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Full text of "Éléonore de Roye, princesse de Condé, 1535-1564"

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ELEONORE  DE  ROYE 


(IIVP.ACI'S    DU   MÊME  AUTEUR 


},ii{i',HTK  iiKi.ir.iEL'SE.  Mémoires  et  plaidoyers.   1   vol.  in-8",   185i.  .  .      i  fr.     » 

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ÉLÉONORE 

DE    ROYE 

PRINCESSE    DE    CONDÊ 

1535  —  1564 


LE  C"  JULES  DELABORDE 


la  dame  oxcellenlc 

Qui  grande  et  jeune  dans  la  cour. 
Ne  brûloit  que  d'un  saint  amour, 
Estimant  un  licur  plus  extrême, 
Bien  qu'elle  eût  un  auguste  rang', 
D'être  fille  du  Dieu  suprême 
Que  d'être  princesse  du  sang. 

(Ode   d'ANNE   DE  ROHAN   Sur  ÉlÉONûRE   DE  RoYE) . 


PARIS 

LIBRAIRIE  SANDOZ   ET    KiSCilBAC  II  Eli 

33,    K  l!  F.    DE    S  E  I  N  K  ,    3  :! 


1870 

TiMis  droits  réservés. 


De 
m 

C  U  Du 


ÉLÉONORE  DE  ROYE 


CHAPITRE  PREMIER 


Au  début  de  Tannée  1535,  la  jeune  comtesse  de  Roye,  Made- 
leine de  Mailly,  se  trouvait  au  château  de  Chàtillon-sur-Loing, 
près  de  Louise  de  Montmorency,  sa  mère.  La  sollicitude  de 
celle-ci  s'étendait,  à  celte  époque,  sur  sa  fille  chérie,  avec  un 
redoublement  d'ardeur  d'autant  plus  naturel,  que  la  situation 
de  la  jeune  femme  empruntait  à  l'approche  d'un  solennel  évé- 
nement de  famille  un  intérêt  de  jour  en  jour  plus  touchant  : 
en  effet,  Madeleine  était  sur  le  point  de  devenir  mère  à  son  tour. 
Quelle  douce  égide,  que  celle  sous  laquelle  elle  était  alors  placée! 
Que  de  vœux,  que  d'élans  d'ineffiible  tendresse  échangés  entre 
deux  âmes  qu'une  affection  sacrée  unissait  étroitement  l'une  à 
l'autre!  Jamais  Madeleine  n'avait  aussi  profondément  senti 
qu'en  ce  moment  tout  ce  qu'elle  devait  à  sa  mère;  car,  du 
bonheur  de  l'entendre,  découlait  pour  elle  la  plus  pure  des 
initiations  aux  devoirs  et  aux  joies  de  la  maternité.  Jamais, 
de  son  côté,  Louise  de  Montmorency  n'avait  été  plus  émue 
qu'en  ces  heures  d'intimes  épanchements  où,  parlant  des 
épreuves  du  passé,  qui  l'avaient  frappée  dans  ses  aiïections  les 
plus  chères,  elle  associait  au  langage  de  la  résignation  celui  de 
la  confiance  en  un  prochain  avenir.  Soutenue  par  les  tendres 


paroles  d'une  mère  vénérée,  Madeleine  se  recueillail  dans  la 
douce  pensée  de  pouvoir  bientôt,  par  la  bonté  de  Dieu,  lui  of- 
frir un  enfimt  de  plus  à  aimer. 

Il  suffira  pour  apprécier  les  sentiments  qui  animaient  alors  ces 
deux  nobles  femmes,  de  jeter  un  rapide  coup  d'œil  sur  quelques- 
unes  des  phases  de  leur  existence,  dans  le  cours  des  années  pré- 
cédentes. 

Issue  de  l'une  des  premières  maisons  de  France,  Louise  de 
Montmorency  avait  épousé,  en  1505  (1),  un  gentilhomme  d'une 
grande  famille  de  Picardie  (2),  Ferry  II  de  Mailly,  baron  de 
Conty,  chambellan  du  roi,  capitaine  de  cent  hommes  d'armes 
de  ses  ordonnances,  et  sénéchal  d'Anjou  (3).  De  son  union  avec 
lui  étaient  nés,  les  28  avril  1508  et  13  septembre  1509,  deux 
enfants,  Jean  et  Louise  de  Mailly  (4).  Ferry  de  Mailly,  alors  qu'il 
se  signalait,  à  côté  de  Bayard,  sur  les  champs  de  bataille  d'Italie, 
avait  reçu  une  blessure  mortelle  (5),  et  était  décédé  près  de 
Milan,  en  décembre  1511  (6),  laissant  sa  veuve  enceinte  d'un 
troisième  enfant,  auquel  elle  donna  le  jour  le  16  juin  1512.  Cet 
enfant  était  Madeleine  de  Mailly  (7). 

Louise  de  Montmorency  avait  épousé  en  secondes  noces  Gas- 
pard, premier  du  nom,  comte  de  Coligny,  seigneur  de  Ghàtillon- 
sur-Loing,  connu  dans    l'histoire,  sous   le   nom   de  maréchal 

(1)  \V\h\.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  8177,  î'""  100,  193,  Aoô.  Inventaire  de  titres 
dressé  par  Cl.  Colladoii. 

(-2)  Clairai[il)aut,  Extrait  de  la  gêncalofjie  de  la  maison  de  Mailly.  In-f",  1757, 
p.  ^2. 

(,i)  liibl.  nat.,  cabinet  des  titres,  Collect.  de  pièces  et  Mémoires,  \°.  Mailly, 
cali.  1-28,  f»  21  et  cah.  ii-08,  f"  5i.  —  Clairambaut,  ouvr.  cit.,  p.   12. 

(i)  Livre  d'heures  de  Louise  de  Montmorency.  Bulletin  de  la  Société  de  l'his- 
toire du  protestantisme  français,  2"  année,  p.  4,  5,  G. 

(5)  Ilrantùmo,  édit.  de  M.  Lud.  Lalanne,  in-8",  t.  III,  p.  1,2.  —  Clairambaut, 
ouvr.  cit.,  p.  12. 

(G)  Livre  d'heures  de  Louise  de  Montmorency,  ouvr.  cit.  —  Citron,  de  Bayard, 
par  le  Loyal  Serviteur,  chap.  xi.vil. 

(7)  Livre  d'heures  de  Louise  de  Montmorency,  ouvr.  cit.  —  I)il)l.  nat.,  cabinet 
des  litres,  Coltccl.  de  p.  et  Mem.,  v".  Mailly,  cah.  I  à  28,  f'  2. 


—  3  — 
de  Chàlillon.  Celte  nouvelle  union,  de  laquelle  étaient  nés 
quatre  fils,  Pierre,  Odet,  Gaspard  et  François,  n'avait  pas  été  de 
longue  durée,  car  le  maréchal  de  Chatillon  était  mort  à  Dax,  le 
•4  août  1522,  victime  de  son  ardeur  à  marcher  au  secours  de 
Fontarabie  (1). 

Devenue  veuve  pour  la  seconde  fois,  Louise  de  Montmorency 
s'était  constamment  tenue,  comme  femme  et  comme  mère,  à  la 
hauteur  de  ses  devoirs;  se  signalant,  dans  les  rangs  de  la  société 
et  à  la  cour,  par  une  dignité  morale  qui  contrastait  avec  les 
mœurs  frivoles  et  relâchées  de  l'époque,  et  ne  cessant,  au  foyer 
domestique,  d'entourer  de  soins  alïectueux  les  sept  enfants  que 
Dieu  lui  avait  donnés.  Ces  enfants,  répondant,  par  le  dévelop- 
pement du  cœur  et  de  l'intelligence,  à  la  solhcitude  et  aux  direc- 
tions éclairées  de  leur  mère,  avaient,  pendant  plusieurs  années, 
fait  sa  consolation;  mais,  à  des  jours  d'une  félicité  relative 
avaient  inopinément  succédé  des  jours  de  deuil  :  Louise  de 
Montmorency  avait  perdu  d'abord  son  fds  aîné,  Jean  de  Mailly 
baron  de  Conty,  mort  au  siège  de  Naples,  en  1528  (2);  puis, 
plus  tard,  un  autre  de  ses  fds,  Pierre  de  Coligny,  qui  avait  suc- 
combé aux  atteintes  d'une  grave  maladie.  Des  cinq  enfants  qui 
lui  étaient  restés,  deux  avaient  successivement  quitté  le  toit 
maternel  :  l'aînée  de  ses  filles,  Louise,  avait  embrassé  la  vie  du 
cloître;  et  la  seconde,  Madeleine,  devenue  le  27  août  1528,  à 
l'âge  de  seize  ans,  l'épouse  du  comte  Charles  de  Roye  (3),  qui 
n'avait  que  trois  ans  de  plus  qu'elle,  était  allée  se  fixer  avec  lui 
au  centre  de  ses  diverses  seigneuries  de  Roye,  de  Muret,  de 
Buzancy,  de  Nisy-le-Comte,  d'Aulnay,  de  Pierrepont,  et  de  Cou- 
lommiers  (4). 

(1)  Gasparis  Colinii  vitn,  p.  0.  —  Liv.  d'heures  de  Louise  de  Montmorency, 
ouvr.  cit. 

(2)  Clairambaut,  ouvr.  cit.,  p.  1-2,  13.  —  Bibl.  mit.,  cab.  des  lit.,  Collecl.  de 
p.  et  Mnn.  V«.  Mailly,  f''  1  à  ÎIS. 

(3)  Dibl.  nat,,  cab.  des  lit.,  Collecl.  de  p.  et  Mnn.  V\  Roye,  ^  il. 

(i)  Aoir,  sur  les  seigneuries  (jue  possédait  Charles  de  Iloye.  et  sur  la  dot  an- 


Sept  ans  s'étaient  écoulés,  durant  lesquels,  depuis  son  ma- 
riage, Madeleine  de  ^lailly,  quelque  attachée  qu'elle  fût  du  reste 
à  son  intérieur,  n'avait  jamais  manqué  de  saisir  l'occasion  de  se 
rapprocher  de  sa  mère  et  de  lui  témoigner,  de  près  comme  de 
loin,  une  sympathie  et  un  dévouement,  qui  toujours  avaient 
allégé,  pour  la  maréchale  de  Chàtillon,  le  poids  des  épreuves 
imposées  à  son  cœur. 

Ainsi  s'explique,  par  l'intimité  qui  régnait  entre  la  mère 
et  la  fille,  et  par  le  besoin  qu'elles  éprouvaient  de  se  trou- 
ver, autant  que  possible,  réunies  l'une  à  l'autre,  la  présence 
de  Madeleine  de  Mailly  au  château  de  Châtillon-sur-Loing, 
en  1535. 

Le  24  février  de  cette  même  année,  elle  y  mit  au  monde  une 
fdle  (1),  dont  le  baptême  eut  lieu  peu  de  temps  après.  On  donna 
à  l'enflmt  le  nom  d'Éléonore,  qui  était  celui  de  l'une  de  ses  deux 
marraines,  seconde  femme  de  François  I".  Son  autre  marraine 
fut  Marguerite,  sœur  de  ce  monarque.  Les  deux  parrains  furent 
François,  dauphin,  fils  aîné  du  roi,  et  Antoine  du  Bois,  évoque 
de  Béziers,  oncle  maternel  du  comte  de  Royo  (2).  Le  double 
patronage  qu'accordaient  ainsi  à  la  petite-fille  de  la  maréchale 
de  Chàtillon  les  reines  de  France  et  de  Navarre,  témoignait  de 
la  bienveillance  de  la  première  pour  sa  dame  d'honneur,  et  de 
l'affection  de  la  seconde  pour  une  amie  dévouée  (3). 

Deux  ans  plus  «tard,  le  3  mars  i537,  la  comtesse  de  Roye, 
résidant  alors  dans  son  château  de  Muret,  donna  le  jour  à  une 

portée  par  MadclL'inc  île  Mailly,  divers  litres  mentionnés  dans  VlnveDtairc  dressé 
par  Colladon  (IJib.  nal.,  niss.  f.  fr.,  vol.  8177)  sous  les  dates  suivantes  :  19  juil- 
let 14-25  (f"  93),  février  1529  {{"  -250),  18  août  1529  (f^'^  190  et  -13(5),  28  avril  1515 
(f»  192)  et  1 1  novembre  1551  (f"  93). 

(1)  Se.  et  L.  de  Saincte-Marlhe,  llist.  gén.  de  la  maison  de  France,  t.  II, 
p.  938. 

(2)  Le  Laboureur,  addit.  au  Mèm.  de  Casteinau,  in-f'\  t.  I,  p.  382. 

(3)  11  existe  des  fra!i:nients  de  la  correspondance  de  la  reine  de  Navarre  avec 
la  marécbale  de  Cli;\tillon.  (Voir  le  recueil  des  Lettres  de  Marguerite,  publié 
par  M.  Géniii,  18  H,  in-8",  t.  I,  p.  255,  25(),  303.) 


seconde  fille,  qui  fut  baptisée  dans  l'église  de  la  localité,  sous  le 
nom  de  Charlotte  (1). 

L'enOmce  des  deux  sœurs  s'écoula  paisiblement,  au  foyer  do- 
mestique. Rapprochées  l'une  de  l'autre  par  Tàge,  elles  l'étaient 
également  par  le  caractère.  Toutes  deux  étaient  douces,  ai- 
mantes, sympathiques,  et  douées  d'une  vive  intelligence.  L'édu- 
cation qu'elles  reçurent  d'une  mère  judicieuse  et  tendrement 
vigilante,  affermit  leur  intimité  et  développa  en  elles  un  rare 
ensemble  de  qualités  à  la  fois  solides  et  aimables.  La  puissance 
de  l'exemple,  éveillant,  dès  l'enfance,  dans  leurs  âmes,  le  senti- 
ment religieux,  ajouta  au  sérieux  de  leur  éducation  et  les  pré- 
para à  marcher,  un  jour,  d'un  pas  ferme,  dans  les  voies  de  la 
piété.  L'exemple,  ici,  venait  de  haut,  et  n'était  pas  moins  tou- 
chant que  solennel. 

Elles  avaient,  l'une  douze  ans,  l'autre  dix,  lorsque  mourut  la 
maréchale  de  Châtillon,  lel^  juin  i547.  A  dater  de  cette  époque, 
la  comtesse  de  Roye  se  fit  un  devoir  d'entretenir  ses  filles  de  la 
profonde  impression  qu'avaient  produite  sur  son  ame  les  der- 
niers moments  de  leur  aïeule.  Elle  leur  rappela  maintes  fois  que 
Louise  de  Montmorency  avait,  à  son  lit  de  mort,  témoigné  hau- 
tement de  son  attachement  à  la  vraie  religion,  à  celle  du  pur 
Évangile;  qu'elle  avait  fréquemment  répété  ces  paroles  du  psal- 
miste  :  «  La  miséricorde  de  Dieu  est  de  génération  en  génération 
))  sur  ceux  qui  le  craignent  »  ;  qu'elle  avait  adressé  de  sérieuses 
exhortations  au  cardinal  de  Ghàtillon,  son  fils,  et  l'avait  engagé 
à  ne  pas  amener  près  d'elle  un  prêtre,  en  déclarant  «  que  Dieu, 
»  par  un  singulier  bienfait,  lui  avait  ouvert  le  moyen  de  le 
y>  craindre  et  servir  en  toute  piété,  et  de  sortir  des  liens  du  corps 
))  pour  monter  au  céleste  séjour  (2).  »  Fidèle  au  culte  des  pieux 
souvenirs  et  des  saintes  affections,  la  comtesse  de  Roye  s'était 
attachée,  dans  le  secret  de  son  cœur,  à  mesurer  la  portée  du 

(D  Dibl.  nat.,  cal),  des  lit.,  Collect.  de  p.  et  Mi'iii.,  v\  Roye,  fil. 
^2)  Gitsparis  Colinii  vita,  p.  7. 


—  6  — 

langage  icnu  par  sa  mère,  ù  l'heure  suprême.  Qu'élait-il  résulté 
de  SCS  réflexions  sur  ce  grave  sujet?  On  l'ignore;  mais  il  est 
permis  de  supposer  qu'ébranlée,  à  dater  de  1547,  dans  les 
croyances  qu'elle  avait  suivies  jusqu'alors,  elle  inclina  des  cette 
époque,  à  se  détacher  du  catholicisme;  et  entra  dans  une  voie 
de  consciencieuses  recherches,  qui  devait  la  conduire  à  l'adop- 
tion des  principes  de  la  religion  réformée  (1). 

La  direction  qu'elle  imprima  à  l'instruction  religieuse  de  ses 
filles  dut  se  ressentir  du  changement  qui,  ainsi  que  tout  porte 
à  le  croire,  s'était  opéré  dans  ses  opinions  et  ses  lendances  de- 
puis la  mort  de  la  maréchale  de  Ghàtilion.  L'induction  sur  ce 
point  se  fortifie  de  l'affirmation  d'un  écrivain  ('2)  qui,  parlant  de 
fails  antérieurs  à  1551,  et  se  référant  dès  lors  implicitement  aux 
années  4547, 1548,  1549  et  1550,  en  ce  qui  concerne  Made- 
leine de  Mailly  et  sa  fille  aînée,  dit  que  «  Madeleine,  la  première 
))  de  sa  maison,  se  déclara  pour  la  religion  protestante,  où  elle 
D  éleva  Éléonore  de  Roye.  » 

Quoi  (|u'il  en  soit,  au  surplus,  du  degré  plus  ou  moins  avancé 
de  culture  religieuse  qu'avaient  atteint  les  filles  de  Madeleine  de 
Mailly  depuis  1547,  un  fait  demeure  constant  :  c'est  qu'Éléonorc 
et  Charlotte  s'étaient  si  bien  formées  sous  l'égide  maternelle, 
qu'on  reconnaissait  en  elles,  au  sortir  de  l'adolescence,  deux 
jeunes  personnes  d'une  complète  distinction  morale  et  intellec- 
tuelle. 

La  supériorité  d'esprit  et  de  cœur  s'alliait,  chez  la  comtesse 
de  Roye,  à  une  extrême  sollicitude  pour  l'avenir  de  ses  filles.  Le 


(I  )  M  liiiiboiirg,  Hi^t.  du  calvinis)iu',  cilit.  iu-i"  do  1()82,  p.  1:21  :  «  II  y  a  bien 
»  (le  rappareiice  que  Louise  de  Montmorency,  ayant  été  du  nonilire  de  ces 
»  datncîs  de  la  cour  qui,  sous  le  règne  de  François  T'"",  favorisèrent  la  nouvelle 
ï  doctrine  qu'elle  suivit  jus(|u'à  la  niorl,  ce  fut  elle  qui  mit  dans  l'esprit  de  ses 
»  enfants  la  grande  disposition  qu'ils  eurent  à  se  laisser  si  l'acilenieiil  infecter 
I  de  riiérésie.  » 

(i)  Le  Lahoui'eur,  adilit.  aux  Mrni.  de  Cistelnau,  in-f",  I.  I,  p.  n>Sl.  —  Voir 
aussi  les  Mi'in.  de  Casteinan,  t.  \,  p.  13. 


soin  qu'elle  prenait  de  le  préparer,  en  ce  qui  dépendait  d'elle, 
ne  s'inspirait  que  de  vues  élevées,  et  se  contenait  dans  les  limites 
d'une  prudente  réserve.  Agir  selon  la  mesure  de  ses  forces,  pour 
tenter  d'aplanir  sous  les  pas  des  deux  sœurs  le  chemin  de  la  vie, 
tout  en  leur  enseignant  d'ailleurs  à  en  surmonter,  au  besoin,  les 
inévitables  aspérités,  puis  attendre  avec  confiance  ce  qu'il  plai- 
rait à  Dieu  de  décider  à  leur  égard  :  telle  était  la  règle  que  la 
comtesse  de  Roye  s'était  assignée.  Elle  y  demeurait  fidèle,  et 
voyait  Éléonore  et  Charlotte,  tout  entières  aux  douces  émotions 
du  présent,  se  sentir  et  se  dire  heureuses  près  d'elle  et  de  leur 
père,  sans  se  préoccuper  de  l'avenir,  lorsqu'en  l'année  1550 
surgit  une  question  d'établissement  pour  l'aînée  de  ces  jeunes 
fdles. 

Cette  question,  sur  laquelle  Charles  de  Roye  et  Madeleine  de 
Mailly  étaient,  dans  l'intérêt  d'Élôonore,  appelés  avant  tous 
autres  à  se  prononcer,  devait,  conformément  aux  traditions  sui- 
vies en  France  par  les  grandes  maisons  du  xvf  siècle,  être 
déférée  à  l'autorité  suprême  d'un  chef,  duquel  relevaient  tous 
les  membres  de  la  famille  et  sans  l'assentiment  duquel  rien  de 
ce  qui  touchait  à  la  constitution  ou  à  l'extension  de  celle-ci  ne 
pouvait  se  conclure.  Or,  depuis  la  mort  de  la  maréchale  de  Chà- 
tillon,  sœur  d'Anne  de  Montmorency,  connétable  de  France,  la 
comtesse  et  le  comte  de  Roye,  de  même  que  les  trois  Chalillon, 
nièce  et  neveux  de  ce  haut  dignitaire,  le  considéraient  comme 
chef  de  leur  famille  et  l'entouraient  des  respectueux  égards  que 
commandait  ce  titre.  C'était  donc  au  connétable  que  devait  être 
soumis,  en  vue  d'une  sanction  définitive  à  obtenir  en  laveur 
d'Éléonore,  un  projet  auquel  adhéraient,  dans  l'intimité  des 
relations  fraternelles,  la  comtesse  de  Roye,  son  mari  et  Gaspard 
de  Coligny. 

Profondément  attaché  à  sa  sœur,  avec  laquelle  il  vivait  dans 
une  étroite  communauté  de  pensées  et  de  sentiments,  Coligny 
avait  étendu  à  ses  deux  nièces  l'affection  qu'il  portait  à  Made- 


—  8  — 

leine  de  Mailly.  Frappé  du  développement,  précoce  à  lous 
égards,  d'Éléonore,  il  croyait,  bien  qu'elle  n'eût  encore  que 
quinze  ans  en  1550,  à  la  possibilité  de  la  marier,  dès  celte  épo- 
(pie,  pourvu  que  celui  qui  demanderait  sa  main  se  montrât 
digne  d'elle. 

Il  avait  distingué  dans  les  rangs  de  la  haute  noblesse  de  France 
nn  jeune  homme,  alors  âgé  de  vingt  ans,  ardent  de  cœur  et 
d'esprit,  franc  de  caractère  et  de  langage,  brave,  chevaleresque, 
aimable,  aspirant  aune  situation  digne  du  nom  qu'il  portait,  et 
à  qui  son  mérite  naissant  présageait  nn  brillant  avenir.  C'était 
Louis  de  Bourbon,  fils  de  Charles  de  Bourbon,  premier  duc  de 
Vendôme,  mort  le  55  mars  4538,  et  frère  puîné  d'Antoine  de 
Bourbon,  second  duc  de  Vendôme,  alors  gouverneur  de  la  Pi- 
cardie. Or,  ce  fut  précisément  au  nom  de  ce  môme  Louis  de 
Bourbon  que,  vers  la  fin  de  1550,  un  membre  de  sa  famille  qui 
avait  particulièrement  veillé  sur  son  enfance  et  sa  première 
jeunesse,  demanda  en  mariage  Éléonore  de  Boye.  Généreuse- 
ment enclin,  en  qualité  d'heureux  et  fidèle  époux  de  Charlotte 
de  Laval,  à  juger  autrui  d'après  lui-même,  et  confiant  dans  l'in- 
fluence salutaire  qu'exercent  d'habitude  les  nobles  qualités  d'une 
femme  supérieure  sur  les  sentiments  de  l'homme  auquel  elle  a, 
devant  Dieu,  étroitement  associé  son  sort,  Coligny  ne  doutait  pas 
que  sa  nièce,  une  fois  en  possession  du  cœur  de  Louis  de  Bour- 
bon, ne  le  fixât  pour  toujours.  Aussi,  crut-il  pouvoir  signaler 
ce  jeune  homme  à  Madeleine  de  Mailly  et  à  Charles  de  Boye, 
comme  présentant  des  garanties  de  «bonheur  pour  Éléonore, 
dans  l'union  qu'il  contracterait  avec  elle.  Il  ajouta  que  cette 
union,  favorable,  avant  tout,  au  point  de  vue  des  convenances 
et  des  intérêts  domestiques,  le  serait  également,  au  point  de  vue 
secondaire  de  certaines  combinaisons  politiques  qui  préoccu- 
paient le  connétable,  en  contre-balançant,  au  profit  de  ce  der- 
nier, le  crédit  exorbitant  des  Guise,  par  le  fait  même  des  liens  qui 
rattacheraient  désormais  les  maisons  de  Montmorency,  de  Boye 


—  9  — 
et  de  Cbàtillon  à  la  maison  de  Bourbon,  dont  les  principaux 
membres,  à  titre  de  princes  du  sang,  tenaient  de  si  près  au 
trône. 

Agréée  par  le  comte  et  la  comtesse  de  Roye,  la  demande 
dont  il  s'agit  fut  soumise  au  connétable,  qui  l'accueillit  égale- 
ment. 

Restait  à  obtenir  l'approbation  du  roi.  Les  Guise,  ainsi  que 
Diane  de  Poitiers,  leur  alliée,  ardents  et  insidieux  antagonistes 
du  connétable,  de  ses  adhérents  et  des  princes  du  sang,  mirent 
tout  en  œuvre  pour  arracher  un  refus  au  monarque;  mais  Anne 
de  Montmorency  triompha  de  leurs  obsessions,  et  le  consente- 
ment royal,  formellement  accordé,  déjoua  d'indignes  intrigues. 

Alors  fut  faite,  vis-à-vis  des  parents  d'Eléonore,  par  le  cardi- 
nal de  Bourbon,  évoque  de  Laon,  oncle  et  protecteur  du  jeune 
Louis,  une  dernière  démarche,  officielle  cette  fois,  dont  ce  prélat 
rendit  compte  à  Henry  II,  dans  les  termes  suivants  (!)  :  «  Sire, 
y>  suivant  le  congé  que  dernièrement  il  vous  a  pieu  me  donner 
))  de  demander  en  mariage  la  fille  aisnée  de  M.  de  Roye,  je  luy 
»  en  ay  faict  ouverture  en  ce  lieu  d'Anisy,  auquel  luy  et  madame 
))  de  Roye  me  sont  venus  veoir  avec  leurs  filles;  et  vous  puis 
»  asseurer  que  j'ay  trouvé  le  père  et  la  mère  en  si  bonne  voulonté 
»  de  donner  leur  dite  fille  à  mon  nepveu  Loys,  que  possible 
))  n'est  de  plus  grande,  se  tenans  beaucoup  obligez  à  vous  et  se 
y>  senlans  honnorez  de  prendre  alliance  en  nostrc  maison.  » 

Obtenir  la  main  d'Eléonore  de  Roye  était  pour  Louis  de 
Bourbon  un  bonheur  exceptionnel,  qui  lui  imposait  ces  obliga- 
tions sacrées  dont  le  loyal  accomplissement  se  transforme  tou- 
jours en  un  véritable  privilège  pour  un  homme  de  C(eur  et  de 
foi.  Quoi  de  plus  doux,  en  eflèt,  pour  un  tel  homme,  que  de 
maintenir  sous  l'égide  d'une  inébranlable  iidélité  l'appui  qu'il  a 
promis  et  l'amour  qu'il  a  voué  à  la  compagne  de  sa  vie. 

(1)  Bibl.  nat.,  m  s.  f.  f.'.  vol.  o):3,  f'  1.,  Utlic  du  -H)  octobre  1550,  d:Ucc 
d'Anisy. 


—  10  — 

Le  mariage  fui  célébré,  le  52  juin  1551  (1),  au  château  du 
Plessier-de-Royc,  que  possédait  le  père  d'Eléonore  (T). 

Il  est  inléressant  de  relever  ici  quelques-unes  des  énoncia- 
lions  d'un  acte  contenant  les  conventions  civiles  préalablement 
arrêtées  entre  les  futurs  époux,  avec  le  concours  de  leurs  fa- 
milles (.S),  —  Le  futur  époux,  qui  ne  porta  que  plus  tard  le  titre 
de  prince  de  Condé  (-4),  y  est  dénommé  «  haut  et  puissant  prince, 
»  Louis  de  Bourbon,  fds  de  feu  bonne  mémoire  Charles  en  son 
»  vivant  duc  de  Vendôme,  et  de  dame  Françoise  d'Alançon,  son 
»  épouse  ».  Il  y  est  assisté  de  son  frère,  a  Antoine,  duc  de  Ven- 
i)  dôme,  avec  Jeanne,  princesse  de  Navarre,  son  épouse  »,  de 
son  autre  frère  «  Jean  de  Bourbon  »,  et  de  son  oncle  et  tuteur 
«  Louis,  cardinal  de  Bourbon,  primat  de  France,  archevesque 
»  de  Sens,  évesque  duc  de  Laon  ».  —  Les  seigneur  et  dame 
de  Roye  assignent  à  «  leur  fille  ahiée,  Léonor,  douze  mille  livres 
»  de  rente,  pour  en  jouir  par  ledit  futur  époux  de  six  mille  livres 


(1)  Se.  et  L.  (le  Saincte-Marlhe,  Hist  gén.  de  la  maison  de  France,  t.  Il,  p. 938. 

—  Désoriiioaux,  llist.  de  la  maison  de  Bourbon,  t.  III,  p.  213.  —  Le  Labou- 
reur, addit.  aux  Mêni.  de  (Jastclnau,  t.  I,  p.  382,  parlant  de  ce  mariage,  dit  : 
«  La  cérémonie  s'en  fil  par  Louis,  cardinal  de  Dourhon,  évèquo  de  Laon 
î  (oncle  du  jeune  époux),  en  présence  d'Antoine  de  Bourbon,  duc  de  Vendosme, 
»  depuis  roy  de  Navarre,  et  de  Charles,  cardinal  de  nonrhon,  archevêque  de 
»  Louen,  frères  (du  dit  époux).  » 

(2)  DihI.  nat.,  cal),  des  lit.,  Collecl.  de  p.  et  Mihn.,  V'\  Iloye,  f"  11.  —  Invent. 
dressé  par  Cl.  CoIIadon.  (lîibl.  nat.,  mss.  f.  fr.  vol.  8177,  f''  175.) 

(3)  Cet  acte  fut  passé  à  Nisy-le-Chastel.  Son  texte  ne  se  retrouve  aujourd'hui 
que  dans  une  copie,  qui  d'ailleurs  n'en  reproduit  pas  la  date.  (Voir  llist.  des 
princes  de  Condr,  par  le  duc  d'Auniale,  t.  1,  pièces  et  documents,  p.  33'J,  3i0.) 

—  liibl.  nat.,  cah.  des  tit.,  Collcct.  de  p.  et  Mm.,  v".  Iloye,  f"  11. 

(i)  Les  plus  anciens  actes  qui  attribuent  expressément  le  titre  de  Prince  de 
Condé  à  Louis  de  Bourbon  paraissent  être  les  actes  suivans,  que  nieutionue 
YInventaire  dressé  par  Cl.  Colladon  (Bibl.  nat.  mss.  f.  fr.,  vol.  8177,  f"*  25,  i5, 
57,  77,  89,  93,  218),  savoir  :  acte  seigneurial  du  30  mars  1553,  bail  du  15 
janvier  1551,  remboursement  du  28  avril  155i,  vente  du  10  août  1551,  presta- 
tion de  loi  et  honnnage,  à  raison  d'un  fief,  du  II  novenil)r(;  155i,  bail  à  cens 
du  13  mars  1555,  bail  du  8  décembre  1555.  —  Dans  une  lettre  adressée  au  duc 
deNevers,le  12  juin  1551,  le  roi  llcmi  II  (liibl.  nat.,mss.  f.  fr.,  vol.  3130,  f»2r 
dit,  en  parlant  de  Louis  de  Bourbon  :  «  Mon  cousin,  le  Prince  de  Condé.  » 


—  11  — 

))  pour  le  jour  des  espousailles ,  et  des  autres  six  mille  livres 
»  après  le  décès  desdits  seigneur  et  dame.  »  Il  est  ajouté  que... 
«  où  il  ne  surviendra  aucuns  enfans  mâles  desdits  seigneur  et 
))  dame,  en  ce  cas,  ladite  demoiselle  Léonor  de  Roye  et  ses 
y>  enfans  viendront  à  leur  succession»comme  aînés  et  principaux 
■»  héritiers.  »  —  Plus  loin  se  rencontrent  ces  mots  :  «  ...  Ledit 
))  seigneur  duc  de  Vendosme  a  dit  et  déclaré  que  par  le  partage 
))  puis  naguères  accordé  entre  luy  et  lesdits  seigneurs  Jean  et 
»  Louis,  ses  frères,  audit  Louis  sont  escheues  les  terres  et  sei- 
))  gneuries  qui  s'en  suivent,  c'est  à  sçavoir  :  La  Ferté-au-Goul 
»  et  vicomte  de  Meaulx,  Condé-en-Brie  (1),  Ailly-sur-Noye, 
»  Sourdon  et  Braye,  la  Basecque,  les  transports  de  Flandres  (2).  » 
—  Un  douaire  de  quatre  mille  livres  est  garanti  à  la  future  épouse 
«  spécialement  sur  lesdites  terres  et  seigneuries  de  Condé  et  La 
»  Ferté-au-Coul.  » 

On  le  voit  :  Louis  de  Bourbon  et  Eléonore  de  Roye  ne  possé- 
daient, au  moment  de  leur  mariage,  l'un,  qu'une  fortune  singu- 
lièrement restreinte,  pour  un  prince  du  sang,  et  sans  perspective 
d'accroissement  par  voie  héréditaire;  l'autre,  quune  modeste 
constitution  de  renie,  et  que  l'éventualité  d'acquisition  d'un 
patrimome,  dont  l'avenir  seul  déterminerait,  toujours  trop  tùt 
pour  son  amour  filial,  la  consistance  définitive. 

Reléguée  au  surplus,  comme  elle  doit  l'être,  à  un  rang  infé- 
rieur, toute  considération  déduite  des  avantages  inhérents  aux 
biens  patrimoniaux  dont  Louis  de  Bourbon  pourrait  jouir,  un 
jour,  du  chef  de  sa  jeune  compagne,  s'efface  naturellement  de- 
vant l'inépuisable  trésor  d'affection  et  de  dévouement  qu'elle 
lui  apportait.  Si  jamais,  en  effet,  une  jeune  fille  aimante  et  pure 
entra  dans  la  vie  conjugale  avec  l'énergique  résolution  d'y  con- 

(1)  «  Terre,  juslice  luiulo,  inoyomio  et  l)asse,  Chastellenyo,  jirévosté  et 

»  seigneurie  do  (".ondé-eii-r.rye.  »  (Iiivent.  dressé  par  Cl.  Colladoii.  lîil)!.  iiat., 
mss.  f.  fr.,  vol.  8177,  f"  198.) 

(i)  Voir  aussi  Desormeaux,  ][ist.  de  la  maison  de  Bourbon,  t.  III,  p.  -21  o, 
note  A. 


42  

sacrer  toutes  les  forces  vives  de  son  âme  à  la  pratique  des  plus 
saints  devoirs,  et  s'éleva  par  sa  piété  et  ses  vertus,  par  la  géné- 
rosité de  son  cœur  et  l'héroïsme  de  son  caractère,  au  rang  d'une 
femme  d'élite,  ce  fut  bien  cette  incomparable  Éléonore  de  Roye, 
qui,  dès  le  jour  de  son  uiwon  avec  Louis  de  Bourbon,  devint 
pour  ce  prince,  et  demeura,  jusqu'au  jour  où  elle  succomba 
prématurément  aux  cruelles  atteintes  de  la  maladie,  une  com- 
pagne tendre  et  soumise,  une  amie  fidèle,  un  inébranlable  appui 
dans  répreuve. 

L'histoire  a  consacré  le  souvenir  des  éminentes  qualités  qui 

distinguèrent  cette  jeune  princesse,   dont  l'existence,  dans  sa 

brièveté,  fut  si  bien  remplie.  L'hommage  que  lui  rendent,  à  cet 

égard,  divers  écrivains  catholiques  est  d'autant  plus  frappant, 

qu'il  émane  de  ceux-là  mômes  qui  s'érigent  ouvertement  en 

censeurs  de  ses  convictions  religieuses.  L'un  (1)  dit  :  «  Léonor 

y>  de  Roye  ne  le  céda  (à  sa  mère)  en  aucune  de  toutes  ses  belles 

»  qualités,  princesse  belle,  riche  et  très-vertueuse,  mais  aussi 

y>  très-obstinée  huguenotte.  )>  Un  autre  (2)  la  représente  comme 

«  étant  d'une  humeur  altière  et  généreuse,  mais  chaste,  sérieuse 

))  et  ornée  de  plusieurs  vertus  morales  y>.  Un  troisième  (3)  la 

qualifie  de  «  dame  de  beaucoup  d'esprit,  d'un  courage  héroïque, 

y>  et  d'une  sagesse  admirable  » .  Un  quatrième  (4),  plus  explicite, 

s'exprime  ainsi  :  «  Éléonore  de  Roye  était  digne  de  sa  brillante 

))  destinée.  Issue  d'une  des  plus  anciennes  et  des  plus  illustres 

y>  maisons  du  royaume,  elle  ne  le  cédait  à  aucune  personne  de 

»  son  sexe  en  beauté,  en  grâces,  en  esprit  et  en  sagesse;  et  elle 

))  l'emportait  sur  presque  toutes,  en  savoir,  en  courage  et  en 

))  magnanimité.  Nièce  des  Colignys,  elle  eut  comme  eux  le  mal- 

»  heur  d'embrasser  les  opinions  religieuses  de  Calvin,  et  devint, 

(1)  Le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de  Castelnau,  t.  I,  p.  382.  —  Voir  aussi 
Maiiiiltoin-Lf,  Ilist.  du  calvinisme,  édit.  iii-i"  de  ICS-i,  p.  l"2l. 

(2)  Dormay,  IJist.  de  Soumis,  t.  Il,  livr.  VI,  cli.  xwv.i,  p.  45i. 
(:',)  Do  Tlioii,  m^t.  wiiv.,  t.  III,  p.  3  0,  113. 

{■i)  Dosoni.e.uv,  Hiit.  de  la  maison  de  Bourbon,  t.  III,  p.  21  i. 


»  dans  la  suite,  une  des  héroïnes  du  parti  dont  son  époux  se 
y>  déclara  le  chef.  » 

Quant  aux  éci'ivains  protestants,  deux  contemporains  d'ÉIéo- 
nore  de  Roye  disent  d'elle  :  l'un  (1),  «  que  cette  bonne  et 
»  vertueuse  princesse  était  accompagnée  d'une  vertu  et  d'un 
»  courage  surpassant  de  beaucoup  le  naturel  de  son  sexe  ))  ; 
l'autre  (2),  «  qu  elle  était  dame  aymant  son  mary,  vertueuse  et 
y>  sage  s'il  en  fut  oncques  et  femme  accomplie  en  toutes  sortes; 
»  la  perle  des  princesses  de  nostre  temps  ». 

Une  amie  chrétienne,  qui  survécut  à  Éléonore  de  Roye,  n'hé- 
site pas  à  déclarer  (3)  :  «  qu'il  faudrait  une  histoire  entière 
y>  pour  éterniser  les  singulières  grâces  que  Dieu  avoit  mi^es  en 
3>  ceste  illustre  princesse,  et,  l'indicible  force  et  constance  de  son 
»  esprit,  en  adversité  )>.  Insistant  en  particulier  sur  l'une  de  ces 
grâces,  elle  dit  (4)  : ...  «  Cette  chaste  dame,  telle  la  puis-je  à  bon 
»  droit  nommer,  comme  accomplie  de  tous  points  et  en  toutes 
))  circonstances  en  cest  excellent  don  et  modestie  matronalle, 
»  qui  l'a  suyvie  jusques  au  tombeau...  n'en  voulant  autre  preuve 
»  que  la  confession  môme  de  ses  ennemis.  Et  je  ne  m'esbahy 
»  pas  si,  en  vostre  contrée  tant  de  sages  dames  déhbèrent  de 
»  se  la  proposer  pour  une  image  et  miroir  de  pudicité  en  l'ins- 
»  titution  des  mœurs  de  leurs  filles,  ainsi  aussi  que  nous  dési- 
»  rons  faire  pardeçà.  Car,  à  vray  dire,  elle  a  surpassé  toutes 
js>  celles  qui  ont  jamais  esté  célébrées  par  les  historiens  :  et 
3)  en  un  mot,  jamais  rien  ne  trouva  place  en  son  cœur  que  la 
y>  vertu;   et  j'en    puis  parler  si  avant,  ayant    eu  cest  hon- 

(1)  Mrmoires  de  Condé,  t.  II,  p.  380. 

(2)  lU'giiifr  do  I.aplaiiclie,  Histoire  de  l'eatat  de  France,  tant  de  la  rojiuliliquc 
que  de  la  religion,  sous  le  règne  de  François  II,  édit.  de  157(5,  p.  55,  608,  607. 
—  L'auteur  de  VHialoire  de  cinq  rois,  édit.  de  J500,  p.  100,  dit  :  «  La  prin- 
»  cesse  de  Condé,  dame  sage  et  vertueuse  eritre  celles  de  nostre  temps...  » 

(3)  Epistre  d'une  damoiselle  frauçoise  à  une  sienne  amie,  dame  estrangère, 
sur  la  mort  d'excellente  et  vertueuse  dame  Léonor  de  Uoye,  princesse  de  Coudé. 
i56i,  in-12,  p.  2. 

(i)  Ibid.,  p.  7  et  8 


—  u  — 
))  neur  d'avoir  approché  d'elle  dès  son  berceau  et  premières 
»  années.  » 

De  ces  diverses  citations  ressortent  tout  au  plus  quelques  liné- 
aments d'une  physionomie  morale  qu'il  n'est  possible  d'envisager 
sous  son  véritable  aspect  (pi'alors  qu'elle  est  fidèlement  dépeinte 
en  son  entier.  Il  importe  donc  de  passer  maintenant  à  l'exposé 
des  faits  dont  l'ensemble,  déduit  de  documens  inédits  pour  la 
plupart,  doit  composer  le  tableau  de  la  vie  d'Éléonore  de  Roye^ 
depiu's  son  mariage;  tableau  d'une  exécution  difficile,  qui,  à 
raison  de  l'infériorité  de  son  coloris,  sera  loin,  sans  doute,  de 
reproduire  dans  leur  plénitude  l'éclat  et  la  pureté  d'un  admi- 
rable modèle,  mais  qui  peut-être  s'en  i-approchera  quelque  peu 
en  en  reflétant  du  moins  les  traits  principaux. 


CHAPITRE  II 


A  peine  Éléoiiore  de  Roye  venait-elle  d'être  unie  à  Louis  de 
Bourbon,  qu'il  lui  fallut  se  voir  séparée  de  lui. 

Ce  prince  partit  pour  aller  d'abord  servir  sous  les  ordres  du 
duc  de  Vendôme,  son  frère,  qui  rassemblait,  sur  la  frontière 
des  Pays-Bas,  un  corps  d'armée  dont  les  opérations  furent  diri- 
gées contre  l'Artois  et  la  Flandre.  Il  se  rendit  ensuite,  au  mois 
d'octobre  1551,  en  Piémont,  où  le  maréchal  de  Brissac  se  trou- 
vait à  la  tête  d'une  armée  aguerrie.  Après  y  avoir  fait  preuve  de 
valeur,  Louis  de  Bourbon  revint  en  France,  d'où  il  ne  larda  pas 
à  repartir  pour  prendre  une  part  active  à  la  campagne  dans 
laquelle,  en  1552,  s'opéra  la  rapide  conquête  des  Trois  Évèchés. 
A  quelque  temps  de  là,  il  se  distingua  par  son  intrépidité,  à 
Metz,  qu'assiégeait  Charles-Quint;  puis,  en  1553  et  1554,  il 
figura  avec  honneur  dans  l'armée  qui  opéra  en  Picardie,  en 
Hainaut  et  en  Artois  (1).  En  1555,  il  alla  de  nouveau  servir  en 
Piémont,  où  il  se  fit  remarquer  en  plusieurs  circonstances, 
notamment  au  siège  de  Yulpiano. 

La  trêve  de  Vaucelles,  conclue  en  février  1556,  lui  permit 
enfin  de  faire  dans  sa  patrie,  à  la  suite  d'absences  réitérées,  un 
séjour  d'une  certaine  durée  et  de  se  retrouver  près  d'Éléonore 
de  Roye,  qui  désirait  ardemment  son  retour. 

Cependant  quels  événemenls  avaient  signalé,  pour  la  jeune 

(Ij  Voy.  Appendice,  n"  1. 


—  IG  — 

femme,  le  cours  des  cinq  années  qui  venaient  de  s'écouler?  En 
voici  l'exposé  sommaire. 

Le  clnigrin  que  lui  causa,  peu  après  son  mariage,  le  départ 
de  Louis  de  Bourbon,  en  1551,  fut  tempéré,  avant  tout,  par 
l'affection  que  lui  témoignèrent  les  divers  membres  de  sa  fa- 
mille. Il  le  fut  aussi  par  la  sympathie  touchanle  de  deux  femmes 
qui,  séparées  d'elle  par  une  différence  d'âge  plus  ou  moins  pro- 
noncée, étaient  devenues  ses  belles-sœurs  et  aussitôt  ses  amies. 
L'une  était  Marguerite  de  Bourbon,  duchesse  deNevers,  sœur 
d'Antoine,  et  de  Louis  de  Bourbon;  l'autre,  Jeanne  d'Albret, 
femme  du  premier  de  ces  princes. 

Marguerite  de  Bourbon,  en  digne  fille  du  grand  Vendôme  et  de 
Françoise  d'Alençon,  en  même  temps  qu'à  titre  de  compagne 
d'un  prince  justement  considéré  (i)  avait  réussi,  au  sein  des 
honneurs  et  de  la  richesse,  à  se  concilier  l'estime  et  le  respect 
de  tous,  par  une  noblesse  de  caractère  et  un  ensemble  de  qua- 
lités, en  harmonie  avec  sa  grande  situation.  Mère  de  plusieurs 
enfants,  dont  l'aîné  avait  vu  le  jour  en  1540,  elle  était  en  1551 
arrivée  à  cette  époque  de  la  vie  qui,  pour  une  femme  de  cœur, 
marque  la  transition,  sérieusement  acceptée,  de  la  première 
jeunesse  à  un  autre  âge,  où,  sans  rien  perdre  de  leur  fraîcheur 
ni  de  leur  vivacité,  les  sentiments  s'affermissent  et  s'élèvent 
de  plus  en  plus,  au  contact  de  l'expérience.  Chérie  de  sa 
nombreuse  famille,  elle  l'était  surtout  de  Louis  de  Bourbon. 
L'affection  que,  de  son  côté,  elle  portait  à  ce  jeune  frère, 
s'étendit  naturellement  à  Éléonore  de  Roye  :  elle  lui  ouvrit 
son  cœur,  sous  rinfluence  de  ce  sentiment  presque  maternel 
qu'une  sœur  aînée  éprouve  ordinaii'cment  pour  une  jeune 
sœur. 

Jeanne  d'Albret,  unie  le  20  octobre  1548,  à  Antoine,  duc  de 

(1)  Voir,  sur  le  mariage  de  Marguerite  de  Bourl)on,  avec  le  duc  d(>  Nevers, 
une  lettfc  adressée  par  François  i''"'  à  la  duchesse  de  Vendô:uc,  le  11  janvier 
1538.  ([]ilj|.  nal.,  niss.  f.  fr.,  vol.  281^2,  f"  9.) 


Vendôme  (I),  frère  aîné  de  Louis  de  Bourbon,  n'était  âgée,  lors 
du  mariage  de  celui-ci,  que  de  vingt-trois  ans.  Elle  avait  perdu, 
en  1549,  sa  mère,  Marguerite  de  Valois,  reine  de  Navarre.  Un 
vide  immense,  s'était  fait  alors  dans  son  cœur;  rien  ne  pouvait  la 
consoler;  car  s'il  était  pour  Jeanne  une  perte  irréparable,  c'était 
celle  de  cette  tendresse  maternelle  qui  lui  avait  été  ravie  au  mo- 
ment où,  plus  que  jamais,  elle  eût  voulu  s'abriter  sous  son  égide. 
La  profondeur  de  son  chagrin  (2)  ne  l'avait  cependant  pas  ren- 
due insensible  aux  émotions  bienfaisantes  qui  pourraient  naître 
d'une  affection  nouvelle.  Aussi  fut-ce  déjà  une  douce  impres- 
sion pour  elle  que  de  rencontrer,  dans  la  sœur  qu'une  nouvelle 
alliance  lui  donnait,  la  filleule  de  Marguerite  de  Valois.  Mais 
il  y  eut  plus  :  se  voir  et  se  connaître,  ce  fut  aussitôt,  pour 
Jeanne  et  Éléonore,  s'aimer  mutuellement.  Celle  de  ces  deux 
jeunes  femmes  qui  avait  le  bonheur  de  posséder  encore  sa  mère, 
trouva,  pour  celle  qui  était  privée  de  la  sienne,  des  paroles  de 
sympathie  et  de  relèvement  qui  soulagèrent  le  cœur  de  l'af- 
fligée. 

L'amitié  qui,  dès  1551,  lia  Jeanne  à  Éléonore  s'affermit  avec 
les  années  par  une  étroite  communauté  de  sentiments,  d'actions 
et  d'épreuves,  et  conserva  toujours  le  touchant  caractère  d'in- 
timité dont  elle  fut  empreinte  à  son  origine. 

Jeanne  devait,  après  avoir  reçu  les  consolations  d'Éléonore, 
devenir  à  son  tour  la  consolatrice  de  celle-ci. 

Tandis  que  l'une  des  deux  belles-sœurs  continuait  à  jouir  de 
l'affection  de  son  père,  l'autre  eut  la  douleur  de  perdre  le  sien  : 
Charles  de  Roye,  à  peine  âgé  de  quarante-trois  ans,  mourut  au 
château  du  Plessier,  le  29  janvier  1552  (3).  Jeanne  d'Albret 


(1)  De  nombreuses  lettres  adressées  à  Jeanne  d'Albret  par  Antoine  de  Dourbon, 
à  une  époque  qui  suivit  de  près  son  union  avec  elle,  attestent  l'intiniilé  qui  ré- 
gnait alors  entre  les  deux  époux.  (Bi!)l.  nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  87iG.) 

(2)  Voir  Appendice,  n°  2. 

(3)  Cibl.  nat.,  cab.  des  tit.,  Collcct.  de  p.  et  Mcm.  v.  Roye,  i"  11.  Cbarles  de 


—  18  — 

rendit  alors  à  Éléonore,  en  délicats  témoignages  d'attachement 
et  de  sympathie,  ce  qu'elle  avait  naguère  reçu  d'elle  dans  une 
circonstance  de  même  nature,  et  lui  prouva,  ainsi  qu'à  Made- 
leine de  Mailly  et  à  Charlotte  de  Roye,  la  vive  part  qu'elle  pre- 
nait à  leur  commune  doulean-. 

Si  la  courte  carrière  de  Charles  de  Roye  n'a  laissé  que  peu 
de  traces  dans  l'histoire,  on  sait  du  moins  qu'elle  fut  honorable. 
Nommé,  dès  sa  jeunesse,  gentilhomme  ordinaire  de  la  chambre 
du  roi  (1),  il  devint  plus  tard  vidame  de  Laon  (2),  et  porta 
dignement,  dans  sa  vie  publique  de  même  que  dans  sa  vie 
privée,  le  nom  recommandable  qu'il  tenait  de  ses  ancêtres.  Il 
était  réservé  à  Madeleine  de  Mailly,  héritière  de  ce  nom  con- 
jointement avec  ses  filles,  d'en  rehausser  l'éclat  par  le  rôle  con- 
sidérable qu'elle  jouerait,  depuis  son  veuvage,  dans  les  princi- 
paux événements  d'une  époque  agitée,  et  de  s'élever,  en  qualité 
de  comtesse  de  Rojje  (3),  au  rang  des  grandes  personnalités 
historiques  du  XYI"  siècle.  Éléonore  et  Charlotte  devaient  aussi 
concourir  largement  au  soutien  du  nom  que  leur  avait  légué 
leur  père. 

La  comtesse  de  lloye  recueillit,  à  la  mort  de  son  mari,  un 
douaire  dont  la  paisible  possession  se  concilia  toujours,  sous 

Roye  fut  iiiliumé  dans  la  chapelle  Notre-Dame  de  Muret,  lieu  de  sépulture  pour 
salaiiiilie.  (Bibl.  iiat.,  Ibid.) 

(I  )  Il  figura  en  cette  qualité  parmi  les  nobles  appelés  à  concourir  à  la  réfor- 
niation  de  la  coutume  de  Valois,  dans  un  procès-verbal  dressé  le  14  septembre 
to39,  et  jours  suivants.  (V.  Bourdot  de  Ricliebourg,  Nouveau  coutumier  général 
in-f'.,  t.  l\,  p.  81-2).  —  Carlier,  Ilist.  du  duché  de  Valois,  t.  H.  p.  379).  —  Col- 
ladon,  dans  son  Inventaire  (Cibl.  iiat.,  n)ss.  f.  fr.,  vol.  8177,  f"  395),  mentionne 
un  certificat  du  5  décembre  1551,  portant:  «  Charles  de  lloye,  estre  gentil- 
»  homme  ordinaire  de  la  chambre  du  roy  cl  couché  eu  son  estât.  » 

(2)  nibl.  nat.,  cab.  des  tit.,  Collect.  de  p.  et  Mém..  v.  Roye,  f"«  8  et  9,  xiil. 

(3)  Madeleine  de  Mailly,  qui,  du  vivant  de  son  mari,  avait  porté  parfois 
{Invent,  de  Cl.  Coihulon,  llihl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  8177,  f»  39^2)  le  titre  de 
comtesse  de  Roucy,  emprunté  au  comté  de  ce  nom,  qui  appartenait  à  Charles  de 
Roye,  prit,  à  dater  du  décès  de  celui-ci,  la  qualité  soit  de  dame  de  Roye,  soit  de 
douairière  de  Roye  (Cl.  Colladon,  Ibid.,  f'^  45  et  77),  et  ne  tarda  pas  à  adopter 
définitivement  le  titre  de  comtesse  de  Rofjc,  sous  lequel  elle  est  surtout  connue. 


—  19  — 

l'empire  d'une  entière  réciprocité  de  confiance  et  d'égards,  avec 
l'exercice  des  droits  héréditaires  de  ses  filles. 

La  partie  la  plus  importante  de  la  fortune  laissée  par  Charles 
de  Roye  échut  à  Éléonore,  en  qualité  d'aînée  de  ses  héritières  (1)  ; 
le  surplus  fut  attribué  à  Charlotte.  Par  suite  de  la  dévolution 
des  biens  paternels  qui  venait  de  s'opérer  en  leur  fliveur,  les 
deux  sœurs  prirent,  Tune  le  titre  de  dame  de  Muret  (2),  l'autre 
celui  de  dame  de  Roucy  (3). 

Dieu  qui,  dans  ses  compassions,  avait,  par  la  naissance 
d'Éléonore,  atténué,  en  1535,  pour  la  maréchale  de  Châtillon, 
les  rigueurs  du  veuvage,  en  l'associant  aux  douces  émotions 
qu'éprouva  Madeleine  de  Mailly  lorsqu'elle  devint  mère,  voulut 
également,  dix-sept  ans  plus  tard,  alléger  pour  celle-ci  le  fiUTleau 
d'un  pénible  deuil,  en  lui  permettant  de  voir  le  cœur  de  sa  fille 
aînée  s'épanouir,  lui  aussi,  aux  pures  joies  de  la  maternité. 

Éléonore  de  Roye  occupait  sa  résidence  de  la  Ferlé-sous- 
Jouarre  lorsqu'elle  y  donna  le  jour,  le  *^9  décembre  155^2,  à  un 
fils  qui  reçut  le  nom  de  Henri  de  Rourbon  (4).  Ce  fils  devait, 
dès  son  enfance,  partager  les  austères  épreuves  qu'aurait  à  tra- 
verser sa  mère,  grandir  moralement  à  ses  côtés,  et  demeurer, 
dans  une  carrière  trop  tôt  brisée,  fidèle  aux  nobles  enseigne- 
ments qu'elle  lui  léguerait. 

Remarquons,  en  passant,  que  la  date  de  la  naissance  de 
Henri  de  Rourbon,  à  qui  fut  appliquée,  dès  son  bas  Age,  la  qua- 
lification de  marquis  de  Conti,  coïncida  à  peu  près  avec  l'éfio- 
que  à  laquelle  ses  parents  commencèrent  h  porter  les  titres  de 
f  rince  et  de  princesse  de  Coudé  (5);  titres  sous  lesquels  nous 

.  (I)  Se.  cl  L.  de  Sainclc-Martlie,  Hisl.  gèncal.  de  la  maison  de  France,  t.  II. 
p.  938.  Dorniav,  Hist.  de  Sois.wns,  t.  II,  liv.  VI,  cli.  xwvii,  p.  iT)!. 

("2)l]ibl.  nat.,  cal),  des  l'\L,  Colleci.  de  p.  et  Mem.  V.  llovc,  ("  2. 
,     (3)  Bibl.  nat.,  Ibid.  —  Donuay,  oiur.  cit.,  t.  H,  v\\.  iv,  p.  l."i. 

[i)  Se.  et  [..  de  Saiiicle-Marllie,  ouvr.   cit.,  t.   II,  p.   'J31».  —  Dorinay.  ouvr. 
cit.,  t.  II.  p,  189. 

(5)  Dans  une  dépêche  ollicielle  du  ±2  septembre   1553  (Hibl.  nat.,  niss.  f.  IV., 


—  20  — 

désignerons  désormais  Louis  de  Bourbon  et  Éléonore  de  Roye. 

Cette  princesse  habitait,  en  d554,  le  château  de  Roucy.  Ce 
fut  là  qu'elle  mit  alors  au  monde  une  fille  (1)  à  laquelle  elle 
donna  le  nom  de  Catherine.  Ce  second  enfant  fut  ravi  de  bonne 
heure  à  son  affection. 

Dans  le  cours  de  l'année  1555  survint  un  douloureux  événe- 
ment qui  mit  inopinément  un  terme  au  séjour  de  Jeanne  d'Al- 
bret  en  France  :  le  roi  Henri,  son  père,  mourut.  Le  décès  de  ce 
prince  laissait  vacant,  en  Navarre,  un  trône  que  Jeanne  et  son 
mari  étaient  appelés  à  occuper. 

Doublement  émue,  à  l'aspect  d'une  douleur  filiale  dont  son 
expérience  personnelle  lui  faisait  mesurer  la  profondeur,  et  à  la 
pensée  d'une  séparation  toujours  poignante  pour  l'amitié  frater- 
nelle, la  princesse  de  Condé  confondit,  une  fois  encore,  ses 
larmes  avec  celles  de  Jeanne,  et  redoubla  pour  elle  de  sympa- 
thie et  de  tendresse. 

Elle  sut,  en  même  temps,  agir  en  sœur  vis-à-vis  d'Antoine  de 
Bourbon,  qui  avait  cordialement  étendu  jusqu'à  elle  l'affection 
qu'il  portait  au  prince  de  Condé  ;  atïection  dont  il  donna  une 
preuve  toute  particulière  au  moment  où  allaient  cesser  ses 
fonctions  de  gouverneur  de  la  Picardie. 

11  voulut,  en  effet,  avant  de  se  démettre  du  gouvernement  de 
cette  province,  en  ménager  la  transmission  à  son  jeune  frère, 
qui  certes  était  digne  de  lui  succéder.  Il  s'adressa,  à  ce  sujet,  au 
roi  de  France;  mais  Henri  II,  qui  avait  sur  la  Navarre  des  vues 
ambitieuses  à  la  réalisation  desquelles  ni  Jeanne  d'Albret  ni 
Antoine  ne  devaient  se  prêter,  s'irrita  de  leur  résistance  et  re- 
poussa la  demande  de  transmission  C^).  Il  ne  pouvait  du  reste 
mieux  servir  les  intérêts  de  la  Picardie,  sans  s'en  douter  peut- 


vol.  3131,  f"  12G),  Antoine  de  Rourbon  dit,  on  parlant  de  Louis  :  «  Le  prince, 
mon  frère  ». 

(1)  Se.  et  L.  de  Saincte-Marthî^,  ouvr.  rit.,  t.  II,  p.  030. 

(2)  Désorincau.x,  Ilist.  de  la  maison  de  Bourbon,  t.  111,  p.  2il. 


—  21  — 

être,  qu'en  désignant  pour  successeur  au  duc  de  Vendôme  un 
homme  devant  le  choix  duquel  Éléonore  de  Roye  et  Louis  de 
Bourbon  lui-même  s'inclinèrent  avec  une  respectueuse  abnéga- 
tion. Ce  successeur  était  leur  oncle,  Gaspard  de  Coligny,  qui 
plus  tard,  au  cœur  même  de  la  province  confiée  à  sa  vigilance 
et  à  sa  bravoure,  illustra  ses  fonctions  de  gouverneur  en  sau- 
vant la  France  par  son  héroïque  défense  de  Saint-Quentin. 

Le  départ  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jeanne  excita,  au  sein 
des  populations  qu'ils  étaient  contraints  de  quitter,  d'unanimes 
regrets.  On  peut  aisément  se  représenter  l'étendue  de  ceux 
qu'éprouva  la  princesse  de  Condé  et  les  émotions  qui  l'agitèrent 
lorsqu'elle  reçut  les  adieux  de  la  jeune  reine  de  Navarre.  Tou- 
tefois son  cœur,  de  quelque  tristesse  qu'il  fût  saisi,  se  reposa 
bientôt  dans  la  douce  conviction  que  Jeanne,  telle  qu'elle  la  con- 
naissait, pouvait  aller  au  loin  ceindre  une  couronne,  sans  cesser 
pour  cela  d'être  une  tendre  sœur,  une  amie  fidèle.  Éléonore  ne 
se  trompait  pas. 

Ses  impressions,  dans  cette  circonstance  comme  dans  tant 
d'autres,  furent  partagées  par  la  comtesse  de  Roye  et  par  Char- 
lotte, qui  avaient  aussi  soutenu,  pour  leur  propre  part,  d'affec- 
tueuses relations  avec  Jeanne  d'Albret  et  son  mari  (1). 

Les  nouveaux  souverains  reçurent  de  leurs  sujets  un  chaleu- 
reux accueil.  Bs  inaugurèrent  leur  règne  par  une  série  de  sages 
mesures  appliquées  à  la  direction  intérieure  de  leurs  Etats  et' 
par  une  judicieuse  fermeté  d'attitude  vis-à-vis  des  prétentions 
exorbitantes  qu'affichaient  des  puissances  hostiles  à  la  JNavarre. 

Tandis  qu'ils  voyaient  presque  tous  leurs  moments  absorbés 
par  les  préoccupations  et  les  devoirs  de  la  vie  publique,  Tcxis- 
tence  d'Éléonore  de  Roye,  consacrée  à  l'accomplissement  de 
devoirs  moins  extérieurs  mais  tout  aussi  impérieux,  continuait  à 
s'écouler  dans  le  cercle  de  la  famille  et  des  relations  privées,  loin 
du  bruit  et  de  l'atmosphère  énervante  d'une  cour  où  rien  n'était 

(1)  Voir  Appendice,  n"  3. 


—  22  — 
de  nature  à  attirer  une  femme  de  son  caractère.  Certaines  exi- 
gences de  rang  et  de  situation  pouvaient  seules  tiœr  parfois  la 
princesse  de  sa  retraite. 

Elle  résidait  tour  à  tour  dans  chacun  de  ses  principaux  do- 
maines, ou  dans  l'un  de  ceux  qu'occupaient  sa  mère  et  Char- 
lotte. Celles-ci,  non  moins  habituées  qu'elle  à  un  affectueux 
échange  d'hospitalité,  saisissaient  toute  occasion  de  se  rappro- 
cher d'une  fille  et  d'une  sœur  bien-aimée,  avec  autant  d'empres- 
sement que  cette  dernière  en  mettait  à  rechercher  leur  présence, 
quel  que  fût  le  toit  qui  dût  les  abriter  simultanément  toutes 
trois. 

La  princesse  de  Condé  se  trouvait  de  nouveau  au  château  de 
Roucy  lorsque,  le  8  novembre  1556,  elle  y  accoucha  de  sa 
seconde  fille,  ^larguerite  de  Bourbon  (1).  A  cet  enfant  échut  le 
gracieux  apanage  d'une  beauté  rappelant  celle  qui  distinguait  à 
un  si  haut  degré  sa  mère  (2).  Mais  un  rare  ensemble  de  charmes 
physiques  était  le  moindre  des  avantages  que  possédât  Éléonore 
de  Roye.  Ce  qui  prédominait  en  elle,  c'était  une  beauté  morale 
d'un  type  exceptionnel,  alliée  au  profond  sentiment  de  sa  filiale 
dépendance  envers  Dieu,  dont  la  main  paternelle  la  soutenait 
constamment.  L'assistance  divine  fut,  en  effet,  accordée  dans 
une  large  mesure  à  Éléonore  de  Roye.  Toute  la  vie  de  cette 
princesse  témoigne  de  l'influence  exercée  sur  son  âme  par  cette 
'force  suprême  du  Dieu  des  chrétiens,  qui  toujours  s'accomplit 
dans  leur  faiblesse. 

En  veut-on  une  première  preuve?  Elle  ressortira  d'un  fait 
caractéristique  qui  suivit  d'assez  près  la  naissance  de  Margue- 
rite de  Bourbon. 

Dans  les  premiers  mois  de  l'année  1557,  la  princesse  de  Condé 

(1)  Se.  et  L.  de  Sainctc-Martlic,  Ilist.  gni.  de  la  maison  de  France,  t.  II, 
p.  9:38. 

(2)  «  Vous  eussiez  vu  la  petite  mailanioiselle  (Marg-uerite),  qui  est  un 

vif  pourtrait   de   beauté.  »  {Epislrc  d'une  dauioisello    françoise  ù    une    sienne 
amie,  etc.,  etc.,  15Gi,  p.  44). 


—  23  — 
tomba  gravement  malade;  ses  jours  furent  en  danger;  elle  le 
sut,  et,  calme,  résignée,  prêle,  si  telle  était  la  volonté  de  Dieu, 
à  se  séparer  de  tous  ceux  qu'elle  aimait,  elle  envisagea  la  mort 
sans  elîroi,  «  car  Dieu  lui  avoit  fait  lagriice  que,  depuis  qu'elle 
»  avoit  eu  sa  cognoissance,  elle  avoit  toujours  pensé  que  la  mort 
»  luy  devoit  estre  aussy  présente  en  un  temps  qu'en  l'aullre,  et 
))  que  le  chrestien  estimera  aussi  que  de  là  dépend  le  comble  de 
»  son  heur  et  contentement  (1).  »  Qu'elles  sont  simples  et  sai- 
sissantes les  quelques  paroles  par  lesquelles,  en  humble  chré- 
tienne, elle  nous  révèle  le  secret  de  l'énergie  morale  qui,  dans 
cette  circonstance,  la  rendit  capable  d'affronter  résolument  les 
menaces  du  plus  redoutable  des  adversaires,  du  roi  des  êpouvan- 
temcnts  (2)!«  J'ai  en  mon  cœur,  disait-elle  (3),  ce  que  Dieu, 
»  dès  ma  jeunesse,  y  a  mis,  l'assurance  de  mon  salut.  »  Elle 
avait  vingt-huit  ans  lorsqu'elle  prononça  ces  paroles  :  or  il  est 
évident  que,  dans  sa  pensée,  sa  jeunesse  remontait  au  delà  même 
de  l'année  1557,  qui  était  la  vingt  et  unième  de  son  âge. 

Rapprochons  de  son  langage  celui  d'un  oncle  qui  l'aimait 
d'une  alTeclion  paternelle,  et  qui,  dès  cette  époque,  sympathisait 
d'autant  mieux  avec  elle  dans  la  solennelle  épreuve  qu'elle  dut 
traverser,  qu'il  partageait  ses  convictions  religieuses.  Gaspard  de 
Coligny,  en  tournée  d'inspection  dans  son  gouvernement  de 
Picardie,  écrivait  de  Péronne,  le  25  avril  1557,  à  madame  de 
Larochepot,  sa  tante  (4)  ;  ce  Je  m'en  vais  visitant  ceste  frontière, 

))  de  place  en  place je  ne  sçay  si  vous  avez  rien  sçeu  de 

))  l'extrême  malladie  qu'a  eue  madame  la  princesse  do  Coudé; 
»  mais  on  Ta  tenue  plus  pour  morte  que  vifve.  M.  le  cardinal  de 
))  Ghastillon  y  esloit,  quy  m'a  mandé  qu'il  n'est  possible  à  une 

(1)  Épistre  d'une  ilaiiioisello  fi-anroisi'  à  iino  sienne  innic,  olc,  elc.  laGl, 
p.   40. 

{2)  Jol),  cil.  xvill,  V.  I  i. 

(3)  Épislrc  d'uni'  danioisclle  francoise  à  une  sienne  amie,  etc.,  etc.  15GI. 
p.  33. 

(4)  Bibl.  nat.,  niss.  f.  fr  ,  vol.  3122,  f"  58. 


—  ^4  

y>  personne  serésouidre  plus  chrétiennement  qu'avoit  faictceste- 
y>  là.  » 

Recueillons  encore,  comme  directement  applicable  au  fait 
capital  qui  nous  occupe,  l'hommage  rendu  par  une  amie  chré- 
tienne aux  sentiments  qui  animaient  la  princesse  de  Gondé  en 
présence  de  la  mort.  «  Il  faut,  écrivait  cette  amie  (1),  que  je  vous 
»  die  librement,  sans  flatter  nostre  sexe,  que  sa  magnanimité 
))  a  fait  honte  et  la  piaffe  aux  grands  courages  dont  se  vantent 
»  couslumièrement  les  hommes;  car,  de  sang-froid,  elle  a  moins 
))  appréhendé  la  crainte  de  la  mort,  que  les  plus  braves  d'entre 
y>  eux  ne  firent  jamais.  » 

Dieu  daigna  épargner  les  jours  de  la  princesse  de  Gondé.  Heu- 
reuse (c  de  s'être  souvenue  de  son  Gréateur  au  temps  de  sa 
))  jeunesse  (2)  »,  et  portant  en  son  cœur  la  plus  précieuse  des 
bénédictions,  «  la  certitude  que  ni  la  vie  ni  la  mort,  rien  ne 
»  pourrait  la  séparer  de  l'amour  que  Dieu  lui  avait  manifesté  en 
y)  Jésus-Ghrist  son  Sauveur  (3)  »,  Éléonore  de  Roye  se  reprit  à 
l'existence  comme  s'y  reprend  toute  âme  chrétienne  que  pénètre 
le  sentiment  d'une  immense  délivrance  accordée  d'en  haut,  avec 
gratitude  et  affermissement  de  foi.  Soumise  d'avance  à  une  vo- 
lonté suprême  qu'elle  savait  «  être  toujours  bonne,  agréable  et 
))  parAute  (4)  »,  et  convaincue  que,  quelque  graves  que  pussent 
être  des  dispensations  ultérieures,  la  miséricorde  divine,  qui 
l'avait  déjà  si  admirablement  soutenue,  ne  lui  ferait  jamais 
défaut,  elle  s'avança  avec  confiance  vers  l'avenir. 

Rendue  à  l'affection  des  siens,  elle  goûta  de  nouveau  dans 
toute  leur  étendue  les  douces  joies  de  la  famille  qui  lui  étaient 
devenues  plus  chères  que  jamais.  Elle  put  bientôt  compter  au 
nombre  de  ces  joies  celle  que  lui  causa,  dans  l'été  de  1557, 

(1)  Epistre  d'une    daiiioiselle   IVaiiroise  ù  une   sienne    aniio,  etc.,  clc,  1501, 
p.  39. 

(2)  Ecclésiaste,  cli.  xii,  v.  3. 

(3)  Uom.,  vni,  38. 
(i)  Uo:n.,  xil,  2. 


—  25  — 
l'union  de  sa  sœur  bien-aimée  avec  un  homme  digne  d'elle. 
Fils  du  comte  François,  deuxième  du  nom,  et  d'Anne  de 
Polignac,  François  III,  comte  de  la  Rochetbucault,  prince  de 
Marcillac,  «  n'était  pas  seulement  le  plus  grand  en  naissance  et 
>  en  dignité,  mais  le  plus  puissant  seigneur,  de  toute  la  Guienne, 
»  en  Poitou,  comme  celui  qui  pouvoit  faire  une  armée  de  ses 
))  parens,  de  ses  amis  et  de  ses  vassaux  (i)  )).  Non  moins  dis- 
tingué par  les  qualités  du  cœur  et  de  l'esprit  que  par  ses  ta- 
lents militaires,  bien  vu  à  la  cour,  particulièrement  aimé  du 
roi  (2),  il  occupait  dans  le  monde  une  haute  situation  sou- 
tenue par  la  dignité  de  la  vie  privée.  Il  avait  trouvé  le  bonheur 
dans  son  union  avec  Silvia  Pica,  fille  de  Galeas  Pic,  prince  de 
la  Mirandola  et  de  Goncordia,  et  d'IIippolyte  de  Gonzague  (3)  ; 
mais  la  mort  inopinée  de  sa  jeune  compagne  (4),  en  brisant  ce 
bonheur,  l'avait  jeté  dans  un  profond  abattement.  Émus  de  son 
état,  des  amis  l'avaient,  par  leurs  instances,  arraché  à  la  soli- 
tude dans  laquelle  il  cachait  ses  pleurs  (5),  et  amené  graduelle- 
ment à  ne  pas  désespérer  de  l'avenir.  Ils  s'étaient  efforcés,  pour 
mieux  le  défendre  contre  lui-même,  de  diriger  ses  pensées  vers 
une  seconde  union,  comme  pouvant  lui  fournir  l'appui  moral 
dont  il  avait  besoin,  en  imprimant  à  ses  sentiments  une  direc- 
tion nouvelle,  et  en  leur  offrant,  une  fois  encore,  un  noble  ali- 
ment. Vagues  et  oscillantes  d'abord,  les  aspirations  de  son  cœur 
s'étaient  peu  à  peu  précisées  et  affermies.  Le  jour  vint  enfin 
où,  rattaché  décidément  à  la  vie,  il  chercha  de  nouveau  le 
bonheur  (6).  Les  charmes  et  les  vertus  d'une  jeune  fille  de 
\ingt  ans  lui  en  frayèrent  la  voie  ;  il  s'attacha  à  elle  avec  une 

(1)  Le  Laboureur,  arldit.  aux  Mcm.  de  Castelnau,  in-r',  t.  I,  p.  76G,  TOT. 

(2)  Voir  Appendice,  n"  i. 

(3)  Le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de   Castelnau,  t.  I,  p.  TG7.  —  liibL  nal., 
Collcct.  Ducbesne,  vol.  5,  f"  I3'2. 

(4)  Il  la  perdit  en  1556. 

(5)  Voir  Appendice,  n"  5. 

(6)  Voir  Appendice  i\°  G. 


—  'IC  — 

aiïeclLieuse  confiance  à  laquelle  il  fut  sympathiquement  répondu; 
et,  sur  les  traces  d'un  tel  guide,  il  toucha  bientôt  au  terme  de 
ses  nouvelles  recherches  et  de  ses  vœux,  puisque  ce  guide  était 
l'aimable  et  pieuse  Charlotte  de  Roye,  et  qu'elle  devint  sa  com- 
pagne. 

Goûter  en  paix  et  pour  longtemps  ensemble,  au  môme  foyer, 
les  douces  joies  d'une  intime  union,  eût  été  pour  les  nouveaux 
époux  un  privilège  inconciliable  avec  les  rigueurs  de  l'époque. 
En  effet,  au  xvi"  siècle,  en  France,  les  péripéties  d'une  carrière 
agitée  par  l'effervescence  de  la  crise  sociale,  par  les  événements 
politiques  et  par  les  rudes  exigences  de  la  guerre,  imposaient 
fréquemment  à  l'union  conjugale,  au  sein  des  familles  nobles, 
des  douleurs  de  plus  d'un  genre,  et  spécialement  celle  des  sépa- 
rations instantanées.  Ne  pouvant  suivre  alors  que  du  cœur  et 
de  kl  pensée  un  mari  que  le  devoir  appelait  à  exposer  ses  jours 
sur  les  champs  de  bataille,  la  femme  chrétienne  menait,  dans 
l'isolement  du  foyer  domestique,  une  existence  mélangée  de 
regrets,  d'appréhensions  et  de  prières,  acceptait  l'épreuve  à  titre 
d'austère  exercice  de  sa  foi,  et,  appuyée  sur  les  promesses  di- 
vines, s'étudiait  à  posséder  son  ame  par  la  patience  (i). 

Telle  était,  depuis  six  ans  déjà,  l'existence  de  la  princesse  de 
Condé  :  telle  devint  aussi  celle  de  la  comtesse  de  la  Rochefou- 
cault,  trois  semaines  après  son  mariage  (2).  Les  deux  sœurs 
durent  se  résigner  au  départ  de  leurs  maris,  contraints  d'entrer 
tout  à  coup  en  campagne. 

La  trêve  de  Vaucelles  avait  été  rompue  à  l'instigation  du 
pape  et  des  Guises;  les  hostilités  étaient  reprises;  l'ennemi  as- 
siégeait Saint-Quentin.  On  ne  sait  que  trop  quelle  fut  l'issue  de 
la  bataille  livrée  sous  les  murs  de  cette  ville,  et  ce  que  fût  de- 
venue la  France  sans  le  génie  et  l'intrépidité  de  Coligny,  qui^ 
luttant  jusqu'à  la  dernière  extrémité  avec  une  poignée  de  braves 

(I)Iaic,  \\i,  Ifl. 

(;2)  Mémoires  de  Jean  Mergey,  édit.  de  1788,  sur  l'année  1557. 


-  27  — 
éleclrisés  par  son  exemple,  tint  tête,  dans  une  place  démantelée 
et  dépourvue  de  ressources,  à  la  formidable  armée  de  Philippe  II. 

Les  nouvelles  successivement  apportées  de  Saint-Quentin 
furent  autant  de  sujets  de  tristesse  pour  la  princesse  de  Condc 
et  la  comtesse  de  la  Rochefoucault.  Elles  apprirent  cpie  Louis 
de  Bourbon  n'était,  il  est  vrai,  ni  mort,  ni  blessé,  ni  prisonnier, 
mais  qu'il  courait  encore  plus  d'im  danger  en  s'efforçant,  avec 
le  duc  de  Nevers  de  rallier,  en  face  de  l'ennemi,  les  débris  de 
l'armée  française  et  de  protéger  la  frontière  par  d'aclives  ma- 
nœuvres. Elles  apprirent  aussi  que  le  comte  de  Larochefoucault, 
leur  grand-oncle,  Anne  de  Montmorency,  leurs  oncles  Gaspard 
de  Coligny  et  d'Andelot  (i),  leur  cousin  Gabriel  de  Montberon, 
quatrième  fds  du  connétable,  venaient  d'être  faits  prisonniers, 
et  que  le  duc  d'Enghien,  frère  du  prince  de  Gondé,  atteint  d'un 
coup  d'arquebuse  dans  la  mêlée,  était  mort  presque  aussitôt. 

Avec  quel  élan  de  cœur  Éléonore  et  Charlotte  de  Roye  n'eus- 
sent-elles pas  tout  quitté  pour  rejoindre  alors  leurs  maris,  s'il 
eût  été  permis  à  l'une  de  partager  les  dangers  du  prince,  et  à 
l'autre  de  consoler  le  comte  dans  sa  captivité!  Mais  les  circon- 
stances y  mettaient  obstacle  et  vouaient  ces  deux  femmes  géné- 
reuses à  l'inaction  et  aux  perplexités  de  l'attente. 

Ce  fut  au  milieu  même  de  ces  perplexités  qu'Éléonore,  à 
peu  de  temps  de  là,  accoucha  de  son  second  fils,  Charles  de 
Bourbon,  le  3  novembre  1557  (-2). 

Les  événements  qui  suivirent  la  prise  de  Saint-Quentin  et  qui 
se  résumèrent  dans  la  continuation  des  opérations  de  défense 
de  la  Picardie,  ainsi  que  dans  les  sièges  de  Calais  et  de  Thion- 
ville,  et  la  bataille  de  Gravelines,  tinrent  le  prince  de  Condé 
presque  toujours  éloigné  de  la  princesse  pendant  l'automne  de 
1557,  l'hiver  et  le  printemps  de  1558. 

(1)  D'Andelot  réussit  promptement  à  s'évadoi-. 

(2)  Se.  et  L.  do  Saiiicte-Marthe,  llist.  géncal.  de  la  maison  de  France,  t.  II, 
p.  939. 


—  28  — 

Quant  à  Charlotte  de  Roye,  elle  dut,  pendant  plus  d'un  an, 
demeurer  séparée  de  son  mari,  que  l'ennemi  retint  prisonnier 
tour  à  tour  en  Flandre,  en  Hollande,  en  Brabant  et  en  Artois  (i). 

Les  brillants  services  militaires  du  prince  de  Condé  en  Pi- 
cardie, avant  et  depuis  la  prise  de  Saint-Quentin,  méritaient 
une  sérieuse  récompense  :  on  la  lui  dénia  d'une  manière  bles- 
sante. En  eflet,  la  charge  de  colonel  général  de  la  cavalerie 
légère,  qui  lui  revenait  en  quelque  sorte  de  droit,  des  qu'elle  fut 
vacante  après  la  prise  de  Calais,  fut  donnée  à  un  affidédes  Guises, 
au  duc  de  Nemours  (2).  Louis  de  Bourbon  n'obtint  que  le  litre 
dérisoire  de  colonel  général  de  l'infanterie  par-delà  les  monts, 
alors  que  la  France  n'avait  plus  en  Piémont  d'armée  propre- 
ment dite.  Dépourvu  de  tout  commandement  effectif,  mais  sa- 
chant par  patriotisme  surmonter  de  légitimes  susceptibilités,  il 
prit  part,  à  la  suite  du  souverain,  aux  principales  opérations  de 
l'armée  française  sur  la  frontière  des  Pays-Bas,  jusqu'au  jour  oii 
l'état  chancelant  de  sa  santé  arrêta  son  activité  extérieure  et  le 
rendit  momentanément  au  calme  de  la  vie  de  famille. 

Ces  seuls  mots,  vie  de  famille,  d'une  si  haute  signification 
dans  leur  simplicité  môme,  nous  mettent  sur  la  voie  d'intéres- 
santes constatations,  auxquelles  nous  devons,  pour  un  moment, 
nous  arrêter.  Essayons  donc  de  pénétrer  par  la  pensée  dans  un 
intérieur  dont  Eléonore  de  Roye  était  l'âme,  et  d'en  saisir  les 
principaux  aspects.  Le  langage  de  la  princesse,  chaque  fois  qu'il 
nous  sera  donné  de  l'entendre,  deviendra  à  cet  égard  la  meil- 
leure source  d'informations  à  laquelle  nous  puissions  remonter; 
et,  dans  les  fragments  de  sa  correspondance,  à  peu  près  incon- 
nus jusqu'à  ce  jour,  viendra  çà  et  là  se  relléter  l'image  de  ses 
vertus,  de  sa  grâce  et  de  sa  piété. 

(1)  Voir  A])peiulice,  n"  7. 

(2)  Le  inL'sident  de  La  Place,  Commentaire  de  Vestat  de  la  relig.  et  répiibl., 
édil.  de  1505,  p.  13. 


CHAPITRE  III 


Le  prince  de  Condé  se  trouvait,  à  la  fin  du  printemps  de 
1558,  près  d'Eléonore  de  Roye,  lorsqu'il  tomba  malade.  La  prin- 
cesse, malgré  les  fatigues  inséparables  d'un  état  avancé  de  gros- 
sesse, entoura  son  mari  de  soins  assidus  qui  furent  suivis  de 
succès. 

Un  changement  de  séjour  pouvait  contribuer  à  affermir  la 
convalescence  du  prince  :  aussi  s'empressa-t-elle  de  le  conduire 
dans  une  contrée  boisée  et  pittoresque,  au  château  de  Fère-en- 
Tardenois,  que  la  connétable  de  Montmorency  avait  misa  sa  dis- 
position. La  comtesse  de  Roye  y  accompagna  sa  fille  et  son 
gendre.  Deux  lettres  de  la  jeune  et  gracieuse  compagne  de  Louis 
de  Bourbon  attestent  la  joie  qu'elle  éprouva  à  voir  celui-ci  reve- 
nir à  la  santé,  et  la  reconnaissance  que  lui  inspira  le  bienveil- 
lant procédé  de  sa  grand'tante. 

((  Madame,  écrivait-elle  à  cette  dernière,  le  27  juin  1558  (1), 
»  s'en  allant  ce  porteur  vers  vous,  je  n'ay  voulu  faillir  vous  faire 
))  ceste  lettre,  pour,  en  premier  lieu,  vous  advertir  comme  mon- 
»  sieur  mon  mary,  madame  ma  mère  et  moy  arrivasmes  hier  au 
))  soir  en  ceste  maison  {^) ,  en  laquelle  mondit  sieur  mon 

(1)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  32G0,  T'  03.  —  Voir  aussi  une  lettre  adressée, 
de  Fèro-en-Tardenois  par  le  prince  de  Condé  à  la  connétable  le  20  juin  1358 
(Dibl.  nat.  mss.  f.  fr.,  vol.  20,  507,  f«  7). 

(2)  Le  cbàteau  de  Fère-en-Tardenois. 


—  lîO  — 
»  mary  a  jà  trouvé  et  senty  si  bon,  doux  et  favorable  (elTect) 
))  pour  sa  santé,  que,  en  si  peu  de  temps  qu'il  y  a  demeuré,  en 
))  apparaît  évidemment  plus  d'amendement  en  luy  que  en  six 
))  autres  jours  précédons;  et,  pour  l'beur  et  contentement  qu'il 
))  y  prend,  espérons  le  voyr  du  tout  bien  guéry  :  de  quoy  tous, 
))  plus  que  jamais,  vous  serons  tcnuz  et  obligez,  regrettant  seu- 
))  lement  une  chose,  que,  selon    nostre  souhait,  monsieur  le 

»  connestable  et  vous  n'y  puissiez  estre Vous  suppliant  bien 

»  humblement  aussy  en  croyre  ce  présent  porteur,  me  mander, 
»  s'il  vous  plaîst,  de  vos  bonnes  nouvelles,  qui  ne  seront  jamais 
))  plus  agréables  à  personne  du  monde  que  à  nous,  ne  qui  plus 
»  les  désire  telles,  et  par  mesme  moien,  madame,  m'escripre  de 
))  celles  de  madame  de  Montmorency,  et  si  clic  est  grosse,  et  de 
))  quel  temps,  parce  que  le  h-èrc  de  la  femme  de  vostrc  capitaine 
))  de  ce  lieu-là  m'a  dict.  Madame  ma  mère,  ne  vous  pouvant  cs- 
))  cripre  à  cause  d'ung  mal  qui  l'a  prise  à  ceste  après-disnée, 
))  m'a  donné  charge  de  vous  faire  ses  excuses  et  vous  présenter 
))  ses  très-humbles  recommandations  à  vostre  bonne  grâce,  les- 
))  quelles  je  accompagneray  des  miennes  humbles,  et  suplieray 
))  le  Créateur,  madame,  vous  donner,  en  parfaite  santé,  heureuse 
))  et  longue  vie.  )> 

Répondant,  quelques  jours  plus  tard  (1),  à  une  missive  de  la 
connétable,  elle  lui  disait  : 

'  «  Madame,  aiant  présentement  reçu  vostre  lettre,  je  scroys 
))  fort  marrye  de  vous  taire  l'obligation  en  laquelle  monsieur 
»  mon  mary  et  moy  sommes  bien  fort  altenuz  à  monsieur  le 
»  connestable  et  à  vous,  d'autant  (pie  le  séjour  qu'il  a  fait  céans 
»  luy  a  de  beaucoup  augmenté  Testât  de  sa  bonne  santé,  avecques 
D  le  plaisir  qu'il  a  eu  à  la  chasse  de  deux  daims  qu'il  a  seule- 
»  ment  courus  et  prins,  desquelz  a  reçcu  plus  de  contentement 

(1)  I5ibl.  liât.,  ni^s.  f.  fr.,  vol.  3:200,  f'  07.  l-ellre  du  3  juillet  1558. 


—  31  — 
))  qu'en  ung  autre  endroict,  de  plus  grande  quantité;  si  que,  de 
y>  ceste  heure,  s'en  allant  monsieur  le  cardinal  mon  frère  et  luy 
3)  en  sa  maison  de  Roucy,  je  ne  veulx  oublier,  après  vous  en 
»  avoir  bien  humblement  remercié,  à  vous  offrir  l'obéissance  et 
»  le  (service)  que  sçauriez  rechercher  de  ceulx  qui  en  auront 
))  tousjours  très-parfaite  volonté  et  singulière  attention,  pour  le 
»  désir  que  mondit  sieur  mon  mary  et  moy  aurons  d'estre  con- 
))  linuez  en  vostre  bonne  grâce;  et  (vous  présentons)  noz  bien 
»  humbles  recommandations,  et  madame  ma  mère,  les  siennes 
D  très-humbles  et  affectionnées,  priant  le  Créateur  vous  donner, 
»  madame,  très-bonne  et  longue  vie,  » 

Le  prince  et  la  princesse,  en  quittant  Fère-en-Tardenois,  al- 
lèrent séjourner  à  Anisy,  où  Condé  retomba  malade  (1).  Dès  qu'il 
fut  rétabli,  ils  se  rendirent  à  leur  château  de  la  Ferté-sous- 
Jouarre, 

La  princesse  touchait  presque  au  terme  de  sa  grossesse, 
lorsqu'une  fièvre  assez  violente  la  saisit.  La  duchesse  de  Nevers 
reçut,  à  ce  sujet,  du  prince  son  frère  la  lettre  que  voici  ("2)  : 

((  Madame  ma  sœur,  l'occasion  qui  m'a  gardé  de  plus  tost 
y>  vous  renvoyer  vostre  lacquais,  présent  porteur,  par  lequel  j'ay 
))  reçu  la  lettre  qu'il  vous  a  pieu  m'escrire,  a  esté  que,  s'estant 
ï  ma  femme,  vostre  sœur,  trouvée  malade  d'une  fièvre,  j'esti- 
))  moys,  estant  près  de  son  terme  de  devoir  accoucher,  (|u'elle 
))  deust  faire  son  enfant;  qui  me  faisoit  le  retenir  pour  vous  en 
))  mander  des  nouvelles.  Toutcsfoys  s'estant,  de  ceste  heure,  la 
»  douleur  appaisée,  j'ay  avisé  de  le  dépescher  avec  ceste  lettre, 
3)  par  laquelle  jevous  renierciray  bien  humblement,  madame  ma 
D  sœur,  de  la  peine  que  vous  prenez  à  si  songneusemeiil  vous 

(1)  Le  cardinal  de  lioarl)ûn,  dans  nw  Loltre  du  '21»  juillet  1558  (Hibl.  nat., 
mss.  f.  fV.,  vol.  3136,  f"  62),  disait  :  «  Jo  ui'ou  voys  d'ici  à  Anisy,  voir  mon  frère, 
î  monsieur  le  prince,  qui  est  encore  malade.  » 

<2)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3136,  ^  0^.  Lettre  du  30  août  1558,  datée  de 
la  Ferté. 


—  3-2  — 

D  enquérir  de  ma  disposition  et  santé,  ensemble  de  voslre  bonne 
»  Visitation,  vous  asseurant,  quant  à  moy,  que  je  ne  seray  pares- 
»  seulx  vous  tenir  incontinent  advertye  sitost  qu'elle  sera  déli- 
»  vrée.  Cependant,  s'il  vous  plaist,  vous  ne  m'eslonguerez  de  la 
»  part  que  je  désire  tousjours  estre  bien  humblement  recom- 
»  mandé  à  vostre  bonne  grâce,  de  la  mesme  affection  que  je 
))  supplie  le  Créateur  vous  donner,  madame  ma  sœur,  en  parfaite 
»  santé,  très-bonne  et  longue  vie.  » 

A  peine  cette  lettre  venait-elle  d'être  expédiée,  que  se  mani- 
festèrent chez  la  princesse  les  premiers  indices  d'un  accouche- 
ment des  plus  laborieux.  La  complication  de  ses  souffrances  fut 
telle  dès  le  début,  que  pendant  trois  jours  sa  vie  fut  en  danger. 
Même  courage,  même  résignation  alors,  de  sa  part,  qu'en  1557; 
douce,  patiente,  élevant  son  àme  au  ciel,  elle  se  remettait  avec 
une  filiale  confiance  entre  les  mains  du  père  des  miséricordes. 
La  comtesse  de  Roye  était  là,  comme  toujours,  ferme,  vigilante 
et  tendre,  soutenant  de  ses  exhortations,  de  ses  soins  et  de  ses 
prières  sa  fille  bicn-aimée  ;  car,  que  ne  peut  et  que  ne  fait  pour 
son  enfant,  à  l'heure  de  fépreuve,  une  mère  chrétienne,  sous  le 
poids  môme  des  angoisses  qui  oppressent  son  cœur  ! 

Une  fois  de  plus,  pour  la  pieuse  princesse  éclatèrent,  en  face 
des  sombres  menaces  de  la  mort,  la  toute-puissance  et  les  com- 
passions de  Dieu  :  tout  danger  disparut. 

Au  moment  où  Eléonore  de  lioye  venait  de  donner  le  jour  à 
François  de  Bourbon  (i),  la  comtesse  sa  mère  écrivit  en  ces 
termes  (2)  à  la  duchesse  de  Nevers,  dont  elle  connaissait  la  sol- 
licitude affectueuse  : 

(1)  En  fixant  au  29  août  1558  la  naissance  de  François  de  Bourbon,  Se.  et  L. 
de  Sainctc-Marthe  {Hist.  généal.  de  la  maison  de  France,  t.  II,  p.  918),  ont 
commis  une  légère  erreur  qu'il  est  facile  de  rectifier,  à  l'aide  dos  deux  lettres, 
ici  transcrites,  du  prince  de  Condé  et  de  la  comtesse  de  Iloye. 

(2)  Ilibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3081,  f'  G'2.  Lettre  du  3  septembre  1558,  datée 
de  la  Ferlé. 


—  33  — 
«  Madame,  alors  que  je  recepvoys  la  leltre  qu'il  vous  a  pieu 
»  m'escripre  par  ce  porteur,  je  n'eusse  pas  failly  d'envoyer  vers 

»  vous (je  crois)  estre  un  bien  pour  vous  aussy  (celuy)  que 

»  Dieu  nous  a  faict,  délivrant  madame  la  princesse,  voslre  sœur, 
»  de  l'extrême  peine  et  danger  où  je  l'ay  veue  pour  trois  jours, 
»  luy  aiant  donné  ung  bien  beau  fils  quy  est  tout  de  vostre  sou- 
y>  che;  dont  je  crois  que  ne  l'aimons  pas  moins;  se  portant  la 
»  mère  et  l'enfant  à  présent  fort  bien,  Dieu  mersy.  Je  luy  viens 
»  de  monstrer  vostre  lettre,  madame,  dont  elle  est  bien  fort  res- 
»  jouye,  tant  pour  estre  rendue  sertene  de  vostre  bonne  disposi- 
»  tion,  que  pour  la  souvenanse  qu'il  vous  plest  avoir  d'elle,  dont 
))  elle  vous  remercye  bien  humblement.  Monsieur  vostre  frère 

»  n'est  pas  encore  esveillé  par  moy (j'ay)  voulu  inconlinant 

»  vous  renvoyer  vostre  laquet,  m'asseurant  bien  que  ceste  noii- 
))  velle  ne  vous  seroit  trop  tost  arrivez,  et  pour  ne  la  diferé,  ne 
»  vous  feré  plus  longue  lettre,  saluant  vos  bonnes  grasses  des 
))  très-humbles  recommandations  de  vostre  très-humble  ser- 
))  vante, 

))  Madelène  de  Maill'y.  » 

On  ne  peut,  sans  émotion,  lire,  en  marge  de  cette  lettre,  les 
lignes  suivantes,  tracées  à  la  hâte  par  Éléonore  de  Roye  : 

«  Madame  ma  sœur,  je  ne  vous  puysdire  l'ayse  que  j'ay  eu  de 
»  savoyr  de  voz  nouvelles  et  cognoistre  la  souvenance  qu'avés 
y>  de  moy,  dont  ne  veulx  faillyr  à  vous  mersier  bien  humble- 
))  ment;  et  vous  diray  que  Dieu  m'a  donné  ung  fils  quy  est  à 
))  croyre  une  personne  quy  vous  fera  servyse  comme  feray  toute 
»  ma  vye,  vous  suplyant  me  tenir  en  vostre  bone  grase  à  laquelle 
y>  je  présante  mes  biens  humbles  recommandations.  » 

Devant  ce  doux  épanchement  du  cœur  de  la  jeune  mère  qui 
oublie  la  gravité  d'un  récent  danger  pour  ne  penser  qu'à  l'enfant 

3 


—  34  — 

qu'elle  tient  de  la  bonté  de  Dieu,  comment  ne  pas  reconnaître 
que  le  Sauveur  avait  sondé  dans  toute  sa  profondeur  l'abnéga- 
tion de  l'amour  maternel  lorsqu'il  disait  (i)  :  «  Dès  qu'une 
»  femme  est  accouchée  d'un  enfant,  elle  ne  se  souvient  plus  de 
»  son  travail,  dans  la  joie  qu'elle  a  de  ce  qu'un  homme  est  né 
))  dans  le  monde  !  » 

L'une  des  preuves  les  plus  frappantes  de  l'intimité  qui  exis- 
tait entre  la  duchesse  de  Nevers  et  la  princesse  de  Condé,  res- 
sort d'une  lettre  écrite  par  celle-ci,  le  2  janvier  1559  (2).  Écou- 
tons le  langage  empreint  de  charme  et  d'abandon  qu'Éléonore 
tient  à  sa  belle-sœur  : 

«  Madame  ma  sœur,  je  vous  renvoyé  vostre  pynctre,  et  suy- 
»  vaut  la  pryere  que  m'avés  faicte,  que  j'estyme  comandement, 
»  je  vous  envoyé  ma  pyncture  et  toutes  celles  de  mes  enfants, 
»  que  vous  suplie  asseter  aussy  agréable  comme  de  grande, 
y>  grande  affection  elles  vous  sont  données,  et  que  soyons  sy 
»  heures  que  d'estre  ramentus  souvant  à  vostre  grase,  et  nous 
»  en  fere  la  plus  grande  part  comme  à  ceux  qui  l'estiment  et 
»  desyrent  plus,  et  quy  n'ont  volonté  que  de  vous  fere  servyce; 
»  m'asseurant  qu'au  petyt  langage  de  mes  anfans  ils  ne  dyssent 
»  comme  moy.  Quant  à  vostre  neveu  (3),  il  vous  suplye  luy  bien 
»  garder  sa  famé  (4),  vous  asseurant  que  souvant  il  ramentoyst 
»  sa  beauté  et  l'affection  qu'il  luy  porte.  Voylà,  excusé-moy  sy  je 
»  parle  de  mes  enfans  ;  ce  quy  m'en  faict  prendre  la  hardiesse 
»  c'est  que  je  croys  que  l'aurés  agréable.  Layssant  ce  propos,  je 
'))  croys  qu'estes  desjàpryée  aulx  nopses  de  madame  Claude  (5), 

(1)  Evangile  de  Saint  Jean,  chap.  xvi,  vers.  21. 

(2)  Bibl.  nat.,  mss.,  f.  fr.  vol.  3121,  f»  40. 
{?>)  Henri  de  Bourbon,  alors  âgé  de  six  ans. 

(i)  Marie  de  Clèves,  alors  âgée  de  trois  ans  environ.  Henri  de  Bourbon 
l'épousa  en  1572,  peu  de  temps  avant  la  Saint-Bailhélemy. 

(5)  Voir  sur  ht  mariage  de  Claude  de  France,  Su.  et  L.  de  Saiiicle-Marthe 
{Ilist.  généal.  de  la  maison  de  Fi'ance,  t.  I,  p.  382),  et  le  président  de  La  Place, 
{Coinment.  de  l'cstai  de  larelig.  et  républ.,  édit.,  de  15G5.  ï"  IG.) 


—  35  — 
»  où  je  croy  que  vous  trouvères.  Je  vous  asseure,  madame  ma 
y>  sœur,  que  je  suys  fort  ayse  de  panser  que  vousveray  si  tost;  et, 
))  attandant  que  j'aye  tant  de  bien,  je  vous  présenteray  mes  biens 
»  humbles  recommandations  à  vostre  bonne  grâce,  et  medonés, 
»  sy  vousplest  congé  de  les  présenter  aussypareylles  à  monsieur 
»  mon  frère,  supliant  à  Dieu  quy  vous  donc,  madame  ma  sœur, 
»  l'heur  et  contantement  que  vous  desyre,  à  Condé,  ce  2  jan- 
))  vyer,  Yostre  plus  humble  et  obeyssante  sœur, 

))  Madame  de  Roye,  ma  mère  vous  suplie  l'escuser  de  se 
))  qu'elle  ne  vous  escript;  c'est  à  cause  d'un  grand  rume  qu'elle 
»  a  quy  la  tourmente  fort.  Geste  lettre  servyra  pour  elle  et  pour 

<(  moy.  y> 

y>  Léonor  de  Roye.  » 

Sur  la  longueur  de  la  marge  de  la  lettre  sont  écrites  ces  hgnes  : 
<(  Je  croy  qu'aussy  estes  bien  avertye  come  le  maryage  est  ac- 
»  cordé  de  mon  cowsin  monsieur  de  Danvylle  et  de  ma  cousine 
y>  madamoyselle  de  Boullon  (1),  dont  je  suys  fort  ayse,  et  d'au- 
»  très  marrys.  » 

La  princesse  de  Condé  ne  s'était  pas  méprise  sur  le  fait  d'une 
invitation  adressée  par  le  roi  à  la  duchesse  de  Nevers  (^2)  ;  Condé 
et  sa  femme,  qui  assistèrent,  en  janvier  1559,  aux  solennités  du 
mariage  de  Claude  de  France  avec  Charles,  duc  de  Lorraine  (3), 

(1)  Le  président  de  La  Place  (ouvr.  cit.  f"  16)  dit  :  «Le  connestablo  estant  ar- 
»  rivé  audict lieu  (de  Saint-Germain-en-Laye),  qui  fut  trois  jours  devant  Noël...., 
»  le  lendemain  le  roy  le  pria  de  faii'e  le  mariage  de  son  second  fds,  lIiMui  de 
»  Montmorency,  sieur  de  Damville,  avec  damoiselle  Antoinette  de  La  Marche, 
»  fdle  ainée  du  duc  de  Bouillon  et  arrière-fdle  de  la  duchesse  de  Valentinois.  » 

(2)  La  duchesse  de  Nevers  fut,  en  eflfet,  invitée  aux  noces  dont  il  s'agit  par 
Henri  II  qui,  le  23  décembre  1558,  lui  écrivit  de  Saint-Germain-en-Layc  (Dihl- 
nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3136,  f  68)  :  «  Ma  cousine,  je  me  suis  résolu  de  faire  les 
»  nopces  de  ma  fdle  Claude  avec  mon  pelit-lils  et  cousin  le  duc  de  Lorraine,  le 
B  ;22  du  mois  prochain,  en  ma  ville  de  Paris,  où  je  m'en  voys  inconlinent  après 
»  la  prochaine  feste  de  Noél,  pour  n'eu  bouger  que  lesdicles  uoces  no  soient 
»  faites  et  parachevées,  ainsi  que  je  le  désire,  etc.,  etc.  > 

(3)  Voir  Appendice,  n"  8. 


-  30  — 
y  rencontrèrent,  non-seulement  le  duc  cl  la  duchesse  de  Ne- 
vers,  mais  aussi  la  reine  de  Navarre. 

Plus  d'une  fois  encore,  dans  le  cours  de  quelques  mois,  le 
prince  et  la  princesse  de  Gondé  durent  assister  à  des  solennités 
du  môme  genre.  Ce  l'ut  ainsi,  par  exemple,  qu'on  les  vit  figurer 
au  contrat  de  mariage  d'Elisabeth  de  France  et  de  Philippe  II, 
dres§é  au  chasteau  du  Louvre,  le  20  juin  1559  (I),  et  à  celui  de 
Marguerite  de  France  et  d'Emmanuel-Philibert,  duc  de  Savoie, 
passé  eu  Vhostcl  des  Toumelles,  le  27  juin  4559  (2).  Une  autre 
solennité,  celle  du  sacre  de  François  II,  en  septembre  de  la 
même  année,  réclama  également  leur  présence  (3). 

L'intimité  qui  régnait  entre  le  prince  et  la  princesse  de  Condé 
et  leur  sœur  avait  influé  sur  la  nature  des  relations  de  celle-ci 
avec  la  comtesse  de  Roye.  La  correspondance  de  cette  dernière 
avec  la  duchesse  de  Nevers  prouve  que  ces  relations  portaient 
le  cachet  de  la  familiarité  (4). 

Des  liens  d'amitié,  semblables  à  ceux  qui  unissaient  Éléonore 
de  Roye  à  chacune  de  ses  belles-sœurs,  existaient  entre  Jeanne 
d'Albret  et  la  duchesse  de  Nevers.  Certaines  lettres  de  la  pre- 
mière de  ces  princesses  à  la  seconde  respirent  l'afl^ection  et  tout 
le  sérieux  de  la  véritable  confiance  (5). 

Vers  les  derniers  mois  de  4559,  Éléonore  de  Roye  et  Jeanne 
d'Albret,  sans  que  rien  pût  leur  faire  pressentir  qu'elles  dus- 

(1)  lîibl.  nul.,  mss.  f.  fr.,vol.  2746,  f°^  205  et  suiv.,  et  vol.  C8i3,f<»*  i  et  suiv. 

Dans  cette  circonstance  le  prince  de  Condé  lit  même  partie  d'une  députation 

onvovée  au-devant  du  représentant  du  roi  d'Espagne.  Un  document  de  l'époque 
(Bibf.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  0813,  f"  10),  porte  en  effet  :  «  Le  roy  (de  France) 
»  ayant  entendu  par  ses  ministres  que  le  duc  d'Albe  devait  venir  pour  espouser, 
»  comme  procureur  du  roy  d'Espagne,  Elisabeth,  sachant  qu'il  était  fort  près  de 
x>  Paris,  envoya  aucuns  princes  de  la  cour  pour  lui  faire  l'accueil  qui  lui  appar- 
»  tenait,  lesquels  estoient  les  révérendissimes  cardinaux  de  Lorraine  et  de  Guise, 
))  monseigneur  le  duc  de  Lorraine,  monseigneur  le  prince  de  Condé,  etc.,  etc. 

(2)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  f.,  vcl.  2749,  f''^  loi  et  suiv. 

(3)  Voir  Appendice,  n°  9. 
(l)  Voir  Appendice  n"  10. 
(5)  Voir  Appendice,  u"  11. 


—  37  — 
sent  bientôt  être  frappées  l'une  et  l'autre  comme  sœurs, 
dans  l'une  de  leurs  plus  chères  affections,  s'associaient 
avec  une  vive  sympathie  aux  joies  domestiques  que  goûtait 
alors  dans  toute  leur  étendue  la  duchesse  de  Nevers.  Elles 
la  voyaient  trouver  dans  l'estime  et  l'attachement  de  son  mari, 
dans  l'amour  et  la  respectueuse  soumission  de  ses  fils  et  de 
ses  filles  (1),  la  douce  récompense  du  soin  qu'elle  avait  pris 
de  leur  bonheur  commun,  avec  cette  incessante  sollicitude  que 
connaît  si  bien  le  cœur  de  toute  épouse  fidèle,  de  toute  mère 
dévouée.  D'intimes  confidences  les  avaient  initiées  à  ses  préoc- 
cupations sur  l'avenir  de  ses  enfants.  Les  deux  aînés,  dont  l'édu- 
cation était  terminée,  allaient  faire,  sous  ses  yeux,  leur  entrée 
dans  le  monde.  En  même  temps  que  s'éveillaient  ses  émotions 
à  ridée  d'y  guider  leurs  premiers  pas,  elle  devançait,  dans  ses 
prévisions,  le  moment  où  les  trois  plus  jeunes  aborderaient  à 
leur  tour  ces  régions  parfois  si  périlleuses  de  la  société  con- 
temporaine, au  milieu  desquelles  sa  prudence  maternelle  s'atta- 
cherait à  éloigner  d'eux  plus  d'un  obstacle  et  à  les  prémunir 
contre  plus  d'un  écueil.  Alors  qu'elle  espérait  veiller  longtemps 
encore  sur  ces  êtres  chéris,  la  mort  vint  prématurément  la  ravir 
à  leur  affection  et  à  celle  de  son  mari,  de  ses  frères,  de  ses 
sœurs,  de  ses  nombreux  amis. 

Quand  un  vide,  que  rien  ne  saurait  combler,  se  creuse  au 
foyer  domestique,  par  la  mort  d'une  mère  dont  la  présence 
répandait  autour  d'elle  la  sérénité  et  le  bonheur,  il  est  touchant 
de  voir  la  sympathie  fraternelle  s'étendre  aussitôt  sur  ses  en- 
fants, et  accepter  pieusement  comme  un  legs  tacite,  la  mission 
d'atténuer  à  force  de  vigilance  et  de  tendresse,  les  rigueurs  de 

(I)  Du  mariage  de  François  de  Clèves,  duc  de  Nevers  et  de  Marguerite  de 
Bourbon  étaient  issus  ciiKj  entants,  savoir  :  François,  né  le  31  mars  15i0;  Hen- 
riette, née  le  31  octobre  15i"2;  Jacques,  né  le  I"  octobre  15il;  Catherine,  née 
en  1518  et  Marie,  née  quelques  années  plus  tard.  (Voir  dans  les  œuvres  de  niaislre 
Guy  Coquille,  sieur  de  llomenay,  Yllist.  du  Nivenwis,  édit.  de  ITOi),  in-f',  t.  1, 
p.  303.) 


-  38  — 
la  dispcnsalion  qui  pèse  sur  eux.  Étroitement  associées  au  deuil 
général  de  la  famille  de  Marguerite  de  Bourbon,  Éléonore  de  Roye 
et  Jeanne  d'Albret,  jeunes  mères  dont  les  cœurs  recelaient  des 
trésors  de  dévouement  et  déboute,  furent  profondément  émues,  à 
la  pensée  de  l'isolement  des  cinq  orphelins  laissés  par  leur  belle- 
sœur,  et  n'aspirèrent  qu'à  les  entourer  de  soins  affectueux.  Elles 
concentrèrent  sur  eux,  alors  qu'ils  n'avaient  plus  désormais 
d'autre  protecteur  que  leur  père,  cette  délicatesse  de  sentiments, 
qui  ne  se  rapproche  jamais  plus  de  l'amour  maternel,  qu'en  s'in- 
spirant  de  son  exemple,  sans  prétendre  l'égaler.  Aimer  ainsi  les 
enfants  de  Marguerite,  c'était,  sous  le  regard  de  Dieu,  l'aimer  en- 
core au  delà  du  tombeau,  de  cet  amour  sacré  qui,  dans  son  irré- 
sistible élan  vers  le  ciel,  est  dès  ici-bas,  plus  fort  que  la  mort. 
Jeanne,  alors  absente,  épanchant  son  cœur  dans  celui  d'Éléonore, 
lui  écrivit  (1)  :  «  Ayant  entendu  qu'estiez  avec  mon  frère  et  ma- 
))  dame  de  Roye  vostrc  mère,  je  n'ay  voullu  faillir  vous  escrire 
y>  ces  te  lettre,  sentant  l'ennuy  que  vous  portés  de  la  perte  de  nostre 
»  sœur,  et  de  laquelle  je  suis  à  bon  escient  participante,  consi- 
»  dérant  le  défault  qu'elle  nous  fera,  et  seroys  bien  ayse  de  vous 
))  pouvoir  voir.  »  Parlant  ensuite  des  entants  de  Marguerite,  elle 
ajouta  :  «  Yous  leur  présenterés  de  ma  part,  avecq  mes  recom- 
»  mandations  bien  affectionnées,  tout  ce  que  je  pouvray  pour 
))  de  présent,  leur  tenir  place  de  mère,  et  à  vous  de  la  plus 
))  affectionnée  parente  que  sauriés  avoir,  supliant  Dieu  qu'il  vous 
))  donne  la  consolation  de  vostre  ennuy...  Vostrc  meilleure 
»  amye,  Jeanne.  » 

A  une  époque  voisine  de  celle  à  laquelle  furent  tracées  ces 
liornes,  le  duc  de  Nevers  confia  l'entière  direction  de  sa  troisième 
fille,  Marie,  encore  en  bas  âge,  à  Jeanne  d'Albret,  qui  depuis  lors 
ne  cessa  de  lui  porter  une  affection  presque  maternelle,  dont  on 
aime  à  retrouver  l'expression  dans  ce  passage  d'une  lettre  que 

(1)  Bibl,  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3188,  f'^  17. 


—  39  — 
la  reine  de  Navarre  adressa,  en  4570,  à  sa  jeune  protégée  (i)  : 
«  En  quelque  part  que  je  soye,je  vous  prie,  maniepce,  croire  que 
))  je  vous  feré  tousjours  office  de  mère.  »  On  aime  aussi  à  en- 
tendre Marie  dire,  dans  l'émotion  d'une  filiale  gratitude  envers, 
sa  bienfaitrice  (2)  :  «  Je  ne  lairay  de  lui  faire  service  quand 
))  elle  me  voudra  commander,  pour  l'honneur  que  j'ay  reçeu  en 
»  sa  compagnie  et  pour  le  long  temps  que  j'y  ay  demeuré.  » 

Momentanément  moins  heureuse  que  Marie,  la  seconde  fille 
du  duc  de  Nevers,  Catherine  de  Clèves,  qui  eût  tant  aimé  à  se 
sentir  entourée  des  tendres  soins  de  l'une  ou  l'autre  de  ses 
jeunes  tantes,  fut  confiée  à  la  duchesse-douairière  de  Guise, 
dont  le  patronage,  quelque  bienveillant  qu'on  le  supposât,  ne 
pouvait  équivaloir  à  l'accueil  qu'elle  eût  reçu,  soit  de  la  prin- 
cesse de  Condé,  soit  de  la  reine  de  Navarre. 

Le  mariage  que  Catherine  de  Clèves  ne  larda  pas  à  contracter 
avec  Antoine  de  Croy,  prince  de  Porcien,  ne  la  sépara  de  la  du- 
chesse-douairière de  Guise  que  pour  la  rapprocher  désormais 
d'Éléonore  de  Roye,  dont  l'affection  pour  elle  et  pour  son  jeune 
mari  fut  moins  celle  d'une  tante  que  d'une  seconde  mère. 

Quant  à  Marie  de  Clèves,  elle  épousa  plus  tard  le  fils  aîné 
d'Éléonore,  mais  à  une  époque  où  depuis  plusieurs  années  déjà 
cette  princesse  avait  cessé  de  vivre. 

Nous  venons  de  donner  une  idée  des  relations  de  la  princesse 
de  Condé  avec  les  principaux  membres  de  la  famille  de  son  mari 
jusqu'en  1559  :  ajoutons  que  celles  qu'elle  n'avait  cessé  de 
soutenir  avec  les  plus  proches  parents  de  sa  mère  étaient  au 
moins  aussi  étroites,  et,  qu'à  dater  de  cette  même  époque,  elles 
acquircnl  un  nouveau  degré  d'intimité  et  d'élévation,  grâce  à 
une  heureuse  conformité  de  vues  et  de  convictions  religieuses. 

Ces  derniers  mots  nous  conduisent  naturellement  à  rechercher 

(l)  Bulkt.de  la  sec.  del'Hist.  dupvotest.  franc,  t.  V,  p.  liT. 
(;2)  Bibl.  nat.,  inss.  f.  fr.,  vol.  iîlUG,  f"  i)7.  Keltri-  de  Marie  de  Clèves  au  mari  de 
sa  sœur  ainéc,  Henriolle  de  Clèves. 


—  40  — 

jusqu'à  quel  point  la  princesse  de  Condé  se  trouvait  en  1559, 
avancée  dans  la  cardère  évangélique  et  dans  la  profession  exté- 
rieure du  culte  réformé. 

Nous  savons  déjà,  d'après  une  déclaration  émanée  d'elle-même, 
qu'elle  avait  dès  sa  jeunesse,  obtenu  l'assurance  de  son  salut 
par  la  foi  en  Jésus-Christ.  Nous  ignorons,  il  est  vrai,  par  quelle 
voie  et  à  quel  moment  précis  cette  assurance  lui  avait  été  ac- 
cordée; mais  nous  pouvons  du  moins  supposer  qu'elle  s'était 
développée  avant  tout  au  contact  des  grandes  expériences  de 
l'âme  par  lesquelles  avait  passé  sa  mère  (1).  Devenue  pour  celle- 
ci  une  amie  et  à  ce  titre,  une  confidente  habituelle  de  ses  pensées 
et  de  ses  sentiments,  la  princesse  de  Condé  n'ignorait  aucune 
des  circonstances  sous  l'influence  desquelles  la  comtesse  de 
Roye  s'était  peu  à  peu  détachée  du  catholicisme  et  avait  adhéré 
aux  doctrines  du  pur  Évangile,  professées  en  France  par  les  sec- 
tateurs de  la  religion  réformée.  Quoi  de  plus  propre  à  toucher 
le  cœur  de  la  fille  que  l'exemple  donné  par  la  mère?  Intimes 
entretiens  de  l'une  avec  l'autre,  examen  sincère  de  soi-même 
sous  le  regard  de  Dieu,  étude  sérieuse  de  l'Écriture  sainte, 
prière,  lecture  de  pieux  écrits  :  rien  ne  fut  négligé  par  Éléonore 
de  ce  qui  pouvait  la  seconder  dans  la  recherche  de  la  vérité 
chrétienne. 

Aux  encouragements  que  lui  prodiguait  la  tendresse  mater- 
nelle se  joignirent  ultérieurement  les  enseignements  qu'elle  puisa 
dans  la  fermeté  d'attitude  de  deux  de  ses  oncles.  Elle  avait  vu 
l'amiral  dès  1555  accorder  ouvertement  une  protection  sympa- 
thique à  des  protestants  français,  en  fondant  au  Brésil  une  colonie 
destinée  à  devenir  pour  eux  un  refuge  contre  les  persécutions 
organisées  dans  la  métropole.  Elle  l'avait  vu,  l'année  suivante 
accueillir  avec  bonté  dans  son  château  de  Châtillon-sur  Loing, 
Jean  de  Léry  et  d'autres  ministres  de  la  parole  de  Dieu,  au 

(1)  Caslclnau,  Mém.,  cliap.  vi  «  Le  prince  de  Condé  avoil  sa  femme  de 

»  cesle  religion,  instruite  en  icelle  parla  dame  de  Roye,  sa  mère.  » 


—  Al  — 
moment  où  ils  allaient  accomplir  une  mission  évangélique  au 
sein  de  la  nouvelle  colonie  des  réfugiés  (1).  Elle  avait  suivi  de 
cœur  et  de  pensée  l'héroïque  défenseur  de  Saint-Quentin  dans 
sa  longue  captivité  à  rÉcluse  et  à  Gand;  elle  s'était  associée  aux 
saintes  émotions  de  sa  tante  Charlotte  de  Laval,  et  avait  appris 
des  deux  époux  durant  leur  séparation,  à  mesurer  la  puissance 
de  la  vraie  piété  sous  le  coup  d'une  austère  épreuve  ;  puis  après 
le  retour  de  Coligny  dans  ses  foyers,  elle  avait  constaté  la  réa- 
lité des  privilèges  d'une  union  chrétienne  dans  laquelle  deux 
nobles  existences  étaient  tout  entières  consacrées  au  service  de 
Dieu. 

Les  fruits  de  régénération  et  de  vie  spirituelle  qu'avait  portés 
une  autre  captivité,  étaient  également  connus  d'Eléonore.  Elle 
avait,  en  efTet,  vu  son  oncle  d'Andelot,  au  sortir  des  prisons 
d'Italie,  faire  profession  de  la  foi  évangélique,  et  persévérer  dans 
cette  profession,  en  1558,  soit  au  sein  de  ses  domaines  de 
Bretagne,  soit  à  la  cour,  en  présence  du  roi. 

Elle  avait,  en  outre,  été  frappée  des  sentiments  de  piété  qui 
animaient  plusieurs  femmes  distinguées,  bien  connues  de  sa 
mère,  telles  entre  autres,  que  mesdames  de  Rothelin,  de  Gram- 
mont,  de  Seninghen,  de  Renty,  de  Budé. 

D'une  autre  part,  la  gravité  des  événements  contemporains 
n'avait  pas  peu  contribué  à  développer  la  foi  d'Eléonore.  Quoi 
de  plus  saisissant,  quoi  de  plus  solennel,  quelle  démonstration 
plus  énergique  de  la  puissance  de  l'Évangile,  que  Tinébranlable 

(1)  Histoire  d'un  voyage  fait  en  la  terre  du  Brésil,  dite  Amérique,  par  Jean  de 

Léry,  i"  édit.,  iGOO,  p.  7.  «  Nous  fusmes   quatorze  en  nombre,  qui,  pour 

»  faire  ce  voyage,  partismes  de  la  cité  de  Genève,  le  dixiesme  de  septembre,  en 
»  l'année  1556.  INous  allasnies  passer  à  Cliastillon-sur-Loing-,  auquel  lieu  ayant 
»  trouvé  monsieur  l'admirai  de  Coligny  en  sa  maison,  des  i»lus  lielles  de  France, 
»  non  seulement  il  nous  encouragea  de  poursuyvre  noslre  entreprise,  mais  aussi 
»  avec  promesse 'de  nous  assister  pour  le  faict  de  la  marine,  nous  mettant  beau- 
»  coup  de  raisons  en  avant,il  nous  donna  espérance  que  Dieu  nous  feroil  la  grâce 
»  de  voir  les  fruicts  de  nos  labeurs.  »  —  Voir  Ibid.  la  préface  adressées  Louise 
de  Coligny,  princesse  d'Orange. 


42  

fidélité  des  martyrs,  sous  le  coup  des  persécutions  et  des  tor- 
tures, et  que  la  sérénité  avec  laquelle  ils  affrontaient  les  hor- 
reurs du  dernier  supplice! 

La  réunion  des  diverses  circonstances  que  nous  venons  d'in- 
diquer conduisit  Éléonore  de  Roye  à  une  adhésion  ostensible 
aux  doctrines  et  au  culte  des  réformés  français;  adhésion  dont 
on  put  saisir  déjà  de  sérieux  indices  en  1558,  et  qu'au  surplus 
on  vit  se  dessiner  nettement  en  d559. 

Les  faits  ici  parlent  d'eux-mêmes. 

Et  d'abord,  écoutons  Théodore  de  Bèze  (l),  se  référant  à  la 
date  de  1558,  dire  expressément,  de  la  princesse  de  Condé  et 
de  la  comtesse  de  Roye,  «  qu'elles  prirent  dès  lors  les  matières 
))  à  cœur,  profitants  en  la  parole  de  Dieu,  comme  les  grands  et 
))  bons  effects  l'ont  montré  depuis.  »  Voyons  ensuite  Condé, 
d'accord  assurément  avec  sa  femme,  si  ce  n'est  même  agissant 
à  son  instigation,  demander,  en  cette  même  année  1558,  aux 
réformés  de  Genève  l'envoi  d'un  prédicateur  pour  lui  et  sa 
famille  (^2). 

Plus  tard,  en  1559,  la  princesse  de  Condé  dont  les  convic- 
tions chrétiennes  et  l'activité  s'identifient  avec  celles  de  sa 
mère,  non-seulement  entre  pleinement  avec  elle  dans  le  mou- 
vement évangilique  de  l'époque  mais  de  plus  s'associe,  par  sa 
vive  sympathie,  aux  démarches  tentées,  à  diverses  reprises,  par 
madame  de  Roye  près  de  Catherine  de  Médicis,  en  faveur  de 
l'église  réformée  de  Paris  et  de  la  généralité  des  protestants 
français.  (3). 

Éléonore  est  alors  devenue  décidément  protestante.  Dégagée 
de  toute  préoccupation  humaine,  pure  de  tout  alliage,  sa  foi, 
qui  jusqu'ici  l'a  soutenue  dans  plus  d'une  épreuve  de  sa  vie 

(1)  llist.  ceci,  des  cgi.  réf.,  édit.  de  1580,  l.  1,  p.  I  il. 

(•2)  l.oltrc  du  15  octobre  1558,  de  Macar  à  Calvin.  Précis  de  l'Hist.  de  l'égl. 
réf.  de  Paris,  par  M.  Coquerel,  18G"2,  picc.  hist.,  p.  GO. 
(3)  Voir  Appendice,  n"  12. 


