Gastoué, A.
L'ORGUE EN FRANCE
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574
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L'Orgue
en France
De l'antiquité au début de la période classique
Ai>ec nombreux exe??îples et illustrations ^
PAR
A. GASTOUE
PARIS
AU BUREAU D'ÉDITION DE LA « SCHOLA »
26g, rite Saint-Jacques^ 26g
192 1
Tous droits réserves.
L'Orgue
en France
De l'antiquité au début de la période classique
Apec nombr^eux exemples et illustrations^
A. GASTOUÉ
BIBLIOTHÈQUES
, LWRARIES -s
PARIS
AU BUREAU D'ÉDITION DE LA « SCHOLA »
265;, rue Saint-Jacques, 26g •
Tous droits réservés.
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PRÉFACE
Les histoires de la musique^ en général, les écrits sur l'org^te, en parti-
culier, fourmillent d'erreurs et de méprises sur V origine^ les formes
primitives, les développements intérieurs apportés au « j^oi des instru-
ments », comme le nommait Guillaume de Machaut au xiv* siècle. Il est
bon néanmoins de savoir, tant par saine curiosité que par le profit
pratique quon peut en retirer, la manière dont est né, dont a grandi
Pinstr^ument devenu si complexe de nos jours, encore que tious puissions y
retrouver la sonorité des temps passés, si nous savons nous y prendre.
C'est a combler cette lacune, et à satisfaire ce besoin de science musicale,
que visent les études qui vont suivre.
Lorgne antique, autour duquel tant de commentateurs se sont égarés,
n'a été r objet d'un t}\ivail vraiment scientifique que vers la fin du dernier
siècle, avec Clément Loret, l'excellent organiste. Dans plusieurs études
remarquables, il mettait au point, le plus complètement qu'on pouvait le
faire, ce qui concernait la fameuse question de /'hydraule, qui fit couler
tant d'encre ; Cl. Loret fixa définitivement le principe de sa soufflerie.
Mais, depuis, la publication critique des Pneumatika de Héro d'Alexan-
drie, les documents recueillis ou les monuments f^eproduits, permirent
de fixer un grand nombre des points restés jusqu'ici obscurs. Nous
précisons donc et complétons, dans ces pages, les recherches et même les
découvertes modernes faites à ce sujet, ne laissant dépeints d'interrogation
qu'aux détails sur lesquels rien d'autre ne permet jusqu'ici d'être rensei-
Mais nous en savons asse'\ désormais pour mettre en pleine lumière
la construction, la valeur, le rôle de l'orgue dans l'antiquité.
Et nous faisons ensuite le même travail sur l'orgue au moyen âge et
jusqu'à l'aurore des temps modernes.
Que de Légendes, en effet, sur ce chapitre !
Les orgues frappées à coups de poings, que tant d'historiens de la
musique voudraient nous faire admettre comme la base de l'art inslru-
mejital du moyen âge, ne résistent pas à l'examen des faits, et à la publi-
cation des pièces authentiques. Et il suffit de mentionner ici le talent
magistral de M. Marcel Dupré, dont il fallut les doigts habiles pour faire
applaudir tel trio du XII^ou du XI H'' siècle. Le rôle de l'orgue dans
l' accompagnement, aussi bien que les progrès constants de sa facture^
dans la période de ce qu'on est convenu d'appeler le bas moyen âge, mon^
treront que ce n'est pas d'aujourd'hui que les grandes cathédrales ont
connu la distinction entre le grand orgue et l'orgue de chœur.
Enfin, comme l'histoire doit être non seulement « le flambeau dupasse »,
ce qui serait peu, et cia-iosité puî^e, soutient vaine, mais le guide de l'ave-
nir, on lira, dans ces pages, que le répertoire de nos pièces d'orgue peut
être reculé bien au delà des périodes habituellement acceptées ; que divers
styles que ïon croit très modernes ont déjà été autrefois pratiqués ; et
que rifiterprétation la plus classique des grandes formes de la musique
d'orgue ne peut que gagner de savoir comment les inte?prétaient, sur
quels Jeux les exécutaient, les maîtres qui les créère7it et les perfection-
nèrent^ — depuis Pérotin sur lorgne pri?nitif de Notre-Dame de Paris
encore inachevée^ jusqu'à Titelou^e sur le fameux trente-deux pieds de
Rouen, et à Claude Raquette, lointain successeur du premier^ qui faisait
réso7iner de la variété des jeux et de formes neuves les voûtes de la cathé-
drale à l'époque de Louis XIII.
I
ÉTUDE PRÉLIMINAIRE
L'ORGUE ANTIQUE
HYDRAULES ET PNEUMATIQUES
V ^i^r ^î^r ^t^r ^i^r ^I^r ^i^r ^î^r ^l^i
V<p V^ V<p V<p V<;p V^ V^ V<;p
L'ORGUE ANTIQUE
HYDRAULES ET PNEUMATIQUES
I
Le récit des origines de l'orgue commence un peu à la manière d'un
conte, en des temps qu'un lointain recul nous fait paraître proche des
époques fabuleuses, là-bas, sur les rivages orientaux de la Méditer-
ranée, parmi les héritiers gréco-égyptiens des antiques Pharaons.
Crésibios le barbier ^ ingénieur à Alexandrie d'Egypte au temps de
Ptolémée Évergète, c'est-à-dire quelque cent ou deux cents ans avant
notre ère-, fut célèbre par les machines, hydrauliques ou pneumatiques,
dont il fut l'inventeur, dont il donna l'idée, ou qu'il perfectionna.
Parmi les inventions ouïes perfectionnements de Ctésibios, on cite les
pompes et les syphons ; l'application de leurs principes ou de leurs
détails de machinerie à la facture musicale l'amena à l'invention de
(' l'instrument hydraulique » (ainsi le nomma-t-il, organon hydvaii-
likon) que Philon de Byzance ^ dépeint en deux mots savoureux : « une
syringe soufflée par les mains ». La syringe est cet assemblage de
tuyaux sonores, de grandeurs proportionnées et progressives, que Ton
nomme aussi « flûte de Pan », assez improprement sans doute, car ses
tu3''aux sont ceux du chalumeau rustique, caractérisés par une languette
vibrante : ce sont des anches.
Ainsi naquit l'orgue, par les soins de Ctésibios, de cette union d'une
invention utilitaire, la pompe, avec la syringe champêtre.
Ctésibios, ayant inventé l'orgue, apprit | sa femme Thaïs à s'en
servir. Un bas-relief venu de leur propre ville, et conservé au musée
1. Exerçait-il la profession de barbier, ou n'est-ce qu'un surnom ? On l'ignore.
2. Selon qu'on penche, pour l'époque de Ptolémée III, qui porta ce surnom (246-
221 avant l'ère chrétienne) ou celle de Ptolémée VII, qui le porta aussi (145-117).
I es avis sont controversés.
3. l*h\\or\, Sj^ntagma. Si ce Philon de Byzance est réellement contemporain d'Ar-
chimède, il faut admettre que Ctésibios vivait sous Ptolémée IFI. au même temps.
On peut consulter Carra de Vaux, sur les Pneumatiques de Philon de Byzance, dans
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Sationale, XXXVIII (igoS).
— s —
du Louvre S semble bien les représenter tous trois : l'inventeur, jouant
d'une longue trompette, Torgue, d'une quinzaine de tuyauxassez courts,
et l'organiste que l'on aperçoit derrière l'instrument. En plus de cette
illustration originale, d'assez nombreux monuments antiques, que je
citerai plus loin, offrent de suffisantes reproductions, plus ou moins
soignées, des contours extérieurs du nouvel instrument, qui permettent
néanmoins de s'en faire une juste idée et corroborent pleinement
l'expression imagée de Philon.
Planche I. Type de l'Orgue primitif
(tnviron i°»5o à i^yS de haut)
Tels furent les premiers débuts, qu'Athénée de Naucrate^, écho d'A-
ristoclès, de Tryphon, de Philon, nous raconte, de l'instrument qui,
rapidement, devait surpasser tous les autres.
Sa description technique allait bientôt être donnée, assez précise et
suffisamment claire pour que l'invention du barbier d'Alexandrie ne
restât pas sans lendemain. Ctésibios, en effet, inventait et fabriquait :
un autre Alexandrin, le célèbre ingénieur Héro, à coup sûr son élève,
— et peut-être son fils, — a rédigé, dans ses volumineux Pneumatika ''\
les descriptions et les dessins des inventions de son maître. On peut,
à juste raison, supposer qu'il y a parfois mis du sien, en mettant au
point certains détails.
L'invention de Ctésibios et l'ouvrage de Héro ont dû, pendant assez
1. Voir dans les Musées de France. Recueil des monuments antiques, la planche 32
(Paris, 1873).
2. Athénée, Deipnosophia, IV, 75. On pourra consulter l'étude de Tannery,
Athénée sur Ctésibios et V hydraulis , dans la Revue des études grecques, t. IX, Paris.
18.96.
3. L'édition moderne de ce remarquable ouvrage, donnant, pour la première fois,
les illustrations tirées des manuscrits, a été publiée en 1899 dans l'édition Teubner,
par Wilhelm Schmidt. La partie traitant de l'orgue se trouve au vol. 1.
Q _
longtemps, rester une pièce unique, une curiosité, car il n'apparait pas
qu'on ait immédiatement réalisé ailleurs V « instrument hydraulique ».
Cependant, l'orgue est déjà là tout entier, dans l'invention géniale du
constructeur alexandrin ; il y est avec toutes ses caractéristiques, avec
ses principaux organes, tels que la suite des siècles les verra per-
fectionner et amplifier, mais non changer, sinon en des temps tout
récents,
Les premiers documents qui mettent l'orgue en pleine lumière de
l'histoire, ou le dépeignent comme définitivement entré dans l'usage,
remontent seulement aux environs de notre ère. Un mot échappé à
Cicéron, dans l'une de ses Tuscidanes S en est le plus ancien témoin
romain. J'ai cité le bas-relief d'Alexandrie : un autre fragment- d'une
œuvre analogue provient de Tarse, la patrie de saint Paul ; comme le
précédent,, il représente également un petit orgue d'une quinzaine de
tuyaux, maintenus par une tringle transversale, et dont le coffre de la
chambre à air est décoré d'une large frise richement sculptée. Enfin,
une relique même d'un de ces orgues lointains nous a é^é livrée par
Pompéi ressuscitée ^ : c'est un fragment d'un tout petit instrument ;
neuf tuyaux de bronze plus ou moins entiers, dont le plus long n'a
qu'environ deux tiers de pied, le composent — c'est donc une « quinte »
ou « nasard » minuscule. — Rien ne subsiste, malheureusement, de
l'emboutissage des tU3'aux ni du mécanisme de l'instrument, qui n'est
bien réellement, pour reprendre le terme de Philon, qu'une grosse flûte
de Pan, et n'a jamais fourni, pour des jeux d'enfants peut-être, ou l'appel
de quelque bateleur, qu'une gamme de sons fort aigus et, à coup sur,
nasillards, par ce que l'on nous dit des anches antiques.
Mais à la même époque d'où date ce spécimen de peu de valeur con-
servé par les cendres du Vésuve, l'orgue avait pris tout à coup une
importance singulière : l'empereur Néron se passionne pour l'instru-
ment, qui recevait alors ses premiers et sans doute importants déve-
loppements. L'empereur, dit Suétone *, laissant la toute affaire, même
une convocation au Sénat, passa, à certain jour, l'après-midi entière
à examiner le fonctionnement du nouveau système : il se déclarait
même prêt à aller en personne présenter cet orgue dans le théâtre,
afin d'y défendre, s'il était nécessaire, la nouvelle invention.
Néron I le premier des organistes célèbres : quelle singularité du des-
tin ! Et son goût n'est pas tout dans le récit fait par Suétone; des mé-
dailles à son effigie, récompenses accordées aux vainqueurs d'un tournoi
public, portent à l'avers, avec les emblèmes d'un « premier prix », la
1. Tusculancs, III, 4,1: « ... Ilydrouli horlabere ut audiat xoces potius quam
Platonis. »
2. Egalement au Musée du Louvre.
3. Musée de Naples.
4. Suétone, Sero, ch. 41.
10
figure de l'hydraule. L'inscription d'un de ces trophées porte autour
de l'instrument l'exergue : Laurenti Nika, ce qui peut signifier soit :
« Au lauréat : victoire » ou « Victoire de Laurent » (en supposant une
crase du premier mot); dans ce dernier cas, nous aurions ainsi le nom
d'un des premiers prix d'orgue de ce temps-là ^
Ainsi, il y avait déjà des concours d'orgue dans la Rome impériale,
vers l'an 70 de notre ère ! Nous avons donc à rendre grâces à Néron,
par qui l'orgue prit son premier lustre. Il eut des imitateurs : nous
trouvons d'autres médaillons encore, du même genre, avec l'effigie de
Trajan, ou celle de Caracalla 2, et (beaucoup plus tard il est vrai), avec
celle d'un Valentinien (v" siècle).
Au III'' siècle, les empereurs Héliogabale et Alexandre Sévère illustrè-
rent encore l'orgue ^ ; le premier savait en moduler; le second, qui
jouait volontiers de la cithare etde la « tibia », aimait aussi àsonner de
la tuba accompagné par l'orgue ^. Le bas-relief d'Alexandrie pourrait
servir à commenter ce texte, ou, mieux encore peut-être, la mosaïque
gallo-romaine de Nennig^, à peu près du temps d'Alexandre Sévère,
où un organiste, derrière un instrument à une vingtaine de tuyaux de
façade, accompagne un personnage somptueusement vêtu, jouant de
cette longue trompette recourbée autour du cou, et qui est peut-être le
cornu.
Pendant ce premier âge de l'orgue, l'instrument nouveau avait ainsi
peu à peu conquis le monde gréco-romain, et partout rencontré un vif
succès, de curiosité tout au moins : car il restait encore pour beaucoup
de gens un sujet d'étonnement. Athénée, racontant l'invention de Cté-
sibios, met en scène, — c'était vers l'an 200 de notre ère, — un interlo-
cuteur naïf qui croit, dans les tons de l'orgue, entendre un nouvel ins-
trument à cordes "^ et ne peut pas comprendre comment des tuyaux
puissent parler avec égalité, d'une manière pour ainsi dire mécanique,
sous la pression de l'eau.
Cette eau elle-même semblait durement peiner pour forcer l'air à
pénétrer dans le sommier, et son bouillonnement, — non pas son
« ébullition », comme on l'a inexactement traduit, — donnait fort à
penser aux curieux. D'autant plus que déjà, vers le m'" siècle, l'instru-
ment commençait à devenir important : « Regardez, — disait Tertul-
lien" à ses auditeurs de Carthage, — regardez la grandiose magnificence
d'un Archimède : je veux dire l'orgue hydraulique; tant de membres,
!. Deux médaillons de ce genre se trouvent à la Bibliothèque Nationale de Paris,
Cabinet des médailles. On en trouvera la description dans Sabatier, Description
générale des médaillons contorniates, Paris, 1860, planche X, n*"" 7 et 8.
2. .Id., no g.
3. Aelius Lampridus, Hetiogabalus, ch. 32 ; Alexander Severus, ch. 27.
4. Id. : « Lyra, tibia, organo cecinittuba etiam. »
'i. Près de Trêves.
6. Au temps encore de saint Augustin, quelques-uns avaient cette opinion singu-
lière ; voir mon livre des Variations sur la musique d'église, p. 33 à 37; Paris, 191 3. Le
texte curieux du docteur d'Hippone se trouve dans son Jùiarratio sur le psaume i5o.
7. Tertullien, De anima, ch. xiv. [Patr. Lat., t. II, col. 669.)
— II —
tant de parties, tant d'articulations, tant de chemin parcouru .par les
voix, tant de multiplicité de sons, tant d'échanges de modes, tant de
rangées de tuyaux; et tout cela est un seul ensemble! » On ne parle-
rait pas autrement d'un orgue moderne.
Son maniement, d'ailleurs, était facilité par l'art avec lequel il était
construit; des auteurs modernes se sont plu à imaginer que ces trans-
missions primitives devaient être lentes et fort dures : il n'en était
rien certainement. Les techniciens, comme Héro et Vitruve, dont je
résumerai plus loin les travaux, emploient à plusieurs reprises le mot
d' « instantanément » pour exprimer la rapidité avec laquelle obéissent
les organes de l'orgue. Plus tard, des littérateurs s'émerveillent de la
facilité du doigté.
Porphyre Optatien, au iv^ siècle, décrit avec précision le mouvement
soit lent, soit vif, du chant de l'orgue accompagnant les vers, dans
lequel, à peine les touches sont-elles abaissées, que l'air fait parler les
tuyaux. Ou, plus encore, Claudien, s'exprimant en poète, il est vrai,
mais trop précis pour qu'on ne l'écoute point, loue lorganiste « qui,
obtenant de si grands accents par un toucher léger^ fait moduler
d'innombrables voix dans une moisson d'airain ' ; il entonne d'un doigt
errant, et aussitôt change en mélodies les ondes travaillées par de puis-
sants leviers -. » (Voir p. 23 le texte d'Optatien.)
Même impression chez l'empereur Julien qui, dans son épigramme
bien connue^, dit : « Un homme fougueux, des y^apides doigts de sa
main, fait mouvoir les règles qui, bondissant ». fontchanter l'instrument.
Et Cassiodore enfin, dans un temps où déjà s'abolissaient les connais-
sances antiques, parle encore des « doigts des maîtres » qui, « répri-
mant à volonté les langues de bois » que sont les touches, procu-
rent ainsi du souffle aux flûtes de l'instrument ^-.
, Entre temps, bien entendu, l'invention du barbier d'Alexandrie
avait reçu d'importants perfectionnements, que nous allons bientôt exa-
miner. Le plus important, que j'appellerai justement une modification
capitale, c'est d'avoir substitué, au moteur primitif qui constituait Ih}'-
draule, des soufflets fournissant ainsi plus directement l'air aux som-
miers. Le souffle [pneuma) agissant seul ici, les orgues ainsi construites
furent dites « pneumatiques », et la distinction entre les deux genres
subsista tant que le premier demeura en usage.
On ignore l'époque précise et l'inventeur de cette adaptation de soufflets
aux orgues. Un monument funéraire romain, décrit autrefois par Mer-
senne'"', représentait l'une de ces orgues pneumatiques « dont les souf-
flets sont semblables à ceux qui servent à allumer le feu. et sont levez
par un homme qui est derrière le cabinet, et le clavier est touché par
1. Allusion aux rangées des tuyaux, semblables à des tiges serrées.
2. Clauiien, dans le panégyrique du consul Manlius Theodoruit, en Sqq.
3. Anthologia Palatina, tx, 368. Ed. Teubner. page ôio.
4. Cassiodore, inps. i5o.
5. Mersenne, Harmonie universelle, Paris, i635, page 38-.
— 12
une femme ». Cette stèle portait une inscription, que Je reproduis ci-
dessous, à titre de document : peut-être aidera-t-elle quelque jour à
en fixer l'origine ; en tout cas, elle fournit le nom d'un personnage qui
s'occupait d'orgues K Un autre monument est une médaille ex-voto
qu'on ne saurait non plus dater avec plus de précision, bien qu'elle semble
de bonne époque ^ ; l'un des personnages qui y sont représentés porte
sur sa main un petit modèle d'orgue qui semble bien être pneumatique •'
ce n'est pas en effet une hydraule, car il n'en a pas les caractères, et
un organe placé devant la chambre à air offre l'apparence d'un petit
soufflet, placé exactement comme dans les petites orgues à bras tant en
faveur à la fin du moyen âge.
D'ailleurs, ces orgues portatives ont été connues aussi dans l'anti-
quité, puisque PoUux -^ les cite, sous le nom de « petit » orgue, en les
mettant en opposition avec le « grand orgue », ainsi qu'il nomme
l'hydraule.
L'épigramme déjà citée de l'empereur Julien, s'applique à un
instrument ayant subi cette modification : l'écrivain y compare le
soufflet à « une caverne de peau de taureau, d'où l'air s'élance par-
dessous, h travers la tige des roseaux bien percés » que sont les tuyaux
de bronze de cet orgue pneumatique. Un peu plus tard, saint Augustin,
bien qu'il mentionne les hydraules, semble surtout connaître les orgues
à soufflets *, et, déjà, c'était à celles-ci que s'appliquait spécialement le
nom d' « oigue ï).
II
Mais, venons à la description de l'hydraule primitif -^ et des perfec-
tionnements qui, peu à peu, le transformèrent en pneumatique, en
amplifiant ses effets et en augmentant sa puissance. Les divers docu-
ments que j'ai précédemment utilisés fournissent d'amples détails : les
deux écrits les plus complets, émanant de techniciens bien informés,
sont, dès l'origine, le traité des machines de Héro d'Alexandrie, et,
longtemps après, la descripti,on très détaillée, due à l'architecte-ingé-
nieur Vitruve — Marcus Vitruvius Pollio — qui prend la qualité
d' « affranchi d'Auguste ». Mais on ne saurait, comme cela se fit chez
i. LAPISIVS C. F. SCAPTIA CAPITOLINVS EXTESTAMENTO FIERI
MONUMEN. IVSSIT ARBITRATVM HEREDVM MEORVM SIBI ET SVIS.
2. Sabatier, loc. cit., ; exergue : « Petroni : Placeas ».
3. Onomasticon, IV, 70.
4. Voir texte précédemment cité.
5. Le travail capital sur la question est celui de Clément Loret. qui traita succes-
sivement le sujet dans son Cours d'orgue, t. III, notice historique, Paris, 1878, et
dans la Revue archéologique, année 1890. C'est à Loret que revient la découverte et
l'explication du véritable principe de l'hydraule, mis définitivement au point par
Wilhelm Schmidt.
Voir aussi la description donnée par M. Victor Loret, dan' le tome l""' de l'Ency-
clopédie de la Musique de l.avignac, pp. 3o à ^4.
nos devanciers, penser ici à Octave Auguste : les érudits modernes
ont donné d'excellentes raisons pour placer Vitruve à l'époque des
Antonins < ; l'étude qu'il fait de l'orgue, déjà bien perfectionné et loin
de l'invention primitive, conlirme les données des archéologues et des
historiens, et se trouve tout à fait d'accord avec les citations des
auteurs de la seconde moitié du ii'' siècle de notre ère, ou du iii^,
ainsi qu'avec les monuments figurés qui subsistent de cette époque.
Nous considérerons donc le « devis » d'hydraule donné par Vitruve -
comme document de cette période.
Soufflerie de l'orgue hydraulique. — La soufHerie, telle qu'elle fut à
l'origine, et sortie tout entière de l'esprit imaginatif de Ctésibios, est
basée sur un principe des plus curieux, où la pression de l'eau joue le
rôle de régulateur de l'air comprimé. C'était, pour les gens de ces temps-
là, un vrai mystère, qui excitait les interrogations des curieux, ou l'ad-
miration des esprits plus ouverts ; ce fut, depuis que les hydraules ont
disparu, le problème présenté à l'imagination de ceux qui voulurent
en reconstituer le fonctionnement •'. De nos jours seulement, grâce aux
travaux de Cl. Loret et à la publication critique des textes antiques,
la lumière s'est faite sur ce point, cependant bien simple.
L'air est puisé par un corps de pompe, qui le refoule dans le socle
creux de l'instrument, où il arrive par une tuyauterie appropriée, sous
une sorte de cloche à plongeur, en forme d'entonnoir renversé *. L'eau
qui remplit le socle est maintenue en équilibre par l'arrivée incessante
de l'air, qu'elle comprime à son tour par sa pression. Un autre tuyau,
du sommet de la cloche, conduit l'air comprimé entre les deux tables
qui forment ce qu'on a nommé depuis le « sommier », la chambre à
air où prennent naissance les tuyaux parlants. Ainsi, dit Tertullien
dans un beau mouvement oratoire : « l'air qui peine sous le tourment
de l'eau, est distribué par fragment, unique en substance, divers par ses
(cuvres. «(Voir fig. i.)
De cette disposition vient le nom à'organon hydraulicon, c'est-à-dire
« instrument hydraulique », le seul que lui ait donné son inventeur.
L'orgue décrit par Héro n'avait qu'un corps de pompe ; l'instrument
i. Voir, entré autres, la thèse, fortement documentée, de J.-L. Ussirlg. Betragt-^
hinger over Vitruvii de Architectura, Copenhague, i8y6.
2. Dans son De Architectura, X, ch. xiii (publié par V. Rose dans l'éd. Teubner,
1899)-
3. Tous les travaux sans exception, faits sur ce sujet depuis le moyen âge )usqu a
1878, fourmillent de méprises ou de fantaisies ; Loret fut le premier à élucider cette
question.
Pour la description qui suit, voir la planche d'illustratiou donnant, figure i,la
disposition schématique de l'orgue primitif, telle qu'elle figure dans les meilleurs
manuscrits de l'œuvre de Hérp ; figure 2, l'ouverture ou l'obturation des tuyaux
parlants et le mécanisme de la touche d'après les mêmes sources ; figure 3, le per-
fectionnement du même mécanisme, décrit par Vitruve ; figure 4, le manubrium ou-
vrant l'accès de l'air aux rangs de tuyaux (v. p. suivante).
4. Comparé très heureusement à une cloche à plongeur par Charles Maclean ; voir
son très complet travail The Principle of the Hydraulic Organ, dans les Sammel-
bande de l'I. M. G., \'I, pages iS3-23G.
14
de Vitruve, plus important, en avait deux, par où les souffleurs pom-
paient alternativement. (Voir planche III, page 20.)
S^aSHKlI^
Planche ii
La simple soupape de métal de la pompe de Ctésibios, montée sur
deux clavettes, fut également perfectionnée : au 11* siècle, un obturateur
en forme de cymbale, pouvant hermétiquement fermer l'orifice à l'inté-
rieur du corps (du « boisseau » — modius — comme on disait) est sus-
pendu par une chaînette commandée par un « dauphin » de bronze
fixé à une petite tige ; l'obturateur ouvre ou « cale » le cylindre, selon
le sens de la pression deTair. (Voir même figure.)
ID
La disposition des pompes à air devait d'ailleurs varier selon la force
de l'orgue.
La plupart des représentations antiques de l'instrument ont
(lorsqu'elles sont visibles) deux pompes, l'une à droite, l'autre à gauche.
Une miniature, du vi^ siècle seulement, mais que son origine très pro-
bablement alexandrine rend intéressante ^ représente deux hydraules
accouplées, chacune avec son organiste: concertent-ils ou se renforcent-
ils ?Là, les pompes sont toutes deux placées, pour un orgue, sur le même
côté, l'une près de l'autre ; il y a donc quatre souffleurs, deux à
droite, deux à gauche.
On peut croire que, malgré son ingéniosité et la régularité de pres-
sion qu'elle assurait, la soufflerie « hydraulique » ne contentait pas tous
les amateurs d'orgue : peut-être n'assurait-elle pas une force suffisante
lorsque les instruments furent devenus plus importants. De là, l'appli-
cation du soufflet à l'orgue, dont j'ai parlé plus haut, et qui, peu à peu,
se substitua à la pompe à air et au compresseur hydraulique.
Clavier et transmissions. — On peut voir, sur la figure schématique i
de la planche II, l'indication sommaire de ce qu'on a, depuis, nommé
« touche )) ; ces touches sont d'ailleurs assez espacées, et correspondent
juste à l'axe de chaque tuyau parlant, sans être encore juxtaposées en
clavier. D'après les dessins ou les indications des monuments, elles
devaient être, d'axe en axe, distantes de trois pouces (environ 5 centi-
mètres et demi). Chose curieuse, c'est encore exactement la mesure que
l'on retrouve dans certaines orgues du haut moyen âge qui nous sont
connues.
Ces touches ne sont, originairement, que les extrémités d'une articu-
lation coudée à trois membres — àYxcovicxo; TptxoaXoç, — en métal, com-
muniquant avec une glissière de bois percée d'un trou, qui, selon la
position de l'articulation, tantôt intercepte l'arrivée de l'air et bouche
l'orifice du tuyau parlant, tantôt fait communiquer l'un et l'autre. Un
ressort, tout primitif, formé d'une spatule de corne attachée au mouve-
ment par une cordelette, assure « automatiquement », dit Héro, le
retour en avant de la glissière, en obturant à nouveau le tuyau (plan-
che II, figure 2, d'après les manuscrits).
Plus tard, le système est un peu différent et perfectionné. Chez Vi-
truve, une palette de bois, pinna — la touche, — est jointe à la glissière
soigneusement huilée, par une lame de fer flexible (c/zora^/«m), qui joue
à la fois le rôle de transmetteur, quand la touche est abaissée, et,
I. C'est celle reproduite dans le fameux psautier de l'école de Reims, copié et orné
entre les années 820-840, et connu sous le nom de psautier d'Utrecht, pour le
psaume cl, qui servit de modèle à nombre d'autres qui la déformèrent plus ou
moins, du vue siècle au xue. Dans sa reproduction la plus récente, celle du psautier
d'Eadwine, à Cambridge, les miniaturistes, ne sachant plus ce que signifiaient les
pompes des hydraules, les ont remplacées par des soutllets : cette dernière minia-
ture, trop souvent citée, est assez grossière, et loin de valoir l'original. Une étude sur
l'orgue du psautier d'Utrecht a paru dans Tlie M^nthly, année 1898, n"' d'avril à
novembre.
10 —
quand les doigts la quittent, celui de ressort, qui ramène la glissière
en place. (PI. IL fig. 3.)
Les auteurs des descriptions antiques emploient d'ailleurs à diverses
reprises, comme je Tai déjà fait remarquer, les termes d' « aussitôt »,
« immédiatement», pour désigner la manière dont la machinerie de
l'orgue obéissait au toucher. '
Tuyaux parlants. — L' « instrument h3^draulique » de Ctésibios
faisait parler un certain nombre de tuyaux, évidemment restreint : le
schéma de Héro n'en indique que sept ^, et l'ingénieur spécifie leur
espèce, nommant chacun d'eux un aulos. Athénée n'emploie pas
d'autre terme pour les désigner, et, si Philon compare à une syringe
l'ensemble de ces tu3'aux, c'est encore le mot aulos qui revient dans les
composés grecs ou latinisés, hydraulos, hydrauUs, hydraulus, qui préva-
lurent sur le vocable original organon hydî^aulicon. D'ailleurs la
syringe elle-même était formée d'une série à'aulos. D'où l'autre nom
qui fut aussi donné à l'instrument, ô'organon auletikou.
Les tuyaux parlants des premières orgues étaient donc analogues à
l'instrument à vent du même nom, aulos en grec, tibia en latin. Or, si
nos littérateurs ont accoutumé de rendre ce mot par « tiùte », c'est de
leur part une méprise, et j'aime mieux ces vieux auteurs français du
xv*' siècle ou du xvi^ qui disaient plus simplement : une « tibie ».
