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Full text of "L'orgue en France : de l'antiquité au début de la période classique \"

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Gastoué,  A. 


L'ORGUE  EN  FRANCE 


ML 
574 


U  dVof  OTTAWA 


39003013078265 


« 


Prix  :  2  fr.  50 


L'Orgue 
en    France 


De  l'antiquité  au  début  de  la  période   classique 


Ai>ec  nombreux  exe??îples  et  illustrations ^ 


PAR 


A.     GASTOUE 


PARIS 

AU  BUREAU  D'ÉDITION  DE  LA  «  SCHOLA  » 
26g,  rite  Saint-Jacques^  26g 

192 1 
Tous  droits  réserves. 


L'Orgue 
en    France 


De  l'antiquité  au  début  de  la  période   classique 


Apec  nombr^eux  exemples  et  illustrations^ 


A.     GASTOUÉ 


BIBLIOTHÈQUES 


,  LWRARIES  -s 

PARIS 
AU  BUREAU  D'ÉDITION  DE  LA  «  SCHOLA  » 
265;,  rue  Saint-Jacques,  26g    • 

Tous  droits  réservés. 


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PRÉFACE 


Les  histoires  de  la  musique^  en  général,  les  écrits  sur  l'org^te,  en  parti- 
culier, fourmillent  d'erreurs  et  de  méprises  sur  V origine^  les  formes 
primitives,  les  développements  intérieurs  apportés  au  «  j^oi  des  instru- 
ments »,  comme  le  nommait  Guillaume  de  Machaut  au  xiv*  siècle.  Il  est 
bon  néanmoins  de  savoir,  tant  par  saine  curiosité  que  par  le  profit 
pratique  quon  peut  en  retirer,  la  manière  dont  est  né,  dont  a  grandi 
Pinstr^ument  devenu  si  complexe  de  nos  jours,  encore  que  tious  puissions  y 
retrouver  la  sonorité  des  temps  passés,  si  nous  savons  nous  y  prendre. 
C'est  a  combler  cette  lacune,  et  à  satisfaire  ce  besoin  de  science  musicale, 
que  visent  les  études  qui  vont  suivre. 

Lorgne  antique,  autour  duquel  tant  de  commentateurs  se  sont  égarés, 
n'a  été  r objet  d'un  t}\ivail  vraiment  scientifique  que  vers  la  fin  du  dernier 
siècle,  avec  Clément  Loret,  l'excellent  organiste.  Dans  plusieurs  études 
remarquables,  il  mettait  au  point,  le  plus  complètement  qu'on  pouvait  le 
faire,  ce  qui  concernait  la  fameuse  question  de  /'hydraule,  qui  fit  couler 
tant  d'encre  ;  Cl.  Loret  fixa  définitivement  le  principe  de  sa  soufflerie. 
Mais,  depuis,  la  publication  critique  des  Pneumatika  de  Héro  d'Alexan- 
drie, les  documents  recueillis  ou  les  monuments  f^eproduits,  permirent 
de  fixer  un  grand  nombre  des  points  restés  jusqu'ici  obscurs.  Nous 
précisons  donc  et  complétons,  dans  ces  pages,  les  recherches  et  même  les 
découvertes  modernes  faites  à  ce  sujet,  ne  laissant  dépeints  d'interrogation 
qu'aux  détails  sur  lesquels  rien  d'autre  ne  permet  jusqu'ici  d'être  rensei- 

Mais  nous  en  savons  asse'\  désormais  pour  mettre  en  pleine  lumière 
la  construction,  la  valeur,  le  rôle  de  l'orgue  dans  l'antiquité. 

Et  nous  faisons  ensuite  le  même  travail  sur  l'orgue  au  moyen  âge  et 
jusqu'à  l'aurore  des  temps  modernes. 

Que  de  Légendes,  en  effet,  sur  ce  chapitre  ! 

Les  orgues  frappées  à  coups  de  poings,  que  tant  d'historiens  de  la 
musique  voudraient  nous  faire  admettre  comme  la  base  de  l'art  inslru- 
mejital  du  moyen  âge,  ne  résistent  pas  à  l'examen  des  faits,  et  à  la  publi- 
cation des  pièces  authentiques.  Et  il  suffit  de  mentionner  ici  le  talent 
magistral  de  M.  Marcel  Dupré,  dont  il  fallut  les  doigts  habiles  pour  faire 
applaudir  tel  trio  du  XII^ou  du  XI H''  siècle.  Le  rôle  de  l'orgue  dans 
l' accompagnement,  aussi  bien  que  les  progrès  constants  de  sa  facture^ 
dans  la  période  de  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  le  bas  moyen  âge,  mon^ 
treront  que  ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  les  grandes  cathédrales  ont 
connu  la  distinction  entre  le  grand  orgue  et  l'orgue  de  chœur. 


Enfin,  comme  l'histoire  doit  être  non  seulement  «  le  flambeau  dupasse  », 
ce  qui  serait  peu,  et  cia-iosité  puî^e,  soutient  vaine,  mais  le  guide  de  l'ave- 
nir, on  lira,  dans  ces  pages,  que  le  répertoire  de  nos  pièces  d'orgue  peut 
être  reculé  bien  au  delà  des  périodes  habituellement  acceptées  ;  que  divers 
styles  que  ïon  croit  très  modernes  ont  déjà  été  autrefois  pratiqués  ;  et 
que  rifiterprétation  la  plus  classique  des  grandes  formes  de  la  musique 
d'orgue  ne  peut  que  gagner  de  savoir  comment  les  inte?prétaient,  sur 
quels  Jeux  les  exécutaient,  les  maîtres  qui  les  créère7it  et  les  perfection- 
nèrent^ —  depuis  Pérotin  sur  lorgne  pri?nitif  de  Notre-Dame  de  Paris 
encore  inachevée^  jusqu'à  Titelou^e  sur  le  fameux  trente-deux  pieds  de 
Rouen,  et  à  Claude  Raquette,  lointain  successeur  du  premier^  qui  faisait 
réso7iner  de  la  variété  des  jeux  et  de  formes  neuves  les  voûtes  de  la  cathé- 
drale à  l'époque  de  Louis  XIII. 


I 

ÉTUDE   PRÉLIMINAIRE 


L'ORGUE     ANTIQUE 

HYDRAULES  ET  PNEUMATIQUES 


V  ^i^r  ^î^r  ^t^r  ^i^r  ^I^r  ^i^r  ^î^r  ^l^i 
V<p  V^  V<p  V<p  V<;p  V^  V^  V<;p 


L'ORGUE    ANTIQUE 


HYDRAULES     ET      PNEUMATIQUES 


I 

Le  récit  des  origines  de  l'orgue  commence  un  peu  à  la  manière  d'un 
conte,  en  des  temps  qu'un  lointain  recul  nous  fait  paraître  proche  des 
époques  fabuleuses,  là-bas,  sur  les  rivages  orientaux  de  la  Méditer- 
ranée, parmi  les  héritiers  gréco-égyptiens  des  antiques  Pharaons. 

Crésibios  le  barbier  ^  ingénieur  à  Alexandrie  d'Egypte  au  temps  de 
Ptolémée  Évergète,  c'est-à-dire  quelque  cent  ou  deux  cents  ans  avant 
notre  ère-,  fut  célèbre  par  les  machines,  hydrauliques  ou  pneumatiques, 
dont  il  fut  l'inventeur,  dont  il  donna  l'idée,  ou  qu'il  perfectionna. 
Parmi  les  inventions  ouïes  perfectionnements  de  Ctésibios,  on  cite  les 
pompes  et  les  syphons  ;  l'application  de  leurs  principes  ou  de  leurs 
détails  de  machinerie  à  la  facture  musicale  l'amena  à  l'invention  de 
('  l'instrument  hydraulique  »  (ainsi  le  nomma-t-il,  organon  hydvaii- 
likon)  que  Philon  de  Byzance  ^  dépeint  en  deux  mots  savoureux  :  «  une 
syringe  soufflée  par  les  mains  ».  La  syringe  est  cet  assemblage  de 
tuyaux  sonores,  de  grandeurs  proportionnées  et  progressives,  que  Ton 
nomme  aussi  «  flûte  de  Pan  »,  assez  improprement  sans  doute,  car  ses 
tu3''aux  sont  ceux  du  chalumeau  rustique,  caractérisés  par  une  languette 
vibrante  :  ce  sont  des  anches. 

Ainsi  naquit  l'orgue,  par  les  soins  de  Ctésibios,  de  cette  union  d'une 
invention  utilitaire,  la  pompe,  avec  la  syringe  champêtre. 

Ctésibios,  ayant  inventé  l'orgue,  apprit  |  sa  femme  Thaïs  à  s'en 
servir.  Un  bas-relief  venu  de  leur  propre  ville,  et  conservé   au   musée 


1.  Exerçait-il  la  profession  de  barbier,  ou  n'est-ce  qu'un  surnom  ?  On  l'ignore. 

2.  Selon  qu'on  penche,  pour  l'époque  de  Ptolémée  III,  qui  porta  ce  surnom  (246- 
221  avant  l'ère  chrétienne)  ou  celle  de  Ptolémée  VII,  qui  le  porta  aussi  (145-117). 
I  es  avis  sont  controversés. 

3.  l*h\\or\,  Sj^ntagma.  Si  ce  Philon  de  Byzance  est  réellement  contemporain  d'Ar- 
chimède,  il  faut  admettre  que  Ctésibios  vivait  sous  Ptolémée  IFI.  au  même  temps. 
On  peut  consulter  Carra  de  Vaux,  sur  les  Pneumatiques  de  Philon  de  Byzance,  dans 
Notices  et  extraits  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Sationale,  XXXVIII  (igoS). 


—  s  — 

du  Louvre  S  semble  bien  les  représenter  tous  trois  :  l'inventeur,  jouant 
d'une  longue  trompette,  Torgue,  d'une  quinzaine  de  tuyauxassez  courts, 
et  l'organiste  que  l'on  aperçoit  derrière  l'instrument.  En  plus  de  cette 
illustration  originale,  d'assez  nombreux  monuments  antiques,  que  je 
citerai  plus  loin,  offrent  de  suffisantes  reproductions,  plus  ou  moins 
soignées,  des  contours  extérieurs  du  nouvel  instrument,  qui  permettent 
néanmoins  de  s'en  faire  une  juste  idée  et  corroborent  pleinement 
l'expression  imagée  de  Philon. 


Planche  I.  Type  de  l'Orgue  primitif 
(tnviron    i°»5o    à    i^yS    de    haut) 


Tels  furent  les  premiers  débuts,  qu'Athénée  de  Naucrate^,  écho  d'A- 
ristoclès,  de  Tryphon,  de  Philon,  nous  raconte,  de  l'instrument  qui, 
rapidement,  devait  surpasser  tous  les  autres. 

Sa  description  technique  allait  bientôt  être  donnée,  assez  précise  et 
suffisamment  claire  pour  que  l'invention  du  barbier  d'Alexandrie  ne 
restât  pas  sans  lendemain.  Ctésibios,  en  effet,  inventait  et  fabriquait  : 
un  autre  Alexandrin,  le  célèbre  ingénieur  Héro,  à  coup  sûr  son  élève, 
—  et  peut-être  son  fils,  —  a  rédigé,  dans  ses  volumineux  Pneumatika  ''\ 
les  descriptions  et  les  dessins  des  inventions  de  son  maître.  On  peut, 
à  juste  raison,  supposer  qu'il  y  a  parfois  mis  du  sien,  en  mettant  au 
point  certains  détails. 

L'invention  de  Ctésibios  et  l'ouvrage  de  Héro  ont  dû,  pendant   assez 


1.  Voir  dans  les  Musées  de  France.  Recueil  des  monuments  antiques,  la  planche  32 
(Paris,  1873). 

2.  Athénée,  Deipnosophia,  IV,  75.  On  pourra  consulter  l'étude  de  Tannery, 
Athénée  sur  Ctésibios  et  V hydraulis ,  dans  la  Revue  des  études  grecques,  t.  IX,  Paris. 
18.96. 

3.  L'édition  moderne  de  ce  remarquable  ouvrage,  donnant,  pour  la  première  fois, 
les  illustrations  tirées  des  manuscrits,  a  été  publiée  en  1899  dans  l'édition  Teubner, 
par  Wilhelm  Schmidt.  La  partie  traitant  de  l'orgue  se  trouve  au   vol.  1. 


Q      _ 

longtemps,  rester  une  pièce  unique,  une  curiosité,  car  il  n'apparait  pas 
qu'on  ait  immédiatement  réalisé  ailleurs  V  «  instrument  hydraulique  ». 
Cependant,  l'orgue  est  déjà  là  tout  entier,  dans  l'invention  géniale  du 
constructeur  alexandrin  ;  il  y  est  avec  toutes  ses  caractéristiques,  avec 
ses  principaux  organes,  tels  que  la  suite  des  siècles  les  verra  per- 
fectionner et  amplifier,  mais  non  changer,  sinon  en  des  temps  tout 
récents, 


Les  premiers  documents  qui  mettent  l'orgue  en  pleine  lumière  de 
l'histoire,  ou  le  dépeignent  comme  définitivement  entré  dans  l'usage, 
remontent  seulement  aux  environs  de  notre  ère.  Un  mot  échappé  à 
Cicéron,  dans  l'une  de  ses  Tuscidanes  S  en  est  le  plus  ancien  témoin 
romain.  J'ai  cité  le  bas-relief  d'Alexandrie  :  un  autre  fragment-  d'une 
œuvre  analogue  provient  de  Tarse,  la  patrie  de  saint  Paul  ;  comme  le 
précédent,, il  représente  également  un  petit  orgue  d'une  quinzaine  de 
tuyaux,  maintenus  par  une  tringle  transversale,  et  dont  le  coffre  de  la 
chambre  à  air  est  décoré  d'une  large  frise  richement  sculptée.  Enfin, 
une  relique  même  d'un  de  ces  orgues  lointains  nous  a  é^é  livrée  par 
Pompéi  ressuscitée  ^  :  c'est  un  fragment  d'un  tout  petit  instrument  ; 
neuf  tuyaux  de  bronze  plus  ou  moins  entiers,  dont  le  plus  long  n'a 
qu'environ  deux  tiers  de  pied,  le  composent  —  c'est  donc  une  «  quinte  » 
ou  «  nasard  »  minuscule.  —  Rien  ne  subsiste,  malheureusement,  de 
l'emboutissage  des  tU3'aux  ni  du  mécanisme  de  l'instrument,  qui  n'est 
bien  réellement,  pour  reprendre  le  terme  de  Philon,  qu'une  grosse  flûte 
de  Pan,  et  n'a  jamais  fourni,  pour  des  jeux  d'enfants  peut-être,  ou  l'appel 
de  quelque  bateleur,  qu'une  gamme  de  sons  fort  aigus  et,  à  coup  sur, 
nasillards,  par  ce  que  l'on  nous  dit  des  anches  antiques. 

Mais  à  la  même  époque  d'où  date  ce  spécimen  de  peu  de  valeur  con- 
servé par  les  cendres  du  Vésuve,  l'orgue  avait  pris  tout  à  coup  une 
importance  singulière  :  l'empereur  Néron  se  passionne  pour  l'instru- 
ment, qui  recevait  alors  ses  premiers  et  sans  doute  importants  déve- 
loppements. L'empereur,  dit  Suétone  *,  laissant  la  toute  affaire,  même 
une  convocation  au  Sénat,  passa,  à  certain  jour,  l'après-midi  entière 
à  examiner  le  fonctionnement  du  nouveau  système  :  il  se  déclarait 
même  prêt  à  aller  en  personne  présenter  cet  orgue  dans  le  théâtre, 
afin  d'y  défendre,  s'il  était  nécessaire,  la  nouvelle  invention. 

Néron  I  le  premier  des  organistes  célèbres  :  quelle  singularité  du  des- 
tin !  Et  son  goût  n'est  pas  tout  dans  le  récit  fait  par  Suétone;  des  mé- 
dailles à  son  effigie,  récompenses  accordées  aux  vainqueurs  d'un  tournoi 
public,  portent  à  l'avers,  avec  les  emblèmes    d'un  «  premier  prix  »,    la 


1.  Tusculancs,    III,  4,1:     «    ...   Ilydrouli    horlabere    ut   audiat  xoces  potius  quam 
Platonis.    » 

2.  Egalement   au  Musée  du  Louvre. 

3.  Musée  de  Naples. 

4.  Suétone,  Sero,  ch.  41. 


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figure  de  l'hydraule.  L'inscription  d'un  de  ces  trophées  porte  autour 
de  l'instrument  l'exergue  :  Laurenti  Nika,  ce  qui  peut  signifier  soit  : 
«  Au  lauréat  :  victoire  »  ou  «  Victoire  de  Laurent  »  (en  supposant  une 
crase  du  premier  mot);  dans  ce  dernier  cas,  nous  aurions  ainsi  le  nom 
d'un  des  premiers  prix  d'orgue  de  ce  temps-là  ^ 

Ainsi,  il  y  avait  déjà  des  concours  d'orgue  dans  la  Rome  impériale, 
vers  l'an  70  de  notre  ère  !  Nous  avons  donc  à  rendre  grâces  à  Néron, 
par  qui  l'orgue  prit  son  premier  lustre.  Il  eut  des  imitateurs  :  nous 
trouvons  d'autres  médaillons  encore,  du  même  genre,  avec  l'effigie  de 
Trajan,  ou  celle  de  Caracalla  2,  et  (beaucoup  plus  tard  il  est  vrai),  avec 
celle  d'un  Valentinien  (v"  siècle). 

Au  III''  siècle,  les  empereurs  Héliogabale  et  Alexandre  Sévère  illustrè- 
rent encore  l'orgue  ^  ;  le  premier  savait  en  moduler;  le  second,  qui 
jouait  volontiers  de  la  cithare  etde  la  «  tibia  »,  aimait  aussi  àsonner  de 
la  tuba  accompagné  par  l'orgue  ^.  Le  bas-relief  d'Alexandrie  pourrait 
servir  à  commenter  ce  texte,  ou,  mieux  encore  peut-être,  la  mosaïque 
gallo-romaine  de  Nennig^,  à  peu  près  du  temps  d'Alexandre  Sévère, 
où  un  organiste,  derrière  un  instrument  à  une  vingtaine  de  tuyaux  de 
façade,  accompagne  un  personnage  somptueusement  vêtu,  jouant  de 
cette  longue  trompette  recourbée  autour  du  cou,  et  qui  est  peut-être  le 
cornu. 

Pendant  ce  premier  âge  de  l'orgue,  l'instrument  nouveau  avait  ainsi 
peu  à  peu  conquis  le  monde  gréco-romain,  et  partout  rencontré  un  vif 
succès,  de  curiosité  tout  au  moins  :  car  il  restait  encore  pour  beaucoup 
de  gens  un  sujet  d'étonnement.  Athénée,  racontant  l'invention  de  Cté- 
sibios,  met  en  scène,  —  c'était  vers  l'an  200  de  notre  ère,  —  un  interlo- 
cuteur naïf  qui  croit,  dans  les  tons  de  l'orgue,  entendre  un  nouvel  ins- 
trument à  cordes  "^  et  ne  peut  pas  comprendre  comment  des  tuyaux 
puissent  parler  avec  égalité,  d'une  manière  pour  ainsi  dire  mécanique, 
sous  la  pression  de  l'eau. 

Cette  eau  elle-même  semblait  durement  peiner  pour  forcer  l'air  à 
pénétrer  dans  le  sommier,  et  son  bouillonnement,  —  non  pas  son 
«  ébullition  »,  comme  on  l'a  inexactement  traduit,  —  donnait  fort  à 
penser  aux  curieux.  D'autant  plus  que  déjà,  vers  le  m'"  siècle,  l'instru- 
ment commençait  à  devenir  important  :  «  Regardez,  —  disait  Tertul- 
lien"  à  ses  auditeurs  de  Carthage,  —  regardez  la  grandiose  magnificence 
d'un  Archimède  :  je  veux  dire  l'orgue    hydraulique;  tant  de  membres, 


!.  Deux  médaillons  de  ce  genre  se  trouvent  à  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris, 
Cabinet  des  médailles.  On  en  trouvera  la  description  dans  Sabatier,  Description 
générale  des  médaillons  contorniates,  Paris,   1860,  planche  X,  n*""  7  et  8. 

2.  .Id.,  no  g. 

3.  Aelius  Lampridus,  Hetiogabalus,  ch.  32  ;  Alexander  Severus,  ch.  27. 

4.  Id.  :  «  Lyra,  tibia,  organo  cecinittuba  etiam.  » 
'i.  Près  de  Trêves. 

6.  Au  temps  encore  de  saint  Augustin,  quelques-uns  avaient  cette  opinion  singu- 
lière ;  voir  mon  livre  des  Variations  sur  la  musique  d'église,  p.  33  à  37;  Paris,  191 3.  Le 
texte  curieux  du  docteur  d'Hippone  se  trouve  dans  son  Jùiarratio  sur  le  psaume  i5o. 

7.  Tertullien,  De  anima,  ch.  xiv.  [Patr.  Lat.,  t.  II,  col.  669.) 


—   II   — 


tant  de  parties,  tant  d'articulations,  tant  de  chemin  parcouru  .par  les 
voix,  tant  de  multiplicité  de  sons,  tant  d'échanges  de  modes,  tant  de 
rangées  de  tuyaux;  et  tout  cela  est  un  seul  ensemble!  »  On  ne  parle- 
rait pas  autrement  d'un  orgue  moderne. 

Son  maniement,  d'ailleurs,  était  facilité  par  l'art  avec  lequel  il  était 
construit;  des  auteurs  modernes  se  sont  plu  à  imaginer  que  ces  trans- 
missions primitives  devaient  être  lentes  et  fort  dures  :  il  n'en  était 
rien  certainement.  Les  techniciens,  comme  Héro  et  Vitruve,  dont  je 
résumerai  plus  loin  les  travaux,  emploient  à  plusieurs  reprises  le  mot 
d'  «  instantanément  »  pour  exprimer  la  rapidité  avec  laquelle  obéissent 
les  organes  de  l'orgue.  Plus  tard,  des  littérateurs  s'émerveillent  de  la 
facilité  du  doigté. 

Porphyre  Optatien,  au  iv^  siècle,  décrit  avec  précision  le  mouvement 
soit  lent,  soit  vif,  du  chant  de  l'orgue  accompagnant  les  vers,  dans 
lequel,  à  peine  les  touches  sont-elles  abaissées,  que  l'air  fait  parler  les 
tuyaux.  Ou,  plus  encore,  Claudien,  s'exprimant  en  poète,  il  est  vrai, 
mais  trop  précis  pour  qu'on  ne  l'écoute  point,  loue  lorganiste  «  qui, 
obtenant  de  si  grands  accents  par  un  toucher  léger^  fait  moduler 
d'innombrables  voix  dans  une  moisson  d'airain  '  ;  il  entonne  d'un  doigt 
errant,  et  aussitôt  change  en  mélodies  les  ondes  travaillées  par  de  puis- 
sants leviers  -.  »  (Voir  p.  23  le  texte  d'Optatien.) 

Même  impression  chez  l'empereur  Julien  qui,  dans  son  épigramme 
bien  connue^,  dit  :  «  Un  homme  fougueux,  des  y^apides  doigts  de  sa 
main,  fait  mouvoir  les  règles  qui,  bondissant  ».  fontchanter  l'instrument. 
Et  Cassiodore  enfin,  dans  un  temps  où  déjà  s'abolissaient  les  connais- 
sances antiques,  parle  encore  des  «  doigts  des  maîtres  »  qui,  «  répri- 
mant à  volonté  les  langues  de  bois  »  que  sont  les  touches,  procu- 
rent ainsi  du  souffle  aux  flûtes  de  l'instrument  ^-. 

,  Entre  temps,  bien  entendu,  l'invention  du  barbier  d'Alexandrie 
avait  reçu  d'importants  perfectionnements,  que  nous  allons  bientôt  exa- 
miner. Le  plus  important,  que  j'appellerai  justement  une  modification 
capitale,  c'est  d'avoir  substitué,  au  moteur  primitif  qui  constituait  Ih}'- 
draule,  des  soufflets  fournissant  ainsi  plus  directement  l'air  aux  som- 
miers. Le  souffle  [pneuma)  agissant  seul  ici,  les  orgues  ainsi  construites 
furent  dites  «  pneumatiques  »,  et  la  distinction  entre  les  deux  genres 
subsista  tant  que  le  premier  demeura  en  usage. 

On  ignore  l'époque  précise  et  l'inventeur  de  cette  adaptation  de  soufflets 
aux  orgues.  Un  monument  funéraire  romain,  décrit  autrefois  par  Mer- 
senne'"',  représentait  l'une  de  ces  orgues  pneumatiques  «  dont  les  souf- 
flets sont  semblables  à  ceux  qui  servent  à  allumer  le  feu.  et  sont  levez 
par  un  homme  qui  est  derrière  le  cabinet,  et  le  clavier  est  touché  par 


1.  Allusion  aux  rangées  des  tuyaux,  semblables   à  des  tiges  serrées. 

2.  Clauiien,  dans  le  panégyrique  du  consul  Manlius  Theodoruit,  en  Sqq. 

3.  Anthologia  Palatina,  tx,  368.  Ed.  Teubner.  page  ôio. 

4.  Cassiodore,   inps.  i5o. 

5.  Mersenne,  Harmonie  universelle,  Paris,   i635,  page  38-. 


—    12 


une  femme  ».  Cette  stèle  portait  une  inscription,  que  Je  reproduis  ci- 
dessous,  à  titre  de  document  :  peut-être  aidera-t-elle  quelque  jour  à 
en  fixer  l'origine  ;  en  tout  cas,  elle  fournit  le  nom  d'un  personnage  qui 
s'occupait  d'orgues  K  Un  autre  monument  est  une  médaille  ex-voto 
qu'on  ne  saurait  non  plus  dater  avec  plus  de  précision,  bien  qu'elle  semble 
de  bonne  époque  ^  ;  l'un  des  personnages  qui  y  sont  représentés  porte 
sur  sa  main  un  petit  modèle  d'orgue  qui  semble  bien  être  pneumatique  •' 
ce  n'est  pas  en  effet  une  hydraule,  car  il  n'en  a  pas  les  caractères,  et 
un  organe  placé  devant  la  chambre  à  air  offre  l'apparence  d'un  petit 
soufflet,  placé  exactement  comme  dans  les  petites  orgues  à  bras  tant  en 
faveur  à  la  fin  du  moyen  âge. 

D'ailleurs,  ces  orgues  portatives  ont  été  connues  aussi  dans  l'anti- 
quité, puisque  PoUux -^  les  cite,  sous  le  nom  de  «  petit  »  orgue,  en  les 
mettant  en  opposition  avec  le  «  grand  orgue  »,  ainsi  qu'il  nomme 
l'hydraule. 

L'épigramme  déjà  citée  de  l'empereur  Julien,  s'applique  à  un 
instrument  ayant  subi  cette  modification  :  l'écrivain  y  compare  le 
soufflet  à  «  une  caverne  de  peau  de  taureau,  d'où  l'air  s'élance  par- 
dessous,  h  travers  la  tige  des  roseaux  bien  percés  »  que  sont  les  tuyaux 
de  bronze  de  cet  orgue  pneumatique.  Un  peu  plus  tard,  saint  Augustin, 
bien  qu'il  mentionne  les  hydraules,  semble  surtout  connaître  les  orgues 
à  soufflets  *,  et,  déjà,  c'était  à  celles-ci  que  s'appliquait  spécialement  le 
nom  d'  «  oigue  ï). 

II 

Mais,  venons  à  la  description  de  l'hydraule  primitif -^  et  des  perfec- 
tionnements qui,  peu  à  peu,  le  transformèrent  en  pneumatique,  en 
amplifiant  ses  effets  et  en  augmentant  sa  puissance.  Les  divers  docu- 
ments que  j'ai  précédemment  utilisés  fournissent  d'amples  détails  :  les 
deux  écrits  les  plus  complets,  émanant  de  techniciens  bien  informés, 
sont,  dès  l'origine,  le  traité  des  machines  de  Héro  d'Alexandrie,  et, 
longtemps  après,  la  descripti,on  très  détaillée,  due  à  l'architecte-ingé- 
nieur  Vitruve  —  Marcus  Vitruvius  Pollio  —  qui  prend  la  qualité 
d'  «  affranchi  d'Auguste  ».  Mais  on  ne  saurait,  comme  cela  se  fit  chez 


i.  LAPISIVS  C.  F.  SCAPTIA  CAPITOLINVS  EXTESTAMENTO  FIERI 
MONUMEN.  IVSSIT  ARBITRATVM  HEREDVM  MEORVM  SIBI  ET  SVIS. 

2.  Sabatier,  loc.  cit.,  ;  exergue  :  «  Petroni  :  Placeas  ». 

3.  Onomasticon,  IV,  70. 

4.  Voir  texte  précédemment  cité. 

5.  Le  travail  capital  sur  la  question  est  celui  de  Clément  Loret.  qui  traita  succes- 
sivement le  sujet  dans  son  Cours  d'orgue,  t.  III,  notice  historique,  Paris,  1878,  et 
dans  la  Revue  archéologique,  année  1890.  C'est  à  Loret  que  revient  la  découverte  et 
l'explication  du  véritable  principe  de  l'hydraule,  mis  définitivement  au  point  par 
Wilhelm  Schmidt. 

Voir  aussi  la  description  donnée  par  M.  Victor  Loret,  dan'  le  tome  l""'  de  l'Ency- 
clopédie de  la  Musique  de  l.avignac,  pp.  3o  à  ^4. 


nos  devanciers,  penser  ici  à  Octave  Auguste  :  les  érudits  modernes 
ont  donné  d'excellentes  raisons  pour  placer  Vitruve  à  l'époque  des 
Antonins  <  ;  l'étude  qu'il  fait  de  l'orgue,  déjà  bien  perfectionné  et  loin 
de  l'invention  primitive,  conlirme  les  données  des  archéologues  et  des 
historiens,  et  se  trouve  tout  à  fait  d'accord  avec  les  citations  des 
auteurs  de  la  seconde  moitié  du  ii''  siècle  de  notre  ère,  ou  du  iii^, 
ainsi  qu'avec  les  monuments  figurés  qui  subsistent  de  cette  époque. 
Nous  considérerons  donc  le  «  devis  »  d'hydraule  donné  par  Vitruve  - 
comme  document  de  cette  période. 

Soufflerie  de  l'orgue  hydraulique.  —  La  soufHerie,  telle  qu'elle  fut  à 
l'origine,  et  sortie  tout  entière  de  l'esprit  imaginatif  de  Ctésibios,  est 
basée  sur  un  principe  des  plus  curieux,  où  la  pression  de  l'eau  joue  le 
rôle  de  régulateur  de  l'air  comprimé. C'était,  pour  les  gens  de  ces  temps- 
là,  un  vrai  mystère,  qui  excitait  les  interrogations  des  curieux,  ou  l'ad- 
miration des  esprits  plus  ouverts  ;  ce  fut,  depuis  que  les  hydraules  ont 
disparu,  le  problème  présenté  à  l'imagination  de  ceux  qui  voulurent 
en  reconstituer  le  fonctionnement  •'.  De  nos  jours  seulement,  grâce  aux 
travaux  de  Cl.  Loret  et  à  la  publication  critique  des  textes  antiques, 
la  lumière  s'est  faite  sur  ce  point,  cependant  bien  simple. 

L'air  est  puisé  par  un  corps  de  pompe,  qui  le  refoule  dans  le  socle 
creux  de  l'instrument,  où  il  arrive  par  une  tuyauterie  appropriée,  sous 
une  sorte  de  cloche  à  plongeur,  en  forme  d'entonnoir  renversé  *.  L'eau 
qui  remplit  le  socle  est  maintenue  en  équilibre  par  l'arrivée  incessante 
de  l'air,  qu'elle  comprime  à  son  tour  par  sa  pression.  Un  autre  tuyau, 
du  sommet  de  la  cloche,  conduit  l'air  comprimé  entre  les  deux  tables 
qui  forment  ce  qu'on  a  nommé  depuis  le  «  sommier  »,  la  chambre  à 
air  où  prennent  naissance  les  tuyaux  parlants.  Ainsi,  dit  Tertullien 
dans  un  beau  mouvement  oratoire  :  «  l'air  qui  peine  sous  le  tourment 
de  l'eau,  est  distribué  par  fragment,  unique  en  substance,  divers  par  ses 
(cuvres.  «(Voir  fig.  i.) 

De  cette  disposition  vient  le  nom  à'organon  hydraulicon,  c'est-à-dire 
«  instrument  hydraulique  »,  le  seul  que  lui  ait  donné  son  inventeur. 

L'orgue  décrit  par  Héro  n'avait  qu'un  corps  de  pompe  ;  l'instrument 


i.  Voir,  entré  autres,  la  thèse,  fortement  documentée,  de  J.-L.  Ussirlg.  Betragt-^ 
hinger  over   Vitruvii  de  Architectura,  Copenhague,  i8y6. 

2.  Dans  son  De  Architectura,  X,  ch.  xiii  (publié  par  V.  Rose  dans  l'éd.  Teubner, 

1899)- 

3.  Tous  les  travaux  sans  exception,  faits  sur  ce  sujet  depuis  le  moyen  âge  )usqu  a 
1878,  fourmillent  de  méprises  ou  de  fantaisies  ;  Loret  fut  le  premier  à  élucider  cette 
question. 

Pour  la  description  qui  suit,  voir  la  planche  d'illustratiou  donnant,  figure  i,la 
disposition  schématique  de  l'orgue  primitif,  telle  qu'elle  figure  dans  les  meilleurs 
manuscrits  de  l'œuvre  de  Hérp  ;  figure  2,  l'ouverture  ou  l'obturation  des  tuyaux 
parlants  et  le  mécanisme  de  la  touche  d'après  les  mêmes  sources  ;  figure  3,  le  per- 
fectionnement du  même  mécanisme,  décrit  par  Vitruve  ;  figure  4,  le  manubrium  ou- 
vrant l'accès  de  l'air  aux  rangs  de  tuyaux  (v.  p.  suivante). 

4.  Comparé  très  heureusement  à  une  cloche  à  plongeur  par  Charles  Maclean  ;  voir 
son  très  complet  travail  The  Principle  of  the  Hydraulic  Organ,  dans  les  Sammel- 
bande  de  l'I.  M.  G.,  \'I,  pages  iS3-23G. 


14 


de  Vitruve,  plus  important,  en  avait  deux,  par  où   les  souffleurs  pom- 
paient alternativement.  (Voir  planche  III,  page  20.) 


S^aSHKlI^ 


Planche  ii 


La  simple  soupape  de  métal  de  la  pompe  de  Ctésibios,  montée  sur 
deux  clavettes,  fut  également  perfectionnée  :  au  11*  siècle,  un  obturateur 
en  forme  de  cymbale,  pouvant  hermétiquement  fermer  l'orifice  à  l'inté- 
rieur du  corps  (du  «  boisseau  »  —  modius  —  comme  on  disait)  est  sus- 
pendu par  une  chaînette  commandée  par  un  «  dauphin  »  de  bronze 
fixé  à  une  petite  tige  ;  l'obturateur  ouvre  ou  «  cale  »  le  cylindre,  selon 
le  sens  de  la  pression  deTair.  (Voir  même  figure.) 


ID 


La  disposition  des  pompes  à  air  devait  d'ailleurs  varier  selon  la  force 
de  l'orgue. 

La  plupart  des  représentations  antiques  de  l'instrument  ont 
(lorsqu'elles  sont  visibles)  deux  pompes,  l'une  à  droite,  l'autre  à  gauche. 
Une  miniature,  du  vi^  siècle  seulement,  mais  que  son  origine  très  pro- 
bablement alexandrine  rend  intéressante  ^  représente  deux  hydraules 
accouplées,  chacune  avec  son  organiste:  concertent-ils  ou  se  renforcent- 
ils  ?Là,  les  pompes  sont  toutes  deux  placées,  pour  un  orgue,  sur  le  même 
côté,  l'une  près  de  l'autre  ;  il  y  a  donc  quatre  souffleurs,  deux  à 
droite,  deux  à  gauche. 

On  peut  croire  que,  malgré  son  ingéniosité  et  la  régularité  de  pres- 
sion qu'elle  assurait,  la  soufflerie  «  hydraulique  »  ne  contentait  pas  tous 
les  amateurs  d'orgue  :  peut-être  n'assurait-elle  pas  une  force  suffisante 
lorsque  les  instruments  furent  devenus  plus  importants.  De  là,  l'appli- 
cation du  soufflet  à  l'orgue,  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  et  qui,  peu  à  peu, 
se  substitua  à  la  pompe  à  air  et  au  compresseur  hydraulique. 

Clavier  et  transmissions.  —  On  peut  voir,  sur  la  figure  schématique  i 
de  la  planche  II,  l'indication  sommaire  de  ce  qu'on  a,  depuis,  nommé 
«  touche  ))  ;  ces  touches  sont  d'ailleurs  assez  espacées,  et  correspondent 
juste  à  l'axe  de  chaque  tuyau  parlant,  sans  être  encore  juxtaposées  en 
clavier.  D'après  les  dessins  ou  les  indications  des  monuments,  elles 
devaient  être,  d'axe  en  axe,  distantes  de  trois  pouces  (environ  5  centi- 
mètres et  demi).  Chose  curieuse,  c'est  encore  exactement  la  mesure  que 
l'on  retrouve  dans  certaines  orgues  du  haut  moyen  âge  qui  nous  sont 
connues. 

Ces  touches  ne  sont,  originairement,  que  les  extrémités  d'une  articu- 
lation coudée  à  trois  membres  —  àYxcovicxo;  TptxoaXoç,  —  en  métal,  com- 
muniquant avec  une  glissière  de  bois  percée  d'un  trou,  qui,  selon  la 
position  de  l'articulation,  tantôt  intercepte  l'arrivée  de  l'air  et  bouche 
l'orifice  du  tuyau  parlant,  tantôt  fait  communiquer  l'un  et  l'autre.  Un 
ressort,  tout  primitif,  formé  d'une  spatule  de  corne  attachée  au  mouve- 
ment par  une  cordelette,  assure  «  automatiquement  »,  dit  Héro,  le 
retour  en  avant  de  la  glissière,  en  obturant  à  nouveau  le  tuyau  (plan- 
che II,  figure  2,  d'après  les  manuscrits). 

Plus  tard,  le  système  est  un  peu  différent  et  perfectionné.  Chez  Vi- 
truve,  une  palette  de  bois,  pinna  —  la  touche, —  est  jointe  à  la  glissière 
soigneusement  huilée,  par  une  lame  de  fer  flexible  (c/zora^/«m),  qui  joue 
à  la  fois  le    rôle  de  transmetteur,   quand   la    touche  est  abaissée,  et, 


I.  C'est  celle  reproduite  dans  le  fameux  psautier  de  l'école  de  Reims,  copié  et  orné 
entre  les  années  820-840,  et  connu  sous  le  nom  de  psautier  d'Utrecht,  pour  le 
psaume  cl,  qui  servit  de  modèle  à  nombre  d'autres  qui  la  déformèrent  plus  ou 
moins,  du  vue  siècle  au  xue.  Dans  sa  reproduction  la  plus  récente,  celle  du  psautier 
d'Eadwine,  à  Cambridge,  les  miniaturistes,  ne  sachant  plus  ce  que  signifiaient  les 
pompes  des  hydraules,  les  ont  remplacées  par  des  soutllets  :  cette  dernière  minia- 
ture, trop  souvent  citée,  est  assez  grossière,  et  loin  de  valoir  l'original.  Une  étude  sur 
l'orgue  du  psautier  d'Utrecht  a  paru  dans  Tlie  M^nthly,  année  1898,  n"'  d'avril  à 
novembre. 


10   — 


quand  les  doigts  la  quittent,  celui  de  ressort,  qui  ramène  la  glissière 
en  place.  (PI.  IL  fig.  3.) 

Les  auteurs  des  descriptions  antiques  emploient  d'ailleurs  à  diverses 
reprises,  comme  je  Tai  déjà  fait  remarquer,  les  termes  d'  «  aussitôt  », 
«  immédiatement»,  pour  désigner  la  manière  dont  la  machinerie  de 
l'orgue  obéissait  au  toucher.  ' 

Tuyaux  parlants.  —  L'  «  instrument  h3^draulique  »  de  Ctésibios 
faisait  parler  un  certain  nombre  de  tuyaux,  évidemment  restreint  :  le 
schéma  de  Héro  n'en  indique  que  sept  ^,  et  l'ingénieur  spécifie  leur 
espèce,  nommant  chacun  d'eux  un  aulos.  Athénée  n'emploie  pas 
d'autre  terme  pour  les  désigner,  et,  si  Philon  compare  à  une  syringe 
l'ensemble  de  ces  tu3'aux,  c'est  encore  le  mot  aulos  qui  revient  dans  les 
composés  grecs  ou  latinisés,  hydraulos,  hydrauUs,  hydraulus,  qui  préva- 
lurent sur  le  vocable  original  organon  hydî^aulicon.  D'ailleurs  la 
syringe  elle-même  était  formée  d'une  série  à'aulos.  D'où  l'autre  nom 
qui  fut  aussi  donné  à  l'instrument,  ô'organon  auletikou. 