—  43  — 
privée,  la  soutiendra  non  moins  énergiquement  dans  les  grandes 
crises  de  la  vie  publique  qu'elle  v.a  être  appelée  à  tiaverser,  aux 
côtés  de  son  mari,  et  au  début  desquelles  touche  maintenant 
notre  récit. 

Quant  à  Condé,  amené  sur  les  traces  de  sa  femme  et  de  sa 
belle-mère  à  professer,  lui  aussi,  la  religion  réformée,  nous  le 
verrons,  à  en  juger  par  l'ensemble  de  sa  conduite,  sincère,  sans 
doute,  dans  l'adoption  du  nouveau  culte,  mais  touché  unique- 
ment à  la  surface  de  son  âme  par  les  doctrines  évangéhques, 
demeurer  accessible  aux  calculs  et  aux  entrainemens  de  la  vie 
politique,  qu'il  ne  dominera  jamais  des  hauteurs  d'une  foi  stable; 
et  compromettre  trop  souvent,  ici,  par  les  vues  restreintes  de 
l'homme  de  guerre  et  de  l'homme  d'État,  là,  par  la  légèreté  de 
l'homme  du  monde  et  par  les  défaillances  de  l'esclave  du  plaisir, 
la  dignité  morale  du  chrétien,  de  l'époux  et  du  père.  De  sa  vie, 
comparée  à  celle  de  la  princesse,  jaillira  im  constraste  qui  fera 
ressortir  en  traits  éclatans  l'inébranlable  foi  d'Éléonore  et  la 
noblesse  des  actes  qu'elle  lui  aura  inspirés. 

Une  simple  considération,  qui,  nous  osons  le  croire,  se  justi- 
fiera par  son  seul  énoncé,  doit  trouver  ici  sa  place  : 

Quand  la  vie  d'une  haute  personnalité  historique  se  lie, 
comme  dans  le  cas  présent,  à  des  événements  politiques  et 
sociaux  de  premier  ordre,  il  est  à  peu  près  impossible  de  réussir 
à  retracer  fidèlement  l'une  sans  effleurer  au  moins  l'exposé  des 
autres.  Nous  devrons  donc  désormais  aborder  certains  faits 
appartenant  à  l'histoire  générale  du  xvf  siècle;  mais  nous  ne 
nous  arrêterons  à  leur  constatation  qu'autant  qu'elle  contri- 
buera à  déterminer  le  milieu  précis  dans  lequel  se  déployèrent 
à  dater  de  1559,  la  piété,  les  vertus  et  le  grand  caractère  de  la 
princesse  de  Condé. 


CHAPITRE  IV 


Eli  juin  1559,  à  des  jours  de  fête,  que  célébrait  le  monde  des 
courtisans,  avaient  instantanément  succédé  des  jours  de  deuil 
officiel  et  d'intrigues.  Henri  II,  mortellement  blessé  dans  un 
tournoi,  venait,  le  10  juillet,  de  rendre  le  dernier  soupir.  Aus- 
sitôt on  vit  Catherine  de  Médicis,  convoitant  à  tout  prix  le  pou- 
voir suprême,  s'en  saisir  d'une  main  avide,  pactiser  avec  les 
Guises,  qui  le  lui  disputaient;  puis,  travailler,  ainsi  qu'eux,  à 
paralyser  les  droits  des  princes  du  sang,  à  éliminer  de  la  cour 
le  connétable,  les  Châtillon,  d'autres  grands  dignitaires,  et  à 
faire  peser  sur  la  France,  un  despotisme  dont  les  excès  accu- 
mulés devaient  nécessairement  provoquer  une  réaction. 

Cette  réaction  eut  un  caractère  complexe  :  elle  fut  politique 
et  religieuse.  Dans  la  sphère  politique  se  constitua,  sur  la  base 
du  dévouement  à  la  double  cause  de  l'ordre  social  et  de  la 
royauté,  un  parti  dont  les  tendances,  circonscrites  par  la  nature 
des  choses,  n'aboutirent  qu'à  un  rôle  de  sages  mais  infruc- 
tueuses représentations,  adressées  à  une  tyrannie  qui  se  jouait 
de  tout  contrôle.  Peu  après,  se  dégagea  de  la  juxtaposition 
momentanée  des  éléments  les  plus  divers  le  germe  d'une  asso- 
ciation particulièrement  empreinte  du  caractère  religieux,  et  se 
donnant  pour  mission,  dans  la  lutte  formidable  qu'elle  soutien- 
drait contre  l'intolérance,  de  faire  triompher  le  grand  principe 
de  la  liberté  des  cultes. 


—   40    — 

Dans  quelle  mesure  le  prince  de  Gondé  s'associa-t-il,  sous  les 
yeux  de  sa  femme  à  la  réaction  dont  il  s'agit?  C'est  ce  qu'il 
importe  de  rechercher. 

Son  frère,  le  roi  de  Navarre,  et  lui  étaient,  à  la  mort  de 
Henri  II,  les  premiers  appuis  du  trône,  en  qualité  de  princes  du 
sang.  Leur  place  naturelle,  en  un  pareil  moment  était  donc  à  la 
cour  du  jeune  roi.  Les  supplanter,  sans  retard,  dans  le  poste 
d'honneur  qui  leur  était  traditionnellement  assigné  par  leur 
rang  :  voilà  ce  que  se  proposèrent  les  Guises;  ils  y  réussirent  ai- 
sément, grâce  à  la  connivence  de  Gatherine  de  Médicis  :  d'accord 
avec  elle,  ils  éloignèrent  aussitôt  Gondé  de  la  cour,  en  le  char- 
geant d'aller  dans  les  Pays-Bas  recevoir  le  serment  du  mo- 
narque Espagnol  pour  l'observation  de  la  paix  conclue  au 
Gateau-Gambrésis  (i).  Ils  espéraient  empêcher  par  ce  moyen 
le  prince  de  se  rencontrer  et  de  se  concerter  à  Paris,  avec  le 
roi  de  Navarre  (2),  dont  la  prompte  arrivée  dans  la  capitale 
avait  été  provoquée  par  le  connétable.  Mais  Gondé  déjoua  leur 
combinaison.  Après  s'être  rapidement  acquitté  de  sa  mission, 
il  accourut  au-devant  de  son  frère,  qui  ne  s'avançait  qu'avec 
une  lenteur  calculée,  et  le  rencontra,  en  août  (3)  à  Vendôme. 
Gondé  savait  qu'Antoine  de  Bourbon  devait  s'arrêter  dans  cette 
ville,  pour  y  conférer  avec  lui  et  d'autres  personnages  influents, 
avant  de  continuer  sa  route  vers  Paris. 

Ge  fut  alors  qu'eut  lieu,  à  Vendôme,  une  assemblée  qui  se 
composait  du  roi  de  Navarre,  du  prince  de  Gondé,  de  l'amiral  de 

(1)  Voir,  sur  la  mission  du  prince  de  Condé  dans  les  Pays-Bas,  les  dépèches  de 
l'ambassadeur  de  France,  S.  de  l'Aubespine,  des  "Il  et  31  juillet,  l,  5,  8  et  9 
août  1559,  insérées  dans  le  Recneil  des  nnjocialious  sous  Fraix-ois  II,  p.  19,  55, 
61,  62,  76,  81,  83,  8i,  86,  87.  —  Voir  également  ici,  Appendice,  n"  i:3. 

(2)  Cal.  of  State  pupers  foreign  séries,  ï  août  1559,  dépèche  de  Throckmorton 

à  Cecil  :  «  This  sending  away  of  the  prince  of  Condé  lo  Philip  is  thought 

»  to  be  a  device  to  bave  the  prince  of  Condé  absent  from  the  court  when  the 
»  king  of  Navarre  conies.  » 

('3)  Cal.  of  State  papers  foreign  séries,  mémo  dépêche  :  t  Tbo  king  of 

3)  Navarre  has  corne  as  far  as  Vendôme  and  is  looked  fore  hère  (^Paris)  shorlly.  » 


—  46  — 
Coligny,  de  d'Andelot,  du  cardinal  de  Ghâtillon,  du  jeune  prince 
de  Porcien  (i),  du  Vidame  de  Chartres,  de  d'Ardois,  secrétaire 
du  connétable,  et  de  divers  seigneurs  attachés  aux  maisons  de 
Bourbon,  de  Chatillon  et  de  Montmorency  (2). 

La  délibération  s'ouvrit  sur  le  parti  à  prendre,  dans  les  con- 
jonctures présentes.  Délivrer  le  jeune  roi  de  l'oppression  des 
Guises;  amener  sa  mère,  qui,  concurremment  avec  eux,  s'était 
de  fait  substituée  au  débile  monarque  dans  le  gouvernement, 
à  recourir,  quant  à  l'exercice  du  pouvoir  suprême  qu'elle  s'était 
arrogé,  aux  conseils  et  à  l'appui  des  princes  du  sang;  foire  réin- 
tégrer dans  leurs  emplois,  à  titre  de  véritables  soutiens  du  trône, 
les  grands  dignitaires  qui  depuis  la  mort  de  Henri  II  avaient  été 
éliminés  de  la  cour;  et  débarrasser  ainsi  la  France  du  joug  d'un 
intolérable  despotisme  :  tel  était  le  but  à  atteindre.  On  en  re- 
connut unanimement  la  légitimité;  mais  les  avis  se  partagèrent 
sur  le  choix  des  moyens.  Le  prince  de  Condé,  d'Andelot,  le  Vi- 
dame de  Chartres,  et  d'autres  seigneurs,  dans  leur,  impétuosité, 
prétendaient  qu'une  prise  d'armes  immédiate  était  l'unique  re- 
mède qui  pût  affranchir  la  royauté  et  ses  adhérents  de  la  ty- 
rannie des>princes  Lorrains.  L'amiral  combattit  cet  avis,  en  fai- 
sant ressortir  l'illégalité  et  les  périls  du  moyen  proposé  :  il  insista 
sur  la  nécessité  de  recourir,  vis-à-vis  de  Catherine  -de  Médicis,  à 
la  voie  amiable  des  représentations  et  des  négociations.  Son  opi- 
nion, partagée  par  le  roi  de  Navarre  et  par  la  majorité  des  assis- 
tants, triompha.  En  conséquence,  il  fut  décidé  qu'Antoine  de 
Bourbon  irait  de  suite  à  la  cour;  qu'il  y  revendiquerait  le  droit, 
que  lui  conférait  sa  qualité  de  premier  prince  du  sang,  d'appuyer 
de  ses  conseils  la  royauté  et  de  participer  à  la  direction  des 

(1)  Antoine  de  Croy,  né  en  15 il  ;  fils  de  Charles  de  Croy,  comte  de  Seninglien 
et  de  Porcien,  et  de  Françoise  d'Amboise.  7\iitoinc  de  Croy  ne  tarda  pas  à  devenir 
par  son  mariage  avec  l'une  des  filles  de  la  duchesse  de  Nevcrs,  sœur  do  Condé, 
neveu  par  alliance  de  ce  prince  et  d'Eléoiiore  de  Uoye. 

(2)  Davila,  Histoire  des  guerres  ciiilcs  de  France,  édit.  de  1757,  m-'r,  t.  I, 
p.  29. 


—  47  — 

affaires  de  l'État;  puis,  qu'il  réclamerait  pour  le  prince  de  Condé 
une  situation  digne  de  lui,  et,  pour  les  dignitaires  évincés,  leur 
réintégration  dans  les  emplois  dont  ils  avaient  été  dépouillés. 

Les  prérogatives  que  le  roi  de  Navarre  devait  revendiquer 
pour  lui  et  ses  adhérents  entraînaient,  à  supposer  qu'elles  fus- 
sent reconquises,  l'accomplissement  de  devoirs  impérieux.  L'un 
des  plus  grands,  dans  cette  hypothèse,  était  le  soutien  de  la 
cause  des  protestants,  qui,  par  leurs  représentants  le  mieux 
accrédités,  avaient  eu  recours  à  Antoine  de  Bourbon  comme 
au  protecteur  le  plus  élevé  qu'ils  crussent  d'abord  pouvoir  ren- 
contrer. Il  s'agissait  pour  ce  prince  de  prendre  résolument  en 
main  leur  défense,  de  s'ériger  en  interprète  de  leurs  justes  ré- 
clamations, et  d'obtenir,  grâce  à  une  prépondérance  acquise 
dans  les  délibérations  du  conseil  placé  près  du  trône,  qu'à  une 
ère  d'intolérance  et  d'oppression  succédât  pour  eux  désormais 
une  ère  de  calme  et  de  liberté.  Mais  Antoine  de  Bourbon  n'était 
point  à  la  hauteur  d'une  telle  tâche.  Supportant,  à  la  cour,  avec 
une  impassibilité  qui  dégénérait  en  coupable  flùblesse,  un  ac- 
cueil dont  la  grossièreté  eût  dû  cependant  exciter  son  indigna- 
tion; uniquement  préoccupé  de  ses  propres  intérêts,  abdiquant 
tout  sentiment  de  dignité  personnelle,  ballotté  de  promesse  en 
promesse,  de  déception  en  déception;  s'affaissant  enfin  sur  lui- 
même  de  tout  le  poids  de  sa  nullité,  de  sa  lâche  condescendance 
et  de  son  inertie,  le  roi  de  Navarre  déserta,  en  présence  des 
usurpateurs  du  pouvoir  souverain  et  des  persécuteurs  du  pro- 
testantisme, sa  mission  politique  et  sa  mission  religieuse. 

Après  s'être  joués  de  lui,  Catherine  de  Médicis  et  les  Guises 
se  débarrassèrent  de  sa  présence  en  le  chargeant  de  conduire  à 
la  frontière  d'Espagne  la  jeune  épouse  de  Philippe  II  (1). 

(1)  R.  (le  La  Planche,  ouvr.  cit.  p.  91  :  «  Le  roi  de  Navarre,  voyant  donc  le 
»  mespris  auquel  il  estoit  à  la  cour,  el  le  peu  de  moyen  par  lui  tenu  à  recouvrer 
»  son  lieu  et  rang,  en  sorte  ([u'il  estoit  nioiiué  de  tous  coslez,  cela  faisoit  que 
»  sans  cesse  il  clierchoit  tous  les  moyens  de  se  retirer  en  ses  pays  :  en  quoy 
»  ceux  de  Guise  luy  fa-ent  ce  plaisir,  pour  mieux  le  pourmener,  de  luy  doinier 


—  48  — 

Outré  de  voir  abreuvé  d'insultes  et  éconduit  un  frère  dont  il 
déplorait  amèrement  la  double  défaillance,  le  prince  de  Condé 
se  sentit  appelé  à  ressaisir  d'une  main  ferme  la  haute  mission 
qu'Antoine  de  Bourbon  avait  si  tristement  désertée.  Mais  com- 
ment Taccomplir  vis-à-vis  de  la  cour  et  vis-à-vis  des  protes- 
tants? Sous  quelle  forme  et  sur  quel  terrain  engager  la  lutte 
avec  l'une,  et  par  quels  moyens  ouvrir  la  voie  à  Taffranchisse- 
mcnt  des  autres?  Telles  furent  les  questions  que  le  second  prince 
du  sang,  bouillant  d'ardeur  et  n'aspirant  qu'à  agir,  voulut  sou- 
mettre sans  retard  à  ceux  de  ses  alliés  politiques,  qui,  étant  en 
même  temps  ses  coreligionnaires,  lui  inspiraient  le  plus  de  con- 
fiance. Il  les  convoqua  donc  chez  lui,  à  la  Ferté,  pour  délibérer 
sur  les  mesures  à  adopter,  d'urgence,  au  double  point  de  vue 
des  intérêts  de  l'Etat  et  de  ceux  de  la  religion  réformée. 

Coligny  et  divers  seigneurs,  parmi  lesquels  figuraient  la  plu- 
part de  ceux  qui  avaient  assisté  à  l'assemblée  de  Vendôme,  ré- 
pondirent à  l'appel  de  Condé. 

Dans  les  conférences  de  Vendôme,  on  n'avait  guère  agité  que 
des  questions,  à  vrai  dire  cxtéiieures  et  de  pure  forme,  en  ce 
sens  que  leur  portée  se  limitait  au  maintien  des  prérogatives 
des  princes  du  sang  et  à  la  réintégration  de  quelques  hauts  per- 
sonnages dans  leurs  fonctions.  A  peine  y  avait-on  du  reste, 
effleuré  les  questions  touchant  au  fond  même  des  droits  com- 
promis, dont  il  importerait  d'obtenir  la  consécration,  par  l'in- 
fluence que  donneraient  aux  princes  du  sang  et  aux  grands 
dignitaires  leurs  situations  reconquises.  On  y  avait  même  laissé 
momentanément  dans  l'ombre  la  question  de  la  liberté  reli- 
gieuse; mais  celte  grave  question,  débordant  de  toutes  parts  la 
question  politique,  devait  bientôt  s'imposer  aux  esprits  avec  une 

»  la  charge  avec  son  frère  le  cardinal  de  Bourbon  et  le  prince  de  la  Rochc-sur- 
»  Yon,de  mener  Elisabeth,  sœur  du  roy,  mariée  à  l'Espagnol,  pour  la  rendre  sur 
»  la  frontière  de  France  et  d'Espagne.  Parquoy  prenant  son  congé,  il  alla  de- 
î  vant  faire  les  préparatifs  à  recevoir  et  bien  traiter  la  dite  dame  en  ses  pays  ». 


—  49  — 

irrésistible  énergie.  En  efTet  dans  les  conféiences  de  la  Ferlé, 
le  cercle  de  la  discussion,  sous  la  pression  des  circonstances,  s'é- 
largit sensiblement,  et  la  question  des  droits  sacrés  de  la  con- 
science et  du  libre  exercice  du  culte  y  surgit  dans  toute  sa 
grandeur.  Mal  comprise  et  brutalement  tranchée  par  la  majo- 
rité des  assistants,  elle  fut  replacée  sur  ses  véritables  bases  et 
sainement  résolue  en  droit  public,  d'accord  avec  TÉvangile,  par 
Coligny.  On  le  vit,  homme  de  foi  avant  tout,  rappelant  le  droit 
à  la  sainteté  de  son  origine,  rompre  avec  les  idées  erronées  de 
son  siècle,  en  fait  de  contrainte  matérielle  et  spirituelle,  pro- 
clamer les  droits  imprescriptibles  de  la  conscience,  asseoir  ex- 
clusivement sur  une  base  chrétienne  le  principe  de  la  liberté 
religieuse,  et  signaler,  comme  moyen  légitime  de  faire  prévaloir 
ce  principe,  le  recours  à  la  seule  force  morale.  La  parole  éner- 
gique et  lucide  de  l'amiral  se  fût  assurément  concilié  tous  les 
suffrages,  si  la  passion  et  les  préjugés  n'eussent  étouffé  chez 
un  trop  grand  nombre  de  ses  auditeurs  la  voix  de  la  raison  et 
les  inspirations  de  la  foi.  Aussi,  qu'arriva-t-il?les  partisans  d'une 
prise  d'armes,  en  tête  desquels  était  le  prince  de  Coudé,  l'em- 
portèrent cette  fois  sur  Coligny  et  quelques  autres  hommes  ju- 
dicieux et  maîtres  d'eux-mêmes,  qui  voulaient,  par  l'emploi  des 
seules  voies  légales,  affranchir  d'un  pouvoir  tyranniquela  royauté 
et  la  France,  et  sans  abandonner  un  seul  instant  le  terrain  du 
droit,  procéder  pacifiquement  à  la  revendication  solennelle  du 
principe  de  la  liberté  religieuse.  Ce  principe  fut  ainsi  momenta- 
nément compromis  par  des  esprits  impatients  et  aventureux  qui 
substituant  au  droit  la  force,  compliquèrent  d'intérêts  mondains 
et  de  passions  personnelles  la  défense  d'une  cause  qui  eût  dû 
en  demeurer  à  jamais  dégagée. 

Contristés  du  résultat  alarmant  de  la  réunion  de  la  Fertù, 
l'amiral  et  d'autres  avec  lui  se  retirèrent  en  déclinant  d'avance 
toute  responsabilité  quant  aux  mesures  agressives  qui  allaient 
être  prises. 

4 


—  50  — 

La  princesse  de  Condé  n'ignorait  rien  de  ce  qui  venait  de  se 
passer  à  la  Ferté  ;  placée  entre  deux  opinions  aussi  tranchées 
que  celles  qui  divisaient  son  mari  et  son  oncle  Coligny,  dont 
Tune  entraînait  ses  partisans  sur  une  pente  fatale,  tandis  que 
Fautre  retenait  les  siens  sur  le  terrain  du  droit,  de  quel  côté  in- 
clina-t-elle  à  ce  moment  décisif?  on  l'ignore,  mais  ce  qu'il  est 
permis  de  conjecturer,  c'est  que  si  d'une  part,  comme  femme  elle 
partageait  les  légitimes  griefs  du  prince  contre  les  Guises,  de  l'au- 
tre comme  chrétienne,  elle  n'aspirait  au  triomphe  de  la  liberté 
religieuse  que  par  la  prépondérance  de  la  force  morale  sur  la 
force  matérielle.  Elle  était  trop  judicieuse  pour  n'avoir   pas 
discerné  de  suite  que  Condé,  s'érigeant  plutôt  en  chef  d'une  co- 
horte de  mécontents,  qu'en  protecteur  efficace  de  la  foule  des 
croyants  opprimés,  agissait  dans  sa  fougue,  moins  en  homme 
religieux  qu'en  homme  de  parti;  tandis  que  chez  Coligny  les 
hautes  et  fortes  convictions  du  chrétien  dominaient  les  tendances 
de  l'homme  d'État,  épuraient  ses  vues,  et  le  contenaient  dans  le 
rôle  de  courageux  et  fidèle  conseiller  de  la  couronne. 

Que  ne  dut  pas  souffrir  de  ce  contraste  la  princesse!  quelles 
appréhensions  ne  vinrent  pas  l'assaillir,  toute  énergique  quelle 
était,  à  la  pensée  des  dangers  au-devant  desquels  se  précipitait 
son  mari!  au  surplus,  qu'elle  partageât  ou  non  ses  vues,  une 
chose  demeure  certaine  :  c'est  que  plus  elle  l'aimait,  plus,  prête 
à  tous  les  sacrifices,  elle  se  promit  devant  Dieu  de  le  soutenir 
de  ses  conseils,  de  son  affection  et  de  son  dévouement  dans  les 
péripéties  de  la  carrière  agitée  qu'il  venait  d'aborder. 

Les  mesures  agressives  qu'inspira,  au  sortir  de  la  réunion 
de  la  Ferté,  l'exaspération  de  la  souffrance  générale,  plus  en- 
core que  le  sentiment  religieux,  aboutirent  au  tumulte  d'Am- 
boise,  dont  la  répression  sanglante  n'est  que  trop  connue. 

Le  prince  de  Condé  qui  était  le  chef  muet  de  l'entreprise, 
avait  eu  l'imprudence  de  venir  à  la  cour  avant  l'approche  des 
conjurés  qui  comptaient  la  surprendre.  Placé  par  sa  présence 


—  51  — 
àAmboisc  clans  une  situation  des  plus  fausses,  il  y  avait  été 
témoin  de  la  défaite  de  ses  partisans  et  des  horribles  supplices 
infligés  à  la  plupart  d'entre  eux  par  la  cruauté  de  François  de 
•Lorraine  et  du  cardinal  son  frère.  Frémissant  d'indignation, 
mais  impuissant  à  réprimer  une  seule  des  atrocités  commises 
sur  tant  de  victimes,  il  eût  été  lui-même  immolé  à  la  haine  des 
Guises,  sans  l'indomptable  énergie  de  son  attitude  au  sein  du 
conseil,  réuni  sur  sa  demande  expresse.  Il  confondit  alors  leur 
audace  par  la  hardiesse  du  défi  qu'il  leur  jeta;  paralysa,  pour 
le  moment  du  moins,  toute  résolution  de  leur  part  d'attenter  à 
5es  jours,  et  se  mit  jusqu'à  un  certain  point,  à  l'abri  de  nouveaux 
périls,  en  allant  rejoindre  dans  l'un  de  ses  domaines  la  princesse 
sa  femme. 

Goligny,  que  les  Guises  soupçonnaient  d'être  complice  de 
Condé,  et  qu'à  ce  titre  ils  espéraient  compromettre  et  perdre, 
avait  été  à  leur  instigation,  appelé  à  Amboise  par  Catherine  de 
Médecis  qui  voulait,  disait-elle,  le  consulter  sur  l'issue  à  assi- 
gner à  la  crise  qu'on  traversait.  Mesurant  de  sang-froig  le  péril 
qui  le  menaçait,  sans  avoir  un  seul  instant  la  pensée  de  s'y  déro- 
ber par  un  refus  indigne  de  son  caractère  et  de  son  dévoue- 
ment, fort  de  sa  conscience  puisqu'il  était  de  tous  points  de- 
meuré étranger  aux  projets  et  aux  actes  des  conjurés  qu'il  avait 
désapprouvés  par  anticipation,  l'amiral  n'hésita  pas  à  se  rendre 
à  Amboise.  Là,  comme  partout  ailleurs,  fidèle  à  ses  convictions 
les  plus  chères,  il  déclara  sans  détour  à  Catherine  en  lace  des 
Guises,  que  l'unique  remède  à  adopter  était  de  faire  cesser  l'ef- 
fusion du  sang  et  d'accorder  aux  protestants  le  libre  exercice  de 
leur  culte.  Ses  ennemis  n'osèrent  alors  ni  attenter  ouvertement 
à  sa  vie,  ni  môme  engager  avec  lui  une  discussisn  sur  la  portée 
des  conseils  de  modération  et  de  justice  qu'il  venait  de  donner. 
Ils  se  turent;  mais  leur  inaction  apparente  et  leur  silence  n'en 
étaient  pas  moins  menaçants.  Catherine  ne  s'y  méprit  point;  et 
afin  de  soustraire  à  un  danger  imminent  famiral  eu  (pii  elle 


—  52  — 
commençait,  au  milieu  de  ses  Ilucluations  incessantes,  à  clier- 
cher  un  appui  contre  le  pouvoir  démesuré  des  Guises,  elle  le 
chargea  d'aller  en  Normandie  pour  y  étudier  l'état  des  esprits; 
démêler  les  causes  de  l'agitation  qui  régnait  dans  cette  pro- 
vince, cl  lui  faire  connaître  les  moyens  à  l'aide  desquels  elle 
pourrait  être  calmée. 

•  Tandis  que  Coligny  se  préparait  à  accomplir  sa  mission ,  Condé, 
de  retour  près  d'Éléonorc  de  Roye,  dont  les  angoisses  avaient 
été  extrêmes  depuis  qu'il  s'était  rendu  à  Amboise,  se  concerta 
avec  elle  sur  le  parti  qu'il  avait  à  prendre.  La  fidèle  compagne 
du  prince  entrevit  de  suite  le  danger  auquel  il  s'exposerait  sans 
nécessité  s'il  prolongeait  sa  résidence  chez  lui,  dépourvu  de  tout 
appui,  de  tout  secours,  dans  une  stérile  expectative  des  événe- 
ments. Le  temps  pressait  :  elie  savait  que  les  Guises  en  voulaient 
aux  jours  de  son  mari  et  qu'ils  étaient  gens  à  ne  reculer  devant 
l'emploi  d'aucun  moyen  pourvu  qu'ils  les  conduisîtà  leurs  fins.  11 
fallait  donc  que  Condé  se  trouvât  promptement  à  l'abri  de  leurs 
captieuses  menées,  de  leurs  brutales  atteintes,  et  se  ménageât 
l'occasion  de  grouper  en  lieu  sur  autour  de  lui,  des  éléments  de 
force  et  d'influence  qui  le  missent  en  position  de  contraindre  les 
Guises  et  la  cour  à  compter  désormais  avec  sa  personne  et  les  sou- 
tiens de  sa  cause.  L'unique  ressource  qui  lui  fût  offerte  était  celle 
d'un  séjour  en  Béarn  où  l'attendait  un  accueil  fraternel  de  la 
part  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jeanne  d'Albret.  Il  fut  décidé 
d'un  commun  accord  qu'il  se  rendrait  près  d'eux.  La  prudence 
exigeait  qu'il  partît  seul;  aussi  la  princesse  renonça-t-elle  à  toute 
idée  de  le  suivre  avec  ses  jeunes  enfants.  Le  sacrifice  de  la  sé- 
paration était  grand,  mais  elle  l'accepta  avec  sa  fermeté  et  sa 
douceur  habituelles.  Elle  se  sentait  d'ailleurs  soutenue  par 
l'espoir  de  seconder  même  de  loin  le  prince  lorsqu'il  serait  en 
Béarn,  en  l'informant  ponctuellement  de  la  marche  des  cir- 
constances, et  en  combinant  la  gestion  de  sa  fortune  per- 
sonnelle de  manière  à  alléger,  au  prix  même  de  ce  qu'elle 


—  53  — 
possédait,  les  charges  matérielles  qui  viendraient  à  peser  sur 
lui. 

Cependant  les  Guises  ne  demeuraient  point  inactifs.  Ils  fai- 
saient surveiller  de  près  Condé  et  sa  femme  (1)  par  des  affidés, 
au  nombre  desquels  ilguraient  quelques-uns  des  gens  de  service 
de  ce  prince  qu'ils  stipendiaient  à  cet  effet.  Soupçonnant  ses 
projets  de  départ,  ils  lui  écrivirent  pour  prolester  de  leurs  bonnes 
intentions  à  son  égard  et  rengagèrent  à  retourner  à  la  cour.  Le 
piège  était  trop  grossier  pour  que  Condé  s'y  laissât  prendre;  il 
déjoua  leurs  calculs  par  un  subterfuge,  que  le  récit  suivant  d'un 
contemporain  (2)  nous  fait  connaître  : 

((  Il  faut  entendre  que  le  prince,  estant  sur  son  partement, 
))  fut  visité  de  Genly,  lequel  encores  qu'il  eust  reçu  grande 
y>  faveur  de  ce  prince,  ce  néantmoins  suyvant  le  vent  de  la  cour, 
»  s'estoit  rengé  du  parti  de  ceux  de  Guise.  Estant  donc  parti  en 
))  intention  de  descouvrir  quelque  chose  de  nouveau  pour  estre  le 
»  bienvenu  en  cour,  il  fit  entendre  au  prince  qu'il  alloit  trouver 
))  le  roy,  et  qu'il  n'avoit  voulu  faillir  luy  venir  faire  la  révérence 
»  pour  savoir  s'il  lui  plaisoit  rien  mander  à  Sa  Majesté.  Le  prince 
))  ({ui  jà  se  doutoit  de  luy,  respond  qu'il  n'avoit  autre  que  man- 
))  der.  L'autre  luy  secoue  la  bride  disant  qu'il  savoit  que  le  roy 
))  ne  faudroit  à  luy  tenir  propos  de  luy,  sachant  qu'il  avoit  eu 
))  cest  honneur  de  luy  estre  serviteur,  et  qu'à  cesle  cause,  il  dé- 
»  sireroit  grandement  estre  chargé  de  quelques  bonnes  nouvelles 
i>  pour  les  dire  au  roy  :  mesmement  qu'il  eust  quitté  toutes  ces 
))  resveries  et  opinions  nouvelles  de  la  religion  d'autant  qu'elles 
y  ne  convenoyent  nullement  ni  à  sa  grandeur  ni  à  son  aage 
A^  pour  estre  si  sage.  Le  prince  sur  cela  le  charge  de  présenter 
))  ses  très-humbles  recommandations  au  roy  et  à  la  royne.  Et 

(1)  Voir  Appendice,  n"  ii. 

(2)  R,  de  La  Planche, /iis/.  de  France  sous  François  II,  édit.  de  157C,p.  3i)t, 
395. 


))  s'il  vous  demande,  dit-il,  plus  avant  de  mes  nouvelles,  vousluy 
»  direz  comme  je  luy  mande  par  vous,  que  je  luy  suis  très-hum- 
»  ble  et  très-obéissant  serviteur  et  parent,  et  que  quelque  chose 
»  qu'on  luy  ait  dite  au  contraire,  il  me  trouvera  tousjours  prest 
ï)  de  le  luy  montrer  par  effet  en  tout  ce  qu'il  me  voudra  com- 
))  mander,  sinon  contre  la  religion,  carj'ay  protesté  (dit-il) 
»  comme  je  fay  cncores  de  n'aller  jamais  a  la  messe.  Genly  le 
))  supplia  de  donner  la  charge  de  si  piteuses  nouvelles  à  d'autres 
»  qu'a  luy.  Le  prince  répliqua  que  s'il  ne  lui  disoit  il  en  seroit 
))  luy  mesmes  le  messager  dedans  peu  de  jours,  qu'il  esperoit 
»  aller  trouver  le  roy  de  Navarre  son  frère,  et  en  passant 
»  prendre  congé  du  roy.  —  Ces  nouvelles  venues  à  la  cour  re- 
))  jouyrent  ceux  de  Guise,  pour  avoir,  ce  leur  sembloit,  double 
»  matière  de  faire  le  procès  au  prince,  et  un  tesmoin  comme 
»  domestique  ,  et  non  reprochable  :  joint  qu'il  y  en  avoit 
T>  d'autres  avec  Genly  quy  en  pouvoient  parler,  pour  avoir  esté 
))  tenu  ce  propos  en  grande  compagnie.  Ils  estimoyent  aussi  que 
))  sa  venue  estoit  bien  à  point,  et  les  délivreroit  d'un  dangereux 
»  voyage  et  entreprise  comme  celle  qu'ils  avoient faite,  de  se 
»  saisir  de  sa  personne,  en  quelque  part  qu'il  fust.  Ainsi  se 
»  reposans  et  endormans  sur  les  paroles  de  Genly,  ils  ne  purent 
»  imaginer  qu'il  eust  autre  volonté  que  de  passer  par  la  cour 
»  allant  devers  son  frère,  en  sorte  que  cela  les  engarda  de  luy 
j)  dresser  des  embusches  par  les  chemins.  » 

Mais  les  Guises  avaient  ici  affaire  à  un  plus  habile  qu'eux. 

«  Le  prince  de  Condé  (i)  print  le  chemin  de  Bcarn,  sachant 
))  que  s'il  tomboit  es  mains  de  ses  ennemis  c'estoit  fait  de 
»  sa  vie,  veu  la  corruption  qui  estoit  en  la  justice,  tant  es  cours 
»  souveraines  qu'inférieures ,  desquelles  il  n'attendoit  aucune 
»  équité;  de  quoy  il  avoit  veu  tant  de  preuves  qu'il  n'en  pouvoit 
»  ne  devoit  nullement  douter.  Son  partement  fut  assez  accorte- 

(1)  r..  lie  La  l'iaiiclio,  ouvr.  cit.,  p.  3'J5. 


»  ment  et  ingénieusement  dressé,  et  ne  le  déclaira  qu'à  peu  de 
»  gens,  dont  bien  luy  en  print.  Car  feignant  d'aller  à  la  cour, 
»  il  envoya  son  train  devant,  puis  quand  il  fut  à  Bloys,  au  lieu 
»  d'aller  à  Chenonceau,  où  le  roy  estoit,  il  print  la  traverse  par 
»  la  voye  de  la  poste,  et  le  chemin  de  la  Gascogne,  avant  que 
»  ses  ennemis  le  peussent  apercevoir.  Car  ils  estoient  si  aveu- 
»  glez  d'aise  de  sentir  approcher  son  train,  qu'ils  le  tenoient  pour 
»  attrappé,  et  n'estoit  question  que  de  luy  préparer  son  pacquet 
))  quand  ilz  eurent  advertissement  certain  qu'il  avoit  passé  te- 
»  nant  la  route  de  Béarn  :  de  quoy  ils  furent  fort  mal  contents, 
))  mesmes  de  ce  qu'ils  entendirent  que  Maligny  l'aisné  l'atten- 
»  doit  à  Poitiers,  feignant  venir  en  cour,  et  que  ce  néantmoins 
))  ils  s'en  estoyent  allez  ensemble.  » 

Arrivé  à  Nérac,  le  prince  de  Condé  y  attira  bientôt  les  re- 
gards, et  y  reçut  plus  encore  que  le  roy  de  Navarre,  les  pres- 
santes sollicitations  d'une  partie  de  la  noblesse  protestante.  Les 
deux  frères  furent  provoqués  par  elle  à  l'action  et  conçurent  le 
plan  d'un  vaste  soulèvement  dont  Lyon  deviendrait  le  centre. 
Condé  devait  se  rendre  dans  cette  ville  au  début  du  mois  de 
septembre  et  y  faire  converger  vers  lui  les  forces  du  midi  de  la 
France.  Antoine  de  Bourbon  devait,  de  son  côté,  entraîner  à  sa 
suite  les  forces  du  sud-ouest  et  de  l'ouest,  formuler  hautement 
la  revendication  de  ses  droits  comme  premier  prince  du  sang 
et  faire  appel  aux  états  généraux. 

Ce  plan,  dont  une  exécution  énergique  et  rapide  eût  peut-être 
assuré  le  succès  fut  à  peine  mis  en  œuvre. 

L'occupation  de  Lyon  constituait  le  préliminaire  indispen- 
sable des  opérations  à  accomplir. 

Une  tentative  sur  cette  grande  cité,  confiée  à  la  hardiesse  et 
à  la  bravoure  du  jeune  Maligny,  avorta  sous  rinfluence  d'un 
contre-ordre  dicté  parles  incertitudes  et  la  faiblesse  de  caractère 
du  roi  de  Navarre. 


-  50  — 

Alors  que  du  fond  du  Béarn,  Gondé  et  son  frère  prenant  leur 
point  d'appui  sur  une  réunion  d  hommes  généralement  plus 
politiques  que  religieux,  plus  mécontents  que  désintéressés, 
frayaient  les  voies  à  une  prise  d'armes,  que  se  passait-il  au  loin 
dans  les  régions  du  pouvoir? 

Coligny,  conséquent  avec  lui-même,  venait  par  sa  présence 
en  Normandie  de  faire  faire  un  nouveau  pas  à  la  question  poli- 
tique de  môme  qu'à  la  question  religieuse.  En  sage  conseiller 
de  la  couronne,  il  ne  tarda  point  à  faire  savoir  à  Catherine  de 
Médicis  que  le  vrai  moyen  de  ramener  les  esprits,  non-seulement 
en  Normandie  mais  dans  toutes  les  provinces  de  France,  con- 
sistait, d'une  part,  à  dépouiller  les  Guises  de  leur  pouvoir  dé- 
mesuré, à  convoquer  les  états  généraux,  et  d'autre  part,  à  mettre 
un  terme  aux  persécutions  dirigées  contre  les  protestants,  et  à 
leur  assurer  l'exercice  public  de  leur  culte. 

Les  Guises  reconnaissaient  qu'ils  ne  pouvaient  échapper  à 
une  lutte  désormais  engagée  par  la  ferme  initiative  de  l'amiral, 
au  nom  des  populations  opprimées  (1).  Afin  d'atténuer  en  ce 
qui  les  concernait  les  périls  de  cette  lutte,  d'autant  plus  redou- 
table pour  eux,  hommes  d'arbitraire  et  de  violence,  qu'elle  était 
la  première  qui  se  déployât  sur  l'inébranlable  terrain  des  prin- 
cipes, trop  longtemps  méconnus,  du  droit  et  de  l'équité,  ils  ten- 
tèrent d'accorder  à  l'opinion  publique  une  sorte  de  satisfaction. 
De  concert  avec  Gatlicrine  de  Médicis,  ils  firent  convoquer  à 
Fontainebleau,  par  le  jeune  roi,  une  assemblée  de  grands  per- 
sonnages, que  les  lettres  de  convocation  appelaient  à  exprimer 
officieusement  à  la  couronne  leur  avis  sur  la  marche  à  imprimer 

[l)  L'un  tics  rares  écrits,  publiés  on  15G0,  au  nom  de  ces  populations,  carac- 
térise l'intolérance  des  Guises  en  ces  termes  :  «  Entre  les  mains  de  ces  deux  ty- 
»  rans  sont  mis  les  deux  glaives  de  France,  le  spirituel  es  mains  du  cardinal  et 

>  le  matériel  es  mains  de  son  frère.  Le  cardinal   ne  pouvant  plus  rien  faire  de 

>  son  glaive  à  rencontre  de  nous  (moqueur  de  Dieu  qu'il  est,  et  de  sa  parole) 
ï  n'y  trouve  point  de  plus  court  chemin  que  de  nous  charger  du  crime  de  sédi- 
*  tion,  et  nous  bailler  entre  les  mains  de  son  frère;  auquel,  si  vous  voulez  rendre 


aux  afl\\ires  de  l'État,  en  présence  des  complications  politiques 
et  religieuses  qui  agitaient  la  France. 

.  Dans  le  cours  du  mois  d'août  1560  se  réunirent  au  château 
de  Fontainebleau,  les  membres  du  conseil  privé,  divers  grands 
dignitaires,  des  prélats,  des  chevaliers  de  l'ordre  et  une  foule  de 
seigneurs.  Ces  derniers,  sans  avoir  le  droit  de  prendre  une 
part  directe  aux  délibérations  à  intervenir,  pouvaient  du  moins 
y  assister. 

Devant  cette  assemblée,  préparée  en  partie  par  ses  conseils, 
le  chancelier  de  l'Hospital  posa  en  termes  généraux  les  questions 
à  résoudre;  laissant  le  soin  de  les  discuter  et  de  les  approfondir 
à  des  hommes  tels  que  Coligny,  Montluc  et  Marillac,  dont  il  s'é- 
tait assuré  le  concours.  A  ce  moment  il  fut  sobre  de  paroles, 
surtout  parce  qu'il  savait  quelle  autorité  prépondérante  devait 
s'attacher  à  celles  que  le  pieux  amiral  se  proposait  de  faire  en- 
tendre au  nom  des  protestants  dont  il  allait  présenter  les  requêtes, 
tendant  à  la  cessation  des  persécutions  et  à  la  consécration  du 
droit  de  réunion  pour  l'exercice  public  des  actes  du  culte  (1). 
L'attitude  que  prit  Coligny  dans  l'assemblée  fut  admirable.  Il 
s'y  posa  avec  une  sainte  hardiesse,  non  sur  le  sol  mouvant  des 
expédients  et  de  l'empirisme,  mais  sur  le  solide  terrain  du  droit, 
en  défenseur  du  principe  de  la  liberté  religieuse.  La  fermeté  de 
son  langage  commanda  le  respect,  et  l'ascendant  qu'il  exerça 
sur  l'assemblée  fut  nnmense  :  «  Le  roy  de  lui-même  dit  qu  il 
»  avoit  bon  témoignage  de  ses  services  et  aussi  bonne  réputation 
))  de  Inique  d'hommes  de  son  royvaume,  et  qu'il  prenoit  en  bonne 
»  part  ce  qu'il  en  avoit  lait  (^2).  )^  L'examen   des   requêtes 

»  raison  de  votre  fait,  il  vous  dira  soudain  que,  de  lui,  il  n'entend  rien  à  dis- 
»  puter  de  Dieu,  mais  qu'il  sçait  fort  bien  faire  couper  des  testes  !  ô  parole  de 
»  diable,  et  non  d'homme  !  comme  s'il  vouloit  dire  que  son  frère  fait  la  dispute, 
»  et  lui  la  conclusion.  »  {Juste  complainte  (tes  fidèles  de  France,  etc.,  etc., 
broch.  in-;]:2,  en  Avignon,  15G0,  p.  ^(i.) 

(1)  Voir  le  texte  de  ces  requêtes  dans  les  Mémoires  de  Condo,  t.  II,  p.  G 15, 
646,  647,  618. 

(2)  Recueil  depières  sur  les  États  généraux,  in-8,  178'.),  t.  1,  p.  69. 


loin  d'être  repoussé,  fut  simplement  ajourné  après  la  tenue 
du  concile  national,  dont  la  convocation  venait  d'être  décidée 
ainsi  que  celle  des  étals  généraux. 

Antoine  de  Bourbon  et  Condé  ne  s'étaient  point  rendus  à  l'as- 
semblée de  Fontainebleau,  quoique  François  II  eût  prié  le  roi 
de  Navarre  «  de  s'y  trouver,  et  son  frère  aussy,  ensemble  les  sei- 
»  gneurs  qui  estoient  lors  avec  luy.  Mais  quand  ceux  de  Guise 
»  eurent  descouvert  qu'ils  y  pourroient  venir  si  forts  qu'ils  se- 
»  royent  en  danger  de  perdre  la  partie,  ils  aimèrent  mieux  éviter 
))  ce  hazard,  et  donnèrent  ordre  que  le  roy  de  Navarre  en  fût 
»  adverty  par  leurs  propres  serviteurs  secrets,  que  ceux  de  Guise 
)}  entretenoyent  près  de  luy,  de  sorte  qu'il  se  résolut  d'attendre 
j)  quelle  seroit  l'issue  de  ces  affaires.  Cela  fut  entièrement  contre 
))  le  conseil  et  avis  du  connestable  et  de  tous  les  autres  sei- 
»  gneurs  qui  tenoyent  son  party,  sachant  que  ce  retardement 
)>  empireroit  sa  cause,  et  apporteroit  quelque  ruyne,  car  ils  insis- 
»  toyent  qu'il  s'acheminast  avec  ceux  qu'il  avoit  en  sa  compa- 
))  gnye,  qui  accroistroientpar  les  chemins  plus  qu'il  ne  voudroit; 
»  de  manière  que  joints  avec  les  connétablistes,  ils  seroyent  les 
))  plus  forts  et  bailleroyent  la  loy  à  leurs  ennemis  (I).  » 

Détachons  maintenant  nos  regards  du  cours  des  événements 
généraux,  pour  les  reporter  sur  la  princesse  de  Condé. 

Depuis  le  départ  du  prince  pour  le  Béarn,  elle  n'avait  cessé 
de  partager  son  temps  entre  les  soins  prodigués  à  ses  enfants,  la 
direction  des  affaires  domestiques,  parfois  compliquées,  dont  tout 
le  poids  était  retombé  sur  elle,  et  une  surveillance  prudemment 
exercée  siu-  les  intentions,  les  paroles  et  les  actes  des  person- 
nages qu'elle  tenait  pour  ennemis  implacables  de  son  mari.  Sa 
tâche  était  grande  :  en  l'accomplissant  avec  la  vive  sollicitude 
que  lui  inspiraient  ses  sentiments  d'épouse  et  de  mère,  elle  n'avait 
pas  toujours  pu  garder  les  ménagements  que  réclamait  l'état  de 

(I)  n.  (le  La  Planche,  ouvr.  cil.,  p.  51  i,  515.  —  Voir  aussi  Casleliiau,  Mém., 
t.  I,  p.  AH. 


—  59  — 
sa  sanlé,  ébranlée  depuis  quelques  mois  par  une  série  d'anxiétés 
inévitables  et  par  une  nouvelle  grossesse.  Moins,  dans  sa  tou- 
chante abnégation,  elle  s'était  occupée  d'elle-même,  plus  la 
comtesse  de  Roye  avait  mis  d'ardeur  à  l'entourer  de  son  af- 
fection maternelle  et  à  l'assister  de  ses  conseils  et  de  sa  coopé- 
ration. 

Yers  la  fin  de  juillet  1560,  la  princesse  accoucha,  en  Picardie, 
d'une  fille  à  laquelle  elle  donna  un  nom  qui  lui.  était  parlicuhè- 
rement  cher,  celui  de  Madeleine,  que  portait  l'excellente  mère 
dont  le  cœur  était  si  étroitement  uni  au  sien. 

Peu  après  la  naissance  de  cet  enfant,  la  comtesse  de  Roye  dut, 
dans  l'intérêt  même  de  la  princesse,  se  séparer  d'elle  momenta- 
nément, pour  aller  à  Écouen.  Elle  voulait  essayer  d'y  terminer 
avec  le  connétable  une  affaire  de  famille,  entamée  depuis  quel- 
que temps  déjà.  La  conclusion  à  intervenir,  telle  qu'elle  la  dési- 
rait, d'accord  avec  sa  fille,  pouvait  aisément  affranchir  celle-ci 
des  conséquences  éventuellement  désastreuses  d'une  négociation 
à  laquelle  elle  avait  dû  condescendre,  afin  de  satisfaire  aux  exi- 
gences d'un  état  de  gêne  imposé  à  son  mari  par  la  rigueur  des 
circonstances  (i).  Eléonore  de  Roye ,  pour  lui  créer  des  ressources, 
s'était  trouvée  contrainte  d'emprunter  à  des  marchands  une 
somme  d'environ  vingt  mille  livres,  au  remboursement  de  laquelle 
elle  avait  affecté,  à  titre  de  gage,  entre  leurs  mains,  ses  bijoux 
et  divers  objets  précieux,  d'une  valeur  totale  de  cent  mille  livres. 
Sa  prompte  libération,  à  laquelle,  en  femme  délicate,  elle  aspi- 
rait ardemment,  pouvait  lui  être  facilitée  par  le  connétable,  son 
grand  oncle,  possesseur  d'une  immense  fortune,  sans  qu'il  eût 
à  faire  en  sa  faveur  le  moindre  sacrifice.  Il  suffisait,  à  cet  effet, 
qu'il  achetât,  moyennant  un  prix  d'ailleurs  avantageux  pour 
lui,  la  terre  de  Germiny,  qu'elle  avait  proposé  de  lui  vendre.  Le 
versement  immédiat  de  ce  prix  aux  marchands  prêteurs  devait 

(1)  De  Thou,  Hist.  univ.,  t.  II,  p.  795.  —  Désornieaux,  Ilist.  de  la  maisonde 
Bourbon,  t.  III,  p.  11:2. 


—  60  — 
autoriser  le  retrait  des  objets  livrés  en  gage.  Rien  n'eût  été  plus 
simple  pour  le  connétable  que  devenir  en  aide  à  sa  petite-nièce, 
en  accédant  de  suite  à  sa  proposition;  mais  il  était  trop  partisan 
des  temporisations  pour  adopter  une  décision  immédiate.  Il  te- 
nait donc  tout  en  suspens,  lorsque  madame  de  Roye  arriva  à 
Écouen.  Les  entretiens  qu'elle  eut  avec  lui,  les  instances  qu'elle 
lui  adressa,  et  qu'appuya  Robert  de  Lahaye,  membre  du  parle- 
ment de  Paris  et  conseil  habituel  du  prince  et  de  la  princesse 
de  Gondé  (1)  dans  leurs  affaires,  n'amenèrent  d'autre  résultat 
qu'une  avance  de  quinze  cents  .écns  par  Anne  de  Montmorency, 
qui  ne  consentit  pas  encore  à  acheter  la  terre  dont  il  s'agis- 
sait. 

Deux  mois  plus  tard,  rafTaire  était  même  si  loin  d'une  con- 
clusion, que  la  princesse  de  Gondé  crut  devoir  adresser  au  conné- 
table les  lignes  suivantes,  qui  peignent  la  détresse  à  laquelle  elle 
était  en  proie  (2)  : 

((  Monsieur,  me  voyant  de  toutes  parts  environnée  de  maints 
))  grands  affaires  et  d'extrêmes  peines  et  nécessité  de  sçavoir  où 
y)  recouvrer  deniers  pour  y  remédier  et  subvenir  comme  elles  me 
))  pressent,  mesmement  du  cousté  de  ceux  qui  tiennent  mes 
))  bagues  et  buffet,  et  pourquoy  je  suis  entrée  si  avant  en  propos 
»  avec  vous  de  ma  terre  de  Germiny,  mais  encore  beaucoup 
»  plus  pressée  que  je  ne  vous  puis  dire  de  les  retirer  prompte- 
»  ment  ou  de  perdre  le  tout,  comme  tout  de  nouveau  j'en  suis 
))  menassée,  je  suis  contraincte  vous  envoyer  ce  porteur  exprès 
))  et  vous  supplier,  monsieur,  me  vouloir  faire  ce  bien  que  de 
))  me  mander  par  luy  sur  ce  résolutivement  votre  intention  et 
»  volonté  et  y  adviser  de  deux  choses  Tune,  ou  de  m'en  parfaire 


(1)  Voir,  sur  Robert  de  Lahaye,  Le  Laboureur,  aiUlil.   aux  Mém.  de  Castel- 
nau,  t.  I,  p.  517. 

(i)  Lettre  dn'id  septembre  1560.  (i'.ibl.  nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  3-2G0,  f^  81.) 


—  61  — 
»  le  payement  promptement  et  comptant,  et,  en  ce  faisant,  ni'en- 
»  voyer  tel  de  vos  gens  qu'il  vous  plaira  incontinent  avec  pou- 
»  voir  pour  vous  en  passer  la  vendition  telle  qu'elle  vous  a  esté 
»  arrestée  par  madame  ma  mère,  sans  m'y  tenir  davantage  en 
y>  suspend,  afin  que  je  n'aye  à  regretter  ci-après  que  vingt  mille 
»  livres  aient  esté  cause  de  m'en  faire  perdre  pour  cent  mille, 
»  comme  je  m'apperçois  déjà  en  estre  en  chemin  et  danger  ;  ou 
»  bien  me  quicter  de  la  promesse  que  vous  y  afaictemadite  dame 
))  ma  mère,  en  vous  remboursant  de  quinze  cens  escuz  que  m'y 
»  avez  advancez,  pour  d'un  couslô  ou  d'autre  (comme  j'en  ay  desjà 
))  d'ailleurs  offre  de  trente  mil  francs)  avoir  de  quoy  appaiser 
»  mes  marchans  et  recevoir  mes  besongnes.  Si  est-ce,  monsieur, 
'd  qu'il  me  desplairoit  fort,  puisque  en  sommes  si  avant  et  que 
)•>  la  chose  vous  est  si  propre  qu'elle  ne  tombast  en  vos  mains, 
))  qui  est  cause  que  si  avez  doubte  de  quelque  chose,  que  j'ac- 
y>  corde  et  consens  dès  à  présent  que  vous  puissiez  par  vos  mains 
»  mesmes  faire  faire  la  distribution  desdils  deniers  ainsi  qu'il 
y>  vous  plaira  à  ceulx  qui  ont  mes  dites  besongnes,  pourvu  que 
»  dès  cette  heure  ils  me  les  rendent,  sans  que  j'en  touche  ung 
»  seul  denier;  parquoy,  monsieur,  je  vous  supplie  bien  humble- 
»  ment  encore  cette  fois  me  résouldre  au  retour  de  ce  dit  por- 
»  leur,  en  la  suffisance  duquel  je  remettrai  à  vous  dire  de  toutes 
y>  les  autres  nouvelles  et  de  moy  et  de  tout  mon  petit  mesnage, 
i>  où,  puis  deux  mois,  j'ay  toujours  eu  taut  d'adversité  et  cnnuy, 
»  que  encores  ne  vous  pourroys-je  commodément  escripre  de 
j>  ma  main.  Vous  excuserez  le  tout,  s'il  vous  plaist,  me  conti- 
»  nuant  toujours  en  vostre  bonne  grâce,  comme  de  toutes  vos 
»  nicpces  la  plus  affectionnée  à  vous  obéyr  et  qui  sur  ce  s'en  va 
))  vous  présenter  ses  bien  humbles  recommandations,  suppliaut 
»  le  créateur  qu'il  vous  doint,  monsieur,  en  parlante  santé  la 
»  très-heureuse  et  longue  vie  que  vous  désire,  d'Anisy,  ce  XXIX 
y)  septembre  1500. 

ï>  Je  vous   suplie,  monsieur,  n'eslre  marry  de  se  que  vous 


—  62  — 

))  presse  en  cest  affayre;  c'est  à  mon  grand  regret,  mais  nesaysyté 
))  pour  ung  sy  grand  dommage  my  contrainct.  » 
»  Vostre  humble  et  obéyssante  niêpce 

))  LÉONOR  de  ]{0YE.   )) 

L'incurie  et  le  mauvais  vouloir  du  connétable  se  prolongeant, 
la  princesse  réitéra  près  de  lui  ses  instances,  dans  une  seconde 
lettre  (1),  ainsi  conçue  : 

«  Monsieur,  j'ai  tousjours  atendu  jusque  à  presant  que  me 
))  dussyes  fayre  réponse  touchant  le  faict  de  Germiny,  suyvant 
))  ce  qu'avyes  dict  à  Bryon  par  lequel  vous  avoys  emplemant 
))  escript  de  cette  afayre  etl'estremyté  enquoy  je  suys  crayngnant 
);  que  perde  pour  saynquante  mylle  escus  de  bagues  sy  je  ne 
))  pourvoy  à  les  désangager  en  dans  le  vinct  et  sayncquiemede  se 
-))  moys,  e  par  se,  monsieur,  que  je  me  suys  tousjours  attandue 
))  que  me  fournyryé  les  denyers  dont  sômes  dacort  pour  la  dicte 
»  terre,  et  que  je  voy  que  ne  m'en  faites  nulle  réponse,  jenesay 
))  quy  en  peult  estre  l'ocasyon,  quy  faict  que  vous  envoyé  sepor- 
))  teur  esprés  pour  vous  suplier  bien  humblement  par  luy  me 
))  fayre  sertaine  de  vostre  resolusyon,  e  sy  vous  plest  achever  le 
))  marché  e  que  veyllyes  vous  trouver  à  Parys  en  dans  huit  jours 
))  je  my  trouveray  me  faysant  savoyr  au  scrtyn  le  jour  quy 
»  pouré  estre,  pour  là  passer  les  contras  e  fayre  lyvrer  les  de- 
»  nyers  à  seulx  quy  ont  mes  bagues  lequelles  fault  que  retire 
))  moy  mesme  craygnant  que  on  ne  m'en  aist  changé  quelque 
))  une,  aussy  que  j'ay  désires  aflayres  de  grande  ymportanse,  et 
»  sayrays  bien  ayse  par  mesme  moyen  de  vous  pover  veoyr,  e 
»  sy  vostre  comodytô  n'est  d'aller  au  dict  Paris,  et  que  le  trou- 
»  vyes  bon,  je  paseres  par  ou  vous  seryes,parcoy  vous  suplie  sus 
)^  le  tout  me  mander  vostre  voulontô  e  me  renvoyer  yncontynant 
»  se  porteur,  vous  presanlant,  monsieur,  mes  humbles  reco- 

(I)  r.ibl.  liai.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3^200,  f"  77. 


—  03  — 
))  mandatyons  à  vostre  bone  grase,  pryant  Dieu  quy  vous  done, 
»  monsieur,  en  santé  Theureuse  et  longue  vye  que  vous  desyre. 

))  Madame  ma  mère  me  charge  de  vous  presanler  ses  très- 
»  humbles  recomandations  à  vostre  bonne  grase. 

»  Vostre  humble  et  obeyssante  nieyse 

)^  Léonor  de  Roye.  » 

Au  moment  même  où  la  comtesse  de  Roye  avait  tenté,  à 
Ecouen,  près  du  connétable,  une  démarche  destinée  à  demeurer 
à  peu  près  infructueuse,  s'était  accompli,  vis-à-vis  d'elle  et  de  sa 
fille,  un  message  qui,  par  l'imprudence  de  la  personne  que  le 
prince  de  Gondé  en  avait  chargée,  devait,  dans  des  proportions 
diverses,  réagir  d'une  manière  fâcheuse  sur  la  situation  de  ce 
prince  et  de  sa  famille. 

Lasague,  gentilhomme  du  Béarn,  envoyé  par  Louis  de  Bour- 
bon en  Picardie,  était  arrivé,  vers  la  fin  de  juillet  1560,  à  Anisy, 
où  il  comptait  trouver  réunies  Eléonore  de  Roye  et  sa  mère,  qu'il 
devait  visiter  de  la  part  du  prince.  Il  n'y  rencontra  que  la  prin- 
cesse, alors  retenue  dans  sa  demeure  par  les  soins  qu'exigeait  sa 
santé.  Il  s'entretint  avec  elle  de  tout  ce  qui  concernait  son  mari, 
et  se  chargea  de  transmettre  à  ce  dernier  les  réponses  qu'il  at- 
tendait de  sa  femme.  Madame  de  Roye  étant  alors  à  Écouen,  La- 
sague s'y  rendit  et  y  vit  la  comtesse,  de  Lahaye,  et  le  connétable, 
qui  lui  remit  des  lettres  pour  Coudé.  De  là  il  alla  à  Paris,  où  le 
vidame  de  Chartres  et  d'autres  seigneurs  lui  confièrent  aussi  des 
lettres  pour  le  prince.  Ensuite  il  gagna  Fontainebleau,  où,  après 
avoir  délivré  à  plusieurs  adhérents  de  ce  dernier  des  missives  qui 
leur  étaient  destinées,  il  rencontra  inopinément  un  officier  nommé 
Bonval  avec  lequel  il  avait  précédemment  soutenu  d'étroites  re- 
lations en  Piémont  ;  Bonval  se  répandit  en  plaintes  contre  les 
Guises,  provoqua  par  supercherie  des  confidences  auxquelles  La- 
sague se  laissa  entraîner  et  lui  déclara  qu'il  était  prêt  à  le  suivre, 
pour  aller,  sous  ses  auspices,  embrasser  à  Nérac  la  cause  du 


—  6i  — 

prince  de  Condé.  Dénoncé  par  le  fourbe  Bonval,  qui  n'était  en 
réalité  qu'un  agent  des  Guises,  Lasague  fut  bientôt  arrêté.  On 
saisit  sur  lui  les  lettres  du  connétable,  du  vidame  de  Chartres, 
et  d'autres  papiers;  puis  «  il  fut  tant  tiré  sur  la  géhenne,  quil 
»  déclara  tout  ce  qu'il  savait,  et  davantage  »  (1). 

Ses  déclarations  compromettaient  notamment  Condé,  le  vi- 
dame, et,  jusqu'à  un  certain  point,  le  roi  de  Navarre. 

«.  Soudain  (le  59  août)  les  capitaines  des  gardes  furent  envoyez 
»  à  Paris  pour  mettre  le  vidame  estroitement  prisonnier  en  la 
»  Bastille.  Ce  qui  leur  fut  bien  aisé,  car  il  estoit  à  grand  peine 
»  sorti  d'une  grande  maladie,  et  n'eust-on  esgard  à  autre  chose 
»  qu'à  exécuter  le  commandement,  sans  mesme  permettre  aux 
»  médecins  de  le  pouvoir  assister  (2).  »  Jeanne  d'Estissac,  sa 
femme,  qui  voulait  s'enfermer  avec  lui,  ne  put  même  pas  obtenir 
l'autorisation  de  le  voir  (3), 

Cette  brutale  main-mise,  ainsi  opérée  sur  un  homme  sans 
défense,  et  l'arrestation  du  conseiller  Robert  de  La  Haye,  qu'on 
supposait  être  informé  des  intentions  du  prince  de  Condé  (4), 
ne  constituaient  encore  que  le  prélude  d'excès  d'une  plus  haute 
gravité. 

Il  s'agissait,  en  effet,  de  s'emparer  de  Louis  et  d'Antoine  de 
Bourbon.  Ne  pouvant,  de  loin,  y  réussir  par  la  force,  les  Guises 
se  servirent  de  leur  royal  neveuj  qu'ils  faisaient  agir  et  parler  à 
leur  gré,  pour  attirer  les  deux  frères  à  la  cour. 

Le  30  août,  Crussol  fut  envoyé  en  Béarn,  muni  d'instructions 

(1)  U.  do  La  Planche,  ouvr.  cit.,  p.  50i. 

(2)  Le  Pr.  de  La  Place,  Comment.,  p.  105,  lOG.  —  R.  de  La  Planche,  ouvr. 
cit.,  p.  503  :  «  Le  coiinestable  ne  craignit  de  recommander  le  vidame  au  roy  et 
»  à  la  roynemère,  les  suppliant  ne  permettre  qu'il  reçeust  trop  rude  traitement. 
»  Car  sa  fidélité  et  ses  grans  services  méritoyent  toute  autre  récompense,  ce  que 
»  ne  pouvoyent  ignorer  ses  ennemis,  et  ([u'il  n'eùst  despendu  cinquante  mille  li- 
j>  vres  de  renie  et  un  million  d'escus  pour  le  service  de  ses  prédécesseurs  roys.  » 

(3)  De  Thou,  llist.  vniv.,  t.  Il,  p.  809. 

(i)  Le  P.  de  La  Place,  Comment.,  p.  107.  —  Journal  de  Druslart,  Mihn.  de 
Condé,  t.  I,  p.  10,  17. 


—  65  — 

menaçantes  (1),  et  porteur  d'une  lettre  de  François  II  au  roi  de 
Navarre.  On  y  faisait  tenir  au  jeune  monarque  le  langage  sui- 
vant (2)  : 

<(  Mon  oncle,  je  crois  que  vous  estes  bien  mémoratif  des 
»  lettres  que  je  vous  escrivis  d'Amboise,  quand  ceste  dernière 
»  esmotion  survint  (3),  et  de  ce  que  je  vous  manday  de  mon 
5)  cousin  le  prince  de  Condé,  vostre  frère,  qu'une  infinité  de 
»  prisonniers  chargeaient  merveilleusement  :  chose  qui  ne  me 
y>  pouvoit  entrer  en  l'entendement  pour  l'honneur  du  sang  dont 
»  il  est,  et  l'amour  que  je  porte  aux  miens,  espérant  que  le 
))  temps  et  ces  dépprtemens  feroient  cdgnoistre  la  menterie  de 
1»  tels  malheureux,  et  me  donneroyent  parfaite  assurance  de  sou 
»  innocence  :  mais  j'ay  eu  depuis  continuellement  tant  d'adver- 
y>  tissemens  conformes  de  tous  les  endroits  de  mon  royaume 
»  des  pratiques  et  menées  que  on  le  charge  avoir  faicts  et  faict 
»  faire  au  préjudice  de  mon  service  et  la  seureté  de  mon  estât, 
»  que  je  n'ay  néantmoins  jamais  voulu  croire  jusques  à  ce  que 
»  de  fresche  mémoire  j'en  ay  vu  si  grande  apparence,  que  je 
))  me  suis  résolu  m'en  éclaircir  et  sçavoir  ce  qui  en  est,  n'estant 
»  pas  délibéré,  pour  la  folie  d'aucuns  de  mes  subjects,  vivre 
»  toute  ma  vie  en  peine.  Et  pour  ce,  mon  oncle,  que  je  me 
y>  suis  tousjours  asseuré  de  l'amitié  et  fidéhté  que  me  portez, 
»  et  que  vous  m'en  avez  tant  fait  d'offres  et  de  preuves,  que  je 
3)  n'en  puis  ny  ne  veux  doubter  aucunement,  je  n'ay  voulu  (Inllir 
y>  de  vous  en  advertir  incontinent  et  escrire  la  présente,  par 
»  laquelle  je  vous  prie  sur  tout  le  service  que  desirez  jamais 
»  me  faire,  et  ordonne  sur  tant  que  vous  avez  chère  ma  bonne 
y>  grâce,  de  me  l'amener  vous-mesme,  dont  je  n'ay  voulu  charger 

(1)  Instruction  de  M.  de  Crussol,  allant,  par  ordre  du  roi,  vers  le  roi  de  Na- 
varre, du  30  août  lôGl).  (l)ibl.  nat.,  niss.  Colbert,  vol.  IlS.  —  yégoc.  sous  Fran- 
çois II,  p.  182  à  i8(i.) 

(2)  Mém.  de  Coudé,  1. 1,  p.  572,  573.  —  Mi'in.  df  Tavainits,  chap.  xvi. 

(3)  Mém.  de  Condé,  t.  I,  p.  o'JS  et  suiv.  Lettre  du  i»  avril  J5GU. 


—  G6  — 
3*  autre  que  vous,  non  pour  autre  intention  que  pour  se  justifier 
i>  en  vostre  présence  de  ce  dont  il  est  chargé  :  vous  pouvant 
»  asseurer  que^je  serai  aussi  aise  et  aussi  content  qu'il  se 
»  trouve  innocent  et  net  d'une  si  infâme  conspiration,  comme 
»  je  serois  très-desplaisant  que  au  cœur  d'une  personne  de 
y>  si  bonne  race  et  qui  me  touche  de  si  près,  si  malheureuse 
»  volonté  fût  entrée  :  vous  pouvant  asseurer  que  là  où  il  refu- 
»  sera  de  m'obéyr,  je  sauray  fort  bien  faire  cognoistre  que  je 
))  suis  roy,  ainsi  que  j'ay  donné  charge  à  M.  de  Cursol  {cJc  Cnis- 
»  sol)  vous  faire  entendre  de  ma  part,  ensemble  plusieurs  autres 
»  choses  dont  je  vous  prie  le  croire,  comme  vous  voudriez  faire 
»  moy-mesme.  Priant  Dieu,  mon  oncle,  vous  avoir  en  sa  très- 
»  sainte  et  digne  garde.  Donné  à  Fontainebleau,  ce  xxx'  jour 
))  d'aoust  i  560.  » 

Ni  cette  lettre,  ni  les  commentaires  qu'y  ajouta  oralement  de 
Crussol,  n'étaient  de  nature  à  décider  immédiatement  les  deux 
princes  à  quitter  Nérac. 

Bientôt  arriva  près  d'eux  leur  frère,  le  cardinal  de  Bour- 
bon (i),  chargé  par  la  cour  de  presser  leur  départ. 

Il  y  avait  le  plus  grand  danger  pour  le  roi  de  Navarre  et  pour 
Gondé  à  obtempérer  aux  ordres  réitérés  de  la  cour,  en  venant, 
l'un,  comme  une  sorte  de  gardien  responsable,  livrer  son  frère 
il  des  mains  hostiles,  l'autre  accepter  la  situation  d'un  accusé" 
condamné  d'avance.  Il  y  avait  au  contraire  chance  de  succès 
dans  une  ferme  attitude,  digne  du  rang  des  deux  fi-ères,  si, 
accueillant  l'appui  que  leur  offrait  encore  une  partie  de  la 
noblesse  et  de  la  population,  ils  se  mettaient  en  marche,  non 
pour  venir  présenter  une  justification,  mais  pour  revendiquer 


(l)LePr.  de  La  Place,  Comment. ,  p.  Kl". — Loilôparl  du  canlinal  eut  lieu  trois 
ours  après  celui  de  Crussol.  (V.  Cal.  of  slate  pap.,  forcign  acrics.  Lettre  de 
Throckinorlon  à  Ceci!,  du  8  septembre  15(30.) 


-  67  — 

des  droits,  à  la  lete  d'un  nombre  imposant  d'hommes  qui  les 
avaient  choisis  pour  chefs  et  pour  protecteurs. 

Voilà  ce  que  parurent  originairement  comprendre  Condé  et 
Antoine  de  Bourbon.  Celui-ci,  en  effet,  répondant  à  la  lettre  que 
François  II  lui  avait  écrite  le  30  août,  déclara  (1)  «  ne  pouvoir 
))  croire  son  frère  avoir  entrepris  contre  sa  personne,  ny  Estai, 
»  comme  aussi  n'en  avoit-il  aucune  occasion;  mais  que  plus 
))  tost  voudroit-il  bazarder  la  vie  et  les  biens  pour  la  conserver 
))  contre  ceux  qui  seroient  si  téméraires  de  l'entreprendre.  Et 
»  ne  faisoit  doute  que  ses  haineux  et  ennemis  qu'il  avait  près 
y>  de  sa  personne  ne  luy  eussent  preste  cette  charité  par  leurs 
»  fausses  calomnies  et  accusations;  que  s'ils  se  vouloient  rendre 
y>  parties  et  qu'il  pensast  trouver  la  justice  ouverte  à  la  cour,  il 
y>  connoissoit  l'innocence  de  son  frère  si  grande,  que  luy  mesme 
»  ne  feroit  difficulté  de  l'y  mener,  et  iroit  en  si  petite  compa- 
y>  gnie,  qu'on  auroit  occasion  de  croire  toute  autre  chose  de 
))  luy;  encore  que  grâces  à  Dieu  il  eust  tant  d'amis,  que  s'il  les 
»  vouloit  emploier,  il  esperoit  bien  ne  tomber  à  la  mercy  de 
»  ses  ennemis,  qu'il  sçavoit  préparer  leurs  forces  sous  le  nom  et 
»  autorité  dudit  seigneur.  Que  s'il  y  avoit  gens  en  ce  royaume 
»  qui  eussent  entrepris  sur  son  Estât  et  autorité,  il  esperoit 
»  bien  démontrer  que  c'estoient  tels  imposteurs  mesmes  qui 
))  rejettoient  leurs  crimes  sur  les  innocens;  n'aians  tous  les 
))  princes  de  son  sang  rien  plus  cher  en  ce  monde,  ny  tant 
3)  recommandé  que  la  conservation  de  sa  couronne,  laquelle  ne 
»  pouvoit  eslre  esbranlée  ne  transférée,  que  ce  ne  fust  à  leur 
»  ruyne  et  subversion  entière,  comme  estans  après  luy  et  ses 
»  frères  les  plus  proches  et  apparens  héritiers  du  royaume. 
»  Partant,  il  suppliait  ledit  sieur  de  ne  recevoir  légèrement 
»  aucune  mauvaise  et  sinistre  opinion  de  ses  plus  proches  parens 
»  et  serviteurs  très-affectionnés.  » 

(I)  r».  (le  La  Planclio,  ouvr.  cit.,  p.  5!)7,  508.  —  L.  V.  Je  La  Popelinière,  Hist. 
(le  France,  édil.  de  1581,  in-^,  t.  I,  T'  iOD. 


—  G8  — 
Le  prince  de  Condé  adressa  aussi  à  François  II  une  réponse 
des  plus  explicites,  «  se  défendant  de  toutes  les  calomnies  qu'on 
»  lui  avoit  imposées,  desquelles  il  désiroit  sur  toutes  choses 
»  s'aller  justifier,  pourvu  que  ses  accusateurs  se  voulussent  ren- 
»  dre  parties,  et  rpie  l'autorité  qu'ils  avoient  embrassée  leur 
»  fust  ostée;  car  il  ne  s'attendoit  pas  de  voir  aucune  bonne 
»  justice  administrée  au  royaume,  pendant  que  ceux-là  gou- 
))  verneroient  (i).  » 

De  leur  côté,  dès  qu'elles  avaient  été  informées  de  l'arres- 
tation de  La  Sague,  des  déclarations  que  lui  avait  arrachées  la 
torture,  et  de  la  double  mission  de  Crussol  et  du  cardinal  de 
Bourbon  en  Béarn,  Éléonore  de  Boye  et  sa  mère,  mesurant 
l'étendue  du  danger  que  courait  Condé,  s'étaient  ellforcées  de  l'y 
soustraire.  Elles  avaient  de  suite  émis  l'avis  que,  «  quand  même 
»  Antoine  de  Bourbon  irait  trouver  le  roi,  le  prince  de  Condé, 
))  à  qui  surtout  on  en  voulait,  ne  devait  pas  venir;  que,  par  là 
»  même,  la  vie  du  premier  serait  plus  en  sûreté,  et  que  les 
ï)  Guises  ne  seraient  pas  assez  téméraires  pour  attenter  k  sa 
))  personne,  tant  qu'ils  craindraient  la  vengeance  du  prince,  son 
»  frère  ("2).  »  De  plus,  lorsque  Catherine  de  Médicis  avait  fait 
dire  à  madame  de  Boye  que,  si  elle  croyait  à  l'innocence  de 
son  gendre,  elle  f  engageât  à  partir,  la  comtesse  lui  avait  écrit 
aussitôt,  en  son  nom  et  en  celui  de  sa  fdle  (3)  :  «  qu'elle  estoit 
))  certaine  de  f  innocence  de  son  gendre;  qu'il  n'avoit  jamais 
»  fait  ny  pensé  chose  qui  feust  contraire  'au  roy  et  qu'elle  ne 
))  devoit  croire  les  sieurs  de  Guise,  ses  ennemis;  que  c'estoit 
»  chose  dure  de  presser  un  prince  du  sang  de  venir  en  lieu  où 
2)  ses  ennemis  commandassent.  » 
Dans  une  lettre  postérieure,  également  adressée  à  Catherine 

(i)  R.  de  La  Planche,  ouvr.  cit.,  p.  59!).  —  L.  V.  de  La  Popelinière,  Ilist.  de 
France,  t.  I,  p.  209. 

(2)  De  Thou,  Hht.  univ.,  t.  II,  p.  821. 
•  {A)  Le  Pr.  de  La  Place,  Comment.,  p.  100.  —  L.  V.  de  La  Popelinière,  ouvr. 
cit.,  t.  I,  f»  207. 


—  G9  — 
deMédicis,  madame  de  Roye  disait  (1)  :  «  qu'elle  pensoit  bien 
y>  que  monsieur  le  prince  lui  estoit  si  obéissant  parent  et  ser- 
y>  vileur,  qu'il  obéirait  à  son  commandement  de  venir  en  court; 
»  mais,  pour  ce  que  ses  ennemis  y  estoient,  la  prioit  ne  trou- 
»  ver  estrange  s'il  y  venait  mieux  accompagné  que  de  cous- 
y>  tume.  »  Blessée  au  vif  par  ces  derniers  mots  qui  avaient  frappé 
juste,  la  reine  mère  répliqua  (2)  :  «  Que  le  prince  trouve- 
»  roit  le  roy  mieux  accompagné  que  luy,  et  que  ce  n'estoit 
y>  au  lieu  où  estoit  le  roy  son  maistre  où  il  falloit  venir 
»  fort.  )) 

Bientôt  la  cour  changea  de  tactique.  A  des  ordres  ailiers  et 
à  un  langage  d'intimidation,  qui  avaient  manqué  le  but,  succé- 
dèrent de  simples  invitations  au  départ,  formulées  avec  des 
ménagemens  apparents  et  de  fallacieuses  promesses.  «  Dépesche 
»  fut  promptement  faite  par  laquelle  le  roy  manda  (aux  deux 
y>  princes)  qu'ils  pourroient  aller  devers  luy  en  toute  sûreté 
))  et  s'en  retourner  quand  bon  leur  sembleroit,  les  assurant  en 
))  parole  de  roy,  qu'il  ne  seroit  attenté  en  leurs  personnes  en 
))  aucune  manière  ;  qu'il  entendroit  paisiblement  leurs  remon- 
»  Irances  et  justifications  sans  qu'ils  entrassent  en  prison,  ou 
))  qu'on  leur  fit  procès  ;  et  que  seulement  il  voulait  avoir  res- 
y>  ponce  de  la  bouche  (d'Antoine  de  Bourbon)  sur  les  points  dont 
»  on  chargeoit  ledit  seigneur  prince  (de  Condé),  et  qu'il  ne 
))  ie  pouvoit  aucunement  croire  :  bref,  qu'ils  seroient  recueillis 
»  selon  leur  estât  et  dignité,  voire  qu'on  leur  bailleroit  le  rang 
))  qui  leur  appartenoit  au  maniement  des  atïaires,  afin  d'avoir 
))  leur  conseil  et  avis  pour  rendre  toutes  choses  bien  policées. 
T)  Et  quant  à  la  religion  de  laquelle  ledit  sieur  prince  avoit  lait 
))  déclaration  et  protestation  publique,  il  ncvouloit  etn'entendoit 


(1)  Le  Pr.  do  La  Place,  Comment.,  p.  100.  —  L.  V.  de  La  Popeliiiière,  oiivr. 
cit.,  f"  207.  —  I)'.\ul)ign6,  Hist.  itniv.,  t.  I,  liv.  II,  cliap.  xviii. 

{"!)  Le  Pr.  de  La  Place,  Comment.,  p.  106.  —  L.  V.  de  La  Popeliuière,  ouvr. 
cit.,  f>  207. 


—  70  — 
i>  que  pour  raison  de  ce  il  en  fust  aucunement  troublé  ni  in- 
»  quiété  (I).  » 

Les  assurances  contenues  dans  cette  dépêche  étaient  dé- 
menties par  les  mesures  que  la  cour  avait  déjà  prises,  telles 
notamment  que  la  concentration  de  forces  militaires  autour  de 
la  personne  de  François  II,  que  la  demande  de  troupes  adressée 
au  roi  d'Espagne  et  que  l'envoi  en  mission  extraordinaire  de 
divers  chefs  dévoués,  pour  contenir  les  provinces,  de  concert  avec 
les  gouverneurs  qui  y  commandaient.  Ces  mêmes  assurances 
étaient  également  démenties  par  les  termes  menaçants  de  la 
correspondance  du  souverain  avec  plusieurs  hauts  fonction- 
naires (2).  Le  docile  François  II  écrivait  à  l'un  d'eux,  sous  la 
pression  des  Guises  :  «  Je  me  délibère  m'acheminer  en  peu  de 
»  jours  à  Orléans  oiî  je  veux  faire  l'amas  de  mes  forces,  y  faisant 
»  dès  ceste  heure  marcher  de  tous  costés  un  grand  nombre  de 
))  gendarmerie  avecques  une  bonne  troupe  de  gens  de  pied,  de 
»  façon  que  j'espère,  avec  l'ayde  de  Dieu,  s'il  y  en  a  de  si  fols 
))  de  me  mesconnoistre,  de  leur  faire  sentir  à  bon  escient  que  je 
»  suis  roy  qui  me  sais  bien  faire  obéir  (3).  » 

La  trame  ourdie  contre  Louis  et  Antoine  de  Bourbon  n'avait 
})as  échappé  à  la  pénétration  d'un  homme  d'État  distingué,  ]\Ia- 
rillac,  archevéfiue  de  Vienne,  qui,  rappelant  à  Jacqueline  de 
Longwic,  duchesse  de  Montpensier,  dont  il  possédait  toute  la 
confiance,  la  promesse  qu'elle  lui  avait  faite  naguère  de  s'opposer 
en  temps  opportun,  aux  desseins  des  Guises,  lui  signala  (4)  les 
mesures  à  prendre  pour  détourner  le  coup  que  voulaient  frapper 
les  ennemis  de  la  France  et  des  princes  du  sang.  Il  lui  conseilla 

(i)  ï\.  de  La  Planche,  ouvr.  cit.,  p.  5"J!),  GOO. 

(2)  Ordre  du  roi  à  de  Buric,  commandant  en  Guyenne,  de  septembre  1560 
(Nrfiocidlions  sous  Fr<inçois  If,  p.  578,  579,  5S0).  —  Lettres  de  François  II  à 
révè(|ue  de  Limoges,  du  5  octobre  15(10  {IbiiL,  p.  010),  et  au  maréclial  de 
Termes,  du  G  octobre  1500  (Ilnd.,  p.  Gi2). 

(3)  Lettre  du  6  octobre  15G0à  de  Termes  (i\V<7.,  p.  042). 

(4)  De  Thou,  Hist.  vniv.,  t.  II,  p.  82i,  825.  —  Le  président  de  La  Place, 
Comment.,  p.   100,  110,  111. 


—  71  — 
entre  autres  choses  d'engager  le  duc  de  Bouillon,  son  gendre,  à 
recevoir  les  enfants  de  Condé  dans  Sedan  et  Jametz  et  à  con- 
sentir qu'on  enfermât  dans  ces  places  les  enfants  ou  les  frères 
du  duc  de  Guise,  si  l'on  réussissait  à  les  prendre,  parce  que 
leur  vie  répondrait  de  celle  des  Bourbons. 

Tandis  que  la  duchesse  de  Montpensier  mettait  à  exécution  le 
conseil  de  Marillac  en  envoyant  un  messager  éprouvé  au  duc 
de  Bouillon  et  aux  princes  protestants  de  l'Allemagne  pour 
gagner  leur  concours  à  la  cause  des  princes  du  sang,  que  faisait 
une  autre  femme  avec  laquelle  la  duchesse  soutenait  de  fréquents 
rapports  et  à  laquelle  elle  avait  le  singulier  courage  d'adresser 
de  fortes  représentations,  trop  rarement  écoutées?  Non  moins 
dissimulée  que  Jacqueline  de  Longwic  était  franche,  Catherine 
de  Médicis,  car  c'est  d'elle  qu'il  s'agit,  engageait,  ainsi  que  le 
rapporte  Tavannes  (i),  la  princesse  de  Condé  à  recommander  à 
Louis  et  à  Antoine  de  Bourbon  de  ne  pas  quitter  le  Béarn.  Mais 
Catherine,  alors  môme  qu'elle  prétendait  accomplir  quelque  bon 
office,  ne  pouvait  presque  jamais  s'affranchir  d'une  obliquité  de 
procédés  qui  lui  faisait  manquer  le  but  à  atteindre.  La  preuve 
en  est  dans  le  récit  de  Tavannes  lui-même.  «  La  reyne  mère, 
))  dit-il  (2),  escrivit  au  roy  de  Navarre  qu'il  vînt,  y  estant  à  demy 
y>  forcée  pour  plaire  à  messieurs  de  Guise;  et  craignant  d'estre 
))  découverte,  sans  escrire,  faisoit  entendre  secrètement  à  la 
»  princesse  de  Condé  quec'estoit  la  mort  de  son  mary  s'il  venait 
y>  à  la  cour.  Le  roy  de  Navarre  et  le  prince  de  Condé  adjoustent 
y>  foy  aux  escrits  de  la  main  de  la  reyne,  non  aux  advertisse- 
y>  ments  secrets  qu'elle  donnoit  au  contraire,  les  croyant  pro- 
))  céder  de  la  crainte  de  la  princesse  de  Condé,  et  d'autant  plus 
»  que  leurs  serviteurs  dépendans  du  roy  et  de  messieurs  de 
»  Guyse,  estans  avec  eux,  leur  il\isoient  passer  par-dessus  tous 
»  advis  et  difficultez  préoccupant  leurs  esprits.  » 

(1)  Mém.  de  Tavannes,  chap.  xvi. 

(2)  Mém.   de  Tavannes,  chap.  xvi. 


On  se  représentera  aisément  les  vives  supplications  que,  du 
fond  de  sa  solitude,  Éléonore  de  Uoye  adressa  à  son  mari  et  à 
son  beau-frère  pour  les  détourner  de  toute  idée  de  départ.  D'elle 
seule  venait  la  vérité;  elle  seule  méritait  d'être  crue.  Jeanne 
d'Albret  pour  sa  part  le  savait;  aussi  avait-elle  joint  ses  ardentes 
instances  à  celles  de  sa  belle-sœur,  de  cette  amie  fidèle,  dont  elle 
connaissait  si  bien  le  noble  cœur  et  la  rare  intelligence;  mais, 
hélas!  accordant  alors  plus  de  confiance  à  la  servilc  parole  d'un 
fantôme  de  roi  et  à  l'invitation  décevante  de  sa  mère  qu'au  sin- 
cère et  énergique  langage  de  deux  femmes  aimantes,  judicieuses 
et  dévouées,  Condé  et  le  roi  de  Navarre  se  décidèrent  à  cjuitter 
Nérac  et  à  s'acheminer  vers  Orléans. 

On  se  méprenait  tellement,  à  la  cour,  sur  la  sincérité  de 
leurs  intentions,  ils  y  étaient  si  constamment  desservis,  la  haine 
de  leurs  adversaires  était  si  profonde,  que  les  Guises,  à  la 
première  nouvelle  de  leur  départ  du  Béarn,  firent  insérer  dans 
une  dépêche  royale  du  5  octobre  1560  (1)  les  lignes  suivantes  : 
((  J'ay  eu  depuis  deux  jours  advertissement  qu'au  lieu  de  me 
»  venir  trouver  en  humilité  comme  ils  debvoient  (le  roi  de  Na- 
^  varre  et  le  prince  de  Condé)  se  préparoient,  poursuivant  la  pre- 
))  mière  délibération,  exécuter  leur  entreprinse.  Quoy  voyant, 
))  par  l'advis  de  tant  de  bons  et  affectionnés  serviteurs  que 
»  j'ay,  je  me  suis  résollu  de  prévenir  et  avec  toutes  les  forces 
»  que  j'ay  assemblées  et  que  je  foits  encore  assembler,  marcher 
»  au-devant  de  luy  (le  roy  de  Navarre)  jusques  à  Orléans,  pour 
»  s'il  vient  comme  subject  doibt  venir  à  son  prince,  le  recevoir 
•))  et  luy  faire  bonne  chère;  sinon. luy  courre  sus  et  luy  faire 
y>  sentir  que  je  suis  roy,  qui  ay  puissance  et  moyen  de  me  faire 
»  obéyr  et  chastier  ceulx  de  mes  subjectz  qui  seront  si  témé- 
))  raires  de  me  dényer  l'obéissance.  Je  ne  scay  si  ce  qu'on  dit 
»  est  vray,  pour  le  moins  y  veulx-je  pourveoir  en  tout  événe- 

(1)  Négociations  sous  François  II,  p.  GIO. 


■ —   i.J  — 

»  ment,  et  de  façon  qu'il  ne  m'en  puisse  advenir  inconvé- 
y>  nient,  d 

Partis  du  Béarn,  à  la  fin  du  mois  de  septembre,  les  deux 
frères,  lors  de  leur  passage  àVerteuil  en  Angoumois,  principale 
résidence  des  seigneurs  de  Larochefoucault,  y  furent  abordés  par 
un  ageiit  secret  de  la  cour,  le  cardinal  d'Armagnac.  Protestant 
de  son  dévouement  à  leurs  personnes,  il  les  circonvint  par  de 
perfides  conseils,  par  l'assurance  de  l'accueil  favorable  qu'ils 
recevraient  à  leur  arrivée,  et  les  engagea  à  accélérer  leur 
marche. 

En  entrant  à  Limoges,  ils  y  rencontrèrent  un  grand  nombre 
de  seigneurs  et  de  gentilshommes  qui  les  pressèrent  de  se  mettre 
à  leur  tête  et  leur  promirent  le  concours  d'une  foule  d'adhérents 
prêts  à  se  lever  et  à  agir  dans  diverses  provinces. 

En  même  temps  arrivait  à  Limoges  un  homme  de  confiance, 
porteur  d'une  lettre  adressée  en  toute  hâte  par  Éléonore  de 
Pioye  à  Louis  de  Bourbon.  La  princesse  (1)  «  advertissoit  son 
))  mary  du  complot  pris  et  arresté  entre  ceux  de  Guise,  d'exter- 
))  miner  tout  le  sang  royal  :  ce  qu'elle  avoit  entendu  de  si  bon 
))  lieu  qu'elle  n'en  pouvoit  nullement  douter  :  partant,  elle  le 
»  supplioit  très-humblement  de  n'avoir  le  cœur  si  lasche  que 
»  de  s'aller  jetter  en  leurs  filets,  quelques  belles  promesses 
»  qu'il  eust  du  roy.  Que  si  elle  estoit  homme  et  en  son  lieu, 
»  elle  aimeroit  mieux  mourir  en  combattant  l'espée  au  poing 
»  pour  une  si  juste  querelle,  que  de  monter  sur  un  eschatfaul, 
»  pour  tendre  le  col  à  un  bourreau  sans  l'avoir  mérité,  comme 
))  il  en  estoit  menacé.  D'autre  costé,  elle  s'assuroit  tant  de  sa 
))  bonne  cause  et  querelle,  qu'elle  trouveroit  bonne  l roulée  de 
y>  gentilshommes  qui  l'accompagneroyent  de  leurs  vies,  el  pren- 
))  droient  tous  ensemble  une  fin  heureuse  avec  une  perpétuelle 
»  louange  d'estre  morts  pour  la  sauveté  du  roy  et  du  royaume, 

(l)R.'de  La  Planche,  ouvr.  cit.,  p.  008,  60!).  --  Casteliiau,  Mni.,  iii-f ,  l.  I. 
p.  ol. 


—  74  - 
»  à  Texemple  des  grands  personnages  qui  avoient  pour  moindre 
»  occasion  rendu  leur  nom  immortel.  Et  que  si  ainsi  advenoit, 
»  elle  Taccompagneroit  bienlost  au  tombeau;  mais  ce  seroitavec 
»  plus  d'heur  et  contentement  que  si  elle  eust  possédé  tous  les 
»  biens,  honneurs  et  richesses  du  monde.  » 

Loin  de  se  rendre  à  l'évidence  qui  éclatait  dans  l'admirable 
langage  de  sa  femme,  Gondé  hésitait  encore  :  la  princesse  l'ap- 
prit et  aussitôt  courut  à  sa  rencontre,  le  vit,  lui  retraça  en  termes 
saisissants  le  péril  au  devant  duquel  il  se  jetait,  tète  baissée, 
lui  montra  la  droite  voie  à  suivre,  et  l'adjura  au  nom  du  devoir 
et  de  l'honneur,  d'écouter  enfin  ses  conseils  ;  vains  efforts,  vaines 
supplications  :  elle  ne  put  arracher  le  prince  à  son  aveuglement 
et  force  lui  fut,  hélas!  «  de  s'en  aller  esplorée  comme  elle  estoit 
))  venue  (i).  ï 

A  Limoges,  Louis  et  Antoine  de  Bourbon  s'étaient  séparés 
des  seigneurs  et  des  gentilshommes  dont  ils  avaient  refusé  les 
offres  de  service.  Accompagnés  seulement  de  quelques  per- 
sonnes dévouées,  ils  continuèrent  leur  route  n'avançant  qu'à 
petites  journées,  et  étant  depuis  Poitiers  suivis  à  distance  par 
une  force  armée  chargée  de  les  observer  et  de  leur  couper,  au 
besoin,  toute  retraite.  «  Plus  alloyent-ils  avant,  tant  plus  avoyent- 
»  ils  d'advertissemens  de  se  retirer  secrètement  suyvant  ce  qu'ils 
»  ont  bien  reconnu  depuis  leur  avoir  esté  prédit,  qu'autant  de 
»  pas  qu'ils  faisoient  vers  la  cour,  autant  approchoyent-ils,  et 
))  tout  Testât  du  royaume,  de  la  mort,  si  Dieu  n'y  remédioit 
»  extraordinairement  :  à  quoy  ils  ne  vouloyent  nullement  en- 
y>  tendre,  se  remettans  et  leur  affaire  du  tout  en  Dieu,  duquel 
•9  ils  attendoient  tout  secours  et  défense,  et  enceste  confiance  et 
i)  de  leur  innocence  se  recommandoyent  aux  prières  des  églises 
y>  réformées,  faisans  venir  à  eux  tous  les  ministres,  diacres, 
y>  et  surveillans  par  où  ils  passoyent  pour  les  consoler  :  chose 

(1)  U.  de  La  Planche,  ouvr.  cil.,  p.  GOO.  —  Caslelnau,  Mém.,  t.  1,  p.  51. 
—  Hist.  de  cinq  rois,  p.  109. 


—  75  — 
»  notable  pour  cela  qui  s'en  ensuyvit,  combien  qu'il  ne  tinst 
»  aux  princes  qu'ils  ne  se  perdissent  entièrement.  Yoylà  comme 
»  ils  arrivèrent  à  Orléans  avec  leur  petit  train  qui  fut  la  veille 
j)  de  Toussains,  dernier  d'octobre  (i).  » 

(1)  H.  de  La  Planche,  ouvr.  cit.,  p.  619. 


CHAPITRE  V 


L'aspect  d'Orléans,  à  la  fin  d'octobre  1560,  était  sinistre. 
François  II  y  avait  fait  son  entrée  le  18  du  même  mois,  moins 
en  monarque  qu'en  conquérant.  Les  Guises  avaient  concentré 
dans  l'enceinte  de  la  ville  toute  une  armée  également  menaçante 
pour  les  États  généraux  dont  la  session  devait  bientôt  s'ouvrir, 
et  pour  les  habitants,  surtout  pour  ceux  qui  professaient  la  reli- 
gion réformée.  On  se  préparait  à  sévir  contre  ces  derniers  avec 
une  rigueur  que  fit  bientôt  pressentir  le  rude  traitement  subi 
par  leur  coreligionnaire  et  protecteur  Groslot,  premier  magis- 
trat de  la  cité.  Dans  chaque  rue,  à  chaque  carrefour,  sur  chaque 
place,  était  établi  un  corps  de  garde.  Un  régime  de  compres- 
sion et  de  terreur  planait  sur  la  population. 

A  mesure  que  Condé  et  son  frère  s'étaient  approchés,  de 
nombreux  émissaires  des  Guises  (1),  sillonnant  la  route  pour 
retourner  en  toute  hâte  à  Orléans,  y  avaient  signalé  les  progrès 
de  la  marche  des  deux  voyageurs.  Avertie  de  leur  présence 
sous  les  murs  de  la  ville,  la  cour  éprouva  une  âpre  satisfaction 
à  l'idée  de  tenir  enfin  la  proie  qu'elle  convoitait  depuis  si  long- 
temps. 

Quel  accueil  que  celui  réservé  aux  deux  princes!  Du  portereau 

(I)  La  correspondance  des  Guises  témoigne  de  l'ardeur  avec  la(|ui'llt^  ils 
épiaient  la  marche  des  princes.  (Voir  leurs  lettres  des  15  et  !23  octobre  I .")()(). 
Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3157,  f»»  G-2  et  Ti.) 


—  77  — 

jusqu'au  logis  du  roi  sur  la  place  de  l'Étape  (1),  ils  sont  con- 
traints de  s'avancer  entre  deux  haies  d'hommes  d'armes  et  d'ar- 
chers, dont  ils  essuient  les  insultants  propos;  l'accès  de  la  demeure 
royale  par  la  grande  porte  d'entrée  leur  est  insolemment  refusé; 
ils  mettent  pied  à  terre,  se  résignent  à  pénétrer  par  une  porte 
basse,  et  se  présentent  dans  une  salle  où  se  tient  le  roi,  entouré 
des  Guises  et  de  toute  la  noblesse  de  cour.  Leur  attitude,  à  la  fois 
respectueuse  et  digne,  contraste  avec  la  réception  glaciale  qui 
leur  est  faite.  Le  roi  ne  tarde  pas  à  les  conduire  dans  la  chambre 
de  la  reine  mère.  Les  Guises  se  sont  prudemment  abstenus  d'y 
suivre  leur  neveu,  qu'ils  ont  d'ailleurs  muni  d'instructions  suf- 
fisantes pour  jouer  le  rôle  convenu  entre  eux  et  lui  (2).  A  la  vue 
des  princes,  Catherine  de  Médicis  verse  des  larmes  d'une  sincérité 
suspecte  (3).  Le  roi  déclare  alors  à  Condé  qu'il  l'a  fait  venir  pour 
savoir  de  lui  la  vérité  sur  les  actes  de  haute  trahison  qui  lui  sont 
imputés;  le  prince,  tète  levée,  repousse  en  termes  énergiques 
l'accusation  dont  il  est  l'objet,  n'y  voit  qu'une  odieuse  calomnie 
forgée  dans  l'ombre  par  les  Guises  qui  fuient  en  ce  moment  sa 
présence  et  il  déclare  qu'il  saura  bien  se  justifier  (4)  :  a.  La 
prison  d'abord,  la  justification  ensuite(5)  »,  réplique  François  IL 
Vainement  Antoine  de  Bourbon  conjure-t-il  le  roi  d'entendre 


(I)  «  Leroy  alla  loger  en  la  maison  dn  feu  chancelier  d'Alençon,  père  du 
»  baillif  (Groslot),  en  la  place  appelée  l'Estape.  »  (R.  de  La  Planche,  ouvr.  cit., 
p.  617.) 

(î2)  «  Le  cardinal  (de  Lorraine)  et  son  frère  se  servent  duroy  comme  d'un  per- 
»  sonnage  sur  un  escliafaud,  luy  faisant  faire,  dire  et  ordonner  tout  ce  que  bon 
»  leur  semble.  Or,  rien  ne  leur  semble  bon,  sinon  ce  qui  revient  à  leur  ambi- 
».  tion  et  profit  particulier.  »  {Juste  complainte  des  fidèles  de  France,  etc.,  etc. 
brochure  in-32.  Avignon,  1500,  p.  25). 

(3)  «  Larmes  de  crocodile»,  dit  R.  de  La  Planche  (ouvr.  cit.,  p.  G'21).  — Voir 
aussi  Appendice,  n"  15. 

(i)  Mem.  de  Condé,  t.  Il,  p.  378.  —  Castelnau,  Mrni.,  t.  I,  p.  5'2. 

(5)  d  Al  quai  el  rey  respondio  que  para  que  tand)ien  el  pudiese  justificarse, 
ï  avia  determinado  de  mandarle  tencr  preso.  »  (Pap.  de  Simancas,  série  B,  1.  Il, 
n»»  201  à  20-i.  Dépêche  de  Chanlonnay  à  Philippe  11  du  i  nov.  citée  dans  le 
Journal  des  savants,  ann.  1859,  p.  38.) 


—  78  — 
les  explications  que  son  frère  est  prêt  à  fournir,  et  de  le  laisser 
en  liberté,  ou  tout  au  moins  de  le  confier  à  sa  vigilance;  il  ré- 
pondra de  lui  sur  sa  propre  tête  :  le  royal  esclave  des  Guises  se 
tournant  alors  vers  deux  capitaines  des  gardes  que  ses  oncles 
ont  appostés  là,  leur  commande  de  s'emparer  du  prince.  Celui- 
ci,  sans  rien  perdre  de  sa  fermeté,  se  laisse  emmener  par  eux  en 
adressant  à  l'imprévoyant  et  crédule  cardinal  de  Bourbon  ces 
paroles  accablantes  mais  méritées  :  «  Monsieur,  avec  vos  asseu- 
))  rances,  vous  avez  livré  vostre  frère  à  la  mort  (i).  »  Le  malheu- 
reux prélat  éclate  en  sanglots  et  demeure  anéanti.  Bientôt 
Condé  est  incarcéré  (2)  dans  une  maison  voisine,  munie  de  fe- 
nêtres grillées.  Les  approches  en  sont  défendues  par  des  pièces 
d'artillerie  braquées  sur  trois  rues.  Ordre  est  donné  d'imposer 
au  prisonnier  une  captivité  des  plus  strictes,  et  de  ne  laisser 
con:imuniquer  avec  lui  qu'un  homme  de  service  (3). 

Quant  au  roi  de  Navarre,  s'il  n'est  pas,  comme  son  frère,  jeté 
en  prison,  il  n'obtient  d'autre  liberté  que  celle  d'aller  du  loge- 
ment qu'on  lui  assigne  à  l'habitation  du  roi.  A  peine  lui  reste-t-il 
quelques-uns  de  ses  serviteurs.  Il  doit  demeurer  jour  et  nuit 
sous  la  surveillance  de  gardes  et  d'espions  (4). 

(1)  Le  présiilent  de  La  Place,  Comment.,  p.  112. 

{"2)  «  Les  Huguenot/  hlasmeat  le  roy  François  H  d'avoir  fait  venir  le  prince 
y>  de  Condé  à  Orléans  et  puys  l'avoir  fuit  emprisonner.  Aucuns  disent  qu'il  est 
*  permis  au  roy  d'ainsi  fayre  à  l'endroyt  de  son  subject  qui  l'a  ofTensé,  et  que 
»  par  letres  douces  et  parolles  il  le  peut  appeler  à  soy  et  puys  le  chastier; 
))  d'autres  disent  (jne  cida  sent  son  Turc  qui  mande  à  ses  bâchas  et  capitaynes 
ï>  et  puys  cstans  venus  leur  fait  trancher  la  leste.  (Brantôme,  édit.  L.  Lai.,  t.  I, 

p.  m.) 

(3)  Le  président  de  La  Place,  Comment.,  p.  112.  —  R.  de  La  Planche,  ouvr. 
cit.,  p.  G22.  —  Désormeaux,  dans  son  Histoire  île  la  maison  de  Bonibon,  \)uh\'iéc 
on  1782,  dit  (t.  111,  P-  à'i^)  '•  «  I-^a  prison  dans  laquelle  fufcotuluit  le  prince 
»  était  une  maison  voisine  de  la  place  de  l'Etape....  Elle  existe  encore;  elle  est. 
D  située  dans  la  rue  des  Carmélites.  On  a  laissé  subsister  de  gros  barreaux  de 
»  fer  aux  fenêtres  de  la  chambre  où  couchait  le  pnnce.  » 

(i)  R.  de  La  Planche,  ouvr,  cit.,  p.  ()22,  623.  On  avoit  assigné  pour  demeure 
»  aujf.oi  de  Navarre  un  bôtel  situé  sur  la  place  de  l'Etape,  attenant  à  celui  où 
3>  éloit  logé  le  roy.  »  (Desormeaux,  ouvr.  cilét.,  III,  p.  iiO.) 


—  79  — 

Trente-six  heures  après  l'arrestation  de  Condé  a  lieu  celle  de 
sa  belle-mère  (1).  Carouges  et  Renouart,  gentilshommes  de  la 
cour,  «serviteurs  très-affectionnés  de  ceux  de  Guise  et  ayant  sin- 
»  gulier  plaisir  d'exécuter  leur  commandement  à  toute  rigueur  )) 
ont  fait  preuve  de  zèle  en  franchissant  une  grande  distance  avec 
une  célérité  telle  qu'ils  ont  pu  envahir  à  l'improviste  le  châ- 
teau d'Anisy,  en  Picardie,  qu'occupe  la  comtesse  de  Roye  (2). 
Là,  ((  sans  aucune  forme  ne  figure  de  justice  »,  ils  fouillent  sa 
demeure  de  fond  en  comble,  explorent  jusqu'aux  moindres  ob- 
jets qui  lui  appartiennent,  compulsent  ses  papiers,  s'en  saisis- 
sent et  l'arrachant  elle-même  brutalement  à  son  intérieur,  ils 
l'entraînent  jusqu'à  Saint-Germain-en-Laye,  où  ils  l'enfenncnt 
dans  le  château.  Ordre  est  donné  «  au  capitaine  dudit  château 
y>  de  l'y  recevoir  prisonnière  et  de  la  tenir  en  si  étroite  garde 
y)  que  nul  ne  parlera  à  elle,  fors  que  les  juges  que  le  roi  y  en- 
)■)  voyera  (3).  » 

Yoilà  comment  est  traitée  la  belle-mère  d'un  prince  du  sang, 
la  nièce  d'un  connétable,  la  sœur  des  Châtillon,  une  femme 
éminente  qui  a  prodigué  à  la  reine  mère  des  conseils  inspirés  par 
un  dévouement  éclairé  et  qui  a  plus  d'une  fois  reçu  d'elle  le  nom 
d'amie!  mais  qu'attendre  de  l'amitié  de  Catherine  de  Médicis, 
dominée  par  les  Guises?  ne  l'a-t-on  pas  vue  se  faire  un  grief 
contre  madame  de  Roye  de  ce  que,  peu  de  jours  avant  son  ar- 
restation, elle  lui  a  écrit  en  termes  pressants  pour  obtenir  un 
sauf-conduit  en  faveur  de  sa  fille  qui  désirait  se  portera  la  i-eii- 
contre  du  prince  de  Condé  (4)? 

(1)  Le  président  de  La  Place,  Comment.,  \).  ilo. —  l^a  Thou,  Ilist.  iiniv., 
t.  II,  p.  830  :  «  Madeleine  de  Mailly  de  Roye,  belle-nièi-e  du  prince  de  Condé, 
»  (était  une)  dame  d'un  génie  élevé  et  d'un  grand  courage.  Son  zèle  pour  les 
»  intérêts  de  son  gendre  l'avait  rendue  odieuse  aux  Guises  contre  qui  elle  se  dé- 
»  chaînait  sans  cesse  en  présence  de.  la  reine  mère  avec  trop  de  liberté.  » 

(2)  Voir  Appendice,  n"  16. 

(3)  R.  de  La  Planche,  ouvr.  cité,  1.  III,  p.  Cdï. 

(i)  On  lit  dans  une  lettre  adressée  d'Orléans,  le  10  novembre  1500,  au  sénat 
de  Venise  par  les  andjassadeurs  Gio-Micheli  el  .M.  Suriano  [Arcliices  gcnéralcs  de 


—  80  — 

Les  rigueurs  exercées  contre  madame  de  Roye  n'arrêtent  pas 
le  courage  d'une  femme  qui,  elle  du  moins,  est  sa  véritable  amie. 
Au  risque  de  se  voir,  à  son  tour,  traitée  comme  la  comtesse,  Jac- 
queline de  Longwic,  duchesse  de  Montpensier,  se  prévaut  de  la 
familiarité,  non  ébranlée  encore,  de  ses  relations  avec  Catherine 
de  Médicis  (1),  pour  plaider,  en  sa  présence,  la  cause  du  prince 
de  Condé,  de  sa  belle-mère  et  de  son  frère.  Elle  lui  conseille  de 
se  défier  de  la  puissance  des  Guises,  de  ne  pas  attendre  que  la 
mort  du  roi  de  Navarre  et  du  prince  l'ait  portée  au  comble,  et 
d'opposer  aux  Lorrains  factieux  la  noblesse  de  France  qui,  s'il 
le  faut,  prendra  contre  eux  les  armes  (2). 

Cependant  que  devient  Éléonore  de  Roye?  Les  douloureux 
pressentiments  qui  n'ont  cessé  d'agiter  son  Ame  ne  se  justifient 
que  Irop  tôt:  elle  apprend  à  La ' Ferté-sous-Jouarre  la  double 
arrestation  de  son  mari  et  de  sa  mère,  tombe  évanouie  (3),  et  ne 
se  relève  que  pour  éprouver  d'indicibles  angoisses,  qu'elle  par- 
vient à  surmonter,  grâce  à  son  énergie  morale.  Convaincue  que 
le  sort  du  prince  et  de  la  comtesse  doit  se  décider  à  Orléans, 
elle  prend  aussitôt  la  résolution  de  se  rendre  dans  cette  ville 
pour  tenter  de  les  sauver  tous  deux.  Elle  doit  s'arracher  aux  ca- 
resses et  aux  pleurs  de  ses  enfants  :  elle  les  serre  une  dernière 
fois  sur  son  cœur,  les  bénit  et  part. 

Venise,  Recueil  des  dépêches  dos  ambassadeurs,  Francia,  1 560-1562,  Senato  III, 
Sécréta)  :  «  E  stala  dapoi  ritenuta  di  ordino  de  S.  M.  inadammadi  Rogia,  madré 
»  délia  moglio  del  dello  principe  (de  Condé),  stimata  doiiiia  di  gran  spirito,  la 
»  quai  ardi  alli  di  passali  di  scriver  una  Ictlera  alla  regina  madré  dimaudaiidogli 
»  un  salvo-condoUo  per  la  deUa  sua  ligliuola,  per  condursi  al  marito  quando  era 
»  col  rc  di  Navarra,  laquai  liUera  fu  slimala  piena  d'arogantia,  et  non  senza 
î>  sospicione  chc  ella  havesse  intclligentia  et  participatione  dell'  imputatione  data 
»  al  dello  pi'incipe.  » 

(1)  llekil.  de  l'amb.  vénit.  J.  Michid,  ap.  Tommaseo,  t.  I,  p.  133  :  «  Le  duc 
»  de  Montpensier  ne  se  mêle  pas  desall'airej,  mais  en  revanche  sa  femme  le  fait 
»  bien  pour  lui.  Elle  est  gouvernante  et  pren)ière  dame  d'iionneur  de  la  reine, 
»  très-familière  avec  elle,  et  elle  en  obtient  tout  ce  qu'elle  veut.  » 

(2)  De  Tliou,  Ilist.  miiv.,  t.  11,  p.  832. 

(3)  Désornieaux,  ouvr.  cité,  t.  111,  |).  i5l. 


—  81  — 

Après  un  trajet  fatigant,  périlleux  même,  à  peine  a-t-elle  at- 
teint une  localité  de  la  Beauce,  sise  à  dix  lieues  en  deçà  d'Or- 
léans, qu'un  émissaire  de  la  cour  ce  lui  fait  défense  de  par  le  roy 
y>  de  passer  outre,  sur  peine  de  rébellion  et  d'estre  atteinte  et 
»  convaincue  de  crime  de  lèze-majesté  »  (1).  Ainsi  contrainte 
de  s'ari'êter,  sans  toutefois  reculer  devant  la  menace,  elle 
adresse  à  Catherine  de  Médicis  des  réclamations  énergiques  et 
réitérées.  L'attente,  avec  ses  anxiétés  si  cruelles,  ne  la  trouble 
point,  car  elle  sait  «  posséder  son  âme  par  la  patience  »  {%.  Une 
lettre  de  la  reine  mère  l'autorise  enfin  ce  à  venir  à  petite  com- 
»  pagnie  solliciter  lesafïliires  de  son  mari,  ce  qu'elle  fait.  Estant 
»  donc  arrivée  à  Orléans,  elle  recourt  à  tous  ceux  qu'elle  estime 
»  amis  :  mais  on  en  fait  moins  de  conte  que  de  la  moindre  da- 
»  moisellede  France.  Le  roy  de  Navarre  mesmes  n'ose  parler 
))  à  elle,  pour  crainte  qu'il  a  de  soy  mesmes.  Bref,  il  ne  se  pré- 
))  sente  ni  courtisan,  ni  citadin  si  hardy  de  la  saluer  seulement, 
)^  soit  en  public  ou  privé,  tant  elle  est  de  près  observée  (8).  » 

Abandonnée  de  tous,  va-t-elle  faiblir  sous  le  poids  de  son  iso- 
lement? Non,  car  elle  porte  en  elle  un  cœur  chrétien  que  sou- 
tiennent ces  divines  paroles  :  «  Invoque-moi,  au  jour  de  la  dé- 
))  tresse,  et  je  te  soulagerai  »  (4).  Le  Dieu  des  miséricordes  a 
entendu  sa  prière  et  l'assiste.  Aussi  demeure-t-elle  inébranlable, 
plus  résolue  que  jamais  à  parler,  à  agir  et  à  affronter  tous  les 
obstacles. 

L'accès  de  la  prison  dans  laquelle  est  confiné  le  prince  lui 
reste  interdit;  elle  ne  peut,  quant  à  présent,  ni  lui  écrire,  ni 
recevoir  de  lui  une  seule  ligne.  Elle  sait  seulement  que,  dépourvu 
de  tout  conseil,  de  toute  assistance,  il  s'est  trouvé  aux  prises 
iivec  divers  personnages,  chargés,  les  uns  de  le  circonvenir  par 


(1)  R.  (le  La  Planche,  ouvr.  cité,  p.  697. 

C2)  Luc,  XXI,  1!). 

(3)  R.  de  La  Planche,  ouvr.  cité,  p.  098.  —  Castelnau,  Mcin.,  t.  I,  p.  5" 

(i)  Ps.  L,  15. 

6 


—  8-2  — 

leurs  propos  captieux,  les  autres  de  lui  faire  subir  un  ou  plusieurs 
interrogatoires.  Mais  qu'ont  dit  ces  personnages?  qu'ont-ils  fait? 
qu'a  dit  et  fait  le  prince  lui-même?  Elle  l'ignore. 

Il  est  sans  défenseurs  :  il  faut  donc  lui  assurer  immédiatement 
une  défense.  Les  circonstances  sont  telles  qu'il  ne  lui  est  pas 
permis  de  choisir  un  avocat  pour  assister  son  mari;  elle  se  sou- 
.met  dès  lors  à  l'obligation  de  présenter  au  roi  une  requête  ten- 
dant à  obtenir  de  lui  une  nomination  d'office.  Le  roi  désigne 
Anne  de  Terrières,  seigneur  de  Chappes,  Pierre  Robert,  Fran- 
çois de  Marillac  et  Claude  Mangot,  avocats  au  parlement  de 
Paris.  De  Terrières  et  Mangot  étant  absents  de  la  capitale,  Ro- 
bert et  Marillac  viennent  seuls  à  Orléans. 

Leur  présence  dans  celte  ville  est  déjà  pour  la  princesse  un 
premier  soulagement.  Elle  en  éprouve  un  autre,  à  l'ouïe  de  la 
récente  arrivée  à  la  cour  d'une  femme  vénérable  sur  le  caractère 
et  la  sympathie  de  laquelle  elle  peut  compter;  car  elle  sait  que 
dès  son  entrée  à  Orléans,  le  7  novembre,  Renée  de  France,  du- 
chesse de  Ferrare,  émue  des  scènes  dont  elle  a  été  témoin,  en 
dépit  des  hommages  qu'on  lui  prodigue  (1),  s'est  fait  un  devoir 
de  reprocher  fortement  au  duc  de  Guise,  son  gendre,  l'incarcé- 
ration de  Gondé,  et  lui  a  dit  «  que  si  elle  eût  été  là,  elle  l'eust 
»  empêchée  ;  que  cette  pltiye  saigneroit  longtemps  après,  d'au- 
))  tant  que  jamais  homme  ne  s'estoit  attaqué  au  sang  de  France, 
»  qu'il  ne  s'en  fust  trouvé  mal  (2).  »  Gettevoix  courageuse  sera- 
t-elle  entendue? 

Étendant  au  loin  ses  généreux  efforts,  Éléonore  de  Roye 
cherche  à  obtenir  pour  son  mari  et  sa  mère  des  appuis  à  la  fois 

(1)  Les  ambassadeurs  vénitiens  Gio.  Micheli  et  31.  Surian  écrivaient  d'Orléans, 
le  10  novembre  1500  :  «  Entre  gia  terzo  giorno  in  questa  citlà  la  dnchossa  (H  Fer- 
î  rara  incontrata  con  molto  bonore  non  sol  da  lutta  lacorte,  ma  da  Sua  Majesta 
»  medesima  useita  piu  d'un  grosso  miglio  per  riceverla,  et  è  allogiata  in  pa- 
»  lazzo  e  riconosciuta  c  trattata  corne  figliuola  di  re.  » 

(2)  Le  président  de  La  Place,  Comment.,  f"  113.  —  R.  de  La  Planclie,  ouvr. 
cité,  p.  025. 


—  83  — 
religieux  et  politiques,  hors  de  la  France,  en  s'adressant  direc- 
ment  à  l'électeur  palatin  Frédéric  III  (I),et,  par  l'intermédiaire 
de  ce  prince,  sincère  ami  des  protestants  français,  à  Elisabeth, 
reine  d'Angleterre,  qui  annonce  des  intentions  bienveillantes  à 
leur  égard  (2). 

Quelle  était  en  ce  moment  la  situation  du  prince  de  Gondé, 
au  point  de  vue  judiciaire? 

Les  Guises  avaient  la  prétention  de  le  faire  condamner  comme 
coupable  de  lèse-majesté  divine  et  humaine,  en  d'autres  termes, 
au  double  titre  d'hérétique  et  de  criminel  d'État.  Pour  ouvrir  la 
voie  à  une  accusation  d'hérésie,  ils  n'imaginèrent  rien  de  mieux, 
dès  qu'il  fut  en  prison,  que  de  lui  envoyer  un  prêtre,  qui,  péné- 
trant dans  sa  chambre,  lui  déclara  qu'il  venait,  par  ordre  du 
roi,  célébrer  la  messe  devant  lui.  Le  prince  réconduisit,  en  ré- 
pondant qu'il  s'était  rendu  à  Orléans,  non  pour  y  entendre  la 
messe,  à  laquelle  il  avait  depuis  longtemps  renoncé,  mais  pour 
se  laver  de  l'outrage  d'une  injuste  accusation  (3). 

Battus  de  ce  côté,  les  Guises  se  retournèrent  d'un  autre.  Con- 
naissant l'indomptable  fermeté  de  leur  prisonnier,  et  alarmés  de 
la  persistance  avec  laquelle  il  flétrissait  en  termes  non  équivoques 
leur  conduite,  ils  tentèrent  d'acheter  son  silence,  au  prix  d'a- 
vances captieuses  qu'ils  lui  firent  faire  par  un  de  leurs  agents,  pour 
arriver  à  une  sorte  de  réconciliation.  Le  prince  renvoya  cet  agent 
en  lui  enjoignant  de  dire  à  ses  maîtres  (4)  :  ce  Qu'il  avoit  reçu 
»  tant  d'outrages,  qu'il  ne  restoit  autre  voye  d'accord,  sinon  de 

(1)  Frédéric  III  écrivait  le  8  décembre  loGO  à  Jean-Frédéric  :  «  J'ai  reçu  hier 
»  la  visite  d'un  secrétaire  que  la  princesse  de  Condé  a  dépêché  vers  moi  en  toute 
»  hàle.  Elle  me  témoigne  la  plus  entière  confiance,  et  ne  doute  pas  que  j'inler- 
»  cède  en  faveur  de  son  mari  pour  tenter  d'obtenir  sa  mise  en  liberté.  >  {\.  Kluc- 
khohn,  Briefe  Friedricli  des  Frommen,  Kurlûrsten  von  der  Pfalz,  erster.Dand, 
p.  153,  n"  m.) 

(2)  Calendars  uf  State  papers,  {ovci'j;n  séries,  vol.  1  ôtiO- i 50 1 ,  p.  \'2\).  Frédéric, 
Count  Palatine  of  tlie  Ilhin,  to  tlio  Oiieen,  7  décember  lôtiO. 

(3)  Castelnau,  Mém.,  1.  I,  p.  ô;),  —  U.  de  La  Planche,  ouvr.  cilé,  p.  688. 

(l)  Castelnau,  Mém.,  t.  I,  p.  5i. —  II.  de  La  Planche,  ouvr.  cité,  p.  G!)l,6'.i-J. 


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»  vuidcr  leurs  querelles  à  la  pointe  de  la  lance  et  de  l'espée  :  et 
3)  combien  qu'il  l'ust  enserré  en  leurs  liens,  et  qu'il  semblast  en 
jD  apparence  n'en  devoir  jamais  sortir  sans  recevoir  une  mort 
:d  ignominieuse,  si  est-ce  qu'il  espéroit  tant  de  la  bonté  et  misé- 
»  ricorde  de  Dieu,  qu'il  le.ur  feroit  réparer  l'injure  par  eux  faite  à 
»  un  prince  du  sang,  lequel  estant  venu  au  mandement  et  sous  la 
y>  parole  et  assurance  du  roy,  avoit  esté  si  honteusement  empri- 
3)  sonné  à  leur  pourchas  et  solicitation,  afin  de  commencer  en 
y>  luy  à  esteindre  le  sang  royal;  mais  que  cela  n'aviendroit  point 
y>  qu'il  ne  les  eust  fait  conoistre  coupables  des  crimes  à  luy  par 
))  eux  imposez  et  que  le  roy  n'avoit  de  si  grands  ennemis  que  la 
»  maison  de  Lorraine.  )) 

Une  dernière  voie  restait  ouverte,  celle  de  la  violence  déguisée 
sous  de  fausses  apparences  judiciaires  :  les  implacables  ennemis 
du  prisonnier  y  poussèrent  aussitôt  quelques-unes  de  leurs  créa- 
tures. Là  où  la  plus  élevée  des  juridictions  régulières  eut  seule  été 
compétente  pour  informer  et  statuer,  ils  firent  arbitrairement 
intervenir  une  juridiction  d'exception,  en  érigeant  en  commis- 
saires instructeurs  le  président  Christophe  de  Thou,  Barthélémy 
Faye  et  Jacques  Yiole,  conseillers,  auxquels  ils  adjoignirent 
Bourdin,  procureur-général,  et  Duliilct,  greffier. 

Chargés  de  procéder  à  l'interrogatoire  de  Condé,  ces  divers 
personnages  se  rendirent  dans  sa  prison.  Le  prince,  interpellant 
de  Thou  personnellement,  lui  fit  sentir  combien  il  trouvait 
étrange  qu'un  homme  tel  que  lui,  affidé  des  Guises,  osât  venir 
l'interroger,  alors  «  qu'il  devoit,  plus  que  tous  les  bonnets  ronds 
»  du  royaume,  s'abstenir  de  ce  négoce  »  (i).  Il  ajouta,  en  s'adres- 
sant  aux  autres  commissaires,  qu'il  refusait  de  répondre,  «  parce 
j)  qu'il  n'avoit  d'autres  juges  que  le  roy,  accompagne  de  ses 
))  princes,  séant  en  la  coin-  du  parlement  de  Paris,  les  cham- 
)>  bres  assemblées  »  (2).  Les  assistants  voulant  passer  outre,  il 

(  I)  II.  cIo  L;i  l'Iaiiclio,  ouvr.  cité,  p.  (VX). 

("2)Caslcliiaii  {Ment.,  t.  I,  \).  o."),  5(1)  drinonti-e  iH'rcmi»loironient  la  justesse  de 


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interjeta  d'abord  «un  appel  de  son  emprisonnement  devant  le 
»  roy  séant  en  sa  cour  de  parlement,  suffisamment  garnie  de 
))  pairs  de  France  »,  seule  juridiction  compétente.  Dès  le  lende- 
main, le  conseil  privé,  transformé,  pour  la  circonstance,  en  tri- 
bunal supérieur,  au  mépris  des  attributions  souveraines  du  roi, 
des  pairs  et  du  parlement,  réunis,  déclara  l'appel  non  recevable, 
sans  avoir  d'ailleurs  entendu  ni  même  cité  devant  lui  le  prince. 
Condé  attaqua,  comme  entachée  d'un  excès  de  pouvoir  flagrant, 
la  décision  qui  venait  de  repousser  son  appel;  sa  réclamation 
fut  écartée,  et  injonction  lui-  fut  faite  de  répondre  aux:  com- 
missaires. Ces  derniers  retournèrent  près  de  lui.  Dédaignant 
de  satisfaire  à  une  seule  de  leurs  questions,  il  protesta  contre 
leur  présence,  et  par  un  nouvel  appel  interjeté,  déclara  persévé^ 
rer  dans  l'appel  précédent.  Le  conseil  privé  rejeta  le  second  appel  ; 
toujours  sans  avoir  entendu  le  prince.  Chaque  fois  que  les  com- 
missaires revinrent  à  la  charge,  Condé  formula  un  nouvel  appel, 
que  le  conseil  privé  se  garda  bien  d'accueillir.  Une  dernière  dé- 
cision de  ce  conseil  ordonna  au  prince  de  répondre  enfin  aux 
commissaires,  sous  peine,  cette  fois,  en  cas  de  refus,  d'être  ré- 
puté atteint  et  convaincu  du  crime  de  lèse-majesté;  elle  pres- 
crivit en  outre  le  recollement  et  la  confrontation  des  témoins. 

