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Full text of "Louise Lateau: Rapport médical sur la stigmatisée de Bois-d'Haine"

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LOUISE UTEAU. 



RAPPORT MÉDICAL 



SUR 



LA STIGMATISÉE DE BOIS-D'HAINE. 



o 



LOUISE LATEAU. 



RAPPORT MÉDICAL 



SLR 

LA STIGMATISÉE DE BOIS-D'HAINE 

FAIT 
A l'académie royale de médecine de BELGIQUE, 

au nom d'une Commission, 

par le Dooteur WABLOMONT, 

MEMBRB TITULAIRB. 



I^a gloire de Dieu est de cacher une chose 
L'honneur de Thomme est de la découvrir. 

Bacon . 



-STcî.^- 



BRUXELLES, 

C. MLQUARDT, LIBRAIRE DE LA COUR, RUE DE LA RÉGENCE. 

Même maison à Leipzig. 

PARIS, 

J. B. BAILLIËRE ET FILS, RUE HAUTEFEUILLE, 49. 

1875. 

Tous droits réservés. 



•' - -— - — . 








AHÎ h, 18ti8 










~HJ S(,2?. i- 



/ 




Oand. imp I .-S Van iJoosselaere. 



Dans un petit village du Hainaut qu'on appelle Bois- 
d'Haine, à proximité de la station de Manage, vit une jeune 
fille, aujourd'hui âgée de 24 ans, qui, depuis sept ans 
bientôt, y est l'objet de toutes les curiosités et de toutes les 
conjectures. Elle se nomme Louise Lateau. 

Jusqu'à ces derniers temps, l'Académie royale de méde- 
cine de Belgique était restée indifférente à tout le bruit qui 
s'est produit autour des faits, réputés étranges, dont la 
demeure de cette jeune fille est périodiquement le théâtre, 
et sans doute ne demandait qu'âne pas se départir de 
cette sage réserve : celui de ses membres qui s'en était le 
plus spécialement occupé ne l'en avait pas saisie, et elle 
manquait ainsi d'une base sur laquelle pût s'appuyer un 
débat quelconque à son sujet. 



. 6 - 

La lecture faite à sa tribune par M. le docteur Char- 
bonnier, médecin étranger à la Compagnie, de fragments 
d'un travail intitulé : « La maladie des mystiques; 
Louise Lateau « est venue modifier cette situation. Ces 
fragments ayant été publiés dans le Bulletin^ et TÂcadéniie 
ayant résolu qu'ils feraient Tobjet d*une discussion, la 
question Louise Lateau se trouva, par le fait, inscrite à son 
ordre du jour, n'attendant que son tour de rôle pour être 
appelée. Peu de temps après, M. Charbonnier déposait le 
travail même dont il n'avait lu que des extraits, et expri- 
mait le vœu qu'il fût inséré in extenso dans l'une des publi- 
cations de la Compagnie. C'est en vue de savoir s'il y avait 
lieu de déférer à ce vœu qu'a été instituée la Commission 
dont j'ai l'honneur d'être l'organe en ce moment (*). 

La Commission devait-elle se borner à examiner le mé- 
moire déposé, au seul point de vue de sa valeur scientifique 
absolue, sans se préoccuper du fait qui y servait d'appui ? 
Elle le pouvait peut-être, pour sa facilité, mais elle négli- 
geait ainsi l'occasion de mettre l'Académie en possession 
d'une observation médicale actuelle aussi complète que pos- 
sible, relativement à un fait dont, bon gré mal gré, la dis- 
cussion ne pouvait plus être éludée. Elle prit donc le parti 
de s'enquérir du fait d'abord, résolue, quelque ardue que 
dût être sa mission ainsi -comprise, à l'accepter sans parti 



• (1) La Commission se composait de MM. Fossion, président ; Mascart 
et Warlomont, rapporteur. M. Fossion, empêché, s'en est retiré et n'a 
pas été remplacé. 



— 7 - 

pris, et à déposer sous les yeux de la Compagnie les éléments 
tels quels que son enquête, toute oflScieuse, lui aurait pro- 
curés. C'est ce dépôt que je viens, en son nom, effectuer 
aujourd'hui. 

Mais, nous objectera-t-on, vos recherches ont-elles pu 
être complètes ? Je dois déclarer qu'aucune entrave n'y a 
été apportée. Dès les premières tentatives faites par l'au- 
teur de ce rapport, toutes les portes se sont ouvertes devant 
lui. Quelque indiscrètes qu'aient été parfois ses exigences, 
aucune d'elles n'a été repoussée. Je me fais un devoir d'en 
faire ici la déclaration formelle. Nos investigations, néan- 
moins, ont dû se borner aux faits se passant à la lumière 
du jour. Pour la Commission, comme pour tout le monde, 
l'enquête nocturne reste à faire. Il y a là une immense 
lacune. 

Nous livrons à l'Académie les faits qui sont parvenus à 
notre connaissance, avec un essai d'interprétation qu'il lui 
appartiendra de compléter. « Les académies, a dit M. Fal- 
lot (i), sont des sentinelles placées aux avant-postes des 
sciences, des lettres et des arts. Un point luit-il à l'horizon, 
elles se portent résolument au-devant de lui, pour recon- 
naître s'il vient d'un phare qui guide ou d'un météore qui 
égare, et en avertir incontinent le voyageur. Je les com- 



(1) Discussion sur la mission actuelle des académies. [Mémoires de 
l Académie royale de médecine de Belgique, t. IV, p. 199. Bruxel- 
les, 1857.) 



— 8 - 

parerais volontiers à des miroirs où cou vergeraient tous les 
rayons échappés des lieux d'étude et de travail, pour y 
retourner en gerbes étincelantes de lumière. » 

Les matériaux que nous avons pu rassembler ne sont 
qu'un étroit faisceau de ces pâles et timides rayons. 

Notre rapport se compose de trois parties et d*un appen- 
dice : la première partie comprend rOô^eri^a/ton médicale 
(1-18), la seconde Y Analyse et la discussion du mé- 
moire de M. Charbonnier (19-31), la troisième les Vues 
propres de la Commission sur le fait de Bois-d' Haine 
(32-82), l'appendice, les Questions contingentes (objets 
bénits, rappel, abstinence). 



PREMIÈRE PARTIE. 



Observation médicale* 



1 . Louise-Anne Lateau est née à Bois-d*Haine le 30 jan- 
vier 1850. Son père, alors âgé de 28 ans, mourut de la 
petite vérole le 17 avril suivant, laissant trois filles en 
bas âge : Rosine, Taînée, avait cinq ans, Adeline deux, 
Louise deux mois et demi. Leur mère faillit mourir en 
donnant le jour à Louise, et il lui fallut deux ans et demi 
de séjour au lit pour se rétablir ; enfin, pour comble de 
disgrâce, la dernière née avait contracté de son père la 
maladie à laquelle il venait de succomber. L'abandon fut 
complet, les dernières ressources furent vite épuisées et 
bientôt la faim commença à se faire sentir. Pendant deux 



— 10 — 

ans et demi, toute la maisonnée Técut de la charité. La 
veuve guérie, la situation s*améliora un peu, mais, obligée 
de travailler au-dehors la journée entière, elle devait le 
plus souvent laisser ses enfants livrés à eux-mêmes, les 
deux plus jeunes à la garde de Tainée, d'ordinaire sans feu 
durant la mauvaise saison, et n*ayant, pour résister au 
froid, qu*un régime plus que frugal. 

C*est ainsi que Louise atteint sa huitième année. A ce 
moment les conditions changent un peu : elle est placée, 
durant la bonne saison, chez une vieille femme impotente 
qu'elle doit veiller souvent, va à l'école pendant cinq mois, 
est nourrie à suflSsance, apprend le catéchisme, et gagne 
ainsi sa onzième année, date de sa première communion. 
Durant les sept années qui s'écoulent ensuite, elle fait suc- 
cessivement l'oflSce de bonne, de servante, d'ouvrière, va 
en journée dans les meilleures maisons des environs, et y 
partage la nourriture abondante et saine des familles où elle 
travaille. Dans deux de ses services, elle est chargée des 
soins du ménage, des étables, conduit les vaches au pâtu- 
rage, fait les ouvrages de la ferme, ce qui lui fait passer au 
grand air une partie de sa vie, et mange comme tout le 
monde. 

En 1863, Madame D..., qui la tient en grande estime, 
lui propose de venir chez elle, à Bruxelles, plutôt pour la 
récompenser que pour les frêles services qu'elle en pourra 
recevoir. Elle accepte avec empressement, quand un acci- 
dent survient qui va peut-être l'empêcher de partir : ren- 
versée et piétinée par une vache, elle est atteinte au côté, 
mais n'en dit rien^ de peur de faire manquer l'engagement 
qui lui sourit tant. Elle va donc à Bruxelles, mais, au 



— ii — 

bout de quatre semaines, est obligée de revenir au village, 
un abcès s'étant déclaré au point vulnéré. Cet accident 
la tint six semaines renfermée ; on était à rentrée de 
l'hiver 1864 ; la mère Lateau ne voulut pas laisser repartir 
sa fille, qui, depuis, ne la quitta plus. Il n'était plus 
question alors de disette ni de misère, les trois sœurs 
travaillant et gagnant leur vie sans trop de difSculté. 
Louise va avoir dix-sept ans, mais la puberté tarde à 

venir. Elle est très-peu développée pour son âge. « Il n'est 
pas diflScile de reconnaître, dit M. Lefebvre (*), qu'elle tra- 
verse cette phase de chlorose, si commune chez les jeunes 
filles, vers l'époque de la puberté. >» Elle n'en continue 
pas moins son existence vaillante, laborieuse et dévouée, 
veillant les malades, ensevelissant les morts; modèle de 
courage, de travail patient, de piété, de charité pour les 
pauvres. 

Huit mois plus tard, survient une angine pharyngienne 
violente, qui fait craindre pour ses jours, dure trois semai- 
nes, et laisse après elle un état d'anémie que caractérisent 
des névralgies à' siège multiple. Bientôt après se manifeste, 
à l'avant-bras, un eczéma qui détermine, dans le treux de 
l'aisselle, l'engorgement et la suppuration de quelques gan- 
glions. 

Tout ceci nous mène au milieu de mars 1868. Louise a 
dix-huit ans, mais n'est pas encore formée. Elle est prise 
alors des symptômes ci-après : des douleurs erratiques 



(1) Louise Lateau de Bois-d* Haine. Sa vie, ses extases, ses stigma- 
tes. Etude médicale par le docteui* F. Lefebvre, 2« édit. Louvain . Pee- 
ters, 1873, p. 1 1 . 



- 42 — 

d*une rare intensité se réveillent, Tappétit se perd complé- 
ment ; à diverses reprises elle rejette du sang par la bou- 
che ; elle passe ainsi un mois entier à la diète, ne prenant 
que de Teau et les médicaments qui lui sont prescrits, et 
arrive de la sorte à un état de si grande faiblesse que, le 
15 avril, on lui administre les derniers sacrements. Ce- 
pendant la détente est proche : le 19, la fonction périodi- 
que s'établit et dure trois jours ; l'amélioration ne se fait 
pas attendre, et la convalescence est si rapide que, le 21 , 
la malade, désormais jeune fille, peut aller à pied assister 
à la messe, dans Téglise paroissiale, distante d'environ un 
kilomètre, 

2. Tels sont les traits principaux de l'existence maté- 
rielle de Louise. Que dire de sa vie intellectuelle ? Rappor- 
tons-nous en pour cela au tableau qu'en a tracé le docteur 
Rohling (1) : 

« Louise aime la solitude et le silence. Elle a appris à 
murmurer les prières ordinaires au foyer maternel ; le 
catéchisme du dimanche, les instructions de l'ofSce divin 
complètent les leçons de la mère. Dès sa plus tendre enfance, 
elle récite avec piété ses prières du matin et du soir : au 
milieu des travaux du jour, on la surprend encore à prier. 
Elle va à Dieu comme un enfant à sa mère. Un des attraits 
de son cœur d'enfant est déjà de prier pour les pauvres 
âmes et pour les pêcheurs. La pensée que ces insensés font 
tous leurs efforts pour être malheureux pendant l'Eternité 



(1) Louise Lateau, la stigmatisée de Bois-d' Baine ? Bruxelles, 
Closson et C», 1873, p. 135. 



— 15 — 

la presse de prier Dieu sans relâche^ afin qu'il daigne tou- 
cher leurs cœurs et briser l'airain de leur âme. Louise a- une 
dévotion toute particulière pour les douleurs du Golgotha. 
Longtemps avant sa première communion, qu'elle fit à onze 
ans, elle savait méditer sur cesgrands mystères, bien qu'elle ' 
A'eût appris de personne la méthode de la méditation. Toute 

petite, elle aimait à répéter les doux noms de Jésus et de 

• 

Marie; elle avait une grande dévotion pour la passion 
du Sauveur, faisait souvent le chei]ain de la Croix, assis- 
tait assidûment à la Sainte Messe, et priait depuis longtemps 
son chapelet chaque jour. En 1861, elle fit sa première 
communion ; dès lors elle s'approcha, tous les quinze jours, 
de la table du Seigneur, plus tard chaque dimanche, et, 
depuis la Pentecôte de 1868, chaque matin. » 

3. C'est dans cette situation de corps et d'esprit que se 
trouve Louise, au moment où vont se dérouler des mani- 
festations d'un caractère plus spécial, ces « extases » et 
ces « stigmates » qui ont, à un si haut point, fixé l'atten- 
tion publique. 

Déjà le 15 avril, alors que Louise était au plus mal et 
qu'elle avait reçu les Saints-Sacrements, « elle était tom- 
bée, la nuit, dit M. Imbert Gourbeire (*), dans une espèce 
d'extase, parlant continuellement de choses édifiantes, de 
pauvreté, de charité, de sacerdoce ; elle voyait la Sainte- 
Vierge, Saint-Roch, Sainte-Thérèse, Sainte-Ursule. Cet 
état se continua par intervalles jusqu'au 21 avril. » — 



(1) Les stigmatisées. Louise Lateau, Paris, V. Palmé, 1. 1, p. 13. 



— u — 

« Quelques personnes qui ont pu voir Louise dans cette 
maladie, ont continue-t-il, et qui Tont revue depuis dans ses 
extases^ ont affirmé Tavoir vue, dans un de ces moments, 
étendue sur son lit, se soulever de tout son corps d*un pied de 
haut environ, les talons seuls prenant un point d'appui sur 
la couche. M. le Curé se rappelle également l'avoir vue dans 
cette position pendant quelques instants, mais il ne prit pas 
garde à ce fait insolite, l'attribuant à un état d'excitation 
morbide. > 

La stigmatisation suivit immédiatement ces premières 
extases : le vendredi 24, Louise perdit du sang par le côté 
gauche de la poitrine ; le vendredi suivant, cet écoulement 
se reproduisit, et, de plus, il s'échappa du sang parla face 
dorsale des deux pieds; le troisième vendredi, le sang coula 
encore, pendant la nuit, de ces trois endroits, puis, à 
9 heures du matin, de la face dorsale et de la face palmaire 
des deux mains. Enfin, tous les vendredis suivants, ces 
mêmes hémorrhagies se reproduisirent, jusqu'au 25 septem- 
bre, où, pour la première fois, le sang suinta également par 
le front. 

Aux pieds, aux mains et au côté, nous apprend M. Le- 
febvre W, en voit d'abord, de dix à douze heures avant que 
le sang ne s'échappe, aux endroits où devra se faire la solu- 
tion de continuité qui lui donnera issue, une ampoule naître 
et s'élever peu à peu sous la forme d'une saillie hémisphé- 
rique. Dans la nuit du jeudi au vendredi, peu après minuit, 
cette ampoule crève, de la sérosité s'en échappe, puis com- 



(J) Loc. cit., p. 27. 



— 15 — 

mence récoulement sanguin, qui dure de 18 à 20 heures. 
L'hémorrhagie frontale se fait d'une autre façon, sans am- 
poule préalable ni solution de continuité apparente. On voit 
sourdre le sang comme à travers les pores de la peau. Au 
côté, aux pieds et aux mains, l'écoulement tari, les plaies se 
cicatrisent rapidement. Depuis très-peu de temps — sep- 
tembre 1874 — quelque chose d'analogue se passe à l'é- 
paule droite, mais les détails manquent. 

Depuis le 21 avril, moment des premières extases, jus- 
qu'au 17 juillet (1868), ce phénomène passe inaperçu, sans 
doute parce qu'il ne se produit que la nuit. Mais, à cette 
dernière date, il se représente de nouveau pendant le jour, 
pour revenir régulièrement, à partir de cette époque, tous 
les vendredis, sous forme d'accès, dont la durée, d'abord de 
sept à huit heures, n'est plus guère aujourd'hui que de deux 
heures et demie. Durant ces accès, la malade, devenue in- 
sensible à toutes les excitations extérieures, assiste, paraît- 
il, au drame du Golgotha, et révèle, par une mimique accen- 
tuée, les émotions qu'en ressent son âme. Nous décrivons 
plus loin ceux de ces accès dont nous avons été témoins. 

4. Voyons comment Louise passe sa vie : le matin, vers 
cinq heures — plus tôt l'été — elle sort de sa chambre 
après l'avoir nettoyée et arrangée, se livre à quelques tra- 
vaux d'intérieur, puis, chaque jour vers six heures — sauf 
le vendredi où la communion lui est apportée chez elle — se 
rend à l'église et y communie. Immédiatement après la 
messe, elle rentre au logis et s'y met au travail. C'est elle 
qui fait les gros ouvrages de la maison et qui entretient le 



— 16 — 

jardin ; ses sœurs sont couturières. Elle assiste à leur repas, 
les y sert même, mais n'y prend aucune part. Depuis trois 
ans et demi, nul ne Ta vue prendre la moindre parcelle de 
nourriture, si ce n'est à titre d'expérimentation. A l'enten- 
dre, son estomac se refuse à conserver quoi que ce soit, si 
ce n'est l'hostie consacrée. Le soir, quand Adeline et 
Rosine vont se coucher, Louise veille, dit-elle, le sommeil^ 
ayant, depuis ce même temps ou à peu près, déserté sa 
paupière. 

5. J'aifait ma première visite à Bois-d'Haine le vendredi 
18 septembre 1874. A cinq heures cinquante cinq minutes 
du matin, je me trouvais, avec l'aîné de mes fils, devant la 
petite maison Lateau, et j'y rencontrais M. Niels, curé du 
village, qui y arrivait, venant du côté opposé, accompagné 
de M. le docteur WiJlième, correspondant de l'Académie, et 
d'un jeune collègue des plus distingués, M. le docteur 
Verriest, sorti de l'Université de Louvain, et qui, après 
avoir pratiqué avec succès la médecine à Menin pendant 
cinq ans, a momentanément abandonné la clientèle, pour 
aller se livrer à de nouvelles études à l'Institut pathologi- 
que de Leipzig, où il est encore en ce moment. 

M. WiUième nous^it qu'il vient d'arriver de Mons — 
il n'en est pas à sa première visite - dans l'intention 
d'examiner l'hémorrhagie frontale qu'il n'a pas vue encore. 
M. Verriest est là de la veille. Il a visité Louise le jeudi 
vers huit heures du soir. « Elle était encore debout, allait 
et venait, mais la crise de la nuit se préparait déjà. Elle 
disait souffrir de la tête, sa peau était chaude et sèche, son 
pouls large, impétueux et accéléré. Elle était, en un mot, 



— 17 — 

nous dit M. Verriest, dans l'état des personnes en proie 
à un molimen hemorrhagicum violent. Les régions 
des stigmates de la face dorsale des mains étaient tumé- 
fiées, sensiblement plus chaudes que les parties immédia- 
tement avoisinantes, mais aucun écoulement sanguin ne 
s*y faisait encore à l'extérieur. » 

M. le curé alla frapper à la vitre de l'unique fenêtre de 
la façade de la maisonnette, la porte s'ouvrit et nous fûmes 
introduits dans la chambrette de Louise, où nous péné- 
trâmes, après avoir traversé une première chambre où ses 
sœurs s'occupaient de travaux à l'aiguille, et une seconde 
pièce, donnant sur le jardin, et intermédiaire à l'une et à 
l'autre. Louise était assise au bord d'une chaise de bois 
adossée à la muraille opposée à la fenêtre. Elle avait le 
haut du corps un peu penché en avant, les mains rappro- 
chées^ sous un linge blanc maculé de sang fraîchement 
épanché. Son attitude, comme recoquillée, exprimait la 
douleur; du sang desséché se voyait sur son front. Les 
pommettes seules sont colorées, à la façon de celles de 
malades travaillés de la fièvre. Elle est dans la plénitude 
de sa connaissance et nous en profitons pour l'interroger. 

6. Son état de vive soufirance et une réserve qui, paraît- 
il, lui est habituelle, ne lui permettent pas de nous répondre 
autrement que par monosyllables. Elle ne peut pas préciser 
l'heure à laquelle ses douleurs — qui d'ailleurs ne la quit- 
tent jamais tout à fait — ont pris de la recrudescence, ni 
le moment, coïncidant d'ordinaire avec celle-ci, où le sang 
a commencé à couler des stigmates. « C'est comme toujours » , 
se borne-t-elle à nous dire quand nous insistons sur ce 



point. Comme toujours encore, elle ne s*e8t pas mise au lit 
de toute la nuit, qu'elle a passée, comme toujours^ assise 
sur son unique chaise. Qu*a-t-elle fait pendant toute cette 
longue nuit? Rien, nous dit-elle. « Mais vous avez un peu 
dormi? » — « Oh! non. > En insistant un peu, nous appre- 
nons que ses douleurs sont violentes aux diverses régions 
occupées par les stigmates, plutôt profondes que superfi- 
cielles, qu'elle s'exagèrent cruellement à la pression, que 
le mal de tête est intense. 

Nous passons ensuite à Texamen objectif, auquel nous 
ne pourrons consacrer que quelques instants, parce que la 
communion doit être apportée à six heures et quart, et que, 
ce moment venu, toutes les conditions changent, paraît-il. 
Nous auscultons les poumons, puis le cœur et les carotides, 
et y percevons un bruit de souffle bien caractérisé. La 
peau est chaude^ le pouls petit, à 120, Tœil animé, la 
pupille un peu plus dilatée que n'est celle d'un œil normal 
regardant le grand jour. 

Nous voici aux stigmates. Nous les examinons et consta- 
tons ce qui suit : 

V Au front. Du sang desséché en occupe la partie supé- 
rieure, depuis la racine des cheveux et même un peu plus 
haut. Nous lavons ce sang avec un lambeau de toile mouillée 
d'eau fraîche, que nous promenons sur les places maculées 
avec la plus grande légèreté, parce que la malade accuse 
de violentes douleurs au seul contact du linge. Tout le front 
se nettoie parfaitement ; le sang enlevé n'est remplacé par 
aucune exsudation nouvelle. Examiné à la loupe, l'épiderme 
ne montre autre trace d'érosions ni d'éraillures, mais seu- 
lement quelques petits points bruns semblables à des parti- 



^ i9 — 

cules de sang coagulé. La peau du front recouvrant les 
bosses frontales, assez proéminentes pour nous faire croire 
d'abord aune turgescence de ces parties, est reluisante, et 
demeure aussi nette, tout le reste du jour, que notre lavage 
Ta faite. 

2» Aux deux maiTis. A leur dos comme à leur paume 
sont deux plaies saignantes, comparables, à la face pal- 
maire surtout, à des crevasses de la peau, ayant leur dia- 
mètre parallèle aux os du métacarpe. Les plaies de la face 
palmaire correspondent à celles de la face dorsale et à 
l'espace qui sépare le troisième métacarpien du quatrième. 
Les unes et les autres ont de deux à deux centimètres et 
demi de longueur et sont plus larges à leur milieu qu'à leurs 
extrémités. Du sang coule incessamment de ces quatre 
solutions de continuité : il bave sur la peau circonvoisine 
et y forme des traînées de coagulum quand on ne les 
absterge pas. Lorsqu'on essuie les gouttes à mesure qu'elles 
se produisent, on n'arrive que diflScilement à voir nettement 
le fond des plaies, tant une goutte succède rapidement à 
l'autre. Ce sang a^la couleur rouge de celui des capillaires. 
M. Verriest en a recueilli un peu et, arrivé à Leipzig, l'a 
trouvé trop desséché et altéré pour pouvoir y observer 
encore les globules sanguins. Par contre, il a pu produire 
de beaux cristaux d'bématine, et les raies du sang se sont 
parfaitement dessinées au spectroscope. 

Les stigmates de la face dorsale des mains résident au 
centre de deux nodosités, reluisantes, dures au toucher. 
Quand on y exerce quelque pression, la malade en témoigne 
une vive douleur. 

Examiné à la loupe, le fond des plaies représente les 



-- 10 — 

papilles du derme, rouges, turgescentes, acuminées, res- 
semblant, par places, à de véritables bourgeons charnus. 
Cet aspect, au moins à présent, n*est pas dû, ainsi qu*il a 
été dit, à des dépôts de coagulum, car nous Tavons vu 
persister après plusieurs lavages faits à fond et avec le 
plus]*grand soin. 

3^ Aiuv pieds. Les plaies sont moins faciles à déterminer 
quant à leur forme et à leur grandeur : elles siègent en 
correspondance de Fespace qui sépare le troisième métatar- 
sien, du quatrième et les plantaires correspondent aux 
dorsales. Elles n'ont donné que peu de sang^ et ce sang 
desséché y fait adhérer un bas de laine noire, qu'on n'en- 
lève qu'avec quelque difficulté. La malade souffre beaucoup 
et nous n'insistons pas sur un examen détaillé, qui nous 
paraît, d'ailleurs, n'offrir qu'un intérêt relatif. 

4® Au côté. Le temps nous manque pour faire la visite 
de cette région, qui semble beaucoup répugner à la malade. 
Tout s'y passe comme de coutume, nous dit-elle. Nous 
glissons. 

5* A Vépaule droite. Personne n'a vu encore les lésions 
qui s'y produisent, chaque vendredi, mais seulement depuis 
quelques semaines. Nous demandons à les examiner. Elle 
doit, pour cela, défaire quelques pièces de son habillement ; 
nous passons, pour lui en laisser la facilité, dans la chambre 
d'à côté, où nous restons à peine trois minutes. A notre 
rentrée, l'épaule, découverte, nous fait voir une surface de 
4 centimètres carrés environ, dont l'épiderme est détaché. 
Les trois quarts de cette surface en sont complètement 
dépouillés, un autre quart l'a conservé, mais il est soulevé. 
Des fragments d'épiderme enroulés se remarquent à diffé- 



— 21 — 

rents endroits. La plaie est vive, on en voit sourdre deilrges 
gouttes de sérosité transparente, à peine teintes de sang, 
dont on voit cependant quelques traces sur le linge qu'on 
vient d'écarter. L'on ne saurait mieux comparer la surface 
qui se présente à nous qu'à celle qu'aurait produite un 
vésicatoire ammoniacal récemment appliqué. On ne perçoit 
aucune odeur cantharidique ni ammoniacale. La surface 
dénudée, vue au moyen d'un verre grossissant, montre des 
arborisations vasculaires bien caractérisées. 

7. Il est six heures et quart. « Voici la communion, 
nous dit M. Niels, mettez-vous à genoux. » Louise s'age- 
nouille sur la pierre, ferme les yeux, croise les mains, sur 
lesquelles on étend le drap de communion. Un prêtre, suivi 
de plusieurs accolytes, entre ; la pénitente tend la langue, 
reçoit la sainte hostie, puis demeure immobile dans l'attitude 
de la prière. 

Nous observons avec plus de soin qu'on ne semblait l'avoir 
fait jusque là, ce qui se passe alors. On croyait la jeune fille 
simplement recueillie, et l'on se bornait à attendre qu'elle 
sortît, au bout d'une demi-heure, de ce recueillement. 
C'était une erreur. La communion prise, la pénitente entre 
dans un état spécial : l'immobilité est marmoréenne, les 
yeux sont clos. Si l'on soulève la paupière, on voit la 
pupille largement dilatée, immobile, paraissant insensible 
à la lumière. Appuie-t-on vigoureusement sur les parties 
qui entourent les plaies, si douloureuses il y a quelques 
instants, pas un mouvement réflexe n'indique que cette 
pression réveille encore un sentiment de souffrance. Les 
pincements de la peau ne dénotent pas l'apparence du 

2 



- M - 

inoindre reste de sensibilité. Déplace-t-on un membre, il 
n*oppose aucune résistance, mais se remet lentement, quand 
il est de nouveau abandonné à lui-même, dans l'attitude 
qu'on Tavait contraint de quitter. L*anesthésie paraît 
complète, si ce n'est que les cornées restent encore légè- 
rement impressionnables. Le pouls est tombé de 120 à 
100 pulsations. A un moment donné, je soulève la pau- 
pière, M. Verriest en profite pour toucher la cornée. Louise 
semble sortir alors d'un sommeil profond, se relève et va 
s'asseoir sur sa chaise. « Cette fois, dis-je, nous l'avons 
réveillée. » * Point du tout, reprend M. Niels, interrogeant 
sa montre, cela devait finir maintenant. > 

La voilà revenue en possession d'elle-même et dans la 
plénitude de sa connaissance. Le sang n'a pas fini de baver. 
Sans doute l'anesthésie a cessé avec le « recueillement. » 
Il n'en est rien ; le pouls s'accélère de nouveau, revient à 
120 ; la sensibilité ne se réveille que peu à peu, il lui 
faut une demi-heure pour être complète. Le sens muscu- 
laire lui-même est altéré : met-on un membre dans une 
position quelconque^ si la malade ne voit pas ce membre, 
elle ne peut dire quelle est cette position. Au bout d'une 
demi-heure, toutes les soufiFrances ont reparu. 

8. Notre première visite s'arrête là. A onze heures et 
demie, nous en faisons une seconde. La pauvre enfant a 
repris son attitude de suprême souffrance, contre laquelle 
elle se raidit avec ce qui lui reste d'énergie. Les plaies des 
mains continuent de couler. M. Verriest, cette fois armé 
d'un stéthoscope qu'il s'est procuré au village voisin, aus- 
culte avec soin les poumons, le cœur, les gros vaisseaux, 



- 23 - 

et retrouve le bruit de souffle, constaté le matin, à la pointe 
du cœur et aux carotides. Le manche d'une cuiller d'étain 
promené sur la luette, la base de la langue, le pharynx, 
n'y provoque aucun effort de vomissement. Les verres de 
nos lunettes, posés un instant devant sa bouche, s'y cou- 
vrent de vapeur. La malade paraît beaucoup souffrir de 
notre présence. Nous l'en débarrassons bientôt. 

9. Nous faisons notre troisième visite à deux heures. Il 
nous reste quinze minutes avant le début de la crise 
extatique, qui commence maintenant à deux heures et 
quart, pour finir vers quatre heures et demie. La pupille à 
ce moment est légèrement contractée ; les paupières sont à 
peu-près au contact, ce qui en rend l'ouverture allongée, 
elliptique; l'œil, sans regard, se cache sous ses voiles. 
Demande-t-on à Louise de se soulever de sa chaise, elle y 
retombe aussitôt. Durant les quinze minutes dont nous 
avons la disposition, nous faisons l'impossible pour la dis- 
traire, mais rien n'y fait; on voit que nos questions l'impor- 
tunent, que ses douleurs deviennent de plus en plus intenses, 
que ses esprits sont ailleurs. Ses réponses s'en ressentent, 
on pressent que le moment palpitant approche. A deux 
heures et quart, en effet, ses yeux prennent une direction 
fixe en haut et à droite. L'extase a commencé. 

L'instant est venu d'introduire les curieux. On le peut 
maintenant sans inconvénient. L'extatique a perdu la notion 
de tout ce qui se passera autour d'elle pendant les deux 
heures qui vont s'écouler, et n'aura point ainsi à souffrir 
de la curiosité, qui pourra s'en donner à son aise. La cham- 
brette permet d'y caser à l'étroit une dixaine de personnes : 



- i4 — 

oi) (M) fait tMitrer d'abord douze, puis sept encore, puis trois 
ensuite, total '^5, nous trois compris. Tout ce monde se 
place (lu mieux (iu*il peut, sur deux rangs, dont le premier^ 
aj^eiiouillé, permet au second de voir par-dessns lui, tout 
cela sous la direction de M. le Curé, qui veut bien nouJB 
rêserv(»r les places d*où nous pourrons le mieux voir les 
scènes qui vont se dérouler. 

Louise est toujours sur le bord de sa chaise, le corps 
penché en avant et semblant vouloir suivre la direction de 
son regard qui ne regarde plus. Les yeux sont laidement 
ouverts, ternes, tournés en haut et à droite, et d'une fixité 
absolue ; on y observe quelques clignements, que Ton rend 
plus fréquents si Ton touche les paupières ou qu'on pro- 
mène la pulpe du doigt sur les bords des cils. Les pupilles, 
largement dilatées, n'accusent que très-peu de sensibilité à 
la lumière ; ce qui reste de vision se traduit par de très- 
légers clignements, quand on approche brusquement les 
doigts des yeux (Crocq) . L'ensemble de la face manque d'ex- 
pression. A certains moments, soit spontanément, soit à la 
suite d(î provocations diverses, un léger sourire, à la ma- 
nifestîition duquel l'ensemble du visage reste étranger, erre 
sur s(»s lèvres, puis hi face reprend son aspect primitif et le 

conscîrvo aussi longtemps que dure le premier stade^ une 
demi-heure environ. 

Le srcojui stade est celui de la génuflexion. Il avait 
man(|ué depuis quelque temps, mais il a reparu. La jeune 
tille tombe à genoux, joint les mains et reste environ un 
(juart-d'heure dans l'attitude de hi contemplation, après 
quoi elle se lève pour s(î rasseoir (hî nouveau. 

Le troisième stade commence vers trois heures : Louise 



— 25 - 

s'incline un peu en avant, se soulève lentement, puis s'é- 
tend,- la face contre terre, sans rigidité ni extrême préci- 
pitation, sans rien, en un mot, qui soit de nature à faire 
craindre des meurtrissures ou des contusions : les deux 
genoux ont porté d'abord, puis les coudes et enfin le vi- 
sage, qui vient, à la lettre, s'appliquer sur la pierre. La 
tête alors repose sur le bras gauche, mais bientôt, à un 
instant donné, la malade fait un mouvement brusque, les 
bras s'étendent en croix, les deux pieds se rassemblent, le 
dos du droit en contact avec la plante du gauche, et l'atti- 
tude ainsi prise ne varie plus pendant une heure et demie 
environ que dure actuellement ce troisième stade. Quand la 
fin de la crise approche, les bras se reportent le long du 
corps, puis soudain, la pauvre fille se redresse brusquement 
pour aller s'agenouiller encore un instant la face au mur. 
Sur ces courtes entrefaites, les joues se sont colorées, les 
yeux ont repris de la vie, les traits se sont détendus, l'ex- 
tase a pris fin. On a eu soin de faire sortir les curieux avant 
la résurrection, afin qu'ils ne fussent pas, au réveil, une 
cause de confusion pour la patiente, mais on a fait une 
exception pour nous. A peine revenue à elle, Louise, porte, 
à la demande de M. le Curé, une chaise pesante dans la 
chambre voisine ; elle obéit comme automatiquement, 
comme à demi-éveillée. Bientôt après, de trois à quatre 
minutes à peine, les douleurs reparaissent, demeurant 
intenses jusqu'à sept heures environ, puis s'éteignent dou- • 
cément. A huit heures tout est fini. 

10. M. Mascart, qui a assisté à l'accès du 1 1 décem- 
bre 1874, a été témoin des mêmes faits et nous en a fourni 



— Î6 — 

lo récit. Il a bien voulu, en outre, à notre demande* exa- 
miner avec un soin particulier certains phénomènes de 
Taccès auquel» nous n'avions pas jusque là prêté une suf- 
fisante attention. En voici la relation : 

» A 2 heures 1 minutes, le pouls est petit, facile à 
déprimer, à 87. Exploré à trois reprises différentes pendant 
le premier stade, il conserve ces caractères, mais descend 
successivement à 85, à 83, à 80. A l'approche du deuxième 
stade (génuflexion), il remonte à 88 et est un peu plus 
développé. Les mouvements respiratoires sont faibles, la 
dilatation de la poitrine peu apparente, le murmure vési- 
culaire distinct, mais peu intense. Il y a absence de tout 
bruit anormal. Le saignement des stigmates n*est pas 
uniforme aux deux mains; il est plus abondant du côté 
gauche, le sang provient surtout du stigmate de la face 
dorsale. 

« A 2 heures 58 minutes (génuflexion) le pouls est plus 
faible, à 82, les inspirations sont ralenties, le bruit respira- 
toire est plus obscur. 

> Au début du troisième stade (prostemement) , le pouls 
est de plus en plus petit, dépressible, à 80. A3 heures 
15 minutes, il est à 78. A 3 heures 30 minutes, on peut à 
peine le percevoir, il est à 76. A 3 heures 45 minutes, un 
peu plus développé à 73. A ce moment, M. Lefebvre retire 
de la bouche de la malade un thermomètre qu'il y avait 
placé dix minutes auparavant. Il marque 36'' 1/2. A3 
heures 15 minutes, à la demande de M. Lefebvre, dit 
M. Mascart, je place la bouche contre le conduit auditif de 
Louise et je m'écrie à plusieurs reprises : Louise! Louise! 
Pas de réponse. M. Lofebvro crie nlors d'une manière impé- 



- 27 — 

rative : Louise^ levez-vous ! Louise obéit à ce commande- 
ment, reste un moment en extase, puis retombe dans son 
prosternement. A 4 heures 10 minutes, le pouls est très 
petit, à 70. Avec sa petitesse et son ralentissement coïnci- 
dent la diminution du nombre des inspirations et la fai- 
blesse du murmure vésiculaire. Le prosternement finit à 
4 heures 15 minutes. Louise debout reste encore en extase 
pendant quelques instants. A 4 heures 20 minutes, le pouls 
est à 82, assez développé. A 4 heures 25 minutes, l'accès 
est terminé. Louise se lève, son intelligence est rétablie. 
Elle n'accuse ni fatigue, ni douleur. Son pouls, plus déve- 
loppé, est à 88. 

Mais bientôt les stigmates des mains, qui étaient deve- 
nues insensibles et Tétaient resté pendant l'accès, rede- 
viennent le siégé de douleurs qui augmentent sous la 
pression. Ces douleurs sont plus intenses à la main gauche 
qu'à la droite. La quantité relative de sang répandu 
sur le parquet, dans les points où la face palmaire des 
mains a été appliquée, permet d'affirmer que, pendant le 
troisième stade, l'hémorrhagie a été plus forte à gauche 
quà droite. 

« Pendant les différents stades, les membres tant supé- 
rieurs qu'inférieurs reprennent avec lenteur leur position 
primitive, quel que soit le déplacement qu'on leur fasse 
subir. » 

Nous avons fait deux autres visites à Louise les jours 
d'accès, à savoir, l'une le vendredi 2 octobre 1874, en 
compagnie de M. le professeur Critchett, de Londres et de 
M. le docteur Duwez, de Bruxelles, l'autre avec M. le 
docteur Crocq, professenr à l'Université de Bruxelles, le 
22 janvier 1875. 



— 38 - 

1 1 . Il nous restait à constater Tétat de notre sujet dans 
l*intervalle des accès. Nous lui fîmes à cette fin, quatre dou- 
vellos visites; la première, seul, le dimanche, 27 septembre, 
les trois autres les lundi 10 novembre, mercredi décembre 
1 874, et la dernière le jeudi 21 janvier 1 875, accompagné 
de M. le docteur Duwez. 

Pour éviter des longueurs et des répétitions, nous résu- 
merons ci-après en une Observation médicale, tout ce 
que nous avons constaté dans ces quatre séances d'explo- 
ration. Nous avions remarqué à notre visite du 27 septembre, 
que notre sujet manifestait de l'embarras de la présence de 
M. le curé Nids. Nous témoignâmes à ce dernier notre 
désir de demeurer désormais seuls avec sa pénitente. Il y 
consentit sans la moindre objection. 

C'est donc seuls avec Louise, dans sa propre chambre la 
seconde fois, dans la chambre de devant la troisième et la 
quatrième, que nous eûmes avec elle de longs entretien*. 
Elle se prêta de la meilleure grâce à tout ce que nous 
demandâmes d'elle, exécuta avec adresse les diverses 
manœuvres exigées par nos nombreuees questions. Sa 
chambre est petite, dallée, occupée à ce moment par une 
petite table et par quelques chaises de bois. Vis-à-vis de la 

« 

porte d'entrée, il y a une autre porte, dont la serrure est 
revêtue de sa clef. C'est celle d'une armoire. Nous l'ouvrons. 
Elle renferme de la vaisselle, de l'eau, la moitié d'un beau 
pain blanc, des poires et des pommes. 

— Mais je ne vois pas votre lit. Où donc vous mettez- 
vous pour dormir? 

— Je ne dors jamais. 

— Vous vous assoupissez au moins? Parfois, entendant 



— 29 - 

sonner l'heure, vous vous apercevez que vous n*avez pas 
entendu sonneries précédentes? 