L'aulos,ou la tibia, n'était pas une flûte, mais un instrument de métal,
bronze ou airain, à anche, très sonore, dont la languette de roseau en
faisait l'intermédiaire entre le chalumeau pastoral et le hautbois égyp-
tien : il se rapprochait ainsi assez de la clarinette moderne, et on le
construisait en divers registres, aigus, moyens ou graves, susceptibles
de jouer à l'octave les uns des autres. Cet instrument était donc assez
désigné pour le groupement d'ensemble imaginé par l'ingénieux alexan-
drin : Héro lui-même nomme ses tuyaux parlants, des auloi « puis-
sants », aiAoùç àvjapAvovç ; ce sont des tuyaux à la fois à bouche et à
anche, directement emboutis sur la « boîte à languettes » fixée au-
dessus du sommier.
Il est probable qu'à l'anche de roseau on substitua rapidement des
languettes de métal, susceptibles de résister à la pression de l'air com-
primé, sans se désaccorder ni s'émousser.
Jeux. — L'orgue primitif n'était donc pas formé d'un jeu de tlùte,
mais d'un jeu d'anches analogues aux chalumeaux. L'instrument alexan-
drin, très rudimentaire, ne possédait qu'une seule rangée de tuyaux ;
l'orgue gréco-romain, dès l'instant où nous le connaissons avec quelque
précision, arrive à en avoir plusieurs.
Mais, ces rangées de tuyaux, qu'étaient-elles au regard des timbres et
des sonorités? Des répliques d'un même jeu? Des rangées de « fourni-
tures » sonnant des octaves, des quartes et quintes superposées, ampli-
fiant plus ou moins la richesse harmonique du tuyau principal ? Il est
1. C'éiaii d'ailleurs le nombre habituel de tuyaux que comportait l'antique syringe.
— 17 —
difficile de le dire exactement, d'autant plus que les monuments nous
offrent uniformément le dessin de tuyaux à bouche, de hauteurs diffé-
rentes, mais de proportions semblables, assez analogues à nos montres
et prestants, et cependant de taille plus fine, comme les gambes.
Le texte de Tertullien suggère une explication, qui a été donnée par
d'autres auteurs à propos d'un traité anonyme sur la musique * ; que
signifie, en effet, dans ce passage : tôt commercia modorum, « tant
d'échanges de modes » rapproché surtout de tôt acies tibiariim, « tant
de rangées de tuyaux » ? On sait, en effet, que, dans la musique antique,
chaque mode avait non seulement son échelle, mais sa transposition
pratique réglée par un canon quasi immuable, analogue à celle dont
usent encore les organistes modernes, d'après la a teneur » — la « mèse »
des anciens — de chaque ton, dans la transposition des chants litur-
giques. Or, comme il est indubitable que les claviers primitifs n'étaient
pas chromatiques, on doit en conclure qu'un jeu donné ne pouvait que
suivre l'échelle d'un mode unique, dans sa transposition courante. Une
rangée aurait donné l'échelle dorienne, une autre la lydienne, etc.
Ceci n'est toutefois qu'une hypothèse ; il faut d'ailleurs remarquer
que le texte anonyme dont je parle fait mention non pas de modes,
mais de « tons » ; c'est-à-dire de sons, de touches, nouvellement alors
ajoutées à un orgue, les « tropes » chromatiques au nombre de trois.
On peut encore remarquer que, sur une remarquable réduction
en terre cuite, ex-voto sans doute, provenant de Carthage -, et constituée
avec un soin très grand, des trois ou peut-être quatre rangées de
tuyaux, celle qui est en u montre » est la plus grande. Par rapport aux
dimensions générales de l'instrument et de l'instrumentiste, il est facile
de se rendre compte du diapason de ce jeu. Ce « principal » offre une
série de dix-neuf tuyaux, dont le plus long devait avoir en réalité envi-
ron quatre pieds ; un tel jeu correspond ainsi à un ensemble de tuyaux
commençant dans les notes graves de notre clef de fa. Ce serait donc
un jeu d'une sonorité semblable à celle de nos « huit pieds » actuels.
Il est impossible, sur le même monument, de se rendre compte de
la hauteur des tuyaux de la ou des rangées intermédiaires ; mais la
dernière semble avoir les deux tiers de la hauteur de la première, soit
un jeu d'environ deux pieds deux tiers au tuyau le plus grave. Cette
rangée sonne donc la quinte de la première : c'est un « gros nasard ».
On se rappelle que les restes du minuscule instrument de Pompéi
offrent les mêmes proportions, en une octave plus aiguë.
On avait depuis longtemps déjà remarqué que, si les instruments
classiques de l'orchestre antique étaient à anche, on pouvait à l'occa-
1. L'Anonyme, publié par Bellermann en 1841;
2. On en a plusieurs fois donné des dessins, depuis qu'il fut découvert en i883 ;
les reproductions les plus complètes sont celles de F.-W. Galpin dans le numéro de
juillet 1904 de The Reliquary (London, Bemrose and Sons). Il y en a aussi dans la
Revue S. I. M., au cours d'un article de Gh. Mutin, en 1910.
sion faire sonner les tuyaux seuls* : c'était toutefois le propre de la fîs-
tula, assez peu appréciée des Gréco-Romains, et qui est la vraie « fîûte ».
11 est probable que de bonne heure on eut l'idée d'en joindre la sono-
rité à celle de Vaulos puissant. Néanmoins, si l'on peut supposer la pré-
sence de tels tU3'aux dans l'hydraule perfectionnée, il faut descendre au
V" siècle pour trouver, dans un curieux sermon d'un évêque du Midi de
la France, la mention de la flûte dans l'orgue 2.
Un autre texte, à peu près du même temps, mentionne également la
fistula, en nous apprenant que les doigts des « maîtres » peuvent tirer
des pneumatiques de « très douces cantilènes » mises en opposition
avec la « puissante sonorité » (grandisonam) des autres résonances ^.
Il y a donc, dans lorgne ainsi pisé, deux espèces de jeux, sans hésitation
possible. Or, le mot fistula désigne effectivement, dans le langage
romain, l'instrument de bois, à bouche, au son doux, mais « aigu » par
rapport à la tibia, sonnant ainsi une octave au-dessus : ceitQjîstula était
donc une « flûte douce de 4 ».
L'orgue romain a donc pu comporter trois jeux : un jeu d'anche à
languette battante, de huit pieds par rapport aux nôtres ; un jeu de
flûte douce de quatre ; un nasard, ou mieux, ce qu'on nommait autre-
fois une <t quinte-flûte ».
Nous savons enfin, par Vitruve, que l'on pouvait porter au moins
jusqu'à huit le nombre des rangées de tuyaux.
Etendue. — Il est impossible de fixer avec précision l'étendue du
clavier antique, pas plus qu'on ne saurait dire sur quel mode il était
basé, toutes les hypothèses qu'on a proposées là-dessus étant également
hasardées. Il est possible d'ailleurs qu'il y ait eu quelque latitude, sui-
vant les desseins des facteurs ou les désirs des acheteurs ; on ne saurait
s'appuyer sur les monuments figurés, où les artistes, non musiciens,
qui ont représenté des orgues, n'ont fait qu'indiquer les tuyaux, ou en
ont donné un nombre très approximatif.
Les dessins, tout schématiques il est vrai, du manuscrit de Héro,
n'ont que sept tuyaux, et quelques représentations antiques, des plus
grossières, n'en ont guère plus. Mais celles qui sont les plus soignées, —
comme la terre cuite d'Alexandrie, celle de Carthage, une gemme gravée
conservée au British Muséum, la mosaïque de Nennig, etc., celles-là
offrent de quinze à vingt tuyaux par rang : on peut donc supposer que
les meilleurs instruments comptaient à peu près ce nombre qui corres-
pond d'ailleurs au nombre des sons du u grand système parfait » de
deux octaves diatoniques des anciens, en y faisant entrer le double
tétracorde du milieu, pour les « conjointes » etles« disjointes », c'est-
1. Cf. le scholiaste de Pindare, sur Pythique XII, i, à propos de Midas, qui a.vait
cassé la languette de son instrument, et qui continua quand même à jouer.
2. Habes organuvi ex diversis fistulis sanctorum apostolorum, doctorumque
omnium ecclesiarum, aptatum quibusdam accentibus... Ad hiiius organi suavissimas
et diiicissimas voces, etc. (Sermons de Prosper d'Aquitaine, Patrologie latine, t. LI,
col. 856). Le même texte appelle déjà les touches, claves, parce quelles ouvrent et
ferment l'accès des tuyaux.
3. Gassiodore, loc. cit.
— 19 —
à-dire avec si bécarre ou si bémol. L'Anonyme de Bellermann ajoute à
ce clavier trois notes chromatiques par octave ; il est ainsi d'accord,
comme étendue, avec le petit poème, si curieux, d'Optatien, « en forme
d'orgue », qui va jusqu'à vingt-six touches et autant de tuyaux.
(V. p. 25.)
Registres. — L'orgue antique pouvait faire parler individuellement
les rangs de tuyaux, ou les jeux ; la description du De architectura i,
fort nette et précise, montre que chacun de ces rangs était commandé
par un système qui jouait le rôle de nos registres.
En effet, au lieu queCtésibios plaçait ses « boîtes à languette « direc-
tement sur la chambre à air, l'orgue de Vitruve interpose un nouveau
mécanisme entre le canon, où sont percées les arrivées d'air, et la table
supérieure ou pinax, sur laquelle sont montés les anneaux à anches ^:
« Sur toute la longueur [du canon], des rainures sont creusées, quatre
s'il est « tetrachordos » [à quatre sons], six, s'il est « hexachordos »,
huit s'il est « octochordos -)... A chacune de ces rainures, autant de
rouleaux (epitonia) sont adaptés, munis de manches [ou manivelles]
de fer. Quand on tourne ces manches, on ouvre les orifices qui, de
l'arche [socle] communiquent avec les rainures ». (Voir planche II,
fig. 4.)
C'est donc bien là un fonctionnement, non identique, mais ana-
logue dans son effet, à celui des registres ouvrant les « gravures » du
sommier. Et c'est seulement au-dessus des rainures des « epitonia »
dont chacune commande un rang, qu'est placée la transmission qui ouvre
l'accès de chaque tuyau en particulier. Le sommier, avec la laye, était
donc, dès lors, disposé exactement comme il l'a toujours été depuis.
Dimensions de r instrument. — Plusieurs des monuments antiques
qui placent, aux côtés d'un orgue, son organiste, son ou ses souffleurs,
peuvent servir de base d'appréciation sur la grandeur relative de cer-
tains organes de l'instrument. Mais la terre cuite, déjà mentionnée,
trouvée à Carthage, nous renseigne infiniment mieux : de 18 centimè-
tres de hauteur sur 8 centimètres en carré, elle représente en détail une
hydraule, avec l'organiste qui la fait parler. La réduction est faite avec
beaucoup de soin : je l'ai plus haut utilisée pour connaître le diapason
de deux de ses rangées ; malheureusement mutilée, elle ne permet pas
d'en retrouver tous les détails : mais elle est toutefois suffisamment con-
servée pour que la position de l'instrumentiste et ce qui reste du per-
sonnage permette de juger des dimensions de l'orgue dont elle est la
copie, et qu'on peut estimer à environ dix pieds de haut sur quatre et
demi de large, mesures antiques, soit environ 3 m. 3o de haut sur
I m. 1 5 de large.
Le cylindre des pompes a environ un pied et demi ds large, ferrures
comprises, sur deux de haut. Nous savons par Vitruve que l'ouverture
« calée » par les cymbales de métal qui pendent des dauphins, devait
1. Vitruve, op. cit.
2. Annuli qitibus includiintur lingulae.
avoir trois pouces de large, ce qui était aussi la mesure des dés qui sou-
tenaient, dans le socle, l'entonnoir à air comprimé i. Ce socle, « arca»),
qui contient les réservoirs, en forme d'autel polygonal, a, dans l'orgue
Planche III
de Cartilage, un peu plus de quatre pieds de haut ; il reçoit, du côté
des touches, l'adjonction d'un autre petit socle ou tabouret qui lui est
joint, et sur lequel est monté l'organiste qui joue debout.
Les détails des registres, des touches, des mains de l'organiste, sont
cassés. Cependant on peut compter dix-huit touches, distantes, d'axe
1. Les expériences de Galpin, en 1904, à la London Company oj musicians, ont dé-
montré que la hauteur de l'eau poussée par l'air pouvaitatteindre une différence d'en-
viron 3 pouces 1/2, ce qui représente la pression du ventchargé d'alimenter les tuyaux.
21
en axe, d'environ trois pouces. L'adjonction, à ce modèle, des tiges et
leviers des pompes ainsi que des manches des registres que la terre
cuite ne pouvait donner, avec leurs souffleurs, permet de se rendre
compte exactement de l'aspect d'un instrument de ce genre et de ses pro-
portions. (Cf. Planche III.)
Disposition extérieure et aspect de l' instrument. — Les description,
que l'on vient de lire, et les illustrations qui accompagnent cette étude
disent assez quels furent la disposition extérieure et l'aspect de l'instru-
ment antique. Le « buffet » dans lequel on a pris l'habitude, vers la fin
du moyen âge, d'enfermer l'orgue, n'était pas encore en usage ; les
organes producteurs de la force de l'air, pompe ou soufflet, restaient
apparents et presque au premier plan ; l'organiste était placé par der-
rière, et dans les orgues les plus simples, on l'apercevait entre les
intervalles des tuyaux, qu'il dépassait souvent de la tète et même du
buste. La façade de l'instrument rappelait donc toujours la « Flùte de
Pan » placée sur un « autel ». (PI. I, p. 8.)
Mais déjà, ce qu'il y avait de boiserie dans l'hydraule était décoré de
sculptures en plein bois : frises ornées de rinceaux profondément entre-
lacés, panneaux avec rosaces ou palmes. La base même, le socle qui con-
tenait le réservoird'eau et d'air, étaient à l'occasion garnis de quelque
décoration : la base du petit orgue de Pompéi, dont il subsiste une
partie, offre, en relief, trois petites portiques d'ordre dorique, avec fron-
tons, abritant des statuettes.
Ainsi, presque dès l'origine, l'orgue, dans tout ce qui n'était pas un
de ses organes musicaux, appelait déjà à son aide l'art du décorateur.
in
Le rôle antique de l'orgue hydraulique était fort divers, mais s'il est
utilisé en de multiples circonstances, il n'apparaît jamais dans les céré-
monies religieuses.
Nous trouvons l'orgue employé pour l'agrément des particuliers :
c'est le cas de la lettre de Cicéron, un demi-siècle avant notre ère : c'est
celui, évidemment, des nombreusesreprésentationsqui nous sont restées,
sur des tombeaux ou des mosaïques, se référant à des usages privés. Des
instruments rudimentaires, comme celui de Pompéi, ont pu servir de
jouet, mais plus encore pour accompagner les parades des baladins,
où le son fort et nasillard de leurs tuyaux rappelait plutôt, comme les
anches de certains instruments, le jargon des oies.
Mais un apparat plus relevé attendait l'orgue : au temps déjà de
Néron, il a figuré au théâtre et dans les jeux publics du cirque, comme
l'indiquent le mot de Suétone, un autre de Pétrone ' et les médaillons
contorniates à l'effigie des empereurs. L'une de ces médailles repré-
sente devant l'orgue deux femmes semblant s'offrir mutuellement des
palmes ou des flabelles : l'attitude qu'elles ont et la corrélation étroite de
leurs gestes paraissent indiquer sans hésitation une danse ou une panto-
I. Pétrone, Satyricon, 36.
mime orchestrale. L'orgue futconcertant: ilaccompagnedéjàle grotesque
nain d'Alexandrie, ou l'empereur Alexandre Sévère, ou encore le per-
sonnage inconnu de Nennig, dans leurs solos de « tuba ». Un fragment
romain représente, sur une scène, un chanteur tragique dans une noble
attitude ; près du « portant » des décors, figure l'orgue qui l'accompagne ^
Mais l'occasion la plus importante où, dans un -cadre un peu moins an-
cien, il est vrai, mais tout plein encore de la civilisation antique, nous
voyons paraître l'orgue, c'est dans le ballet représenté sur le socle de
l'obélisque de Théodose le Grand, en l'an 3qo, à Constantinople. Ce
bas-relief est assez connu, et a donné lieu à bien des dissertations,
plus ou moins aventurées, la plupart fausses dans leurs conclusions,
sur la nature des orgues qui y sont sculptées, car les dessins qu'on en
avait présentés jusqu'ici étaient tous incomplets.
Le bas-relief représente une scène dansée, accompagnée d'instruments
de musique, exécutée devant l'empereur et sa cour. Au premier plan,
sur toute la longueur du bas-relief, règne un « cancel » ou balustrade
richement décorée, qui borde l'estrade. Plusieurs ballerines, en attitudes
élégantes et gracieuses, sont accompagnées de deux chorèges placés
en arrière, dont l'un semble jouer de la cithare et l'autre de 1' « au-
los » double ; de chaque côté, il y a de plus un petit orgue, avec son or-
ganiste : à chaque extrémité, derrière l'orgue, et montés à la hauteur du
cancel, sont placés deux adolescents en tunique. C'est de ce dernier
détail qu'on a supposé qu'ils actionnaient des soufflets cachés derrière
la balustrade : en réalité, de ce qu'on voit sur ce bas-relief, rien, dans
le dessin de ces orgues, ne permet de reconnaître si l'on a affaire à une
«hydraule» ou à un « pneumatique », à un orgue à eau, ou un orgue
à soufflets -.
Deux des « contorniates » qui représentent des orgues semblent, par
leur exergue ou leur dessin, avoir une destination religieuse: ce seraient
des ex-voto. L'un porte : Placeas. Pétri, « Sois favorable ! [offrande]
de Pierre » ; un autre : Petroni. Placeas, « [offrande] de Pétrone. Sois
favorable ! » Ce dernier, au revers, présente trois personnages : celui du
milieu, que les deux autres semblent complimenter, ou implorer, tient
sur la main gauche la petite réduction d'orgue paraissant un pneuma-
tique dont j'ai parlé plus haut ^. La terre cuite de Carthage, qui a des
proportions analogues, aurait-elle été ainsi une offrande religieuse,
remerciement d'un organiste vainqueur à une divinité tatélaire ? Peut-'
être. En tout cas, cet objet porte le nom de celui qui l'a offert : il
s'appelait Possessor.
I. Pour la plus grande partie des reproductions de monuments antiques intéressant
l'orgue, il faut consulter Degering, Die Orgel, ihre Erfindung und ilire Geschichte
bis ^um Karolinger:;eit, Munster, igoS, dont les illustrations, presque toutes faites
par la photographie directe des monuments, sont remarquablement soignées.
On trouvera un certain nombre de textes intéressants dans l'article Hydraule, de
Ruelle, dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, en les Complétant
ou les corrigeant par les explications données ici.
z. Degering, op. cit., en a donné une excellente photographie, où tous les détails
identifiables sont parfaitement visibles.
3. Paris, Bibliothèque Nationale. Cf. Sabatier, lac. cit.
- 23 —
Il ne faudrait pas supposer, à l'examen de tous ces textes ou de ces
monuments, que la musique d'orgue fût alors ce qu'elle a été depuis,
ou que l'organiste de ces temps-là ait toujours été un artiste. Celui-ci
n'a souvent été qu'un exécutant machinal, celui auquel les philosophes
dénient même le nom de musicien K Celle-là ne connaissait que la
diaphonie antique, dont le nom d'organum a perpétué Jusqu'en plein
moyen âge, l'une des formes, à savoir un chant simple à deux parties 2,
tel qu'il était, dès longtemps, usité dans les formes instrumentales, soit
que l'une des deux voix suivît l'autre note contre note, soit que l'une,
s'exprimant en valeurs longues ou en doubles longues ^ ait été accom-
pagnée d'un contrepoint en valeurs plus brèves.
A travers cette longue période qui vit naître et grandir l'orgue an-
tique, nous l'avons rencontré un peu partout : d'Alexandrie à Rome et
de l'Asie Mineure à Carthage. Partout où s'introduisit la civilisation ro-
maine, l'hydraule aussi fut adoptée ^
Dans la Gaule colonisée, plusieurs documents ou monuments repré-
sentent l'instrument, ou en parlent. De l'époque des Antonins, ou un
peu plus tard, datent les mosaïques d'Orange, le bronze de Reims, les
sculptures d'Arles -^ et une mosaïque des pays rhénans. A Grenoble,
une médaille analogue à celles plus haut mentionnées, montre aussi
que l'orgue était répandu dans tout le territoire ainsi initié aux arts
romains. Au iV= siècle, à Bordeaux, le poète Ausone ; au vS dans la
même région, Prosper d'Aquitaine, parlent des orgues d'une manière •
qui atteste leur usage. Et lorsque, après les grandes invasions des bar-
bares, l'évêque de Clermont, Sidoine Apollinaire, mentionne les
ruines accumulées, il ne manque pas de souligner la destruction des
orgues hydrauliques dont ne résonnent plus les riches villas sacca-
gées ^.
1 s Auguslin, De miisica, l, iv, 5-6 ; vi ; Boèce, IX, i, v, vi.
2 Augustin, 171 vs. i3o, no 7... sed ut diversitate concordissima consonent, sicut
ordinatur in orsano. Habebunt enim etiam tune sancti Dei difftrentias suas conso-
nantes sicut fit suavissimus concentus ex diversis quidcm, sed non inter se adversis
sortis. Cf. Prudence, dans son Apotheosis, V. : Organa dispanbus calamis quod
consona miscent.
veni. »
3 Clément d'Alexandrie, 5/rowa/ej, VI, X.
4. Martianus Capella, De nuptiis Philologiœ : « Hydraulos... per totum orbem in-
T Deux sarcophages d'Arles offrent la figure d'un orgue : l'un qui peut dater du
„,e ou iv.^ siècle, est assez abîmé ei fruste ; mais un autre, du n« siècle, est «" Par-
fait état; c'était le sarcophage d'une musicienne arlésienne, du nom de Jului
dont l'eptaphe fait le plus grand éloge. L'orgue hydraule y est fort b.en reprodui,
ainsi que d'autres instruments, dont une « pandoura « qui offr.deya uv^e parUe
des caractères du luth. Malheureusement ces détails, que j ai relevés sur 1 original,
ne sont pas apparents dans les reproductions qui en ont ete publiées, même chez
Degering.
6. Ep. l\, ad Agricum
— 24 —
On a fait état d'une poésie de Fortunat de Poitiers pour prétendre
que la cathédrale de Paris avait, au vr siècle, un orgue : la méprise est
par trop grosse. Le correspondant de l'évêque saint Germain loue en
efifet l'organisation du chant dans cette église, en donnant une description
imagée des voix, qu'il assimile aux instruments les plus variés :
« La foule... tisse une lyrique modulation sur les cordes du psaltérion
(le psautier), en conduisant avec amour le chant divisé en versets. Ici
l'enfant fait résonner les tuyaux des plusaigusdes or^wes ; là, le vieillard
fait sortir de sa bouche comme le son d'une large trompette ; les voix se
mêlent comme les cymbales et les pipeaux aigus, et la flûte résonne
doucement dans des modes divers. Les rauques ^;^wjt7anow5 des vieillards
se mêlent à la tibia enfantine, et le chant des paroles forme comme une
Ifi'e humaine ^ »
De là, à prétendre que l'église de Paris entretenaitalors unorchestre,
il y a loin ! Mais c'est, en tout cas, le dernier texte où, dans les Gaules,
figure la mention de l'orgue, et encore ! dans une fantaisie de littéra-
teur.
Cependant, dans son récit d'un voyage sur la Moselle, le même
auteurdit : Vocihus excussis pulsaba7it organa montes, mais le texte am-
phibologique ne permet pas de se rendre compte si l'auteur parle d'or-
gues ou bien d'instruments en général, car il cite les chalumeaux et
des cordes.
Et, dans tout l'Occident même, si Cassiodore * et saint Grégoire le
Grand ^ parlent de l'orgue, à eau ou à soufflets, en gens qui le con-
naissent, Isidore de Séville, vers 63o, semble ne plus le mentionner que
par ouï-dire *. Seules, Constantinople et les villes de l'empire byzantin
allaient conserver, pendant quelques siècles, le secret delà facture et
de la conservation des orgues.
1. Voir mon Histoire du chant liturgique dans l'église de Paris, I, p. 5 à H ; Paris,
Poussielgue, 1904.
2. Loc. cit.
3. Moralia, 1. XXXII.
4. Etymologiae, 1. III, c. vu
<::§=. «=§c <^
— 20 —
Appendice sur l'Orgue gréco-romain
Le poème « en forme d'orgue », de Porphyre Optatien
Cette curiosité littéraire, composée en l'honneur des victoires de
Constantin, qui avait exilé Fauteur en l'an 824, est un fort curieux
témoin de l'histoire de l'orgue. Au milieu, une dédicace, formée d'un
vers hexamètre, tient lieu de la décoration du sommier ; au bas, vingt-
six vers trochaïques développent le sujet de la pièce, et peuvent repré-
senter les touches ; en haut, en vingt-six autres vers représentant les
tuyaux, l'auteur explique son dessein et décrit le maniement de l'hy-
draule :
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■2au-WPUr«IUU.U<4Q<>>2iS'y3>H>«l5
I. Dans les PoeLv latini minores, publiés par Wetsdorf, t. îl, p. 40*
Ces vers sont écrits de façon à être de plus en plus longs d'une
lettre chacun, le dernier étant le double du premier, pour exprimer ainsi
la longueur croissante des tuyaux; la description du jeu de l'instru-
ment commence au quatorzième vers, Hœc erit : je donne un essai
de traduction, aussi serrée que possible, pour rendre la physionomie
originale de cette curieuse et poétique description.
{( Elle pa muse Clio] sera très apte aux espèces variées du chant, et,
par ses modes, elle surgira, féconde, en pas sonores, d'un airain creux
et alhongé, s'augmentant de chalumeaux croissants. Bien placés en
ordre au-dessous de ceux-ci, sont des plectres quadrangulaires ; par
eux, la main de l'artiste ouvre et ferme avec régularité les courants du
vent, produisant en bonne consonance d'agréables rythmes. Au-dessous
encore est une onde cachée, poussée par les vents empressés dont, par
de fortes alternances, le travail des jeunes gens, jamais différent de soi-
même, agite le souffle de droite et de gauche, et l'augmentant, le rend
apte aux rythmes, et l'apprête à être propre aux vers. Et, du m.oindre
mouvement, il s'efforce ou de suivre les plectres rapidement agités
qui ouvrent le chemin, ou de bien clore de calmes mélodies, atteignant
par son mètre et ses rythmes ce qui de partout l'entoure. »
II
L'ORGUE EN FRANCE
AU MOYEN AGE
UOrgue en France au moyen âge
I
La cinquième année du règne de Pépin le Bref, en ySy, après plus d'un
siècle d'oubli, « l'Orgue arriva en France, pejiit oj^gamnn in Francia » ;
ainsi s'expriment, en apparence naïvement, les auteurs des diverses
annales ^ de l'empire carolingien, mentionnant le fait comme d'impor-
tance. C'est qu'aussi bien, c'en était un ; l'Orgue — le seul que con-
nussent ces annalistes — comptait au nombre des présents de valeur
envoyés à Pépin par l'empereur byzantin, Constantin Copronyme.
On commençait, en effet, dans la France d'alors, à parler de ce genre
d'instrument, et des merveilles qu'on racontait sur lui en Orient, où la
tradition s'en était conservée, où d'ingénieux chercheurs imaginaient
de nouvelles machines sonores, comme ce Maurostos, dont on a récem.-
ment découvert les descriptions, et qui, sur l'ordre de l'empereur, tra-
vailla précisément pour le roi des Francs (voir plus loin).
D'autre part, les maîtres venus de la Schola cantorum de Rome, à
l'exemple du « secondicier » Siméon, à partir de l'an 734, avaient fait
connaître à nos chantres l'art d'exécuter diverses mélodies grégoriennes
à deux voix 2, ce qu'on appelait aussi, à l'imitation de ce qui se prati-
quait sur l'instrument de musique : organum '^. On ne sait pas à quelle
époque remontait cet usage, qui était appliqué surtout aux antiennes et
à certains versets ; était-ce un héritage de l'antiquité ? Était-ce une
innovation? Un vieil auteur \ souvent fantaisiste, égaré par un texte
mal compris, a imaginé que le pape Vitalien (635-672) aurait introduit
Tusage de Vorganum ^ dans l'église : la chose est peut-être vraie, bien
que le texte original n'en dise rien ^\ et ce genre d'exécution aurait été le
propre de certains chanteurs romains nommés intaliani. Cela, en tout
1. Ces annales sont publiées dans le tome V du Recueil des Historiens delà France
et dans les tomes I et II des Monumenta Germaniœ historica ; Scriptores.
2. Annales d'Angoulême, dans Rec. Hist. France, cité.
3. J. Gotton. {Patr. Lat., cxli.)
4. Ekkehard, dans les Casus S, Galli.
5. De Vorganum vocal, et non pas de l'orgue.
6. C'est, en effet, par une mauvaise acception du terme susceptum modulationis
organum de Jean Diacre, qu'Ekkehard a tiré cette fausse conclusion.
— 3o —
cas, chanter à deux voix ou faire entendre deux voix sur un instrument,
semblait chose merveilleuse aux musiciens français du temps, et devait
également intriguer la curiosité de personnages tels que le roi Pépin,
qui s'ouvrait volontiers aux choses de l'esprit.
