que Platon
définiffott la Philo fophîe , la méditation de la
mort ; car la mort ainfi qoe la Phîlofophîe rer
tire l'ame des objets rîTibles & matériels. Su£
ce pied-là y tant que Tame employâmes orga?
&e».du corps , félon féconomie naturelle de
ces deux mbftamres fi diftînâes entr'elles^
l'ame eft faine &iaee : mais lorfque'l'amev
rompant fes liens , tache-de forcer fa prifon^
& de.fe mettre en.liberté y on apelle cet^état
Folie ; & fi par hazard ce dérangement vient
de maladie & de l'altiratioa des organes ,
alors tout le monde conjûen^ que c*eft une
fureur. Nous les voyons pourtant ces trop
heureux Fous , nous les voyons prédire l'a-
venir , pofTéder des Langues âidesSciences
qu'ils n*ont jamais aprifess, & faire voir eh
eux quelque chofe de divin* P'oiipeut venit
un tel prodige ? Ceft fane doute que l'ame»:
plus dégagée de la fervitude ditcorps , com^
mence a déployer fa force naturelle. Ne fe-*
soit-ce point la raifon qui finit qaelquefoia
parler les mourans, * comme dés inipit^s i^
* Sfiifruù condamné.txèsTinjufi€m€nl:à.m(iU^
DE t A FOL I E. * arj
Si le zèle & Pardenr de la piété produifent
cet effet extraordinaire, ce^n'eft peut*être
pas le même genre deFolie y mais il enapro*
che fi fort, que communément on lui donne
ce nom-là. En effet, qui ne traiteroitpas de
fous , ôc de maîtres fous , un très-petit nom??
bre di pauvres d'êjprit^^m^^^ix leur condui*
te, font le procès à tout le Genre-Humain l
L*i4ée de Platon ne fera pas ici hors d'ioeu;»
irre : cePhilofophe a feint une caverne rem^
plie de gens qui font arrêtés malgré eux ; un-
. de ces captifs s'enfuit, ôc après s'être prome-
né long-tems , il revient : mes amis , s'écrie*-
t*il en. rentrant, que vous me faites pitié l
Vous ne.voyez ici que des ombres & que des
fantômes^ en un mot vous êtes des Fous»
Pour moi , je n'ai rien vô que de très-réel ,
sien que de folide & de bien éxifiant. D'un
autre côté , les gens de la caverne qui ne font
jamais* fortis de leur fouterrain ,. difent en fe
regardant les uns les autres : Que veut donc
ùrparla ciguë ^ dït.auxjuges.quiavûitntvro^
nonféfa SenUfue : Je fouhaite d'être bon PrO"
phête pour vous quiin?avezrcondamné, ca»
|e fuis dans la conjonâure où' les. hommes
«ntrevoyent l'avenir., c'eft*à-dire, auziigra»-
«besdfiilkmott*.
»♦ ; r El OGE'
ëirecefoû-U?Sériea(!^iiient'fa cerveHe eft
démontée. Il en eft ainfi da commun des*
hommes : ce qaî tombe le plus fous les fens ,
occupe le plus leur efprit ; ils ne connoiflenr
prefque. point d'autres êtres que les êtres
matériels & fenfibles. Au contraire > ceux>
Jii fe font dévoués entièrement à la piété ,,
ns cefle auadiés à la contemplation des^
cfaofes invtfibles » .méprifen t un objet à pro-
portion qu'il les touche déplus près ^ je veux*
cure » qu'il eft palpable & corporeL*
Les Mondains font leur première & prin*
cîpale occupation d'amaffer du bien , enfûite
ils s'apliquent à contenter le corps ^ & le
dernier foin feréferve pour Tame, dont la
plupart ne croyent po^t Téxiftence, parce
«'elleVeft pas vtfible* Les gens embrafés
ou feu de la Religion >. prennent une route
S^ofée ; ils mettent toute leur confiance en
ieu ^ qui eft le plus fimple des êtres ; après
kiif ilspenfent à leur ame, comme -à la chofe
Si aproche le plus de la Divinité. Us ne fe'
iicient nullement du corps : non-feulement^
iU méprîfent la fortune,, mais même ils la
ftiyent:; & s^s font obligés par devoir , &•
comme pères de famille, à veiller for leur
temporel , ce n'eft qu'à regret & avec dé^
goûtvparcequ'ils ont comme s'ils n'avoient
B^>ûuv,parce qu'ils yoffident coiame ne Rofr
2rr LA rtttiw. 4tf
ffidàntpoinn li y a plufieurs autres degrés^
de différence entre les hommes qui ne s'oc*>
cupent que du corps» & ceux qui fe livrent,
uniquement à. la pteufe culture de l'ame:
pour mieux diftinguer ces degrés, pofoos
«n principe inconteftable.