— Oui, quelquefois, mais pas souvent. 

— r Vous devez avoir abominablement froid, l'hiver, les 
pieds sur les dalles? Avez-vous au moins de bonnes cou- 
vertures à mettre sur vous ? 

— Je n'ai jamais froid. 

— Comme les somnambules alors? 

— Pas de réponse. 

M. Verriest avait déjà interrogé Louise sur ces mêmes 
faits. « Elle m'aaflSrmé, m'écrit-il, que le sommeil ne l'en- 
vahit pas complètement la nuit ; qu'elle a seulement « de 
vagues absences » pendant lesquelles elle perd la con- 
science nette d'elle-même. > 

12. On nous avait dit que, dès le samedi, les diverses 
plaies étaient cicatrisées. Ce que nous avons vu ne con- 
corde pas avec cette assertion. Le dimanche, les crevasses 
palmaires ont encore leurs bords écartés, et il faudra, pour 
sûr, vingt-quatre heures encore avant qu'ils ne soient réu- 
nis. Celles de la face dorsale, plus larges, sont recouvertes 
d'une croûte brunâtre, qui persiste toute la semaine. 
Examiné à la loupe, leur fond, constitué d'une foule d'éle- 
vures acuminées et rouges, repose sur une nodosité dure, 
mobile, sans aucune adhérence sous-cutanée. La serre-t-on 
légèrement entre les doigts, on voit sourdre de la surface 
dénudée, des gouttelettes de sérosité ; il semble que d'un 
rien on la ferait saigner. La malade nous dit que le siège - 
des stigmates est toujours douloureux, qu'il l'est de plus en 
plus à mesure qu'on se rapproche davantage de la journée 
du vendredi, où elle est à sou comble. 



-SO- 
IS. Depuis le 30 mare 1871, Louise n*a plus pris, 
dit^'lle, ni aliments, ni boissons, n*a plus senti le désir ni 
le besoin dVn prendre, et ne 8*est aucunement senti affai- 
blie (in fait de cette longue inédie. A diverses reprises, elle 
aurait essayé, à titre d*expérimentation et à la demande de 
Kos directeure, de prendre quelque peu de substance alimen- 
taire, toujours ces matières auraient été rejetées an prix 
do vives douleurs, peu d'instants après avoir été intro- 
duites. 

Nous insistons alore pour savoir ce qui se passe la nuit : 
elle est très-peu explicite à cet égard. Ses sœurs dorment 
dans leur lit placé dans une quatrième chambre ; Louise est 
levée, libre de faire, dans le reste de la maison et au dehors 
même si elle le désire, tout ce qui lui semble bon, depuis le 
soir jusqu'au matin. 

14. Passons à Texamen objectif. 

Habitude extérieure, — Louise Lateau a 24 ans, le 
tempérament lymphatique, les cheveux châtains, les yeux 
gris et n'offre aucunes traces de scrofules. Taille, 1 mètre 
63 centimètres. Poids, 53 kilogrammes et demi, vêtements 
compris. Teint d'un jaune pâle feuille-morte. La peau du 
front présente des marbrures brunâtres, celle des pommettes 
une légère rougeur, qui disparaît sous les frictions pour 
céder la place à la coloration sub-ictérique. Quand on trace 
rapidement de l'ongle une ligne sur la peau de la face ou 
sur celle de l'avant-bras, on voit apparaître une raie rouge 
exempte, dans son voisinage, de traînées blanchâtres, et 
qui tarde à se dissiper. Les conjonctives ont une vasculari- 
sation au-dessous de la normale. La voûte palatine, les 



— 34 - 

gencives et les conques auriculaires sont décolorées et jaunâ- 
tres. La peau est sèche. Le dynamomètre à ressort de 
Régnier, comprimé au maximum de puissance de la main 
droite, dans le sens du petit axe, marque 25 kilogrammes. 
n en indique 35 sous la plus forte pression de ma propre 
main. Le visage est calme, souriant, la physionomie ouverte 
et non sans expression, le corps bien nourri. 

Circulation et température. — Battements du cœur 
faibles, sans intermittence ; bruit de souffle doux au pre- 
mier temps à la pointe, audible également au niveau de 
l'aorte et des carotides. Pulsations artérielles régulières, 
offrant les mêmes caractères de mollesse, dépressibles, d'une 
mobiUté extrême quant à la fréquence, variant de 80 à 130 
selon les moments de l'examen : les tracés sphygmographi- 
ques, dont aucun promontoire ne dépasse une hauteur de 
4 à 5 millimètres, concordent très-bien avec cette mollesse 
et pour ainsi dire cet avortement.du pouls. Un thermomètre 
maintenu sous l'aisselle pendant 20 minutes, marque 37.3 
degrés centigrades. 

Voies digestives. — Les lèvres sont rosées, la voûte 
palatine et les gencives décolorées, les dents blanches et 
belles. L'attouchement du voile du palais, de la luette, du 
pharynx, est perçu, mais ne détermine aucuns mouvements 
réflexes, la langue est blanche et humide. Louise dit que le 
goût est éteint, et que, depuis trois ans et demi, elle n'a plus 
eu de garde-robes. 

Voies respiratoires. — Respiration normale, murmure 
pulmonaire audible partout. Un verre de lunettes, placé 
devant la bouche, se couvre bientôt de vapeur d'eau. La 
patiente, invitée à souffler, au moyen d'un tube de cristal, 



- .w - 

d.ins un flacon renfermant de Teau de chaux d*une par- 
faite limpidité, y dét(n*mine, au lK)ut de quelques instants, 
un nuage de carbonate de chaux. Dans le même temps, 
faisant nous-mème cette manœuvre à Tégard d*un autre 
flacon, nous obtenons un résultat sensiblement identique. 
Semblable épreuve a été répétée le 11 décembre 1874, 
avec le même résultat, par M. Lefebvre, en présence de 
M. Mascart. 

A défaut d*autre matière d*excrétion à analyser, nous 
recueillons^ dans un appareil ad hoc, les gaz résultant de 
l'exhalation pulmonaire. Cet appareil se compose d*un réci- 
pient de cristal, assez semblable à un verre à quinquet, 
terminé à ses deux bouts par un tube plus mince, auquel 
s*eii adapte un de caoutchouc. Notre patiente doit faire la 
manœuvre ci-après, qu'elle exécute avec une parfaite intel- 
ligence : n s'agit d'abord de débarrasser l'appareil de l'air 
qui y est contenu ; pour cela, elle met à la bouche l'extré- 
mité de l'un des tubes de caoutchouc et respire à travers ; 
pour les inspirations, elle aplatit, de ses doigts, le tube élas- 
tique, de façon à en effacer la lumière : après quelques 
expirations, l'autre tube, ouvert jusque là, est fermé au 
moyen d'un clamp à vis, mais la manœuvre continue et le 
récipient conserve désormais tout le gaz que lui envoient 
les mouvements d'expiration. Après dix minutes de cet 
exercice, le tube buccal est à son tour clos hermétiquement 
au moyen d'un second clamp à vis, et l'appareil livré à 
l'analyse, dont veut bien se charger notre éminent collègue 
M. le professeur Depaire. Voici le résultat de cette analyse, 
pratiquée sur deux quantités d'air expiré, recueillies de 
cette façon à vingt-trois jours de distance. 



- 55 - 



Air expire. 



Analyse du 16 novembre. 

Oxygène 19.01 

Azote et gaz indéterminés . 79 . 1 1 
Acide carbonique . . . 1.88 



100.00 



Analyse du 9 décembre . 

Oxygène 19.07 

A zote et gaz indéterminés . 79 . 10 

Acide carbonique . . . 1.83 



100.00 



Cet air était saturé d* humanit6 .-é\,>LAyv\A^^^i^ . 

Système nerveux. — Louise nous déclare que, l'accès 
du vendredi terminé, les douleurs intenses cessent également 
mais sans s'éteindre jamais complètement ; que la région des 
stigmates est toujours le siège de douleurs sourdes et pro- 
fondes, immobiles, procédant par élancements, et ne s'exas- 
pérant pas à la pression ; que, le jeudi, souvent déjà le 
mercredi, ces douleurs se réveillent plus intenses, toujours 
limitées à leur siège ordinaire, conservant leur même type, 
c'est-à-dire procédant par éclairs, par poussées, pour arri- 
ver à leur paroxysme quand le sang va commencer à couler. 
La malade la compare à celles que doivent procurer les plus 
vives tortures. Elles sont, dit-elle, souvent plus prononcée s 
d'un côté que de l'autre, mais toujours de celui où l'hémo: - 
rhagie est la plus forte. Les crises les plus cruelles se pro- 
duisent en général à des heures régulières : elles le sont 
surtout à quatre heures, à huit heures et à onze heures du 
matin, puis enfin vers une heure, pour atteindre leur sum- 
mum au moment qui précède immédiatement l'extase. La 
sensibilité des parties est alors d'une extrême acuité ; un sim- 
ple attouchement, une pression légère, le frôlement des che- 
veux, tout l'exaspère. Aux mains, la douleur est moins 
aiguë, mais on ne peut néanmoins en essuyer le sang sans 
la surexciter. 



— 54 - 

La sensibilité cutanée générale — nous revenons i l'in- 
tervalle des accès hebdomadaires — est mesurée au moyen 
d*UQ compas pris pour esthésiomètre : Elle marque : à 
Tavant-bras 30 millimètres, au front 17, à la joue 10, i la 
phalangette palmaire 3 millimètres. Cette sensibilité semble 
plus grande dans la direction de certaines lignes, de celle, 
entr'autres, qui, partant de la ligne médiane du poignet, va 
aboutir à la nodosité stigmatique, et elle est notablement 
plus élevée au niveau de cette dernière. 

Les douleurs épigastriques et la douleur dorsale, qu'on 
rencontre presque invariablement chez toutes les hystéri- 
ques, font absolument défaut. Les sens spéciaux sont anes- 
thésiés, en tout ou en partie, le goût et l'odorat abolis ; la 
vue s'accommode mal aux petits objets : l'ouïe seule est con- 
servée. La vue commence à baisser dès le jeudi, de façon à 
ne plus lui permettre de reconnaître distinctement que les 
gros objets, puis s'affaiblit progressivement dans la journée 
du vendredi, pour s'éteindre presque entièrement à l'appro- 
che des crises douloureuses et spécialement quelques minutes 
avant l'extase. 

Examiné à l'ophthalmoscope, le fond de l'œil, légèrement 
myope, paraît normal ; les artères sont petites, remplies 
d'une colonne de sang pâle et diaphane. Les veines sont 
plus développées. 

Fonctions diverses, — Depuis qu'elle ne boit plus ni ne 
mange, les urines, nous dit Louise, sont complètement 
supprimées. Quant à la menstruation, elle nous affirme 
qu'elle est régulière et qu'aucune époque n'a manqué depuis 
qu'elle a paru pour la première fois. Les règles durent huit 
jours, sans être entravées, dans leur venue ni dans leur 



- 38 - 

cours, par les vendredis correspondants ou intercurrents. 
Elles ne sont suivies ni précédées de leucorrhée. Les taches 
que le sang fait au linge sont, par l'aspect et la couleur, 
identiques à celles qu'y fait celui qui s'échappe des stig- 
mates. Le thermomètre, retiré du creux de l'aisselle, rap-^ 
porte l'odeur caractéristique de cette région. La transpira- 
tion cutanée paraît abolie. Les 'glandes salivaires et 
lacrymales continuent à fonctionner. 

15. Avant de quitter notre patiente (visite du 16 novem- 
bre), nous lui demandons, de l'assentiment de M. Niels, 
qui vient d'entrer, si elle ne voudrait pas prendre, devant 
nous, quelque peu d'aliments et de boissons. Elle y consent 
sans un moment d'hésitation, va chercher, dans la première 
chambre^ du pain et du café, et prend, en notre présence, 
quinze grammes environ du premier, trente du second, sans 
témoigner ni dégoût, ni éloignement pour ces substances, 
qui ne lui donnent la sensation d'aucune saveur. « C'est, 
dit-elle, comme si je mangeais de la terre. » Ces substan- 
ces sont évidemment admises dans la cavité de l'estomac. 
Au bout d'une dizaine de minutes, surviennent des nausées 
et un premier effort de vomissement, qui donne issue à une 
très-petite quantité de liquide ressemblant à de la salive spu- 
meuse, dans laquelle s'aperçoivent à peine quelques grains 
de pain. Cela ne vient guère que de l'arrière bouche, car on 
n'y voit pas la moindre trace de café. Le malaise semble 
aller en augmentant, comme il arrive à la suite de la prise 
d'un émétic, mais une demi-heure se passe sans que les 
matières soient rejetées, et, au moment de notre départ, 
elles sont encore dans l'estomac. 



- 36 - 

Cette épreuve, contrairement à ce qu*on en a dit, est 
absolument négative : nous n*avions pas fourni nousHnâmes 
les aliments administrés et nous ne les avons pas vu rej^ 
ter. (1). 

Voici néanmoins, à titre de renseignements la lettre que 
M. Niels nous a écrite à ce sujet : 

Boi8-d*Haine, 24 novembre 1874. 

Monsieur Warlomont, 

t Je crois vous être utile en vous informant de ce qui 8*e8t passé 
chez Louise Lateau, le lundi 16, après votre départ et les jours 
suivants : quand je repassai chez elle vers trois heures et demie. 
Louise me parut avoir sa mine ordinaire, mais elle sortit bientôt. 
Je la suivis et la vis cracher du sang sur le fumier ^ ce qu'elle cher- 
chait à cacher à sa sœur Rosine. Je visitai alors le bassin dans 
lequel elle avait commencé à vomir en votre présence et j*y vis 
une assez grande quantité de sang et quelques petits morceaux de 
pain. Louise ût encore quelques efforts pour vomir et me dit 
avoir beaucoup souffert vers deux heures. Je ûs prier M. le 
docteur Lecrinier de la visiter et de m'envoyer son rapport. Le 
voici : 

€ Le 16 novembre de cette année, vers 5 heures du soir, je fus 
prié par M. le Curé de Bois-d'Haine de me rendre en la demeure 
de Louise Lateau. Louise paraissait souffrante. Elle se plaignait 
de nausées, de crampes, qui se faisaient vivement sentir à Testo- 
mac depuis quelques heures et qui avaient amené des vomisse- 
ments. Le vase qu elle me montra renfermait, en effet, une cer- 
taine quantité de sang liquide et rouge, mêlé à des débris de pain 

(l) Des journaux ont écrit : « M. Warlomont a reconnu que Louise 
Lateau ne'mange pas. » J'ai répondu à ces journaux : a Je n'ai rien con" 
statë ni rien dit de semblable » et ces journaux ont publié ma réponse. 
Malgré cela, trois mois après, M. l'abbé Cornet, dans une brochure inti- 
tulée : Louise Lateau et la science allemande, 1875, m'attribue encore 
cette déclaration. J'y oppose la même dénégation, espérant que, cette 
fois, elle sera mieux entendue. 



— 57 — 

parfaitement reconnaissabies, qu'elle avait pris en présence de 
M. Warlomont, contrairement à ses habituoes depuis plus de 
trois ans. Malgré cette perte de sang, Louise avait conservé son 
calme et sa sérénité ordinaires. Le pouls battait 90 fois par 
minute. Pour toute médication, je lui permis de prendre un peu 
d'eau de Lourdes. Elle me dit qu'elle en avait pris déjà, mais 
qu'elle n'en avait retiré aucun soulagement. » 

, Signé: Docteur Lécrinier. 

« Louise a continué à cracher du sang les jours suivants, sur- 
tout lorsqu'elle devait se baisser ou faire un travail un peu fort. 
Lundi dernier 23, elle m'a dit que le sang venait moins parce que, 
la veille, elle avait pu rester sans faire d'efforts pour travailler. » 

Signé: Niels. 

Cette lettre â eu son épilogue. M. Niels avait-il î;w, en 
réalité, Louise vomissant du sang ? Je me permis de le lui 
demander, et M. le curé, avec cette parfaite loyauté dont il 
n'a cessé de faire preuve dans tous les rapports que j'ai eus 
avec lui, loyauté à laquelle je me plais à rendre publique- 
ment hommage, s'empressa de me répondre ce qui suit : 
(9 février 1875.) 

« Quand j'ai écrit, le 24 novembre : Je la vis cracher 
du sang sur le fumier, j'ai voulu rendre ma pensée, 
mais je suis myope et je n'ai pas vu la couleur de ce qu'elle 
crachait. Cependant, comme elle me montra, en rentrant, le 
bassin où il y avait du sang mêlé à la nourriture qu'elle 
avait vomie, je la crus sur parole. » 

16. Nous désirions soumettre à l'analyse chimique du 
sang de Louise Lateau. Le 27 novembre, M. Niels voulut 
bien m'en faire parvenir cent grammes environ à cet effet : 
« Ce sang a été recueilli, m'écrivit ce dernier, à la main 
droite d'abord, en ma présence, de 9 1/2 heures du matin 

3 



-. 38 - 

à 10 heures 45 minutes, et plus tard par M. le docteur 
Dumont, de Dour, de 2 heures 25 minutes à 2 heures 
45 minutes de relevée, en présence do MM. les docteurs 
Henri, de Boussu, et Lécrinier, de Fayt, ainsi que de neuf 
auti*es visiteurs. Il est tombé goutte à goutte dans le flacon 
à large tubulure qui vous sera remis ce soir en mains pro- 
pres, par M. le comte Ciiamaré, Tun des visiteurs de ce 
jour. > 

Voici le résultat de cette analyse faite par M. Depaire : 

Eau 796.30 

Fibrine 1.26 

Albumine et matière colorante dissoute . 72.23 

Globules 114.47 

Matières grasses 2.74 

> extractives 9.34 

Sels (chlorures, carbonates, fer) .... 3.66 

lopo.oo 

Le liquide surnageant le caillot était fortement coloré en 
rouge, et la matière colorante n'a pu être séparée de l'al- 
bumine. 

17. Tels sont les éléments que nous avons rassemblés 
pour établir le diagnostic du cas de Louise Lateau. Nous 
en avons écarté avec un soin infini tout ce dont nous n'avons 
pu nous assurer par nous-même ; les allégations, de quel- 
que part qu'elles vinssent, nous les avons impitoyable- 
ment écartées, nous appuyant sur ce précepte de Descartes : 
< Ne tenez jamais une chose pour vraie que vous ne la 
sachiez vraie, et faites partout des dénombrements si par- 
faits et si complets que vous soyez sûr de n'avoir rien 
omis. > 



— 39 — 

Mais ce précepte y avons-nous bien été, jusqu'ici, aussi 
fidèle que nous nous plaisons à le déclarer ? Un doute nous 
vient à cet égard. Nous avons tenu pour vraie la sponta- 
néité de rhémorrhagie stigraatique, mais nous ne l'avons 
pas démontrée. Qu'on nous indique, nous étions-nous dit, 
un agent capable de produire, sur n'importe quelle partie 
du corps, une plaie susceptible de verser du sang, goutte à 
goutte, pendant 20 heures, sans jamais se tarir. Et cela 
nous avait sufii. Ce n'était point assez, et, au moment de 
clore cette observation, nous avons reconnu qu'il y avait là 
une lacune importante à combler. Il fallait, pour cela, faire 
de nouvelles démarches, de nouvelles expériences. Cela ne 
nous a pas rebuté. C'est que nous savions qu'en pays 
étranger surtout, la sincérité de l'hémorrhagie stigmatique 
est encore vivement contestée. Nous savions qu'au mois 
d'octobre dernier, l'un des savants les plus honorés de 
l'Allemagne, le professeur Wunderlich, de Leipzig, s'était 
offert à venir, avec deux collaborateurs, passer trois jours 
et deux nuits chez Louise Lateau, afin de s'assurer, aidé de 
trois collègues belges, et en ne perdant pas un instant la 
malade de vue pendant ces trois jours et ces deux nuits, 
que le sang s'échappait réellement des plaies dites stigma- 
tiques, sans aucune provocation extérieure. L'épreuve des 
gants, faite par M. Lefebvre, était évidemment insufiisante, 
puisque ces gants — de peau — étaient parfaitement inca- 
pables de préserver les plaies de tout frottement, de tout 
contact vulnérant. La faction proposée par le professeur 
Wunderlich n'avait pas été acceptée vu les difficultés de sou 
application. Que restait-il à faire ? Voici le moyen dont 
nous nous sommes avisé, afin de remplacer, par une épreuve 
irrécusable, cette faction si difficile à effectuer. 



!,f |)i'ohl(Mii(' à rêsundrc tWail coliii-ci : placer ruiie des 
mains stigiiiiiti.sêes, avant qu'elle ne saignât, daos un appa- 
reil qui, sans rien changer aux conditions physiologiques de 
la partie, rendît impossible le contact d*aucun instrument 
vulnêrant, ou Tintervention d*aucune manœuvre quelcou- 
(jue susceptible de la rendre saignante, et de Vy maintenir 
depuis le jeudi, moment où il n*est pas encore question 
d*hcmorrl)agie, jusqu'au lendemain vendredi. 

L'appareil qu<^ nous avons fait construire en vue de ré- 
pondre à ces indications, se compose d*un globe de cristal 
de 14 centimètres de diamètre, pourvu, à Tun de ses pôles, 
d'un goulot semblable à celui d*une bouteille ordinaire; au 
pôle opposé, d*un autre goulot d*un diamètre de 9 centimè- 
tres. Le premier est fermé au moyen d'un bouchon de liège, 
travei'sé d'un tube de cristal coudé, ne dépassant pas, à 
Tintérieur, le niveau du bouchon. L'extrémité interne de 
celui-ci, de même que celle du tube est recouverte d'une 
toile métallique n'interdisant pas l'accès de l'air, mais bien 
l'introduction de tout engin vulnêrant, précaution superflue, 
vu la forme, courbée à angle aigu, du tube, rendant pres- 
que impossible la conduite d'une tige quelconque dans l'in- 
térieur du récipent. Bouchon et tubes sont fixés par plu- 
sieurs cachets à la cire. Le second goulot est revêtu d'un 
manchon de toile-caoutchouc, fixé à son rebord extérieur, 
au moyen d'une colle de caoutchouc dissous dans du naphte, 
qui en rend l'adhésion intime et ne permettrait de le déta- 
cher qu'au prix de déchirures multiples. Pour plus de sûreté 
toutefois, cette partie du manchon est recouverte d'un bra- 
celet étroit de caoutchouc, assujéti au globe d'une part, 
audit bracelet et au rol)ord du manchon de l'autre, par cinq 
cachets j\ h\ cire. 



— 41 — 

Munis de cet appareil, nous nous sommes rendus, M. Duwez 
et moi, chez Louise Lateau, le jeudi 21 janvier, à deux 
heures de l'après-midi, et y avons rencontré M. le chanoine 
Hallez, du séminaire de Tournai, et M. le curé Niels. Après 
avoir constaté avec la plus minutieuse attention que les 
stigmates n'étaient encore le siège d'aucun écoulement 
sanguin, nous avons choisi la main droite pour en faire 
l'objet de notre expérience. Nous savions bien que cette 
main saigne d'ordinaire moins que la gauche, mais, comme 
nous allions devoir condamner, pour 20 heures, tout le 
membre à l'immobilité, il nous parut plus discret de choisir 
le droit, qui devait bientôt être réduit à l'impuissance par 
les douleurs de l'épaule de ce côté, accompagnant le stig- 
mate scapulaire dont il a été question plus haut, et de laisser 
à notre sujet l'usage du bras gauche. — Au moment de 
procéder à notre opération, nous nous assurons une dernière 
fois de l'état des parties : il est bien tel que nous l'avons 
décrit plusieurs fois. La main droite de notre patiente est 
alors introduite dans le bocal à travers sa large tubulure ; 
elle s'y trouve entièrement libre, noyée dans l'air qui s'y 
renouvelle sans obstacle à travers le tube du goulot opposé. 
Cela fait , le manchon de toile-caoutchouc (mackintosch) 
est rabattu sur le bras, qu'il recouvre jusqu'à l'endroi^ 
où vient retomber la manche de la chemise : il est collé 
au bras par le même enduit adhésif, puis assujéti défini- 
tivement par un ruban de fil large de deux centimètres e 
demi, faisant deux fois le tour du bras, assez serré pour ne 
permettre le passage d'aucun engin, trop peu pour exercer 
aucune constriction ; enfin le bord supérieur du manchon, 
dépassant de deux centimètres environ celui du cordon de 



— 42 — 

fll, est cousu à la manche de la chemise, et toutes ces sutu- 
res sont scrupuleusement revêtues de cachets à la cire. 
L'intérieur du gloire semblait, dès lors, à Tabri de toute 
atteinte ; il restait néanmoins Textrémité du tube, par 
lequelle, au moyen de succions, on aurait pu faire le 
vide dans le bocal et appeler Tabord du sang vers les régions 
stigmatiques. Pour écarter cette possibilité et augmenter 
encore, si c'était possible, les éléments voulus de sécurité 
absolue, nous avons recouvert le tout, appareil et bras, 
d'une lame de gutta-percha, analogue à du ta£fetas gommé, 
disposée en forme de blague à tabac, dont nous avons fixé 
la coulisse au niveau du bord inférieur de la manche de 
chemise, par deux tours d'un dernier ruban de fll, que deux 
cachets sont encore venus recouvrir. Remarquons que la 
première enveloppe, de même que la seconde, était d'une 
étoffe imperméable, qu'une aiguille ne pouvait traverser sans 
y laisser la trace de son passage. Le tout a été maintenu par 
une écharpe, puis nous avons abandonné notre malade à 
elle-même, nous donnant rendez-vous près d'elle pour le 
lendemain vendredi à dix heures et demie du matin, afin de 
procéder à la levée de l'appareil. 

A l'heure convenue, nous nous trouvions, accompagné de 
M. le docteur Crocq, dont nous avions sollicité le concours, 
dans la chambrette de Louise. Nous donnons ici la parole 
à notre honorable coUègue de l'Université de Bruxelles, 
qui a bien voulu nous communiquer la relation de ses obser- 
vations : 

« A notre arrivée, Louise était assise dans le coin de sa 
chambre, sur le bord d'une chaise de bois. La face était 
pâle, sauf les joues qui étaient colorées, un peu bouflSe, et 



— 45 -- 

la peau légèrement teinte en jaune. Elle semblait aflfaissée 
et souffrante, se plaignait de douleurs à la tête, aux mains, 
à répaule droite^ et ne répondait que diflBcilement, vu ses 
souffrances, aux questions qu'on lui adressait. Le front 
offrait quelques traces de sang desséché vers la racine des 
cheveux et les tempes. On n'y apercevait aucune solution 
de continuité, mais il paraissait le siège de douleurs spon- 
tanées profondes, s'exagérant violemment à la pression. 
La main droite était renfermée dans l'appareil que 
M. Warlomont avait appliqué la veille. Cet appa- 
reil était parfaitement intact, ainsi que nous nous 
en assurâmes par l'examen scrupuleux des cachets, 
dont pas un ne portait la trace de la moindre atteinte. 
Les revêtements de toile caoutchouc et de gutta-percha ne 
portaient la marque d'aucune piqûre ni autre solution de 
continuité. Le fond le plus déclive du récipient était occupé 
par une petite mare de sang liquide, diffluent, dont la quan- 
tité ne dépassait pas cinq grammes. Le dos de la main qui 
nous apparut en premier lieu, la paume en étant tournée 
vers la poitrine, présentait, depuis son centre jusqu'au bord 
externe, actuellement le plus déclive, des caillots de sang 
coagulé, noirs, durs, fortement adhérents, recouvrant en ce 
moment la surface de la plaie stigmatique dorsale, et en 
empêchant l'écoulement, ce qui explique la quantité relati- 
vement petite de sang liquide trouvée dans l'appareil. 
Celui-ci ayant été enlevé, nous détachâmes ces caillots, 
dont plus d'un collait intimement au fond de la plaie, et cet 
enlèvement fut suivi de la réapparition d'une hémorrhagie 
en nappe, continue mais peu abondante. La plaie qui la 
fournissait avait environ un centimètre et demi de longueur 



- u 

snr cinq millimôtres de large : Tépiderine en avait disparu : 
le fond, occupé par le derme, était rouge, comme fongueux : 
on y observait quelques petits (*aillots noirs. Le tout repo- 
sait sur une induration du dorme, parfaitement mobile. 

^ A Tendroit correspcmdant de la paume de la main, se 
trouve une plaie un peu plus large et plus arrondie. Dans 
la moitié externe de cette plaie, le derme est dénudé, fon- 
gueux, bourgeonnant ; dans sa moitié interne, il est encore 
recouvert par Tépiderme, mais cet épiderme est décollé, 
blanchâtre et en partie soulevé par un caillot noir. C'est 
comme si le sang, suintant sous Tépiderme, Tavait détaché 
sous forme de phlyctène, puis déchiré. Comme la plaie 
dorsale, la plaie palmaire repose sur une légère induration 
du derme. 

^ Cette plaie palmaire ne pouvait-elle avoir été produite, 
même dans l'appareil d'ailleurs si complet de M. War- 
lomont, par les ongles des doigts fortement repliés en 
dedans? Il nous faut rencontrer cette supposition, bien 
qu'elle n'ait aucune valeur en ce qui concerne la plaie dor- 
sale, et y répondre : les ongles de Louise sont coupés courts 
et parfaitement inoffensifs. 

« Les hémorrhagies me paraissent donc bien réelle- 
ment survenues spontanément et sans Vintervention de 
violences extérieures. » 

« La main gauche o'ffre des phénomènes analogues. La 
région dorsale est le siège d'une plaie d'où le sang suinte 
constamment, et à la région palmaire s'observent quelques 
éraillures paraissant avoir laissé suinter un peu de sang, 
qui s'y est desséché en croûtes minces. Les papilles y sont 
plus saillantes qu'ailleurs, et cette partie est légèrement 
engorgée et douloureuse à la pression. 



— 45 - 

« En détachant de la manche de chemise Textrémité 
supérieure du manchon de l'appareil, qui y a été cousue, 
nous constatons que cette manche et le gilet de flanelle qui 
la recouvre sont tachés de sang desséché et que la chemise 
est collée par ce sang à la région acromiale droite : nous 
l'en détachons avec douceur et mettons ainsi à nu une 
érosion allongée, irrégulière, de trois centimètres de longueur 
environ sur un et demi de large ; le derme y est complète- 
ment à nu et la loupe y démontre la présence de petits vais- 
seaux dilatés et de ponctuations rouges dues à de petites 
infiltrations de sang. Cette région paraît être fort doulou- 
reuse. En avant de l'érosion décrite, se remarque une sur- 
face rouge, parfaitement recouverte de son épiderme, 
s'avançant jusqu'au' bord antérieur du deltoïde, humide, 
mais ne saignant pas, et reluisant comme toute excoration 
de production récente. 

^< Aux deux pieds, il n'y a ni plaie vive, ni exsudation 
sanguine; on remarque seulement, à leur face dorsale, un 
peu en dehors, vers l'articulation tarso-métatarsienne, une 
place que la malade dit douloureuse et très-sensible à la 
pression, ayant deux centimètres de diamètre environ; 
celle du pied droit est rouge, injectée, mais sans indu- 
ration. » 

18. Le reste de la note qu'à bien voulu nous fournir 
M. Crocq a surtout trait à l'extase : comme elle ne s'écarte 
en aucun point de la description que nous en avons donnée (9), 
nous ne la reproduisons pas, afin d'inviter des redites. Elle 
se termine par l'exposé des résultats de Texamen micros- 
copique du sang, que nous avons voulu faire sur place, au 



V6 — 

moment même de sa sortie des vaisseaux. Cet examen a 
porté : 

P Sur du sang coagulé tn)uvé sur la main droite; 

2*" Sur du sang liquide s*écoulant du stigmate dorsal de 
la même main ; 

3" Sur du sang extrait par piqûre de la pulpe du pouce 
gauche. 

I^* premier offrait des globules déformés et en partie dé- 
truits, ce qui nous force à réduire à néant tous les examens 
faits précédemment de sang conservé, qui nous avait offert 
de profondes altérations, dues évidemment à la déformation 
des globules résultant de leur emprisonnement dans le coa- 
gulum. Le second présentait des globules rouges, normaux 
de même que les blancs; ceux-ci paraissent, à certains 
endroits mais non à d*autres, plus abondants qu'à Tétat 
normal. Le troisième, enfin, extrait par piqûre, était ver- 
meil, moins riche en globules que le sang normal, mais 
plus que celui de certains anémiques ; les hématies étaient 
normales, parfaitement discoïdes et excavées sur leur plat 
et s'empilant régulièrement en rouleaux. Les leucocytes 
étaient normaux, dans la proportion de 1 sur 200 hématies 
environ. La proportion de sérum était, dans les trois échan- 
tillons examinés, beaucoup plus élevée que dans un sang 
normal. L'hémorrhagie par la piqûre s'est immédiatemment 
arrêtée. 

Du sang recueilli du front, pendant la stigmatisation du 
29 janvier, et conservé entre deux plaques de verre, nous 
a fait voir, le 31, des cristaux nombreux et volumineux 
d'Jiémoglobuline. Ces cristaux, en prismes quadrangulaires 
légèrement obliques, allongés, d'un rouge-fleur-de-pêcher, 



- 47 - 

sont absolument identiques avec ceux qu'oflfre le sang 
normal soumis, dans les mêmes conditions, à la dessiccation. 
Les hématies sont aplaties et ratatinées. 

Au résumé, le sang de Louise Lateau est normal quant à 
ses éléments morphologiques, mais il offre une prédominance 
des globules blancs (1-200) et une proportion notablement 
plus élevée du sérum (chlorose, anémie). 



DEUXIÈME PARTIE. 



analyse et discussion du. mômoire 

de yi. Cliajrbonnier. 



19. Le travail de M. le docteur Charbonnier a pour 
titre : Maladies et facultés diverses des mystiques 
Louise Lateau. C'est celui dont un fragment a été lu à 
l'Académie, par son auteur, le 27 juin dernier (*). Ainsi 
que l'indique son titre, cette étude embrasse les mystiques 
en général, sans se restreindre au cas de Louise Lateau. 

L'auteur commence par déclarer que, lorsqu'il se pré* 
sentera, dans le cours de ses recherches, des phénomènes 
qu'il ne pourra expliquer, il ne sera nullement embarrassé 

(1) Voy. Bulletin de l'Académie royale de médecine de Belgique, 
t VIU, !!•• 7 et 8, pp. 868-884. 



d*avi)uer sou igiiuranci*. ne voulant pas suivre l'exemple de 
ceux qui affirment ou qui nient, comme s*ils possédaient 
toute la science. < Quand, dit-il, nous nous ti*ouvons en 
présence d*un fait quelconque, nous ne pouvons dire que 
ceci : < Je comprends » ou « je ne comprends pas ». Notre 
raison n*a rien à nier ni à affirmer, quand notre intelligence 
ignore. Il n*appartient à personne de déclarer qu*un phé- 
nomène est surnaturel, parce que cela équivaudrait à 
rénorme prétention de connaître toutes les causes naturelles 
et leurs effets. Le sauvage ne comprenant pas le mouvement 
céleste le regarde comme surnaturel ; le moyen-âge, qui 
ignorait le ballonnement gazeux chez les femmes hysté- 
riques, condamnait celles-ci au bûcher, parce qu'il est 
surnaturel d*être plus léger que Teau. U n'est pas une seule 
branche de nos connaissances où nous ne soyons dans la 
position du sauvage pour un point ou pour l'autre. » 

Après cet aveu, qui ne semble pas lui avoir coûté, 
l'auteur entre immédiatement dans son sujet : 

* En fouillant la vie des mystiques, dit-il, je vis claire- 
ment qu'ils avaient tous été malades , depuis François d'Assise 
jusqu'à Bernadette Souberous, la visionnaire de Lourdes, et 
Louise Lateau. Leurs maladies devaient se ressembler par 
quelque côté obscur, car ils se plaignaient tous de n'avoir pas 
été plus compris de leurs médecins que de leurs confesseurs. 
J'ai vécu six ans au milieu d'eux, écoutant les chaudes aspi- 
rations de ces cœurs ulcérés par l'amour, leurs tristesses qui 
sont nos joies et leurs joies qui sont nos tristesses, analy- 
sant toutes leurs douleurs et tâchant de tout rapporter à 

{{) Laotseu. De iaroic et de la vertu. 



— 51 — 

une cause unique. Or, cette cause s'exhale d« ce cri una- 
nime sorti de leur poitrine, du fond de l'Inde, depuis des 
milliers d'années, pour arriver à Swedenborg et à Louise 
Lateau : < Ne mange pas tant, si tu veux devenir 
extatique, » » 

Ces paroles vont amener M. Charbonnier à Tédiflcation 
de tout une théorie nouvelle. L'abstinence non mortelle, 
sans cesse affirmée par l'histoire chrétienne et niée par la 
science traditionnelle, au lieu de lui être un obstacle, va 
devenir, au contraire, la pierre angulaire du système au 
moyen duquel notre ingénieux auteur va expliquer l'appa- 
reil phénoménal oflFert par les mystiques, leurs extases, 
leurs stigmates, leurs maladies, leurs facultés spéciales, 
dérivant des modifications apportées par l'inédie dans leur 
organisation. Ne pas manger, ou du moins résister â des 
abstinences d'une incroyable durée, ne sera plus, à ses 
yeux, un fait digne tout au plus des brocarts de la critique 
et des dédains de la physiologie, mais la condition naturelle 
de la production des phénomènes qui caractérisent l'exis- 
tence de ces sujets si dignes de pitié et de sollicitude. 

Mais avant de s'arrêter à une théorie aussi hardie, ^on 
protagoniste en a-t-il d'abord, d'un coup-d'œil d'ensemble 
jeté sur les inédiats fameux, pressenti la réponse qu'il en 
allait recevoir ? Ecoutons-le : 

« Parmi les mystiques, on distingue : ceux qui, renfer- 
més dans un couvent par un excès d'amour religieux, ont 
exagère les rigueurs de la vie ascétique et vécu d'une 
quantité d'aliments regardée généralement comme insuf- 
fisante à l'entretien de la vie ; d'autres, vivant librement, 
nés dans la pauvreté, la misère, n'ayant connu, dès leur 



.1-2 -. 

plus tendre (^ifaiice, que la diète forcée : d'uutres eulBn qui, 
de même que les aliénés, pai* caprice ou par maladie, ont 
dit : « Je ne veux pas manger. » Les hindoux sont dans 
ce cas. Tous sont arrivés à supporter une longue abstinence, 
mais seulement à la suite d'une préparation méthodique 
naturelle t parfaitement compatible avec les lois physiolo- 
giques et la conservation plus ou moins prolongée de Fexis- 
tence. 

« Quelles seront les circonstances favorables, dans ces 
cas, à Tentretien de la vie ? Celles évidemment qui ren- 
dront moindres les pertes en tissus, en calorique et en eau, 
moindres aussi, par conséquent, les nécessités de la com- 
pensation de ces pertes. 

V A. Les circonstances qui diminuent Tusure des tissus 
ou le mouvement d'assimilation et de désassimilation 
sont : le régime végétal, le sexe féminin, Tâge adulte, la 
pauvreté et l'insuffisance alimentaire dès l'enfance, qui en 
découle, lasolitude, les passions violentes, les pays chauds; 
toutes celles, en un mot, qui favorisent le développement 
des fonctions nerveuses et cérébrales ; 

« B. Celles qui diminuent les pertes de calorique : le 
sexe féminin, les pays chauds, les émotions vives et conti- 
nues, la petite quantité de liquides introduits, le repos, la 
diminution ou la suppression de la transpiration. 

« Or, les mystiques ont tous rencontré ces circonstances 
favorables : 

« 1<» Inconnus au Nord, très-rares dans les pays tempé- 
rés, beaucoup plus fréquents au Midi, ils sont très-fréquents 
sous les tropiques ; 

« 2^ Les femmes comptent beaucoup plus de mystiques 
que les hommes ; 



— 83 - 

<< 3"* Les uns et les autres n'y arrivent qu'à l'âge adulte, 
c'est-à-dire après le complet développement du corps ; 

« 4" On ne les a vus que dans les ordres mendiants, con- 
templatifis ; 

« 5** Tous ont aimé la solitude, le repos, le calme, la 
tranquillité, la retraite à la campagne, jamais les villes 
populeuses où l'air ne renferme pas d ozone. 