Les  tuyaux  parlants  des  premières  orgues  étaient  donc  analogues  à 
l'instrument  à  vent  du  même  nom,  aulos  en  grec,  tibia  en  latin.  Or,  si 
nos  littérateurs  ont  accoutumé  de  rendre  ce  mot  par  «  tiùte  »,  c'est  de 
leur  part  une  méprise,  et  j'aime  mieux  ces  vieux  auteurs  français  du 
xv*'  siècle  ou  du  xvi^  qui  disaient  plus  simplement  :  une  «  tibie  ». 
L'aulos,ou  la  tibia,  n'était  pas  une  flûte,  mais  un  instrument  de  métal, 
bronze  ou  airain,  à  anche,  très  sonore,  dont  la  languette  de  roseau  en 
faisait  l'intermédiaire  entre  le  chalumeau  pastoral  et  le  hautbois  égyp- 
tien :  il  se  rapprochait  ainsi  assez  de  la  clarinette  moderne,  et  on  le 
construisait  en  divers  registres,  aigus,  moyens  ou  graves,  susceptibles 
de  jouer  à  l'octave  les  uns  des  autres.  Cet  instrument  était  donc  assez 
désigné  pour  le  groupement  d'ensemble  imaginé  par  l'ingénieux  alexan- 
drin :  Héro  lui-même  nomme  ses  tuyaux  parlants,  des  auloi  «  puis- 
sants »,  aiAoùç  àvjapAvovç  ;  ce  sont  des  tuyaux  à  la  fois  à  bouche  et  à 
anche,  directement  emboutis  sur  la  «  boîte  à  languettes  »  fixée  au- 
dessus  du  sommier. 

Il  est  probable  qu'à  l'anche  de  roseau  on  substitua  rapidement  des 
languettes  de  métal,  susceptibles  de  résister  à  la  pression  de  l'air  com- 
primé, sans  se  désaccorder  ni  s'émousser. 

Jeux.  —  L'orgue  primitif  n'était  donc  pas  formé  d'un  jeu  de  tlùte, 
mais  d'un  jeu  d'anches  analogues  aux  chalumeaux.  L'instrument  alexan- 
drin, très  rudimentaire,  ne  possédait  qu'une  seule  rangée  de  tuyaux  ; 
l'orgue  gréco-romain,  dès  l'instant  où  nous  le  connaissons  avec  quelque 
précision,  arrive  à  en  avoir  plusieurs. 

Mais,  ces  rangées  de  tuyaux,  qu'étaient-elles  au  regard  des  timbres  et 
des  sonorités?  Des  répliques  d'un  même  jeu?  Des  rangées  de  «  fourni- 
tures »  sonnant  des  octaves,  des  quartes  et  quintes  superposées,  ampli- 
fiant plus  ou  moins  la  richesse  harmonique  du  tuyau  principal  ?  Il  est 


1.  C'éiaii  d'ailleurs  le  nombre  habituel  de  tuyaux  que  comportait  l'antique  syringe. 


—  17  — 

difficile  de  le  dire  exactement,  d'autant  plus  que  les  monuments  nous 
offrent  uniformément  le  dessin  de  tuyaux  à  bouche,  de  hauteurs  diffé- 
rentes, mais  de  proportions  semblables,  assez  analogues  à  nos  montres 
et  prestants,  et  cependant  de  taille  plus  fine,  comme  les  gambes. 

Le  texte  de  Tertullien  suggère  une  explication,  qui  a  été  donnée  par 
d'autres  auteurs  à  propos  d'un  traité  anonyme  sur  la  musique  *  ;  que 
signifie,  en  effet,  dans  ce  passage  :  tôt  commercia  modorum,  «  tant 
d'échanges  de  modes  »  rapproché  surtout  de  tôt  acies  tibiariim,  «  tant 
de  rangées  de  tuyaux  »  ?  On  sait,  en  effet,  que,  dans  la  musique  antique, 
chaque  mode  avait  non  seulement  son  échelle,  mais  sa  transposition 
pratique  réglée  par  un  canon  quasi  immuable,  analogue  à  celle  dont 
usent  encore  les  organistes  modernes,  d'après  la  a  teneur  »  —  la  «  mèse  » 
des  anciens  —  de  chaque  ton,  dans  la  transposition  des  chants  litur- 
giques. Or,  comme  il  est  indubitable  que  les  claviers  primitifs  n'étaient 
pas  chromatiques,  on  doit  en  conclure  qu'un  jeu  donné  ne  pouvait  que 
suivre  l'échelle  d'un  mode  unique,  dans  sa  transposition  courante.  Une 
rangée  aurait  donné  l'échelle  dorienne,  une  autre  la  lydienne,  etc. 

Ceci  n'est  toutefois  qu'une  hypothèse  ;  il  faut  d'ailleurs  remarquer 
que  le  texte  anonyme  dont  je  parle  fait  mention  non  pas  de  modes, 
mais  de  «  tons  »  ;  c'est-à-dire  de  sons,  de  touches,  nouvellement  alors 
ajoutées  à  un  orgue,  les  «  tropes  »  chromatiques  au  nombre  de  trois. 

On  peut  encore  remarquer  que,  sur  une  remarquable  réduction 
en  terre  cuite,  ex-voto  sans  doute,  provenant  de  Carthage  -,  et  constituée 
avec  un  soin  très  grand,  des  trois  ou  peut-être  quatre  rangées  de 
tuyaux,  celle  qui  est  en  u  montre  »  est  la  plus  grande.  Par  rapport  aux 
dimensions  générales  de  l'instrument  et  de  l'instrumentiste,  il  est  facile 
de  se  rendre  compte  du  diapason  de  ce  jeu.  Ce  «  principal  »  offre  une 
série  de  dix-neuf  tuyaux,  dont  le  plus  long  devait  avoir  en  réalité  envi- 
ron quatre  pieds  ;  un  tel  jeu  correspond  ainsi  à  un  ensemble  de  tuyaux 
commençant  dans  les  notes  graves  de  notre  clef  de  fa.  Ce  serait  donc 
un  jeu  d'une  sonorité  semblable  à  celle  de  nos  «  huit  pieds  »  actuels. 

Il  est  impossible,  sur  le  même  monument,  de  se  rendre  compte  de 
la  hauteur  des  tuyaux  de  la  ou  des  rangées  intermédiaires  ;  mais  la 
dernière  semble  avoir  les  deux  tiers  de  la  hauteur  de  la  première,  soit 
un  jeu  d'environ  deux  pieds  deux  tiers  au  tuyau  le  plus  grave.  Cette 
rangée  sonne  donc  la  quinte  de  la  première  :  c'est  un  «  gros  nasard  ». 
On  se  rappelle  que  les  restes  du  minuscule  instrument  de  Pompéi 
offrent  les  mêmes  proportions,  en  une  octave  plus  aiguë. 

On  avait  depuis  longtemps  déjà  remarqué  que,  si  les  instruments 
classiques  de  l'orchestre  antique  étaient  à  anche,  on  pouvait  à  l'occa- 


1.  L'Anonyme,  publié  par  Bellermann  en  1841; 

2.  On  en  a  plusieurs  fois  donné  des  dessins,  depuis  qu'il  fut  découvert  en  i883  ; 
les  reproductions  les  plus  complètes  sont  celles  de  F.-W.  Galpin  dans  le  numéro  de 
juillet  1904  de  The  Reliquary  (London,  Bemrose  and  Sons).  Il  y  en  a  aussi  dans  la 
Revue  S.  I.  M.,  au  cours  d'un  article  de  Gh.  Mutin,  en  1910. 


sion  faire  sonner  les  tuyaux  seuls*  :  c'était  toutefois  le  propre  de  la  fîs- 
tula,  assez  peu  appréciée  des  Gréco-Romains,  et  qui  est  la  vraie  «  fîûte  ». 
11  est  probable  que  de  bonne  heure  on  eut  l'idée  d'en  joindre  la  sono- 
rité à  celle  de  Vaulos  puissant.  Néanmoins,  si  l'on  peut  supposer  la  pré- 
sence de  tels  tU3'aux  dans  l'hydraule  perfectionnée,  il  faut  descendre  au 
V"  siècle  pour  trouver,  dans  un  curieux  sermon  d'un  évêque  du  Midi  de 
la  France,  la  mention  de  la  flûte  dans  l'orgue  2. 

Un  autre  texte,  à  peu  près  du  même  temps,  mentionne  également  la 
fistula,  en  nous  apprenant  que  les  doigts  des  «  maîtres  »  peuvent  tirer 
des  pneumatiques  de  «  très  douces  cantilènes  »  mises  en  opposition 
avec  la  «  puissante  sonorité  »  (grandisonam)  des  autres  résonances  ^. 
Il  y  a  donc,  dans  lorgne  ainsi  pisé,  deux  espèces  de  jeux,  sans  hésitation 
possible.  Or,  le  mot  fistula  désigne  effectivement,  dans  le  langage 
romain,  l'instrument  de  bois,  à  bouche,  au  son  doux,  mais  «  aigu  »  par 
rapport  à  la  tibia,  sonnant  ainsi  une  octave  au-dessus  :  ceitQjîstula  était 
donc  une  «  flûte  douce  de  4  ». 

L'orgue  romain  a  donc  pu  comporter  trois  jeux  :  un  jeu  d'anche  à 
languette  battante,  de  huit  pieds  par  rapport  aux  nôtres  ;  un  jeu  de 
flûte  douce  de  quatre  ;  un  nasard,  ou  mieux,  ce  qu'on  nommait  autre- 
fois une  <t  quinte-flûte  ». 

Nous  savons  enfin,  par  Vitruve,  que  l'on  pouvait  porter  au  moins 
jusqu'à  huit  le  nombre  des  rangées  de  tuyaux. 

Etendue.  —  Il  est  impossible  de  fixer  avec  précision  l'étendue  du 
clavier  antique,  pas  plus  qu'on  ne  saurait  dire  sur  quel  mode  il  était 
basé,  toutes  les  hypothèses  qu'on  a  proposées  là-dessus  étant  également 
hasardées.  Il  est  possible  d'ailleurs  qu'il  y  ait  eu  quelque  latitude,  sui- 
vant les  desseins  des  facteurs  ou  les  désirs  des  acheteurs  ;  on  ne  saurait 
s'appuyer  sur  les  monuments  figurés,  où  les  artistes,  non  musiciens, 
qui  ont  représenté  des  orgues,  n'ont  fait  qu'indiquer  les  tuyaux,  ou  en 
ont  donné  un  nombre  très  approximatif. 

Les  dessins,  tout  schématiques  il  est  vrai,  du  manuscrit  de  Héro, 
n'ont  que  sept  tuyaux,  et  quelques  représentations  antiques,  des  plus 
grossières,  n'en  ont  guère  plus.  Mais  celles  qui  sont  les  plus  soignées,  — 
comme  la  terre  cuite  d'Alexandrie,  celle  de  Carthage,  une  gemme  gravée 
conservée  au  British  Muséum,  la  mosaïque  de  Nennig,  etc.,  celles-là 
offrent  de  quinze  à  vingt  tuyaux  par  rang  :  on  peut  donc  supposer  que 
les  meilleurs  instruments  comptaient  à  peu  près  ce  nombre  qui  corres- 
pond d'ailleurs  au  nombre  des  sons  du  u  grand  système  parfait  »  de 
deux  octaves  diatoniques  des  anciens,  en  y  faisant  entrer  le  double 
tétracorde  du  milieu,  pour  les  «  conjointes  »  etles«  disjointes  »,  c'est- 

1.  Cf.  le  scholiaste  de  Pindare,  sur  Pythique  XII,  i,  à  propos  de  Midas,  qui  a.vait 
cassé  la  languette  de  son  instrument,  et  qui  continua  quand  même  à  jouer. 

2.  Habes  organuvi  ex  diversis  fistulis  sanctorum  apostolorum,  doctorumque 
omnium  ecclesiarum,  aptatum  quibusdam  accentibus...  Ad  hiiius  organi  suavissimas 
et  diiicissimas  voces,  etc.  (Sermons  de  Prosper  d'Aquitaine,  Patrologie  latine,  t.  LI, 
col.  856).  Le  même  texte  appelle  déjà  les  touches,  claves,  parce  quelles  ouvrent  et 
ferment  l'accès  des  tuyaux. 

3.  Gassiodore,  loc.  cit. 


—  19  — 

à-dire  avec  si  bécarre  ou  si  bémol.  L'Anonyme  de  Bellermann  ajoute  à 
ce  clavier  trois  notes  chromatiques  par  octave  ;  il  est  ainsi  d'accord, 
comme  étendue,  avec  le  petit  poème,  si  curieux,  d'Optatien,  «  en  forme 
d'orgue  »,  qui  va  jusqu'à  vingt-six  touches  et  autant  de  tuyaux. 
(V.  p.  25.) 

Registres.  —  L'orgue  antique  pouvait  faire  parler  individuellement 
les  rangs  de  tuyaux,  ou  les  jeux  ;  la  description  du  De  architectura  i, 
fort  nette  et  précise,  montre  que  chacun  de  ces  rangs  était  commandé 
par  un  système  qui  jouait  le  rôle  de  nos  registres. 

En  effet,  au  lieu  queCtésibios  plaçait  ses  «  boîtes  à  languette  «  direc- 
tement sur  la  chambre  à  air,  l'orgue  de  Vitruve  interpose  un  nouveau 
mécanisme  entre  le  canon,  où  sont  percées  les  arrivées  d'air,  et  la  table 
supérieure  ou  pinax,  sur  laquelle  sont  montés  les  anneaux  à  anches  ^: 
«  Sur  toute  la  longueur  [du  canon],  des  rainures  sont  creusées,  quatre 
s'il  est  «  tetrachordos  »  [à  quatre  sons],  six,  s'il  est  «  hexachordos  », 
huit  s'il  est  «  octochordos  -)...  A  chacune  de  ces  rainures,  autant  de 
rouleaux  (epitonia)  sont  adaptés,  munis  de  manches  [ou  manivelles] 
de  fer.  Quand  on  tourne  ces  manches,  on  ouvre  les  orifices  qui,  de 
l'arche  [socle]  communiquent  avec  les  rainures  ».  (Voir  planche  II, 
fig.  4.) 

C'est  donc  bien  là  un  fonctionnement,  non  identique,  mais  ana- 
logue dans  son  effet,  à  celui  des  registres  ouvrant  les  «  gravures  »  du 
sommier.  Et  c'est  seulement  au-dessus  des  rainures  des  «  epitonia  » 
dont  chacune  commande  un  rang,  qu'est  placée  la  transmission  qui  ouvre 
l'accès  de  chaque  tuyau  en  particulier.  Le  sommier,  avec  la  laye,  était 
donc,  dès  lors,  disposé  exactement  comme  il  l'a  toujours  été  depuis. 

Dimensions  de  r instrument.  —  Plusieurs  des  monuments  antiques 
qui  placent,  aux  côtés  d'un  orgue,  son  organiste,  son  ou  ses  souffleurs, 
peuvent  servir  de  base  d'appréciation  sur  la  grandeur  relative  de  cer- 
tains organes  de  l'instrument.  Mais  la  terre  cuite,  déjà  mentionnée, 
trouvée  à  Carthage,  nous  renseigne  infiniment  mieux  :  de  18  centimè- 
tres de  hauteur  sur  8  centimètres  en  carré,  elle  représente  en  détail  une 
hydraule,  avec  l'organiste  qui  la  fait  parler.  La  réduction  est  faite  avec 
beaucoup  de  soin  :  je  l'ai  plus  haut  utilisée  pour  connaître  le  diapason 
de  deux  de  ses  rangées  ;  malheureusement  mutilée,  elle  ne  permet  pas 
d'en  retrouver  tous  les  détails  :  mais  elle  est  toutefois  suffisamment  con- 
servée pour  que  la  position  de  l'instrumentiste  et  ce  qui  reste  du  per- 
sonnage permette  de  juger  des  dimensions  de  l'orgue  dont  elle  est  la 
copie,  et  qu'on  peut  estimer  à  environ  dix  pieds  de  haut  sur  quatre  et 
demi  de  large,  mesures  antiques,  soit  environ  3  m.  3o  de  haut  sur 
I  m.  1 5  de  large. 

Le  cylindre  des  pompes  a  environ  un  pied  et  demi  ds  large,  ferrures 
comprises,  sur  deux  de  haut.  Nous  savons  par  Vitruve  que  l'ouverture 
«  calée  »  par  les  cymbales   de    métal  qui  pendent  des  dauphins,  devait 

1.  Vitruve,  op.  cit. 

2.  Annuli  qitibus  includiintur  lingulae. 


avoir  trois  pouces  de  large,  ce  qui  était  aussi  la  mesure  des  dés  qui  sou- 
tenaient, dans  le  socle, l'entonnoir  à  air  comprimé  i.  Ce  socle,  «  arca»), 
qui  contient  les  réservoirs,  en  forme  d'autel  polygonal,  a,  dans  l'orgue 


Planche  III 


de  Cartilage,  un  peu  plus  de  quatre  pieds  de  haut  ;  il  reçoit,  du  côté 
des  touches,  l'adjonction  d'un  autre  petit  socle  ou  tabouret  qui  lui  est 
joint,  et  sur  lequel  est  monté  l'organiste  qui  joue  debout. 

Les  détails  des  registres,  des  touches,   des  mains  de  l'organiste,  sont 
cassés.  Cependant  on  peut  compter  dix-huit  touches,  distantes,   d'axe 


1.  Les  expériences  de  Galpin,  en  1904,  à  la  London  Company  oj  musicians,  ont  dé- 
montré que  la  hauteur  de  l'eau  poussée  par  l'air  pouvaitatteindre  une  différence  d'en- 
viron 3  pouces  1/2,  ce  qui  représente  la  pression  du  ventchargé  d'alimenter  les  tuyaux. 


21 


en  axe,  d'environ  trois  pouces.  L'adjonction,  à  ce  modèle,  des  tiges  et 
leviers  des  pompes  ainsi  que  des  manches  des  registres  que  la  terre 
cuite  ne  pouvait  donner,  avec  leurs  souffleurs,  permet  de  se  rendre 
compte  exactement  de  l'aspect  d'un  instrument  de  ce  genre  et  de  ses  pro- 
portions. (Cf.  Planche  III.) 

Disposition  extérieure  et  aspect  de  l' instrument.  —  Les  description, 
que  l'on  vient  de  lire,  et  les  illustrations  qui  accompagnent  cette  étude 
disent  assez  quels  furent  la  disposition  extérieure  et  l'aspect  de  l'instru- 
ment antique.  Le  «  buffet  »  dans  lequel  on  a  pris  l'habitude,  vers  la  fin 
du  moyen  âge,  d'enfermer  l'orgue,  n'était  pas  encore  en  usage  ;  les 
organes  producteurs  de  la  force  de  l'air,  pompe  ou  soufflet,  restaient 
apparents  et  presque  au  premier  plan  ;  l'organiste  était  placé  par  der- 
rière, et  dans  les  orgues  les  plus  simples,  on  l'apercevait  entre  les 
intervalles  des  tuyaux,  qu'il  dépassait  souvent  de  la  tète  et  même  du 
buste.  La  façade  de  l'instrument  rappelait  donc  toujours  la  «  Flùte  de 
Pan  »  placée  sur  un  «  autel  ».  (PI.  I,  p.  8.) 

Mais  déjà,  ce  qu'il  y  avait  de  boiserie  dans  l'hydraule  était  décoré  de 
sculptures  en  plein  bois  :  frises  ornées  de  rinceaux  profondément  entre- 
lacés, panneaux  avec  rosaces  ou  palmes.  La  base  même,  le  socle  qui  con- 
tenait le  réservoird'eau  et  d'air,  étaient  à  l'occasion  garnis  de  quelque 
décoration  :  la  base  du  petit  orgue  de  Pompéi,  dont  il  subsiste  une 
partie,  offre,  en  relief,  trois  petites  portiques  d'ordre  dorique,  avec  fron- 
tons, abritant  des  statuettes. 

Ainsi,  presque  dès  l'origine,  l'orgue,  dans  tout  ce  qui  n'était  pas  un 
de  ses  organes  musicaux,  appelait  déjà  à  son  aide  l'art  du  décorateur. 

in 

Le  rôle  antique  de  l'orgue  hydraulique  était  fort  divers,  mais  s'il  est 
utilisé  en  de  multiples  circonstances,  il  n'apparaît  jamais  dans  les  céré- 
monies religieuses. 

Nous  trouvons  l'orgue  employé  pour  l'agrément  des  particuliers  : 
c'est  le  cas  de  la  lettre  de  Cicéron,  un  demi-siècle  avant  notre  ère  :  c'est 
celui,  évidemment,  des  nombreusesreprésentationsqui  nous  sont  restées, 
sur  des  tombeaux  ou  des  mosaïques,  se  référant  à  des  usages  privés.  Des 
instruments  rudimentaires,  comme  celui  de  Pompéi,  ont  pu  servir  de 
jouet,  mais  plus  encore  pour  accompagner  les  parades  des  baladins, 
où  le  son  fort  et  nasillard  de  leurs  tuyaux  rappelait  plutôt,  comme  les 
anches  de  certains  instruments,  le  jargon  des  oies. 

Mais  un  apparat  plus  relevé  attendait  l'orgue  :  au  temps  déjà  de 
Néron,  il  a  figuré  au  théâtre  et  dans  les  jeux  publics  du  cirque,  comme 
l'indiquent  le  mot  de  Suétone,  un  autre  de  Pétrone  '  et  les  médaillons 
contorniates  à  l'effigie  des  empereurs.  L'une  de  ces  médailles  repré- 
sente devant  l'orgue  deux  femmes  semblant  s'offrir  mutuellement  des 
palmes  ou  des  flabelles  :  l'attitude  qu'elles  ont  et  la  corrélation  étroite  de 
leurs  gestes  paraissent  indiquer  sans  hésitation  une  danse  ou  une  panto- 

I.  Pétrone,  Satyricon,  36. 


mime  orchestrale.  L'orgue  futconcertant:  ilaccompagnedéjàle  grotesque 
nain  d'Alexandrie,  ou  l'empereur  Alexandre  Sévère,  ou  encore  le  per- 
sonnage inconnu  de  Nennig,  dans  leurs  solos  de  «  tuba  ».  Un  fragment 
romain  représente,  sur  une  scène,  un  chanteur  tragique  dans  une  noble 
attitude  ;  près  du  «  portant  »  des  décors,  figure  l'orgue  qui  l'accompagne  ^ 
Mais  l'occasion  la  plus  importante  où,  dans  un -cadre  un  peu  moins  an- 
cien, il  est  vrai,  mais  tout  plein  encore  de  la  civilisation  antique,  nous 
voyons  paraître  l'orgue,  c'est  dans  le  ballet  représenté  sur  le  socle  de 
l'obélisque  de  Théodose  le  Grand,  en  l'an  3qo,  à  Constantinople.  Ce 
bas-relief  est  assez  connu,  et  a  donné  lieu  à  bien  des  dissertations, 
plus  ou  moins  aventurées,  la  plupart  fausses  dans  leurs  conclusions, 
sur  la  nature  des  orgues  qui  y  sont  sculptées,  car  les  dessins  qu'on  en 
avait  présentés  jusqu'ici  étaient  tous  incomplets. 

Le  bas-relief  représente  une  scène  dansée,  accompagnée  d'instruments 
de  musique,  exécutée  devant  l'empereur  et  sa  cour.  Au  premier  plan, 
sur  toute  la  longueur  du  bas-relief,  règne  un  «  cancel  »  ou  balustrade 
richement  décorée,  qui  borde  l'estrade.  Plusieurs  ballerines,  en  attitudes 
élégantes  et  gracieuses,  sont  accompagnées  de  deux  chorèges  placés 
en  arrière,  dont  l'un  semble  jouer  de  la  cithare  et  l'autre  de  1' «  au- 
los  »  double  ;  de  chaque  côté,  il  y  a  de  plus  un  petit  orgue,  avec  son  or- 
ganiste :  à  chaque  extrémité,  derrière  l'orgue,  et  montés  à  la  hauteur  du 
cancel,  sont  placés  deux  adolescents  en  tunique.  C'est  de  ce  dernier 
détail  qu'on  a  supposé  qu'ils  actionnaient  des  soufflets  cachés  derrière 
la  balustrade  :  en  réalité,  de  ce  qu'on  voit  sur  ce  bas-relief,  rien,  dans 
le  dessin  de  ces  orgues,  ne  permet  de  reconnaître  si  l'on  a  affaire  à  une 
«hydraule»  ou  à  un  «  pneumatique  »,  à  un  orgue  à  eau,  ou  un  orgue 
à  soufflets  -. 

Deux  des  «  contorniates  »  qui  représentent  des  orgues  semblent,  par 
leur  exergue  ou  leur  dessin,  avoir  une  destination  religieuse:  ce  seraient 
des  ex-voto.  L'un  porte  :  Placeas.  Pétri,  «  Sois  favorable  !  [offrande] 
de  Pierre  »  ;  un  autre  :  Petroni.  Placeas,  «  [offrande]  de  Pétrone.  Sois 
favorable  !  »  Ce  dernier,  au  revers,  présente  trois  personnages  :  celui  du 
milieu,  que  les  deux  autres  semblent  complimenter,  ou  implorer,  tient 
sur  la  main  gauche  la  petite  réduction  d'orgue  paraissant  un  pneuma- 
tique dont  j'ai  parlé  plus  haut  ^.  La  terre  cuite  de  Carthage,  qui  a  des 
proportions  analogues,  aurait-elle  été  ainsi  une  offrande  religieuse, 
remerciement  d'un  organiste  vainqueur  à  une  divinité  tatélaire  ?  Peut-' 
être.  En  tout  cas,  cet  objet  porte  le  nom  de  celui  qui  l'a  offert  :  il 
s'appelait  Possessor. 

I.  Pour  la  plus  grande  partie  des  reproductions  de  monuments  antiques  intéressant 
l'orgue,  il  faut  consulter  Degering,  Die  Orgel,  ihre  Erfindung  und  ilire  Geschichte 
bis  ^um  Karolinger:;eit,  Munster,  igoS,  dont  les  illustrations,  presque  toutes  faites 
par  la  photographie  directe  des  monuments,  sont  remarquablement  soignées. 

On  trouvera  un  certain  nombre  de  textes  intéressants  dans  l'article  Hydraule,  de 
Ruelle,  dans  le  Dictionnaire  des  antiquités  grecques  et  romaines,  en  les  Complétant 
ou  les  corrigeant  par  les  explications  données  ici. 

z.  Degering,  op.  cit.,  en  a  donné  une  excellente  photographie,  où  tous  les  détails 
identifiables  sont  parfaitement  visibles. 

3.  Paris,  Bibliothèque  Nationale.  Cf.  Sabatier,  lac.  cit. 


-    23    — 


Il  ne  faudrait  pas  supposer,  à  l'examen  de  tous  ces  textes  ou  de  ces 
monuments,  que  la  musique  d'orgue  fût  alors  ce  qu'elle  a  été  depuis, 
ou  que  l'organiste  de  ces  temps-là  ait  toujours  été  un  artiste.  Celui-ci 
n'a  souvent  été  qu'un  exécutant  machinal,  celui  auquel  les  philosophes 
dénient  même  le  nom  de  musicien  K  Celle-là  ne  connaissait  que  la 
diaphonie  antique,  dont  le  nom  d'organum  a  perpétué  Jusqu'en  plein 
moyen  âge,  l'une  des  formes,  à  savoir  un  chant  simple  à  deux  parties  2, 
tel  qu'il  était,  dès  longtemps,  usité  dans  les  formes  instrumentales,  soit 
que  l'une  des  deux  voix  suivît  l'autre  note  contre  note,  soit  que  l'une, 
s'exprimant  en  valeurs  longues  ou  en  doubles  longues  ^  ait  été  accom- 
pagnée d'un  contrepoint  en  valeurs  plus  brèves. 


A  travers  cette  longue  période  qui  vit  naître  et  grandir  l'orgue  an- 
tique, nous  l'avons  rencontré  un  peu  partout  :  d'Alexandrie  à  Rome  et 
de  l'Asie  Mineure  à  Carthage.  Partout  où  s'introduisit  la  civilisation  ro- 
maine, l'hydraule  aussi  fut  adoptée  ^ 

Dans  la  Gaule  colonisée,  plusieurs  documents  ou  monuments  repré- 
sentent l'instrument,  ou   en  parlent.  De  l'époque  des  Antonins,    ou  un 
peu  plus   tard,  datent  les  mosaïques  d'Orange,  le  bronze  de  Reims,   les 
sculptures  d'Arles  -^   et  une  mosaïque  des  pays  rhénans.  A   Grenoble, 
une  médaille    analogue  à    celles  plus  haut  mentionnées,  montre  aussi 
que  l'orgue  était  répandu   dans  tout  le  territoire  ainsi  initié  aux  arts 
romains.  Au   iV=  siècle,  à   Bordeaux,    le  poète  Ausone  ;    au  vS  dans  la 
même  région,  Prosper  d'Aquitaine,  parlent  des  orgues  d'une  manière  • 
qui  atteste  leur  usage.  Et  lorsque,  après  les  grandes  invasions  des  bar- 
bares,   l'évêque    de   Clermont,    Sidoine    Apollinaire,     mentionne    les 
ruines  accumulées,  il    ne  manque    pas  de    souligner  la  destruction  des 
orgues  hydrauliques   dont  ne   résonnent   plus   les    riches  villas  sacca- 
gées ^. 

1  s    Auguslin,  De  miisica,  l,  iv,  5-6  ;  vi  ;  Boèce,  IX,  i,  v,  vi. 

2  Augustin,  171  vs.  i3o,  no  7...  sed  ut  diversitate  concordissima  consonent,  sicut 
ordinatur  in  orsano.  Habebunt  enim  etiam  tune  sancti  Dei  difftrentias  suas  conso- 
nantes  sicut  fit  suavissimus  concentus  ex  diversis  quidcm,  sed  non  inter  se  adversis 
sortis.  Cf.  Prudence,  dans  son  Apotheosis,  V.  :  Organa  dispanbus  calamis  quod 
consona  miscent. 


veni.  » 


3    Clément  d'Alexandrie,  5/rowa/ej,  VI,  X. 

4.  Martianus  Capella,  De  nuptiis  Philologiœ  :  «  Hydraulos...  per  totum  orbem  in- 

T  Deux  sarcophages  d'Arles  offrent  la  figure  d'un  orgue  :  l'un  qui  peut  dater  du 
„,e  ou  iv.^  siècle,  est  assez  abîmé  ei  fruste  ;  mais  un  autre,  du  n«  siècle,  est  «"  Par- 
fait état;  c'était  le  sarcophage  d'une  musicienne  arlésienne,  du  nom  de  Jului 
dont  l'eptaphe  fait  le  plus  grand  éloge.  L'orgue  hydraule  y  est  fort  b.en  reprodui, 
ainsi  que  d'autres  instruments,  dont  une  «  pandoura  «  qui  offr.deya  uv^e  parUe 
des  caractères  du  luth.  Malheureusement  ces  détails,  que  j  ai  relevés  sur  1  original, 
ne  sont  pas  apparents  dans  les  reproductions   qui    en    ont  ete  publiées,  même  chez 


Degering. 
6.  Ep.  l\,  ad  Agricum 


—    24   — 

On  a  fait  état  d'une  poésie  de  Fortunat  de  Poitiers  pour  prétendre 
que  la  cathédrale  de  Paris  avait,  au  vr  siècle,  un  orgue  :  la  méprise  est 
par  trop  grosse.  Le  correspondant  de  l'évêque  saint  Germain  loue  en 
efifet  l'organisation  du  chant  dans  cette  église,  en  donnant  une  description 
imagée  des  voix,  qu'il  assimile  aux  instruments  les  plus  variés  : 

«  La  foule...  tisse  une  lyrique  modulation  sur  les  cordes  du  psaltérion 
(le  psautier),  en  conduisant  avec  amour  le  chant  divisé  en  versets.  Ici 
l'enfant  fait  résonner  les  tuyaux  des  plusaigusdes  or^wes  ;  là,  le  vieillard 
fait  sortir  de  sa  bouche  comme  le  son  d'une  large  trompette  ;  les  voix  se 
mêlent  comme  les  cymbales  et  les  pipeaux  aigus,  et  la  flûte  résonne 
doucement  dans  des  modes  divers.  Les  rauques  ^;^wjt7anow5  des  vieillards 
se  mêlent  à  la  tibia  enfantine,  et  le  chant  des  paroles  forme  comme  une 
Ifi'e  humaine  ^  » 

De  là,  à  prétendre  que  l'église  de  Paris  entretenaitalors  unorchestre, 
il  y  a  loin  !  Mais  c'est,  en  tout  cas,  le  dernier  texte  où,  dans  les  Gaules, 
figure  la  mention  de  l'orgue,  et  encore  !  dans  une  fantaisie  de  littéra- 
teur. 

Cependant,  dans  son  récit  d'un  voyage  sur  la  Moselle,  le  même 
auteurdit  :  Vocihus  excussis  pulsaba7it  organa  montes,  mais  le  texte  am- 
phibologique ne  permet  pas  de  se  rendre  compte  si  l'auteur  parle  d'or- 
gues ou  bien  d'instruments  en  général,  car  il  cite  les  chalumeaux  et 
des  cordes. 

Et,  dans  tout  l'Occident  même,  si  Cassiodore  *  et  saint  Grégoire  le 
Grand  ^  parlent  de  l'orgue,  à  eau  ou  à  soufflets,  en  gens  qui  le  con- 
naissent, Isidore  de  Séville,  vers  63o,  semble  ne  plus  le  mentionner  que 
par  ouï-dire  *.  Seules,  Constantinople  et  les  villes  de  l'empire  byzantin 
allaient  conserver,  pendant  quelques  siècles,  le  secret  delà  facture  et 
de  la  conservation  des  orgues. 


1.  Voir  mon  Histoire  du  chant  liturgique  dans  l'église  de  Paris,  I,  p.  5  à  H  ;  Paris, 
Poussielgue,  1904. 

2.  Loc.  cit. 

3.  Moralia,  1.  XXXII. 

4.  Etymologiae,  1.  III,  c.  vu 


<::§=.      «=§c      <^ 


—    20    — 


Appendice  sur  l'Orgue  gréco-romain 


Le  poème    «  en    forme  d'orgue  »,   de   Porphyre   Optatien 


Cette  curiosité  littéraire,  composée  en  l'honneur  des  victoires  de 
Constantin,  qui  avait  exilé  Fauteur  en  l'an  824,  est  un  fort  curieux 
témoin  de  l'histoire  de  l'orgue.  Au  milieu,  une  dédicace,  formée  d'un 
vers  hexamètre,  tient  lieu  de  la  décoration  du  sommier  ;  au  bas,  vingt- 
six  vers  trochaïques  développent  le  sujet  de  la  pièce,  et  peuvent  repré- 
senter les  touches  ;  en  haut,  en  vingt-six  autres  vers  représentant  les 
tuyaux,  l'auteur  explique  son  dessein  et  décrit  le  maniement  de  l'hy- 
draule  : 


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AUGUSTO  VICTORE  JUVAT  RATA  REDDERE  VOTA. 


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I.  Dans  les  PoeLv  latini  minores,  publiés  par  Wetsdorf,  t.  îl,  p.  40* 


Ces  vers  sont  écrits  de  façon  à  être  de  plus  en  plus  longs  d'une 
lettre  chacun,  le  dernier  étant  le  double  du  premier,  pour  exprimer  ainsi 
la  longueur  croissante  des  tuyaux;  la  description  du  jeu  de  l'instru- 
ment commence  au  quatorzième  vers,  Hœc  erit  :  je  donne  un  essai 
de  traduction,  aussi  serrée  que  possible,  pour  rendre  la  physionomie 
originale  de  cette  curieuse  et  poétique  description. 

{(  Elle  pa  muse  Clio]  sera  très  apte  aux  espèces  variées  du  chant,  et, 
par  ses  modes,  elle  surgira,  féconde,  en  pas  sonores,  d'un  airain  creux 
et  alhongé,  s'augmentant  de  chalumeaux  croissants.  Bien  placés  en 
ordre  au-dessous  de  ceux-ci,  sont  des  plectres  quadrangulaires  ;  par 
eux,  la  main  de  l'artiste  ouvre  et  ferme  avec  régularité  les  courants  du 
vent,  produisant  en  bonne  consonance  d'agréables  rythmes.  Au-dessous 
encore  est  une  onde  cachée,  poussée  par  les  vents  empressés  dont,  par 
de  fortes  alternances,  le  travail  des  jeunes  gens,  jamais  différent  de  soi- 
même,  agite  le  souffle  de  droite  et  de  gauche,  et  l'augmentant,  le  rend 
apte  aux  rythmes,  et  l'apprête  à  être  propre  aux  vers.  Et,  du  m.oindre 
mouvement,  il  s'efforce  ou  de  suivre  les  plectres  rapidement  agités 
qui  ouvrent  le  chemin,  ou  de  bien  clore  de  calmes  mélodies,  atteignant 
par  son  mètre  et  ses  rythmes  ce  qui  de  partout  l'entoure.  » 


II 


L'ORGUE     EN     FRANCE 

AU   MOYEN    AGE 


UOrgue  en  France  au  moyen  âge 


I 

La  cinquième  année  du  règne  de  Pépin  le  Bref,  en  ySy,  après  plus  d'un 
siècle  d'oubli,  «  l'Orgue  arriva  en  France,  pejiit  oj^gamnn  in  Francia  »  ; 
ainsi  s'expriment,  en  apparence  naïvement,  les  auteurs  des  diverses 
annales  ^  de  l'empire  carolingien,  mentionnant  le  fait  comme  d'impor- 
tance. C'est  qu'aussi  bien,  c'en  était  un  ;  l'Orgue  —  le  seul  que  con- 
nussent ces  annalistes  —  comptait  au  nombre  des  présents  de  valeur 
envoyés  à  Pépin  par  l'empereur  byzantin,   Constantin  Copronyme. 

On  commençait,  en  effet,  dans  la  France  d'alors,  à  parler  de  ce  genre 
d'instrument,  et  des  merveilles  qu'on  racontait  sur  lui  en  Orient,  où  la 
tradition  s'en  était  conservée,  où  d'ingénieux  chercheurs  imaginaient 
de  nouvelles  machines  sonores,  comme  ce  Maurostos,  dont  on  a  récem.- 
ment  découvert  les  descriptions,  et  qui,  sur  l'ordre  de  l'empereur,  tra- 
vailla précisément  pour  le  roi  des  Francs  (voir  plus  loin). 

D'autre  part,  les  maîtres  venus  de  la  Schola  cantorum  de  Rome,  à 
l'exemple  du  «  secondicier  »  Siméon,  à  partir  de  l'an  734,  avaient  fait 
connaître  à  nos  chantres  l'art  d'exécuter  diverses  mélodies  grégoriennes 
à  deux  voix  2,  ce  qu'on  appelait  aussi,  à  l'imitation  de  ce  qui  se  prati- 
quait sur  l'instrument  de  musique  :  organum  '^.  On  ne  sait  pas  à  quelle 
époque  remontait  cet  usage,  qui  était  appliqué  surtout  aux  antiennes  et 
à  certains  versets  ;  était-ce  un  héritage  de  l'antiquité  ?  Était-ce  une 
innovation?  Un  vieil  auteur  \  souvent  fantaisiste,  égaré  par  un  texte 
mal  compris,  a  imaginé  que  le  pape  Vitalien  (635-672)  aurait  introduit 
Tusage  de  Vorganum  ^  dans  l'église  :  la  chose  est  peut-être  vraie,  bien 
que  le  texte  original  n'en  dise  rien  ^\  et  ce  genre  d'exécution  aurait  été  le 
propre  de  certains  chanteurs  romains  nommés  intaliani.  Cela,  en  tout 


1.  Ces  annales  sont  publiées  dans  le  tome  V  du  Recueil  des  Historiens  delà  France 
et  dans  les  tomes  I  et  II  des  Monumenta  Germaniœ  historica  ;  Scriptores. 

2.  Annales  d'Angoulême,  dans  Rec.  Hist.  France,  cité. 

3.  J.  Gotton.  {Patr.  Lat.,  cxli.) 

4.  Ekkehard,  dans  les  Casus  S,  Galli. 

5.  De  Vorganum  vocal,  et  non  pas    de  l'orgue. 

6.  C'est,  en  effet,  par  une  mauvaise  acception  du   terme  susceptum   modulationis 
organum   de  Jean  Diacre,  qu'Ekkehard  a  tiré  cette  fausse  conclusion. 


—  3o  — 

cas,  chanter  à  deux  voix  ou  faire  entendre  deux  voix  sur  un  instrument, 
semblait  chose  merveilleuse  aux  musiciens  français  du  temps,  et  devait 
également  intriguer  la  curiosité  de  personnages  tels  que  le  roi  Pépin, 
qui  s'ouvrait  volontiers  aux  choses  de  l'esprit. 