Quoique tous les fentimens de Tàme
ayent une liaifonnéceflaireL avec le corps ,
il y en a pourtant de deux fortes; les uns
font plus matériels , comme le toucher ,
Tôuïe , la vue, l'odorat, le goût ; les autres
ont moins de raport aux organes , ôc ce font
la mémoire ^J'emendenàent & la volonté.
H s'enfuit de laque Eàme a plus ou^moins de-
force , à. proportion qu'elle s'aplique plus,
ou moins a ces divers fentimens. MtiUons.
maintenant furcette hypothèfe. Ceux dont:
là piété abforbe routes les puiffances, à for-
ce de s'élever^ .autant qu'il-leur eilpoffible,.
au-deflus dés fens corporels , parviennent -
,àles émouiFer^tellement qu'à la fin ils ne-
fententplusrien. Tel étoit , par éxemple^un^
S. Bernard, qui» fi Ton en croit.fa Légende y ,
fauvoitdel'huilelpour du vin. Au contraire,,
tes fenfuels ont une grande vigueur cfame
Eour les ièns du corps ^. &.une grande foi-
leflepour les fentimens de-r^kme^ De plus».
Ermi les paffions il y. en a qui touchentc
corgs^ de. plus près y, coiiune. le&^ défisse
kif V ELO G E
amoureux ^ la £iim & la foif , Tenvie ît
dormir , la colère « l'orgueil & Tenvie : (es*
vrais Dévots , s'il y en a , font une guerre
irréconciliable à ces paffions ; au lieu que
les pattifans de la Nature ne croyent pas
qu'on puiiTe vivre fans elle. Il y a d'autres
paffions qui tiennent le milieu , & qui font:
auffi naturelles , comme , par exemple « 1'^-.
mour de la patrie, de fes pères & mères >
de fes enfans , de Tes proches » de fes amis :
le commun de» hommes accorde quelque
chofe à.ces paffions-là ; mais les gens pieux
travaillent à les. arracher de leur cœur , ou
du moins à les fpiritualifer» Un fils chez eux
aimefon per^ ; mais ne croyez, pas que c'eft
la paternité qu'il honore ôc qu'il aime « dans
celui dont.il a reçu la vie* Quelpréfent moa
père m'a-t'il fait , vous dira ce >aint ? O'ua
corps miférable , & qui eft mon plus danger
teux ennemi ? Encore efl-ce à Dieu que.je
le dois, .il e& l'Auteur de mon être : mais
j'aime mon père comme un homme, ea
gui brille l'image de cette intelligence
iuprême:, qui elt U Souverain Bien , 6c
hors de laquelle il n'y a rien d'aimable^,
cien qui foit digne de nos defirs. C'eft
par cette même ride » qpe les gens à.
mortification jugent de tous les devoirs de U
Kie^.en.ibrte qpe ^ s'ils ne méprifentpas g^
nérâlemensi
DELA FOLIE: «7
«éralement toutes les chpfes vifibles ; aq
jnoins les mettent-ils infiniment au-deflbus
de celles qu'ils ne font qu'imaginer. Ils dî-
ient même que dans les Sacremens , &
dans les autres objets du Culte , ]a matiè-
re ne feroit rien , fans Tefprit. Les jours
de jeûne, ils comptent pour peu de chofe
Tabftinence de la viande , & de quelque re«
pas y quoique la multitude fafle confifler
en ces deux points toute l'obligation du pré-
cepte. Les perfonnes pieufes^ vousdifent»
qu'il faut jeûner fpirituellement , c'efl- à-di-
re , dompter fes paffions , mortifier fa co-
lère & fon orgueil 5 afin que l'ame étant plus
dégagée de la mafle du corps , foit mieux
en état de goûter les chofes du Ciel. Il en
cft de même de la MefTe. Nous ne mépri-
sons pas 9 difent-ils, ce qu'il y a d'extérieur
& de vifible dans le faint Sacrifice : mais les
lignes & les cérémonies feroient inutiles ,
où plutôt nuifiblesy fans l'efpritqui les rend
^fiicaces. Comme ce Myftére reprefente
la mort du Sauveur , il faut que le Fidèle
la reprefente auffi en lui-même , en mou-
rant à fe« paifions , afin de reflufciter &
de reprendre une nouvelle vie ^ pour s'u^
nir à J. C' & à fes membres. C'eft dans
cette difpofition , que les Saints afliftent à la
lA^S^. Le Vulgaire n'eafait pas de même ;
«rt r E LO G E
comme U ne conçoit dans ce Sacrifice, que le
commandement d'en être témoin^il segarde,
il eft atèentif au chant , aux cérémonies ; &
{>ui$ c'eft tout. Ce n'eft pas feulement dans
es chofes que je viens d'aporter pour éxem«-
pies y que les Anges mortels rompent tout
commerce avec la matière & les corps ; c'eft