« Ainsi l'abstinence compatible avec une durée plus ou 
moins longue de la vie, a toujours eu pour auxiliaires 
nécessaires, toutes les circonstances permettant de ré- 
duire les aliments, c'est-à-dire la quantité des agents de 
réparation des pertes subies. » 

20. Par quel mécanisme s'établit la tolérance de l'orga- 
nisme à ce régime exceptionnel ? L'auteur va nous le dire : 
« L'abstinence ne se concilie avec la conservation de la vie 
qu'à la condition d'obéir à la loi de la gradation. Un homme 
sain, voulant s'y assujétir brusquement, succombe au bout 
de peu de jours, mais il n'en est pas de même des sujets 
soumis depuis longtemps à des privations volontaires ou 
involontaires progressives. Chez eux, l'organisme s'est 
adapté insensiblement au nouvel état que leur créeTinédie: 
certaines fonctions se sont supprimées ; d'autres ont pris 
un développement supplémentaire, en vertu de la grande 
loi de substitution des organes, dont il n'est pas un qui ne 
remplisse qu'une seule fonction. Ils sont solidaires les uns 
des autres, travaillant, pour le salut commun, sous l'œil 
toujours vigilant d'un seul maître, l'instinct de la conser- 
vation. Un organe vient-il à être supprimé ou sa fonction 
arrêtée, immédiatement un autre y supplée. Ainsi, le 

i 



- u 

poutnun est chargé (T inlrodiiire dans le sang de Voxi- 
gène et d^en éliminer de V acide carbonique et de V azote. 
Le sang cesse^t^il de recevoir par les voies digestives 
les matériaux azotés^ vite le poumon lui en fournit au 
lieu de l'en dépouiller. Tantôt il venait en aideau rein 
en éliminant V azote, maintenant il supplée à V estomac 
en introduisant V azote, que celui-^i, chargé de ce soin, 
na pu fournir. Le rein peut aussi venir au secours du 
poumon, pour éliminer le sucre du sang, lorsque le pou- 
mon ne peut le brûler complètement. Après Tablation to- 
tale du rein, le tube digestif élimine Turée. La peau 
respire comme le poumon, sécrète de l'urée comme le rein, 
élimine ou absorbe de l'eau, suivant qu'il y en a trop 
ou trop peu dans le sang. Quand tous les organes sont à 
leur poste, fonctionnant d'une manière convenable, chacun 
d'eux a un rôle qu'il remplit d'une façon spéciale ; mais 
cette division du travail n'empêche pas qu'un de ces orga- 
nes venant à faire défaut, un autre se charge de sa besogne, 
obéissant ainsi à la loi dite de balancement. Et cette sub- 
stitution n'est pas fugitive : en effet, une fonction troublée 
vient-elle à se rétablir, elle ne le fait pas d'emblée, parce 
que l'organisme, sous l'empire de ce trouble, a fonctionné 
différemment, que certains organes se sont substitués à 
celui qui faisait défaut, et qu'ayant fonctionné plus ou 
moins longtemps, ils ont gardé leur nouvelle disposition, 
même après la disparition des causes s'opposant au retour à 
l'état normal. Une seule condition est imposée à ces tolé- 
rances et à ces suppléances, une sage gradation. » 

21. « Tout ce qui précède s'applique à d'autres fonc- 
tions que la nutrition. Ainsi la raréfaction de l'air parfai- 



- 5S — 

tement compatible avec la vie quand elle est progressive et 
mesurée, tue les sujets qui s'y exposent sans gradation. 
Qu'on transporte en ballon des milliers d'individus à cinq ou 
six mille mètres au dessus du niveau de la mer, aucun d'eux 
ne pourra subsister dans l'air raréfié qui s'y rencontre : les 
y fait-on, au contraire, arriver graduellement, par étapes 
successives, on constate qu'ils peuvent supporter des varia- 
tions de pression comprises entre des limites très-étendues, 
sans que leur santé en souffre. Cela s'explique : si, à cha- 
que inspiration, l'individu qui habite la montagne introduit 
dans le poumon — et il n'en saurait être autrement — 
moins d'oxygène que ne fait l'habitant de la plaine, il y 
supplée à l'aide d'aspirations plus fréquentes. Ainsi, par la 
gradation, on arrive à vivre avec une respiration essoufflée 
c'est-à-dire à respirer normalement comme on le î^iiaprès 
une course. Il en est absolument de même en ce qui con- 
cerne les variations de température. 

« Ainsi la gradation soimiet tout à son empire, règle 
tous les événements naturels, les organes comme les facul- 
tés, les maladies comme la santé, les individus comme les 
espèces. Mais c'est à l'homme qu'elle s'applique surtout : il 
n'y a pas d'animal, en effet, qui soit plus cosmopolite, qui 
puisse mieux se façonner à tous les climats, à toutes les 
latitudes. Quand on l'étudié, on constate qu'il n'est aucun 
de ses organes qui n'ait oiBfert le spectacle de quelque trans- 
formation. Ainsi, il y a des diiBférences notables entre l'esto- 
mac de l'Esquimeau et celui de l'Hindou, et ces différences 
en entraînent d'autres dans le poumon et dans le cœur. Le 
pouvoir d'adaptation augmente à mesure qu'on monte dans 
la série animale, et l'homme semble posséder, dans sa haute 



M - 

inti'Ui^'ciici*, un èlénitMit de plus pour maitrUer les éléments 
extèrioui's. • 

22. Toutes ces données trouvent leur application et leur 
explication dans la vie des mystiques, et ont servi de base 
à la théorie fondée par M. Charbonnier, qui peut ainsi se 
résumer : 

« Les longues abstinences subies par des individus appar- 
tenant à <liverses croyances ne doivent plus être reléguées 
dans le domaine de la fable, ainsi qu*on trouve commode de 
le faire. G)mment admettre, en effet, que tant de milliers 
d'individus, chez des peuples qui s'ignorent, dans des reli- 
gions qui se détestent, se soient donné le mot pour tromper 
l'histoire ? 

* Bien plus, les phénomènes offerts par les mystiques ne 
s'expliquent que par elles. 

<f Jusqu'où peuvent aller ces abstinences et que se passe- 
t-il sous leur empire ? 

* L'homme ne peut vivre sans manger. C'est là un 
axiome indiscuté. Chacgeons-en la formule et disons : 
r homme ne peut vivre si téqiiilihre ri est pas fait entre 
ses dépenses et ses recettes, formule qu'on n'aura pas de 
peine à faire accepter, et qu'il faut préférer à l'autre, parce 
qu'elle ouvre à l'esprit des horizons plus étendus. Les recet- 
tes se font par le tube digestif, par le poumon, par la 
peau ; les dépenses par la peau, le système urinaire, la 
respiration, la défécation, etc. Supposons l'alimentation 
insuffisante dès le début de la vie, les organes digestifs 
voient leur fonctionnement se ralentir ou cesser, d'où dimi- 
nution de la principale des sources de recette. Mais la loi 



— o7 — 

de substitution des organes est là : le poumon, la peau, 
suppléent à la fonction en déficit, augmentent le produit de 
leur fonctionnement ordinaire, et compensent le déchet, au 
moins en une certaine proportion ; d'où atrophie plus ou 
moins complète des organes delà digestion, et, par mesure 
compensatrice, fonctionnement supplémentaire, superac- 
tivité, hypertrophie de la peau et du poumon. L'équilibre 
n'est donc pas aussi complètement rompu qu'on pourrait le 
croire et qu'il arriverait si, au lieu d'être progressive, gra- 
duelle, la substitution était évoquée instantanément. 

« Mais il y a plus : l'abstinence des aliments et des 
boissons entraîne la cessation d'un certain nombre de fonc- 
tions de dépense : les matières fécales ne sont plus élimi- 
nées, la sécrétion urinaire s'arrête, la peau ne transpire 
plus. Ainsi, diminution des dépenses entraînant l'inutilité, 
l'impossibilité même de l'admission des recettes, en vue 
du maintien de l'équilibre nécessaire à l'entretien de l'orga- 
nisme. 

23. « De longues abstinences ne sont donc pas incompa- 
tibles avec la conservation de la vie, mais elles le sont avec 
celle de la santé et de l'intégrité des facultés en général. 
Le souffle vital peut bien, grâce aux divers expédients 
exploités par l'organisme, ne pas s'éteindre tout-à-fait, mais 
cet organisme souffre et marche incessamment à une destruc- 
tion plus ou moins rapprochée, après avoir parcouru toute 
la série des désordres qui y doivent aboutir et qui sont : 
V amaigrissement, l'appauvrissement du sang, les né- 
vralgies multiples, l'insomnie, le dégoût pour les aliments, 
les vomissements, la constipation, la suppression des sécré- 



- 58 — 

tions, les liallucinatioiis, lu faiblesse et la syncope par 
lesquelles elle se traduit, des hémorrhagies, surtout par le 
poumon et la peau appelés à un superfonctionnement qui 
les y prédispose, enfin la mort dans le marasme, 

« Telle est la marche naturelle des desordres qui découlent 
de Tabstinence prolongée, dans les cas où la mort ne les a 
pas prématurément arrêtés. Les mystiques qui prétendent 
avoir vécu dans l'abstinence ont-ils eu à subir ces symp- 
tômes pathologiques? Il n*en est pas un qui ne les ait essuyés 
tous. Ils ont donc passé par une série de phénomènes qui 
sont naturels, avant d'arriver aux extases et aux stigmates, 
qui ne le sont pas moins. Leur histoire nous apprend qu'au- 
cun d'eux n'est parvenu à un certain degré d'abstinence 
qu'après un très long temps, jamais d'emblée, mais en sui- 
vant une méthode toujours la même, c'est-à-dire en adaptant 
instinctivement leurs organes à leur nouvelle destination. 

« Et ce n'est pas tout : le déplacement fonctionnel qui, 
du tube digestif, a reporté l'innervation disponible vers les 
poumons, la peau, le cœur et lé système nerveux, modifie les 
facultés des sujets livrés à l'abstinence. Il ne faut donc pas 
les rendre passibles de la même juridiction que le commun 
des hommes. Tout chez eux se modifie, se compose, sous les 
nouvelles lois qui les régissent. Toute la vie des mystiques 
déroule le long catalogue de ces modifications, ressortissant 
aux lois de la physiologie et que, faute d'en apprécier conve- 
nablement les causes, on est trop disposé à rapporter à un 
domaine supérieur, alors qu'en cherchant un peu on les 
retrouverait jusque chez les animaux. 

< L'homme des Savanes, l'habitant du désert qui n'a 
devant lui que l'immensité de l'inconnu, de même que la 



- 59 — 

frégate au-dessus des vagues toujours semblables à elles- 
mêmes, sait retrouver son chemin. Il a l'instinct du désert 
qu'il connaît, comme l'oiseau celui des airs. La nécessité 
lui a créé cette faculté. 

« L'électricité organique chez l'homme existe sans que, 
comme chez certains animaux, un organe spécial soit chargé 
de le développer. On connaît des personnes qui, par les temps 
secs, dégagent de leur chevelure des milliers d'étincelles 
crépitantes, rien qu'à y passer la main. Elevez cette aptitude 
d'un degré et vous aurez les auréoles qu'on a de tout temps, 
et faute d'envisager convenablement les ressources de la 
nature, attribuées à des influences d'un autre orde. Pourquoi 
les mystiques élevés si haut dans toutes les excitabilités 
n'auraient-ils point la faculté de développer ces auréoles ? 
Avant de voir du surnaturel dans semblable phénomène, 
étudions bien l'électricité organique chez l'homme et chez 
tous les animaux, et pénétrons-nous bien de cette vérité 
que, naturellement, tous en produisent, que les quantités 
produites, mises en évidence, sont seules variables. 

4( Il est une autre série de facultés dont on a fait égale- 
ment des dons surnaturels, telle, par exemple, celle de 
pénétrer la pensée d'après les traits du visage, qui résulte 
simplement d'une observation plus sagace du jeu des muscles, 
d'une perception plus délicate de la part de l'œil, associée 
à la culture intellectuelle des rapports qui existent entre 
les pensées et leur traduction sur le visage, livre ouvert où 
chacun lit plus ou moins bien^ suivant sa perspicacité natu- 
relle, ou acquise par la réflexion, l'étude ou l'exercice. 

« On a signalé comme étrange l'acuité de l'odorat chez 
les mystiques, de même que l'odeur spéciale exhalée par 



fiO - 

certains d'entre eux. Quoi d*êtonnant à ce que certaines 
facultés se soient développées dans des organismes où d'au- 
tres sont assoupies? Et comment être surpris de l'odeur 
spéciale offerte par des sujets dont les intestins necontiennent. 
pas de matières fécales, la vessie pas d'urine, le foie pas de 
bile? L'insomnie n'est pas d'avantage un phénomène surna- 
turel, elle ne s'acquiert que par l'habitude et est une consé- 
quence de l'abstinence, 

« Il est encore une faculté attribuée aux mystiques : celle 
de pouvoir vivre sous l'eau plus ou moins longtemps, et l'on 
a cité l'exemple d'une femme possédant cette faculté. Or, 
cette femme était sujette à de longues léthargies, et rien ne 
démontre, jusqu'à cette heure, qu'un léthargique ne pût 
rester sous l'eau pendant sa léthargie, puisqu'il ne respire 
plus, et qu'on n'exphque pas autrement que par la syncope 
les cas de survie après une longue submersion. » 

L'auteur a fait ces citations dans le but de rappeler le 
bien fondé des paroles qui ouvrent son introduction : « N'ad- 
mettons aucun fait sans en avoir fouillé tous les détails, 
apprécié toutes les circonstances. Beaucoup d'entre eux se 
dégageront alors du nuage qui les enveloppe, et si quelques 
autres demeurent inexpliqués, n'en attribuons l'obscurité 
qu'à l'insuffisance de nos lumières, ou aux ressources limi- 
tées de notre intellect. » 

24. Voyons maintenant comment M. Charbonnier conçoit 

la STIGMATISATION. 

«^ V abstinence et lu contemplation sont les causes de 
la pn)duction des stigmates. 

« r Vabstinence, en supprimant les fonctions digestives, 
rend libres et l'influx norveux ot le sang qui étaient destinés 



— 61 — 

aux organes digestifs. En même temps qu'elle amène l'atro- 
phie de ces organes, apparaissent les névralgies — qui, par 
leur persistance et leur étendue, deviennent pour ainsi dire 
une nouvelle fonction — les hallucinations et les illusions. 
Elles suivent exactement la marche de Tabstinence. On n'a 
jamais vu les stigmates que dans les pavs où celle-ci est 
possible ou dans les ordres où elle est de règle ; c'est-à-dire 
dans les pays chauds ou tempérés ou dans les ordres men- 
diants. Rome,. Madrid, Bénarès, la France permettent les 
mystiques; Pétersbourg, New-York, Boston, n'en verront 
jamais. 

« L'abstinence crée l'insomnie, l'anurie, la constipation. 
Elle permet donc à l'âme de n'avoir plus aucun souci des 
basses œuvres. Elle dirige le sang vers la peau et les pou- 
mons, qui, suivant la loi de balancement des organes, 
s'hypertrophient et sont le siège fréquent d'hémorrhagies. 

4c 2^ La contemplation, rendue facile par l'abstinence, 
opère la stigmatisation par un double mouvement de l'âme. 

« L'amour de la compassion existe, comme passion domi- 
nante, chez les mystiques. Ils veulent ressembler à celui qui 
a tout souffert par amour. Ils essaient de se procurer des 
douleurs, sans s'apercevoir que depuis longtemps ils en sont 
affligés. Seulement l'âme fait un triage et ne porte son atten- 
tion que sur celles que Jésus-Christ a souffertes visiblement. 
Par l'abstinence, l'âme avait fait la concentration des forces 
organiques dans deux organes seulement ; par la contempla- 
tion, elle ramasse tout le contingent douloureux éparpillé (I) 
parmi tout le corps, pour le fixer et le concentrer dans quel- 
ques points qu'elle voit, admire, aime dans Jésus-Christ. Le 
mouvement histologique va succéder, après un temps ordi- 



— 6Î - 

nairement fort long et des efforts immenses, continus, accu- 
mulés sans relâche, sans la plus petite interruption, pour 
fixer ridée et toutes les puissances de Tàme. La fluxion 
sanguine, que sa suractivité a amenée à la peau, finit par 
suivre l'influx nerveux constamment dirigé vers un même 
point. La stigmatisation est faite. » 

25. «c De même que pour des stigmates, Vabstinence est 
la cause principale de Textase : la contemplation n'en est 
que la cause secondaire. 

« De quelque manière que se produise l'extase, elle 
s'annonce par un certain pressentiment. Les malades, aver^ 
tis, peuvent maîtriser ce mouvement organique préparateur 
et empêcher l'accès de venir. Joseph de Cupertin, Cathe- 
rine de Gênes en sont des exemples. 

« Quand l'esprit s'est concentré longtemps sur un seul 
objet, dans un organisme affaibli, tout ce qui rappelle cet 
objet produit une impression qui rompt l'équilibre instable 
dans lequel il se trouve toujours. Le son d'une cloche, un 
chant d'église, le nom de Jésus, de Marie ou des Saints, un 
trait de la passion, suflBsent pour produire l'extase. Osanna, 
de Mantoue, y tombait à la vue d'une belle image. 

« Voilà pour les causes occasionnelles. 

« L'abstinence, les maladies, la contemplation sont les 
causes prédisposantes de l'extase. Madeleine de Pazzi n'en 
avait jamais eu d'accès ; à seize ans, elle tomba malade, 
demeura quatre-vingts jours dans les souffrances les 
plus atroces sans pouvoir presque Hen prendre. Son 
esprit, dit Gôrres, se fortifiait de jour en jour, mais son 
corps s'affaiblissait en proportion. On l'administra, craignant 



- 63 - 

pour sa vie ; elle se fit porter au chœur. Rentrée dans sa 
cellule, elle eut sa première extase. Sainte-Thérèse fut 
malade toute sa vie. Elle mourut d'hémorrhagies, comme 
Joseph de Cupertin. 

« Quels sont les phénomènes de l'accès ? 

« L'âme, qui s'est retirée, à peu près complètement, des 
fonctions nutritives, méditant toujours et sans relâche, 
abandonne également les fonctions des sens, et l'extase est 
produite. Elle est en proie alors à des hallucinations de 
toute espèce, concordant toujours avec l'état antérieur de 
l'esprit. Bernadette Souberous égrène pendant douze ans 
son chapelet dans la solitude, s'entretient constamment avec 
la Vierge, C'est la Vierge et jamais autre chose qu'elle voit 
dans ses extases. Louise Lateau, pendant treize ou quatorze 
ans, s'entretient avec Jésus-Christ, contemple sa passion, 
se repaît de ses douleurs, qu'elle ressent pour les sien- 
nes propres. Elle ne voit que Jésus-Christ dans ses crises 
extatiques. 

« Toute vision reposant sur un fond vrai, se manifes- 
tant durant une vie réglée ^ a incontestablement pour 
base quelque chose d'objectif et de réel. Celui qui a une vie 
bien réglée n'a que les visions naturelles fournies par ses 
yeux. Les hallucinations des malades, de corps ou d'es- 
prit, sont la conséquence naturelle de leur état. 

« Et cependant l'extase est considérée comme un phéno- 
mène en dehors des lois naturelles. Quelle erreur! 

« Est-ce la clairvoyance ordinaire chez les mystiques 
qui y donnerait ce caractère ? Elle existe chez tous les 
sonmambules. 

« Est-ce la mémoire des scènes qui se sont passées pendant 



-fu- 
retai extatique ? Mais Thalluciné raconte, aussi bien que 
l'extatique, toutes les scènes qu'il a vu se dérouler. 

*f Est-ce Tobéissance aux ordres d'autrui ? Le magnétisé 
obéit aux injonctions du magnétiseur, qui peut en faire la 
délé{:ati(m. 

*< Est-ce l'invasion de l'accès, non pas par l'ordre d'au- 
trui, mais par le motu proprio'i La somnambule de 
Carpeuter avait des accès d'elle-même. 

V Est-ce une obéissance plus grande encore, c'est-à-dire 
une obéissance aux ordres émanés de Dieu, sans qu'on puisse 
admettre l'intervention de quelqu'un n'ayant d'influence 
que par son caractère? Examinons : 

'< Depuis leur plus tendre enfance, les extatiques, surtout 
les féminins, reçoivent une direction du confesseur. Quand, 
jeune fille, elle ne fait plus de confidences à sa mère, elle 
s'ouvre entièrement à son directeur spirituel, et « Dieu, dit 
Sainte-Thérèse, ordonne d'obéir à son directeur. ^ La con- 
fiance la plus entière, l'obéissance la plus absolue, les 
entretiens les plus fréquents sur le seul sujet important 
fermé à tout autre, tout cela ne constituerait pas naturelle- 
ment une liaison mille et mille fois plus forte que celle d'une 
magnétisée avec son magnétiseur I Mais quand donc sau- 
rait-il y avoir communauté plus grande entre deux êtres ? 
Quelle cause serait susceptible d'amener entre eux le moindre 
dissentiment ? Quelle est la parcelle d'indépendance ou de 
liberté restant encore au cœur de l'extatique? Toute son 
éducation n'a-t-elle pas servi à développer de plus en plus 
la foi aux dépens de la raison? N*a-t-elle pas au suprême 
degré la faculté réceptive qui accepte tout sans jamais oser 
réagir ? 



— G5 — 

< Non, ce ii*est pas en vertu de son caractère sacerdotal 
que le confesseur a pu s'emparer de Tàme de sa pénitente, 
c'est par une influence directe, fondée sur l'autorité de la 
volonté, de Tàge, d'une intelligence supérieure, ressortissant 
tous à la nature humaine. > 

26. L'abstinence est le pivot, la base de tout le système 
édifié par M. Charbonnier. Elle seule peut, d'après lui, 
expliquer à la fois, chez les mystiques, les aiBFections névral- 
giques amenées par l'appauvrissement du sang, et la con- 
centration de toutes les fonctions dans la contemplation 
d'un objet unique, par la suppression des fonctions nutritives 
et de tous les soins qui s'y rapportent. 

Pour faire entrer dans son cadre l'extatique stigmatisée 
de Bois d'Haine, notre auteur doit donc établir : / 

P Que Louise Lateau a été graduellement amenée à une 
abstinence plus ou moins complète, mais réelle ; 

2" Que, pour arriver aux extases et aux stigmates, elle 
a parcouru les diverses phases morbides qui sont la consé- 
quence fatale, naturelle, de cette infraction aux lois de la 
physiologie ; 

3** Que Louise Lateau, depuis l'évolution de ces symp- 
tômes, est sous la dépendance d'un état morbide réel : qu'en 
un mot c'est une véritable malade. 

En ce qui concerne le premier point, l'auteur, pour l'éta- 
blir, se fonde sur l'existence de cette jeune fille, telle que 
l'a tracée M. Lefebvre et que nous l'avons rappelée nous- 
même dans notre commémoratif : une enfance passée dans 
le dénûment le plus complet, partant une alimentation 
insuffisante et de mauvaise qualité; une adolescence non 



- 66 — 

moins éprouvée ; une jeunesse traversée par un état ciiloro- 
tique aboutissant à une maladie grave qui faillit être mor- 
telle, s*accompagna d*une diète absolue de tout un long mois, 
et conduisit, sans transition aucune, aux stigmates et à 
l'extase. Pour M. Charbonnier, cette série de misères est 
ininterrompue. 

27. Louise a-t-elle parcouru les diverses phases morbides, 
conséquences inéluctables de Tabstinence poussée jusqu*à 
certaines limites? M. Charbonnier répond par Taffirmativeet 
puise les éléments de son affirmation dans le propre livre de 
M. Lefebvre, où il trouve rapportées les circonstances sui- 
vantes : variole à l'âge de 2 mois, appauvrissement du sang, 
angine pharyngienne, eczéma, abcès axillaires ; névralgies 
résistant à toutes les médications, perte complète d'appétit, 
chlorose, hémorrhagies par la bouche, etc. « Ce sont bien 
là, dit-il, les étapes successives parcourues par la plupart 
des mystiques dont l'histoire à gardé le souvenir, éta- 
pes naturelles, conformes à l'ordre naturel des faits, et 
qui éloignent jusqu'à l'idée de cette apparition brusque, 
instantanée, sans préparation, ni éloignée, ni immédiate, 
qu'on invoquerait vainement pour donner aux phénomè- 
nes une interprétation différente de celle qu'y donnent 
les lois de la pathologie actuellement consacrées par la 
science. ^ 

28. Ënân Louise, depuis l'évolution de l'extase et des 
stigmates, est-elle, ainsi que le dit M. Lefebvre, dans l'état 
physiologique? Qui donc voudrait l'affirmer? Eh quoil 
Voilà une jeune fille anémique, l'état du sang, le bruit de 



— 67 - 

souffle cardiaque et carotidieii, la pâleur des mijiqueuses 
l'affirment. Elle ne dort, ne boit ni ne mange. Des douleurs 
profondes l'obsèdent sans cesse. Une fois par semaine, ces 
douleurs atteignent leur paroxisme, le sang coule de cinq 
ou six endroits à la fois, des crises névropathiques diverses 
rétreignent, la subjuguent, Tanéantissent durant de longues 
heures. 

Mais si tout cela est la santé, qu'est donc la ma- 
ladie ? 

29. Tel est le résumé fidèle et aussi succinct qu'il nous 
a été possible de le faire, du long mémoire de M. Charbon- 
nier. Sa thèse se résume à ceci : Les mystiques dont les 
livres sacrés ont recueilli l'histoire, sont tous arri'vés à 
l'extase, puis aux stigmates, par de longues abstinences, 
volontaires ou involontaires, compatibles, sinon avec l'état 
de santé parfaite, du moins avec la vie, et Louise Lateau 
en est le dernier exemple. 

A l'appui de sa théorie, l'auteur évoque la loi de la gra- 
dation d'une part, de l'autre celle du balancement et de la 
substitution des organes. Si des sujets ont pu et peuvent 
vivre plus ou moins longtemps sans manger, c'est que la 
nutrition, chez eux, au lieu de se faire par le tube digestif, 
réduit à l'inaction par le défaut d'aliments, s'eflFectue par 
d'autres organes graduellement et insensiblement disposés 
à un fonctionnement plus actif ou différent. Cette disposi- 
tion nouvelle naîtrait, d'après lui, de l'afflux sanguin et de 
l'influx nerveux plus élevés qui doivent y arriver, en raison 
de la quotité, devenue disponible, de l'un et de l'autre, par 
l'atrophie progressive du tube digestif. 



- 08 - 

Ainsi, utropliie plus ou moins complète du tube digestif, 
hypertrophie et hyperfonctionnement de la peau, hyper- 
tropliie et hyperfonctionnement du poumon, telles senties 
bases sur lesquelles Tauteur fait reposer toute sa théorie. 

Cette théorie, on le voit, est d*une grande simplicité, il 
ne reste qu*à la démontrer. 

Voyons comment Tauteur s*est acquitté de ce soin. 

Le tube digestif s'atrophie chez les mystiques soumis 
à Tabstineuce ; n('us le lui disputerons d'autant moins que 
le même fait doit se passer ailleurs que chez ces sujets pré- 
destinés. Miiis s*il s'appuie^ pour rétablir, sur la stigmatisée 
de Bois-d'Haine, cette base va lui faire défaut. Chez les 
mystiques, dit-il en plusieurs endroits de son travail, l'esto- 
mac est à ce point atrophié, rétréci, qu'il n accepte plus 
aucun aliment. Lui en offre-t-on, cexxn-ci soniimmédiate-- 
ment rejetés. Eh bien ! chez Louise Lateau, ce rejet n'est 
pas immédiat j les aliments que nous lui avons offerts y 
étaient encore une demi-heure après avoir été intro- 
duits (15). 

La peau s' hypertrophie. Pour faire accepter une sem- 
blable formule, il aurait fallu l'appuyer sur des données 
physiologiques et anatomiques et sur l'observation directe. 
L'auteur va donc, sans doute, nous dire alors ce qu'il 
entend par l'hypertrophie de la peau et nous en préciser de 
façon exacte le caractère. Nous avons vainement cherché 
à nous fixer à cet égard. Qu'entend-il au juste par « l'hy- 
pertrophie de la peau > ? Est-ce l'hypertrophie du derme 
ou del'épiderme, des vaisseaux ou des glandes, ou de tous 
ces éléments à la fois î Oh ! alors, Louise Lateau va venir 
se mettre encore on travers du chemin. Sa peau est trans- 



— G9 — 

parente et mince, donc ses éléments cellulaires et âbreùx 
sont atrophiés. Elle est froide, donc sa circulation est 
réduite. Elle est sèche, donc ses glandes sébacées ne sécrè- 
tent guère. Enfin elle se transpire pas, donc ses glandes 
suA)ripares fonctionnent mal. Où donc alors siégerait l'hy- 
pertrophie ? 

Et V hypertrophie du poumon, l'auteur Ta-t-il "mieux 
démontrée? Hélas, non. A-t-il dit au moins en quoi il la 
faisait consister ? Pas davantage. Est-ce dans une hyper- 
trophie vraie avec développement d'infundibula et d'acini 
nouveaux? Comment pourrait-il tenter seulement la démon- 
stration de cette néoplasie ? Le poumon devrait, en outre, 
augmenter de volume, distendre la cage thoracique, abaisser 
le diaphragme, recouvrir le cœur, saillir dans les fosses 
sus-claviculaires. Or, chez Louise Lateau, rien de cela ne 
se montre à la percussion ni à Tauscultation. C'est donc 
alors une hypertrophie fausse, un emphysème ou une hyper- 
plasie conjonctive ? Mais, dans ces cas, ce n'est plus une 
activité, mais une diminution de la fonction de Torgane 
qui aura dû se produire. Et que serait d'ailleurs cette surac- 
tivité, sinon un mot vide de sens, s'accordant mal avec ce 
que l'auteur veut établir ? L'activité du poumon consiste à 
absorber l'oxygène; or, bien loin d'en réclamer un excès, 
les mystiques, n'ayant ni carbone ni hydrogène à brûler, 
n'ont que faire même du contingent normal. Elle consiste 
encore à dépenser de l'eau et de l'acide carbonique, dépense 
qui, précisément, n'est pas au pouvoir des sujets soumis à 
l'inédie. 

Donc cette hypertrophie de la peau et du poumon, créée 
par M. Charbonnier, attend encore sa démonstration. Et 

5 



~ 70 - 

existât-elle d'ailleurs, fauteur en serait-il davantage auto- 
risé à en induire que la peau et le poumon seraient prédis- 
posés aux hémorrhagies et n'est-ce pas plutôt le contraire 
qu'il aurait dû penser ? 

Passons à l'hyperfonctionnement prétendu de la peau et à 
celui du poumon. Pour apprécier ce que la peau, fonctionnant 
avec une activité exceptionnelle — d'ailleurs fort hypothé- 
tique — , pourrait fournir à la nutrition , il importerait de savoir 
ce que cette voie d'absorption peut lui procurer à l'état normal, 
et ce point est encore loind'êtreâxé ; en effet, les expériences 
faites jusqu'ici dans cette direction laissent énormément à 
désirer, quant à la façon dont la peau se comporte vis-à-vis 
des matières gazeuses, liquides ou solides avec lesquelles elle 
est mise en rapport. On sait seulement que, si la peau absorbe 
des gaz, ce n'est que dans une proportion infinitésimale. Pour 
ce qui est des liquides, la peau ne pourrait vraisemblable- 
ment les absorber que par imbibition de ses couches superfi- 
cielles, d'où gonflement de ses cellules épithéliales, sans que 
les liquides passent dans le torrent circulatoire. Le sang se 
trouve, en effet, sous une pression plus forte que la pression 
atmosphérique, et le passage des liquides ne pourrait avoir 
lieu que par diffusion, laquelle^ à travers des membranes aussi 
denses que l'épiderme, et en présence de la prédominance de 
la pression de dedans en dehors, ne saurait avoir de résul- 
tats notables. Quant aux solides, on invoquera, pour établir 
que la peau peut les absorber, le résultat des frictions mercu- 
rielles par exemple , de l'iode , du plomb , et l'argument semblera 
péremptoire. Ne nous pressons pas de conclure : il est extrê- 
mement probable que l'absorption de ces métaux par la peau 
ne s'accomplit que par suite de leur volatilisation ou de 



— 71 — 

leur introduction mécanique. Ainsi les pommades pénètrent 
d'autant mieux qu'elles sont soumises à des pressions plus 
répétées et plus énergiques. A Vienne, Sigmundfaitfrictionner 
les cuisses et les bras de ses syphilitiques, par les sujets 
eux-mêmes, jusqu'à disparition de la coloration noire pro- 
duite par l'onguent. Ceux qui en conservent des traces sont 
punis. Les principes actifs sont ainsi refoulés dans les glandes 
sudoripares, etc. , ils sont introduits comme de force, comme 
qui dirait physiquement, quoique sans ruptures, dans 
l'économie. Il en est tout de même dans le processus de la 
digestion : les contractions intestinales refoulent les sucs de 
la digestion , les graisses émulsionnées même , dans les y illosi tés 
de l'intestin, et^ chez l'homme comme dans la série animale, 
les digestions sont d'autant plus rapides et puissantes que 
l'intestin a une musculature plus développée. 

Que conclure de ces données, si ce n'est que la peau, en- 
trât-elle même dans un état de superactivité, ne saurait 
apporter à la nutrition qu'un contingent fort contestable. 

Pourra-t-on au moins se rabattre sur le poumon? C'est ce 
que nous allons rechercher. < Chez V animal bien nourri, 
dit M. Charbonnier, le poumon rej elle de V azote comme 
le rein. D'emblée^ par la diète, il s'établit une nouvelle 
fonction : V absorption d'azote par le poumon, » 

Cette double proposition est en complet désaccord avec ce 
que nous apprendla physiologie moderne : D'abord^^poM^ion 
n'élimine pasd'azote. L'azote se trouvedans le sangàl'état 
de simple dissolution, tout comme il se trouve dans l'eau de 
nos fossés et de nos rivières et au même titre, c'est-à-dire en 
vertu de la loi physique qui régit la dissolution des gaz dans 
les liquides avec lesquels ils se trouvent en contact, et, de 



- 7Î — 

même i{iw dans l*eau, les proportions (l*azote de notre sang 
varient selon la pression atmospliérique sous laquelle nous 
respirons. L*abaissement de la pression dégage le gaz, Taug- 
mentation de cet te même pression en dissout davantage. Nous 
sommes donc exactement saturés d'azote, mais nous le som- 
mes physiquement, mécaniquement, par simple diffusion. Si la 
quantité d*azote variait en dehors des conditions baromé- 
triques, ce ne pourrait être que par changement en moins, 
suite d'une combinaison de Tazote dissous, ou par change- 
ment en plus, suite d'une formation d'azote gazeux dans l'or- 
ganisme même, aux dépens des éléments azotés. Or, ni l'une 
ni Tautrede ces suppositions n'est admissible. Quant à la pre- 
mière, les affinités de l'azote sont trop faibles pour toutes les 
substances de notre corps; les plantes mêmes, qui ont des 
puissances synthétiques infiniment plus grandes que les nôtres 
— nos puissances sont plutôt désynthétiques, si Ton nous 
permet ce néologisme — ne sont pas capables de fixer l'azote 
gazeux ; c'est à l'acide nitrique et à l'ammoniaque qu'elles 
empruntent tout ce dont elles ont besoin de cet élément pour 
former leur albumine. Quant à notre organisme, il n'est pas 
susceptible de synthétiser de l'azote, sous quelque forme que 
ce soit, même celui de l'acide nitrique ou de l'ammoniaque, 
et le règne animal tout entier ne possède pas un milligranune 
d'élément organique azoté, c'est-à-dire de substance albumi- 
noïde, qui n'ait été formé dans lé règne végétal et absorbé 
comme tel par les herbivores, frugivores, etc., pour passer 
par leur intermédiaire aux carnivores. De même, nous ne 
sommes pas en état de synthétiser un atome de graisse. Les 
plantes nous fournissent la graisse toute formée, ou bien nous 
la devons à la décomposition de l'albumine de notre corps. 



— 75 - 

La théorie delà transformation du sucre en graisse dans l'or- 
ganisme animal est tout-à-fait controuvée. En somme donc, 
des deux éléments organiques de notre corps, albumine et 
graisse, nous n'en pouvons produire aucun, tout s'em- 
prunte au règne végétal. Nous ne pouvons donner naissance 
qu'à des dérivés de ces corps par oxydation et décomposition 
de ceux-ci. 

En ce qui concerne le second point, notons que, saturés 
exactement d'azote comme nous le sommes, il ne peut s'en 
produire dans l'organisme sans qu'il en résulte une sursatura- 
tion suivie de la mise en liberté du gaz en excès. Ce gaz libre , 
s'iln'enraiepas mécaniquement les fonctions vitales, devra se 
dégager du sang qui le charrie, au moment de son passage à 
travers le poumon et se mêler par diffusion à l'air inspiré. 
Or, les différentes expériences faites pour constater si 
de tazote se dégage par les voies respiratoires ont 
donné des résultats négatifs. 

Nous savons l'expérience qu'on peut nous opposer : Si, 
plaçant un animal sous une cloche recevant de l'oxygène d'un 
côté et le laissant échapper de l'autre, on examine le gaz de 
sortie, on le trouve d'abord mêlé d'azote. Rien n'est plus 
vrai, mais cela ne dure que jusqu'à ce que l'azote contenu 
dans l'organisme de l'animal, au moment où il est introduit 
sous la cloche, est dégagé. Et ce dégagementest nécessaire, 
vu que les lois de diffusion exigent une équilibration dans la 
tension de chaque gaz. La cloche étant remplie d'oxygène 
pur, le sérum du sang absorbera plus d'oxygène et émettra 
son azote jusqu'à équilibre de tension. Et comme l'oxygène 
se renouvelle d'une manière continue, le sang finira par 
perdre tout-à-fait son azote. C'est un phénomènequi se pro- 



— 74 - 

duitde la même façon que si, à la place dun animal, un verre 
d'eau saturée d*air atmosphérique était placé sous la cloche. 
Après un certain temps, aucune (race d*azote n*est plus 
émise par Tanimal. 

Donc : 

VLe poumon n'élimine pas d'azote, et 

2^ Le poumon, dans aucune condition, ne peut en 
absorber. 

La loi mise en avant par M. Charbonnier et qu'il prétend 
faire servir de clef de voûte à tout son système, manque 
donc de démonstration. Bien plus, elle est reconnue im- 
possible. 

Cette même loi de la gradation, d'après M. Charbonnier, 
s'appliquerait à d'autres fonctions que la nutrition. « Qu'on 
transporte en ballon, dit-il, des milliers de personnes, à 
cinq ou six mille mètres au-dessus du niveau de la mer, 
aucune d'elles ne pourra subsister dans le milieu raréfié qui 
s'y rencontre. » Et il met cette impossibilité sur le compte 
de l'insuffisance de l'oxygène. C'est encore une erreur. Ce 
n'est nullement dans le défaut de l'aliment pulmonaire, de 
l'oxigène, que réside la cause qui fait qu'un abaissement de 
densité atmosphérique tue. Cette cause, on la trouve dans 
la loi que nous avons signalée plus haut et qui gouverne la 
solution des gaz dans le sang. L'azote, qui n'existe dans l'or- 
ganisme qu'à l'état de simple solution, doit nécessairement 
se dégager quand la pression atmosphérique change, et, si ce 
dégagement est trop rapide, ce gaz se forme en bulles dans 
les vaisseaux. — L'auscultation du cœur chez les chiens en 
expérience le constate ; de là des embolies dans les organes 
les plus divers, poumons, cœur, cerveau, membres, avec pro- 



-« 75 — 

duction d'asphyxie, de phénomènes cérébraux, etc. Au con- 
traire, l'abaissement de pression se fait-il avec lenteur, les 
gaz s'éliminent par le poumon à mesure de leur mise en 
liberté. 

Le fond de la comparaison entre l'abstinence dé nourriture 
et la respiration d'un air raréfié tombe ainsi tout-à-fait à faux, 
car, dans un air raréfié, l'absorption d'oxygène est presque 
aussi facile et aussi complète que dans un air plus dense, 
l'oxygène se trouvant dans le sang non seulement à l'état de 
solution, mais formant avec l'hémoglobuline une combinaison 
chimique : l'hémoglobuline s'empare de lui en proportion 
constante ; les variations d'oxygène dans le sang ne portent 
guère que sur la partie dissoute dans le sérum, et les globules 
en contiennent environ cinq fois autant que ce dernier. Le 
tableau suivant en fait foi : 

100 volumes de sang contiennent : 

A20te. Oxygène. 

À 1 atmosphère 2,2 19,4 

3 » 4.5 20.9 

6 » 8.1 23 7 

10 )) 11.3 24.6 

Ainsi, dans un air raréfié, le sang ne souffre nullement 
d'insuffisance d'oxygène, parce qu'il est pourvu d'un élément 
qui, sous toute pression, en fixe des quantités constantes. Un 
tiers d'oxygène peut facilement manquer à l'atmosphère, sans 
que le sang en absorde moins. 