De  plus,  le  fait  que  personne,  dans  tout  l'Occident,  ne  savait,  depuis 
longtempè,  ce  qu'était  au  juste  un  Orgue,  rendait  encore  plus  mysté- 
rieux ce  que  Ton  connaissait  de  son  usage  dans  les  contrées  soumises 
aux  empereurs  d'Orient.  Ainsi,  à  Constantinople,  des  orgues  aux 
tU3'aux  d'or  et  d'argent  (ou  peut-être  seulement  dorés  et  argentés) 
étaient  placés  au  cirque,  à  la  Magnaure,  au  Ghrysotriklinon,  partout 
où  le  «  basileus  »  devait  paraître,  et  sonnaient,  à  l'entrée  et  à  la  sortie 
des  cortèges  ou  pendant  les  festins  d'apparat,  des  pièces  de  bel  effet  K 
Quelques  années  plus  tard,  l'un  des  orgues  construits  pour  l'empereur 
Théophile  affectait  la  forme  d'un  arbre  !  Le  tronc  renfermait  les  porte- 
vents,  les  tuyaux  parlants  se  trouvant  soit  dans  les  branches,  soit  dans 
les  corps  de  petits  oiseaux  qui  y  étaient  perchés  et  semblaient  ainsi 
gazouiller -.  On  parlait  de  l'orgue-signal  de  Jérusalem  3,  pour  lequel  deux 
peaux  de  grands  éléphants  avaient  à  peine  suffi  à  monter  les  douze  ou 
quinze  soufflets,  semblables  à  des  soufflets  de  forgeron  :  mais  l'instru- 
ment n'avait  que  douze  énormes  flûtes  de  métal,  cicutas  œreas,  réson- 
nant avec  un  bruit  de  tonnerre,  et  dont  le  son  portait  facilement  à 
plus  de  mille  pas.  Cet  instrument,  peu  artistique,  devait  donc  remplir 
le  même  rôle  que  les  «  carillons  »  plus  modernes,  ou  nos  jeux  de 
cloches.  Du  même  genre  était  l'espèce  de  sirène,  également  bapti- 
sée :  orgue,  construite  par  le  médecin  grec  Maurostos,  marchant  moitié 
par  l'eau,  moitié  par  l'air,  servant  pour  les  signaux  militaires,  et  dont  le 
mugissement  à  son  de  trompette  pouvait  se  faire  entendre,  assurent 
les  vieux  manuscrits  arabes,  à  une  distance  de  soixante  milles  !  (Où  je 
soupçonne  que  le  texte  doit  être  fautif.)  Or,  ce  qui  est  intéressant, 
c'est  que  l'auteur  indique  qu'il  construisit  un  instrument  du  même  mo- 
dèle, que  son  maître  destinait  au  «  roi  des  Francs  ».  C'était  donc  là  l'un 
des  nombreux  présents  que  Constantin  Copronyme  projetait  d'offrir  à 
Pépin  le  Bref.  Il  y  avait  encore  cet  autre  instrument  de  musique,  ou 
organon  aussi,  mais  de  genre  indéterminé,  inventé  par  le  même  cons- 
tructeur, sorte  de  gigantesque  cornemuse  à  tuyaux  de  flûte,  alimentée 
par  plusieurs  soufflets  ingénieusement  disposés  pour  comprimer  l'air,  et 
où  plusieurs  instrumentistes  à  la  fois  pouvaient  jouer  la  même  mélodie. 
Le  texte  en  fait  les  plus  grands  éloges,  et  c'est  une  page  curieuse  de 
l'esthétique  gréco-orientale  du  viii*  siècle  que  la  description  des  impres- 
sions produites  par  cet  «  organon  à  embouchure  de  flûte  »  :  «  C'est  une 


I.  I-e  «  Livre  des  Cérémonies»  du  palais  impérial  de  Byzance  contient  de  nom- 
breux détails  à  ce  sujet.  {Patr.  Gr.,  cxri,  col.  78  et  s.) 

■2.  Voir  l'étude  de  Barbier  de  Montault,  dans  le  t.  XVIII  des  Annales  archéolo- 
giques de  Didron. 

3.  Dans  une  lettre  faussement  attribuée  d  saint  Jérôme  [Pair.  Lat.  xxx,  Ep.  ad 
Dardanum),  mais  qui  date  au  plus  tôt  de  la  fin  du  viiie  siècle,  et  dans  le  de 
Universo  de  Raban  Maur,  lib.  XVIII,  c.  iy.{Patr.  Lat.,  cxi,  col.  495.) 


—  3i  — 

voix  triste  qui  vous  fait  répandre  des  larmes,  ou,  berceuse,  qui  vous  verse 
le  sommeil  ;  ou  gaie,  qui  donne  la  joie  au  cœur  ;  cadencée,  qui  vous  fait 
marquer  les  rythmes  ;  mélodieuse,  qui  vous  emporte  et  vous  enivre. 
C'est  l'instrument  qui  répond  le  mieux  à  l'organe  de  la  voix,  qui  l'har- 
monise, qui  l'intensifie,  en  multiplie  l'émission  et  les  intonations:  tout 
s'y  traduit,  depuis  un  murmure  jusqu'au  mystérieux  langage  des  bêtes 
et  des  oiseaux^  » 


C'est  donc  précédé  de  toutes  sortes  de  récits,  vrais  ou  amplifiés,  se 
rapportant  au  même  genre  d'instrument,  ou  à  d'autres  confondus  avec 
lui,  que,  attendu  avec  curiosité,  «  l'Orgue  arriva  en  France  ».  Reçu, 
avec  les  autres  présents  de  l'empereur  byzantin,  en  grande  solennité, 
il  fut  déposé  dans  la  villa  royale  de  Compiègne,  où  Pépin  tenait  alors 
une  assemblée  générale  de  ses  leudes-.  Mais  si  quelqu'un  des  musiciens 
du  roi  de  France  fut,  par  la  suite,  appelé  à  toucher  cet  orgue,  l'instru- 
ment resta  longtemps  seul  de  son  espèce,  et  une  pure  curiosité. 

L'auteur  des  Gesta  Karoli,  le  «  moine  de  Saint-Gall  »  qui  est  proba- 
blement Notker  le  Bègue  lui-même,  rapporte  ^  à  une  autre  ambassade 
byzantine,  celle  de  Constantin  Curopalate,  en  812,  la  description  d'un 
orgue  :  je  crois  que  c'est  par  confusion  avec  le  précédent,  aucun  autre 
document  ne  parlant  d'orgue  à  cette  occasion.  Néanmoins,  le  passage 
est  intéressant,  les  renseignements  précis,  et  de  nature  à  donner  une 
idée  suffisante  de  l'instrument  décrit  par  l'auteur.  Voici  ce  passage*  (qui 
suit  un  curieux  récit  montrant  comment  les  chantres  de  la  chapelle  de 
Charlemagne  imitèrent,  en  latin,  quelques-uns  des  chants  liturgiques 
grecs  de  la  chapelle  de  l'ambassade)  : 

«  Les  ambassadeurs  apportèrent  aussi  avec  eux  toute  espèce  d'ins- 
truments et  de  choses  diverses.  Tout  cela,  examiné  comme  à  la  dérobée 
par  les  ouvriers  du  très  prudent  Charles,  fut  avec  très  grand  soin  remis 

1.  Ce  traité  curieux,  signalé  par  les  anciens  encyclopédistes  syriens  et  arabes,  a  été 
découvert  dans  un  monastère  du  Liban,  et  publié  par  le  P.  Cheïkho  dans  la  revue  de 
l'Université  de  Beyrouth  Al-Machriq,  n»  i  (igoô).  Ce  n'est  donc  pas  un  traité  de 
«  facture  d'orgues  »,  comme  l'ont  cru  divers  orientalistes  non  versés  dans  la  matière, 
mais  de  «  fabrication  d'instruments»  divers  ;  le  dernier  qui  y  est  décrit  est  le  disque 
orné  de  clochettes,  d'usage  traditio.inel  dans  les  églises  d'Orient.  Je  dois  à  un 
érudit  syrien,  M,  Habib  Gouria,  la  traduction  de  ces  passages. 

2.  Voir  Annales  citées,  ou  Pair.  Lat.  < 

3.  Lib.  11,  c.  vil,  dans  les  mêmes  collections. 

4.  Adduxerunt  etiam  idem  missi  omne  genus  organormn,  sed  et  vciriarum  rerum 
secum,  quae  cuncta  ab  opificibus  sagacissimi  Karoli  quasi  dissimuîanter  aspecta^ 
accurratissime  sunt  in  opus  conversa.  Et  praecipue  illiid  musicorum  organum  prae- 
stantissimum,  quod,  doliis  ex  aère  conJJalis  foUibusque  taurinis,  per  fistulas  aereas 
mire  per/lantibus,  ritgitum  quidem  tonitrui  boatu,  garrulitatem  vero  Ij'rae,  vel  cym' 
bali  dulcedinem  coequabat.  Quod  ubi  positum  /tient,  quamdiii  duraverit,  et  quomodo 
inter  alia  rei  publicac  dampna  perierit,  non  est  hujus  loci  vel  temporis  cnarrare. 

C'est  cependant  ce  texte  où  l'on  a  vu  que  les  ouvriers  de  Charlemagne  avaient 
construit  un  orgue  à  l'imitation  de  celui-là,  qu'il  avait  des  tuyaux  de  plomb  et  de 
cuivre,  etc.  ! 


en  œuvre  [c'est-à-dire  «c  remonté  »],  et  particulièrement  ce  très  remar- 
quable orgue  musical  qui,  sur  des  coffres  arrondis  que  des  soufflets 
de  peau  de  taureau  remplissaient  d'air,  égalait,  par  des  tuyaux  d'airain 
sonnant  d'admirable  manière,  le  grondement  du  tonnerre,  la  ténuité 
de  la  lyre,  ou  la  douceur  du  cymbalum.  Quant  à  ce  qui  concerne  l'en- 
droit oii  il  fut  placé,  combien  de  temps  il  dura,  et  comment  il  périt  entre 
autres  choses  appartenant  à  l'État,  ce  n'est  pas  le  lieu  ni  le  temps  de  le 
raconter.  » 

Que  cet  orgue  ait  été  celui  de  Compiègne,  ou  un  autre  placé  à  Aix,  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  ses  timbres  étaient  variés.  Il  semble  bien 
que  la  distinction  est  assez  nettement  marquée  par  cette  description 
entre  un  jeu  d'anches,  un  jeu  de  fonds  sans  doute  de  menue  taille 
comme  nos  gambes,  et  une  «  cymbale  »,  dont  nous  allons  plus  loin 
citer  d'autres  exemples,  montrant  l'emploi  traditionnel  des  jeux  de  mu- 
tation, déjà  constatés  dans  l'orgue  antique. 

En  dépit  des  affirmations  de  certains  auteurs,  les  annales  relatant 
dans  le  détail  ^  les  règnes  de  Pépin  et  de  Charlemagne  ne  citent 
pas  d'autre  orgue  ;  celui-ci  dut  disparaître  rapidement,  dans  des  con- 
ditions que  le  moine  de  Saint-Gall,  lui,  familier  de  Tempereur  Charles 
le  Chauve,  savait,  mais  sur  lesquelles,  on  le  voit,  il  n'a  garde  de 
s'étendre.  On  ne  parle  d'aucun  orgue  préexistant  lorsque,  en  826,  le 
palais  -  d'Aix-la-Chapelle  s'enrichit  d'un  nouvel  instrument,  une 
hydraule  cette  fois,  dont  la  construction  est  due  à  un  certain  prêtre 
vénitien,  du  nom  de  Georges,  «  homme  de  bonne  vie,  qui  avait  promis 
de  construire  un  orgue  à  la  manière  des  Grecs  ».  Ce  facteur  avait  été 
présenté  à  Louis  le  Débonnaire,  par  Baudry,  comte  du  Frioul  ;  l'empe- 
reur le  reçut  avec  bienveillance,  et  donna  les  ordres  nécessaires  pour 
que  choses  et  gens  fussent  mis  à  sa  complète  disposition  ^.  Georges 
réussit  dans  son  entreprise,  et  c'est  à  son  œuvre  que  s'appliquent  les 
curieuses  apostrophes  d'Ernold  Nigellus  et  de  Walafrid  Strabon*.  Ces 


1.  Ainsi,  dans  les  très  curieux  passages  qui  regardent  les  échanges  d'ambassades 
et  de  présents  entre  Charlemagne  et  Haroun-al-Raschid  (que  nos  chroniques 
nomment  Aaron-Amir  el  Moumim).  On  y  voit,  entre  autres  choses,  que  le  roi  des 
Francs  avait  le  plus  vif  désir  de  posséder  un  éléphant,  dont  la  demande,  l'expédition, 
l'arrivée  et  plus  tard  la  mort  sont  soigneusement  notées,  entre  deux  traités  de  paix 
ou  d'autres  importantes  affaires  (l'éléphant  —  le  seul,  comme  l'orgue  —  mourut  en 
810).  Les  présents  de  Haroun  comportaient  des  objets  divers,  produits  de  l'industrie 
orientale,  les  clefs  de  la  basilique  du  Saint-Sépulcre,  une  horloge  sonnant,  ce  qui 
ne  s'était  jamais  vu,  etc.  ;  il  n'y  est  nulle  part  question  d'orgue  ou  d'autre  instrument 
de  musique. 

2.  Et  non  pas  l'église,  comme  cela  a  été  fautivement  écrit. 

3.  Annales  d'Eginhard,  dans  Monum.  Germ.  hist.  SS.,  I.  SSg  ;  Vita  Hludovici 
imperatoris,  n''40,  II,  629.  On  construisait  encore  des  hydraules  à  Byzance  ;  cf.  Léo 
Magister. 

4.  Ernoldus  Nigellus,  In  Honofem  Hludovici,  lib.  IV,  639  [Id.,  Il,  5i3)  : 

Organa  quiti  etiam,  quce  numquam  Francia  crevit, 
Unde  Pelasga  tument  régna  super ba  nimis, 
Ei  quis  te  solis,  Caesar,  superasse  putabat 
Constanti,  nobilis  nunc  Aquis  aula  tenet. 
Walafrid  Strabon  dit  à  peu  près  les  mêmes  choses,  mais  d'une  manière  très  am- 


—  ?3  — 

deux  poètes  surenchérissent  d'épithètes  louangeuses  sur  cet  instru- 
ment, gloire  du  palais  impérial,  par  lequel  Louis  n'a  plus  rien  à  envier 
désormais  à  la  gloire  des  Grecs  et  des  Romains.  Rien,  malheureuse- 
ment, n'est  à  tirer  du  détail  de  ces  pièces  emphatiques,  hormis  celui-ci  : 
un  de  ses  jeux  avait  une  telle  douceur,  qu'une  femme,  pâmée,  en  per- 
dit la  vie  : 

Tintinnum  quidam,  quidam  organa  puisant 

Dulce  melos  tantum  vanas  deludere  mentes 
Coepit,  ut  una  suis  decedens  sensibus  ipsam 
Femina  perdiderit  vocis  dulcedine  vitam  ^ 

Le  prêtre  Georges,  qui  avait  réussi  ce  bel  instrument,  est  bientôt 
récompensé  par  sa  nomination  à  l'abbaye  de  Saint-Savin,  en  Poitou  ;  et, 
en  827,  ayant  terminé  la  décoration  de  cet  important  monastère,  et 
obtenu  des  reliques  insignes  des  saints  martyrs  xMarcellin  et  Pierre,  il 
voulut  qu^  la  translation  de  leurs  ossements  dans  son  église  fût  entourée 
de  la  plus  haute  solennité.  L'abbé  construisit  à  cette  occasion  un 
orgue  -  ;  ce  fut  là  le  ptx'mier  orgue  d'église.  Etait-ce  une  hydraule, 
comme  l'orgue  qu'il  avait  construit  au  palais  d'AixPou  fut-ce  un  instru- 
ment à  soufflets  ? 

Dès  ce  moment,  les  mentions  de  Torgue,  dans  les  traités  de  musique, 
dans  certaines  pièces  chantées  que  je  citerai  plus  loin,  vont  augmenter 
de  fréquence. 

Pendant  longtemps,  toutefois,  un  orgue  est  encore  une  rareté,  que 
quelques  maîtres  tiennent  à  construire  eux-mêmes  :  Gerbert,  par 
exemple,  dont  je  parle  ci-après  ;  son  contemporain  anglais  saint 
Dunstan,  évêque  d'York,  etc.  ;  c'est  seulement  peu  à  peu,  au  cours  des 
X'  et  XI*  siècles,  que  l'usage  s'en  répand,  surtout  dans  les  centres  intellec- 
tuels, tels  que  les  grandes  abbayes  comme  Cluny  ou  Limoges,  ou  les 
plus  importantes  scholae,  comme  à  Chartres  ou  à  Reims.  A  propos  de 
cette  dernière,  des  historiens,  égarés  par  une  amphibologie,  ont  cru 
que  Gerbert  d'Aurillac  (le  futur  pape  Sylvestre  II),  qui  dirigea  cette 
école  célèbre  vers  980,  y  aurait  construit  un  orgue  hydraulique  mû  par 
la  vapeur.  C'est  une  erreur  :  Guillaume  de  Malmesbury,  qui  dans  sa 
chronique  intéressante  parle  des  inventions  et  réalisations  de  Gerbert, 
décrit  très  clairement,  sous  le  vocable  organa  hydraulica  qui  a  trompé 


plifiée,  dans  ses  Versus  in  Aquisgrani  palatio  editi,  I,  De  imagine  Tetrici  [id.,  ou 
Pair.  Lat.,   cxiv,  1092  B.). 

(Le  titre  donné  par  certaines  éditions  :  Deapparatu  templi  Aquisgranensis,  est  un 
titre  faux.) 

Cédant  magna  eut  superest  figmenta  colossi. 

Roma  velit  Caesar  magnus  migrabit  ad  arces, 

Francorum  quodcumque  miser  conflaverit  orbis. 

En  quels  praecipue  jactabat  Graecia  sese, 

Organa  Rex  magnus  non  inter  minima  ponit. 

Quae  tamen  inceptos  servent  si  intacta  canores. 

Etc..  etc. 

1.  Walafrid,  id. 

2.  Annales  et  Vita  s.  cit.  —  Eginard,   Translatio  SS.    Marcellini  et  Pétri.  {Mon, 
Germ.  Ilist.  SS.,  xv,  i,  260.) 

3 


-  34  - 

une  lecture  superficielle,  des  «  éolipyles  »  qui  en  sont  très  différents  *. 
Néanmoins  Gerbert  s'occupa  aussi  d'orgues  ;  plus  tard,  devenu  abbé 
de  Bobbio,  il  en  construisit  pour  expédier  en  Auvergne,  à  la  demande 
de  l'abbé  Géraud  d'Aurillac^. 


Quelle  était  la  disposition  de  l'orgue  en  ces  temps  reculés?  On  a  vu 
par  le  texte  du  moine  de  Saint-Gall  que,  dès  le  ix^  siècle, ces  instruments 
étaient  suffisamment  maniables,  et  offraient  des  ressources  diverses, 
conservées  de  l'orgue  gréco-romain  :  anches,  fonds,  mutations.  Le  cla- 
vier comprenait  deux  octaves,  depuis  Vut  grave  de  la  voix  d'homme, 
et  comportait  au  moins,  comme  degré  mobil*,  les  si  bémols  3.  Quant  à 
l'importance  de  ces  instruments,  bien  que  je  ne  consacre  pas  mon  tra- 
vail aux  orgues  construites  en  dehors  de  notre  territoire,  il  convient 
néanmoins  de  citer  celui  de  la  cathédrale  de  Winchester,  en  Angleterre, 
pour  montrer  jusqu'où  la  facture  savait  déjà  atteindre,  au  milieu  du 
X®  siècle,  et  parce  que  cet  instrument  est  d'un  type  dont  on  rencontre 
d'autres  exemples  au  cours  du  moyen  âge.  Il  était,  en  réalité,  une 
juxtaposition  de  deux  orgues*,  chacun  avec  son  clavier  de  vingt  touches, 
et  dont  l'ensemble  comportait  quatre  cents  tuyaux,  donc  dix  rangs  de 
tuyaux  par  touche  en  moyenne  :  je  dis  en  moyenne,  car  les  orgues  du 
moyen  âge  qui  nous  sont  connues  avaient  un  plus  grand  nombre  de 
rangs  pour  les  notes  aiguës  des  fournitures  et  des  cymbales  que  pour 
les  moyennes  ou  les  graves. 

Chacun  des  claviers,  tout  comme  dans  nos  orgues  modernes,  devait 
commander  des  jeux  différents,  mais  la  disposition  des  claviers  obli- 
geait alors  d'avoir  deux  organistes,  chacun  jouant  sa  partie  sur  le  cla- 
vier qui  lui  était  confié.  L'air  était  fourni  par  deux  séries  de  soufflets, 
l'une  de  douze  soufflets,  placés  à  une  certaine  hauteur,  l'autre  de 
quatorze,  placés  au-dessous  des  premiers,  et  qui  fonctionnaient  tour 
à  tour^. 


1.  Voici  d'ailleurs  la  description,  fort  claire,  et  qui  est  à  rapprocher  de  celle  de 
Vitruve  :  Extant  apud  illam  ecclesiam  {Reinensem]  doctrinae  ipsius  documenta  : 
horologium  arte  mechanica  conipositum,  organa  hydraulica,  ubi  viiriim  in  modum, 
per  aquae  calefactae  violentiam,  ventus  emergens  implet  concavitatem  barbiti,  et  per 
77tultiforatiles  tractus  aereae  ftstulae  modulatos  clamores  emittunt.  On  voit  qu'il  ne 
s'agit  aucunement  de  l'instrument  de  musique,  et  encore  moins  d'  «  hydrauies  à  va- 
peur »  (!)  dans  les  églises  d'Angleterre,  parce  que  l'auteur  de  cette  chronique  est  un 
Anglais  !  (Patr.  Lat.,  cxxxix,  col.   1 140). 

2.  Cf.  Patr.  Lat.,  cxxxix,  col.  220. 

3.  Hucbald  (entre  840-930)  dans  Gerbert,  Scriptores,  i,  1 10  (ou  Patr.  Lat.,  cxxii, 
<jo5);  son  texte  est  le  dernier  à  mentionner  les  hydraules. 

4.  On  se  rappelle  que  le  grand  psautier  de  Reims  représente,  vers  820-840,  deux 
hydraules  ainsi  accouplées,  dans  l'illustration  du  psaume  cl. 

5.  Cette  description,  très  détaillée,  donnée  dans  un  poème  de  Wolstan,  est  repro- 
duite par  Mabillon  dans  les  Acta  sanctorum  ord.  S.  Benedicti,  v.  Ce  même  texte 
parle  de  soixante-dix  souffleurs  I  Malgré  l'imperfection  que  devait  être  celle  de  la 
soufflerie  de  pareils  pleins-jeux,  le  chiffre  me  semble  une  erreur  de  copiste,  qui  a  lu 
un  chiffre  ou  une  abréviation  de  travers. 


Planche  IV.  —  SCHKMA  Dl  N  iEl'  DANCHKS  Al  \  Xl-^-XlIc  SIKCLES 


—  35  — 

Or,  en  dehors  des  orgues  décrites  ci-dessus,  le  moyen  âge  a  connu 
aussi  de  petits  instruments  portatifs  de  diverses  tailles,  dont  nombre 
de  miniatures  ou  de  sculptures  offrent  les  reproductions.  Ce  petit  orgue 
«  à  bras  »  était  semblable  à  celui  dont  j'ai  parlé  à  propos  des  hydraules 
antiques,  que  mentionne  Y Onomasticon  de  Pollux,  et  qu'on  voit  sur  un 
antique  contoruiate  :  orgue  minuscule  que  l'instrumentiste  portait 
retenu  par  une  bandoulière,  et  dont  il  pressait  le  soufflet  de  la  main 
gauche,  la  main  droite  jouant  le  clavier.  Ce  dernier  ne  possédait  que 
peu  dénotes,  de  sept  à  douze,  et  mettait  en  action  un  petit  jeu  d'anches 
(que  l'on  appela  plus  tard  rigabellum  ou  régalé). 

On  ne  peut  malheureusement  pas  suivre  la  trace  de  ces  orgues  au 
cours  des  âges.  Depuis  le  v^  siècle,  rien  ne  nous  renseigne  sur  eux, 
jusqu'au  moment  où,  vers  le  xi^  siècle,  on  les  voit  reparaître;  ont-ils 
subsisté  pendant  ce  laps  de  temps  ?  Ou  les  a-t-on  «  réinventés»  alors  ? 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  m.onuments  figurés  représentent  fréquemment, 
depuis  cette  époque,  un  tel  instrument;  ils  le  donnent  habituellement 
avec  deux  rangs  de  tuyaux,  dont  l'un  paraît  être  un  jeu  bouché, 
donc  un  jeu  d'anches  doux  soutenu  d'un  «  bourdon  de  i6  ».  Quelque- 
fois, est-ce  une  erreur  du  décorateur  *  ?  on  aperçoit  à  l'une  des 
extrémités  un  ou  deux  tuyaux  beaucoup  plus  grands  que  les  autres.  On 
a  conjecturé  que  c'étaient  des  tuyaux  parlant  directement  sur  l'arrivée 
de  l'air,  et  remplissant  l'office  d'une  pédale  continue,  comme  les  «  bour- 
dons »  des  cornemuses  et  des  vielles  :  cette  hypothèse  me  paraît  d'au- 
tant plus  absurde  que,  lorsque  le  «  motet  »  commença  à  entrer  dans 
l'usage,  on  sut  parfaitement  chanter  une  pièce  à  voix  seule,  en  s'accom- 
pagnant  soi-même,  la  teneure  et  même  un  «  triple  »  étant  exécutés  sur 
le  minuscule  clavier-.  Il  me  paraît  infiniment  plus  probable  que  ces 
tuyaux  hors  de  proportion  donnaient  une  résonance  grave  du  dernier 
son,  tels  que  l'octave  grave  et  sa  quinte,  disposition  que  l'on  retrouve 
encore  dans  de  grandes  orgues  du  xvi''  siècle. 

Il  ne  semble  pas  que  jusqu'ici  les  historiens  de  la  musique  aient  tenu 
assez  compte  de  l'usage  de  ces  orgues  à  bras.  Cet  usage,  en  effet,  explique 
seul  que  les  chanteurs  ci  or ganiim  aient  pu,  dès  le  xi^  siècle  au  moins, 
être  appelés  «  organistes  »>,  terme  qui  exprime  l'action  de  «  jouer  de 
l'orgue  »  ;  or,  quand  nous  voyons,  dans  tel  ou  tel  récit  de  ce  temps, 
trois  ou  quatre  «  clercs  organistes  »  venir  se  placer  devant  l'autel  pour 
chanter '■^^  il  paraît  assez  évident  qu'ils  chantaient  ainsi  en  jouant,  s'ac- 
compagnant  sur  l'orgue  à  bras,  comme  ces  saints  et  ces  anges  que  nous 
voyons  si  fréquemment  figurer  dans  des  scènes  analogues,  sur  les 
vitraux  et  aux  portails  de  nos  vieilles  cathédrales. 


1 .  Ils  en  ont  d'ailleurs  commis  beaucoup  d'autres  !  Que  ce  soit  un  obscur  miniatu- 
riste, ou,  a  l'aurore  de  la  Renaissance,  un  Raphaël,  dans  sa  fameuse  Sainte  Cécile 
ils  représentent  quelquefois  ces  petits  «portatifs  »  avec  les  tuyaux  les  plus  longs  à 
l'aigu,  et  les  plus  courts  au  grave 

2.  Nous  en  reparlerons  plus  loin. 

3.  Voyez  entre  autres  mon  ouvrage  sur  La  Musique  d'église,  p.  62. 


—  36  — 

Ainsi  pouvait-on,  à  défaut  d'instrument  fixe,  exécuter  sans  difficulté 
grande  Yorganum  accompagné,  et  même  fubilare  in  organis,  c'est-à- 
dire  exécuter  sur  l'orgue,  sans  les  chanter,  certains  versets  plus  recher- 
chés, tels  que  ceux  des  séquences. 

Mentionnons  ici  qu'apparaissent,  au  xi*"  siècle  et  au  xn',  en  rempla- 
cement des  tuyaux  de  bronze  hérités  de  l'antique,  des  tuyaux  de  cuivre 
non  pas  fondus,  mais  formés  d'une  mince  feuille  de  cuivre  battu  au 
marteau,  convenablement  découpée  suivant  les  diapasons  donnés  par 
les  traités  %  remontée  et  soudée  pour  obtenir  le  tuyau  et  son  pied  ; 
nous  ignorons  toutefois  si  cet  usage  fut  très  répandu,  ni  combien  de 
temps  il  subsista,  le  plomb  restant  le  métal  principalement  employé, 
et,  un  peu  plus  tard,  l'étain  plus  ou  moins  «  étoffé  »  pour  certains 
jeux.  (Je  donnerai  plus  loin  une  curieuse  formule  d'étoffe.) 


Quel  était  le  diapason  réel  de  ces  instruments  ?  Il  ne  devait  pas  être 
très  différent  du  nôtre.  En  effet,  Aurélien  de  Réomé,  dans  son  précieux 
traité  écrit  vers  840,  situe  la  transposition  pratique  des  modes  au- 
thentes  dans  la  quinte  correspondant  à  7'é-la  de  notre  notation,  ce  qui 
revient  à  prendre  le  la  comme  dominante  de  transposition  moyenne, 
ce  que  nous  faisons  toujours.  Un  peu  plus  tard,  des  exemples  d'orga- 
num  «  pur  »  (voir  §  III)  sont,  lorsqu'ils  sont  chantés,  signalés  comme 
dépassant  à  l'aigu  la  limite  ordinaire  des  voix  d'homme,  et  ne  pouvaient 
être  exécutés  qu'en  «  fausset  »,  in  falso,  in  falseto,  ce  qui  donnait  aux 
notes  supérieures  le  timbre  d'une  voix  «  de  vieille  femme,  ou  d'eu- 
nuque »,  de  sopraniste.  De  tels  exemples  ne  montent  d'ailleurs  qu'au 
w/ supérieur,  ce  qui,  encore  de  nos  jours,  est  la  limite  habituelle  de 
ces  voix.  Or,  comme  ces  pièces  étaient  accompagnées  ou  même  seule- 
ment exécutées  par  Torgue,  il  faut  en  conclure  que  le  diapason  instru- 
mental était  aux  ix^-x^-xi^  siècles  sensiblement  le  même  que  le  nôtre. 

On  sait  que  les  plus  vieux  jeux  d'orgue  qui  sont  conservés,  et  qui 
datent  du  xv^  siècle  ou  du  xvi^,  sont  néanmoins  accordés  à  peu  près  un 
ton  au-dessous  du  ton  moderne,  ce  qui  n'exclut  rien  des  conclusions 
précédentes  :  le  diapason  a  pu,  en  effet,  suivre  au  moyen  âge  la  marche 
inverse  des  cent  cinquante  dernières  années  et  s'abaisser  peu  à  peu.  Les 
descendants  des  Byzantins  et  des  autres  Orientaux,  au  xvu^  siècle 
et  au  xvni*,  chantaient  ou  exécutaient  dans  un  diapason  plus  élevé  que 
celui  d'Occident,  de  sorte  que  nos  musicologues  écrivaient  alors  les 
airs  orientaux  un  ton  plus  haut,  pour  l'œil,  que  le  mode  réel-  :  la  suré- 
lévation du  diapason  occidental,  au  xix«  siècle,  l'a  mis  d'accord  avec  le 
diapason  oriental.  On  pourrait  ainsi  penser  que  les  musiciens  d'Orient 


1.  Traité  anonyme  d'un  mss.  de  Berne  ;  chapitres  sur  l'orgue  dans  la  Schedula  du 
moine  Théophile,  etc. 

2.  Voir  entre  autres  les  transcriptions  de   Villoteau   sur  l'Etat  de   la  musique  en 
Egypte,  dd.r\s\ts  Mémoires  de  l'expédition  d'Egypte  (1799). 


-  37  - 

avaient  conservé  le  ton  usité  dans  notre   haut  moyen  âge,  et  repris  de 
notre  temps. 

C'est  seulement  avec  les  motets  du  cours  du  xiii"  siècle  et  du  com- 
mencement du  xiv^  que  l'on  peut  constater  à  l'examen  de  la  tessiture 
des  voix,  qu'elles  sont  notées  environ  un  ton  trop  haut  par  rapport  au 
ton  précédemment  usité  ou  repris  de  nos  jours.  On  peut  donc  raison- 
nablement penser  qu'à  ce  moment  fut  fixé  le  diapason  encore  en  usage 
dans  lexix"  siècle  et  d'après  lequel  sont  accordés  les  anciens  instru- 
ments, et  écrites  les  compositions  musicales. 

Mais  il  y  a  tout  de  même  de  curieuses  constatations  à  faire  au  moyen 
âge,  et  qui  tendraient  à  suggérer  que,  déjà,  on  distinguait  entre  le 
«  ton  de  chapelle  »  et  l'autre  ton,  comme  on  le  faisait  aux  xvn*"  et 
xvm*  siècles.  Ainsi,  un  motet,  célèbre  au  xiv*  siècle,  est  écrit  en  fa  ;  la 
transcription  pour  orgue  donnée  par  un  manuscrit  du  même  temps  est 
en  sol,  avec  les  dièses  nécessaires  pour  cette  transposition.  Cette  trans- 
cription semblerait  indiquer  que  l'instrument  était  accordé  un  ton  au- 
dessous  du  ton  du  chœur  (je  donnerai  plus  loin,  au  paragraphe  III,  le 
début  de  cette  pièce).  A  ce  moment,  ces  transpositions  étaient  sans  dif- 
ficulté, le  clavier  des  orgues  étant  devenu  chromatique,  mais,  aux 
époques  antérieures,  les  claviers,  diatoniques,  ou  ne  contenant  guère 
que  le  si  bémol,  ne  permettaient  pas,  pour  les  pièces  accompagnées,  la 
transposition  aux  diverses  régions  de  la  voix.  Alors  que  l'exécution 
purement  vocale  des  mélodies  grégoriennes,  lors  même  qu'on  les  chan- 
tait en  organum,  se  faisait  d'après  l'élévation  ou  l'abaissement  de  la 
«  teneur  »  ou  «  mèse  »,  un  motif  joué  sur  l'orgue,  un  verset  intercalé 
dans  le  chant,  une  harmonisation  soutenue  obligeaient  d'exécuter  tou- 
jours chaque  mode  dans  le  même  diapason,  à  la  première  époque  de  cet 
emploi  de  l'orgue  dans  le  culte. 


Rien  ne  saurait  nous  renseigner  sur  les  boiseriesqui  servaient  de  sou- 
tien ou  d'ornement  aux  orgues  de  l'époque  carolingienne.  Aux  temps 
gréco-romains,  les  tuyaux  restaient  apparents,  non  recouverts,  et  seule- 
ment maintenus  par  deux  pilastres  de  bois  et  des  barres  transversales  ; 
plus  tard,  Cassiodore  décrit  l'orgue  comme  une  sorte  de  «  tour  »  : 
cela  vise-t-il  simplement  la  masse  des  tuyaux  ou  du  mécanisme?  ou 
doit-on  comprendre  qu'on  ait  pu  déjà  les  enfermer  ou  les  contenir  dans 
un  bâti  surmonté  d'une  corniche,  et  rappelant  ainsi  la  forme  d'une 
tour  ?  c'est  possible.  Des  époques  ultérieures,  il  ne  subsiste  d'autre 
représentation  que  celle  de  l'hydraule  double  du  psautier  de  Reims,  au 
IX*  siècle,  déjà  citée,  entièrement  conforme  à  la  tradition  antique,  et  où 
rien  n'apparaît  encore  qui  rappelle  une  «  tour  »  ou  un  «  butfet  »  dont 
nous  n'avons  de  témoins  certains  qu'au  xiv"  siècle. 

Les  touches  du  clavier  des  instruments  de  ce  premier  âge  durent  être 
établies  longtemps  encore  suivant  le  système  antique,  c'est-à-dire  dans 
l'axe   même    des    principaux  tuyaux.    Dans   un  très  vieil  orgue  d'une 


—  38  — 

église  d'Allemagne,  que  Pretorius  a  pu  voir  encore,  et  décrire  dans  un 
passage  bien  connu  de  son  Syntagma  uiusices,  les  touches  étaient 
courtes  et  larges,  séparées  les  unes  des  autres,  et  disposées  suivant  le 
type  même  des  antiques  hydraules. 

II 

Au  xn^  siècle  et  au  xiii^,  l'orgue  est  définitivement  implanté,  et  il  est 
des  critiques  qui  se  plaignent  de  la  trop  grande  importance  qu'on  lui 
donne  dans  le  service  religieux.  Le  cistercien  Aelred  de  Rievault,  et  cent 
ans  après  le  franciscain  Guibert  de  Tournai,  régent  à  l'Université  de 
Paris,  se  font,  presque  dans  les  mêmestermes,les  échos  de  ces  plaintes, 
où  ils  citent  nommément  divers  jeux  ou  effets  de  l'instrument  : 

«  D'où  vient,  je  le  demande,  tant  d'or^z/ps,  tant  de  monti^es,  tant  de 
cymbales  dans  les  églises?  Pourquoi,  je  vous  prie,  ce  souffle  terrible  qui 
exprime  plutôt  le  fracas  du  tonneri-e  que  la  douceur  de  la  voix  ?...  Et, 
pendant  ce  temps-là  [pendant  l'exécution  des  motets],  le  vulgaire 
étonné  et  tremblant  ad'mire  le  ronflementdes  soufflets,  le  bruit  strident 
des  cymbales,  l'harmonie  des  Jlûtes  K  w 

Ces  textes  sont  d'autant  plus  intéressants  qu'ils  font  mention  non  pas 
seulement  du  jeu  de  l'orgue,  mais  également  de  son  rôle  dans  l'accom- 
pagnement de  la  musique  vocale  à  deux  ou  plusieurs  voix,  organums 
vocalises,  et  motets  qui  commençaient  alors  à  être  en  usage  ;  ils  nous 
apprennent  en  même  temps  que  ces  nouveautés  musicales  étaient  spé- 
cialement goûtées  des  «  moines  noirs  »,  c'est-à-dire  des  Bénédictins,  et 
plus  spécialement,  ceux  de  l'importante  congrégation  clunisienne. 

Des  précisions  données  par  les  textes  nous  apprennent  que  les  tenues 
ou  «  teneures  »  du  thème  en  valeurs  lentes  étaient  exécutées  avec  des 
jeux  graves,  sonnant  même  parfois  l'octave  au-dessous,  tandis  que  la 
partie  organale  l'était,  au  contraire,  avec  les  sonorités  aiguës  des  four- 
nitures. Et  ce  détail  donne  l'explication  du  fait  qui  a  semblé  une  énigme 
difficile  à  résoudre,  lorsque  des  théoriciens  de  l'organum,  du  ix'  siècle 
au  xi%  semblent  écrire  la  voix  organale  dans  le  même  diapason  que  le 
sujet  ou  même  au-dessous.  En  réalité,  leur  «  tabulature  »  doit  être 
comprise  comme  devant  être  exécutée  par  un  autre  jeu,  et  sonnant, 
pour  cette  partie,  à  l'octave  supérieure. 

La  disposition  des  «  triples  »  ou  trios,  institués  par  Pérotin,  orga- 
niste delà  cathédrale  de  Paris  entre  1180  et  1237,  suppose  l'emploi  de 
deux  ou  trois  orgues  à  bras,  ou  bien  d'un  orgue  fixe  à  deux,  ou  même 
trois  claviers  :  il  n'y  a  pas  là  de  quoi  s'étonner,  si  l'on  réfléchit  que, 
deux  cents  ans  plus  tôt,  le  grand  orgue  de  Winchester  offrait  déjà  cette 
particularité, de  claviers  non  pas  cependant  superposés  comme  on  le 
fait  depuis  la  fin  du  xv*"  siècle,  mais  juxtaposés,  et  touchés  par  des  or- 
ganistes différents. 

I.  Voir  mon  ouvrage  sut  La  Musique  d'église,  p.  63  à  67,  où  ces  textes  sont  don- 
nés tout  au  long. 


-  39- 

D'ailleurs,  avec  le  peu  d'étendue  dans  la  tessiture  des  compositions  et 
des  claviers,  le  même  effet  était  obtenu  par  des  claviers  à  «  jeux  cou- 
pés »,  commandant  une  certaine  registration  dans  le  dessus  et  une 
autre  dans  le  grave.  Ceci  n'est  pas  une  hypothèse  ingénieuse  :  les  pré- 
cieuses notes  provenant  de  diverses  sources,  et  amassées  par  cet  orga- 
niste ou  organier  de  la  cour  de  Bourgogne,  de  qui  provient  le  très  im- 
portant manuscrit  latin  7295  de  la  Bibliothèque  Nationale  *,  donnent 
des  précisions  fort  nettes  et  importantes,  non  seulement  sur  la  facture 
des  orgues  de  son  temps,  mais  sur  de  vieux  instruments  que  1-on  démo- 
lissait alors  pour  les  refaire.  On  y  verra,  en  dehors  de  plusieurs  disposi- 
tifs ingénieux  que  l'on  croit  parfois  une  invention  moderne,  que  ces 
instruments  comprenaient  déjà  au  moins  une  octave  de  sei^e  pieds  ou 
de  tuyaux  sonnant  ainsi,  pour  assurer  les  basses.  Cette  description,  en 
même  temps,  met  au  point  des  détails  sur  lesquels  l'âge  précédent  ne 
nous  a  rien  laissé  de  précis,  mais  qui  appartiennent  à  la  constitution 
même  de  l'orgue,  telle  que  la  disposition  des  «  pleins-jeux  »,  «  fourni- 
tures »  et  «  cymbales  ». 

Pour  suppléer  ingénieusement  à  la  défectuosité  de  la  pression  du 
vent,  trop  faible  pour  les  tuyaux  aigus,  on  augmentait  le  nombre  de 
tuyaux  des  fournitures,  de  même  que  dans  les  pianos  modernes,  on  a 
plus  de  cordes  pour  les  notes  du  haut  du  clavier  que  pour  les  graves. 
Mais,  à  partir  du  milieu  du  clavier,  ces  fournitures  étaient  toujours  à 
«  reprise  »  d'octave  :  on  ne  pourrait  songer  à  donner  par  exemple  la 
double  octave  aiguë  du  plus  petit  tuyau,  et  on  le  doublait,  triplait, 
etc. 

