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Full text of "Lord Walpole à la cour de France, 1723-1730, d'après ses mémoires et sa correspondance"

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LORD 



WALPOLE 



A LA COUR DE FRANCE 



1723-1730 



Parif. — Impr. Pillet 61i aîné, me de« Graodf-ivgnitios, S 



LORD 

WALPOLE 

A LA COUR DE FRANCE 

1723-1730 
D'après ses Mémoires et xa Correspondance 

LE COMTE DE BAILLON 
deuilièmk kdition 




PARIS 

LIBRAIRIE ACADÉMIQUE 

DIDIER ET C", LIBRAIRES-ÉDITEURS 

35, QUAI 01 

' iS6S 



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•f. ^?/-.'';r' 



PRÉFACE 



€ On dit toujours, écrivait le marquis 
d'Argensonen 1739, qu'il n'y a personne en 
Europe, nulle têle assez forte pour conduire 
un ouvrage tel que serait une ligue générale 
contre la France; mais pourquoi aller si 
loin sans trouver les Walpole ? Oui est-ce 
qui montre plus de tête que ces deux frères? 
Têtes froides et qui ne s'échauffent de rien; 
multa agentes, pauca agendo. Le Robert ne 
parait pas affairé chez lui et* mène tout. 
Il a forcé son nouveau maître à le repren- 
dre et à augmenter sa confiance, quoi- 
qu'il le haïsse du temps du père. Le cadet» 



11 PRÉFACE. 

Horace, possède parfaitement les affaires 
étrangères par ses longues ambassades et 
voyages. Il est diligent et laborieux. > 

Le ministre français, en appréciant les 
mérites différents de ces deux hommes 
d'État, avait raison de ne pas les séparer ; 
car ils se complétaient l'un par l'autre, et 
c'était leur étroite solidarité de vues et 
d'opinions qui doublait leurs forces. 

ArrivcVit au pouvoir, sous une dynastie 
encore mal assurée, au milieu de passions 
ardentes, et pendant une des périodes les 
plus tourmentées et les plus difficiles du 
xviiï* siècle, Robert avait compris que 
l'heure du repos devait enfin sonner pour 
l'Europe, parce que la paix seule lui per- 
mettrait de régulariser le jeu des institu- 
tions de l'Angleterre et de jeter les hases 
du crédit public moderne, dont il avait su 
prévoir pour son pays les prodigieux résul- 
tats *. Mais avant d'atteindre ce but , 

1 . Voici le portrait (pi'a trace de lui Ymi des écrivains aiifrlais 
1q8 plus populaires de notre teinpB : « Waljiole a étôpur coiuixke 



PRÉFACE. m 

que d'obstacles à surmonter ! que de ran- 
cunes à adoucir ! que de convoitises à 
étouffer! Il lui fallait, pour faire triompher 
au dehors cette politique d'apaisement, 
trouver un homme d' un esprit aussi fin que 
loyal, aussi ferme que conciliant, et dont 
toutes les aspirations devinssent les sien- 
nes : cet homme fut Horace Walpole, que 
nous verrons se dévouer à cette entreprise 
commune avec un succès constant, et ne qui l- 
ter la partie que quand sir Robert dut aban- 
donner lui-même la direction des affaires. 
Cependant, il faut l'avouer, tandis que 
rhistoire, en discutant les actes du grand 
ministre des deux premiers George, lui fai- 
sait une si large place au soleil, Horace res- 
tait un peu perdu dans l'ombre projetée par 
son aîné, et lorsque nous l'avons présenté 



t'itt, aujrlais comme Palmorston, rmancior cohmh»- Pet'l, fortilo 
eu expédients et complet {thorough) coiniiu' llalifav : sa plus 
grande faute a été de ne pas se ivconnaitre liai tu et de ne pas 
se retirer des affaires avant «l'y être furcé. » (Thaekerav. Cnrn- 
hill JUayazwe.) W^mlm?- qu'après vinjrt ans d'un ministère 
tout-puissant^ il est mort insolvable. 



IV PRÉFACE. 

pour la première fois à nos lecteurs, il a été 
accueilli par quelques-uns presque comme 
un inconnu. Espérons qu'après l'avoir vu 
à l'œuvre, pleine et entière justice lui sera 
rendue. 

La famille à laquelle appartenaient les 
deux frères, comptait depuis plusieurs 
siècles parmi les plus importantes du 
comté de Norfolk, où elle jouissait de 
toute l'influence que peut donner l'an- 
cienneté de la race, appuyée sur une grande 
fortune territoriale. Leur père, Robert 
Walpole, était membre du parlement, où il 
avait toujours soutenu avec énergie la cause 
du pnrli whig; c'était un homme d'une 
probité rigide et d'une fermeté inébran- 
lable dans ses convictions. Grand amateur 
de la chasse et des plaisirs de la campagne 
dans sa résidence de Houghton, personne 
mieux que lui ne s'entendait à exercer une 
large hospitalité, en rapport avec sa grande 
existence de province. Sa femme, Mary 
Burwel, lui avait donné dix-neuf enfants; 



PRÉFACE. V 

mais quand il mourut, en 1700, à l'âge de 
cinquante ans, six seulement lui survé- 
curent: Robert et Horace étaient devenus 
les deux aînés de la famille. C'est de ce 
dernier, directement mêlé aux hommes et 
aux affaires de France, que nous avons 
maintenant à nous occuper ici. 

Horace Walpole était né à Houghton, le 
8 décembre 1678 : après avoir fait de bril- 
lantes études au collège d'Eton, il entra, à 
l'âge de vingt ans, à l'Université de Cam- 
• bridge,où il montra dès lors pour le travail 
cette ardeur infatigable qu'il ne cessa de 
déployer plus tard, pendant tout le cours de 
sa laborieuse carrière. Il se distingua par- 
ticulièrement dans l'étude des lettres clas- 
siques grecques et latines, qu'il aima tou- 
jours et dont il s'occupa souvent avec 
succès. Sectateur zélé des principes poli- 
tiques de sa famille, il se déclara franche- 
ment en faveur des whigs,sans craindre de 
blesser les susceptibiUtés du parti tory, 
très-nombreux alors à l' Université, et lors- 



VI PRÉFACE. 

que mourut le roi Guillaume, il ne dissi- 
mula point les vifs regrets que lui causait 
la perte de ce monarque. 

A peine sorti de Cambridge, il accompa- 
gna eu qualité de secrétaire le brigadier 
général Stanhope, qu'on envoyait à Bar- 
celone, avec un renfort considérable de 
troupes, près de l'archiduc Charles, étroite- 
ment bloqué dans cette ville par les forces 
combinées de France et d'Espagne. Ce se-, 
cours sauva l'archiduc : le siège fut levé, et 
les troupes alliées, saisies d'une panique 
inexplicable, s'enfuirent en abandonnant 
leur artillerie et leurs bagages. 

Malgré ce brillant début, la carrière des 
armes ae sourit point à H. Walpole, et peu 
de temps après son retour, nous le retrou- 
vons secrétaire particulier de M. Boyle, de- 
puis lord Carleton, alors chancelier de l'É- 
chiquier. Ce ministre indolent et absorbé 
par ses plaisirs fut trop heureux de rencon- 
trer dans son secrétaire une activité de tous 
les instants, jointe à la vive ^t profonde 



PRÉFACE. Tii 

intelligence des affaires. En 1709, Walpole 
suivait son futur beau-frère lord Townshend 
au congrès de Gertruydenberg, où il sut se 
rendre particulièrement utile et agréable à 
cet homme d'État, aussi bien qu'au duc de 
Marlborough, premier négociateur au con- 
grès. 

De retour en Angleterre, Walpole se mon- 
tra l'un des plus ardents de son parti pour 
repousser toute transaction avec les tories, 
qui arrivaient au pouvoir, et il fut nommé 
membre du parlementen 1713. Ily appuya 
fortement les démarches de son frère en 
faveur des réfugiés protestants français, et 
il n'hésita pas à se prononcer avec la môme 
énergie contre le traité d'Utrecht, qui lui 
semblait compromettre d'une manière fâ- 
cheuse les résultats qu'on était en droit 
d' attendre dedixannéesdevictoiresînespé- 
rées • A l'avènement de George I", il déploya 
le plus grand zèle en faveur de la maison 
de Brunswick, et lord Townshend, qui ve- 
nait d'épouser sa sœur Dorothée, ayant été 



Yiii PRÉFACE.; 

chargé de former le premier ministère du 
règne, le nomma sous-secrétaire d'Etat. A 
partir de ce moment, nous le vayons pren- 
dre part à tous les grands événements qui 
agitèrent l'Europe à cette époque, jusqu'à 
ce que sa nomination à l'ambassade de 
Paris, en 1723, vînt lui ouvrir enfin un 
théâtre digne de ses talents diplomatiques. 
Sa finesse pleine de tact, sa parfaite con- 
naissance des hommes, sa modération 
prudente et ferme surent y gagner le cœur 
de tous ceux qui l'approchaient et faire 
prévaloir une politique de conciliation, 
aussi utile alors à la France qu'à l'An- 
gleterre *. 

Quant au cardinal de Fleury, qu'il avait 
su deviner avant son élévation, Walpole 
lui avait inspiré une sincère estime et 
une profonde affection, qui ne se sont 
jamais démenties un seul instant, pendant 
tout le temps que dura son ambassade 

d, Goxo, Memoira of lord Wa/pole, 



PRÉFACE. IX 

en France. Cette liaison intime servit sou- 
vent de prétexte à l'opposition anglaise 
pour accuser râmbassadeur de se laisser 
surprendre par les artifices de Pleiiry; mais 
les dépêches qu'on va lire prouveront 
jusqu'à l'évidence l'injustice de ce repro- 
che. En négociant avec autant de fermeté 
que d'adresse dans l'intérêt de la paix, qui 
était, comme nous l'avons dit, le système 
favori de son frère, Walpole ne perdit 
jamais de vue la grandeur et la prospérité 
de sa nation ^ 

Il comprenait facilement le français, 
mais il le parlait avec un accent très-pro- 
noncé dont il ne put jamais se défaire, 
ce qui faisait dire au cardinal de Fleury : 
// est diablement éloquent avec son mauvais 
français. 

En quittant l'ambassade de France, il 
passa à celle de Hollande, dont il resta titu- 
laire jusqu'à la chute de Robert Walpole, 

1. Hardwicke's state papers, vol. 11^ p. 631. 



X PRÉFACE. 

on 1 742 ; il revint alors se fixer en Angle- 
terre, où son temps se partagea désormais 
entre la campagne pour laquelle il avait 
conservé, ainsi que son frère *, une prédi- 
lection marquée, et les travaux du parle- 
ment auxquels il continua à prendre une 
part active, mais dan^ les rangs de Top- 
position. Nous ne le suivrons pas plus 
longtemps au milieu des événements de 
cette époque : nous nous contenterons de 
dire qu'en 1756, le roi George II, en 
récompense de ses longs et loyaux services, 
le nomma baron Walpole de Wollerton en 
Norfolk. C'était le nom d'une terre qu'il 
avait achetée peu après son mariage, en 
1720, et qu'au travers de sa vie si occupée, 
il préférait à tout autre séjour ^ Il l'a 

1. Robert Walpole aimait la cl i.L^se avi-c anleiir, et il se plai- 
.<:nt à y faire allusion au inilitMi des phts vives pn'occupatiou:* 
de la politique. Jl écrivait à IIora«-e, en 1722, à l'époque de la 
découverte du complot jacobite de lévèque de Flochester : a We 
are in trace of several things v<ry malerial, but we fox hua- 
fers know that we do not always find every fox, tliat wo cross 
upou. » 

2. Cette terre, qui sVst cnnscrvée dans la famille, appartient 
aiyourd'hui à Horacf Walpole, comte d'Clrford. 



PRÉFACE. XI 

décrite lui-même avec amour dans une 
lettre adressée à son ami le révérend 
Milling, en 1745 : c Ma maison, dit-il, que 
j'ai fait bâtir moi-môme, n'est ni trop 
grande ni trop petite, elle ne peut exciter 
ni l'envie ni le dédain. La disposition des 
appartements en est convenable, sans être 
magnifique ni trop simple. Elle est située 
sur une éminence d'où l'on jouit d'une 
vue délicieuse sur des bois entremêlés de 
champs cultivés, et elle se trouve si bien 
abritée du nord par des massifs de grands 
arbres, qu'on n'y a point à craindre l'in- 
clémence de la mauvaise saison. Elle est 
gracieusement encadrée par une innocente 
armée déjeunes plantations que j'ai élevées 
moi-même et qui, nées seulement depuis 
vingt ans, rivalisent de zèle pour arriver 
bientôt à l'ampleur majestueuse des hautes 
futaies. Elles sont toutes de noble origine; 
leurs noms de famille sont : chêne, hêtre et 
châtaignier d'Espagne, et je ne crois pas 
que dans aucun pays leurs parents pfuis- 



XII PRÉFACE. 

sent donner de plus brillantes promesses. 
Leur discipline est si parfaite et leurs rangs 
si bien alignés qu'elles forment de déli- 
cieuses avenues, avec des percées habile- 
ment ménagées, qui laissent découvrir à 
droite et à gauche de vastes champs de 
l'aspect le plus agréable. 

c Devant la maison, au midi, un lapis 
vert du gazon le plus fin réjouit l'œil et le 
mène insensiblement à une plaine plus 
étendue ; plus loin le regard est attiré et 
retenu par un lac d'eau vive, d'où s'é- 
chappe en serpentant une charmante ri- 
vière dont le cours, qui semble intermina- 
ble, va se perdre dans un bois de l'autre 
côté. La promenade à travers la campagne 
et la contemplation de ces scènes, aussi at- 
trayantes que douces et variées, sont pour 
moi une source toujours nouvelle de plaisir 
et de santé, et me font haïr les heures de 
bruit, d'anxiété et d'agitation passées au 
milieu du tumulte des partis, dans le vain 
espoir de servir un public qui ne vous en 



PRÉFACfL. iiii 

récompense que par son ingratitude. » 
Lord Walpole ne devait pas jouir long- 
temps des honneurs de la pairie, juste 
mais tardif hommage rendu à son mérite : 
il était depuis plusieurs années atteint de 
la pierre, dont il mourut, en 1737, à TAge 
de 79 ans. Malgré de cruelles souilrances, 
les préoccupations de toute sa vie n'avaient 
pas abandonné dans les derniers instants 
cet esprit si fortement trempé pour la lutte; 
son épitaphe, qu'il composa lui-môme et 

m 

qui se lit encore sur sa tombe dans l'église 
de Wickmere, près de Wollerton, n'est 
guère qu'une vigoureuse protestation con- 
tre le gouvernement qui avait succédé à 
celui de son frère. Il meurt , dit-il , 
€ comme un chrétien zélé et un vrai patriote, 
en déplorant le mauvais succès des armes de 
Sa Majesté au dehors, et les divisions qui 
déchirent ses conseils à F intérieur ^. > 
Il laissait de sa femme, Marie-Madeleine 

1. Voir à la lin de l'Appendice. 



«T PRÉF.VCE. 

Lombards fille d'un négociant français ré- 
fugié, qui lui avait apporté une grande for- 
tune, quatre fils et trois filles. Ce fut l'aîné 
de ces fils qui succéda plus tard au titre 
de comte d'Orford, à la mort de son cousin 
Horace Walpole, le spirituel et caustique 
philosophe de Strawberry Hill, dont l'ami- 
tié passionnée de madame du Défilant a su 
faire une véritable illustration française ^ 

Voici comment W. Coxe nous dépeint 
lord Walpole au physique et au mo- 



1. (Vivait une fcniiiu» aussi si)irituollo que modeste : on ra- 
eonteiiue^ peiulanl Tanibas^aile de sou mari, lorsqu'elle fui pré- 
senti^e à la reine Marie Leozinska, cette princesse, à qui on 
avait dit qu'elle était d'orij^ine française, lui demanda de quelle 
famille elle était : « D'aueune, Madame, » répondit l'ambassa- 
drice. Lady Walpole survécut de lonjjrues années à son mari : 
elle mourut le î) mars 1783, à l'âjîe de 88 ans. 

2. Horace Walpole, le neveu (^t l'homonyme de l'ambassadeur, 
né en 1718, était le troisième lilsilu ministre. C'était un homme 
d'infiniment d'esprit, qui a mérité de devenir dans ces derniers 
temi)s un ^ujl*t d'études pour plusieurs de nos écrivains les plus 
distingrués. Ses lettres françaises à madame du Déliant sont, à 
notre avis, bien supérieures à la correspondance monotone et 
ennuyée de la célèbre aveuj^^le. Il a laissé, entre autres écrits, de 
courts Mémoires rétrospectifs sur le rèpne des deux George, 
qu'il a intitulés ses RemitnacenceSj et auxquels nous avons fait 
plusieurs emprunts. 11 est mort en 1797. 



PRÉFACE. xf 

rai : < U était d'une taille au-dessous de 
la moyenne et sa personne manquait de 
cette grâce élégante qui , d'après lord 
Chesterfield, doit être l'apanage essentiel 
d'un gentilhomme accompli ; ses manières 
étaient simples et modestes : malgré son 
long séjour dans les cours étrangères, il 
était négligé dans ses habits. Avec beau- 
coup d'esprit, il s'emportait souvent dans 
la conversation, et il n'a jamais pu perdre 
l'accent de sa province de Norfolk. Ces 
légères imperfections que la malveillance 
des partis s'est plu à exagérer, mais 
qui ne prévenaient point en sa faveur, 
il était le premier à les tourner en ridi- 
cule ; il répétait souvent qu'il n'avait ja- 
mais appris à danser, et il ne se piquait 
point de savoir faire un salut d'après les 
règles de l'art. Il reconnaissait lui-même 
qu'il était né impétueux et colère ; mais il 
était parvenu à triompher complètement 
de ce défaut si préjudiciable pour un di- 
plomate, et personne plus que lui n'a mon- 



XTi PRÉFACE. 

tré d'adresse et de sang-froid, en se prêtant 
aux circonstances et en consultant le carac- 
tère et les préjugés de ceux avec lesquels 
il était appelé à traiter. Malgré sa vivacité 
originelle, il s'apaisait facilement, et ja- 
mais il n'a donné la moindre preuve de 
ressenliinent aux plus violents adversaires 
de sa personne ou de l'adminislralion de 
son frère- Sa conversation simple et natu- 
relle, mais pleine de vivacité et de faits, 
savait fixer l'attention et ramener souvent 
à reconnaître leur erreur ceux qui lui 
étaient le plus opposés. 

« Il savait du reste, au besoin, fort bra- 
vement payer de sa personne, et l'anec- 
dote suivante fait le plus grand honneur à 
son énergie et à son sang-froid, sinon à la 
parfaite élégance de ses manières. En 1743 
(Walpole avait alors soixante-cinq ans), 
il soutenait une motion à la Chambre des 
communes quand, s'adressant tout à coup 
à M. Chetwynd, l'un de ses adversaires, il 
lui dit : « J'espère bien que nous allons 



PRÉFACE. XTii 

c emporter TafTaire. — El moi, répond 
€ M. Chetwynd, j'espère bien vous voir 
c pendre auparavant. — Ah! vous espérez 
€ me voir pendre auparavant, > s'écrie 
Walpole, et il le saisit immédiatement par 
le nez. Ils sortirent pour se batlre. La 
nouvelle en étant arrivée à son frère lord 
Orford, pendant son dîner, il envoya aus- 
sitôt son fils aux informations ; mais celui- 
ci, à peine entré dans la Chambre des com- 
munes, trouva son oncle pérorant avec la 
même tranquillité que si rien n'était venu 
surexciter ses nerfs ni lui faire risquer sa 
vie. M. Chetwynd avait été blessé, mais il 
n'en mourut pas. 

€ Quoique la franchise passe trop sou- 
vent pour unefaute en diplomatie, personne 
ne s'est montré plus loyal ni plus sincère 
que Walpole dans toutes les transactions 
publiques et privées ; loin de lui être nui- 
sible, c'est cet amour insatiable de la vérité 
qui a su lui concilier la sagacité de Fleury, 



xviii PRÉFACE. 

la prudence de Heinsius et rirritabililé de 
Slingelandt. 

« Autant il élait simple et économe dans 
ses habitudes de famille, autant il dé- 
ployait de libéralité pour récompenser les 
services, et de magnificence, lorsque la di- 
gnité de sa position le réclamait. Pendant 
ses ambassades, il avait toujours table ou- 
verte, et, sauf ses équipages, rien n'était 
changé pendant son absence dans la tenue 
de sa maison. Il prétendait qu'on ne s'en- 
tend jamais mieux qu'autour d'une table 
bien servie, et qu'il ne voyait pas de raison 
pour priver son secrétaire de cette ressource 
précieuse. Toujours levé de grand matin, 
il avait terminé ses affaires et écrit ses dé- 
pêches avant l'heure du dîner; mais après 
ce repas, où il se montrait un joyeux con- 
vive, quoique fort sobre dans ses habitu- 
des, il laissait de côté toute préoccupation 
politique, et le reste de sa journée se pas- 
sait au milieu des charmes de son intérieur 
ou d'une société choisie. > 



PRtFAf.K. m 

Activement engagé dans les négociations 
les plus ardues de son temps, et toujours 
sur la brèche, lord Walpole a laissé de 
nombreux écrits et une volumineuse cor- 
respondance, qui sont conservés en grande 
partie dans les riches archives de sa famille. 
A l'exception de quelques pamphlets, la 
plupart de ces écrits, parmi lesquels nous 
citerons son Rhapsody offoreign politivs, qui 
traite des questions relatives au congrès 
d'Aix-la-Chapelle, et son Apologie^ mémoires 
politiques qu'il écrivit vers la fin de sa car- 
rière, n'ont point encore été publiés, au 
moins dans leur entier. C'est à ces sources 
précieuses que, grâce à l'extrême obligeance 
de sa famille, nous avons pu puiser tout ce 
qui concerne l'ambassade de lord Wal- 
pole près de la cour de Versailles : 
nous lui avons donc presque toujours 
laissé la parole, soit par ses lettres parti- 
culières ou ses dépêches, soit par son 
Apologie. Ces documents d'origine étrangère 
nous ont paru pouvoir éclairer d' unelu mière 



XX PRÉFACE. 

nouvelle l'histoire des premières années 
du règne de Louis XV. Dans les rares 
moments où les correspondances et VA- 
pologie nous ont fait défaut, nous avons eu 
recours à W. Coxe ou à d'autres écrivains 
de la même nation, pour ne jamais nous 
écarter du point de vue exclusivement 
anglais. Nous nous sommes contenté de 
contrôler les assertions et les jugements de 
l'ambassadeur par des notes tirées pour la 
plupart des mémoires français de cette 
époque, et bien rarement, il faut le dire, 
nous les avons trouvés en contradiction. 
Les portraits que Walpole nous a donnés 
des principaux personnages de la cour de 
Franc3,sonl touchés d'une mainintelligente 
et habile, sans préjugés ni parti pris; nous 
en excepterons peut-être le portrait du ma- 
réchal de Villars, et surtout celui de M. de 
Chauvelin, que l'ambassadeur anglais, ne 
retrouvant plus en lui la complaisance ob- 
séquieuse de M. de Morville, traite avec 
une sévérité qui n'est pas exempte d'exa- 



PRÉFACE. ixi 

gération. Arrivé à Paris en 1723, Walpole 
n'a pu qu'entrevoir le Régent devenu pre- 
mier ministre, mais il rend pleine justice 
à son esprit aimable et à ses talents pour 
le gouvernement; il nous fait pénétrer en- 
suite, au travers du réseau confus ties ca- 
bales de femmes et d'intrigants avides qui 
ont été tout le ministère de M. le Duc, jus- 
qu'à l'heureux avènement d'une politique 
à la fois économe et modérée à l'intérieur 
et pacifique au dehors, formant ainsi un 
contraste parfait avec l'administration qui 
venait de tomber. Mais ce qui se détache 
en relief lumineux sur tout le fond des ré- 
cits qu'on va lire, c'est la figure si pleine 
de finesse et de grâce, de douceur et d'ambi- 
tion imperturbables du cardinal de Fleury: 
de cet homme dont la persévérance sa- 
vait toujours atteindre le but, en tour- 
nant les obstacles et sans avoir jamais 
froissé personne sur sa route, et à qui il 
n'a manqué peut-être, pour devenir l'un 
de nos plus grands ministres, que d'entrer 




XXII PRÉFACE. 

aux affaires avant Tâge où les hommes 
d'État les quittent d'ordinaire. Nous avons 
déjàditquel'attachementiderambassadeur 
anglais pour le prélat ministre avait été 
souvent exploité contre lui ; on ne manqua 
pas non plus, de l'autre côté, d'accuser le 
cardinal de sacrifier la France au profit 
de l'Angleterre; mais ces reproches con- 
tradictoires se réfutent les uns par les 
autres, et d'ailleurs, dans la situation pré- 
caire où se trouvait alors la cour de Ver- 
sailles, une autre combinaison que l'al- 
liance anglaise pouvait-elle donner les 
mêmes gages de sécurité ? A la politique 
de la gloire à outrance avait succédé la 
poUtique des intérêts ; il fallait donc aller 
au plus pressé. Robert Walpole voulait la 
paix, nécessaire à l'affermissement de la 
nouvelle dynastie, et au développement 
commercial et financier de l'Angleterre ; 
la France, épuisée d'hommes et de crédit, 
n'avait plus d'autre aspiration que le repos; 
dans une pareille occurrence , que devait 



PRÉFACE. xxiii 

faire le cardinal pour déjouer les intrigues 
perfides de la cour de Vienne et l'extrava- 
gante ambition de l'Espagne? Rien, si- 
non s'appuyer sur une alliance qui seule 
alors pouvait lui assurer le calme indis- 
pensable aux intérêts français. Plus tard, 
il est vrai, un revirement dans là politique 
anglaise modifia profondément la situa- 
tion de l'Europe; mais nous n'avons pas à 
nous en occuper ici, puisque notre tâche 
ne dépasse pas l'année 1730, époque à la- 
quelle la bonne entente entre les deux pays 
-n'avait pas encore été troublée. 

Nous nous contenterons donc de mettre 
sous les yeux du lecteur les pièces du pro* 
ces; ce sera à lui de prononcer. Mais quel 
que soit le jugement qu'il veuille porter 
sur les événements et sur les hommes qui 
vont entrer en scène, il ne devrapas oublier 
qu'au milieu des circonstances les plus cri- 
tiques, la paix a été maintenue, et qu'alors, 
pourlapremièrefois peut-être, ilaétéadmis 
queles affaires del'Europe pouvaient se dis- 



^ * 



XXIV PRÉFACE. 

cuter autrement que les armes à la main. 
Qu'il nous soit encore permis de remer- 
cier ici les descendants actuels de Fillustre 
diplomate, qui nous ont si généreusement 
aidé dans noire travail; nous ne pouvions, 
du reste, rien attendre de moins deTamitié 
des uns et de la parfaite courtoisie des 
autres. 



r* 



V 



CHAPITRE PREMIER 



Avènement de George !«'. — Son portrait. — Les whigs au pou- 
voir. — Premier ministère de lord Townshend et de sir Robert 
Walpole. — Missions diplomatiques de Horace Walpole. — ^ 
Disgrâce des beaux-frères ministres. — Traité de la quadruple 
alliance. — Townshend et Walpole reviennent aux affaires. 
— George I«f et le Régent. — Lord Garteret, sir Luke Schaub 
et le cardinal Dubois. — Mort de ce dernier. — Le roi part 
pour le Hanovre. — Les maltresses du roi George. — H. Wal- 
pole est envoyé en mission à Paris. 



Au moment où Louis XIV allait disparaître 
du trône de France, George I", électeur de 
Hanovre, remplaçait la reine Anne sur celui 
d'Angleterre. Ce prince, né à Osnabruck en 
1660, avait alors cinquante-cinq ans, et son seul 
titre à la couronne, aux yeux de ses nouveaux 
sujets, était celui de représentant de la ligne de 
succession protestante. Le pays était profondé- 



« 



AVENEMENT DE GEORGE I". 



ment divisé et rélecteur y fut reçu sans répul- 
sion, maïs avec une grande froideur : les Jaco- 
bites préparaient déjà la rébellion qui éclata 
Tannée suivante (1715), et le peuple Anglais ne 
cherchait pas à dissimuler ses préventions contre 
un étranger, dont la personne et le caractère sem- 
blaient d'ailleurs peu propres à l'en faire reve- 
nir. George était d'une taille au-dessous de la 
moyenne et l'ensemble de sa personne, quoi- 
que assez bien proportionné, manquait de cette 
dignité qui sait imposer le respect*. 

« Peu d'hommes, a dit de lui lady Montagne, 
eurent moins d'ambition. Il aimait l'argent, 
mais plus pour conserverie sien que pour s'em- 
parer de celui des autres : il s'était enrichi par 
l'épargne, mais il était incapable de se livrer à 
aucune spéculation. Doué d'un esprit plutôt 
borné que paresseux, il s'était parfaitement ré- 
signé à vivre dans sa petite ville de Hanovre, et 
si l'ambition de son entourage n'avait pas été 
plus grande que la sienne, nous ne l'aurions 

i W. Coxe, Memoir.t of sir Robert Walpole, t. I, p. 101. 



SON PORTRAIT. a 

jamais vu en Angleterre. L'honnêteté naturelle 
de son esprit, jointe au peu de lumières qu'une 
éducation étroite avait pu y ajouter, lui faisait 
considérer son acceptation de la couronne d'An- 
gleterre comme une usurpation, et ce scrupule 
troubla toute sa vie... U ne parlait pas l'anglais, 
et l'Age de l'apprendre était passé pour lui; nos 
coutumes et nos lois étaient des mystères qu'il 
n'essayait point d'approfondir, et il n'y serait 
jamais parvenu s'il l'eût entrepris. H avait une 
sorte de bienveillance naturelle qui lui faisait 
souhaiter le repos à l'humanité tout entière, à la 
condition qu'on respecl&t le sien. » 

George. I" possédait cependant des qualités, 
peu faites, il est vrai, pour enthousiasmer la mul- 
titude, mais très- réelles dans un souverain : il 
avait de la franchise, de la simplicité et de la 
douceur dans les manières, une grande applica- 
tion aux affaires, une exactitude et une écono- 
mie remarquables; enfin, quoiqu'il eût bien fait 
la guerre, il aimait la paix ^ 

1. Memoirs ofsir Robert Wtiipole, i. I, p. 103. 



LES WHIGS AU POUVOIR. 

Ce prince, tel qu'il était, répondait de tous 
points aux aspirations du parti whig, ennemi 
des Stuarts, mécontent du traité d'Utrecht et en 
général de la politique du règne précédent. Ce 
parti, dont les principaux membres formaient 
le club Hanovrien, avaient déjà. Tannée précé- 
dente, profité du jour anniversaire de la nais- 
sance de la reine pour faire éclater dans une 
bruyante manifestation son attachement à la 
ligne de succession protestante et sa haine 
contre les Stuarts et le catholicisme *. H. Wal- 
pole , qui comptait alors dans les rangs des 
whigs à la chambre des communes , avait fait 
une vive opposition au traité d'Utrecht , et plus 
tard il disait dansTun de ses écrits^ : «Après dix 
ans de succès inespérés, obtenus par nous et 
nos alliés contre l'ennemi commun, nous n'avons 
fait avec la France qu'un traité de commerce 

1. Le club Hanovrien signala son zèle pour la succession pro- 
testante en organisant nne procession solennelle où les images du 
pape, du diable et du prétendant furent portées de Charing Cross 
à la Banque, pour être ramenées de nouveau à Charing Cross, où 
elles furent livrées aux flammes. (Oldmixon, History ofEngland, 
p. 526.) 

2. Bhapsody of foreign poKtics^ 



LES WHI6S AU POUVOIR. 5 

aussi inégal que désavantageux pour nous. 
D'autres stipulations commerciales nous ont 
privés de tous nos anciens privilèges avec la 
vieille Espagne, et en faisant notre paix séparée, 
nous avons eu l'inaigne mauvaise foi d'aban- 
donner et de sacrifier les intérêts de nos alliés. 
Nous avons de plus, pour plaire à la cour de 
Madrid, rompu nos engagements solennels avec 
le roi de Portugal , qui s'était exposé à la ven- 
geance de la France et de l'Espagne pour entrer 
dans la grande alliance, et qui avait en même 
temps conclu avec nous un traité très-avanta- 
geux à notre commerce. Enfin, un nouveau 
traité de frontières et de succession a laissé sur 
un pied plus que précaire la sécurité de la Hol- 
lande, celle de notre patrie, ainsi que la suc- 
cession de la branche de Ebnovre, dont on n'a 
pas tardé en conséquence à comploter le renver- 
sement. » 

Le nouveau roi n'hésita pas à se jeter dans 
les bras des v^higs, et lord Townshend*, l'un de 

1. Charles, vicomte Townshendy né en 1673, homme de talent 
et d'une probité rigide^ mais d*mi caractère cassant et emporté 



6 PREMIER MINISTÈRE DE LORD TOWNSHEND. 

leurs principaux chefs, fut chargé de composer 
son premier ministère. Cet homme d'État, qui 
venait d'épouser en secondes noces Dorothée, 
sœur de sir Robert et d'Horace Walpole, s'em- 
pressa de faire entrer dans la nouvelle combi- 
naison sir Robert, en qualité de premier lord de 
la trésorerie et de chancelier de l'échiquier ; 
Horace fut nommé sous-secrétaire d'État; mais 
l'occasion ne tarda pas à se présenter de mettre 
à profit ses talents de négociateur* 

Dans les mémoires politiques qu'il nous a 
laissés, il raconte ainsi lui-môme les premiers 
travaux de sa carrière diplomatique ^ «En 17iS, 
le royaume se vit menacé d'une invasion desti- 
née à soutenir la rébellion en Ecosse; H. Wal- 

qui lui avait fait de nombreux ennemis en Angleterre^ comme 
dans les cours étrangères. Après être rentré au pouvoir avec son 
beau-frère en 1720, il y resta jusqu'en 1730, époque à laquelle 
il se brouilla définitivement avec lui. Il fut remplacé au ministère 
par le duc de Newcastle. 

1 . Ces mémoires politiques, où il parle toujours de lui-même à 
la troisième personne et qu'il a intitulés son Apologie, sont en- 
core inédits dans leur ensemble, bien que Goie en ait cité plu- 
sieurs fragments. Ils font partie des papiers conservés dans les 
arcbives de la famille Walpole, CkHnmençant en 1715, ils vont 
jusqu'à l'année 1740. 



HORACE WALPOLE ENVOYÉ EN HOLLANDE. 7 

poIe, qui avait été secrétaire de l'ambassade de 
lord Townshend à La Hayt, en 1709, et qui était 
resté lié avec les principaux personnages de la 
république, fut envoyé en Hollande se join- 
dre au général Cadogan, à Teffet de demander 
l'envoi immédiat en Angleterre de 6,000 bom-> 
mes de troupes, pour le service de Sa Majesté* 
Le général Cadogan se trouvant alors à An- 
gers, H. Walpole se hâta de se concerter avec le 
grand pensionnaire Heinsius, et comme les États 
étaient assemblés en ce moment, il leur pré- 
senta un mémoire qui réclamait ce secours. Les 
États généraux, sans se donner le temps de con- 
sulter comme d'habitude leurs provinces res- 
pectives, accordèrent les 6,000 hommes, avant 
que l'ambassadeur de France pût même se 
douter qu'on les eût demandés. 

(( L'année suivante, H. Walpole repartit pour 
La Haye, afin d'obtenir la jonction d'une esca- 
dre hollandaise avec la flotte d'Angleterre, pour 
^Uer croiser dans la mer Baltique et protéger le 
-commerce des deux nations contre les Suédois. 
Malgré l'opposition de quelques États qui préten- 



8 MISSIONS DIPLOMATIQUES 

daient que cette mesure n'avait pas d'autre but 
que la sécurité de Brème et de Verden, posses- 
sions banovriennes, H. Walpole eut enfin la 
bonne fortune de réussir dans son entreprise. Il 
était en même temps chargé d'amener les États à 
entrer dans l'alliance défensive qui venait d'être 
èonclue entre l'Empereur et le roi George, et qui 
était basée sur le soupçon que le duc d'Orléans, 
alors régent de France, favorisait les vues du 
Prétendant. La négociation relative à cette ques- 
tion fut très-énergiquement conduite en sens 
inverse, de vive voix et par écrit, par H. Wal- 
pole et par M. de Châteauneuf, ambassadeur de 
France, jusqu'à ce qu'enfin le Régent, soit par 
crainte de voir la Hollande accepter le traité, 
soit à cause de ses affaires personnelles en 
France, se décidât à envoyer à La Haye l'abbé 
Dubois. Il lui donna pour instructions de travail- 
ler à établir entre le roi George, la France et les 
États, une triple alliance * destinée à assurer par 

1. a Le 16 janvier 1717, M. le duc d'Orléans ayant reçu, par un 
courrier dépêché de La Haye par M. l'abbé Dubois, la nouvelle 
que les États généraux avaient enfin signé le traité de ligue entre 



DE lORACE WALPOLE. 9 

des garanties réciproques rétablissement de la 
famille royale en Angfoferre, et la succession 
aux trônes de France et d'Espagne telle qu'elle 
avait été réglée par le traité d'Utrecht, en con- 
cédant la démolition du nouveau port qui se 
construisait à Mardyck. 

(f H. Walpole partageait les pleins pouvoirs eu 
général Cadogan pour négocier et conclure ce 
traité, et bien que son départ de La Haye, mo- 
tivé par quelques différends ^ survenus dans le 

la France et TAngleterre, en fut si content que, madame la douai- 
rière étant survenue dans le moment, il lui dit agréablement ! 
« Ma mère, permettez-moi de vous embrasser pour la joie que 
m me cause la nouvelle que je viens d'apprendre de la triple al- 
« Uance. » On assure même que Leurs Altesses Royales baisèrent 
ce traité et qu'ils le firent aussi baiser au maréchal d'Uielles^ 
pour marquer d'autant plus la satisfaction particulière que l'un 
et l'autre en ressentaient. » (Buvat^ Journal de la Régence, 1. 1, 
p. 243.) 

1. Ces difficultés^ que Walpole passe sous silence, font le plus 
grand hoBMar à son caractère. Il s'était engagé solennellement 
vis-À-vis des États à ce qu'aucun traité ne fût conclu avec la 
France sans leur participation; mais le roi, pressé d'obtenir de 
la France la garantie de son trône encore chancelant, et s'arran- 
géant mal des lenteurs de la diplomatie hollandaise, fit conclure 
un traité sous ses yeux, à Hanovre, entre le ministre Stanhope et 
l'abbé Dubois. Ce fut alors qu'il fit expédier les pleins pouvoirs 
à Walpole et au général Cadogan pour le signer à La Haye. Mais 
Walpole refusa d'en user, et dans une lettre au ministre Siauhope 

1. 



40 MISSIONS DIPLOMATIQUES 

cours deTafiFaire, Tait empêché de le signer, il 
n'en est pas moins certain que c'est à son crédit 
et à ses liaisons avec les ministres et les princi- 
paux membres des États qu'est due en grande 
partie son heureuse conclusion. 

(( Le général Gadogan était assurément un of- 
ficier de grand mérite, mais c'était un militaire 
beaucoup plus qu'un diplomate : il avait pour 
maxime que la plume et l'épée doivent se ma- 
nier avec une égale vigueur. Quoique d'un ca- 
ractère emporté et impatient de toute contra- 
diction, il n'hésitait pas, pour écarter une diffi- 
culté du moment, à se montrer fort prodigue de 
promesses qui ne devaient jamais se réaliser. Les 
affaires s'embrouillaient d'autant plus, et le vieil 
Heinsius proclamait hautement Gadogan un ex- 
cellent général d'armée, ce qui signifiait en d'au- 



il demanda instamment son rappel à Londres : son honneur et sa 
conscience ne lui permettant pas de signoer un traité qui avait été 
conclu malgré les engagements les plus sacrés qu'il avait pris^ 
au nom du roi, yis-À-vis des États de Hollande. Il obtint à grand' 
peine Tautorisation de retourner en Angleterre, en laissant la si- 
gnature au général Gadogan. (Goxe, Memoirs oflord Walpole, 
1. 1, p. 24.) 



DE HORACE VVALPOLE. il 

très termes que Cadogan était un très-faible di- 
plomate, en ajoutant que sans Tintervention de 
H. Walpoie le traité n'aurait jamais pu arriver 
à bonne fin. Ce dernier, en revenante Londres, 
fut reçu dans le cabinet du roi, qui lui dit fort 
gracieusement en français : « Vous avez beau^ 
coup (Tamis en Hollande et vous m'avez rendu 
bien des services. » 

«( Pendant le voyage de Hanovre en 1716, la 
basse malignité de lord Sunderland et de lord 
Stanhope *, d'accord avec Bernstorfif et Robe- 
thon, les ministres hanovriens, et appuyée par 
rinfluence de madame de Kendal* sur l'esprit du 
roi, représenta sous les plus fausses et les plus 

i. Ils faisaient partie du ministère avec lord Towoshend et 
BÎr Robert Waipole, et ils avaient accompagné le roi George 
dans son voyage sur le continent. 

2« Mademoiselle de Schulembourg, maîtresse de George 1«' 
lorsqu'il était électeur de Hanovre. Elle le suivit eu Angleterre, 
où il la nomma duchesse de Kendal : il passa même pour lavoir 
épousée après son divorce avec Sophie-Dorothée de Zell, compro- 
mise dans une intrigue d'amour avec le comte de Kœuigsmarck. 
La duchesse de Kendal/ qui u avait jamais été jolie, devint fort 
laide en avançant en âge; les mémoires du temps la représentent 
comme une femme sans esprit, mais avide d'argent et d'honneurs. 
Elle n en conserva pas moins un grand empire sur le roi George 
jusqu à la mort de ce prince. 



12 DISGRACE DES BEAUX-FRÈRES 

odieuses couleurs les sages mesures prises par 
le prince de Galles pendant sa régence en An- 
gleterre, ainsi que les prudents avis de ses con- 
seillers *. Ces manœuvres firent une telle im- 



1. La lettre suivante^ écrite de Hanovre^ en français^ par le 
roi à son fils pendant sa régence^ prouve à quel point ces intri- 
gues avaient réussi sur l'esprit déjà trop prévenu de George !•'• 
Nous la trouvons dans le Journal de lady Cowper. 

« La première lettre que je reçois de votre part, mon fils, est 
sur des siyets aussi peu dignes de vous que de moy. A l'égard 
du duc d'Argyle, j'ai eu de bonnes raisons pour faire ce que j*ay 
fait sur son siyet; mais je ne sçay ce qui vous est moins désavan- 
tageux, d'avoir été induit par luy ou d'autres à faire le pas que 
vous venez de faire, ou bien de l'avoir fait par votre propre mou- 
vement. Vous aurez de la peine à redresser cette démarche dans 
le public. Quand on en fait de pareilles, l'on n'est pas en droit 
d'accuser mes ministres de me faire des rapports désavantageux, 
et c'est le monde renversé quand le fils veut prescrire au père quel 
pouvoir il doit luy donner; ce n'est pas non plus un motif de 
mettre le destin de mes ministres et autres serviteurs à la merci 
de votre modération. Il ne paroU pas aussi, à la conduite que vous 
avez tenue pendant les séances du parlement, que vous avez si 
peu de friandise, comme vous le dites, pour le gouvernement, 
vous mêlant de choses qui ne vous regardoient pas et ne vous em- 
péchoient pas de pouvoir être tranquille. Je voudrois sçavoir quel 
droit vous aviez de faire des messages à la chambre contre mon 
intention. Est-ce à vous de faire des clauses aux dons que je fais 
au public? Vous dites à cette occasion que vous avez voulu soute- 
nir l'autorité royale, mais qui vous en a donné le soin? Vous con- 
viendrez que quand on n'est pas responsable ni chargé d'une 
chose, on ne doit pas s'en mêler. Il s'agit présentement du duc 
d'Argyle, lequel, malgré ce que j'ay été obligé de faire a son 



MINISTRES. i3 

pression sur Sa Majesté que lord Townshend fut 
renvoyé de sa place de secrétaire d*État, avant 
le retour du roi à Londres, et qu'aussitôt après 
il perdît tous ses autres emplois. Sir Robert 
Walpole, outré des mauvais traitements qu'avait 
subis le prince de Galles, en récompense de son 
administratioD aussi sage que fidèle pendant sa 
régence, renonça à la charge de chancelier de 
l'échiquier. Le grand maréchal de Hanovre vint 
alors trouver H. Walpole et lui fit savoir de la 
part du roi qu'étant satisfait de ses services, il 
entendait continuer à les employer, bien que 
ses parents ne fussent plus au pouvoir; mais 
l'injuste disgr&ce du prince et de ses frères l'avait 

si^et^ TOUS vouiez soutenir et garder à TOtre service, en moatnnt 
par là à tout le monde que vous vous opposez à mes sentiments. 
En même temps vous assujettissez à votre caprice le retardement 
du voyage que j'ay le dessein de faire. Je demande que vous met- 
tiez fin à tout cela et que vous satisfassiez aux propositions que 
M. de Bemstorff vous a faites de ma part. Vous empêcherez de 
cette manière les démarches que je seray, indispensablement et 
contre ma volonté, dans la nécessité de faire pour soutenir mon 
autorité. Voilà ce que j*ay à vous dire en réponse à votre lettre. Je 
souhaite que vous en profitiez et que vous vous mettiez en état de 

mériter mon amitié. 

« George R. » 

{Diary of lady Cowper, p. 192, Appendix D.) 



14 TRAITÉ DE LA QUADRUPLE ALLIANCE. 

si péniblement affecté qu'il décUna poliment les 
offres gracieuses qui lui étaient faites de la part 
de Sa Majesté. 

«En 1718,'la famille de Walpole n'était plus 
aux affaires, lorsque la quadruple alliance fut 
conclue à Londres entre la France, l'Angleterre, 
l'Empire et la Hollande, dans le but de sauve- 
garder la paix générale, en réglant d'une ma- 
nière positive et avec les garanties nécessaires 
le partage de la monarchie espagnole entre les 
maisons d'Autriche et de Bourbon. Ce traité 
renfermait une clause qui mettait l'Empereur 
en possession immédiate de la Sicile prise sur 
le roi de Sardaigne, en assurant à don Carlos \ 
fils aîné de la reine d'Espagne^ la succession 
éventuelle de Parme, de Plaisance et de la 
Toscane. Ces duchés ayant été déclarés en même 
temps flefs de l'Empire, c'était Charles VI qui 
devait délivrer les lettres d'investiture éven- 
tuelle. En présence de stipulations si compli-* 
quées, H. Walpole demeura convaincu que cette 

1. Depuis roi de Naples, après l'avoir conquise sur les Impé- 
riaux, et plus tard roi d'Espagne, sous le nom de Charles III. 



TRAITÉ DE LA QUADRUPLE ALLIANCE. 15 

alliance destinée à pacifier TEurope ne manque- 
rait pas, en admettant même que l'Espagne y 
entrât, d'amener de nouveaux troubles : il pié- 
Yoyait que l'Empereur, une fois en possession de 
la Sicile, s'efforcerait, malgré les engagements 
les plus solennels, de frustrer don Carlos de sa 
succession, quand même les possesseurs actuels 
mourraient sans héritiers mâles. Il parla donc 
fortement contre le traité à la Chambre des com- 
munes, et les événements fâcheux qui survin- 
rent, ainsi que l'inexécution du traité par la 
cour impériale, ne justifièrent que trop ses pré- 
visions. 

« Les frères de H. Walpole restèrent éloignés 
des affaires jusqu'en 1720, époque à laquelle les 
désastres occasionnés par la déplorable spécula* 
tioQ des mers du Sud ^, qui avait été très-énergi- 
quement attaquée par sir Robert, causèrent un 
tel effroi à Sunderland et à Stanhope qu'ils se 



i. Entreprise financière par actions, assez semblable à celle du 
M ia ri n ipi et dont les cooséqnences ftirent presque auMl désas- 
treuses* C'était une de ces spéculations qui aytient devancé leur 
époque. 



16 TOWNSHEND ET WALPOLE 

-virent forcés d'avoir recours à Townshend et à 
Walpole pour amener une réconciliation entre 
les membres de la famille royale ; les deux beaux- 
firëres avaient fait de cet accord la condition sine 
qua non de leur rentrée dans l'administration *. 
« Cependant les pertes immenses et la misère 
presque générale causées par la vente soudaine 
des biens de la Compagnie du Sud avaient tel- 
lement aliéné les esprits, et les rendaient si indif- 



i. Une des circonstances les plus marquantes du règne de 
George I«' est l'état de guerre ouverte où il se trouvait sans 
cesse avec son fils. Je ne sais trop quelle en fut l'origine. Peut-être 
était-ce rattachement que ce dernier avait pour sa mère, Sophie- 
Dorotbée de Zell, qui TaTait porté à haïr son père : il est encore 
Cessible qu'il n'aimât sa mère que parce qu'il détestait aon père. 
Je croirais cependant que cette haine héréditaire qui existait entre 
le père et le fils dans la maison de Brunswick datait de plus loin 

que des deux premiers George Elle avait peut-être sa source 

dans la préférence bien marquée de la princesse Sophie, mère de 

George I*»", pour son petit-fils Quoi qu'il en soit, le roi confia 

au prince de Galles les fonctions de régent, lors de sa première 
visite dans ses possessions électorales ; mais ce fut pour la pte- 
mière et dernière fois. Au retour du roi, de grandes diTÎBions 
éclatèrent. Il y eut scission parmi les whigs : les uns restant atta- 
chés à celui qui portait la couronne, et les autres à celui qui Tat- 

tendàH. . 

Les beate-frères, le vicomte Townshend et sir Robert V^à^e; 
embrassèrent le parti du prmce. (Horace Walpole, Réminis- 
cences.) 



REVIEiNNENT AUX AFFAIRES. 17 

férents aux affaires du gouvernement, que ses 
ennemis y trouvèrent encore une occasion favo- 
rable pour tramer des complots et exciter de 
nouveaux troubles. Leurs principaux moteur^ 
étaient Tévêque de Rochester, Atterbury, lord 
North, lord Grey et plusieurs autres person- 
nages importants. La découverte de cette cons- 
piration motiva encore un voyage de H. Wal- 
pole à La Haye, avec ordre de demander aux 
États de nouveaux secours pour le service du 
roi d'Angleterre ; mais à son arrivée il apprit 
du grand pensionnaire Hombeck et dq MM. SKn- 
gelandt et Fagel que lord Cadogan avait travaillé 
ouvertement à faire le prince d'Orange 8tâ<^ 
thouder de Gueldre, et que même, étauit en 
belle humeur, il lui était éebappé de dire asses 
haut qu'il obligerait bien la province de Hol- 
lande à le prendre également pour stathouder. 
Cette prétention avait tellement irrité les mem- 
bres des États et surtout les magistrats d'Ann 
sterdam, que les amis de H. Walpcdelui déclarè- 
rent qu'ils ne lui répondaient plus de la réussite 
de sa négociation : que cependant si quelqu'un 



18 TOWNSHEND ET WALPOLE 

pouvait y arriver, c'était lui seul, à cause de la 
bonne opinion et de la confiance qu'il avait su 
inspirer aux États. Malgré toutes ces difficultés, 
il. Walpole sut mettre si bien à profit ses an- 
ciennes liaisons, même avec les adversaires les 
plus déclarés de l'Angleterre, qu'il parvint à ob- 
tenir en peu de temps un secours de 3,000 
hommes, qui suffisait pour le moment, et il reçut 
les félicitations des principaux magistrats pour 
un succès si inespéré. 

« En i720, le roi d'Espagne se décida à ren- 
voyer Alberoni et à entrer dans la quadruple 
alliance, et les ministres des puissances intéres- 
sées se réunirent àCtmbrai pour régler quelques 
pointe restés en litige entre l'Empire et l'Es- 
pagne, sous la médiation de l'Angleterre et de 
la France. Cependant les lettres d'investiture 
éventuelle de la succession des duchés de Tos- 
cane, Parme et Plaisance, que l'Empereur s'é- 
iaii engagé à délivrer à don Carlos, dans l'es- 
pace de deux mois à partir de la ratification du 
traité en 1718, n'étaient pas encore données 
en 1723. Ces retards affectés indiquaient claire* 



REVIENNENT AUX AFFAIRES. if 

ment que la cour de Vienne n'avait pas d'autrt 
pensée que de frustrer don Carlos de ses droits. 

« Cette même année 1723, mourut le cardinal 
Dubois, premier ministre de France, et le roi 
George, alors à Hanovre, chargea lord Town- 
shend, qui l'accompagnait, d'écrire à sir Robert 
Walpole qu'il lui serait agréable que son frère 
Horace vînt le trouver, mais en passant par 
Paris, afin de s'y informer exactement de l'état 
des aSaires à la suite de la mort du cardinal ^ » 

Cette mission, qui semblait devoir être si 
courte, n'était qu'un prétexte, car les frères mi- 
nistres étaient bien décidés à faire de H. Walpole 
l'ambassadeur d'Angleterre près du cabinet àè 
Versailles. Il nous faut, pour en avoir la preuve, 
remonter un peu plus haut et indiquer, aussi clai- 
rement que possible, quelle était alors la situation 
respective des deux gouvernements. La confor- 
mité des préoccupations avait amené un rappro» 
chement entre le duc d'Orléans, régent, et le 
roi George I", et modifié sensiblement la polî- 

i. M. Walpole's Apology. 



IN GEORGE I" ET LE RÉGENT. 

Uque de la France et de T Angleterre. Le traité 
d'Utrecht assurait au régent la succession évej[i- 
tuelle à la couronne, dans le cas où Louis XY 
viendrait à mourir sans héritier mâle, et la santé 
chancelante du jeune monarque rendait cet évé* 
nement assez probable. Mais, en dépit de sa re- 
nonciation, le roi Philippe V, appuyé en France 
par un parti considérable, n'avait pas perdu ses 
espérances en même temps que ses droits sur 
cette couronne, et tous les moyens lui semblaient 
ibons pour supplanter son rival : aussi, sous le 
coup de cette menace, le R^ent s'empressa-t-il 
d'accueillir les ouvertures de l'Angleterre, comme 
dé la seule puissance capable de l'aider à soute- 
nir ses justesprétentions. De son côté, George I", 
encore mal affermi sur son trône et harcelé sans 
relâche par les complots des Jacobites, que l'Es- 
pagne appuyait de tout son pouvoir, avait cru 
devoir rechercher l'amitié de la France, qui 
seule pouvait mettre à néant les espérances du 
Prétendant*. 

1. Jacques III, connu sous le nom du chevalier de Saint- 
George. 



GEORGE I«r ET LE RÉGENT. 21 

La question ainsi posée, il était facile de 
s'entendre : les bases d'une alliance furent jetées 
à Paris par lord Stair, et le traité fut conclu à 
Hanovre, entre le ministre Stanhope et l'abbé 
Dubois, le 21 août 1716. Les principales clauses 
étaient : du côté du Régent, l'engagement de 
renvoyer le Prétendant au delà des Alpes; du 
côté du roi George I", la garantie pour la mai- 
son d'Orléans de la succession éventuelle au 
trône de France. Cette alliance, d'une origine 
toute personnelle, inaugura une nouvelle poli- 
tique en Europe et lui donna, en définitive, une 
période de paix sans exemple jusque-là*. Le ca- 
binet anglais n'eut plus alors d'autre préoccupa- 
tion que celle de maintenir le Régent fidèle à ses 
engagements,etpouryarriver,leroiGeorgecom- 



1. Ici l'intérêt des peuples se rencontrait avec celui de M. le 
Régent; car^ supposé qu'une saine politique dût porter rEspagM 
à secouer le joug dont les Anglais écrasaient son commerce, elle 
lui prescrivait avant tout de se préparer à cette lutte périlleuse 
par plusieurs années d'une administration sage et active. La 
France n'était pas moins fortement engagée à conserver la paix, 
après une guerre si longue dont elle était sortie comme anéantie, 
quoique à son honneur. {Mémoires secrets du marquis de Lou- 
rt/fe, t. ll,p. 181.) 



22 LE CARDINAL DUBOIS. 

mença par s'assurer le concours de l'abbé Dubois, 
au moyen d'une pension considérable ^ U fallait 
aussi écarter du gouvernement le maréchal de 
Villars, le duc de Noailles, le marquis de Torcy et 
le maréchal d'IIuxelles, qui représentaient l'an- 
cien système de Louis XIV, et faire arriver gra- 
duellement l'abbé au poste de premier ministre. 
L'exécution de ce plan ne manquait pas de dif- 
ficultés, car, malgré l'ascendant que Dubois 
avait su prendre sur son illustre élève, ce prince 
montrait une vive répugnance à lui laisser jouer 
un rôle important. Les dépêches de lord Stair 
s'accordent à représenter le Régent hésitant, 
Dubois désespérant presque de réussir et ne 
réussissant enfin que par l'influence presque ex- 
clusive du cabinet britannique, qui agissait sur 
le duc d'Orléans au nom de ses intérêts particu- 
liers. La nomination de Dubois à la direction des 
affaires étrangères était si essentielle à la poli- 
tique des ministres anglais, que lord Stair, lors- 



1. Cette pension est portée par Saint-Simon au chiffre de 
40^000 liyres sterling; mais c'était^ surtout alors^ une somme si 
énorme qu'il a sans doute été mal informé. 



ht CARDINAL DUBOIS. ÎS 

qu'il l'eut obtenue, déclara qu'ils tenaient enfin 
le gage le plus assuré du succès de leurs des- 
seins, c'est-à-dire l'élévation de celui qui en 
était le principal instrument ^ 

A peine installé dans son nouveau poste, 
Tabbé Dubois eut l'adresse de se réserver les 
transactions les plus secrètes, et les affaires im- 
portantes ne passèrent plus que par ses miûns. 
Les conseils de régence furent supprimés; on 
ne laissa à ceux qui en faisaient partie que 
leurs appointements', et le cabinet britannique 
n'eut plus alors à désirer que le renvoi de M. de 
Torcy, secrétaire d'État^ l'ennemi invétéré de 
l'Angleterre, qui avait tout lieu de redouter son 
influence et ses talents. Cet habile ministre 
était d'autant plus suspect au roi George et aux 
Whîgs que, sous le règne précédent, il avait dé- 
claré nettement à lord Bolingbroke ce qu'il 
pensait de la renonciation de Philippe, duc 
d'Anjou, à la couronne de France : « La renon- 
ciation qu'on demande, lui avait-il dit, serait 

i. Hardwù^'s state paper», vol. H. 
2. Ils étaient de douze mille livres. 




24 LE CARDINAL DUBOIS. 

annulée par les lois fondamentales de la France, 
d'après lesquelles le prince le plus rapproché de 
la couronne en hérite forcément. Cette loi est 
regardée comme l'œuvre de Celui qui a fondé 
toutes les monarchies, et nous croyons en France 
que c'est Dieu seul qui pourrait l'abolir. Aucune 
renonciation ne peut donc la changer^ et si, 
dans l'intérêt de la paix et par obéissance pour 
son grand-père, le roi d'Espagne croit devoir re- 
noncer à ses droits, ce serait se tromper étrange- 
ment que d'accepter un pareil expédient comme 
un moyen sérieux de conjurer le mal que nous 
voulons éviter *. » L'intérêt de l'Angleterre s'unit 
à la jalousie de Dubois, qui craignait d'être 
supplanté par Torcy dans la direction des af- 
faires étrangères, et lord Stair manœuvra si 
bien, qu'il obtint son renvoi. Tel était alors 
l'ascendant de l'Angleterre sur le cabinet de 

1. Report of the secret committee, p. 13. Cette déclaration, 
dit un judicieux écrivain, fournit un exemple frappant de la fai- 
blesse ou de la mauvaise foi d'un gouvernement comme le nôtre, 
qui bâtissait ainsi sur le sable la paix de l'Europe, en acceptant 
une transaction dont la France elle-même avait la franchise 
d'avouer la nullité complète. {Etough's Letter to two great men, 
p. 20.) 



iORD CARTERET. Î5 

VersailleS| que Dubois employa plus d*une fois 
dans l'intérêt de son ambition personnelle le 
crédit de l'ambassadeur près du Bégent, et qu'il 
eut même recours à l'intervention du roi 
George, qui voulut bien s'y prêter. 

Lord Stair, avec son caractère cassant, s'étant 
attiré l'inimitié de Law, contrôleur général des 
finances ', fut rappelé en Angleterre et remplacé 
à Paris par sir Richard Sutton ; mais Sunder- 
land et Stanhope ayant quitté le ministère, pour 
mourir bientôt après, lord Garteret, secrétaire 
d'État pour les affaires étrangères dans le nou- 
veau cabinet avec lord Townshend et sir Robert 
Walpole, se hâta d'envoyer à Paris un homme 
qui fût tout à sa dévotion. Il devait porter à Du- 
bois, de la part du roi, l'assurance positive que 
les changements survenus dans le ministère 
ne modifieraient en rien l'attitude du gouver- 
nement britannique^ et qu'il était déterminé 
à persévérer dans l'étroite union si avantageuse 



1. Milord Stair ne peut s'empêcher de témoigner sa haiuA 
contre Law : il gagne cependant là-dedans trois bons millions. 
Duchesse d'Orléans, Correspondance, t. lî, p. 216.) 



26 SIR LUKE SCHAUB. 

aux deux nations. Lord Carteret fit choix de sir 
Luke Scbaub, originaire de B&le, ancien secré- 
taire particulier de lord Stanhope, et qui avait 
passé un an à Madrid en qualité d'agent anglais. 
Dubois, dont le pouvoir sur le Régent dépendait 
de Tamitié de TAngleterre, reçut Schaub à bras 
ouverts, comme un messager de bonnes nou- 
velles *. 

La catastrophe du Mississipi et l'exil de Law 
ajoutèrent encore à la prépondérance de Du- 



i. Schaub^ ce Saisse dont ce prince (George l^f) s'était si 
longtemps servi à Vienne, ce drôle si intrigant, si rusé, si délié, 
si anglais, si autrichien, si ennemi de la France, si confident 
du miaistère de Londres, qne nous avons si souyent rencontré 
dans ce qui a été donné ici, d'après M. de Torcy, sur les affaires 
étrangères, ce Schaub était ici chargé du vrai secret entre le mi- 
nistère anglais et le cardinal Dubois, sur lequel il avait su usur- 
per tout pouvoir. Aussi était-il fort cultivé dans notre cour. (Saint- 
Simon, Mémoires, t. XXXVIII, p. 155.) 

La duchesse d'Orléans, qui montre toujours une grande faiblesse 
pour tout ce qui touche à TAllemagne de près ou de loin, se montre 
beaucoup plus favorable à ce diplomate. Elle dit, dans une lettre 
à la date du 29 mars 1721 : « Le chevalier Schaub est arrivé ici 
il y a huit jours. Ce n'est point un Anglais, mais bien un bon 
Suisse de Bàle; il est habitué aux grandes affaires, il a beaucoup 
de capacité, et c'est d'ailleurs un homme fort estimable. Je lui 
parle totgours en allemand, langue dans laquelle il s'exprime vo- 
lontiers, n 



MORT DE DUBOIS. 27 

bois, et il n'eut plus de rival dans les bonnes 
gr&ces du Régent. Étant devenu archevêque de 
Cambrai et cardinal, l'influence de TAngle- 
terre, personnifiée dans son ami Schaub, le fît 
premier ministre, mais il ne jouit pas longtemps 
de son triomphe et mourut le 10 août 1723, 
dans la soixante-septième année de son &ge. 
Les vices et le cynisme de cet homme étraoge 
ont fait oublier ses talents : c'était un habile 
diplomate et un fin politique, mais sa santé avait 
souffert de ses désordres, et dans la dernière 
année de sa vie, le poids écrasant des afTaires et 
la maladie ne lui permirent pas de remplir sa 
charge avec sa facilité ordinaire. Tout se trouva 
donc en grand désordre à sa mort, et l'on ne 
manqua pas de l'accuser de négligence et d'in- 
capacité ^ 

Le duc d'Orléans reprit alors les rênes du 
gouvernement en qualité de premier ministre, 
et comme son intérêt personnel se trouvait 
d'accord avec les desseins du cabinet britan- 

!. Coxe, Memoirs oflord Walpole, 



28 LE ROI PART POUR L HANOVRE. 

nique, Tunioa entre les deux pays ne fut nulle- 
ment troublée, et M. de Morville fut chargé des 
afTaires étrangères, à l'expresse recommandation 
du ministère anglais. Ce ministère subissait d'ail- 
leurs une crise assez périlleuse : lord Townshend 
était secrétaire d'État, chargé des affaires étran- 
gères pour le nord, et lord Carteret * secrétaire 
d'État pour celles du midi. Ami de Sunderland 
et de Stanhope, il avait hérité de leurs idées et de 
leur crédit, et il excitait au plus haut degré la ja- 
lousie ambitieuse des deux beaux-frères. H en 
résulta une lutte violente dont l'enjeu était la 
suprématie dans le cabinet^ et elle restait en- 
core indécise lorsque le roi partit pour le Hanovre, 
en juillet 1723. Les deux secrétaires d'État l'ac- 

1. John, lord Carteret, fils de George lord Carteret et de Grâce, 
fille du comte de Bath. Né en 1690, il aTait perdu son père à 
l'âge de cinq ans. Après avoir reçu la plus brillante éducation, il se 
montra le zélé partisan de la succession protestante, et il fut nommé 
grand chambellan par George I^^". Attaché à la fortune de lord 
Sunderland, il fut ambassadeur en Suède, puis secrétaire d'Etat 
dans le second ministère dont faisaient partie Townshend et Wal- 
pole. Il devint ensuite lord lieutenant d'Irlande, et après la chute 
définitive de Walpole il le remplaça avec le titre de comte de 
Granville. C'était un homme d'une instruction profonde et de ta- 
lents incontestables. 



LES MAITRESSES DU ROI GEORGE. 29 

compagnèrent, et Robert Walpole remplit leurs 
fonctions pendant la durée du voyage. Le con- 
seil de Hanovre était également partage entre 
deux influences, celle de la duchesse de Kendal 
et celle de la comtesse de Darlington ', les deux 
maîtresses du roi. Lord Townshend s'assura 
l'appui de la duchesse de Kendal, tandis que 
lord Carteret s'attachait à la comtesse de Dtr- 
lington, avec Bernstorff, Botbmar et les princi* 
paux conseillers hanoviîens. 