A côté de ces inexactitudes physiologiques, nous 

trouvons encore, à notre grand regret, bon nombre d'hypo- 
thèses que l'auteur n'a paseu le soin, le pouvoir peut-être, de 
justifier. « Supposons, dit-il, que le tube digestif ne fonc- 



— 76 — 

lionne plus; la loi de substitution est là, la peau et le poumon 
vont suppléer les fonctions perdues. » Mais c*est précisément 
làcequ*il fallait démontrer, et M. Charbonnier tourne dans un 
cercle vicieux : pour démontrer Tinédie, il invoque sa grande 
loi de substitution; pour justifier celle-ci, c'est Tinédie qu'il 
évoque. Nous le voyons plus loin expliquer par le * déplace- 
ment des fonctions de l'innervation > les facultés spéciales 
des mystiques ; mais le fait et sa démonstration restent l'un 
et Tautre sans autre appui que cette simple allégation, et 
franchement, ce n'est pas assez. Ne peut-on pas regretter 
enfin, de trouver, dans une œuvre de science positive, des 
assertions telles que celle de << l'homme des déserts, qui, de 
même que la frégate perdue sur des mers sans horizon, trouve 
toujours son chemin? » M. Charbonnier ne nous fera croire 
à « l'instinct du désert, faculté créée par la nécessité, » 
pas plus qu'il ne nous empêchera de penser que le soleil, 

les vents, les étoiles et le reste sont bien pour quelque 

chose dans la sûreté de leur orientation? Quant aux che- 
veux étincolants,au foie sans bile des mystiques, etc. , etc., 
nous ne croyons pas être trop sévères en jugeant que des 
allégations de ce genre sont moins propres à servir de base 
à une discussion scientifique que ne le serait un simple fait 
bien observé. 

Ce fait, notre auteur croit l'avoir trouvé dans la personne 
de Louise Lateau . Voyons à quel degré il est en droit de 
l'évoquer. Nous lui abandonnons volontiers le commémo- 
ratif : l'enfance misérable, l'adolescence besogneuse, tout 
en faisant nos réserves quant à la période comprise entre 
l'âge de 8 ans et celui de 18, — où elle a vécu et mangé 
à peu près comme tout le mtmde, - les maladies multiples. 



- 77 — 

les abstinences volontaires devenues bientôt instinctives ; 
nous lui concédons encore, car nous ne pouvons lui prouver 
le contraire, que toutes ces circonstances ont conduit, par 
un chemin sûr, la malade de Bois-d'Haine à Textase et à 
la stigmatisation. Mais, ces concessions faites, il nous est 
impossible d'aller plus loin. Louise Lateau n'appartient 
plus au cadre créé par M. Charbonnier, si nous l'exami- 
nons dans son état actuel, et nous n'aurons aucune peine à 
le démontrer. 

< Il n'est nullement nécessaire, dit notre auteur, de sur- 
veiller un mystique pendant six semaines, ni un mois, ni 
même un jour, pour savoir s'il mange ou ne mange pas. Il 
y a un moyen bien plus simple et plus facile, c'est de con- 
stater la présence ou l'absence de l'acide carbonique dans 
l'air expiré, j* 

Nous prenons la proposition telle qu'elle nous est offerte, 
bien que nous la trouvions trop absolue, puisqu'elle néglige 
l'autophagisme, sur lequel il nous restera à revenir, et nous 
la résolvons d'emblée : Louise Lateau dégage de l'acide car- 
bonique, ainsi qu'il résulte des expériences faites par nous 
d'abord, par MM. Mascart et Lefebvre ensuite, et elle en dé- 
'gage, à vue de pays, à peu près autant que nous (14) . Je sais 
l'objection qu'on pourra nous faire quant à cette quotité com- 
parative : l'analyse faite par M. Depaire, des gaz expirés, ne 
donne que deux pour cent à peine d'acide carbonique, alors 
que ceux d'un sujet bien portant en doivent contenir quatre 
pour cent environ. La différence n'est qu'apparente : pour 
remplir notre réservoir, — faisant des recherches d'orien- 
tation et plus qualitatives que quantitatives, nous avons usé 
d'un procédé un peu primitif — nous avons dû faire faire à 



- 78 - 

notre malade de profondes inspirations : or, dans ces inspi- 
rations, la quantité d*air introduite peut aller de 500 centi- 
mètres cubes (quotité de Tinspiration ordinaire) à deux, 
trois, quatre litres, alors que la quantité d*acide carbonique 
émise dans le même temps n'augmente pas dans la même 
proportion ; cette quantité est donc, en réalité, absolument 
plus grande, mais relativement moindre. Une inspiration de 
500 centimètres cubes quittant le poumon avec quatre 
pour cent d*acide carbonique en volume, donne 20 centi- 
mètres cubes de cet acide, soit 40 milligrammes; une expi- 
ration de 3,000 centimètres cubes à deux pour cent donne 
60 centimètres cubes^ soit 1 20 milligrammes. 

A ceux que cette explication ne contenterait pas, nous 
en proposerons une autre : Louise mange certainement 
moins que le commun des gens, elle doit donc produire 
moins d'acide carbonique. 

Allons un peu plus loin que l'auteur et demandons-nous 
si le carbone brûlé par Louise Lateau ne provient pas de 
son propre stock f Sans compter les pertes résultant de 
l'émission constatée d'acide carbonique et de vapeur d'eau 
par le poumon, sans compter encore la déperdition de calo- 
rique par le travail accompli, par le rayonnement, par le 
contact de l'air, par l'évaporation de l'eau — évaporation 
fatalement liée à la respiration et que nous avons d'ailleurs 
constatée expérimentalement, — il y a les hémorrhagies 
hebdomadaires évaluées en moyenne et au bas mot à 
250 grammes qui, en trois ans et demi, c'est-à-dire en 
1 82 semaines^ doivent avoir causé Télimination de plus de 
45 kilogrammes de s;mg ! 

Nous ne conclurons pas : si Louise Lateau ne faisait pas 



— 79 — 

de recettes, elle serait depuis longtemps réduite à néant. Or, 
elle pèse aujourd'hui — sa taille est d'un mètre 63 centi- 
mètres — 53 kilogrammes, et tous ceux qui la connaissent 
depuis longtemps affirment qu'elle n'a jamais été plus forte. 
La physiologie, bien plus, les simples lois de la physique 
nous disent donc que Louise Lateau mange. 

Avons-nous besoin d'ajouter que la conservation de l'em- 
bonpoint de notre sujet achève de la distraire de la classe 
constituée par M. Charbonnier. Chacun de ses mystiques a, 
pour premier apanage, « l'amaigrissement progressif con- 
duisant à la mort dans le marasme. » Or, Louise ne mai- 
grit pas, et, s'il lui faut un jour mourir dans le marasme, 
c'est qu'auparavant ses conditions actuelles d'existence se 
seront profondément modifiées. 

Voici un autre fait tout récent, qui n'est pas moins que 
celui de Louise Lateau en contradiction avec ce que notre 
auteur pense de l'influence de l'abstinence sur le développe- 
ment de la maladie des mystiques. Pour avoir fait moins de 
bruit que celui de Bois-d'Hame, il n'en est pas moins carac- 
téristique. 

30. Isabelle Hendrickx, née à Appels-Termonde, le 
18 octobre 1844, y est morte le 7 novembre 1874, âgée 
par conséquent d'un peu de plus de trente ans. Les parents 
d'Isabelle sont des cultivateurs. Elle partageait avec eux les 
travaux des champs, et pour toute besogne se montrait plus 
vaillante qu'aucune de ses sœurs. Sa santé a toujours été 
bonne; elle mangeait, comme les autres membres de la 
famille, les mets habituels à la campagne, et n'a jamais 
manifesté de goût spécial ni de répugnance pour aucun 



— 80 - 

d*entr*eux. Elle était peut-être un peu plus pâle que ne sont 
(i*habitude les paysannes, mais elle u*a jamais eu ni chlo- 
rose, ni dérangements menstruels, ni névralgies, ni hémorr- 
hagies d'aucune sorte. Elle avait été réglée normalement à 
17 ans. Elle était d'un caractère agréable, ouvert et affa- 
ble, qui, dans les derniers temps seulement, a paru prendre 
une teinte de mélancolie. 

Isabelle a montré, toute jeune, une grande piété et une 
grande dévotion à la passion du Sauveur. Depuis vingt ans, 
pas un jour ne s*est passé sans qu'elle fît le Chemin de la 
Croix. 

C'est dans ces conditions que, vers le mois de novembre 
1873, elle commença à avoir des extases, qui se manifes- 
taient le vendredi à minuit et duraient vingt-quatre heures. 
Pendant ce temps, elle était insensible à tout ce qui se pas- 
sait autour d'elle, paraissait souffrir beaucoup et ne prenait 
aucune nourriture. Environ cinquante jours avant sa mort, 
un vendredi à midi, des plaies s'ouvrirent aux mains, aux 
pieds et au côté. Les pl^es des mains semblaient avoir été 
faites par un gros clou, celle du côté, étroite et allongée, 
rappelait la forme d'une lance; le sang coulait. Le 12 octo- 
bre 1874, à midi, l'hémorrhagie commença à se faire au 
front, par douze plaies, d'où le sang coulait jusque dans le 
cou. Les souffrances allèrent en augmentant chaque ven- 
dredi ; les plaies ne se refermaient pas, mais elles ne saig- 
naient que le vendredi, de midi à minuit. Le vendredi 
6 novembre, les choses se passèrent comme de coutume, sauf 
un commencement d'hématèse, qui devint plus abondante le 
lendemain et la réduisit bientôt à toute extrémité ; ce même 
jour, le samedi 7 elle mourut, dit l'observation, étouffée 
dans un vomissement de sang. 



- 8i — 

M. le docteur Dosfeld, de Termonde, qui a vu la malade 
à partir de la fin de mai 1874, a bien voulu nous donner, 
en ce qui concerne l'alimentation de cette fille, les rensei- 
gnements ci-après : <^ Sa nourriture, nous écrit-il à la date 
du 2 décembre, consistait surtout en pain et légumes; elle 
mangeait parfois un peu de viande, mais disait ne pas bien 
la supporter. Elle buvait surtout de Teau et du café et sup- 
portait mal les autres boissons. Depuis que je l'observe 
(mai 1874), elle est toujours très-sobre. Je lui avais con- 
seillé un régime tonique ; on m'a dit qu'elle avait essayé de 
le suivre, mais qu'elle vomissait tout ce qu'elle prenait en 
dehors de ses mets habituels. Depuis, elle a mangé de moins 
en moins, jusque vers le milieu du mois de septembre, épo- 
que à laquelle elle doit avoir cessé de prendre des aliments 
solides. On m'a affirmé qu'à partir de cette époque, elle n'a 
plus pris que de l'eau et que même elle n'essayait pas de 
manger, parce qu'elle vomissait le tout. Quelques instants 
avant de mourir, elle a demandé un peu de lait battu qu'elle 
a avalé et gardé. » 

Notons que ces renseignements ne font remonter les faits 
d'abstinence qu'à la fin de mai, et que les extases avaient 
déjà commencé au mois de novembre précédent, c'est-à-dire 
cinq mois auparavant ! 

Il n'est pas superflu d'ajouter que, pendant toute la vie de 
cette jeune fille, le plus grand mystère l'a garantie contre 
les curiosités du dehors. Au point de vue de la sincérité 
des faits, cette considération n'est peut-être pas sans 
valeur. 

31. Le mémoire de M. Charbonnier est un travail de 



- - 8â - 

longue baleine ; il ne compte pas moins de 277 pages de 
papier écolier grand format, représentant environ la matière 
de 400 pages du recueil de nos Mémoires. Indépendam- 
ment des parties que nous venons d'examiner, il en est plu- 
sieurs autres qui échappent à l'analyse et qui n'y figurent 
guère qu'à titre de documents. Telles sont : le cahier n® 2 
(42 pages) consacré à la critique du livre de M. Lefebvre : 
« Louise Lateau, de Bois-d' Haine , Sa vie^ ses extases, 
ses stigmates; le cahier n* 2bis (40 pages) intitulé : Re- 
coins de la physiologie: le cahier n*^ 3(10 pages) : Citations 
d'Esquirol; les cahiers n*** 5, 6 et 7 (51 pages) : Coup- 
d'œil historique sur les stigmatisés. 

Tout cela forme un ensemble qui a dû coûter à l'auteur de 
longues et laborieuses recherches. En ce qui concerne les 
Recoins de la physiologie , on regrette la source, toutes 
respectable qu'elle soit, à laquelle il a puisé : sa principale, 
presque sa seule autorité est celle de M. Longet, mort 
depuis plusieurs années*. Or les questions relatives à la nutri- 
tion, celles précisément qui sont ici en jeu, ont, depuis 
Longet, été mises dans un jour absolument nouveau. 

L'œuvre que nous venons d'analyser est surtout un travail 
d'imagination. La thèse que l'auteur s'était posée a ^norf, il 
en a poursuivi la démonstration par tous les moyens, écartant 
de son chemin les obstacles de nature à l'embarrasser, créant 
au besoin de nouvelles fonctions et y faisant plier les organes, 
tout cela écrit dans un style vif, imagé et portant l'empreinte 
de la conviction. Une chose y manque malheureusement, la 
preuve expérimentale. De simples expériences sur des ani- 
maux, logiquement conduites, lui eussent appris comment 
ceux-ci supportent Tinédie progressive, et quelles modifica- 



— gî- 
tions cette inédie apporte à leurs organes et à leurs fonc- 
tions. Ces expériences, il ne les a point instituées et il 
faut le regretter. 

Cette large part faite àla critique, nous devons reconnaître 
que M. Charbonnier a eu le rare mérite de remuer des idées 
nouvelles, et que, si sa cause ne pouvait être gagnée, il Ta 
du moins défendue avec talent : 

Si Pergama dextra 
De fendi passent, etifun haec defensi fuissent. 



\ 



TROISIEME PARTIE. 



A'^ue» propres de la OommiBision sur le 

fait de Bois-d'Haine. 



32. Après avoir analysé le mémoire que 1* Académie a 
confié à notre examen, et l'avoir réfuté dans les parties qui y 
concernent Louise Lateau, il nous reste à donner, à notre 
tour, nos idées propres relativement au fait si intéressant qui 
en fait l'objet. 

Et d'abord, les faits cités sont-ils réels? Dans notre pensée, 
la simulation des extases est simplement impossible, accom- 
pagnées qu'elles sont de troubles fonctionnels dont la provo- 
cation dépasserait l'empire de la volonté. Quant à la spon- 
tanéité actuelle des hémorrhagies par les stigmates, nous 
l'avons démontrée expérimentalement (17). 

G 



-86- 

Nous n*invoquerons ni iradmettrons comme pouvant être 
invoquée à aucun degré la confiance à accorder aux diresde 
notre sujet. La sincérité d'une personne névropathique est 
chose précaire, aucun médecin ne l'ignore. Demander dans 
quel but des êtres réputés raisonnables se complaisent parfois 
à des simulations incapables de tourner, en fin de compte, 
autrement qu'à leur confusion, ne semble pas une objection 
sérieuse. « Je me rappelle, dit M. Spring, que, dans ma car- 
rière de médecin, je me suis déjà tant de fois posé inutile- 
ment cette question. » 

Il n'est peut être pas un médecin un peu occupé qui ne se 
la soit posée une fois au moins dans sa vie, et, s'il fallait citer 
les exemples de simulations indéchiffrables, il n'y aurait qu'à 
prendre dans le tas. Nous en citerons un seul, dont nous 
garantissons la scrupuleuse exactitude. 

Une jeune fille de bonne maison, vers l'âge de seize ans, 
est prise d'hystérie. Jusque là bien portante, sauf un peude 
chlorose, elle présente bientôt des attaques caractérisées sur- 
tout par un état ataxique spécial: quand elle est au lit, elle y 
fait des bonds à rendre un cabri jaloux, à ce point qu'il faut 
munir sa couchette d'une balustrade préservatrice. Cela ne 
sufiit pas encore: en présencede ses médecins, profitant d'un 
moment où l'on néglige de la maintenir, on la voit un jour, 
franchissant d'un bond cette barrière, tomber sur le sol et y 
prendre la position que voici : l'occiput et les talons portent 
seuls sur le plancher ; tout le corps est porté en haut, sui- 
vant un arc-de-cercle dont l'ombiUc occupe le plan le plus 
élevé (2). Il y a rigidité indomptable. On peut appuyer sur 
le ventre, s'y asseoir même, sans faire céder d'un millimètre 
cette voûte d'acier. . . . 

Elle guérit. 



- à7 — 

Quelques aimées plus tard, les médecins qui Tavaieut 
soignée, et dontTun, si jene rae trompe, appartient àTAca- 
démie, sont appelés de nouveau. Notre jeune fille est entiè- 
rement paralysée : depuis plusieurs jours elle est privée de 
nourriture; elle va évidemment succomber. Toute la famille 
est dans la désolation la plus profonde. C'est un navrant 
spectacle. Un des médecins conçoit des soupçons, mais il 
s'en défend lui-même : la jeune malade est une personne 
instruite, spirituelle, aimable, affectueuse; elle chérit sa 
famille, dont elle est Tidole, elle n'a pas de peine d'amour 
ni d'autres soucis quelconques, elle n'a rien à désirer au 
monde. Quel mobile donner à la supercherie? N'importe, il 
faut en avoir le cœur net. Le. docteur X... s'assure que, 
d'une chambre voisine, il peut, à travers le trou d'une ser- 
rure, voir la malade sur son lit. Sous prétexte de pourvoir 
aux besoins de la personne qui fait la garde, on placera sur 
sa table de nuit une jatte de bouillon, tout le monde quittera 
la chambre et de l'observatoire préparé on examinera la 
scène. Il en est ainsi fait et que voit-on? A peine la jeune 
fille se trouve-t-elle seule, qu'elle s'assied brusquement sur 
son lit, passe ses mains dans ses cheveux pour les rajuster, 
se saisit de la tasse de bouillon et en boit avidement quel- 
ques gorgées. On rentre en faisant quelque bruit, c'est la 
statue qui a reparu. Le délit de supercherie était flagrant. 
Il fallut une grande prudence, — connaissant les antécé- 
dents hystériques dont il y avait à craindre le retour — 
pour ramener la pauvre enfant à la raison. On y parvint, 
et jamais il n'y fut fait allusion dans les entretiens que son 
cher entourage eut plus tard avec elle. Avait-elle la con- 
science exacte de ce qu'il devait y avoir d'inhumain, 



— 88 - 

(l'odieux, dans cette comédie si habilement ourdie, si opi- 
niâtrement soutenue? Qui voudrait Taffirmer? 

On trouvera plus loin (34) l'observation d'un homme 
qui, à la suite d'une lésion cérébrale de cause traumatique, 
passe à certains moments dans un état spécial où il o£fre, 
entre autres symptômes, la manie du vol. N'y a-t-il pas, 
chez certains névropathes, la manie du mensonge, causée 
par des perturbations cérébrales les rendant inconscientes 
et irresponsables des supercheries innombrables dont elles 
se plaisent à donner l'inconcevable spectacle? 

1. DES EXTASES. 

33. L'état extatique de Louise Lateau n'est pas toujours 
semblable à lui-même. Dans l'exposé des faits, nous avons 
rapporté (7) les phénomènes qui, dans la journée du ven- 
dredi, se passent, à six heures du matin d'abord, puis de 
deux à quatre heures et demie de l'après-midi. 

Rappelons les premiers en peu de mots : Au moment où 
le prêtre arrive pour lui ofFcir l'hostie sacrée, la pénitente 
s'agenouille, croise les mains, tend la lai.gue, ferme les 
yeux et reçoit le sacrement. De ce moment, elle semble ne 
plus appartenir au monde extérieur; son immobilité est 
marmoréenne, sa sensibilité organique momentanément mais 
complètement éteinte ; plus de mouvemenls réflexes répon- 
dant aux plus vives excitations. 

Que s'est-il passé? Depuis la veille, l'âme de la jeune fille 
s'est unie à Dieu plus intimement encore que les autres 
jours; de crainte de la troubler dans son recueillement, on 
a fait le vide autour d'elle et laissé un libre essor, pendant 



-~ 89 — 

une longue nuit passée sans sommeil, à une concentration 
absolue de toutes ses facultés sur Tunique objet de son 
adoration . Cette concentration se complète par Tacte de la 
communion. De ce moment, si une excitation extérieure est 
produite, le cerveau, occupé ailleurs, ne la perçoit plus. 
Dans le langage usuel, cet état se nomme « distraction >» 
ou « absence ». Il peut durer un certain temps, puis, 
insensiblement, l'attention s'épuise, se relàclie, et l'influx 
nerveux se répartit à nouveau dans ses conditions physio- 
logiques. Chez Louise Lateau, il faut — l'intelligence et la 
conscience revenues — une demi-heure encore pour que 
les excitations extérieures donnent au cerveau la conscience 
de l'impression. 

Le& accès de l'après-midi revêtent un autre caractère : 
commandés par un autre ordre d'idées, ils s'accompagnent 
d'une mimique spéciale et de perturbations fonctionnelles 
plus profondes, dont il reste à déterminer la nature. 

C'est à cette détermination que nous allons nous appliquer. 

Il est une classe de maladies fort répandue, qu'on sup- 
pose avoir leur siège dans le système nerveux et qui con- 
sistent en un trouble fonctionnel sans lésion appréciable 
dans la structure des parties ni agent matériel propre à le 
produire. Elles sont de longue durée, apy rétiques, difficile- 
ment curables; presque toutes sont intermittentes. Ce sont 
les névroses. Les convulsions, l'épilepsie, le tétanos, 
l'hystérie, la catalepsie, appartiennent à ce genre de 
maladie et en constituent les espèces classiques, mais à côté 
d'elles viennent s'en ranger une foule d'autres, qu'on a 
nommées « névroses extraordinaires » , faute de pouvoir 
les classer dans les premières, tant leurs manifestations 
sont parfois bizares et étranges. 



~ 90 — 

Ce qui en car«ictérise Tun des groupes principaux, c'est 
la faculté en vertu de laquelle le sujet qui en est atteint 
quitte momentanément sa condition physiologique pour 
entrer dans une << condition seconde > . durant laquelle ses 
actes, ses fonctions, ses idées, diffèrent essentiellement de 
ce qu'ils sont à Tétat normal : le cerveau, limité dans son 
fonctionnement, ne perçoit plus alors les excitations venues 
du dehors, ou ne les interprête plus de la façon ordinaire. 
Il y a en un mot doublement de la vie. 

Ce doublement de la vie n'est pas seulement une des 
manifestations multiformes des innombrables variétés des 
névropathies idiopathiques, il peut se produire encore dans 
d'autres conditions, savoir : 

a. A la suite de lésions matérielles du cerveau; 

h. Pendant l'existence de névroses bien déterminées; 

c. Sous l'influence de certaines manœuvres spéciales 
(magnétisme, hypnotisme); 

d. Spontanément, sans l'intervention d'aucunes provoca- 
tions extérieures (somnambulisme, névrose extraordinaire). 

Nous nous arrêterons successivement à chacun de ces 
divers états. 

34. a. Doublement de la vie à la suite de lésion travr- 
matique du cerveau. 

Observation (l) . — F — 27 ans, sergent à l'armée 
d'Afrique, actuellement en observation à l'hôpital Saint- 
Antoine, à Paris, dans le service de M. Er. Mesnet, reçoit, 
à Bazeilles, en 1870, un coup de feu qui lui fracture le 



(1) Mesnet. De rautomatisnie de la mémoire et du souvenir dans le 
somnambulisme pathologique. Paris, Union tm'dicafe, 1874, n"* 87 et 88, 



- 9i — 

pariétal gauche. Presque aussitôt son bras droit se paralyse; 
il marche cependant encore deux cents mètres,* puis sa 
jambe droite lui fait défaut à son tour et il perd Tusage de 
ses sens pour ne le reprendre que trois semaines après, à 
Mayence, où il avait été transporté par une ambulance 
prussienne. L'hémiplégie droite était complète, la perte de 
mouvement absolue. Cette paralysie guérit néanmoins et en 
laisse plus aujourd'hui d'autre trace qu'une légère faiblesse 
du côté droit. Mais des troubles cérébraux persistent, 
caractériisés par des accès périodiques, se reproduisant, 
toujours semblables à eux-mêmes, tous les quinze à trente 
jours et durant de quinze à trente heures. 

Depuis quatre ans, la vie de F... présente deux phases 
distinctes, l'une normale, l'autre pathologique. Dans son état 
ordinaire, il est intelligent ; sa santé est bonne, toutes ses 
fonctions sont régulières .Tout à coup ses sens se ferment 
aux excitations du dehors, le monde extérieur cesse d'exister 
pour lui; il n'agit plus alors qu'avec ses propres excitations, 
qu'avec le mouvement automatique de son cerveau, et néan- 
moins va, vient, fait, agit, comme s'il avait son intelligence. 
Sa démarche est facile, son attitude calme, ses yeux sont lar- 
gement ouverts; les pupilles en sont dilatées. S'il marche 
dans un milieu qui lui soit connu, il agit avec toute sa liberté 
d'allures habituelles; mais si on le place dans un autre milieu 
et qu'on se plaise à lui créer des obstacles, il heurte légère- 
ment diaque chose et tourne les difficultés. Il suit, comme 
un automate, la direction qu'on lui imprime. Il boit, mange, 
fume, s'habille, se promène, se déshabille, se couche, comme 
si de rien n'était. La sensibilité extérieure est éteinte, l'ouïe 
fermée aux bruits les plus intenses, le goût n'existe plus; il 



- »i - 

boit indifféi*einment eau. vin, vinaigre, asa fœtida; l'odorat 
et la vue sont fermés aux excitations du dehors. Le toucher 
seul persiste et met le sujet en rapport avec les choses exté- 
rieures. Enfin, honnête et probe en dehors de ses accès, il 
vole, dès qu'il y est tombé, tout ce qui lui tombe sous la 
main. 

35. Mais ce que cette observation offre encore d'intéres- 
sant, c'est l'influence des idées suggestives. Voici ce que 
Braid entend par suggestion : Un sujet, dans un état de 
condition seconde y est placé, par exemple, dans une posi- 
tion exprimant l'orgueil, l'humilité, la colère ; immédiatement 
ses idées sont portées vers ces sentiments et cela avec une 
grande force, et son visage l'exprime ainsi que ses paroles. 
Dans le cas cité, la suggestion s'opère par le toucher : 
celui-ci la reçoit et la transmet au oerveau qui, immédiate- 
ment, se met en action dans le sens de l'idée reçue. On met 
dans la main de F... une canne à poignée coudée, par 
exemple ; il la palpe, devient attentif, semble prêter l'oreille, 
puis soudain — une illusion du tact lui a fait prendre sa 
canne pour un fusil — il appelle : « Henri! » Puis : « Les 
voilà! ils sont au moins une vingtaine! à nous deux nous 
en viendrons à bout! > Et alors, portant la main derrière 
son dos comme pour prendre une cartouche, il fait le mou- 
vement de charger son arme, se couche dans l'herbe à plat 
ventre, la tête cachée par un arbre, dans la position d'un 
tirailleur, et suit, l'arme épaulée, tous les mouvements de 
Tennemi qu'il croit voir à courte distance. 

36. M. Huxlej, de Londres, dans une conférence tenue 
à VAssociadon btutanniquc pour Favancement des 



- 93 — 

sciences (session de Belfort, 1874) s'est occupé de ce fait 
intéressant à tant de titres. 

« Enlevpns, dit-il, à une grenouille, tout ce qu'on nomme 
les hémisphères cérébraux, c'est-à-dire la portion la plus 
antérieure du cerveau. Si cette opération est convenable- 
ment exécutée, la grenouille peut se conserver pendant des 
mois et mêmes des années dans un état complet de vigueur 
corporelle, mais elle demeurera toujours dans le même 
endroit. Elle ne voit rien, n'entend rien, mourra de faim 
plutôt que de se nourrir, et cependant avale de la nourri- 
ture si l'on prend soin de la lui placer dans la bouche. 
Quand on l'irrite, elle saute ou marche; elle nage si on la 
jette dans l'eau. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est 
que, si vous la déposez sur la paume de votre main, elle y 
demeure accroupie, parfaitement tranquille et y resterait 
ainsi éternellement. Inclinez alors très- lentement votre main 
de sorte que la grenouille acquière une tendance naturelle 
à glisser, vous sentez ses pattes de devant gagner douce- 
ment le bord de la main, jusqu'à ce que l'animal puisse s'y 
maintenir solidement et ne point être en danger de tomber ; 
en ce moment, vous tournez la main, alors il monte avec 
beaucoup de précaution et de délibération, avance succes- 
sivement d'abord une patte, puis la suivante, et finit par 
prendre un état d'équilibre parfait. Retourne-t-on complè- 
tement la main, il commence la même série d'évolutions 
usqu'à ce qu'il se trouve en sûreté sur le dos de la main. 
Tout cela exige une délicatesse de coordination et un ajuste- 
ment de l'appareil musculaire qui ne peut se comparer qu'à 
celui d'un danseur de corde. Placez l'animal sur une table, 
dressez un livre entre lui et la lumière, et donnez-lui une 



- 94 - 

lèj^ère impulsion, il sautera, non pas contre le livre, mais 
latéralement, à droite ou à gauche, montrant ainsi que, bien 
qu*êtant insensible aux impressions ordinaires de la lumière, 
il existe en lui quelque chose qui passe à travers le nerf sen- 
sitif, a{(it sur la machine du système nerveux et l'oblige à 
s'adapter à l'action convenable. » 

*< Le sergentF. . . , dont il a été question plus haut,occupe, 
dit M. Huxley, une position exactement pareille à celle de la 
grenouille à qui Ton a enlevé les hémisphères cérébraux, il 
n'y a pas de doute que, lorsqu'il est dans son état de « con- 
dition seconde, » les fonctions de ses hémisphères cérébraux 
ne soient en grande partie annihilées. Il est presque, quoique 
pas entièrement, dans la condition d'un animal auquel ces 
hémisphères ont été enlevés. Cet exemple est rempli d'un 
intérêt merveilleux, car il rentre dans les phénomènes du 
mesmérisme, dont j'ai eu, dans ma jeunesse, l'occasion de 
vérifier un grand nombre, par la puissance des idées sug- 
gestives. » 

37. 6. Doublement de la vie pendant le cours d'une 
névrose protéi forme. 

Observation^ , — M™** X — 30 ans, mère de quatre en- 
fants, n'a jamais présenté dans sa jeunesse ni des accidents 
nerveux, ni la sensibilité, l'impressionnabilité appartenant 
aux natures dites nerveuses. Au mois de mai 1 855, elle a été 
prise, sans cause appréciable, d'accès hystériformes, qui ont 
pris bientôt des proportions inattendues. Du 11 au 31 oe- 



il) Mesnet. Études sur le somnambulisme, envisagé au point de vue 
pathologique. Archives générales de médecine, 1860, 1, p. 149, 



..^^-iwt: - _ ^. 



- - 95 — 

tobre, elle en a eu 927, en moyenne 46 par vingt-quatre 
heures. Ce chiffre s'abaisse en novembre à 26, puis en 
décembre à 12 par jour. Au 10 janvier, il n'y en a plus 
que 10, au mois d'avril un seul; à la fin de ce même mois 
ils avaient disparu. Durant tout ce temps, elle ne mangeait 
presque pas, restait constamment alitée, était très- affaissée; 
on percevait un bruit de souffle au premier temps du cœur, 
se prolongeant dans les vaisseaux du cou. La sensibilité 
était abolie dans les membres inférieurs, très-obtuse dans 
les supérieurs, complètement effacée sur les muqueuses de 
tous les organes des sens. 

Le 15 octobre, la catalepsie vint se mettre de la partie; 
après un violent accès d'hystérie où le corps, courbé en arc, 
reposait sur le lit par la tête et l'extrémité des orteils, 
M®X..». retomba en résolution ; le bras droit, qu'on avait 
pris pour tâter le pouls resta levé : on fît alors asseoir la 
malade, puis on souleva les membres inférieurs ; ils con- 
servèrent la position qu'on leur avait donnée, et la malade, 
ne reposant plus que sur les ischions, se maintint dans cette 
position sans qu'aucun muscle du visage se contractât ou 
trahît la moindre douleur. Cet état dura un quart d'heure 
environ et cessa, comme il avait commencé, par un grand 
cri. 

Le 24 octobre, 46 accès d'hystérie, 2 de catalepsie, de 
30 et de 1 5 minutes. 

Le 27, la malade, pour la première fois, se lève un quart 
d'heure, mais elle ne peut rester debout; les jambes fléchis- 
sent, elle ne sent pas le sol. Rien de bien particulier pen- 
dant un. mois. 

Le 29 novembre. Depuis quelques nuits, la domestique 



de veille s'apercevait qu*à trois heures du matin, M° X... 
après un accès d*liystérie, tombait en catalepsie, puis était 
agitée, causait tout haut, voulait sortir de son lit. Â cinq 
heures, cet état d*agitation cessait, après une nouvelle 
crise hystérique, et la malade s'endormait. La. nuit du 29, 
MM. les docteurs Mesnet et Mottet, prévenus, observent à 
trois heures ce qui suit : après une attaque couvulsive vio- 
lente, M*^ X... se lève, s'habille, fait sa toilette seule, sans 
aide, déplace les meubles qui s'opposent à son passage sans 
jamais les heurter : elle se promène dans ses appartements, 
ouvre les portes, descend au jardin, saute sur les bancs 

avec agilité, court et tout cela beaucoup mieux que 

pendant la veille, puisqu'il lui faut alors un bras pour se 
soutenir. La démarche est assurée, le regard fixe, la pupille 
dilatée, le pouls calme, régulier, la sensibilité complète- 
ment abolie, A cinq heures, elle quitte le jardin, remonte 
à sa chambre, se déshabille, se remet au lit et à peine cou- 
chée est prise d'un accès hystérique violent. Elle se réveille 
ensuite, s'assied sur son lit, s'étonne de nous voir autour 
d'elle, ignore complètement ce qui vient de se passer, 
V oubli est complet. 

Le 30, les mêmes scènes, absolument pareilles, se repro- 
duisent. 

Le 31 décembre et le V^ janvier, la scène fut bien dif- 
férente : à trois heures du matin, convulsion hystérique 
suivie de catalepsie, puis d'extase. L'hallucination de l'ex- 
tase devait être effrayante : elle était assise sur son lit, les 
yeux lixes, largement ouverts, les bras étendus, paraissant 
suivre toutes les péripéties d'un drame se passant sous ses 
yeux ; puis brusquement, elle se jeta en avant en s'écriant : 



- 97 — 

« Laissez-moi ! Laissez-moi ! Ne les faites pas mourir ! . . . 
Ces affreuses bêtes vont les dévorer. » Et elle poussa un cri 
déchirant. Elle voyait, dans son extase, en danger, ses 
enfants qu'on avait été obligé d'éloigner d'elle. 

Voilà donc un exemple bien avéré de doublement de la 
vie, dans le cours d'une névrose classique, et d'une extase 
mimique. 

38. c. Doublement de la vie sous r influence de cer- 
taines manœuvres {magnétisme, hypnotisme,) Les faits 
(le cet ordre ont été, par une étrange antithèse, sans doute 
parce qu'ils sont de Tordre psychique, considérés comme 
appartenant au domaine des « sciences occultes. » L'auteur 
de V Etude médicale sur Louise Lateau les a passés en 
revue, mais pour décliner tout lien entre ces phénomènes et 
ceux de Bois-d'Haiiie. En ce qui concerne l'hypnotisme 
surtout, il paraît ressentir une grande répugnance à une 
assimilation impliquant la reconnaissance « d'une science 
remplaçant dans l'âme les lumières de la vérité par l'erreur 
et la superstition et s'attaquant à la constitution même de la 
nature humaine (^K » Ces répugnances, nous ne les parta- 
geons pas. 

Personne, plus que l'auteur de ce rapport, ne s'est toute 
sa vie, tenu en défiance des manœuvres perpétrées par les 
apôtres de l'hypnotisme et du magnétisme animal, en vue 
d'exploiter la crédulité publique. Plein de dégoût pour leurs 
jongleries, obligé de rechercher, presque toujours sans 
succès, la part de la vérité et celle du mensonge, il a fini, 



(1} LefeBRE Lor. rif , p. 193 



— 98 — 

comiue taui d*autres,par rejeter en masse tout ce qui a rap- 
port à ces états, tant de fois travestis dans leur légitime 
interprétation, et par ne plus s'en préoccuper. C'était une 
faute, et il vient humblement s'en confesser. Il y a quelque 
cliose dans Thypnotisme et dans le magnétisme ; ce quidy 
nous aurons le courage de le rechercher. 

Reconnaissons tout d'abord que, de quelque nom qu'on 
l'appelle, il est une puissance susceptible de se développer 
soit spontanément, soit par des moyens d'une grande sim- 
plicité, et qu'il appartenait à notre époque de préciser, en 
vertu de laquelle un être humain peut être momentanément 
amené dans l'état de condition seconde. 

Pour un certain nombre de sujets, il suffit de leur faire 
regarder, pendant un temps variant entre dix et trente 
minutes, selon les individus, un objet brillant, situé à quel- 
que distance de leurs yeux, au devant et un peu en haut, 
de façon à tenir ceux-ci, pendant tout ce temps, en état de 
convergence supérieure. Les phénomènes qui se manifestent 
alors sont connus sous le nom « d'hypnotisme. * Cet état 
mental particulier se manifeste d'abord par un obscurcisse- 
ment de la vision, un sentiment de lassitude avec envie de 
dormir, de la raideur des paupières, une anesthésie plus ou 
moins profonde de toute la surface du corps et des muqueu- 
ses tapissant les narines, les lèvres, la langue, résolution 
absolue ou état cataleptique des membres et abaissement du 
pouls; l'odorat et le goût, puis, en dernier lieu, l'ouïe 
perdent de leur finesse et s'assoupissent. Le sommeil est 
produit. 

Ce sommeil artificiel tient-il uniquement à la contempla- 
tion, en état de strabisme convergent, d'un objet brillant, 



— 99 - 

ou bien ne peut-il être produit plus simplement encore j^ar 
la seule fixité du regard dans une position un peu ten- 
due? MM. Demarquay et Giraud-Teulon se sont posé cette 
question et l'ont résolue : reprenant les sujets qui leur 
avaient déjà donné, par le moyen classique, les résultats 
ci-dessus, ils les ont placés dans la même situation, les yeux 
portés en haut vers quelque objet fixe et maintenant leur 
regard dans cette situation constante. Le résultat a été 
absolument identique. 

39. Partant de là, ils ont placé ïaura hypnotisante — 
fatigante ou congestive — dans l'appareil optique ou dans 
l'appareil nerveux moteur des organes de la vision, et, dans 
les régions cérébrales où aboutissent les nerfs optiques et 
l'oculomoteur commun, à savoir dans le petit espace de la 
masse encéphalique comprise entre les tubercules quadriju- 
meaux et les pédoncules cérébraux, la localisation de la 
sensation de fatigue et le point de départ du sommeil. De là 
l'engourdissement gagnant la substance grise, puis sans 
doute l'élément nerveux compris et confondu dans la proto- 
bérance et descendant en ce sens sur les oreranes de la sen- 
sibilité et du mouvement, atteint, en dernier. .lieu, l'organe 
nerveux de l'audition, placé à l'origine de la moelle allon- 
gée, à l'extrémité inférieure du quatrième ventricule. En 
même temps, l'engourdissement se propage de bas en haut, 
se perdant rapidement dans les lobes cérébraux, siège de 
l'intelligence, et les nerfs de l'olfaction, qui se terminent 
dans les corps striés. Ainsi s'explique la marche même de 
l'engourdissement — dans les diverses espèces de sommeil 
artificiel et dans le naturel — frappant d'abord la vue, puis 



— 100 — 

rouie et enfin Tintelligence qui, atteinte la dernière, après 
les facultés motrice et sensible, accuse un état différent de 
rétat de veille — condition seconde, sommeil simple, rêves 
s')mnambulisme, etc. 

40. Il n*est plus possible de nier les phénomènes étranges 
provoques par riiypnotisme, aujourd'Imique des hommes de 
la plus haute valeur en ont admis et proclamé, expliqué 
même, les manifestations psychiques. Citons, en tête, le pro- 
fesseur Hugues Bennett, d'Edimbourg, auteur des« Leçons 
cliniques sur les principes et la pratique de la médecine y 
dont nous devons à l'un de nos compatriotes, M. Lebrun, 
une excellente traduction française. C'est à elle que nous 
emprunterons les donnés ci-apres (1) : 

v< n était réservé aux temps modernes de démontrer que, 
chez certaines personnes, l'intelligence, le sentiment et la 
volonté peuvent être entièrement gouvernés par les idées 
que leur suggère un autre individu. Je suppose vingt per- 
sonnes prises au hasard dans la foule; qu'on leur fasse 
regarder constamment un même objet pendant dix minutes, 
il s'établira un état particulier cérébral, chez une ou 
plusieurs de ces personnes, surtout chez les plus jeunes. 
Dans cette nouvelle condition, les sujets en expérience 
peuvent être entraînés à agir conformément à un certain 
ordre d'idées qu'on leur inspire, comme si leurs facultés 
mentales étaient fatiguées, et, par suite de cette fatigue, 
comme si elles avaient perdu tout pouvoir de contrôle sur 
quelque idée devenue prédominante; toutes les sensations 



JKditiou française, t. I. p. :364. I»<ins. G. Masson, 1873. 