De plus, le fait que personne, dans tout l'Occident, ne savait, depuis
longtempè, ce qu'était au juste un Orgue, rendait encore plus mysté-
rieux ce que Ton connaissait de son usage dans les contrées soumises
aux empereurs d'Orient. Ainsi, à Constantinople, des orgues aux
tU3'aux d'or et d'argent (ou peut-être seulement dorés et argentés)
étaient placés au cirque, à la Magnaure, au Ghrysotriklinon, partout
où le « basileus » devait paraître, et sonnaient, à l'entrée et à la sortie
des cortèges ou pendant les festins d'apparat, des pièces de bel effet K
Quelques années plus tard, l'un des orgues construits pour l'empereur
Théophile affectait la forme d'un arbre ! Le tronc renfermait les porte-
vents, les tuyaux parlants se trouvant soit dans les branches, soit dans
les corps de petits oiseaux qui y étaient perchés et semblaient ainsi
gazouiller -. On parlait de l'orgue-signal de Jérusalem 3, pour lequel deux
peaux de grands éléphants avaient à peine suffi à monter les douze ou
quinze soufflets, semblables à des soufflets de forgeron : mais l'instru-
ment n'avait que douze énormes flûtes de métal, cicutas œreas, réson-
nant avec un bruit de tonnerre, et dont le son portait facilement à
plus de mille pas. Cet instrument, peu artistique, devait donc remplir
le même rôle que les « carillons » plus modernes, ou nos jeux de
cloches. Du même genre était l'espèce de sirène, également bapti-
sée : orgue, construite par le médecin grec Maurostos, marchant moitié
par l'eau, moitié par l'air, servant pour les signaux militaires, et dont le
mugissement à son de trompette pouvait se faire entendre, assurent
les vieux manuscrits arabes, à une distance de soixante milles ! (Où je
soupçonne que le texte doit être fautif.) Or, ce qui est intéressant,
c'est que l'auteur indique qu'il construisit un instrument du même mo-
dèle, que son maître destinait au « roi des Francs ». C'était donc là l'un
des nombreux présents que Constantin Copronyme projetait d'offrir à
Pépin le Bref. Il y avait encore cet autre instrument de musique, ou
organon aussi, mais de genre indéterminé, inventé par le même cons-
tructeur, sorte de gigantesque cornemuse à tuyaux de flûte, alimentée
par plusieurs soufflets ingénieusement disposés pour comprimer l'air, et
où plusieurs instrumentistes à la fois pouvaient jouer la même mélodie.
Le texte en fait les plus grands éloges, et c'est une page curieuse de
l'esthétique gréco-orientale du viii* siècle que la description des impres-
sions produites par cet « organon à embouchure de flûte » : « C'est une
I. I-e « Livre des Cérémonies» du palais impérial de Byzance contient de nom-
breux détails à ce sujet. {Patr. Gr., cxri, col. 78 et s.)
■2. Voir l'étude de Barbier de Montault, dans le t. XVIII des Annales archéolo-
giques de Didron.
3. Dans une lettre faussement attribuée d saint Jérôme [Pair. Lat. xxx, Ep. ad
Dardanum), mais qui date au plus tôt de la fin du viiie siècle, et dans le de
Universo de Raban Maur, lib. XVIII, c. iy.{Patr. Lat., cxi, col. 495.)
— 3i —
voix triste qui vous fait répandre des larmes, ou, berceuse, qui vous verse
le sommeil ; ou gaie, qui donne la joie au cœur ; cadencée, qui vous fait
marquer les rythmes ; mélodieuse, qui vous emporte et vous enivre.
C'est l'instrument qui répond le mieux à l'organe de la voix, qui l'har-
monise, qui l'intensifie, en multiplie l'émission et les intonations: tout
s'y traduit, depuis un murmure jusqu'au mystérieux langage des bêtes
et des oiseaux^ »
C'est donc précédé de toutes sortes de récits, vrais ou amplifiés, se
rapportant au même genre d'instrument, ou à d'autres confondus avec
lui, que, attendu avec curiosité, « l'Orgue arriva en France ». Reçu,
avec les autres présents de l'empereur byzantin, en grande solennité,
il fut déposé dans la villa royale de Compiègne, où Pépin tenait alors
une assemblée générale de ses leudes-. Mais si quelqu'un des musiciens
du roi de France fut, par la suite, appelé à toucher cet orgue, l'instru-
ment resta longtemps seul de son espèce, et une pure curiosité.
L'auteur des Gesta Karoli, le « moine de Saint-Gall » qui est proba-
blement Notker le Bègue lui-même, rapporte ^ à une autre ambassade
byzantine, celle de Constantin Curopalate, en 812, la description d'un
orgue : je crois que c'est par confusion avec le précédent, aucun autre
document ne parlant d'orgue à cette occasion. Néanmoins, le passage
est intéressant, les renseignements précis, et de nature à donner une
idée suffisante de l'instrument décrit par l'auteur. Voici ce passage* (qui
suit un curieux récit montrant comment les chantres de la chapelle de
Charlemagne imitèrent, en latin, quelques-uns des chants liturgiques
grecs de la chapelle de l'ambassade) :
« Les ambassadeurs apportèrent aussi avec eux toute espèce d'ins-
truments et de choses diverses. Tout cela, examiné comme à la dérobée
par les ouvriers du très prudent Charles, fut avec très grand soin remis
1. Ce traité curieux, signalé par les anciens encyclopédistes syriens et arabes, a été
découvert dans un monastère du Liban, et publié par le P. Cheïkho dans la revue de
l'Université de Beyrouth Al-Machriq, n» i (igoô). Ce n'est donc pas un traité de
« facture d'orgues », comme l'ont cru divers orientalistes non versés dans la matière,
mais de « fabrication d'instruments» divers ; le dernier qui y est décrit est le disque
orné de clochettes, d'usage traditio.inel dans les églises d'Orient. Je dois à un
érudit syrien, M, Habib Gouria, la traduction de ces passages.
2. Voir Annales citées, ou Pair. Lat. <
3. Lib. 11, c. vil, dans les mêmes collections.
4. Adduxerunt etiam idem missi omne genus organormn, sed et vciriarum rerum
secum, quae cuncta ab opificibus sagacissimi Karoli quasi dissimuîanter aspecta^
accurratissime sunt in opus conversa. Et praecipue illiid musicorum organum prae-
stantissimum, quod, doliis ex aère conJJalis foUibusque taurinis, per fistulas aereas
mire per/lantibus, ritgitum quidem tonitrui boatu, garrulitatem vero Ij'rae, vel cym'
bali dulcedinem coequabat. Quod ubi positum /tient, quamdiii duraverit, et quomodo
inter alia rei publicac dampna perierit, non est hujus loci vel temporis cnarrare.
C'est cependant ce texte où l'on a vu que les ouvriers de Charlemagne avaient
construit un orgue à l'imitation de celui-là, qu'il avait des tuyaux de plomb et de
cuivre, etc. !
en œuvre [c'est-à-dire «c remonté »], et particulièrement ce très remar-
quable orgue musical qui, sur des coffres arrondis que des soufflets
de peau de taureau remplissaient d'air, égalait, par des tuyaux d'airain
sonnant d'admirable manière, le grondement du tonnerre, la ténuité
de la lyre, ou la douceur du cymbalum. Quant à ce qui concerne l'en-
droit oii il fut placé, combien de temps il dura, et comment il périt entre
autres choses appartenant à l'État, ce n'est pas le lieu ni le temps de le
raconter. »
Que cet orgue ait été celui de Compiègne, ou un autre placé à Aix, il
n'en est pas moins vrai que ses timbres étaient variés. Il semble bien
que la distinction est assez nettement marquée par cette description
entre un jeu d'anches, un jeu de fonds sans doute de menue taille
comme nos gambes, et une « cymbale », dont nous allons plus loin
citer d'autres exemples, montrant l'emploi traditionnel des jeux de mu-
tation, déjà constatés dans l'orgue antique.
En dépit des affirmations de certains auteurs, les annales relatant
dans le détail ^ les règnes de Pépin et de Charlemagne ne citent
pas d'autre orgue ; celui-ci dut disparaître rapidement, dans des con-
ditions que le moine de Saint-Gall, lui, familier de Tempereur Charles
le Chauve, savait, mais sur lesquelles, on le voit, il n'a garde de
s'étendre. On ne parle d'aucun orgue préexistant lorsque, en 826, le
palais - d'Aix-la-Chapelle s'enrichit d'un nouvel instrument, une
hydraule cette fois, dont la construction est due à un certain prêtre
vénitien, du nom de Georges, « homme de bonne vie, qui avait promis
de construire un orgue à la manière des Grecs ». Ce facteur avait été
présenté à Louis le Débonnaire, par Baudry, comte du Frioul ; l'empe-
reur le reçut avec bienveillance, et donna les ordres nécessaires pour
que choses et gens fussent mis à sa complète disposition ^. Georges
réussit dans son entreprise, et c'est à son œuvre que s'appliquent les
curieuses apostrophes d'Ernold Nigellus et de Walafrid Strabon*. Ces
1. Ainsi, dans les très curieux passages qui regardent les échanges d'ambassades
et de présents entre Charlemagne et Haroun-al-Raschid (que nos chroniques
nomment Aaron-Amir el Moumim). On y voit, entre autres choses, que le roi des
Francs avait le plus vif désir de posséder un éléphant, dont la demande, l'expédition,
l'arrivée et plus tard la mort sont soigneusement notées, entre deux traités de paix
ou d'autres importantes affaires (l'éléphant — le seul, comme l'orgue — mourut en
810). Les présents de Haroun comportaient des objets divers, produits de l'industrie
orientale, les clefs de la basilique du Saint-Sépulcre, une horloge sonnant, ce qui
ne s'était jamais vu, etc. ; il n'y est nulle part question d'orgue ou d'autre instrument
de musique.
2. Et non pas l'église, comme cela a été fautivement écrit.
3. Annales d'Eginhard, dans Monum. Germ. hist. SS., I. SSg ; Vita Hludovici
imperatoris, n''40, II, 629. On construisait encore des hydraules à Byzance ; cf. Léo
Magister.
4. Ernoldus Nigellus, In Honofem Hludovici, lib. IV, 639 [Id., Il, 5i3) :
Organa quiti etiam, quce numquam Francia crevit,
Unde Pelasga tument régna super ba nimis,
Ei quis te solis, Caesar, superasse putabat
Constanti, nobilis nunc Aquis aula tenet.
Walafrid Strabon dit à peu près les mêmes choses, mais d'une manière très am-
— ?3 —
deux poètes surenchérissent d'épithètes louangeuses sur cet instru-
ment, gloire du palais impérial, par lequel Louis n'a plus rien à envier
désormais à la gloire des Grecs et des Romains. Rien, malheureuse-
ment, n'est à tirer du détail de ces pièces emphatiques, hormis celui-ci :
un de ses jeux avait une telle douceur, qu'une femme, pâmée, en per-
dit la vie :
Tintinnum quidam, quidam organa puisant
Dulce melos tantum vanas deludere mentes
Coepit, ut una suis decedens sensibus ipsam
Femina perdiderit vocis dulcedine vitam ^
Le prêtre Georges, qui avait réussi ce bel instrument, est bientôt
récompensé par sa nomination à l'abbaye de Saint-Savin, en Poitou ; et,
en 827, ayant terminé la décoration de cet important monastère, et
obtenu des reliques insignes des saints martyrs xMarcellin et Pierre, il
voulut qu^ la translation de leurs ossements dans son église fût entourée
de la plus haute solennité. L'abbé construisit à cette occasion un
orgue - ; ce fut là le ptx'mier orgue d'église. Etait-ce une hydraule,
comme l'orgue qu'il avait construit au palais d'AixPou fut-ce un instru-
ment à soufflets ?
Dès ce moment, les mentions de Torgue, dans les traités de musique,
dans certaines pièces chantées que je citerai plus loin, vont augmenter
de fréquence.
Pendant longtemps, toutefois, un orgue est encore une rareté, que
quelques maîtres tiennent à construire eux-mêmes : Gerbert, par
exemple, dont je parle ci-après ; son contemporain anglais saint
Dunstan, évêque d'York, etc. ; c'est seulement peu à peu, au cours des
X' et XI* siècles, que l'usage s'en répand, surtout dans les centres intellec-
tuels, tels que les grandes abbayes comme Cluny ou Limoges, ou les
plus importantes scholae, comme à Chartres ou à Reims. A propos de
cette dernière, des historiens, égarés par une amphibologie, ont cru
que Gerbert d'Aurillac (le futur pape Sylvestre II), qui dirigea cette
école célèbre vers 980, y aurait construit un orgue hydraulique mû par
la vapeur. C'est une erreur : Guillaume de Malmesbury, qui dans sa
chronique intéressante parle des inventions et réalisations de Gerbert,
décrit très clairement, sous le vocable organa hydraulica qui a trompé
plifiée, dans ses Versus in Aquisgrani palatio editi, I, De imagine Tetrici [id., ou
Pair. Lat., cxiv, 1092 B.).
(Le titre donné par certaines éditions : Deapparatu templi Aquisgranensis, est un
titre faux.)
Cédant magna eut superest figmenta colossi.
Roma velit Caesar magnus migrabit ad arces,
Francorum quodcumque miser conflaverit orbis.
En quels praecipue jactabat Graecia sese,
Organa Rex magnus non inter minima ponit.
Quae tamen inceptos servent si intacta canores.
Etc.. etc.
1. Walafrid, id.
2. Annales et Vita s. cit. — Eginard, Translatio SS. Marcellini et Pétri. {Mon,
Germ. Ilist. SS., xv, i, 260.)
3
- 34 -
une lecture superficielle, des « éolipyles » qui en sont très différents *.
Néanmoins Gerbert s'occupa aussi d'orgues ; plus tard, devenu abbé
de Bobbio, il en construisit pour expédier en Auvergne, à la demande
de l'abbé Géraud d'Aurillac^.
Quelle était la disposition de l'orgue en ces temps reculés? On a vu
par le texte du moine de Saint-Gall que, dès le ix^ siècle, ces instruments
étaient suffisamment maniables, et offraient des ressources diverses,
conservées de l'orgue gréco-romain : anches, fonds, mutations. Le cla-
vier comprenait deux octaves, depuis Vut grave de la voix d'homme,
et comportait au moins, comme degré mobil*, les si bémols 3. Quant à
l'importance de ces instruments, bien que je ne consacre pas mon tra-
vail aux orgues construites en dehors de notre territoire, il convient
néanmoins de citer celui de la cathédrale de Winchester, en Angleterre,
pour montrer jusqu'où la facture savait déjà atteindre, au milieu du
X® siècle, et parce que cet instrument est d'un type dont on rencontre
d'autres exemples au cours du moyen âge. Il était, en réalité, une
juxtaposition de deux orgues*, chacun avec son clavier de vingt touches,
et dont l'ensemble comportait quatre cents tuyaux, donc dix rangs de
tuyaux par touche en moyenne : je dis en moyenne, car les orgues du
moyen âge qui nous sont connues avaient un plus grand nombre de
rangs pour les notes aiguës des fournitures et des cymbales que pour
les moyennes ou les graves.
Chacun des claviers, tout comme dans nos orgues modernes, devait
commander des jeux différents, mais la disposition des claviers obli-
geait alors d'avoir deux organistes, chacun jouant sa partie sur le cla-
vier qui lui était confié. L'air était fourni par deux séries de soufflets,
l'une de douze soufflets, placés à une certaine hauteur, l'autre de
quatorze, placés au-dessous des premiers, et qui fonctionnaient tour
à tour^.
1. Voici d'ailleurs la description, fort claire, et qui est à rapprocher de celle de
Vitruve : Extant apud illam ecclesiam {Reinensem] doctrinae ipsius documenta :
horologium arte mechanica conipositum, organa hydraulica, ubi viiriim in modum,
per aquae calefactae violentiam, ventus emergens implet concavitatem barbiti, et per
77tultiforatiles tractus aereae ftstulae modulatos clamores emittunt. On voit qu'il ne
s'agit aucunement de l'instrument de musique, et encore moins d' « hydrauies à va-
peur » (!) dans les églises d'Angleterre, parce que l'auteur de cette chronique est un
Anglais ! (Patr. Lat., cxxxix, col. 1 140).
2. Cf. Patr. Lat., cxxxix, col. 220.
3. Hucbald (entre 840-930) dans Gerbert, Scriptores, i, 1 10 (ou Patr. Lat., cxxii,
<jo5); son texte est le dernier à mentionner les hydraules.
4. On se rappelle que le grand psautier de Reims représente, vers 820-840, deux
hydraules ainsi accouplées, dans l'illustration du psaume cl.
5. Cette description, très détaillée, donnée dans un poème de Wolstan, est repro-
duite par Mabillon dans les Acta sanctorum ord. S. Benedicti, v. Ce même texte
parle de soixante-dix souffleurs I Malgré l'imperfection que devait être celle de la
soufflerie de pareils pleins-jeux, le chiffre me semble une erreur de copiste, qui a lu
un chiffre ou une abréviation de travers.
Planche IV. — SCHKMA Dl N iEl' DANCHKS Al \ Xl-^-XlIc SIKCLES
— 35 —
Or, en dehors des orgues décrites ci-dessus, le moyen âge a connu
aussi de petits instruments portatifs de diverses tailles, dont nombre
de miniatures ou de sculptures offrent les reproductions. Ce petit orgue
« à bras » était semblable à celui dont j'ai parlé à propos des hydraules
antiques, que mentionne Y Onomasticon de Pollux, et qu'on voit sur un
antique contoruiate : orgue minuscule que l'instrumentiste portait
retenu par une bandoulière, et dont il pressait le soufflet de la main
gauche, la main droite jouant le clavier. Ce dernier ne possédait que
peu dénotes, de sept à douze, et mettait en action un petit jeu d'anches
(que l'on appela plus tard rigabellum ou régalé).
On ne peut malheureusement pas suivre la trace de ces orgues au
cours des âges. Depuis le v^ siècle, rien ne nous renseigne sur eux,
jusqu'au moment où, vers le xi^ siècle, on les voit reparaître; ont-ils
subsisté pendant ce laps de temps ? Ou les a-t-on « réinventés» alors ?
Quoi qu'il en soit, les m.onuments figurés représentent fréquemment,
depuis cette époque, un tel instrument; ils le donnent habituellement
avec deux rangs de tuyaux, dont l'un paraît être un jeu bouché,
donc un jeu d'anches doux soutenu d'un « bourdon de i6 ». Quelque-
fois, est-ce une erreur du décorateur * ? on aperçoit à l'une des
extrémités un ou deux tuyaux beaucoup plus grands que les autres. On
a conjecturé que c'étaient des tuyaux parlant directement sur l'arrivée
de l'air, et remplissant l'office d'une pédale continue, comme les « bour-
dons » des cornemuses et des vielles : cette hypothèse me paraît d'au-
tant plus absurde que, lorsque le « motet » commença à entrer dans
l'usage, on sut parfaitement chanter une pièce à voix seule, en s'accom-
pagnant soi-même, la teneure et même un « triple » étant exécutés sur
le minuscule clavier-. Il me paraît infiniment plus probable que ces
tuyaux hors de proportion donnaient une résonance grave du dernier
son, tels que l'octave grave et sa quinte, disposition que l'on retrouve
encore dans de grandes orgues du xvi'' siècle.
Il ne semble pas que jusqu'ici les historiens de la musique aient tenu
assez compte de l'usage de ces orgues à bras. Cet usage, en effet, explique
seul que les chanteurs ci or ganiim aient pu, dès le xi^ siècle au moins,
être appelés « organistes »>, terme qui exprime l'action de « jouer de
l'orgue » ; or, quand nous voyons, dans tel ou tel récit de ce temps,
trois ou quatre « clercs organistes » venir se placer devant l'autel pour
chanter '■^^ il paraît assez évident qu'ils chantaient ainsi en jouant, s'ac-
compagnant sur l'orgue à bras, comme ces saints et ces anges que nous
voyons si fréquemment figurer dans des scènes analogues, sur les
vitraux et aux portails de nos vieilles cathédrales.
1 . Ils en ont d'ailleurs commis beaucoup d'autres ! Que ce soit un obscur miniatu-
riste, ou, a l'aurore de la Renaissance, un Raphaël, dans sa fameuse Sainte Cécile
ils représentent quelquefois ces petits «portatifs » avec les tuyaux les plus longs à
l'aigu, et les plus courts au grave
2. Nous en reparlerons plus loin.
3. Voyez entre autres mon ouvrage sur La Musique d'église, p. 62.
— 36 —
Ainsi pouvait-on, à défaut d'instrument fixe, exécuter sans difficulté
grande Yorganum accompagné, et même fubilare in organis, c'est-à-
dire exécuter sur l'orgue, sans les chanter, certains versets plus recher-
chés, tels que ceux des séquences.
Mentionnons ici qu'apparaissent, au xi*" siècle et au xn', en rempla-
cement des tuyaux de bronze hérités de l'antique, des tuyaux de cuivre
non pas fondus, mais formés d'une mince feuille de cuivre battu au
marteau, convenablement découpée suivant les diapasons donnés par
les traités % remontée et soudée pour obtenir le tuyau et son pied ;
nous ignorons toutefois si cet usage fut très répandu, ni combien de
temps il subsista, le plomb restant le métal principalement employé,
et, un peu plus tard, l'étain plus ou moins « étoffé » pour certains
jeux. (Je donnerai plus loin une curieuse formule d'étoffe.)
Quel était le diapason réel de ces instruments ? Il ne devait pas être
très différent du nôtre. En effet, Aurélien de Réomé, dans son précieux
traité écrit vers 840, situe la transposition pratique des modes au-
thentes dans la quinte correspondant à 7'é-la de notre notation, ce qui
revient à prendre le la comme dominante de transposition moyenne,
ce que nous faisons toujours. Un peu plus tard, des exemples d'orga-
num « pur » (voir § III) sont, lorsqu'ils sont chantés, signalés comme
dépassant à l'aigu la limite ordinaire des voix d'homme, et ne pouvaient
être exécutés qu'en « fausset », in falso, in falseto, ce qui donnait aux
notes supérieures le timbre d'une voix « de vieille femme, ou d'eu-
nuque », de sopraniste. De tels exemples ne montent d'ailleurs qu'au
w/ supérieur, ce qui, encore de nos jours, est la limite habituelle de
ces voix. Or, comme ces pièces étaient accompagnées ou même seule-
ment exécutées par Torgue, il faut en conclure que le diapason instru-
mental était aux ix^-x^-xi^ siècles sensiblement le même que le nôtre.
On sait que les plus vieux jeux d'orgue qui sont conservés, et qui
datent du xv^ siècle ou du xvi^, sont néanmoins accordés à peu près un
ton au-dessous du ton moderne, ce qui n'exclut rien des conclusions
précédentes : le diapason a pu, en effet, suivre au moyen âge la marche
inverse des cent cinquante dernières années et s'abaisser peu à peu. Les
descendants des Byzantins et des autres Orientaux, au xvu^ siècle
et au xvni*, chantaient ou exécutaient dans un diapason plus élevé que
celui d'Occident, de sorte que nos musicologues écrivaient alors les
airs orientaux un ton plus haut, pour l'œil, que le mode réel- : la suré-
lévation du diapason occidental, au xix« siècle, l'a mis d'accord avec le
diapason oriental. On pourrait ainsi penser que les musiciens d'Orient
1. Traité anonyme d'un mss. de Berne ; chapitres sur l'orgue dans la Schedula du
moine Théophile, etc.
2. Voir entre autres les transcriptions de Villoteau sur l'Etat de la musique en
Egypte, dd.r\s\ts Mémoires de l'expédition d'Egypte (1799).
- 37 -
avaient conservé le ton usité dans notre haut moyen âge, et repris de
notre temps.
C'est seulement avec les motets du cours du xiii" siècle et du com-
mencement du xiv^ que l'on peut constater à l'examen de la tessiture
des voix, qu'elles sont notées environ un ton trop haut par rapport au
ton précédemment usité ou repris de nos jours. On peut donc raison-
nablement penser qu'à ce moment fut fixé le diapason encore en usage
dans lexix" siècle et d'après lequel sont accordés les anciens instru-
ments, et écrites les compositions musicales.
Mais il y a tout de même de curieuses constatations à faire au moyen
âge, et qui tendraient à suggérer que, déjà, on distinguait entre le
« ton de chapelle » et l'autre ton, comme on le faisait aux xvn*" et
xvm* siècles. Ainsi, un motet, célèbre au xiv* siècle, est écrit en fa ; la
transcription pour orgue donnée par un manuscrit du même temps est
en sol, avec les dièses nécessaires pour cette transposition. Cette trans-
cription semblerait indiquer que l'instrument était accordé un ton au-
dessous du ton du chœur (je donnerai plus loin, au paragraphe III, le
début de cette pièce). A ce moment, ces transpositions étaient sans dif-
ficulté, le clavier des orgues étant devenu chromatique, mais, aux
époques antérieures, les claviers, diatoniques, ou ne contenant guère
que le si bémol, ne permettaient pas, pour les pièces accompagnées, la
transposition aux diverses régions de la voix. Alors que l'exécution
purement vocale des mélodies grégoriennes, lors même qu'on les chan-
tait en organum, se faisait d'après l'élévation ou l'abaissement de la
« teneur » ou « mèse », un motif joué sur l'orgue, un verset intercalé
dans le chant, une harmonisation soutenue obligeaient d'exécuter tou-
jours chaque mode dans le même diapason, à la première époque de cet
emploi de l'orgue dans le culte.
Rien ne saurait nous renseigner sur les boiseriesqui servaient de sou-
tien ou d'ornement aux orgues de l'époque carolingienne. Aux temps
gréco-romains, les tuyaux restaient apparents, non recouverts, et seule-
ment maintenus par deux pilastres de bois et des barres transversales ;
plus tard, Cassiodore décrit l'orgue comme une sorte de « tour » :
cela vise-t-il simplement la masse des tuyaux ou du mécanisme? ou
doit-on comprendre qu'on ait pu déjà les enfermer ou les contenir dans
un bâti surmonté d'une corniche, et rappelant ainsi la forme d'une
tour ? c'est possible. Des époques ultérieures, il ne subsiste d'autre
représentation que celle de l'hydraule double du psautier de Reims, au
IX* siècle, déjà citée, entièrement conforme à la tradition antique, et où
rien n'apparaît encore qui rappelle une « tour » ou un « butfet » dont
nous n'avons de témoins certains qu'au xiv" siècle.
Les touches du clavier des instruments de ce premier âge durent être
établies longtemps encore suivant le système antique, c'est-à-dire dans
l'axe même des principaux tuyaux. Dans un très vieil orgue d'une
— 38 —
église d'Allemagne, que Pretorius a pu voir encore, et décrire dans un
passage bien connu de son Syntagma uiusices, les touches étaient
courtes et larges, séparées les unes des autres, et disposées suivant le
type même des antiques hydraules.
II
Au xn^ siècle et au xiii^, l'orgue est définitivement implanté, et il est
des critiques qui se plaignent de la trop grande importance qu'on lui
donne dans le service religieux. Le cistercien Aelred de Rievault, et cent
ans après le franciscain Guibert de Tournai, régent à l'Université de
Paris, se font, presque dans les mêmestermes,les échos de ces plaintes,
où ils citent nommément divers jeux ou effets de l'instrument :
« D'où vient, je le demande, tant d'or^z/ps, tant de monti^es, tant de
cymbales dans les églises? Pourquoi, je vous prie, ce souffle terrible qui
exprime plutôt le fracas du tonneri-e que la douceur de la voix ?... Et,
pendant ce temps-là [pendant l'exécution des motets], le vulgaire
étonné et tremblant ad'mire le ronflementdes soufflets, le bruit strident
des cymbales, l'harmonie des Jlûtes K w
Ces textes sont d'autant plus intéressants qu'ils font mention non pas
seulement du jeu de l'orgue, mais également de son rôle dans l'accom-
pagnement de la musique vocale à deux ou plusieurs voix, organums
vocalises, et motets qui commençaient alors à être en usage ; ils nous
apprennent en même temps que ces nouveautés musicales étaient spé-
cialement goûtées des « moines noirs », c'est-à-dire des Bénédictins, et
plus spécialement, ceux de l'importante congrégation clunisienne.
Des précisions données par les textes nous apprennent que les tenues
ou « teneures » du thème en valeurs lentes étaient exécutées avec des
jeux graves, sonnant même parfois l'octave au-dessous, tandis que la
partie organale l'était, au contraire, avec les sonorités aiguës des four-
nitures. Et ce détail donne l'explication du fait qui a semblé une énigme
difficile à résoudre, lorsque des théoriciens de l'organum, du ix' siècle
au xi% semblent écrire la voix organale dans le même diapason que le
sujet ou même au-dessous. En réalité, leur « tabulature » doit être
comprise comme devant être exécutée par un autre jeu, et sonnant,
pour cette partie, à l'octave supérieure.
La disposition des « triples » ou trios, institués par Pérotin, orga-
niste delà cathédrale de Paris entre 1180 et 1237, suppose l'emploi de
deux ou trois orgues à bras, ou bien d'un orgue fixe à deux, ou même
trois claviers : il n'y a pas là de quoi s'étonner, si l'on réfléchit que,
deux cents ans plus tôt, le grand orgue de Winchester offrait déjà cette
particularité, de claviers non pas cependant superposés comme on le
fait depuis la fin du xv*" siècle, mais juxtaposés, et touchés par des or-
ganistes différents.
I. Voir mon ouvrage sut La Musique d'église, p. 63 à 67, où ces textes sont don-
nés tout au long.
- 39-
D'ailleurs, avec le peu d'étendue dans la tessiture des compositions et
des claviers, le même effet était obtenu par des claviers à « jeux cou-
pés », commandant une certaine registration dans le dessus et une
autre dans le grave. Ceci n'est pas une hypothèse ingénieuse : les pré-
cieuses notes provenant de diverses sources, et amassées par cet orga-
niste ou organier de la cour de Bourgogne, de qui provient le très im-
portant manuscrit latin 7295 de la Bibliothèque Nationale *, donnent
des précisions fort nettes et importantes, non seulement sur la facture
des orgues de son temps, mais sur de vieux instruments que 1-on démo-
lissait alors pour les refaire. On y verra, en dehors de plusieurs disposi-
tifs ingénieux que l'on croit parfois une invention moderne, que ces
instruments comprenaient déjà au moins une octave de sei^e pieds ou
de tuyaux sonnant ainsi, pour assurer les basses. Cette description, en
même temps, met au point des détails sur lesquels l'âge précédent ne
nous a rien laissé de précis, mais qui appartiennent à la constitution
même de l'orgue, telle que la disposition des « pleins-jeux », « fourni-
tures » et « cymbales ».
Pour suppléer ingénieusement à la défectuosité de la pression du
vent, trop faible pour les tuyaux aigus, on augmentait le nombre de
tuyaux des fournitures, de même que dans les pianos modernes, on a
plus de cordes pour les notes du haut du clavier que pour les graves.
Mais, à partir du milieu du clavier, ces fournitures étaient toujours à
« reprise » d'octave : on ne pourrait songer à donner par exemple la
double octave aiguë du plus petit tuyau, et on le doublait, triplait,
etc.
Les premiers des instruments décrits dans les relevés cités ici, ap-
partenaient àla cathédrale de Nevers - :
«a II faut remarquer, — dit cette note — que Torgue de Saint-Cyr
possède, en plus des tuyaux habituels, douze flûtes de teneure, accordées
au ton des autres, mais ces flûtes sont plus grandes d'environ [terme
illisible] que les plus grosses du dessus... Les dix tuyaux les plus gros
n'ont aucune fourniture, mais les autres ont trois fournitures, en plus
des doubles principaux. Tout le reste a six \ou dix] fournitures. Et cet
orgue a trois soufllets, levés avec de grands bâtons. La plus grande
quantité des fournitures était d'une octave...