Les  premiers  des  instruments  décrits  dans  les  relevés  cités  ici,  ap- 
partenaient àla  cathédrale  de  Nevers  -  : 

«a  II  faut  remarquer, —  dit  cette  note  —  que  Torgue  de  Saint-Cyr 
possède,  en  plus  des  tuyaux  habituels,  douze  flûtes  de  teneure,  accordées 
au  ton  des  autres,  mais  ces  flûtes  sont  plus  grandes  d'environ  [terme 
illisible]  que  les  plus  grosses  du  dessus...  Les  dix  tuyaux  les  plus  gros 
n'ont  aucune  fourniture,  mais  les  autres  ont  trois  fournitures,  en  plus 
des  doubles  principaux.  Tout  le  reste  a  six  \ou  dix]  fournitures.  Et  cet 
orgue  a  trois  soufllets,  levés  avec  de  grands  bâtons.  La  plus  grande 
quantité  des  fournitures  était  d'une  octave... 

«  b  Le  grand  orgue  du  chœur  (?)  a,  en  plus  des  jeux  simples,  dix 
grosses  flûtes  pour  doubler  au  grave  la  teneure.  En  cela  le  premier 
orgue  peut  sonner  de  trois  façons  :  d'une  manière  simple  ;  d'une  ma- 
nière double,  de  telle  façon  que  chaque  touche  s'augmente  de  son  double 
grave  ;  troisièmement,  quand  les  dix  gros  tuyaux  seuls  servent  pour  la 
teneure,  et  les  orgues  simples  pour  le  déchant,  et  alors  de  la  main  gauche 


1.  Ce  manuscrit  a  été  utilisé  sur  l'indication  de  Bottée  de  Toulmon,  par  Hamel, 
dans  sa  réédition  de  VArt  du  facteur  d'orgues  de  Dom  Bedos,  mais  avec  d'évidentes 
confusions  et  plusieurs  erreurs. 

2.  Même  ms.,  f"  i3i  bis  recto.  Je  traduis  le  plus  littéralement  possible  ce  texte, 
dont  je  donnerai  l'original  en  appendice. 


—  40  — 

il  faut  toucher  la  teneure  sur  les  dix  touches  les  plus  basses  seulement. 
On  peut  encore  sonner  autrement  lesorgues,  en  touchant  les  dix  touches 
supérieures  en  dehors  (?)  avec  les  touches  de  teneure  de  l'orgue  simple, 
et  ainsi  tout  l'ensemble  sera  doublé  au-dessous.  Les  doubles  principaux 
ont  trois  fournitures  pour  la  i""^  demi-octave,  savoir  la  quinte,  l'oc- 
tave et  l'octave  de  la  quinte...  La  2' demi-octave  quatre  fournitures,  la 
3'  cinq  fournitures  ;  tout  le  reste  six  fournitures.  Il  y  a  deux  soufflets. 
Le  mouvement  de  l'abrégé  est  bien  ingénieux,  et  peut  se  faire  en  deux 
sens.  Le  premier  se  produit  dans  l'intérieur  du  corps  de  l'instrument 
dételle  façon  que  la  dernière  touche  va  atteindre  la  dernière  flûte  du 
principal,  mais  si,  avec  cela,  on  cherche  à  la  doubler  en  dessous,  on 
tire  les  chevilles  qui  sont  annexées  aux  touches  inférieures,  de  telle 
façon  qu'elles  se  rattachent  par-dessous  aux  touches  supérieures,  et 
alors,  par  l'abaissement  des  touches  supérieures,  on  abaisse  les  touches 
graves  des  principaux  ;  ces  touches  graves  ont  de  plus  un  fil  de  fer  qui 
leur  est  joint,  et  qui,  passant  par  les  touches  principales  jusqu'au  creux 
de  la  caisse,  trouve  là  un  semblable  abrégé  ramenant  jusqu'aux  doubles 
en  dessous  :  cet  abrégé  est  ici  décrit  en  gros.  Le  plus  grand  tuyau  a  en 
longueur,  du  bas  en  haut,  six  pieds  quatre  doigts.  » 

Le  clavier  de  cet  orgue  commençait  donc  du  fa  de  la  clef  de /a,  qui 
a  effectivement  cette  longueur  ;  mais,  ayant  des  a  doubles-principaux  », 
ceux-ci  sonnaient  ainsi  à  l'octave  en  dessous.  Le  système  d'abrégé 
semble  à  la  fois  être  le  premier  essai  d'  «  octaves  graves  »  en  même 
temps  que  d'((  accouplement  »  des  deux  claviers. 

«  c.  L'orgue  qui  sert  à  la  messe  de  Monseigneur  a  deux  simples 
principaux,  divisés  en  deux,  et  chaque  principal  a  deux  quintes  et  une 
octave,  et  //  a  cinq  registres,  comme  vous  le  savez.  » 

Ces  descriptions  sont  hautement  intéressantes,  et  constituent  une 
documentation  remarquable.  Jointes  à  ce  que  nous  savons  déjà,  elles 
fixent  en  effet,  d'une  façon  suffisamment  précise,  que  l'orgue  de  la  belle 
époque  du  moyen  âge  pouvait  posséder,  en  jeux  de  fonds  et  mutations 
simples,  à  tuyaux  de  flûte,  par  conséquent  : 

Un  principal  {montî^e)  ou  deux,  sonnant  la  note  écrite  :  c'était  donc 
la  montre  de  huit  pieds  ; 

Un  double-principal^  limité  aux  dix  ou  douze  tuyaux  les  plus  graves, 
pour  soutenir  les  «  teneures  »;  comme  il  n'était  pas  plus  haut  que  le  pré- 
cédent, quoique  «  doublant  au  grave»  les  sons,  c'étaitdonc un  jeu  bouché, 
ou  bout-don  de  16.  Au  xiv"  siècle,  on  le  désigne  d'ailleurs  sous  ce  nom  <. 

Une  quinte  ou  deux,  remplacée  par  le  «  gros  »  nasard  ; 

Une  octave  :  c'est  la  flû te  de  4  ou  le  pt^estafit  {qui  porte  encore  le 
même  nom  dans  diverses  factures  étrangères)  ; 

Une  octave  de  la  quinte  :  c'est  l'ancienne  quinte-flûte,  remplacée  par 
le  nasard  de  2  pieds  2/3. 

i.A  Rouen,  en  i38o:  «  les  bourdons  qui  accompagnent  les  principaux  ».  Les 
détails  concernant  les  orgues  delà  cathédrale  de  Rouen,  depuis  le  xiv  siècle,  sont 
donnes  tout  au  long  dans  le  bel  ouvrage  de  MM.  les  Abbés  Collette  et  Bourdon, 
Les  Orgues  elles  Organistes  de  la  cathédralede  Rouen,  Rouen,  1894. 


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Planche  V.  —  FIGURE  SCHKMATIQUE 

De  l'ahrégé  et  de  la  disposition  d'une  montre  (xive-xv<'  siècles). 
{Manuscrit  latin  7  2q3  de  la  Bibliothèque  Xationale.) 


—  41  — 

Les  principaux  sont  accompagnés  de  /ournitures  plus  ou  nnoins  nom- 
breuses, qui  pouvaient  aller  jusqu'à  plus  de  dix  tuyaux  par  marche, 
pour  les  notes  les  plus  renforcées. 

Tous  ces  jeux  pouvaient  parler  ensemble  :  c'était  le  plem-jeu^  et  il 
paraît  probable  que,  dans  la  plupart  des  orgues,  on  ne  le  faisait  parler 
qu'ainsi.  Mais  on  les  groupait  aussi  en  cymbale  {on  mieux  symbale,  du 
grec  syn,  ballo)  donnant  la  note  du  son  principal,  sa  quinte  et  son  octave  ; 
ou  encore,  on  savait  faire  parler  les  principaux  seuls,  et  le  plein-jeu  à 
part,  ou  le  tout  ensemble  :  nous  l'apprenons  par  les  réparations  faites  au 
grand  orgue  de  la  cathédrale  de  Rouen  en  i38o  ^. 

Ce  qui  s'explique,  puisque  déjà  le  petit  orgue  décrit  ci-dessus  en  troi- 
sième lieu  utilise  cinq  registres.  On  savait  donc, commenous  le  faisons, 
isoler  ou  grouper  à  volonté  les  jeux  précédents  :  cet  orgue,  composé  de 
cinq  jeux  de  tuyaux  (deux  8  pieds,  deux  quintes,  un  4  pieds),  possédait 
effectivement  autant  de  registres  -. 

On  divisait  aussi  en  basse  et  dessus  ces  jeux  et  ces  registres  :  le  fait 
est  cité  dans  la  description  de  ce  troisième  orgue  ;  il  ressort  aussi  des 
deux  autres  descriptions,  puisque  les  touches  graves  et  les  touches 
supérieures  du  clavier  peuvent  commander  à  des  séries  différentes  de 
tuyaux.  Enfin,  il  pouvait  y  avoir  de  plus  des  mécanismes  de  combi- 
naison pour  accoupler  une  octave  à  l'autre,  et  obtenir  ainsi  des 
«  octaves  graves  »  ou  des  «  mains  couplées  »,  comme  dans  les  plus 
modernes  instruments. 

Mais,  si  le  «  grand  orgue  »  —  l'expression  se  trouve  dans  les  docu- 
ments ci-dessus,  —  pouvait  utiliser  tous  ces  dérivés  de  la  fîstula  gréco- 
romaine,  —  combien  développée  !  —  il  avait  aussi  toujours  conservé 
l'antique  jeu  primitif  de  Vaulos  des  hydraules,  devenu  le  chalumeau. 
Un  esprit  curieux  du  xv*  siècle  avait  ainsi  mesuré  et  calibré  les  tuyaux 
de  plomb,  et  pesé  les  anches  du  jeu  de  chalumeau  d'un  <'  antique  » 
orgue,  celui  de  Notre-Dame  de  Dijon,  qui  pouvait  dater  du  temps  de  la 
construction  de  l'église,  c'est-à-dire  de  la  fin  du  xiii^  ;  sa  description 
nous  apprend  que  l'anche  la  plus  grave,  toute  montée  sans  doute,  pesait 
une  livre  et  quart.  C'était  le  si  (ou  le  si  '^  )  du  milieu  du  clavier  ;  il  sonnait 
comme  un<(  quatre  pieds  »,  et  cet  unique  jeu  d'anches  très  ancien  était 
entièrement  diatonique.  Au  même  orgue  (dont  le  plein-jeu  allait  jusqu'à 
pt?îgt-deux  tuyaux  par  marche!)  était  adjoint  un  positif  en  un  petit 
buffet  séparé,  placé  derrière  l'organiste  ;  ses  tuyaux,  bien  que  souvent  de 
taille  ou  de  perce  irrégulière,  étaient  d'une  sonorité  exquise,  à  tel  point 
que  «  la  commune  assertion  de  tous  les  chanoines  tient  que  pareille 
douceur  ne  pourrait  être  rencontrée  sous  le  soleil  »  *'.  Ce  positif  se  com- 


1.  Même  ouvrage,  p.  10. 

2.  On  trouve  un  dispositif  analogue  dans  les  orgues  italiennes,  par  exemple  un 
orgue  construit  au  xv  siècle  pour  une  église  de  Lucques  comptait  pareillement 
cinq  «  registres  »  :  tenore  (principal  de  8  pieds),  oltava,  quintadecima,  vigesima 
seconda,  Jlauti.  (Voir  ^erici, Storia  délia  Musica  in  Lucca,  p.  i3i-i32.) 

3.  Même  ms.,  fo  I23:«  Huic  tergali  positivo  communis  omnium  canonicorum 
tçnçt  3'sertio  simile  dulçedine  sub  sole  irreperabile  d. 


—  42  — 

posait  de  deux  petits  principaux  d'étain  commençant  au  fa  de  la  clef  de 
/h,  renforcés  de  quelques  fournitures.  C'est  la  première  fois  où  apparais- 
sent les  tuyaux  détain  dans  la  construction  d'un  orgue  ;  les  fournitures 
de  ce  même  positif  étaient  de  plomb.  Une  note  additionnelle  du  même 
manuscrit,  écrite  à  dessein  en  cryptographie  que  j'ai  pu  déchiffrer, 
conseille,  pour  obtenir  de  bons  tuyaux,  de  mélanger  à  l'étain  en  fusion 
une  proportion  de  plomb  d'un  tiers,  et  trois  onces  (?)  de  mercure  pour 
deux  livres  d'étain  en  agitant  le  mélange  avec  un  bâton  ferré  «  pendant 
le  temps  d'un  Miserere  ».  On  peut  aussi  ajouter  une  petite  quantité 
d'autres  ingrédients  que  je  n'ai  pu  identifier  i,  mais  il  faut  «  se  garder 
de  la  fumée  du  mercure,  qui  est  vénéneuse  ». 

Toutefois,  il  n'est  pas  encore  dit  que  l'on  savait  faire  parler  le  positii 
par  un  abrégé  communiquant  au  grand  orgue.  Un  organiste  seul  ne 
pouvait  donc  que  jouer  l'un  et  l'autre  alternativement,  en  se  retournant 
successivement,  puisqu'il  tournait  le  dos  au  positif. 

Les  claviers  et  les  jeux  s'enrichissaient  peu  à  peu  des  degrés  chroma- 
tiques. Déjà,  vers  l'an  1200,  Pérotin,  à  Notre-Dame  de  Paris,  emploie 
le  si^,  le  do  dièse  et  le  fa  dièse  ;  à  la  fin  du  xni^  siècle,  les  claviers  pou- 
vaient avoir  au  moins  deux  octaves  complètement  chromatiques,  et 
Philippe  de  Vitry  les  mentionne,  comme  tels,  pour  la  première  fois, 
dans  son  remarquable  traité  de  musique  -.  Leur  étendue  s'amplifiait 
aussi.  Tandis  que  les  orgues  du  xii^  siècle  n'avaient  encore  que  les 
vingt  touches  traditionnelles,  de  deux  octaves  semi-diatoniques,  semi- 
chromatiques,  partant  de  Vut  ^ ,  le  jeu  de  chalumeau  de  Dijon  possédait 
trois  octaves  diatoniques,  le  positif  trois  octaves  chromatiques,  le  grand 
orgue  quatre  octaves  chromatiques,  moins  un  degré.  D'autres  calculs 
pour  la  disposition  des  fournitures,  qui  datent  du  xiv^  siècle  et  du 
début  du  xv^  tels  que  ceux  faits  par  Salinis,  compositeur  de  talent 
(on  trouve  des  compositions  polyphoniques  de  Salinis,  pour  voix 
et  instruments,  entre  autres  dans  le  fameux  ms.  de  Chantilly),  s'ap- 
pliquent soit  à  des  orgues  comprenant  environ  trois  octaves  dont 
au  moins  deux  complètement  chromatiques,  avec,  au  grave  et  à  l'aigu, 
deux  demi-octaves  incomplètes,  soit  même  à  des  instruments  atteignant 
déjà  quatre  octaves. 

Les  petits  portatifs  à  bras  continuaient  d'être  en  grande  faveur,  mais 
on  construisait  aussi,  sous  le  même  nom  de  portatives,  des  petites 
orgues  transportables,  et  que  l'on  pouvait  placer  sur  une  table,  un  sup- 
port quelconque,  ou  qui  elles-mêmes  comprenaient  tout  un  corps.  Le 
fait  de  les  poser  où  on  le  désirait  leur  avait  valu  aussi  le  nom  dQ positives, 
passé  rapidement,  on  l'a  vu  plus  haut,  dans  le  langage  courant,  puis- 
qu'un grand  orgue  pouvait,  dès  la  fin  du  xni^  siècle,  avoirprès  de  lui  un 
positif.  Des  miniatures,  des  tapisseries,  des  peintures,  du  xiv*"  siècle  et 
du  XV',  nous  renseignent  fort  bien  sur  la  forme  et  la  disposition  de  ces 
«  orghanes  portatives  »    ou    «   positives    ».    On    voit    clairement    que 

1.  «  Aliquantulum  mirus  et  de  glaciali.  »  Id.,  f"  add.  i3o. 

2.  Dans  les  Scriptores  de  Goussemaker,  t.  IV. 


-43  - 

c'étaient  des  petits  «  quatre  »  ou  «  six  pieds  »,  sonnant  donc  comme 
nos  huit  pieds  ^  accompagnés  de  fournitures,  et  pouvant  comprendre 
diverses  combinaisons,  puisque  l'exécutant  a  à  sa  disposition  différentes 
chevilles  ou  petits  leviers  faisant  fonctionner  les  registres  ou  les  accou- 
plements. On  peut  citer  le  triptyque,  si  célèbre  et  souvent  reproduit,  de 
Jean  Van  Eyck,  datant  environ  de  1430,  où  un  ange  (ou  une  sainte) 
Joue  d'un  de  ces  positifs,  minutieusement  observé  et  reproduit,  remar- 
quable spécimen  du  genre  2,  On  en  verra  aussi  au  musée  de  Cluny,  à 
Paris,  dans  la  fameuse  tapisserie  delà  «  Dame  à  la  licorne  »  provenant 
du  château  de  Boussac. 

Il  subsiste  encore,  en  Espagne  et  en  Italie,  des  spécimens  de  tels  ins- 
truments :  à  la  cathédrale  de  Tolède,  il  y  a  un  petit  orgue  de  ce  genre 
(mais  avec  pédalier),  qui  remonte  au  xv^  siècle  ;  la  tradition  s'en  main- 
tint longtemps  en  Italie,  où  un  positif  analogue  de  cinq  jeux  ^  mais 
datant  seulement  du  xvn^  siècle,  est  conservé  au  couvent  de  Sainte- 
Prisque,  à  Rome.  En  Espagne  également,  on  garde  précieusement,  à 
l'Escorial,  un  tout  petit  portatif,  guère  plus  grand  que  les  orgues  à  bras, 
sans  pied,  qui  servit  pendant  le  xvi^  siècle  pour  les  processions,  au 
grand  organiste  Ant.  Cabeçon  :  cet  orgue,  qui  n'est  guère  plus  qu'une 
grande  régale,  dans  le  genre  de  nos  petits  harmoniums,  a  deux  octaves 
chromatiques,  et,  au  grave  et  à  l'aigu,  deux  demi-octaves    incomplètes. 

Jusqu'au  cours  du  xiii*  siècle,  les  instruments  de  ce  genre,  fréquem- 
ment reproduits  sur  les  monuments  figurés,  ont  des  touches  espacées, 
de  forme  souvent  pattée  ou  tréfiée,  et  disposées  un  peu  comme  celle 
de  nos  accordéons.  Mais,  à  la  même  époque,  apparaissent  des 
claviers  disposés  comme  les  nôtres,  toutefois  avec  des  touches  plus 
courtes  et  plus  larges;  dès  lors,  elles  sont  rapprochées  les  unes  des 
autres,  même  dans  des  claviers  non  chromatiques,  et  il  semble  que  le 
bord  inférieur  en  est  taillé  en  biseau. 

Portatives  ou  positives,  les  orgues  n'étaient  pas  exclusivement  réser- 
vées à  l'usage  religieux. 

Des  trouvères  les  utilisaient  ;  des  mendiants  —  joailatores  organorum 
—  s'en  servaient  dans  les  rues  ou  sur  les  places  ;  les  amateurs  en  usaient 
largement  pour  leur  distraction  ou  leurs  récréations  musicales,  à  une 
époque  où  la  science  et  la  pratique  de  la  musique  étaient  au  moins, 
sinon  plus  répandues  que  de  nos  jours.  Nombreuses  sont  les  allusions 
faites  principalement  au  xni*  siècle  et  au  xiv®,  sur  ces  usages  variés  : 
Guillaume  de  Machaut  parle  même  de  ceux  qui  voudraient  mettre  sur 
l'orgue  une  certaine  pièce  à  trois  voix,  assez  complexe,  qu'il  envoie  à 
une  sienne  correspondante. 


1.  Le  clavier  commençant  une  demi-octave  ou  une  octave  plus  haut  que  les 
nôtres. 

2.  lia  servi  d'illustration,  entre  autres,  à  la  couverture  de  la  Tribune  de  Saint- 
Gervais  pendatit  quelques  années. 

3.  Cet  instrument  comprend  un  bourdon  sonnant  8  pieds,  une  octave  (prestant) 
de  forte  sonorité,  une  quinte  da  2  2/3,  une  double  octave,  sa  quinte,  1  i/3,  un  jeu 
de  I  pied  (flageolet)  et  un  d'1/2  pied  (larigot)  n'ayant  que  l'octave  grave. 


—  44  — 

Aussi,  les  grandes  églises  voyaient-elles  également,  de  plus  en  plus, 
se  répandre  l'usage  des  orgues,  auxquelles  on  cherchait  à  donner, 
comme  nous  l'avons  déjà  vu,  le  plus  de  perfectionnements  pos- 
sibles. 

En  dehors  de  nombreuses  églises,  particulièrement  monastiques, 
auxquelles  font  allusion  divers  textes  précédemment  allégués,  dès  le 
xn^  siècle,  j'ai  de  plus  trouvé  nommément,  au  xni*,  la  mention  de  cons- 
tructions d'orgues  importantes  dans  les  nouvelles  cathédrales  de  Meaux 
(122  i),  Strasbourg  (i2(5o)  ^,  Senlis,  Orléans,  Reims,  à  la  Sainte-Chapelle 
de  Paris,  etc.,  et  plusieurs  mentions  d'organistes,  à  la  cathédrale  de 
Paris,  entre  autres,  dès  environ  1 1  5o,  et  plusieurs  fois  au  cours  du 
siècle  suivant,  à  l'église  Saint-Landry  de  la  même  ville,  puis  pour 
l'inauguration  d^un  nouvel  hôpital  en  i323,  à  Saint-Séverin,  etc. 

Si  nous  ne  possédons  pas  plus  de  détails  sur  ces  instruments,  c'est 
faute  souvent  de  chercher  dans  les  anciennes  archives  -,  ou  parce  que 
ces  archives  ont  été  détruites.  On  trouve  ainsi,  pour  telle  ou  telle 
cathédrale,  autant  de  mentions  de  recours  aux  facteurs  pour  construc- 
tions ou  réparations  d'orgues,  qu'on  en  rencontre  maintenant  ^. 

Comme  on  l'a  déjà  vu  par  l'exemple  de  Nevers,  on  y  avait  déjà, 
au  xiu*  siècle,  l'habitude  de  l'orgue  de  chœur  et  du  grand  orgue.  A 
Chartres,  il  en  était  de  même  :  si  nous  sommes  très  imparfaitement  ren- 
seignés sur  ce  qu'il  y  avait  comme  orgues  dans  cette  cathédrale,  aux 
époques  antérieures  (on  a  allégué  bien  des  conclusions  fausses  à  ce 
sujet),  nous  savons  néanmoins  qu'il  y  eut  de  bonne  heure  un  grand 
orgue  de  tribune,  puisqu'on  le  y^econsiruisait  en  i34q,  placé  là  où  on 
l'a  toujours  refait,  et  au  moins  dès  iSSy,  un  petit  orgue,  au  jubé,  pour 
le  service  du  chœur  -*. 


I.  Cet  orgue  fut  construit  par  le  dominicain  Ulrich  Engelbert,  qui  avait  été  con- 
disciple de  saint  Thomas  d'Aquin  aux  cours  d'Albert  le  Grand. 

•2.  Je  dois  ici  une  particulière  mention  aux  belles  recherches  que  fait  en  ce  mo- 
ment notre  ami  et  collaborateur  P\  Raugel  dans  les  anciennes  archives,  et  qui  lui 
ont  mis  entre  les  mains  d'intéressants  documents  sur  les  orgues,  en  particulier,  de 
Notre-Dame  de  Paris,  aux  xiv*,  xvc  et  xvie  siècles. 

3.  Par  exemple,  à  Chartres  (nombreux  détails)  ;  i353,  i3Ô2,  iSjô,  iSSo,  Toul  ; 
i358,  Saint-Séverin  de  Paris  ;  i365,  Troyes  (grand  orgue  de  la  cathédrale)  ;  i366  et 
et  années  suivantes,  Angers  ;  i38o  et  années  suivantes,  Rouen  ;  141 1,  plusieurs 
églises  de  Troyes, citons  entre  autres  que  le  relevagedes  orgues  de  Sainte-Madeleine 
opéré  cette  année-là,  avait  coûté  la  somme  de  trente  sous.  Je  suppose  qu'il  s'agit  là 
de  sous  d'or,  ce  qui  ferait  environ  600  fr.  en  monnaie  du  temps  ;  i4i3,  orgues  de  la 
salle  de  concert  du  Louvre  ;  1426,  Grenoble  ;  Arras,  rin  du  xive  siècle,  (v.  p.  63),  etc. 

Les  renseignements  les  plus  curieux  et  les  plus  complets  sur  les  orgues  à 
Troyes  et  dans  la  région  environnante  aux  xiv",  xv«  et  xvi®  siècles  ont  été  donnés 
par  M.  l'abbé  A.  Prévost,  dans  une  étude  documentée  sur  les  Instruments  Je  musi- 
que usités  dans  nos  églises  depuis  le  A'///e  52èc/e,  publiée  dans  les  Mémoires  de  la 
Société  Académique  de  l'Aube,  en  1904.  Nous  y  apprenons  ainsi,  pièces  en  mains, 
que  dès  le  début  du  xv«  siècle,  les  diverses  églises  paroissiales  de  cette  ville  possé- 
daient des  orgues  ;  on  trouve  également  cites  souvent  les  instruments  des  princi- 
pales églises  de  la  campagne,  ce  qui  démontre,  une  fois  de  plus,  que  l'usage  des 
orgues  était  fort  répandu  dans  ces  siècles  lointains. 

4.  Les  détails  sur  l'orgue  se  trouvent  dans  le  bel  ouvrage  de  l'abbé  Glerval, 
la  Maîtrise  de  Notre-Dame  de  Chartres,  auquel  nous  les  empruntons. 


—  43   — 

A  la  cathédrale  de  Rouen,  le  règlement  établi  par  le  chapitre  à  l'usage 
de  l'organiste  du  grand  orgue  fait  connaître,  en  i386,  cet  intéressant 
détail  de  facture,  dû  sans  doute  au  facteur  belge  qui  travaillait,  de- 
puis i38o,  à  l'augmentation  de  l'orgue  ^  :  un  tirant  spécial  permettait 
de  faire  perdre  le  vent  après  l'exécution  des  morceaux,  de  peur  que 
l'air  trop  comprimé  ne  fasse  éclater  les  soupapes  des  soufflets.  La  souf- 
flerie était  donc  soignée,  et  aussi  méticuleusement  établie  que  l'on 
pouvait  le  faire  :  les  détails  donnés  par  une  source  précédemment  citée, 
sur  les  anciennes  orgues  de  Notre-Dame  de  Dijon,  montrent  le  soin 
extrême  avec  lequel  les  soufHets  en  étaient  établis  ;  ces  soufflets  mesu- 
raient quatre  pieds  sept  pouces  sur  deux  pieds  un  pouce -. 

La  disposition  des  tuyaux,  comme  on  disait,  en  «  mitre  épiscopale  », 
avec  un  plus  grand  tuyau  au  milieu,  les  autres  décroissant  de  chaque 
côté,  commençait  à  être  en  faveur,  et  témoignait  de  l'habileté  des  fac- 
teurs qui  durent  désormais  disposer  l'abrégé  en  conséquence,  et  en 
l'étendant  «  en  éventail  ».  En  même  temps,  on  mettait  à  part,  dans  une 
ou  plusieurs  tourelles,  les  plus  gros  tuyaux  de  teneure  appelés  aussi 
«  trompes  ».  La  disposition  générale  du  grand  buffet  d'orgues  était 
donc  créée  ^.  Pour  les  portatifs  et  positifs,  l'usage  était  aussi  d'en  orner 
les  montants  ;  très  fréquemment,  une  tourelle  carrée  ou  octogonale, 
crénelée,  décorée  de  gables  ornés,  presque  jamais  de  clochetons,  mar- 
quait la  place  du  plus  gros  tuyau,  qu'elle  contenait. 

Les  tuyaux  multipliés  et  souvent  peints  ou  dorés,  la  façade  ornée, 
ainsi  disposée  en  «  plates-faces  »  et  en  tourelles,  sans  relief,  mais  dis- 
tribuées sur  le  même  plan,  faisaient  du  buffet  de  l'orgue,  vers  l'an  1400, 
un  objet  d'art  précieux  que  l'on  couvrait  de  housses  ou  de  rideaux.de 
panneaux  mobiles  ou  de  volets  eux-mêmes  peints  de  sujets  divers.  On 
imagina  même,  pour  l'amusement  du  populaire,  d'y  joindre  un 
soleil  et  une  lune  mobiles,  une  roue  armée  de  clochettes,  ou  même, 
comme  à  Metz,  une  tête  grotesque,  le  «  Gueulard  »  roulant  les  yeux 
et  tirant  la  langue  à  l'appel  d'une  certaine  pédale... 

Mais,  à  côté  de  ces  fantaisies  saugrenues,  qui  connurent  deux  siècles 
au  moins  de  faveur,  on  chercha,  tout  au  cours  du  xv^  siècle,  à  agrandir 
encore  l'orgue,  à  lui  donner  des  perfections  qui  n'auront  plus  qu'à  être 
appliquées  aux  instruments  nouveaux  ou  reconstruits. 

Le  grand  orgue  de  la  cathédrale  d'Amiens,  construit  de  1422a  1429, 
aux  frais  d'Alphonse  Le  Mire,  ancien  «  valet  de  chambre  »  de  Charles  VL 


1.  Il  renforça,  entre  autres,  les  fournitures  des  octaves  aiguës,  dont  les  princi- 
paux sonnaient  trop  faiblement  par  rapport  aux  «  teneures  ».  C'est  le  cas  de  signa- 
ler que  les  tacteurs  belges  apparaissent  à  cette  époque  comme  particulièrement 
appréciés  ;  citons,  en  plus  de  celui  qui  travaille  à  Rouen,  Jehan  de  Soignies,  qui  s'oc- 
cupe de  l'orgue  de  la  cathédrale  de  Troyes  en  i365  ;  Louis  de  Valbeck  à  qui  on  a 
voulu  faire  honneur  de  l'invention  du  pédalier  (à  tort  d'ailleurs,  car  il  s'agit  d'une 
cornemuse  dont  la  soufflerie  est  actionnée  par  une  pédale),  etc. 

2.  La  description,  en  français,  et  l'indication  des  mesures  tiennent  une  grande 
page  du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale  déjà  cité.  (Voir  ce  texte  plus  loin.) 

3.  Dès  avant  1416,  le  grand  orgue  de  la  cathédrale  d'Angers  était  ainsi  disposé  ; 
Voir  L.  de  Farcy,  Monographie  de  la  cathédrale  d'Angers,  t.  IV. 


-46- 

peut  passer  pour  le  type  le  plus  complet  de  la  facture  médiévale*. 
Instrument  très  important,  puisqu'une  partie  de  son  buffet  et  son 
ordonnance  générale  sont  toujours  restées  les  mêmes,  il  comprenait 
des  principaux,  des  doubles-principaux  en  «  montre  »  de  seize  pieds, 
dont  la  place  des  gros  tuyaux,  placés  en  tourelles,  fixait  définitivement 
la  disposition  des  façades  des  grandes  orgues.  Les  tuyaux  extérieurs 
étaient  d'étain,  et  ceux  de  l'intérieur  en  plomb.  De  nombreuses  four- 
nitures accompagnaient  ces  principaux,  et  l'ensemble  des  tuyaux  attei- 
gnait près  de  deux  mille  cinq  cents,  presque  autant  que  le  moderne 
Cavaillé-CoU  qui  en  tient  actuellement  la  place.  Son  clavier  était  de 
quatre  octaves  chromatiques,  sauf  les  touches  extrêmes,  qui  manquaient 
de  «  feintes  ».  Même  retouchée  plus  tard  dans  ses  décorations,  à  l'épo- 
que de  Henri  II,  la  façade  de  cet  instrument  reste  puissamment 
démonstrative  de  l'importance  du  grand  orgue  d'une  grande  cathé- 
drale au  xv^  siècle  :  en  effet,  sa  place  à  l'entrée  de  la  nef,  dont  nous  ne 
connaissons  aucun  exemple  plus  ancien,  a  nécessité  la  construction 
d'une  vaste  tribune,  chef-d'œuvre  de  charpenterie  et  de  sculptures  déco- 
ratives. La  tribune  subsiste  toujours  :  son  aspect  n'est  modifié  que  par 
la  construction  d'un  buffet  de  positif  plus  moderne  (xvii®  siècle)  qui, 
sans  doute,  en  a  remplacé  un  plus  ancien.  Mais  encore  la  boiserie  même 
du  «  grand  corps  »  est  restée  intacte  dans  sa  partie  inférieure,  et,  dans  la 
partie  supérieure,  a  seulement  été  remaniée  au  siècle  suivant,  ou  refaite 
sur  la  même  ordonnance.  Ainsi,  sauf  l'aspect  du  positif  et  la  décoration 
«  renaissance  »  du  haut  du  grand  buffet,  l'ensemble  de  l'orgue  d'Amiens 
reste,  à  la  vue,  ce  qu'il  était  au  premier  quart  du  xv'=  siècle,  ofîrant  l'as- 
pect majestueux  et  plaisant  de  ses  plates-faces  en  «  mitre  »  séparées 
par  trois  grandes  tourelles,  plates  aussi,  disposées  pour  les  plus  «  gros 
thueaulx  ».  (Voir  planche  spéciale.) 

En  cherchant  à  combiner  les  abrégés  des  grandes  orgues  avec  les  posi- 
tifs ou  avec  les  régales  que  l'on  y  adjoignait,  on  obtint  d'intéressants 
résultats.  Le  plus  ingénieux,  sans  doute,  de  ces  essais,  fut  celui  de  la 
cathédrale  de  Toulouse,  où  cinq  orgues  d'importance  diverse,  placés  les 
uns  côte  à  côte,  et  les  autres  au-dessus  des  premiers,  pouvaient  à 
volonté  être  joués  séparément  ou  être  accouplés  en  nombre  varié.  Aux 
grandes  fêtes,  on  accouplait  les  cinq  claviers.  Gela  se  passait  en  1463  ". 

Enfin,  en  1489,  la  construction  du  nouveau  grand  orgue  de  la  cathé- 
drale de  Strasbourg,  —  où  l'on  suit  les  orgues  depuis  le  xiii*  siècle,  — 
par  le  facteur  alsacien  Friedrich  Krebs,  d'Anspach,  présente  la  dispo- 
sition définitive  des  claviers  superposés,  et  de  l'emploi  de  trois  cla- 
viers ;  grand  orgue,  positif,  récit  (grosswerck,  riickwerk,  brust-posi- 
tiv).  La  façade  en  a  toujours  été  conservée,  au  même  endroit,  dans  la 
première  travée  à  gauche  de  la  grande  nef,  à  la  hauteur  du  triforium. 


1,  Voyez  l'étude  détaillée  de  Georges  Durand,  Les  orgues  de  la  cathédrale  d'A- 
miens, Paris,  au  Bureau  d'Edition  de  la  Schola. 

2.  Félix  Clément  a  publié  les  documents  relatifs   à  cet  orgue  dans  son  Rapport  au 
ministre  de  l'Instruction  publique,  Paris,  1849. 


Planchk  VI.  -  (JRAMJ  ORGUE  D'AMIENS  ET  SA    IRIBUNE 


—  47  — 

Nous  n'avons  pas  la  disposition  de  cet  instrument,  qui  comptait  deux 
mille  cent  trente  six  tuyaux,  mais  le  détail  des  jeux  de  l'orgue  de  la 
collégiale  de  Haguenau,  construit  en  1491  par  le  même  facteur,  indique 
pour  le  grand  orgue  trois  registres  :  un  «  ténor  »  (principal  en  montre 
de  8  pieds),  une  flûte,  une  cymbale  ;  au  positif,  un  «  petit  ténor  >  (près- 
tant  en  montre  de  4  pieds),  une  flûte  «  triple  »  (?),  une  cymbale  ;  plus 
le  plein  jeu.  Le  positif  est  encore  placé,  suivant  l'habitude,  derrière 
Torganiste,  mais  le  contrat  spécifie  que  l'organiste  devra  pouvoir  jouer 
les  deux  orgues  sur  le  même  clavier  :  l'accouplement  facultatif  exis- 
tait donc  ^ 

Pour  le  troisième  clavier,  quand  par  hasard,  il  y  avait  lieu  d'en 
construire,  il  ne  gouvernait  sans  doute  qu'un  jeu  «  séparé  »  et  ne 
commençant  qu'au  milieu  du  clavier,  à  en  juger  par  divers  exemples 
français  ou  étrangers  -.  Il  est  probable,  aussi,  que  des  cinq  orgues 
de  Toulouse,  les  deux  qui  étaient  superposés  aux  autres  étaient  simple- 
ment une  régale  et  un  chalumeau  ;  cependant  le  troisième  clavier  de 
Strasbourg  est  nommé  «  brustpositiv  •>■>,  ce  qui  semble  indiquer  un 
second  positif,  sonnant,  par  sa  disposition,  en  écho  avec  le  premier. 

Les  principaux  soins  des  organiers,  au  dernier  quart  du  xv*  siècle, 
furent  avec  l'établissement  d'orgues  à  plusieurs  claviers  qu'on  pût 
accoupler,  celle  d'un  clavier  de  pédales,  ne  fonctionnant  encore  qu'en 
«  tirasse  »  avec  le  manuel,  et,  pour  les  instruments  les  plus  importants, 
la  construction  de  montres  de  trente-deux  pieds. 

Ce  fait,  qui  paraissait  assez  étonnant,  il  y  a  peu  d'années,  aux  histo- 
riens de  notre  art,  est  hors  de  doute,  car  les  pièces  d'archives  récem- 
ment produites  en  révèlent  plusieurs  exemples.  Ainsi  on  trouve  l'em- 
ploi d'au  moins  toute  l'octave  grave  d'un  tel  jeu,  par  conséquent 
les  plus  grandes  et  les  plus  grosses  de  ces  «  trompes  »,  dont  les  tuyaux, 
partagés  en  deux  séries,  sont  supportés  et  alimentés  par  des  sommiers 
et  porte-vents  spéciaux,  et  placés,  à  droite  et  à  gauche  du  grand  buffet, 
dans  des  tourelles  séparées,  souvent  portées  par  un  pilier  spécial.  C'était 
le  cas,  entre  autres,  du  grand  orgue  de  Metz,  dont  la  construction 
avait  été  commencée  vers  le  milieu  du  siècle^;  de  celui  de  Poitiers,  puis 

1.  Tous  ces  faits  sont  empruntés  à  l'ouvrage,  si  admirablement  documenté,  de 
M.  l'abbé  Vogeleis,  Quellen  und  Bausteine  fu  eiyier  Geschichte  der  Musik  und  des 
Theaters  in  Elsass,  Strasbourg,  191 1. 

2.  Ainsi  le  facteur  belge  Jean  de  Berge,  construit,  en  1409,  un  orgue  à  trois  cla- 
viers pour  les  Augustins  de  Langensalza,  en  Thuringe,  avec  grand  orgue  (haupt- 
werk)  de  trois  jeux,  dont  un  parlant  avec  la  pédale  ;  positif  (rùckpositiv),  également 
de  trois  jeux,  et  un  jeu  d'anches  (zink]  séparé.  (Fùrstenau,  dans  les  Monatshefte  de 
R.  Eitner,  1876.) 

3.  C'était  un  grand  vingt-quatre  pieds  en  montre,  mais  dont  le  tuyau  le  plus 
grave  atteignait  vingt-neuf  pieds.  Disposé  sur  une  vaste  tribune  placée  en  surplomb  de 
la  nef,  à  la  travée  correspondant  aux  tours,  cet  instrument  fut,  un  siècle  plus  tard, 
réparé  et  augmenté,  entre  autres  par  le  facteur  Boudefert  en  1547,  et  en  iSSg.  Il 
fut  démoli  seulement  à  la  suite  de  la  Révolution,  ainsi  que  sa  tribune.  En  plus  de 
ce  grand  orgue,  la  cathédrale  de  Metz  possède  encore  un  second  orgue,  belle  œuvre 
française  de  1537,  établi  sur  une  tribune  en  a  nid  d'hirondelle  »,  à  mi-hauteur  de  la 
dernière  travée  de  la  nef,  près  du  transsept.  Tribune,  buffet  et  montre  sont  restés 
intacts,  mais  la  plupart  des  autres  jeux  sont  hors  d'usage.  Voir  Bégin,  Histoire  de  la 


-48-    ■ 

de  celui  de  Chartres,  reconstruit  en  1475  sur  le  modèle  du  précédent  par 
Gombaut  Rogeric"  ;  quelques  années  plus  tard,  c'était  le  tour  de  celui 
d'Angers,  œuvre  de  Ponthus  Jousselin.  Chacun  de  ces  instruments 
contenait  une  douzaine   de  tuyaux  d'une  montre  de  trente-deux  pieds. 