•J 



- loi - 

peuvent être accrues, perverties ou abolies, par T intermé- 
diaire d'idées suggestives communiquées à Tesprit ; le som- 
meil devient tellement profond que les excitations ordinaires 
ne sauraient en tirer ceux qui sont sous son influence, la 
sensibilité elle-même se trouvant parfois annihilée en ce 
moment là. Souvent, néanmoins, au commandement de 
celui qui a coynmuniqué les idées suggestives, l'indi- 
vidu s'éveille de cet état de sommeil, d'où n'avaient pu 
le tirer les excitations mêmes les plus douloureuses. On a 
vu, de plus, des sujets sensibles obéir à un commande- 
ment de s'endormir à tel jour, à telle heure, et de 
s'éveiller à telle autre heure. Cette situation est ana- 
logue à ce qui s'observe dans le somnambulisme, dans les 
visions, dans l'extase, et présente tous les degrés inter- 
médiaires entre les états réels et les songes ou rêves ordi- 
naires. 

« Un individu dominé par une semblable influence peut 
être entraîné à faire toutes sortes de mouvements contre sa 
volonté, ou, au contraire, à ne pouvoir exécuter ou à 
exécuter de travers tel mouvement qu'il voulait faire. J'ai 
vu une personne dans l'impuissance de parler, par suite de 
r impossibilité où elle se trouvait d'écarter les mâchoires ; 
empêchée d'étendre le bras ou la jambe, cloué3 sur une 
chaise- ou ne pouvant s'y asseoir, incapable de s'approcher 
d'un objet ou irrésistiblement poussée vers lui, ne pouvant 
dépasser une ligne imaginaire ou réelle tracée sur le plan- 
cher; le bras restait suspendu ou fixé dans l'acte de boire, 
ou bien le corps s'arrêtait au milieu d'un mouvement de 
danse, etc. 

« Du côté des facultés mentales, la mémoire se perd, le 

7 



- «02 - 

jugement et la comparaison cessent de s*exercer. Quant 
aux facultés Imaginatives, elles sont parfois très-vives, » 
« Tels sont quelques-uns seulement des phénomènes 
susceptibles de se produire sous riiifluence de cette condition 
nerveuse particulière. Ils varient, du reste, à Tinâni, mais 
il est possible de les ramener tous à une surexcitation, à 
une diminution ou bien à la perversion de l'intelligence, de 
la sensibilité ou de la motilité volontaire, diversement 
combinées entre elles, suivant la succession sans fin des 
idées suggestives qui peuvent être communiquées à Tindi- 
vidu. Cet état paraît analogue à ce qui se passe durant le 
sommeil ou durant les rêves : certaines facultés de l'àme 
sont extrêmement actives, tandis que l'exercice des autres 
est suspendu. Dans cet état, les sujets sont aussi peu res- 
ponsables de leurs actes que des monomaniaques. 

41. « Quant à l'explication physiologique de cet état, 
voici celle qui paraît la plus probable : 

« Les lobes cérébraux contiennent des fibres blanches, 
se portant dans trois directions : 1" celles qui vont de bas 
en haut etunissent le ganglion hémisphérique àla corde spi- 
nale; 2® celles qui vont transversalement, forment les com- 
missures, et joignent les deux hémisphères, et 3® celles qui 
vont d'avant en arrière et servent à unir de chaque côté le 
lobe antérieur avec les postérieurs. Ces fibres sont proba- 
blement destinées à cette combinaison des facultés mentales 
qui caractérise la pensée. Or, métaphysiciens et physiolo- 
gistes s'accordent à reconnaître que l'intelligence se cona- 
pose de différentes facultés, à la manifestation desquelles 
doivent servir des parties différentes du centre nerveux. 



- 105 - 

Rien n'est moins bien déterminé, il est vrai, que le nombre 
des facultés dont l'intelligence se compose, et Ton sait 
encore moins quelles sont les parties spéciales du cerveau 
destinées à la manifestation de chacune d'elles en parti- 
culier. Mais en admettant la première proposition, il n'y a 
pas plus de difficulté à supposer qu'une ou plusieurs de ces 
facultés peuvent être paralysées ou suspendues, les autres 
restant intactes, qu'à reconnaître que la sensibilité peut 
être perdue et la motilité persister, bien que les fibres ner- 
veuses préposées à ces deux fonctions cheminent parallèle- 
ment les unes à côté des autres. Je suis donc porté à croire 
que certaines facultés mentales, par suite de l'épuisement 
amené par une attention extrême, sont temporairement 
paralysées ou suspendues, tandis que d'autres sont mises en 
activité par l'excitation d'idées suggestives ; les stimulants 
psychiques des premières ne font point d'impression sur les 
fibres cérébrales conductrices, tandis que ceux des derniè- 
res gagnent en intensité ; l'équilibre intellectuel est donc 
troublé, et l'individu ainsi dominé parle et se conduit 
Comme si l'idée prédominante était une réalité. Cet état 
ofifre beaucoup d'analogie avec le somnambulisme ordinaire, 
avec certaines formes d'hypochondrie et de monomanie, 
mais il offre des manifestations variables à l'infini suivant la 
nature des idées suggérées. 

« D'après cette théorie, nous supposons donc qu'il se 
produit un stimulus psychique, lequel, échappant au con- 
trôle exercé par les autres opérations mentales dans les cir- 
constances ordinaires, excite des impressions dans les extré- 
mités périphériques des fibres cérébrales, et cette influence 
se dirige uniquement au dehors vers les muscles mis en 



— 104 — 

inuuveiiieiit. Notre esprit se rappelle ses sensations : mais, 
dans les circonstances ordinaires, nous savons, par Texer- 
cice (lu jugement, de la comparaison et des autres facultés 
intellectuelles, que ce ne sont là que des souvenirs. Dans le 
cas actuel, l'activité de ces facultés se trouvant épuisée, 
ridée suggérée règne sans contrôle et l'individu croit à la 
réalité de celle-ci. 

* De la sorte, nous attribuons aux facultés intellec- 
tuelles un certain pouvoir de corriger les erreurs où cha- 
cune d'elles peut tomber ; absolument de la même manière 
que les illusions d'un sens peuvent être redressées par le 
contrôle normal des autres. Nous pensons, de plus, que 
l'appareil nécessaire aux premières opérations consiste dans 
les fibres nerveuses réunissant les différentes parties du 
ganglion hémisphérique, tandis que celui nécessaire aux 
dernières consiste dans les fibres neigeuses reliant entre 
eux les organes des sens et les ganglions de la base de l'en- 
céphale. La rectitude et la solidité du jugement se caracté- 
risent par l'harmonie de toutes les facultés mentales, de la 
même manière que la santé dépend de la régularité d'action 
de tous les nerfs. 11 y a des illusions mentales et des illu- 
sions sensorielles ; les premières sont causées par des idées 
prédominantes et se corrigent par le raisonnement, les 
secondes sont occasionnées par la perversion d'un sens et se 
redressent par l'emploi bien ordonné des autres. Ces deux 
conditions se tiennent intimement et réagissent l'une sur 
l'autre, d'autant plus que les mouvements volontaires et 
émotionnels, comme les sensations, sont des opérations 
mentales. > 

« La manière de faire cesser cet état, dit M. Mathias 



~ 105 - 

Duval (1), n'est pas moins remar4uable que la manière de le 
produire : une légère friction sur les muscles amène pres- 
que aussitôt leur résolution; une friction, un courant d'air, 
un léger souffle sur les yeux ramènent immédiatement 
le sujet à Tétat normal. » Et il n'est pas nécessaire que ce 
rappel soit effectué par une personne ayant autorité sur le 
patient, la première personne venue peut l'effectuer et même 
un agent passif. 

" 42. Tels sont les faits acquis en matière d'hypnotisme. 
Or, tous ces faits concordent avec ceux se rapportant au 
magnétisme animal, que le sentiment commun confond 
aujourd'hui avec l'hynotisme. Les passes y remplaceraient 
Tobjet brillant, voilà tout! « C'était dit Mathias Duval (2), 
par la flxeté du regard que, dans les diverses écoles de 
magnétisme, on obtenait, chez les sujets prédisposés, les dif- 
férents états nerveux si singulièrement interprétés : le 
magnétiseur tient le regard de son sujet fixé sur le sien et 
généralement de bas en haut; Mesmer tenait les yeux de ses 
patients attachés sur le baquet magnétique. 

Ainsi, la fixité du regard, la fatigue de la vue, telle 
serait la source de tous les sommeils plus ou moins artifi- 
ciellement provoqués. A cette cause essentielle il en faut 
joindre d'accessoires, qui viendront hâter la réussite, 
mais qui toutes procèdent de la même source : la fatigue 
des sens par leur concentration monotone dans une 
même impression. 



(1) Art. Hypnotisme, Nouveau dictionnaire de médecine et de chi 
rurgie pratiques. Paris, J.-B. Baillière, 1874. t. XVIII, p. 435. 
(•x)/rf.,p. 128. 



— 106 — 

Gigot-Suart a expérimente sur le mode d'action des pas- 
ses et a voulu s*assurer que ces gestes exercent sur la vue 
de certains sujets la même action que la fixation d'un objet. 
« La fille C. B..., dit-il, est hypnotisée par des passes 
(dites magnétiques) faites devant ses yeux; interrogée de 
temps en temps sur les effets que lui produisaient les mouve- 
vements des mains, elle les comparaît à ceux qu'elle éprou- 
vait lors des expériences avec l'objet brillant : sa vue se 
troublait, elle ne voyait bientôt plus que des doigts énormes 
passant devant elle, puis s'endormait. > 

Mais la fixité du regard, la fatigue de la vue, si elles ont 
une influence incontestable dans la production du sommeil 
nerveux, n'en sont certainement pas le seul agent. Comment, 
en effet, s'expliquerait, si cette influence devait être unique, 
le développement artificiel du sommeil chez les aveugles, 
ainsi que nous en verrons plus loin un exemple saisissant? 
Disons que la concentration monotome de l'attention dans une 
même pensée et la direction des globes en convergence supé- 
rieure, ainsi qu'il arrive dans la contemplation religieuse par 
exemple, en rendent un compte suffisant. 

43. Pour MM. Giraud-Teulon et Demarquay, le som- 
nambulisme naturel, le magnétisme animal et l'hypnotisme 
déterminent des phénomènes identiques et se produisent sous 
l'empire des mêmes causes. Il y a, pour eux, identité 
absolue de l'hypnotisme avec le somnambulisme classique 
« état dans lequel, suivant la rigoureuse expression de 
M. Moreau (de Tours), sans être débarrassée complètement 
des liens du sommeil, la pensée n'est plus étrangère à l'état 
de veille. >» « Nous sera-t-il interdit, disent-ils, de com- 



— 107 - 

prendre dans la même catégorie morbide, en la rattachant 
à une altération momentanée des mêmes parties des mêmes 
organes, congestion sanguine ou nerveuse, Yeœiase « où 
les sens conservent le plus souvent une certaine activité 
(Moreau) », et J'état désigné par J. Franck sous le nom de 
somniatio « espèce d'extase accompagnée de mouvement 
ou d'action? » Ne voyons-nous pas, en efifet, le lien qui 
réunit et rattache en un seul bouquet pendant à la même 
branche, tous ces états voisins, séparés seulement par des 
caractères secondaires, et déterminés ou déterminables par 
la même cause? Et cette cause, qui sait engendrer, en même 
temps, une nouvelle espèce du même genre, l'extase cata- 
leptique ^ou musculaire hypéresthésique, ne domine-t-elle 
pas de haut toute cette famille, plus ou moins variée dans 
les traits de ses membres, mais si bien unie comme 
filiation ? 

44. Ces idées, exclusives de celle du fluide magnétique, 
si longtemps admise par le vulgaire ; nous les retrouverons 
dans l'article Mesmérisme (1) écrit, pour la plus impor- 
tante des publications médicales de ce siècle, par son spiri- 
tuel directeur M. Dechambre. Cet article se termine ainsi : 
« Les effets que nous regardons comme possibles dans ce 
qu'on appelle magnétisme, résultant d'une autre cause que 
l'influence d'un agent spécial dit magnétique, nous termi- 
nons par cette conclussion radicale : Le magnétisme 
animal n'existe pas, » « Ce n'est pas à dire pour cela. 



(1) Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Paris, 
Georges Masson, 1873, p. 207. 



- 108 ~ 

dit-il plus haut, que dans ma pensée, tout n'y soit que su- 
percherie ou illusion. Non. la fascination qu'on attribuait 
autrefois à la transmission, quel qu*en soit le mode causal, 
est un fait qu*on ne saurait contester. Si les hommes sont 
réunis ; si le vertigede l'imitation se joint aux entraînements 
de rimagination, les effets peuvent se communiquer, et, 
comme le feu, devenir plus intenses en se propageant. Nous 
croyons aux Bacchantes, aux Ménades, aux Corybantes et 
à toutes les scènes de délire frénétique par lesquelles se célé- 
braient les fêtes de certains dieux ou de certaines déesses du 
ciel olympique, comme il faut bien croire aujourd'hui aux 
épidémies de possession, aux fakirs de l'Inde, aux quakers, 
aux trembleurs, aux illuminés. Ici les coups répétés des 
cymbales, des cris, des chants, des mouvements rhythmés 
et de plus en plus précipités ; là une contemplation ardente 
des choses divines ; l'absorption de l'être dans un seul désir, 
dans un seul amour ; l'harmonie des saints cantiques ; les 
soupirs, les sanglots, les éclats joyeux de l'orgue, peuvent 
soulever l'homme et plus encore les hommes assemblés, au- 
dessus du réel, et leur faire goûter, dans ce baiser de l'idéal, 
ou des extases étranges et sans nom ou les enivrements 
d'une pure volupté. Nous ne doutons pas d'avantage qu'une 
influença exclusivement psychique ne puisse avoir de sin- 
guliers retentissements sur le système nerveux, et secon- 
dairement, sur les actions organiques; diminuer ou 
augmenter la sensibilité, aiguiser un sens ou en émousser 
un autre ; communiquer à l'intelligence, dans des directions 
données, une claivoyance ou des aptitudes particulières; 
exercer enfin une action réelle sur la marche des 
maladies. » 



— 109 — 

45. Quoi qu'il en soit, il est bien établi, pour le moment, 
que, sous l'influence de certaines mahœuvres, les sujets 
prédisposés peuvent être amenés, par des procédés d'une 
extrême simplicité, dans l'état de « seconde condition, » 
Or, une chose à remarquer et que tous les expèrimenteurs 
ont constatée, c'est la facilité, la rapidité de l'entrée dans 
cet état de sommeil artificiel, à mesure de la répétition des 
manœuvres qui l'ont amené une première fois. Un moment 
vient même où elles cessent d'être nécessaires; le sommeil 
se produit alors, soit sous l'empire seul de la volonté de 
celui qui l'a, le premier, provoqué, suit par un acte de la 
volonté du sujet lui-même, soit ei.fin, sans l'intervention 
de cette dernière, susceptible d'être remplacée par la sug- 
gestion, même inconsciente (35j, éveillée par certaines 
attitudes, la vue ou le contact de certains objets, etc. De 
là le sommeil inconscient qui nous conduit, presque sans 
transition, à l'état qui va suivre (48), et que nous abor- 
derons après avoir rapporté deux observations de sujets, l'un 
hypnotisé, l'autre magnétisé, ayant offert des phénomènes 
intéressants au point de vue qui nous occupe particu- 
lièrement. 

46. La première se rapporte à une malade observée à 
l'hôpital Necker, en 1866, dans le service de M. Lasègue. 
« Nous avons, dit-il, prié la jeune fille (qui était dans le 
sommeil provoqué) de dîner. La famille lui avait, ce jour-là 
apporté un plat de bœuf rôti, ce dont elle se réjouissait fort. 
Elle ne fit aucune difficulté pour obtempérer à mes désirs, 
savoura longuement son mets favori et dit : « Si je pouvais 
chaque fois en faire autant, je serais bien heureuse. > Nous 



- 110 - 

la réveillâmes au moment où elle s*extasiait encore sur son 
bien-être, et aussitôt ses yeux se dirigèrent vers son cher 
morceau de bœuf. Grande furent sa surprise et son dépit de 
trouver le plat vide, et lorsque le témoignage de ses com- 
pagnes venant corroborer le nôtre, elle eut acquis la preuve 
qu'elle avait dîné en dormant, ses j^eux s'humectèrent et 
elle nous reproclia amèrement de l'avoir empêchée de goûter 
son manger. 

47. En voici un autre, bien remarquable à divers titres, 
où l'entrée dans la « condition seconde # était déterminée 
par ce qu'on appelle les « passes magnétiques. » 

M"*" X 40 ans, aveugle du chef de staphylômes cor- 

néens, consulte M. le docteur C. .. , de Londres, qui devient 
son médecin et son ami. Parfois des symptômes glauco- 
mateux se produisent, accompagnés de vives douleurs 
contre lesquelles viennent échouer les moyens classiques. 
M. C. .. a, dans sa jeunesse, comme beaucoup de ses 
camarades d'études, fait divers essais de magnétisme 
animal, et rencontré, non sans étonnement, plus d'un sujet 
y paraissant sensible, mais, entré dans la pratique, en a 
gardé à peine le souvenir. Cependant, voyant un jour 
sa cliente souflfrir cruellement, et ne parvenant pas à 
la soulager par les moyens ordinaires, il lui propose 
de lui faire quelques-un«s de ces passes qui lui avaient paru 
naguère agir sur certaines natures ; elle y consent volon- 
tiers et à peine quelques minutes se sont-elles écoulées, que 
le sommeil s'empare d'elle. Depuis des semaines, elle n'a 
plus ni mangé, ni dormi, tant les douleurs étaient intenses ; 
elle a maigri et son état général donne des inquiétudes. 



— 141 - 

« Souffrez-vous encore? >► « Point du tout. » « Voulez-vous 
manger? » « Bien volontiers. » On lui donne â boire, à 
manger. Elle prend avec appétit aliments et boissons, ce 
qu'elle n'avait plus fait depuis longtemps, son estomac 
restituant bientôt tout ce qu'on lui avait confié. Le repas 
terminé, quelques passes nouvelles la reveillent ; les dou- 
leurs ont reparu, mais le repas se digère à son insu. Elle 
n'a aucun souvenir de l'avoir pris et n'y croit pas 
quand on le lui affirme. Pendant deux ans et demi, 
c'est-à-dire jusqu'à la mort de madame X..., survenue par 
accident, cette situation se maintient, c'est-à-dire qu'elle 
ne peut boire ni manger que lorsqu'elle est mise par son 
médecin dans l'état de seconde condition. Deux fois par 
jour, il est obligé d'aller faire manger sa patiente, dont 
l'existence est tout entière en ses mains. Doit-il, pour ses 
intérêts ou ses devoirs professionnels, s'absenter de Londres 
pour un ou plusieurs jours, sa patiente raccompagne et je 
me souviens les avoir vus à Heidelberg, il y a trois ans 
environ, et y avoir entendu alors, de la bouche même de 
cet excellent homme, le récit de ces circonstances étranges 
et de cet assujétissement auquel il ne pouvait plus même 
songer à échapper. Sa présence, je ne dirai pas sa vue, 
puisque la malade e^t aveugle, suffît à l'endormir; il ne 
faut pour cela qu'un mot, que l'attouchement des mains, 
mais à la condition que l'effet soit mentalement voulu par 
celui qui le commande. Celui-ci est-il un instant distrait 
de ce qu'il fait, l'effet se fait attendre jusqu'à ce que sa 
volonté se réveille. Une fois endormie, elle boit, elle mange 
et n'a aucune conscience, revenue à elle, de ce qui s'est 
passé. Tout cela, je le repète, dure deux ans et demi. 



- 112 — 

et, irétait le rapport qu*on lui a fait de ces circonstances 
étraijges, elle jurerait après ce long intervalle de temps, 
sur le Christ, sur rEvaugile, sur la tête de ses enfants, que 
durant toute cette période elle n'a ni mange ni bu ! 

L'érainent praticien anglais, homme sérieux, calme, 
réfléchi, honorable au plus haut degré, à qui nous devons 
ces détails si curieux, nous en ajoute d'autres que nous ne 
reproduirons pas, ne voulant point détourner l'attention de . 
la circonstance saisissante qui fait le fond de son obser- 
vation. Ils se rapportent tous à la puissance des idées 
suggestives, à laquelle madame X .. est soumise au plus 
haut degré. 

48. d. Doublement de la oie se produisant sponta- 
nément et sans provocations extérieures, {Névroses 
extraordinaires. Somnambulisme.) 

A côté de ces faits où la < condition seconde > s'éta- 
blit soit sous Tinfluence de perturbations organiques ou 
T évropathiques bien établies , soit par des manœuvres 
ad hoc, il en est d'autres où le doublement de la vie s'ef- 
fectue dans l'état de la plus parfaite santé, de façon abso- 
lument spontanée. Nous en citerons quelques exemples, 
que nous emprunterons, non pas à des recueils spécialement 
affectés à la collection de faits merveilleux, mais à des au- 
teurs dont l'autorité ne se discute pas. La citation qui va 
suivre est extraite de l'ouvrage intitulé : ^ Inquiries con- 
ceming the Intellectuel Powers and Investigation of 
Truth, par John Abercrombie, M. D. Oxon. et Edm. V. 
P. R. S. E., 8*" édition, Londres 1838. » Je n'ai pas 

r 

besoin de dire que, par son mérite scientifique et littéraire. 



— H5 — 

Abercrombie s'est fait Tune des places les plus élevées 
dans la littérature médicale du Royaurae-Uni. 

Dans son chapitre relatif au somnambulisme (p, 294 et 
suivantes), l'auteur cite plusieurs cas de l'entrée spontanée 
dans ce que nous avons appelé « condition seconde. > 
Voici, en première ligne, une jeune fille soumise à son 
observation personnelle : soudain, sans que rieii annonçât 
un accident quelconque, elle était prise d'immobilité, ses 
yeux restaient largement ouverts et elle devenait complè- 
tement insensible aux impressions extérieures. Tout le 
temps que durait l'attaque, elle continuait mécaniquement, 
automatiquement, ses occupations usuelles, puis tout à coup 
spontanément, rentrait dans la vie ordinaire. Plus loin, il 
s'agit d'un apprenti horloger. Comme la jeune fille dont il 
vient d'être question, il quittait brusquement son état de 
veille, perdait toute sensibilité extérieure, et gardait les 
yeux largement ouverts. Cet état durait plusieurs heures et 
quand il le quittait, l'apprenti s'apercevait qu'il en avait 
profité pour avancer sa besogne qu'à son grand étonne- 
mant il trouvait au réveil merveilleusement accomplie, 
mieux qu'il n'eût pu le faire en l'état de veille. Ces accê.9 
se reproduisaient à heure fixe y tous les 14 jours. 

De semblables cas, où l'état de < seconde condition * 
met en évidence des facultés n'existant point dans la condi- 
tion ordinaire, sont loin d'être rares. Abercrombie relate 
celui d'une jeune fille, parfaitement ignorante de la musique 
qui, passant dans une autre existence, y excellait à jouer 
du violon ; celui encore d'une demoiselle qui, au contraire, 
pleine de talent quand elle était éveillée, était, dans l'autre 
condition, parfaitement ignorante de toutes choses. Mais 



- 114 — 

Texemple suivant est plus saisissant encore : il concerne une 
jeune fille, d*un esprit cultivé, ayant mené parallèlement et 
durant plusieurs années, deux existences absolument difié- 
rentes, surtout au point de vue intellectuel : dans Tune 
d'elles, elle avait une charmante écriture, possédait telles 
connaissances, entretenait telles relations ; dans l'autre son 
écriture était indéchiffrable ; ce qu'elle connaissait hier, elle 
l'ignorait maintenant, mais, en revanche, avait acquis des 
aptitudes nouvelles inconnues d'elle dans l'état de veille. 

49. Quels que soit l'influence sous laquelle il se soit pro- 
duit, ce sommeil nerveux donne aux sujets qui y sont soumis 
des facultés nouvelles, dont beaucoup ont été exagérées et 
sont du domaine du pur mysticisme, mais dont d'autres 
doivent être sincèrement acceptées. Parmi ces dernières, 
nous citerons l'hyperesthésie du souvenir et les modifications 
imprimées à l'ouïe. 

On cite, comme exemple de la première, le fait d'une 
jeune fille de 20 ans, qui parlait latin dans ses attaques. Or, 
comme c'était une personne absolument illettrée et que les 
phrases qu'elle débitait étaient empruntées à la lithurgie, 
on criait au miracle, quand un médecin crut reconnaître 
dans ce latin des phrases du bréviaire. Il s'informa et apprit 
que, à l'âge de douze ans, cette jeune fille avait demeuré 
chez un vieux curé ayant l'habitude de lire son bréviaire 
tout haut devant elle. Ce latin n'était qu'une évocation 
étrange d'un souvenir lointain qu'on devait croire 
effacé. 

50. Quant aux modifications imprimées à l'ouïe, elles 



— 115 - 

sont encore bien autrement étranges. Pas un magnétiseur 
n*ignore, que, durant le sommeil provoqué, cette faculté 
n'acquière parfois une remarquable subtilité, qu'ainsi Ton 
a vu des sujets entendre jusqu'aux moindres mots de conser- 
vations tenues à un étage supérieur. Ne voit-on pas à quelle 
méprises on s'exposerait, en comptant sur l'absence de per- 
ception auditive, sous prétexte qu'elles sont endormies, de 
personnes qui, au contraire, entendent à 25 pieds le bruit 
d'une montre? Mais il y a plus, chez certains sujets, la 
faculté auditive est absolument fermée, à moins qu'on n'y 
fasse appel au profit d'idées en rapport avec l'objet de leur 
préoccupation cérébrale actuelle. 

En voici un exemple bien curieux rapporté par M. le doc- 
teur Kennedy : « J'avais, dit-il, été appelé à Kingstow en 
toute hâte, et n'avais pu trouver place qu'à cftté du chauffeur 
de la machine. Mal m'en prit, un éclat de charbon vint se 
loger dans la conjonctive d'un de mes yeux et il me fut 
impossible de l'en extraire. Arrivé à destination, je me 
couchai néanmoins, espérant que le repos de l'œil qu'allait 
me procurer le sommeil, mettrait un terme à mon supplice. 
Je m'étais trop flatté; après m'être retourné pendant trois ;ï 
quatre heures dans mon lit, je pris le parti de me lever et de 
me rendre chez un confrère de mes amis, oculiste éminent, 
pour le prier de faire cesser mes tortures. On me dit qu'il s'était 
beaucoup fatigué la veille à écrire et à étudier, et qu'il y 
aurait conscience à interrompre un repos dont il avait tant 
besoin. J'insistai : il était célibataire, je pouvais donc haub 
trop de scrupule me faire conduire droit à son lit, ce que je 
fis ; je l'y trouvai plongé dans un sommeil léthargique : 
j'essayai de l'en tirer, épuisai, pour le reveiller, jusqu'au 



— 116 - 

deniier mm «le ma voix, le secouai d'importance; rien ne 
réussit. J*allais n'iioucer à le tirer de cet étrange assoupis- 
sement, quand la pensée me vint de clianger de tactique, je 
plaçai n)a bouche contre son oreille et lui dis : J'ai un 
corps étranger dans l'œil. > A peine ce mot « œil > eut-il 
frappé son tympan, que sa conscience parut lui revenir avec 
une étonnante intensité. Il ouvrit les yeux et sauta de son 
lit en disant : ^ Voilà! > puis, pour me servir de l'expres- 
sion de Waller, un de nos plus doux poëtes irlandais, négli- 
geant de se couvrir de chàle ou de manteau, me fit asseoir, 
sans dire un mot, sur une chaise en face d'une fenêtre par où 
arrivait la pâle lumière de l'aube naissante ; il se munit 
ensuite d'un instrument ad hoc, retourna ma paupière et en 
enleva la parcelle ennemie en moins de temps que je n'en 
avais mis à prononcer le mot talisman qui avait frappé la 
corde devant, suivant la théorie d'Huxley, aller frapper 
la molécule idéoyène. L'opération faite avec une rare 
dextérité, je partis fort heureux et quand, le lendemain, à 
la visite que j'allai lui faire, je lui exprimai ma reconnais- 
sance pour le secours qu'il m'avait apporté, il me déclara 
n'en pas savoir le premier mot. Tout s'était foit automa- 
tiquemeiit. 

51. En nous étendant si longuement sur les diverse^ 
circonstances que nous venons de rapporter, et sur leur 
explication physiologique, nous n'avons pas eu pour objet 
de démontrer que les extases, dans le cas particulier qui 
nous occupe, sont le fait du somnambulisme, ou celui de 
manœuvres empruntées au magnétisme ou à Thypnotisme, 
désormais confondus dans notre esprit, mais seulement 



- !17 — 

d'établir Tanalogie frappante qui relie leurs manifestations 
avec celles du groupe pathologique que l'on a appelé 
« névroses ou névropathies. » Les unes et les autres sont, 
à n'en point douter, et c'est ce qui achève de les rappro- 
cher, le résultat de perturbations des fonctions du sj^stème 
nerveux cérébro-spinal localisées, selon toute vraisem- 
blance, pour les diverses variétés du sommeil nerveux, 
dans la région cérébrale située entre les pédoncules céré- 
braux et les tubercules quadrijiimaux. 

Ce point fixé, quid des extases? Eh bien, quoi que nous 
fassions, il nous est impossible de ne pas les comprendre 
dans le même ordre de faits, de ne pas y voir l'influence 
d'une perturbation nerveuse analogue à celle qui tient les 
névroses sous sa dépendance. C'est, dans l'un et l'autre cas, 
le passage de l'être humain dans un état de « seconde con- 
dition », caractérisé par la suspension plus ou moins com- 
plète de l'exercice des sens et une concentration spéciale 
de toutes les puissances cérébrales sur un objet limité. 
Chez les extatiques comme chez les hypnotisés, il y a per- 
turbation, diminution ou abolition de la sensibilité exté- 
rieure. Tout s'y concentre dans un fonctionnement cérébral 
nouveau. Ce sont leurs traits communs. 

Ces anale 'gies n'ont pas échappé à M. Lefebvre : « Quel 
que soit, dit il, (1) le jugement que l'on porte sur l'amas 
indigeste de faits réels, de jongleries et d'évocations dia- 
boliques dont fourmille l'histoire des sciences occultes à 
notre époque, il est évident que l'on ne rencontre quel- 
ques traits de ressemblance avec l'extase que dans les phé- 



(1) Loc. cit. p. 199. 



y 



- as — 

nomènes somnambuliques, magnétiques ou hypnotiques. » 
Mais il ne fait cet aveu que pour séparer aussitôt Textase 
de ces divers états et l'isoler ainsi des faits de Tordre dit 
« occulte », ainsi qu'il Ta fait déjà à l'égard des névroses 
classiques. Son diagnostic est fait demain de maître, comme 
toutes les autres parties de son livre, auquel on essaierait 
en vain de dénier le caractère scientifique, et nous admet- 
tons que les extases ne sont ni le somnambulisme, ni la 
catalepsie, ni le magnétisme, ni l'hystérie, ni l'hypnotisme; 
mais nous cessons d'être d'accord avec lui quand il nie que 
l'état extatique soit une névrose. Pour nous, les extases 
— et nous prenons pour type celles de Louise Lateau, 
sans nous préoccuper, ce qui nous ferait sortir de notre 
rôle, d'en rechercher l'origine naturelle ou autre — parti- 
cipent des divers états que nous venons de mentionner et 
n'en différent que par le détail. Dans la catalepsie, il y a 
rigidité ou plutôt fixité des membres dans la position qu'on 
leur donne, symptôme qui sert à la différencier de l'attaque 
d'hystérie, par exemple ; s'en suit-il que l'une des deux, la 
catalepsie ou l'hystérie, ne soit point une névrose? Dans 
l'extase, le sujet revenu à lui garde le souvenir — le fait 
reste à établir, mais je l'accepte comme réel — de ce qui 
s'est passé dans son accès, tandis que, dans le somnambu- 
lisme ou l'hypnotisme, il l'a perdu. En couclura-t-on qu'ils 
ne puissent être, les unes et les autres, des variétés de la 
classe du « sommeil nerveux ? » 

Rapprochons un à un chacun des symptômes de Textase, 
que nous avons exposés dans l'histoire du cas de Louise 
Lateau, des faits si intéressants compris dans les diverses 
observations rapportées plus haut, et nous verrons qu*il 



- 41Ô - 

n'est pas un seul de ces symptômes qui ne soit représenté 
dans Tune ou l'autre espèce du sommeil nerveux. En d'au- 
tres termes, il n'est point une seule des pierres nécessaires 
à rétablissement de l'édifice « extase » que ne fournisse 
l'une des variétés de ces divers états. Que faut-il de plus 
pour créer l'identité de genre? Je me trompe, il y a, parait-il, 
le souvenir des faits accomplis ou perçus dans l'accès exta- 
tique qui ne se retrouve point ailleurs. Eh bien ! cela nous 
servira à constituer l'espèce. 

Cette différence établie, que d'analogies puissantes à 
mettre à côté d'elles, donnant, soit en germe, soit en sub- 
stance, l'explication de circonstances jusque là réputées 
merveilleuses : ainsi, la reconnaissance des objets présentés 
par des personnes en sachant la nature, s'explique par la 
puissance des idées suggestives (40), les étincelles de lumière 
scientifique, apparaissant en dehors des conditions ordinaires 
d'instruction, par l'hyperesthésie du souvenir (49), le 
rappel, l'intuition de faits circon voisins, en apparence inac- 
cessibles aux sens, dans l'état ordinaire de leur fonctionne- 
ment, parcelle de l'audition (50), l'inédie absolue, accusée 
consciencieusement comme réelle, expliquée par une ali- 
mentation prise en l'état de seconde condition et devenue 
ainsi une supercherie inconsciente (47). 

Il nous reste à rencontrer une objection faite, dès le 
principe, en ce qui concerne le cas spécial qui nous occupe, 
et répétée depuis avec beaucoup de complaisance : «Louise 
Lateau, a-t-on dit, n'a reçu en héritage aucune disposition 
névropathique ; au moral, nulle sensiblerie, nul caprice, 
point d'impressionnabilité physique exagérée; ni spasme, 
ni vapeurs, ni boule hystérique, ni soubresauts des mem- 



bres ; elle est complètement exempte de Thabitude hysté- 
rique. » Nous en tombons volontiers d*accord, mais 
rhystérie n'englobe pas tout le cortège névropathique. 
Que de personnes, de femmes surtout, sont « nerveuses » 
sans être hystériques : le sexe féminin, la puberté, la venue 
tardive du flux menstruel et ses perturbations, la chlorose 
et Taièmie, une éducation et une alimentation défectueuses, 
les nuits sans sommeil, les idées affectives, les préoccupa- 
tions nK)rales créent cet habitus névropathique et donnent 
naissance aux névroses. Or, presque tout cela nous le 
retrouvons chez Louise Lateau : elle a été réglée tardive- 
ment; les misères du jeune âge, les privations de toutes 
sortes, les maladies, les veilles et les jeûnes, une éducation 
sévère se conciliant mal avec les droits et les aspirations 
du jeune âge ont ameaé chez elle un état de chloro-anémie 
qu'il n'est plus possible de méconnaître. Pas de compagnes 
d'enfance, pas de jeux; le catéchisme seul, les pratiques 
religieuses assidues ont, depuis le moment où il s'est 
connu, occupé ce jeune esprit ouvert à toutes les disposi- 
tions tendres et affectives. Ascétisme, piété profonde, 
dévotion et préoccupations religieuses non interrompues, 
charité envers les pauvres, sollicitude constante pour toutes 
les douleurs, tels sont les éléments qui ont préparé chez 
elle un terrain où les perturbations nerveuses devaient 
pouvoir germer à l'aise, et où elles avaient déjà fait leur 
apparition bien avant l'évolution des stigmates, par des 
symptômes hystériforraes. (3) Ajoutons, pour faire déci- 
dément raison de l'argument, que, chez beaucoup de sujets, 
l'entrée dans l'état de <* condition seconde > se fait sans 
aucune prédisposition spéciale apparente. 



— r2i — 

Que manque-t-il donc à notre ensemble phénoménal 
pour y faire entrer les extases? « Il y manque tout, vous 
dira M. Lefebvre, reproduisant la péroraison d'un de ses 
magnifiques discours, toujours si religieusement écoutés; 
il y manque tout, car il y manque Dieu. » Nous ne nous 
aventurerons pas sur ce terrain, qui se déroberait incon- 
tinent sous nos pas. 

U nous est impossible, a dit notre honorable collègue de 
Louvain, examinant l'opinion que l'extase est une névrose 
d'une nature spéciale, opinion déjà exprimée par M. Maury, 
il nous est impossible d'accepter comme le dernier mot de 
la science, une théorie « supprimant simplement l'extase 
surnaturelle. » La théorie que nous avons exposée ne 
supprime rien. Elle tend seulement à faire entrer dans les 
cadres de la pathologie les extases dont nous avons été 
témoins. Les théologiens, il est vrai, distinguent, en outre 
de l'extase naturelle, une extase divine et une extase 
diabolique. Nous respectons ces conceptions d'une science 
qui n'est pas la nôtre, mais nous les laissons en dehors de 
nos études, parce qu'elles nous semblent n'avoir que 
des rapports éloignés avec la médecine, qui est, doit être, 
et sera toujours ici notre seul objectif. 

2. DES STIGMATES. 

52. Tous les auteurs qui ont, jusqu'ici, cherché à expli- 
quer le phénomène de la stigmatisation, se sont appuyés 
sur l'influence indéniable que le moral exerce sur le phy- 
sique. « Il n'en est pas, dit M. Lefebvre (1), qui ait exposé 



■■'■■■ I 



(1) Loc cit. p. 157. 



- 182 - 

la théorie de la stigmatisation par cause morale d*une 
manière plus séduisante que M. Alfred Maury, dellnstitut 
de France. Cette théorie, la voici : « L'imagination, forte- 
ment excitée, peut agir sur nos organes, tantôt pour y 
développer des maladies, tantôt pour les guérir. C*est à 
Tordre des maladies créées par l'imagination qu'appar- 
tiennent les affections bizares nées sous Tinfluence du mys- 
ticisme chrétien. Quand l'imagination est vivement frappée, 
elle contraint tout l'organisme à se prêter à ses créations. 
On concevra donc qu'elle soit capable d'imprimer, sur une 
partie du corps sur laquelle elle a concentré tout son 
effort, une marque, une espèce de plaie, qui laissera 
ensuite une véritable cicatrice. Tel est le principe qui 

nous paraît dominer l'histoire des stigmatisés > Voilà, 

dit M. Lefebvre, la théorie de M. Maury. Je n'hésite pas à 
le dire : c'est le roman de la physiologie, mais ce n'est pas 
la physiologie elle-même. » 

Et M. Lefebvre avait, jusqu'à un certain point, le droit 
de tenir ce langage, puisque M. Maury n'appuyait son 
thème sur aucune donnée physiologique bien établie. 

Dans notre pensée cependant, cette théorie est la vraie. 
Nous allons donc la reprendre, en cherchant à y donner 
une base fondée sur les considérations anatomo-physiolo- 
giques que nous fournissent l'observation et la science 
moderne. 

53. Nous commencerons par débarrasser notre chemin de 
quelque^s impedimcftia qui, si nous ne les écartions d'abord, 
pourraient plus t^rd gêner notre marche. 

M. Leffbvre, dans le chapitre où il traite du diagnostic 
difféi>mtiel des hémorrhagies. pose ces à&ax laits : 



— 125 — 

V Chez Louise Lateau, le sang s'échappe sans qu'il y ait 
rupture de vaisseaux ; 

2° Le sang fourni par les stigmates renferme des globules 
rouges, et les globules rouges ne peuvent traverser les parois 
des capillaires sans rupture de ces dernières. 

Nous ne pouvons accepter ni Tune ni l'autre de ces deux 
propositions. Quant à la première, il ne nous est aucune- 
ment démontré que, chez la jeune fille de Bois-d'Haine, les 
vaisseaux restent intacts pendant l'hémorrhagie. Mais nous 
n'y insistons point, parce que cette démonstration n'est pas 
nécessaire pour justifier de la composition intégrale du sang 
fourni par les stigmates. La diapédèse, dont M. Cohnheim 
avait seulement commencé à fixer les principes à l'époque 
où M. Lefebvre publiait son livre, est admise aujourd'hui 
par rimmense majorité des physiologistes, et le passage du 
sang, avec tous ses éléments, à travers les parois vasculai- 
res et sans déchirure préalable de ceux-ci, est désormais 
un fait acquis. 

Vu l'immense importance qu'il a dans la question qui 
nous occupe, nous allons en faire l'exposé tel que le permet 
l'état actuel de la science. 