Tel  était  l'état  des  choses  au  moment  de  l'arrivée  de  Robert 
et  de  Marillac  à  Orléans. 

Les  deux  défenseurs  délibèrent  entre  eux  sur  ce  que  requiert 
désormais  une  situation  que  la  fermeté  et  la  judicieuse  résistance 
du  prince  ont,  à  elles  seules,  maintenue  jusqu'à  présent,  mais  qui 
n'en  demeure  pas  moins  périlleuse.  Ils  demandent  en  premier 
lieu,  communication  du  procès-verbal  relatant  les  opérations  des 
commissaires,  leurs  paroles  et  celles  du  prince  :  une  communi- 
cation proprement  dite  de  cet  acte   leur  est  refusée;  il  leur 

cette  opinion  du  prince.  —  Voir  aussi  Le  Laboureur,  addit.  aux  Mem.  de  Cas- 
telnau,  t.  I,  p.  518  à  5^20,  et  B.  de  La  Iloclienaviii.  lès  Parlements  de  France, 
lu-f»  1617,  liv.  XIII,  ch.  xviii,  p,  71 '2. 


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en  est  simplement  donné  lecture  parDutillet,  en  présence  des 
commissaires  et  du  procureur  général. 

Robert  et  Marillac  demandent,  en  second  lieu,  permission  de 
conférer  avec  le  prince  :  d'incroyables  difficultés  s'élèvent,  et 
l'on  méconnaît  à  tel  point  vis-à-vis  d'eux  les  droits  sacrés  de  la 
défense,  qu'on  va  jusqu'à  «  limiter  les  propos  dont  ils  useront 
5)  envers  leur  client  )>  et  ordonner  que  «  Robertet,  secrétaire 
»  d'Etat,  et  le  greffier  Dutillet  seront  présents  à  leur  communi- 
5)  cation  »  avec  Condé. 

Ce  n'est  pas  tout  encore,  en  fait  de  questions  préliminaires  à 
résoudre.  La  preuve  en  est,  dans  les  paroles  suivantes,  emprun- 
tées au  récit  d'un  contemporain  (1)  :  «  Les  advocats  allèrent  faire 
))  la  révérence  à  monsieur  le  prince,  lequel  déclara  qu'encore 
3)  qu'il  cogneust  Robert  (5),  pour  avoir  esté  à  son  conseil  de 
))  long  temps,  et  qu'il  s'assurast  bien  de  Marillac,  pour  la  bonne 
»  opinion  qu'il  avoit  de  lui  (3),  toutesfois  il  supplioit  le  roy  de 
))  permettre  de  prendre  plus  grande  assurance  d'eux  par  le 
y>  moyen  du  roy  de  Navarre,  le  cardinal  de  Rourbon,  ses  frères, 
»  et  de  madame  la  princesse,  sa  femme  ;  et  pour  cest  effect,  luy 
»  permettre  de  communiquer  avec  eux,  en  telle  compagnie  et 
))  en  telle  distance  qu'il  plairoit  à  Sa  Majesté  adviser  :  ce  qu'il  re- 
3>  quéroit  principalement  pour  l'obéissance  qu'il  vouloit  garder 
»  au  roy  de  Navarre,  sans  lequel  il  ne  vouloit  rien  faire.  —  Sur 
))  ces  propos,  la  compagnie  se  départit.  Et  après  que  Robertet 

(1)  Mém.  (le  Condé,  t.  II,  p.  381,  38-2.  —  Le  président  de  La  Place,  Com- 
ment., i"^  i[^,  116. 

(2)  «  M.  Pierre  Robert  estoit  homme  d'une  belle  présence,  voix  et  action,  di- 
»  soit  assez  iieureusement,  et  se    faisoit  plus  estimer  par  son  sens  naturel  que 

»  par  son  estude  et    son  travail S'estant  fait  de  la  religion  prétendue  ré- 

»  formée,  il  fut  employé  par  M.  le  prince  de  Condé  au  faict  de  la  déclaration 
».de  son  innocence,  depuis  lequel  temps  il  lut  toujours  recluM-clié  par  ceux  de 
»  cette  religion,  ce  qui  lui  cousta  la  vie,  car  il  fut  tué  le  jour  de  la  Sainct- 
>  Barthélémy.  »  (Loisel,  Dialogue  dea  avocats,  1832,  t.  I,  p.  2-20.) 

(3)  «  On  faisoit  plus  d'estime  de  François  de  Marillac,  auvergnat  (que  d'autres 
»  avocats)  en  ce  qu'il  estoit  fort  en  la  répli([ue  ;  mais  il  fut  ravi  au  milieu  de  son 
*  aage.  »  (Loisel,  Dialogue  des  avocats,  t.  1,  p.  321.) 


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»  et  Diitillet  eurent  récité  au  roy  la  requeste  que  lui  faisoit  mon- 
y>  sieur  le  prince,  la  communication  qu'il  requéroit  luy  estre  oc- 
»  troyée  avec  monsieur  le  roy  de  Navarre  et  monsieur  le  cardinal 
))  de  Bourbon,  ses  frères,  luy  fut  refusée  tout  à  plat,  et  permis 
y>  seulement  à  madame  la  princesse  de  l'assurer  par  lettres,  que 
î>  Robert  et  Marillac  luy  esloient  distribuez  pour  conseils,  et  qu'il 
))  pouvoit  communiquer  avec  eux  en  assurance  :  de  laquelle  ré- 
»  ponse  madame  la  princesse  advertit  monsieur  le  prince  par 
))  lettres  qui  luy  furent  présentées,  le  mesme  jour  après  le  disner 
»  par  Robertet  etDutillet;  et  là  se  trouvèrent  Robert  et  Marillac 
»  pour  communiquer  avec  luy  en  la  présence  du  mesme  secré- 
y>  taire  et  du  mesme  greffier,  accompagnez  du  seigneur  de  Bre- 
y>  zay,  capitaine  des  gardes.  » 

Ainsi,  que  d'entraves  déjà  apportées  à  la  défense  du  prince  1 
s'agit-il  des  moyens  d'incompétence  soulevés  par  lui  seul  contre 
les  commissaires  instructeurs,  et  de  la  juridiction  souveraine 
qu'il  revendique  pour  le  jugement  de  sa  cause  :  le  conseil  privé 
le  repousse  sans  l'avoir  entendu.  L'autorité  royale,  méconnais- 
sant le  droit  qu'avait  la  princesse  de  choisir  des  défenseurs  pour 
son  mari,  prétend-elle  lui  en  désigner  d'office  :  ce  n'est  qu'en 
enserrant  d'avance  dans  un  cercle  infranchissable  les  quelques 
paroles  qu'ils  pourront  adresser  à  leur  client.  Condé  réclame-t-il 
l'assistance  de  ses  frères,  de  sa  femme  :  on  la  lui  refuse.  Yeut-il 
s'entretenir  avec  ses  défenseurs  :  il  ne  le  peut,  qu'en  présence  d'un 
secrétaire  d'État,  d'un  greffier  et  d'un  capitaine  des  gardes,  dont 
il  doit  subir  le  contrôle.  Eh  bien,  sous  le  coup  de  tant  d'excès 
de  pouvoir,  de  dénis  de  justice  et  de  restrictions  brutales  accu- 
mulés, le  prince  ne  faiblit  pas  un  instant.  Quelle  fermeté,  au 
contraire,  dans  le  langage  qu'il  lient  à  ses  défenseurs  alors  que 
Robertet,  Dutillet  et  Brézé  sont  là  pour  épier  son  attitude,  ses 
paroles,  l'accent  de  sa  voix  et  jusqu'au  jeu  de  sa  physionomie!! 
«  Adonc,  continue  le  récit  auquel  nous  nous  sommes  reporté, 
»  monsieur  le  prince  commenta  à  déduire  sommairement  et 


y>  néanlinoins  très-disertement,  que  rafflictioii  qu'il  souiTroit  ne 
y>  luy  cstoit  point  envoyée  de  Dieu  pour  l'offense  qu'il  eust  faite 
))  contre  la  majesté  du  roy,  mais  bien  pour  l'esprouver  en  son 
))  adversité  :  et  quant  à  luy,  ayant  l'esprit  libre  et  la  conscience 
2)  entière,  il  ne  pensoit  estre  prisonnier,  encore  que  sa  personne 
))  fust  arrestée;  mais  beaucoup  plus  estimoil-il  ceux-là  prison- 
»  niers,  lesquels,  avec  la  liberté  du  corps,  sentoyent  leur  cons- 
y>  cience  asservie  et  affligée  d'une  perpétuelle  souvenance  de 
y>  leurs  vices  et  de  leurs  forfaits.  Et  à  ce  propos,  il  alléguoit  plu- 
»  sieurs  mémorables  histoires  en  1res  bons  termes,  et  avec  visage 
y>  constant  et  assuré  :  ce  qui  ne  se  peut  rencontrer  en  ceux  qui 
y>  sentent  leur  conscience  chargée  de  quelque  meffait  et  qui  ont 
})  l'esprit  troublé  de  confusion  et  de  suspicion  que  leurs  offenses 
))  ne  soyent  descouvertes.  » 

Ayant  terminé  son  allocution,  le  prince  écrit  à  sa  femme, 
remet  à  ses  défenseurs  des  notes  et  mémoires  pour  le  soutien  de 
sa  cause,  et  les  charge  verbalement  d'un  message  affectueux 
pour  le  roi  de  Navarre  et  le  cardinal  de  Bourbon;  puis,  lorsque 
Robertet  se  retire,  il  le  prie  «  de  présenter  ses  humbles  recom- 
»  mandations  à  la  majesté  du  roy  et  de  la  royne  mère  ». 

Dans  la  lettre  qu'il  vient  d'adresser  à  Eléonore,  Condé 
l'exhorte  à  ne  point  se  laisser  abattre  par  leurs  communs  mal- 
heurs, et  s'efforce  de  relever  ses  espérances,  par  la  conviction 
dans  laquelle  il  est,  qu'au  moment  où  tous  l'abandonnent.  Dieu 
daignera  protéger  son  innocence  (1). 

Profondément  émue  à  la  lecture  de  ces  lignes,  auxquelles  il 
lui  est  hélas!  interdit  de  répondre,  la  princesse  implore  avec 
ferveur  la  protection  divine.  Quelque  rude  que  soit  l'épreuve  qui 
déchire  son  cœur,  si  douloureux  que  soit  son  isolement  au  sein 
de  la  cour,  elle  persiste  dans  ses  démarches  et  ses  supplications 
en  faveur  de  son  mari  et  de  sa  mère.  Fatigues,  humiliations, 
dédains,  souffrances  physiques  et  morales,  rien  ne  l'arrête,  dès 

(1)  De  Thou,  Jlist.  univ.,  t.  II,  p.  833. 


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qu'il  s'agit  de  ces  deux  êtres  si  chers.  On  la  voit  souvent  age- 
nouillée et  en  pleurs  devant  le  roi  (1).  Dans  son  dévouement, 
que  d'énergie!  dans  son  abnégation,  que  de  grandeur!  dans  sa 
détresse,  quel  touchant  appel  à  la  commisération  de  tout  cœur 
noble  et  généreux!  Mais  le  jeune  monarque  est  prémuni  contre 
tout  attendrissement  :  les  Lorrains  font  bonne  garde  autour  de 
lui.  Il  n'a  pour  la  princesse  de  Gondé  que  regards  courroucés  et 
paroles  amères. 

Maîtres  de  l'esprit  du  roi,  par  leur  nièce  Marie  Stuart,  les 
Guises  ont  hâte  d'en  fmir  avec  Gondé.  Il  n'est  que  trop  vrai 
qu'ils  ont  d'avance  résolu  sa  mort,  et  qu'ils  tiennent  en  réserve 
de  nombreux  suppôts  prêts  à  prononcer  la  sentence;  mais  il 
fout  un  semblant  d'instruction  contradictoire  pour  arriver  à  une 
condamnation  capitale.  Or,  quelque  menaçante  que  soit  la 
dernière  décision  qui  a  enjoint  au  prince  de  répondre,  ils  appré- 
hendent, qu'une  fois  encore,  il  ne  refuse  d'obéir.  G'est  alors 
que  leur  imagination  pervertie  enfante  de  toutes  les  combinai- 
sons la  plus  odieuse,  en  substituant  aux  commissaires  interro- 
gateurs qui  déjà  ont  procédé,  l'un  des  deux  avocats  du  prince, 
Robert.  Ordre  lui  est  donné  de  dénaturer  son  ministère  et  de 
passer  du  rôle  de  défenseur  à  celui  de  juge;  il  doit  demander  à 
Gondé  s'il  a  quelque  chose  à  dire  sur  les  accusations  dirigées 
contre  lui,  recueillir  ses  réponses  par  écrit,  et  les  lui  faire 
signer  (2). 

Robert  manque  de  cette  énergie,  qui,  seule,  pourrait  le 
maintenir  à  la  hauteur  de  ses  devoirs  envers  une  noble  infor- 
tune. Sa  raison  se  trouble,  sa  conscience  s'égare;  il  oublie  qu'il 
se  trouve  dans  une  de  ces  crises  où  il  vaut  mieux  obéir  à  Dieu 
qu'aux  hommes;  et,  enfreignant  ses  obligations  profession- 
nelles, il  commet  la  double  faute  de  provoquer  les  réponses  du 
prince  et  de  lui  faire  signer  l'écrit  dans  lequel  elles  sont  con- 

(1)  Castelnau,  Mém.,  t.  I,  p.  56,  57. 

(2)  Castelnau,  Mém.,  t.  1,  p.  55. 


—  90  — 

signées  (i).  Condé  devient  ainsi  victime  de  sa  confiance  en  un 
défenseur  auquel  il  a  remis  le  soin  de  son  honneur  et  de  sa  vie. 
Aussitôt  se  forme  sous  la  présidence  du  roi,  une  assemblée 
composée  de  membres  du  conseil  privé,  de  chevaliers  de  l'ordre, 
la  plupart  de  création  récente,  et  de  quelques  pairs  de  France. 
Ce  tribunal  improvisé,  pour  qui  la  seule  comparution  du  prince 
serait  un  sujet  d'effroi,  refuse  de  le  tirer  de  sa  prison  pour 
l'entendre,  ne  recourt  môme  pas  à  une  confrontation  de  témoins, 
que  la  dernière  décision  du  conseil  privé  a  cependant  ordonnée, 
et  se  contente  de  jeter  un  coup  d'œil  superficiel  sur  les  pièces 
du  procès.  Il  n'en  ressort  rien  qui  prouve  la  culpabilité  de 
l'accusé  quant  au  chef  de  haute  trahison  ou  de  lèse-majesté 
humaine.  Le  seul  fait  qui  soit  établi,  et  que  d'ailleurs  il  a  nette- 
ment reconnu,  est  son  adhésion  à  la  religion  réformée,  que  l'on 
qualifie  de  crime  de  lèse-majesté  divine.  C'est  assez  pour  mo- 
tiver, dans  les  derniers  jours  de  novembre,  une  sentence  qui 
condamne  à  mort  Louis  de  Bourbon,  fixe  au  10  décembre  sui- 
vant, lors  de  l'ouverture  de  la  session  des  états  généraux,  l'exé- 
cution capitale,  et  décide  que  cette  exécution  aura  lieu  devant 
le  logis  du  roi  (2). 

L'inique  sentence  est  promptement  signée  par  le  roi  et  par 
tous  les  courtisans  qui,  de  concert  avec  lui,  l'ont  rendue;  mais 
trois  hommes,  dont  le  caractère  tranche  avec  la  lâcheté  géné- 
rale, n'y  ont  pas  encore  apposé  leurs  noms  :  l'un,  le  comte  de 
Sancerre,  refuse  sa  signature,  au  péril  de  ses  jours;  les  deux 
autres,  le  chancelier  de  l'IIospilal  etDumortier,  ajournent  la  leur, 
au  risque  de  compromettre  leur  position  officielle.  Les  passions 
déchaînées  de  la  royauté  et  de  la  cour  s'arrôteront-elles  devant 
l'obstacle  que  crée  la  courageuse  résistance  de  ces  hommes  de 
cœur? 

Êléonore  de  Roye  n'ose  le  présumer,  car  elle  sait  jusqu'où 

(1)  Voir  Appendice,  n"  XVll. 

(-2)  lî.  de  La  Planche,  ouvr.  cité,  p.  (ii\^G. 


—  01  — 

peuvent  aller  les  passions  attisées  par  les  Guises.  La  voilà  donc 
face  à  face  avec  l'accablante  réalité  qui  domine  sa  destinée  ;  et 
cependant,  alors  que  la  fatale  nouvelle  de  la  condamnation  de 
son  mari  vient  de  briser  son  âme,  elle  trouve  encore  dans  sa  foi, 
dans  son  dévouement,  assez  de  force  pour  tenter  un  suprême 
effort.  Maîtres  du  corps  de  leur  victime,  les  ennemis  de  Condé 
peuvent  lui  arracher  la  vie;  mais  ils  ne  peuvent  atteindre  son 
âme  :  eh  bien,  c'est  au  sort  de  cette  âme  immortelle  qu'Eléo- 
nore  regarde,  c'est  de  cette  âme  indissolublement  unie  à  la 
sienne  qu'elle  veut  demeurer  le  fidèle  soutien  jusque  sur  le 
seuil  de  l'éternité.  Aussi,  voir  une  fois  encore  le  prince,  lui 
parler,  l'entendre,  affermir  son  courage  en  face  de  la  mort,  lui 
adresser,  en  femme  chrétienne,  un  dernier  adieu  :  voilà  ce  à 
quoi  elle  aspire!  Se  rencontrera-t-il  un  être  assez  dépourvu  de 
pitié  pour  lui  refuser  cette  consolation,  dans  son  immense 
douleur?  On  ne  saurait  le  concevoir,  et  pourtant  que  de  décep- 
tions lui  réserve  la  déplorable  réalité  des  faits  ! 

Il  existe,  à  la  cour,  un  homme  qui,  naguère  servile  adulateur 
de  Diane  de  Poitiers,  n'a  puisé  à  son  école  et  à  celle  d'autres 
femmes  dissolues,  que  des  leçons  de  dégradation  morale,  et,  par 
cela  même,  de  dédain  et  d'aversion  pour  toute  femme  vertueuse. 
Les  désordres  de  la  vie  privée  de  cet  homme,  son  orgueil,  son 
insatiable  ambition,  l'ont  habitué  à  la  dureté,  à  la  cruauté 
même  envers  quiconque  ne  plie  pas  le  genou  devant  lui.  Abu- 
sant d'un  pouvoir  usurpé,  affranchi  de  tout  contrôle  dans  son 
exercice,  il  a,  pour  sa  part,  largement  contribué  à  pervertir 
l'esprit  et  le  cœur  du  débile  François  IL  II  inspire,  il  surveille 
les  actions,  les  paroles  du  jeune  monarque,  et  réprime  chez  lui, 
au  besoin,  tout  penchant  à  une  commisération  qui  contrarierait 
les  desseins  de  sa  politique  machiavélique.  Cet  homme,  c'est  un 
prélat,  le  cardinal  de  Lorraine.  C'est  lui  qui  va  se  montrer 
insultant,  impitoyable  et  lâche  vis-à-vis  d'une  femme  qui  n'a 
pour  arme  que  l'infortune;  incapable  qu'il  est,  dans  l'abjection 


-  92  — 
de  ses  sentiments,  de  comprendre  et  de  respecter  ceux  qui  ani- 
ment le  cœur  d'Éléonore  de  Roye. 

Écoutons  ici  quelqu'un  qui  connut  de  près  les  déchirantes 
angoisses  de  la  princesse  (1)  :  ce  qui  se  passait  «  luy  fit  juger 

2)  que  c'estoit  fait  du  prince.  Et  à  tant  luy  faloit  trouver  tous 
»  moyens  de  le  voir  une  seule  fois  avant  que  mourir,  et  luy 
»  donner  courage^  puisque  la  tyrannie  estoit  ainsi  rigoureuse- 
»  ment  exercée  en  son  endroict,  et  qu'elle  ne  luy  pouvoit  autre- 
))  ment  servir.  Cela  luy  fut  refusé  :  et  ne  peurent  toutes  ses 
»  importunes  requestes  envers  la  royne  mère  avoir  aucun  lieu. 
»  Ce  nonobstant  elle  s'enhardit  un  jour  d'entrer  en  la  salle  du 
»  roy,  devant  la  majesté  duquel  elle  se  jeta  à  genoux,  le  sup- 
))  pliant  très-ardemment  avec  larmes  et  soupirs  incroyables, 
»  que  tant  seulement  on  lui  monstrast  une  seule  fois  son  sci- 
»  gneur  et  mary  :  non  qu'elle  voulust  autrement  parler  à  luy,  ou 
»  luy  donner  aucun  signe,  ains  pour  avoir  cest  heur  de  le  voir 
.))  encore  une  fois  de  sa  vie;  mais  tant  s'en  fout  (jue  pour  ses 
))  gémissemens  et  pleurs  ledit  seigneur  fust  esmeu  à  pitié,  que 
))  cela  l'aigrit  et  anima  davantage,  voire  jusques  à  luy  reprocher 
))  que  le  prince  estoit  son  plus  grand  et  mortel  ennemy,  et  que 
))  luy  ayant  voulu  oster  la  vie  avec  le  royaume,  il  ne  pouvoit  de 
»  moins  que  de  s'en  venger.  Sur  cela,  comme  elle  entroit  en 
))  défenses,  et  ne  se  lassoit  d'importuner  le  roy  :  le  cardinal  (qui 
»  de  sa  part  craignoit  que  Sa  Majesté  ne  fust  esmeue  à  pitié  et 

3)  compassion)  voulant  aussi  monstrcr  son  animosilé,  chassa 
»  ceste  princesse  fort  rudement,  l'appelant  importune  et  fas- 
»  cheuse,  et  disant  que  qui  luy  feroit  droit,  on  la  mettroit  en  un 
s>  cul-de-fosse  elle-mesme.  Ceux  qui  virent  son  ennuy  et  passion, 
))  disoyent  d'une  commune  voix,  que  jamais  n'en  avoit  esté  vu 
))  ni  ouy  parler  d'une  telle.  Car  ceste  pauvre  dame  afOigeoit 
3)  tellement  son  corps  jour  et  nuict  et  sans  cesse  aucune,  que 

(1)  II.  de  La  Planche,  ouvr.  cilé,  p.  G98,  G99. 


—  93  — 

y>  plusieurs  de  ses  ennemis  mesmes  en  avoyent  pitié,  et  en  fai- 
■»  soyent  récit  es  privées  compagnies.  » 

Ce  n'est  pas  tout  encore.  Pour  des  hommes  tels  que  les  Guises, 
à  qui  rien  ne  coûtait  en  fait  d'indignes  traitements  et  de 
cruautés,  la  distance  de  l'outrage  au  meurtre  était  courte  :  ils 
eurent,  une  fois  de  plus,  l'idée  de  la  franchir,  en  projetant  de 
faire  tomber  la  tête  de  la  princesse  elle-même,  avant  celle  du 
prince,  tant  ils  tenaient  à  se  délivrer,  par  un  coup  décisif,  des 
entraves  qu'apportait  à  la  réalisation  de  leurs  plans  sanguinaires 
cette  femme  énergique  qui,  dans  la  défense  de  son  mari,  savait 
si  bien  unir  l'action  à  la  parole.  «  La  princesse,  dit  à  ce  sujet 
))  un  contemporain  digne  de  foi  (1),  leur  estoit  une  espine  au 
))  pied  :  car  elle  n'avoit  faute  d'esprit,  de  langue,  ni  de  courage, 
»  pour  remonstrer  l'injustice  de  laquelle  on  usoit  en  ceste  cause 
»  (de  Condé),  tellement  que  ceux  de  Guise  furent  en  quelque 
))  délibération  de  s'en  desfaire,  quelques  jours  devant  l'exécu- 
))  tion  du  prince.  » 

Ils  voulaient  aussi  se  défaire  de  bien  d'autres  personnes,  par 
divers  genres  de  mort;  car  ils  avaient  organisé  un  vaste  système 
de  compression  morale  et  matérielle,  qui  devait  entraîner 
finalement,  ici  par  l'assassinat,  là  par  des  condamnations  arbi- 
traires, la  perte  de  la  vie  pour  des  hommes  considérables,  tels 
que  le  roi  de  Navarre,  les  Chàtillons,  et  le  connétable,  unis  à 
Louis  de  Bourbon  par  des  liens  de  famille.  C'est  trop  peu  dire 
encore;  à  la  destruction  du  prince  et  de  ses  parents  ils  se  pro- 
posaient d'ajouter  celle  de  tous  les  protestants  français,  à  quel- 
que rang  de  la  société  qu'ils  appartinssent. 

L'histoire  a  conservé  la  trace  de  ces  projets  atroces,  dans  le 
détail  desquels  nous  nous  abstenons  d'entrer  ici.  Ti-amés  de 
longue  date,  ils  avaient  été  en  dernier  lieu  dénnitiveuienl  arrêtés 
à  Orléans,  théâtre  désigné  de  l'exécution  sanglante  ([ui  devait 
inaugurer  tant  d'autres  forfiu'ts. 

(1)  II.  (le  La  Planclio,  ouvr.  cilé,  p.  700. 


—  94  — 

Ils  étaient  parfaitement  connus  de  Coligny  à  Châtillon-sur- 
Loing,  au  moment  où  il  reçut  du  roi  vers  la  fin  de  novembre, 
l'ordre  de  venir  à  la  cour.  Sans  illusion  sur  le  sort  qui  l'attendait 
à  Orléans,  l'amiral,  après  avoir  adressé  à  sa  digne  compagne 
de  touchantes  et  mémorables  recommandations,  se  rendit  dans 
cette  ville.  Une  prison  qui  à  cette  époque  fut  nommée  YAmirale 
lui  était  destinée;  mais,  comme  il  entrait  dans  les  vues  de  ses 
ennemis  de  ne  s'emparer  de  sa  personne  qu'après  la  mort  de 
Condé,  ils  le  laissèrent  libre  pour  le  moment.  Incapable  en 
face  du  danger  de  reculer  devant  l'accomplissement  d'un  seul 
de  ses  devoirs,  Coligny  se  déclara  prêt  à  rendre  raison  de  ses 
convictions  religieuses,  dont  on  se  faisait  contre  lui  un  grief, 
parla  courageusement  en  faveur  de  son  neveu  le  prince  de  Condé, 
de  sa  sœur,  la  comtesse  de  Roye,  et  soutint  de  sa  sympathie,  de 
ses  pieuses  exhortations  Éléonore  qu'il  aimait  d'une  affection 
paternelle.  Il  entoura  aussi  de  constants  égards  et  aida  de  ses 
virils  conseils  le  roi  de  Navarre.  Le  cardinal  de  Châtillon  arrivé 
à  Orléans  en  même  temps  que  Coligny,  et  exposé  aux  mêmes 
dangers  que  lui,  se  montra  digne  de  son  frère,  en  s'associant  à 
sa  mission  de  dévouement  vis-à-vis  de  chacun. 

D'heure  en  heure  cependant  tout  s'assombrissait  autour  de  la 
princesse  de  Condé.  Ses  jours  et  ceux  de  ses  oncles  étaient 
menacés  ;  les  tentatives  de  meurtre  dirigées  contre  Antoine  de 
Bourbon  se  succédaient  avec  rapidité  ;  trente  ou  quarante  des 
plus  experts  bourreaux  appelés  des  villes  voisines  et  portant 
tous  à  dessein  le  même  costume,  parcouraient  les  rues  d'Or- 
léans; déjà  môme  se  dressait,  en  face  de  la  demeure  royale,  le 
triste  échafaud  sur  lequel,  à  quelques  jours  de  là,  Condé  devait 
être  immolé. 

Réduite  à  l'impossibilité  d'échanger  avec  le  prince  un  suprême 
adieu,  épuisant  jusqu'à  la  lie  la  coupe  des  plus  amères  souf- 
frances que  puisse  éprouver  le  cœur  d'une  femme  aimante,  qui 
porte  le  dévouement  jusqu'aux  dernières  limites  de  l'abnégation, 


—  95  — 
Eléonore  de  Roye  appelait  par  d'ardentes  prières  la  miséricorde 
d'en  haut  sur  son  mari,  sur  ses  enfants,  sur  sa  mère,  sur  elle- 
même,  lorsqu'un  événement  soudain  vint  changer  le  cours  des 
choses  et  la  relever  de  son  abattement  en  faisant  luire  à  ses 
yeux  l'espoir  de  la  délivrance  de  son  mari. 

En  effet,  au  prologue  déjà  presque  terminé  des  scènes  tragi- 
ques qui  se  préparent  sous  la  direction  des  Guises,  se  substituent 
tout  à  coup  des  scènes  d'un  autre  genre,  qui  vont  se  dérouler 
avec  une  rapidité  saisissante. 

Le  roi,  dont  la  santé  avait  toujours  été  faible,  tombe  subite- 
ment malade;  sa  vie  ne  tarde  pas  à  être  en  danger;  bientôt  même 
les  ravages  du  mal  sont  tels,  que  les  médecins  se  reconnaissent 
impuissants  à  en  triompher.  Le  duc  de  Guise  éclate  en  impré- 
cations, et  menace  de  les  faire  tous  pendre;  plus  habile  à  se  con- 
tenir, le  cardinal  de  Lorraine  ordonne  mahits  offices,  processions 
et  pèlerinages.  Le  moribond  s'agite  sur  sa  couche,  contemple 
avec  effroi  la  mort  qui  s  avance  et  promet  «  à  Dieu  et  à  tous 
3>  les  sainctset  sainctes  du  paradis,  spécialement  àNostre-Dame 
))  de  Gléry,  que  s'il  leur  plaist  luy  renvoyer  santé,  il  ne  cessera 
))  jamais  tant  qu'il  n'aura  entièrement  repurgé  le  royaume  de  ces 
))  meschans  hérétiques,  et  veut  que  Dieu  le  fasse  promptement 
y>  mourir  si  seulement  il  espargne  femme,  mère,  frères,  sœurs, 
))  parens,  amis,  qui  en  seroyent  tant  fust  peu  soupçonnez  (1).  » 
Reine  ambitieuse  avant  d'être  mère,  plus  fréquemment  ren- 
fermée dans  son  cabinet  qu'assise  au  chevet  d'un  lit  d'agonie, 
Catherine  de  Médicis  s'occupe  avant  tout  de  concentrer  le  pou- 
voir entre  ses  mains  ("2).  A  la  vue  des  Guises  qui  tremblent  main- 
tenant devant  elle,  l'idée  lui  vient  de  neutraliser  d'avance  leurs 
menées  ultérieures,  par  lappel  des  Bourbons.  Elle  promet  à 
ceux-ci  la  vie  sauve,  à  la  charge  par  eux  d'accepter  son  autorité 
comme  régente,  et  de  se  résigner  à  la  situation  secondaire 

(1)  R.  de  La  Planche,  ouvr.  cite,  p.  736. 

(2)  Voir  la  lettre  du  i  décembre  looO.  (Hibl.  nat.  f.  fr.  vol.  1038,  f''  5.) 


—  96  — 

qu'elle  leur  assignera.  Le  roi  de  Navarre  accède  à  ce  qu'elle  exige 
de  lui  dès  qu'elle  assure  que  son  frère  échappera  à  la  mort. 
Atterrés  de  l'engagement  pris  par  la  reine  mère,  les  Guises  la 
conjurent  de  retenir  du  moins  en  prison  Condé  qui,  disent-ils, 
«  est  en  volonté  de  leur  courir  sus  ».  On  double  alors  les  gardes 
à  la  prison  du  prince  «  et  défenses  sont  faites  sur  peine  de  la  vie 
»  que  nul  quel  qu'il  soit,  luy  parle  sans  l'exprès  congé  de  la 
»  roync  (i).  )> 

Tout  change  alors  de  face  :  voyant  que  l'état  du  roi  est  dé- 
sespéré, ce  môme  duc,  ce  même  cardinal  devant  qui  tout  pliait 
jusqu'à  présent,  courbent  enfin  la  tête  en  dissimulant  leur  se- 
cret espoir  de  la  relever  bientôt.  Non  moins  égoïstes  et  durs, 
comme  parents,  que  lâches,  comme  hommes  d'État,  ils  se  mon- 
trent sans  respect  pour  la  douleur  de  leur  nièce,  Marie  Stuart, 
et  sans  sympathie  pour  la  touchante  sollicitude  dont  elle  entoure 
son  jeune  époux  (5),  en  qui  ils  ne  voient  pas  môme  un  neveu, 
alors  qu'il  n'est  plus  qu'un  instrument  usé,  désormais  impropre 
au  service  de  leurs  détestables  passions,  et  dont  ils  se  détournent 
avec  dédain.  Ne  songeant  qu'à  leur  sûreté  personnelle,  ils  ce  vont 
»  se  renfermer  et  barrer  dans  leur  logis,  pleins  de  crainte  et 
))  frayeur  incroyable  (3)  ».  Homme  de  cœur,  sujet  fidèle,  Coligny 
n'a  pénétré  dans  la  demeure  de  François  II  que  pour  rester 
près  de  lui.  Il  compatit  en  chrétien  aux  souffrances  physiques 
et  morales  de  sop  souverain,  aux  pleurs  de  la  jeune  reine  dont  il 
honore  le  dévouement;  il  s'émeut  à  la  pensée  de  l'éternité  dont 
une  âme  angoissée  va  franchir  le  seuil,  et  adresse  à  Dieu  de 
secrètes  prières  pour  le  soulagement  de  cette  âme.  Le  5  dé- 
cembre François  II  est  au  plus  mal;  à  peine,  depuis  quarante- 
huit  heures,  peut-il  articuler  quelques  paroles;  à  midi  on  le  croit 
mort  ;  cinq  heures  plus  tard  il  rend  le  dernier  soupir. 

(I)  R.  (lo  La  Planche,  oiivr.  cilo,  p.  753,  751. 

("2)  Culend.  ofstalepap.  forcig-.  séries,  vol.  1500-1501,  p.  1^21.  Tlirockmorlon 
lo  tlic  Ouceii.  Orléans,  0  décenib.  1500. 
(o)  l'i.  (le  La  IManche,  ouvr.  cité,  p.  75L 


—  97  — 
Au  moment  où  il  va  quitter  la  froide  dépouille  de  celui  qui 
fut  son  roi,  l'amiral  jette  sur  elle  avec  attendrissement  un  der- 
nier regard,  et  adresse  à  ceux  qui  entourent  la  couche  funèbre, 
ces  paroles  éminemment  significatives  dans  leur  brièveté  :  ((  Mes- 
))  sieurs,  le  roi  est  mort,  cela  nous  apprend  à  vivre  (1)  )>. 

(1)  Bibl    nat.,  mss.  Colbert,  vol.  488.  V°  î"  749. 


CHAPITRE  VI 


Rien  ne  saurait  exprimer  l'émotion  qui  pénétra  le  cœur 
d'Éléonore  de  Roye  lorsque  dans  la  soirée  du  5  décembre  elle 
acquit  la  certitude  que  les  jours  de  son  mari  étaient  épargnés  (I). 
Son  bonheur  cependant  ne  fut  point  sans  mélange,  car  elle  ne 
put  obtenir  immédiatement  ni  la  mise  en  liberté  du  noble  captif, 
ni  l'autorisation  de  le  voir.  Froissée  de  ce  double  échec,  elle 
courut  alors  à  la  rencontre  de  son  grand-oncle,  Anne  de  Mont- 
morency, qui  sur  le  pressant  appel  que  Catherine  de  Médicis 
lui  avait  adressé  par  l'intermédiaire  de  Lanssac  (2),  accélérait  sa 

(1)  Dans  une  ode  chrétienne  adressée  au  duc  de  Uohan,  son  frère,  Anne  de 
Rohan  fait  parler  la  Religion.  Voici  le  langage  qu'elle  lui  attribue,  au  sujet  d'Éléo- 
nore de  Roye  : 

«  J'enseignais  la  dame  excellente 

»  Qui,  pour  sauver  son  cher  époux 

»  Des  mains  d'une  mort  violente, 

»  Ayant  tant  baissé  les  genoux, 

j>  Sentit  le  ciel  doux  et  propice, 

»  A  la  veille  d'un  dur  supplice  ; 

»  Qui,  grande  et  jeune  dans  la  cour, 

»  Ne  brùloit  que  d'un  saint  amour, 

>  Estimant  un  heur  plus  extrême, 
»  Bien  qu'elle  eût  un  auguste  rang, 
»  D'être  fille  du  Dieu  suprême 

>  Que  d'être  princesse  du  sang.  » 

{Biill.  de  la  Soc.  d'IIist.  diiprot.  fr.,  année  187  i,  p.  2-2.) 
(2)  Lettre  de  Catherine  de  Médicis  au  connéla])lo,  du  5  déccndjre  I5G0.  (Bibl. 
nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  ol57,  f'  110.) 


—  99  — 

marche  vers  Orléans.  Elle  le  trouva  à  Artenay  (4)  et  se  plaignit 
à  lui  du  refus  qu'elle  venait  d'essuyer.  Son  désir  le  plus  cher, 
en  ce  moment,  était  de  voir  aplanis  tous  les  obstacles  qui  la  sé- 
paraient encore  du  prince.  Le  connétable  s'attacha  à  la  rassurer. 
Le  7  décembre  (2)  il  était  avec  elle  à  Orléans,  où  il  ressaisissait 
d'une  main  ferme  ses  prérogatives  de  chef  de  l'armée. 

Par  son  influence  unie  à  celle  des  Châtillons  et  du  roi  de 
Navarre,  Condé  vit  bientôt  s'ouvrir  devant  lui  les  portes  de  sa 
prison;  mais  ayant  souci  de  son  honneur  plus  que  de  sa  liberté, 
il  refusa  de  sortir  tant  qu'il  ne  saurait  pas  à  qui  s'en  prendre  de 
son  incarcération,  et  qu'on  ne  lui  aurait  pas  formellement 
réservé  la  faculté  de  poursuivre  devant  qui  de  droit  la 
déclaration  de  son  innocence  et  la  mise  à  néant  de  la  condam- 
nation à  la  peine  capitale  prononcée  contre  lui.  Ce  prince  dont 
l'énergie  et  le  sang-froid  (3)  ne  s'étaient  pas  un  seul  instant 
démentis,  sous  le  coup  d'une  si  odieuse  condamnation,  se  montra 
vraiment  grand  en  ne  voulant  accepter  ni  la  liberté  ni  la  vie 
comme  une  grâce,  et  en  ne  demandant  que  justice  (4). 

On  lui  réserva  l'exercice  d'un  recours  en  déclaration  d'inno- 
cence, mais  en  se  gardant  bien  de  lui  faire  connaître  les  véritables 
auteurs  du  guet-apens  qui  avait  abouti  à  son  arrestation  et  à  son 
emprisonnement.  On  tremblait  pour  eux,  comme  ils  tremblaient 
eux-mêmes,  à  la  seule  idée  de  la  vigueur  avec  laquelle  il  leur  de- 
manderait compte  de  leur  conduite.  Aussi  n'y  eut-il  qu'une  voix 
surtout  parmi  les  plus  compromis,  pour  rejeter  la  responsabilitr 
de  l'indigne  traitement  qu'avait  subi  le  prince  sur  le  roi  qui  ve- 
nait d'expirer,  et  dont  il  était  facile  d'incriminer  les  intentions  et 
les  actes,  alors  qu'il  n'était  plus  là  pour  démentir  des  assertions 
mensongères.  Respectueux  envers  le  silence  imposé  par  la  mort, 

(1)  Le  président  de  La  Place,  CiniDncnl..,  p.  1 10. 

(2)  Calend.  of  StaU-  pnp.,  foreign  séries,  vol.  15G0-15'j1,  p.  i3S.  Throck- 
morton  to  the  Couiicil.  Orléans,  1)  décenib.  1500. 

(3)  Voir  Appendice,  n"  18. 
(l)  Voir  Appendice,  u"  11). 


—  100  — 

généreux  envers  un  souverain  duquel  il  avait  eu  lieu  de  se 
plaindre,  Condé  sut  honorer  la  mémoire  de  François  II  en  refu- 
sant d'admettre  l'irresponsabilité  personnellement  invoquée  par 
chacun,  et  voulut  demeurer  prisonnier. 

Les  nobles  cœurs  se  comprennent  toujours.  La  princesse, 
dont  la  grandeur  d'âme  égalait  si  elle  ne  surpassait  même  celle 
du  prince,  approuva  la  détermination  de  celui-ci.  Toutefois, 
elle  s'efforça  d'en  tempérer  la  rigueur  lorsqu'elle  put  enfin  pé- 
nétrer dans  sa  prison  et  lui  donner  de  judicieux  et  tendres  con- 
seils, qu'appuyèrent  ceux  de  ses  oncles,  du  roi  de  Navarre  et  de 
quelques  amis  dévoués.  Elle  ne  tarda  donc  pas  à  obtenir  de  lui 
qu'il  échangeât  l'austère  régime  de  sa  détention  à  Orléans  contre 
celui  d'une  captivité  mitigée,  plus  apparente  que  réelle,  sous 
iorme  de  résidence  dans  l'un  des  domaines  qu'Antoine  de  Bour- 
bon possédait  en  Picardie. 

Le  24  décembre  15G0,  les  deux  époux  quittèrent  Orléans  (i) 
et  prirent  le  chemin  de  Hani  où  Condé  devait  séjourner  quelque 
temps  pour  aller  de  là  résider  à  la  Fère.  Dans  chacune  de  ces 
localités,  le  prince  rencontra  chez  les  individus  qui  étaient 
chargés  d'entourer  sa  personne,  non  la  gêne  d'une  étroite  sur- 
veillance, mais  les  égards  et  les  bons  offices  d'une  déférence 
réelle.  On  rapporte  en  effet  (2)  que  a  ceux  qui  estoient  de  sa 
))  garde  lui  dirent  qu'ils  estoyent  nés  ses  serviteurs,  et  qu'ils  ne 
y>  luy  estoyent  pas  donnez  pour  le  garder,  mais  pour  le  servir  et 
)>  Taccompaigner  partout  où  il  luy  plairoit  leur  commander  » . 

Non  moins  dévouée  comme  fille  que  comme  épouse,  Éléonore 
de  Roye  avait  tenté,  dans  l'intérêt  de  sa  mère,  de  même  que 
dans  celui  du  prince,  des  efforts  qui,  après  être  demeurés  trop 
longtemps  infructueux,  devaient  trouver  leur  complète  récom- 
pense. Le  jour  vint  où  au  bonheur  d'avoir  reconquis  son  mari 

(I)  Calend.  ofSlatepap.,  foreign  séries,  vol.  15G0-15Gl,p.  471,  Throckmor- 
toii  t.o  Ihe  Queon.  Orléans,  31  décemb.  1500. 
Çl)  Le  président  de  La  l'iaco,  Comment.,  y.  1 IG. 


—  101  — 
et  rejoint  ses  enfants,  s'ajouta  celui  de  voir  madame  de  Roye 
rendue  à  son  affection.  La  comtesse  avait,  elle  aussi,  refusé 
d'accepter  la  liberté  comme  une  grâce  et  n'était  sortie  du  châ- 
teau de  Saint-Germain  que  sous  la  réserve  du  droit  d'exercer, 
comme  son  gendre,  un  recours  en  déclaration  d'innocence. 

Il  élait  temps  qu'Éléonore  de  Roye  put  enfin  goûter  un  peu 
de  repos  d'esprit  et  de  cœur  après  les  indicibles  angoisses  qu'elle 
avait  ressenties.  Son  âme  se  retrempa  dans  la  retraite,  sous  la 
bienfaisante  influence  de  la  vie  de  famille,  dont  il  lui  fut  permis 
de  jouir  de  nouveau.  Mais  ses  forces  physiques  presque  épuisées 
ne  se  rétablirent  qu'en  partie  et  difficilement.  Sous  le  coup  de 
ant  d'émotions  accumulées  en  quelques  mois,  sa  santé  avait 
reçu  une  irréparable  atteinte;  et  c'est  au  séjour  d'Orléans  que 
remonte  l'origine  de  la  maladie  qui  devait,  peu  d'années  après, 
moissonner  dans  sa  fleur  une  princesse  dont  on  peut  dire  qu'elle 
fut  presque  martyr  de  la  piété  conjugale. 

S'oubliant  elle-même  pour  s'occuper  avant  tout  de  son  mari, 
de  ses  enfants  et  de  sa  mère,  dans  la  retraite  que  Louis  de  Bour- 
bon s'était  momentanément  imposée,  Éléonore  de  Roye  soute- 
nait le  prince  de  sa  sympathie,  de  ses  conseils,  et  l'affermissai/ 
dans  sa  résolution  de  conquérir  désormais  à  la  cour  une  situa- 
tion qui,  sans  être  prépondérante,  lut  du  moins  digne  de  son 
rang  et  surtout  conforme  à  ses  devoirs.  Le  premier  de  ceux-ci, 
aux  yeux  de  la  princesse  et  ainsi  qu'il  le  comprenait  lui-même, 
était,  qu'après  s'être  posénaguères  avec  éclat  en  sectateur  de  la 
religion  nouvelle  et  avoir  soulTert  en  cette  qualité,  il  se  maintînt 
ouvertement  comme  tel,  à  la  face  des  adversaires  de  tout  genre 
qui  s'efforçaient  de  comprimer  l'essor  régulier  de  la  rélbrmalion 
française.  Ajoutons  que,  quelles  que  fussent  chez  Louis  de  Bour- 
bon les  vues  ambitieuses  qui,  mêlées  au  sentiment  religieux,  eu 
altéraient  parfois  la  pureté,  il  n'en  faut  pas  moins  reconnaître 
que  ce  prince,  à  la  différence  du  roi  de  iVavarre,  son  Jrère,  élait 
du  nombre  de  ces  honnnes  qui,  au  xvT"  siècle,  acceptaient  sans 


—  102  — 

détour,  sans  idée  de  rétractation  ultérieure,  les  conséquences 
d'une  profession  publique  de  protestantisme,  et  dont  l'âme  for- 
tement trempée  était  prête  à  affronter  les  périls  du  présent  et 
les  menaces  de  l'avenir. 

Du  fond  de  leur  retraite  volontaire,  Éléonore  de  Roye  et  son 
mari  suivaient  avec  vigilance  les  événements  dont  la  cour  était 
le  théâtre,  et  où  les  Guises  avaient  réussi  à  se  maintenir.  Condé 
demanda  résolument  qu'il  leur  fût  enjoint  de  s'en  éloigner,  alors 
qu'on  se  disposait  h  procéder  à  la  vérification  de  son  innocence. 

((  Je  vous  supplie  très-humblement,  madame,  écrivit-il  à  la 
))  reine  mère  (i),  que  messieurs  de  Guise,  qui  sont  ceux-là  que 
))  j'entens  et  que  je  tiens  pour  mes  accusateurs  et  parties,  n'ayent 
»  pas  cest  honneur  pendant  que  je  me  soubmés  à  justice,  d'estre 
»  auprès  du  roi  et  de  vous  pour  desfavoriser  ma  cause,  à  quoy 
))  je  m'assure  qu'ils  n'auront  jamais  faute  de  moyens  s'ils  veu- 
))  lent,  et  commander  qu'ils  se  retirent  hors  de  la  cour,  afin  que 
y>  toutes  choses  soient  conduites  à  l'honneur  de  Dieu,  à  vostre 
5)  doire  et  à  la  cosfuoissance  de  mon  innocence,  et  au  bien  de 
»  Testât  et  tranquillité  des  affaires  du  roi,  pour  lequel  et  vostre 
»  service  toutes  mes  intentions  ont  toujours  esté  dirigées,  ainsi 
»  que  j'espère  vous  faire  cognoistre  moyennant  l'aide  de  celuy 
»  qui  fait  luire  la  vérité  quand  il  luy  plaist.  )> 

Catherine  de  Médicis,  sans  aller  jusqu'à  bannir  les  Guises  de  sa 
présence,  réussit  à  rassurer  Louis  de  Bourbon  sur  l'impartialité 
qui  présiderait  à  la  solution  de  la  grave  question  qui  le  préoccu- 
pait. L'apparition  de  ce  prince  à  Orléans,  au  moment  de  la 
clôture  des  États  généraux,  et  le  langage  qu'il  tint  alors  à  son 
beau-frère  le  duc  de  Ncvers  (2)  attestent  sa  confiance  dans  le 
bon  vouloir  de  la  reine  mère  à  son  égard. 

(1)  Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  390,  3'.)l.  —  Voir  IbUL,  p.  388  à  390,  une  lettre 
que  le  prince  de  Condé  écrivit,  dans  le  même  sens,  au  roi  de  Navarre,  son  frère. 

(2)  Lettre  du  i" février  1561,  datée  d'Orléans.  (Dil)l.  nat.,mss.  f.  fr.,  vol.  3136, 
fo  87.) 


—  103  — 

La  cour  quitta  Orléans  pour  se  transporter  à  Fontainebleau, 
où  elle  arriva  le  5  février  i561. 

La  princesse  de  Condé  s'y  rendit  presque  aussitôt,  pour  y 
préparer  les  voies  à  l'éclatante  réparation  sur  laquelle  le  prince 
était  en  droit  de  compter.  Là,  comme  ailleurs,  elle  rencontra 
l'appui  de  ses  oncles  Gaspard  et  Odet  de  Coligny. 

Sa  situation  au  sortir  des  douloureux  événements  qu'elle 
avait  héroïquement  traversés,  commandait  aux  simples  courti- 
sans la  déférence,  et  aux  gens  de  cœur  une  sympathique  admi- 
ration. Parmi  ces  derniers  certains  étrangers  ne  restèrent  point 
en  arrière  des  Français.  En  effet  le  16  février  elle  reçut  la  visite 
des  ambassadeurs  d'Angleterre,  Bedford  et  Throckmorton,  qui 
lui  transmirent  un  courtois  message  de  leur  souveraine  (1). 

Le  7  mars,  elle  eut  la  joie  de  voir  arriver  à  Fontainebleau  son 
mari,  qu'accompagnaient  le  comte  de  Larochefoucault  et  Sé- 
narpont. 

3)  Dès  le  lendemain  (Condé)  entra  aux  affaires  et  conseil  privé 
y>  du  roy.  Et  là,  après  quelques  remontrances,  ayant  interpellé 
3)  le  chancelier  de  dire  s'ilsçavoit  que  aucunes  informations  eus- 
»  sent  esté  faites  à  l'enconlre  de  luy,  lequel  respondit  que  non  : 
»  ledict  sieur  prince  ayant  esté  déclairé  par  un  cliascun  diidict 
y>  conseil  qu'il  n'y  avoit  celuy  qui  ne  le  tinst  pour  suffisamment 
y>  purgé,  se  mit  en  son  rang  et  lieu  accoustumé  audit  conseil,  et 
»  là  fut  déclaré  par  le  roy  en  la  présence  de  la  royne  sa  mère, 
y>  des  princes  de  son  sang  et  gens  de  son  dict  conseil  (2>,  que 
))  ledict  sieur  prince  lui  avoit  rendu  tesmoignage  et  faict  deue 
5)  preuve  de  son  innocence  dont  il  s'estoit  siiffisannnent  informé  : 

(I)  Calend.  of  State  pap.,  ann.  IbCA,  p.  565,  26  février.  Beilford  and  Throck- 
morton to  the  privy  council. 

("2)  Le  duc  de  Guise  y  siégeait  :  Condé  n'échangea  pas  une  parole  avec  lui.  —  c  Fù 
notato  questo,  che  se  heu  iM.  de  Ghisa  era  présente  perô  il  principe  non  11  parlô 
»  ne  par  lo  guardô  mai.  »  [Archiv.  gcnérul.  de  Veuise.  —  Francia,  lôiiO-lôii'i. 
—  Senato  111,  Sécréta.  —  Dépêche  de  Tandjass.  vénit.  .Micli.  Surian  du  10  mars 
ibCi.)  — Calend.  of  State  pnp., 'il  mars  1501.  Throckmorlou  to  the  Oueen. 


—  104  — 
))  manda  à  la  court  de  parlement  de  le  recevoir  :  permis  à  luy  de 
»  poursuivre  en  icelle  autre  et  plus  ample  déclaration  et  tesmoi- 
»  gnagc  de  sa  dicte  innocence.  Et  afin  qu'elle  fùst  cogncuc  |)ar- 
y>  tout,  fut  ordonné  que  le  jugement  dudict  conseil  seroit  publié 
))  et  enregistré  es  cours  souveraines,  et  les  doubles  et  copies 
))  d'iceluy  envoyées  par  devers  les  ambassadeurs,  qui  estoient 
))  près  des  princes  estrangers  (1).  » 

Muni  de  cette  décision,  le  prince  de  Condé  se  rendit  presque 
immédiatement  à  Paris,  pour  y  solliciter  du  parlement  un  arrêt 
dont  la  solennité  constituât  pour  lui  une  réparation  complète. 

Son  attitude  devant  les  chambres  assemblées  fut  noble  et 
ferme.  «  Il  leur  rernonstra  que  son  emprisonnement  practiqué 
»  par  ses  adversaires  soubs  un  faux  prétexte  avoit  esté  trouvé 
»  estrange,  et  devoyent  les  hommes  entrer  en  admiration  de  la 
»  providence  de  Dieu  tout-puissant,  par  la  seule  clémence  du- 
))  quel  il  avoit  esté  préservé  des  agents  de  ses  ennemis,  et  fait 
2)  cognoistre  son  innocence  avec  un  exemple  perpétuel  :  que  les 
»  artifices  des  calonmiateurs  profitent  bien  peu  à  rencontre  de 
))  ceux  qui  ont  mis  leur  espérance  en  luy  et  qui  l'ont  invoqué  à 
))  leur  secours  pour  leur  invincible  prolecteur.  Puis  il  adjousta 
y)  qu'il  avoit  tousjours  désiré  que  sa  cause  fût  cogneue  et  jugée 
»  par  ladicte  cour  qui  estoit  le  vray  temple  de  la  justice  française, 
-»  et  du  corps  de  laquelle  il  estoit,  comme  prince  du  sang;  et 
»  qu'il  penseroit  se  faire  grand  tort  s'il  n'y  représentoit,  comme 
»  au  plus  célèbre  théâtre  du  monde,  le  droit  et  l'équité  de  sa 
»  cause  contre  la  calomnie  de  ses  ennemis  :  afin  que  le  tout  y 
»  fùst  jugé  et  décidé  par  un  honorable  et  mémorable  arrest, 
))  digne  de  l'accoustumée  gravité  et  saincteté  de  la  cour  :  la 
))  suppliant  de  luy  garder  son  honneur,  qu'il  avoit  tousjours 
))  estimé  beaucoup  plus  cher  que  sa  vie  (2).  » 

(I)  Le  président  de  La  Place,  f**  ISi.  —  Arrêt  du  conseil  du  roi  du  8  mars 
I5(il,  sur  l'imioceiice  de  monsieur  le  prince  de  Condé.  (Bibl.  nal.,  mss.  f.  fr., 
vol.  3188  f«  1)  —  Mêm.  de  Condé,  t.  III,  p.  ir.(;. 

{'i)  Le  président  de  La  Place,  f»  197. 


—  105  — 

A  la  suite  d'une  instruction  minutieuse  et  de  longs  débals, 
<ians  lesquels  Pierre  Robert,  avocat  du  prince,  sut,  cette  fois, 
allier  au  talent  le  tact  et  l'énergie,  intervint,  le  13  juyi  1561, 
«n  arrêt  définitif  qui  ce  déclara  le  prince  pur  et  innocent  des 
»  cas  à  luy  imposez,  son  recours  à  luy  réservé  contre  qui  il 
»  appariiendroit,  pour  telle  réparation  que  la  qualité  de  sa 
3)  personne  requéroit  (1)  ». 

Le  même  jour,  fut  rendu  en  faveur  de  la  comtesse  de  Roye, 
qui,  ainsi  que  son  genare,  avait  comparu  en  personne  devant  le 
parlement,  un  arrêt  de  déclaration  d'innocence  (2). 

La  princesse  de  Condé  voyait  enfin  vengés  dans  leur  honneur 
son  mari  et  sa  mère  :  justice  venait  d'être  faite  du  prétendu 
crime  de  lèse-majesté  divine  et  humaine  qui  leur  avait  été  im- 
puté. Comment  eût-il  pu  en  être  autrement,  alors  que,  d'une 
part,  rien  n'établissait  leur  culpabilité  quant  au  chef  de  haute- 
Irahison,  ou  de  lèse-majesté  humaine,  et  que,  d'autre  part,  il 
•eût  été  tout  au  moins  téméraire  de  voir  dans  le  seul  fait  de  leur 
franche  adhésion  à  la  religion  réformée,  un  crime  de  lèse-majesté 
divine,  en  présence  du  nouvel  état  de  choses  qu'avait  amené  la 
mort  de  François  II  !  Depuis  lors,  en  effet,  Catherine  de  Médicis 
avait  cru  devoir  chercher  un  point  d'appui  contre  les  Guises 
dans  la  noblesse  protestante,  et,  pour  mieux  se  la  concilier,  elle 
avait  commencé  à  tolérer,  de  sa  part,  l'exercice  public  du  culte 
réformé,  sur  divers  points  de  la  France  (3). 

(I)  lièze,  Hist.  eccl,  t.  I,  p.  IGi  à  i67.  —  Le  présideiit  de  La  Place,  f^  100. 
—  La  Popcliiiière,  Hist.  de  France,  t.  I,f"  214.  —  Méin.  tle  Condé,  t.  II,  p.  301 
à  39i.  —  De  Thou,  Hist.  iiniv.,  t.  III,  p.  50,  51. 

C2)  Bèze,  Hist.  ceci,  t.  1,  p.  4G7.  —  Le  président  de  La  Place,  (•"  l'Jl».  — 
Mém.  de  Condé,  t.  Il,  p.  WJ'i.  —  La  Popelinière,  Hist.  de  Fr.,  t.  I,  l*»  iil.  — 
.De  Thou,  Hist.  nniv.,  t.  111,  p.  5). 

(3)  L'évcque  de  Valence,  Monluc,  conseillait  ii  Catherine  d'étendre  ses  conces- 
sions aux  réunions  tenues  pour  l'exercice  du  culte  réformé  par  d'autres  per- 
sonnes que  les  membres  de  la  noblesse.  (Voir  sa  lettre  du  l:i  avril  I5(il,  lîibl. 
liât.,  niss.  L  fr.,  vol.  3898,  f"  87.)  Son  avis  était  partagé  par  divers  agents  supé- 
rieurs du  gouvernement  dans  les  provinces,  tels,  notamment,  que  Crussol  et  lîiron. 


—  lOG  — 

Elle  fit  plus,  à  Fontainebleau,  dès  l'arrivée  dans  cette  ville,  au 
printemps  de  1561,  du  prince  et  de  la  princesse  de  Condé,  de 
Renée  de  France,  duchesse  de  Ferrarre,  de  l'amiral  de  Goli2fnv 
et  de  sa  femme  :  elle  laissa  ces  hauts  personnages  tenir  osten- 
siblement des  réunions  afTectées  à  la  célébration  du  nouveau 
culte,  dans  les  appartements  qu'ils  occupaient  au  château  (1). 
Cette  concession,  contre  laquelle,  en  tête  de  maints  censeurs  (2), 
fulmina  le  connétable,  et  qui  contribua  à  le  pousser,  en  dépit 
des  sages  remontrances  de  son  fils  aîné  et  de  ses  neveux,  à  s'allier 
désormais -aux  Guises,  n'en  demeura  pas  moins  un  fait  considé- 
rable, destiné  à  se  reproduire,  quelques  mois  plus  tard,  au 
château  de  Saint-Germain. 

Voir  leurs  lettres  des  25  avril  et  3  mai  1561.  Bihl,  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3186, 
f"^  101,  105.) 

(1)  Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  5.-^ La  Popelinière,  Hist.de  Fr.,  t.  I,  f"  256. — 
De  Thou,  Hist.  univ.  t;  III,  p.  41,  42.  —  {Archiv.  génér.  de  Venise.  Francia, 
1560-1561.  Senato  III,  Sécréta.  Lettres  des  4  et  17  avriM561  de  l'ambass. 
Michel  Surian)  :  «  Alla  corte  si  predica  publicamente  in  casa  di  M.  Armiraglio 
»  queste  opinion  nove  et  con  un  gran  coucorso  di  gentilhomini  et  signori,  et  non 
»  se  li  fa  niuna  prohibitione  ne  impedimento.  —  Nicolô  Tornabuoni  à  Cosme  1'='" 
{Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  450),  15  avril  1561  :  «  L'ammi- 
»  raglio  alla  corte  seguita  in  casa  sua  con  le  sue  usate  prediche,  c  si  va  chi 
»  vuole;  e,  benché  avcnti  pasqua  gli  fussero  vietate,  è  ritornato  ora  ail'  usato 
»  modo.  » 

(2)  Vers  cette  époque  on  placardait  à  Saint-Germain  et  à  Paris  un  libelle  inti- 
tulé :  Régime  de  santé,  adressé  à  Catherine  de  iMédicis  (Le  Laboureur,  addit. 
aux  Mém.  de  Castelnau,  1. 1,  p.  495),  duquel  nous  extrayons  les  lignes  suivantes  : 

»  pour"  longtemps  estre  saine 

»  Les  grands  citez  et  les  lieux  peuplez  habite 

»  Et  ce  foisant,  les  Chastillons  évite  (A) 

>  Mais  parsus  tout  l'Hospital  (B)  ne  fréquente, 

»  Car  de  ce  lieu  le  vent  pestilent  vente. 

ï  Fuy  les  hauts  lieux,  de  peur  que  de  Tonnere  (G) 

»  Ne  soit  touchéiî,  où  ])ien  souvent  on  erre. 

»  Ne  suy  celui  qui  en  la  gauche  Roye 

»  S'est  abusé;  pas  n'est  la  bonne  voye. 

A.  L'amiral  do  Coligiiy  et  ses  frères. 
15.  Le  cliaiKclier  Michel  de  l'Hospital. 

C.  Louise  de  Clermont,  comtesse  de  Tonnerre,  mariée  à  Antoine  de  Crussol,  duc  d'Uzes. 

D.  Louis  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  mari  d'Éléonore  de  Roye. 


—  107  — 

La  cour,  lorsqu'elle  y  résida,  dans  l'été  de  1561,  était  devenue 
une  sorte  de  milieu  neutre,  dans  lequel  l'élément  protestant 
contre-balançait  l'élément  catholique  et  aspirait  à  une  reconnais- 
sance officielle,  dont  on  s'accordait  à  envisager  comme  signe 
précurseur  le  prochain  colloque  de  Poissy. 

On  vit  alors,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  ailleurs  (1),  le  prince 
et  la  princesse  de  Gondé  ouvrir  journellement  leur  demeure  aux 
prédications  de  Théodore  de  Bèze,  qui  attiraient  un  grand  con- 
cours d'auditeurs  (2),  et  déployer  au  service  de  la  religion 
réformée  une  ardeur  qu'un  contemporain  (3)  qualifiait  d'in- 
croyable. Mais,  qu'était  l'ardeur  du  mari,  comparée  à  celle  de  la 
femme?  Peu  riche  de  son  propre  fonds,  en  fait  de  convictions 
religieuses,  entraîné  par  un  zèle,  sincère  sans  doute,  mais  su- 
perficiel et  plus  impétueux  que  soutenu,  Condé  étendait  sur  les 
protestants  un  protectorat  dans  l'exercice  duquel  un  esprit 
éclairé  et  ferme  lui  venait  en  aide.  Les  opinions  qu'il  émettait 
devant  eux,  les  conseils  qu'il  leur  donnait,  l'appui  qu'il  leur 
accordait,  sans  se  départir  des  règles  de  l'impartialité  entre  les 
sectateurs  des  deux  cultes,  alors  qu'il  s'agissait  de  réprimer  des 
écarts  commis  (4),  se  ressentaient,  la  plupart  du  temps,  de  la 
douce  et  pénétrante  influence  acquise  sur  lui  par  l'incomparable 
compagne  que  Dieu  lui  avait  donnée.  Éléonore  de  Roye  et  lui, 
durant  leur  séjour  à  la  cour,  lors  du  colloque  de  Poissy,  ren- 
dirent à  leurs  coreligionnaires  de  tous  rangs  d'importants 
services. 

A  leurs  généreux  efforts  s'associaient  les  membres  les  plus 

(1)  Les  protestants  à  la  cour  de  Saint-Germain,  lors  du  cùlloque  do  Poissy, 
in-8°,  Paris,  1874. 

(2)  Beza  Calvino,  30  aug.,  1561,  ap.  Baum,  app.  p.  58  :  «  Ego  quotidie  con- 
»  cionem  habui  in  principis  ;edibus,  tanto  lioniinuin  concursu  ut  pœne  opprime- 
î  renuir.  y>  —  Mém.  do  Cl.  Hattoii,  t.  I,  p.  15(!. 

(3)  John.  Guil.  Stuckius  ad  Cour.  Ilubortuni,  18  sept,  ir.til,  ap.  lîauni,  appond. 
p.  65. 

(l)  Lettre  du  prince  de  Condé  au  lieutenant  do  lioyo,  du  11  novembre  1561. 
(Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3187,  f°3.) 


—  108  — 

pieux  et  les  plus  distingués  de  leur  famille,  qui  se  groupaient 
alors  autour  d'eux,  au  château,  dans  le  cercle  de  l'intimité, 
savoir  :  la  comtesse  de  Roye,  le  comte  et  la  comtesse  de  La- 
rochelbucault,  Jeanne  d'Albret,  l'amiral  et  sa  femme,  le  prince 
et  la  princesse  de  Portien.  Toutes  les  pensées  échangées  par 
ces  belles  âmes,  au  sein  d'une  confiance  réciproque,  avaient 
pour  but  le  soulagement  des  maux  qu'endurait  la  France, 
l'éloignement  des  périls  qui  la  menaçaient,  et  le  pacifique 
triomphe  de  la  liberté  religieuse. 

'  De  sympathiques  hommages,  de  puissants  encouragements, 
venaient,  en  même  temps,  du  dehors  fortifier  l'attitude  chré- 
tienne qu'avaient  prise  à  la  cour  Éléonore  et  les  principaux 
membres  de  sa  famille.  Quelles  paroles,  entre  tant  d'autres,  que 
celles  qu'adressait  Calvin  à  la  comtesse  de  Roye,  en  insistant 
sur  sa  piété  et  sur  ses  privilèges  de  mère  !  «  Madame,  lui  écri- 
y>  vait-il,  le  24  septembre  1561  (1),  j'ay  bien  occasion  de  glo- 
»  rifier  Dieu  de  la  grande  vertu  qu'il  a  mise  en  vous  pour 
»  advancer  le  règne  de  nostre  Seigneur  Jésus-Christ,  en  faisant 
»  protestation  franche  et  pure  de  suivre  la  vérité  de  l'Évangile, 
»  en  la  vie  et  en  la  mort,  comme  c'est  toute  nostre  félicité  que 
))  d'estre  disciples  de  ce  grand  maistre  et  subjects  de  ce  sou- 
»  vcrain  roy  qui  nous  a  esté  envoyé  du  ciel  pour  nous  retirer  de 

»  perdition  à  l'espérance  du  salut  éternel  qu'il  nous  a  acquis 

))  Il  y  a  encore  un  aultre  bénéfice  de  surcroist,  que  tant  madame 
))  la  princesse  que  madame  sa  sœur,  vos  lilles,  vous  tiennent 
»  compagnie  à  tendre  et  aspirer  au  droit  but  de  nostre  vie, 
y>  s'adonnant  d'un  commun  accord  et  se  desdiant  à  l'obéissance 
»  de  la  pure  vérité.  » 
Il  n'est  pas  jusqu'à  l'impression  produite  par  Éléonore  et  par 


(1)  Lettres  françaises,  t.  II,  p.  133  à  i35.  —  Voir  ]bid.,\^.  A-IG  à  .iZ%  les  let- 
tres, qu'à  cette  nièiiie  date  du  2i  septembre  1501  Calvin  écrivait  à  l'amiral  et  à 
Charlotte  de  Laval;  puis  (p.  i37  et  suiv.)  sa  lettre  du  "21  décembre  1501  à 
Jeanne  d'Albret. 


—  100  — 
sa  mère  sur  de  simples  étrangers,  en  passage  à  Saint-Germain, 
le  51  novembre  1561,  qu'il  ne  soit  intéressant  de  constater, 
«c  Nous  fûmes  (racontent  les  théologiens  palatins  et  ^vurtem- 
y>  bergeois  (i)  qui  n'arrivèrent  qu'après  la  clôture  du  colloque 
y>  de  Poissy)  reçus  par  la  princesse  de  Condé  :  son  accueil  fut 
y>  des  plus  aimables.  Elle  nous  fit  part  de  ses  vives  préoccupa- 
yy  tions  et  de  ses  vœux  ardens  pour  l'extension  de  la  piété  chré- 
y>  tienne  dans  les  âmes,  et  nous  exhorta  à  y  concourir  par  des 
»  efforts  soutenus.  Ce  qu'elle  savait  de  l'étendue  de  ceux  aux- 
y>  quels  se  livrait  Frédéi'ic  III  la  portait  à  désirer  qu'il  fût  in- 
))  formé  des  prières  qu'elle  adressait  au  ciel  en  sa  faveur.  Nous 
3)  vîmes,  en  même  temps  que  la  princesse  madame  de  Roye,  sa 
»  mère,  femme  d'une  rare  piété  et  d'un  noble  caractère,  qui, 
))  depuis  bien  des  années,  professe  la  religion  évangélique,  dans 
»  les  voies  de  laquelle  elle  a  attiré  ses  filles,  son  gendre  et  plu- 
»  sieurs  autres  personnes.  Sa  conviction  et  son  zèle  motivèrent 
))  récemment,  sous  François  II,  son  incarcération.  Douée  d'une 
y>  éloquence  réelle  et  d'un  grand  amour  pour  la  vraie  religion, 
y>  cette  noble  dame  nous  a  parlé  avec  entraînement  des  senti- 
y>  mens  qui  l'animent.  » 

Des  hommages  identiques  à  ceux  dont  Éléonore  de  Roye  et 
sa  mère  étaient  ainsi  l'objet  s'adressaient,  vers  la  même  époque, 
à  la  reine  de  Navarre;  mais,  quel  contraste  entre  ces  hommages, 
venant  de  l'extérieur,  et  les  tortures  morales  qu'infligeait  à 
Jeanne  d'Albret,  au  foyer  domestique,  son  indigne  mari,  devenu 
l'esclave  de  honteuses  passions,  et  le  triste  jouet  des  Guises, 
ainsi  que  des  cours  d'Espagne  et  de  Rome  !  Vainement  le  prince 
et  la  princesse  de  Condé,  témoins  des  angoisses  de  leur  pieuse 
belle-sœur,  s'efforçaient-ils  de  ramener  Antoine  de  Bourbon  au 
sentiment  de  ses  devoirs  conjugaux  et  paternels  :  sourd  à  leurs 

(1)  Voir  une  relation  en  langue  latine,  adressée  en  décembre  1301 ,  par  Diller 
et  Boquin  à  l'électeur  Frédéric  111.  (Kluckliohn,  Briefe  Friedrich  des  Frommen, 
erst.  Band,  p.  224.) 


—  110  — 
exhorlaiionSj  cet  homme,  qui  iiaguères  se  targuait  de  suivre  et 
de  protéger  la  religion  réformée,  et  qui  maintenant  s'était 
tourné  contre  elle  (1),  s'obstinait  à  froisser  sa  noble  femme 
dans  les  plus  chers  intérêts  de  son  âme,  dans  ses  plus  vives 
affections,  et  prétendait  lui  arracher,  avec  la  liberté  d'exercice 
du  culte  auquel  elle  demeurait  fidèle,  la  direction  religieuse  de 
son  fils.  Trop  énergique  et  trop  fière  pour  plier,  un  seul  instant, 
sous  le  joug  d'une  oppression  brutale,  Jeanne  d'Albret  se 
dégagea  résolument  des  étreintes  de  l'épreuve  :  abandonnant 
Antoine  de  Bourbon  aux  conséquences  de  sa  lâche  défection, 
elle  se  retira,  tète  levée,  et  prit  le  chemin  de  ses  États. 

Éléonore  de  Roye  vit  avec  douleur  s'éloigner  celle  qu'elle  ai- 
mait comme  une  sœur.  Sa  tendre  affection  et  sa  sollicitude  sui- 
virent la  jeune  reine  dans  l'austère  retraite  que  la  force  des  cir- 
constances lui  imposait. 

Cependant,  en  dépit  des  obsessions  du  triumvirat  et  de  ses 
adhérents  français  et  étrangers  (2),  le  prince  et  la  princesse  de 
Condé,  sous  un  régime  précaire  qui  n'était  encore  que  celui  d'une' 
tolérance  tacite,  continuaient,  soit  à  la  cour,  soit  dans  leurs  de- 
meures privées,  à  faire  respecter  l'exercice  de  leur  culte,  lorsque 
vint  le  moment  oiî  ils  purent  le  croire  placé  désormais  à  l'abri 
de  toute  atteinte  par  un  acte  solennel,  dû  aux  efforts  combinés 
de  leur  oncle  Gaspard  de  Coligny  et  du  chancelier  de  l'IIospital. 

Le  célèbre  édit  de  janvier  4562,  qui  accordait  à  la  religion 
réformée  une  existence  légale,  trop  longtemps  méconnue,  sou- 
leva dans  le  parti  catholique  une  désapprobation  que  les  par- 
lements, instruments  dociles  du  triumvirat,  fomentèrent  par 
d'audacieuses  résistances.  Il  ne  suffisait  pas  que  ces  résistances 
cessassent  devant  des  lettres  de  jussion  aboutissant  à  un  enregis- 

(1)  N.  (le  15or(lenave,///s/.  de  Béani  et  Navarre,  1873,  iii-8'\  p.  109.  — 3/m. 
de  Condé,  t.  III,  p.  190. 

(2)  Calcnd.  of  State  pap.  forcign,  IG  février  1502.  Throckinorlon  to  llicQuccn. 
—  Ibid.,  G  mars  15G2,  Throckiuorton  to  tlie  Qiieen. 


—  111  - 
trement  de  l'édit  :  il  fallait,  de  plus,  que  cet  édit,  une  fois  pro- 
mulgué, loin  de  demeurer  à  l'état  de  lettre  morte,  fût  observé 
dans  toute  l'étendue  du  royaume,  à  commencer  par  la  capitale, 
au  sein  de  laquelle  fermentait  une  opposition  menaçante.  Le 
prince  de  Condé,  relevant  à  peine  d'une  grave  maladie,  fut  char- 
gé par  le  gouvernement  d'en  assurer  l'exécution  à  Paris  (1)  ; 
mission  ardue  qu'il  accepta  aussitôt  avec  un  dévouement  d'autant 
plus  digne  d'éloge,  que  le  massacre  de  Vassy  venait  d'éclater,  et 
que  le  contre-coup  s'en  faisait  déjà  sentir  dans  la  masse  intolé- 
rante et  factieuse  de  la  population  parisienne.  La  fidèle  com- 
pagne du  prince,  toujours  à  ses  côtés,  dès  qu'il  s'agissait  d'af- 
fronler  un  péril,  ne  voulut  pas  se  séparer  de  lui  dans  l'accomplis- 
sement de  cette  mission.  Elle  savait  bien  que  par  là  elle  com- 
promettait à  un  haut  degré  ses  forces  physiques  et  sa  santé,  déjà 
fortement  ébranlées  ;  mais  peu  lui  importail,  car  son  noble  cœur 
savait  étendre  jusqu'à  leurs  dernières  limites  les  saintes  abnéga- 
tions de  l'amour  conjugal. 

Tandis  qu'assisté  de  la  princesse,  Condé  rassurait  les  protes- 
tants par  sa  présence  dans  la  grande  ville,  où  il  s'attachait  à 
maintenir  l'ordre  et  à  protéger  leur  culte,  le  duc  de  Guise,  ar- 
rivé de  Vassy  à  Nanteuil,  affectait  d'y  tenir  une  sorte  de  cour,  et 
se  disposait  à  quitter  avec  ses  partisans  cette  résidence,  pour  se 
rendre  non  à  Monceaux,  où  l'appelaient  expressément  le  roi  et  la 
reine  mère,  mais  à  Paris,  afin  d'y  neutraliser  l'action  du  prince 
et  de  l'en  expulser.  Bientôt,  escorté  du  connétable,  du  maréchal 
de  Saint-André  et  de  nombreux  seigneurs,  il  y  faisait,  aux  accla- 
mations enthousiastes  de  la  foule,  une  entrée  triomphale,  y  atti- 
rait peu  après  le  roi  de  Navarre;  et,  insultant  aux  prérogatives 
de  la  royauté,  y  agissait  en  maître. 

Nul,  parmi  les  protestants  éclairés  qui  se  trouvaient  alors  dans 

(1)  Calmd.  of  State  pap.,  foreign.  —  10  février  lôGH.  Tlirockmortoii  to  tlie 
Queen.  —  Ibid.,  9  mars  15G'2,  Throckmorton  to  Ihe  Qiieen.  —  Déclaration  du 
prince  de  Condé  du  8  août  1502.  —  Méin.  de  Condé,  t.  111,  p.  223,  221. 


—  H2  — 
la  capitale,  ne  se  méprenait  sur  la  gravité,  chaque  jour  crois- 
santé,  de  la  situation.  De  là  les  lignes  suivantes  adressées  par 
l'un  d'eux  aux  Églises  réformées  de  France  (1)  :  (c  ...Vous  en- 
3)  tendrez  doncques  la  nécessité  en  laquelle  nous  nous  sommes 
y>  retrouvez  depuis  peu  de  jours,  comme  Dieu  nous  en  a  garanti 
))  par  la  constance  et  vertu  qu'il  a  donné  à  monseigneur  le  prince 
»  de  Condé  pour  nous  assister  en  effect  en  cet  extrême  besoin, 
»  sans  dissimulation  aulcune,  l'affection  singulière  dudit  sei- 
»  gneur  et  prince  à  maintenir  l'authorité  du  roy  et  la  liberté 
y>  octroyée  aux  églises  par  le  dernier  édit,  et  finalement  les  forces 
»  et  menaces  de  nos  ennemis  !  sur  cela  il  vous  est  aisé  de  con- 
y>  dure  que  si  jamais  il  fut  besoin  de  penser  à  soy,  de  se  munir 
y>  pour  obvier  à  tels  desseings,  c'est  maintenant,  sans  user  de 
y>  tergiversations  ni  longues  consultations.  Car  il  est  question 
))  d'estre  du  tout  ruinez  et  quant  à  Testât  de  la  conscience  et 
y>  quant  aux  corps  et  aux  biens,  ou  bien  de  s'opposer  entièrement 
y>  et  résolument  à  ceulx  qui  non-seulement  contre  Dieu  et  raison 
))  comme  ils  ont  toujours  faict,  mais  aussi  contre  la  défense  du' 
:î>  roy  (ce  que  jamais  nous  n'avons  obtenu  jusques  à  présent)  ont 
»  soif  de  nos  vies  et  de  nos  biens.  y> 

Entre  les  forces  énormes  dont  le  duc  de  Guise  disposait,  et 
les  quelques  centaines  d'hommes  sur  lesquelles  seules  Condé 
pouvait  compter,  la  disproportion  était  trop  grande  pour  que  ce 
prince  songeât  à  accepter  la  lutte.  Le  judicieux  et  brave  de 
Lanoue  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard  (2)  :  «  Quant  à  la 
D  force  nerveuse  et  asseurée,  dit-il,  de  quoy  ceux  de  la  religion 
3)  faisoyent  estât,  elle  consistoit  en  trois  cents  gentilshommes 
y>  et  autant  de  soldats  expérimentez  aux  armes  :  plus  en  quatre 
y>  cens  escholiers,  et  quelques  bourgeois  volontaires,  sans  expé- 
»  rience.  Et  qu'estoit-ce  que  cela  contre  un  peuple  comme  in- 

.    (1)  Lctlrc  de  Th.  de  Bèzc,  du  25  mars  150-2  (aji.  lîaum,  app.  p.  17-2,  mss.  de 
Genève). 
(2)  De  Lanoue,  Discours  polit,  et  milit.  Bàle,  1587,  p.  657,  G58. 


—  113  — 
y>  fini,  sinon  une  petite  mousche  contre  un  grand  éléphant?  Je 
y>  cuide  que  si  les  novices  des  couvents,  et  les  chambrières  des 
y>  prestres  seulement,  se  feussent  présentées  à  l'imprôveue  avec 
y>  des  basions  de  cotterets  es  mains,  que  cela  leur  eust  fait  tenir 
»  bride.  Néantmoins  avecques  leur  foiblesse  ils  feirent  bonne 
))  mine,  jusques  à  ce  que  la  force  descouverte  des  princes  et  sei- 
3)  gneurs  liguez  les  contraignit  de  quitter  la  partie.  » 

En  se  résignant  à  un  départ  de  la  capitale,  provoqué  d'ailleurs, 
ainsi  que  celui  du  duc  de  Guise,  par  la  reine  mère,  Gondé  évitait, 
pour  le  moment  du  moins,  Teffusion  du  sang.  Catherine  de 
Médicis,  dans  une  correspondance  mémorable  (i),  venait  de 
réclamer  l'appui  de  son  dévouement  et  de  son  énergie  :  il  sem- 
blait même  qu'elle  l'appelât  près  d'elle  et  du  roi.  L'hésitation 
n'était  donc  pas  permise.  Ajoutons  qu'aux  préoccupations  de 
l'homme  d'État  et  du  guerrier  se  joignaient,  dans  l'esprit  du 
prince,  celles  du  mari  et  du  père.  En  effet,  Éléonore  de  Roye,  qui 
ne  l'avait  pas  quitté,  se  trouvait  en  ce  moment  dans  un  état  avancé 
de  grossesse  réclamant  d'extrêmes  ménagements  et  un  abri  as- 
suré, si  tant  était  qu'il  fût  possible  d'en  rencontrer  un,  dans  les 
temps  de  troubles  qu'elle  et  lui  traversaient.  Il  prit  donc  la  réso- 
lution ((  d'aller  en  sa  maison  de  la  Ferté-sous-Jouarre,  pour  y 
»  remire  la  princesse  sa  femme,  qui  estoit  preste  d'accoucher, 
))  ayant  toutesfois  adverti  l'amiral  et  Andelot  qu'il  prendrait  son 
))  chemin  par  la  ville  de  Meaux,  afin  d'aviser  ensemble  ce  qu  ils 
»  auraient  à  foire  (2).  » 

Partis  de  la  capitale  le  22  mars  (3),  le  prince  et  la  princesse 
ne  tardèrent  pas  à  arriver  à  Meaux. 

(1)  «  Lettres  envoyées  par  la  royne  à  monsieur  le  prince  de  Condé,  par  les- 
»  quelles  elle  le  prie  d'avoir  en  recommandation  Testât  de  ce  royaume,  la  vie  du 
»  roy  et  la  sienne,  et  entreprendre  la  delTence  contre  ses  ennemis.  »  Mém.  de 
Condé,  t.  111,  p.  ;213  à  iil5.  —  Le  Laboureur,  addit.  au\  Mém.  de  Castelnau,  1. 1, 
p.  763,  7G4,  et  t.  II,  p.  40.  Texte  et  annotations  des  dites  lettres.  Elles  doivent 
avoir  été  écrites  vers  le  milieu  du  mois  de  mars  i5()-2. 

C2)Bèze,  Hist.  eccL,  1. 11,  p.  5. 

(3)  Th.  deBèze,  qui  accompagnait  le  prince  et  la  princesse  de  Condé,  écrivait 

8 


—  1  u  — 

Que  se  passa-t-il  pendant  leur  court  séjour  dans  cette  ville,  et 
quelle  direction  prit  Condé  en  en  sortant?  Un  témoin  fidèle  (1) 
présent  sur  les  lieux,  et  activement  mêlé  aux  événements  qui  se 
pressaient  alors,  nous  l'apprend  en  ces  termes  : 

«  Monsieur  le  prince  de  Condé  estant  là  avecques  une  bonne 
y>  suite  de  noblesse,  envoya  en  diligence  vers  messieurs  l'amiral 
))  et  d'Andelot,  et  leur  manda  que  faute  de  courage  ne  l'avoit 
»  contraint  d'abandonner  Paris,  ains  faute  de  force  et  qu'ils 
)  marchassent  en  diligence  vers  lui  :  car  Cœsar  n'a  voit  pas  seu- 
r)  lement  passé  le  Rubicon,  mais  desjà  avoit  saisi  Rome,  et  ses 
j>  estendards  commençoyent  à  bransler  par  les  campagnes.  Ce 
y>  qu'ils  firent  incontinent,  avec  tous  leurs  amis  et  équipage,  sans 
y>  toutesfois  descouvrir  les  armes  que  ceux  de  la  Ligue  avoient  jà 
»  descouvertes.  Là  falut-il  séjourner  cinq  ou  six  jours,  tant  pour 
))  délibérer  de  ce  que  l'on  feroit,  que  pour  la  cène,  qui  se  célébroit 
»  le  jour  de  Pasques.  Monsieur  l'admirai,  qui  n'estoit  pas  novice 
y>  es  affaires  d'Éstat,  prévoyant  que  le  jeu  s'alloit  eschauffer,  re- 
y>  monstra  qu'il  convenoit  se  renforcer  d'hommes  diligemment, 
D  ou  se  préparer  à  la  fuite  :  et  encores  craignoit-il  qu'on  eust 
»  beaucoup  tardé.  Mais  comme  l'on  estoit  en  tels  termes,  gen- 
y>  tilshommes  arrivoyent  inopinément  de  tous  costez,  sans  avoir 
3  esté  mandez  :  de  manière  qu'en  quatre  jours  il  s'en  trouva  là  plus 
3  de  cinq  cents.  Ce  renfort  les  fit  résoudre  de  desloger,  et  à  deux 
j>  fins,  l'une  pour  essayer  de  gaigner  la  cour,  et  s'installer  auprès 
»  du  roy  et  de  la  royne,  et,  ne  le  pouvant  faire,  se  saisir  d'Orléans, 

de  Meaux,  à  la  fin  du  mois  de  mars  1502  (IJibl.  de  Genève,  mss.,  f"  1 17)  :  «  Die 
»  vicesinui  socunda  liujus  mensis  excessimus  ex  urbe,  mo  quidem  invito  sed 
i)  frustra  reluctante.  Postridie  Meldas  pervenimus,  ubi  quotidic  augentur  copiie. 
»  Ilcri  demum  sese  nobiscum  conjunxit  Possidonius  (Coligny),  qui  utinam  cilius 
»  advenisset.  Cras  cœnam  favente  Dco  celebrabimus.  Andelotus  quoque  aderit 
>  cum  magna  turma  et  alios  subinde  adventantes  excipiemus....  Nostris  video 
»  nec  aniiuuin  déesse,  nec  vires,  sed  prœclaras  occasiones  noslra  cunclationc  jam 
»  amissas  esse,  îogerrimc  foro.  » 
(1)  De  Lanoue,  Disc,  pulil.  et  milil.,  p.  G31 ,  G52. 


—  115  — 
y>  pour  là  dresser  une  grosse  teste,  si  on  venoit  aux  armes.  Ayant 
»  doncques  recueilli  en  six  jours  ce  qu'ils  n'espéroyent  pas 
y>  avoir  en  un  mois,  ils  s'acheminèrent  vers  Saint-Cloud,  où  la 
))  troupe  se  renforça  de  trois  cens  bons  chevaux  :  et  là  ils  eurent 
»  advertissement  que  monsieur  de  Guise  et  ses  associez  s'es- 
))  toyent  emparez  de  la  cour  :  laquelle  diligence,  bien  à  propos 
))  pour  eux,  rompit  le  premier  dessein  de  monsieur  le  prince  de 
))  Condé,qui  y  vouloit  faire  le  mesme,  et  s'authorizer  de  la  fa- 
»  veur  du  roy,  pour  la  conservation  de  lui,  et  de  ceux  de  la  reli- 
»  gion.  De  Saint-Cloud  ils  marchèrent  vers  Chartres  et  Anger- 
»  ville,  et  par  le  chemin  rencontrèrent  cinq  ou  six  troupes  de 
))  noblesse,  ce  qui  apporta  de  l'esbahissement,  quand  on  consi- 
»  déroit  le  soudain  rengrossissement  de  nostre  corps,  qui  n'estoit 
»  moindre  de  mille  gentilshommes,  qui  faisoyent  bien  quinze 
))  cents  chevaux  de  combat,  plus  armez  de  courage  que  de  cor- 
»  celets.  Après  on  tira  vers  Orléans  qui  fut  pris  de  la  façon  que 
y>  les  historiens  l'ont  descrit.  » 

Le  jour  même  où  le  prince  de  Condé  avait  quitté  Meaux  et 
s'était  dirigé  vers  Orléans,  la  princesse  était  partie  pour  son  châ- 
teau de  Muret.  Elle  était  «  accompagnée  du  marquis  de  Contv, 
))  son  fils  aisné  aagé  pour  lors  de  huit  à  neuf  ans  seulement  avec 
y>  ses  femmes  et  bien  peu  d'autre  train  (1).  y>  C'est  assez  dire, 
qu'elle  et  son  faible  entourage  se  trouvaient  livrés  sans  défense 
aux  lâches  agressions  qui  pouvaient  se  produire,  durant  un  trajet 
péniblement  entrepris.  Les  faits  ne  le  prouvèrent  bientôt  que  trop 
clairement;  car  elle  fut  assaillie  par  une  bande  de  fonatiques, 
sous  les  coups  de  laquelle  elle  et  son  fils  faillirent  succomber. 
Ecoutons  à  ce  sujet  le  récit  de  l'une  de  ses  amies  {^)  : 

«  Ainsi  que  la  princesse  s'acheminoit,  passant  par  un  village 

(1)  Bèze,  Hist.eccl.,  t.  H,  p.  11. 

(2)  Epistre  iriuie  damoiselle  fraiiçoise,  etc.,  etc.,  iôG'i,  p.  3  et  i. 


—  116  — 

»  nommé  Vauderay,  près  Lizy-sur-Ours,  une  fourmière  de 
>  païsans  qui  estoient  en  procession  luy  courut  sus,  et  à  mon- 
»  sieur  le  marquis  de  Gonty,  à  coups  de  pierres  et  de  bastons  de 
))  croix  et  de  banières,  sans  aucune  occasion,  sinon  que  ceste 
))  troupe  fust  suscitée  et  barée  par  un  prestre  malin,  en  haine 
))  de  la  religion.  Or,  les  feux  des  troubles  commençoicnt  lors  à 
»  s'allumer,  et  de  toutes  parts  on  en  voyoit  jà  des  eslincelles  ! 
»  Geste  fureur  et  rage  populaire  esmeut  ceste  bonne  dame  de  telle 
y>  façon,  qu'estant  sur  la  fin  du  huictiesme  mois,  elle  accoucha,. 
3)  le  jour  mesme,  de  deux  fils  par  frayeur  et  avant  terme,  au  vil- 
»  lage  de  Gandelu,  sans  qu'elle  eust  loisir  de  pouvoir  gaigner 
»  aucune  de  ses  maisons.  Et  peu  de  jours  après,  comme  elle 
-»  estoit  courageuse  et  active  de  son  naturel,  elle  se  mit  en  che- 
»  min  pour  aller  à  Orléans  vers  monseigneur  son  mari,  où  elle 
))  parvint  à  grandes  et  difficiles  journées  :  car  vous  pouvez  penser 
))  queles  passages  estoient  jà  occupez,  et  qu'il  fallait  user  de  ruse 
»  et  s'exposer  en  danger  pour  faire  ce  hasardeux  voyage  (i).  » 

L'amie  de  la  princesse  ajoutait  :  «  Vous  sçavez  que  jamais 
»  femme  n'aima,  ne  chérit,  n'honora,  ne  respecta  plus  mari 
»  qu'elle  faisoit  le  sien.  i>  Gette  vérité,  qui  déjà  avait  éclaté  avec 
une  irrésistible  évidence  à  Orléans,  lors  du  procès  du  prince, 
se  reproduisit,  au  moment  du  nouveau  départ  d'Éléonore  de 
Roye  pour  cette  môme  ville,  en  avril  i562.  Quelle  plus  grande 
preuve  d'affection  et  de  dévouement  pouvait-elle  donner  à  son 
mari,  que  de  sacrifier,  pour   le  rejoindre,  non-seulement  sa 

(1)  Beza  ad  Turicenses  et  Bernâtes,  12  avril  15G2  (mss.  Turicens.  ap.  Bauni^ 
app.  p.  1<S1)  :  4  P.  S.  — Omiserani  iiulignuni  facinus.  Coiulensis  principis  uxor 
»  praîgnans,  dum  profecto  niarito  ad  suos  lovertitur,  ecce  rusticoruni  iiiauus 
■»  principis  fdiuni  circitcr  novem  annos  natum  in  equo  inscdentcm  lapidibus  ad- 
■»  greditur,  et  duos  ex  ejus  comitatu  vulneral.  Mater  lilii  periculo  ita  fuit  percussa 
»  ut  co  ipso  die  immaturo  partu  gemellos  sit  enixa.  Vivit  tanicn  uterque  et  puer- 
»  pera  salis  bcne  habet.  Sed  bine  conjicilo  quo  us(pie  progressa  sit  lioslium  ra- 
ï  bies  et  quantopere  necesse  sit  eam  reluudi,  cuni  expressis  ediclis  regiis  nita- 
»  mur.  )) 


—  117  — 

santé,  sa  vie  peut-être,  mais  jusqu'aux  plus  douces  prérogatives 
du  cœur  maternel,  en  se  séparant  de  ses  enfants  en  bas  âge, 
sans  savoir  si  jamais  il  lui  serait  donné  de  les  revoir  !  Dieu  permit 
du  moins  qu'elle  laissât  ces  êtres  chéris  aux  mains  de  la  com- 
tesse de  Roye  :  un  seul  d'entre  eux,  l'aîné,  partit  avec  elle. 

Suivons  maintenant  la  princesse  de  Condé  dans  chacune  des 
phases  de  la  noble  mission  qu'elle  va,  pendant  toute  une  année, 
accomplir  à  Orléans. 


CHAPITRE  Yll 


Il  est  de  saintes  et  profondes  émotions  qui  ne  peuvent  se 
traduire  dans  un  récit  :  telles  furent  celles  du  revoir,  pour  la 
princesse  de  Condé,  au  sein  de  sa  famille,  à  Orléans,  alors 
qu'elle  trouva  près  de  son  mari,  Coligny,  Charlotte  de  Laval  et 
leurs  enfants,  d'Andelot  et  les  siens,  le  comte  de  la  Rochefou- 
cauld, et  le  prince  de  Portien.  A  l'affectueux  accueil  qu'elle 
reçut  des  uns  et  des  autres  se  joignirent  bientôt  les  chaleureux 
hommages  de  chefs  militaires,  déjeunes  seigneurs,  de  ministres 
de  l'Évangile,  qui  eurent  accès  près  d'elle,  notamment  de  Sou- 
bise,  de  Rohan,  de  Moiiy,  d'Esternay,  d'Yvoy,  de  ]Morvilliers,  de 
Genlis,  de  Canny,  de  Lanoue,  de  Téligny,  de  Th.  de  Rèze,  de 
Chandieu. 

A  peine  la  princesse  se  fut-elle  entretenue  de  la  marche  des 
événements  avec  son  mari,  sa  famille  et  ses  amis,  qu'elle  mesura 
d'un  coup  d'œil  la  gravité  de  la  situation.  Le  massacre  de  Vassy, 
suivi  d'une  impunité  scandaleuse,  l'atteinte  portée  par  les 
Guises  et  le  triumvirat  à  la  personne  du  roi,  leurs  incitations, 
occultes  ou  patentes,  au  meurtre  des  protestants  parmi  des 
populations  haineuses  ou  égarées,  la  concentration,  opérée  par 
eux,  de  forces  militaires  auxquelles  devaient  s'adjoindre  celles 
qu'ils  recrutaient  à  l'étranger,  l'effroyable  accomplissement  de 
nouveaux  massacres  sur  divers  points  de  la  France  :  tout  avait 
promptcmcnt  concouru  à  pousser  Condé  et  ses  adhérents  à  une 


—  110  — 

prise  d'armes  qui,  de  leur  part,  ne  constituait  que  l'exercice  du 
droit  de  légitime  défense.  Voilà  ce  que  comprit,  avec  sa  perspi- 
cacité habituelle,  la  princesse  :  aussi  se  plaça-t-elle  de  suite  en 
face  des  grands  devoirs  qui  lui  étaient  désormais  imposés. 
L'auxiliarité  la  plus  puissante  que,  dans  l'accomplissement  des 
siens,  pût  recevoir  Louis  de  Bourbon,  était  celle  que  lui  appor- 
tait son  héroïque  compagne. 

Orléans  devait  servir  de  base  aux  opérations  militaires  des 
protestants,  dans  la  guerre  civile  dont  leurs  implacables  ennemis 
étaient  les  promoteurs.  Tandis  que  Condé,  tout  en  se  mainte- 
nant dans  cette  place  avec  ses  principaux  lieutenants,  faisait 
rayonner  au  dehors  son  activité  et  la  combinait  avec  celle  de 
plusieurs  chefs  réformés,  dans  les  provinces,  des  efforts  étaient 
tentés  à  la  cour  pour  étouffer  dans  son  germe,  ou  tout  au  moins 
pour  retarder,  dans  son  explosion,  une  collision  devenue  im- 
minente. 

Trois  mois  environ  s'écoulèrent  en  négociations  entamées  et 
maintes  fois  reprises,  à  l'instigation  de  Catherine  de  Médicis,  par 
des  intermédiaires  de  son  choix. 

Au  point  de  vue  d'une  action  directe  à  exercer  sur  le  prince 
de  Condé  dans  le  cercle  de  sa  famille,  il  fut  fait  successivement 
appel  à  l'intervention  de  la  comtesse  de  Roye  (1)  qui,  du  fond  de 
sa  retraite  de  Muret,  répondit  par  un  refus,  et  à  la  médiation  du 
cardinal  de  ChAtillon  qui,  Hbre  d'accepter  un  rôle  que  sa  sœur 
était  fondée  à  décliner,  tenta  ainsi  que  sa'  correspondance  avec 
la  reine  mère  l'atteste  (2),  un  rapprochement  difticile  à  opérer.  Il 
ne  put  réussir  à  foire  accueillir  par  le  parti  qui  maîtrisait  la  cour 
les  justes  revendications  du  prince  de  Condé  et  de  son  conseil. 

(1)  La  Popeliiiièro,  7//.s^  de  Fr.,  t.  I,  p.  305.  —  Dèze,  Hist.  eccL,  t.  11,  p.  38 

(2)  Lettres  du  cardinal  à  Catherine  de  Médicis,  des  7,  15,  20  avril  et  22  mai 
1562  (nibLnat.,mss.  f.  fr.,vol.  6,011, f»«  59,  61,6i,67).—  Lettre  de  Catiieriiie 
au  cardinal,  du  10  avril  1562  {Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  210  à  210).  —  Voir,  en 
outre,  une  déclaration  rovale  du  22  août  I5()2  (^Arcliiv.  nation,  do  France,  J., 
969). 


—  120  — 
Nous  n'aborderons  point  ici  l'examen  d'une  série  de  négocia- 
tions frappées  d'avance  de  stérilité  dans  lesquelles,  la  plupart 
du  temps,  s'efface  la  personnalité  d'ÉlÔonore  de  Roye.  Nous 
nous  bornerons  à  signaler  le  dur  sacrifice  dont  parfois  ces  négo- 
ciations menaçaient  son  cœur  de  mère.  Tel  fut  par  exemple,  un 
projet  de  convention  du  5  mai  1562  (1),  dont  l'exécution  devait 
être  garantie  par  une  dation  réciproque  d'otages;  le  prince  de 
Condé  pour  sa  part  «  présentait  à  ce  titre  non-seulement  mon- 
»  sieur  le  marquis  de  Gonty  son  fils  aisné,  mais  tous  ses  enfans 
»  entièrement,  comme  les  plus  précieux  gages  qui,  après  sa  foy 
»  et  sa  parolle,le  scauroyent  plus  seurement  piéger,  etc.,  etc.  » 
L'avortement  de  ce  projet  délivra  la  princesse  des  perplexités 
qui  l'agitaient  à  la  seule  pensée  de  voir,  s'il  eût  été  adopté,  ses 
enfans  «  estre  et  demeurer  sous  le  bon  plaisir  des  majestez  du 
))  roy  et  de  la  royne  {^) .  » 

Six  semaines  plus  tard,  la  princesse  de  Condé  apparut  mo- 
mentanément sur  le  théâtre  des  négociations,  dans  une  circon- 
stance particulière  où  elle  crut,  d'accord  avec  le  prince,  devoir 
s'absenter  d'Orléans. 

Une  conférence,  dont  un  observateur  attentif  a  minutieuse- 
ment  retracé  les  préliminaires  (3),  avait  eu  lieu  à  Toury  en 
Beauce,  dans  les  premiers  jours  de  juin,  entre  Condé,  la  reine 
mère  et  le  roi  de  Navarre  (4)  :  elle  était  demeurée  sans  résultat. 
A  l'issue  de  cette  conférence,  la  princesse  de  Condé  avait  ap- 
plaudi à  la  résolution  prise  par  son  mari  d'adresser  au  roi  de 
Navarre  une  lettre  (5)  dans  laquelle  se  traduisaient  en  termes 
élevés  les  sentiments  de  la  belle-sœur,  aussi  bien  que  ceux  du 

(1)  Mém.  de  Condé,  t.  III,  p.  3Si  et  suiv. 

(2)  Mém.  de  Condé,  Ibid. 

{d)Cale7id.  of  Stfite  pap.  foreign.,  9  juin  1502.  Throckmorton  to  Ihc  Queen. 

(4)  Calend.  of  State  pap.  foreign.,  9  juin  I5()2.  —  Tiirockmorlon  to  the  Queen, 
14  juin  ir)(i2,  id.  to  Clialloner;  2i  juin  1502,  id.  to  the  Queen. 

(5)  La  Popelinière,  Ilisl.  de  France,  in-f",  t.  I,  p.  317.  —  Bèze,  llist.  ceci., 
t.  II,  p.  78.  79,  8U.  —  Bibl.  nat.,  mss.  Collect.  Dupuy,  vol.  8(i,  f'^^  109,  110. 


—  121  — 

frère,  et  dont  voici  les  passages  les  plus  saillants  :  «  Le  témoi- 
y>  gnage  que  ma  conscience  m'a  tousjours  rendu  tant  de  l'inno- 
y>  cence  des  églises  refformées  que  de  vostre  bon  naturel  et  de 
))  toutes  mes  actions  m'avoit  persuadé  qu'en  faisant  comparaison 
»  de  ceulx  qui  sont  auteurs  de  ces  troubles  avec  moy,  qui  ay 
»  cest  honneur  de  vous  estre  frère,  et  duquel  l'entière  obéis- 
if)  sance  jusques  icy  vous  a  tousjours  esté  congneue,  vous  seriez 
»  pour  le  moins  avec  le  temps  plus  tost  esmeu  à  suyvre  le  droit 
))  de  l'affection  fraternelle  qu'à  vous  incliner  aux  persuasions  et 
»  artiffices  de  ceulx  qui  ne  sont  jamais  accreus  et  semblent  en- 
y>  cores  ne  se  pouvoir  maintenir  que  de  la  ruyne  de  vous  et  des 
»  vostres.  Et  de  fait,  je  n'ay  point  encores  perdu  ceste  espérance, 
»  quelque  apparence  que  je  voys  du  contraire,  qui  est  la  seule 
■»  cause  qui  m'a  maintenant  esmeu  à  vous  escripre  la  présente, 
»  plustost  avec  larmes  de  mes  yeulx  qu'avec  l'encre  de  ma 
»  plume,  car  quelle  chose  plus  triste  et  plus  pitoyable  me  pou- 
»  voit  advenir  que  d'entendre  que  vous  venez  la  lance  baissée 
»  contre  celuy  qui  voudroit  le  premier  et  devant  tous  aultres 
»  opposer  soy  mesmes  à  ceux  qui  prétendroient  de  vous  appro- 
»  cher,  et  que  vous  mectiez  peine  de  ravir  la  vye  à  celluy  qui  la 
»  tient  d'ung  mesme  père  et  mesme  mère  que  vous,  et  qui  ja- 
»  mais  ne  l'a  espargnée  et  ne  la  voudroit  encore  espargner  pour 
))  la  conservation  de  la  vostre....  A  Dieu  ne  plaise  que  l'obéis- 
»  sance   que  je  vous  doy  meure  jamais  qu'avec  moy,  voyre 
»  mesmes  à  la  condition  de  renaistre  à  ceulx  qui  ne  peuvent 
y>  sortir  de  moy  qu'ils  n'aient  cest  honneur  d'cstre  voz  plus 
))  proches  parents,  de  vostre  sang,  et  voz  naturels  serviteurs. 
))  Et  cependant  vous  me  permectrez  d'ignorer  comme  ceux-là 
))  vous  peuvent  estre  amys,  qui,  non  contens  de  chercher  pour 
))  la  deuxiesme  fois  la  mort  de  vostre  frère,  osent  bien  enlre- 
»  prendre  jusques-là  de  vous  faire  ministre  et  instrument  de 
»  leur  mauvaise  volonté.  Or,  tout  cecy  soit  dict  afin  que,  sinon 
»  pour  l'amour  de  moy,  au  moins  pour  l'honneur  de  Dieu  et  le 


122  

»  respect  de  vous  mesmes,  vous  considériez  toutes  ces  choses 
»  avant  que  de  passer  plus  oultre  contre  celluy  qui  par  ung  na- 
))  turel  debvoir  est  ung  second  vous  mesmes,  et  qui  de  sa  part, 
y>  ainsi  que  jamais,  Dieu  aydant,  il  ne  faudra  à  son  devoir,  aussi 
»  aymeroit  trop  mieux  la  mort  que  de  survivre  aux  calamités 
»  qui  ensuivroient  l'elTect  d'ung  tel  combat,  de  quelque  costé 
»  que  la  victoire  inclinast.  » 

Cette  lettre  avait  fliit  naître  dans  l'esprit  du  roi  de  Navarre 
l'idée  d'une  nouvelle  entrevue.  Il  en  avait  avisé  la  reine  mère 
qui,  reprenant  le  chemin  de  la  Beauce,  était  arrivée  à  Artenay, 
dans  des  intentions  révélées  par  elle-même  (i)  en  ces  mots  : 
..  Le  roy  de  Navarre  m'avoit  mandé  qu'il  avoit  tellement  ratta- 
ché et  renoué  ce  négoce  avec  mon  cousin  le  prince  de  Condé, 
son  frère,  qu'il  me  prioit  ne  plaindre  point  ma  peine  d'aller 
faire  encore  un  voyage  jusques  au-delà  d'Orléans,  où  estoient 
leurs  armées,  pour  essayer  de  parvenir  à  l'effet  de  ladite  paci- 
fication. Ce  que  je  fis  avec  très-grande  incommodité  de  ma 
personne  ;  me  trouvant  si  mal  d'une  cheute  que  j'avois  prise 
à  Estampes,  au  retour  de  mon  premier  voyage,  que  je  ne 
me  pouvois  soustenir  ny  remuer  qu'avec  grande  peine  et 
difficulté.  Toutefois,  postposant  ma  santé  au  bien,  repos  et 
tranquillité  de  ce  royaume,  je  me  fis  porter  en  litière...  à  costé 
desdites  deux  armées,  etc.,  etc.  » 
Ce  fut  en  cet  état  de  choses  et  avant  que  Condé,  le  roi  de 
Navarre  et  Catherine  fussent  réunis  pour  conférer  de  nouveau, 
qu'Éléonore  de  Roye,  accompagnée  de  madame  de  Crussol, 
alla  trouver,  à  Artenay  môme,  Catherine  de  Médicis,  qu'elle  quitta 
le  lendemain  pour  rentrer  dans  Orléans,  laissant  madame  de 
Crussol  avec  la  reine  (5). 


(1)  Lettre  Ju  11  juillet  1502,  à  l'évèque  de  Rennes,  ap.  Le  Laboureur,  adJit. 
aux  Mém.  doCasteInau,  t.  I,  p.  81  i. 

(2)  Calend.  of  State  pap.  foreign.,  22  juin  \:^Vd,  p.  112.  Adverlisements  froin 
the  prince  of  Condé's  camp. 


—  123  — 

Quelle  fut  la  nature  de  la  visite  faite  à  cel]e-ci  par  la  prin- 
cesse? Fut-ce  un  simple  acte  de  déférence?  il  est  permis  d'en 
douter.  Ce  dut  être  plutôt  une  démarche  sérieuse,  dégagée  de 
toute  fausse  obséquiosité,  dont  le  but  direct  était  de  fixer  Cathe- 
rine sur  les  intentions  de  Gondé  et  de  son  entourage,  et  sur  les 
conditions  sans  l'obtention  desquelles  on  ne  pourrait  décider  le 
prince  à  déposer  les  armes. 

Le  jour  même  où  Éléonore  de  Roye  quitta  Artenay,  la  reine 
mère  en  partit  pour  se  rendre  dans  une  localité  où  vinrent  à 
sa  rencontre  le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de  Condé;  l'entrevue, 
qui  eut  lieu  à  Talsy,  et  dans  laquelle  chaque  partie  maintint 
ses  exigences,  échoua  complètement. 

Avec  cette  dernière  entrevue,  s'épuisa,  en  juillet,  le  régime  des 
correspondances,  des  pourparlers  et  des  négociations,  que  la 
cour  avait,  à  dessein,  prolongé  jusque-là  pour  se  ménager  le 
temps  de  recevoir  les  renforts  qu'elle  faisait  venir  de  l'étranger. 

Des  écrits  et  des  paroles,  on  passa  à  l'action. 

L'armée  catholique,  opérant  sur  la  Loire,  s'empara  de  Blois  et 
d'autres  villes.  Condé,  dont  l'armée  était  plus  faible,  dut  se  bor- 
ner à  reprendre  possession  de  Beaugency,  et  se  replia  sur  Or- 
léans, qu'il  s'occupa  de  mettre  en  état  de  défense.  De  là,  il  en- 
voya Soubise  à  Lyon,  La  Rochefoucault  en  Saintonge,  Duras 
en  Guienne,  le  prince  de  Portien  en  Champagne,  pour  tirer  de 
chacune  de  ces  provinces  de  nouvelles  forces,  Briquemault  en 
Normandie  et  en  Angleterre  pour  y  obtenir  des  secours  en 
hommes  et  en  argent,  et  enfin  d'Andelot  en  Allemagne,  pour  y 
presser  la  conclusion  d'une  levée  de  troupes;  «  cVaulant  que 
»  c'estoit  une  chose  notoire  que  les  Allemands,  Suisses,  et  Espa- 
D  gnols  entroyent  jà  en  France  pour  le  secours  des  catholi- 
ques (i).  y> 

11  s'agissait,  en  môme  temps,  pour  Éléonore  et  son  mari,  qui 
voyaient  l'orage  s'amonceler  sur  la  tète  de  leurs  jeunes  enfants, 

(I)  Lanoue,  Disc,  polit,  et  milit.,  p.  688. 


—  124  — 

de  soustraire  à  ses  atteintes  ces  frôles  créatures  et  leur  grand'- 
mère,  en  mettant  un  terme  à  leur  séjour  en  Picardie,  devenu, 
chaque  jour,  plus  dangereux.  Ils  mandèrent  donc  «  à  madame 
»  de  Uoye,  pour  sa  sûreté,  qu'elle  se  retirât  en  Allemagne,  où 
»  elle  pouvoit  beaucoup  servir,  avec  ses  petits-enfants,  à  savoir  : 
y>  François,  leur  fils  puisné,  âgé  d'environ  sept  ans,  les  deux 
y>  frères  jumeaux  dont  la  princesse  estoit  accouchée  au  mois 
3)  d'avril  précédent,  et  madamoiselle  de  Bourbon;  ce  qu'elle 
5)  fit  (1)  »,  en  se  dirigeant  sur  Strasbourg. 

Tandis  que  Condé  et  la  princesse,  encore  sans  nouvelles  du 
long  voyage  entrepris  par  la  comtesse  de  Roye  avec  leurs  plus 
jeunes  enfants,  éprouvaient  des  inquiétudes  toutes  naturelles 
sur  l'issue  de  ce  voyage,  et  qu'avec  le  désintéressement  de 
l'amitié,  ils  félicitaient  Coligny  et  Charlotte  de  Laval  du  bon- 
heur, qui  leur  était  accordé,  de  posséder  en  sûreté  près  d'eux 
tous  leurs  enfants  et  ceux  de  d'Andelot,  alors  absent,  une 
immense  épreuve  allait  inopinément  déchirer  le  cœur  de  l'ami- 
ral et  de  sa  femme. 

Leur  fils  aîné,  Gaspard,  du  même  âge  que  le  marquis  de 
Conty,  compagnon  assidu  de  ses  études  et  de  ses  jeux,  élevé, 
comme  lui,  à  l'école  de  l'Évangile,  faisait  toute  leur  joie,  par 
le  développement  précoce  de  son  intelligence  et  de  son  cœur, 
par  sa  piété  touchante  et  par  ses  qualités  aimables.  Un  charme 
inexprimable  s'attachait  à  l'épanouissement  de  son  4nic  candide. 
Sur  lui  reposaient  leurs  plus  douces  espérances,  auxquelles,  en 
un  point  surtout,  s'associaient  celles  de  leurs  intimes  amis, 
M.  et  madame  de  Soubise,  dont  la  fille,  Catherine,  était  fiancée 
à  ce  fils  chéri  (2). 


(i)  Bèze,  Hist.  ceci,  t.  H,  p.  102. 

(2)  Voir  (Bibl.  nat.,  cabinet  des  titres,  V".  Coligny)  divers  tableaux  généalo- 
giques de  la  maison  de  Coligny,  notamment  celui  qu'a  dressé  Du  lîouchct.  On  y 
lit  :  «  Gaspard  11  épousa  Charlotte  de  Laval  en  \7)M...  Du  premier  lit  sortirent 
>  Gaspard  de  Coligny,  accordé  à  Catherine  de  Parthenay,  dame  de  Soubize,  et 


—  1-25  — 
Un  épouvantable  fléau  venait  d'éclater  à  Orléans,  au  sein 
d'une  population  attérée  par  le  seul  nom  de  peste,  qui  volait  de 
bouche  en  bouche,  lorsqu'un  jour  se  manifestent  tout  à  coup, 
chez  le  jeune  Gaspard  les  symptômes,  non  du  mal  régnant, 
mais  d'une  maladie  non  moins  dangereuse,  et  qui  se  traduit 
dès  le  début,  par  une  fièvre  ardente.  Vainement  les  soins  les 
plus  énergiques,  les  plus  assidus  sont-ils  -prodigués  à  l'enfant 
bien -aimé  :  la  souffrance  progresse,  le  consume;  la  mort 
s'avance;  et  cependant,  tout  affaibli  qu'il  est  physiquement,  il 
possède  encore  en  son  âme  assez  de  force  et  de  lucidité  pour 
témoigner  de  sa  foi  avec  une  angélique  douceur,  et  pour  adresser 
à  ses  parents,  en  chrétien  confiant,  en  fils  aimant  et  tendre,  un 
suprême  adieu!  Seize  jours  se  sont  écoulés,  et  Dieu  le  rappelle 
à  lui  (i).  Peu  .après,  une  main  amie  trace,  pour  être  inscrits 
sur  sa  tombe,  les  vers  suivants  (2)  : 

«  Gaspard  de  CoUigny,  à  l'aage  de  neuf  ans, 

5  Pour  suyvre  Dieu  laissa  le  monde  et  ses  parens, 

î  Fils  aisné  de  Gaspard,  admirai,  l'espérance 

»  Du  père  et  de  la  mère,  astres  clairs  de  la  France, 

î  Par  lesquels  le  chemin  des  cieux  il  entendit 

»  Et  soudain  au  Seigneur  les  bras  foibles  tendit. 

S)  La  fiebvre  sans  cesser  quinze  jours  le  pourmeine, 

»  Le  seizième  jour  Christ  en  sa  gloire  le  meine, 

î  x\yant  fait  de  sa  foy  haulte  confession, 

»  Par  mort  à  vie  alla,  de  grande  affection.  » 

Survivre  à  son  enfant,  quelle  inexprimable  douleur!  quelle 
croix  pesante  à  porter!  Sous  cette  douleur,  sous  cette  croix  se 
courbèrent  un  père  et  une  mère  désolés,  ce  Coligny,  cette  Char- 
lotte  de  Laval   si   forts,   d'habitude,    et  désormais    presque 

»  mort  avant  l'accomplissement  du  mariage,  etc.,  etc.  >  —  Haag,  Fr.  prot.  \^ 
Larchevèque,  t.  VI,  p.  3i"2. 

(1)  Calend.  ofSlate  pap.  foreign.  —Occurrences  in  France,  27  judlft  ir.r.-i. — 
Lettre  de  Th.  de  Dèze  à  Gnligny,  du  Tt  juin  làliS  (Hibl.  di'  GtMiève,  vol.    117). 

(2)  «  Épilafe  de  Gaspard  de  Coliiguy,  fils  aisué  de  .M.  l'admirai  de  Chastillon, 
»  qui  mourut  à  Orléans,  le  li  juillet  lôG'i  »  (P.ibl.  nat.,  mss.  f.  IV.,  vol.  t'IôGO, 
f  67). 


—  126  — 
anéantis.  Ils  eussent  succombé  à  leur  détresse,  si  Dieu  ne  se 
fût  tenu  près  de  leurs  cœurspour  les  soutenir  et  les  relever. 

A  l'aspect  de  ce  deuil  dont  une  poignante  expérience  permet 
seule  à  l'âme  humaine  de  mesurer  la  profondeur,  écoutons 
Coligny,  tout  brisé  qu'il  est  par  une  émotion  indicible,  exhorter 
devant  Dieu  sa  femme  à  la  résignation.  Il  l'a  quittée  récem- 
ment; il  est  au  camp,  sous  sa  tente,  en  face  de  l'ennemi;  c'est 
de  là  qu'il  lui  écrit  (1)  : 

«  Encores  que  tu  ayes  raison  de  supporter  avec  douleur  la 
))  perte  de  notre  fils  bien  aimé,  si  pourtant  suis-je  obligé  de 
))  te  remémorer  qu'il  estoit  plus  à  Dieu  qu'à  nous  :  et  puisqu'il  a 
»  voulu  le  retirer  à  soi,  c'est  à  toi  et  à  moi  à  obéir  à  sa  sainte 
»  volonté.  Il  est  vrai  qu'il  estoit  déjà  amateur  du  bien,  et  que 
))  nous  pouvions  espérer  grande  satisfaction  d'un  fils  tant  bien 
»  né;  mais  remémore-toi,  ma  bien  aimée,  qu'on  ne  peut  vivre 
»  sans  offenser  Dieu,  et  qu'il  est  bienheureux  d'estre  mort  dans 
»  un  âge  où  il  estoit  exempt  de  crime.  Enfin,  Dieu  l'a  voulu;  je 
))  lui  offre  encore  les  autres,  si  c'est  son  vouloir;  fais-en  de 
»  même,  si  tu  veux  qu'il  le  bénisse,  car  c'est  en  lui  que  nous 
»  devons  mettre  tout  notre  espoir.  Adieu,  ma  bien  aimée;  j'es- 
))  père  te  voir  dans  peu,  qui  sera  toute  ma  joie.  » 

Quels  que  fussent  les  ravages  exercés  à  Orléans  par  le  ter- 
rible fléau,  la  princesse  et  sa  tante  demeurèrent  constamment 
dans  cette  ville.  Seuls,  les  enfants  de  l'amiral  et  ceux  de  d'An- 
delot  en  sortirent,  après  la  mort  de  leiu-  frère  et  cousin,  pour 
être  conduits  au  château  de  Châtillon-sur-Loing  où  l'on  espé- 
rait qu'ils  seraient  à  l'abri  delà  contagion;  mais  l'un  d'eux, la  fille 
aînée  de  d'Andelot  (2),  qui,  sans  qu'on  s'en  doutât,  portait  en 
elle  le  germe  du  mal  dominant,  succomba  bien  lot  à  ses  atteintes 

(1)  Vie  de  Coligny.  Cologne,  1686,  p.  258,  250. 

(2)  Bèze,  Ilist.  ceci,  t.  11,  p.  461. 


—  1-27    - 

meurtrières.  Les  enfants  des  deux  frères  qui  avaient  été  confiés 
à  la  garde  du  capitaine  François,  furent,  après  un  séjour  de 
trois  semaines  à  Chàtillon,  ramenés  à  Orléans  par  cet  officier  (i) 
qui  les  remit  aux  mains  de  Charlotte  de  Laval  et  d'Eléonore  de 
Roye. 

Pendant  quatre  mois  et  demi,  de  juillet  à  novembre  1562, 
Orléans  fut  le  théâtre  de  scènes  de  souffrance  et  de  deuil,  au 
milieu  desquelles  se  déploya,  dans  une  sphère  d'activité  inces- 
sante, la  charité  chrétienne.  Au  premier  rang  des  femmes  qui, 
sous  son  inspiration,  prodiguèrent  leurs  soins  et  leurs  consola- 
tions aux  malades,  aux  mourants,  figurèrent  la  princesse  de 
Condé,  madame  l'Amirale  et  plusieurs  dames  haut  placées  dans 
la  société. 

La  généralité  des  femmes  et  des  jeunes  fdles  d'Orléans,  répon- 
dant à  un  sérieux  appel  adressé  par  Condé,  en  juillet,  fit  preuve 
d'abnégation  et  de  courage,  en  concourant,  dans  la  mesure  du 
possible,  aux  travaux  de  défense  de  la  place,  alors  que  la  peste 
se  propageait  dans  des  proportions  redoutables  et  qu'elle  faisait 
de  nombreuses  victimes.  «  Le  prince,  raconte-t-on  à  cet  égard  (2), 
y>  fit  continuer  à  bon  escient  le  labeur  des  fortifications,  sans 
»  qu'aucun  fust  exempt,  non  pas  mesmeles  dames  et  damoiselles 
y>  qui  y  portèrent  la  hotte  comme  les  autres,  croissant  cependant 
»  toujours  la  peste  dont  mourut  une  grande  partie  des  soldats  et 
»  grand  nombre  de  peuple  de  toutes  qualités.  Entr'autres  mouru- 
))  rent  de  ceux  de  la  noblesse,  le  vidasine  de  Châlons,  frère  du 
»  sieur  d'Esternay,  homme  doué  de  plusieurs  grandes  et  singu- 
»  lières  vertus,  le  sieur  de  Toury  et  un  sien  fils...  Deux  person- 

(1)  Bèze,Hist.  ceci.,  l.  II,  p.  458.  Haag,  France  prot.,  t.  V,  p.  170. 

(2)  Yièze,Hist.  eccL,  t.  ll,p.  110.  —  Voir,  entre  autres  documents  se  rattachant 
aux  travaux  de  défense  dont  il  s'agit  ici  une  «  réquisition  faite  par  Briqueniaut, 
y>  au  nom  du  prince  de  Condé  à  des  habitants  de  tliverses  localités  voisines  d'Or- 
»  léans,  de  fournir  des  fascines  et  autres  objets  pour  subvenir  à  l'érection  ou  ré- 
»  paration  des  fortifications,  en  date,  à  Orléans,  du  "22  juillet  1502  »  (Bibl.  nat., 
mss.  f.  fr.,  vol.  10,  190). 


—  1-28  — 

y>  nages  de  la  ville  entr'au très  furent  aussi  emportéset  Irès-gran- 
))  dément  regrettés  à  bon  droict,  pour  estre  personnages  des  plus 
»  doctes  et  des  plus  gens  de  bien  de  leur  estât,  assavoir  Guillaume 
))  Maillard,  lieutenant  particulier  d'Orléans,  et  Jean  Gaillard, 
))  docteur  régent  es  loiz.  » 

Vers  la  fin  d'août,  se  répandit  dans  la  ville  et  au  dehors  le 
bruit  delà  mort  de  la  princesse  de  Gondé  (1)  ;  bruit  qui  heureu- 
sement ne  reposait  que  sur  de  simples  conjectures.  Éléonore  de 
Roye,  bien  qu'exposant  à  chaque  instant  sa  vie  pour  le  salut  des 
autres,  fut  providentiellement  épargnée.  Elle  eut  même,  à  force 
de  dévouement  et  de  sollicitude,  la  joie  de  soustraire  à  la  mort 
l'une  de  ses  tilles  d'honneur,  mademoiselle  des  Fossez,  que  la 
maladie  régnante  avait  gravement  atteinte  (2). 