Supérieur à son collègue en instruction et en 
habileté, Carteret avait su so concilier égale- 
ment la faveur du rot par sa connaissance de la 
langue allemande et en flattant ses préjugés 
germaniques. La direction des affaires du midi 

1 . Madame de Killmansegge^ fille de la comtessâde Platen. Elle 
avait^ comme la duchesse de Kendal, accompagné George !«' en 
Angleterre, où il la fit comtesse de Darlington. On peut facile- 
ment s'imaginer la haine réciproque de ces deux femmes et les 
intrigues qu'elles devaient fomenter à la cour. La comtesse de 
Darlington n'avait jamais été belle, pas plus que sa rivale, mais 
elle avait plus d'esprit qu'elle, avec autant d'avidité : la duchesse 
de Kendal sut néanmoins conserver un crédit supérieur au sien. 
Comme cette dernière était arrivée à un embonpoint énorme, 
tandis que son ennemie maigrissait à vue d'œil, on avait surnommé 
les deux maltresses du roi : l'Eléphant et la Perche. 



r 



30 LES MAITRESSES DU ROI GEORGE. 

mettait entre ses mains la correspondance avec 
lu cour de Versailles, et son attachement au 
système de Sunderland et de Stanhope lui avait 
valu toute la conlSance de Dubois* A Versailles, 
sir Luke Schaub^ sa créature, ne se lassait pas 
de le représenter comme le seul ministre in- 
fluent et en même temps comme celui qui sou- 
haitait le plus sincèrement une union intime 
entre les deux royaumes. Pour gagner encore 
plus complètement le cœur du roi, Carteret, 
d'après le conseil de Schaub, résolut de marier 
Amélie, comtesse de Platen, nièce de la com- 
tesse de Darlington et fille naturelle de George, 
avec le comte de Saint-Florentin, en s'autori- 
sant de cette alliance pour faire obtenir un 
duché au marquis de la Vrillière. George I", 
satisfait de cet arrangement, consentit à doter 
la future et permît à Schaub d'user de son 
nom pour demander à Dubois l'érection du 
nouveau duché, pourvu que cette affaire pût 
réussir sans trop de difficultés et sans cho- 
quer la susceptibilité de la noblesse française. 
Schaub trouva le cardinal tout disposé à le sou« 



LES MAITRESSES DU RtTMORGE. Si 

tenir, et Carte ret, ne voulant pas perdre le fil 
de la négociation, accompagna le roi à Hanovre 
pour y traiter ce mariage dans le plus profond 
mystère. Cependant le secret ayant transpiré, 
Carteret en fit lui-même la confidence à lord 
Townshend, qui la communiqua aussitôt à la 
duchesse de Kendal, fort jalouse de la famille 
de Platen. 

La mort de Dubois vint déjouer toutes les 
combinaisons de Carteret, et les beaux-frères 
ministres s'empressèrent d'en profiter pour 
saper ison crédit et établir leur prépondérance 
absolue dans le cabinet. Sir Luke Schaub avait 
assez habilement conduit les affaires de sa mis- 
sion; mais étranger, sans naissance et sans 
autre appui que la protection de Carteret, cette 
protection même l'avait rendu singulièrement 
suspect à Tow^nshend et à Walpole. Aussi, à la 
mort du cardinal, Townshend représenta-t-il au 
roi que le séjour de Schaub à Paris ne pouvait 
plus être que préjudiciable à son service, à cause 
de l'aversion que lui avait toujours montrée le 
comte de Noce, ami particulier du régent, parce 



32 MISSION BE y^ALPOLE A PARIS. 

que, exilé de la cour par Dubois, il considérait 
Tagent anglais comme le véritable auteur de sa 
disgrâce, et Noce, rentré en faveur, exercerait, 
disait-on, un grand pouvoir sur Tesprit du duc 
d'Orléans. Lord Tov^nshend commença donc 
par appuyer sur la nécessité d'envoyer à Paris 
un homme capable de constater les dispositions 
de la nouvelle administration française et le de- 
gré de crédit dont Schaub pouvait jouir auprès 
d'elle ; il recommanda ensuite Horace Walpole 
comme la seule personne vraiment en état de 
remplir une mission aussi délicate. Cependant, 
pour ménager encore lord Carteret, il conseilla 
lui-même à George de ne pas donner à son 
beau-frère un caractère diplomatique en France 
et de faire en sorte qu'il •ne parût traverser 
Paris que pour se rendre à Hanovre, auprès du 
roi. Ce prince accepta la proposition, et lord 
Townshend écrivit aqsâtôt à sir Robert Walpole 
pour lui démontrer l'importance de cette pre- 
mière victoire : « Si Horace, lui dit-il, déploie 
dans cette mission sa dextérité habituelle, il 
peut découvrir des faits qui motiveront le rap- 



MISSION DE WALPOLB A PARIS. 33 

pel de Schaub; sinon ce Scbaub lui-même, 
nous voyant assez forts pour le faire surveiller 
par un parent si proche, montrera plus de fran- 
chise et d'ouverture avec nous; il tiendra aussi 
à se faire un mérite de remettre ses affaires 
entre nos mains, puisqu 'après cette preuve écla- 
tante de faveur il devra reconnaître qu'il ne 
peut plus se passer de nous. Cette question du 
duché étant en quelque sorte l'unique point 
d'appui de nos ennemis, si elle est adroitement 
exploitée, nous pourrons bientôt leur porter le 
coup mortel * . » 

Le roi, à l'instigation de Townshend, char- 
gea lord Carteret d'expédier à H. Walpole des 
lettres de créance, destinées ostensiblement à 
faire admettre le roi de Portugal dans la qua- 
druple alliance. Carteret obéit avec une répu- 
gnance visible, et lord Townshend annonça en 
ces termes à son beau-frère ce nouveau succès : 
(( Cette marque certaine de faveur pour nous et 
de déconsidération pour nos adversaires ne 

1. Lord Townshend à sir Robert Walpole; Hanovre, 23 sep- 
tembre 1723. 



34 MISSION DE WâLPOLE â PARIS. 

peut manquer de décider le duc d'Orléans à 
bien recevoir notre frère Horace et à recher- 
cher notre amitié. L'échec qu'inflige à Schaub 
la mission de notre plus proche parent, près 
d'une cour dont les affaires se concentrent dans 
le département de Carteret, au cœur même de 
sa force et de son crédit, est une manifestation 
éclatante aux yeux de tous de notre supériorité, 
et je crois que pour le moment nous ne pouvons 

rien souhaiter de mieux Cette mortification 

a été si pénible pour lord Carteret, que je ne lui 
ai jamais vu un air aussi désespéré ^ » Quant à 
l'afiaire du duché, dont lord Townshend pré- 
voyait toutes les difficultés, H. Walpole eut pour 
instructions de ne pas s y opposer, dans la crainte 
de blesser le roi, mais en même temps de s'abs- 
tenir de figurer dans cette négociation si la pru- 
dence le lui permettait ^. 



i. Townshend à Walpole, 25 octobre 1723. 
2. Coxe, Memoirs of lord Walpole, t. I, p. 46. 



CHAPITRE II 



État de la cour de France. — Le duc d'Orléans premier ministre. 

— Influence du comte de Noce. — Son ayereion pour sir Luke 
Schaub. — Intrigues de madame de Tencin. — M. de Mor- 
Tille^ le duc de Noailles^ M. Leblanc et M. de Fréjus. — Ta- 
lents et popularité du duc d'Orléans. — Louis XV à quatorze 
ans. — Pasquinade contre les ministres. — Entrevue de Wal- 
pole et du duc d'Orléans. — Aifaire du ducbé de la Vrillière. 

— Difficultés de la position de Walpole. — Jalousie réciproque 
entre lui et Schaub. — Mort du duc d'Orléans. «- Regrets 
que cause cet événement. 



Horace Walpole arriva à Paris le 19 octobre 
1723. A peine installé, il s'empressa de recueillir 
aux meilleures sources les renseignements qui 
faisaient l'objet spécial de sa mission, et dès le 
l''' novembre, il adressait à lord Townshend 
une dépèche qui résumait ses premières infor- 
mations : nous croyons devoir la reproduire en 
entier, comme une des peintures les plus fidèles 




36 ÉTAT DE LA COUR DE FRANCE. 

de la cour de France à cette époque. On y voit déjà 
percer le dépit secret que causait à Walpole sa 
position ambiguë i^is-à-vis de sir Luke Schaub : 

« Mylord, 

« En conséquence des ordres de Sa Majesté, 
transmis à mon frère par la lettre de Votre Sei- 
gneurie du 27 septembre, je suis arrivé ici le 
19 octobre. Tout inférieurque je me reconnaisse 
à la tâche qui m'est confiée, étant complélement 
étranger à cette cour, très-faible sur la langue 
et sur les usages de la conversation française, 
aucune considération personnelle n'entrera ja- 
mais pour moi en balance avec les ordres de Sa 
Majesté. J'ai donc fait tous mes efforts pour me 
conformer aux instructions de Votre Seigneurie, 
et j'ose dire que je n'ai laissé soupçonner ni à 
sir Luke Schaub, ni à aucun autre, que j'eusse 
une commission spéciale de Sa Majesté. On croit 
que je ne suis passé par ici qu'en me rendant à 
Hanovre, de moi-même et par pure curiosité. 

« D'après les données les plus certaines que j'ai 
pu recueillir de la bouche des ministres étran- 



ÉTAT DE LA COUR DE FRANCF. 37 

gers et en général de ceux qui entendent le 
mieux les affaires de ce pays, j'ai su que le duc 
d'Orléans a toujours porté depuis son enfance la 
plus vi\e affection au comte de Noce'. Cette 
amitié si tendre n'a nullement souffert de l'obli- 
gation oh s'est vu le Régent de l'éloigner mo- 
mentanément de la cour, sous le ministère du 
cardinal Dubois : à son retour, le comte de 
Noce a retrouvé dans le cœur de Son Altesse 
toute la faveur dont il avait joui jusque-là. Il est 
du reste parfaitement convaincu que Sciiaub a 
été l'instrument du cardinal pour obtenir son 
exil, et il lui en a conservé une rancune pro- 
fonde, qu'il laisse voir, quand il le rencontre, en 
le traitant avec un souverain mépris. Noce, qui 
est un bel esprit entièrement adonné à ses plai- 
sirs, n'est pas d'humeur à s'occuper du gouver- 
nement, et je ne présume point qu'aujourd'hui 
il soit plus disposé qu'avant à se mêler des ques- 
tions qui concernent l'Angleterre. H n'en est 
pas moins certaù^ que le duc d'Orléans ne lui 

1. Le comte de Noce était le fils de M. de Fontenay, sous- 
gouTeraeur du duc d'Orléans. 

3 



^ 



38 LE DUC D^ORLËANS PREMIER MINISTRE. 

cache rien de ses affaires publiques ou privées, 
lorsque après le travail du jour Son Altesse passe 
la soirée avec lui, ce qui arrive plusieurs fois 
par semaine. 

(( Je suis heureux de pouvoir annoncer à Votre 
Seigneurie que le duc d'Orléans a peut-être plus 
à cœur que jamais de voir continuer la bonne 
intelligence eutre Sa Majesté et lui, sur le pied 
de la triple et de la quadruple alliance ; il a le 
plus vif désir d'en faire le pivot sur lequel 
devront tourner toutes les affaires de l'Europe ; 
cela tient à sa conviction que cette alliance est 
son véritable point d'appui et la garantie de sa 
succession éventuelle à la couronne pour lui et 
sa famille. Aussi tout ce que Sa Majesté pourra 
faire dans Tintérét de cette politique ne man- 
quera jamais de lui être agréable. J'ai découvert 
également que depuis longtemps le comte de 
Noce s'était fort employé pour faire réussir cet 
heureux accord, et maintenant, lorsqu'il parle 
d'affaires, il s'en déclare toujours le partisan 
zélé, parce qu'il le regarde comme indispensa- 
ble au duc d'Orléans. Il n'en continue pas moins 




INFLUENCE DE M. DE NOCE. ST' 

à rester Tennemi irréconciliable de Sctiaub, qui, 
sauf rimportance que lui donnent ses lettres de 
créance, semble avoir perdu tout son crédit per- 
sonnel près de Son Altesse, en dépit du degré 
de confiance et d'intimité qui le liait au cardi- 
nal. Je tiens du reste de très-bonne source que, 
si nécessaire que Dubois ait pu paraître au 
Régent, surtout dan la direction des affaires 
étrangères après le succès de ses négociations 
avec l'Angleterre^ sa mort n'a pas semblé une 
grande perte, môme aux yeux de ce prince. En 
effet, bien que le cardinal fût toujours par- 
venu à triompher de ses adversaires, qui étaient 
quelquefois les amis particuliers du Régent, 
son arrogance et son désordre dans l'expédi- 
tion des affaires, trop lourdes pour son état 
de santé ou pour son mérite, comme on le dit 
généralement ici, avaient fait de lui depuis 
longtemps une gène et un embarras pour Son 
Altesse. A peine avait-il rendu le dernier sou- 
pir, que le prince a dépêché courrier sur cour- 
rier pour faire revenir le comte de Noce, en lui 
citant dans ses lettres ce fameux proverbe : 




40 INFLUENCE DE M. DE NOCE. 

Morta la bestia^ morto il veneno^ et à son arrivée 
il a pleuré en Tembrassant. Il serait fort à dési- 
rer que le comte de Noce pût prendre une 
meilleure opinion de sir Luke Schaub, mais 
comme il le déteste surtout à cause de rattache- 
ment que ce dernier a toujours montré pour le 
cardinal, aussi bien dans les affaires privées que 
parmi les cabales et les piques de la cour, aux- 
quelles il prenait, dit-on, une part active, il est 
fort à craindre qu'une réconciliation entre eux 
ne soit pas chose facile. La haine de Noce pour 
le cardinal était principalement basée sur la 
question toujours si délicate de Tingratitude ; le 
comte s'était déclaré un des premiers pour l'al- 
liance anglaise, et il avait même été d'avis que 
la négociation en fût confiée à l'abbé Dubois. 
L'ambition de ce dernier avait longtemps et lar- 
gement mis à profit le crédit et la faveur de 
Noce près du Régent, et ils s'étaient liés fort 
intimement par l'entremise de madame de Ten- 
cin *, leur amie commune. 

1. Claudine -Alexandriue Guérin de Tencin, née à Grenoble 
en 1681. Elle avait d'abord pris le voile au couvent de Mont- 



INTRIGIES DE MADAME DE TENCIN. %l 

(( Cependant Tabbé, sentant grandir son im- 
portance, oublia les bons offices de Noce, et 
commença à le desservir dans ses rapports avec 
Son Altesse; le comte s'en aperçut bientôt et 
rompit avec lui, mais sa liaison avec madame 
de Tencin continua toujours, et il ne se fît 
pas faute de tenir devant elle des propos bles- 
sants pour l'abbé. Cette dame, faite pour l'in- 
trigue et arrivée à Tâge où l'intérêt passe avant 
le plaisir, n'hésita pas à trahir Noce pour Du- 
bois, et quand le premier le découvrit, il était 

Fleury, mais la vie du cloître n'était pas faite pour ce caractère 
remuant, ambitieux et passionné : elle obtint du pape un bref 
qui la releva de ses vœux et vint se fixer à Paris, où elle se jeta 
à corps perdu dans toutes les intrigues d'amour et de politique 
qui signalèrent Tépoque de la Régence. La banque de Law lenri- 
chit, ainsi que son frère, le futur cardinal de Tencin : elle devint 
la maîtresse de Dubois par ambition, ce qui lui permit de jouer 
un rôle important sous son ministère. La mort d'un autre de ses 
amants, nommé La Fresnaie, qui se tua chez elle, causa un vio- 
lent scandale et la fit mettre en prison pendant quelque temps. 
Elle eut un fils qu'elle abandonna à sa naissance et qui devint, 
dit-on, le célèbre d'Alembert : elle fut ensuite l'amie et la con- 
fidente du maréchal de Richelieu. Le salon de cette femme intri- 
gante et spirituelle était le rendez-vous des savants et des beaux 
esprits : elle appelait plaisamment cette réunion sa ménagerie. 
Madame de Tencin a laissé plusieurs écrits, dont les plus con- 
nus, outre ses lettres, sont : Le comte de Comminges et le Siège 
de Calais. Elle est morte en 1749. 



42 INTRIGUES DE MADAME Di TENCIN. 

trop tard. Le cardinal, profondément irrité, ne 
laissa plus d'autre alternative au Régent que 
l'éloignement de Noce ou sa propre retraite des 
affaires. Sir Luke Schaub, que son intimité avec 
Dubois avait rendu l'ami de madame de Ten- 
cin, travailla aussi, dit-on, très-vigoureusement 
contre Noce, et je ne crois pas que celui-ci le 
lui pardonne jamais. 

(( Pourtoucherun mot enpassant sur cette ma- 
dame de Tencin, qui est la sœur de l'abbé de ce 
nom, fort employé à Rome par la France, je ne 
cacherai pas à Votre Seigneurie qu'elle a été d'uno 
grande beauté et qu'elle est encore fort agréa- 
ble, avec beaucoup d'esprit et un véritable talent 
pour mener une cabale, talent qu'on a utilisé en 
différentes circonstances. Torcy avait employé 
ses charmes à gagner le feu lord Bolîngbroke, 
lorsqu'il était ambassadeur ici du temps de la 
feue reine; elle était parvenue à lui dérober plu- 
sieurs lettres et des dépêches importantes. A la 
mort de Louis XIV, le vieux d'Argenson, lieu- 
tenant de police, l'avait chargée de circonvenir 
le duc d'Orléans, pour lequel elle prétendait 



INTRIGUES D£ MADAME DE TENCIN. 43 

éprouver une véritable pasâion ; mais ce prince, 
si gracieux pour tout le monde et surtout poiur 
les dames, ne laissa pas d'éventer le piège qui 
lui était tendu. H la reçut fort bien, mais, en la 
congédiant, il lui fit poliment comprendre que 
cette entrevue serait la dernière. Comme je l'ai 
déjà dit à Votre Seigneurie, elle a été intime 
avec Noce, avec le cardinal et avec sir Luke 
Schaub, dont elle est toujours restée la confi- 
dente ; mais pour vous donner une preuve de la 
considération dont elle jouit à la cour, son frère 
l'abbé a été complètement oublié dans la der- 
nière promotion aux bénéfices ecclésiastiques*. 
On attribue cette déception au ressentiment de 
Noce. 

« Sir Luke Schaub semble s'apercevoir lui- 
même de l'avantage qu'il pourrait tirer d'une 
réconciliation avec l'ami du duc d'Orléans, bien 
qu'il me l'ait dépeint comme un homme sans 
conséquence, qui ne se mêlerait jamais des af- 

1« Octobre n23. « L'abbé de Tencin^ qui se démène tant à 
Rome^ n'a rien eu en cette nomination aui bénéfices ni en celle 
de 1721. » (Mathieu Marais, Journal, t. III, P* 37.) 



44 ÂVEHSION DE M. DE NOCE POUR SIR L. SCHAUB. 

faires : il m'a dit qu'à la mort du cardinal il avait 
agi près du Régent pour le faire rappeler, et qu'il 
serait bien aise que le comte de Noce pût savoir 
qu'il lui devait pour cela quelque obligation. 
Néanmoins, informations prises, il est certain 
qu'un courrier avait été expédié deux jours avant 
que Schaub ne s'en doutât * ; de plus. M, Tron- 
chin*, qui est en bons rapports avec Noce et qui 
est souvent son compagnon de plaisirs, a voulu 
lui tâter légèrement le pouls sur la possibilité 
d'un rapprochement avec Schaub, mais le comte 
n'a pas eu même la patience de l'écouter. Il y a 
quelques jours, ce même M. Tronchin lui a pro- 
posé une partie avec quelques dames, etm'ayant 
désigné pour en être, M. de Noce y a consenti, en 
ajoutant aussitôt : « Mais point de ce babillard^ 
point de Schaub ^. » J'ai profité de cette occasion 
pour lui faire mon compliment sur sa rentrée à 

1. Une heure et un quart après la mort du cardinal, le duc 
d'Orléans a envoyé un courrier à M. de Noce, qui l'a trouvé à 
Senlis. Il est revenu sur-le-champ. Le prince l'a très-bien reçu, 
a dit qu'il fallait oublier le passé et qu'il lui accorderait tout ce 
qu'il lui demanderait. (Mathieu Marais, Journal, t. III, p. 9.) 

2. Conseiller d'État de Genève. 

3. En français dans la dépêche. 



PORTRAIT DE M. DE NOCE. 43 

la cour, et je tâcherai, sans affectation, de faire 
plus ample connaissance avec lui. C'est un origi- 
nal (humourist) de beaucoup d'esprit, satirique, 
mordant, aimant la contradiction, mais sachant 
vous arrêter court par une repartie pleine de 
malice, quand vous le serrez d'un peu trop près. 
Comme il a la parole franche et hardie, avec 
beaucoup de bon sens et une teinte de vanité, je 
ne doute pas qu'il ne se fasse un mérite de ne 
pas convoiter un ministère et de ne pas exploiter 
davantage à son profit la faveur du duc d'Or- 
léans. Cela flatte son amour-propre et donne 
plus de poids à ce qu'il dit, en le posant comme 
un homme désintéressé, qui ne cherche en toute 
chose que le bien de son maître ^ 

1. Le portrait du comte de Nocé^ par Saiut-Simon^ ressemble 
dans toutes ses lignes principales à celui que nous trouvons icî^ 
et prouve que Walpole n'était pas un observateur superficiel. La 
duchesse d*Orléans^ qui n'aimait guère les amis de son fîls^ 
donne en passant à Noce un de ces coups de boutoir si fréquents 
dans sa correspondance : « Mon fils est insupportable de se pro- 
mener la nuit avec le méchant et impertinent Noce. Je hais 
Noce comme le diable. Lui et Broglie risquent tout^ parce que 
cela leur donne l'occasion de tirer beaucoup d'argent de mon 
fils Le père de Noce a été son sous -gouverneur. Dès son en- 
fance, mou fils s'est habitué à ce méchant diable et la sincère- 

3. 




46 TOUTE-PUISSANCE DU DUC D'ORLÉANS. 

« Tel est le résumé impartial des relations de 
sir Luke Schaub avec le comte de Noce : je 
crains qu'il n'ait fatigué Votre Seigneurie, mais 
je devais le soumettre à l'appréciation de Sa 
Majesté, pour qu'elle décidât jusqu'à quel point 
il peut affecter son service dans cette cour. J'ai 
fait tous mes efforts pour découvrir si le retour 
des personnes disgraciées par l'influence du car- 
dinal est susceptible de produire une modifica- 
tion dans le gouvernement, qui est aujourd'hui 
tout entier entre les mains du duc d'Orléans, 
ainsi que dans les mesures prises jusqu'à pré- 
sent pour assurer la paix de l'Europe. Je ne 
crois pas qu'il y ait aucun danger, tant que ce 
prince continuera à être premier ministre, ni 
qu'il y ait aucun motif de redouter qu'il n'ait 
envie de céder son pouvoir à un autre. D'abord, 
il n'existe parmi ceux auxquels il pourrait se 
fier aucun homme capable de remplir ce poste ; 

ment aimé. Il a de l'esprit, mais il n'y a absolument rien de 
bon chez lui. Il parle toujours contre Dieu et les hommes ; il est 
vert, noir et jaune foncé : je ne comprends pas qu'on puisse 
aimer un pareil drôle. » (Duchesse d'Orléans, Correspondance, 
t. II, p. 147 et 224.) 



TOUTE-PUISSANCE DU DUC D'ORLÉANS. 47 

ensuite son autorité est si bien établie et son 
habileté dans les affaires si incontestablement 
supérieure à celle de tous les autres hommes 
d'État, qu'elles ne laissent de chances ni aux ri- 
valités de pouvoir ni aux intrigues de parti. 

i( Torcy et ses amis ne paraissent plus avoir 
aucune influence : Morville, Maurepas, Breteuil 
et les autres ministres ne sont que des commis 
destinés à préparer l'ouvrage dans leurs dépar- 
tements respectifs, pour le soumettre ensuite à 
la décision du prince, et ils n'ont ni assez de 
crédit ni assez d'expérience pour élever d'autres 
prétentions. En outre, le duc d'Orléans a depuis 
quelque temps retranché de ses plaisirs pour se 
consacrer aux affaires^ dont il ne paraît nulle- 
ment fatigué, et il a le travail assez facile pour 
se trouver maintenant plus à Taise que quand 
il avait remis tout son pouvoir aux mains du 
cardinal. 

« Par tout ce qui précède, Votre Seigneurie 
doit être suffisamment édifiée sur l'objet prin- 
cipal des instructions contenues dans sa lettre, 
qui était de savoir au juste le degré de con- 



48 M. DE MORVILLE. 

fiance que le duc d'Orléans accorde à MM. de 
Morville et de Noce, ainsi que les sentiments de 
chacun d'eux sur le roi notre maître, sur l'al- 
liance entre les deux royaumes et sur la per- 
sonne même de sir Luke Schaub, et quels sont 
les rapports de ces différents personnages 
entre eux. Morville a la physionomie d'un hon- 
nête homme qui remplit les devoirs de sa place 
à la satisfaction de son maître, sans autre am- 
bition et sans viser au pouvoir; Noce, qui n'a 
aucune prétention aux affaires, jouit au plus 
haut degré de la confiance et de l'affection du 
duc d'Orléans. Morville est cordialement par- 
tisan de l'alliance anglaise ; Noce avant son exil 
partageait les mêmes sentiments à sa manière, 
et j'ai lieu d'espérer qu'il persévère encore dans 
cette voie. Ces deux hommes n'ont l'un pour 
l'autre ni amitié particulière ni aversion. La 
différence de leur position et de leur manière 
de vivre n'admet guère l'un ou l'autre de ces 
sentiments. Quant à sir Luke Scfiaub, M. de 
Morville est, dit-on, assez poli pour lui dans les 
devoirs de sa charge, mais il ne s'en soucie pas 



LE DUC DE NOAILLES. 49 

davantage : pour ce qui est des rapports de 
Schaub avec le comte de Noce, Votre Sei- 
gneurie sait parfaitement à quoi s'en tenir. 

(( Le duc de Noaiiles ^ est considéré par sir Luke 
Schaub et par d'autres comme l'homme le plus 
dangereux et le plus capable d'amener un chan- 
gement dans la politique actuelle; il est pas- 
sionné pour l'intrigue, mais, quoiqu'il s'agite 
avec excès, ce n'est nullement un homme propre 
aux affaires. Je crois être certain d'ailleurs que 
le duc d'Orléans ne se fiera jamais beaucoup 
à lui ; il redoute fort peu ses manœuvres, qui 
consistent à se rendre personnellement agréable 
au roi en dehors de Son Altesse ; c'est le rôle 
qu'il jouait déjà, dit-on, avant sa disgr&ce. Sa 

1. Adrien-Maurice, duc de Noaiiles, maréchal de France. Après 
s'être distingué en Catalogne pendant la guerre de la succession 
d'Espagne, il devint, sous la Régence, président du conseil des 
finances. Ennemi de Law et de son système, il prit quelques 
mesures utiles pour prévenir les désastres financiers qui eu fureut 
la suite. Exilé depuis par le cardinal, il ne reprit du service 
qu*eu 1733 : il assista au siège de Philisbourg, où fut tué le 
maréchal de Berwick, et il fût battu à Dettingen par George 11 
eu 1743. Deux ans après, il fut ambassadeur en Espagne, et, 
après avoir fait partie du ministère, il mourut à Paris à Tàge de 
88 ans. 



50 M. DE CANILLAC ET M. LEBLANC. 

Majesté est si complètement entourée à toute 
heure par les amis du duc d'Orléans, que toute 
tentative de ce genre ne peut manquer d'avor- 
ter et de tourner même contre son auteur. 

« Canillac ^, bien que son Altesse royale le re- 
garde comme un de ses amis les plus sûrs, a été 
reconnu, pendant la régence , incapable d'entrer 
dans les affaires, et il n'est pas assez important 
pour compter en bien ou en mal. 

a M. Leblanc ^ avait fait d'énergiques efforts 

1. Le marquis de Canillac avait été l'un des roués du Régent. 
« C'était, dit Saint-Simon, on grand homme bien fait, maigre, 
châtain, d'une physionomie assez agréable, qui promettait beau- 
coup d'esprit, et qui n'était pas trompeuse. L'esprit était orné; 
le débit éloquent, naturel, choisi, facile. Paresseux, Yoluptueux 
en tous genres; méchant et un des plus malhonnêtes honmies 
du monde, et grand frondeur. » 

2. M. Leblanc, d'abord maître des requêtes, avait été nommé 
secrétaire d'Etat sous la Régence, aussitôt après la suppression 
des conseils; il n'était pas, assurément, sans talents et sans adresse 
pour sa conduite personneUe, et il avait de grandes connaissances 
des travaux du bureau de la guerre. Mais les détails de finances 
et d'administration miUtaires devinrent très-délicats au milieu 
des embarras qu'avaient occasionnés le système de Law et en- 
suite le visa. En 1723, M. Leblanc fut déplacé et mis à la Bas- 
tille : on lui fit même son procès. On lui substitua M. de Bre- 
teuil; mais aussitôt que M. le duc eut été exilé à Chantilly, 
M. Leblanc rentra en place. 11 mourut en 1728. (D'Argenson, 
Mémoires,) 



M. DE FRÉJUS. 51 

pour renverser le cardinal et il l'avait presque 
ébranlé; mais sa place est maintenant occupée 
par un jeune homme, à qui il suffira de se mou- 
voir dans une sphère inférieure à celle que son 
prédécesseur voulait atteindre, et je ne vois pas 
de probabilité pour qu'il revienne à la cour. 

« M. de Fréjus, précepteur du roi, passe pour 
un personnage considérable, possédant à la fois 
du crédit, de Tinstruction et des talents pour les 
grandes affaires; il a de plus des occasions con- 
tinuelles de voir le jeune monarque en tète à 
tête. Beaucoup de gens pensent qu'il partage 
les principes de l'ancien ministère et qu'en con- 
séquence il est surveillé avec soin par le duc 
d'Orléans ; mais don Luis d'Âcunha, ministre 
de Portugal en France, qui est ordinairement 
bien informé, assure au contraire que M. de 
Fréjus a été longtemps la créature et l'espion 
du Régent, et que sa retraite de la cour, à l'é- 
poque de la disgrâce du vieux Villeroy, avait 
été parfaitement concertée avec Son Altesse 
royale. Ce fait m'a été confirmé par l'ambassa- 
deur de Hollande, qui l'a découvert, il y a quel- 




52 POPULARITÉ DU DUC D'ORLÉANS. 

ques jours, dans une conversation avec M. de 
Morville. S'il en est ainsi, comme je le crois, 
dans le cas où le vieux Yilleroy reparaîtrait à la 
cour, on ne devrait y voir qu'une preuve de la 
bonté du duc d'Orléans pour adoucir ses der- 
niers jours, sans y attacher d'autre importance. 
Si même l'ancien chancelier ^, l'ami du duc de 
Noailles, était autorisé à revenir, ce ne serait là 
qu'une avance faite aux jansénistes pour vexer 
les jésuites : deux partis que le duc d'Orléans 
s'efforce de tenir en balance, sans que cela 
touche en rien à sa politique vis-à-vis de l'An- 
gleterre. 

(( Telle étant donc la situation actuelle des 
personnes et des choses à cette cour, je ne vois 
aucun motif de craindre que Tinfluence du 
parti contraire ou des impressions du dehors 
puissent forcer le duc d'Orléans à se séparer des 
intérêts du roi mon maître, dont les affaires 
passent ici pour être dans une haute prospérité; 
c'est du reste avec le plus vif plaisir que je re- 

i. Le chancelier d'Aguesseau. 



LOUIS XV A QUATORZE ANS. 53 

« 

marque le respect que tous les partis portent 
à Sa Majesté. 

« Permettez-moi d'ajouter que le duc d'Or- 
léans, par sa manière d'administrer depuis la 
mort du cardinal, gagne tous les jours en popu- 
larité : son affabilité pour tous, sa fermeté dans 
les dernières circonstances et l'art avec lequel il 
sait gouverner le peuple français, ont surpassé 
tout ce qu'on attendait de lui ; pour cette raison 
ou parce que le caractère du jeune roi^ malgré 
son charmant visage, est loin d'annoncer pour 
l'avenir un grand et bon prince, il est certain 
que, s'il arrivait un malheur, le duc d'Orléans 
rencontrerait bien peu d'obstacles entre lui et le 
trône, au moins de la part du peuple. 

(( J'ai eu l'honneur d'être présenté par sir 
Luke Schaub à M. de Morville et de dtner avec 
lui. J'ai profité des compliments que j'avais à lui 
faire de la part de mon frère, à cause de la lettre 
obligeante qu'il lui a écrite dernièrement, pour 
lui dire comme de moi-même, mais d'après vos 
instructions, combien Sa Majesté et ceux qu'elle 
emploie désirent la continuation de la bonne in- 



54 LOUIS XV À QUATORZE ANS. 

telligence avec la France. Je n'ai fait aucune 
mention du feu cardinal, sachant que c'était 
inutile à cause de la haine universelle qu'il a 
laissée après sa mort. On a même parlé de lui à 
la table de M. de Morville avec la plus complète 
indifférence. J'ai trouvé l'occasion, après le 
dtner, de m'entretenir avec M. d'Armenonville^ 
garde des sceaux, père de M. de Morville, et j'ai 
t&ché de me conformer de mon mieux aux re- 
commandations de Votre Seigneurie, pour mes 
conversations avec les ministres. Quant aux 
autres membres du cabinet, les circonstances ne 
m'ont pas encore mis en relation avec eux et je 
ne les crois pas assez importants pour que j'en 
fasse l'objet d'une démarche officielle. Sir 
Luke Schaub, à la dernière réception de Ver- 
sailles, m'a fait l'honneur de me présenter au 
duc d'Orléans : il s'est montré fort poli pour moi, 
mais je n'ai pas le projet de solliciter une au- 
dience particulière de Son Altesse royale avant 
d'avoir reçu des nouvelles de Votre Seigneurie. 
Je craindrais trop de donner de l'ombrage à sir 
Luke Schaub, à qui j'ai évité jusqu'à présent de 



LOUIS XV A QUATORZE ANS. 55 

fournir le moindre sujet de jalousie, ni le 
moindre embarras. 

(c Bien que Votre Seigneurie ne m'en ait pas 
chargé, j'ai cherché, quand l'occasion s'en est 
offerte, à savoir au juste où en sont ici les 
affaires de M. Law et si on pense à le rappeler 
à la cour : il est certain que la demande en a 
été faite au duc d'Orléans par les amis de 
M. Law; mais ce prince, tout en s'exprimant sur 
son compte en termes polis, n'a nullement encou- 
ragé cette espérance; il a même laissé entendre 
que M. Law se trouvait trop compromis pour 
que son retour ne fût pas préjudiciable aux in- 
térêts personnels de Son Altesse royale. Le 
comte Maffei m'a dit que, quand le bruit du 
retour de Law s'était répandu dans la ville, il 
avait rencontré parmi les honnêtes gens une 
telle réprobation que la cour avait cru devoir le 
démentir publiquement; maintenant que le 
comte de Noce et le duc de Noailles, les ennemis 
de Law, ont été rappelés, la porte semble à ja- 
mais fermée pour lui. 

« Cette dépêche, qui renferme tous les détails 



56 LOUIS XV A QUATORZE ANS. 

que j'ai pu recueillir dans l'espace de quinze 
jours, vous sera remise par M. Thomas, qui, 
après avoir accompagné mon neveu, est revenu 
à Paris avec moi pour ses affaires; et mainte- 
nant, d'après votre recommandation, j'attendrai 
les ordres ultérieurs de Sa Majesté. » 

Le roi George se montra extrêmement satis- 
fait de cette première communication de Horace 
Walpole, et lord Tov^^nshend se hâta de l'en 
féliciter : 

« HanoTre^ 8 décembre 1723. 

(( Ne trouvant pas de nécessité à faire venir 
au Gohre* M. Thomas, je l'ai prié d'attendre 
ici notre retour, et je m'empresse de profiter de 
cette occasion pour vous le réexpédier. Je veux 
vous donner aussitôt que possible le plaisir d'ap- 
prendre combien votre relation a été agréable 
au roi : il s'est exprimé sur votre compte de la 
manière la plus aimable et la plus affectueuse, en 

1. Maison de chasse favorite de George I«', située sur les 
bords de l'Elbe. 



LOUIS XV A QUATORZE ANS. 67 

déclarant qu'il n'avait jamais reçu un rapport plus 
satisfaisant sur les hommes et les affaires de la 
cour de France. » 

Walpole avait donc trouvé le duc d'Orléans, de 
régent devenu premier ministre, en possession 
de l'autorité la plus absolue ; Louis XY, alors 
dans sa quatorzième année, avait été déclaré 
majeur en 1722, et, après son sacre à Reims, il 
avait pris ostensiblement les rênes de l'État. 
Rien n'annonçait encore, dans ce prince faible 
et maladif, cette santé robuste qui lui permit 
d'affronter dans la suite des fatigues de toutes 
sortes; il portait la plus vive affection à son 
précepteur Fleury, qui le quittait rarement; 
mais le futur cardinal se tenait discrètement 
dans l'ombre, et le poids des affaires retombait 
en entier sur le duc d'Orléans. Les autres mem- 
bres du cabinet n'étaient que des hommes d'une 
capacité médiocre ou des jeunes gens qui, sans 
manquer de talent, n'apportaient dans l'exercice 
de leurs fonctions ni instruction ni expérience. 
La composition de ce ministère entrait d'ailleurs 
dans les vues du feu cardinal et du duc d'Or- 



58 PASQUINADE 

léans, qui ne voulaient que des commis prêts à 
contre-signer leurs actes politiques; mais ce 
prince ne s'était pas fait faute d'en plaisanter 
tout le premier. Les pasquinades étaient un jeu 
d'esprit fort en vogue à cette époque où l'on 
se raillait de tout, et le Régent s^était amusé à 
en faire circuler une ^ sur lui-même et sur son 
ministère ; W. Coxe nous l'a conservée. 

C'était chez madame d'Âverne, au milieu 
d'une nombreuse réunion de dames, de courti*- 
sans, d'hommes de lettres et d'artistes. « Mes^ 
dames et Messieurs, dit le prince, les Français 
sont foi:t malins et se plaisent à répandre les plus 
cruelles satires contre moi et contre les mi- 
nistres; ils prétendent que- le czar de Russie', 
convaincu que la France est le pays le plus sage- 
ment gouverné de tous ceux qu'il a parcourus, 
vient d'envoyer un ministre tout exprès pour 
requérir l'assistance de mes conseillers. Cet 
ambassadeur me fait les compliments les plus 
flatteurs de la part de son maître, et je lui rô- 

1. Coxe, Memoirs oflord Walpoîe, t. I, p. 64. 

2. Pierre le Grand. 



CONTRE LES MINISTRES. IW 

ponds : « La bonne opinion que Sa Majesté Cza- 
rienne veut bien avoir de mon mérite me fait le 
plus grand honneur, mais je n'en suis nullement 
digne; Louis XIY, par jalousie, m'a éloigné de 
tous ses conseils, et mes études se sont bornées 
aux belles-lettres, à la chimie, à la peinture et 
à la musique. Ma naissance, il est vrai, m'a ap-* 
pelé à la régence, mais je ne me mêle du gou* 
vernement que pour ébaucher, le soir, quand je 
suis ivre, en joyeuse compagnie, des décrets qui 
annulent toujours ceux de la nuit précédente. 
J'ai le plus vif regret de n'être point en état 
d'aider votre maître en ses vastes desseins; mais 
allez trouver le cardinal Dubois. » 

L'ambassadeur va chez Dubois et lui commu- 
nique le message du prince, a Le duc d'Orléans 
veut plaisanter sans doute, répond le cardinal, 
en vous envoyant chez moi; où croit-il que j'aie 
pu apprendre à bien gouverner? Fils d'un apo- 
thicaire de village, j'ai fait mes débuts à Paris 
en qualité de valet d'un docteur de Sorbonne ; 
ma bonne étoile a fait de moi le sous-précepteur 
du régent, qui m'a accablé d'honneurs, mais 



60 PASQUINADE 

sans y ajouter le mérite. De plus, je suis ruiné 
par la maladie, qui m'empêcherait, si j'en étais 
capable, de m'occuper des affaires de la France. 
Allez donc chez le garde des sceaux et chez les 
autres ministres. » 

« Monsieur, lui dit Armenonville*, étes-vous 
venu me consulter comme garde des sceaux, ou 
comme financier ? Je dois vous avouer sans dé- 
tour qu'en matière de finances, je connais fort 
bien les miennes, mais fort peu celles du roi ; 
comme garde des sceaux, on m'envoie les pa- 
piers à sceller, mais avec défense de les lire. Je 
ne me connais pas d'autre mérite que ma bonne 
volonté. » 

« Je serais bien heureux, s'écrie Maurepas^, 
ministre de la marine, de pouvoir rendre service 

1. Joseph-Jean-Baptisle Fleuriau d'Armenonville. 

2. Jean-Frédéric Phélippeaui, comte de Maurepas, petit-fils 
du chancelier de Pontchartrain, était un homme d'esprit, mais 
d'une extrême légèreté de caractère. Il resta aux affairy^^dans 
différents emplois jusqu'en 1749, époque à laquelle il ïut^ilé 
de la cour par l'influence de madame de Pompadour, qu'il avait 
chansonnée. Son exil dura tout le reste du règne de Louis XV; 
mais il fut rappelé à l'avènement de Louis XVI, et il remplit 
alors quelque temps le poste de premier ministre. Il est mort 
en 1781, à l'âge de 82 ans. 



CONTRE LES MINISTRES. 61 

à Sa Majesté Czarienne; aussi j'espère qu'elle 
sera assez bonne pour attendre que je sois un 
peu plus au courant des affaires. J'ai de l'intel- 
ligence, le désir d'apprendre, l'amour du roi et 
de l'État; mais je sors du collège et je n'ai ja« 
mais vu d'autre vaisseau que celui qui a remonté 
la Seine il y a deux ans, et ceux de deux pieds 
de long qui servent à amuser les enfants de 
mon âge. Je ne désespère pourtant pas de pou- 
voir me rendre utile un jour à Sa Majesté Cza- 
rienne, mais jusqu'à présent je n'ai jamais pu 
être autre chose qu'un garçon vif et malin. » 

L'ambassadeur continue sa tournée; il s'a- 
dresse à Breteuil*. « A qui en voulez-vous, 

i . !«' juillet. <r Le ministère de la guerre a été donné à M. de 
Breteuil^ maître des requêtes et intendant de Limoges : hommt 
de condition et d'infiniment d'esprit, qui faisait à outrance le 
petit-maitre étant conseiller au Parlement; mais ce grand feu 

est passé. Il est beau d*étre ministre à 38 ans La fortune de 

M. de Breteuil vient de ce qu'étant intendant de Limoges il a 
enleyé, dit-on, des registres de Briyes-la-Gaillarde l'acte de ma- 
riage du cardinal Dubois. On croit que M. de Breteuil, qui ne 
sait rien, aura peine à se soutenir dans sa place, car il succède à 
un homme qui la remplissait parfaitement bien (M. Leblanc). » 
(Barbier, Journal, 1. 1, p. 181.) M. Leblanc revint au ministère 
à la disgr&oe de M. le duc, et M. de Breteuil n'y rentra qu'en 
1740, après M. d'Angeryilliers. Il est mort d'apoplexie en 1743. 

4 



62 PASQUINADE 

Monsieur? lui dit celui-ci. Je suis, il est vrai, 
pinistre de la guerre, mais, en fait de troupes, 
je n*ai jamais vu que le régiment qui a traversé 
Limoges lorsque j'y étais intendant. » 

(( Pour moi, s'écrie Dodun^, le contrôleur gé- 
néral, j'étais conseiller au Parlement et je rap- 
portais une cause, lorsque le duc d'Orléans a 
fait de moi un contrôleur général, et je yons 
avouerai franchement que je ne sais pas un 
mot de ce que j'ai à faire. » 

L'ambassadeur passe enfin chez le comte de 
Saint-Florentin*. <c Tout ce que je puis faire 
pour vous, dit ce dernier, c'est de vous montrer 

1. Dodun^ de président aux enquêtes^ était passé dans les con- 
seils de finances^ où il avait eu plusieurs commissions. Il avait 
de la morgue et de la fatuité à l'excès^ mais de la capacité et 
autant de probité qu'une telle place en peut permettre. (Saint- 
Simon, t. XXXVII, p. 366.) 

2. Henry Phélippeaux, comte de Saint-Florentin, resta secré- 
taire d'État jusqu'en 1737, époque à laquelle il fut nommé garde 
des sceaux, en remplacement de M. de Ghauvelin. Il devint 
«hancelier de la reine, et enfin, en 1770, il obtint le duché de la 
Yrillière, qui avait été refusé à son père : ce fut ainsi que ee 
4uché fut retardé d'une génération. Son père, le marquis de la 
Vrillière, mourut en 1725. Le comte de Saint-Florentin n'avait 
que dix-huit ans lorsqu'il fut nommé secrétaire d'État^ au 
commencement de l'année 1723. 



CONTRE LES MINISTRES. 63 

la forme de nos lettres de cachet; e^est là tout 
ce que je connais jusqu'à présent. En voici une 
qui va claquemurer un malheureux prêtre à la 
Bastille; c'est là tout mon emploi. Je vous ferai 
présent de celle-ci avec le plus grand plaisir ; 
remettez-la à votre maître, qui se sert des mêmes 
moyens pour expédier ses sujets en Sibérie. » 

(( Voilà comment Fambassadeur^ courant de 
tun à P autre ministre^ sans rien pouvoir ap» 
prendre, s'en retourna à sa cour comme il 
était venu^. » 

Plus Walpole sondait attentivement le ter* 
rain sur lequel il devait agir, plus il ressentait 
les difficultés de sa nouvelle position. Schaub, 
craignant d'être supplanté par lui, dissimulait à 
peine son chagrin de voir à Paris un rival aussi 
redoutable, appuyé par une femille puissante : 
il ne cessait donc de se prévaloir de sa négocia- 
tion de confiance au sujet du duché, pour vanter 
aux ministres français l'influence de Carteret, 
tandis qu'il s'efforçait de rabaisser à leurs yeux 

1. Cette phrase a été conservée eu français dans le récit de 
Coie. 



64 ENTREVUE DE WALPOLE 

celle de Tovnshend et de Walpole, eu les ( 
nonçant comme les ennemis jurés de l'uni 
avec la France, Il fallait déjouer ces manœuvr 
et H. Walpole obtint, dans ce but, une i 
dience particulière du duc d'Orléans; il lui 
firma que le roi d'Angleterre était détermim 
prendre toutes les mesures nécessaires pc 
conserver ses bons rapports et son amitié a^ 
Son Altesse Royale, et il constata en mèi 
temps le dévouement absolu de ses frères à 
même pensée. Il lui marqua la distinct] 
réelle qui existait entre les Wbigs et les Tori 
dont les premiers étaient aussi amis de l'alliai 
française que les autres lui étaient hostiles. ( 
explications firent une profonde impression s 
le duc d'Orléans, et renversèrent en un inst£ 
tout l'échafaudage d'intrigues de sir Lu 
Schaub. Cependant ces divergences d'opinions 
une jalousie réciproque, qui s'envenimait te 
les jours davantage, leur donnaient l'attitude 
deux ministres représentant des nations rival 
plutôt que celle de deux envoyés du même gc 
vernement. Une situation si fausse aux yeux 



ET DU DUC D'ORLÉANS. 65 

la cour de France donnait lieu, daoi la corres- 
pondance de Schaub avec Carteret et dans celle 
de Walpole avec ses frères, à des récriminations 
réciproques et même à des invectives qu'il 
serait fastidieux de rapporter ici. 

Au milieu de ces complications, Walpole, 
qui ne négligeait rien , s'insinuait adroite- 
ment dans les bonnes grftces du comte de Noce, 
et ce fut par son entremise qu'il reçut du duc 
d'Orléans une marque toute particulière d'es- 
time et de confiance. Ce prince chargea Noce 
de l'inviter à venir dans son cabinet, pour avoir 
avec lui une entrevue toute confidentielle au sujet 
de la question du duché de la Yrillière ; Walpole, 
qui avait dîné chez le comte de Morville, se ren- 
dait à l'audience lorsqu'il trouva Noce, qui, 
après l'avoir introduit dans un appartement 
sombre et bas du chftteau de Versailles, se re- 
tira dès que le duc d'Orléans parut. Le prince 
ouvrit la conférence en protestant de sa ferme 
volonté de faire tous les sacrifices et de courir 
toutes les chances, pour se conformer au désir 
du roi sur la question du duché ; mais il s'é- 

4. 



66 AFFAIRE DU DUCHÉ DE LA VRILLIÉRE. 

tendit ensuite sur les obstacles gu*y appor- 
tait l'opposition de la noblesse française * : il 
représenta la famille Phélippeaux de la Vrillière 
comme ne pouvant élever aucune prétention 
fondée à un pareil honneur; il ne voyait dans 
tout cela qu'une intrigue de Schaub, qui, fort 
épris de madame de la Vrillière*, avait trompé 
Je roi d'Angleterre par de faux rapports. Il 
était résolu, poursuivit-il, à différer la re- 



1. Le biniit se répandit alors que le duc d'Orléans voulait faire 
des ducs et donner cet honneur au marquis de la Vrillière, afin 
que son fils épousât une bâtarde du roi d'Angleterre; sur cela, 
je dis au duc d'Orléans : «Vos bons serviteurs ne peuvent s'empê- 
cher de vous représenter que votre gloire est intéressée à ne pas 
laisser dire que le roi d'Angleterre, n'osant pas donner sa b&- 
tarde à un milord, dont il y a plus de deux cents, vous oblige^ 
pour la marier, à faire un duc en France. » Le régent m*avoua 
qu'on lui en avait parlé, et que je lui faisais un plaisir très-sen- 
sible de lui faire voir et sentir les conséquences qu'aurait cette 
démarche. (Villars, Mémoires, t. 3, p. 92.) 

2. Pour s'amuser ou autrement, Schaub s'avisa de tourner 
autour de madame de la Vrillière. Il la voyait encore coquette 
au dernier point, et n'ignorait pas qu'elle n'avait jamais été 
cruelle. La dame s'en aperçut bientôt; elle ne s'en offensa pas, 
et fit si bien qu'elle le rendit amoureux tout de bon, car elle était 
•ncore jolie. Alors elle le jugea un instrument propre à la servir et 
son mari, et ils lui firent confidence de leurs vues et de leur besoin 
de la protection du roi d'Angleterre. (Saint-Simon, Mémoires, 
t. XXXVIII, p. 156.) 



DIFFICULTÉS DE LA POSITION D WALPOLE. 67 

mise à Louis XV de la lettre du roi George qui 
demandait l'érection du duché, et que Scbaub 
lui avait apportée, jusqu'à ce qu'il eût reçu de 
Hanovre de plus amples informations. « Je vous 
prie instamment, ajouta-t-il, d'envoyer de suite 
un courrier à Hanovre avec une lettre pour lord 
Townshend, qui exposera à Sa Majesté l'état 
réel des choses. Je désire connaître les vrais 
sentiments du roi sur cette affaire, étant d ail- 
leurs tout prêt à me soumettre à ses désirs si 
j'ai la conviction qu'il se trouve parfaitement au 
courant de tout ce qui se passe. » En rendant 
compte à lord Townsbend de cette intéressante 
entrevue, Walpole lui exposait toutes ses per- 
plexités et la délicatesse de sa position : d'un côté, 
il craignait vivement de blesser le roi George, 
et de l'autre, il était convaincu que les obstacles 
qui s'opposaient à l'érection du duché étaient 
insurmontables. D'après lui, Scbaub avait outre- 
passé ses pouvoirs, et, par son indiscrète précipi- 
tation, compromis même l'honneur du roi. Mais 
cette dépêche n'allait précéder à Hanovre que de 
quelques instants une autre nouvelle bien plus 



68 MORT DU DUC D'ORLÉANS. 

grave, qui devait changer d'une manière inatten- 
due toute la face de la cour de France. 

Le duc d'Orléans avait eu depuis quelque 
temps plusieurs indispositions; mais, en dépit 
des avis réitérés de ses médecins, il n'avait rien 
voulu retrancher de ses plaisirs ni de ses affaires. 
Son chirurgien, frappé de l'inflammation de ses 
yeux et de Tenfiure de son visage , lui prédisait 
une attaque d'apoplexie, à moins qu'il ne con- 
sentît à se laisser soigner et purger. Le prince 
répondait en souriant que toutes ces vaines ap- 
préhensions ne l'empocheraient pas de jouir de 
la vie, et qu'après tout, une mort subite était 
encore celle qu'il préférait à toute autre. Il 
continua donc son train de vie ordinaire, sans 
se relâcher en rien de son extrême application 
au gouvernement*. 

1. D'Argenson raconte qu'il s'était entretenu avec lui assez 
longtemps la veille de sa mort : « Il me semble le voir encore, 
dit-il, arrivant de l'Etoile, maison que madame la duchesse d'Or- 
léans s'était accommodée dans le grand parc de Versailles, au 
milieu des bois. Il faisait un froid rigoureux. Il avait un gros 
surtout rouge et toussait beaucoup ; le cou court, les yeux char- 
gés, le visage bouffi. L'activité de l'esprit semblait se ressentir 
de l'embarras de ses organes corporels; il cherchait ce qu'il vou- 



MORT DU DUC D*ORL£ANS. 69 

Le 2 décembre, après un dtner copieux, il 
avait expédié un grand nombre d'affaires, jus- 
qu'à ce que, fatigué de cet effort et de Timportu- 
nité de ses nombreux visiteurs, il se retirât dans 
son cabinet pour se reposer, en attendantl 'heure 
où il devait se rendre chez le roi. Parmi les per- 
sonnes auxquelles on refusa la porte^ se trouvait 
la duchesse dePhalaris^ sa favorite du moment, 
qui venait lui présenter une requête en faveur 
de la duchesse de La Meilleraie. Le prince, 
ayant demandé quelque temps après à son 
valet de chambre les noms de ceux qui s'é- 
taient présentés pour le voir, envoya chercher 
madame de Phalaris, qui s'était retirée dans 
l'appartement de la duchesse de Rohan. a Elle 
ne me fatiguera pas, dit-il , et elle a peut-être 
une affaire importante à me communiquer. » 

lait dire. Il me donna ses ordres et je m entretins une demi-heure 
avec lui, puis il me souhaita bon voyage. Le lendemain, à pa- 
reille heure, il n'existait plus. » (D'Argenson, Mémoires,) 

1. Mademoiselle de Raucourt, femme de Gorges d*EIntrague, 
fils d'un fameux partisan, que le pape avait fait duc de Phalaris 
ou Falari. Elle avait de la beauté et de l'esprit : abandonnée par 
son mari, que ses dettes et ses friponimries forcèrent à se réfu- 
gier en Espagne, elle devint la maîtresse du Régent. 



70 MORT DU DUC D'ORLÉANS. 

En entrant dans le cabinet, elle remarqua 
qu'il était souffrant; il se mit à causer avec ell& 
de la demande de son amie, et, au moment où il 
lui promettait d'y faire droit, il tomba dans une 
sorte de léthargie, d'où il sortit bientôt en 
s'excusant de sa distraction; mais il retomba 
un moment après dans le même état, et la 
duchesse, remarquant sa respiration difficile,, 
le changement subit de sa physionomie et la 
contraction de ses yeux et de sa bouche, se pré* 
cipita hors du cabinet en appelant du secours.. 
Après avoir parcouru en vain plusieurs apparte- 
ments, elle revint sur ses pas et trouva le cabinet 
plein de monde : le prince était étendu par 
terre, la tète appuyée sur l'angle de son fau« 
teuil. Il respirait encore, mais toutes les tenta- 
tives pour le rappeler à la vie furent inutiles et il 
expira peu d'heures après, dans la cinquantième 
année de son âge. Cette mort soudaine et les in- 
certitudes sur l'administration qui allait succéder 
à celle du duc d'Orléans, causèrent à la cour et 
dans le reste du pays une consternation géné- 
rale. Le jeune roi donna en cette circonstance- 



REGRETS QUE CAUSE CET ÉVÉNEMENT. 71 

de grandes marques de sensibilité et d'affliction, 
et montra longtemps un vif regret pour la mé- 
moire de son cousin. 

H. Walpole, dans la dépèche d'où nous avons 
tiré tous ces détails, paye au duc d'Orléans un 
juste tribu d'éloges : « Ce coup aussi désastreux 
qu'imprévu paraît avoir très-sensiblement affecté 
les personnes de la plus haute qualité et les plus 
intelligentes du royaume; elles pensent que, 
dans les circonstances présentes, la perte de 
Son Altesse royale, si haut placée par sa nais- 
sance et ses talents supérieurs pour le gouver- 
nement, ne peut manquer de laisser un vide qui 
ne sera pas comblé : elle avait su, par sa capa- 
cité et son travail incessant, vaincre des diffi- 
cultés presque insurmontables et ouvrir à la na- 
tion la perspective d'une longue paix, que les 
meilleurs esprits regardent ici comme indispen- 
sable à la France. » 



CHAPITRE III 



Le duc de Bourbon nommé premier ministre. — Audience qu'il 
donne à H. Walpole. — Caractère de M. le Duc. — Parallèle 
entre lui et le duc d'Orléans. — Ànimosité du duc de Chartres 
contre M. le Duc. — Le maréchal de Villars entre au conseil. 
— Intri^es de toutes parts. — Dévotion excessive de M. de 
Fréjus. — Madame de Prie et la duchesse de Bourbon. — Le 
comte de Lassay. — L'abbé Alary et VEntresoL — Attitude 
de l'évèque de Fréjus. — Son crédit près du roi. — Walpole 
a une conférence avec lui. — Commencement de leur amitié 
réciproque. — L'ancien ministère est conservé. — Les frères 
Paris, 



« Le duc d'Orléans avait à peine rendu le der- 
nier soupir, écrit Walpole à lord Townshend, 
lorsque M. le Duc s'est présenté devant le Roi 
très-chrétien et lui a demandé la faveur de suc* 
céder à Son Altesse Royale en qualité de premier 
ministre. Le roi n'ayant pas répondu, M. le Duc 
s'est trouvé fort embarrassé ; mais il s'est décidé 



74 LE DUC DE BOURBON PREMIER MINISTRE. 

à renouveler sa prière, en sollicitant de Sa Ma- 
jesté Tautorisation de faire entrer M. de La 
Vrillière, qui attendait dans la pièce voisine les 
ordres du roi, pour expédier les lettres patentes. 
Sa Majesté a dit : Oui ; La Vrillière est en- 
tré, les lettres patentes ont été préparées et si- 
gnées, et le soir même le roi a reçu le serment 
du duc de Bourbon comme premier ministre, 
en se plaçant, selon Tufiage, sur un trône pré- 
paré à cet effet *. 

« Le duc de Chartres était à Paris^ à l'opéra, 
lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort de son 
père : il courut le soir même à Versailles fie je- 
ter aux pieds du roi. Sa Majesté le releva gra- 
cieusement; mais le prince, fondant en larmes, 
s'écria que le coup qui le frappait avait été si 
violent qu'il ne lui était pas possible de parler 
au roi : ce fut ainsi qu'il prit congé de lui. 

H Le lendemain 3 décembre, nous nous som- 
mes rendus à Versailles, M. Cravï^furd * et moi, et 

1. Louis-Henri de Bourbon, connu sous le nom de M. le Duc, 
avait 32 ans quand il succéda au duc d'Orléans. 

2. M* Crawfurd était sçerétoirç de l'ambassade et chargé d'af- 
faires» 



AUDIENCE QU'IL DONNE A WALPOLE. 75 

n'ayant trouvé chez eux ni sir Luke Schaub, ni 
M. de Morville, nous sommes allés directement 
au'chàteau dans les appartements de M. le Duc, 
qui étaient déjà encombrés d'une foule de cour- 
tisans. Nous avons été assez heureux pour y 
rencontrer M. de Morville, qui nous a fait l'hon- 
neur de nous présenter à Son Altesse, au milieu 
du cercle qui l'entourait. Je me suis empressé 
de &ire savoir à M. le Duc que j'avais expédié 
un courrier à Hanovre, pour apprendre au roi 
mon maître ce qui était arrivé et que Son Al- 
tesse s'était chargée de l'administration des af- 
faires. J*ai ajouté que j'avais pris sur moi de 
donner à Sa Majesté l'espérance que le cl^nge- 
ment survenu ne modifierait en rien la poli- 
tique suivie jusqu'à ce jour, ni la bonne entente 
entre les deux nations. Le prince m'a chargé 
fort gracieusement d'assurer Sa Majesté qu'il 
n'avait rien tant à cœur que de cultiver de plus 
en plus les boas rapports avec elle ; et sir Luke 
Schaub, qui l'a vu dans l'après-midi, m'affirme 
qu'il lui a réitéré les mômes assurances dans les 
termes les plus positife. D'après ce que M. de 



76 VILLARS ENTRE AU CONSEIL. 

Mor ville nous a dit depuis à tous deux^ j'ai 
lieu de croire que M. de Chavigny * recevra, par 
un courrier, une lettre conçue dans le même 
sens, du duc de Bourbon à Sa Majesté, avant 
même que cette dépèche ne parvienne à Votre 
Seigneurie. Je ne doute pas que le roi ne soit 
aussi impatient que le sont ici tous les ministres 
étrangers de savoir à quoi s'en tenir sur la tour- 
nure que vont prendre les affaires ; mais comme 
jusqu'à présent il faut se borner à des supposi- 
tions, je me contenterai de faire observer à 
Votre Seigneurie que l'intérêt évident de M. le 
Duc est de vivre en bonne amitié avec le roi 
notre maître : outre les assurances qui nous en 
ont été données par lui et par M. de Morville, 
ses meilleurs amis déclarent hautement que telle 
est sa résolution bien arrêtée. 

a Vendredi soir M. le Duc a conduit lui-même 
le maréchal de Villars au conseil, pour qu'il y 
siégeât désormais : on prétend que M. de Fréjus, 
le précepteur du roi, y a fait quelque opposition. 



1. Ambassadeur de Frantfé à 



i Frai^ 



L^fî^res. 



CARACTÈRE DE M. LE DUC. 77 

Le prince de Conti*, qui, malgré sa qualité de 
prince du sang, n'a pas Thonneur de faire partie 
du conseil, est exaspéré de la préférence ac- 
cordée au maréchal, et ne se fait pas faute d'é- 
clater en plaintes amères. Le duc de Chartres, 
en outre de la douleur qu'il ressent de la mort 
de son père, a été blessé jusqu'au cœur de se 
voir refuser le poste de premier ministre, qu'il 
regardait comme lui appartenant de droite car 
il a vingt et un ans et il fait déjà partie du con- 
seil. Son chagrin est tel qu'il ne peut venir à 
bout de le dissimuler. 

(( Personnellement, le duc de Bourbon passe 
pour un homme de bonne foi et fidèle à sa pa- 
role quand une fois il l'a donnée ; mais il est 
loin de posséder les talents de son prédécesseur, 
et il a été toute sa vie entouré d'intrigants et 
de personnes d'une réputation équivoque : nous 
ne pouvons donc pas avoir la certitude qu'il ne 
sera pas circonvenu et entraîné dans des combi- 



1. Louis-Armand de Bourbon^ prince de Conti^ né le 10 no- 
vembre 1695. Il avait épousé en 1713 Louise-Elisabeth de Bour- 
bon^ sœur de M. le Duc. 



78 PARALLÈLE ENTRE LUI 

naisons qui, en gênant la marche des affaires, 
donneraient l'avantage à ses ennemis. Aussi l'au- 
dience particulière qu'il nous a accordée hier 
soirà M. Crawfurd et à moi, tout en me causant 
quelque satisfaction, m'en aurait donné bien 
davantage si Son Altesse n'était pas, en sitta* 
rite, en crédit et en capacité, aussi inférieure & 
celui qu'elle remplace et à sa propre ambition^ 
En somme, je ne crois pas que nous ayons rien 
à redouter pour le moment, mais il nous faut 
surveiller avec soin quels seront le pilote, 
l'équipage et les matériaux que le nouvel amiral 
mettra en oeuvre, pour naviguer dans une saison 
et sur une mer aussi incertaines. 

c( Permettez-moi, pour vous expliquer toute 
ma pensée, de mettre en parall^e les deux 
princes qui se sont succédé. 

et Le due d'Orléans tenait de sa naissance, 
comme héritier présomptif de la couronne, une 
autorité qui non-seulement fait défaut à M. le 
Duc, mais qui lui laisse encore un rival dange- 
reux pour son pouvoir dans la personne du duc 
de Chartres, dont les droits priment certaine- 



ET LE DUC D*0RLÊAN9L 7f 

fnent les siens« Le duc d'Orléans, en vertu de 
ces droits, savait fort habilement garder les 
avenues du trône^ tenir tout le monde en res- 
pect et à distance du roi, à qui il avait su se 
rendre dans ces derniers temps plus agréable 
que personne ^ Le duc de Bourbon , je le 
crains, outre cette infériorité de droits, manque 
des talents nécessaires pour arriver à la même 
situation, et il doit s'attendre à ce que d'autres 
que lui puissent approcher de Sa Majesté et l'in- 
fluencer en certaines circonstances. Le Régent, 
par son génie et sa longue expérience des af- 
faires, avait pu triompher des cabales et des 
partis opposés à ses droits de succession, et éta* 
blir son pouvoir sur une base assez large et as- 
sez forte pour que la tranquillité de l'Europe, 
aussi bien que le repos et l'intérêt de la France, 
ne dépendissent plus que de lui. Ses anciens 



i« Le duc d*0rléaitô^ vers 1à fin de ses jeurs et depuis la ma- 
jôrilé du roi, avait pris Louis XV dans une véritable affection^ 
même aux dépens de son propre fik, le duc de Chartres. 