Mais  l'archevêque  Robert  de  Croixmare,  à  Rouen,  avait  voulu  que 
sa  cathédrale  surpassât  les  autres.  Entre  1490  et  1495,  on  avait  cons- 
truit en  cette  église,  sur  une  tribune  à  l'entrée  de  la  nef,  comme  à 
Amiens,  un  magnifique  instrument,  ayant,  nous  ditDom  Pommeraye  2, 
«  une  double  montre  de  prodigieux  tuyaux  qui  n'ont  point  de  sem- 
blables, ayant  trente-deux  pieds  de  long  ;  ils  sont  de  fin  estain,  dorez 
et  enrichis  de  divers  ornements  ».  Six  grands  soufflets  spéciaux  alimen- 
taient ces  trente-deux  pieds.  Les  gros  tuyaux  s'en  étageaient  en  plan  à 
droite  et  à  gauche  du  «  grand  corps  »,  le  long  de  la  dernière  travée  de 
la  nef.  Il  n'y  avait  évidemment  pas  d'autre  orgue  «  en  France  qui  en 
approchât  »,  ni  même,  assuraient  les  Rouennais,  «  dans  le  monde 
entier  »  ^.  Et  cet  instrument  devait  être  en  tout  soigné  et  digne  de  son 
objet,  puisque,  un  siècle  plus  tard,  c'est  encore  celui  dont  se  sert  l'illustre 
Titelouze  :  peut-être  l'avait-on  enrichi  de  quelques  modifications  au 
cours  du  xvi^  siècle  ;  en  tout  cas,  il  avait  un  pédalier  chromatique 
de  deux  octaves  et  demie  (mais  sans  jeux  séparés).  A  la  longue,  le 
temps  «  ayant  gasté  les  porte-vent  »  du  trente-deux  pieds,  cette  montre 
ne  fut  plus  conservée  que  comme  décoration,  jusqu'au  jour  où  Robert 
Clicquot  reconstruisit  l'orgue,  en  1686.  11  semble  que  cet  orgue  ait 
seulement  compris  un  grand  orgue  et  un  positif  :  au  moins  Titelouze, 
un  siècle  plus  tard,  ne  suppose-t-il  pas  d'autres  claviers  manuels,  ni 
pour  l'exécution  de  ses  oeuvres,  ni  dans  les  devis  d'orgue  qu'il  présente 
ou  qu'il  appuie  de  son  autorité  *. 

A  la  fin  du  xv*  siècle,  l'orgue  était  ainsi  définitivement  constitué  ;  il 
ne  restait  qu'à  appliquer  partout  les  innovations  introduites  séparé- 
ment, ici  et  là,  par  les  facteurs  dans  les  instruments  qu'ils  avaient  cons- 
truits, et  à  les  perfectionner. 

Pour  compléter  l'histoire  de  l'orgueà  cette  époque,  mentionnonsquel- 
ques  traits  curieux  ou  intéressants. 

cathédrale  de  Met^,  t.  II,  p.  166,  169  et  s.,  et  le  17e  fascicule  du  Bulletin  de  l'œuvre 
de  la  cathédrale  de  Met^  [1909],  où  l'on  trouvera  les  relevés  et  photographies  de  ce 
second  orgue. 

I.  Placé,  comme  à  Metz  et  à  Strasbourg,  dans  une  galerie  de  la  nef,  le  buffet  a 
conservé  la  disposition  générale  et  une  partie  de  la  boiserie  de  cette  époque  ; 
mais  il  a  été  fortement  augmenté  et  remanié  au  siècle  suivant.  Malgré  ces  remanie- 
ments, il  ofiFre  un  des  plus  plaisants  aspects  qui  existent. 

1.  Histoire  et  description  de  V église  cathédrale  de  Rouen,  p.  3o. 

3.  Totius  orbis  prettosiora  et  pulchriora,  voir  Colette  et  Bourdon,  op.  cit.,  p.  13-14. 
Ce  bel  instrument  était  l'œuvre  d'un  facteur  allemand,  dont  on  n'a  pas  le  nom. 

4.  Notons  en  passant,  pour  compléter  l'excellente  notice  de  M.  Pirro  sur  Tite- 
louze, en  tête  du  tome  I  des  Archives  des  Maîtres  de  l'Orgue  par  Guilmant,  que 
Titelouze,  en  1623,  le  23  juin,  préside  à  la  réception  du  nouveau  grand  orgue  d'A- 
miens, en  même  temps  que  Frémart,  maître  des  enfants  delà  cathédrale  de  Rouen. 
(Durand,  Les  orgues  de  la  cathédrale  d'Amiens,  p.  6.)  Cet  instrument,  dont  lerudit 
archiviste  d'Amiens  reproduit  le  devis,  était  presque  semblable  à  celui  de  saint 
Godard  de  Rouen,  dont  Titelouze  donna  le  devis  quelques  années  plus  tard. 


—  49  — 

Dans  l'inventaire  après  décès  d'un  chanoine  de  la  cathédrale  de 
Troyes,  nous  lisons  l'estimation  en  143S,  de  «  unes  petites  orgues  por- 
tatives à  main,  enchâssées  de  bois,  prisées  LX.  s.  t.  »,  (Go  sous  tournois, 
environ  144  francs  de  notre  monnaie  actuelle).  En  1460,  un  autre  inven- 
taire y  mentionne  «  unes  régales  qui  est  ung  instrument  de  flûtes  en 
façon  d'orgues  prisée  dix  livres  tournois  »,  (environ  174  francs). 

D'autres  inventaires  du  trésor  de  Saint-Martin  de  Tours  citent,  dès 
1493,  que  ce  trésor  renfermait  un  orgue  de  «  moyenne  grandeur  », 
dont  les  tuyaux  étaient  d'argent,  (sans  doute  un  portatif  comme  les 
précédents). 

On  a  conjecturé,  avec  quelque  raison,  qu'il  s'agissait  là  d'un  cadeau 
princier,  probablement  royal  K 

De  fait,  le  roi  Louis  XI  avait  une  très  grande  dévotion  à  saint  Martin 
de  Tours,  autour  de  la  châsse  duquel  il  avait  fait  établir  «  un  beau  trail- 
lis  d'argent  »  au  prix  de  «  onze  livres  tournois  pour  marc,  argent  et 
façon  »  ;  au  même  roi,  on  attribue  la  reconstitution  du  grand 
orgue  de  Notre-Dame  d'Embrun,  pareillement  orné  d'une  montre 
d'argent  2,  et  la  fondation  des  orgues  de  la  collégiale  de  Cléry,  qui  ne 
furent  toutefois  achevées  «  grandes  et  petites  orgues  >;,  qu'en  i5io,  par 
Pierre  Jousseaume  ou  Jousselin  ^. 

Parmi  les  autres  instruments  de  la  fin  du  xv'  siècle,  qui  soient  dignes 
d'intérêt,  citons  la  construction  des  orgues  de  la  cathédrale  de  Bayonne 
en  1488  *,  et  les  butfets  de  la  petite  église  de  SoHès-Ville,  dans  le  Var, 
de  la  cathédrale  de  Perpignan,  dont  on  trouvera  les  dessins  dans 
Viollet-le-Duc  •'"',  ainsi  que  celui  de  Hombleux  (Somme),  postérieur  de 
quelques  années  et  détruit,  hélas  !  par  les  Allemands,  au  cours  de  la 
guerre  de  1914-191S. 


Si  la  disposition  générale  des  grands  buffets  d'orgue  paraît  être  restée, 
en  apparence,  et  malgré  les  différences  de  style,  telle    qu'elle  avait  été 

1.  Comte  Paul  de  Fleury,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  française  de  Musicologie^ 
n»  2,  Paris,  1918. 

2.  Les  plans  et  dessins  du  buffet  ont  été  publiés  par  M.  l'abbé  Guillaume  et 
M.  Roman,  dans  les  Comptes  Rendus  cités,  sessions  de  1886  et  1887. 

3.  Histoire  de  Cléry  et  de  l'église  collégiale  et  chapelle  royale  de  Notre-Dame  de 
Cléry,  par  Louis  Jarry,  Orléans,  1899,  p.  aoo-202,  et  393. 

4.  Le  marché  en  est  publié  dans  la  Revue  des  Sociétés  savantes,  5»  série,  VI,  1873, 
p.  3i5. 

5.  Dictionnaire  raisonné  de  l'architecture  française  du  XI<^  au  XVh  siècle,  t.  H, 
p.  252.  Une  belle  étude,  fort  détaillée,  ornée  de  nombreuses  photographies  de  buf- 
fets et  tribunes,  a  été  consacrée  par  notre  confrère  M.  Georges  Servières  à  La  déco- 
ration des  Buffets  d'orgue  aux  X  V"  et  X  VI°  siècles,  dans  la  Galette  des  Beaux-Arts, 
nos  de  décembre  1916  et  de  janvier-mars  1917.  Nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  d'y 
renvoyer.  —  On  trouvera  également  la  photographie  d'une  tribune  d'orgue  du 
XV'  siècle,  à  Lamballe,  dans  la  Vie  et  les  arts  liturgiques,  année  191S,  page  431,  au 
cours  d'un  très  intéressant  travail  de  M.  de  Farcy,  sur  diverses  orgues  anciennes. 
d'Angers,  La  Ferté-Bernard,  Lamballe,  et  d'autres  reproductions  d'orgue,  du  xvi>;. 
Enfin,  la  Petite  Maîtrise,  juin  19 lô,  contient  la  photographie  du  buffet  de  Saint- 
Savin  (Hautes-Pyrénées),  du  même  temps. 


—  5o  — 

fixée  à  la  fin  du  xiv^  siècle  ou  au  début  du  xv^  —  tuyaux  disposés  en 
plates-faces  séparées  par  des  tourelles  (planche  V,  II,  n°  i)  elle  devait 
subir  néanmoins,  au  xvi%  de  notables  modifications  dans  l'aspect  de 
certaines  de  ses  parties. 

Vers  la  fin  du  xv*  siècle  ou  au  début  du  xvi^,  à  part  quelques  buffets 
aussi  bien  du  Nord,  que  du  Midi,  ou  de  l'Est  (Hombleux,  Perpignan, 
Strasbourg)  qui  affectent  la  forme  d'une  façade  en  «  redans  »  (même 
planche,  2),  le  type  classique  d'une  ou  deux  plates-faces,  en  mitre  ou 
en  rampants,  séparées  et  encadrées  de  deux  ou  trois  tourelles,  plates 
aussi,  reste  le  plus  répandu  (id.,  3,  4)  tant  pour  les  «  grands-corps  », 
que  pour  les  positifs  des  grandes  orgues  d'église.  Cependant,  on  com- 
mence bientôt  à  surmonter  les  tourelles  de  couronnements  ajourés,  de 
fleurons,  plus  ou  moins  en  forme  de  couronnes  ou  petits  dômes  ornés. 
L'ancien  grand  orgue  d'Angers,  terniiné  en  iSiy.réunissait  très  curieu- 
sement le  type  à  tourelles  couronnées,  tant  pour  le  positif  que  pour  le 
grand  orgue,  avec  la  superposition  des  rangs  de  tuyaux  en  usage  dans 
les  façades  à  redans. 

Puis,  tantôt  seule  la  tourelle  du  milieu  (Chartres,  i5oi  ;  Metz, 
2^  orgue,  i535),  tantôt  d'autres  (Saint-Bertrand-de-Comminges,  vers 
I  540),  commencent  à  être  établies  en  saillie  triangulaire  (même  planche, 
5)  ou  semihexagonale,  et  l'effet  en  est  des  plus  heureux. 

Jusqu'à  cette  époque,  les  tuyaux  en  façade  sont  en  général  disposés 
sur  une  même  hauteur  de  pied,  les  bouches  étant  sensiblement  de 
même  niveau  ;  l'extrémité  supérieure  des  tuyaux  dessine  l'oblique  en 
escalier  que  leurs  grandeurs  relatives  appellent.  C'est  l'héritage  de 
l'antiquité  et  de  l'orgue  classique  du  moyen  âge  (même  illustration,  6). 

A  partir  du  milieu  du  xvi^  siècle,  où  triomphe  définitivement  l'orne- 
mentation «  Renaissance  »,  une  modification  profonde  changera  cet 
aspect.  Désormais,  au  lieu  que  l'ordonnance  de  laboiserie  soit  disposée 
d'après  les  hauteurs  des  tuyaux,  des  «  clairs-voirs  »  élégamment  dis- 
posés, rachetant  seuls  la  différence,  s'il  y  a  lieu,  entre  l'extrémité  supé- 
rieure des  tuyaux  et  la  corniche,  le  contraire  se  produit:  les  tuyaux, 
dans  l'orgue  Renaissance,  seront  subordonnés  à  la  frise  horizontale 
plus  ou  moins  imitée  de  l'antique  ;  leurs  pieds  seront  plus  ou  moins 
prolongés,  et  les  bouches  dessinent,  en  sens  inverse  de  l'ancien  orgue, 
les  v  ou  les  rampants,  disposition  qui  deviendra  routinière  chez  les 
facteurs  Jusqu'à  nos  jours  (même  planche,  7).  Les  tuyaux  de  façade,  au 
lieu  d'être  le  principe  de  l'ordonnance  du  buffet  et  de  ses  harmonieuses 
proportions,  n'apparaissent  plus  que  comme  une  sorte  de  décoration  du 
monument  qu'est  le  buffet.  L'orgue  reconstruit  à  l'époque  de  Henri  II 
pour  la  Sainte-Chapelle  semble  marquer  définitivement  le  style  nouveau 
du  buffet  d'orgue  * . 

A  mon  avis,  le  type  précédent,  plus  logique,  était   aussi  le  plus  élé- 


i.On    en  trouvera  une    belle    reproduction  dans    l'ouvi^ige    de    Michel  Brenet, 
les  Musiciens  de  la  Sainte-Chapelle, 


Planche  Vil. 


r. 


I.  _  PORTATIFS  ET  POSITIFS,  XlIe-XIVe  SIECLES 
(En  haut,  clavier  primitif  de  régale.  —  Les  soufflets  sont  de  différents  modèles.) 


IL  -   SCHEMAS  DE   1  AÇADES  DE  GRANDS  CORPS  ET  DE   POSrril'S   FIXES. 

XlVe-XVl«  SIÈCLES. 


gant.  Pourquoi  nos  facteurs  et  architectes  modernes  ne  s'en  inspirent- 
ils  pas  plus  ? 

On  pourra  de  même  remarquer,  par  la  planche  ci-jointe  qui  repré- 
sente en  premier  registre,  des  portatifs  et  des  positifs  du  xii*  siècle  au 
XIV*,  combien  leur  disposition  et  le  choix  de  Tornementation,  intéres- 
sants et  curieux,  ont  été  presque  constamment  négligés,  en  notre  siècle, 
par  les  dessinateurs  de  façades  d'orgue,  lorsqu'ils  ont  cru  faire  du 
«  roman  »  ou  du  «  gothique  ».  Si  l'on  a  à  construire  un  orgue  pour 
une  église  de  style  moyen  âge,  c'est  dans  les  documents  reproduits  ou 
résumés  dans  cette  planche  que  l'on  en  trouvera  les  vrais  éléments  ^. 

III 

De  bonne  heure,  les  organistes  et  les  facteurs  se  servirent  de  nota- 
tions conventionnelles  pour  indiquer  les  degrés  de  l'instrument.  Celle 
dont  ils  usaient  du  ix*  au  xi^  siècle  était  alphabétique,  de  A  a.  G,  avec 
reprise  d'octave,  mais,  tandis  que  l'a  de  la  notation  alphabétique  vocale 
commençait  au  son  correspondant  à  notre  la  grave  de  la  voix  d'homme, 
VA  de  l'orgue  représentait  le  tuyau  le  plus  grave  de  Torgue,  corres- 
pondant à  Vut  de  la  même  voix.  Ainsi,  l'étendue  habituelle  du  clavier, 
à'ut'  à  î{t*,  était  à  cette  époque  représentée  par  un  double  «  alphabet  », 
mais  où  rien  n'indiquait  la  différence  des  octaves. 

A      B      C      1)     E     r       G      G  A 

ut  ré  mi  fa  sol  la  si  ^   si  ut,  etc. 

Des  maîtres  y  indiquèrent  aussi,  par  Temploi  de  points  et  de  traits, 
les  différences  de  durée  entre  les  sons  -. 

Malheureusement,  en  dehors  des  passages  des  anciens  traités  d'or- 
ganum  qui  usent  de  ces  notations  ou  s'y  réfèrent,  aucun  exemple  pra- 
tique n'en  a  survécu. 

Au  XH*  siècle,  ces  particularités  avaient  disparu,  et  la  musique 
«  organale  »  s'écrivait  comme  la  musique  vocale,  jusqu'au  jour  où  de 
nouvelles  innovations,  celles  de  Pérotin,  amenèrent,  à  Notre-Dame  de 
Paris  vraisemblablement,  la  création  des  notations  mesurées,  dont  le 
premier  type  fut  justement  appelé  «  organique  »  ^  à  cause  de  son  objet. 
Et  c'est  avec  cette  notation,  encore  à  son  premier  stade,  que  fut  écrit  le 
«  grand  livre  d'orgue  »  de  la  cathédrale  de  Paris,  Magnus  liber  org-ani, 
dont  les  volumineuses  copies  authentiques  se  trouvent  en  diverses 
bibliothèques  de  l'étranger  ^ 


1.  Voir,  pour  la  manière  dont  les  schémas  du  registre  II  ont  été  réalisés  par  les 
décorateurs  du  xv*  siècle  et  du  xvi»,  l'orgue  d'Amiens  précédemment  reproduit,  et 
les  autres  buffets  cités. 

2.  Sane  punctos  ac  virgulas  ad  distinctionem  ponimus  sonoriim  breviiim  ac 
longorum.  (Enchiriadis).  Ce  texte,  où  certains  musicologues  ont  cherché  à  fonder 
une  interprétation  du  chant  grégorien,  vise  uniquement  les  pièces  d'organum.  Voir 
plus  loin  la  suite  de  ce  texte. 

3.  Elle  est  ainsi  nommée  dans  le  traité  d'Amerus,  étudié  par  Aubry  etNiémann. 

4.  Deux  à  Wolfenbuttel,  une  à  Florence,  une  à  Madrid. 


Un  peu  plus  tard,  tandis  que  la  notation  proportionnelle  se  dévelop- 
pait dans  l'écriture  des  pièces  vocales  ou  des  parties  instrumentales, 
une  tabulatuf^e  d'orgue  s'établit,  basée  sur  la  combinaison  de  la  nota- 
tion mesurée  et  de  la  notation  alphabétique.  Dans  Tunique  exemplaire 
qui  soit  parvenu  jusqu'à  nos  jours,  d'un  cahier  où  un  organiste  du 
XIV"  siècle  transcrivait  les  pièces  à  son  usage,  nous  prenons  l'exemple 
suivant,  caractéristique  de  l'aspect  d'une  partition  d'orgue  à  cette 
époque  '  : 


^ 


î 


■^^ 


^ 


im 


'jL-Ljl 


se 


I 


r 

Exemple  de  notation. 


F 


i- 


Ici,  l'iï  correspond  au  /^  ;  le  è  indique  non  pas  le  si  naturel,  comme 
dans  l'ancienne  notation  alphabétique,  mais  le  si  bémol  ;  le  si  naturel 
est  marqué  par  le  signe  du  dièse,  où  l'on  voit  l'origine  de  la  déformation 
ultérieure  qui  transforma  ce  ^  en  h. 

Les  notes  indiquées  par  les  lettres  se  prolongent  tout  le  temps 
qu'elles  ne  sont  pas  remplacées  par  une  autre,  tandis  que  la  partie 
supérieure,  en  figurations  variées,  guide  le  rythme  à  suivre  par  l'exé- 
cutant. 

Le  précieux  manuscrit  de  facteur  du  xv*'  siècle,  que  j'ai  déjà  cité, 
emploie  les  mêmes  lettres,  avec  la  forme  de  Vh  pour  le  5/,  dans  la  dési- 
gnation  des  degrés  de  chaque  jeu  dont  il  parle. 

Le  rôle  de  l'orgue  durant  la  première  période  de  son  usage  dans  les 
églises, —  depuis  la  seconde  moitié  du  ix®  siècle, —  était  en  premier 
lieu  de  faire  entendre  sur  ses  tuyaux  ces  mélodies  à  deux  voix  que  l'on 
savait  déjà  y  exécuter  à  l'époque  gréco-romaine,  puis  de  servir  de  sou- 
tien à  la  voix,  lorsque  les  chanteurs  modulaient  en  diaphonie,  ou  de 
«  tenir  »  léchant  donné,  lorsque  ceux-ci  brodaient  au-dessus  une  voix 
«  organale  ». 

Mais  encore,  l'orgue,  déjà,  concertait  dans  certaines  pièces,  en  alter- 
nant avec  la  monodie  un  verset  sur  deux  des  séquences,  alternance 
que  Ton  commença  de  bonne  heure  à  mettre  en  usage.  Il  est  même 
permis  de  se  demander  si  ce  n'est  pas  là  la  forme  primitive  de  ce 
genre  de  pièces  qui,  souvent,  semble  avoir  pour  origine  une  compo- 
sition instrumentale  et  des  thèmes  d'ordre  profane  2.  Les  chanteurs 
avaient  pris  d'ailleurs  si  rapidement  l'usage  d'alterner  un  verset  sur  deux 
en  organum  vocal,  puis  de  l'accompagner  sur   l'orgue,  que    les    textes 


I.  British  Muséum,  manuscrit  Additional  28.55o.  Je  donne  un  peu  plus  loin  la 
transcription  de  cet  exemple,  p.  56. 

'2.  Je  me  réserve  de  développer  ce  point  dans  une  étude  spéciale  sur  les  sé- 
quences. 


mêmes  de  ces  proses,  innovation  dans  les  pièces  liturgiques,  en  don- 
nent la  mention  fort  nette  :  Syllabatim  neumata  Perstringeudo  orga- 
nical^.  —  Modulemur  organica  cantica  Dulcimelodia'^. —  Hodie  caelestis 
laetatur  turma...  Voce  diilcisonacitui  s/mphonia'^.  —  Organicis  canamus 
moditlis  *,  etc.  De  telles  mentions  visent  donc  bien  l'exécution  en  orga- 
num,  et,  la  première  au  moins,  l'accompagnement  de  l'instrument, 
perstrmgendo.  Citons  encore,  un  peu  plus  tard,  vers  l'an  mille,  l'office 
de  saint  Vincent,  où  la  cinquième  antienne  des  laudes  dit  :  «  Dantur 
ergo  laudes  Deo  altissimo,  et  résonante  organo,  vocis  angelicai  modu- 
lata  suavitas  procul  diffunditur.  »  Or,  comme  on  exécutait  depuis 
longtemps  en  organum  vocal  de  telles  antiennes,  ce  texte  vient  encore 
à  l'appui  du  fait  qu'on  les  soutenait  en  même  temps  du  son  de  l'ins- 
trument, ce  qui  ressort  d'ailleurs  des  prescriptions  diverses  des  traités 
d'organum  qui  nous  sont  parvenus,  et  d'autres  textes  encore  que  je  cite 
au  cours  de  cette  étude. 

Sans  doute,  on  chantait  en  organum  lors  même  qu'on  n'avait  pas 
d'instrument  à  sa  disposition,  mais  les  traités,  en  décrivant  ce  genre 
d'harmonisation,  supposent  formellement  l'instrument  comme  base  du 
genre,  et,  en  particulier,  en  prohibant  l'emploi  de  certaines  notes,  que 
le  clavier  ne  comportait  pas,  ou  qu'il  n'atteignait  pas  ;  ainsi  en  est-il  de 
la  défense  de  ne  pas  faire  descendre  la  partie  «  organale  »  plus  bas  que 
l'w^  actuel  de  la  portée  en  clef  de  fa,  précisément  parce  que  l'orgue  ne 
descendait  pas  plus  bas 5. 

Ces  traités,  malheureusement,  ne  décrivent  en  détail  que  l'organum 
vocal,  qui  n'était  alors  exécuté  que  note  contre  note,  et  en  mouvements 
plutôt  lents ''.  Cependant,  lorsque  l'instrument  jouait  seul,  on  devait 
faire  plus  :  les  petits  oiseaux  de  l'orgue  «  en  forme  d'arbre  »  de  l'em- 
pereur Théophile  ne  pouvaient  pas  gazouiller  en  faisant  de  longues 
tenues  !  On  doit  considérer,  au  contraire,  que  l'usage  antique  de  con- 
trepointer  ou  de  broder,  en  valeurs  brèves  et  diminuées,  le  sujet  tenu 
à  l'autre  partie  en  notes  très  longues,  était  toujours  resté  en  usage. 
C'est  ainsi,  en  effet,  ce  que  les  théoriciens  plus  tardifs  décrivent  sous 
le  nom  d'or-ganum  purum^  en  opposition  avec  l'autre  genre,  et  c'est 
ainsi  que  les  manuscrits  notés  ont  conservé  des  œuvres  faisant  partie 
du  répertoire  des  organistes  du  xi^  siècle.  A  ce  moment,  les  versets  de 
séquence,  entre  autres,  furent  volontiers  écrits  "^dans  ce  genre,  dont  la 


1.  Prose  de  Noël,  i<lato  canent  omnia  (ix''-xo  siècle). 

2.  Prose  de  la  Trinité,  Benedicta  semper,  de  Notker  le  Bègue  (le  Moine  de  Saint 
Gall). 

3.  Adest  nobis  dies  aima  (ixe  et  x«  siècle),  pour  un  martyr. 

4.  ix»  s.,  pour  un  ConfesseUâ-. 

5.  J'ai  relevé  de  telles  mentions  (que  j'ai  citées  dans  le  Musical  Quarterly,  n"  8, 
avril  1917)  en  particulier  dans  le  Musica  enchiriadis  ;  le  Scliolica  enchiri.idis  ;  le 
Micrologue  de  Guy  d'Arezzo,  etc. 

6.  M.  Enchiriadis,  même  texte  que  plus  haut  :  «  hujus  generis  melos  tam  grave 
esse  oportear.  tamque  morosum.  ut  rythmica  ratio  vix  in  ea  servari  queat.  "  Autre 
passage  non  moins  significatif  :  «...concordi  morositate,  quod  suum  esthujusmeli  ». 

7.  Je  dis  «  écrits  »,  car  un  tel  usage  est,  plus  que  probablement,  fort  ancien,  sans 


—  -M  — 

forme,  si  elle  n'exclut  pas  complètement  la  voix,  oblige  à  un  soutien 
instrumental  ;  celui-ci  dut  facilement  se  transformer  en  un  simple  ver- 
set d'orgue,  ce  qui  donne  raison  de  la  mention  faite  par  un  chroni- 
queur pour  l'exécution  des  vocalises  de  séquences  :  «  Jubilus  quem 
quidam  z;ï  07'ganis  ]uhï\a.nt  »  ^  ;  («  inorganis  =  sur  les  orgues  »,  et  non 
pas   «inorgano»,  terme   qui    prêterait  à  l'amphibologie). 

Voici  donc  de  quelle  façon  se  présentait  alors,  pour  alterner  les 
séquences,  un  verset  d'organum  «  pur  »,  expression  où  je  vois  préci- 
sément l'origine  proprement  et  «  purement  »  instrumentale  du  genre, 
au  rythme  d'ailleurs  irrégulier  et  vague,  suivant  le  témoignage  même 
des  contemporains  2. 


Diaphonie  ou  déchant,  en  organum  pur. 


San-  cti  Spi-  ri-  tus  ad- 


Les  innovations  que  citent,  en  matière  d'or^a;zz/m,  divers  historiens, 
au  xi^  siècle  et  au  x\f,  viennent  justement  de  ce  qu'on  se  mit  alors  à 
exécuter  vocalement  ce  qui  auparavant  appartenait  au  genre  pur  de 
l'instrument.  Ainsi  s'expliquent  ces  nouveautés  reprochées  aux  moines 
de  Fécamp,  entre  autres,  ou  constatées  chez  eux  3,  et  qu'il  convient  de 
rapprocher  de  la  curieuse  histoire  du  chantre  Hilduin,  à  Saint-Maur- 
les-Fossés,  au  moment  où  cette  coutume  nouvelle  s'introduisit  *. 

Les  grandes  compositions  en  organum  purum  des  maîtres  déchan- 
teurs de  la  cathédrale  de  Paris,  celles  de  Léonin,  mais  surtout  de  Péro- 
tin  «  le  Grand  »,  organiste  de  Notre-Dame  entre  1180  et  i236,  le  véri- 
table créateur  de  la  musique  polyphonique,  étaient  donc  ainsi  desti- 
nées tout  autant  à  l'orgue  même  qu'aux  voix.  Je  dirai  même  : 
plus  à  l'orgue  qu'aux  voix,  étant  donné  l'extrême  développement 
des  passages  sans  paroles    —    plusieurs   pages  de  suite   —  que  com- 

avoir  laissé  de  témoins  notés,  lorsqu'on  se  bornait,  comme  on  le  fit  pendant  de  longs 
siècles,  à  improviser  la  partie  «  organale  ». 

1.  Ekkehard,    Vita    beati   Notkerii,  dans    Acta  sanctorum,  t.  I  d'avril,  p.  587. 

2.  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  mss.  latins  3719.  f°  46  verso  et  3549,  '°  '^9 
verso,  provenant  de  l'abbaye  de  Saint-Martial  de  Limoges.  Rythme  incertain.  Cf.  les 
textes  de  l'Enchiriadis  cité  précédemment,  et  plus  tard.  l'Anonyme  IV  de  Cousse- 
maker,  c.  VII,  p.  362. 

3.  Déjà  au  xie  siècle,  au  temps  de  l'abbé  Guillaume  de  Dijon,  qui,  remarquons-le, 
institua  dans  son  église  abbatiale  l&  Confrérie  des  jongleurs  :  or,  au  jour  de  leur 
réunion  annuelle,  ils  y  chantaient  la  messe  avec  orgues,  psaltcrwns  et  autres  ins- 
truments. Au  xiie  sièc'e,  Guillaume  de  Malmesbury  parle  encore  de  la  nouvelle 
espèce  de  musique  d'organum  que  les  moines  de  cette  église  avaient  inaugurée,  et 
qui  ne  plaisait  pas  à  tout  le  monde  :  c'était  l'organum  «  pur  »  exécuté  vocale- 
ment. L'abbaye  de  Fécamp  possédait  d'ailleurs  un  grand  orgue  à  la  même  époque: 
voir  la  lettre  souvent  citée  de  Haudry  de  Dol  à  ce  sujet. 

4.  Voir  m:i  Musique  d'église,  1.   cit. 


—  55  — 

portent  ces  œuvres,  et  les  tenues  absolument  invraisemblables  des 
basses,  si  on  suppose  une  exécution  vocale.  Au  contraire,  le  terme 
même  d'organum  «  purum  »,  qui  caractérise  ces  compositions  sans 
paroles  ou  presque,  semble  bien  indiquer,  je  le  répète,  qu  il  s'agit  d'une 
composition  «  purement  »  instrumentale  : 


^— I — •- 


Al- 


l^ 


On  a  vu,  par  les  détails  plus  haut  donnés,  que  la  disposition  des 
orgues  de  ce  temps  permettait  parfaitement  l'exécution  de  pièces  de 
ce  genre,  alors  que  leur  interprétation  vocale  serait  d'une  dittiçuhé 
considérable.  Aussi,  le  style  de  r«organum  purum  »  finit-il  par  dispa- 
raître assez  vite  du  répertoire  des  chanteurs,  pour  constituer  la  base  de 
celui  de  l'instrument  où  il  était  la  suite  naturelle  de  la  primitive  dia- 
phonie ornée. 

Le  style  instrumental  se  créait  donc.  Au  Xiv^  siècle,  apparaissent  des 
«  transcriptions  »  de  pièces  vocales,  brodées  en  «  figurations  »  variées 
par  les  virtuoses  du  clavier,  suivant  des  principes  qui  se  transmettront 
fort  longtemps  par  l'enseignement  oral  de  ces  maîtres,  qui  tenaient 
école.  Ainsi,  en  i353,  voit-on  des  enfants  de  chœur  de  la  maîtrise  de 
Chartres,  ayant  mué,  envoyés  aux  écoles  cVorgiie  de  Paris,  pour  y 
apprendre  le  maniement  de  l'instrument.  En  d'autres  maîtrises,  et  a 
Notre-Dame  de  Paris  même,  il  y  avait  d'ailleurs  des  orgues  pour  l'en- 
seignement des  élèves*  ;  et  l'on  peut  justement  se  demander  si  ce  n'est 
pas  à  cet  enseignement  que  l'on  envoie  les  jeunes  maitrisiens  de 
Chartres  parfaire  leur  éducation. 

Qu'enseignait-on  dans  ces  classes  ?  A   coup  sur  plus  que  l'exécution, 
mais  ces  pratiques  dont  je  parle  plus  haut.   Voici   justement  un    spéci- 

I.  Archives  nationales,  documents  cites   par  labbé    Chartier,  dans  V Ancien  cha- 
pitre de  Notre-Dame  de  Paris,  p.  58,  etc. 


—  56  — 


men  d'un  motet  parisien  du  commencement  du  xiv*  siècle,  œuvre  peut- 
être  de  Philippe  de  Vitry  *,  et  sa  variation  pour  orgue  dont  j'ai  donné 
la  tablature  originale  : 


3     3 


Tribumquem        non  ab- 
Tenor. 


horru-it  in- 


ter  ascende- 


=t=f: 


■ft--^- 


tl 


Quo-ni-   am       se-       cta    la- 


\m 


(Variation  un  ton  plus  haut) 
3  3  6 


Ï^^E^iEË^^f^E^^E^^^^ 


-P^ 


jt-^JÉTZi 


^5e^^^^-e^^^ê£^ 


^^ 


^^JE^^J^gËgJJE^^Ê 


-éc 1-^ ■ 


— I — |-^ ]— ■^— f""! 1-^^ — [-"^ 1-^ — (        I — 


Guillaume  de  Machaui,  dont  le  nom  a  déjà  paru  au  cours  de  cette 
étude,  le  grand  poète  et  à  la  fois  le  grand  musicien  français  de  cette 
époque,  se  rendait  bien  compte  de  l'importance  de  l'orgue,  qu'il  appela 
le  roi  des  instruments,  ^  et  c'est  lui,  sans  doute,  qui  a  le  premier  lancé 
cette  expression  si  souvent  répétée  depuis.  Chanoine  de  Reims,  dont 
la  cathédrale  eut  de  tout  temps,  et  avait  déjà  d'importantes  orgues,  il 
a  pu  en  juger.  Parmi  ses  nombreuses  compositions,  on  rencontre  une 
pièce  instrumentale  écrite  en  «  double  hocquet  »,  où,  tout  en  sui- 
vant la  disposition  des  triples  inventée  par  Pérotin,  il  fait  ressortir 
délicieusement  les  motifs  qu'il  superpose  au-dessus  de  la  teneure 
David  3,  écrite  en  valeurs  longues,  et  dont  voici  le  début  : 


1.  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français  \^6,  f»  xlii,  additions  au  Roman  de 
Fauvel  (Une  reproduction  photographique  de  cet  exemplaire  a  été  donnée  par 
l'ierre  Aubry). 

2.  Dans  la  Prise  d' Alexandrie,  en  tête  d'une  liste  d'instruments  de  musique. 

3.  Suite  et  fin  du  verset  alléiuiatique  Nativitas  {  =  Solewuilas)  gloriosa'  Virginis, 
que  Pérotin  avait  traité  ainsi,  et  qui  fut  l'origine  des  divers  motets  fameux  au 
xiii«  siècle, écrits  en  trope  du  passage  Ex  semine  Abrahœ.  L'organiste  de  Paris  n'avait 
pas  traité  le  dernier  mot  du  verset,  Davj^,  qui  devait  être  dit  à  l'unisson  par  le  chœur. 
C'est  le  motif  de  ce  mot  que  reprend  le  maître  de  Reims,  en  le  traitant  dans  la  même 
forme. 


-57- 


David. 


^^i 


^ 


1 L=^: 


E?= 


r  I 


On  s'est  demandé  jusqu'à  quel  point  les  organistes  de  ces  époques 
reculées  pratiquaient  la  virtuosité  :  les  exemples  précédents,  même  en 
en  supposant  une  exécution  lente,  parlent  pour  eux-mêmes.  D'ailleurs, 
un  érudit  d'autrefois,  qui  put  encore  voir  de  son  temps  un  ancien 
orgue,  devenu  vieux  et  au  toucher  dur,  remontant  au  xiii^  siècle,  assure 
que  l'on  pouvait  fort  bien  y  Jouer  encore  un  trio  d'une  manière  conve- 
nable *.  En  dehors  de  passages  tels  que  la  variation  plus  haut  donnée, 
où  le  dessin  du  gr^upetto  ou  double-cadence  et  du  trille  même  sont 
nettement  indiqués,  de  nombreux  exemples  du  xiv^  siècle  et  du  xv' 
montrent  que  l'on  aimait  orner  la  note  finale  de  quelques  broderies 
telles  que  : 


Les  peintures  du  temps,  fruit  d'une  minutieuse  observation,  sont 
également  très  caractéristiques,  pour  la  position  et  la  tenue  des  mains  et 
des  doigts  des  organistes.  Parfois,  les  peintres  représentent  l'instru- 
mentiste arc-boutant  les  pouces  contre  la  barre  antérieure  du  clavier, 
et  jouant  gauchement  avec  quatre  doigts  :  c'est  un  procédé  qui  a  duré 
longtemps,  et  qui  est  familier  aux  enfants  qui  débutent.  Plus  souvent, 
la  main  est  représentée  dans  la  position  même  qui  est  encore  considérée 
comme  la  meilleure,  les  doigts  arqués,  le  pouce  au-dessus  des  touches 
comme  les  autres  doigts.  Cette  tenue  permettait  donc  la  virtuosité,  et 


I.  L'orgue  de  Magdebourg.  cité  par  Praetorius,  dans  son  Syntagma  tnusices. 
1.  IV,  en  iT.ig,  et  qui  donne  le  croquis  du  clavier,  ouïes  touches  sont  encore 
espacées. 


—  58  — 


indique  que  la  dureté  des  claviers  ne  dépassait  pas  celle  que  nous  cons- 
tatons toujours  en  beaucoup  d'instruments  construits  au  milieu  du 
dernier  siècle. 


Il  serait  intéressant  de  connaître  avec  précision  les  circonstances  où, 
vers  la  fin  du  moyen  âge,  Ton  se  servait  ainsi  de  l'orgue  dans  les 
églises,  en  dehors  de  son  rôle  dans  l'accompagnement  des  motets,  des 
autres  pièces   de   musique  vocale    harmonique,    ou  du  jeu  des  proses. 

Jusqu'ici,  on  n'a  pas  trouvé  de  renseignements  complets  à  ce  sujet. 
Nous  savons  cependant  que  si,  en  1299,  on  donne  à  l'organiste  de  la 
Sainte-Chapelle,  —  moderatojn  organorum  —  une  gratification  de 
«  20  sous  »  dans  une  circonstance  qui  n'est  pas  déterminée,  il  est,  peu 
après,  accordé  pour  l'année  une  somme  de  quatre  livres  à  l'organiste 
qui  se  faisait  entendre  aux  grandes  fêtes.  En  i3i5,  cet  organiste  était 
Pierre  de  Reims  ^ 

Cependant,  la  place  de  l'orgue  grandissait  peu  à  peu,  puisque  diverses 
décisions  capitulaires  font  mention  de  petits  livres  où  était  inscrit  avec 
précision  ce  que  l'organiste  doit  jouer  tout  au  long  de  l'année  2. 
Mais  nous  savons  que  dès  la  seconde  moitié  du  xiv^  siècle,  l'instrument 
jouait  seul  certains  versets  et  accompagnait  le  chant  de  diverses 
hymnes,  à  partir  d'un  degré  de  solennité  correspondant  à  nos  doubles- 
majeurs  actuels.  Un  curieux  récit  de  l'élection  d'un  évêque  de  Paris,  en 
même  temps  qu'il  nous  renseigne  sur  la  présence  de  l'orgue  au  chœur 
de  Notre-Dame,  est  très  caractéristique  : 

J'étais  au  maître  autel  avec  les  ministres,  [c'est  le  célébrant  lui-même,  Guillaume 
Tuisselet,  chanoine  «  vicaire  »  de  Saint- Victor,  qui  fait  ce  récit].  Je  venais  d'enton- 
ner le  Gloria  in  excelsis,  que  le  chœur  avait  continué  avec  orgues,  à  cause  de  la 
solennité  de  saint  Nicolas.  Tout  à  coup  le  peuple  se  précipita  en  criant  au  milieu 
de  la  basilique,  et  ses  acclamations  couvrirent  la  voix  des  chantres  et  celle  de  l'orgue. 
Voyant  des  gens  courir  tout  effarés  vers  le  grand  autel,  je  me  retournai  vers  le 
chœur  avec  les  ministres,  et  j'aperçus  tout  au  fond,  les  chanoines  qui  entraînaient 
l'élu  de  notre  côté.  Ils  le  firent  monter  au  côté  gauche  de  l'autel,  moi  me  tenant 
debout  au  côté  droit  ;  et  ils  entonnèrent  le  Te  Deum,  qui  d'ailleurs  fut  chanté 
pitoyablement  à  cause  de  leur  joie  très  grande.  Heureusement  que  les  orgues  soute- 
naient et  renforçaient  la  voix  des  chanteurs...  Après  quoi  nous  achevâmes  sans 
autre  incident  la  célébration  de  la  messe  ^. 