Relevé,  sur  sa  demande,  de  ses  fonctions  d'ambassadeur  d'An- 
gleterre, Throckmorton,  qui,  en  quittant  Paris,  avait  trouvé,  grâce 
à  l'armée  protestante,  un  refuge  à  Orléans,  et  une  bienveillante 
hospitalité  sous  le  toit  de  l'amiral  de  Goligny,  écrivit,  le  9  sep- 
tembre, h  Elisabeth  et  à  Gecil  pour  les  informer  des  derniers 
événements  et  des  progrès  du  fléau  (3).  «  La  peste,  disait-il,  sé- 
»  vit  iciavec  une  intensité  qui,  journellement,  diminue  le  nombre 
y>  des  défenseurs  de  la  cause  évangélique.  La  princesse  de  Gondé,. 
3)  son  fils  aîné  et  madame  l'amirale  sont  toujours  dans  la  ville.  » 

Le  courage  et  le  dévouement  de  ces  deux  femmes  héroïques 
et  charitables  ne  faiblirent  pas  un  seul  instant;  loin  de  là  :  ils 
s'accrurent  avec  la  grandeur  môme  des  épreuves  qu'elles  traver- 
saient. 

En  octobre,  alors  que  la  situation  générale  se  présentait  sous 
les  plus  sombres  aspects,  elles  ne  cessaient  détenir  leurs  regards 
haut  élevés  vers  le  ciel;  et  une  assemblée  des  ministres  qui  se 

(1)  Dépêche  de  Chantonnay  du  !28  août  15G2  {Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  G7.  — 
Mém.  de  Cl.  llatoii,  f.  1,  p.  "285). 

(2)  Bèze, //«/.  ceci.,  t.  II,  p.  110. 

(3)  Calcnd.  of  Stale  pap.  forcign.,  9  septemb.  1502.  Throckmorton  to  the 
Queen.  —  Ibid.,  hl.  Id.  to  Cecil. 


—  129  — 
trouvaient  alors  à  Orléans  ne  fit  que  traduire  les  pieux  sentiments 
de  ces  deux  fidèles  chrétiennes  en  décidant  «  que,  le  15  de  ce 
»  mois,  on  célébrerait  un  jeusne  public,  et,  le  17,  la  cène  du 
))  Seigneur  :  l'un  pour  tesmoignage  de  ceux  qui  déliberoient  se 
))  mettre  aux  champs  bientost  à  la  suite  du  prince,  l'autre  pour 
)>  s'humilier  devant  Dieu,  à  bon  escient,  l'ire  duquel  sembloit 
))  journellement  s'enflamber  à  l'encontre  des  églises,  ayant  fait 
»  prospérer  grandement  les  ennemis  d'icelles,  et  fi-appant  la  ville 
))  d'Orléans  d'une  peste  si  aspre  et  si  longue.  Aussi  estoit  chose 
y>  pitoyable  à  la  vérité  de  veoir  tant  de  pauvres  personnes  aux- 
))  quelles  l'ennemi  n'avoit  permis  d'habiter  seurement  en  leurs 
»  maisons,  mourir  ainsi  à  tas,  au  lieu  qu'ils  avoient  choisi  pour 
»  leur  retraite,  y  estans  morts  en  peu  de  mois  plus  de  dix  mille 
))  personnes,  dont  il  y  avoit  nne  partie  de  ceux  de  la  religion 
»  qui  avoient  esté  déchassés  de  Paris,  Bloys,  Tours,  Cyen, 
))  et  plusieurs  autres  lieux;  comme  aussi  moururent  trois  mi- 
))  nistres,  à  savoir  Le  Plessis,  Badins,  avec  toute  sa  famille,  sans 
»  en  excepter  un  seul,  et  Cosson...  Le  jeusne  donc  et  la  cène 
»  furent  célébrés,  dont  s'en  suivit  incontinent  un  très-grand  al- 
y>  légement,  estant  la  maladie  comme  en  un  instant  tellement 
»  diminuée  que,  le  septiesnie  de  novembre  il  n  y  avoit  quasi  \)h\> 
y>  de  malades  en  la  ville  (1).  » 

Le  moment  est  venu  de  suivre  les  traces  du  séjour  de  d'An- 
delot  et  de  la  comtesse  de  Roye  sur  le  sol  étranger. 

D'Andelot  avait  devancé  sa  sœur  à  Strasbourg.  Dès  le  17  juil- 
let, on  l'avait  vu  traverser  cette  ville,  alors  qu'il  se  rendait  près 
des  princes  protestants  d'Allemagne  (2).  Ses  démarches  vis-à- 

(1)  Bèze,  H/s/.  eccL,  t.  II,  p.  li'J, 

(2)  Calend.  of  State pap.  foreign,  Il  juillet  1562.  D'Andelot  to  tlie  Oueeii.  — 
Ibid.,  21  juillet  1562,  Alundt  to  Cecil.  —  Frédéric  111  écrivait  à  Chrisloplie,  diic 
de  Wurtemberg,  le  20  juillet  1562  (Kluckolin,  Briefe  Friedrich  des  Froinnien,  erst. 
Band,  p.  318,  ir  187)  :  «  iM.  d'Aiulelot,  frère  do  l'amiral,  est  arrivé  à  llei.li-!- 
j>  berg,  le  I!)  juillet,  avec  une  lettre  de  créance,  adressée  à  tous  les  électeurs  et 
»  princes  de  la  Confession  d'Augsbonrg,  etc.,  etc.  » 

9 


—  130  — 

vis  d'eux  avaient  été,  en  quelques  jours,  couronnées  d'un  premier 
succès;  car  Ilotnian,  qui  correspondait  avec  lui  de  Strasbourg, 
où  il  résidait  pour  les  alfaires  du  prince  de  Gondé,  écrivait  le 
8  août,  à  l'avoyerde  Berne  (l)  :  «  desjà  monseigneur  d'Andelot 
»  a  trouvé  telle  faveur,  qu'il  a  promesse  de  trois  mil  reistres  pour 
))  le  moins,  et  de  quatre  mil  Lanskenets,  qui  s'assemblent  main- 
»  tenant  au  païs  de  Ilessen  près  Cassel.  »  D'Andelot,  de  son 
côté,  dans  une  lettre  expédiée,  le  21  août,  de  Cassel  à  Hot- 
man  (2)  lui  faisait  part  de  son  espoir  de  procéder  le  18  sep- 
tembre à  la  montre  des  troupes  allemafides  dont  il  opérait  la 
levée. 

En  quittant  la  Picardie  avec  les  enfants  de  sa  fille,  la  com- 
tesse de  Roye  ne  s'était  pas  lliit  illusion  sur  la  longueur  et  les 
difficultés  du  trajet  qu'elle  entreprenait  à  travers  la  France.  Le 
"20  août,  on  s'étonnait  à  Strasbourg  de  ne  pas  la  voir  déjà  arri- 
vée. Tli.de  Bèze,  appelé  dans  cette  ville,  au  cours  d'une  mission 
à  remplir  en  Allemagne  et  en  Suisse,  s'inquiétait,  à  cette  date^ 
du  défaut  de  nouvelles  récentes  de  la  noble  voyageuse  (8).  Le 
29  août,  le  crédule  cardinal  de  Bourbon,  se  disant  bien  informé, 
prétendait  (4)  que  «  madame  de  Roye  estoit  allée  à  Strasbourg 
))  mener  ses  petits  nepveux  en  ostaigè  pour  avoir  gens;  qu'ils  y 
»  avoicnt  esté  reffusez,  et  qu'elle  s'en  estoit  revenue.  »  Ce  qui  est 
certain,  c'est  que  dans  les  derniers  jours  d'août,  madame  de 


(1)  Archives  de  liei  ne.  —  Fraiikreicli,  vol.  II,  1551  bis,  15GU.  —  La  corres- 
pondance qu'en  Allemagne  les  princes  protestants  entretenaient  soit  entre  eux, 
soit  avec  la  cour  d'Angleterre,  contient  de  nombreuses  traces  de  leurs  efforts  en 
laveur  de  Condé  et  de  Goligny,  en  15(34  (voy.  Kluckolm,  ouvr.  cité,  erst.  Hand, 
passim). 

(2)  LoUro  ûcrilo  par  llotman  aux  magistrats  do  Borne,  le  )}0  août  150:2  {Ar- 
ckivesde  Berne.  —  Frankreich,  vol.  H,  155!  bis,  I5(J!). 

()>)  Boza  ad  Calvinum,  20  août  1562  (Baum,  ai)pend.  p.  181),  H)0)  :  «  Socrus 
»  principis  uoiulmu  advenit,  et  certe  valde  nioliio  ne  quid  illi  incommodi  acci- 
»  doril  in  via,  (luanquam  non  placet  niale  ominari.  » 

(  i)  liibl.  liât.,  mss.  f.  fr.,  vol.  IÎIS7,  l"  "2).  —  Lettre  du  "29  août  15G2  à  de  Hu- 
iiiières,  gouverneur  do  l'éroniio. 


—  131  — 

Roye  atteignit  enfin  (1)  la  grande  cité  hospitalière  d^ Alsace.  Là, 
un  accueil  sympathique  lui  était  réservé,  ainsi  qu'aux  frôles  créa- 
tures confiées  à  ses  soins,  dont  Calvin  devait  plus  tard  rehausser 
la  condition  alors  précaire,  pai-  ces  touchantes  paroles  adressées 
à  leur  aïeule  (2)  :  «  Dieu,  madame,  a  honoré  vos  petits  enfants, 
»  en  les  faisant  pèllerins  en  terre  estrange.  y> 

Dès  le  9  septembre,  d'Andelot  remerciait  en  ces  termes,  de 
l'accueil  fait  à  sa  sœur,  «  messieurs  les  consul  et  seigneurs  du 
•»  principal  conseil  de  Strasbourg  (3)  :  —  Messieurs,  ayant  esté 
»  adverly  par  madame  de  Roye,  ma  sœur,  du  bon  et  gracieux 
»  accueil  que  vous  avez  faict  à  elle  et  à  messieurs  ses  petits  eni- 
»  fants,  à  son  arrivée  à  vostre  ville  de  Strasbourg,  je  n'ai  voulu 
■»  faillir  de  vous  en  mercier  bien  affectueusement,  tant  pour  le 
))  regard  de  monsieur  le  prince  de  Gondé,  père  des  dits  enffants, 
»  que  particulièrement  au  nom  de  monsieur  l'amyral  mon  frère 
»  et  au  mien;  vous  pouvant  asseurer  que  la  mémoire  d'une  telle 
i)  honnesteté  et  courtoysie  demeurera  tellement  imprimée  en 
»  noz  espritz  que,  si  Dieu  nous  faict  la  grâce  de  venir  au  but  de 
»  nos  affaires,  nous  ne  perdrons  jamais  occasion  de  le  recognois- 
»  tre  en  vostre  endroict,  et  vous  démonstrer  par  effect  que  les 
»  plaisirs  que  nous  avons  reçus  et  recevons  de  vous  durant  ces 
j)  troubles  ne  sont  employez  en  personnes  ny  ingrates,  ny  mes- 
»  congnoissantes,  ny  dépourveues  de  bons  moyens  de  le  recog- 
})  noistre,  etc.,  etc. 

La  comtesse  de  Roye,  au  moment  de  son  arrivée,  se  trouvait 
réduite  par  la  rigueur  des  circonstances  à  un  état  voisin  du  dé- 
nùment.  Les  premières  ressources  nécessaires  lui  furent  sponta- 
nément fournies  par  un  généreux  ami  des  protestants  français, 

(1)  IJezaail  Calviiium,  l"^'  septembre.  I r)(;-2  (r.aum,a|)|)eii(l.,  p.  l!l-2)  :  k  IViiicipis 
»  socrus  salva  taiuleai  eo  pervenit  iibi  a  iiiagislralii  est  perliouorilice  excepta.  » 

{"D  Lettres  françaises,  t.  II,  p.  W8,  Lett.  d'avril  IÔG:\. 

(o)  Documents  historiques  tirés  des  ai-cliives  lie  la  ville  de  Strasbourg  par 
M.  Ant.  de  Kentzinger.  Strasbourg,  ISIS,  t.  I,  p.  .V..  Lettre  de  d'Andelot,  datée 
de  Franc  fort. 


-  132  - 

par  le  vénérable  Jean  Slurm  (l),qui  plus  d'une  fois  encore  vint 
à  son  aide. 

Fidèle  à  la  double  mission  qu'elle  avait  à  remplir  dans  sa  nou- 
velle résidence,  la  comtesse  sut,  tout-  en  s'occupant  avec  sollici- 
tude de  ses  petits-enfants,  saisir  habilement  chaque  occasion 
qui  s'offrait  à  elle  de  seconder  les  intérêts  de  la  cause  au  service 
de  laquelle  se  consacraient  ses  frères,  sa  fille  et  son  gendre. 

Et  d'abord,  pour  justifier  la  prise  d'armes  de  Condé,  elle  pro- 
duisit les  originaux  mêmes  des  lettres  que  Catherine  de  Médicis 
avait  adressées,  en  mars  1562,  à  ce  prince,  originaux  que  ce 
dernier  avait  confiés  à  sa  belle-mère  en  la  priant  de  les  tenir  à  la 
disposition  de  Spifiime,  afin  qu'il  les  utilisât  officiellement,  en 
temps  et  lieu.  Spifame,en  effet,  ne  manqua  pas  de  s'en  prévaloir 
dans  une  circonstance  solennelle,  ainsi  que  l'atteste  le  passage 
suivant  de  la  harangue  qu'il  adressa  à  Ferdinand  T  ',  lorsque  se 
tint  la  diète  de  Francfort  (2)  ;  «  Du  commandement  que  la  reine 
))  a  fait  à  monsieur  le  prince  de  Condé  de  prendre  les  armes  pour 
»  la  liberté  du  roy  et  la  sienne,  outre  ce  que  dessus,  il  y  a  té- 
»  moignage  de  plusieurs  chevaliers...  aussi  il  y  en  a  lettres... 
»  lesquelles  sont  pardevers  mondit  sieur  le  prince,  qui  n'a  voulu 
y>  les  hasarder  au  danger  des  chemins,  mais  nous  a  recommandé, 
y>  sire,  recouvrer  de  madame  de  Roye,  sa  belle-mère,  estant  avec 
y>  messieurs  ses  enfants  à  Strasbourg  (3),  quatre  lettres  escrites 
»  et  signées  de  sa  main,  que  nous  exhibons,  sire,  à  vostre  sacrée 
»  majesté  (4).  y> 

(1)  Voy,  La  vie  et  les  travaux  de  Jean  Stunn,  pai-  Cli.  Schmidt.  Strasbourg, 
1855,  in -8",  p.  K51. 

(2)  Ihiraiiguc  de  Jacques  Spifcime,  seigneur  de  Passy,  envoijr  en  Allemagne 
par  le  prince  de  Condé  pour  justifie)-  ses  armes  envers  VEmpereur  et  les 
princes  de  la  Germanie  (ap.  Le  Laboureur,  aildit.  aux  Mém.  de  (lastubiau,  t.  11, 
1>,  28  et  suiv.). 

(3)  Voy.  Lcllre  deCoiuU',  tlu  '.',  octobn^  L5(;-2,  aux  magistrats  île  Strasbourg,  i-ela- 
tive  au  passage  do  Spifaine  dans  celte  ville  (M.  A.  de  Kentzinger,  Docum.  liist., 
l.  1,  p.  (ii). 

(i)  La  l'upeliniôre,  llist.  deFr.,  1. 1,  f"  ;W3.  —  Cèze,  llist.  ceci.,  t.  11,  p.  178  : 


—  133  — 

La  production  des  lettres  de  Catherine  de  Médicis  fut  suivie, 
à  Strasbourg  et  ailleurs,  de  démarches  actives  de  madame  de 
Roye  en  faveur  de  la  cause  protestante. 

Ce  fut  ainsi,  en  premier  lieu,  qu'elle  appuya  près  de  Sturm, 
dont  le  dévouement  et  l'esprit  de  sacrifice  lui  étaient  bien  con- 
nus, les  demandes  de  secours  que  présentèrent,  l'un  après  l'autre, 
en  septembre,  le  prince  de  Portien  et  d'Andelot,  alors  aux  prises, 
tous  deux,  avec  de  sérieuses  difficultés  pour  la  solde  des  levées 
allemandes.  Ce  fut  ainsi,  en  outre,  qu'elle  entra  par  correspon- 
dance en  relations  avec  plusieurs  princes  allemands.  Ce  fut  ainsi 
encore  qu'à  quelque  temps  de  là,  elle  se  rendit,  en  compagnie 
de  Jean  Sturm,  près  du  duc  de  Wurtemberg,  du  margrave  de 
Bade  et  de  l'électeur  palatin  Frédéric  III,  pour  rechercher  leur 
appui  en  faveur  des  chefs  de  ses  coreligionnaires  :  qu'après  avoir 
conféré  avec  chacun  de  ces  princes,  elle  entretint  leur  zèle  par 
l'envoi  de  nombreuses  letires;  et  qu'elle  stimula,  à  diverses  re- 
prises, celui  d'Elisabeth,  reine  d'Angleterre  (i). 

Il  suffira  de  consulter  trois  lettres  adressées  par  la  comtesse 
au  duc  de  Wurtemberg,  en  octobre  et  novembre  i562,  alors 
que  d'Andelot  se  préparait  à  entreprendre  et  accomplissait  avec 
sa  petite  armée  une  marche  hardie  à  travers  les  provinces  de 
France,  pour  avoir  une  idée  de  l'énergie  avec  laquelle  la  mère 
de  la  princesse  de  Coudé,  la  sœur  des  Chàtillon,  plaidait  devant 
certaines  cours  étrangères  la  cause  des  chefs  du  protestantisme 
français,  et  reconnaissait  les  services  déjà  rendus  par  ces  cours 


«  Spifame  exhiba  les  quatre  lettres...  èsquelles  il  requit  que  le  sceau  de  la  chan- 
»  cellerie  de  l'Empire  fût  apposé...  aliii  qu'on  ne  pût  dire  puis  après  qu'elles 
»  eussent  esté  contrefaites  et  falsifiées  par  quelque  artifice.  Ce  qu'il  obtint  de 
»  l'empereur  après  qu'il  luy  en  eùst  donné  copie  et  que  l'original  eùsl  esté  leu  el 
»  collationné.  »  — Voir  3/t'//*.  de  Coudé,  t.  11,  p.  11:2,  lli),  ce  que  raconte  l'ani- 
liassadeur  d'Espagne,  Perrenot  de  Gbantonnay,  de  renirelien  qu'il  eut  avec 
Calheriue  de  Médicis  au  sujet  des  quatre  lettres  dont  il  s';igit. 

(I)  Calend.  of  Staiepap.  foreign,  "2)  nov.  et  !:>  déc.  ir>(;-2,  M'"'"  de  llove  lo  tlie 
Oneen. 


—  134  — 
aux  courageux  défenseurs  de  la  liberté  religieuse,  en  faveur  des- 
quels elle  ne  cessait  d'intercéder. 

Une  première  lettre  du  14  octobre  15G2,  adressée  au  duc  de 
Wurtemberg  (l),  lorsque  d'Andelot  avait  pénétré  en  Lorraine 
pour  y  passer  la  revue  de  ses  troupes  (^2),  était  ainsi  conçue  : 

«  Monsieur,  aiant  entendu  par  monsieur  d'Andelot,  mon  frère, 
»  les  faveurs  et  plaisirs  infinis  qu'il  a  reçeuz  de  vous  en  ses 
»  grandz  affaires,  je  n'ay  voulu  faillir  de  vous  en  remercier  bien 
y>  humblement  et  déclarer  combien  je  me  sens  redevable  à  votre 
»  Exellence,  prenant  volontiers  cette  opportunité  de  renouveler 
»  la  cognoissance  que  nous  avons  autrefois  eu  ensemble  en  notre 
))  pais  de  France,  du  temps  du  feu  roy  Françoys.  Et  d'autant 
»  quejay  été  advertie  que  ce  vous  seroit  plaisir  d'entendre 
»  quelqucfoys  nouvelles  de  Testât  de  nostre  France,  j'ay  bien 
i>  voulu  vous  faire  part  de  l'advertissement  que  j'en  ay  reçeu  par 
»  la  dernière  despeche  de  monsieur  le  prince,  mon  gendre,  par 
D  lequel  vous  entendrés  comme  Dieu  continue  sa  faveur  et  bé-  ' 
»  nédiction  sur  sa  pauvre  église,  encore  qu'elle  soit  fort  affligée 
»  par  les  hommes.  » 

Une  seconde  lettre,  du  10  novembre  156^2  (3),  portait  : 

((  Monsieur,  ayant  présentement  reçeu  une  dépesche  demon- 
»  sieur  d'Andelot,  mon  frère,  qui  vous  escript,  j'ai  advisé  de  vous 

(1)  Archives  de  Stuttgart.  Frankreicli,  B.  U»,  n"  01,  a. 

(2)  D'Andelot  écrivait  «le  Strasbourii-,  au  duc  de  Wurtenilierg,  le  "26  septembre 
1562(Mt'm.  de  Condé,t.  111,  p.  707)  :  «  Je  fais  mon  conte  de  partir  demain  de 
»  cette  ville  pour  m'acheminer  au  jour  de  la  monstre...  J'ay  trouvé  argent  en 
>  celte  ville,  (jui  me  vient  bien  à  propos.  »  —  Tb.  de  lîèzc,  que  d'Andelot  appe- 
lait à  lui,  vers  la  mèm(;  époque,  adressait  de  Derne  à  liullinger,  le  2i  septembre 
V.miArclnveH  (te  Zurich,  U.  2'i,  Gest.  VI,  KKi,  p.  21!)  à  222),  la  confidence  sui- 
vante :  «  Ecce  iterum  in  vastissimum  gurgilem  refcror.  Coguiit  enim  me  Andeloti 
■»  obtestationes  ad  ipsum  quam  celerrime  reverti  nisi  velim  desertor  videri.  Ita- 
j)  que  jam  recurro  in  Lotbaringiam  ubi  illi  occurram  et  ipsius  copiis.  » 

(:î)  Archives  de  Sluitijart.  —  Frankreicb,  15.  !<!,  n"  07,  a. 


—  135  — 
»  envoyer  co  porteur  pour  faire  entendre  à  votre  Excellence  les 
))  nouvelles  qui  me  sont  venues,  ainsy  qu'il  vous  plaira  veoirpar 
»  l'extraiet  qui  m'a  esté  envoyé.  Sur  quoy,  monsieur,  je  ne  puis 
))  que  adjouster,  sinon  que  je  vous  prie  bien  humblement  que, 
»  en  continuant  vostre  bonne  vollonté  envers  nous,  faire  tant  de 
y>  bien  et  faveur  à  monsieur  le  prince  de  Gondé,  mon  gendre, 
))  que  le  voulloir  assister  en  ce  qui  luy  touchera  et  concernera 
»  selon  l'équité  de  sa  juste  cause  et  querelle.  » 

Dans  une  troisiômelettre,  du  15  novembre  1562,  il  était  dit  (i)  : 

((  Monsieur,  encores  que  je  sache  assez  les  grands  et  urgens 
affaires  que  vous  avez  pardelà,  toutesfois  l'asseurance  que  j'ay 
de  vostre  bonne  voulonté  envers  nos  pauvres  églises,  avec  l'ex- 
trême nécessité  à  quoy  je  les  voy  maintenant  réduites,  m'a 
contraint  vous  supplier,  au  nom  de  Dieu,  de  les  avoir  en  plus 
grande  recommandation  que  jamais.  Car  veu  la  prise  de 
Rouen  et  l'empeschement  que  l'on  a  donné  à  monsieur  le 
comte  de  Larochelbucault,  mon  gendre,  de  se  joindre  avec  la 
compagnie  d'Orléans,  je  ne  puis  conjecturer  qu'une  fort  grande 
désolation  des  nostres  et  au  contraire  une  puissance  de  nos 
ennemis  redoutable  à  ceux  qui  se  voient  en  si  petit  nombre  ; 
vous  asseurant,  monsieur,  qu'il  n'est  demeuré  ny  à  Metz,  ny  en 
toutes  les  villes  de  Champagne,  un  seul  soldat  qui  n'ait  esté 
mandé  pour  augmenter  l'armée  de  nos  ennemis,  à  quoy  je 
vous  suppHe,  monsieur,  avoir  quelque  esgard  à  ce  que,  s'il  est 
possible,  l'on  peust  envoier  encore  quelque  renfort  de  secours 
aux  nostres,  et  par  ce  moïen  retirer  une  partie  des  forces  de 
nos  ennemis.  Je  scay  bien  que  la  vraye  force  vient  d'en  haull, 
et  que  Dieu  sauve  aultant  en  petit  qu'en  grand  nombre; 
toutes  fois,  puisqu'il  luy  a  pieu  nous  commander  de  nous  servir 
des  moïens  ordonnez  en  nature,   j'espère  que   ne  trouverez 

(1)  Archives  (le  Stuttgart.  —  Fraukreich,  D.  Kl,  ii'  70. 


—  130  — 

»  élrange  si  je  vous  recommande  si  affectueusement  ce  que  j'ay 
))  de  pins  cher  an  monde,  qui  sont  mes  deux  gendres  et  mes 
y>  deuxfrères,  vous  suppliant  vous  monstrer  leur  ami,  au  besoin.  » 

L'arrivée  du  secours  que  d'Andelot  devait  amener  était  d'au- 
tant plus  impatiemment  attendue,  à  Orléans,  que,  du  milieu  de 
juillet  à  la  fin  d'octobre,  l'armée  catholiqiie  avait  remporté  des 
avantages  signalés.  Elle  s'était  successivement  emparée  de 
Bourges,  de  plusieurs  autres  villes,  et  en  dernier  lieu,  de  Rouen, 
dont  la  prise  d'assaut  avait  été  suivie  d'atroces  exécutions.  Or- 
léans était  de  plus  en  plus  menacé  :  aussi  les  préoccupations  du 
prince  de  Condé  et  de  son  entourage  étaient-elles  des  plus  vives 
alors  que,  sans  nouvelles  récentes  de  d'Andelot,  ils  craignaient 
que  son  sort  et  celui  du  renfort  qu'il  devait  amener  ne  fussent 
gravement  compromis. 

La  princesse  s'attendait  à  voir,  si  les  circonstances  l'exigeaient, 
son  mari  se  séparer  d'elle  et  de  ses  compagnons  d'armes  pour 
tenter  seul,  an  loin,  à  la  suite  d'un  trajet  périlleux  à  travers  la. 
France,  une  démarche  suprême,  dans  l'intérêt  de  la  cause  qu'il 
soutenait.  Lanoue  (1)  dit,  à  ce  sujet  :  «  En  ces  entrefaites,  j'ay 
))  souvenance,  oyant  deviser  de  ces  choses,  que  monsieur  l'ad- 
»  mirai  dit  à  monsieur  le  prince  de  Condé  qu'un  malheur  estoit 
i)  tousjours  suyvi  d'un  autre,  mais  qu'il  falloit  attendre  la  troisième 
))  avantnre,  entendant  du  passage  de  son  frère,  et  qu'elle  les  re- 
»  lèveroit  ou  abatroit  du  tout.  Aussi  eux  s'attendoient,  si  mal 
)^  luy  fust  avenu,  d'avoir  le  siège,  et  en  tel  cas  ils  avoyent  pris 
»  une  résolution  fort  secrette,  ((ue  l'un  d'eux  s'en  iroit  en  AUe- 
))  magne,  pour  s'elTorcer  d'y  relever  encore  quelque  secours; 
»  et  avisèrent  que  monsieur  le  prince  de  Coudé,  pour  la  grandeur 
y>  de  sa  maison,  auroit  beaucoup  plus  d'efficace  ])Our  persuader 
))  les  princes  protestans  de  la  Germanie,  de  lui  assister  en  une 
))  cause  où  eux-mêmes  avoient  quelque  participation.  La  diffi- 

(I)  DisciolK  et  mllil.,  p.  G%,  097,  (i98. 


—  137  — 
»  culte  estoit  du  moyen  de  l'y  conduire  seurement,  mais  aucuns 
y>  gentilshommes  se  trouvèrent  qui  montrèrent  évidemment 
»  qu'allant  de  maison  en  maison  de  ceux  qui  favorisoyent  son 
»  parti,  et  marchant  la  nuit  et  reposant  le  jour,  il  estoit  facile 
»  de  passer,  ayant  vingt  chevaux  et  non  plus.  Mais  il  ne  fut  be- 
))  soin  de  tenter  ce  liazard,  pour  ce  qu'à  dix  où  douze  jours  de  là 
»  ils  eurent  nouvelles  que  monsieur  d'Andelot,  ayant  passé  les 
»  principales  difficultez  de  son  voyage,  estoit  à  trente  lieues  d'Or- 

))  léans II  ne  faut  point  demander  si  chacun  sautoit  et  rioit 

»  à  Orléans  :  car  c'est  la  coustume  des  gens  de  guerre  de  se  res- 
))  jouir  plus  ils  ont  de  moyen  de  faire  du  ravage  et  du  mal  à  ceux 
»  qui  leur  en  font,  tant  l'ire  est  puissante  en  leur  endroit.  Et 
»  comment  n'auroyent-ils  quelquefois  les  affections  tacheltées 
»  de  sang,  veu  que  plusieurs  gens  d'église  les  ont  si  rouges  de  la 
»  teinture  de  vengeance,  au  cœur  desquels  ne  devroit  résider 
))  que  charité?  » 

Enfin,  au  début  de  novembre,  d'Andelot  apparut  non  loin 
d'Orléans,  à  la  tête  du  corps  de  troupes  que,  grâce  à  une  suite 
d'habiles  manœuvres,  il  avait  soustrait  aux  embûches  et  aux 
attaques  de  l'ennemi,  dont  il  avait  déjoué  les  desseins  et  contre- 
carré les  mouvements. 

Renforcée  par  ce  corps,  l'armée  protestante  se  dirigea  bientôt 
sur  Paris,  sous  la  conduite  de  Condé,  qu'accompagnaient  Co- 
ligny  et  d'autres  chefs. 

Un  seul  d'entre  eux,  d'Andelot,  épuisé  de  flitigues,  fut  retenu  à 
Orléans  par  une  grave  maladie  (l).  11  y  reçut  les  soins  assidus  do 
sa  belle-sœur,  madame  l'amirale,  et  de  sa  nièce,  Éléonore  de 
Roye,  à  peine  remise  des  inquiétudes  (pie  lui  avait  causées  récem- 
ment la  santé  du  prince  son  mari,  auipiel  elle  avait,  connue  tou- 
jours, prodigué  les  témoignages  du  plus  tendre  dévouement  (^2) 

(1)  Calend.  of  Sittttc  pap.  jnreign,  22  uovcml).  làdi'.  Tlirockmoi'ton  to  llio 
Queen.  —  Ibid.,  7  dcceiiil).  \T){\i.  Smilli  lo  ('ccil. 

(2)  Voir  Appeiiilice,  n"  2(1. 


—  138  — 

Ce  fut  au  chevet  du  lit  de  souffrances  de  son  oncle  que  la 
princesse  de  Condé  reçut  la  nouvelle  de  la  mort  du  roi  de  Na- 
varre, son  beau-frère,  qui,  blessé  le  iO  octobre  au  siège  de 
Rouen,  avait,  le  17  novembre,  rendu  le  dernier  soupir.  Ce 
prince,  sentant  de  jour  en  jour  ses  forces  décliner,  avait  ex- 
primé le  désir  de  revoir  Jeanne  d'Albret  et  chargé  un  gentil- 
homme qu'elle  lui  avait  envoyé  de  retourner  près  d'elle,  et  de 
l'accompagner  de  Béarn  en  Normandie  (1)  ;  mais  il  était  trop 
lard  :  Jeanne,  qui  se  fût  estimée  heureuse  d'apporter  à  son  mari 
de  suprêmes  consolations,  n'avait  plus  devant  elle  la  possibilité 
de  franchir,  en  temps  opportun,  la  longue  distance  qui  la  sépa- 
rait de  lui.  Couvrant  d'un  généreux  pardon  le  loyal  aveu  qu'au 
terme  de  sa  carrière  Antoine  de  Bourbon  avait  fait  de  ses  torts 
envers  elle,  elle  ne  se  rappela  plus  que  son  affection  pour  lui,  el 
pleura  sa  mort  en  femme  chrétienne. 

Au  double  titre  de  sœur  et  d'amie  fidèle,  la  princesse  de 
Condé  partagea  la  douleur  de  Jeanne.  Aussi,  dès  les  premières 
informations  reçues,  et  après  s'être  concertée,  de  loin,  avec  le 
prince  de  Condé  pour  l'envoi  d'un  messager  sûr  en  Béarn, 
adressa-t-ellc  d'Orléans  à  la  jeune  reine  les  quelques  lignes  que 
voici  (2)  : 

c(  Madame,  ayant  sçeu,  monsieur  mon  mary  et  moy,  ce  qu'il  a 
)^  pieu  à  Dieu  ordonner  du  roy  vostre  mary;  ressentans  d'un 
»  costé  ce  qu'avons  en  luy  perdu,  et  de  l'autre  l'ennuy  qu'en 
).  portez  (cela),  nous  cause  tel  desplaisir  que  pouvez  penser; 
.)  mais  quand  je  considère  qu'il  n'est  advenu  que  par  la  volonté 
))  et  permission  de  celuy  qui  a  pouvoir  sur  toutes  créatures  et  qui 
)^  ne  fait  rien  que  pour  le  bi(Mi  et  salut  des  siens,  c'est  qui  m'as- 
»  seure,  madame,  qu'au  milieu  de  vos  ennuys,il  vous  consolera, 
»  remettant  loutc  vostre  volonté  à  la  sienne,  et  vous  servant, 

(1)  Calend.  of  Slalc  jmp.  forcign,  'M  oclohor  \:>i\-l.  Neics  sent  from  France. 

(2)  Mcm.  de  Coiulé,  t.  IV,  p.  loi.  Lettre  du  "21  noveml)i-e  I5(i2. 


—  1:59  — 

»  au  besoing,  de  la  congnoissance  de  sa  parole,  laquelle  a  mise 
»  en  vous,  et  de  tant  de  vertus  dont  estes  accompagnée;  ayant 
y>  graYid  regret  que  suis  si  esloignée  de  vous,  que  ne  puis  moy- 
»  mesme  vous  présenter  ce  que  dès  longtemps  vous  ay  voué, 
y>  qui  est  entière  obéissance  et  service  en  tout  ce  que  congnois- 
»  tray  avoir  de  pouvoir,  ou  qu'il  vous  plaira  me  commander; 
))  semblablement  à  messieurs  vos  enfants.  Et  pourceste  occasion, 
»  monsieur  mon  mary  et  moy  vous  envoyons  La  Rivière,  présent 
»  porteur,  qu'avons  choisy,  ancien  serviteur  de  vostre  maison, 
-»  pour  vous  visiter;  vous  suppliant  incontinent  nous  mander  par 
))  luy  de  vos  nouvelles,  et  ce  qu'aurez  aggréable  que  fassions  pour 
»  vostre  service,  en  ces  quartiers  :  car  vous  n'y  pouvez  employer 
))  personnes  qui  vous  soyent  plus  affectionnez,  comme  nos  eiTects 
y>  vous  en  rendront  en  toute  chose  preuve,  etc.,  etc.  » 

Ces  lignes  étaient  accompagnées  de  la  lettre  suivante,  de  Condé 
à  Jeanne  (i)  : 

«  Madame,  quand  encores  la  mesme  douleur  que  le  sang  et  la 
))  nature  me  font  justement  ressentir,  n'auroit  telle  vigueur  sur 
»  moy,  que  de  me  condouloir  avec  vous,  l'argument  d'un  sem- 
y>  blable  ennuy  de  la  perte  qu'en  affliction  commune  et  en  re- 
))  grets  particuliers,  j*ay  premièrement  reçeu,  et  que  je  ne 
))  doubte  point  ne  vous  ait  pareillement  saisie, et  possédée;  si 
»  est-ce  que  j'eusse  pour  beaucoup  de  raisons  fait  très  grande 
y>  difficulté  d'estre  le  premier  annonciateur  d'une  nouvelle  non 
»  moins  amèrc  en  vostre  endroit,  que  grandement  difficile  à 
)>  comporter  au  mien,  sans  que  je  considère  que  nostre  Sei- 
»  gneur  qui  vous  a  assez  fait  goûter  la  faveur  des  fruits  de  ce 
y>  monde,  vous  a  quant  et  quant  fortifiée  de  sa  vertu  et  constance 
»  en  luy,  et  en  long  cours  d'adversité  et  prospérité,  pour  main- 

([)  Mém.  de  Coudé,  t.  IV,  p.  I2(i,  hiT  ;  liMIn-  du  '2Û  novomluv  I.MI-i,  datée  du 
camp,  devant  Corlieil. 


—  140  — 
3)  tenant  vous  savoir  reigler  et  conformer  soubs  le  bon  plaisir  de 
))  sa  saincte  volonté  :  ce  que  je  di,  Madame,  poui'  le  renouvel- 
»  lement  du  deuil  que  ceste  lettre  vous  apportera,  sans  que  mon 
))  peu  de  moyen  puisse  appliquer  grand  remède  à  un  mal  si 
y>  prégnant,  quand  vous  entendrez  ce  qu'il  a  pieu  à  Dieu  ordon- 
»  ner  du  feu  roy  vostre  mary  et  mon  frère  très  regretté.  Mais 
»  tout  ainsi  que  la  condition  de  nostre  nature  est  à  tous  égale- 
y>  ment  bastie  avec  subjection  du  naistre  et  du  mourir;  aussi 
»  cest  accident  estant  commun  à  tous  ceux  qui  restent,  je  ne 
»  m'elTorceray  davantage  à  vous  alléguer  ce  qui  se  doibt  faire, 
»  ne  ce  que  debvons  laisser;  sachant  bien  que  n ignorez  point 
))  le  chemin  que  Ton  doibt  tenir  aux  choses  irrécouvrables;  et 
))  pour  ceste  cause,  Madame,  afin  de  ne  m'esgarerpar  trop  en  ce 
))  discours,  je  tourneray  tout  court  pour  vous  supplier  très-hum- 
»  blement  me  faire  cest  honneur  de  croire  que  l'estroite  obli- 
»  gation  que  j'ay  à  vous  faire  très  humble  service,  accompagnée 
»  d'une  naïfve  et  sincère  affection,  me  font  franchement  à  ce 
))  coup  vous  offrir  ce  que  vous  sçauriez  désirer  et  attendre  d'uri 
»  très-fidèle  et  plus  nffectionné  Irère  et  serviteur,  pour  en  dis- 
»  poser  en  tous  endroits  que  me  voudrez  employer,  selon  que 
»  vous  jugerez  mes  moyens  se  pouvoir  eslendre;  et  au  demeu- 
»  rant,  pensez  que  si  la  mort  vous  a  osté  et  à  moy  aussi,  un  sup- 
»  port  qui  appuyoit  et  fortifioit  vos  affaires,  si  vous  a-il  encore 
»  réservé  en  moy  une  recongnoissance  de  vous  porter  la  mesme 
))  obéissance,  l'amour  et  la  révérence,  que  par  sa  présence  vous 
))  eussiez  pu  désirer  et  attendre  de  tous  ceux  qui  vous  eussent 
-»  voulu  pour  ce  mesme  elfect  gi'atifier,  etc.,  etc.  ». 

Éléonore  de  Roye  avait  été  laissée  à  Orléans  exposée  à  des 
dangers  qu'elle  envisageait  de  sang-froid,  sans  se  laisser  un 
seul  instant  détourner  de  l'accomplissement  de  ses  nombreux  de- 
voirs. Elle  suivait,  de  loin,  par  la  pensée,  les  opérations  de 
l'armée  protestante,  que  d'Andelot,  au  terme  de  sa  maladie, 


—  141  — 

avait  rejointe.  L'insuccès  du  mouvement  agressif  sur  Paris  et  ses 
environs,  la  rupture  des  négociations  qui  en  avaient  paralysé  les 
effets,  la  marche  de  Condé  dans  la  direction  de  la  Normandie, 
celle  des  troupes  catholiques,  qui  s'avançaient  parallèlement 
aux  siennes  :  tout  faisait  présager  à  la  princesse,  comme  inévi- 
table, une  sanglante  rencontre  des  deux  armées.  Condé  et  ses 
lieutenants  s'y  attendaient  également.  Arrivés  dans  le  voisinage 
de  Dreux,  ils  jugèrent  opportun,  avant  d'en  venir  aux  mains  avec 
l'ennemi,  d'adresser,  en  vue  d'éventualités  prochaines,  un  nouvel 
appel  au  bon  vouloir  de  leurs  auxiliaires  étrangers.  L'étendue 
de  leur  confiance  dans  le  zèle  et  Thabilelé  de  l'intermédiaire 
qu'ils  se  décidaient  à  employer  près  de  ceux-ci  ressort  claire- 
ment de  la  teneur  du  mandat  dont  ils  l'investirent;  et,  circon- 
stance digne  de  remarque,  cet  intermédiaire  fut,  non  pas  un 
homme  rompu  aux  négociations,  mais  ime  femme  éminenle  qui, 
par  la  double  autorité  de  son  caractère  et  de  son  expérience,  of- 
frait toutes  les  garanties  désirables  à  des  commettants  tels  que 
Condé,  Coligny,  d'Andelot,  de  Larochefoucault,  Jean  de  Rohan, 
de  Grammont  et  le  prince  de  Portien.  Un  fait  de  cette  nature  est 
tellement  exceptionnel,  qu'un  intérêt  historique  incontestable 
s'attache  au  texte  des  pouvoirs  que  ces  divers  chefs,  réunis  au 
camp  de  Néron,  conférèrent,  le  18  décembre  156^,  à  la  mère 
de  la  princesse  de  Condé.  Voici,  dans  ses  parties  principales,  ce 
texte  (1),  à  peu  près  inconnu  jusqu'ici  : 

«...  A  haultc  et  puissante  dame  Magdalaine  de  Mailly,  dame 
»  de  Roye,  salut  et  dilcction!...  Comme  nous  puissions  prévoir, 
))  à  nostre  grand  regret,  que  la  guerre  par  nous  entreprise  pour 
y>  le  service  de  Dieu,  du  roy  nostre  souverain  seigneur,  et  pour 
ï)  le  bien  public  de  ce  royaume,  est  pour  prendre  long  tiaict,  et 
))  que,  à  ceste  cause,  pour  fournir  aux  grands  frais  qu'il  nous 
y>  convient  faire  et  soustenir  pour  icellc  cnl retenir  et  continuer 

(1)  Archiccsdc  Stnttijart.  Fraukreieli,  D.  16,  n"  73. 


—  li-2  — 

»  jusqiics  II  ce  que  le  plaisir  de  Dieu  sera  nous  eu  donner  l'heu- 
)■)  reuse  yssue  que  nous  prétendons,  nous  ayons  besoing  de  faire 
))  et  assembler  le  meilleur  fonds  de  deniers  qu'il  nous  sera  pos- 
»  sible,  lequel  est  le  vray  nerf  de  la  guerre,  et  que  entre  aultres 
»  endroictz  desquels  nous  ont  esté  faictes  offres  de  nous  subvenir 
»  et  aider  libéralement,  vous  nous  ayés  faict  entendre  que  au 
»  pays  d'Allemaigne,  auquel  vous  estes  de  présent,  vous  sériés 
»  tellement  employée  pour  nous  moyenner  tel  secours  d'argent 
»  que  vous  avez  trouvé  aulcuns  princes  dominants  et  aultres  no- 
))  tables  personnages,  lesquelz,  meuz  d'un  bon  zèle  et  affection 
»  envers  une  si  saincte  entreprise  comme  est  celle-cy,  à  laquelle 
»  nous  avons  dévoué  noz  biens  et  personnes,  vous  ont  déclairc 
i>  qu'ilz  sont  contents  nous  aider  et  accommoder  par  prest  de 
)-i  bonnes  et  grandes  sommes  de  deniers,  en  leur  estant  par  vous 
))  pour  nous  et  en  nostre  nom  pourveu  de  bonnes  et  suffisantes 
))  seuretez  d'estrc  bien  satistisfaitz  et  remboursez  aux  termes  et 
»  conditions  et  par  les  moyens  que  vous,  en  vostre  dict  nom, 
»  aurez  convenu  et  accordé  avec  eux;  auquel  party,  après  avoir 
»  esté  consulté  et  deslibéré  entre  nous,  il  nous  auroit  semblé 
»  bon  d'entendre;  pour  ce  est-il  que  nous  et  chacun  de  nous, 
')  tant  en  général  que  en  particulier,  vous  avons  constituée,  com- 
»  mise  et  depputée,  constituons,  commettons  et  depputons  par 
■))  ces  présentes  pour  traicter,  convenir  et  accorder  pour  nous 
0  et  en  nostre  nom  avecques  tous  et  chacun  de  ceulx  lesquelz 
))  vous  aurez  trouvés  avoir  intention  de  nous  accommoder  par 
))  prest  d'argent  des  parties  et  sommes  de  deniers  qu'ils  nous 
»  fourniront  et  presteront,  des  voies,  conditions  et  moyens  de 
»  leur  en  faire  le  remboursement  et  leur  en  passer  telles  recon- 
»  gnoissances,  obligations  et  seuretez  que  vous  adviserez  bon 
»  estre,  et  généralement  en  ceste  affaire  vous  employer  tout 
»  ainsi  que  nous  ferions  etjiourrions  faire  nous  mcsmes  en  pré- 
»  sence.  De  ce  faire  nous  vous  avons  donné  et  donnons  toute 
})  puissance,  autorité,  commission  et  mandement  espécial,  et 


—  143  — 
»  de  pouvoir  substituer  et  cornmectre  à  traicter  et  accorder  ce 
))  que  dessus,  en  vostre  absence,  tel  ou  tels  que  bon  vous  sem- 
»  blera;  promettons  en  bonne  foy  et  parolle  de  vérité  avoir  pour 
»  aggréable,  garder,  entretenir,  ratifier  et  approuver  tout  ce  qui 
»  par  vous  ou  aultres  de  par  vous  commis  et  substitués  aura 
»  esté  accordé,  faict  et  passé  en  l'affaire  susdicte;  et  toutes  et 
»  chacunes  les  parties  et  sommes  de  deniers  ainsi  par  vous  prises 
d  et  reçues  ou  par  aultre  ayant  tel  pouvoir  de  vous,  bien  et 
»  loyaulment  rendre  et  payer  ou  faire  rendre  et  payer,  selon  et 
»  en  la  forme  et  manière  que  par  vous  ou  iceulx  ayant  pouvoir 
y>  de  vous  aura  esté  accordé  et  convenu;  ef  ce,  soubz  obligation 
i)  de  tous  et  chacuns  noz  biens,  tant  meubles  que  immeubles, 
»  présents  et  advenir,  etc.,  etc.'  » 

Le  lendemain  du  jour  où  cette  pièce  avait  été  signée,  se  livra 
la  mémorable  bataille  de  Dreux  (i).  Les  deux  commandants  en 
chef  des  armées  catholique  et  protestante,  le  connétable  et 
Condé  y  furent  faits  prisonniers  :  l'un,  au  fort  de  la  mêlée,  par 
un  gentilhomme  allemand,  Volpert  von  Derst  (^2);  l'autre,  à  la 
fin  de  l'action,  par  Damville. 

Au  moment  où  le  connétable,  blessé  d'un  coup  de  feu  à  la 
mâchoire  inférieure,  et  enveloppé  de  toutes  parts,  venait  de  se 
rendre  à  Yolpert  von  Derst,  des  mains  duquel  des  reistres  ten- 

(1)  Lesliistoires  locales  offrent  parfois  do  singuliers  raintroelienients  à  faire  avec 
l'histoire  générale  de  la  France  ;  en  voici  un  exemple  :  «  In  acte  très-remarquable 
))  advintà  Cliastillon-sur-Loing,  le  propre  jour  que  la  balaille  fut  donnée  à  Dreux; 
»  c'est  que  les  enfants  un  peu  grandets,  s'estant  de  leur  propre  mouvement  mis 
»  en  deux  bandes,  chacune  desquelles  avait  un  chef,  l'un  s'appelant  le  jirince 
B  de  Condé  et  l'autre  le  duc  de  Guyse,  sans  que  les  pères  et  mères  y  prissent 
»  garde,  se  bâtirent  si  bien  à  coups  de  gaules,  de  pieds  et  de  mains,  que  ce  duc 
»  de  Guyse l)ien blessé  en  mourut  puis  après.  )>  (lièze,  llisf.  ceci.,  t.  Il,  p.    l(jl.) 

(2)  Volpert  von  Derst  ligun;  dans  (piatre  documents  manuscrits,  relatifs  à  la  ran- 
çon du  connétable,  en  date  des  l  avril,  25  mai,  S  et  12  juin  15();>  (Uibl.  nat.,  mss. 
f.  fr.,vol.  3213,  f°^'J7,  'JD,  101,  et  vol.  324!»,  f'  S2).  il  est  digne  de  remarque 
que  le  premier  de  ces  documents  est  un  engagement,  spontanément  conlraclé 
par  Coligny,  de  payer  une  partie  de  la  rançon  de  son  oncle,  le  connétai)le. 


—  1  U  — 

taient  de  l'arracher,  dans  l'espoir  de  spéculer  sur  sa  capture, 
survint,  pour  lui  sauver  la  vie,  en  faisant  cesser  ce  brutal  conflit, 
le  jeune  prince  de  Portien,  «  fils  de  la  comtesse  de  Seninghen,  à 
»  laquelle  le  conncstable  avoit  iait  de  grands  maux,  jusques  à  la 
»  mettre  en  extrême  danger  (i);  ce  quiestonna  le  connestable, 
))  craignant  la  vengeance.  Mais  le  prince  de  Portien,  comme  il 
»  estoit  vrayment  de  bon  et  généreux  naturel,  au  lieu  de  la  pis- 
»  tôle,  luy  présenta  la  main,  luy  promettant  toute  assistance  et 
y>  gratieuseté  (^2).  »  Après  ce  trait  d'admirable  générosité,  le 
prince  «  rendit  à  Anne  de  Montmorency  tous  les  bons  offices 
))  qu'il  pouvoit  espérer  )>  (3);  il  le  confia  à  des  mains  sûres,  com- 
manda qu'on  l'entourât  de  soins  et  d'égards,  et,  d'accord  avec 
Coligny,  organisa  son  départ  pour  Orléans,  où  sa  captivité,  on  le 
verra  bientôt,  devait  être  des  plus  douces. 

Quant  à  Gondé,  légèrement  blessé  au  visage  et  à  la  main,  ayant 
eu  son  cheval  tué  sous  lui  et  se  disposant  à  en  monter  un  autre, 
il  avait  été,  dans  son  isolement  momentané,  assailli  par  un  gros 
de  gendarmerie  que  commandait  Damville  et  contraint  de  remet- 
tre son  épée  à  ce  chef,  qui  l'avait  conduit  au  duc  de  Guise,  à 
l'issue  de  la  bataille.  Brantôme  se  trouvait  alors  près  du  duc, 
objet  habituel  pour  lui,  d'une  admiration  contre  laquelle  il  est 
bon  de  se  tenir  en  garde.  Il  parle  en  ces  termes  (4),  de  l'accueil 
qui  fut  fait  au  noble  prisonnier  ; 

((  M.  le  prince  de  Gondé  fut  pris,  non  sans  grand  danger  de  la 
))  mort,  si  M.  de  Guyze  luy  eust  voulu  rendre  ce  qu'il  luy  avoit 
»  voulu  prester  à  la  conjuration  d'Amboise  ;  mais  au  lieu  d'un 
))  tel  rcmbourcement,  quand  il  luy  fut  présenté,  il  lui  fit  force 
»  honneur  et  bonne  chère,  le  l'ctira  avec  luy,  luy  présenta  la 

(1)  lièze,  Hist.  ceci.,  t.  II,  p.  23r).  —  Voir  nntiv;  ('tiuh!  historique  sur  Antoine 
(io  Croy,  prince  de  Portien  (Bulletin  de  la  société  dliist.  du  protest,  français,  an- 
née lS(i!l). 

(^2)  Dôzi',  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  SIm. 

{?})  De  Thou,  Hist.  univ.,  t.  III,  p.  iîGT. 

(l)  Kdit.  L.  La!.,  t.  IV,  p.  :)H),;îr.ii. 


—  145  — 
y>  moylié  de  son  lict,  et  couchèrent  tous  deux  ensemble  aussi 
>  familièrement  comme  si  jamais  n'eussent  estez  ennemis,  mais 
ï>  comme  bons  amis  et  cousins  germains  qu'ils  estoient.  De  tout 
y>  le  soir  (du  i9)  il  ne  fut  guières  veu,  et  M.  de  Guyze  le  luy  con- 
»  seilla;  et  demeura  en  sagarderobe,  bien  qu'elle  fust  fort  petite 
»  et  chétive,  car  c'estoit  une  maison  de  village  fort  champestre. 
»  Force  gens  le  vouloient  voir,  mais  M.  de  Guize  l'avoit  defï'endu, 
»  car  une  personne  affligée  n'ayme  guières  cette  veue  ni  visi- 
))  tation.  —  J'euz  pourtant  crédit  de  le  voir  assez  près  d'un  fœu 
»  faisant  démonstration  grande  de  sa  douleur  et  d'une  appréhen- 
»  sion  grande.  On  luy  porta  à  soupper,  et  souppa;  puis,  tout  le 
»  monde  retiré,  et  M.  de  Guyze  se  voulant  coucher,  il  donna 
))  congé  à  un  chascun,  non  sans  avoir  demeuré  longtemps  assis 
»  près  du  fœu  à  causer  de  la  bataille  parmi  nous,  où  chacun  y 
»  estoit  reçeu  pour  son  escot  et  son  dire. —  Luy  et  monsieur  le 
»  prince  couchèrent  ensemble,  et  l'endemain  nous  allasmes  à 
»  son  lever.  Il  se  mit  à  escrire  au  roy  et  à  la  royne  le  plus  briè- 
»  vement  qu'il  put,  et  sortit  voir  le  champ  de  bataihe,  non  trop 
»  loing  pourtant,  car  il  disna  et  y  alla  après  à  bon  escient.  — 
^)  Cependant  le  prince  se  leva,  qui  estoit  encore  "au  lit  quand 
y>  nous  estions  en  sa  chambre,  les  rideaux  tout  tirez  au-dedans. 
»  S'il  fust  esté  pressé  de  se  lever,  il  fust  esté  bien  eslonné,  ce 
))  disoit-on.  Puis,  quand  fallut  desloger,  M.  de  Guyze  le  redonna 
»  à  M.  Damville  à  le  tenir  en  bonne  garde,  et  pour  faire  l'es- 
»  change  de  luy  et  de  M.  le  connestable,  ainsi  que  le  porte  le 
»  droit  de  la  guerre.  » 

Le  lendemain  de  la  bataille,  on  conduisit  Louis  de  Bourbon, 
du  campement  du  duc  de  Guise  à  Dreux,  où  il  fut  incarcéré  et 
soumis  à  une  stricte  surveillance.  Ainsi  le  voulait  Catherine  de 
Médicis,  qui,  sous  le  nom  du  roi,  se  chargea  dès  le  surlendemain, 
21  décembre,  de  fixer  les  attributions  de  Damville,  par  une  com- 
mission, en  forme  de  lettres-patentes,  portant  (h  : 

(1)  T^iltl.  iiat.,niss.f.  fr.,  iUOl,  f'  I.  —  Mëm.  de  Condô,  t.  lY.p.  181. 

H) 


_  140  — 
«  Charles,  etc....  Comme  en  la  dernière  bataille  donnée  près  de 
»  Dreux,  nostre  très  cher  et  très  amé  cousin  Loys  de  Bourbon, 
»  prince  de  Condé,  ayt  esté  faict  et  arreslé  prisonnier,  au  moyen 
»,  de  quoy  soit  bcsoing  pour  l'importance  de  sa  personne  establir 
»  à  la  garde  d'icelluy  quelque  bon,  digne  et  grant  personnage  sur 
»  lequel  nous  puissions  nous  en  assurer  et  reposer,  sçaVoir  fai- 
»  sons  que  nous,  cognoissans  les  sens,  vertu  et  fidélité  de  nostre 
>,  cher  et  amé  cousin  Henry  de  Montmorency,  sieur  de  Damp ville, 
>  admirai  de  France,  et  l'alTection  et  vraye  dévotion  qu'il  nous 
)>  porte  et  à  tout  ce  qui  dépend  du  bien  de  nostre  service  et 
»  affaires;  considérant  aussy  que  nostre  dit  cousin  le  prince  de 
»  Condé  a  par  luy  esté  pris  et  arresté  en  ladite  bataille  ;  pour 
)>  ces  causes...,  avons  à  icelluy  sieur  de  Dampville  donné  et  don- 
»  nous  par  ces  présentes  la  charge  et  garde  de  la  personne  de 
))  nostre  dit  cousin  le  prince  de  Condé,  lui  mandons  et  ordonnons 
»  très  expressément  par  ces  dites  présentes,  qu'il  ayt  à  le  garder, 
;..  si  soigneusement  et  seurement  avecques  ceux  qui  luy  seront 
>.  par  nous  baillez  pour  ladite  garde,  qu'il  n'en  advienne  aulcuti 
»  inconvénient,  faisant  par  luy  en  ce  que  dessus  et  ce  qui  en 
).  dépend  tout  ce  qu'il  verra  et  cognoistra  estre  requis  et  néces- 
}>  saire,  etc.,  etc. 

A  cette  commission  se  rattachait  un  rè^lemeut,  signé  par 
Charles  IX  et  Catherine  de  Médicis,  dont  voici  le  libellé  (1)  : 

«  C'est  la  forme...  pour  le  traitement  de  monsieur  le  prince. 
y,  _  Le  roy  veult  et  entend  que  les  compagnies  d'hommes  d'ar- 
).  mes  de  monsieur  le  connestable,  de  monsieur  l'amyral  de 
)'  Dampville  et  du  sieur  de  Thoré,  ensemble  celles  de  gens  de 
)>  pied  du  capitaine  Nancey  et  du  capitaine  Goard  seront  establies 
..  pour  la  garde  dudit  sieur  prince;  —  que  la  garde  se  fera  tant 
»  jour  que  nuict  en  sa  chambre  d'un  des  membres  desdiles  com- 

,1)  i;il.!   nal.,  inss.  f.  fr.,  vol.  lilDi,  f'  t.  —  Wm.  de  Condé,  t.  IV,  p.  18-2. 


—  147  — 

y>  pagnies  de  ^ens  d'armes,  d'iing  capitaine  des  gens  de  pied  ou 
»  son  lieutenant,  de  deux  hommes  d'armes  et  quelques  foys 
y>  quatre,  selon  la  nécessité  des  lieux;  —  qu'il  couchera  en  la 
y>  chambre  dudict  sieur  prince  deux  de  ses  vallets  de  chambre 
»  ausquelz,  avec  le  reste  de  ses  gens,  il  pourra  communiquer  et 
»  parler  en  l'oreille;  —  que  ledict  sieur  prince  pourra  aller  en 
))  sa  garde-robbe  sans  qu'aucuns  desdits  gardes  y  entrent  ;  —  que 
»  la  garde  se  fera  devant  le  logis  des  domestiques  dudict  sieur 
»  prince  seullement,  sans  qu'ilz  puissent  estre  veuzen  leur  cham- 
»  bre  ne  en  leur  cuisine,  ausquelz  gardes  seront  baillées  quant 
))  allant  et  venant,  lisseront  employez  pour  le  service  dudit  sieur 
))  prince;  —  faisant  au  reste  si  bonne  garde  tout  autour  le 
»  logis  dudit  sieur  prince  qu'il  n'en  puisse  advenir  aucun  incon- 
))  vénient.  y> 

Occupons-nous  maintenant  de  l'arrivée  d'Anne  de  Montmo- 
rency à  Orléans,  et  de  quelques  faits  ultérieurs.  Nous  y  verrons 
sa  condition,  alors  qu'il  aura  été  placé  sous  la  protection  plutôt 
encore  que  sous  la  garde  de  la  princesse  de  Gondé,  différer  singu- 
lièrement de  celle  de  Louis  de  Bourbon,  à  Dreux  et  ailleurs,  sous 
la  main  tour  à  tour  cauteleuse  et  rude  de  la  reine  mère.  Ici  vont 
s'offrir  à  nos  regards,  sous  un  aspect  touchant,  la  noble  attitude 
et  l'inaltérable  dévouement  d'Éléonore  de  Roye,  appelée,  au 
double  titre  de  femme  et  de  nièce,  à  s'interposer  entre  les  deux 
prisonniers,  d'une  part,  et  la  reine  mère  ainsi  que  plusieurs  de 
ses  affidés,  de  l'autre.  Nous  allons  la  voir  aux  prises  avec  des 
difticultcs  suscitées  par  le  mauvais  vouloir  et  par  l'astuce,  lutter 
sans  relâche,  s'attacher  à  soulager  son  mari  dans  l'épreuve  qu'il 
subit,  et  tendre  par  de  persévérants  efforts,  à  sa  mise  en  liberté, 
sans  rien  négliger,  du  reste,  de  ce  qui  pourra  être  favorable  au 
connétable. 


CHAPITRE   YIII 


Dans  la  nuit  du  19  au  20  décembre  1562,  quelques  fuyards, 
ayant  atteint  Orléans,  «  y  rendoient  toutes  choses  incertaines, 
»  mais  non  pas  déplorées;  ce  qui  tint  tout  le  peuple  en  sus- 
))  pens  (1).  »  Les  anxiétés  de  la  princesse  étaient  extrêmes  lors- 
que, «  le  vingtiesmc  du  mois,  d'assez  bonne  heure,  nouvelles  cer- 
))  taines  arrivèrent  qu'on  amenoit  le  connestable  prisonnier, 
))  auquel  on  n'avoit  donné  qu'une  petite  relasche  en  chemin  de- 
y>  puis  sa  prise,  le  faisant  marcher  sans  cesse  toute  lanuict  et  le 
))  jour  suivant  (2).  »  Anne  de  Montmorency  arriva  à  Orléans,  le 
20  vers  la  fin  de  la  journée.  «  Il  avoit  été  mené  en  si  grande  di- 
»  licence,  blessé  et  vieil  comme  il  estoit,  qu'il  porta  presque  le 
«  premier  les  nouvelles  (dans  cette  ville),  où  on  lui  bailla  pour 
))  hostesse  la  princesse  de  Gondé,  sa  nièce  (/]).  » 

Kléonore  de  Roye,  dans  le  premier  moment,  ne  sut  rien,  par 
son  grand-oncle,  des  blessures  ni  de  la  captivité  de  son  mari. 
En  effet,  le  connétable,  tenu  à  l'écart  du  champ  de  bataille, 
dès  le  milieu  de  l'action,  ignorait  le  sort  du  prince.  La  i)rin- 
cesse  ayant  devant  elle  le  chef  qui  venait  de  combattre  contre 
Louis  de  Bourbon,  ne  vit  en  lui  qu'un  prisonnier  de  guerre 

(\}\\h.ii,  Hist.  eccl.,  1.  11,  p.  "lïi. 

(-2)  «  TIh!  coiislalde  was  sontto  Orléans  witli  siicli  spocd  ihat  lie  diaiik  but  once 
»  by  Ibe  way,  aud  lliaton  borseback.  »  (Calentl.  of  Stale  paît,  forcign.  \)  janvier 
\:m.  —  The  batlle  of  Dreux,  §  3).  —  Bèze,  Hist.ecd.,  t.  U,  |».  "iii. 

Ç\)  Mém.  do  Castehiau,  in-f",  t.  I,  p.  l'i'J. 


—  149  — 

blessé,  et,  plus  encore,  que  le  père  profondément  affligé  de  la 
perte  d'un  fils  mort  sous  ses  yeux,  les  armes  à  la  main.  Aussi 
quels  soins  délicats  prodigués  au  vieillard,  dans  l'intérêt  de  sa 
santé!  Quelle  sympathie  pour  les  douleurs  du  cœur  paternel! 
quel  empressement  à  procurer  au  prisonnier  toutes  les  facilités 
possibles  pour  communiquer  avec  sa  femme,  sa  famille,  ses  amis, 
ses  serviteurs!  Une  sollicitude  véritablement  filiale  entoura  im- 
médiatement le  connétable,  sous  le  toit  de  la  princesse  (i  ). 

La  journée  du  21  se  passa  sans  qu'elle  apprît  encore  quoi  que 
ce  fût  de  précis  au  sujet  du  prince. 

Le  2':2  seulement,  lui  parvint  un  message  que  son  oncle, 
l'amiral  de  Goligny,  s'était  empressé  de  lui  adresser,  le  2 L  Se 
trouvant  à  Anneau,  il  avait  reçu  quelques  informations  concer- 
nant Gondé  :  ce  fut  de  ce  village  qu'il  les  transmit  aussitôt  h  sa 
nièce,  dans  une  lettre  empreinte  d'affection.  Il  la  consolait  «  sur 
))  la  captivité  d'iceluy  prince,  avec  déclaration  de  la  bonne  et 
»  entière  volonté  de  l'armée  encores  assez  roide  et  forte  pour  le 
))  délivrer  et  pour  venir  à  bout  du  reste  des  ennemis  :  à  laquelle 
))  lettre  les  ministres  du  camp  adjoustèrent  les  leurs,  qui  ser- 
))  virent  grandement  à  fortifier  cette  bonne  et  vertueuse  priii- 
»  cesse  (2).  » 

Le  premier  soin  d'Éléonore  de  Roye,  à  la  réception  de  cet»e 
lettre,  fut  d'envoyer  à  la  reine  mère  un  personnage  doué  d'une 
certaine  consistance,  qui  obtînt  d'elle,  sinon  pour  lui-même,  au 
moins  pour  un  tiers,  l'autorisation  de  voir  Louis  de  Bourbon. 
D'accord  avec  le  connétable,  Antoine  Garaccioli,  prince  de 
Melphe,  ancien  évoque  de  Troyes,  qui,  ainsi  qu'il  l'avoua  plus 
tard(,1),  ((  avoit  eu  la  témérité  d'accepter  l'eslat  de  pasteur 

(1)  «  La  principessa  di  Coudé  lia  ricovulo  aniorevoliiuMile  il  conoslabilc  pri- 
»  gionc  à  Orléans.  »  Dépêche  do  Tornalmoni  à  Cosme  1'',  du  :î(»  doceinbro  lôÛ'l 
{Négoc.  (liplomat.  de  la  France  avec  la  Toscane,  in-l",  t.  III,  p.  .Mi-i). 

(2)lJè/e,  llhl.  eccL,  t.  Il,  p.  ^'m. 

(3)  Mém.  de  Coudé,  .t.  V,  p.  i7  à  il).  Lottre  de  Garaccioli  aux  uiiuistros  et 
pasteurs  de  l'église  d'Orléans,  du  -20  février  lûbS.  On  v  lit  ces  mois  :  «  Le  Sei- 


-  150  — 

))  sans  estre  premièrement  brebis  »,  se  proposa  pour  remplir 
cette  mission.  La  princesse,  loin  de  soupçonner  la  moindre  ar- 
rière-pensée de  sa  part,  le  croyait  au  contraire  parfaitement 
loyal  et  dévoué  :  elle  accepta  donc  sans  hésitation  son  oiîrc.  Il 
partit  d'Orléans,  en  compagnie  de  deux  personnes,  rencontra  en 
chemin  l'amiral  (i),  le  23  décembre,  et  remit  à  Catherine  de 
Médicis  une  lettre  du  connétable,  datée  du  22,  dont  voici  la 
teneur  (2)  : 

«  Madame,  madame  la  princesse,  aiant  esté  advertie  de  la 
»  prinse  de  monsieur  le  prince  son  mary,  m'a  prié  vous  escripre 
»  et  supplier  très-humblement  estre  contente  que  monsieur  le 
»  prince  de  Melphe  voyse  vers  vous  et  que  je  luy  baillasse  une 
»  lettre  à  ce  qu'il  vous  plaise  estre  contente  de  le  veoir  et  l'ouyr, 
))  vous  asseurant  qu'elle  est  si  travaillée  et  affligée  qu'il  est  im- 
»  possible  de  l'estre  davantage.  Et  je  suis  prisonnier  en  sa  mai- 
))  son,  là  où  elle  me  faict  si  bon  traitement,  que  je  tiens  ma  vie 
•)  du  soin  qu'il  luy  a  pieu  me  faire.  Par  quoy  je  vous  supplie 
))  très-humblement  de  vostre  bonté  accouslumée  avoir  extrême- 
»  ment  recommandé  mondit  seigneur  le  prince,  comme  je  sçay 
»  qu'il  vous  a  pieu  luy  porter  toujours  fort  bonne  et  grande  af- 
»  fection;  et...  que  nostre  Seigneur  a  voulu  que  les  charges  de 
»  ceste  bataille  soient  passées,  en  sorte  que,  j'espère,  il  en  réus- 
»  sira  une  bonne  paix,  qui  est  ce  que  plus  vous  désirez  en  ce 
»  monde.  Madame,  je  suis  blessé  d'une  harquebuze  en  la  ma- 
))  chouere  et  d'un  coup  de  pistollet.  J'espère  en  nostre  Seigneur 


»  i^aeur  Dieu,  olîeusô  do  mou  orguoil  et  iiTitô  par  mes  pochés,  permit  (jue,  os- 
»  tant  à  Orléans,  au  temps  de  la  grande  adversité  de  l'esglise,  estant  là  en  ung 
»  théastre  et  à  la  veue  de  tout  le  monde,  où  je  debvois  exposer  hardiment  ma  vie 
»  et  monslror  une  constance  invincible,  je  monstray,  au  contraire,  une  del- 
i>  liance  cl  pusillanimité,  hahandonnant  le  sainct  troupeau  do  Diou,  pour  chercher 
»  mon  particulier  repos  et  asseurance.  » 

(1)  Bèze,  Hist.  eccL,  t.  IF,  p.  iU). 

("2)  llisl.  (les  pr.  de  Condé.,  par  le  duc  d'Aumalo,  t.  1,  p.  IJ'J."),  :]9(!. 


—  151  — 
»  estre  bientôt  guéry  et  en  estât  de  vous  pouvoir  faire  service  là 
»  où  je  n'espargneray  ma  vie,  vous  suppliant,  madame,  avoir  la 
))  connestable  extrêmement  recommandée...  (autogr.)  Madame, 
»  monsieur  le  prince  de  Melphe  vous  fera  entendre  la  bonne 
»  vouUentc  quy  a  en  ceste  compagnye  d'avoyr  ugne  bonne  pes. 
»  Je  vous  suplye,  madame,  d'avoyr  pour  byen  recommandé 
»  monsyeur  le  prince.  —  Madame,  je  vous  suplye  que  ce  jantyl- 
))  lomme  voye  monsyeur  le  prince,  vous  açeurant  que  je  suys  sy 
y>  byen  trélé,  que  je  vous  suplye  d'avoyr  celles  de  monsyeur  le 
))  prince  pour  recommandé.  » 

La  conduite  que  tint  Garaccioli  fut  indigne.  ((  Il  avoit  bien 
3)  persuadé  à  la  princesse  de  luy  donner  la  charge  d'aller  vers 
»  la  royne  mère  pour  avoir  congé  de  visiter  le  prince;  mais  la 
»  vérité  estoit  que  pensant  que  tout  fût  perdu,  et  retenant  sa  lé- 
»  gèreté  accoustumée,  il  avoit  parlementé  avec  le  connestable, 
))  luy  offrant  son  service  sous  ombre  de  ce  voyage,  et  arrivé  vers 
»  la  royne,  comme  on  sçeut  depuis,  il  ne  parla  oncques  des 
))  affaires  du  prince,  mais  bien  d'obtenir  sa  grâce  pour  se  pouvoir 
y>  retirer  en  sa  demeure  de  Chasteauneuf  :  ce  que  la  royne  luy 
»  accorda,  mais  ce  fut  à  condition  que,  retournant  à  Orléanij,  il 
))  porteroit  certaines  lettres  et  paroles  à  quelques  gentilshommes, 
))  et  nommément  à  Grammont  et  au  sieur  de  Bussy,  frère  du  prince 
))  Portien.  Ainsi  le  fit-il,  mais  en  vain  quant  à  Bussy,  lequel  pour 
))  responseluy  cuyda  donnerun  soufflet  ;  mais  quant  à  Grammont, 
»  cela  demeura  couvert.  Luy  cependant  craignant  de  n'estrc  en 
»  seureté  ni  des  uns  ni  des  autres  à  Chasteauneuf,  se  tint  encore 
»  quelques  jours  à  Orléans,  estant  malade  la  plupart  du  temps, 
»  jusques  à  ce  qu'estant  du  tout  descouvert,  la  princesse  ayant 
))  plus  d'esgard  à  la  qualité  d'iceluy  qu'à  ses  mérites,  se  contenta 
y>  de  luy  commander  qu'il  eust  à  se  retirer  sans  plus  revenir,  sous 
»  peine  de  la  vie  (1  ).  » 

(1)  IJèze,  Hist.  ceci.,  t.  U,  |>.  "^iO. 


—  152  — 

SiCaraccioli  s'abaissa  au  point  de  trahir  la  confiance  delà 
princesse  de  Condc,  un  homme  de  cœur  et  de  résolution,  le  ca- 
pitaine Larivière,  sut  au  contraire  la  justifier  pleinement.  Ayant 
promis  de  tout  faire  pour  obtenir  accès  près  du  prince,  lui  parler 
au  nom  de  sa  femme  et  de  son  fils,  et  rapporter  à  Orléans  de  ses 
nouvelles,  ainsi  qu'une  lettre  de  lui,  cet  officier  fut  fidèle  à  sa 
parole  :  malheureusement  son  zèle  et  son  énergie  échouèrent 
devant  des  résistances  implacables;  toute  communication  avec 
le  prince  lui  fut  refusée. 

A  l'inverse,  le  connétable  écrivait  librement  à  sa  femme.  Il  y 
a  plus  :  la  princesse  de  Gondé  prenait  la  peine  d'informer  di- 
rectement sa  grand'tante  de  la  situation  d'Anne  de  Montmo- 
rency, et  réclamait  en  même  temps  ses  bons  offices,  près  de  qui 
de  droit,  en  faveur  de  Louis  de  Bourbon.  «  ^ladame,  lui  écri- 
»  vait-elle  le  "^i  décembre  (1),  s'en  allant  vous  trouver  se  porteur 
»  pour  vous  dyre  des  nouvelles  de  monsieur  le  connestable,  je 
y>  l'ay  bien  voullu  l'accompagner  de  se  mot  pour  vous  advertyr 
y>  encore  quy  soit  ung  petit  blessé  au  menton,  sy  ne  se  porta-yl 
»  jamays  mieulx  de  s»  santé.  Yl  vous  a  desjà  luy  mesme  mandé 

>  deulx  foys  comme  je  le  Iraicte  yssy,  et  davant  mesme  que  susse 

>  que  monsieur  mon  mary  fust  tombé  aulx  mayns  de  mon  cousyn 

>  monsieur  de  Demville;  parcoy  autant  qu'aymés  ledit  seigneur 

>  vostre  mary,  faicte  que  voz  enfans  et  vous  s'employe  en  tous 
»  les  moyens  à  faire  donner  tel  traictement  à  monsieur  mon 
y>  mary  quy  le  mérite,  et  vous  assures  qu'en  se  faysant  je  feray 
))  l'oTyse  à  mondict  sieur  connestable  non  de  nieyse  mais  d'ugne 
»  fylle  fortallectionnée,  supliant  Dieu  que  bientôt  je  puysse  veoyr 

>  en  toute  lyberté  mon  mary  et  vous  le  vostre  et  une  bonne 

>  pays  (^),  et  sy  je  puys  avoir  se  bien  en  attendant  de  savoyr 


(I)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  nflOT,  f"  -U\. 

{"1)  lieza  Calviiio,  "21  dr'ccml).  ir)(i:2  (liauiii,  a|.[t.  p.  "lO'.i)  :  «  Coiieslahilis  viil- 

>  iicratiis  iii  infL-riore  niaxilla,  jam  iiosler  est  civis.  Mhil  aliml  Iiabe  in  oit  qiiain 

>  pacoiii,  qiiaiii  laiiien  nonduin  possiim  spcrai'c.  » 


—  133  — 
))  souvent  des  nouvelles  du  myen  vous  en  sarés  aynssi  du  vostre. 
»  Se  pandant  je  salueray  voz  bonnes  grasses  de  mays  bien  affec- 
»  tionnées  recommandations.  » 

Quelle  impression  cette  lettre  produisit-elle  sur  la  connétable? 
Y  eut-il  quelque  démarche  accomplie  par  elle  en  faveur  de 
Gondc?  on  l'ignore.  Certes,  si  quelqu'un  devait  ôlrc  porté  par 
un  sentiment  de  reconnaissance  et  de  justice  à  agir,  en  vue  d'une 
égalité  de  situations  à  établir  entre  les  deux  prisonniers,  c'était 
bien  la  connétable,  à  laquelle  étaient  accordés  les  moyens,  non- 
seulement  de  correspondre  journellement  avec  son  mari,  mais 
encore  d'aller  le  visiter  à  Orléans,  pour  peu  que  celui-ci  en  té- 
moiçfnât  le  désir.  Une  lettre  du  duc  de  Guise  à  la  femme  d'Anne 
de  Montmorency  est  explicite  sur  ce  dernier  point  :  «  Madame^ 
»  lui  disait-il,  le  27  décembre  (1),  vous  avez,  dès  ceste  heure^ 
»  entendu  la  disposition  et  bon  portement  de  M.  le  connestable, 
»  tant  par  ses  lettres  que  ce  que  je  vous  en  ay  mandé.  Main- 
»  tenant  il  vous  escript  de  sa  main,  ce  qui  vous  assurcM\a  d'abon- 
y>  dant  de  sa  bonne  santé...  Je  metray  peine  de  sçavoir  s'il  vouldra 
y>  que  vous  l'aillez  trouver,  ainsi  que  M',  le  comte  de  Villars  m'a 
»  escript  que  vous  desirez.  » 

X  la  fm  de  décembre,  Éléonore  de  Roye  était  toujours  sans 
nouvelles  directes  et  sans  lettres  de  son  mari.  Rien  même  ne 
l'autorisait  à  croire  qu'une  seule  des  missives  qu'elle  lui  avait 
adressées  lui  fût  parvenue.  Quelques  lignes  qu'elle  avait  reçues 
de  Catherine  de  Médicis  ne  renfermaient  que  des  banalités  re- 
latives à  de  vagues  éventualités  de  paix.  Il  fallait  à  la  princesse 
plus  et  mieux  que  cela.  Aussi,  tout  en  observant  vis-à-vis  de  sa 
royale  correspondante  certains  ménagements  dictés  par  la  pru- 
dence, lui  répondit-elle  le  30  décembre  (2)  en  ces  termes  dignes 
et  fermes  : 

(I)  r.ihi.  nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  317!),  f"  1.").  —Calcnil.  of  Stiilc  pap.  Jorcign, 
li!  janvier  l'AVA,  Tlirockiuoiioii  to  lln'  Qikmmi  :  —  «  TIr' coiislahii'  rciuaiiis  al 
»  Orléans  ami  liis  wife  lias  liborty  to  iio  liiiu  iIum'i-.    ■ 

(i)  1)11)1.  nat.,  inss.  i".  tV.,  vol.  (iliOT,  1'   îT. 


—  154  — 

((  Madame  (tant),  le  roy,  que  Vostre  Majesté  ne  doubte  point, 
»  qu'entre  toutes  afflictions  qui  se  puissent  recevoir,  celle  de  la 
»)  femme  pour  la  captivité  ouaultre  accident  survenu  à  son  mary, 
))  ne  soit  l'un  des  maulx  plus  preignans  et  doloreux;  et  ne  sçau- 
»  rois  assez  très  humblement  vous  remercier,  Madame,  de  la  fa- 
»  vorable  consolation  contenue  en  vostre  lettre,  laquelle  ne  me 
»  rend  moins  obligée  à  ung  redoublement  d'affection  de  la  fidé- 
»  lité  de  mon  ancien  devoir  à  vous  faire  très  humble  service, 
»  pour  y  veoir  le  fondement  de  la  brièfve  espérance  que  je  doys 
»  avoir  de  la  liberté  de  monsieur  le  prince  mon  mary,  comme 
»  l'ennuyeux  rapport  que  l'on  m'a  faict  de  ne  pouvoir  recevoir  par 
»  lettres  signées  de  luy  certaine  asseurance  de  sa  santé,  au  moyen 
»  du  desny  de  la  Visitation  que  je  lui  avois  envoyé  faire  par  le 
1)  cappitaine  Larivière,  m'a  augmenté  mon  juste  desplaisir,  de 
y>  quoy  je  ne  me  puis  garder  de  grandement  me  douloir  et  com- 
))  plaindre  et  cependant  en  remascher  à  part  moy  la  patience. 
»  Toutefois,  quand  vous  entendrez,  par  le  sieur  deRostain,  fidel- 
»)  lement  ce  qu'il  a  veu  au  traictement  de  monsieur  le  connés- 
))  table  et  la  familière  commimication  qu'il  a  avecques  ung  cha- 
»  cun,  encores  que  l'égalité  de  l'un  à  l'autre  soit  par  trop  inégale, 
»  si  m'oseray-je  bien  tant  promettre  de  vostre  bonté,  que  ce  qui 
»  m'a  esté  jusqucs  icy  interdit,  de  ce  que  plus  je  désire,  me  sera 
»  plus  volontiers  alors  aisément  permis  et  concédé.  Et  quant  aux 
)>  moïens  de  paix  par  luy  recentement  mis  en  avant,  je  ne  vous 
»  sçaurois  dire  autre  chose,  Madame,  sinon  que  Vostre  Majesté 
»  ayant  assez  d'asseurance  et  congnoissance  du  fondz  de  la  vo- 
»  lonté  de  mon  dit  sieur,  mon  mary,  qui  n'a  jamais  esté  aultre 
))  que  d'en  veoir  plus  tost  les  effectz  que  les  parolles,  n'ignorant 
»  point  aussi  du  subject  de  son  premier  mouvement,  je  souhaite- 
»  rois  que  Dieu,  en  ung  tant  sainct  eiïect  m'eust  autant  favorisée 
»  en  pouvoir  que  en  singulière  volonté.  Car  oultre  ce  que  ma 
»  profession  n'est  point  dévouée  aux  armes,  ma  complexion  est 
»  tellement  procline  à  la  paix,  que  j'estimcrois  le  but  de  ma  vie 


—  155  — 

))  heureuse  si,  en  mes  jours,  mon  moïen  avoit  esté  capable  de  faire 
»  veoir  en  France  ce  qui  y  est  plus  requis  et  nécessaire  et  aussi  peu 
»  apparent  en  moïen.  Mais  tout  ainsi  que  les  actions  humaines,  ne 
»  se  trouvent  ordinairement  plus  difficiles  à  exécuter  que  aisées  à 
y>  inventer  et  mettre  en  avant,  aussi  quand  elles  sont  commencées 
))  lorsque  la  fin  est  moins  attendue,  c'est  à  ceste  heure-là  que  ce 
0  grand  Dieu  permet  qu'elles  soient  promptement  exécutées,  et 
»  c'est,  Madame,  ce  de  quoy  de  très  bon  cœur  ordinairement  je 
))  le  supplie  de  vous  donner.  Madame,  en  toute  perfection  de 
»  santé  très  heureuse  et  très  longue  vie.  Escript  à  Orléans,  ce 
))  xxx\jour  de  décembre  1562.  —  (Autogr).  Je  vous  supplie  très 
))  humblement,  Madame,  m'escuser  si  ne  vous  escrips  de  ma 
y>  mayn,  c'est  que  trouvée  mal  toute  ceste  nuict,  vous  suppliant 
y>  de  prendre  tant  de  pytyé  de  moy  que  me  permectre  que  ceux 
»  que  j'envoyray  vers  monsieur  mon  mary  le  puyssent  veoir  et 
»  en  rapporter  de  ses  lectres,  et  s'il  plaist  à  Yostre  Majesté  me 
))  donner  ung  passeport  pour  fayre  venir  ma  sœur  de  Laroche- 
))  foucault,  suyvant  ce  que  monsieur  le  connestable  vous  en 
»  fait  pareille  requeste,  vous  nous  ferez '  beaucoup  de  bien  à 
y>  tous.  ') 

Pour  toute  réponse  à  cette  lettre,  l'altière  Catherine  de  Médi- 
cis,  sans  emprunter,  cette  fois,  la  signature  du  roi,  comme  elle 
l'avait  fait  dans  la  commission  en  forme  de  lettres-patentes,  du 
21  décembre  1562,  prescrivit,  de  sa  seule  autorité,  un  redouble- 
ment de  surveillance  à  l'égard  du  prince  de  Gondé,  transféré  au 
château  de  Leneville,  près  de  Chartres  (i).  De  cette  ville,  dans 
laquelle  elle  résidait  alors,  et  d'où  elle  tenait,  en  quelque  sorte. 


(l)De  Lépinois,  Uistoirt'  de  Chartres,  ISril,  t.  H,  p.  "218  et  note.  —  Journal 
de  Bi'uslart  Qléni.  de  Condé,  t.  1,  i».  117).  — Caleiid.  of  Slatc  pop.  fnirign, 
(>  janvier  loOiL  Tlirockmorton  to  tlie  Queen  :  «  The  prince  is  {^uarded  by  Dain- 
»  ville  very  straightly,  and  is,  at  lliis  dispatcli,  in  a  castle  witliin  a  loajjue  of 
B  Chartres,  d 


—  156  — 

sous  sa  main  le  prisonnier,  elle  adressa  les  lignes  suivantes  à 
Damville  (1)  : 

«  Mon  cousin,  depuis  vostre  parlement  de  ce  lieu,  j'ai  advisé 
)•>  qu'il  est  plus  que  nécessaire  que  vous  demeuriez  auprès  de 
»  mon  cousin  le  prince  de  Gondé  pour  le  garder  senrement.  Je 
))  vous  pi'ye  doncques  en  voulloyr  prendre  la  charge  que  le  roy, 
»  monsieur  mon  (ils  et  moy  vous  en  donnons,  et  de  croyre  que 
))  ung  plus  grand  service  en  ceste  sayson  ne  nous  sçauriez  vous 
»  faire  que  le  bien  garder,  et  de  vous  résoudre  à  demeurer  auprès 
»  de  lui...  Que  nul  ne  le  voye,  ni  parle  à  luy,  de  quelque  qualité 
))  qui  soit,  si   ne  vous  apporte  lettre  escripte  de  ma  mayn.  y> 

Ce  fut  en  vertu  d'une  autorisation  expresse  de  Catherine,  et 
par  dérogation  au  régime  sévère  de  réclusion  auquel  était  soumis 
Coudé,  que  ce  prince  put  journellement  entendre  dans  sa  prison 
les  exhortations  chrétiennes  de  son  chapelain  Perussel  (2). 

Au  pieux  ministère  accompli  par  ce  dernier  près  du  prince, 
correspondit  simultanément  le  ministère  non  moins  pieux  et  dé- 
voué dont  s'acquitta  l'un  des  plus  vaillants  capitaines  huguenots 
vis-a-vis  d'un  neveu  du  prince  et  de  la  princesse  de  Condé,  blessé 
à  mort.  Inhdèlc  à  la  cause  protestante  et  à  la  promesse  deux  fois 
faite  à  son  oncle  de  combattre  près  de  lui,  le  jeune  duc  de  Ne- 
vers,  gouverneur  de  laChampagne  {^),  avait  porté  les  armes,  dans 
les  rangs  de  l'armée  catholique,  à  la  bataille  de  Dreux.  Le  brave 

(l)I)ibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  :5l!)i.,  f'  3.  I,L'lti-c  du  lî janvier  156:!.  —  3/m.de 
Comlo,  l.  IV,  p.  !!)(). 

(2)  Voir  lo  récit  fait  par  Tliroclviiiorloii  à  Elisalxnli,  de  ce  rpii  lui  arriva,  ainsi 
qu'à  Perussel,  lorsque  tous  deux  (luitlèrout  le  cliauqi  de  bataille  de  Dreux  {Ca- 
Icnd.  of  Slate  pap.  forcifjn,  :i  janvier  lôOS).  —  lîèze, ///s/,  eai.,  I.  Il,  p.  212. — 
Dépêches  d(;  l'ambassadeur  d'Espagne  Perreuot  de  Cliantonnay,  des  21  décembre 
i7)&2  et  2S  janvier  Ibit'ô  {Mém.  de  Condé,  t.  11,  p.  117,  128).  —  Voir,  en  outre, 
Appendice,  ir'  21. 

(ÎJ)  Une  très-intéressante  histoire  manuscrite  de  l'église  réformée  de  Troyes, 
due  à  la  plume  exercée  d'un  célèbre  protestant,  contient  des  détails  étendus  sur 
les  dt'-faillances  morales  et  la  déf.'ction  dn  jeune  duc  de  Nevers.  VoiriDibl.  nat., 
mss.,  Collect.  Dupuy,  vol.  <)!)8,  1"=*  l'J;}  a  281)  le  manuscrit  intitulé  ;  «  Histoire 


-  157  — 

et  généreux  de  Mouy,  tout  prisonnier  qu'il  était  depuis  le  19  dé- 
cembre, trouva  moyen  de  communiquer  avec  le  pauvre  blessé, 
demeuré  libre,  «  qui  estoil  encore  plus  tourmenté  de  sa  con- 
ï>  science  que  de  son  corps,  criant  mercy  à  Dieu.  Il  lui  servit  de 
»  consolateur  et  comme  de  ministre,  jusqu'à  la  mort  (1).  » 

Touché  des  anxiétés  croissantes  de  sa  petite-nièce,  le  conné- 
table écrivit  au  duc  de  Guise,  le  6  janvier  1563  (^)  :  «  J'ay  reçeu 
y>  la  lettre  qu'il  vous  a  pieu  m'envoyer  de  ma  femme,  de  quoy 
y>  bien  humblement  je  vous  remercye  et  des  honnestes  offres 
»  qu'il  vous  plaist  de  me  faire...  Je  vous  asseure  que  je  suis  fort 
»  bien  traicté  de  madame  la  princesse,  laquelle  jusques  icy  a 
»  esté  (sans  avoir  réponse),  quelque  lettre  qu'elle  ayt  escript  à 
»  monsieur  le  prince  son  mary,  ne  homme  qu'elle  ayt  en- 
:&  voyé,  etc.,  etc.  y> 

La  veille  du  jour  où  le  connétable  s'adressait  ainsi  au  duc  de 
Guise,  la  princesse  de  Condé  avait  fait  appel  à  la  sympathie  de  la 
reine  d'Angleterre  en  ces  termes  (3)  : 

«  Madame,  oultre  ce  que  vous  veri-ez  par  la  lettre  que  mon 
»  oncle,  monsieur  d'Andelot,  vous  escript  (4),  le  besoin  que 
»  nous  avons  de  vostre  prompte  faveur  et  bon  secours,  al'fin 
~i>  d'empesçher  le  cours  des  desseings  des  ennemys  de  Dieu  et 
ï>  de  son  évangile,  et  inquiétateurs  du  repos  public  de  la  France; 

»  ecclésiastique  de  l'église  de  la  ville  de  Troyes,  etc.,  elc,  par  Nicolas  Pill)ou, 
»  s""  de  Changol)ert.  »  —  M.  le  pasteur  Kecurdou  {le  PivlcslanUyiue  en  Cham- 
pagne, 1  vol.  in-8%  Paris,  18()3)  a  parfaiteiucnl  analysé  le  niai-U'Cnt  de  Mcolas 
Pitliou.  — Voir  aussi  une  lettre  importante,  a  tressée  eu  mars  150:2,  par  Th.  de 
Bèze  au  duc  de  Nevers  (Daum,  append.,  p.  ITIÎ). 

(1)  Bèze,  Hist.  eccl.,{.  Il,  p.  !212.  —  La  Popelinière,  Hist.,  t.  I,  p.  'MS.  — 
Calend.  ofSlate  pap.  fureign,  !;>  janvier  I5G:>.  Suiitli  toCecil.  —  «  .Monseigneur 
deNevers  se  meurt  »,  écrivait,  le  10  iauvi;!r  lôG'o,  Uobertetau  duc  de  Nemours. 
(Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3-200,  f"  131.) 

("2)Bibl.nat.,mss.  f.  fr.,  vol.  661 1,  f'  26. 
.  (3)  Afull  Wiew  of  the  public  transactions  in  th'  retgn  o(  Queen  Elisaheth, 
by  D''  Forbes,  in-f"  1740,  t.  Il,  p.  2'>ô,  20!!;  Leitre  du  ">  janvier  1503. 

(4)  Voir  Appendice,  n"  22. 


—  158  — 
y>  si  ne  me  puis-je  contenir  d'accompagner  sa  depesche  de  ceste 
»  myenne  lettre,  et  par  icelle  très  humblement  supplier  Yostre 
))  Majesté,  madame,  considérer  l'affliction  en  laquelle  si  triste- 
))  ment  je  me  retrouve;  voiant  aujourdhuy  la  chose  de  ce  monde 
-»  que  plus  j'estime  et  honnore  si  indignement  traictée  comme 
»  est  monsieur  mon  mary,  détenu  captif  entre  les  mains  de  ceulx 
»  qui,  au  lieu  de  le  recongnoistre  pour  tel  qu'il  est  en  ceroïaume, 
»  usurpant  violentement  ce  que  le  droict  et  la  nature  justement 
»  leur  dônyent,  s'eflbrcent  triumpher  de  luy,  chose  qui  ne  m'est 
))  moins  dure  à  penser  que  grandement  insupportable  :  et  sans 
»  la  grâce  que  Dieu  me  faict  de  représenter  devant  mes  yeulx 
»  que  telles  visitations  viennent  de  sa  main  et  que  c'est  le  signe 
))  dont  il  remarque  les  siens,  je  ne  sçay  que  je  ferois.  Or,  com- 
))  bien  qu'il  l'ayt  voulu  par  ce  moïen  esprouver,  mesme  en  la 
))  defl'ense  de  sa  saincte  querelle  :  si  ne  nous  a-il  pas  defl'endu  que 
))  nous  n'ayons  quelque  recours  aux  moïens  humains,  pourveu 
»  qu'ils  soient  fondez  sur  sa  grâce.  Et  pour  ceste  cause.  Madame, 
))  prenant  pitié  d'une  princesse  tant  esplorée  pour  l'ennuy  que 
»  justement  elle  reçoit  de  la  prison  d'un  prince,  son  mary,  le- 
))  quel  il  vous  a  pieu  de  tant  le  favoriser,  que  de  le  juger  digne 
y>  de  vostre  bonne  grâce,  par  les  vertueux  tesmoignages  que  vous 
»  luy  avez  si  ouvertement  faictz  déclarer  en  la  poursuite  de  ceste 
y>  cause;  qu'il  vous  plaise,  en  ceste  urgente  nécessité,  démontrer 
))  combien  la  variété  des  conditions  de  prospérité  ou  d'adversité 
»  ne  vous  peuvent  faire  changer  vos  sainctes  affections,  et  prom- 
))  ptement  secourir  celuy  qui  pour  la  gloire  de  nostre  Dieu  et  pour 
))  fidèlement  conserver  l'Estat  de  son  roy,  est  à  présent  captif 
»  de  ceulx  qui,  pour  parvenir  à  leurs  desseings,  seroient  bien 
»  ayses  d'abatre  ung  tel  rampart  de  ceste  couronne  pour,  puis 
»  après,  faisant  plus  facilement  la  bresche,  entrer  dedans  la 
))  place;  vous  suppliant  très  humblement  madame,  m'excuser 
»  si  j'en  parle  de  telle  véhémence,  et  de  tant  obliger  monsieur 
»  mon  mary,  qu'il  puisse  quelque  jour  avoir  le  moïen  de  vous 


—  159  — 
))  faire  paroistre  par  ses  services,  que  l'ingratitude  et  mescon- 
»  gnoissance  n'eurent  oncques  part  en  son  cœur.  Et  de  moy, 
y>  Madame,  ne  pouvant  pour  ceste  heure  aultre  chose,  je  supphe- 
»  ray  le  Créateur  vous  continuer  en  parfaite  santé,  très  longue 
y>  et  contente  vie  :  saluant  vos  bonnes  grâces  de  mes  très 
))  humbles  recommandations.  » 

Vivement  émue  de  la  captivité  de  son  gendre,  la  comtesse  de 
Roye  joignit  ses  instances  à  celles  de  sa  fille,  près  d'ÉHsabeth. 
Les  agents  anglais,  Knollys  etMundt,  en  résidence  à  Strasbourg, 
se  chargèrent  de  faire  parvenir  en  Angleterre,  à  leur  souveraine, 
la  correspondahce  de  la  belle-mère  du  prince  (1). 

Du  7  au  14  janvier,  Éléonore  de  Roye  put  enfin  recevoir  des 
lettres  de  son  mari  et  lui  en  faire  parvenir,  notamment  par  l'ar- 
gentier de  sa  maison,  dont  le  prince  réclamait  la  présence.  Parti 
d'Orléans,  porteur  de  dépêches  d'Anne  de  Montmorency  pour  la 
reine  mère  et  pour  la  connétable,  ce  serviteur  arriva,  le  8  au 
camp  du  duc  de  Guise,  et  lui  remit  avec  prière  de  les  faire  par- 
venir à  destination,  les  dépêchés  du  connétable,  «  lequel,  racon- 
»  ta-t-il  (2),  se  portait  si  bien  de  sa  blessure,  que,  dans  cinq 
))  ou  six  jours,  il  en  seroit  du  tout  guéry;  qu'il  n'avoit  plus  la 
»  goutte  ni  aultre  mal,  se  promenant,  à  son  logis,  assez  souvent 
»  avec  madame  la  princesse.  »  L'argentier  obtint,  comme  tout 
porte  à  le  croire,  l'autorisation  de  se  rendre  au  château  de 
Leneville  pour  y  rester  près  du  prisonnier,  son  maître. 

Catherine  de  Médicis  était  loin,  du  reste,  de  favoriser  la  rapi- 
dité des  communications  entre  le  prince  et  sa  femme.  De  là, 
pour  cette  dernière,  des  appréhensions  qu'atteste  sa  correspon- 
dance, en  môme  temps  qu'elle  révèle  le  soin  scrupuleux  qu'ap- 

{[)Calenil.  of  State  pap.  foreùju,  i  janvier  ioiy,).  iMadame  tlo  Iloyc  to  tlic 
Queen.  —Ibid.  Ll.  ht.  Knollys  and  Mnndl  lo  Uie  Queen. 

("2)  Lettre  du  duc  de  Guise  à  la  connétable,  8  janvier  lôlîo  (Bild.  nit.,  nij>.  f.f  r., 
vol.  ol7!),  f"  lU).  — Lettre  du  connétable  à  Catherine  de  Médicis,  du  7  ou  S  janvier 
15G3  (Bibl.  nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  (iOli ,  f"  -i'O- 


—  IGO  — 
portait  Éléonorc  de  Roye  à  laisser  Anne  de  Montmorency  con-  ^ 
lérer,  en  toute  liberté,  avec  les  émissaires  de  la  cour  qui  se  ren- 
daient à  Orléans.  «  Madame,  écrivait  la  princesse  à  la  reine 
»  mère(l),  suyvant  le  commandement  quil  vousplaist  me  faire 
jo  par  la  lettre  (jue  votre  majesté  m'a  escripte  par  Lacoudre,  il  a 
»  parlé  particulièrement  à  monsieur  le  connestable;  vous  sup- 
»  pliant  très-humblement,  madame,  que  quand  l'homme  de 
D  monsieur  mon  mary  sera  de  retour,  qu'il  me  soit  incontinent 
»  envoyé  car  je  suis  en  grand  peyne  de  ce  quy  n'est  point  encore 
»  de  retour,  craignant  qu'il  aist  mal,  etc.,  etc.  » 

fce  l,j  janvier,  on  s'attendait  ("2)  à  voir  Gondé  arriver  de  Le- 
neville  à  Cliartres,  dans  la  soirée,  ou  le  lendemain  matin.  On  Ty 
conduisit,  en  effet,  vers  cette  époque,  et  il  fut  enfermé  à  l'abbaye 
de  Saint-Pierre  (3). 

Catherine  de  Médicis  fit  alors  à  la  princesse  et  à  ses  oncles 
certaines  ouvertures  (4)  auxquelles  se  réfère  la  réponse  suivante, 
qui  témoigne,  en  premier  lieu,  de  la  part  directe  qu'à  Orléans 
Éléonore  de  Roye  prenait  aux  affaires  générales,  de  concert 
avec  les  chefs  protestants,  et,  en  second  lieu,  du  droit  absolu 
que  s'était  arrogé  la  reine  mère  d'autoriser  ou  non  lès  commu- 
nications épistolaires  avec  Gondé  (5)  : 

((  Madame,  écrivait  Éléonore  à  Catherine,  j'ay  reçu,  ce  ma- 
»  tin,  la  lectrc  qu'il  a  pieu  à  vostre  majesté  m'escripre  par  Le- 

(1)  Uibl.  nat.,  luss.  f.  fr.,  vol.  GtiOT,  f'  (3.3. 

(2)  Calend.  ofSlatc pap.  foreigii,  i:{  janvier  15(1:!.  Tlirockinorlon  lo  the  Queen. 
—  Ibid:  Id.  Siiiilli  lo  (it'cil. 

(:))  De  Lépiiiois,  7//.s/.  de  Cliailirs,  t.  11,  i».  -21. S,  et  iioto.  —  Beza  Calvino, 
l-2janv.  15!13  (Uaïun,  appeiid.,  p.  -2lli)  :  «  Priuceps,  Dei  hcMiericio  valet  et  aiiinio 
»  etcorpore;  sed  arctissiiiia  cuslodia  lenctur.  »  —  Calend.  of  State  pap.  foreifju, 
2i  janvier  1503.  Smith  totlie  Queeii  :  «  They  liave  broughthiin (Coudé)  toCliarlres 
»  vvherelie  is  lo(lj,M'd  in  asniall  al)l)cy  called  Saint-Pierre,  whcre  iherc  arc  bars 
»  of  iron  for  llie  windows  and  otlicr  burs  for  llie  street  prepared  to  inaUe  hiui  more 
»  sure Tlie  prince  is  slill  very  lirin.  « 

(i)  Leitre  île  Catherine  à  de  (ionnor,  dn  I  I  janvier  l.")6:j(Bibl.  nal.,  niss.  fonds, 
Colbert,  V».  vol.24,f'  12). 

I.*))  I!il)l.  n.it.,  m^s.  f.  fr.,  vol.  (iGOT,  f'"*  04  et  7K. 


—  IGl  — 

»  plessy,  présent  porteur,  ensemble  entendu  la  créance  que  lui 
»  avyez  donné  et  au  capitaine  Larivyère,  laquelle  a  esté  communi- 
y>  quée  à  messieurs  les  connestable  et  d'Andelot,  mes  oncles,  et 
y>  ma  tante,  et  ne  pouvant  pour  l'absence  de  monsieur  l'amiral 
»  et  autres  seigneurs  quy  sont  ung  peu  loing  fayreresponse  sou- 
))  daine  sur  ceste  aflaire  il  nous  a  semblé  meilleur  vous  le  ren- 
»  voyer  incontinent  pour  asseurer  votre  majesté  que  ce  que 
»  désirons  le  plus,  c'est  de  pouvoir  veoir  ung  bon  moyen  pour 
))  obtenir  de  Dieu  une  bonne  paix  et  de  veoir  ce  royaume  en 
3>  reposj  et  de  pouvoir  plus  que  jamais  vous  démontrer  combien 
»  avons  de  zèle  et  affection  de  faire  fidèle  et  très-humble  service 
))  au  roy  et  à  vous.  Nous  envoyons  présentement  vers  mon  dit 
y>  sieur  l'amyral,  et  crois  que  pourrons  dès  samedy  au  soir  vous 
»  envoyer  l'avis  qui  semblera  bon  à  toute  la  compaignie  pour 
»  mettre  à  effect  ce  qu'il  vous  a  pieu  nous  mander:  laissant  ce 
))  propos  pour  vous  mercier  très-humblement,  madame,  de  ce 
))  qu'il  vous  a  pieu  permectre  à  monsieur  mon  mary  qu'il  aist  de 
y>  mes  nouvelles  et  moy  des  siennes,  qui  me  sont  venues  bien  à 
))  propos,  pour  estre  la  plus  affligée  femme  du  monde  en  ce 
))  que  ne  povés  scavoir  de  son  portement.  Vous  supliant  que  do- 
»  resnavant  il  vous  plaise  commander  qu'il  ne  me  soit  plus  em- 
))  pesché  que  n'en  puyssions  entendre  l'ung  de  l'autre,  comme 
))  fait  M.  le  connestable  avec  ceux  qu'il  veult  :  supliant  votre  ma- 
y>  jesté  très-humblement  de  démontrer  la  faveur  et  amytié  à 
))  monsieur  mon  mary  et  à  moy  dont  il  vous  a  pieu  nous  asseurer, 
))  et  mesmement  en  vostre  dernière  lettre  :  car,  après  Dieu  qui 
3)  est  juge  de  la  fidelle  affection  qu'avons  tousjours  eu  au  service 
))  devoz  majestez,  toute  ma  consolation  est  l'assenrance  de  vous, 
))  madame,  en  quy  est  la  toute-puissance  de  disposer  et  ordon- 
))  nerde  mon  dict  Seigneur  mon  mary,  supliant  Dieu,  madame, 
»  vous  donner  en  parfaite  santé  très-heureuse  et  longue  vie.  » 

Cependant,  le  courage  de  Louis  de  Bourbon  ne  liublissait  pas; 

H 


—  162  — 

son  inébraiilal)l8  constance  est  attestée  par  ces  simples  paroles 
de  Coligny  (1)  :  «  Le  prince  de  Gondé ,  encore  qu'il  soit  fort 
y>  estroictement  observé  et  gardé,  a  eu  moyen  de  nous  faire  sca- 
»  voir  si  ouvertement  de  ses  bonnes  nouvelles,  que  au  lieu  de 
»  recevoir  consolation  de  nous  en  sa  captivité,  au  contraire  il 
))  nous  renforce  le  courage  et  nous  fart  assez  cognoistre  le  zèle 
»  et  forme  afïection  qu'il  a  à  la  vraye  religion  ;  nous  ayant  as- 
»  seui'ément  mandé  que,  quoy  qu'il  luy  puisse  advenir,  il  ne  con- 
y>  sentira  jamais  à  chose  qui  soit  contre  le  service  de  Dieu  et  la  li- 
»  bertédes  consciences,  ne  qui  offense  la  justice  de  notre  cause; 
»  usant  par  mesme  moyen  d'une  instante  et  affectionnée  prière 
i>  et  requeste  à  tous  ceux  qui  luy  ont  assisté  en  une  si  saincte  et 
})  louable  entreprise  de  ne  le  vouloir,  en  ceste  saison,  abandonner, 
»  ne  la  cause  de  Dieu  avec  luy.  » 

Fixée  désormais  sur  l'état  et  les  intentions  de  Louis  de  Bour- 
bon par  un  échange  de  correspondance  avec  lui,  la  princesse 
de  Gondé  se  fit  un  devoir  d'écrire  de  nouveau  à  la  reine  d'Angle- 
terre, le  14  janvier  (2). 

Tout  en  s'adressant  directement  à  Elisabeth ,  la  princesse 
de  Gondé  n'oubliait  pas  de  stimuler,  par  sa  correspondance 
avec  Montgommery,  l'activité  des  démarches  de  ce  chef  français 
près  de  personnages  influents  à  la  cour  britannique,  tels  que 
Gecil  et  Leicester  (3). 

Elisabeth  répondit  le  ^2()  janvier  1563  aux  lettres  d'Éléonore 
de  Roye  (4). 

La  comtesse  de  Roye  reçut  d'elle  une  réponse  analogue  à 
celle  qui  était  adressée  à  la  princesse  (5). 

(1)  Forl)cs,  A  fiill  View,  etc.,  etc.,  t.  II,  p.  oiH).  Lettre  du  !2i  janvier  15G3  à  Eli- 
sabeth. 

(;2)  Voir  Appendice,  n"  23. 

{'.]}  Voir  les  lettres  de  Montgommery  à  Ceci!  et  à  Leicester  des  20  et  27  janvier 
I .")(;:].  (V.  M.  Lat'errière,  L((  X.  à  rétranyer,  p.  07,  08.)  —  Ilecord  oflice,  St.  pap., 
France,  vol.  2!)). 

(i)  Voir  Appendice,  n"  24. 

(ô)  Calcml.  of  State  ptip.  forcign,  20  janvier  I5(i:;.  Tlie  Queen  toM""'  de  Roye. 


—  163  — 

Après  la  bataille  de  Dreux,  l'armée  protestante  s'était  immé- 
diatement reformée  sous  la  direction  de  Coligny,  avait  opéré 
divers  mouvements  en  Sologne  et  en  Berri,  puis  s'était  rap- 
prochée d'Orléans.  L'armée  catholique,  commandée  par  le  duc 
de  Guise,  ayant  successivement  occupé  en  Beauceet  en  Sologne 
plusieurs  positions,  avait  fini  par  franchir  une  notable  partie  de 
la  distance  qui  la  séparait  originairement  de  cette  ville,  qu'elle 
cherchait  à  isoler  afin  d'en  mieux  préparer  le  siège. 

Vers  le  16  janvier,  «  on  proposa  à  la  princesse  de  Condé  quel- 
))  ques  articles  de  paix:  mais  c'estoit  à  la  manière  accoustumée; 
D  estant  mis  en  avant  seulement  que  le  prince  et  le  connestable 
»  fussent  remis  en  leur  pleine  liberté  pour  parler  puis  après  de 
»  la  paix  :  à  quoy  le  prince  mesme  ne  s'accordoit  nullement, 
))  craignant  qu'on  luy  baiilast  quelque  boucon  au  partir,  et  pré- 
»  voyant  que  tous  ces  parlemens  n'auroient  aultre  issue  que  les 
»  précédens.  Il  ne  s'en  ensuivit  donc  aucun  effet,  Guyse  allu- 
»  niant  tousjours  le  feu  de  son  costé  (1).  » 

A  quelques  jours  de  là,  les  deux  armées  n'étaient  plus  (Soi- 
gnées l'une  de  l'autre.  Celle  du  duc  de  Guise  se  trouvait  à  qua- 
tre lieues  d'Orléans;  celle  de  l'amiral  avait  toute  son  inlanterie 
et  sa  cavalerie  françaises  dans  cette  place,  et  ses  réitres  à 
Gergeau.  Coligny,  qui  avait  convoqué  le  maréchal  de  liesse  à 
Orléans,  y  tint  conseil  sur  les  mesures  à  adopter.  «  Là  il  fut  ar- 
))  resté,  pour  deux  raisons  péremptoires,  l'une  pour  destourner 
y>  le  siège  d'Orléans,  si  faire  se  pouvoit,  ou  pour  le  moins  pour 
))  contraindre  l'ennemi  de  diviser  ses  forces,  l'autre  pour  recevoir 
))  l'argent  d'Angleterre  et  le  délivrer  aux  réistres  comme  on  leur 
»  avoit  promis,  que  l'amiral  avec  les  réistres  et  quoique  partie 
))  de  la  noblesse  françoise  tireroit  droit  en  Normandie,  laissant 
»  toute  l'infanterie  avec  le  surplus  de  la  cavalerie  françoise  con- 
»  duite  par  bons  et  sages  capitaines,  connue  entre  autres  Duras, 
»  Bouchavanes,  Bussy,  Saint-Cyr,  Avaret,  et  autres  pour  la  dé- 

(l)Bèze,///.s^  eccl.,  t.  II,  \^.  -251. 


—  164  — 
•»  fense  de  la  ville,  sous  le  gouvernement  d'Andelot,  qui  se  rendit 
»  difficile  à  recevoir  ceste  charge,  à  cause  de  la  fièvre  quarte 
»  qui  le  travailloit  infiniment  :  mais  finalement  s'y  accorda, 
»  n'ayant  jamais  voulu  les  habitans  recevoir  Grammont,  auquel 
»  ils  avoient  si  peu  de  fiance  qu'ils  dirent  en  sa  présence  que,  si 
))  on  le  leur  bailloit  pour  gouverneur,  ils  se  tenoient  pour  perdus 
»  et  ayinoient  mieux  tous  dcsloger  de  la  ville  et  le  suivre  en 
»  Normandie.  Cela  estonna  la  princesse,  à  laquelle  ils  dirent  de- 
»  puis,  à  part,  qu'ils  le  tenoient  pour  un  traistre  et  meschant 
»  homme  :  qui  fust  cause  que  l'amiral  voyant  que  Grammont  fai- 
»  soit  semblant  de  n'ouïr  point  ces  choses,  ne  répliquoit  rien 
»  et  mesmes  ne  s'excusoit  point  de  prendre  cette  charge,  au  lieu 
»  de  le  laisser  pour  gouverneur,  l'emmena  mesmes  en  Normandie 
))  avec  les  autres  (i).  » 

Pendant  son  séjour  à  Orléans,  l'amiral  avait,  dans  deux  let- 
tres d'une  importance  capitale,  adressées,  les  24  et  59  janvier 
1563,  à  Ëhsabcth  C^),  exposé  l'état  des  affaires  en  France  et 
les  mesures  qu'il  avait  cru  devoir  prendre.  Au  moment  où  il 
allait  se  diriger  vers  la  Normandie,  c'est-à-dire  à  la  fm  de  jan- 
vier, Catherine  de  Médicis,  indirectement  avisée  de  ses  projets, 
et  fidèle  à  une  méthode  d'atermoiements  et  de  pourparlers  dont 
elle  eut  du  cependant  se  départir  après  tant  d'insuccès,  «  lui 
))  écrivit,  le  priant  de  différer  son  entreprise  pour  quelques  jours 
))  durant  lesquels  elle  se  déhbéroit  d'entendre  à  la  paix  :  à  quoi 
))  il  respondit  qu'il  n'avoit  jamais  rien  désiré,  ni  ne  désiroit  rien 
»  plus  que  la  paix,  pour  laquelle  inoyenner  il  conseilloit  que  le 
))  prince  et  le  connestable  s'entrevissent,  demeurans  toutesfois 
i>  tous  deux  prisonniers  :  mais  au  reste  qu'il  pourvoiroit  à  ses 
»  affaires  sans  plus  s'arrester  à  parlementer,  sçachant  combien 
»  de  bonnes  occasions  s'étoient  perdues  sous  tel  prétexte  (3).  » 

(1)  Bèzo,  llist.  ecd.,\.  Il,  p.  253,  254.. 

(2)  Voir  (Appeiulice  n"  25)  le  texte  de  ces  deux  lettres. 

(.))  Bèze,  llisl.cai.  t.  M,  p.  25(J.  —  Voir,  sur  le  projet  d'entrevue  du  prince 


—  105  — 

Après  avoir  adressé  par  écrit  au  prince  de  Condé  quelques 
informations,  qu'il  accompagnait  de  virils  encouragements  (1), 
Coligny  partit  d'Orléans  pour  la  Normandie,  le  i"  février. 

Sa  dépêche,  en  réponse  à  celle  que  lui  avait  adressée  Cathe- 
rine de  Médicis,  ne  parvint  point  entre  les  mains  de  cette  prin- 
cesse. Vivement  blessée  de  n'avoir  rien  reçu,  concevant  de 
graves  soupçons  qui  bientôt  pour  elle  se  changèrent  en  certi- 
tude, et  les  dirigeant  contre  un  personnage  autre  que  l'amiral, 
dont  elle  connaissait  la  scrupuleuse  ponctualité  en  toutes  choses 
et  particulièrement  en  matière  de  correspondance,  elle  ne  tarda 
pas  à  se  plaindre  assez  haut  pour  que  le  blâme  qu'elle  déversa 
sur  la  main  qui,  dans  l'ombre,  avait  intercepté  la  dépêche,  par- 
vînt à  son  adresse.  Le  duc  de  Guise,  que  ce  blâme  atteignait  en 
la  personne  de  ses  affidés,  affecta  de  garder  le  silence. 

La  princesse  de  Condé  le  savait  opposé  à  tout  projet  de  paix, 
et,  par  cela.même,  àtoute  entrevue  du  prince  avec  le  connétable. 
Aussi,  lorsqu'elle  entendit  ce  dernier  proférer,  au  sujet  de  la 
non-réception  de  la  dépêche  de  l'amiral,  des  plaintes  semblables 
à  celles  qui  étaient  sorties  de  la  bouche  de  la  reine  mère,  trouvâ- 
t-elle le  secret  de  l'apaiser  par  un  trait  d'esprit  dont  l'originalité 
le  fit  sourire  :  «  c'est  à  sçavoir  que  leurs  ennemys,  qu'il  cognois- 
»  soit  très  mal,  faisoient  du  prmce  son  mary  et  de  luy  comme 
»  les  Parisiens  de  la  chasse  sainte  Geneviève  et  de  saint  Mar- 
y>  ceau,  lesquelles  ils  ne  permectoient  jamais  approcher  trop 
))  près  l'une  de  l'autre,  de  peur  que  le  parentage  ne  les  fist  em- 
))  brasser  tellement  ensemble  qu'on  ne  les  peust  jamais  séparer 
y>  puis  après  (2).  »  La  comparaison,  ici,  n'était-elle  pas  tant  soit 

et  du  connétable,  un  manuscrit  intitulé  :  «  Advys  de  monsieur  l'admirai  de  Clias- 
y>  tillon  et  des  seigneurs  estans  avec  hiy  à  Orléans.  »  (liibl.  nat.,  niss.  f.  fr., 
vol.  3194,  f»  16.) 

(1)  Voir  Appendice,  n"  26. 

(2)  Bèze,  Hist.  eccl.,  t.  II,  p.  256.  —  De  Thou  (Hist.  univ.,  t.  111,  p.  390) 
pense  que  la  princesse  de  Condé,  par  la  romparaisou  àlai|uellt'elle  avait  recours 
vis-à-vis  de  son  grand. oncle,  «  prétendait  faire  entendre  à  ce  vieux  seigueur,  qu'il 


—  lOG  — 

peu  forcée?  Une  généreuse  illusion  ne  l'avait-elle  pas  dictée? 
car,  qui  ne  sait  que,  si  Louis  de  Bourbon  étail  d'un  naturel  ou- 
vert et  doué  d'élan,  Anne  de  Montmorency,  à  l'inverse,  n'était 
pas  précisément  enclin  aux  affectueuses  effusions  du  parentagef 
et  surtout,  comment  ne  pas  reconnaître  que,  loin  de  pouvoir  s& 
rencontrer  et  se  donner  la  main  sur  le  terrain  de  la  liberté  re- 
ligieuse, le  petit-neveu  et  le  grand-oncle  risquaient  singulière- 
ment, lors  de  toute  entrevue  qui  leur  serait  ménagée,  de  demeu- 
rer à  distance  l'un  de  l'autre,  en  se  retranchant,  le  premier,  dans 
l'édit  de  janvier,  le  second,  dans  l'absolutisme  de  l'intolérance I 

L'ambassadeur  d'Espagne,  Perrenot  de  Chantonnay,  hostile, 
pour  sa  pari,  à  toute  idée  de  rapprochement  entre  protestants  et 
catholiques,  et  n'aspirant  qu'à  l'anéantissement  des  premiers  par 
les  seconds,  accusait,  à  ce  moment,  Catherine  de  Médicis  de 
plier  devant  Condé,  et  se  déchaînait  contre  ce  prince,  comme 
poussant  à  la  continuation  de  la  guerre  civile,  par  cela  seul  que, 
du  fond  de  sa  prison,  il  réclamait  l'exécution  de  l'édit  de  janvier. 

((  Il  semble,  disait  le  digne  représentant  delà  politique  de  Phi- 
»  lippe  II  (1),  que  le  prince  de  Condé  n'est  prisonnier;  ains  qu'il 
))  tient  les  aultres  en  captivité  :  chose  qui  faict  merveilleusement 
»  murmurer  contre  la  royne  :  et,  quant  àmoy,  je  ne  l'en  sçau- 
))  rois  du  tout  excuser  :  ne  sçay-je,  si  l'on  kiy  doict  imputer  à 
y>  malice  ou  à  peu  d'expérience.  Elle  a  faict  ceste  faveur  audict 
i>  prince  de  Condé,  se  montrant  opiniastre  comme  il  est  jusques 
»  aujourd'hui  à  ne  vouloir  accepter  partye,  deluy  envoyer  toulz 
))  ceulx  du  conseil  ensemble,  poiu-  luy  remonstrer  en  forme  de 
))  supplication,  fju'il  voulust  avoir  pitié  des  affaires  de  ce  royaulme  : 
»  cela  l'ha  adoulcist  aulcunement,  voyant  que  l'on  fist  compte  de 
))  luy  ;  mais  pourtant  n'ha-il  voulu  condescendre  à  aulcune  chose 
))  que  se  pcult  dire  œuvre  de  Dieu  :  car,  à  la  vérité,  concéder 

■»  devait,  clans  la  siiilo,  s'unir  an  prince  ilc  Condé  et  ne  pas  souiïrir  (pi'on  les  sé- 
»  parât  jamais,  pour  quelque  raison  que  co  pùl  être.  » 

(1)  Dépèche  du  :}  février  I5();J  [Mém.  de  Condé,  t.  Il,  p.  l'2S,  \l>9). 


—  167  — 
»  que  chascun  puisse  vivre  selon  le  repos  de  sa  conscience,  et 
))  retourner  impunément  en  son  bien,  est  apprester  une  plus 
»  grande  guerre  que  celle  qui  se  faict  pour  le  jourdhuy;  et  telz 
y>  termes  d'user  de  supplication  envers  ung  prisonnier  vassal, 
y>  sopt  absurdes  et  ridicules,  et  donnent  bien  à  entendre  qu'il 
»  y  ha  de  la  faveur  secrète,  sans  laquelle,  il  est  tout  cler,  l'on 
y>  n'useroit  de  telz  respectz.  Tout  le  peuple  en  est  tant  schanda- 
))  lise,  qu'il  en  attend  touts  les  jours  pis;  et  craint  que  à  la  fin 
»  l'on  fera  parler  le  roy  très  chrestien,  après  que  la  royne  aura 
))  permis  qu'il  soit  séduict;  comme  tout  le  monde  la  tient  pour 
■))  perdue  en  ce  royaulme,  et  que  rien  ne  la  retient  que  l'attente 
;)  de  veoir  son  appoinct,  pour  complaire  à  ceulx  qui  la  gou- 
))  vernent,  et  mettre  en  exécution  leur  conseil,  qui  tend  enlière- 
))  ment  à  réversion  de  la  religion  catholique  :  pourtant  est-ce 
»  qu'elle  fuyt  la  voysinance  de  ce  lieu  (Paris),  affin  qu'elle  n'aye 
))  occasion  de  rendre  le  prince  de  Gondé  à  la  Bastille,  ou  aultre 
»  lieu  fort  ;  et  ne  sçay  où  l'on  le  sçauroit  mettre  seurement  en 
))  tout  le  royaulme,  aultre  que  en  ladicte  Bastille.  Toutes  fois 
))  l'on  desseigne  de  le  mectre  en  ung  chasteau  dict  Onzain  qu'est 
»  au  comte  de  La  Rochefoucault,  près  d'Amboise,  en  pays  mal 
y>  seuret  fraichement  réduict,  et  la  place  telle,  qu'aultant  vau- 
))  droit-il  le  mectre  en  pleine  campaigne;  et  semble  que  puisque 
»  par  son  opiniastreté  l'on  ne  le  peult  délivrer  par  traicté,  l'on 
))  désire  luy  donner  aultre  moyen  pour  s'eschapper.  » 

Quoi  que  pensât  et  que  dit  Ghantonnay,  quant  à  Tincarcéra- 
lion  de  Louis  de  Bourbon,  ce  prince,  transféré  à  la  suite  de 
Catherine  de  Médicis,  de  Chartres  à  Blois,  de  Blois  à  Amboise, 
fut,  en  dernier  lieu,  enfermé  à  peu  de  distance  de  cette  dernière 
ville,  dans  le  château  d'Onzain  (1). 

Bientôt  une  inh-uctueuse  tentative  d'évasion  amena  pour  lui 
des  conséquences  rigoureuses.  «  J'entendz  de  certain,  raconte 

(I)  Voir  Appendice,  u"  "21. 