Pour bien comprendre la question de la diapédèse des glo- 
bules du sang, il faut tout d'abord avoirune idée bien nette 
de la structure des capillaires sanguins. Ces capillaires sont 
des petits tubes à parois constituées par une simple couche 
des cellules aplaties, allongées, et excessivement minces. Les 
bords des cellules ne sont pas visibles sur le vivant ; ils sem- 
blent constituer un tube continu avec quelques noyaux 
cellulaires disséminés. Les cellules sont intiment unies soit 
par une espèce de fusion de leur protoplasme, soit par un 



- 114 — 

Texemple suivant est plus saisissant encore : il concerne une 
jeune fille, d'un esprit cultivé, ayant mené parallèlement et 
durant plusieurs années, deux existences absolument diffé- 
rentes, surtout au point de vue intellectuel : dans Tune 
d'elles, elle avait une charmante écriture, possédait telles 
connaissances, entretenait telles relations ; dans l'autre son 
écriture était indéchiffrable ; ce qu'elle connaissait hier, elle 
l'ignorait maintenant, mais, en revanche, avait acquis des 
aptitudes nouvelles inconnues d'elle dans l'état de veille. 

49. Quels que soit l'influence sous laquelle il se soit pro- 
duit, ce sommeil nerveux donne aux sujets qui y sont soumis 
des facultés nouvelles, dont beaucoup ont été exagérées et 
sont du domaine du pur mysticisme, mais dont d'autres 
doivent être sincèrement acceptées. Parmi ces dernières, 
nous citerons l'hyperesthésie du souvenir et les modifications 
imprimées à l'ouïe. 

On cite, comme exemple de la première, le fait d'une 
jeune fille de 20 ans, qui parlait latin dans ses attaques. Or, 
comme c'était une personne absolument illettrée et que les 
phrases qu'elle débitait étaient empruntées à la lithurgie, 
on criait au miracle, quand un médecin crut reconnaître 
dans ce latin des phrases du bréviaire. Il s'informa et apprit 
que, à l'âge de douze ans, cette jeune fille avait demeuré 
chez un vieux curé ayant l'habitude de lire son bréviaire 
tout haut devant elle. Ce latin n'était qu'une évocation 
étrange d'un souvenir lointain qu'on devait croire 
effacé. 

50. Quant aux modifications imprimées à l'ouïe, elles 



— 115 - 

sont encore bien autrement étranges. Pas un magnétiseur 
n'ignore, que, durant le sommeil provoqué, cette faculté 
n'acquière parfois une remarquable subtilité, qu'ainsi l'on 
a vu des sujets entendre jusqu'aux moindres mots de conser- 
vations tenues à un étage supérieur. Ne voit-on pas à quelle 
méprises on s'exposerait, en comptant sur l'absence de per- 
ception auditive, sous prétexte qu'elles sont endormies, de 
personnes qui, au contraire, entendent à 25 pieds le bruit 
d'une montre? Mais il y a plus, chez certains sujets, la 
faculté auditive est absolument fermée, à moins qu'on n'y 
fasse appel au profit d'idées en rapport avec l'objet de leur 
préoccupation cérébrale actuelle. 

En voici un exemple bien curieux rapporté par M. le doc- 
teur Kennedy : « J'avais, dit-il, été appelé à Kingstow en 
toute hâte, et n'avais pu trouver place qu'à côté du chauffeur 
de la machine. Mal m'en prit, un éclat de charbon vint se 
loger dans la conjonctive d'un de mes yeux et il me fut 
impossible de l'en extraire. Arrivé à destination, je me 
couchai néanmoins, espérant que le repos de l'œil qu'allait 
me procurer le sommeil, mettrait un terme à mon supplice. 
Je m'étais trop flatté; après m'être retourné pendant trois à 
quatre heures dans mon lit, je pris le parti de me lever et de 
me rendre chez un confrère de mes amis, oculiste éminent, 
pour le prier de faire cesser mes tortures. On me dit qu'il s'était 
beaucoup fatigué la veille à écrire et à étudier, et qu'il y 
aurait conscience à interrompre un repos dont il avait tant 
besoin. J'insistai : il était célibataire, je pouvais donc sans 
trop de scrupule me faire conduire droit à son lit, ce que je 
fis ; je l'y trouvai plongé dans un sommeil léthargique : 
j'essayai de l'en tirer, épuisai, pour le reveiller, jusqu'au 



— 116 - 

deniier son «le ma voix, le secouai d'importance ; rien ne 
réussit. J*allais renoncer à le tirer de cet étrange assoupis- 
sement, quand la pensée me vint de clianger de tactique, je 
plaçai n)a bouche contre son oreille et lui dis : J'ai un 
corps étranger dans l'œil. > A peine ce mot « œil > eut-il 
frappé son tympan, que sa conscience parut lui revenir avec 
une étonnante intensité. Il ouvrit les yeux et sauta de son 
lit en disant : ^ Voilà! » puis, pour me servir de Texpres- 
sion de Waller, un de nos plus doux poëtes irlandais, négli- 
geant de se couvrir de chàle ou de manteau, me fit asseoir, 
sans dire un mot, sur une chaise en face d'une fenêtre par où 
arrivait la pâle lumière de l'aube naissante ; il se munit 
ensuite d'un instrument ad hoc, retourna ma paupière et en 
enleva la parcelle ennemie en moins de temps que je n'en 
avais mis à prononcer le mot talisman qui avait frappé la 
corde devant, suivant la théorie d'Huxley, aller frapper 
la molécule idéogènc. L'opération faite avec une rare 
dextérité, je partis fort heureux et quand, le lendemain, à 
la visite que j'allai lui faire, je lui exprimai ma reconnais- 
sance pour le secours qu'il m'avait apporté, il me déclara 
n'en pas savoir le premier mot. Tout s'était foit automa- 
tiquement. 

51. En nous étendant si longuement sur les diverse^ 
circonstances que nous venons de rapporter, et sur leur 
explication physiologique, nous n'avons pas eu pour objet 
de démontrer que les extases, dans le cas particulier qui 
nous occupe, sont le fait du somnambulisme, ou celui de 
manœuvres empruntées au magnétisme ou à l'hypnotisme, 
désormais confondus dans notre esprit, mais seulement 



- !17 — 

d'établir Tanalogie frappante qui relie leurs manifestations 
avec celles du groupe pathologique que l'on a appelé 
« névroses ou névr apathies. » Les unes et les autres sont, 
à n'en point douter, et c'est ce qui achève de les rappro- 
cher, le résultat de perturbations des fonctions du sj^stème 
nerveux cérébro-spinal localisées, selon toute vraisem- 
blance, pour les diverses variétés du sommeil nerveux, 
dans la région cérébrale située entre les pédoncules céré- 
braux et les tubercules quadrijumaux. 

Ce point âxé, quid des extases? Eh bien, quoi que nous 
fassions, il nous est impossible de ne pas les comprendre 
dans le même ordre de faits, de ne pas y voir l'influence 
d'une perturbation nerveuse analogue à celle qui tient les 
névroses sous sa dépendance. C'est, dans l'un et l'autre cas, 
le passage de l'être humain dans un état de « seconde con- 
dition » , caractérisé par la suspension plus ou moins com- 
plète de l'exercice des sens et une concentration spéciale 
de toutes les puissances cérébrales sur un objet limité. 
Chez les extatiques comme chez les hypnotisés, il y a per- 
turbation, diminution ou abolition de la sensibilité exté- 
rieure. Tout s'y concentre dans un fonctionnement cérébral 
nouveau. Ce sont leurs traits communs. 

Ces anah'gies n'ont pas échappé à M. Lefebvre : « Quel 
que soit, dit il, (1) le jugement que l'on porte sur l'amas 
indigeste de faits réels, de jongleries et d'évocations dia- 
boliques dont fourmille l'histoire des sciences occultes à 
notre époque, il est évident que l'on ne rencontre quel- 
ques traits de ressemblance avec l'extase que dans les phé- 



(1) Loc. cit. p. 199. 



— I2S - 

dans les inflammations. Malgré cela» il est toujours difficile 
d*observer cette sortie sur le fait même, à cause des con- 
ditions désavantageuses dans lesquelles Tobservateur doit se 
placer. 

Dans certains cas, ce n'est pas assez que les globules 
blancs passent, les globules rouges sortent également. 
Est-ce parce que les ouvertures ou déhiscences persistent, 
ou parce que les parois n'ofi*rent plus guère de résistance? 
Les faits sont là, et, dans certains cas, les globules rouges 
sortent des capillaires sans rhexis proprement dite de 
ceux-ci, en aussi grande abondance que les globules 
blancs, et même dans la proportion où ils existent^ les 
uns par rapport aux autres, dans le sang normal. Ces 
états ne tombent pas fonctionnellement dans le champ de 
notre observation microscopique. D'abord, nous ne sachions 
pas que les maladies de ce genre aient été observées sur les 
animaux à sang froid, et, de plus, une sortie trop abondante 
de cellules rendrait le champ d'observation inexplorable, 
par confusion et par défaut de transparence. Mais les 
hémorrhagies sans déchirure apparente ni probable 
existent, et les tissus examinés po^i morten donnent une 
disposition des éléments telle qu'on ne peut guère songer à 
des déchirures locales des capillaires. 

Que les globules rouges peuvent traverser les protoplas- 
mes cellulaires mêmes, c'est ce que prouvent les cellules 
épithéliales des alvéoles pulmonaires dans les stases chroni- 
ques du poumon (herzlunge). Les alvéoles sont, par places, 
remplies en partie de globules rouges et blancs, au milieu 
desquels sont disséminées de grosses cellules épithéliales 
contenant, dans leur masse même, un nombre variable de 



— 429 — 

globules rouges du sang encore parfaitement reconnaissa- 
blés. De même, dans la variole hémorrhagique, les globules 
rouges et blancs avancent dans le corps de Malpighi,à dis- 
tance de toute autre anse capillaire, et circulent probable- 
ment tout autant à travers les cellules épithéliales nouvelles 
qu'entre elles, ^tc. . 

Un autre argument en faveur de la diapédèsedes globules 
rouges se trouve dans Téruption de l'érytlième syphilitique. 
La coloration rouge du front, par exemple, n'est pas due uni- 
quement à une simple dilatation locale des capillaires^ car, 
après guérison, il persiste une teinte cuivrée qui ne disparaît 
pas tout- à-fait sous la pression, et l'examen miscroscopique 
démontre le dépôt de pigment répandu dans les tissus, et 
provenant de globules rouges sortis de leurs vaisseaux et 
désorganisés sur place. Or, la disposition de ce pigment, 
sa répartition régulière dans les tissus et un peu plus ac- 
centuée le long des capillaires, démontre que la sortie ne 
s'est pas faite par déchirures, car les hémorrhagies de cette 
nature, quelque multiples qu'elles puissent être, se ren- 
contrent toujours en petits foyers. 

Voilà ce que nous savons de plus net sur la diapédàse 
du sang. Il en ressort ce grand fait que : Le sang peut 
sortir avec tous ses éléments sans déchirure de ses vases. 

Les conditions qui favorisent ce passage sont : 1 état 
séreux du sang et la dilatation pathologique des capillaires. 
Or, ces deux conditions existent chez Louise Lateau, ainsi 
que l'examen microscopique nous l'a démontré (18 et 64). 

54. Ces préliminaires évacués, il nous reste à établir 
notre démonstration. 



- 430 

« L'abolition de la sensibilité par rapport aux impres- 
sions générales, dit Bennett(^)» semble contrebalancée par 
une excessive impressionnabilité pour Tobjet de la préoc^ 
cupation actuelle ou qui peut être suggérée. Le docteur 
HoUand a parfaitement signalé les effets de Tattention sur 
Forganisme. Il est peu de personnes, fait-il observer, qui 
ne soient susceptibles d'éprouver une certaine irritation 
ou sensation imaginaire dans les parties sur lesquelles 
leur attention se trouve fortement appelée. Que nous sen- 
tions, la nuit, après avoir dormi dans une position inaccou- 
tumée, un battement de cœur ou des pulsations aux tempes, 
nous nous laissons aller bien facilement a y attacher une 
cause alarmante ; songeons-nous à notre respiration, 
aussitôt nous la trouvons altérée. Nous imaginons-nous 
avoir la bouche sèche, bien vite nous avalons notre salive 
et il en résulte une sécheresse réelle. Craignons-nous 
d'avoir de la toux, à l'instant nous toussons pour débarrasser 
les bronches. Supposons- nous enfin qu'il existe une cause 
d'irritation à la peau, noiis portons involontairement la 
main à cette partie pour y gratter. Rien de plus commun 
aux élèves en médecine, étudiant pour la première fois une 
maladie, que de s'en croire atteints. Au reste, la chose est 
bien connue, dans certains états, il suffit de fixer V atten- 
tion sur une partie du corps pour y ressentir de la 
douleur. Les hypochondriaques sont martyrs de ces im- 
pressions erronnées : ils n'ont qu'à s'imaginer avoir mal 
aux jambes ou à l'estomac, pour se sentir incapables de 
marcher ou pour en avoir la digestion troublée; leur santé 



{\)Loc.cit.X. l.p. 368. 



~ loi — 

finit même par s'altérer réellement, à cause de ce défaut 
d'exercice et d'alimentation. Sir Benjamin Brodie (1) a 
relaté plusieurs observations bien singulières, dans lesquelles 
des douleurs nerveuses de cette nature avaient été sui- 
vies de sensibilité et de gonflement de la peau recou- 
vrant la partie prétendument malade. » 

L'influence d'une idée prédominante sur l'activité psychi- 
que est établie par une multitude d'exemples. Il suffit do 
glaner pour en former un faisceau. 

« M. Macfarlan, pharmacien, Nortb Bridge, à Edim- 
bourg, m'a raconté, dit Bennett, qu'un jour un boucher 
avait été apporté de la place du Marché, dans son officine, 
située vis-à-vis. Cet homme venait d'être la victime d'un 
terrible accident. En voulant suspendre à un crochet au- 
dessus de sa tête, un fort quartier de viande, il avait man- 
qué le pied ; la pointe du crochet était entrée dans son bras 
et il était demeuré suspendu de la sorte. L'individu, pâle 
et presque sans pouls, laissait échapper des gémissements 
lamentables. Le bras ne pouvait être remué, vu l'excès de 
souffrance, et, pendant qu'on coupait la manche, afin iU 
dégager le membre blessé, il se plaignait piteusement. Le 
bras découvert, il ne s'y aperçut aucune blessure; le 
crochet s'était simplement enfoncé dans la manche de 
l'habit! Une imagination aux abois avait fait le reste. » 

« Le rév. R.Stevenson, de la paroisse de Saint-Georges, 
à Edimbourg, dit un peu plus loin M. Bennett, m'a rapporté 
qu'il y a peu de temps, une femme de sa précédente paroisse 
avait été soupçonnée d'avoir empoisonné son enfant nou- 



(\)Loc>cit,, p. 369. 



veau-né. Le cercueil fut exhumé et le procurator^fisccU^ 
forcé d*assister à Texpertise légale ^ tomba en syncope à 
l'odeur de la putréfaction. Le cercueil ouvert» il était vide! 
n ne manque pas d'ailleurs d'exemples d'individus qui, se 
battant en duel ou dans une rixe, se croyant tout-à-coup 
blessés, sont tombés comme morts, bien qu'ils n'eussent pas 
reçu la moindre égratignure. 

« La volonté, dit M. Decbambre (^), peut produire un 
dérangement immédiat dans la circulation : un'élève de la 
faculté de médecine, cité par le professeur G. Tourdes, a le 
pouvoir de suspendre pendant assez longtemps les batte- 
ments de son cœur, et M. Potain, l'un des rédacteurs du 
Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 
obtient aisément chez lui et explique physiologiquement le 
dédoublement des bruits cardiaques. Gratiolet &) rapporte 
l'obsen^ation d'un homme qui, à force de surveiller sans 
cesse son pouls, avait fini par y produire une intermittence 
de six battements. » 

55. Â côté de ces faits, en voici un, tout actuel, bien 
digne de fixer l'attention : un des médecins les plus distin- 
gués de la province d'Anvers, le docteur X... de Y.... 
(qui malheureusement demande à garder l'anonyme) m'écrit 
ce qui suit, sous les dates du l'*" et du 30 décembre 
dernier : 

< Ainsi que j'ai eu l'honreur de vous le dire, je puis, à 
tout endroit du corps et à tout moment du jour, produire^ 



(1) Loc.cit., p. 193. 

(2) De la physionomie, p. 283. 



— 155 — 

par un acte de ma volonté, une douleur plus ou moins 
intense, variable en intensité et quant à la facilité de sa 
production, selon les différents points du corps : aux arti- 
culations, la douleur s'irradie à toute la partie du membre 
située au-dessous; à la colonne vertébrale, celle qui est 
appelée à la nuque s'irradie à toute la tête ; celle du dos 
entraîne une constriction à la poitrine, celle des lombes du 
mal au ventre. Mais c'est à la paume des mains que les 
phénomènes sont les plus sensibles. Partout ailleurs la dou- 
leur disparaît dès que la volonté de l'y produire n'agit plus ; 
mais ici le mal persiste longtemps, devient même très-cui- 
sant, et je ne puis le faire cesser que par une forte distrac- 
tion, ce qui dépend sans doute de ce que je l'ai sollicité plus 
souvent. Cette impressionnabilité doit tenir évidemment à 
mon état nerveux. » 

On peut, il est vrai, se demander si cette douleur a bien 
son siège à l'endroit fixé, ou si ce n'est pas le cerveau qui 
en fait tous les frais. Voici la réponse à cette objection : 
« Un autre phénomène, m'écrit notre collègue (lettre du 
31 décembre), se produit pendant le temps où je fais per- 
sister la douleur en un endroit donné : le battement des 
artères y augmente sensiblement, f> 

56. Le docteur Crichton Browne est convaincu, d'après 
ce qu'il a observé chez les aliénés, qu'en dirigeant longue- 
ment son attention sur une partie du corps ou sur un organe 
quelconque, on peut arriver à agir sur la circulation capil- 
laire et la nutrition de cette partie ou de cet organe. Il a 
vu souvent, dit-il, la rougeur s'étendre jusqu'à la clavi- 
cule, et même, en deux occasions, jusqu'aux seins, 

9 



— 154 — 

Une femme mariée, âgée de 37 ans, atteinte d'épilepsie, 
était entrée à Tasile ; le lendemain de son admission, le doc- 
teur Brown et ses aides l'examinèrent pendant qu'elle était 
encore au lit. Au moment où ils s'approchèrent, ses joues et 
ses tempes se colorèrent d'une vive rougeur, qui s'étendit 
rapidement jusqu'aux oreilles. Elle était tremblante et 
extrêmement agitée. M. Brown voulant examiner l'état de 
la poitrine, dut la découvrir en partie, et, à cet effet, abaissa 
le col de la chemise; à l'instant, une vive rougeur se ré- 
pandit sur toute la partie découverte, décrivant une ligne 
courbe au dessus de chaque sein et descendant entré eux 
presque jusqu'au cartilage ensiforme du sternum. Ce fait 
offre ceci de particulier que la rougeur ne se propagea en 
bas qu'au moment où l'attention de la patiente, éveillée par 
la pudeur, se porta sur cette partie de sa personne. Pendant 
le cours de l'examen médical, la malade se calma et la 
rougeur disparut, mais le même phénomène se reproduisit à 
chaque nouvelle exploration. 

Voici deux autres faits à peu près identiques : Sir Paget 
rapporte le cas d'une petite fille qui, choquée d'un investi- 
gation qu'elle jugeait inconvenante, se couvrit de rougeur 
sur toute la surface de l'abdomen et la partie supérieure 
des cuisses, et Moreau W, sur la foi d'un peintre célèbre, 
celui d'une jeune fille ne s'étant résolue que difficilement à 
lui servir de modèle, et dont les bras, les épaules, la poitrine 
et enfin tout le corps rougirent, lorsque, pour la première 
fois, elle dut se dépouiller de ses vêtements. 



(1) Larater. Ed. de 1820, t. IV. p. 303, 



Di) — 

Enfin, le docteur Marmisse, de Bordeaux, a cité le fait 
curieux que voici (^) : 

Une dame, souffrante déjà depuis quelque temps, eut 
besoin d'être saignée ; sa femme de chambre, qui lui était 
très-attachée et qui la soignait très-assidûment, assista à 
cette petite opération ; elle eu ressentit une émotion si pro- 
fonde, qu'au moment où le praticien enfonçait sa lancette . 
dans le bras de la malade, la servante éprouva au pli du 
coude le sentiment d'une piqûre, et vit, peu d^e temps après, 
apparaître une ecchymc^se en cet endroit. 

57. Si, au lieu de cette influence physiologique, nous 
faisons intervenir un état pathologique préalable du cer- 
veau ou de la moelle, nous reconnaissons que la circulation 
cutanée est altérée à son tour. Trousseau appelait 
« macules cérébrales » les taches ou marbrures rou- 
geâtres s'étendant sur un point de la peau qu'on vient de 
toucher plus ou moins violemment, et qui y persistent pen- 
dant plusieurs minutes après que le choc a cessé. Ces raies 
méningitiques, blanches ou rouges, proviennent probable- 
ment, dit Vulpian, de l'affaiblissement plus ou moins pro- 
noncé de l'activité des parties centrales de l'appareil vaso- 
moteur. La stimulation permanente à laquelle est dû le 
tonus vasculaire est vraisemblablement moins énergique 
qu'à l'état normal ; dès lors les parois vasculaires cèdent 
plus facilement aux excitations réflexes vaso-dilatatrices, 
provoquées par l'irritation cutanée. Remarquons en passant 



(1) Union médicale, 1862. 



— 43G — 

que, pour obtenir les raies pâles, il faut réduire rexcitation 
au minimum d*intensité, tandis qu*il faut Télever un peu 
pour provoquer l'apparition des raies rouges. 

58. L'influence du système nerveux, de Timaginatiou 
ou de la concentration de la pensée, peut agir sur la nutri- 
tion des tissus. Niera-t-on les faits innombrables de cheveux 
devenus blancs en un très-court espace de temps, sous la 
seule impression d'une peine morale vive? Paget raconte un 
cas fort curieux de l'influence du système nerveux sur la 
coloration des cheveux : une femme sujette à ce qu'on 
appelle la migraine nerveuse constate toujours, le matin 
qui suit un de ces accès, que quelques mèches de ses 
cheveux ont blanchi et semblent poudrées. La décoloration 
s'est produite en une nuit. Quelques jours après, les 
cheveux reprennent graduellement leur couleur brune. 
Nous ne nous étonnons plus de cette mobilité chromatique, 
depuis que nous connaissons les expériences des physiolo- 
gistes démontrant l'action des ganglions nerveux du grand 
sympathique sur les cellules sous-épidermiques pigmentaires 
de la grenouille. 

59. Passons à un autre ordre de faits : Il est à la 
connaissance de tout le monde que l'application soute- 
nue de la pensée, les émotions morales vives, etc. exer- 
cent une influence considérable sur l'écoulement du flux 
cataménial. « Une femme mariée, âgée de 40 ans, dit 
M. Crichton Browne, était depuis longtemps tourmentée de 
ridée qu'elle était enceinte. Quant elle arriva au terme 
qu'elle s'était assigné, elle se conduisit absolument conuno 
si elle allait accoucher, accusant des douleurs telles que 



— 157 - 

son front en était baigné de sueur. En fin de compte, n'étant 
pas enceinte elle n'accoucha pas, mais ses règles, qui avaient 
disparu depuis six ans, reparurent et durèrent trois jours.» 

60. Nous n'en finirions pas si nous voulions parler, avec 
quelque développement, de la grossesse, des sensations 
bizares qui l'accompagnent, et du retentissement de ces 
sensations sur le produit de la conception. Nous n'en cite- 
rons qu'un seul cas, que nous a rapporté notre éminent 
maître et excellent ami le professeur Hubert : Une paysanne 
se présente, portant un enfant dans ses bras, chez le doc- 
teur V. A..., accoucheur distingué à Liège. M. V. A... 
étant sorti, on fait attendre la cliente et madame V. A... 
vient lui tenir compagnie et s'enquérir du but de la visite : 
l'enfant avait, de naissance, une large encoche à l'oreille; 
il s'agissait de savoir si l'on ne pourrait réparer la difibr- 
mité. On cause, et la mère raconte qu'étant enceinte, elle 
avait vu un chien déchirer l'oreille d'un enfant, qu'elle en 
avait été fort émue, et que son enfant à elle avait apporté, 
en naissant, un stigmate semblable à celui résultant de 
l'aggression du chien. Jusque-là rien que d'assez ordinaire, 
bien qu'il n'arrive pas tous les jours qu'un chien déchire 
l'oreille d'un enfant, et que l'évocation de la coïncidence 
soit déjà ici un argument assez caduc; mais voici qui com- 
plique le fait : Madame V. A. . . , la femme de l'accoucheur, 
était elle-même au commencement d'une grossesse au 
moment où on lui fpJsait ce récit. Quelques mois plus tard, 
elle accouchait d'un enfant portant la même difformité. 

61. Comment donc s'éveille l'attention sur un objet 
déterminé? 



- 158 — 

L'attention ne naît pas tout d'une pièce, car elle est 
elle-même une conclusion. Ce qui y préexiste et ce qui la 
crée, ce sont des processus nerveux inconscients, lesquels, 
à la suite do sensations multiples, entraînent des modifica- 
tions dans certaines chambres cérébrales. Une fois produites, 
ces modifications peuvent disparaître ou persister à l'état 
latent. Mais du renouvellement de ces sensations, et comme 
conséquence de la reproduction de l'impression cérébrale, 
émerge l'état de conscience. L'inconscience domine donc 
les faits, et tout état conscient présuppose des phénomènes, 
une série d'états inconscients antérieurs à la conscience 
elle-même, et propres à procurer l'estampille particulière de 
la sensation. Avant que la concentration de la pensée ne 
soit attirée sur un point quelconque du corps, il est indis- 
pensable que la sensation soit transformée en idée, qui, elle- 
même doit fusionner toutes les nuances en une unité. 

L'attention provient donc d'un mécanisme inconscient et 
est la conclusic^n d'une synthèse de sensations amenant des 
phénomènes réflexes. Nihil est in intellect u quod non 
ftierit prias in sensu (Ck)ndillac) . 

La condition (essentielle, c'est que la localité sensorielle 
soit reconnue, et elle l'est facilement, puisque chaque sensa- 
tion possède une caractéristique locale. 

Quelles sont les conditions indispensables pour que l'at- 
tention produise ses effets; en un mot, pour qu'il y ait 
acquisition? Ces conditions sont : 

]• Une certaine durée, c'est-à-dire la répétition de l'idée 
et des sensations ; 

2** La concentration de l'esprit sur ces sensations et sur 
ces idées: 



— I3î) - 

3° De la part du sujet, une certaine délicatesse de dis- 
crimination, susceptible de lui procurer le discernement 
des nuances, et, comme conséquence, la retenti vite du genre 
d'impression. 

Quand ces trois conditions sont réunies et que les sensa- 
tions possèdent le caractère de l'identité, de l'unité et de 
l'intensité, l'adhérence d'une impression et d'une idée doit 
fatalement avoir lieu. 

Se faire de soi-même l'objet de sa pensée, concentrer 
toutes les puissances de son âme sur quelqu'une des parties 
de son corps, c'est provoquer une excitation de la partie du 
sensorium ou du système nerveux qui régit cette partie. La 
conséquence générale qui en découle — la conséquence ini- 
tiale étant une transmission d'influx nerveux aux vasomo- 
teurs — est la perturbation dans le fonctionnement de cette 
partie, consistant en un relàchenent du stimulus vasomo- 
teur avec congestion locale des vaiseaux. Cet état aboutit 
à une débilité fonctionnelle sinon à une maladie, et cet effet 
peut être localisé dans une certaine étendue. 

Une idée fixe possède deux tendances : la première, à 
devenir action, parfois en dépit de l'opposition de la volonté 
qui, le plus souvent, est maître de la neutraliser ; la 
seconde, à s'emparer de Tesprit, en raison de son intensité 
et de celle du sentiment qui l'accoinpagne. La conscience 
du soi entraîne donc une sensation, qui consiste elle-même 
dans la conscience d'une impression, et, comme consé- 
quence, une perturbation fonctionnelle de la partie. Il n'y 
a pas à s'étonner, dès lors, que la répétition de cet acte 
concentratif donne aux phénomènes produits les caractères 
attribués aux habitudes, le retour à des intervalles irrégu- 
lièrs d'abord, réguliers ensuite. 



— 140 — 

Quand un phénomène s*est produit une fois, il est facilite 
dans la même direction par toute cause psychique. Plus 
tard, les actions réflexes s^efTectuent sans Tintervention de 
la conscience et même contrairement à la volonté, par le 
seul courant de Thabitude. Il s'agit, dans IVspèce, d'un 
automatisme conscient et sensible. 

« Tout ce que nous connaissons des opérations du sys- 
tyme nerveux, dit Huxley, nous conduit à croire que, 
lorsqu'un changement moléculaire s'efi'ectue dans la por- 
tion centrale du système nerveux, ce changement qui, en 
quelque sorte, nous est absolument inconnu, cause cet état 
de conscience nommé sensation. Il n'y a pas à douter que 
les mouvements qui donnent naissance à la sensation ne 
laissent, dans la substance, des modifications répondant à 
ce que Haller appelle « vestigia rerum » et le grand pen- 
seur Hartley « vihratiuncules >, La sensation qui a dis- 
paru laisse derrière elle des molécules cérébrales aptes à 
sa reproduction, des « molécules idéo gènes » pour ainsi 
dire, constituant la base physique de la mémoire. » 

Chaque répétition de cette impression réveille dans la 
molécule idéogène la même activité antérieure, d'autant 
plus disposée à se traduire en acte et en puissance, qu'il y 
a été fait plus souvent appel, et que les intervalles de ces 
appels ont été moins espacés. Un moment arrive où l'idée 
qui réveillait le fonctionnement de la molécule idéogène est 
présente à l'esprit à tout instant de la vie. 

62. L'attention des mystiques en général, et en particu- 
lier celle de Louise Lateau, a été éveillée dès le jeune âge 
par des excitations perçues inconsciemment. Les récits dQ 



— i4i - 

la Passion du Sauveur, le Chemin de la Croix, les images 
en représentant les émouvantes péripéties, ont occupé, dans 
son cerveau, leurs molécules spéciales, bien avant qu'ils 
n'y fussent représentés par une idée. Il y avait prise de pos- 
session de la case cérébrale, alors qu'il n'y avait pas en- 
core impression consciente. Seulement le terrain était tout 
préparé à l'évolution de cette dernière. Poursuivons : 

L'attention de Louise Lateau a été attirée sur les points 
qui devaient être le siège futur des stigmates, avant l'ap- 
parition de ceux-ci. Voyons ce que dit, à ce sujet, M. le 
docteur Imbert-Gourbeire W : 

< Pieuse et contemplative, Louise avait été avertie d'en 
haut que quelque chose d'extraordinaire devait lui arriver, 
et, au commencement de 1868, elle avait reçu une lu- 
mière intérieure qui le lui avait fait comprendre, sans pré- 
ciser la nature de ce quelque chose qui l'attendait. Elle 
avait toujours eu le désir de souffrir. Sous l'influence de 
cette lumière intérieure, ce désir s'accrut notablement 
et, dès lors, elle commença à éprouver dans son corps les 
sensations douloureuses des stigmates qu'elle devait bien- 
tôt recevoir. Le 15 avril, l'enfant Jésus lui était apparu, 
enveloppé de lumière et comme suspendu au milieu d'elle ; 
il ne lui dit rien , mais cette vision produisit dans son âme 
les mêmes sentiments que la lumière intérieure ; elle fut 
plus sûre qu'elle devait souffrir, mais sans savoir quoi. » 

La citation est textuelle. Admirons avec quelle précision 
de détails, quelle relativité de temps les faits s'y dessinent 
et en expliquent la filiation. La lumière intérieure c'est la 



(1) Loc, çit, 1. 1, p. 17. 



pensée en travail, c'est la molécule cérébrale dans son 
fonctionnement, lent d'abord, prenant ensuite de la surac- 
tivité quand elle s'est transformée en molécule idéogène. De 
ce moment il y a adhérence. Tel est le mécanisme par lequel 
se produit l'attention, ce phénomène intellectuel qui est 
peut-être l'une des plus merveilleuses facultés de l'esprit. 

63. Nous avons vu plus haut que l'effet produit sur la 
circulation d'une partie du corps, quand l'attention se dirige 
brusquement et se fixe sur elle, est parfois immédiatement 
visible, que l'innervation et la circulation subissent une 
surexcitation particulière, d'où résulte une augmentation 
de l'activité fonctionnelle de la région. Darwin i^\ dans 
son remarquable article sur la rougeur, s'occupe de ce 
même sujet. 

< D'après Millier, dit-il, les cellules sensitives du cerveau 
deviendraient, sous l'influence de la volonté, aptes à rece- 
voir des impressions plus profondes et plus nettes, en vertu 
d'un phénomène analogue à celui qui se produit lorsque 
les cellules motrices sont appelées à envoyer aux muscles 
l'influx nerveux. Il existe effectivement, sur bien des points, 
une analogie marquée entre l'action des cellules sensitives 
et celle des cellules motrices. Je citerai comme exemple de 
ce fait, qu'une attention soutenue portée sur l'un quelconque 
de nos sens, amène de la fatigue tout comme l'exercice 
prolongé de n'importe quel muscle. Par conséquent, lorsque 
nous concentrons volontairement notre attention sur une 
partie de notre corps, les cellules cérébrales qui reçoivent 
les impressions ou les sensations de cette partie, entrent 

(1) Darwin. L expression des émotions, p. 370. 



- 145 — 

probablement en action, par un mécanisme d'ailleurs 
inconnu. Cela peut permettre de comprendre comment, sans 
aucun changement local de la partie en question, la souf- 
france ou toute autre sensation anormale peut apparaître en 
ce point, ou s'accuse)' plus fo7*tement si elle y existait 
déjà. » 

Et plus loin : 

« Le mode d'action de l'esprit sur le système vaso-moteur 
peut se concevoir de la manière suivante : Au moment où 

nous goûtons un fruit acide, une impression est transmise 
par les nerfs du goût à une certaine partie du sensorium ; 
celui-ci renvoie Tinflux nerveux à un centre vaso-moteur, 
lequel permet aux tuniques vasculaires des artérioles qui se 
distribuent aux glandes salivaires de se relâcher. Il en 
résulte qu'une plus grande quantité de sang traverse ces 
glandes et qu'elles sécrètent une plus abondante quantité 
de salive. Cela posé, n'est-on pas autorisé à admettre que, 
lorsque nous réfléchissons profondément sur une sensation 
déterminée, cette même partie du sensorium, ou une partie 
très-voisine, se trouve mise en activité et que tout se passe 
comme au moment où nous percevions la sensation. S'il en 
est ainsi, les mêmes cellules cérébrales sont excitées de la 
même manière, quoiqu'à un moindre degré peut-être que 
dans le premier cas, et par la vive représentation idéale 
d'un goût acide et par sa perception réelle ; dans les deux 
cas, ces cellules transmettront l'influx nerveux au centre 
vaso-moteur et les résultats seront indentiques. » 

L'idée d'un coup sur la main, dit Bain W, paut aller jus- 



(1) Des sens et de l'intelligence, p. ^29. 



— 144 — 

qu'au point d'irriter, d'enflammer directement la peau. L'at- 
tention, fortement dirigée sur un point du corps, le gros 
orteil, par exemple, est susceptible d'y produire une sensa- 
tion distincte, qui s'explique par la supposition du réveil d'un 
courant nerveux qui s'y porte et y produit une espèce de 
fausse sensation, résultant d'une impression du dedans, 
contrefaisant les impressions qui agissent du dehors dans la 
sensation proprement dite. Cela prouve que, dans la sensa- 
tion réveillée, les courants nerveux retournent en suivant 
exactement les mêmes voies qu'ils avaient déjà parcourues. 
Ainsi, l'influence de l'attention ou d'une idée est de 
mettre en jeu la partie du sensorium qui reçoit les nerfs 
sensitifs du point du corps qui est l'objet de l'attention, et 
d'entraîner une réaction de ce dernier sur les capillaires 
par l'intermédiaire des nerfs vaso-moteurs. . 

64. C'est sur ces donnés que nous essaierons d'asseoir 
notre théorie de la stigmatisation. 

Etablissons d'abord, comme préliminaire indispensable, 
l'histologie des régions stigmatiques, en prenant pour type 
la face dorsale de la main où ils ofi'rent les caractères les 
plus tranchés. Examinées à une forte loupe, pendant qu'à 
l'aide d'un verre convexe on concentre un faisceau lumi- 
neux sur elles, ces parties laissent voir tous les détails de 
leur configuration : le fond de la plaie stigmatique est 
inégal, à la façon d'une peau de chagrin grossièrement 
travaillée; sa surface est hérissée de petites éminences 
conoïdes, les unes rougeàtres par elles-mêmes, les autres 
rendues brunâtres par la présence de petits caillots san- 
guins ; elles sont séparées les unes des autres par de petits 



— 145 — 

sillons qui les délimitent parfaitement. On ne saurait mieux 
la comparer qu'aune tranche de fraise des bois. Le lundi 
et le mardi, on y constate la présence d'un peu de sérosité, 
la cicatrisation n'y étant pas encore parfaite ; le jeudi, la 
nodosité qui en est le siège est de volume beaucoup moindre 
et exempte de toute exsudation. Le vernis épidermique, 
toutefois, ne recouvre pas encore le stigmate dans sa totalité, 
mais en laisse quelques éminences à nu. Ces éminences sont 
toujours douloureuses et d'une extrême sensibilité à la 
moindre pression ; ce sont des papilles hypertrophiées du 
derme, ainsi que nous Ta démontré l'examen microscopique, 
que nous avons fait, le 31 janvier, avec M- Crocq, 
d'une parcelle excisée du fond du stigmate dorsal d'une des 
mains de Louise, le vendredi 29, pendant que la malade 
était dans l'anesthésie extatique. Cette petite parcelle 
offrait des faisceaux entrecroisés de tissu connectif, des 
vaisseaux dilatés, dont les plus petits mesuraient 5 cen- 
tièmes de millimètre^ et une papille avec une anse vascu- 
laire de 28 millièmes de millimètre. Or, d'après Kôlliker,les 
capillaires ont au maximum 8 millièmes de millimètre et 
ceux de la couche superficielle de 10 à 20 millièmes. Chez 
Louise Lateau, ces vaisseaux, les premiers surtout, ont 
donc subi une ampliation considérable. 

65. < Pour se faire une bonne idée des papilles du 
derme, disent Cruveilhier et Sée (^) il faut étudier la coupe 
d'une portion de peau appartenant à la paume de la main 
ou à la plante du pied ; cette coupe devra être perpendicu- 



(1) Traité d'anatomie descriptive, t, 11. p. 546. 



laire aux séries linéaires des papilles; onvoit alors le derme 
hérissé de petites saillies conoïdes qui s'enfoncent dans 
répaisseuv de V épidémie^ lequel se distingue des papilles 
par sa transparence et par son aspect corné. Ces papilles 
se distinguent en vasculaires et en nerveuses; les premières 
renferment une anse vasculaire, les secondes un corpuscule 
cvoïde, appelé corpuscule du tact, et reçoivent seules des 
nerfs. Rarement ces papilles complexes présentent à la fois 
Tune et l'autre espèce d'éminences. Ce sont les papilles 
vasculaires qui sont les plus nombreuses. Sur une ligne 
carrée de la peau recouvrant la surface onguéale du 
doigt, Meissner a trouvé 400 papilles, dont 108 seule- 
ment étaient des papilles nerveuses. Ces dernières sont 
bien moins nombreuses à la deuxième phalange et sur- 
tout à la première. A la face dorsale, elles disparaissent 
presque complètement. Les papilles vasculaires renfer- 
ment chacune une anse vasculaire provenant du réseau 
capillaire du derme. Le sommet de Tanse répond à celui de 
la papille, et ses deux branches, occupant Taxe de cette der- 
nière, sont juxtaposées, rectilignes ou onduleuses, quel- 
quefois enroulées Tune sur l'autre. Le diamètre de ces 
vaisseaux varie entre deux et cinq centièmes de millimè- 
tre, suivant qu'ils sont vides ou remplis de sang. Dans le 
premier cas, on observe autour du vaisseau une sub- 
stance fibroïde que paraît composée d'éléments élastiques. » 
En lisant attentivement cette description, ne rélit-on pa^s 
à nouveau celle que nous avons faite des stigmates dorsaux ? 

66. Les vaisseaux capillaires offrent des variations de ca- 
libre qui dépendent du débit artériel ; lorsque l'afflux sanguin 



— \M — 

augmente, ils se dilatent sous l'effort de la poussée de sang ; 
cet aflBlux vient-il à diminuer, ils subissent un retrait pas- 
sif, qui peut simuler une véritable contraction. On les voit, 
dit Vulpian, subir les influences de Tétat de la circulation 
artérielle, se dilater quand les artères se dilatent, reve- 
nir sur eux-mêmes quand elles se resserrent; mais ce ne 
sont pas là des effets impliquant l'existence d'une contrac- 
tilité. 