« b Le grand orgue du chœur (?) a, en plus des jeux simples, dix
grosses flûtes pour doubler au grave la teneure. En cela le premier
orgue peut sonner de trois façons : d'une manière simple ; d'une ma-
nière double, de telle façon que chaque touche s'augmente de son double
grave ; troisièmement, quand les dix gros tuyaux seuls servent pour la
teneure, et les orgues simples pour le déchant, et alors de la main gauche
1. Ce manuscrit a été utilisé sur l'indication de Bottée de Toulmon, par Hamel,
dans sa réédition de VArt du facteur d'orgues de Dom Bedos, mais avec d'évidentes
confusions et plusieurs erreurs.
2. Même ms., f" i3i bis recto. Je traduis le plus littéralement possible ce texte,
dont je donnerai l'original en appendice.
— 40 —
il faut toucher la teneure sur les dix touches les plus basses seulement.
On peut encore sonner autrement lesorgues, en touchant les dix touches
supérieures en dehors (?) avec les touches de teneure de l'orgue simple,
et ainsi tout l'ensemble sera doublé au-dessous. Les doubles principaux
ont trois fournitures pour la i""^ demi-octave, savoir la quinte, l'oc-
tave et l'octave de la quinte... La 2' demi-octave quatre fournitures, la
3' cinq fournitures ; tout le reste six fournitures. Il y a deux soufflets.
Le mouvement de l'abrégé est bien ingénieux, et peut se faire en deux
sens. Le premier se produit dans l'intérieur du corps de l'instrument
dételle façon que la dernière touche va atteindre la dernière flûte du
principal, mais si, avec cela, on cherche à la doubler en dessous, on
tire les chevilles qui sont annexées aux touches inférieures, de telle
façon qu'elles se rattachent par-dessous aux touches supérieures, et
alors, par l'abaissement des touches supérieures, on abaisse les touches
graves des principaux ; ces touches graves ont de plus un fil de fer qui
leur est joint, et qui, passant par les touches principales jusqu'au creux
de la caisse, trouve là un semblable abrégé ramenant jusqu'aux doubles
en dessous : cet abrégé est ici décrit en gros. Le plus grand tuyau a en
longueur, du bas en haut, six pieds quatre doigts. »
Le clavier de cet orgue commençait donc du fa de la clef de /a, qui
a effectivement cette longueur ; mais, ayant des a doubles-principaux »,
ceux-ci sonnaient ainsi à l'octave en dessous. Le système d'abrégé
semble à la fois être le premier essai d' « octaves graves » en même
temps que d'(( accouplement » des deux claviers.
« c. L'orgue qui sert à la messe de Monseigneur a deux simples
principaux, divisés en deux, et chaque principal a deux quintes et une
octave, et // a cinq registres, comme vous le savez. »
Ces descriptions sont hautement intéressantes, et constituent une
documentation remarquable. Jointes à ce que nous savons déjà, elles
fixent en effet, d'une façon suffisamment précise, que l'orgue de la belle
époque du moyen âge pouvait posséder, en jeux de fonds et mutations
simples, à tuyaux de flûte, par conséquent :
Un principal {montî^e) ou deux, sonnant la note écrite : c'était donc
la montre de huit pieds ;
Un double-principal^ limité aux dix ou douze tuyaux les plus graves,
pour soutenir les « teneures »; comme il n'était pas plus haut que le pré-
cédent, quoique « doublant au grave» les sons, c'étaitdonc un jeu bouché,
ou bout-don de 16. Au xiv" siècle, on le désigne d'ailleurs sous ce nom <.
Une quinte ou deux, remplacée par le « gros » nasard ;
Une octave : c'est la flû te de 4 ou le pt^estafit {qui porte encore le
même nom dans diverses factures étrangères) ;
Une octave de la quinte : c'est l'ancienne quinte-flûte, remplacée par
le nasard de 2 pieds 2/3.
i.A Rouen, en i38o: « les bourdons qui accompagnent les principaux ». Les
détails concernant les orgues delà cathédrale de Rouen, depuis le xiv siècle, sont
donnes tout au long dans le bel ouvrage de MM. les Abbés Collette et Bourdon,
Les Orgues elles Organistes de la cathédralede Rouen, Rouen, 1894.
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Planche V. — FIGURE SCHKMATIQUE
De l'ahrégé et de la disposition d'une montre (xive-xv<' siècles).
{Manuscrit latin 7 2q3 de la Bibliothèque Xationale.)
— 41 —
Les principaux sont accompagnés de /ournitures plus ou nnoins nom-
breuses, qui pouvaient aller jusqu'à plus de dix tuyaux par marche,
pour les notes les plus renforcées.
Tous ces jeux pouvaient parler ensemble : c'était le plem-jeu^ et il
paraît probable que, dans la plupart des orgues, on ne le faisait parler
qu'ainsi. Mais on les groupait aussi en cymbale {on mieux symbale, du
grec syn, ballo) donnant la note du son principal, sa quinte et son octave ;
ou encore, on savait faire parler les principaux seuls, et le plein-jeu à
part, ou le tout ensemble : nous l'apprenons par les réparations faites au
grand orgue de la cathédrale de Rouen en i38o ^.
Ce qui s'explique, puisque déjà le petit orgue décrit ci-dessus en troi-
sième lieu utilise cinq registres. On savait donc, commenous le faisons,
isoler ou grouper à volonté les jeux précédents : cet orgue, composé de
cinq jeux de tuyaux (deux 8 pieds, deux quintes, un 4 pieds), possédait
effectivement autant de registres -.
On divisait aussi en basse et dessus ces jeux et ces registres : le fait
est cité dans la description de ce troisième orgue ; il ressort aussi des
deux autres descriptions, puisque les touches graves et les touches
supérieures du clavier peuvent commander à des séries différentes de
tuyaux. Enfin, il pouvait y avoir de plus des mécanismes de combi-
naison pour accoupler une octave à l'autre, et obtenir ainsi des
« octaves graves » ou des « mains couplées », comme dans les plus
modernes instruments.
Mais, si le « grand orgue » — l'expression se trouve dans les docu-
ments ci-dessus, — pouvait utiliser tous ces dérivés de la fîstula gréco-
romaine, — combien développée ! — il avait aussi toujours conservé
l'antique jeu primitif de Vaulos des hydraules, devenu le chalumeau.
Un esprit curieux du xv* siècle avait ainsi mesuré et calibré les tuyaux
de plomb, et pesé les anches du jeu de chalumeau d'un <' antique »
orgue, celui de Notre-Dame de Dijon, qui pouvait dater du temps de la
construction de l'église, c'est-à-dire de la fin du xiii^ ; sa description
nous apprend que l'anche la plus grave, toute montée sans doute, pesait
une livre et quart. C'était le si (ou le si '^ ) du milieu du clavier ; il sonnait
comme un<( quatre pieds », et cet unique jeu d'anches très ancien était
entièrement diatonique. Au même orgue (dont le plein-jeu allait jusqu'à
pt?îgt-deux tuyaux par marche!) était adjoint un positif en un petit
buffet séparé, placé derrière l'organiste ; ses tuyaux, bien que souvent de
taille ou de perce irrégulière, étaient d'une sonorité exquise, à tel point
que « la commune assertion de tous les chanoines tient que pareille
douceur ne pourrait être rencontrée sous le soleil » *'. Ce positif se com-
1. Même ouvrage, p. 10.
2. On trouve un dispositif analogue dans les orgues italiennes, par exemple un
orgue construit au xv siècle pour une église de Lucques comptait pareillement
cinq « registres » : tenore (principal de 8 pieds), oltava, quintadecima, vigesima
seconda, Jlauti. (Voir ^erici, Storia délia Musica in Lucca, p. i3i-i32.)
3. Même ms., fo I23:« Huic tergali positivo communis omnium canonicorum
tçnçt 3'sertio simile dulçedine sub sole irreperabile d.
— 42 —
posait de deux petits principaux d'étain commençant au fa de la clef de
/h, renforcés de quelques fournitures. C'est la première fois où apparais-
sent les tuyaux détain dans la construction d'un orgue ; les fournitures
de ce même positif étaient de plomb. Une note additionnelle du même
manuscrit, écrite à dessein en cryptographie que j'ai pu déchiffrer,
conseille, pour obtenir de bons tuyaux, de mélanger à l'étain en fusion
une proportion de plomb d'un tiers, et trois onces (?) de mercure pour
deux livres d'étain en agitant le mélange avec un bâton ferré « pendant
le temps d'un Miserere ». On peut aussi ajouter une petite quantité
d'autres ingrédients que je n'ai pu identifier i, mais il faut « se garder
de la fumée du mercure, qui est vénéneuse ».
Toutefois, il n'est pas encore dit que l'on savait faire parler le positii
par un abrégé communiquant au grand orgue. Un organiste seul ne
pouvait donc que jouer l'un et l'autre alternativement, en se retournant
successivement, puisqu'il tournait le dos au positif.
Les claviers et les jeux s'enrichissaient peu à peu des degrés chroma-
tiques. Déjà, vers l'an 1200, Pérotin, à Notre-Dame de Paris, emploie
le si^, le do dièse et le fa dièse ; à la fin du xni^ siècle, les claviers pou-
vaient avoir au moins deux octaves complètement chromatiques, et
Philippe de Vitry les mentionne, comme tels, pour la première fois,
dans son remarquable traité de musique -. Leur étendue s'amplifiait
aussi. Tandis que les orgues du xii^ siècle n'avaient encore que les
vingt touches traditionnelles, de deux octaves semi-diatoniques, semi-
chromatiques, partant de Vut ^ , le jeu de chalumeau de Dijon possédait
trois octaves diatoniques, le positif trois octaves chromatiques, le grand
orgue quatre octaves chromatiques, moins un degré. D'autres calculs
pour la disposition des fournitures, qui datent du xiv^ siècle et du
début du xv^ tels que ceux faits par Salinis, compositeur de talent
(on trouve des compositions polyphoniques de Salinis, pour voix
et instruments, entre autres dans le fameux ms. de Chantilly), s'ap-
pliquent soit à des orgues comprenant environ trois octaves dont
au moins deux complètement chromatiques, avec, au grave et à l'aigu,
deux demi-octaves incomplètes, soit même à des instruments atteignant
déjà quatre octaves.
Les petits portatifs à bras continuaient d'être en grande faveur, mais
on construisait aussi, sous le même nom de portatives, des petites
orgues transportables, et que l'on pouvait placer sur une table, un sup-
port quelconque, ou qui elles-mêmes comprenaient tout un corps. Le
fait de les poser où on le désirait leur avait valu aussi le nom dQ positives,
passé rapidement, on l'a vu plus haut, dans le langage courant, puis-
qu'un grand orgue pouvait, dès la fin du xni^ siècle, avoirprès de lui un
positif. Des miniatures, des tapisseries, des peintures, du xiv*" siècle et
du XV', nous renseignent fort bien sur la forme et la disposition de ces
« orghanes portatives » ou « positives ». On voit clairement que
1. « Aliquantulum mirus et de glaciali. » Id., f" add. i3o.
2. Dans les Scriptores de Goussemaker, t. IV.
-43 -
c'étaient des petits « quatre » ou « six pieds », sonnant donc comme
nos huit pieds ^ accompagnés de fournitures, et pouvant comprendre
diverses combinaisons, puisque l'exécutant a à sa disposition différentes
chevilles ou petits leviers faisant fonctionner les registres ou les accou-
plements. On peut citer le triptyque, si célèbre et souvent reproduit, de
Jean Van Eyck, datant environ de 1430, où un ange (ou une sainte)
Joue d'un de ces positifs, minutieusement observé et reproduit, remar-
quable spécimen du genre 2, On en verra aussi au musée de Cluny, à
Paris, dans la fameuse tapisserie delà « Dame à la licorne » provenant
du château de Boussac.
Il subsiste encore, en Espagne et en Italie, des spécimens de tels ins-
truments : à la cathédrale de Tolède, il y a un petit orgue de ce genre
(mais avec pédalier), qui remonte au xv^ siècle ; la tradition s'en main-
tint longtemps en Italie, où un positif analogue de cinq jeux ^ mais
datant seulement du xvn^ siècle, est conservé au couvent de Sainte-
Prisque, à Rome. En Espagne également, on garde précieusement, à
l'Escorial, un tout petit portatif, guère plus grand que les orgues à bras,
sans pied, qui servit pendant le xvi^ siècle pour les processions, au
grand organiste Ant. Cabeçon : cet orgue, qui n'est guère plus qu'une
grande régale, dans le genre de nos petits harmoniums, a deux octaves
chromatiques, et, au grave et à l'aigu, deux demi-octaves incomplètes.
Jusqu'au cours du xiii* siècle, les instruments de ce genre, fréquem-
ment reproduits sur les monuments figurés, ont des touches espacées,
de forme souvent pattée ou tréfiée, et disposées un peu comme celle
de nos accordéons. Mais, à la même époque, apparaissent des
claviers disposés comme les nôtres, toutefois avec des touches plus
courtes et plus larges; dès lors, elles sont rapprochées les unes des
autres, même dans des claviers non chromatiques, et il semble que le
bord inférieur en est taillé en biseau.
Portatives ou positives, les orgues n'étaient pas exclusivement réser-
vées à l'usage religieux.
Des trouvères les utilisaient ; des mendiants — joailatores organorum
— s'en servaient dans les rues ou sur les places ; les amateurs en usaient
largement pour leur distraction ou leurs récréations musicales, à une
époque où la science et la pratique de la musique étaient au moins,
sinon plus répandues que de nos jours. Nombreuses sont les allusions
faites principalement au xni* siècle et au xiv®, sur ces usages variés :
Guillaume de Machaut parle même de ceux qui voudraient mettre sur
l'orgue une certaine pièce à trois voix, assez complexe, qu'il envoie à
une sienne correspondante.
1. Le clavier commençant une demi-octave ou une octave plus haut que les
nôtres.
2. lia servi d'illustration, entre autres, à la couverture de la Tribune de Saint-
Gervais pendatit quelques années.
3. Cet instrument comprend un bourdon sonnant 8 pieds, une octave (prestant)
de forte sonorité, une quinte da 2 2/3, une double octave, sa quinte, 1 i/3, un jeu
de I pied (flageolet) et un d'1/2 pied (larigot) n'ayant que l'octave grave.
— 44 —
Aussi, les grandes églises voyaient-elles également, de plus en plus,
se répandre l'usage des orgues, auxquelles on cherchait à donner,
comme nous l'avons déjà vu, le plus de perfectionnements pos-
sibles.
En dehors de nombreuses églises, particulièrement monastiques,
auxquelles font allusion divers textes précédemment allégués, dès le
xn^ siècle, j'ai de plus trouvé nommément, au xni*, la mention de cons-
tructions d'orgues importantes dans les nouvelles cathédrales de Meaux
(122 i), Strasbourg (i2(5o) ^, Senlis, Orléans, Reims, à la Sainte-Chapelle
de Paris, etc., et plusieurs mentions d'organistes, à la cathédrale de
Paris, entre autres, dès environ 1 1 5o, et plusieurs fois au cours du
siècle suivant, à l'église Saint-Landry de la même ville, puis pour
l'inauguration d^un nouvel hôpital en i323, à Saint-Séverin, etc.
Si nous ne possédons pas plus de détails sur ces instruments, c'est
faute souvent de chercher dans les anciennes archives -, ou parce que
ces archives ont été détruites. On trouve ainsi, pour telle ou telle
cathédrale, autant de mentions de recours aux facteurs pour construc-
tions ou réparations d'orgues, qu'on en rencontre maintenant ^.
Comme on l'a déjà vu par l'exemple de Nevers, on y avait déjà,
au xiu* siècle, l'habitude de l'orgue de chœur et du grand orgue. A
Chartres, il en était de même : si nous sommes très imparfaitement ren-
seignés sur ce qu'il y avait comme orgues dans cette cathédrale, aux
époques antérieures (on a allégué bien des conclusions fausses à ce
sujet), nous savons néanmoins qu'il y eut de bonne heure un grand
orgue de tribune, puisqu'on le y^econsiruisait en i34q, placé là où on
l'a toujours refait, et au moins dès iSSy, un petit orgue, au jubé, pour
le service du chœur -*.
I. Cet orgue fut construit par le dominicain Ulrich Engelbert, qui avait été con-
disciple de saint Thomas d'Aquin aux cours d'Albert le Grand.
•2. Je dois ici une particulière mention aux belles recherches que fait en ce mo-
ment notre ami et collaborateur P\ Raugel dans les anciennes archives, et qui lui
ont mis entre les mains d'intéressants documents sur les orgues, en particulier, de
Notre-Dame de Paris, aux xiv*, xvc et xvie siècles.
3. Par exemple, à Chartres (nombreux détails) ; i353, i3Ô2, iSjô, iSSo, Toul ;
i358, Saint-Séverin de Paris ; i365, Troyes (grand orgue de la cathédrale) ; i366 et
et années suivantes, Angers ; i38o et années suivantes, Rouen ; 141 1, plusieurs
églises de Troyes, citons entre autres que le relevagedes orgues de Sainte-Madeleine
opéré cette année-là, avait coûté la somme de trente sous. Je suppose qu'il s'agit là
de sous d'or, ce qui ferait environ 600 fr. en monnaie du temps ; i4i3, orgues de la
salle de concert du Louvre ; 1426, Grenoble ; Arras, rin du xive siècle, (v. p. 63), etc.
Les renseignements les plus curieux et les plus complets sur les orgues à
Troyes et dans la région environnante aux xiv", xv« et xvi® siècles ont été donnés
par M. l'abbé A. Prévost, dans une étude documentée sur les Instruments Je musi-
que usités dans nos églises depuis le A'///e 52èc/e, publiée dans les Mémoires de la
Société Académique de l'Aube, en 1904. Nous y apprenons ainsi, pièces en mains,
que dès le début du xv« siècle, les diverses églises paroissiales de cette ville possé-
daient des orgues ; on trouve également cites souvent les instruments des princi-
pales églises de la campagne, ce qui démontre, une fois de plus, que l'usage des
orgues était fort répandu dans ces siècles lointains.
4. Les détails sur l'orgue se trouvent dans le bel ouvrage de l'abbé Glerval,
la Maîtrise de Notre-Dame de Chartres, auquel nous les empruntons.
— 43 —
A la cathédrale de Rouen, le règlement établi par le chapitre à l'usage
de l'organiste du grand orgue fait connaître, en i386, cet intéressant
détail de facture, dû sans doute au facteur belge qui travaillait, de-
puis i38o, à l'augmentation de l'orgue ^ : un tirant spécial permettait
de faire perdre le vent après l'exécution des morceaux, de peur que
l'air trop comprimé ne fasse éclater les soupapes des soufflets. La souf-
flerie était donc soignée, et aussi méticuleusement établie que l'on
pouvait le faire : les détails donnés par une source précédemment citée,
sur les anciennes orgues de Notre-Dame de Dijon, montrent le soin
extrême avec lequel les soufHets en étaient établis ; ces soufflets mesu-
raient quatre pieds sept pouces sur deux pieds un pouce -.
La disposition des tuyaux, comme on disait, en « mitre épiscopale »,
avec un plus grand tuyau au milieu, les autres décroissant de chaque
côté, commençait à être en faveur, et témoignait de l'habileté des fac-
teurs qui durent désormais disposer l'abrégé en conséquence, et en
l'étendant « en éventail ». En même temps, on mettait à part, dans une
ou plusieurs tourelles, les plus gros tuyaux de teneure appelés aussi
« trompes ». La disposition générale du grand buffet d'orgues était
donc créée ^. Pour les portatifs et positifs, l'usage était aussi d'en orner
les montants ; très fréquemment, une tourelle carrée ou octogonale,
crénelée, décorée de gables ornés, presque jamais de clochetons, mar-
quait la place du plus gros tuyau, qu'elle contenait.
Les tuyaux multipliés et souvent peints ou dorés, la façade ornée,
ainsi disposée en « plates-faces » et en tourelles, sans relief, mais dis-
tribuées sur le même plan, faisaient du buffet de l'orgue, vers l'an 1400,
un objet d'art précieux que l'on couvrait de housses ou de rideaux.de
panneaux mobiles ou de volets eux-mêmes peints de sujets divers. On
imagina même, pour l'amusement du populaire, d'y joindre un
soleil et une lune mobiles, une roue armée de clochettes, ou même,
comme à Metz, une tête grotesque, le « Gueulard » roulant les yeux
et tirant la langue à l'appel d'une certaine pédale...
Mais, à côté de ces fantaisies saugrenues, qui connurent deux siècles
au moins de faveur, on chercha, tout au cours du xv^ siècle, à agrandir
encore l'orgue, à lui donner des perfections qui n'auront plus qu'à être
appliquées aux instruments nouveaux ou reconstruits.
Le grand orgue de la cathédrale d'Amiens, construit de 1422a 1429,
aux frais d'Alphonse Le Mire, ancien « valet de chambre » de Charles VL
1. Il renforça, entre autres, les fournitures des octaves aiguës, dont les princi-
paux sonnaient trop faiblement par rapport aux « teneures ». C'est le cas de signa-
ler que les tacteurs belges apparaissent à cette époque comme particulièrement
appréciés ; citons, en plus de celui qui travaille à Rouen, Jehan de Soignies, qui s'oc-
cupe de l'orgue de la cathédrale de Troyes en i365 ; Louis de Valbeck à qui on a
voulu faire honneur de l'invention du pédalier (à tort d'ailleurs, car il s'agit d'une
cornemuse dont la soufflerie est actionnée par une pédale), etc.
2. La description, en français, et l'indication des mesures tiennent une grande
page du manuscrit de la Bibliothèque Nationale déjà cité. (Voir ce texte plus loin.)
3. Dès avant 1416, le grand orgue de la cathédrale d'Angers était ainsi disposé ;
Voir L. de Farcy, Monographie de la cathédrale d'Angers, t. IV.
-46-
peut passer pour le type le plus complet de la facture médiévale*.
Instrument très important, puisqu'une partie de son buffet et son
ordonnance générale sont toujours restées les mêmes, il comprenait
des principaux, des doubles-principaux en « montre » de seize pieds,
dont la place des gros tuyaux, placés en tourelles, fixait définitivement
la disposition des façades des grandes orgues. Les tuyaux extérieurs
étaient d'étain, et ceux de l'intérieur en plomb. De nombreuses four-
nitures accompagnaient ces principaux, et l'ensemble des tuyaux attei-
gnait près de deux mille cinq cents, presque autant que le moderne
Cavaillé-CoU qui en tient actuellement la place. Son clavier était de
quatre octaves chromatiques, sauf les touches extrêmes, qui manquaient
de « feintes ». Même retouchée plus tard dans ses décorations, à l'épo-
que de Henri II, la façade de cet instrument reste puissamment
démonstrative de l'importance du grand orgue d'une grande cathé-
drale au xv^ siècle : en effet, sa place à l'entrée de la nef, dont nous ne
connaissons aucun exemple plus ancien, a nécessité la construction
d'une vaste tribune, chef-d'œuvre de charpenterie et de sculptures déco-
ratives. La tribune subsiste toujours : son aspect n'est modifié que par
la construction d'un buffet de positif plus moderne (xvii® siècle) qui,
sans doute, en a remplacé un plus ancien. Mais encore la boiserie même
du « grand corps » est restée intacte dans sa partie inférieure, et, dans la
partie supérieure, a seulement été remaniée au siècle suivant, ou refaite
sur la même ordonnance. Ainsi, sauf l'aspect du positif et la décoration
« renaissance » du haut du grand buffet, l'ensemble de l'orgue d'Amiens
reste, à la vue, ce qu'il était au premier quart du xv'= siècle, ofîrant l'as-
pect majestueux et plaisant de ses plates-faces en « mitre » séparées
par trois grandes tourelles, plates aussi, disposées pour les plus « gros
thueaulx ». (Voir planche spéciale.)
En cherchant à combiner les abrégés des grandes orgues avec les posi-
tifs ou avec les régales que l'on y adjoignait, on obtint d'intéressants
résultats. Le plus ingénieux, sans doute, de ces essais, fut celui de la
cathédrale de Toulouse, où cinq orgues d'importance diverse, placés les
uns côte à côte, et les autres au-dessus des premiers, pouvaient à
volonté être joués séparément ou être accouplés en nombre varié. Aux
grandes fêtes, on accouplait les cinq claviers. Gela se passait en 1463 ".
Enfin, en 1489, la construction du nouveau grand orgue de la cathé-
drale de Strasbourg, — où l'on suit les orgues depuis le xiii* siècle, —
par le facteur alsacien Friedrich Krebs, d'Anspach, présente la dispo-
sition définitive des claviers superposés, et de l'emploi de trois cla-
viers ; grand orgue, positif, récit (grosswerck, riickwerk, brust-posi-
tiv). La façade en a toujours été conservée, au même endroit, dans la
première travée à gauche de la grande nef, à la hauteur du triforium.
1, Voyez l'étude détaillée de Georges Durand, Les orgues de la cathédrale d'A-
miens, Paris, au Bureau d'Edition de la Schola.
2. Félix Clément a publié les documents relatifs à cet orgue dans son Rapport au
ministre de l'Instruction publique, Paris, 1849.
Planchk VI. - (JRAMJ ORGUE D'AMIENS ET SA IRIBUNE
— 47 —
Nous n'avons pas la disposition de cet instrument, qui comptait deux
mille cent trente six tuyaux, mais le détail des jeux de l'orgue de la
collégiale de Haguenau, construit en 1491 par le même facteur, indique
pour le grand orgue trois registres : un « ténor » (principal en montre
de 8 pieds), une flûte, une cymbale ; au positif, un « petit ténor > (près-
tant en montre de 4 pieds), une flûte « triple » (?), une cymbale ; plus
le plein jeu. Le positif est encore placé, suivant l'habitude, derrière
Torganiste, mais le contrat spécifie que l'organiste devra pouvoir jouer
les deux orgues sur le même clavier : l'accouplement facultatif exis-
tait donc ^
Pour le troisième clavier, quand par hasard, il y avait lieu d'en
construire, il ne gouvernait sans doute qu'un jeu « séparé » et ne
commençant qu'au milieu du clavier, à en juger par divers exemples
français ou étrangers -. Il est probable, aussi, que des cinq orgues
de Toulouse, les deux qui étaient superposés aux autres étaient simple-
ment une régale et un chalumeau ; cependant le troisième clavier de
Strasbourg est nommé « brustpositiv •>■>, ce qui semble indiquer un
second positif, sonnant, par sa disposition, en écho avec le premier.
Les principaux soins des organiers, au dernier quart du xv* siècle,
furent avec l'établissement d'orgues à plusieurs claviers qu'on pût
accoupler, celle d'un clavier de pédales, ne fonctionnant encore qu'en
« tirasse » avec le manuel, et, pour les instruments les plus importants,
la construction de montres de trente-deux pieds.
Ce fait, qui paraissait assez étonnant, il y a peu d'années, aux histo-
riens de notre art, est hors de doute, car les pièces d'archives récem-
ment produites en révèlent plusieurs exemples. Ainsi on trouve l'em-
ploi d'au moins toute l'octave grave d'un tel jeu, par conséquent
les plus grandes et les plus grosses de ces « trompes », dont les tuyaux,
partagés en deux séries, sont supportés et alimentés par des sommiers
et porte-vents spéciaux, et placés, à droite et à gauche du grand buffet,
dans des tourelles séparées, souvent portées par un pilier spécial. C'était
le cas, entre autres, du grand orgue de Metz, dont la construction
avait été commencée vers le milieu du siècle^; de celui de Poitiers, puis
1. Tous ces faits sont empruntés à l'ouvrage, si admirablement documenté, de
M. l'abbé Vogeleis, Quellen und Bausteine fu eiyier Geschichte der Musik und des
Theaters in Elsass, Strasbourg, 191 1.
2. Ainsi le facteur belge Jean de Berge, construit, en 1409, un orgue à trois cla-
viers pour les Augustins de Langensalza, en Thuringe, avec grand orgue (haupt-
werk) de trois jeux, dont un parlant avec la pédale ; positif (rùckpositiv), également
de trois jeux, et un jeu d'anches (zink] séparé. (Fùrstenau, dans les Monatshefte de
R. Eitner, 1876.)
3. C'était un grand vingt-quatre pieds en montre, mais dont le tuyau le plus
grave atteignait vingt-neuf pieds. Disposé sur une vaste tribune placée en surplomb de
la nef, à la travée correspondant aux tours, cet instrument fut, un siècle plus tard,
réparé et augmenté, entre autres par le facteur Boudefert en 1547, et en iSSg. Il
fut démoli seulement à la suite de la Révolution, ainsi que sa tribune. En plus de
ce grand orgue, la cathédrale de Metz possède encore un second orgue, belle œuvre
française de 1537, établi sur une tribune en a nid d'hirondelle », à mi-hauteur de la
dernière travée de la nef, près du transsept. Tribune, buffet et montre sont restés
intacts, mais la plupart des autres jeux sont hors d'usage. Voir Bégin, Histoire de la
-48- ■
de celui de Chartres, reconstruit en 1475 sur le modèle du précédent par
Gombaut Rogeric" ; quelques années plus tard, c'était le tour de celui
d'Angers, œuvre de Ponthus Jousselin. Chacun de ces instruments
contenait une douzaine de tuyaux d'une montre de trente-deux pieds.
Mais l'archevêque Robert de Croixmare, à Rouen, avait voulu que
sa cathédrale surpassât les autres. Entre 1490 et 1495, on avait cons-
truit en cette église, sur une tribune à l'entrée de la nef, comme à
Amiens, un magnifique instrument, ayant, nous ditDom Pommeraye 2,
« une double montre de prodigieux tuyaux qui n'ont point de sem-
blables, ayant trente-deux pieds de long ; ils sont de fin estain, dorez
et enrichis de divers ornements ». Six grands soufflets spéciaux alimen-
taient ces trente-deux pieds. Les gros tuyaux s'en étageaient en plan à
droite et à gauche du « grand corps », le long de la dernière travée de
la nef. Il n'y avait évidemment pas d'autre orgue « en France qui en
approchât », ni même, assuraient les Rouennais, « dans le monde
entier » ^. Et cet instrument devait être en tout soigné et digne de son
objet, puisque, un siècle plus tard, c'est encore celui dont se sert l'illustre
Titelouze : peut-être l'avait-on enrichi de quelques modifications au
cours du xvi^ siècle ; en tout cas, il avait un pédalier chromatique
de deux octaves et demie (mais sans jeux séparés). A la longue, le
temps « ayant gasté les porte-vent » du trente-deux pieds, cette montre
ne fut plus conservée que comme décoration, jusqu'au jour où Robert
Clicquot reconstruisit l'orgue, en 1686. 11 semble que cet orgue ait
seulement compris un grand orgue et un positif : au moins Titelouze,
un siècle plus tard, ne suppose-t-il pas d'autres claviers manuels, ni
pour l'exécution de ses oeuvres, ni dans les devis d'orgue qu'il présente
ou qu'il appuie de son autorité *.