—  1G8  ~ 

»  Chantonnay  (i),  que  le  prince  de  Condé  s'est  pense  sauver 
))  hier  au  soir,  en  habit  de  paysan,  et  avoit  desjà  passé  la  seconde 
»  guarde  :  toutesfois  il  fust  apperçu  et  cogneu  par  la  troisiesme, 
))  et  reprins.  M.  Banville,  qui  en  ha  la  guarde,  feist  incontinent 
»  emprisonner  le  capitaine  à  qui  il  l'avait  enchargé;  et  dict-on 
y>  qu'il  ha  faict  pendre  et  tuer  et  noyer  beaucoup  des  soldatz 
))  qui  se  sont  trouvez  consentantz  au  faict,  ou  non  chaillance.  » 
Th.  de  Bcze  ajoute  :  «  Le  prince  fut  resserré  dedans  le  chasleau, 
y>  après  lui  avoir  osté  quelques-uns  de  ses  serviteurs;  mais  le 
D  cœur  ne  lui  faillit  pour  cela,  parlant  plus  haut  et  plus  géné- 
»  rcusement  que  jamais,  comme  aussi  il  en  escrivit  à  Orléans, 
))  exhortant  la  princesse  et  tous  les  chefs  de  l'armée  à  vertu  et 
))  constance,  et  à  s'assurer  qu'encores  que  ses  ennemis  le  fissent 
»  mourir,  Dieu  leur  susciterait  un  autre  chef  et  favoriseroit  jus- 
))  ques  à  la  fm  leur  cause  qui  estoit  la  sienne  (2).  » 

Les  exhortations  du  prince  à  vertu  et  constance  avaient  été 
devancées,  à  Orléans,  par  d'Andelot  et  la  princesse,  dont  l'atti- 
tude était  admirable.  Miné  par  la  fièvre,  d'Andelot  n'en  déployait 
pas  moins,  en  face  de  l'ennemi,  une  activité  incessante.  Il  avait 
établi  dans  la  vilicun  ordre  parfait,  et  mis  la  défense  sur  un  pied 
respectable.  Le  soin  des  pauvres,  des  malades,  la  direction  de 
l'assistance  spirituelle,  étaient  plus  particulièrement  le  partage 
de  la  j)riucesse  et  de  sa  tante,  Charlotte  de  Laval,  qui,  l'une  et 
l'autre,  malgré  l'état  chancelant  de  leur  santé,  se  prodiguaient 
au  dehors  et  utilisaient  pour  le  bien  commun,  l'auxiliarité  de 
plusieurs  femmes  dévouées,  qui  s'inspiraient  de  leurs  nobles 
exemples.  D'accord  avec  sa  nièce  et  sa  sœur,  d'Andelot  s'était 
efforcé  de  mettre  chacun  à  môme  de  concilier,  avec  les  exigen- 
ces auxquelles  était  nécessairement  soumise  la  population  d'une 
ville  assiégée,  l'accomplissement  de  devoirs  supérieurs,  dans 
l'ordre  religieux  et  dans  le  domaine  de  la  charité  appliquée  au 

(1)  Dépêche  (liriO  n-vriLM-  1 563  (.Ww .  do  Coiulé,!.  11,  p.  i;53). 

(2)  IJèze,  llist.  ceci.,  l.  11,  p.  2Ô(1,  257. 


—  160  — 

soulagement  des  souffrances  physiques  et  morales.  De  là,  à  la 
suite  de  conférences  tenues  avec  les  minisires  et  diverses  per- 
sonnes considérables,  l'adoption  du  régime  suivant  :  «  Quant  à 
»  l'ordre  de  l'Église,  outre  les  prédications  ordinaires  et  les  prières 
»  aux  corps  de  garde,  on  faisoit  prières  générales  extraordinaire- 
))  ment  à  six  heures  du  matin,  à  l'issue  desquelles  les  ministres 
»  et  tout  le  peuple,  sans  nid  excepter,  alloient  travailler  aux 
»  fortifications  de  tout  leur  pouvoir,  se  retrouvant  chacun  de- 
»  rechef  à  quatre  heures  du  soir  aux  prières  :  et  fut  aussi  un 
))  bien  assigné  pour  recueillir  les  blessés,  qui  estoient  pansés  et 
»  traités  très-humainement  par  les  femmes  plus  honoi'ables  de 
»  la  ville,  n'y  espargnans  leurs  biens,  ni  leurs  personnes  (i).  En 
y>  quoy  fiient  entre  autres  un  merveilleux  devoir  les  damoyselles 
»  des  Marets,  la  bailhve  d'Orléans  et  de  Martinville,  dignes  de 
»  perpétuelle  mémoire  (2).  » 

Les  6  et  9  février,  le  duc  de  Guise,  qui,  dès  le  5,  était  venu 
camper  près  d'Orléans,  s'était  emparé  du  Porlereau  et  des  Tou- 
relles. Enflé  par  ce  double  succès,  il  avait  osé  (c  mander  à  la 
»  royne  mère  qu'il  la  prioit  ne  trouver  mauvais  s'il  tuoit  tout 
y  dans  Orléans,  jusques  aux  chiens  et  aux  rats,  et  s'il  faisoit 
»  destruire  la  ville  jusques  à  y  semer  du  sel  (3).  »  Sans  s'arrêter 
à  la  jactance  du  duc,  et  alors  que,  du  9  au  18  février,  il  activait 
ses  préparatifs  pour  assaillir  les  îles  et  tenter  de  pénétrer  de 
vive  force  dans  la  ville,  Catherine  de  ^lédicis  s'occupait  de  nou- 
veau de  ménager  une  entrevue  du  prince  de  Condé  avec  le  con- 
nétable, dont  les  préliminaij'es  devaient  être  ouverts,  du  côté  de 
la  cour,  par  Tévèque  de  Limoges  et  d'Oysel,  qui  préalablement 

(I)  Anticipons  ici  sur  l'avenir,  ol  disons  qu'on  lôOS,  dans  cetU'  même  ville 
d'Orléans,  déjà  témoin  de  son  dévouement  en  I50'2  et  I5(i;î,  madame  l'aniirale 
de  Coligny,  Charlotte  de  Laval,  privée  cette  lois  du  concours  de  la  princesse  de 
Condé,  sa  nièce,  décédée  en  loGi,  épargna  si  peu  sa  personne  en  soignant  les 
blessés  et  les  malades  de  toute  sorte,  ([u'elle  succomba  aux  atteintes  du  typhus 
qui  exerçait  parmi  eux  d'horribles  ravages. 

("2)  Bèze,  Hist.  ceci,  t.  11,  p.  2(i(;. 
Bèze,  Hist.  ceci.,  t.  11,  p.  :205. 


—  170  — 

se  rendraient  à  cet  effet  près  d'Anne  de  Montnnoreney  (l),  et,  du 
côté  de  Louis  de  Bourbon,  par  deux  officiers  protestants,  Bou- 
card  et  d'Esternay,  qui,  préalablement  aussi,  visiteraient  le 
prince  dans  sa  prison. 

A  cette  tentative  de  rapprochement  se  rattachent  cinq  lettres, 
non  datées,  qu'Éléonore  de  Roye,  alors  que  le  canon  grondait  de 
part  et  d'autre,  adressa  à  Catherine  de  Médicis,  antérieurement 
au  16  février  1563  (2). 

Le  13  février,  «  Messieurs  de  Lymoges  et  d'Oysel  s'en  allè- 
»  rent  h  Orléans  où  ils  parlèrent  à  mondit  seigneur  le  connes- 
))  table,  à  madame  la  princesse  de  Gondé,  à  M.  d'Andelot  et 
y>  autres  qui  avaient  là  le  maniement  des  affaires  (3)...  » 

Le  16  du  même  mois,  la  reine  mère,  près  de  qui  étaient  arri- 
vés Boucard  et  d'Esternay,  les  adressa  aussitôt  à  Damville,  à  qui 
elle  écrivit  (4)  :  «  Mon  cousin,  présentement  est  arrrivé  ce  por- 
))  teur,  serviteur  de  mon  cousin  le  prince  de  Condé,  avec  une 
»  lettre  de  vostre  père  que  vous  verrez  et  par  icelle  entendrez 
))  l'occasion  de  sa  venue.  Je  la  vous  ay  voulu  envoyer  avecques 
))  les  sieurs  de  Boucard  et  d'Esternay,  affin  que  tous  ensemble 
y>  ils  communiquent  avec  ledict  prince  et  là  par  ensemble  ils 
»  prennent  une  bonne  résolution...  Il  retournera  en  toute  dili- 
»  gence  advertir  votre  dict  père,  estant  bien  d'advis  quelesdicts 
»  sieurs  de  Boucard  et  d'Esternay  demeurent  là  jusques  à  ce 
»  qu'il  soit  de  retour  devers  mon  dict  cousin  pour  luy  faire  en- 
))  tendre  ce  qu'ils  auront  résolu  à  Orléans.  » 

Afin  de  pouvoir  s'entretenir  librement  avec  Boucard  et  d'Es- 


(I  )  Lu  niarc'cliale  de  Montmorency  obtint,  à  C(;tte  époque,  un  sauf-conduit 
pour  aller  à  Orléans  conférer  avec  son  beau-jtèn;  le  connétable  {Calend  of  St. 
pap.  foreign,  17  février  1563.  Sinilh  to  the  Privy  Council).  Il  y  a  pins  :  D'An- 
delot, au  milieu  des  préoccupations  les  plus  graves,  prit  soin  d'écrire  à  la  con- 
nétable pour  la  rassurer  sur  la  condition  de  son  mari  (voir  Appendice,  n°  28). 

{"1)  Voir  Appendice,  n°  2i(. 

(3)  Mém.  de  Condé,  t.  IV,  p.  ^'i."»  et  suiv.  Lettre  de  l'évèque  de  Riez. 

(/i)  r.ibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3194,  f»  25. 


—  171  — 

ternay,  Condé  avait  demandé,  avant  leur  arrivée  au  château 
d'Onzain,  qu'ils  fussent  autorisés  à  coucher  dans  sa  chambre, 
sans  gardes.  Catherine  donna,  sur  ce  point  délicat,  à  Damville 
des  ordres  dont  la  trace  existe  (i),  mais  dont  on  ignore  le  sens 
et  la  teneur. 

Alors  que  Perussel,  à  la  date  ci-dessus  mentionnée  du  16  fé- 
vrier, continuait  à  assister  Condé  de  ses  pcières  et  de  ses  exhor- 
tations, quel  était  l'état  d'esprit  de  celui-ci?  Une  lettre  du 
prince  (2)  à  un  ministre  de  Normandie  nous  le  révèle,  en 
ces  termes  : 

«  Vostre  lettre  m'a  apporté  grand  plaisir  et  consolation  à 
))  mon  âme,  ayant  par  icelle  mon  devoir  mis  devant  les  yeux 
))  avec  déclaration  de  l'heureux  estât  des  enfans  de  Dieu  et  de  sa 
»  grande  faveur  vers  eux  :  dont  je  vous  prie  employer  toutes  les 
))  opportunités  que  pourrés  avoir  à  m'escrire  afin  que  ainsi  soyés 
))  instrument  de  me  fortifier  de  plus  en  plus  en  patience  et  affec- 
»  tion  de  mon  devoir,  vous  asseurant  que  jusques  à  présent j'expé- 
))  rimente  et  sens  au  vif  telle  présence  des  grâces  de  Dieu  en  moy, 
))  que  je  me  sens  beaucoup  plus  délibéré  de  perdre  ma  vie  icy  et  d'y 
))  espandre  mon  sang  pour  avancer  l'honneur  de  Dieu  et  le  repos 
»  de  ses  enfans,  que  je  ne  fus  onques,  me  contentant,  comme 
»  aussi  il  y  a  bien  de  quoy,  du  dot  d'immortalité  qui  m'est  ap- 
))  preste  pour  eschange  de  tout  ce  que  je  puis  ici  perdre,  qui  ne 
))  me  peut  toutesfois  apporter  que  mal,  comme  il  n'est  que  va- 
»  nité.  Serves  où  vous  estes,  de  tel  office  qu'avés  tousjours  laict, 
»  afin  que  puissions  veoir  le  royaume  de  Dieu  avoir  paix  en 
))  cestuy-cy,  et  nostre  roy  demeure  honoré  et  obéy,  ce  que  je 
»  désire  d'aussi  bon  cœur  que  je  prie  nostre  bon  Dieu  ipfil  vous 


(1)  Bibl.  liât.,  niss.  f.  IV.,  vol.  l'.IS,"),  f^  -Jl.  Lctdv  de  Catlieriiio  à  Daiiivillo. 
(-2)  Calend.  of  State pap.  foirigii,  17  tV-vrier  l.".(;:î.  Siiiilh  to  llie  IVivy  Coimcil 
«  Petrocely,  his  preaclier,  is  witli  liiiii  and  proaclios  daiiy  Ijcforc  liiiii.  » 


-  17-2  — 
y>  augmente  loiisjoiirs  tous  les  dons  de  son  esprit,  à  sa  gloire  et 
»  au  salut  de  tous,  amen  (i).  » 

«  Cette  lettre,  ajoute  Th.  de  Bèze,  en  parlant  de  Louis  de 
»  Bourbon,  que  je  sçay  avoir  esté  dressée,  non  par  secrétaire, 
»  mais  de  son  propre  motif  et  stile,  etque  j'ay  veue  cscrite  de  sa 
»  main,  monstre  quelles  grâces  il  avait  pieu  à  Dieu  de  mettre 
»  en  ce  prince  (%.  » 

Vers  la  môme  époque,  Gondé  écrivait  à  la  reine  d'Angle- 
terre (3)  : 

«  Madame,  si  la  comisération  des  pauvres  affligez  pour  la 
»  parolie  de  Dieu,  si  la  recordacion  des  mesmes  occasions  passées 
))  ont  aujourdhuy  quelque  lieu  en  vostre  endroict,  et  si  la  con- 
y>  linuation  de  voz  premières  bonnes  volontez  à  employer  les 
»  moyens  qu'il  a  pieu  à  ce  grand  seigneur  vous  impartir,  n'a 
»  aucunement  altéré  ou  interrompu  en  mon  endroict  ce  que 
»  desjà  vostre  majesté  a  tant  et  si  vertueusement  tesmoingné, 
))  il  fault  que  maintenant  je  vous  supplie  considérer  mon  estât 
»  et  condition,  et  ce  que  mon  estât  requiert  à  présent,  qui  est 
))  de  vous  supplier  pour  ma  délivrance,  laquelle  n'important 
))  moins  que  la  pleine  liberté  des  consciences  fidelles  et  chres- 
»  tiennes,  la  conservacion  de  l'authorité  du  bien  et  du  service 
y>  de  mon  roy  et  le  soulagement  de  toute  la  France,  vous  appelle 
»  et  sollicite  à  vous  encourager  au  secours  de  celluy  qui,  comme 
))  chef  en  ce  royaume,  vous  supplie  très-humblement.  Madame 
D  que,  augmentant  vostre  affection,  vous  en  hastez  aussi  l'effect, 
))  jugeant  en  cela  combien  les  jours  et  les  mois,  et  encore  plus 
))  les  années  sont  longs  et  insupportables.  Aiant  donc  esgard  à 
»  ce  que  dessus,  me  comfortant  d'une  bonne  espérance  de  vostre 

(I)  IJèze,  Hist.  eccl,  t.  II,  p.  "211. 
{">)  P.èzc,  Ilist.  eccl.,i.  II,  p.  278. 
(.3)  Hist.  des  pr.  de  Condé,  t.  I,  p.  iO-i,  403. 


—  173  — 
y)  bienveillance,  je  ne  m'estendray  plus  avant  en  propoz,  sinon 
y>  priant  le  Créateur,  madame,  conserver  en  longue  prospérité 
))  vostre  majesté  saine  et  heureuse.  —  De  la  prison,  le  47  fé- 
))  vrier  (1563).  » 

Tout  en  manifestant  des  intentions  conciliantes  à  Éléonore 
de  Roye,  dont  la  correspondance,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir, 
était  à  un  si  haut  degré  empreinte  de  loyauté,  d'amour  de  la 
paix  et  de  confiance,  la  reine  mère,  en  secret,  la  tournait  en  dé- 
rision, et  se  complaisait  à  l'idée  de  l'effroyable  déception  que 
réservait  à  la  princesse  et  à  son  entourage  la  haine  du  duc  de 
Guise,  n'aspirant  qu'à  emporter  d'assaut  et  qu'à  anéantir  Or- 
léans. La  politique  tortueuse  et  les  sentiments  amers  de  Cathe- 
rine se  révèlent  une  fois  de  plus  dans  ces  quelques  lignes,  adressées 
confidentiellement  à  de  Gonnor  (i),  le  17  février  :  —  «  Quant 
))  à  nos  nouvelles,  M.  de  Guise  doit  demain  faire  belle  peur  à 
y>  Orléans.  Boucard  et  Esternay  sont  avec  le  prince  de  Condé,  et 
»  les  nostres  (l'évoque  de  Limoges  et  d'Oysel),  avec  M.  le  con- 
))  nestable,  qui  m'a,  depuis  qu'ils  sont  avec  luy,  envoyé  le  secré- 
))  taire  dudict  prince  pour  résoudre  la  vue,  et  presse  fort  ma- 
»  dame  la  princesse  que  je  le  fasse.  Je  croy  qu'elle  a  belle  peur 
))  de  nous  voir  si  près  d'elle  sans  son  congé;  mais  quand  de- 
))  main  nous  aurions  Orléans,  je  sçay  bien  que  pour  chasser  les 
))  estrangers  il  nous  faut  la  paix  que  je  désire,  mais  nous  Tau- 
)>  rions  à  bien  meiUeure  condition,  tenant  la  rillc.  » 

Voulons-nous  savoir  ce  que  fût  devenue  la  ville  d'Orléans,  si  le 
duc  de  Guise  l'eût  tenue?  lui-môme  nous  l'apprendra  sans  dé- 
tours. Ëcoutons-le,  en  effet,  annoncer,  dans  la  matinée  du  18  fé- 
vrier, à  Catherine  (2)  «  Qu'il  luy  mandera  nouvelles  de  la  prise 
»  de  la  ville  dans  vingt-quatre  heures,  la  suppliant  luy  ])ardon- 
»  ner  si,  contre  son  naturel  qui  n'esloit  d'user  de  cruauté,  comme 

(l)  Le  Lal»oui-our,  aiUlit.  aux  Mriii.  do  Casleliiau,  t.  II.  p.  171,  I7'2. 
{"1)  Bèze,  llist.  ecd.,  l.  U,  j».  "i'w. 


—  17i  — 

■»  elle  avoit  pii  cognoistre  en  la  reddition  de  Bourges  et  en  la 
D  prinse  de  Rouen,  il  ne  pardonnoit  dans  Orléans  à  sexe,  ne 
»  aage,  et  mettoit  la  ville  en  telle  ruine  qu'il  en  feroit  perdre  la 
»  mémoire  après  y  avoir  fait  toutesfois  son  caresme  prenant.  » 

François  de  Lorraine  ne  put  ni  tenir  Orléans,  ni  même  y  pé- 
nétrer; la  balle  d'un  assassin  déjoua  ses  résolutions  sanguinaires, 
dans  la  soirée  du  jour  où  il  venait  d'écrire  à  la  reine  mère. 

Tandis  qu'il  gisait  étendu  sur  un  lit  de  souffrances  et  que  la 
consternation  générale  paralysait,  dans  le  camp  catholique,  l'ac- 
tivité de  chacun  des  chefs  réunis  sous  les  murs  d'Orléans,  Ca- 
therine continuait  de  suivre  le  cours  des  négociations  qu'elle  avait 
entamées  pour  amener  l'entrevue  des  deux  prisonniers.  Dès  le 
19  février,  elle  donnait,  à  ce  sujet,  des  instructions  à  Dam- 
ville  (1),  et  envoyait  à  Éléonore  de  Roye  et  à  d'Andelot  l'évêque 
de  Limoges  et  d'Oysel  ("2). 

La  princesse  mentionnait  en  ces  termes,  dans  une  lettre  à  la 
reine  mère,  le  résultat  d'un  premier  entretien  avec  d'Oysel  (3)  : 

((  Madame,  ceste  après-disnée  bientost  est  arrivé  M.  d'Oysel 
»  duquel  mon  oncle  Dandelot  et  moy  avons  entendu  ce  qu'il 
»  vous  a  pieu  nous  mander  tant  par  luy  que  la  lectre  que  Vostrc 
))  Majesté  m'a  escripte,  à  quoy  ne  pouvons  avec  ceste  compa- 
»  gnie  rendre  réponse  que  premièrement  n'ayons  sçeu  l'inten- 
))  tion  et  volunté  de  monsieur  mon  mary,  laquelle  m'attands 
»  bientost  recevoir  par  ung  de  mes  gens  que  j'ay  envoyé  vers  luy 
))  il  y  a  trois  jours,  comme  j'aydict  audict  sieur  d'Oysel,  vous  sup- 
»  pliant  très  humblement,  Madame,  vouloir  commander  qu'il 
))  me  soit  bientost  envoyé  afin  que  puissions  bien  soudain  ren- 
»  dre  réponse  à  Votre  Majesté  de  ce  qui  se  pourra  faire,  et  nous 

(1)  l!il)l.  liai.,  iiiss.  f.  fr.,  vol.  :!l.sr»,  f"  30. 

{'i)  ((  L'évesque  de  Limoges  et  le  sieur  d'Oysel  vont  et  viennent  doLs  la  court 
y>  d  Orléans,  pour  négocier  l'appoinctenient.  »  {Mcm.  de  Condé,  t.  II,  p.  133. 
Dépêche  de  Chantonnay,  du  20  février  1503.) 

(3)  Diijl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  0007,  f»  00. 


—  175  — 
y>  faire  cest  honneur  de  croire  que  nul  ne  désire  plus  que  nous 
»  avec  l'obéissance  et  service  que  devons  à  Dieu  et  à  vos  majestez 
y>  voir  une  bonne  paix  faicte,  et  que  en  cela  et  toute  autre  chose 
y>  où  il  vous  plaira  m'honorer  de  vos  commandemens  je  puisse 
y>  estre  si  heureuse  que  de  vous  faire  service  qui  vous  soit  agréa- 
y>  ble,  suppliant  Dieu,  Madame,  qu  il  vous  donne  en  parfaicte 
»  santé  très  heureuse  et  longue  vie.  —  Madame,  nous  avons  tous 
»  esté  d'advis  pour  l'incertitude  de  quand  pourrions  rendre  ré- 
»  ponse  à  Votre  Majesté  que  cependant  ledict  sieur  d'Oysel  re- 
))  tournyst  vous  faire  entendre.  Madame,  nos  excuses,  etc.,  etc.  » 

Consulté  par  Éléonore  sur  les  conditions  moyennant  lesquelles 
il  se  prêterait  à  une  entrevue  avec  le  connétable,  Condé  avait 
exprimé  le  désir  que,  si  un  prisonnier  de  guerre  tel  qu'Anne  de 
Montmorency  était  autorisé  à  sortir  d'Orléans,  son  retour  dans 
celte  ville,  à  l'issue  de  l'entrevue,  fût  garanti  par  la  présence 
d'otages  qui  y  résideraient,  en  son  absence,  et  au  nombre  des- 
quels serait  compris  le  jeune  prince  de  Joinville,  fils  du  duc  de 
Guise;  mais,  aussitôt  que  Condé  apprit  que  le  duc  avait  été 
gravement  blessé,  il  renonça  à  l'idée  de  séparer,  un  seul  ins- 
tant, le  fds  du  père. 

La  preuve  de  ce  double  fait  ressort  de  trois  lettres  dont  deux 
d'Éléonore,  et  l'autre  de  son  mari.  Dans  la  première  (i  ),  la  prin- 
cesse disait  à  la  reine  mère  : 

«  Madame,  n'ayant  peu  congnoistre,  mon  oncle  Dandelol  et 
y>  ceste  compagnie  avec  moy,  l'intention  et  voulonté  de  mon- 
y>  sieur  mon  mary  par  la  lectre  quy  la  escrite  à  Vostre  Mageslé 
»  touchant  monsieur  le  prince  de  Guynville,  c'est  se  (piy  nous 
y>  faict  suplyer  très  humblement  Yoslrc  Magesté  ne  trouver 
»  mauvelx  que  ne  fasions  nulle  réponse  tpie  premyèrement  ne 
»  ayons  envoyé  vers  ledict  seigneur  sur  ce  entendre  résolumant 

{1}  llisL  de^  pr.  de  Coinlt',  t.  1,  p.  oiiT. 


—  17G  — 
y)  son  avys  :  cL  pour  cest  effect  vous  supplions  très  humblement, 
))  Madame,  quy  vous  playse  donner  congé  à  se  porteur,  quy  est 
))  à  luy,  que  pryvémant  et  en  partyculier  il  ne  puysse  resevoyr 
»  sa  voulonté.  Car  c'est  une  chose  de  sy  grand  importanse  que 
»  ne  povons  passer  plus  avant  à  répondre  jusque  à  se  qu'ayons 
»  sa  résollusion,  et  n'est  pour  prolonger  le  moyen  d'avoyr  une 
»  pays,  mays  seullemant  pour  rendre  les  choses  plus  cléres  et 
»  asseurées  ;  car  c'est  se  qu'en  se  monde  desyrons  plus  que  de 
y>  la  veoyr  bien  faicte,  et  par  se  moyen  avoyr  la  liberté  de  mon- 
»  sieur  mon  mary,  pour  luy  et  moy  plus  que  jamays  nous  am- 
»  ployer  à  vous  fayre  très  humble  servyse,  supliant  Dieu,  Ma- 
»  dame,  que  bientost  se  bien  tant  desyré  soit  donné  à  vos  ma- 
))  gestes  et  à  tous  vos  subjects,  etc.,  etc.  » 

Dans  une  seconde  lettre  (i),  s'adressant  encore  à  Catherine, 
elle  ajoutait  : 

«  Madame,  le  secrétaire  de  monsieur  mon  mary  m'a  baillé  la 
))  lettre  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  de  m'escripre,  et  ayant  en- 
))  tendu  l'intention  de  mon  dict  seigneur  et  qu'il  a  agréable  de 
»  s'assembler,  luy  et  monsieur  le  connestable,  pourveu  que  pour 
y>  otage  dudict  sieur  connestable  soit  baillé  monsieur  le  prince 
»  de  Gynvillo,  monsieur  de  Damville,  et  monsieur  d'Estampes 
»  ou  monsieur  de  Martygne,  ce  que  ceste  compaignie  à  mes- 
))  moment  consenty,  congnoissant  que  Vostre  Magesté  avoit 
■»  agréable  que  ceste  veue  se  f  eit  avec  ces  conditions,  m'asseurant 
»  bien,  Madame,  que  ce  connnencement  apportera  pour  la  fin 
))  de  ces  troubles  une  bien  borme  paix,  à  quoy  et  moy  et  tous 
))  ceulx  de  ce  costé  l'erons  tout  ce  quy  nous  sera  possible,  vous 
»  suppliant  très  humblement  le  croire  ainsi  comme  plus  au 
»  long  vous  dira  monsieur  de  Limoges  et  d'Oysel,  etc.,  etc.  » 

(1)  lîilil.  liât.,  mss.  f.  fr.,  vol.  TiHOT,  f"  55. 


—  177  — 
Condé  écrivait,  le  25  février  (1),  à  sa  femme  : 

«  J'ay  veu  par  vostre  lettre  et  oiiy  par  ce  porteur  les  diffi* 
3)  cultes  qui  se  font  pour  consentir  à  mectre  hors  monsieur  Is 
))  conneslable  pour  les  sieurs  d'Estampes  et  de  Damville...  (et) 
»  qu'on  ne  veult  plus  ballier  le  prince  de  Joynville,  pour  l'amour 
»  de  monsieur  son  père  qui  a  esté  fort  misérablement  blessé  (2)  : 
))  et  pour  vous  dire  sur  ce  mon  advis,  il  m'est  advyz  que  le  pou- 
»  vez  faire,  prenant  de  monsieur  le  connestable  la  foy  signée, 
»  comme  en  tel  cas  est  requis;  et  cela  faict,  je  ne  sçay  ce  que 
D  pouvez  craindre,  et  syj'estois  là,  je  le  feroiz...  La  paix  sera  le 
»  seul  moïen  pour  estaindre  les  désolations  présentes...  l'en- 
»  trevue  de  monsieur  le  connestable  et  de  moy  seroit  le  moïen 
y>  pour  parvenir  à  la  paix  que  tout  le  monde  désire  et  qui  est  à 
»  ce  pauvre  roiaume  tant  nécessaire.  Ne  trouvez  plus  donc  de 
»  difficulté  s'il  est  possible,  pour  affin  que  nous  nous  puissions 
»  veoir;car  c'est  ce  que  j'ay  tousjours  désiré,  j'entends  mon- 
))  sieur  le  connestable;  et  à  Dieu  qui  vousdoinct  et  âmes  amys 
y>  de  delà  et  à  vous  autant  de  contentement  que  vous  en  désire, 
))  vostre  bien  bon  mary.  =  .  Ma  tante  et  mon  oncle  trouveront 
y)  icy  dedans  mes  bien  affectionnées  recommandations  à  leur 
))  bonne  grâce  et  à  toutz  nos  amys.  » 

Au  moment  où  Louis  de  Bourbon  traçait  ces  lignes,  il  igno- 
rait que,  la  veille,  le  duc  de  Guise  avait  rendu  le  dernier  soupir. 
Informé  de  sa  mort,  il  écrivit,  le  28  février  (3),  à  Éléonore  de 
Roye  : 

«  Yeu  les  lettres  caves  de  moy  resues,  vous  avés  peu  connes- 

(1)  Bibl.  nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  (ilWS,  f'  -217. 

("2)  Voir,  sur  ce  poini,  Mém.  de  Condé,  t.  Il,  p.  I :'..". 

(3)  Hist.  des  pr.  de  Condé,  t.  I,  p.  ;>98.  —  Il  faiil  rapprocher  de  coUe  lettre 
deux  autres  lettres  adressées  à  Catlieriue  de  Médicis,  le  :2S  février  1503  par  le 
prince  de  Condé,  et  le  o  mars  suivant  jiar  le  prime  de  La  Uoclie-sur-Yon 
{WuL,  l.  1,  p.  3U7,  3il8,  ;;i)U,  iOO.)  —  Voir  Appendice,  a"  :Ul. 

12 


—  178  — 

»  tre  mes  yntantions  ;  par  coy  sait  à  moy  follie  vous  an  fère  an- 
))  tandre  davantage;  car  pour  la  mort  de  monsieur  de  Guysse 
»  quy  a  été  tué  sy  myssérablement,  l'opynyon  ne  met  nullement 
•»  changée,  et  de  vous  an  escryrre  davantage  se  seret  abus,  veu 
))  la  ressolution  que  sens  d'Orléans  on  tous  prysse  de  ne  léser 
»  partyr  monsieur  le  connestable,  vous  prient  tous  de  bien  con- 
»  sidérer  les  meschanssetés  que  saiste  guerre  tire  après  elle,  quy 
»  et  bien  ung  suget  pour  tous  désirer  la  pais;  suplien  seluy  quy 
y>  tyen  les  cuers  des  roys  et  des  hommes,  quy  les  disposse  an  re- 
))  sevoyr  les  moyens  et  reculler  sens  quy  vouldront  aller  au 
»  contrayrre  et  chiitié  sens  quy  n'y  vouldront  anlandre;  car 
»  anvers  Dieu  et  leur  roy  méryte  grande  punysiont.  Je  masurre 
»  que  vous  amployrés  an  tous  se  que  pourrés,  se  que  vous  prye 
))  l'ère  de  toutte  votre  puysance  ;  car  sait  une  requête  que  vous 
))  an  fais  de  tout  mon  cuer  ;  car  je  ne  désire  ryen  tant  comme 
»  une  bonne  pays  quyl  ne  soit  point  fainte  et  quy  soit  à  loueur 
y>  de  Dieu  et  servyce  du  roy  proufitable;  quy  sera  la  fin  de  saiste 
y>  lestre,  après  avoyr  à  tante  et  oncle  pressente  mes  bien  afec- 
»  tionnée  recommandasion  à  leur  bonne  grâce  et  quy  vous  doinct 
D  h  tons  autant  de  contantement  que  vous  an  désire...  votre  bien 
y>  afecsionné  et  bon  mary.  » 

En  même  temps  s'agitait,  h  Orléans,  une  question  importante^ 
bientôt  suivie  d'une  solution  que  la  princesse  s'empressa  de 
déférer  II  l'appréciation  de  Catherine,  en  ces  termes  (1)  : 

((  Madame,  pour  ce  qu'en  discourant,  h  ce  malin,  avec  le 
))  sieur  d'Oysel,  en  la  présence  de  monsieur  le  connestable,  de 
))  mon  oncle  Dandclot  et  d'autres  seigneurs  qui  sont  icy,  des 
»  moyens  pour  satisfaire  au  désir  dont  vostre  majesté  est  tou- 
»  chée,  il  s'est  proposé  quelque  difficulté,  ledit  d'Oysel  a  flut  une 
ï)  ouverture  que  mondict  sieur  le  connestable  a  grandement 

(I)   l'.ihl.  liai.,  nih-s.  f.  fr.,  vol.  (i(iUT,  f"  71. 


—  179  — 
y>  approuvée,  qui  est  que  moy  mesme  eusse  à  aller  trouver 
))  vostre  majesté  pour  vous  rendre  raison  de  noz  actions  et  rap- 
))  porter  la  résolution  de  vostre  bon  plaisir,  chose  que  de  tout 
))  mon  cœur  sur  tout  singulièrement  je  désire,  si  tant  est  que  me 
y>  faictes  ceste  faveur  de  le  permectre  ainsy  que  plus  au  long 
»  iedict  d'Oysel  vous  sçaura  bien  déclarer,  espérans  que  à  ce 
»  coup  cognoistrez  de  quel  zèle  toute  ceste  compaignie  souhaite 
y>  et  le  bien  de  la  paix  et  une  continuation  en  vostre  bonne 
))  grâce,  comme  aussi  Iedict  sieur  connestable  s'asseure  que  ce 
»  sera  le  plus  certain  et  plus  brief  moyen  qui  ait  encore  esté 
))  présenté  pour  y  parvenir.  A  ceste  cause,  madame,  il  vous 
))  playra  nous  en  faire  entendre  sur  ce  vostre  volonté,  afin  de 
»  nous  y  conformer  et  vous  tesmoigner  l'afTection  que  nous 
y>  avons  toujours  à  vous  faire  très-humble  service,  etc.,  etc.  » 

L'avis  émis  par  d'Oysel  et  l'adhésion  qu'y  donna  le  connétable 
prouvent  en  quelle  haute  estime  ces  deux  personnages,  d'accord 
à  cet  égard  avec  l'élite  des  protestants,  tenaient  la  piincesse  de 
Condé,  et  la  confiance  illimitée  qu'ils  avaient  en  sa  droiture. 

Les  intentions  de  Catherine  ayant  été,  le  1"  mars,  transmises 
à  la  princesse,  celle-ci  répondit  aussitôt  (1)  : 

((  Madame,  j'ay  entendu  par  M.  d'Oysel  qu'il  vous  a  pieu  me 
))  faire  cest  honneur  de  me  donner  congé  de  vous  aller  (aire 
D  la  révérence,  dont  mersye  très-humblement  vostre  majesté,  et 
»  ne  faudray  suyvant  vostre  commandement  d'eslre  demain,  à 
»  neuf  heures,  au  bord  de  l'eau.  C'est  la  chose  du  monde  que 
))  plus  j'ay  tousjours  désirée  que  de  recevoir  ceste  laveur  et  bien 
»  que  Dieu  et  vous,  madame,  me  donnez,  etc.  » 

Le  2  mars,  alors  que  l'artillerie  de  la  place  et  celle  du  camp 
ennemi  continuaient  à  croiser  leurs  feux  (2»,  la  princesse,  éner- 

(I)  r.ibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  GGOT,  f"  (i(i. 

{-1)  C(tlend.  of  St.  pap.  foreign,  f?niars  15G3.  Occurrences  in  Trancc. 


—  180  — 
giqiie  comme  toujours  en  face  du  danger,  et  ayant  pour  unique 
escorte  «  deux  damoiselles  »  qu'inspiraient  un  courage  digne  du 
sien  et  un  dévouement  sans  bornes  à  sa  personne,  sortit  d'Or- 
léans et  s'achemina  vers  Saint-Mesmin.  Là,  elle  eut  un  entrelien 
de  quatre  heures  avec  \à  reine  mère  (i).  Catherine,  au  dire  d'un 
personnage  de  la  cour  des  mieux  informés  (5),  «  la  reçeut  fort 
»  bien,  avec  beaucoup  de  belles  promesses  ».  De  Thou,  sur  ce 
point,  est  plus  explicite  que  Castelnau.  «  La  reine  mère,  dit-il, 
y>  après  la  mort  du  duc  de  Guise,  qu'elle  regarda  comme  un 
»  bonheur,  n'omit  rien  pour  conclure  la  paix.  Pour  cet  effet, 
»  elle  eut  à  Saint-Mesmin  un  entretien  avec  Éléonore  de  Roye, 
»  princesse  de  Coudé  ;  elle  l'embrassa  tendrement  et  lui  donna 
))  de  très-grandes  marques  de  bienveillance  et  d'affection.  On 
»  croit  même  qu'elle  lui  fit  espérer  que  le  prince  aurait  auprès 
»  du  roi,  et  par  conséquent  dans  tout  le  royaume,  le  môme 
))  rang  que  le  roi  de  Navarre,  son  frère,  avait  eu  (3).  )) 

Éléonore  de  Roye  connaissait  trop  bien  Catherine  de  Médicis, 
pour  se  laisser  prendre  à  ses  démonstrations  affectueuses  et  à 
ses  promesses  en  faveur  de  Condé.  Touchée  des  unes  et  des 
autres,  dans  une  certaine  mesure,  elle  sut,  avec  son  tact  habi- 
tuel, les  réduire  à  leur  juste  valeur.  Sans  doute,  elle  crut  à  la 
sincérité  du  désir  qu'exprima  la  reine  mère  de  conclure  la  paix, 
parce  qu'elle  l'y  savait  intéressée,  au  point  de  vue  de  la  consoli- 
dation de  son  pouvoir;  sans  doute  aussi,  elle  aspirait  ardem- 
ment, pour  sa  part,  à  la  réalisation  d'un  traité  de  paix  qui  ren- 
drait Louis  de  Rourbon  à  la  liberté,  et  peut-être  môme  le 
porterait  à  la  lieutenance  générale  du  royaume;  mais,  à  litre  de 

(1)  Calend  of  t>f.  pap.  forckjn,  "2  mars  15(1;!.  Smith  lo  llie  Quoen.  —  Ibiil., 
3  mai-s  ir)()3.  Smith  to  Warwich.  —  Aiclnv.  gêner,  de  Venise.  Vol.  Fraricia, 
1563  à  15(50.  Senato  111,  Sécréta.  Dépèche  de  lîarharo  au  Sénat  :  ci  E  fu  al  "2  de! 
»  mcse  présente,  usci  d'Orléans  la  principissa  moglie  de!  priiiciiie  di  Conde  et 
»  parlo  luugamenle  alla  regina,  etc.,  etc.  » 

{"1)  Castelnau,  Mnn.,  in-i',  t.  I,  p.  I  i8. 

(^)  Ilisl.  Univ.,  t.  III,  p.  iOi.  • 


—  181  — 
fervente  chrétienne,  dévouée  de  cœur  à  la  cause  de  la  liberté 
religieuse,  Éléonore  était  incapable  de  condescendre  à  un  pacte 
qui  sacrifiât  ou  seulement  restreignît  cette  sainte  liberté.  Dès 
lors,  fermement  attachée  à  l'édit  de  janvier,  pour  le  maintien 
duquel  son  mari  avait  pris  les  armes,  elle  n'avait  pas  pu,  dans 
son  entretien  avec  Catherine,  laisser  croire  à  celle-ci  que  le 
prince  achetât  jamais  la  paix,  sa  liberté  personnelle,  et  les  pré- 
rogatives promises,  au  prix  d'une  mutilation  quelconque  de  cet 
édit.  La  seule  paix  acceptable,  aux  yeux  d'Eléonore,  était,  ainsi 
qu'elle  l'avait  déclaré  dans  sa  correspondance  avec  Catherine, 
une  paix  qui  fût  à  la  gloire  de  Dieu,  de  telle  sorte  que  par  tous 
«  //  pût  estre  bien  obéi)  et  servi/  »  ;  et,  pour  elle,  il  ne  pouvait  y 
avoir  de  paix  vraiment  empreinte  d'un  tel  caractère,  que  celle 
qui  reconnaîtrait  à  l'universalité  de  ses  co-religionnaires,  ainsi 
qu'à  son  mari  et  à  elle-même,  le  droit  de  pratiquer  librement 
leur  culte. 

Si,  en  l'absence  de  toute  notion  précise  sur  l'objet  et  la  portée 
de  l'entretien  qui  eut  lieu,  le  2  mars,  à  Saint-Mesmin,  on  se 
trouve  réduit  à  de  simples  conjectures,  il  en  est  une  du  moins 
à  laquelle  on  peut  sans  témérité  s'arrêter,  savoir  ;  que  la  reine 
mère,  trop  prudente  pour  froisser  les  convictions  inébranlables 
de  la  princesse,  se  sera  bornée,  en  se  composant  un  maintien 
plein  de  douceur  et  d'affabilité,  à  lui  parler,  en  termes  généraux, 
de  concessions  réciproques,  ne  devant  s'opérer  que  sous  la 
sauvegarde  des  droits  de  la  conscience,  dans  des  vues  d'apaise- 
ment et  de  conciliation,  sans  aller  jusqu'à  mettre  en  question 
l'édit  de  janvier;  et  qu'elle  aura  insisté  sur  la  nécessité  de  con- 
fier à  Coudé  et  au  connétable  le  soin  de  discuter  les  bases  d'une 
paix  plus  que  jamais  désirable;  tout  en  se  réservant  pour  elle- 
même,  dans  le  secret  de  ses  pensées,  le  droit  d'interposer,  eu 
temps  opportun,  ses  vues,  ses  manœuvres  et  son  autorité.  Or, 
présumant  que  le  prince  de  Gondé,  prisonnier,  «  ne  demandoit 
))  que  liberté,  elle  pensoit  que  son  esprit  lacile  et  doux  à  ceux 


—  I8'2  — 

»  qui  sçavoyent  le  prendre  à  poinct,  ne  contesteroit  guères  sur 
»  quelques  articles.  Pourtant,  de  peur  que  l'admirai  qui  estoit 
»  encores  occupé  en  Normandie,  venant  à  se  trouver  h  Orléans, 
)•>  ne  débatist  pour  l'édict  de  janvier,  qui  pourroit  rompre  l'ac- 
»  cord  et  rallumer  la  guerre,  dont  s'ensuivroit  le  rabaisse- 
))  ment  de  l'autliorité  de  ceste  femme,  elle  hâta  la  négocia- 
»  tion  (1).  )) 

La  conclusion  de  l'entretien  de  la  reine  mère  avec  la  princesse 
fut  que  Louis  de  Bourbon  et  Anne  de  Montmorency  se  réuni- 
raient prochainement,  sur  la  Loire,  pour  conférer  entre  eux. 

Tant  qu'avait  duré  cet  entretien,  le  canon  n'avait  cessé  de 
gronder  (2). 

De  retour  à  Orléans,  Éléonore  de  Roye,  qui  tenait  à  informer, 
sans  retard,  son  mari  du  résultat  de  son  entrevue  avec  Cathe- 
rine, mais  qui  ne  pouvait  y  réussir  qu'avec  le  concours  de  cette 
dernière,  lui  écrivit  (3)  : 

«  Madame,  estant  arrivée  fort  tard  en  ce  lieu,  il  n'a  esté  pos- 
ft  sible  de  renvoyer  jusques  à  demain  monsieur  d'Oysel,  et  ayant 
»  monsieur  le  connestable  et  toute  ceste  compagnye  entendu 
))  ce  qu'il  vous  a  pieu  me  dire,  tous  sont  fort  resjouys  et  louent 
')  Dieu  de  ce  qu'il  luy  plaist  acheminer  si  bien  le  moyen  de  faire 
j)  une  bonne  paix,  et  vous,  pour  ce  quy  est  envoyé  à  vostre  ma- 
»  jesté  et  ce  que  vous  dira  ledict  sieur  d'Oysel  comme  tous  ceux 
))  quy  sont  icy  augmente  tousjours  en  bonne  volonté  de  veoir  la 
I)  fin  de  ces  misères  et  d'avoir  moyen  de  pouvoir  faire  service  à 
»  voz  majestez.  Suyvant  le  congé  qu'il  vous  a  pieu,  madame, 
»  me  donner  d'envoyer  ce  secrétaire  vers  monsieur  mon  mary, 

(I)  Hist.  de  cinq  rois,  1599;  p.  28."). 

ci)  Calend.  of  St.  pap.  foreign,  8  mars  J5()3.  Occurrences  in  France  :  «  Ail 
»  friflay  and  satunlay  shot  was  conlinually  fired  from  groat  and  small  pièces 
/>  ont  of  and  againsl  Orléans;  and  ail  the  tinic  Ihat  llie  princoss  of  Condé  was 
»  wilh  tlie  Ouoen,  tliey  spared  no  powder.  » 

(:5)  liibl.  nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  (JtiUT,  f"  77. 


~  183  — 

y>  je  vous  supplie  très-humblement  lui  permectre  qu'il  puisse 
y>  parler  particulièrement  audict  seigneur  et  me  rapporter  incon- 
»  tinent  de  ses  nouvelles,  etc.,  etc.  (i).  » 

A  cette  missive  succéda  presque  immédiatement  la  suivante, 
qui  prouve  avec  quelle  activité  la  princesse  s'était  occupée  du 
choix  d'un  emplacement  pour  l'entrevue  des  deux  prison- 
niers (*2)  : 

((  Madame,  ce  matin,  les  sieurs  d'Oysel  et  de  Bouchavane  ont 
»  regardé  au  long  de  l'eau,  entre  la  tour  Saint- Laurent  et  la 
))  Madelaine,  et  encore  plus  loing,  s'il  y  avoit  moyen  delà  amener 
»  les  bateaux  pour  rassembler  monsieur  mon  mary  et  monsieur 
y>  le  connestable  ensuyvant  vostre  volonté  et  le  desyr  de  ceste 
))  compagnie,  ce  qu'ils  ont  trouvé  impossible  pour  les  raisons 
))  que  sçait  ledict  sieur  d'Oysel,  mays  sera  bien  aysé  et  commode 
))  s'il  vous  plaist  l'avoir  agréable  au-dessus  du  pont,  quy  est  une 
»  mesme  chose  autant  commode  pour  estre  près  de  ceux  du 
»  portereau  comme  de  ceste  ville;  parquoy,  madame,  il  vous 
))  playra  nous  en  mander  vostre  volonté  et  faire  visiter  le  lieu 
»  où  il  se  pourra  faire,  quy  ne  sera  jamais  sitost  que  le  desyrons 
»  pour  veoir  voz  majestés  de  tous  bien  servys  et  vostre  réaume 
))  et  vos  subjects  en  repos,  ce  que  suplie  à  Dieu  qu'il  nous  donne 
))  bientost,  etc.,  etc.  » 

Le  lieu  définitivement  choisi  pour  l'entrevue  fut  Xllc-aux- 
Bœufs,  sur  la  Loire. 

On  convint  d'une  trêve  pour  toute  la  durée  des  négociations 
qui  allaient  s'ouvrir  relativement  à  la  paix. 

(t)  Voir  AppiMulice,  n°  31. 

(-2)  lîibl.  nat.,  niss.  f.  fr.,  vol.  0007,  f-  iS. 


CHAPITRE  IX 


Ordre  fut  donné  de  faire  sortir  du  château  d'Onzain  le  prince 
que  ((  Damville  conduisit  dans  une  coche  avecq  bonne  garde 
3)  et  seure  »  (1),  à  Saint-Mesmin. 

La  reine  mère  était  alors  au  camp,  d'où  elle  écrivait,  le 
4  mars,  à  Gonnor  (2)  :  «  Je  fais  venir  (le  prince  de  Gondé)  icy, 
»  où  il  arrivera  bien  gardé,  et  le  loge  à  Saint-Mesmin,  accom- 
))  pagné  de  dix  enseignes  de  Suisses.  » 

Dans  quelles  dispositions  arrivait  le  prince?  Est-il  vrai  que, 
depuis  plusieurs  jours,  à  la  suite  d'entretiens,  dans  sa  prison,  avec 
divers  agents  de  Catherine,  et  notamment  avec  le  prince  de  la 
Roche-sur- Yon,  il  se  fût  désisté  de  ses  réclamations  quant  au 
maintien  de  l'édit  de  janvier,  et  qu'il  eût  consenti  à  ce  que  de 
graves  restrictions  y  fussent  apportées,  en  se  laissant  séduire 
par  celte  considération,  qu'une  fois  investi  de  la  lieutenance  gé- 
nérale du  royaume,  qui  lui  était  promise,  il  pourrait  assurer  à 
ses  coreligionnaires  le  libre  exercice  de  leur  culte?  Est-il  vrai, 
ainsi  que  l'affirmait  le  prince  de  la  Roche-sur- Yon  (3),  que  dans 
((  sa  grande  envie  de  voir  finir  les  troubles,  le  petit  homme,  avec 
»  qui  il  avoit  parlé  seul  à  seul,  s'accommoderait  à  tout?  »  Est- 
il  vrai  enfin,  ainsi  que  le  prétendait  Catherine,  le  4  mars  (4),  que 

(1)  Dépêche  do  Clianloiinay,  du  \?,  mars  I5G;5  {Mêm.  de  Condé,  t.  II,  p.   138). 

(2)  Le  Laboureur,  addit.  aux  Mcm.  de  Casteluau,  t.  Il,  p.  21!!). 

('.))  Lettre  du  .">  mars  1503  à  de  Gonnor  (Le  LaJjourem-,  addit.  aux  Mém.  de 
Casteluau,  t.  11,  p.  "iiO). 

(4)  Lettre  à  de  Gonnor  (Le  Laboureur,  addit.  aux  Mém.  de  Casteluau,  t.  II, 
p.  239). 


—  185  — 
ce  môme  prince  lui  «  eût  mandé  qu'il  avoit  tiré  de  Condé, 
>»  qu'il  se  contenterott,  pourvu  que  les  gentilhommes  eussent 
»  liberté  de  conscience  en  leur  maisons  et  seureté  de  leur  vie 
»  et  bien  et  de  passé  et  de  l'avenir,  y>  alors  que  rien  de  tel  n'é- 
tait énoncé  dans  la  lettre  que  La  Roche-sur-Yon  adressa  le 
3  mars  h  la  reine  mère  (i)?  Il  est  impossible  de  se  prononcer 
avec  certitude  sur  ces  divers  points.  Toutefois,  il  n'est  que  trop 
présumable  que  Condé,  au  moment  où  il  quitta  le  château  d'On- 
zain,  était  déjà  ébranlé  dans  ses  convictions,  et  placé  sur  la 
pente  dangereuse  des  faux  calculs  et  des  faux  ménagements.  Un 
contemporain  a  dit  de  lui  (-2)  :  «  Qu'assailli  par  douceur  il  fit 
y>  comme  le  lion  se  hérissant  contre  ceux  qui  le  veulent  forcer 
»  et  se  monstrant  liumain  avec  les  animaux  qu'il  estime  indignes 
»  de  sa  colère.  »  Cette  comparaison  manque  de  justesse;  car, 
après  s'être  érigé  en  ami  de  la  liberté  religieuse,  se  prêter  à  l'al- 
tération d'une  loi  qui  la  protège,  ce  n'est  pas  faire  acte  d'huma- 
nité envers  les  destructeurs  de  cette  loi;  c'est  faire  acte  de  com- 
plicité. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  doutes  qui  subsistent  sur  l'état  exact 
des  vues  et  des  intentions  de  Condé,  lors  de  sa  sortie  du  château 
d'Onzain,  voyons-le  maintenant  à  l'œuvre. 

Le  7  mars  le  prince  et  le  connétable  furent  conduits,  sous 
escorte,  dans  l'île  aux  Bœufs. 

Deux  hommes  épiaient,  en  fidèles  agents  de  Philippe  II,  ce 
qui  allait  se  passer.  Laissons  parler  l'un  d'eux,  Perrenot  de 
Chantonnay  (3)  : 

((  Le  sieur  don  Francis  d'Alava  et  moy  sonuues  venuz  en  ce 
»  ce  lieu  (Blois);  luy,  pour  tenir  main  selon  sa  charge  que  en 
»  cest  appoinctement  l'on  ne  donna  au  prince  de  Condé  la 

(1)  Hist.  despr.  de  Condé,  t.  1,  p.  3i)t),  100. 

(2)  Bèze,  Hist.  eccl.,\.  H,  ]>■  '27S. 

(3)  Dépêche  du  lo  mars  15li:'.  (Mi-m.  de  Coiidi",  I.  II.  p.  i:W,  1  ".'.>,  I  iO).  Il 
importe  de  rapprocher  de  ceUe  dépèche  celle  (pie  Siiiilh  adressa  à  Klisabelh,  le 
1-2  mars  ISIKJ.  {Calcnd.  of  St.  pap.  foreign.\ 


—  18G  — 

))  prééminence  qu'il  prétend,  et  moy,  pour  exhorter  la  royne, 
»  suivant  ce  que  souvent  le  roy  m'a  commandé,  qu'elle  ne  con- 
y>  sente  aucune  chose  au  préjudice  delà  religion  et  diminution  du 
y>  roy  très-chrestien.  Elle  asseure  tousjours  qu'elle  ensuyvra 
))  les  admonestemens  du  roy,  combien  qu'elle  se  trouve  fort 
))  troublée  par  les  nouvelles  qu'elle  oyt  d'Allemaigne,  et  veoir 
»  les  Anglais  avoir  pied  en  France  et  que  l'admirai  a  prins  de 
))  nouveau  le  chasteau  de  Caen,  place  de  très  grande  impor- 
))  tance...  Le  septiesme  (mars),  après  le  disné  ,  ledict  sieur 
»  prince  de  Gondé  et  connestable  vinrent  en  l'isle  désignée  pour 
))  le  parlement,  où  l'on  avoit  tendu  un  pavillon  à  cause  du  chaut; 
))  toutes  fois  ilz  ne  demeurarent  audict  pavillon,  ains  parlarent 
y>  tousjours  promenans  tous  seulz,  l'espace  de  trois  grosses 
»  heures  ;  et  n'y  avoit  en  ladicte  isie  que  le  sieur  Banville, 
»  M.  de  Losse  et  le  secrétaire  de  l'Aubespine.  Cependant  la 
)■)  royne  demeura  avecq  ceulx  du  conseil  qu'avoit  accompagné 
»  le  prince  de  Gondé  jusqiies  à  la  barcque,  en  une  maison  sur 
))  le  bord  de  l'eau  ;  et  s'estant  séparez  le  prince  et  le  connestable, 
))  ledict  prince  fut  conduit  par  sa  garde  en  son  logis,  et  le  con- 
»  nestable  ramené  à  Orléans  ;  et  furent  ladicte  royne  et  le  con- 
))  seil  ensemble  bien  longtemps  :  mais  il  ne  s'entendit  aultre 
»  chose  de  la  négociation,  sinon  que  le  lendemain  lesdictz  prince 
»  et  connestable  y  debvoyent  retourner;  toutesfois  au  maintien 
»  desdictz  sieurs  du  conseil,  Ton  cognoissoitgénérallement  qu'il 
))  y  avoit  espoir  de  paix  ;  et  s'en  retourna  la  royne  en  son  logis, 
»  monstrant  visaige  fort  content.  —  Le  huictième,  environ  les 
))  sept  heures,  lesdictz  prince  et  connétable  se  sont  rassemblez 
y>  en  la  mesme  île  comme  devant;  et  la  royne  y  est  entrée, 
»  accompaignée  de  messieurs  les  cardinal  de  Bourbon,  duc  de 
))  Montpensier  et  l'Aubespine;  et  ce  avant  que  le  prince  de 
))  Gondé  y  arriva,  car  le  connestable  y  estoit  desjà  ;  et  estant 
»  venu  ledict  prince,  ilz  furent  tous  ensemble  jusques  aux  onze 
))  heures;  et  résolurent  que  monsieur  le  connestable  demeureroit 


—  187  — 

»  au  camp,  et  le  prince  s'en  yroit  à  Orléans,  pour  communiquer 
))  chacun  avec  ceulx  de  son  party;  et  donna  ledict  prince  une 
»  signature  et  obligation  de  retourner  le  lendemain  ;  et  atten- 
»  doit-on  l'admirai  pour  le  unziesme  oudouziesme;  et  s'en  vint 
))  ledict  connestable  avecq  la  dicte  royne  disner  au  logis  du 
»  mareschal  de  Brissacq,  où  ils  furent  toute  l'après-disné;  et 
»  ne  se  peult  pour  lors  sçavoir  ce  qu'en  avoient  conclud.  — 
»  Le  sieur  d'Andelot  et  tous  les  aultres  du  party  contraire  rac- 
»  compaignent  tousjours  la  royne  dois  le  pavillon  jusques  à  son 
»  bateau;  et  ny  a  faulte  de  grandes  caresses  et  contentemens 
))  d'ung  costel  etd'aultre;  et  ceulx  de  dedans  Orléans  font  de 
»  telles  insolences,  que  si  la  royne  avoit  quelque  cœur,  cela 
»  soufiroit  pour  lui  faire  rompre  toutes  les  communications  à 
x>  tiltre  de  la  tresve  qui  dure  tant  que  les  conférences  seront 
»  en  pied.  y> 

Chantonnay  ne  nous  fait  ainsi  connaître  que  le  côté  purement 
■extérieur  des  conférences  tenues  les  7  et  8  mars  ;  mais,  au  fond, 
sur  quoi  avaient-elles  porté? 

Quanta  la  première,  que  tinrent  seuls  le  prince  et  le  conné- 
table, voici  ce  qu'en  dit  Gondé  lui-même  :  «  Il  n'y  eut  seule- 
»  ment  qu'une  Visitation  de  passes  et  salutations,  entremeslée 
))  de  plainctes  de  veoir  ainsi  les  François  se  précipiter  d'eulx 
y>  mesmes  à  une  piteuse  ruyne  (1).  »  —  Et  ailleurs  :  —  «  La  royne 
y>  ayant  ordonné  que  sur  la  foy  de  l'un  et  de  l'autre,  nous  nous 
»  entreverrions  à  l'Ille-aux-Bouviers,  joignant  presque  les  murs 
»  de  ceste  ville,  dimanche  dernier  cela  fut  exécuté.  Et  de  faict 
))  après  avoir  devisé  de  prime  face  des  choses  plus  communes, 
»  nous  entrasmes  sur  celles  qui  causoient  ce  voyage  et  de  ce  qui 
»  se  pouvoit  foire  pour  contenter  Sa  Majesté  et  restaurer  les 
y>  ruynes  et  calamitez  de  ce  royaulme,  et  dont  le  discours  des 
y>  propoz  seroit  trop  long  à  réciter,  sinon  pour  conclusion  nous 

(1)  Lettre  de  Condé  à  Elisabeth,  du  8  mars  1503  {Hist.  des  pr.  de  Condc,  t.  I, 
p.  Wo). 


—  188  — 

»  arrestasmes  que,  pour  plus  librement,  y  adviser,  il  estoit  requis 
y>  que  moy  d'ung  costé  et  lay  (le  connélable)  de  l'aultre,  devyons 
o)  conférer,  moy  avecques  ceulx  de  cette  ville  (Orléans)  el  luy  à 
»  la  roync,  de  ce  qui  nous  sembloit  le  plus  propre.  Et  ainsi  nous 
))  départismes  jusques  au  lendemain  (i).  » 
Condé  ajoute,  quant  à  la  seconde  conférence  : 
))  Le  lendemain,  ladicte  dame  vint  au  mesme  lieu  pour  nous 
))  octroyer  ceste  licence,  laquelle  obtenue,  tellement  a  esté  dis- 
»  puté  par  l'espace  de  deux  jours;  de  ma  part  sur  l'instance  que  je 
))  faisais  pour  l'observacion  et  entretcnnement  des  édictz  du  roy 
»  mon  seigneur,  et  principalement  de  celluy  que  Sa  Majesté  fist 
»  au  mois  de  janvier  4561  (1562.  n.  s.)  avec  une  très-notable  et 
»  insigne  assemblée,  pour  le  faict  de  la  religion;  et  de  celle  de 
»  M.  le  connestable,  sur  l'impossibilité  qu'il  alléguoit  de  le 
))  pouvoir  tolérer  par  les  papistes,  vue  l'infraction  qui  par  vio- 
))  lence  en  avoyt  esté  faicte,  que  finablement  sa  majesté,  de  son 
»  auctorité,  nous  envoya  par  escript  ung  mémoire  pour  sur 
»  icelluy  respondre  de  ce  qui  se  pouvoit  davantage  requé- 
rir (2).  )) 

Il  semblerait,  d'après  ce  récit,  que  la  discussion  sur  le  sort 
de  l'édit  de  janvier  se  serait  élevée,  non  dans  le  cours  de  la 
seconde  conférence,  mais  seulement  dans  les  deux  jours  qui  en 
suivirent  la  clôture;  et  qu'alors,  pour  la  première  fois,  se  serait 
produit  un  projet  de  dispositions  dérogeant  à  cet  édit.  Mais 
est-ce  là  ce  que  Condé  a  réellement  voulu  dire?  Nous  ne  le 
pensons  pas.  Il  a  du,  au  contraire,  comprendre  dans  les  deux 
jours  dont  il  s'agit  celui  de  la  seconde  conférence.  Il  était  im- 
possible, en  clfet,  que  le  connélable  et  le  prince  se  trouvassent 
en  présence  l'un  de  l'autre  pour  aviser  à  la  solution  de  diffi- 
cultés issues  de  la  violation  de  l'édit  de  janvier,  sans  que  la  di- 

(I)  Lettre  de  Condé  àSinitli,  du  II  mars  lôiîo  [Hist.  des  pr.  de  Condé,  t.  I, 
l>.  /tU.'),  406). 
(-2)  Ihid.,  p.  iO(î. 


-  189  — 
vergence  de  leurs  vues  sur  un  point  capital,  tel  que  la  question 
du  maintien  ou  du  rejet  de  cet  édit,se  manifestât.  Quanta  l'envoi 
par  la  reine  mère  d'un  mémoire  contenant  des  dispositions 
dérogeant  à  ce  môme  édit,  il  peut  aisément  se  concilier  avec 
le  fait  de  la  présentation  antérieure  de  dispositions  de  celle 
nature,  dans  le  cours  de  la  seconde  conférence. 

Th.  de  Bèze,  qui  se  trouvait  placé,  en  mars  1563,  à  la  source 
dés  plus  sûres  informations,  complète  le  récit  du  prince  avec 
une  précision  propre  à  dissiper  tous  doutes  sur  la  succession  et 
renchaînement  des" faits,  en  disant  (l,i  : 

«  Le  septiesme  de  mars  se  fit  un  parlement  dans  Tisle  ap- 
))  pellée  risle-aux-Bœufs,  près  de  la  ville  où  furent  conduits, 
»  comme  estans  encore  prisonniers,  le  prince  et  le  connestable 
y>  qui  remirent  toutesfois  l'affaire  au  lendemain,  au  mesme  lieu, 
»  où  se  trouva  aussi  la  royne;  et  pour  ce  que  le  connestable  avoit 
»  dit  expressément  qu'il  ne  pourroit  nullement  souffrir  qu'on 
»  remist  en  termes  l'édict  de  janvier  (aussi  étoit-ce  autant  que 
»  le  déclarer  et  tous  ceulx  de  son  parti  coulpables  de  lèse-majesté 
))  d'avoir  ainsi  contrevenu  à  cest  édict,  en  quoy  se  fist  une  faute 
»  irréparable  de  luy  obtempérer),  quelques  autres  articles,  par  la 
))  couardise  de  ceux  qui  pensoient  que  tout  fust  perdu  si  on  ne 
»  faisait  la  paix,  furent  couchés,  sans  toutesfois  les  résoudre,  de- 
y>  mandant  le  prince  qu'il  peust  entrer  à  Orléans  pour  en  con- 
))  férer  avec  son  conseil,  ce  qui  luy  fut  accordé,  moyennant  que 
»  le  connestable,  au  réciproque,  peust  aussi  se  retirer  en  l'aufre 
»  camp  à  Saint-Mesmin.  » 

Tels  étant  les  faits  consignés  dans  les  récils  de  Condé  et  de 
Th.  de  Bèze,  que  penser  de  la  conduite  du  prince? 

Le  connétable  avait  déclaré  tout  haut  (|u'il  ce  ne  pourroit  con- 
»  descendre  au  rétablissement  de  l'édict  de  janvier  »,  pai-  l.i 
raison  fort  simple  «  qu'y  condescendre,  r'ent  été  s'avouer  avec 

U)  Hist.  ceci.,  t.  il,  p.  -278,  -2T'J. 


—  190  — 
))  tout  son  party  coiilpable  de  lèze-majesté,  pour  avoir  violé 
»  un  édict  si  authentique  (I).  » 

A  cette  déclaration,  que  l'intérêt  personnel,  l'intérêt  de  parti 
et  les  préjugés  d'une  aveugle  intolérance  avaient  seuls  dictée,  il 
s'agissait  d'opposer  une  déclaration  diamétralement  contraire, 
basée  sur  les  droits  imprescriptibles  de  la  conscience  chrétienne 
cl  sur  le  respect  dû  à  leur  consécration  légale,  en  France,  depuis 
un  an.  Les  réclamations  successives  du  prince  en  faveur  de  l'édit 
de  janvier,  pour  le  maintien  duquel  il  avait  pris  les  armes,  ses  ma- 
nifestes, ses  actes,  l'intérêt  supérieur  de  la  religion  qu'il  s'hono- 
rait de  professer,  tout  lui  faisait  un  devoir  d'exiger  la  pleine  et  en- 
tière exécution  de  cet  édit.  S'il  eût  de  prime  abord,  résolument 
formulé  à  cet  égard  une  exigence  absolue,  dont  rien  ne  l'eut 
iait  départir,  il  eût  fini  par  triompher,  car  il  avait  derrière  lui 
pour  l'appuyer  en  temps  voulu,  et  surmonter  d'injustes  résis- 
tances, l'amiral  et  son  armée.  Dût-il  voir  les  négociations  rom- 
pues, et  sa  captivité  prolongée  jusqu'à  ce  que  Coligny  intervînt, 
il  fallait  qu'en  vrai  prince  chrétien,  il  demeurât  inébranlable  sur 
un  terrain  qui  était  à  la  fois  celui  du  droit  et  du  devoir  :  du 
droit,  puisque  l'édit  de  janvier  continuait  à  être  légalement  en 
vigueur;  du  devoir  puisque  cet  édit  constituait  alors  l'unique 
égide  sous  laquelle  pût  s'abriter  l'exercice  du  culte  dont  il  s'était 
proclamé  le  défenseur.  Malheureusement,  le  prince  faillit  à  sa 
mission,  en  n'attaquant  pas  avec  assez  de  vigueur  la  déclaration 
d'Anne  de  Montmorency,  et  en  ne  rompant  pas  la  conférence 
du  moment  qu'il  ne  trouvait  en  lui  qu'un  intraitable  interlocu- 
teur. Il  plia  devant  la  ténacité  du  connétable;  a  enquoy  se  fist 
3)  une  faute  irréparable  de  luy  obtempérer  ». 

Profitant  de  cette  faute  pour  entrer  personnellement  en 
scène,  afin  d'amener  un  rapprochement  entre  Condé  et  le  con- 
nétable, la  reine  mère  s'insinua  dans  la  discussion,  enlaça  les 

(1)  llisl.  (le  cinq  rois,  p.  285.  —  lîùzo,  Uist.  ceci,  t.  II,  p.  278.  —  Mém. 
de  Tavaiuics,  cliap.  xviii. 


—  191  — 
deux  adversaires  dans  les  liens  d'une  argumentation  captieuse, 
plus  propre  à  les  faire  glisser  sur  la  pente  des  intérêts  per- 
sonnels qu'à  les  maintenir  sur  le  terrain  du  devoir;  et,  après  les 
avoir  peu  à  peu  assouplis  à  ses  idées,  les  fit  entrer  dans  la  voie 
des  concessions.  Ce  fut  ainsi  que  «  le  prince  souffrit  que  l'on 
»  couchast  dès  lors  quelques  articles,  au  lieu  de  s'arrester  sini- 
»  plement  à  l'édit  de  janvier  (1).  » 

Cependant,  rien  n'ayant  été  définitivement  conclu,  Condé 
pouvait  encore  se  relever  d'une  première  défaillance  :  le  fit-il? 
on  va  en  juger. 

Le  jour  même  où  s'était  terminée  la  seconde  conférence,  il  se 
rendit  à  Orléans,  tandis  que  le  connétable  restait  au  camp  de 
Saint-Mesmin  avec  la  cour  et  les  principaux  représentants  du 
parti  catholique. 

Après  tant  d'angoisses  subies,  Éléonore  de  Roye  revoyait  enfin 
son  mari.  Accueilli  avec  les  douces  effusions  de  la  tendresse, 
par  sa  noble  femme,  le  prince  ne  pouvait  recevoir  et  ne  reçut 
d'elle  que  de  précieux  conseils,  inspirés  par  la  foi,  l'honneur  et 
le  sentiment  du  devoir;  mais,  tout  en  les  écoutant  avec  une 
apparente  confiance,  était-il  fermement  décidé  à  les  suivre? 
Pouvait-il,  en  présence  de  sa  tante,  Charlotte  de  Laval,  dont  la 
délicatesse  d'impressions  et  les  pensées  viriles  égalaient  la  piété, 
se  sentir  le  cœur  au  large,  alors  qu'il  se  montrait  à  elle  pressé 
de  conclure  la  paix  sans  attendre  la  venue  de  l'amiral,  à  qui, 
non  moins  qu'à  son  neveu,  appartenait  le  droit  d'en  débattre  les 
conditions?  Ces  questions  se  posent  d'elles-mêmes,  et  leur  solu- 
tion parait  devoir  se  dégager  de  l'ensemble  des  faits  qui  viennent 
d'être  retracés,  et  de  leur  liaison  avec  ceux  dont  l'exposé  va 
suivre. 

Le  prince  ne  tarda  pas  à  recevoir,  à  Orléans,  coiumo  délégués 
par  leurs  collègues  pour  s'entretenir  avec  lui,  trois  ministres, 
Desmerauges,  Pierius  et  Laroclie-Chandieu,  auxquels  «.  il  proposa 

(I)  Hist.de  cinq  ro/s,  p.  ^85. 


—  19-2  — 

deux  points  :  le  premier,  s'il  feroit  selon  Dieu  et  sa  conscience 
de  protester  à  la  royne  que,  s'estant  armé  pour  l'observation 
de  l'édit  de  janvier,  il  estoit  raisonnable  qu'avant  que  poser  les 
armes,  il  fust  entièrement  restabli  selon  sa  forme  et  teneur; 
le  second,  si  ne  pouvant  obtenir  ce  que  dessus,  il  pourroit 
demander  à  la  royne  qu'elle  proposast  ce  qu'elle  verroit  être 
bon  et  convenable  pour  la  pacification  des  troubles.  Les  mi- 
nistres ayant  descouvert  par  le  discours  du  prince,  qu'on  estoit 
après  à  rongner  de  la  liberté  de  l'exercice  de  la  religion  oc- 
troyée par  l'ôdict  dejanvier  par  tout  le  royaume  sans  exception, 
luy  remonstrèrent  vivement,  autant  que  le  temps  le  permet- 
toit,  le  tort  qu'il  se  feroit  et  à  toutes  les  églises,  admettant 
aucune  telle  exception,  et  les  inconvénients  manifestes  qui  en 
adviendraient,  et  notamment  luy  protestèrent,  tant  en  leurs 
noms  que  de  leurs  compagnons,  qu'estant  obligés  aux  lieux 
ausquclz  ils  avoient  esté  envoyez  pour  prescber  la  parole  de 
Dieu,  ils  obéiroient  en  cest  endroict  à  Dieu  et  non  pas  aux 
hommes.  Bref,  ils  luy  déclarèrent  que  la  royne  ne  luy  ne  pou- 
voient  selon  Dieu  et  raison  déroguer  tant  soit  peu  à  un  édict 
tant  solennellement  faict  à  la  réquisition  des  estais  par  une  si 
notable  assemblée  de  tous  les  parlemens  de  France,  et,  qui 
plus  est,  émologué  et  juré.  Le  prince  respondit  qu'aussy  ne  le 
feroit'il  pas;  leur  enjoignant  cependant  de  communiquer  les 
points  que  dessus  à  toute  leur  compagnie  pour  l'en  résoudre 
lendemain  9  (i).  » 

Le  9,  les  ministres,  au  nombre  de  soixante-douze,  ayant  déli- 
éré,  remirent  au  prince  leur  avis  par  écrit.  Ils  demandaient 
notamment  :  1"  que  l'édit  de  janvier  fût  maintenu,  confirmé  et 
exécuté  sans  restriction  ni  modification;  "2"  que  les  athées,  les 
libertins,  les  anabaptistes,  les  servétistes,  et  autres  hérétiques 
ou  schismatiques  fussent  frappés  de  peines  sévères;  3°  qu'on 


(1)  Bèze,  llist,  ceci.,  t.  H,  p.  279. 


—  193  — 

informât  contre  les  auteurs  des  massacres  de  Vassy,  de  Sens  et 
d'autres  lieux,  et  qu'on  les  punît  (i). 

Que  devait  faire  Condé?  Sans  s'arrêter  au  second  chef  de 
demande,  qui  méconnaissait  le  principe  de  la  liberté  religieuse, 
et  en  réservant  l'accueil  à  faire,  en  temps  opportun,  au  troi- 
sième, il  devait,  sans  hésitation,  faire  droit  au  premier,  qui  était 
parfaitement  fondé,  et  demeurer  de  la  sorte  fidèle  à  ses  enga- 
gements dans  la  lutte  par  lui  soutenue  au  nom  de  l'édit  de  janvier. 
Que  fit-il  au  contraire?  Porteur  des  articles  couchés  dans  la  con- 
férence du  8,  qui  contenaient  de  funestes  dérogations  à  cet  édit, 
il  élimina  les  ministres  et  leur  avis,  pour  recourir  à  l'appui  de 
conseillers  complaisants,  auxquels  il  se  proposait  de  soumettre 
ces  articles,  ainsi  que  le  mémoire  qui  s'y  rattachait.  Il  était  alors 
«  tellement  gagné  par  les  promesses  qu'on  luy  faisoit  d'accorder 
))  beaucoup  mieux,  par  après,  luy  donnant  à  entendre  que  ces 
»  conditions  n'estoient  apposées  que  pour  contenter  aucune- 
))  ment  ceux  de  la  religion  romaine  et  arriver  peu  à  peu  à  une 
»  pleine  liberté  ;  joint  qu'il  y  en  avoit  trop  qui  ne  demandoient 
»  qu'à  retourner  en  leurs  maisons,  à  quelque  prix  que  ce  fût  : 
»  qu'il  accorda  les  susdites  exceptions  de  fédit  de  janvier,  qu'il 
»  fit  lire  devant  la  noblesse,  ne  voulant  qu'autre  en  dist  sou 
»  advis  que  les  gentilshommes  portans  armes,  comme  il  dit  tout 
»  haut  en  l'assemblée;  de  sorte  que  les  ministres  ne  furent 
»  depuis  ouïs  ni  admis  pour  en  donner  leur  advis  ("2).  » 

Condé,  dit,  à  cet  égard,  en  continuant  la  partie  de  son  récit 
dans  laquelle  il  a  mentionné  l'envoi  d'un  mémoire  par  la 
cour  (3)  : 

«  A  quoy,  tant  pour  tesmoigner  des  effeclz  de  nostre  conli- 
»  nuelle  obéissance  envers  sa  majesté,  que  pour  ayder  à  la 

(1)  Voir  le  texte  de  l'avis  émis  par  les  72  miuislres,  ilaiis  VlUst.  ceci,  do  Itèze, 
t.  II,  p.  280,  281,  282. 

(2)  Bùze,  Hist.  eccL,  t.  H,  p.  282. 

(3)  Lettre  de  Condé  àSniitli,  du  II  mars  lôiV.)  {Ili^t.dcs  pr.  de  Condc,  t.  1. 
p.  iOO). 

13 


—   lOi-  — 

))  nécessité  d'un  temps  si  nubilleux,  après  avoir  protesté  ne 
»  vouloir  en  rien  nous  départir  de  la  substance  de  la  loy  de  mon 
»  roy,  synon  en  tant  qu'il  estoit  besoing  de  prévenir  le  péril  qui 
»  menaçait  sa  couronne  et  son  estât,  je,  par  l'advis  des  sei- 
y>  gneurs,  gentilshommes  et  aussi  des  gens  de  bien  qui  sont  icy, 
»  en  dressay  ung  autre  à  peu  près  pareil.  » 

A  peine  la  majorité  des  gentilshommes  portans  armes  se  fut- 
elle,  par  l'acceptation  pure  et  simple  des  articles  proposés,  pro- 
noncée dans  un  sens  conforme  aux  vues  de  Condé,  que  ce 
pi'ince  se  hâta  de  traiter.  La  précipitation  aggravait  sa  seconde 
défaillance. 

Le  l'2  mars  1563,  furent  arrêtées  les  bases  d'un  édit,  dit  de 
pacification,  qui  fut  promulgué  à  Amboise,  le  19,  et  publié  à 
Saint-Mesmin,  le  22  du  même  mois.  Cet  édit  (I)  mutilait  celui 
de  janvier  1562;  il  faisait  du  droit  à  l'exercice  du  culte  réformé 
le  monopole  de  la  noblesse,  au  détriment  de  la  bourgeoisie  et 
du  peuple,  qui  ne  pouvaient  désormais  le  pratiquer  que  dans 
une  seule  ville,  par  chaque  bailliage. 

((  Le  mécontentement  de  la  population  d'Orléans  fut  tel,  sur- 
))  tout  pour  ce  qu'on  n'avoit  attendu  le  retour  de  l'amiral,  que 
»  les  soldats,  nonobstant  l'exécution  qu'on  fit  de  quelques-uns, 
))  ne  purent  estre  retenus  qu'ils  ne  démolissent  le  résidu  de 
))  plusieurs  temples  (2).  y> 

Une  désapprobation  plus  sérieuse,  celle  de  Goligny,  était  ré- 
servée au  prince  de  Condé  :  il  ne  tarda  pas  à  la  subir. 

«  L'admirai,  rapporte  Castelnau  (3),  qui  estoit  en  la  basse 
))  Normandie,  où  il  avoit  pris  plusieurs  villes  et  réduit  les  catho- 
»  liques  en  mauvais  estât,  fut  adverty  par  le  prince  de  Condé 
»  que  la  paix  estoit  accordée  et  qu'il  laissast  la  Normandie  pour 

(1)  Voir  le  texte  de  l'édit  d'Amboise  dans  :  1"  Fonlanon  {Rcc.  des  édits  et  or- 
donn.,  t.  IV,  p.  -272  à  "27 i);  2"  Bèzc  {Ilist.  ceci,  t.  H,  p.  283  à  290). 

(2)  IJèzo,  Ilist.  eccl,  t.  II,  p.  2U0. 
(i)  Mémoires,  \n-i",  \.  I,  p.  150. 


—  195  — 

»  se  trouver  à  la  conclusion  des  articles;  ce  qu  il  fit,  comme  il 
))  m'a  dit  depuis,  avec  regret,  pour  la  grande  espérance  qu'il 
»  avoit,  après  la  mort  du  duc  de  Guise,  d'avancer  mieux  se^ 
»  affaires  qu'il  n'avoit  fait  auparavant  :  et  pour  le  moins,  si  le 
))  prince  de  Condé  eût  un  peu  attendu,  d'avoir  entièrement  l'édit 
))  de  janvier.  Mais  voyant  que  c'estoit  fait,  il  partit  de  Caen,  le 
5)  14  de  mars,  avec  sa  cavalerie,  etc.,  etc.  » 

Coligny  était  fermement  résolu  à  tenter,  dans  l'intérêt  de  la 
liberté  religieuse,  un  suprême  effort. 

Écoutons  le  langage  qu'il  tenait  alors  à  un  ami  (1)  :  —  «  Il 
y>  me  semble  que  vous  ne  sçauriez  mieulx  faire  que  de  vous 
))  acheminer  à  Orléans,  où  j'espère  que  j'auray  le  moyen  de  vous 
»  veoir.  Et  cependant  asseurez-vous  qu'il  ne  tiendra  point  à  moi 
»  que  nous  n'ayons  une  paix.  Mais  si  on  la  pense  faire  avec  les 
»  articles  que  j'ay  vus  l'on  ne  peult  espérer  que  plus  graves 
))  troubles  en  ce  royaulme  que  jamais;  car  c'est  trop  grand  pitié 
))  que  de  limiter  ainsy  certains  lieux  pour  servir  à  Dieu  comme 
))  s'il  ne  vouloit  estre  servy  en  tous  endroits.  » 

L'amiral  «  arrivé  à  Orléans,  le  23  mars,  avec  toutes  ses  forces, 
))  trouva  que  l'édict  de  la  paix  avoit  esté  accordé,  dressé,  signé 
))  et  scellé,  en  son  absence,  dès  cinq  jours  auparavant,  et  le  len- 
»  demain  en  dit  franchement  son  advis  au  conseil  {^),  en  la 
»  présence  du  prince,  remonstrant  entre  autres  choses  qu'on  se 
y>  devoit  souvenir,  que  dès  le  commencement  de  ceste  guerre, 
»  le  triumvirat  avoit  oftert  l'édict  de  janvier,  en  exceptant  seu- 
))  lement  Paris,  et  que  considérant  Testât  présent,  les  affaires 
y>  des  églises  n'avoient  jamais  esté  en  plus   beau    train   de 

(I)  Bull.de  la  Soc.  (riiisl.  du  protest,  fnmr.,  t.  Jl,  p.  ."ii-J. 

(■2)  «  Al  xxin  dcl  meso  {)i'c.sontc  (iiiarzo)  i^iiiiise  l'amira^lio  <".Iias(igliûiio  in 
»  Orléans,  il  quale  al  xxiv  aiulô  et  il  principe  di  (".onde  e  cou  d'Andolot  el  allri 
»  suoi  a  rilrovare  la  regiiia,  la  quale  11  racolsc  in  publico  Initi  niolto  amorevol 
»  mente;  dapoi  si  rinstrinsero  al  consiiio  ove  sietlero  Inngamente,  etc.,  etc.  < 
(Dépèche  de  M.  A.  Barbaro,  du  "![)  mars  l'yiV.t.  —  xXrcliiv.  gcn.  de  Venise,  vol. 
Francia  15(i))  à  I .")(>(•.  Sciiato  III,  Sécréta.) 


—  19G  — 

))  s'avancer,  estant  des  trois  autheurs  de  ceste  guerre,  les  deux 
))  morts  et  le  troisième  prisonnier,  qui  servoit  de  bon  guarent 
■»  pour  la  sauveté  du  prince.  Il  remonstra  aussi  qu'ayant  res- 
))  treintes  les  églises  à  une  ville  pour  bailliage,  avec  autres  setn- 
y>  blables  exceptions,  on  avoit  fait  la  parla  Dieu,  et  plus  ruiné, 
»  d'églises  par  ce  trait  de  plume  que  toutes  les  forces  ennemies 
»  n'en  eussent  peu  abattre  en  dix  ans;  et  quant  à  la  noblesse, 
))  qu'elle  devoit  confesser  que  les  villes  leur  avoient  monstre 
))  l'exemple,  et  les  pauvres  monstre  le  chemin  aux  riches.  Joint 
»  que  bientost  les  gentilshommes  qui  voudroient  faire  leur 
))  devoir  sentiroient  par  expérience  combien  il  leur  seroit  plus 
»  commode  d'aller  au  sermon  en  une  ville  ou  bourgade  voisine, 
»  que  recevoir  une  église  en  leur  maison  :  outre  ce  que  les 
3)  gentilshommes  mourans  ne  délaisseroient  pas  tousjours  des 
»  héritiers  de  mesme  volonté.  Bref,  il  discourut  tellement  et  si 
y>  pertinemment  sur  ce  faict,  qu'outre  le  mesconlentement  de 
»  ceux  qu'on  n'avoit  pas  attendus,  la  pluspart  de  ceux  qui 
))  avoient  accordé  ceste  paix  eussent  bien  voulu  que  c'eùst  esté 
»  à  refaire.  Mais  le  prince  opposait  à'  tout  cela  les  promesses 
»  qu'on  luy  avoit  faites,  qu'en  bref  il  seroit  en  Testât  du  feu  roy 
»  de  Navarre,  son  frère,  et  que. lors  avec  la  royne  (comme  on  luy 
»  avoit  promis)  ils  obtiendroient  tout  ce  qu'ils  voudroient. 
»  Bref,  quelque  peine  que  se  donnast  l'amiral  accompagnant  le 
»  prince  en  plusieurs  abouchemens  avec  la  royne,  cest  édict 
»  demeura  tel  qu'il  avoit  este  arresté,  et  ne  se  peut  obtenir  autre 
»  chose  sinon  que  quelques  gentilshommes  gagnèrent  ce  poinct 
))  que  quelques  villes  des  meilleures  furent  nommées  en  quel- 
»  ques  provinces  pour  l'exercice  des  bailliages  :  mais  cela  ne  fut 
»  qu'en  papier  en  plusieurs  endroits  (1).  » 

L'amiral  et  ceux  de  ses  adhérents  dont  les  convictions  et  les 
vues  concordaient  avec  les  siennes,  se  soumirent  par  patrio- 

(1)  Dèzo,  Ilist.  ceci.,  t.  II,  p.  335,  33(), 


—  197  — 

tisme  au  fait  accompli,  dont  ils  déclinaient  d'ailleurs,  à  juste 
titre,  la  responsabilité  (1). 

L'exécution  de  diverses  mesures  d'intérêt  général  retint  pen- 
dant quelques  jours  à  Orléans  le  prince,  la  princesse,  Coligny, 
d'Andelot,  Larcchefoucault  et  d'autres  chefs  des  réformés. 

Le  dimanche,  28  mars,  eut  lieu  dans  l'église  de  Sainte-Croix 
une  imposante  solennité  religieuse  à  laquelle  ces  divers  person- 
nages assistèrent.  Autour  d'eux  se  groupaient  des  milliers  de 
leurs  co-religionnaires,  hommes  et  femmes.  De  Bèze  dirigeait  le 
service,  dans  lequel  la  sainte  cène  fut  distribuée.  Il  rappela  aux 
assistants  que,  douze  mois  auparavant,  la  plupart  d'entre  eux 
avaient  pris  la  cène  à  Meaux,  alors  qu'ils  s'assemblaient  pour  la 
défense  de  la  religion;  et  il  ajouta  que  maintenant,  sur  le  point 
de  se  séparer  pour  regagner  leurs  foyers,  ils  venaient  de  recon- 
quérir une  liberté  de  conscience  et  de  culte  qui,  sans  être,  il 
est  vrai,  aussi  étendue  qu'ils  l'eussent  souhaité,  n'en  devait  pas 
moins  cependant  les  porter  à  rendre  de  sérieuses  actions  de 
grâces  à  Dieu  (2). 

Théodore  de  Bèze  ne  pouvait  clore  d'une  manière  plus  élevée 
et  plus  touchante  que  par  sa  large  coopération  à  la  solennité 
dont  il  s'agit,  l'utile  ministère  qu'il  avait  tour  à  tour  accompli  à 
Orléans  et  au  dehors,  près  de  Gondé  et  de  Coligny.  Le  prince  et 
l'amiral  tinrent  à  honneur,  au  moment  où  il  allait  les  quitter 
pour  retourner  à  Genève,  de  rendre,  dans  des  lettres  adressées 
au  conseil  de  cette  ville  (3),  un  éclatant  hommage  à  la  conti- 
nuité de  son  dévouement  et  à  l'étendue  de  ses  services. 


(1)  «  Supervenit,  Amiraldus,  quum  jani  transacturn  esset,  adeo  properarant 
»  hostes  reditum  nostrum  antevertere,  ac  inilio  quidem  diiriores  nobis  istiv  con- 
»  ditiones  videbantur,  quum  pr;vsortiiu  iiitcgram  in  nianiltus  victoriam  babe- 
»  remus;  sed  tandem  spe  nobis  meliore  farla  ne  patria»  eversioiiem  qua^sivisse 
»  videremur,  nos  quoque  acqnievimns.  »  lîe/a  Tij^urina'  Ecclesiœ  pasloribus  et 
doctoribus,  1:2  maji  15Go(liaum  append.,  p.  :210.) 

(2)  Calend.  of  St.  pap.  forcign,  31  mars  loG3.  Smilli  to  Ibe  Oueon. 

(3)  Voir  Appendice,  a"  32. 


—  198  — 

Ce  même  jour,  28  mars,  eut  lieu  chez  le  prince  et  la  princesse 
de  Condé  un  repas  de  famille,  auquel  avaient  été  conviés  l'ami- 
ral, d'Andelot  et  de  Larochefoucault.  Un  seul  étranger,  Smitli, 
ambassadeur  d'Angleterre,  récemment  arrivé  à  Orléans,  y  fut 
admis,  et  provoqua  un  long  entretien  qui  roula  à  peu  près 
exclusivement  sur  le  sort  ultérieur  du  Havre  et  de  Calais. 

De  Bèze,  ({ni,  le  ^2^,)  mars,  avait  annoncé  à  Calvin  son  pro- 
chain départ  (i),  l'effectua  le  80. 

Le  i"  avril,  Catherine  de  Médicis  fit,  sans  grand  apparat,  son 
entrée  dans  Orléans.  Devant  elle  marchaient  le  connétable,  le 
duc  de  Monlpcnsicr,  Bourdillon,  Cipierrc  et  divers  dignitaires;  à 
ses  côtés  se  trouvaient  le  prince  de  Condé  et  le  cardinal  de 
Bourbon;  l'amiral  et  le  chancelier  la  suivaient.  Elle  s'arrêta  au 
logis  du  roi,  oi!i  elle  reçut  les  notables  de  la  ville  qui  lui  offrirent 
du  vin  et  des  fruits  (2).  Cette  fois,  rien  de  particulier  ne  se  passa 
entre  elle  et  Éléonore  de  Roye. 

Le  môme  jour,  le  prince  et  la  princesse  de  Condé  reçurent 
à  leur  table  le  connétable,  le  cardinal  de  Bourbon,  le  duc  de 
Montpensier  et  plusieurs  autres  convives  ;  parmi  ceux  qui  vin- 
rent s'asseoir  à  celle  de  l'amiral  figuraient  Michel  de  l'Hospital  et 
Bruslart. 

Le  lendemain,  la  reine  mère  partit  pour  Blois.  Condé  s'ex- 
cusa de  ne  pouvoir  déférer  au  désir  qu'elle  lui  exprimait  de 
l'emmener  avec  elle  :  il  lui  promit  de  la  rejoindre  au  plutôt. 

Dès  le  début  d'avril,  l'évacuation  d'Orléans  par  les  troupes 
réformées  et  la  plupart  de  leurs  chefs  était  accomplie.  Aussi  le 
chancelier  de  l'Hospital,  de  retour  à  Blois,  écrivait-il  le  ,8  avril  à 
de  Gonnor  (8)  :  a  Nous  sommes  esté  à  Orléans  que  nous  avons 


(1)  «....  Erani  \e\  ciiiu  ccrto  iiericulo  ilcr  ad  vos  iiigrcssurus,  iiisi  me  hue 
us(|ue  roliimisscnUralrum  procès,  (|iiil)iis  aliciuoldiosroiicessi...  ('.ras  iter  ingre- 
diar  liingundiaiii  versus  »  (iîeza  Calviiio,  !^it  mars  ir)(i:!.  liaum,  appcud.  p.  "106). 

(-2)  Calend.  of  St.pap.  foreign,  "1  avril  I.")!;:}.  Mrm.  to  llio  lUieingrave. 

'3)  Le  Laboureur,  addit.  m\Mi-m.  de  Castelnau,  t.  H,  p.  "iUÎ. 


—  11)0  — 

»  trouvé  sans  gardes  et  sans  armes,  etc.,  etc.  »  Au  jeune  prince 
de  Portien,  non  moins  remarquable,  dans  l'exercice  du  com- 
mandement, par  sa  fermeté  que  par  sa  bravoure,  avait  été 
confiée  la  difficile  mission  de  reconduire  aussi  promptement  que 
possible  les  auxiliaires  allemands  à  la  frontière  du  royaume,  et 
de  défendre  contre  leurs  habitudes  de  désordre  et  de  dépréda- 
tion les  habitants  des  provinces  qu'il  devait  leur  faire  traverser. 

L'amiral,  accompagné  de  sa  femme,  de  ses  enfants,  de  ses 
jeunes  neveux  et  de  d'Andelot,  leur  père,  ne  tarda  pas  à  se  retirer 
dans  son  domaine  de  Châtillon-sur-Loing.  Il  en  reprit  pos- 
session, en  chef  de  famille  et  en  seigneur  chrétien,  participant 
avec  les  siens  à  la  sainte  cène,  le  jour  de  Pâques,  et  imprimant 
presque  aussitôt,  pour  l'avenir,  une  consécration  religieuse  à 
l'exercice  de  la  justice  seigneuriale  dont  il  était  investi.  En 
effet,  le  15  avril,  eut  lieu,  à  cet  égard,  une  grave  solennité. 

((  Suivi  d'une  grande  troupe  de  gentilshommes,  il  vint  en  son 
))  auditoire  de  justice,  là  où  après  avoir  invoqué  le  nom  de  Dieu,  il 
»  ordonna  que  désormais  l'exercice  de  justice  commenceroit  par 
))  prières  selon  un  formulaire  qui  peu  après  fut  mis  en  un  tableau 
3)  qui  y  fut  affiché.  Jean  Malot,  son  ministre  ordinaire,  fit  une 
3>  grande  remonstrance  des  causes  des  calamités  et  ruines  des 
»  royaumes  et  seigneuries,  exhortant  les  magistrats  à  faire  bonne 
»  et  briefve  justice,  les  sujets  à  vivre  en  paix  et  à  bien  obéir 
»  aux  sainctes  lois  et  ordonnances  de  leurs  supérieurs,  et  ledit 
))  sieur  Amiral  à  y  tenir  la  main  ;  lequel ,  puis  après,  comme  c'étoit 
))  un  personnage  des  plus  rares  qui  ait  jamais  esté  en  France  de 
))  sa  qualité,  fit  une  aussi  excellente  remonstrance,  déclarant  de 
»  combien  de  dangers  Dieu  l'avoit  délivré  depuis  peu  de  temps, 
))  à  la  gloire  duquel,  comme  à  l'entretenement  de  ses  sujets,  il 
»  vouoit  et  dédioit  le  reste  de  sa  vie  :  puis  ayant  aussi  exhorté 
»  ses  officiers  de  se  porter  comme  gens  de  bien  en  l'exécution 
y>  de  leurs  charges,  il  dit  expressément  qu'il  leur  eslabliroit 
))  bons  gages,    afin   qu'ils   n'eussent    occasion    d'administrer 


—  200  — 
y>  juslice  pour  de  l'argent,  les  admonestant  de  très-bien  chastier 
y>  et  rigoiu^eusement  ceux  qui  sous  ombre  qu'il  ne  cousteroit 
»  plus  rien  aux  juges  abuseroient  de  la  juslice.  Finalement  il 
»  prolesta  qu'encores  que  plusieurs  en  son  absence  l'eussent 
»  griefvement  offensé  et  de  laict  et  de  paroles,  comme  il  le 
))  sçavoit  bien,  ce  néantmoins  il  oublioit  volontiers  le  passé 
y>  pour  leur  donner  courage  de  mieux  faire  à  l'advenir,  les 
»  priant  surtout  de  donner  audience  à  Dieu,  la  parole  duquel  il 
))  feroit  de  tout  son  pouvoir  purement  et  sincèrement  prescher, 
»  selon  les  édits  du  roy  son  souverain  seigneur  (1)...   » 

Fût-ce  aussi  pour  rentrer,  comme  son  oncle  l'amiral,  en  chef 
de  famille  et  en  seigneur  chrétien,  dans  l'un  de  ses  domaines, 
que  Coudé  se  disposa  au  départ?  non;  ce  fut,  au  contraire,  pour 
aller  loin  du  foyer  domestique,  en  homme  plus  mondain  que 
religieux,  occuper,  dans  un  milieu  agité  et  délétère,  une  situation 
attrayante  sous  certains  rapports,  mais,  en  réalité,  périlleuse 
pour  quiconfjue  n'était  pas  doué  d'une  âme  fortement  trempée. 

Éléonore  de  Rove  ne  se  faisait  aucune  illusion  à  cet  éstard; 
aussi,  sa  sollicilude  pour  son  mari  était-elle  plus  grande  que 
jamais.  Vint  le  jour  où,  avec  lui  et  son  fds  aîné,  elle  quitta  cette 
ville  d'Orléans,  dans  laquelle,  pendant  toute  une  année,  elle 
avait  déployé  tant  d'énergie  et  de  dévouement,  sous  le  poids  de 
tant  de  souffrances  morales  et  physiques.  Se  recueillant  dans  le 
sentiment  de  grands  devoirs  accomplis,  elle  était  prête  à  en 
aborder  de  nouveaux,  mais  sans  que  s'ouvrît  devant  elle  une 
perspective  sereine.  Sa  santé  altérée  eût  nécessité  un  repos  pro- 
longé dans  l'un  de  ses  châteaux,  des  soins  assidus  et  une  parfaite 
tranquillité  d'esprit;  conditions  de  rétablissement  à  la  réali- 
sation desquelles,  malheureusement,  s'opposaient  les  exigences 
d'une  situation  officielle  qui,  dans  les  circonstances  du  moment, 
menaçait  de  lui  imposer  un  surcroît  de  soucis  et  de  fatigues. 

(I)  Dczc,  Jlist.  eccl.,  t.  II,  p.  'iC>\,  102. 


—  201  — 

Décidée  à  se  sacrifier,  une  fois  de  plus,  dans  l'intérêt  de  son 
mari,  que  son  rang  et  des  obligations  créées  par  la  conclusion 
de  la  paix  appelaient  à  la  cour,  elle  n'hésita  pas  à  l'y  accompa- 
gner. Heureuse  serait-elle  encore  si  à  son  cœur  aimant  et  gé- 
néreux correspondait  celui  de  Gondé.  Quel  devoir  plus  doux  ce 
prince  pouvait-il  avoir  à  remplir,  que  de  s'étudier  par  la  con- 
tinuité d'affectueux  ménagements  et  d'égards  délicats  à  montrer 
à  sa  noble  compagne  combien  il  était  touché  de  l'admirable  dé- 
vouement dont  elle  lui  avait  donné  tant  de  preuves  et  de  l'éten- 
due du  nouveau  sacrifice  qu'elle  lui  faisait  !  Le  devoir  ici  se  fût 
transformé  en  privilège  pour  un  cœur  que  de  saintes  émotions 
eussent  fait  battre.  Or,  quel  cœur  portait  en  lui  Louis  de 
Bourbon?  On  le  saura  bientôt.  Il  avait  à  acquitter  vis-à-vis  de 
la  princesse  une  dette  sacrée,  celle  de  la  reconnaissance  :  fut-il 
reconnaissant  en  effet,  ou  tomba-t-il  dans  l'ingratitude?  Question 
redoutable,  puisque  l'honneur  y  était  engagé;  question  qui  surgit 
d'elle-même  à  dater  de  1563,  sans  qu'il  soit  permis  de  l'éluder, 
et  à  laquelle  l'exposé  ultérieur  de  certains  faits  assignera  une 
solution  précise. 


CHAPITRE  X 


La  princesse  de  Condô,  en  rentrant  à  la  cour,  s'y  trouvait, 
momentanément  au  moins,  dans  un  isolement  relatif,  quant  à  ses 
affections  de  famille.  Sans  doute,  c'était  déjà  beaucoup  pour  elle 
que  d'avoir  reconquis  la  présence  de  Louis  de  Bourbon  à  ses 
côtés,  et  que  de  continuer  à  jouir  de  celle  d'un  fils  dont  le  cœur 
aimant  était  étroitement  uni  au  sien  ;  mais  elle  souffrait  profon- 
dément de  l'absence  prolongée  de  ses  autres  enfants  et  de  celle 
de  la  comtesse  de  Roye,  car  les  sollicitudes  de  l'amour  maternel 
et  de  la  piété  filiale  s'alliaient  étroitement,  en  elle,  aux  incessantes 
préoccupations  du  dévouement  conjugal.  Retenus  au  loin  par 
des  motifs  divers,  le  comte  et  la  comtesse  de  La  Rochefoucault, 
Jeanne  d'Albret,  l'amiral  et  CliarloUe  de  Laval,  d'Andelot  et 
Odet  de  Coligny,  le  prince  et  la  princesse  de  Portien  lui  man- 
quaient également.  Tout  en  aspirant  à  se  voir  bientôt  affranchie 
de  la  privation  que  lui  imposait  l'absence  de  tant  d'êtres  chers 
à  son  cœur,  elle  s'y  résignait  sans  faiblesse  et  s'attachait,  avec 
sa  fidélité  habituelle,  à  l'accomplissement  des  devoirs  multipliés 
en  face  desquels  chaque  jour  la  plaçait. 

Il  y  avait  là,  pour  Condé,  un  noble  exemple  à  suivre  et  un 
puissant  encouragement  à  alTermir  sa  marche  dans  la  droite  voie 
(le  la  piété  et  de  l'honneur.  Chacun  de  ses  véritables  amis  le 
sentait;  et  parfois  lui  étaient  adressées  de  saintes  et  viriles  ex- 
hortations qu'inspirait  une  courageuse  franchise. 


—  ^203    - 

Ce  lut  ainsi  qu'un  jour  une  voix  autorisée  et  toute  française 
s'éleva,  d'une  contrée  étrangère,  pour  le  convier  à  mesurer, 
sous  le  regard  de  Dieu,  l'importance  des  devoirs  qu'il  avait  à  ac- 
complir et  l'étendue  des  services  qu'il  était  appelé  à  rendre,  en 
tant  que  prince  chrétien  dans  la  continuation  de  la  mission,  so- 
lennellement acceptée  par  lui,  de  protecteur  de  ses  co-religion- 
naires.  Cette  voix  était  celle  de  Calvin.  Depuis  quelque  temps, 
Louis  de  Bourbon,  comme  homme  politique,  jouissait,  près  du 
roi  et  de  la  reine  mère,  des  prérogatives  inhérentes  à  sa  qualité 
de  prince  du  sang,  siégeait  au  conseil  privé,  prenait  une  part 
active  à  la  direction  des  affaires  du  royaume,  et  exécutait  l'en- 
gagement, récemment  contracté,  de  faire  restituer  par  les  pro- 
testants les  places  dont  ils  s'étaient  rendus  maîtres  pendant  la 
guerre,  lorsque  l'illustre  réformateur  lui  écrivit  (1)  : 

«  Monseigneur,  touchant  les  conditions  de  la  paix,  je  sçay 
))  bien  qu'il  ne  vous  estoit  pas  facile  de  les  obtenir  telles  que 
y>  vous  eussiez  voulu.  Parquoy,  si  beaucoup  de  gens  les  souhet- 
y>  tent  meilleures,  je  vous  prie  ne  le  trouver  estrange,  veu  qu'en 
»  cela  ils  s'accordent  avec  vous.  Cependant  si  Dieu  nous  a  reculé 
»  plus  que  nous  ne  pensions,  c'est  à  nous  de  plier  sous  sa  main. 
))  Quoy  qu'il  en  soit,  selon  que  je  ne  doubte  point  que  vous 
»  n'ayez  mis  peine  d'advancer  le  royaulme  de  Dieu  tant  qu'il 
»  vous  a  esté  possible,  et  de  procurer  le  repos  et  liberté  des 
T)  églises,  aussy  j'espère  bien  et  suis  tout  persuadé  qu'à  l'advcnir 
»  vous  continuerez  pour  amener  le  tout  en  meilleur  estât.  Tou- 
))  tesfois,  monseigneur,  je  vous  prie  de  ne  point  mal  prendre  si 
»  de  mon  costé  je  vous  y  solicite,  attendu  les  difficultés  qui  vous 
»  environnent.  —  En  premier  lieu  si  vous  ne  faictes  valoir  par 
))  vostre  authorité  ce  qui  a  esté  conclu  à  radvaulage  des 
))  fidèles,  la  paix  scroit  comme  ung  corps  sans  àme;  et  l'ex- 

(1)  Lettres  frcmçaises,  t.  H,  p.  507.  Lettre  du  10  mai  1503. 


—  ^204  — 

>)  péricnce  a  monstre  par  cy-devant  combien  les  ennemis  de 
y>  Dieu  sont  hardis  entrepreneurs  à  mal  faire,  si  on  ne  leur  ré- 
»  siste  vivement,  d'aultre  part,  sans  que  nul  vous  en  dit  mot, 
»  vous  voiez  assez,  monseigneur,  selon  vostrc  prudence,  com- 
»  bien  de  gens  espient  l'occasion  degaigner  le  haut.  Vous  sçavez 
»  leurs  praticques,  et  si  vous  leur  donnez  loisir  de  vous  surpren- 
»  dre,  ils  n'y  faudront  pas,  et  s'ils  ont  mis  Iç  pied  en  l'estrier,  il 
))  ne  sera  plus  temps  de  les  vouloir  empescher.  Cela  vous  doibt 
»  bien  induire  à  donner  ordre  d'estre  si  bien  accompagné  au 
»  maniement  des  affaires,  que  laporlesoit  fermée  à  touscontre- 
»  disans  de  pouvoir  nuire.  Cependant  il  y  aura  plusieurs  m.oïens 
»  d'eslargir  le  cours  de  l'évangile.  Je  considère,  monseigneur, 
»  que  tout  ne  se  peut  faire  en  ung  jour,  mais  je  croy  que  pour  ne 
»  point  laisser  passer  aucune  importunité,  il  vous  souviendra  du 
))  proverbe  que  le  plus  tost  est  le  meilleur,  afin  qu'il  ne  se  dresse 
»  point  de  nouvelles  trames  pour  tout  dissiper,  quand  on  cui- 
))  deroit  estre  en  bon  train.  Et  c'est  à  ceste  heure  qu'il  y  faut 
»  bien  travailler  plus  que  jamais,  veu  qu'il  semble  que  Dieu  vous 
»  y  tende  la  main,  et  comme  il  vous  a  fait  un  honneur  inesti- 
))  mable  de  maintenir  sa  querelle  à  l'espée,  il  semble  aussy  qu'il 
))  vous  ayt  réservé  les  aultres  moïens  d'amener  à  perfection  ce 
))  qu'il  luy  a  pieu  de  commencer.  IHiis  donc  qu'il  luy  plaist  nous 
»  esprouver  et  exercer  en  diverses  sortes,  pour  vous  approuver 
»  tant  mieux,  tant  plus  avez-vous  de  matière  de  vous  esvertuer 
»  sans  y  rien  espargner.  » 

Pour  suivre  dignement  ces  judicieux  et  màlcs  conseils,  il  eût 
fallu  joindre  à  la  stabilité  de  la  foi  celle  du  zèle,  et  l'autorité 
d'un  caractère  affranchi,  dans  son  élévation  et  dans  sa  fermeté, 
de  toute  préoccupation  d'intérêt  personnel.  Mais  la  foi  de  Condé, 
au  sortir  de  sa  captivité,  en  1563,  était  vacillante,  son  zèle  pour 
les  choses  religieuses  plus  apparent  (pie  réel,  son  caractère  plus 
léger  que  ferme,  sa  pensée  plus  appliquée  à  la  poursuite  des 


—  -205  — 
avantages  et  des  jouissances  de  ce  inonde  qu'à  la  recherche  des 
biens  spirituels  ;  aussi,  les  exhortations  de  Calvin,  originairement 
accueillies  par  le  prince  avec  une  déférence  dont  des  actes  sé- 
rieux témoignèrent  en  plusieurs  circonstances,  furent-elles  peu 
à  peu  perdues  de  vue,  et  finirent-elles  par  demeurer  à  peu  près 
sans  efficacité.  La  princesse,  au  contraire,  en  apprécia  toujours 
d'autant  mieux  la  valeur,  qu'elle  demeura  inébranlable  dans  ses 
convictions  religieuses. 

Arrêtons-nous  ici  à  quelques  faits  par  lesquels,  dans  les  pre- 
miers mois  qui  suivirent  la  paix  du  i9  mars  i563,  se  traduisit 
chez  Condé  un  attachement  à  la  cause  du  protestantisme  con- 
forme à  celui  que  manifestait  la  princesse. 

Stimulé  par  elle  à  l'action,  le  prince,  avant  même  que  Calvin 
lui  eût  écrit,  commença  par  se  prévaloir,  dans  deux  rési- 
dences successivement  occupées  par  la  cour,  savoir  à  Amboise 
et  à  Saint-Germain-en-Laye,  du  droit  que  lui  attribuait  l'édit  de 
pacification  de  faire  célébrer  le  culte  réformé  dans  sa  demeure. 
L'exercice  d'un  tel  droit  dans  ces  deux  villes  eut  cela  de  remar- 
quable, que  sa  demeure  n'était  autre  que  l'un  des  appartements 
du  château  royal.  Ailleurs  encore  il  maintint  cet  exercice  dans 
des  conditions  identiques,  ainsi  que  l'attestent  les  lignes  sui- 
vantes, empruntées  à  la  correspondance  de  l'ambassadeur 
d'Espagne  :  «  Ordinairement  l'on  presche,  et  se  chantent  les 
))  psalmes,  et  se  font  les  prières  en  la  salle  du  prince  de  Condey, 
»  avecq  l'assistance  de  tous  ceulx  qui  y  veullent  et  peuvent 
))  aller;  en  quoy  le  roy  très-chrestien  est  moings  respecté  en  sa 
))  maison  que  les  seigneurs  haultz-justiciers  ne  le  sont  en  leurs 
y>  terres,  par  le  contenu  de  l'accord  (i).  ■) 

On  vit  Condé  à  quelque  temps  de  là,  appuyer  près  du  sou- 
verain les  revendications  de  ses  coreligionnaires  et  provoquer  la 
réparation  des  torts  qui  leur  étaient  causés. 

{\)  Méni.  de  Coiulé,  t.  Il,  p.   1^0.  Lettre  de  Chantoiinay,  du  18  juin  1503. 


-  -206  — 

L'intervention  d'Éléonore  de  Roye  en  leur  iliveur  près  du  roi, 
de  la  reine  mère  ou  des  agents  supérieurs  de  l'autorité,  se  faisait 
également  sentir. 

Voici,  par  exemple,  la  touchante  réclamation  qu'elle  adressait 
de  Saint-Germain,  le  G  mai  15G3  (1),  à  son  cousin  le  maréchal 
de  Montmorency,  gouverneur  de  l'Ile-de-France  : 

((  Mon  cousin,  les  pauvres  gens  de  l'église  réformée  de  Sois- 
»  sons,  présents  porteurs,  m'ont  fait  entendre  les  lettres  que  la 
»  royne  vous  escript  présentement  pour  les  faire  rentrer  en 
»  leurs  biens  et  vivre  en  toute  seureté  en  leurs  maisons,  suivant 
y>  le  bénéfice  de  l'édict  du  roy,  dont  j'ai  esté  très-aise  pour  les 
»  veoir  comme  je  m'asseure  par  vostre  bon  et  sage  moïen 
))  assistez  dans  le  plus  grand  besoing  de  ce  que  eulx  et  moy 
»  désirions  le  plus;  mais  à  cause  que  je  crains  avec  eulx  ce 
))  dont  ils  sont  jà  menacez,  qui  est  que  en  vostre  absence  le 
»  sieur  de  Marivaulx  y  soyt  envoyé,  je  vous  ay  bien  voulu  tou- 
»  cher  ce  mot,  que  estant  comme  il  s'est  tousjours  jusques  icy 
i)  démonstré  ennemy  ouvert  et  d'eulx  et  de  nostre  religion,  à 
»  grand'peine  leur  pourroit-il  faire  et  administrer  la  faveur  que 
))  sa  majesté  leur  permet,  pour  vous  supplier  autant  aiïectueu- 
»  sèment  que  je  puis,  mon  cousin,  vouloir  tant  faire  de  bien  à 
))  ces  pauvres  exilez,  gens  inhabitez,  mourans  de  faim  par  les 
-)}  champs,  eulx  et  leurs  familles,  et  sans  autres  moïens  humains 
»  que  de  l'espérance  que  la  volonté  du  roy  leur  donne,  que,  s'il 
»  est  possible,  vous  reteniez  ledit  Marivaulx,  et  en  son  lieu  y 
))  envoiez  tel  autre  gentilhomme  que  pour  ce  vous  congnois- 
»  trez  trop  mieux  propre  à  leur  faire  le  doux  et  gratieux  traic- 
))  tement  que  l'ennuy  qu'ils  souffrent  et  l'afïïiire  présente  re- 
))  quièrent  de  vostre  accoustumée  bonté;  à  tout  le  moins,  s'il 
»  falloit  que  ce  fûst  ledit  Marivaulx,  Tinstruire  premier  et  parler 
»  si  bien  à  luy,  qu'il  ne  puisse  faire  enjamber  ses  passions  par- 

(I  )  Diljl.  ]iat.,  mss.  f.  Ir.,  vol.  :5I'J4,  f'^  ^7. 


—  207  — 
»  dessus  la  raison,  mais  préposant  le  bon  plaisir  du  roy  à  tout 
»  autre,  il  besongne  avec  telle  diligence  que  bienstot  ces  pauvres 
y>  gens  puissent  estre  relevez  de  ceste  mendicité  et  pauvreté 
»  qu'ils  souffrent  à  la  perte  de  leurs  biens;  en  quoy,  oultre  ce 
»  que  vous  ferez  œuvre  très-agréable  à  Dieu,  de  pitié  et  digne 
y>  de  vous,  vous  croirez,  s'il  vous  plaist,  mon  cousin,  que  vous 
))  m'obligerez  autant  que  en  nulle  autre  cbose  dont  je  vous 
y>  puisse  requérir,  etc.,  etc.  » 

Louis  de  Bourbon  ne  manquait  pas  non  plus,  le  cas  échéant, 
de  recourir,  en  faveur  de  ses  protégés,  à  l'influence  du  maréchal 
de  Montmorency  (1). 

Jamais,  dans  la  défense  en  commun  d'intérêts  sacrés,  les  sen- 
timents du  prince  de  Condé  ne  se  confondirent  mieux  avec  ceux 
de  la  princesse  qu'alors,  qu'en  mai  1563,  il  veilla  avec  une  sol- 
licitude particulière  sur  les  jours  menacés  de  Coligny,  et  qu'il 
maintint  au-dessus  de  toute  atteinte  Thonneur  de  cet  éminent 
représentant  du  protestantisme  français.  «  Je  crains,  disait-il, 
3)  à  ce  moment  que  parmi  tant  d'hommes  de  guerre  qui  sont  ici 
»  (à  la  cour)  il  n'y  en  ait  un  qui  lui  lire  un  coup  de  pistolet; 
»  et  je  prends  autant  de  soin  de  son  existence  que  de  la 
»  mienne  (*2).  »  Aussi,  dès  qu'il  apprit  que  l'amiral  avait  quitté 
Châtillon-sur-Loing  pour  venir  à  Saint-Germain,  vola-l-il  à  sa 
rencontre,  à  Essone  (3)  et  le  conjura-t-il  de  ne  pas  se  rendre  à  la 
cour,  où  ses  jours  eussent  été  en  danger. 

Aussitôt  après,  prenant  en  mains,  comme  parent,  comme  ami 
et  comme  coreligionnaire,  la  défense  de  son  oncle,  odieusement 
soupçonné  par  les  Guises  d'avoir  provoque  le  meurtre  de  Fran- 
çois de  Lorraine,  il  tint  en  plein  conseil  du  roi  ce  généreux 


(1)  Voir,  Appendice,  n"  33. 

(2)  Caleiul.  ofSt.  pap.  forc'ujn.  Smitli  to  the  (Juecn,  1 1  mai  ir»03. 

(3)  Mém.  de  Condé,  t.  V,  p.  tO.  —  Calciul.  of  St.  jntp.  foreigii.  Middlemore 
to  Cecil,  17  mai  1503. 


—  208  — 

langage  (i)  :  «  Je  déclare  que  s'il  y  a  personne  qui  entreprenne 
»  de  s'adresser  à  monsieur  l'amiral  de  faict  ou  de  parole,  ou 
y>  par  autre  voye  que  celle  de  justice,  je  lui  feray  cognoistre  que 
»  je  m'en  ressenliray  tout  ainsi  que  s'il  s'étoit  adressé  à  ma 
»  propre  personne,  estant  son  amy,  et  luy  oncle  de  ma  femme, 
))  de  laquelle  j'ay  plusieurs  enfants,  et,  pour  luy,  estant  un  grand 
3)  chevallier  et  très-nécessaire  pour  le  service  du  roy;  et  d'autant 
))  que  l'inimitié  de  la  maison  de  Guise  à  celle  de  Chàtillon  est 
»  notoire,  je  vous  supplie  qu'il  vous  plaise  ne  permettre  que 
))  le  nom  et  force  du  roy  ou  la  couverture  de  la  religion  soit 
»  empruntée  pour  favoriser  aux  querelles  particulières  des  uns 
»  ou  des  autres  ;  et  si  ceux  de  la  dicte  maison  de  Guise  en  pré- 
»  tendent  quelqu'une,  qu'ils  la  déclarent  et  l'on  connoistra 
))  dequel  costé  sera  le  bon  droict  et  la  force  pour  Je  maintenir.  » 

En  même  temps  qu'elle  était  douloureusement  impressionnée 
par  les  manifestations  hostiles  des  Guises  et  de  leurs  partisans 
à  l'égard  de  l'amiral,  la  princesse  de  Condé  s'inquiétait  des  dis- 
positions de  la  cour  d'Angleterre  envers  son  mari  et  se  montrait 
justement  froissée  du  bruit  que  l'on  faisait  courir  de  la  malveil- 
lance d'Elisabeth  en  ce  qui  le  concernait.  L'ambassadeur  Anglais 
tenta  de  la  rassurer,  laissons -le  rendre  compte  à  Elisabeth 
de  l'entretien  qu'il  eut,  à  cet  effet,  le  iO  mai,  avec  Éléonore 
de  Roye. 

(c  Je  me  rendis,  dit  Smith  (2),  chez  le  prince  de  Gondé;  il  était 
))  occupé,  et  l'on  m'introduisit  dans  le  salon  de  la  princesse. 
»  Après  les  salutations  d'usage,  je  lui  dis  avoir  été  informé  du 
»  bruit  répandu  à  la  cour,  que  la  reine  ma  maîtresse  parlait , 

(1)  «  Déclaration  présentée  au  privé  conseil  par  monsieur  le  prince  de  Condé, 
»  le  15  may  l.')!;;},  touchant  la  juste  dellense  de  iM.  l'amiral  sur  le  faict  de 
»  mons'.  de  Guise,  »  (Bibl.  naf.,  mss.  f.  fr.  vol.  3193,  f*  48  à  51).  —  Mém.  de 
Condé,  t.  V,  p.  21,  22.  —  Vie  de  messirc  Gnspard  de  Colignij,  in-l",  Amsterdam 
1044,  annotalions,  p.  130.  —  Du  Douchet,  llist.  de  lu  maison  de  Colicjny,  p.  530. 

(2)  Calend.  of  St.  pap.  foreign.  —  Smith  to  the  Oueen,  12  mai  1503.  — 
Hixt.  des  pr.  de  Condé,  t.  I,  p.  402,  463,  iOl. 


—  201)  — 
»  mal  du  prince  son  mari;  qu'elle-même,  la  princesse,  était 
)>  convaincue  de  l'exactitude  du  fait,  et  qu'elle  croyait  en  outre 
y>  que  la  reine  ma  maîtresse  s'exprimait  aussi  défavorablement 
»  que  possible  sur  le  compte  du  prince,  non-seulement  en 
))  paroles,  mais  môme  par  écrit.  Et  d'abord,  quant  à  des  écrits, 
y>  je  lui  affirmai  que,  durant  ces  sept  derniers  mois,  votre 
»  majesté,  ainsi  que  je  le  savais  pertinemment,  n'avait  expédié 
))  en  cette  cour  que  des  lettres,  ou  qui  m'étaient  destinées,  ou 
))  que  je  devais  remettre;  que  dans  les  lettres  à  mon  adresse 
»  personnelle,  votre  majesté  n'avait  jartiais  fait  mention  du 
»  prince  qu'en  termes  honorables,  et  que  comme  d'une  personne 
»  amie;  que  la  réalité  de  nos  bons  sentimens  ressortait  à  la 
»  fois  de  nos  paroles  et  de  nos  actes  ;  que,  pour  ma  part,  je 
»  n'avais  ni  remis,  ni  su  qu'on  eût  remis  une  seule  lettre  de 
))  votre  majesté  à  qui  que  ce  fût  depuis  la  paix  conclue  à  Orléans, 
5)  et  que  dès  lors  la  princesse  devait  bien  comprendre  qu'il  ne 
»  s'agissait  ici  que  d'une  machination  ourdie  par  des  individus 
»  animés  du  désir  de  semer  la  défiance  et  la  discorde  entre  son 
»  mari  et  la  reine  ma  maîtresse,  afin  de  priver  ce  prince  d'une 
))  amie  telle  que  la  souveraine  de  l'Angleterre,  et  de  stériliser 
))  pour  la  reine  ma  maîtresse  tous  Jes  bons  offices  qu'elle  avait 
))  accordés  et  les  services  qu'elle  avait  rendus  au  prince  et  à  ses 
»  amis.  La  princesse  répondit  que  le  bruit-  dont  il  s'agit  s'était 
))  en  effet  répandu,  qu'il  était  parvenu  jusqu'à  elle,  et  que  son 
))  mari  pourrait  en  dire  plus  long;  mais  qu'elle  considérait  voti-e 
»  majesté  comme  une  dame  douée  de  tant  d'honneur  et  de 
»  vertu,  qu'il  lui  était  impossible  de  se  complaire  en  une  telle 
))  chose;  que  le  prince  son  mari  était  votre  serviteur,  l'obligé  de 
)>  votre  majesté,  et  qu'il  serait  désolé  s'il  vous  donnait  le  moiudi-e 
))  sujet  de  le  censurer  par  écrit,  par  paroles,  ou  seulement  en 
»  pensée;  qu'tà  la  vérité,  il  n'avait  pu  faire  tout  ce  qu'il  voulait, 
»  mais  que,  dès  qu'il  en  aurait  le  moyen,  il  prouverait  à  votre 
»  majesté  qu'il  est  son  dévoué  serviteur.  J'étais  forteinent  tenté 


-  210  — 

y>  de  presser  la  princesse  de  me  révéler  à  qui  aurait  été  écrite  la 
y>  lettre  en  question;  car  on  raconte  que  la  reine  mère  aurait 
y>  montré  au  prince  une  lettre  à  elle  adressée  par  votre  majesté, 
))  dans  laquelle  vous  parliez  du  prince  en  termes  très-injurieux, 
»  et  que  la  princesse  s'en  serait  plainte  directement  à  une  cer- 
»  taine  dame  de  la  cour  ;  mais  je  n'ai  pu  la  décider  à  me  spé- 
))  ciller  quoi  que  ce  fût  de  plus  que  ce  qu'elle  m'avait  dit  précé- 
y>  demment.  y> 

Smith,  dans  les  fréquentes  visites  qu'il  rendait  à  Condé  et  à  sa 
femme,  avait  avec  eux  de  longs  entretiens  qui  roulaient  princi- 
palement sur  les  relations  antérieures  de  sa  souveraine  avec  les 
protestants  français,  sur  les  événements  du  jour,  sur  ceux  qui 
se  préparaient,  et  tout  particulièrement  sur  le  sort  à  venir  du 
Havre  et  de  Calais;  graves  sujets  qui  ne  préoccupaient  pas  moins 
le  prince  et  la  princesse,  que  l'ambassadeur  anglais.  Mais  quelles 
que  fussent  l'animation  et  l'insistance  de  celui-ci,  elles  s'arrêtaient 
à  temps,  sous  rinfluence  du  respect  commandé  par  des  habi- 
tudes religieuses  à  la  stricte  observation  desquelles  la  princesse 
veillait,  dans  son  intérieur.  Smith  lui-môme  l'atteste,  en  ces 
mots  (i)  :  a.  Le  18  mai...,  je  dînai  avec  le  prince,  et,  avant  le 
3)  dîner,  je  m'entretins  avec  lui  et  la  princesse  (au  sujet  du 
})  Havre  et  de  Calais)...  La  conversation  entamée  se  soutint 
»  tandis  que  nous  nous  promenions  dans  le  parc  de  Sainl-Ger- 
»  main;  à  notre  rentrée  au  château,  elle  continuait  encore 
»  lorsque  la  princesse  y  coupa  court,  en  appelant  le  prince  à  la 
»  prière.  » 

Si  les  entretiens  de  Smith,  à  raison  des  difficultés  politiques 
qui  en  constituaient  la  plupart  du  temps  l'objet,  pesaient  par- 
fois à  la  princesse,  il  n'en  était  pas  de  même  de  ceux  qu'elle 
avait  avec  d'Andelot,  lorsqu'il  séjourna  à  Saint-Germain,  dans 
le  cours  du  mois  de  mai.  Elle  pouvait  alors,  en  toute  confiance, 

(I)  Calrnd.  of  S/,  ptip.  forcign,  Smith  to  Ci'cil,  19  mai  156o. 