67. Ces diverses données anatomiques €t physiologiques 
sont, dans la question qui nous occupe, d'une importance 
majeure. Elles expliquent comment, par le fait de la répéti- 
tion d'une congestion locale, les capilliaires que nous venons 
de décrire doivent perdre peu à peu de leur élasticité ; com- 
ment celle-ci étant complètement ou incomplètement vain- 
cue, le sang a plus de tendance à y séjourner et refluer ; 
comment enfin un moment arrive où cette dilatation, deve- 
nue pathologique, prend un autre nom, celui d'ectasie, 
d'anévrysme, d'angiome, et se présente à l'état de lésion 
anatomique permanente. 

Dans un travail sur le purpura, M. Richardson W donne 
l'explication physiologique des stigmates, après avoir démon- 
tré que les conditions propres à la production des phénomè- 
nes sont : l'aglobulie du sang avec prédominance de l'élé- 
ment séreux et une altération limitée des capillaires de la 
région atteinte, . deux conditions fondamentales qui se 
retrouvent chez Louise Lateau. Il se forme, dit-il, à cer- 
tains points^ une ticyné faction légère sous-cutanée ^ à 



(l) The Lancet, 28 novembre 1874, p. 778. 



_ 148 — 

laquelle on peut donner le nom « d'anévrysme > d*une 
artériole ou de capillaires. Nous devons dire que l'auteur 
anglais s*est merveilleusement rencontré, dans ce mode 
d'interprétation, avec notre savant confrère M. Duwez, 
qui nous a assidûment secondé dans nos recherches, et qui, 
déjà longtemps avant Tapparition de cet article, avait bap- 
tisé du nom à! angiome les stigmates de Louise Lateau. 

68. < Formés par la dilatation des capillaires d'une 
région limitée du corps, les angiomes, comme le dit Vul- 
pian(U, sont des tumeurs vasculaires, offrant des cavités 
plus ou moins considérables, remplies de sang et commu- 
niquant les unes avec les autres. Au début, sous l'influence 
d'une irritation locale toute particulière, les capillaires de 
l'endroit où doit se développer l'angiome se dilatent, et en 
même temps donnent naissance à des bourgeons vasculaires, 
qui sont l'origine de nouveaux vaisseaux capillaires, établis- 
sant de nouvelles communications entre ceux qui préexis- 
taient. Puis ces divers capillaires se dilatent en forme 
ampullaire sur différents points de leur longueur ; des sortes 
d'alvéoles se forment aussi, qui peuvent finir par commur- 
niquer les unes avec les autres, à la suite de la résorp- 
tion du tissu intermédiaire. Il en résulte un tissu aréolaire, 
dont les aréoles sont séparées par des trabécules d'épaisseur 
variée; ces trabécules peuvent d'ailleurs avoir subi des 
modifications diverses pendant le développement de la 
tumeur. Des artères aboutissent à ces tumeurs, et elles sont 
souvent munies d'une tunique musculaire plus épaisse que la 

(1) Leçons sur l'appareil vasomoteur, 1. 1, p. 417. 



— 149 - 

tunique musculaire d'artères du même calibre, situées dans 
d'autres parties du corps. On y trouve aussi des veines et 
Schuh y a vu et suivi des nerfs. Il y a donc là toutes les 
conditions voulues pour qu'il puisse s'y produire des phéno- 
mènes d'érection. De plus, dans certaines de ces tumeurs, 
quelques uns des trabécules contiennent des éléments mus- 
culaires, et leur tissu est alors très-analogue au tissu dit 
ca'oerneuœ, 

69. Les stigmates de Louise Lateau répondent-ils à cette 
genèse? Ce n'est pas douteux. Rappelons, au risque de 
nous répéter, « qu'elle avait toujours eu le désir de souf- 
frir, que ce désir n'avait fait que s'accroître le jour où elle 
avait reçu la lumière intérieure qui lui avait fait com- 
prendre que quelque chose d'extraordinaire allait se passer 
en elle; que, dès lors, elle avait commencé à éprouver 
dans son corps les sensations douloureuses des stig- 
mates qu'elle devait bientôt recevoir, » 

Voilà donc les douleurs préludant à la stigmatisation. Ubi 
stimuluSy ibi affluxus, la congestion suit de près. Et cette 
congestion, ne voit -on pas la cause qui a dû ici l'activer? 
Tous les jours, nous voyons les personnes ressentant une 
souffrance quelconque porter constamment la main sur la 
région qui en est le siège, malgré les avis et les avertisse- 
ments du médecin. Louise n'a pas dû, plus que les autres, 
échappera cette tentation: selon toute vraisemblance, elle 
a, sans penser à mal, porté plus d'une fois la main aux 
points douloureux, les a tourmentés, frottés, et y a ainsi 
provoqué un afflux de sang plus considérable. Ainsi tout 
s'enchaîne dans un ordre admirable pour expliquer la for- 



mation des stigmates : acte mental appelant la douleur, par 
un travail cérébral, dont nous aurons plus loin à préciser le 
siège et la nature; congestion créée par cette douleur, 
activée par des excitations extérieures ; perte consécutive 
deTélasticitédes capillaires dans les régions congestionnées, 
stase du saugdansces capillaires, dilatation de ces vaisseaux, 
angiome. 

Et qu'on ne dise pas que tout cela n'est qu'une vue de l'es- 
prit. Nous avons constaté plus haut que l'examen microsco- 
pique était venu démontrer la réalité de nos hypothèses. Le 
tissu excisé du fond des plaies stigmatiques, examiné par 
M. le professeur Crocq et nous, ne laisse aucun doute à cet 
égard (64). Nous en avons soigneusement conservé la pièce 
anatomique. 

J'entends l'objection — que de fois déjà ne nous l'a-t-on 
point faite depuis que s'agite cette palpitante question — : 
« Montrez-nous donc, nous dit-on chaque jour, ce phéno- 
mène de la douleur se produisant à un endroit donné, sous 
l'empire de la volonté : nous avons essayé de la provoquer 
et l'avons fait essayer par d'autres, jamais nous n'avons 
rien obtenu. » Mais qu'est-ce donc que votre tentative 
d'une heure, d'un jour peut-être — soyons larges — en 
présence de dix, de vingt années d'une concentration con- 
tinue et sans trêve? Qu'est-ce donc encore que votre désir 
de réussir. une épreuve, un jeu de société peut-être, en 
comparaison de cette attention constante et obstinée, com- 
mandée par des modifications cérébrales indélébiles, impri- 
mant à l'esprit une direction déterminée, dont la volonté 
même serait impuissante à l'affranchir désormais (61)? 

On nous dira sans doute encore que Louise n'a jamais 



— 151 — 

songé à désirer, à demander des stigmates; qu'au point de 
vue théologique même, un semblable vœu, par son idée 
mondaine et vaniteuse, eût été d'avance frappé de stérilité. 
Nous le voulons bien. Mais n'avons-nous pas dit déjà que 
l'attention est le résultat de processus nerveux incons- 
cients (61)? 

70. Il reste à expliquer comment les angiomes cutanés se 
convertissent en stigmates sanglants. Remontons, pour cela, 
à l'origine des phénomènes. 

€ Dans la première apparition des stigmates, dit Imbert- 
Gourbeire ^1), l'hémorrhagie a eu lieu par petits points. » 
« Au premier examen que j'ai fait du côté gauche de la 
poitrine (1868), dit M. Lefebvre l^), la surface saignante 
n'offrait aucune ampoule; l'épiderme n'était pos détaché du 
derme, la couleur de la peau était naturelle. On voyait 
sourdre le sang de trois petits points perceptibles à 
l'œil nu; ces trois points étaient disposés en trépied,' 
à un ^centimètre l'un de l'autre. Plus tard, il s'y es 
formé un ampoule. >► Et plus loin : « Quand on examine 
avec un verre grossissant les points saignants du front, on 
reconnaît que le sang filtre à travers de petites éraillures 
de l'épiderme. La plupart de ces éraillures ont une forme 
triangulaire; on dirait d'une piqûre de sangsue, mais d'une 
sangsue presque microscopique, car ces éraillures sont à 
peine visibles à l'œil nu. D'autres éraillures sont sémi- 
lunaires, d'autres encore tout-à-fait irrégulières. » Enfin, 
nous avons nous-même décrit d'un mot la plaie de l'épaule 



(1) Loc, cit., p. 

(2) ioc.ctï., 29-30-31. 



en la comparant au soulèvement de Tépiderme par un vési- 
catoire ammoniacal. 

Nous concluons de là que partout Thémorrhagie débute 
par (les phlyctènes; même au front, où elles demeurent 
imperceptibles, parce qu'elles éclatent de bonne heure, vu 
la tension de Tépiderme à cette région, et à Tépaule, où 
elles sont difficiles à apprécier, parce que le frottement 
détache Tépiderme à mesure qu'il y est soulevé. 

En vertu de quel mécanisme se produisent les phlyctènes 
d'abord, les hémorrhagies ensuite? Nous avons établi la 
genèse des angiomes stigmatiques : l'attention a donné lieu 
ù la douleur et celle-ci aux attouchements réitérés ; de là la 
congestion, qui a amené la stase sanguine dans les capillaires 
et, par suite, la dilatation de ceux-ci. Viennent les accès, 
donnant lieu, ainsi que nous l'avons vu, à des poussées 
congestives déterminées par un molimen hemorrhagicum 
périodique, et les phénomènes vont se dérouler dans toute 
leur simplicité : les leucocytes passeront à travers les capil- 
laires, s'épancheront sous l'épiderme, voilà l'ampoule. 
L'accumulation du sang continuant en proportion de la 
dilatation de ces capillaires, le vernis épidermique finira par 
éclater; puis, le sang lui-même traversant, soit les voies 
créées par le passage antérieur des leucocytes, soit des rup- 
tures vasculaires, dont la vraisemblance peut se soutenir, 
viendra faire irruption à l'extérieur. Voilà l'hémorrhagie. 

Combien de temps durera cette hémorrhagie ? Juste le 
temps de l'excitation cérébrale qui a donné lieu à l'accès, 
fatalement accompagné de ses congestions locales. Ainsi 
se fonde la durée, jusqu'ici inexpliquée, de ces écoulements 
sanguins, qui ne doivent et ne peuvent cesser qu'avec la 
cause périodique qui les a amenés. 



— 153 



3. DE LA NEVROPATHIE STIGMATIQUE. 

71 . Nous avons essayé d'établir, en parlant des extases 
dont nous avons été témoins, que ce désordre appartient à 
la classe des névroses, et que son siège réside dans la partie 
du bulbe qui gouverne le sommeil nerveux, et que, par une 
remarquable puissance d'induction, MM. Demarquay et 
Giraud-Teulon ont localisée dans la région comprise entre 
les tubercules quadrijumeaux et les pédoncules céré- 
braux. 

Nous venons de voir, d'autre part, que la stigmatisation 
est le résultat d'un acte cérébral, dont le siège reste à 
déterminer. 

Nous voilà donc en présence de deux manifestations mor- 
bides que nous voyons marcher de pair. Les stigmates, 
en eflfet, ne vont jamais sans les extases et celles-ci les 
précèdent toujours (3). La médecine a créé un nom pour 
ces associations, preuve qu'elle les a acceptées, elle les a 
nommées des * syndromes » Nous désignerons dorénavant 
le syndrome « extases et stigmates » sous la dénomination 
de « névropathie stigmatique. > 

Là pourrait s'arrêter notre travail. Eu effet, dit M. Le- 
febvre « il est désirable, mais il n'est pas nécessaire qu'on 
possède une notion scientifique complète d'un cas morbide 
pour lui assigner une place dans le système de nos connais- 
sances. Il y a, dans les sciences naturelles, une foule de 
faits dont l'existence est bien démontrée, dont le caractère 
purement naturel est incontestable, et qui ne sont pourtant 



— iî)4 — 

(jue très-imparfaitement connus W. » Abrités derrière ce 
principe, dont on ne contestera pas le fondement, nous pour- 
rions terminer ici cette étude déjà bien longue. Si nous ne 
suivons pas cette conduite prudente, c'est qu'il nous reste 
d'importants arguments à faire valoir en faveur de notre 
diagnostic. Qu'on veuiQe donc bien nous excuser si nous 
nous laissons aller encore à de nouveUes longueurs. 

Le mariage des extases et des stigmates a été jusqu'ici 
une cause d'étonnement, même pour M. Lefebvre. Pour 
s'en rendre compte, il faut, dit cet auteur * admettre une 
série d'hypothèses au moins singulières ; il faudra supposer, 
en effet, que ces deux maladies se rencontrent à la fois chez 
le même sujet, qu'elles sont toutes deux périodiques, et que 
leurs accès comme leurs intermittences coïncident avec une 
imperturbable exactitude. » 

Rien de tout cela n'est nécessaire. 

72. Il est une loi, dite loi de contiguïté, d'association 
proprement dite, dans laquelle rentrent l'ordre dans le 
temps, l'ordre dans le lieu, la cause et l'effet. « Les 
actions, dit Bain (2), les sensations, les états de sensibilité 
qui se présentent l'un avec l'autre ou l'un immédiatement 
après l'autre, tendent à s'unir étroitement et à adhérer 
ensemble, de telle façon que, lorsque l'un deux se présente 
par la suite à l'esprit, les* autres sont susceptibles d'être 
évoqués par la pensée. » 

Ainsi que nous^l'avons dit 'plus haut (61), c'est par la 



(1) Xoc. cif.,p. 80. 

(2) Des sens et de l'intelligence, p. 285. 



- 155 — 

répétition que la molécule cérébrale se transforme en molé- 
cule idéogène ; c'est elle qui amène TafiFermissement et 
l'enchaînement des séries ainsi que la facilité de leur re- 
production. Bien plus, la répétition des actes écarte, dans 
une certaine mesure, la nécessité de l'intervention de la 
conscience, et c'est ainsi que l'union de la stigmatisation 
et de l'extase se transforme en un véritable automatisme, 
conscient ou non. Quand la paralysie directe du centre 
vaso-moteur commence, l'extase est toujours en imminence, 
et la moindre idée qui aura le privilège de l'évoquer ser- 
vira de point d'excitation de la chambre cérébrale où en 
est localisé le siège. Ce sont deux anneaux contigus de la 
même chaîne. Quand l'esprit est rendu attentif à une suc- 
cession de deux termes, le premier est déjà devenu une idée 
permanente par l'effet de la répétition, et l'attention se fixe 
sur le second. La cause et l'effet sont donc fixés par la 
contiguité. 

< On peut comparer, dit Bain (M, le système nerveux à 
un orgue dont les soufflets sont constamment tendus et 
prêts à se décharger dans tous les sens, suivant les touches 
que frappe l'organiste. Le stimulus de nos sensations et de 
nos sentiments ne donne pas la force interne, mais détermine 
le point où se fera la décharge et la façon dont elle se fera. » 
Toutes les névroses fournissent d'ailleurs des associations 
dans une direction constante, et la plupart des maladies 
dénommées cycliques, pour ce motif, suivent une marche 
régulière, dont les stades sont régis par cette même loi. 



[1) Loc, cit, p. 261. 



- 156 - 

Louise Lateau ne devait, ne pouvait pas échapper aux con- 
séquences de la loi d'adhésivité. 

73. Dans le paragraphe qui précède, nous avons pro- 
noncé anticipativement les mots de « paralysie du centre 
vaso-moteur » à propos de l'évolution des extases. C'est un 
élément nouveau que nous faisons intervenir dans le débat. 
Nous avons le devoir de le justifier. 

On sait que toute la moelle épinière et le bulbe rachidien, 
jusqu'au niveau du point où il entre en connexion avec la 
protubérance, sont susceptibles d'agir sur les nerfs vaso- 
moteurs, mais cest dans un espace compris dans les 
limites d'un millimètre en arrière des tubercules qua- 
drijumeaux et de quatre à cinq millimètres en avant du 
bec du calamus, quest le véritable centre de Vaction 
vaso-7notrice. 

En effet, toutes les lésions pratiquées sur les parties les 
plus antérieures de la protubérance, sur les tubercules 
quadrijumeaux et sur les parties de l'encéphale situées en 
avant de ces tubercules, sont sans aucune action sur la cir- 
culation du tronc, de la tête, ni des membres. D'autre part, 
si l'on tranche le bulbe en arrière de ces tubercules, à quatre 
ou cinq millimètres en avant du bec du calamus, limite 
postérieure du centre vaso-moteur, l'excitation des nerfs 
sensitifs n'est plus capable de provoquer aucune action 
réflexe vaso-motrice. 

Sans nous préoccuper, pour l'instant, des démêlés qui 
existent encore parmi les physiologistes concernant l'exis- 
tence de ce centre unique, nous mettrons en regard de cette 
abolition éternelle de la réflectivité, consécutive à la section 



— 157 — 

du bulbe, la perte temporaire de la réflectivité et de la sen- 
sibilité qui accompagne l'extase, et c'est à une expérience 
faite par M. Lefebvre ^^) que nous allons en devoir la 
démonstration. Pour faire la preuve de l'insensibilité de 
Louise Lateau, M. Lefebvre a employé un appareil électro- 
dynamique, susceptible de développer, à son maximum d'in- 
tensité, des courants si énergiques que personne ne peut 
les supporter au-delà de cinq à six secondes, tant est 
cuisante et intolérable la douleur qu'ils occasionnent, et 
il rCen est pas résulté la moindre manifestation de 
douleur. Pour finir, il a provoqué des contractions vio- 
lentes et prolongées des différents muscles dans lesquels 
passait le courant. Il a mis ainsi tous les points du voisinage 
en convulsion, et, pendant cette expérience, les paupières, 
largement ouvertes comme d'habitude, n'ont pas eu un 
clignotement ; les regards ont conservé leur calme profond 
et extraordinaire. 

74. On donnerait certainement à notre pensée une inter- 
prétation trop étendue si l'on voulait nous faire conclure de 
ce rapprochement à une véritable équivalence. On peut en 
inférer cependant que, si l'abolition de la réflectivité se 
manifeste, tant dans l'extase que dans la séparation du 
centre bulbaire d'avec le reste de l'organisme, une égale 
concordance de résultats résultera de l'excitation de ce 
même centre. L'expérimentation physiologique a prouvé, en 
effet, que la paralysie directe ou réflexe entraîne, comme 
conséquence, l'hyperesthésie, et son excitation Tanesthésie, 



(1) Loc. ctf.,p. 51. 



- 158 — 

Mais, par anticipation et pour faciliter la compréhension^ 
nous dirons que ce qui précède 8*applique également au 
grand sympathique, car ou peut considérer les nerfs vaso- 
moteurs comme appartenant en partie à ce système, le 
bulbe étant le centre de leur provenance originelle com- 
mune. Ainsi, Texcitation du ganglion cervical du grand 
sympathique donne également lieu à Tanesthésie, sa section 
à Thyperesthésie. 

Ceci posé, après avoir débuté par la S3aithèse, nous allons 
rentrer dans les procédés ordinaires de l'analyse et nous 
livrer à un parallèle qui, si nous ne nous faisons illusion, 
ne sera pas sans quelque intérêt. 

I. Si Ton sectionne le nerf sympathique cervical, il se 
produit, entr'autres phénomènes : 

P Le resserrement de la fente palpébrale ; l'ouverture de 
celle-ci est ovalaire et les paupières sont presque rap- 
prochées ; 

2" La dilatation des vaisseaux, entraînant l'augmenta- 
tion évidente de la quantité de sang qui les occupe, et une 
pression plus grande sur les parois des artères. Le sang 
veineux, vu par transparence, est moins foncé en couleur, 
plus rouge du coté où la section a été pratiquée que de 
l'autre ; 

3® L'élévation notable de la température et de la sensibi- 
lité ; l'augmentation de la réflectivité. 

Qu'observe-ton chez Louise Lateau pendant les moments 
durant lesquels les stigmates se préparent? 

« Louise, dit Imbert-Gourbeire (1), conunence dès le 

(1) Loc, cit., p. 30. 



mardi à éprouver à Tendroit des stigmates un sentiment de 
brûlure ; le mercredi et le jeudi, ils'y forme peu à peu des 
ampoules; la sensation de brûlure continue, s'accroît gra- 
duellement, pour se changer, le vendredi, en véritables élan- 
cements. > 

En eflfet, le jeudi, ainsi que nous l'avons également con- 
staté, Louise est suus l'impression d'un molimen hemorrha- 
gicum véritable : la face est rouge, animée, vultueuse; le 
front est le siège d'une hyperesthésie aiguë, le moindre 
attouchement y cause de la douleur. L'ouïe jouit d'une 
acuité remarquable. La pupille est légèrement rétrècie, 
mais répond encore par des contractions à l'excitation 
lumineuse. Qu'on veuille bien remarquer que les mains 
alors ne sont encore le siège d'aucune manifestation visible 
de congestion, et qu'il faut une certaine excitation pour y 
déterminer de la douleur. C'est par le front que débutera 
l'hémorrhagie. Quand elle y a lieu, c'est que c'est à cette 
région que se concentrent les premiers effets de la paralysie 
vaso-motrice. Souvent, ainsi que le dit Imbert-Gourbeire, 
le symptôme « douleur » apparaît le mardi et le jeudi, 
mais, dans tous les cas, c'est toujours dans les régions 
supérieures. Dans la journée du jeudi, les stigmates des 
mains deviennent le siège de douleurs, de turgescence, de 
calorification. On y sent des battements d'artères, signe 
évident de la congestion locale. L'ampoule se forme le 
vendredi dans la nuit pour éclater dans la matinée. 

Louise, pendant cette nuit du jeudi au vendredi, reste, 
paraît-il, assise sur sa chaise, abîmée dans un profond 
affaissement. Vers une heure et demie de l'après-midi, si 
on la soulève, elle retombe sur son siège comme une masse 



— 160 - 

inerte, sans force de résistance. Une langueur générale 
s*est emparée de tout son être, ses traits défaits portent le 
signe le plus évident de la lassitude du corps. On sent que 
son organisme est épuisé et qu*il y a dépression de ses 
esprits. Ses réponses sont d*un laconisme extrême: oui et 
non, voilà tout. 

A la première heure de l'après-midi, alors que Thémor- 
rliagie stigmatique continue aux mains et qu'elle a cessé au 
front depuis le matin, on observe les symptômes suivants : 
La pupille, peu dilatée, est presqu'insensible à Faction de 
la lumière, les sourcils sont inclinés, les paupières, légère- 
ment rapprochées, donnent à l'ouverture palpébrale une 
forme elliptique, allongée; Tœil, presque sans regard, 
semble retiré vers le fond de l'orbite, se cachant sous ses 
voiles. On remarque déjà à ce moment (car pour l'extase 
de même que pour la stigmatisation, c'est par les régions 
cilio-spinales que débute le cortège symptomatique afférent 
à l'un et à l'autre stade), on remarque une baisse considé- 
rable de la faculté visuelle ; les gros objets seuls se voyant 
distinctement. Un peu plus tard le voilé s épaissit, un brouil- 
lard paraît se répandre sur tout ce qui entoure Louise, et 
la vue se perd complètement quelques minutes avant l'accès 
extatique. 

Pendant ce stade, la sensibilité a acquis son summum 
d'intensité. Un simple frottement, un attouchement léger, 
suflBsent à déterminer des explosions de douleur. Au crâne 
«t surtout à l'occiput, l'hyperesthésie cutanée est remar- 
quable ; le frôlement des cheveux y occasionne une exacer- 
bation de la sensation. Le pouls bat de 120 à 130 fois à la 
minute. 



— ici — 

Tel est le cortège symptomatique de la période anté- 
rieure à l'extase. 

Qu'y découvrons-nous ? 

1** Resserrement avec forme oblongue de la fente palpé- 
brale. sorte de lagophthalmos ; 

2® Température plus élevée, surtout à la face d'abord, 
puis bientôt aux régions stigmatiques ; 

3® Circulation plus active, hyperesthésie cutanée, réflec- 
tivité se manifestant au moindre attouchement ; 

4® Symptômes toujours plus accusés d'un côté que de 
l'autre. Les souffrances sont plus vives du côté où aura 
lieu la plus forte hémorrhagie. 

Que de points de similitude ! 

75. II. Passons aux symptômes afférents à r^a^czYa^zon du 
grand sympathique. On peut les résumer ainsi: Ecartement 
des paupières et projection du globe en avant; dilatation de 
la pupille, contraction des vaisseaux sanguins. Abaissement 
de la température et diminution de la sensibilité ; cessation 
de l'hèmorrhagie et de la réflectivité, constriction muscu- 
laire. 

Voyons ensuite l'extase où Louis Lateau tombe vers deux 
heures et quart de l'après-midi : La tête est légèrement 
inclinée vers l'épaule gauche, la figure extrêmement pâle, 
l'ouverture palpébrale très-large ; les globes oculaires sont 
dirigés d'après la loi de l'association, c'est-à-dire que l'œil 
droit regarde en haut et en dehors, tandis que le gauche, 
inclinant son méridien vertical en dedans, regarde en 
dedans et en haut. La pupille, largement dilatée, se fixe 
dans une immobihté complète. Uu attouchement des cils ou 



— 162 — 

de la conjonctive détermine néanmoins de légères vibrations 
aux paupières. L*extinction de la sensibilité est complète, 
ainsi que Tont établi les expériences de M. Lefebvre, citées 
plus haut (73). La température diminue. « Pendant l'extase, 
dit Imbert-Gourbeire (1), il y a refroidissement des extré- 
mités, les avant-bras sont d'un froid de marbre. > < Louise, 
dit M. I^febvre, ressemble à une statue. >Elle demeure con- 
stiimment dans une position fixe qui simule la catalepsie. 
La respiration, pendant le prosternement, devient inaudible, 
le pouls bat alors 80 fois à la minute, l'écoulement sanguin 
diminue notablement. 

Peut-on demander des analogies plus complètes? 

76. Ainsi, débutant par l'observation et par la conception 
d'une similitude, notre raisonnement a abouti, en dernier 
ressort, à l'expression d'une équivalence, qui va nous per- 
mettre d'énoncer cette proposition : 

< La < NEVROPATHiE STiGMATiQUE > est Une tiévrose, 
ayant son siège dans le bulbe, dont le premier stade 
consiste dans la paralysie du centre vaso-moteur et le 
second dans son excitation. 

Cette découverte faite, quelle satisfaction ne devons-nous 
pas éprouver en voyant tous les faits converger vers un 
centre commun? Le siège de « l'aura hypnotisante », point 
de départ des extases, vient en effet se donner rendez- 
vous avec les précédents phénomènes en un même coin de 
la même région du bulbe. 

II nous reste à entrer dans quelques développements ex- 



il) Loc. cif.,pp, 37et40. 



— 105 — 

plicatifs, qui vont nous entraîner à résumer brièvement les 
connaissances scientifiques ambiantes ayant trait à la phy- 
siologie des nerfs vaso-moteurs. 

Soit qu'on admette, comme Schiff et Owsjannikow, soit 
qu'on rejette, comme Vulpian, la localisation d'un centre 
vaso-moteur unique, on reconnaît que l'appareil vaso- 
moteur est constitué, d'un côté par la substance grise 
de la moelle épinière, de l'autre, par les ganglions du 
cordon fondamental du grand sympathique et par ceux 
qui se trouvent sur le trajet du vaisseau. Ces gan- 
glions peuvent être, en effet, considérés comme autant 
de centres échelonnés le long de cette chaîne nerveuse qui 
se déroule depuis la base du crâne jusqu'au coccyx. Il est 
difficile, à l'heure présente, de classer la distribution des 
fibres vaso-motrices, car si les centres jouissent d'une 
certaine indépelidance, celle-ci n'étant cependant que rela- 
tive, leur origine ne peut être recherchée qu'au prix de 
beaucoup d'expériences exécutées avec le plus grand 
soin. Si des excitations portées sur des parties de la moelle 
très éloignées les unes des autres procurent une dilata- 
tion des iris, pour ne parler que du centre cilio-spinal, 
il est probable qu'il existe un certain nombre de foyers 
d'origine reliés ensemble par des moyens anatomiques de 
communication. 

Quoi qu'il en soit, et en faisant toutes les réserves pos- 
sibles, on peut actuellement classer comme suit la distribu- 
tion des fibres vaso-motrices : 

Du ganglion cervical et du bulbe partent celles qui se 
rendent directement aux divers organes du cou et delà face, 
et dont les autres pénètrent dans le crâne par le canal caro- 



— 164 - 

tidien, pour animer les vaisseaux de l'œil et des organes 
intra-crâniens. 

Celles des membres thoraciques provienDent de trois 
sources principales : 

a) Du ganglion cervical inférieur et du thoracique supé- 
rieur (Cl. Bernard); elles se reunissent au plexus brachial à 
peu près au niveau de la première côte. 

b) D'autres fibres naissant avec les racines du plexus 
brachial (Schiff). 

c) D'autres enfin émanant du cordon thoracique et nais- 
sant des troisième, quatrième, cinquième, sixième et sep- 
tième nerfs dorsaux, et principalement du troisième et du 
septième (Cyon). 

La chaîne ganglionnaire du grand sympathique agit, 
dans le mécanisme de l'action vaso-motrice, comme organe 
d'excitation directe des nerfs vaso-moteurs, comme organe 
de transmission, soit de certaines excitations périphériques 
vers le centre vaso-moteur pour en provoquer le fonction- 
nement, soit encore des excitations partant de ce centre 
pour se rendre aux divers foyers d'origine des nerfs vaso- 
moteurs. 

Quand nous disons que la section du bulbe, juste au 
dessous de ce centre unique, fait disparaître toute réflecti- 
vité, nous établissons ainsi la subordination des autres cen- 
tres échelonnés le long de la colonne vertébrale et sur le 
trajet des vaisseaux. Le bulbe rachidien gouverne toute 
l'action vasomatrice et de sa mise en activité résulte le 
fonctionnement de toutes les autres fibres motrices. 

Serait-ce faire abus que de comparer l'appareil vaso- 
moteur à un bureau télégraphique principal où viendraient 



— 465 — 

converger tous les fils d'un pays, avec cette différence que 
les bureaux accessoires, au lieu de pouvoir fonctionner en 
toute liberté, ne possèdent cependant qu'une indépendance 
restreinte? C'est du bureau principal que tout rayonne et 
c'est vers lui que tout converge. De même peut-on admettre 
que de ce centre bulbaire partent des éléments le mettant 
en communication avec tous les autres foyers accessoires, 
lesquels jouissent d'une certaine indépendance les uns à 
l'égard des autres. 

En effet, les centres accessoires jouissent d'une action 
spéciale sur certaines régions, mais ils ne peuvent impres- 
sionner leurs congénères. C'est au bulbe seul qu'est dévolue 
cette faculté, et il est mis en rapport, par des éléments con- 
ducteurs, avec les fibres vaso-motrices, qui possèdent leur 
foyer originel dans la substance grise de la moelle. C'est 
par l'intermédiaire des foyers accessoires que les incitations 
partant du bulbe peuvent provoquer la mise en activité du 
vaso-moteur d'une région à laquelle ils sont spécialement 
destinés. 

Cependant le mécanisme de l'activité vaso-motrice est dé- 
terminé non-seulement par voie directe, mais aussi par voie 
réflexe. Les excitations périphériques peuvent entraîner par 
voie réflexe, tantôt une contraction vasculaire de la partie 
excitée, tantôt une dilatation, tantôt l'une et puis l'autre, 
suivant la disposition du centre à ce moment, et, dans cer- 
tains cas, suivant l'intervention de la sensibilité. Lors- 
qu'une excitation des nerfs centripètes est faite sur un ani- 
mal dont le centre cérébro-spinal est intact, il peut y avoir 
sensation plus ou moins vive. Or, dans ce cas, un double effet 

tend à se produire sur les vaisseaux : d'une part, constric- 

II 



— 166 — 

tion par action réflexe ou spinale ; d*autre part» dilatation 
par action réflexe provenant du centre des sensations, et il 
peut se faire que tantôt cette dernière l'emporte sur l'autre, 
et que tantôt ce soit Tinverse ; de telle sorte que, suivant 
les cas, la résultante des deux actions est une dilatation ou 
une constriction vasculaire plus ou moins accentuée. 

Pour vérifier cette hypothèse, M. Cyon W a enlevé les 
lobes cérébraux sur des animaux mis en expérience, et il a 
constaté que les actions réflexes n'offraient plus alors leur 
variabilité ordinaire. Les irritations produisaient constam- 
ment une dilatation vasculaire. Il en était de même chez 
les animaux anesthésiés par l'opium ou le chloroforme. 

Nous avons dû entrer dans ces détails, portant sur des 
données scientifiques de date toute récente, afin de faire 
bien comprendre, par une démonstration rapide de l'in- 
fluence du centre de l'activité vaso-motrice, les raisons de 
notre diagnostic. Ainsi qu'on l'a vu par le parallèle que 
nous avons établi entre les manifestations imprimées par les 
états du ganglion sympathique cervical d'une part, et l'extase 
et la stigmatisation de l'autre, ces phénomènes offrent une 
grande similitude et l'analyse vient confirmer la synthèse. 

Cette localisation jette d'ailleurs une telle clarté sur toute 
la filiation des symptômes, que la théorie que nous venons 
de fonder sur elle nous en paraît difficile à ébranler. Elle 
explique, en effet, jusqu'à la différence dans l'abondance 
de l'hémorrhagie, suivant le siège. Ainsi, il n'est pas dou- 
teux que, par la répétition plus fréquente ou plus intense de 



(1) Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, art.MOELT.E 
KPINIÈRE, VIII, 2, p. 557. 



— 167 -' 

leur incitation, certains centres n'acquièrent une plus 
grande énergie. Eh bien ! il en résultera que les parties 
ordinairement découvertes, celles sur lesquelles se fixe 
le plus fortement la concentration de la pensée, devront être 
et sont, en réalité, le siège de l'écoulement sanguin le plus 
actif, la décharge du centre vaso-moteur devant être en 
raison directe de cette intensité. ». 

On comprend également que le centre vaso-moteur 
n'exerce pas une stimulation égale sur toutes les régions, 
ni ne s'exerce sur toutes au même moment, et que la puis- 
sance de son action doive être en raison inverse de la 
distance à laquelle elle s'exerce. Et c'est ce qui a lieu, en 
eflfet, chez notre patiente. C'est aux régions supérieures, au 
front, que l'écoulement sanguin apparaît d'abord, puis à la 
face dorsale des mains, à l'épaule, aux côtés, aux pieds. 
La marche de l'extase suit les mêmes lois. Dans l'un comme 
dans l'autre stade, le centre cilio-spinal entre le premier 
en activité. 

77. La signification pathologique du syndrome étant 
reconnue semblable à la paralysie et à l'excitation des centres 
vaso-moteurs, il nous reste à examiner quelques particula- 
rités incidentes. 

La première consiste à déterminer le rôle du frottement 
des stigmates. Nous avons dit plus haut que, chez Louise 
Lateau, volontaire, ou, plus vraisemblablement, instinctive, 
l'excitation artificielle de ces angiectasies avait dû aider 
puissamment au mécanisme de leur production. En voici la 
raison : Tous les nerfs qui partent de la moelle pour se 
rendre aux vaisseaux ne possèdent pas la même fonction 



vaso-constrictrice; il en est dont l'excitation produit la dila- 
tation : ce sont les nerfs vaso-dilatateurs. Toutes les dilata- 
tions vasculaires réflexes ont lieu par leur intermédiaire. 
Dans la majorité des cas, ce sont des dilatations vasculaires 
qu'on observe chez Thomme, sous Tinfluence de causes 
excitatrices diverses, normales ou pathogénétiques. Mais 
un même cordon nerveux peut être incité, par l'intermé- 
diaire delà moelle épinière, à produire tantôt des dilatations, 
tantôt des contractions, dues soit à une paralysie des 
fibres nerveuses vaso-constrictrices, soit à une excitation 
directe et réflexe de ces fibres ou des fibres vaso-dilatatrices. 
Le frottement des parties congestionnées a donc déterminé 
une excitation des nerfs vaso-dilatateurs qui, lorsqu'ils sont 
excités, n'agissent que d'une façon éventuelle sur les 
ganglions d'où partent les fibres des vaso-constricteurs. Il 
est reconnu que la dilatation vasculaire résultant de l'exci- 
tation des fibres vaso-motrices est plus élevée que celle qui 
est provoquée par la section du cordon du grand sympathi- 
que et même par l'ablation du ganglion cervical supérieur (1). 
Toutes les irritations mécaniques, Télectricité, le frottement, 
e pincement, la percussion, le froid, donnent lieu à des dila- 
tations par mécanisme réflexe. Chez notre patiente, le frot- 
tement continuel des stigmates a dû être une addition 
d*action à la paralysie vaso-motrice. Tout nous autorise à 
e penser. Enfin, ce frottement doit encore avoir pour 
résultat d'éveiller des contractions réflexes dont la tendance 
est de se reproduire exclusivement, quand l'excitation 
cutanée n'est pas très forte, dans les muscles qui meuvent 

(1) Vulpian, loc. cit.^ 1. 1, p. 'k.AO. 



- 169 — 

la partie excitée et d'aider par là à Tappel et à l'issue du 
sang. Cette circonstance explique pourquoi, et cette action 
vient s'ajouter à celle accusée plus haut, chez Louise Lateau, 
rhémorrhagie des parties exposées à la vue, des mains 
principalement, est la plus abondante. L'excitation des 
fibres nerveuses sensibles de la main provoque donc, par 
action réflexe, la dilatation des vaisseaux de cette localité. 
Si lés stigmates étaient dérobés aux regards, recouverts 
d'agaric, par exemple, serré au moyen d'une bande bien 
appliquée, nul doute que l'hémorrhagie ne s'arrêtât bientôt, 
d'abord par la raison que nous venons de dire, ensuite 
par la formation d'un caillot, et enfin par le repos de la 
plaie. L'expérience du bocal a confirmé cette présomption ; 
à peine les deux plaies de la main droite, soustraites à la vue 
et à tout contact, avaient-elles fourni, en vingt heures, 
dix grammes de sang! Indication précieuse à observer dans 
l'avenir, au point de vue de l'économie à réaliser dans les 
pertes hebdomadaires de sang de notre stigmatisée, et dont 
on ne pourrait, sans manquement grave, négliger mainte- 
nant de tenir compte. 

Une autre particularité sur laquelle on s'est appesanti 
avec une certaine ténacité, consiste dans l'absence d'inflam- 
mation à la suite de ces hémorrhagies répétées, et dans la 
rapidité de la guérison des stigmates. Cela ne doit pourtant 
pas éveiller le moindre étonnement, parce que, de sa nature, 
la congestion qui est la conséquence de la paralysie vaso- 
constrictrice ou de l'excitation vaso-dilatatrice n'est pas 
inflammatoire et disparaît avec la cause occasionnelle. 

Mais, s'il enestainsi, commentpouvons-nous admettre que 
la paralj'sie du centre vaso-moteur soit susceptible de don- 



— 170 — 

ner naissance à des hémorrliagies, surtout en nous déclarant 
partisan des idées de Cohnheirh, en ce qui concerne la tra- 
versée des globules et leur transformation en globules puru- 
lents? L'expérimentation sur des animaux nous enseigne 
que Tarrachement ou la destruction du ganglion sùmi-lunaire, 
la section du plexus solaire, déterminent la paralysie ou la 
dilatation des artères mésentériques, et quelquefois des suf- 
iusions sanguines dans la muqueuse intestinale, et que la 
section des nerfs splanchniques produit une congestion très- 
nette du rein correspondant. Vulpian rapporte qu'il a sou- 
vent pratiqué des sections des parties supérieures de l'isthme 
encéphalique très-haut, au niveau de l'aqueduc de Sylvius 
et des tubercules quadrijumeaux. Dans la plupart des cas, 
la muqueuse de l'intestin était rouge, violacée, couverte d'un 
mucus sanguinolent, et les chiens sur lesquels il opérait 
avaient souvent des selles sanglantes. C'est à une inci- 
tation par mécanisme réflexe qu'on peut en attribuer la 
raison. M. OUivier, dans des expériences en vue d'étudier 
l'influence des lésions de Tencéphale, a pu déterminer, sur 
des lapins, diverses hémorrhagies viscérales, des ecchy- 
moses et des apoplexies pulmonaires et rénales. De son côté, 
M. Charcot a observé fréquemment, chez des apoplec- 
tiques, des ecchymoses siégeant sous les téguments de la 
tête, dans l'épaisseur des plèvres, de l'endocarde et de la 
membrane muqueuse de l'estomac. On connaît, d'ailleurs, 
la facilité avec laquelle apparaissent chez les femmes les 
hématémèses supplémentaires de la menstruation, ainsi que 
les caractères du sang de ces hémorrhagies, remarquables 
par la présence des globules blancs et rouges et l'absence 
de coagulation. Puisqu'il en est ainsi, on n'éprouvera pas 



— \7\ — 

(le difficulté à coucevoir que la répétition des congestions a 
dû faciliter la sortie des globules et rétablissement des stig- 
mates. 