A la fin du xv* siècle, l'orgue était ainsi définitivement constitué ; il
ne restait qu'à appliquer partout les innovations introduites séparé-
ment, ici et là, par les facteurs dans les instruments qu'ils avaient cons-
truits, et à les perfectionner.
Pour compléter l'histoire de l'orgueà cette époque, mentionnonsquel-
ques traits curieux ou intéressants.
cathédrale de Met^, t. II, p. 166, 169 et s., et le 17e fascicule du Bulletin de l'œuvre
de la cathédrale de Met^ [1909], où l'on trouvera les relevés et photographies de ce
second orgue.
I. Placé, comme à Metz et à Strasbourg, dans une galerie de la nef, le buffet a
conservé la disposition générale et une partie de la boiserie de cette époque ;
mais il a été fortement augmenté et remanié au siècle suivant. Malgré ces remanie-
ments, il ofiFre un des plus plaisants aspects qui existent.
1. Histoire et description de V église cathédrale de Rouen, p. 3o.
3. Totius orbis prettosiora et pulchriora, voir Colette et Bourdon, op. cit., p. 13-14.
Ce bel instrument était l'œuvre d'un facteur allemand, dont on n'a pas le nom.
4. Notons en passant, pour compléter l'excellente notice de M. Pirro sur Tite-
louze, en tête du tome I des Archives des Maîtres de l'Orgue par Guilmant, que
Titelouze, en 1623, le 23 juin, préside à la réception du nouveau grand orgue d'A-
miens, en même temps que Frémart, maître des enfants delà cathédrale de Rouen.
(Durand, Les orgues de la cathédrale d'Amiens, p. 6.) Cet instrument, dont lerudit
archiviste d'Amiens reproduit le devis, était presque semblable à celui de saint
Godard de Rouen, dont Titelouze donna le devis quelques années plus tard.
— 49 —
Dans l'inventaire après décès d'un chanoine de la cathédrale de
Troyes, nous lisons l'estimation en 143S, de « unes petites orgues por-
tatives à main, enchâssées de bois, prisées LX. s. t. », (Go sous tournois,
environ 144 francs de notre monnaie actuelle). En 1460, un autre inven-
taire y mentionne « unes régales qui est ung instrument de flûtes en
façon d'orgues prisée dix livres tournois », (environ 174 francs).
D'autres inventaires du trésor de Saint-Martin de Tours citent, dès
1493, que ce trésor renfermait un orgue de « moyenne grandeur »,
dont les tuyaux étaient d'argent, (sans doute un portatif comme les
précédents).
On a conjecturé, avec quelque raison, qu'il s'agissait là d'un cadeau
princier, probablement royal K
De fait, le roi Louis XI avait une très grande dévotion à saint Martin
de Tours, autour de la châsse duquel il avait fait établir « un beau trail-
lis d'argent » au prix de « onze livres tournois pour marc, argent et
façon » ; au même roi, on attribue la reconstitution du grand
orgue de Notre-Dame d'Embrun, pareillement orné d'une montre
d'argent 2, et la fondation des orgues de la collégiale de Cléry, qui ne
furent toutefois achevées « grandes et petites orgues >;, qu'en i5io, par
Pierre Jousseaume ou Jousselin ^.
Parmi les autres instruments de la fin du xv' siècle, qui soient dignes
d'intérêt, citons la construction des orgues de la cathédrale de Bayonne
en 1488 *, et les butfets de la petite église de SoHès-Ville, dans le Var,
de la cathédrale de Perpignan, dont on trouvera les dessins dans
Viollet-le-Duc •'"', ainsi que celui de Hombleux (Somme), postérieur de
quelques années et détruit, hélas ! par les Allemands, au cours de la
guerre de 1914-191S.
Si la disposition générale des grands buffets d'orgue paraît être restée,
en apparence, et malgré les différences de style, telle qu'elle avait été
1. Comte Paul de Fleury, dans le Bulletin de la Société française de Musicologie^
n» 2, Paris, 1918.
2. Les plans et dessins du buffet ont été publiés par M. l'abbé Guillaume et
M. Roman, dans les Comptes Rendus cités, sessions de 1886 et 1887.
3. Histoire de Cléry et de l'église collégiale et chapelle royale de Notre-Dame de
Cléry, par Louis Jarry, Orléans, 1899, p. aoo-202, et 393.
4. Le marché en est publié dans la Revue des Sociétés savantes, 5» série, VI, 1873,
p. 3i5.
5. Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XI<^ au XVh siècle, t. H,
p. 252. Une belle étude, fort détaillée, ornée de nombreuses photographies de buf-
fets et tribunes, a été consacrée par notre confrère M. Georges Servières à La déco-
ration des Buffets d'orgue aux X V" et X VI° siècles, dans la Galette des Beaux-Arts,
nos de décembre 1916 et de janvier-mars 1917. Nous ne pouvons mieux faire que d'y
renvoyer. — On trouvera également la photographie d'une tribune d'orgue du
XV' siècle, à Lamballe, dans la Vie et les arts liturgiques, année 191S, page 431, au
cours d'un très intéressant travail de M. de Farcy, sur diverses orgues anciennes.
d'Angers, La Ferté-Bernard, Lamballe, et d'autres reproductions d'orgue, du xvi>;.
Enfin, la Petite Maîtrise, juin 19 lô, contient la photographie du buffet de Saint-
Savin (Hautes-Pyrénées), du même temps.
— 5o —
fixée à la fin du xiv^ siècle ou au début du xv^ — tuyaux disposés en
plates-faces séparées par des tourelles (planche V, II, n° i) elle devait
subir néanmoins, au xvi% de notables modifications dans l'aspect de
certaines de ses parties.
Vers la fin du xv* siècle ou au début du xvi^, à part quelques buffets
aussi bien du Nord, que du Midi, ou de l'Est (Hombleux, Perpignan,
Strasbourg) qui affectent la forme d'une façade en « redans » (même
planche, 2), le type classique d'une ou deux plates-faces, en mitre ou
en rampants, séparées et encadrées de deux ou trois tourelles, plates
aussi, reste le plus répandu (id., 3, 4) tant pour les « grands-corps »,
que pour les positifs des grandes orgues d'église. Cependant, on com-
mence bientôt à surmonter les tourelles de couronnements ajourés, de
fleurons, plus ou moins en forme de couronnes ou petits dômes ornés.
L'ancien grand orgue d'Angers, terniiné en iSiy.réunissait très curieu-
sement le type à tourelles couronnées, tant pour le positif que pour le
grand orgue, avec la superposition des rangs de tuyaux en usage dans
les façades à redans.
Puis, tantôt seule la tourelle du milieu (Chartres, i5oi ; Metz,
2^ orgue, i535), tantôt d'autres (Saint-Bertrand-de-Comminges, vers
I 540), commencent à être établies en saillie triangulaire (même planche,
5) ou semihexagonale, et l'effet en est des plus heureux.
Jusqu'à cette époque, les tuyaux en façade sont en général disposés
sur une même hauteur de pied, les bouches étant sensiblement de
même niveau ; l'extrémité supérieure des tuyaux dessine l'oblique en
escalier que leurs grandeurs relatives appellent. C'est l'héritage de
l'antiquité et de l'orgue classique du moyen âge (même illustration, 6).
A partir du milieu du xvi^ siècle, où triomphe définitivement l'orne-
mentation « Renaissance », une modification profonde changera cet
aspect. Désormais, au lieu que l'ordonnance de laboiserie soit disposée
d'après les hauteurs des tuyaux, des « clairs-voirs » élégamment dis-
posés, rachetant seuls la différence, s'il y a lieu, entre l'extrémité supé-
rieure des tuyaux et la corniche, le contraire se produit: les tuyaux,
dans l'orgue Renaissance, seront subordonnés à la frise horizontale
plus ou moins imitée de l'antique ; leurs pieds seront plus ou moins
prolongés, et les bouches dessinent, en sens inverse de l'ancien orgue,
les v ou les rampants, disposition qui deviendra routinière chez les
facteurs Jusqu'à nos jours (même planche, 7). Les tuyaux de façade, au
lieu d'être le principe de l'ordonnance du buffet et de ses harmonieuses
proportions, n'apparaissent plus que comme une sorte de décoration du
monument qu'est le buffet. L'orgue reconstruit à l'époque de Henri II
pour la Sainte-Chapelle semble marquer définitivement le style nouveau
du buffet d'orgue * .
A mon avis, le type précédent, plus logique, était aussi le plus élé-
i.On en trouvera une belle reproduction dans l'ouvi^ige de Michel Brenet,
les Musiciens de la Sainte-Chapelle,
Planche Vil.
r.
I. _ PORTATIFS ET POSITIFS, XlIe-XIVe SIECLES
(En haut, clavier primitif de régale. — Les soufflets sont de différents modèles.)
IL - SCHEMAS DE 1 AÇADES DE GRANDS CORPS ET DE POSrril'S FIXES.
XlVe-XVl« SIÈCLES.
gant. Pourquoi nos facteurs et architectes modernes ne s'en inspirent-
ils pas plus ?
On pourra de même remarquer, par la planche ci-jointe qui repré-
sente en premier registre, des portatifs et des positifs du xii* siècle au
XIV*, combien leur disposition et le choix de Tornementation, intéres-
sants et curieux, ont été presque constamment négligés, en notre siècle,
par les dessinateurs de façades d'orgue, lorsqu'ils ont cru faire du
« roman » ou du « gothique ». Si l'on a à construire un orgue pour
une église de style moyen âge, c'est dans les documents reproduits ou
résumés dans cette planche que l'on en trouvera les vrais éléments ^.
III
De bonne heure, les organistes et les facteurs se servirent de nota-
tions conventionnelles pour indiquer les degrés de l'instrument. Celle
dont ils usaient du ix* au xi^ siècle était alphabétique, de A a. G, avec
reprise d'octave, mais, tandis que l'a de la notation alphabétique vocale
commençait au son correspondant à notre la grave de la voix d'homme,
VA de l'orgue représentait le tuyau le plus grave de Torgue, corres-
pondant à Vut de la même voix. Ainsi, l'étendue habituelle du clavier,
à'ut' à î{t*, était à cette époque représentée par un double « alphabet »,
mais où rien n'indiquait la différence des octaves.
A B C 1) E r G G A
ut ré mi fa sol la si ^ si ut, etc.
Des maîtres y indiquèrent aussi, par Temploi de points et de traits,
les différences de durée entre les sons -.
Malheureusement, en dehors des passages des anciens traités d'or-
ganum qui usent de ces notations ou s'y réfèrent, aucun exemple pra-
tique n'en a survécu.
Au XH* siècle, ces particularités avaient disparu, et la musique
« organale » s'écrivait comme la musique vocale, jusqu'au jour où de
nouvelles innovations, celles de Pérotin, amenèrent, à Notre-Dame de
Paris vraisemblablement, la création des notations mesurées, dont le
premier type fut justement appelé « organique » ^ à cause de son objet.
Et c'est avec cette notation, encore à son premier stade, que fut écrit le
« grand livre d'orgue » de la cathédrale de Paris, Magnus liber org-ani,
dont les volumineuses copies authentiques se trouvent en diverses
bibliothèques de l'étranger ^
1. Voir, pour la manière dont les schémas du registre II ont été réalisés par les
décorateurs du xv* siècle et du xvi», l'orgue d'Amiens précédemment reproduit, et
les autres buffets cités.
2. Sane punctos ac virgulas ad distinctionem ponimus sonoriim breviiim ac
longorum. (Enchiriadis). Ce texte, où certains musicologues ont cherché à fonder
une interprétation du chant grégorien, vise uniquement les pièces d'organum. Voir
plus loin la suite de ce texte.
3. Elle est ainsi nommée dans le traité d'Amerus, étudié par Aubry etNiémann.
4. Deux à Wolfenbuttel, une à Florence, une à Madrid.
Un peu plus tard, tandis que la notation proportionnelle se dévelop-
pait dans l'écriture des pièces vocales ou des parties instrumentales,
une tabulatuf^e d'orgue s'établit, basée sur la combinaison de la nota-
tion mesurée et de la notation alphabétique. Dans Tunique exemplaire
qui soit parvenu jusqu'à nos jours, d'un cahier où un organiste du
XIV" siècle transcrivait les pièces à son usage, nous prenons l'exemple
suivant, caractéristique de l'aspect d'une partition d'orgue à cette
époque ' :
^
î
■^^
^
im
'jL-Ljl
se
I
r
Exemple de notation.
F
i-
Ici, l'iï correspond au /^ ; le è indique non pas le si naturel, comme
dans l'ancienne notation alphabétique, mais le si bémol ; le si naturel
est marqué par le signe du dièse, où l'on voit l'origine de la déformation
ultérieure qui transforma ce ^ en h.
Les notes indiquées par les lettres se prolongent tout le temps
qu'elles ne sont pas remplacées par une autre, tandis que la partie
supérieure, en figurations variées, guide le rythme à suivre par l'exé-
cutant.
Le précieux manuscrit de facteur du xv*' siècle, que j'ai déjà cité,
emploie les mêmes lettres, avec la forme de Vh pour le 5/, dans la dési-
gnation des degrés de chaque jeu dont il parle.
Le rôle de l'orgue durant la première période de son usage dans les
églises, — depuis la seconde moitié du ix® siècle, — était en premier
lieu de faire entendre sur ses tuyaux ces mélodies à deux voix que l'on
savait déjà y exécuter à l'époque gréco-romaine, puis de servir de sou-
tien à la voix, lorsque les chanteurs modulaient en diaphonie, ou de
« tenir » léchant donné, lorsque ceux-ci brodaient au-dessus une voix
« organale ».
Mais encore, l'orgue, déjà, concertait dans certaines pièces, en alter-
nant avec la monodie un verset sur deux des séquences, alternance
que Ton commença de bonne heure à mettre en usage. Il est même
permis de se demander si ce n'est pas là la forme primitive de ce
genre de pièces qui, souvent, semble avoir pour origine une compo-
sition instrumentale et des thèmes d'ordre profane 2. Les chanteurs
avaient pris d'ailleurs si rapidement l'usage d'alterner un verset sur deux
en organum vocal, puis de l'accompagner sur l'orgue, que les textes
I. British Muséum, manuscrit Additional 28.55o. Je donne un peu plus loin la
transcription de cet exemple, p. 56.
'2. Je me réserve de développer ce point dans une étude spéciale sur les sé-
quences.
mêmes de ces proses, innovation dans les pièces liturgiques, en don-
nent la mention fort nette : Syllabatim neumata Perstringeudo orga-
nical^. — Modulemur organica cantica Dulcimelodia'^. — Hodie caelestis
laetatur turma... Voce diilcisonacitui s/mphonia'^. — Organicis canamus
moditlis *, etc. De telles mentions visent donc bien l'exécution en orga-
num, et, la première au moins, l'accompagnement de l'instrument,
perstrmgendo. Citons encore, un peu plus tard, vers l'an mille, l'office
de saint Vincent, où la cinquième antienne des laudes dit : « Dantur
ergo laudes Deo altissimo, et résonante organo, vocis angelicai modu-
lata suavitas procul diffunditur. » Or, comme on exécutait depuis
longtemps en organum vocal de telles antiennes, ce texte vient encore
à l'appui du fait qu'on les soutenait en même temps du son de l'ins-
trument, ce qui ressort d'ailleurs des prescriptions diverses des traités
d'organum qui nous sont parvenus, et d'autres textes encore que je cite
au cours de cette étude.
Sans doute, on chantait en organum lors même qu'on n'avait pas
d'instrument à sa disposition, mais les traités, en décrivant ce genre
d'harmonisation, supposent formellement l'instrument comme base du
genre, et, en particulier, en prohibant l'emploi de certaines notes, que
le clavier ne comportait pas, ou qu'il n'atteignait pas ; ainsi en est-il de
la défense de ne pas faire descendre la partie « organale » plus bas que
l'w^ actuel de la portée en clef de fa, précisément parce que l'orgue ne
descendait pas plus bas 5.
Ces traités, malheureusement, ne décrivent en détail que l'organum
vocal, qui n'était alors exécuté que note contre note, et en mouvements
plutôt lents ''. Cependant, lorsque l'instrument jouait seul, on devait
faire plus : les petits oiseaux de l'orgue « en forme d'arbre » de l'em-
pereur Théophile ne pouvaient pas gazouiller en faisant de longues
tenues ! On doit considérer, au contraire, que l'usage antique de con-
trepointer ou de broder, en valeurs brèves et diminuées, le sujet tenu
à l'autre partie en notes très longues, était toujours resté en usage.
C'est ainsi, en effet, ce que les théoriciens plus tardifs décrivent sous
le nom d'or-ganum purum^ en opposition avec l'autre genre, et c'est
ainsi que les manuscrits notés ont conservé des œuvres faisant partie
du répertoire des organistes du xi^ siècle. A ce moment, les versets de
séquence, entre autres, furent volontiers écrits "^dans ce genre, dont la
1. Prose de Noël, i<lato canent omnia (ix''-xo siècle).
2. Prose de la Trinité, Benedicta semper, de Notker le Bègue (le Moine de Saint
Gall).
3. Adest nobis dies aima (ixe et x« siècle), pour un martyr.
4. ix» s., pour un ConfesseUâ-.
5. J'ai relevé de telles mentions (que j'ai citées dans le Musical Quarterly, n" 8,
avril 1917) en particulier dans le Musica enchiriadis ; le Scliolica enchiri.idis ; le
Micrologue de Guy d'Arezzo, etc.
6. M. Enchiriadis, même texte que plus haut : « hujus generis melos tam grave
esse oportear. tamque morosum. ut rythmica ratio vix in ea servari queat. " Autre
passage non moins significatif : «...concordi morositate, quod suum esthujusmeli ».
7. Je dis « écrits », car un tel usage est, plus que probablement, fort ancien, sans
— -M —
forme, si elle n'exclut pas complètement la voix, oblige à un soutien
instrumental ; celui-ci dut facilement se transformer en un simple ver-
set d'orgue, ce qui donne raison de la mention faite par un chroni-
queur pour l'exécution des vocalises de séquences : « Jubilus quem
quidam z;ï 07'ganis ]uhï\a.nt » ^ ; (« inorganis = sur les orgues », et non
pas «inorgano», terme qui prêterait à l'amphibologie).
Voici donc de quelle façon se présentait alors, pour alterner les
séquences, un verset d'organum « pur », expression où je vois préci-
sément l'origine proprement et « purement » instrumentale du genre,
au rythme d'ailleurs irrégulier et vague, suivant le témoignage même
des contemporains 2.
Diaphonie ou déchant, en organum pur.
San- cti Spi- ri- tus ad-
Les innovations que citent, en matière d'or^a;zz/m, divers historiens,
au xi^ siècle et au x\f, viennent justement de ce qu'on se mit alors à
exécuter vocalement ce qui auparavant appartenait au genre pur de
l'instrument. Ainsi s'expliquent ces nouveautés reprochées aux moines
de Fécamp, entre autres, ou constatées chez eux 3, et qu'il convient de
rapprocher de la curieuse histoire du chantre Hilduin, à Saint-Maur-
les-Fossés, au moment où cette coutume nouvelle s'introduisit *.
Les grandes compositions en organum purum des maîtres déchan-
teurs de la cathédrale de Paris, celles de Léonin, mais surtout de Péro-
tin « le Grand », organiste de Notre-Dame entre 1180 et i236, le véri-
table créateur de la musique polyphonique, étaient donc ainsi desti-
nées tout autant à l'orgue même qu'aux voix. Je dirai même :
plus à l'orgue qu'aux voix, étant donné l'extrême développement
des passages sans paroles — plusieurs pages de suite — que com-
avoir laissé de témoins notés, lorsqu'on se bornait, comme on le fit pendant de longs
siècles, à improviser la partie « organale ».
1. Ekkehard, Vita beati Notkerii, dans Acta sanctorum, t. I d'avril, p. 587.
2. Bibliothèque nationale de Paris, mss. latins 3719. f° 46 verso et 3549, '° '^9
verso, provenant de l'abbaye de Saint-Martial de Limoges. Rythme incertain. Cf. les
textes de l'Enchiriadis cité précédemment, et plus tard. l'Anonyme IV de Cousse-
maker, c. VII, p. 362.
3. Déjà au xie siècle, au temps de l'abbé Guillaume de Dijon, qui, remarquons-le,
institua dans son église abbatiale l& Confrérie des jongleurs : or, au jour de leur
réunion annuelle, ils y chantaient la messe avec orgues, psaltcrwns et autres ins-
truments. Au xiie sièc'e, Guillaume de Malmesbury parle encore de la nouvelle
espèce de musique d'organum que les moines de cette église avaient inaugurée, et
qui ne plaisait pas à tout le monde : c'était l'organum « pur » exécuté vocale-
ment. L'abbaye de Fécamp possédait d'ailleurs un grand orgue à la même époque:
voir la lettre souvent citée de Haudry de Dol à ce sujet.
4. Voir m:i Musique d'église, 1. cit.
— 55 —
portent ces œuvres, et les tenues absolument invraisemblables des
basses, si on suppose une exécution vocale. Au contraire, le terme
même d'organum « purum », qui caractérise ces compositions sans
paroles ou presque, semble bien indiquer, je le répète, qu il s'agit d'une
composition « purement » instrumentale :
^— I — •-
Al-
l^
On a vu, par les détails plus haut donnés, que la disposition des
orgues de ce temps permettait parfaitement l'exécution de pièces de
ce genre, alors que leur interprétation vocale serait d'une dittiçuhé
considérable. Aussi, le style de r«organum purum » finit-il par dispa-
raître assez vite du répertoire des chanteurs, pour constituer la base de
celui de l'instrument où il était la suite naturelle de la primitive dia-
phonie ornée.
Le style instrumental se créait donc. Au Xiv^ siècle, apparaissent des
« transcriptions » de pièces vocales, brodées en « figurations » variées
par les virtuoses du clavier, suivant des principes qui se transmettront
fort longtemps par l'enseignement oral de ces maîtres, qui tenaient
école. Ainsi, en i353, voit-on des enfants de chœur de la maîtrise de
Chartres, ayant mué, envoyés aux écoles cVorgiie de Paris, pour y
apprendre le maniement de l'instrument. En d'autres maîtrises, et a
Notre-Dame de Paris même, il y avait d'ailleurs des orgues pour l'en-
seignement des élèves* ; et l'on peut justement se demander si ce n'est
pas à cet enseignement que l'on envoie les jeunes maitrisiens de
Chartres parfaire leur éducation.
Qu'enseignait-on dans ces classes ? A coup sur plus que l'exécution,
mais ces pratiques dont je parle plus haut. Voici justement un spéci-
I. Archives nationales, documents cites par labbé Chartier, dans V Ancien cha-
pitre de Notre-Dame de Paris, p. 58, etc.
— 56 —
men d'un motet parisien du commencement du xiv* siècle, œuvre peut-
être de Philippe de Vitry *, et sa variation pour orgue dont j'ai donné
la tablature originale :
3 3
Tribumquem non ab-
Tenor.
horru-it in-
ter ascende-
=t=f:
■ft--^-
tl
Quo-ni- am se- cta la-
\m
(Variation un ton plus haut)
3 3 6
Ï^^E^iEË^^f^E^^E^^^^
-P^
jt-^JÉTZi
^5e^^^^-e^^^ê£^
^^
^^JE^^J^gËgJJE^^Ê
-éc 1-^ ■
— I — |-^ ]— ■^— f""! 1-^^ — [-"^ 1-^ — ( I —
Guillaume de Machaui, dont le nom a déjà paru au cours de cette
étude, le grand poète et à la fois le grand musicien français de cette
époque, se rendait bien compte de l'importance de l'orgue, qu'il appela
le roi des instruments, ^ et c'est lui, sans doute, qui a le premier lancé
cette expression si souvent répétée depuis. Chanoine de Reims, dont
la cathédrale eut de tout temps, et avait déjà d'importantes orgues, il
a pu en juger. Parmi ses nombreuses compositions, on rencontre une
pièce instrumentale écrite en « double hocquet », où, tout en sui-
vant la disposition des triples inventée par Pérotin, il fait ressortir
délicieusement les motifs qu'il superpose au-dessus de la teneure
David 3, écrite en valeurs longues, et dont voici le début :
1. Bibliothèque nationale, manuscrit français \^6, f» xlii, additions au Roman de
Fauvel (Une reproduction photographique de cet exemplaire a été donnée par
l'ierre Aubry).
2. Dans la Prise d' Alexandrie, en tête d'une liste d'instruments de musique.
3. Suite et fin du verset alléiuiatique Nativitas { = Solewuilas) gloriosa' Virginis,
que Pérotin avait traité ainsi, et qui fut l'origine des divers motets fameux au
xiii« siècle, écrits en trope du passage Ex semine Abrahœ. L'organiste de Paris n'avait
pas traité le dernier mot du verset, Davj^, qui devait être dit à l'unisson par le chœur.
C'est le motif de ce mot que reprend le maître de Reims, en le traitant dans la même
forme.
-57-
David.
^^i
^
1 L=^:
E?=
r I
On s'est demandé jusqu'à quel point les organistes de ces époques
reculées pratiquaient la virtuosité : les exemples précédents, même en
en supposant une exécution lente, parlent pour eux-mêmes. D'ailleurs,
un érudit d'autrefois, qui put encore voir de son temps un ancien
orgue, devenu vieux et au toucher dur, remontant au xiii^ siècle, assure
que l'on pouvait fort bien y Jouer encore un trio d'une manière conve-
nable *. En dehors de passages tels que la variation plus haut donnée,
où le dessin du gr^upetto ou double-cadence et du trille même sont
nettement indiqués, de nombreux exemples du xiv^ siècle et du xv'
montrent que l'on aimait orner la note finale de quelques broderies
telles que :
Les peintures du temps, fruit d'une minutieuse observation, sont
également très caractéristiques, pour la position et la tenue des mains et
des doigts des organistes. Parfois, les peintres représentent l'instru-
mentiste arc-boutant les pouces contre la barre antérieure du clavier,
et jouant gauchement avec quatre doigts : c'est un procédé qui a duré
longtemps, et qui est familier aux enfants qui débutent. Plus souvent,
la main est représentée dans la position même qui est encore considérée
comme la meilleure, les doigts arqués, le pouce au-dessus des touches
comme les autres doigts. Cette tenue permettait donc la virtuosité, et
I. L'orgue de Magdebourg. cité par Praetorius, dans son Syntagma tnusices.
1. IV, en iT.ig, et qui donne le croquis du clavier, ouïes touches sont encore
espacées.
— 58 —
indique que la dureté des claviers ne dépassait pas celle que nous cons-
tatons toujours en beaucoup d'instruments construits au milieu du
dernier siècle.
Il serait intéressant de connaître avec précision les circonstances où,
vers la fin du moyen âge, Ton se servait ainsi de l'orgue dans les
églises, en dehors de son rôle dans l'accompagnement des motets, des
autres pièces de musique vocale harmonique, ou du jeu des proses.
Jusqu'ici, on n'a pas trouvé de renseignements complets à ce sujet.
Nous savons cependant que si, en 1299, on donne à l'organiste de la
Sainte-Chapelle, — moderatojn organorum — une gratification de
« 20 sous » dans une circonstance qui n'est pas déterminée, il est, peu
après, accordé pour l'année une somme de quatre livres à l'organiste
qui se faisait entendre aux grandes fêtes. En i3i5, cet organiste était
Pierre de Reims ^
Cependant, la place de l'orgue grandissait peu à peu, puisque diverses
décisions capitulaires font mention de petits livres où était inscrit avec
précision ce que l'organiste doit jouer tout au long de l'année 2.
Mais nous savons que dès la seconde moitié du xiv^ siècle, l'instrument
jouait seul certains versets et accompagnait le chant de diverses
hymnes, à partir d'un degré de solennité correspondant à nos doubles-
majeurs actuels. Un curieux récit de l'élection d'un évêque de Paris, en
même temps qu'il nous renseigne sur la présence de l'orgue au chœur
de Notre-Dame, est très caractéristique :
J'étais au maître autel avec les ministres, [c'est le célébrant lui-même, Guillaume
Tuisselet, chanoine « vicaire » de Saint- Victor, qui fait ce récit]. Je venais d'enton-
ner le Gloria in excelsis, que le chœur avait continué avec orgues, à cause de la
solennité de saint Nicolas. Tout à coup le peuple se précipita en criant au milieu
de la basilique, et ses acclamations couvrirent la voix des chantres et celle de l'orgue.
Voyant des gens courir tout effarés vers le grand autel, je me retournai vers le
chœur avec les ministres, et j'aperçus tout au fond, les chanoines qui entraînaient
l'élu de notre côté. Ils le firent monter au côté gauche de l'autel, moi me tenant
debout au côté droit ; et ils entonnèrent le Te Deum, qui d'ailleurs fut chanté
pitoyablement à cause de leur joie très grande. Heureusement que les orgues soute-
naient et renforçaient la voix des chanteurs... Après quoi nous achevâmes sans
autre incident la célébration de la messe ^.
On peut rapprocher de ce texte cette mention d'une fondation faite
à la fin du xv° siècle par un chanoine de Paris, qui prévoit l'exécution
1. Voir Brenet, Musiciens de la Sainte-Chapelle ; le nom ou surnom « de
Reims », est celui de toute une famille de trouvères et de musiciens dont les
membres se rencontrent à diverses reprises au xiiie siècle et au début du
xiv« siècle; en plus de cet organiste, un Renaud de Reims (141 5) fut nommé orga-
niste de Notre-Dame de Paris, le 28 octobre 1406.
2. Par exemple, Rouen, en i386 ; Troyes, même année; N.-D. de Paris, 1416; etc.
3. D'après le manuscrit latin 14.687 de la lîibliothèque nationale, fo 224 v". — Je
me sers de la traduction donnée par M. l'abbé Fourier Bonnard dan^ sa belle
Histoire de l'abbaye de Saint-Victor de Paris, t. I, p. 417. Il s'agit de l'élection de
Guillaume Chartier en 1447.
— DO —
de la prose Inriolata avec orgue. Pour la « station » où l'on chantait
cette prose et la messe solennelle qui faisait l'objet de cette fondation,
Torganiste devait toucher cinq livres tournois, et le souffleur dix-huit
sous '. Les prix s'étaient donc alors fort élevés depuis le commen-
cement du xiv^ siècle. L'alternance du chant et de l'orgue dans la même
prose Inviolata est nommément mentionnée dans une fondation ana-
logue d'un chanoine de Chartres -, à la même époque.