On  peut  rapprocher  de  ce  texte  cette  mention  d'une  fondation  faite 
à  la  fin  du  xv°  siècle  par  un  chanoine  de  Paris,  qui  prévoit  l'exécution 

1.  Voir  Brenet,  Musiciens  de  la  Sainte-Chapelle  ;  le  nom  ou  surnom  «  de 
Reims  »,  est  celui  de  toute  une  famille  de  trouvères  et  de  musiciens  dont  les 
membres  se  rencontrent  à  diverses  reprises  au  xiiie  siècle  et  au  début  du 
xiv«  siècle;  en  plus  de  cet  organiste,  un  Renaud  de  Reims  (141 5)  fut  nommé  orga- 
niste de  Notre-Dame  de  Paris,  le  28  octobre  1406. 

2.  Par  exemple,  Rouen,  en  i386  ;  Troyes,  même  année;  N.-D.  de  Paris,  1416;  etc. 

3.  D'après  le  manuscrit  latin  14.687  de  la  lîibliothèque  nationale,  fo  224  v".  —  Je 
me  sers  de  la  traduction  donnée  par  M.  l'abbé  Fourier  Bonnard  dan^  sa  belle 
Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Victor  de  Paris,  t.  I,  p.  417.  Il  s'agit  de  l'élection  de 
Guillaume  Chartier  en  1447. 


—    DO    — 

de  la  prose  Inriolata  avec  orgue.  Pour  la  «  station  »  où  l'on  chantait 
cette  prose  et  la  messe  solennelle  qui  faisait  l'objet  de  cette  fondation, 
Torganiste  devait  toucher  cinq  livres  tournois,  et  le  souffleur  dix-huit 
sous  '.  Les  prix  s'étaient  donc  alors  fort  élevés  depuis  le  commen- 
cement du  xiv^  siècle.  L'alternance  du  chant  et  de  l'orgue  dans  la  même 
prose  Inviolata  est  nommément  mentionnée  dans  une  fondation  ana- 
logue  d'un    chanoine   de  Chartres  -,  à  la  même  époque. 


1.  Brenet,  op.  cit.,  p.  43. 

2.  Clerval,  La  maîtrise  de  N.-D.  de  Chartres,  s.  cit.,  p.  140. 


<:^     «fo     ■==§0 


APPENDICE 


I 

Notes  sur  quelques  anciennes  orgues,  extraites   du  Ms,  latin  729?  de  la 
Bibliothèque  Nationale  de  Paris  (voir  plus  haut,  p.  39) 


F"   i3i    bis,  recto.  (J'ajoute  la    ponctuation,  en  réalisant  les  abrévia- 
tions). 

^  Notandum  quod  organum  '  sancti  Gyri  habet,  ultra  fistulas  consuetas,  12.  fistu- 
las  tenoris  :  que  fistule  concordant  cum  tenore  fistularum  consuetarum,  et  sunt 
fistule  grossiores  in  longitudine  fera  sexqualiter  ad  fistulas  grossières  numerorum  (?j  ; 
et  habent  cista  -  dicti  operis  latitudinem  pedis  cum  dimidio  et  trium  digitorum,  et 
latitudo  clavium  tantum,  addito  uno  bono  digito.  Et  fistule  10  note  grossiores  ullas 
fornituras  habent  ;  sed  alie  fistule  très  fornituras  habent,  seclusis  duplicibus  prin- 
cipalibus.  Toium  residuum  lo  ^  fornituras  habent.  |  Et  habent  ista  organa  très 
folles,  qui  cum  magnis  baculis  levantur.  Et  major  quantitas  forniturarum  erat 
octave.  I  Spissitudo  sommerii  una  palma. 

]  Item  organum  majus  cordigitorum  i?i  ^  habet,  ultra  organa  simplicia,  10  fistulas 
grossiores  pro  subdupla  tenoris  organorum,  et  hec  10  quia  i"'»  organa  tripliciter 
possunt  sonare  :  vno  modo,  simplicia  organa  ;  alio  modo,  duplicia,  ita  quod  quelibet 
clavis  ingrossat  per  suam  subduplam  ;  3°,  quod  solum  10  grosse  fistule  servant  pro 
tenore,  et  simplicia  organa  pro  discantu,  et  tune,  manu  sinistra  oportet  tangere  te- 
norem  in  10  clavibus  bassioribus  solum.  |  Item  possunt  etiam  aliter  sonare  organa  : 
I  tangendo  claves  istas.  10.  eminentes  ab  extra  cum  clavibus  tenoris  organorum 
siraplicium  ;  sine  hoc  quod  residuum  fuerit  subduplicatum.  |  Et  habent  duplicia 
principalia  et  très  fornituras  pro  prima  semioctava  :  scilicet  Sam,  San»  et  8^»n>  5e  ut 
inde(?)  videbatur.  |  2»  semioctava  quatuor  fornituras  |  tercia  semioctava  5e  forni- 
turas. I  Totum  residuum.  G.  fornituras.  Et  habent  duas  folles.  |  Et  motus  abbrevia- 

turi  est  bene  subtilis,  et  dupliciter  fit.    Prima   abbreviatio  ^  est  infra  [ J*' 

cistam,  taiiter  quod  uliima  clavis  querit  ultimam  fistulam  principalem  ;  et  si  cum 
hoc,  queratur  ejus  subdupla,  reducuntur  caville  que  sunt  adnexe  clavibus  inferio- 
ribus  occultis,  ita  quod  perpenditur  subter  clavibus  superioribus  ;  et  tune,  per 
compressionem  clavium  superiorum  et  principalium  comprimuntur  claves  inferiores. 
Et  ille  inferiores  habent  filum  ferreum  adnexum  transiens  per  claves  principales 
usque  ad  concavum  ciste,  et  ibi  est  similem  abbreviatum  reducens  usque  ad  subdu- 
plas.  I  Et  ista  abbreviata  in  grosso  depingetur  postea.  Et  habet  major  fistula  in 
longitudine  ab  occasione  'ad]  sursum  .6.  pedes  mamiales  cum  4  digitis. 

]  Organum  autem  misse  Domini  habet  duplicia  principalia  in  duo  divisa  ;  et  quod- 
libet  principale  duas  5a»  et  una[m]  octava[mJ  habet.  Et  sunt  ibi.  5.  registra,  ut  tu  scis. 

En  divers  folios,  relevés  concernant  le  vieil  orgue  de  Notre-Dame 
de  Dijon. 

1.  Le  rédacteur  avait  d'abord  écrit  :  quod  hoc  organum. 

2.  Cista  :  caisse,  boîte,  buffet. 

3.  Il  avait  d'abord  écrit  :  6. 

4.  Peut-être  :  «  des  Cordeliers  »  ? 

5.  Abrégé,  accouplement. 

6.  Abréviation  douteuse  et  peu  lisible. 


—   62    - 

F°*  123  verso  et  124,  relevé  minutieux  des  fournitures,  touche  par 
touche,  du  vieux  positif,  accompagné  de  la  note  ci-jointe  : 

Huic  tergali  positive  communis  omnium  canonicorum  tenet  assertio,  simile 
dulcedine  sub  sole  irreperabile  ;  et  eatenus  diligentissime  et  ad  unguem  istic 
annotavi,  nec  inest  quin  istic  annotatum  reperies. 

El  nota  quod  anteriores  principales  sunt  stannei,  omnes  vero  auxiliares  et  poste- 
riores  coprincipales  sunt  plumbei  :  et  sunt  calami  valde  ponderosi,  quasi  in  triplo 
spissioreres  [sic]  calamis  stanneis  lam  parvi  quam  magni.  Et  nulla  est  in  forami- 
nibus  pedum  dyapason  '.  Divisio  qua  foratur  c  ^  [ut  aigu]  est  ita  magnum  uti 
superius  /  [fa].  Et  unius  est  latitudo,  alius  stricti  ;  alius  altitudo,  alius  bassi  ;  nulla  est 
penitus  mensura.  Et  tamen  approbatissimus  est  ab  omnibus  qui  audierunt  ;  dicetur 
quod  [totum  (?)]  de  artificialiter  composite. 

Après  le  relevé  des  tuyaux  : 
Veraciter  et  sine  defectu  et  sunt  195  calami. 

F"  127  et  127  verso,  relevé  du  poids  des  anches  et  des  dimensions 
principales  des  tuyaux  du  jeu  de  chalumeau,  assez  curieusement 
dénommés  calami  deicustodientes.  Le  détail  en  figure  au  f°    184  verso. 

F°  i32  Verso:  «  Fournitures  des  vielles  orgues  de  Nre-Dame  de 
Dijon  ».  A  la  fin,  «  Somme  toute  :  768  »  [tuyaux].  Puis,  renvoi  à  un 
autre  folio  pour  les  soufflets. 

F"  184  verso  :  «  Isti  sequentes  calami  sunt  plumbi  antiqui  et  pulve- 
rosi,  operis  Virginis  gloriose  in  Divione  ».  Détails  très  minutieux  sur 
les  proportions  des  tuyaux. 

F°  i35,  description  des  soufflets,  curieusement  mélangée  de  français 
et  de  latin  : 

La  longeur  des  soufflés  de  Nrë  Dame  de  Dijon  :  inter  A  et  w,  quinquies  habite, 
et  inter  a  txb  '^. 

La  largeur  entre  A  et  y  bis  sumpta,  et  inter  a  et  c  addito. 

Nota  :  que  le  cuyr  qui  circuit  le  sofflet  au  bout  devant  sur  le  museau  retient  une 
X  petite  pièce,  que  reflectitur  super  promucidem,  autant  que  a  et  d,  et  autant 
d'aultres  part. 

La  haulteur  du  museau  devant,  comprend  la  planche  de  dessoubz  qu'est 
d'épesseur  d'entre  a  et  e,  et  la  dessus  pareillement  est  comme  d'entre  a  et  /.  Et 
chascun  soufflet  a  iij  costés  distants  devant  également,  et  la  levée  du  darrier  est 
entre  /\  et  w. 

Item  la  largeur  du  cuyr  de  dessus  le  museau  est  d'entre  A  et  g. 

Et  nota  :  que  dessous  les  geus  il  y  a  autant  de  basaihne  crue,  et  dessous  ce  y  a 
basainne  de  toute  la  largeur  du  soufflet,  reflectant  en  bas  d'une  partie  et  d'aultre  en 
chascune  d'ung  poulx  ;  dessus  laquelle  basainne  se  réflecte  ladfite]  pièce  procédant 
du  cuyr  que  dit  est,  (respice  supra  sub  signo  x)  ;  et  lad  [ite]  basainne  entre 
lesd.[ites]  deux  pièces  est  chargée  de  semblable  cuyr  qui  circuit  led.[it]  soufflet, 
[note  en  renvoi  :  ]  laquelle  pièce  ou  remplissement  est  de  trois  pièces  sans  cousture]. 
Et  dessus  le  tout  une  aultre  pièce  de  cuyr  semblable,  tout  au  large  dud.[it] 
soufflet  et  passant  en  bas,  d'autant  que  la  planche  dessous  est  espesse.  |  Soubz  le 
bout  duquelle  sunt  deux  aultres  boutz  qui  descendent  jusques  en  bas,  et  fort  clous 

I-  Diapason  signifie,  dans  le  langage  des  facteurs  du  xvo  siècle,  la  proportion 
régulière  entre  les  tuyaux,  établie  d'après  les  diapasons  dont  les  traités  donnent 
les  schémas  pour  la  taille   et  la  longueur  de  chaque  tuyau. 

?.  Ces  signes  et  ces  lettres  se  réfèrent  à  des  échelles  portées  sur  le  manuscrit,  et 
dont  on  peut  déduire  les  dimensions  que  j'ai  données  page  45. 


-  63  — 

avec  guyndes  ;  et  les  clos  près  l'ung  de  l'aultre  aut.[ant]  que  entre  a  et  ^i  ;  et  entre 
deux  en  y  a  ung  petit. 

F°  i3o  bis,  formule  d'alliage  (voir  ci-dessus,  §  II,  p.  36)  ^. 

Ad  faciandum  [solidam  tubam]  optimissimam.  ,    .      .     .       , 

rPrimo  stanni]  boni  et  puri  libre  ij..  [plumbi]  puri  libra  j.  Et  hquefacies  insimul 
Quou^que  desuper  color  celestis  vel  lasurius  iUa  bene  depingatur  vel  excumatur. 
Postea  infandesS  [...  r]  [mercurii]  et  misceas  bene,  per  spacium  umus  miserere, 
cum  bacillo  vel  ferro.  Et  si  vis  appone  3  B  (?)  stanni  vel  aliquantulum  mirus  (r)  et 
de  glaciali.   Interea  [cave  a  fumo  mercurii]  quia  venenosus  est. 

Le  manu«=crit  original,  qui  est  un  traité  de  mécanique,  d'astronomie 
et  de  facture  d'instruments  \  est  dû  à  Henri  Arnault,  médecin-astro- 
logue des  ducs  de  Bourgogne,  et  dont  une  partie  des  observations 
faites  ici  sont  datées  de  1425  à  i43o.  D'après  deux  notes  émanant  de 
possesseurs  de  ce  manuscrit,  entre  autres  de  Jean  Le  Franc,  secrétaire 
du  cardinal  de  Guise,  Henri  Arnault  était  né  à  «  Zuvolis  in  Germania  », 
et  mourut  en  1460  ou  1465  (cf.  f°  1  et  xx,)  ;  il  fut  enterré  à  Saint- 
Étienne  de  Dijon,  dans  la  nef  du  milieu,  devant  la  chapelle  des  fonts 

baptismaux.  .    .  ,   . 

Les  diverses  notes  additionnelles,  telles  celles  que  ]  ai  reproduites,  ne 
sont  pas  toutes  de  sa  main,  et  il  semble  que  les  premières  lui  aient  ete 
envoyées  par  un  correspondant,  dont  la  missive  a  été  intercalée  entre 
deux  pages  du  livre. 

»  ♦ 

Au  nombre  des  facteurs  belges  cités  pp.  45  et  47.  il  f«"t  3)°"^^^  P^^'' '^  "" '^^ 
XIV.  siècle,  Jean  Kyre,  «  maistre  d'orgues  »  de  Bruges,  qui  coristruisit  un  orgue 
nour  Arra;  à  la  demande  du  duc  Charles  le  Bon  ;  l'orgue,  fait  de  toutes  pièces  a 
Bruges  fut'  transporté  «  par  forche  de  gens,  tant  par  l'eauwe  comme  par  terre  de 
Bruges  à  Arras  .  Ccecilia,  revue  musicale  pour  les  Pays-Bas,  18  ^6,  p.  114  ;  citée  par 
Ritter,  op.  cit.,  p.  56. 

1  Je  mets  entre  crochets  les  mots  écrits  en  cryptographie    dans  l'original. 

2  Cette  partie  au  moins  du  manuscrit  mériterait  les  honneurs  d'une  reproduction 
intégrale  y  compris,  bien  entendu,  les  figures  et  schémas  qu'il  contient,  des  plus 
précieux  pour  la  construction  des  orgues  et  d'autres  instruments. 

J'en  ai  présenté  la  description,  et  les  photographies  dues  à  mon  ami  F.  t-corche- 
viUe  (mort  au  champ  d'honneur  en  191  5),  dans  une  séance  de  la  Société  Française 
de  Musicologie  ;  voir  Bulletin  de  cette  Société,  no  4,  p.  195*197  (Pans,  1919)- 


III 


L'ORGUE  EN  FRANCE  ET  SON  STYLE 

De  la  fin  du  XV^  siècle  jusqu'à  1635 


L'Orgue    en    France 
et  son  style 

de  la  fin  du  XV'  siècle  jusquà  1635 


L'orgue,  avec  ses  fonds  de  8,  de  4,  de  16  et  même  de  32  pieds  ;  ses 
mutations  :  quinte,  octavîn  ou  doublette,  fournitures  et  cymbales, 
était  donc  constitué  au  dernier  quart  du  xV  siècle.  Un  chalumeau  puis- 
sant y  constituait  le  seul  jeu  d*anche,  ou  une  simple  régale  dans  les 
orgue^  moins  importantes. 

Comme  beaucoup  d'instruments  ne  descendaient  encore  qu'au  sol  ou 
au  fa,  la  dimension  respective  des  jeux  était,  le  plus  fréquemment, 
6  pieds  pour  le  diapason  ordinaire,  et,  à  l'aigu,  3  pieds  par  conséquent, 
ou,  au  grave,  12  et  24  pieds.  La  dernière  octave  était  donc  incomplète  : 
on  n'y  comptait  guère,  comme  «  feinte  )),que  le  si  bémol,  mais  souvent 
un  tuyau  supplémentaire  donnait  Vut  grave  ^ 

S'il  est  vrai  que  la  presque  totalité  des  orgues  françaises  n'avait 
encore  qu'un  seul  clavier,  cependant  bon  nombre  d'entre  elles  étaient 
accompagnées,  depuis  le  xiii'^  siècle,  d'un  positif  séparé,  et,  depuis  peu 
de  temps,  on  savait  construire  deux  et  même  trois  claviers  manuels  su- 
perposés, et  un  clavier  de  pédale  parlant  en  «  tirasse  »  avec  le  grand 
clavier.  Les  accouplements,  quoique  d'un  maniement  difficile,  puisqu'il 
fallait  prendre  les  poignées  d'un  clavier  pour  l'accrocher  à  l'autre,  pou- 
vaient se  faire  du  grand  orgue  au  positif. 

Pour  le  troisième  clavier  et  les  autres,  quand  tout  à  fait  exception- 
nellement on  en  ajouta,  nous  avons  vu  qu'il  s'agissait  soit  d'un  second 
positif,  soit  d'un  jeu  d'anche  séparé.  (Voir  chapitre  précédent.) 

I.  Si  la  facture  française  (comme  aussi  celtes  des  Pays-Bas,  de  l'Espagne  et  de 
l'Allemagne)  connut  de  bonne  heure  d'intéressants  développements,  les  factures 
italienne  et  anglaise  restèrent  longtemps  fidèles  à  l'orgue  ainsi  constitué.  Tels  les 
instruments  de  cinq  registres  décrits  dans  les  inventaires  italiens  du  moyen  âge 
(L.  Nerici,  Storia  délia  Miisica  in  Liicca,  p.  i25  et  s.,  141  à  143),  tel  à  peu  près  cet 
orgue  des  environs  de  l'an  i5oo  conservé  à  Saint-Pierre  de  Rome,  tels  on  construi- 
sit encore  ces  instruments  jusqu'au  xix«  siècle  :  la  plupart  du  temps  un  seul  clavier, 
pas  de  pédalier  ;  très  rarement  un  jeu  de  détail  :  flûte  «  solo  »  (de  4  pieds),  cornet 


—  68  - 

Les  facteurs  vont  s'ingénier,  dès  lors,  à  multiplier  les  timbres  et  les 
différences  de  qualité  dans  les  jeux.  Au  début  du  xvi*  siècle,  apparaît  le 
cornet^  —  ainsi,  à  Saint-Pierre  de  Rome,  —  ce  qui  implique  l'établis- 
sement d'une  «  tierce  »  pour  donner  la  sonorité  de  ce  jeu  ^  En  1547, 
on  dut  déjà  procéder  au  relevage  des  cornets  de  l'orgue  de  Sainte- 
Madeleine  de  Troyes,  ce  qui  implique  qu'ils  existaient  depuis  un  cer- 
tain temps. 

Dès  i5i5,  on  signale  un  jeu  de  Jlageolet  dans  l'orgue  que  Pierre  de 
Estrada  dut  faire  pour  l'église  Saint-Vivien  de  Rouen-.  Bientôt  les  jeux 
d'anche  nouvellement  découverts  apparaissent:  Érasme  parle  des  orgues 
qui  se  font  entendre  dans  les  églises  de  Paris,  avec  sacqueboiite,  trom- 
pette^ cornet,  fifre  3,  ce  dernier  étant  l'équivalent  du  flageolet  de  Rouen. 

On  avait  fini  par  observer,  en  effet,  —  nous  ne  connaissons  pas  l'au- 
teur de  cette  découverte,  et  il  est  singulier  que  dix-sept  cents  ans 
eussent  été  nécessaires  à  cela,  —  on  avait  observé  que  les  anches  pou- 
vaient fort  bien  parler  au  ton  déterminé  sans  avoir  besoin  d'un  tuyau 
sonore,  pourvu  qu'elles  fussent  proportionnées  au  son  adonner.  C'était 
le  renversement  d«  ce  qui  constituait  la  fondation  de  l'orgue  antique, 
comme  de  l'instrument  d'orchestre  d'où  il  émanait.  Ici,  l'anche  donne 
surtout  la  qualité  du  timbre,  le  principal  volume  du  son  étant  obtenu 
parle  tuyau.  Avec  la  nouvelle  découverte,  —  qu'on  ne  pouvait  d'ailleurs 
observer  qu'au  moyen  d'une  pression  de  vent  comprimé  plus  forte,  — 
l'anche  '^  est  à  la  fois  la  productrice  du  timbre  et  de  la  hauteur  du  son, 
le  tuyau  n'étant  que  l'amplificateur. 

C'est  là  ce  qui  détermina  l'invention  des  jeux  de  trompette,  de  sac- 
queboute  qui  en  est  la  basse,  de  clairon  qui  en  est  l'octave,  jeux  où  le 
tuyau  n'est  qu'un  porte-voix  ^. 

ou  voix  humaine.  J'ai  cité  déjà  le  curieux  positif  mobile  de  Sainte-Prisque  (voir 
chapitre  précédent,  p.  43). 

Le  «  grand-orgue  »  de  Saint-Pierre  ici  mentionné  compte  simplement  deux  «  princi- 
pali»,  de  8  et  de  16  pieds,  une  «  ottava  »  (prestant),  avec  leurs  fournitures  sonnant 
en  plein-jeu,  et  deux  cornets  :  il  fut  construit  sous  Alexandre  VI  (1492-1503). 
[W.AXb.  C2.men\,  Appendice  k  Girolamo  Frescobaldi  in  i?oma,  Turin,  190»,  extrait 
de  la  Rivista  Musicale  Italiana.)  A  Saint-Jean-de-Latran,  un  orgue  du  xvi^  siècle  a 
un  principal  de  24  pieds. 

En  Angleterre,  les  16  pieds  n'apparaissent  presque  jamais  avant  le  xvni»  siècle  : 
encore  les  mentions  qu'on  en  fait  se  réduisent-elles  aux  douze  tuyaux  les  plus  graves, 
comme  en  plein  moyen  âge  (p.  ex.  :  cathédrale  d'Exeter,  en  i6ô5).  Le  troisième 
clavier  n'est  en  usage  guère  qu'à  la  même  époque,  et  encore  fort  rarement  ;  presque 
jamais  de  jeux  de  détail.  Enfin,  le  pédalier,  et  encore  par  simple  tirasse,  n'y  est 
employé  pour  la  première  fois  qu'en  1790.  (Voir  l'article  Organ  dans  le  Dictionnaire 
de  Grove.) 

1.  On  sait  que  le  cornet  est  un  jeu  de  mutation  composé  au  moyen  d'un  16  pieds, 
d'un  8  pieds,  d'un  4  pieds,  d'un  2  p.  2/3,  d'i  pied  et  d'une  tierce. 

2.  Pirro  :  Notice  sur  Le  Bègue,  dans  les  Archives  des  Maîtres  de  l'Orgue,  en  tête 
du  volume  des  œuvres  de  Le  Bègue,  p.  x,  note. 

3.  Dans  une  lettre  de  janvier  ibii. 

4.  J'entends  l'anche  toute  montée,  ce  qui  est  le  vrai  sens  du  mot,  c'est-à-dire  la 
portion  de  demi-tuyau  sur  laquelle  vibre  la  languette,  et  non  pas  cette  languette 
seule. 

5.  La  trompette  et  \e  posaune  {■=  trombone)  sont  cités  dans  la  facture  allemande 
dès  i5i  I,  par  Arnolt  Schlick  dans  son  Spiegel  des  Orgelmacher. 


-  69  - 

Au  fur  et  à  mesure  que  se  développaient  les  jeux  des  grandes  orgues, 
les  régales  disparaissaient  peu  à  peu  des  inr.truments  d'église,  où  on  ne 
les  rencontre  plus  que  rarement.  Il  est  assez  remarquable  qu'en  i6?2, 
Titelouze,  dans  le  devis  qu'il  établit  pour  le  grand  orgue  de  Saint- 
Godard  de  Rouen,  préconise  ce  jeu  au  lieu  de  la  voix  humaine  ^  :  serait- 
ce  que  déjà  en  ce  temps-là  les  facteurs  réussissaient  rarement  ce  dernier 
jeu  ? 

La  vieille  régale  restait  néanmoins  la  base  cju  petit  orgue  domes- 
tique encore  très  en  faveur  au  xvi^  siècle,  mais  l'amélioration  précé- 
dente s'y  remarquait.  En  effet,  depuis  les  premières  années  du  siècle, 
on  la  construisait  sans  tuyaux,  ce  qui  constitua  tout  d'abord  une  éton- 
nante nouveauté  -.  L'absence  de  tuyaux  qui  laissait  ainsi  les  anches  sur 
le  même  plan,  comme  dans  nos  modernes  harmoniums,  fit  donner  à 
ces  instruments  pour  l'usage  privé  le  nom  d'orgue  «  en  table  »  qu'ils 
conservèrent  longtemps  ^. 

Des  contrats  et  devis,  récemment  mis  en  lumière,  soulignent  la 
faveur  donnée  aux  jeux  nouveaux. 

Parmi  ces  derniers  documents,  le  marché  qu'au  milieu  du  siècle  la 
fabrique  de  Saint-Etienne  de  Troyes  passa  avec  un  facteur  (parisien, 
croyons-nous)  est  très  caractéristique  de  la  recherche  et  du  choix  des 
jeux  nouveaux,  que  les  cinquante  années  précédentes  avaient  imaginés. 
En  i55o,  on  décide  de  changer  les  orgues  •«  d'où  elles  sont  pour  les 
placer  vers  la  grande  porte,  [etl  y  faire  plusieurs  jeux  nouveaux  ».  Ces 
jeux  sont  spécifiés,  avec  de  très  curieuses  et,  pour  nous,  fort  instruc- 
tives explications,  dans  le  contrat,  signé  l'année  suivante. 

L'orgue  était  «  au  ton  de  six  pieds  »  :  son  clavier  commençait  ainsi 
au /a;  on  y  prévoit  donc  qu'il  y  aura  une  montre  de  six  pieds, 

garnie  de  tuyaux  aussi  gros  que  ceux  de  la  montre  de  l'orgue  de  Sainte-Geneviève 
de  Paris  ;  sur  laquelle  il  y  aura  un  Saint-Etienne  se  mouvant  comme  s'il  estoit  en 
vie  ! 

Quant  aux  «  jeux  nouveaux  »,  ou  non,  l'acte  précise,  avec  quelque 
mélange  dans  l'ordre  des  espèces,  mais  en  accord  avec  la  lettre  d'E- 
rasme : 

Ung  plein  jeu  ■*  de  Jlûies  à  neuf  trous  ;  ung  de  haubois  ,  avec  la  sacqueboutte  et  le 
cornet  sonnant  comme  quatre  joueurs  ;  ung  de  voix  humaines  contrefaites  ;  ung  de 
fifre  ;  ung  de  cymbales  ;  ung  de  doubles  flûtes  ;  ung  de  doucine  ;  ung  ressemblant  à 
la  voix  d'un  fausset  ;  ung  de  harpes  ;  ung  chantant  comme  pèlerins  qui  vont  à 
Saint-Jacques,  avec  une  voix  tremblant  ;  ung  de  fiffre  d'Allemand  sonnant  comme 

1.  Voir  Pirro,  Notice  sur  Titelouze,  i»' volume  des  Archives  des  Maîtres  de  l'Orgue, 

p.   XIV. 

2.  l,a  première  mention  s'en  rencontre  dans  le  Journal  (Diario)  de  Cuspiniano,  à 
propos  de  l'entrevue  entre  le  roi  de  Pologne  et  l'empereur  en  i5i5  (cité  par  Ritter, 
Geschichte  des  Orgelspiels,  p.  83).  Le  petit  orgue  de  Cabeçon  précédemment  cité, 
conservé  à  l'Escorial,  appartient  à  ce  genre. 

3.  Voir  la  réédition  de  VArt  du  facteur  d'orgues,  de  Dom  Bédos,  supplémentée 
par  Hame!,  tome  III,  .:i  323  et  s.,  et  planches,  où  ce  genre  est  encore  décrit. 

4.  L'expression  «  plein  jeu  «  veut  dire  ici  un  jeu  complet,  entier,  par  opposition 
au  cornet,  à  la  trompette,  etc.,  qui  longtemps  ne  furent  construits  au'en  «  dessus  ». 
à  partir  du  milieu  du  clavier. 


—  70  — 

en  une  bataille  ;  ung  de  musette  *,  sonnant  comme  ung  berger  estant  aux  champs  ; 
une  batterie  de  sonnettes,  sept  marches  avec  pédales  ;  une  voix  de  rossignol  '  se 
mouvant  et  battant  des  ailes  comme  s'il  estoit  en  vie  ;  une  trompette  sonnant 
comme  en  une  bataille  avec  le  tabourin  s. 

Le  reste,  malheureusement,  est  illisible.  Mais  telle  qu'elle  est, 
cette  liste  est  fort  intéressante,  puisqu'elle  porte  précisément  presque 
exclusivement  sur  des  variétés  nouvelles,  encore  qu'il  ne  soit  toujours 
pas  possible  de  les  identifier  parfaitement,  Mais  on  peut  les  classer 
toutefois  ainsi  : 

Fonds  :  fliïte  à  neuf  trous  ;  elle  est  indiquée  par  Mersenne  comme 
flûte  douce  de  i  pied  ;  la  flûte  ordinaire  étant  de  4  pieds,  la  double 
flûte  serait  ainsi,  poursuivre  le  langage  de  l'ancienne  facture  française, 
une  flûte  de  8  p.  *, 

he  Jï/j^e  est  l'analogue  du  flageolet,  jeu  de  flûte  de  deux  pieds  ;  le 
/ift'e  d'Allemand  doit  être  le  même  jeu  que  l'on  nomme  un  peu  plus  tard 
fliite  allemande^  que  l'on  fait  souvent  en  2  pieds,  bouchée,  sonnant 
ainsi  4  pieds  ;  je  pense  que  la  harpe^  comme  l'était  le  jeu  de 
l'époque  carolingienne  où  Ton  croyait  reconnaître  le  pincé  de  la  lyre, 
devait  être  une  sorte  de  viole  ou  viole  de  gambe  ^. 

Anches  :  trompette;  sacqueboute,  qui,  étant  le  nom  français  ancien  du 
trombone,  doit  désigner,  ici  et  dans  la  lettre  d'Érasme  déjà  citée,  la 
«  basse-trompette  »,  la  trompette  d'orgue  ne  s'étant  longtemps  faite 
qu'en  «  dessus  »  ;  hautbois  ;  musette  ;  voix  humaines. 

Mutation  :  cornet,  on  remarquera,  à  propos  de  ce  jeu,  la  mention  de 
sa  force,  spécifiée  dans  le  marché  de  cet  orgue  de  Troyes  :  «  sonnant 
comme  quatre  joueurs  »  ;  rossignol,  mutation  composée  donnant 
ordinairement  une  «  sesquialtera  »  dans    les  degrés  aigus,  ut,  sol,  mi. 

J'ignore  si  la  doucine  est  un  jeu  de  fonds  ou  un  jeu  d'anches  ;  au 
xiv^  siècle  et  au  xv%  doucine  et  douçaine  désignent  à  l'orchestre  tantôt 
une  flûte,  tantôt  une  variété  de  hautbois,  et  on  trouvera  plus  tard 
encore  à  l'étranger  des  dénominations  similaires  dans  des  jeux  des  deux 
espèces  :  dulciana,  dulcan,  etc.  Pour  le  fausset,  je  ne  voyais  pas  tout 
d'abord  ce  que  pouvait  être  ce  jeu  :  mais  M.  Raugel  me  communiqua 
fort  aiinablement  que  le  grand  orgue  de  la  cathédrale  de  Béziers,  en 
1623'',  possédait  au  positif  une  j>oix  de  petits  enfants,  de  quatre  pieds. 
On  peut  l'assimiler  au  fausset  de  Troyes,  c'est-à-dire  à  une  voix  hu- 
maine sonnant  à  l'octave. 

N'insistons   pas  sur  :  la    batterie  de  sonnettes,  —  le  «  Saint-Etienne 


I.  2.  Mersenne  s'exprime  donc  d'une  manière  large,  lorsque  vers  iG3o,  il 
parle  des  orgues  «  dont  on  augmente  encore  tous  les  jours  les  inventions  »,  comme 
«  rossignol,  musettes,  haut-bois  ».  (Je  cite  plus  loin  ses  ouvrages.) 

3.  Publié  par  l'abbé  A.  Prévost,  op.  cit.  dans  l'étude  précédente,  p.  100  et  sui- 
vantes. 

4.  On  ne  saurait  la  confondre  avec  la  doppel-ou  duijlôtc  allemande,  qui  est  une 
«  bifara  *  formée  de  tuyaux  à  deux  bouches. 

5.  Ce  jeu  de  vihuela  existait  au  cours  du  xvi»  siècle  dans  les  orgues  espagnoles. 

6.  Construit  par  Guillaume  Ponchct,  facteur  belge. 


—  71  — 

se  mouvant  comme  s'il  estoit  en  vie»^,  le  rossignol  de  même,  qui  sont 
à  rapprocher  des  soleils,  lunes,  roues,  têtes  dé  îMore,  du  «  Gueulard  » 
de  Metz,  et  autres  amusettes  tant  goûtées  de  nos  ancêtres.  On  peut  sup- 
poser que  le  petit  oiseau,  à  en  juger  par  des  équivalents,  se  laissait 
observer  quand  l'organiste  tirait  le  registre  du  jeu  de  rossignol  -.  —  Le 
tremblant^  enfin,  des  plus  précieux   pour   le  goût  du  temps. 

Son  usage  devait  être  fort  ancien,  puisque  Mersenne  parle  de  ceux 
«  dont  on  usoit  autrefois,  comme  l'on  void  encore  dans  les  vieilles 
orgues  »  3.  Il  en  était  de  deux  espèces  :  le  tremblant  à  rent  perdu,  ou 
ouvert,  le  plus  ancien,  et  le  tremblant  à  vent  clos,  ou  tremblant  doux, 
qui  (C  est  plus  agréable»,  dit  le  même  auteur,  parce  qu'  «  il  ne  bat  pas 
l'air  si  rudement  ny  si  promptement  que  l'autre  ».  On  usait  énormé- 
ment de  l'un  et  de  l'autre.  Nivers  conseille  même  le  tremblant  à  vent 
perdu  avec  le  «  grand  jeu  »  !  Ce  goût  ne  se  modifia  que  peu  à  peu.  Il 
faut  venir  à  l'époque  où  t)om  Bédos  décrit  les  principaux  mélanges  de 
l'orgue  (en  1778),  pour  les  voir  définitivement  déconseillés,  sinon  le 
tremblant  doux  avec  la  voix  humaine,  «  seUl  cas  où  les  Organistes,  qui 
ont  le  plus  de  goût  pour  l'harmonie,  s'en  servent  ». 

Nous  ne  savons  point  comment  ces  jeux  étaient,  au  milieu  du 
xvi^  siècle,  répartis  entre  les  deux  claviers,  mais  les  devis  qui  restent 
d'époque  un  peu  plus  récente  contiennent  en  tout  ou  partie  les  mêmes 
jeux  et  d'autres  analogues.  On  peut  considérer  que  les  orgues — orgues 
d'une  certaine  importance,  s'entend  —  construites  dès  avant  le  milieu 
du  xvi^  siècle  jusqu'assez  loin  dans  le  xvii*,  étaient  susceptibles  de  pos- 
séder les  jeux  suivants,  connus  soUs  les  dénominations  devenues  clas- 
siques : 

Au  clavier  du  «  grand  orgue  »  ": 

1.  Montre,  d'étain  fin  (ancien  Principal  et  âoublê-principaï),  ordi- 
nairement de  16  pieds,  celle  dé  8  étant  réservée  ail  positif.  Ehcôre  eh 
i66d,  Nivers,  qui  indiqué  la  montre  de  16  comme  base  de  ses  regis- 
trations,  dit  qu'on  peut  aussi  employer  celle  dé  8j  «  s'il  y  en  a  ». 

2.  Bourdon,  de  bois,  de  8  p.  bouché,  ou  de  16  p. ouvert,  «  gros  bour- 
don »  [notre  bourdon  de  16]. 

3.  Bourdon  de  4  p.  bouché  (B.  de  8).  On  l'appelle  aussi  «  àlltrê  bôuN 
don  »  ou  «  petit  bourdon  »  par  rapport  au  précédent. 

4.  Prestant,  en  étain,  de  4  p.  ouvert  [ancienne  Octave]. 


1 .  Voir  aussi  les  saints  Gervais  et  Protais  de  l'ofgué  de  Gisors,  dont  «  les  images  » 
doivent  «  marcher  estant  es  dites  orgues  »  (1578)  ;  cf.  mon  article  dans  la  Tribune 
de  SainL-Gervais,  \'II,  p.  i32  et  s.  A  cet  orgue,  uh  grand  seize  pieds  en  montre,  ne 
manquait  d'ailleurs  pas  «  un  soleil  d'or  tournant  »  et  la  lune  de  même. 

2.  Il  y  a  eu  d'autres  «  petits  oiseaux  »  :  les  Espagnols  et  les  Portugais  ont  pra- 
tiqué un  certain  jeu  de  pajarillos,  dans  lequel  des  fournitures  aiguës  gargouillaient 
dans  un  bocal  plein  d'eau  ! 

3.  Il  existait  aussi  en  Italie  et  en  Espagne.  On  citait  dans  ce  dernier  pays  l'orgue 
légendaire  de  l'idéale  «  sea  »  (cathédrale)  de  Mostoles,  où  l'on  entendait  les  voces 
humanas  avec  leurs  <  arias  »  con  tremblantes  ;  un  peu  plus  tard,  Girolamo  Diruta, 
dans  son  Transilvano,  recommande  l'emploi  du  tremblant  avec  les  fonds  doux  et 
un  principal  de  16  pour  jouer  pendant  l'Élévation. 


—    72   — 


5.  Doublette,  ou  «  quarte  de  nasard  »  (et  à  ce  titre  considéré  au  même 
rang  que  les  jeux  de  mutation),  de  2  p.,  les  pieds  de  plomb,  et  le  corps 
d'étain,  enseigne  Mersenne  dans  son  Harmonie  universelle^  et  aupa- 
ravant dans  ses  Harmonicorum  libri  xii. 

6.  Flageolet  (ou  Fifre)  de  2  ou  de   i  p. 

Ces  jeux  forment  la  base,  le  «  fonds  »  de  l'orgue  ;  on  leur  ajoute  une 
série  dt  jeux  de  la  famille  des  flûtes,  emprunt  peut-être  à  la  facture 
espagnole  ^  ou  à  la  facture  allemande  3,  mais  qui  ne  se  répandent  pas 
avec  ensemble  ;  et  tout  d'abord,  dès  le  xvi*  siècle  : 

7.  Flûte  allemande^  de  4  p.,  ou  de  2  p.  bouchée,  d'étain,  et  à  che- 
minée, «  par  laquelle  on  remplace  le  Prestant  s'il  n'y  en  a  pas  ». 

8.  Flûte  douce  ou  Jlûte  à  neuf  trous,  de  i  p.  Puis  : 

9.  Le  S  pieds  ouvert^  moitié  bois,  moitié  étain  ;  ce  jeu  garde  ce  nom 
jusqu'à  la  fin  du  xviii^  siècle,   oii  prédomine  alors  le  nom  dt  flûte  de  8. 

Les  jeux  de  mutation  comprennent  : 

10.  «  Gros  »  Nasard,  de  5  p.  i/3,  à  cheminée,  ou  en  fuseau.  C'est 
l'ancienne  quinte  ;  cette  variété  a  été,  dit-on,  introduite  par  les  facteurs 
belges  ou  hollandais,  avec  le  nom  de  7iassat^.  Jeu  abandonné  dans  les 
orgues  modernes,  où  n'a  été  conservé  que  le  suivant. 

11.  K  Petit  »  Nasard,  de  2  p.  2/3. 

12.  Tierce,  de  3  p.  1/2,  sonnant  donc  la  tierce  du  prestant,  appelée 
aussi  «  grosse  tierce  »  ou  même  a  double  tierce  »,  pour  la  distinguer  de 
celle  du  positif.  Déjà  en  usage  au  premier  quart  du  xvi*  siècle,  puis- 
que ce  jeu  entre  dans  la  composition  du  cornet. 

i3.  Larigot,  d'i  p.  1/2.  Ce  nom  est  une  corruption  du  terme  an^o^ 
(de  l'italien  arigo)  signifiant  un  fifre  aigu,  précédé  de  l'article/. 

14.  Fourniture^  d'i  p.,  en  étain  ;  plusieurs  rangs  (au  moins  quatre) 
sur  chaque  marche,  avec  reprises  d'octave  en  octave.  On  a  vu  précé- 
demment son  origine  et  son  développement  au  moyen  âge. 

i5.  Cj'tnbale  «  à  3  pouces  d'étain  »,  complément  du  précédent  ;  plu- 
sieurs'rangs  ;  reprises  de  quinte  et  quarte.  On  a  distingué  la  «  grosse 
cymbale  »  du  grand  orgue  de  la  «  petite  cymbale  »  du  positif,  qui  peut 
n'avoir  que  deux  rangs. 