78. Le syndrome névro-stigmatique auquel nous venons 
d'essayer de donner vie n'est pas seul de son espèce. Depuis 
longtemps on connaît les palpitations du cœur, Texophthal- 
mos, le goitre, comme symptômes isolés, comme eutités 
spéciales, si on le veut, reconnaissant une genèse absolu- 
ment indépendante. Qui donc pouvait penser qu'un jour 
viendrait où ces trois manifestations morbides se réuniraient 
chez le même individu, sous l'action d'une cause commune? 
C'est ce qui est arrivé pourtant : Et voyez le rapprochement, 
c'est aussi dans une névrose du grand sympathique que sem- 
ble résider cette cause commune. Les troubles circulatoires 
signalent le début de la maladie; les lésions anatomiques des 
diverses parties du système vasculaire sanguin, de la glande 
thyroïde et du tissu cellulo-graisseux de l'orbite sont consé- 
cutives, et ne peuvent évidemment dépendre que de ces 
troubles delà circulation, liés eux-mêmes à des troubles de 
l'innervation. On arrive ainsi à localiser le siège du mal 
dans le système nerveux vaso-moteur , et à le placer dans 
cet ensemble de fibres nerveuses et de ganglions qu'on 
désigne sous le nom de « grand sympathique ». Voilà donc 
une unité de cause réunissant, pour les confondre en un 
« syndrome » parfaitement caractérisé et connu sous le 
nom de « goitre cxophthalmique >, trois maladies n'ayant 
paru avoir jusque-là aucun lien. 

Peut-être nous accusera-t-on d'avoir, pour l'édification 
de notre système, suivi une conception à priori et y avoir 



— 172 — 

fait plier les faits. Ce serait nous flatter. Ce sont les faits, 
au contraire, qui sont venus au-devant de nous, et il nous 
a suffi de les interpréter. Pour cela, nous avons dû recourir 
aux conquêtes les plus récentes delà physiologie, se rappor- 
tant à la diapédèse^ à Thypnotisme et à la détermination 
des centres vaso-moteurs. Ces conquêtes soui postérieures à 
répoque ou M. Lefebvre écrivait son livre, et c'est vrai- 
semblablement Tune des causes, la principale peut-être, de 
la divergence qui nous sépare de lui dans l'appréciation 
des faits. 

79. On a beaucoup fait état, dans le cas de Bois-d'Haine, 
de l'intermittence et de la périodicité des accès. Quant à 
l'intermittence, le vulgaire seul pourrait s'en étonner. Une 
névropathie à accès, à jet continu, ne serait-ce pas la mort 
à courte échéance? 

Reste la périodicité. Arrêtons-nous y un instant. 

Louise Lateau n'échappe point à cette aptitude inhérente 
aux phénomènes physiologiques, pathologiques et physiques, 
en vertu de laquelle ils se reproduisent à des époques dé- 
terminées, laissant, entre leurs apparitions, des intervalles 
variables, pendant lesquels ils cessent tout à fait. Cette apti- 
tude sert à caractériser certaines névroses, les hémorrha- 
gies supplémentaires de la menstruation, les névralgies, les 
fièvres intermittentes. Dansl'ordre physique, les révolutions 
de l'année, les saisons, le lever et le coucher des astres, 
les marées, sont des exemples saisissants du cj'cle et de la 
périodicité qui domine tous les phénomènes naturels. 

Mais, nous dira-t-on, quelle interprétation donnerez-vous 
à la régularité de la périodicité, à l'invariabilité remar- 



— 175 - 

quable de l'apparition des phénomènes « extase et stigma- 
tisation, » prenant jour, depuis le début, le jeudi et le 
vendredi de chaque semaine ? 

L'aflFection de Louise Lateau ayant son étiologie dans un 
acte mental, relève de la psychologie. Or, il est une loi 
d'après laquelle le semblable rappelle le semblable, une loi 
par laquelle, dans le cas d'identité complète entre une 
impression présente et une impression passée, celle-ci est 
immédiatement et sûrement confondue avec la présente. Si 
de la contiguité résulte l'association des états paralytiques 
et extatiques, de la similarité des idées et des sensations 
découle ce phénomène qu'une manifestation idéale ou 
physique en rappelle une autre dont elle est séparée dans 
yle temps, « Cette faculté de reproduction mentale, dit 
Bain (1), ce moyen de restituer les actes psychiques passés 
sur la suggestion d'une similitude présente dépendra 
tout-à-fait de la possession que l'impression passée a 
acquise, et jouira d'une puissance de rappel d'autant plus 
grande qu'elle aura été unique, identique et intense » (61). 

Pour cela, il est nécessaire aussi qu'une opération d'as- 
sociation fonde l'impression multiple avant qu'elle puisse 
persister quand l'impression originale est passée, et nous 
avons établi l'existence de cette association. D est évident 
que ces deux facultés n'existent jamais séparément dans 
l'organisme mental. Quand le lien d'association qui unit 
deux actions, dit Bain (1), s'est affermi par la répétition, il 
est évident que l'impression présente doit raviver la somme 
totale de l'impression passée, ou rétablir la situation de 



(l) Loc. cit„ p. 417, 



~ 174 — 

l'esprit dans Tétai complet où Tavait laissé l'impression 
précédente. Le rétahlissement d'une condition première 
par un acte présent du mêine genre est réellement et 
proprement un effet de l'opération du principe associant de 
la similarité, c'est-à-dire de la loi par laquelle le semblable 
rappelle le semblable. 

■ 

Louise se trouve-t-elle dans ces conditions? L'idée qui 
sert de mobile à ses actions et qui remplit toute sa vie n'est- ' 
elle pas unique, intense et identique? La direction de ses 
esprits, portée sans relâche vers les souffrances de Jésus- 
Christ, qu'elle désire partager, est-elle susceptible d'engen- 
drer autre chose que l'établissement d'une impression 
cérébrale et d'une sensation toujours semblable aux courants 
antérieurs? De plus, ne possède-t-elle pas une sensibilité 
stigmatique qui, pour subir à jour fixe une exacerbation 
extrême, n'en demeure pas moins en permanence, ce qui 
favorise singulièrement la rétentivité des impressions? Le 
jour correspondant au drame sublime du Golgotha, son 
attention toujours en éveil va donner à la sensation un 
caractère d'acuité plus prononcé; son âme entière va s'ab- 
sorber dens un seul sentiment, augmentant ainsi la sensation 
localisée qui s'affaiblit dans les autres régions. Cette aptitude 
à la périodicité régulière trouverait donc, si elle en avait 
besoin, son explication dans la reviviscence d'une idée ou 
d'une impression passée, par une idée ou une impression 
présente, se reproduisant dans les mêmes circonstances, 
avec la même caractéristique au dehors ou avec le concours 
de la conscience. La maladie de Louise étant d'origine 
mentale, nous nous répétons sans crainte, il serait étonnant 
que ses accès prissent jour à une date différente de celle 
répondant à Tidée qui y a donné naissance. 



— 175 — 

80. Une autre particularité dont il est encore beaucoup 
parlé concerne la fixité du siège des stigmates aux lieux où 
Jésus-Christ les portait lui-même. Cette particularité n'a pas 
lieu d'étonner. Quand l'impression accomplit toutes les 
données d'intensité, d'unité et d'identité, l'idée se trouvant 
dans les mêmes conditions, il est évident que le siège des 
impressions réveillées sera le même que celui des originelles. 
Quand la cause a cessé, l'impression persiste sans changer 
de siège, et sa reproduction par les causes mentales seules 
occupe les mêmes localités. Le sentiment renouvelé, dit 
Bain (1), occupe les mêmes parties, de la même manière que 
le sentiment originel, et aucune autre partie ni d'aucune 
autre manière appréciable. Nous avons déjà dit plus haut 
que, dans la sensation réveillée, les courants nerveux 
retournent exactement vers les voies qu'ils ont déjà par- 
courues. Cette loi explique parfaitement la ténacité des 
maladies à reparaître aux mêmes endroits et dans les mêmes 
conditions. Elle sert aussi, dans une certaine mesure, à 
expliquer la régularité et la périodicité. En effet, le but de 
l'acte réflexe, dit Wundt (2), c'est le contact de la partie 
excitée. Quelles sont les conditions nécessaires pour que cet 
acte réflexe, sans règle, désordonné, puisse atteindre à la 
régularité et à l'harmonie? Il y en a deux : la première, 
que la partie excitée antérieurement soit reconnue comme 
telle. Or, nous l'avons déjà dit, cette reconnaissance est 
possible, chaque partie étant caractérisée par une marque 
qui lui est propre et qui la distingue de toute autre partie. 



{\)Loc. cit., p. 296. 

(2) Revue scientifique, 1875, p. 730. 



— 17(î - 

La deuxième condition, c'est que les mouvements réflexes 
puissent subir une accommodation : celle-ci n*étant pas 
innée, le sujet doit en faire Tapprentissage. 

La faculté de localiser nos sensations, d'assigner un lieu 
à cliacune d'elles, repose donc sur cette distinction des nerfs 
qui arrivent des diverses parties. C'est un résultat de 
l'éducation, un véritable apprentissage que cette faculté de 
similarité qui approfondit la connaissance que nous avons 
d'une certaine classe d'impressions, pourvu qu'il y ait un 
degré de ressemblance suflSsant pour suggérer l'identifi- 
cation. Cette ressemblance est incontestable chez Louise, et 
nous donne la clef des manifestations stigmatiques sériaires 
que nous avons observées chez elle. 

81. Il résulte pour nous de tout ce qui précède, que la 
maladie de Louise Lateau est un syndrome réunissant les 
extases et les stigmates. Elle possède une étiologie spéciale, 
basée sur l'association. Ses prémisses reposent sur l'incon- 
scient, son raisonnement sur l'attention ou la conscience du 
soi, sa conclusion sur les congestions locales et sur l'extase. 
La répétition des congestions locales a amené des dilatations 
vasculaires et des angiomes. L'extase et la stigmatisation 
sont unies l'une à l'autre comme les deux termes d'une 
proposition, en vertu de la loi de contiguïté. C'est une 
névrose ayant son siège dans le bulbe, dont le premier 
stade consiste dans la paralysie du centre vaso-moteur, et 
le second dans son excitation. Nous croyons, en consé- 
quence, qu'il y a lieu de lui assigner une place, dans les 
cadres nosologiques, parmi le genre névrose, sous le nom 
de « Névropathie stigmatique. » 



— 177 — 

82. Pourquoi les faits de cet ordre ne se trouvent-ils pas 
encore dans les fastes de la médecine, ou du moins, pour- 
quoi ceux qui y sont rapportés n'y sont-ils arrivés que de 
seconde main, venant des annales religieuses? Par une 
raison fort simple : les phénomènes présentés par les 
mystiques ont toujours été entourés, sans doute parce qu'on 
ne les comprenait pas , de circonstances mystérieuses 
inventées par la crédulité publique. La médecine répondait 
par un dédain 3uprême à toutes ces allégations inacceptables, 
et, ne pouvant faire un triage entre les faits réels et les 
amplifications dont ils étaient l'objet, rejetait le tout en 
masse. C'étaient, disait-elle, des fables indignes de l'occuper, 
et elle les tenait soigneusement à l'écart, oubliant que : 

«Toujours un peu de vérité 

. Se mêle au plus grossier mensonge. 

La théologie, au contraire, les a précieusement recueillis, 
et c'était son droit. Vous déclarez, a-t-elle dit aux méde- 
cins, que ces faits sont impossibles et vous les répudiez. Or, 
je les tiens pour vrais; je les garde donc pour moi. Et ils 
ont pris place dans la mystique chrétienne, où nous les 
trouvons aujourd'hui réunis en colonnes serrées. 

Cette faute, car, au point de vue scientifique du moins, 
c'en était une, M. Virchow vient encore de la commettre : 
« Supercherie ou miracle, » s'est-il écrié! Et il ne semble 
pas se douter qu'il fait ainsi le jeu de ses adversaires. Nous 
avons établi la réalité des extases et des stigmates de Louise 
Lateau, c'est donc le second terme du dilemme qui reste 
debout. Est-ce bien ainsi que l'a entendu l'illustre savant 
de Berlin, ou ses paroles ne cachent-elles pas plutôt une 



- 178 - 

ironie que son traducteur n'aura pas saisie? De M. Vir- 
chow, le conférencier satyrique, n'ayant vu les faits qu'à 
travers les impossibilités physiologiques de Tinédie, nous en 
appelons au |)rofesseur Virchow, mieux informé par notre 
observation clinique, qui lui apportera beaucoup d'éléments 
nouveaux. 

Quoi qu'il en soit, nous ne suivrons pas la voie que nous 
ont tracée nos devanciers. Pour nous, le cas de Louise 
Lateau appartient > par les côtés du moins où notre science 
positive l'a embrassé, à la pathologie médicale, et notre 
grand devoir était de le noter scrupuleusement et de l'établir 
de façon incontestable. Nous n'y avons point failli. Il est 
donc désormais classé et ne demeurera pas longtemps isolé. 
Pour lui constituer son groupe, il ne sera pas nécessaire de 
réviser le dossier des stigmatisés renseignés dans les livres 
sacrés. Nous sommes à une époque où le sentiment religieux 
se passionne et s'exalte, et il n'en faut pas d'avantage pour 
faire naître des extatiques. A côté de Louise Lateau, nous 
avons, aujourd'liui déjà, Isabelle Hendrickx, (30) dont 
l'existence modeste et recueillie s'est éteinte, dans des flots 
de sang, loin des regai-ds curieux et avides de merveilleux 
qu'on avait eu soin d'écarter de son foyer, et qui a su 
échapper ainsi à toutes les investigations malsaines et mal- 
séantes. En attendant ou en cherchant un peu, l'on en 
trouvera sans doute beaucoup d'autres. Que de faits curieux, 
jusque là discrètement réservés, apparaissent à la lumière, 
quand l'attention publique vient à se fixer sur l'ordre de 
phénomènes auxquels ils se rapportent. 



APPENDICE. 



Ici s'arrête, à proprement parler, notre travail. Nous ne 
nous y sommes occupés que des faits relevant directement 
de notre observation. Mais, à côté de ces faits, il en est 
d'autres, que l'on peut appeler contingents, et qui, dans 
l'histoire de Louise Lateau, jouent un rôle si important 
vis-à-vis du public, que nous n'avons pas cru devoir les 
passer tout-à-fait sous silence. Nous voulons parler du 
phénomène de la reconnaissance des objets bénits et du 
Rappel, et enfin de l'abstinence. Arrêtons-nous y un instant : 

83. V De la reconnaissance des objets bénits et du 
Rappel. — D'après la version locale, si l'on présente à 
Louise Lateau un objet quelconque, elle reconnaît si cet 
objet est bénit ou s'il ne Test pas, et, dans le premier cas, 
le déclare par une mimique spéciale. C'est un fait dont il a 



été beaucoup parlé et à Tégard duquel nous demandons à 
fairv toutes nos réserves. Si la person :e qui présente l'objet 
sait à quoi s*en tenir quant au caractère sacré dont il est 
ou non revêtu, elle peut inconsciemment, Tliypnotisme et 
les autres états de sommeil nerveux nous l'apprennent, 
suggérer au sujet en état de « condition seconde • la notion 
qu'elle en a elle-même (idées suggestives) (70). D'un autre 
côté, l'ouie, chez les personnes extatiques ou en état de 
sommeil nerveux, est, en réalité, fermée aux excitations 
ordinaires, mais elle devient d'une sensibilité exquise quand 
elle est mise en éveil par des excitations spéciales, en rap- 
port avec l'objet de leur préoccupation mentale actuelle (50) . 
« Chez Louise Lateau, dit M. Lefèbvre i^), l'ouie est sus- 
pendue comme la vision, ou du moins r oreille est insen- 
sible aux provocations ordinaires. » C'est une circon- 
stance considérable dans l'espèce, et il suflSt de regarder 
notre jeune fille, pendant qu'on récite à haute voix une 
prière à ses côtés, pour la mettre en lumière : on la voit, 
en eflFet, esquisser un sourire toutes les fois que, durant ce 
débit, les mots de Marie, de Jésus, de Dieu, par exemple, 
viennent à se présenter. Dans ces conditions, les épreuves 
faites au moyen des objets bénits doivent réussir toutes les 
fois qu'elles sont précédées d'une explication ou d'un mot 
quelconque propre à mettre sur la voie, et celles-là réussis- 
sent en effet. Ceux qui font ces expériences, et qui cer- 
tainement les font de bonne foi, ne semblent pas s'être assez 
prémunis contre cette fraude inconsciente, de nature à en 
altérer absolument le caractère. 



[\) Loc, cxt,, p. 48. 



- i8i - 

Le fait pouvait facilement d'ailleurs être fixé expérimen- 
talement, et nous l'avons voulu tenter en faisant, à M. Niels, 
par lettre du 15 décembre dernier, les propositions sui- 
vantes : 

P Je ferais prendre en fabrique, afin d'être sûr qu'ils 
n'ont reçu aucune consécration préalable, douze petits cha- 
pelets, six noirs, six blancs. 

2** Vous béniriez ceux de Tune ou de l'autre série, puis 
nous les enfermerions tous les douze, un à un, chacun 
dans un de ces petits calices de buis où ces chapelets se 
débitent, puis, tous ensemble, dans un sac de toile où ils 
seraient mêlés. 

3® Présentés tour-à-tour, aux moments voulus, à notre 
patiente, ils provoqueraient chez elle des manifestations 
positives ou négatives. Ceux qui auraient donné lieu aux 
premières seraient mis à part ; on ferait de même des autres. 

4° L'épreuve faite, il ne resterait plus qu'à dépouiller le 
résultat, qui serait publié ne carietur et sans commen- 
taires. 

L'expérience, dans ces termes, nous semblait réunir les 
principales conditions à en exiger : chaque chapelet se 
trouvait isolé de son voisin par son revêtement de buis, et 
les idées suggestives disparaissaient, la personne chargée 
de présenter les objets n'étant, pas plus que quiconque, dans 
la confidence du contenu de chaque récipient. 

Elle ne fut point acceptée cependant, ou plutôt il fut 
répondu à mon programme par les contre-propositions que 
voici : 

2® Un prêtre ne pourrait pas toucher les chapelets, ni les 
noirs ni les blancs. C'est une main laïque qui mettrait les 
12 chapelets dans 12 récipients. is 



1 * On ne devrait pas mettre les objets béuits et non bénits 
dans le même sac. Il faudrait faire en sorte que les récipients 
ne se touchent en aucune manière l'un l'autre avant de le^ 
présenter à Louise . 

i^° Ces chapelets pourraient être bénits à Bruxelles^ sans 
que vous sachiez si ce sont les blancs ou les noirs qui ont 
été bénits. Celui qui les aurait bénits consignerait, dans un 
billet cacheté, quelle espèce de chapelets il a bénits. Vous 
pourriez les transporter dans deux boîtes séparées; dans 
Tune il y aurait une espèce de chapelets, dans l'autre la 
seconde. 

4* Ici, sur place, avant d'être présentés à Louise, ils 
pourraient être mêlés, mais de manière à ne pas se toucher. 

Nous avons renoncé à faire l'épreuve dans ces conditions, 
de nature à prêter, de part et d'autre, au litige et à de trop 
faciles écliappatoires. 

84 . Passons au Rappel : < Louise, dit M. Lefebvre, insen- 
sible à la voix des personnes qui tentent de la réveiller de 
son état extatique, même à celle de sa mère et de ses sœurs, 
revient subitement à elle à la voix de son confesseur et, en 
général, de ceux qui ont juridiction sur elle. C'est ce qu'en 
théologie on nomme le RappeL Ce pouvoir appartiendrait, 
paraît-il, à l'autorité épiscopale, ainsi qu'au confesseur de 
Louise, et pourrait être transmis, par délégation de Mon- 
seigneur l'Evêque de Tournai, à toutes personnes qu'il lui 
plaît de désigner à cette fin. M. Lefebvre est en possession 
de cette délégation. Quand l'une ou l'autre de ces personnes, 
n'importe à quel moment de l'extase, dit à ho\x\^e:< Louise, 
relevez-vous? >, Louise se relève, pour reprendre bientôt 



— 183 — 

après l'attitude dont on vient de la tirer. Voilà le fait. Nous 
n'entendons pas le discuter ni même l'effleurer dans son 
caractère théologique, mais nous pensons qu'il devrait être 
examiné au point de vue de V audition élective et à celui de 
Vhyperesthésie auditive. Par la première, certains mots, 
certains sons arrivent seuls à la perception : <^ Louise, 
relevez-vous » sont de ce nombre; parla seconde, le son 
de voix peut être facilement reconnu. 

Mais nous n'insistons pas, ne voulant pas faire la moindre 
incursion sur un domaine qui n'est pas le nôtre. 

85. 2^ Abstinence, — Al'encroire, LouiseLateau n'aurait 
plus pris, depuis trois ans et demi, ni nourriture, ni bois- 
sons. C'est le fait dont on s'est le plus occupé, tantôt pour 
le soutenir, tantôt pour en faire l'objet de démentis violents, 
à l'adresse de personnes respectables auxquelles ils he pou- 
vaient revenir. 

Le cas était plus simple et n'avait mérité 
Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. 

Louise travaille et dépense du calorique ; elle perd, tous 
les vendredis, une certaine quantité de sang par les stig- 
mates; les gaz qu'elle expire renferment de la vapeur d'eau 
et une quantité sensiblement normale d'acide carbonique. 
Son poids n'a guère varié depuis qu'elle est en observation. 
Donc elle brûle du car bone et ce n'est pas à son propre 
organisme qu'elle l'emprunte. Où le prend-elle? La physio- 
logie qui, elle, n'a de ménagements à garder envers per- 
sonne, nous répond : Elle mange. 

Mais que deviennent alors, et la sincérité candide de 



— 184 - 



notre sujet appuyée sur les serments les plus solennels (^i, 
t les témoignages graves qui se seraient portés caution 
le ses allégations? C'est ce que nous allons examiner. 



(l)Le 26 septembre 18T3, à trois heures et demie de relevée, le père 
Séraphin, passioniste, habitant Ere, près Tournai, l'un des membres 
chargés de faire l'enquête sur Louise Lateau, a fait subir à celle-ci, sur la 
foi du serment, l'interrogatoire suivant : 

Demande. Depuis le 30 mars 1871, n'avez- vous jamais senti le besoin 
de boire ni de manger? 

Réponse de Louise, Non, jamais. 

D. Est-il bien vrai que, depuis ladite époque, lorsque vous avez essayé 
de prendre quelque nourriture ou quelque boisson, fût-ce même en petite 
quantité, vous vous êtes toujours trouvée incommodée, et que le plus 
souvent, vous avez dû rendre tout par la bouche ? 

R. Oui, cela est vrai, et, après le vomissement, j'étais conune avant. 

D. Quand vous prenez ainsi quelque petite chose, est-ce parce que vous 
avez senti un besoin quelconque de le prendre ? 

R. Non, aucun besoin. 

D. Pourquoi donc le preniez-vous? 

R. Pour obéir à M. le Curé qui le voulait ainsi. Et quelquefois, sur- 
tout au commencement, je le prenais pour contenter les personnes de 
la maison qui craignaient de me voir tomber malade, si je ne prenais 
rien. 

D. Avez-vous pu retenir quelquefois une nourriture quelconque sans 
vous sentir incommodée, depuis le 30 mars 1871 ? 

R. Non jamais. 

D. Avez-vous pu retenir quelques gouttes d'eau sans vous sentir 
incommodée? 

R. Au commencement, l'eau gênait moins, mais plus tard elle gênait 
comme la nourriture. 

D. Et depuis que vous ne touchez plus à aucune nourriture ni à aucune 
boisson, sentez-vous jamais le besoin de prendre quelque chose ? 

R. Pas du tout. 

D. Et depuis que vous ne prenez plus rien, sentez-vous le besoin de 
faire des évacuations, grandes ou petites ? 

R. Rien du tout. 

D. Tout ce que vous venez de dire, Louise, est-ce bien vrai devant 
Dieu et devant votre conscience ■? 



— 185 — 

• Quant vient Tlieure du coucher, les sœurs de Louise se 
rétirent dans leur chambre, située à l'un des quatre coins 
du rez-de-chaussée, seul étage dont se compose leur maison, 
et qui n'a pas d'autres habitants que les trois filles Lateau. 
Louise, elle, veille, dit-elle, toute la nuit; elle est, du soir 
au matin, maîtresse souveraine du reste du logis, c'est-à- 
dire des trois autres chambres, communiquant, l'une avec 
la voie publique, une autre avec le jardin où sont la pompe 
à eau, lès lieux d'aisance, etc. Dans la chambre de devant, 
se trouve le garde-manger ; dans la propre cellule de Louise, 
une armoire aux provisions. Louise, seule au monde, sait 
ce qu'elle fait durant ces longues nuits, et peut-être ne le 
sait-elle pas. Elle déclare qu'elle ne mange pas, mais il n'y 
a rien pour corroborer son dire que ses propres allégations. 
Les témoignages qui y pourraient venir à l'appui sont donc 
sans aucune valeur, car ils ne peuvent reposer que sur des 
affirmations isolées. Or, il y a un adage juridique qui dit : 
testis unus, testis nullus, et nous en sommes là quant à 
l'inédie de notre extatique. 



R. Oui, mon père, tout cela est très-vrai. 

D. Si l'on vous demandait de faire serment sur toutes ces choses et sur 
chacune d'elles, seriez-vous prête à le faire? 

R. Oui, très-volontiers, mon père. 

D. Eh bien I mettez- vous à genoux, devant le crucifix. Mettez la main 
sur l'Evangile et dites avec moi : 

Ici Louise s'est mise à genoux dans sa petite chambre, a mis la main 
gauche sur le crucifix et la main droite sur l'Evangile, et a prononcé la 
formule suivante, après le père Séraphin. 

« J'invoque le nom de Dieu et en son nom j'afifirme par serment que 
tout ce que je viens de dire touchant ma longue abstinence n'est que la 
pure vérité et que je n'ai dit jusqu'à présent à ceux qui me dirigent que 
la pure vérité. » [Communiqué.) 



- 186 ' 

Prétendrions-nous donc ne tenir aucun compte de ses 
déclarations faites sous serinent, et l'accuser de parjure? 
Bien que, dans une question de science pure, le côté senti- 
mental n'ait aucun rôle à jouer, nous n'hésitons point à dire 
qu'une semblable pensée nous répugnerait iwx suprême 
degré. Nous préférons de beaucoup la remplacer par une 
hypothèse s'accordant avec le respect des personnes sans 
s'écarter des données de la science. 

Que fait Louise depui? le moment où ses sœurs se sont 
retirées jusqu'à celui où elles la rejoignent le matin? 
M. Imbert-Gourbeire l^) va nous le dire : «Elle ne dort pas. 
Elle passe ses nuits en contemplation, en prières, agenouillée. 
Je lui demandai si elle s'appuyait de façon quelconque ; je 
compris à sa réponsa embarrassée qu'elle ne reposait pas 
même sa tête. » Eh bien ! il y a dans ce tableau matière à 
bien des réflexions. Louise ne dort pas, elle le croit du 
moins, mais elle reconnaît avoir des absences (11). Elle est 
seule, sans lumière, dans le silence de la nuit, les yeux 
dirigés vers le ciel, dans l'attitude de la contemplation. 
Qui ne voit, dans cet ensemble de circonstances, tout ce 
qu'il faut pour qu'elle entre dans un état de < condition 
seconde » qui pourra être le somnambulisme? Ne nous 
a-t-elle pas mis d'ailleurs sur cette piste en nous disant 
qu'elle est complètement insensible à l'impression du froid, 
absolument comme les somnambules? 

Et si c'est de cette façon que se traduit alors cette névro- 
pathie aux mille formes dont nous la savons atteinte, pou- 
vons-nous dire, peut-elle dire elle-même les actes qu'elle 



(1) Loc. cit., p. 113. 



— 187 — 

pose durant cet état de « condition seconde >? Qui Ta 
jamais observée la nuit? Personne. Qui donc pourrait affir- 
mer, avec l'ombre de l'autorité voulue, qu'obéissant incon- 
sciemment à l'instinct de la conservation, elle ne prend 
point alors le peu de nourriture dont son corps semble avoir 
besoin, et n'obéisse encore aux autres servitudes de la 
nature humaine. 

J'entends les objections : Mais comment, si elle mange, 
ne s'en aperçoit-on pas, le matin, à la diminution de l'ap- 
provisionnement? Comment se procure-t-elle ces aliments? 
Comment les supporterait-elle, si, éveillée, elle restitue tout 
ce qu'elle confie à son estomac? 

J'estime, répondant à la première de ces objections, que 
Louise n'a besoin, comme ses sœurs, qui sont, paraît-il. 
presque aussi sobres qu'elle, que de très petites quantités 
d'aliments, et que le déchet peut facilement passer inaperçu 
ou être mis sur le compte de la charité, dont la pratique est 
en permanence chez ces jeunes filles. Quand à la seconde, 
la réponse est plus facile encore : le garde-manger est à son 
entière disposition, y compris l'armoire de sa propre cellule, 
qui, au moment où le hasard nous y a fait jeter les yeux, 
contenait des fruits, du pain, de l'eau, précisément les sub- 
stances que son estomac supportait dans les derniers temps 
où elle se souvient qu'elle mangeait encore. Reste la troi- 
sième : Eh bien ! nous la trouvons résolue tout entière dans 
l'observation de la malade de M. C..., qui vomissait tout 
ce qu'elle man^cit, étant éveillée, tandis qu'elle digérait 
admirablement tout ce qu'elle prenait, étant dans l'état de 
« condition seconde (47). » Le fait lui-même d'ailleurs ne 
reste-t-il pas à établir? 



- 188 ' 

Nous donnons cette hypothèse pour ce qu'elle vaut, mais, 
entre le parjure et le sommeil nerveux, nous n'hésitons pas 
un instant, c'est à ce dernier que nous nous arrêtons. 

L'abstinence de Louise Lateau, dans les termes où elle 
est posée, est contraire aux lois de la physiologie, et il n'y 
a pas à prouver qu'elle est con trouvée. Etant établi qu'elle 
est en dehors de ces lois, c'est à ceux qui l'affirment d'en 
faire la démonstration. Jusque-là la physiologie doit la tenir 
pour apocryphe. 

6. Est-ce à dire pour cela que nous entendions arrêter 
ici les débats et tenir la cause de Tinédie pour jugée dans 
son ensemble et dans ses détails? Loin de là. Nous appe- 
lons, au contraire, de tous nos vœux une enquête rigou- 
reuse, une enquête physiologique, propre à donner le chiffre 
des émissions chez notre sujet, et à permettre en même 
temps de constater d'une manière décisive la quantité et la 
qualité de ses recettes. Il y a loin d'une enquête semblable 
à celle dont il a été jusqu'ici question, et qui consisterait 
en une simple surveillance, un espionnage ininterrompu, 
dirigé dans le but de constater l'absence ou la réalité de 
l'ingestion de matières alimentaires. Une semblable inqui- 
sition serait grosse de difficultés et de périls, et l'on devra 
réfléchir mûrement avant que de l'entreprendre. 

Et il faut cependant que cette enquête se fasse. Il le faut, 
dans l'intérêt de la morale publique, fatiguée d'entendre 
sans cesse les accusations tombant de toutes parts, tantôt 
sur ces mécréants, ces libre-penseurs, ces pharisiens, qui 
ne veulent croire à rien, tantôt sur les ministres d'une 
religion ayant droit à tous les respects, et qui, à défaut. de 



- 189 -. 

cette enquête, donne carrière à tous les doutes, à toutes les 
suspicions. 

Au point de vue scientifique, les extases et les stigmates 
doivent être scrupuleusement séparés de cette prétendue 
abstinence, que la physiologie repousse. Au point de vue 
social, il importe, au contraire, de ne point les en disjoin- 
dre, n ne faut pas que, chassé d'un côté, le fanatisme 
aveugle puisse entrer d'un autre, dans un domaine où la 
lumière n'est point faite. L'Eglise, nous dit-on, n'a pas 
prononcé; elle se recueille et attend. Mais, en attendant, 
l'œuvre de propagande s'accomplit, le flot de la crédulité, 
encouragé par d'éloquents silences, monte incessamment, et, 
à l'égal de celui de la mer, rompt toutes les digues. Il faut 
que la vérité se fasse. Il faut que la religion ait son miracle 
vrai ou se débarrasse, au plus tôt, d'un miracle suspect. En 
ma qualité de catholique, je le demande solennellement, et 
je sais que M. Lefebvre se joindra à moi pour le demander, 
pour l'exiger. 

Le gant est jeté à la science de cent côtés à la fois. 
Cette science est sincère et demiande à voir de ses propres 
yeux. La médecine n'a fait de progrès sérieux que depuis 
qu'elle compte et mesure objectivement. 

Eh quoi ! Louise Lateau ferait des dépenses continuelles 
sans faire jamais aucunes recettes, et son équilibre orga- 
nique ne varierait pas! Ce serait une soustraction conti- 
nuelle sans diminution de la masse ! Et l'on voudrait nous 
faire croire semblable chose sans nous permettre de la 
toucher du doigt? Mais avon^-nous jamais vu un chiffre se 
fausser depuis que nous calculons? Des étoiles s'égarer depuis 
qu'on a mesuré leurs orbites ? 



— 190 — 

On a dit — des ennemis de la religion sans doute — que 
ceux qui ont juridiction sur Louise Lateau ne permettront 
jamais qu'elle soit placée dans une autre demeure que la 
sienne, ou que des hommes restent, la nuit, dans sa 
chambre, dans le but de contrôler le fait matériel del'inédie. 
Ce serait là une Un de non recevoir, et elle serait sévère- 
ment jugée. On veut mille égards; mais de quelle utilité 
pourrait-il être de fermer quatre-vingt-dix-neuf portes, si 
Ton en laisse une centième ouverte au doute, à la fraude? 
Nous nous refusons à croire à un semblable parti pris. 
Ce n*est pas après avoir jeté au public, depuis tantôt quatre 
ans, un fait aussi retentissant, qu'il pourrait être permis 
d'en refuser le contrôle complet. 

L'Académie s'associera sans doute unanimement à cette 
demande d'une épreuve décisive, dont elle se réserverait de 
fixer les termes. Si ce vœu était repoussé, il ne resterait 
plus à ceux qui, dans la sincérité de leur âme, nous voulons 
le croire, ont exalté le fait de Bois-d'Haine en ce qui con- 
cerne l'abstinence, qu'à l'abandonner au passé et à deman- 
der au monde désabusé un indulgent et généreux oubli. 

En faisant cette sommation respectueuse, nous ne croyons 
commettre aucune irrévérence. « La vérité, a dit M. Le- 
febvre, est une fille du Ciel ; quand elle descend parmi les 
hommes, qu'elle soit populaire et triomphante ou qu'elle 
soit humble et méprisée, l'Église l'accueille toujours, 
hôtesse divine, et l'entoure de ses tendresses et de ses res- 
pects. » (^ette vérité, nous l'avons recherchée dans tout ce 
travail, collaborant ainsi à l'œuvre de M. Lefebvre, dont, 
au degré près peut-être, nous partageons les croyances. 
Notre cher et éminent collègue a cherché à fixer le cas de 



- i9l - 

Louise Lateau, et il a déclaré simplement et sincèrement 
qu'il n'a trouvé à l'assimilier à aucune maladie connue. 
Nous aTons fait comme lui, mais nous sommes arrivés à un 
résultat diflërent. M. Lefebvre a parlé de l'abstinence de 
Louise Lateau, mais il a déclaré que, pour revêtir le carac- 
tère d'une authenticité scientifique, il fallait que cette jeune 
fille fut soumise à des épreuves spéciales. Notre honorable 
collègue nous a donc précédés dans la voie où nous nous 
plaçons aujourd'hui et nous ne pouvions mieux faire que de 
s'y suivre. 

87. Nous voici arrivé au terme de notre tâche. Dans 
quelle mesure avons-nous satisfait aux conditions du pro- 
gramme que nous nous étions tracé? Ce n'est point à nous 
de le dire. En allant, comme nous l'avons fait, jusqu'au 
cœur du sujet, nous avons sans doute fait preuve d'audace, 
mais l'audace dans l'attaque n'implique pas la prétention 
d'en sortir victorieux. En sciences plus que partout ailleurs, 
les conclusions sont, de leur nature, dans un perpétuel 
ajournement. Dans le domaine des sciences médicales, la 
raison ne régit pas toujours l'hypothèse ; la nôtre peut être 
caduque; qu'elle vienne à être renversée, et nous nous en 
consolerons dans la pensée qu'elle a peut-être ouvert une 
percée nouvelle dans le chemin de la vérité. 

C'est le seul but que nous ayons poursuivi durant les 
cinq mois que nous avons consacrés à cette délicate et 
longue étude. Des esprits chagrins, n entendant rien à 
l'indépendance ni au désintéressement, nous en ont attribué 
d'autres, Lrisés b!ir nous ne savons quels motifs d'intérêt 
personnel. Le sentiment public a déjà fait justice de leur 



- 19i - 

indignité. Destiné à être produit dans ce sanctuaire de la 
science^ où son drapeau déroule paisiblement ses plis à Tabri 
des tempêtes soulevées par les querelles des partis, notre 
rapport devait être conçu de façon à n*y donner matière 
qu'à des débets exclusivement scientifiques. Nous y avons 
fait tendre nos efforts, sans nous préoccuper de Tinterpré- 
tation qui pourrait être donnée à notre froide impartialité 
Si, derrière le rapporteur, il y a un homme aux sentiments 
intimes bien arrêtés, il devait faire taire ces sentiments 
devant les droits sacrés de la science , et il n'a pas 
reculé devant cette abdication d'un jour. 

« Après avoir élevé nos âmes vers Dieu, a dit François 
Bacon, tournons nos regards vers les hommes, pour leur 
adresser le salutaire avis d'avoir, en ce qui concerne les 
choses divines, à maintenir les sens dans leur direction na- 
turelle. Les sens, en effet, ressemblent au soleil qui, lors- 
qu'il inonde la terre de lumière, met comme un cachet sur 
la surface du ciel. Ils ne doivent pas tomber non plus dans 
l'erreur contraire, et considérer l'investigation de la nature 
comme chose interdite. Ce n'est pas cette connaissance de 
la nature, innocente autant que pure, au moyen de laquelle 
Adam, prenant pour base les propriétés des corps, se mit 4 
leur assigner une terminologie, ce n'est pas celle-là qui fut 
l'origine et la cause de sa chute. Ce fut le désir ambitieux 
et arrogant de posséder une science morale capable de lui 
permettre de distinguer le bien du mal, avec cette inten- 
tion de pouvoir se séparer de Dieu et se gouverner lui- 
même. Celle-ci fut la base et le moyen de la tentation. Eu 
égard aux sciences d'observation, l'^ philosophe anglais 
déclare que « la gloire de Dieu consiste à cacher une chose, 
mais que l'honneur de l'homme consiste à la découvrir. » 



— 195 — 



Hé«iuBé de» ▼■«• ée la C#hubImI«b em ee qui 
cMMWsc le flSidi ée ■•l»-d*MaiBe. 

L 

Les deux termes du dilemme de M. Virchow : 
< Supercherie ou miracle >, en tant qu'ils s'appli- 
quent aux extases et aux stigmates de Louise 
Lateau^ doivent être écartés. 

Ces stigmates et ces extases sont réels. 

Ils s'expliquent physiologiquement. 

2. 

Les phénomènes présentés par Louise Lateau 
constituent une maladie, de Tordre des névroses. Il 
convient de la classer, dans les cadres nosologiques, 
sous le nom de < névropathie stigmatique >. 

3. 

Louise Lateau travaille et dépense du calorique ; 
elle perd tous les vendredis une certaine quantité de 
sang par les stigmates ; les gaz qu'elle expire ren- 
ferment de la vapeur d'eau et de l'acide carbonique ; 
son poids n'a guère varié depuis qu'elle est en ob- 
servation : donc elle brûle du carbone et ce n'est 
pas à son propre organisme qu'elle l'emprunte. Oîi 
le prend-elle ? La physiologie répond : Elle mange. 



i94 - 



4. 



L'abstinence de Louise Lateau, dans les termes 
oh elle est posée, est contraire aux lois de la phy- 
siologie, et il n'y a point, dès lors, à prouver qu'elle 
est controuvée. Étant établi qu'elle est en dehors de 
ces lois, c'est à ceux qui l'affirment à en faire la 
démonstration. Jusque là la physiologie doit la tenir 
pour apocryphe. 

88. La Commission propose, en ce qui concerne le mé- 
moire de M. Charbonnier : 

1" D'adresser des remerciments à l'auteur; 

2* De déposer honorablement son travail dans les ar- 
chives de la Compagnie. 



TABLE DJES MATIÈRES. 



Itttroditetion , 5 

Première partie, — Observation médicale 9 

Deuxième partie, — Analyse et discussion du mémoire de 

M. Charbonnier 49 

Troisième partie, — Vues propres de la Commission sur le 

fait de Bois-d'Haine 85 

1. Extases 88 

2. Stigmates 121 

3. Névropathie stigmatique 153 

Appendice 1. Reconnaissance des objets bénits et Rappel . . 179 

2. Abstinence 183 

Conclusions 193 



EBBATA. 



Page?, lignes, e. r. au lieu de : Discussion, lisez : Discours. 
Page 33, ligue 7, au lieu de : d'humanité, lisez d'humidité. ^ 



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