1. Brenet, op. cit., p. 43.
2. Clerval, La maîtrise de N.-D. de Chartres, s. cit., p. 140.
<:^ «fo ■==§0
APPENDICE
I
Notes sur quelques anciennes orgues, extraites du Ms, latin 729? de la
Bibliothèque Nationale de Paris (voir plus haut, p. 39)
F" i3i bis, recto. (J'ajoute la ponctuation, en réalisant les abrévia-
tions).
^ Notandum quod organum ' sancti Gyri habet, ultra fistulas consuetas, 12. fistu-
las tenoris : que fistule concordant cum tenore fistularum consuetarum, et sunt
fistule grossiores in longitudine fera sexqualiter ad fistulas grossières numerorum (?j ;
et habent cista - dicti operis latitudinem pedis cum dimidio et trium digitorum, et
latitudo clavium tantum, addito uno bono digito. Et fistule 10 note grossiores ullas
fornituras habent ; sed alie fistule très fornituras habent, seclusis duplicibus prin-
cipalibus. Toium residuum lo ^ fornituras habent. | Et habent ista organa très
folles, qui cum magnis baculis levantur. Et major quantitas forniturarum erat
octave. I Spissitudo sommerii una palma.
] Item organum majus cordigitorum i?i ^ habet, ultra organa simplicia, 10 fistulas
grossiores pro subdupla tenoris organorum, et hec 10 quia i"'» organa tripliciter
possunt sonare : vno modo, simplicia organa ; alio modo, duplicia, ita quod quelibet
clavis ingrossat per suam subduplam ; 3°, quod solum 10 grosse fistule servant pro
tenore, et simplicia organa pro discantu, et tune, manu sinistra oportet tangere te-
norem in 10 clavibus bassioribus solum. | Item possunt etiam aliter sonare organa :
I tangendo claves istas. 10. eminentes ab extra cum clavibus tenoris organorum
siraplicium ; sine hoc quod residuum fuerit subduplicatum. | Et habent duplicia
principalia et très fornituras pro prima semioctava : scilicet Sam, San» et 8^»n> 5e ut
inde(?) videbatur. | 2» semioctava quatuor fornituras | tercia semioctava 5e forni-
turas. I Totum residuum. G. fornituras. Et habent duas folles. | Et motus abbrevia-
turi est bene subtilis, et dupliciter fit. Prima abbreviatio ^ est infra [ J*'
cistam, taiiter quod uliima clavis querit ultimam fistulam principalem ; et si cum
hoc, queratur ejus subdupla, reducuntur caville que sunt adnexe clavibus inferio-
ribus occultis, ita quod perpenditur subter clavibus superioribus ; et tune, per
compressionem clavium superiorum et principalium comprimuntur claves inferiores.
Et ille inferiores habent filum ferreum adnexum transiens per claves principales
usque ad concavum ciste, et ibi est similem abbreviatum reducens usque ad subdu-
plas. I Et ista abbreviata in grosso depingetur postea. Et habet major fistula in
longitudine ab occasione 'ad] sursum .6. pedes mamiales cum 4 digitis.
] Organum autem misse Domini habet duplicia principalia in duo divisa ; et quod-
libet principale duas 5a» et una[m] octava[mJ habet. Et sunt ibi. 5. registra, ut tu scis.
En divers folios, relevés concernant le vieil orgue de Notre-Dame
de Dijon.
1. Le rédacteur avait d'abord écrit : quod hoc organum.
2. Cista : caisse, boîte, buffet.
3. Il avait d'abord écrit : 6.
4. Peut-être : « des Cordeliers » ?
5. Abrégé, accouplement.
6. Abréviation douteuse et peu lisible.
— 62 -
F°* 123 verso et 124, relevé minutieux des fournitures, touche par
touche, du vieux positif, accompagné de la note ci-jointe :
Huic tergali positive communis omnium canonicorum tenet assertio, simile
dulcedine sub sole irreperabile ; et eatenus diligentissime et ad unguem istic
annotavi, nec inest quin istic annotatum reperies.
El nota quod anteriores principales sunt stannei, omnes vero auxiliares et poste-
riores coprincipales sunt plumbei : et sunt calami valde ponderosi, quasi in triplo
spissioreres [sic] calamis stanneis lam parvi quam magni. Et nulla est in forami-
nibus pedum dyapason '. Divisio qua foratur c ^ [ut aigu] est ita magnum uti
superius / [fa]. Et unius est latitudo, alius stricti ; alius altitudo, alius bassi ; nulla est
penitus mensura. Et tamen approbatissimus est ab omnibus qui audierunt ; dicetur
quod [totum (?)] de artificialiter composite.
Après le relevé des tuyaux :
Veraciter et sine defectu et sunt 195 calami.
F" 127 et 127 verso, relevé du poids des anches et des dimensions
principales des tuyaux du jeu de chalumeau, assez curieusement
dénommés calami deicustodientes. Le détail en figure au f° 184 verso.
F° i32 Verso: « Fournitures des vielles orgues de Nre-Dame de
Dijon ». A la fin, « Somme toute : 768 » [tuyaux]. Puis, renvoi à un
autre folio pour les soufflets.
F" 184 verso : « Isti sequentes calami sunt plumbi antiqui et pulve-
rosi, operis Virginis gloriose in Divione ». Détails très minutieux sur
les proportions des tuyaux.
F° i35, description des soufflets, curieusement mélangée de français
et de latin :
La longeur des soufflés de Nrë Dame de Dijon : inter A et w, quinquies habite,
et inter a txb '^.
La largeur entre A et y bis sumpta, et inter a et c addito.
Nota : que le cuyr qui circuit le sofflet au bout devant sur le museau retient une
X petite pièce, que reflectitur super promucidem, autant que a et d, et autant
d'aultres part.
La haulteur du museau devant, comprend la planche de dessoubz qu'est
d'épesseur d'entre a et e, et la dessus pareillement est comme d'entre a et /. Et
chascun soufflet a iij costés distants devant également, et la levée du darrier est
entre /\ et w.
Item la largeur du cuyr de dessus le museau est d'entre A et g.
Et nota : que dessous les geus il y a autant de basaihne crue, et dessous ce y a
basainne de toute la largeur du soufflet, reflectant en bas d'une partie et d'aultre en
chascune d'ung poulx ; dessus laquelle basainne se réflecte ladfite] pièce procédant
du cuyr que dit est, (respice supra sub signo x) ; et lad [ite] basainne entre
lesd.[ites] deux pièces est chargée de semblable cuyr qui circuit led.[it] soufflet,
[note en renvoi : ] laquelle pièce ou remplissement est de trois pièces sans cousture].
Et dessus le tout une aultre pièce de cuyr semblable, tout au large dud.[it]
soufflet et passant en bas, d'autant que la planche dessous est espesse. | Soubz le
bout duquelle sunt deux aultres boutz qui descendent jusques en bas, et fort clous
I- Diapason signifie, dans le langage des facteurs du xvo siècle, la proportion
régulière entre les tuyaux, établie d'après les diapasons dont les traités donnent
les schémas pour la taille et la longueur de chaque tuyau.
?. Ces signes et ces lettres se réfèrent à des échelles portées sur le manuscrit, et
dont on peut déduire les dimensions que j'ai données page 45.
- 63 —
avec guyndes ; et les clos près l'ung de l'aultre aut.[ant] que entre a et ^i ; et entre
deux en y a ung petit.
F° i3o bis, formule d'alliage (voir ci-dessus, § II, p. 36) ^.
Ad faciandum [solidam tubam] optimissimam. , . . . ,
rPrimo stanni] boni et puri libre ij.. [plumbi] puri libra j. Et hquefacies insimul
Quou^que desuper color celestis vel lasurius iUa bene depingatur vel excumatur.
Postea infandesS [... r] [mercurii] et misceas bene, per spacium umus miserere,
cum bacillo vel ferro. Et si vis appone 3 B (?) stanni vel aliquantulum mirus (r) et
de glaciali. Interea [cave a fumo mercurii] quia venenosus est.
Le manu«=crit original, qui est un traité de mécanique, d'astronomie
et de facture d'instruments \ est dû à Henri Arnault, médecin-astro-
logue des ducs de Bourgogne, et dont une partie des observations
faites ici sont datées de 1425 à i43o. D'après deux notes émanant de
possesseurs de ce manuscrit, entre autres de Jean Le Franc, secrétaire
du cardinal de Guise, Henri Arnault était né à « Zuvolis in Germania »,
et mourut en 1460 ou 1465 (cf. f° 1 et xx,) ; il fut enterré à Saint-
Étienne de Dijon, dans la nef du milieu, devant la chapelle des fonts
baptismaux. . . , .
Les diverses notes additionnelles, telles celles que ] ai reproduites, ne
sont pas toutes de sa main, et il semble que les premières lui aient ete
envoyées par un correspondant, dont la missive a été intercalée entre
deux pages du livre.
» ♦
Au nombre des facteurs belges cités pp. 45 et 47. il f«"t 3)°"^^^ P^^'' '^ "" '^^
XIV. siècle, Jean Kyre, « maistre d'orgues » de Bruges, qui coristruisit un orgue
nour Arra; à la demande du duc Charles le Bon ; l'orgue, fait de toutes pièces a
Bruges fut' transporté « par forche de gens, tant par l'eauwe comme par terre de
Bruges à Arras . Ccecilia, revue musicale pour les Pays-Bas, 18 ^6, p. 114 ; citée par
Ritter, op. cit., p. 56.
1 Je mets entre crochets les mots écrits en cryptographie dans l'original.
2 Cette partie au moins du manuscrit mériterait les honneurs d'une reproduction
intégrale y compris, bien entendu, les figures et schémas qu'il contient, des plus
précieux pour la construction des orgues et d'autres instruments.
J'en ai présenté la description, et les photographies dues à mon ami F. t-corche-
viUe (mort au champ d'honneur en 191 5), dans une séance de la Société Française
de Musicologie ; voir Bulletin de cette Société, no 4, p. 195*197 (Pans, 1919)-
III
L'ORGUE EN FRANCE ET SON STYLE
De la fin du XV^ siècle jusqu'à 1635
L'Orgue en France
et son style
de la fin du XV' siècle jusquà 1635
L'orgue, avec ses fonds de 8, de 4, de 16 et même de 32 pieds ; ses
mutations : quinte, octavîn ou doublette, fournitures et cymbales,
était donc constitué au dernier quart du xV siècle. Un chalumeau puis-
sant y constituait le seul jeu d*anche, ou une simple régale dans les
orgue^ moins importantes.
Comme beaucoup d'instruments ne descendaient encore qu'au sol ou
au fa, la dimension respective des jeux était, le plus fréquemment,
6 pieds pour le diapason ordinaire, et, à l'aigu, 3 pieds par conséquent,
ou, au grave, 12 et 24 pieds. La dernière octave était donc incomplète :
on n'y comptait guère, comme « feinte )),que le si bémol, mais souvent
un tuyau supplémentaire donnait Vut grave ^
S'il est vrai que la presque totalité des orgues françaises n'avait
encore qu'un seul clavier, cependant bon nombre d'entre elles étaient
accompagnées, depuis le xiii'^ siècle, d'un positif séparé, et, depuis peu
de temps, on savait construire deux et même trois claviers manuels su-
perposés, et un clavier de pédale parlant en « tirasse » avec le grand
clavier. Les accouplements, quoique d'un maniement difficile, puisqu'il
fallait prendre les poignées d'un clavier pour l'accrocher à l'autre, pou-
vaient se faire du grand orgue au positif.
Pour le troisième clavier et les autres, quand tout à fait exception-
nellement on en ajouta, nous avons vu qu'il s'agissait soit d'un second
positif, soit d'un jeu d'anche séparé. (Voir chapitre précédent.)
I. Si la facture française (comme aussi celtes des Pays-Bas, de l'Espagne et de
l'Allemagne) connut de bonne heure d'intéressants développements, les factures
italienne et anglaise restèrent longtemps fidèles à l'orgue ainsi constitué. Tels les
instruments de cinq registres décrits dans les inventaires italiens du moyen âge
(L. Nerici, Storia délia Miisica in Liicca, p. i25 et s., 141 à 143), tel à peu près cet
orgue des environs de l'an i5oo conservé à Saint-Pierre de Rome, tels on construi-
sit encore ces instruments jusqu'au xix« siècle : la plupart du temps un seul clavier,
pas de pédalier ; très rarement un jeu de détail : flûte « solo » (de 4 pieds), cornet
— 68 -
Les facteurs vont s'ingénier, dès lors, à multiplier les timbres et les
différences de qualité dans les jeux. Au début du xvi* siècle, apparaît le
cornet^ — ainsi, à Saint-Pierre de Rome, — ce qui implique l'établis-
sement d'une « tierce » pour donner la sonorité de ce jeu ^ En 1547,
on dut déjà procéder au relevage des cornets de l'orgue de Sainte-
Madeleine de Troyes, ce qui implique qu'ils existaient depuis un cer-
tain temps.
Dès i5i5, on signale un jeu de Jlageolet dans l'orgue que Pierre de
Estrada dut faire pour l'église Saint-Vivien de Rouen-. Bientôt les jeux
d'anche nouvellement découverts apparaissent: Érasme parle des orgues
qui se font entendre dans les églises de Paris, avec sacqueboiite, trom-
pette^ cornet, fifre 3, ce dernier étant l'équivalent du flageolet de Rouen.
On avait fini par observer, en effet, — nous ne connaissons pas l'au-
teur de cette découverte, et il est singulier que dix-sept cents ans
eussent été nécessaires à cela, — on avait observé que les anches pou-
vaient fort bien parler au ton déterminé sans avoir besoin d'un tuyau
sonore, pourvu qu'elles fussent proportionnées au son adonner. C'était
le renversement d« ce qui constituait la fondation de l'orgue antique,
comme de l'instrument d'orchestre d'où il émanait. Ici, l'anche donne
surtout la qualité du timbre, le principal volume du son étant obtenu
parle tuyau. Avec la nouvelle découverte, — qu'on ne pouvait d'ailleurs
observer qu'au moyen d'une pression de vent comprimé plus forte, —
l'anche '^ est à la fois la productrice du timbre et de la hauteur du son,
le tuyau n'étant que l'amplificateur.
C'est là ce qui détermina l'invention des jeux de trompette, de sac-
queboute qui en est la basse, de clairon qui en est l'octave, jeux où le
tuyau n'est qu'un porte-voix ^.
ou voix humaine. J'ai cité déjà le curieux positif mobile de Sainte-Prisque (voir
chapitre précédent, p. 43).
Le « grand-orgue » de Saint-Pierre ici mentionné compte simplement deux « princi-
pali», de 8 et de 16 pieds, une « ottava » (prestant), avec leurs fournitures sonnant
en plein-jeu, et deux cornets : il fut construit sous Alexandre VI (1492-1503).
[W.AXb. C2.men\, Appendice k Girolamo Frescobaldi in i?oma, Turin, 190», extrait
de la Rivista Musicale Italiana.) A Saint-Jean-de-Latran, un orgue du xvi^ siècle a
un principal de 24 pieds.
En Angleterre, les 16 pieds n'apparaissent presque jamais avant le xvni» siècle :
encore les mentions qu'on en fait se réduisent-elles aux douze tuyaux les plus graves,
comme en plein moyen âge (p. ex. : cathédrale d'Exeter, en i6ô5). Le troisième
clavier n'est en usage guère qu'à la même époque, et encore fort rarement ; presque
jamais de jeux de détail. Enfin, le pédalier, et encore par simple tirasse, n'y est
employé pour la première fois qu'en 1790. (Voir l'article Organ dans le Dictionnaire
de Grove.)
1. On sait que le cornet est un jeu de mutation composé au moyen d'un 16 pieds,
d'un 8 pieds, d'un 4 pieds, d'un 2 p. 2/3, d'i pied et d'une tierce.
2. Pirro : Notice sur Le Bègue, dans les Archives des Maîtres de l'Orgue, en tête
du volume des œuvres de Le Bègue, p. x, note.
3. Dans une lettre de janvier ibii.
4. J'entends l'anche toute montée, ce qui est le vrai sens du mot, c'est-à-dire la
portion de demi-tuyau sur laquelle vibre la languette, et non pas cette languette
seule.
5. La trompette et \e posaune {■= trombone) sont cités dans la facture allemande
dès i5i I, par Arnolt Schlick dans son Spiegel des Orgelmacher.
- 69 -
Au fur et à mesure que se développaient les jeux des grandes orgues,
les régales disparaissaient peu à peu des inr.truments d'église, où on ne
les rencontre plus que rarement. Il est assez remarquable qu'en i6?2,
Titelouze, dans le devis qu'il établit pour le grand orgue de Saint-
Godard de Rouen, préconise ce jeu au lieu de la voix humaine ^ : serait-
ce que déjà en ce temps-là les facteurs réussissaient rarement ce dernier
jeu ?
La vieille régale restait néanmoins la base cju petit orgue domes-
tique encore très en faveur au xvi^ siècle, mais l'amélioration précé-
dente s'y remarquait. En effet, depuis les premières années du siècle,
on la construisait sans tuyaux, ce qui constitua tout d'abord une éton-
nante nouveauté -. L'absence de tuyaux qui laissait ainsi les anches sur
le même plan, comme dans nos modernes harmoniums, fit donner à
ces instruments pour l'usage privé le nom d'orgue « en table » qu'ils
conservèrent longtemps ^.
Des contrats et devis, récemment mis en lumière, soulignent la
faveur donnée aux jeux nouveaux.
Parmi ces derniers documents, le marché qu'au milieu du siècle la
fabrique de Saint-Etienne de Troyes passa avec un facteur (parisien,
croyons-nous) est très caractéristique de la recherche et du choix des
jeux nouveaux, que les cinquante années précédentes avaient imaginés.
En i55o, on décide de changer les orgues •« d'où elles sont pour les
placer vers la grande porte, [etl y faire plusieurs jeux nouveaux ». Ces
jeux sont spécifiés, avec de très curieuses et, pour nous, fort instruc-
tives explications, dans le contrat, signé l'année suivante.
L'orgue était « au ton de six pieds » : son clavier commençait ainsi
au /a; on y prévoit donc qu'il y aura une montre de six pieds,
garnie de tuyaux aussi gros que ceux de la montre de l'orgue de Sainte-Geneviève
de Paris ; sur laquelle il y aura un Saint-Etienne se mouvant comme s'il estoit en
vie !
Quant aux « jeux nouveaux », ou non, l'acte précise, avec quelque
mélange dans l'ordre des espèces, mais en accord avec la lettre d'E-
rasme :
Ung plein jeu ■* de Jlûies à neuf trous ; ung de haubois , avec la sacqueboutte et le
cornet sonnant comme quatre joueurs ; ung de voix humaines contrefaites ; ung de
fifre ; ung de cymbales ; ung de doubles flûtes ; ung de doucine ; ung ressemblant à
la voix d'un fausset ; ung de harpes ; ung chantant comme pèlerins qui vont à
Saint-Jacques, avec une voix tremblant ; ung de fiffre d'Allemand sonnant comme
1. Voir Pirro, Notice sur Titelouze, i»' volume des Archives des Maîtres de l'Orgue,
p. XIV.
2. l,a première mention s'en rencontre dans le Journal (Diario) de Cuspiniano, à
propos de l'entrevue entre le roi de Pologne et l'empereur en i5i5 (cité par Ritter,
Geschichte des Orgelspiels, p. 83). Le petit orgue de Cabeçon précédemment cité,
conservé à l'Escorial, appartient à ce genre.
3. Voir la réédition de VArt du facteur d'orgues, de Dom Bédos, supplémentée
par Hame!, tome III, .:i 323 et s., et planches, où ce genre est encore décrit.
4. L'expression « plein jeu « veut dire ici un jeu complet, entier, par opposition
au cornet, à la trompette, etc., qui longtemps ne furent construits au'en « dessus ».
à partir du milieu du clavier.
— 70 —
en une bataille ; ung de musette *, sonnant comme ung berger estant aux champs ;
une batterie de sonnettes, sept marches avec pédales ; une voix de rossignol ' se
mouvant et battant des ailes comme s'il estoit en vie ; une trompette sonnant
comme en une bataille avec le tabourin s.
Le reste, malheureusement, est illisible. Mais telle qu'elle est,
cette liste est fort intéressante, puisqu'elle porte précisément presque
exclusivement sur des variétés nouvelles, encore qu'il ne soit toujours
pas possible de les identifier parfaitement, Mais on peut les classer
toutefois ainsi :
Fonds : fliïte à neuf trous ; elle est indiquée par Mersenne comme
flûte douce de i pied ; la flûte ordinaire étant de 4 pieds, la double
flûte serait ainsi, poursuivre le langage de l'ancienne facture française,
une flûte de 8 p. *,
he Jï/j^e est l'analogue du flageolet, jeu de flûte de deux pieds ; le
/ift'e d'Allemand doit être le même jeu que l'on nomme un peu plus tard
fliite allemande^ que l'on fait souvent en 2 pieds, bouchée, sonnant
ainsi 4 pieds ; je pense que la harpe^ comme l'était le jeu de
l'époque carolingienne où Ton croyait reconnaître le pincé de la lyre,
devait être une sorte de viole ou viole de gambe ^.
Anches : trompette; sacqueboute, qui, étant le nom français ancien du
trombone, doit désigner, ici et dans la lettre d'Érasme déjà citée, la
« basse-trompette », la trompette d'orgue ne s'étant longtemps faite
qu'en « dessus » ; hautbois ; musette ; voix humaines.
Mutation : cornet, on remarquera, à propos de ce jeu, la mention de
sa force, spécifiée dans le marché de cet orgue de Troyes : « sonnant
comme quatre joueurs » ; rossignol, mutation composée donnant
ordinairement une « sesquialtera » dans les degrés aigus, ut, sol, mi.
J'ignore si la doucine est un jeu de fonds ou un jeu d'anches ; au
xiv^ siècle et au xv% doucine et douçaine désignent à l'orchestre tantôt
une flûte, tantôt une variété de hautbois, et on trouvera plus tard
encore à l'étranger des dénominations similaires dans des jeux des deux
espèces : dulciana, dulcan, etc. Pour le fausset, je ne voyais pas tout
d'abord ce que pouvait être ce jeu : mais M. Raugel me communiqua
fort aiinablement que le grand orgue de la cathédrale de Béziers, en
1623'', possédait au positif une j>oix de petits enfants, de quatre pieds.
On peut l'assimiler au fausset de Troyes, c'est-à-dire à une voix hu-
maine sonnant à l'octave.
N'insistons pas sur : la batterie de sonnettes, — le « Saint-Etienne
I. 2. Mersenne s'exprime donc d'une manière large, lorsque vers iG3o, il
parle des orgues « dont on augmente encore tous les jours les inventions », comme
« rossignol, musettes, haut-bois ». (Je cite plus loin ses ouvrages.)
3. Publié par l'abbé A. Prévost, op. cit. dans l'étude précédente, p. 100 et sui-
vantes.
4. On ne saurait la confondre avec la doppel-ou duijlôtc allemande, qui est une
« bifara * formée de tuyaux à deux bouches.
5. Ce jeu de vihuela existait au cours du xvi» siècle dans les orgues espagnoles.
6. Construit par Guillaume Ponchct, facteur belge.
— 71 —
se mouvant comme s'il estoit en vie»^, le rossignol de même, qui sont
à rapprocher des soleils, lunes, roues, têtes dé îMore, du « Gueulard »
de Metz, et autres amusettes tant goûtées de nos ancêtres. On peut sup-
poser que le petit oiseau, à en juger par des équivalents, se laissait
observer quand l'organiste tirait le registre du jeu de rossignol -. — Le
tremblant^ enfin, des plus précieux pour le goût du temps.
Son usage devait être fort ancien, puisque Mersenne parle de ceux
« dont on usoit autrefois, comme l'on void encore dans les vieilles
orgues » 3. Il en était de deux espèces : le tremblant à rent perdu, ou
ouvert, le plus ancien, et le tremblant à vent clos, ou tremblant doux,
qui (C est plus agréable», dit le même auteur, parce qu' « il ne bat pas
l'air si rudement ny si promptement que l'autre ». On usait énormé-
ment de l'un et de l'autre. Nivers conseille même le tremblant à vent
perdu avec le « grand jeu » ! Ce goût ne se modifia que peu à peu. Il
faut venir à l'époque où t)om Bédos décrit les principaux mélanges de
l'orgue (en 1778), pour les voir définitivement déconseillés, sinon le
tremblant doux avec la voix humaine, « seUl cas où les Organistes, qui
ont le plus de goût pour l'harmonie, s'en servent ».
Nous ne savons point comment ces jeux étaient, au milieu du
xvi^ siècle, répartis entre les deux claviers, mais les devis qui restent
d'époque un peu plus récente contiennent en tout ou partie les mêmes
jeux et d'autres analogues. On peut considérer que les orgues — orgues
d'une certaine importance, s'entend — construites dès avant le milieu
du xvi^ siècle jusqu'assez loin dans le xvii*, étaient susceptibles de pos-
séder les jeux suivants, connus soUs les dénominations devenues clas-
siques :
Au clavier du « grand orgue » ":
1. Montre, d'étain fin (ancien Principal et âoublê-principaï), ordi-
nairement de 16 pieds, celle dé 8 étant réservée ail positif. Ehcôre eh
i66d, Nivers, qui indiqué la montre de 16 comme base de ses regis-
trations, dit qu'on peut aussi employer celle dé 8j « s'il y en a ».
2. Bourdon, de bois, de 8 p. bouché, ou de 16 p. ouvert, « gros bour-
don » [notre bourdon de 16].
3. Bourdon de 4 p. bouché (B. de 8). On l'appelle aussi « àlltrê bôuN
don » ou « petit bourdon » par rapport au précédent.
4. Prestant, en étain, de 4 p. ouvert [ancienne Octave].
1 . Voir aussi les saints Gervais et Protais de l'ofgué de Gisors, dont « les images »
doivent « marcher estant es dites orgues » (1578) ; cf. mon article dans la Tribune
de SainL-Gervais, \'II, p. i32 et s. A cet orgue, uh grand seize pieds en montre, ne
manquait d'ailleurs pas « un soleil d'or tournant » et la lune de même.
2. Il y a eu d'autres « petits oiseaux » : les Espagnols et les Portugais ont pra-
tiqué un certain jeu de pajarillos, dans lequel des fournitures aiguës gargouillaient
dans un bocal plein d'eau !
3. Il existait aussi en Italie et en Espagne. On citait dans ce dernier pays l'orgue
légendaire de l'idéale « sea » (cathédrale) de Mostoles, où l'on entendait les voces
humanas avec leurs < arias » con tremblantes ; un peu plus tard, Girolamo Diruta,
dans son Transilvano, recommande l'emploi du tremblant avec les fonds doux et
un principal de 16 pour jouer pendant l'Élévation.
— 72 —
5. Doublette, ou « quarte de nasard » (et à ce titre considéré au même
rang que les jeux de mutation), de 2 p., les pieds de plomb, et le corps
d'étain, enseigne Mersenne dans son Harmonie universelle^ et aupa-
ravant dans ses Harmonicorum libri xii.
6. Flageolet (ou Fifre) de 2 ou de i p.
Ces jeux forment la base, le « fonds » de l'orgue ; on leur ajoute une
série dt jeux de la famille des flûtes, emprunt peut-être à la facture
espagnole ^ ou à la facture allemande 3, mais qui ne se répandent pas
avec ensemble ; et tout d'abord, dès le xvi* siècle :
7. Flûte allemande^ de 4 p., ou de 2 p. bouchée, d'étain, et à che-
minée, « par laquelle on remplace le Prestant s'il n'y en a pas ».
8. Flûte douce ou Jlûte à neuf trous, de i p. Puis :
9. Le S pieds ouvert^ moitié bois, moitié étain ; ce jeu garde ce nom
jusqu'à la fin du xviii^ siècle, oii prédomine alors le nom dt flûte de 8.
Les jeux de mutation comprennent :
10. « Gros » Nasard, de 5 p. i/3, à cheminée, ou en fuseau. C'est
l'ancienne quinte ; cette variété a été, dit-on, introduite par les facteurs
belges ou hollandais, avec le nom de 7iassat^. Jeu abandonné dans les
orgues modernes, où n'a été conservé que le suivant.
11. K Petit » Nasard, de 2 p. 2/3.
12. Tierce, de 3 p. 1/2, sonnant donc la tierce du prestant, appelée
aussi « grosse tierce » ou même a double tierce », pour la distinguer de
celle du positif. Déjà en usage au premier quart du xvi* siècle, puis-
que ce jeu entre dans la composition du cornet.
i3. Larigot, d'i p. 1/2. Ce nom est une corruption du terme an^o^
(de l'italien arigo) signifiant un fifre aigu, précédé de l'article/.
14. Fourniture^ d'i p., en étain ; plusieurs rangs (au moins quatre)
sur chaque marche, avec reprises d'octave en octave. On a vu précé-
demment son origine et son développement au moyen âge.
i5. Cj'tnbale « à 3 pouces d'étain », complément du précédent ; plu-
sieurs'rangs ; reprises de quinte et quarte. On a distingué la « grosse
cymbale » du grand orgue de la « petite cymbale » du positif, qui peut
n'avoir que deux rangs.
1. Je me sers d'ailleurs avec avantage des détails donnés par le savant religieux,
et qui représentent, avec les progrès de la facture d'orgue jusque vers i63o, la tra-
dition des orgues du xvie siècle.
2. Dès les années i56o à i58o, et même avant, les orgues espagnoles avaient toute
une variété de Jlautado^ jeu ouvert de 16, de 8, de 4, de 2 pieds ; des violes, des
dulcianas. L'orgue de l'Escorial vers iSyo, avait un pédalier aux jeux déjà impor-
tants : sonorités correspondant aux flûtes de 8 et 16 {flautado menor, Jlautado
vxayor), au bourdon de 16 {bordôn), une octava (4 p.), plein-jeu^ trompette et
clairon, orlo (qui est une sorte de cromorne).
3. C'est déjà au début du siècle que la facture allemande employait le gemshorn,
le schweigel, les rausspfeiffen, et des jeux de pédale séparée, pour lesquels
Schlick, en i5ii, dispose d'un Principal, une Octave, une Trompette, un Trom-
bone (Posaune) et une « rausspfeiffe ». Cent ans après, Praetorius cite une douzaine
de variétés Je flûtes et de bourdons.
4. Ce n'est donc pas parce que ce jeu « imite une voix nasillarde» (!), comme
disent nos dictionnaires classiques, qu'il a ce nom. « Nazard » est donc une forme
française du flamand « nassat ».
- 73-
i6. Cornet, de cinq tuyaux par « marche », que beaucoup d'orgues n'ont
pas encore vers le milieu du xvii' siècle ; on y supplée par des mélanges
que nous indiquerons plus loin. Ce jeu, comme les suivants, ne com-
prend habituellement que le dessus et commence au milieu du clavier.