—  211  — 
épancher  son  cœur  dans  celui  de  cet  oncle  afTectueux  et  bon, 
qui,  de  même  que  Coligny  et  Odet,  lui  témoignait  une  tendresse 
en  quelque  sorte  paternelle,  qu'avaient  singulièrement  affermie 
de  solennelles  épreuves  récemment  subies  en  commun  à  Or- 
léans. Elle  lui  parlait  de  ses  enfants,  de  sa  mère,  des  autres 
membres  de  sa  fomille,  alors  absents,  et  le  voyait  partager  sa 
satisfaction,  lorsque  se  produisait  quelque  événement  favorable 
à  l'un  d'eux;  comme  ce  fut  le  cas,  vers  le  milieu  du  mois  de 
juin,  pour  le  prince  dePortien,  dans  le  cours  de  sa  mission  rela- 
tive à  la  direction  des  troupes  allemandes  vers  la  frontière. 
D'Andelot,  qui  n'avait  qu'à  se  louer  du  concours  que  lui  avait 
prêté  ce  prince,  lors  de  la  levée,  au  delà  du  Rhin,  et  de  l'entrée 
en  France  d'une  partie  de  ces  troupes,  se  félicita  avec  Éléonore 
de  Roye  de  l'approbation  donnée  par  le  gouvernement  à  Thabi- 
leté  et  à  la  fermeté  que  le  jeune  chef  ne  cessait  de  déployer  pour 
mener  à  bonnes  fins  une  entreprise  aussi  difficile  que  celle  qui 
lui  avait  été  confiée. 

Ce  fut  alors  que  la  princesse  de  Condé  adressa  à  son  neveu  de 
Portien,  le  16  mai,  la  lettre  suivante  (1)  : 

«  Mon  nepveu,  j'ay  reçeu  vostre  lettre  par  ce  porteur,  bien 
»  aise  d'avoir  entendu  de  vos  nouvelles  et  la  bonne  réputation 
))  que  vous  continuez  à  acquérir  journellement  à  l'endroict  d'un 
»  chascun  pour  la  dextérité,  sagesse,  vigilance  dont  usez  où 
5)  vous  estes,  et  vous  puys  tesmoigner  que  la  royne  s'en  trouve 
»  tellement  contante  et  satisfaicte,  qu'elle  m'a  asseuré  avoir 
y>  très-bonne  envye  que  vous  en  soyez  recogneu  par  suffisante 
y>  marque  d'honneur  et  de  bienfaictz.  A  quoy  je  vous  laisse  à 
»  penser  si  monsieur  mon  mary  et  moy  tiendrons  la  main  pour 
»  vous  en  faire  départir  et  honorer  connue  le  méritez  quant 
»  l'occasion  s'en  présentera,  désirant  bien  fort  que  vous  ayez 

(1)  Bil)l.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3180,  f"  II. 


—  -21-2  — 

»  mis  fin  à  vostre  voyage  pour  vous  en  venir  par  deçà,  avec  ma 
»  nièpce  vostre  femme,  sentir  et  vous  appercevoir  des  eflectz  de 
»  ce  que  dessus;  ayant  cependant  sa  Majesté  ordonné  et  com- 
»  mandé  vous  estre  envoyé  deniers  pour  vous  ayder  à  supporter 
»  la  despense  que  vous  faictes  par  delà;  vous  priant  au  reste 
»  faire  mes  bien  affectueuses  recommandations  à  la  bonne 
»  grâce  de  monsieur  le  mareschal  de  Hessen  et  en  prendre  pour 
»  vous  telle  part  que  congnoissez  vous  appartenir.  Et  en  cest  en- 
y>  droict  je  supplieray  le  Créateur  vous  donner,  mon  nepveu,  en 
y>  parfaicte  santé,  ce  que  plus  et  trop  mieux  désirez.  A  Saint- 
))  Germain  en  Laye  ce  xvf  jour  de  may  1563.  —  Vostre  entière- 
n)  ment  meilleure  tante  et  amye,  Léonor  de  Roye.  » 

0 

Neuf  jours  après,  la  princesse  écrivait  encore  à  son  neveu  (i)  : 

((  S'en  retournant  devers  vous  monsieur  de  Bussy,  présent 
))  porteur,  il  n'est  besoing  que  je  vous  fasse  longue  lettre  pour 
»  vous  discourir  des  occurrences  de  ces  quartiers,  car  je  ferais 
D  tort  à  sa  suffisance,  laquelle  n'obmettra  rien  de  ce  qu'il  y  a 
»  veu  et  entendu  pendant  qu'il  a  suivy  monsieur  mon  mary  de- 
ï)  puis  vostre  partement.  Seulement  vous  puys  asseurer  que  l'af- 
»  fection  de  bonne  amytié  que  vous  porte  mondit  sieur  mon 
^)  mary  est  telle  qu'il  ne  la  vous  sçauroit  offrir  ni  déclarer  meil- 
)  leure,  vous  asseurant  qu'en  toutes  choses  où  nos  moyens  se 
)  pourront  estendre  à  vous  faire  plaisir  nous  nous  y  employe- 
))  rons  de  telle  affection  que  vous  le  sçauriez  désirer  et  attendre; 
»  me  recommandant  sur  ce  affectueusement  à  vostre  bonne 
»  grâce,  priant  Dieu,  mon  nepveu,  vous  donner  très  bonne  et 
»  longue  vie.  De  Saint-Germain  en  Laye  ce  xxv'  jour  de  may 
»  1503.  —  Je  vous  prye  (pie  ma  bonne  nieyce  trouve  yssy  moy- 
»  tié  et  vous  assurés  tous  deulx  que  j'ay  grand  envye  de  vous 

(1)  r.ilil.  liai.,  mss.  f.  fr.,  vol.  31!)(),  f  14. 


—  213  — 

))  veoyr,  ce  que  j'espère  qui  sera  bien  lost,  car  vous  serés  mandés 
y>  tous  deux.  —  Vostre  enliôrement  meilleure  tante  et  amye, 
y>  Léonor  de  Roye.  » 

Une  lettre  du  G  juin  contenait  un  nouveau  témoignage  d'in- 
térêt et  d'affection  ;  il  y  était  dit  (1)  : 

«  Mon  nepveu,  j'ay  chargé  Bouteville,  présent  porteur,  vous 
»  parler  d'aucune  chose  de  ma  part  dont  je  vous  prye  le  croire 
y>  comme  moy  mesmes,  et  au  demeurant  vous  asscnre  que  en 
»  tout  ce  que  je  sçauray  loucher  à  vostre  femme  et  à  vous,  je 
))  ne  vous  manqueray  jamais  de  la  promesse  que  vous  y  ay  faicle 
))  non  plus  que  de  la  bonne  volonté  que  j'ay  de  vous  faire  démon- 
»  stration  partout  combien  je  vous  ayme  tous  deux,  etc.,  etc.  » 

Cette  dernière  lettre  était  datée  du  bois  de  Vincennes,  où  la 
cour  venait  de  se  transporter,  en  quittant  Saint-Germain.  La 
moindre  apparition  du  prince  et  de  la  princesse  dans  la  capitale 
ne  pouvait  qu'être  dangereuse  pour  eux.  En  effet,  la  population 
parisienne  était,  de  longue  date,  travaillée  par  les  meneurs  du 
parti  catholique,^  qui  n'avaient  cessé  d'attiser,  au  milieu  d'elle, 
le  feu  de  la  persécution  contre  les  protestants.  Cette  population 
intolérante,  agitée,  menaçante, dans  sa  désapprobation  delà  paix 
d'Amboise,  ne  pardonnait  ni  à  Coudé,  ni  à  sa  femme,  le  triple 
tort  de  pratiquer  le  culte  réformé,  d'en  protéger  les  sectateurs, 
et  de  ne  pas  paraître  aux  solennités  religieuses  que  le  catholi- 
cisme célébrait  en  grande  pompe.  L'irritation  contre  les  deux 
époux  était  extrême  :  toutefois,  dans  leur  entourage,  ou  ne 
croyait  pas  qu'elle  allât  jusqu'à  se  traduire  par  l'assassinat;  mais 
la  réalité  des  faits  désabusa  bientôt  les  esprits  trop  confiants 
qui  ne  soupçonnaient  pas  les  excès  auxquels  une  horde  de  sédi- 
tieux et  de  liinatiques  se  laisserait  entraîner, 

(1)  Bibl.  nal.,  niss.  f.  fr.,  vol.  31%,  f>  21. 


—  214  — 

Le  9  juin,  le  roi  vint  de  Vincennes  à  Paris  pour  assister  à  la 
procession  qui  devait  avoir  lieu  le  lendemain.  Dans  la  matinée 
du  iO,  le  prince  de  Condé,  décidé  à  ne  pas  prendre  part  à  la 
solennité,  se  borna  à  accompagner  le  roi  jusqu'à  la  cathédrale, 
et  n'en  franchit  pas  le  seuil.  A  l'issue  de  la  procession  et  du 
service,  le  roi  se  rendit  à  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés. 
Après  y  avoir  soupe,  il  reprit,  à  sept  heures  du  soir,  la  route  de 
Vincennes,  en  compagnie  de  sa  mère  et  du  prince.  En  appro- 
chant de  la  porte  Saint- Antoine,  il  en  trouva  les  abords  envahis 
jiar  six  cents  cavaliers  armés,  qui  s'étaient  réunis  là  pour  mas- 
sacrer le  prince  et  sa  suite,  s'il  fût  passé  avec  elle  sans  le  roi  ; 
mais  les  conjurés,  déconcertés  en  apercevant  Charles  IX,  s'écar- 
tèrent, formèrent  une  double  haie  et  le  laissèrent  passer  tran- 
(juillement,  ayant  Condé  à  sa  droite  et  Catherine  de  Médicis  à 
sa  gauche.  N'ayant  point  osé  assaillir  Condé,  ils  voulurent  se 
dédommager  en  coupant  le  passage  à  la  princesse,  et  en  l'atta- 
quant de  vive  force.  Éléonore  de  Roye  suivait,  à  courte  distance, 
en  litière.  Ces  misérables,  l'entourant  de  toutes  parts,  l'auraient 
immolée,  sans  la  présence  d'esprit  et  l'énergie  de  son  cocher, 
<(ui  trouva  moyen  de  la  soustraire  rapidement  à  leur  atteinte. 
Vainement  les  gentilshommes  composant  l'escoFte  leur  criaient- 
ils  que  la  princesse  de  Condé  n'était  pas  dans  la  litière,  et  que 
seules,  des  fdles  d'honneur  de  la  reine  mère  s'y  trouvaient,  les 
assaillants  n'en  continuèrent  pas  moins  à  se  ruer  sur  la  petite 
troupe,  tuèrent  le  capitaine  Coupé,  qui  se  tenait  près  de  la  li- 
tière, et  retinrent  prisonniers  cinq  ou  six  gentilshommes  (i). 

Condé,  exaspéi'c  d'un  tel  guet-apens,  en  imputa  la  perpétra- 
lion  aux  Guises;  il  insista,  en  séance  du  conseil,  sur  la  nécessité 
de  leur  éloignement,  sur  celle  du  rappel  à  la  cour  de  Coligny  et 


(h  CdU'tul.  of  St. pap.  foreign.,  Simlïi  a  jovwua],  15  juin  \')i)o.  —  Ibld.  Mitld- 
Icmore  to  Cecil,  17  juin  1563.  —  Bruslart  {Mém.  de  Coi)ilé.  l.  I,  p.  1:29)  et 
Oliaiiloiiiiay  {Ibid.,  t.  II,  p.  IG!))  allèrent  les  faits,  dans  le  récit  (ju'ils  font  du 
ifuet-apcns  dont  il  s'agit. 


—  215  — 
de  d'Andelot,  et  exigea  une  prompte  punition  des  coupables.  11 
ajouta  que,  tant  que  les  Guises  resteraient  à  la  cour,  on  ne  l'y 
verrait  plus.  Le  11,  au  matin,  aucune  satisfaction  ne  lui  étant 
encore  donnée,  il  prévint  ses  gens  que,  dans  l'après-midi,  il  par- 
tirait pour  la  Ferté-sous-Jouarre,  disant  très-haut  que  ni  lui,  ni 
sa  femme,  ni  les  personnes  de  sa  suite  n'étaient  plus  en  sûreté 
dans  un  milieu  aussi  hostile  que  celui  qui  venait  de  se  révéler 
à  lui.  La  princesse  annonça  non  moins  formellement  que  le 
prince  sa  résolution  de  partir. 

Catherine  de  Médicis,  dont  cet  éclat  dérangeait  les  plans, 
parut  atterrée.  La  situation  était  d'autant  plus  tendue,  que  le 
connétable,  le  maréchal  de  Montmorency,  les  ducs  de  Bouillon 
et  de  Nevers,  et  le  prince  de  La  Roche-sur-Yon  se  rangeaient  du 
côté  de  Gondé.  Fortement  intéressée  à  ménager,  du  moins  pour 
le  moment,  Louis  de  Bourbon  ainsi  que  sa  femme  et  à  les 
retenir  près  d'elle,  sans  se  sentir  cependant  assez  forte  pour 
enjoindre  aux  Guises  de  se  retirer,  la  reine  mère  chercha  à 
dissiper  les  soupçons  qui  planaient  sur  ces  derniers,  et  promit 
que  justice  serait  faite  des  coupables;  puis,  fondant  en  larmes, 
car,  au  besoin,  elle  en  avait  toujours  à  sa  disposition,  elle  fit 
appel  au  dévoilement  de  Gondé  et  de  sa  femme,  à  la  générosité 
de  leurs  sentiments,  et  les  supplia  de  ne  quitter  ni  elle,  ni  le  roi. 
D'autres  instances  succédèrent  à  celles  de  Gatherine;  le  prince 
et  la  princesse  se  laissèrent  fléchir  et  consentirent  à  rester. 

Quant  aux  promesses  de  répression  du  crime  cohuuis,  voici 
dans  quelle  mesure,  plus  qu'étrange,  elles  furent  tenues  (1)  : 

Le  11  juin,  alors  que  le  prince  et  la  princesse  parlaient  de 
leur  départ,  le  maréchal  de  Bourdillon  fut  envoyé  à  Paris,  avec 
ordre  d'amener  en  cour  le  prévôt  des  marchands.  Gelui-ci  arriva 
à  quatre  heures  après-midi,  avec  le  maréchal,  à  Yineennes  et 
en  partit  à  six  heures.  Il  lui  était  enjoint  de  traduire  on  justice 

{\)Calend.  of  St.  pap.  foreign,  Smith's  jouriKiI,  I T.  juin  I5G3. 


—  210  — 
les  meurtriers,  sous  telle  peine  que  de  droit,  en  cas  de  refus  de 
sa  part.  Avis  devait  être  donné  aux  habitants  de  Paris  que,  si 
des  méfaits  du  genre  de  celui  qui  venait  d'être  commis  se  renou- 
velaient dans  la  capitale,  le  roi  y  enverrait  les  maréchaux  de 
France  pour  rétablir  l'ordre.  Le  12  juin,  on  arrêta  le  capitaine 
Garnier  et  un  autre,  qu'on  soupçonnait  d'être  les  auteurs  du 
meurtre.  Le  surplus  des  capitaines  de  la  milice  parisienne,  les 
lieutenants,  et  des  hommes  de  cette  milice,  s'attroupèrent,  au 
nombre  de  quatre  à  cinq  mille,  et  occasionnèrent  un  tumulte 
que,  par  pusillanimité  on  ne  tenta  pas  de  réprimer.  Le  prince 
de  Condé  envoya  au  Châtelet  l'un  de  ses  gens,  qui  y  vit  le  ca- 
davre de  Coupé  et  celui  d'un  huguenot  que,  lors  de  la  procession 
de  la  Fête-Dieu,  les  Parisiens  avaient  tué,  puis,  comme  d'habi- 
tude, jeté  à  l'eau.  On  avait  apporté  là  ces  deux  cadavres,  pour 
y  faire  à  la  mémoire  des  deux  victimes  un  procès  basé  soit  sur 
l'allégalion  de  suicide,  comme  cela  s'était  déjà  vu  dans  des  cas 
analogues,  soit  sur  tout  autre  prétexte  décoré  d'une  apparence 
de  légalité.  Quoi  qu'il  advhit,  il  fut  décidé  que  ces  mêmes  cada- 
vres seraient,  la  nuit  suivante,  inhumés  dans  le  cimetière  Saint- 
Innocent.  Des  femmes  et  des  enfants  les  exhumèrent  :  on  le 
sut,  et  on  les  fit  inhumer  de  nouveau  par  des  agents  de  l'au- 
torité; mais  ils  furent  déterrés  une  seconde  fois  et  enlevés, 
sans  qu'on  pût  ultérieurement  constater  ce  qu'ils  étaient  de- 
venus. 

De  telles  scènes,  suivies  d'une  impunité  scandaleuse,  ne 
faisaient  que  trop  pressentir  celle  qui  était  assurée  d'avance 
aux  auteurs  du  guet-apens  et  du  double  meurtre  ;  jamais,  en 
effet,  ils  ne  furent  atteints,  ni  même  sérieusement  recherchés. 

C'est  ainsi  qu'à  Paris,  en  plein  xvf  siècle,  s'administrait 
la  justice,  en  ce  qui  concernait  les  attentats  commis  sur  les 
protestants! 

Au  milieu  de  ces  tristes  circonstances,  le  retour  de  la  com- 
tesse de  Uoye  et  de  ses  petits-enfants  allait  bientôt  faire  une 


—  217  — 

heureuse  diversion  aux  impressions  pénibles  du  prince  et  de  la 
princesse  de  Gondé. 

Depuis  que  la  rigueur  des  événements  l'avait  séparée  de  ses 
plus  jeunes  fils  et  de  sa  fille,  Éléonore  de  Roye  n'avait  cessé, 
dans  une  correspondance  activement  entretenue  avec  sa  mère, 
de  s'associer  par  le  cœur  et  par  la  pensée  aux  moindres  détails 
de  leur  séjour  sur  la  terre  étrangère  et  de  pourvoir  à  leurs 
besoins,  dans  la  mesure  des  ressources  dont  il  lui  était  permis 
de  disposer  (1).  Plus  elle  aspirait  à  les  revoir,  plus  elle  s'était 
attachée  à  la  pensée,  que  la  paix,  qui  ferait  cesser  la  captivité 
de  son  mari,  mettrait  aussitôt  un  terme  à  leur  exil.  La  paix 
intervint,  mais  des  motifs  impérieux  retardèrent  de  quelque 
tem})s  leur  retour. 

Alors  qu'elle  croyait  qu'il  allait  s'effectuer  immédiatement, 
c'est-à-dire  dès  le  lendemain  du  jour  où  la  paix  fut  -signée,  elle 
avait  voulu  qu'un  témoignage  écrit  de  sa  gratitude  et  de  celle 
du  prince  parvhit  aux  magistrats  de  Strasbourg,  qui  avaient  ac- 
cordé à  ses  enfants  et  à  sa  mère  une  bienveillante  hospitalité. 
Aussi,  sous  son  inspiration  Gondé  avait-il  adressé  *.(  aux  magni- 
))  fiques  seigneurs  du  conseil  et  sénat  de  Strasbourg  »  les  lignes 
suivantes  (^2)  :  «  Je  ne  puis  que  me  sentir  et  confesser  bien  fort 
3)  vostre  teneu  et  redevable  de  l'honneste  réception  et  des  gra- 
»  cieusetez  et  courtoisies  desquelles  vous  avez  tant  honorable- 
))  ment  usé  envers  madame  de  Roye,  ma  belle-mère,  et  mes 
))  petits  enfants,  durant  leur  demeure  par  delà  (o),  lorsque  toutes 
»  choses  estoient  icy  troublées  et  esmeues,  de  quoy  je  ne  veulx 

(I)Ce  fut  ainsi  que,  vers  la  fin  du  siège  d'Orléans,  elle  avait,  dans  l'intérêt  de 
ses  enfants,  chargé  Jean  Chabot,  secrétaire  du  prince  de  Condé,  d'aller  à  Anvers 
pour  s'y  entendre  avec  P.  I\Ios(iuiron,  négociant  français  de  celte  ville,  à  l'eflfet 
de  faire  parvenir  à  Strasbourg  une  sonnne  de  douze  mille  écus  qu'elle  mettrait  à 
la  disposition  de  la  comtesse  de  Roye.  (Voy-  M.  Paillard,  llist.  des  troubles  rcliy. 
de  Vdlencienncs,  t.  111,  p.  160.) 

(2)  Archives  de  la  ville  de  Strasbourg.  — Lettre  du  "20  mars  I5t)'2  (15t>3  n. 
S.),  datée  de  St.  Gernr.iiu  -en-Lave. 

{?))  V.  Appendice,  n  31. 


—  218  — 

))  oublier  h  vous  faire,  en  altendant  meilleure  recongnoissance, 
})  ung  bien  affectionné  remerciement  et  vous  dire,  magnifiques 
»  seigneurs,  que,  puisqu'il  a  pieu  à  Dieu  nous  faire  maintenant 
))  respirer  soulz  l'ombre  d'une  bonne  paix,  et,  par  ce  moïen, 
))  une  liberté  plus  grande  de  gratifficr  à  ceux  qui  nous  ont 
»  secouru,  s'il  y  a  chose  en  tout  le  corps  de  vostre  republique 
»  où  mon  moïen  par  deçà  puisse  subvenir,  soit  en  général,  soit 
))  en  particulier,  je  n'espargneray  chose  que  j'ay  en  ma  puis- 
ty  sance  pour  en  faire  ressentir  et  les  chefz  et  les  membres;  ce 
))  que  je  vous  offre  et  présente  d'un  pareil  cœur  que  le  sçauriez 
))  désirer  de  prince  qui  aujourd'hui  soit  vivant,  etc.  » 

La  comtesse  de  Roye  se  fût  empressée  de  rentrer  en  France 
avec  ses  petits-enfants,  si  elle  n'eût  été  convaincue  que  la  pro- 
longation de  son  séjour  à  l'étranger  pouvait  être  utile  à  la 
cause  protestante,  qu'elle  n'avait  cessé  de  servir.  Sa  fille  et  son 
gendre  partageant  sa  conviction  à  cet  égard,  elle  différa  donc  son 
départ  et  consacra  deux  mois  et  demi  à  l'accomplissement  de 
diverses  démarches  près  des  princes  protestants  de  l'Allemagne, 
dont  sa  correspondance  et  la  leur  contiennent  des  traces  inté- 
ressantes. 

On  a  vu  que,  dès  son  arrivée  à  Strasbourg,  elle  était  entrée 
en  relations  directes  avec  ces  princes  et  avec  la  reine  d'Angle- 
terre, pour  stimuler  leur  sympathie  en  faveur  des  réformés 
français  et  obtenir  des  envois  de  secours.  Ajoutons  qu'elle  avait, 
en  maintes  conjonctures,  soigneusement  cherché  à  consoli- 
der ces  relations,  et  que,  pour  y  parvenir,  elle  s'était  prévalue 
avec  avantage  des  pleins  pouvoirs  que  les  chefs  de  l'ai'mée 
protestante  lui  avaient  conférés,  la  veille  de  la  bataille  de 
Dreux. 

Depuis  la  captivité  de  son  gendre,  elle  avait  adjuré  Elisabeth 
et  Gecil  de  s'intéresser  aux  efl'orts  par  lesquels  elle  tendait  à 
relever  les  affaires  des  réformés  français,  et  elle  avait  imploré 
l'appui  de  la  reine  et  de  son  ministre,  «.  pour  l'amour  de  Dieu, 


—  210  — 

»  et  par  pitié  pour  le  bon  prince  (Condé)  qui  était  prison- 
»  nier  (1).  » 

Placée  à  proximité  des  princes  allemands,  elle  les  avait 
ponctuellement  tenus  au  courant  de  tout  ce  qui  se  passait  en 
France,  en  alliant  toujours  de  chaleureuses  exhortations  aux 
informations  qu'elle  leur  transmettait.  En  voici  un  exemple 
dans  ces  lignes  adressées  par  elle  (2)  au  duc  de  Wurtemberg, 
le  15  mars  1563  :  «  Afin  de  tenir  adverty  vostre  Excellence  et 
))  les  autres  princes,  noz  bons  amis,  comme  les  affaires  se 
y>  passent  en  France  selon  les  advertissements  que  j'ay  eus 
))  entre  autres  de  la  mort  certaine  de  feu  monsieur  de  Guyse, 
»  dont  madame  la  princesse,  ma  fille,  m'advertit  et  prie  que  je 
))  dilligente  le  plus  que  je  pourray  noz  affaires  de  deçà,  j'ay  bien 
»  voulu  vous  escripre  ce  mot  pour  vous  prier  que  de  vostre  part 
»  veuilles  vous  employer  en  ce  que  congnoistrez  qui  pourra 
))  favoriser  nostre  juste  cause,  à  l'advan cernent  de  la  gloire  de 
))  Dieu,  liberté  de  monsieur  le  prince,  mon  gendre,  repoz  et 
»  tranquillité  de  la  pauvre  désolée  France.  » 

Quand  lui  étaient  parvenues  les  premières  nouvelles  de  la 
conclusion  d'une  paix,  elle  avait  écrit,  le  26  mars,  au  même 
prince  (3)  :  «  Ayant  eu,  ces  jours-ci,  advertissements  de  plu- 
»  sieurs  endroitz  que  la  paix  estoit  faictc,  mesme  du  cousté  de 
»  Lorraine  l'on  m'en  escript  quelques  particullarités  qu'il  vous 
»  plaira  veoir  par  ung  extrait  d'une  lettre  que  je  vous  envoyé  ; 
»  vous  pouvez  penser,  monsieur,  quelle  joye  ce  m'est  d'entendre 
))  telle  heureuse  nouvelle,  et,  encores  que  les  conditions  de  la 
y>  dite  paix  ne  soyent  tant  à  l'advantage  des  églises  de  Dieu  que 
))  nous  désireryons  (4),  bien  néantmoins  nous  espérons  avec  le 


(1)  Calend.  of  State  pap.  foreign,  15  février,  I  i  et  ±]  mars  \7aV,]. 

(2)  Archives  de  Stuttgart,  Frankreich. 

(3)  Archives  de  Stuttgart,  Frankreicli. 

(i)  Voir  Appendice,  a"  35,  une  lettre  de  (".alvin  à  la  comtesse  de  Roye,  an  sujet 
de  la  paix. 


—  220  — 
»  temps,  puisque  monsieur  le  prince  est  en  liberté  et  en  son 
»  auctorité,  que  toutes  choses  seront  mieux  rétablies  à  l'auclo- 
»  rite  de  nostre  jeune  roy  et  liberté  chrestienne,  je  n'ay  encore 
))  eu  d'Orléans  ny  de  monsieur  Tadmiral  ceste  confirmation  de 
))  paix.  Sy  tost  que  j'auray  des  lettres  de  ce  cousté-là,  je  ne 
)■)  fauldray  d'en  advertir  vostre  dite  Excellence,  laquelle  je  sup- 
»  plie  humblement  vouloir  croire  vostre  secrétaire  de  ce  que  je 
))  luy  ay  particulièrement  fait  entendre.  » 

Lorsque  la  comtesse  de  Pioye  fut  définitivement  fixée  sur  la 
conclusion  et  les  conditions  de  la  paix  qui  lui  permettait  de 
rentrer  en  France,  les  principaux  motifs  qui  la  déterminèrent  à 
dilférer  son  départ  furent  :  i"  le  désir  de  se  concerter  avec  les 
princes  protestants  d'Allemagne  sur  la  direction  des  affaires 
religieuses  en  France,  et  sur  une  entente  à  établir  entre  les 
églises  protestantes  des  deux  pays;  2'  le  soin  de  préparer  les 
voies  à  l'adoption  d'un  projet  d'alliance  entre  la  cour  de  France 
et  les  princes  protestants  d'Allemagne;  3"  l'intention  de  recou- 
rir à  l'intervention  de  ces  princes  près  de  la  reine  d'Angleterre 
pour  la  décider  à  restituer  le  Havre  à  la  France. 

A  la  détermination  ainsi  prise  par  la  comtesse  de  Roye 
correspondit  l'activité  qu'elle  déploya  pour  l'exécuter  et  dont 
maints  documents  fournissent  d'incontestables  preuves. 

D'après  une  note  rédigée  et  signée  par  elle  on  peut  se  faire 
une  idée  de  la  mission  complémentaire  qu'elle  s'était  assignée 
depuis  la  paix.  Cette  note  (1)  était  ainsi  conçue  : 

((  Ce  que  madame  de  Roye  doibt  proposer  à  messieurs  les 
»  princes  du  Sainct-Empire.  Ladicte  dame  a  esté  pryée  de 
»  monsieur  le  prince  de  Condé,  son  gendre,  de  trouver  les 
»  moyens  de  pouvoir  veoir  et  visiter  aucuns  desdictz  princes 
))  avant  que  retourner  en  France  pour  leur  faire  entendre,  oul- 
»  tre  ce  qu'il  leur  a  mandé  par  le  sieur  d'Esternay,  combien  il 

(I)  A}xJhvcs  de  Slntlfjarl,  Fraiikn-icli,  Kî,  n"  tiO,  b. 


-  2-21  — 

»  se  sent  redevable  et  obligé  envers  leurs  Excellenees  pour  les 
»  aydes  et  faveurs  qu'il  a  reçeuz  d'eux,  en  ces  graves  affaires; 
))  et,  après  les  en  avoir  affectueusement  remercyés,  leur  asseurer 
»  qu'à  jamais  le  trouveront  prest  à  leur  l'aire  tous  offices  de 
))  bon  parent  et  parfait  amy,  tant  en  France  que  ailleurs  ou  ilz 
))  le  vouldront  employer.  Et  pour  luy  en  donner  encores  plus 
))  de  moyen,  désire  infiniment  qu'il  y  peust  avoir  une  bonne 
»  et  estroicte  alliance  entre  ces  deux  nations,  si  qu'cstans 
»  unyes  et  conjoinctes  ensemble,  oultre  que  ce  seroyt  le 
))  vray  moyen  pour  advancer  et  establir  le  règne  de  Jésus- 
»  Christ  et  sa  vraye  et  pure  religion,  s'en  ensuyvroit  aussi  la 
))  grandeur  et  réputation  desdictes  deux  nations.  En  quoy  il  a 
»  desjà  apperçeu  les  majestés  du  roy  et  de  la  royne  sa  mère 
.^  tellement  inclinées  et  disposées,  qu'il  se  promect  qu'il  ne 
y>  tiendra  que  ausdictz  princes  que  en  brief  il  ne  s'en  mecte 
»  les  matières  en  si  bons  termes,  qu'il  ne  s'en  pourra  espérer 
»  que  une  bonne  et  heureuse  issue.  Et  pour  ce  faire,  si  lesdiclz 
»  princes  estoyent  de  cest  advis,  trouveroit  utile  et  très-néces- 
»  saire  que  quelques-uns  d'eux  voulsissent  se  transporter  sur 
))  les  frontières,  soit  à  Metz  ou  aultre  part  la  plus  commode,  où  la 
))  royne  se  trouveroit  très-volontiers,  accompagnée  dudict  sieur 
»  prince  de  Condé  et  aultres  bons  personnages  du  conseil  du 
y>  roy,  pour  adviser  avec  lesdictz  princes  de  ceste  négoliation, 
))  et  parler  les  uns  aux  aultres  ouvertement  avec  ung  cœur 
))  syncère  et  rond;  se  persuadant  ledict  sieur  prince  de  Condé 
»  que  telle  assemblée  ne  se  départyroit  jamais  sans  une  saincle 
y)  et  louable  conclusion  et  grandement  proufitable  à  toute  la 
»  chrestienté  ;  dont  il  supplie  ausdictz  princes  de  luy  faire  enten- 
»  dre  leurs  advis  et  intentions  le  plus  promplement  (pfils  poui- 
»  ront.  Supplye  aussy  ledict  sieur  piince  de  Condé  rExcellenco 
î»  desdicts  princes  qu'il  leur  i)laise  escrire  tous  et  envoyer 
y>  quelques  notables  personnages  vers  la  royne  d'Angleterre 
»  pour  luy  persuader  et  conseiller  qu'elle  satistace  pronq)temeiil 


C)C)C) 


»  et  allègrement  aux  protestations  et  promesses  qu'elle  a  faict 
»  semer  par  toute  la  chrestienLé  touchant  l'ayde  et  faveur  qu'elle 
»  a  foict  audict  sieur  prince  de  Gondé  et  ses  associez;  et  partant, 
»  qu'elle  veuille  rendre  au  roy  le  Havre  de  grâce.  Il  plaira  à 
»  mes  dictz  sieurs  les  princes  dire  de  bouche  ou  bailler  par 
))  escript  à  ma  dicte  dame  de  Roye  leur  advis  cy  dessus,  affm 
))  qu'elle  en  advertisse  la  royne  et  mon  dict  sieur  le  prince.  » 

L'attitude  que  madame  de  Roye  se  proposait  d'adopter  dès  son 
retour  en  France,  vis-à-vis  de  la  reine  mère,  ne  pouvait  qu'être 
des  plus  nettes,  conformément  à  ses  habitudes  de  franchise  et 
de  fermeté.  Elle  la  dessinait  ainsi,  dans  sa  correspondance 
avec  le  duc  de  Wurtemberg  (1)  :  «...  Je  feray  tenir  vos  lettres 
»  à  monsieur  le  prince  mon  gendre,  et  m'asseure  qu'il  les 
))  aura  fort  agréables,  et  sera  fort  ayse  en  cela  comme  en  toutes 
»  autres  choses  de  suivre  vostre  bon  conseil;  vous  asseurani 
»  aussy  que,  de  ma  part,  si  Dieu  me  fait  la  grâce  de  retourner 
))  jamais  en  France,  je  le  pourray  faire  entendre  à  la  royne» 
))  affm  que,  puisque  Dieu  hiy  a  fait  ceste  grâce  d'avoir  com- 
))  mencé  une  si  bonne  œuvre,  elle  cherche  les  moyens  de  la 
y>  parachever,  et  qu'elle  face  que  la  gloire  de  Dieu  reluise  par- 
»  tout  son  royaume,  n'estant  assez  d'avoir  mis  son  peuple  en 
))  repos,  si  elle  ne  repurge  et  oste  tout  ce  qui  pourroit  empescher 
))  que  le  royaume  de  Dieu  ne  soit  de  plus  en  plus  augmenté  et 
»  son  pur  service  redressé,  affm  que  par  ce  moyen  Dieu  rende 
»  son  royaume  paisible  et  florissant  en  toutes  choses.  » 

Le  jour  venu  où  la  comtesse  de  Roye  se  considéra  comme  tou- 
chant au  terme  de  sa  mission,  et  comme  n'ayant  plus  qu'à  adres- 
ser des  adieux,  elle  exprima  au  duc  de  Wurtemberg  le  désir  de 
«  le  voir,  voulant  lui  dire  de  bouche  et  communiquer  beaucoup 
y>  d'affaires  qui  importaient  à  l'advancement  de  la  gloire  de  Dieu, 
»  bien  et  repoz  de  toute  la  chrestienté,  dont  elle  s'assurait  que 

(1)  Archives  de  Stuttgart,  Frankreich,  Ifi,  n"  llî,  a. 


—  223  — 
))  son  excellence  recevrait  grand  contentement.  Pour  ce  elle 
»  le  suppliait  de  lui  faire  entendre  sur  ce  sa  volonté  et  le  jour  et 
))  lieu  qu'il  lui  plairoit  prendre,  afin  qu'elle  s'y  trouvât;  différant 
»  pour  cette  occasion  de  s'en  retourner  encore  en  France  (i).  » 
Elle  reçut  aussitôt  du  duc  cette  réponse  obligeante  C^),  datée 
de  Stuttgart,  29  avril  : 

))  Madame,  quant  au  poinct  de  vos  dictes  lettres  contenant 
que  avez  reçu  nouvelles  de  France  que  désirez  me  dire  de 
bouche  et  communiquer  des  affaires  qui  importent  à  l'advan- 
cement  de  l'honneur  et  de  la  gloire  de  Dieu  et  le  repos  de 
toute  la  chrestienté,  je  vous  asseure,  madame,  que  en  cela  et 
plus  grande  chose  vous  complairois  voluntiers,  mais  je  vous 
advise  que  pour  l'amour  du  festin  des  nopces  de  ma  fdle,  qui 
sera  en  ceste  ville  le  40"  du  mois  de  mai  prochain,  et  de 
mes  sieurs  et  amys  qui  arriveront  le  huitiesme  et  neuviesme 
jour  précédent,  là  où  expressément  me  fault  estre  pour  les 
recepvoir,  ne  vous  sçaurois  asseurer  pour  le  présent  d'ung 
certain  jour  ny  lieu  de  nostre  convenance  jusques  après 
lesdictes  nopces,  et  pourtant  que  ne  peux  aussy  bonnement 
sçavoir  si  ce  seroit  en  vostre  commodité  de  venir  jusques  icy 
pardevers  moy,  ce  que  remetz  à  vostre  bonne  volunté,  si  le 
temps  ne  vous  estoit  trop  long  pour  nostre  dicte  convenance 
jusques  au  dix-septiesme  ou  dix-huitiesme  de  ce  mois,  je  me 
acheminerois  audict  temps  pardevers  vous  jusques  au  lieu 
de  Ottlingen  ou  Rattstatt,  en  l'ung  desquels  il  vous  seroit 
le  plus  agréable;  car  en  toutes  choses  que  me  pourrois  em- 
ploier  pour  l'honneur  et  la  gloire  de  Dieu  et  l'advancement 
de  sa  saincte  parolle,  comme  aussi  à  vous  faire  plaisir  et 
services,  le  ferois  de  bien  bon  cœur,  sçait  le  Créateur,  lequel 
»  prie,  après  mes  bien  affectueuses  recommandations  à  voslre 

(l)  Archives  (le  Stuttgart,  VvAnkvaidi,  U\,  n"  18,  a. 
{"2)  Archives  (le  SlHtl(j(irt,  Fraiila-oicli. 


»  bonne  grâce,  madame,  vous  avoir  en  sa  saincte  et  digne 
»  garde.  » 

Sur  ces  entrefaites,  la  comtesse  de  Roye  fit  au  duc  de  Deux- 
Ponts,  le  5  mai,  une  visite,  à  la  suite  de  laquelle  elle  écrivit,  le 
7,  au  landgrave  de  Hesse  et  au  duc  de  Wurtemberg  pour  se 
ménager  définitivement  une  rencontre  avec  eux.  Voici  sa  lettre 
au  duc  (i)  : 

«  Monsieur,  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il  à  pieu  a  vostre  Excellence 
»  m'escrire  le  xxix  du  mois  passé,  par  ce  présent  porteur,  que 
y>  j'ay  ad  visé  de  vous  renvoyer  pour  advertir  vostre  dicte  Excel- 
))  lence  comme  j'ay  visité  monsieur  le  duc  des  Deux-Ponts,  qui 
))  m'a  faict  si  bon  accueil  quej'ay  bien  occasion  de  m'en  louer, 
))  ne  désirant  plus  sinon  que  d'avoir  cest  heur,  avant  que  partir 
»  de  ce  pays,  de  vous  veoyr  et  rendre  le  mesme  debvoir  que  je 
»  doys  pour  vous  remercier  de  tant  de  biens,  plaisirs  et  faveurs 
»  que  monsieur  le  prince,  mon  gendre,  et  moy  avons  reçu  de 
))  vostre  dicte  Excellence  qui  me  iaict  cest  honneur  de  m'escrire 
))  par  vos  dictes  lectres,  que  remectez  à  ma  discrétion  le  lieu  et 
»  jour  que  nous  nous  pourrons  veoyr.  Et  pour  ce  que  je  ne  puys 
i)  m'eslonguer  de  mes  enfans,  et  n'ayant  plus  aultres  affaires  en 
»  ce  pays,  je  vous  prye  bien  humblement,  monsieur,  de  résou- 
))  dre  ledict  jour  et  lieu,  m'en  advertissant  par  ce  dict  porteur. 
»  Je  ne  faudray  de  me  trouver.  Et  si  pouvez  tant  faire  que  par 
»  mesme  moyen  je  puisse  avoir  cest  heur  de  veoir  monsieur  le 
»  landgrave  de  llessen,  pour  i-endrc  en  son  endroict  le  mesme 
»  debvoir  (jue  je  doibs,  je  m'estimeroys  bien  heureuse,  pourveu 
»  que  ce  fùst  sans  incommoder.  J'escriptz  à  son  Excellence,  es- 
))  timant  qu'il  pourra  estre  de  ceste  heure  avec  vous.  Au  de- 
»  meurant,  monsieur,  j'ay  reçeu  la  responce  faicte  à  la  confession 
»  des  églises  de  France  que  m'avez  envoyé,  que  je  communi- 

(1)  Archives  de  SlHU(jaii,  Fraulvi'oicli,  16,  u"  51. 


—  2-25  — 

»  queray  à  iioz  ministres,  espérant  avec  l'ayde  de  Dieu,  après 

»  qu  il  aura  mis  une  bonne  fm  aux  troubles  de  la  France,  que 

»  par  bon  accord  nous  nous  rendrons  unys  soubz  un  mesme 

y>  chef,  Jésus-Christ,  lequel  je  prye,  monsieur,  qu'il  vous  main- 

»  tienne  soubz  sa  protection  et  sauve  garde,  avec  heureuse  et 

»  longue  vye.  » 

Le  môme  jour,  7  mai,  la  comtesse  adressa,  de  Strasbourg,  à 
Théodore  de  Bèze  ces  lignes  (1)  : 

((  Monsieur  de  Bèze,  depuis  vostre  partement  de  ceste  ville, 
»  je  n'ay  eu  aullres  nouvelles  de  France  sinon  la  confirmation 
y>  de  ce  que  m'avoit  apporté  Millet,  qui  est  que  la  royne  et 
»  Monseigneur  le  prince  donnent  fort  bon  ordre  par  toutes  les 
y>  provinces  de  France  que  la  paix  s'entretienne.  J'ay  espoir  que 
))  vous  verrez  avec  layde  de  Dieu,  que  ceux  qui  se  monstrent 
y>  encore  rebelles  seront  chastiez  comme  ilz  méritent.  Il  m'ar- 
»  rivahyer  ung  homme  qui  vient  de  la  court,  qui  m'asseura  que 
»  monsieur  le  prince  est  fort  bien  venu  et  qu'il  faict  tous  les 
y>  jours  prescher  dedans  la  mayson  du  roy,  où  beaucoup  de 
))  personnes  se  trouvent.  Quant  à  Testât  des  affaires  de  ce  pays, 
»  monsieur  d'Esternay  est  passé  et  m'a  mandé  le  bon  accueil 
s>  et  honneste  réponce  que  luy  a  fait  monsieur  le  duc  de  "\Vur- 
»  temberg;  j'ay  depuys  deux  jours  visité  monsieur  le  duc  de 
»  Deux-Ponts,  à  six  lieues  d'icy,  qui  ma  grandement  satisHiiete 
»  et  contentée  sur  ce  que  je  luy  ay  proposé,  et  vous  puis  dire 
».  que  nous  avons  bien  occasion  de  louer  ung  tel  prince  si 
y>  aflTectionné  à  la  cause  de  Dieu  et  repoz  de  toute  la  chres- 
»  tienté.  Mondit  sieur  le  duc  de  Wurtemberg  m'a  envoyé  la 
»  responce  à  la  confession  que  fûtes  d'advys  que  je  luy  en- 
»  voyasse,  laquelle  je  vous  envoyé.  Il  m'a  aussy  asseuré  qu'il 
»  seroyt  bien  ayse  de  me  veoyr.  Je  renvoyé  pour  cest  elîecl 

(1)  Bibliolli.  (le  la  ville  do  Genève,  vol.  l'J6. 

15 


„  2-2G  — 

3)  devers  son  Excellence,  afin  que,  aprez  que  je  Fauray  veu,  cl, 

))  s'il  est  possible,  le 'landgrave  de  [lessen,  je  m'achemine  en 

»  France,  où  je  n'espargneray  rien  de  ce  que  je  congnoistray 

))  pouvoir  servir  pour  l'advancement   de  la  gloire  de  Dieu, 

»  pryant  Dieu  qu'il  vous  ayt  en  sa  garde.  » 

Le  20  mai,  la  comtesse  de  Roye  arriva  à  Heidelberg,  où  elle 
visita  l'électeur  palatin,  Frédéric  III,  et  rencontra  le  landgrave 
Philippe.  A  côté  des  graves  entretiens  qu'elle  eut  avec  ces  deux 
princes  sur  les  affaires  religieuses  et  politiques  du  moment,  se 
plaça  une  invitation  adressée  à  Frédéric  III,  de  vouloir  bien 
procurer,  soit  au  prince  de  Condé,  soit  à  elle-même,  un  portrait 
de  la  fille  auiée  du  roi  Maximilien,  pour  complaire  à  Catherine 
de  Médicis,  qui  avait  entamé  des  pourparlers  de  mariage  entre 
son  fils  Charles  IX  et  la  jeune  princesse.  Le  22  mai,  la  comtesse 
se  rendit  à  Brucksall,  où,  après  avoir  communiqué  au  duc  de 
Wurtemberg  les  dernières  nouvelles  qu'elle  avait  reçues  de 
France,  elle  eut  avec  lui  un  entretien  approfondi  sur  des  sujets 
exclusivement  religieux. 

Revenue  à  Strasbourg,  madame  de  Roye  n'y  résida  que 
peu  de  jours,  écrivit,  de  cette  ville,  à  Catherine  de  Médicis,  le 
27  mai  (I)et  reprit  enfin  le  chemin  de  la  France  avec  ses  petits- 
enfants.  Le  8  juin,  elle  était  à  Nancy,  d'où  elle  écrivit  au  duc 
de  Wurlcmbci'g  (2);  et,  vers  le  milieu  du  même  mois,  elle  arriva 
à  la  cour,  où  elle  eut  la  joie  de  remettre  intact  à  la  princesse, 
sa  fille,  le  précieux  dépôt  que  celle-ci  lui  avait  confié. 

Recouvrer  à  la  fois,  après  une  si  longue  séparation,  ses  jeunes 
enfants  et  sa  mère  fut  pour  Éléonore  de  Roye  un  immense  sou- 
lagement de  cœur,  et  l'une  de  ces  joies  suprêmes  que  rien  ne 
saurait  décrire. 

Au  milieu  des  intimes  épanchements  d'une  tendresse  réci- 

(1)  Voir  Appendice,  ii"  36. 

(2)  Archives  de  Stitll(/(irt,  iM-ankrcicli. 


—  l'ii  — 
proque,  les  exigences  de  la  vie  officielle  se  firent  bientôt  sentir  à 
•la  mère  et  à  la  fille  :  elles  se  rendirent  ensemble  dans  les  appar- 
tements de  la  reine  mère,  à  l'heure  des  réceptions.  Le  favorable 
accueil  fait  à  la  comtesse  de  Roye  par  Catherine  de  Médicis,  et 
le  blâme  implicite  qu'elle  infligea  à  la  duchesse  de  Guise,  sur  une 
question  de  préséance  imprudemment  soulevée  par  elle,  indispo- 
sèrent vivement  l'ambassadeur  d'Espagne,  Chantonnay,  demeuré 
fidèle  à  son  rôle  de  censeur  amer  de  tout  bon  procédé  envers 
la  noblesse  protestante.  Écoutons-le  raconter,  avec  la  petilesse 
d'esprit  qui  est  l'un  des  traits  caractéristiques  de  sa  correspon- 
dance, le  mesquin  incident  de  cour  que  fit  naître  la  susceptibilité 
déplacée  d'une  femme,  plus  amie  des  règles  de  l'étiquette  que 
juste  à  l'égard  d'une  manifestation  toute  naturelle  de  l'amour 
filial. 

«  Madame  de  Roye,  écrivait-il  le  ^7  juin  '1563  (i),  est  en 
))  cour,  à  l'accoustumée  bien  veue  et  bien  iraictée.  Quant  elle  y 
»  arriva,  la  princesse  de  Condé,  sa  fille,  la  présenta  à  la  royne, 
»  et  après  la  mit  en  ranc  près  de  soy,  au-dessus  de  madame  de 
»  Guyse;  laquelle,  pour  ne  se  mettre  en  dispute,  se  leva  et  s'en 
»  alla  hors  de  la  chambre.  La  royne  s'en  aperçut  et  se  retira  en 
»  son  cabinet,  laissant  toutes  les  dames  en  la  chambre;  et  fut 
»  ceste  façon  de  ladicte  princesse  et  de  sa  mère  notée  de  bcau- 
))  coup  de  gens,  comme  de  raison.  » 

Reste  à  savoir  (jui  eut  tort  ou  non,  aux  yeux  de  Catherine.  Or, 
un  contemporain,  bien  renseigné,  nous  l'apprend,  dans  cette 
mention  succincte  :  «  La  belle-mère  du  prince  de  Condé  est 
»  arrivée  à  la  cour,  La  reine  mère  l'a  accueillie  avec  les  plus 
»  grands  égards,  et  lui  a  donné  le  pas  sur  la  duchesse  de 
»  Guise  (2).  » 

Les  égards  particuliers  dont  madame  de  Roye  fut  alors  en- 
tourée lui  étaient  assurément  bien  dus,  à  raison  des  témoignages 

(1)  Mém.  de  Condé,  t.  II,  p.  163. 

(2)  Calend.  of  St.  pap.  forcign,  0  juillcl  151)3.  Nowsfrom  France. 


_  '358  — 


réitérés  de  dévouement  que  Catherine  avait  reçus  d'elle,  et  aux-, 
quels,  ni  comme  reine,  ni  comme  femme,  elle  ne  pouvait  de- 
meurer insensible.  En  tout  cas,  un  mobile  à  l'influence  prépon- 
dérante duquel  Catherine  n'était  que  trop  fréquemment  soumise, 
rinlérrt  personnel,  lui  eut,  à  délaut  d'un  sentiment  élevé  et 
avouable,  secrètement  dicté  ces  mêmes  égards.  Elle  était,  en 
effet,  fortement  intéressée  à  ménager  la  comtesse  de  Jloye,  qui 
venait  de  lui  prouver  par  un  fait  significatif  l'intérêt  qu'elle 
portait  aux  négociai  ions  entamées  en  vue  d'une  union  à  conclure 
entre  Charles  IX  et  la  fille  de  Maximilien,  et  qui  pouvait  lui  être 
utile  encore  quant  à  la  marche  ultérieure  et  au  succès  de  ces 
mômes  négociations.  Flattée  de  la  remise  que  la  comtesse  lui 
avait  faite  du  portrait  de  la  jeune  princesse,  elle  voulut  que  cette 
dernière  reçût,  en  échange  de  ce  gracieux  procédé,  un  portrait 
du.  roi  de  France,  que  devait  accompagner  l'expression  d'une 
haute  gratitude.  Le  prince  de  Portien  fut,  à  raison  de  ses  rela- 
tions particuUèrcs  avec  les  cours  d'Allemagne  et  de  la  considéra- 
tion dont  il  y  jouissait,  chargé  du  double  soin  d'aller  remercier 
la  princesse  et  de  déposer  entre  ses  mains  le  portrait  du  jeune 
monarque  (1). 

La  comtesse  de  Roye,  tout  en  goûtant  près  de  sa  fille  les  inef- 
fables joies  du  revoir,  ne  perdait  pas  de  vue  les  graves  devoirs 
que  lui  imposait  sa  réapparition  à  la  cour,  où  elle  supposait  que 
ses  conseils  trouveraient  encore  quelque  crédit.  Aussi,  affermie, 
comme  elle  l'était,  dans  ses  convictions  religieuses,  et  alliant  la 
décision  et  la  franchise  à  une  intelligence  supérieure,  dont  un 
tact  merveilleux  rehaussait  le  prix,  ne  manqua- t-elle  pas,  dès  que 
l'occasion  s'en  offrit  à  elle,  d'exhorter  Catherine  de  Médicis  à 
tenir  la  balance  égale  entre  les  catholiques  et  les  protestants, 
et  à  veiller  sérieusement  à  la  stricte  et  impartiale  exécution  des 
conditions  de  la  paix.  Mais,  que  pouvaient  les  inspirations  d'un 

(I)  Calend.  of  St.pap.  foreign,  20  juin  15G3.  MidJloinore  to  Cecil. 


—  2-29  — 
cœur  loyal  et  pieux,  et  les  conseils  désintéressés  d'une  intelli- 
gence d'élite,  sur  un  esprit  livié  aux  âpres  convoitises  de  l'am- 
bition et  assoupli  aux  manœuvres  d'une  politique  tortueuse? 
Catherine  se  pi'éocciipait  de  tout  autre  chose  que  de  l'obliga- 
tion d'assurer  aux  protestants,  dans  la  pratique  journalière  de  la 
vie,  l'exercice  des  droits,  d'ailleurs  restreints,  que  l'édit  d'Am- 
boise  leur  avait  reconnus  :  elle  ne  songeait  qu'à  accroître  soR 
pouvoir  et  qu'à  éliminer  toute  influence  qui  tendrait  à  en  en- 
traver l'extension.  De  là,  notamment,  le  soin  qu'elle  continuait  à 
prendre,  de  Cantonner  Coudé  dans  une  situation  secondaire,  et 
même  de  le  détacher  de  ses  alliances  avec  les  protestants 
étrangers,  en  commençant  par  le  compromettre  vis-à-vis  d'Elisa- 
beth, par  le  concours  qu'il  prêterait  à  une  expédition  projetée 
pour  la  reprise  du  Havre  sur  les  Anglais.  Du  moment  où  elle 
avait  pressenti  que  Condé,  rendu  à  la  liberté,  pourrait  la  gêner 
dans  la  réalisation  de  ses  plans,  elle  avait  avec  perfidie  travaillé 
à  le  circonvenir,  à  l'annihiler  graduellement,  et  avait  fini  par  le 
soumettre  à  sa  domination;  trop  facile  triomphe,  dont  il  nous 
faut,  hélas!  signaler  maintenant  le  honteux  prélude  et  les 
lamentables  conséquences. 


CHAPITRE  XI 


A  dater  de  la  paix  d'Amboise,  il  ne  fut  pas  difficile  à  la  reine- 
mère  de  reconnaître  que  Louis  de  Bourbon,  qui  venait  de  faire 
de  larges  concessions  au  parti  catholique  par  son  adhésion  au 
nouvel  édit,  n'était  que  mollement  disposé  désormais  à  soutenir 
la  cause  des  protestants;  que  plusieurs  de  ceux-ci  révoquaient 
en  doute  le  sérieux  de  sa  foi  et  la  sincérité  de  son  dévouement 
aux  intérêts  sacrés  dont  il  avait  embrassé  la  défense.  Cathe- 
rine de  Médicis  constata  aisément  que  si,  d'une  part,  Condé 
aspirait,  comme  prince  du  sang,  à  jouer,  dans  la  gestion  des 
affaires  de  l'État,  le  vole  considérable  que  lui  attribuerait  le 
titre,  vivement  ambitionné  par  lui,  de  lieutenant  général  du 
royaume,  il  était,  d'une  autre  part,  comme  homme,  enclin,  à 
raison  de  la  versatilité  de  son  esprit  et  de  la  légèreté  de  son 
cœur,  à  se  dédommager  des  ennuis  d'une  captivité  récente,  non 
par  les  charmes  d'une  pure  et  douce  vie  de  famille  qui  s'ollraient 
à  lui,  et  qui  eussent  dû  constituer  son  véritable  bonheur,  mais 
par  l'ardente  poursuite  du  plaisir  et  les  enivrements  d'une  vie 
de  dissipation. 

De  ces  constatations,  Catherine  passa  rapidement  à  la  mise  en 
jeu  d'une  lactique  que  son  mépris  de  la  loi  morale  lui  avait 
suggérée  Elle  affecta  d'abord,  dans  ses  relations  personnelles 
avec  Condé,  des  prévenances  qui  le  séduisirent;  lui  témoigna, 
en  le  consultant,  par  [)ure  forme,  sur  les  affaires  publiques,  une 


—  231  — 
confiance  dont  il  prit  les  dehors  pour  la  réalité  ;  puis,  afin  de 
ralentir  et  de  paralyser  la  portée  de  son  intervention  dans  le 
maniement  de  ces  affaires,  dont  elle  s'était  soigneusement 
réservé  la  direction  suprême,  elle  en  détourna  insensiblement 
ses  pensées,  et  favorisa  par  des  menées  insidieuses  son  pen- 
chant pour  les  distractions  mondaines  et  les  stériles  satisfac- 
tions de  l'amour-propre,  qu'il  pouvait  facilement  se  procurer  à 
la  cour. 

Ainsi  s'ouvrit  sous  les  pas  mal  assurés  du  prince  une  voie 
semée  d'écueils.  Le  plus  dangereux  de  tous  était  celui  contre 
lequel,  dans  l'entraînement  de  sa  passion,  pouvait  venir  se  briser 
sa  fidélité  conjugale.  Catherine  le  savait,  et  ce  fut  précisément 
dans  la  direction  de  cet  écueil  que  sa  main  impure  s'efforça  de 
l'attirer.  Alors  qu'il  s'agissait,  pour  cette  femme  perverse,  de 
compromettre,  de  déprimer  et  de  sacrifier  à  sa  soif  désordonnée 
du  pouvoir  un  homme  dont  elle  redoutait  l'ambition,  elle  ne 
reculait,  en  vue  du  but  à  atteindre,  devant  aucun  moyen,  pas 
môme  devant  une  vile  spéculation  sur  les  attraits  et  les  mœurs 
faciles  de  la  plupart  de  ses  filles  d'honneur,  transformées  en 
instruments  de  sa  politique.  Elle  avait  déjà,  parmi  elles,  dressé 
une  du  Rouet  à  ce  rôle  dégradant  vis-à-vis  du  roi  de  Navarre; 
l'idée  lui  vint  ensuite  de  détacher  des  rangs  de  son  escadron 
volant imchimevù],  pour  lui  assigner  un  rôle  semblable  vis-à-vis 
de  Louis  de  Bourbon. 

Accessible  à  des  séductions  de  tout  genre,  dont  l'empire 
devint  bientôt  irrésistible,  ce  prince'  dévia  de  la  droite  voie, 
pour  s'engager  dans  la  voie  funeste  (pie  lui  fhiyait  la  double 
corruption  de  Catherine  et  de  la  cour.  Côtoyant  témérairement 
l'abîme,  il  y  tomba  en  mai'i  coupable,  dont  l'ingratitude  aggrava 
l'infidélité.  La  profondeur  de  sa  déchéance  se  mesura  à  l'étendue 
de  l'affection  et  du  dévouement  dont  sa  noble  compagne  lui  avait 
donné  tant  de  preuves. 

En  évotpiant  ici  le  triste  souvenir  d'une  dépression  morale 


—  232  — 
que  nous  ne  pouvions  taire,  puisqu'elle  n'a  point  échappé  aux 
justes  sévérités  de  l'histoire,  nous  nous  abstiendrons  du  moins 
d'en  détailler  les  scandales.  Le  silence  à  leur  égard  gagnera  en 
dignité  ce  qu'une  vaine  curiosité  perdra  dans  ses  aspirations 
indiscrètes.  Ilàtons-nous  donc  de  substituer   à  un  lamentable 
tableau,  qu  il  sulTit  d'avoir  entrevu,  la  chaste  image  de  la  fidèle 
et  généreuse  Éléonore  de  Roye,  sur  laquelle  nous  ne  saurions 
trop  longtemps  arrêter  nos  regards.  En  la  contemplant,  nous 
apprendrons  à  connaître   comment,  des  hauteurs  de  la  foi  et 
dans  la  sainteté  de  l'amour,  le  cœur  d'une  femme  chrétienne, 
soumise  à  la  plus  douloureuse  des  épreuves,  demeura  digne  dans 
la  souiïrance,  se  résigna  sans  cesser  d'espérer,  et  tint  en  ré- 
serve, pour  l'auteur  de  ses  cruelles  blessures,  des'  trésors  de 
commisér^ation,  de  relèvement  et  de  pardon.  La  princesse  de 
Condé  nous  apparaîtra  ainsi  appliquant  avec  efficacité  aux  dé- 
tresses de  son  âme,  comme  s'ils  lui  eussent  été  personnellement 
adressés,  les  pieux  conseils  que,  dans  des  circonstances  ana- 
logues à  celles  qu'elle  traversa,  Calvin  avait  donnés,  quatre  ans 
auparavant  (l),  à  madame  de  Grammont,  dans  ces  lignes  mé- 
morables : 

«  Madame,...  c'est  bien  raison  que  nous  souffrions  d'estre 
»  gouvernez  selon  la  bonne  volonté  de  celuy  auquel  nous 
»  sommes,  et  qui  a  toute  supériorité  et  empire  pardessus  nous, 
»  combien  que  nous  n'avons  seulement  à  regarder  la  puissance 
»  et  sujeclion  que  nous  luy  devons,  mais  aussy  à  considérer 
))  quand  il  nous  afflige  ou  bat  de  ses  verges,  que  c'est  pour 
y>  nostre  instruction  et  profit,  et  qu'il  y  sçaura  donner  bonne 
•»  issue,  quand  nous  l'attendrons  en  patience.  Je  ne  vous  traict- 
»  teray  point  en  général  de  quoy  nous  doivent  servir  les  afflic- 
))  tions,  pour  ce  que  ce  propos  seroit  trop  long,  et  aussy  je  sçay 
»  que  vous  estes  assez  enseignée  par  l'Ecriture  à  quel  usage  il 

(1)  Lettres  /ranniises,  t.  II,  p.  21)1  ot  suiv. 


—  233  — 

))  nous  les  fouit  appliquer,  soit  pour  nous  apprendre  à  quitter  le 

»  monde  tant  plus  volontiers,  et,  cependant  que  nous  y  sommes, 

»  dompter  tous  nos  désirs  charnels,  que  pour  nous  humilier, 

))  pour  montrer  nostre  obéyssance   et  exercer  nostre  foy  par. 

»  prières,  gémir  de  nos  faultes  pour  obtenir  grâces,  et  en  somme 

))  estre  comme  amortis  pour  nous  desdier  à  Dieu  en  sacrifice 

»  vivant.  —  Suyvant  donc  ces  choses  que  j'estime  vous  estre 

»  bien  cognues,  je  vous  prie  maintenant,  madame,  au  mal  do- 

3)  mestique  qui  vous  presse,  de  bien  pratiquer  que  c'est  de  nous 

»  tenir  captifs  en  nos  affections,  et  les  dompter  du  tout  pour 

»  nous  ranger  à  ce  que  Dieu  cognoist  estre  juste  et  équitable. 

»  _  Je  pense  bien  quelles  angoisses  vous  endurez,  voyant  que 

»  vostre  partie  continue  à  vous  estre  desloyale,  mesmes  qu'après 

»  avoir  donné  quelque  bon   espoir  de  s'amender,  il  retourne 

»  encore  à  ses  desbauchemens  du  temps  passé.  Mais  sifault-il  que 

»  les  consolations  que  l'Écriture  nous  propose  ayent  vigueur  en 

))  vostre  cœur  pour  adoucir  toutes  vos  tristesses.  —  Je  vous 

»  laisse  à  penser  si  vous  eussiez  eu  en  cest  endroit  tous  vos  sou- 

»  haits,  combien  vous  pouviez  estre  ravie  en  plaisirs  vains,  dé- 

»  lices  et  alleschemens  du  monde  pour  vous  foire  en  partie 

»  oublier  Dieu.  Mais  encores  que  vous  ne  congnoissiez  point  la 

))  cause,  si  vous  convient-il  foire  cest  honneur  à  Dieu  de  tenir 

))  ce  point  pour  résoki,  puisqu'il  est  tout  bon  et  tout  juste,  que 

»  nous  devons  paisiblement  recevoir  ce  qu'il  nous    envoyé,  et 

))  qu'il  n'y  a  que  redire  ne  répliquer  en  tout  ce  qu'il  dispose.  — 

»  Exhortez-vous  donc  à  patience  par  la  Parole  de  Dieu  et  vous 

y>  esforcez  à  surmonter  toutes  tentations  dont  je  ne  doute  pas 

■»  que  vous  ne  soyez  fort  agitée.  Cependant  priez  Dieu  conlinuel- 

»  lement  qu'il  convertisse  le  cœur  de  vostre  mary,  et  de  vostre 

))  part  mettez  peine  de  le  gagner  et  le  réduyrc  au  bon  chemin. 

y>  Je  sçay  combien  cela  vous  sera  difficile  pour  ce  que  vous  y 

»  avez  desjà  esté  trompée  plusieurs  fois,  et  mesmes  qu'on  peult 

»  appercevoir  par  quelques  signes  qu'il  a  esté  par  trop  assis  au 


—  234  — 
»  banc  des  mocqueiirs.  Mais  si  vous  fauU-il  encore  travailler  à 
y>  cela,  comme  c'est  le  vray  remède.  » 

Oui,  pour  la  princesse  de  Condé,  de  môme  que  pour  madame 
de  Grammont,  le  vrai  remède  aux  désordres  du  mari  infidèle  et 
aux  angoisses  de  la  femme  outragée  se  concentrait  dans  l'ardeur 
et  la  continuité  des  prières  de  celle-ci,  demandant  à  Dieu  le 
relèvement  de  l'âme  égarée,  et  dans  le  recours  à  de  patients 
efforts,  à  de  délicats  ménagements,  à  de  douces  instances  pour 
ramener  cette  àme  dans  le  sentier  du  devoir  et  pour  raviver,  en 
elle  les  saintes  affections  de  la  famille.  La  tache  qui,  sous  ce 
rapport,  s'imposait  au  cœur  d'Éléonore  de  Roye  était  immense 
et  ce  noble  cœur  qui  n'avait  jamais  cessé  d'aimer  et  de  se  dé- 
vouer, sut  l'accomplir  dans  toute  son  étendue. 

Quelle  que  lut  l'altération  profonde,  de  sa  santé,  la  princesse 
se  faisait  un  devoir,  tant  qu'il  lui  restait  quelques  forces  phy- 
siques, soit  de  résider  à  la  cour  avec  son  mari,  soit  de  l'accom- 
pagner lorsque  celle-ci  se  déplaçait  et  qu'il  devait  la  suivre. 

Quand  Condé,  ne  partageant  pas  les  scrupules  de  ses  oncles 
Goligny  et  d'Andelot,  et  se  considérant  comme  dégagé  vis-à-vis 
de  la  reine  d'Angleterre,  se  décida  à  prendre  part  à  l'expédition 
dirigée  contre  le  Havre,  il  s'achemina,  à  la  fin  du  mois  de  juin, 
vers  la  Normandie.  La  princesse  partit  avec  sa  mère  dans  la 
direction  de  cette  province,  que  Condé  traversa  pour  se  rendre 
à  l'armée. 

A  peine  la  comtesse  de  Roye  et  sa  fille  étaient-elles  arrivées  à 
Gaillon,  qu'Éléonore  de  Roye  fut  atteinte  d'une  petite-vérole 
dont  l'intensité  devint  telle  que,  pendant  quelque  lemps,  on 
craignit  sérieusement  pour  ses  jours  (1). 

Le  danger  avait  disparu,  mais  l'état  de  la  princesse  exigeait 
encore  des  ménagements  particuliers,  lorsque  madame  de  Roye, 

(I)  l>i'llre  (le  Cluuilou  ay  du  7  juillet  15G3.  {Mnii.  de  Coudé,  t.  II,  p.  lGi3.). 


—  235  — 

sur  la  fin  de  juillet,  tomba,  à  son  tour,  gravement  malade.  Sa 
fille,  en  lui  donnant  des  soins  assidus,  négligea  ceux  qu'elle  eût 
dû  prendre  pour  elk-même;  et,  depuis  lors,  elle  ne  put  jamais 
se  rétablir  complètement  (1). 

La  comtesse  de  Roye  fut  longtemps  soufTrante.  Au  début  de 
sa  convalescence,  et  dans  l'espoir  non-seulement  d'en  assurer 
les  progrès,  mais  surtout  de  restituer  à  sa  fille  un  peu  de  calme 
et  de  forces,  elle  quiUa  la  Normandie  pour  se  rendre  avec  la 
princesse  dans  l'un  de  ses  domaines,  à  Muret.  Le  2  octobre,  elle 
n'avait  pas  encore  entièrement  recouvré  la  santé,  car  elle 
écrivait,  le  môme  jour,  au  duc  de  Wurtemberg  ("2)  :  «  Il  y  a 
))  neuf  semaines  entières  que  je  suis  détenue  d'une  maladye  qui 
»  me  print  estant  à  la  court,  en  Normandie,  dont  je  suys  cuidé 
3)  mourir;  mais  à  présent  il  ne  me  reste  plus  qu'une  grande 
»  foiblesse  dont  j'espère,  avec  l'ayde  de  Dieu,  estre  bienlost 
»  guérye.  » 

Pendant  la  maladie  de  sa  femme  et  de  celle  de  sa  belle-mère, 
Condé  avait  activement  concouru  aux  opérations  de  l'armée  qui 
assiégeait  le  Havre.  Après  la  reddition  de  cette  place,  il  avait 
reçu  de  Catherine  de  Médicis  maintes  paroles  de  congratulation, 
mais  non  le  titre  de  lieutenant-général  du  royaume  sur  lequel 
il  comptait.  Sa  déception  fut  grande  lorsque  la  reine  mère  ré- 
duisit à  néant  toute  prétention  de  sa  part  à  ce  titre,  par  la  hâte 
avec  laquelle  elle  amena  le  parlement  de  Normandie  à  déclarer 
la  majorité  du  roi. 

Condé,  toujours  léger,  se  consola  aisément  d'avoir  été  ainsi 
éconduit,  en  se  lançant  de  nouveau  dans  le  tourbillon  des 
plaisirs,  et  en  reprenant  avec  sa  fougue  habituelle  le  cours  de  ses 
honteuses  aventures  de  cœur.  A  peine  se  prèta-t-il  à  le  ralentir, 
pour  faire,  en  septembre,  une  appaiilion  à  Muret,  en  com- 
pagnie de  son  beau-frèi-e  le  comte  de  Larochelbucault,  et  de  son 

{[)Éimt)'e  cVioic  (In)noisi'Hi'fnin(yiscà  une  aicnneainie,  dame  cstrangère,  etc. 
i'I)  A)cliivesdc  Stiittijart,  l'raulvreicli,  IG,n"  103. 


—  23G  — 

neveu  le  prince  de  Porlien  (1).  Leur  conduite,  comme  maris, 
contrastait  fortement  avec  là  sienne,  et  eût  dû  contribuer  à  le 
prémunir  contre  de  nouveaux  écarts,  si  l'autorité  de  l'exemple 
eût  pu  avoir  quelque  prise  sur  lui;  mais  qu'importaient  à  Condé 
l'affection  que  ces  deux  hommes  de  cœur  témoignaient  à  leurs 
femmes  et  les  égards  dont  ils  les  entouraient,  alors  qu'esclave  de 
ses  passions  et  oubliant  tous  ses  devoirs  envers  sa  fidèle  com- 
pagne, il  s'abaissait  jusqu'à  l'ingratitude! 

Ce  fut  à  ce  moment  que  lui  parvint  une  lettre  dans  laquelle 

Calvin  et  Th.  de  Bèze,  alarmés  de  l'insouciance  avec  laquelle  il 

compromettait  dans  de  coupables  désordres  son  honneur  de 

chrétien,  de  mari  et  de  père,  adressaient  à  sa  conscience  un 

sérieux  appel,  ce  Monseigneur,  lui  disaient-ils  (^),  nous  ne  pou- 

))  vous  omettre  de  vous  prier  en  général  non-seulement  d'avoir 

))  la  cause  de  nostre  Seigneur  Jésus-Ciirist  pour  recommandée 

))  à  ce  que  le  cours  de  l'Évangile  soit  avancé,  et  que  les  poures 

»  fidèles  soient  en  seureté  et  repos,  mais  aussi  de  monstrer  en 

y>  toute  vostre  vie  que  vous  avez  profité  en  la  doctrine  de  salut,  et 

»  que  vostre  exemple  soit  tant  d'édifier  les  bons  que  de  clorre 

y>  la  bouche  à  tous  médisants.  Car  d'auUant  plus  que  vous  estes 

»  regardé  de  loing,  estant  eslevé  en  si  hault  degré,  tant  plus 

»  devez  vous  estre  sur  vos  gardes  qu'on  ne  trouve  que  redire  en 

))  vous.  Vous  ne  doubtez  pas,  monseigneur,  que  nous  n'aimions 

))  vostre  honneur,  comme  nous  désirons  vostre  salut.  Or  nous 

y>  serions  traistres  en  vous  dissimulant  les  bruits  qui  courent. 

»  Nous  n'estimons  pas  qu'il  y  ait  du  mal  où  Dieu  soit  directement 

»  offensé,  mais  quand  on  nous  a  dict  que  vous  faites  l'amour  aux 

»  dames,  cela  est  pour  déroger  beaucoup  à  vostre  authoritô  et 

))  réputation.  Les  bonnes  gens  en  seront  offensez,  les  malins 

»  en  feront  leur  risée.  Il  y  a  la  distraction  qui  vous  empesche 

(1)  Calerid.  of  St.  pnp.  foreign,  20  et  28  septembre  1503.  Throckmorlon  to 
Ceci!  ainl  lo  Smilli. 

(2)  Lettres  françaises,  t.  II,  p.  530.  Lettre  du  17  septembre  15G3. 


—  237  — 

y>  et  retarde  à  vaquer  à  vostre  devoir.  Mesmes  il  ne  se  peut  faire 
))  qu'il  n'y  ait  de  la  vanité  mondaine,  et  il  vous  faut  surtout 
»  donner  garde  que  la  clarté  que  Dieu  a  mise  en  vous  ne  s'es- 
»  toulTe  et  ne  s'amortisse.  Nous  espérons,  monseigneur,  que  cest 
»  advertissement  vous  sera  agréable  quand  vous  considérerez 
»  combien  il  vous  est  utile.  » 

Un  tel  avertissement  inspiré  par  une  courageuse  franchise  et 
d'une  extrême  modération  dans  les  termes,  venait  d'autant  plus 
à  propos  que,  tout  en  en  ignorant  peut-être  l'existence,  Éléonore 
de  Roye  ajoutait  à  la  valeur  dont  il  était,  empreint,  par  la  tou- 
chante mélancolie  de  son  langage  et  par  la  dignité  de  son  atti- 
tude, en  présence  de  son  mari. 

Peut-être  à  ce  moment  Condé,  faisant  un  retour  sur  lui-même 
et  subissant  l'ascendant  de  la  piété  et  de  l'inaltérable  douceur 
de  sa  femme,  reconnut-il  l'utilité  du  conseil  donné,  et  se  livra- 
t-il  sincèrement  dans  le  sein  de  sa  famille  à  quelque  manifesta- 
lion  rassurante  de  sentiments  religieux.  Ce  qui  porte  à  le  croire, 
ce  sont  ces  simples  lignes  adressées  alors  par  la  comtesse  de 
Roye  au  duc  de  Wurtemberg  (1)  :  «  Monsieur  le  prince,  mon 
))  gendre,  a  l'intention  de  servir  de  plus  en  plus  en  tout  ce  qu'il 
»  pourra  à  l'advanccment  du  règne  de  Jésus-Christ.  »  Ces  pa- 
roles, alors  même  qu'on  fait  la  part  de  la  confiante  bienveillance 
qui  les  dicta,  viennent  à  la  décharge  de  Condé,  dont  le  caractère 
ne  fut  jamais  entaché  d'hypocrisie.  Peut-être  aussi  aux  impres- 
sions salutaires  que  reçut  le  prince  en  cette  circonstance,  s'ajou- 
tèrent presque  simultanément  celles  que  dut  lui  causer  un 
austère  avertissement  venu  de  plus  haut  encore  que  de  la  charité 
fraternelle,  puisqu'il  émanait  d'une  dispensation  divine.  Quel 
avertissement  ne  fût-ce  pas,  en  eflet,  que  celui  que  Dieu  donna 
au  père  égaré,  en  lui  retirant  deux  de  ses  enfants,  Madeleine  et 
Louis  de  Bourbon,  (|ui  les  7  et  19  octobre  15G3,  moururent  à 

(l)  Archives  (le  Stult<j<iit,  Frankreicli,  Jti,  u'^  103.  LcUro  ilii  i  oclobre  15G3. 


—  238  — 

Muret,  Agés,  l'une  de  trois  ans,  l'autre  de  dix-huit  mois('l)î 
11  nous  semble  impossible  d'admolti'e  que  Condé  soit  demeuré 
sourd  aux  appels  solennels  qui  lui  furent  ainsi  adressés;  mais, 
s'il  les  entendit,  cène  fut  que  pour  un  temps,  car,  malheureuse- 
ment, au  lieu  de  pénétrer  jusque  dans  les  secrètes  profondeurs 
de  son  ûme,  ils  n'avaient  fait  qu'en  eilleurer  la  surface. 

Quant  à  Éléonore  de  Roye,  nous  connaissons  la  sainteté  et  la 
permanence  de  ses  afTections;  nous  savons  ce  qu'elle  était 
comme  mère  :  aussi,  est-ce  à  l'étendue  de  sa  tendresse  mater- 
nelle que  nous  mesurons  celle  de  la  douleur  qu'elle  éprouva  en 
perdant  deux  de  ses  enfants  bien-iiimés;  douleur  dans  laquelle, 
toutefois,  la  suprême  espérance  d'un  éternel  revoir  reliait,  pour 
son  cœur,  la  terre  au  ciel. 

Appelée  par  l'altération  de  sa  santé  et  par  le  double  deuil 
qui  assombrissait  son  existence  à  prolonger  sa  retraite  loin  d'une 
cour  dont  l'atmosphère  lui  était  devenue  d'ailleurs  de  plus  en 
plus  pesante,  la  princesse  aspirait  à  dégager  son  mari  des  pièges 
que  l'astuce  et  la  perversité  de  Catherine  lui  avaient  tendus  sur 
un  tout  autre  terrain  que  celui  de  la  politique  et  des  affaires 
d'État.  Des  indices  malheureusement  trop  certains  lui  révélaient 
qu'il  y  était  tombé;  mais,  lorsque  le  prince,  après  un  court 
séjour  à  Muret,  voulut  la  quitter,  elle  ne  put  obtenir  de  lui  la 
promesse  de  revenir  prendre  définitivement  place  près  d'elle  au 
foyer  domestique;  et  pourtant,  tout  lui  en  faisait  une  obligation 
sacrée  :  car,  de  quelle  sollicitude,  de  quels  soins  délicats  ne 
devait-il  pas  entourer  sa  femme,  la  mère  de  ses  enfants,  alors 
surtout  qu'il  la  voyait  en  proie  aux  souffrances  de  l'àme  en 
môme  temps  qu'à  celles  du  corps.  Hélas!  Condé  n'était  plus  le 
mari  qui,  naguères  encore,  savait  au  moins, "dans  une  certaine 
mesure,  sympathiser  avec  elle  ;  il  n'avait  laissé  que  trop  tôt 
s'effacer  l'impression  produite  sur  son  esprit  par  les  paroles  de 

(2)  Scév.  de  Stc-Marlhe,  t.  II,  p.  979. 


—  -239  — 
Calvin  et  de  Bcze  et  par  la  mort  de  ses  deux  enfants.  Le  désordre 
des  mœurs  conduit  à  la  dureté  :  aussi,  vit-on  Louis  de  Bourbon 
insensible  à  l'état  douloureux  de  sa  femme,  et  perdant  jusqu'à 
la  notion  des  plus  simples  égards  que  cet  état  commandait,  se 
séparer  d'elle  brusquement,  et  aller,  au  loin,  se  livrer  à  ses  pas- 
sions désordonnées,  avec  un  redoublement  d'ardeur  qui  devait 
entraîner  un  surcroît  de  scandale?. 

A  la  notoriété  de  ses  coupables  relations  avec  Isabelle  de 
LimGuil  s'ajouta  celle  du  honteux  commerce  que,  depuis  quelque 
temps,  il  entretenait  avec  la  veuve  de  l'un  de  ses  plus  grands 
ennemis  politiques.  Jeune  encore,  et  alliant  à  la  beauté,  à  la 
richesse,  une  ambition  effrénée,  la  maréchale  de  Saint-André 
s'était  follement  éprise  de  lui,  et  avait  eu  le  don  de  le  fasciner. 
Elle  finit  par  afficher  audacieusement  sa  conquête,  sous  les  yeux 
d'une  cour  corrompue,  au  sein  de  laquelle  le  vice  étalait  ses 
ravages  avec  une  impudence  égale  à  la  turpitude  dont  ils  étaient 
entachés. 

Qui  le  croirait?  Ce  fut  à  la  fille  de  cette  femme  dépravée,  à 
une  débile  créature  dont  l'innocence  était  menacée  par  l'incon- 
duite  et  les  méfaits  d'une  mère  indigne  de  ce  nom,  que  Condé, 
moins  en  père  qu'en  esclave  égaré  par  des  suggestions  perfides, 
prétendit  unir  son  fils  aîné  (1).  De  môme  que  le  petit  marquis  de 
Conty,  la  jeune  de  Saint-André  touchait  à  peine  à  l'adolescence. 
Elle  avait  été,  avant  la  bataille  de  Dreux,  destinée  par  son  père 
au  fils  du  duc  de  Guise,  et  accueillie  depuis  sous  le  toit  de  la 
duchesse,  qui  désirait  veiller  sur  son  éducation.  Elle  venait  d'être 
tout  à  coup  retirée  des  mains  de  celle-ci,  lorsque  Catherine  de 
Médicis  opposa  à  la  réalisation  du  projet  d'union  une  résistance 
devant  laquelle  Condé  et  la  maréchale  durent  s'arrêter  ('2). 

Si  ce  projet,  machiné  dans  l'ombre,  loin  de  Muret,  et  surpris 

(1)  Mém.  de  Condé,  t.  11,  p.  20i. 

(2)  Calend  of  State  papers,  forcign,  10  novemb.  1563.  A.  B.  Fadino  to  p. 
Dubois.  —  Calvin  à  Dullinger,  2  décembre  15G3,  lettre  lat. 


—  240  — 

par  la  reine  mère,  eût  été  connu  d'Eléonore  de  Roye,  quelle 
n'eût  pas  été,  pour  le  combattre,  l'énergie  d'une  telle  mère, 
défendant  l'honneur  de  son  fds  contre  l'ignominie  d'une  alliance 
que  de  sordides  calculs  tendaient  à  lui  imposer! 

Quelque  grande  que  fût  la  déception  subie,  ces  calculs  ne 
furent  cependant  abandonnés  ni  par  Condé  ni  par  la  maréchale. 
Cette  dernière,  d'ailleurs,  en  continuant  à  tenir  le  prince  sous 
son  joug,  nourrissait  en  secret  d'odieuses  espérances.  En  effet, 
appelant,  de  ses  vœux  la  mort  à  titre  d'auxiliaire,  elle  se  n.attait 
de  rencontrer,  un  jour,  en  Louis  de  Bourbon,  l'homme  qui, 
affranchi  des  liens  d'une  première  union,  en  contracterait  avec 
elle  une  seconde,  destinée  à  l'élever  au  rang  de  princesse  du 
sang.  Puis,  pour  mieux  assouvir  ses  après  convoitises,  elle  se 
réservait  d'acheter,  en  temps  opportun,  le  consentement  de 
Condé  par  le  don  qu'elle  lui  ferait  d'une  notable  partie  de  sa 
fortune. 

^'e  fallait-il  donc  pas  que  !e  prince  fût  tombé  bien  bas,  pour 
que  la  femme  éhontée  dont  il  s'était  constitué  Tesclavc  osât  ainsi 
spéculer  sur  l'asservissement  dans  lequel  elle  le  tenait?  Oui, 
force  est  de  le  reconnaître,  Condé  s'était  volontairement  préci- 
pité dans  un  abîme  sans  fond. 

Ses  oncles,  Goligny  et  d'Andeiot,  revenus  à  la  cour,  où  ils 
séjournèrent  en  novembre  et  décembre  1503  (1),  prirent  à  cœur 
une  tache  digne  en  tous  points  de  leur  noble  caractère  et  de 
leur  dévouement  éprouvé  :  celle  de  son  relèvement  moral  ;  mais 
leurs  efforts  demeurèrent  à  peu  près  infructueux. 

Tout  concourait  à  retenir  Éléonore  de  Roye  loin  de  la  cour. 
Le  devoir  seul  l'y  rappela  momentanément,  en  février  1504, 
alors  que  le  roi  et  la  reine  mère  résidaient  à  Fontainebleau.  Sa 
présence  imposa  à  Condé,  dont  le  maintien  vis-à-vis  d'elle  fut, 
au  moins  extérieurement,  conforme  à  ce  qu'elle  était  en  droit 
d'attendre  de  lui. 

(1)  Journal  do  Itriiylart.  {Mém.  do  Condé,  t.  I,  p,  138.) 


—  241  — 

Saclianl,  dans  la  résidence  royale  comme  partout  ailleurs,  se 
montrer  fidèle  à  ses  habitudes  de  piété,  elle  ne  tarda  point  à  se 
convaincre  que,  pas  plus  que  la  duchesse  de  Ferrare,  qu'elle  avait 
rencontrée  à  Fontainebleau,  elle  n'eût  pu,  pour  peu  oue  son 
séjour  dans  cette  ville  se  fût  prolongé,  y  obtenir,  pour  elle  et  les 
personnes  de  sa  suite,  la  continuation  des  exercices  du  culte 
réformé,  qui  n'y  étaient  tolérés  qu'accidentellement.  En  vain, 
sans  engager  d'ailleurs  en  quoi  que  ce  fût  sa  conscience,  et  par 
pure  déférence  pour  une  fantaisie  royale,  avait-elle,  ainsi  que  la 
vénérable  duchesse,  consenti  à  entendre  un  sermon  prononcé 
par  le  cardinal  de  Lorraine,  transformé,  pour  quelques  instants, 
en  prédicateur  de  cour;  Catherine  de  Médicis  ne  s'était  point, 
pour  cela,  montrée  mieux  disposée  à  son  égard  qu'à  l'égard  de 
Renée  de  France;  loin  de  là  :  ne  voyant  en  celle-ci  et  en  la  prin- 
cesse, que  deux  femmes  inébranlablement  attachées  à  des  doc- 
trines religieuses  autres  que  celles  dont  le  cardinal  venait,  selon 
elle,  de  démontrer  la  légitimité  exclusive,  elle  leur  avait  déclaré 
que  là  où  se  trouvait  le  roi  l'exercice  du  culte  réformé  ne  pou- 
vait plus  désormais  avoir  lieu. 

Le  cardinal  de  Sainte-Croix  et  la  duchesse  de  Ferrare,  dans 
leur  correspondance,  ne  laissent  aucun  doute  sur  les  sentiments 
hostiles  au  protestantisme  et  à  ses  adhérents,  môme  de  l'ordre 
le  plus  élevé,  qui  animaient  alors  la  reine  mère  et  son  entourage. 

((  Dimanche  dernier,  disait  Sainte-Croix  (l),  son  éminence 
y>  (le  cardinal  de  Lorraine)  prêcha  dans  la  salle  de  Sa  Majesté, 
»  où  se  trouvèrent  non-seulement  le  roi  et  la  reine  avec  toute 
»  leur  cour,  mais  aussi  le  prince  et  la  princesse  de  Coudé,  avec 

(1)  Lettre  du  25  février  i5Gi,  datée  de  Melun  (voy.  Aymon,  Actes  eccl.  cl  cir. 
dessynodes  nat.  deségl.  réfonn.,t.  I,  p.  200.  —  Lettre  d'Antoine  Sarroii,  secré- 
taire de  l'ambassadeur  d'Espagne,  du  24  février  1501  {Mcin.  de  Condé,  t.  Il, 
p.  191)  :  «  Dimanche  dernier,  le  dit  s''  cardinal  (de  Lorraine)  lit  un  fort  beau  ser- 
»  mon  à  Fontainebleau,  auquel  le  roy,  la  reyne,  le  duc  d'Orléans,  monsieur  le 
»  prince  de  Condé,  la  ducliesse  de  l'^errare,  Peroceli,  ministre  du  dit  s''  prince,  et 
»  quasi  tous  les  liugucnotz  de  la  cour  assistèrent.  » 

IG 


242  

b  la  duchesse  de  Ferrare,  et  ce  cardinal  fit  paroître  beaucoup 
))  de  savoir  el  de  piété  dans  son  sermon,  touchant  le  culte  des 
))  images,  le  sacrement  de  Teucharistie  et  le  jeûne.  Mais 
»  M.  d'Alôgre  a  rapporté  que  la  duchesse  de  Ferrare  dit  à  la 
))  reine,  lui  demandant  ce  qu'elle  en  pensoit,  qu'elle  avoit  entendu 
»  proférer  de  grands  blasphèmes  contre  Dieu,  mais  que  si  Sa 
»  ^lajesté  lui  vouloit  faire  la  grâce  d'écouter  un  de  ses  prédi- 
»  cateurs,  elle  lui  feroit  entendre  d'autres  choses  qui  lui  plai- 
))  roient,  et  que  Sa  Majesté  répondit  qu'elle  airneroit  mieux 
»  mourir  (jue  de  prêter  l'oreille  à  cela.  » 

De  son  coté.  Renée  de  France  écrivait  à  Calvin,  de  Montargis, 
où  elle  était  revenue  en  quittant  Fontainebleau  (1)  :  «  L'occa- 
»  sion  qui  m'a  l'ait  partir  de  la  cour  avant  le  roy  a  esté  pour 
i)  m'y  osLre  interdit  de  y  faire  prescher  comme  j'avois  faict  quel- 
»  ques  jours;  et  non-seulement  me  feust  reffusé  au  logis  du  roy, 
))  mais  aussy  en  ung  que  j'ay  achapté,  qui  est  au  villaige,  que 
))  j'ay  tousjours  pi'csté  et  dédyé  pour  tel  faict  quand  mesmes  je 

»  n'estois  point  à  la  court monsieur  l'amiral  et  sa  femme  ne 

»  y  sont  arrivez  que  le  jour  que  j'en  partiz,  qui  n'y  ont  peu  faire 
))  autrement  quant  à  faire  prescher,  et  sont  parliz  huict  jours 
»  après,  dont  ilz  me  sont  venuz  dire  des  nouvelles  eulx  mesmes 
))  en  ce  lieu,  avec  le  cardinal  leur  frère.  » 

Plus  fatiguée  que  jamais  de  la  cour,  où  sa  présence,  du  reste, 
cessait  d'être  nécessaire,  Éléonore  de  Roye  revint  habiter  son 
château  de  Gondé-en-Brie,  dans  lequel,  depuis  l'aulomne  de  1563, 
elle  avait  fixé  sa  retraite. 

Louis  de  Bourbon  eut  le  triste  courage  de  la  laisser  partir 
seule  et  ne  resta  à  la  cour  que  pour  y  continuer,  dans  le  tumulte 
des  passions,  des  intrigues  et  des  plaisirs  (2),  une  existence 

(1)  Lcltn^  du  21  in;irs  iôGi  (lîil)l.  iial.,  niss.,  Collecl.  Dinniy,  vol.  8(i,  f'^  1:20  à 
1:25.  —  Voir  aussi  Appendice,  ii"  \M .') 

(2)  Les  M'huoircs  tle  Casleluuu  (I.  I,  p.  IG7)  parlent  des  fêles  données  on 
•lG6i  à  Fontainebleau,  dont  Condé  fut  l'un  des  coryphées.  —  Le  cardinal  Gran- 
velle  écrivait  à  l'empereur  Ferdinand  I",  le  l!2  avril  loGi-  {Pap.  d'El.  ili'  Cran- 


—  243  — 
déprimée,  qui  ne  permettait  pas  plus  de  reconnaître  en  lui  le 
mari  et  le  père  attaché  à  ses  devoirs,  que  le  défenseur  de  co- 
religionnaires opprimés,  que  le  prince  du  sang,  sérieusement 
adonné  aux  choses  de  l'État,  ni  môme  que  le  plus  humble  des 
hommes  prenant  au  moins  souci  de  son  honneur. 

Détournons  maintenant  nos  regards  de  Condé,  pour  les  arrêter 
sur  la  princesse,  et,  en  nous  reportant  aux  premiers  mois  de 
l'année  1564,  pénétrons  par  la  pensée  dans  le  château  de 
Condé-en-Brie.  Tout  y  porte  l'empreinte  de  la  dignité  morale^ 
d'une  supériorité  bienveillante  et  délicate,  d'une  direction  sage- 
ment imprimée  à  l'activité  de  chacun,  d'une  vigilance  soutenue, 
et  surtout  d'une  profonde  affection  dans  les  relations  de  famille. 
Tout  y  commande  le  respect,  tout  y  inspire  une  vive  sympathie 
pour  la  femme  éminente  dont  la  piété,  la  sérénité  d'àme  et 
l'inelTable  bonté  ont  fait  de  ce  château,  à  l'égard  des  êtres  chéris 
qui  l'y  entourent,  un  séjour  de  paix,  de  douce  intimité  et  de 
bonheur.  Les  regrets,  mélangés  d'appréhensions,  que  cause  à 
Éléonore  de  Pioye  l'absence  d'un  mari  auquel  elle  demeure  ten- 
drement attachée,  sont  tempérés  par  la  joie  qu'elle  éprouve  à 
voir  se  grouper  autour  d'elle  ses  enfants,  sa  mère,  sa  sœur,  et 
tout  le  personnel  dévoué  qui  compose  le  service  de  sa  maison. 
Sa  joie  cependant  n'est  pas  complète,  car  deux  de  ses  enfants 
n'existent  plus;  elle  ne  possède  près  d'elle  désormais  que  Henri, 
Marguerite,  François  et  Charles.  Henri,  âgé  de  douze  ans,  et 
Marguerite,  âgée  de  huit  ans,  ont,  le  premier  pour  gouverneur 
M.  des  Garennes;  la  seconde,  pour  gouvernante  madame  de 
Saint-Cyr,  assistée  de  mademoiselle  des  Fossés,  sa  fille.  Fran- 
çois et  Charles,  âgés,  l'un  de  six  ans,  et  l'autre  de  deux,  sont 
placés  sous  la  direction  de  femmes  de  confiance.  Le  ministre  de 

telle,  t.  VU,  p.  iOG,  l()7)  :  «  ...  disoit-ou  tout  l'onimuiit'imMit...  que  ce  qui  se 
»  faisoit  en  cour  esloit  de  doinier  passe-temps  au  dit  s'  roy  de  Tournois,  eoni- 

»  batz  de  l)astillons  cl  autres  semblables que  le  prince  de  Condé  y  ontemioit 

)i  au  service  des  dames  plus  ({u'en  autre  chose,  et  assez  froid  eu  la  religion  des 
»  Husuenolz.  » 


—  244  — 
l'Espine  est  chargé  de  l'inslruclion  religieuse  et  littéraire  de 
Henry,  de  Marguerile  et  de  François.  Le  ministre  Perussel,  qui 
a  assisté  Condé  durant  sa  seconde  captiviié,  est  le  chapelain  en 
litre  de  la  lamille.  Dans  l'intiniilé  de  la  princesse  vit  une  amie 
vénérable,  qui  l'a  constamment  suivie  depuis  son  berceau,  et  qui 
sera  près  d'elle  encore,  à  l'heure  suprême,  pour  recueillir  son 
dernier  soupir.  Enfin,  sont  associées,  en  une  certaine  mesure,  à 
la  vie  de  Aimille  d'Elconore  plusieurs  filles  d'honneur  sur  les- 
quelles s'étend  son  afiectueuse  protection. 

Que  de  traits  ne  pourrions-nous  pas  ajoutera  cette  incomplète 
esquisse,  en  entrant  dans  le  détail  des  soins  que  la  princesse  de 
Condé  donne  à  l'éducation  de  ses  enfants;  de  l'échange  d'idées 
et  de  sentiments  qu'elle  entretient  avec  sa  mère  et  sa  sœur,  dont 
l'existence  est  si  étroitement  unie  à  la  sienne;  de  ses  relations 
avec  le  reste  de  sa  famille  !  Que  n'aurions-nous  pas  à  dire,  d'une 
part,  de  sa  piété  si  élevée,  de  son  active  charité,  de  son  dévoue- 
ment jou  nalier  à  la  cause  du  protestantisme,  et,  de  l'autre,  des 
charmes  inhérents  à  sa  personne,  du  sérieux  et  de  la  délicatesse 
qui  présioent  à  ses  moindres  actions,  de  la  grâce  et  de  la  distinc- 
tion que  respirent  ses  paroles!  Il  n'est  pas  jusqu'à  son  exquise 
beauté,  admirée  de  tous,  ignorée  d'elle  seule,  que  nous  ne  fus- 
sions autorisé  à  signaler  comme  mise  par  une  sorte  d'affinité 
secrète  au  service  de  son  âme  pour  en  refléter  l'inaltérable 
pureté!  Mais  nous  devons  nous  renfermer  dans  les  limites  qui 
nous  sont  imposées  par  la  solennité  d'un  sujet  que  nous  abor- 
derons bientôt,  et  ne  pas  perdre  de  vue,  qu'à  une  époque  rap- 
prochée de  celle  dont  nous  parlons  en  ce  moment,  un  vide 
immense  allait  se  faire  dans  le  château  de  Condé-en-Brie,  et  le 
deuil  seul  y  régner  désormais. 

La  princesse  continuait  à  se  ressentir  des  suites  de  la  grave 
maladie,  qui,  en  1563,  avait  fait  craindre  pour  ses  jours,  et 
l'état  de  sa  santé  nécessitait  encore  d'extrêmes  ménagements. 
Elle  n'hésita  pas  cependant  à  se  soustraire  à  leur  observation, 


—  245  — 
pour  se  rendre  à  Troyes  où  se  trouvait  la  cour,  au  début  d'avril 
1564;  elle  voulait  y  donner  ses  soins  à  son  mari  (l)  atteint  de 
légères  souffrances  causées  par  une  imprudence  qu'il  avait 
commise  dans  l'un  de  ces  exercices  du  corps  pour  lesquels  il 
montrait  un  goût  particulier  (2).  Le  15  du  môme  mois,  Condé 
était  déjà  si  bien  rétabli,  qu'il  faisait  une  excursion  à  la  Fère.  En 
son  absence,  Éléonore  de  Roye  écrivit  au  prince  de  Portien  (3)  : 

<(  Mon  nepveu,  monsieur  mon  mary  m'a  commandé  vous 
))  escrire  ceste  lettre  pour  ne  pouvoir  luy  mesme  l'aire  cest  office 
))  et  vous  dire  qu'il  a  eu  ung  grand  plaisir  d'entendre  de  voz 
))  nouvelles  et  de  sçavoir  qu'elles  sont  bonnes.  Je  prie  Dieu,  moy 
»  aussy,  les  vous  continuer  tousjours  et  les  augmenter  de  toute 
»  prospérité  et  bonheur.  Je  croy  que  vous  avez  bien  sçeu  comme 
))  il  a  esté,  l'espace  de  huict  jours  travaillé  d'un  catharre  qui  luy 
»  tomba  sur  le  bras  et  luy  a  durant  ce  temps-là  faict  advoir  bien 

))  aspre  fièvre Il  s'en  va  guéry  et  espère  qu'il  sera  prest  ù. 

»  partir  avec  le  roy  qui  délibère  commencer  à  s'achemyner  à 
»  Ghaalons  lundy  prochain.  Il  m'a  donné  charge  vous  mander 
»  (|u'il  sera  bon  que  veniez  là  trouver  noz  majestez,  s'asseurant 
»  qu'elles  vous  verront  de  bon  œil,  mays  luy  principallement 
y>  qui  vous  désire  autant  en  ceste  compagnie  que  parent  et  amy 
»  qu'il  aye.  Je  croy  que  vous  ne  doubtez  point  aussy  de  quelle 
y>  affection  je  vous  y  souhaite,  etc.  » 

Pendant  son  séjour  à  Troyes,  la  princesse  de  Condé  donna 
des  preuves  signalées  de  son  zèle  pour  la  cause  protestante. 

Grâce  à  elle,  des  pasteurs,  à  la  tète  desquels  figuraient 
Chandieu,  Bernardin,  Gappel,  Perussel  et  Delarogerie,  purent 

(1)  Archives  gêner .  de  Venise,  Francia,  I5G;5  à  150(5.  Senalo  111,  Secrota.  — 
13  avril  1504.  M.  A.  lîarbaro  au  Sénat.  —  Calend.  of  St.  pap..  Il  avril  15Gi. 
Sniilh  lo  Cecil. 

(-2)  iHm.de  Condc,  t.  II,  p.  108. 

(3)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  ul!)0,  f"  iT. 


—  246  — 

organiser,  à  la  Ferlé-sous-Jouarre,  la  tenue  d'un  synode  dont 
les  séances  durèrent  du  27  avril  au  1"  mai  1564  (i). 

Grâce  à  elle  aussi,  de  Humicres,  gouverneur  de  Péronne, 
Monldidier  et  Roye,  reçut  de  Condé  une  lettre  (2),  dans  laquelle 
se  reflétait  l'intérêt  que  la  princesse  portait  à  la  liberté  d'exercice 
du  culte  réformé,  au  sein  des  annexes  de  celui  de  ses  domaines 
auquel  se  rattachaient  plus  particulièrement  le  nom  et  le  titre 
seigneurial  de  son  père,  ainsi  que  le  souvenir  de  la  résidence  que 
jadis  il  y  avait  faite.  Sous  l'inspiration  de  sa  femme,  le  prince 
disait  à  de  Humières  dans  cette  lettre  :  «.Je  sçay  pour  certain 
»  qu'il  y  a  grand  nombre  de  personnes  de  Roye,  Guermigny, 
))  Crapaumesnil  et  autres  lieux  circonvoisins  qui  sont  de  la  reli- 
»  gion  réformée  et  qui  désirent  en  toute  douceur  vivre  en 
»  l'exercice  d'icelle,  mais  ils  craignent  que  par  le  moyen  de  plu- 
»  sieurs  personnes  de  contraire  opinion  vous  ne  soyez  sollicité 
»  de  les  empescher,  et  pour  ceste  cause  se  sont  retirez  vers  moy, 
»  tant  pour  sçavoir  mon  intention  sur  cela,  que  pour  me  sup- 
■»  plier  vous  en  escripre;  et  considérant  que  ce  seroit  chose  per- 
2>  nicieuse  et  dommageable  à  la  conscience  de  tant  d'hommes, 
))  de  vivre  sans  religion,  je  leur  ay  pour  ceste  raison  permis  et 
-D  accordé  que  es  terres  qui  m'appartiennent  hors  la  ville  de 
»  Roye  et  ses  Aiulxbourgs,  ils  puissent  en  toule  honneste  liberté 
»  exercer  le  ministère  de  la  dite  religion  sans  aucun  cmpesche- 
))  ment,  et  mesmes  aler  à  Cany,  si  bon  leur  semble,  à  la  charge 
))  de  se  contenir  en  telle  modestie  les  uns  envers  les  autres, 
))  qu'il  n'advienne  aucun  tumulte.  Parquoy  je  vous  prie,  mon- 
»  sieur  de  Humières,  tenir  la  main  à  ce  que  lesdits  liabitans 
»  puissent  paisiblement  et  sans  contredit  aler  et  venir  ez  lieux 
»  où  se  fera  ledit  exercice  hors  ladite  ville  de  Roye,  et  mander 
))  pour  cest  effect  à  vostre  lieutenant  et  gens  du  roy  dudit  lieu 

(1)  IJibl.  nal.,  mss.  f.  fr.,  vol.  OGIO,  f'^OG,  97.  —  CmIcihI  of  St.  pap.,  27  avril 
15Gi,  Aiiswcr  to  llio  ciilninniatioiis  of  llioSyiioil. 

(2)  lîibl.  iKit.,  mss.  r.  fr.,  vol.  3IS7,f"  53.  Lctire  ihi  IT)  avril  15G4. 


—  247  — 
-y)  qu'ils  y  prennent  garde  qu'aucune  sédition  n'advienne;  à  quoy 
3)  je  m'asseure  que  sçaurez  bien  et  prudemment  pourvoir   et 
D  contenir  par  ce  moyen  les  subjetz  de  sa  majesté  en  tranquil- 
»  lité,  etc.,  etc.  » 

Enfin,  la  princesse  fit  preuve  d'une  haute  sympathie  pour  les 
protestants  de  Troyes,  que  maltraitait  indignement  le  duc  d'Au- 
male,  chargé  du  gouvernement  de  la  Champagne,  au  nom  de 
son  neveu  encore  mineur.  Réduits  à  l'impossibilité  d'obtenir  du 
duc  le  moindre  respect  pour  les  droits  qu'ils  tenaient  de  l'édit 
de  pacification,  ils  cherchaient,  près  du  trône,  une  protection 
sous  l'égide  de  laquelle  ils  pussent  s'abriter.  Ce  fut  alors 
qu'Éléonore  de  R.oye  pressa  son  mari  de  leur  accorder  son 
appui.  Condé  ayant  échoué  dans  une  réclamation  qu'il  avait 
présentée  pour  que  justice  leur  lut  rendue,  elle  saisit,  bientôt 
après,  l'occasion  qui  s'offrit  à  elle  d'intervenir  personnellement 
•  en  faveur  de  ses  coreligionnaires  près  de  Catherine  de  Médicis. 
Laissons  le  pieux  et  véridique  Nicolas  Pithou  raconter  ce  'lui  se 
passa  à  cet  égard. 

((  Ceux  de  l'église  de  Troyes,  dit-il  (1),  ayant  esté  advertis  par 
))  le  sieur  de  Saint- Martin  des  propos  que  le  duc  d'Aumale  lui 
»  avoit  tenus,  et  que  leurs  affaires  demouroient  en  arrière,  ils 
))  eurent  recours  au  prince  de  Condé  et  luy  firent  entendre 
))  comme  le  tout  se  passoit  en  cet  endroict;  le  suppliant  qu'il  luy 
»  pleust  vouloir  prendre,  à  bon  escient,  leur  faiot  en  mains,  au- 
»  trernent  qu'ils  estoient  en  voye  de  demourer  tousjours  en  un 
»  mesme  point.  Le  prince  les  pria  que  delà  en  advant,  ils  ne 
»  parlassent  plus  à  luy  en  public.  Si  ne  laissa-t-il  toulefoys  de 
»  leur  promettre  qu'il  veilleroit  et  feroit  tout  debvoir  en  tout 
))  ce  qui  concerneroit  le  faict  de  leur  église.  Et  s'estant,  ce  mesme 
y>  jour,  trouvé  au  conseil,  oubliant  ou  bien  tenant  à  peu  la  dé- 
))  fensc  dudit  conseil,  il  ne  laissa  de  parler  pour  le  faict  de  ceux 

(1)  llistnirc  de  rrgïise  réformée  de  Trotjcs.  (I>ibl.  nat.,mss.,  Collect.  Dupuv, 
vol.  ()'JS,f"«  5!)3,5iH.) 


—  248  — 

»  de  Troycs,  ci  d'en  fayre  ouverture.  ^lais  au  plus  lost  que  le 
»  duc  d'-Aurnale  luy  eust  ouy  entamer  les  propos,  il  luy  dist  que 
))  la  royne-mère  avoit  défendu  qu'on  ne  traîtast  de  celte  affaire 
;)  au  conseil  et  qu'elle  l'avoit  réservée  à  soy;  ce  qui  garda  le 
»  prince  de  Condé  de  passer  plus  outre.  Yoyans  ceux  de  l'église 
-;>  qu'ils  ne  proufitoientde  rien,  et  que  leurs  plaintes  et  doléances 
5)  avoient  esté  si  mal  reçeues  et  le  remède  encore  plus  mal  .appli- 
»  que,  ils  résolurent  de  sonder  une  voye  toute  nouvelle,  qui  fut 
i>  d'envoyer  les  plus  notables  et  apparentes  bourgeoises  de  la 
))  religion  vers  la  royne-mère  pour  essayer  si  elle  ne  se  rendroit 
))  point  plus  favorable  et  pitoyable  envers  ce  sexe  que  n'avoient 
»  esté  celles  de  leurs  maris;  suivant  en  cela  l'exemple  des  prin- 
»  cipaux  et  plus  excellens  citoyens  de  Rome,  lesquels  n'osant  se 
)>  présenter  devant  l'empereur  Constantin  pour  le  supplier  de 
»  rappeler  Liberius  leur  pasteur  et  évoque,  de  l'exil  où  il  l'avait 
»  envoyé,  commirent  ceste  charge  à  leuis  femmes,  qu'elles 
»  exécutèrent  si  heureusement  et  dextrement  que  l'empereur 
))  rappela  leur  évesque.  Ainsldoncques,  ayant  ceux  de  la  religion 
))  résolu  de  passer  outre  à  l'exécution  entière  de  ceste  entre- 
»  prinse,  il  esleurent  Loyse  Nevelet,  veuve  d'un  marchand  nommé 
))  Nicolas  Gliarlemagne,  femme  de  moyen  âge  et  craignant  Dieu. 
))  Et  pour  en  faciliter  Teffecl,  on  avisa  de  s'aider  de  la  laveur  de 
»  madame  la  princesse  de  Condé,  Éléonore  de  Roye,  dame  ver- 
3)  tueuse  et  sage,  qui  estoit  pour  lors  à  Troyes.  On  luy  com- 
»  muniqua  ceste  entreprinse  et  la  pria-t-on  qu'il  luy  pleust  moyen- 
»  ner  l'accès  à  ces  dames  de  Troyes  vers  la  royne-mère;  ce  que 
))  ceste  bonne  princesse  promit  volontairement  faire,  et  non- 
»  seulement  cela,  mais  aussy  de  les  présenter  elle  mesme  à  la 
»  royne.  Et  comme  elles  estoient  prestes  de  s'acheminer,  on 
»  rapporta  que  le  prince  de  Navarre,  courant  aux  barres  en  la 
»  salle  du  roy,  venoit  d'estre  blessé,  dont  toute  la  court  estoit 
))  fort  triste  et  troublée.  Ce  qui  fit  remettre  cette  entreprinse  à 
y)  une  autre  foys,  laquelle  sans  cela  on  alloit  exécuter.  Ainsy 


/ 


—  249  — 

»  furent  ces  bourgeoises  contraintes  de  se  retirer,  en  bonne 
»  dévotion  de  retourner,  à-  la  première  commodité,  qui  toute- 
»  fois  ne  se  put  oncques  puis  recouvrer;  car  tost  après,  la  prin- 
»  cesse  de  Condé  se  retira  de  la  cour,  pour  quelque  occasion 
»  que  le  prince  son  époux  lui  donna,  de  sorte  que  cette  gentille 
»  et  honneste  entreprinse  demeura  du  tout  rompue  et  sans  aucun 
»  effect.  » 

Pourquoi  fallait-il,  hélas!  que  le  dévpuement  de  la  princesse, 
d'autant  plus  touchant  que  de  cuisants  chagrins  domestiques 
ulcéraient  son  cœur,  ne  se  fût  exercé  celte  fois  qu'au  complet 
détriment  de  ses  forces  physiques  et  de  sa  santé  ! 


CHAPITRE  XII 


A  peine  de  retour  au  château  de  Condé-en-Brie,  Éléonore  de 
Uoye  fut,  le  26  avril,  subitement  atteinte  d'une  violente  hémor- 
rhagie,  symptôme  alarmant  d'une  de  ces  affections  organiques, 
accompagnées  de  cruelles  souffrances,  qui  tarissent  prompte- 
mcnt  les  sources  de  la  vie.  Dès  le  premier  moment,  elle  s'était 
sentie  mortellement  atteinte,  et  avait  été  confirmée  dans  son 
sentiment  par  ses  médecins,  dont  elle  avait  provoqué  les 
franches  déclarations. 

Trois  mois  consécutifs  allaient  se  passer  durant  lesquels  elle 
supporterait  avec  une  admirable  résignation  l'austère  dispensa- 
tion  qui  lui  était  envoyée.  Qu'on  juge  de  ce  qu'elle  eut  h  soulTrir 
et  de  sa  soumission  à  une  volonté  suprême,  qu'elle  sut  toujours 
trouver  bonne,  par  ces  seules  paroles  d'une  amie  (l)  qui  assista 
à  toute  les  phases  de  sa  dernière  et  longue  maladie  :  «  Je  pour- 
))  rois  dirHcilcmcnt  exprimer  tous  ses  maux,  car  ils  esloient  si 
»  divers  et  violons,  qu'au  jugement  des  experts  en  l'art,  ils  cstoient 
»  comme  insupportables  à  un  autre.  En  quoy  recognoissez  la 
»  grande  assistance  que  Dieu  lui  a  faicte,  car  jamais  elle  n'a 
»  ouvert  la  bouche  pour  mnruuu-er,  ni  faict  aucune  démonstra- 
»  tion  ou  contenance  d'impatience.  Je  l'ay  tousjours  veue  en  ses 
»  angoisses,  les  yeux  secs,  sans  cris,  sans  larmes  et  sans  plainctes, 

(1)  Epislrc  d'iiiio  tlaiiioisello  fraiiroise  à  une  sienne  amie  dame  estrangère,  etc. 


—  251  — 
»  lesquelles  sont  ordinaires   aux  malades,  voire  les  plus  con- 
»  stants.  » 

Condé,  sur  la  demande  de  la  princesse,  avait  quitté  le  roi  à 
Vitry  (1),  et  était  arrivé  au  château  de  Gondé-en-Brie. 

Heureuse  de  le  revoir,  Éléonore  n'eut  pour  lui  que  de  tou- 
chantes paroles. 

Les  pures  joies  du  retour  au  foyer  domestique  sont  le  privilège 
exclusif  de  l'homme  dont  le  cœur  d'époux  et  de  père  est,  par- 
tout et  toujours,  demeuré  fidèle  aux  saintes  affections  de  fa- 
mille. Le  prince  était  déchu  de  ce  privilège!! 

Revenu  près  de  sa  femme,  comment  rèpondit-il  au  généreux 
accueil  qu'elle  lui  fit?  s'efforça-t-il  de  racheter,  dans  les  limites 
du  possible,  la  gravité  de  ses  torts  par  la  sincérité  de  son  repen- 
tir, par  un  dévouement  réel,  par  des  soins  empressés,  par  des 
paroles  de  gratitude?  fut-il  au  moins  sérieusement  ému,  à  l'aspect 
d'immenses  souffrances?  Rien  de  précis  ne  peut  nous  fixer  sur 
ces  divers  points  dans  un  sens  favorable.  Au  contraire,  la  futilité, 
pour  ne  pas  dire  la  sécheresse  dont  est  empreinte  une  lettre 
écrite  par  lui,  peu  de  jours  après  son  arrivée  au  château  de 
Condc-en-Brie,  nous  fait  croire  à  l'absence  de  toute  émotion 
profonde  de  sa  part,  à  cette  époque.  Voici  le  langage  qu'il  tenait, 
le  6  mai,  au  prince  de  Portion  (-2)  :  ce  Mon  nepveu,  le  désir  que 
))  j'ay  d'entendre  de  voz  nouvelles  me  faict  vous  escrire  ceste 
i>  lettre  et  par  icelle  vous  supplier,  si  vostre  commodité  se  pré- 
»  sente,  venir  veoir  et  consoller  vostre  bon  parent  et  amy  qui  est 
))  fort  ennuyé  de  l'extrême  maladye  qu'a  eue  sa  femme,  avec  voz 
))  lévriers  et  aussy  vos  chevaulx  et  armes,  s'il  est  possible,  et 
))  vous  promelz  que  je  vous  montreray  icy  une  anltanl  belle  car- 
»  rière  que  sçauriez  veoir.  Mes  chevaulx  et  armes  arriveront 
»  aujourd'huy  en  ce  lieu,  espérant  que  sy  vous  venez,  nous  au- 
s>  rons  moïcn  de  nous  resjouir,  si  Dieu  plaist,  etc.  » 

(1)  Mém.  de  Condô,  t.  II,  p.  "200. 

(2)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.  vol.  319G,  f"  52. 


—  252  — 

Ce  que  nous  savons  du  caraclère  eL  de  la  piété  du  prince  de 
Portien  (i)  nous  autorise  à  penser,  qu'en  se  rendant  .à  l'invi- 
tation de  son  oncle  (2),  il  s'occupa  beaucoup  moins  de  satisfaire 
l'étrange  besoin  de  distractions  qu'éprouvait  celui-ci,  que  d'ap- 
porter à  sa  tante,  si  douloureusement  éprouvée,  de  nouveaux 
témoignages  de  sa  vive  afiection. 

Un  mois  s'était  écoulé  depuis  qu'Éléonore  de  Royc  était  tom- 
bée malade,  lorsqu'elle  profita  de  quelques  moments  de  relâche 
que  lui  laissaient  ses  soulTrances,pour  adresser,  le  25  mai  1564, 
à  son  cousin,  le  maréchal  de  Montmorency,  une  lettre,  la  der- 
nière peut-être  de  sa  correspondance  intime,  que  nous  croyons 
devoir  reproduire  en  entier  (3). 

((  Mon  cousin,  lui  "disait-elle,  j'ay  reçeu  la  lettre  que  m'avez 
»  escripte  par  ce  gentilhomme,  présent  porteur,  avec  un  tel  et 
»  si  ample  tesmoignage  du  soing  que  vous  avez  de  moy,  m'en- 
»  voiant  si  souvent  visiter,  que  je  ne  pourrois  assez  suffisamment 
))  vous  remercier  et  de  la  peine  que  vous  en  prenez,  et  des  bons 
»  et  notables  offices  que  vous  faictes  de  m'aymer  tous  les  jours 
»  d'une  telle  amytié  que  celle  que  vous  continuez  me  porter,  au- 
»  Iremènt  que  d'une  recordation  que  j'en  auray  toute  ma  vie, 
»  pour,  s'il  plaist  à  Dieu  me  redonner  ma  santé,  les  vous  rendre 
y>  de  toute  l'affection  qui  se  peut  espérer  de  la  plus  officieuse  et 
»  meilleure  parente  et  amye  que  vous  ayez  en  ce  monde.  Mais 
»  d'autant  que  soubz  peu  de  parolles  se  peut  couvrir  beaucoup 
X»  de  bonne  volonté,  je  réserveray  toutes  ces  autres  honnestetez 
»  et  offres  que  je  doy  à  vostre  amytié  avec  l'employ  et  le  moien 

(1)  Voir  nolammenlla  Ictlre  si  remarquable  de  Calvin  à  ce  prince,  en  claie  du 
8  mai  15G3  [Lcttr.  franc.,  t.  II,  p.  505  à  507). 

("2)  Le  prince  de  Porlien  vint,  en  ed'et,  alors  au  château  de  Condé-en-Urie,  ainsi 
que  le  prouve  ce  passat,^e  d'niK!  lettre  que  le  maréchal  de  Montmorency  lui 
adressa,  h;  3  juin  J5(!l  (lîihl.  nat.,  mss.  t.  fr.,  vol.  ol'JG,  f"  58)  :  «  Si  j'eusse  sçeu 
»  que  vous  eussiez  esté  à  Coudé  lorsque  j'y  envoyai  Marcilly  visiter  madame  la 
»  princesse,  vous  n'eussiez  pas  esté,  le  premier  à  ni'escrire  voslre  honneste  et 
i>  '^vnc'u'Mse  lectre,  etc.,  (!tc.  » 

(;i)l;il)!.  ual.,  mss.  f.  fr.,  vol.  ;î2f!0,  f'  (JO. 


_  gr.H 


))  que  j'anray  jamais  d'affectueusement  les  vous  démontrer  comme 
»  je  les  porte  en  mon  cœur  ;  et  en  la  suffisance  de  ce  gentil- 
))  homme  à  vous  dire  plus  particulièrement  de  mes  nouvelles, 
))  seulement  pour  satisfaire  au  louable  désir  que  vous  avez  de 
y>  sçavoir  au  vray  Testât  de  mon  portement,  je  y  adjousleray  ce 
T>  mot  en  ma  lettre,  que  depuis  la  dernière  que  vous  m'envoiastes, 
»  je  suis  encores  une  fois  tombée  en  telle  extrémité  qu'elle  n'a 
))  rien  esté  moindre  mais  beaucoup  plus  dangereuse  que  la  pre- 
)>  mière.  Toutes  fois  depuis  mon  flux  de  sang  s'est  cessé,  mais 
»  non  pas  que  nous  soions  bienasseurez  qu'il  soit  du  tout  arresté 
y>  et  ne  me  reprenne  plus.  Ainsi  me  voilà  tousjours  aux  escoutes, 
i)  attendant  à  ce  qu'il  plaira  à  Dieu  m'envoyer  et  en  déterminer. 
»  Et  sur  ce,  je  le  supplie  qu'il  vous  cloinct,  mon  cousin,  avec 
))  mes  plus  affectionnées  recommandations  à  vostre  bonne  grâce, 
))  en  toute  bonne  santé,  longue,  prospère  et  contente  vie.  De 
»  Condé,  ce  XXV°  jour  de  may  1504.  Vostre  entièrement  meyl- 
j)  leure  cousyne  et  amye,  léoxor  de  roye.  » 

Un  mois  plus  tard,  la  princesse  raconta  à  l'un  de  ses  parents 
c(  qu'elle  avoit  entendu  une  voix,  la  nuict,,qui  lui  avoit  dit  intel- 
))  ligiblement  qu'elle  mourroit  dans  peu  de  jours  et  qu'elle  s'y 
))  préparât  :  et  tant  sans  falloit  que  cela  l'eust  attristée,  que 
»  tousjours  depuis  elle  avoit  désiré  le  poinct  de  cette  saincle 
»  séparation.  » 

Ce  fut  sous  l'impression  d'un  tel  désir,  qu'elle  reçut  une  lettre 
du  ministre  Pierre  Viret  qui,  gravement  éprouvé  lui-même  dans 
sa  santé,  lui  adressait  les  consolations  et  exhortations  sui- 
vantes (1)  : 

«  Madame,  combien  que  je  sois  grandement  affligé  en  mon 
»  cœur  à  cause  de  vostre  maladie,  toutesfois  j'ay  reçeu  une  bien 
»  grande  joye  de  ce  que  j'ay  entendu...  de  la  grande  grâce  que 

(1)  Bibl.  nat.,  niss.,  Collect.  Dupuy,  vol.  137,  p.  97. 


—  254  — 

3)  ce  bon  Dieu  vous  flùct  en  voslre  adversité,  à  laquelle  tant  plus 
y>  le  corps  est  débilité  et  tant  plus  vostre  esprit  est  fortifié,  en 
))  quov  vous  monstrez  par  expérience  que  vous  n'avez  pas  perdu 
»  le  temps  en  l'escole  du  Seigneur,  en  laquelle  vous  avez  dès 
»  longtemps  esté  instruicte  par  sa  Saincte  Parole.  Vous  avez 
»  esté  tentée  en  diverses  sortes,  et  à  dextre  et  à  senestre,  à  sça- 
»  voir  par  prospérité  et  par  adversité...  Or,  Madame,  nostre  bon 
»  Dieu  vous  a  faict  passer  par  l'une  et  par  l'autre,  et  vous  y  a 
;)  tousjours  dûment  assistée  et  poursuivie  de  sa  faveur,  de  sorte 
»  que  jùsques  à  présent  la  victoire  vous  est  demeurée.  Vous  avez 
»  souvent  esté  parmi  les  honneurs  et  plaisirs  de  ce  monde  qui 
))  eiïéminent  souvent  les  plus  vertueux,  mais  le  Seigneur  n'a  poinct 
»  permis  que  vous  Taiez  oublié  ni  abandonné,  laquelle  chose  est 
))  un  excellent  don  de  Dieu,  lequel  vous  avez  bien  à  recon- 
))  gnoistre...  Il  vous  esprouve  maintenant  par  une  aulire  sorte 
y>  d'espreuve,  laquelle  ne  vous  est  pas  du  tout  nouvelle,  car  ce 
»  n'est  pas  la  première  affliction  en  laciucile  vous  ayez  esté,  et 
»  vous  en  avez  eu  de  fort  violentes  et  assez  suffisantes  pour 
»  esbranler  les  plus  constans  hommes  du  monde.  Mais  ce  bon 
))  père  céleste  vous  a  délivrée  de  toutes  par  des  moïens  esquels 
»  il  nous  a  donné  des  tesmoignages  tant  évideris  de  sa  provi- 
»  dence  que,  quand  nous  n'en  aurions  point  d'aultres,  ceux-là 
))  nous  devroient  suffire  pour  apprendre  de  nous  fier  tousjours 
))  de  plus  en  plus  en  lui  et  nous  remettre  à  sa  conduite  pour 
y>  sous  icelle,  le  louer  et  servir  de  plus  grand  cœur  et  lui  rendre 
))  grâces  immortelles  de  tant  de  biens  et  délivrances.  Or,  Ma- 
))  dame,  comme  ce  bon  Dieu  vous  a  tousjours  environnée  tant 
))  paternellement  de  sa  faveur  et  miséricorde  jusques  anjour- 
»  d'huy,  vous  vous  pouvez  bien  asseurcr  par  les  gages  et  tesmoi- 
))  gnages  que  vous  en  avez  desjh  qu'il  continuera  tousjours  ce 
»  soin  paternel  qu'il  a  de  vous,  connue  vous  rexpérimentez  à 
»  présent  au  lict  d'infirmité  où  vous  estes  par  sa  bonne  vo- 
»  lonté,  etc.  » 


Près  de  ce  lict  d'infirmité  affluaient  les  témoignages  de  solli- 
citude et  d'affection  que  la  princesse  recevait  des  divers  membres 
de  sa  famille.  Elle  y  répondait  par  des  paroles  de  gratitude,  de 
foi  et  de  résignation.  Ses  fréquents  entretiens  avec  la  comtesse 
de  Roye  avaient  un  caractère  solennel  :  «  C'étaient,  nous  atteste 
»  un  témoin  initié  aux  intimes  épanchements  de  la  mère  et  de 
2)  la  fille,  de  divins  dialogues  sur  la  grandeur  de  Dieu,  sa  sagesse, 
2)  bonté  et  miséricorde,  sur  l'enfer  des  consciences  de  ceux  qui 
))  n'ont  point  sa  crainte,  sur  la  différence  du  pur  et  faux  service, 
»  sur  l'assurance  de  l'anie  fidèle,  au  point  de  la  mort,  et  tels 

»  autres  hauts  propos Je  me  sentirois  bien  empeschée  s'il 

))  falloit  donner  mon  jugement,  laquelle  disoit  mieux.  » 

Ici  se. présente  un  affligeant  contraste  entre  les  émotions 
d'une  famille  éplorée  et  l'attitude  de  Condé.  Il  se  tenait  fréquem- 
ment à  l'écart,  absorbé  qu'il  était  par  des  préoccupations  ou- 
trageantes pour  la  vertueuse  et  fidèle  compagne,  qu'il  eût  dû, 
plus  que  jamais,  aimer,  respecter,  admirer  et  plaindre.  Saintes 
affections,  respect,  admiration,  sympathie,  tout  semblait  amorti 
dans  son  cœur  quand  il  s'agissait  d'elle.  D'une  part,jl  s'associait, 
en  pensée,  au  sort  d'Isabelle  de  Limeuil,  qui,  dans  une  circon- 
stance récente,  avait  causé  à  la  cour,  un  scandale  de  nature  à 
rejaillir  jusque  sur  lui  (I).  Il  la  savait  aux  prises  avec  une  infor- 
mation rigoureuse,  et  n'en  était  que  plus  ardent  à  entretenir 
avec  elle  une  correspondance  dans  laquelle,  perdant  toute  re- 
tenue, il  foulait  aux  pieds  ses  devoirs  de  mari  et  de  père,  et  com- 
promettait son  honneur  crhomme  et  de  prince  {"2).  D'une  autre 
part,  tant  était  grand  le  désordre  de  ses  idées  et  de  ses  senti- 
ments, il  s'érigeait  ostensiblement  en  champion  de  la  maréchale 
de  Saint-André,  dont  les  aspirations  ambitieuses  venaient  de 

(1)  Journal  do  liruslart.  (Mém.  de  Condé,  t.  1,  p.  I  i'i.) 