« Il portait le portefeuille chez le roi tous les soirs, sur les cinq 
lieures. Le roi prenait goût à ses conversations et attendait avec 
impatience l'heure de ce travail. » (D'Argenson, Mémoires,) 



80 INTRIGUES DE TOUTES PARTS. 

ennemis eux-mêmes avaient dépouillé leur 
haine pour devenir ses courtisans : cela le ren- 
dait de plus en plus populaire et c^use main- 
tenant des regrets unanimes. Le maréchal 
d'Huxelles lui-même, qui le détestait cordiale- 
ment, ne s*est pas caché de dire, depuis, qu'il 
était désolant de voir que la mort d'un pareil 
coquin pût jamais être un aussi grand dé- 
sastre. 

a Le duc de Bourbon a un intérêt visible à 
suivre la même politique que son prédécesseur, 
et il ne manque pas d'une certaine fermeté 
quand une fois il a pris son pli; mais il risque à 
tout moment de tomber dans des mains capables 
de bouleverser toute son administration. Ma- 
dame de Prie* a beaucoup d'ascendant sur lui, 



1. Agnès Berthelot de Pleneuf, fille d'un riche financier^ pre- 
mier commis du chancelier Voysin, était née en 1698. Elle avait 
épousé, très-jeune, Louis, marquis de Prie, ambassadeur à Turin. 
Après s'être ruinée dans son ambassade, elle revint à Paris dans 
l'hiver de 1719 : c'était le bon moment pour se remettre à flot, et 
elle sut en profiter sans scrupules. «Je ne crois pas, dit d'Argenson, 
qu'il ait jamais existé créature plus céleste. Une figure charmante 
et plus de grâces encore que de beauté ! un esprit vif et délié, du 
génie, de l'ambition, de l'étourderie et pourtant une grande pré- 



INTRIGUES DE TOUTES PARTS. 81 

et comme c'est une femme aussi intrigante 
qu'avide, l'argent sera le principal objet de sa 
convoitise. On présume donc que les frères 
Paris parviendront à s'emparer d'elle en em- 
ployant cet appât, et par elle à gouverner M. le 
Duc dans les questions de finances, à l'exclu- 
sion de M. Leblanc et de M. Law, vers lesquels 
Son Altesse inclinait sensiblement. 

d En raisonnant ainsi, il est assez vraisem- 
blable que d'ici à peu on verra éclater dans cette 
cour des cabales et des divisions de toutes sortes ; 
mais nous nous en consolerons, par la pensée 
que plus que jamais l'intérêt de M. le Duc et des 
autres princes sera de faire la cour à Sa Majesté 
plutôt que de se brouiller avec elle. On croit 
donc généralement ici que Son Altesse, en don- 
nant au maréchal de Yillars une marque parti- 

sence d'esprit; une extrême indifférence dans ses choix, et avec 

cela l'extérieur le plus décent du monde M. le Duc en devint 

éperdùment épris : elle ne le fit g^ère languir. Dès qu'il devint 
premier ministre, la de Prie et Paris du Vernoy le tinrent en tu- 
telle. » La duchesse d'Orléans écrit le 14 juin 1720 : « M. le Duc 
avait parlé contre Law : quatre millions l'ont amené à se déclarer 
en sa faveur ; il y a eu trois millions pour lui et un pour madame 
de Prie. » (Duchesse d'Orléans, Correspondance, t. U, p. 242.) 



82 DËVOTlOrf EXCESSIVE 

culiëre d'amitié, n'a pas eu d'autre motif que de 
se fortifier lui-même à rintériear, sans s'oceu» 
per aucunement de la politique étrangère. » 

Au milieu de tous ces mourements, Walpole 
ne manqua pas de s'assurer de la situation réelle 
de M. de Morville, sur les opinions duquel il sa-^ 
yait pouvoir compter : il lui importait de con- 
naître au juste le degré d'influ-ence qu'il pourrait 
avoir sur M. le Duc en matière de politique exté- 
rieure, afin de se concerter avec lui sur toutes 
les questions qui pourraient survenir. D re- 
connut avec plaisir que les rapports de ce mi- 
nistre avec le prince ne laissaient rien à désirer : 
il ne lui resla donc plus qu'à étudier le caractère 
et les dispositions de M. de Fréjus, qui, toujours 
discret et réservé, n'en gagnait pas moins chaque 
jour du terrain auprès du jeune monarque. Wal- 
pole n'ignorait pas que Fleury avait en quelque 
sorte recommandé M. k Duc au roi et que cette 
démarche devait lui assurer une importance 
considérable dans la nouvelle administration* 
Ici cependant nous sommes forcés de convenir 
que la sagacité ordinaire de Walpole se trouva en 



DE M DE FRËJVS. «S 

défaut dans le premier moment, lorsqu'il s'agit 
de pénétrer ce caractère à la fois souple, insi- 
nuant et ferme, qui cachait sous le tmle du 
mysticisme religieux la persévérance de ses am- 
bitieux desseins. « On dit, écrit-il à son frère, 
que le précepteur, M. de Fréjus, est sous main 
l'allié du maréchal de Villars : ces deux hommes, 
qui ont été les complaisants et les serviteurs du 
duc d'Orléans, pourraient fort bien maintenant 
vouloir agir d'après leurs propres idées et leurs 
vrais principes ; il serait alors aussi nécessaire 
à M. le Duc de leur faire la cour qu'à eux de 
chercher à lui plaire. 

« Fréjus n'est pas très-fort, dit-on, sur la po- 
litique étrangère , mais il est d'une bigoterie 
tellement exagérée que les Français eux-inômes 
le trouvent trop papiste. On m'en a cité un 
exemple aujourd'hui même, qui prouve que ce 
n'est pas un grand ami de l'Angleterre. La 
veille au soir du jour où je devais présenter mes 
lettres de créance à Sa Majesté, Tabbé Âlary ' 

1. Pierre-Joseph Alapy, sous-précepteur du roi et membre de 
PAcadémie française^ était né à Paris en 1689, et il t est mort 



84 L'ABBÉ ALARY ET WENTRESOL. 

nous rencontra dans le monde, M. Crawfurd et 
moi; le lendemain matin, en faisant son service 
ordinaire près du roi , l'abbé lui parla de l'au- 
dience que je devais avoir le jour même, et dit 
beaucoup de bien de nous, ce qui parut plaire 
au roi. Cette impression favorable n'échappa 
point à M. de Fréjus, qui s'avança et dit : n N'ou- 
bliez pas. Sire, que ce sont des ennemis de 
notre sainte religion. )> 

(( Les goûts et les idées du maréchal deVillars 
sont connus de tout le monde : la guerre et la 

le 15 décembre 1770. Il avait établi chez lui^ dans un entresol 
de la place Vendôme^ une conférence politique et littéraire à la- 
quelle prenaient part les hommes les plus considérables d'alors^ 
dont d'Argenson nous donne la liste dans ses Mémoires. Cette con- 
férence, qui obtint promptement une très-grande vogue, était 
connue sous le nom de V Entresol, à cause du lieu où elle se réu- 
nissait. On n'y était point admis sans difficulté, et il fallait ob- 
tenir les suffrages des membres de l'assemblée : « Ce fut à la 
fois, dit M. Sainte-Beuve, un essai de club à l'anglaise et un ber- 
ceau d'académie des sciences morales et politiques. » Y,* Entresol 
avait pris assez d'importance pour que Walpole désirât y être 
admis dans une circonstance grave : « Quand M. le Duc fut chassé 
du ministère, dit d'Argenson, et que la face de la cour changea 
si fort, Horace Walpole, alors ambassadeur d'Angleterre, de- 
manda à être entendu à PEntresol : on le lui accorda ; il s'assit 
et harangua plus de deux heures, pour persuader de la nécessité 
qu'il y avait que le nouveau ministère continuât dans les mêmes 
liaisons avec sa nation. » (D'Argenson, Mémoires, 1. 1, p. 96.) 



ANIMOSITÉ DU DUC DE CHARTRES. 85 

gloire sont tout ce qu'il aime : il a surtout à 
cœur de venger l'honneur de la France. Si la 
bigoterie et l'amour de la gloire prévalent dans 
les conseils, l'ancien système ressuscitera bien- 
tôt; mais j'espère et je crois même que ce ne 
sont encore laque des dangers lointains : il fau- 
drait pour cela que Torcy fût rappelé, et il ne se 
contenterait certainement pas du rlAe secon- 
daire d'un commis. En tout cas, s'il y avait 
lieu de soupçonner son retour, peut-être Sa Ma- 
jesté croirait-elle de son devoir d'en détourner 
le duc de Bourbon, en l'informant du mauvais 
effet qui en résulterait à ses yeux et à ceux de 
ses meilleurs sujets. » 

Ce qui donnait le plus d'inquiétudes à Wal- 
pole, c'était Tanimosité toujours croissante du 
nouveau duc d'Orléans contre le premier mi- 
nistre : animosité que sa mère^ attisait, préten- 
dait-on, avec une persistance inexorable. En 
vain les amis du prince lui représentaient* 
ils que si ces divisions fatales s'envenimaient 

1. Louise-Françoise de Bourbon^ duchesse d'Orlëaoa^ fille légi- 
timée de Louis XIY et de madame de Montespan. 



86 ANIMOSITÉ DU DUC DE CHARTRES. 

encore avec le temps, elles pourraient devenir 
funestes au gouvernement du jeune monarque, 
qui avait usé de son droit légitime en choisissant 
M. le Duc pour premier ministre : rien ne pou- 
vait apaiser ce cœur profondément ulcéré. 
Walpole envisageait avec effroi le moment où^ 
peut-fttre, le duc d'Orléans, oubliant ses véri^ 
tables intérêts quant à 3a succession éventuelle 
à la couronne, se jetterait dans les bras de l'Es- 
pagne pour y trouver un appui immédiat. S'il 
en était ainsi, TEmpereur, ayant devant lui la 
perspective de ces discordes civiles en France,, 
ne manquerait pas d'en tirer avantage pour 
prendre des mesures capables de compromettre 
la paix de TEurope, L'envoyé d'Angleterre se 
flattait encore que ces sujets de crainte étaient 
assez éloignés pour qu'il fût possible de ré- 
gler auparavant lés questions qui s'agitaient à 
Cambrai depuis si longtemps;, mais cette solu- 
tion dépendait entièrement de l'attitude que 
prendraient les cours de Madrid et de Vienne,, 
en apprenant la mort du duc d'Orléans et l'état 
des affaires de France. 



Mne DE PRIE ET Lk DUCHESSE DE BOURBON. 87 

(( Pour ce qui est de la conduite même du due 
de Boufbon, je ne doute pas, écrivait Walp(de & 
son frère, d'après tout ce que je vois, qu'il ne 
soit décidé à suivre dans les affaires étrangères 
la ligne politique du duc d'Orléans^ et à em« 
ployer les mêmes hommes ; mais quant au gou* 
vemement intérieur, c'est à qui prendra sur lui 
le plus d'ascendant et de pouvoir* Il n'y a que 
eabales et intrigues en tous sens ; la plus consi- 
dérable est celle qui se débat entre madame 
de Prie, maîtresse en titre de M. le Duc, et la 
duchesse de Bourbon ^, sa mère. Leurs vues k 
toutes deux tendent directement au même but, 
qui est leur profit particulier, et M* le Duc se 
trouve pris entre ces deux femmes, qui se dé- 
testent cordialement, tout en conservant quel- 
ques dehors d'amitié. Ost i qui des deux l'em- 
portera sur l'autre, dans le cas d'une rupture 
ouverte entre elles, et leur principale occupation 
consiste à suggérer au prince, par leurs créa- 
tures, tout ce qui peut flatter sesgoûts ou ses inté*^ 

1. Louw-IVaiiçoise^ légtUaée deFrance, fille de Louis XIV 
et de madame de llontetpan* 



88 LE COMTE DE LASSAY. 

rets. Les ministres du roi notre maître doivent 
donc être d'une prudence extrême dans leurs 
rapports avec chacune d'elles, pour ne pas 
donner de jalousie à l'autre, ni déplaire à M. le 
Duc, si on lui laissait supposer qu'on le croit 
susceptible d'être influencé par les femmes, en 
matière d'administration. Que madame de Prie 
vienne à triompher, Crawfurd a les moyens de 
se faire bien accueillir d'elle ; que ce soit la du- 
chesse, Lassay, qui est son amant depuis assez 
longtemps, peut devenir fort utile et doit être 
ménagé. Il a été très-beau, avec des manières 
agréables, mais il n'entend pas grand'chose aux 
affaires, excepté au système et à l'agiotage, qui 
' avaient fait de lui un des grands amis de Law : 
il avait entrepris de parler en sa faveur un peu 
avant la mort du duc d'Orléans, et même de le 
faire rappeler. Mais la réputation de Lassay 
n'est pas des meilleures : son père* est fort bon- 

1. Armand de Madaillan de Lesparre, marquis de Lassay, né 
le 18 mai 1652. Il avait bien servi dans sa jeunesse, mais il 
n'obtint jamais de grade élevé ni de place importante à la cour. 
Il était d'ailleurs fort répandu et très-goûté dans le monde. Bo- 
lingbroke disait qu'il avait trouvé en lui un discernement juste, 




ATTITUDE DE M. DE FRÉJUS. 89 

nète homme ; après avoir été en grand crédit sous 
Louis XIY, il est resté un des types de la 
vieille cour, et cela d'autant plus qu'il a été pen- 
dant quelques années le très-humble serviteur 
de madame de Beaune, sœur de M. de Torcy. » 
Pendant que tout s'agitait ainsi autour de 
lui, Walpole, de plus en plus frappé de l'atti- 
tude calme et réservée de M. de Fréjus, autant 
que de son influence toujours croissante sur le 

une humeur douce et aisée^ un bon esprit, éclairé par un grand 
usage du monde et cultivé par beaucoup de lecture. Saint-Simon 
lui recoimait beaucoup d'esprit, de la lecture et de la valeur. 11 
s'était marié trois fois, et la dernière il avait épousé par ambi- 
tion mademoiselle de Chateaubriand, fille naturelle du prince de 
Coudé et de mademoiselle de Montalais : « Il espéra, dit Saint- 
Simon, de ce troisième mariage, s'initier à la cour sous la pro- 
tection de M. le Duc et de madame la Duchesse. 11 n'y fût jamaii 
que des faubourgs. » 

M. Sainte-Beuve nous le peint comme un des figorants du 
grand siècle, sans toutefois le laisser se confondre dans la foule. 
11 est mort à l'âge de 86 ans, laissant quatre volumes de mé- 
moires, sous le titre de : Recueil de différentes choses,, « L'au- 
teur y entre pour très-peu : c*est l'homme de société, le vieillard 
oisif et amusé qui vide pèle-iùèle ses portefeuilles. A la longue, 
c'est absolument comme si l'on causait avec les personnes de ce 
monde-là. » (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. IX.) Son fils 
Léon, comte de Lassay, dont il est ici question, né en 1683, 
était premier écuyer de la duchesse douairière de Bourbon, dout 
il devint Tamant et le commensal au palais Bourbon 3 il exerçait 
sur elle un empire presque absolu. 



90 SON CRÉDIT PRÈS DU ROI. 

jeune roi, se décida à faire une démarche à 
laquelle il dut plus tard presque tous les suo 
ces de son ambassade. Il avait compris que s'il 
parvenait à pénétrer les vues réelles et le carac- 
tère de ce prélat, il y trouverait peutrètre le 
point d'appui sérieux dont il avait besoin au 
milieu de cette cour si profondément troublée 
par les luttes et les ambitions de toute sorte# 
Pour s'éclairer complètement à cet égard, Wal* 
pôle résolut d'avoir une entrevue particulière 
avec l'évêque-précepteur, et après l'avoir obte- 
nue il s'empressa d'en rendre compte à, son 
frère, dans une lettre datée du 1& décembre 
1723. 

(( L'assiduité constante de M. de Fréjus au-^ 
près du jeune roi, dont il est à la fois le pré- 
cepteur et le conseiller, fait qu'il est fort 
difficile de le voir, à moins d'un rendez-vous 
spécial; quelque désir que j'en eusse, je ne vou* 
lais pas en faire le sujet d'une démarche offi- 
cielle^ après toutes les assurances que j'avais 
déjà reçues des bonnes intentions de M. le 
Duc, tant de sa propre bouche que de celle de 



WàLPOLE a une conférence avec lui 9i 

ses amis particuliers. Cependant, me trouvant 
lundi matin ayee M. Crawfurd à Versailles, où 
nous avions été invités à dîner par le maréchal 
de Yillars, l'abbé Âlary nous avertit que M. de 
Fréjus était chez lui, et nous allftmes le deman- 
der à sa porte. Dès que nous fûmes entrés, il 
renvoya tous les assistants et dit qu'il n'y était 
plus pour personne. Après l'échange des pre- 
miers compliments, il s'est exprimé, avec tout 
le respect dû au roi notre maître, sur son gou- 
vernement et sur l'heureux état de ses affaires, 
et nous avons pu ensuite ramener la conver* 
sation sur celles de ce pays-ci. Fleur y nous a 
affirmé alors, de la iagon la plus nette et la plus 
franche, que Sa Majesté trèSHdirétienne et son 
conseil étaient fermement résolus à persévérer 
dans la ligne politique qui, gr&ee à la bonne 
intelligence avec le roi notre maître, dans les 
questions extérieures, avait permis au duc d'Or- 
léans de les amener si près d'une heureuse is- 
sue. n nous a déclaré, sur sa parole et sur sa foi 
d'évèque, qu'il n'existait pas dans le gouverne- 
ment la moindre hésitation, ni l'ombre d'une 



92 WàLPOLE a une CONFÉRENCE 

pensée contraire à cet ordre d'idées ; que pour 
lui personnellement, nous pouvions compter 
qu'il partageait entièrement l'opinion que M. le 
Duc et M. de Morville nous avaient énon- 
cée ; qu'en sa qualité de conseiller du roi très- 
chrétien, c'étaient l'intérêt, la prospérité et la 
paix de ses États qui domineraient touies ses 
pensées, et que dès qu'ils seraient en cause, 
quel que fût d'ailleurs son attachement h sa reli- 
gion, il serait toujours prêt à dépouiller sa croix 
et ses fonctions ecclésiastiques. Il mettait dans 
l'expression de ces sentiments un tel air de 
franchise, de candeur et de simplicité, qu'il nous 
sembla que la vérité même parlait par sa bouche, 
et qu'il se trouvait réellement dans la disposi- 
tion où il assurait devoir être toujours quand 
Sa Majesté le consulterait sur les questions 
étrangères. Il ne paraissait pas douter que les 
affaires ne dussent suivre une bonne marche : 
« Le coup si imprévu de la mort du duc d'Or- 
« léans, nous dit-il, a pu dans le premier mo- 
« ment jeter l'alarme et la fermentation en Eu- 
(( rope; mais j'espère que tout cela s'apaisera 



AVEC LtlI. 9S 

(( bientôt, que les choses reprendront leur allure 
(( précédente, et que nous verrons réussir enfin 
(( cette grande œuvre de la quadruple alliance, 
(( en terminant le congrès, pour aia3i dire, dès 
« son ouverture. » 

« Nous n'avons pas manqué, je vous le jure, 
de témoigner à M. de Fréjus toute notre gra- 
titude de la manière si franche et si obligeante 
avec laquelle il nous avait fait l'honneur de nous 
exprimer des sentiments favorables à l'union 
entre les deux couronnes, ainsi qu'à la paix géné- 
rale. Nous ne doutions point que sa grande in* 
fluencepersonnellesurSaMajesté très-chrétienne 
et sur ses conseillers ne fût singulièrement utile et 
du plus grand poids, pour les heureux desseins 
dont il nous avait parlé. Sa Majesté le roi d'An- 
gleterre avait déjà donné sur ce point assez de 
gages de sa bonne volonté pour qu'il nous fût 
permis d'affirmer d'avance qu'il persisterait 
dans le même système, malgré le dernier chan- 
gement de personnes. 

(( M. de Fréjus nous a répondu qu'il était par- 
faitement convaincu de la vérité de ce que nous 



94 COMMENCEMENT 

lui disions, mais qu'il ne pouvait s'empêcher de 
nous représenter qu'il existait en Angleterre un 
parti très-affectionné à l'Empereur* Nous lui 
avons répliqué qu'en effet nous avions été long- 
temps les amis de l'Empereur, pour le bien de 
notre pays et pour maintenir l'équilibre des 
puissances européennes, et que nous désirions 
encore conserver de bonnes relations avec lui, 
mais que ce désir n'allait pas jusqu'à nous jeter 
dans la guerre de gaieté de cœur; que les mêmes 
motifs nous faisaient souhaiter maintenant de 
vivre en toute confiance avec la France, et que 
d'ailleurs, Sa Majesté n'ayant ni prétentions, ni 
différends à démêler avec aucun autre souverain, 
elle n'avait plus à s'occuper que de la paix de ses 
peuples et de la tranquillité du reste de l'Eu- 
rope. 

c( En somme, d'après le caractère de M. de 
Fréjus et le sens de sa conversation avec nous, 
je ne pense pas que nous puissions avoir aucune 
raison de suspecter sa sincérité, pas plus que 
celle de M. le Duc et de M. de Morville, sur la 
marche qu'on veut suivre ici, au moins dans les 



»E LEUR AMITIÉ RÉCIPROQUE. M 

conjonctures présentes. J'ai vu depuis l'ambassa^ 
deur de Hollande, qui m'aconfirmédans cette opi- 
nion en m'apprenant que M. de Fréjus lui avait 
tenu exactement le même langage, d'un air si 
naturel et si vrai que ce serait certainement le 
coquin le plus fieffé du monde {the mosi avawed 
rogué) s'il avait voulu le tromper, et je dois lui 
rendre cette justice, qu'il n'en a pas la répu- 
tation. » 

Cette conférence suffit pour faire tomber tous 
les préjugés de Walpole contre M. de Fleury, et 
ils se séparèrent pleinement satisfaits l'un de 
l'autre; de ce jour date l'origine d'une affec^ 
tueuse intimité entre ces deux hommes, si diffé- 
rents de position et de caractère, mais dont h 
seule préoccupation était l'honneur et l'avan- 
tage de leurs patries respectives, et le maintien de 
la paix générale. Walpole demeura tellement 
convaincu de la loyauté du prélat que, dans une 
lettre écrite à, son frère le 22 décembre, après 
s'être étendu sur les périls que pouvait amener 
l'animosité réciproque des ducs de Bourbon et 
d'Orléans, il ajoutait : « Rien ne serait plus à 



96 L*àNCIEN ministère EST CONSERVÉ. 

désirer qu'une réconciliation entre ces deux 
princes, dans leur propre intérêt et dans celui 
de l'Europe entière; mais je me flatte que le 
vieux Fréjus a si bien pris possession de l'o- 
reille et de l'esprit du roi, qu'il saura désormais 
le fixer au système actuel et le prémunir contre 
toute insinuation contraire. » 

Morville, Armenonville , La Vrillière, Bre- 
teuil et Dodun, les principaux membres du ca- 
binet sous Dubois et le duc d'Orléans, avaient 
été conservés ; M. le Duc, ou plutôt madame de 
Prie, avait trouvé en eux des hommes médiocres 
et sans importance politique sérieuse, tout dis- 
posés à devenir les instruments dociles de ses 
moindres caprices. Ils n'étaient d'ailleurs mi- 
nistres que de nom : les affaires étaient réelle- 
ment dirigées par les frères Paris *, dont le 

1. Ces Paris sont gens de fortune^ très-habiles. Ils sont d'un 
petit bourg nommé Moirans, entre Lyon et Grenoble^ et fils d'un 
cabaretier. L'un d'eux^ qui a été muletier^ s'appelle Paris la 
Montagne; il a pris ce nom en sortant de chez son père^ de l'en- 
seigne de leur cabaret; un autre s'appelle du Vemey. Ces quatre 
frères sont fort riches : on leur croit en pays étrangers plus de 
30 millions. Il y en a un^ Paris de Montmartel^ qui a épousé sa 
nièce^ pour empêcher qu'aucun étranger ne mit le nez dans leurs 



LES FRÈRES PARIS. 97 

quatrième, surnommé du Yerney, qui avait été 
simple soldat aux gardes, était de beaucoup le 
plus habile et le plus influent. 

affaires. Ce sont eux^ en partie^ qui ont culbuté la banque de 
Law^ par les sommes considérables en argent qu'ils en ont re- 
tirées. (Batbier, Journal, t. I, p. 145.) 



CHAPITRE IV 



Situation intolérable de Walpole Tis-à-vis de sir Loke Sdianb. 
— Mariage du comte de Saint-Florentin. — La question dn 
duché de la Vrillière est abandonnée. — Disgrâce de lord 
Carteret, qui est remplaoé par le due de Newcastle. — Rap- 
pel de Schaub. — Walpole est nommé ambassadeur. — Il 
empêche le retour aux affaires da marquis de Torcy. — In- 
trigues ambitieuses de Philippe V. — Ambassade à Madrid 
du maréchal de Tessé. — EIntente cordiale entre Walp(^ et 
M. de Fréjus. — Abdication de Philippe Y. — Mort du roi 
Louis. — Philippe remonte sur le trône. — Renvoi de l'in- 
fante Marie-Anne-Victoire. — M. le Dnc tmte de [marier 
Louis XV avec sa soeur d'abord^ puis avec une princesse d*Aii- 
gleterre. *- Refus du roi George. — Justes moUfe de ce re- 
fus. — On choisit enfin Marie Leczinska. — Fleury, d'après le 
conseil de Walpole^ accepte la place de grand aomônier de la 
reine. 



La sagacité avec laquelle Walpole avait jugé 
les principaux membres du gouvernement fran- 
çais, et l'adresse qu'il avait montrée en ga- 
gnant la confiance du duc de Bourbon et Ta- 



100 SlTCATldN INTOLÉRABLE 

mitié de M. de Fréjus, avaient donné au roi 
George la meilleure opinion de son mérite 
comme négociateur. Les deux beaux-frères mi- 
nistres regardaient de plus en plus la prolon- 
gation de son séjour à Paris comme nécessaire 
à la réussite de leurs plans pour renverser lord 
Carteret ; il semblait donc que Walpole fût de- 
venu d'autant plus Tbomme de la situation que 
des nuages menaçants s'amoncelaient du côté de 
l'Allemagne, et que ses talents éprouvés en di- 
plomatie allaient devenir presque indispensa- 
bles. Malheureusement, plus son crédit s'affer- 
missait à la cour de France, plus il avait à souf- 
frir de la rivalité et de la jalousie de sir Luke 
Schaub, dont la position était, il faut bien le 
dire , plus régulière que la sienne à Versailles, 
et à qui les dépèches arrivaient toujours de pre- 
mière main. Schaub les communiquait d'abord 
à M. de Morville, ainsi qu'aux autres ministres, 
et Walpole était ainsi le dernier à les connaître ; 
ils devaient y répondre ensuite tous deux col- 
lectivement, quitte à présenter les choses sous 
un jour tout différent, dans leurs correspon- 



DE WALPOLE VIS-A-VIS DE SCBAUB. 101 

dances particulières. II en était de môme des 
dépêches pour TEspagne et pour Cambrai, qui 
étaient adressées sous pli à Schaub, et qu'il était 
libre de réexpédier ou d'employer comme bon 
lui semblait. Cette diplomatie en partie double 
était odieuse à Walpole ; il en ressentait tous les 
inconvénients , et il y voyait de plus une sorte 
d'humiliation pour l'Angleterre et pour lui- 
même aux yeux des étrangers ; aussi écrivaît-îl 
à lord Townshend peu de temps après la mort 
du duc d'Orléans : « De la dépêche qui recevra 
les signatures réunies de mon ami sir Luke 
Schaub et de moi , je ne sais pas le premier mot : 
nous en avons parlé ensemble hier à Versailles, 
et je l'attends cette après-midi avec une lettre 
toute faite pour nous deux. Quant à ce qu'il 
écrira en particulier, je l'ignore encore davan- 
tage, si cela est possible; je n'ai donc pas 
d'autre ressource, au fond de ce chaos, que de 
m'en rapporter à la bonté constante de Sa Ma- 
jesté envers son fidèle sujet , et à toute votre in« 
dulgence, pour ce que j'ai fait et ce que je dois 
faire encore. » 

6. 



102 SITUATION INTOLÉRABLE 

Schaub, de son côté, résolu à défendre son 
terrain pied à pied, n'épargnait à Walpole au- 
cune des petites avanies qu'il pouvait se per- 
mettre sans rompre ouvertement avec lui. 
L'affaire du duché de La Yrillëre, depuis long- 
temps concertée entre Schaub et lord Carteret, 
pour capter la faveur de George I** en flat- 
tant ses sentiments intimes, était le champ de 
bataille où il cherchait toujours à attirer son 
rival et à le compromettre. Instruit par ma- 
dame de La Yrilliëre que M. le Duc souhai- 
tait également d'obtenir un duché pour le 
marquis de Prie , il croyait pouvoir compter 
sur l'appui de ce prince auprès du roi dans 
l'intérêt de cette double affaire ; mais il poussa 
trop loin ses importunités , qui finirent par 
fatiguer M. le Duc comme elles avaient déjà 
fatigué le duc d'Orléans. Le premier ministre^ 
dans une audience qu'il avait donnée à Wal-* 
pôle , se plaignit de l'inconvenance des manœu-* 
vres de Schaub, en constatant la répugnance 
du jeune roi «t l'opposition de la noblesse 
contre l'érection de ce nouveau duché. Wal« 



DE WALPOLE VIS-A-VIS DE SCHAUB. iOft 

pole demeura convaincu que Taffaire était dé- 
sespérée, et il en fit part à ses frères, tout en 
leur demandant son rappel avec instance : «Puis* 
que vous n'êtes pas assez forts, leur écrivait-il, 
pour me donner ici une position qui me délivre 
des obsessions de Schaub, je vous prie et vous 
conjure d'obtenir mon retour en Angleterre. La 
situation n'est jJus tenable : nous avons l'air de 
nous espionner comme si nous étions les minis* 
très de deux cours ennemies ; notre physionomie 
devient tout à fait ridicule, et avec cela notre air 
d'inséparables ccmimence à faire sourire dansle 
monde 9 partout où nous allons. Schaub se montre 
si empressé et si obligeant pour moi : il veut tant 
me présenter à madame de Prie, à la duchesse 
de Bourbon^ à toutes ks personnes qui sont le 
plus en faveur près de Mr le Duc, et avec les* 
quelles il se prétend intimement Mé, enfin il 
m'aime tant, qu'il ne peut se décider à faire une 
seule visite sans moi ni à m'en laisser faire une 
seule sans lui. Pendant ce temps-là, il a l'im- 
pertinence d'agir toujours en sens contraire 
de ce que je fais. Mon cœur est trop plein de 



104 SITUATION INTOLÉRABLE 

tous ces ennuis pour que je m'y étende da- 
vantage. Mais qu'on me rappelle en Angle- 
terre I » 

La question ainsi posée , l'honneur des deux 
ministres et leur prépondérance dans le cabinet 
se trouvaient profondément engagés. D'un autre 
côté, ils venaient d'obtenir un succès complet 
dans la discussion de l'Adresse au Parlement, et 
la conjoncture était favorable pour ruiner enfin 
le crédit de lord Carteret. Sir Robert Walpole 
demanda donc à son frère d'écrire une lettre 
ostensible par laquelle, en articulant ses griefs 
contre Schaub, et en montrant le préjudice que 
leur égalité de pouvoir devait causer aux intérêts 
du roi, il solliciterait l'autorisation de quitter 
Paris immédiatement. Horace Walpole y con- 
sentit, bien qu'avec une certaine répugnance, et 
le 22 mars 1724, il écrivait la lettre suivante : 

«Mylord, j'ai la conviction que vous êtes déjà 
persuade de mon empressement et de tout mon 
zèle pour le service de Sa Majesté, dans quelque 
position et de quelque manière qu'il lui plaise de 
m'employer; mais c'est ce zèle même qui, joint à 



DE WALPOLE VIS-A-VIS DE SCHAUB. 105 

une expérience de cinq mois, m'oblige à faire sa- 
voir à Voire Seigneurie qu'il ne me sera pas pos- 
sible de travailler, comme je le voudrais, pour les 
intérêts du roi, tant que je me trouverai associé 
ici avec sir Luke Schaub. Je n'ai contre lui au- 
cun ressentiment personnel, car, malgré toutes 
les provocations que j'ai dû subir, j'ai évité soi- 
gneusement toute discussion qui aurait pu 
nuire au service de Sa Majesté; mais notre 
manière de voir et d'agir diffère tellement sur 
les personnes et sur les choses, que je ne puis 
avoir avec lui ni confiance ni intimité. Ajoutez à 
cela qu'il met un tel acharnement à me suivre et 
à m'espionner quand je vais à Versailles, qu'il 
m'est absolument impossible de cultiver ni 
même d'établir des rapports ou une correspon- 
dance avec les personnages influents de ce pays ; 
et pourtant cela me deviendrait très-facile le jour 
où je serais entièrement libre et débarrassé de 
sir Luke Schaub. S'il possédait d'ailleurs pour 
les affaires des talents hors ligne,. ou si, par son 
attitude comme ministre, il avait su se concilier 
l'estime et la considération de cette cour, je me 



lOe WALPOLE EST NOMMÉ AMBASSADEUR. 

serais empressé de soumettre en toutes choses 
mon jugement au sien, et j'aurais été le pre- 
mier à demander que les affaires du seryiee pas- 
sassent exclusivement par ses mains. Mais, pour 
parler en toute franchise à Votre Seigneurie et 
lui témoigner une confiance conyenable entre 
si proches parents, je vous avouerai qu'au 
lieu de cela, Schaub n'est parvenu qu'à se 
rendre odieux à beaucoup de gens et désa- 
gréable à tout le monde. Sans l'emploi que lui 
a confié Sa Majesté, il ferait une bien triste, ou 
pour mieux dire, une pitoyable figure aux yeux 
des Français et des étrangers. Si je n'avais ac- 
quis cette certitude que par mes propres ob- 
servations, je dédaignerais de vous en parler, 
puisqu'on toute cette affaire je n'ai d'autre but 
que le service et Thonneur de Sa Majesté, qui, 
dans mon âme et conscience , ne pourront que 
souffrir tant que sir Luke Schaub sera main- 
tenu ici. » 

Cette lettre, qui fut mise sous les yeux du roi, 
produisit tout l'effet qu'on pouvait en attendre. 
Horace Walpole fut nommé ambassadeur h Pa- 



Mariage du comte de saint-florentin. 107 

ris, Schaub fut rappelé, et son protecteur, lord 
Carteret, nommé lord lieutenant d'Irlande, dut 
céder son poste de secrétaire d'État au duc de 
Newcastle^, Tami dévoué des deux ministres, 
tout-puissantsdésormais. Le roi George renonça 
alors d'assez bonne grâce à l'érection du duché 
de la Yrilliëre, et il se contenta d'accorder une 
dot de dix mille livres sterling à la comtesse 
Amélie de Platen, fiancée du comte de Saint- 
Florentin ^« Schaub obtint pour tout dédomma- 

i. Thomas Pelham Holles^ fils de lord Pelhtm^ lord commis- 
saire de la trésorerie sous le roi Guillaume^ était né en 1693 ; il 
avait hérité le dud^ de Newc&stle en 1711. Il était fort ambi- 
tieux^ mais d'une rare laideur et d'une gaucherie de manières 
extraordinaire. Macaulay a dit de luî^ en parlant de son entrée 
aux affaires : « Les hommes capables se moquèrent tons de loi : 
ils le traitaient dimbécile, de radoteur, d'enfant qui ne sait pas 
pendant one heure ce qu'il rent^ et cependant il les joaa tons 
successiyemeoL » {MisceUaneout writin^e, p. 205.) 

2. Le mariage eut liea en août 1724. Mathieu Marais dit, à 
cette date : « J'ai appris le mariage du comte de Saint-Floren- 
tin avec mademoiselle de Platen, Allemande, fille du chancelier 
de Hanovre, à qui k roi d'Angleterre prend grand intérêt. On 
la dit sa fille. Il a écrit à madame de la Vrillière une lettre très- 
gracieuse qu'elle a apportée àlhôtel de Ck)ntL M. de la Vrillière 
croyait être duc par cette reoommaadatioa d'Angleterre, et si le 
cardinal Dubois <m le duc d'Orléans eussent yécu, il l'aurait été ; 
mais leroiadit:«IliMld sera jamais. » Ainsi le mariage se 

fait sans duché La cour a dit de M. de la Vrillière qu'il avait 

une duché perte au lieu d'une duché-^tairie. Madame de Saint- 



108 LORD CARTERET EST REMPLACÉ 

gement rautorisalîon de retourner à Paris pour 
assister au mariage*. 

Walpole resta donc en France, « bien malgré 
lui, dit-il, car il prévoyait que la cour impériale 
ne pourrait se décider à exécuter les clauses de 
la quadruple alliance en faveur de don Carlos, 
et que le ressentiment qu'en éprouverait la reine 
d'Espagne serait bientôt le signal de nouveaux 
orages en Europe*. » L'événement devait justi- 
fier, avec une effrayante rapidité, les prévisions 
du diplomate anglais, et mettre à une terrible 
épreuve sa persévérance et son habileté. 

Demeuré enfin maître du terrain, Walpole 
ne tarda pas à se trouver en présence d'une 

Florentin est bien faite et plaît fort à la cour. Sa mère a toutes 
les grâces qu'on peut avoir et des beautés singulières. Ce roi 
d'Angleterre ne s'entend pas mal à aimer et à régner, d (Mathieu 
Marais^ Journal, t. HI^ p. 100 et 114.) 

1. Pour rendre justice à la mémoire et au mérite de sir Luke 
Schaub, il ne faut pas oublier que les remarques acrimonieuses 
de M. Walpole sur son caractère et sa conduite ne doivent être 
considérées que comme une affaire de parti et comme le résultat 
d'un moment de chagrin et d'aigreur, causé par leur rivalité au 
milieu d'une cour étrangère. La même observation s'appliquerait 
aux lettres de sir Luke Schaub, si elles venaient à être publiées. 
(Memoirs of lord Walpole*) 

2. M, Walpole' s Apology, 



WALPOLECOMBAT M. DE TORCY. 109 

autre difficulté, dont la prompte solution inté- 
ressait vivement la politique d'alors et l'alliance 
entre les deux royaumes; il s'agissait de la 
rentrée aux affaires du marquis de Torcy, zélé 
partisan de la branche d'Espagne, et le re- 
présentant le plus absolu des principes de 
la vieille cour de France, M, le Duc, qui ne 
voyait pas sans jalousie s'interposer entre lui et 
le jeune monarque l'ascendant de M. de Fréjus, 
dont la voix devenait de plus en plus prépondé- 
rante dans le conseil, s'imagina que le meilleur 
moyen pour se délivrer de cet embarras, et 
même pour faire éloigner le précepteur, serait 
de lui opposer les talents et l'importance de M. de 
Torcy. Il fit sonder Walpole à cet égard, en lui 
laissant entendre que les idées de M. de Torcy, 
au sujet de la succession à la couronne, étaient 
bien changées, et que son entrée au ministère ne 
pourrait nuire en rien à l'union entie l'Angle- 
terre et la France. Mais Walpole était bien ren- 
seigné sur les vrais sentiments de Torcy par ses 
amis et surtout par lordBolingbroke*, qui, tra- 

1. Henri Saint-John^ vicomte de Bolingbroke^ homme d'Etat, 

7 



110 IL EMPÊCHE SON RETOUB. 

hissant encore une fois les Jacobites, s'efforçait 
de gagner ses bonnes grâces, afin qu'il s'entre- 
mît pour lui faire obtenir la restitution de ses 
biens confisqués et l'autorisation de rentrer en 
Angleterre. L'ambassadeur protesta donc haute- 
ment contre le choix que iroulait faire M. le Duc, 
et il n'abandonna la lutte que lorsqu'il eut obtenu 

ministre et pamphlétaire, était né à Battersea en 1672. Après une 
jeunesse orageuse, il entra à la Chambre des communes en 1700, 
se déclara pour les tories et devint secrétaire d'État en 1704. 
Renversé en 1708, il fut appelé deux ans après par la reine Anne 
au ministère des affaires étrangères : ce fût lui qui conclut la 
paix d'Utrecht en 1713; mais il perdit tout son crédit à la mort 
de la reine. Proscrit par le Parlement et dépouillé de tous ses 
biens, il se réfùg^ en France et offrit ses services au pré- 
tendant Jacque s UIj ^BMtts il quitta bientôt son parti pour solli- 
citer de George !•' son retour en Angleterre : il ne Tobtint qu'en 
1723, sans qu'on lui rendit son siège à la Chambre haute. Il se 
retira d'abord à la campagne avec sa seconde femme, mademoi- 
selle de Marcilly, veuve du marquis de Villette et nièce de ma- 
dame de Maintenon; mais il reparut bientôt sar la scène poli- 
tique, et pendant dix ans il fut, par ses écrits, le plus redoutable 
adversaire di^^ûnistère Walpole. Fatigué de Finsuccès de ses 
efforts, il reviM de nouveau en France en 1735; mais trois ans 
après il retourna en Angleterre, oii il mourut en 1751, après 
s'être rendu suspect à tous les partis et sans avoir jamais pu 
ressaisir le pouvoir. 11 était lié avec les plus grands écrivains de 
son temps, et il a laissé plusieurs ouvrages d'un style aussi pur 
qu'élégant, fi y préconise le déisme en attaquant la révélation^ 
ce qui l'a fait considérer comme le précurseur de Voltaire^ qui 
le cite souvent* 



\ 

^ 



INTRIGUES AMBITIEUSES DE PHILIPPE V. iil 

de là bouche même de M. de Fréjus Tassurance 
positive que Torcy ne serait jamais employé. H 
parvint aussi à empêcher le cabinet français de 
permettre au duc d'Ormond* de résider mo- 
mentanément en France, et il put même dé- 
tourner M, de Fréjus de recevoir la visite de 
révêque Atterbury ^, 

Tout cela était encore peu de chose ; Tobjet 
principal de la mission de Walpole présentait de 
bien autres difficultés, il s'agissait de contre- mi- 
ner les intrigues du parti espagnol, dirigées sous 
main par Philippe V, et qui ne tendaient à rien 
moins qu'à biffer d'un seul trait les stipulations 
du traité d'Utrecht relatives à la succession éven- 
tuelle àla couronne de France. Le roi d'Espagne, 
affectant de regarder comme nulle sa renoncia- 



1. James Butler^ deuxième duc d'Ormond^ né à Dublin le 
29 avril 1665, mort en 1747. 

2. François Atterbury, évèque de Rochester, né en 1662. Après 
avoir été chapelain du roi Guillaume et de la reine Anne, il en- 
tra avec le duc d'Ormond dans un complot dont le but était la 
restauration du Prétendant. La conspiration fut découverte : le 
duc d'Ormond parvint à s'échapper et fut proscrit. Atterbury fut 
jugé et condamné au bannissement par la Chambre haute en 1722 ; 
il se retira alors à Paris, où il mourut en 1732. 



112 AMBASSADE DU MARÉCHAL DE TESSÉ. 

tion solennelle, voulait à toute force revendiquer 
son droit au trône de France, en cas de mort de 
Louis XY, et nDalbeureusement M. le Duc, 
poussé par sa haine contre la maison d'Orléans, 
n'inclinait que trop visiblement vers cette com- 
binaison. Il venait de nommer ambassadeur à 
Madrid le maréchal de Tessé*, partisan connu 
de la descendance directe et chargé, disait-on, 
de poser les bases de la succession espagnole. 
Là se rencontrait un véritable danger pour 
l'Angleterre, car Philippe ne dissimulait pas ses 
sympathies pour le Prétendant, et le parti espa- 
gnol en France faisait ouvertement cause com- 
mune avec les Jacobites. 

i. René de Froulai, comte de Tessé, né en 1650. Il avait bien 
servi en Italie sous le maréchal de Catinat; il avait battu les 
impériaux à Gastiglione et les Portugais à Badajoz. Ambassa- 
deur à Rome d'abord, puis à Madrid, qu'il quitta comblé de 
présents, il se retira au couvent des Gamaldules, où il mourut 
peu de temps après, le 31 mai 1725. Voici comment Mathieu 
Marais annonce sa mort à cette date : « Le maréchal de Tessé 
est mort cette nuit aux Gamaldules, âgé de près de 80 ans. Il 
était revenu d'Espagne depuis peu^ d'où il avait trouvé le secret 
de partir et de laisser à l'abbé de Livry le soin d'annoncer le 
renvoi de l'infante. 11 est revenu tranquillement en France niou- 
rir dans la retraite, et a toute sa vie agi en fin Manceau. » (T. lïl, 
p. 88.) 



ENTENTE ENTRE WALPOLE ET FLEURY. JlS 

L'ambassadeur, justement préoccupé des 
desseins qui avaient motivé la mission du ma- 
réchal, travaillait à les combattre avec Taide 
de M. de Fréjus, lorsque la nouvelle inatten- 
due de l'abdication de Philippe V vint rem- 
plir Paris de surprise et d'alarmes. Ce fut Wal- 
pole qui en donna le premier avis à lord Town- 
shend par une dépêche du 23 janvier 1724, dans 
laquelle il attribue cette détermination, qui avait 
été un secret pour la cour de Versailles, à un ac- 
cès de dévotion mélancolique. Cette explication 
ne satisfit pas complètement lord To^nshend, 
qui parut soupçonner que c'était une affaire 
concertée avec le duc de Bourbon, et que Phi- 
lippe avait le projet de se retirer en France. 
Walpole lui remontra que l'attitude et la surprise 
des ministres français étaient la preuve qu'il n'y 
avait eu aucune connivence entre les deux cours ; 
mais en même temps il ne négligeait point ses 
précautions habituelles : à force d'adresse il par- 
vint même à faire expliquer M. de Fréjus sur ce 
sujet et à obtenir de lui la promesse qu'il s'op- 
poserait aux prétentions de Philippe V. « Mardi 




114 ABDICATION DE PHILIPPE V. 

dernier, écrit-il, j'étais allé foire une yisite à 
M. de Fleury à Versailles (la grande nouyelle 
"venait de transpirer) : il arriva du monde, 
et je prenais congé de lui, lorsqu'il me tira à 
l'écart près de la fenêtre et se mit à me parier 
de l'abdication, en levant les yeux et les mains 
vers le ciel, d'un air aussi surpris que consterné : 
cf Cette démarche du roi d'Espagne, me dit-il 
en paroles entrecoupées, est tout à fait inoppor- 
tune et peut devenir préjudiciable au système 
actuel et particulièrement aux intérêts de la 
France. Au surplus, que l'Espagne agisse comme 
elle voudra; mais espérons toujours que l'union 
se maintiendra entre la France et l'Angleterre, 
car elle est plus indispensable que jamais. » Je 
lui dis que de notre part il pouvait y compter, 
a Sans doute, me répondit-il en me serrant for- 
tement la main, mais il faut que notre alliance 
devienne plus étroite encore, si c'est possible, et 
qu'on trouve pour cela quelque moyen nouveau. » 
A quelques jours de là, Walpole eut encore 
avec M, de Fréjusun entretien particulier, dont 
il rend compte en ces termes à lord Townshend : 



ABDICATION DE PHILIPPE V. 115 



Paris^ 7 mars 1724. 

« Je me trouve, comme je Tai déjà dit à Votre 
Seigneurie, sur le pied d'une amitié étroite et 
même de la familiarité avec l'évèque de FréjuS| 
sans affecter pour cela de le voir trop souvent 
ni de causer avec lui en confidence. J'étais donc 
resté assez longtemps sans le voir en particulier, 
lorsque je suis allé le 4 de ce mois lui faire une 
visite à Versailles; comme nous parlions de 
l'Espagne, j'en ai profité pour lui demander 
s'il avait des nouvelles du maréchal de Tessé. 
(( Je n'en ai point, me répondit-il, mais il m'a 
écrit de Bayonne une lettre, dans laquelle il 
semble vouloir se railler de moi, en me disant 
que je verrais bien à son arrivée à Madrid qu'il 
n" endosserait pas le golilio ^, mais quil serait 
bon François *• » 

« J'ai feint de ne pas comprendre le sens de 

1. La fraise qui fkisait partie du costume esjvagnol. 

2. En fraaçais dans le texte de la dépèche. 



116 ABDICATION DE PHILIPPE V. 

cette phrase, et il m'a expliqué qu'au moment 
du départ du maréchal, il avait fort engagé* M. le 
Duc à insister près du nouvel ambassadeur 
pour qu'il ne ftt aucune démarche contraire à la 

• 

renonciation jurée par le roi Philippe, et qu'il se 
content&t de suivre à la lettre ses instructions 
dans l'intérêt de la France. Le maréchal avait 
appris que ce conseil venait de M. de Fréjus, et 
la phrase en question était destinée à le lui rap- 
peler. On aurait pu supposer que Fleury, en sa 
qualité de jésuite et à cause de ^es anciennes 
liaisons avec les ministres de la vieille cour, se 
souciait assez peu delà renonciation de Philippe Y 
et de la séparation des deux couronnes ; il est 
très-vrai que je ne lui en avais jamais entendu 
parler avant l'abdication du roi d'Espagne, mais 
depuis, il m'a souvent répété avec chaleur qu'il 
regardait ces deux actes comme la pierre fonda- 
mentale de la paix européenne, et que nous ne 
saurions veiller avec trop de soin à prévenir 
tout ce qui pourrait y porter atteinte : « Croyez- 
vous, lui ai-je dit, que nous ayons à redouter 
quelque danger à cet égard? » Il m'a assuré que 



ABDICATION DE PQILIPPE V. 117 

non, mais que le bruit ayant couru que le roi 
Philippe désirait venir en France, pour changer 
d'air dans l'intérêt de sa santé, bien que cette 
rumeurn'eût, selonlui, aucun fondement, il avait 
jugé convenable de faire sentir à son royal élève 
tous les inconvénients d'un semblable voyage, 
qui ne manquerait pas de jeter Talarme parmi 
les grandes puissances. Il lui avait donc con* 
seillé d'opposer un refus formel à toute ouver- 
ture de ce genre. « On ne saurait trop, a-t-il 
ajouté, diriger et prémunir de bonne heure l'es- 
prit des jeunes princes, dans toutes les questions 
importantes qui touchent à leur gouvernement.» 
Je lui ai répondu que j.'avais entendu parler 
de tout cela, mais que les partis en France me 
paraissaient tellement d'accord pour repousser 
les entreprises de l'Espagne, tant que le jeune 
roi se porte bien, que j'étais convaincu qu'il n'y 
avait pas lieu de s'en préoccuper. 

<( Je n'ai pas manqué cependant, Mylord, de 
complimenter M. de Fréjus sur la sagesse et la 
prudence qu'il montre dans la direction de son 
royal élève : en effet, au moindre soupçon de ce 

7. 



118 ABDICATION DE PHILIPPE V. 

qui peut se dire ou se faire, il s'empresse de 
donner à Sa Majesté l'impression qu'il croît 
juste sur le point dont il s'agit, et il y trouve sa 
récompense dans Taffection sans rivale que le roi 
lui a vouée. » 

Fleury apprit aussi à Walpole qu'à Madrid la 
politique était déjà redevenue toute espagnole ; 
que la vieille étiquette, tombée en désuétude à 
la cour el dans les conseils sous l'administration 
française, était remise en usage ; que les an- 
ciennes formalités, pour les heures de lever du 
roi, de ses prières, de son dîner, de ses au* 
diences et de ses travaux de cabinet, étaient ré- 
tablies dans toute leur rigueur, et qu'en somme, 
la grande monarchie des Espagnes, en repre- 
nant ses vieux errements de raideur et d'appa- 
rat, allait devenir indifférente et inutile au reste 
de l'Europe*. 

L'ambassadeur ne s'en tint pas à ces pre- 
miers'^renseignements ; il voulut sonder à fond 
les idées du duc et de la duchesse du Maine, du 

1. Paris, 9 février 1724. Walpole papers. 



MORT DU ROI LOUIS. 119 

maréchal de Villars et des principaux person- 
nages de la faction espagnole ; ils lui parurent 
pleins de mépris pour la bigoterie et la fai- 
blesse du roi Philippe. « Ces détails, écrit-il à 
lord Townshend, recueillis de la bouche même 
de ceux qui auraient dû se trouver à la tête des 
menées politiques motivées par l'abdication de 
Philippe V, prouvent d'une manière si péremp- 
toire qu'ils n'y songent même pas, que Votre Sei- 
gneurie me pardonnera sans doute de l'en avoir 
fatiguée. J'ai découvert aussi que les Flandres, 
la Hollande et l'Espagne elle-même ont leur ma- 
nière de voir sur l'abdication. A Amsterdam, on 
est aussi confondu et aussi alarmé que si le roi 
Philippe était déjà à Paris. Tout le monde croit 
ici, et je partage cette opinion, que si le jeune 
monarque mourait demain, le duc d'Orléans lui 
succéderait, sans qu'il fût pour ainsi dire ques* 
tion des prétentions de Philippe, qui n'entre- 
raient dans la tête de personne, n 

Quoi qu'il en soit, les vues ambitieuses du roi 
d'Espagne furent promptement déjouées par la 
mort prématurée de son fils, le prince Louis, en 



120 PHILIPPE REMONTE SUR LE TRONE. 

• 

faveur duquel il avait abdiqué : Philippe dut se 
résigner à remonter sur le trône, qu'il n'avait 
cessé d'occuper que pendant l'espace de sept 
mois. Il venait à peine de reprendre en main la 
direction des affaires, lorsqu'une détermination 
aussi grave que subite du gouvernement finan- 
çais, en blessant profondément son orgueil, 
vînt jeter un nouveau brandon de discorde entre 
l'Espagne et la France. 

La première ne s'était décidée à faire partie de 
la quadruple, alliance que moyennant une clause 
secrète entre Philippe et le duc d'Orléans, qui 
promettait Louis XV à l'infante Marie-Anne, 
qu'on devait envoyer en France, et donnait 
pour épouse au prince des Asturies, depuis 
Louis P% mademoiselle de Montpensier, qua- 
trième fille du Régent *. L'Infante n'avait alors 
que cinq ans, et jusqu'à ce qu'elle eût atteint 



1. Louise-Elisabeth d'Orléans, née en 1709. Elle épousa, le 
20 janvier 1722, à Lerma, Louis, prince des Asturies, qui devint 
roi d'Espagne le 15 janvier 1724. Restée veuve le 31 août de la 
même année, elle revint en France et mourut au Luxembourg 
le 16 juin 1742. Les mémoires du temps parlent souvent des 
excentricités de cette princesse bizarre et fantasque. 



RENVOI DE L'INFANTE. lîi 

Tàge du mariage, la succession éventuelle res- 
-taît toujours ouverte à l'ambition du roi Phi- 
lippe. Aussi, dès que le.duc d'Orléans fut mort, 
la nation française espéra voir rompre ce projet 
d'union, qui ne donnait de sécurité ni à elle- 
même ni à l'Europe. Les maréchaux de Vil- 
lars et d'Huxelles, ainsi que différents mi- 
nistres, exprimèrent à Walpole les vœux qu'ils 
formaient pour que l'Infante fût renvoyée, et 
M. de Fréjus lui-même fut d'avis de retarder 
la cérémonie des fiançailles. M. le Duc se trouva 
fort embarrassé : son intérêt lui conseillait 
assurément de soutenir l'Infante, parce qu'en 
cas de mort du roi et du duc d'Orléans, tous 
deux célibataires et d'une faible santé, il était lo 
plus proche héritier du trdne ; mais la haine et 
les droits du duc d'Orléans ne lui laissaient pas 
un moment de repos ni de confiance dans l'ave- 
nir. Il n'avait donc plus que deux alternatives : 
appuyer les prétentions de Philippe et du fils de 
sa première femme * au trône de France, en as- 

1. Marie- Louise-Gabrielle de Savoie, née en 1689, morte en 
1714. 



it2 RENVOI DE L'INFANTE. 

surant celui d'Espagne aux enfants d'Elisabeth 
Farnèse , ou renvoyer Tlnfante et marier im- 
médiatement Louis X V ^ une princesse nubile ^ 
En entrant au pouvoir^ il inclinait vers le 
parti du roi Philippe, et c'était dans le but de 
se le concilier qu'il avait envoyé le maréchal de 
Tessé l'assurer de son dévouement^. Bientôt 
après, en 1724, le mariage du duc d'Orléans % 
qu'il considérait de plus en plus comme son en- 
nemi, et les VŒUX unanimes de la nation, déter- 
minèrent le premier ministre à renvoyer l'In- 
fante et à chercher pour le roi une épouse d'un 
Age convenable. U fit part de ses intentions à 
M. de Fréjus et lui proposa, pour remplacer l'In- 
fante, sa propre sœur^ mademoiselle de Yerman- 
dois ; mais Fleury repoussa l'idée de cette sub- 
stitution, en remontrant à M. le Duc combien 
il serait imprudent d'irriter le roi d'Espagne 



1. Walpole à lord Townshend^ 22 décembre 1723. 

2. Monlgon, Mémoires, l, III, p. 222. 

3. La duchesse d'Orléans avait marié son fils à la princesse 
de Bade^ sans demander l'avis ni l'approbation du duc de Bour- 
bon. Cette circonstance avait encore accru le ressentiment de ce 
prince contre le duc d'Orléans. 



M. LE DUC VEUT MARIER SA SŒUR AVEC LE ROL 123 

tandis que les négociations de Cambrai étaient 
encore pendantes. M. le Duc le comprit et se 
décida à ajourner l'exécution de ses desseins. 

Les choses restèrent donc en suspens, jusqu'à 
ce qu'une grave maladie du roi * vînt raviver les 
craintes de M. le Duc et le décider, afin de 
clore la porte au duc d'Orléans, à marier 
Louis XY avec une princesse en âge de lui don- 
ner des héritiers. N'ayant pu vaincre l'opposi- 
tion de M. de Fréjus contre sa sœur', M. le 

1. Le roi Louis XV étant tombé malade sous le ministère de 
M. le Duc^ effraya tellement le prince-ministre, quoique le mal 
ne fût pas menaçant, qu'il se releva une nuit en sursaut, prit sa 
robe de chambre et monta dans la dernière antichambre du roi. 
Il était seul avec une bougie à la main; il y trouva Maréchal, 
qui, étonné dé l'apparition, alla à lui et lui demanda ce qu'il 
Tenait faire. 11 trouva un homme égaré, hors de lui, qui ne put 
se rassurer sur ce que Maréchal lui dit de la maladie, À qui enfin, 
d'effroi et de plénitude, il échappa : Que deviendrai-je? en ré- 
pondant tout bas à son bonnet de nuit : je n'y serai pas repris ; 
s'il en réchappe, il faut le marier. (Saint-Simon, Mémoù*es.) 

2. Il parait que M. le Duc avait rencontré dans sa propre fa- 
mille le même éloignement pour ce mariage ; dans son Recueil 
de différentes choses, t. IV, p. 127, le marquis de Lassay s'ex- 
prime ainsi : « On lui donna aussi (à M. le Duc) la défiance de 
sa mère, et la peur qu'eut Madame qu'elle n*eùt trop de crédit 
si sa fille devenait reine, fit que M. le Duc, qui pouvait faire 
épouser au roi sa sœur, mademoiselle de Yermandois, belle, 
jeune, aimable, bien élevée dans un couvent, à soixante lieues 



/ 



124 IL DEMANDE 

Duc passa en revue les autres princesses de 
l'Europe, et son choix tomba sur Anne, petite- 
fille de George P% âgée de seize ans et douée 
de toutes les perfections. Il serait difficile de pré- 
ciser Torigino de cette préférence, mais il est 
probable qu'elle fut due /Il des intrigues de 
femmes. Au mois de mai 1724, à l'instigation 
sans doute de mesdames de Prie et de la Yril- 
1ère, d'accord en cela avec lady Darlington et 
lord Garteret, sir Luke Schaub, dans son au- 
dience de retour, n'avait pas craint d'en faire 
l'ouverture à George I". Mais ce monarque s'é- 
tait alors montré fort blessé de la manière in- 
discrète dont on lui suggérait un mariage 
entre le roi de France et l'une des princesses 
d'Angleterre*. Cependant le comte de Bro- 



de Paris, dont toutes les personnes qui l'ont vue disent des biens 

infinis, aima mieux lui préférer une princesse étrangère 

Mais il est fort douteux qu'il eût été avanUgeux à la France 
d'avoir pour reine une princesse du sang : elle aurait vraisembla- 
blement augmenté Tautorité des princes du sang. Les deux der- 
niers exemples que nous venons de voir et tous ceux que nous 
lisons dans notre histoire, nous font connaître combien il est 
dangereux de leur confier le gouvernement de TÉtat. » 
\ . Le duc de Newcastle à Walpole, 25 mal 1724. 



UNE PRINCESSE D'ANGLETERRE. 125 

glie', ambassadeur de France, ayant insinué à 
lady Darlington que M. le Duc, décidé à renvoyer 
rinfante, se trouvait fort embarrassé sur le 
choix d'une autre reine : « Pourquoi donc, lui 
dit-elle, vous amusez-vous à perdre votre temps, 
et pourquoi ne demandez-vous pas immédiate- 
ment une de nos princesses? J'ai tout lieu de 
croire que votre proposition ne serait pas mal 
accueillie. » Cette conversation ne fut pas per- 
due : l'ambassadeur s'empressa d'en faire part 
à M. le Duc, qui, désirant se procurer l'appui de 
l'Angleterre contre le ressentiment certain du roi 
Philippe, mais craignant en même temps les dif- 
ficultés de religion,enjoignit à l'ambassadeur de 
demandera George P'une audience particulière. 
Là, conformément à ses instructions, le comte de 



1. 25 janvier 1724. Le comte de Buy, autrement le comte de 
Broglie (car en France il n*y a plus de nom piropre), a été nommé 
ambassadeur en Angleterre. M. le Duc, en le présentant au roi 
pour le remercier, a dit : « Sire, M. de Buy \ient remercier 
Votre Majesté de l'honneur que vous lui avez fait de le nommer 
a l'ambassade d'Angleterre ; il en est très-capable, et serait en- 
core très-capable de commander vos armées, s'il en était besoin. » 
M. le Duc n'a été désavoué de personne. (Mathieu Marais, Jour- 
•nal, t. ni, p. 750.) 



116 IL DEMANDE UNE PRINCESSE D'ANGLETERRE. 

Broglie annonça au roi, sous le sceau du plus 
profond secret, le prochain renvoi de rin&nte; 
puis il lui demanda la permission de lui sou- 
mettre une pensée qui lui était venue et pour 
laquelle il réclamait toute son indulgence : « Sa- 
chant, dit-il, avec quelle ardeur M. le Duc désire 
resserrer les liens qui unissent les deux cou- 
ronnes, et connaissant par moi-même les quali- 
tés inestimables de la princesse Anne, je prie 
votre Majesté de me laisser exprimer le vosu 
qu'elle la donne en mariage au roi mon maître. 
Ce serait un tel honneur et un tel avantage pour 
les deux royaumes, que désormais rien ne 
pourrait plus troubler leur repos ni s'opposer 
à l'exécution de leurs desseins. » 

Le roi répondit qu'il ne méconnaissait point 
tous les avantages qui pourraient résulter d'une 
pareille union, mais que, malgré son vif désir de 
prouver sa considération pour le roi de France 
dans toutes les occasions qui lui permettraient 
de rendre plus étroite son alliance avec lui, la 
question religieuse était d'une gravité telle, 
qu'il se voyait contraint de décliner cette pro-. 



REFUS DE GEORGE I». it7 

position. Malgré cette réponse, le comte de 
Broglie ne se tint pas pour battu : il fit part de 
sa démarche au duc de Newcastle et à lord 
Townshend, en les engageant fortement à em- 
ployer toute leur influence sur le roi, pour faire 
réussir ce projet. Son insistance ne s'arrêta que 
lorsqu'ils lui eurent prouvé sans réplique que 
rien ne pourrait ébranler l'attachement du roi 
à sa religion, et que le mariage d'une princesse 
du sang royal d'Angleterre avec un catholique 
était contraire aux lois du royaume ' • 

Pendant tous ces pourparlers, le bruit s'était 
répandu à Paris que le mariage du roi venait 
d'être conclu avec une princesse d'Angleterre, 
et M. le Duc, en retardant les fiançailles de l'In- 

1. « Nous lui ayons expliqué^ écrit le duc de Newcastle à 
Walpole, le but principal de la révolution au point de vue de la 
succession protestante^ qui est la sauA'egarde de la religion 
les trois royaumes. Nous lui avons démontré que le premier acte 
du roi Guillaume, confirmé par le gouvernement actuel, en ex- 
cluant du trône les catholiques^ établit que tout membre catho- 
lique de la famille royale ou tout prince ou princesse mariés à des 
catholiques sont déchus du droit de succession à la couronne. 
Quel déplorable effet produirait dans le pays un pareil mariage, 
et combien paraîtrait criminel celui qui passerait pour en avoir 
été rinsUgateur! » White-Hall, 12 m^ 1725. 



/ 
/ 



128 REFUS DE GEORGE I«r. 

fante, semblait encore Taccréditer davantage : 
« Ce n'est qu'un cri parmi tout le peuple, dit 
l'ambassadeur anglais dans sa correspondance, 
qu'il faut immédiatement renvoyer l'Infante 
dans son pays, puisque tout est arrangé avec 
une princesse anglaise. Elle aurait déjà dé- 
barqué à Calais, qu'on n'y croirait pas da- 
vantage et qu'on n'en parlerait pas d'une 
façon plus positive. Chacun raconte l'histoire à 
sa fantaisie, même ceux qui devraient le mieux 
savoir la manière dont les choses se sont passées ; 
les uns disent que c'était une affaire convenue, 
même avant mon arrivée ici ; d'autres n'y voient 
qu'une intrigue de plusieurs dames de cette 
cour et de celle d'Angleterre; mais c'est à moi, 
qui ne le mérite guère, qu'on en attribue géné- 
ralement tout rhonneur. Votre Grâce, qui sait à 
quel point je suis étranger à tout cela, imagi- 
nera facilement l'embarras que j'ai eu pendant 
ces deux ou trois derniers jours, pour ne pas pa- 
raître embarrassé du tout. Une foule de gens de 
toute sorte n'avaient pas d'autre occupation 
que d'espionner mes mouvements, mes paroles 



JUSTES MOTIFS DE CE REFUS. 129 

et même mon carrosse. On me retournait dans 
tous les sens : les uns cherchant à me surprendre 
par des questions insidieuses ou par des com- 
pliments, d'autres réclamant ma protection à la 
cour, comme si c'était déjà une affaire termi- 
née. J'espère au milieu de tout cela m'ètre con- 
duit d'une manière convenable, irréprochable 
môme : je n'ai point cherché à éclaircir leurs 
doutes, et je me suis abstenu de rien nier et de 
rien affirmer*.» 

Au milieu de ces incertitudes, le 6 mars, 
M. de Morville annonça à Walpole que Tlnfante 
allait être renvoyée en Espagne *, et cette nou- 
\elie lui fut confirmée le jour môme par M. de 
Fréjus, qui lui demanda en môme temps une 
entrevue secrète, dont le sujet devait être 



1. Horace Walpole au duc de Ne^castie, 13 mars 1725. 

2. L'infante Marie-Anne- Victoire de Bourbon devint plus tard 
princesse du Brésil. Lorsqu'elle quitta la France, elle n'avait que 
sept ansj mais, quoique très-petite, elle montrait un esprit fort 
au-dessus de son âge : elle quitta Versailles en versant d'abon- 
dantes larmes. Ce fiit la duchesse de Tallard qui raccompagna 
jusqu'à la frontière d'Espagne, avec un détachement des gardes 
du corps et des officiers de la maison du roi. On lui rendit tous 
les honneurs dus à son rang. 