Sénéralement dans toutes celles de la vie ,
c par^tout ils prennent un rapide eflbr vers
les biens éternels , invifibles oc fpirituels.Or
puifque les Dévots , & les Indévots diffé*
rent en tout , vous jugez bien qu'ils fe re-
Î ardent les uns les autres comme des Fous,
lais en vérité , les plus matériels ont la rai«-
fon de leur côté ; & ce font les Dévots qui
méritent le titre de Fous. Vous ne pourrez en
difconvei^ir , dès que je vous aurai fait voir
en peu de mots, que cette récompenfe infi-
nie , après laquelle ilscourent fi ardemment,
n'eA qu'une efpéce de fureur. J'apuye mon
fentiment/ur un Oracle du divin Platon : Ls
fureur des Amans yAix^t Philofophe énthou-
£aile , efl la plus heureufe de toutes. En effet ,
un Amant bien pafTionné ne vit plus en
foi , mais en la perfonhe qui s'eft emparée de
fon cœur ; & plus il fort de lui*ménte , pour
fe transformer dans l'objet de fon amour,
flus il fent redoubler fon plaifir. Ainfi quand
ame d'un Dévot , quîbrulô de parvenir à U|
» £ L'A F O LI E. %x$
Iperfeâîon évangélîqae, travaille à fortir de
Ion corps , en nefailant point Tufage qu'elle
doit de fes fens & de fes organes , n'a«t'on
{>as raifon d'apeler cela une fureur ? Râpe-
ez-vous ces façons de parler fi en vogue s
îl eflhors de foi.»* Rentre^ en vouS'mêm€..i
Il ejl revenu à foi. Si, fiiîvant l'idée dePla«
ton, l'excès de la Folie, & pSù* conféquent
du bonheur ,femefure à celui de l'Amour v
Juelle fera donc la vie des Bienheureux
ans le Ciel , après laquelle les Dévots fou-
Îirent avec tant d'empreflement ? Dans cet
tat de félicité , qui fe renouvellera fani
cefle , l'ame viâorieufe abforbera le corps i
cette parfaite domination , loin de caufer
la moindre peine « deviendra toute natu«
relie : l'efprit fera comme dans fon régne «
& il jouira du prix des efforts qu'il a faits
dans fa vie mortelle , pour réduire fou
corps en fervitude.De plus^ l'ame feracom*
me eaeloutîe d'une manière incompréhen*
£ble,dans cette fupréme intelligence qui
la furpafle infiniment ; en forte que tout
l'Homme fera hors de foi , & il ne fera Bien^
heureux ^ que parce que,féparé de lui-même^
il recevra une volupté inexprip:iable du foa«-
verain bien qui attire tout a foi. Au refie ,
quoique cette ^félicité ne doive fe confom*
mer que par la réunion de Tame avec le
Ta
^%0 V E L G E
corps,cependant,parce que la vie des Sainte
fur la Terre n'eft qu'une méditation conti-
nuelle, & comme Tombre des joies du Para-
dis 9 ils ne laiiïent pas de goûter d'avance,
& de fentir dès ce Monde la récompenfe
qui leur efl promise. Il eft vrai qu'en com«
paraifon de la béatitude éternelle , ce qu'ils .
éprouvent, n'eft qu'un foible écoulement de
cette fource divine ; cependant il furpaffe
toutes les voluptés corporelles réunies en-
femble , tant les biens fpi rituels & in via-
bles l'emportent fur les biens corporels &
vifibles. C'eft ce que nous promet le Pro*
phête , lorfqu'il dit : Vail na point vu , Po^
uilU n'a point entendu i & le cœur de l koni'*
me rCa jamais gouti les délices que Dieu a
préparées à ceux qui l'aiment. Et c'eA le par-
tage de la Folie qu*on ne perd point , &
qu'on perfeâionne au contraire, en chan-
feant de ^ie. Or ceux qui font dans cet
tat , ce qui eft un rare bonheur , éprouvent
tine forte d'extafe qui reiTemble bien à la
Folie. Us parlent fans fuite , ils battent îst
campagne , ôc ne s'expriment plus comme
des nommes , mais rendent des fons vuides
de fens« & toute leur figure eft altérée. Vou9
les voyez fucceffivement gais â6trifies,pleu«
rcr, rire &foUpirer presque en même-tems;^
.enfin ils font tout hors d'eux-mêmes. Auffi^
DE LZt FOLIÉ, ait
\ht qu'ils font revenus à eux , ils vous jurent
qu'ils ne fçavent point où ils ont été , fi c'eft
en corpy ou en efprit , s'ils étoient endor-*
mis 011 éveillés. Ils ne fe fouviennent point
de ce qu'ils ont vu ou entendu , encore
moins de ce qu'ils ont dit ou de ce qu'ils ont
fait , fi ce n'eft comme d'un fonge confus.