{î)  y o\v  Informalion  contre  Isabelle  de  Limeuil  (m;ii-aoùt  1561).  Brochure  de 
106  pages,  publiée  sous  la  signature  H.  f/'0/7r«».s-,  par  l'auteur  di>  VHistoire  des 
princes  de  Coudé. 


—  ^50  — 
s'accroître  à  la  mort  de  sa  fille.  Ayant  recueilli  dans  la  succession 
de  celle-ci  une  fortune  opulente,  elle  avait  jugé  opportun  de 
s'en  dessaisir  en  faveur  de  Condé  et  de  ses  enfants;  et  Condé 
s'abaissait  au  point  de  recevoir  de  la  maréchale  le  don  du  splen- 
dide  château  de  Yallery  et  de  divers  autres  biens  (1). 

Voilà  l'attitude  du  mari  d'Kléonore  de  Roye,  en  mai,  en  juin 
et  jusqu'au  15  juillet  1564.  A  dater  de  ce  jour,  il  fut  sérieuse- 
ment impressionné  par  l'état  de  sa  femme;  la  plaignit,  eut  avec 
elle  un  suprême  entretien,  pleura  sa  mort,  fit  l'éloge  de  ses 
vertus,  la  donna  en  exemple  à  ses  enfants,  et  parut  se  rappro- 
cher de  Dieu.  Plus  tard,  nous  le  savons,  il  réussit,  après  de  nou- 
velles rechutes,  à  se  relever  définitivement  de  sa  déchéance 
morale;  mais  le  passé  ne  pouvait  s'effacer  :  Éléonore  de  Roye 
avait  succombé,  et  sur  la  conscience  alarniée  de  Condé,  dut  con- 
tinuer à  peser  de  tout  son  poids  le  souvenir  des  cruelles  bles- 
sures qu'il  avait  faites  au  cœur  de  sa  femme. 

Qu'il  nous  suffise  d'avoir  effleuré  un  pénible  sujet  :  gardons- 
nous  de  fapprofondir;  notre  réserve  témoignera  du  respect  et 
de  l'admiration  que  nous  professons  pour  la  générosité  d'âme  de 
l'épouse  qui,  ayant  tant  à  pardonner,  ne  cessa  jamais  de  prier, 
d'aimer  et  de  bénir! 

Ceci  posé,  attachons-nous  désormais  uniquement  aux  nobles 
et  lumineux  aspects  sous  lesquels  vont  se  produire  les  dernières 
actions  et  les  derniers  sentiments  de  la  pieuse  princesse.  Nous 
arrivons  ainsi  à  un  ensemble  de  faits  empreints  d'une  saisissante 
grandeur. 

Le  15  juillet,  Éléonore  de  Roye  n'avait  plus  que  quelques  jours 
à  vivre;  en  proie  à  d'inexprimables  souiliances,  elle  ne  pouvait 
trouver  dans  aucun  des  deux  lits  sur  lesquels  on  la  plaçait  alter- 
nativement, une  position  (inl  lui  pi'ocuràt  le  moindre  soulage- 
ment. «  Seigneur  tout-puissant,  dit-elle  alors  d'une  voix  lamen- 

(I)  Voir  Appendice,  ii"  38. 


—  257  — 
))  table,  puisqu'on  tous  les  endroits  de  ce  terrestre  manoir,  quoi- 
y>  qu'il  soit  grand  et  spacieux,  et  dont  tu  es  créateur,  je  ne  puis 
))  trouver  par  toutes  mes  diligences,  si  petite  place  que  ce  soit, 
»  propre  à  repos  et  vuide  de  pointure,  pour  librement  annoncer, 
»  comme  je  soûlais.  Les  bontés  et  ta  miséricorde,  j'en  quitte  la 
«  demeure,  le  louage  et  le  séjour  pour  retourner,  s'il  te  plait,  à 
)>  ce  prochain  terme,  en  l'acquêt  que  tu  m'as  lait  par  la  mort  et 
»  passion  de  ton  fils  bien-aymé.  Rends,  mon  Dieu  et  père,  par  ce 
))  moïen,  mon  esprit  et  mon  corps  tous  deux  contenset  en  paix  : 
))  l'un,  libre  et  manumis  {affranchi),  allant  à  toi,  que  je  vois  desjà 
y>  me  tendre  les  bras,  l'autre,  restant  insensible  çà  bas  jusques 
))  à  ce  que  tu  le  réanimes,  au  son  de  ton  avènement.  » 

Craignant  de  trop  émouvoir  son  mari,  si  elle  lui  annonçait 
elle-même  qu'elle  sentait  la  mort  approcher,  la  princesse  chargea 
deux  graves  personnages,  amis  de  sa  maison,  de  se  rendre  dans 
les  appartements  de  Gondé,  de  lui  révéler  ce  qu'elle  pressentait 
devoir  bientôt  advenir,  et  de  lui  demander  l'autorisation  de  con- 
signer dans  un  acte  authentique  l'expression  de  ses  dernières 
volontés.  ((  Déclarez  au  prince,  dit-elle  à  ces  deux  amis,  que, 
»  puisqu'il  plait  à  Dieu  de  nous  séparer  prochainement,  quant 
»  au  corps,  j'aspire  à  ce  que  du  moins  nos  âmes  continuent 
))  d'estre  liées  inséparablement  en  l'amour  que  nous  devons  por- 
))  ter  à  notre  commun  Sauveur  Jésus-Christ,  qui  nous  a  délivrés 
»  si  miraculeusement,  aux  yeux  de  toute  l'Europe,  de  tant  d'en- 

y>  nemis  et  de  dangers Déclarez-lui  aussi  que,  pour  com- 

))  mencer  de  tester,  je  l'institue  héritier  universel  de  la  masse  de 
y)  l'amour  que  j'ai  voué  à  mes  enlans,  et  que  je  le  conjure,  en  les 
))  aimant  désormais  doublement  pour  lui  et  pour  moi,  de  veiller 
))  en  ma  place  à  ce  qu'ils  soient  élevés  en  la  crainte  de  Dieu,  que 
))  j'asseure  estre  le  plus  certain  bien  et  patiùmoine  que  je  puisse 
w  leur  laisser.  )> 

A  l'ouïe  de  cette  confiante  allocution,  les  deux  messagers 
répandirent   d'abondantes  larmes,   s'éloignèrent  et   revinrent 

17 


—  258  ^ 

rendre  compte  du  résultat  de  leur  mission.  Arraché  enfin  à  ses 
coupables  préoccupations  par  la  communication  qui  venait  de 
lui  être  faite,  Condé  avait  paru  en  être  prolbndémenl  alTccté.  Il 
avait  déclaré  recevoir  de  la  princesse  une  leçon  de  courage  qu'il 
s'efl'orcerait  de  suivre  par  amour  pour  elle  et  ses  enfants;  ajou- 
tant que  ceux-ci  le  trouveraient  toujours  fidèle  aux  suprêmes 
recommandations  de  leur  mère.  Il  avait  parlé  longtemps;  Té- 
tendue  de  ses  regrets  s'était  résumée  dans  les  expressions  sui- 
vantes :  ((  Dieu,  qui  nous  avoit  conjoints,  nous  sépare  et  délie 
y>  puisqu'il  lui  plaît,  et  c'est  raison  que  nous  nous  conformions 
»  entièrement  à  sa  saincte  volonté.  Il  est  vrai  que  plus  heureux 
y>  est  celui  qui  va  à  luy  que  celui  qui  demeure  et  qui  attend  un 
ï)  autre  passage.  Oh!  bienheureux  le  moment  (pie  Dieu  nous 
»  ordonnera  pour  estre  réuniz  aux  cieux  en  un  lien  d'éternité  î... 
»  Si  je  considère  et  pèse  la  rareté  de  l'heur  qui  se  représente 
y>  incessamment  devant  mes  yeux,  dont  je  me  prévois  privé  par 
y>  cette  séparation,  il  ne  se  peut  fiiire  que  je  trouve  ici  suffisante 
»  ou  égale  consolation,  ne  pouvant  nombrer  par  tous  les  millions 
0  qu'on  pourrait  assembler  l'infinité  d'une  perte  si  notable.  » 

La  réponse  du  prince  soulagea  le  cœur  d'Éléonore.  Après 
s'être  recueillie  devant  Dieu  dans  un  sentiment  d'actions  de 
grâces,  elle  lit  venir  deux  notaires  et  leur  dicta  un  testament 
dont  voici  le  début  : 

«  Considérant  la  fragilité  et  incertitude  de  cette  vie,  et  que 
»  Dieu,  par  ceste  griel've  maladie  dont  il  Iny  a  pieu  me  visiter, 
»  m'advcrtit,  comme  par  une  semonce,  de  me  pré|)arer  et  donner 
»  ordre  à  mes  alïaires  pour  estre  preste  à  suyvre  promplement 
y>  sa  volonté  quand  il  luy  plaira  de  in'appeler  :  j'ay  faict,  dict  et 
))  ordonné  ce  qui  s'en  suit  pour  la  déclaration  de  ma  dernière 
»  volonté  :  —  Premièrement,  je  te  supplie,  mon  bon  Dieu,  que 
i^  quand  il  te  plaira  me  délivrer  des  misères  et  langueurs  de  ceste 
y>  vie  et  tirer  mon  àme  de  la  prison  de  ce  corps  où  elle  est  en- 
y>  fermée  pour  (pielque  temps,  que  par  ta  bonté  et  miséricorde, 


—  259  — 
))  tu  la  veuilles  recevoir  entre  tes  mains  et  la  mettre  en  la  pos- 
»  session  et  jouissance  de  la  félicité  que  ton  Fils  nous  a  acquise 
»  par  sa  mort  et  passion,  et  par  ce  moyen  assurer  la  ferme  fov 
»  que  tu  nous  a  donnée  par  tes  promesses,  et  scellée  tant  par  le 
2)  bapLesme  (|Lie  par  ta  Saincte  Gène,  de  la  rémission  générale 
y>  de  nos  péchez,  lesquels  nous  croyons  estre  tellement  effacez 
»  par  le  sang  et  obéissance  de  ton  Fils,  qu'ils  ne  viendront 
))  jamais  en  compte  devant  loi.  —  Je  te  recommande  en  après 
»  nos  enfans,  le  requérant  que,  suyvantla  jjromesse,  tuleursois 
»  Dieu,  père  et  protecteur,  et  que,  estendant  ta  bénédiction  sur 
»  eux,  il  te  plaise  les  illuminer  et  dresser  en  la  cognoissance  et 
y>  en  la  crainte  de  ton  sainct  nom,  et  te  servir  d'eux,  comme  tu 
»,as  faict  du  père, à  exalter  ta  gloire,  à  procurer  et  conserverie 
))  repos  de  ton  Église^  et  en  arracher  tout  ce  que  tu  n'y  as  point 
»  planté.  Fais-les  par  la  bonté  spéciale,  instrumens  et  vaisseaux 
))  de  ta  gloire,  et  les  remplis  de  tes  grâces,  leur  commandant, 
»  par  l'autorité  que  tu  m'as  donnée  sur  eux,  qu'ils  vouent  et  dé- 
y>  dient  toute  leur  vie  à  ton  service  et  celui  de  ton  Église.  —  Je 
))  remets  la  sépulture  de  mon  corps  à  la  volonté  de  monsieur 
»  mon  mary,  sçachant  bien  qu'en  quelque  lieu  que  ce  soit,  il  y 
»  reposera  en  une  espérance  certaine  de  sa  résurrection.  » 

La  princesse  règle  ensuite,  dans, l'acte  dont  il  s'agit,  la  répar- 
tition de  sa  fortune  entre  ses  enfans,  fait  divers  legs  charitables, 
consacre  un  fonds  spécial  à  l'entretien  des  ministres  de  la  Pa- 
role de  Dieu,  dans  l'étendue  de  ses  domaines,  rémunère  ses 
gens  de  service,  donne  ordre  jusque  dans  les  plus  petits  détails, 
à  toutes  ses  alTaires  avec  autant  de  soin  et  de  présence  d'esprit 
que  si  elle  eût  été  en  pleine  santé. 

-'  Après  avoir  arrêté  de  la  sorte  ses  dernières  dispositions,  la 
tprincesse  fit  appeler  le  ministre  Perussel.  «  Je  désire,  lui  dit- 
»  elle,  avisera  l'élat  de  ma  conscience:  non  pas  que,  Dieu  merci, 
y>  je  ne  me  sente  bien  disposée  avec  mon  Créateur  et  prête  d'al- 
))  1er  à  lui  (piand  il  lui  jilaira,  mais  afin  que  vous,  mon  père,  (jne 


—  2G0  — 

î>  Dieu  a  mis  pasteur  en  la  famille  de  monsieur  mon  mari  et 
))  de  moi,  connaissiez  la  face  de  cette  brebis  de  votre  trou- 
»  peau,  et  que  je  meure  en  ce  contentement  d'avoirrendu  devant 
»  le  ministre  de  l'Église  du  Seigneur  un  véritable  témoignage 
»  de  la  foi  et  espérance  de  salut  que  j'ai  de  lui  par  sa  grâce.  » 

Joignant  alors  les  mains  et  levant  les  yeux  au  ciel,  elle  rendit  ce 
témoignage  avec  une  énergie  et  une  lucidité  d'expressions  re- 
marquables, puis  termina  par  une  fervente  piière. 

Une  heure  après,  ayant  fait  appeler  le  ministre  de  l'Espine, 
i  nvesti,  de  même  que  Perussel,  de  toute  sa  confiance,  elle  con- 
tinua à  parler  devant  lui  de  sa  foi,  de  ses  espérances  et  desa  vive 
gratitude  envers  Dieu. 

Condé  survint  et  lui  adressa  quelques  paroles  affectueuses. 
a  Quatre  choses,  lui  répondit-elle,  me  rendent  heureuse  :  la  pre- 
»  mière  est  l'assurance  de  mon  salut;  la  seconde,  la  réputation 
y>  de  femme  de  bien  que  j'ai  toujours  eue  par  la  grâce  de  Dieu; 
»  la  troisième,  la  certitude  que  vous  êtes  satisfait  de  moi,  parce 
))  que  je  vous  ai  aussi  fidèlement  servi,  aimé  et  honoré,  qu'une 
»  femme  pouvoit,  en  ce  monde,  servir,  aimer  et  honorer  son 
»  mari;  la  quatrième,  ma  joie  de  ce  que  Dieu  laisse  à  mes  en- 
»  fans  un  père  et  une  grand'mère  qui  les  nourriront  en  la  crainte 
»  du  Seigneur,  selon  le  principal  de  mes  désirs.  Et  maintenant, 
»  ajouta-t-elle,  il  me  faut  achever  ma  course  pour  gagner  le  prix 
»  que  je  me  vois  préparé  au  bout  de  la  lice  de  cette  pénible  car- 
»  rière.  » 

Lorsque  Condé  se  fut  retiré,  les  enlants  de  la  princesse  en- 
tourèrent .>on  lit  de  douleur  et  reçurent  d'elle  des  témoignages 
d'ineffable  tendresse. 

Un  lien  particulier  l'unissait  à  Henri,  son  fils  aîné,  qu'un 

-  cœur  ouvert  à  la  sympathie  et  à  l'affection,  un  caractère  sérieux 

et  doux,  et  une  intelligence  précoce,  avaient,  dès  l'âge  de  douze 

ans,  élevé,  en  quelque  sorte,  au  rang  d'ami  de  sa  mère.  Il  n'avait 

jamais  (piitté  Kléonore,  avait  partagé  ses  épreuves,  prié,  pensé. 


—  201  — 
senti  avec  elle,  et  lui  avait  voué  un  respect  et  un  amour  sans 
bornes.  Avec  quel  recueillement  et  quelle  émotion  n'enlendit-il 
pas  sa  mère  bien-aimée  lui  dire  : 

«  Je  vous  prie,  mon  fils,  craignez  Dieu  surtout  et  l'honorez 
»  comme  l'auteur  de  tout  bien  duquel  vous  devez  attendre  toutes 
»  faveurs,  puisqu'il  a  laissé  tant  d'arrhes  de  sa  bénéficence  en 
y>  notre  maison,  que  vous  saurez  beaucoup  mieux  juger  avec 
»  l'âge.  Croissez  en  vei'lu,  mon  ami,  qui  est  la  vivaie  parure  des 
))•  grands,  afin  que  vous  soyez  capable  de  fliire  bientôt  service 
»  agréable  au  roi,  au  visage  duquel  chacun  peut  connaître  l'em- 
y>  preinte  d'un  prince  bien  né  et  d'un  petit  Josias  dont  vous 
y>  m'avez  si  souvent  ouï  parler.  Honorez  la  reine  de  Navarre,  mon- 
))  sieur  le  cardinal  de  Bourbon,  monsieur  votre  père,  madame 
))  votre  grand'mère,  vos  oncles  messieurs  de  Chastillon  et  de 
»  Larochefoucault,  qui  sont  gens  craignant  Dieu,  et  qui  ont  fait 
»  preuve  de  leur  vertu  en  beaucoup  de  sortes.  Soyez  amateur 
y>  du  bien  public  et  le  procurez  par  tous  justes  moyens,  sans 
»  olTenser  vostre  couscience.  Aimez  vos  deux  frères  et  vostre 
)\  sœur,  non  comme  frère,  mais  comme  père  que  vous  leur  devez 
))  estre,  puisque  vous  estes  l'aîné  et  n'estes  plus  enfant.  Parlez  le 
^  plus  souvent  que  vous  pourrez  aux  ministres  Perussel  et  de  l'Es- 
))  pine  pour  vostre  salut,  et  croyez  le  cons'^il  des  trois  hommes 
»  de  robe  longue  que  vous  connaissez  cslre  aimés  et  estimés  de 
))  monsieur  votre  père  et  de  moi.  Gardez-vous  bien  de  faire  ja- 
))  mais  chose,  sous  couleur  qu'on  vous  pourra  dire  que  votre 
))  gouverneur,  quoiqu'il  soit  vigilant,  n'en  saura  rien  :  car  vostre 
3)  bon  Père,  qui  est  là-haul,  voit,  connoist  et  sait  tout.  Par  ainsi, 
■)■>  vous  devez  avoir  honte  de  mal  faire,  comme  s'il  étoit  toujours 
»  présent,  selon  les  belles  instructions  de  vostre  livre  de  Salo- 
»  mon,  qui  ne  doit  jamais  sortir  de  vos  mains,  afin  que  toute 
D  vostre  conversation  parle  et  récite  à  un  chacun  ce  (jui  y  est 
»  contenu.  Soyez  doux  et  trailableà  ceux  (pii  le  sont;  abaissant 
y>  l'orgueil  de  ceux  (\uù  l'audace  ferait  méconnoislre.  Que  vostre 


—  ^2(V2  — 

»  bouche  soit  le  domicile  de  vérilé,  voslre  main  ouverlc  aux 
))  pauvres,  et  vostre  maison  close  aux  ilatlcurs.  —  Si  vous  laictes 
))  cela,  mon  mignon,  vous  aurez,  comme  Abraham,  ïsaac  et 
))  Jacob,  la  bénédiction  de  Dieu  et  la  mienne,  que  je  vous  donne 
))  avec  cette  bague  de  diamant,  que  vous  garderez  pour  l'amour 
»  de  rnoy  et  pour  souvenance  de  ce  que  je  vous  dis,  dont  vostre 
»  gouverneur  est  témoin,  qui  vous  le  saura  bien  ramentevoir 
))  en  temps  et  lieu,  comme  il  est  soigneux  de  vostre  bien.  » 

La  princesse  parla  ensuite  à  sa  fille  avec  une  angélique  dou- 
ceur, lui  recommandant  de  retenir  soigneusement  ce  qu'elle 
avait  dit  à  son  frère  Henri,  et  d'écouter  madame  de  Saint-Cyr, 
sa  gouvernante,  comme  une  seconde  mère. 

Ce  fut  une  scène  navrante  que  celle  de  la  désolation  de  ces 
pauvres  enfants  :  ils  pressaient  de  leurs  lèvres  celles  de  leur  mère, 
baisaient  ses  mains,  l'apjjclaient  des  plus  tendres  noms,  éclataient 
en  sanglots,  et  se  tenaient  collés  à  son  lit.  Éléonore,  qui  redou- 
tait pour  eux  un  excès  d'émotion,  eut  le  courage  de  prescrire 
qu'on  les  emmenât  et  qu'on  s'efforçât  de  les  calmer. 

A  quelques  instants  de  là,  elle  fit  approcher  ses  filles  d'hon- 
neur et  leur  dit  :  «  Quelle  les  priait  de  se  souvenir  de  la  bonne 
))  nourriture  qu'elles  avaient  prise  en  sa  maison,  et  de  l'exemple 
»  qu'elle  leur  avoit  donné.  Ayez,  mes  filles,  ajouta-t-elle,  tou- 
»  jours  la  révérence  de  Dieu  devant  vos  yeux,  et  que  votre  hon- 
»  neur  vous  soit  plus  cher  que  votre  vie.  Aimez  madame  de 
))  Roye,  ma  mère  et  ma  fille,  car  elles  aiment  ce  qui  me  touche 
))  et  continueront  à  vous  nourrir  jusqu'à  ce  que  vous  soyiez 
»  mariées.  Adieu,  mes  filles;  estimez-moi  heureuse  et  contente, 
»  et  apprenez  à  bien  mourir.  » 

Au  déclin  de  la  journée  durant  laquelle  elle  venait  de  tant 
faire  pour  ceux  qu'elle  aimait,  Éléonore  de  Roye  fut  saisie  d'un 
redoublement  de  souffrances  et  d'une  forte  oppression.  Elle  dé- 
sira que  Perussel  vînt  lui  parler  de  Dieu.  Tandis  (ju'il  l'exhor- 
tait, elle  leva  les  mains  au  ciel,  et  d'une  voix  qu'entrecoupaient 


—  '^03  — 
de  légers  soupirs,  s'adressa  à  Dieu,  en  ces  termes:  «  Oh  !  mon 
))  Dieu,  père  bénin,  à  ce  coup,  irai-je  à  toi?  Or,  j'ai  combattu 
»  le  bon  combat,  j'ai  gardé  la  foi,  j'ai  achevé  ma  course,  le  tout 
y>  par  ta  grâce,  dont  je  m'assure  que  bientôt  j'aurai  la  couronne 
))  de  justice,  et  vivrai  de  la  vie  que  tu  me  gardes  et  m'as  cachée 
»  en  Jésus-Christ.  »  Puis  tendant  la  main  à  Perussel  :  «  Mon 
»  père,  lui  dit-elle,  priez  Dieu  qu'il  me  donne  persévérance  et 
»  accroissement  en  toutes  ses  grâces;  qu'il  me  fortifie  contre 
»  tous  assauts  et  tentations;  qu'il  me  tende  toujours  les  bras, 
))  comme  je  vois  qu'il  fait  en  son  fils  Jésus-Christ;  qu'il  me  fasse 
»  toujours  sentir  son  amour;  qu'il  me  garde,  qu'aucun  regret 
»  des  choses  corruptibles  de  ce  monde  ne  me  surprenne,  et  que 
y>  la  violence  du  mal  ne  m'empêche  de  magnifier  son  nom  et  sa 
»  hautesse.  y> 

Le  mal  était  devenu  si  violent  et  In  débilité  physique  de  la 
princesse  s'était  tellement  accrue,  qu'elle  pressentit  ne  pouvoir 
bientôt  plus  parler.  Aussi,  exprima-t-e!le  le  désir  d'avoir  avec 
son  mari  un  dernier  entretien.  11  était  alors  plus  de  minuit,  et 
il  s'agissait  d'aller  réveiller  le  prince;  madame  de  Roye,  par  mé- 
nagement pour  sa  fille,  dont  l'épuisement  excitait  toute  sa  solli- 
citude, conseillait  qu'on  attendit  jus(prau  lever  du  jour:  «  Non, 
»  répondit  Éléonore  ;  permettez-moi  d'insister,  car  je  suis  sûre  que 
))  le  prince  ne  sera  point  marri  d'être  réveillé  pour  cette  occa- 
»  sion,  et  il  n'est  pas  bon  d'attendre  que  je  ne  puisse  plus  parler 
»  pour  lui  déclarer  les  choses  que  Dieu  a  mises  en  mon  C(rur.  » 

A  l'arrivée  du  prince,  les  assistants  se  retirèrent  à  l'extrémité 
de  la  chambre  de  la  princesse.  L'entretien  des  deux  époux  diu*a 
environ  une  heure.  Ce  fut  le  dernier  que  Condé  eut  avec  Éléo- 
nore. 

Vers  le  point  du  joui-,  la  princesse  put  pivinlrt»  un  peu  de 
repos;  après  quoi,  ses  douleurs  se  renouvelèrent  avt>c  intensité. 
(a  Or  sus,  mon  père,  dit-elle  à  Perussel,  c'est  maintenant  que 
y>  Dieu  me  veut  avoir,  dont  je  suis  très-joyeuse:  mais,  hélas!  je 


—  26i  — 

î>  regrette  que  ma  courte  haleine  et  le  catarrhe  qui  me  tombe 
»  du  cerveau  m'empêchent  de  le  louer.  Priez-le,  comme  avez 
d  lait  cette  nuit,  qu'il  lui  plaise  m'accorder  une  petite  trêve  pour 
»  l'invoquer  :  non  que  je  désire  plus  longuement  vivre,  car  il 
»  connaît  lues  pensées  et  lit  aux  tablettes  de  mon  cœur.  » 

Ayant  éprouvé  du  soulagement  lorsque  la  prière  fut  terminée, 
elle  fit  aussitôt  entendre  cette  action  de  grâces  :  «  N'est-ce  pas 
»  toi,  ô  Seigneur  immortel.  Dieu  puissant,  sage  et  bon,  qui,  sans 
))  seconrs  des  hommes,  en  un  moment  apaises  mon  travail? 
ï)  0  bonté  inestimable,  qui  te  fais  si  apertement  voir,  toucher 
»  et  sentir  de  moi,  fortifie  l'esprit  puisque  tu  abats  le  corps!  )) 
Elle  continua  pendant  un  certain  temps  encore  à  louer  Dieu  et  à 
le  remercier;  puis  elle  pria  pour  son  mari,  pour  ses  enfants, 
pour  sa  mère,  pour  rE;-;lise,  pour  ses  parents,  ses  amis,  ses  servi- 
teurs et  ses  vnssaux,  pour  le  roi  et  la  tranquillité  du  royaume. 
Elle  termina,  tant  étaient  grandes  son  humilité  et  la  délicatesse 
de  sa  conscience,  en  demandant  pardon  à  chacun,  et  particuliè- 
rement à  sa  mère  et  à  sa  sœur. 

A  l'issue  de  cette  scène  si  émouvante,  durant  laquelle  avaient 
coulé  les  larmes  de  tous  les  assistans,  la  princesse  fut  saisie  d'im 
mal  au  côté  et  de  suffocations.  On  pria  pour  elle;  sa  voix  três- 
affaiblio  put  encore  se  faire  entendre  pour  demander  qu'on  lui 
lut  ceux  des  passages  de  l'Ecriture  qui  sont  le  plus  propres  à 
fortifier  et  consoler  le  chrétien,  aux  approches  de  la  mort.  Il  lui 
fut  fait  lecture  notamment  de  divers  textes  d'Ésaïe  et  de  l'Apo- 
calypse. 

Nous  touchons  maintenant  à  un  moment  suprême! 

Il  est  deux  heures  du  malin;  Perussel  pressent  qu'Eléonore 
de  Roye  n'a  plus  (pie  quelques  instants  à  vivre;  et,  déférant  à  la 
reconnnandation  (prelle  lui  a  souvent  faite  de  lui  signaler  Tim- 
minencc  de  sa  fin,  il  lui  annonce  que  l'heure  du  dépait  ap- 
proche; il  l'exhorte  au  coiu'nge,  à  la  confiance  dans  les  compas- 
sions divines,  et  lui  demande  si  elle  se  sent  soutenue  par  la 


—  2G5  — 
vertu  et  la  grâce  du  Saint-Esprit.  Elle  lui  répond:  «  Oui,  vrai- 
»  ment,  mon  père,  j'ai  en  mon  cœur  ce  que  Dieu,  dès  ma  jeu- 

»  nesse,  y  a  mis,  l'assurance  de  mon  salut Demandez-lui  pour 

»  moi,  et  je  prierai  de  cœur  avec  vous  qu'il  me  donne  toujours 
»  la  lampe  ardente,  afin  que,  quand  l'époux  viendra,  j'entre  avec 
»  lui  aux  noces;  qu'il  me  fasse  la  grâce  de  toujours  veiller  afin 
))  de  n'être  surprise  quand  mon  Seigneur  viendra  ;  qu'il  me  donne 
))  la  robe  blanche,  afin  que  je  suive  l'agneau  avec  cette  livrée 
))  partout  où  il  ira;  qu'il  me  fasse  porter  par  ses  anges,  afin  que 
y>  je  ne  choppe,  et  qu'il  m'enlève  d'ici-bas.  » 
.  Perussel  prononce  une  prière  qu'Éléonore  accompagne  de 
ces  mots  :  «  0  mon  Dieu,  mon  Sauveur,  maintenant  mon  hiver 
»  est  passé,  et  mon  printemps  est  venu  :  ouvre-moi  donc  la  porte 
y>  de  ton  jardin  céleste,  afin  que  je  goûte  le  fruit  de  tes  éternelles 
t>  douceurs.  » 

Le  lendemain  dimanche,  58  juillet,  à  sept  heures  du  matin, 
Perussel  sort  pour  se  préparer  au  prêche,  et  est  remplacé,  près 
de  la  princesse  par  les  ministres  de  l'Espine  et  Laboissière.  Les 
exhortations  et  les  prières  se  succèdent. 

Tout  à  coup  survient  une  nouvelle  hémorrhagie,  que  rien, 
cette  fois,  ne  peut  arrêter;  la' princesse  est  en  proie  à  des  spasmes 
réitérés,  le  frisson  la  saisit,  elle  s'alTaisse,  pose  l'une  sur  l'autre 
ses  mains  glacées,  et,  s'adressant  à  une  amie  dont  elle  reçoit  les 
soins:  «  C'est  à  ce  coup,  ma  mie,  lui  dit-elle  d'une  voix  dôfail- 
.))  lante,  que  je  m'en  vais  à  mon  Dieu.  » 

Perussel  arrive  en  toute  hâte,  et,  dès  qu'elle  l'aperçoit,  elle 
l'accueille  en  ces  termes:  «  Mon  père,  parlez  pour  moi;  laites 
»  votre  office;  vous  avez  eu  la  charge  de  mon  âme;  l'ouïe  ni'on- 
))  durcit,  la  voix  me  fault,  mais  je  vous  ferai  signe  de  la  tète,  si  je 
))  ne  puis  répondre.  » 

Perussel  et  ses  collègues  assistent  de  leurs  exhortations  la 
princesse;  ils  lui  demandent  si  elle  les  entend  et  si  son  cœur 
adhère  à  ce  qu'ils  expriment.  «  Oui,  Dieu  merci,  répond-elle. 


—  5GG  — 
»  en  levant  les  yeux  au  ciel  »  ;  puis  elle  ajoute:  «  Priez  pour 
5)  moi,  selon  que  vous  connaissez  que  mon  ame  le  désire.  »  Un 
Iroid  mortel  a  déjà  envahi  la  majeure  partie  de  son  corps,  lors- 
qu'on l'entend  i)roiioncer  ces  solennelles  paroles:  «  Seigneur, 
»  je  remets  mon  esprit  entre  tes  mains!!!  » 

Aussitôt,  les  derniers  symptômes  de  l'agonie  se  manifestent; 
f|uelqucs  minutes  se  passent,  durant  lesquelles  les  trois  mi- 
nistres entretiennent  la  mourante  de  l'assurance  de  son  salut; 
elle  s'efforce  en  vain  de  leur  répondre;  la  voix  expire  sur  ses 
lèvres;  elle  ne  peut  que  leur  faire  signe  de  la  lete  qu'elle  les  en- 
tend; puis,  bientôt  le  signe  cesse,  et  elle  exhale  en  paix  son  der- 
nier soupir. 

Quels  hauts  enseignements  que  ceux  que  présente  une  telle 
fm,  couronnant  l'existence  si  noblement  remplie  d'une  jeune 
femme  de  vingt  huit  ans  !!!  A  chacun  le  devoir,  disons  mieux,  le 
privilège  de  les  recueillir  dans  le  secret  de  son  cœur! 

Nous  nous  bornons  à  cette  seule  réflexion,  pour  laisser  parler 
Condé  lui-même,  au  moment  où  il  vient  d'apprendre  qu'Éléo- 
nore  de  Roye  a  succombé,  et  où  il  est  entouré  de  ses  enfants. 

((  Il  ne  faut  pas,  dit-il  à  sa  fille,  que  vous  soyiez  seulement 
))  iuiage  de  la  face  de  votre  mère,  mais  aussi  de  son  esprit  et  de 
»  sa  vertu:  car  encore  qu'elle  fût  belle  de  corps,  ce  n'était  rien, 
))  au  regard  de  son  âme  qui  ne  fit  jamais  office  que  de  chasteté, 
»  non  plus  que  ses  yeux,  son  cœur,  sa  langue,  ses  mains,  ne  ses 
»  oreilles.  Ainsi  que  vous  deviendrez  grande  et  croîtrez,  enqué- 
»  rez-vous  toujours  bien  quelle  a  été  cette  bonne  mère:  et,  quand 
»  vous  oirez  dire  qu'elle  n'aima  jamais  homme  (jue  son  mari, 
»  quelle  a  vécu  sans  aucune  tache  de  deshonneur,  voire  sans 
))  soupçon,  que  toutes  ses  actions  et  contenances  ont  été  saintes, 
»  pudicpics,  modestes,  rondes  et  vertueuses  :  lors,  efforcez-vous, 
))  mignonne,  à  lui  ressembler,  afin  que  Dieu  vous  assiste  comme 
y^  il  a  lait  à  elle,  que  chacun  vous  estime,  et  que  je  vous  aime  de 
»  plus  en  plus,  ainsi  que  je  ferai  si  vous  êtes  telle.  » 


—  -2r.7 


«  Mon  (ils,  ajouta-l-il,  en  posant  la  main  sur  ia  tête  de  Henri 
y>  deBonrbon,  vous  êtes  le  premier  témoignage  de  bénédiction 
»  et  laveur  de  mariage  que  Dieu  nous  a  donné  à  votre  mère  et 
y>  à  moi,  et  le  lien  renforcé  de  notre  amour.  Regardez  à  me  don- 
i>  ner  toujours  joie  et  consolation,  comme  vous  ferez  si  vous 
))  suivez  les  brisées  que  votre  mère  a  posées  au  chemin  de  vertu. 
»  Reconnaissez-en  la  piste  et  la  trace,  de  peur  de  vous  fourvoyer 
))  par  les  sentiers  du  dangereux  dédale  de  ce  monde.  Les  fils  se 
))  conforment  ordinairement  aux  pères  :  mais  vous  tâcherez 
y>  principalement  de  ressembler  aux  mœurs  et  vertus  de  votre 
*))  mère  ;  car  on  vous  racontera  et  orrez  quelquefois  de  votre  père 
))  et  de  sa  vie  choses  que  ne  devez  ensuivre,  comme  en  d'autres 
))  le  devez  imiter;  mais  à  votre  mère,  de  la  vie  et  de  la  mort  de 
»  laquelle  Dieu  s'est  voulu  servir,  vous  n'y  trouverez  rien  qui  ne 
))  soit  digne  d'être  suivi  et  étroitement  gardé,  comme  elle  était 
))  digne  d'être  mise  aux  premiers  rangs  des  vertueuses  femmes. 

Oui,  disons  avec  Condé,  que  Dieu  s'est  voulu  servir  de  la  vie 
et  de  la  mort  d'Éléonore  de  Roye  comme  d'un  double  modèle  à 
suivre  dans  la  voie  évangélique  (i). 

Quoi  de  plus  propre,  en  effet,  à  épurer  et  à  fortifier  notre 
cœur,  lorsque  nous  nous  livrons  à  l'étude  du  passé,  que  le  culte 
des  pieux  souvenirs,  et  qu'un  commerce  assidu  avec  de  nobles 
caractères  !  De  là  la  salutaire  influence  qu'exerce  sur  des  esprits 
non  prévenus  toute  biographie  chrétienne,  vraiment  digne  de 
ce  nom;  de  là  aussi  cette  énergique  conviction,  qui  stimule  et 
féconde,  de  nos  jours,  d'importants  travaux,  savoir  :  que  l'his- 
toire du  protestantisme  français  n'est  jamais  plus  grande,  que 
lorsqu'elle  nous  transporte  par  ses  récits  biographiques  sur  les 
hautes  cimes  de  la  foi,  et  qu'elle  nous  révèle  par  des  laits  em- 
preints d'une  incontestable  autorité,  le  sens  chrétien  de  ces  mots  : 
bien  vivre,  bien  mourir. 

([)  Voir  Appendice,  n"  39. 


APPENDICE 


Une  lettre  adressée  de  Nisy-le-Château,  le  12  juin  1554,  par  le  roi 
au  duc  de  Nevers  {Bihl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3136,  f'  S^)  nous  fixe 
sur  la  nature  du  commandement  dont  fut  investi,  à  cette  époque, 
Louis  de  Bourbon  :  «  Mon  cousin,  y  dit  le  roi,  mon  cousin  le  prince 
»  de  Condé  m'a  fait  entendre  le  désir  qu'il  a  de  vous  accompaigner 
»  avecques  les  chevaulx-légiers,  en  l'entreprise  que  je  vous  ay  na- 
»  guères  commandé  aller  exécuter  pour  mon  service;  ce  que  je  luy 
»  ay  voluntiers  accordé  par  l'asseurance  que  j'ay,  que  ce  vous  sera 
»  grand  plaisir  de  l'avoir  auprès  de  vous,  et  que  vous  en  serez 
»  d'autant  plus  fort,  et  pour  ce  qu'il  m'a  semblé  raisonnable  que  je 
»  ne  povois  moins  faire  pour  luy,  allant  à  cest  exploict  que  de  luy 
»  donner  à  commander  aux  aultres  chevaulx-légiers,  etc.,  etc.  » 


II 


La  permanence  des  douloureux  regrets  de  Jeanne  est  attestée  par 
une  lettre  qu'elle  adressa,  longtemps  après  la  mort  de  sa  mère,  à 
la  connétable  de  Monlmorency,  au  sujet  d'un  deuil  de  famille  im- 
posé à  celte  dernière  {Bihl.  nal.,  nias.  f.  fr.,  vol.  o'2(îO,  /'"  \h  :  ^^  Ma 


—  270  — 
»  cousine,  lui  disait-elle,  je  vous  donncrois  occasion  d'ignorer 
»  l'amitié  que  je  vous  porte  sy,  à  ce  coup,  je  faillois  à  vous  visiter, 
»  non  pour  adjouster  aultre  consoUation  à  vostre  cnnuy,  que  celle  de 
»  tant  de  gens  de  bien  que  je  suisasscurée  qu'avés  eue,  mais  pour 
»  vous  tenir  compagnie  à  me  plaindre  de  mon  cosfé,  de  la  perte 
))  d'une  si  bonne  parente  et  amie,  vous  asseurant,  ma  cousine, 
»  qiCaprès  avoir  esprouvé  la  perle  d'une  lelle  mère  que  f  avais,  je 
»  plains  d'aullant  la  vostre;  et,  pour  n'adjouster  renouvellement  à 
»  vostre  fâcherie,  je  suplieray  le  souverain  consoUateur  des  alïligés 
»  vous  donner  le  remède  qu'il  cognoist  vous  estre  nécessaire,  etc.  » 
11  est  intéressant  de  constater  qu'une  femme  éminente,  Renée  de 
France,  duchesse  de  Ferrare,  avait,  depuis  la  mort  de  Marguerite, 
reine  de  Navarre,  mère  de  Jeanne  d'Albret,  voué  à  celle-ci  une 
affection  maternelle.  «  Comme  la  feue  royne  de  Navarre,  écrivait 
»  Fienée,^  a  esté  la  première  princesse  de  ce  royaume  qui  a  favorise 
»  l'évangile,  il  pourroit -estre  que  la  royne  de  Navarre,  sa  fdle,  par- 
»  viendra  à  l'y  établir;  et  me  semble  qu'elle  y  est  autant  propre  que 
>)  princesse  ny  femme  que  je  cognoisse;  je  lui  parle  amaur  de 
))  mère,  et  admire  et  loue  les  grâces  que  Dieu  luy  a  départies.  « 
(Lettre à  Calvin,  du  21  mi^rs  1563.  —  Bibt.  •nal.,  mss.  Fnods Dupuy.y 
i'oL86,p. '120àl25.) 


11 


La  correspondance  d'Antoine  de  Bourbon  avec  de  Ilumières,  gou- 
verneur de  Péronne,  Montdidier  et  Roye,  témoigne  des  égards  dont 
ce  prince  aimait  ta  entourer  la  mère  de  sa  belle- sœur,  la  princesse 
de  Condé.  C'est  ainsi  qu'à  son  sujet  il  écrivait  d'Amiens,  le  20  no- 
vembre 1551  {Bibl.  nal.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3131,  f  70)  :  «  Monsieur 
»  de  Ilumières,  j'ay  esté  requis  par  madame  de  Roye,  lui  promettre 


—  ^271  - 
»  pouvoir  faire  tenir  une  lettre  qu'elle  escript  à  la  royne  douairière 
»  de  France  (1)  ;  ce  que  voluntiers  luy  ay  accordé.  Je  vous  envoyé  la 
D  dite  lettre  pour  la  luy  envoyer  par  le  costé  de  Cambrai  ;  ce  que 
»  vous  prie  incontinent  faire,  car  elle  importe  les  affaires  de  la  dite 
»  dame  de  Roye,  à  laquelle  je  désire  faire  tout  plaisir,  ei^ipémni  que 
»  ainsy  le  feray,  etc.,  etc.  » 


lY 


Brantôme  (édition  L.  Lai.,  t.  IV,  p.  355)  dit  :  «  M.  de  Laroche- 
»  foucaull,  très-grand  seigneur  en  Guyenne...,  estoit  fort  vieux  capi- 
»  laine,  bien  qu'il  feust  jeune,  pour  les  guerres  estrangères  qu'il 
»  avoit  veues  dès  son  petit  âge,  estant  à  la  suite  de  M.  d'Orléans, 
»  et  toujours  continué  sous  le  roy  Henry,  qui  l'aimoit  uniquement 
»  et  lui  estoit  plus  privé  et  familier  qu'aucuns  de.  ses  favoris,  et  se 
»  jouoient  ordinairement  ensemble,  comme  s'ils  eussent  esté  pareils, 
»  car  ledit  comte  estoit  de  très-bonne  et  très-plaisante  compagnie, 
»  et  disoit  des  mieux  le  mot;  au  reste,  très-bon  seigneur  et  qui 
»  n'offensoit  jamais  personne.  » 


Jean  Mergey,  gentilhomme  champenois,  attache  h  la  personne 
du  comte  de  Larochefoucault,  a  laissé  des  mémoires  dans  lesquels  il 

(1)  Élôonoi-e,  sœur  do  Cli;u'les-Qaint,  qui  vivait  alors  retirée  dans  IcsPays-Iîas. 


—  272  — 

dit,  sous  la  date  de  1556  (édit.  de  1788,  in-8'')  :  «  Le  dict  sieur 
»  comte,  laissant  sa  compagnie  en  garnison  à  Pierrepont,  s'ache- 
»  mina  avec  son  train  pour  aller  à  Paris  trouver  le  roi,  et  estant  près 
»  de  Senlis,  il  sçeut  les  nouvelles  de  la  mort  de  madame  la  comtesse 
»  sa  femme,  qui  luy  causa  un  extrême  deuil  en  son  àme  ;  et  ayant 
»  gaigné  Paris,  s'alla  enfei-mer  en  l'abbaye  de  Saint- Victor  pour  éva- 
»  porer  ses  soupirs  et  regretz,  où  il  eust  demeuré  longtemps,  sans 
«  ses  amis,  qui  par  importunilé  l'en  firent  sortir.  » 


VI 


11  n'en  fut  pas  de  même  de  Fulvia  Pica,  femme  du  comte  de 
Randan,  frère  du  comte  de  la  Rochefoucault,  et  sœur  de  Silvia  Pica. 
Fidèle  à  une  grande  affection,  elle  demeura  toujours  veuve.  Bran- 
tôme (D.  gai,,  A"  dise,  V°  Madame  de  Randan)  dit  à  son  sujet  : 
Madame  de  Randan,  dicte  Fulvia  Mirandola,  de  la  bonne  maison 
de  Lamirande,  demeura  veuve  en  la  fleur  de  son  âge  et  très-belle. 
Elle  fit  un  si  grand  deuil  de  sa  perte,  que  jamais  elle  n'a  daigné 
se  regarder  en  son  miroir,  et  a  desnié  son  beau  visage  au  blanc 

cristal  qui  la  dcsiroit  tant  vcoir ,  pour  un  vœu  qu'elle  avoit 

faict  à  l'ombre  de  son  mary,  lequel  estoit  un  des  parfaicts  gentils- 
bommes  de  la  France,  pour  lequel  elle  quitta  toute  mondaineté, 
jamais  ne  s'babilla  que  fort  austèrement  et  religieusement  avec 
son  voile,  et  ne  monstrant  jamais  ses  cbeveux,  et  coiffée  plustost 
négligemment,  monstrant  pourtant  avecques  son  incuriosité  une 
grande  beauté.  AussvfeuM.  de  Guyse,  dernier  mort,  ne  l'appeloit 
jamais  que  moyne.  » 


—  273  — 


VII 


Écoutons,  au  sujet  de  la  captivité  de  François  de  Larochi'fou- 
cault,  le  fidèle  Mcrgey  (Mém.  sur  les  ann.  1557  et  1558)  qui,  tombé 
au  même  moment  que  lui  entre  les  mains  de  l'ennemi,  et  pouvant 
presque  aussitôt  recouvrer  la  liberté,  avait  préféré  ne  pas  quitter  le 
comte,  tant  que  ce  dernier  resterait  prisonnier. 

«  La  ville  de  Saint-Quentin  prise,  dit-il,  cinq  ou  six  jours  après, 
i>  M.  l'admirai  et  M.  le  comte  furent  cliargez  sur  un  chariot  de 
»  Flandres  et  menez  à  Cambray,  conduits  par  les  gardes  du  corps 
T)  du  roy  d'Espagne.  M.  l'admirai  avoit  avec  luy  deux  de  sesgenlils- 
»  hommes  prisonniers,  Favaz  et  Avantigny,  et  moy  avec  M.  le  comte. 
»  De  Cambray,  le  lendemain,  ledit  sieur  admirai  et  comte  furent 
»  séparez,  M.  l'admirai  mené  à  l'Isle-en-Flandres,  et  M.  le  comte 
»  à  Genap  en  Ilainault,  b.  \0  ou  12  lieues  de  Mariembourg,  chas- 
»  teau  fort  et  commode  à  garder  prisonniers,  tout  environné  d'eau, 
5>  où  furent  aussi  amenez  avec  nous  le  capitaine  Breuil  de  Bretagne 
»  avec  sa  femme  et  deux  damoiselles;  il  estoit  gouverneur  de  Saint- 
»  Quentin  lorsqu'elle  fut  prise;  y  furent  aussy  amenez  prisonniers 
»  les  capitaines  Saint-André,  provençal,  Lignières  et  Rambouillet, 
»  qui  avoient  chacun  une  compagnie  dedans  Saint-Quentin.  Un  ser- 
»  gent  espagnol  avec  quinze  suMats  avoit  charge  de  nous  garder  au 
»  dit  chasteau,  où  durant  le  séjour  que  nous  y  fismes,  qui  fui  près 
y>  de  six  mois,  je  m'accostai  d'un  soldat  de  nostre  gai'd(>  (|ui  (^stoit 
»  Maure;  le  sçeuz  si  bien  persuader  qu'il  se  résolut  de  faiic  sauver 
»  mon  dit  sieur  le  comte  et  tous  les  autres  prisoniùei-s,  moyennant 
»  mille  escus  que  le  comte  lui  promist  et  de  le  Liarder  tousjoui  s  en 
»  France,  avec  une  pension  de  cent  escus  pai'  an,  sa  \ie  durant.  » 

Mergey  entre  dans  le  détail  des  tentatives  d'évasion,  nous  ajtjnend 


—  -274   - 

pourquoi  elles  échouèrent,  et  ajoute  :  «  Voilà  le  succès  de  notre 
»  entreprise,  de  laquelle  estant  adverty,  le  comte  de  Mansfcld,  de 
»  qui  M.  le  comte  estoit  prisonnier,  et  craignant  qu'estant  si  près 
»  de  la  frontière  de  France,  il  essayast  encore  quelques  autres 
»  moyens  pour  se  sauver,  le  feit  mener  en  Hollande,  chez  un  beau- 
»  frère  nommé  M.  Brédcrodc,  à  Vienne  (Vierten),  près  de  la  ville 
»  d'Utrecht,  où  nous  demcurasmes  onze  mois  avec  bonnes  gardes 
»  nuict  et  jour;  de  sorte  que  toutes  nos  espérances  pour  nous  sau- 

»  ver  furent  perdues; qui  estoit  assez  pour  se  fascher  et  ennuier; 

»  durant  lequel  temps,  mondit  sieur  le  comte  fut  surpris  d'une 
))  liebvre  continue  si  violente,  que  nous  fusmes  longtemps  que  nous 
»  n'en  espérions  que  la  mort;  mais  Dieu  luy  fit  miséricorde,  luy 
»  renvoyant  sa  santé.  —  Le  comte  de  Mansfeld  (1),  craignant  quel- 
»  que  rechute  qui  l'emportast,  se  hasta  de  le  mettre  à  rançon,  et 
»  après  avoir  bien  disputé,  onlln  il  promit  trente  mil  escus.  » 

L'accord  étant  conclu,  Mergey  fut  immédiatement  envoyé  en 
France.  Voici  en  quels  termes  il  raconte  l'entrevue  qu'il  eut,  au 
Louvie,  avec  Odet  de  Chatillon  et  Henri  II  :  «  Le  cardinal  me  reco- 
»  gnoissant,  vint  à  moi,  me  menant  à  une  fenestre  près  la  porte  de 
»  la  chambre,  lequel  lut  les  letlrcs  que  je  lui  avois  apportées.  Le  roy 
»  estant  debout,  qui  se  chauffoit,  me  voyant  botté  et  crotté  comme 
»  un  courrier,  et  M.  le  cardinal  lisant  les  dites  lettres,  luy  de- 
»  manda  :  Quelles  nouvelles  avez-vous  là?  Qui  lui  dit  :  Sire,  c'est 
»  de  mon  nepveu  de  Larochefoucault.  — Leroy,  en  tressaillant,  me 
»  demanda  :  En  venez-vous,  mon  gentilhomme?  —  Ouy,  sire.  — 
))  Comment  se  porte- t-il?  —  Sire,  il  a  esté  fort  malade;  mais,  Dieu 
»  merci,  il  se  poite  bien  à  ceste  heure.  —  Est-il  à  rançon?  —  Ouy, 

(I)  La  rapacité  de  Mansfeld  était  effroyable.  De  Thou  {ïïist.  univ.,  t.  II, 
[\.  olfi)  eu  signale  les  excès,  après  la  prise  de  Saint-Ouentin,  en  ces  ternies  : 
«  Ce  fut  alors  que  Mansfeld,  pour  se  dédonininfier,  coinnu'  il  le  disait,  des  portes 
»  que  sa  prison  lui  avait  causées,  lit  un  tralic  infâme.  11  acheta  à  vil  prix  les  pri- 
»  sonniers  du  soldat,  qui  ne  les  connaissait  pas,  et  en  tira  depuis  de  grosses 
»  rançons.  Tout  le  monde  trouva  ce  procédé  dnr,  cruel,  et  contraire  au  droit  des 
»  gens.  11  est  toujours  sûr  que  la  manière  indigne  dont  il  traita  ses  prisonniers 
»  CM  iil)lig(';v  plusieurs  à  donner  pour  leur  rançon  plus  que  leur  fortune  et  leur 
»  cDudilion  ne  leur  permettaient.  » 


—  -275  — 
»  sire.  —  A  combien?  —  A  trente  mille  cscus,  sire.  —  Foy  de 
»  gentilhomme,  dist  le  roy,  il  ne  demeurera  pas  pour  cela.  Y 
»  retournez-vous?  —  Ouy,  sire.  —  Faites-luy  mes  recommanda- 
»  lions,  et  qu'il  prenne  courage,  et  que  je  luy  garde  un  bon  cour- 
»  tnult  pour  courir  le  cerf.  t> 

Il  s'agissait  de  se  pourvoir,  au  plus  vite,  de  fonds  et  de  cautions 
sûres  :  l'afïiùrene  languit  pas  entre  les  mains-de  négociateurs  aussi 
dévoués  que  le  cardinal  de  Chàtillon  et  Mergey.  Ce  dernier,  qui 
n'avait  passé  que  trois  jours  à  Paris,  rapporta  à  Arras,  au  comte  de 
Larochefoucault,  la  somme  et  les  engagem.ents  de  cautions  sur  les- 
quels il  comptait  pour  recouvrer  sa  liberté,  et  reprit  avec  lui  le 
chemin  de  la  France.  La  comtesse,  accourant  à  Noyon,  au-devant  de 
son  mari,  eut  bientôt  la  joie  de  le  serrer  dans  ses  bras. 


VIII 


Nous  croyons  devoir  reproduire  ici  le  préambule  du  contrat  de 

mariage  dressé,  le  1!)  janvier  1559  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  27i9, 

f"  Mo  et  suiv.),  afin  de  faire  connaître  le  rang  qu'occupaient,  à  la 

cour,  selon  l'ordre  des  préséances,  la  reine  de  Navarre,  le  prince  et 

la  princesse  de  Condé,  ainsi  que  le  duc  et  la  duchesse  de  Nevers.  — 

Furent  présens  et  comparurent  en  leurs  personnes,  très-haut, 

très-excellent  et  très-puissant  prince,  Henry,  par  la  grâce  de  Dieu, 

roy  de  France,  et  très-haulte,  très-excellente   et   Irès-puissante 

princesse  Catherine,  par  la  mesme  grâce  royne  de  France,  sa  com- 

pngne,  en  leurs  noms  et  comme  stipulants  en  coste  partie  pour 

haute  et  puissante  princesse,  madame  Claude  de  France,  leurlille, 

d'une  part;  et  très-excellent  et  puissant  prince  Charles,  duc  de 

Lorraine,  de  Calabre,  de  Bar  et  de  Gueldres,  Marches,  marquis  du 

Pont,  comte  de  Yaudémont,  de  Blamont  et  de  Zutphen,  d'autre; 


—  Td)  — 

D  lesquelles  parties,  de  leur  bon  gré,  confessèrent  et  confessent,  en 
»  la  présence  de  très-ha>its  et  très-puissants  princes  et  princesses, 
»  le  roy,  la  roynp,  dauphins,  messeigncurs  Charles,  Maximilien, 
7.  duc  d'Orléans,  Alexnndre,  Edwart,  duc  d'Angoulesme,  et  madame 
»  Marguerite,  filz  et  iille  du  roi,  madame  Marguerite,  duchesse  de 
»  Rerry,  sœur  du  roy,  Jehanne,  par  la  grâce  de  Dieu,  royne  de 
»  Navarre,  messeigneurs  les  révérendissimcs  cardinaux  de  Lorraine, 
»  de  lîourbon,  de  Sens,  gardc-d es-sceaux  de  France,  de  Chaslillon 
}>  et  de  Guyse,  messieurs  Louis  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  Ni- 
»  colas  de  Lorraine,  comte  de  Vaudémont,  François  de  Lorraine, 
j)  duc  de  Guise,  pair  et  grand  chambellan  de  France,  François  de 
)•>  Clèves,  duc  de  Nevers,  René  de  Lorraine,  marquis  d'Elbœuf,  et 
»  Anne,  duc  de  Montmorency,  connestable  de  France;  mesdames  les 
»  pnucesse  de  Conde,  comtesse  de  Vaudémont,  duchesse  de  Guyse, 
»  duchesse  de  Nevers,  et  autres  princes  et  princesses,  seigneurs  et 
»  dames,  à  quoy  assistèrent  aussy  plusieurs  des  gens  du  conseil  de 
»  mon  dit  siourdc  Lorraine,  avoir  faict  et  font  entre  elles  les  traité, 
»  accord,  convenances,  douaire  et  choses  cy  après  déclarées,  pour 
»  raison  du  mariage  qui,  au  plaisir  de  Dieu,  sera  de  bref  faict  et  so- 
»  lennizé  en  saincte  église,  du  dit  sieur  duc  de  Lorraine,  et  de  la 

»  dicte  dame  Claude,  c'est  à  scavoir fiùct  et  passé  au  chasteau  du 

»  Louvre,  à  Paris,  en  la  présence  de  nous,  notaires  et  secrétaires  de 
»  la  maison  et  couronne  de  France,  conseillers  et  secrétaires  d'Estat 
»  et  des  nuances,  le  19^  jour  de  janvier  1558  (1559)  [n.  s.  |  (signé) 
»  du  Thier,  de  l'Aubespine,  Boudin,  Robertet.  » 


IX 


Deux  lettres  écrites,  quelques  jours  avant  le  sacre  de  François  II, 
par  Condé,  prouvent  que  la  sollicitude  fralernelle  l'emportait  aisé- 


—  277  — . 

ment,  chez  lui,  sur  les  préoccupations  de  prince  du  sang,  dès  qu'il 
s'agissait  de  son  amitié  pour  sa  sœur  et  son  beau-frère. 

Delà  celte  lettre  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3134,  i" Al)  adressée 
à  la  duchesse  de  Nevers  :  «  Madame  ma  seur,  la  pêne  en  coy  je  suvs 
»  d'avoir  antandu  que  monsieur  mon  frère  se  trouvet  ancore  mal 
»  ma  faict  vous  anvoier  Dupré,  présent  porteur,  pour  vous  suplier 
»  bien  humblement  man  vouloyr  mander  de  ses  nouvelles,  et  corne 
»  y  se  porte...,  que  sy  je  pansés  ly  povoyr  servir  de  quelque  chose, 
»  je  ne  fodrés  l'aler  trover,  et  sy  vous  conessés  que  je  luy  puysse 
»  servyr,  je  vous  suplie  de  la  plus  grande  afession  quy  met  po- 
»  syble  vousloyr  me  le  mander,  car  je  ne  fodrés  l'aler  servyr  de  sy 
»  grande  afession  que  je  vous  suplye  d'avoyr  pour  agréables  mes 
»  biens  humbles  recommandassions  à  vostre  bonne  grase  et  de  ne 
»  poynt  esparnyer  la  pêne  de  seluy  quy  vous  sera  pour  jamays  vostre 
»  bien  humble  et  obéissant  l'rèrc,  Loys  de  Bourbon.  » 

Le  3  septembre  1559  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3124,  f  -48), 
Gondé  écrivait  au  duc  de  Nevers  :  «  Monsieur  mon  frère,  retour- 
»  nant  de  Soissons,  où  j'cstois  allé  avec  le  roy  mon  frère,  on  m'a 
»  dict  qu'il  y  avoit  icy  ung  de  voz  laquaiz,  dont  j'ay  esté  bien  ayse, 
S)  pour  avoir  moicn  de  vous  esci'ire  ce  mot  de  lettre  par  lequel 
»  je  vous  suplie  bien  humblement  me  mander  de  voz  nouvelles 
»  desquelles  je  suis  en  peine  pour  le  long  temps  qu'il  y  a  que  je 
»  n'en  aysçeu^  et  neserayà  mon  ayse  que  je  ne  soys  certain  qu'elles 
»  soient  bonnes,  pour  eslre  anjoui'd'huy  une  des  choses  de  ce 
»  monde  que  je  désire  autant.  Vous  me  ferez,  s'il  vous  plaist,  ce 
»  bien  que  par  mesme  moyen  je  sçauray  conie  ma  seur  se  porte, 
»  actendant  que  je  puisse  avoir  ce  plaisir  de  vous  veoir  tous  deux  à 
»  ce  sacre  qui  doibt  estre  le  quinze  ou  seiziesme  de  ce  movs.  Je 
»  m'asseure  (pie  l'on  vous  a  escript  bien  au  long  des  aultres  nouvelles 
»  de  ceste  cour.  Cela  me  gardera  de  vous  en  faire  redicte;  seule- 
»  ment  je  vous  diray  pour  la  un  de  ma  lettre  que  je  ne  faudray  de 
»  faire  en  sorte  que  vous  aurez  ung  bon  cheval  pour  le  jou:'  du 
»  sacre,  ainsy  que  je  vous  ay  promis.  Cependant  je  vous  suplye, 
»  monsieur  mon  frère,  me  tenir  en  vostre  bonne  grâce  pour  bien 
»  humblement  recommandé,  et  je  prieray  Dieu  vous  donner  en  très 


—  278  — 

»  bonne  santé,  aussy  heureuse  et  longue  vye  que  vous  la  désire,  de 
»  Villiers-Cotlierctz,  ce  14  septembre,  vostre  plus  humble  et  obéis- 
»  sant  frère,  Loys  de  Bourbon.  » 


Une  lettre,  adressée  le  15  février  1559  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  l'r.,  vol. 
Mi'^l,  i"  55),  par  la  comtesse  de  Roye  à  la  duchesse  de  Nevers, 
porte  :  «  Madame,  encores  que  je  sache  assez  n'estre  besoing  vous 
))  ramentevoir  la  promesse  qu'il  vous  a  pieu  faire  en  ma  faveur  à 
j>  ma  femme  de  chambre,  du  premier  office  de  sergent  qui  vacque- 
»  roit  en  vosire  ville  de  Coulommiers,  toulesfois  pour  ce  que  je 
»  suis  adverlye  que  vos  officiers  y  font  difficulté  qui  pourroit  cslre 
D  cause  de  rclardei-  la  dépesche  de  celluy  qui  vacque  de  ceste  heure 
))  par  le  décès  d'un  nommé  Pierre  Drouyn,  je  n'ay  craint  vous  im- 
»  portuner  de  ce  mot  de  lettre,  pour  vous  supplier.  Madame,  vou- 
»  loir  exécuter  vostre  promesse  à  ceste  si  bonne  occasion,  qui  sera 
»  obligation  perpétuelle  à  ceste  pauvre  femme  de  prier  Dieu  pour 
»  vous,  et  à  moy  de  vous  faire  très  humble  service,  toute  ma  vie, 
»  quejedesircray  cslre  continuée  en  vostre  bonne  grâce,  la  saluant 
»  de  mes  très  humbles  recommandations.  Je  supplye  le  créaleur 
»  qu'il  vous  doinct  Madame,  en  aussi  parfaite  santé,  prospère  et 
»  longue  vie  que  la  vous  désire  De  Roucy,  ce  quinzième  jour  de 
»  février  1558  (1559,  n.  st.),  vostre  très-humble  servante,  Madclene 
»  de  Mailly.  » 


—  279  — 


XI 


La  reine  de  Navarre  écrivait  à  la  duchesse  de  Nevers  (Bibl.  nat., 
mss.  f.  fr.,  vol.  31i3,  f  i6)  :  «  Ma  sœur,  ayant  eu  des  nouvelles 

»  du  roy  mon  mary,  qui  m'a  commandé  aller  à ,  pour  ce  qu'il 

»  s'y  doit  trouver,  je  n'ay  voulu  faillir  à  vous  suplier  me  faire 
»  tant  d'honneur  et  plaisir  m'y  venir  trouver.  Ce  sera  demain  que 
i>  j'iray,  ainsy  que  mon  frère  de  Nevers  s'y  doit  trouver,  qui  vous 
»  fera  faire  vostre  voyage  de  meilleur  cœur;  et  sur  Fespérance  de 
»  vous  vcoir  bientost,  je  supUeray  Dieu,  ma  sœur,  vous  donner 
T>  ce  que  vous  désire  vostre  bien  bonne  sœur  et  amie,  Jehanne.  » 

«  Ma  sœur,  disait  ailleurs  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  olS^, 
»  r  45)  Jeanne  d'Albret  à  la  duchesse,  vous  savez  la  fiance  que  j'ay 
»  en  vous!!..  Tous  pouvez  avoir  sçeu  comme  je  suis  aullanl  en 
»  payne,  en  absence  qu'en  présence,  par  gens  qui  content  plus 
»  qu'ils  ne  scavent.  .le  vous  supplie  me  renvoyer  (la  lettre)  et  n'en 
»  parler  à  personne,  faisant  en  cela  ce  que  vous  vouldriés  ({ue  je 
»  fisse  pour  vous,  et  brusier  ceste-cy;  supliant  Dieu,  ma  sœur,  vous 
»  donner  ce  que  vous  désire  de  bon  cœur  celle  que  trouvères  à  ja- 
»  mays  vostre  bien  bonne  sœui'  et  parfaite  amie,  Jehanne.  >^ 


Xli 


Voir,  au  sujet  de  l'intervention  de  madame  de  Roye  en  faveur 
•des  réformés,  près  delà  reine  mère,  Tavanues,  Ment.,  chaji.  xv, 
Jlégnier  de  Laplanchc,  Hist.  de  VEstat  de  France  sous  François  II, 


—  280  — 

étlil.  de  I57G,  p.  35,  37,  6C,  07,  GS;  Théodore  deBèze,  Ilist.  eccl., 
édit.  de  4580,  t.  ï,  p.  225,  228;  Calendar  of  State  jmpers,  foreign 
séries,  vol.  1558-1559,  p.  549. 

Une  lettre,  adressée  le  11  septembre  1559  à  Calvin  par  Fr.  de 
Morcl  (voir  M.  Coquerel,  Hist.  de  VÉgl.  réf.  de  Paris,  p.  hist., 
p.  15)  contient  le  i)assage  suivant  :  «  Madame  de  Roye,  une  de  tes 
>)  compatriotes,  est  une  véritable  héroïne.  Comme  elle  s'appitoyait 
»  sur  notre  sort  devant  la  reine-mère,  et  qu'elle  rappelait  la  mort 
»  étiange  qui  a  IVappé  le  roi,  au  moment  où  il  nous  persécutait  le 
;)  plus  cruellement,  la  reine  s'écria  :  Comment!  j'entends  dire  qu'il 
»  n'existe  aucune  race  plus  haïssable.  Madame  de  Roye  répondit 
»  qu'il  est  facile  de  nous  imputer  n'importe  quoi,  puisque  personne 
»  ne  peut  nous  défendre.  Si  la  reine,  ajouta-t-elle,  nous  connaissait 
»  nn'oux,  nous  et  notre  cause,  elle  en  jugerait  tout  autrement. 
»  Celle-ci  en  vint  à  dire,  dans  le  cours  de  la  conversation,  qu'elle 
»  di'sirerait  entendre  l'un  de  nous,  surtout  (ihnndieu  dont  on  parle 
»  tant.  Ce  serait  facile  s'il  pouvait  arriver  librement,  répondit  ma- 
»  dame  de  Roye,  mais  je  craindrais  d'expospr  un  pareil  homme  à 
»  des  périls.  La  reine  affirma  qu'il  ne  courrait  aucun  danger  de  sa 
»  part,  mais  elle  exprima  le  di'sir  qu'il  vînt  dans  le  plus  grand  se- 
»  cret,  et  indiqua  comment  cela  pouvait  se  faire.  Sur-le-champ 
»  madame  de  Roye  nous  le  lit  savoir  par  un  exprès  à  cheval,  nous 
»  conjurant  de  ne  pas  laisser  échapper  une  pareille  occasion.  C'est  à 
»  tort,  disait-elle,  qu'on  a  cru  que  la  reine  avait  déjà  lu  des  livres 
»  pieux  et  ent.en(lu  des  hommes  savants  et  vraiment  chrétiens; 
))  qu'elle  ait  une  conversation  avec  notre  Chandieu,  et  il  est  à  es- 
))  péier  qu'elle  changera  d'avis  el  nous  deviendra  favorable.  Dans 
»  le  Consistoire  (pii  lut  aussitôt  convoqué,  on  débattit  longtemps  le 
;)  pour  et  le  contre;  enfin  Laroclie-Chandieu  ayant  courageusement 
»  déclaré  être  prêt  à  faite  cette  démarche,  on  décida  d'essayer  ce 
))  qu'il  pourrait  obtenir  de  la  reine.  Après  avoir  invoqué  l'aide  du 
)>  Seigneur,  nous  l'avons  donc  laissé  partir,  ce  qui  m'a  plongé  dans 
»  une  grande  anxiété.  Nous  attendons  luaintcnant  le  résultat  de 
»  cette  périlleuse  démarche.  Que  notre  miséilcordieux  Jésus  daigne 
y>  la  couronner  de  succès  !  » 


—  281  — 

,  Régnier  de  La  planche  (ouw.  cit.,  p.  03)  nous  apprend,  en  ces 
ternies,  que  la  démarche  échoua  :  «  Le  ministre  de  l'Église  de  Paris 
»  s'achemina  à  un  petit  village  près  de  Reims  pendant  le  sacre  du 
»  roi  François  II.  Il  séjourna  là  un  jour  entier,  attendant  l'oppor- 
»  tunité  de  pouvoir  conférer  avec  la  royne,  qui  y  estoitlors,  suyvant 
»  ce  qui  en  avoit  esté  arresté.  Ce  qui  fut  empesché  à  l'occasion  que 
ï>  ce  jour  elle  fut  visitée  par  plusieurs  cardinaux  el  autres  seigneurs 
»  estans  venus  au  sacre.  Au  moyen  de  quoy  ce  ministre  s'en  retourna 
))  à  Paris,  sans  pouvoir  rien  avancer,  d'autant  que  ladite  dame  ne 
»  voulut  estre  apperçeue  vouloir  conférer  avec  les  ministres  de  la 
i>  religion,  ni  leur  porter  laveur.  Et  dès  lors  ceux  de  la  religion 
»  perdirent  l'espérance  qu'ils  avoient  conçue  de  cette  princesse, 
»  laquelle  leur  fit  beaucoup  de  maux,  en  laschant  la  bride  aux  per- 
»  sécutions  incontinent  après  esmeucs  conir'oux.  » 


XIII 


Régnier  de  Laplanchc  {ouvr.  cit.,  p.  "ii)  dit  :  «  Quant  aux  prin- 
»  ces  du  sang,  après  que  du  conuucnrement  le  roy  leur  eust  nions- 
»  tré  autant  de  bon  visa-^e  que  ceux  de  (luise  pensèrent  eslrc  propre, 
»  tant  pour  les  emmieller,  que  pour  en  acquérir  quelque  bonne 
;)  réputation  du  peuple,  ils  ne  i'ureuL  non  plus  soutrcrts  près  sa  per- 
»  sonne.  Car  la  royne  ni  ceux  de  (}uisc  ne  vouians  avoir  tels  com- 
»  pagnons,  trouvèrent  moyen  de  les  envoyer  au  loin,  sous  couleur 
»  de  quelques  honoi-ables  charges.  Le  prince  de  Cond('  fut  envoyé 
»  en  Flandres  pour  la  confirmation  de  la  paix  et  pour  enli'el'uir 
»  amitié  et  alliance  avec  le  l'oy  d'Espagne.  Et  combien  qu'il  eût 
))  peu  de  moyens  de  (lespendre  apiès  si  longues  guerres,  si  luy 
»  fallut-il  entrer  en  nouvelle  despence,  selon  sa  grandeur,  sansestro 
»  aidé  du  roy  que  de  Dtillc  escus.  » 


28^  — 

De  Thou  {Hist.  univ.,  t.  II,  p.  686)  relève  ce  qu'avait  de  bles- 
sant pour  Confié  rallocation  dérisoire  do  mille  écus,  en  pareille  cir^ 
constance.  «  Le  prince  de  Condé,  dil-il,  n'eut  pour  son  voyage  que 
))  mille  écus  d'or  que  le  cardinal  de  Lorraine,  surintendant  des 
»  finances  lui  accorda  dédaigneusement,  se  faisant  un  (\iux  honneur 
»  de  vouloir  rétablir  les  finances  et  ménager  l'argent  du  roi,  tandis 
»  qu'il  faisait  injure  par  cette  épargne  honteuse  à  un  prince  généreux 
»  mais  indigent,  en  une  occasion  où  il  s'agissait  de  soutenir  avec 
»  éclat  la  dignité  du  roi  et  celle  du  ministère  qui  devait  le  repré- 
»  senter.  » 

Désormeaux  (Hist.  de  la  maison  de  Bourbon,  t.  III,  p.  3^i0, 
;32I)  ajoute  :  «  Il  n'était  pas  en  la  puissance  de  l'injuste  ministre 
»  d'avilir  la  noblesse  du  caractère  de  Condé  :  pauvre  mais  généreux, 
»  sans  proférer  des  plaintes  indignes  de  lui,  il  emprunta  une  somme 
»  considérable,  et  donna  à  la  cour  du  plus  riche  monarque  de 
»  l'Europe  une  aussi  haute  idée  de  sa  magnificence  que  de  son 
»  esprit  et  de  ses  grâces.  » 


XIV 


L'espionnage  exercé  alors  sur  la  princesse  de  Condé,  en  parli- 
culier,  par  certains  suppôts  des  Guises,  dégénérait  parfois  en  scènes 
grotesques.  En  voici  une  qui  eut  lieu  dans  la  capitale,  à  une  époque 
voisine  de  celle  du  tumulte  (rAmhoise. 

«  Au  commencement  du  caresme,  la  princesse  de  Condé  estant 
»  à  Paris,  les  sorbonistes  députèrent  deux  d'entre  eux  pour  luy 
»  aller  remonstrer  qu'elle  faisoit  chose  mauvaise  et  scandaleuse  de 
»  manger  chair  en  ce  temps-là  :  Ton  les  chargea  aussi  de  retenir 
»  songneusoment  sa  response  et  contenance.  Estans  entrez  en  la 
»  salle  de  son  logis,  il  s'y  trouva  d'avanture  un  gentilhoinme  nomuié 


—  283  — 

»  Sechelles,  du  pais  de  Picardie,  qui  les  aimoit  comme  une  espine 
»  en  son  doy,  pour  le  mal  qu'il  avoit  reçeu  d'eux.  Toutesfois  ne  le 
»  cognoissant  point,  ils  luy  déclarèrent  leur  légal  ion.  Ladite  dame, 
»  d'ailleurs  advertie  de  leur  venue,  s' adressant  à  Sechelles  demanda 
))  que  c'estoit.  Que  c'est,  Madame?  répondit  il.  Messieurs  de  Sor- 
»  bonne  ont  eu  crainte  que  fussiez  en  peine  de  recouvrer  de  la  chair 
»  ce  caresme  :  et  sur  ce,  voyci  deux  gras  et  gros  veaux  qu'ils  vous 
»  envoyent-  De  quoy  ces  vénérables  honteux  s'en  retournèrent  sans 
»  faire  leur  légation.  »  (R.  de  Laplanche,  ouvr.  cit.,  p.  154',  155). 


XV 


L'ambassadeur  vénitien,  Jean  MicJiid,  parlant,  en  15G1,  (leCaliie- 
rine  de  Médicis,  dans  une  relation  officielle  (voy.  Tommaseo,/?e/fl/., 
1. 1,  p.  4-27)  disait  :  «  Je  tiens  des  personnes  qui  depuis  longtemps  la 
»  connaissent  parfaitement,  que  ses  desseins  sont  très-profonds,  et 
»  qu'elle  ne  se  laisse  pas  pénétrer  facilement;  car,  ainsi  que  Léon  X 
s>  et  tous  ceux  de  sa  maison,  elle  possède  bien  l'art  de  la  dissimula- 
»  tion.  Cela  s'est  vu  principalement  dans  la  détention  du  prince  di' 
»  Condé.  Non -seulement  elle  ne  montra  aucune  mauvaise  disposi- 
»  tion  contre  lui,  mais  elle  trompa  le  prince  de  La  Roche-sur-Yon, 
»  le  cardinal  de  Bourbon  et  d'autres  qui  lui  parlaient  en  faveur 
»  de  Condé. Elle  leur  donna  les  meilleures  paroles  du  monde,  et  leur 
»  dit  que,  s'il  venait,  il  serait  bien  vu  et  encore  mieux  traité;  et  puis 
»  elle  en  agit  ainsi  que  votre  Sérénité  le  sait  bien  :  elle  le  traita 
»  comme  on  ne  traiterait  pas  non-seulement  un  prince  du  sang,  mais 
»  le  plus  chétif  gentilhomme  de  ses  sujets.  » 


284  — 


XVI 


«  La  cause  portée  dans  la  commission  (de  Carouges  et  de  Re- 
»  nouarl)  estoit  que  la  dame  de  Roye  avoit  certaine  intelligence  et 
»  participation  des  conspirations,  entreprinses  et  séditions  qui  s'es- 
»  toient  pratiquées  et  duroyent  encores  en  ce  royaume,  ot  des 
»  authf'urs  et  fauteurs  d'icelles,  desquels  ledit  seigneur  (roy)  dési- 
»  rant  savoir  et  entendre  la  vérité  pour  pourvoir  au  danger  qui  en 
»  dépendoit  et  chastier  les  coulpables  autant  que  leur  faute  l'avoit 
»  mérité,  ayant  pour  ceste  cause  Sa  Majesté  arrcsté  par  l'avis  d'au- 
»  cuns  bons  et  grands  personnages  de  son  conseil  de  la  prendre 
»  prisonnière,  commandoit  très  expressément  aux  dessusdits  d'eux 
»  transporter  en  la  maison  de  ladite  dame,  la  part  qu'elle  seroit  et 
»  de  se  saisir  de  sa  personne  pour  la  mener  prisonnière  à  Saint- 
»  Germain-en-Laye,  afin  d'avoir  plus  de  lumière  de  ce  que  Sa  Ma- 
»  jesté  désiroit  savoir  d'elle,  et  de  la  participation  et  intelligence 
»  qu  elle  avoit  eue  pour  les  cas  et  crimes  dessus  dits.  Et  surtout 
»  leur  estoit  enjoint  de  se  saisir  de  tous  les  papiers  qui  se  trouve- 
»  roicnt  en  sa  possession  pour  les  luy  envoyer  fidèlement  et  dili- 
»  QemuKmt.  » 


XVII 


('  Afin  que  (le   prince),  sous  sa   taciturnité,  ne  fut   condamné 
»  coMHïie  convaincu,  il  fut  advisé  qu'il  respondroit  pardevant  ledit 


—  285  — 

j)  Robert,  son  advocat  :  auquel  il  fut  enjoint  de  demander  audit 
prince  ce  qu'il  vouloit  dire  sur  les  accusations  et  crimes  que 
l'on  luy  meltoit  sus,  et  de  luy  faire  signer  sa  response;  ce  qu'il 
fit.  Or,  de  ladite  response  l'on  ne  pouvoit  rien  tirer  pour  asseoir 
jugement  sur  sa  condamnation  :  toutefois  l'on  avoit  gagné  ce 
point  sur  luy,  qu'il  avoit  respondu.  Sur  cela  l'on  assembla  grand 
nombre  de  chevaliers  de  l'ordre  et  quelques  pairs  de  France,  avec 
plusieurs  autres  conseillers  du  privé  conseil,  par  l'advis  desquels, 
ainsi  que  plusieurs  estimoient,  après  avoir  vu  les  charges  et  infor- 
mations, il  fut  condamné  à  la  mort;  dont  l'arrêt  auroit  esté  signé 
de  la  plus  grande  partie.  Cela  estant,  ledit  advocat  Robert,  qui 
l'avoit  au  commencement  bien  conseillé,  sembla  avoir  fait  une 
grande  faute,  et  luy  avoit  fait  grand  préjudice  de  le  Mie  res- 
pondre  aux  articles  que  lui  avoit  proposez  le  président.  Mais  il 
lui  fit  encore  plus  de  tort  de  les  luy  faire  signer,  quoiqu'il  eijst 
commandement  de  ce  faire  :  car  le  roy  ne  le  pouvoit  aucunement 
contraindre   de  faire  de   son  advocat   son  juge.   »   (Castelnau, 

Mém.j  t.  I,  p.  55.) 


XYIIl 


Le  Laboureur,  addit.  aux  3[ém.  de  Castelnau,  t.  I,  p.  51  i,  515  : 
«  On  auroit  crû,  à  voir  la  contenance  de  ce  prince  (Condé),  qu'il 
»  représentoit  un  personnage  emprunté,  tant  il  témoigna  de  gran- 
»  deur  d'âme  et  de  mépris  de  la  mort  et  de  ses  ennemis,  ({u'il 
))  n'essaya  pas  de  fléchir  d'une  seule  parole.  Aussitôt  que  le  roy  eut 
))  expiré,  un  valet  de  chambre  picard,  qui  le  servoit  dans  sa  prison, 
»  ne  srachant  comment  lui  en  annoncer  la  nouvelle,  en  présence 
»  du  capitaine  de  sa  garde  avec  lequel  il  jouoit,  tournoyoit  autour 
»  de  la  table,  et  faisoit  milles  signes,  qui  ne  servoient  qu'à  niellro 
»  le  prince  en  peine,  jusqucs  à  ce  qu'il  s'avisa,  sans  luire  semblant 


—  28C)  — 

>•)  de  rien,  de  laisser  tomber  une  carte  et  de  se  baisser  comme  pour 
»  la  ramasser,  en  mcsme  temps  que  le  valet,  qui  lui  dit  ces  propres 
»  mots  à  l'oreille  :  Nostre  homme  est  croqué.  11  acheva  sa  partie 
»  avec  la  môme  tranquillité  d'esprit  qu'il  avoit  toujours  conservée, 
»  et  après  rompit  le  jeu,  comme  pour  se  reposer,  mais  pour  estre 
»  plus  au  long  informé  de  cette  mort,  qui  ne  luy  fit  échapper 
»  aucune  marque  ny  de  joye  ni  de  ressentiment  contre  le  feu  roy.  » 


XIX 


Calvin  approuvait  en  cela  le  prince  de  Condé,  ainsi  qu'en  témoi- 
f,ne  ce  passage  d'un  mémoire  qu'il  adressa,  en  décembre  1560,  aux 
ministres  de  Paris  (voy.  Letlr.  franc,  de  Calvin,  t.  Il,  p.  345)  :  »  Que 
»  la  délivrance  du  prisonnier  (Condé)  ne  se  face  que  par  sentence  et 
»  procès  vuidé,  afin  qu'à  l'advenir  il  ne  demeure  tache  ne  reproche, 
)i  ce  qui  est  pour  son  interest  particulier,  afin  de  l'exempter  qu'il 
)>  ne  soit  subject  à  estre  fasché  ou  inquiété  de  nouveau  à  l'advenir, 
»  selon  les  occasions  qui  se  pourroient  présenter,  car  par  ce 
»  moyen  la  porte  sera  fermée  de  luy  faire  moleste.  II  y  a  aussi  la 
))  conséquence  pour  soulager  les  autres  prisonniers  et  faire  une 
)>  bonne  vuidangc  de  la  cause.  Sans  cela  ce  sera  tousjours  à  recom 
)>  mencer.  » 


XX 


Les  deux  documents  suivants  se  rattachent,  le  premier,  à  la  grave 
maladie  qu'éprouva  Condé,  en  IbGil,  à  Orléans,  avant  son  expédi- 


—  287  — 

lion  contre  Paris;  le  soconr],  à  son  état  de  souffrance  lors  de  cette 
expédition. 

I.  —  Prière  des  médecins  de  monsieur  le  prince,  malade,  qu'ils  faisoient  en  sa  chambre 

avant  que  l'approcher. 

«  Nostre  aide  soit  au  nom  de  Dieu  qui  a  fait  le  ci'-l  et  la  terre. 

»  Seigneur  Dieu,  père  éternel  et  tout-puissant,  puisqu'il  t'a  pieu, 
»  par  ta  miséricorde  infinie  nous  commander  que  t'invoquions  en 
»  nos  nécessités,  avec  promesse  de  nous  exaucer  en  tout  ce  que 
»  nous  te  demanderons  en  foy  et  au  nom  de  ton  fils  bien-aimé, 
»  nostre  Seigneur  Jésus-Christ,  reconnaissant  l'imperfection  qui  est 
»  en  nous  et  le  grand  nombre  de  péchez  qui  nous  empeschent  d'ap- 
»  procher  de  toi,  ton  ire  estant  provoquée  par  iceux  à  l'encontre  de 
»  nous  premièrement  retournant  à  toy  de  cœur  et  en  vérité  selon 
»  ton  commandement,  nous  te  prions  qu'il  te  plaise  nous  pardonner 
»  uratuilcment  toutes  nos  offenses,  les  effaçant  tellement  au  nom  de 
))  ton  filz  qu'elles  n'apparaissent  plus  et  ne  soient  point  trouvez 
»  quand  tu  apparoistras  pour  faire  jugement;  et  pour  ce  qu'il  nous 
»  appert  par  ta  volonté  que  tu  nous  as  Hiit  tant  de  grâce,  non-seule- 
»  ment  de  nous  adopter  à  toy  pour  esfre  mis  au  rang  de  tes  enfans, 
»  mais  aussi  de  nous  appeler  au  nombre  de  les  serviteurs  fidelles  et 
»  nous  ordonner  les  inslrumens  en  ce  monde  et  comme  tes  lieule- 
»  nans  bien-aimés  pour  avoir  soin  de  la  santé  corporelle  (1(^  nos 
))  frères  et  prochains  malades,  d'autant  que  de  nous-mesmes,  nous 
»  ne  sommes  point  suffisans  de  penser  une  bonne  chose,  tant  s'en 
))  faut  que  nous  le  puissions  mettre  en  pratique  si  nous  ne  sommes 
»  aidez  et  adressez  par  ta  main,  nous  te  supplions,  noslre  bon  père, 
»  (juc  ton  bon  plaisir  soit  de  nous  assister  en  cestc  œuvre  présente 
»  par  ton  sainct-esprit  et  par  icelluy  former  tellement  nos  cœurs  et 
»  conduire  toutes  nos  alfections,  nos  yeux,  nos  mains  et  tous  nos 
»  autres  sens,  que  l'issue  de  nostre  entreprise  revienne  à  ta  gloire 
»  et  à  la  santé  du  prince  mahule  que  tu  nous  as  mis  en  mains. 
»  Davantage,  puisque  le  plaisir  de  ta  volonté  est  de  nous  faire 
»  entendre  par  ta  saiiicte  parole,  que  le  vrai  et  unique  moïen  de 
»  guérison  est  que,  tant  les  malades  que  ceux  qui  les  pansent^ 


—  -288  — 

»  mettent  leur  fiance  en  toy  seul,  qui  es  vraiment  le  médecin  et 
»  chirurgien  non  seulement  des  âmes,  mais  aussi  des  corps, 
»  comme  à  présent  nous  n'entreprenons  rien  de  nous  mesmcs  qui 
»  ne  soit  de  nostre  légitime  vocation  telle  qu'il  t'a  pieu  nous  l'im- 
»  poser,  lais-nous  la  grâce  que  nous  soions  totalement  eslongnés  de 
»  toute  gloire,  ambition,  témérité  et  })rorit  particulier;  et  quand 
»  nous  aurons  par  ton  assistance  conduit  et  mené  à  chef  nostre 
))  a";uvre  qui  est  la  guérison  de  monsieur  le  prince  icy  présent,  pour 
))  lequel  nous  te  prions,  joignant  nos  prières  en  cestendroict  avec- 
»  ques  celles  de  ton  Église  comme  membres  d'icelle,  que  nous  ne 
»  présumions  point  d'en  attribuer  aucune  chose  à  sçavoir,  verlu  et 
»  industrie  qui  soit  en  nous,  sinon  en  tant  qu'il  te  plaist  qu'on 
»  défère  airx  instrumens  et  moïens  externes,  desquelz  tu  as  accous- 
»  tumé  de  te  servir  pour  ftiire  ton  œuvre,  laquelle  aïant  commencée 
»  en  nous  et  par  nous,  lu  la  parferas  et  couronneras,  s'il  te  plaist, 
»  et  la  santé  de  ce  prince,  tant  pour  ta  gloire  et  bien  universel  de 
»  toutes  les  églises  que  pour  le  repos  et  paix,  de  ce  royaume. 

>  Ce  que  nous  te  demandons  au  nom  et  en  faveur  de  nostre  seul 
»  advocat  et  intercesseur  Jésus-Christ,  ton  fils  bien-aimé,  ainsi  que 
»  luy-mesme  nous  a  enseigné  de  te  prier,  disant  :  Notre  père,  etc.  » 
»  (Bibl.  nat.,  mss.,  Collecl.  Dupuy,  vol.  137,  p.  05.) 

II.  —  Extrait  d'une  prière  qui  se  faisoil  tous  les  jours  en  la  chambre  do  luiuisieur 
le  princa  par  maislre  Théodore  de  Bosze,  lorsque  ledit  prince  tcnoit  la  ville  do  Paris 
assiégée  et  qu'il  esloit  malade,  en  décembre  1562. 

«  Nous  te  remercions  très-humblement  et  de  tout  nostre 

»  cœur  d'avoir  empesché  par  ta  providence  et  par  ton  conseil  sage  et 
»  admirable  que  la  cautelle  et  astuce  des  ennemis  de  ta  gloire  ne 
ï  nous  aient  privez  de  celuy  qu'il  t'a  pieu  nous  susciter  pour  un 
»  nouveau  Gédéon,  Samson  ou  .lephté  pour  la  délivrance  de  ton 
»  Église,  pour  la  réparation  de  ton  temple  et  restablissement  de  ton 

»  pur  service.  — Et  tout  ainsi  qu'il   fa  pieu  par  ton  conseil 

»  admirable  faire  malade  le  prince,  lequel  tu  as  esleu  pour  chef  de 
»  ton  armée...,  il  te  plaise,  Seigneur,  le  nous  rendre  .'^ain  en  ceste 
»  petite  inlirmité  que  luy  as  envoie  et  le  fortifier  de  façon  que  non- 


—  280  — 
»  seulement  d'un  cœur  invincible  comme  est  celui  que  tu  luv  as 
»  donné,  mais  d'un  corps  alaigrc  et  dispos,  il  puisse  dompler  tes 
»  ennemis  et  punir  l'iiorrible  Babylone,  laquelle  il  lient  assiégée, 
»  comme  ses  forlaits  ont  mérité;  et  d'autant  qu'il  t'a  pieu  l'appeler 
»  non-seulement  pour  réparer  les  ruines  de  ton  Église,  mais  aussi 
»  pour  la  protection  et  gouvernement  de  ce  royaume,  nous  te  sup- 
»  plions.  Seigneur,  qu'il  te  plaise  envoier  de  là-haut  et  d'auprès  le 
»  siège  de  la  grandeur,  la  sapience  pour  luy  assister  et  le  conduire 
»  en  (outes  ses  alTaircs,  douer  tellement  et  enrichir  des  dons  de  ton 
»  sainct  Esprit,  (|u'ii  se  puisse  acquitter  de  sa  charge  à  la  luuanue  et 
»  gloire,  à  son  honneur  et  au  prolit  de  son  âme.  Et  ne  permets, 
»  Seigneur,  qu'il  oublie  ou  laisse  rien  arrière  de  ce  qui  concerne 
»  ton  honneur  et  service,  la  conservation  de  la  couronne  de  son  rov, 
»  des  sainctes  loix  et  coustumesde  ce  pais,  et  finalement  de  la  paix, 
»  repos  et  tranquillité  de  ce  royaume.  »  — (Bibl.  nat.  mess.  Collect. 
Dupuy,  vol.  137,  P  93-95.) 


XXI 


Peiiissel,  après  avoir,  à  l'issue  de  la  bataille  de  Dreux,  trouvé 
asile  dans  un  château,  en  compagnie  de  Throckmorton,  avait  été 
fait  prisonnier.  Grâce  à  la  générosité  du  prince  de  Condé,  il  eût 
pu  recouvrer  la  liberté,  dans  une  étrange  circonslance,  si  Earoche- 
Ibucault,  beau-t'rère  du  prince,  eût  accédé  à  une  proposition  aux 
termes  de  laquelle  partie  du  piix  d'un  cheval  pouvait  servir  de 
rançon  au  ministre  de  l'Évangile.  Voici  le  lait  dans  toute  sa  sim- 
plicité : 

Le  duc  de  Guise  avait  un  excellent  coursier  (|ti'il  alVcctionnait 
particulièrement  :  c'était,  dit  Mergey,  clans  ses.  mt'moires  {i),  ce 

(1)  Mémoires  du  sieur  Joau  de  Mergey,  genlilliomuie  (Jiauijicnois  (Londres  et 
Paris,  17S8,  in-8"),  sur  l'année  1ÔG"2. 

19 


—  200  — 

brave  genêt  qui  a  esté  si  nntoiiimé.  Lo  joui'  de  la  bataille  (de  Dreux) 
Spagny,  qui,  par  ordre  du  diu",  dont  il  était  Téouyer,  montait  ce 
genêt,  et  cpi'à  son  riche  costume,  exceptionnellement  revêtu,  on 
devait  prendre  pour  le  duc  lui-même,  fut  tué  par  un  reître. 
(S.  Celui-ci,  ajoute  Mergey,  prit  le  cheval  et  regagna  sa  troupe,  sans 
»  que  nul  de  l'esquadron  de  M.  de  Guise  se  desbandast  pour  res- 
»  courre  ledict  cheval.  Le  Icndcmahi,  j\|.  le  comte  (de  Larochefou- 
»  cault)  achepta  deux  cents  escus  ledict  cheval  du  reistre  qui  l'avoit 
>  pris.  Ledict  sieur  de  Guise  regrettoit  fort  ledict  cheval  et  employa 
»  JM.  le  prince,  qui  estoit  prisonnier,  pour  prier  Monsieur  le  comte 
»  de  rendre  ledict  cheval,  oH'rant  d'en  donner  doux  mil  escus  et  de 
»  plus,  mettre  en  liberté  Perocely  (Perussel),  ministre  de  M.  le 
»  prince,  qui  estoil  prisonnier  avec  luy,  auquel  M.  le  comie  fit  res- 
»  ponce  :  One  ledict  cheval  luy  faisoit  besoing,  et  que  tant  que  la 
»  guerre  dureroit,  il  s'en  serviroit;  que,  de  sa  part,  il  debvoit  aussi 
»  garder  ledict  Perocely  pour  l'assister  et  consoler  en  son  aflliction; 
))  mais  que,  la  paix  estant  faiclc,  s'il  avoit  encore  ledict  cheval  et  que 
»  M.  de  Guise  en  eùst  envie,  de  bon  cœur  il  luy  donneroit.  » 

Il  est  permis  de  douter  que,  pénétré  comme  il  l'était  de  la  gravité 
de  ses  devoirs  vis-à-vis  du  prince  captif,  Perussel  se  soit  prêté,  pour 
sa  part,  à  la  négociation  dont  il  s'agit. 


XXII 


Lettre  de  d'Andcl  )t  à  Élisabclli  (V.  Forbes,  A  full  View  of  the 
public  Transactions,  etc.,  t.  Il,  p.  203,  204,  265). 

«  A  la  royne  d'Angleterre, 

«  Madame,  je  croy  que  Vostre  Majesté  a  de  ceste  heure  bien  peu 
entendre  le  succcz  qui  est  advenu  en  la  bataille  qui  fust  donnée  le 


—  ^201  — 

»  19  de  l'autre  mois  :  et  comme  Dieu  a  tellement  déparlv  la  vic- 
»  toire  que  l'adranlage  (par  la  seule  prinse  de  Monsieur  le  prince) 
»  n'a  esté  ne  d'un  costé  ne  d'autre,  combien  que  nous  ayons  faicl  la 
»  moindre  perte  d'hommes;  ains  ce  bon  Dieu  s'en  est  voulu  à  luv 
»  seul  réserver  la  gloire.  Toutefois,  tout  ainsi  que  l'aullieur  des 
»  troubles,  esquelz  nous  sommes  envelopez  ne  s'est  jamais  proposé 
»  autre  but  que  la  totale  destruction  de  la  religion  chrestienne,  et  la 
)■)  ruyne  et  extermination  des  gens  de  bien  de  ce  roïaume,  pour  puis 
»  après  parvenir  à  ses  desseings,  qui  sont  partout  si  ouvertement 
»  publiez  que  tout  le  monde  en  a  congnoissance  :  aussi  maintenant 
»  qu'il  se  retrouve  seul  pour  usurper  l'auctorité  que  injustement 
»  il  occupe,  il  est  tellement  enflé  d'arrogance,  si  desbordé  et  pré- 
»  sumptueux,  qu'il  ne  se  peult  auculnement  contenir  es  limites  de 
y>  modestie  et  discrétion;  de  sorte  que,  sans  avoir  esgardà  la  tendre 
»  jeunesse  de  nostre  roy,  à  la  dureté  de  la  saison  où  nous  sommes, 
»  ny  aux  rigueurs  et  injures  du  temps,  il  a  bien  contrainct  Sa  Ma- 
»  jeslé  et  la  rojne,  sa  mère,  de  partir  de  Paris  pour  luy  servir  de 
»  spectateurs  aux  sanglantes  tragédies  qu'il  se  délibère  déjouer,  et 
»  notamcnt  sur  ceste  ville,  si  Dieu  parsa  miséricorde  ne  luy  coup- 
»  poit  les  cordeaux  de  ses  machinations.  —  Or  pour  ce.  Madame, 
»  que  nous  nous  délibérons  (moïennant  l'assistance  divine)  si  bien 
»  luy  ri'sister  et  faire  teste,  que  nous  espérons  qu'il  n'en  rapportera 
))  (au  lieu  d'honneur  qu'il  se  promet)  sinon  la  honte  et  la  confusion 
»  qu'il  mérite  :  d'aulant  que  nos  reistres  sont  de  présent  sur  le 
»  troysiesme  mois  qu'ilz  font  service  sans  avoir  rcçeu  leur  solde,  le 
»  payement  de  laquelle  a  toujours  esté  fondé  sur  le  bien  et  gratuit 
»  plaisir  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  nous  conférer,  et  dont  l'occa- 
»  sion  ne  s'est  jamais  présentée  propre  pour  joindre  vostre  secours 
»  et  recevoir  vostre  libéral  prest;  estimant  bien  que  l'ennemy  nous 
»  amusera  tant  qu'il  pourra  icy  auprès,  pour  empescher  que  ne 
»  soions  accommodez  de  vostre  part;  aussi  qu'il  seroit  à  craindre 
»  que  la  longueur  du  temps  n'apportast  quelque  mescontentement 
»  ausdicts  reistres;  je  me  suis  avisé,  attendant  que  Monsieur  l'ad- 
»  mirai,  mon  frère  (qui  est  à  deux  journées  d'icy  avecques  l'armée), 
»  en  escrive  à  Votre  Majesté,  la  supplier  très  lumdjlement  par  ceste 


202  

»  despesche  qu'il  hiy  plaise  de  tant  nous  favoriser,  lionorcr  et  sub- 
»  venir,  que  de  mander  au  inarcsclia!  do  Ilessen  et  autres  colonnelz 
»  allemans,  comment  le  prest  que  vous  nous  avez  octroie  est  destiné 
))  pour  les  souldoyer;  et  que,  puisque  Tincommodité  de  leur  pou- 
»  voir  l'aire  promptement  tenir,  à  cause  de  la  dilïiculté  des  chemyns 
V)  est  si  grande,'  qu'ilz  soient  contens  d'aviser  du  lieu  seur  où  ils 
»  vouldront  recevoir  l'arpent,  et  là  Voslre  Majesté,  Madame,  don- 
»  nera  ordre  de  le  leur  faire  fournir  :  y  adjoustant,  s'il  vous  plaist, 
»  une  affectionnée  prière  de  continuer  en  ceste  bonne  volonté,  la- 
»  quelle  ilz  ont  si  bien  commencé  de  démonstrer,  affm  que  par 
»  voslre  bon  moyen  et  le  leur,  nous  puissions  délivrer  la  France  de 
»  l'oppression  et  tirannye  où  elle  est  misérablement  détenue  :  avec- 
»  ques  ce,  retirer  de  l'indigne  captivité  Monsieur  le  prince,  de  la- 
»  quelle  le  sieur  de  Guyse,  par  son  audace,  s'eiïorce  de  triomplier  : 
»  ce  que  je  puis  véritablement  dire.  Car  la  royne,  ayant  entendu 
»  comme  les  cboses  s'estoient  passées,  partit  (par  l'advis  des  plus 
y>  fidèles  de  son  conseil)  incontinent  en  délibération  de  l'aller  veoir 
»  et  luy  bailler  le  lieu  et  prééminence  qui  luy  appartient  en  ce 
»  ro'iaulme  et,  ce  faisant,  d'essayer  de  baslir  et  composer  une  bonne 
»  paix  :  mais  ne  pouvant,  ledict  sieur  de  Guyse,  comporter  une  tran- 
»  quillité,  il  alla  si  bravement  au  devant,  et  s'opposa  avec  telle  fierté 
»  et  quasi  par  forme  de  menace,  à  sa  bonne  délibération,  qu'elle  fust 
»  forcée  et  contraincte  de  changer  de  langage.  Ce  sont.  Madame,  les 
>  traietz  dont  il.  est  coustumier  d'ainsi  arlificieusement  user.  Mais 
»  comme  toute  extrême  et  grande  violence  est  ordinairement  de 
))  courte  et  petite  durée,  ainsi  espérons-nous  de  veoir  la  juste  pu-' 
))  nition  de  Dieu  en  brief  luy  rabaisser  son  orgueil.  Madame,  je 
»  supplii!  ce  grand  Dieu  conserver  Vostre  Majesté  et  votre  Estât  en 
))  toute  vertueuse  prospérité  longuement  saine  et  heureuse.  — 
j->  D'Orléans,  ce  5' jour  de  janvier  150^^  (15G3  n.  st.). 

>)  Vostre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

»  Andelot.  y 


—  293  - 


XXIII 


Lettre  de  la  princesse  de  Condé  à  Elisabeth. 
(V.  Forbes,  A  full  View,  t.  II,  p.  285,  i28G). 


((  Madame,  je  serois  digne  de  grande  répréhension  si,  par  oubly 
»  ou  par  nonchalance  je  faillois  à  tenir  aussi  souvent  Vostre  Majesté 
»  adverlye  de  la  disposition  des  affaires  de  par  deçà  et  de  Testât  au- 
»  quel  se  trouve  monsieur  mon  mary  à  présent  réduict,  que  la  coni- 
»  modité  des  messagers  et  la  seurelé  des  chemyns  le  pourront  per- 
»  mectre;  car,  oultre  l'obligation  que  j'en  ressens,  accompagnée 
»  d'une  bonne  volonté,  j'en  ay  ordinairement  de  luy  le  commande- 
»  ment  très  exprès  :  et  mesme  par  la  dernière  dépesche  qu'il  m'a 
»  faicte,  il  m'encharge  nommément  de  vous  envoler  présenter  ses 
»  très  humbles  recommandations  à  vostre  bonne  grâce  et  vous  faire 
»  entendre  de  sa  part  que  combien  que  sa  personne  soit  captive,  voire 
))  par  trop  plus  indignement  et  estroitement  détenue  que  sa  qualité 
»  et  le  mérite  de  ses  services  ne  requièrent,  si  s'est-il  néanmoins 
»  réservé  ung  cœur  franc  et  libre,  plus  résolu  et  délibéré  de  pour- 
»  suivre,  moiennant  la  grâce  et  assistance  de  nostre  bon  Dieu,  le 
»  cours  de  ses  suinctes  entreprinses,  qui  ne  tondent  qu'à  l'advance- 
»  ment  du  règne  de  l'Kvangile,  repoz  et  liberté  de  ce  roïaume  soubz 
»  l'aucthoritéde  nostre  roy,  qu'd  ne  fut  oncques.  Mais  comme,  pour 
»  l'exécution  de  telz  alTaiieSjil  convient  s'ayder  des  secours  humains, 
»  lesquels  Dieu  nous  suscite  et  présente;  aussi,  Madame,  ayant  pieu 
»  à  Vostre  Majesté  si  libéralement  prester  celuy  que  avez  envoyé,  il 
»  vous  supplie,  et  moy  avecqucs  luy,  très  humblement,  maintenant 
»  que  le  besoing  se  présente  et  toutes  occasions  le  (l(MuandtMit  cl  ap- 
»  pellent,  de  vouloir  commander  que  ceulx  qui  sont  au  Havre  s'em- 
»  ploient  vivement  à  ce  coup  à  sul)venir  et  défendre  la  juste  querelle 
»  pour  laquelle  ilz  sont  vejiuz,  afiin  de  délivrer  de  prison  celuy  qu'il 


—  29i  — 

»  vous  plaist  do  tant  flnoriser,  ensemble  celle  pauvre  France  de  la 
»  nii.sérable  servitude  et  tyrannie  à  laquelle  les  ennemys  de  la  Iran- 
»  quillilé  chreslicnnc  tasclicnl  de  les  confiner  el  assubjectir.  A  quoy 
»  nous  espérons  bien  pourveoir  et  eslre  garantiz;  ayant  ung  Dieu 
»  des  armes  pour  clieret  des  liommes  vertueux  qui  s'y  opposeront  : 
»  ne  vous  voulant,  à  ce  propoz,  celer,  Madame,  le  vei'lueux  et 
»  louable  devoir  auquel  le  mareschal  de  llessen  et  toutes  ses  troupes 
>>  s'eriipluienl,  et  noz  François,  qui  ne  sont  moins  courageux;  telle- 
»  meiil  (pie,  intei'venaiil  de  biiel'  ceidx  de  vosti'e  part,  nous  ne  nous 
»  pouvons  })rometlre  que  une  bonne  et  beureuse  yssue,  à  la  confu- 
»  sion  de  ceulxqui  si  obstinément  attentent  et  contre  Dieu  et  contre 
»  tout  droict  de  nature  :  dont,  après  ce  grand  Dieu,  vous  en  recevrez 
»  la  meilleure  part  de  la  louange.  M'asseurant  doncques,  Madame, 
»  que  y  pourvoirez  selon  vostre  accoustumée  saincte  affeclion,  la- 
»  quelle  ne  se  laissera  aller  aux  ruzes  et  menées  qu'ilz  essayent  de 
»  traffiquer  vers  Yosire  Majesté;  après  avoir  salué  vos  bonnes  gra- 
»  ces  de  mes  très  bumbles  recommandations,  je  supplieray  le  Créa- 
»  tour,  Madame,  vous  donner  en  parfaite  santé  l'beureux  accomplis- 
i)  sèment  de  vos  vertueux  désirs.  » 


XXIV 


Lettre  (rÉlisabelli  à  lu  princesse  de  Condé 
(Forbes,    A    fall    View,    etc.,    etc.,    t.    II,   p.   31")). 


«  Madame,  comme  ne  peux  que  grandement  avecques  vous  con- 
»  douloir  l'infortune  qui  est  tombée  sur  mon  cousin  le  prince  de 
»  Condé,  vostre  mary,  le- jour  de  la  bataille,  ainsi  toutefois  suis 
))  fort  bien  aise  d'entendre  que  Dieu,  de  sa  Providence,  ait  lelle- 
»  ment  modéré  l'issue  de  ladite  jouinée,  qu'il  n'est  demeuré  à  l'en- 
))  nemi  juste  occasion  de  s'en  triomplier;  bien  que,  par  le  cours 


»  qu'il  tient,  il  lasche  de  persuader  le  monde  la  victoire  avoir  esté  de 
»  soncoslé.  Et  d'autant  qu'il  se  montre  néanlmoins  si  obstiné  qu'il 
»  ne  veult  entendre  à  aucun  raisonnable  accord,  ains  poursuit  de 
»  toutes  ses  forces  ses  premiers  desseings;  je  ne  doubte  rien  que 
»  Dieu,  à  la  fin,  de  sa  bonté  infinie,  ne  y  mectra  telle  (in  que  desi- 
»  rez  ;  estant  la  cause  vrayment  sienne  :  vous  priant,  Madame,  ce- 
»  pendant  vous  y  consoler  en  toute  bonne  espérance,  comme  j'espère 
»  que  vous  faictes;  en  vous  asseurant  aussi  que  cet  accident  dudit 
»  sieur  prince  n'ait  en  rien  appctissé  nostre  faveur  envers  luy  ;  ains 
»  que  je  me  y  tiens  tant  plus  ferme  et  délibérée  à  luy  donner  secours 
»  et  à  ses  associez  par  tous  les  bons  moyens  que  je  le  pourray  faire, 
»  comme  bien  amplement  ay  donné  à  cognoistre  à  monsieur  le  vi- 
»  dasme  de  Chartres  et  les  sieurs  de  Briquemault  et  de  Lahaye,  icy 
»  reséans,  et  aussy  par  mes  lettres  présentement  escriptes  à  mon 
»  sieur  l'admirai,  priant  Dieu,  Madame  ma  bonne  cousine,  vous 
»  avoir  en  sa  saincte  garde  et  vous  faire  jouissante  de  ce  que  plus 
»  désirez.  » 


XXV 


I.  —  Lettre  de  l'amiral  de  CoIip;iiy  à  la  reine  d'Angletenv,  '24  janvier  1563 
(Forbes,  .1  full  Vieio  of  llie  public  Transactions,  etc.,  etc.,  t.  II,  p.  300,  301,  302) 


((  Madame,  depuis  la  prinse  du  prince  de  Condé,  j'ay  envoyé 
»  trois  dopesches  à  Yostre  Majesté  pour  la  tenir  adverlye  do  Testât 
»  des  affaires  de  deçà,  suyvaut  le  grand  désir  que  j'ay  tousjours 
»  eu,  avec  ceste  compaignie  de  vous  fayre  enlendre  entièrement 
»  toutes  noz  principales  actions  (comme  il  est  trop  raysonnabli»)  si 
»  la  dilficulté  des  chemins  et  passages  ne  nous  en  euq)cschoit  tro[i 
»  souvent.  Or  maintenant,  avec  la  commodité  de  ce  porteur,  je  n'ay 
»  voulu  faillir  d'cscrire  la  présente  à  Vostre  Majesté,  pour  l'adverlir 


—  20G  — 

»  comme  ledict  prince  de  Condé,  encores  qu'il  soit  fort  estroicte- 
»  ment  observa;  et  gardé,  a  eu  moyen  de  nous  faire  scavoir  si  ouver- 
7)  tement  de  ses  bonnes  nouvelles,  que  au  lieu  de  recevoir  consola- 
»  tion  de  nous  en  sa  captivité,  au  contraire,  il  nous  renforce  le  cou- 
»  rage  et  nous  fait  assez  cognoistre  le  zèle  et  ferme  affection  qu'il  a 
»  à  la  vrayc  religion  :  nous  ayant  asseurément  mandé  que,  quoy  qu'il 
»  luy  puisse  advenir,  il  ne  consentira  jamais  à  cbose  qui  soit  contre 
))  le  service  de  Dieu  et  la  liberté  des  consciences,  ni  qui  oflense  la 
))  justice  de  nostre  cause;  usant  par  mesmc  moyen  d'une  instante  et 
»  affectionnée  prière  et  requeste  à  tous  ceulx  qui  luy  ont  assisté  en 
»  une  si  saincte  et  louable  entreprise  de  ne  le  vouloir  en  ceste  sai- 
»  son  abandonner,  ni  la  cause  de  Dieu  avec  luy;  ce  qu'il  m'a  semblé 
»  ne  devoir  faillir  de  faire  entendre  àVoslre  Majesté,  en  la  suppliant 
»  très  humblement,  avec  toute  ceste  compaignie,  de  vouloir  pour- 
»  chasser  la  délivrance  d-idict  ])rince  de  Condé,  et  embrasser  reste 
î>  dicte  cause  duranlmesmo  la  minorité  de  noslre  jeune  roy,la((uelle 
»  touche  non  seulement  sa  liberté  et  celle  de  son  royaume  et  des 
))  consciences,  mais  aussi  et  principalement  le  service  de  Dieu  ;  em- 
»  ployant  pour  ung  si  bon  elTect  et  en  une  si  saincte  entreprise,  les 
»  grandz  moyens  que  Dieu  vous  a  mis  en  main,  suyvant  levray  deb- 
»  voir  des  roys  et  princes  de  la  terre  (entre  lesquelz  vous  tenez  ung 
»  si  grand  lieu),  qui  est  de  maintenir  la  religion  et  sul)venir  aux  op- 
»  pressez,  selon  aussy  la  parfaite  fiance  que  toute  ceste  compaignie 
»  a  en  vostre  constance  et  piété,  dont  nous  attendons,  après  Dieu, 
»  tout  nostre  principal  ayde  et  secours  :  recognoissantz  en  vous  une 
»  vertu  et  assistance  divine,  et  (jue  Dieu  vous  a  choisie  et  réservée 
»  en  ce  temps,  et  vous  présente  ceste  occasion  pour,  par  vostre 
»  moyen,  redresser  et  restablii-  son  pur  service,  et  abatre  l'idolâtrie 
))  par  toute  la  chrestienlé,  et  mesme  en  ce  royaume;  comme  font 
»  assez  de  foy  toutes  vos  précédentes  actions  et  tantd'efleclz  de  vostre 
»  vertu  et  religion  aussy  grandz  et  louables  qu'on  en  ayt  vus  en 
»  prince  ni  princesse  dont  il  soit  mémoiie;  ayant  Vostre  Majesté, 
»  paitout  démontré  si  évidemment  n'avoir  autre  but  proposé  que 
»  l'advancement  de  la  gloire  de  Dieu  :  de  sorte  que  nous  avons  tous 
))  pris  ceste  ferme asseurance  que,  ni  la  captivité  du  prince  de  Condé 


—  297  — 

5)  ni  les  fouîtes  que  l'on  nous  pourroit  objecter,  ni  la  débilité  ou  di- 
»  minulion  de  noz  forces,  ni  tous  les  efîortz  de  Satan,  ni  les  ruzes 
»  et  artifices  de  noz  ennemys,  n'auront  ceste  puissance  sur  vous, 
»  que  de  rien  diminuer  ou  refroidir  de  ce  bon  zèle  et  afTection  que 
»  vous  avez  demonstré  y  avoir;  plustost  y  adjousteroicnt,  —  Or 
»  pour  vous  rendre  bon  et  ample  compte  de  Testât  en  quoy  se  re- 
»  trouvent  noz  affaires,  ensemble  de  noz  nécessitez,  je  vous  dirav, 
»  Madame,  que,  suyvanl  le  traicté  de  l'association  que  Voslre  Ma- 
»  jesté  a  peu  veoir,  m'ayant  tousjours  le  prince  de  Condé  nommé  et 
5)  donné  la  charge  de  commander  en  son  absence  à  ceste  armée  et 
»  compaignie;  depuys  sa  prinse,  tous  ceux  de  ceste  dicte  armée, 
»  tant  eslrangiers  que  de  ce  royaume,  m'ont  accepté  et  recogneu 
))  pour  chef,  comme  chacun  sçayt  assez.  Et  parce  que  les  estrangiers 
»  me  demandèrent  aprez  la  bataille  à  se  rafresebir,  je  les  ay  mis  en 
»  trois  villes  sur  la  rivière  du  Cher,  que  j'ay  pris  assez  prez  de  nos 
»  ennemys,  lesquelz  parce  qu'ils  faisoient  contenance  de  venir  as- 
»  siéger  Orléans,  ayant  passé  le  pont  de  Beaugency  partie  de  leur 
»  armée,  pour  se  mettre  dedans  un  Hiulxbourg  nommé  le  Porlereau, 
»  je  me  rapproché  d'eux  :  ce  qui  leur  fist  incontinent  changer  de 
»  desseing  et  repasser  le  pont.  De  sorte  que,  pour  achever  puis  aprez 
»  de  rafraîchir  nos  dictz  reistres,  je  les  ay  mis  depuis  en  autre  garni- 
»  son  au-dessus  d'Orléans,  deçà  et  delà  la  rivière,  pour  la  tenir  libre, 
»  et  ay  esté  contraint  de  prendre  pour  cest  effect,  au  nez  de'  nos 
»  dictz  ennemis,  quelques  villes  par  force,  où  sont  maintenant  logez 
»  nosdictz  reistres  et  nosirc  cavallcrie,  qui  sont  en  nombre  de  quatre 
»  mil  chevaux  et  plus,  délibérez  de  bien  combatire  quaml  on  les 
»  vouldra  employer.  Tout  ce  que  nous  craignons  est  que  lesdictz 
»  reistres  prennent  ung  mescontentement  du  retardement  de  leur 
»  payement  de  troys  moys  qui  leur  sera  deu  à  la  fin  de  cestuy-cy,  se 
»  montant  à  chascun  moys,  tant  pour  eux  que  pour  leurs  gens  de 
»  pied  alemans,  à  six  vin^t  mille  livres  :  duquel  nous  nous  eslions 
»  asseurez,  tant  sur  le  premier  ofTre  qu'il  a  pieu  à  Yostre  Majesté 
5)  faire  si  libéralement  au  prince  de  Coudé  et  à  ceste  conqxugnie, 
»  que  sur  les  soixante  mil  escus  d'oultre  plus  dont  Icdicl  prince  de 
»  Condé  vous  a  requis  par  M.  de  Briqiiemault.  Ce  qui  nous  foil  tous 


-  208  — 

supplier  très  humblement  Yoslre  Majesté  de  nous  faire  ceste  grâce, 
de  vouloir  mettre  à  exérulion  coque  nous  avons  tousjours  actendu 
et  espéré  de  vostrc  bonté,  afin  de  pouvoir  mener  aune  si  heureuse 
fin  ceste  saincte  entreprise  que,  suyvant  voslre  intention,  l'Evan- 
gile puisse  avoir  cours  en  ce  royaume,  et  qu'il  soit  déUvré  de  la 
violence  et  tyrannie  dont  il  est  oppressé.  Et  pour  cest  eiïect  il  vous 
plaise  vouloir  faire  tenir  les  dictes  sommes  prestes  au  Havre,  où 
nous  les  irons  prendre  et  nous  joindre  avec  vos  gens,  pour  de  là 
aller  parachever,  soubz  la  confiance  de  ce  bon  Dieu  et  par  vosti-c 
bon  advis,  ce  qui  se  trouvera  estre  convenable  :  vous  suppliant 
très  humblement  vouloir  aussi  escrire  une  lettre  au  mareschal  de 
Ilcsscn,  pour  conlynuer  de  bien  s'employer  en  ceste  cause,  et  pour 
la  liberté  du  prince  de  Condé.  —  Au  reste,  Madame,  je  ne  veulx 
obmeclre  à  vous  dire  qu'on  est  en  termes  de  quelque  abouchement 
entre  le  prince  de  Condé  et  le  connestable,  mis  en  avant  par  la 
reine-mère,  pour  chercher  les  moyens  d'accord  et  pacification;  le- 
quel advenant,  je  ne  fauldray  d'en  advertir  incontinent  et  particu- 
lièrement Yoslre  Majesté;  vous  asseurant  que,  de  mon  consente- 
ment, jamais  ne  sera  rien  arreslé  en  ce  faict,  sans  vous  y  com- 
prendre, et  que  premier  n'en  soyez  advertie,  pour  sur  ce  avoir 
vostre  advis.  Et  encores  que  les  choses  ayent  esté  bien  avant  de- 
vant Paris,  je  vous  puis  dire  en  vérité,  Madame,  que  noslre  inten- 
tion estoit  d'arrester  premièrement  le  poinct  de  la  religion  (pour 
lequel  nous  avons  prins  les  armes  légitimement)  et  pour  faire 
cognoistre  de  quel  esprit  nous  sommes  menez,  pour  puis  après 
vous  advertir  de  tout,  cû  scavoir  votre  advis,  et  mectre  en  avant 
ce  qui  vous  touche  :  chose  qui  est  par  là  assez  aisée  à  cognoistre, 
que  mesmes  le  prince  de  Condé  ne  fist  aucune  mention  du  degré 
qui  lui  appartient  en  ce  royaume,  ni  d'autres  choses  que  par  mesme 
moyen  il  estoit  nécessaire  de  vuyder,  premier  que  d'arrester  une 
bonne  et  seure  paix.  —  Et  quant  à  ce  que  j'ay  entendu.  Madame, 
que  vostrc  ambassadeur  monsieur  Throcmorlon  (auquel  j'ay  tous- 
jouis  cogneu  im  grand  zèle  au  service  de  Dieu  et  au  vostre)  a  es- 
criptluy  avoir  esté  dict  par  le  prince  de  Condé,  (ju'il  ii'avoit  point 
de  traicté  avec  Vostre  Majesté,  je  n'ay  jamais  entendu  tenir  ung 


—  21)9  — 
tel  propos  au  prince  de  Condé  :  bien  ledict  ambassadeur  a  dict 
quelques  fois  que  vous  ne  aviez  point  de  Iraicté  avec  nous,  mais 
bien  avec  les  subjectz  de  Normandie,  ainsy  que  luy-mesmes  pourra 
dire  et  s'en  ressouvenir,  estant  à  présent  de  retour  auprez  de 
Yostre  Majesté,  et  adjousta  davantage  qu'il  n'avoit  point  de  cliarge 
et  instruction  pour  négotier  avec  nous.  Sur  quoy  je  luy  ay  laict 
tousjours  entendre  que  je  m'assurois  que  l'intention  de  Yostre 
Majesté  esloit  que,  pourveu  que  l'Évangile  iust  presché  en  ce 
royaume,  et  qu'il  y  eust  liberté  de  consciences,  ensembbi  que 
vostre  droict  vous  fust  bien  gardé  et  dcmeurast  en  son  entier,  que 
vous  seriez  bien  aise  de  veoir  ces  troubles  paciliez  par  ung  bon 
accord  :  il  appert  assez  par  vostre  protestation  :  vous  suppliant 
très  bumblement  croire.  Madame,  que  nous  estimons  tant  votre 
vertu  et  grandeur  et  toutes  vos  actions  si  louables  et  mémorables, 
que  nous  ne  ferions  jamais  une  si  grande  faulte  que  d'oublier  la 
bonté  dont  vous  nous  avez  usé,  à  la  défense  de  ceste  cause  de 
Dieu,  et  pour  la  liberté  du  roy  et  de  ce  royaume,  comme  j'ay  prié 
monsieur  le  vidame  et  les  sieurs  de  Briquemault  et  de  La  Ilay-e 
vous  faire  entendre,  ensemble  ce  qu'il  semble  nécessaire  queVostre 
Majesté  face,  s'il  luy  plaist,  pour  le  recouvrement  de  la  liberté  du 
prince  de  Condé;  lesquelz  je  vous  supplie  très  humblement  croire 
de  ce  qu'ils  vous  diront  de  ma  part  comme  moy-mesmes  :  qui,  sur 
ce,  supplierai  ce  bon  Dieu  conserver  Vostre  Majesté,  Madame,  en 
très  parfaite  santé  et  prospérité,  et  bénir  vos  actions.  D'Orléans, 
ce  vingt-quatrième  de  janvier. 