180 JUSTES MOTIFS DB CE REFUS. 

aussi important que délicat : elle eut lieu à 
Versailles le i3. Fleury, après lui avoir re- 
commandé le plus profond secret, lui parla 
longuement des circonstances qui avaient mo- 
tivé le renvoi de llnfante; il ajouta que, sans 
désapprouver complètement cette mesure, il 
bl&mait la précipitation qu'on y avait mise. H 
lui fit part enfin de la proposition faite par le 
comte de Broglie et des motiCs qui avaient dé- 
terminé M. le Duc à demander la main d'une 
princesse d'Angleterre. Il déclara alors qu'il 
n'approuvait point ce projet de mariage et qu'il 
le considérait comme désavantageux aux deux 
nations : « Pour ce qui regarde la France, dit- 
il, où Tunité de religion est absolument néces- 
saire, je crains que l'aînée de ces princesses, 
élevée dans le protestantisme jusqu'à Tâge de 
seize ans, sous les yeux d'une mère qui, par at- 
tachement pour sa religion, a refusé la main de 
l'Empereur, n'en garde au fond du cœur les sen- 
timents et le zèle, malgré l'abjuration extérieure 
que pourraient lui imposer les nécessités de la 
politique. Cet attachement secret pourrait en- 



JUSTES MOTIFS DE CE REFUS. iti 

courager les jansénistes à s'unir avec les pro- 
testants qui restent en France, pour fomenter 
des troubles religieux. 

(( Si le roi mourait le premier et qu'elle devtnt 
régente en conservant l'éducation de ses enfants, 
nul ne peut prévoir les divisions et les troubles 
que devrait amener un pareil état de choses. 
Au point de vue politique, je ne vois pas non 
plus le grand avantage que la France en tire- 
rait, ni rien qui, sans ce mariage^ puisse fidre 
présager une rupture et encore moins la guerre 
entre les deux nations, puisque dans l'état pré- 
sent de l'Europe, leur intérêt essentiel est de vivre 
ensemble dans la plus étroite union etdansl'har* 
monie la plus par&ite. En Angleterre, la pditi- 
que, la religion et la constitution s'opposent agi- 
lement à ce mariage. La France ne pouvant ac- 
cepter qu'une reine catholique romaine, il serait 
indigne de l'honneur britannique de consentir à 
l'union d'une princesse du sang royal avec un 
souverain catholique, sans qu'elle conserv&t la 
liberté de suivre sa religion, liberté qui a tou- 
jours été garantie aux reines cathdiques en An- 



132 JUSTES MOTIFS DE CE REFUS. 

gle terre, depuis la réformation. Je sais aussi 
qu'une pareille union est contraire aux lois de 
la Grande-Bretagne, fondées sur l'expérience 
des suites f&cheuses qu'elle peut entraîner, à en 
juger par les convulsions terribles qu'a causées 
le seul fait du mariage de l'un de ses rois 
avec une catholique. Qu'une princesse an« 
glaise, après avoir changé de religion, ou qu'un 
de ses enfants vienne à posséder des droits à la 
couronne d'Angleterre, ils voudraient les faire 
prévaloir, malgré tous les actes du parlement et 
toutes les renonciations de la terre ; alors les ré- 
volutions qui pourraient en résulter ou même 
rester suspendues comme une menace perpé- 
tuelle, constitueraient un danger si terrible 
qu'il faut tout faire au monde pour l'éviter. Le 
peuple anglais verrait d'ailleurs d'un mauvais 
œil une alliance aussi intime avec une puissance 
voisine, considérable comme la France, de 
crainte qu'elle ne mît en danger ses libertés, ce 
qui aurait fort bien pu arriver si le feu roi Jac- 
ques Il avait accepté de Louis XIV l'offre d'une 
armée. Tous les partis en Angleterre n'auraient 



JUSTES MOTIFS DE CE REFUS. 188 

qu'une voix contre ce mariage. Les Jacobites se- 
raient exaspérés, parce qu'ils y verraient le coup 
le plus funeste qu'on puisse porter, pour le pré- 
sent et pour l'avenir, aux vues du Prétendant ; les 
mécontents du gouvernement y trouveraient 
un moyen de faire de la popularité avec leurs 
récriminations, et les amis du système actuel 
dans l'Église et dans l'État regarderaient les 
questions de religion et de constitution comme 
bien plus graves que la raison politique, quelque 
avantageuse qu'elle puisse paraître. De tout cela, 
il devrait résulter des défiances, des craintes et 
des jalousies, qui entraveraient dans l'avenir la 
marche du gouvernement de Sa Majesté et l'em- 
pêcheraient de pouvoir, avec l'aide de la France, 
garantir la tranquillité dont l'Europe a si grand 
besoin. Je vous avouerai d'ailleurs que, dans les 
conjonctures présentes, le véritable intérêt de la 
France exige que le roi d'Angleterre jouisse chez 
lui de la sécurité la plus complète. En dernier 
lieu, je redouterais que cette alliance ne causât 
aux puissances protestantes autant de mécon- 
tentement que d'envie. Tels sont les motifs qui 

8 



m JUSTES MOTIFS DE CE BBFUS. 

me décident à penser que la France ne doit pas 
demander une princesse anglaise : l'apparence 
seule d'un refus, qui ne me paratt pas douteux, 
pourrait également porter un grave préjudice à 
notre bonne intelligence actuelle. Je sais bien 
que cette ouverture ne doit pas être faite ofifi« 
ciellement à Sa Majesté par l'amba^adeur de 
France, mais seulement au nom personnel de 
M. le Duc : cependant, si elle vient à être eo^ 
nue, elle ressemblera fort à une demande en 
règle. Mon opinion, telle que je vous l'ai donnée, 
n'ayant pas prévalu, j'ai cru qu'il serait bon que 
vous pussiez représenter mes paroles, eomme 
l'expression des sentiments de quelques hommes 
sensés et importants, mais sans me nommer, 
car j'ai fort à cœur qu'on ne fasse rien qui 
puisse être préjudiciable à la bonne entente des 
deux nations. Maintenant que vous êtes au cou- 
rant des affaires d'ici, peut-être auriez*vous rai- 
son de suggérer au roi de faire à l'ambassadeur 
une réponse obligeante et gracieuse, comme 
c'est du reste l'usage ordinaire de Sa Majesté. 
Il pourrait lui affirmer que rien ne saurait lui 



JUSTES MOTIFS DE CE REPUS. iS5 

6tre plus agréable ni plus sympathique qu'une 
pareille alliance, à tous les points de vue, 
si la religion et la constitution anglaises la lui 
permettaient. 11 ajouterait que, bien que ces 
difficultés soient insurmontables, il n'en désire 
pas moins rester aussi étroitement uni B,iec la 
France que si ce mariage pouvait ayoir lieu. 
J'espère aussi que, si tous dépêchez un cour- 
rier, il arrivera à Londres avant que le comte 
de Bmglie n'ait pu Caire d'autre communica- 
tion que celle de la décision prise du renvoi 
de ITnfante. 

c( n termina son discours en me répétant 
combien il était inquiet de la précipitation 
qu'on avait mise dans cette dernière affaire 
avec TEspagne : il était fort effrayé des chances 
d'une rupture avec cette puissance, d'un ma- 
riage possible du prince des Asturies avec 
une archiduchesse d'Autriche et de tous les 
avantages qu'en tirerait TEmpereur. J'ai cru 
m 'apercevoir aussi que la crainte de méconten- 
ter le pape, qui, dans cette affaire, n'avait été 
ni averti ni consulté par la France, avant que le 



186 JUSTES MOTIFS DE CE REFUS. 

bruit public n'en fût arrivé jusqu'à lui, n'était 
pas le moindre de ses soucis. Je lui ai demandé 
8*il ne soupçonnait pas M. le Duc de n'em- 
ployer tous ces manèges que pour arriver plus 
sûrement au mariage de sa sœur avec le roi 
Louis XY : « Cela est possible, m'a-t-il répondu, 
mais tant que j'aurai la moindre influence sur 
le roi très-chrétien, je m'y opposerai de toutes 
mes forces. » J'ai pris alors congé de M. de 
Fréjus, en le remerciant cordialement de s'être 
montré si favorable au maintien de notre al*^ 
liance et en le priant encore d'y apporter tout 
ce qu'il pourrait avoir de crédit et d'ardeur, 
car c'était là une nécessité plus urgente que 
jamais. Je lui ai laissé voir mon inquiétude, qui, 
je l'espère, n'est pas fondée, que toute cette 
question n'aboutît à sa disgrâce et à son éloigne- 
ment des afiaires : convaincu comme je le suis 
que M. le Duc ne perd pas de vue le projet de 
faire épouser sa sœur, et que s'il a laissé le bruit 
de sa démarche près du roi mon maître se ré- 
pandre avec éclat, c'est dans Tunique but de 
justifier le renvoi de l'Infante, par la perspec- 



JUSTES MOTIFS DE CE REFUS. 137 

tive d'une autre union utile et honorable pour 
Sa Majesté très-chrétienne. Au lieu de cela, s'il 
s'était agi seulement de déblayer le terrain pour 
sa sœur, cette grave mesure eût été beaucoup 
moins populaire en France et n'eût pas man- 
qué de faire assez mauvaise figure aux yeux du 
monde*. » 

Le 16 mars, Walpole recevait du duc de New- 
castle la communication confidentielle des ou- 
vertures faites au roi par le comte de Broglîe et 
de la réponse de Sa Majesté. « Ces nouvelles 
m'ont causé, répond Walpole, un profond sen- 
timent de satisfaction, de reconnaissance et de 
dévouement envers le roi, pour son attachement 
inébranlable à la religion de notre pays, tel que 
doit l'éprouver tout vrai protestant et tout sujet 
loyal. » 

Il eut bientôt après un nouvel entretien avec 
Fleury : a J'ai trouvé, écrivait-il, M. de Fréjus 
rayonnant : il m'a dit qu'il se trouvait fort impa- 
tient de me voir, pour me témoigner combien il 



1. Walpole au duc de Newcaslle, Paris, 13 mars 1725. 

8. 



tSS ON CHOISIT BNf fif 

était heureux que le roi, d'après le rapport même 
du comte de Broglie, eût fait à la proposition de 
mariage une réponse aussi prudente et aussi 
digne de lui-même : il avait su ainsi concilier 
ce qu'il devait à sa conscience et aux lois de son 
royaume avec Tunion amicale qui existe entre 
ks deux couronnes. Je lui ai appris en revanche 
combien, dans cette occasion, Sa Majesté avait 
été satisfaite de sa manière de voir (dont j'avais 
rendu compte à Votre Grâce sans le nommer), en 
lui faisant remarquer que le roi s'y était con- 
formé d'avance de la manière la plus complète. 
Je lui ai dit aussi que Sa Majesté était animée du 
plus sincère désir de travailler de tout son pou^ 
voir à calmer l'irritation de l'Espagne *. » 

M. de Fréjus insinua alors que la fille de Sta« 
BislasLeczinski, roi titulaire de Pologne, avait 
beaucoup de chances pour devenir l'épouse de 
Louis XV ; en répétant que si M. le Duc réussis- 
sait à faire agréer sa sœur, il était décidé à quit- 
ter immédiatement la cour. Là-dessus, le duc 

1. Walpole au duc de Newcastle, 28 mars 1725. 



MARIE LECZINSKA. is» 

de Newcastle écrivit à Walpole : « Je ne saurais 
dissimuler à Votre Excellence tout le souci qu'a 
donné à Sa Majesté la fin de votre lettre, où 
vous parlez de la possibilité de la retraite de 
M. de Fréjus. Le roi de France y perdrait un 
serviteur aussi capable que fidèle, et Sa Majesté 
un ami loyal et dévoué. Le roi en a été d'autant 
plus frappé qu'il est fort à craindre que le motif 
de cette retraite ne se présenté bientôt, à en juger 
par la relation que vous m'envoyez et par les 
paroles mêmes de M. de Broglie au roi ; puis-^ 
qu'il n'a pu s'empêcher de lui exprimer son dé- 
sir, qu'à défaut de l'une de nos princesses^ le 
roi son maître prît pour épouse mademoiselle 
de Yermandois. Il avoue cependant que H. le 
Duc y trouverait quelques difficultés, parce que 
c'est lui même qui a pris le parti de renvoyer 
l'Infante. Si toutefois ce projet devait réussir, 
Sa Majesté désire que vous usiez de tout votre 
crédit sur M. de Fréjus, pour le dissuader d'une 
démarche aussi précipitée qu'irréfléchie, en lui 
remontrant les conséquences f&cheuses qu'elle 
pourrait avoir, tant pour la France que pour 



140 ON CHOISIT ENFIN 

l'Angleterre. Vous lui exposeriez tous les mal- 
heurs que pourrait entraîner son éloignement 
des affaires, s'il survenait un événement capable 
de compromettre la bonne intelligence entre 
les deux royaumes, à laquelle il a si puissam- 
ment contribué. » 

La résolution de M. de Fréjus ne fut pas mise 
à l'épreuve ; son influence sur Louis XV était 
dès lors assez considérable pour repousser toutes 
les tentatives du duc de Bourbon au sujet de sa 
sœur. Le prélat sut agir avec autant de prudence 
que d'habileté, et tout en excluant mademoiselle 
de Vermandois *, qui aurait donné trop d'impor- 
tance à M. le Duc, il ne se mêla nullement du 
choix de la future reine, de peur que, si elle ne 
plaisait pas au jeune monarque, il ne se trouvât 
dans l'avenir exposé à des reproches de sa part. 

Après de longues hésitations, le choix de 
M. le Duc et de madame de Prie s'arrêta, comme 
l'avait pensé M. de Fréjus, sur Marie Leczinska, 



1. Saiiit-Simon ne parle pas de l'opposition de Fleury au ma- 
riage de cette princesse : il n'attribue l'échec de M. le Duc, 
dans cette entreprise, qu'aux intrigues de madame de Prie. 



MARIE LECZINSKA. 141 

assez belle princesse de vingt-deux ans, que sa 
position et son caractère semblaient devoir lais^ 
ser sous la dépendance de ceux qui auraient 
contribué à son élévation. Fleury n'y mit point 
d'opposition, et le roi ayant montré à cet égard 
l'indifférence la plus complète, le mariage fut 
célébré le 15 août 1725. 

Dans l'organisation de la maison de la nou- 
velle reine, madame de Prie devait être nom- 
mée dame du palais, et Paris Duverney- secré- 
taire des commandements. La place de grand 
aumônier fut offerte à M. de Fréjus, qui mon- 
tra une répugnance extrême à faire partie 
d'une maison ainsi composée : il tâcha même 
de s'opposer à la nomination de madame de 
Prie, et pour cela il proposa à M. le Duc l'expé- 
dient de lui faire offrir ce poste de dame du 
palais, à condition qu'elle ne l'accepterait pas : 
cette offre refusée devant, disait-il, lui faire plus 
d'honneur que l'emploi lui-même ne lui procu- 
rerait d'avantages. Madame de Prie ne voulut 
point entendre à cet arrangement et la place 
lui fut donnée. M. de Fréjus annonça alors à 



i42 M. DE FRÉJUS DEVIENT 

Walpole sa détermination de refuser la grande 
aumônerie, puisqu'il ne pouvait, en honneur et 
conscience, vivre dans une maison assiégée par 
des gens pareils à madame de Prie et à Du- 
verney, qui avait été simple soldat. Walpole le 
dissuada fortement de prendre une décision: 
aussi inconsidérée : a Vous ne pourriez pas, lui 
dit-*il, rendre un plus grand service à ceux, 
pour lesquels vous éprouvez une si légitime 
aversion, qu*en abandonnant ainsi entre leurs 
mains tout pouvoir sur la maison de la reine : 
ils nommeraient assurément une de leurs créa- 
tures pour vous remplacer. L'intérêt de votre 
pays, aussi bien que votre conscience, vous font 
un devoir de bien réfléchir avant de prendre 
votre parti. La reine une fois établie en France, 
la scène changera ; votre capacité et vos vertus, 
je n'en doute pas, y auront le premier rôle^ 
et l'occasion ne tardera pas à se présenter, de 
ruiner ceux dont les principes et les actes sont 
incompatibles avec la dignité de la couronne*. »- 

i, Walpole au duc de Newcastle, 27 avril 1725. 



GRAND AUMONIER DE LA REINE. \kt 

Les instances de Walpole réussirent enfin à 
convaincre M. de Fréjus : il accepta la place de 
grand aumônier, bien que madame de Prie de- 
meurât dame du palais * et Duverney secrétaire 
des commandements de la reine. 



i. Mademoiselle de CSlermont^ princesse du sang, avait la 
charge de surintendante de la maison de la reine^ et la maré- 
chale de Boufflers celle de sa dame d'honneur. 



CHAPITRE V 



Ressentiment de Philippe Y contre la France. — RcTirement 
dans sa politique. — Projet d*alliance entre TEmpire et l*Es^ 
pague. — Négociations de Ripperda : traité de Vienne. — Pré- 
paratifs de guerre. — Walpole presse la conclusion du traité de 
Hanovre. — Signature de ce traité. ^ Hésitations de la France. 
— luflueuce de Walpole. — Jalousie de M. le Duc et de ma- 
dame de Prie contre M. de Fréjus. — Vaines remontrances 
de Fleury à M. le Duc. — Le roi soutient son précepteur. — 
Tentative pour l'éloigner jpar le crédit de la reine. — M. âf^ 
Fréjus se retire à Issy. — Désespoir du roi. — Retour de Fleurj- 
à Versailles. — Visite de Walpole à M. de Fréjus. — Sou en- 
tente parfaite avec lui. — Nouvelles intrigues de madame de 
Prie et de Duvemey. — Le roi reftise la démission de M. le 
Duc. 



Le renvoi si brusque de Tinfante et le peu de 
tact avec lequel il avait été notifié à Madrid par 
Tabbé de Livry*, causèrent une irritation ex- 

1. L'abbé de Livry n'a pas^ dit-on, bien conduit cette négo- 
ciation, n a fait un discours au roi d'Espagne^ avant de lui don- 
ner la lettre du roi. Le roi d'Espagne no l'a pas voulu lire^ et 

9 




Y^ 



/ 






146 RESSENTIMENT IXE PHILIPPE V 

cessive au roi et à la reine d'Espagne, et préci- 
pitèrent l'exécution des desseins auxquels ils 
travaillaient déjà depuis quelque temps. Comme 
nous l'avons dit plus haut^ l'Espagne ne pou- 
vait obtenir de l'Empereur la délivrance des 
lettres d'investiture pour la succession éven- 
tuelle des duchés de Toscane, de Parme et de 
Plaisance y stipulée à Cambrai en faveur de don 
Carlos. Ces délais affectés indiquaient clai- 
rement un mauvais vouloir systématique, et 
George P' se considérait comme engagé d'hon- 
neur à faire rendre justice à l'Infant, de con- 
cert avec la France. H fallait don& arracher 
à Charles YI un consentement trop longtemps 
attendu ; mais l'orgueil impérial regardait la fi- 
délité du roi à ses engagements avec l'Espagne, 
comme un insigne outrage pour la maison d'Au- 
triche, accoutumée depuis tant d'années à une 
complaisance aveugle de la part de l'Angleterre. 
Ne devait-elle pas compter encore plus sûrement 



a dit qu'il saTaît ce qui était dedans. La lettre est reTenue en- 
tière en France. L'abbé de Liyry reçut Tordre de quitter Madrid 
dans les vingt-quatre heures. (Mathieu Marais, t. Jll, p. 163.) 

^ . O ( * ■ ■ ■ ■ ■ / 



; / 



CONTRE LA FRANCE. 147 

sur sa docilité depuis que le trône élait occupé 
par un Électeur de Hanovre? 

De son côté, la reine d'Espagne, furieuse des 
retards interminables apportés à l'exécution des 
clauses en faveur de ses enfants, et exaspérée de 
voir que les médiateurs n'en eussent pas déjà 
fait un cas de rupture ouverte avec l'Empereur, 
ne cachait pas sa colère contre la France et l'An- 
gleterre, qui l'avaient forcée à entrer dans la 
quadruple alliance. Prenant donc tout à coup 
son parti, tandis que les plénipotentiaires, encore 
réunis à Cambrai, s'efforçaient d'aplanir les diffi- 
cultés sans cesse soulevées par l'Empereur, Eli- 
sabeth Farnëse* dépêcha à Vienne un certain 
Rîpperda^, homme entreprenant et peu scrupu- 

i. ÉlUabelli Farnèse, fille d'OdoardFamèse^duc de Parme et 
de Plaisance^ née le 25 octobre 1692. 

2. Guillaume^ baron^ puis duc de Ripperda^ aventurier hollan- 
dais^ né à Groningue d'une famille noble^ fut d'abord colonel 
d'infanterie^ puis ambassadeur de Hollande en Espagne. Il sut 
plaire à Philippe Y en flattant ses passions ambitieuses^ changea 
de religion et entra à son service. Le roi l'envoya comme pléni- 
potentiaire pour négocier le traité de Vienne^ dont Ripperda lui 
avait suggéré l'idée. A son retour^ il fut créé duc et grand d'Es- 
pagne de première classe^ et devint ministre des affaires étran- 
gères et des finances. Mais il se perdit à force d'intrigues^ de 



i' 

/ 



U8 REVIREMENT DANS SA POLITIQUE. 

leux, avec ordre de négocier directement une 
réconciliation avec Charles YI, en obtenant la 
main d'une archiduchesse pour l'un des Infants. 
Quelque étrange que puisse paraître ce projet, 
il fut poussé avec une activité fiévreuse par les 
deux partis, qui ne doutèrent plus de pouvoir 
poser ainsi les bases d'une puissance, la plus 
étendue et la plus despotique qu'on eût encore 
vue en Europe*. 

Les choses en étaient là lorsque le renvoi de 
rinfante vint mettre le comble à Tanimosité de 
/ Philippe et de sa vindicative épouse contre la 
France. Rappelant aussitôt leurs plénipoten- 
tiaires de Cambrai, ils réclamèrent la seule mé- 
diation de TAngleterre; mais le roi George, 
sentant combien Tamitié de la France lui était 



concussions et d'immoralité : on l'arracha de force de la maison 
de l'ambassadeur d'Angleterre, où il avait cherché un asile, et il 
fut enfermé dans la tour de Ségovie en 1726. Parvenu à s'évader 
au bout de deux ans de captivité, il erra par toute l'Europe sans 
trouver d'emploi, et finit par se retirer au Maroc, où il prit le 
turban : il commanda une armée contre les Espagnols, mais il 
Tut battu devant Ceuta. On le mit en prison, et il finit par mou- 
rir à Tétuan en 1737. 
1. M* Walpole's Apology, 



TRAITÉ DE VIENNE. 149 

précieuse, ne voulut lui donner aucun sujet de 
plainte et repoussa à Tinstant cette demande 
insidieuse. L'Espagne alors n'hésita plus : elle 
mit fin à ses longues discussions avec TEmpire, 
et Ripperda signa le traité de Vienne le 1" mai 
1725. 

Par ce traité, la séparation des deux monar- 
chies de France et d'Espagne était posée en 
principe fondamental, et l'Empereur, suivant les 
conventions d'Utrecht, reconnaissait Philippe V 
comme roi d'Espagne et des Indes; Philippe, de 
son côté, renonçait formellement aux provinces 
d'Italie, aux Pays-Bas et à la Sicile. Les duchés 
de Toscane, de Parme et de Plaisance étaient 
déclarés fiefs masculins de TEmpire, et à défaut 
d'héritiers mftles, ils devaient revenir au fils aîné 
de la reine d'Espagne et à ses enfants mâles ; 
l'Empereur s'engageait à faire délivrer immédia- 
tement les lettres d'investiture éventuelle. L'île 
d'Elbe devait également appartenir au prince 
d'Espagne qui aurait la Toscane. Ces disposi- 
tions étaient garanties réciproquement par les 
deux gouvernements. 



r 



/ 



1 



150 PRÉPARATIFS DE GUERRE. 

Le traité contenait en outre des articles se- 
crets, qui menaçaient à la fois les possessions et 
le commerce de TAngleterre, de la France et de 
la Hollande, et en particulier le trône de la mai- 
son de Hanovre. De grands préparatifs de guerre 
furent faits aussitôt par l'Autriche et TEspagne, 
pour que ces stipulations fussent exécutées par 
la force, si cela devenait nécessaire : la Russie 
fut amenée à entrer dans cette alliance, on 
somma les princes allemands de venir se ranger 
sous la bannière de leur chef, et on commençai 
lever des troupes à l'aide des subsides de l'Es- 
pagne. George I" et M. le Duc, alarmés de ces 
mouvements hostiles, entamèrent avec le roi 
Frédéric-Guillaume de Prusse une négociation 
dont le résultat fut une alliance défensive, signée 
à Hanovre le 3 septembre 1725*, entre l'Angle- 

1. Ce traité fut conclu à Herrenhausen, près de Hanovre^ entre 
le vicomte Townshend, le comte de Broglie et le sieur de Wallen- 
rodt. Les alliés se garantissaient mutuellement toutes leurs pos- 
sessions ainsi que les droits^ immunités et avantages^ et en par- 
ticulier ceux qui regardent le commerce^ dont ils jouissaient ou 
désiraient jouir respectivement. Ils stipulaient de plus les se- 
cours qu'ils devaient se donner^ en cas d'agression de la part de 
l'Empire ou de ses alliés. La France et l'Angleterre devaient 



CONCLUSION DU TRAITÉ DE HANOVRE. iSl 

terre, la France et la Prusse, auxquelles se 
joignirent Tannée suivante la Hollande, le Da- 
neraarck et la Suède. 

Ces deux traités amenaient an singulier bou- 
leversement dans les affaires de l'Europe, puis- 
que l'un des deux jetait l'Empereur dans les 
bras de l'Espagne^ soa ennemie invétérée^ 
pour combattre l'Angleterre et la Hollande, ses 
anciennes amies, tandis que l'autre réunissait 
l'Angleterre à la France, son antique adver- 
saire, pour déjouer les périlleuses entreprises 
'de l'Empereur, son plus ancien allié * . 

Ce fut à Paris que la dernière main fut mdse 
aux conventions de Hanovre, et on fut surtout 
redevable de cette heureuse conclusion à l'ha- 
bileté et à la prudence de l'ambassadeur britan- 
nique, qui sut également ménager les irrésolu- J 
tiens de M. le Duc, les temporisations de M. de 
Morville, et l'esprit souple, insinuant et circons- 
pect de M. de Fréjus. 

ifournir respectivement 8,000 hommes d'infanterie et 4,000 che- 
vaux; la Pnwse, 3,000 hommes d'infanterie et 2,000 chevaux, ou 
Jeur valeur en vaisseaux ou en argent, 
i . M, Walpole's Àpology, 



.' 1 



152 HÉSITATIONS DE LA FRANCK. 

Les difficultés de sa t&che étaient encore ag- 
gravées par les alarmes de George I", par la 
violence de lordTownshend, et ses dissentiments 
avec sir Robert Walpole, enfin par les anxiétés 
des ministres anglais, qui les rendaient souvent 
injustes envers le cabinet de Versailles, en 
l'accusant de froideur, sans tenir assez compte 
de la délicatesse et des embarras de sa position. 
Convaincu de la nécessité de l'alliance anglaise, 
il n'en était pas moins opposé à une rupture 
ouverte avec un prince de la maison de Bour- 
bon, oncle du roi Louis XV, et dontle trône avait 
coûté à la France tant de sang et de trésors. De là 
résultaient souvent de la lenteur et des oscilla- 
tions dans la conduite des ministres, et leurs ré- 
solutions vigoureuses n'étaient dues qu'à l'éner- 
gie et à l'insistance de Walpole. Il était parvenu à 
se rendre agréable à la famille d'Orléans comme 
à celle de Bourbon, si profondément divisées, et 
il avait fait en sorte de ne blesser ni la France 
ni l'Espagne dans la question du renvoi de l'in- 
fante*. Cette conduite adroite lui attira les 

1. M, Walpole* s Apology. 



INFLUENCE DE WALPOLE. 153 

éloges de tous les ministres étrangers et Tap- 
probation complète de son gouvernemenl. Le 
duc de Newcastle lui écrivait, au moment de la 
conclusion du traité de Hanovre : « Je dois fé- 
liciter Votre Excellence sur la grande œuvre 
que vous avez su mener si près de sa fin, et dont 
Sa Majesté doit vous savoir le même gré que 
si elle était déjà passée à l'état de fait accompli. 
Pour moi, j'éprouve un vif plaisir de la part im- 
portante que vous y avez prise : l'activité, la pru- 
dence et l'adresse que vous avez déployées dans 
l'exécution des ordres de Sa Majesté ont attiré 
son attention, et maintenant que nous sommes 
sur le point d'en recueillir les fruits, je ne puis 
que complimenter Votre Excellence sur le grand 
service que vous avez rendu au roi et à l'État. » 
Walpole n'ignorait pas que c'était à l'in- 
fluence de M. de Fréjus qu'il devait la plus 
grande part de ses succès; il savait également 
que M. le Duc n'avait eu sa place de premier 
ministre que par suite de la condescendance de 
ce prélat : aussi se refusa-t-il toujours, malgré 
l'avis du cabinet britannique, à faire une cour 



9. 




154 JALOUSIE DE M. LE DUC ET DE M»» DE PRIE 

plus assidue aux dames qui passaient pour gou- 
verner ce prince. II craignait de déplaire à son 
vénérable ami en se mêlant à leurs cabales. Les 
dépèches de l'ambassadeur prouvent d'ailleurs 
abondamment la prépondérance que M. de Fré- 
jus avait su gagner près du roi dès cette époque : 
« Le duc de Bourbon, dit-il dans l'une d'elles, 
se donne toutes les peines liu monde pour con-* 
quérir la confiance du jeune monarque; mais 
M. de Fréjus est toujours là, lui barrant le che- 
min : quand son Altesse a trouvé enfin une oc- 
casion favorable pour entretenir Sa Majesté, dès 
qu'il commence à parler d'affaires, l'enfant 
royal s'empresse de couper court à la conversa- 
tion par des bagatelles ou de simples cancans, 
jusqu'à ce que son précepteur, qu'il ne manque 
jamais de faire avertir, ait le temps d'arriver 
dans son cabinet. M. le Duc en est toujours 
profondément blessé, maïs il ne sait comment 
s'y prendre pour se débarrasser du prélat, car 
s'il ne réussissait pas à obtenir sa disgrâce, ce 
serait certainement le signal de la sienne*. » 

1. Vi^alpole à lord Townshend, 13 janvier 1726. 



CONTRE M. DE FRËJUS. m 

Peu de temps après la conclusion du traité de 
Hanovre, il survint à Versailles un incident qui 
prouva une fois de plus la sagacité de Walpole : 
nous allons le laisser en rendre compte luî« 
même à lord Townshend. 

a Mardi dernier, 18 de ce mois, jour où les 
ambassadeurs étrangers se rendent à Versaille» 
pour faire leur cour à Leurs Majestés très-chré- 
tiennes et se présenter à Taudience des ministres, 
M. de Fréjus, bien qu'il eût invité du monde à 
dîner, et malgré une véritable tourmente de vent 
et de pluie, partit de bonne heure pour sa mai- 
son d'Issy, près Meudon, à une heure de distance 
de Versailles. H s'était contenté de faire dire chei 
lui qu'il ne reviendrait pas delà soirée. Ce départ 
subit, joint à d'autres circonstances observées 
par les courtisans la veille au soir, celle-ci entre 
autres que Leurs Majestés étaient restées en- 
fermées longtemps avec M. le Duc dans le cabi- 
net de la reine, tout cela avait fait courir le 
bruit que M. de Fréjus se retirait entièrement 
des affaires. Mais lorsqu'on le vit revenir à Ver- 
sailles le lendemain niatin de bonne heure et as- 



IM JALOUSIE DE M. LE DUC ET DE W^ BE rEIK 

iiiter comme de coutume aa lerer dn roi, ces 
bruiU tombèrent d'eux-mêmes, non sans laisstt 
un libre cours aux conjectures sur les motib qm 
avaient pu occasionner un si brusque dépait et 
un si prompt retour. 

« Je puis heureusement vous édairer de la 
manière la plus complète à ce sujet; mais aupa- 
ravant je vous demande la permission de vioos 
expo»or en peu de mots Tétat de la cour, d^ois 
Tarrivée de la reine à Fontainebleau ^ Votre 
Seigneurie n^ignore pas que du moment où 
M. lo Duc est entré aux affaires, c'est madame 
do Prie et M. Duverney qui ont pris la haute 
main dans l'administration, tandis que M. de 
Fréjus, plus particulièrement attaché à la per- 
sonne du roi, n'a pas recherché d'autre faveur 
ni d'autre appui, et s'est contenté de donner son 



1. Septembre 1728. « Le voyage de Fontainebleau s'est passé 
avec un continuel emprcHKement de la part du roi pour la reine ; 
maÎN cette princesno ent obsédée par madame de Prie. Il ne lui 
•it libre ni de parler & qui elle veut^ ni d'écrire. Madame de Prie 
•ntre k tôt» moments dans ses appartements pour Toir ce qu'elle 
fait^ et elle n'est maltresse d'aucune grâce. » (Journal de Bar- 
bier, t. I, p. 228.) 



CONTRE M. DE FRÈJUS. 157 

avis au conseil comme ministre d'État, et à 
M. le Duc dans rintimité, non pas en flatteur, 
mais en ami. M. le Duc, redoutant son influence, 
montrait bien parfois, à l'instigation de ses con- 
seillers, une certaine jalousie contre lui; mais 
M. de Fréjus, par sa conduite loyale et exempte 
d'ambition et d'intérêt personnel, le ramenait 
bientôt à lui : ils continuaient donc à vivre et à 
agir ensemble dans la plus parfaite intelligence. 
Le prélat ne s'occupait du gouvernement que 
pour émettre son opinion sur les affaires coun 
rantes, opinion généralement si pleine d'équité 
et de raison que M. le Duc s'en emparait avec 
bonheur. Tout alla donc pour le mieux jusqu'au 
mariage du roi. 

(( Forcés de renoncer à faire la reine de 
France d'une princesse d'Angleterre, tandis 
que la nation tout entière frémissait du désir 
de voir le roi marié, madame de Prie et Du- 
verney résolurent de choisir une princesse, à 
qui sa situation n'eût pas permis d'élever ses 
prétentions jusqu'au trône de France et que la 
reconnaissance dût rattacher pour toujours à 



458 JALOUSIE DE M. LE DUC ET DE Mae DE PRIE 

leurs intérêts : ce serait par elle, à Tabri du 
nom et du pouvoir apparent de M. le Duc, qu'ils 
continueraient à gouverner l*État. Aucune prin- 
cesse ne leur sembla devoir mieux remplir ces 
conditions que Marie Leczinska : nul doute 
qu'elle n'acceptftt leur programme, en même 
temps que le mariage inespéré qu'ils lui pro» 
curaient ^ M. de Fréjus resta complètement 
neutre dans cette affaire, soit qu'il ne voulût 
pas repousser ce mariage, au moment où la 
France entière réclamait une reine à grands 
cris, soit que d'un autre côté il trouvât des in- 
convénients à recommander une princesse que 
la différence d'âge et d'autres considérations 
pouvaient un jour rendre peu agréable au roi. 
Louis XY se laissa faire avec la docilité là 
plus parfaite, et la cérémonie eut lieu sans qu'il 
montrât ni répugnance ni empressement ^. 



1. Elle (madame de Prie) fit la reine, comme je ferai demain 
mon laquais valet de chambre. (D'Argenson, Mémoires, t, I, 
p. 60.) 

2. Ce fut lord Waldegrave, qui succéda plus tard à Walpole 
en qualité d'ambassadeur à Paris, que le roi d'Angleterre nomma 
pour venir complimenter Louis XV sur son mariage. 



N 



CONTRE M. DE FRËJUS. 159 

il On crut généralement que la reconnais- 
sance de la nouvelle reine se bornerait à la 
seule personne de M. le Duc, qu'elle pénétre- 
rait aisément le caractère artificieux et rapace 
de madame de Prie et de Duverney et que la 
différence d'âge et de beauté qui existait entre 
elle et le roi l'engagerait à s'appuyer sur des 
amis sûrs et dévoués, au lieu de s'abandonner 
à des gens qui ne se feraient aucun scrupule 
de se prêter à toutes les fantaisies du roi, quel- 
que blessantes pour elle qu'elles pussent être. 
La vertu et la probité bien connues de M. de 
Fréjus devaient la porter à rechercher son ami- 
tié, afin que la grande influence de ce prélat 
pût disposer en sa faveur le cœur de son jeune 
époux et la mettre ainsi à l'abri des entre- 
prises d'une rivale. Tout cela sautait aux yeux, 
et la nomination de Fleury à la place de grand 
aumônier devait encore faciliter un rapproche- 
ment avec lui, dès que la reine le voudrait. Mais 
madame de Prie n'avait rien négligé de son 
côté : elle avait su gagner toutes les personnes 
à qui leurs fonctions devaient donner accès près 




IM JALOUSIE DE M. LE DUC ET DE M"« DE PRIE 

de Marie Leczinska, dès son arrivée à la ccur, et 
la garde se trouva si bien faite autour de cette 
princesse, qu*à Texception des créatures de ma- 
dame de Prie, personne ne pouvait s'adresser à 
elle sans qu'on lui coupftt aussitôt la parole. La 
reine, il est vrai, ne tarda pas à s'en fatiguer et à se 
plaindre de subir ainsi un blocus en règle, mais 
elle ne fit malgré cela aucune attention à M. de 
Fréjus et se contenta de lui témoigner les sim- 
ples égards dus à ses fonctions près d'elle. Elle 
finit cependant par laisser entendre à quelques- 
uns de ses amis qu'elle détestait madame de 
Prie et qu'elle serait bien aise de gagner l'af- 
fection de M. de Fréjus, qu'elle commençait 
à savoir apprécier dignement ; mais elle ajouta 
qu'il lui fallait patienter encore, parce qu'elle 
ne savait comment s'y prendre, tant elle crai- 
gnait que madame de Prie ne la mit mal 
avec M. le Duc, auquel elle avait de si grandes 
obligations et qui tenait tout le pouvoir en 
main. 

(( M. de Fréjus continuait donc à remplir avec 
la même assiduité ses fonctions près du roi, et ne 



CONTRE M. DE FRÉJUS. 161 

manquait jamais de se trouver présent lorsque 
M. le Duc venait lui parler d'affaires. Il se mon- 
trait fort respectueux envers la reine, mais en 
même temps très-décidé à ne rien faire pour 
attirer son attention sur lui, jusqu'à ce qu'elle 
prît d'elle-même le parti de l'encourager dans 
celte \oie. Le caractère du prélat n'a rien du 
courtisan ni du parasite, et il ne fait jamais un 
pas sans avoir la certitude d'être bien accueilli. 
A ceux de ses amis qui l'exhortaient à se rappro- 
cher de la reine , il répondait invariablement 
qu'ils ne se doutaient pas de l'état réel des choses 
à la cour, et il m'a souvent répété qu'en dépitde 
quelques avances personnelles de la reine pour 
gagner son amitié, il la savait toujours courbée 
sous le joug de madame de Prie et de Duverney, 
tandis que M. le Duc restait plus absorbé que ja- 
mais par ces deux personnages, malgré la cla- 
meur de réprobation de la France tout entière. 
Fleury était le seul qui pût lutter contre une 
association aussi pernicieuse, et il osa le faire en 
s'adressant au roi et à M. le Duc lui-même. Il 
déclara franchement à ce prince qu'il considc- 



lit VAINES RBMONTRAlfCBS 

rait madame de Prie et M. Duverney comme les 
ennemis de TÉtat, et qu'il les rendait respon- 
sables de toutes les désordres, de la faiblesse et 
de la confusion qui régnaient dans les iBnances 
aussi bien que dans la politique, et discréditaient 
le gouvernement aux yeux de tous, a Mon hon« 
« neur et ma conscience, ajouta-t-il, me font 
« un devoir de vous dire loyalement ma foçon 
« de penser; la réputation de Votre Altesse 
« elle-même exige impérieusement que vous ne 
« subissiez pas plus longtemps la domination 
« de si indignes conseillers. » L'évèque prêchait 
dans le désert, car M« le Duc, rivé de plus en plus 
étroitement dans ses chaînes, prenait toujours le 
parti de ceux qu'il attaquait, et il y mettait une 
telle ardeur que M. de Fréjus et lui en sont venus 
souvent à de gros mots sur ce sujet. Fleury m'a 
appris que, récemment encore, M. le Duc lui 
avait répondu qu'il tenait certainement à son 
honneur et à sa conscience autant que lui, M. de 
Fréjus, mais qu'à cause de cela même il défen- 
drait toujours des amis qu'il savait prêts à tout 
hasarder pour lui, même leur existence, et que 



DE FLEURY A M. LE DUC. 16S 

si madame de Prie et Duverney devaient tom- 
ber, il tomberait avec eux. 

((C'étaitlà pousser les chosesàreitrème; M. de 
Fréjus n'avait pas la moindre envie de rompre 
avec le prince, ni de le renverser, ne sachant qui 
mettre à sa place et résolu pour son compte à 
ne pas endosser le fardeau des affaires. H sentait 
peut-être aussi qu'il y trouverait quelque op- 
position, même de la part du roi, à qui M. le Duc 
avait su se rendre assez agréable : d'abord à cause 
de la recommandation de M. de Fréjus lui-même, 
lorsque ce prince fut nommé ministre, ensuite 
par le soin extrême qu'il mettait à être toujours 
aux ordres de Sa Majesté, à ne la contrarier 
en rien, et à se prêter sans cesse à ses amu- 
sements, en facilitant pour elle les plaisirs de la 
chasse, tantôt dans un ch&teau royal, tantôt dans 
un autre. Ce furent là, je présume, les considé- 
rations qui détournèrent M. de Fréjus de rompre 
en visière à madame de Prie et à Duverney, bien 
qu'il continu&t à exprimer librement son opi- 
nion sur leur compte quand l'occasion s'en pré- 
sentait. Connaissant donc toute son aversion. 



16i LE ROI SOUTIENT SON PRÉCEPTEUR. 

et désespérant de le ramener en leur faveur, 
malgré toutes les tentatives de M. le Duc, ce 
couple, aussi entreprenant que peu scrupuleux, 
dressa ses batteries pour se débarrasser de 
M. de Fréjus. Mais c'était là une attaque difficile 
et périlleuse, et ils cherchaient en vain le côté 
vulnérable par où ils pourraient ouvrir la 
brèche. 

a Je dois ici vous faire remarquer, Mylord, 
que, bien que la conduite aussi loyale que désin- 
téressée de M. de Fréjus exclût toute idée de sa 
part de vouloir supplanter M. le Duc, le privilège 
de travailler seul avec le roi et d'assister tou- 
jours au travail de Son Altesse avec lui était 
représenté par madame de Prie comme un tel 
empiétement sur les droits du premier ministre 
que M. le Duc finit par s'en émouvoir profondé- 
ment. 11 prit même la chose si fort à cœur qu'il 
s'efforça souvent, par lui-même ou par l'entre- 
mise de ses amis, d'obtenir de M. de Fréjus qu'il 
le laiss&t quelquefois travailler seul avec le roi. 
Mais Fleury fut inflexible, en déclarant que Sa 
Majesté lui avait donné l'ordre positif de se trou- 



LE ROI SOUTIENT SON PRÉCEPTEUn. 165 

ver toujours présent quand Son Altesse aurait 
des affaires à traiter avec elle. Le prince céda, 
mais il ne put jamais en prendre son parti. 

c( L'année dernière, le roi se trouvant à Chan- 
tilly, Fleury était allé passer deux jours à Lian- 
court. Mettant à profit son absence, M. le Duc 
se rendit chez Sa Majesté à l'heure ordinaire, 
avec son portefeuille, dans Tespérance de tra- 
vailler seul avec elle; mais il n'y put parvenir, le 
roi lui ayant signifié qu'il ne ferait rien avant le 
retour de son précepteur. Son Altesse lui re- 
présenta alors, de l'air le plus modeste, qu'il ne 
s'agissait pour le moment d'aucune affaire grave, 
mais qu'il avait là quelques papiers qui, malgré 
leur peu d'importance, demandaient par leur 
nature même à être expédiés sans délai ; il priait 
donc seulement le roi d'y apposer s^ signature ; 
mais Louis XV lui répliqua qu'il en serait temps 
encore lorsque M. de Fréjus serait revenu. 
Cette démonstration prouva clairement è M. le 
Duc l'inutilité des efforts qu'il pourrait tenter 
pour ruiner le crédit de l'évêque; aussi toute 
jalousie et toute discussion sur ce point paru- 



166 TENTATIVE POUR L'ÈL01G?IBR 

rent-elles assoupies jusqu'à l'arrivée de la reine. 

« Dès qu'on put supposer que cette princesse 
s'était emparée complètement du cœur et de 
l'affection du roi, on la sollicita vivement d'user 
de son influence pour tftcher d'obtenir ce qd 
était toujours l'objet des vœux les plus ardents 
de M. le Duc : le travail en tète à tète avec Sa 
Majesté. La reine s'y refusa d'abord, dit-on, de 
crainte sans doute de s'aliéner son grand aumô- 
nier ; mais elle finit par consentir à essayer ce 
qu'on lui demandait, et ce fut là le motif du dé- 
part de Fleury pour la campagne mardi dernier. 
Voici comment les faits se sont passés. 

a Lundi sdr, dès que la reine eut appris que 
Louis X\ était revenu de la chasse, elle quitta 
son jeu et le fit prier de venir lui parler dans 
son cabinet; c'était une heure avant celle 
où il avait coutume de s'entretenir seul avec 
M. de Fréjiis. La reine, qui était accompagnée 
de M. le Duc, profita de cette occasion pour 
presser vivement son époux, avec toutes les cajo- 
leries imaginables, de consentir à travailler seul 
ce soir-là avec le prince. Le roi tint bon contre 



PAR LE CRÉDIT DE LA REINE. 167 

toutes ses instances pendant plus d'une heure, 
et il finit par se lever, en lui disant adieu, pour 
aller rejoindre M. de Fleury ; mais avant qu'il 
sortît, la reine lui fit promettre de revenir bien- 
tôt la voir. Rentré dans son appartement, oii il 
trouva son précepteur, le roi lui rendit un compte 
exact de tout ce qui s'était passé, en l'assurant 
qu'il était décidé à ne jamais travailler seul avec 
M. le Duc et à ne pas retourner chez la reine. 
M. de Fréjus le pria au contraire d'aller la re« 
voir, puisqu'il lui en avait donné sa parole, en 
ajoutant que si Sa Majesté était résolue à ne pas 
parler d^affaires seule avec M. le Duc, il vaudrait 
mieux qu'elle le fit appeler, a Non, non, ré- 
<( pondit le roi ; attendez-moi dans ce cabinet, je 
« vais revenir dans un instant. » La conversaticm 
de Louis XV avec M. de Fréjus avait duré plus 
de cinq quarts d'heure, avant que ce dernier pût 
obtenir que Sa Majesté retourn&t chez la reine; 
mais une fois partie, l'évftque attendit plus d'une 
heure sans entendre parler du roi, et il ne douta 
plus que la reine et M. le Duc ne fassent par- 
venus à gagner leur cause auprès de lui ; il ren- 



168 M. DE FRÉJUS SB RETIRE A ISSY. 

tra donc dans son appartement et ne parut plus 
s'occuper de cette affaire de toute la nuit. Mais le 
lendemain matin, de bonne heure, il écrivit au 
roi pour lui annoncer qu'il allait s'éloigner et 
lui expliquer les motifs de sa détermination, en 
le suppliant de le dispenser désormais de tout 
service auprès de sa personne. Dans une autre 
lettre adressée à M. le Duc, il le priait d'intercé- 
der près de Sa Majesté pour qu'elle lui accordât 
son pardon et l'autorisation de se retirer com- 
plétement de la cour. Cela fait, il se rendit direc- 
tement à sa maison de campagne d'Issy. 

ce Le roi était parti pour la chasse, avant dV 
voir reçu la lettre de M. de Fréjus; dès qu'il fut 
de retour, la reine demanda à lui parler et lui 
apprit aussitôt le départ de son précepteur pour 
la campagne, a Je présume qu'il reviendra ce 
«soir, lui dit Sa Majesté. — Non, répliqua- 
a t-elle, je ne le pense pas. » Le roi ne dit pas 
un mot, mais il quitta la chambre d'un air cons- 
terné et se retira dans son cabinet, d'où, crai- 
gnant d'être rSiportuné, il passa dans sa garde- 
robe et s'assit sur le siège dans l'attitude de la plus 



DÉSESPOIR DU ROI. 1(9 

profonde douleur. Le duc de Mortetnart, premier 
gentilhomme de la chambre en service, fut lo 
seul qui osât se présenter devant lui, pour savoir 
s'il avait des ordres à lui donner; mais Louis XV 
ne lui ayant pas répondu, le duc se hasarda à 
lui dire : « Sire y M. de Fréjus est parti pour la 
campagne^ tant pis pour Votre Majesté et pour 
l'État. )) Le roi garda le silence ; mais s'étant 
levé pour rentrer dans son cabinet, il dit au duc 
de Mortemart : v. Allez incessammetit chez M. le 
Duc et dites-lui que je lui ordonne d^ écrire sur^ 
le-champ à M. de Fréjus que je Pattends de- 
main à mon lever. — L'ordonnez^vous^ Stre^ ré- 
pondit le duc. — Oui, dit le vol^je rordonne*.ii 
M. de Mortemart ayant transmis les ordres de 
Sa Majesté à M. le Duc, il envoya le soir même 
un exprès au prélat, qui se trouva le lendemain 
au lever du roi. On assure que le chagrin qu'il 
avait ressenti de l'absence de son précepteur 
ue peut se comparer qu'à la joie et au bonheur 
qu'il a témoignés en le voyant reparaître le len- 
demain. 

1 . Tout ce qui est souligné est en français dans la dépêche. 

iO 



170 RETOUR DE FLBURT A VERSAILLES. 

ft Tels sont, Mylord, les détails les plus Yéridi- 
ques que je puisse tous donner sur cet étrange 
incident, qui a absorbé l'attention et les pensées 
de tout le monde, français et étrangers. La cour 
et la YiHe ont pris parti pour M. de Fréjus, à 
l'exception de ses amis particuliers^ qui oùi 
trouvé ce départ beaucoup trop précipité, puis- 
qu'il n'avait pas même pris le temps d'apprécier 
la conduite du roi et qu'il avait couru le risque 
de donner à ses adversaires un grand avantage 
sur lui. M. le Duc a cru devoir montrer une sur- 
prise extrême de la retraite de M. de Fréjus, 
qui, disait-il, n'avait eu aucun motif, même le 
plus léger, et sa lettre, écrite d'après Tordre du 
roi, commençait par exprimer au prélat tout 
rétonnement que lui avait causé ce départ. 

(( J'ai eu samedi une audience de Son Altesse, 
pour lui parler de l'accession du roi de Sar- 
daigne au traité de Hanovre, et, trouvant ce 
prince bien disposé, j'en ai profité pour lui dire, 
en m'en allant, que j'espérais bien que tous les 
bruits de discordes et de divisions à la cour 
étaient tombés; je m'excusais en même temps 



VISITE DE WALPOLE A M. DE FRÉJUS. 171 

de toucher à un sujet si délicat sans y être au- 
torisé, sinon par mon dévouement à l'union en- 
tre les deux couronnes et par ma crainte de voir 
s'affaiblir l'administration française. « A vous, 
« me répondit-il avec une extrême obligeance, 
«je puis parler en toute franchise; toute cette 
<( affaire est certainement la plus ridicule qu'on 
(( puisse imaginer, et je ne l'ai pas caché à mon 
« ami l'évoque : si c'eût été un enfant, il aurait 
(( fallu lui donner le fouet. S'il m'en avait dit 
<( un seul mot, rien de pareil ne serait arrivé, 
« car il n'avait aucune raison sérieuse pour 
« s'en aller. M. de Fréjus et moi, nous avons 
a toujours été bons amis de tout temps, et j'es« 
« père qu'il en sera toujours ainsi, bien que je 
<( n'ignore pas tout ce qu'on tAche de faire pour 
<( nous brouiller. » 

ce Je ne dissimulerai pas à Votre Seigneurie 
que, la maison de campagne de M. de Fréjus se 
trouvant exactement sur la route de Versailles à 
Paris, j'avais fait arrêter ma chaise à l'entrée du 
village ce même mardi, en revenant de la cour, et 
que j 'avais envoyé mon laquais savoir des nou- 



17i SON ENTENTE PARFAITE AVEC LUI. 

\elles de M. de Fleury. J'étais décidé, dans le cas 
où il m'y encouragerait, à lui faire une visite et à 
le supplier instamment de retourner à Versailles, 
dans la conviction oîi je suis qiie sa rétraite y 
amènerait une confusion extrême et pourrait 
avoir une influence désastreuse sur les questions 
extérieures. Il m'a fait répondre, avec force re- 
merciements et politesses, qu'il espérait me voir 
dans deux ou trois jours, et dès le lendemain, de 
bonne heure, il m'a envoyé son secrétaire pour 
m'annoncer qu'il retournait à la cour. J'ai pensé 
qu'il valait mieux attendre pour l'aller voir jus- 
qu'à samedi dernier, et j'ai eu soin de passer d'a- 
bord chez M. le Duc et chez M. de Morville. Je 
renonce à vous peindre la manière gracieuse 
dont j'ai été reçu par M. de Fréjus: « Il était, 
me dit-il, plein de gratitude pour le témoignage 
d'afTection que je lui avais donné, en allant le vi- 
siter le jour si critique de sa retraite. » 

c( J'espère que Sa Majesté ne sera pas mécon- 
tente de cette démarche, qu'exigeait ma recon- 
naissance pour les dispositions toujours si bien- 
veillantes du prélat envers moi ; mon devoir était 



SON ENTENTE PARFAITE AVEC LUI. 171 

d'agir ainsi, quoi qu'il pût en arriver, et je suis 
certain qu'il ne l'oubliera jamais. » 

L'événement justifia la prévision de Walpole, 
M. de Fréjus n'oublia jamais cette visite dans un 
pareil moment et leur intimité en devint encore 
plus étroite. La déférence du prélat envers l'am- 
bassadeur ne laissa pas de donner de Tombrage 
au parti opposé à l'alliance anglaise ; l'abbé de 
Montgon prétendit que Walpole avait subjugué 
Fleury çt qu'ils étaient comme deux doigts de 
la main. Le maréchal de Yillars et le duc de 
Saint-Simon firent les plus vives remontrances 
au prélat sur son obséquiosité vis-à-vis de l'am- 
bassadeur, mais tout cela fut en pure perte ^ 



1 . Saiut-Simon rapporte à ce sig'et que, reprochant plus tard 
au cardinal de se laisser gouverner par Walpole en lui sacrifiant 
les intérêts de la France : « Vous n'y êtes pas, lui répondit- il 
avec un sourire de complaisance, Walpole est mon ami personnel. 
11 est le seul qui ait osé me venir voir à ïssy, lorsque j'y étais, 
prêt à me retirer dans mes abbayes. Il a toute confiance en moi. 
Croiriez-vous qu'il me montre toutes les lettres qu'il reçoit d'An- 
gleterre et toutes celles qu'il y écrit, que je les corrige et que 
souvent je les dicte. Je sais bien ce que je fais. Son frère a la 
même confiance. 11 faut laisser dire que je m'abandonne à eux, 
et moi je vous dis que je les gouverne et que je fais de l'Angle- 
terre tout ce que je veux. » Jamais il n'a pu se mettre dans l'es- 

10. 




174 NOUVELLES INTRIGUES 

La rentrée triomphale de M. de Fréjus à Ver- 
sailles et les marques éclatantes de l'affection da 
roi lui avaient assuré désormais une supériorité 
incontestable sur ses adversaires. M. le Duc, re- 
connaissant que la lutte était devenue impossible, 
affectait à son égard une amitié et une confiance 
absolues, et comme le prélat insistait toujours 
auprès de lui pour obtenir Téloignement de sa 
maîtresse et de son confident, il parut se ré- 
soudre à céder enfin à ses exhortations. La reine, 
qui ne voyait que par les yeux de M. le Duc, 
s'abstint de toute démarche en faveur de sa 
dame du palais : madame de Prie dut aller faire 
un voyage dans ses terres de Normandie, et 
Paris Duverney ne parut plus que rarement à 
Versailles^ où même une afTaire importante de 
finances se traita sans lui. Cependant le dernier 
mot n'était pas dit et les deux associés ne se 
tenaient pas pour battus ; la faiblesse de M. le Duc 
était un auxiliaire sur lequel ils savaient pouvoir 
compter, et dès le 1" juin, madame de Prie re- 
prit que le ministre d'Angleterre ne risquait rien à l'aller voir à 
Issy ! 



DE M"e DE PRIE ET DE DUVERNEY. 175 

paraissait inopinément à la* cour; Duverney, de 
son côté, se remit à fréquenter le conseil des fi- 
nances, avec ses airs habituels de hauteur et 
d'insolence. Il sentaient pourtant que le sol de 
la cour continuerait à trembler sous leurs pas , 
tant qu'ils ne seraient pas délivrés de M. de Fré- 
jus^; il fallait donc, cette fois, l'écarter à tout 
prix, et la reine, malgré l'humiliation de son 
premier insuccès, ne dédaigna pas de s'entre- 
mettre de nouveau pour servir les plans de ses 
amis ; mais elle avait toujours trop présumé de 
son pouvoir sur l'esprit du roi, et toutes ses ten- 
tatives n'aboutirent qu'à rendre encore plus 
visible son indifférence pour elle '• 



1. Madame de Prie^ qui le jugea plus à craindre (M. de Fré- 
jus), voulut avoir une conversation avec lui : quoi qu'elle pût 
faire^ elle ne put jamais l'obtenir. Outrée de ce refus, elle ne 
garda plus de mesure et persuada M. le Duc (contre tous ses 
intérêts) de travailler à perdre M. de Fréjus. Les tentatives qu il 
fit pour y réussir sont connues de tout le monde : ce projet in- 
sensé eut le succès qu'il devait avoir, et M. le Duc, au lieu de 
M. de Fréjus, se trouva noyé dans l'esprit du roi. (Marquis de 
Lassay, Recueil de différentes choses, t. IV, p. 120.) 

2. La froideur persistante du roi et les premiers démêlés de 
Marie Leczinska avec Fleury ne paraissent pas avoir laissé la 
moindre trace d'amertume dans le cœur de cette princesse, aussi 



LE ROI REFUSE 

Une catastrophe devenait imminente ; M. le 
Duc, s'apercevant que le jeu ainsi engagé devait 
tourner forcément contre lui-même, prit le parti 
d'offrir sa démission au roi en présence de 
H. de Fréjus. Cette démarche inattendue sur- 
prit et embarrassa Louis XV : a Votre Majesté, 
« dit Fleury , dont l'heure n'était pas encore 
« venue, consentira-t-elle à la proposition de 

simple que dévouée. Nous en voyons une preuve, entre autres, 
dans la lettre suivante, qu elle écrivait au cardinal en 1732. La 
Toici telle que nous la trouvons dans la collection d'autographes 
de M. le marquis de Biencourt : 

AtfU 1732. 

« Je suis bien Wihé, mon cher cardinal, de croire qu'il soit 
nécessaire de nouvelles pour me rendre vos lettres agréables; 
celle de la santé du roy est Tunique qui m'intéresse, ainsi, vous 
me ferez plaisir de m'en mander souvent, n'oublies pas de m'in- 
former de la vostre, j'espère que vous ne douttez pas, mon cher 
cardinal, que je ne fasse de vœux pour elle. J'ai esté relevée ce 
matin *, cToù j'ai esté voir mes enfants, et je compte dimanche 
faire mes Pâques à la paroisse, la pauvre madame cTAHincourt 
n*est pas encore trop bien. Je vous -prie de faire mille compli- 
ments au Roy de ma part et d'être persuadée de mon amitié pour 

TOUS. 

« Marie. » 

Ce dimanche. 
* £lle était accouchée de madame Adélaïde le 23 mais. 



LA DÉMISSION DE M. LE DUC. 177 

« M. le Duc, sans l'engager encore à demeurer 
(( à son service? » Le roi, tiré d'incertitude^ le 
pria de conserver la direction des affaires, en lui 
donnant des témoignages d'amitié et de satis* 
faction *. 

1. \V. Goxe, Memoirs of lord Wa/poU. 



"\ 



CHAPITRE VI 



Voyage de Walpole à Londres. — Artifices du gouTernement 
impérial. — Walpole défend au parlement le traité de Ha- 
novre. — Il obtient une majorité considérable. — Mort de 
lady Townshend. — L'Espagne appuie ouyertement le Pjréten- 
dant. — Préparatifs de guerre de Tempereur Charles VI. — 
Armements maritimes de l'Angleterre. — Le duc de Riche- 
lieu ambassadeur à Vienne. — Retour de Walpole à Paris. 
— Incertitudes de la politique française. — M. le Duc cherche 
à se réconcilier avec l'Espagne. — Intrigues de Ripperda et de 
l'abbé de Montgon. — ciaLlonmies qu'ils répandent sur M. de 
Fréjus. — Il s'en lave facilement. — Chute de Ripperda. 



L'Europe se trouvait menacée d'un embrase- 
ment général, dont le moindre choc pouvait faire 
jaillir la première étincelle, lorsque le roi George 
revint de Hanovre en Angleterre, le 1" janvier 
1726. Le parlement devait s'ouvrir le 20, et les 
traités de Vienne et de Hanovre allaient y être 
sérieusement discutés. Walpole pensa que sa 



180 VOYAeS DE WALPOLE A LONDRES. 

présence devenait nécessaire à Londres, pour y 
expliquer Tétat véritable et les intentions du 
cabinet français, débrouiller devant le parle- 
ment les complications diplomatiques et dé- 
^ fendre le traité de Hanovre, qu'on savait de- 
I voir rencontrer une violente opposition. Il partit 
donc de Paris, en laissant à sa place, comme 
chargé d'affaires, son secrétaire intime, M. Rq- 
binson, pour lequel il professait autant d'estime 
que d'affection, qui se trouvait d'ailleurs dans les 
meilleurs termes avec les ministres français, et 
qui avait su s'attirer la confiance de M. -de Fré- 
jus*. Sa position comme chargé d'affaires était 
fort délicate et demandait autant de tact que de 
prudence, au milieu du feu croisé des intrigues 
de toute sorte et des attaques passionnées que se 
renvoyaient entre elles les puissances rivales et 
déjà presque ennemies. Toute arme leur sem- 
blait bonne contre leurs adversaires, même la 

1. Monsieur, depuis sir Thomas Robinson, après avoir été mi- 
■istre plénipotentiaire à Vienne de 1730 à 1748, devint secré- 
taire d'État en 1754. Il donna sa démission l'année suivante, et 
George H le nomma maître de la garde-robe avec le titre de 
lord Grantham. fl est mort en 1770. 



ARTIFICES DU GOUVERNEMENT IMPÉRIAL. 181 

calomnie, et la première dépêche que Walpole 
reçut à Londres de M. Robinson nous en four- 
nit une preuve palpable : 

(( En raison de Tamitié particulière que veut 
bien nous montrer M. de Fréjus, écrit le secré- 
taire, je lui ai lu en substance la lettre du duc de 
Newcastle, adressée à Votre Excellence le 26 de 
ce mois. Elle renferme des notes fort étranges, 
qui dénoncent la plus noire des machinations 
qu'ait pu ourdir la cour impériale, ou du moins j 
M. Palm ^ 11 s'agirait de persuader à Sa Majesté 
catholique que la France et l'Angleterre ont com- 
ploté ensemble de faire jeter dans un couvent le 
roi et la reine d'Espagne, et d'élever à leur place 
sur le trône le prince des Asturies. Dès qu'il eut 
pris connaissance de ces papiers, M. de Fréjus 
m'engagea à ne point les faire connaître aux 
autres ministres français. Il allait , ajouta-t-il, 
écrire au roi d'Espagne, sous le sceau inviolable 
delà confession, touchant certaines afiaires de la 
plus haute importance, qui devaient ouvrir les 



1. Le comte Palm, ministre de TEmpereur à Londres. 

11 



â 



I 



iSl WALPOLB DÉFEND AU PARLBMBNT 

yeux à ce prince sur les véritables intentions de 
l'Empereur; il en profiterait pour parier à Sa Ma- 
jesté catholique, toujours dans le plus grand 
secret, de cette prétendue conspiration des deux 
j <x>uronnes contre lui, si misérablement inventée 
/ par les impériaux, afin de lui prouver qu'il n'est 
par d^artifices si abominables que les ministres 
d'Autriche ne soient disposés à mettre en œuvre, 
pour réussir dans leurs desseins '. » 

En arrivant à Londres, Walpole trouva le ca- 
binet fort préoccupé de la conduite ambigufi du 
roi de Prusse ', et le royaume menacé d'une in- 
vasion par les forces réunies de l'Espagne, de 
la Russie et de l'Empire. De plus, l'oppositbn 
s'était fortifiée de l'adhésion dés Pulteney et de 
touts les mécontents, qui s'étaient coalisés sons 
l'habile direction de Bolingbroke. 

Le 9 février, sir Robert Walpolè déposa à la 
chambre des communes les traités de Vienne 
et de Hanovre, et les débats s'ouvrirent le 16. 



1. Walpole paper s, 

2. En efiet, le roi Frédéric-Guillaume ne tarda pas à se déta- 
cher de l'alliance de Hanovre pour aoeéder an traité de Vienne* 




r 



LE TRAITE DE HANOVRE. 183 

Horace Walpole, dans un long discours étudié, 
fit un résumé lumineux de Thistoire des trai- 
tés, depuis la paix d'Utrecht jusqu'au traité de 
Vienne ; après avoir habilement défendu les mo« 
tifs qui avaient déterminé le roi à conclure celui 
de Hanovre, il peignit les ambitieux desseins des 
cours d'Espagne et d'Autriche, en détaillant leurs 
plans et leurs engagements respectifs, égale- 
ment hostiles au commerce et à la politique de 
l'Angleterre, et en contradiction manifeste avec 
ses alliances présentes. «Sa Majesté, poursuivit- 
il, toujours vigilante pour les intérêts de ses su- 
jets anglais, a fait faire de vives remontrances & 
l'Espagne et à l'Empire. A Madrid ces plaintes / 
ont été reçues avec froideur, à Vienne avec arro- 1 
gance. Le cabinet impérial n'a pas craint d'in- 
sinuer que, si le roi persistait dans sa résolution 
d'agir contrairement au traité de Vienne, non- 
seulement Charles VI se considérerait comme 
dégagé de sa garantie pour la succession protes- 
tante au trône d'Angleterre, mais encore que 
cette persistance pourrait entraîner des consé- 
quences graves au sujet des possessions aile- 



18; IL OBTIKNT 

mandes de Sa Majesté. Ces menaces insultantes 
n'ont point ébranlé la fenneté du roi, et il n'en 
a pas moins continué à prendre, de concert avee 
d'autres puissances, les mesures nécessaires pour 
lutter contre ceux qui s'efforcent de nous intimi- 
der, afin que nous les laissions accomplir leurs 
ambitieux complots. » 

Walpole s'étendit ensuite sur les tentatives 
fûtes par l'Espagne pour décider le mariage de 
don Carlos avec une archiduchesse, ainsi que sur 
les périls dont l'Angleterre pourrait être mena- 
cée plus tard par une semblable union, qui réu- 
nirait sous le même sceptre les forces de l'Espa- 
gne et de l'Autriche. H affirma que le but unique 
du traité de Hanovre était la paix générale, le 
repos de la chrétienté tout entière et la sécurité 
des possessions des parties contractantes, ainsi 
que le maintien des droits, immunités et avan- 
tages, surtout en ce qui regarde le commerce, 
dont leurs sujets jouissaient ou devaient jouir 
par suite des précédents traités. 