Les jeux d'anche :
17. Voix humaine^ régale ou chalumeau^ le jeu primitif de l'orgue.
18. Tî^ompette, d'étain, sonnant 8 pieds. La sacqueboute. trombone
ou posaune, citée plus haut à deux reprises, ne reparaît plus dans l'orgue
français, je pense que c'est tout simplement la basse-trompette, puisque
la vraie trompette n'avait qu'un dessus.
19. Cléron, d'étain, qui est une trompette de 4 p.
20. 21. Enfin, classons comme rares le hautbois et la musette de
l'orgue de Troyes.
Les jeux divers ajoutés à l'orgue au cours du xvi' siècle semblent de
bonne heure avoir été appréciés pour mettre en relief certaines parties
du contrepoint. Les compositions des Espagnols, vers i58o, offrent des
exemples d'un demi-jeu aigu en solo, accompagné par les jeux doux
d'un autre clavier * ; et, en 1 6 1 3, Titelouze semble connaître cette même
façon de faire prédominer un thème, lorsqu'il cite et loue non seule-
ment « le hault cornet », mais « la flûte pathétique et le clairon » 2. Ce
sera souvent la raison d'être du troisième clavier, où l'on place de pré-
férence les deux ou trois jeux que l'on veut « séparer » ou « mettre à
part », et qui précisément sont habituellement une flûte, un cornet, une
trompette ^.
Au positif, appelé aussi « petit orgue » parce qu'eifectivement il est
une réduction du « grand orgue », on peut placer les jeux suivants,
doublets, en moins forts, des précédents.
1. Montre de 8 (ou de 4, qui dans ce cas tient lieu de prestant).
2. « Petit » Bourdon de 4 bouché {= 8).
3. Prestant.
4. Doublette.
5. Flageolet.
6. Flûte allemande, de 2 p. bouchée.
7. Na^ard de 2 p. 2/3.
8. Larigot ou « petit » nazard du positif, i 1/2.
1. Voir entre autres, dans Y Antologia de Organistos Cldsicos Espanoles de F. Pe-
drell, la pièce de Fr. Peraza, n» xv. Ce « medio registre alto » peut être un cornet
ou une trompette. On trouve, à la fin du Livre d'Orgue des Frères Croisiers de
Liège publié par Guilmant, des fantasie per sonar lo Cornetto écrites exactement
dans la même forme et le même style.
2. Ainsi, on comprend fort bien de celte façon l'entrée des parties supérieures,
au verset Suscepit Israël de son Magnificat du v-' ton, tandis que l'entrée de la
main gauche doit sonn:r à un autre clavier, jusqu'après l'exposition de la fugue.
Remarquons respectueusement ici, sans vouloir faire tort à la chère mémoire de
notre maître (iuilmant, que, dans ses premiers volumes des Archives des Maîtres
de l'Orgue, \es registrations ou attributions de claviers ne correspondent point en
tout à ce que les recherches plus récentes ont révélé sur le choix des jeux et des
claviers préférés par les anciens organistes.
3. Même d.spoiition en Es,>agne.
— 74 —
9- Tier cette de. lo pouces.
10. Fourniture de. 3 rangs.
1 1 . Cymbale de 2 rangs.
Enfin, aux jeux d'anches, tant du grand orgue que du « petit », ajou-
tons le cromoî^ne^ qui apparaît vers 1625, et semblerait, par son nom,
un emprunta la facture germanique, si l'on ne savait que la musique
de la Grande-Ecurie du Ro}^ contenait depuis longtemps des cromornes
comme instruments d'orchestre. Le cromorne de l'orgue, ancêtre de
nosjeuxde basson et de clarinette, est donc appelé ainsi à l'imitation de
son homonyme de l'orchestre. Toutefois, l'orgue allemand connaissait
déjà le Krummhorn, cité par Praetorius en 1610, et cinquante ans au-
paravant, on trouve l'or/o, qui est un jeu analogue, en Espagne, entre
autres à l'orgue deTarragone, instrument célèbre.
Le clavier de pédales est encore peu développé, bien que d'excep-
tionnels instruments aient déjà — et sans doute dès la fin du xv^ siècle
— des pédaliers chromatiques de deuxoctaves etdemie, d'wi à/a, comme
à Rouen. Mais au lieu d'être composé de touches analogues à celles des
claviers manuels, le pédalier français restera longtemps encore formé
de billots de bois disposés en quinconce, et distants, l'un de l'autre, de
l'intervalle moyen de la pointe au talon du pied ^ Cette disposition
constituera chez nous une infériorité : on emploiera surtout la pédale
pour les tenues de basse des « plains-chants » en contrepoint fleuri, ou
pour faire ressortir un thème lent au milieu de la marche des parties
harmoniques. Bien que Titelouze conseille l'emploi du clavier de pé-
dales, avec tirasse du grand orgue « pour y toucher la basse-contre »
d'un quatuor, peud'orgânistes seront encore capables de cet art. C'est
seulement au premier quart du xvii^ siècle qu'apparaissent en France
des jeux spéciaux au pédalier, et simplement :
1. Une flûte de 8 p. bouchée (sonnant 16 p.) ; quelquefois une autre
de 4 (sonnant 8 p.).
2. Un jeu d'anche ou tî'ompette^de 8.
Nous sommes loin du puissant pédalier allemand ou du riche pédalier
espagnol .'^( Voir plus haut page 72, notes 2 et 3.)
Telle était donc la composition des orgues importantes, nouvelle-
ment construites, avec les perfectionnements apportés au xvi^ siècle et au
commencement du xvn^ à la facture de l'instrument. Par la liste de ses
sonorités, on voit que les oreilles musicales étaient, — comme avec les
vieux positifs du xiv^ siècle, — plutôt sensibles à l'ensemble résultant
des harmoniques sonnés par les divers tuyaux, qu'à la prédominance
d'un diapason déterminé. Par exemple, pour la proportion de jeux
aigus et de mutation qu'offre la précédente liste, un orgue moderne
aurait plusieurs jeux sonores de fonds et d'anche de 8 pieds et de 16
pieds. Le pédalier serait également beaucoup plus développé.
I. Cette disposition resta en usage en France jusqu'au coursdu xix« siècle ; ce fut
Boë'y qui, en iS36 , installa chez nous les pédaliers dits « à l'allemande », dont le
pre Dier fut appliqué à l'ancien orgue de la Sainte-Chapelle transporté à Saint-Ger-
main-l'Auxerro i^.àaris.
- 73 —
La prédominance des jeux de pédale et des fonds de 8 était alors une
particularité des factures espagnole et allemande ; elle ne s'introduisit
chez nous que peu à peu, où le goût pour les sonorités aiguës conti-
nuait à s'imposera Mais la pression de vent des diverses variétés de
l'orgue ancien était faible, comparée aux instruments modernes, — où
elle est, d'ailleurs, fréquemment trop forte -. — On peutenjuger par les
orgues qui subsistent encore, soit de construction ancienne, soit cons-
truites suivant les anciennes formules. Les prestants, par exemple, ont
une sonorité exquise, comme celle d'une forte flûte d'orchestre, les
fournitures et cymbales sont beaucoup plus douces aussi, et les grands
jeux d'anche n'ont point cette puissance des modernes : il faut s'en sou-
venir pour la réalisation pratique des pièces d'orgue anciennes,
en évitant dans leur registration tout jeu de sonorité trop violente,
qui donnerait un caractère pour ainsi dire agressif à des ensembles qui
doivent rester sonores sans exagération. Aussi gagnera-t-on souvent à
ne pas employer indifféremment nos montres et prestants, dont les
diverses variétés actuelles de flûte et de gambe peuvent fréquemment
suffire à tenir la place dans l'interprétation des pièces anciennes.
II
Ainsi, les progrès mêmes de la facture des orgues, de la fin du xv^
siècle aux premières années du xvii% concurremment, par conséquent,
avec l'apogée de l'a cappella et de la polyphonie vocale sans accompa-
gnement, montrent que celle-ci n'était nullement exclusive des autres
formes, comme on l'a gratuitement supposé. Partout, l'orgue est cité,
au même titre que les voix. En Belgique et en France, sans doute,
qui étaient la patrie du quatuor vocal, on préférait souvent entendre
celui-ci à découvert : nous savons formellement que les grandes cha-
pelles, telle celle du roi, exécutaient ainsi l'office divin ■•. Mais à l'étranger,
en Espagne avec Morales et Victoria, à Munich avec Lassus, l'orgue et
les autres instruments accompagnaient les polyphonies vocales reli-
gieuses et, en France même, il en a été parfois de même, ainsi en cette
fameuse entrevue du Camp du Drap d'Or, où, en i520, les chapelles
royales de France et d'Angleterre rivalisèrent, accompagnées par leurs
organistes et même par les sacqueboutesde la musique militaire.
I. Quelques dates sur cette introduction tardive dans notre facture. C'est en 1692
seulement que Boyvin fait ajouter un bourdon de 16 p, à la pédale de l'orgue de la
cathédrale de Rouen, — En 1775, Dom Bédos, dans son devis d'un grand 32 pieds,
ne comprend qu'au récit une flûte de 8. et aux autres claviers un seul « second S p.
ouvert » et une flûte de 4 p. — A la cathédrale d'Amiens, lorsqu'on refit le grand
orgue en i833, le pédalier de cet instrument cependant important n'avait pas encore
de fonds de 16 p. et seulement une bombarde de iG qui datait vraisemblablement de
1769.
3. Cet inconvénient, ce revers de la médaille des progrès modernes, est surtout
sensible avec les prestants et pleins-jeux, où nos facteurs actuels ont trop habituelle-
ment la tendance à forcer la sonorité.
3. Dans la musique profane, il en était autrement. La Bataille, de Jannequin.
n'était vraisemblement exécutée qu'avec des instruments ; plus tard, les psaumes de
Marot sont, à la cour même, soutenus ainsi.
-76-
Mais, chez nous, si, à l'époque du grand art vocal, raccompagnement
par l'orgue, habituel au moyen âge, disparaît ordinairement, ce n'est
pas que l'instrument soit privé du moyen de s'exprimer : j'allais dire :
au contraire. L'opposition, en effet, des deux moyens d'expression est
d'autant plus vive que ceux-ci paraissent plus indépendants. Aussi,
l'orgue a-t-il, au xvi* siècle, continué de se faire entendre en perfec-
tionnant ou en développant les procédés qu'il utilisait antérieurement
non seulement en tant qu'instrument d'église, mais aussi comme dis-
traction musicale.
Les titres delà collection d'orgue en six volumes, publiée par Altain-
gnant à Paris en i 53o et i 63 1 , sont très instructifs à ce point de vue ^
Les trois premiers livres sont de la musique d'église ; les trois autres
constituent un répertoire profane, ce dernier formé principalement de
« transcriptions» de chansons. Toutes cespiècessontnotées dansla « tabu-
lature » des instrumentsà clavier, analogue à celle du luth, et cela montre
que l'on n'hésitait pas à jouerindifféremment tellepièce sur l'un ou l'autre
des instruments ^.
Les trois premiers de ces volumes contiennent :
l. Magnificat sur les huit tons avec Te Deu\m]laudamus et deux Pré-
ludes... — IL Le plain-chant de Ciinctipotens et Kyrie fons avec leurs
Et in terra. Patrem. Sanctus et Agnus Dei... — IlL Treze Motetz musi-
caulx avec ung Prélude.
Nous avons donc là l'indication précise du répertoire d'un organiste
français, au premier tiers du xvi^ siècle : préludes courts, dans les di-
vers tons, et postludes ; versets en contrepoints fleuris sur les thèmes
du plain-chant où l'orgue avait l'habitude d'alterner avec lechœur; trans-
criptions variées et ornées de motets, et de chansons sérieuses dont
quelques-unes sont devenues des chants religieux, ainsi le // me suffit
de tous mes maux plus tard superbement magnifié par Bach, ou encore
des « noëls » qu'on avait déjà l'habitude de sonner sur les orgues de
l'église 3. Ces transcriptions représentent les « pièces d'orgue » alors
usitées, en plus des versets. Tel des Préludes est aussi majestueux que
le seront, près d'un siècle plus tard, les pièces de Titelouze, tandis que
le Deo gratias de la messe des solennels donne déjà l'impression excep-
tionnelle dans ce répertoire, d'un « récit» accompagné, en contrepoint
fleuri et élégant sur le thème placé au ténor :
1. La description en a été donnée par Ritter, dans sa Geschichte des Orgelspiels,
I, p. by et s., avec transcriptions de quelques pièces, II, nos 35 à 40. Nous nous y
référons. L'unique exemplaire connu de cet inestimable trésor de la musique
d'orgue française se trouve à la bibliothèque de Munich.
2. Voir l'étude précédente sur l'orgue au moyen âge, § III, ausujet des tabulatures,
3. Lettre d'Érasme déjà citée.
— 11 —
L'un des versets du Te Deum est très caractéristique du « plein jeu »
sur un thème de plain-chant :
î
Œ
g
^.r^n^
iJ3J3^
■v.-vj'; ^ -»•=•«
^
1
:iï:
Œff
Parfois, de larges accords coupent la trame du « plein jeu » :
^È
Nous pouvons trouver dans d'autres recueils, étrangers en apparence
au service divin, des références utiles à notre art.
Car, si on se laisse guider par ce que dit Thoinot Arbeau dans son
Orchésographie (iSSg) en parlant des Pavanes, on peut raisonnable-
ment en conclure que les organistes du xvi^ siècle en ont « sonné » pour
les cortèges d'apparat : Nos joueurs d'instruments la sonnent quant on
meyne espouser en face de la saincte Eglise une fille de bonne maison et
quant ils conduisent les prebstr es, le bâtonnier et les confrères de quel-
que notable confrairie^.
Et un peu plus loin, l'interlocuteur du bon chanoine, revenant sur ce
sujet, et constatant combien la Pavane convient aux marches ecclésias-
tiques, lui dit ; Et vous aultres vestu^ de vos longues robes, marxliants .
honnestement avec une gravité posée ^.
Les auteurs de ces « dances nobles » ont d'ailleurs pu en destiner
directement à l'usage religieux, à en juger par telle pièce du recueil de
Cl. Gervaise, de 1347, ^^ la Pavane « Si je m'en vais » suivie de sa
Gaillarde, suit entièrement les thèmes de la psalmodie du I^ton, variés
en deux espèces de mesures différentes, et qui pourraient aussi bien
former des versets de Magnificat.
Et comme, de fait, les livres espagnols en tabulature de luth, dès la
première moitié du siècle, peuvent servir aussi bien pour l'orgue et la
harpe — para tecla arpa y viiiuela — ; comme, à la fin du même temps,
les recueils anglais pour le virginal, tels le Fiti-William virginal book
et la Parthenia, contiennent des préludes et autres pièces pour l'orgue ^ ;
comme VHorlus musarum de i552, conservé à la bibliothèque de
Dunkerque, contient parmi ses pièces de luth, nombre de iranscrip-
1. Page 27 delà réimpression de Laure Fonta.
2. Id. p. 29.
3. Joignons-y ce fait d'un des manuscrits de musique de luth de la bibliothèque de
Vesoul, où ne figurent presque que des transcriptions variées de motets et de Ma-
gnificat, plus des pièces que l'on trouve à la fois dans les livres de luth et les tabu-
latures d'orgue ; l'une d'elles, en forme de chanson frant^aise, la Organistina
~ 78 -
tions et même à\%ccompagnements des motets célèbres S ainsi je ne mets
pas en doute que nos confrères d'alors n'aient imité aussi, à contraîHo^
les « hautbois et saquebouttes » qui sonnaient les pavanes lors de
l'entrée d'un monarque.
J'interprète ainsi, par exemple, les premiers et quelques-uns des der-
niers numéros du Trésor d'Orphée publié pour le luth par Antoine Fran-
cisque tout à la fin du siècle 2, débutant par les brillantes variations
accoutumées, dans le style des pièces d'orgue de Cl. Merulo, sur le cSiTi-
tique fameux Sz<{aw«ew;//owr, et dont les pièces qpi suivent, préludes et
fantaisies, danses solennelles, pavanes et passemaises, peuvent très cer-
tainement servir d'illustration à la musique d'orgue, puisque nous en
retrouvons les rythmes majestueux, la coupe, certaines formules de
figuration, dans les « Livres d'orgue » copiés quelques années après ^ :
Les mouvements mélodiques de quarte descendante, enchaînés par
seconde (fa do ré la si ^fa sol\ etc.), qu'on croit souvent avoir été mis
en usage par Frescobaldi, sont un emprunt direct aux luthistes, et maint
exemple s'en présente chez Francisque. Il en est de même des formules
de cadence en larges accords, si goûtés plus tard dans la musique d'orgue,
où le dessus s'épanouit par un mouvement ascendant de la tonique
sur la tierce ou même la quinte avec tierce majeure, et qui est caracté-
ristique des pièces solennelles dans l'œuvre de luth de Francisque^:
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bella, avec une entrée fuguée très caractéristique, renferme des effets d'écho avec
nuances marquées, pour la première fois, par/ et f se rapportant tout naturelle-
ment à l'opposition des deux claviers de l'orgue. Ce manuscrit est d'origine italienne.
La notice détaillée en a été publiée par Michel Brenet dans la Revue d'histoire et de
critique musicale, 1 901, avec la transcription de cette pièce, dont il est aisé de re-
connaître la forme organistique, malgré les lacunes de la tabulature du luth.
1. Voir la remarquable étude de H. Quittard sur ce livre dans le tome VIII des
Sammetbânde de V I. M. G. (Recueil de la Société Internationale de musique), avec
la reproduction, de la réduction au luth du Stabat de Josquin des Prés, destinée à
accompagner le soprano solo, Paris, 1906.
2. Réédité en transcription moderne par H. Quittard.
3. Tel que le Livre des Frères Croisiers de Liège, réédité par Guilmant dans ses
Archives des Maîtres de l'Orgue. Comparez aussi la Fantaisie n» 3 de Francisque
avec celle de Peter Cornet sur le même thème, également éditée dans le même vo-
lume; les no» 4 et 5 semblent déjà annoncer de Grigny et Bach.
4. Eu Allemagne, le luth est plusieurs fois mentionné comme jouant ù l'église
— 79 —
Les développements de la facture d'orgue au cours du siècle furent
certainement accompagnés des modifications des formes jouées sur l'ins-
trument. Les uns et les autres s'influencèrent réciproquement. On ne
peut concevoir, par exemple, que les cornets fussent destinés à jouer
des « pleins jeux » ; ce n'est pas sans raison que la flûte « solo »
pouvait prendre place dans le rang des instruments admis à l'orgue ;
et l'on ne saurait s'imaginer que les pièces à l'a contexture poly-
phonique jouées à l'orgue, sinon sur de très petits instruments,
aient toujours été exécutées par une masse compacte de jeux.
A parcourir les œuvres de FEspagnol Cabeçon, on voit très nette-
ment que leur disposition a souvent demandé deux claviers distincts K
Chez nous, à défaut d'œuvres subsistant entre les recueils d'Attaingnant
et la fin du siècle, nous savons néanmoins comment un de nos maîtres,
Titelouze, exécutait ses versets fugues dont la forme paraît dérivée des
versets espagnols : basse à la pédale avec tirasse des huit pieds du grand
orgue; « taille » et « haute-contre » à la main gauche, sur l'un des cla-
viers manuels, et le dessus à la main droite sur un autre clavier, telle
est une disposition qu'il recommande. Le timbre ou la force des jeux
restait à choisir par l'organiste suivant le genre du verset qu'il avait à
jouer 2. Lorsque par exemple, un « plain-chant » en valeurs longues se
trouve non plus à la basse, mais au ténor, « en taille », comme on
disait, il va de soi que, pour le faire ressortir, il faudra d'autres sono-
rités que celle des parties figurées qui l'accompagnent. Cela s'obtiendra
aisément lorsque, à l'imitation des orgues espagnoles et allemandes, on
aura pour la pédale des jeux spéciaux; mais, jusque-là, l'effet ne se peut
en obtenir qu'avec l'un des claviers manuels, ou la tirasse accouplant le
pédalier à l'un de ceux-ci, avec des jeux au timbre clair et tranchant.
Ce fut toujours le dessein des grands organistes français d'autrefois
de donner ainsi un coloris différent à chacune des voix de leur poly-
phonie, chaque fois que cela est possible, et de même que Titelouze
pour la fin du xvi^ siècle et les débuts du xvii% près de deux cents ans
plustardDom Bédos le recommande encore pour les w fugues de mouve-
ment», après Niverset d'Anglebert, après Gigault, Le Bègue, Boyvin
et autres.
Cette recherche et ce mélange des jeux pour obtenir de l'orgue des
effets de sonorité variés étaient l'un des caractères de l'ancienne école
française. Une phrase de Maugars a été maintes fois citée, où il met
justement en opposition avec les nôtres les organistes italiens, dont les
instruments, à la fin de la période qui nous occupe, ne pouvaient pas
leur donner la variété de jeux dont usaient les français.
des préludes et pièces solennelles. Plus tard encore, les grandes œuvres d'orgue de
Bach, qui en avait souvent pris le modèle à son maître Buxtehude, renferment bien
des passages qui viennent beaucoup plus de la musique du luth que de celles du
clavier.
1. On rencontre, par exemple, des pièces où les deux parties de dessus croisent les
deux parties graves, ce qui n'est pas possible avec un seul clavier.
2. Voir page 73, note 2.
— 8o —
Aussi ne faut-il pas s'étonner, à mesure que les nouveaux jeux de
détail se répandirent, que les organistes français aient recherché le
« récit » accompagné, phrase expressive donnée en solo sur un seul
clavier, soutenue des fonds doux d'un autre clavier. Or, c'est précisé-
ment à cette époque qu'une partie du style d'orgue perd le caractère
de la polyphonie pour acquérir celui de V « air ». Sans doute, l'air ou
le récit d'une voix ou d'un instrument accompagné par d'autres furent
de tout temps ^ ; mais jamais il n'apparaît jusqu'alors sur l'orgue, sinon
par rarissime exception ^.
Toutefois, tandis que le « récit » ou solo expressif était resté excep-
tionnel dans l'art du xvi^, il prend une singulière faveur avec les ballets
de cour tant goûtés à partir de Henri III ^, et de plus en plus au temps
de Louis XIII. En même temps, les chœurs eux-mêmes se rapprochent
de l'écriture verticale, une mélodie prédominant au supertus, et les
autres semblant l'accompagner plutôt que la contrepointer. A Paris,
Nicolas Formé, à la chapelle du roi et à la Sainte-Chapelle, est le prin-
cipal auteur qui tend à ce nouveau genre (il s'épanouira plus tard chez
Lulli), et qui aime opposer, en manière d'écho, inspirée sans doute de
l'école vénitienne, un grand chœur et un petit chœur, celui-ci plus fin
de forme, et où des passages particulièrement expressifs sont encadrés
de larges et sonores accords, genre affectionné du roi Louis XIII.
Toutefois, bien que l'indication de l'écho se trouve dans la transcrip-
tion en tabulaturede VOrganistma, que les Flamands s'y soient essayés
a\ ec Sweelinck, et que Mersenne en cite l'effet dans la pratique des orga-
nistes, vers 1626 à i63o, ni semblant d'écho, ni rien non plus qui
s'npproche d'un jeu en récit ne se trouve chez Titelouze, considéré
cependant alors comme notre plus grand organiste, et dont les Hymnes
de r Eglise et les Magnificat, publiés respectivement en i623 et 1626,
sont encore écrits dans le style polyphonique, en forme d'imitation
et de fugue. Et il est intéressant de voir comment l'organiste de Rouen
s'efforce à l'expression, dans ses Magnificat, en les écrivant « com.me
si les paroles en étaient prononcées », en forme de motets diversifiés,
tandis que les hymnes « à la manière de M. Titelouze », — ainsi que
s'exprime Gigault — affectionnent de traiter successivement chaque
vers en exposition de fugue. Plus tard, c'est avec ses « caprices », la
fugue seule « diversifiée à l'italienne », c'est-à-dire imitée de Fresco-
baldi, que pratique encore Roberday.
Les autres fugues de nos organistes d'alors, par rapport au ricercare
des Italiens, au tiejito des Espagnols, ou à la forme classique plus tar-
dive, ne consistent souvent qu'en une exposition suivie d'une conclu-
1. Les compositions vocales en solo accompagné d'un, deux ou trois instruments
sont l'ordinaire au xiv" siècle et au xv*. C'est le développement du quatuor vocal par
l'école de Dufay qui les fit peu à peu oublier, sauf en Italie, où elles furent toujours
goûtées.
2. Voir les deux exemples, l'un de i53o, l'autre d'environ i58o, cités plus haut,
p. 73 et 76.
3. Le Ballet comique de la Royne est de i58i, et semble avoir donné l'un des
premiers essors à la musique d' « air ».
sion. Même, elles sont surtout goûtées du public lorsque deux voix
seulement les composent, confiées à deux claviers diiférents : c'est ce
duo qui, jusqu'en plein xix' siècle, opposant les deux cornets, ou un
cornet et une trompette, ou l'un de ces jeux et un plein-jeu ou un
« jeu de tierce », connaîtra le plus de faveur. Sous cette forme, la
fugue à deux voix permet toutes les virtuosités et les acrobaties, et
dégénère facilement en « fantasia »> vide de vraie musique, si elle
conquiert le populaire, grâce au brio de ses gammes et de ses traits.
Mais chez les organistes avec qui s'établit le genre classique français,
Nivers, Gigault, Gilles Julien, le^ récits de voix humaine, de cromorne,
de trompette, de flûte d'écho, les récits « en taille » semblent tout à
coup envahir le répertoire. S'il est vrai que ces compositeurs publient
leurs œuvres entre i665 et 1680, c'est, de leur propre aveu, trente à
quarante ans auparavant qu'ils ont commencé à écrire dans ce style,
c'est-à-dire vers i635à 1640. D'où vient ce style, qui leur est commun,
et naquit alors dans l'école parisienne?
Un nom seul transparaît alors, celui d'un organiste dont il ne subsiste
pour ainsi dire rien, mais que confrères et critiques s'accordent à louer
comme le principal maître de l'orgue à cette époque : Claude Raquette,
organiste de Notre-Dame de Paris.
Or, non seulement celui-ci est un habile exécutant et improvisateur :
on loue son talent de professeur, et il laisse des élèves qui perpétue-
ront ses préceptes; il semble, de plus, jouer dans un style nouveau,
convenable d'ailleurs à son objet, et il fait l'émerveillement de ceux qui
l'approchent. Les luthistes eux-mêmes se réclament de lui, et l'un des
plus fameux de ceux-ci, Gauthier, écrit à sa louange, lorsqu'il apprend
sa mort, un Tombeau de Raquette ', qui pourrait bien, sous la fantai-
sie habituelle aux luthistes, représenter quelque chose du style de l'or-
ganiste de Notre-Dame de Paris :
I. Bibliothèque Nationale. V m" 621 1. D'après la transcription donnée par
J. Ecorcheville,
6
— 82 -
Et, à cette même époque, on trouve des représentants de ce même
stj'le chez les organistes fameux, tel Etienne Richard, qui faisait
accourir les amateurs à Saint-Jacques-la-Boucherie, et chez les clave-
cinistes aussi bien que les luthistes ^
Si nous voulons savoir ce qui a été la transition entre l'art polypho-
nique d'un Titelouze et Texcès du « récit » chez un Nivers et ses con-
temporains, il faut le chercher près de Raquette, qui est sans aucun
doute le lien, la transition entre l'ancien art et le genre classique français.
Les « mélanges » de jeux pratiqués alors intéressent donc à un haut degré
l'histoire delà transformation de l'orgue aussi bien que de son style"; par
une heureuse chance, Mersenne, dans ses ouvrages, nous a laissé deux
tables différentes et précieuses de mélanges de jeux, avec les noms qui
leur étaient donnés alors.
La première de ces tables, dans ses Hannonicortun libiH XII, ouvrage
établi vers 1625, se rapporte à la tradition des organistes du xvi* siècle,
avec quelques variétés nouvelles; l'auteur l'a reproduite dix ans plus
tard dans son Harmonie universelle^ avec quelques légères modifications.
Mais, dans ce second ouvrage, il a donné toute une autre série de com-
binaisons, certainement plus musicale, par rapport à notre oreille, et
qu'il tenait de « Monsieur Raquette, organiste de Nostre-Dame deParis,
qui est l'un des plus habiles de France ». Nous avons donc ainsi, dans
Mersenne : 1° l'usage habituel des organistes français de cette période;
2° les mélanges de jeux perfectionnés par Raquette, vers i63o. Les voici
d'autre part.
Et il est des plus remarquables que, si la plupart des combinaisons
des anciens organistes (colonne 2) ne sont plus restées en usage, plus de
la moitié de celles proposées par Raquette (colonne 3) se sont maintenues
à travers toute l'époque classique française, semblant ainsi témoigner
en faveur du maître à qui elles remontent. (Je marque d'un astérisque
les mélanges restés en usage).
MERSENNE RAQUETTE
(vers 1625). (d'après Mersenne, vers lôSb).
* Plein-jeu du Grand Montre 16, Bourdon 8, Près- Montre 16, Bourdon 16 et 8,
Orgue. tant, Doublette, Fourni- Jeuouvert de 8,Pr.,Doub.,
ture , Grosse Cymbale , Fourn., Tierce.
Cymbale.
Aux Pédales : Flûte et
Trompette.
Autre : Bourdon 8 , Pr.,
Doub., Nazard, Flûte d'al-
lemand 4,Tromp., Clairon.
Tremblant.
Autre, « excellent » : (I-e
même, en remplaçant la
llûte par la Tierce, sans
Clairon, avec ou sans
T lin bJsnt.)
1. Voyez entre autres, les très belles « Allemandes » de Richard et de Mé/.engeaux
publiées par M. Pirro dans la Revue Musicale de février 191M, avec d'autres pièces.
2. Aussi bien que la manière de registrer les anciennes œuvres.
— 83
* Plein-jeu du Posi-
tif.
Jeu doux
Jeu musical (sic).
Gros Bourdon.
Doublette.
Jeu du Flageolet.
Jeu du l-ARIGOT.
Gros Cornet.
* Cornet.
Petit Cornet (au Po-
sitif, pour jouer en
écho).
Cymbale.
Nasard , au Grand
Orgue.
Id.
Au Positif.
Montre S, Prestant, Dou-
blette, Fourn., Cymbale.
Très doux : Bourdon lô et * 8 p. ouvert, Bourdon 8,
8, Tremblant. Prestant.
Très doux : Bourdon i6, 8, * ou : Bourdon, Prestant.
Flûte allemande 4, Trem-
blant.
R. 8, et Doublette.
B. iG et 8, Flageolet, ou en
ajoutant Nazard et Trem-
blant.