1.  Je  me  sers  d'ailleurs  avec  avantage  des  détails  donnés  par  le  savant  religieux, 
et  qui  représentent,  avec  les  progrès  de  la  facture  d'orgue  jusque  vers  i63o,  la  tra- 
dition des  orgues  du  xvie  siècle. 

2.  Dès  les  années  i56o  à  i58o,  et  même  avant,  les  orgues  espagnoles  avaient  toute 
une  variété  de  Jlautado^  jeu  ouvert  de  16,  de  8,  de  4,  de  2  pieds  ;  des  violes,  des 
dulcianas.  L'orgue  de  l'Escorial  vers  iSyo,  avait  un  pédalier  aux  jeux  déjà  impor- 
tants :  sonorités  correspondant  aux  flûtes  de  8  et  16  {flautado  menor,  Jlautado 
vxayor),  au  bourdon  de  16  {bordôn),  une  octava  (4  p.),  plein-jeu^  trompette  et 
clairon,  orlo  (qui  est  une  sorte  de  cromorne). 

3.  C'est  déjà  au  début  du  siècle  que  la  facture  allemande  employait  le  gemshorn, 
le  schweigel,  les  rausspfeiffen,  et  des  jeux  de  pédale  séparée,  pour  lesquels 
Schlick,  en  i5ii,  dispose  d'un  Principal,  une  Octave,  une  Trompette,  un  Trom- 
bone (Posaune)  et  une  «  rausspfeiffe  ».  Cent  ans  après,  Praetorius  cite  une  douzaine 
de  variétés  Je  flûtes  et  de  bourdons. 

4.  Ce  n'est  donc  pas  parce  que  ce  jeu  «  imite  une  voix  nasillarde»  (!),  comme 
disent  nos  dictionnaires  classiques,  qu'il  a  ce  nom.  «  Nazard  »  est  donc  une  forme 
française  du  flamand  «  nassat  ». 


-  73- 

i6.  Cornet,  de  cinq  tuyaux  par  «  marche  »,  que  beaucoup  d'orgues  n'ont 
pas  encore  vers  le  milieu  du  xvii'  siècle  ;  on  y  supplée  par  des  mélanges 
que  nous  indiquerons  plus  loin.  Ce  jeu,  comme  les  suivants,  ne  com- 
prend habituellement  que  le  dessus  et  commence  au  milieu  du  clavier. 

Les  jeux  d'anche  : 

17.  Voix  humaine^  régale  ou  chalumeau^  le  jeu  primitif  de  l'orgue. 

18.  Tî^ompette,  d'étain,  sonnant  8  pieds.  La  sacqueboute.  trombone 
ou  posaune,  citée  plus  haut  à  deux  reprises,  ne  reparaît  plus  dans  l'orgue 
français,  je  pense  que  c'est  tout  simplement  la  basse-trompette,  puisque 
la  vraie  trompette  n'avait  qu'un  dessus. 

19.  Cléron,   d'étain,  qui  est  une  trompette  de  4  p. 

20.  21.  Enfin,  classons  comme  rares  le  hautbois  et  la  musette  de 
l'orgue  de  Troyes. 

Les  jeux  divers  ajoutés  à  l'orgue  au  cours  du  xvi'  siècle  semblent  de 
bonne  heure  avoir  été  appréciés  pour  mettre  en  relief  certaines  parties 
du  contrepoint.  Les  compositions  des  Espagnols,  vers  i58o,  offrent  des 
exemples  d'un  demi-jeu  aigu  en  solo,  accompagné  par  les  jeux  doux 
d'un  autre  clavier  *  ;  et,  en  1 6 1  3,  Titelouze  semble  connaître  cette  même 
façon  de  faire  prédominer  un  thème,  lorsqu'il  cite  et  loue  non  seule- 
ment «  le  hault  cornet  »,  mais  «  la  flûte  pathétique  et  le  clairon  »  2.  Ce 
sera  souvent  la  raison  d'être  du  troisième  clavier,  où  l'on  place  de  pré- 
férence les  deux  ou  trois  jeux  que  l'on  veut  «  séparer  »  ou  «  mettre  à 
part  »,  et  qui  précisément  sont  habituellement  une  flûte,  un  cornet,  une 
trompette  ^. 

Au  positif,  appelé  aussi  «  petit  orgue  »  parce  qu'eifectivement  il  est 
une  réduction  du  «  grand  orgue  »,  on  peut  placer  les  jeux  suivants, 
doublets,  en  moins  forts,  des  précédents. 

1.  Montre  de  8  (ou  de  4,  qui  dans  ce  cas  tient  lieu  de  prestant). 

2.  «  Petit  »  Bourdon  de  4  bouché  {=  8). 

3.  Prestant. 

4.  Doublette. 

5.  Flageolet. 

6.  Flûte  allemande,  de  2  p.  bouchée. 

7.  Na^ard  de  2  p.  2/3. 

8.  Larigot  ou  «  petit  »  nazard  du  positif,  i  1/2. 

1.  Voir  entre  autres,  dans  Y Antologia  de  Organistos  Cldsicos  Espanoles  de  F.  Pe- 
drell,  la  pièce  de  Fr.  Peraza,  n»  xv.  Ce  «  medio  registre  alto  »  peut  être  un  cornet 
ou  une  trompette.  On  trouve,  à  la  fin  du  Livre  d'Orgue  des  Frères  Croisiers  de 
Liège  publié  par  Guilmant,  des  fantasie  per  sonar  lo  Cornetto  écrites  exactement 
dans  la  même  forme  et  le  même  style. 

2.  Ainsi,  on  comprend  fort  bien  de  celte  façon  l'entrée  des  parties  supérieures, 
au  verset  Suscepit  Israël  de  son  Magnificat  du  v-'  ton,  tandis  que  l'entrée  de  la 
main  gauche  doit  sonn:r  à  un  autre  clavier,  jusqu'après  l'exposition  de  la  fugue. 
Remarquons  respectueusement  ici,  sans  vouloir  faire  tort  à  la  chère  mémoire  de 
notre  maître  (iuilmant,  que,  dans  ses  premiers  volumes  des  Archives  des  Maîtres 
de  l'Orgue,  \es  registrations  ou  attributions  de  claviers  ne  correspondent  point  en 
tout  à  ce  que  les  recherches  plus  récentes  ont  révélé  sur  le  choix  des  jeux  et  des 
claviers  préférés  par  les  anciens  organistes. 

3.  Même  d.spoiition  en   Es,>agne. 


—  74  — 

9-  Tier cette  de.  lo  pouces. 

10.  Fourniture  de.  3  rangs. 

1 1 .  Cymbale  de  2  rangs. 

Enfin,  aux  jeux  d'anches,  tant  du  grand  orgue  que  du  «  petit  »,  ajou- 
tons le  cromoî^ne^  qui  apparaît  vers  1625,  et  semblerait,  par  son  nom, 
un  emprunta  la  facture  germanique,  si  l'on  ne  savait  que  la  musique 
de  la  Grande-Ecurie  du  Ro}^  contenait  depuis  longtemps  des  cromornes 
comme  instruments  d'orchestre.  Le  cromorne  de  l'orgue,  ancêtre  de 
nosjeuxde  basson  et  de  clarinette,  est  donc  appelé  ainsi  à  l'imitation  de 
son  homonyme  de  l'orchestre.  Toutefois,  l'orgue  allemand  connaissait 
déjà  le  Krummhorn,  cité  par  Praetorius  en  1610,  et  cinquante  ans  au- 
paravant, on  trouve  l'or/o,  qui  est  un  jeu  analogue,  en  Espagne,  entre 
autres  à  l'orgue  deTarragone,  instrument  célèbre. 

Le  clavier  de  pédales  est  encore  peu  développé,  bien  que  d'excep- 
tionnels instruments  aient  déjà  —  et  sans  doute  dès  la  fin  du  xv^  siècle 
—  des  pédaliers  chromatiques  de  deuxoctaves  etdemie,  d'wi  à/a,  comme 
à  Rouen.  Mais  au  lieu  d'être  composé  de  touches  analogues  à  celles  des 
claviers  manuels,  le  pédalier  français  restera  longtemps  encore  formé 
de  billots  de  bois  disposés  en  quinconce,  et  distants,  l'un  de  l'autre,  de 
l'intervalle  moyen  de  la  pointe  au  talon  du  pied  ^  Cette  disposition 
constituera  chez  nous  une  infériorité  :  on  emploiera  surtout  la  pédale 
pour  les  tenues  de  basse  des  «  plains-chants  »  en  contrepoint  fleuri,  ou 
pour  faire  ressortir  un  thème  lent  au  milieu  de  la  marche  des  parties 
harmoniques.  Bien  que  Titelouze  conseille  l'emploi  du  clavier  de  pé- 
dales, avec  tirasse  du  grand  orgue  «  pour  y  toucher  la  basse-contre  » 
d'un  quatuor,  peud'orgânistes  seront  encore  capables  de  cet  art.  C'est 
seulement  au  premier  quart  du  xvii^  siècle  qu'apparaissent  en  France 
des  jeux  spéciaux  au  pédalier,  et  simplement  : 

1.  Une  flûte  de  8  p.  bouchée  (sonnant  16  p.)  ;  quelquefois  une  autre 
de  4  (sonnant  8  p.). 

2.  Un  jeu  d'anche  ou   tî'ompette^de  8. 

Nous  sommes  loin  du  puissant  pédalier  allemand  ou  du  riche  pédalier 
espagnol .'^( Voir  plus  haut  page  72,  notes  2  et  3.) 

Telle  était  donc  la  composition  des  orgues  importantes,  nouvelle- 
ment construites,  avec  les  perfectionnements  apportés  au  xvi^  siècle  et  au 
commencement  du  xvn^  à  la  facture  de  l'instrument.  Par  la  liste  de  ses 
sonorités,  on  voit  que  les  oreilles  musicales  étaient,  —  comme  avec  les 
vieux  positifs  du  xiv^  siècle,  —  plutôt  sensibles  à  l'ensemble  résultant 
des  harmoniques  sonnés  par  les  divers  tuyaux,  qu'à  la  prédominance 
d'un  diapason  déterminé.  Par  exemple,  pour  la  proportion  de  jeux 
aigus  et  de  mutation  qu'offre  la  précédente  liste,  un  orgue  moderne 
aurait  plusieurs  jeux  sonores  de  fonds  et  d'anche  de  8  pieds  et  de  16 
pieds.  Le  pédalier  serait  également  beaucoup  plus  développé. 

I.  Cette  disposition  resta  en  usage  en  France  jusqu'au  coursdu  xix«  siècle  ;  ce  fut 
Boë'y  qui,  en  iS36  ,  installa  chez  nous  les  pédaliers  dits  «  à  l'allemande  »,  dont  le 
pre  Dier  fut  appliqué  à  l'ancien  orgue  de  la  Sainte-Chapelle  transporté  à  Saint-Ger- 
main-l'Auxerro     i^.àaris. 


-  73  — 

La  prédominance  des  jeux  de  pédale  et  des  fonds  de  8  était  alors  une 
particularité  des  factures  espagnole  et  allemande  ;  elle  ne  s'introduisit 
chez  nous  que  peu  à  peu,  où  le  goût  pour  les  sonorités  aiguës  conti- 
nuait à  s'imposera  Mais  la  pression  de  vent  des  diverses  variétés  de 
l'orgue  ancien  était  faible,  comparée  aux  instruments  modernes,  —  où 
elle  est,  d'ailleurs,  fréquemment  trop  forte  -.  —  On  peutenjuger  par  les 
orgues  qui  subsistent  encore,  soit  de  construction  ancienne,  soit  cons- 
truites suivant  les  anciennes  formules.  Les  prestants,  par  exemple,  ont 
une  sonorité  exquise,  comme  celle  d'une  forte  flûte  d'orchestre,  les 
fournitures  et  cymbales  sont  beaucoup  plus  douces  aussi,  et  les  grands 
jeux  d'anche  n'ont  point  cette  puissance  des  modernes  :  il  faut  s'en  sou- 
venir pour  la  réalisation  pratique  des  pièces  d'orgue  anciennes, 
en  évitant  dans  leur  registration  tout  jeu  de  sonorité  trop  violente, 
qui  donnerait  un  caractère  pour  ainsi  dire  agressif  à  des  ensembles  qui 
doivent  rester  sonores  sans  exagération.  Aussi  gagnera-t-on  souvent  à 
ne  pas  employer  indifféremment  nos  montres  et  prestants,  dont  les 
diverses  variétés  actuelles  de  flûte  et  de  gambe  peuvent  fréquemment 
suffire  à  tenir  la  place  dans  l'interprétation  des  pièces  anciennes. 

II 

Ainsi,  les  progrès  mêmes  de  la  facture  des  orgues,  de  la  fin  du  xv^ 
siècle  aux  premières  années  du  xvii%  concurremment,  par  conséquent, 
avec  l'apogée  de  l'a  cappella  et  de  la  polyphonie  vocale  sans  accompa- 
gnement, montrent  que  celle-ci  n'était  nullement  exclusive  des  autres 
formes,  comme  on  l'a  gratuitement  supposé.  Partout,  l'orgue  est  cité, 
au  même  titre  que  les  voix.  En  Belgique  et  en  France,  sans  doute, 
qui  étaient  la  patrie  du  quatuor  vocal,  on  préférait  souvent  entendre 
celui-ci  à  découvert  :  nous  savons  formellement  que  les  grandes  cha- 
pelles, telle  celle  du  roi,  exécutaient  ainsi  l'office  divin  ■•.  Mais  à  l'étranger, 
en  Espagne  avec  Morales  et  Victoria,  à  Munich  avec  Lassus,  l'orgue  et 
les  autres  instruments  accompagnaient  les  polyphonies  vocales  reli- 
gieuses et,  en  France  même,  il  en  a  été  parfois  de  même,  ainsi  en  cette 
fameuse  entrevue  du  Camp  du  Drap  d'Or,  où,  en  i520,  les  chapelles 
royales  de  France  et  d'Angleterre  rivalisèrent,  accompagnées  par  leurs 
organistes  et  même  par  les  sacqueboutesde  la  musique  militaire. 

I.  Quelques  dates  sur  cette  introduction  tardive  dans  notre  facture.  C'est  en  1692 
seulement  que  Boyvin  fait  ajouter  un  bourdon  de  16  p,  à  la  pédale  de  l'orgue  de  la 
cathédrale  de  Rouen, —  En  1775,  Dom  Bédos,  dans  son  devis  d'un  grand  32  pieds, 
ne  comprend  qu'au  récit  une  flûte  de  8.  et  aux  autres  claviers  un  seul  «  second  S  p. 
ouvert  »  et  une  flûte  de  4  p. —  A  la  cathédrale  d'Amiens,  lorsqu'on  refit  le  grand 
orgue  en  i833,  le  pédalier  de  cet  instrument  cependant  important  n'avait  pas  encore 
de  fonds  de  16  p. et  seulement  une  bombarde  de  iG  qui  datait  vraisemblablement  de 
1769. 

3.  Cet  inconvénient,  ce  revers  de  la  médaille  des  progrès  modernes,  est  surtout 
sensible  avec  les  prestants  et  pleins-jeux,  où  nos  facteurs  actuels  ont  trop  habituelle- 
ment la  tendance  à  forcer  la  sonorité. 

3.  Dans  la  musique  profane,  il  en  était  autrement.  La  Bataille,  de  Jannequin. 
n'était  vraisemblement  exécutée  qu'avec  des  instruments  ;  plus  tard,  les  psaumes  de 
Marot  sont,  à  la  cour  même,  soutenus  ainsi. 


-76- 

Mais,  chez  nous,  si,  à  l'époque  du  grand  art  vocal,  raccompagnement 
par  l'orgue,  habituel  au  moyen  âge,  disparaît  ordinairement,  ce  n'est 
pas  que  l'instrument  soit  privé  du  moyen  de  s'exprimer  :  j'allais  dire  : 
au  contraire.  L'opposition,  en  effet,  des  deux  moyens  d'expression  est 
d'autant  plus  vive  que  ceux-ci  paraissent  plus  indépendants.  Aussi, 
l'orgue  a-t-il,  au  xvi*  siècle,  continué  de  se  faire  entendre  en  perfec- 
tionnant ou  en  développant  les  procédés  qu'il  utilisait  antérieurement 
non  seulement  en  tant  qu'instrument  d'église,  mais  aussi  comme  dis- 
traction musicale. 

Les  titres  delà  collection  d'orgue  en  six  volumes,  publiée  par  Altain- 
gnant  à  Paris  en  i  53o  et  i  63 1 ,  sont  très  instructifs  à  ce  point  de  vue  ^ 
Les  trois  premiers  livres  sont  de  la  musique  d'église  ;  les  trois  autres 
constituent  un  répertoire  profane,  ce  dernier  formé  principalement  de 
«  transcriptions»  de  chansons. Toutes  cespiècessontnotées  dansla  «  tabu- 
lature  »  des  instrumentsà  clavier,  analogue  à  celle  du  luth,  et  cela  montre 
que  l'on  n'hésitait  pas  à  jouerindifféremment  tellepièce  sur  l'un  ou  l'autre 
des  instruments  ^. 

Les  trois  premiers  de  ces  volumes  contiennent  : 

l.  Magnificat  sur  les  huit  tons  avec  Te  Deu\m]laudamus  et  deux  Pré- 
ludes... —  IL  Le  plain-chant  de  Ciinctipotens  et  Kyrie  fons  avec  leurs 
Et  in  terra.  Patrem.  Sanctus  et  Agnus  Dei...  —  IlL  Treze  Motetz  musi- 
caulx  avec  ung  Prélude. 

Nous  avons  donc  là  l'indication  précise  du  répertoire  d'un  organiste 
français,  au  premier  tiers  du  xvi^  siècle  :  préludes  courts,  dans  les  di- 
vers tons,  et  postludes  ;  versets  en  contrepoints  fleuris  sur  les  thèmes 
du  plain-chant  où  l'orgue  avait  l'habitude  d'alterner  avec  lechœur;  trans- 
criptions variées  et  ornées  de  motets,  et  de  chansons  sérieuses  dont 
quelques-unes  sont  devenues  des  chants  religieux,  ainsi  le  //  me  suffit 
de  tous  mes  maux  plus  tard  superbement  magnifié  par  Bach,  ou  encore 
des  «  noëls  »  qu'on  avait  déjà  l'habitude  de  sonner  sur  les  orgues  de 
l'église  3.  Ces  transcriptions  représentent  les  «  pièces  d'orgue  »  alors 
usitées,  en  plus  des  versets.  Tel  des  Préludes  est  aussi  majestueux  que 
le  seront,  près  d'un  siècle  plus  tard,  les  pièces  de  Titelouze,  tandis  que 
le  Deo  gratias  de  la  messe  des  solennels  donne  déjà  l'impression  excep- 
tionnelle dans  ce  répertoire,  d'un  «  récit»  accompagné,  en  contrepoint 
fleuri  et  élégant  sur  le  thème  placé  au  ténor  : 


1.  La  description  en  a  été  donnée  par  Ritter,  dans  sa  Geschichte  des  Orgelspiels, 
I,  p.  by  et  s.,  avec  transcriptions  de  quelques  pièces,  II,  nos  35  à  40.  Nous  nous  y 
référons.  L'unique  exemplaire  connu  de  cet  inestimable  trésor  de  la  musique 
d'orgue  française  se  trouve  à  la  bibliothèque  de  Munich. 

2.  Voir  l'étude  précédente  sur  l'orgue  au  moyen  âge,  §  III,  ausujet  des  tabulatures, 

3.  Lettre  d'Érasme  déjà  citée. 


—  11  — 


L'un  des  versets  du  Te  Deum  est  très  caractéristique  du  «  plein  jeu  » 
sur  un  thème  de  plain-chant  : 


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Parfois,  de  larges  accords  coupent  la  trame  du  «  plein  jeu  »   : 


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Nous  pouvons  trouver  dans  d'autres  recueils,  étrangers  en  apparence 
au  service  divin,  des  références  utiles  à  notre  art. 

Car,  si  on  se  laisse  guider  par  ce  que  dit  Thoinot  Arbeau  dans  son 
Orchésographie  (iSSg)  en  parlant  des  Pavanes,  on  peut  raisonnable- 
ment en  conclure  que  les  organistes  du  xvi^  siècle  en  ont  «  sonné  »  pour 
les  cortèges  d'apparat  :  Nos  joueurs  d'instruments  la  sonnent  quant  on 
meyne  espouser  en  face  de  la  saincte  Eglise  une  fille  de  bonne  maison  et 
quant  ils  conduisent  les  prebstr es,  le  bâtonnier  et  les  confrères  de  quel- 
que  notable  confrairie^. 

Et  un  peu  plus  loin,  l'interlocuteur  du  bon  chanoine,  revenant  sur  ce 
sujet,  et  constatant  combien  la  Pavane  convient  aux  marches  ecclésias- 
tiques, lui  dit  ;  Et  vous  aultres  vestu^  de  vos  longues  robes,  marxliants . 
honnestement  avec  une  gravité  posée  ^. 

Les  auteurs  de  ces  «  dances  nobles  »  ont  d'ailleurs  pu  en  destiner 
directement  à  l'usage  religieux,  à  en  juger  par  telle  pièce  du  recueil  de 
Cl.  Gervaise,  de  1347,  ^^  la  Pavane  «  Si  je  m'en  vais  »  suivie  de  sa 
Gaillarde,  suit  entièrement  les  thèmes  de  la  psalmodie  du  I^ton,  variés 
en  deux  espèces  de  mesures  différentes,  et  qui  pourraient  aussi  bien 
former  des  versets  de  Magnificat. 

Et  comme,  de  fait,  les  livres  espagnols  en  tabulature  de  luth,  dès  la 
première  moitié  du  siècle,  peuvent  servir  aussi  bien  pour  l'orgue  et  la 
harpe  — para  tecla  arpa  y  viiiuela  —  ;  comme,  à  la  fin  du  même  temps, 
les  recueils  anglais  pour  le  virginal,  tels  le  Fiti-William  virginal  book 
et  la  Parthenia,  contiennent  des  préludes  et  autres  pièces  pour  l'orgue  ^  ; 
comme  VHorlus  musarum  de  i552,  conservé  à  la  bibliothèque  de 
Dunkerque,  contient  parmi  ses  pièces   de   luth,  nombre  de  iranscrip- 


1.  Page  27  delà  réimpression  de  Laure  Fonta. 

2.  Id.  p.  29. 

3.  Joignons-y  ce  fait  d'un  des  manuscrits  de  musique  de  luth  de  la  bibliothèque  de 
Vesoul,  où  ne  figurent  presque  que  des  transcriptions  variées  de  motets  et  de  Ma- 
gnificat, plus  des  pièces  que  l'on  trouve  à  la  fois  dans  les  livres  de  luth  et  les  tabu- 
latures  d'orgue  ;    l'une   d'elles,    en    forme    de  chanson  frant^aise,  la     Organistina 


~  78  - 

tions  et  même  à\%ccompagnements  des  motets  célèbres  S  ainsi  je  ne  mets 
pas  en  doute  que  nos  confrères  d'alors  n'aient  imité  aussi,  à  contraîHo^ 
les  «  hautbois  et  saquebouttes  »  qui  sonnaient  les  pavanes  lors  de 
l'entrée  d'un  monarque. 

J'interprète  ainsi,  par  exemple,  les  premiers  et  quelques-uns  des  der- 
niers numéros  du  Trésor  d'Orphée  publié  pour  le  luth  par  Antoine  Fran- 
cisque tout  à  la  fin  du  siècle  2,  débutant  par  les  brillantes  variations 
accoutumées,  dans  le  style  des  pièces  d'orgue  de  Cl.  Merulo,  sur  le  cSiTi- 
tique  fameux  Sz<{aw«ew;//owr,  et  dont  les  pièces  qpi  suivent,  préludes  et 
fantaisies,  danses  solennelles,  pavanes  et  passemaises,  peuvent  très  cer- 
tainement servir  d'illustration  à  la  musique  d'orgue,  puisque  nous  en 
retrouvons  les  rythmes  majestueux,  la  coupe,  certaines  formules  de 
figuration,  dans  les  «  Livres  d'orgue  »  copiés  quelques  années  après  ^  : 


Les  mouvements  mélodiques  de  quarte  descendante,  enchaînés  par 
seconde  (fa  do  ré  la  si  ^fa  sol\  etc.),  qu'on  croit  souvent  avoir  été  mis 
en  usage  par  Frescobaldi,  sont  un  emprunt  direct  aux  luthistes,  et  maint 
exemple  s'en  présente  chez  Francisque.  Il  en  est  de  même  des  formules 
de  cadence  en  larges  accords,  si  goûtés  plus  tard  dans  la  musique  d'orgue, 
où  le  dessus  s'épanouit  par  un  mouvement  ascendant  de  la  tonique 
sur  la  tierce  ou  même  la  quinte  avec  tierce  majeure,  et  qui  est  caracté- 
ristique des  pièces  solennelles  dans  l'œuvre  de  luth  de  Francisque^: 


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bella,  avec  une  entrée  fuguée  très  caractéristique,  renferme  des  effets  d'écho  avec 
nuances  marquées,  pour  la  première  fois,  par/  et  f  se  rapportant  tout  naturelle- 
ment à  l'opposition  des  deux  claviers  de  l'orgue.  Ce  manuscrit  est  d'origine  italienne. 
La  notice  détaillée  en  a  été  publiée  par  Michel  Brenet  dans  la  Revue  d'histoire  et  de 
critique  musicale,  1 901,  avec  la  transcription  de  cette  pièce,  dont  il  est  aisé  de  re- 
connaître la  forme  organistique,  malgré  les  lacunes  de  la  tabulature  du  luth. 

1.  Voir  la  remarquable  étude  de  H.  Quittard  sur  ce  livre  dans  le  tome  VIII  des 
Sammetbânde  de  V  I.  M.  G.  (Recueil  de  la  Société  Internationale  de  musique),  avec 
la  reproduction,  de  la  réduction  au  luth  du  Stabat  de  Josquin  des  Prés,  destinée  à 
accompagner  le  soprano  solo,  Paris,  1906. 

2.  Réédité  en  transcription  moderne  par  H.  Quittard. 

3.  Tel  que  le  Livre  des  Frères  Croisiers  de  Liège,  réédité  par  Guilmant  dans  ses 
Archives  des  Maîtres  de  l'Orgue.  Comparez  aussi  la  Fantaisie  n»  3  de  Francisque 
avec  celle  de  Peter  Cornet  sur  le  même  thème,  également  éditée  dans  le  même  vo- 
lume; les  no»  4  et  5  semblent  déjà  annoncer  de  Grigny  et  Bach. 

4.  Eu  Allemagne,  le  luth   est  plusieurs  fois  mentionné  comme  jouant  ù  l'église 


—  79  — 

Les  développements  de  la  facture  d'orgue  au  cours  du  siècle  furent 
certainement  accompagnés  des  modifications  des  formes  jouées  sur  l'ins- 
trument. Les  uns  et  les  autres  s'influencèrent  réciproquement.  On  ne 
peut  concevoir,  par  exemple,  que  les   cornets   fussent  destinés  à  jouer 
des  «  pleins    jeux  »  ;    ce    n'est    pas   sans  raison  que  la  flûte  «    solo  » 
pouvait  prendre  place  dans  le  rang  des  instruments  admis  à  l'orgue  ; 
et  l'on  ne   saurait    s'imaginer   que    les    pièces  à  l'a    contexture    poly- 
phonique   jouées    à    l'orgue,    sinon    sur  de     très    petits    instruments, 
aient    toujours    été    exécutées     par    une    masse    compacte    de    jeux. 
A  parcourir  les  œuvres  de    FEspagnol   Cabeçon,  on    voit   très  nette- 
ment que  leur  disposition  a  souvent  demandé  deux  claviers  distincts  K 
Chez  nous,  à  défaut  d'œuvres  subsistant  entre  les  recueils  d'Attaingnant 
et  la  fin  du  siècle,  nous  savons  néanmoins  comment  un  de  nos  maîtres, 
Titelouze,  exécutait  ses  versets  fugues  dont  la  forme  paraît  dérivée  des 
versets  espagnols  :  basse  à  la  pédale  avec  tirasse  des  huit  pieds  du  grand 
orgue;  «  taille  »  et  «  haute-contre  »  à  la  main  gauche,  sur  l'un  des  cla- 
viers manuels,  et  le  dessus  à  la  main  droite  sur  un  autre  clavier,  telle 
est  une  disposition    qu'il   recommande.  Le  timbre  ou  la  force  des  jeux 
restait  à  choisir  par  l'organiste  suivant  le  genre  du  verset  qu'il  avait  à 
jouer  2.  Lorsque  par  exemple,  un  «  plain-chant  »  en  valeurs  longues   se 
trouve  non  plus  à  la  basse,  mais  au  ténor,  «    en  taille  »,  comme  on 
disait,  il  va  de  soi  que,  pour  le  faire  ressortir,  il  faudra  d'autres  sono- 
rités que  celle  des  parties  figurées  qui  l'accompagnent.  Cela  s'obtiendra 
aisément  lorsque,  à  l'imitation  des  orgues  espagnoles  et  allemandes,  on 
aura  pour  la  pédale  des  jeux  spéciaux;  mais,  jusque-là,  l'effet  ne  se  peut 
en  obtenir  qu'avec  l'un  des  claviers  manuels,  ou  la  tirasse  accouplant  le 
pédalier  à  l'un  de  ceux-ci,  avec  des  jeux  au  timbre  clair  et  tranchant. 

Ce  fut  toujours  le  dessein  des  grands  organistes  français  d'autrefois 
de  donner  ainsi  un  coloris  différent  à  chacune  des  voix  de  leur  poly- 
phonie, chaque  fois  que  cela  est  possible,  et  de  même  que  Titelouze 
pour  la  fin  du  xvi^  siècle  et  les  débuts  du  xvii%  près  de  deux  cents  ans 
plustardDom  Bédos  le  recommande  encore  pour  les  w  fugues  de  mouve- 
ment», après  Niverset  d'Anglebert,  après  Gigault,  Le  Bègue,  Boyvin 
et  autres. 

Cette  recherche  et  ce  mélange  des  jeux  pour  obtenir  de  l'orgue  des 
effets  de  sonorité  variés  étaient  l'un  des  caractères  de  l'ancienne  école 
française.  Une  phrase  de  Maugars  a  été  maintes  fois  citée,  où  il  met 
justement  en  opposition  avec  les  nôtres  les  organistes  italiens,  dont  les 
instruments,  à  la  fin  de  la  période  qui  nous  occupe,  ne  pouvaient  pas 
leur  donner  la  variété  de  jeux  dont  usaient  les  français. 


des  préludes  et  pièces  solennelles.  Plus  tard  encore,  les  grandes  œuvres  d'orgue  de 
Bach,  qui  en  avait  souvent  pris  le  modèle  à  son  maître  Buxtehude,  renferment  bien 
des  passages  qui  viennent  beaucoup  plus  de  la  musique  du  luth  que  de  celles  du 
clavier. 

1.  On  rencontre,  par  exemple,  des  pièces  où  les  deux  parties  de  dessus  croisent  les 
deux  parties  graves,  ce  qui  n'est  pas  possible  avec  un  seul  clavier. 

2.  Voir  page  73,  note  2. 


—  8o  — 

Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner,  à  mesure  que  les  nouveaux  jeux  de 
détail  se  répandirent,  que  les  organistes  français  aient  recherché  le 
«  récit  »  accompagné,  phrase  expressive  donnée  en  solo  sur  un  seul 
clavier,  soutenue  des  fonds  doux  d'un  autre  clavier.  Or,  c'est  précisé- 
ment à  cette  époque  qu'une  partie  du  style  d'orgue  perd  le  caractère 
de  la  polyphonie  pour  acquérir  celui  de  V  «  air  ».  Sans  doute,  l'air  ou 
le  récit  d'une  voix  ou  d'un  instrument  accompagné  par  d'autres  furent 
de  tout  temps  ^  ;  mais  jamais  il  n'apparaît  jusqu'alors  sur  l'orgue,  sinon 
par  rarissime  exception  ^. 

Toutefois,  tandis  que  le  «  récit  »  ou  solo  expressif  était  resté  excep- 
tionnel dans  l'art  du  xvi^,  il  prend  une  singulière  faveur  avec  les  ballets 
de  cour  tant  goûtés  à  partir  de  Henri  III  ^,  et  de  plus  en  plus  au  temps 
de  Louis  XIII.  En  même  temps,  les  chœurs  eux-mêmes  se  rapprochent 
de  l'écriture  verticale,  une  mélodie  prédominant  au  supertus,  et  les 
autres  semblant  l'accompagner  plutôt  que  la  contrepointer.  A  Paris, 
Nicolas  Formé,  à  la  chapelle  du  roi  et  à  la  Sainte-Chapelle,  est  le  prin- 
cipal auteur  qui  tend  à  ce  nouveau  genre  (il  s'épanouira  plus  tard  chez 
Lulli),  et  qui  aime  opposer,  en  manière  d'écho,  inspirée  sans  doute  de 
l'école  vénitienne,  un  grand  chœur  et  un  petit  chœur,  celui-ci  plus  fin 
de  forme,  et  où  des  passages  particulièrement  expressifs  sont  encadrés 
de  larges  et  sonores  accords,  genre  affectionné  du  roi  Louis  XIII. 

Toutefois,  bien  que  l'indication  de  l'écho  se  trouve  dans  la  transcrip- 
tion en  tabulaturede  VOrganistma,  que  les  Flamands  s'y  soient  essayés 
a\  ec  Sweelinck,  et  que  Mersenne  en  cite  l'effet  dans  la  pratique  des  orga- 
nistes, vers  1626  à  i63o,  ni  semblant  d'écho,  ni  rien  non  plus  qui 
s'npproche  d'un  jeu  en  récit  ne  se  trouve  chez  Titelouze,  considéré 
cependant  alors  comme  notre  plus  grand  organiste,  et  dont  les  Hymnes 
de  r Eglise  et  les  Magnificat,  publiés  respectivement  en  i623  et  1626, 
sont  encore  écrits  dans  le  style  polyphonique,  en  forme  d'imitation 
et  de  fugue.  Et  il  est  intéressant  de  voir  comment  l'organiste  de  Rouen 
s'efforce  à  l'expression,  dans  ses  Magnificat,  en  les  écrivant  «  com.me 
si  les  paroles  en  étaient  prononcées  »,  en  forme  de  motets  diversifiés, 
tandis  que  les  hymnes  «  à  la  manière  de  M.  Titelouze  »,  —  ainsi  que 
s'exprime  Gigault  —  affectionnent  de  traiter  successivement  chaque 
vers  en  exposition  de  fugue.  Plus  tard,  c'est  avec  ses  «  caprices  »,  la 
fugue  seule  «  diversifiée  à  l'italienne  »,  c'est-à-dire  imitée  de  Fresco- 
baldi,  que  pratique  encore  Roberday. 

Les  autres  fugues  de  nos  organistes  d'alors,  par  rapport  au  ricercare 
des  Italiens,  au  tiejito  des  Espagnols,  ou  à  la  forme  classique  plus  tar- 
dive, ne  consistent  souvent  qu'en  une  exposition  suivie  d'une   conclu- 

1.  Les  compositions  vocales  en  solo  accompagné  d'un,  deux  ou  trois  instruments 
sont  l'ordinaire  au  xiv"  siècle  et  au  xv*.  C'est  le  développement  du  quatuor  vocal  par 
l'école  de  Dufay  qui  les  fit  peu  à  peu  oublier,  sauf  en  Italie,  où  elles  furent  toujours 
goûtées. 

2.  Voir  les  deux  exemples,  l'un  de  i53o,  l'autre  d'environ  i58o,  cités  plus  haut, 
p.  73  et  76. 

3.  Le  Ballet  comique  de  la  Royne  est  de  i58i,  et  semble  avoir  donné  l'un  des 
premiers  essors  à  la  musique  d'  «  air  ». 


sion.  Même,  elles  sont  surtout  goûtées  du  public  lorsque  deux  voix 
seulement  les  composent,  confiées  à  deux  claviers  diiférents  :  c'est  ce 
duo  qui,  jusqu'en  plein  xix'  siècle,  opposant  les  deux  cornets,  ou  un 
cornet  et  une  trompette,  ou  l'un  de  ces  jeux  et  un  plein-jeu  ou  un 
«  jeu  de  tierce  »,  connaîtra  le  plus  de  faveur.  Sous  cette  forme,  la 
fugue  à  deux  voix  permet  toutes  les  virtuosités  et  les  acrobaties,  et 
dégénère  facilement  en  «  fantasia  »>  vide  de  vraie  musique,  si  elle 
conquiert  le  populaire,  grâce  au  brio  de  ses  gammes  et  de  ses  traits. 

Mais  chez  les  organistes  avec  qui  s'établit  le  genre  classique  français, 
Nivers,  Gigault,  Gilles  Julien,  le^  récits  de  voix  humaine,  de  cromorne, 
de  trompette,  de  flûte  d'écho,  les  récits  «  en  taille  »  semblent  tout  à 
coup  envahir  le  répertoire.  S'il  est  vrai  que  ces  compositeurs  publient 
leurs  œuvres  entre  i665  et  1680,  c'est,  de  leur  propre  aveu,  trente  à 
quarante  ans  auparavant  qu'ils  ont  commencé  à  écrire  dans  ce  style, 
c'est-à-dire  vers  i635à  1640.  D'où  vient  ce  style,  qui  leur  est  commun, 
et  naquit  alors  dans  l'école  parisienne? 

Un  nom  seul  transparaît  alors,  celui  d'un  organiste  dont  il  ne  subsiste 
pour  ainsi  dire  rien,  mais  que  confrères  et  critiques  s'accordent  à  louer 
comme  le  principal  maître  de  l'orgue  à  cette  époque  :  Claude  Raquette, 
organiste  de  Notre-Dame  de  Paris. 

Or,  non  seulement  celui-ci  est  un  habile  exécutant  et  improvisateur  : 
on  loue  son  talent  de  professeur,  et  il  laisse  des  élèves  qui  perpétue- 
ront ses  préceptes;  il  semble,  de  plus,  jouer  dans  un  style  nouveau, 
convenable  d'ailleurs  à  son  objet,  et  il  fait  l'émerveillement  de  ceux  qui 
l'approchent.  Les  luthistes  eux-mêmes  se  réclament  de  lui,  et  l'un  des 
plus  fameux  de  ceux-ci,  Gauthier,  écrit  à  sa  louange,  lorsqu'il  apprend 
sa  mort,  un  Tombeau  de  Raquette  ',  qui  pourrait  bien,  sous  la  fantai- 
sie habituelle  aux  luthistes,  représenter  quelque  chose  du  style  de  l'or- 
ganiste de  Notre-Dame  de  Paris  : 


I.  Bibliothèque  Nationale.    V    m"   621 1.    D'après   la  transcription  donnée  par 
J.  Ecorcheville, 

6 


—   82   - 

Et,  à  cette  même  époque,  on  trouve  des  représentants  de  ce  même 
stj'le  chez  les  organistes  fameux,  tel  Etienne  Richard,  qui  faisait 
accourir  les  amateurs  à  Saint-Jacques-la-Boucherie,  et  chez  les  clave- 
cinistes aussi  bien  que  les  luthistes  ^ 

Si  nous  voulons  savoir  ce  qui  a  été  la  transition  entre  l'art  polypho- 
nique d'un  Titelouze  et  Texcès  du  «  récit  »  chez  un  Nivers  et  ses  con- 
temporains, il  faut  le  chercher  près  de  Raquette,  qui  est  sans  aucun 
doute  le  lien,  la  transition  entre  l'ancien  art  et  le  genre  classique  français. 
Les  «  mélanges  »  de  jeux  pratiqués  alors  intéressent  donc  à  un  haut  degré 
l'histoire  delà  transformation  de  l'orgue  aussi  bien  que  de  son  style";  par 
une  heureuse  chance,  Mersenne,  dans  ses  ouvrages,  nous  a  laissé  deux 
tables  différentes  et  précieuses  de  mélanges  de  jeux,  avec  les  noms  qui 
leur  étaient  donnés  alors. 

La  première  de  ces  tables,  dans  ses  Hannonicortun  libiH  XII,  ouvrage 
établi  vers  1625,  se  rapporte  à  la  tradition  des  organistes  du  xvi*  siècle, 
avec  quelques  variétés  nouvelles;  l'auteur  l'a  reproduite  dix  ans  plus 
tard  dans  son  Harmonie  universelle^  avec  quelques  légères  modifications. 
Mais,  dans  ce  second  ouvrage,  il  a  donné  toute  une  autre  série  de  com- 
binaisons, certainement  plus  musicale,  par  rapport  à  notre  oreille,  et 
qu'il  tenait  de  «  Monsieur  Raquette,  organiste  de  Nostre-Dame  deParis, 
qui  est  l'un  des  plus  habiles  de  France  ».  Nous  avons  donc  ainsi,  dans 
Mersenne  :  1°  l'usage  habituel  des  organistes  français  de  cette  période; 
2°  les  mélanges  de  jeux  perfectionnés  par  Raquette,  vers  i63o.  Les  voici 
d'autre  part. 