Daniel Pulteney représenta alors que cette 
question était trop importante pour être tran- 



UNE MAJORITÉ CONSIDÉRABLE. J85 

chée par une décision immédiate, et Schuppen 
prétendit que le traité engageait implicitement 
la nation à faire la guerre pour défendre les pos- 
sessions allemandes du roi, ce qui était contraire 
à la constitution. Ces objections furent réfutées 
victorieusement par M. Pelham, et une majorité 
de 28S voix contre 107 vota l'adresse, qui expri- 
mait la ferme résolution de la Chambre de dé- 
fendre le roi contre toute insulte et toute attaque, 
sur n'importe quel point de ses possessions, 
quand même elles n'appartiendraient point à la 
couronne d'Angleterre. Cette majorité triom- 
phante assura l'exécution du traité, et la session 
fut close le 24 mai. 

Ce fut pendant son séjour en Angleterre que 
Walpole perdit de la petite vérole sa sœur Do- 
rothée, épouse de lord Townshend * ; elle mou- 



1. Elle s'était mariée tard, par suite de Topposition constante 
que son père, Robert Walpole, avait mise à son mariage avec 
lord Townshend, dont il était tuteur. Des scrupules d'une déli- 
catesse peut-être exagérée lui avaient fait craindre qu'on ne 
l'accusât d'avoir abusé de son influence sur son pupille pour ame- 
ner une alliance si avantageuse pour sa famille. Lord Townshend, 
désespérant de vaincre cette résistance, épousa Elisabeth, fille 



/ 



186 MORT DE LADY TOWNSHEND. 

rut le 29 mars. La perte de cette femme, si dis- 
tinguée par les agréments de son esprit et de ses 
manières, fut une douleur cruelle pour son mari 
et pour sa famille; elle avait su, par le charme 
de son caractère, alléger souvent le poids des af- 
faires dont lord Townshend était accablé. Élevée 
à la campagne et étrangère, jusqu'à son mariage, 
aux usages de bour^ elle en eut bientôt pris l'ai- 
sance et la conversation ; lorsqu'elle accompagna 
son mari à Hanovre, « elle y montra tant de grâce 
et de bonne humeur, écrivait lord Waldegrave à 
Walpole, et elle sut si bien se faire aux habi- 
tudes du pays, qu'en peu de temps elle. y fut 
aimée et admirée de tout le monde ^. » Ce qui 
rendait sa mort encore plus regrettable, c'est 
que la mésintelligence qui régnait depuis long- 
temps déjà entre lord Tovirpshend et sir Robert 
Walpole s'envenimait alors tous les jours davan- 
tage, et qu'elle seule, par son heureux ascendant 

de lord Pelham; mais étant devenu veuf en 1713, il se remaria 
bientôt après avec Dorothée "Walpole, dont la douce influence 
sut longtemps modérer la fougue de ce caractère violent et im- 
pétueux. 
1. Hanovre, 19 décembre 1725. Waldegrave papers. 




MORT DE LADY TOWNSHEND. 187 

sur tous les deux, pouvait parvenir à radoucir 
et à en arrêter les funestes conséquences. Elle 
n'avait que quarante ans lorsqu'elle mourut, et 
ce fut un deuil général, bien justifié par son mé- 
rite, par son afTabilité et par les agréments de sa 
personne *. 

Au mois d'août, Walpole perdit également son 
frère Galfridus; entré de bonne heure dans la 
marine, il commandait le vaisseau le lion dans 
un combat contre les Français, où il eut le bras 
droit emporté par un boulet. A l'avènement de 
George 1", il représenta au parlement le boui^ 
de Lest Withiel ; il avait été nommé ensuite tré- 
sorier de l'hôpital de Greenvirich, et en 1721, 
adjoint au directeur général des postes. 

Au milieu des divisions profondes que les 



1. Politicai Siaie for Marché 1725. Cette femme channante 
a suiTécu longtemps dans le souvenir de sa famille et de ses te- 
nanciers. Il existait d'elle, au château de Rainham, s^our de la 
famille Townshend, un grand portrait en pied qui la représen- 
tait en costume de cour; longtemps après sa mort, on assurait 
encore qu'elle descendait souvent la nuit de son cadre pour par- 
courir ses anciens domaines^ et la croyance populaire était qu'elle 
portait bonheur à tous ceux qui pouvaient la rencontrer dans ses 
promenades nocturnes. 



188 LESPAGNE APPUIE LE PRÉTENDANT. 

tmtés de Vienne et de Hanovre avaient creusées 
en Europe, les cours de Vienne et de Madrid 
s'apprêtaient à exécuter leurs desseins gigantes- 
ques; l'Espagne avait repoussé avec dédain tous 
les efforts faits par le duc de Bourbon pour 
apaiser son ressentiment, après le départ de l'In- 
fante, et elle suivait aveuglément l'impulsion des 
idées aussi téméraires qu'incohérentes de Rip- 
perda. Le duc de Wharton était reçu publique- 
ment à Madrid, comme l'agent officiel du Pré- 
tendant; le duc de Liria jetait les plans d'une 
invasion en Angleterre, et M. Stanhope était 
traité en ministre proscrit; on enrôlait ouverte- 
ment des officiers pour le service du Prétendant, 
on envoyait en Galice un corps de troupes con- 
sidérable, dans le but avoué d'attaquer la France 
et d'envahir l'Angleterre ; le roi Philippe donnait 
de fortes sommes à l'Empereur et lui promettait 
des subsides encore plus considérables, à l'ar- 
rivée des galions d'Amérique. 

Charles VI ne déployait pas moins d'activité; 
il gagnait les électeurs de Trêves, de Bavière, 
de Cologne, de Mayence et du Palatinat ; il avait 



PRÉPARATIFS DE GUERRE. 189 

réussi à détacher le roi de Prusse de ralliance de 
Hanovre et il travaillait à armer les puissances 
du Nord contre TAngleterre. L'impératrice Ca- 
therine de Russie S V^^ ^vait conservé un parti 
considérable en Suède et en Danemarck, et qui i 
était largement assistée par Tor de l'Espagne, j 
avait déjà donné Tordre à Mentschikoff de tenir 
une flotte et une armée prêtes à entrer en cam- 
pagne au milieu de mai. L'invasion de l'Angle* 
terre devait être tentée à la fois des côtes de Rus- 
sie, de Norwége, des Flandres et de l'Espagne, et 
l'Empereur avec le roi Philippe tâchaient de réu- 
nir à cet effet une armée de 240,000 hommes, 
sans y comprendreles Russes et les troupes élec- 
torales. Devant toutes ces menaces, le cabinet 
britannique déploya une énergie égale à celle 
des résolutions du Parlement, en s'efforçant de 
réunir de nouvelles parties prenantes au traité 
de Hanovre. On fît de grands armements mari- 
times. L'amiral Hosier, à la tête d'une forte es- 
cadre, alla bloquer Porto-Bello, pour arrêter les 

1. Catherine Alexiewna, veuve de Pierre le Grand, qui tétait 
mort à Saint-Pétersbourg, le 8 février 1725. 

« il. 



1 



1 



190 ARMEMENTS MARITIMES DE L'ANGLETERRE. 

galions d'Amérique; sir Charles Wager, avec 
une autre escadre, fit voile vers la Baltique, pour 
contrecarrer les plans de la czarine et maintenir 
la Suède et le Danemarck, tandis que Sir John 
Jennings, ayant à bord un corps de troupes de 
débarquement, allait croiser sur les côtes d'Es- 
pagne et ravitailler Gil^raltar et le port Mahon. 
n s'agissait encore, au milieu de tout cela, 
d'empêcher la France de rompre ses engagements 
malgré son vif désir de se réconcilier avec l'Es- 
pagne, et de faire en sorte d'imprimer une nou- 
velle vigueur aux actes de son gouvernement; 
car c'était sur son appui seul que comptait le mi- 
nistère anglais pour anéantir la faction russe 
en Suède et détacher les princes allemands de 
leur alliance avec Charles VI *. 

Il faut bien le dire, la France ne paraissait 
plus que médiocrement disposée à prendre un 
parti violent; elle était représentée à la cour im- 
périale par le duc de Richelieu, fort jeune alors*, 
que la protection de madame de Prie avait fait 

1. Coxe, Memoirs of lord Walpoie. 

2. Né en 1696^ le duc de Richelieu avait vin^-neuf ans. 



LE DUC DE RICHELIEU A VIENNE. iM 

nommer ambassadeur extraordinaire. Arrivé/ 
seulement à son poste au mois de juillet 1728, ' 
il ne s'était pas trouvé en mesure d'empêcher la 
conclusion du traité de Vienne ; mais, à travers 
ces circonstances épineuses, il avait su manœu- 
vrer avec assez d'adresse pour se créer de nom- 
breux amis : par eux, le futur vainqueur dePort- 
Mahon était parvenu à détourner en grande 
partie contre l'Angleterre l'irritation des coih 
seillers de l'Empereur, et, sans compromettre 
l'honneur de la France, il avait pu lui donner 
une attitude à peu près semblable à celle d'une 
puissance médiatrice. Cette tactique n'avait 
point échappé, à Vienne, aux regards intéressés \ : 
des agents anglais, et à plusieurs reprises ils la (' 
dénoncèrent à l'attention de leur gouvernement* 
Le cabinet de Versailles feignait d'ignorer le» 
démarches qu'on reprochait à son ambassadeur, / 
et gardait à son égard un silence officiel qui de- 
vait passer pour une approbation de sa conduite. 
Walpole ne se faisait donc aucune illusion sur 
les difficultés de la t&che qu'il aurait à remplir, 
lorsqu'il revint à Paris le 14 mai; cependant il 



/ 



^ RETOUR DE WALPOLE A PARIS. 

r 

n'en fut pas moins singulièrement frappé du 
triste état de faiblesse et de désunion dans le- 
quel le gouvernement français était tombé. 

Le roi, complètement étranger aux affaires, ne 
rdvait que chasse et visites à Rambouillet, chez la 
comtesse de Toulouse ; plus que froid vis-à-vis de 
la reine, à qui il n'avait pas adressé la parole 
pendant trois mois, après la courte retraite de 
M. de Fréjus, il n'avait pas d'autre volonté que 
celle de son précepteur. M. le Duc, de plus en 
plus gouverné par madame de Prie et par Duver- 
ney, découragé d'ailleurs par la prépondérance 
de M. de Fréjus, ne cherchait qu'à rentrer dans 
les bonnes grâces de l'Espagne, dont il redoutait 
la vengeance, tout en s'efforçantde rester en bons 
rapports avec l'Angleterre. Sa politique se res- 
sentait de ces embarras ; elle était timide, in- 
certaine et incapable de prendre aucune mesure 
de vigueur. Les autres ministres se montraient 
d'une insignifiance absolue, et perdaient leur 
temps dans les intrigues et les cabales de cour. 
Fleury seul était l'âme du cabinet; mais, mal- 
gré son amitié personnelle pour Walpole et ses 



INCERTITUDES DE LA POLITIQUE FRANÇAISE. I9t I 

liaisons avec T Angleterre, on l'avait récemment 
soupçonné d'entretenir une correspondance se- 
crète avec TEspagne et d'appuyer sous main les 
complots des Jacobiles. Une lettre de l'abbé de 
Montgon ^ à M. de Morville, contenant quelques 
vagues imputations à cet égard, avait été trans- 
mise à M. Robinson par M. Stanhope, pendant 
l'absence de l'ambassadeur, et lui avait causé au- 

1. Charles- Alexandre de Montgon, fils d*un lieutenant géné- 
ral au service de Philippe V, et d'une mère dame du palais de 
la Dauphine, était né à Versailles en 1690. Il avait commencé 
par servir, mais, pris d'un accès de dévotion, il avait quitté les 
armes pour entrer dans les ordres, en renonçant à son héritage 
en faveur de son frère. Bien qu'il affectât un profond mépris des 
richesses et des honneurs, il n'en sollicita pas moins, à son retour 
d' Espagne, une riche abbaye, et l'ambassadeur de France k Madrid 
n'ayant pu la lui faire obtenir, par l'opposition qu'y fit M. deFr^'ut, 
il retourna en Espagne. Doué d'un extérieur et de manières agréa- 
bles, mêlant Tintrigue à la dévotion, il sut plaire au roi et à la 
reine d'Espagne, qui l'employèrent à tâcher de rompre l'alliance 
de la France avec l'Angleterre ; il affecta alors de refuser la place 
de ministre d'État pour demander celle d'ambassadeur à Turin ; 
il aspira même au chapeau de cardinal, mais toutes ses espérances 
s'en allèrent en fumée, et le pauvre abbé quitta Madrid pour re- 
venir vivre on France, dans une retraite plus que modeste. Il pu- 
Dlia alors ses Mémoires, en neuf volumes, pour se venger do 
M. de Fleury, auquel il attribuait toutes ses déceptions. Ces Mé- 
moires, lourds et diffus, contiennent cependant quelques anec- 
dotes curieuses et des documents intéressants pour rhistoire do 
cette époque. * 



/ 



194 INTRIGUES DE RIPPERDA 

tant d'étonnement que de douleur. Partageant 
du reste la bonne opinion de Walpole sur M. de 
Fréjus, le chargé d'affaires était allé chez ce 
prélat dans la soirée et lui ayait fait part, ayec 
toutes les précautions imaginables, des nouvelles 
qu'il avait reçues. Elles disaient que, dans une 
conversation avec M. Stanhope, Ripperda avait 
fait allusion à une négociation entamée à Ma- 
drid, sans que M. le Duc en eût connaissance, 
/ et à des propositions d'accommodement faites 
par des personnages très-importants de la cour 
de France. « J'ai été fort agréablement surpris, 
écrivait M. Robinson dans la dépêche où il 
rendait compte de ses démarches, lorsque le 
prélat m'a interrompu, avec un sourire franc et 
naturel, pour me dire : « N'est-ce pas de moi 
(( qu'il s'agît ? ne suis-je pas ce personnage im- 
(( portant, qui doit avoir l'honneur de réconci- 
« lier les deux couronnes et de forcer M. le Duc 
« h se jeter aux pieds de S. M. C. pour lui de- 
« mander pardon? Des nouvelles de ce genre 
« nous arrivent par tous les courriers et M. le 
« Duc est au courant de tous mes artifices. » 



"\ 



ET DE L*ABBÉ DE MONTGON. I9S 

c( J'ai touché un mot des allégations de Rip* 
perda, qui prêtait à M. de Fréjus, de concert avec 
le duc d'Orléans, l'intention de faire disgracier 
M. le Duc, de persuader le roi de France d'ao- 
quiescer au traité de Vienne et de rétablir le Pré- 
tendant sur le trône d'Angleterre. M. de Fréjus, 
toujours souriant, s'est moqué de Ripperda et de 
ses petites manœuvres, qui n'avaient pas d'autre 
mobile que le désir de semer dans cette cour des 
germes de jalousie et de divisions intestines. 
« C'est là, m'a-t-il dit, le dernier effort de TEs- 
(( pagne pour séparer la France de l'Angleterre ; 
tt mais il sera aussi infructueux que les autres : 
(( Ripperda ne se doute pas du véritable état des 
(( choses ici, s'il me croit capable d'entrer dans 
a un complot pour ruiner M. le Duc et, à plus 
« forte raison, s'il s'imagine que je vais me jeter 
fc pour cela dans ses bras et dans ceux de l'Es- 
n pagne. On connaît bien mes idées sur la ques- 
« tion du Prétendant; j'ai trop à cœur les inté- 
« rets de mon pays et ceux du roi pour chercher 
« à entraîner Sa Majesté dans des démarches ca- 
« pables de compromettre son amitié avec le roi 



196 CALOMNIES QU'ILS RÉPANDENT 

« de la Grande-Bretagne. Toutes ces réflexions, 
( « d'ailleurs, sont inutiles, car je ne suis respon- 
« sable de mes actions qu'envers le roi. Yous 
(( craignez, je le vois, que ces calomnies ne me 
« fassent tort, et je vous remercie de cette marque 
(( d'amitié ; mais il y a longtemps que je connais 
« les manœuvres de ce malheureux Montgon : 
<& c'est un pauvre diable, d'une crédulité puérile, 
« et Dieu sait à quoi il est bon 1 Je n'ai jamais 
(( voulu fatiguer M. Walpole de toutes ces his- 
« toires qui me regardent ; je les ai dédaignées, 
(( pour m'occuper uniquement de mes fonctions 
a près du roi : tous ces bavardages, d'une na-* 
« ture si personnelle, ne valent pas la peine 
(( qu'on en parle. Cependant je vous jure, a-t-il 
(( ajouté en levant au ciel les yeux et les mains, 
«je vous jure devant Dieu que je n'ai aucune 
« correspondance directe ni indirecte avec qui 
« que soit en Espagne. » 

Fleury pria alors M. Robinson de porter la 
lettre à M. de Morville, qui, se moqiiant de ces 
vagues insinuations, fit chaudement l'éloge du 
prélat et offrit sa tête à couper qu'il n'y avait pas 



SUR M. DE FRÉJUS. 197 

un mot de vrai dans toutes les calomnies répan- 
dues sur son compte. M. le Duc, dans une au* 
dience qu'il donna à M. Robinson, l'assura de son 
côté qu'il regardait la lettre en question comme 
un pur artifice de Ripperda et déclina toute idée 
de réconciliation avec l'Espagne, sans un accord 
complet avec l'Angleterre. Il prit aussi fortement 
le parti de M. de Fréjus, en déclarant qu'ils 
marchaient tous deux dans la même voie et 
d'après les mêmes principes ; puis portant la 
main à son cou, il s'écria : « Je réponds sur ma 
télé de la loyauté de M. de Fréjus. » 

A peine arrivé à Paris, Walpole obtint aussi 
les explications les plus satisfaisantes de M. de 
Morville, qui rejeta toute la faute sur Ripperda 
et sur l'abbé deMontgon, aussi bien que sur la 
crédulité de MM. de Sartine et Stalpart, agents 
français en Espagne. Heureusement pour tout 
le monde, ce fut fort peu de temps après que 
survint la nouvelle de la chute de Ripperda; 
cet homme, que le roi Philippe avait comblé 
de faveurs à son retour de Vienne, ne tarda 
pas à encourir sa disgr&ce par sa mauvaise con- 



\ 

I 



196 CHUTE DE RIPPERDA. 

duite et ses malversations de tous genres. Pris 
tout à coup d'une terreur panique, il avait 
alors abandonné son ministère pour se réfu- 
gier dans la maison de M. Stanhope, ambas- 
sadeur d'Angleterre, à qui il ne s'était pas fait 
scrupule de divulguer tous les secrets des négo- 
ciations de l'Espagne avec l'Empereur. Les pre- 
mières informations sur cet étrange événement 
vinrent par une Iett|re datée du 18 mai 1726 et 
adressée, par le comte de Kœnigsegg, ambassa- 
deur de Charles YI à Madrid, à M. de Fonseca, 
qui remplissait les mêmes fonctions à Paris. 
Walpole en apprit quelque chose le 31 mai par 
le ministre de Bavière, et tous les faits lui furent 
confirmés le 3 juin par MM. de Morville et de 
Fleury, à qui Fonseca les avait communiqués. 
Ce diplomate avait exprimé en même temps tous 
ses regrets de ce qui s'était passé, espérant, dit- 
il, que la France ne jetterait pas d'huile sur le 
feu, et il chercha à excuser l'Empereur d'avoir 
négocié avec un misérable tel que ce Ripperda. 
Le cabinet français applaudit hautement à la 
prudence et à l'habileté de M. Stanhope, et parut 



1 

/ 



CHUTE DE RIPPERDA. 19f 

charmé de pouvoir pénétrer coraplétemenl les 
secrets du traité de Vienne ; il se trouvait peut- 
être assez embarrassé sur la question de savoir 
si Philippe Y avait ou non violé le droit des gens 
en enlevant Ripperda de la maison de l'ambassa- 
deur d'Angleterre, mais il pressa Walpole de 
s'efforcer d'apaiser le ressentiment probable du 
roi son maître ; enfin, il mit tout en œuvre pour 
empêcher une rupture complète de George P' / 
avec l'Espagne. 

Le 9 juin, arriva à Paris une dépêche de 
M. Stanhope, dont le retard avait été occasionné 
par l'arrestation de son courrier à Vittoria, et le 
lendemain Walpole la communiqua à M. de 
Fréjus à Versailles. Stanhope s'y plaignait amè- 
rement des procédés de la cour d'Espagne, qui f 
n'avait pas craint d'envahir sa maison et d'user 
de la force pour en arracher Ripperda; il récla- 
mait sur ce fait une éclatante réparation. L'en- 
trevue que Walpole eut ce jour-là avec M. de 
Fréjus fiit courte et souvent interrompue ; mais 
l'ambassadeur ne laissa pas d'être frappé d'une 
réflexion qui avait échappé au prélat dans la 



r. 



I 



i 



iOO CHUTE DE RIPPERDAy 

chaleur de la conversation. « Le règne des prc- 
« miers ministres, avait-il dit, ne peut jamais 
u durer longtemps. » C'était une prophétie dont 
l'accomplissement ne devait pas se faire at- 
tendre. 



CHAPITRE VII 



Disgrâce de M. le Duc et de madame de Prie. •— Délails su 
cet événement. — La comtesse de Toulouse. ~^ GonTenatioo 
avec M. de Fréjus. — Suppression de la charge de premier 
ministre. — NouTeaux témoignages d*amitié de M. de Fr^'us 
pour Walpole. — M. de Fr^us est nommé principal ministre. 

— Modifications dans le cabinet. — Question de préséance 
pour les maréchaux. — M. de MorviUe est maintenu. ^ M. Le- 
blanc remplace M. de Breteuil comme secrétaire d*État de la 
guerre. — M. Lepelletier des Forts est nommé contrôleur gé- 
néral des finances. — Déclarations aux puissances étrangères. 

— Toute-puissance de M. de Fr^us. — Joie causée par la dis- 
grâce de M. le Duc. — Appréciation de Walpole sur ces évé- 
nements. — M. de Fr^us est fait cardinal. — Jugements 
divers sur sa politique. 



Le 12 juin 1726 , à trois heures du matin y 
Walpole était réveillé par un message de M. de 
Fréjus, conçu en ces termes : 




201 DISGRACE DE M. LE DUC 

Le il jnm^ k 5 heures. 

a Monsieur, 

« J'ai été lente souvent de révéler à Votre Ex- 
cellence ce qui vient de se passer ; mais je n'é- 
tais pas maître du secret du roi, et mes ordres 
étaient trop exprès pour les violer. Sa Majesté 
supprime la charge de premier ministre, et M. le 
Duc a Tordre de se retirer à Chantilly. Je ne 
doute pas qu'il n'obéisse, et j'ai l'honneur de 
vous récrire à Tavance, parce que je n'en aurai 
pas le temps après. Votre Excellence peut être 
assurée , Monsieur, et je vous prie d'assurer Sa 
Majesté britannique que cet événement ne chan- 
gera rien dans les affaires, et qu'elle trouvera 
la même fidélité et la même exactitude dans nos 
traités réciproques. Je ne puis dans ce moment 
que lui protester le respect avec lequel je suis , 
Monsieur, 

(( De Votre Excellence , 

(( Le très-humble et très-obéissant serviteur. 

<c A. H., 

« Aooieo éTéqae de Fréjoi i. » 
Mardi^ à 5 heures du soir. 

1. Walpole papers. 



ET DE MADAME DE PRIE. 208 

Walpole s'empressa de transmettre ce billet 
au duc de Newcastle, avec la dépêche suivante, 
datée de trois heures du matin : 

« J'ai l'honneur d'envoyer ci-incluse à Votre 
Grâce la copie d'une lettre de M. de Fréjus, 
qui , bien que datée d'hier soir, ne m'a été ap- 
portée qu'en ce moment par un de ses domesti- 
ques, qui m'a fait éveiller pour me la remettre 
en mains propres. Votre Grâce y verra que la 
charge de premier ministre est supprimée et 
que M. le Duc est exilé à Chantilly ^ ; madame 

1. Mardi an «oîr^ M. de Gharoat vint diez M. le Duc à enyiron 
sept heures; oa lui dit qa*il travaillait; il attendit environ trois 
quarts d*heure. Le prince^ étant averti^ sortit et dit à M. le duc 
de Charost qu*il était pressé d*aller trouver le roi à Rambouillet, 
qu*il remit an lendemain ce qn*il avait à lui dire; le capitaine 
des gardes lui dit i roreUle qu*il avait à lui parler de la part du 
roi; sur cela ils rentrèrent dans le cabinet. On lui donna Tordre 
du TfÂ, qui était qne^ voulant gouverner à l'avenir par lui-même, 
U supprimait la charge de premier ministre; qu'il le remerciait 
de ses soins et qu*il lui ordonnait d'aller à Chantilly jusqu'à nou- 
'vel ordre. Cet ordre était de la main du roi; le premier mouve- 
ment fût vif, ce qu'on ne sait point; après il dit qu'il obéirait. 
Il demanda : « fit mes papiers? » On lui répondit qu'on n'avait 
point d'ordre snr cela; il fit quelques triages de ses papiers, en 
brûla qwlqcMM-uns, en prit d'autres dans sa poche et remplit une 
cassette d'antres, disant que ceux-là étaient les papiers du roi et 
que tons les antres étaient à lui. Il écrivit à madame la duchesse^ 
on dk, à pea près en ces termes : « Tous les jours se suivent et 




«M DÉTAILS SUR CES ÉVÉNEMENTS. 

de Prie Test également dans sa terre de Nor- 
mandie ^ Je ne doute point que ces nouvelles 

ne se ressemblent pas; hier j'étais roi, aigourd'hui je suis Pom- 
pée; je vais à Chantilly; je compte, beUe maman, que tous me 
conserverez toigours vos bonnes grâces. » On lui demanda sa pa- 
role, qu'il donna, et puis il monta dans sa chaise qui l'attendait 
depuis longtemps pour aller à Rambouillet, et partit après aToir 
gracieuse tous les courtisans qui l'accompagnaient; et quand il 
ftit hors de portée qu'on l'entendit, il dit à son postillon : « À Chan- 
tiUy !» M. de Saint-Paul, exempt des gardes, le joignit et l'ac- 
compagna jusqu'à Chantilly, et vint le lendemain matin rendre 
compte au roi qu'il Tavait laissé à Chantilly. On dit qu'il y avait 
un détachement des gardes du corps en cas qu'il fit résistance, 
mais qui ne parurent pas; il n'y en a point eu à Chantilly. La 
veille et le jour même, le roi avait beaucoup badiné avec lui, et 
en partant, à quatre heures et demie, il lui dit de ne se point 
presser, de faire ses affaires, sur ce qu'il lui avait dit qu'il en 
avait; qu'il pouvait partir à huit heures du soir, qu*il arriverait 
toiyours assez tôt pour le souper, et en montant en carrosse il dit 
au duc de Charost, à qui il venait de donner ses ordres : d'où 
il venait, qu'il ne montait pas avec lui. Ce dernier s'excusa sur 
ce qu'il avait quelques affaires; il répondit : « Puisque cela est, 
il faut que le duc de Gèvres vous attende pour vous mener. » Dès 
que le prince fut parti, M. de Fréjus porta la lettre du roi à la 
reine, qu'on dit conçue en ces termes : « Je vous prie et vous 
ordonne de croire tout ce que M. de Fréjus vous dira de ma part, 
et de ne m'en parler de votre vie. » (Mathieu Marais^ Corres- 
pondance inédite, p. 425.) 

1. Dès qu'elle se sentit disgraciée sans retour, cette femme, 
dont l'existence avait été si brillante, tomba dans le désespoir. 
Voici comment d'Argeuson raconte sa mort, accompagnée de cir- 
constances étranges : « Elle prit la résolution de s'empoisonner 
tel jour et à telle heure. Elle annonça sa mort comme une pro- 
phétie; on n'en crut rien Quoi qu'il en soit, elle réunit à 



DÉTAILS SUR CES ÉVÉNEMENTS. SOS 

ne surprennent Sa Majesté , que rien n'y avait 
préparée à l'avance. Si je n'eusse été prévenu 
par ce message nocturne, j'aurais donné à Votre 
Grftce quelques détails que j'avais déjà recueil- 
lis et qui m'avaient fait soupçonner cette crise, 
mais sans la croire aussi proche. Ces détails me 
-venaient d'une conversation que j'ai eue derniè- 
rement avec M. de Fréjus, et surtout de ce qu'il 
m'a dit hier à Versailles. 

« Mon ami M. Gedda ^ m'avait confié en 
grand secret, il y a quelque temps, que la reine 
avait dit au comte Tarlo ', arrivé ici depuis une 
dizaine de jours, que M. le Duc, bien qu'il fût 

Gourbespine tous les plaisirs. On y dansa, on y fit bonne chère^ 
on y joua la comédie. Elle-même parut en scène deux jours avant 
sa mort volontaire^ et récita trois cents vers par cœur. Elle avait 

même pris un amant Elle annonça à ce jeune homme qu'elle 

allait mourir^ lui précisant l'heure et la minute : il n'en crut 

rien Elle le chargea, deux jours avant sa mort, de porter à 

Rouen, sous une certaine adresse très-secrète, pour cinquante 
mille écus de diamants. Lorsqu'il revint de voyage elle n'existait 
plus : elle avait pris un poison vif et subtil. Elle avait vingt-neuf 
ans au moment de sa mort, le 6 octobre 1737. Son exil avait 
duré quinze mois. » 

1. Le baron de Gedda, ministre de Suède à Paris. 

2. Ministre plénipotentiaire du roi Stanislas k la cour de Ver- 
sailles. 

12 



i06 DETAILS SUR CES ËVÈNRMBNTS. 

resté au ministère sur la demande du rd, ne 
pouvait supporter plus longtemps rinfériorité 
de sa position ; qu'il l'avait donc priée d'intercé* 
der auprès de Sa Majesté, pour qu'elle décidât 
enfin à qui l'autorité de premier ministre devût 
appartenir, si c'était à lui ou à M. de Fréjus, et de 
Caire en sorte que la décision tourn&t en sa faveur. 
Cette fois, la reine n'avait pas voulu courir en- 
core le risque de déplaire au roi ; elle se souve- 
nait trop bien qu'en pareil cas il était resté 
trois mois sans lui parler ; elle avait donc suivi 
le conseil du comte Tarlo, qui l'engageait à 
déclarer nettemei^ à M. le Duc qu'elle ne se 
souciait plus d'entrer en lutte avec M. de Fréjus, 
mais que, si ce prince était attaqué personnelle- 
ment, elle le défendrait de tout son pouvoir. 
Elle ajouta, du reste, qu'elle était disposée à 
s'employer, autant que possible^ à le mettre 
d'accord avec M. de Fleury. 

« Sa réponse fut la même à madame de Prie, 
qui lui avait très-vivement parlé dans le môme 
sens que M. le Duc. 

« Ces nouvelles et d'autres avis que je tenais^ 



LA COMTESSE DE TOULOUSE. «07 

il est vrai, de sources moins authentiques, m'a- 
vaient averti de tout le préjudice que les fré- 
quents voyages du roi à Rambouillet devaient 
porter à M. le Duc ; car la comtesse de Tou- 
louse % qui a su plaire à Sa Majesté par les 
charmes de sa conversation , s'était mise sur le 
pied de lui parler librement de toute chose , et 
môme d'attaquer l'administration de M. le Duc. 
J'ai voulu, il y a huit jours, sonder M. de Fréjus 
sur ses rapports avec ce prince, et j'ai démêlé 
&cilement qu'une grande froideur régnait entre 
eux. Le prélat m'a avoué, i^ns détour, qu'il 
n'était nullement satisfait des mesures prises 
par M. le Duc pour les affaires intérieures, 
surtout en matière de finances ^ : il les attri- 



1. Marie-Victoire-Sophie de Noailles^ sœur du maréchal^ née 
en 1698. Yeave en premières noces du marquis de Gondria^ fils 
du duc d*Antin et petit-fite de madame de Montespan, elle avait 
épousé le comte de Toulouse en 1723. Le mariage eut lieu se- 
crètement^ mais le comte de Toulouse obtint la même année 
Fautorisation du roi pour le déclarer. Elle mourut en 1766. 

2. Mars 1726. « On a fait dans le ministère une opération des 
monnaies^ iiyuste^ et qui ne réussira pas. Le roi a diminué l'écu 
de quatre litres et Ta mis à trois livres; on le prend à trois 
livres cinq sols à la monnaie^ et on donne en échange un nouvel 
écu de cinq livres^ qui, au marc, n'est autre chose que le vieil 



/ 



208 CONVERSATION AVEC M. DE FRÉJUS. 

buait toujours à rinfluence pernicieuse et abso- 
lue de madame de Prie et de ses amis. Il m'a pro- 
testé, en termes énergiques, qu'il faisait passer 
le service du roi, son maître, bien avant toute 
autre considération, et que, par cette raison 
même , il voyait avec douleur les affaires mar- 
cher droit à la ruine de l'État, que la continua- 
tion du même système ne manquerait pas d'a- 
mener promptement. J'ai craint, d'après ces 
paroles , qu'il n'eût encore la pensée de quitter 
la cour; mais, dès que j'y ai fait allusion, il m'a 
tout à fait rassuré à cet égard. Je lui ai douce- 
ment insinué que peut-être le roi avait l'idée 
de le nommer premier ministre; mais il m'a 
répondu qu'il ne s'agissait nullement de cela 
et qu'il ne consentirait jamais à endosser un 
pareil fardeau. Je sentais pourtant qu'il avait 
encore quelque chose sur le cœur, au sujet de 
M. le Duc, et j'ai pris le parti de lui dire qu'à 

écu sur le pied de quatre livres. De manière que c'est faire une 
refonte pour gagner quinze sols par écu, et les faire perdre au 
public. Gomme on est devenu habile dans ce pays-ci et que tout 
le monde connaît la valeur de l'argent, par marc, on n'en porte 
presque rien à la Monnaie. » (Barbier, Journal^ t. I, p. 231.) 




CONVERSATION AVEC M. DE FRËJUS. a09 

défaut de ce prince, je ne voyais que lui capable 
de le remplacer, dans l'intérêt de TÉtat et dans 
le sien propre* H ne m'a pas été possible de 
tirer de lui aucune réponse positive, sinon qu'il 
n'y aurait plus de premier ministre, et il a 
continué à me laisser voir tout son méconten- 
tement contre M. le Duc. Il m'est revenu depuis 
que plusieurs amis de la famille d'Orléans 
avaient pressé le comte Tarlo d'engager la reine 
à faire tous ses efforts pour que le comte de 
Toulouse fût nommé premier ministre. Nanti 
de ces informations, j'ai encore tâché de péné- 
trer la pensée de M. de Fréjus, au sujet de M. le 
Duc, lorsque j'étais à Versailles , lundi dernier; 
malheureusement notre conversation a eu lieu 
tellement à b&tons rompus que j'ai eu à peine 
le temps de lui communiquer le compte rendu 
de M. Stanhope sur l'affaire de Ripperda; il 
m'a alors invité à dîner pour le lendemain avec 
les maréchaux d'Huxelles et de Berwick. 

« Profitant donc d'un moment où nous étions 
seuls avant le dîner, je lui dis qu'on m'avait an- 
noncé que le comte de Toulouse allait être choisi 



MO SUPPRESSION DE LA CHARGE 

pour premier ministre : non-seulement il le nia 
de la manière la plus formelle, mais il me re^ 
montra encore tous les inconvénients gui pour* 
raient résulter d'une pareille nomination : a Le 
« peuple , me dit-il encore , verrait avec plaisir 
« le roi prendre en main les rênes du gouver- 
« nement, avec l'assistance de son conseil. — 
« Je le crois, répondis-je; mais, comme le roi 
« semble assez peu porté à s'occuper des affaires 
K de l'État, ne pourrait-on pas, pour éviter la 
« confusion inséparable des premieM moments^ 
c( trouver un homme investi de toute sa con- 
(( fiance , gui se chargeât de traiter les guestions 
(( avec les intéressés et de répondre à tout 
«le monde, en laissant à Sa Majesté l'appa- 
<c rence du gouvernement? — Oui, répligua 
•r M. de Fréjus, c'est aussi mon avis. » J'en aï 
conclu gu'il s'agissait de lui-môme; mais, 
comme il n'a pas proféré un mot de plus, je n'ai 
pas osé le presser davantage. En nous séparant, 
à sept heures, il s'est arrôté deux fois tout court, 
comme s'il avait eu encore guelgue chose à me 
communiguer; je le lui ai demandé, mais il m'a 




DB PREMIER MINISTRE. . tu 

laissé partir sans rien ajouter à ce qu'il m^ivait 
déjà dit. » 

A la réception de ces importantes nouvelles , 
Robert Walpole ne perdit pas un instant pour 
complimenter l'évêque de Fréjus sur son élé- 
vation. En lui adressant une lettre ^ aussi ami-^ 
cale que ilatttuse pour son mérite, le rusé mi- 
nistre espérait, non sans raison, gagner le cœur 
un peu vaniteux du prélat , avec lequel il devait 
être appelé désormais à traiter spécialement, par 
l'entremise de son frère. 

H. Walpole , à la suite de sa première dé- 
pèche, écrivit une lettre confidentielle au duc de 
Newcastle, datée du 18 juin; elle contient le 
i*écit de tout ce qui a précédé et suivi les événe- 
ments que nous venons de rapporter. 

« Après avoir fait part à Votre Grâce de la 
lettre confidentielle de M. de Fréjus, qui m'an- 
nonçait la disgrftce de M. le Duc, je dois vous 
dire maintenant qu'en le remerciant de cet en- 
voi si matinal, je lui ai demandé la faveur de 

1. Voir cette lettre à l'Appendice. 



Sis NOUVEÀDX TÉMOIGNAGES D*AM1TIÉ 

me pirésenter chez lui dès qu'il pourrait me re- 
ceYoir. Il m'a répondu aussitôt qu'il m'atten-* 
drait ce jour-là même pour dîner à Versailles ; je 
me suis empressé de m'y rendre , et dès l'a- 
bord, je lui ai exprimé toute ma reconnaissance 
pour la nouvelle marque d'amitié et de con- 
fiance qu'il avait bien voulu me donner, en m'é- 
crivant la nouvelle d'une révolution si inatten- 
due. Je l'ai prié, en même temps, de me par- 
donner si j'usais de la liberté qu'il m'avait tou- 
jours gracieusement accordée, en lui exprimant 
combien j'aurais été heureux qu'il eût bien voulu 
m'avertir un peu plus tôt de cet événement, pour 
que je pusse y préparer Sa Majesté et ses minis- 
tres; j'avais en cela des motifs tout personnels, 
à cause de la manière peu flatteuse pour moi 
dont on pourrait interpréter à notre cour mon 
ignorance, dans une conjoncture aussi grave. 
M. de Fréjus m'engagea à lui ouvrir complète- 
ment mon cœur, espérant , dit-il , qu'il pourrait 
me donner toute satisfaction. Voici le discours 
que je lui ai tenu : « Monseigneur, vous devez 
« vous souvenir qu'il y a quelque temps , lors- 




DE M. DE FRÈJUS POUR WÀLPOLE. aiS 

<( que j'étais en Angleterre, nous avons reçu 
<( d'Espagne l'avis de certaines intrigues our- 
« dies à la cour de Versailles , de concert avec 
« celle de Madrid j par de hauts personnages , 
c( parmi lesquels vous étiez désigné un des pre- 
c( miers; leur plan était de renverser M. le Duc. 
ce Ces nouvelles n'ont fait aucune impression 
ce sur Sa Majesté, ni sur ses ministres, parce 
ce que je leur ai affirmé que votre caractère et 
ce vos sentiments m'étaient trop connus pour 
ic que je pusse trouver le moindre fondement à 
«toutes ces rumeurs. Depuis lors, plusieurs 
ce autres rapports nous sont arrivés, disant que 
c( vous vous étiez ligué avec le duc d'Orléans et 
c( le comte de Toulouse contre M. le Duc, et que 
c( les fréquentes visites de Sa Majesté très-chré- 
a tienne à Rambouillet n'avaient pas d'autres 
« motifs. Je vous avouerai. Monseigneur, ce que 
« je n'aurais jamais osé vous dire plus tôt, de 
« peur de vous être désagréable, et parce que je 
(rn'y croyais pas, c'est que nos dépêches de 
« Vienne répétaient constamment que la cour 
(( impériale comptait sur votre amitié, dès que 



i 



«4 NOUVEAUX TÉMOIGNAGES D'AMITIÈ 

« VOUS seriez débarrassé de M. le Duc. Demie» 
« rement encore, M. Palm a dit à M. de Pozzo 
« Bueno que le comte de Broglie n'était que 
« rinstrument particulier de M. le Duc, et que 
« le coup d'État éclaterait en France et devien- 
K drait public, avant que ni ce prince, ni M. de 
« Broglie ne pussent seulement le soupçonner. 
« La conjoncture actuelle ressemble d'une ma- 
ie nière si frappante à ce qui avait été prédit , 
«que, malgré l'incrédulité de nos ministres, 
«qui regardaient tout cela comme de pures 
« inventions, il est à craindre qu'à la réception 
«de ces nouvelles. Sa Majesté ne s'en laisse 
« impressionner d'une manière fâcheuse. Par- 
« donnez-moi, Monseigneur, m'écriai-je, si mon 
« cœur déborde au point de vous assurer qu'on 
«m'accusera de vous avoir mal apprécié, et 
« qu'on révoquera en doute votre amitié et votre 
« confiance en moi. » 

« J'avais mis dans ce discours tant de chal«ur, 
et en môme temps de cordialité et d'affection, que 
M. de Fréjus m'en a paru profondément touché ; 
aussi m'a-t-il répondu sans aucune nuance d'ai- 




DB IL DE FRilDS PODR WALPOLE. Ut 

grear : « Il n'y s là ni méprise de votre part, ui 
« mangue de firanehise de la mienne. Quand je 
« TOUS pariais en confidence de H. le Duc, je ne 
« TOUS ai jamais déguisé ma pensée. J'ai tou- 
K jours &it des vœux sincères pour qu'il restât 
« premier ministre, même après ma retraite et 
« ma rentrée 4 la cour; ses mauvais traitements, 
« à peu mérita, n'ont pas ébranlé ma résoiu- 
« tion de vivre en bons termes avec lui, tout en 
« conservant la liberté de lui dire toute ma ma- 
« aibn de voir. Halbeureusement, par son opi- 
« niâtreté inébranlable à se laisser gouverner 
K par ceux que je détestais, dans l'intérêt du roi 
K et du pays, il m'a rendu impossible de mar* 
« cher plus longtemps dans cette voie. Il ne ma 
« restait donc plus d'autre parti & prendre que 
a d'abandonner endèrement les affaires, et vous 
« savez que vous m'en avez toujours détourné.' 
« Bappelez-vous que la semaine dernière, quand 
«vous m'avez fait part de vos appréhensions 
« sur une rupture entre M. le Duc et moi, et sur 
« les désordres qui pourraient en résulter à la 
« cour, je ne vous û pas parlé de Son Altesse 



216 NOUVEAUX TÉMOIGNAGES D'AMITIÉ 

(( dans les mêmes termes qu'auparavant ; vous 
« avez dû comprendre que notre bonne intelli- 
(cgence s'était sensiblement altérée. Malgré 
a toute ma bonne volonté, je ne pouvais vous 
«avouer ce qui se préparait alors , car le roi 
a m'avait imposé la plus grande discrétion, en 
« m'assurant qu'il garderait le secret et qu'il 
a désirait que j'en fisse autant. J'étais cependant 
a presque tenté de vous tout confier, au moment 
« de votre départ, mardi dans l'après-midi ; j'ai 
a même envoyé pour cela mon valet de chambre 
(c vous chercher à cinq heures, mais vous étiez 
« déjà reparti pour Paris, La lettre du roi n'a 
c( été remise à M. le Duc qu'à six heures ^ ; ni 
(( M. de Morville, ni aucun autre, à l'exception 
« du duc de Charost ^, qui devait exécuter les 



1. A partir de ce moment, M. le Duc ne parut plus à la cour 
qu'à de longs intervalles; il passait tout son temps à Chantilly, 
où il mourut de la dyssenterie, en 1740, à l'âge de quarante- 
huit ans. Il s'était marié deux fois : d'abord avec Marie-Anne 
de Bourbon Gonti, ensuite avec Charlotte de Hesse-Rheinfels, 
fille du landgrave de Hesse-Rheinfels-Rottenbourg. 

2. « M. le duc de Charost, qui s'était chargé de l'ordre du roi 
pour M. le Duc, attendit longtemps qu'il sortit, et ce qui est 
assez plaisant c'est la question qu'il fit à M. le Duc. Il devait y 



DE M. DE FRËJUS POUR WALPOLE. 217 

« ordres du roi, n'en ont eu connaissance avant 
c( ce moment. L'affaire ne s'est traitée qu'entre 
ce Sa Majesté et moi ; la reine elle-même l'igno- 
ce rait. Vous pouvez en conclure que les rap- 
(c ports d'Espagne y et tout ce que vous pouvez 
<c avoir entendu dire ici de mes intrigues avec 
€( le duc d'Orléans et d'autres, ne sont nulle- 
ce ment fondés, puisque ni lui, ni le comte de 
« Toulouse n'ont eu môme l'ombre d'un soup- 
« çon sur ce qui devait se passer. On a même 
« prié le duc d'Orléans, lorsqu'il est venu ici 
ce hier matin en poste, pour se rendre à Ram- 
cc bouillet, de s'en retourner de suite à Paris. 
ce Quant à mon amitié, sur laquelle la cour im- 
ce périale prétend pouvoir compter, je sais per- 
ce tinemment que M. de Fonseca écrivait encore 
ce dernièrement le contraire, en déclarant à l'Em- 
ce pereur qu'il me trouvait toujours aussi ferme 
ce dans mes engagements avec l'Angleterre. Pour 
ce ce qui est des renseignements que M. Palm a 

avoir un voyage du roi à Chantilly; il demanda si madame de 
Charost était sur la liste. » (Le président Hénault, Mémoires, 
p. 85.) 

13 



218 M. DE FRÈJUS 

« donnés à M. de Pozzo Bueno et qu'il tenait 
(( lui-même d'un certain Falnie, je dois avouer 
K qu'ils se rapportent d'une manière assez com* 
« plète à l'événement en question et que nous 
<( en avons été singulièrement frappés M. le Duc 
« et moi^ quand nous les avons lus ; mais il n'y 
« a là qu'un de ces hasards qui peuvent par- 
ce fois devenir la vérité. Tenez pour certain, 
(( ajouta*t-il en appuyant fortement sur ce point, 
« que cette modification dans le gouvernement 
<f ne changera rien à notre politique, surtout en 
« ce qui regarde notre alliance étroite avec l'An- 
c( gleterre, dont, vous le savez, j'ai toujours été 
«le plus ardent promoteur. Comme j'ai con- 
te serve la même opinion de vous et de votre ca- 
« ractère , je suis décidé à ne rien faire sans 
« vous, et la meilleure preuve, c'est que je vous 
« prie de lire cette lettre, que je viens d'écrire 
« au roi d'Espagne; je ne l'aurais pas* envoyée 
« sans vous la faire voir. Cette lettre, dit-il en 
« me la remettant, doit êlre expédiée à Madrid 
« par le nonce, avec une note que j'adresse au 
« secrétaire du cabinet d'Espagne, en le priant 




EST nOMllt PRINCIPAL MINISTRE. 219 

« de la donner à Sa Majesté catholique lorsque, 
« étant seul avec elle, il en trouvera Toccasion 
a &vorable. Le nonce, du reste, ne Ta pas lue, 
m et nul autre que vous ne la connatt. » 

a Le maréchal de Berwick dtnait seul avec 
nous et il se retira aussitôt après; j'ai pu 
alors reprendre notre conversation en tête-à- 
tète avec M. de Fréjus, et le remercier de la con- 
fidence qu'il avait bien voulu me faire et qui 
serait assurément fort agréable à Sa Majesté. 
Mais je lui ai fait observer que le premier éclat 
de cet événement ne laisserait pas de nuire aux 
intérêts du roi et à l'union entre les deux cou- 
ronnes; je m'en étais déjà aperçu, gr&ce à mes 
intelligences parmi les Jacobites et autres mé- 
contents, qui avaient basé leurs espérances sur 
les notions fausses qu'ils avaient de ses prin- 
cipes et de son zèle pour la religion. J'espérais 
donc qu'il ne me trouverait pas trop indiscret, 
si je lui demandais la marche que devait suivre 
le nouveau gouvernement et les changements 
qui pourraient avoir lieu dans le ministère. En 
effet, bien que les étrangers n'aient pas le droit 




i20 MODIFICATIONS DANS LE CABINET. 

de s'immiscer dans le choix des personnes qu'un 
État veut employer, il n'en est pas moins vrai 
que ce sont les principes connus de ces hommes 
qui doivent éclairer les princes et les gouver- 
nements voisins sur la politique qu'ils auront à 
suivre de leur côté. Il m'a répondu aussitôt, avec 
la franchise la plus aimable, que l'adminis-^ 
tration procéderait de même qu'à l'époque où 
Louis XIV avait pris en mains les rênes du 
gouvernement; qu'il n'y aurait plus de premier 
ministre, ni d'autres conseils que le conseil 
d'État, tel qu'il existait aujourd'hui ' ; que les 



i . Voici le discours que M. de Fréjus mit dans la bouche du 
roi lorsqu'il réunit le conseil, le 15 juin 1726 : 

« 11 était temps que je prisse moi-même le gouvernement de 
mon État et que je me donnasse tout entier à Tamour que je dois 
à mes peuples, pour leur marquer combien je suis touché de leur 
fidélité. 

« Quelque sensible que je sois au zèle qu'a montré mon cou- 
sin, le duc de Bourbon, dans les affaires dont je lui avais confié 
l'administration, et quelque affection que je conserve toujours 
pour lui, j'ai jugé nécessaire de supprimer et d'étemdre les fonc- 
tions de premier ministre. 

« J'ai déjà donné ordre de faire part à mon parlement de la 
résolution que j'ai prise de prendre en main le gouvernement de 
mou royaume, et la même chose sera faite à l'égard de mes au- 
tres parlements. J'en ferai instruire, par des lettres particulières. 




MODIFICATIONS DANS LE CABINET. 221 

ministres et les autres officiers de la couronne 
recevraient leurs ordres par lui, et qu'il se- 
rait présent lorsqu'ils iraient chez Sa Majesté 
pour l'expédition des affaires qui réclament la 



tous les gouverneurs et les intendants de mes provinces, et j'en 
ai fait donner part aussi à tous mes ministres dans les cours étran- 
gères. 

« Mon intention est que tout ce qui regarde les fouc lions des 
charges auprès de ma personne soient sur le même pied qu elles 
étaient sous le feu roi mon bisaïeul. 

« J'ai choisi, à la place du sieur Dodun, qui m'a demandé la 
permission de se retirer, le sieur Le Pelletier des Forts, pour 
remplir la place de contrôleur général de mes finances, et le sieur 
de Breteuil ayant. demandé la même permission, j'ai nommé le 
çieur Leblanc à la charge de secrétaire d'État de la guerre. 

« Les conseils se tiendront exactement dans les jours qui y 
sont destinés, et toutes les affaires s'y traiteront à l'ordinaire. 

« A l'égard des grâces que j'aurai à faire, ce sera à moi que 
Ton parlera, et j'en ferai remettre le mémoire à chacun de mes 
secrétaires d*Etat ou au contrôleur général de mes finances, sui- 
vant leur département. Je fixerai des heures pour un travail par- 
ticulier, auquel l'ancien évêque de Fréjus assistera toujours, aussi 
bien qu'aux autres détails dont différentes personnes ont soin, en 
vertu des charges qu'elles remplissent. Enfin, je veux suivre en 
tout l'exemple du feu roi mon bisaïeul. 

<f Si vous pensez qu'il y ait quelque chose à faire dans ces 
premiers moments, vous pouvez le proposer avec confiance, et 
j'attends de votre zèle pour mon service que vous me seconde- 
rez dans le dessein où je suis de rendre mon gouvernement glo- 
rieux, en le rendant utile à mon État et à mes peuples, dont le 
bonheur sera toiigours le premier objet de mes soins. » 




itt QUESTION Dfi PfiÉSËAIICE FOUR LES MiRËCHAUX. 

propre signature du rai; quant aux grâces, elles 
ne seraient décidées qu'entre Sa Majesté et lui 
seul. 

a Je présume, lui dis-je, que le conseil d'État 
sera augmenté des maréchaux d'Huxelles et 
de Berwick, et de quelques autres. Il me ré- 
pondit qu'il avait pleine confiance dans le ma- 
réchal de Ben^vick^ mais que la charge de com- 
mandant général des armées, qui lui était des- 
tinée, le satisferait complètement, sans qu*il eût 
la moindre envie de faire partie du conseil» 
Quant au maréchal d'Huielles, M. de Fr^^jus 
aurait désiré sincèrement qu'il y entrât ; mais 
ce maréchal lui avait objecté la question du 
rang et de la préséance, qu'il voudrait ne pas 
lui disputer, mais qu'il ne pourrait lui céder. 
Pour moi je crois que c*est la même raison, ap- 
puyée en outre sur ses prétentions à une nais- 
sance plus illustre, qui a motivé le refus du ma- 
réchal de Berwick : « Le meilleur moyen pour 
« vous arranger avec le maréchal, lui dis-je, 
« c'est de vous faire nommer cardinal. » D 
m'avoua que vraisemblablement cela arriverait 




M. DE MORVILLE EST MAINTENU. 228 

bientôt et qu'alors le maréchal entrerait au con- 
seil, mais que pour le moment on ne pensait pas 
à faire d'autres nominations. 

« M. de Morville conservera-t-il son poste? 
Sa réponse m'a montré qu'il en avait réellement 
l'intention, mais que rien n'était encore résolu 
à cet égard. Je lui ai dit que, s'il me permettait . 
de lui donner un conseil, je l'engagerais à per- 
sévérer dans cette bonne intention, parce que 
M. de Morville, sans posséder des talents hors- 
ligne, était fort propre à. tenir un emploi en sous- 
ordre; que sa seule ambition serait toujours de 
servir ceux qui aundent le pouvoir suprême, et 
que d'ailleurs, souple et actif, il s'empresserait, 
pour conserver sa charge, de montrer au nouveau 
ministre le même dévouement qu'à M« le Duc. 
Bien que, dans ses rapports avec les ministres 
étrangers, il ne prouvât pas autant d'ouver- 
ture ni de franchise qu'ils pourraient le désirer, 
il n'en avait pas moins des manières douces et 
agréables, avec tous les dehors d'un honnête 

• 

homme. Je pensais donc qu'il pourrait être 
utile en travaillant sous M. de Fréjus, qui, je 




S24 M. DE MORVILLE EST MAINTENU. 

Tespérais bien, garderait en main la direction 
des affaires, sans égal comme sans compétiteur. 
Dans le cas où il s'agirait de M. de Torcy, je re- 
douterais que le souvenir, gravé dans le cœur 
de tout bon Anglais, de Tanimosité constante 
qu'il avait montrée pendant son administration 
contre le gouvernement actuel et la succession 
protestante, n'alarmât assez profondément notre 
naticHi pour qu'on ne pût la rassurer, même en al- 
léguant qu'il a changé d'opinions et de maximes 
politiques; malgré tout ce que je pourrais dire 
à cet égard, je serais toujours considéré comme 
une dupe. M. de Torcy, d'ailleurs, a eu sous 
Louis XIV la direction des affaires étrangères 
et la bonne opinion qu'il a de ses propres ta- 
lents, ainsi que son ambition naturelle, ne le dis- 
poseraient nullement à la subordination ; il se- 
rait donc moins facile pour M. de Fréjus de s'en 
débarrasser plus tard que de le tenir en ce 
moment éloigné du pouvoir. Il n'ignorait pas 
non plus les principes religieux de M. de Torcy, 
qui étaient ceux du plus pur jansénisme, fort 
opposés par conséquent à sa manière de voir. U 




M. DE MORVILLE EST MAINTENU* SS5 

m'a afQrmé alors, de la façon la plus solennelle» 
qu'il n'avait pas la moindre idée d'employer 
M. de Torcy, par les raisons mêmes que je lui 
avais exposées *• 

«Je m'informai ensuite si je pourrais faire 
mon compliment à M. de Morville et lui té- 
moigner tout le plaisir que j'éprouvais à le 
voir rester aux affaires. M. de Fréjus me ré- 
pondit que je pouvais aller plus loin encore^ 
et l'assurer qu'on n'avait jamais eu la pensée 
de l'éloigner et que M. de Fleury avait pour 
lui autant d'amitié que de considération. Il 
m'avoua alors que, malgré la réponse contraire 
qu'il m'avait faite dernièrement, il n'était pas 
encore résolu à ne pas employer M. Leblanc et 



1. Fleury avait encore d'autres motifs, qui lui étaient person- 
nels, pour tenir à l'écart le marquis de Torcy, au dire du duc de 
Luynes. « L'abbé de Pomponne, son ami, lui proposa de faire 
usage de M. de Torey, dont il connaissait la sagesse, la réputa- 
tion et les lumières. « Je n'en ferai rien, répondit M. de Fr^us : 
« M. de Torcy a une confiance absolue en madame de Torcy, et 
ft vous savez qu'elle ne m'aime pas ; d'ailleurs je connais les Gol- 
« bert, ils sont bauts, vous le savez : M. de Torcy ne voudrait 
« jamais travailler sous moi. » (Duc de Luynes, Métnoù^es, t. V, 
p. 113.) 

13. 




H6 M. LEBLANC REMPLACE U. DE BRETEUIL 

que même il lui serait bien difficile de se passer 
de lui^ surtout en cas de guerre, parce que 
M. Leblanc, au dire de tous, était le seul homme 
capable d'en supporter la charge. Je lui ai in* 
sinué que ce ministre était considéré comme 
peu ami de TAngleterre , que je connaissais 
pertinemment son amitié pour madame de Mé- 
zières, et la correspondance qu'il avait entre» 
tenue sous la régence avec les Jacobites et sur- 
tout avec milord Orrery pendant la dernière 
conspiration : « Feu M. le duc d'Orléans , me 
« répondit M. de Fréjus, était un grand génie^ 
<c mais il avait autant de ruse que d' mcon&- 
« tance; en jouant trop souvent double jeu, il 
a embarrassait fort ses meilleurs amis« M« Le- 
« blanc ne sera pas ministre, mais seulement 
<( secrétaire d'État à la place de M. de Breteuil; 
a je veillerai d'ailleurs avec soin à ce que rien 
« ne puisse donner la moindre jalousie, ni le 
c( moindre ombrage au roi votre maître. » Je 
n'ai pas insisté davantage contre l'emploi de 
M. Leblanc, lorsque M. de Fleury m'eut fait 
comprendre qu'il avait déjà été appelé à la 




COMME SECRÉTAIRE D'ÉTAT DE LA GUERRE, m 

cour^ Je sais qu'au premier abord, son retour 
passera pour désavantageux aux affaires de Sa 
Majesté parmi les Jacobites et les nouvellistes de 
profession; mais comme nous sommes déjà pré* 
venus sur son compte, sa manière d*agir nous 
montrera bientôt ce que nous devons en at- 
tendre. Je me flatte d'ailleurs que nous n'au- 
rons rien à craindre tant que M. de Fréjus gou- 
vernera ; il est même certain que les préjugés 
de M. Leblanc contre l'Angleterre étaient dus 
en grand partie à sir Luke Schaub, qui, perdu 
dans toutes les petites intrigues du feu cardinal, 
avait blessé tous ceux que Dubois n'aimait pas 
ou désirait éloigner. Cependant je veillerai avec 
une attention particulière sur tous les actes do 
M. Leblanc, et s'il se conduit bien, sa hardiesse 
et ses talents devront effrayer la cour impériale 
plus que toute autre mesure politique. 

« M. de Fréjus m'apprît ensuite que M. Dodun 
serait remplacé dans la charge de contrôleur 



1. M. Leblanc fut en effet nommé, le 15 juin 1726, secré- 
taire d'Étet de la guerre, à la place de M. de Breteuil. 




iiS M. DES FORTS CONTROLEUR GÉNÉRAL. 

général par M. le Pelletier des Forts % oncle de 
M. de Broglie et ami intime du maréchal de 
Berwick; on le dit intègre et capable, mais 
d'un caractère violent et emporté. 

« Je ne doute pas que M. de Saint-Florentin 
et M. de Maurepas ne conservent leurs places; 
mais j'ai cru convenable de ne pas pousser plus 
loin mes questions avec M. de Fréjus. Je me 
suis borné à lui recommander instamment de 
garder tout le pouvoir entre ses mains et de 
n'en rien céder à personne : cela devait lui être 
facile, puisque nul autre que lui n'avait le 



1. Fils de M. Le Pelletier de Souzy^ qui avait fait partie da 
conseil de régence. Voici le portrait que fait de lui le président 
Hénault : « M. des Forts était un homme vain^ sec^ le Tisage 
pâle^ ricanant et voulant qu'on prit son rire pour de l'esprit; c'au- 
rait été une furieuse méprise. Pour son début dans les finances^ 
il supprima toutes les petites parties de rentes viagères^ sous le 
prétexte que c'était un trop grand détail. A la vérité, il ôtait par 
là la subsistance à je ne sais combien de gens du peuple; mais 
qu'importe le peuple ! » 

Il parait que ce début ne lui porta pas bonheur, car voici 
comment Barbier annonce son renvoi en mars 1730 : « Le 19, 
M. Le Pelletier des Forts a été remercié par le roi. Une nuit on 
avait affiché à sa porte, en manière d'écrileau : Maison à brûler^ 
maitre à rouer, femme à pendre et commis à pilorier, » (Bar- 
bier, Journal, 1. 1, p. 304.) Il mourut le 11 juillet 1740. 




DÉCLARATIONS AU PUISSANCES ÈTRANG. 229 

moindre crédit sur Sa Majesté très-chrétienne, 
(f Joignez, lui dis-je, Ténergie et la fermeté à 
« l'agrément de vos manières et de votre conver- 
a sation, qui charment tout le monde ; c'est ainsi 
« que nous conserverons la paix dont nous^avons 
a si grand besoin. r> 

n Je lui ai demandé aussi s'il ne pensait pas 
à expliquer aux cours étrangères et à leurs mi- 
nistres ici qu'aucun changement n'aurait lieu 
dans la politique présente, surtout en ce qui re- 
gardait l'alliance avec l'Angleterre : c< M. de Mor- 
« ville est chargé, me répondit-il, de préparer 
(( et de signer des lettres dans ce sfens, qui seront 
« adressées aux différentes cours de l'Europe. » 
Je lui ai fait observer que ces lettres pourraient 
passer, à première vue, pour ces circulaires ba- 
nales qu'on envoie toujours en pareil cas, même 
quand on est décidé à tout bouleverser; mais 
que des notes émanant de lui-même auraient 
un bien autre caractère d'authenticité , tant on 
le savait fidèle à sa parole et à son honneur. 
« Je n'avais jamais pensé, répliqua-t-il, à écrire 
oc de ma propre main; mais, par égard pour vos 



tSO TaUTE-PUISSANCE DE M. DB FRfeJUS. 

c observations , je parlerai aux agents diploma- 
« tiques à ma première audience et spéciale- 
€c ment à ceux du parti impérial. » Comme il 
venait de recevoir une lettre de M. de Fonséca 
renfermant une circulaire de M. Orendayn ', 
sur Taffaire de Ripperda, il me la fit lire, en 
ro'assurant qu'il profiterait de l'occasion d'une 
réponse pour lui prouver que la France persé- 
vérerait dans sa politique présente et dans les 
mêmes alliances. 

a Ainsi s'est terminée, Mylord, cette longue 
conférence; si j'en ai fatigué Votre Grâce, j 'es* 
père que l'im^rtance des questions qui y ont 
été traitées sera mon excuse. J'ai cru qu'il était 
de mon devoir d'éclairer, autant que possible , 
Sa Majesté sur les tendances de la nouvelle ad- 
ministration, qui se résume complètement dans 
la personne de M. de Fréjus. Il ne prendra pas 
le titre de premier ministre; ce qui n'empê- 
chera pas son pouvoir d'être plus absolu et plus 



1. Ministre en Espagne, très-connu plus tard sous le nom de 
marquis de la Paz. 



JOIE DE LA DISGRÂCE DE M. LE DUC. 2Bi 

incontesté que celui des cardinaux de Richelieu 
et de Mazarin. 