Ou :
B. 16, 8, Prestant, Flageoler,
Cromhorne, Tremblant.
B. 16, Prestant, Flageolet
(jeu aigu).
Ou, au Positif.
B, 8, Flageolet ; ou en ajou-
tant Cymbale et Trem-
blant.
B. 16, 8, Larigot, avec ou
sans Tremblant.
B. 16 et S, Prestant, Dou-
blette, Cornet : ou, à dé-
faut de cornet, ajouter :
Nazard, Tierce et Larigot-
(( Cornet entier ».
Ce dernier mélange a
porté depuis le nom de Jeu
de Tierce (voir plus loin).
B. 8, Prest.. Doubl., Flag ,
Tiercette ( Voir aussi au
Nazard),
B. 16, 8, Cymbale, avec ou
sans Tremblant.
- Gros Nazard, B. 16, 8,
Prestanr.
— Gros Nazard, B. 8, Dou-
blette, Prestant ou en
izjoutjnt Flageoler, Tierce
et Tremblant.
— Petit Nazard. B. 16, 8.
Prestant, Doublette, Lari-
got, c'est un « Nazard très
fort ».
— Nazard, Bourdon S, Pres-
tant, avec ou sans Trem-
blant.
— Nazard et Doublette.
« Fort Nazard en quarte »,
B 16, Prestant.
B. 16, 8 p. ouv., Prestant.
Id.
* B. 8, Flageolet; ou en
ajoutant Nazard.
[Nivers mentionne en-
core ce jeu, en iG65, mais
n'y emploie pas le Nazard
[Id. pour le Larigot.]
B. 16 et 8, Nazard, Tierce
et l'iag. I.
Ou :
B. 16, Prestant, Tierce (i).
* B, 8, Prest., Cornet avec
ou sans Nazard.
B. 8, Cymbale.
Ou Cymbale, Nazard, Flûte
de 2 pieds bouchée (4,
— Nazard, B. 8, Fl. 2 bou-
chée ; P'I. i.
— Nazard, B. 8.
— Nazard, Fl. 2 bouchée;
Flag. I.
(V. ci-dessus à Flageolet.)
I. Cette regisiration de Raquette est destinée aux orgues où le jeu de cornet
séparé ou indépendant n'existait pas : l'une de celles de Mersenne la rappelle.
Ces registrations sont précieuses pour nous : elles font connaître les mélanges qui
peuvent suppléer à la sonorité du cornet.
-84-
Gromorne.
Voix humaine.
Trompette.
Clairon.
Trompette et Clai-
ron,
* pédale de flute.
* PÉDALE d'anche.
« jeu renversé (sic) pour
jouër quelque fantasie en
façon de Cornet sur deux
claviers ».
— Nazard et petit Nazard,
B. 8, Prestant, Doublette,
« Nazard fort ».
— Nazard, B. 8, Flageolet.
« Excellent ».
B. i6, 8, Prestant, Crom.
B. i6, 8, Prestant, Voix hu-
maine.
Montre i6, B. 8, Prestant,
Tro.
B. i6, 8, Prestant, Nazard
(2 2/3), Clairon, avec ou
sans Tremblant.
M. i6, B. 8, Prestant, Dou-
blette.
— Nazard, B. 8, FI. i.
B. 8, Prestant ou Nazard
Crom.
B. 8, Nazard, FI. i, Crom.
* Voix humaine, avec B. 8
seul, ou.
* — B. 8, Prestant ou Na-
zard.
— B. 8, Nazard et Clairon.
Avec,
— Prestant.
* — B. 8, Prestant.
— B. i6 ou de 8.
— Nazard, Fl. 2 bouchée.
B. 8, Prestant.
* Fl. de 8 [bouchée], avec :
B. i6, Fl. 2 bouchée au G-
O. ou Nazard.
* Jeu d'anche de 8 , avec
8 p. B. 8, Prestant et Gro-
morne :
OM : 8 p. B. 8, Prestant, Fl.
2 bouchée. Clairon.
Mersenne, dans ses deux ouvrages, donne de plus un certain nombre
d'autres « jeux composés », mélanges qui achèvent de nous faire con-
naître le goût des organistes du commencement du xvii*= siècle :
Au Grand Orgue :
M. i6, et B. 8, « fort harmonieux ».
M. i6, B. 8, Prestant, Doublette, avec ou sans Trompette, « robustis-
simus ».
M. i6, Prestant, B. 8, Doublette, Tierce, « jeu fort aigu ». (C'est en
effet un Cornet sans la quinte du Nazard ni le i 1/2 p.)
Au Positif:
B, 8F1. ail., Trembl.
M. 8, Prestant, Fl. ail,, « jeu harmonieux»,
M. 8, B. 8, Prestant, Doublette, « bien fort ».
M. et B. 8, avec ou sans Tremblant, « fort mélodieux».
Enfin, si l'on joint le Cromorne au Nazard, on imite une excellente
Musette; et Ton obtient un jeu très beau en joignant le Cornet à la Trom-
pette ou au Clairon, avec Tremblant : ce jeu « imite plustost le Haut-
bois ».
Il est des plus curieux de constater qu'à la fin de notre période clas-
— «D
sique, Bédos, comme son lointain prédécesseur Mersenne, cherche à
imaginer des mélanges rares ou singuliers, par exemple :
Pour imiter la flûte allemande, G. O. et Pos., tous les 8 p.
Pour imiter les petites flûtes, ou flûtes à bec : G. O.'et Pos., Prestants
et fl. 4.
Pour imiter les fifres : G. O., B . 8, 4'^ de Nazard et Doublette ; Pos.,
deux 8 p., Pr., Larigot.
Pourimiter le flageolet : G. 0.4*"" de Nazard et Doublette; Pos., deux
8 p. pour l'accompagnement.
Pour imiter les petits oiseaux (!) : petits nazards du G. O. et du Pos.,
en touchant une quarte plus haut, ou une quinte plus bas.
Arrêtons-nous là !
C'est dans la période avoisinant i635 — Raquette mourut en 1640 —
que se développent toutà couples duos, lestrios, les quatuors, les récits
non seulement de cornet, mais de cromorne, de voix humaine, de trom-
pette, les solis « en taille », les « concerts de flûtes » opposés aux
« grands jeux d'anche », qui vont, créant des genres, enrichir la litté-
rature de l'orgue, mais aussi fixer une registration quasi définitive dont
les organistes, pendant trois cents ans, oseront à peine se départir. Les
vieux mélanges décrits par Mersenne, et même certaines améliorations
ou innovations de Raquette, ne seront plus désormais que des fantai-
sies auxquelles aucun artiste ne pensera plus : en particulier, les mé-
langes où dominent les jeux graves ou les jeux aigus disparaîtront tota-
lement.
L'orgue classique est créé .
APPENDICE
APPENDICE
Un (( Traitté des orgues », du commencement du XVII« siècle
Un érudit de Bordeaux, Pierre Trichet, a rédigé un très intéressant
« Traité des instruments de musique », où, parmi quelques confusions
et avec certaines lacunes, il a écrit de fort suggestifs chapitres entre
autres sur les orgues. Son œuvre, inédite, se trouve à Paris, à la Biblio-
thèque Sainte-Geneviève (ms. 1070), et mériterait les honneurs sinon
d'une reproduction intégrale, du moins de ses parties principales. Cor-
respondant de Mersenne, et paraissant avoir commencé ses recherches
avant lui, il a, dans sa copie définitive, qu'il destinait à l'impression,
« retranché beaucoup de choses expliquées par le mesme Mersenne
afin d'éviter la rencontre du discours, et de n'user point de redites ».
Déjà, dans un chapitre d'introduction, il donne quelques détails utiles
à notre sujet :
Fo 25 : Il y a quelques instruments pneumatiques qui ont besoing d'Anches, comme
sont le Cleron ',1a Musette, le Basson, le Haubois et autres, tant polyphones que
monophones ^, Il y a pareillement des tuiaux d'orgues ou l'on met des Anches,
comme au jeu des Trompettes, aux Clerons, aux Regales, aux Voix humaines, aux
Gromhornes, au jeu d'Harpe^, et a quelques autres : et il faut remarquer qu'aux tuiaux
a anches les Languettes se meuvent, et qu'aux autres elles demeurent immobiles ».
[Suit la description des Anches, de leurs rasettes, etc.]
Le chapitre 1 est intitulé : « De l'orgue pneumatique » ; il comprend
deux parties, dont la première est une très bonne dissertation histo-
rique, qui témoigne d'une immense lecture et d'une grande sagacité.
Elle renferme de curieux détails sur quelques orgues d'Italie, d'Alle-
magne, etc., de la fin du moyen âge et du xvi'" siècle. La description de
l'orgue, de sa construction et de sa facture, de son jeu, commence au
f" 9. Trichet établit encore sa description sur des orgues assez an-
ciennes, et pour des instruments à un clavier :
F» 1 1 : Le diapason [c'est-à-dire l'étendue de roctave] y est quelquefois triplé, et
quelquefois quadruplé, faisant commencer le plus souvent la première marche
[touche] par F ut fa... Je ne dirai rien ici ni du second Clavier nouvellement
adiousté a l'Orgue, et placé un peu plus haut que le clavier ordinaire : ni aussi du
1. On voit que les clairons cités par les anciens textes n'ont point de rapport avec
ceux du genre trompette appelés ainsi au xix= siècle. L'ancien clairon, instrument à
anche, est d'ailleurs le prototype de la clarinette, son diminutif.
2. L'auteur avait écrit d'abord, en donnant cet intéressant détail : «Comme aussi
certains cornets et sifflets dont se servent aujourd'hui les chasseurs ». C'est le prin-
cipe du saxophone.
3. Comparez plus haut, p. 70, le devis de i^3o d'un orgue de Troyes.
Clavier des Pédales ; sur tous lesquels on peut ioùer séparément ou conioicte-
ment comme on veut ; sur l'un avec les pieds, et sur les deux autres avec les doigts
de l'une et l'autre main. [Jeu en trio ou quatuor.]
Sur la sonorité des jeux, description chatoyante et amusante :
Fo 9 : On y peut ouïr le chant de l'Alouette, le gringotement du Rossignol, le bour-
donnement des Pédales, le bruit des Tambours, les fanfares des Trompettes, le reten-
tissement des Clerons, le cliquetis des Cymbales, le tintement des Cloches, le nazar-
dementde la Harpe, le crissement des Regales ou Voix humaines, bref le son de la
pluspart des instruments de musique, comme le ieu des Flustes douces, des Fifres,
Flageolets, Arigots, Haubois, Bassons *, Cornets, Cromornes, Musettes, Violons 2,
avec les ieux de la Montre, du Prestant, de la Doublette, de la Tiercette, du gros
Bourdon, du petit, et du fort Nazard, dit autrement jeu renversé: a quoi on peut
adiouster le Tremblant qui n'est pas un ieu particulier, mais est tel que le noir et
blanc qui ne sont vrayeinent couleurs, mais se peuvent mesler avec les autres cou-
leurs, et leur donner un nouveau lustre en les diversifiant.
F"^ II et 12, l'auteur parle de l'accord et du tempérament : page très
intéressante. J'en extrais ceci :
Les instruments de musique tant anciens que modernes ont les consonances telle-
ment imparfaites qu'il est presque impossible de les réduire a leur perfection. Neant-
moins pour faire qu'elles en approchent on a trouvé bon de rendre tous lestons
esgaux tant qu'on peut, Tellement qu'on retranche quelque chose des tons maieurs,
qui sont en raison sesquioctave, pour augmenter les tons mineurs, qui sont en rai-
son sesquinone. Sans cet expédient on ne pourroit pas aisément faire des transpo-
sitions 3.
po 12 verso, il traite des ornements de la façade :
Je laisse à part les enjoliveures et divers ornements qu'on a inventé pour rendre
les Orgues plus prisables : comme sont des anges qui sonnent de la Trompette *,
des roues qui font tourner des estoilles, des testes de géant qui remuent les mâchoi-
res ^, divers ouvrages entaillés tant au bois de la Montre ^ que du Positif, des por-
traits ou devises tant sur les [tuyaux de] Pédales que sur les autres gros tuiaux ''.
Les folios i3 et 14 sont consacrés à la Tabulature française et à la
Tabulature espagnole, minutieusement décrite, avec un exemple tiré
des œuvres de Gabeçon.
Le chapitre n est consacré aux « Orgues hydrauliques ». Trichet a
toutefois le soin de faire remarquer que les instruments nommés ainsi
1. Aucun auteur ne cite de jeu de Basson à cette époque dans les orgues ; mais il
est possible qu'il ne s'agisse ici que de la basse du Hautbois.
2. Le jeu de viole n'était pas usité en France, mais en Espagne ; voir p. 70 et 72.
3. Le passage est d'autant plus intéressant qu'un ouvrage un peu moins ancien,
le Traité de l'accord de l'Espinette augmenté d'un chapitre sur les orgues dans l'édi-
tion de i65o, de Jean Denis, facteur parisien, nous apprend que, entre autres, l'or-
gue de la Sainte-Chapelle n'était pas encore tempéré. De telle sorte que lorsque le
choeur chantait un Magnificat a cappella du. second ton finale /a dièse, l'orgue lui
répondait de préférence en sol mineur, pour ne pas avoir des tierces fausses, le ton
de fa dièse mineur étant impraticable sur les instruments « justes ».
4. Voir p. 45, et la note de la p. 7 1 sur l'orgue de Gisors en 1 578.
5. Comme à Metz, voir p. 45.
6. Il est très remarquable que Trichet cite encore les Montres de bois. Le vieil
orgue de Saint-Gervais, à Paris, contient encore une partie des tuyaux de la montre
du xvie siècle, qui sont ainsi ornés de rinceaux style Henri II.
7. Voir le trente-deux pieds de Rouen, dès le xv» siècle (ci-dessus, p. 48).
-89-
de son temps n'ont point de rapport avec les hydraules des anciens (ce
qui ne l'empêche pas d'accumuler tous les textes antiques sur ce sujet).
Ces orgues hydrauliques sont tout simplement des orgues mécaniques
avec rouleaux enregistreurs, dont le mouvement est déclenché par une
chute d'eau, un moteur hydraulique, etc. L'auteur cite entre autres, du
XV' siècle et du xvi^, ceux des jardins pontificaux, de la villa d'Esté, du
château de Sainf-Germain-en-Laye, etc.
Ce traité de l'orgue est précédé de l'image d'un petit instrument,
clavier et façade ; le clavier a trois octaves dont la dernière incomplète.
Les plus gros tu3'aux sont placés à droite et à gauche, en « mitre »
comme les orgues du xv* siècle, les moyens et les plus petits au milieu,
en deux étages, ceux du bas pareillement en mitre ; le tout est sur-
monté d'une corniche unique et d'un fronton style renaissance.
<::fo c^ «:§=»
ADDITION I
à rOrffue antique.
Un texte curieux du vi" siècle, qui m'avait échappé, et que je trouve
dans une vieille édition des lettres de Théodoric à Boèce, montre que
les nrgues étaient déjà susceptibles de bien des effets :
(» Organa extraneis vocibus intonant, et peregrinis flatibus calamos
complent, ut musica arte possint cantare... Metalla mugiunt, Diomedis
in aère grues buccinant ^, asneus anguis insibilat, aves simulatoi fritin-
niunt, et quai propriam vocem nesciunt,ab aère dulcedinem cantilena^
probantur emittere ».
ADDITION II
Un jeu d'anches du xi' siècle et sa soufflerie. (Voir planche, page 34.)
L'un des types de portatifs que j'ai reproduit plus haut, page 40, I
(2' dessin) fait connaître le détail du montage d'un jeu de tuyaux de
bois, du type flûte ou bourdon, et il est aisé d'y reconnaître le même
système toujours en usage. D'autres illustrations des manuscrits per-
mettent de constater que la disposition des jeux d'anche était aussi,
dès le XI* siècle, celle que nous avons conservée. Mais je n'en connais
aucune aussi nette que celle de la magnifique Bible de saint Etienne
I. Comparez ce que disent les auteurs antiques sur le timbre nasillard de certai-
nes anches ; v. p. 9 et 2 1 .
— go —
Harding, abbé de Cîteaux, manuscrit terminé en 1109 (actuellement
manuscrit 14 de la Bibliothèque de Dijon). Apparenté de très près au
Psautier d'Eadwin (Cambridge, Trinity Collège, R. 17.1), à celui du
British Muséum (Harley, 6o3), et au manuscrit latin 8846 de notre
Bibliothèque Nationale, tous trois du cours du xii^ siècle, le manuscrit
de Dijon, plus ancien, est aussi plus soigné et plus artistique. Une mi-
niature qui accompagne le Psaume cl renferme entre autres instru-
ments le dessin d'un petit jeu d'anches, dont joue un organiste assis sur
un banc. L'absence de buftet laisse voir les supports du sommier, dont
Tun au moins contient le porte-vent ; au premier plan, le soufflet, dont
le souffleur ne figure pas dans le dessin. La petitesse de la miniature
n'en permet pas une reproduction directe qui puisse être utilisée : j'en
donne seulement le schéma d'un agrandissement. On peut y constater
la forme très nette des tuyaux, disposition devenue classique pour les
tuyaux d'anche : noyaux destinés à contenir les anches; ils sont de même
hauteur ou à peu près pour tous les tons; tuyaux en entonnoir allongé,
montés sur les no3raux ; peut-être quelques lignes tracées dans le sens
longitudinal de ceux-ci indiquent-elles les rasettes qui maintiennent les
languettes et servent à les accorder. En tout cas, l'illustration est pré-
cieuse, et montre qu'à côté de l'emboutissage des jeux à bouche, le
dispositif des jeux d'anche était pratiqué, tel qu'il l'est toujours, dès au
moins les premières années du xn* siècle, et sans doute au xi^.
On remarquera que Torganiste semble placé sur le côté; par consé-
quent le clavier a déjà un abrégé pour communiquer avec les tuyaux
placés longitudinalement.
TABLE
des noms d'anciens facteurs et organistes,
de pays, de termes techniques cités dans cet ouvrage
Pages.
abrégé i5, 40,42,45-6,90.
accompagnement. . 3, 35-38, 4N, 76.
accouplement. . . 40, 41, 46, 47, 67.
airain (V. bronze).
Aix-la-Chapelle 32, 33.
Alexandrie 7 et s., 18, 21.
Allemand, Allemagne. 38, 48, 57, 69,
72 et s., 87 s.
Amiens 41, 45-48, 73.
anches. 7, 32-35, 41, 67-74, 84, 85, 87 s.
Angers 44, 45, 48-30.
Angleterre. ... 34, 68, 75, 90.
argent (tuyaux d') - 3o, 49.
arigot (v. larigot),
Arles. 23.
Arnault (Henri) 63.
Arras 63.
aulos 16, 18, 22, 41.
Aurillac 33, 34.
basse 41, 33 s., 74, 79.
basse-trompette (voir sacqueboute).
Rayonne 49.
Belgique, belge. 45, 47, 63,70,73, 75,
78.
Béziers . 70.
Bordeaux i3. 87.
Boudefert 47.
bourdon. . . 33, 40, 43, 71, 73, 83 s.
Bourgogn< 39.
Boussac . . ... ... 43.
Boyvin. ....... 73, 79.
bronze (tuyaux de). 9, 11, 12, 32, 36.
brustpositiv 46,47.
buflet. ... 21, 37,45-49, 5o, 52.
Byzance, byzantin 24, 36.
(V. aussi Constantinople).
Cabeçon. ..... 43, 69 s., 88.
calamus (v. chalumeau).
Carthage 10, 17 et s.
chalumeau. 16,24,41, 42,47,62,67,73,89.
Chartres. . 33, 44, 48, 5o, 55, 59.
chromatique. . 19, 37, 42, 43, 46, 74.
clair-voir 5o.
clairon 68, 73, 84, s., 87 s.
clarinette 16, 74.
Pages.
clavier. i5, 18, 19, 34 et s , 5i, 61, 67,
70, 8r>, 87, 89.
Clermont 23.
Cléry 49.
Gluny 33, 38.
Compiègne 3i.
Constantinople. 23, 24, 3o, 36, 36, 43.
cornet 67 et s., 83 î,
cromorne. . . . 76, 81 et s., 87 et j.
Ctésibios 7, 8, 19.
cuivre 3i, 36.
cymbale. 24,32 et s., 41 , 47, 67 s., 83 s.
déchant 39, 54, 61.
Denis (Jean \ 88.
dessus 44, 69, 73.
diapason 36, 37, 62.
diatonique 18, 37, 41, 42.
Dijon. ... 41 et s., 54, 61 et s., 90.
dorés^ (tuyaux) 45, 48.
double principal 39,40,46.
doublette 67, 72, 73, 83 s-
douçaine, doucine 69, 70.
dulciana (V. le précédent).
Dunstan (saint) 33.
écho 47. 78. 80 et s.
école d'orgue ... .... 55.
Embrun 49-
éolipyle 34.
Escorial 43, 69.
Espagne. 43. 69, 71-80.
étain. . . 36, 42, 46, 48, 63, 71 et s.
étoffe 36, 63.
Exeter • 68.
Jalso, fausset 36, 69, 70.
Fécamp ^4-
feinte ^^7-
fifre 68 et s., 85.
fistula 18, 41, 61.
flageolet. . . 43, 68, 72, 73, 83 et s.
flûte. 11,16, 18, 24, 3o, 38 et s., 67 et
s., 84, 85, 89.
flûte double 69. o.
— triple. .... 47-
— 92
Pages.
flûte de Pan 7, g, 21.
fonds. .... 40, 67, 70.
fournitures. 16, 84, 38 et s., 61 et s.,
72 et s.
Frescobaldi. . . .... 78.
fugue, fugué. 73, 80.
gambe '7, 32, 70, 75.
Georges, prêtre vénitien. ... 32.
Gerbert d'Aurillac. . . . . 33.
Gisors. ...... 71, 88.
grand-corps 46, 48, 5o.
grand-orgue. 3, 12, 35, 3'', 41 et s., 67
s., 81 et s.
Grenoble. .... 23, 44-
grosswerk. ... .... 46.
gueulard 41,71.
Guillaume de Machaut. 3, 43, 36, bj .
Haguenau 47-
harmonium 43, 69.
harpe 69, 70, 79, 87 s.
hautbois. . . 16,69,70,73,84.87 s.
Héliogabale (l'empereur). ... 10.
Héro d'Alexandrie. . 3,8, n, 12, 18.
Hombleux 49, 5o.
huit pieds. . . 40 et s.. 67, 72. 79.
hydraule 33 et s., 88-89.
hydraulicon 7, i3, 16.
Italie. . . . 41, 67, 68, 71 et s., 87.
Jean de Berge 47-
Jean de Soignies 4-^-
Jérusalem 3o.
jeux coupés 39.
Julia d'Arles 23.
Jousseaume ou Jousselin (Honthus).
48, 49.
jubé 44>
Krebs (Friedrich). . . ... 46.
Kyre (Jean) 63.
La Ferté-Bernard 49-
LambaUe 49-
Langensalza 47-
languette. ... 7. 16, 19, 68, 87 s.
larigot 43,72. 73, 83 et s.
Laurent 10.
Léonin ... 54.
Liège y3, 7H.
Limoges. 33, 54.
livres d'orgue 5i et s., 58,
Louis de Walbeck .... 45.
Lucques 41-
lune 45, 71.
luth 23, 76, yj, 81.
lyre 24, 32, 70.
Magdebourg 37.
Pages.
Maurostos . 29.
Meaux. ... 44.
mélange des jeux. . 71, 81 et s., 88.
mercure 42, 63.
Mersenne. . . 70 t\ s., 80 et s.. 87.
Merulo 78.
Metz. . .'. . 41, 47 et s., 71, 88.
mitre 43, 46, 3o, 89.
montre. 17, 38, 40, 46 et s, 71 et s., 88.
musette. .... 69, 70,73,84, 87 s.
mutation.-. 17, 32, 34, 40, 6y, 70 et s.
nasard. . . 9, 17, 40,72, 73, 83 et s.
Nennig. . 10, 18, 21.
Néron (l'empereur) . . . 9, 10, 21.
Nevers 39, 44, 61.
Nivers ' . . 71, 79 et s.
octave 38-45, 67, yi.
octave grave 38 et s.
octavin 6j.
oiseaux (petits) 3o, 71,85.
Orléans 44.
Orange 23.
organistes. 23, 34, 35, 41,42, 47, 55-59.
organum. . 23, 29, 36 et s., 5i et s.
— pur 36, 53 et s.
Paris. 4, 24, 38, 42, 44, 5o et s., 69,
74, 80 et s., 88.
pavane 77, 78,
pédale, pédalier. 33, 41, 47, 48, 67 et
s., 84., 88.
Pérotin le Grand. . 4, 38,42, 5i, 54.
Perpignan. . 49, 5o.
petit orgue 12, 35, 44.
Pétrone 22.
Pierre 22.
plain-chant 74, 76.
plate-face 43, 46, 5o.
plein-jeu. . . 34, 39, 41, 69, 75 et s.
plomb. ... 3i, 36, ^r, 42,46,63.
Poitiers 47.
pompe 8, i3-i5, 19.
Pompéi 9, 21.
Ponchet (Guillaume) 70.
portatives (orgues à bras). 12, 3 3, 42
et s.
positif, positives (orgues). 4i-5i, 62,
67. 6>i. 73, 83 et s., 88.
Possessor 22.
prestant. . . 17, 40,43, 47, 71 et s.
pression 20, Sq, 68, 73.
principal. . . 17, 40 et s., 61 , 68, 71.
quatre pieds .... 41, 43, 47, 67.
quinte. . . g, 17, 18, 35, 40 et s., 67.
rang, rangée. 11, 16, 17, 19, 34, 35,
72 et s.
Raquette fClniude). ... 4,81 et s.
— n^ —
Pages.
récit (solo) 76 et s.
récit (clavier) 46.
régale. , 35,43-49,07 et s., 87 et s.
registres .... 1 0, 40 et s., 47, 61.
relevage 44, 68.
Reims ... 23, 33 et s., 44, 56, 58.
Richard (Etienne) S2.
rigabellum (v. régale).
Rogerie (Gombautl 48.
Rome 29, 43, 6/, 68.
rossignol. 70 et s.
roue ... 41,71, 88.
Rouen. 4,40 et s., 58, 68, 6y, 75, 80, 88.
rueckwerk 46.
sacqueboute 68 et s , 78.
Saint-Bertrand de Corominges. . 5o.
Saint-Gall 3i, 32.
Saint-Maur-les-Fossés 54.
Saint-Savin (Poitou), 33 ; — (Hautes-
Pyrénées) 49.
Salinis 42.
Scaptia Gapiiolinus 12.
seize pieds. . . . 39,46,67,68,75.
Senlis 44.
séparé (jeu) 47, 48, 67, 72.
.«ix pieds 40, 43, (.7, 69.
soleil 45, 71,
Soliès-Ville 49.
sommier. . . i3, 16, 19, 25,47,61.
sonnette 70.
soufflerie, soufflet, souffleur. u et s.,
3o, 34 et s., 45, 48, 5q, 61 et s., 90.
Strasbourg 44 et s.
Sweelinck.' So.
syringe 7.
tabulature 38, 52, 76, 88.
taille 79, 81, 85.
Pages.
Tarse 9.
tempérament 88.
ténor 41, 47, ôi.
tenue, teneure . . . 38 et s., 54.
lête de More 71, 88.
Thaïs d'Alexandrie. .... 7.
tierce 68, 72.
tiercette 74.
tirasse 47, 67, 74.
Titelouze ... 4, 48, 69, 73 et s.
tonnerre ' 3o, 32, 38.
touche. II. 1 5, 20, 34.37, 39 et s. ,46, 87.
Toul 44.
Toulouse 46, 47.
tour, tourelle 37, 45 et s.
Tours 4q.
tremblant 69, 74, 81 et .<:.
trente-deux pieds. . . . 47, 48, 67.
Trichet ... 87.
trio, triple .... 3, 38, 43, 55, 85.
tribune 46, 47.
trombone (»'. sacqueboute.)
trompe 45, 47.
trompette. 10, 24, 3o, 68, 70 et s.,
81 et s., 87 et s.
Troyes. . . . 44, 4g, 58, 68 et s., 87.
tuyaux (en général). 16,24, 3o, 34 et s. ,89.
Ulrich Engelbert 44.
verset 36, 52, 53, 58, 76.
vingt-quaire pieds ..... 47, 67.
viole (voir gambe).
virtuosité 57.
Vitruve 11-14, 18, 19.
voix humaine. 69, 7. \73, 81, 84, 85, 87s.
Winchester 34, 38.
York 33.
TABLE
Des Illustrations et Exemples
Pages.
Planche I. — Type de l'Orgue primitif 8
— II. — Schéma de l'hydrauie 14
— III. — Orgue gréco-romain et son organiste 20
— IV. — Jeu d'anche du xi* siècle et sa soufflerie 34
— V. — Schéma d'une montre et de son abrégé, xive siècle 40
— VI. — Grand orgue d'Amiens et sa tribune, xv« siècle 46
— Vil. — Types de positifs et de portatifs ; schémas de façades d'orgue :
xiie-xvi* siècles 5o
Poème du ive siècle, « en forme d'orgue » 25
Tabulature du ix^ siècle. 5i
— — xive s-iècle 52
Organum pur, xi^ siècle 54
« Triple » en organum pur, xii«-xiii^ siècle, de Pérotin. 55
Variation, xiv® siècle 56
Organum en « double hocquet », xiv* siècle, de Guillaume de Machaut. . . Sy
Agréments, xiv«-xve siècles 57
Versets et plains-chants, commencement du xvi^ siècle 7^-77
Préludes de luth, fin xvie siècle 78
«Tombeau de Raquette », de Gauthier (1640) Si
TABLE DES MATIERES
Pages.
Préface 3
I. — L'Orgue antique ; hydraules et pneumatiques 7
Appendice sur l'orgue gréco-romain 25
II. — L'Orgue en France au moyen âge 29
Appendice : note sur quelques anciennes orgues, extraites du ms. latin 7295
de la Bibl. Nationale 61
III. — L'orgue en France et son style, de la fin du xv siècle jusqu'à i635. 67
Appendice : un « Traitté des orgues », du commencement du xviie siècle. S7
Addition I, à l'orgue antique 89
— II, un jeu d'anches du xi» siècle et sa soufflerie. ....... 89
Table des noms d'anciens facteurs et organistes, de pays, de termes techni-
ques cités dans cet ouvrage 91
Table des illustrations et exemples 94
i'oilitrt. — Sociilé frkojaiBC d'Inifirimerio.
Bibliothèques
Université d'Ottawa
Echéance
Libraries
University of Ottawa
Date Due
11 et
'5'^0O3 0\ 3073265b