Et  il  est  des  plus  remarquables  que,  si  la  plupart  des  combinaisons 
des  anciens  organistes  (colonne  2)  ne  sont  plus  restées  en  usage,  plus  de 
la  moitié  de  celles  proposées  par  Raquette  (colonne  3)  se  sont  maintenues 
à  travers  toute  l'époque  classique  française,  semblant  ainsi  témoigner 
en  faveur  du  maître  à  qui  elles  remontent.  (Je  marque  d'un  astérisque 
les  mélanges  restés  en  usage). 

MERSENNE  RAQUETTE 

(vers  1625).  (d'après  Mersenne,  vers  lôSb). 

*  Plein-jeu  du  Grand       Montre  16,  Bourdon  8,  Près-      Montre  16,  Bourdon  16  et  8, 
Orgue.  tant,   Doublette,    Fourni-  Jeuouvert  de  8,Pr.,Doub., 

ture  ,    Grosse     Cymbale  ,  Fourn.,  Tierce. 

Cymbale. 
Aux     Pédales    :      Flûte     et 

Trompette. 
Autre  :    Bourdon    8  ,      Pr., 

Doub.,  Nazard,  Flûte  d'al- 
lemand 4,Tromp., Clairon. 

Tremblant. 
Autre,    «  excellent  »    :    (I-e 

même,   en   remplaçant   la 

llûte  par  la  Tierce,    sans 

Clairon,     avec    ou     sans 

T  lin  bJsnt.) 

1.  Voyez  entre  autres,  les  très  belles  «  Allemandes  »  de  Richard  et  de  Mé/.engeaux 
publiées  par  M.  Pirro  dans  la  Revue  Musicale  de  février  191M,  avec  d'autres  pièces. 

2.  Aussi  bien  que  la  manière  de  registrer  les  anciennes  œuvres. 


—  83 


*  Plein-jeu  du   Posi- 
tif. 

Jeu  doux 


Jeu  musical  (sic). 

Gros  Bourdon. 

Doublette. 

Jeu  du  Flageolet. 


Jeu  du    l-ARIGOT. 

Gros  Cornet. 
*  Cornet. 


Petit  Cornet  (au  Po- 
sitif, pour  jouer  en 
écho). 

Cymbale. 


Nasard  ,      au    Grand 
Orgue. 


Id. 


Au  Positif. 


Montre    S,     Prestant,  Dou- 
blette, Fourn.,  Cymbale. 

Très  doux  :    Bourdon  lô  et      *  8   p.    ouvert,    Bourdon  8, 
8,  Tremblant.  Prestant. 

Très  doux  :  Bourdon  i6,  8,      *  ou  :  Bourdon,  Prestant. 
Flûte  allemande  4,  Trem- 
blant. 


R.  8,  et  Doublette. 

B.  iG  et  8,  Flageolet,  ou  en 
ajoutant  Nazard  et  Trem- 
blant. 

Ou  : 

B.  16,  8,  Prestant,  Flageoler, 
Cromhorne,  Tremblant. 

B.  16,  Prestant,  Flageolet 
(jeu  aigu). 

Ou,  au  Positif. 

B,  8,  Flageolet  ;  ou  en  ajou- 
tant Cymbale  et  Trem- 
blant. 

B.  16,  8,  Larigot,  avec  ou 
sans  Tremblant. 


B.  16  et  S,  Prestant,  Dou- 
blette, Cornet  :  ou,  à  dé- 
faut de  cornet,  ajouter  : 
Nazard,  Tierce  et  Larigot- 
((  Cornet  entier  ». 

Ce  dernier  mélange  a 
porté  depuis  le  nom  de  Jeu 
de  Tierce   (voir  plus  loin). 

B.  8,  Prest..  Doubl.,  Flag  , 
Tiercette  (  Voir  aussi  au 
Nazard), 

B.  16,  8,  Cymbale,  avec  ou 
sans  Tremblant. 

-  Gros  Nazard,  B.  16,  8, 
Prestanr. 

—  Gros  Nazard,  B.  8,  Dou- 
blette, Prestant  ou  en 
izjoutjnt  Flageoler,  Tierce 
et  Tremblant. 

—  Petit  Nazard.  B.  16,  8. 
Prestant,  Doublette,  Lari- 
got, c'est  un  «  Nazard  très 
fort  ». 

—  Nazard,  Bourdon  S,  Pres- 
tant, avec  ou  sans  Trem- 
blant. 

—  Nazard  et  Doublette. 
«  Fort  Nazard  en  quarte  », 


B    16,  Prestant. 

B.   16,  8  p.  ouv.,  Prestant. 

Id. 
*  B.    8,    Flageolet;    ou    en 
ajoutant  Nazard. 

[Nivers  mentionne  en- 
core ce  jeu,  en  iG65,  mais 
n'y  emploie  pas  le  Nazard 


[Id.  pour  le  Larigot.] 

B.   16  et  8,    Nazard,  Tierce 

et  l'iag.  I. 
Ou  : 

B.  16,  Prestant,  Tierce  (i). 
*  B,  8,  Prest.,  Cornet  avec 

ou  sans  Nazard. 


B.  8,  Cymbale. 
Ou  Cymbale,  Nazard,    Flûte 
de  2  pieds  bouchée  (4, 

—  Nazard,  B.  8,  Fl.  2  bou- 
chée ;  P'I.  i. 

—  Nazard,  B.  8. 


—  Nazard,    Fl.   2    bouchée; 

Flag.  I. 
(V.  ci-dessus  à  Flageolet.) 


I.  Cette  regisiration  de  Raquette  est  destinée  aux  orgues  où  le  jeu  de  cornet 
séparé  ou  indépendant  n'existait  pas  :  l'une  de  celles  de  Mersenne  la  rappelle. 
Ces  registrations  sont  précieuses  pour  nous  :  elles  font  connaître  les  mélanges  qui 
peuvent  suppléer  à  la  sonorité   du    cornet. 


-84- 


Gromorne. 


Voix  humaine. 


Trompette. 
Clairon. 


Trompette    et   Clai- 
ron, 
*  pédale  de  flute. 


*    PÉDALE    d'anche. 


«  jeu  renversé  (sic)  pour 
jouër  quelque  fantasie  en 
façon  de  Cornet  sur  deux 
claviers  ». 

—  Nazard  et  petit  Nazard, 
B.  8,  Prestant,  Doublette, 
«  Nazard  fort  ». 

—  Nazard,  B.  8,  Flageolet. 
«  Excellent  ». 

B.  i6,  8,  Prestant,  Crom. 


B.   i6,  8,  Prestant,  Voix  hu- 
maine. 


Montre  i6,   B.   8,   Prestant, 

Tro. 
B.  i6,   8,   Prestant,  Nazard 

(2  2/3),  Clairon,  avec   ou 

sans  Tremblant. 
M.   i6,  B.  8,  Prestant,  Dou- 

blette. 


—  Nazard,  B.  8,  FI.  i. 

B.  8,    Prestant    ou    Nazard 

Crom. 
B.  8,  Nazard,  FI.  i,  Crom. 

*  Voix  humaine,  avec  B.  8 
seul,  ou. 

*  —  B.  8,  Prestant  ou  Na- 
zard. 

—  B.  8,  Nazard  et  Clairon. 
Avec, 

—  Prestant. 

*  —  B.  8,  Prestant. 

—  B.  i6  ou  de  8. 

—  Nazard,  Fl.  2  bouchée. 

B.  8,  Prestant. 

*  Fl.  de  8  [bouchée],  avec  : 
B.  i6,    Fl.  2  bouchée    au  G- 

O.  ou  Nazard. 

*  Jeu  d'anche  de  8  ,  avec 
8  p.  B.  8,  Prestant  et  Gro- 
morne : 

OM  :  8  p.  B.  8,  Prestant,  Fl. 
2  bouchée.  Clairon. 


Mersenne,  dans  ses  deux  ouvrages,  donne  de  plus  un  certain  nombre 
d'autres  «  jeux  composés  »,  mélanges  qui  achèvent  de  nous  faire  con- 
naître le  goût  des  organistes  du  commencement  du  xvii*=  siècle  : 

Au  Grand  Orgue  : 

M.  i6,  et  B.  8,  «  fort  harmonieux  ». 

M.  i6,  B.  8,  Prestant,  Doublette,  avec  ou  sans  Trompette,  «  robustis- 
simus  ». 

M.  i6,  Prestant,  B.  8,  Doublette,  Tierce,  «  jeu  fort  aigu  ».  (C'est  en 
effet  un  Cornet  sans  la  quinte  du  Nazard  ni  le   i  1/2  p.) 

Au  Positif: 

B,  8F1.  ail.,  Trembl. 

M.  8,  Prestant,  Fl.  ail,,  «  jeu  harmonieux», 

M.  8,  B.  8,  Prestant,  Doublette,  «  bien  fort  ». 

M.  et  B.  8,  avec  ou  sans  Tremblant,  «  fort  mélodieux». 

Enfin,  si  l'on  joint  le  Cromorne  au  Nazard,  on  imite  une  excellente 
Musette;  et  Ton  obtient  un  jeu  très  beau  en  joignant  le  Cornet  à  la  Trom- 
pette ou  au  Clairon,  avec  Tremblant  :  ce  jeu  «  imite  plustost  le  Haut- 
bois ». 

Il  est  des  plus  curieux  de  constater  qu'à  la  fin  de  notre  période  clas- 


—  «D 


sique,  Bédos,  comme  son  lointain  prédécesseur  Mersenne,  cherche  à 
imaginer  des  mélanges  rares  ou  singuliers,  par  exemple  : 

Pour  imiter  la  flûte  allemande,  G.  O.  et  Pos.,  tous  les  8  p. 

Pour  imiter  les  petites  flûtes,  ou  flûtes  à  bec  :  G.  O.'et  Pos.,  Prestants 
et  fl.  4. 

Pour  imiter  les  fifres  :  G.  O.,  B .  8,  4'^  de  Nazard  et  Doublette  ;  Pos., 
deux  8  p.,  Pr.,  Larigot. 

Pourimiter  le  flageolet  :  G.  0.4*""  de  Nazard  et  Doublette;  Pos.,  deux 
8  p.  pour  l'accompagnement. 

Pour  imiter  les  petits  oiseaux  (!)  :  petits  nazards  du  G.  O.  et  du  Pos., 
en  touchant  une  quarte  plus  haut,  ou  une  quinte  plus  bas. 

Arrêtons-nous  là  ! 

C'est  dans  la  période  avoisinant  i635  —  Raquette  mourut  en  1640  — 
que  se  développent  toutà  couples  duos,  lestrios,  les  quatuors,  les  récits 
non  seulement  de  cornet,  mais  de  cromorne,  de  voix  humaine,  de  trom- 
pette, les  solis  «  en  taille  »,  les  «  concerts  de  flûtes  »  opposés  aux 
«  grands  jeux  d'anche  »,  qui  vont,  créant  des  genres,  enrichir  la  litté- 
rature de  l'orgue,  mais  aussi  fixer  une  registration  quasi  définitive  dont 
les  organistes,  pendant  trois  cents  ans,  oseront  à  peine  se  départir.  Les 
vieux  mélanges  décrits  par  Mersenne,  et  même  certaines  améliorations 
ou  innovations  de  Raquette,  ne  seront  plus  désormais  que  des  fantai- 
sies auxquelles  aucun  artiste  ne  pensera  plus  :  en  particulier,  les  mé- 
langes où  dominent  les  jeux  graves  ou  les  jeux  aigus  disparaîtront  tota- 
lement. 

L'orgue  classique  est  créé . 


APPENDICE 


APPENDICE 


Un  ((  Traitté  des  orgues  »,  du  commencement  du  XVII«  siècle 

Un  érudit  de  Bordeaux,  Pierre  Trichet,  a  rédigé  un  très  intéressant 
«  Traité  des  instruments  de  musique  »,  où,  parmi  quelques  confusions 
et  avec  certaines  lacunes,  il  a  écrit  de  fort  suggestifs  chapitres  entre 
autres  sur  les  orgues.  Son  œuvre,  inédite,  se  trouve  à  Paris,  à  la  Biblio- 
thèque Sainte-Geneviève  (ms.  1070),  et  mériterait  les  honneurs  sinon 
d'une  reproduction  intégrale,  du  moins  de  ses  parties  principales.  Cor- 
respondant de  Mersenne,  et  paraissant  avoir  commencé  ses  recherches 
avant  lui,  il  a,  dans  sa  copie  définitive,  qu'il  destinait  à  l'impression, 
«  retranché  beaucoup  de  choses  expliquées  par  le  mesme  Mersenne 
afin  d'éviter  la  rencontre  du  discours,  et  de  n'user  point  de  redites  ». 

Déjà,  dans  un  chapitre  d'introduction,  il  donne  quelques  détails  utiles 
à  notre  sujet  : 

Fo  25  :  Il  y  a  quelques  instruments  pneumatiques  qui  ont  besoing  d'Anches,  comme 
sont  le  Cleron  ',1a  Musette,  le  Basson,  le  Haubois  et  autres,  tant  polyphones  que 
monophones  ^,  Il  y  a  pareillement  des  tuiaux  d'orgues  ou  l'on  met  des  Anches, 
comme  au  jeu  des  Trompettes,  aux  Clerons,  aux  Regales,  aux  Voix  humaines,  aux 
Gromhornes,  au  jeu  d'Harpe^, et  a  quelques  autres  :  et  il  faut  remarquer  qu'aux  tuiaux 
a  anches  les  Languettes  se  meuvent,  et  qu'aux  autres  elles  demeurent  immobiles  ». 
[Suit  la  description  des  Anches,  de  leurs  rasettes,  etc.] 

Le  chapitre  1  est  intitulé  :  «  De  l'orgue  pneumatique  »  ;  il  comprend 
deux  parties,  dont  la  première  est  une  très  bonne  dissertation  histo- 
rique, qui  témoigne  d'une  immense  lecture  et  d'une  grande  sagacité. 
Elle  renferme  de  curieux  détails  sur  quelques  orgues  d'Italie,  d'Alle- 
magne, etc.,  de  la  fin  du  moyen  âge  et  du  xvi'" siècle.  La  description  de 
l'orgue,  de  sa  construction  et  de  sa  facture,  de  son  jeu,  commence  au 
f"  9.  Trichet  établit  encore  sa  description  sur  des  orgues  assez  an- 
ciennes, et  pour  des  instruments  à  un  clavier  : 

F»  1 1  :  Le  diapason  [c'est-à-dire  l'étendue  de  roctave]  y  est  quelquefois  triplé,  et 
quelquefois  quadruplé,  faisant  commencer  le  plus  souvent  la  première  marche 
[touche]  par  F  ut  fa...  Je  ne  dirai  rien  ici  ni  du  second  Clavier  nouvellement 
adiousté  a  l'Orgue,  et  placé  un  peu  plus  haut  que  le  clavier  ordinaire  :  ni  aussi  du 


1.  On  voit  que  les  clairons  cités  par  les  anciens  textes  n'ont  point  de  rapport  avec 
ceux  du  genre  trompette  appelés  ainsi  au  xix=  siècle.  L'ancien  clairon,  instrument  à 
anche,  est  d'ailleurs  le  prototype  de  la  clarinette,  son  diminutif. 

2.  L'auteur  avait  écrit  d'abord,  en  donnant  cet  intéressant  détail  :  «Comme  aussi 
certains  cornets  et  sifflets  dont  se  servent  aujourd'hui  les  chasseurs  ».  C'est  le  prin- 
cipe du  saxophone. 

3.  Comparez  plus  haut,  p.  70,  le  devis  de  i^3o  d'un  orgue  de  Troyes. 


Clavier  des  Pédales  ;  sur  tous  lesquels  on  peut  ioùer  séparément  ou  conioicte- 
ment  comme  on  veut  ;  sur  l'un  avec  les  pieds,  et  sur  les  deux  autres  avec  les  doigts 
de  l'une  et  l'autre  main.  [Jeu  en  trio  ou  quatuor.] 

Sur  la  sonorité  des  jeux,  description  chatoyante  et  amusante  : 

Fo  9  :  On  y  peut  ouïr  le  chant  de  l'Alouette,  le  gringotement  du  Rossignol,  le  bour- 
donnement des  Pédales,  le  bruit  des  Tambours,  les  fanfares  des  Trompettes,  le  reten- 
tissement des  Clerons,  le  cliquetis  des  Cymbales,  le  tintement  des  Cloches,  le  nazar- 
dementde  la  Harpe,  le  crissement  des  Regales  ou  Voix  humaines,  bref  le  son  de  la 
pluspart  des  instruments  de  musique,  comme  le  ieu  des  Flustes  douces,  des  Fifres, 
Flageolets,  Arigots,  Haubois,  Bassons  *,  Cornets,  Cromornes,  Musettes,  Violons  2, 
avec  les  ieux  de  la  Montre,  du  Prestant,  de  la  Doublette,  de  la  Tiercette,  du  gros 
Bourdon,  du  petit,  et  du  fort  Nazard,  dit  autrement  jeu  renversé:  a  quoi  on  peut 
adiouster  le  Tremblant  qui  n'est  pas  un  ieu  particulier,  mais  est  tel  que  le  noir  et 
blanc  qui  ne  sont  vrayeinent  couleurs,  mais  se  peuvent  mesler  avec  les  autres  cou- 
leurs, et  leur  donner  un  nouveau  lustre  en  les  diversifiant. 

F"^  II  et  12,  l'auteur  parle  de  l'accord  et  du  tempérament  :  page  très 
intéressante.  J'en  extrais  ceci  : 

Les  instruments  de  musique  tant  anciens  que  modernes  ont  les  consonances  telle- 
ment imparfaites  qu'il  est  presque  impossible  de  les  réduire  a  leur  perfection.  Neant- 
moins  pour  faire  qu'elles  en  approchent  on  a  trouvé  bon  de  rendre  tous  lestons 
esgaux  tant  qu'on  peut,  Tellement  qu'on  retranche  quelque  chose  des  tons  maieurs, 
qui  sont  en  raison  sesquioctave,  pour  augmenter  les  tons  mineurs,  qui  sont  en  rai- 
son sesquinone.  Sans  cet  expédient  on  ne  pourroit  pas  aisément  faire  des  transpo- 
sitions 3. 

po  12  verso,  il  traite  des  ornements  de  la  façade  : 

Je  laisse  à  part  les  enjoliveures  et  divers  ornements  qu'on  a  inventé  pour  rendre 
les  Orgues  plus  prisables  :  comme  sont  des  anges  qui  sonnent  de  la  Trompette  *, 
des  roues  qui  font  tourner  des  estoilles,  des  testes  de  géant  qui  remuent  les  mâchoi- 
res ^,  divers  ouvrages  entaillés  tant  au  bois  de  la  Montre  ^  que  du  Positif,  des  por- 
traits ou  devises  tant  sur  les  [tuyaux  de]  Pédales  que  sur  les  autres  gros  tuiaux  ''. 

Les  folios  i3  et  14  sont  consacrés  à  la  Tabulature  française  et  à  la 
Tabulature  espagnole,  minutieusement  décrite,  avec  un  exemple  tiré 
des  œuvres  de  Gabeçon. 

Le  chapitre  n  est  consacré  aux  «  Orgues  hydrauliques  ».  Trichet  a 
toutefois  le  soin  de  faire  remarquer  que  les  instruments  nommés  ainsi 

1.  Aucun  auteur  ne  cite  de  jeu  de  Basson  à  cette  époque  dans  les  orgues  ;  mais  il 
est  possible  qu'il  ne  s'agisse  ici  que  de  la  basse  du  Hautbois. 

2.  Le  jeu  de  viole   n'était  pas  usité  en  France,  mais  en   Espagne  ;  voir  p.  70  et  72. 

3.  Le  passage  est  d'autant  plus  intéressant  qu'un  ouvrage  un  peu  moins  ancien, 
le  Traité  de  l'accord  de  l'Espinette  augmenté  d'un  chapitre  sur  les  orgues  dans  l'édi- 
tion de  i65o,  de  Jean  Denis,  facteur  parisien,  nous  apprend  que,  entre  autres,  l'or- 
gue de  la  Sainte-Chapelle  n'était  pas  encore  tempéré.  De  telle  sorte  que  lorsque  le 
choeur  chantait  un  Magnificat  a  cappella  du.  second  ton  finale /a  dièse,  l'orgue  lui 
répondait  de  préférence  en  sol  mineur,  pour  ne  pas  avoir  des  tierces  fausses,  le  ton 
de  fa  dièse  mineur  étant  impraticable  sur  les  instruments  «  justes  ». 

4.  Voir  p.  45,  et  la  note  de  la  p.  7 1  sur  l'orgue  de  Gisors  en  1 578. 

5.  Comme  à  Metz,  voir  p.  45. 

6.  Il  est  très  remarquable  que  Trichet  cite  encore  les  Montres  de  bois.  Le  vieil 
orgue  de  Saint-Gervais,  à  Paris,  contient  encore  une  partie  des  tuyaux  de  la  montre 
du  xvie  siècle,  qui  sont  ainsi  ornés  de  rinceaux  style  Henri  II. 

7.  Voir  le  trente-deux  pieds  de  Rouen,  dès  le  xv»  siècle  (ci-dessus,  p.  48). 


-89- 

de  son  temps  n'ont  point  de  rapport  avec  les  hydraules  des  anciens  (ce 
qui  ne  l'empêche  pas  d'accumuler  tous  les  textes  antiques  sur  ce  sujet). 
Ces  orgues  hydrauliques  sont  tout  simplement  des  orgues  mécaniques 
avec  rouleaux  enregistreurs,  dont  le  mouvement  est  déclenché  par  une 
chute  d'eau,  un  moteur  hydraulique,  etc.  L'auteur  cite  entre  autres,  du 
XV'  siècle  et  du  xvi^,  ceux  des  jardins  pontificaux,  de  la  villa  d'Esté,  du 
château  de  Sainf-Germain-en-Laye,  etc. 

Ce  traité  de  l'orgue  est  précédé  de  l'image  d'un  petit  instrument, 
clavier  et  façade  ;  le  clavier  a  trois  octaves  dont  la  dernière  incomplète. 
Les  plus  gros  tu3'aux  sont  placés  à  droite  et  à  gauche,  en  «  mitre  » 
comme  les  orgues  du  xv*  siècle,  les  moyens  et  les  plus  petits  au  milieu, 
en  deux  étages,  ceux  du  bas  pareillement  en  mitre  ;  le  tout  est  sur- 
monté d'une  corniche  unique  et  d'un  fronton  style  renaissance. 


<::fo      c^      «:§=» 


ADDITION  I 

à    rOrffue  antique. 


Un  texte  curieux  du  vi"  siècle,  qui  m'avait  échappé,  et  que  je  trouve 
dans  une  vieille  édition  des  lettres  de  Théodoric  à  Boèce,  montre  que 
les  nrgues  étaient  déjà  susceptibles  de  bien  des  effets  : 

(»  Organa  extraneis  vocibus  intonant,  et  peregrinis  flatibus  calamos 
complent,  ut  musica  arte  possint  cantare...  Metalla  mugiunt,  Diomedis 
in  aère  grues  buccinant  ^,  asneus  anguis  insibilat,  aves  simulatoi  fritin- 
niunt,  et  quai  propriam  vocem  nesciunt,ab  aère  dulcedinem  cantilena^ 
probantur  emittere  ». 


ADDITION  II 


Un  jeu  d'anches  du  xi'  siècle  et  sa  soufflerie.  (Voir  planche,  page  34.) 
L'un  des  types  de  portatifs  que  j'ai  reproduit  plus  haut,  page  40,  I 
(2'  dessin)  fait  connaître  le  détail  du  montage  d'un  jeu  de  tuyaux  de 
bois,  du  type  flûte  ou  bourdon,  et  il  est  aisé  d'y  reconnaître  le  même 
système  toujours  en  usage.  D'autres  illustrations  des  manuscrits  per- 
mettent de  constater  que  la  disposition  des  jeux  d'anche  était  aussi, 
dès  le  XI*  siècle,  celle  que  nous  avons  conservée.  Mais  je  n'en  connais 
aucune  aussi  nette  que   celle   de  la  magnifique   Bible  de  saint  Etienne 

I.  Comparez  ce  que  disent  les  auteurs  antiques  sur  le  timbre  nasillard   de  certai- 
nes anches  ;  v.  p.  9  et  2 1 . 


—  go  — 

Harding,  abbé  de  Cîteaux,  manuscrit  terminé  en  1109  (actuellement 
manuscrit  14  de  la  Bibliothèque  de  Dijon).  Apparenté  de  très  près  au 
Psautier  d'Eadwin  (Cambridge,  Trinity  Collège,  R.  17.1),  à  celui  du 
British  Muséum  (Harley,  6o3),  et  au  manuscrit  latin  8846  de  notre 
Bibliothèque  Nationale,  tous  trois  du  cours  du  xii^  siècle,  le  manuscrit 
de  Dijon,  plus  ancien,  est  aussi  plus  soigné  et  plus  artistique.  Une  mi- 
niature qui  accompagne  le  Psaume  cl  renferme  entre  autres  instru- 
ments le  dessin  d'un  petit  jeu  d'anches,  dont  joue  un  organiste  assis  sur 
un  banc.  L'absence  de  buftet  laisse  voir  les  supports  du  sommier,  dont 
Tun  au  moins  contient  le  porte-vent  ;  au  premier  plan,  le  soufflet,  dont 
le  souffleur  ne  figure  pas  dans  le  dessin.  La  petitesse  de  la  miniature 
n'en  permet  pas  une  reproduction  directe  qui  puisse  être  utilisée  :  j'en 
donne  seulement  le  schéma  d'un  agrandissement.  On  peut  y  constater 
la  forme  très  nette  des  tuyaux,  disposition  devenue  classique  pour  les 
tuyaux  d'anche  :  noyaux  destinés  à  contenir  les  anches;  ils  sont  de  même 
hauteur  ou  à  peu  près  pour  tous  les  tons;  tuyaux  en  entonnoir  allongé, 
montés  sur  les  no3raux  ;  peut-être  quelques  lignes  tracées  dans  le  sens 
longitudinal  de  ceux-ci  indiquent-elles  les  rasettes  qui  maintiennent  les 
languettes  et  servent  à  les  accorder.  En  tout  cas,  l'illustration  est  pré- 
cieuse, et  montre  qu'à  côté  de  l'emboutissage  des  jeux  à  bouche,  le 
dispositif  des  jeux  d'anche  était  pratiqué,  tel  qu'il  l'est  toujours,  dès  au 
moins  les  premières  années  du  xn*  siècle,  et  sans  doute  au  xi^. 

On  remarquera  que  Torganiste  semble  placé  sur  le  côté;  par  consé- 
quent le  clavier  a  déjà  un  abrégé  pour  communiquer  avec  les  tuyaux 
placés  longitudinalement. 


TABLE 

des  noms  d'anciens  facteurs  et  organistes, 
de  pays,  de   termes  techniques  cités  dans  cet  ouvrage 


Pages. 

abrégé i5,  40,42,45-6,90. 

accompagnement.  .  3,  35-38,  4N,  76. 

accouplement.     .     .       40,  41,  46,  47,  67. 
airain  (V.  bronze). 

Aix-la-Chapelle 32,  33. 

Alexandrie 7  et  s.,  18,  21. 

Allemand,   Allemagne.      38,  48,   57,  69, 

72  et  s.,  87  s. 

Amiens 41,  45-48,  73. 

anches.     7,  32-35,  41,  67-74,  84,  85,  87  s. 

Angers 44,  45,  48-30. 

Angleterre.       ...  34,  68,   75,  90. 

argent  (tuyaux  d') -  3o,    49. 

arigot  (v.  larigot), 

Arles. 23. 

Arnault  (Henri) 63. 

Arras 63. 

aulos 16,  18,  22,  41. 

Aurillac 33,    34. 

basse 41,  33  s.,  74,  79. 

basse-trompette  (voir  sacqueboute). 

Rayonne 49. 

Belgique,  belge.      45,  47,  63,70,73,  75, 

78. 

Béziers .      70. 

Bordeaux i3.  87. 

Boudefert 47. 

bourdon.    .     .       33,  40,  43,  71,  73,  83  s. 

Bourgogn< 39. 

Boussac    .     .  ...  ...       43. 

Boyvin.    .......       73,     79. 

bronze   (tuyaux     de).       9,  11,  12,  32,  36. 

brustpositiv 46,47. 

buflet.       ...       21,  37,45-49,  5o,  52. 

Byzance,    byzantin 24,  36. 

(V.  aussi  Constantinople). 

Cabeçon.      .....       43,  69   s.,  88. 

calamus  (v.  chalumeau). 

Carthage 10,   17  et  s. 

chalumeau.   16,24,41,  42,47,62,67,73,89. 
Chartres.  .       33,  44,  48,   5o,  55,  59. 

chromatique.    .       19,  37,  42,  43,  46,  74. 

clair-voir 5o. 

clairon 68,   73,  84,  s.,  87  s. 

clarinette 16,    74. 


Pages. 

clavier.       i5,  18,  19,  34  et  s  ,  5i,  61,  67, 
70,  8r>,  87,  89. 

Clermont 23. 

Cléry 49. 

Gluny 33,  38. 

Compiègne 3i. 

Constantinople.       23,  24,  3o,  36,  36,  43. 

cornet 67  et  s.,  83  î, 

cromorne.    .     .     .       76,  81  et  s.,  87  et  j. 

Ctésibios 7,  8,   19. 

cuivre 3i,     36. 

cymbale.      24,32  et  s.,  41 ,  47,  67  s.,  83  s. 

déchant 39,  54,  61. 

Denis  (Jean  \ 88. 

dessus 44,  69,  73. 

diapason 36,  37,  62. 

diatonique 18,    37,  41,   42. 

Dijon.   ...      41  et  s.,  54,  61  et  s.,  90. 

dorés^ (tuyaux) 45,    48. 

double  principal 39,40,46. 

doublette 67,  72,  73,  83  s- 

douçaine,  doucine 69,    70. 

dulciana  (V.  le  précédent). 

Dunstan  (saint) 33. 

écho 47.  78.  80  et  s. 

école  d'orgue    ...  ....       55. 

Embrun 49- 

éolipyle 34. 

Escorial 43,  69. 

Espagne. 43.  69,  71-80. 

étain.      .     .       36,  42,  46,  48,  63,  71  et  s. 

étoffe 36,  63. 

Exeter •      68. 

Jalso,  fausset 36,  69,  70. 

Fécamp ^4- 

feinte ^^7- 

fifre 68    et    s.,  85. 

fistula 18,  41,  61. 

flageolet.     .     .       43,  68,  72,  73,  83  et  s. 
flûte.       11,16,    18,  24,  3o,  38  et  s.,  67  et 

s.,  84,  85,  89. 

flûte  double 69.      o. 

—     triple.  ....       47- 


—   92 
Pages. 

flûte   de  Pan 7,  g,  21. 

fonds.  ....      40,  67,  70. 

fournitures.       16,  84,  38   et   s.,  61  et  s., 

72  et  s. 
Frescobaldi.     .  .  ....      78. 

fugue,  fugué. 73,  80. 

gambe '7,  32,  70,  75. 

Georges,  prêtre  vénitien.  ...  32. 
Gerbert  d'Aurillac.    .  .     .     .       33. 

Gisors.      ......  71,  88. 

grand-corps 46,   48,  5o. 

grand-orgue.       3,  12,  35,  3'',  41  et  s.,  67 

s.,  81  et  s. 
Grenoble.  ....       23,  44- 

grosswerk.       ...  ....         46. 

gueulard 41,71. 

Guillaume  de  Machaut.       3,   43,    36,  bj . 

Haguenau       47- 

harmonium 43,  69. 

harpe 69,  70,   79,    87  s. 

hautbois.  .  .  16,69,70,73,84.87  s. 
Héliogabale  (l'empereur).  ...  10. 
Héro  d'Alexandrie.     .       3,8,  n,  12,  18. 

Hombleux 49,  5o. 

huit  pieds.     .     .  40  et  s..  67,  72.  79. 

hydraule 33  et  s.,  88-89. 

hydraulicon 7,    i3,  16. 

Italie.     .     .     .      41,  67, 68,  71  et  s.,  87. 

Jean  de  Berge 47- 

Jean  de  Soignies 4-^- 

Jérusalem 3o. 

jeux  coupés 39. 

Julia   d'Arles 23. 

Jousseaume  ou  Jousselin  (Honthus). 

48,  49. 

jubé 44> 

Krebs  (Friedrich).     .     .  ...      46. 

Kyre  (Jean) 63. 

La  Ferté-Bernard 49- 

LambaUe 49- 

Langensalza 47- 

languette.     ...       7.  16,   19,  68,  87  s. 

larigot 43,72.  73,  83  et  s. 

Laurent 10. 

Léonin ...       54. 

Liège y3,     7H. 

Limoges. 33,     54. 

livres  d'orgue 5i   et  s.,  58, 

Louis  de  Walbeck    ....      45. 

Lucques 41- 

lune 45,     71. 

luth 23,  76,  yj,  81. 

lyre 24,  32,   70. 

Magdebourg 37. 


Pages. 

Maurostos   . 29. 

Meaux.    ...  44. 

mélange  des  jeux.     .        71,  81  et  s.,  88. 

mercure 42,     63. 

Mersenne.    .     .        70  t\  s.,  80  et  s..  87. 

Merulo 78. 

Metz.        .     .'.     .      41,  47  et  s.,  71,  88. 

mitre 43,  46,  3o,  89. 

montre.  17,  38, 40,  46  et  s,  71  et  s.,  88. 
musette.  ....  69,  70,73,84,  87  s. 
mutation.-.       17,  32,  34,  40,  6y,  70   et  s. 

nasard.     .     .       9,  17,  40,72,  73,  83  et  s. 

Nennig.   . 10,   18,  21. 

Néron  (l'empereur)  .     .     .       9,    10,    21. 

Nevers 39,  44,  61. 

Nivers '    .     .      71,  79  et  s. 

octave 38-45,   67,  yi. 

octave  grave 38   et  s. 

octavin 6j. 

oiseaux  (petits) 3o,  71,85. 

Orléans 44. 

Orange 23. 

organistes.       23,  34,  35,  41,42,  47,  55-59. 

organum.     .       23,  29,    36  et  s.,    5i   et  s. 

—      pur 36,  53  et  s. 

Paris.      4,  24,   38,  42,  44,   5o  et  s.,  69, 
74,  80  et  s.,  88. 

pavane 77,  78, 

pédale,  pédalier.       33,  41,  47,  48,  67  et 

s.,  84.,  88. 
Pérotin  le  Grand.     .       4,   38,42,  5i,  54. 

Perpignan.    . 49,     5o. 

petit  orgue 12,  35,  44. 

Pétrone 22. 

Pierre 22. 

plain-chant 74,     76. 

plate-face 43,  46,  5o. 

plein-jeu.     .     .       34,  39,  41,  69,  75  et  s. 
plomb.     ...       3i,  36,  ^r,  42,46,63. 

Poitiers 47. 

pompe 8,     i3-i5,    19. 

Pompéi 9,  21. 

Ponchet  (Guillaume) 70. 

portatives  (orgues  à    bras).       12,  3  3,  42 

et  s. 

positif,    positives  (orgues).      4i-5i,  62, 

67.  6>i.  73,  83  et  s.,  88. 

Possessor 22. 

prestant.     .     .       17,  40,43,  47,  71  et  s. 

pression 20,  Sq,  68,  73. 

principal.     .     .       17,  40  et  s.,  61 ,  68,  71. 

quatre    pieds  ....       41,  43,  47,  67. 
quinte.     .     .       g,  17,  18,  35,  40  et  s.,  67. 

rang,  rangée.       11,    16,    17,  19,    34,   35, 

72  et  s. 
Raquette  fClniude).     ...      4,81  et  s. 


—  n^  — 


Pages. 

récit  (solo) 76  et  s. 

récit  (clavier) 46. 

régale.        ,       35,43-49,07  et  s.,  87  et  s. 
registres     ....       1 0,  40  et  s.,  47, 61. 

relevage 44,  68. 

Reims    ...       23,   33  et  s.,  44,  56,  58. 

Richard  (Etienne) S2. 

rigabellum  (v.  régale). 

Rogerie  (Gombautl 48. 

Rome 29,  43,  6/,  68. 

rossignol.  70    et  s. 

roue ...        41,71,  88. 

Rouen.      4,40  et  s.,  58,  68,  6y,  75,  80,  88. 
rueckwerk 46. 

sacqueboute 68    et   s  ,  78. 

Saint-Bertrand  de   Corominges.     .       5o. 

Saint-Gall 3i,  32. 

Saint-Maur-les-Fossés 54. 

Saint-Savin   (Poitou),    33    ;  —    (Hautes- 
Pyrénées) 49. 

Salinis 42. 

Scaptia  Gapiiolinus 12. 

seize  pieds.     .     .     .       39,46,67,68,75. 

Senlis 44. 

séparé  (jeu) 47,  48,  67,  72. 

.«ix  pieds 40,  43,  (.7,  69. 

soleil 45,     71, 

Soliès-Ville 49. 

sommier.      .     .       i3,  16,  19,   25,47,61. 

sonnette 70. 

soufflerie,  soufflet,  souffleur.       u  et  s., 
3o,  34  et  s.,  45,  48,   5q,  61  et  s.,  90. 

Strasbourg 44  et  s. 

Sweelinck.' So. 

syringe 7. 

tabulature 38,  52,  76,  88. 

taille 79,  81,  85. 


Pages. 

Tarse 9. 

tempérament 88. 

ténor 41,  47,  ôi. 

tenue,  teneure  .     .     .  38  et  s.,   54. 

lête  de  More 71,  88. 

Thaïs  d'Alexandrie.    ....       7. 

tierce 68,   72. 

tiercette 74. 

tirasse 47,  67,  74. 

Titelouze  ...      4,    48,  69,  73  et  s. 

tonnerre '    3o,  32,  38. 

touche.       II.  1 5,  20, 34.37,  39  et  s. ,46, 87. 

Toul 44. 

Toulouse 46,  47. 

tour,  tourelle 37,   45   et  s. 

Tours 4q. 

tremblant 69,  74,  81  et  .<:. 

trente-deux  pieds.    .     .     .      47,    48,  67. 

Trichet ...       87. 

trio,  triple  ....       3,  38,  43,  55,  85. 

tribune 46,    47. 

trombone  (»'.  sacqueboute.) 

trompe 45,     47. 

trompette.       10,   24,    3o,  68,    70    et    s., 

81  et  s.,  87  et  s. 

Troyes.     .     .     .      44,  4g,  58,  68  et  s.,  87. 

tuyaux  (en  général).     16,24,  3o,  34  et  s. ,89. 

Ulrich  Engelbert 44. 

verset 36,  52,  53,  58,  76. 

vingt-quaire  pieds  .....       47,  67. 
viole  (voir  gambe). 

virtuosité 57. 

Vitruve 11-14,  18,  19. 

voix  humaine.       69, 7. \73, 81, 84,  85,  87s. 

Winchester 34,  38. 

York 33. 


TABLE 

Des   Illustrations  et   Exemples 


Pages. 

Planche   I.        —  Type  de  l'Orgue  primitif 8 

—  II.       —  Schéma  de  l'hydrauie 14 

—  III.     —  Orgue   gréco-romain   et  son  organiste 20 

—  IV.     —  Jeu  d'anche   du  xi*  siècle  et  sa  soufflerie 34 

—  V.       —  Schéma  d'une  montre  et  de  son  abrégé,  xive  siècle 40 

—  VI.     —   Grand  orgue  d'Amiens  et  sa  tribune,  xv«  siècle 46 

—  Vil.    —  Types  de  positifs  et  de  portatifs  ;  schémas  de  façades  d'orgue  : 

xiie-xvi*   siècles 5o 

Poème  du  ive  siècle,  «  en  forme  d'orgue  » 25 

Tabulature  du  ix^  siècle. 5i 

—           —  xive  s-iècle 52 

Organum  pur,  xi^  siècle 54 

«  Triple  »  en  organum  pur,  xii«-xiii^  siècle,  de  Pérotin. 55 

Variation,  xiv®  siècle 56 

Organum  en   «  double  hocquet  »,  xiv*  siècle,  de  Guillaume  de  Machaut.     .     .  Sy 

Agréments,    xiv«-xve  siècles 57 

Versets  et  plains-chants,   commencement  du  xvi^  siècle 7^-77 

Préludes  de  luth,  fin  xvie  siècle 78 

«Tombeau  de   Raquette  »,  de  Gauthier  (1640) Si 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages. 

Préface 3 

I. —  L'Orgue  antique  ;  hydraules  et  pneumatiques 7 

Appendice  sur   l'orgue  gréco-romain 25 

II.  —  L'Orgue  en  France  au  moyen  âge 29 

Appendice  :  note  sur  quelques  anciennes  orgues,  extraites  du  ms.  latin  7295 

de  la   Bibl.  Nationale 61 

III.  —  L'orgue  en  France  et  son  style,  de  la  fin  du  xv  siècle  jusqu'à  i635.  67 
Appendice  :  un  «  Traitté  des  orgues  »,  du   commencement  du  xviie  siècle.  S7 

Addition  I,    à    l'orgue  antique 89 

—        II,  un  jeu  d'anches  du  xi»  siècle   et  sa  soufflerie.     .......  89 

Table  des  noms  d'anciens  facteurs  et   organistes,  de   pays,  de  termes  techni- 
ques cités  dans  cet  ouvrage 91 

Table   des    illustrations  et  exemples 94 


i'oilitrt.  —  Sociilé  frkojaiBC  d'Inifirimerio. 


Bibliothèques 

Université  d'Ottawa 

Echéance 


Libraries 

University  of  Ottawa 

Date  Due 


11  et 


'5'^0O3    0\  3073265b