»  Yostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

»  ClIASTlLLON.    » 


II.  —  Lettre  de  l'amiral  de  (".olignv  à  la  reine  d'Angleterre,  "20  janvier  IÔG3 
(Forbes,  A  fiill  View.,  etc.,  t.  II,  p.  310,  320,  321). 


«  Madame,  je  n'ay  voulu  faillir  de  adverlir  incontinent  Vostre  Ma- 
»  jesté  par  ce  porteur,  comme  ce  jourd'huy  j'ay  pris  résolution  avec 
»  le  mareschal  de  llessen,  les  reilmestres  et  reislres,  de  les  mener 


—  300  — 

»  en?termandie;  leur  ayant  donné  assurance,  de  là,  leur  faire  rcce- 
»  voir,  par  le  moyen  et  bon  ayde  de  Voslre  Majesté,  leur  payement  : 
»  duquel  cesfe  compaignie  s'est  entièrement  assurée  sur  vostre  bonté 
»  et  sur  les  promesses  et  offres  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  faire  si 
»  libéralement  au  prince  de  Condé  et  à  nous  ;  ayans  toujours  tenu 
»  ce  secours  indubitable,  et  d'aiillaiit  plus  certayn  que,  depuys  que 
»  Dieu  vous  a  mis  le  sceptre  en  la  mayn,  cbascun  a  veu  que  vous 
»  avez  embrassé  ceste  cause  de  Dieu  avec  une  ferveur  si  cbreslienne 
»  et  des  déportemenssi  mémorables,  que  nous  ne  pourrions  jamais 
»  penser  que  aucune  mutation  ou  artifice  humain  vous  eust  pu  des- 
»  mouvoir  de  ceste  bonne  voulonté  et  saincte  intention.  Advisant 
»  au  reste  Vostre  Majesté,  Madame,  que  j'ay  faict  condescendre  les 
»  reistrcs  à  laisser  tous  leurs  bagages  et  empeschements  en  ceste 
»  ville,  chose  non  auparavant  ouye  :  de  sorte  que,  dedans  le  dix.  ou 
V  douzicsme  de  ce  moys  de  febvrier  prochain,  au  plus  tard,  avec 
»  l'aide  de  Dieu,  nous  serons  bien  nrez  du  Havre  de  Grâce,  en 
»  bonne  délibération  et  résolution  de  nous  employer  et  eulx,  par 
»  vostre  advis  ot  soubz  la  confiance  de  noslre  bon  Dieu,  en  ce  qui 
»  se  trouvera  à  estre  convenable,  aprez  qu'ils  auront  reçeus  leur 
»  payement  qui  leur  est  deu  de  troys  moys,  se  montant,  chascun 
»  moys  à  six  vinglz  mil  livres,  comme  j'ay  cy-dcvant  faict  entendre 
f>  à  Vostre  Majesté,  laquelle  seulement  je  supplieray,  sur  ce  très 
»  humblement.  Madame,  vouloir  mettre  en  consydération  combien 
»  cela  impoiloroyt,  non  seulement  à  moy,  à  toute  cette  compaignie 
»  et  généralement  à  tous  les  fidèles  de  ce  royaume,  mais  aussy  de 
»  quelle  conséquence  ce  qui  en  adviendra  par  aprez  seroit  pour 
»  toute  l'Eglise  cbreslienne,  ensemble  pour  le  recouvrement  de  la 
»  liberté  du  prince  de  Condé,  si,  les  ayant  menez  jusque-là,  il  y 
»  avoit  faulle  de  leur  dict  payement,  et  que  nostre  attente  fust  frus- 
»  trée  :  chose  que  nous  assurons  que  Dieu  et  Vostre  Majesté  ne  per- 
»  mettra  point.  — Il  me  reste  doncques  à  vous  tenir  advertie,  Ma- 
»  dame,  de  Testât  en  quoy  se  retrouvent  nos  affaires,  qui  est  tel  : 
»  que  le  prince  de  Condé  continue  de  se  déporter  en  sa  captivité 
y>  conslaminent  et  vertueusement,  comme  nous  cognoissons  par 
»  toutes  les  nouvelles  que  nous  avons  de  luy.  Noz  ennemys  font 


—  301   — 

courir  le  bruict  de  venir  assiéger  cesLe  ville  où,  si  ilz  s'adressent, 
ils  y  trouveront  des  gens  si  bien  délibérez  de  les  recevoir  que,  avec 
l'aide  de  Dieu,  ilz  n'y  gaigneront  que  de  la  honte  et  confusion  :  et 
y  ay  laissé  M.  d'Andelot,  mon  frère,  pour  la  garder.  Nous  venons 
maintenant  d'estre  advertiz  de  Lyon  par  M.  de  Souhize,  comme  le 
baron  des  Adrez,  ayant  esté  pracliqué  par  M.  de  Nemours,  avoit 
comploté  de  faire  entrer  quelque  gendarmerie  et  gens  de  pied  de 
M.  de  Nemours,  dedans  Ronmians,  ville  du  Daulphiné  :  dont  il  a 
esté  empeschô  par  le  sieur  de  Mouvans  et  par  la  noblesse  du  pays, 
qui  se  sont  saisiz  de  sa  personne  et  le  ont  mené  prisonnier  à  Va- 
lence, pour  le  envoyer  en  Languedoc  devers  mon  frère,  naguère 
cardinal  de  Gliaslillon,  et  M.  de  Grussol  (qui  ont  presque  délivré 
tout  ledict  pays  de  Languedoc  de  la  tyrannie  des  ennemis  de  Dieu 
et  du  l'oy)  afin  de  le  l'aire  punir  et  servir  d'exemple  aux  aulres  dé- 
serteurs de  Dieu,  de  leur  debvoir  et  de  la  patrie. .Sur  ce,  voyant 
ledict  M.  de  Nemours  son  entreprise  faillie,  et  aussy  que  beaucoup 
de  gens  de  guerre  estoyenl  sortys  de  Lyon  pour  y  faire  enti'er  des 
vivres,  a  volu  surprendre  ledict  Lyon  par  escalade;  mais  il  a 
esté  repoussé  vivement  avec  meurtre  de  ses  gens,  et  ladite  ville 
pourvue  de  vivres  pour  plus  de  truys  moys  ;  de  soi'te  que  le  Lyon- 
nais et  Daulphiné  sont  aujoujd'huy  conservez  du  grand  danger 
où  ilz  estoient  par  les  menées  de  nos  ennemys.  - —  C'est  tout  ce 
que  je  feray  entendre  pour  le  piésent  à  Yostre  Majesté  pour  ne 
l'ennuyer  de  longue  lettre  :  la  suppliant  très  humblement  d'avoir 
si  bonne  souvenance  du  prince  de  Condé  et  de  toute  ceste  com- 
paignie  que  nous  ressentons  le  secours  et  faveur  de  votre  bonté 
et  grandeur,  autant  que  l'occasion,  la  nécessité  présenle  et  la  jus- 
lice  de  celte  cause  le  requièrent;  sur  ce,  faisant  requête  à  Dieu  de 
conserver  Vostre  Majesté,  madame,  en  très  parfaite  santé  et  pros- 
périté, et  bénir  toutes  vos  actions,  .le  ne  veulx  aussy  obmectre  à 
vous  dire,  Madame,  que  M.  de  Guyse  a  faict  escrire  une  lettre  si- 
gnée du  roy,  de  la  royne-mèreet  de  quelques  princes,  adivssante 
aux  princes  de  l'empire,  et  une  autre  au  mareschal  de  llessen 
el  reilmestres,  que  pareillement  ledict  sieur  de  Guyse  a  con- 
Irainct  jusques  aux  petits  princes  estant/  en  bas-âge  signer  i>our 


—  302  — 

»  déclarer  que  toute  ceslc  comiiaignie  est  rebelle  et  séditieuse. 
»  Yostre  très  huml)lc  et  très  obéissant  serviteur.  D'Orléans,  ce 
))  29  janvier  1562(1 56.-3,  n.  s.). 

»    ClIASTILLON. 

»  Il  VOUS  playra,  Madame,  croyre  messieurs  le  vidame,  Brique- 
»  maultetde  La  Haye,  ensemble  ce  gentilliommc  présent  porteur, 
»  de  ce  qu'ils  diront  à  Voslre  Majesté  de  ma  part.  » 


XXYI 


Lettre  de  Coligny  au  prince  de  Condc,  du  30  janvier  1563 
(.Bibl  n;it.,  inss.  f.  h:,  vol.  3-ilO,  f»  .45). 


«  Monseigneur,  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il  vous  a  pieu  mescripre 
par  ce  trompette,  présent  porteur,  qui  l'ait  mention  d'ung  mé- 
moyre  que  vous  m'cnvoyés,  lecpiel  vous  avoit  esté  porté  par  mes- 
sieurs le  cardinal  de  Bourbon,  de  Monipencier,  de  Guise  et  car- 
dinal son  frère;  mais  je  n'ay  point  veu  ledit  mémoire,  et  m'a 
faict  asseurer  le  trompette  que  l'on  ne  luy  en  a  point  baillé,  par- 
quoy  je  ne  vous  puys  rien  l'cspondre  làdcssus,  mais  bien  que 
messieurs  de  Boucart  et  d'Ksternay  seront  presis  quant  vous  le 
manderez;  et  au  regart  de  messieurs  de  Limoges  et  Doisel,  qui 
doibvent  icy  venir,  ils  seront  reçeus  et  traictés  selon  vostre  inten- 
tion et  comme  ils  méritent,  veu  le  lieu  d'où  ils  sont  envoyés,  les- 
quels sont  assés  congneus  pour  gens  de  bon  enltendement  et  qui 
ont  tousjours  esté  nourris  aux  alïaires,  et  pour  ceste  cause  seront- 
ils  plus  capables  de  raison,  car  l'on  ne  proposera  jamais  rien  de 
ceste  part  contraire  à  cela,  mesmes  i)onr  pai'venir  à  une  bonne 
paix,  car  vous  sçavés  que  l'on  n'a  jamais  rien  tant  clici'clié  ny  dé- 
siré. (ju;int  à  l'escbange  des  prisonniers  dont  m'escrivez,  vous  en 


—  303  — 
»  ferés  entendre  votre  voulonté  par  cculx  qui  iront  devers  vous,  et 
»  l'on  ne  fauldra  poinct  de  la  suivre.  Au  demeurant,  Monseigneur, 
»  j'ay  communiqué  vostre  lettre  à  tous  les  seigneurs  de  ceste  com- 
»  pagnie  qui  tous  se  recommendenl  comme  aussy  faicts-je  très  lium- 
»  blemenl  à  vostre  bonne  grâce;  et  louons  tous  Dieu  de  la  grâce 
»  qu'il  vous  faict  de  persévérer  en  la  sainte  vocation  en  laquelle  il 
»  vous  a  appelle  ;  par  ce  moien  vous  en  recepveré  la  récompense 
»  qu'il  promet  aux  siens,  mais  nous  vous  supplions  tous,  au  nom 
»  de  Dieu,  de  n'avoir  rien  devant  les  yeulx  que  ce  qui  appartient  à 
»  sa  gloire,  et,  par  ce  moien,  vous  et  nous  serons  bien  heureux.  — 
»  D'Orléans,  ce  XXX^  de  janviei". 

»  Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

»  ClIASTILLON.    » 


XXVII 


Catherine  de  Médicis  avait  eu  d'abord  l'idée  d'enfermer  le  prince 
de  Condé  dans  le  château  d'Amboise.  On  lit,  en  effet,  ce  qui  suit 
dans  Pierre  Matthieu  (Histoire  de  France,  in-C",  IGSi,  t.  I,  p.  261))  : 
—  «  Elle  (Catherine)  se  résolut  de  le  (Condé)  mettre  au  chasleau 
»  d'Amboise,  où  elle  faisoit  nourrir  son  fils  et  la  princesse  Margue- 
»  rite.  Au  retour,  elle  escrivit  de  sa  propre  main  cecy  au  duc  de 
»  Guise  : 

«  Mon  cousin,  je  suis  à  ce  matin  revenue  du  voyage  d'Amboise, 
))  où  j'ay  veu  un  petit  mori(;au  qui  n'es!,  que  guerre  et  temj)(>sle  en 
»  son  cerveau,  et  se  porte  très  bien;  aussi  l'ail  sa  sceur.  l'our  le 
»  chasteau,  je  vous  puis  assurer  que  (piiconque  y  sera  n'en  sortira 
»  pas  sans  congé,  tant  pour  esire  la  place  très  bonne,  que  pour 
»  la  fortification  que  j'y  ay  fait  faii'e.  J'ay  aussi  fait  murer  grand 


—  304  — 
»  nombre  de  portes  et  fenestres,  et  fait  mettre  de  fortes  grilles  de 
»  fer  aux  autres.  Je  crois  qu'il  n'y  a  Ywai  on  France  où  M.  le  prince 
»  puisse  eslre  mieux  ny  plus  seulement,  et  sy  je  n'en  bdugeray 
»  point  mes  enfans,  car  il  y  aura  double  garde  :  et  après  avoir  veu 
»  ce  que  ces  deux  messieurs  les  députez  auront  fait,  je  suis  d'avis, 
»  si  ce  n'est  l'ien  qui  vaille,  de  l'y  Riire  enfermer » 


XXVIII 


1.  ._  LcUrc  (le  d'Andelot  à  la  connétiililo,  du  2i  février  1563 
(Biljl.  nul.,  iiiss.  f.  fr.,  vul.  3il0,  P  84). 


((  Madame,  j'ay  reçeu  la  lettre  qu'il  vous  a  pieu  m'escripre  par 
Labordclayc,  présent  porteur,  lequel,  comme  culuy  qui  l'a  veu, 
pourra  suffisamment  tesmoigner  tant  du  bon  portement  de  mon- 
sieur le  connestable  que  de  ce  qui  est  de  son  service;  en  quoy  si 
je  puis  quelque  chose,  sans  oITence  de  mon  devoir,  vous  croirez, 
s'il  vous  plaist.  Madame,  que  je  n'aurai  jamais  moiens  que  je  n'y 
employé  avec  ma  personne  mesmes"  autant  volontiers  que  vous 
pouvez  espérer  d'un  nepveu  qui  n'est  nay  que  pour  vous  sei'vir  et 
obéyr  toute  sa  vie,  et  pour  ce  que  vous  y  aui'ez  tousjours  com- 
mandement, je  remettray  à  vous  en  faire  preuve  davantage  àquand 
l'occasion  s'en  présentera  aussy  propre  que  j'en  ay  bonne  volonté; 
et  cependant,  Madame,"  je  salueray  voslre  bonne  grâce  de  mes 
très  humbles  recommandations,  suppliant  le  Créateur  qu'il  vous 
doinct  l'heureuFe  et  contente  vie  que  vous  désire,  —  D'Orléans,  ce 
XXiV  juurde  février  1502  (a.  st.). 

»  Vostre  très  humble  et  obéissant  nepveu 

»  Andelot.  » 


—  305  — 


—  Lettre  de  Damville  à  la  connétable,  du  15  février  i563,  n.  st. 
(Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  20,  509,  fo  26). 

«  Madame,  vendredy  au  soir,  je  reçeuz  deux  de  vos  lettres  en- 
semble une  autre  qu'esciipvyés  à  la  royne  et  ung  autre  à  monsei- 
gneur le  connestable,  laquelle  je  baillay  le  jour  suivant  à  ma 
seur,  madame  la  mareschale,  qui  s'en  alla  et  la  (prit)  avec  elle  pour 
s'essayer   d'entrer  à  Orléans  voir   mondit  seigneur  et  vous  en 
rapporter  nouvelles  certaines  de  sa  santé,  encores  que  je  pense 
que  en  avés  desjà  esté  satisfaicte  par  son  argentier  qu'il  vous  a 
envoyé,  par  lequel  pourrés  avoir  entendu  comme  il  est  bien  guary 
de  sa  playe,  grâces  à  nostre  seigneur.  Quant  à  celle  qu'escripvies 
à  la  royne  samedy  dernier,  Sa  Majesté  passa  icy  près  pour  aller 
voir  monsieur  et  madame  à  Amboise  où  je  fus  avec  elle  et  les  luy 
présentay,  et  lors  me  comenda  vous  présenter  ses  recommandations 
à  vostre  bonne  grâce  et  qu'elle  désire  autant  la  deslivrance  et 
brief  retour  de  mondit  seigneur  que  vous  mesmes,  vous  pouvant 
bien  tesmoigner.  Madame,  que  despuis  qu'il  est  à  Orléans,  j'ay 
cogneu  en  plusieurs  façons  plus  de  démonstrations  d'amytié  que  Sa 
majesté  luy  porte  que  je  n'avois  faict  de  paravant  son  emprison- 
nement, et  qu'il  ne  tiendra  à  elle  qu'il  ne  soit  bientost  de  deçà, 
qui  ne  sera  sitost  que  tous  les  siens  le  désirent.  Hier  au  soir  arri- 
varont  en  ce  lieu  devers  monsieur  le  prince  Bocar  et  Esternay  et 
au  semblable  messieurs  d'Oisel  et  de  Limoges  arrivarent  hier  à 
Orléans  devers  mondit  seigneur  le  connestable    pour  regarder 
tant  d'un  cousté  que  d'autre  le  moyen  de  les  1ère  cmboiischer  et 
parlamenter  ensemble,  ce  qui  pourra  estre  bientost  résolu,  m'es- 
tant  advys  à  les  voir,  qu'ilz  désirent  la  pais  dont  sitost  que  leur 
résolution  sera  prinse,  je  ne  faiddray  vous  en  advertir,  et  d'aiillant, 
Madame,  que  monsieur  de  Magdaliera  vous  va  voir  qui  vous  dira 
de  nos  nouvelles,  je  n'estendray  la  présente  davantaige  que  pour 
vous  dire  que  je  ne  fais  qu'emprunter,  ne  pouvant  louclu-r  ung 
seul  liard  de  mes  estalz,  et  qu'il  me  convyenl  faire  fort  grande 
despence  pour  entretenir  et  tenir  maison  à  tous  ceulx  qui  sont 


—  306  — 

»  icy  auprès  de  moy  et  pour  la  garde  dudict  seigneur  prince,  vous 
»  supliunt  très  humblement,  Madame,  y  avoir  égard  et  de  croire 
»  que,  n'eust  esté  pour  mondit  seigneur  le  connestable,  je  n'eusse 
»  jamais  prins  ceste  charge  qui  n'est  de  petite  conséquence.  Et  en 
»  cest  endroict  je  vous  présenteray  mes  très  humbles  recommanda- 
»  tions  à  vostre  bonne  grâce,  et  prie  le  Créateur  vous  donner,  Ma- 
»  dame,  parfaite  santé,  très  longue  et  très  heureuse  vye.  —  D'On- 
»  zain,  ce  XY'  febvrier  15G2  (a.  st.). 

»  Vostre  très  humble  et  très  obéissant  fils, 
»  Montmorency.  » 


XXIX 


Lettres,  non  datées,  de  la  princesse  de  Condé  à  Catherine  de  Médicis, 
classées   selon    l'ordre   chronologique    qui  semble   devoir  leur  être  assigné. 


1"  «  Madame,  je  viens  de  recevoir  la  lettre  qu'il  a  pieu  à  Vostre 
»  Majesté  de  m'escrire,  et  suis  fort  marrye  que  ne  puis  satisfaire  au 
»  commandement  que  me  faictes  par  icelle  de  vous  faire  sçavoir  le 
»  temps  que  pourront  partir  ceulx  qu'avez  ordonnez  qui  aillent  vers 
»  monsieur  mon  mary  et  ceulx  qui  doivent  venir  vers  monsieur  le 
»  connestable.  La  faulte  ne  vient  que  de  ce  que  ung  mémoire  que 
»  moiitlict  sieur  mon  mary  dict  m'envoycr  pour  faire  entendre  ce 
»  qui  liiy  a  esté  pro|)osé  par  messieurs  le  ciirdinal,  mon  frère,  de 
»  Monlpensier,  duc  de  Guize  et  cardinal  son  frère,  pour  faire  le  tout 
»  inieulx  congnoistre  à  monsieur  l'amyral,  mon  oncle,  et  les  sei- 
»  gncuis  quy  sont  avec  luy  pour  s'aviser  d'instruire  ceulx  qui  doi- 
•B  vent  aller  vers  ledict  seigneur,  lequel  ne  nous  a  point  esté  apporté, 
»  ny  aussy  le  sauf-conduict  qu'il  dict  nous  esire  envoyé  pour  les 
»  dictz  gentilshommes,  qui  est  l'occasion  que  ne  pouvons  tous  dire 


—  307  — 

»  sinon  que  les  sieurs  de  Boucart  et  Esternay  sont  tout  prests  à  partir 
»  dès  qu'il  vous  plaira,  Madame,  de  commander  que  ces  deux  choses 
»  nous  soyent  envoyées,  vous  suppliant  très  humblement,  Madame, 
»  vouloir  croyre  que  tous  désirent  infiniment  que  ung  bon  moyen 
»  se  puisse  présenter  pour  faire  une  bonne  paix,  à  la  gloire  de 
»  Dieu,  au  service  de  Voz  Majestez  et  au  repos  de  tout  vostre  réaume, 
»  et  m'assure  que  tous  leurs  eiîortz  feront  preuve  que  c'est  la  chose 
»  du  monde  qu'ils  désirent  le  plus,  suppliant  Dieu,  madame,  qu'il 
»  donne  à  tous  les  vouluntés  de  s'accorder  si  bien  que  puissions  ob- 
»  tenir  ce  bien  tant  nécessaire,  et  qu'il  donne  à  Vos  Majestez  en 
»  santé  très  heureuse  et  longue  vie,  etc.,  etc.  (1).  » 

2'  «  Madame,  ceste  après-disnée  est  arrivé  Leplessy,  présent 
»  porteur,  avec  la  lettre  que  Vostre  Majesté  escripvoit  à  monsieur 
»  le  connestable,  par  laquelle  démonstrez  estre  mécontente  de  ce 
»  que  les  sieurs  d'Esternay  et  Boucart  sontallez  avec  monsieur  l'amy- 
»  rai,  mon  oncle,  ce  que  on  a  faict  àl'occasion  qu'a  sestédu  mémoyre 
»  qui  n'avoit  point  esté  envoyé,  ils  ne  peuvent  eslre  instruictz  de- 
»  -meurans  icy  ne  sachant  ce  qui  avoit  esté  mis  en  avant  qu'il  n'eust 
»  fallu  que  ilz  fussent  retournez,  ce  qui  eust  esté  encore  plus  long, 
»  mais  nous  y  avons  envoyé  et  espérons  les  avoir  bientost  de  retour, 
»  lesquelz  seront  envoyez  incontinent,  suyvant  ce  qu'il  vous  a  pieu 
»  nous  commander,  vous  suppliant  très  humblement.  Madame,  vou- 
»  loir  croire  que  ce  que  en  ce  monde  estimons  et  désirons  plus  avoir 
»  c'est  la  bonne  grâce  de  Voz  Majestez,  une  bonne  paix  et  vous  faire 
»  tous,  toutes  nos  vies,  très  humble  et  obéissant  service,  et  craignant 
»  que  eussiez  trouvé  maulvais  la  demeure  dudict  Plessy,  c'est  ce  qui 
))  nous  l'a  faict  redepescher  incontinent  vers  Vostre  Majesté,  etc. 
»  (2).  )) 

3"  «  Madame,  ce  matin  est  arrivé  Le  Plessy  avec  les  lectres 
y>  qu'il  vous  a  pieu  escripre  à  monsieur  le  connestable  et  celle  que 
»  Vostre  Majesté  m'a  permis  d'avoir  de  monsieur  mon  mary,  Ics- 

{i)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  (iliOT,  f^  51. 
(-2)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr,,  vol.  GG07,  f'  51. 


—  .308  — 

»  quelles  dômonslrent  la  voulunté  qu'avez  que  ceste  veue  se  face  de 
»  mondict  sieur  mon  mary,  de  messieurs  le  connestable  el  de  Guize 
»  avec  aucuns  de  ceulx  quy  sont  avec  monsieur  Tamyral,  mon  oncle, 
»  ce  quy  a  esté  de  liiy  et  de  toute  la  compagnie  tant  ce  qui  est  là  quy  • 
j>  s'y  trouve  fort  bon  et  raisonnable  et  quy  est  le  meilleur  moyen 
>)  pour  faire  une  bonne  paix,  et  pour  cest  effect  a  esté  avyzé  entre 
»  eulx  que  mon  frère  de  Larochefoucault  avec  Bouchavanne  et 
B  Externay  s'y  trouveront,  désyrant  tous  plus  qu'il  n'est  possible  de 
))  l'exprimer  qu'une  bonne  et  sûre  paix  se  puysse  bien  faire  en  cest 
»  que  Dieu  puysse  estre  bien  obéy  et  servy  et  Voz  Majestez  sembla- 
»  blement  comme  le  doict  ung-  chacun  et  que  tout  le  monde  doict  dé- 
»  syrer  et  ayder  de  tout  son  pouvoir;  suppliant  Dieu,  Madame,  qu'il 
»  donne  à  tous  les  cœurs  de  s'accorder  sy  bien  qu'il  n'y  faille  plus 
»  retourner  et  que  ce  temps  misérable  et  calamiteux  soit  converty 
»  en  bénédiction  et  repos,  vous  suppliant  très  humblement,  Madame, 
»  vouloir  croyre  que  nulle  personne  ne  désyre  ce  bien  tant  que  moy 
»  et  de  vous  pouvoir  faire  toute  mavietrés  humble  service,  suppliant 
»  le  Créateur,  Madame,  qu'il  vous  donne  en  parfaite  santé,  très 
»  heureuse  et  contente  vye.  Madame,  j'ay  baillé  à  Laporte  ce  quy 
»  a  semblé  à  mon  oncle  et  à  tous  ceulx  quy  sont  avec  lui  raison- 
»  nable  pour  les  seuretez  requises  de  part  et  d'autre,  attendant  sur 
»  le  tout  d'entendre  voz  commandements,  vous  suppliant  très  hum- 
»  blement  que  monsieur  mon  mary  aist  les  lectres  que  luy  escrips 
»  par  ce  porteur  avec  le  double  de  l'avys  de  mon  oncle,  et  que  le 
»  capitaine  Larivièrc  le  puisse  revoyret  me  apporter  de  ses  nouvelles 
»  et  réponses  (1).  » 

4-°  «  Madame,  monsieur  le  connestable  et  mon  oncle  Dandelot 
»  et  moy  nous  a  semblé  ne  devoir  plus  différer  à  vous  renvoyer  Le 
»  Plessy,  présent  porteur,  pour  attendant  la  réponse  de  ce  que  vous 
»  a  porté  Laporte,  avertir  Yostre  Majesté  de  l'ayse  qu'avons  tous  reçu 
»  de  ce  que  avyés  trouvé  bon  ce  que  le  capitaine  Larivière  vous  avoit 
»  présenté  et  aussy  de  la  bonne  volunté  en  quoy  continuent  tous 
»  ceulx  quy  sont  avec  mon  oncle,  monsieur  l'amiral,  el  ceulx  qui  sont 

(1)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  6607,  f''  71 


—  309  — 
-»  icy  pour  obtenir  de  Dieu,  s'il  est  possible,  une  bonne  paix,  ce 
»  que  j'espère  bien  fort  si  tous  les  autres  en  ont  pareil  désir,  ainsi 
»  que  croy  que  Dieu  oira  la  clameur  et  prière  de  tout  ce  roïaume 
»  tant  afflige,  et  que  chacun  cherchera  ce  qui  est  pour  le  service  de 
»  VozMajestez,  vous  suppliant  très  humblement  nous  faire  cest  hon- 
»  neur  de  nous  croyre  les  plus  fidèles  et  obéissants  serviteurs  qu'ait 
»  Vostre  Majesté,  etc.  (I).  » 

5°  «  Madame,  hier,  bien  tard,  arrivèrent  les  sieurs  de  Boucartet 
»  Esternay  en  ce  lieu,  envoyez  par  monsieur  l'arayral,  mon  oncle, 
»  suivant  vostre  commandement,  lesquelz  partentpour  aller  coucher 
»  à  Boygency  et  de  là  trouver  Vostre  Majesté,  pour  delà  aller  vers 
»  monsieur  mon  mary,  comme  leur  avez  ordonné  et  attendant  aussy 
»  çeulx  quy  doyvent  venir  vers  monsieur  le  conneslable,  espérant 
»  que  ce  bon  moyen  vous  apportera  et  à  vostre  royaume  et  subjectz 
»  une  bonne  paix,  si  par  effet  on  démontre  la  vouloir  tous,  comme 
»  on  le  dict,  dont  je  supplie  à  Dieu,  et  m'assure,  Madame,  que,  veu 
»  ce  que  j'ay  tousjours  congneu  et  que  voys  encore  ceulx  qui  sont 
»  de  deçà  ils  feront  congnoistre  qu'il  ne  tiendra  à  eux  que  ce  bien 
»  tant  requis  et  nécessaire  ne  soit...  de  la  fm  de  toutes  ces  misères, 
»  comme  estant  leur  seul  désir  et  intention  que  de  veoir  pouvoir 
»  servir  à  Dieu  selon  qu'ils  congnoissent  luyestre  agréable,  et  le  roy 
»  et  vous  obéis  et  servis  et  eux  s'employant  et  eulx  et  leurs  bien  et 
»  vies  à  vous  obéir  et  servir  toute  leur  vie,  etc.,  etc.  (2).  » 

(1)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  6007,  f-^  74. 

(2)  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  G607,  f^  05. 


—  310  — 


XXX 


I.  —  Lettre   du   prince   de   Condé  à  Catherine  de  Médccis 
{llist.  des  princes  de  Condé,  t.  I,  p.  397,  398). 


«  Madame,  vous  avés  peu  voyr  et  connestre  derremant  mon  yntan- 
»  sion  pour  le  partemant  de  monsieur  le  conétable  par  la  dernyerre 
»  lettre  que  je  escryte  à  Yoslre  Magesté  et  ausy  à  ma  femme,  quy 
D  me  gardera,  aient  sur  sela  tousjours  ungne  opynion   an   fère 
»  long  discours  de  ma  vouslonté,  vous  supliant  très  humblement  de 
0  crère  comme  je  voys  que  lavés  cru  que  je  necrys  deun  et  fais  an- 
y,  tandre  d'auslre,  et  cossy  peu  voudrcs-je  antretenyr  Yostre  Magesté 
»  à  négosiasions  disverses,  et  quy  plus  ma  fait  pancer  quy  ne  vousdre 
»  à  se  que  leur  é  mandé,  et  pourrés  par  saiste  foys  fère  antandre  sy 
.1  condescendre  :  sait  que  disse  quyl  ne  veuillie  tous  y  consantyr  ;  quy 
»  me  fait  fort  peu  esperrer  quyl  le  veuillie  permetre;  vous  supliant 
»  très  humblement.  Madame,  crère  de  moy  que  ne  désire  rien  tant 
»  au  monde  que  d'avoyr  de  Vos  Magestés  les  moiens  pour  vous 
»  fère  connestre  que  ne  soryes  anploier  homme  en  vostre  reosme 
»  quy  plus  désire  voir  une  bonne  pais  que  je  fais,  et  quy  plus  désire 
.)  vous  fère  ung  bon  servyce  que  moy,  supliant  Dieu,  Madame,  quy 
>)  me  fasse  la  grâce  que  le  puyssyez  bien  crère,  et  vous  donne  autant 
»  de  contantemant  que  vous  an  désire,  Danboysse,  se  dernier  jour 
»  de  feuvryer, 
»  Yoslre  très  humble  et  très  obéyssant  suget  et  servylcur, 

»  Loys  de  Bourbon.  » 


—  311  — 


II.  —  Lettre  du  prince  de  La  Roche-sur-Yon  à  Catherine  de  Médicis 
{Hist.  des  princes  de  Condé,  t.  I,  p.  399,  400). 


Amboise,  3  mars  1553. 

«  Madame,  si  je  me  troiivay  en  peyne,  recevant  vostre  commande- 
5)  ment,  venir  en  ce  lieu,  encores  plus  quant  je  my  suis  veu,  estant 
»  si  peu  instruit  comme  toutes  choses  estoit  passées  entre  vous  et 
»  mondil  sieur  le  prince  qu'il  a  fallu  je  l'aye  apris  de  luy  mesme. 
»  Car  vostre  lettre  ne  tandoit  principalement  que  pour  la  déclara- 
))  cion  de  la  sienne  ambiguë  qui  m'a  montrée  et  a  asseuré  n'a  ryen 
»  mandé  que  de  mesmes  ce  qu'il  a  escript  à  vous,  Madame,  et  à 
»  madame  sa  famé,  et  que  la  mort  de  monsieur  de  Guise,  qu'il  a 
»  autant  pris  à  cueur  que  de  son  propre  frère,  estant  mort  son  amy, 
»  et  qu'à  son  fils  il  ne  le  pardonneroit,  désirant  sa  punition  où  n'y 
»  espargnera  sa  propre  vye  au  chastiment  de  sy  meschant  acte, 
»  m'assurant  ladite  mort  ne  l'a  faict  changer  d'opinion,  ne  moins 
»  l'affection  qu'il  a  à  vous  obéir  en  tout  ce  qui  vous  playra,  soit 
»  pour  l'aboucher  avecques  monsieur  le  connestable  ou  aultrement, 
»  pour  s'acheminer  à  la  paix  ;  mais  il  crint,  corne  il  avoit  dit  à  mon- 
»  sieur  l'admirai  qu'à  l'heure  il  apela  à  thémoin,  et  luy  avoir  dit, 
»  quant  l'homme  d'Orléans  arrivast,  que  jamais  il  ne  consentirest 
»  la  sortie  dudit  connestable,  mondit  sieur  le  prince  n'y  entrast,  et 
»  que  ce  moyen  tyroit  toutes  choses  en  longueur,  désirant  tousjours 
»  avecques  toutes  seuretés,  soit  de  son  fils  ou  ce  que  choisyrés,  de 
»  pover  parler  à  ceux  d'Orléans  qu'il  aseure  ranger  et  manier  de 
»  sorte  que  dedans  dix  jours  il  espère  la  paix;  et  au  cas  qu'il  falle 
»  se  rendre  où  il  sera  ordonné  au  temps,  qu'il  sera  tenu  incapable 
»  et  indigne  du  nom  qu'il  porte,  et  permet  à  tous  le  tenir  pour 
»  méchant,  et  sa  vie  en  abandon,  le  faisant  mourir  comme  poltron, 
»  pardonnant  sa  mort.  Le  tout  que  dessus  a  dict  devant  mondit 
»  sieur  l'admirai.  Yela,  Madame,  ce  que  j'ay  peu  tirer  de  ce  petit 
»  homme.  Il  n'y  a  rien  de  nouveo.  La  venue  de  monsieur  de  Li- 
»  moges  nous  aprandra  quelque  chose,  mesmes  si  avés  parlé  à 


—  312  — 

»  madame  la  princesse.  Il  demande  fort  à  vous  voyr  si  l'avyés 
y>  agréable;  il  me  semble  que  ne  seret  maulvays  l'ouyr  parler;  mais 
»  davant  partie  du  conseil  y  asseroit  jugemant  sur  ces  propos  et 
»  asseurances  et  promesses  et  davant  tous  on  y  adviseroit,  et  chacun 
»  parleroit  pour  congnoystre  s'il  y  a  tromperye.  Quant  à  moy,  Ma- 
»  dame  je  voy  des  langajes  que  je  n'avoys  jamays  entendues.  J'espère 
;)  vous  en  dire  davantage.  Se  n'est  au  serviteur  en  parler  plus  avant; 
»  en  playne  compagnye  j'ose  dire  mon  opinion,  vous  assurant,  Ma- 
»  dame,  que  le  ferai  en  ma  conscience  pour  l'honneur  de  Dieu  et 
»  service  de  mon  maistre  et  utilité  et  advantage  de  ce  posvre  et  af- 
»  fligé  réaulme;  nostre  seigneur  m'en  doint  la  grâce.  » 


XXXI 


Les  deux  lettres  suivantes,  non  datées,  de  la  princesse  de  Condé  à 
Catherine  de  Médicis,  paraissent  avoir  été  écrites  à  une  époque  voi- 
sine de  la  conclusion  de  la  paix. 


lo  (Bil)l.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  6,  G07,  f»  49j. 

«  Madame,  j'ai  reçeu,  il  y  a  deulx  jours,  une  lettre  qu'il  vous  a 
»  pieu  me  faire  cest  honneur  de  m'escripre  pour  parler  a  monsieur 
»  mon  mary,  auquel  ne  fault  nulle  personne  pour  luy  ramentevoir 
î)  ce  quy  est  pour  vostre  service,  car  il  en  est  si  affectionné,  qu'il  ne 
»  fauldra  jamais  à  estre  des  premiers  à  montrer  l'exemple  de  vous 
»  obéyr  et  fidellement  servir,  n'y  voulant  espargner  nulle  chose  qu'il 
»  aist  en  sa  puyssance  ne  mesmement  sa  vie,  mais  tout  y  sacrifier 
»  comme  y  estant  tout  desdyé  comme  congnoistra  Vostre  Magesté 
)'  par  ses  effectz,  et  aussy  par  ce  qu'il  a  dict  plus  au  long  à  messieurs 


—  313  — 
ï  d'Orléans  et  d'Aubespine,  suppliant  Dieu  qu'il  donne  aux  cœurs 
»  de  tous  les  subjectz  et  serviteurs  de  Yoz  Magestez  de  vous  obéyr 
»  et  servir  fidellement,  comme  Dieu  et  leur  debvoir  leur  comman- 
»  dent,  et  que  puissiez,  Madame,  bientost  vous  veoyr  en  tout  repos 
»  et  contentement,  suppliant  très  humblement  Vostre  Magesté  vou- 
»  loir  croyre  que  n'avez  servante  ny  subjecte  qui  le  souhaite  et  de- 
»  sire  plus  que  moy,  et  qui  de  meilleure  affection  s'employe  en  tout 
»  ce  qui  touchera  le  service  de  Dieu  et  de  Vos  Magestez,  la  remer- 
»  ciant  très  humblement  de  l'honneur  qu'elle  m'a  faict  de  me  com- 
»  mander,  où  ne  fauldray  en  toute  chose  de  rendre  tousjours  par- 
»  faicte  obéyssance,  suppliant  le  créateur  qu'il  vous  donne,  Madame, 
»  en  parfaite  santé,  très  heureuse  et  longue  vie.  » 


2°  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  6,  607,  P  76). 

«  Madame,  suyvant  le  commandement  que  il  vous  a  pieu  me  faire 
»  par  vostre  dernière  lettre,  j'ay  dict  à  monsieur  mon  mary  et  à  mes 
»  oncles  ce  quy  estoit  en  vostre  dicte  lettre  ;  lesquels  m'ont  faict  ré- 
»  ponse  que  en  tout  ce  qu'il  leur  sera  possible  de  vous  rendre  par- 
T>  faite  obéissance  à  ceste  heure  et  toutes  leurs  vyes,  ils  n'y  fauldront 
»  jamais,  pourveu  que  ce  soit  en  conservant  ce  qui  est  nécessaire 
»  pour  le  service  de  Dieu  et  de  Yoz  Magestez,  à  quoy  vous  sont  sy 
»  affectionnez  et  fidèles  serviteurs,  qu'ilz  sacrifieront  et  emploieront 
»  toutes  leurs  vyes  où  ilz  vous  conserveront  en  toute  liberté  et  auc- 
ï»  torité  selon  qu'elle  vous  est  d'ung  chacun  deue,  suppliant  Dieu 
»  qu'à  tous  vos  subjectz  il  leur  donne  ceste  volonté  et  que  bientost 
»  puissiez  veoyr  vostre  roïaume  hors  de  tous  ces  troubles  à  vostre 
»  contentement,  Madame,  et  au  repos  de  tous  vos  subjectz  et  servi- 
»  teurs,  suppliant  très  humblement  Voslre  Magesté  vouloir  croyre 
»  que  n'avez  servante  qui  désire  plus  avoir  cest  honneur  de  vous. 
»  pouvoir  faire  quelque  service  qui  vous  soit  agréable,  supphanl  If 
»  créateur  qu'il  vous  donne.  Madame,  en  parfaite  santé,  très  heu- 
»  reuse  et  longue  vye.  » 


—  314  — 


XXXII 


I.  —  Lettre  du  prince  de  Condé  «  aux  magnifiques  seigneurs  messieurs  les  scyndics  et 
»  seigneurs  du  Conseil  de  Genève.  »  {Archives  de  la  ville  de  Genève,  liasse  n»  1712.) 


«  Magnifiques  seigneurs,  puisqu'il  a  pieu  à  nostre  bon  Dieu  com- 
»  mancer  à  réduire  les  troubles  et  confusions  dont  si  long-temps, 
»  comme  chacun  sçait,  ce  pauvre  roïaume  a  esté  affligé  pour  le 
»  faict  de  la  religion,  à  une  pacification  et  tranquillité,  et  qu'il 
»  semble,  à  voir  l'acheminement  des  choses,  que  nous  ne  pouvons 
>)  désormais  attendre  sinon  une  augmentation  autant  grande  en 
»  l'avancement  du  règne  de  Jésus-Christ,  par  la  pure  prédication 
»  de  son  évangile,  comme  les  ennemis  de  sa  vérité  luy  doient  pré- 
»  somptueusement  non  seulement  la  retarder  ou  empescher,  ains 
))  plus  tost  la  ruyner  et  abattre,  et  que  pour  ceste  raison  monsieur 
»  de  Besze  a  là  dessus  prins  argument,  quoyque  à  mon  regret,  de 
»  se  retirer  de  ce  païs  pour  aller  au  vostre  rendre  en  vostre  en- 
»  droict  le  debvoir  auquel  sa  vocation  le  tient  obligé,  je  ne  l'ay 
»  voullu  laisser  partir  sans  l'accompagner  de  ceste  lettre,  qui  servira, 
»  non  pour  tesmoigner  les  vertueux  et  louables  offices  qu'il  a  faictz 
»  en  la  poursuitte  et  deffence  d'une  si  juste  et  saincte  querelle, 
D  d'aultant  qu'ilz  sont  si  notoires  et  congneuz  que  ce  ne  seroit  que 
»  superfluité  de  les  déduire  ou  pubher  davantaige,  mais  pour  prc- 
»  micrement  vous  remercier  bien  affectueusement  de  la  faveur  que 
»  j'ay  reçeue  de  vous,  me  l'ayant  laissé  aussi  longuement  que  luy 
))  mesme  à  jugé  sa  présence  eslrc  requise  et  à  moy  son  bon  conseil 
»  nécessaire  à  la  poursuite  et  maniement  d'une  cause  si  importante, 
»  veu  qu'elle  regardoit  à  la  gloire  de  ce  grand  Dieu  et  la  conserva- 
»  tion  de  l'auctorité  de  mon  jeune  roy,  en  quoy  il  a  beaucoup  servy 
»  à  inciter  les  ungs  et  contenir  les  autres  à  l'exécution  de  leurs 


—  315  — 

»  charges,  et  puis,  me  remectant  sur  sa  suffisance  à  vous  descouvrir 
»  et  raporter  particulièrement  les  occurrances  et  événemens  tant  de 
»  la  guerre  que  de  caste  paix,  et  du  bien  qui  s'en  peult  espérer, 
»  vous  asseurer,  magnifiques  seigneurs,  que  toutes  les  gratiffications 
»  et  honnestes  démonstrations  de  la  bonne  volonté  que  m'avez  en 
»  ce  faict  offertes,  tiendront,  toute  ma  vie,  tel  lieu  en  ma  mémoire, 
»  que,  s'offrant  occasion  pour  user  envers  vous  d'une  condigne  rc- 
»  cognoissance,  vous  congnoistrez  par  effect  de  quelle  affection  je 
»  m'y  employeray  et  que  par  ce  moyen  je  suis  certain  vous  ne  re- 
»  gretterez  point  les  plaisirs  que  m'avez  impartiz,  ainsi  que  j'ay 
»  prié  ledict  sieur  de  Besze  vous  le  faire  entendre,  priant  Dieu,  ma- 
»  gnifiques  seigneurs,  continuer  en  toute  félicité  la  conservation 
»  de  vostre  république  et  vous  maintenir  en  sa  très  saincte  garde, 
î  Escript  à  Orléans,  le  XXYIII  de  mars,  1562  (1563,  n.  s.).  >■> 


II.  —  Lettre  de  l'amiral  Gaspard  de  Coligny  «  à  messieurs  les  scyndics  et  seigneurs 
»  du  Conseil  de  Genève.  »  {Archives  de  la  ville  de  Genève,  liass3  n»  1715.) 

c(  Messieurs,  puisque-  par  vostre  congé  et  moyen  monsieur  de 
»  Besze,  présent  porteur,  est  venu  par  deçà,  la  présence  duquel 
»  m'a  grandement  contenté  avec  toute  ceste  compagnie,  je  n'ay  voulu 
»  le  laisser  aller  sans  la  présente  pour  vous  remercier  de  ce  plaisir 
5>  et  de  plusieurs  autres  es  quelz  nous  avons  appeireu  et  cogneu 
»  par  expérience  plus  que  jamais  combien  la  gloire  de  Dieu  et  l'aug 
5)  mentation  des  églises  de  ce  royaume  vous  sont  chères  et  pré- 
»  cieuses  ;  celuy  auquel  vous  avez  eu  le  principal  esgard  en  ce  fai- 
»  sant  vous  en  sera  libéral  rémunérateur,  et,  de  ma  part,  Messieurs, 
i>  je  vous  prie  vous  assurer  que  j'en  auray  telle  souvenance  que  me 
»  trouverez  tousjours  amy  en  toutes  sortes  que  je  pouvray  mVm- 
»  ployer  pour  vostre  bien  et  conservation,  d'aussi  bon  cœur  que  je 
»  me  recommande  à  vos  bonnes  prières,  après  avoir  prié  nostre 
»  Dieu  qu'il  vous  maintienne  en  sa  sainte  garde  et  protection.  D'Or- 
»  léans,  ce  XXX  de  mars,  1562  (i56o,  n.  s.).  » 


—  31G  — 


XXXIII 


Lettre  du  prince  de  Condé  au  maréchal  de  Montmorency 
(Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  3191,  fo  56). 


»  Monsieur  le  mareschal,  il  y  a  fort  longtemps  que  ung  nommé 
»  Marin,  de  Marenes,  mon  tailleur,  est  prisonnier  et  en  la  concier- 
j  gerie  du  pallais  de  Paris  pour  le  faict  de  la  religion,  et  tous  ses 
»  biens  pilliez  et  saccagez,  lequel  est,  à  ce  que  j'ay  peu  entendre, 
»  détenu,  en  grande  calamité  et  misère.  Je  vous  prie.  Monsieur  le 
»  mareschal,  s'il  est  ainsy  qu'il  soit  prisonnier  que  pour  le  faict 
»  dessusdict,  faire  en  sorte  qu'il  soit  bientost  mis  hors  des  prisons, 
»  et  ses  biens  lui  estre  restituez,  s'il  estoit  possible;  vous  asseurant 
»  qu'en  ce  faisant  vous  ferez  ung  sy  grand  bien  pour  le  pauvre  prison- 
»  nier,  et  àmoy  ung  sy  singulier  plaisir  que,  pour  le  recongnoistre, 
»  vous  me  trouverez  toute  ma  vye  aussy  prest  que  de  bien  bon  cœur 
»  Je  supplie  le  créateur.  Monsieur  le  mareschal,  après  m'estre  bien 
»  affectueusement  recommandé  à  voz  bonnes  grâces,  vous  tenir  en 
»  toutes  voz  perfections  prospères.  Escript  à  Saint-Germain -en 
»  Laye,  ce  XVIU"  jour  de  may  1563.  —  Vostre  plus  afecsionné 
»  cousin  et  amy  obligé  à  jamays,  Loys  de  Bourbon.  » 


317 


XXXIV 


Extrait  «  du  Mémorial  (registre  des  procès-verbaux)  du  Conseil  des  XXI, 
w  pouvoir  exécutif  du  ministère  de  la  guerre  et  des  affaires  étrangères,  3  février  1563.  » 

(Archives  de  Strasbourg.) 

La  comtesse  de  Roye  avait  exposé,  dans  une  requête  au  Conseil 
des  XXI,  ce  qui  suit,  au  sujet  de  ses  promenades  avec  ses  petits  en- 
fants : 

«  La  dame  de  Roye  estoit  jusques  à  présent  accouslumée  d'aller 
»  en  voiture  avecques  les  jeunes  seigneureletz  se  pourmener  dehors, 
»  aux  villages  et  aux  champs.  Toutesfois,  advertissement  luy  estant 
»  parvenu  comme  quoy  elle  risquoit  qu'il  n'arrivast  quelque  chose 
»  aux  enfans,  elle  estoit  d'advis  de  s'en  abstenir;  mais  parceque  les 
»  jeunes  seigneurs  estoyent  accoustumés  de  prendre  l'air,  elle  prve 
»  luy  permectre,  de  temps  à  aultre,  quand  les  tireurs  ne  sont  pas  à 
»  la  place  du  tir,  d'aller  s'y  pourmener.  » 

Décision  du  Conseil. 

«  Arreste  :  luy  permectre;  mais  qu'elle  procure  avec  ses  domes- 
»  tiques  que  ilz  ne  dégradent  rien;  oultre  cela,  luy  remonstrer  que 
»  il  ny  ha  point  de  guets  aux  portes,  et  que  icelle  porte  (des  Juils) 
»  est  eslongnée  vers  le  dehors;  que  personne  n'y  habile;  que  pour 
»  cela  elle  pourvoye  à  elle-même.  » 


-^  318  ^ 


XXXV 


Lettre  de  Calvin  à  la  comtesse  de  Roye,  avril  1563 
(Lettres  françaises,  t.  II,  p.   197,  498). 


«  Madame,  les  conditions  de  la  paix  sont  tant  à  notre  désadvantage, 
»  que  nous  avons  bien  matière  d'invocquer  Dieu  plus  que  jamais  à 
»  ce  qu'il  ait  pitié  de  nous,  et  remédie  à  telles  extrémités;  tant  y  a 
»  qu'il  nous  fault  baisser  les  testes,  et  nous  humilier  devant  Dieu, 
»  lequel  a  des  issues  admirables  en  sa  main,  combien  que  les  com- 
»  mencemens  soyent  pour  nous  estonner.  Je  ne  vous  puis  pas  dissi- 
»  muler  que  chacun  trouve  mauvais  que  monsieur  le  prince  se  soit 
»  monstre  si  facile,  et  d'advantage  qu'il  ait  esté  si  hastif  àconclurre. 
»  Il  semble  bien  aussy  qu'il  ait  proveu  mieulx  à  sa  seureté  qu'au 
»  repos  commun  despovresfidelles;  mais,quoy  qu'il  en  soit,  ce  seul 
•»  poinct  nous  doibt  imposer  silence,  quand  nous  sçavons  que  Dieu 
»  nous  a  voulu  derechef  exercer.  Je  conscilleray  tousjours  qu'on  se 
))  déporte  des  armes,  et  plus  tost  que  nous  périssions  tous  que  de 
•>•>  rentrer  aux  confusions  qu'on  a  veu.  J'espère  bien.  Madame,  que 
»  vous  mecterez  peine,  tant  qu'il  vous  sera  possible,  d'avancer  ce 
»  qui  semble  aujourd'hui  reculé.  Je  vous  prie,  au  nom  de  Dieu,  de 
ï»  y  faire  tous  vos  efforts.  Mesme  je  pense  que  la  rage  couslumière 
»  de  nos  ennemys  picquera  tellement  la  royne  et  ceulx  qui  par  cy 
»  devant  ne  nous  estoient  guères  favorables,  que  le  tout  nous  re- 
»  viendra  à  bien.  Voylà  comment  Dieu  sçayt  tirer  la  clarté  des 
»  ténèbres.  Geste  attente  m'alleige  aucunement  mes  douleurs  ;  mais 
»  je  ne  laisse  pas  de  languir  pour  les  angoisses  qui  m'ont  saisy  de- 
»  puis  les  nouvelles.  —  Madame,  après  m'estre  bien  humblement 
»  recommandé  à  vostrc  bonne  grâce,  je  supplieray  le  Père  céleste 
»  de  vous  avoir  en  sa  sainctc  garde  et  vous  rendre  saine  et  sauve 


—  319  — 

>  avec  vos  petits  enfants,  lesquels  Dieu  a  honorez  en  les  faisant  pel- 
î  lerins  en  terre  estrange,  de  quoy  ils  auront  à  se  souvenir  estant 
»  venus  en  âge,  etc.,  etc.  » 


XXXVI 


Lettre  de  la  comtesse  de  Roye  à  Catherine  de  Médicis,  du  27  mai  1563 
(Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  i5,875,  P  513). 


«  Madame,  estant  de  retour  en  ce  lieu  du  voyage  que  je  viens 
»  de  faire  devers  messieurs  les  princes  protestans,  j'ay  advisé  de 
»  vous  dépescher  le  secrétaire  Millet,  présent  porteur,  en  toute  di- 
»  ligence,  avec  instruction  bien  ample  de  ce  que  j'ay  negocyé  de  deçà 
»  pour  le  service  du  roy  et  le  vostre,  vous  pouvant  assurer,  Madame, 
»  que  j'ay  trouvé  des  princes  autant  affectionnez  au  service  de  Yoz 
»  Magestez  que  le  seauriez  désirer,  et  louent  fort  le  bon  ordre  que 
»  je  leur  ay  tesmoigné  que  vous  donnez  pour  l'establissement  d'une 
»  bonne,  ferme  et  stable  paix,  remectant,  quand  j'auray  ce  bien  et 
»  honneur  de  vous  baiser  les  mains,  à  dire  de  bouche  à  vostre  dicte 
»  Magesté  beaucoup  de  particullaritez  qui  vous  satisferont  grande- 
»  ment.  Madame,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  doint  en  très  heureuse 
»  santé  et  prospérité  bonne  et  longue  vye.  De  Strasbourg  le  XXYII* 
»  jour  de  may  1563. 

»  Vostre  très  humble  et  très  obéissante  subjecte  et  servante, 

»  M.\DELENE   DE   M.VILLY.    » 


—  320  — 


XXXVII 


L'interdiction  de  faire  prêcher,  dont  se  plaignait  Renée  de  France 
pour  elle  personnellement,  de  même  que  pour  l'amiral  et  sa  femme, 
pesa,  à  quelque  temps  de  là,  sur  Jeanne  d'Albret,  à  Màcon  :  on  lit, 
en  effet,  dans  une  lettre  de  Sarron,  secrétaire  de  l'ambassadeur 
d'Espagne,  en  date  du  iO  juin  1564  {Mem.  de  Condc,t.  II,  p.  201), 
ce  qui  suit  : 

«  Le  jeudy  de  l'Octave  de  corpus  domini,  se  feit  une  procession 
»  à  Mascon,  fort  dévote,  en  laquelle  le  roy  très  chreslien,  monsieur 
»  d'Orléans,  la  royne-mèrè,  messieurs  de  Montpensier,  prince  de  la 
»  Roche-sur-Yon,  les  cardinaulx  de  Bourbon  et  de  Guyse,  duc  d'Au- 
»  maie,  connestablc,  chancellier,  et  plusieurs  chevaliers  de  l'ordre, 
»  et  sieurs  et  dames  de  la  court,  assistèrent  fort  dévotement,  ayant 
»  torches  ou  cierges  en  leurs  mains;  qui  donna  si  bon  exemple, 
»  que  plusieurs  ausquelz  on  faisoit  croire  que  les  dictz  roy  et  roy  ne 
»  estoient  huguenotz  et  n'alloient  à  la  messe,  se  sont  réduiclz.  — 
»  Et  pour  ce  que  ledit  seigneur  roy  feit  crier  le  jour  devant  que 
h  ceulx  de  la  ville  qui  sont  la  plupart  huguenotz  deusscnt  assister  à 
»  ladicte  procession  et  faire  tendre  ou  mectre  ramée  devant  leurs 
»  maisons,  madame  de  Vandosme  qu'est  maintenant  en  court,  en  feit 
»  plaincte  à  la  royne,  luy  remonstranl  que  c'estoit  contrevenir  à  l'é- 
»  dict  de  la  pacification,  et  que  l'on  ne  dovoit  forcer  personne  de  sa 
»  conscience,  lui  en  demandant  justice.  — A  l'arrivée  de  ladicte  dame 
»  de  Yandosme  à  Mascon,  tous  les  huguenotz  du  dict  Mascon  luy 
»  furent  au  devant;  et  après  luy  avoir  faict  la  révérence,  et  supplié 
»  d'avoir  la  cause  de  la  religion  pour  recommandée,  luy  offrirent 
»  corps  et  biens  pour  la  défense  d'icelle  ;  à  quoy  elle  promit  tenir  si 


—  321  — 
»  bonne  main,qu'ilz  congnoistroient  avoir  en  elle  une  bonne  |)rolec- 
»  triée;  et  leur  dit  que  pendant  sa  demeure  aiulict  Mascon,  ilzpour- 
»  roient  aller  à  la  prescbe  en  sa  uiaison  :  car  elle  avoit  buict  bons 
»  ministres;  mais  comme  le  roy  fust  adverty  que  ladite  dame  faisoit 
»  prescber,  ce  qu'est  deffendu  parledictédict,  comme  aurez  bien  veu 
»  par  icelluy,  il  luy  envoya  delfendre  de  plus  le  faire,  et  luy  feit  dire 
»  que  si  ses  ministres  s'avancoient  de  prescber  h  la  suyte  de  sa  c:  lurt, 
»  qu'il  les  feroit  cbastier  si  aigrement  qu'aullres  y  prendioienl 
»  exemple  ;  dont  ladicte  dame  fust  fort  fâchée:  et  quelque  requeste 
»  qu'elle  ayt  sceu  fliire  de  pouvoir  faire  prescber  secrètement  en  sa 
»  cbambre,  l'on  ne  luy  a  voulu  permectre,  combien  je  pense  qu'elle  ne 
»  laisse  de  le  faire  secrètement  :  car  pour  tousjours  donner  plus  de 
»  cbaleur  et  de  cœur  aux  hnguenotz,  inconlinanl  qu'elle  fut  arrivée 
»  en  cette  ville,  qui  fut  avant  l'arrivée  dudict  seigneur  rov,  elle  alla 
»  au  prescbe  en  leur  temple  qu'ils  font  édifier  sur  les  fossez,  en  ung 
»  lieu  dict  les  Terraulx,  où  tous  les  jours  y  besongnent  de  telle  fu- 
»  reur,  que  les  gentisbommes  et  damoiselles  y  portent  la  boste  : 
»  si  est-ce  qu'ilz  n'ont  le  cacquet  si  bault  qu'ils  souloient  avoir, 
»  combien  qu'ils  dient  tousjours  quelque  chose.  Enfin  je  vous  as- 
»  sure  que  ce  voyage  sera  cause  d'un  grand  bien  pour  nostre  reli- 
»  gion,  car  le  roy  et  la  royne  font  grandes  démonstrations  de  ca- 
y>  tbolicques,  allans  ordinairement  à  la  messe,  tantost  en  une  église, 
»  et  tantost  en  une  aultre;  qui  donne  grand  exemple  et  cœur  aux 
»  bons  de  continuer  en  leur  religion,  et  à  plusieurs  buguenotz  de  se 
»  réduyre,  comme  il  s'en  réduit  journellement    » 


21 


'^±2  — 


XXXVIII 


Lettre   du   canlinal    de   Cliàtilloii  à   l'évèque    (VAqa 
illist.  lies  princes  de  Comlè,  t.  I,  p.  5i'Ji. 


«  Condé  i  juillet  1564. 

«  Je  VOUS  ay  bien  voulu   aJvertir  par  ce  secrétaire  que 

»  M.  le  prince  envoyé  à  la  court  pour  les  affaires  de  madame  la  ma- 
))  reschale  de  Saint-André.  Comme  ledit  seigneur  a  pris  ladite  dame 
»  en  sa  protection,  laquelle  dame,  pour  user  de  mesme  honnesteté 
»  et  recongnoissance,  aujourd'huy  luy  adonné  la  terre  deVallery  et 
»  les  autres  de  deçà  qui  luy  sont  échues  par  la  mort  de  sa  lille,  en- 
»  semble  a  fait  héritiers  universels  luy  et  ses  enfants  de  tous  les 
»  autres  biens  que  les  lois  et  coutumes  des  pays  donnent  es  autres 
»  provinces  où  ladite  fille  avoit  du  bien,  à  quelques  charges  et  con- 
»  ditions  fort  advantageuses  pour  luy,  qui  est  un  party  qui  ne  se 
»  trouve  pas  tous  les  jours.  —  Je  vous  iliray  aussy,  quant  à  la  dispo- 
»  sition  de  madame  la  princesse,  qu'elle  va  diminuant  de  forces  à 
»  veue  d'œil,  qui  me  garde  de  partir  encore  d'icy,  ne  Taisant  qu'at- 
»  tendre  l'heure  bien  souvent  que  Dieu  la  veuille  appelerà  soy,  pour 
»  les  grandes  et  eslranges  douleurs  qu'elle  souffre,  qui  la  rendent  et 
»  ceulx  qui  l'aiment  si  affligés  que  vous  pouvez  penser,  d 


—  323  — 


XXXIX 


Nous  croyons  devoir  compléter,  par  la  reproduction  des  lignes 
suivantes,  qui  n'ont  pu  trouver  place  dans  le  cours  de  notre  récit, 
les  emprunts  que  nous  avons  été  heureux  de  faire  à  l'intéressante 
publication  intitulée  :  Epistre  d'une  damoiseUe  française  à  une 
sienne  amie  dame  estrangère,  sur  la  mort  d'excellente  et  vertueuse 
dame  Léonor  de  Roi/e,  princesse  de  Condé  etc.,  MDLXllII. 

(Page  1 .)  «  Si  tost  que  raison  et  la  paroUe  de  Dieu  ont  peu  com- 
»  mander  à  mes  yeux,  et  que  ce  papier  abbreuvé  de  mes  larmes  s'est 
»  peu  assécher,  j'ai  mis  la  main  à  la  plume,  pour  respondre  à  -la 
»  prière  que  vous  me  faites  si  instamment  de  vous  escrire  un  recueil 
»  du  progrès  de  la  maladie  de  madame  la  princesse  de  Condé  :  pour 
»  l'ardent  désir  que  vous  avez,  comme  vous  me  dites,  que  l'ombre 
»  de  sa  mort  vous  serve  de  flambeau  pour  éclairer  vos  actions  contre 
»  l'espesseur  des  ténèbres  de  nostre  (page  2)  vie,  en  ceste  dange- 
»  reuse  pérégrination. 

»  Mais,  je  vous  prie,  si  je  ne  satisfays  à  vostre  attente,  selon  que 
»  j'en  ay  un  suflisant  subject,  accusez  la  bassesse  de  mon  entende- 
»  ment,  plutost  que  la  bonne  volonté  que  j'ay  de  vous  contenter, 
»  et  de  rendre  par  cest  escript  privé  (puisque  je  ne  puis  mioulx) 
»  fidèle  tesmoignage  de  la  vertu  de  celle  qui  en  mérite  un  public. 
»  Les  anciens  prophanes  disoyent,  quand  ils  perdoyenl  tels  patrons 
»  de  vertu,  que  Dieu,  portant  envie  aux  hommes,  leur  ravissoit  ce 
»  bien  devant  le  temi)s  :  vous  permettrez  que  je  vous  die  en  salue 
)->  conscience,  que  je  croys  qu'il  nous  a  estimez  indignes  de  cliose  de 
»  tel  pris. 

»  Or,  laissant  le  reste  de  sa  vie,  et  les  premières  et  }»ius  loiiig- 


—  3'2i  — 

7>  taincs  causes  de  son  mal,  c'est  à  sçavoir  les  extrêmes  ennuis  qu'il 
»  luy  a  fallu  dévorer  en  la  première  [x'ri lieuse  prison  de  monsei- 
»  faneur  le  prince  son  mari,  et  en  celle  de  madame  de  Roye  sa  mère, 
»  qui  est  un  très  digne  argument  d'une  histoire  eniière,  pour  éter- 
»  niseï"  les  singulières  grâces  que  Dieu  avoit  mises  en  ceste  illustre 
»  princesse,  et  l'indicible  foi'ce  et  constance  de  son  esprit  en  adver- 
»  silé,  je  commenceray  par  les  plus  évidentes  et  prochaines.  » 

(Page  4.)  «  De  cest  inconvénient,  de  la  seconde  prison  de  mon- 
»  seigneur  son  mari,  après  une  bataille  donnée,  d'un  siège  d'Or- 
»  léans,  et  des  peines  et  travauk  continuels  qu'elle  a  souiïerts  le 
»  temps  des  ti'oubles  (outre  ce  qu'elle  no  se  traicta  pas  assez  soi- 
»  gneusemcni  d'une  petite  vérolle  qu'elle  eut  l'an  passé  à  Gaillon) 
»  est  procédée  par  succession  de  temps  toute  son  indisposition  : 
»  mesmement  un  flux  de  sang  causé  par  un  carcinome  en  la  mère, 
»  qu(!  sa  pudeur  et  chasteté  n'a  jamais  permis  estre  pansé  comme  il 
»  estoit  requis.  Ce  flux  de  sang,  qui  esloit  beau,  vermeil  et  de  bonne 
».  consistance,  commença  le  :20'  d'avril  dernier,  luy  reprit  plus  abon- 
»  damment  le  jeudi  et  le  dimanche  d'après,  continuant  depuis,  et 
»  relaschant  par  certaines  péi'iodes,  jusqu'au  vingt-troisiesnic  jour 
»  de  ce  mois  de  juillet,  que  ses  forces  furent  si  abattues,  qu'elle 
»  perdit  la  faculté  rétentiice  :  tellement  que  s'escoulant  jusques  à 
»  la  dernière  goutte,  de  si  peu  qu'il  en  resloit  des  grandes  vuidanges 
»  passées,  elle  rendit  heui'eiisement  (page  5)  Tesprit  à  Dieu,  jiar 
»  défault  de  clialcur  naturelle,  à  Condé,  envii'on  les  onze  heures  du 
»  matin.  Ceste  évacuation  fut  fort  avancée  par  une  diète  peu  aupa- 
»  ravant  entreprise,  et  qu'elle  voulut  continuer,  retournant  de 
»  Troye,  où,  toutes  choses  laissées,  elle  estoit  allée  hastivement 
»  pour  une  maladie  survenue  à  monseigneur  son  mari  :  car  ce  re-, 
»  mède  luy  estoit  du  tout  contraire,  et  le  breuvage  luy  eschaufla  et 
»  irrita  le  sang  qui  de  soy  esloit  fort  subtil.  Sur  ce  poinct,  je  vous  puis 
»  asseurer  que  les  chirurgiens  ne  les  médecins  n'ont  rien  obmis  de 
»  ce  que  la  méthode  comuiandoil  :  et  estoit  facile  du  couuuencc- 
»  ment  d'y  donner  ordre  et  apporter  guarison,  si  on  s'en  fust  aus- 
»  sitost  déclairé  qu'il  esloit  nécessaire. 


1 


—  325  — 

»  Pendant  le  cours  de  ceste  maladie,  plusieurs  accidents  sont  sur- 
;)  venus,  comme  flux  de  ventre,  fiehvre  hectique,  qui  avoit  certains 
f>  accès,  douleurs  de  reins,  avec  grandes  inquiétudes,  faillances  et 
»  syncopes,  pour  les  vapeurs  vénéneuses  portées  de  la  partie  malade 
»  à  restomach,  du  foye,  au  cueur  et  au  cerveau.  Vous  pouvez  juger  que 
»  difficilement  je  pourray  exprimer  tous  ses  maux  :  car  ils  estoyent 
»  si  divers  (page  G)  et  violens,  qu'au  jugement  de  ces  expers  en 
»  l'art,  ils  estoyent  comme  insupportables  à  un  autre.  En  quoy  re- 
»  cognoissez,  je  vous  prie,  la  grande  assistance  que  Dieu  luy  a  laicte  : 
))  car  jamais  elle  n'a  ouvert  la  bouche  pour  murmurer,  ne  fait  au- 
d  cune  démonstration  ou  contenance  d'impatience.  » 

(Page  8.)  «  Elle  préveut  bien,  sitost  que  le  flux  de  sang  luy  com- 
y>  mença,  que  ce  mal  esloit  mortel  :  et  oultre  son  jugement,  ayant 
»  voulu  sravoir  l'advis  de  ceux  quiavoient  la  charge  de  sa  santé,  elle 
»  résolut  incontinent  de  pourvoir  aux  afl^aires  de  sa  maison,  pour 
»  plus  librement  penser  à  Dieu.  » 

(Page  10.)  «  Elle  recommanda  (à  son  mary  ses  enfants)  principa- 
»  lement  pour  l'institution  en  la  ci-ainle  de  Dieu,  qu'elle  asseuroit 
))  estre  le  plus  certain  bien  et  patrimoine  qu'elle  leur  pouvoit  lais- 
»  ser.  Ils  ont  de  bons  com.Tiencements,  disoit-elle,  et  de  main  de 
»  maislre  suffisant,  entendant  parler  du  ministre  de  l'Espine,  qui 
»  a  prins  un  grand  soin  près  d'eux  depuis  quelque  temps,  leur  in- 
»  terprétant  avec  une  singulière  dextérité,  le  malin,  les  proverbes 
»  de  Salomon,  et,  i'après-disnée,  les  commentaires  de  Jules  César  : 
»  dont  monsieur  le  marquis,  leur  aisné,  a  faict  un  tel  IVuict,  qu'il 
»  est  des  mieux  instruits  qu'on  puisse  veoir  pour  son  aage. 

»  Elleadjousta  (comme  elle  a  tousjoursesté bien  parlante)  plusieurs 
»  autres  belles  remonstranccs  que  la  force  du  torrent  que  je  jelloy 
»  par  les  yeux  m'empcscha  de  remarquer. 

»  Et  ne  vous  esbahissez  si  lors  je  plcurois  si  abondamment,  » 

(Page  il.)  (Parlant  de  sa  femme  et  de  ses  enlants,  le  princi>  dit)  : 
<i  Je  m'estudieray  a  bien  garder  les  gages  qu'elle  m'a  laissez,  et  les 


—  320  — 

ï)  ferav  continuer  à  la  mesme  inslilulion  qu'ils  ont  rhrostiennement 
»  commencée  :  afin  que  l'usufruicl  et  la  propriété  de  la  mère,  du 
»  père  et  des  enlanls,  soyent  du  tout  à  Dieu,  qui  par  sa  puissante 
»  main  a  été  si  (page  12)  souvenl  libi'ralcuret  conservateur  de  ceste 
>^  famille.  Si  je  considère  et  poise  la  rareté  de  Tlieur  qui  se  repré- 
»  sente  incessamment  devant  mes  yeux  dont  je  me  prévoy  privé  par 
y>  ceste  séparation,  il  ne  se  peult  laire  c[iie  je  trouve  icy  sulïisante  ou 
»  égale  consolation  :  ne  pouvant  nombrer  par  tous  les  millions 
))  qu'on  pourroit  assembler,  l'infinité  d'une  perte  si  noiable,  j'auray 
»  donc  mon  recours  à  celuy,  si  j'ose  ainsi  parler,  qui  a  faict  la 
»  plave,  qui  me  fournira  pour  la  guarir,  d'un  lénitif  emplastre  de 
»  sa  parolle  :  comme  on  dit  que  ceux  qui  sont  blessez  du  scorpion, 
»  doivent  cercher  le  remède  en  luy  mesme. 

»  A  ce  qu'elle  me  prie  par  vous  de  redoubler  ma  bienveillance 
»  envers  nos  enfans,  j'ay  senty  en  mon  âme,  à  l'instant  que  m'avez 
»  achevé  ce  mot,  je  ne  scay  quelle  latente  infusion  qui  m'a  augmenté 
»  le  feu  de  l'amour  paternel,  que  je  n'estimoy  point  pouvoir  rece- 
»  voir  aucun  accroissement  :  m'eslant  tousjours  persuadé  qu'il  ne 
»  s'y  pouvoitrien  adjouster.  Vous  luy  direz  donc,  je  vous  prie,  que 
»  ceste  harangue  qu'elle  me  fait  par  vos  bouches  m'a  tellement  ré- 
))  solu,  que  je  sens  en  moy  les  effets  de  la  force  de  son  courage  : 
»  (page  13)  et  loue  Dieu  de  la  constance  inestimable  qu'il  luy  a 
»  donnée,  mais  je  la  prie  qu'elle  n'obmelte  rien  des  moyens  qu'il  a 
»  départis  aux  hommes  par  art  et  industrie  pour  recouvrer  sa  santé, 
»  afin  qu'elle  ne  nous  laisse  un  regret  à  l'advenir,  s'il  y  avoit  eu 
»  faulte  de  remède. 

»  Ce  discours  fut  plus  grand  et  plus  grave,  comme  vous  pouvez 
»  penser  :  mais  excusez  la  mémoire  d'une  femme  troublée  et  at- 
»  teinte  si  vivement.  » 

(Page  17.)  «  La  princesse  feit  confession  desafoy,  déclarant  qu'elle 
»  croyoit  et  confessoit  Dieu  estre  et  estre  un  seul  en  essence,  dis- 
))  tincl  toutesfois  en  trois  personnes,  qui  sont  le  Père,  le  Fils  et  le 

>  Sainct-Esprit  :  qu'il  est  créateur,  conservateur  et  gouverneur  du 
)>  ciel,  (le  la  terre,  de  la  mer  et  de  tout  ce  qui  est  en  iceux,  sans  le 

>  vouloir  duquel  nullrs  créatures,  soyent  anges,  diables  ou  autres 


—  327  — 

»  quelsconques,  ne  sçauroyenl  faire  ne  mouvoir  aucune  chose  :  et 
»  ne  peult  et  ne  doibt  toutesfois  estre  dict  tentateur  à  mal,  cause  ou 
»  autheur  de  péché,  qui  procède  de  la  corruption  et  malice  que 
))  l'homme  s'est  acquise. 

»  Après,  elle  protesta  qu'elle  ne  recognoissoit  (page  18)  aultre 
»  moyen  par  lequel  les  hommes  puissent  avoir  rémission  de  leurs 
»  péchez,  salut  et  vie  éternelle,  que  Jésus-Christ  :  et  qu'il  n'y  a 
))  point  d'autre  nom  donné  aux  hommes  pour  salut  que  cestuy-là  : 
»  et  que  comme  il  est  vrai  Dieu  et  vrai  homme,  il  est  aussy  seul 
»  sauveur  et  rédempteur,  médiateur  et  advocat  des  hommes  vers 
»  Dieu,  et  l'unique  sacrificateur  et  sacrifice,  qui  a  une  fois  satisfaict 
»  à  rire  et  estroict  jugement  de  Dieu  son  père,  par  sa  mort  pour 
»  nous,  et  nous  a  pleinement  justifiez  en  sa  résurrection.  Par  quoy 
»  je  le  tiens,  disoit-elle,  pour  ma  seule  et  néantmoins  suffisante 
»  rançon,  pour  ma  paix,  pour  masapience,  pour  ma  justice  et  pour 
»  ma  sanctification  :  m'assurant  qu'il  m'a  appresté  lieu  au  ciel  quand 
»  il  y  est  monté,  et  là  il  m'attend  avec  son  père  et  le  mien  par  luy, 
y>  avec  le  Sainct-Esprit,  les  anges  et  les  saints  :  là  où  je  me  souhaite 
))  de  toute  mon  affection,  et  où  je  suis  certaine  que  j'irayhientost.  >> 

(Page  19.)  «  Tiercement,  elle  feit  entendre  qu'on  ne  le  doibt  au- 
»  trement  servir  qu'ainsi  qu'il  a  ordonné  en  sa  parolle  :  et  pourtant 
»  qu'elle  recognoissoit  deux  parties  au  vray  service  de  Dieu  :  dont 
»  la  première  et  principale  est  se  fier  et  croire  fermement  en  luy, 
»  obéir  à  ses  saincts  commandemens,  l'invoquer  en  toutes  néces- 
»  sitez,  et  à  luy  seul  rendre  grâces,  comme  au  seul  autheur  de  tout. 
»  bien  :  l'autre  est  d'exercer  en  l'Église  les  choses  qu'il  a  établies, 
»  comme  le  ministère  de  sa  parolle  et  des  sacremens,  la  discipline 
»  ecclésiastique  en  sa  pureté,  suyvant  ses  ordonnances,  et  sans  y 
»  rien  mesler  du  sens  et  invention  des  hommes. 

»  Et  pour  ce,  adjoustoit-elle,s'adressantà  Dieu,  que  tu  m'as  faict 
»  tant  de  grâces,  ô  mon  Dieu,  par  ton  Sainct-Esprit,  de  me  faire 
»  cognoislre,  par  la  saincte  parolle,  qu'icellc,  le  sainct  baplesme, 
»  et  la  saincte  cène,  qui  sont  les  deux  sacremens  que  ton  fils  Jésus- 
»  Christ  a  laissés  à  ton  Église,  son  espouse  (page  -20)  et  son  corps, 
»  la  discipline  et  correction  des  pécheurs  ordonnée  par  iceluy  en 


—  328  — 

son  Kvangile,  sont  ainsi  purement  administrez  es  églises  réfor- 
mées de  France  :  et  qu'en  icelles  aiissy  la  vraye  doctrine  d'obéis- 
sance, de  pénitence,  de  foy  et  de  justitication  par  ycelle  au  mérite 
de  Jésus-Christ,  sans  qu'il  y  puisse  estre  rien  alloué  du  nostre 
pour  payement  y  est  preschée  et  constamment  annoncée  :  qu'on  y 
invoque  vrayment  Dieu,  à  sçavoir  au  seul  nom  de  Jésus-Christ, 
et  qu'à  luy  seul  sont  rendues  grâces  dw  tous  biens  reçus.  Pour  ces 
causes,  dis-je,  ô  mon  Seigneur  et  libérateur,  je  recognoy  ycelles 
églises  réformées  faire  avec  toutes  autres  semblables,  l'espouse  et 
le  corps  de  ton  Fils  Jésus-Christ,  ta  vigne  esleue,  ton  troupeau, 
ta  saincte  Iliérusalem,  et  ta  légitime  assemblée  :  te  merciant  de 
tout  mon  cœur  que  tu  m'as  appelée  à  ceste  heureuse  cognois- 
sance  :  et  plus  encores,  que  tu  m'as  lîiicle  une  des  pierres  de  ce 
tien  liastiment  et  huiiib!e  cité,  une  des  (page  21) brebis  de  ce  tien 
troupeau,  une  des  branches  de  ceste  tienne  vigne,  et  un  des  mem- 
bres de  ce  corps  et  de  ceste  espouse  de  ton  lils.  Fay  moy  ainsi 
persévérer,  ô  divine  bonté,  et  me  continue  ces  grâces  jusques  au 
dernier  souspir  de  ma  vie,  afin  que,  selon  ta  promesse,  je  sois 
de  loy  reçcue  au  royaume  et  héritage  des  bienheureux  tes  en- 
la  ii  s. 

;)  Environ  une  heure  après,  elle  manda  et  fist  descendre  en  sa 
chambre  le  ministre  de  l'Espine  :  et  continuant  d'une  mesme  ar- 
deur le  propos  qu'elle  avoit  interrompu,  elle  commença  à  réciter 
les  laveurs  que  Dieu  luy  avoit  faictes,  l'ayant  grandement  honorée 
quant  au  monde,  et  départi  assez  de  Liens  :  assistée  en  toutes  ses 
affaires,  souslenu  monseigneur  son  mari,  madame  sa  mère,  elle, 
messieurs  ses  enfans,  paren?  et  amis  contre  toutes  les  entre- 
prises et  efforts  de  leurs  ennemis  :  que  toutes  ces  grandes  grâces 
lui  sembloient  peu  auprès  de  la  cognoissance  qu'il  luy  avoit  don- 
née de  luy  et  de  son  fils  par  sa  paroll(>,  veu  qu'en  cela  seul  gisoit 
sa  félicité,  et  que  (page  22)  c'estoit  le  vray  fondement  de  toute  son 
espérance  :  que  combien  que  pour  toutes  ces  raisons  elle  fust 
infiniment  obligée  à  servir  Dieu,  ce  néantmoins  qu'elle  avoit 
faict  peu  de  devoir  de  congnoistre  l'iuitheur  duquel  luy  estoient 
venues  tant  de  bénédictions  pour  luy  en  rendre  louange  et  gloire. 


-^  329  — 

»  Toutesfois  pour  toutes  ces  lourdes  ingratitudes  dont  elle  avoit  usé 
»  envers  Dieu,  elle  ne  perdoit  point  espérance  que  par  sa  miséri- 
»  corde  et  mérite  de  son  fils,  cela  et  toutes  ses  autres  l'aultes  ne  luy 
»  lussent  entièrement  pardonnées  :  s'assurant  estre  du  nombre  de 
»  ses  ouailles  par  la  grâce  qu'elle  avoit  reçeue  d'ouir  la  voix  de  son 
»  berger  et  pasteur  :  et  que  par  sa  vocation,  elle  estoit  certaine  de 
»  sa  justice  et  de  sa  gloire;  qu'elle,  pour  ces  causes,  ne  désiioit  rien 
»  plus  affectueusement  que  de  sortir  bientost  de  ce  monde,  pour 
))  aller  aux  bras  de  son  Sauveur  :  et  ores  qu'elle  laissast  monsei- 
->  gneur  son  mari,  madame  sa  mère  et  messieurs  ses  enfans,  qu'elle 
»  aimoit  autant  que  la  nature  et  le  devoir  pouvoyent  porter  :  toutes- 
»  fois  qu'elle  préféroit  Dieu  à  tout  cela  et  qu'elle  n'avoit  rien  plus 
»  cher  (page  23)  que  de  suyvre  promptement  et  allègrement  sa 
»  bonne  volonté;  que  le  diable  luy  proposoit  diverses  imaginations 
»  touchant  le  royaume  des  cieux  et  luy  vouloit  persuader  que  ce 
»  n'estoit  pas  ce  qu'elle  pensoit,  pour  par  ce  moyen  la  retenir  en 
»  un  regret  de  quicter  les  alléchemens  et  amiellures  de  ce  monde  : 
»  mais  qu'elle  demeuriMoit  ancrée  on  ceste  iby,  qu'ojil  n  avoit  veu, 
»  n'oreille  oy,  ne  cueur  d'homme  conçeu  ce  que  Dieu  a  préparé  à 
»  ses  esleus.  » 

(Page  35.)  (.(  Environ  sept  heures  du  matin,  (liiiKimlie  vinglroi- 
»  siesme  de  ce  mois  (juillet),  monsieur  de  l'Espine  pouisuivit  les 
»  exhortations  et  les  prières,  et  comme  vous  sravez  qu'il  est  rirhe  et 
»  copieux  en  similitudes  et  comi)araisons,  il  dict  choses  plus  célestes 
»  qu'humaines,  et  continua  environ  une  heure,  jusques  à  ce  qu'on 
»  feit  prendre  quelque  peu  de  substance  à  ceste  couraLieusc  patiente  : 
»  qui  souloit  dire  dès  six  ou  sept  jours  auparavant,  (pTencoi-es 
»  qu'elle  cogneust  bien  que  le  repas  qu'elle  prenoit  l'nst  inutile  et 
». chose  perdue,  que  Ui'antmoins  elle  voulait  tousjours  enti'etenir 
»  son  corps  de  nourritin-e,  jusipies  à  ce  qu'il  phiirdit  à  Dii'ii  di^  dis- 
»  poser  de  l'issue  de  l'àme,  et  que  ce  n'estoit  à  nous  de  sortir  de 
»  ceste  garnison  sans  le  congé  de  nostre  cnpitaine. 

»  Tost  après  ce  past,  le  llux  de  s;uig  la  rei)rint  (|u'on  ne  pust  re- 
»  tenir  n'estancher,  j)our  ce  que  ses  iorces  cstoyenl  trop   dejec- 


))  lécs  :  elle  aussi  jugea  bien  que  les  remèdes,  vinaigre  ne  ventouses 
»  ne  pouvoyenl  plus  servir.  » 

(Page  o7.)  i(  La  princesse  appela  une  de  ses  femmes  de  chambre, 
qu'elle  aimoil  hiou  fort,  et  luy  dict,  afin  qu'elle  reçust  avec  tous 
les  contenlemens  qu'elle  pouvoil  l'aise  et  le  bien  de  la  mort, 
qu'elle  luy  estendil  les  jambes,  que  la  rigueur  du  froid  mortel 
avoit  jà  retirées  :  et  soudain  elle  prononça  ces  derniers  mots  : 
Entre  tes  mains,  Seigneur,  je  recommande  mon  Ame.  Puis  com- 
mença d'entrer  aux  traicts  de  la  mort,  où  elle  demeura  beaucoup 

moins  que  demi   quart  d'heure Après,  elle   passa  par  un 

doux  souspir  là-hault  en  l'héritage  que  Dieu  a  préparé  à  ses 
esleus,  et  nous  laissa  à  tous  un  désir  de  finir  comme  elle.  Je  ne 
puis  que  je  ne  vous  die  qu'il  me  restera  à  jamais  un  deuil  extrême 
de  vivre  sans  plus  la  voir,  et  une  joye  incomparable  d'avoir  ap- 
partenu en  service  (page  38)  à  une  si  vertueuse  princesse. 
»  il  m'est  souvenu  du  propos  que  M.  Perussel  lui  tint  à  l'article 
de  la  mort,  que  j'estime  mériter  d'estre  escript.  Madame,  disoit- 
il,  il  faut,  s'il  vous  plaist,  ((ue  vous  recongnoissiez  la  bonté  de 
ce  grand  Dieu  envers  vous,  non-seulement  pour  tant  de  biens 
qu'il  vous  a  faicls  toute  voslre  vie,  mais  aussi  pour  la  spéciale 
faveur  qu'il  vous  faict  maintenant  :  car  vous  ayant  mise  en  sa 
vigne  pour  y  travailler  tout  le  jour,  il  vous  en  veult  retirer,  à 
midi,  pour  vous  mettre  en  repos.  Vous  n'avez  atteint  à  peu  près 
que  la  moitié  de  vostre  aage,  que  vous  avez  par  la  grâce  de  Dieu 
bien  et  fidèlement  employée  à  besongner  à  sa  vigne  ;  le  devez-vous 
pas  mercier  et  luy  scavoir  bon  gré,  s'il  vous  veult  excuser  de  la 
suée  et  travail  du  reste  du  jour  et  vous  faire  pareil  payement  que 
si  vous  aviez  labouré  la  journée  entière?  » 

(Page  39.)  «  La  princesse  parloit  de  cest  espouvantail  (la  mort) 
»  aussi  francluMiieiit  ((ue  s'il  eusl  élé  question  de  quelque  chose  qui 
»  advint  tous  les  jours  entre  nos  actions,  et  appartint  à  nos  afîaires 
»  familières  et  domestiques.  Et  deux  jours  avant  sa  mort,  encorcs 
»  que  l'inéqualité  de  son  poux  luy  fist  toucher  au  doigt  ce  que  peu 


—  331  — 

»  après  luy  debvoit  advenir;  néanmoins  elle  se  feit  apporter  le  plan 
»  du  cliasteau  d'Anisi,  que  elle  avoit  faict  dresser  un  peu  auparavant 
»  sa  maladie,  et  y  remarqua  par  un  devis  qu'elle  faisoit  à  monsei- 
»  gneur  son  mari,  si  curieusement,  et  par  le  menu  tous  les  desseins 
»  et  ordonnances  que  vous  eussiez  pensé,  à  l'en  voir  parler  avec  ses 
»  ris  et  soubris  ordinaires  qu'elle  s'y  fust  voulu  accomoder  pour  y 
»  faire  une  longue  demeure  (page  40).  Et  cela  ne  faisoit-elle  pas 
»  néanmoins  que  elle  ne  sreust  bien  que  son  vray  baslimenl  esloit 
»  au  ciel,  mais  elle  disoit  qu'il  ne  se  falloit  csbahir  si  elle  parloit 
»  ainsi  de  toutes  clioses,  comme  si  elle  ne  se  fust  proposé  le  danger 
»  où  elle  se  voyoit,  car  Dieu  luy  avoit  fait  la  grâce,  que  depuis 
»  qu'elle  avoit  eu  sa  cognoissance,  elle  avoit  tousjours  pensé  que  la 
»  mort  luy  devoit  estre  assez  présente  en  un  temps  qu'en  l'autre  : 
))  et  que  le  chrestien  estimera  aussi  que  delà  dépend  Te  comble  de 
»  son  heur  et  contentement.  » 

«  La  princesse  a  vescu  vingt-huit  ans,  quatre  mois,  vingt-sept 
»  jours  et  onze  heures. 

»  Pendant  sa  maladie,  elle  a  esté  assistée  (page  41)  de  beaucoup 
»  de  gens  de  bien,  grands  et  notables,  mesmeinent  de  messieurs  ses 
»  trois  oncles  de  Chastillon,  qui  luy  ont  faict  tous  les  bons  et  chari- 
)■>  tables  offices  qu'il  est  possible  de  désirer. 

»  Je  ne  vous  discoureray  point  la  noblesse  de  sa  race  tant  fran- 
y>  çoise  qu'estrangèrc,  car  chacun  la  cognoist  assez  :  et  vous  scavcz 
»  comme  moy,  que  du  costé  de  son  père,  elle  estoit  descendue  de 
»  droicie  ligne  par  les  femmes  de  Loys  le  Gros,  roy  de  France. 

))  Encores  vous  escriray-je  ce  reste,  qui  m'a  semble  appartenir 
))  au  précédent  et  que  vous  recevrez  comme  (preuve)  de  ma  l)onne 
»  volonté. 

»  Geste  mort  fut  annoncée  à  monseigneur  le  prince  qui  s'estoit 
»  retiré  à  part  en  sa  chambre  et  mis  au  11(1  au  retour  du  prcsche. 
))  A  l'arrivée  du  ministre  Laboissièrc,  qui  en  estoit  le  jn(>ssager,  il 
»  se  doubla  de  ce  qui  estoit  advenu;  néantmoins  il  coniiiuia  quel- 
))  que  temps  sa  lecture  en  un  livre  de  prières  qft'il  lenoit  en  sa 
»  main,  puis  tournant  sa  face  au  ministre,  luy  demanda  comment 


—  332  — 

»  se  portoil  sa  femme.  Elle  est,  monseigneur,  respondit  Labois- 
»  sière,  avec  Dieu,  où  vous  irez  quelque  jour. 

»  A  ce  mot,  il  ne  se  put  contenir  de  soupirer  (page  -43)  et  res- 
»  pirer,  tellement  que  deux  ou  trois  gentilshommes  et  le  ministre 
»  Perussel  qui  survint,  en  estoyent  Tort  esmeus,  sans  oser  inter- 
»  rompre  ses  plaintes  et  sanglots;  sinon  qu'un  homuic  de  robbe 
»  longue  le  supplia  de  se  résoudre  et  re^lresser  comme  il  avoit  laict 
»  en  toutes  ses  grandes  adversilez.  Et  les  deux  ministres  suivirent 
»  ce  propos,  selon  que  le  champ  en  estait  spacieux  :  néanmoins  il 
»  demeura  quelque  temps  en  silence,  et  puis  portant  le  mouschoir 
>^  à  sa  lace,  il  dict  :  qu'il  espéroit  que  Dieu  ne  luy  imputeroit  point 
»  ceste  infirmité,  et  que  les  gens  de  bien  le  supporteroient  en  ses 
»  passions,  attendu  que  son  deuil  n'estoit  causé  que  de  l'amour  de 
»  vertu,  ({u'îl  avoit  en  vérité  grande  matière  de  contentement  pour 
»  le  repos  où  il  assuroit  estre  sa  chère  moitié  qui  estoil  morte  de 
»  la  mort  des  sainctes  ;  mais  aussi  qu'il  estoit  excusable  en  son  ennuy 
»  pour  cstre  privé  de  la  compagnie  d'une  si  sage  et  vertueuse  dame 
»  qui  tousjours  l'avoit  sur  tout  honoré  et  aimé  jusques  à  sacrifier  sa 
.)  vie  pour  luy,  sainclement  gouverné  sa  maison  et  prudemment 
»  dressé  ses  enfons,  luy  rendant  toute  obéissance.  » 

(Page  4-3.)  «  Il  adjousta,  tournaul  la  vue  au  ciel,  une  petite  ha- 
»  rangue  à  Dieu  dont  la  sentence,  vous  escrivant  ceci  m'est  coulée 
»  en  ces  quatre  vers,  comme  sans  y  penser  : 

»  C'est  moy,  Seigneur,  elle  n'a  faicl  la  faulte, 
jo  Et  c'est  raison  que  la  peine  me  suyve  : 
»  Non,  je  fay  tort  à  ta  prudence  haulle, 
>  A  vray  parler,  mort  je  reste,  elle  est  vive. 

»  Sur  cela,  après  avoir  sainctement  voué  le  reste  de  sa  vie  au 

»  service  de  Dieu,  il  demanda  messieurs  ses  enfans;  mais  estant 

»  exhorté  de  manger  (car  il  estoit  plus  de  midi)  il  remit  à  les  voir 

.  »  après  son  disner,  qui  fut  de  peu  de  chose,  et  plein  de  soupirs  el 

»  regrets. 

»  Depuis  l'actibn  de  grâces  on  luy  amena  monsieur  le  marquis, 
»  François  monsieur,  el  madamoiselle,  ses  enliins;  madamoiselle 


—  333  — 

y>  fut  mise  sur  son  licl,  et  messieurs  ses  deux  fils  demourèrenl  de- 
»  bout  près  de  luy  :  et  pensez,  je  vous  prie,  que  soudainement  ils 
»  commencèrent  si  fort  à  larmoyer,  que  les  assistans  ne  se  pcurent 
»  contenir,  ne  mesmes  monseigneur  leur  père,  et  moy  l'escrivant 
»  je  ne  puis  que  je  ne  fonde  en  pleurs.   » 

(Page  4-4'.)  «  yous  eussiez  vou  la  petite  madamoiselle,  qui  est  un 
■>)  vif  pourtraict  de  beauté,  accoiler  monseigneur  son  père,  et  luy 
»  noyer  le  visage  et  la  barbe  du  ruisselet  de  ses  yeux,  sans  pouvoir 
»  parler,  sinon  à  demi-mots  et  rompus.  Monseigneur  son  père  feit 
^^  tant  qu'il  Fappaisa,  et  luy  essuya  ses  larmes  par  plusieurs  re- 
y)  monstrances  convenables  à  son  aage,  que  je  vous  diray  si  je  les  av 
»  bien  retenues  :  iMa  lille,  il  ne  fault  plus  plorer,  nostre  bon  Dieu  en 
»  seroit  courroucé;  ne  vous  souvient-il  pas  que  vous  luy  dites  tous 
»  les  jours  :  ta  volonté  soit  faicle?  11  a  voulu  tirer  vostre  mère  bors 
»  de  prison  et  l'avoir  près  de  luy  en  liberté,  pour  ce  qu'il  Taimoit 
))  bien;  en  serez-vous  marrie?  11  est  si  sage,  que  jamais  nous  ne 
»  devons  demander  pourquoy  il  fait  quelque  chose.  Il  vous  a  laissée 
))  pour  rimage  d'elle,  et  comme  je  Tay  aimiée  sur  toutes  les  femmes 
»  du  monde,  ainsi  vous  aimeray-je » 

(Page  -47.)  a  Lors  il  appela  la  dame  de  Saint-Cyr,  sa  gouvernante, 
»  et  l'embrassant  et  sa  fdie,  la  damoiselle  des  Fossez,  il  les  pria  de 
))  continuer  leur  soing  en  ceste  nourriture,  comme  pour  l'une  des 
»  choses  qu'il  tenoit  plus  précieuse.  » 

(Page  47.)  «  Puis  en  l'absence  du  gouverneur  (de  son  fils  aîné) 
»  il  le  meit  es  mains  du  sieur  du  Buisson,  qu'il  luy  bailla  pour 
»  maistre  d'hostel  :  le  priant  que  sur  tout  on  eût  l'œil  que  prés  de 
»  luy  n'approcliast  aucun  contempteur  de  Dieu,  et  de  la  révérence 
»  que  nous  devons  à  ses  saincls  coumiauilemcns. 

»  Le  dimanche  d'après,  qui  esloit  le  jour  de  hier,  le  coi'ps  fui  mis 
»  au  sépulchre  de  ses  pères,  à  Muret,  sans  autre  pompe,  ne  céré- 
»  monie,  sinon  que  M.  Periissel  feil  uu  excellent  sermon  sur  le 
»  cinquante-septième  chapitre  de  lesaïe,  où  il  y  avoit  hon  nombre 
»  de  nohlesse,  et  de  peuple  des  églisi^s  voisines. 

»  Après  la  prédication,  cpii  fut  environ  les  neuf  heures  du  malin. 


—  33i  — 
i>  quelque  partie  des  gentilshommes  allèrent  quérir  le  corps,  qui 
»  liisoit  en  plomb  dans  une  salle  près  de  celle  où  le  presche  s'estoit 
»  faict,  et  le  portèrent  au  lieu  choisi  pour  reposer  jusquos  à  la  con- 
»  sommation  du  monde.  )) 

(Page  18.)  «  Le  reste  de  la  noblesse  et  le  peuple  suyvirent  par 
î»  ordre,  puis  retournèrent  en  p.ireil  estai  en  la  cour  du  chasleau, 
»  où  M.  Perussel  remonstra  combien  ils  avoienl  faict  en  ce  convoy 
)>  œuvre  digne  de  chresliens,  de  grande  édification  à  l'église,  plai- 
»  santé  à  Dieu  et  agréable  à  monseigneur  le  prince  :  les  merciant 
»  en  son  nom.  et  de  tous  les  parens  de  la  défuncle. 

»  Je  pourroy  mestre  en  ce  pacquet  phisieurs  consolations  qui 
.)  ont  esté  envoyées  tant  à  feu  madame  la  princesse,  qu'à  monsei- 
»  gneur  le  prince,  depuis  son  décès,  par  des  plus  sçavans  et  signalez 
»  personnages  de  chrestienté  :  mais  j'ay  entendu  par  vostre  bon 
»  parent  que  vous  en  avez  eu  les  copies  d'ailleurs. 

»  C'est  donc  ce  que  vtms  aurez  de  moy  pour  ccste  heure  :  vous 
))  priant  d'en  excuser  l'esprit,  les  yeux,  la  mémoire,  la  main  et  la 
»  plume,  qui  se  sentent:  en  leurs  offices  du  mal  et  du  deuil  de  leur 
»  maistresse  passionnée,  laquelle  demeurera,  s'il  vous  plaist,  en 
»  voslre  bonne  grtke.  Dieu  nous  doint  de  bien  vivre  et  bien  mourir 
»  en  son  fils  Jésus-Christ. 

»  De  Gondé-en-Brie,  le  dernier  jour  de  juillet  156-4. 

»  Yostre  entièrement  bonne  amie  à  vous  obéir, 

»  I.  D.  Y.  ^) 


FIN 


TABLE  DES   MATIÈRES 


CHAPITRE  PREMIER 

Séjour  de  la  comtesse  de  Roye,  en  1535,  chez  sa  mère,  au  château  de  Chà(ilh)M-sur- 
Loing.  —  Naissance  d'Éléonore  de  Roye,  le  24  février  1535.  Son  baptême.  —  Nais- 
sance de  Cliarlotte  de  Roye,  le  3  mars  1537.  —  Éducation  donnée  aux  deux  sœurs. — 
Mort  chrétienne  de  la  maréchale  de  Chàtillon,  en  15i7.  Impression  qu'elle  produit 
sur  la  comtesse  de  Roye  et  sur  ses  filles.  —  Distinction  morale  et  intellectuelle  de 
celles-ci  dès  leur  adolescence.  —  Projet  d'union  entre  Éléouore  de  Roye  et  Louis  de 
Bourbon.  —  Célébration  de  cette  union,  le  22  juin  1551.  —  Fortune  alors  restreinte 
des  jeunes  époux.  —  État  d'esprit  et  de  cœur  d'Éléonore,  en  entrant  dans  la  vie  con- 
jugale. —  Hommage  rendu  aux  qualités  supérieures  de  son  âme,  par  divt'rs  écrivains, 
soit  catholiques,  soit  protestants 1 


CHAPITRE  II 

Opérations  militaires  auxquelles  Louis  de  Bourbon  prend  part,  do  1551  à  lôoG.  — 
Liaison  d'Éléonore  de  Roye,  dès  1551,  avec  Marguerite  de  Bourbon,  duchesse  de 
Nevers,  et  Jeanne  d'Albret,  duchesse  de  Vendôme.  —  Mort  de  Charles  de  Roye,  lais- 
sant pour  uniques  héritières  ses  deux  filles.  —  Naissance  de  Henri  de  Bourbon,  mar- 
quis de  Conti,  le  29  décembre  1552.  —  Ses  père  et  mère  connneucent  à  porter 
les  titres  de  prince  et  de  princesse  de  Cundé.  —  Naissance  de  Catherine  de  Bourbon, 
enI55-i.  — Mort  de  Henri  d'Albret.  Jeanne  se  sépare  d'Éléonore,  pour  se  rentli'e  en 
Navarre.  —  Nomination  de  Gaspard  do  Coligny  an  gouvernement  de  la  Picardie.  — 
Naissance  de  Marguerite  de  Bourbon,  le  8  novembre  1556.  —  Grave  maladie  de  la 
princesse  de  Coudé,  en  1557.  Sa  pieuse  résignation.  Son  rétablissement.  —  .Mariage 
de  sa  sœur  avec  le  comte  d(!  Larochefoucault.  —  Condé  et  Larochefoucault  s;'  rcntlent 
à  l'armée.  —  Désastre  de  Saint-Quentin.  —  Captivité  de  G.  de  Coligny  et  de  Laroche- 
foucault.—  Naissance  de  Charles  de  Bourbon,  le  3  novembre  1557.  —  Condé  continue 
à  servir  activement.  —  En  1558,  il  rentre  momentanément  dan.s  sa  famille....       15 


CllAIMTKi:   III 

Maladie  du  prince  de  Contié.  Soins  (pi'il  reçoit  Ac  la  princesse.  —  Corres|)ondauco  de 
celle-ci  avec  la  connétable.  —  Maladie  de  la  priuci'sse.  —  Naissance  de  Frantuis  de 
Bourbon,  le  3  septemi)re  1558.  —  Lettre  intiuic  adressée  à  la  duchesse  d.-  Nevers  par 


—  33(3  — 

la  princesse.  —  Amitié  de  Condé  pour  sa  sœur  de  Nevers  et  son  beau-frère.  —  Mort 
de  la  duciiesse  de  Novers.  Sollicitude  de  la  princesse  de  Condé  et  de  Jeanne  d'Albret 
pour  ses  enfants.  —  Affection  particulière  de  la  princesse  pour  la  famille  de  sa  mère.  — 
Coui>-d'(Eil  sur  les  sentiments  religieux  de  la  princesse,  en  1559,  et  sur  la  profession 
publi(iue  de  sa  foi.  —  Supériorité,  à  cet  égard,  de  l'attitude  de  la  princesse  sur  celle 
de  sou  mari ■^" 


CHAPITRE   IV 


Mort  de  Henri  II.  Catherine  de  Médicis  et  les  Guises  au  pouvoir.  —  Élimination  des 
"  princes  du  sang.  —  Assemblée  de  Vendôme.  —  Le  roi  de  Navarre  se  laisse  bafouer 
par  la  cour  et  déserte  la  mission  qu'il  avait  assumée,  dans  le  doublé  inlérèt  des  nffaires 
de  l'État  et  de  la  liberté  religieuse.  —  Condé  ressaisit  celte  mission.  —  Assemblée  de 
la  Ferté-sous-Jouarre.  Divergences  de  vues  entre  Condé  et  Coiigny.  —  Tumulte  d'Am- 
boise.  -  Condé  revient  près  de  sa  femme.  —  Il  se  rend  en  Béarn  et  s'y  concerte  avec 
son  frère  pour  renverser  les  Guises.  —  Conseils  donnés  à  la  couronne  par  Coiigny.  — 
Assemblée  de  Fontainebleau.  —  Préoccupations  de  la  princesse  de  Condé  depuis  le 
départ  de  son  mari.  —  Naissance  de  Madeleine  de  Bourbon.  —  La  comtesse  de  lîoye 
à  Écouen.  Projet  de  vente  de  la  terre  de  Gcrminy.  —  Lettre  d'Éléonore  au  connétable. 
Arrestation  de  Lassagne,  envoyé  par  Condé  cà  la  princesse.  —  Déclarations  arrachées 
par  la  torture  h  Lassagne.  —  Arrestation  du  vi<lame  de  Chartres  et  du  conseiller 
Robert  de  La  Haye.—  Artifices  des  Guises  pour  attirer  cà  la  cour  Antoine  et  Louis  de 
Bourbon.  —  Lettre  de  François  II.  —  Réponses  du  roi  de  Navarre  et  de  Condé.  — 
Lettres  de  la  comtesse  de  Boye  à  Catherine  de  Médicis.  —  Fallacieuses  assurances 
données  aux  deux  frères  pour  les  décider  à  quitter  le  Béarn.  —  Duplicité  de  Catlierine 
de  Médicis.  —  Conseil  ilonné  par  Marillac  h  la  duchesse  de  Montpensier.  —  La  prin- 
cesse de  Condé  s'efforce  de  détourner  son  mari  et  son  beau-frère  de  toute  idée  de 
départ.  —  Aveugle  confiance  de  ceux-ci  dans  les  promesses  du  roi  et  de  la  reine  mère. 
—  Us  quittent  Nérac.  —  Us  rencontrent  à  Vorteuil  le  cardinal  d'Armagnac.  —  A  Li- 
moges, des  nobles  et  seigneurs  les  poussent  à  l'action,  mais  en  vain,  et  sont  congé- 
.  diés  par  eux.  —  Lettre  de  la  princesse  de  Condé  à  son  mari.  —  Elle  accourt  au-devant 
de  lui  et  l'adjure  de  ne  pas  continuer  sa  marche.  —  Condé  et  son  frère  s'avancent 
jusqu'à  Orléans ■*"'■ 


CHAPITRE  V 


Arrivée  du  roi  de  Navarre  et  da  prince  de  Condé  à  Oriéans.  —  Emprisonnement  de 
Condé.  —  Son  frère  est  gardé  à  vue.  —  La  comtesse  d(^  Roye  est  arrêtée  en  Picardie 
et  incarcérée  à  Saint-Germain-en-Laye.  —  Fermeté  de  la  duciiesse  de  Montpensier.  — 
Diniciiltés  op|)()sées  à  l'entrée  de  la  princesse  de  Condé  dans  Orléans.  —  Abandon 
dans  lequel  on  l'y  laisse.  —  Son  indomptable  énergie;  son  dévouement  sans  bornes. 
—  Elle  s'attache  à  assurer  la  défende  de  son  mari.  —  Arrivée  de  Bobcrt  et  de  Maril- 
lac, avocats,  désignés  d'office.  —  Sévères  reproches  adressés  au  due  de  Guise  par  la  . 
duchesse  de  Ferrarc.  —  La  princesse  de  Condé  a  recours  à  l'Électeur  palatin  et  à  la 


—  337  — 

reine  d'Angleterre.  —  Exposé  des  faits,  concernant  le  prince  de  Condé,  qui  ont  pré- 
cédé l'arrivée  de  ses  deux  défenseurs.  —  Double  démarche,  vis-à-vis  de  lui,  d'un 
prêtre  et  d'un  agent  des  Guises.  —  Commissaires  nommés  pour  interroger  le  prince. 
—  11  refuse  de  leur  répondre  et  demande  à  n'être  jugé  que  par  le  roi,  les  pairs  de 
France  et  le  parlement  réunis.  —  Rejet  de  sa  demande.  —  Rejet  par  le  conseil  privé 
de  divers  appels  qu'il  a  interjetés.  —  La  princesse  de  Condé  ne  peut  ni  voir  son 
mari,  ni  communiquer  avec  lui.  —  Restrictions  imposées  aux  communications  du 
prince  avec  ses  défenseurs.  —  Ferme  langage  qu'il  leur  tient.  —  Dernière  injonction 
de  répondre  faite  au  prince  par  le  conseil  privé.  —  Excès  de  pouvoir  commis  à  ce 
sujet.  —  Double  faute  commise  par  Robert.  —  Le  prince,  trop  confiant,  répond  par 
écrit  et  signe  ses  réponses.  —  Un  tribunal,  improvisé  pour  la  circonstance,  prononce 
contre  Condé,  sans  l'avoir  entendu,  ni  même  appelé,  et  sans  confrontation  de  témoins, 
une  condamnation  à  mort,  que  le  comte  de  Sancerre,  le  chancelier  de  l'Hospital  et 
Dumortier  refusent  de  signer.  —  Le  roi  repousse  les  supplications  de  la  princesse  de 
Condé.  Le  cardinal  de  Lorraine  l'insulte  et  l'expulse  de  la  cour.  —  Projets  homicides 
des  Guises  à  l'égard  de  la  princesse,  du  roi  de  Navarre,  des  Chùtillons,  et  de  la 
généralité  des  protestants  français.  —  Arrivée  de  Coligny  et  du  cardinal  de  Chàtillon  à 
Orléans.  Leurs  efforts  en  faveur  du  prince  et  de  la  princesse  de  Condé,  de  la  com- 
tesse de  Roye  et  du  roi  de  Navarre.  —  Dernière  maladie  de  François  II;  ses  terreurs 
et  ses  vœux  en  face  de  la  mort.  —  Attitude  de  Catherine  de  Médicis,  des  Guises, 
de  Marie  Stuart,  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Coligny.  —  Mort  du  roi.  —  Paroles 
prononcées  par  Coligny T6 


CHAPITRE  VI 


Émotion  de  la  princesse  de  Condé  en  apprenant  que  les  jours  de  son  mari  sont  épargnés. 

—  Arrivée  du  connétable  à  Orléans.  —  Condé  refuse  d'accepter  toute  mise  en  liberté 
tant  qu'on  ne  lui  aura  pas  réservé  un  recours  en  déclaration  d'innocence.  —  Cédant 
à  de  judicieux  conseils  de  la  princesse,  il  va  avec  elle  à  Ham  et  à  la  Fère.  —  La  com- 
tesse de  Roye  est  rendue  à  la  liberté.  —  Éléonore,  dans  l'intérêt  de  son  mari,  vient  à 
la  cour.  Condé  ne  tarde  pas  a  l'y  rejoindre.  —  Le  conseil  privé  proclame  l'innocence 
du  prince  et  lui  réserve  un  recours  devant  le  parlement  de  Paris.  —  Ce  parlement 
rend  en  sa  faveur  et  en  faveur  de  madame  de  Roye  des  arrêts  de  déclaration  il'inno- 
cence.  —  L'exercice  du  culte  réformé  est  toléré  par  Catlierine  de  Médicis  dans  les 
résidences  royales  de  Fontainebleau  et  de  Saint-Germain.  —  Appui  accordé  à  cet 
exercice  par  le  prince  et  la  princesse  de  Condé,  ainsi  que  par  les  principaux  membres 
de  leur  fomille.  —  Hommages  rendus,  de  diverses  parts,  à  la  piété  de  la  princesse  et 
de  sa  mère.  —  Conduite  coupable  d'Antoine  dt;  Bourbon  à  l'égard  de  Jeanne  d'Albret. 

—  Promulgation  de  l'édit  de  janvier  1562.  —  Massacre  de  Vassy.  —  Séjour  du  prince 
de  Condé  et  de  sa  femme  à  Paris.  Leurs  efforts  pour  y  protéger  les  protestants  contre 
les  excès  d'une  effervescence  populaire  qu'accroît  la  présence  du  duc  de  Guise  et  de 
ses  adhérents.  —  Insuffisance  des  forces  dont  dispose  Condé  pour  assurer  le  repos  de 
la  capitale.  —  Condé  et  sa  femme  quittent  Paris  pour  se  rendre  à  Meaux  oii  ils  sont 
rejoints  par  divers  seigneurs  protestants.  —  Départ  de  Condé  i)our  Orléans,  et  d'Éléonore 
de  Roye  pour  son  château  de  Muret.  —  Làciie  aggression  d'une  horde  de  fanatiques 
qui  met  en  danger  les  jours  de  la  princesse  et  ceux  du  jeune  marquis  de  Conly.  — 
Accouchement  prématuré  d'Éléonore,  à  Gandelu,  d'où  on  la  transporte  à   Muret.  — 

94 


—  338  — 

Sans  être  complètement  rétablie,  elle  se  décide  à  quitter  cotte  résidence,  en  laissant 
ses  plus  jeunes  enfants  à  sa  mère,  et  à  s'exposer  avec  son  fils  aîné  aux  plus  grands 
dangers  pour  rejoindre  le  prince  à  Orléans 98 


CHAPITRE  VII 

Arrivée  d'Éléonore  de  Roye  à  Orléans.  —  Négociations  entamées  et  suivies  par  Catherine 
de  Médicis.  —  Conférence  de  Toury.  —  Entrevue  de  la  princesse  avec  Catherine  à 
Artenay.  —  Conférence  de  Talsy.  —  Imminence  des  hostilités.  —  Départ  de  la  comtesse 
de  Roye  pour  Strasbourg  avec  les  plus  jeunes  enfants  de  sa  fille.  —  Sympathie  de  la 
princesse  pour  son  oncle  et  sa  tante  de  Coligny,  lors  de  la  mort  de  leur  fils  aîné  à 
Orléans.  —  La  peste  éclate  dans  cette  ville.  —  Courage  et  dévouement  de  la  princesse 
et  de  sa  tante  au  milieu  de  la  désolation  générale.  —  Activité  déployée  par  d'Andolot 
et  par  la  comtesse  de  Roye,  à  l'étranger,  en  faveur  des  protestants  français.— D'Andelot 
réussit  à  amener  dans  le  voisinage  d'Orléans  les  troupes  qu'il  a  levées  en  Allemagne.  — 
Mort  d'Antoine  de  Bourbon,  après  la  prise  de  Rouen.  Consolations  adressées  à  Jeanne 
d'Alhret  par  le  prince  et  la  princesse  de  Condé.  —Mission  confiée  à  la  comtesse  de  Roye 
par  les  chefs  protestants.  —  Bataille  do  Dreux.  —  Le  connétable  et  Condé  y  sont  faits 
prisonniers.  —  Le  premier  est  envoyé  à  Orléans;  le  second  est  conduit  à  Dreux  et 
confié  à  la    garde   de   Damville.    —  Instructions  données    et   règlement   établi  à  ce 


sujet. 


118 


CHAPITRE  VIII 

Le  connétable,  conduit  à  Orléans,  y  est  entouré  de  soins  par  Éléonore  de  Roye.  — 
Avertie  par  Coligny  de  la  captivité  de  Condé,  la  princesse  tente  de  correspondre  avec 

■  celui-ci.  —  Trahison  de  Caraccioli,  à  qui  elle  a  confié  un  message.  —  Fidélité  du 
capitaine  Larivière,  à  qui  elle  s'est  ensuite  adressée.  —  Elle  écrit  à  la  connétable  et  à 
Catherine  pour  qu'on  assure  la  transmission,  soit  de  ses  lettres  au  prince,  soit  des  let- 
tres du  prince  à  elle-même.  —  Le  connétable  appuie  sa  demande.  —  Éléonore  fait 
appel  à  la  sympathie  de  la  reine  d'Angleterre.  —  Elle  reçoit  enfin  des  nouvelles  du 
prince.  —  Condé  est  transféré  à  Chartres.  —  Ouvertures  de  paix  faites  à  la  princesse 

•  et  à  ses  oncles  par  Catherine.  —  Réponse  de  la  princesse.  —  Elle  stimule  l'intérêt 
d'Elisabeth,  de  Cecil  et  de  Leicester  en  faveur  de  Condé.  —Catherine  cherche  à  entrer 
en  pourparlers  avec  la  princesse  et  à  retarder  le  départ  de  Coligny  pour  la  Normandie. 
—  L'amiral  se  dirige  vers  celte  province.  —  Condé  est  conduit  au  château  d'Onzain. 
Il  tente  de  s'en  évader.  —  Activité  déployée  à  Orléans,  en  face  des  assiégeants,  par 
d'Andolot  et  la  princesse.  —  Organisation  de  secours  de  diverses  natures.  —  Jactance 
du  duc  de  Guise  à  l'égard  des  assiégés.  —  Catherine  cherche  à  ménager  une  entrevue 
du  connétable  avec  Condé.  —  Lettres  de  la  princesse  à  ce  sujet.  —  D'Oysel  et  de  Li- 
moges vont  à  Orléans.  —  Boucart  et  d'Esternay  se  rendent  près  du  prince.  —  Lettres 
de  celui-ci.  —  Duplicité  de  Catherine  à  l'égard  de  la  princesse.  —  Le  duc  de  Guise 
grièveinent  blessé.  —  Catlierinc  continue  à  négocier  pour  préparer  l'entrevue  des  deux 
prisonniers.  —  Lettres  d'Éléonore  de  Roye  et  de  son  mari.  —  Entrevue  de  la  prin- 
cesse avec  Catherine,  à  Saint-Mesmin.  —  On  convient  d'une  trêve  durant  laquelle  le 
connétable  et  Condé  conféreront  entre  eux,  dans  l'Ilc-aux-Bœufs,  sur  la  Loire...     148 


—  339 


CHAPITRE  IX 


Intentions  de  Condé,  lors  de  sa  sortie  du  château  d'Onzain.  —  Entrevue  dans  l'Ile-aux- 
Bœufs.  —  Détails  fournis  par  Chantonnay.  —  Compte  rendu  par  Condé  hii-mi'me.  — 
Appréciation  de  la  conduite  de  ce  prince.  —  Intervention  de  Catherine.  —  Condé,  au- 
torisé à  se  rendre  à  Orléans,  y  confère  avec  les  ministres  et  les  gentilshommes  mili- 
taires. —  N'écoutant  que  l'avis  de  ces  derniers,  il  se  décide  à  traiter  avec  la  cour  sur 
des  bases  restrictives  de  celles  de  l'édit  de  janvier.  —  Désapprobation  manifestée  par 
Coligny.  Il  tente  un  suprême  effort  dans  l'intérêt  de  la  liberté  religieuse.  —  Maintien 
des  articles  de  paix  déjà  arrêtés.  Édit  de  pacification,  dit  d'Amboise.  —  Solennité 
religieuse,  à  Orléans,  dirigée  par  Théodore  de  Bèze.  —  Réception  chez  le  prince  et  la 
princesse  de  Condé.  —  L'amiral  et  sa  femme  quittent  Orléans.  —  Condé  ne  sort  de 
cette  ville  que  pour  se  rendre  à  la  cour.  —  La  princesse  l'y  suit  par  dévouement.     182 


CHAPITRE  X 

Isolement  relatif  dans  lequel  se  trouve  la  princesse  à  la  cour.  —  Conseils  de  Calvin  ù 
Condé.  —  Condé  paraît  d'abord  en  tenir  compte.  —  Intervention  de  la  princesse  et 
du  prince  en  faveur  des  protestants  et  de  l'amiral  de  Coligny.  —  La  princesse  s'in- 
quiète des  dispositions  de  la  cour  d'Angleterre  envers  son  mari.  —  Elle  s'entretient 
avec  l'ambassadeur  Smith.  —  Fréquentes  visites  de  celui-ci.  —  Entretiens  de  la  prin- 
cesse avec  son  oncle  d'Andelot.  —  Lettres  qu'elle  adresse  à  son  neveu  le  prince  de  Por- 
tien.  —  Irritation  de  la  population  parisienne  contre  Condé  et  Éiéonore  de  Roye,  ù 
raison  de  leur  profession  religieuse.  —  Guet-apens  qui  leur  est  tendu  et  tentative 
d'assassinat,  à  la  suite  d'une  procession  à  laquelle  le  roi  avait  assisté  à  Paris.  —  La 
princesse  et  son  escorte  sont  attaquées.  —  Meurtre  du  capitaine  Coupé,  chef  de  l'es- 
corte. —  Exaspération  du  prince.  11  demande  le  châtiment  des  coupables,  et  menace 
de  quitter  la  cour  avec  la  princesse  s'il  n'est  pas  fait  droit  inimédialement  à  ses  ré- 
clamations. —  Effroi  de  Calheririe.  Ses  supplications,  ses  promesses.  —  Répression 
dérisoire.  —  Impunité  assurée  à  certains  coupables.  —  La  princesse  s'attend  à  voir 
enfin  revenir  près  d'elle  ses  jeunes  enfants  et  sa  mère,  que  d'impérieuses  circonstances 
avaient  contrainte  de  prolonger  son  absence  depuis  la  conclusion  de  la  paix  d'Amboise. 
—  Coup  d'œil  sur  les  dernières  relations  de  la  comtesse  de  Roye  avec  les  princes 
protestants  d'Allemagne.  —  Retour  des  enfants  de  la  princesse  et  de  leur  aïeule.  — 
Accueil  fait  à  la  comtesse  de  Roye  par  Catherine.  —  Susceptibilité  de  la  duchesse  de 
Guise.  —  Tactique  de  Catherine  pour  circonvenir  Condé 20± 


CHAPITRE  XI 

Catherine  s'étudie  à  détacher  Condé  de  la  princesse.  —  Le  prince  succombe  aux  séduc- 
tions de  la  cour.  —  Son  infidélité  conjugale  et  son  ingratitude.  —  Dignité  morale  de 
la  princesse.  —  Déjiart  de  Condé  lors  de  l'expédition  dirigée  contre  le  lla\re.  —  Li 
princesse,  accompagnée  de  sa  mère,  le  suit.  —  La  princesse  tombe  dangereusement 


—  3i0  — 

malade  à  Gaillon.  —  A  peine  entrée  en  convalescence,  elle  prodigue  ses  soins  à  la 
comtesse  de  Hoye,  malade  à  son  tour.  —  La  princesse  revient  avec  sa  mère  à  Muret. 
—  Condé  n'y  fait  qu'une  apparition.  —  Calvin  et  Tii.  de  Bèzc  lui  écrivent.  —  Mort  de 
deux  enfants  de  la  princesse.  —  Condé  reprend,  à  la  cour,  sa  vie  de  dissipation.  — 
Notoriété  de  ses  relations  coupables  avec  Isabelle  de  Limcuil  et  la  maréchale  de 
Saint-André.  —  Réapparition  momentanée  d'Éléonorc  de  Roye  à  la  coiîr.  —  Elle 
reviont  se  fixer  dans  son  château  de  Condé-en-Brie.  —  Condé  reste  à  la  cour,  pour  y 
continuer,  dans  le  tumulte  des  passions,  des  intrigues  et  des  plaisirs,  une  existence 
déprimée.  —  Esquisse  du  séjour  de  la  princesse  dans  sa  retraite  de  Condé-en-Brie,  où 
elle  est  entourée  de  ses  enfants,  de  sa  mère  et  de  sa  sœur. —  Débilité  de  sa  santé.  — 
Elle  se  rend  à  Troyes,  où  se  trouve  la  cour,  pour  y  soigner  son  mari,  légèrement  ma- 
lade. —  Appui  qu'elle  prête  aux  protestants  de  Troyes  et  à  d'autres.  —  Elle  quitte 
Troyes  sans  être  accompagnée  par  Condé 230 


CHAPITRE  XII 


De  retour  au  château  de  Condé-en-Brie,  la  princesse  est  subitement  atteinte  d'une  mala- 
die des  plus  graves.  —  Condé,  qu'elle  a  fait  appeler,  revient  près  d'elle.  —  Légèreté 
de  ses  impressions  en  présence  du  danger  que  court  sa  femme.  —  Lettre  de  la  prin- 
cesse à  son  cousin,  le  maréclial  de  Montmorency.  —  Lettre  de  Viret  à  la  princesse.  — 
Témoignages  de  sollicitude  et  d'alfcction  que  la  princesse  reçoit  de  sa  famille.  — Con- 
traste entre  ces  témoignages  cl  l'altitude  de  Condé.  —  11  entretient  une  correspon- 
dance avec  Isabelle  de  Limeuil  et  s'érige  en  champion  de  la  maréchale  de  Saint-André. 
—  Il  consent  à  recevoir  de  cette  dernière  le  don  du  château  de  Yallery  et  d'autres 
biens.  —  Derniers  jours  d'Éléonorc  de  Roye.  —  Son  testament,  ses  prières,  ses  entre- 
tiens avec  les  ministres  qui  l'assistent,  avec  son  mari,  ses  enfants,  sa  mère,  ses  filles 
d'honneur,  et  d'autres  personnes.  —  Sa  foi,  à  l'heure  suprême.  —  Ses  dernières  pa- 
roles. —  Sa  mort.  —  Allocution  de  Condé  à  ses  enfants 250 

Appendice 269 


FIN    DE     LA     TABLE     DES     MATIERES 


PAHIS.  —  IMPRIMERIE    DE    E.    MARTINET,    RUE    MIGNON, 


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