« U y a des gens qui pensent que ce prélat 
\eut à toute force être premier ministre , et 
qu'il n'attend pour cela que le moment où son 
prestige sera assez bien établi sur le roi ; pour 
moi, je n'en crois pas un mot. M. de Fréjus 
n'aurait pas eu la moindre idée de renverser 
M. le Duc, si ce prince n'avait pas persisté à se 
laisser entièrement absorber par madame de 
Prie et par ses créatures ; la situation était deve- 
nue tellement intolérable pour toute la noblesse, 
le clergé, la bourgeoisie et le peuple, qu'il n'y a 
eu qu'un cri pour demander le renvoi de M. le 
Duc, et l'on peut dire qu'on n'a jamais vu en 
France une explosion de joie pareille à celle qui 
a salué sa chute ^ 



1. « Le peuple a été si content de ce changement qu'on a été 
obligé d'empêcher qu'il ne fit des feux de joie dans les rues^ ce 
qui aurait été trop insultant vis-à-vis de la personne d'un prince 
du sang. » 

« Hier matin il y avait des affiches a'msi conçues : « Cent pis- 
u tôles à gagner pour celui qui trouvera une jument de Prix ac- 
a coutumée à suivre un cheval borgne. » Ceci s'applique à mar 



tli APPRtClATIO?! DE WALFOLE 

• 

tf PcuUAtre Votre Grâce entendra-trclle ém 
qiM! j V)tai8 dans le secret de toute cette aSairey 
parco cftie lo hasard a voulu que je n*aie pas lu 
M. lo l)(ic co jour-là et que j'aie passé presque 
tout mon temps, après le dîner, chez IL de 
Floury, on conférence avec lui ou avec IL de 
Morvillo ; mais Votre Grftce a vu, par ce qui pré- 
Oèdfî, quo jo n'ai point eu les honneurs du se- 
ornt h garder; cependant cette rumeur pourrait 
avoir son bon côt6 : on en conclurait peut-être 
quo mon intimité est telle avec M. de Fréjus 
qu*ollo doit ompôchor toute démarche contraire 
k la plus étroite union entre les deux couronnes. 
Kn résumé , il vaut mieux que le prélat ait gardé 
le feiilonco sur sos projets; Sa Majesté aurait pu 
so trouver fort embarrassée pour se former une 
o))inion & leur sujet et en dire son avis. M. de 
Fréjus m*tt témoigné plus de confiance qu'à au- 
cun autre, au moins parmi les étrangers, sans 
on excepter le nonce du pape, son intime ami; 



d«mp tlo Pri(», oxikV d&us ses terres eii Normandie, et c'est un 
pou ln««lUinl |H>ur M. le Duc, qui est borgne. » (Barbier, Jour- 
Hf?/, t, I, p. âao et 24â.} 



8UR CES ÉVÉNEMENTS. 238 

et il a tellement engagé la politique de la France 
dans le sens des idées et des intérêts de Sa Ma- 
jesté , qu'étant désormais le maître absolu de ce 
royaume, il devra prouver par sa conduite à ve- 
nir s'il est le plus honnête homme du monde 
ou le plus grand fourbe qu'il y ait sur la terre. 
J'avoue que jusqu'à présent j'ai la meilleure 
opinion de lui. 

« Conclusion : en quittant le prélat, je suis 
allé faire mon compliment à M. de Morville et 
lui exprimer combien je serais heureux de con- 
tinuer mes négociations avec lui ; j'ai ajouté que 
ce serait là une bonne nouvelle pour Sa Majesté 
et pour ses ministres. Cette dépêche est déjà trop 
longue pour que je vous répète notre conversa- 
tion ; seulement il m'a montré une lettre écrite 
de la propre main du roi et ainsi conçue : 
« Nous ordonnons au sieur de Morville de tra- 
ce veiller et d'expédier toutes les atTaires, sous 
(( la direction de Tévêque de Fréjus, et d'exécu- 
<( ter tout ce qu'il lui dira , comme si nous le 
« lui disions nous-même. 

« Louis. » 






fI4 M. DE FREJUS EST FAIT CIEDINÀL. 

M. de Fréjus avait soixante-treize ans ^ lors- 
qu'il prit en raain le timon de TÉtat, et bientôt 
après il fut élevé à. la dignité de cardinal. On 
croyait généralement, à cette époque, qu'à peine 
à la tête des affaires il abandonnerait l'Angle- 
terre pour se jeter dans les bras de l'Espagne; 
il est vrai que, dans ce but, rien n'avait été 
épargné près de lui, ni intrigues, ni insinua^ 
tions perfides de la part des Français, des Espa- 
gnols, des Allemands et des Jacobites. On avait 
travaillé en même temps à mettre Walpole en 
méfiance sur les vues secrètes et sur la dui^idté 
de M. de Fleury ; mais la fermeté de ce ministre 
rompit bientôt toutes ces trames. A la prière de 
l'ambassadeur, il s'empressa d'écrire lui-même 
et de faire écrire par M. de Morville les notes les 
plus énergiques à Madrid, pour approuver l'en- 
voi des escadres anglaises dans les Indes occi- 
dentales , dans la Méditerranée et sur les côtes 
d'Espagne, et constater la résolution bien arrê- 
tée de Louis XV de rester fidèle à ses engage- 
ments envers le roi d'Angleterre. Ces démar- 

1. 11 était né le 22 juin 1653. 




/ 



JUGEMENTS DIVERS SUR SA POLITIQUE. 235 

cbes causèrent un vif étonnement aux Espagnols 
et même à toute l'Europe, qui, se méprenant sur 
le caractère de Fleury, le considérait comme un 
bigot dévoué de tout temps aux intérêts de 
Philippe Y. Il avait cependant un grand désir ; 
d'amener une réconciliation entre Toncle et le 
neveu, c'est-à-dire entre le Roi catholique et le 
Roi très-chrétien ; mais Walpole usa si à propos 
de son influence sur lui que, ni l'esprit turbu- 
lent de la reine d'Espagne, ni les intrigues des 
jésuites, des nonces et d'une foule d'autres émis- 
saires, ne purent le déterminer à y travailler, du 
moment que ce fut au risque de briser l'alliance 
avec l'Angleterre. Cependant les mécontents et 
les Jâcobites ne se firent pas faute dans leurs 
pamphlets de représenter Walpole comme un 
lourdaud, dupe éternelle de Tastuce du cardi- 
nal, tandis que la reine d'Espagne déclarait pu- 
bliquement que ce prélat n'était qu'un poltron^ 
complètement gouverné par cet hérétique d'Ho- 
race Walpole *• 

1. Jf. Walpole* s Apology^ 

Nous citerons ici un passage de Saint-Simon dans lequel^ 



236 JUGEMENTS DIVERS SUR SA POLITIQUE. 

malgré son aversion pour l'Angleterre, il rend pleine justice au 
talent diplomatique de Walpole : « Le cardinal de Fleury, qui 
ne rétait pas encore^ mais qui le deviut six semaines ou deux 
mois après^ prit donc le jour même les rênes du gouyemement, 
et ne les a quittées qu'avec la vie, à la fin de janvier 1743. Ja- 
mais roi de France, pas même Louis XIV, n'a régné d'une ma- 
nière si absolue, si sûre, si éloignée de toute contradiction, et n'a 
embrassé si pleinement et si despotiquement toutes les diffé- 
rentes parties du gouvernement ou de la cour, jusqu'aux plus 
grandes bagatelles. Le feu roi (Louis XIV) éprouva souvent des 
embarras par la guerre de ses ministres, et quelquefois par la 
représentation de ses généraux d'armée et de quelques grands 
distingués de sa cour; Fleury les tint tous à la môme mesure^ 
sans consultations, sans voir de représentation, sans oser hasar- 
der nul débat entre eux. Il ne les faisait venir que pour recevoir 
et exécuter ses ordres sans la plus légère réplique, pour les exé- 
cuter très-ponctuellement et en rendre simplement compte, sans 
s'échapper une ligne au delà et sans que pas un d'eux, ni des 
princes, ni des seigneurs de la cour, ni des dames, ni des valets 
qui approchaient le plus du roi, osassent proférer aucune parole 
à ce prince, de quoi que ce soit qui ne fût une bagatelle entière- 
ment indifférente 

« Il trouva le gouvernement entièrement monté au ton de l'An- 
gleterre, et un ambassadeur de cette couronne bien plus mesuré, 
mais aussi bien plus subtil que n'avait été Stairs, auquel il avait 
succédé. C'était Horace AValpole, frère de Robert, qui gouver- 

^ nait alors principalement en Angleterre. La partie n'était pas 
égale entre eux : Horace, nourri dans les affaires comme le sont 
tous les Anglais, mais, de plus, frère et ami de celui qui les 
conduisait toutes, qui les consultait avec lui de longue main et 

V qui les dirigeait de Londres, étaient l'un et l'autre des génies 
très-distinguéi. » (Saint-Simon, t. XXXI, p. 152.) 




CHAPITRE VIII 



Heureux débuts du ministère de Fleury. — Réorganisation du con- 
seil d'État. — Portraits du duc d'Orléans^ du maréchal de Vil- 
lars et de M. de Mordille. — Le cardinal se préoccupe vivement 
de lopinion publique. — Les maréchaux de Berwick^ d'Huxelles 
et de Tallard. — Le duc d'Antin^ le cardinal de Rohan et le 
marquis de Brancas. — Caractères des nouveaux membres du 
conseil. — Plaintes des Anglais contre le duc de Richelieu. 
— Pertes causées par le retard des galions d'Espagne. — Fer- 
meté du cardinal. — Mort de la reine d'Angleterre Sophie-Do- 
rothée de Zell. 



La nouvelle administration commençait sous 
les plus heureux auspices : la nation tout en- 
tière, délivrée du gouvernement à la fois faible, 
violent et rapace de M. le Duc, respirait plus li- 
brement; elle voyait se lever des jours meilleurs * 

1. Le premier acte de radmmistration du roi fut la suppres- 
sion du cinquantième, imposé l'année précédente. On fit aussi^ 
par arrêt du coiiseil, une fixation proportionnelle et raisonnable 
des anciennes espèces et des matières d'or et d'argent^ seule ca- 




238 HEUREUX DÉBUTS DE FLEURY. 

SOUS un ministre de mœurs simples, douces et 
conciliantes, et le jeune roi, si peu démonstratif 
d'ordinaire, ne dissimulait pas sa joie de pou- 
voir désormais travailler aux affaires de l'Étal, 
sous la tutelle immédiate de son maître bien- 
aimé. L'abbé Gualtieri venait d'apporter de 
Rome la barette au nouveau cardinal , et lors- 
qu'après l'avoir reçue des mains du roi, Fleury 
lui en fit ses remerciements, ce prince l'embrassa 
avec efifusion devant toute la cour*. 

A peine installé dans ses fonctions, le mi- 
nistre tout-puissant s'occupa de réorganiser le 
conseil d'État, qui, depuis la disgrâce de M. le 
Duc, n'était plus composé que du duc d'Or- 
léans, du maréchal de ViUars et de M. de Mor- 
ville; il désigna pour le compléter les maré- 
chaux d'Huxelles et de Tallard. Le cabinet bri- 
tannique s'émut de ces nouveaux choix et le duc 
de Newcastle écrivit à Walpole .pour connaître 
son opinion sur les deux personnages qui al- 

pable de rétablir le commerce presque anéanti dans le royaume, 
(Journal historique de Louis XV, p. 76.) 
1. Coxe, Memoirs of lord Walpole, 




RÉORGANISATION DU CONSEIL D'ÉTAT. 239 

laient entrer en scène. L'ambassadeur y répon- 
dit par une dépêche confidentielle, datée de 
Fontainebleau , 28 septembre 1726, en faisant 
le portrait exact des différents membres du 
conseil e^ en expliquant les motifs qui avaient 
déterminé le cardinal à y faire entrer les deux 
maréchaux : 

(( Le duc d'Orléans, dit-il, est un modèle ac- 
compli de yertu et de moralité, mais il n*est pas 
né pour les affaires ; son intelligence, lente et peu 
développée par une éducation étroite, Ta empê- 
ché de faire, en politique, les progrès qu'on au- 
rait pu attendre de son l^e et de son expérience. 
n ne peut donc être d'une grande utilité au con- 
seil, et même, si sa loyauté n'était au-dessus de 
tout soupçon, il pourrait y sembler dangereux, 
puisque, par les confidences qu'il fait sans doute 
fort innocemment à sa femme, il permet à la fa- 
mille de Lorraine de tenir l'Empereur au cou-» 
rant de tout ce qui s'y passe. Cette faiblesse et 
sa qualité de prince du sang ont failli, d'après 
les principes de Louis XIV, le faire exclure du 
conseil au moment de la réoi^anisation ; mais le 



240 PORTRAITS DU DUC D*ORL&ANS 

cardinal, après mûre réflexion, a renoncé à 
prendre ce parti. II a eu, je crois, dans cette oc- 
casion, quelque égard à ce que je lui ai repré- 
senté, que si on renvoyait du conseil le duc 
d'Orléans, sans pouvoir le convaincre d'aucune 
faute grave, cette mesure pourrait avoir de 
grands inconvénients aux yeux du monde, dans 
le cas où ce prince deviendrait Théritier de la 
couronne de France et qu'elle porterait ainsi un 
coup funeste à l'œuvre sanctionnée par des trai- 
tés solennels. 

(( Quant au maréchal de Villars, aucun homme, 
dans sa haute position, n'a jamais été plus gros- 
sièrement illettré, ni plus ignorant que lui en 
politique; sa vanité le porte à croire qu'il sait 
tout mieux que personne, et il est d'ailleurs trop 
vieux pour se mettre à étudier. S'il s'agit de ses 
talents militaires, qui ont fait toute sa réputa- 
tion, c'est lui-même qui se charge de les vanter 
partout de sa propre bouche, tandis qu'à enten- 
dre les officiers les plus sensés et les plus graves, 
il ne serait plus capable désormais, peut-être à 
cause de son âge, de rendre aucun bon service. 




ET DU MARÉCHAL DE VILLARS. 241 

On assure même que si M. le Duc, dont il s'était 
fait le courtisan le plus servile, était resté aux 
affaires, il n'aurait pas osé l'employer en temps 
de guerre; à plus forte raison aujourd'hui faut-il 
qu'il renonce à un parei} honneur. En addition- 
nant avec tout cela ses infirmités, ce ne peut plus 
être maintenant qu'un simple zéro ; on croit qu'il 
s'en rend compte lui-même et que cela doit hâter 
sa fin, car depuis quelque temps sa santé dépérit 
tous les jours i. 

(( M. de Morville, à ses débuts, ne s'entendait 
guère à la politique étrangère et il a l'esprit trop 
étroit pour que le temps et l'expérience puis- 
sent jamais faire de lui un hbmme important, ni 
rien de plus qu'un commis, bon à recevoir et à 
exécuter des ordres. H ne s'y montre même point 
aussi expéditif qu'on pourrait le désirer, et bien 



1. Ce qui ne l'empêcha point de prendre le commandement 
de l'armée française en Italie pendant la campagne de 1733^ où la 
yictoire lui resta fidèle, comme toujours. L'année suivante seule- 
ment, épuisé par la chaleur et les fatigues de toute sorte, il fut 
forcé de s'arrêter à Turin, où il mourut le 17 juin, ne se plai- 
gnant que de n'avoir pu trouver la mort sur le champ de ba- 
taille. 

14 



i41 LE CARDINAL SE PRÉOCCUPE VIVEMENT 

qu'il veuille se donner l'air de fiiire tout de lui- 
même, il n'en est pas moins disposé à baisser 
pavillon devant celui qui a la haute main dans 
le gouvernement. 

« Lorsque Sa Majestd très-difétienne eut dé- 
claré qu'elle avait placé sa confiance la plus abso* 
lue dans le cardinal, ce prélat comprit, qu'investi 
d'un pouvoir égal à celui de premier ministre, il 
allait se trouver seul responsable de la marche 
générale 4o3 affaires, et que le bon ou le mauvais 
succès de l'administration rejaillirait entière- 
ment sur lui. Animé des meilleures intentions 
et armé de la persévérance nécessaire pour faire 
triompher la justice, il désire que la voix de la 
nation applaudisse à ce qu'il fera de bien. Cet 
amour de la popularité, joint à la douceur natu- 
relle de son caractère, l'empêche quelquefois de 
prendre un parti énergique et l'expose, dans cer- 
tains cas, à se prêter à des ménagements fâcheux ; 

1. « M. le cardinal de Fleury est bon, honnête, sincère naturel- 
lement, mais il aime à être aimé, et il pousse trop loin cette pe- 
tite vanité, qui ne mérite pas le nom d'amour-propre excessif, 
parce que dans l'analogie de notre langue on entend un vice par 
amour-propre. » (D'Argenson, Mémoires, 1. 1, p. 337.) 



DE L'OPINION PUBLIQUE. 24S 

mais comme il ne dévie jamais du plan qu'il s'est 
tracé, sa fermeté et son adresse finissent tou- 
jours par lui donner la victoire, sans avoir blessé 
personne. Pour lui rendre justice entière, je suis 
convaincu que le maintien de l'union entre les 
deux couronnes et des engagements actuelle- 
ment en vigueur, est la base de ses opinions et 
de toute sa politique vis-àrvis de TEurope. 

« Telles étant donc les idées et la disposition 
d'écrit du cardinal, il s'est rendu compte de la 
déconsidération qui pesait aux yeux de tout le 
monde sur le conseil, au temps de M. le Duc, et 
il a résolu, pour l'honneur du gouvernement, 
d'augmenter le nombre des ministres d'État; sa 
pensée s'est portée aussitôt sur les maréchaux 
d'Huxelles ^ et de Berwick. Le premier jouit 



1. :Nioolai du Blé, marquiB d'Huxelles^ né en 1652. 11 était 
d'abord destiné à. l'Église, mais à la mort de son frère aîné, 
en 1669^ il prit la «arrière des armes et y avança rapidement par 
la protection de Louvois. U se distingua^ comme lieutenant gé- 
néral, au siège de Philippsbourg, en 1688; mais, chargé de dé- 
fendue Mayenee aa 1689 contre les Impériaux, il se vit forcé de 
capituler : nela ne l'empêcha point de devenir maréchal de France 
en 1703. Après avoir été l'un des plénipotentiaires aux congrès 
de Gertruydenberg et d'Utrecht^ il entra au conseil de régence 




344 LB IIAR&CHAL D'HUXELLES. 

d'une grande popularité, et on le regarde gé- 
néralement comme un excellent patriote et un 
homme de bon sens et de probité, très-dé- 
voué à son roi et à son pays. Quant au ma- 
réchal de Berwick, le cardinal tient depuis 
longtemps en grande estime sa modestie, son 
honneur et ses talents; il lui reconnaît des 
sentiments dignes de sa qualité et bien supé- 
rieurs aux petites cabales de femmes et de^cmr- 
tisans, qu'il a toujours eues en profond mépris; 

en 1718 et présida celui des affaires étrangères; il est mort 
en 1730. 

« C'était^ dit Saint-Simon, \m grand et assez gros homme, 
tout d'une venue, qui marchait lentement et comme se traînant, 
un grand visage couperosé, mais assez agréable, quoique de 
physionomie renfrognée par de gros sourcils, sous lesquels deux 
petits yeux vifs ne laissaient rien échapper à leurs regards. Pa- 
resseux, vohiptueux à l'excès en toutes sortes de commodités, de 
chère exquise, grande et journalière ; glorieux jusque avec ses 
généraux et ses camarades; bas, souple et flatteur auprès des 
ministres et des gens dont il croyait avoir à craindre ou à espé- 
rer; dominant sur tout le reste sans nul ménagement. Timide de 
cœur et d'esprit, faux, corrompu dans le cœur comme dans les 
mœurs, jaloux, envieux, avec de l'esprit et quelque lecture, assez 
peu instruit; en tout genre le père des difficultés, sans trouver 
jamais de solution à pas une ; fin, délié, profondément caché, 
toujours occupé de ruses et de cabales de courtisan, avec la sim- 
plicité la plus composée que j'aie vue de ma vie. » (Saint-Simon, 
t. VU, p. 7.) 



LE MARÉCHAL DE BERWICK. 245 

il était donc tout naturel qu'il fût disposé à lui 
accorder sa confiance. Ce maréchal d'ailleurs est 
le seul homme capable de commander une ar- 
mée, dans le cas d'une rupture avec les puissances 
étrangères ; cependant avant de l'admettre au 
conseil , le cardinal a sondé les dispositions de 
plusieurs personnages considérables et il a re- 
connu que ce choix ne serait pas agréable à la 
nation, parce que Berwick n'est pas né Français. 
Fleury désire le dédommager de cette exclusion 
involontaire , et ce sera lui certainement qui 
aura le commandement général de l'armée, s'il 
y a lieu ; je crois aussi qu'il obtiendra une com- 
pensation pour la perte du gouvernement de la 
Guienne, que M. le Duc lui avait retiré. En at- 
tendant, le maréchal vit beaucoup à la campagne, 
et je pense le connaître assez pour être sûr qu'il 
souhaite ardemment la continuation de la bonne 
entente de la France et de l'Angleterre contre 
l'Empereur. Bien qu'il soit le protecteur naturel 
des officiers irlandais qui ont pris du service 
dans ce pays, je suis persuadé qu'il regarde 
comme au-dessous de lui de se mêler à leurs 

14. 




UÙ LE MARtCHlL DE BEA¥fIC&. 

iatrigues et à celles des Jacobites en &veur 
du PrétendanL U rend d'ailleurs un juste hom- 
noage aux grandes qualités du roi d'Ajigle- 
terre, mais il ne faudrait pas en conclure qu'il 
soit assez bon Anglais pour que, dans le cas 
d'une guerre entre les deux royaumes, il ne se 
montre pas pr6t à conduira une armée française 
contre les possessions de Sa Majesté, avec la 
môme vigueur qu'un Français de naissance ^. 

1. « Le maréchal de Berwick est^ sans contredit^ une des plus 
nobles figures de son époque. Fils de Jacques II d'Angleterre et 
d'Arabelle Churchill, scnir du duc de Marborough^ il aviit été 
élevé en France jusqu'à Tâge de dix-sept ans. 11 fît alors deux 
campagnes ayec les Impériaux contre les Turcs^ puis il accom- 
pagna Jacques II en Irlande^ et il eut un cheval tué soob lui à la 
bataille de la Boyne. Revenu en France avec le roi détrôné, il 
commanda l'armée française en Espagne et gagna la bataille 
d'Almanza sur les Anglais et les Impériaux. U fut créé, à cette 
occasion^ duc de Fitzjames, maréchal de France et chevalier du 
Saint-Esprit. A la tête de l'armée française, en 1719, il sut, par 
une campagne aussi courte que décisive, arrêter les entreprises 
d'Alberoni et humilier l'orgueil espagnol. Aussi simple dans sa 
vie privée qu'habile général, il se plaisait fort dans ,sa terre de 
Fitzjames, à laquelle il avait donné son nom. Il était d'ailleurs 
très-bon Français. Marié une première fois avec lady Honora de 
fiurgh, fille du comte de Clauricarde, il n'en eut qu'un fils, qui, 
sous le nom de duc de Liria, fonda la branche espagnole de sa 
famille. 11 épousa en secondes noces lady Sophia Stuart, dame 
du palais de la reine^ exilée à Saint-Grermain^ et il en eut treize 




LE MARÉCHAL DE TALLARD. 247 

(( Votre Grâce n'ignore pas que le cardinal, 
lorsqu'il n'était encore qu'évéque de Fréjus, se 
plaisait à consulter, eu particulier, le maréchal 
d'Huxelles sur les affaires étrangères, jusqu'à 
ce que, la question de préséance ayant été tran- 
chée par sa promotion au cardinalat, il ait pu 
l'admettre publiquement au conseil. H a aussi 
jugé à propos d'y faire entrer un nouveau 
membre, et il m'^ fait savoir que son choix était 

enfiuits^ dont Charies, le quatrième, hérita de son titre et de sei 
biens. Le maréchal de Berwick fut tué par uu boulet au siège 
de Philippsbourg, qu'il dirigeait, le 12 juin 1734. 

Montesquieu a fait de lui le plus bel éloge : « Il aimait ses 
amis; sa manière était de rendre des services sans vous rien dire. 

Il était impossible de le voir et de ne pas aimer la vertu J*ai 

TU de loin, dias Im livres de Plutarque, ce qu'étaient les grands 

hommes; j*ai vu en lui de plus près ce qu'ils sont Il avait 

om grand fonds de religion. Jamais homme n'a mieux suivi ces 
lois de l'Évangile qui coûtent le plus aux gens du monde; enfiflL 
jamais homme n'a tant pratiqué la religion et n'en a si peu parlé...» 
Horace Walpole, le fils du ministre sir Robert, a payé un poéti- 
que tribut de louanges et de regrets à la mémoire du maréchal 
.de fierwiok, dans la personne de sa petite-fille, mademoiselle 
•de Glermont^ mariée i M. de la Vaupallière, lorqu'elle vint ie 
vifliter à Str&wberry Uill. Voici les vers qu'il lui adressa : 

Shall Biitain tigh, -while Zephyr's toftoBt care 
K^afto to her êhot9 the bright La Vanpallière ? 
Àh 1 yes : descended from the British throne, 
She views a nymph she must not call her own; 
She seet how dear has Staart's exile cost, 
By ClermonVs charnu, and Berwick's valor lest. 



f48 LE DUC D'ANTIN. 

tombé sur le maréchal de Tallard. Dans la 
conversation que j'ai eue avec lui sur ce sujet, 
il m'a dit avoir toute raison de croire que ce 
maréchal se laissera diriger par lui, et que 
moins que personne il sera disposé à lui faire 
de l'opposition. Il a ajouté qu'il avait d'abord 
pensé à donner cette place au duc d'Antin, qui, 
selon lui, est le plus fort de tous en intelligence 
et en profondeur, et que, majoré son attache* 
ment bien connu pour la famille de M. le Duc, 
ce personnage se serait aisément rangé à son 
avis en toutes choses ; mais, en y regardant de 
plus près, il avait trouvé que le duc d'Antin 
s'était trop compromis dans le monde par sa 
réputation d'immoralité pour qu'il pût décem-% 
ment l'élever à un si haut poste *. 



1. Le duc d'Antin était un des grands seigneurs qui, avec 
M. le Duc, avaient tiré le parti le plus scandaleusement lucratif 
des opérations de la banque de Law, dont il s'était fait le très- 
humble serviteur. « Le bon ami de Law, le duc d'Antin, a voulu 
avoir la charge de directeur de la banque. M. le Duc avait d'abord 
parlé contre Law : quatre millions l'ont amené à se déclarer en 
sa faveur; il y a trois millions pour lui et un million pour ma- 
dame de Prie. » (Duchesse d'Orléans, Correspondance, t. II, 
p. 243.) 



LE CARDINAL DE ROHAN ET M. DE BRANCAS. 240 

(( Celui qui venait après lui était le cardinal 
de Rohan '; mais ses sentiments hostiles contre 
le roi George P' et son gouvernement étaient 
trop connus pour que M. de Fleury ne crai- 
gnît pas de s'exposer à de sérieux embarras en 
le nommant secrétaire d'État; il y avait là une 
raison suffisante pour ne pas y arrêter un mo- 
ment sa pensée. Le cardinal m'a avoué en 
grand secret, et je crois être le seul auquel il se 
soit ouvert ainsi, qu'en cas de mort du maré- 
chal de Yillars, il avait le projet d'appeler au 
conseil le marquis de Brancas, qui est mainte* 
nant ambassadeur en Suède. C'est un très- 
honnête homme, avec lequel j'ai eu pendant 
quelque temps des relations intimes, qu'il avait 
recherchées lui-même : c'est là une liaison que 
je m'efforcerai de resserrer encore, Votre Grâce 
peut en être certaine. M. de Brancas est un 
homme de cinquante ans, qui a eu autrefois 



1. Armand-Gaston de Rohan^ cardinal et archevêque de Stras*' 
bdurg^ né en 1674. C'était lui qui avait sacré l'abbé Dubois ar- 
cheyèque de Cambrai ; il était de l'Académie française et il avait 
été nommé membre du conseil en 1722. H est mort en 1749. 



«59 CARACTiRKS 

l'ambassade de Madrid, et je suis tout porté à 
croire que, s'il entre au mimstère, le cardinal 
lui accordera une confiance sans bornes; si 
même il montrait de l'aptitude pour les grandes 
aCEaires, il le placerait peu h peu si avant dans 
les bonnes gpftoes du roi Louis XY, qu'au be- 
soin il serait sûr d'hériter de tout le prestige 
que le cardinal exerœ sur ce prince : du reste, 
IL de Fleury, avec son âge «t sa santé, survivra 
très-probablement aux deux maréchaux. U est 
extrêmement à désirer que cette communicaticn 
au sujet de M. de Brancas demeure à l'état du 
plus profond secret. 

« L'empressement et la franchise a^c les- 
quels le cardinal m'a ouvert son cc&ur au sujet 
des membres de son gouvernement, prouvent 
que Sa Majesté n'a point à redouter qu'aucune 
influence contraire prévale sur les plans et les 
institutions de M. de Fieury, et que chacun se 
conformera à sa volonté. Les intérêts de Sa Ma- 
jesté n'auront donc h souffrir, ni des derniers 
choix pour le conseil, ni de ceux qui pourraient 
survenir, tant que la cardinal conservera sa pré- 



DES NOUVEAUX MEMBRES DU CONSEIL. 25 

pondérance ; il semblerait donc à peu près su- 
perflu d'entrer dans les détails du caractère des 
deux maréchaux. 

« Je dois dire cependant que MM. d'HuxelIes 
et de Tallard appartiennent à la vieille cour, 
qui nourrit une aversion invétérée contre 
l'Angleterre et contre l'heureuse politique 
d'aujourd'hui j mais la paix prolongée entre 
les deux nations, l'état précaire de la France, 
la crainte de la puissance impériale et les dis- 
positions si amieaTes que Sa Majesté a montrées 
envers ce pays, depuis le commencement de 
son règne, ainsi que la haute opinion qu'elle 
a su donner de ses vertus et de sa fermeté, 
jointe à l'amour toujours croissant de ses sujets 
pour elle, tout cela a contribué, dans une forte 
mesure, à effacer l'ancienne inimitié de la 
France contre l'Angleterre, même parmi les 
courtisans. H existe cependant encore ici On 
levain d'orgueil, qui trouve que l'Angleterre 
fait une trop grande figure dans l'alliance 
entre les deux nations et que la France devrait 
y tenir le premier rang. J'ai eu soin de prému- 



25S CARACTÈRES 

nir le cardinal contre de pareilles préoccupa- 
tions, et je crois que si, dans certaines éven- 
tualités, les deux maréchaux cherchaient à 
les réveiller, ils ne parviendraient pas à les faire 
peser sérieusement sur la politique actuelle. Le 
maréchal d'Huxelles grondera quelquefois, pour 
faire parade de ce qu'il croit sa dignité person- 
nelle et de ses prétentions à la franchise et à la 
liberté de parole ; mais il faut lui rendre cette 
justice, que chaque jour il se pénètre davan* 
tage des questions qui sont en litige avec l'Em- 
pereur. Il est de plus en plus frappé de la jus- 
tesse des mesures qui ont été prises par Sa 
Majesté de concert avec la France, avant son 
entrée dans le gouvernement. II désire certaine- 
ment encore un accommodement avec l'Espa- 
gne, plus que ce royaume ne le mérite de la 
part delà France; mais, grâce au caractère hau- 
tain de la reine Elisabeth, les avances qu'il 
pourra faire auront pour résultat de retarder le 
rapprochement plutôt que de le faciliter. D'un 
autre côté, la crainte qu'il a de la guerre lui fait 
aussi prendre plus de précautions qu'il n'en faut 



DES NOUVEAUX MEMBRES DU CONSEIL. 253 

pour réviter, et, avec la disposition habituelle 
de la cour impériale, elles ont parfois Tinconvé- 
nient de la rendre encore plus difficile à ma- 
nier. Cependant, en somme, c'est un excellent 
homme d'affaires, détestant cordialement le ca- 
binet de Vienne et surtout le comte de Sinzin- 
dorff, qui le lui rend bien, à ce que M. d'Huxelles 
m'a dit lui-même. 

«Le maréchal de Tallardi adore les affaires : 
il parle beaucoup, et il aime à donner son avis 



1. Camille d'Hostun, comte, puis duc de Tallard, né, comme 
son collègue, en 1652. Il avait servi avec distinction sous Coudé 
et sous Turenne, qui lui confia le commandement du centre de 
son armée à la bataille de Mulhausen. Créé maréchal en 1703, 
il battit les Impériaux à Spire, mais il perdit, en 1704, la bataille 
d'Uochstett, contre Marlborough, et fute mmené prisonnier à Lon- 
dres. Il eut part, dit-on, par ses intrigues près de la reine Anne, 
au rappel de Marlborough. Plus tard il fut nommé membre du 
conseil de régence, et enfin secrétaire d'Etat sous le cardinal de 
Fleury. 

« C'était un homme de médiocre taille, avec des yeux un peu 
jaloux, pleins de feu et d'esprit, mais qui ne voyaient goutte, 
maigre, hâve, qui représentait l'ambition, l'envie et l'avarice; 
beaucoup d'esprit, mais sans cesse battu du diable par son ambi- 
tion, ses vues, ses menées et ses détours, et qui ne pensait et no 
respirait autre chose; un homme enfin en la compagnie duquel 
tout le monde se plaisait et à qui personne ne se fiait. » (Saint- 
Simon, t. Vil, p. 14.) 

15 



«54 PLAINTES DES ANGLAIS 

sur tout, mais d'après son rôle bien connu de 
courtisan accompli, je ne crois pas qu'il gène le 
cardinal dans aucune question importante. Il 
me semble que ces renseignements devront sa- 
tisfaire pleinement Sa Majesté sur l'état de la 
cour de France et sur sa politique à venir. 

« Je me contenterai d'ajouter que les pré- 
ventions de M, de Saint-Saphorin * contre le duc 
de Richelieu ont été trop loin, en faisant sup- 
poser que la cour de Vienne et celle de Yer- 
sailles étaient d'accord sur la question de la 
compagnie d'Ostende, et que la France serait 
disposée à transiger. J'ai eu hier, à ce sujet, une 
conférence avec les ministres français, et ils 
m'ont affirmé que M. de Richelieu ne leur en 
avait pas écrit un mot et que toutes les fautes 
que cet ambassadeur avait pu commettre à 
Vienne lui étaient personnelles, sans avoir eu 
d'autre mobile que sa vanité et son inconsé- 
quence, sans qu'il y eût ni ordre, ni connivence 
de la part du gouvernement d'ici. J'ai commu- 

1. Agent anglais à Vienne. 




CONTRE LE DUC DE RICHELIEU. 255 

Diqué au cardinal la plupart des lettres de M. de 

Saint-Saphorin sur le duc de Richelieu : il 

m^a démontré que ce dernier ne lui ayant pas 

rendu le moindre compte de ses négociations 

particulières avec les ministres impériaux, on 

n'avait pu lui envoyer d'ici ni encouragement, 

ni approbation. On s'arrangera donc pour le 

rappeler, mais sans lui donner aucune marque 

de mécontentement, ce qui est tout à fait dans 

le caractère du cardinale II vaut peut-être 

mieux qu'il en soit ainsi et, selon moi, M. de 

Saint-Saphorin doit conserver jusqu'à nouvel 

ordre, vis-à-vis du duc, les formes de l'amitié et 

de la confiance. 

« La seule affaire qui me semble embarrasser 

1. Le futur maréchal de Richelieu n'eut pas^ en effets à se 
plaindre du traitement qu'il éprouva à son retour d'ambassade. 
Nous trouvons dans le Journal historique de Louis XV, à la 
date du 4 avril 1728 : « Le duc de Richelieu, en qualité d'am- 
bassadeur -da roi auprès de l'Empereur, avait contribué efQcace- 
ment à la pacification générale par ses soins, ses avis et ses né- 
gociations. Le roi, pour récompenser ses services, tient eitraor- 
dinairement au chapitre de l'ordre du Saint-Esprit, dans lequel 
Sa Majesté lui accorde la permission de porter la croix et le coi"- 
don de l'ordre, jusqu'à ce qu'il vienne recevoir le collier de ses 
mains. Ce ministre a quitté Vienne le 5 mai. » 



t5< LES GÀLlOIfS D'ESPilGNE. 

le cabinet de Versailles, c'est celle du blocus, ea 
Amérique, des galions espagnols : le commerce 
français en souffre et se plaint amèrement, car 
il y est intéressé plus qu'aucune autre nation, 
et ce temps d'arrêt dans le retour de ces navi- 
res a déjà causé plusieurs banqueroutes parmi 
ses marchands. Mais lorsque je prie les mi- 
nistres français de mettre en balance, d'un côté 
le mal que causerait aux affaires publiques 
l'arrivée des galions en Espagne, et de l'autre 
la perte que motive pour quelques particuliers 
la prolongation de leur séjour forcé aux Indes, 
ils ne trouvent plus rien à répondre; surtout 
lorsque je leur prouve que l'argent de leurs 
marchands pourrait fort bien être saisi à son 
entrée en Espagne, à cause de la pénurie ex- 
trême du trésor de ce royaume. C'est là un in- 
convénient grave que redoute le commerce es- 
pagnol lui-même, ainsi que le constatent les 
dépêches de M. Stanhope, que Votre Grâce re- 
cevra par ce courrier. » 

Le cardinal persista donc dans la ligne poli- 
tique qui était déjà tracée, et la fermeté avec 




MORT DE LA REINE SOPHIE-DOROTHÉE. 2b7 

laquelle il appuya toutes les négociations du roi 
George avec les puissances étrangères, donna 
une telle force au traité de Hanovre, qu'il put 
anéantir toutes les macliinations ourdies par les 
Allemands et les Espagnols, pour réaliser les 
vastes plans de leur traité de Vienne*. ^ 

Ce fut le 12 novembre 1726 que s'éteignit dans 
Tcxil Sophie-Dorothée de Brunswick-Zell, épouse 
de George P', qui s'était séparé d'elle longtemps 
avant de monter sur le trône. Fille d'une fran- 
çaise, la belle Éléonore d'Albreuse, que George 
Guillaume duc de Zell avait épousée par amour, 
et non moins jolie que sa mère, elle avait été ma- 
riée très-jeune à son cousin, qui n*était encore 
que prince électoral. Bientôt délaissée par un 
mari naturellement peu aimable et dont le 
temps se partageait entre la guerre et de nom- 
breuses maîtresses, elle finit par ne pas rester 
insensible aux hommages du comte de Kœnigs- 
marck, si connu par ses aventures de guerre 
et de galanterie. Ce commencement d'intrigue 
fut habilement exploité contre elle, et l'électeur 

i. M, Walpole*s Apoîogy, 




S58 MORT DE LA REINE SOPfllE-DOROTHÉE. 

Ernest-Auguste enjoignit à Kœnigsmarck de 
quitter ses États dans les vingt-quatre heures. Il 
fallut obéir, mais cédant à de perfides conseils, 
Sophie-Dorothée permit au comte de venir le 
lendemain matin dans sa chambre lui dire un 
dernier adieu ; au moment oîx il la quittait, des 
hommes masqués, qu'on avait apostésL dans une 
pièce voisine, se jetèrent sur lui, et depuis on ne 
le revit plus. Ce fut plusieurs années après qu'on 
découvrit le corps de Kœnigsmarck sous le par- 
quet d'un des appartements du palais. Là ne 
s'arrêta pas la vengeance des ennemis de la 
malheureuse princesse : on lui enleva ses en- 
fants et on la renferma dans la forteresse d'Ahl- 
ven, où elle languit de longues années, sans 
que son époux consentît jamais à la revoir ni 
plus tard à l'associer à ses grandeurs. Elle le 
précéda de quelques mois dans la tombe : ce fut 
pour elle la délivrance, et son image mélanco- 
lique, sous la double auréole de la beauté et du 
malheur, est la seule qui fasse luire un rayon de 
poésie sur l'histoire si terne et si prosaïque de 
cette famille de Hanovre *. 

i. Horace WalpoW s Réminiscences. 




CHAPITRE IX 



Walpole se rend à Londres pour Touverture du parlement. — Dis- 
cours du trône. — Dispositions belliqueuses de rAngleterre. 

— Le comte Palm reçoit ses passeports. — Tout fait présager 
wie rupture avec TEspagne et l'Empire. — Siège de Gibraltar. 

— Perplexités du cardinal. — La France ne veut pas la guerre. 

— Fleurj' en fait part à M. Robinson. — Exigences de l'An- 
gleterre. — Mission secrète de i'abbé de Montgon. — Finesse 
du cardinal. — Retour de Walpole à Paris. — Il s'entend sur 
tous les points avec Fleury. — Deux escadres françaises dans la 
Méditerranée. — Tentatives de pacification. — Elmbarras de la 
cour de Vienne. — Préliminaires de paix acceptés par TEm- 
pereur. — L'Espagne finit par y adhérer. — Mort du roi 
George !•'. — Caractère de ce prince. 



Tandis que tout s'agitait ainsi à Versailles, 
Walpole repartit pour Londres, le 12 décembre 
1726| afin de prendre part aux travaux du par- 
lement, en laissant à Paris, selon son habitude, 
M. Robinson, comme chargé d'affaires. D passa 
par la Hollande pour se concerter avec les chefs 




260 WALPOLK SE REND A LONDRES. 

de cette république sur les mesures collectives 
à prendre en face de ces menaçantes éventuali- 
tés, et, comme le parlement n'était pas encore 
ouvert à son arrivée à Londres, il profita de ce 
moment de repos pour éclairer son frère sur 
l'état réel des affaires en France, et sur ce qu'on 
y pouvait craindre ou espérer. 

 la réunion des chambres, le discours du 
trône renfermait, entre autres, un passage qui 
empruntait une haute importance aux conjonc- 
tures présentes : « Il m'est revenu de différents 
« côtés, disait le roi, et je puis entièrement comp- 
« ter sur l'exactitude de ces informations, que 
(( l'un des articles secrets du traité de Vienne a 
« pour but le rétablissement du Prétendant sur 
c( le trône d'Angleterre. » Après s'être étendu 
longuement sur la série de calamités dont l'al- 
liance de l'Empereur avec l'Espagne menaçait la 
nation britannique, telles que la ruine de son 
commerce, la revendication de Port-Mahon et de 
Gibraltar, et bien d'autres encore, le discours se 
terminait par cette vigoureuse péroraison : « Si 
« le maintien d'une juste pondération des pou- 



DISCOURS DU TRONE. 261 

ce voirs en Europe, si la défense des possessions 
« de la couronne d'Angleterre, peuvent don- 
« ner à notre commerce avantages et sécurité ; 
€( si la protection de ce commerce contre des 
« agressions aussi dangereuses que déloyales, 
« si le respect de la constitution, de la religion, 
a des libertés et des propriétés d'un peuple pro- 
tt testant, sont encore des objets dignes de Tat- 
c( tion et des soins d'un parlement britannique, 
n je n'ai pas besoin d'en dire davantage pour 
c( exciter mes fidèles et loyales chambres à sau- 
c( ver, par un énergique effort, tout ce qui leur 
c( est cher et précieux*, » 

Cet appel passionné provoqua dans le parle- 
ment une véritable explosion d'indignation et 
de zèle, et une adresse pleine de reconnaissance 
et de dévouement pour le roi fut votée par les 
communes à la majorité de 2S1 voix contre 81 . 
On décréta d'enthousiasme une levée de 
20,000 matelots ; l'armée de terre fut portée à 
26,000 hommes, et on accorda sans résistance 



1. Goxe^ Memoirs of sir Robert Waipolê, t. H, p. 242. 

15. 




H - 



sn DISPOSITIONS BiLUOUEUSES K L'UlGlfTEI 
les subsides destinés à coDTrir les d^ei 
traordinaires de l'année courante. L'ex 
patriotique du parlement fut partagée 
nation tout entière, et l'opposition dli 
crut devoir se montrer aussi irritée que 
vernement. Cette ardeur fut encore att 
l'imprudente conduite du comte Palm, 
tre de l'Empereur à Londres : ce di 
n'hésita pas à présenter directement ai 
mémoire, appuyé d'une lettre du co 
Sinzindorfr,chancelier de l'Empire, dans 
en protestant contre les assertions que 
mait le discours du trône sur les clauses : 
du traité de Vienne, il réclamait au nom 
malLre une éclatante réparation pour 
trages et les calomnies déversées par le 
sait-il, à la lace du monde entier, sur Sa 
impériale. Ce mémoire, communiqué le i 
au parlement, porta à son comble l'ei 
tion des deux chambres, et suriapro] 
de sir Robert Walpole, on vota une r 
adresse à George 1" pour lui témoignei 
gnatioaprofonde que ressentaient ses fiâ< 



LE COMTE PALM REÇOIT SES PASSE-PORTS. 263 

• 

jets d'un pareil affront de la part du ministre 
impérial. On rendait gr&ce en même temps au 
roi pour sa sollicitude et sa vigilance, en lui 
exprimant la résolution bien arrêtée du parle- 
ment de le défendre contre tous ses ennemis 
du dedans et du dehors. Le comte Palm re- 
çut aussitôt ses passeports avec Tordre de sor- 
tir d'Angleterre dans l'espace de huit jours; 
le résident anglais près de l'Empereur dut 
quitter Vienne dans les vingt-quatre heu- 
res, et comme le ministre d'Espagne était déjà 
parti brusquement de Londres, on ne douta 
plus qu'une rupture ouverte avec l'Espagne et 
l'Empire n'en fût la conséquence forcée ^ Des 
préparatifs de guerre furent faits sur une vaste 
échelle de part et d'autre : les Anglais, qui n'i- 
gnoraient pas que le plan des Espagnols était 
avant tout de leur enlever Gibraltar, avaient eu 
soin de pourvoir cette forteresse de tout ce qui 
était nécessaire pour soutenir un long siège. 

• 

Cela n'empôcha pas, qu'avant toute déclaration 

i. Goxe^ MoMirs oftir Hoberé Waipok, t. n^ p. 242. 



/ 



264 SIÈGE DE GIBRALTAR. 

de guerre, l'armée espagnole, sous les ordres 
\ du marquis de Las Torrès, n'ouvrit la tranchée 
\ devant Gibraltar, dans la nuit du 22 au 23 ié- 
' vrier. Bientôt après, tandis qu'une escadre an- 
glaise bloquait les galions espagnols dans Porto- 
Bello, en Amérique, une autre escadre de cette 
nation partait pour la mer Baltique, afin d'y 
opérer sa jonction avec la flotte suédoise et com- 
battre celle de Russie, qui était de cinquante- 
six vaisseaux de ligne, sans compter les fréga- 
tes et les galiotes. 

Pendant que l'Angleterre se préparait ainsi à 
entamer une lutte acharnée, il s'en fallait beau- 
coup que le cabinet de Versailles se montrât 
aussi disposé à affronter les hasards de la guerre, 
avant d'avoir épuisé toutes les chances possibles 
de pacification. Le ministère se trouvait d'ail- 
leurs fort embarrassé; l'opinion publique se 
prononçait de plus en plus, en France, contre 
l'envoi des escadres anglaises et contre le blocus 
des galions, qui avait déjà causé de véritables 
désastres au commerce français. Fleury sen- 
tait lui échapper tous les jours davantage cette 




PERPLEXITÉS DU CARDINAL. 265 

popularité à laquelle il attachait un prix ex- 
trêaie, et il louvoyait péniblement entre les 
sollicitations belliqueuses de TAngleterre et 
l'orgueilleux entêtement de Charles VI et du 
roi Philippe. Ce fut alors que M, Robinson lui 
remit une note énergique de la part de Wal- 
pole, qui le pressait de repousser toutes les pro- 
positions de l'Espagne et de lui déclarer la 
guerre, dès les premières hostilités devant Gi- 
braltar. La situation s'aggravant ainsi tous les 
jours, le cardinal n'hésita plus à faire connaî- 
tre au chargé d'afTaires anglais toutes ses per- 
plexités, en lui exprimant son désir de tenter 
encore un accommodement : « Nos alliés, lui 
« dit-il, peuvent être certains que je n'admettrai 
(( aucune proposition de leurs adversaires , sans 
tt leur en faire part, et que je n'y donnerai jamais 
(c suite sans avoir consulté leurs intérêts. Ce- 
ce pendant, si je suis tenu à tous ces ménage- 
ce ments envers eux, je ne dois pas moins en 
« avoir également envers notre nation : le roi 
(( continue à m'honorer de sa plus intime con- 
<( fiance, mais il s'en faut bien que je possède 



«66 LA FRANCE 

V celle du pays tout entier, à gui les artifices 
« des uns et l'ignorance des autres ont per- 
te suadé que je me laissais complètement goû- 
te verner par l'Angleterre. Le pis est que cette 
« fausse idée a fait invasion jusque dans le con- 
te seil, et que je me vois souvent forcé d'y es- 
te suyer des reproches en pleine figure : ceux 
« mêmes qui, dans le cabinet, n'osent pas con- 
te tredire la force de mes raisonnements, s'en 
t( dédommagent ensuite en m'accusant au de- 
tf hors d'être Fauteur de tout le mal; ils prê- 
te tendent avoir tout fait au monde pour m'en 
t( empêcher, et s'arrogent ainsi, à tort ou à rai- 
t( son, l'honneur d'avoir essayé de lutter contre 
(( moi. » . 

a Telles sont les difficultés de ma position, 
t( qui seraient pires encore si je n'avais pas l'air 
« d'être tout disposé à écouter des propositions 
te d'accommodement, quoique je sois bien ré- 
t( solu à rejeter tout ce qui ne saurait être ac- 
te cepté par les alliés. Hier encore, pendant la 
te séance du conseil, j'ai dû en appeler au roi, 
te en demandant à mes adversaires s'ils n'étaient 



HB VEUT PAS LA GUERRE. S67 

(c pas tous d'avis que la première proposition de 
« TEmpereur n'était pas admissible. Ils ont ré- 
« pondu affirmativement^ et il en a été de même 
€ pour la seconde et pour la dernière. Je les ai 
« priés alors de se rappeler que, de mon côté, je 
« n'accepterais [dus aucun reproche à ce sujet 
« et que dès lors ils devaient s'attendre à me 
K voir agir d'après leur propre aveu. 

a J'écris, ajouta le cardinal, avec la même 
ic franchise et la même sincérité dont j'use en- 
« vers vous. Je me flatte que cette franchise aura 
(T rendu ma dernière lettre aussi agréable au roi 
« d'Angleterre que les autres le sont ordinaire- 
« ment, j'espère, à M. Walpole. J'ai exposé clai- 
re rement mes embarras, tout comme je vous in- 
« dique id sur quoi vous pouvez compter. Je 
ce suis pris entre deux feux : dans ma politique 
«intérieure, c'est ma propre sécurité qui est 
(( engagée ; dans ma politique étrangère, c'est 
-a mon honneur. Agir autrement que je ne le 
« fais vis-à-vis des alliés, ce serait manquer à 
(( ma parole; mais je risquerais ici d'être lapidé, 
(( si on avait le moindre soupçon de mon entente 



\ 



168 FLEURY EN FAIT PART A M. RORINSON. 

«parfaite avec eux, et vous seriez dans une 
«grave erreur si vous pensiez qu'on est dis- 
(( posé en France à faire la guerre, ou qu'on 
« pourrait aisément amener les esprits à l'en- 
« treprendre contre l'Espagne. Je ne sais donc 
« comment répondre à M. Walpole, quand il 
« nous demande de la déclarer, dès les pre- 
(( mières hostilités contre Gibraltar : s'il désire 
(( donner satisfaction au peuple anglais, j'ai les 
(( mêmes raisons pour ne pas mécontenter notre 
c( nation. Le seul moyen qui nous reste pour 
« populariser ici la guerre, c'est de la rejeter en 
c( entier sur Charles YI, comme s'il en était le 
c( principal instigateur, et de lui en faire sup- 
« porter toutes les conséquences : par cette ma- 
« nœuvre mieux encore que par la force, le roi 
« d Espagne se convaincrait de la faiblesse de 
(( l'Empereur, sur la duplicité duquel il est déjà 
(( suffisamment édifié ^ » 

Le cardinal termina en disant que les senti- 
ments qu'il venait d'exprimer [étaient d'une 

1. M. Robinson à M. Walpole, 8 janvier 1727. 




EXIGENCES DE L'ANGLETERRE. 269 

nature trop délicate pour être transmis par une 
dépêche au secrétaire d'État d'Angleterre, et 
qu'ils ne convenaient qu'à son intimité avec 
M. Walpole. 

Le cabinet anglais, n'appréciant pas h leur 
juste valeur toutes les difficultés de la position 
du cardinal, insistait sans relâche auprès de 
lui pour qu'il renforçât la garnison de Gibraltar 
d'un corps de troupes françaises, ce qui serait 
devenu une véritable déclaration de guerre con- 
tre l'Espagne. Cette situation, déjà si tendue, se 
compliqua encore par l'arrivée à Paris de l'abbé 
de Montgon, chargé de propositions pacifiques 
pour la France de la part de Philippe V, qui 
était bien informé des perplexités du ministère 
de Fleury et se savait soutenu en France par un 
parti nombreux et puissante 

L'abbé de Montgon, qui avait déjà blessé le 
cardinal en répandant, comme nous l'avons dit, 
de faux rapports sur ses intrigues supposées avec 
l'Espagne, se livra, en arrivant à Paris, à des 

1. Coxe, Memoirs of lord Walpoie, t. 1, p. 257. 



t7» MISSION SECRÈTE 

cabales de bas étage dont il espérait tirer parti 
pour son ambition personnelle : a Moûtgon, 
écrivait M. Robinson, avait paru d'abord à M. de 
Fleury un pauvre diable tout simple, capable de 
croire à tous les bavardages et tout au plus bon 
pour s'en faire Técho. Peut-être aura-t41 lieu 
de modifier son jugement sur cet homme et de 
le regarder comme un intrigant, qui cache une 
ambition excessive sous le masque de l'humilité 
chrétienne. » 

La mission de Montgon avait un double ob- 
jet : séparer la France de l'Angleterre et assurer 
à Philippe la succession éventuelle à la couronne 
de France. La première question devait être 
débattue avec le cardinal ; quant à la seconde, 
l'abbé était muni d'une lettre de créance du roi 
d'Espagne pour le parlement de Paris * ; il devait 



1. Ses instructions contenaient^ entre autres^ ces denx para- 
graphes : a C est que si (ce qu'à Dieu ne plaise!) le roi mon 
neveu venait à mourir sans héritier mâle, étant, comme je le suis, 
le plus proche parent, et mes descendants après moi, je dois et 

veux succéder à la couronne de mes ancêtres Je vous donne 

une lettre de créance de ma main pour le parlement, pour la pré- 
senter à l'instant de la mort du roi mon neveu^ dans laquelle 




DE L'ABBÉ DE MONTGON. Mi 

en outre s'assurer du concours de M. le Dtic, en 
lui offrant le pardon du passé et Tespoîr de nom- 
breuses faveurs pour Tavenir. Mais toutes ces 
manœuvres furent bientôt déjouées par la saga- 
cité et l'adresse de M. de Fleury. 

Arrivé à Versailles le 30 janvier, Tabbé re- 
mettait, dès le 31, au cardinal une note de la 
propre main de la reine Elisabeth, qui lui faisait 
des offres de réconciliation et d'amitié, pourvu 
que Louis XV, abandonnant Talliance des prin- 
ces protestants, rompît avec l'Angleterre et 
consentît à accéder au traité de Vienne. 

Dans cette première entrevue, le cardinal 
reçut les ouvertures qui lui étaient faites, avec 
un grand air de déférence et de candeur, et 
tout en repoussant l'accession de la France au 
traité de Vienne, comme contraire à son hon- 
neur et à ses engagements, il protesta de son 
affection pour le roi Philippe et de son intention 
de différer les hostilités contre l'Espagne aussi 
longtemps que l'intérêt de la France le lui per- 

j 'ordonne qu'à l'instant que ce cas arrivera, ou me proclame roi.» 
(Montgon^ Mémoires, U 111, p. 70 et 74.) 



,1 



/ 



27S FINESSE DU CARDINAL. 

mettrait : « Qu'on prenne donc Gibraltar par un 
« coup de main, dit-il; car si Ton n'en finit pas 
((bientôt, il nous faudra absolument^ remplir 
c( nos engagements avec l'Angleterre. » 

Ce n'était pas tout, il fallait arracher à Mont- 
gon le secret entier de sa mission : le cardinal 
usa donc envers lui de toutes ses séductions, et 
le pauvre abbé, incapable de résister aux préve- 
nances et aux attentions délicates dont .il Ten- 
toura, finit par lui dérouler peu à peu tous ses 
plans, en lui laissant môme une copie de ses 
instructions*. 

La mine était éventée ; mais le cardinal n'en 
ressentit pas moins vivement les mauvais effets 

1. Le cardinal^ curieux de connaître au juste les idées de 
M. leDuc^ qu'il savait en train de cabaler avec le duti du Maine 
et M. de Morville, fut le premier à engager Montgon à voii* 
Tancien ministre à Écouen. L'entrevue eut lieu la nuit : 
M. le Duc promit d'appuyer U succession de Philippe Y, et con- 
sentit même à écrire des lettres de réconciliation au roi et à la 
reine d'Espagne. Moiitgon n*eut rien de plus pressé que de faire 
part dé ses succès au cardinal, qui le félicita virement de son 
adresse et de sa discrétion, et le plaisanta même sur ce que son 
passage de nuit à travers Saint-Denis lui avait donné tout à fait 
là tournure d'un homme à bonnes fortunes. {Voir dans les Mé- 
moires de Montgon les détails de cette conférence noctumci) 



RETOUR D£ WALPOLE À PARIS. 27» 

de la mission de Tabbé : le parti espagnol re- 
doubla d'intrigues, et l'opposition releva la tète 
dans le cabinet. Le cardinal restait donc tou- ] 
jours péniblement ballotté entre le désir d*éviter j 
la guerre avec l'Espagne et la volonté de con- / 
server l'alliance anglaise *. 

Pendant ce temps-là, Montgon déployait, 
pour sa double entreprise, un zèle infatigable : 
il ne cessait de s'adresser à tous ceux qu'il sup- 
posait sympathiques à l'Espagne, et mettait tout 
en œuvre pour démontrer qu'il fallait permettre 
le siège de Gibraltar et abandonner l'Angle- 
terre. Un jour qu'il pressait le maréchal de Vil- 
lars de se prononcer dans ce sens : « Dépèchez- 
(( vous de prendre Gibraltar, lui dit aussi ce der- 
(( nier, car si le siège se prolonge, il devien- 
(( dra impossible de résister aux instances de 
« M. Walpole pour nous faire entrer en jeu, et 
(( quel intérêt a l'Espagne de pousser les choses 
(( à cette extrémité?» Montgon s'étendit alors, 
comme de coutume, sur l'orgueil et les aggres- 

i. Goxe^ Memoirs oflord Walpole, 1. 1^ p. 264. 



i74 IL S*E?ITEND AVEC FLfiURT 

sions de l'Angleterre : <x Tout ce que vous dites 
« est bel et bon, répartit le maréchal, mais je 
« vous répète que le Walpole est fort pressant, 
a fort importun, et qu'il est écouté ici. U doit 
« arriver bientôt, et vous verrez vous-même ce 
c( qui résultera de ses sollicitations ^ » 

Walpole s'était, en effet, décidé à quitter Lon- 
dres avant la fin de la session ; il sentait que sa 
présence devenait de plus en plus nécessaire à 
Versailles , et qu'il fallait raffermir à tout prix 
la marche hésitante du ministère français; il 
arriva donc à Paris à la fin de mars. Dès sa 
première entrevue, tout en faisant la part des 
difficultés du moment, il parvint à fixer les 
irrésolutions du cardinal, et le 30 du même 
mois, ce prélat parlait chaudement au conseil 
d'État en faveur des engagements pris avec 
l'Angleterre. « Le cardinal, écrivait Walpole, 
m'a dit du fond du cœur que si je l'avais en- 
tendu parler, pas plus tard qu'hier, au con- 
seil, devant Sa Majesté très-chrétienne, je n'au- 

1. Montgon, Mémoires, t. III, p. 297. 



SUR TOUS LES POINTS. 275 

rais plus le moindre doute sur sa résolution de 
soutenir l'Angleterre, et de profiter de l'occa- 
sion pour démontrer au roi et au conseil que le 
moment est venu de décider de la paix ou de 
la guerre : « Sa Majesté très-chrétienne doit 
« donc, continua-t-il^ se préparer à agir en con- . 
c( formité de ses stipulations avec ses alliés; le 
« roi d'Angleterre, prince rempli d'honneur et 
c( de probité, s'est montré fidèle, en toute occa- 
<c sion, à son alliance avec la France; il a cons- 
« tamment travaillé à maintenir l'harmonie la 
« plus parfaite avec cette couronne, et il a suf- 
<( fisamment prouvé son amour sincère de la 
a paix, en agréant les propositions qui vont être 
« faites à l'Empereur et à TEspagne, et qui ve- 
« naient originairement de l'Angleterre. Non- 
f( seulement il a consenti à ce que la France 
« suspendît sa déclaration de guerre à l'Es- 
« pagne, mais encore, malgré le siège de 6i- 
<f braltar, il a attendu, avant de tirer l'épée, le 
c( résultat du projet de préliminaires en ques- 
<( tion ; enfin , il a voulu épuiser toutes les 
« chances imaginables d'accommodement. Sa 



i76 IL S'ENTEND AVEC FLEURY 

« Majesté très-chrétienne doit donn réfléchir et 
m voir s'il n'y a pas lieu de prendre des mesures 
« avec ses alliés, pour entamer ou non les hos- 
(( tilités. La Hollande, de son côté, a montré 
« autant d'amour pour la paix que de déférence 
(( pour l'opinion de la France; elle avait d'abord 
« demandé que le privilège de la compagnie 
« d'Ostende, pour le commerce des Indes, fût 
(( suspendu pendant vingt-cinq ans, temps né- 
«cessaire, disait-elle, pour l'abolition de ce 
(( trafic; mais, par complaisance pour nous, elle 
(( s'est contentée d'une suspension de sept ans. 
«Ainsi, comme les alliés n'ont jamais agi 
t( qu'avec tous les égards convenables envers la 
« France et en plein accord avec elle, pour sau- 
ce vegarder la paix autant que possible, cette 
« puissance ne peut hésiter un instant à mon- 
« trer la même fermeté et la même considéra- 
(( tion pour ses alliés. » Le cardinal ajouta que 
c'était là pour lui un principe absolu , dont Sa 
Majesté très-chrétienne ne se départirait pas, 
puisque c'était sur ce principe seul que repo- 
sait la prospérité future de son gouvernement. 



DEUX ESCADRES DANS LA MÉDITERRANÉE 277 

et que le premier acte d'un règne doit toujours 
être la stricte observation des traités et des en- 
gagements pris avec les alliés. 

t( Voilà, dit-il encore, comment j'ai parlé hier 
« au conseil, et je n'ai pas trouvé de contradic- 
(( teurs ; le maréchal d'Huxelles lui-même se 
c( taisait, en baissant la tète d'un air de mau- 
« vaise humeur. Si, du reste, vous pouvez mettre 
(( M. de Morville sur ce sujet, sans faire allusion 
« à ce que nous venons de dire, vous verrez 
« qu'il vous tiendra le même langage «. » 

En effet, des ouvertures dans le sens d'une pa- 
cification générale avaient été faites directement 
à l'Empereur et à TEspagne, par la France et 
l'Angleterre réunies, et le cardinal avait même 
cru devoir appuyer ses démarches par l'envoi, 
sur les côtes d'Italie et de Sicile , d'une escadre 
de six galères, commandée par le chevalier 
d'Orléans. Une autre escadre de douze vais- 
seaux de guerre, sous les ordres du marquis 
d'O, avait fait voile en même temps de Brest 



1. Walpole au duc de Newcastle^ Paris^ le 31 mars 1727. 

16 



J 



«78 TENTATIVES DE PACIFICATION. 

1 pour la Méditerranée. C'était au travers de ces 
démonstratioQs qu'un projet de préliminaires 
de paix avait été envoyé aux deux principaux al- 
liés de Vienne. L'Espagne n'en avait tenu aucun 
compte ; elle y avait répondu en poursuivant le 
siège de Gibraltar ^ et le roi Philippe attendait 
avec anxiété la coopération de TËmpereur et de 
la Russie. Mais la position de Cliarles VI s'était 

r 

^ sensiblement modiflée depuis quelque temps; 

privé des subsides de l'Espagne, par suite du 
] ^ blocus des galions, il ne voyait pas sans effroi le 

rassemblement des troupes de Hesse , de Suède 
et de Danemarck, ainsi que la réunion d'une 
armée française sur les frontières d'Allemagne. 
Abandonné par les princes électeurs, il crai- 
gnait la défection de la Prusse , et il se trouva 
, enfin complètement découragé par la mort de la 
Czarine. Sous le poids de toutes ces déceptions, 
l'Empereur, cédant aux instances du pape Be- 
noît XIU et de ses nonces à Paris et à Vienne , 
prêta le premier l'oreille aux propositions des 
alliés de Hanovre. Cependant, ne pouvant se 
résoudre encore à accepter le projet de préli- 




EMBARRAS DE LA COUR DE VIENNE. il» 

minaires tel qu'il lui avait été envoyé, il se dé- 
cida à faire remettre au cabinet de Versailles 
un contre-projet, appuyé, il est vrai, par le 
duc de, Richelieu, ambassadeur de France h 
Vienne , mais dont le but principal était de ga- 
gner du temps. Le cardinal se trouva alors dans 
une ^tuation de plus en plus critique ; il était 
vivement pressé, d'une part, par Walpole , qui , 
au nom de l'Angleterre , réclamait le maintien 
absolu des premières propositions faites à l'Em- 
pereur, en même temps qu'une déclaration de 
guerre immédiate à l'Espagne, et de l'autre, 
par l'opinion publique , qui se prononçait d'au- 
tant plus fortement en France contre cette der- 
nière mesure, que le commerce n'ignorait pas 
qu'on allait tenter de faire rompre le blocus aux 
galions d'Amérique, dans lesquels il avait des 
intérêts considérables qui, en cas de guerre, 
pourraient rester à la merci du roi d'Espagne. 
Ce prince, du reste, ne paraissait disposé à faire 
aucune concession, et, malgré tous les efibrts du 
cardinal, la guerre pouvait éclater d'un mo- 
ment à l'autre. Le maréchal de Berwîck, qui la 



)80 PRÉLIMINAIRES DB PAIX 

C'oyait inévitable, faisait déjà ses plans pour 
entrer en campagne *. 

Ce fut à cette époque que M. Stanhope , qui 
avait dû quitter Madrid par suite du commea- 
cement des hostilités devant Gibraltar, fut reçu 
par le Roi et le ministère français avec les plus 
hautes marques d'approbation sur sa conduite. 
Il put donc porter au cabinet britannique l'heu- 
reux témoignage des bonnes intentions de la 
France et surtout de la sincérité et de la fermeté 
du cardinal. « Dans tout ceci, écrivait alors le 
duc de Newcastle à Walpole , je ne puis que fé- 
liciter Votre Excellence ; car ces heureux résul- 
tats sont dus en grande partie à votre zèle et à 
la remarquable habileté, que vous avez su dé- 
ployer en dirigeant les affaires du roi *. » 

Cependant le cardinal , instruit des embarras 
de la cour de Vienne, ne perdit pas tout espoir 
de conserver la paix; après avoir, de concert 
avec Walpole, rédigé de nouvelles propositions, 
qui différaient des précédentes plutôt pour la 

1, Walpole au duc de Newcastle, 28 avril i727. 

2. While HaU, 6 avril i727. 




ACCEPTÉS PAR L'EMPEREUR. 281 

forme que pour le fond , il les envoya à l'Empe- 
reur et au roi d'Espagne , en leur signifiant que 
si , dans le délai d'un mois , leurs ministres en 
France n'avaient pas reçu des pleins pouvoirs 
pour signer les préliminaires, ils devaient 
compter sur une déclaration de guerre collec- 
tive des puissances alliées. Mis ainsi au pied du 
mur, l'Empereur, qui ne se sentait plus disposé \ 

à courir les chances d'une rupture ouverte, 
n'hésita pas à accepter les préliminaires tels 
qu'il les avait reçus, et ils furent signés à 
Paris, le 31 mai, par son plénipotentiaire, le 
baron de Fonseca, avec une telle hâte que la 
cour d'Espagne ne fut ni avertie, ni consultée. 
Les plénipotentiaires furent le comte de Mor- 
ville, Horace Walpole, le baron de Fonseca, le 
nonce Maffei, et M. Borel, ambassadeur de Hol- 
lande *. 