Tout ce qu'ils fçavent , c'eft qu^ls fe font
trouvés très-heureux dans cette efpéce de
délire. C'eft pourquoi voiH les voyez pleu-
rer de regret d'être revenus dans leur bon
fens, & defirerfincérement que leur Folie
eût duré toujours » parce qu'elle cft effeftt-
yement un léger eflai ou un avant-goût de
la félicité future.
Mais îe ne m'aperçois point que fe fran-
chis les bornes ; quoique , s'il m eft échapé
quelque impertinence , ou fi l'envie de dif»
courir m'a emporté un peu trop loin « il
fuffit de fe rapeler que je fuis la /"a/i^ , &
Femme > qui pis eft. Cependant fouvenez*
vous du Proverbe Grec qui dit, que quelque*
fois un Fou a dit des chofesfort raifmnahles ;
à moins que vous ne penfiez qu^l n'eft pas
fait pour les Femmes. Finiflbns , je vois àt
TOtre mine que vous attendez de moi un
Epilogue ou une Récapitulation de tout ce
?ue j'ai dit : mais en vérité , vous êtes bie»
our^ fi vous vous imaginez que je me fourt
«is V E L O G £, &c:
Tienne de tout le fatras & de toutes les Fo^
lies que j*ai entaiTées dans ce difcours.Vou»
fçavez le mot des Anciens : Je hais un Con^
vive mémoratif. Et moi )e dis : Je hais un At^
diteur qui a de la mémoire* A.inri9très-illuftres
Fous , tous tant que vous êtes , aplattdifieï ^
allez en paix ^ vivez & buvezi
PIN,
pt remtfentt un Vieillard apayé pefammeni
furja canne ^& qui raifonne avec fon Archl'
teBe. On voit en profil un Bâtiment qui î* élève f,
& quelques Ouvriers en aBion dans desattitW'
^es vraies & naturelles.
Page 91. Les Souffleurs. Veflampe repre*
fente un laboratoire de Chymie. On voit vis-^
à' vis un grand fourneau un homme armé d'un
foufflet , 6» fort attentif â confidérer un ma*
iras y&un autre qui pUeMs drogues. '
Page 91. La Folie du Jeu. EJle efi carac-»
térifée par trois perfonnages ajjîs autour ^une .
table de Jeu. En face eft une femme qui déta*
che une de fes boucles a oreilles pour la mettre
fur une carte ; à côté ielle eft un mauvais
Joueur , qui tak furieux fe mord les doigts
de Mge , & le tiers a la main fur un tas d'ar»^
gent,
P^ge 104. La Folie de rAmour-propre;
£lle eft repref entée par un jeune Hoàime quift
regarde dàtns un miroir avec les yeux complai"
fans deNarciJfe. On voit dans le lointain deux
Anes quifeg/rattent , fimbole de l'ignorance &
4U la flatterie.
Page lo^o. La Folie de l'Avarice. Vef-'
gampe repre fente un Ufurierenlunettes^pefani
des efpéces 4» trébuchet.
Page ïj4. La Folie des Sciences. Une été"
^ante imë de Jardin qui fait le fond de Fefr.
tampt , ftrt à égayer lefujtt. On voit fur le
devant un Géomètre apUqué à tracer des /i-
^nes^ ou , fi on veut , à chercher les Infi<«
niment petits.
Page 167. La Folie des CovLts.DeuxCour^
ii/ans , efpéces de Satrapes^ fe tiennent em*
hrajfés. L*un avance la main , pour accueillif
un Fou qui eft devant eux ; Vautre montre au
doigt un Philo/ophe qu*on aperçoit au haut
d'un perron tourrîé vers eux d^un air de mépris^
Le Cul de lampe fepre fente la Folie apuyée
fur le Globe du Mor^e t &^ajfifefur un tro»
phée compofé de f cep très , de couronnes , & de
flufieurs autres attributs. Les mots Italiens
qu^on lit au bas du cartouche figni fiera : La ForL
lie eu la fouy eraine du Monae«
j4 vis intéressant.
CEUX qui croiront fe reconnôitre dans
quelques-uns de ces difFérens portraits»
enfe reprefentant aux Libraires , oc en jufti-
6ant de la reflei^blance^ auront fur le prix
de chaque Exemplaire , une remife hon-
nête & proportionnée à la conforniité qui
ije trouvera entre la copie Se l'originàU '
t'ÉLQGE
•^
■.>
DEC 1 - 1943