1. Ces préliminaires de Paris portaient qu'il y aurait un ar- 
mistice de sept ans; que, pendant cette période, la compagnie 
d'Ostende serait suspendue et que, dans quatre mois, on tiendrait 
un congrès à Aix-la-Chapelle pour arranger tous les différends. 
Une seconde expédition de ce traité devant être regardée comme 
originale aussi bien que la première, ayant été envoyée à Vienne, 

16. 



/ 



S»i L*ESPAGIIE FINIT PIR Y ADHÉRER. 

La défection de la cour impériale excita, jus^^ 
qu'au plus haut d^ré, la colère du roi catho- 
lique et le plongea en même temps dans un 
véritable désespoir , qui produisit en lui de 
graves désordres au physique et au moral. Ce- 
pendant la reine d'Espagne^ que les artifices du 
ministre impérial à Madrid leurraient toujours» 
de la perspective du mariage de Tinfant, ne 
pouvait se résoudre à rompre définitivement 
avec Charles \L Mais le roi Philippe, se sentaM 
abandonné par son unique allié, voyant à la fois 
ses frontières exposées à une invasion fran- 
çaise, ses côtes menacées par la flotte d'Angle- 
terre et ses trésors arrêtés en Amérique, se 



il &'éleva des^ difficultés sur la forme de la signature; elles ne 
furent levées que le 13 juin. Le ministre d'Espagne signa alors, 
mais le roi refusa sa ratification à cause de l'article 5, qui assu- 
rait aux navires marchands de différentes nations de retourner en 
Europe, disposition qui obligeait l'Espagne à restituer un bâti- 
ment anglais pris sur les côtes de la Vera-Cruz, et dont la car- 
gaison était estimée à deux millions de livres sterling* Philippe V 
refusa aussi de lever le siège de Gibraltar. 11 fallut une nou- 
velle négociation, à la suite de laquelle fut signée à Madrid, le 
6 mars 1728, une convention entre PEspagne et la Grande-Bre- 
tagne; ainsi, les préliminaires de Paris reçurent leur exécution. 
(F. Schoell, Histoire abrégée des traités de paix, t. I, p. 244.) 



V'. 

MORT DU ROI GEORGE î". ' . 283 

trouva contraint d'accepter enfin les conditions 
déjà obtenues par l'Empereur. Les prélimi- 
naires furent signés à Vienne, au mois de juin, ' 
par son ambassadeur, le duc de Bournonville. 

Tout paraissait donc sourire aux alliés de 
Hanovre, lorsque ces horizons brillants se trou- 
vèrent tout à coup singulièrement assombris par 
la mort subite de George P'. Ce prince, qui avait / 
conservé pour son pays natal le plus vif attache- / 
ment, y revenait toujours avec joie, dès que les 
afEaires le lui permettaient : ce fut en se rendant 
à Hanovre, pendant un de ses voyages, qu'il fuC 
pris, dans son carrosse, d'une attaque violente, 
qui laissa à peine le temps de le transporter jus- 
qu'à Osnabruck, où il expira le 30 juin 1727, 
à l'âge de soixante-sept ans *. 

Ainsi finit ce règne , qui avait été moins glo- 
rieux qu'utile pour la Grande-Bretagne. Si la 
personnalité, un peu bourgeoise , du monarque 
manque de relief dans l'histoire, il n'en est pas 
moins vrai que c'est à son bon sens, autant qu'à 

1. Voir tous les détails de sa mort dans les Mémoires de sir 
Robert Walpole, t. Il, p. 256. 



t84 CàRACTËRE DE CE PRINCE. 

rhabUeté de son ministre Robert Walpole «, que 
l'Angleterre fut alors redevable de la paix, du 
développement de son crédit et du jeu régulier de 
ses institutions, a C'était plutôt un brave homme 
qu'un brillant souverain, a dit le second Horace 
Walpole : on lui rendait d'ailleurs pleine justice, 
car on l'aimait peu, mais on l'estimait beau* 
coup. » 

1. Ce qu'il y a de remarquable et ce qui est peut-être sans 
exemple^ c'est que sir Robert gouTema George I«' en se senrant 
seulement de la langue latine, car le roi ne savait pas Vanglais^ 
et son ministre n entendait ni Tallemand ni même le français. 
Aussi Robert Walpole disait-il lui-même en plaisantant que^ sous 
ce règne, TAngleterre avait été traitée au latin de cuisine. 
(Horace Walpole's Réminiscences.) 



CHAPITRE X 



Inquiétudes de Walpole par suite de la mort du roi. — Il part 
pour Londres d'après le conseil du cardinal. — Sir Spencer 
Compton. — Walpole obtient une audience du nouveau roi. 

— Les ministres aurais restent au pouvoir. — La reine Ca- 
roline. — Lettre de George II au cardinal. — Vive satisfaction 
de ce prélat. — Lettre de Walpole. — Il revient à Paris. — 
NouveÛes intrigues de l'Empire et de l'Espagne. — La reine 
Marie Leczinska accouche de deux jumelles. — Déception de 
la France. — Changements dans le cabinet de Versailles. — 
M. d'Aguesseau. — M. de Chauvelin remplace M. de Morville. 

— Son portrait. — Walpole voit avec chagrin celte nomina- 
tion. — 11 fait part de ses craintes au cardinal. — Cabales de 
lord et de lady Bolingbroke. — Loyauté du cardinal envers le 
cabinet anglais. 



La mort inattendue de George !•* plaçait 
Walpole dans une situation fort critique. Dès 
que la nouvelle s'en répandit, Tévêque de Ro- 
chester, Atterbury, alors exilé à Paris, et les plus 
accrédités parmi les Jacobites s'empressèrent de 



28fr INQUIÉTUDES DE WALPOLE 

proclamer qne cette mort allait rallumer les dis^ 
cordes civiles et provoquer en Angleterre une ré- 
volution sanglante, dont Tavénement du nouveau 
roi déviendrait le signal*. Leurs agitations et 
leurs espérances ne connurent plus de limites; 
ils affirmèrent, sur la foi de Tabbé de Montgon ^, 
qui passait pour Tagent confidentiel de Phi- 
lippe y, que toutes les forces de l'Espagne al- 
laient appuyer la cause du prétendant^ qu4> les 
deux branches de la maison de Bourbon seraient 
bientôt réconciliées, et ite ne parièrent plus que 
de la dissimulation profondie âa cardiBal^ auquel 



i. JET Wàlpole's Apology. 

2.. Il avoua plus tard, en confidence, à Walpole qu'il avait écrit 
au confesseur de la reine d'Espagne en lui prédisant de grands 
troubles en Angleterre et en pressant la cour de Madrid d'agir 
en conséquence, mais que le cardinal l'avait détourné d'enw>yer 
cette lettre. (Walpole au duo de Newcastle, 16 août 1727.) 

Montgon rapporte dans ses Méinoires une conversation curieuse 
qu'il eut avec le cardinal au sujet de la mort de George le'. 
L'abbé parlait de la restauration des Stuarts coanne d'un fait 
certain. Fleury, après lui avoir répété combien ses. vœux étaient 
conformes aux siens : « Mais, ajouta- 1- il, il est inutile de se re- 
aître de chimères, et c'en est une de croire qi» la mort du roi" 
George causera du changement en Angleteme; il n'y a qu'un 
miracle qui puisse en opérer un favorable au Prétendant. » (T. V, 



PAR SUITE DE LA MORT DU ROL 287 

Ils prêtaient Tintention positive d'agir en faveur 
du souverain légitime de l'Angleterre. 

D'un autre côté, on prétendait que si 
George II parvenait à monter sans obstacle sur 
le trône, Tadministration anglaise serait radi- 
calement changée , que lord Townshend et sir 
Robert Walpole en seraient exclus, qu'on rap- 
pellerait Horace Walpole de son ambassade et 
que la politique du nouveau règne inaugurerait 
une marche toute différente de celle qui avait 
été suivie jusque-là. Dans les deux éventualités 
dont nous parlons, le cardinal, toujours d'ac- 
cord avec l'Espagne, devait empêcher la réunion 
du congrès indiqué d'abord à Aix-la-Chapelle 
pour régler toutes les difficultés que les prélimi- 
naires n'avaient point encore applanies et arri- 
ver ainsi à la paix générale <• 

Walpole,qui avaitgaranti à son gouvernement 
la loyauté du cardinal, se refusait à croire à toutes 
les rumeurs répandues à dessein par leurs enne- 
mis communs; mais pour savoir au juste h quoi 

1 . if. Walpole*s Apology, 



288 IL PART POUR LONDRES. 

s'en tenir, il demanda une entrevue à Fleury^ 
qui se trouvait alors avec le roi à Rambouillet. 
Le ministre revint sur-le-champ à Versailles, et 
la conférence eut lieu le lendemain. Les pre- 
mières paroles auraient suffi pour dissiper tous 
les doutes de l'ambassadeur, s'il avait pu en con- 
cevoir de sérieux sur la sincérité du cardinal; ce 
dernier le reçut avec une cordialité parfaite : il 
lui témoigna la plus vive amitié pour sa personne 
et les plus grands égards pour son frère, et il lui 
exprima ses vœux les plus ardents, pour que rien 
ne fût changé dans Tadministration anglaise. Il 
nia formellement que la France voulût interve- 
nir dans les questions du gouvernement de la 
Grande-Bretagne, et il protesta qu'elle était ré- 
solue à rester fidèle à tous ses engagements. 
Cette conversation, pleine d'une affectueuse in- 
timité, dura jusqu'à minuit et Walpole revint à 
Paris, dans F intention d'expédier immédiate- 
ment un courrier à Londres; mais à peine était- 
il arrivé, qu'il reçut la lettre suivante du car- 
dinal : 



D'APRÈS LE CONSEIL DU CARDINAL. 289 



A Versailles^ ce 26 juin 1727. 

« Âprds avoir réfléchi, depuis votre départ, 
Monsieur, sur tous les partis qu'il y a à prendre 
dans la perte que nous venons de faire, je suis 
persuadé que Votre Excellence ne peut mieux 
faire que d'aller incessamment à Londres, rece- 
voir les ordres de Sa Majesté britannique, et la 
mettre au fait de toutes les affaires présentes, 
dont elle ne peut pas ôtre encore parfaitement 
instruite ; Votre Excellence en fera plus en un 
ou deux jours de conversation qu'elle ne le pour- 
rait en des volumes de lettres, et vous pourrez 
régler avec Sa Majesté britannique tout ce qui 
peut regarder les intérêts communs des alliés de 
Hanovre. Je ne doute pas que de la manière 
dont Votre Excellence m'a parlé de votre nou- 
veau roi, il ne suive les mômes principes et le 
môme système du roi son père. Pour nous. Votre 
Excellence peut assurer Sa Majesté britannique 
que nous ne nous en départirons pas et que no- 



290 SIR SPENCER COMPTON. 

tre sûreté réciproque consiste à demeurer bien* 
uais. Il ne me reste qu'à vous assurer, Mon- 
sieur, de toute la part que je prends à votre dou- 
leur et que je vous honorerai toute ma vie plus 
parfaitement qu'homme du monde ^ 

<e Le card. de Fletjrt. p 
Walpole ^'empressa de mettre à profit ce con- 
seil aussi amical que prudent, et il partit aussitôt 
pour l'Angleterre. En arrivant à Londres, il 
trouva ses amis dans un grand embarras et la 
position de lord Townshendet de sir Robert sin- 
gulièrement compromise^ le nouveau roi ayant 
annoncé son intention de remplacer à la Tréso* 
rerie Walpole par sir Spencer Compton : l'op- 
position se flattait même déjà de voir entrer au 
ministère quelques tories. Sir Robert eut besoin ^ 
dans cette circonstance critique, de toute son 
adresse, appuyée par l'intervention de la reine*. 

1. L'original de cette lettre^ écrite de la propre mam du car- 
dinal^ est conservé dans les archives de la famille Walpole. 

2. Caroline -Wilhelmine, flUe de Jean Frédéric, margraTQ 
d'Anspach, née en 1683, morte en 1737. Elle avait épousé, à 
l'âge de vingt-deux ans, George, alors prince héréditaire dd 
Hanovre ; « Un noble cœur et une grande intelligence^ telle est 



SIR SPENCER COMPTON. 291 

n avait été le premier à connaître la mort de 
George r% Toivnshend qui accompagnait le feu 
roi dans son voyage la lui ayant immédiatement 
communiquée; Walpole alla donc l'annoncer à 
son successeur et le saluer comme roi. H de- 
manda ensuite à Sa Majesté qui elle voulait dé* 
signer pour rédiger son discours au conseil. 
c( Ce sera sir Spencer Compton, » répliqua le 
nouveau monarque. La réponse était décisive et 
indiquait nettement la disgrâce de Robert Wal- 
pole. Sir Spencer Gompton était le speaker de la 
Chambre des Communes et le trésorier de Son 
Altesse royale qui, par cet ordre, montrait son 
intention formelle de le faire premier ministre. 
C'était un brave homme, très-compassé dans ses 
manières, mais de peu de moyens, comme sa con- 
duite le prouva bientôt. Il se trouvait si peu en 
état de s'élever à la hauteur des circonstances et 
de concevoir quel devait ôlre le langage d'un nou- 



ridée c[ai reste attachée au nom de Caroline d*Anspach. » {Dix 
armées de la cour de George II, p. 373.) George W, qui avait 
des mallresipes, n*aimait point la reine Caroline^ mais elle lui 
était fort utile, et il le savait. 



-a sn sPtscM coiFTOir^ ^, 

tre <txit\h réciproque coofflste à .'^ ^ 
uoii. Il M rae reste ipi'à ^ \ ^ 
Heur, de toute la p*rt qu«j«^ ; 
leur et que je vous honoftr - ; ; ^ 
parfaitenaenl quTiûOiin» '\ \'* \ 

Walpole *'empi«r ; ' \ ^ st\èst^' 

seîl aussi amiedqv; \ \ ' jiflc ne perfi» 

pour r AnrietefT : ^ s errer au toi com- 

tn>ur& ses aiM i | .Âiûent, s*il préËnît 

po^itioa de lor 1 \ qui Im-meme reconnaîs- 
suîièreoenl ' ■ r comme plus propre à cet 
annoncé scr* oefut pIusqueslioDdesirSpeQ- 
rerie Wah «ur premier mioistre '. 
pcôtàoDf encore en question, Iorsqu*à son 
minisU» «ibassadeur obtînt une audience du 
dans ^ ^>rince le reçut avec une extrême froi- 







292 AUDIENCE DU ROT. 

veau souverain en s'adressant à ses ministres, et il 
était si loin de penser à supplanter Walpole, que, 
dans un moment de détresse, ce fut à lui qu'il 
s'adressa pour rédiger le discours du roi. La 
nouvelle reine appréciait mieux que son mari le 
mérite des deux candidats, et elle avait guetté 
en silence le moment favorable, pour faire an- 
nuller la nouvelle nomination. Elle ne perdit 
pas un instant pour faire observer au roi com- 
bien ses affaires en souffriraient, s'il préférait 
prendre un ministre, qui lui-môme reconnais- 
sait son prédécesseur comme, plus propre à cet 
emploi. Dès lors il nefutplusquestiondesirSpen- 
car Compton pour premier ministre *. 

Tout était encore en question, lorsqu'à son 
arrivée l'ambassadeur obtint une audience du 
roi *. Ce prince le reçut avec une extrême froi- 

1. Horace Walpole, Réminiscences, 

2. George II, fils de George l®»" et de Sophie- Dorothée de Zell, 
était né en 1683. Voici le portrait que font de lui les Mémoires 
anglais du temps : « George était d'une petitesse remarquable : 
de grands yeux à fleur de tête, un nez aquilin, et un menton pro- 
éminent déparaient un visage trop long, où cependant un certain 
air de bonté et de majesté tempérait l'irrégularité des traits. Il 
parlait l'anglais correctement, mais avec un accent hanovrien 




LA REINE CAROLINE. 293 

deur et se montra fort mécontent qu'il eût quitté 
son poste, sans y avoir été autorisé. Pour expli- 
quer la précipitation de ce départ, Walpole s'em- 
pressa de lui remettre la lettre du cardinal, qui 
parut calmer un peu la mauvaise humeur du 
roi; profitant alors de cet instant favorable^ 
l'ambassadeur lui déroula toutes les péripéties 
de la politique étrangère, en lui confirmant de la 
manière la plus absolue les intentions favorables 
du cabinet français, telles que les lui manifestait 
la lettre du cardinal. Le roi en fut vivement 
impressionné, car après une audience de deux 
heures, il le congédia, en lui témoignant qu'il 
approuvait pleinement toute sa conduite. 

Cet entretien et la lettre de Fleury vinrent 
puissamment au secours de la reine Caroline, en 
faveur des ministres et déterminèrent le roi à 
persister dans le système qu'avait suivi son père. 



très-prononcé. Son instruction littéraire était nulle; mais^ en re- 
vanche^ il avait fait de l'histoire une étude approfondie : il em- 
barrassait souvent ses ministres par sa connaissance parfaite des 
traités^ de leurs moindres clauses et des dates où ils avaient été 
conclus.' Avec peu de talent, il était emporté et absolu, et per- 
sonnifiait en lui les défauts de sa race. » 



i94 LETTRE DE GEORGE II 

Sous rinspiration de ces sentiments, il se décida 
même à écrire de sa propre main au cardinal 
la lettre suitante en français : 

a Mon cousin , la manière obligeante dont 
vous avés souhaité que mon ambassadeur Wal- 
pole parte incessamment, pour me donner les 
assurances les plus positives de l'intention de 
mon bon frère le roi très-chrestien, de cultiver 
cette union qui est si heureusement établie entre 
nos deux couronnes, aussi bien que son désir 
de perfectionner le grand ouvrage d'une pacifi- 
cation générale et les expressions fortes dont 
vous vous êtes servi dans la lettre que vous aves 
écrite dernièrement à mondit ambassadeur pour 
témoigner votre zèle pour le bien public, et Tin- 
térest particulier que vous prenés à tout ce qui 
regarde ma personne et mon gouvernement, 
m'ont si fort touché que je n'ay pas voulu diffé- 
rer de vous marquer combien j'y suis sensible 
et de vous faire connottre la ferme résolution 
dans laquelle je suis de poursuivre les mesures 
sages et soutenues qui ont amené les affaires 
dans une si heureuse situation et de serrer 




AU CARDINAL DE TLBtJRY. itS 

de plus en plus les uœuds dç ramitié dont 
Je suis lié avec Sa Majesté très-chrestienne. Je 
me sers très-Tolontiers de cette occasion pour 
^our témoigner le cas que je fais de votre mé- 
rite, la confiance que j'ay en votre sincérité et 
^la bienveillance avec laquelle je suis, 
« Mon cousin, 

« Votre affectionné, 

« GfiORGE, Hex '• )) 

A KensingUm^ 1q 20 juin 1727. 

Cette lettre, si flatteuse pour Tamour-propre 
4u cardinal, lui donna un vif sentiment de plai- 
sir, et il ne le dissimula point à M. Robinson, 
qui écrivait le 4 juillet au duc de Newcastle : 

<c La dépêche de Votre Grâce, qui renfermait 
une lettre de Sa Majesté pour le cardinal, vou- 
lait qu'elle fût remise dans le plus court délai : 
ayant donc appris que Son Éminence, au lieu 
d'être avec le roi à Rambouillet, comme on 
l'avait prétendu, se trouvait à Issy près Paris, 
Je lui ai fait demander une audience pour l'heure 

I. Waipok papers^ 



M6 VIVE SATISFACTION 

qu'elle voudrait bien m'indiquer* Le cardinal 
m'en laissa le choix en me donnant rendez- 
vous, et, sans perdre une minute, je suis parti 
pour lui remettre la lettre du roi ; il Ta ouverte 
aussitôt et Ta lue en ma présence. U était facile 
pendant cette lecture de voir éclater sur son vi- 
sage la vive satisfaction qu'elle lui causait, avant 
même qu'il ne l'exprimât, ce qu'il a fait ensuite 
avec une gr&ce parfaite et dans les meilleurs 
termes du monde, en me témoignant toute sa 
reconnaissance pour une marque si haute et si 
prompte de l'estime et de l'affection de Sa Ma- 
jesté. II avait osé espérer déjà, me dit-il, que le 
roi avait bien voulu prendre une bonne opinion 
de lui, d'après les sentiments qu'il avait expri- 
més sur son compte à M. de Broglie, au moment 
de son départ de Londres, et il m'a répété plu- 
sieurs fois qu'il n'avait pas été moins heureux 
des politesses gracieuses du prince de Galles que 
de la distinction particulière que le Roi avait 
aujourd'hui la bonté de lui accorder. Pour moi, 
voyant l'impression que celte faveur avait pro' 
duite sur Son Éminenoe et désirant lui rendre 




DE CE PRÉLAT. 297 

encore plus sensible l'estime que lui accordait 
Sa Majesté, je lui ai raconté, qu'étant en Angle- 
terre, j'avais eu l'honneur d'être présenté au roi 
actuel et que ce prince, en s'infornaant des af- 
faires de France, avait bien voulu faire porter 
toutes ses questions sur ce qui était personnel 
au cardinal. Il s'était surtout naontré inquiet de 
la santé de Son Éminence, qui était alors aux 
eaux. « Le roi a-t-il eu vraiment cette bonté? 
« s'écria le cardinal, est-il possible qu'il ait su 
« que je prenai > les eaux? » 

« Pardonnez-moi, Milord, d'entrer dans tous 
ces détails de conversation ; ce sont des baga- 
telles, mais telles qu'elles sont, vous y verrez 
peut-être à quel point le cardinal a été heureux 
et flatté des bontés présentes et passées du Roi 
pour lui. 1» 

Si la vanité de Fleury avait été vivement tou- 
chée du souvenir obligeant de George II, son 
cœur ne le fut pas moins d'une attention délicate 
de Walpole. Ce dernier n'attendit par son re- 
tour à Paris pour remercier le cardinal du bon 
conseil qu'il lui avait donné et lui faire part de 

17. 



n% LETTRE DE WALPOLE 

l'heureux résultat qu'il avait obtenu de son 
voyage : il lui écrivait de Londres le 3 juillet : 

(( Monsieur, 

« Votre Éminence aura déjà reçeu, par la 
lettre que le roi lui écrivit mardi dernier et qui 
fut envoyée par un exprès, les assurances de Tin- 
tention fixe de S, M. de maintenir l'amitié et la 
bonne correspondance qui subsiste entre elle 
et S. M. T. C. et de poursuivre le système et 
les mesures qu'on avait prises du temps du 
feu Roi. J'aurais eu Tbonneur de vous écrire, 
Monsieur, en même temps, si je n'avais cru être 
à Paris presqu'aussitôt que le courrier ; mais 
ayant depuis eu une audience de S. M., elle a eu 
la bonté de me témoigner que comme Touverture 
est si prochaine de la séance du Parlement, où 
on doit délibérer de certaines affaires impor- 
tantes à régler dans ce commencement du règne, 
qui regardent principalement la continuation des 
revenus pour le soutien du gouvernement civil *, 

i, 11 s'agissait d'une augmentation d» la liste civile et du 
douaire de la reine Caroline. 



AD CARDINAL* ÎM 

il serait à propos que je diffère mon départ^ à 
moins que quelque occasion pressante ne me 
rappelle à Paris ; je n'ay pas voulu différer plus 
longtemps de dire à Votre Éminence qu'il ne 
^ peut rien de plus gracieux que la réception 
que j'ai eue du roi mon maître, ni de plus fort 
^ue ce qu'il eut la bonté de me déclarer de sa 
ferme résolution de maintenir l'union intime 
entre les deux couronnes, et il est impossible de 
rien ajouter aux fortes expressions dont S. M. se 
servist pour marquer son estime pour vous et sa 
grande confiance en la vertu et Tintégrité de 
Votre Éminence. C'est, Mon sieur, ce que je 
prends la liberté de vous assure r, non-seulement 
par ordre exprès du roy, mais sur le pied de la 
franchise et de la sincérité avec laquelle j'ai tou- 
jours agi avec vous, et Votre Éminence peut 
estre entièrement persuadée q ue tout ira ici, soit 
pour l'intérieur du royaume, soit pour les af- 
faires étrangères, de la manièi^ que vous auriés 
pu le souhaiter ^ » 

1. Waipole papers. 



MO IL REVIENT A PARIS. 

Le 4 juillet, sir Robert Walpole fut maintenu 
officiellement dans son poste de premier lord de 
la trésorerie, lord Toi^nshend et le duc de New- 
castle dans ceux de secrétaires d'État, et Horace 
Walpole reçut ses nouvelles lettres de créance, 
en qualité d'ambassadeur à Paris. La session du 
parlement dura peu : les deux chambres s'en- 
tendirent pour appuyer le Roi dans tous ses 
engagements avec l'étranger et la liste civile fut 
votée à l'unanimité, moins la seule voix de Schup- 
pen *. Walpole partit le 18 pour Paris et le 22 il 
était reçu par le cardinal, avec un redoublement 
de considération et d'amitié. Ce n'était plus deux 
hommes d'État discutant les affaires ensemble, 
c'était plutôt deux amis, réunissant tous leurs 
efforts pour maintenir la paix du monde, qui, 
malgré les résultats obtenus par la diplomatie, 
restait encore, pour ainsi dire, suspendue à un 
fil. 

Philippe V, comptant toujours sur les trou- 
bles qu'un changement de règne pouvait faire 
éclater en Angleterre, continuait à se leurrer 

1. L'un des chefs de l'opposition jacobite. 




INTRIGUES DE L'EMPIRE ET DE L'ESPAGNE. 301 

du concours de la France et ne se lassait point 
d'éluder rexécution des préliminaires de paix, // 
en refusant de lever le siège de Gibraltar et de 
rendre à l'Angleterre le prince Frédéric *. Char- 
les VI avec sa politique astucieuse appuyait sous 
main l'Espagne, bien qu'il affect&t en même 
temps de travailler de tout son pouvoir à la con- 
clusion définitive [de la paix: mais pour faire 
réussir toutes ces manœuvres, il fallait avant 
tout que la France se séparât de l'Angleterre, 
et rien ne fut épargné pour obtenir ce point 
important. Le cardinal se vit littéralement as- 
siégé par des cabales de toute espèce et sa 
fermeté fut battue en brèche par une foule d'in- 
fluences étrangères, qui trouvaient de l'appui 
même parmi les- Français ; cependant il sut se 
défendre contre toutes les tentatives et soutenir 
de la manière la plus péremptoire les prétentions 
de l'Angleterre, sans se laisser jamais ébranler 
ni par les ofTres spécieuses ni par les menaces ^. 
Pendant toutes ces agitations au dehors et au 

1. Navire anglais pris par les Espagnob. 

2. if. Walpok's Apoloffy, 



%n LA RfilNK MARIB LECZINSKA 

dedans, la grossesse de la reine de France était 
venue dissiper bien des craintes et encourar 
ger enfin bien des espérances; dès qu'on en 
avait eu la certitude, le cardinal de Noailles, 
archevêque de Paris, avait prescrit par un man- 
dement des prières publiques pour obtenir un 
dauphin. Les églises en même temps ne désem- 
plissaient pas dans la plupart des villes du 
royaume, tant la France souhaitait avec ardeur 
de voir assuré par la naissance d'un prince l'a- 
venir dé la couronne. Le Roi et la nation tout 
entière devaient cependant éprouver une cruelle 
déception ; Marie Leczinska mit au monde deux 
jumelles le 14 août i727. Voici comment Wal- 
pole raconte au duc de Newcastle l'impression 
produite par cet événement, ainsi que les nou- 
velles modifications qu'allait subir le cabinet de 
Versailles : 

Paris, 16 août. 

« Mylord, 

« J'ai eu l'honner d'annoncer à Votre Grâce, 
par une lettre du 14, que S. M. T. G* était heu- 



ACCOUCHE DE BEUX JUMELLES. 801 

reusement aox^ouchée de deux princesses ^ le 
matin de ce môme jour. Je suis allé hier à Ver- 
sailles, autant pour &ire ma cour à Leurs Ma- 
jestés, en prenant des nouvelles de la santé de 
la reine, que pour m'entretenir avec le cardinal 
sur différents sujets; car j'étais resté quelque 
temps sans le voir, pendant qu'il accompagnait 
le roi à Rambouillet. 

« J'ai trouvé la cour quelque peu remise du 
désappointement pénible qu'avaient éprouvé son 
ardent désir et son espérance d'avoir un dauphin; 
on se console en comptant sur une meilleure 
chance la prochaine fois, puisque l'heureuse et 
facile délivrance de la reine, attestée par la sage- 
femme et par les médecins qui assistaient à la 
naissance des deux princesses, prouve qu'on avait 
bien tort de craindre qu'elle ne fût pas capable 
d'avoir des enfants. Quant au cardinal, malgré 
son calme habituel, sa fermeté et sa résignation, 



1. L'une était Looise-Élisabeth de France^ qui deyint du* 
ehesse de Parme^ et fut connue sous le nom de madame Infante, 
Tautre, Àune-Henriette de France^ morte en 1752 sans avoir été 
mariée. 



304 DÉCEPTION DE LÀ FRANGE. 

il n'a pu m'en parler que les larmes aux yeux, 
tant son cœur avait été rempli de Tespoir d'avoir 
un prince ; il avait néanmoins préparé le roi 
à ne pas trop s'affliger dans le cas contraire. 

(( Son Éminence prend courage par la pers- 
pective de la fécondité de la reine, qui, jointe à 
l'âge du roi, ne laisse aucun motif de désespérer 
d'avoir un héritier ; elle m'a exprimé surtout une 
vive satisfaction de la conduite du roi pendant 
l'accouchement; car, malgré sa timidité naturelle 
et sa froide indifférence pour la reine, dont cette 
princesse avait eu si souvent lieu de se plain- 
dre, il lui a montré dans cette circonstance 
beaucoup de tendresse et de compassion, aussi 
bien pendant les douleurs, que quand elle a été 
portée sur le lit ; enfin il lui a prodigué les en- 
couragements et les consolations, de manière à 
lui donner la force et l'énergie nécessaires et à 
charmer tous les assistants. 

(( M. de Morville m'a dit que cet événement 
ne serait signifié aux cours étrangères que par 
des lettres et par la poste ordinaire ; on n'attend 
le retour des compliments que par la même voie. 



CHANGEMENTS DANS LE CABINET. 805 

Le chancelier d'Aguesseau était revenu à la cour 
ce matin-là, on Tavait envoyé chercher la nuit 
précédente ; bien que la charge de chancelier 
soit distincte de celle de garde des sceaux, que 
ces deux emplois aient été souvent remplis par 
des personnes différentes et qu'on n'ait point 
redemandé les sceaux à M. d'Armenonville, ce 
dernier n'en a pas moins quitté Versailles hier 
matin à huit heures : c'est M. de Morville qui a 
rendu à midi les sceaux au Roi de la part de son 
père. On prétend que le chancelier ne les aura 
pas et qu'ils seront donnés à M. de Chauvelin ', 

1. Germam-Louis de ChauYelin^ d'une famille aussi distinguée 
dans la magistrature que dans les armes^ était né en 1685. Doué 
d'une intelligence yiye et d'une instruction profonde qu'il avait 
puisée en partie dans les manuscrits précieux sur le droit que 
lui avait légués le président de Uarlay^ il fut pendant dix ans 
l'homme de oonfianqe du cardinal; mais en 1737^ ce prélat le 
soupçonna de vouloir le supplanter^ et il fut aussitôt exilé. D'Ar- 
genson dit que l'influence anglaise^ représentée alors par lord 
Waldegrave^ contribua puissamment à cette disgr&ce. M. de 
Chauvelin mourut en 1762 sans être rentré au pouvoir. « G'est^ 
dit encore d'Argenson^ un grand travailleur par goût et d'une 
assiduité surprenante. Il se vante d'écrire tout de sa main^ et il 
se rompt l'estomac^ assis à son bureau : petitesse de génie^ éten- 
due d'avidité. 11 y a un secret d'État^ qui est que les Anglais 
donnent gn^os à nos ministres; peut-être le trône en tolère-t-il 
une partie? » Plus tard^ d'Argenson revint sur ce premier juge- 



306 M. D*AGUESSEAU. 

président à mortier : un homme qui s'est beau*» 
coup remué dans ces derniers temps et dont on 
a parlé pour divers emplois. On présume que la 
chute du père entraînera naturellement celle du 
fils, et Votre Gr&ce ne devra point s'étonner û 
elle apprend bientôt la disgrftce de M. de Mor- 
ville. 

« Mais de ce Mi et dé tous les autres détails 
dont S. M« devra être informée, je vous rendrai 
un compte exact par le prochain courrier. En 
même temps le roi peut être convaincu que rien 
ne fait présager ici un changement de système 
politique et que le cardinal persévère toujours 
dans sa première résolution de conserver la plus 
étroite union avec nous. » 

Walpole était bien renseigné : la charge de 
chancelier fut enlevée à H. d'Armenonville et 
rendue à M. d'Aguesseau ^, qui en avait été privé 

ment^ et reconnut dans M. de Gliauveliii une yéritable habileté 
pour les affaires. 11 est certain^ du reate^ qu'il était peu sympa- 
thique à l'alliance anglaise et qn*il se trouvait d'autant plus porté 
vers un accommodement ayec l'Espagne. 

1. Henri-François d'Aguesseau^ qui est resté dans l*histoire le 
type du magistrat intègre, éloquent et éclairé, était né à Li- 
moges en 1668. Nommé chancelier par le régent en 1717, il 



RENVOI DB M. DE MORVILLE. 807 

en 1722 par le cardinal Dubois. Quant à M. de 
Morville, son attachement à l'Angleterre l'avait 
rendu suspect à la cour d'Espagne, et dès les 
premières ouvertures de raccommodement avec 
cette puissance, on avait fait comprendre au 
cardinal que son renvoi des affaires ne pourrait 
être qu'agréable à Leurs Majestés catholiques, 
fleury avait découvert en même temps qu'il 
s'efforçait de faire naître des germes de jalousie 
et de division parmi les principaux membres du 
cabinet et du conseil d'État, et il avait fini par 
encourir complètement la disgr&ce du cardinal, 
en tenant des conférences secrètes avec l'abbé 
de Montgon et en cabalant avec M. le Duc, pour 
réunir les princes du sang contre l'administra- 
tion présente. Toutes ces raisons ou ces prétextes 
lui firent perdre sa place de secrétaire d'État pour 

aTÛt été destitaé et exilé l'année suÎTante pour avoir fait de 
l'oppoûtioa au système de Law. Rappelé en 1720^ il fût de nou- 
^eaa renvoyé par le cardinal Dubois en 1722; Fleury lui rendit 
d*abord la charge de chancelier^ et il y joignit ensuite celle de 
garde des sceaux^ à l'époque de la disgrâce de M. de Chauvelin^ 
en 1737. D'Aguesseau conserva ses fonctions jusqu'en 1750^ où 
îl les résigna de lui-même. Il mourut Tannée suivante, à l'âge de 
quatre-vingt-deux ans. 



SOS M. DE CHAUVELIN LE REMPLACE. 

les affaires étrangères '• Alors à la recommanda- 
tion du maréchal d'fluxelles et par suite des in- 
trigues de Pecquet, premier commis du minis- 
tère, partisan acharné de la vieille école opposée 
à l'Angleterre, ainsi que gr&ce à l'influence de 
quelques dames de la cour, ennemies de la 
famille de Morvilie, M. de Chauvelin fut fait à la 
fois garde des sceaux et secrétaire d'État pour 
les affaires étrangères '. 



1. « Le 18^ on a été étonné de yoir M. de Morrille remettre 
aussi au roi^ de son bon gré^ la place de ministre et secrétaire 
d'Etat aux affaires étrangères^ qui a été donnée sur-le-champ à 
M. de GhauTelin : Habenti dabitur. Il a tout pris^ il a la dé- 
pouille du père et du fils^ et comme on parle de lui faire passer 
un cordon bleu^ on dit qu'il est le père, le fUs et le saint esprit. 
Les étrangers ont grand regret de M. de MorviUe; c'est un homme 
d'esprit, attentif, doux et fort instruit. Il se retire âgé de qua- 
rante ans au plus. » (Mathieu Marais, Journal, t. II f, p. 230.] 

« On donne 36,000 livres de pension à M. d'Armenonville et 
20,000 livres à M. de Morville. C'est ainsi qu'on agit dans ce 
pays : on retranche à cent pauvres famiUes des rentes viagères 
dont le fonds est éteint, tandis qu'on donne 56,000 livres de 
pension à des gens qui ont occupé des postes élevés, où ils ont 
amassé des biens considérables aux dépens du peuple. » (Bar- 
bier, Journal, t. I, p. 261.) 

Outre sa pension, on donna à M. de Morville l'agrément du 
premier régiment qui vaquerait pour son fils et un logement dans 
le château de Versailles. 

2. Memoirs of lord Walpole, t. I, p. 292. 



SON PORTRAIT. 309 

« C'est un légiste infatigable {a Imsylawyer)^ 
écrivait M. Walpole, gui ne manque ni de talent 
ni de connaissances, maïs sournois, menteur et 
ambitieux à l'excès ; tout cela avec des manières 
attentives, hypocrites, souples et insinuantes, 
lorsque son intérêt est de plaire. II paraît qu'il 
avait su se rendre plusieurs fois utile au cardinal, 
en lui fournissant des lumières sur les affaires 
intérieures de la France, pour lesquelles le génie 
étroit de M. deMorville s'était montré tout à fait 
insuffisant ^ » 

Walpole n'avait jamais rencontré de difficul- 
tés en traitant avec ce dernier ; mais il n'en 
devait pas être de même avec le nouveau mi- 
nistre, dont le caractère lui était d'ailleurs fort 
bien connu. Avant que ce changement de per- 
sonnes ne fût un fait accompli, Walpole était 
allé trouver le cardinal, pour le conjurer de ne 
pas mettre à la tête des affaires un conseiller 
aussi dangereux que M. de Chauvelin. Mais la 
décision du cardinal était irrévocable, et malgré 

i. Jf. WaipoWs Apoiogy. 



liO WALFOLB VOIT AVEC CHAGRIN 

50Q désir d'être agréable à l'ambassadeur et à 
son gouvernement, il persista dans son choix. H 
le rejeta sur l'incapacité et les petites intrigues 
de M. de Morville et sur la difficulté, pour le 
remplacer, de trouver mieux que M. de Cbauve- 
lin. Walpole attaqua le caractère et les princi- 
pes de ce dernier en le désignant comme une 
créature du maréchal d'Huxelles : ce Je sais bien, 
« répondit le cardinal, que M. de Chauvelin a 
«beaucoup d'ennemis et de jaloux, mais j'ai 
c( examiné scrupuleusement sa conduite, ainsi 
fc que les faits allégués contre lui , et malgré 
« tout cela je n'ai pas trouvé l'ombre d'un motif 
4cpour suspecter son honnêteté. Quant à ses 
(( talents, personne n'en peut douter, et vous 
n reconnattrez bientôt qu'en dépit de tous les 
(c airs que peut se donner le maréchal d'Huxelles, 
a M. de Chauvelin sera complètement à ma dé« 
« votion. Je vous prie, ajouta-t-il, de me garder 
(( le secret sur le renvoi de M. de Morville, dont 
« je n'ai encore parlé qu'à vous seul. Bien qu'il 
« doive quitter son poste cette nuit même, vous 
(( irez à son audience comme d'habitude avec 




CETTE NOMINiLTIOIf. 811 

ce les autres ministres et vous ne laisserez rien 
et voir de ce que vous savez ^ » 

Cependant le cardinal, pour prouver à Wal- 
pole qu'il se trompait dans son jugement, 
amena M. de Chauvelin à déclarer, en leur pré- 
sence à tous deux et dans les termes les plus 
forts, qu'il travaillerait sous la direction du car- 
dinal à maintenir son système politique, et 
qu'il ferait tous ses efforts pour mériter l'amitié 
et la confiance de l'ambassadeur, qui crut de- 
voir paraître satisfait de cette profession de foi, 
sachant bien que sa parenté avec les ministres 
anglais ne lui permettrait pas de quitter son 
poste à Paris, tant que les importantes négo- 
ciations qui étaient en jeu demanderaient à 
être menées avec activité et énergie. 

Nous ne détaillerons point ici plusieurs cir- 
constances désagréables, qui prouvèrent à l'œil 
clairvoyant de l'ambassadeur les rapports inti- 
mes de M« de Chauvelin avec les adversaires 
de l'union entre la France et l'Angleterre. Sa 



1. Walpole tu duc de Newcastle, 16 août 1727. ' j 



// 



811 IL FAIT PART DE SES CRAINTES 

manière toujours équivoque et sournoise de 
parler et d'écrire à différentes personnes sur 
des questions qui intéressaient fortement les 
relations entre les deux cours, donnèrent à Wal- 
pôle un profond dégoût : le cardinal ne négli- 
geait rien, il est vrai, pour dissiper tous les mo- 
tifs de jalousie ou de plaintes, mais par son 
adresse, ses flatteries et ses attentions incessan- 
tes pour complaire en tout à Son Éminence, 
Chauvelin avait su prendre tant d'ascendant 
sur elle, que les derniers temps de l'ambas- 
sade de Walpole ne lui donnèrent que désagré- 
ments et ennuis ^ . 

Nous en trouvons la preuve dans un curieux 
passage du journal de lord Waldegrave, qui at- 
tendait alors à Paris le moment de se rendre à 
son ambassade de Vienne : « 28 septembre. 
M. Walpole est allé ce matin voir le cardinal, 
qui lui a renouvelé l'assurance qu'il appuierait 
nos prétentions dans l'affaire du prince Frédé- 
ric vis-à-vis de l'Espagne. M, Walpole lui a ré- 

1. M. Walpole* s Apology. 



AU CARDINAL DE FLEURY. 313 

pondu que son gouvernement ne se fiait à Son 
Éminence que parce qu'il lui avait répondu de 
sa loyauté ; que le ministre de Hollande à Ma- 
drid ne disait pas autre chose, et que c'était 
connu de tout le monde. Le cardinal lui a parlé 
alors dans les termes les plus obligeants et lui a 
prouvé, sans réplique, qu'il ne devait avoir au- 
cune inquiétude à cet égard ; bien que la veille 
l'ambassadeur, en se promenant avec M. Pes- 
ters et moi, nous eût paru fort embarrassé de sa 
situation, attendu que si, après avoir si souvent 
répondu du cardinal, ce dernier venait à le 
tromper, il se trouverait lui- môme exposé à des 
jugements d'une sévérité extrême. Il a dit à ce 
sujet au cardinal, en plaisantant, que si Son 
Éminence lui jouait ce mauvais tour, il en se- 
rait quitte pour une forte réprimande et proba- 
blement pour un séjour de cinq ou six mois à la 
tour de Londres ; mais que le cardinal aurait à 
en souffrir encore davantage dans son honneur 
et par conséquent dans sa personne; qu'il se- 
rait donc ainsi le plus à plaindre des deux. » 
L'attitude cauteleuse et ambiguë de M. de 



18 



114 CABALES 

Chauvelin ne semblait pas être la seule pierre 
d'achoppement qui pût faire trébucher la mar- 
che politique du ministère de Robert Walpole» 
L'opposition anglaise, qui avait résolu alors de 
le renverser à tout prix, était aUée chercher des 
auxiliaires en France, dans le parti qui, de tout 
temps, s'était montré l'ennemi de l'Angleterre 
et surtout de son gouvernement. Dans le nom* 
bre des agents les plus actifs de cette coalition, 
presque tous Jacobiies, se distinguaient au 
premier rang lord et lady Bolingbroke ^ : le 
premier toujours inconsolable de n'avoir pu re-^ 
conquérir son si^e à la chambre haute, la se*^ 
conde, qui, née Française, mettait au service- 
des Stuarts ses nombreuses relations de famille 
ou d'amitié. Le complot, assez grossièrement 
tramé d'ailleurs, ne laissa pas de donner des> 
inquiétudes à Robert Walpole; il en fit part b 
son frère en le chargeant de surveiller attenti-* 
vement les intrigues de ses adversaires à Paris, 
et de lui faire savoir s'il voyait là, pour le cabi- 

1. Mademoiselle de Marcilly, veuve du marquis de Villette et 
nièce de madame de Maîntenon. 



DE LORD ET DE LÀDY BOLINGBRORE. 815 

net, un danger sérieux. L'ambassadeur, à qui 
ses rapports fréquents avec le cardinal permet- 
taient d'apprécier nettement l'importance réelle 
de ces manœuvres, écrivait de Fontainebleau 
à sir Robert pour le rassurer sur ce point, à la 
date du 19 novembre 1727 : 

ce J'ai reçu votre lettre du 3 octobre, qui me 
raconte en détail les menées et la correspon- 
dance établies au moyen de quelques b&timents 
de commerce entre lady Bolingbroke et quel- 
ques personnages d'ici, à la tête desquels figure 
le duc du Maine, qui serait même en cela de con- 
nivence avec le cardinal. Elles auraient pour but 
la chute du cabinet actuel en Angleterre et la 
reddition de Gibraltar, comme prix de l'inter- 
vention de la France. Du moment que j'ai vu 
désigner le duc du Maine comme ayant part au 
gouvernement et à la confiance du cardinal, je 
suis resté convaincu qu'il n'y avait rien de sé- 
rieux dans ce complot, malgré les fanfaronna- 
des de lady Bolingbroke. Bien que de temps en 
temps, et récemment encore, quelques flatteurs 
du duc du Maine et surtout les Jacobites aient 



816 CABALES 

donné à entendre que ce prince était sur le point 
de prendre la direction des affaires, rien au 
monde n*est plus faux, en tant que cela regarde 
le cardinal. Il n^existe, en effet, aucun person- 
nage important, en France, que ce prélat juge 
aussi peu capable des grandes affaires et avec 
lequel il ait si peu d'occasion de s'en occuper. 
Je suis certain que le duc du Maine serait le 
dernier de tous ceux que le cardinal recomman- 
derait au roi, dans le cas où il lui arriverait 
malheur. Vous pouvez tenir ce que je vous dis 
pour l'exacte vérité, car je crois deviner déjà à 
qui reviendrait le pouvoir en pareil cas, mais, 
tant que le cardinal vivra, sa loyauté et son af- 
fection sincère pour le roi, qu'il regarde en 
quelque sorte comme son fils, ainsi que l'amour 
réciproque de Sa Majesté, ne permettront jamais 
à personne de partager son autorité dans l'État; 
autorité dont jamais ministre n'a été plus ja- 
loux que Son Éminence, malgré l'extrême dou- 
ceur de son caractère, car personne n'a su main- 
tenir les autres membres du cabinet à une plus 
grande distance ni dans une dépendance plus 



DB LORD ET DE LADY BOLINGBROKE. il7 

absolue. Ceci posé, je vous dirai, qu'en vertu 
de l'étroite amitié, de l'intimité même qui exis- 
tent entre le cardinal et moi et dont il me donne 
chaque jour des preuves plus marquées, j'ai 
cru devoir m'ouvrir à lui sur les prétendus 
complots et la correspondance de madame Bo- 
lingbroke. Il m'a affirmé aussitôt de la ma« 
nière la plus positive et avec cet air de vérité 
qu'il est impossible de feindre, qu'il n'avait pas 
la moindre connaissance de ces intrigues, mais 
que madame Bolingbroke était d'un caractère à 
dire et à faire tout ce que je lui avais répété et 
que M. de Belle-Isle était assez ambitieux pour 
se prêter à toutes les combinaisons qui pour- 
raient servir à sa fortune; que, quant à M. Le- 
blanc, il était, par nature, trop porté aux in« 
trigues, mais qu'en traitant avec lui les affaires 
de la guerre, où le duc du Maine est fort inté- 
ressé à cause de ses emplois militaires, il n'a- 
vait jamais remarqué qu'il fût plus disposé à 
favoriser ce prince que tout autre officier de 
l'armée, ni qu'il existât entre eux aucune inti- 
mité particulière. U m'a dépeint alors le duc 

18. 



m CàBiLRft 

comme un homme qui ne manquait pas d'esprit 
dans la conversation ni de quelques eonnaîs- 
sances, mais avec un caractère teUement crain^ 
tif, irrésolu et versatile, que de tous les persoiw 
Mges importants de U cour, c'était assurément 
le moins propre aux afiairea et à l'adminisinH 
tîon ; qu'en somme, il considérait como^ tort 
possible rétablissement d'une correspondance 
entre madame Bolii^broke et quelques-unes 
des personnes désignées dans votre lettre, mais 
que ses soupçons portaient spécialement sur 
madame Lepelletier des Forts % femme du con- 
trôleur général des finances, qui a été l'amie 
intime de madan]te BoUngbroke, ce qui est 
parfaitement exact. Il faut donc engager la ^r- 
sonne qui vous a donné ces renseignements, à 
la sonder sur sa liaison avec madame des Forts, 
ainsi que sur leur manière de correspondre par 
des navires de commerce. Ces navires sont-Us 
anglais ou français? Son Éminence désire avoir 



1. Mademoiselle de Lamoignon de Basrille^ fille du célèbre 
intendant de Lan^edoc, 



DE LORD BT DE LADY BOLINGBROKE. 319 

le fin mot de tout cela, car elle ne déteste rien 
tant que toutes ces cabales souterraines. 

ce Je ferais presque le serment que le cardinal 
est complètement étranger à toute cette affairci 
et il s'est exprimé devant moi et devant d'autres 
à l'occasion, sur le compte du ministère an- 
glais, sur son intégrité et sur ses talents, en des 
termes tels qu'aucune considération, j'en suis 
persuadé, ne pourrait le déterminer à contri- 
buer à sa chute; c'est au contraire sur son 
maintien, je puis le dire sans flatterie, qu'il 
compte pour conserver la paix actuelle et le 
repos de l'Europe. 

«Nous sommes donc tombés tous les deux d'ac- 
cord que madame Bolingbroke pouvait fort bien 
correspondre avec quelques personnes d'ici, et 
t&cher, à force d'artifices, de leur faire croire 
que le cabinet britannique actuel n'a pas assez 
de racines pour ne pas tomber, si l'appui de la 
France venait à lui manquer. Elle désigne sans 
doute pour le remplacer sir Spencer Compton, 
M. Pulteney et d'autres d'égal mérite, et d'un 
autre côté elle cherche à persuader à ces der- 



320 LOYAUTÉ DU CARDINAL 

niers que la France, pour prix de Tabandon de 
Gibraltar, se déciderait à trahir votre ministère. 
Elle voudrait ainsi, à force de manœuvres et 
d'intrigues, amener les uns et les autres à em- 
brouiller tellement les affaires, que l'ambition 
de lord Bolingbroke pût y pêcher en eau trouble; 
car il n'y a rien de si noir ni de si bas que ce 
couple intéressant ne soit disposé à mettre en 
œuvre, bien que Sa Seigneurie soit le plus grand 
poltron qu'on ait jamais vu. 

a Tant que vivra le cardinal, je les défie eux 
et toutes leurs machinations : quant à Gibral- 
tar, vous pouvez être sûr de trouver Son Émi- 
nence, avec son calme habituel, aussi prêt à ap- 
puyer l'Angleterre qu'il l'a été dans l'affaire 
du prince Frédéric. Je suis certain qu'il consi- 
dère les intérêts de son maître comme reposant 
complètement sur une stricte fidélité envers ses 
alliés, et que Sa Majesté George II, en montant 
sur le trône dans des circonstances aussi favo- 
rables, peut, s'il conserve la même politique et 
le même ministère, rendre plus étroite que ja- 
mais l'union entre les deux couronnes ; il faut 



ENVERS LE CABINET ANGLAIS. 321 

pour cela, bien entendu, que toutes les vues du 
cardinal soient dirigées de ce côté, et je le ré- 
pète encore, il se montre à mon égard meilleur 
et plus confiant que jamais. » 



CHAPITRE XI 



Négociations particulières du cardinal a^ec l'Espagne.— Gdnoes- 
sions de l'Angleterre. — Signature des préliminaires au Pardo. 
*> Congrès de Soissons. — Le comte de Sinzindorff. — Mau- 
Tais procédés des ministres impériaux yIs-à-tia de l'Espagne. 

— Irritation de Philippe V contre Tempereur. — Négociations 
déparées a^M l'Espagne. — Plaintes des ministres anglais. 

— Walpole obtient de Fleury qu'il soutienne le projet de 
traité de l'Angleterre. — Il est signé à Séville. — Le maréchal 
d*HuxeUes quitte le conseil d'Etat. — Lord Townshend se 
retire du ministère. — Naissance du Dauphin. — Loyauté de 
Walpole* — Influence de M. de Ghauyelin sur le cardinal. 

— Inaction de la France. — Dégoût qu'en éprouve "Walpole. 

— Il denuuKk son rappel en Angleterre. — Question de Dun- 
kerque. — Walpole est rappelé. — 11 désigne lord Waldegrave 
pour lui succéder. — Éloges que lui méritent ses succès di- 
plomatiques. — Faveurs du roi George et de la reine Carcline. 

— Cionclusion. 



La politique des alliés du Hanovre ne subit, 
en somme, aucune atteinte, par suite des chan- 
gements survenus dans le cabinet de Versailles. 
L'Angleterre, la France et la Hollande ne se 



814 NÉGOCIATIONS DU CARDINAL AVEC L'ESPAGNE. 

démentirent pas un instant et le faisceau de- 
meura étroitement uni; malgré tous les efforts 
de ses adversaires pour le rompre. Charles YI, 
de plus en plus isolé dans le Nord, souffrait de 
la pénurie d'argent à laquelle l'Espagne ne pou- 
vait plus remédier, et les choses en vinrent à ce 
point que l'Empereur commença à souhaiter 
lui-même que la reine Elisabeth se montrât un 
peu plus traitable. 

Depuis longtemps déjà le cardinal négociait 
secrètement avec le cabinet de Madrid, pour 
opérer un rapprochement entre les deux cours : 
il sentait que sa popularité en France était à ce 
prix. Pour se débarrasser de l'entremise del'abbé 
de Montgon, il faisait suivre ces négociations 
par les nonces du pape à Paris et à Madrid. 
Fleury en avait fait part à Walpole, et, pour atté- 
nuer la mauvaise impression que ces démarches 
pourraient faire sur le ministère anglais, il lui 
avait communiqué les brouillons des lettres de 
Louis XV au roi et à la reine d'Espagne *. Il 

1. Le roi avait écrit une lettre à Philippe V, par laquelle 
Sa Magesté le félicitait sur l'heureux accouchement de la rein3 



NÉGOCIATIONS DU CARDINAL AVEC L'ESPAGNE. 325 

avait assuré en même temps qu'en écrivant de 
son côté au roi Philippe, il ne lui avait pas dis- 
simulé Tamitié et les égards qui le liaient à 
l'Angleterre et sa résolution de rester uni avec 
elle : il avait même avoué à Walpole qu'il tra- 
vaillait également à disposer S. M. C. à une ré- 
conciliation sincère avec la Grande-Bretagne, et 
qu'il espérait que cette négociation était en bon 
train. 

« Â tout cela, écrivait l'ambassadeur au duc de 
Newcastle, je n'ai fait aucune objection, en cau- 
sant avec le cardinal. H est bieji entendu qu'il 
n'y apas là autre chose que l'arrangement d'une 
querelle de famille : affaire que j'ai toujours eu 
l'air . d'approuver et qui est trop populaire en 
France pour qu'un dissentiment de ma part à 
ce sujet n'eût pas risqué d'offenser le cardinal. 
Cette négociation d'ailleurs se traite sans aucune 

d'Espagne, qui avait mis au monde, le 25 juillet, l'infant Louis- 
Antoine-Jacques. Le roi d'Espagne la reçut le 11 août, et, après 
l'avoir lue, il déclara publiquement que sa réconciliation avec le 
roi ton neveu était faite. Et en effet, peu de jours après, le roi 
fit partir le comte de Rottembourg pour porter le cordon bleu 
au nouvel infant. {Journal historique de Louis AT.) 

19 



326 CONCESSIONS DE L'ANGLETERRE. 

condition qui puisse nuire aux intérêts de Sft 
Majesté, ni tendre à séparer la France de TAn- 
gleterre. » 

Lorsqu'au commencement de 1728, Walpole 
retourna à Londres pour la session du parlement, 
en laissant cette fois lord Waldegrave pour le 
remplacer à Paris, le cardinal obtint de lui qu'il 
s'entremettrait activement pour obtenir le libre 
passage des galions. C'était là un des points les 
plus importants pour aboutir à une solution pa- 
cifique et donner en même temps satisfaction au 
commerce du monde entier. Walpole ayant fait 
valoir chaudement ces considérations auprès 
du roi George 11^ obtint l'autorisation de ré- 
gler pour le mieux cette question entre son frère 
et lui. On changea aussitôt les amiraux qui 
avaient été envoyés d'abord avec les escadres 
anglaises, on choisit pour les remplacer des 
hommes d'un caractère plus conciliant, et on leur 
donna des instructions conformes au désir du 
cardinal, avec défense de se livrer à aucun acte 
d'agression contre les navires espagnols revenant 
d'Amérique. Cet arrangement amiable avait 



SIGNATU ES PRÉLIMINAIRES. 327 

déjà puissamment contribué à calmer les esprits, 
lorsque le roi Philippe V, qui était tombé ma- 
lade sur ces entrefaites, arriva à un état tellement 
grave, que la reine, en proie aux plus vives 
alarmes, n'hésita plus, en mars 1728, à laisser 
signer les préliminaires de paix au Pardo, près 
de Madrid, par les ministres d'Espagne, de 
France, d'Angleterre et de Hollande. Par cet 
acte, la plupart des difficultés étaient écartées, 
et des ordres furent donnés en conséquence 
pour la levée du blocus de Gibraltar. Le roi se 
rétablit bientôt, mais les plénipotentiaires des 
puissances intéressées n'en reçurent pas moins 
l'ordre de se réunir en congrès à Soissons, pour 
mettre la dernière main à la paix générale. 

Le 18 mai, Walpole présenta au roi Louis XV 
MM. Stanhope, depuis lord Harrington, et Ste- 
phen Poyntz, les deux plénipotentiaires dési- 
gnés pour représenter avec lui la Grande-Breta- 
gne à Soissons. Cette ville avait été choisie au 
lieu d'Aix-la-Chapelle, sur la demande du car- 
dinal de Fleury, qui voulait assister en personne 
à cette réunion diplomatique, sans être obligé à 



338 COx*^GRËS DE S0ISSON&. 

un voyage, qui l'aurait tenu trop longtemps 
éloigné de Versailles. L'ouverture du congrès 
eut lieu le 14 juin; le cardinal, le marquis de 
Fénelon et le comte de Brancas-Céreste, pléni- 
potentiaires de France, reçurent à la porte de la 
salle de THôtel-de- Ville ceux des autres puis- 
sances i et, sans autre cérémonie, ils allèrent 
s'asseoir sur les fauteuils qui leur étaient des- 
tinés, autour d'une table tellement ronde, qu'il 
n'y avait ni haut ni bas bout. La séance com- 
mença par une harangue du comte de Sinzindorff 
à laquelle le cardinal répondit, et les ministres 
exhibèrent leurs pleins pouvoirs*. 

Il serait trop long de rapporter en détail toutes 
les intrigues et les artifices sans nombre qui, 
furent mis en jeu pendant ce congrès, et spécia- 
lement les manœuvres tentées par le comte de 
Sinzindorff^, sur le caractère souple et conciliant 

1. Les plénipotentiaires de l'empereur étaient les comtes de 
Sinzindorff, de Windischgraëtz et de Penterieder; ce dernier 
étant mort peu après son arrivée, fdt remplacé par le baron de 
Fonseca. L'Espagne y avait envoyé le duc de Bournonville, le 
marquis de Santa-Cruz et M. de Bamachea. 

2. Journal historique de Louis XV* 

3. « Le comte de Sinzindorff, originaire de la comté de Bour- 



LE COMTE DE SINZINDORFF. %%» 

du cardinal, pour semer la discorde et les mé- 
fiances entre les alliés de Hanovre et faire traîner 
les affaires en longueur ^ Heureusement ces ef- 
forts malveillants n'eurent d'autre résultat que 
de rendre la position des ministres impériaux 
eux-mêmes tellement fausse, qu'ils se virent 
contraints de traiter enfin sérieusement de la paix, 
sans même attendre l'assentiment ni le concours 
des plénipotentaires d'Espagne ^. Bien que le 



gogne et de la maiaou de WatteviUe^ passe encore les Allemands 
dans leur caractère naturel^ je parle des Allemands impérialistes^ 
c'est-à-dire Yainf, glorieux, méprisants et faibles, se ressentant 
en tout de la mauvaise et ridicule idole colossale qu'ils desser> 
yent; ce premier ministre de Tempereur, dis-je, vient en France, 
au congrès de Boissons, et de là à Paris; il arrive prévenu du 
dessein secret de te payer de la peine qu'on lui donne d'apporter 
en France la négociation générale que ï'àge du cardinal et le res- 
pect réd dû à la France s*y sont attirés. Sinzindorif est régalé, en- 
festiné, carené, respect et, en un mot, mieux traité qu'il ne 
méritait au fond..... Cet Allemand superficiel et méprisant n'em- 
porta à Vienne que de l'ingratitude de nos égards pour lui. » 
(D'ArgeosoD, Mémoires, t I, p. 337.) 

i. U ne semliie pas, du reste, que personne fût bien pressé 
d*ea finir. Barbier dit, an mois d'août 1728 : « Le congrès de 
SoiflMMis va très-doucement. La plupart des plénipotentiaires sont 
à Parts, où ils font belle fi^re et où il y a beaucoup d'étran- 
ge». » (T. I, p. 278.) 

2. Le comte de Bonneval (le futur pacba, alors au service de 
Tempcreur) écrivit à la cour d'Espagne de ne se fier nullement 



» /• 



380 IRRITATION DE PHIUPPE V CONTRE L'EMPEREUR. ^ 

comte de Sinzindorff n*eût pas osé la signer en- 
core, cette manière de procéder à pan, quand 
elle vint à la connaissance des Espagnols, les 
exaspéra à un tel point, qu'ils se répandirent en 
invectives amères contre les ministres impériaux ^ 
tout en les sommant de remplir leurs engage- 
ments secrets, surtout en ce qui regardait le 
mariage convenu du prince dés Astwries ; mais à 
toutes leurs remontrances, ils ne reçurent que 
des réponses froides et évasives. Leurs Majestés 
Catholiques furent profondément blessées d'un 
pareil outrage, et des récriminations les plus 
violentes, elles passèrent à une sorte de rupture 



à toutes les belles promesses de la cour de Vienne; qu'elle ne 
cherchait qu'à la tromper, et que l'empereur ne permettrait ja- 
mais que Don Carlos passât en Italie. \\ en déduisait les motifs 
et conseillait à la cour d'Espagne de prendre des mesures, avec 
la France et l'Angleterre, pour hâter le départ de Don Carlos. 
Entre autres, il disait dans sa lettre : « L'empereur est un fort 
honnête homme, qui ne refusera pas que sa fille, seconde ar- 
chiduchesse, épouse don Carlos aux conditions convenues; mais 
vous devez être assuré que le prince Eugène, ennemi irréconci- 
liable de toute la famille des Bourbons, s'y opposera; et, comme 
chef du conseil, il entraînera tant qu'il pourra les autres dans 
son parti. Cependant, le comte Louis de SinzindorflF, grand chan- 
celier, peut être gagné, car il aime beaucoup l'argent. » {Mé- 
moires et Lettres du prince de Ligne, t. I, p. 172.) 



PLAINTES DES MINISTRES ANGLAIS. 331 

ouverte avec TEmpereur. Comme la cour d'Es- 
pagne donne généralement à ses transactions un 
caractère de soudaineté et de violence, elle se 
déclara aussitôt disposée à s'entendre avec TAn- 
gleterre et la France. 

Le plan d'un traité dans ce sens fut élaboré 
par M. Patino, pfemier ministre d^Espagne, et 
transmis à M. de Chauvelîn, qu'on soupçonnait 
déjà d'être en correspondance directe avec la cour 
deMadridàl'insudu cardinal. Chauvelin s'en em- 
para aussitôt, pour le présenter à Son Éminence 
sous un jour si favorable et comme un si bon 
moyen pour rétablir une paix absolue et durable 
avec l'Espagne, que le cardinal se montra charmé 
de cette solution en se flattant qu'il en serait de 
môme des plénipotentiares anglais, MM. Stan- 
hope, Poyntz et Walpole. Mais ceux-ci, après 
avoir examiné de près ce projet de traité, recon- 
nurent que les articles en étaient conçus en 
termes vagues et embrouillés, en ce qui touchait 
aux intérêts de l'Angleterre et laissaient à régler 
devant les autres puissances les anciens privi- 
lèges de son commerce avec l'Espagne et le droit 



332 ^àLPOLE obtient DE FLEURY 

de possession de Gibraltar et de Port-Mahon. Ils 
représentèrent donc au cardinal qu'il leur était 
impossible d'accepter un plan aussi incomplet et 
aussi défectueux dans toutes ses parties ; TAn- 
gleterre ayant été entraînée à la guerre par la 
siège de Gibraltar, tous les traités existant jus- 
qu'alors s'étaient trouvés rompus de fait entre 
les deux royaumes ; la réconciliation et la paix 
absolue ne pouvaient donc se fonder que sur le 
renouvellement spécifié des anciens traités avec 
des garanties aussi larges que par le passé. Son 
Éminence montra alors autant de trouble que 
d'embarras y tout en protestant de la manière la 
plus formelle que les plénipotentiaires britan- 
niques pourraient toujours compter, lorsqu'il 
s'agirait de débattre leurs prétentions légi- 
times, sur la vigueur et la loyauté que la France 
avait montrées dans le reste des négociations* 
Trop bien renseignés sur les artificieux desseins 
de M. de Chauvelin, qui tenait à laisser en sus- 
pens les droits de l'Angleterre, pour qu'ils res- 
tassent ainsi entre les mains de la France, con- 
naissant également tout son pouvoir sur le 



QU'IL SOUTKffNK LK PRÛIBT DE L'ANGLETERRE. 3» 

cardinal, ces diplomates EYOuèrent franchement 
à Son Éminence qu'ils ne pouvaient se conten- 
ter d'une semblable déclaration et le laissèrent 
de fort mauvaise humeur, en lui disant qu'ils 
attendraient, pour prendre un parti, de nou« 
veaux ordres du roi. 

La conduite des plénipotentiaires obtint une 
complète approbation à Londres et à Hanovre, 
et ils reçurent l'ordre de dresser le plan d'un 
nouveau traité, explicite et décisif, qui con- 
firmât les anciennes conventions avec l'Es- 
pagne, sans discussion ni intervention de la 
part d'aucune autre puissance. La question des 
prises ne pouvant être réglée par une autre 
voie, serait vidée, comme c'est l'usage en pareil 
cas^ par des commissaires anglais et espagnols. 
Dès que ce nouveau projet de traité fut prêt, 
MM. Stanhope et Poyntz pressèrent vivement 
Walpole d'aller à Versailles pour le communi- 
quer au cardinal en audience particulière et 
d'employer, pour le £sdre accepter, toute l'in- 
fluence et toute l'adresse, dont il avait si heu- 
reusement usé dans les conjonctures les plus 

19. 



334' WALPOLE OBTIENT DE FLEURY 

difficiles. Walpole, en présence de l'ascendant 
pris par M. de Chauvelin et des fortes préven- 
tions qu'il avait su donner au cardinal en t9.^ 
veurdu premier projet, se défiait pour la première 
fois du succès et répugnait à agir directement 
dans cette grave question. Mais ses collègues 
lui ayant démontré que, dans une pareille 
urgence, c'était là le seul moyen de bien ser- 
vir Sa Majesté, il prit jour avec le cardinal 
et vint le. trouver à Versailles à six heures du 
matin. Son Éminenee fit à Walpole le plus 
aimable accueil, en lui reprochant avec bonté 
de n'être pas venu le voir depuis longtemps; 
et, sur sa demande, il donna l'ordre à son valet 
de chambre de tenir sa porte fermée pour tout 
le monde, pendant cette conférence, d'où dé- 
pendait, lui dit l'ambassadeur, l'avenir de l'al- 
liance entre l'Angleterre et la France, aussi bien 
que la paix de l'Europe. Il se mit aussitôt à lui 
lire le contre-projet de traité, article par article. 
L'entrevue dura d'abord toute la matinée, et après 
qu'ils eurent dîné en tête-à-tête, elle continua 
encore pendant plusîeur«8 heures. M. de Chau- 



QU'IL SOUTIENNE LE PROJET DE L*ANGLEThHKb. . 835 

velin tâcha d'entrer à diverses reprises sous pré- 
texte de graves affaires à traiter avec le cardinal; 
mais Barjac, son valet de chambre, dont Wal« 
pôle s'était fait un ami, resta fidèle à sa consigne 
et se refusa même, jusqu'à la fin de la confé- 
rence, à transmettre à Son Éminence le message 
du secrétaire d'État. Sans entrer dans le détail 
des observations échangées de part et d'autre, 
il suffira de dire que le cardinal finit par ap- 
prouver tous les articles du nouveau traité, sans 
proposer aucune modification importante et re- 
mît par écrit à Walpole l'engagement formel 
d'appuyer ce projet au conseil de tout le poids 
de son autorité, s'il s'y élevait quelque opposition. 

On se figurera aisément la joie qu'un succès 
aussi complet dut causer aux collègues de Wal- 
pole; il les avait laissés à la campagne, dans 
un état de découragement profond, surtout 
M. Poyntz, dont l'abattement moral était tel 
qu'il avait dégénéré en fièvre nerveuse; ce di- 
plomate recouvra aussitôt la santé et l'énergie. 

M. de Chauvelin n'ayant pu obtenir de Fleury 
aucun changement dans la nouvelle rédaction 



ZU î£ MABËCHAL D'HCXELLES QUITTE LE CONSEIL* 

du traité, le maréchal d'Huxelles, avec lequel 
il avait souvent concerté des mesures politiques 
ignorées du cardinal, demeura tout abasourdi^ 
quand il l'entendit lire au conseil. Comme le 
prélat le recommandait fortement au roi, il 
n'osa pas prendre la parole pour le combattre,^ 
mais, huit jours après que le traité fut approuvé, 
il donna sa démission de secrétaire d'État. Bien 
qu'il prit sa santé pour prétexte, il ne dissimula 
point à ses amis dans l'intimité qu'il ne voulait 
plus rester au conseil, pour y subir les ordres de 
l'ambassadeur d'Angleterre et se voir réduit à 
ne servir que les intérêts de cette nation ^ 

En transmettant à Londres le projet de traité 
tel qu'il avait été réglé et consenti en France, 
Walpole, par déférence pour ses collègues, ne 
voulut pas que y dans la dépêche collective, le 



I . « Le maréchal d'Huxelles a quitté la oour avec courage; mais 
il est comme Charles-Quint, il s'en repent. Il se flatte, dit-on, 
que le roi lui ordonnera de revenir, mais il ne lui a rien dît. On 
assure que c'est à l'occasion du traité arec l'Espagne qu'il l'a 
quittée : cela lui fait honneur, car le public n'en a pas été con- 
tent. » (Mademoiselle Aïssé, Lettres^ publiées par M. Ravenel, 
p. 224.) 



LE TRAITÉ EST SIGNÉ A SËVILLE. 8S7 

succès fût attribué exclusivement à son influence 
personnelle sur le cardinal; aussi ces détails 
il*ont-ils été connus que de quelques amis. 

Le traité ^ envoyé à Madrid fut, d'après les . ) 
ordres de Fleury^ fortement soutenu par M. de i 
Brancas, ambassadeur de France à cette cour; 
puis, après avoir subi de nouvelles modifica* 
lions insignifiantes pour le fond, mais qui re- 
tardèrent la conclusion définitive, il fut enfin 
signé à Séville par les plénipotentiaires d'An-* 
gleterre, de France et d'Espagne, le 29 novem- 
bre 1729 ; l'ambassadeur de Hollande y accéda 
inmiédiatement. Ainsi furent brisés tous les 



1. Cette convention renouvelait et conflnnait tous les articles 
de la quadiniple alliance, particulièrement en ce qui touchait la 
succession éventuelle de don Carlos aux duchés italiens. Pour 
affermir ses droits^ le roi d'Espagne était autorisé à y faire pas- 
ser six mille Espagnols, au lieu des Suisses, stipulés par la qua- 
druple alliance, comme troupes neutres. Les rois de France et 
d'Angleterre devaient agir de concert pour assurer la possession 
de l'infant : au surplus, les contractants se garantissaient récipro- 
quemeat leurs royaumes. Etats et domaines dans toutes les par- 
ties du monde, avec leurs droits respectifs de commerce, ce qui 
emportait la suppression de la compagnie d'Ostende : ils stip«H 
laieait en même temps les secours réciproques qu'ils se domm- 
raient si les circonstances amenaient une nouvelle guerre. 



838 LORDTOWNSHEND 

liens entre l'Empereur et Leurs Majestés Catho- 
liques. Le premier, désabusé enfin de ses vues 
chimériques, se décida plus tard à renouer de 
bonnes relations avec le roi George, par une 
convention qui fut conclue à Vienne, le 16 mars 
1731 ^ )) Mais cet acte politique, qui eut de 
graves conséquences, dépasse les limites que 
nous nous sommes tracées ici ^. 

Au moment où ces difficultés diplomatie 
ques se dénouaient enfin à Séville, la mé- 
sintelligence qui régnait depuis longtemps 
entre lord Towshend et sir Robert Walpole 
était arrivée à un tel degré d'irritation, que le 
premier, se sentant hors d'état de continuer la 
lutte avec avantage, prit le parti de donner sa 

1. M, Walpole* s Apology, 

2. Ce traité^ négocié par M. Robinson au nom de l'Angle- 
terre, de concert avec la cour de Madrid et avec les états géné- 
raux, mais sans la participation de la France, garantissùt la 
pragmatique sanction d'Autriche, supprimait définitivement la 
compagnie d'Ostende et rétablissait dans le royaume de Sicile 
le commerce de TAngleterre et de la Hollande sur le pied où il 
é^it du temps de Charles II. Enfin, pour assurer la succession 
de don Carlos aux duchés italiens, il reconnaissait à l'Espagne 
le droit d'introduire six mille hommes de garnison dans ces du- 
chés. 



SE RETIRE DU MINISTÈRE. 839 

démission de secrétaire d'État*. Cet événe- 
ment, bien que prévu depuis longtemps, ne 
laissa pas d'affecter profondément H. Walpole, 
tant à cause de son attachement et de ses obli- 
gations personnelles envers lord Townshend, 
que parce qu'on le soupçonna bien injuste- 
ment d'avoir fomenté lui-même ces querelles 
intestines, avec l'espoir de succéder à son beau- 
frère dans sa place de secrétaire d'État. Il avait, 
il est vrai, désapprouvé la violence des projets 
deTownshend contre l'empire, en soutenant le 



1. La divergence d'opinions 8ur la politique étrangère pour- 
rait bien n'avoir été que le prétexte de cette rupture. 

Le véritable motif en aurait été l'extrême ambition des deux 
ministres : Townshend avait fait là fortune de "Walpole, et il es- 
pérait trouver dans son beau-frère un collègue soumis à ses 
moindres volontés. D'un caractère haut et emporté, Townshend 
se plaignait à tout le monde de l'opposition et de la résistance 
qu'il trouvait souvent en sir Robert Walpole. Celui-ci, plus 
adroit et plus conciliant, mais ambitieux par-dessus tout, poussé 
à bout par les récriminations de son beau-frère, avait résolu de 
l'éloigner à tout prix. 

Ces divisions, d'ailleurs, étaient entretenues avec soin par la 
reine Caroline, qui croyait d'une bonne politique de fomenter la 
discorde entre les ministres. De là des scènes d'une violence 
extrême qui nuisaient aux affaires et devaient produire forcément 
la chute de l'un des deux. L'avantage resta au plus habile, et 
Walpole gouverna sans partage. 



$40 LOYAUTÉ DB WALPOLE! 

parti de la modération que défendait son firère^ 
mais en même temps il avait déclaré franche- 
ment à leur ami commun M. Poyntz, que si un 
accès de mécontentement poussait lord Towns- 
hend à quitter son poste au ministère^ il n'y 
aurait ni considérations, ni personne au monde, 
qui pussent le forcer à prendre sa place, dans 
le cas où on la lui proposerait. Il tint parole, 
car au moment de la retraite de son beau-firère, 
le duc de Nevcastle ayant recommandé pour 
l'emploi de secrétaire d'État M. Stanhope, le 
plénipotentiaire de Soissons, Walpole appuya 
ce choix de tout son pouvoir*. 

Ces événements ne s'étaient pas encore ac- 
complis, lorsque la reine Marie Leczînska mît au 
monde, le 4 septembre 1729, un prince*, dont 
la naissance fut saluée par une allégresse uni- 
verselle. En assurant l'avenir de la maison 



1. M. Walpok's Apohgy. 

2. Loais; Dauphin de France, qui fut le père de Louis XYi^ 
de Louis XVIII et de Charles X : il mourut en 1765. La rrâoe était 
déjà accouchée le 28 juillet de l'année précédente d'une princesse 
nommée Louise- Marie ^ qui ne vécut que jusqu'au 19 juillet 
1733. 



NAISSANCE DU DAUPHIN. 841 

royale de France, elle fermait la porte à toutes 
les ambitions, que surexcitait depuis si long- 
temps la perspective d'une succession éventuelle 
à la couronne, et Philippe V y vit enfin le coup 
mortel porté à ses dernières espérances. Nul 
doute que la naissance du Dauphin n'ait puis- 
samment contribué à la conclusion du traité de 
Séville : elle assurait du reste le repos de l'Eu- 
rope. La joie des nations étrangères fut aussi 
sincère qu'elle fut vive et presque immodérée 
chez les Français. Les États de Hollande firent 
présent d'une médaille d'or de cent ducats au 
courrier que M. Yanhoey, leur ambassadeur, 
envoya à La Haye, pour porter cette nouvelle*, 
et lorsque le roi Louis XV vint à Paris pour as- 
sister au Te Deum et au souper à l'Hôtel-de- 
Ville, le peuple l'accueillit avec des témoignages 
d'affection et d'enthousiasme, peut-être sans 
exemple jusque-là. 

Par le traité de Séville, Fleury avait atteint 
le but qu'il s'était proposé depuis si longtemps 
et qu'il n'avait jamais perdu de vue ime seule 

1. Journai historique de Louis XV, p. 101. 




842 INACTION DE Lk FRANCE. 

minute : la réconciliation de l'Angleterre et de 
la France avec TEspagne. Pour le moment, il 
ne fallait pas lui en demander davantage : quoi 
que pût faire la Grande-Bretagne pour l'ame- 
ner à prendre une décision violente contre 
l'empereur Charles VI, Walpole reconnut bien- 
tôt qu'il n'y avait plus à compter sur une coopé- 
ration vigoureuse de la France, pour le con- 
traindre à accepter enfin les propositions qui 
lui étaient faites. Il sentit que, dans un avenir 
prochain, l'Angleterre se verrait forcée à agir 
séparément et qu'alors un refroidissement avec 
la France deviendrait inévitable. Son séjour à 
Paris était donc désormais à peu près inutile, et 
il n'hésita point à demander qu'on le relevât de 
ses fonctions : a Je suis convaincu, écrivait-il à 
son frère, le 12 juillet 1730, que le cardinal est 
fermement résolu à ne rien faire cette année : 
les impériaux ne tarderont pas à s'en aperce- 
voir à notre inaction, en voyant que la saison se 
passe sans aucune démarche décisive de notre 

part Les alliés réunis n'obtiendront rien de 

l'Empereur, à moins qu'ils ne prennent une at- 




INFLUENCE DE M. DE CHAUVELIN. 343 

titude tellement menaçante, qu'elle finisse par 
lui en imposer. L'Angleterre et la Hollande ne 
pourraient le ramener à la raison qu'en se sé- 
parant complètement de la France, ce qui aurait 
l'inconvénient de rendre l'empereur maître de 
la situation et de blesser la France assez pro- 
fondément pour qu'on puisse en augurer les 
plus tristes conséquences. Ainsi, comme il n'y a 
ici pour cette année aucune apparence de mou- 
vement ni même de plans arrêtés de négocia- 
tions, nous avons écrit aujourd'hui, M. Poyntz 
et moi, pour demander notre rappel immédiat 
à Londres, oîi je me flatte de pouvoir être plus 
utile qu'ici. 

c( Je vous l'ai déjà dit, M. de Chauvelin est le 
maître absolu du cardinal et conséquemment 
de toutes les affaires, sans que Son Éminence 
s'en rende peut-être bien compte à elle-même. 
Le garde des sceaux, par le soin continuel quMl 
prend de lui alléger le fardeau des affaires et 
par son talent pour l'amuser, deux excellents 
moyens de plaire à un homme faible et âgé, 
arrive à faire du cardinal tout ce qu'il veut. 



t44 DftGOUT QU'EN ÉPROUVE WALPOLE. 

J'aurais désiré pouvoir me mettre en confiance 
avec M. de Chauvelin, mais c'est un homme 
sans vues et sans principes arrêtés, dont toute 
la pditique n'est que petites chicanes d'avocat, 
au pmnt que, même dans ses rapports avec ses 
amis, il semble toujours qu'il s'agisse pour lui 
d'un procès à débattre : il est donc impossible 
de se lier avec lui. Il se montre souvent d'une 
complaisance servile, mais ce n'est là qu'une 
feinte pour amuser les gens : ma seule intimité 
possible avec lui ne dépasse donc pas les linûtes 
de la plus extrême civilité et de la plus stricte 
convenance. Je dois vous avouer que je regarde 
lord Waldegrave comme le meilleur ministre 
qu'on puisse envoyer ici pour me remplacer : 
outre qu'il est fort intelligent, ses manières^ 
souples et inoffensives, seraient la meilleure dé- 
fense à opposer aux artifices de M. de Gbauvelin. 
Lord Waldegrave, assez prudent pour ne rien 
prendre sur lui sans ordres, aura en même 
temps la patience et le sang-froid nécessaires 
pour parer les coups perfides de son adversaire, 
sans jamais rompre avec lui. 




IL DEMAÎIDE SON RAPPEL. 345 

« D'après la peinture que je vous ai faite du 
garde des sceaux et de son ascendant sur le car- 
dinal^ il TOUS est facile d'imaginer combien ma 
position est peu agréable ici. Quoique je sois 
encore fort bien personnellement avec Son 
Éminence et qu'elle me donne en toute circon- 
stance des marques certaines de son amitié, 
comme je ne peux plus me servir d'elle, de même 
qu'autrefois dans l'intérêt de Sa Majesté, la pro- 
longation de mon séjour ici ne pourrait qu'être 
nuisible à ses affaires, puisque les autres mi- 
nistres ne manqueront pas de reconnaître, à la 
première occasion , que j'ai perdu mon ancienne 
influence. J'espère donc que vous m'aiderez de 
toutes vos forces dans la demande que je fais 
pour être autorisé à revenir immédiatement à 
Londres. Si en prenant congé du cardinal, je 
trouvais qu'il fût avantageux de conserver une 
correspondance particulière avec lui et que cela 
pût se faire sans désobliger M. de Chauvelin, je 
prendrais mes mesures en conséquence *. » 

1. Memoirs ofsir Robert Walpole, t. III, p. 8. — Cette cor- 




346 QUESTION DE DUNKE QUE. 

Robert Walpole, qui avait eu jusque-là tant 
à se louer de la présence à Paris d'un frère 
aussi habile que dévoué, regrettait amèrement 
de le voir abandonner ainsi ce poste de con- 
fiance ; il sentait qu'un des plus fermes soutiens 
de sa politique à l'étranger allait lui faire dé- 
faut et il avait, alors plus que jamais, besoin de 
toutes ses forces pour lutter contre les tentatives 
désespérées de Topposition. Un des points sur 
lesquels se portaient principalement les atta- 
ques de ses ennemis dans le parlement, c'était 
les délais interminables que le gouvernement 
français apportait à Texécution de la clause du 
traité d'Utrecht, qui concernait la destruction 
du port et des jetées de Dunkerque. Le minis- 
tère anglais tenait à se laver des reproches de 
faiblesse ou de connivence qui ne lui étaient 
pas épargnés, et il savait que, si cette question, 
qui blessait profondément Tamour-propre na- 
tional en France, pouvait enfin obtenir une so- 



respondance secrète de Walpole avec le cardinal s'établit, en 
effet, par l'entremise du baron de Gedda, ministre de Suède à 
Paris. 



QUESTION DE DUNKERQUE. 347 

lution, c'était Horace Walpole seul qui était 
capable de Tarracher à Tamitié du cardinal. 
Aussi sir Robert le pressait-il vivement, dans sa 
correspondance, d'y employer tout son crédit : 
« Si votre résolution de quitter Paris est iné- 
branlable, lui disait-il, tâchez au moins d'enle- 
ver cette affaire avant votre départ ; prouvez au 
cardinal que son amour-propre personnel est 
aussi intéressé que le nôtre à en finir sur ce 
point délicat, puisque nos ennemis prétendent 
que son pouvoir décline, et qu'il n'ose plus, 
comme autrefois, prendre sur lui de décider 
seul une question de quelque importance. » 

Walpole, pour ee conformer au désir de son 
frère, mais sans se faire illusion sur les chances 
de succès, avait déjà fait auprès du cardinal 
plusieurs tentatives, sans obtenir autre chose 
que des paroles vagues, qui laissaient toujours 
l'affaire en suspens. Enfin, pressé de nouveau 
par sir Robert, il fit un dernier effort, pour 
emporter de Paris une réponse qui pût paraî- 
tre satisfaisante : « Le 5 septembre 1730, dit 
lord Waldegrave dans son journal, M. Walpole 



348 QUESTION DB DUNRERQUE, 

a profilé d'une occasion favorable, pour parler 
encore au cardinal de l'affaire de Dunkerque : 
Son Éminence a semblé plus disposée qu'à l'or- 
dinaire à nous donner satisfaction sur ce point 
et elle lui a dit : ce Je suis presque convaincu, » 
M. Walpole lui a montré alors la partie de la 
lettre de son frère, disant que lord Bolingbroke 
prétendait que le cardinal n'avait plus ses cou- 
dées franches et qu'il était contraint désormais 
de soumettre toutes les affaires au conseil. M. de 
Fleury a nié complètement qu'il y fût obligé ; il 
a ajouté cependant que la question dont il s'agis- 
sait serait présentée quatre ou cinq jours après 
au conseil et qu'il était certain que sa conduite 
aurait toujours l'approbation de ceux qui en fai- 
saient partie. » 

Les espérances que cette réponse, un peu 
ambiguë, avait pu laisser à Walpole ne se réa- 
lisèrent pas. Le gouvernement français ne pou- 
vait se résoudre à subir une pareille humilia- 
tion et la destruction du port de Dunkerque 
resta indéfiniment ajournée. Oîi l'influence et 
l'adresse de Walpole avaient échoué, aucun de 



AECOMMANDATIONS A LORD WALDEGRAVE 949 

ses successeurs ne pouvait avoir de chances pour 
réussir. 

Les recommandations que Walpole avait en- 
voyées à lord Waldegrave, son futur succes- 
seur, pendant son dernier voyage à Londres, 
indiquent les moyens dont il avait usé pour mé- 
nager le cardinal et conserver sa confiance : a Je 
crois que Votre Seigneurie a eu profondément 
raison de cultiver autant que possible Tamitié de 
M. de Chauvelin, à cause de son ascendant sur 
l'esprit du cardinal, mais comme cette amitié 
me semble assez superficielle eiîori journalière^ 
je vous engage à agir de temps à autre directe- 
ment sur le cardinal et à lui faire sentir en con- 
fidence que vous le mettez à part et au-dessus 
de tous les autres ministres, pour sa probité et 
ses bonnes intentions. Je sais quïl aime ce 
genre de distinction et si on s'adresse poliment 
à lui, en faisant appel à sa loyauté, il se montre 
toujours sensible à cette flatterie : en lui parlant 
donc sur le pied d'une confiance entière et sans 
réserve, vous pouvez aller très-loin avec lui, en 
ce qui regarde ses propres sentiments, aussi 

20 




35« WALPOLE EST RAPPELÉ. 

bien qu'en ce qui touche la conduite des autres 
ministres *. » 

Walpole obtint donc enfin d'être rappelé; le 
19 septembre 1730, il présenta au roi Louis XV 
lord Waldegrave, qui devait le remplacer, et 
bientôt après il quittait définitivement la France, 
en y laissant de nombreux amis et des regrets 
sincères. Ce départ fut pour le cardinal une vé- 
ritable douleur, et au moment de la séparation, 
il en donna au diplomate anglais les témoi- 
gnages les plus touchants. De son côté, le ca- 
binet britannique appréciait dignement les ser- 
vices qu'il lui avait rendus pendant le cours de 
son ambassade : les dépêches et les lettres pri- 
vées du duc de Newcastle, de lord Townshend et 
de iir Robert Walpole, ne tarissent pas en 
éloges sur sa conduite pendant ces sept années. 
Nous nous contenterons de citer, parmi tant 
d'autres non moins flatteurs, ce passage d'une 
lettre de lord Townshend : a Vous avez mon- 
tré, écrivait-il le 4 janvier 1728, des talents 

1. M. Walpole à lord Waldegrave, Cockpit, 14 janvier 1730. 
{Waldegrave papers.) 



ÉLOGES QU'IL REÇOIT. S5i 

hors ligne dans les négociations importantes 
dont Yous avez été chargé, mais quant à vos 
derniers travayx, je ne sais comment vous ex* 
primer toute la satisfaction que votre zèle, 
votre habileté et vos succès ont donnée ici à 
tout le monde. Je vous félicite bien cordialement 
des services que vous avez rendus au roi et à la 
patrie par votre haute capacité et votre esprit 

supérieur, dans les dernières affaires Vous 

verrez par ce que vous mande le duc de Nev^r- 
castle, que le roi consent à vous laisser revenir *, 
mais je saisis en même temps cette occasion de 
vous dire que toutes les lettres de France sont 
remplies de la haute réputation d'adresse et 
d'influencé que vous avez su vous y attirer, 
ainsi que du chagrin, des regrets et des incon- 
vénients que votre absence va y causer dans des 
conjonctures aussi critiques, parce qu'on ne 
voit personne qui puisse vous remplacer : après 
votre départ, les affaires ne feront plus que 
languir et décliner. » 

1. C'était pour un des voyages qu'il faisait tous les ans en 
Angleterre. 



$52 FAVEURS DU ROI ET DE LÀ REINE CAROLINE. 

Walpolei à son retour àLondres, reçut raccueil 
le plus gracieux de la part du roi, qui le nomma 
trésorier de Tépargne {cofferer of the homehold)^ 
A cette époque également, la reine Caroline se 
plut à lui témoigner toute sa satisfaction per- 
sonnelle pour ses succès diplomatiques', et 
depuis elle n'a jamais cessé de lui donner les 
preuves les plus marquées de sa confiance et de 
sa protection : ce fut ainsi qu'en 1733, il de* 
vint ambassadeur en HoUandei au moment où 
la France déclarait la guerre à l'Autriche. Il fut 
aussi asseÉ heureux pour faire récompenser lo 
zèle et la fidélité de M. Robinson, en (d)tenant 
pour lui le poste d'envoyé et de ministre pléni- 
potentiaire à la cour de l'empereur; ce diplo- 
mate justifia la faveur qui lui était accordée, 
&!k déployant pendant une période de dix-huit 
ans, à Vienne, autant de finesse que d'activité 
A de prudence ^. 

1. Elle lui fît présent de son portrait^ de plusieurs tableaux 
de prix et d'un magnifique mobilier^ destinés au salon et à la 
galerie du château de Wolterton. Elle conserva aussi depuis cette 
époque une correspondance active avec lui. 

2. M, WcUpole's Apology, 



CONCLUSION. 

En 1743, le cardinal de Fleury venait de ter* 
miner sa longue carrière, à Tftge de 90 am, 
laissant son pays en proie aux violences du car* 
dinal de Tencin ; Robert Walpole avait dû quitf- 
ter le ministère pour faire place à M. Pelhani| 
et la guerre éclatait entre la France et l'Angle* 
terre. Horace Walpole, qui avait conservé le plus 
pirofond respect pour la mémoire de son véné- 
rable amî, et qui s'était toujours montré le zélé 
partisan de la paix européenne, déplorait amè- 
rement les changements survenus dans les deux 
royaumes. 11 disait que si le cardinal et son 
frère Robert avaient encore été à la tète des affai- 
res, ces deux hommes d'État auraient pu facile- 
ment s'entendre et éviter ainsi les plus funestes 
calamités : il n'attribuait les campagnes d'Italie 
et d'Allemagne, sous le gouvernement du car- 
dinal de Fleury, qu'à la fougue et à la suscep- 
tibilité caractéristiques de la nation française, 
auxquelles l'humeur pacifique du prélat avait dû 
céder malgré lui, et il croyait que les différends 
entre la France et l'Angleterre pouvaient tou- 
jours être applanis sans qu'il en coûtât rien à 

20. 



154 CONCLUSION. 

l'honneur nî à la prospérité des deux nations *. 
S'il en est ainsi, quelle responsabilité pèsera donc 
sur ceux qui prétendent, au contraire, qu'il n'y 
a pas assez de place dans le monde pour que 
deux grands peuples puissent s'y mouvoir sans 
se heurter? 

i. Coxe, Memoirs of iord Walpole, t. II, p. 66. 



APPENDICE 



APPENDICE 



I 

(Page 32.) 

LORD TOWVSHBND À SIE ROBEBT WALPOLE. 

Hano^er^ sept. 25^ 1723. 

Dear Sir, 

Tou \vill see by the inclosed, i^hich the King 
bas seen and approved of, ihat I bave bad tbe 
good fortune to bring about in a quiet way, and 
\(ritbout our coUeague's being consulted, vjhsâ 
we of ail things bad tbe most reason to wbisb for» 
wbicb is tbe prevailing mtb tbe King to take 
sucb a step, as cannot fail to set our interest in a 
clearer ligbt, and to put us on a better foot wilb 
tbe court of France, For tbo'my Brotber Horace 



358 APPENDICE. 

• 

Walpole's instructions are not to own to any one 
living, his being employed by the Ring (which 
he must be sure strictly to comply with, that 
we may be irreproachable on that head) yet ail 
the world will easily comprehend, that he does 
not take Paris in his way to Hanover, merely 
out of curiosity, or without the King*s approba- 
tion 

If Horace Walpole exécutes his commission 
with his usual dexterity, the effect will either 
be that he will make such discoveries as must 
end in getting Schaub recalled, or at least that 
Schaub, fînding we hâve crédit enôugh to get 
so near a relation sent over to superintend him, 
will so far consider his own situation, as to act 
in a more open and sincère manner towards us, 
and think it necessary to make a merit to himself, 
of appearing to throw that interest into our 
hands, which, after such a tacit déclaration in 
our favour, it may no longer be in his power 
to withhold from us. And as that interest has 
hitherto been the chief, and is at présent in a 
manner the only hold on support of our anta- 
gonists, thîs affair, if managed with discrétion, 
will wound them in the most vital and sensible 
part. 

( Walpole papers,) 



APPENDICE, 339 



. Il 

(Page 102.) 
H. WALPOLE A LORD TOWNSHEND. 

Paris, xber ihe 6 «» N. S. 1723. 

My Lord, 

Without troubling y' Lordship wilh Sir Luke 
Schaub's thoughts that the Duke of 0. was deter- 
mined, had he lived, to grant tbe Dukedom, aud 
particularly from a conversation of an hour he 
had with Him the very afternoon he dyed (which 
I am perswaded was only to amuse him on the 
Duke's side) he is still bent upon having this 
thing done immediately (and with ail my heart, 
I hâve none nor ever had any objection to it) but 
I am obliged to acquaint you, I think, with 
what passed bctween us last night at Versailles, 
least he should represent anything in a wrong 
light. He told me that he must exact it of me to 
know whether upon his renewing his applica- 
tion to bave the Dukedom granted by speaking to 
M' le Duc I would joyn with Him in it ; I let him 
know that I would speak freely to him, viz that 




860 APPENDICE. 

he knew very well I had no knowledge before I 
left England of this negotiation besides what my 
Brother Walpole hinted to me in an accidentai 
conversation as what was m agitation, and as 
what every body wished might succeed for the 
sake of the countess of Platen who was generally 
esteemed, and that since I came hither I had 
received no orders about it, aor any other infor- 
mation but what he communicated to me, that 
the matter was gone so far before my Arrivai by 
a partîcular negotiation through bis hands, that 
.he was the only jndge of the manner in which it 
was carried on, and of the D. of Orleans's dispo- 
sition to do it during the course of transacting it, 
that I had said or done nothing against it, bot 
behaved myself otherwise where it properly oc- 
curred in my way, that as he had once or twice 
after we had taiked with the late D. of Orléans 
of other matters, mentioned this thing to H. R. H. 
while I was by, so I was willing to àccompany 
him in the same manner if he thought proper to 
renew bis Instances to the D. of Bourbon, but 
that I hoped he would first consider whether it 
was adviseable, since His Majesty's letter had not 
been yet delivered to the M. C. Ring, to stir m 
this matter, unless the D. of Bourbon Himself 
should take notice of it first, until he should 



APPENDICE. 361 

hear from Hanover on occasion of the D. of Or- 

leans's death, and in answer to what I suppose 

he had wrote on this affair, since he had deli- 

vered His Majesty*s letters lo H. R. H. especially 

anless he was firmly perswaded that M*^ le Duc 

would immcdiateiy dispatch it : He told me he 

was sure the D. of Bourbon was for it, and had 

spoke for itbefore the D. of Orleans's death, and 

even sincc the delivery of the Letters, and had 

assured Madame de la Yrilliere that he would 

wave His prétentions for making the marquis de 

Prie a Duke (whose wife is the D. of Bourbon's 

mistress and Favourite) which He had formerly 

so earnestly sollicited, to make this thing more 

easy, 1 then asked him whether supposing the D. 

of Bourbon was well disposed for the thing be- 

fore*He came to be Prime minister, he had since 

been assured his Highness continued still of the 

same mind ; he told me he had not thought it yet 

proper to mention it any where by which he 

might be cerlainly informed, but he did not at 

ail doubt it, because M' de Morville had told 

Him thus much, that when M' le Duc cxamined 

with Him the D. of Orleans's papers and had 

found His majesty*s letter in the Portefeuille He 

had put that letter into His own Pocket; I confess, 

my Lord, I am not able to détermine how far 

il 



36t APPENDICE. 

that is a proof, and then I left the matter with 
Him by letting him know that I was ready to joyn 
în any thing that he thought adviseable for His 
majesty's service and Honour. 

I was in hopes by this time to hâve seen M' de 
Morville alone, because as soon as I had seen 
M' le Duc on Pryday în the Crowd, Morville 
appointed me at 4 a clock in the afternoon at his 
own Lodgings, but ordered the Porter aflerwards 
to let me know that he was, since he saw me, 
obliged to go at 3 a clock with M' de Maurepas et 
J\f' d'Argenson to the latc D. of Orleans's Palace 
at Paris, as he accordingly did for some papers 
there, and He has been so taken up since and I 
so attended by my colleague that I hâve had no 
dpportunity since to see him in particular ; but I 
hope to do it soon, tho' I am not in so much 
haste because I would willingly first learn îrom 
others how Morville stands and is like to support 
himself at court, etc. 

P. S. The Duke of Berwick in a Visit Craw- 
furd made to him Yesterday, said he believed 
Schaub was not sorry for the D. of Orleans's 
death, H. R. H. being grown very weary of his 
impertinent behaviour, and had of late made him 
sensible of it. 

{Walpole papers.) 



APPENDICE. . 3eS 



III 

(Page 103.) 

H. WILPOLE A SON FRÈRE. 

Paris, January 31, 1724. 

Dbar Brothbr, 

ir some hasty expressions fell from my pen, 
last night, you must attribute it to the disorder 
I was in, upon the receipt of your letter of the 
12 th and 13 th,which struck me ail of a heap : 
my heart was full, and is still so, even ready lo 
burst; and npon mature thoughts of a restless 
night, my sentiments are still the same, that the 
step you bave taken to make me more easy S and 
semé amends for not getting Schaub recalled, 
will make my situation more uneasy, and less 
capable to act for the service of bis majesty, of 
my firiends, and myself. 

Whelher you were able to succeed in the at- 

1. Il menait d'ôtre nommé envoyé extraordinaire et ministre 
jplénipotentiaire, ce qui le mettait avec sir Luke Schaub sur le 
pied d'une égafité parfidte. 



86% APPENDICE. 

tempt for recalling Schaub, and whether that 
success might not be attended i^ith the ill con- 
séquences you apprehended, you certainly are the 
best judges. But to think the character you 
hâve obtained will give such marks of distinction 
as must bring ail the crédit and confidence of 
the court and ministers to center in me, is the 
weakest of imaginations; for it cannot fail of 
having, if I take it upon me, a quite contrary 
effect. 

A minister that is occasionally sent to act 
hère, by virtue of a letter of cachet, as plenipo- 
tentiary for his master, is considered as having 
the crédit and perhaps the secret of his court, 
and is regarded accordingly ; but as soon as he 
is invested with the lowest character, that is ad- 
mitted hère, the friends under whose protec- 
tion he is sent, are looked upon as not having 
the chief inlerest at home, or as having a mean 
opinion of the person tbey send. This is so true, 
that no crowned head, nay no republic, ever 
employs a minister in France, that they intend 
shall bave crédit, but that they make him em- 
bassador extraordinary, or let him act as pleni- 
potentiary by virtue of a private letter; that of a 
public envoy being no ways considered or res- 
pected hère. This may look like pride or partia- 




APPENDICE. S65 

lity in me; but I am afraid the application is too 
strong in the présent case, with this différence 
only, that the crédit and confidence I had at first 
by a privale letter, is by the continuation of 
Schaub, and the support he has met with from 
friends at home, displayed in a proper manner, 
by his airs and insolence, already become doubt- 
fui and precarious, and, should I take upon me 
the public character of envoy, whill be sunk to 
nothing; so that I cannot possibly rest any 
longer hère, in either capacity, with honour, or 
be of any use at ail. 

For some time the circumstance of being rela- 
ted to lord Townshend and you, and of being known 
to several foreign ministers of the first rank, the 
Httle réputation of my own, as to foreign affairs, 
gave me immediately crédit and attention, and, 
in the minds of ail sensible persons, foretold 
with pleasure the fall of Schaub; but he having 
had time to recollect himself, his being engagea 
in a transaction that his majesty has secretly 
much at heart, has suspended the judgment of 
peopie, and begins to make them imagine it a 
doubtful case : who has the crédit at home, Towns- 
hend or Carteret, or who' the crédit abroad, 
Schaub or Walpole. Several little incidents, too 
trifling în themselves to name, which he impro- 




M6 APPENDICE. 

ves to his own adyantage, and which I scorned io 
take notice of, thinking the essential stroke 
would corne at last, bave contributed to this 
opinion; and howeyer mortifying this honour 
done to me may be to Scbaub's patron, Schaob 
hîmself will despise it; for as it is in itself hère no 
great honour, he will say with justice, it only puts 
me upon an equal foot with him ; he bas already 
tbe pay of it, and nothing but bis being a foreig- 
ner bas hindered bis having that and a greater 
character too. That as I had at first only a full 
power to sign the accession of the king of Portu- 
gal^ so I bave now the character of Envoy, ta 
enable me to act in some cases wbere he cannot; 
but the secret is still with him, and that will be 
soon seen. This is bis language, and I am afraid 
tbe conséquence will prove it too true; and you 
yourself will be startled wben you read in the 
inclosed paper, marked n*" 1, conceming an in- 
trigue I bave diaeovered carrying on, and is to be 
put in exécution by count de Buy. 

The circumstance of that gentleman's being 
sent as ambassador to Ëngland, and of my being 
declared about the same time envoy ezlraordi- 
nary in France, will conûrm ail I bave said, and 
expose my relations and me to tbe greatest de- 
grée. The pitiful circumstance of ail tbe dispat- 



APPENDICE. 367 

ches wrole to us bolh jointly being carried ( I 
suppose by private intimation to the messengers) 
to Schaub directly to Versailles, being opened by 
him fîrst, and communicated to Morville, or other 
ministers there, before I know any thing of the 
matter; the dispatches for Spainand Cambray 
being inclosed to him, perused by him, forwar- 
ded by him, and made such use of as he shall 
think fit, Tvithout my communication or know- 
ledge, I hâve thought hitherto below me to take 
notice of, and 'tis too late to do it now. 

Hœ nugse séria ducunt 
In mala 

In short, 1 am determined not to deliver my cre- 
dentials, but hâve wrote a letter to lord Carteret 
açknowledging the receipt of them, and hâte 
given such a tum to it that I dare say you will 
not be uneasy at it, and therefore I send you a 
Gopy inclosed. His letter, by the bye, was the 
most dry, not to say the most impertinent, I 
eyer read from a secretary of State to a minister; 
but that don't trouble me at ail. I hâve wrote 
à letter to you, marked n*" 3, on this occasion, 
thaï perhaps you may not think it amiss to be 
imparted to his majesty, although it is conceived 
in terms as designed only for yourself. 

{Wûlpole papers.) 




868 APPENDICE. 



IV 

(Page 191.) 

M. DE FRÉJUS AU DUC DE RICUEUEU 
J^MBASSADEUR A VIENNE. 

A Fontainebleau, ce 29 aoiut 1125. 

Je n'ay iamais appréhendé, Monsieur, de repro- 
ches sur votre compte et j'ay touiours été per- 
suadé que vous rempliries parfaitemant le poste 
important que le Roi vous a confié, mais le vous 
avoue que ie n'eusse pourtant pas cru que vous 
vous fussiés trouvé tout d'un coup égal aux plus 
habilles qui ont vieilli dans les négotiations. Je 
ne puis vous dire à quel point M. le Duc et M. de 
Morville sont contents de la conduite également 
sage et haute que vous avés tenue au suiet de la 
compétence dont le duc de Riperda vous faisait 
menacer peut-être en vue de vous intimider plu- 
tost que de vous disputer quelque chose. Quel 
qu'ait été son motif, Monsieur, vous avés soutenu 
parfaitement la dignité de votre cour avec les 



APPENDICE. 869 

ministres de Tempereur, et vous avés justifié ce 
que vous m'aviés fait Thonneur de me mander 
qu'il n'est pas impossible de se faire craindre à 
Vienne. On travaille abilement à vous donner 
de nouvelles armes pour augmenter cette peur, et 
il faut espérer qu^on pourra rendre bientost la 
fureur de la reine d'Espagne înutille, vous vous y 
prenez de façon à mériter plutôt des éloges que 
des conseils, mais s'il y avait pourtant quelques 
avis à vous donner, je prends trop d'intérêt. Mon- 
sieur, à ce qui vous regarde pour négliger aucune 
des choses dont il serait bon de vous avertir. On 
lira ce matin au conseil votre dernière dépêche 
et je ne doute pas qu'on ne vous y rende la même 
justice que nous vous avons déjà rendue. C'est 
avoir tout gagné que de vous être fait connoistre 
homme ferme et haut, quand il en a été question 
parce qu'on ne pourra vous accuser de faiblesse 
quand vous vous rendrès plus facille sur des cho- 
ses moins importantes. Il y a ici un M. de Schlen- 
der, ministre autrefois du feu czar, grand frippon 
et entièrement livré à la cour de Vienne, ie dois 
en avertir ce matin M. le Duc et i'ay cru devoir 
vous en avertir à l'avance afin de vous mettre sur 
les voies de cet homme qui s'était offert plusieurs 
fois de s'attacher à la France. le laisse à M. de 
Morville de vous apprendre d'autres choses sur 

21. 




t70 APPENDICE. 

ce malheureux et sur ceux avec qui il est lié que 
ie lui découvrirai auiourd'hui, au reste vous de^ 
Tés estre content de toutes les relations qui nous 
viennent sur votre compte par les étrangers, qui 
sont toutes infiniment à votre avantage, et vous 
avés désia fait en deux mois ce qui est le plus 
essentiel pour un ministre qui est d*avoir établi 
Totre réputation. Ne croyés pas que je veuille 
vous gâter, car rien ne seroit si dangereux que de 
vous donner trop de confiance, mais i'ay assés 
bonne opinion de vous pour croire qu'en vous 
encourageant vous n'en serés pas moins circon- 
spect et sage dans toutes vos démarches. Tay une 
vraie ioie de vous voir si bien commencer et ie 
vous supplie d'estre persuadé que personne au 
monde n'est avec un plus respectueux attache- 
ment, Monsieur, votre très-humble, très-obeis* 

sant serviteur. 

A. H., 

Ane. ir. de Freiw. 

Si vous trouvés occasion de marquer à M. le 
p. Eugène que ie me souviens toujours avec beau- 
coup de reconnaissance des marques de bonté 
dont il m'honora à Preius en 1707 •, ie vous en 

î . Flcury l'aTail reçu pendant troi» jours dans son palais épis- 
copal, lorsque ce prince accompagna Victor-Amédée , duc de 
SaToie, dans son expédition infructueuse contre Touloa. 



APPENDICE. m 

serai, Monsieur, très-obligé. On Tient de lire aii 
conseil vos dépèches en entier, et elle y ont été 
généralement approuvées; vous y faites le portrait 
du marquis de Brûk d'une manière à faire croire 
que Tacite vous Tavoit dicté. II est en vérité de 
main de maître qui réfléchit sur les hommes et 
qui en peint le caractère iusqu*a la dernière pré- 
cision. 

{ColkcHon dCautographes de M. le marquis 
de Biencourt) 



374 APPENDICE. 



(Page 211.) 



SIR ROBERT WALPOLE A L'EVEQUE DE FREJUS. 



A Londres^ ce 19 juin 1726. 



Monsieur, 



Je ne doute pas que la justice que Sa Majesté 
"Très-Chrétienne vient de rendre à Votre Excel- 
lence en se reposant sur elle du soin de ses affai- 
res, ne soit applaudie de tous ceux qui sont zélez 
pour le bien public et pour la gloire de la France, 
et je vous supplie de croire que c'est avec un 
plaisir extrême, que je prends cette première oc- 
casion pour vous en faire mes compliments très- 
sincères. 

Mais Testime particulière que j'ay pour votre 
personne et la haute idée que j'ai conçue de 
votre mérite ne tirent pas leur origine d'un évé- 
nement de si fraîche date : il y a longtemps, Mon- 
sieur, que je sçay avec combien de zèle et d'ap- 



APPENDICE. 978 

plicatioQ VOUS travaillez pour la tranquiililé de 
l'Europe et pour la gloire et Tunion des deux 
couronnes, qui, dans cette conjoncture délicate^ 
en est le plus ferme et solide soutien; et la 
grande marque de confiance dont Sa Majesté 
Très-Chrétienne vient de vous honorer, m'assure 
que la réussite en sera glorieuse et que le succès 
de vos soins répondra à leur assiduité. 

J'ose vous assurer, Monsieur, que le Roy mon 
maître prend beaucoup de part à votre avance- 
ment, et Sa Majesté se promet d'un ministre 
aussi droit et éclairé que Votre Excellence la 
continuation et même l'accroissement, s'il est 
possible^ de cette bonne intelligence qui règne 
si heureusement entre les deux couronnes^ la* 
quelle seule, peut-être, pourra tenir en respect 
des puissances, qui veillent avec une attention 
très-vive pour profiter de notre désunion. J'ose 
promettre que rien ne manquera de la part de 
Sa Majesté pour resserer les nœuds de cette ami- 
tié encore plus étroitement. Voilà des sentiments, 
Monsieur, que je croy avoir en commun avec 
toute l'Europe sur cette occasion, mais l'amitié 
et la bienveillance dont vous honorez mon frère 
me mettent en droit de m'intéresser encore plus 
particulièrement et plus sensiblement en tout ce 
qui vous regarde, et je prie Votre Excellence 




174 ÀPPBtfDICB. 

d'être persuadée, qae nous tâcherons, l'on et 
l'autre de nous en rendre dignes par une affec» 
tion pleine de reconnaissance et d'un attache- 
ment très-sincère. 

{CarreiptmdMCê of sdr Robert Walpole.y 



k 



APPENDICE. t7S 



VI 



(Page 279.) 
H. WALPOLB AU DUC DE NEWGASTLB. 

Pari», apriî 28 N. S. 1727. 

My Lord, 

I haye the hoD' to send Y. G. inclosed a copy 
of a letter which I wrote to the card^ the 36 Inst 
io answer to his of the 35; vflàdh l thought ne- 
cessary to do, that he might i>ercaive that I still 
insisted in sticking close to the Preliminaries 
uhich we vent to the Imp^ court, in order to 
dispose him to déclare his opinion to that puiv 
pose at tlie Ck>uncil of State, which was to be heU 
the next day, or at least to sbew him, that there 
were not the least hopes of his Ma^y* depar* 
ting Crom them. M* Crawfurd the Mess' carryed 
this letter to the Card^, who was at his Ck>unlry 
house at Issy, a league and a half from hence, 
H» £* aller having made him wait abooi a quar* 



97À APPENDICE. 

ter of an hour, called him into. bis closet, and 
bid him tell me for answer, tbat I should not be 
uneasy, for Ihat he would certainly do (which be 
repeated twice) wbat I desired. 

I bave, since I wrote to Y. G. by Crew tbe 
Messenger, been informed from undoubted bands, 
tbat after tbe long conférence, wbicb I bad \srbitb 
M, deMorville on Tbursday mornîng, Baron Fon- 
seca beîng returned from Versailles bad likewise 
an Audience tbe same day of tbat Minister, vfho 
talked so warmly and in so bigb a strain to bim 
upon tbe subject of tbe Ëmp"* Counterproject as 
being exceptionable and captions in every article, 
and as by no means sbewing tbe least inclination 
on tbe part of tbe Imp* court to come to a gê- 
nerai pacification, tbat be, M. Ponseca, went 
tbat very afternoon to Issy and made bis com- 
plaint to tbe Cardinal of tbe manner in wbicb 
M. de Moryille bad rec^ bim. H. M. may dépend 
upon tbe trutb of tbis fact, and to give M. de 
Morville bis due, bis conduct ever since tbe 
arrivai of tbe Counterproject from Vienna, in bis 
discourse witb me, as vfeU as witb some of tbe 
foreign Ministers, bas been sucb as could be 
desired. 

I bave been tbis day witb tbe Card* at Versailles, 
wbere after some strong but friendly expostu- 



APPENDICE. S77 

Ketween us, in whicb we differed about 
BFây of treating the Imp' court in order to 
g thcm to reàson, and ia which he reoewed 
y/a his part bis solemn protestations of standing 

^by his engagements to whicb I readiiy agreed, 
but carncslly pi-est him on my part, to put tbem 
in exécution at this juncture, by keeping to our 
Preliminaries, aod bj concurring with H. M, in 
an immédiate déclaration of var against Spain, 
be at last to convince me, tbat he bad fuliy pur- 
sued H. Ml' intentions with regard to the preli- 
minaries, produced a paper he bad drawn, of 
wbich the inclose is a copy, and desired me to 
read it atoud, which I haviog done be asked me, 
wbether he had not effectually kept up to the 
substance of our Preliminaries, altbo' he bad in 
some places given a turn or extention to them, 
tbat migbt be more agréable to the temper of the 
Imp* court, and said tbat if I approved them, 
they should be immediately sent by express to 

' Vienna, and Madrid, and no longer time allowed 
for the acceptation of them, than what was 
necessary for their being considered there, and 
for tbe going and retuming of the courier bet- 
ween this place and Vienna, wbich he im^ined 
might be abont the space of a iconth fïom this 
lime. In the mean while copies of tbis paper 



878 ÀPPENDIGB. 

migbt be sent to H. M. and ihe states for their 
approbation, and for aulhorising the Hinisiers 
hère to be ready to sign in case thèse Prelimi- 
naries as now drawn should be aceepted by the 
Emp% or else he wonld do nothiog in this mat- 
ter, untill I had sent an Express into England 
and rec"^ bis Maj^i* sentiments upon it 

I told him that I had no exception to the paper 
with regard to the preliminaries, but I must 
observe to him that no time was set and expressed 
in this new draught for the accepting of them, 
that I thought, considering the expédition which 
Couriers could make, at this seas(Hi of the Year,, 
and the time, which the Imp^ court bas already 
had to weigh and reflect upon "what bas be^i 
offered tô the same purpose, three weeks at 
most would be sufficient to bave their answer, 
and in the mean while I did not believe H. M. 
would forbear declaring war against Spain, and 
would require France to do the same thing. 

The Card^ did not opiM>se H. M'' doing it, but in- 
iimated that France should be allowed some time, 
after bis M'' déclaration of war against Spain* I 
told him I believed that after so great a forbea- 
rance, and considering the solemn déclarations 
ànd assurances H. M. had so oiien rec^ from 
hence, and that the case of its being a common 



APPENDICE. S79 

cause, by the siège of Gibraltar had so long 
ensted, the King would expect that the two 
Crowns should déclare war the same-day against 
Spain, but that I should soon know H. M** senti- 
ments on this head. In the mean time I had no- 
fhing to say against bis sending this paper, as 
iirom himself by express to Vienna in case he took 
care to let that court know, that thèse prelimi- 
naries must be accepted or refused in three 
Tveeks from the day of their being sent from 
hènce, and yet as France as well as Ëngland had 
sospended their déclaration of "war against Spain, 
on account of the Siège of Gibraltar, purely for 
the sake of Peace, and in expectation that the pre- 
Bminaries lately ofifered would bave been accep- 
ted, so France dayly expected considering the 
réception which the late offers had met with at 
Vienna, that Ëngland would require France to 
joyn in a déclaration of war against Spain, which 
H. M. G. M. must, on such a réquisition, be obli- 
ged to do, pursuant to the Engagements he is 
imder to En^and. This I told him was necessary 
to be made known both to the Courts of Vienna and 
Madrid, at the same time that he should send this 
new draught of preliminaries to them, which he 
must do as from himself, since I could not pré- 
tend to take any thing upon myself in so weighty 



380 APPENDICE. 

a matter, and at so crilical a juncture. The Gard^ 
said that be would certainly write to theD. of Ri- 
chelieu in a manner that he hoped would please 
me upon this whole affair, et would send me a 
€opy of his letter to be transmitted to H. M. and 
would take care that the same sentiments shduld 
likewise be conveyed by a proper canal to thdr 
€. Majesties. I shall not trouble Y. G. with^a 
great deal of discourse which we had about the 
conduct of the D. of Richelieu, wherein I treated 
him as he deserves, and altho' I cannot flatter 
myself that the Gard*, who seems by no means 
satisfyed with him, will give him a reprimand 
suitable to his behaviour, yet I am persuaded 
that he will absolutely tye up his hands and con* 
fine him entirely to the présent project. 

As this is entirely the Gard^'* own plan, and I 
am persuaded his intentions are sincère, and that 
besides his being desirous to avoid coming to a 
rupture with Spain as long as he can, x;onsistent 
with his engagements, he thinks he shall be suf* 
fîciently justifyed, even in the Eyes of France, 
after he bas made this last effort for preserving 
the peace. 

For thèse reasons I was induced to believe that 
H. M, would pardon my having without expec- 
ting an answer from Y. G. not opposed the 



APPENDICE. 381 

Gard^'* dispatching immediately this new model 
of Preliminariesto the Imp* court, for I look upon 
it as so much time gained, since I cannot help 
thinking but the représentation that G. Broglio 
will hâve orders to make of the Gard^'* steadiness 
and integrity, and of the advantages he proposes 
by this way of proceeding, would hâve obtained 
H. M'* consent to it, as what will leave the Gard* 
without excuse, and oblige him to joyn with us 
in pursuing the most vigorous measures, should 
thèse preliminaries be refused a second time, 
under his soie conduct and management. In the 
meàn time H. M. may, if he thinks fit take the 
method I hinted in my last of writing to the 
French King and the Gard* in a stile full of con* 
fidence and affection to require that France 
should joyn wilh him in declaring war against- 
Spain at a fixt time as supposing about three 
weeks from Wednesday next, which is the day 
the Gard* proposes for having the Preliminaries 
dispatched to Yienna by M. Fonseca, and to 
Spain by the Nuntio, so that the consent of France 
and every Ihing necessary may be ready for the 
déclaration of war, as soon as the Preliminaries 
shall be rejected, and likewise care should be 
taken to obtain from G* Broglio a positive assu* 
rance tbat the negotiaiion shall not be spun out 



38t APPENDICB. 

any longer, by answers back^i^ard and forward 
of a trifling and dilatory nature, which is what 
the Gard' and M** de Morville bave botb promised 
me. 

I asked H. E. before I took my leave of him, 
whether he really was of opinion that the Inoip^ 
court would accept of the preliminaries as now 
explained; he said he \rould not prétend to judge 
of the heart of man, bat by the dispatches which 
Fonseca shewed him, as well as by his discourse» 
and other intelligence he bas had from the Court 
of Vienna, he is disposed to think they will corne 
into them and on this occasion he desired I 
would send for a full power without the title of 
Ambassador, or any other character but that of 
Plenipotentiary for that purpose, that there might 
be no difûcuUy in my signing after M' Fonseca, 
who bas a full power, but no character, and yet 
thinks that he must not condescend to sign after 
any other Minister. 

In a short conversation I had alone with BL de 
Morville, he took a great deal of pains to assure 
me, that I might dépend upon tbe Gard'" perfor- 
ming his promise in case thèse preliminaries 
should not be accepted, and told me in confi* 
dence, that it is impossible to speak stronger 
tban the Gard^ did to that purpose, when he 



^ 



APPENDICE. 383 

opened his sentiments Yesterday in Council , in 
présence of II. M. G. M. but owncd at the same 
lime that he was not entirely of the Gard*'» opi- 
nion, wîth respect to the disposition of the Imp^ 
court. I must not forget to tell Y. G. that they 
begin to think hère by the intelligence they hâve 
lately rec** from Spain and the West Indies that 
the Gallions are careened and are preparing to 
come home, if that should happen, it will strike 
such a damp upon their spirits hère, as well as 
keep them so much in awe, on account of the 
considérable effects which the French nation has 
in them, and which would be at the mercy of 
the King of Spain, that I cannot tellwhat ill effect 
it may hâve. 

The Mars' de Berwick is likewise of an opinion 
that there will be certainly a war, and he told 
me this day that he likes the plan, which M. Arms- 
trong read to him, very well in the main, and 
seems much disposcd to act in such a manner, 
as will be agreeable to H. M. and hinted to me, 
desiring me not to take notice of it as from him, 
as if he should be extremely glad" of an oppor- 
tunity of waitîng upon the king in person; I 
must own I think it would be of great service to 
H. M'' affairs, in case of a war, but where and 
when it can be done 1 do not prétend to say, in 



it 



.^•> 






TABLE DES MATIÈRES ; v^ 




Pag«8. 
Préface i 

Chapitre premier. — Avènement de George I«'. — Son 
portrait. — Les whigs au pouvoir. — Premier ministère de 
lord Townshend et de sir Robert Walpole. — Missions di- 
plomatiques de Horace Walpole. — Disgrâce des beaux- 
frères ministres. — Traité de la quadruple alliance. — 
Townsbeud et Walpole reviennent aux affaires. — George !•' 
et le Régent. — Lord Carteret, sir Luke Scbaub et le car- 
dinal Dubois. — Mort de ce dernier. — Le roi part pour 
le Hanovre. — Les maîtresses du roi George. — H. Wal- 
pole est envoyé en mission à Paris 1 

Chapitre IL — État de la cour de France.— Le duc d'Or- 
léanSj premier ministre. — Influence du comte de Noce. 
^~ Son aversion pour sir Luke Schaub. — Intrigues de 
madame de Tencin. — M. de Morville, le duc de Noailles, 
M. Leblanc et M. de Fréjus. — Talents et popularité du 
duc d'Orléans. — Louis XV à quatorze ans. — Pasqui- 
nade contre les ministres. — iCntrevue de Walpole et du 
duc d'Orléans. — Affaire du ducbé de la Vrillière. — Dif- 
ficultés de la position de Walpole. — Jalousie réciproque 
entre lui et Schaub. — Mort du duc d'Orléans. — Re- 
grets que cause cet événement 35 

22 



I 



886 TABLE DES MATIÈRES. 

Pages. 
Chapitre 111. — Le duc de Bourbon nommé premier mi- 
nistre. — Audience qu'il donne à H. Walpole. — Carac- 
tère de M. le Duc. — Parallèle entre lui et le duc d'Or- 
léans. — Animosité du duc de Chartres contre M. le Duc. 

— Le maréchal de Villars entre au conseil. — Intrigues 
de toutes parts. — Dévotion excessive de M. de Fr^us. 

— Madame de Prie et ia duchesse de Bourbon. — Le 
comte de Lassay. — L'abbé Alary et VEntretol, — At- 
titude de l'évoque de Fréjus. — Son crédit près du roi. 

— Walpole a mie conférence avec loi. — Commencement 
de leur amitié réciproque. — L'ancien ministère est con- 
servé. — Les frères Paris 73 

Chapitre IV. — Situation intolérable de Walpole vis-à-vis 
de sir Luke Schaub. — Mariage du comte de Saint-Flo- 
rentin. — La question du duché de la Yrillière est aban- 
donnée. — Disgrâce de lord Carteret, qui est remplacé 
par le duc de Newcastle. — Rappel de Schaub. — Wal- 
pole est nommé ambassadeur. — Il empêche le retour aux 
affaires du marquis de Torcy. — Intrigues ambitieuses de 
Philippe Y. — Ambassade à Madrid du maréchal de Tesgé, 

— Entente cordiale entre Walpole et M. de Fréjus. — 
Abdication de Philippe V. — Mort du roi Louis. — Phi« 
lippe remonte sur le trône. — Renvoi de l'infante Marie- 
Anne-Victoire. — M. le Duc tente de marier Louis XV 
avec sa sœur d'abord^ puis avec une princesse d'Angle- 
terre. — Refus du roi George. — Justes motifs de ce re- 
fus. — On choisit enfin Marie Leczinska. — Fleury, 
d'après le conseil de Walpole^ accepte la place de grand 
aumônier de la reine 99 

Chapitre V. — Ressentiment de Philippe V contre la 
France. — Revirement dans sa politique. — Projet d'al- 
liance entre l'Empire et l'Espagne. — Négociations de 
Ripperda : traité de Vienne. — Préparatifs de guerre. — 
WaJpole presse la conclusion du traité de Hanovre. — Si- 
gnature de ce traité. — Héaitations de la France. — In- 
fluence de Walpole. •— Jalousie de M. le Duc et de ma* 
dame de Prie contre M. de Fréjus. — Vaines remon- 



TABLE DES MATIÈRES. 8^7 

Pages, 
trances de Fleury à M. le Duc. — Le roi soutient son 
précepteur. — Tentative pour l'éloigner par le crédit de 
la reine. — M. de Fr^us se retire à Issy. — Désespoir du 
roi. — Retour de Fleury à Versailles. — Visite de Walpole 
à M. de Fréjus. — Sou eutente parfaite avec lui. — Nou- 
velles intrigues de madame de Prie et de Duvemey. — 
Le roi refuse la démission de M. le Duc 145 

Chapitre VL — Voyage de >^alpole à Londres. — Arti- 
fices du gouvernement impérial. — Walpole défend au 
parlement le traité de Hanovre. — Il obtient une majo- 
rité considérable. — Mort de lady Tovnisbend. — L'Es- 
pagne appuie ouvertement le Prétendant. — Préparatifs 
de guerre de l'empereur Gbarles VI. — Armements ma- 
ritimes de l'Angleterre. — Le duc de Richelieu ambas- 
sadeur à Vienne. — Retour de Walpole à Paris. — In- 
certitudes de la politique fhinçaise. — M. le Duc cherche 
à se réconcilier avec l'Espagne. — Intrigues de Ripperda 
et de l'abbé de Montgon. — Calomnies qu'ils répandent 
sur M. de Fréjus. — Il s'en laye facilement. — Chute de 
Ripperda 18î> 

Chapitre VII. — DisgrAce de M. le Duc et de madame 
de Prie. — Détails sur cet événement. — La comtesse 
de Toulouse. — Conversation avec M. de Fréjus. — Sup- 
pression de la charge de premier ministre. — Nouveaux 
témoignages d'amitié de M. de Fréjus pour Walpole. — 
M. de Fréjus est nommé principal ministre. — Modifica- 
tions dans le cabinet. — Question de préséance pour les 
maréchaux. — M. de Morville est maintenu. — M. Le- 
blanc remplace M. de Breteuil comme secrétaire d'Etat 
de la guerre. — M. Lepelletier des Forts est nommé con- 
trôleur général des finances. — Déclarations aux puis- 
sances étrangères. — Toute-puissance de M. de Fréju$«. 
— Joie causée par la disgrâce de M. le Duc. — Apprécia- 
tion de Walpole sur ces événements. — M. de Fr^us est 
fait cardhial. — Jugements divers sur sa politique 201 

Chapitre VIII. — Heureux débuts du ministère de Fleury. 
— Réorganisation du conseil d'État. — Portraits du duc 



388 TABLE DES MATIÈRES. 

Pages. 

d'Orléans^ du maréchal de Yillars et de M. de Mohrille. 

— Le cardinal se préoccupe vivement de l'opinion publi- 
que. — Les maréchaux de Berwick, d'Huxelles et de Tal- 
lard. — Le duc d'Antin^ le cardinal de Rohan et le mar- 
quis de Brancas. — Caractères des nouveaux membres du 
conseil. — Plaintes des Anglais contre le duc de Richelieu. 

— Pertes causées par le retard des galions d'Espagne. — 
Fermeté du cardinal. — Mort de la reine d'Angleterre 
Sophie-Dorothée de Zell 237 

Chapitre IX. — Walpole se rend à Londres pour l'ouver- 
ture du parlement. — Discours du trône, — Dispositions 
belliqueuses de l'Angleterre. — Le comte Palm reçoit ses 
passe-ports. — Tout fait présager une rupture avec l'Es- 
pagne et l'Empire. — Siège de Gibraltar. — Perplexités 
du cardinal. — La France ne veut pas la guerre. — Fleury 
en fait part à M. Robinson. — Exigences de l'Angleterre. 

— Mission secrète de l'abbé de Montgon. — Finesse du 
cardinal. — Retour de Walpole à Paris. — Il s'entend sur 
tous les points avec Fleury. — Deux escadres françaises 
dans la Méditerranée. — Tentatives de pacification. — 
Embarras de la cour de Vienne. — Préliminaires de paix 
acceptés par l'Empereur. — L'Espagne finit par y adhé- 
rer. — Mort du roi George I«'. — Caractère de ce 
prince 259 

Chapitre X. — Inquiétudes de Walpole par suite de la 
mort du roi. — Il part pour Londres d'après le conseil 
du cardinal. — Sir Spencer Compton. — Walpole ob- 
tient une audience du nouveau roi. — Les ministres an- 
glais restent au pouvoir. — La reine Caroline. — Lettre 
de George II au cardinal. — Vive satisfaction de ce pré- 
lat. — Lettre de Walpole au cardinal. — Il revient à 
Paris. — Nouvelles intrigues de l'Empire et de l'Espagne. 

— La reine Marie Leczinska accouche de deux jumelles. 

— Déception de la France. — Changements dans le ca- 
binet de Versailles. — M. d'Aguesseau. — M. de Chau- 
velin remplace M. de Morville. — Son portrait. — Wal- 
pole voit avec chagrin cette nomination. — Il fait part 



TABLE DES MATIÈRES. 389 

Pi«et. 

de ses craintes au cardinal. — Cabales de lord et de lady 
Bolingbroke. — Loyauté du cardinal envers le cabinet an- 
glais 285 

Chapitre XL — Négociations particulières du cardinal avec 
TEspagne. — Concessions de TAngleterre. — Signature 
des préliminaires au Pardo. — Congrès de Soissons. «^ 
Le comte de Sinzindorff. — Mauvais procédés des minis- 
tres impériaux vis-à-vis de r Espagne. — Irritation de Phi- 
lippe V contre TEmpereur. — Négociations séparées avec 
TEspagne. — Plaintes des ministres anglais. — Walpole 
obtient de Fleury qu'il soutienne le projet de traité de 
TAngleterre. — 11 est signé à Séville. — Le maréchal 
d'Huxelles quitte le conseil d*Ëtat — Lord Townsend se 
retire du ministère. — Naissance du Dauphin. — loyauté 
de Walpole. — Influence de M. de Cbauvelin sur le car- 
dinal. — Inaction de la France. — Dégoût qu'en éprouve 
Walpole. — 11 demande son rappel en Angleterre. — 
Question de Dunkerque. — Walpole est rappelé. — Il 
désigne lord Waldegrave pour lui succéder. — Éloges 
que lui méritent ses succès diplomatiques. — Faveurs du 
roi George et de la reine Caroline, — Conclusion 323 

Appendice 357 



FIN DE LA TABLE DIS MATIÈRES